VOYAGE AUTOUR DU MONDE LASFAVORETE PENDANT LES ANNEES 1850, 1851 ET. 1892 VOYAGE AUTOUR DU MONDE PAR LES MERS à! L'INDE ET DE CHINE EXÉCUTÉ SUR LA CORVETTE DE L'ÉTAT LA FAVORITE PENDANT LES ANNÉES 1850, 1851 ET 1852 SOUS LE COMMANDEMENT DE M. LAPLACE CAPITAINE DE FRÉGATE; PUBLIÉ PAR DRE DE M. LE VICE-AMIRAE COMTE DE RIGNY LA MINISTRE DE LA MARINE ET DES COLONIES PARTS. IMPRIMERIE ROYALE. M DCCC XXXV. Mo, Bot. Garden 18° 7. VOYAGE AUTOUR DU MONDE PAR LES MERS#NE L'INDE ET DE CHINE SUR LA CORVETTE LA FAVORITE PENDANT LES ANNÉES 1830, 1831 ET 1832. CHAPITRE XVI. JAVA. — MOEURS ET COUTUMES DES HABITANTS. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉ- RALES SUR LA PUISSANCE DES HOLLANDAIS ET SUR LEUR COMMERCE DANS CES MERS. — VOYAGE A BANCALANG DANS L'ILE DE MADURÉ. Depuis près de dix-huit mois la Favorite avait quitté la France; elle poursuivait sa route vers les extrémités du monde, et les relâches où nous espérions trouver des nouvelles de nos familles et de notre patrie s'étaient succédé sans apporter aucun adoucissement à l'inquié- tude qu'un silence aussi prolongé nous faisait éprouver. Le premier bruit de l'expédition d'Alger nous était parvenu à Macao, la veille de notre appareïllage pour des pays au milieu desquels la corvette ne devait ren- contrer le pavillon d'aucune nation policée+ nos pen- XII. 2 VOYAGE sées ent vers Java, que mes instructions dési- gnaient comme un des points du globe où cette longue campagne devait nous laisser prendre quelques moments de repos, et dont les relations suivies avec l'Europe offraient des chances favorablts à notre impatiente anxiété. Je comptais être plus heureux dans cette relâche qu'à celle de Manille, où le vif désir que j'éprouvais de rece- voir des dépêches du ministre de la marine avait été péniblement trompé. Comment exprimer l'étonnement dont nous fûmes frappés en apprenant la révolution qui dix mois auparavant avait renversé en peu de jours un gouvernement qui se croyait si solidement établi! Cette nouvelle me fut annoncée officiellement par le lieute- nant d'une corvette hollandaise, commandant la station, et mouillée auprès de la Favorite, sur la rade de Soura- baya. Notre position n'avait rien de rassurant : les détails. contradictoires que je recevais sur des événements si extraordinaires, les bruits que la malveillance ou la peur exagéraient, me donnèrent d'abord bien du souci : la Favorite se trouvait avec quelques jours de vivres seule- ment à bord, au sein des possessions d’une nation mé- contente, qui se regardait comme à la veille de déclarer la guerre à la France, et témoignait déjà pour nous au- tant d'éloignement que de jalousie. Cependant il fallait conserver la corvette à la France, qui peut changer ses institutipiet ses souverains, mais doit toujours être la véritables enfants. J'attendis des nouvelles . ui: chefties de la colonie; et quand j'eus acquis DE LA FAVORITE. F 5 la certitude que le gouvernement français, en ne m'en- voyant aucun ordre, aucunes instructions, me confiait entièrement le sort de la Favorite, je fis arborer le pa- villon aux trois couleurs à tous ses mâts : il fut hissé au bruit de l'artillerie et des acclamations de l'équipage, qui dès ce moment dut le défendre contre tout ennemi jusqu'à la dernière extrémité. Je reçus, dans ces circonstances difficiles, la noble récompense de mes soins pour le bien-être, le bonheur des officiers et des marins dont un autre souverain m'avait nommé le commandant. Tous sans exception, oubliant les différences d'opinions et les mécontente- ments particuliers, suites ordinaires des commotions politiques, se serrèrent de cœur et d'âme autour de moi, et jurèrent de défendre notre nouveau pavillon avec le même courage , le même dévouement que nous aurions montrés en combattant pour l'ancien. Cependant il fallait, avant que je pusse prendre un parti sur les opérations ultérieures de notre campagne, que la corvette eût des vivres pour au moins quelques mois; car toules les nouvelles, tous les bruits annon- çaient la guerre entre la France et l'Europe entière ; et s'ils se fussent malheureusement confirmés, pas un seul point de relâche ne nous restait dans ces mers, et par- tout je devais rencontrer l'ennemi. Les marchands hol- Jandais, affectant une sue défiance, refusaient mes offres, ou voulaient m'imposer des conditions que je rejetai à mon tour comme trop onéreuses et 2 faire douter de la force du nouveau duquel j'allais prendre des engagements #f à [A : VOYAGE Mais au milieu de ces difficultés embarrassantes je trouvai dans les négociants anglais de Sourabaya la même confiance que le commerce de cette grande na- tion s'était empressé de me montrer toutes les fois que j'avais eu recours à lui : ils vinrent loyalement à mon secours, acceptèrent sans balancer mes traites sur l'état, et j'eus la ite certitude de voir avant peu de jours la Favorite pourvue de tout ce qui pouvait lui être né- cessaire pour reprendre la mer. Lorsqu’à la fin du siècle dernier, Java était le centre du commerce des îles de la Sonde, et que les Hollan- dais, encore facteurs de l'Europe, exploitaient l'industrie des autres nations, je n’aurais pas trouvé dans cette île, parmi les commerçants étrangers, un aussi heu- reux appui. À cette époque, la défiance des maîtres de Batavia excluait les Européens de la majeure partie du grand archipel d'Asie, et considérait même comme ennemi tout bâtiment que les circonstances de la navi- gation avaient entraîné dans ces parages défendus. Alors Amsterdam recevait annuellement de précieuses cargai- sons et voyait ses marchands enrichis après un court séjour sur les côtes de Java; ses flottes, marchandes et armées en même temps, commercçaient exclusivement avec le Japon, et tenaient sous un joug détesté la plupart des sultans de Bornéo, de Macassar, et des autres gran- des îles qui séparent Java d'Amboine, qui était alors le _cheflieu de la puissance hollandaise dans les Moluques. Malaca dominait tous les détroits environnants et faisait trembler les princes malais de Sumatra, de Banca et de Bantam, dont les sujets affluaient dans les ports de DE LA FAVORITE. o Java. Batavia était renommée en Europe pour ses ri- chesses, sa splendeur, et excitait l'envie de toutes les puissances commerçantes. Aussi ce fut dans cette opu- lente cité que la Hollande puisa les trésors qui la mirent en état de lutter contre les Anglais, et dont la guerre même ne put tarir la source. Mais déjà s'élevait aux dépens de nos comptoirs d'Asie cette compagnie de marchands qui devait avant la fin du siècle commander en souveraine à la vaste presqu'île de l'Indostan, et chasser tous ses rivaux de la côte de Coromandel. Le voisinage de cette nation redoutée força les possesseurs de Java de mettre un terme aux mesures arbitraires qui éloignaient les Européens du commerce des îles de la Sonde; et les côtes occidentales de Sumatra fournirent bientôt autant de poivre que les Moluques, auxquelles Ceylan vint encore arracher le monopole du girofle et de la cannelle. Ces deux épices, objet des précautions des Hollandais, devinrent de plus en plus communes dans nos contrées, à mesure que le commerce avec la Chine et les pays malais prit en Europe une plus grande extension, et que plusieurs colonies, entre autres Bourbon et Cayenne, planièrent des girofliers. Dès cette époque, le pouvoir hollandais en Asie commença à déchoir rapidement. Le voile dont il en- veloppait depuis longtemps ses opérations commerciales dans cette partie du globe était déchiré : alors Anglais, Français, Américains accoururent à l'envi pour se par- tager ses dépouilles, et faire éprouver aux marchands d'Amsterdam lesort que ceux-ci avaient faitsubir autrefois 6 VOYAGE aux Portugais dégénérés. Mais cette dernière lutte du commerce contre le commerce, de l'industrie contre l'industrie, durerait peut-être encore si la révolution française, en changeant la face de l'Europe et même du monde entier, n'était pas venue livrer pour ainsi dire à l'Angleterre les possessions d’une rivale dont l’économie et la persévérance lui avaient toujours été redoutables. La formidable expédition qui enleva, en 1810, l'ile de France à sa mère patrie, conquit également Java sur les nouveaux maîtres que les Pays - Bas reconnaissaient. Rien ne lui résista : les Moluques recurent les couleurs britanniques, et lon put croire le pavillon hollandais disparu pour toujours du grand archipel d'Asie. Mais à la paix de 1814, qui semblait devoir appeler tant de peuples à la liberté et qui trompa tant d’espé- rances, les négociateurs hollandais, éclairés sur les vé- ritables intérêts de leur pays, arrachèrent aux Anglais une proie que ceux-ci n’abandonnèrent qu'à regret, et Java retourna à ses anciens dominateurs. À cette époque la Hollande, réduite en Europe à un rôle très-secondaire, tourna son attention et dirigea l'in- dustrieuse activité de ses habitants vers cette colonie. Elle voulut devenir maîtresse absolue de la seule pos- session importante qui lui fût restée de ses anciennes colonies. Le roi, dont le pouvoir remplaçait celui de l'ancienne compagnie de Batavia, résolut de chercher dans le sol même is ile, négligé a ne et dans sa nombreuse populat pendante, un dédom- magement aux sacrifices que lui avaient imposés des alliés trop puissants. DE LA FAVORITE. 7 Cette entreprise était belle sans doute, mais pleine de difficultés, qu'il n’a été possible de surmonter qu'au prix de beaucoup de sang et par des dépenses considérables. Java est, après Sumatra, la plus grande île de l'ar chipel de la Sonde : elle peut avoir cent quatre-vingts lieues de longueur dans une direction à peu près E. et O. entre les 6° et 7° degrés de latitude méridionale, et trente lieues dans sa plus grande largeur. L'histoire de ce pays, comme celle de Bornéo et des Philippines, semble couverte d'une profonde obscurité. Cependant la vue d’une population beaucoup moins féroce que celle des îles malaises et même assez avancée en civilisation, fait naître dans l'esprit du voyageur des conjectures auxquelles les antiquités dont Java offre en- core beaucoup de vestiges curieux, et les traditions con- servées parmi les indigènes, pourraient donner quelque fondement. S'il faut en croire ces derniers, plusieurs de leurs souverains ont joué un grand rôle comme conquérants; et Sumatra en vain défendue par le détroit de la Sonde, a plusieurs fois été subjuguée par eux. Les Javanais étaient alors comme aujourd’hui les plus braves, les plus belliqueux et en même temps les moins méchants des insulaires de cet archipel. Ils présentent encore d'autres différences : leur religion est celle de Bouddha, que sui- vent les peuples de la presqu'ile malaise; tandis que ceux de Sumatra et des îles voisines de Java du côté de l'E. sont presque tous idolâtres et livrés aux plus abomi- nables superstitions. Cependant, à moins de rejeter dans un passé bien 8 a. VOYAGE éloigné l'époque où les Javanais se signalèrent par tant de hauts faits, il est difficile de concilier cette grandeur dont ils se vantent avec l’état d'infériorité où les trou- vèrent les Espagnols, et ensuite les Hollandais, lorsqu'ils tentèrent successivement de s'établir à Java. Les anciens habitants, retirés dans l’intérieur de l’île, avaient mis les montagnes et les forêts entre eux et les Malais, qui s'étaient emparés des côtes méridionales. Il paraît ce- pendant que du côté N. ils avaient conservé l'avantage, qu'ils devaient peut-être à la puissance dont jouissaient encore plusieurs sultans voisins de cette partie, et parmi lesquels celui de Solo tenait le premier rang. Les Hollandais n’eurent donc à réduire d'abord que les habitants des rivages, soumis à une foule de petits chefs ennemis les uns des autres, et qui furent séduits ou . dont les bâtiments de guerre européens, maîtres de la mer, triomphèrent facilement. La côte S., battue cons- tamment par les fortes brises de S. E. et par le grand Océan austral, ne leur offrant aucun bon ancrage, ils dédaignèrent de sy établir; de manière qu’elle resta dé- serte comme auparavant, et qu'elle sert encore aujour- d'hui de repaire à des forbans très-dangereux. Mais ils trouvèrent sur le littoral opposé et aux deux extrémités de Java les abris naturels nécessaires à leur marine, et se hâtant d'en profiter, ils fondèrent d’abord Batavia sur les bords d’une baie à la pointe N. O. de l'île, et dans le voisinage du détroit de la Sonde, passage le plus fré- quenté par les navires de toutes les nations. Puis en s'établissant de proche en proche sur la côte septen- trionale, que la nature a dotée d’une admirable fertilité, DE LA FAVORITE. 9 ils arrivèrent dans une autre baïe très-ouverte, située vers le milieu de la longueur de l'île, et y bâtirent Sa- marang, à l'embouchure de la Kloyaran. Cette petite rivière dont le courant rapide forme une barre impra- ticable quelquefois pour les embarcations, jette sur les rivages voisins des vases qui forcent les grands navires à prendre loin de terre un mouillage que les mauvais temps de la mousson d'O. rendent peu tenable pendant six mois de l’année ; mais ces inconvénients sont lar- gement rachetés par les avantages que la ville doit à sa position, qui en fait le centre du commerce de la plus belle partie de Java. Des plaines, qui montent par un plan doucement incliné jusqu’au pied de la chaîne de montagnes dont est couronné le centre de l'ile, bordent la côte dans presque toute son étendue. Ces campagnes sont par- faitement cultivées, et embellies de villages javanais, dont les maisons, construites en bambous et en rotins, entourées d’une haie et ombragées de bouquets d'arbres fruitiers, offrent à chaque pas des points de vue enchan- teurs. Les habitations se groupent généralement sur le bord des cours d’eau, auxquels les terres doivent leur étonnante fécondité, qui va jusqu’à produire par an trois récoltes de riz, denrée dont l'exportation forme la prin- . cipale richesse de Java. Tel est le coup d'œil que présentent, sans presque aucune interruption, les rivages de Java depuis le chef- lieu jusqu'a Sourabaya, sur le détroit de Maduré, qui borne l'île à son extrémité orientale, comme le détroit de la Sonde la termine vers l'O. 10 VOYAGE Non-seulement l'établissement de Sourabaya devint une position militaire pour les Hollandais, mais encore il leur offrit un excellent port où leur marine put réparer ses navires en sûreté. Ce dernier avantage, qui méritait d'attirer l'attention d’une colonie privée de rades assez bonnes pour servir d'abri contre les mauvais temps et les tentatives de l'ennemi, fut pourtant négligé par la compagnie des marchands d'Amsterdam, alors en pos- session du privilége d'exploiter Java; car, lorsque dans les premières années du siècle, le général Daendels vint gouverner l'île au nom de la France, Sourabaya n'était pas encore un point important. Par les soins de ce grand homme, dont le souvenir est en vénération parmi les Javanais, la colonie eut un arsenal maritime, peu considérable sans doute, mais parfaitement disposé et garni de tous les ateliers néces- saires, où de nombreux indigènes vinrent se former sous la direction d'ouvriers européens. De solides bâti- ments remplacèrent les mauvais hangars élevés au- trefois dans le même but, et que chaque année les hautes eaux menaçaient d'emporter. La rivière sur le rivage de laquelle ils étaient placés, et qui traverse Sourabaya, fut encaissée entre des quais spacieux, pour que le courant plus rapide chassât la vase apportée par les pluies. Deux longues jetées conduisirent la rivière en dehors des bancs qui obstruaient auparavant son embouchure, et lui donnèrent assez de profondeur pour recevoir des bâtiments de guerre du troisième rang. Le superbe fort que les Hollandais appellent fort d'Orange, et près duquel nous avions passé la veille de notre ar- DE LA FAVORITE. 11 rivée sur la rade, sortit de la mer comme par enchan- tement, et assura de ce côté du détroit, contre tout ennemi, la défense des nouvelles constructions. La ville elle-même fut embellie de monuments publics qui ne manquent ni de noblesse ni de goût, et parmi lesquels le palais du gouverneur se fait remarquer par sa belle ordonnance; l'architecture en est légère et convenable au climat; elle orne très-bien la place d'armes, dont une caserne vaste et bien aérée forme le côté opposé au palais. Ces édifices situés en dehors de la ville, communi- quent avec elle par des rues longues et larges , bordées de belles maisons de pierre, auxquelles de jolies gale- ries couvertes et des toits en terrasse donnent un air d'élégance et de propreté qui plaît à l'œil. Malheureu- sement la plupart des quartiers sont bâtis auprès de la rivière, sur des terrains bas et inondés pendant six mois del'année. (PI. 57.) Les eaux séjournent dans les plaines, d’où elles s'écoulent difficilement : aussi, dans la saison des pluies, les villages et les maisons de campagne ré- pandues dans les environs, semblent des îles au milieu d'une immense nappe d’eau, à laquelle des touffes d'ar- bres, et les haïes des petits chemins qui s'élèvent encore au-dessus de sa surface, donnent de loin l'apparence de champs cultivés. Mais au retour de la belle saison, ces terrains, asséchés au moyen de canaux distribués avec autant de soin que d'intelligence, se parent d’une belle pelouse verte, dont les teintes changent à mesure que le riz avance vers sa maturité. Le général Daendels voulut que les trois principaux 12 VOYAGE points de la colonie, qui jusque-là n'avaient corres- pondu entre eux que par mer, pussent avoir par terre des relations faciles et assurées. En peu de temps, à la voix de ce gouverneur pour lequel rien n'était 1m- possible, et qui savait trouver les hommes et créer les moyens ‘pour l'exécution de ses projets, une route magnifique, qui franchit les montagnes et les marais, remplaça les petits chemins, que les troupes de tigres ou les inondations rendaient alternativement imprati- cables, et unit ainsi, en longeant la mer et traversant la plus riche partie de l'île, Sourabaya à Samarang, et cette dernière ville au chef-lieu de la colonie. Des relais de chevaux y furent établis pour le service du gouvernement et des particuliers ; et dès lors les cour- riers, comme les voyageurs, purent en quelques jours parcourir Java dans toute sa longueur. Un semblable bienfait devait faire jouir Batavia d’une prospérité intérieure, bien nécessaire à cette époque où ses relations commerciales avec l’Europe étaient entièrement interceptées par les croisières de l'en- nemi. En effet la ville éprouva de notables améliora- tions. Les Hollandais, que leur goût pour les inonda- tions périodiques et pour les canaux semble avoir guidés dans la manière de disposer la plupart de leurs établis- sements, avaient fondé la capitale de Java au milieu des marécages, et élevé une multitude de palais sur les bords de canaux infects, dont les miasmes mortels moissonnaient chaque année une foule d'Européens. Par les ordres du tout-puissant Daendels, ces cloaques dis- parurent presque entièrement : les terrains bas furent DE LA FAVORITE. 15 exhaussés, et les eaux s'écoulèrent dans la mer. Mais comme ces importants travaux n’assainirent qu'impar- faitement une ville aussi mal située, le gouverneur trans- porta sa résidence à quelques milles du bord de la mer, sur le sommet de terres élevées, où il fit bâtir une somp- tueuse habitation : bientôt cet exemple fut süivi par les hauts employés de l'état, ainsi que par les principaux négociants, et aujourd'hui l'ancienne ville ne renferme plus guère que des indigènes et des marchands chinois. Malheureusement la rade, bien qu’elle soit bordée de quais construits à grands frais pour encaisser les petites rivières qui encombraient auparavant leurs rives de vase et de boue, n'a que peu ou point gagné à ces change- ments. [1 y règne toujours des maladies affreuses qui déciment les équipages des bâtiments européens, et Java est maintenant comme autrefois le pays le plus malsain du monde pour les marins. Le général Daendels ne borna pas ses soins à l'embel- lissement de la colonie ; il agrandit les possessions hol- landaises et en affermit la tranquillité : il employa avec succès la force des armes et l’'ascendant de son nom pour étendre l'influence de sa patrie sur les nations de l'intérieur de Java. Tantôt il les subjuguait avec des troupes javanaises exercées à leuropéenne , et dont la fidélité lui était assurée ; tantôt, à la tête d’une centaine de cavaliers, il paraissait tout à coup aux portes de la demeure fortifiée du sultan de Solo, et dictait à ce sou- verain un traité qui donnait de nouvelles provinces aux maîtres de Batavia; et pourtant ces princes qui n’osaient alors résister au gouverneur d’une colonie à laquelle ils 14 VOYAGE ont inspiré plus tard de si vives inquiétudes, comman- daient à une population nombreuse, aguerrie et dévouée à ses chefs. Le Javanais est d’une belle stature; ses traits sont plus réguliers que ceux du Malais; sa physionomie a quelque chose de bon et de fier en même temps. Son costume, à peu près semblable à celui de l'insulaire des détroits, se compose d'une longue chemise à manches courtes, qui tombe sur un large pantalon, et d'un pagne qu'il porte sur les épaules ou autour du cou. Ce pagne, qui est de toile de coton blanche ou bleue, suivant les rangs, et bordé d’une raie rouge pour les chefs, sert assez souvent à former une espèce de turban autour de la tête, quand cette partie n’est pas couverte soit d’un petit bonnet, soit d'un mouchoir peint de - cou- leurs. Les hommes des classes élevées substituent quelque- fois au pantalon un pagne qui fait le tour de la ceinture et descend jusqu’au bas des jambes : ils y joignent alors des pantoufles; mais ils les quittent toujours pour pa- raître devant un supérieur, car les grands personnages sont les seuls qui portent cette chaussure en tout temps. . Ces insulaires ont un caractère assez doux, obéissant, susceptible de reconnaissance et d’attachement; mais ils sont superstitieux, fanatiques, vindicatifs, et attachés fortement à leurs usages. Le duel est extrêmement com- mun parmi eux : pour la moindre insulte ils se déchirent à coups de crit comme des tigres. Les enfants mêmes se battent quelquefois jusqu’à la mort. La jalousie est la principale cause de ces combats, auxquels les Hollandais DE LA FAVORITE. 15 cherchent en vain à mettre un terme. Un regard, un mot indiscret suffit pour occasionner des meurtres et engendrer des haines irréconciliables qui se transmet- tent de père en fils. Les femmes qui inspirent des passions aussi violentes sont belles et bien faites : malgré leur teint très-brun elles ont une physionomie fort agréable, à laquelle de grands yeux noirs, au regard doux et pensif, et de longs cheveux relevés avec grâce derrière la tête, donnent quelque chose d’intéressant. Leur tournure paraît aisée, volup- tueuse ; et leur habillement qui, tout simple qu'il est, ne manque pas de coquetterie, lui prête un nouveau charme. Une chemise blanche et ample, qui ne laisse voir que la forme d'une gorge conservée soigneusement, et dont les plis sont serrés autour de la ceinture par un pagne qui descend jusqu'aux talons ; une pièce d'étoffe de grand prix, qu’elles drapent de mille manières sur des épaules couvertes de colliers; enfin, des bras arrondis et ornés de bracelets, des mains petites, des pieds bien proportionnés, achèveraient de faire des Javanaises des femmes séduisantes, si leurs dents noires et leur bouche, inondée d'une salive rouge, ne portaient, comme. celle des hommes, lestraces repoussantes du bétel et même du tabac mâché ou fumé. J ajouterai ici que, des relations, souvent légitimes, du sexe javanais avec les blancs, est sortie une classe de femmes qui joignent aux grâces de leurs mères les avantages de l'éducation européenne, qu’elles reçoivent généralement. Ces jeunes filles ne sont sous le poids d'aucun des préjugés qui accablent les mulâtresses dans 16 VOYAGE les colonies : elles épousent les blancs, et leur apportent quelquefois de très-riches dots. Les peuples de l'intérieur de l'ile se mêlent beaucoup plus rarement avec les Hollandais, et ont mieux conservé jusqu'à présent les traits primitifs de la race javanaise. Ils habitent des villages situés pour la plupart dans les gorges des montagnes et au sommet des défilés, et qui ne communiquent entre eux que par des sentiers étroits et difficiles, dont les torrents effacent souvent les traces au milieu des forêts. Ces Javanais, soumis encore à leurs anciens chefs, montrent le courage, la ténacité de ca- ractère, et surtout la constance dans les fatigues, que l'on retrouve chez presque tous les montagnards. Ha- bitués aux privations, aux petites guerres intestines de canton à canton, de province à province, ils sont bel- liqueux et hardis. I1s connaissent l'usage des armes à feu; mais la longue lance au fer large et acéré, le crit à la lame plate et inégale, deviennent dans leurs mains des instruments de destruction bien plus redoutables. Monté sur un cheval de petite taille, mais rempli de feu, et capable de braver la fatigue comme son maître, le soldat javanais franchit les précipices, gravit les mon- tagnes escarpées, et tenant son fidèle compagnon par la bride, traverse les torrents les plus impétueux. Égale- ment exercé à l'attaque et à la retraite, quand cette dernière devient impossible, il met pied à terre, aban- donne son cheval, puis, armé de sa lance et du terrible crit, il se précipite sur son ennemi, et combat jusqu’à la mort. Tel est le peuple sur lequel le général Daendels était > DE LA FAVORITE. 17 parvenu à exercer un grand ascendant par sa prudence, sa fermeté, et surtout par une grande connaissance des hommes et des lieux. Si une défiance, peut-être injuste, n'eût pas fait rappeler en France ce gouverneur au mo- ment même où les Anglais se disposaient à s'emparer de Java, jamais la colonie n’aurait subi le joug britan- nique. À la voix de homme qu'ils révéraient, les Java- nais se seraient levés de toutes parts pour repousser l'invasion. Mais Daendels partit, et vit en s'éloignant les Anglais porter les prenriers coups au pouvoir qu'il ne pouvait défendre. Quelques années plus tard, ce géné- ral, qui avait donné des exemples d’un rare désintéresse- “ment et de la plus grande fidélité, victime de l'ingra- titude de sa patrie et de son souverain, mourut dans un petit comptoir hollandais sur la côte d'Afrique. La domination britannique fut courte ; cependant elle dura assez longtemps pour jeter des racines dans le pays, et répandre des idées nouvelles dans l'esprit des indigènes, dont l'attachement fut capté par toutes sortes de moyens, aussi impolitiques que dangereux, mais sur lesquels les Anglais comptaient sans doute alors, comme ils y com ipten encore à présent, pour amener des évé- nements quitôt ou tard feront tomber Java entre leurs sai . te “ e' pin: dE : troubles, que les successeurs des Hol- lsfiés laissèrent derrière eux en quittant Java, ne tarda pas à fermenter. Les anciens maîtres rentrèrent bien en possession de l'île, mais ils ne trouvèrent plus chez les indigènes de l'intérieur le même respect pour leur auto- rité. Les sultans, traités par les Anglais pendant trois III. # [3 + 18 VOYAGE ans avec une grandeur et une générosité trop excessives pour n'avoir pas été calculées, ne voulurent plus se sou- mettre aux mesures étroites du gouvernement des Pays- Bas, auquel sans doute rien ne semblait changé: les froissements devinrent continuels, et enfin produisirent une animosité d'autant moins dissimulée, que le projet formé par la Hollande de soumettre toute l'ile n'était plus un secret pour les mécontents ; aussi prirent-ils les devants, pour ne pas laisser à des ennemis déjà trop redoutables le temps d'achever leurs préparatifs, et la guerre coMmenca. Un événement tragique, qui, à ce qu'on raconte, eut lieu à la cour du sultan de Solo, servit de prétexte aux premières hostilités. Le résident hollandais auprès de ce souverain s'éprit d'amour pour la fille du prince Icono-Gorro, homme d’un grand caractère et abhor- rant les oppresseurs de son pays : un pareïl adversaire était d'autant plus à craindre, qu'au pouvoir qu'il exer- çait comme régent au nom du jeune sultan son neveu, il joignait une grande influence religieusé sur tous ses compatriotes. Le refus formel d'Icono-Gorro de donner sa fille en mariage au résident causa entre eux une mé- sintelligence qui exaspéra l'esprit du fier Javanais, pour lequel il faut croire que l'on n'eut pas assez de ménage- ment. Un jour il mande le Hollandais dans son palais, lui montre sa fille. « Voilà celle que tu désires, dit-il «d'un air féroce; tu ne peux la posséder ; jamais mon «sang ne sera mêlé à celui d'un Européen.» En finis- sant ces mots, il plonge son crit dans le cœur de la jeune fille, et laisse son antagoniste, frappé d'horreur, DE LA FAVORITE. 19 s'échapper du palais, et bientôt après de la province. La guerre était déclarée : le soulèvement des indigènes fut presque universel ; le régent de Solo employa le fa- natisme pour augmenter le nombre de ses partisans et leur inspirer sa haine contre les maîtres de Batavia : ceux-ci, pris au dépourvu, éprouvèrent d’abord quel- ques échecs, et virent même les insurgés s'approcher de Samarang et menacer le chef-lieu ; mais de nombreux corps de troupes, commandées par un général distin- gué, débarquèrent successivement dans l’île, où les sul- tans alliés de la Hollande avaient déjà pris les armes, et Java offrit lé spectacle d’un vaste champ de bataille. La guerre devint horrible: les Javanais tuaient les prison- niers en leur enfonçant un crit dans le côté, de manière à laisser à cés malheureux de longues heures de souf- frances. De léur côté les troupes blanches ne se mon-_ trèrent pas moins cruelles ; les femmes, les enfants, les vieillards, furent égorgés sans pitié, et la population d'une multitude de villages disparut PE entière- ment. : Icono-Gorro , D pts du plat pays, se retira dans les montagnes et s'y défendit avec un courage , une Opi- niâtreté dignés d’un meilleur succès. Aidé des secours d'armes et de munitions que lui vendirent, à ce qu'on prétend, des marchands anglais de Sincapour, il comt battit pendant cinq années, jusqu'en 1829 : mais alors les autres chefs, gagnés par les Hollandais, où fat gués d'une lutte dont l'issue ne pouvait plus êtré que fatale à leurs intérêts, ayant abandonné le malheureux régent, celui-ci, pressé de tous côtés par Îles troupes 2 20 VOYAGE ennemies, fut obligé de se rendre à leur général, qui le fit conduire sur-le-champ en exil à Amboine, où sans doute il finira une vie dont le souvenir restera longtemps parmi les Javanais. Cet homme, qui a joué un si beau rôle dans sa pa- trie, est maigre, d'une taille moyenne, et ne porte rien de spirituel ni de déterminé dans la physionomie : aussi les vainqueurs, ne trouvant pas que son extérieur répondit à la terreur qu'il leur avait inspirée, pré- tendirent que le ministre du sultan de Solo était le véritable moteur du soulèvement, et le meilleur général des insurgés; sur cette réputation vraie ou fausse, ils condamnèrent le malheureux ministre à une reclusion perpétuelle dans les prisons de Batavia. : Cette guerre, qui avait coûté tant de sang aux deux partis, eut pour résultat la soumission de l'ile tout en- tière. Le sultan de Solo fut envoyé en exil à Amboine, auprès de son oncle. Cependant, soit pour quelques raisons d'intérêt local, soit que la politique commandât de ménager des peuples dangereux encore, quoique vaincus, il a été remplacé par une créature des Hollan- dais, espèce d’esclave couronné qui n’a aucun pouvoir, et reçoit du vainqueur une pension de dix-neuf mille francs par mois, à la place des immenses revenus dont jouissait son prédécesseur. Les changements opérés dans la situation militaire dela colonie ne se bornèrent pas à une augmentation de territoire : le système d'administration suivi jusqu'alors subit d'importantes modifications, et les anciens abus furent, sinon détruits, au moins sensiblement diminués. DE LA FAVORITE. 21 Les dépenses excessives que l'expédition dont je viens de parler coûta au gouvernement des Pays-Bas, lui firent sentir la nécessité de prendre une connaissance appro- fondie des finances de la colonie ; illes trouva dans l’état le plus déplorable et livrées aux plus indignes dilapida- tions. Une dette énorme, suite de la mauvaise gestion de la plupart des autorités, fut constatée pour la première fois. Les intérêts particuliers avaient pris la place du “bien public avec une audace qui semblait justifiée par une longue impunité : tout était à prix d'argent; la justice elle-même se taisait devant les grands coupables accusés de concussion. Un mal porté aussi loin exigeait des remè- des violents : le roi envoya comme gouverneur, avec des pouvoirs très-étendus, un des conseillers de la couronne, administrateur intègre et éclairé. Il venait de quitter la colonie lorsque nous y arrivâämes, après avoir rempli sa mission avec autant de fermeté que de talent, malgré une opposition sourde mais puissante, accompagnée de dénonciations et de réclamations sans nombre, aux- quelles le souverain répondit en comblant son manda- taire de nouvelles faveurs. L'ordre ayant été à peu près rétabli dans les différents détails de administration , la plupart des emplois inu- tiles supprimés, et les émoluments des autres ramenés à de justes proportions, les revenus de la colonie aug- mentèrent rapidement, et compensèrent en partie les frais dans lesquels la guerre avait entraîné la métropole. L'ile, alors entièrement soumise, fut divisée en dix- sept résidences (espèces de préfectures), administrées par des résidents, et contenant un certain nombre de 22 VOYAG E districts (sous-préfectures), régis par des assistants-rési- dents. Chaque résident partage le pouvoir avec un ma- gistrat javanais appelé régent, qu'il est obligé de consul- ter dans toutes les mesures concernant les indigènes. Les lois disent que «le régent doit être considéré comme le «Jeune frère du résident. » Aussi jouit-il d'appointements considérables; il dirige les tougoun, qui ont chacun sous leur juridiction les chefs de plusieurs villages. Ces der- niers chefs sont chargés de veiller au bon ordre et de percevoir les droits imposés sur les terres par le gou- vernement, qui remplace les anciens souverains, dé- possédés tout à fait, ou réduits à une pension. Le fisc de la colonie puise encore à une autre source, qui prend chaque année un plus grand accroissement : je veux parler des plantations de cannes à sucre, de café et de coton, cultivées par la population indigène, qui fait ce service par corvées. Les récoltes sont portées dans les magasins de la résidence, et livrées au commerce par des ventes publiques , dont le produit passe aux mains d'un trésorier sous les ordres du résident, qui lui-même reçoit ses instructions de Batavia. À ces différentes branches, de revenus il faut joindre la capitation que paye chaque habitant, les impôts sur les propriétés, les droits de douane sur l'entrée. et la sortie des marchandises. En somme, on estime que l'ile rapporte maintenant vingt-cinq millions-par an, dont les quatre cinquièmes sont absorbés par les dépenses de la colonie, et le reste versé dans les caisses de l'état. D'après ce qui précède, il est facile de voir que les Hollandais ont pris plus de soin de leurs intérêts que du DE LA FAVORITE. 23 bien-être des indigènes, dont la condition peut être comparée à celle des serfs d'Europe au xm° siècle. En effet, les classes inférieures cultivent, sans recevoir de salaire, les propriétés publiques, et on exige encore d'elles d’autres corvées, aussi arbitraires que pénibles, telles que les travaux des grandes routes, les réparations des canaux creusés pour l'irrigation des terres, enfin le transportdes fardeaux : aussi sont-elles généralement pau- vres et misérables. D'un autre côté, les fermiers qui exploitent pour le compte du gouvernement les terres enlevées aux chefs javanais, n’en sont pas moins obligés, comme le reste de la population, de payer à leurs an- ciens maîtres une foule de droits, tels que ceux de nais- sance, de succession, etc., compris autrefois dans les fermages , et payés à part maintenant. Ces charges, qui pèsent de temps immémorial sur les naturels, tenaient et tiennent encore à leurs usages na- tionaux: aussi le gouvernement de Batavia, soit qu'il n'ait pu les alléger, soit qu'il y trouve , entre autres avantages, celui de n'avoir pas à entretenir à ses dépens une foule de chefs, laisse les choses subsister dans cet état, et pressure de son côté les malheureux habitants par toutes sortes de moyens. Cependant les Hollandais témoignent, sous plusieurs rapports, en faveur des Javanais, quelques sentiments de philanthropie, intéressés peut-être ; car cette nation froide, marchande et plus qu'économe a bien rarement montré de la pitié pour les peuples soumis à son joug. Ts ont commencé par s'occuper de la santé publique, et pour arrêter les ravages que la petite vérole exerce 24 VOYAGE fréquemment parmi les naturels, ils ont introduit la vaccine dans la colonie. Les médecins du pays ont reçu les renseignements nécessaires sur ses propriétés ainsi que sur la manière de la pratiquer pour en obtenir d’heureux effets ; et, chose bien extraordinaire, toute la population, même celle de l'intérieur de l'ile, s’est sou- mise sans répugnance à cette innovation. Pour adoucir les mœurs des insulaires et Moi: un frein au pouvoir arbitraire de leurs princes , ou bien, comme on pourrait le croire, pour achever de détruire l'influence de ceux-ci, les maîtres de Batavia ont institué des tribunaux criminels dans chaque résidence, et même auprès de chaque sultan, pour juger et punir les meur- tres, auxquels donnent lieu trop souvent les duels et les vengeances particulières. Ces cours de justice, qui seules, sauf toutefois l'approbation du grand conseil de Batavia, peuvent condamner les coupables à la peine de mort, à l'exil ou aux travaux publics, sont composées, dans les provinces conquises, des premières autorités européennes et javanaises réunies; mais dans les pro- vinces alliées, comme celles de Solo et de Maduré, le résident auprès du souverain et le commandant de la garnison hollandaise prennent place au conseil, dont ils ont le droit de déférer tous les actes au tee de la colonie. Cette espèce de tutelle, exercée avec d'autant plus de modération que la générosité des sultans rend ces places de surveillants fort lucratives, n’en est pas moins supportée impatiemment par des princes autrefois ab- solus, craints et respectés de leurs sujets. La popula- DE LA FAVORITE. 25 tion elle-mème, blessée dans son orgueil national, et à peine sortie d'une guerre sanglante, qui a laissé bien des semences de haine et de vengeance, est tou- jours disposée à briser ses fers, trop bien rivés mal- heureusement par des maîtres chez lesquels un prudent égoisme et une persévérance infatigable remplacent la grandeur et la vivacité. Mais si les troupes anglaises reparaissaient encore une fois sur les rivages de Java, la plupart des indigènes voleraient au-devant d'elles; et le reste attendrait tranquillement l'issue de la lutte, qui se terminerait encore sans doute, comme en 1810, par l'expulsion des Hollandais. En attendant cet événement, peut-être éloigné , mais qu'un instant peut voir s'accomplir, la Hollande pos- sède une colonie riche et bien peuplée, dont les reve- nus, qui augmentent graduellement avec les cultures, suffisent non-seulement à ses dépenses, mais en outre (ce qui est encore sans exemple) diminuent les charges de la métropole. Ces progrès de l'agriculture dédom- magent-ils Batavia de la ruine presque entière de son commerce extérieur? C'est une question qui, suivant les apparences, doit être résolue négativement. Nous avons déjà vu comment Sincapour, dévenu le centre du commerce de toutes les nations dans cètte mer, a condamné à la solitude les ports de Java, autre- fois remplis d'une foule innombrable de jonques chi- noises et de pros malais. Au lieu des centaines de bâti- ments qu Amsterdam y envoyait chaque année, ibn'y arrive plus maintenant qu'un petit nombre de cargai- sons. Les négociants anglais et francais établis dans Pile 26 VOYAGE trafiquent librement, et rivalisent d'industrie et de for- tune avec les nationaux. Cependant on peut croire que ces concessions, faites aux circonstances et arrachées par lès événements, coûtent beaucoup à la jalousie et à la défiance des autorités de Batavia. En effet, les marchan- dises importées sous pavillon étranger payent des droits énormes qui équivalent en quelque sorte à une prohibi- tion, et les objets d'exportation ne sont guère plus favo- rablement traités. Le gouvernement fait revivre d'an- ciennes lois qui défendent aux Européens de posséder des terres dans l'intérieur de Java. La plupart de ceux auxquels les Anglais en avaient concédé après la con- quête de l’île, ont été dépossédés sous différents pré- textes. Enfin, ceux des étrangers qui ne résident pas au chef-lieu, sont l’objet d'une sourde et soupçonneuse in- quisition. En Serait-elle donc fondée cette observation qui m'a frappé bien des fois, que les nations les plus ancien- nement libres sont les plus exclusives et les moins libérales dans leurs relations de commerce avec les autres peuples, en même temps qu'elles se montrent les plus arbitraires dans leur conduite envers les faibles et les vaincus? Cet égoisme prend-il naissance dans l'es- prit national, ou, ce qui revient au même, dans une communauté d'intérêts bien entendue? est-il nécessaire à la prospérité d'une nation ? Je serais porté à le croire, quand je considère combien de fois notre belle France a été victime de la franchise et de la générosité de ses habitants. La Hollande s'est donc réservé le droit de fournir à DE LA FAVORITE. 927 sa colonie la presque totalité des marchandises d'Eu- rope. Cette importation paraît considérable et fait an- nuellement de grands progrès. Elle se compose de tout ce que le luxe produit de plus recherché pour la table et les appartements ; des étoffes les plus variées et les plus riches pour les classes élevées; de toiles blanches ou bleues, et de mouchoirs bariolés de couleurs brillantes pour le bas peuple; de fer, de quincaillerie et d’instru- ments propres aux diverses cultures des terres; enfin, de toutes sortes de munitions navales, qui coûtent fort cher aux capitaines étrangers obligés de les acheter. Java paye tous ces objets avec du café d'assez bonne qualité, du sucre peu estimé pour les raffineries, mais vendu à bon marché; et surtout avec une prodigieuse quantité de riz qui.est portée à la Chine, dans l'Indos- tan, et dans les nombreuses îles voisines de Java, sur des bâtiments de toute nation. Cette dernière braïche de commerce entretient sur les côtés de la colonie un cabotage assez actif et qui jouit de plusieurs avantages, entre autres de celui de pouvoir, à l'exclusion de tous les navires européens, sans en excepter même les hol- landais, transporter les marchandises d’un port à l’autre de l'ile, ainsi que dans les comptoirs environnants. IL est à supposer que l'or et l'argent entrent aussi au nombre des objets qui servent à payer. les cargaisons importées dans l'ile ; car nonobstant le droit très -fort de 4 p. 0/0, dont ces métaux précieux, monnayés où non, sont frappés à la sortie, ils deviennent de plus en plus rares à Java, et le gouvernement les remplace par des monnaies faites avec le cuivre qu'il tire des 28 VOYAGE mines de Sumatra et de Rhio; ce qui l'a fait accuser de n'être pas étranger à la disparition des espèces d'or et d'argent. À toutes les marchandises que la colonie fournit pour l'exportation, et dont je n’ai cité que les principales, d'autres productions viendront peut-être se joindre dans quelques années (1). Les plantations de thé par exemple, qui en 1830 contenaient, dit-on, cinq cent mille pieds, en fourniront à elles seules une innombrable quantité, si les espérances qu'elles donnent se réalisent. Mais on a déjà si souvent tenté inutilement, par des essais du même genre, d'arracher aux Chinois le monopole de cette denrée, qu'il est prudent d attendre les résultats avant de rien préjuger sur l'avenir. Les expériences pour élever les vers à soie apportés de la Chine donnent déjà des résultats assez satisfaisants : les fils qu'on obtient paraissent forts, d’une égalité par- faite, et comparables aux meilleures qualités d'Europe et de Canton. Dans un pays où beaucoup de terres sont en friche et la main-d'œuvre à très-bas prix, quels re- venus de tels produits ne semblent-ils pas promettre! Cependant, malgré toute cette activité du gouvernement pour accroître les richesses de la colonie, le commerce y languit de plus en plus chaque année. La cause en est Arai attribuée à eue d'une compagnie composée des sgociants d'Amsterdam et d'An- vers, et d'un gras arabe de hauts fonctionnaires, parmi lesquels on cite le roi lui-même. Une pareille concurrence, qui ne s'appuie à la vérité sur aucun pri- vilège, mais que soutiennent des capitaux considérables, DE LA FAVORITE. 29 ne pouvait manquer d'écraser les marchands particuliers de Sourabaya et du chef-lieu, car non-seulement cette compagnie mène les affaires en grand, mais encore elle entre dans les plus petites transactions : c’est ainsi que le monopole du commerce de l'opium, mis au rabais, est tombé en son pouvoir; que ses magasins sont les mieux approvisionnés de la colonie ; et en fifique le droit exclusif de trafiquer avec le Japon allait également lui appartenir , à l'époque de mon passage à Sourabaya. .… Les Hollandais sont aujourd'hui la seule nation euro- péenne admise dans cette contrée; mais ils n’y peuvent envoyer plus de quatre navires par an. À Nangasaki, seul port où ils aient la permission d'aborder, toutes les relations sont défendues, sous peine de mort, entre les habitants du pays et les étrangers, qui, pendant leur relâche, doivent séjourner constamment sur une île éloignée du rivage. Un mandarin, délégué à cet effet par le souverain, compte les marins et les passagers, au départ et à l’arri- vée de chaque navire, pour s'assurer qu'aucun d'eux ne reste dans le pays. Il est arrivé que le corps d'un ma- telot qui s'était noyé en rade n'ayant pu être représenté sur-le-champ, peu s’en fallut que son absence n’amenût une rupture entre les deux nations et l'expulsion des Hollandais. Ces précautions excessives pour bte les Euro- péens de s’introduire dans l'intérieur de l'empire, sont une preuve du souvenir effrayant que les missionnaires espagnols et portugais ont laissé après eux dans ces con- trées, où ils suscitèrent , pendant le siècle dernier, par 30 VOYAGE leur ambition et leur fanatisme, de sanglantes guerres de religion. Un prince de la famille de l'empereur ayant soulevé tous les, chrétiens, excités par les prêtres ca- tholiques, livra plusieurs batailles aux troupes de son souverain; mais vaincu et acculé sur le bord de la mer, il y fut égorgé, à ce qu'on prétend, avec quarante mille de ses adhérents. Tous les chrétiens, sans exception, furent bannis du Japon , et leur culte défendu sous peine du dernier supplice. Peu de temps après cette catastrophe, plusieurs bâ- timents hollandais arrivèrent devant la ville de Nan- gasaki. Un mandarin vint à bord signifier la volonté de l'empereur : l'amiral répondit que sa nation n'étant pas chrétienne, cette affaire ne la regardait pas. D'après de nouvelles instructions de la cour, le mandarin présenta un christ au Hollandais, qui ne balança pas, dit-on, à le fouler aux pieds, pour assurer à sa patrie le com- merce exclusif du Japon. En effet, depuis cette épo- que, les seuls navires de Batavia sont admis dans ce pays, où les Anglais, même pendant qu'ils possédaient Java, n'ont jamais pu être reçus. Les Hollandais continuent donc toujours de trafiquer au Japon, mais ce trafic n’est presque plus rien: ils y apportent de la quincaillerie, des tissus de laine et de coton, quelques objets de luxe d'Europe, qu'ils échan- gent contre de l'étain, des étofles de soie, de la porce- laine , des ouvrages de lâque bien supérieurs à ceux de la Chine, des paniers renommés pour le fini du travail et leur légèreté, des ustensiles d'un métal particulier au pays; enfin contre beaucoup d’autres marchandises re- DE LA FAVORITE. 51 gardées seulement comme curiosités. Les bénéfices que ces voyages ont rapportés dans ces derniers temps se réduisent à peu de chose. Cependant le gouvernement des Pays-Bas, par amour - propre national peut-être, attache toujours un grand prix à "ses relations avec le Japon; il les conduit avec le même mystère qu'autre- fois, et il remet des signaux très-secrets aux capitaines des bâtiments, pour qu'ils puissent se faire reconnaître par le résident hollandais à Nangasaki, et obtenir des mandarins l'entrée du port. Un commerce si pauvre et si déchu ne valait pas la peine assurément qu'on l'assujettit à un privilège : aussi les négociants particuliers ont-ils presque toujours ex- ploité ce privilége avec négligence. Mais on doit croire que là compagnie, qui en est maintenant concession- naire, en saura tirer aussi bon parti que du monopole de l’opium, qui ruinait jadis les sociétés auxquelles il appartenait, et qui lui rapporte, au contraire, des gains assez considérables. Au milieu des haines et des jalousies qu'inspirent aux négociants de Java les empiétements de la compagnie, il est bien difficile de démèler le véritable état de ses affaires. Chaque jour on annonce sa banqueroute, et chaque jour voit ses opérations prendre un plus grand développement. Sans doute que dans les commence- ments de son existence , elle a eu à souffrir du mauvais choix de ses agents; mais il paraît que maintenant ses . intérêts sont confiés à des hommes ea leurs talents et leur intégrité. Le commerce de Java lutte donc contre un ble 52 | VOYAGE monopole, d'autant plus pesant pour les marchands particuliers, qu'exploité avec non moins d'activité que économie, il est soutenu par de grands capitaux et favorisé par l'autorité. Mais, d'un autre côté, ce mono- pole même restreignânt beaucoup les spéculations pour l'extérieur, a forcé les Européens de tourner leur indus- trie vers la culture des terres; et, sous ce rapport, on peut le regarder, je crois, comme la véritable cause des progrès étonnants que la colonie a faits depuis quelques années. Avant la séparation violente des Pays-Bas et de la Belgique, ces deux nations tiraient conjointement de Java, comme d'une mine, des richesses qui ne lais- saient pas d'être considérables pour un petit pays. Amsterdam encourageait les manufactures belges, qui à leur tour demandaient aux Hollandais les matières premières dont elles avaient besoin. Anvers parta- geait ainsi avec Amsterdam le commerce maritime du Royaume-Uni; et l’on ne peut nier que jamais depuis un siècle la Belgique n'avait joui d’une aussi grande prospérité. Get état de choses n'existe plus, et le jour n'est pas loin peut - être où d'anciennes animosités nationales, réveillées par les derniers événements politiques, por- “teront les HoHandais à se procurer en France plutôt que chez leurs rivaux les marchandises nécessaires à la consommation de Java. Quels débouchés trouveront alors les manufactures belges, qui ont pris une si grande extension depuis 1814? et comment pourront - elles rivaliser avec les nôtres ? I est à souhaiter que les Belges DE LA FAVORITE. 35 n'aient pas à se repentir bientôt d'avoir sacrifié à un orgueil national peut-être exagéré, et au désir de former un. get indépendant, les véritables intérêts de leur es si changement politique était encore trop récent pour faire sentir ses effets lorsque je passai à Sourabaya; mais je jugeai dès lors qu'il serait plus favorable que nuisible aux relations des Français avec cette colonie, à laquelle Bruxelles avait fourni jusque-là les mêmes articles que nos trafiquants, c'est-à-dire la bijouterie , l'horlogerie, la passementerie, enfin toutes les autres marchandises de luxe, que les Hollandais viendraient désormais demander aux ouvriers de Paris. I ne faut pas pourtant que les marchands français se fassent illusion; car ils se verront obligés, comme par le passé, de lutter à Java, non-seulement contre la concurrence des nationaux, dont les bâtiments navi- guent beaucoup plus économiquement que les nôtres, mais encore contre des droits d'entrée excessifs qui permettent aux négociants d'Amsterdam de livrer nos vins à meïlleur marché que ne peuvent le faire les armateurs français. Ceux-ci, d’ailleurs, auront à vaincre un autre obstacle qui empèêchera tou; ours, dans des cir- constances même les plus favorables, cette dernière branche de commerce de prospérer dans le grand ar- chipel d'Asie : les vins légers de France ne peuvent résister que très-peu de temps à l'influence de la tem- pérature brûlante et humide de ces contrées; tandis qu'au contraire les vins de la Péninsule et du Rhin (qui sont, il est vrai, toujours transportés en sb LIL. 34 VOYAGE soutiennent parfaitement , à ce qu'il 58 les attaques de ce terrible climat. La plupart des bâtiments français que reçoit Batavia n'y viennent prendre que du riz destiné pour l'île de Bourbon ou pour la Chine. Cette denrée est aussi à peu près la seule qui attire dans ce port les Anglais et les Américains. Les premiers donnent en échange di- verses provisions de table et des tissus de coton; les autres payent leurs chargements avec des piastres ou bien avec des salaisons, des mâtures , des planches, des cordages de chanvre et d'autres PR de marine. Samarang voit quelques navires étrangers; mais Sou- rabaya ne fait que le cabotage des Moluques et des grandes îles de la Sonde. Les trois-mäts de la compa- gnie hollandaise y apportent de temps à autre des mar- chandises d'Europe, et prennent en retour le sucre et le café vendus par le gouvernement ; les bâtiments de guerre qui composent la station \ viennent PER SES s'y réparer. Tous ces visiteurs réunis ne parviennent pas encore à faire de Sourabaya une ville bien gaie. Les habi- tants prétendent pourtant qu'autrefois elle était un lieu de délices; mais je suis forcé d'avouer que nous n'y avons trouvé aucun vestige de ce brillant passé. La société, autant que j'ai pu la juger, m'a paru triste, guindée, livrée aux jalousies et aux rivalités. À peine y compte-t-on quelques Européennes; mais les dames de sang mêlé, qu'on y voit en bien plus grand nombre, sont presque toutes jolies et bien faites; elles ne man- DE LA FAVORITE. 55 quent même ni d'esprit ni de grâces, et encore moins de coquetterie ; et si elles n'ont pas l'usage du monde, il faut sans doute attribuer à la coutume qu'ont les colons de rester enfermés chez eux ou de ne se voir que rarement et en cérémonie. Ce n’est que le soir, après le coucher du soleil, qu'ils sortent en voiture découverte pour aller parcourir les routes qui envi- ronnent la ville et côtoient la rivière, dont les bords sont couverts de jolis villages devant lesquels cireulent sans cesse une foule de bateaux. (PI: 59.) Mais telle est leur indifférence, que ni ces délicieux points de vue, ni la société des dames qui les accompagnent, ne peu- vent dérider leurs physionomies froides ou ennuyées. “Et cependant ces femmes, comme je viens de le dire, joignent aux charmes de da figure tous les agréments de l'esprit; elles: possèdent même des qualités essen- tielles que l'on ne rencontre pas souvent chez les créoles dans les pays chauds. Elles sont actives, bonnes ména- gères, s'entendent au commerce, et entretiennent dans l'intérieur de leurs maisons un ordre parfait. Elles mon: trent-beaucoup d’attachement pour leurs maris; mais elles ne se font aucun scrupule de se remarier jusqu'à trois et quatre fois, à mesure que la mort vient les condamner au veuvage , et les rendre, suivant la cou- tume du pays, maîtresses d'une grande partie de la for- tune des pauvres défunts. Il n’est pas rare de voir une très-jeune femme porter le deuil pour la troisième +$ et convoler bientôt après à une quatrième union: De puis quelques années cependant cette: sourc M chessés, pour les dames a bien diminué : des blancs, 3. UNE je 36 VOYAGE qui autrefois se livraient à Lous les excès de la table et de la débauche, maintenant plus raisonnables ou moins opulents, sont beaucoup plus modérés dans leurs plai- sirs, vivent plus longtemps, et je puis affirmer qu'ils montrent aujourd'hui, du moins ceux de Sourabaya, une économie que j'ai remarquée il est vrai chez les Hollandais de Leyde et de Rotterdam, mais jamais dans les possessions d'aucune autre nation européenne. Les Chinois, que l'on retrouve à Java en aussi grand nombre que dans toutes les îles de cet archipel où il y a de l'argent à gagner, tiennent à Sourabaya, comme à Batavia et à Samarang , le second rang dans la popu- lation. La majeure partie du petit commerce est entre leurs mains, et ils l’exercent avec une adresse égale à leur activité, mais qui n’est pas exempte de friponnerie. Il faut convenir cependant que cette adresse même, quand elle est bien surveillée, devient quelquefois très- utile aux étrangers dans les affaires où les retards sont surtout à craindre, comme par exemple l'approvision- nement des navires, qui sans eux perdraient un temps précieux, par la nonchalance des marchands européens. Les Hollandais avaient à peine conquis l'île de Java, que les Chinois vinrent en foule s’y établir sous leur pro- tection; mais là, de même qu'à Manille et dans presque tous les établissements voisins, ils tramèrent des cons- pirations et se révoltèrent plusieurs fois. Les maïtres de Batavia, aussi braves que ceux de Luçon et aussi in- flexibles, traitèrent les vaincus avec la même sévérité. Dans un soulèvement général des Chinois, au cheflieu de la eolonie, quarante mille de ces malheureux furent DE LA FAVORITE. 37 détruits par le fer, par la faim et par les supplices. Un aussi effroyable massacre fit craindre au gouver- neur de Batavia que la cour de Pékin n’usât de repré- sailles sur ses compatriotes, très-nombreux en Chine à à cette époque. Il $empressa d'envoyer un ambassadeur auprès du grand mandarin de Canton pour se disculper et faire parvenir sa justification jusqu'à l'empereur. La réponse du souverain lui Ôta toute inquiétude, et mé- rite d'être rapportée : « Les barbares (les Européens) « ont commis un acte de justice en égorgeant des hom- «mes capables d'abandonner leur patrie pour aller « vivre parmi eux. » Depuis ce terrible exemple, les Chinois n'ont fait aucune tentative de révolte; mais ils pourraient encore porter ombrage au gouvernement, soit par leurs ri- chesses, soit par leur nombre, considérable surtout dans les villes et sur les côtes, où il est cependant bien inférieur à celui des Malais, qui composent les dernières classes de la population maritime, parmi laquelle on ne trouve qu'une petite quantité de Javanais. Ces deux races diffèrent entre elles au physique au- tant qu'au moral. Les Malais de Java sont absolument semblables à ceux que j'avais observés sur des pros à Malaca et à Sincapour; faux et méchants comme eux et non moins portés au pillage, ils ont de plus acquis dans leurs relations continuelles avec les Européens une nouvelle audace et tous les vices de la civilisa- tion. Le meurtre leur est familier, et l'usage de l'o- pium exalte à un tel point la violence de leur caractère, qu'ils jettent quelquefois la terreur parmi des habitants. 38 ; VOYAGE Jadis, avant que le gouvernement n'eût pris des me- sures énergiques pour arrêter un si dangereux désordre, il arrivait assez fréquemment qu'un Malais, ivre d’o- pium, parcourait les rues de Batavia, frappant de son crit toutes les personnes qu'il rencontrait sur son pas- sage, jusqu'à ce qu'enfin, traqué comme une bête fé- roce, il eût succombé sous les balles ou les baïionnettes des soldats envoyés par l'autorité. Telle est cependant la classe qui fournit des marins aux bâtiments armés dans la colonie. Ges matelots sont agiles, durs à la fatigue, bons hommes de mer, mais toujours disposés au pillage et à la révolte. On les dit susceptibles d'attachement ; mais ils sont en même temps si vindicatifs, que la moindre punition éteint dans leur cœur toute reconnaissance. La piraterie semble être leur état habituel : aussi l'exercent-ils toutes les fois qu'ils en trouvent = soit en livrant leur navire aux for- bans des île ines ou de la côte méridionale de Java, soit en s'en Er pour leur propre compte. Le seul moyen que la prudence ait suggéré pour s’as- surer d'une fidélité aussi douteuse, c'est de garder à terre, comme otages, leurs femmes et leurs enfants; car lorsque les Malais veulent tenter un mauvais COUP , ils ont soin d'emmener avéc eux leurs familles, afin d'aller pas. s'établir ailleurs, et me 2 om du fruit r'hhigmidage: lépit de ces précautions, dés crimes Fe À par les fiber se multiplient à l'entrée de la rade de Batavia et même du port de Sourabaya avec une désolante im- punité. Pendant notre séjour dans ce dernier établisse- DE LA FAVORITE. 39 ment , la chaloupe du fort d'Orange fut enlevée par son équipage. Le sergent, chargé d'une modique somme pour la paye de la garnison, tomba percé de coups; un autre sous-officier, grièvement blessé, parvint à se cacher sous les voiles de l'embarcation, que l’on trouva le lendemain échouée sur la côte de Maduré, n'ayant à bord que le blessé, qui s'était évanoui par suite de la perte de son sang. Ce fut alors seulement que lon s’aperçut que les coupables avaient mis leurs familles en sûreté. Cependant on a vu quelquefois les matelots des forts caboteurs faire preuve, sous la conduite de capitaines qu'ils aimaient, d’un grand courage contre les pirates qui infestent continuellement la côte septentrionale de l'île, entre Samarang et Batavia. Peu de mois encore avant notre passage dans la -colonie, l'équipage d'un de ces bâtiments, commandé par un intrépide marin hollandais, avait repoussé avec autant de bravoure que de bonheur les attaques de plusieurs grands pros de Bornéo, qui furent enfin obligés de prendre la fuite : aussi la compagnie d'assurances d'Amsterdam, qui en- tend trop bien ses affaires pour laisser un tel dévoue- ment sans récompense, venait de donner au capitaine et aux matelots qui avaient si bien défendu ses intérêts de nobles preuves de sa reconnaissance, afin d'encou- rager les Malais à suivre ce bel exemple de fidélité. D'un autre côté, le gouvernement déploie, “depuis quelque temps, une grande activité pour réprimér sé- vèrement la piraterie, qui entrave beaucoup le cabo- tage de l'ile; mais ses efforts n'ont eu jusqu'ici que peu 40 VOYAGE de succès : la marine militaire de la colonie est pourtant bien organisée et possède de bons officiers. J'ai vu dans l'arsenal de Sourabaya, prêts à mettre à la voile, douze grands pros, pontés seulement aux extrémités, sur lesquelles était placé un canon de 6 avec un obu- sier pour lancer des projectiles creux et inflammables. Le sous-officier qui commandait chacun de ces bateaux avait sous ses ordres deux canonniers, des troupes, et quarante matelots malais. Cette flottille, si bien armée, ne me parut pas inspirer une grande confiance aux ha- bitants, et je ne tardai pas d'apprendre qu'ayant ren- contré une division de pirates dans son voyage pour se rendre à Batavia, elle n'avait pas osé l’attaquer. Peut- être les capitaines craignaient-ils leurs propres équipages autant que l'ennemi. Telle est l'audace des forbans, qu'ils viennent quel- quelois jusqu'en dedans de la pointe de Panka, et plus près encore de la ville, enlever les caboteurs, aussi bien que les bateaux de pêche, dont les marins et les passa- gers sont égorgés ou réduits en esclavage. Peu de jours avant l'arrivée de la corvette, des pros avaient capturé ainsi sept Européens, dont plusieurs étaient déjà morts de misère dans les îles voisines, et le reste a subi sans doute le même sort, si les énormes rançons demandées par ces pirates n'ont pas été promptement envoyées. Les troupes de terre valent beaucoup mieux que celles de mer, si l’on en juge par les services qu'elles ont rendus pendant la dernière guerre, et par leur conduite dans les expéditions tentées fréquemment pour répri- mer les brigandages des sultans de Sumatra, de Bornéo DE LA FAVORITE. ‘&l et de Macassar. La manière dont on recrute cette partie de la garnison semble offrir une garantie suffisante contre les complots et les soulèvements; en effet, comment pourraient s'ourdir des conspirations entre des hommes de religions et de langages divers, pris non-seulement dans les différentes populations de Java, mais encore parmi celles des îles voisines, dans les- quelles les Hollandais ont des résidents? Ces soldats, que l’on m'a dit être au nombre de douze mille, sont parfaitement exercés à l’européenne, soumis à une discipline sévère, et commandés par des officiers blancs ou mulâtres. Malgré cette forte organisation militaire, les prudents possesseurs de Batavia, qui se défient encore plus des Européens que des Javanais, et qui savent combien les troupes auxiliaires résistent difficilement à la séduction, ont conservé huit mille blancs, restes de la formidable expédition envoyée d'Europe pour la conquête de File. Mais ce nombre, qui suffirait maintenant pour les be- soins de la défense, ne peut aller qu’en diminuant; car, sous un climat brûlant et horriblement malsain, surtout vers les bords de la mer, des soldats presque tous adon- nés à l’ivrognerie et à la débauche doivent être cruelle- ment décimés par les maladies. Il paraît d’ailleurs que le gouvernement n'a jamais eu pour les troupes blanches les mêmes soins qu'on prend pour elles dans les co- lonies anglaises et françaises. On dit que ces malheureuses troupes, presque toutes belges, à peine arrivées de l'humide et froide Hollande, ! d . étaient, sans aucune précaution, menées sur-le-champ 12 VOYAGE à l'ennemi : aussi la mortalité devint-elle si effrayante, que les soldats succombaient par milliers. C'est ainsi que, pendant la guerre qui a décidé de l'indépendance des Javanais, il est mort quatre fois plus d'Européens par la dyssenterie et les fièvres que par le fer de l'en- nemi; et que depuis la paix, ce qui à échappé à tant de fléaux disparaît peu à peu dans les petites garnisons que la colonie entretient sur ses côtes et sur celles de la plupart des îles de la Sonde. Le gouverneur de Java entretient également des troupes à Amboiïne, la plus petite des trois principales îles Moluques, dont elle est pourtant le chef-lieu. Les Portugais formèrent cet établissement bien des années avant que les Espagnols eussent conquis les Philippines. Hs en furent chassés par les Hollandais, qui considé- rèrent longtemps ces îles comme une mine abondante de richesses. En effet, la nature les a dotées d’une fer- tilité admirable et des plus riches productions : les épices y viennent sans culture; les muscadiers, les girofliers couvrent le sol et croissent spontanément. Mais ces tré- sors mêmes sont devenus pour les indigènes la cause de mille vexations ; carles Hollandais, ne sachant comment les soustraire aux habitants, qui veulent en avoir leur part pour la vendre en secret aux marchands des autres nations, essayent de les détruire par toutes sortes de moyens. +55 Les insulaires de Bourou et de Céram voient encore chaque année les soldats hollandais parcourir les forêts éloignées des établissements, pour extirper par le fer et le feu tous les arbres à épices qu'ils peuvent découvrir. DE LA FAVORITE. 435 Mais la nature, trompant les calculs de l’avarice, dé- joue les précautions des maîtres d'Amboine, en faisant bientôt repou:ser les mêmes conne is avaient voulu anéantir. Amboine a eu, de même que Java, ses troubles inté- rieurs; et des conspirations tramées par les troupes recrutées dans le pays mirent plusieurs fois la colonie à deux doigts de sa perte. La plus formidable, ayant pour but le massacre de tous les blancs et de leurs familles, fut découverte au moment où elle allait écla- ter, et étouffée par le gouverneur, dont la- présence d’es- prit et le caractère ferme sauvèrent la colonie de cet affreux désastre, qu’une forte garnison européenne rend maintenant tout à fait impossible. ‘La ville d’Amboine a peu d’étendue, mais elle est bien bâtie et agréablement située sur les bords d’une baie étroite, très-avancée dans les terres, qui offrirait un excellent abri aux navires, si la grande profondeur de la mer ne les forçait à mouiller trop près de terre pendant la saison des mauvais temps. Les fortifications sont belles et en bon état : les Anglais cependant s’en emparèrent facilement en 1811; il est vrai qu'alors, comme aujourd'hui, les Eiropééns étaient en petit nom- bre dans la place, qui compte beaucoup de Chinois parmi ses habitants. Les indigènes forment les classes inférieures de la population, que l'on dit considérable relativement à l'étendue de l'ile. Le commerce des Moluques, autrefois si: Aorisébiit, n'est presque plus rien aujourd’hui. À chaque mousson d'O., quelques petits bricks partent de Sourabaya, , A4 VOYAGE pour porter des marchandises d'Europe à Amboine, et reviennent au commencement de la mousson sui- vante avec des chargements d'épices, de confitures fort estimées en Hollande et dans l'Inde, et d’écailles de tortues que lon transporte en Europe, soit brutes, soit transformées en jolis ouvrages exécutés par les Malais. Quoique cet archipel ne reste qu’à trois cents lieues seulement dans le N. E. de Java, les traversées n’en sont pas moins très-longues, à cause des calmes ou des vents contraires que les marins éprouvent dans ‘les détroits. : 8 gens Les Hollandais possèdent encore un autre établisse- ment à Coupang, dans la partie S. O. de Timor, qui termine vers l'E. la longue suite d'îles que Java com- mence du côté de l'O. Ea ville, bâtie au fond d’une baie assez vaste, est petite et renferme peu d'habitants étran- gers, parmi lesquels on compte à peine quelques blancs. Ce point de relâche offre un bon mouillage, de l'eau, du bois, des rafraîchissements en abondance aux na- vires qui vont à la Chine ou en reviennent par la route du N.E.; mais malheureusement un climat très-malsain dévore les équipages qui font à Coupang un siens de quelque durée. Sur la côte septentrionale de Timor, l'ancien comp- toir de Dilly, qui n’est plus qu'un amas de cases cou- vertes de paille, sur lesquelles flotte encore le pavillon portugais, rappelle au voyageur le souvenir d’une nation qui la première annonça dans ces contrées avec tant de grandeur les peuples de l'Occident. Cette nation a perdu sa puissance et son énergie ; elle a succombé sous DE LA FAVORITE. 45 l'impassible ténacité des Hollandais; mais du moins ses triomphes en Asie ne furent souillés par aucune des trahisons auxquelles d’autres peuples de l’Europe n’eu- rent pas honte de recourir pour consommer l’asservis- sement des faibles et malheureux Indiens. Dans cette relâche de Sourabaya où nous avions eru trouver des plaisirs et du repos, rien ne justifiait nos espérances. Aux désagréments que nous faisait éprouver la défiance des habitants et des autorités, venaient se joindre les inconvénients de la saison : des pluies fré- quentes forçaient, malgré une chaleur excessive, les officiers et l'équipage à rester sous les ponts, où un air étouffant les privait de sommeil pendant la nuit. Un grand nombre d'hommes, fatigués par les pénibles tra- vaux de notre navigation précédente, étaient en proie aux premières attaques de la terrible dyssenterie ,-ou aux fièvres intermittentes, si communes dans cette ville entourée de marais, et sur une rade que les terres enfer- ment de tous côtés. Le ptiphai autant que je le pus tous les soins es à conserver la santé de nos matelots; je fis armerslés canots par des Malais, et distribuer toutes sortes de vivres frais à l'équipage, dont une partie allait chaque soir se promener à terre, après le coucher du soleil. Ces précautions me réussirent d'abord, et j'es- pérai, en abrégeant notre relâche, être plus heureux que la corvette hollandaise, qui avait perdu beaucoup d'hommes pendant la mauvaise saison qui finissait. Mais nous aussi, nous étions destinés à payer plus tard un cruel tribut à l’insalubre climat de Java. 16 VOYAGE Chaque après-dinée, quand il ne pleuvait pas, je descendais sur le rivage, avec plusieurs officiers, pour prendre de l'exercice et chercher quelques distractions qui pussent nous faire oublier les longues heures de 1a journée. Nous débarquions ordinairement à l'extrémité d'une des jetées qui portent l'embouchure de la rivière au large et marquent l'entrée du port. Ces jetées, longues d'un mille environ, sont larges et solidement construites en pierres et en bois. Sur celle de droite, en venant de la rade, on trouve d'abord une grande maison de plan- ches d'une assez mesquine structure, mais que les armes de Hollande, placées au-dessus de la porte, et la troupe de commis occupés à visiter avec soin des bateaux amar- rés contre le quai, font reconnaître au premier coup d'œil pour la douane de Sourabaya. À quelques pas de là commencent les premières maisons es par les Européens : des murailles blanches, des! tits: en! tor- rasse, de jolies galeries couvertes, soutenues par un rang de légères colonnes, attirent de plus en plus l'at- tention, à mesure que l'on se rapproche. du centre de la ville; plusieurs habitations cependant trahissent par leur air abandonné la décadence d'un commerce autrefois florissant. Sur la rive opposée, en face de la doùane , est une forte batterie qui commande la rivière, et borne de ce côté les faubourgs, amas de cases mal- propres et de lieux de débauche, où, quoique la police soit, dit-on, très-bien faite, les vols, les disputes et les meurtres se renouvellent chaque jour. Avec quel dégoût j'observais cette foule de malheureuses créatures, à peine sorties de l'enfance, et dont le corps presque nu portait DE LA FAVORITE. 47 déjà les traces repoussantes du plus infâme libertinage ! En vain je cherchais sur leur front déhonté, sur leur visage flétri, quelques restes de cette pudeur, de cet air pensif et résigné qu'aux Anambas nous avions remarqué dans les femmes malaises, et qui les-embellissait peut- être à nos yeux. Celles-ci, grâce au contact de la race blanche, étaient devenues, au moral comme au physi- que , aussi abominables que les hommes, et me firent éprouver un sentiment d'horreur et de pitié. Plus haut, et attenant aux faubourgs, sont plusieurs chantiers de marine, dont les ateliers et les hangars bordent le rivage; quelques petits trois-mâts, beau- coup de bricks et de caboteurs y étaient en construc- tion ou en réparation. Je remarquai un fort beau ba- teau à vapeur employé pour les voyages de Sourabaya au chef-lieu, et renfermé dans un bassin qui me rap- pela ceux que j'avais visités à Yanaon ; il était, comme ceux-ci, creusé dans le sable, et ne présentait que l'ap- parence d'un vaste trou. Une simple petite digue empé- Chaït la communication du bassin avec la rivière, sur les bords de laquelle je vis un grand nombre d'ou- _ vriers, Malais ou Javanais, qui me parurent adroits et intelligents, mais qu’on accuse d'être paresseux et très- lents dans le travail. Déjà, dans le voisinage de ces chantiers, les cases de paille ont cédé la place à de jolies maisons, aussi élé- gantes que celles qui ornent la rive opposée, avec la- quelle on communique par un pont de bois. Ce quar- tier est principalement habité par les Ghinois. Les rues en sont larges , d'une grande propreté, etoffrent, sur- 18 VOYAGE tout au commencement de la nuit, un spectacle des plus singuliers : alors aux brillantes lumières des bou- tiques vient se joindre l'éclat d'une multitude de torches qu'allument en plein air les marchands de fruits et de toutes sortes de provisions : les cris confus des ven- deurs, la foule des acheteurs qui se croisaient en tout sens, étaient souvent pour moi, dans ce moment, un sujet d'amusantes observations; et j'eus plus d’une fois occasion de remarquer , au milieu de cette assemblée journalière de toutes les classes inférieures de la popu- lation, que le libertinage intéressé est poussé plus loin à Sourabaya que dans aucun des pays que j'ai visités. Si nous dirigions de nouveau nos pas du côté de la rivière, un spectacle d'un autre genre, mais non moins amusant, divertissait nos yeux : dans cette partie, la plus agréable de la ville, les eaux, qu'une foule d'em- barcations sillonnent sans cesse, coulent entre des quais plantés d’arbres qui ombragent deux rangs de belles maisons, où habitent les plus riches négociants euro- péens. Toutes les fenêtres ouvertes laissent distinguer l'intérieur de beaux salons, éclairés par de nombreuses lampes que des globes de verre défendent contre la brin de nuit. Cette manière un peu vague de voir la-soc de Sourabaya n'avait rien de bien satisfaisant po compagnons ; mais elle convenait d'autant mieux à mes soûts que, cherchant la fraicheur du soir après une journée brülante, je ne me souciais nullement d’être renfermé dans des appart ts, auprès de dames char- mantes sans doute, mais qui toutes, sans exception, ne parlent aucune autre langue que le malais. Du reste, DE LA FAVORITE. 19 je dois avouer que l'hospitalité DR 5 n'avait laissé le choix ni à mes officiers ni à moi.… Quelquefois, dans mes promenades, j je continuais de remonter le long de la rivière : alors la scène chan- geait peu à peu, les lumières devenaient de plus en plus rares et disparaissaient tout à fait; les quais, dé- gradés et me 2.550 sur quelques points, laissaient enfin la rivière s'étendre librement sur ses deux rives, le long desquelles se montraient, de distance en dis- tance, d'humbles cases que de grands arbres environ- naient : le ciel brillamment étoilé, le calme de la nuit, la lune qui argentait de ses rayons incertains le courant rapide de l'eau, les: bateaux amarrés çà et la pr s du rivage et cachés « en partie par l'ombre des touffes un coup d'œil doit tous les = ne pourraient donner qu'une très-imparfaite idée. ( PI. 60.) Ces “mouches à feu sont si phosphoriques et en si ‘elles éclairent pendant l'obscurité les pas du voyageur. Les haies élevées qui bordaient les chemins où je passais, semblaient, pendant la nuit, deux murailles de feu, dont mes yeux ne ae a apercevoir la fin. Des soirées si délicieuses, et qui se succèdent durant presque toute l'année, comparées aux tristes et soinbiag nuits de nos hivers, m'auraient peut-être fait médire, malgré mes regrets et mes doux souvenirs, du: beau climat de la France, si des nuées de moustiques, cet inévitable fléau des pays chauds, n'étaient venues me 4 XII. Mo. Bot. Garden. 1897. 50 . VOYAGE forcer à fuir loin de la scène qui m'avait d'abord séduit. Pour rompre un peu la monotonie du genre de vie que les officiers menaient dans cette relâche, et pour trouver moi-même quelques distractions, je me décida à faire visite à l'un des trois chefs souverains de Maduré, le sultan de ER mRRen «38 s'était toujours empressé d'accueillir avec es états-majors des bâtiments de guerre biais que les circonstances avaient ame- nés avant nous à Sourabaya. Mes intentions furent officiellement annoncées au sultan par le résident de Sourabaya, sous la surveillance duquel se trouve ce prince, et dont l'autorisation était nécessaire pour exécuter notre partie de plaisir. Le 3 mai au matin, MM. Paris, Eydoux, Sholten, deux élèves et moi, ainsi qu'un lieutenant de vaisseau de la marine coloniale, qui avait été désigné par l'au- torité pour m'accompagner, nous débarquämes sur la côte de Maduré, vis-à-vis et à environ deux milles du mouillage de la Favorite. Le fils aîné du sultan m'atten- dait sur le rivage, et après une légère collation, com- posée principalement de thé et de confitures chinoises, nous montâmes dans deux belles calèches, tirées cha- cune par quatre chevaux, qui prirent rapidement la route de Bancalang. Mes premières remarques eurent pour objet notre noble guide, grand jeune homme bien fait ,'qui commandait les troupes maduraises au service de la colonie, et portait l'uniforme d’officier su- périeur de la cavalerie hollandaise : ses traits étaient assez réguliers, et, à travers son embarras, on dis- tinguait facilement une physionomie pleine d’intelli- DE LA FAVORITE. o1 gence et de vivacité, mais à laquelle un mouchoir rouge et blanc dont il avait la tête couverte, dessous son chapeau à trois cornes, donnait quelque chose d'é- trange , à quoi j'eus d’abord de la peine à m'accoutumer. Nos deux équipages traversaient une contrée d'un as- pectassez triste, qui eut bientôt lassé mon attention. L'île présente, dans toute son étendue, un pays inégal sans être montagneux, qui semblerait avoir tenu jadis à la grande plaine sur les bords de laquelle est bâtie Soura- baya, et dont quelque convulsion souterraine l'aurait détaché en formant le détroit si peu profond qui les sépare. Cependant les deux territoires sont très-diffé. rents : autant les campagnes qui entourent Sourabaya paraissent fertiles et variées, autant celles de Maduré fatiguent les leur aride uniformité : les arbres y sont rabat! et les champs, desséchés par le soleil, attendent en vain que les moyens d'irrigation , si ingé- nieusement employés par les cultivateurs javanais, vien- nent leur apporter la fertilité. Les cours d'eau et les sources sont rares dans l’île de Maduré, dont les terres rougeâtres et légères ne conservent qu'un instant les traces des plus grandes pluies : aussi ne peut-elle nourrir les cinq cent mille âmes qui, dit-on, forment sa popu- lation. Le riz qu'elle consomme vient de Java, à qui elle fournit en échange le sel provenant des salines pee sa côte occidentale est bordée. 59 Le gouvernement hollandais s’est approprié le bé- néfices de cette branche de commerce, dont il nà laissé qu'une faible part au sultan de Bancalang, qui a vu ses protecteurs s'emparer égalément, dans ses 4. 52 VOYAGE états, des droits sur l'entrée du riz et des marchan- dises européennes. Les revenus de ce souverain seraient donc bien mo- diques, s'ils se bornaient aux produits de terres arides et mal cultivées; mais heureusement pour lui que les rochers escarpés qui ceignent l'île au N. fournissent an- nuellement pour environ un million de francs de ces nids d'oiseaux si estimés par les Chinois. L'autre partie de Maduré appartient aussi à deux chefs indigènes : l'un, qui n’a que le titre de pahonbagan, di- gnité inférieure de deux grades à celle de sultan, possède _ le centre de l'île; l'autre, qui est sultan de Soumanap, et soumis, comme le premier, au joug des maîtres de Batavia, gouverne l'extrémité orientale. La route unie et bien soignée que nous suivions traversait de distance en distance des villages d'une agréable apparence, dont les maisons, construites en bambous liés au moyen de rotins, et couvertes avec des feuilles de bananier, formaient des espèces d'ilots, entourés chacun d’une clôture de jones tressés et sou- tenus par des pieux. Le nombre des habitants me parut considérable; j'aperçus beaucoup de femmes, parmi lesquelles je remarquai peu de figures avenantes; elles éaient généralement maigres, et la malpropreté de leurs vêtements faisait encore ressortir davantage celle de leurs dents noires, et de leurs grosses lèvres rougies par le bétel. Il est vrai que je ne voyais pas alors la fleur du sexe madurais, qui du reste n’a pas une —_— de beauté bien établie. Malgré les retards occasionnés par plusieurs haltes, DE LA FAVORITE. 535 à chacune desquelles nous trouvions une collation, nous franchîimes en trois heures les cinq lieues qui sé- parent le bourg de Bancalang du rivage où avait eu lieu notre débarquement, et enfin j'arrivai au palais du sultan, où ce prince me recut avec l’aisance et les manières d'un grand seigneur européen. Il était accom- pagné par l’assistant- résident hollandais, homme ai- mable, de très-bon ton, parlant bien français, et qui eut la complaisance de me servir d’interprète : grâce à lui, le sultan eut bientôt oublié ma qualité d'étranger, et Je pus jouir, durant mon séjour à Bancalang, d'une liberté que la chaleur excessive et l’état de ma santé un peu dérangée me rendaient absolument nécessaire. L'intérieur du palais attira premièrement mon atten- tion ; et chaque jour, pendant que mon hôte, enfermé dans son silencieux harem, fuyait la chaleur de midi, je parcourais les cours et les constructions sans nombre qui remplissent la vaste enceinte de cette royale de- meure, dont je vais tracer ici l’esquisse en peu de mots. Au milieu du bourg de Bancalang est une belle place, qu'entourent de trois côtés le fort où se tient la garni- son hollandaise, et plusieurs jolies habitations, parmi lesquelles la maison de l’assistant-résident se fait distin- guer par sa propreté, la simplicité de son architecture et son agréable exposition. L'enceinte du palais forme le quatrième côté. On y entre par une large porte ouvrant sur la cour où sont les casernes des troupes madu- raises, et qui sert de place d'armes pour les évolutions de l'infanterie et de la cavalerie ; au centre de cette cour s'élèvent deux arbres remarquables par leur gros- 54 VOYAGE seur et l'étendue de leurs branches, dont le feuillage prête son ombre à beaucoup de gens du peuple, qui viennent pendant le jour y chercher un sr contre les rayons du soleil. Ces arbres sont comme des preuves vivantes de l'ancienneté du titre que porte le souverain; car un chef malais, quand il obtient la dignité de bong-horam, fait planter en grande cérémonie devant sa demeure un arbre, auprès duquel celui de ses descendants à qui la dignité de sultan sera conférée, en placera un second qui témoignera également devant les races futures d'un événement auquel il aura pour ainsi dire assisté. À l'extrémité de la cour où l'on a planté ces deux arbres, deux hangars, dont la base est de pierre et le toit soutenu par des montants fort éloignés les uns des autres, marquent l'entrée de la seconde cour, qu'un profond fossé et un pont -levis séparent de la première. Ces divers obstacles franchis, l'on n'est pas encore dans l'intérieur du palais, où nous n’étions par- venus, à notre arrivée, qu'après avoir passé sous deux portes et traversé plusieurs étroits passages qui mè- nent, entre des bâtiments solidement construits , jus- qu'à une superbe salle de forme rectangulaire, un peu exhaussée au-dessus du sol et à laquelle trois mar- ches circulaires conduisent de tous les côtés. L'archi- tecture de cet édifice paraît d'autant plus légère que le oit, isolé de toute construction, n'est soutenu que par des colonnes de bois d'un très-faible diamètre, qui lais- sent entre elles de grands intervalles égaux; afin que l'air y puisse librement circuler, avantage inestimable DE LA FAVORITE. 55 dans ces pays brûlants. Deux autres rangs de colonnes, qui se coupent à angles droits, partagent cet immense kiosque en quatre parties, dont les deux premières du côté de l'entrée renfermaient une profusion de lustres, de candélabres, de pendules et de meubles aussi com- modes que précieux. Les deux autres formaient la salle où les festins recommençaient deux fois par jour, et sem- blaient ne devoir jamais finir. Autour de ce singulier édifice , dont je ne puis donner une juste idée, étaient des bâtiments de pierre blanchis à la chaux et entretenus avec soin, Les uns contenaient des appartements meu- blés à l'européenne et les salles de bains ; les autres ren- fermaient les cuisines, les offices et les logenients d'une foule de pie: des passages, fermés par plusieurs aux appartements des femmes, où mon hôte passait les nuits et une grande partie des jours. Sous un hangar, situé vis-à-vis de la salle de récep- tion, étaient rangés les instruments de musique, dont leffroyable tapage, fait en mon honneur, m'avait tout à fait assourdi au moment de ma première entrevue avec le sultan. Gomme ces instruments remplissent un rôle très-important dans le cérémonial malais, je vais es- sayer d'en donner ici la description. La musique malaise n’est ni variée ni harmonieuse; les musiciens ne jouent que de mémoire, et toujours les mêmesairs, qui vraisemblablement se conservent dans l’île par tradition. Ils n’ont qu'un instrument à cordes, qui ressemble à notre violon, et dont le corps, fait de la moitié d’un très-gros coco, est recouvert à 56 VOYAGE sa partie concave d'une peau fine, sur laquelle passent deux cordes minces, qui se tendent au moyen de clefs placées à l'extrémité dan long manche d'ivoire ou de bois parfaitement sculpté. Les crins de larchet, un peu lâches, restent toujours engagés entre les cordes, et les sons qu'ils en tirent m'ont paru aigres et discor- dants. Derrière le musicien qui jouait de cette espèce de violon se trouvaient rangés tous les instruments à tim- bre, dont celui que je vais décrire dominait l'infernale symphonie. I se compose de huit plaques d'un métal jaunâtre, mélangé d'or, d'argent et de cuivre, suspendues hori- zontalement et à plat les unes à côté des autres, par deux cordes légères qui les traversent d’abord, à cha- cune de leurs extrémités, dans le sens de la. largeur, puis vont se tendre fortement sn des cles placées plus grande de ces plaques qué et er en même temps la ed de long, quatre pouces de large, dix lignes d'é épaisseur au milieu et six seulement sur les bords; ell + IN 0 PRET EE Pete PET A de prés sus et concave en dessous. Les sept autres antlbrtlonc forme, mais.diminuent progressivement jusqu’à la der- nière, plus petite de moitié que la sat dans toutes Le l D1 Sur le sol, place la boîte devant lui, puis, avec une boulede cuir, fixée au bout d'un court bâton qu'il tient.dans chacune de ses mains, il frappe les plaques et leur fait rendre, DE LA FAVORITE. 57 suivant leurs plus ou moins grandes dimensions, des sons plus ou moins graves, que répercute la cavité sur laquelle est suspendu tout le système. Je uai encore un san Son "a semblable à I celui-ci, et dont il est aisé r le si l'on suppose substitués aux mrpéte rs de métal, des mor- ceaux d'un bois rouge très - dur, taillés dans les mé- mes dimensions et disposés de la même manière, mais suspendus sur les bouches d'autant de tuyaux de bambou qui s'élèvent perpendiculairement du fond de da boîte, pour donner aux sons quelque chose de plus doux et atténuer ce que l'instrument à plaques de cuivre a de trop dur dans sa vibrante harmonie. Mais nos oreilles trouvaient encore cette dernière supportable en compa- raison/des. accords diâboliques d'un quatrième instru- ment qui est pour ainsi dire national chez tous les peu- EE du grand archipel d'Asie, car il n'y a pas de chef eux, si petit qu'il soit, qui n'en traîne toujours au moins un à sa suite, comme nos charlatans leur Sur , faite d'un de bois creusé, sont rangés. côte à côte, Aioitenus chacun par quatre lanières de cuir, six vases de cuivre jaune de différentes grandeurs. Le plus grand de ces vases, bombé en des- sous, et n'ayant que huit pouces de diamètre à sa partie inférieure, s'élargit en montant jusqu'à un pied de hau- teur environ, puis se recourbe pour former sa partie cost qui se termine par une petite demi-sphère. ‘es vases ont la même forme, et vont en dimi- nuanttétadéellement jusqu'au plus petit, qui m'a que 58 VOYAGE la moitié des proportions du plus grand. Le musicien frappe ces espèces de globes sur le sommet avec une baguette assez semblable à celle qui sert pour la grosse caisse dans notre musique militaire, et en obtient des sons que lon peut comparer à celui que rendrait un bassin de cuivre. Dans un orchestre malais aussi bien organisé que celui du sultan de Bancalang, le nombre des instruments ne se borne pas à ceux dont je viens de faire l'énumé- ration, quoiqu'ils aient chacun deux, trois et même quatre doubles, de différentes dimensions , qui jouent toujours tous à la fois. (PL. 58.) On y voit aussi le cha- peau chinois, un tambour beaucoup plus gros que les nôtres, et un instrument dont le son imite le bruit lointain du tonnerre. Cet instrument est composé de deux énormes bassins de métal allié d'argent et de cui- vre, dont la partie évasée, qui a jusqu'à plusieurs pieds de diamètre, s pouces seulement de profon- verte d'une LA EE sur laquelle le .. musicien a bbe à à coups redoublés, etavec d'autant plus de facilité que ces espèces de gongs sont soutenus verti- calement en face l'un de l'autre par des montants de fer. H serait difficile d'imaginer le vacarme que fait cet orchestre, orique; suivant l'usage du pays, il annonce le départ ou l’arrivée du souverain, ou de quelque autre personnage auquel on veut faire honneur. Chez les Malais, la musique «est inhérente à toute espèce de cérémonie et de tion : celle de Ban- L'ARIEUVIRIC LE calang s'acquitta si bien Fa son rôle dérsuit mon séjour à Maduré, qu'après en avoir été étourdi depuis le matin DE LA FAVORITE. 59 jusqu'au soir, il me semblait l'entendre encore la nuit pendant mon sommeil. Elle se mêlait à toutes les dis- tractions que le bon sultan s'empressait de me procu- rer pour remplir les longues heures de la journée. Peu d'heures après notre arrivée, il fit représenter devant nous une espèce de pantomime guerrière , exé- cutée par de très-beaux hommes, richement habillés et armés de la lance et du crit. Ils marchaient sur deux rangs, les chefs en tête; dans tous leurs mouve- ments, guidés par la musique, ils prenaient des atti- tudes nobles et martiales, auxquelles le costume de combat prêtait aussi beaucoup : les bandeaux rouges brodés d’or qui ornaient leur tête, l'écharpe blanche tournée élégamment autour du cou, et dont l'éclatante bordure flottait sur des épaules larges et nues; le pagné bariolé de mille couleurs, qui serrait autour de la cein- ture plusieurs poignards , et tombait j jusqu'au bas des jambes, offraient un coup d'œil aussi =. 250 pour l'imagination que pour les yeux. De us des guerriers qui Léllcent au dre l'ennemi : leurs têtes portées en avant, lcshrdrôits étendus et leurs re- gards fixés dans la même direction, tandis que leurs mains gauches brandissaient la redoutable lance; le balancement cadencé du corps chaque fois que leurs pieds s’avançaient avec précaution , tout augmentait l'il- lasion et contentait notre curiosité. Ils défilèrentplu- sieurs fois devant nous, à la grande satisfaction demon hôte, enchanté de pouvoir donner à des étrangers une baute idée-de son goût et de ses richesses. 60 VOYAGE Bientôt après, la musique annonça le diner, autre genre de spectacle qui devait offrir des plaisirs plus so- lides aux jeunes convives , et faire ressortir encore la magnificence du souverain de Maduré : le coup d'œil de la table était brillant; mais en vain je cherchais sur cette table, chargée d’argenterie, de bronzes et de cris- taux, quelque chose d’extraordinaire et d’étranger : je re- trouvais le luxe d'Europe, notre cuisine et nos vins. Les convives eux-mêmes, tous fils, parents ou ministres du sultan, ne changeaient presque rien au tableau, car ils avaient endossé l'uniforme des hollandaises, soit par déférence pour moi, soit pour vagmetie à mes yeux leur importance. J'aurais préféré les voir en costume du pays, d'autant plus que leur air gêné et le mouchoir dont leur tête était coiffée contrastaient comiquement avec les grosses épaulettes et les broderies qui ornaient l “ut vêtements. Le maître seul avait conservé en partie lha- billement national; aussi attirat-il toute mon attention, et comme j'étais placé à côté de lui, j j eus tout le temps de l'examiner. Le sultan de Bancalang pouvait avoir cinquante ans; sa taille au-dessous de la moyenne, n’annonçait ni la force ni la santé ; ses traits, fort bruns, n’avaient rien d'agréable : un nez épaté, une bouche énorme, presque toujours remplie de bétel et de tabac haché, des dents noires et à demi rongées, les pommettes des joues proéminentes, un front bas et saillant, des yeux pe- tits et jaunâtres, composeraient difficilement un en- semble bien agréable, Cependant la figure de mon hôte avait quelque chose d’ouvert, de gai et d’imposant à la DE LA FAVORITE. GI fois, qui en faisait bientôt oublier la laideur. Son habil- lement offrait le singulier mélange des goûts malais et européens : une veste, garnie d'épaulettes de général , couvrait un gilet d'uniforme , qui laissait paraître la poi- trine et le cou tout à fait à nu; le pantalon avait été supprimé, sans doute comme trop gênant, et remplacé. par un pagne cachant à peine des jambes nues, bien noires et bien maigres. Je ne dois pas omettre de par- ler des pieds, que le bon sultan, peu soucieux de l'éti- quette, débarrassait fréquemment de leurs pantoufles et caressait complaisamment avec ses mains. Dans les circonstances extraordinaires, il substituait une espèce.de casquette de drap bleu, chargée de dia- mänis; au mouchoir de couleur qui couvrait ordinai- _ rement sa tête; et alors.seulement brillait à sa ceinture un crit étincelant de pierres précieuses, car, la plupart du temps, ses armes étaient portées par un jeune esclave qui le suivait partout. Mon hôte me conta lui-même qu'avant la mort de son père, dont il occupe le trône au détriment de son frère aîné, que des actes de démence ont rendu inca- pable de régner, sa vie avait été plus qu'irrégulière; mais soit que l’âge ou la crainte de perdre la couronne l'aient fait changer de conduite, soit, comme il l'as- sure, que les sermons des prêtres mahométans aient opéré ce miracle, il ne boit plus maintenant que du thé ou de l’eau, et se borne aux plaisirs de son harem, où sont renfermées, il est vrai, les plus a il qu'il a pu épouser ou acheter. Une pareille conversion et la ferveur qui Meruit 62 VOYAGE naturellement en être la conséquence, ont . beaucoup augmenté parmi les insulaires de Maduré l'influence des espèces de missionnaires que, depuis un temps immémorial, l'Arabie envoie chaque année dans toutes les parties du grand archipel où se trouvent de vrais croyants. Ces missionnaires pressurent la population et l’ex- citent contre les chrétiens. Le gouvernement hollan- dais voit le mal, sans pouvoir l'empêcher ; mais comme il est fort tolérant et ne fait entrer pour rien la religion dans sa manière de: gouverner, les Madurais, quoiqu'ils soient tous mahométans, ne montrent aucun fanatisme. Le sultan aime les Européens et se pique de générosité à leur égard; mais en même temps il exerce d’une ma- nière absolue le pouvoir que les Hollandais lui ont laissé : ses enfants, ses sujets obéissent également à sa moindre volonté; tous, même l'héritier de lacouronne, ne lui parlent qu'à genoux, les mains jointes et les pieds nus; mais l'uniforme européen, quand ils le portent, les exempte de ce cérémonial, auquel du reste les indi- gènes n’attachent pas plus d'importance que nous n'en mettons à l'usage de rester découverts devant nos supé- rieurs. Chez les Malais, les enfants donnent les mêmes témoignages de respect à leur père, dont souvénit ils bai sent les pieds en signe de vénération, Aussi je remarquai presque toujours quelque chose de paternel dans la manière dont le sultan recevait ces marques de soumis- sion, même du dernier de ses sujets: rarement il le lais- sait longtemps prosterné. Du ais donrecials se Pas longeait fort peu; car après q | elques l i: DE LA FAVORITE. 65 à demi-voix et les yeux baissés par le solliciteur, celui-ci, quel que fût son rang, ne répondait plus que par le seul mot où, à la fin de chaque phrase du maître. A table, cependant, la liberté était plus grande : la conversation s'animait, et les santés, auxquelles mon royal voisin fai- sait raison avec du thé en place de vin, se suivaient sans interruption. Pendant tout le repas, la foule de domestiques et d'esclaves richement habillés qui nous entouraient, et dont les yeux sans cesse attachés sur les convives, cher- chaient à deviner leurs moindres désirs, acheva de nous donner une idée assez brillante de la cour d'un souverain de ces contrées. Les liqueurs, le café, et polnislsslttie les cigares de Manille (car Java ne produit pas de bon tabac), firent durer la séance beaucoup plus que je ne l'aurais désiré; enfin nous passâmes dans le salon, toujours au bruit de l'éternelle musique, à laquelle était venu se joindre un-accompagnement plus aigre et plus faux en- core que l'orchestre même : c'est-à-dire les voix d'une vingtaine de fi hantant, ou pour approcher da- vantigé ds dataérisé: glapissant en chorus, toujours sur le même ton, sur le même air, absolument comme les enfants braillent les noëls dans quelques-unes de nos provinces ; et ce n'était pas pour une heure ou deux ; car, suivant l'importance des solennités, elles chantent toute la journée et parfois même toute la nuit suivante, en prenant à peine quelques moments de repos. Je voulus voir de près les pauvres Sirènes, espérant que le plaisir des yeux me dédommagerait de ce que 64 VOYAGE _ souffraient mes oreïlles; mais mon attente fut pénible- ment déçue; toutes ces malheureuses créatures étaient si maigres , si sales, que je me trouvai encore trop heu- reux de n'être condamné, du moins pour ce jour-là, qu'à les entendre chanter. Malgré sa ferveur pour la loi de Mahomet, mon hôte n'avait pas renoncé à toutes ses anciennes habi- tudes, car une table ayant été couverte de cartes et d'argent, la partie de vingt et un commença. On jouait très-gros jeu; nous étions trop novices, mes officiers et moi, pour lutter longtemps contre des adversaires aguerris : aussi le sultan , l'assistant-résident hollandais et deux Chinois, collecteurs des impôts, restèrent-ils bien- iôt les seuls maîtres du tapis. Je prenais un grand plaisir à voir leur impassibilité dans la bonne ou mauvaise for- tune, et l'air d'humilité avec lequel ces deux usuriers empochaient l'argent de leur maître «rh ils ga- gnaient. Dans ces pays, les Chinois ARS près de la plupart des souverains le rôle que jouent les Juifs à la cour des pachas turcs : mêmes moyens pour augmenter leur fortune, mêmes soins pour la cacher; souvent ran- çonnés ou punis de leurs friponneries, toujours néces- saires et toujours employés. Ce sont eux qui perçoi- vent, à Maduré, l'impôt des terres, prennent à ferme la récolte des nids d'oiseaux, qu'ils vendent à leurs compatriotes, et ont le monopole de toutes les mar- chandises introduites dans l’île. Aussi mes deux Chinois; bien qu'ils se plaignissent toujours de leur pauvreté et de la peine qu'ils avaient à satisfaire le sultan , qui parfois, DE LA FAVORITE. 65 il est vrai, leur faisait rendre gorge, n'en étaient pas moins les plus riches marchands du pays. À onze heures, un magnifique souper fut servi : la table était resplendissante de lumières; mais ce coup d'œil, quoique fort beau, ne pouvait avoir rien de bien attrayant pour un homme excédé , souffrant , et menacé pour le lendemain d’une journée très-fatigante : aussi je ne tardai pe à me retirer dans mon appartement, où les moustiques et la chaleur me e privèrent du repos dont j'avais tant besoin. Le lendemain matin, avant le lever du soleil, nous visitions en équipage les environs de Bancalang. Les différentes routes que suivaient nos voitures passaient au milieu de villages populeux; mais en général ces can- tons avaient un aspect stérile, que j'attribuai à la rareté des moyens d'irrigation. Les cases qui bordaient les routes étaient ombragées de bananiers et principalement de cocotiers, dont les fruits servent à faire de l'huile à brûler, et. forment un des meilleurs revenus des ha- Lnphinniget +1 de notre promenade était le lieu de la sépulture des souverains de Bancalang, seule chose remarquable dans cette partie de l'ile; et cepen- dant ma curiosité me trouva rien de bien digne d'obser- vation. Un chemin étroit et rocailleux, planté d'arbres, nous conduisit, par une montée assez rapide, au faîte de la petite colline consacrée. J'ai retrouvé partout. cette coutume, dont les anciens nous ont laissé tant de traces, de construire sur les hauts lieux les monuments auxquels 111. 5 66 VOYAGE sont attachées des idées religieuses. | Elle existe non-seu- lement dans les contrées montagneuses, où la religion semble inspirer aux hommes plus de grandeur et d'é- nergie, mais encore dans les pays de plaines, tels par exemple que l'Indostan , cette terre classique de l'escla- vage et des plus absurdes superstitions, où les pagodes sont presque toutes situées de manière à dominer la mer et à pouvoir être apercues de fort loin. +8 L'enceinte des sépultures royales renfermait plu- sieurs bâtiments, espèces de hangars bâtis de pierre et recouverts de bois. Les uns, voués dès longtemps à l'oubli, tombaient en ruine ; les autres, mieux entretenus et nouvellement réparés, ne disaient rien à l'imagination. La vétusté, qui semble faire parler les vieux monuments, m'altira de préférence auprès des tombeaux des anciens sultans de Maduré : leurs sarco- ages étaient encore rangés les uns auprès des autres dans l'intérieur d’un hangar, où l'on entrait par une seule porte basse et étroite ; mais le temps avait dévoré tous les ornements et confondu les rangs ; des pierres, des briques rongées par l'humidité, désignaient seules l'em- placement des tombes que les indigènes de notre suite foulaient aux pieds. Le seul nom que lon put me citer et que nos guides prononcèrent avec horreur, fut celui d'un sultan auquel la mort de son fils, qui ait tombé par malheur dans une chaudière d'huile bouillante , ins- pira un tel désir de vengeance, qu'il fit enterrer vifs auprès du jeune prince tous les esclaves, innocents ou coupables , qui n’avaient pas su le garder vivant. On pouvait suivre aisément, sur ces monuments fu- DE LA FAVORITE. 67 nèbres, les progrès successifs des arts chez les Madu- rais, depuis une très-haute antiquité jusqu'à l'arrivée des Européens. Les plus anciens étaient de brique ; il y en avait d'autres plus récents, formés de grosses pierres grossièrement sculptées ; et ceux des derniers souverains étaient de marbre blanc et de granit veiné de plusieurs couleurs ; mais sans bas-reliefs ni statues. La tombe de chaque sultan dépassait de beaucoup en hauteur celles dont elle était environnée , et qui renfer- maient les corps de ses femmes et de ses principaux parents, décédés avant ou après lui. Toutes ces tombes présentaient un même style d'architecture qui ne man- quait ni d'élégance ni de majesté. Sur une espèce de soubassement, dont la forme était celle d’une pyramide quadrangulaire tronquée, on voyait un massif de mar- bre ou de granit gris, haut de trois pieds. Ge massif était deux fois plus long que large; et sur chacune de ses quatre faces, dont les deux plus petites pouvaient avoir trois pieds d’un angle à l'autre, il portait des arabesques bizarres, mais exécutées avec netteté. Au-dessus de ce carré long s'élevait la partie supérieure de l'édifice faite également de marbre, et tout autour de laquelle on avait creusé plusieu rs degrés en arc de cercle, qui allaient en diminuant jusqu’ ’ausommet, et finissaient par une étroite plate-forme. Les tombes des fermes" exhaussées à peine de quel- ques pieds au-dessus du sol, n’offraient qu’une faible partie de ces derniers ornements. Je remarquai dans un coin séparé celle d’un gnfant arraché par la mort à sa pauvre mère. Les fleurs dont elle était jonchée témoi- 68 VOYAGE gnaient que dans ces pays sauvages comme en Europe, de semblables douleurs ne s’effacent jamais. J'avais contemplé avec indifférence les débris de la grandeur des sultans madurais et ces monuments somp- tueux que le néant réclame déjà; mais la vue de ces fleurs encore fraîches et renouvelées chaque matin fit éprouver à mon cœur une émotion douce et mélanco- lique en même temps, et je mesurai malgré moi les distances immenses qui nous séparaient de nos parents et de notre patrie. Le coup d'œil dont nous jouimes en sortant de l'en- ceinte funèbre vint éloigner ces réflexions, trop tristes pour des hommes à peine parvenus à la moitié de leur longue campagne. Du côté opposé à celui où nous avions laissé nos équipages, la colline s'élevait comme une haute muraille, du sommet de laquelle nous voyions à nos pieds le plus riant paysage : devant nous s'étendait une petite et charmante vallée, où serpentaient plu- sieurs ruisseaux : les champs tapissés de verdure, les arbres fruitiers répandus çà et là autour de jolies cases, contrastaient agréablement avec les masses de rochers rougeâtres et les terres arides qui les dominaient. Cette après-midi se passa, comme la précédente, à boire, manger et fumer ; car notre excellent hôte, qui pa- raissait être très au fait des mœurs de Batavia, ne croyait pas qu'il pûty avoir de plus joyeuse vie pour des Euro- péens que d'être à table toute là journée. I avait, -par considération pour moi, réduit à très-peu d'heures le temps consacré à la sieste: je reconnus cette aimable attention par une surprise qui lui fit grand plaisir. DE LA FAVORITE. 69 En sortant de son harem, dans l'après-midi, pour venir me rejoindre au salon, le bon sultan trouva sur une table, couverte auparavant d'ornements peu re- cherchés, une pendule de bronze, ainsi que des vases et des candélabres du même métal, ciselés avec ce goût et cette perfection que les ouvriers de Paris mettent dans ces sortes d'ouvrages. Le fils aîné, héritier du trône, reçut en même temps un sabre dans le genre turc; mais la satisfaction qu'il me témoigna fut de courte durée, car par malheur le cadeau plut aussi au père, qui s'en empara et remit l'arme entre les mains du porte-glaive. Cette circonstance et plusieurs autres du même genre dont je fus également témoin, me firent Juger que chez ces peuples le chef de la famille est maître absolu des biens de ses enfants. Le futur sou- verain n'eut pas cependant l'air bien satisfait de l'aven- ture ; mais prudemment il n’en témoigna rien devant un père qui, dans toutes les occasions, exigeait de lui, plus que de ses autres fils, une soumission et des de- voirs d'étiquette, dont ces derniers et surtout leurs enfants semblaient quelquefois s'affranchir. L'usage des présents parmi les Malais fournit souvent aux princes l’occasion de déployer leur générosité, et rarement ils la laissent échapper : aussi le souverain de Bancalang s’empressa-t-il de m'offrir un crit, dont le fourreau d'or parfaitement ciselé, et la poignée faite d'un bois précieux , le cédaient pourtant à la lame, pour le prix et la beauté du. travail. Cette lame, large de dix-huit lignes à sa base, et longue d'un pied et demi, est tranchante des deux côtés, renforcée au centre par 2 70 VOYAGE une arête aiguë, et va en serpentant comme une flamme jusqu’à la pointe. L’acier dont elle est fabriquée et qu’on tire de Bor- néo doit-il à la trempe l'avantage de ne jamais s'oxyder et sa couleur brune, qui laisse distinguer les veines du métal ? C'est une question que les meilleurs ouvriers eu- ropéens n'ont pu, dit-on, éclaircir. Quoi qu'il en soit, ces lames paraissent encore ce qu'il y a de mieux trempé en fait de poignards. Nous avons vu que le crit est pour ainsi dire l'arme nationale des habitants de la presqu'île malaise et du grand archipel d'Asie. Leur manière de le porter, qui varie suivant le degré de civilisation où ils sont parve- nus, peut servir à faire connaître jusqu’à quel point on peut se confier à ces hommes dangereux. Les méchants et soupconneux insulaires de Bornéo, de Palawan-et de Macassar, adonnés au brigandage, le portent toujours un peu en avant du côté gauche, la poignée presque sur la poitrine et cachée par les plis du pagne, comme un tigre embusqué et prêt à s'élancer sur sa proie. Les indigènes de Java, de Sincapour et de Maduré, ainsi que des autres îles où les Européens ont des établisse- ments, pensent donner une preuve de respect et de confiance en plaçant leur poignard derrière le dos, à l'endroit où la ceinture presse la chute des reins. Ce n'était pas assez pour les Malais d'orner leur crit d’or et de pierreries : ils lui ont encore attribué les ver. tus les plus merveilleuses. Tantôt la lame du ecrit frémit dans son fourreau en présence de l'ennemi secret de son maitre, s'échappe et va lui percer le cœur; tantôt DE LA FAVORITE. 71 elle traverse les rivières, les forêts, les murailles les plus épaisses, pour revenir aux mains de son légitime possesseur. Telles sont les superstitions qui, chez ces peuples sombres et vindicatifs, font du crit un objet d'envie et de terreur, et lui donnent une valeur inesti- mable. On prétend que le dernier sultan de Solo, main- tenant en exil à Amboine, offrit une somme énorme pour la lame seulement de son crit, qu'il avait perdu dans un combat avec les Hollandais; mais l'acier pré- cieux était tombé sans doute entre les mains d’un nou- veau maître plus superstitieux qu'intéressé, car à ne fut pas rendu. Les présents que je venais de distribuer m'avaient fait entrer plus avant dans la confiance de mon hôte, que ses relations avec les autorités de Sourabaya ren- daient toujours un peu défiant à l'égard des étrangers : aussi je fus comblé par lui, ce jour-là, des plus délicates attentions. [ m'invita pour le soir même à un souper que son fils ainé donnait en mon honneur, et voulut, en attendant, me faire voir lui-même les environs de sa résidence. = Nous montâmes dans un superbe landau ouvert, que traînaient six chevaux richement harnachés à l'eu- ropéenne. Deux autres voitures à quatre chevaux por- taient les officiers de la Favorite et le lieutenant de vais- seau hollandais. Bientôt les apprêts dont j'aperçus des traces de tous les côtés me prouvèrent que le projet de la promenade avait devancé l'invitation. Nous franchissions à peine le pont-levis qui mène à 72 VOYAGE la première cour, et nous entendions encore distincte- ment les sons de la musique qui avait présidé à notre départ du palais, que déjà des orchestres, placés sous les deux hangars dont j'ai parlé précédemment, nous assourdissaient; mais je m'étais habitué à ce charivari comme à un mal nécessaire : aussi ne m'empêcha:t-il pas de donner toute mon attention aux scènes qui se succé- daient sous nos yeux. Le peuple s'était groupé sur notre passage dans la cour du palais : cette foule d'hommes, de femmes et d'enfants, tombant à genoux, les mains jointes et en silence, à mesure que leur souverain pas- sait devant eux, me fit éprouver un sentiment pénible, qui peut-être n'était pas fondé : car cette dégradation n'est qu'apparente, et le Madurais qui a ployé les genoux devant le sultan, se relève plus libre et plus heureux que beaucoup d'Européens. On dit le sultan très-aimé de ses sujets, qu'il traite avec bonté et que souvent même il nourrit, En effet, je l'avais vu, dans d'autres circonstances, parler fréquem- ment à de pauvres cultivateurs et caresser leurs enfants. Mais quand nous arrivâmes devant plusieurs centaines de cavaliers en uniforme de lanciers hollandais et rangés en bataille, je m'aperçus qu'un air d'importance et de satisfaction remplaçait la bonhomie peinte auparavant sur le front du prince, dont l'amour-propre fut très- flatté des éloges que je fis de ses troupes. Ces dernières venaient d'être organisées en régimerts par ordre du gouvernement de la colonie, qui ne fournissait que l'ar- mement et la faible solde de chaque soldat, mais don- nait de forts appointements aux officiers, tous fils ou ” DE LA FAVORITE. 73 proches parents des principaux chefs de l'ile. Du reste, ces faveurs étaient la juste récompense de la fidélité dont les bandes maduraises avaient fait preuve envers les Hollandais pendant la dernière guerre, en combat- tant avec acharnement les Javanais, dont la différence de religion et peut-être le voisinage les rendaient en- nemis implacables. | En effet, le mahométisme n’est pas la seule cause de la haine que montrent les Madurais pour leurs voi- sins. L’aversion de ces derniers pour des hommes en- core plus querelleurs, plus vindicatifs qu'ils ne sont eux-mêmes, a dû élever de tout temps une barrière insurmontable entre les deux peuples : et même encore maintenant, si des Madurais viennent s'établir sur un point de la côte de Java, peu à peu les anciens habi- tants s'éloignent et laissent dans l'isolement les nou- veaux arrivés. Ces hommes si redoutés, que les Hollandais consi- dèrent comme les meilleurs soldats de la colonie, sont maigres et rarement de haute taille; ils ont les mem- bres grêles, l'air peu ouvert, le nez large et épaté, le front bas, les cheveux durs et crépus; leurs yeux noirs ne sont pas expressifs, mais ils recèlent un feu qu'une passion violente, et surtout la vengeance ou la ja- lousie, fait éclater tout à coup; enfin, une grande bou- che etdes dents noircies par une douloureuse opération, à peu près semblable à celle que subissent dans le même but les Cochinchinois, complètent le portrait de ces insulaires, aussi vilains pour le moins que les Malais. 74 VOYAGE À un courage indomptable qui malheureusement en- tretient la pass n des duels, le Madurais joint une grande sobriété : il ne boit que du thé et de l'eau, et supporte facilement. quoiqu'il aime le repos, de lon- gues fatigues. Toutes ces qualités réunies doivent faire de bons-soldats; et les sujets du sultan de Bancalang ont été d'autant plus à même de le prouver, dans les derniers troubles de Java, qu'ils étaient commandés par les fils mêmes du souverain , lesquels marchèrent à leur tête, et ne rentrèrent chez eux qu'à la paix, après une absence de quatre années. De loin, la cavalerie m'avait semblé bien tenue ; mais quand je pus voir de près les soldats de l’escorte qui vint entourer notre voiture, ils perdirent beaucoup dans mon opinion. Cet habillement étranger pour eux, les grosses bottes, le shako, paraissaient les embarrasser et laissaient voir déjà, ainsi que le reste de l'uniforme, les effets du manque de soin et de la malpropreté. Les Maduraïs, qui sont attachés à leurs anciens usages comme tous les peuples des îles de la Sonde, ployaient à regret sous ces innovations; l'infanterie sur- tout se recrutait lentement parmi eux; mais en accor- dant des grades élevés et de grands avantages aux officiers, en flattant ainsi l'amour-propre des sultang: et de leurs fils, les Hollandais ont pris le plus sûr moyen de surmonter les obstacles qu’aurait pu leur opposer le caractère des habitants ; et avant peu d'années ils pos- séderont un corps d’auxiliaires redoutables pour leurs ennemis intérieurs: D'un autre côté, est-il prudent aux maîtres de Ba- rss pr DE LA FAVORITE. 75 tavia d'enseigner notre tachigue, militaire à des hommes qui détestent les Européens dans le fogd du cœur; que les prêtres mahométans, venus d'Arabie, peuvent aisé- ment fanatiser, et chez qui la plus légère injure efface le souvenir de tous les bienfaits ? Le joug hollandais est lourd et terne; il n'offre aucun de ces dédommagements qui plaisent à des imaginations vives et mobiles : et si une puissance maritime faisait des tentatives pour s’em- parer de Java, je doute que les sultans montrassent en faveur des Hollandais plus de dévouement qu'en 1810. Les troupes indigènes disciplinées à l'européenne pour- raient même devenir, dans maintes circonstances , des alliés ou des renforts pour l'ennemi. Toutes ces réflexions m'’assaillirent quand, à la porte de la dernière enceinte du palais, deux sous-officiers hollandais à cheval vinrent prendre place à chacune des portières de notre voiture : il me fut facile de remar- quer sur le visage du sultan une nuance de méconten- tement ou d'orgueil blessé; le souverain, si fier un ins- tant: auparavant en passant la revue de ses troupes, sentit alors qu'il n'était qu'un esclave couronné. Le reste-de notre promenade ne m'ofrit rien de. lien curieux. Cependant ; je danghs dé mon hôte une idée en- Lil me montra ds . travaux entropaill à ses frais pour retenir les eaux de plusieurs sources et les rendre utiles à la culture des plaines voisines. J'é- Coutais patiemment et même avec plaisir l'explication de tous ses projets futurs, et je recueillais cette preuve de bienfaisance d'un prince du grand archipel d'Asie, 76 | VOYAGE comme une teinte consolante de philanthropie jetée sur le sombre tableau d'égoisme et de misères humaines qui depuis tant de mois se déroulait sous mes yeux. La soirée que nous passämes chez le fils aîné du sultan, fut pour moi plus amusante que celle de la veille, dont le jeu avait rempli tous les instants. En quittant le palais, nous y avions laissé le cérémonial, et je pus observer mes nouvelles connaissances dans leur négligé. La demeure de l'héritier du trône était construite à l'européenne, dans le genre des belles maisons de Ma- dras : des galeries soutenues par de hautes colonnes, plusieurs appartements vastes et bien aérés, une cour entourée de bâtiments pour les femmes, rien n'y man- quait pour en faire une habitation digne d'un prince malais, pas même l'infernale musique qui semblait me suivre partout. Elle occupait, suivant l'usage, un han- gar situé vis-à-vis la salle de réception, et ne cessa pas un seul instant d'accompagner les voix d'une douzaine de piailleuses , dont j'étais destiné à juger ae tard les autres talents d'agrément. La gaieté du souper et les nombreux toasts qui furent portés n’annoncaient rien de bien raisonnable pour la muit : aussi, lorsque après une longue séance nous quit- tâmes la table, les officiers et les élèves de la Favorite, dès longtemps amis intimes des Jeunes princes, les mirent en révolution ; le sultan lui-même, se rappe- lant ses jeunes années, devint un des plus joyeux com- pagnons de la bande, et quand les danseuses arrivèrent, il se chargea des fonctions de maître de ballet. Dans ces DE LA FAVORITE. 77 prétendues bayadères, je reconnus les laides et sales chanteuses de la veille : elles avaient un air misérable et avili; leurs vêtements, souillés par la malpropreté, couvraient à peine des appas fanés et aigus, dont les chairs, d'une douteuse inégalité, faisaient éprouver en même temps l'inquiétude et le dégoût. L'arrivée de ces Sirènes inspira tout à coup une fu- reur dansante à tous les assistants madurais ; et ces hommes, à l'air si grave, si triste quelques heures au- paravant, se mirent à jouer des pantomimes dont le but moral n'avait rien d'édifiant : toutes peignaient les plaisirs ou les tourments de l'amour heureux ou mal- heureux; mais je n'y trouvai rien de séduisant ni de sentimental. Cependant les œillades et les airs penchés des danseurs, dont plusieurs, oubliant qu'ils étaient en uniforme européen, faisaient briller tous leurs talents dans le jeu d'une longue écharpe, me parurent extrême- ment plaisants. Mais si mes yeux se portaient sur les danseuses, qui partageaient l'attention et les applaudisse- ments des spectateurs, je n'éprouvais qu'un sentiment de pitié : leurs attitudes forcées , des figures sans expres- sion, de longs bras maigres, tantôt contournés en dedans, tantôt jetés en arrière , tandis que le reste du corps se lançait en avant, comme par un mouvement convulsif, n'exprimaient ni n'inspiraient la volupté. Ps Au milieu de toutes ces folies, mes jeunes gens du- rent aussi payer leur tribut : lun dansa le chica des nègres; un autre exécuta la danse amoureuse d'un Nouveau-Zélandais, avec les accessoires et les varia- tions que pouvait lui fournir son imagination un peu 78 3 VOYAGE échauflée : tous deux enlevèrent les suffrages de l'as. _semblée. Un si beau triomphe excita l'amour-propre du sultan : il se leva d’un air comiquement majestueux et parut en scène entre deux bayadères. Dans ce moment, la musique, qui n'avait pas cessé de jouer, fit Hienaée un bacchanal vraiment solennel. Que le lecteur se figure, s'il peut, un petit jieällhrd laid, maigre, un peu voûté, coiffé d'un mouchoir de couleur, et ne portant sous sa veste bleue ni cravate ni gilet ; ayant au lieu de pantalon, un pagne noué autour de la ceinture et des pantoufles jaunes , le portrait sera encore, je crois, moins extraordinaire que l'original. Le royal danseur s'en tira parfaitement : les tendres regards, les enlacements amoureux des danseuses, le jeu de l'écharpe, les doux et inégaux balancements de la tête et du corps, rien ne fut oublié par le bon sultan, dont l'air sérieux, alors même que nous avions toutes les peines du monde se Ep Le ne se dé- mentit pas un seulinstant. : D'abord les applatdissements bornes répétés encouragérent l’auguste acteur à déployer de nouvelles grâces; mais peu à peu, soit que les mains fussent fati- guées, soit que l'attention fût moins soutenue, des suffrages devenaient moins bruyants : alors le maître mécontent s'arrêtait au milieu d’une pantomime-très- intéressante, allait rosser quelques-uns des spectateurs puis revenait gravement achever son rôle, pour lequel il reçut de nous les félicitations que méritait sa complai- sance , beaucoup plus que son talent. Après un si bel exemple, la mélée devint générale. DE LA FAVORITE. . 79 On fit danser bon gré, mal gré, les deux Chinois collec- teurs des impôts, qui reçurent en rechignant les em- brassements des charmantes danseuses ; enfin cette espèce d'orgie se termina à ma grande satisfaction. Peut-être aurais-je mieux fait de la passer sous silence ; mais j'ai pensé que les hommes se montrent plus à dé- couvert dans les amusements de la vie privée que dans les cérémonies publiques, et qu'un voyageur doit racon- ter ce qu'il a vu, en laissant le lecteur maître de choisir. J'avais fixé au lendemain matin l'époque de mon re- tour à bord; mais quoique je désirasse impatiemment de mettre fin à une vie aussi agitée et de me retrouver au milieu de mon équipage et de ses officiers, je ne pus refuser un jour de plus aux pressantes sollicitations du sultan , qui avait ordonné tous les préparatifs d'une fête en mon honneur pour la soirée suivante. : Je ne dirai rien du magnifique souper où les parents et les ministres du souverain vinrent prendre place pour me faire leurs adieux. Quoique tout le luxe du pa- lais y fût étalé, il eut moins de prix à mes yeux que le diner:que m'avait donné; ce jour-là même, l’assistant- résident hollandais, chez qui j'avais été reçu par une charmante maîtresse de maison, dont la. jolie figure, les beaux yeux noirs, la tournure gracieuse, décente et voluptueuse en même temps, me firent aisément com- prendre comment les dames créoles de Java trouvent jusqu’à trois et quatre maris. Toute la nuit devait être consacrée à un spectacle Pour lequel sont passionnés les habitants de Java, de Maduré et des îles voisines; aussi sur les onze heures : VOYAGE hdi laquelle il commença, une multitude de-curieux remplissaient déjà les salons du palais. À la vue d'un rideau transparent, qu'on avait tendu verticalement dans la salle de réception , vis-à-vis la principale porte d'entrée ; au soin que l'on prenait de conserver les lumières du côté où s'achevaient les pré- paratifs, tandis que de l'autre les spectateurs, assis sur des chaises ou groupés sur des tréteaux, se trouvaient dans une profonde obscurité, je reconnus de suite nos ombres chinoises, dont il y a peu de personnes élevées Pr villes de France qui n'aient me le souvenir : les nt en foule me me et] Re pour un instant les lieux. voix aigre et le langage de ra 3 ombres qui se mouvaient derrière la toile me rappelèrent à la réa- lité. Mes voisins écoutaïent avidement l'explication des son à: RE pour ompetprwhoispie je ne com- in ent Une d’entre es tin ss diable au nez pointu, à la longue quete, et armé de grifles et de cornes, semblait jouer un grand rôle dans les diverses pièces dont les représentations se suivaient lentement : souvent il lut- tait avec un gros animal toujours prêt à le dévorer; et je remarquai que, lorsqu'une jeune fille s’interposait entre ces deux principaux acteurs , l'auditoire redoublait d'attention et témoignait sa satisfaction par des mur- mures. Ces détails, quoique bien SRE sufliront pour mers DE LA FAVORITE. 81 démontrer que les ombres javanaises ressemblent beau. coup aux ombres chinoises, et ont probablement servi de modèle aux « nôtres ; car à ve Chine ce genre de diver- tissement n est que peu ou point connu; et si les Euro- péens lui ont appliqué le nom de ce dernier pays, c'est que pendant longtemps ils confondirent sous ce même nom de Chine les îles du grand “ohipel d Asie et les pro- vinces voisines de Canton. Accablé d'ennui et de fatigue, je quittai la partie au moment où mon hôte, Le prenait beaucoup de plaisir au spectacle, croyait que j y passerais la nuit. Peut-être t 1 fait de suivre ses conseils, car giaae A bérmivent à peine de goûter sign instants de sommeil : longte le jour, la chaleur “excessive, les moustiques ét. N assez fort mouvement de fièvre dont j'avais éprouvé les atteintes pendant la soirée précédente, me forcèrent de chérehqg un air moins étouffant, et j'allai errer dans ces imm L ses salles où peu d'heures auparavant se pressaient tant. Ac spec- tateurs attentifs. La scène qui s’offrit alors à mes yeux était digne des Mille et une Nuits : j'entendais encore les musiciens et les chanteuses ; mais les sons et les voix se ressentaient des approches du sommeil et allaient en s'affäiblissant; les figures, dont le jeu, suivant une singulière superstition, ne doit finir qu'avec la nuit, se trainaient lentement derrière la toile transparente, et parfois s’arrêtaient en même temps que la voix de leur interprète, qui succombait à la fatigue et au sommeil. AEL. k ü 82 # VOYAGE. Partout ailleurs régnait le calme le plus profond : à lueur mourante des lumières éloignées je ne les fils du sultan, entourés de leurs serviteurs, tous _ profondément endormis et couchés par groupes sur le plancher, couvert seulement de nattes légères : les riches costumes de ces guerriers madurais, les crits qui brillaient à leur ceinture, l'architecture asiatique des salles, ces colonnes que l'obscurité semblait multiplier et faisait paraître plus élevées, formaient un coup d'œil dont aucune despee ange ne pourrait rendre le . effet. * La fraîcheur du matin calma un. peu mes souffrances et me procura quelques moments de repos; mais à peine le soleil était levé que déjà j'avais reçu les adieux du bon sultan , et que deux voitures à quatre chevaux nous emportaient rapidement, mes compagnons etmoi, vers la Favorite, à bord de laquelle je me trouvai avec un plaisir infini , trois heures après, au milieu d’un état- major et d’un équipage dont plus que jamais je désirais la présence et appréciais l'affection. Le lendemain, le sultan de Bancalang, accompagné de tous les princes de sa famille, vint à bord de da cor- vette : je m’efforçai de lui témoigner, par une réception brillante, combien j'étais reconnaissant des attentions dont il nous avait comblés, mes officiers et moi. Après un dîner qui fut très-gai et pendant lequel cet excellent homme montra de vifs regrets de me quitter peut-être pour toujours, le cortége retourna à terre, au bruit de treize coups de canon que je fis tirer en l'honneur du souverain maduraïis. DE LA FAVORITE. 83 Depuis plusieurs jours la corvette était disposée pour prendre la mer, et il me tardait d'autant plus de quitter ces parages, que le nombre des malades aug- mentait avec une désolante rapidité. Malheureusement, comme nous n'avions pu acheter à Sourabaya qu’une très-petite quantité de vin pour l'équipage, qui ne rece- vait plus que le tiers de la ration, je me voyais dans la nécessité d'en attendre trente barriques qu'un négo- ciant français faisait venir par mer de Samarang. Ce- pendant ce vin si désiré n'arrivait pas, et comme je connaissais la lenteur ordinaire des caboteurs de Java, je me décidai, pour ne pas perdre plus de temps, à aller l’attendre jusqu'au 27 mai dans la baie de Souma- nap, située à l'extrémité méridionale de Maduré. Mais, soit que le bâtiment eût été pris par les pirates, soit que sa traversée se fût trop prolongée, nous ne reçûmes rien. ” Mes instructions me laissaient la faculté de visiter l’île de Timor ; mais la mousson de l'E., qui commençait à souffler avec violence, eût beaucoup retardé où même empêché ce voyage, dont l'utilité était très-secondaire pour l'expédition. Cette considération, à laquelle la santé de mon équipage donnait encore une nouvelle impor- tance, me fit prendre le parti de franchir tout à fait le détroit de Maduré, pour entrer, par celui de Baly, dans le grand Océan austral, et nous diriger ensuite vers la terre de Diémen. d Le 1 0 mai, dans la matinée, la Favorite mit sous voiles et gouverna au S. sous la conduite du lieutenant de vais- seau hollandais, dont j'avais déjà éprouvé la complai- 6. C3 84 VOYAGE sance pendant mon voyage à Bancalang, et qui voulut bien nous servir de pratique pour passer les canaux sinueux et peu profonds du détroit de Maduré (2). MOSQUÉE DES MALAIS DE JAVA. RE + DE LA FAVORITE. 85 CHAPITRE XVIL DÉPART DE SOURABAYA. — VOYAGE A SOUMANAP. — DESCRIPTION DE LA PARTIE ORIENTALE DE JAVA ET DES ILES QUI L'ENVIRONNENT, — TRAVERSÉE JUSQU'A LA TERRE DE DIÉMEN. — ÉPIDÉMIE À BORD. — ARRIVÉE A HOBART-TOWN. La navigation qu'entreprenait la Favorite était plus longue et plus fatigante que difficile. La partie méri- dionale du détroit de Maduré, quoique moins étroite que l'extrémité opposée, renferme comme celle-ci une suite de bancs de vase qui encombrent les passes, et sur lesquels la mer n'a que fort peu de profondeur. À ces obstacles viennent se joindre ceux qu'opposent aux bâtiments les calmes souvent très-longs, ou les brises rendues faibles et variables par les terres, tantôt hautes, tantôt basses, qui bordent le canal des deux côtés. Les rivages de Maduré sont extrêmement plats, et entourés de bas - fonds sur lesquels il y a tout au plus quinze pieds d’eau dans les grandes marées. À l’accore d'un de ces derniers, qui s'étend beaucoufÿ au large, je vis les fondations d’un fort commencé sous le gouver- nement de Daendels et abandonné par ses successeurs. 86 VOYAGE Cet ouvrage, si l'on.en juge d’après les premiers fon- dements, dont la haute mer ne laisse paraître que le sommet, aurait été considérable, et devait protéger la rade de Sourabaya au S., comme le fort d'Orange la défend vers le N. À mesure que nous avancions, les deux îles conti- nuaient d'offrir le contraste qui m'avait déjà frappé. L'une, brülée par le soleil, ne nous envoyait que des bouffées d'air étouffantes ; l'autre présentait à la vue, dans le lointain, un magnifique amphithéâtre, formé de hautes et majestueuses montagnes, du pied desquelles une plaine couverte de villages et de plantations se dé- roulait jusqu’au bord de la mer. Chaque nuit, le long de cette côte que la corvette suivait de fort près, la brise de terre succédait au calme du jour, et nous pous- sait vers notre destination. Cu ainsi ee nous passämes devant le bourg de etsitué au fond d’une baie mébiarebhel sur les bords de la Gumpang, petite rivière où les bateaux seuls peuvent pénétrer. Il s’y fait un grand commerce de riz, de sel et principalement de légumes d'Europe, tels que choux, pommes de terre, céleri, etc., cultivés en grand et avec beaucoup de succès sur les flancs des montagnes voisines, où l'on trouve, à certains degrés de hauteur, les diverses tem- pératures favorables aux végétaux de nos climats. Ces produits de l'industrie hollandaise , imitée par les Chinois établis à Java, rendent les autres établissements de la colonie tributaires de Passarouang. Le vent d'E., qui parfois se faisait fortement sentir DE LA.FAVORITE 87 durant le jour et soulevait la mer, si unie le reste du temps, arrêtait notre marche et m'avertissait qu'au large des îles la mousson soufflait avec violence. Enfin le 16, après plusieurs jours de contrariétés très - péni- bles pour l'équipage, sans cesse occupé à manœuvrer, nous Jeétâmes l'ancre devant la petite ville de Bézuki, bâtie auprès de la mer, à quatorze lieues de Passa- rouang , et, comme celle-ci, à l'embouchure d’une rivière dont les vases ne permettent l'entrée qu'à de faibles em- barcations. ; Bézuki, chef-lieu d’une des principales résidences de l'ile ; est le centre du commerce des nombreux vil- lagés répandus sur la belle plaine au bord de laquelle ses jolies maisons sont groupées. La bienveillante réception que me fit le résident, et la nécessité de donner du repos à l'équipage, dont la santé continuait de m'inspirer de sérieuses inquiétudes, me décidèrent à passer dans cette relâche, où l'on peutse procurer toutes sortes de rafraichissements, une partie du temps qui devait encore s'écouler jusqu'à l'époque que j'avais fixée pour l’arrivée du vin à Soumanap. J'employai ce temps, que l'agréable société et les soins empressés de mon hôte.me firent trouver trop court, à visiter en détail et à étudier cette partie de la colonie, la plus intéressante de toutes pour les voya- geurs. : L, Je fus d’abord étonné d'apprendre que le nombre de ses habitants s'élève à peine à quatre cent mille. La résidence de Bézuki comprenant toute l'extrémité orien- tale de Java (c'est-à-dire une presqu'ile longue de trente- 88 VOYAGE cinq nue « et large de vingt environ , qui commence at vastesenfoncement de Re et finit au détroit de Baly), il me sembla qu'une population de quatre cent mille âmes était bien faible en comparaison d’une telle surface de pays. Mais les renseignements que je dus à l'aimable obligeance du résident me ramenèrent à une autre manière de voir. L'arête de cette presqu'île est formée par une chaîne de hautes montagnes hérissées de forêts que parcourent beaucoup de rhinocéros, quelques ours noirs, et des troupes de cerfs et de sangliers fort dangereux pour les chasseurs; ces montagnes servent aussi de repaire à une multitude de tigres de la plus grande espèce, qui règnent en maîtres au milieu des bois épais dont la presqu'ile est couverte à son versant méridional et à son extrémité, où l’on rencontrait à peine, il y a quelques années, des traces de l'espèce humaine, mais que maintenant les Européens tentent avec succès, comme nous le verrons plus tard, de soumettre à leur industrie. La population est donc à peu près concentrée sur l'étroite bande de terre comprise entre les forêts et la côte N. dont la Favorite a visité les principaux points. Dans ces différentes relâches, j'ai recueilli sur le système de gouvernement suivi par les Hollandais quelques documents qui m’entraîneront encore à de nouvelles descriptions; mais j'espère que le lecteur les excusera en faveur du soin que j'ai pris de lui faire connaître une des plus belles colonies européennes , si précieuse pour la Hollande, et dont les Anglais envient la possession depuis longtemps. DE LA FAVORITE. 89 Dans les longues excursions que nous entreprimes, mes officiers et moi, tantôt à cheval, tantôt en voiture, et toujours sous la conduite de mon nouvel “hôte, je ne rencontrai ni monuments antiques ou moderiles, ni villes embellies parle luxe et les plaisirs; mais je vis partout l’image de l'ordre et de l’économie. Les routes principales étaient larges, unies, plan- tées d'arbres, et bordées de chaque côté dans toute leur longueur d’une haie formée de morceaux de bois solidement liés entre eux. Les chemins de second or- dre, destinés seulement aux cavaliers et aux piétons, ne cédaient en rien aux premiers sous le rapport de la commodité. Des villages propres et bien construits se suivaient à des distances très-rapprochées, et tous les genres de plantations qu'offraient les terrains envi- ronnants me parurent également en bon état. Mille moyens d'irrigation, plus ingénieux les uns que les autres, répandent la fertilité sur les rizières et leur font produire souvent trois récoltes par an. Je remarquai aussi sur le penchant des collines les champs de riz de montagne, dont l'entretien est plus facile, mais qui ne donnent qu'une seule moisson. K Si le Javanais montre une smolligaiie peu commune dans ces deux genres de cultures, inhérentes pour ainsi dire au sol de ces contrées, iln'en est pas de même pour celles que les Hollandais ont introduites dans l’île : bien rarement il consent à cultiver, sans y être contraint, les plantes ou les arbres étrangers à sa patrie. Les im- menses plantations de cannes à sucre dont je viens de parler appartiennent au gouvernement, qui les afferme 90 : VOYAGE à des fermiers indigènes, auxquels les villages voisins sont tenus de fournir des cultivateurs moyennant un faible salaire fixé par les autorités du pays. Sur l'ordre de ces dernières, les habitants s'acquittent, il est vrai, avec résignation , de ces corvées; mais aucune récom- pense ne peut les décider à continuer les travaux quand le temps de leur service est expiré. Cest ainsi que le fisc de la colonie met en valeur, sans beaucoup de frais, les terres dont il a dépouillé les anciens possesseurs, ou qu'il s’est fait céder par eux. Elles sont tellement considérables que la presque totalité des propriétés lui appartient, et que les cul- tivateurs ne sont pour la plupart que ses fermiers, dont il reçoit en nature les deux ou trois cinquièmes du revenu brut , suivant l'espèce des productions et la po- sition du terrain, Ainsi, par exemple, les rizières, qui donnent une récolte au moins tous les six mois, payent beaucoup plus que les champs de riz de montagne, dont la moisson ne se fait qu'une fois l'an. Ges conditions sont-elles trop dures? C'est une question que je n'oserais décider, car n'ayant guère fré- quenté , dans ce pays, que des personnes intéressées à en vanter la justice, je n'ai pu connaître la vérité. D'un autre côté, si j'ajoutais foi aux rapports du grand nom- bre des mécontents, qui à Java comme paftout ailleurs mettent de l'exagération dans leurs plaintes, je dirais que les indigènes sont opprimés et malheureux; que les lois rendues en leur faveur restent sans exécution; en- fin, que l'exigence des autorités accroît encore leur fardeau. DE LA FAVORITE. 91 On ne peut disconvenir qu'avec un semblable régime les actes arbitraires ne soient bien communs, malgré _la protection que les régents et les autres chefs indigènes doivent à leurs compatriotes. I faut avouer encore que le joug hollandais est pesant et terne comme le plomb; mais si l'on fait attention qu'à des sultäns rapaces et tyrans de leurs sujets a succédé un gouvernement tranquille et ami de l'ordre ; auquel son propre intérêt, fondé sur le développement de la population, ne per- méêt pas d'être impunément oppresseur, on doutera comme moi que les Javanais aient perdu au change- ment de maîtres. Toute situation est relative, et tout jugement se forme par comparaison. Ces corvées toujours reriais- santes, ces réquisitions arbitraires de chevaux ou d’au- tres animaux de trait, auxquelles chaque habitant est soumis, seraient certainement regardées, par des Fran- çais où des Anglais, comme une servitude intolérable. Mais ces charges semblent peut-être actuellement aux Javaniais moins pesantes qu’elles ne l’étaient sous les an- ciens souverains : il n’y a plus de guérres dévastatrices ; les provinces, jadis ennemiés irréconciliables, com- mercent paisiblement entre elles; les maladies qui dé- cimaïent si souvent les naturels oht en partie dis- paru ; enfin, la vaccine sauve aujourd’hui de la mort les deux tiers des enfants, qu'emportait autrefois la petite vérole, si Tant d'améliorations font honneur aux soins et à la philanthropie des derniers gouverneurs de Java. Je crois pourtant, avec beaucoup de personnes, que si l'a- 92 VOYAGE veugle désir d'augmenter les revenus du fisc allait moins loin, si des mesures plus libérales étaient prises en fa- veur des Javanais, la prospérité de la colonie et l'affer- missement du pouvoir hollandais ne ae qu'y gagner. Les plantations de café sont entretenues, comme celles de sucre, au moyen des corvées, et les fermiers en li- vrent les produits au gouvernement pour un prix, à la vérité, très-modique, mais qui leur est payé sur-le- champ. J'ai déjà dit que ces produits se vendaient à l'enchère, sur des échantillons, au marché de Batavia et dans les autres villes de la colonie, et qu'ils étaient livrés ensuite sur les lieux à l'acheteur. Le bourg de Panaroucan, situé à quelques lieues au S. de Bézouki, et, de même que cette ville, à l'em- bouchure d'une petite rivière dans laquelle une foulede bateaux viennent charger du riz, devint le but de notre première excursion. Sa position sur le bord de la mer, et les campagnes qui l'avoisinent, offrent un coup d'œil agréable. Sa principale rue, ou pour mieux dire la grande route qui le traverse, est plantée d'arbres qui ombragent deux rangs de belles cases, construites en bois et couvertes de paille. Quoique placées auprès de lieux bas et humides, ces cases ne sont pourtant pas élevées sur des pieux comme celles des indi- gènes de la plupart des iles du grand archipel d'Asie, Des cloisons légères forment dans leur intérieur plu- sieurs appartements fort propres et bien disposés pour la chaleur, maïs mal garantis de la pluie et principa- lement des variations de la température , si brusques DE LA FAVORITE 93 dans les pays voisins des montagnes et de la mer : aussi les habitants sont-ils exposés pendant la saison fraîche, depuis mai jusqu'en novembre, aux maladies de poitrine et aux rhumes, qui en font mourir un grand nombre. Durant le reste de l’année, l'humidité produite par des- pluies continuelles et une chaleur insupportable engen- dre des fièvres terribles, et souvent même le choléra- morbus, qui rendent les côtes de l’île extrêmement mal- saines pour les Sthangése: Les rizières qui s'étendent derrière ner et que de très-petites digues destinées à contenir ou à conduire les eaux séparent les unes des autres, sem- blent une nappe de verdure qui va en ondulant jus- qu'au bord de la mer. Plus loin, des plantations de cannes à sucre occupent des terrains qui, peus leurs brusques inégalités, se ressentent déjà du voisinag: e des montagnes, vaste réservoir d'où descendent à ruis- seaux auxquels Java doit son admirable fertilité. La ma- nière d'employer ces dons naturels, si précieux pour l'a- griculture sous un ciel toujours brülant, a été de tout temps le principal but des soins et de l'industrie des in- digènes : aussi allâmes-nous visiter, à quelques lieues de Panaroucan, vers l'intérieur, une espèce de digue qui me donna de leurs connaissances hydrauliques une idée assez avantageuse. (PI. 60.) Une petite rivière, échappée de la forêt, et bondis- sant de rochers en rochers, traversait un vaste plateau sec et aride, dont l'irrigation était fort difficile, parce que la rivière coulait encaissée dans un profond ravin , depuis sa source jusqu'à l'endroit où elle se précipitait 94 ‘| VOYAGE vers les terres basses par une chute de quarante pieds environ, et où d'énormes blocs de granit opposaient un obstacle insurmontable à l'enfoncement des pilotis qui auraient pu servir à faire remonter le niveau des eaux. Ce n'était donc qu'avec beaucoup de peine que les Java- nais avaient réussi à fermer cette cascade, au moyen d'une digue composée de fortes pièces de bois unies entre elles par des lianes, et soutenues contre la violence du courant par plusieurs doubles d'un gros câble de bourre de coco, tendu d'une rive à l'autre ; des mon- ceaux de cailloux consolidaient l'édifice, que ‘détrui- saient pourtant chaque axinée les pluies de la mauvaise saison. Lorsque je vis , elle surmontait la tête des arr et formaitune cascade écumante qui pré- tait un nouveau charme au tableau que nous avions ax. À nos pieds serpentait le ravin € Miss cmd un bai sessbliotée au t de petits Bsiwéwéraitiors; etdébellés plan- mtloadrqué les eaux , retenues par la digue à la hauteur convenable pour remplir une foule de petits canaux, arrosaient dans toutes les directions. : Deux mois plus tard, la sécheresse devait: détiorér cette pompeuse végétation ; car la rivière; alors tout à fait basse et filtrant fpanèrs F ns «3 pour que toi SA à la construction don une lnisiohe qu plus solide, et dont les résultats favorables à la culture des campagnes DE LA FAVORITE. 95 voisines ne pouvaient manquer d'enrichir encore l'éco- nome administration de la colonie. Afin de surveiller des cultures aussi étendues et aussi variées, les résidents ont fait bâtir, dans.les différentes parties de la province confée à leurs soins, des habita- tions où ils établissent successivement leur domicile, et parmi lesquelles celle qu'ils possèdent auprès du village de Badican mérite surtout d’être visitée. Ce charmant village où nous passâmes deux jours, est situé à dix lieues environ de Bézuki, du côté des montagnes, et dans une magnifique exposition. La belle route que nos voitures suivirent avant d'y arriver, et qui longe les grands bois, présentait, dans les endroils habités où nous nous ar- rètâmes, un aspect imposa RENTE RS rassurant. à la fois pour l'imagination. She . En effet, ces bois : dontiles : db ge ARR forment mis voûtes obse j ps ces terribles animaux, blottis dans les milles bordent le chemin comme deux hautes onne cent sur les hommes et sur les chevaux. Hs rô ! provinces Rs se Non! moins ingénieux da aussi vorace que l'ennemi de nos be les murs ou déchire les toits € es a le bétail, qui sent le péril sans pouvoir l'éviter. 0 Si le Javanais partageait la terreur qu'inspire auxEu- ropéens ce redoutable quadrupède, il n'oserait:se divrer à aucune espèce de travail dans les lieux écartés; les 96 VOYAGE petits ut sis les grandes Fe de son île seraient impraticables | pour lui le jour comme la nuit. Mais armé de sa lance, il brave le tigre royal, il l'attaque même et le poursuit avec une confiance qu'il ne puise pas seu : dans son courage et l'habitude du danger : la sl fion en est la principale source ; c'est elle qui l'a persuadé que son antagoniste doit fuir devant lui, parce que sa lance , héritage de ses pères, a été souvent rougie du sang des tigres. En effet, l'animal féroce fuit à la vue de l'homme armé d'une pique, comme s’il recon- naissait la puissance du talisman. S'il faut s’en rappoies aux récits des Javanais, le bù- la forè! -voit sans inquiétude la s'approel Jui; et lorsque ses me- naces ne sets Sas ee T'éloïgner, il l'a bientôt terras- sée ou mise en fuite, après un combat de peu de durée. er dé animaux domestiques, parmi 1en40 à bs _ chevaux en: FER sens méritée et forment une branche de commerce considérable entre la colonie + di ste établissements européens environnants. Le che- __ val javanais est bien fait dans sa petite taille, rempli de u, Renroc assez longtemps la fatigue. Son œil zrand, noir et vif, sa jolie tête, us Re fines, sa robe brune, lui donnent quelque le _ coursier d'Arabie, et. deéibeaux attelages que: lon 1 trouve 4 à Batavia font assez. voir quel see on en a tirer s'il était mieux soigné. Les indigènes ne paraissent pas hachies beaucoup DE LA FAVORITE. 97 de-prix à la conservation de leurs chevaux, qu'ils nour- rissent mal et accablent de travail. Peut-être faut-il at- tribuer une aussi coupable négligence à la grande quan- tité de ces utiles animaux, car dans la seule À = 0PR de Bézuki on en er < au moins trente mille. Le gouvernement a essayé depuis quelques aurébé d'en perfectionner la race, en établissant des haras composés d'étalons anglais ou OPEN mais les sc tats de cette mesure ne pe encor: éciés. Les chevaux de Movninées jusque ne sont considérés comme supérieurs pour la beauté des formes et la vigueur à ceux de Java; aussi servent-ils principa- lement aux équipages deluxe : et er la cavalerie. La dure D e nu ourri manger, mais qu ‘elle a Ce Lions comme le buffle, à tous les travaux de force, et même à traîner la charrue, nouvellement introduite par les Hollandais dans la culture des terres. Elle permet aussi, à ce qu'il paraît, de les faire battre entre eux, genre de spectacle pins lequel tous les Javanais montrent une véritable passion. ge : Fo Le chef de Badican voulut me V: ne r tation de ce spectacle, et prévint les PA A combat de taureaux aurait lieu, deux heures avant le coucher du soleil, sur la place du village, us . maison du résident. «#16 Longtemps avant le moment fixé, les nu le front orné de bandelettes, se rangèrent sur leterrain : leurs formes pleines, de grands yeux noirs au “age III. s” dec é, de" 98 VOYAGE fier et assuré, des cornes longues , aiguës et légèrement recourbées, annoncçaient des champions entre lesquels la fortune resterait plusieurs fois en suspens. Chacun d'eux recevait avec orgueil les caresses de son maître, qui promettait aux assistants que son élève soutiendrait la réputation de courage qu'il avait acquise dans les pré- cédents combats. Enfin la musique annonça le commencement du spectacle par un charivari auquel vinrent se joindre, en mon honneur, six voix féminines encore plus aigres et plus monotones que celles des bayadères du sultan de Bancalang. À ce signal , tous les habitants du village accoururent autour de l'arène, qui pouvait avoir soixante pieds de diamètre, et dont une simple corde, attachée à des piquets, séparait la foule des spectateurs, pan lesquels nous primes place au premier rang. == Le cruel plaisir de voir des animaux de la F0) pèce répandre mutuellement leur sang, n'est pas la prin- cipale cause du goût que les Javanais montrent pour ce genre d'amusement : c'est la passion du jeu, passion si forte chez les peuples du grand archipel d'Asie, qui à gcite ces hwignes; et leur fait perdre pour quelques r dut A CE OP PO LOS Les figures s' animent dé paris msgeut: quand deux taureaux de même taille et de même force, mais de couleurs différentes , afin d'être mieux distingués par les parieurs, entrent dans la lice, conduits par leurs maîtres ; dont ils reçoivent les dernières exhortations. Ces fiers animaux paraissent d'abord assez tranquilles, et ne montrent aucun désir belliqueux; mais l'arrivée DE LA FAVORITE. 99 d'une blanche génisse les excite tout à coup: ils frap- pent la terre de leurs pieds, un souffle brûlant sort de leurs naseaux, leurs yeux lancent des éclairs. On sous- trait alors à leurs regards la nouvelle Hélène, toute trem- blante de la violente jalousie qu’elle a fait naître, et les deux rivaux, délivrés de leurs entraves, se précipitent à la rencontre l’un de l’autre : leurs cornes s’entrelacent et semblent à chaque instant prêtes à voler en éclats. Le plus expérimenté des deux champions cherche à ter- rasser son adversaire; mais celui-ci se dégage et revient heurter, avec la rapidité de la foudre, la tête de son en- nemi : dans ce moment, ils déploient l'un et l'autre toute leur vigueur ; les muscles et les veines de leur cou, tendus avec violence, imitent un réseau. de fer; toutes les parties de leur corps éprouvent un frémissement de fureur : égaux en force et en courage, ils s'épuisent en vains efforts. Bientôt le sang coule de leurs fronts déchirés et la fatigue les contraint à suspendre le combat : aussitôt les blessures sont pansées avec soin par les maîtres et les joueurs, inquiets sur les chances que la fortune leur réserve dans cette lutte, qui recommence quelques ins- tants après. Mais les deux fiers ennemis sont tout à fait exténués, et malgré les cris d'encouragement des spectateurs et la présence de la génisse, le plus mal- traité, cédant à l'épuisement plutôt qu'à la crainte, abandonne le champ de bataille au vainqueur, qui recoit les félicitations des parieurs dont il a si vaillamment dé- fendu les intérêts. . L N É à . s le cirque, et aussitôt s'ouvrent de nouveaux paris entre 1° 100 VOYAGE les joueurs, à qui le sort ne fait pas toujours attendre si longtemps ses décisions. Tantôt un taureau recon- naissant la supériorité de son antagoniste, lui cède deux fois la victoire après quelques eflorts, et court, au mi- lieu des huées générales, cacher la honte de sa défaite dans son étable, où il subit le châtiment que lui inflige un maître dont il a trahi les espérances. Tantôt, plus faible encore, un des gladiateurs, moins sensible aux charmes de la gloire qu'à ceux de l'amour, suit la gé- nisse loin de l'arène, où il laisse un rival sans maîtresse et des parieurs désappointés. | Promptement ennuyé d'un spectacle auquel mes voi- sins prenaient un intérêt très-vif, je me livrai au plaisir de regarder les magnifiques points de vue qui attiraient mon attention de tous les côtés. L'habitation du résident, devant laquelle nous étions assis, domine le village, que traverse la route sablon- neuse et bordée de belles cases environnées d'arbres très-vieux, qui se dirige de Bézuki vers l'extrémité de l'ile. MR De cet endroit, je contemplais avec ravissement la plaine immense qui du pied de l'étroit plateau où est situé le village, descend par une pente assez égale jus- qu'à la mer; dont la brume du soir commençait à voiler l'horizon. Une multitude de hameaux disséminés dans cette plaine reflétaient les derniers rayons du soleil cou- chant; les rizières, semblables à un long collier d'éme- raudes , indiquaient le cours capricieux des petites ri- vières; tandis que sur les monticules s'étendaient des champs de cannes à sucre, dont le vert tendre se mariait DE LA FAVORITE. 101 agréablement avec la couleur jaune doré du mais, par- venu à sa maturité. Derrière nous s’offrait une scène d' un tout autre genre. Au fond du creux ravin qui sépare le village de la fo- rêt, coulait un torrent dont le bruit sourd disposait notre âme aux émotions fortes que lui faisait éprou- ver l'aspect de ces bois épais dont la brise pouvait à peine agiter les cimes. Cette pompeuse végétation qui couvre le sol depuis des milliers de siècles, et puise chaque année dans ses pertes mêmes une nouvelle vi- gueur, monte, par étages pressés, jusqu'au sommet des hautes montagnes qui dominent Badican. Parmi tous ces pics aux formes bizarres, blanchis par les pluies et dépouillés par les vents, plusieurs vomis- sent de la fumée, dont les colonnes blanchâtres mon- tent en tourbillons jusqu’au ciel. Leurs flancs portent les traces d'éruptions très-récentés, et témoignent qu’à Java, comme dans la plupart des contrées du globe, la nature déploie ses plus terribles moyens de destruc- tion à côté de ses dons les plus heureux (3). On compte dans File un grand nombre de volcans en activité; heureusement ils n’exercent leurs ravages que sur des terres inhabitées. Cependant l'éruption i inat- tendue. du Gonnogon porta, en 1823, la désolation dans les provinces les plus peuplées de Ti ntérieur de Java. Le volcan couvrit en un instant les campagnes voisines d’une épaisse couche de lave, de cendres et de rochers, sous lesquels plusieurs milliers d'habitants restèrent ensevelis; des rivières profondes tarirent, d'autres surgirent tout à coup, et pendant plusieurs 102 VOYAGE semaines l’île fut ébranlée jusque dans ses fondements. Bézuki, située loin des montagnes, n'a point à re- douter ces affreuses calamités; mais son climat est lourd et étouffant ; l'air, vicié par les miasmes qu'exha- lent sous les rayons d'un soleil brûlant les vases qui encombrent l'entrée du port, cause des fièvres pério- diques aussi dangereuses pour les indigènes que pour les Européens. Afin d'échapper à cette pernicieuse in- fluence, les autorités hollandaïses et javanaises, avec la garnison, composée de vingt-cinq soldats blancs com- mandés par un officier, ont abandonné les bords de la mer, et habitent maintenant, à quatre milles de la côte, une petite ville dont l'étendue s'accroît rapidement. Cette ville est bâtie sur un terrain qui commande la mer et que traverse la petite rivière de Bézuki, dont le cours sinueux, bordé de toufles d'arbres et de champs par- faitement cultivés, offre à ns ere des nantes dé- licieux. (PE 60.) : _ Parmi les te édifices gs la vite : rsoget la Te. Se RS maison du se font distinguer par leur atbitetturé a styles diffé rents. RÉ bec dans le genre européen, gr qui édite à iedsaftés vastes, bien aérées et meublées avec goût. Mais c’est au premier étage , couvert par une belle terrasse, que sont les beaux appartements où nous avons trouvé, mes officiers et moi, tous les soins 4 si affectueuse hospitalité. L'autre au contraire a l'air triste et sérieux des édi: fices javanais : de hautes murailles entourent la cour DE LA FAVORITE. 105 intérieure, dont le centre est occupé par un immense salon , au-dessus duquel s'élève un léger toit soutenu par quatre rangs de colonnes de bois. Les bâtiments de pierre forment l'extrémité de cette cour: ils n’ont qu'un _ seul étage qui contient sur le devant les appartements dans lesquels le maître reçoit et loge ses amis; et sur le derrière, ceux où les femmes sont renfermées. Mais ces dehors sévères cachent toutes les recherches du luxe de nos grandes villes : en voyant tant de meubles riches et commodes, une cuisine délicate, une table i t servie et couverte d'argenterie et de cris- tnt) nous aurions cru être encore en Europe, si l'iné- vitable musique, en écorchant nos oreilles, n'était venue nengess pus illusion, Ces { ne ] 1e. srisidieiiil et ocLtlpéus-qian id. employés du gouver- nement ou par des Chinois , forment, avec la caserne des troupes blanches, les quatre côtés d’une belle place, au milieu de laquelle un arbre séculaire rappelle aux in- digènes qui viennent s'asseoir sous son ombrage, le sou- venir de chefs dont la puissance a disparu. | - De là ils voient eu pin 3 us sous instructeurs européens; de là encore ils peuvent aper- cevoir les ponts jetés sur les torrents, les magnifiques routes qui assurent à jamais leur esclavage; de là enfin kiuis regards s'arrêtent tristement sur ces montagnes inaccessibles qui auraient dû mieux nee la liberté des Javanais: Side ‘| Th D" 104 VOYAGE Le 21 mai, la Favorite mit à la voile pour Soumanap, à la fin d'un diner où j'avais réuni toutes les personnes dont mes ofliciers et moi nous avions reçu tant de preuves de bienveillance. Le résident fut salué de treize coups de canon, suivant l'usage de la colonie, et je trouvai, en le quittant, un adoucissement à mes regrets, dans la promesse qu’il me fit de nous revoir à Ban- Joewangy, où je comptais toucher avant d'abandonner Java tout à fait. Bézuki est une papier cé À pour foère de l’eau, que les embarcations du paye apportent à bord moyen- nant un léger salaire. On s’y res aussi des provi- sions très-facilement. Les bœufs y sont communs, mais hisaienens mai- gres : les moutons, au contraire, sont excellents, et doivent sans doute la délicatesse de leur chair aux soins tout particuliers qu'exige leur éducation; car dans les plaines, la chaleur Les fait mourir ; She terres éle- vées, les pâtu ne La volaille est également fort bonne: à Béanki: fes frite des tropi- ques y croissent en abondance, mais ils donnent sou- vent des maladies aux Européens; en récompense, les légumes de nos climats que l'on trouve sur cette côtesont L 3 € 6 Pour obtenir ces rafraîchissement: des équipages fatigués, il faut ne aux. satiété indigènes, dont les ordres seuls peuvent décider les ha- … bitants à. se défaire de leurs denrées. On ne doit attri- buer cette répugnance qui l'emporte même sur l'appât du gain, mais cède sur-le-champ àla volonté d'un chef, DE LA FAVORITE. 105 qu à des préjugés nationaux ou à un caractère plus indo- lent encore qu'intéressé. Le commerce de cette résidence consiste principale- ment en riz, et en légumes d'Europe cultivés sur les mon- tagnes, d’où l'on tire aussi des bois de construction, que les caboteurs transportent dans les autres parties de Java. L'embarquement du sucre et du café, qui pro- viennent des cultures entreprises par le gouvernement, appelle assez souvent de forts navires devant Bézuki, dont pourtant la rade n'est pas également sûre dans ‘toutes. les saisons; car durant la mousson de l'O., le vent de N. O. souffle parfois avec violence et fait lever une mer terrible, à laquelle les petits et même les gros bâtiments ont beaucoup de peine à résister. Les calmes et les brises contraires d'E. ne nous per- mirent d'arriver que le.23 au soir à. notre destina- tion. | rte La baie de Soumanap est d'un abord difficile, surtout du,côté oriental, où un grand nombre d'iles projettent au large des bancs de rochers et des récifs dangereux. La côte de Maduré elle-même présente dans cette partie une large ceinture de vase qui me forçca de mouiller la corvette à plus de deux miles du. mes par -quaire brasses d'eau seulement. : Le sultan de pe TR di avai & té : Larerti, avant notre départ de Sourabaya, de. l'époque à à laquelle je devais lui faire visite, envoya, dès le lendemain de notre arrivée, un de ses ministres me prévenir que deux voitures attendaient sur le rivage pour.me trans- porter, ainsi que plusieurs officiers de la Favorite, à sa 106 VOYAGE résidence , éloignée d’une lieue de la mer. Je me rendis à son invitation, et bientôt mes compagnons et moi nous nous trouvâmes encore une fois sous le toit hos- pitalier d'un prince madurais. Le palais de mon nouvel hôte était absolument sem- blable à celui du sultan de Bancalang : mêmes cours, mêmes hautes murailles, mêmes dispositions inté- rieures; mais ce fut avec une bien vive satisfaction que j'entendis en arrivant les sons d'une musique guerrière, exécutée avec des instruments européens, au lieu du charivari infernal qui m ivait se et nuit d plus d'un mois. rss Le maître de ce palais, qui first peu près pour tout revenu que l'impôt territorial, ne pourrait rivaliser de magnificence avec son voisin, dont la récolte des nids d'oiseaux augmente les trésors chaque année; si le gouvernement hollandais, qi W as comme un D. 2e. Ce prince n’était encore que bong-hor Abe barqua avec ses troupes pour combats le sultan de Ma- cassar, dont lé gouverneur de Batavia voulait réprimer les brigandages continuels. Après une guerre longue et sanglante, le chef ennemi, réduit enfin aux dernières extrémités, envoya son fils comme otage; mais toutes les conditions ayant été rejetées par le vainqueur, il se rendit lui-même à discrétion, et bientôt après alla mourir à Amboine, lieu d'exil où les Hollandais relèguent leurs rivaux coupables ou malheureux (4). DE LA FAVORITE. 107 Le général qui commandait l'expédition, voulant ré- compenser le courage et la belle conduite du bong-horam, lui offrit une forte part du butin. Le fier Madurais refusa, en disant « que si les maîtres de Java étaient satisfaits « de ses services, ceux qu'il leur rendrait comme sultan « de Soumanap seraient encore plus importants. » Cette demande eut un plein succès, et le nouveau sultan tint fidèlement sa promesse ; lorsque dans la dernière guerre les Javanais révoltés menaçaient à la fois Batavia et Sa- marang , il vola avec tous ses guerriers et les princes de sa famille at secours de ses alliés pris au dépourvu, et ne rentra dans ses foyers que lorsque la x fut rétabhés an Abe 9 Hd de ce chef fsebvrde avec sa shpitnriannd de valeur et de fermeté : sa taille est élevée et replète, ses membres vigoureux annoncent la force de l’âge mûr; une physionomie grave et même un peu dure, des yeux noirs et vifs, des traits réguliers mais prononcés, achè- vent de donner au sultan de Soumanap la tournure et P + sense d'un prince d'Asie. * Des présents mutuels et l'attraction que le caractère ouvert de notre nation exerce presque toujours, même sur des peuples à peine civilisés, eurent bientôt établi entre notre hôte, ses parents et nous les relations les plus amicales : les fêtes, les amusements devaient se succéder pendant plusieurs jours; mais le 27 mai était l'époque convenue pour l'arrivée du vin que j'attendais de Sourabaya, et dont je n’avais encore reçu aucune nouvelle : je fixai donc irrévocablement au #8 notre dé- part, que mes jeunes ofliciers, plus préoccupés de la 108 VOYAGE santé de nos malades que de leurs plaisirs, virent ar- river sans regret. Le bourg de Soumanap est traversé par la belle route qui va depuis la résidence royale jusqu'au rivage de la baie , le long duquel s'étend une rangée de jolies petites maisons construites en pierre ou en bois, à la mode européenne , et environnées de jardins, qui aperçus du mouillage, rendent ce point de vue très-riant. Mais prise de ces maisons, la perspective n’est pas la même. Les marchands hollandais ou chinois qui les ha- bitent, voient en effet, sous leurs fenêtres, une petite rivière découvrir, à basse mer, de larges bancs d'une vase noire et fétide; sur la droite, ils distinguent une côte basse, stérile et hérissée de brisants; et sur la gauche, l'ile rocailleuse du Sud-Est; qui ferme la baie dans le S. La forme de cette île est irrégulière comme sa surface, pipe vue du N., une share collines peu éle- auxquelles des Malais, s archipels voisins, LE font-praduire: à force de ét; dos récoltes de riz, de mais et de cannes à sucre , que des bateaux construits par eux transportent dans les établissements européens. Ces colons redoutént beaucoup les attaques de leurs an- ciens compatriotes, qui, montés sur des flottes de pros armés de canons et cependant très-légers à la rame, viennent dans la saison des calmes ravager les côtes de l'ile, piller les villages, faire des esclaves, et vont même parfois capturer ou brûler les caboteurs jusque sous l'artillerie du fort de Soumanap, situé à deux milles du bourg, au bord du canal étroit qui sépare Maduré de File du Sud-Est. DE LA FAVORITE. 109 Les ouvrages de ce fort m'ont paru peu importants. Les remparts, revêtus de gazons, portent six canons de 8 et sont défendus par une faible garnison qui pour- rait être portée au besoin jusqu’à cent hommes. Ce point de défense, le seul qui existe dans la baie, pro- tège le petit port que forme la jetée où abordent les em- barcations. Là est réunie toute la flottille de guerre du sultan, chargé, mais inutilement, par les Hollandais, de veiller sur les pirates qui infestent les détroïts des envi- rons, et dont fourmillent Baly, Lombok, plusieurs autres îles de la Sonde, et même la côte méridionale de Java. Ils apparaissent quelquefois par flottes de vingt grands pros. Alors les relations de Maduré avec les terres envi- ronnantes sont tout à fait interrompues ; les habitants des côtes prennent les armes et se gardent avec soin: ceux de l'ile du Sud-Est se distinguent par leur vigilance et leur courage à surveiller ou à repousser l'ennemi. Mais les forbans, qui trouvent de nombreux complices parmi les matelots des caboteurs, ne réussissent que trop souvent dans leurs entreprises. Leurs meilleurs auxiliaires sont les Mandharais, race d'hommes voués à la navigation, natifs de Macassar, et répandus dans toutes les possessions des Hollandais, qui les emploient comme pilotes ou comme marins, et leur ont accordé des priviléges, quoiqu'ils s'en défient et ne les aiment pas. Les Mandharais ne payent aucun droit de capitation, et ne sont point soumis aux autorités indigènes; mais ils doivent fournir toutes les corvées qui ont rapport à la marine. Leur caractère fourbe et méchant, leur pen- 110 VOYAGE chant déterminé pour la piraterie, les rendent la ter- reur des naturels de Maduré et même des Malais. Les environs de Soumanap n'offrirent rien d'intéres- sant à ma curiosité. Le lieu de la sépulture des sultans, que l'on me fit visiter comme une chose digne d’atten- tion, renferme un amas de tombes, les unes anciennes, les autres nouvelles, et toutes dans le mème style que celles de Bancalang. Le seule attira mes regards; elle était de marbre blanc transparent, que le agen de l'ouvriermalhabile avait fait éclater en plusieursendroi J eus emtatoneion de ve les troupes maduraises Lih°31r. à 1 74 hommes, qui FUPUS pa 1 222 + à LL tés AS ne | nds avaient si v et dans ti costume national ; me nat humiliés sous un uniforme étranger pour eux; tandis que les sol- dats irréguliers, leurs compatriotes, vêtus d’une large ere et d'un pantalon court, montraient sous le sa- garni i-diaciez un air pont st sn le crit soutenait un se nerveux, soutient quelque chose de farouche. La cavalerie était sr montée et en heuns Vin fanterie ne faisait pas plus d'honneur à ses chefs :+les uniformes souillés par la palpiapretés preiiens cou- vertes de rouille, la t le sur la figure des fantassins comme de se me persuadèrent tout à fait que de pareils soldats seront en- core pendant longtemps, pour les possesseurs de Java, des alliés bien moins utiles que les troupes irrégulières. “la troisième et dernière soirée que nous passämes DE LA FAVORITE. II chez le sultan fut signalée par un festin vraiment splen- dide et par un bal, auquel assistèrent les familles des marchands hollandais établis à Soumanap. La table, au- tour de laquelle je comptai quatre-vingts convives, était couverte de mets, et resplendissait de l'éclat des cristaux et de l'argenterie. Mon hôte , qui savait un peu d'anglais, me faisait remarquer avec orgueil, parmi le brillant ser- vice étalé sous mes yeux, les riches présents du gouver- nement hollandais, dont il parlait toujours avec ad- miration. Puisse ce pauvre prince ne pas éprouver un jour, comme tant d'autres souverains d'Asie, l'ingrati- tude des Européens, qui ne balanceraient pas, dans l'occasion, à le sacrifier pour augmenter leur puissance ou leurs revenus ! Le eoupd'æilqu'offrit;au moment db, l'immense salle du palais, à laquelle plusieurs rangs de colonnes élancées servaient pour ainsi dire de cloisons, avait Je ne sais quoi de magique. Cette multitude de lumières éclatantes renfermées dans des globes de - cristal, la profusion de meubles précieux d'Europe et de Chine placés sans aucune symétrie, enfin les peintures dans le goût oriental qui ornaient le plafond, formaient un mélange nes du luxe de nos contrées avec le faste asiatique. Les regards pintiints à parcourir sans obstacle les quatre salons, que séparaient seulement des divans appuyés contre les colonnes, entre lesquelles circulait librement la fraicheur agréable du soir. Deux de.ces sa- lons avaient servi au festin et aux préparatifs. de la fête ; on dansait dans le troisième ; le: quatrième devint pour cn: - 4 ui 112 : VOYAGE quelques instants le théâtre de mes premières observa- tions. J'y trouvai occupés à boire, à fumer et à jouer gros jeu la plupart des hommes invités. Vainement je cher- chai sur leurs figures demi-européennes une lueur de gaieté, d'esprit ou d'abandon : sous ces traits bronzés j je ne découvris que la vanité et l'embarras. J'allais fuir un lieu où la société n’était nullement de mon goût, lors- qu'un fort beau tapis, au milieu ‘duquel je reconnus avec étonnement les armes du roi nègre d'Haïti, excita vivement mon attention. Christophe n'avait régné ni vécu assez longtemps pour gene de ce bel ouvrage, que sans doute il comptait léguer 6 au Courènne : à ses successeurs. Ses fils, son trône n'existent plus, etles insignes de cette puissance éphémère sont aujourd'hui foulés aux pieds par les insulaires du grand ee d'Asie. La vue des dames, réunies dans le troisième salon, mit un terme à mes tristes réflexions sur l'instabilité des choses humaines. La plupart des danseuses, toutes créoles sans exception, et plus ou moins brunes, étaient assez jolies : de grands yeux noirs, des dents belles et bien rangées, mais un peu rougies par le bétel, pouvaient faire passer sur le manque absolu de fraîcheur. Une taille bien prise , de petits pieds, une tournure agréable, même en dansant, captivèrent d'abord les danseurs de la Fa- vorite , qui, bientôt ennuyés de l'air roide et maussade de leurs partners, cédèrent la place aux princes madurais enchantés de courtiser les femmes des autres pendant qu’ils tenaient les leurs enfermées dans les harems. En vain je tenterais de retracer le singulier spectacle " +. 0 DE LA FAVORITE. 115 que présentaient le sultan, ses fils et ses principaux officiers dans leur costume malais, étincelant de pier- reries, étendus sur les sofas, au milieu des dames en toilette et en manches à gigot copiées sur les dernières modes de Paris : tandis que la foule des Madurais, plus que légèrement vêtus, armés de crits, et rangés der- rière leurs chefs, composait une galerie de physiono- mies sauvages, sur lesquelles le dédain se mêlait à l'é- - tonnement. ge. Los se représente encore la multitude d'esclaves richement habillés pe Lars des plateaux chinois chargés de defruieétde ents, on aura peut-être une Fées des soênes qui m joéetighèent durant plusieurs heures, mais que toutes les descriptions, même les plus nosmoaré ne ps rendre qu st ment. Le souverain de Sbniséhey it avec autant d’aisance que de dignité, les honneurs de la fête, que termina un splendide souper auquel l'état de ma santé ne me permit pas d'assister. Au point du jour, je retournai à bord de la corvette faire tout diapaéet pour recevoir la visite de mon hôte et pour mettre à la voile le len- demain. _ Le dîner que je donnai sur le pont au sultan et aux premiers personnages de sa suite fut très-amusant; mais par malheur un fort grain vint le terminer plus tôt que Je n'aurais voulu : mon auguste convive, tourmenté, je crois, par le mal de mer, voulut retourner à terre. I était à peine sorti de table, qu'oubliant dans sa précipi- tation le rôle de souverain, il réduisit, en présence de tout l'équipage, son habillement à sa plus simple expres- IT, 8 114 VOYAGE sion, afin de braver la pluie ; et nous pümes juger, en voyant ses membres entièrement nus, qu'il ne devait le céder en vigueur à aucun de ses sujets. Nos adieux furent accompagnés detreize coups de ca- non , dont le bruit flatteur pour l'amour-propre de nos visiteurs madurais dut être entendu de fort loin : aussi nous valurent-ils une pes quantité de provisions que le chef de Soumanap m'envoya quelques heures sis ; et que l'on distribua aux matelots. ke Le jour suivant, 27 mai, à onze heures du aintin, la corvette profitant de la brise de S, E. 5 qui souflle chaque jour vers midi dans cette saison, ‘apparcilla pour Ban- joewangy, établissement hollandais situé À extrémité orientale de Java et sur le détroit de Baly. La relâche de Soumanap est très-bonne pour les bà- timents qui ont besoin d'eau et de rafraîchissements : les bœufs, les volailles et les moutons n'y coûtent pas cher; mais là, de même qu'à Bézuki, il faut obtenir la permission des autorités pour conclure quelque mar- ché avec les indigènes. On dit le séjour de la baie très- malsain pour les étrangers, depuis novembre jusqu’en avril. Je la crois dangereuse toute l'année; car, malgré les plus grands soins, nos malades, au lieu de se rétablir, empirèrent de jour en jour. L'un d'eux, jeune matelot que son activité, son caractère doux et sa bonne con- duite avaient fait aimer des ofliciers ainsi que de ses camarades, succomba à la dyssenterie, qui devait, trois semaines plus tard, répandre le deuil parmi nous. Une brise légère mit la corvette hors de la baie avant le coucher du soleil, et je fis gouverner di- DE LA FAVORITE. 115 rectement pour la côte de Java, dont les hautes mon- tagnes montraient leurs sommets à l'horizon. Nous lais- sämes sur notre -droite plusieurs flots bas, stériles et inhabités, où sont des salines qui donnent un revenu assez considérable au sultan de Soumanap. Les vigies apercevaient du côté opposé, dans le lointain, les ar- chipels qui forment , avec l'île du Sud-Est, les détroits de Gillon et de Respondy, que les bâtiments européens et principalement les hollandais prennent souvent quand ils veulent passer à l'E. de Lombok. Au point du jour, la Favorite doublait à très-petite distance le cap Sandana, qu'on reconnaît de fort loin à un groupe de mornes au milieu duquel se trouve le cratère sans fond et rempli d'eau d’un ancien volcan. Tous les navires qui naviguent dans ces parages vien- nent prendre connaissance de ce point remarquable : aussi est-il le rendez-vous habituel des pirates, auxquels les masses de rochers qui bordent les plages voisines servent de repaire. Malheur au bâtiment mal armé et mal équipé, que le calme retient sous ces côtes élevées ! Bientôt assaïlli par une bande de pros, il tombe entre les mains des forbans : tout son équipage est massacré ou va gémir dans un esclavage mille fois pire que la mort. La terre même n'offre pas un refuge assuré à ceux qui parviennent à s'échapper; car le rivage est désert et garni de bois épais où se tiennent des troupes de tigres qui viennent rôder jusqu'au bord de la mer; et dans l'intérieur on ne voit que des mornes, dont les flancs es- carpés et hérissés de sombres forêts, sont impénétrables à l'homme. Ô. 116 VOYAGE Dans l'après-midi, la corvette, poussée par un vent favorable, doubla rapidement toutes les pointes N. E. de Java, et le détroit de Baly s’ouvrit devant nous. Le marin le plus intrépide ne peut se défendre d'un sentiment d'inquiétude quand son navire donne à pleines voiles au milieu de ces étroits canaux, bordés de côtes sauvages et inhospitalières, habitées par des bêtes féroces, ou par des hommes aussi cruels et bien plus dangereux. Cependant nous étions depuis trop tuiles aux prises avec tous les genres de périls d'une aventu- reuse navigation, pour que le passage d'un détroit fort resserré, et traversé par un impétueux courant, nous empêchât d'admirer les majestueuses scènes qui se suc- cédaient sous nos yeux. La nature en formant de montagnes amoncelées da plupart des îles du grand archipel d'Asie, en les cou- vrant de bois impraticables qui s'étendent jusqu'à la mer, en les livrant, pour ainsi dire, au pouvoir des plus terribles animaux , ne les destinait pas sans doute à notre espèce : ou bien son intention fut que, dans ces contrées, l'homme luttât de ruse et de férocité avec les tigres pour défendre son existence, sans pouvoir espérer les secours d'une civilisation que tout semble repousser autour de Jui. Aussi les îles de cet es sont-elles siétéloitin: très-peu habitées; les naturels, confiés sur quelques points des côtes, ne vivent que de poisson , ou des fruits et des racines qui croissent dans les boïs : si, à force de travaux, ils parviennent à faire quelques misérables DE LA FAVORITE. 117 plantations, des troupes de cerfs ou de sangliers les dé- vastent, les bêtes de proie attaquent ou dérobent les animaux domestiques. Après ce triste tableau de la po- sition de ces insulaires, doit-on être étonné qu'excités par la misère et par la faim, ils tentent audacieusement, sur de chétives embarcations, de capturer les objets dont ils ont besoin et que le sol natal leur refuse, ou que leur grossière industrie ne sait pas imiter! Les peuples de l'Europe n'ont pas commencé autrement ; la civili- sation ne date même chez eux que d'hier, et cependant combien les obstacles qu’elle y a surmontés étaient peu de chose en comparaison de ceux qu'elle rencontre chez les indigènes des îles à l'E. de Java! Les résultats du contact des Européens sont encore bien faibles et même nuls: les forbans ont profié de nos connaissances en navigation et en artillerie, mais nullement des leçons d'humanité et de droit des gens qu'on a voulu leur donner. Ils continuent à piller, parce qu'on leur a fait connaître les jouissances d’un état social perfectionné avant même qu'ils fussent sortis de la bar- barie; ils deviennent de jour en jour plus traîtres et plus méchants, parce que malheureusement la race blanche ne leur à fourni jusqu'ici que des exemples de mauvaise foi et de rapacité. Telle on trouve à peu. fo encore la population de Baly, qui pourtant n’est séparé de Java que par un ca- nal_ à peine large d’une lieue. Une même religion (5), un même langage, justifient l'opinion généralement adop- tée par les voisins des Balinais, que ceux-ci descendent d'une colonie de Javanais forcés par un sultan de Solo, 118 VOYAGE conquérant redouté, d'abandonner leur patrie. Les fugi- tifs s'établirent sur la côte même du détroit et y fondè- rent Baly-Balou , résidence actuelle de l’un des troi ssul- tans qui gouvernent l'île. Ce bourg, situé au fond d’une petite ne rats qu'un petit nombre de hutte k Ë habitants sans aucune industrie, “ din tout le trafic se borne à l'envoi dans les comptoirs européens envi- ronnants et surtout à Sincapour de quelques pros char- gés de coton, de cocos pour faire de l'huile et d’une grande quantité de fruits délicieux quoique venus sans culture et récoltés dans les forêts. Ils échangent ces productions contre des marchandises chinoises, des étoffes communes, de la quincaillerie et d’autres objets d'Europe, avec lesquels les caboteurs de Java leur payent aussi des bœufs que leur haute taille et leur grande vigueur rendent précieux pour les travaux du labou- rage; mais, comme si la nature avait voulu garantir de la voracité de l'homme ces utiles animaux, leur chair a un goût détestable, surtout dans la partie postérieure du corps, où une tache blanche couvre entièrement la croupe et les cuisses. Cette marque est commune aux taureaux et aux vaches, qui la transmettent à leurs petits sans qu’elle éprouve le moindre changement. Pendant la dernière guerre contre les souverains de Solo, le gouvernement de Batavia entretenait un agent à Baly-Balou, dans le seul but d'enrôler des naturels pour ses troupes; mais on y a renoncé quand on a re- connu combien ils étaient stupides, sales et méchants : cependant ils peuvent rendre comme eselaves d'assez DE LA FAVORITE. 119 bons services, car ils sont forts et résistent longtemps à la fatigue; d’un autre côté, ils ne méritent aucune con- fiance, sous le double rapport de la probité et de l'at- tachement. Ces hommes ont des coutumes abominables dont on ne retrouve aucune trace dans les autres iles, où règne aussi pourtani la religion de Bouddha. Les femmes du souverain et des princes sont obligées, après la mort de leur mari, de se brûler vives avec un raffinement de barbarie qui révolte l'imagination. Un de ces auto-da-fé, dont un Hollandais, témoin oculaire, me donna les dé- tails, eut lieu pendant notre séjour à Sourabaya. Vingt- trois Cnaees du dernier sultan, décédé depuis deux ans, nt subi le supplice qu’elles con- sidéraient cominéiunigrend honneur pour leurs familles et pour elles-mêmes; une seule restait: le moment fa- tal arrivé, elle sortit pour la dernière fois de la maison où elle avait vécu enfermée durant son veuvage, et en- tourée de ses parents ainsi que d'un nombreux cortège, elle marcha à pas lents vers le lieu du sacrifice. A l'ou- verture d'une fournaise pratiquée dans la terre et d'où s'échappent des tourbillons de flammes, est placée une planche étroite, sur laquelle, après une courte prière et au bruit d'une infernale musique, monte la malheureuse vêtue de blanc et un poignard à la main; elle se l'en- fonce dans le sein, baise la lame sanglante en l'honneur du défunt, et disparaît dans le gouffre aux acclamations d'une foule d'hommes dont pas un seul n’aurait eulecou- rage d'imiter cet exemple de dévouement. Si la vue d'une mort aussi affreuse étonne Ja fermeté de la pauvre 120 VOYAGE veuve, son plus proche parent, qui l'accompagne, rem- plit jusqu'au dernier moment l'office de bourreau : il poignarde sa sœur, sa fille peut-être, et la précipite dans les flammes. Quelles mœurs! quelle férocité (6) ! . Sur le côté opposé du détroit et vis-à-vis le village où se is - EN d'aussi épouvantables sacrifices, on erçoit le bourg de Banjoewangy, devant lequel un LS Midherais conduisit la corvette et la mouilla peu d'heures après le coucher du soleil. Nous rejoignimes dans cet endroit nos aimables con- naissances de Bézuki, auxquelles se joignirent celles qui m'avaient suivi dans mon voyage à Soumanap. Le seul objet de cette relâche étant de compléter notre eau et de prendre des rafraïchissements pour la longue traver- sée qué nous allions entreprendre, je fixai au 1° juin “époque du départ. J'employai ce court intervalle de temps en excur- sions qui me firent connaître encore mieux l'extrémité orientale de Java, et surtout cette partie nouvellement cultivée et vers laquelle les possesseurs de Batavia pa- raissent tourner dans ce moment leurs efforts et leur activité. Banjoewangy ne se composait, il y a quelques an- nées, que de chétives cases construites auprès d’un fort destiné à protéger les caboteurs contre les attaques des pirates ou des croiseurs européens. Les terrains des environs étaient dans le même état que ceux qui avoi- sinent le cap Sandana, c'est-à-dire couverts de bois servant de retraites à une multitude de tigres regardés comme les plus grands et les plus redoutables de Java. DE LA FAVORITE. 121 De ce côté de la presqu'île, les montagnes se rapprochent beaucoup du rivage : une d'elles vomit des flammes, et même il y a peu de temps que la lave du volcan coula dans la mer à peu de distance du bourg. Ce fut pour- tant sur ce canton que le gouvernement de la colonie jeta les yeux pour établir des plantations de café qui augmentassent ses revenus sans l'entraîner dans de trop fortes dépenses. Les difficultés étaient presque insurmon- tables : il fallait défricher des forêts, ouvrir des com- munications au sein d'une contrée horriblement mal- saine même pour les naturels, que l'appât du gain et un commencement de population purent seuls engager à s'y fixer. Ces immenses et pénibles travaux furent exé- cutés par des indigènes condamnés aux galères pour meurtre ou pour vol. Mais ee moyen sembla d’abord insuffisant ; les ouvriers désertaient dans les bois et ne reparaissaient plus, les maladies causées par le désespoir plus encore que par le climat en diminuaient chaque année le nombre d'une manière effrayante : une sage mesure prise à temps arrêta le mal, et fit prospérer l'établissement. L’assistant-résident, homme de caractère, animé d'un zèle infatigable , et doué de toutes les autres qualités nécessaires pour mener à fin une pareille entreprise, obtint des autorités de Batavia que les condamnés pour- raient amener avec eux leurs familles, et même se marier pendant la durée de leur peine, s'ils tenaient une conduite régulière. Dès ce moment les maladies cessèrent, les désertions devinrent très-rares, et les cultures s’'étendirent rapidement. De jolis hameaux 122 VOYAGE s'élevèrent sur les lieux mêmes des défrichements pour loger les galériens, qui, rendus plus tard à la liberté, restèrent dans le pays avec leurs familles, et allèrent augmenter la population d'un village fondé nouvellement sur un plateau peu éloigné du fort et dominant la mer. Cette p pa ition est bien choisié; on y jouit d'un air moins fé et moins malsain que dans Banjoewangy, en- touré de vases et de terrains inondés; aussi l'assistant- résident s'y tient-il ordinairement dans une charmante maison de bois distribuée et meublée fort commodé- ment. Ce fut là que je goûtai quelques moments de repos que réclamait impérieusement l’état de ma santé. J'acceptai cependant avec plaisir la proposition de mon aimable hôte, d’aller visiter une des principales plantations de café; et le surlendemain de notre arrivée, long-temps avant le jour, afin d'échapper à la dangereuse chaleur du soleil, nous partimes à cheval, lassistant- résident, plusieurs officiers de la Favorite et moi. Nous suivions au milieu d’une obscurité profonde des sentiers à peine frayés, et sillonnés par les torrents ; notre suite, d'abord assez nombreuse, avait diminué peu à peu; et lorsque, dans les endroits où les accidents du terrain res- serraient le passage, les cavaliers silencieux, enveloppés dans leurs manteaux pour éviter l'humidité, étaient for- cés de marcher sur une seule ligne, et que mon cheval plus paisible que fringant restait un peu en arrière des autres, j'éprouvais, je l'avouerai, la crainte qu'un grand tigre royal, sortant tout à coup des broussailles épaisses qui bordaient la route, ne vint se jeter sur moi ou sur ma monture. Toutes les histoires tragiques de pareilles DE LA FAVORITE. 125 rencontres dont nous avions tant de fois écouté les récits depuis un mois (car à Java, pas un voyageur qui n'ait tué au moins un tigre monstrueux), me revenaient dans l'esprit, et ne le rassuraient nullement. Si j'entendais auprès de moi les cris d'un paon saluant les premières lueurs du jour, je me rappelais tout à R que cet oiseau, fort commun dans l’île, se tient de préférence à ce que prétendent les Javanais, dans les bois fré- quentés par ce terrible quadrupède, dont il recherche les excréments avec avidité. Alors, malgré certaines souf- frances assez ordinaires aux mauvais cavaliers, ; je pres- sais mon cheval qui, de son côté, ne se faisait pas prier pour rejoindre la compagnie. Enfin le soleil levant vint dissiper mes inquiétudes et éclairer les scènes pittoresques dont nous étions envi- ronnés. Tantôt nous passions au pied de montagnes qui, d'un côté, bordaïent le chemin comme de hautes mu- railles, tandisque de l'autre des arbres énormes unis entre eux par de grosses lianes, projetaient leurs ombres fantastiques au loin devant nous ; tantôt descendant avec peine une pente rapide, nous franchissions sur un pont étroit et mal assuré le torrent dont le bruit sourd avait guidé la caravane. Les cavités du profond ravin répé- taient avec un son rauque et solennel les pas incer- tains de nos montures. Tout était grandiose autour de nous : des voûtes formées de mille plantes entrelacées et suspendues à de vieux troncs rongés par le temps ; cachaient des troupes de singes qui à notre approche fuyaiént en gambadant; sur les hauteurs de beaux pi- geons javanais, au plumage blanc comme la neige, 124 VOYAGE animaient les cimes des grands arbres; plus loin, des nuées de petits oiseaux nuancés de mille couleurs volti- geaicnt sur les arbrisseaux, et rompaient par leurs cris le silence imposant de ces vastes solitudes, au sein des- quelles l'homme n’a osé pénétrer pour la première fois que depuis peu d'années. Le soleil élevé au-dessus de l'horizon échauflait déjà l'atmosphère quand nous arrivämes au terme de notre voyage, et cependant un triste brouillard enveloppait en- core les cimes des tecks et des aréquiers, dont les troncs eux-mêmes se montraient à peine au-dessus de la végéta- tion vigoureuse qui les pressait de tous côtés. Ces remparts de lianes et de feuillage peuvent plaire à un amateur du romantique qui ne les voit qu'en passant; mais pour l'indigène , aux travaux duquel ils opposent des barrières impénétrables, ce n'est qu'un repaire d'innombrables reptiles et d'insectes horriblement dangereux ou très- incommodes, que l'humidité chaude de la terre fait multiplier à l'infini. Nous en acquimes bientôt l'expé- rience à nos dépens, car des myriades de moustiques nous assaillirent dans la maison de planches où notre bande voyageuse s'arrêta pour déjeuner. . Gette maison servait à l'exploitation des cafeiries que mon obligeant conducteur me fit parcourir. J'écoutais avec intérêt le détail de toutes les peines que coûtaient ces défrichements : quels longs et pénibles eflorts pour déraciner ces colosses que les siècles ont respectés, et pour rendre au jour un sol enseveli sous d'épaisses couches de végétaux! Trente mille pieds de café étaient le résultat d'une persévérance et d’une activité dignes DE LA FAVORITE, 125 d'admiration. Ces arbustes précieux, chargés déjà de fruits rouges semblables à la cerise, formaient, avec les arbres que l'on avait plantés auprès d'eux afin de les préserver du soleil et des mauvais temps, une espèce de parc au milieu même de la forêt, dont l'antique feuillage semblait vouloir étouffer l'ennemi faible en- core qui croissait dans son sein. D’autres plantations plus récentes, sur lesquelles l'as- sistant-résident appela principalement mon attention, étaient tracées avec une élégante symétrie, et promet- taient pour lavenir d'abondantes récoltes. Mais que d'ennemis à combattre, que de soins à prendre pour parvenir à ce but encore éloigné ! Tantôt les sangliers et les cerfs, franchissant les clôtures, viennent briser et dévorer les jeunesplants, dont les singes, que les taillis renferment par milliers, viennent à leur tour dérober les fruits; tantôt les torrents, gonflés tout à coup par les grandes pluies, descendent avec fracas des mon- tagnes, renversent les digues qu'on leur avait opposées, et ne laissent après eux sur les terrains défrichés des monceaux de pierres et de sable. Quand le café est enfin récolté, on l’expose au soleil pendant quelques jours, pour le dépouiller de la pulpe qui l'enveloppe; puis on le transporte à dos de mulet jusqu'à Banjoewangy, où les caboteurs l'embarquent pour Bézuki. É Nous primes dans l Mare à pour revenir au village, la même route que nous avions suivie le matin; mais alors le brouillard était tout à fait dissipé, et je pus à mon aise examiner les lieux, toutefois avec la prudente 126 VOYAGE précaution de ne pas trop m'écarter de la compagnie. Nous vimes un de ces arbres qui fournissent les planches dont on fait, à Java, des tables d’une seule pièce, larges de huit à neuf pieds. Le grain du bois est rouge, très- fin, et susceptible d’un beau poli. J'avais remarqué plusieurs de ces meubles curieux chez les deux sultans de Maduré, sans pouvoir me rendre compte de leurs prodigieuses dimensions; je cessai d'être étonné lorsque j'étudiai la structure de cet arbre singulier. Il n’a que deux ou trois pieds au plus de diamètre, mais il projette de côté et d'autre des racines très-massives, qui saillent de plusieurs pieds au-dessus du sol et sont adhérentes au corps de l'arbre dans toute leur épaisseur, jusqu'a une grande profondeur dans la terre. Il est facile de concevoir que si par hasard deux de ces racines, se trouvant diamé- tralement opposées, joignent leurs largeurs à celle du tronc ; ob en tirera des planches qui, à la première ins- , feraient croire à l'existence d'arbres d’une gros- seur vraiment fabuleuse. Je ne fus pas aussi heureux dans mes recherches relatives au boon-upas ou arbre-poison, qui croît, dit- on, à Java, où cependant, d'après ce que plusieurs personnes bien informées m'ont assuré, il n'existe que dans l'imagination des naturels, superstitieux et pas- sionnés pour le merveilleux; comme tous les hommes ignorants. Suivant eux, l'ombre du “rs détruit toutes les plantes; elle tue presque instantanément les hommes et les animaux; enfin, telle est l'influence de ce perfide DE LA FAVORITE. 127 végétal, que les oiseaux qui, dans leur vol rapide, pas- sent près de son sommet, se débattent dans l'air et tom- bent expirants. Gette opinion fut adoptée aveuglément par les pre- miers Européens qui combattirent les indigènes de Java, dont les armes, prétendirent-ils, trempées dans le suc du boon-upas, faisaient des blessures mortelles. Aujour- d'hui que le merveilleux trouve plus d’incrédules, on se contente de penser que les crits sont très-dangereux dans la main d'un Javanais, mais nullement empoisonnés , et que l'arbre-poison n'existe pas (7). Nous visitâmes plusieurs hameaux occupés par les galériens, dont les cases, rangées sur deux lignes et formant une rue , n'étaient séparées des grands bois ” par quelques champs de légumes. Je demandai si les tigres, dont le canton fsientièer n'attaquaient pas quelquelois les travailleurs; et j ap- pris, non sans étonnement, que les habitants du village vivaient assez paisiblement avec leurs terribles voisins, et même qu'un de ceux-ci, d'une taille énorme, se pro- menait à certaines heures du jour au milieu des cases, sans que sa présence excitât la moindre inquiétude parmi les femines et les enfants. Quand il avait obtenu de ses hôtes quelque chose à manger, il s'en retournait lente- ment dans la forêt donner la chasse aux cerfs et aux san- gliers. Cependant, comme les relations des tigres avec les animaux domestiques ne sont pas tout à fait aussi amicales, et qu'il disparaît fréquemment des chevaux, des bœufs et des chiens, les Javanais font parfois une guerre acharnée aux rôdeurs, qui échappent rarement 128 VOYAGE à la vengeance que leurs méfaits ont excitée. Les chas- seurs en avaient tué plusieurs peu de jours avant notre arrivée; et la vue de leurs monstrueuses dépouilles, dont l’assistant-résident me fit cadeau, n’avait pas faiblement contribué à augmenter mes craintes, durant le voyage aux plantations de café. Lorsque l'épaisseur du bois ou la disposition du ter- rain empêchent les chasseurs de poursuivre leur ennemi, ils ont recours à la ruse. Le tigre, trompé par le feuil- lage dont on a recouvert une fosse profonde, tombe dans le piège, et sa mort devient un sujet de spectacle pour la population des villages d’alentour. Dans une enceinte de vingt pieds de diamètre, en- tourée d'un rang de pieux longs et fort gros, mais assez distants les uns des autres pour que les spectateurs puissent voir l'intérieur de cette espèce de cirque, on enferme un buffle ou un taureau. Le superbe animal fixe de suite ses regards sur l'entrée d’une cage, à travers la- quelle il aperçoit les yeux étincelants du tigre royal, qui gèné dans son étroite prison, pousse des rugissements ef- frayants. Cependant un Javanais, armé seulement de sa lance et d'une torche enflammée, ouvre sans hésitation la porte au captif, puis abandonne le champ de bataille aux deux champions. Le taureau ne témoigne ordinai- rement aucune frayeur et attaque même bravement son rival, qui, semblable à un chat guettant une souris, s'avance en rampant ; les regards inquiets de la bête fé- roce errent sur tous les objets qui l'environnent : le mouvement annelé de sa queue, le tremblement con: vulsif de sa mâchoire, trahissent la peur qu'il éprouve. DE LA FAVORITE. 129 Son antagoniste au contraire le regarde avec assurance et fierté, et lui présente toujours des cornes menaçantes, qu'en vain il cherche à éviter : malgré ses détours et ses bonds, le tigre reçoit des coups mortels; et, après quelques moments d’une lutte désespérée, le taureau furieux foule aux pieds son cadavre sanglant. Dans ces combats, le tigre a tout le désavantage : car l'étroit espace où il se meut l'empêche de déployer l'e- tonnante agilité qui fait la plus grande partie de sa force; tandis que son ennemi, toujours acculé contre la bar- rière, peut défendre facilement la partie de son corps la plus exposée. Du reste, il paraît que le sanguinaire ani- mal redoute, même en liberté, le courage du buffle, et n'assouvit que sur des créatures trop faibles pour lui résister , la soif de sang qui le dévore. » Quoique l'assistant-résident, prévenu de notre arri- vée plusieurs jours d'avance, eût donné des ordres aux chasseurs , ils ne purent attraper un tigre vivant; et je fus privé d'une scène très-curieuse, dont je n'ai tracé la description que d'après des oui-dire. En dédommage- ment, on me fit assister à un combat de chiens et de sangliers, dans le même cirque dont je viens de parler. Leg chiens, qu'on eût dit int par Le sie Ness que | itres contre } d'élanchrent. au-premiersignel. FA fut bientôt nnepélée générale : les hurlements des chiens blessés, les gro- gnements furieux des sangliers déchirés par les dents cérées de leurs ennemis, les acclamations redoublées = dela foule, formaient un tintamarre qui ssl fatigués |“ 1 130 VOYAGE Chaque soir, pour nous amuser, on donnait un com- bat de coqs; car les Javanais montrent pour ce genre de plaisir la même passion effrénée que les indigènes de Luçon : même courage chez les pauvres gladiateurs, même fureur de jeu, même soif de gain chez les impi- toyables assistants sl n'y avait d'autre différence , sinon que la représentaflon était tout à fait libre et ne payait aucun droit au gouvernement. Ces passe-temps avaient peu d’attrait pour moi : aussi me paraissaient-ils beaucoup moins agréables que mes promenades journalières avec l’assistant-résident, dont l'intéressante conversation m'instruisait de l'état de la colonie, de ses ressources, et des projets futurs de l'autorité ; ces nouveaux détails, joints à ceux que j'avais obtenus précédemment, m'ont aidé à tracer de Java le tableau que je suis sur le point de terminer. Les vastes hangars destinés à l'éducation des vers à soie, dont l'espèce était nouvellement introduite dans l'île, attirèrent mon attention, non-seulement par leur distribution intérieure, mais encore par les procédés très-simples que lon y suivait, et qui cependant don- naient des résultats assez favorables pour faire espérer que cette branche de commerce prendra de Fimpor- tance avec le temps. D'un autre côté, les plantations de mûriers, établies sur les pentes des montagnes, à une assez grande élévation pour qu’elles échappassent aux chaleurs excessives, avaient parfaitement réussi, et ga- gnaient chaque année du terrain aux dépens de la forêt. Je remarquai également la construction ingénieuse des cases qui servent au séchement du café, opération DE LA FAVORITE. 151 difficile dans les colonies, et dont le succès exige des soins minutieux. Les toits de ces cases, faits de nattes de paille soigneusement tressées, s’ouvrent par le milieu en deux parties, de manière à mettre les grains en con- tact avec l'air extérieur, quand le ciel est serein, et à les abriter quand la pluie succède an beau temps. Tous ces utiles établissements formaient, avec l'ha- bitation de mon hôte, la majeure partie du village; le reste des maisons servaient à loger les galériens rendus à la liberté, ceux qui étaient occupés sur les lieux, enfin bon nombre d'indigènes qui avaient fui l'air empesté de Banjoewangy. Quoique en partie abandonné, ce bourg n’en porte pas moins l'empreinte de l'ordre et de la symétrie par- ticuliers à toutes les colonies hollandaises. La place, qui en occupe le milieu , est grande, bien nivélée, et tra- versée par une belle avenue de cocotiers conduisant du bord de la mer jusqu'à la demeure de l'assistant- résident, petit édifice de brique orné de colonnes et surmonté d’une terrasse d’où l’on jouit de la vue du dé- troit. (PI. 61.) Les yeux, en tournant sur la gauche, ren- contrent le fort, dont les ouvrages, ceints d'un fossé profond, s’avancent Jusqu'au rivage, que couvrent des vases et des marais, et dont les remparts, gazonnés, sont garnis de dix gros canons. Ce fort renferme des ca- sernes, une poudrière et des magasins de pierre dé taille. Sa garnison, quand je le visitai, ne comptait plus que cinquante soldats indigènes et deux officiers blancs, reste d'une compagnie dont les maladies avaient enlevé la moitié durant la mauvaise saison : des fièvres inter- 9. 132 VOYAGE mittentes pernicieuses du caractère le plus dangereux, la dyssenterie et surtout l’affreux choléra, auquel les Javanais donnent un autre nom, règnent toute l'année sur ce point de la côte de Java, et nous ne tardâmes pas d'en faire la triste expérience. Le soir qui précéda notre départ, le maître calfat, homme sage et d'une forte constitution, frappé du cho- léra, expire en peu d'instants. Quelques autres hommes éprouvent des vertiges, accompagnés d'un violent mal de tête et de vomissements. Le nombre des dyssentéri- ques allait toujours coissant, plusieurs officiers étaient malades, moi-même je luttais contre des indispositions plus ou moins graves, et pourtant il fallait entreprendre une traversée longue et pénible à travers l'Océan aus- tral pendant l'hiver de ces régions orageuses. Ce fut sous ces fâcheux auspices que la Favorite appa- reïlla, le 1°° juin au matin, pour sortir du détroit : les brises contraires et les calmes la forcèrent d'aller alter- nativement des bords de Java, sablonneux et déserts dans cette partie, aux rivages montagneux et sombres que présente Baly de tous côtés. Au coucher du soleil, le pilote, qui redoutait les forbans pour sa petite embarcation et pour lui-même, se hâta de nous quitter. Pendant la nuit, les vents de- vinrent favorables, et j'en profitai pour courir au large ; le jour suivant, dans l'après-midi, les terres ne parais- saient presque plus, et immense mer du Sud se dérou- lait devant nous. | La Favorite laissait derrière elle la longue chaîne d'îles qui s'étend depuis Sumatra jusqu'à Timor. Cette DE LA FAVORITE. 153 chaine sert pour ainsi dire de barrière, contre le grand Océan, aux îles qui entourent la mer de Chine ainsi que celle de Java, et composent le grand archipel d'Asie. Les fortes brises et les mauvais temps sont aussi cons- tants sur le bord méridional des îles de la Sonde que les calmes et les belles mers sur le bord opposé : aussi les passages étroits que forme Baly avec Java et Lombok, et cette dernière avec Sumbawa, sont le rendez-vous d'une multitude de bâtiments qui arrivent de tous les pays du monde. Sur notre gauche, dans le S. E., s’étendait, depuis le 10° degré de latitude S, jusque par le 4o°, la vaste Nou- velle-Hollande , dont les longues côtes portent les noms des navigateurs qui ont concouru à l'exploration de cette cinquième partie du monde. Ces côtes, d'une forme très-irrégulière, se terminent vers le S. au détroit de Bass, qui les sépare de l'ile de Van-Diémen. Ce fut vers cette terre, nouvellement habitée par les Européens, que je dirigeai la Favorite. Nous allions demander à l'établissement anglais d'Hobart-Fown un abri pour notre bâtiment et des secours contre l'affreuse épidémie qui commençait à se montrer parmi nous. Mes inquiétudes sur la santé de l'équipage, en quit- tant Banjoewangy, étaient un peu calmées par l'espoir qu'üne température moins brûlante et les rafraîchisse- ments dont nous avions fait d'amples provisions arrê- teraïent les progrès de la dyssenterie : aussi dès que les vents généraux de S. E., contraires à notre route, et qui règnent depuis l'équateur Le à le 26° degré 154 VOYAGE de latitude, sur toutes les mers de l'hémisphère austral, prirent la corvette en dehors du détroit de Baly, nous forcâmes de voiles jour et nuit, pour arriver prompte- ment aux vents variables, qui devaient pousser la Favo- rite jusqu’à sa nouvelle destination. Tous mes calculs, basés sur les renseignements que donnent les meïlleurs hydrographes, furent dérangés par une de ces anomalies des vents, dont les marins sont victimes sans avoir pu les prévoir. Dans les parages où règnent ordinairement les calmes, nous essuyâmes des bourrasques; et dans les latitudes élevées, où Ton rencontre presque toujours des mauvais temps, nous ne trouvâmes que des brises faibles et irrégulières. Les vents généraux de S. E. se faisaient encore sentir par les 33° de latitude australe, et se fixèrent ensuite à l'E. pour plusieurs jours. Nous avions contre nous, non-seulement des calmes ou des brises contraires, mais encore le courant qui nous entrainait vers l'O., direction opposée à celle qu'il suit ordinairement dans la saison où nous étions. La Favorite, dont la marche supérieure brillait sur- tout dans les petits temps, avançait toujours, mais bien lentement au gré de son équipage et surtout de son commandant, qui voyait avec une anxiété impossible à exprimer, la tendance des vents à revenir toujours au S. E. sé sr Le 26 juin, la corvette se trouvait par 39° 30' de lati- tude S. et 108° 20’ de longitude orientale : les vents soufllaient avec violence de la partie du N. E.; une mer irès-grosse fatiguait la corvette et nous forçait de tenir DE LA FAVORITE. 155 sans cesse les écoutilles fermées. Un ciel pluvieux, une température froide, rendaient insupportable la posi- tion des malades, et activaient d'une manière désolante les progrès de l'épidémie. À peine eut-elle frappé quelques hommes, que le dé- couragement commença à se glisser parmi l'équipage, et étendit sa funeste influence sur les matelots avec d’au- tant plus de facilité, que la plupart, jeunes et sans ex- périence du métier, se laissaient abattre par la moindre indisposition, et renonçaient dès lors à l'espérance de revoir leur patrie. La mort d'un matelot entraînait le plus souvent celle de son ami; celui-ci tombait dans une tristesse noire et dans une véritable stupeur. En vain j'employais auprès de lui tous les moyens de consolation et d'encouragement, le malheureux jeune homme arrivait promptement au dernier degré de nos- talgie, sans aucune apparence d'autre mal, puis suc- combait en peu d'heures aux attaques de la dyssen- terie. - Chaque jour était marqué par une nouvelle perte; et comme le grand nombre de malades ne permettait pas de prendre les précautions usitées ordinairement à bord des bâtiments de guerre dans de pareilles circons- tances , la malheureuse victime expirait presque sous les yeux de ses compagnons, atteints de la même maladie; et le peu d'hommes encore capables de faire le quart pendant la nuit, assistaient, PRE toutes les mesures prescrites pour les er, aux derniers. ss qu'on rendait aux morts. Cette cérémonie s'accomplissait au ep: rh ke nuit, 156 VOYAGE dans la partie la plus obscure du pont, pour éviter qu'un aussi triste spectacle n’achevât de RU des imaginations déjà ébranlées. Le corps, monté ordinairement par deux camarades particuliers du défunt, était porté avec un recueïllement morne et mystérieux. Le fanal qui éclairait le lugubre convoi et dont la lumière incertaine pouvait à peine résister à la brise et percer les ténèbres; les mouve- ments brusques du bâtiment, battu par de grosses lames qui s’entr'ouvraient devant lui avec un bruit rauque et monotone; ces hommes à demi cachés par les mâts et les cordages , et qui, semblables à des ombres, ve- naient dire un éternel adieu à un être avec lequel ils avaient longtemps vécu, et qui peu de jours auparavant partageait encore leurs fatigues et leurs dangers, for- maient une de ces scènes dont le souvenir ne s'efface jamais. Quelles impressions à la fois lugubres et solen- nelles jee éprouve-t-elle pas au moment où le ca- oppé dans une toile blanchâtre, dont l’ex- pate pen ee afin de hâter l'immersion, est présenté à un sabord ouvert avec pré- caution pour éviter le choc de la mer, qui souvent vient avec fureur s'emparer de sa proie! Le bruit qu’elle fait en l'engloutissant dans ses immenses profondeurs, le silence imposant dont il est suivi et pendant lequel le navire s'éloigne avec rapides m'ont pe amp — l'image du néant." Soixante hommes étaient hors ". service; un grand nombre parmi les autres s’affaiblissaient de jour en jour; nôs ressources s'épuisaient; les rafraichissements em- DE LA FAVORITE. 137 barqués à Java étaient entièrement consommés; les médicaments même, déjà beaucoup diminués par une longue campagne, commençaient à manquer : mais dans ces circonstances difficiles, le zèle, le dévouement éclairé du chirurgien-major suppléaient à tout; sa pré- sence, ses consolations soutenaient et encourageaient les malades, = nil pins ni le jour ni la nuit : d'aussi nobles devoi avaient comme doublé lesforces de M. Eydoux, car réttequé lui-même par l'épidémie, et exténué de fatigues et de veilles, aucune considération ne put le décider à prendre du repos, tant que les hommes confiés à ses soins eurent besoin de lui, En signalant ici la dette de reconnaissance que tant de personnes de la Favorite ont contractée envers le chirurgien-major, je me trouve heureux de pouvoir ex- primer tout ce que je dois à sa bienveillante amitié, dont le souvenir ne sortira jamais de mon cœur. D'un autre côté, on redoubla de sévérité dans toute les mesures d'hygiène et de propreté, si multipliées à bord des bâtiments de guerre. Ces inspections journa- lières où chaque homme est soumis à la surveillance sévère d’un officier et du second, me fournirent de fré- quentes occasions de rassurer les âmes faibles. Dans l'entrepont, séché souvent au moyen de brasiers, et en- tretenu, malgré tant d'embarras, dans une netteté par- faite par l’activité infatigable de M. Verdier, les dyssen- tériques, isolés des matelots encore valides, reeurent tous les adoucissements que notre pénible position permettait de leur procurer. Les petits mousses, toujours objets d'une vive sollicitude à bord de nos navires, et 158 VOYAGE pour lesquels surtout je craignais l'épidémie, furent gardés avec soin dans lemplacement, bien éclairé la nuit, où les règlements exigent qu'ils soient renfermés pendant les heures du sommeil. Je ne savais à quoi attribuer la malignité toujours croissante de la maladie, quoique nous eussions depuis plus d'un mois quitté les pays malsains où les premiers symptômes s'étaient manifestés. L'eau de Java renferme, dit-on, des substances qui donnent la dyssenterie aux Européens; mais celle que nous avions embarquée à Banjoewangy déposait depuis longtemps dans des caisses de tôle, où elle avait pris, en outre, une légère teinture d'oxyde de fer que les médecins prétendent être favo- rable à la santé; les hommes, d’ailleurs, ne la buvaient que mêlée avec des liqueurs spiritueuses et du jus de citron. Îl est vraisemblable que la suppression des deux tiers de la ration de vin, auxquels la nécessité m'avait forcé de substituer du rhum, hâtait le développement de la dyssenterie ; mais toutes les espèces de privations, et les maladies qui en dérivent, ne sont-elles pas les conséquences Qgrdinaires des campagnes de cireumnavi- gation ? Quoi qu'il en soit, je dois reconnaître que malgré les épreuves douloureuses que nous avons subies, les chances ont été presque toujours en notre faveur. Le 4 juillet, la corvette se trouvait par 43° 28' de la- titude S. et 133° 57' de longitude orientale : les vents ‘étaient enfin fixés à l'O., forte brise, temps variable, La mer grosse, et nous avancions rapidement vers notre prochaine relâche. L'espoir d'une prompte arrivée était absolument nécessaire pour soutenir le moral de l'équi- DE LA FAVORITE. 159 page; car bien peu de personnes à bord échappaient aux ravages du fléau: aussi les hommes en état de travailler pouvaient-ils à peine suffire à manœuvrer le bâtiment. Le maître canonnier, un second maître d'é- quipage, plusieurs gabiers, tous dans la force de l'âge et d'une vigoureuse constitution, venaient de succom- ber, et leur fin prématurée faisait craindre le même sort à ceux qui leur survivaient. Enfin le 8 juillet, à six heures du matin, le cap S. de Van-Diémen, puis l'ilot de Mew-Stone, situé à deux lieues au large des terres, apparurent devant nous, comme deux ombres au milieu de l'obscurité : la Fa- vorite semblait partager l'impatience de son équipage, et poussée par une forte brise de N., elle glissait sur les grosses lames dont nous entendions déjà le choc contre les rochers du rivage, peus le jour vint montrer à nos yeux. Certes, la nature a imprimé aux Terres Australes un cachet extraordinaire, et ce n’est pas l'imagination des navigateurs qui leur prête cet air brusque et solitaire qu'ils s'accordent tous à leur reconnaître. Ces pointes escarpées et presque toujours voilées par la brume, qui s’avancent au loin dans la mer, ne laissent croître sur leurs sommets que des arbres rabougris et serrés, afin de pouvoir sans doute, en présentant moins de surface, affronter plus facilement les coups de vent et les assauts continuels du redoutable Océan du Sud. De même que les oiseaux de mer destinés Fe errer dans les parages glacés du pôle S., et à lutter contre les mauvais temps, n’offrent pour toute parure qu'un 140 VOYAGE plumage terne et épais, que des formes brèves débar- rassées de tout poids inutile: ainsi les bords de la Nou- velle-Hollande et de Van-Diémen, vers le S. O. et le S., ne présentent rien d'aitrayant aux yeux du voyageur, que fatigue bientôt la vue d'une côte coupée à pic et couverte de bois, dont les cimes, d’un vert triste et uniforme, paraissent avoir été nivelées par les ouragans. Si le fameux navigateur hollandais Abel Tasman dé- couvrit la terre de Diémen, les marins français fu- rent les premiers qui explorèrent les côtes de cette île. L'amiral d'Entrecasteaux joignit, en 1793, ce travail périlleux à mille autres travaux plus brillants encore qu’exécuta l'expédition sous ses ordres, et qui ont di- gnement contribué à placer le nom de notre patrie au premier rang parmi ceux des puissances maritimes. Quelle admirable persévérance présida à la confec- tion des cartes qui me servirent à conduire la copvette au milieu des dangers! Elles portent le nom du grand maître de l’hydrographie moderne, du savant qui a fait faire à cette science des progrès immenses, et que l'on peut ici louer sans craindre d'être démenti ; car dans ce siècle où la navigation liant, pour ainsi dire, entre elles les parties du globe les plus éloignées, sert à civiliser et à peuplerdes mondes nouveaux, M. Beautemps-Beaupré est regardé par les marins Jonten les nations comme Ces terres, que 0 avaient prises de loin pour une seule masse, sont pourtant divisées par le beau canal d'Entrecasteaux, dont les deux extrémités aboutissent à la mer, et qui contient cent mouillages plus DE LA FAVORITE. 141 sûrs les uns que les autres. Mon intention était de suivre cette route comme la plus commode et la plus conve- nable, dans notre malheureuse position, pour nous rendre à Hobart-Town; mais les faibles brises que la corvette trouva sous la côte, quand nous la relevâmes au N., ne nous permirent de faire que très -peu de che- min. Je me décidai donc, sur le soir, à attendre le len- demain devant l'entrée du canal, dans l'espérance que les vents tourneraient à l'O. ou au S. Au point du jour ils n'avaient éprouvé aucun changement ; la brise de N. souflait encore : j'essayai alors de remonter en lou- voyant la vaste baie des Tempètes, au fond de laquelle est située Hobart-Town, sur les bords d’une petite ri- vière Cor niquant par des passages faciles avec le canal PE 80 SR mais repoussé par le vent et une mer très - forte, il me fallut revenir à l'entrée occiden- tale de ce canal, où cette fois nos tentatives furent cou- ronnées d'un succès complet. Au coucher du soleil, après des manœuvres bien fatigantes pour un équipage aussi affaibli, et un pénible louvoyage au milieu de passes hérissées de dangers, parmi lesquels nous dirigeait M. Paris, placé alors en vigie au sommet du mât de misaine, la Favorite jeta l'ancre dans une belle anse abritée de tous les vents. Pendant la nuit et le jour suivants, le temps fut extrêmement mauvais. Combien nous nous trouvions heureux en entendant, du fond de notre asile, le bruit lointain des lames déferlant avec fureur sur la côte du large de l'île Bruni, qui borde au S. le canal d'Entre- casteaux! Le calme le plus profond régnait autour de 142 VOYAGE nous ; de difindes côtés des baies spacieuses et solitaires entrecoupaient les rivages de Van-Diémen, sur lesquels je ne remarquais encore aucune trace d'habitants. L'île Bruni complétait le tableau sévère que nous avions sous les yeux : le sol en était inégal, blanchâtre et dépouïillé par les vents. C'est là, sur cette île sauvage, à cinq ni lieues de la France, que furent livrés à un repos éternel les corps de deux de nos compagnons à qui la mort re- fusa le bonheur de toucher, avant de rendre le dernier soupir, la terre hospitalière où nous allions aborder (9). Enfin la brise d'O., tant désirée, se déclara le 1 1 Den au matin : je fis mettre de suite sous voiles et ; verner pour franchir toute la longueur du canal. A4 “extrémité, vers le N. E., il devient de plus en plus étroit; les bancs ne laissent qu'un passage Le TO mais situé l'établissement anglais. Tous les qui avaient pu se traîner sur le pont “contemplaïent avidement ces maisons, ces vergers, ces troupeaux répandus sur le rivage : ils croyaient revoir leur patrie; l'espérance renaissait dans leur âme.... À combien d’entre eux le : d'un seul jour aurait donné la mort! ... Le pilote, qui nous accosta à l'endroit où la baie des Tempêtes se joint au canal et reçoit la rivière de Derwent, dissipa toutes nos incertitudes; il conduisit DE LA FAVORITE. 145 avant la nuit la corvette au mouillage devant Hobart- Town, dont les principaux habitants, montés sur des bateaux de plaisance ornés de pavillons et de flammes aux trois couleurs, accoururent en foule nous féliciter sur notre heureuse arrivée : une pareille réception an- nonçait des alliés et des amis. En effet, dès le lendemain matin, tous nos malades furent transportés à l'hôpital de la colonie, où ils trouvèrent des soins etune généreuse bienveillance dignes de la grande nation à laquelle nous venions demander l'hospitalité. _ VOYAGE. Li tous du auf des CHAPITRE XVIIL de # CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LE SYSTÈME DE COLONISATION LIBRE OU PÉNITENTIAIRE SUIVI PAR LES ANGLAIS, ET SUR SON APPLICATION AUX BESOINS DE LA FRANCE. — DESCRIPTION DES ÉTABLISSEMENTS BRITAN- NIQUES SUR LA TERRE DE DIÉMEN. — DÉPART D'HOBART-TOWN. — ARRIVÉE À SIDNEY, CHEF-LIEU DE LA NOUVELLE-GALLES DU SUD. La Favorite avait laissé loin derrière elle l'Asie et son grand archipel, avec leurs peuples esclaves ou sau- Le 7 ainsi que tous les comptoirs, nds 4 pin Après avoir visité les rcbqux de la ne cet Indostan si vanié déjà du temps des sages de la Grèce; cette Chine connue plus tard, mais non moins ancienne peut-être, nous venions d'aborder sur une terre décou- verte à peine d'hier , et que déjà pourtant les Européens envahissent de tous les côtés, chassant devant eux une race d hommes féroces et À sapt dont proba- | tot aura livré aux blancs, tôt qi ne lés Hübitent. Ces pays sont destinés sans Pdbute à subir le sort de l'Amérique du DE LA FAVORITE. 145 Nord, et à présenter un nouvel exemple de ce que peuvent l'esprit entreprenant et l'industrie des Euro- péens. En effet, c'est à la terre de Diémen et sur les bords de la Nouvelle-Hollande que les fondateurs de New-York et de Philadelphie ont résolu pour la seconde fois un problème qui occupe beaucoup les modernes, et dont les anciens, à ce qu'il paraît, avaient trouvé la solution avant eux. Je veux parie des colonies formées à l'aide de l'émigration. Depuis la persécution soil contre les puritains, en 1637, époque à laquelle les établissements de la Grande- Bretagne dans l'Amérique septentrionale sortirent de l'enfance où ils avaient langui jusque-là, les philan- thropes et les hommes d'état ont principalement dirigé leurs recherches vers les moyens à employer pour faire écouler au dehors le superflu de la population euro- péenne, et pour assurer une existence à ces hommes que la misère, suite de leur position sociale et plus encore de leur mauvaise conduite, oblige à quitter leur patrie. Les ; guerres, les révolutions, les tentatives même faites en pleine paix par des puissances du premier ordre, ont trompé bien des espérances, renversé bien des systèmes qui étaient basés sur la colonisation libre. La question cependant ne paraît pas vidée, puisqu'elle donne encore lieu à des débats fort animés, et qui dans les circonstances actuelles intéressent surtout la E rance. Cette dernière raison a pu seule m’enhe | et rues voyageurs instruits ont a If, 29 146 VOYAGE grande supériorité de talent: mais cest ici plus que jamais le cas de rappeler aux lecteurs combien est étroit le cadre de cet ouvrage, et de les prévenir qu’en cher- chant à éclaircir par quelques considérations générales une question aussi controversée , je ne veux nullement attaquer la manière de voir des personnes qui lenvi- sagent autrement que moi. De toutes les nations qui attachent de l'importance à la question dont il s’agit, les deux plus puissantes, la France et l'Angleterre, marchent rivales l'une de l'autre à la tête de la civilisation ; à peine une des deux a-t-elle réussi dans quelque entreprise favorable à ses intérêts, que l'autre s'empresse de la copier. Mais comme mal- heureusement dans la lutte dont en ce moment la colo- nisation est le sujet, la France se présente la dernière, il arrive qu'en voulant suivre aveuglément l'exemple de la Grande- Bretagne , lle s'expose à dépenser sans fruit des trésors qui pour On ne s’en é bien ces deux nations port des mœurs et ‘8e institutions : chez l'une, tout favorise la colonisation; chez l'autre au contraire tout s'y oppose. Je ne parlerai pas de cette marine mar- chande qui lie, pour ainsi dire, l'Angleterre aux régions les plus reculées du globe, et donne à ses habitants le goût et l'habitude da la mer : nous avons possédé au- trefois ce même élément de prospérité, et nous le recouvrerons certainement un jour. Je ne donnerai pas non plus la longue liste des points militaires et com- merciaux sur lesquels flotte, en Amérique, en Afrique DE LA FAVORITE. 147 et en Asie, le pavillon britannique : une guerre mari- time hgypeuse, ou un événement inattendu dans ce siècle sifécond en révolutions, peuvent les détruire ou les faire tomber en notre pouvoir. Mais ce que la Grande-Bretagne a de plus que la France, et dont celle-ci ne doit pas être envieuse, c'est une population trop considérable pour sa surface, et dont la majeure partie, n'ayant en propre aucune parcelle du territoire , qu'un petit nombre de lords considèrent comme leur patrimoine, attend du travail de chaque jour sa subsis- tance du lendemain. Ce qu’elle a de plus que la France, c'est une aristocratie puissante qui, pour se perpétuer, concentre tous les biens dans les mains des aînés, et ne laisse à choisir aux autres enfants qu'entre la mé- diocrité où l'émigration. Et ce sont justement ceux-ci qui, avec les hommes auxquels de mauvaises affaires ou de nouveaux besoins ne permettent plus de vivre convenablement, composent en Angleterre la classe des émigrants, dont les uns avec les ressources obtenues de leurs parents, et les autres avec les débris de leur fortune , se transplantent partout où ils espèrent trouver des chances heureuses. Les premiers s'y accoutuméñt, aussi facilement que les seconds, à leur situation nou- velle : le commerce, l'agriculture, ne leur paraissent pas des carrières indignes d'eux gpous arriver à l'opu- lence, et en s'y livrant ils ne croient nullement dé- roger aux noms qu'ils portent et qui figurent souvent parmi les plus illustres de la Grande-Bretagne. Or, si lés membres de cette aristocratie pour laquelle tous les honneurs, tous les emplois semblent réservés, re- 10. 148 VOYAGE noncent au sol natal si facilement, combien plus aisé- ment doivent y renoncer les hommes du peuple qui, dans ce prétendu berceau de la liberté européenne, sont condamnés encore de nos jours à une dépendance, ou pour mieux dire à un ilotisme perpétuel! Aussi l'abandonnent-ils avec empressement dès qu'ils trouvent l'occasion de passer dans les pays lointains, où; comme l'a prouvé la révolte de l'Amérique du Nord, ils ne conservent pas toujours une bien vive affection pour la mère patrie. Mais ce qui contribua le plus à faire affluer les An- glais dans ce dernier pays, ce furent les troubles re- ligieux qui précédèrent la chute de Charles [*, et leur imposèrent l'obligation d'aller demander au nou- veau monde la liberté de conscience que l’Europe leur refusait. L’Angleterre, à la vérité, dut à ces troubles mêmes un commerce plus florissant. Elle vit bientôt doubler le nomse. de ses manufactures, et son ter- ritoire se COuvrIT € nts qui le cultivèrent avec un art ignoré même : aujourd'hui dans nos campagnes; mais cette prospérité renfermait un germe de destruc- tion qui devait se développer avec elle, et compri- mer un jour son essor après l'avoir favorisé : laug- mentation rapide de la population, changement qui en amène toujours une foule d'autres. Pas un champ ne resta en friche dans les trois royaumes; les ports se remplirent de bâtiments ; enfin, la Grande-Bretagne put être dès lors comparée à une ruche pour l'activité et la multitude de ses habitants. Mais bientôt cette ruche ne fut plus capable de contenir ses nombreux essaims, DE LA FAVORITE. 149 dont une partie se vit forcée d'aller au loin chercher un autre asile; dès cette époque, les marchands et les ma- rins anglais se répandirent dans les quatre parties du globe, et préparèrent ainsi les voies à leurs compa- triotes, dont les colonies occupèrent successivement l'Amérique du Nord et la plupart des Antilles. Si l'Angleterre avait pu continuer de se défaire aussi aisément du superflu de sa population, elle y aurait trouvé le double avantage d'étendre son pouvoir au dehors et d'assurer sa tranquillité au dedans. Mais comme la haute et la moyenne classe de la société four- nirent seules à l'émigration, les classes inférieures se trouvant trop pauvres pour payer les frais du passage aux colonies, le nombre de ces dernières excéda bien- tôt les besoins de l'agriculture, et devint un lourd fardeau pour la communauté, à laquelle fut imposée cette taxe des pauvres qui depuis a toujours été en croissant. De là naquit le paupérisme, cette plaie de la Grande-Bretagne, qui ne sait plus comment pour- voir à la subsistance des indigents dont elle est encom- brée, et surtout de cette multitude d'individus sans pain et sans abri, qui, rassemblée sur le littoral de la malheureuse Irlande, menace pour ainsi dire ses oppresseurs de sa pauvreté, et peut être comparée , Pour son agglomération et sa marche envahissante, à ces insectes dont les nuées viennent parfois, dans certaines contrées, effrayer les cultivateurs. De là pro- vient encore le malaise général qu'éprouve l'Angleterre en ce moment, et dont il est d'autant plus difficile de calculer les suites que jusqu'ici les diverses mesures 150 VOYAGE prises pour y remédier n’ont produit aucun bon effet. La déportation de ces infortunés a été regardée comme impossible ; toutes les finances de l'Angleterre suffi- raient à peine pour en transporter seulement une partie sur les rivages américains les plus proches de l'Europe, et ceux qui resteraient ne tarderaient pas à multiplier en raison du soulagement qu’ils obtiendraient par le départ des autres. En outre, la diminution lente mais positive qu'a éprouvée le commerce britannique depuis 1814, et surtout l'emploi des mécaniques et des ma- chines mues par la vapeur, ont rendu et rendent encore inutile une grande quantité d'ouvriers qui, réduits au plus absolu dénûment, se portent parfois, comme on l'a vu en 1825, aux derniers excès, troublent la paix publique, et constituent, entre les mains des rmbiient un instrument permanent d'anarchie. J'ai cherché à tracer en peu de mots la marche qu'a suivie la Grande-Bretagne pour devenir nation co- lorésante, afin d'établir un à parallèle entre elle et la France; et quand j'aurai fait voir l’insuflisance des res- sources de celle-ci, peut-être doutera-t-on comme moi qu’elle doive aspirer à des succès si chèrement achetés. En France, comme en Angleterre, les principales causes de l’émigration furent les institutions féodales et les troubles religieux. Les cadets des maisons nobles, pourvus de concessions qu'ils tenaient de la cour, al- lèrent en foule dans le nouveau monde et aux Antilles, où ils n’eurent pas de peine à remplacer l'héritage laissé aux mains de leurs aînés. Ils y avaient été déjà devancés par des Français d'une autre caste, je veux dire par des DE LA FAVORITE. 151 membres de ce tiers état que foulaient alors une aristo- cratie orgueilleuse et un clergé puissant , et qui persé- cutés, les uns pour leurs opinions républicaines, les autres pour leurs croyances religieuses, s'étaient réfugiés dans l'Amérique septentrionale. À ces premiers émi- grants se Joignirent plus tard beaucoup de protestants que la révocation de l'édit de Nantes chassa de leurs loyers, et ce fut ainsi que la France peupla, pour ainsi dire sans le vouloir, la Louisiane et le Canada. Mais si on ouvre nos annales, on voit qu'à mesure que l'ordre et la tolérance s'établirent dans le royaume; que les classes moyennes virent leur bien-être s'accroître avec leur li- berté, et que les dernières elles-mêmes se policèrent, on voit, dis-je, que l'amour des pénates, si naturel au Français, se fortifia de plus en plus et fit avorter tous les projets de colonisation. Les deux Indes reçurent bien encore, après cette époque, un certain nombre de nos compatriotes attirés par le bruit de leurs tré- sors; mais ces exilés revenaient tôt ou tard en Europe, pour y jouir du fruit de leurs travaux. Notre grande ré- volution qui, en abolissant les priviléges et en divisant les propriétés , égalisa les droits entre tous les citoyens; trente années de guerres continuelles où s’engloutit comme dans un gouffre la partie la plus active de la nation ; et plus que tout cela, la ruine de nos marines militaire et marchande, ont fini par éteindre chez les Français tout penchant à l'expatriation (10). En eflet, pour que des hommes renoncent aux lieux qui les ont vus naître, il faut que l'injustice ou le déses- poir aient effacé de leur âme cet amour de la patrie 152 VOYAGE auquel le sauvage même se montre sensible, ou que le champ paternel ne puisse plus suflire à les nourrir. Considérons, sous ces deux points de vue, l’état actuel de notre belle France. Dans quel pays fut-il jamais offert une aussi large carrière à l'industrie ? quelles barrières y empêchent l'homme doué de talents ou seulement d'un esprit sage, d'arriver à l’aisance et à la considéra- tion? Notre population, malgré son prodigieux accrois- sement depuis 1814, ne suffit pourtant pas pour la culture du sol, dont un tiers reste encore en friche, et ne demandé que des laboureurs pour devenir pro- ductif. Combien d’autres travaux utiles négligés! com- bien d'entreprises arrêtées ou suspendues, faute de bras pour les exécuter! C'est donc une erreur de prétendre que l'état social de la France pousse nécessairement à l'émigration. Mais on objecte que la capitale et les ghisilée. cités regorgent de gens habitués à l’oisiveté et à la licence ; et l'inquiétude qu'ils inspirent a fait naître le besoin de s'en débarrasser. De là sont nés plusieurs systèmes, proposés par des écrivains sans doute bien intentionnés, mais qui ont ignoré, ou traité trop légèrement, les dif- ficultés que rencontrera, suivant toute apparence, le gouvernement, s'il veut créer des colonies. L’Angle- terre, il est vrai, a recours à l'expatriation pour sortir de la crise où la jette l'accumulation des hommes au sein de ses villes, crise qu'éprouve également la France. Mais n'oublions pas que les Anglais sont restés station- maires dans leurs institutions depuis lexpulsion des Stuarts, tandis que nous, depuis un demi-siècle, nous DE LA FAVORITE. 155 avons renversé les nôtres de fond en comble : diffé- rence essentielle, à laquelle il faut rapporter les causes différentes de la fermentation qui agite les deux pays, et qu'il ne faut pas perdre de vue dans la recherche des remèdes propres à calmer cette fermentation. En An- gleterre les nobles sont maîtres de presque toutes les propriétés foncières, et tiennent leurs concitoyens cam- pés pour ainsi dire sur le sol, qui d'ailleurs ne peut tous les nourrir ; et comme les manufactures occupent un nombre infini d'ouvriers, les moindres variations dans le commerce plongent ces derniers dans la plus profonde misère. En France, au contraire, non-seule- ment l'aristocratie a perdu la majeure partie de ses biens, qui se trouvent aujourd'hui partagés entre des milliers de petits propriétaires, et dont les produits peuvent subvenir à une consommation beaucoup plus considérable, mais encore les manufactures n’em- ploient qu'une quantité de bras assez bornée. Le mal a donc chez nous une autre cause, qu'il faut, je crois, chercher dans les premiers effets de la diffu- sion des lumières (11). En effet, tant que la France fut un vaste camp d’où sortirent les armées qui con- quirent les trois quarts de l'Europe, la jeunesse des campagnes, exaltée par une éducation libérale qui lui faisait dédaigner l'état de ses pères, trouva dans les rangs de nos soldats ou la mort ou une noble récompense de son courage et de ses travaux. Mais la paix renvoya dans ses foyers cette race peu capable d’occupations paisibles, et à laquelle vinrent se joindre successive- ment de nouvelles générations: alors la France se vit 154 VOYAGE dans la même situation que sa voisine à la restauration de Charles IE, qui. du moins, éclairé par les infortunes de son père, protégea de tout son pouvoir le départ des mécontents pour l'Amérique du Nord. Louis XVIII ne sentit pas aussi bien les dangers de sa position, ou ne sut pas profiter de l'espèce de fièvre d'émigration qui sempara de ses nouveaux sujets, ét qui n'étant ni dirigée ni secondée par l'autorité, resta abandonnée à la cupidité et à la mauvaise foi, et n'eut d'autre résul- tat que la ruine d'une foule de familles trop con- fiantes, dont les malheurs refroidirent l'ardeur de ceux qui étaient disposés à les suivre. Qu'arriva-t-il ? La ca- pitale et les provinces s’encombrèrent de jeunes gens qui fuyaient humble toit de leurs parents pour courir après la fortune. Beaucoup d’entre eux sans doute réus- sirent, et figurent aujourd'hui avec honneur dans le barreau, dans les sciences, et même parmi nos pre- miers hommes d'état; mais le chemin était trop étroit et trop difficile pour tant de concurrents, dont la plu- part déçus dans leurs espérances, et poursuivis par le besoin, portèrent le désordre au sein de la société. Si, à cette classe, on en joint une autre bien plus remuante, bien plus désespérée, et composée de mau- vais sujets que la débauche ou l'inconduite ont mis dans la détresse, et qui ne peuvent même pas don- ner pour excuse cette passion des beaux-arts qui fait tant de victimes parmi les jeunes gens et produit si peu d'hommes de génie; si lon joint ensemble, dis-je, ces deux classes également disposées à braver les lois pro- tectrices de l'ordre, on aura sous les yeux les prétendus DE LA FAVORITE. 155 colons avec lesquels nos économistes philanthropes voulurent, en 1816, peupler les bords africains (12), et prétendent encore recommencer l'épreuve sur ceux de la Nouvelle-Hollande. Un tel projet, si l'on pouvait l'exécuter, offrirait, jen conviens, d'immenses avantages ; mais , je le demande, est-ce avec les matériaux qu'il mettrait en œuvre que l'on pourrait fonder des établissements agricoles? et quand même ces mécontents de toute condition, à qui nos troubles politiques semblent avoir ouvert un avenir, et qu'un gouvernement appuyé par d'innombrables gardes nationales et par une armée formidable ne peut contenir qu'avec peine, consentiraient à se dépayser, ce qui est plus que douteux, quel parti en tirerait-on dans les contrées éloignées ? quelles autorités assez fortes, assez fermes pour les gouverner ? Tournons les yeux vers nos petites colonies : nous les verrons sans cesse agitées , et amenées mème aujourd hui sur le penchant de leur ruine, par quelques-uns de ces aventuriers dont on prétend faire de paisibles colons. Mais, répondront les partisans de la colonisation , il existe d’autres catégories où l'on pourra prendre des émigrants. Sera-ce, comme en Angleterre, dans celles des petits propriétaires, des commerçants et des ouvriers? Pour qui connaît la France, cette idée ne me parait pas même admissible : car parmi les premiers, si tranquilles et si heureux maintenant, il en est peu qui ne préférassent la médiocrité dans leur patrie à l'opulence chez l'étranger. Quant aux seconds , ils se- vont retenus par un autre genre de répugnance ; et les 156 VOYAGE voyageurs qui ont vu quels marchands représentent généralement notre commerce au delà des mers, affir- meront sans doute avec moi qu'il y a bien peu de né- gociants recommandables qui voulussent aller se con- fondre avec eux. Pour ce qui est des ouvriers, je ne sache point de pays où ils soient mieux rétribués, mieux traités qu'en France; aussi les Anglais n'ont-ils pu, avec toutes leurs promesses, en déterminer qu'un bien petit nombre à abandonner pour un court espace de temps cette heureuse contrée où ils jouissent de la plus grande liberté et vivent dans l'aisance quand ils se conduisent sagement. I ne reste donc à exploiter que les paysans, classe la plus intéressante aux yeux de l'économiste et du lé- gislateur. Or, nous avons déjà vu que dans plusieurs de nos provinces, les bras manquent, je ne dirai pas pour cultiver les terres comme on les cultive de f'autre côté du détroit, mais PR MREES pour les mettre en va- leur: ä serait don. litique d'affaiblir dans ce moment cette partie si précieuse de la en Mais Ipposons lis que les autres, se laissent séâriire par l'espérance de trouver dans un autre hémisphère une existence moins précaire ou des terrains dont la propriété assurerait l'avenir de leurs enfants : qui payera pour ces pauvres gens les frais de voyage et d'installation ? Il faudra que ces frais soient supportés par le gouvernement ou par des compagnies, alternative qui présente de grands inconvénients et pro- met fort peu d'avantages ; car si l'état consent à se char- ger d'un semblable fardeau (dans l'intention probable- DE LA FAVORITE. 157 ment de doter les nouvelles colonies d'hommes pai- sibles et laborieux), ses dépenses deviendront énormes ; la demande et l'emploi des sommes né ‘essaires à une pa- reille entreprise l'exposeront, de la part des bou: à une foule d’exigences et à des attaques sans fin, qui pa- ralyseront tous ses efforts ; enfin, d'incessants sacrifices lui seront imposés en faveur de ces intrigants toujours pes à porte eux pornos industrie partout où ils ce t. Ainsi jeté forcément hors dei la route pe” s ‘était primitivement tracée, il verra bientôt ses projets échouer les uns après les autres ; il verra les dépositaires de son autorité dans ses posses- sions d'outre-mer calomniés et dégoûtés de leurs fonc- tions par les malveillants, qui sèmeront la discorde parmi les colons, et empêcheront ainsi tout progrès vers le bien. . Une compagnie, dirat-on, aura peut-être plus de bonheur ou d'habileté. Mais est-il nécessaire, après tant d'exemples des chances malheureuses qui accom- pagnent toujours les opérations des compagnies, de dé- montrer ici tout le danger qu'il y aurait à leur confier encore le pouvoir de peupler les pays que la France voudra occuper ? Si nous remontons vers le passé, nous les voyons toutes succomber en peu de temps sous le poids des abus inhérents à leur existence. L'intérêt gé- néral, composé de mille intérêts particuliers opposés entre eux, est bientôt sacrifié; les émigrants, séduits par des promesses au moins exagérées, sont désappoin- tés quand ils arrivent au lieu de leur destination, et cèdent aisément aux suggestions intéressées des agita- 158 VOYAGE teurs. D'un autre côté, les affaires de la compagnie , confiées la plupart du temps à des gérants dont la fermeté ou la loyauté ne résistent pas toujours aux événements, sont d'abord compromises , puis aban- données sans qu'elles aient produit autre chose, après des dépenses excessives, que des procès interminables entre les actionnaires et le petit nombre de dupes qui ont pu regagner leur patrie. Telle a été de tout temps la fin des compagnies en France, même à des époques où elles étaient protégées par des souverains absolus , qui prodiguaient les trésors de l’état. Quels fruits pourrait- on en attendre à présent qu’elles seraient livrées à leurs propres forces; qu'elles seraient obligées de lutter contre la concurrence, la jalousie du commerce, et contre les tracasseries continuelles que leur susciteront certainement les prétendus colons recrutés dans la capi- tale, quand ils ne trouveront, au réveil de leurs songes biiautes Eee nes évitables pour des bé- hommes, dont le gouver- nement a tant de peine à réprimer en Europe l'esprit turbulent et audacieux, pourront-ils être contenus sur des bords lointains par des agents qui n'auront sur eux qu’un pouvoir de convention et souvent méconnu ? Enfin; les compagnies verront pie pes fois leurs ad- les discuter devant les that débit: où elles au- raient tort, suivant toute apparence, de compter sur l'appui des fonctionnaires publics , avec qui leurs em- ployés supérieurs, certains d’être appuyés à Paris, au- ront voulu rivaliser d'influence et de pouvoir. DE LA FAVORITE. 159 Quelle voie reste-t-il done à la France ? Une seule, à mon avis. Que le gouvernement place dans les colonies qu'il voudra organiser des magistrats intègres, justes, modérés, capables de tenir une balance exacte entre les divers intérêts qui s'agiteront sous leurs yeux, et dont tous les émigrants obtiendront une égale protec- tion et une liberté entière (13) : alors on pourra laisser au temps, souvent plus sage que nos prévisions et nos Calculs, le soin de débrouiller cette espèce de chaos, auquel succédera, comme il est arrivé à Saint-Domingue, dans plusieurs des Antilles et même dans quelques par- ties de l'ancien continent, un état de choses plus pro- fitable pour la France qu'elle n'aurait osé l'espérer ; parce qu'heureusement ïl existe dans le monde un principe d'ordre général qui semble toujours disposé à réparer nos fautes et nos erreurs. Mais, je le répète, les temps sont changés ; et si la France veut essayer de faire encore ce qu’elle à fait ja- dis à la Louisiane et au Canada, il faut qu'elle renonce à ses belles institutions, conquises au prix de tant de sang ; 1l faut qu'elle ressuscite l'aristocratie avec tous ses privilèges; il faut enfin qu’elle remette entre les mains des ainés tout le territoire divisé maintenant entre une infinité de propriétaires qui élèvent de nombreuses familles et composent la véritable force de l'état. Mais si elle sait apprécier le bonheur dont elle jouit, celui d'être le pays le plus libre, le plus puissant de l'üni- vers, et quelle ne veuille pas le perdre, elle doit at- tendre que les lumières aient pénétré jusque dans ses plus petits hameaux ; que le fils du paysan ou de l'ouvrier 160 VOYAGE ne croie plus devoir, parce qu'il sait lire et écrire, aban- donner, comme indignes de lui, la charrue etles travaux honorables de son père. Cette époque est peut-être plus prochaine qu’on ne pense ; nous sommes au plus fort de la crise, et déja cependant commence une espèce de réaction des villes sur les campagnes. Espérons donc que bientôt ces dernières garderont les jeunes gens qu'elles envoient se perdre dans les cités, et que, les terres se couvriront de laboureurs éclairés qui donneront, comme on le voit en Angleterre et en Allemagne, un nouvel essor à l'agriculture (14). Si cette prospérité toujours croissante a les mêmes suites que dans la Grande-Bretagne, c’est-à-dire une plus prompte propa- gation de l'espèce, alors la France pourra faire des es- sais de colonisation, non avec le rebut de la société, mais avec des hommes estimables, possédant quelques pr et excités par l'espoir d'améliorer le sort de leurs e s. Alors aussi, probablement, les commu- ni Étions: par mer seront devenues plus faciles; et cet excédant de population qui donne aujourd'hui de si vives inquiétudes, s'écoulera facilement dans les vastes déserts de l'Amérique ou de l'Australie. Mais à cette époque même, plus encore peut-être ar présent, les colonies exigeront de leurs métropoles des sacrifices sans dédommagement; car tant qu'elles seront dans l'enfance, elles coûteront des sommes iné dm elles réclameront ou pren- dront leur liberté.… Cependant l'Afbletèrre, il faut l'avouer, a retiré des siennes un avantage qui, tout contesté qu'il est, n’en DE LA FAVORITE. 161 excite pas moins notre envie ; je veux paris de la dé- portation des criminels. Cette mesure, dont s'occupent depuis pipe les meilleurs esprits de l'Europe, n’a été nulle part plus discutée qu’en France, où elle a donné naissance à je ne sais combien de projets s’accordant tous à partir d’un même principe, l'utilité qui résulterait pour le pays de la suppression des bagnes, mais différant les uns des au- tres sur les moyens d'exécution. Et comme l’Angleterre est jusqu'à présent la seule nation qui ait essayé de soumettre cette question à l'expérience, c’est encore elle que tous les auteurs de projets ont prise pour mo- dèle, sans songer que le problème des colonies pénales, aussi bien que celui des colonies libres, soluble peut-être pour les Anglais, ne l'est Fe désormais pour la France nouvelle. # Ce n'est pas sans crainte que j'aborde à mon tour une si importante question, surtout dans un moment où elle est si vivement débattue : aussi en apportant ici le faible tribut de mes observations, je n'ai nullement l'espoir de la résoudre, mais seulement nn et à ce dernier titre je compte sur l'indulgenc > des sonnes dont je ne partage pas la manière de voir. La même cause qui avait forcé l'Angleterre à à fonder des colonies d'hommes libres , je veux dire la surcharge de population, lui imposa bientôt également leBigipe de se débarrasser de ses criminels. L'Amérique lui en donna la facilité, et lui servit en quelque sorte d'exutoire. Mais lorsque , à la fin du dernier siècle , les États-Unis eurent déclaré leur indépendance, cet exu- IT. il 162 VOYAGE toire lui manqua , et ses prisons ne suffisant plus pour en tenir lieu, les établissements pénitentiaires furent pro- posés. Mais dans quelles circonstances se trouvait alors la Grande-Bretagne ? Elle venait de terminer contre la France une guerre qui lui assurait l'empire des mers: ses flottes marchandes couvraient les deux Océans, et chaque année voyait augmenter son commerce , sa puissance et ses richesses ; un continent à peine décou- ; vert, situé au milieu de Fhémisphère austral, et dont aucune nation ne réclamait alors la possession, lui of- frait un excellent lieu d’exil où ses convicts, séparés à jamais de l'Europe par des mers immenses, pouvaient espérer de une nouvelle existence, exempte de réprobation. Ainsi donc l'Angleterre avait à sa dis- position tout ce qui semblait devoir assurer laccom- plissement de ses vues. Examinons bre a été l'issue de ses tentatives. Le système de la déportation dits pour être sel remplir, ce semble, deux conditions : l'une, d'assurer au pays qui veut se débarrasser de ses criminels, une compensation sufhisante des dépenses incalculables qu'il occasionne; lautre, d'opérer la conversion de ces mêmes criminels. [1 paraît que, sous ces deux points de vue ; le gouvernement britannique a me dans ses s. it, En A si comme tout porte à ist _cette nation, en formant des établissements en Australie, comptait s'être assuré pour longtemps un endroit où elle pût entretenir à bon marché ses condamnés, il faut convenir que les événements ont tout à fait trompé son DE LA FAVORITE. 165 altente, car aujourd'hui la Nouvelle-Galles du Sud n'en reçoit plus qu'une partie. Ce changement provient de ce que, de colonies pénales qu'ils étaient dans l'origine, ils sont devenus colonies libres, en. EE en is sous la domination des émigrés. D 0 Plusieurs circonstances que la cour de Lohdis n'a- vait pas prévues déconcertèrent tous ses projets. Pre- miérement, le nombre des déportés alla toujours en augmentant, et les frais de transport et d'entretien sui- virent nécessairement la même progression ; en second lieu, Sidney fut à peine fondé qu’il devint un objet d’en- vie pour cette foule d'émigrants à qui l'indépendance des États-Unis fermait le chemin de l'Amérique, et qui alors tournèrent les yeux avec empressement vers une contrée vierge encore, que les récits des. compagnons de Cook représentaient comme un paradis terrestre. Ils adressèrent aux chambres, mais d'abord sans succès , mille pétitions pour obtenir la permission de s'y trans- planter. D'un autre côté, l'expérience démontra bientôt que les éléments avec lesquels on avait voulu former des établissements pénitentiaires ne suflisaient pas; qu'un centre moral d'action était doublement néces- saire pour donner aux criminels de bons exemples, et pour servir de point d'appui contre eux. On ne pouvait prendre ce point d'appui que chez des hommes libres : aussi dès lors accorda-t-on gratuitement de vastes ter: rains aux employés civils et aux militaires de la garni- son de Sidney licenciés du service. Jusque-là le gouver- nement anglais n'avait que peu dévié de: ses ns Lt ] & primitifs; car ces nouveaux colons déper iet 164 VOYAGE devaient obtempérer à toutes les conditions qu'il lui plairait de leur imposer; mais ce premier pas fait hors de la route qu'il s'était tracée dans le principe, il s'en écarta de plus en plus. Les lois qui fixaient le nombre et la qualité des émigrants se relâchèrent peu à peu de leur sévérité. La cour, voulant favoriser ses créatures, leur concéda des terres en Australie ; elle en assigna plus tard aux militaires en retraite ou en demi-solde, et elle finit par ouvrir les portes de cette colonie à tous les An- glais indistinctement. Cependant les règlements pro- mulgués pour en interdire l'entrée aux individus sans ressource aucune et sans industrie, furent toujours soigneusement exécutés ; aussi, dès cette époque, la Nouvelle-Galles du Sud commença à faire des progrès rapides; mais dès lors aussi les convicts, au lieu de cultiver le sol qui ne devait appartenir qu'à eux, ne servirent plus que d'instruments de fortune aux nou- veaux arrivants, et les établissements péniténtiaires cessèrent pour ainsi dire d'exister. - On a voulu comparer, dans la question qui nous oc- cupe, l'Australie avec l'Amérique du Nord ; mais la com- paraison est toute en faveur de cette dernière : car les convicts que l'Angleterre y envoyait, disséminés au mi- lieu d'une population religieuse, fanatique même, de mœurs sévères et presque entièrement adonnée à l'agri- culture, ne recevaient de tous côtés que des lecons de bonne conduite et de probité, et finissaient par se cor- riger. Il suffisait de cette expérience pour reconnaître que telle était la seule manière de résoudre le problème de la déportation des condamnés. La Grande-Bretagne DE LA FAVORITE. 165 le sentait bien, et elle aurait persisté dans cette voie, si la révolte de la Nouvelle-Angleterre ne l'eût forcée de s'en frayer une autre. Elle y marcha accompagnée des vœux, guidée même par les conseils des philan- thropes de Londres et de Paris; mais les rêves que ceux-ci avaient faits dans leurs cabinets trouvèrent une triste fin sur les bords de la Nouvelle-Hollande; et l'An- gleterre, après avoir payé beaucoup trop chèrement l'avantage qu'on paraît lui envier chez nous, celui d'être parvenue à se passer de galères pendant quarante an- nées, se trouve aujourd'hui fort peu avancée sous le double rapport de l'amélioration des criminels qu'elle envoie au dehors, et de la diminution des délits dans son intérieur. L'homme qui n’est point encore arrivé au dernier degré de dépravation, ne pourra revenir à la vertu qu'autant qu'on le tiendra éloigné de ses pareils et qu'il aura l'espérance de se soustraire à la réprobation qui s'attache en Europe au malheureux flétri par les lois. Ce principe, considéré par les philosophes comme fon- damental, a été cependant oublié dans la formation des établissements pénitentiaires ; aussi n'a-t-on pu parvenir à réaliser le bien physique et moral que l'on s'était pro- mis de ce nouveau genre de peines. En effet, quoique transportés sur un continent que plusieurs milliers de lieues séparent du théâtre de leurs méfaits, et soumis À une surveillance rigoureuse mais paternelle , les déportés de la Nouvelle-Galles du Sud se sont montrés bien rare- ment capables d'un véritable repentir. Réunis sur les mêmes points en nombre plus ou moins considérable, 166 VOYAGE ils y présentent généralement l'image hideuse de la même perversité, des mêmes vices qui dans nos bagnes, et particulièrement dans nos maisons de détention , font gémir l'humanité (1 5). Comment pourrait-il en être autre- ment, lorsqu'ils s'y voient poursuivis, plus encore peut- être qu'en Europe, par les préjugés déshonorants aux- quels ils avaient cru échapper sur la terre d’exil ? Car au milieu de cette population libre admise par le gouverne- ment britannique dans les établissements pénitentiaires , les enfants mêmes des convicts, marqués du même sceau que leurs pères, ne peuvent se cacher dans la foule comme ils auraient pu le faire en Angleterre, et sont forcés de courber la tête sous le poids du mépris de leurs dédaigneux compatriotes. Pour ce qui est de la diminution des délits dans la métropole, le régime pénitentiaire n'a pas été plus fructueux. Chez une nation familiarisée avec lémi- gration et les voyages par mer, la déportation devait perdre beaucoup de son horreur, surtout aux yeux d'une populace adonnée à tous les vices, et moins sus- céptible de honte que celle des autres parties de notre continent: aussi ne fut-elle bientôt plus envisagée avec la crainte qu'elle aurait dû inspirer. Cette crainte salu- taire m'agissant plus, il aurait fallu la remplacer par celle des châtiments corporels, par des travaux pé- nibles, par des privations ; mais une philanthropie ou irée, mal entendue même peut-être, ne l'a pas per- mis : les convicts jouissent à la Nouvelle-Hollande d'un sért beaucoup plus heureux que celui des paysans où des ouvriers en Angleterre; on prévoit leurs moin- DE LA FAVORITE. 167 dres besoins, on y satisfait avec une bienveillance trop généreuse, comme si on ignorait que le supplice ordonné par les lois a bien moins pour objet de punir le crime que d’intimider les hommes qui seraient tentés de le commettre : on a trop tôt fermé les yeux sur le passé dans la distribution des grâces, indulgence qu'il faut imputer à la nécessité d’alléger les charges de l'état. Aussi, qu'est-il arrivé ? Les crimes se sont accrus dans les trois royaumes avec une effrayante rapidité; ce qui devait leur servir de frein leur sert aujourd'hui d'encourage- ment. Les classes inférieures considèrent la déportation bien moins comme une peine que comme un heureux changement de position : enfin, les tribunaux sont forcés aujourd’hui de refuser cette punition à la foule des cou- pables qui la sollicitent ; nie nation , fatiguée d'entre- tenir grassement ses malf. dans une contrée loi taine, revient peu à peu au 1 système qu'elle suivait auparavant et que la France a maintenu, celui qui paraît le plus naturel et le moins dispendieux, et qui consiste à les employer aux travaux publics. Ce système, sans doute, entraine à sa suite bien des inconvénients, et nous ne le savons que trop bien; il nous force à conserver au milieu de nos villes des foyers de corruption, véritables écoles de perversité : mais ces inconvénients sont inséparables de tous les ras- semblements d'êtres de cette espèce, qu'ils aient lieu dans les bagnes, dans les prisons , ou dans des établisse- ments pénitentiaires. Ces derniers, à la vérité, serviraient à purger le pays d'hommes dangereux ; mgis.cet avan- tage présenterait-il d'assez grandes compensations pour 168 VOYAGE les dépenses prodigieuses qu'il exigerait? et le bien-être ainsi que la conversion toujours douteuse des méchants sont-ils assez précieux et d'un intérêt assez général pour faire imposer de nouveaux sacrifices aux citoyens hon- nêtes qui n'ont déjà que trop de peine à payer les im- pôts? Beaucoup de contribuables résoudront cette ques- tion par la négative, surtout s'ils pensent comme moi que tous les essais seront ruineux et ne mèneront à rien de satisfaisant. En effet, si une nation essentiellement maritime, prodigue jusqu'ici de ses trésors, et que semble avoir favorisée le concours des circonstances les plus heu- reuses, a, j'ose le dire, échoué dans ses établissements pénitentiaires, comment la France, puissance continen- tale à laquelle ül ne reste plus qu'une très-faible marine marchande, et qui commencerait la même entreprise à l'époque où tous les points du globe propres à son exécution sont au pouvoir de La rivaux, pourrait-elle espérer de réussir ? Les tentatives de la Grande-Bretagne ont constaté deux faits : le premier, que les colonies d'hommes libres print seules servir à la déportation des criminels, en- | nème n'est-ce que pour un certain temps, à cause l'éloignement naturel qu'inspirent aux colons de pa- _reïls hôtes; le second, que les établissements péniten- tiaires proprement dits, c'est-à-dire ceux que l'on forme avec des condamnés seulement, ne peuvent subsister. Nous avoss vu quels empêchements la France trou- verait à fonder des colonies libres, dans ses institutions nouvelles, dans les mœurs et le caractère de ses habi- DE LA FAVORITE. 169 tants; je crois quelle en rencontrera d'autres plus grands encore dans ses dois criminelles, si elle veut fonder des colonies pénitentiaires. Chez les Anglais, le code pénal, quoiqu'il ait subi des modifications, est encore d'une sévérité draconienne, et punit de la déportation des fautes qui, chez nous, ne seraient punies que de quelques années de détention. Les émeutes politiques, les séditions d'ouvriers si com- munes parmi eux, n’ont pas médiocrement contribué à peupler la Nouvelle-Galles du Sud de convicts laborieux et dont le malheur provenait de la misère plutôt que de la dépravation. En France au contraire où les lois criminelles ont perdu successivement la plus grande par- tie de ce qu'elles avaient autrefois de redoutable, telle est la tendance que l'esprit public montre toujours à les adoucir, qu'on ne pourrait appliquer la peine de la dé- portation que très-rarement. Il faudrait d'abord en ex- cepter les condamnés politiques, aujourd'hui surtout que la tolérance a fait de si grands progrès. La même indulgence devrait s'étendre, mais par des motifs diffé- rents, à une autre sorte de coupables : je veux parler de celle qui encombre les maisons de correction. coude détention. Je le demande aux véritables amis de F " manité qui ont eu le courage de visiter ces go NN. d'im. : + puretés et de tout ce que le vice a dé plus abject et de | plus hideux : serait-il possible d’arracher à leurs babi- tudes cette foule de mauvais sujets que la paresse et le libertinage y ont précipités, et de les décider à se rési- gner volontairement à la contrainte rigoureuse qui les attend dans les établissements pénitentiaires ? 170 | VOYAGE H ne resterait donc que la classe des galériens ; de ces misérables endurcis dans le crime et qui ont déclaré à la société une guerre aussi implacable que les préjugés qui les repoussent pour toujours de son sein : encore même parmi eux, ceux dont la captivité est bornée à moins de dix années, devraient-ils, d'après les nou- veaux principes de notre législation criminelle, échap- per à l'exil. Voilà les hommes avec lesquels la France veut créer une autre Nouvelle-Galles du Sud. À peine pourrait-elle , si elle avait des possessions agricoles déjà habitées comme celles de l'Angleterre, parvenir, en y disséminant ses forçats, à s'en délivrer pour quelque témps : mais on veut les réunir sur un seul point ; on veut en former une colonie; on veut faire des fermiers, des cultivateurs avec des scélérats que des circons- tances atténuantes ont pour la plupart sauvés du der- nier supplice. Cependant, objectera-t-on, la Grande- Bretagne en est venue à bout à la Nouvelle-Hollande avec des hommes qui ne valaient guère mieux. Cette asser- tion, d'après ce que j'ai dit plus haut de la sévérité des lois anglaises, ne paraîtra pas tout à fait exacte; ad- mettons cependant qu'elle le soit, puis ouvrons les fastes de l'Australie : nous y verrons les révoltes et les … forfaits se renouveler malgré des supplices fréquents et un code terrible que notre gouvernement n'oserait pas même proposer. Nous y verrons, comme je l'ai déjà observé, que dès l'origine, le ministère anglais persuadé que des colonies pénales ont tous les désavantages des bagnes ou des maisons de détention, et reconnaissant la faute où l'avaient entraîné les théories, trop souvent DE LA FAVORITE. 171 mn: «5 à la prtique , k Foépere de suite en modifiant eauco plans et en adoptant un autre sys- diniés Si Mae jai ‘France sednisse ébléie par les mêmes théories, elle tombera dans les mêmes erreurs, sans avoir, comme la Grande-Bretagne , la facilité de les répa- rer. En effet, lorsque après des essais très-coûteux, elle aura enfin reconnu, comme l'a fait la cour de Londres, qu'elle s’est trompée ; lorsqu'au lieu d'un asile consacré à l'amendement des coupables, elle n'aura créé à grands frais qu'une horrible sentine de crime et d'infamie , où trouvera-t-elle d'honnêtes gens qui veuillent aller vivre, aux extrémités du globe, avec des malfaiteurs chez les- quels on chercherait en vain quelques-uns de ces mal- heureux, comme il en existe parmi les déportés anglais, sur qui des fautes peu graves ont attiré une condamna- tion prononcée à regret par les magistrats ? Quel colon, d’ailleurs, osera s’aventurer au milieu des boïs qu'il fau- dra défricher , et parmi de féroces aborigènes, lorsqu'il n'aura pour ouvriers et pour défenseurs que d'indomp- tables coquins habitués au brigandage? Enfin, si à cette effroyable population viennent se joindre, comme il est naturel de le prévoir, ces chercheurs de fortune presque aussi dépravés que les forcats eux-mêmes, et qu'il sera cependant impossible d'assujettir aux mêmes lois, aux mêmes précautions, que devra-t-on espérer de dr établissements ? D'un autre côté, quel bénéfice humanité en retirera- t-elle? Aucun, à mon 20h ou du moins sde bien faibles. Les galériens, dans ces ét t ils le sont en France, s'encourageront mutuellement au 172 VOYAGE mal ; et quelles ent désespérées ne tenteront pas ces misérables, FA généreleiiint d'une grande intelli- gence et d'une audace à toute épreuve, quand ils vou- dront se soustraire à des travaux perpétuels et recouvrer leur liberté? Ces entreprises réussiront avec d'autant plus de facilité que dans les lieux de déportation, situés nécessairement sur des côtes à peine connues, la surveil- lance même la plus active n'arrêtera pas la désertion : alors les philanthropes seront réduits à l'alternative éga- lement pénible, ou de voir l’ordre constamment troublé | et même tout à fait bouleversé par les forfaits auxquels le désespoir portera des hommes capables de tout; ou bien de consentir à la mise en vigueur d'un règlement sem- blable à celui qui régit les convicts de l'Australie; et dans ce dernier cas, leurs protégés monteront par douzaines sur les échafauds. Qu'ils ne croïent même pas, dans le cas où ils réussiraient à prévenir cet état de choses, avoir complétement supprimé en France la classe des _ forçats libérés, véritable lèpre de notre société (16); car on doit s'attendre qu'à l'expiration de leur séjour sur un sol où la crainte seule des châtiments aura pu les retenir, les déportés voudront presque tous revenir en Europe pour y reprendre le même train de vie qu'au- paravant. L'Angleterre , il est vrai, a su éviter cet écueil par des ordonnances extralégales ; maïs sous l'empire de nos institutions, si larges, si libres, l'arbitraire em- ployé avec tant de latitude par son gouvernement , sera défendu au nôtre, dont les moindres actes sont livrés à la publicité et soumis à une censure amère. Les me- sures prises par les autorités des colonies pénales de- DE LA FAVORITE. 175 viendront chaque année le sujet de mille récriminations, lorsque les chambres auront à voter les sommes énormes que coûtera le régime pénitentiaire. Ce régime, adopté peut-être dans l’origine avec empressement, sera bien- tôt suivi avec lenteur, à mesure que les difficultés se présenteront, puis enfin tout à fait abandonné; et la France, pour prix de tant de sacrifices, ne recueillera que le désordre matériel et moral, qui succède toujours à ce genre d'innovations quand le succès ne les cou- ronne pas. Jusqu'ici nous n'avons raisonné que dans l'hypo- thèse où la France posséderait les moyens de faire des essais; c'est-à-dire une contrée où elle pourrait envoyer ses forçats, et une marine > marchande sufhisante pour les y transporter et en tout temps; mais ces moyens ahselseil nécessaires lui manquent, sans qu'il lui soit possible de se les procurer. En effet, parmi tant de régions que baigne le vaste Océan, où en trou- ver une aujourd'hui qui n'ait pas ses maîtres, et qui remplisse en outre les diverses conditions exigées pour un lieu de déportation ? La Nouvelle -Hollande, par exemple, les réunit toutes : elle est située fort loin-des pays policés ou fréquentés par les Européens, et ne renferme que des tribus de sauvages, parmi lesquels les criminels qui s'évaderaient ne trouveraient aucune protection. Malheureusement tous les points abordables de ce nouveau continent, que nos illustres navigatets Lapérouse et d'Entrecasteaux explorèrent les prèm ont été successivement occupés par les Anglais , qui ne semblent nullement disposés à s'en dessaisir pour 174 VOYAGE satisfaire aux réclamations de notre gouver t, dont la déplorable sde en à fait depuis si long- temps l'abandon. sat Il existe une autre terre qui, par son étendue, sa position isolée au milieu de la mer, son dinili assez semblable au nôtre, nous conviendrait peut-être aussi bien que la Nouvelle-Hollande ; mais là aussi nos rivaux nous ont prévenus, et si leur pavillon ne flotte pas en- core sur la Nouvelle-Zélande, ils n’en sont pas moins par le fait suzerains de cette île, que les missionnaires anglicans ont déjà commencé à exploiter; nul doute qu'au moindre soupçon des projets de la France, le gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud n'y envoyät une garnison, afin d'empêcher qu'elle ne tombât au pouvoir d'une puissance dont le voisinage porterait im- manquablement préjudice aux possessions britanniques dans la mer du Sud; et quand même tous ces obstacles pourraient être aplanis par des négociations, quand même un des ports du continent austral ou la Nouvelle- Zélande tout entière seraient cédés à la France, la jalousie des Anglais ne deviendrait-elle pas fatale au nouvel établissement, dont les colons auraient à lutter contre des indigènes féroces et guerriers , excités; armés même par les marchands de Sidney et d'Hobart-Town, qui ne. verraient pas d'un œil tranquille le monopole du commerce échapper de leurs mains dans ce coin du globe ? Ces dangers, tout grands qu'ils paraîtront, ne seraient cependant pas les plus à craindre ; car, avant même que la guerre füt déclarée, les troupes venues en peu de jours de Sidney s’empareraient presque sans DE LA FAVORITE. 175 coup férir des terrains défrichés et des constructions qui auraient coûté tant de travaux , et la France courrait inévitablement le risque de voir le vainqueur rejeter sur ses côtes ces mêmes criminels dont elle s'était crue délivrée pour toujours. Afin d'obvier à de semblables mes il faudra , au premier soupçon d’une rupture entre les deux nations, conserver de fortes escadres dans ces mers reculées et orageuses, pour protéger notre commerce et assurer autant qu'il se pourra les relations de la France avecses domaines australiens. Mais par quels moyens, même en temps de paix, ces relations seront -elles entrete- nues ? Sera-ce avec notre marine marchande? Elle ne compte que peu de navires capables de faire d'aussi longs voyages, pour lesquels les armateurs exigeront des frets d'autant plus élevés qu'ils n'auront pas comme nos voisins la faculté, après avoir vendu leurs cargai- sons, d'aller prendre dans l'Inde, en Chine, ou dans le grand archipel d'Asie des chargements de retour. Que si le gouvernement veut, comme le tenta l'An- gleterre à l'égard de Sidney, recourir à sa propre ma- rine, il ne sera guère plus avancé ; car les frais de poses approriistnetis emçrstifont. sans cesse et dépasseront même toutes les prévisions, si, comme il est permis de le supposer, l'état se décide | Û férer également des hommes libres avec leurs familles. Quelon mette tous ces inconvénients en balance avec les avantages au moins douteux que la nation retirerait 16 * VOYAGE du bannissement de trois ou quatre mille galériens (nombre qui, par suite des grands adoucissements ap- portés au code pénal, va toujours en diminuant), et peut-être les personnes qui auront résisté à la ma gie séduisante des systèmes, penseront-elles avec moi que la France doit renoncer aux colonies pénales; que ses routes ne sont ni assez nombreuses ni en assez bon état; qu'elle a trop de marais à dessécher, de canaux à ouvrir, de dettes à éteindre, pour qu'elle aggrave encore sa position par les dépenses où l'entraîneraient l'expulsion et l'entretien d'hommes dangereux, il est vrai, pour la société, mais qui, bien dirigés, pourraient, sans devenir un trop lourd fardeau, lui être encore utiles et la dédommager du tort qu'ils lui ont causé. Avant que la philanthropie songe à cette grande me- sure si peu en ++ 2 avec nos lois, avec nos idées ac- pe età ocre È pp nappes la décadence de ommerce maritime autant que la difficulté de pos un nt de ethondteis elle a une autre tâche bien plus importante à remplir. NH faut qu'elle propose des expédients pour soustraire les criminels à ce funeste contact qui les déprave encore davantage; il faut qu'elle es des remèdes contre le venin qu'ils répandent bas peuple , quand ils sortent des prisons ; ul qu'elle ce me pl voie cette $ tribunaux. Mais pour da! vil n'est pas pi due: la France découvre de nouvelles con- sk DE LA FAVORITE. 177 trées ou dispute les terres antarctiques à sa rivale; elle n'a pas besoin d'aller aveuglément semer ses ri- chesses sur des plages désertes. Que nos gouvernants détachent leurs regards de la Grande-Bretagne où ils vont toujours prendre leurs modèles, et les fixent sur les États-Unis, auxquels il ne manquait, pour former des établissements pénitentiaires, ni malfaiteurs, ni ma- rine marchande, ni trésors, et qui pourtant ne paraissent pas y avoir songé. Cette république aurait-elle craint de diminuer sa population? Non, car elle repousse main- tenant cette foule d'aventuriers qui naguère encore abor- daient chez elle périodiquement ; mais elle a pensé, et avec raison, que son système de prisons était bien préfé- rable à la déportation, peine juste peut-être quand elle frappe des scélérats que le glaive des lois a épargnés, mais qui devient en quelque sorte arbitraire lorsqu'elle arrache pour toujours à leurs familles des hommes dont les délits n'ont mérité que quelques années de travaux publics. Et en effet, dans ce pays, où il existe peut-être plus de dépravation que dans le nôtre, on voit assez fréquemment se convertir les plus grands coupables On peut croire que la facilité avec laquelle ils éc vor 4 au préjugé flétrissant, beaucoup moins fort aux États Unis qu'en Europe, produit en partie ect rl effet; mais il est vraisemblable aussi que la manière prudente et humaine dont on les traite er Ti sons de détention y contribue infiniment. Jamais dan: ces. maisons les prisonniers ne sont réunis en gran nombre : aussi la surveillance matérielle, si fatigante pour eux, peut y être allégée en faveur de celui qui XII. 12 178 VOYAGE se repent. Les peines corporelles , les chaînes, les ca- chots noirs, infects et humides y sont remplacés par la reclusion solitaire. La privation de toute espèce de dis- traction fait renaître peu à peu dans l'âme de l'homme dont les douleurs physiques ne troublent point les ré- flexions, une paix que la violence des passions en avait bannie jusque-là ; et rarement le scélérat le plus endurei résiste longtemps à l'ennui de cette solitude (17). En France, la rigueur des châtiments, la vue des souffrances de ses compagnons, cette odieuse tyrannie que l'infa- mie de sa position semble autoriser, l'eussent exaspéré et porté à de nouveaux crimes : aux États-Unis au con- traire, bientôt dompté par un long isolement pendant lequel un régime doux, uniforme et favorable à la santé calme chez lui l'efferveseence du sang, il se résigne peu à peu aux travaux paisibles qui assurent sa subsistance ; les exhariationt bidaioillenteh he RER de la religion l t , qu'on eût vuen France finir sa-vie sur l'échafaud, ou qui, à la Nouvelle-Galles du Sud , aurait compté parmi les redou- tables coureurs des bois, subit sa peine sans nourrir de sentiments de vengeance contre la société, où il rentre, non en ennemi, mais au contraire disposé à se récon- ciienaver elle. Quels fruits ne recueiïlleraït-on pas d'un e système , si on l'appliquait aux détenus poli- tiques! et combien de têtes ardentes, d'imaginations exaltées ne pourrait-on pas ramener à de sages prin- cipes, aussi bien qu'à des occupations honorables, en les retirant de la contagion du mauvais exemple qui sé- duit si facilement les jeunes gens! Car tel est le vice DE LA FAVORITE. 179 inhérent à toutes les réunions de cette sorte de détenus, qu'ils s'excitent au mal entre eux, et que les plus éner- giques exercent toujours un empire sans bornes sur les autres, et leur font embrasser facilement mice “projets anarchiques (18). tai Déjà quelques-uns des principes qui ont présidé à l'or- ganisation des prisons aux États-Unis sont adoptés dans plusieurs des nôtres, et les suites de ces essais doivent engager l'administration à les développer sur une plus grande échelle. H faut qu'elle multiplie sur la surface de la France ces établissements devenus nécessaires, mais qu’elle les distribue de manière à éviter sur un même pesée cette ras de méchants, inconciliable avec toute espèce d'amélioration ; il faut par conséquent que les sas soientsapprimés ; et qu'on n'ait plus sous les yeux, dans nos ports de mer, le spectacle dé- goûtant et immoral de cette tourbe horrible de forcats qui, dispersés dans les départements, rendront plus de services et donneront moins d'inquiétude (1 9). En les séparant ainsi et les asservissant à la discipline améri- caine, on évitera une foule d'abus qui bnp Re rougir la morale et l'humanité, et se perpétr une tradition parmi les galériens. Je crois avoir démontré que sélerits doit aban- donner le projet de formér des colonies pénales ; que l'esprit de ses habitants , que la nécessité de réduire ses dépenses, enfin que sa législation criminelle, soumise dans ce moment à une impulsion toute en faveur des hommes égarés par des passions violentes ou par des opinions politiques, ne s'accordent pas avee ce projet : 12. 180 VOYAGE il faut attendre qu'elle possède des colonies libres, aussi florissantes que l'est la Nouvelle - Galles du Sud. H faut attendre que sa marine marchande soit nom- breuse, son commerce maritime étendu, économe, bien soutenu et bien dirigé. Si à cette époque de splen- deur, qui paraît encore bien éloignée, la suppression des bagnes, les changements apportés au régime des prisons, et surtout les progrès de l'instruction primaire, n'ont pas fait diminuer d'une manière notable le nombre des délinquants, alors la France pourra les re- léguer sur des terres lointaines où existera déjà une po- pulation sortie de la métropole, et qui sera sans doute mieux protégée contre la jalousie de nos rivaux que ne l'ont été les braves et malheureux Canadiens pendant les fatales guerres du siècle passé. En abordant une question aussi importante , et qui fixe aujourd’hui l'attention des gouvernements, je ne me suis point dissimulé combien elle était difficile à traiter : aussi n’ai-je voulu présenter ici qu'un petit nombre de ré- _ flexions fruits de l'expérience, et qui m'ont été suggérées par le désir d’être utile à mon pays. Ce motif, qui m'a constamment guidé dans le cours des observations que je viens de présenter, me fera pardonner ce qu'elles peu- vent avoir d'incomplet; on voudra bien se rappeler que du choc des opinions jaillit la vérité, et que l’obser- vateur modeste qui signale les écueils et les obstacles, ne fait que préparer les voies aux hommes à grands ta- lents et à vues élevées, seuls capables d'éviter les uns et de surmonter les autres. Maintenant je vais essayer de remplir une tâche plus DE LA FAVORITE. 181 épineuse peut - être encore, celle de donner une idée claire et juste de l'Australie : nous verrons cette colonie d'abord faible et languissante sous le régime péniten- tiaire, puis florissante dès que les émigrants s’y établi- rent. Ces deux époques bien distinctes et que pourtant des écrivains français, trompés par des renseignements inexacts, ont confondues dans le tableau beaucoup trop brillant qu'ils ont tracé des colonies pénales britan- niques, fixeront successivement notre attention. Mais auparavant je ferai connaître l'ile de Van-Diémen, que le détroit de Bass, à peine large de quarante lieues, sé- pare de la Nouvelle - Hollande, et qui, choisie dans l’o- rigine pour lieu de punition des plus indomptables con- victs de Sidney, est devenue la rivale indépendante de l'Australie, à laquelle, si elle continue de faire d'aussi étonnants progrès, elle ne le cédera bientôt plus, ni en richesses, ni en prospérité agricole. En. effet, cette île est destinée, aussi bien que la Nouvelle-Galles du Sud, à montrer aux races futures tout ce dont les Européens du xix° siècle ont été capa- bles. Ils sont venus, à travers des mers immenses, pour couvrir de villes et de moissons une terre que la nature semblait avoir condamnée à rester éternellement héris- sée de profondes forêts : ni les écueils qui en défendent l'approche, ni les ouragans qui la tourmentent, ni les brumes épaisses qui souvent cachent ses rivages, n’ont pu arrêter des hommes habitués aux tempêtes de FO- céan du Nord; et aujourd'hui ses magnifiques baies, ses havres si longtemps solitaires, sont peuplés d'Anglais et fréquentés par une foule de navires. Ces havres ne 182 VOYAGE sont pas également répartis sur toute la circonférence de Van-Diémen, car, à l'exception de quelques mouil- lages assez bons, situés dans le détroit de Bass, tous les ports sont à peu près réunis dans le S, E. de l'île, comme pour offrir plus d’un refuge aux navires battus par les vents impétueux d’O. et de S. O. C'est là que se trouve le beau canal qui porte le nom d’un des plus célèbres navigateurs français, et où la Favorite jeta l'ancre le lendemain de son attérage, derrière les îles qui l'abritent du côté du S., îles qui, par leur di- rection vers le N. E., achèvent de donner à Van-Dié- men la forme d'un cœur dont le sommet, légèrement concave, pit, vis-à-vis du continent voisin, par 41° 20° de latitude, et dont la pointe forme, sous le 44° de- gré, une des limites extrêmes du monde austral, C'est encore là que se déploie, devant la mer venant du pôle, la vaste baie des Tempêtes avec ses caps aux formes échancrées , souvent voilés par les nuages, mais qu'heureusement le bruit des lames qui brisent à leur pied annonce de loin aux marins. Ge fut derrière ces masses arides et noirâtres que Tasman, qui le premier aborda cette île, à laquelle il donna le nom du gouverneur de Java, et après lui l'illustre Cook, vinrent successivement, en 1642 et 1777, chercher pour ainsi dire à tâtons un dange- reux abri, À quelques lieues de là, cependant, vers le fond de da baie, existait, assailli peut-être à son entrée par une merfurieuse, ou enveloppé par la brume, un passage communiquant au S. O. avec le canal d'En- trecasteaux, et conduisant dans le N. à une rivière DE LA FAVORITE. 185 dont les rives sont entrecoupées d'enfoncements et de criques où les caboteurs et même les plus gros navires peuvent mouiller en sûreté. (PI. 62.) Cette rivière, appelée par l'amiral Sante rwière du Nord, nom que les Anglais ont remplacé depuis par celui de Derwent-River, et qui n'a pas plus de cinq lieues de cours, est large d’une demi-ieue à son embou- chure; mais elle se rétrécit à mesure qu'elle s'éloigne de la baie des Tempêtes en sé dirigeant dans le N. O. En tournant les yeux vers la rive gauche, que les colons ont presque entièrement dégarnie de bois, sans cal- culer les suites de leur imprévoyance, on aperçoit sur le penchant des collines de petites maisons blanches entourées de vergers, de champs de blé, et de parcs où sont retenus captifs de nombreux moutons, tandis que dans les environs des troupeaux de bœufs paissent en liberté. On croit d'abord contempler les immenses possessions d'un seul propriétaire ; mais la vue des pa- lissades qui limitent les concessions, et dont les longs cordons montent jusqu'à la cime des collines, puis des- endent en t t jusqu'au bord de l'eau, annonce que sur cettet lle le travail É la li- berté, et non, x; oiimneidans la Grande-Bretagne, dé droit du plus fort ou le hasard, a présidé au partage du sol. : La rive droite présente une ‘autre perspective. Les yeux sont d'abord arrêtés par une suite de petites poin- tes-rocailleuses couronnées d’arbustes touflus, et sépa- rées par des criques qu’elles garantissent des, brises. de mer; mais bientôt ils découvrent à l'extrémité. de cha- cune de ces criques, un groupe de charmantes habita- J 184 VOYAGE tions dont les murs blanchis à la chaux et les toits de tuiles rouges forment, en se dessinant sur la verdure des champs cultivés, le fond d’un agréable tableau au- quel le triste feuillage des bois sert de bordure. Sur le devant de ce tableau, un chemin qui circule à travers les rochers conduit à un débarcadère où sont amar- rés de légères baleinières et les bateaux qui transportent les récoltes au marché du cheflieu. Tel est l'aspect général de la Derwent, depuis la baie des Tempètes jusqu'à sa source. Cette rivière n’est pas également profonde dans tout son cours, et les grands navires sont forcés, après l'avoir remontée l’espace de neuf milles, de jeter l'ancre devant une belle anse de sable, dominée au S. O. par de hautes montagnes, et que les Anglais ont choisie pour y bâtir la ville d'Ho- bart-Town, siége du gouvernement de Van-Diémen. Ces quais où les me de la Ro " Sud etiles Europe dé t les productions des Lise Anstiales:et Les marchan- dises de la Grande-Bretagne; ces beaux édifices, dont la mer baigne paisiblement les pilotis enfoncés aux lieux mêmes où naguère elle roulait ses lames sur un banc de vases infectes ; cette multitude de maisonnettes embellies de jardins qui, dans leur égale fraîcheur, semblent sortis à la fois du sol pour ceindre le côté gauche de l'anse d'une gracieuse ceinture; tous ces pro- diges de persévérance et d'industrie ont été accomplis en moins de trente années. Là pourtant s’'étendaient, comme dans le reste de l'ile, des bois entrecoupés de marécages produits par les DE LA FAVORITE. 185 pluies ou par les eaux de la Derwent, lorsque, au mois d'août 1804, le lieutenant Bowen, guidé par les renseignements que son gouvernement avait puisés dans la relation du voyage de l'amiral d'Entrecasteaux, dont tous les papiers étaient tombés au pouvoir de l'amirauté anglaise, y arriva de Sidney pour en prendre posses- sion, amenant avec lui cinquante soldats et trois cents convicts. La colonie naissante, quoique voisine. é sa métro- pole, qui ne lui portait sans doute qu’un intérêt très- secondaire, eut à lutter contre mille obstacles et éprouva bien des calamités. Les vivres attendus de la Nouvelle-Galles du Sud n'arrivèrent pas à temps; les maladies, la famine décimèrent la garnison et principa- lement les condamnés, qui se mutinèrent plusieurs fois et auxquels on fut obligé d'accorder la liberté, afin qu'ils pussent aller chercher leur nourriture dans les bois. Une semblable ere ne pouvait manquer d'a- voir des à } aussi les défrichements n avancèrent ils que très- osmebt, et les chasseurs in nt aux sauvages, par leurs cruautés, une haine si violente contre les blancs, que depuis cette époque il a êté impossible de les ramener à de meïlieures dis- positions. Telle est pourtant la superbe position d'Ho- bart-Town et la fertilité de Van-Diémen, que malgré tant de circonstances malheureuses, cette ville, dont la population ne se composait primitivement que d'em- ployés de l'état, d'une faible garnison et des convicts expulsés de Sidney, était déjà considérable lorsqu'en 1811 elle recut la visite du colonel Macquarie, gouver- 186 VOYAGE neur de la Nouvelle - Galles du Sud, qui se plut à encourager l'activité de ses habitants en leur accordant plusieurs franchises. … De leur côté, les marchands de pr wéraiahé avec regret ces franchises hâter les progrès d'un établisse- ment qui n'était à leurs yeux qu'une dépendance de l'Australie, et dont ils commençaient à craindre de perdre le commerce, concentré jusque-là dans leurs mains ; ce m'est pas qu'on eût négligé de prendre de gobniote snétanbins pour leur assurer ce monopole, car civils iitaires d'Hobart-Town étaient nommés par le gouverneur de la Mowrale-Galies du Sud, sbtl né aile caboteurs de Port-J a du privilége de trafiquer avec les calbne de Van-Dié- men. Mais ceux-ci, regardant ce joug comme intolé- rable, portèrent leurs réclamations au parlement, et obtinrent enfin, en 1813, l'émancipation de la Tas- manie, nom qu'ils donnèrent alors au nouvel établisse- ment, qui dès ce jour, libre de toute entrave dans ses relations ds-dne avec la mère patrie, et recevant ie £ AU NI convicts, fit éprouver une for- midable concurrence à son ancienne métropole. Les émigrants, abandonnant la route de Sidney, prirent celle de Van-Diémen, où ils trouvèrent pour les aider dans leurs défrichements un grand nombre de ces malheureux, condamnés à la déportation par suite des émeutes si fréquentes en Angleterre. Aussi les forêts se peuplèrent-elles, pour ainsi dire, de petits hameaux, qui, en grandissant, devinrent des villages; puis des bourgs auxquels lé souvenir de la patrie fit donner par DE LA FAVORITE. 187 les exilés les noms des plus jolies villes d'Angleterre. Les ports reçurent une multitude de navires dont les cargaisons, formées de marchandises étrangères, ser- vent à payer les laines de moutons et les tonnes d'huile de baleine, fruits des travaux d'une industrieuse popu- lation qui exploite également le sol de l'île et les mers orageuses qui l'environnent. Plus cette impulsion était forte, plus un avait besoin d'être bien dirigée; l'autorité le sentit, et elle réussit à éviter en partie les abus où la trop grande liberté laissée aux premiers colons et une indulgence excessive envers les déportés avaient entraîné l'administration de la Nouvelle-Galles du Sud. Elle s'appliqua également à faire exécuter avec plus de rigueur les She Se con- cernant la concession des terrains. D'après ces règlements, aucun. émigrant: isties dans la colonie à moins qu’il ne justifiât de ses moyens d'existence. S'il était officier à la demi-solde ou retraité, le gouvernement lui accordait gratuitement deux mille quatre cents acres de terre, ainsi que des convicts pour les mettre en valeur; et de peur que les terrains concé- dés ne restassent en friche, une clause imposait aux propriétaires l'obligation de les cultiver, sous peine de les voir retourner au domaine de l'état. Une telle clause étonnera sans doute les Français, habitués généralement à considérer les colonies, même les plus voisines de leur patrie, comme le réceptacle obligé de tout ce quenes cités renferment d’aventuriers et d'hommes perdus de réputation; mais elle sembla aux ne aussi juste que naturelle, et établie dans l'intérêt mên colons, 188 VOYAGE qui, en effet, affluèrent de toutes parts à Van-Diémen , apportant avec eux des capitaux, et ce qui n’est pas moins précieux pour une nouvelle colonie, l'esprit de conduite et la persévérance. Hobart-Town, centre des affaires, et qui exerce une grande influence sur le reste de l'île , fixa particulière- ment l'attention des gouverneurs. Le capricé ou l'inté- rêt de chaque habitant ne présida plus seul au choix de l'emplacement des maisons. Les rues, tracées d'avance, se coupèrent à angles droits; les quartiers furent dispo- sés de la manière la plus favorable à la salubrité; enfin les constructions privées ne purent, à moins d’une auto- risation spéciale, occuper en étendue plus d'une acre, et encore l'acquéreur dut-il y bâtir dans un temps fixé. Une noble émulation s'établit entre l'administration et les particuliers, et pendant que les maisons s’élevaient comme par enchantement de tous côtés, des bandes de convicts fournies par l'état travaillaient à préparer les rues et à diminuer les pentes des monticules. La ville fut dotée en peu de temps des monuments publics les plus nécessaires, et le nombre en augmente encore chaque année, non-seulement par les soins des premiers fonctionnaires, mais aussi par la munificence des riches négociants, qui montrent pour leur nouvelle patrie, aux dépens même de l'ancienne, un sentiment d'or- gueil bien naturel. Tels sont les heureux fruits qu'ont produits la liberté, l'égalité des droits politiques et la division des propriétés dans cette île, qui, à peine connue au commencement du siècle, compte aujour d'hui vingt-cinq mille habitants; mais pour que ces DE LA FAVORITE. 189 fruits parvinssent ainsi à leur maturité, il a fallu que les semences en fussent fécondées par l'industrie sou- | tenue de l’aisance, et surtout par Tamour de l'ordre, dont malheureusement les populations de nos établis- sements d'outre-mer ne donnent pas l'exemple, et qui serait cependant pour ceux-ci le meilleur garant de succès et de tranquillité. Quel spectacle agréable pour le marin, lorsqu'à peine échappé au mauvais temps de la baie des Tempêtes, il mouille pour la première fois devant Hobart-Town ! Sur sa gauche vient finir au bord de la rivière ; par une douce déclivité, la côte sauvage qu'il a suivie depuis son entrée dans la Derwent; les pointes noirâtres ont fait place à un terrain moins inégal, mais dont la sur- face tantôt pierreuse, tantôt parsemée de substances calcaires, n'a pu être préparée qu’à force de sacrifices pour la plantation des jardins qui, répandus cà et 1à, ornent le rivage, et marquent pour ainsi dire la place de futures habitations. Plus près de la ville est une faible batterie qui commande la rade et toute cette partie de l’anse, dont les rochers et la vase commencent à disparaître sous des quais que presseront sans doute un jour des rangées d'alléges-chargées de marchan- dises apportées de toutes-les contrées du globe. A peu de distance de cette batterie, au sommet d'un tertre ; et derrière un jardin dont nos canots abordèrent bien souvent les légères clôtures, paraît la petite et jolie maison du capitaine du port, où les officiers de le Fa- vorile et moi nous étions chaque jour si bien reçus. Mais c'est principalement sur la droite, un peu en dedans 190 _ VOYAGE d’une langue de sable qui termine l'anse vers l'E. et cache le cours supérieur de la rivière aux navires mouil lés sur la rade, que le commerce maritime de Van- Diémen déploie toute son activité. Là s'élève à la place des bois et des marais qui obstruaient autrefois cette plage , une ligne de spacieux magasins percés de larges fenêtres, par où l’on voit monter et desceñdre conti- nuellement, suspendus à d’ingénieuses machines, des ballots de marchandises, tandis que par les portes en- trent ou sortent de longs cordons de barriques de vin ou de tonnes d'huile de baleine. Ce coup d'œil, il est vrai, EE de un pour le ane _ ie re- ffrent à chaque pas nos “eipitiles. Mais il plaît à l'obéervatenr phüo- sophe, qui voit dans le commerce le plus sûr moyen d'assurer le bien-être des derniers rangs de la société, et qui fait des vœux pour que les souverains renoncent enfin à la gloire des conquêtes, qui ne s’acquiert qu'aux dépens des classes moyennes et inférieures, auxquelles surtout appartiennent ces braves soldats dont le sang coule par torrents sur les champs de bataille au nom de l'honneur national, souvent mal compris ou légè- rement invoqué par des hommes qui ne partagent ni leurs fatigues ni leurs dangers. Peut-être un jour la guerre avec ses dévastations visitera ces Terres Australes; peut-être ces rivages où nous avons trouvé une si pacifique hospitalité se hérisse- ront-ils de canons; comme ceux de l'ancien monde ; mais jusqu'à présent, du moins, l'œil n'y découvre que les effets des conquêtes accomplies par la civilisation. DE LA FAVORITE. 191 On n'y voit aucun de ces monuments destinés à trans- mettre le souvenir des grands événements aux races futures, à qui souvent les progrès des lumières en font détester les auteurs; mais partout l'utile, l'agréable y charment les regards du nouvel arrivant, quand ül dé- barque au fond de l'anse dont j'ai déjà décrit les deux côtés opposés. Devant lui se déroulent plusieurs larges rues parallèles, bordées de maisons de pierre à un seul étage, et formant, avec leurs contrevents verts, leurs blanches façades et leurs boulingrins fermés d’ _ treillis, un ensemble vraiment ravissant. Ces rues dont la pente vers la rivière permet aux pluies, très-longues quelquefois sous ce climat humide, de s'écouler rapidement , sont entretenues avec soin, et conduisent par une montée assez douce aux quartiers élevés, que domine la caserne, bâtie : ne esplanade, et divisée en quatre corps dedhogis ent entourant une cour où manœuvrent facilement les huit cents hommes = composent la garnison de Van-Diémen. De ce point, où l’on jouit d'une vue fort étendue, J'ai souvent cherché à me figurer ce que sera Hobart- Town à la fin du siècle; quelle perspective elle présen- tera quand ses maisons couvriront entièrement les collines dont elles n’occupent encore que les premiers gradins. Mais je détachais bientôt ma pensée de cet avenir incertain, pour revenir à la réalité présente. Je voyais devant moi une petite ville d'Angleterre, image de l'aisance et de la propreté. Du miliéu des maisons s'élevait à peine le palais de justice, édifice carré et plat, construit en brique, ainsi que la prison 192 |: +:VOYAGE sa voisine , dont l'aspect est aussi lugubre que sa desti mation; car sur la plate-forme contiguë à sa porte d’en- trée restent toujours debout, en attendant leur proie, deux potences où apparaissent pour la dernière fois les convicts condamnés à la peine de mort. Au delà de ces monuments et de l'église presbyté- rienne, que surmonte une tour massive, je distinguais le lit escarpé et fangeux d'un ruisseau, de l’autre côté du- quel s'étendent des terrains encore inoccupés ; mais la proximité du port et la construction projetée d’un hôtel pour la première autorité, rendront avant peu ce quar- tier un des plus vivants du chef-lieu. Sur la droite, s’offrait à mes regards la jolie habita- tion du gouverneur, avec son toit en pointe, ses lé- gères galeries extérieures et son jardin anglais, dont les bosquets de casuarinas et les plates-bandes de roses des- cendaient jusqu’à la rivière. Celle-ci offrait sans discon- tinuation un spectacle des plus animés, sa surface pai- sible était sillonnée par une multitude d'embarcations transportant à la ville des passagers ou les produits des plantations du rivage opposé. Parfois un navire signalé depuis le matin par les vigies, qui placées sur les hau- teurs, se correspondent depuis le port jusqu'à l'en- trée de la baie des Tempêtes, laissait apercevoir ses blanches voiles dans le lointain. Comme il approchaïit lentement au gré des habitants rassemblés sur les quais ! Les SEE. 5. Sd aiérant riespsie de poser sions britanniques dans l'Océan austral. FS Cependant le nouvel emplacement était encore PVR au-dessous des pompeuses descriptions que la relation de Cook avait données de cette partie de la Nouvelle-Galles du Sud. Port-Jackson pouvait, à la vérité, contenir toutes les flottes du monde; Sidney-Cove (ainsi fut nom- mée l'anse devant la ville) offrait un bassin naturel où les plus gros navires pouvaient se réparer en sûreté; mais de toutes parts les yeux ne rencontraient sur les rivages que des rochers arides ou couverts de broussailles, et vers l'intérieur, qu'une forêt impénétrable, qui s’éten- dait à perte de vue sur les deux côtés de la rivière ; à laquelle les Gi conservèrent son nom Lee fe de Paramatta. 270 + VOYAGE Tous ces obstaclés et cent autres encore inhérents aux localités, ou provenant de la saison, étaient peu de chose en comparaison de ceux qu’avaient eus à sur- monter les premiers colons de l'Amérique du nord et des autres contrées où les Européens ont transplanté leur race et leur industrie; mais le gouverneur Phi- lip n'avait pas à sa disposition, pour les vaincre, des hommes laborieux et persévérants, comme les puritains de l'état de New-York, ou comme les quakers de la Pensylvanie. I se trouvait exilé à une distance immense de sa patrie, dans une région à peine explorée, au mi- lieu d'une troupe de bandits recrutés dans les bagnes et les prisons des trois royaumes, et qu'une garnison trop faible ne parveñait à comprimer que difficilement. Par bonheur pour la Grande-Bretagne, son gouverne- ment avail su choisir un homme qui réunissait toutes les qualités nécessaires pour remplir une aussi épi- neuse mission. De pareils hommes sont rares chez toutes lès nations, mais plus rares encore sont les sou- verains qui savent les distinguer et les récompenser. : Le fondateur de Sidney déploya cette persévérance , cette prudente énergie, cette abnégation de tout intérêt personnel, qui seules pouvaient assurer le succès d’une pareille entreprise et faire de chaque fonctionnaire un instrument utile et dévoué au bien général: La téibu maîtresse des bords: de la rivière de Paramatta était guerrière et puissante ; traitée avec douceur et généro- sité par les blancs, elle leur céda sa propriété et vé- cut en paix avec eux. Les convicts, qu'enhardissaient leur grand nombre et l'indulgence des juges, se livrè- DE LA FAVORITE. 271 rent plusieurs fois à la révolte, au pillage, et com- mirent une foule de meurtres : on les réprima sévère- ment ; les plus coupables périrent sur l'échafaud, et les autres allèrent, pour expier leurs nouveaux méfaits, cultiver l'ile Nortolk, située à deux cents lieues au large des côtes de la Nouvelle-Galles du Sud, par 30° de la- titude, et dont le sol plus fertile et moins boisé que ce- lui des environs de Sidney promettait des récoltes plus prochaines. L'événement prouva que cette mesure n'était pas inutile; car bientôt, par suite du naufrage d'un bâtiment expédié d'Angleterre pour le nouvel éta- blissement, et plus encore par l'incurie du ministère anglais, la famine vint se joindre à toutes les misères qui afligeaient la colonie. La mauvaise nourriture occa- sionna des maladies épidémiques, dont beaucoup de convicts et d’indigènes furent les victimes; les vivres manquèrent même entièrement. La mer et les forêts y suppléèrent en partie; mais le relâchement qu'un tel état de choses devait amener dans la discipline ne tarda pas à faire sentir ses fâcheux effets. Les chas- seurs insultèrent les naturels des tribus de l'intérieur ; ceux-ci usèrent de représailles, et excités par la soif de la vengeance ou du pillage, ils exercèrent sur les ha- bitations isolées de nes SR DEeuE dont les fu- nestes exemple tencore lhui. Les déportés profitant do cette mésintéligesice, qui força de diminuer momentanément les précautions prises pour les contenir, recommencèrent leurs désordres et par- vinrent même à y entraîner quelques soldats de la garm- son. Maïs la fermeté et la vigilance du colonel Phillip 272 VOYAGE rétablirent encore une fois la tranquillité. Enfin des vivres arrivèrent d'Europe, les inquiétudes cessèrent, et le gouverneur put alors s'occuper d’une manière sui- vie de l'administration et du bien-être de la colonie, que plusieurs arrivages successifs de condamnés avaient considérablement augmentée. Les chétives cases et les abris temporaires élevés à la hâte au moment de l'ar- rivée cédèrent peu à peu la place à des maisons de bois ou de briques. On construisit au ahef lieu ne Pen que la turbulence des convicts, la d des femmes déportées, et chez loss uns et les tie un penchant incorrigible au crime, exigeaient impérieuse- ment. Les tribunaux tinrent leurs séances dans un local plus convenable que celui qui leur avait servi jusque-là, et animés d’un bon esprit, chose malheureusement bien rare dans les établissements d'outre-mer, ils secondèrent franchement le gouverneur dans ses efforts pour faire réussir les projets du ministère britannique. Le principe que l'on avait adopté dans leur compo- sition était nouveau comme le système de colonisation qu'il s'agissait de soutenir. Un juge, remplissant les fonc- tions de nos procureurs du roi, et six officiers de terre ou de mer, formaient le tribunal criminel, qui jugeait d'après les lois d’Angleterrel is dans la co- lonie. Le sort de l'accusé s’y décidait à la simple majorité des voix, quand il R'éait pas coupable d’un crime em- portant la peine de n ort; car autrement l'adhésion de cinq juges devenait nécessaire pour le condamner, et encore dans ce cas le verdict ne pouvait-il recevoir son exécution que revêtu de l'approbation du gouverneur. DE LA FAVORITE. 273 La cour civile, moins nombreuse, ne comptait que trois membres : le procureur du roi et deux colons; la signature du premier suffisait pour rendre les jugements de la cour exécutables. Mais les parties pouvaient tou- jours en appeler au gouverneur, et même au roi en son conseil, quand la somme en litige dépassait 300 livres sterling (7,500 francs). Une semblable jurisprudence se ressentait visible- ment de l'espèce d'hommes à qui elle était destinée. Aussi , lorsque plus. tard des colons libres vinrent peu- pler une terre que, dans l'origine , les condamnés de- vaient seuls défricher , et que l'Australie prit un accrois- sement auquel, sans doute, l'Angleterre ne s'attendait pas, cette même jurisprudence parut incomplète, arbi- traire, et devint alors, comme elle l’est encore aujour- d'hui malgré des améliorations fort importantes, un sujet de réclamations de la part des émigrants. Ce- pendant, il faut le dire à l'honneur des états-majors de tous les régiments qui ont tenu garnison à Sidney et à Hobart- Town, les officiers appelés à remplir à tour de rôle les fonctions de juge ont toujours mérité, par leur droiture et leur indépendance, l'estime et l'approbation de leurs concitoyens ; suffrage d'autant plus honorable pour eux que, pendant longtemps, les gouverneurs eu- . rent le pouvoir de nommer à toutes les places, et de commuer ou même de remettre tout à fait les peines des déportés. Ce pouvoir était trop étendu, aussi plus tard fut-il restreint; mais le colonel Phillip n'en abusa jamais; et lorsqu'en 1792 sa santé, fortement altérée par tant de fatigues, le contraignit de retourner en Eu- III, 18 274 VOYAGE rope ; il emporta les vifs regrets de tous ses administrés. À cette époque, les plus grands obstacles à la for- mation de la colonie avaient été surmontés; les défri- chements prenaient chaque jour plus d'extension; les terres concédées aux soldats licenciés ou aux convicts libérés, commencaient à produire des légumes et des grains ; enfin, l'emplacement de la ville de Paramatta venait d'être choisi au pied de la belle colline dont j'ai déjà parlé, et qui fut nommée Rose-Hill par les em- ployés civils et militaires qui vinrent s'y établir, et qui se créèrent dans ce canton de belles propriétés aux dé- pens des bois voisins, avec l'aide d’un certain nombre de convicts que leur accorda le gouvernement. Les résultats favorables que semblait promettre ce brillant début, ne se réalisèrent pas cependant aussi promptement qu'on l'avait espéré. Après le départ de son fondateur, la colonie ne fit plus que de lents progrès : le bon accord qui avait régné jusque-là entre les autorités civiles et militaires s’'évanouit ; la plupart des gouver- neurs qui se succédèrent en peu de temps furent trop absolus ou trop indulgents dans l'exercice de leurs fonc- tions. L'un d'eux, le capitaine Blight, marin distingué, .mais administrateur passionné, dur et irascible, se vit arrêté par les colons et renvoyé en Europe sur un bâtiment marchand, sans que les troupes prissent sa défense. Un de ses successeurs destitua tous les magis- trats, et les remplaça par des officiers de la garnison. Des troubles aussigraves devaient nécessairement détendre les ressorts du gouvernement de la colonie et avoir des conséquences funestes. Dans une seule mauvaise saison, DE LA FAVORITE. 275 cent soixante individus moururent à l'hôpital. Les sau- vages , profitant de l’inaction à laquelle des maladies épi- démiques meurtrières condamnaient les soldats et les habitants, commirent d'horribles déprédations. Les con- victs, que ne pouvaient plus nourrir les magasins de l’état, dont le naufrage de plusieurs transports expédiés d'Angleterre et les inondations ou les sécheresses qui détruisirent toutes les récoltes, avaient suspendu l'ap- provisionnement, les convicts, dis-je ,'déployèrent plus d'audace que jamais. Des bandes de maraudeurs (bush- rangers ) s'organisèrent dans les bois, rançonnèrent, as- sassinèrent les cultivateurs, et dérobèrent le bétail, dont la plupart du temps les gardiens étaient leurs es- pions ou leurs complices. Les grandes routes, les envi- rons même du chef-lieu devinrent si dangereux la nuit que le magistrat chargé de la police défendit de voya- ger après le coucher du soleil. D'un autre côté, les convicts restés sous le joug ne montraient pas de meilleures dispositions ; ils ac- cueiïllirent avidement la fable absurde qu'un pays peu- plé de blancs, et où ils pourraient vivre sans travailler , existait à peu de distance dans le S. O. de Sidney. Une semblable perspective ne pouvait manquer de séduire des misérables à qui le travail et la tranquillité étaient également insupportables ; aussi la fermentation s'accrut à un tel point parmi eux que le gouverneur se vit obligé de condescendre à leurs désirs, et de permettre à quelques-uns des plus exaltés d'aller, accompagnés de guides et de soldats, à la recherche du nouvel Eldorado. Ces coquins s'étaient à peine mis en route qu'ils tra- 18. = 276 VOYAGE mèrent l'infernal complot d'égorger l'escorte et de s’em- parer des armes, complot qui fut heureusement décou- vert, et ils n'arrivèrent qu'après des fatigues inouies au pied des Montagnes Bleues, d'où ils revinrent au cheflieu à moitié morts de misère et de faim. ie Cette espèce d'émeute était à peine calmée, et les principaux auteurs du désordre exilés à l'ile Norfolk, que les magistrats eurent à lutter contre un danger beaucoup plus imminent. Les convicts irlandais, plus superstitieux encore et plus indomptables que leurs compagnons anglais ou écossais, se soulèvent subite- ment à la voix d’une vieille sorcière catholique qui leur prédit que les Français vont arriver pour conquérir la colonie; ils s'arment de pelles, de pioches, de haches, et marchent contre la garnison en proférant des cris de mort et de liberté. Mais quepauvaient des Peur di : HAT. de [2 à COERS 5 5 # 5 VULILIL UC mn 4 On les mit en déroute , et leurs chefs subirent le dernier supplice. Une autre maladie, presque aussi funeste que: la superstition et l'esprit de révolte, exercait en même temps ses ravages sur cette épouvantable population: c'était la passion des liqueurs fortes, portée à un excès ignoré même des plus basses classes dans nos villes de France; à Sidney comme à Hobart-Town, hommes et femmes, libres ou convicts, s'y livraient avec une fureur inconcevable ; et quand il s'agissait de la satisfaire, les meurtres, le vol, la dissolution la plus effrénée n'avaient rien d'effrayant pour eux. En vain les gouverneurs prohi- bèrent l'introduction des liqueurs fortes sous des peines très-sévères ; les capitaines et les matelots des navires « # DE LA FAVORITE. 277 mouillés sur les rades du Port-Jackson en débarquaient furtivement sur la côte des quantités considérables , etse procuraient ainsi des gains énormes aux dépens des ha- bitants, qui ne pouvaient plus se passer, ni pour eux ni pour leurs domestiques, de cette perfide boisson. Aussi vit-on , en peu de temps, un grand nombre de cultiva- teurs arriérés dans leurs payements et forcés de livrer à vil prix leurs récoltes aux marchands de Sidney, qui s'étaient emparés non-seulement du commerce du rhum, mais encore de celui de toutes les marchandises d'Eu- rope, dont les prix exorbitants achevèrent la ruine de plusieurs colons. Ces marchands toutefois n’en faisaient pas pour cela de meilleures spéculations ; car, malgré les louables intentions du gouverneur, qui permit plu- sieurs fois à des bâtiments étrangers de débarquer leurs cargaisons à Sidney, et malgré les envois de numéraire que fit la métropole pour rendre les transactions com- merciales plus faciles dans la colonie, les affaires y étaient presque nulles. IL est vrai qu'à cette époque la cour de Lindos enga- gée dans une lutte sanglante contre nous, semblait avoir oublié l'Australie. Peut-être aussi comprenait-elle déjà que son système de déportation était essentiellement vicieux, et ne produirait jamais de bons résultats. Il est certain du moins qu'il s'élevait déjà contre ce système une foule de plaintes, et les renseignements que le mi- nistère recevait de la Nouvelle-Galles du Sud présen- taient tant de différences entre eux, qu'il lui étaitimpos- sible de discerner l'état réel des choses. Les voyageurs et les négociants qui revenaient de cette colonie, la 278 VOYAGE dépeignaient comme un cloaque de crimes et de vices qu'il faudrait renoncer à nettoyer, à moins qu'une popu- lation libre n'y vint imposer pour ainsi dire ses mœurs régulières et son goût pour le travail-aux déportés de l'un et l'autre sexe, et corriger ainsi leur hideuse dé- moralisation. Nous avons vu, à propos de Var Diémen ; nié était exact le tableau que je viens de reproduire ici; mais la vérité ne put percer le voile dont l'avaient entou- rée les gens intéressés à la tenir dans l'ombre : aussi la cour de -Londres n’attribua-t-elle ces représentations , faites par des hommes étrangers à l'administration de ses nouveaux établissements, qu'à une envie mal dé-. guisée , ou au désir de partager les avantages dont jouis- saient ses employés en Australie. De leur côté ceux - ci, qui possédaient tous les honneurs et tous les priviléges dans la colonie, où ils formaient une véritable aristocra- üe, peu nombreuse encore, mais animée d’un même esprit, repoussaient de toutes leurs forces des préten- tions qui ne tendaient à rien moins qu'à diminuer leur influence et leur richesse, en amenant de nouveaux compétiteurs. Cependant, au milieu de tant d'obscurités et d'incer- titudes, il paraît que le ministère anglais entrevit se la réalité ; car il envoya plusieurs fois, aux frais de 'é et notamment en 1808, des. migrants à la Nec Galles du Sud. Mais. ceux-ci, toujours clair-semés, et d'ailleurs recrutés pour la plupart dans le bas peuple des villes, ne se montrèrent ni moins immoraux, ni moins paresseux que les déportés, auxquels pourtant il DE LA FAVORITE. 279 n'avait jamais été aussi opportun d'offrir de bons exem- ples ; car ils composaient, en 1808, les trois quarts au moins d’une population de quinze mille âmes; encore même les émancipés, c'est-à-dire les convicts libérés ou graciés, formaient-ils une bonne partie du reste. Tel était l'état des choses lorsque, par un dé ces hasards heureux qui décident du sort des grandes entre- prises, le colonel Lachlan Macquarie fut choïsi pour gouverner l'Australie. Arthur Phillip était parvenu, à force de patience et de fermeté, à fonder Sidney avec l'écume des prisons de la Grande-Bretagne ; Macquarie consolida l'édifice de son illustre prédécesseur au mo- ment où il chancelait sur ses fondements, et donna à l'Angleterre, on pourrait dire au monde, de nouvelles ptovinces, une nouvelle nation, qui ser éternel lement sa mémoire. En effet, jamais magistrat ne posséda à un plus haut degré l'affabilité, la bienfaisance , la modération, et ne parut plus exempt de ces préventions si contraires à la conversion de l'espèce d'hommes que le colonel Mac- quarie était appelé à gouverner, et qu'il tenta, mais en vain, de soustraire, pour les rendre meilleurs, aux préjugés dont le joug d’airain les écrasait et s'opposait à leur retour au bien. Sous son administration vigou- reuse et éclairée, la colonie secoua pour ainsi dire les ne ue l'enfance, et entra dans gi ar gl e ce Siiéy n'avait été re qu'une réunion 0h régi di re de petites constructions, bâties suivant la fants ie la commodité de chaque propriétaire; des rues larges et 280 VOYAGE tirées au cordeau traversèrent la ville dans tous les sens et se garnirent de belles maisons et de boutiques, où beaucoup d'habitants vinrent se loger, après avoir aban- donné leurs anciennes demeures construites au sommet des monticules escarpés qui dominent la partie occiden- tale de Sidney-Cove. De tous côtés s'élevèrent des monu- ments d'utilité publique; des forts etdes batteries couvri- rent les’ pointes voisines du mouillage , ou couronnèrent les collines les plus élevées des environs. Paramatta eut aussi part à ces embellissements; et s'il ne put riva- liser avec Sidney de population et d’étendue, il eut du moins l'avantage de servir pendant plusieurs mois de séjour aux autorités et aux principaux négociants, qui allèrent chaque année passer la saison des chaleurs dans les charmantes maisons de campagne distribuées sur le penchant de Rose-Hill, et parmi lesquelles se fait remarquer celle du gouverneur, par sa gracieuse architecture, ses beaux jardins et son admirable expo- sition. ee Jusqu'alors les communications entre les deux villes n'avaient eu lieu que par la rivière, dont les mauvais temps et les marées rendent la navigation précaire et quelquefois même impossible. Bientôt une bélle route, ornée de ponts et de chaussées, permit aux habitants de voyager facilement dans les principaux cantons de la colonie et de transporter les produits de leurs terres Jus- qu'aux rivages de la mer. Cet ouvrage augmenta nota- blement la valeur des concessions situées dans l'inté- rieur, en procurant aux colons les moyens de pénétrer plus aisément au centre des forêts, d'y fonder successi- 4 À DE LA FAVORITE. 281 vement plusieurs bourgs, et de pousser peu à peu leurs défrichements jusqu'aux Montagnes Bleues. Ils ne s'ar- rêtèrent pas au pied de ces remparts de granit, que les Européens avaient considérés pendant vingt-huit ans comme la frontière naturelle et inaccessible de la Nou- velle-Galles du Sud; après bien des tentatives infruc- tueuses, ils les franchirent en 1814, et cet événement fixa, pour ainsi dire, les destinées de l'Australie. En effet, on découvrit de l’autre côté de ces montagnes des plaines presque sans bornes, riches en excellents pâtu- rages, où les troupeaux de moutons se multiplièrent en peu de temps d'une manière incroyable, et formèrent dès lors une des principales richesses de la colonie. Les émigrants s'y portèrent en foule; et quelques années s'étaient à peine écoulées depuis que le pavillon anglais avait flotté pour la première fois sur l'emplacement de la ville de Bathurst, que déjà celle-ci donnait son nom à un comté populeux. Les résultats de cette vigoureuse impulsion, qui de- vait faire monter l'Australie à un si haut point de pros- périté agricole, ne se firent pas sentir aux seuls cantons limitrophes des Montagnes Bleues. Celui d’Argyle, dont les vastes plaines, si renommées par leurs pâturages, s'étendent dans le S. O. du chef-lieu, se peupla rapide- ment. Broken-Bay, situé à quelques lieues seulement au N. du Port-Jackson, et où se jette la rivière d Hawkes- bury, après avoir, dans ses nombreuses sinuosités , baigné les environs de Paramatta ; Port-Hunter, formé plus au N. par un enfoncement impraticable pour les navires de fort tonnage , mais dont les fertiles bords pro- æ 282 VOYAGE duisent sans peine tous les végétaux de notre Provence, et renferment les mines de charbon qui fournissent ce précieux combustible à la colonie: Port-Stephens plus favorisé que son voisin sous le rapport de la navigation, mais qui voit fréquemment ses campagnes, naturelle- ment sablonneuses, dévorées par des sécheresses de longue durée; plus près encore du tropique du Capri- corne, par 31° 20’ de latitude S., Port-Macquarie, où poussent à l'envi les productions des pays chauds; en- fin plusieurs autres points maritimes moins importants, devinrent successivement les centres de nouveaux éta- blissements, après avoir servi de lieux de punition pour les plus intraitables convicts. À cette époque tout semblait concourir à l'accom- plissement des grandes vues du colonel Macquarie pour la prospérité de la Nouvelle-Galles du Sud. La détresse où le blocus continental avait réduit les manufactures dela Grande-Bretagne , poussait les classes ouvrières de ce royaume à se mettre en contravention aux lois en brisant les métiers et les mécaniques, et les tribunaux condamnèrent à la déportation des centaines d'individus industrieux et habitués au travail; d'un autre côté, la gène qu'éprouva dans ces mêmes circonstances le commerce d'Angleterre, “et l'énormité des taxes, déterminèrent beaucoup de familles à s'embarquer avec leur fortune et leurs pénates pour l'Australie ; dont la cour de Lon- dres venait d'ouvrir les portes à tous les émigrants, sans aucune exception, Et telle fut alors l'affluence de ces derniers, sortis généralement de cette classe moyenne, chez laquelle on rencontre ordinairement DE LA FAVORITE. 285 l'aisance unie à l'activité, qu’ils composaient déjà en 1817 le tiers des vingt mille âmes répandues dans les différentes parties de la Nouvelle-Galles du Sud. Ainsi donc le principe qui avait présidé à la fondation des établissements pénitentiaires, s’il n'était pas entièrement abandonné, avait du moins subi des modifications es- sentielles; et le gouvernement anglais, après des dé- penses énormes, voyait, sans pouvoir lempècher, ses possessions australiennes envahies me une mali d'hommes libres, qui renv tous ses projets. Car il ne pouvait se flatier ra recueillir, en suivant cette nouvelle route, des avantages sembla- bles à ceux dont l'avait privé Pons de l’'Amé- rique du nord. Dans cette dernière contrée, habitée depuis dote: temps à l'époque où l'on y envoya les premiers convicts, ceux-ci trouvaient en arrivant une population labo- rieuse, de mœurs rigides, au milieu de laquelle on les disséminait. À la Nouvelle-Galles du Sud , au contraire, c'étaient eux qui présentaient aux € nts une masse compacte, dont les membres, liés par des intérêts communs, ne se montraient que fort peu disposés à suivre des leçons de travail et de vertu. Le mélange des habitants d’origine libre et des déportés, qui avait réussi aux États-Unis, ne pouvait donc s'opérer que bien dif- ficilement à Sidney: Aussi les deux partis ne tardèrent- ils pas à se trouver en présence, mais avec des forces bien inégales; d'un côté étaient les richesses, la consi- dération, la haute main dans les affaires publiques ; de l'autre, l'avilissement, l'immoralité, ou, de fâcheux anté- 284 VOYAGE cédents que rien ne pouvait effacer. Le repos de la colonie aurait exigé un rapprochement ; mais pour y parvenir il aurait fallu plus de titres à l'estime publique chez les émancipés, et moins de hauteur chez leurs or- gueilleux rivaux. Le succès était impossible, puisque le colonel Macquarie échoua dans ses tentatives pour l'obtenir. Dès son arrivée à Sidney, ce gouverneur trouva l'espèce d'aristocratie, dont j'ai déjà parlé, maîtresse des terres les plus considérables, exerçant sar l'admi- nistration une influence illimitée, et affectant le plus profond mépris pour la classe des émancipés. La posi- tion de ces derniers était intolérable sous beaucoup de rapports : on les‘repoussait de toutes les fonctions pu- bliques; leur témoignage n’était reçu qu'avec difhculté . devant les tribunaux; enfin, leurs enfants partageaient la réprobation qui les flétrissait. Ainsi tombaient, dé- mentis par les faits, tous les calculs des philanthropes: ils avaient promis que les criminels, transportés sur dois du théâtre de leurs méfaits, devien- draient honnêtes gens; mais, ce qu'un peu plus de fé- flexion eût pu leur indiquer d'avance, il était avenu là- bas précisément ce qui avient dans nos bagnes et nos maisons de correction : les déportés, réunis sur un même point, avaient complétement abjuré tous les sentiments d'honneur et de probité. Et comment pou- vait - il en être autrement, lorsque ces malheureux, rendus à la liberté, se voyaient rejetés avee horreur par leurs compatriotes des hautes classes, qui, dans leurs préventions iniques , les confondaient, eux et leurs DE LA FAVORITE. 285 descendants, avec la tourbe des convicts, dont le nom- bre augmentaiy ainsi, au lieu de diminuer? Plusieurs émancipés cependant étaient parvenus par une bonne conduite et par leur active industrie, sous la protsshion de quelque habitant considéré, à l'opulence et à sorte de réhabilitation. Ge fut de ceux-ci que le colonel Macquarie se servit, mais inutilement, pour opérer un rapprochement entre les deux partis. Il les appela aux emplois publics et aux fonctions de la magistrature, et il est juste d'avouer qu’en général ils répondirent à sa confiance. I les approcha de sa personne, écouta leurs avis, et prit toutes les mesures que la prudence et l'a- mour du bien lui dictèrent, pour réveiller en eux ce désit de considération, qu'un long avilissement semblait avoir entièrement effacé. En même temps que le gouverneur cherchait à réta- blir un parti dans ses droits politiques, il faisait tous ses efforts pour atténuer la trop grande influence de l'autre sur les décisions de l'autorité et sur les affaires commer- ciales. D'abord il secoua tout à fait l'espèce de tutelle où l'aristocratie de Sidney avait tenu ses prédécesseurs; puis, au moment que, sur sa demande, la cour de Londres accordait l'entrée du Port-Jackson à tous les navires nationaux, il défendit aux employés de l'état de s'occuper d'un trafic quelconque, et leur enleva ainsi un monopole, dont ils ne partageaient les énormes bénéfices qu'avec fort peu de marchands. Ces mesures, qui lésaient la classe supérieure dans ce qu'elle avait de plus cher, ses préjugés et ses intérêts, éprou- vèrent de sa part une vive opposition, que les émi- 286 VOYAGE grants, qui accouraient en foule d'Angleterre, vinrent fortifier chaque année de leur assentiment. Sousle pré- texte que la présence des émancipés chez le gouverneur était un affront pour eux, les notables habitants et la plupart des officiers civils ou militaires refusèrent de paraître à sa table et à ses assemblées, Tout ce que les mauvaises passions peuvent suggérer de récriminations et de calomnies fut misen œuvre auprès du ministère an- glais , afin d'empoisonner les intentions du colonel Mac- quarie , et de noircir les hommes dont il s'était déclaré le défenseur. Malheureusement pour la colonie, les événements donnèrent à ces récriminations une appa- rence de vérité. _ La paix de 1814 venait de rendre la irancullifé:à l'Europe, et l'Angleterre avait enfin le loisir de s'occuper deses finances, qu'une longue guerre avait mises en bien mauvais état. Elle reconnut qu'il ne lui était possible de les rétablir qu’à force d'économie, et la Nouvelle-Galles du Sud HS nécessairement un des premiers points sur lesquels se porta le sévère examen du ministère britannique. Il s'aperçut alors clairement que son sys- tème de déportation était fort onéreux et PSE SN Jamais les avantages que ses partisans avaient annoncés. Peut-être l'aurait-il abandonné dés cette époque, si l'ef frayante progression qu'avait suivie dans la Grande- Bretagne le nombre de els condamnés annuel: Le gouvernements Fa plus sages, celui | eut recours, pour diminuer les dépenses dés: posses- DE LA FAVORITE. 287 sions australiennes, à des moyens extrêmes qui au- raient tout perdu, si le puissant commerce maritime d’Angletèrre et la fièvre d'émigration , toujours régnante chez les classes moyennes de ce pays, n'eussent réparé le mal en partie. Les mesures d'économie les plus cet fire commandées au colonel Macquarie, auquel on repro- cha en même temps les beaux et utiles travaux entrepris pour la prospérité de l'Australie. Ce gouverneur se vit donc obligé, pour satisfaire aux exigences des ministres, d'exécuter dans le personnel de l'administration et dans les dépenses publiques de nombreuses réductions qui lui suscitèrent de nouveaux adversaires. D'un autre côté, la quantité de convicts que la nécessité de ré- duire les charges de l’état avait fait libérer prématuré- ment se portèrent aux plus grands excès, pillèrent les habitations, infestèrent les grandes routes, et justifièrent ainsi toutes les préventions que les ennemis des éman- cipés s'étaient eflorcés d’inspirer contre eux. Ces der- niers événements, dont les mécontents dissimulèrent avec soin les véritables causes, et les dénonciations sans cesse renouvelées, entraînèrent enfin la cour de Londres dans une démarche qui eut les plus malheu- reuses conséquences : elle envoya à Sidney un com- missaire chargé de connaitre des griefs que chaque parti nine le parti opposé. Ge que l'on aurait dû prévoir usé passions jalouses et haineuses de e nt autour du délégué, dont amo gros re ne put résister-au désir de faire sentir son ES dd Lfourcttiiess qui dès ce moment vit ses 288 VOYAGE moindres actes, passés ou présents, épluchés avec la plus minutieuse malveillance. Les principaux membres de la classe des émancipés furent abreuvés de dégoûts, et soumis, relativement à leur origine et à celle de leur fortune, aux enquêtes les plus « outrageantes, dont les résultats, consignés dans les. rapports officiels, de- vinrent en quelque sorte des archives de déshonneur pour beaucoup de familles de la colonie. Ce scandaleux état de choses dura deux ans : tant de déboires, tant d'injustices découragèrent le colonel Mac- quarie , et altérèrent sa santé. Cet administrateur éclairé et véritablement philanthrope, ne pouvant plus faire le bien dans la Nouvelle-Galles du Sud, retourna en Eu- rope à la fin de 182 1 ; emportant la noble espérance que le gouvernement anglais finirait par l'apprécier, et que la population de lnitrsdie rendrait justice tôt ou tard . l'élévation de ses vues et à la pureté de ses inten- . Gette espérance s’ést réalisée : chaque année, en Fi depuis le départ de ce gouverneur, a vu son sou- venir entouré d'une nouvelle ‘vénération, et son nom est invoqué aujourd'hui aussi bien par les publicistes de Sidney que par les opprimés et les malheureux. = Pendant la courte administration du général Bris- bane, qui succéda au colonel Macquarie, tes émanci- pés : rétombèrent dans la triste situation d’où le dernier gouverneur avait E de ds tirer. Une fatale parci- vaux que le bien ee: mais encore d'en- tretenir ceux qui avaient été achevés pr Des droits onéreux et des prohibitions établies : dans le DE LA FAVORITE. 289 seul objet de favoriser le commerce de la métropole’ génèrent le petit nombre de branches d'exportation qu'exploitaient les colons, dont ces mesures criantes ne contribuèrent pas faiblement à augmenter l'esprit turbulent et D NE pour le joug de la mère patrie. Cependant les dissensions qui divisaient les diverses classes d'habitants de la Nouvelle-Galles du Sud ne tardèrent pas, en fixant l'attention de la cour de Lon- dres, à provoquer des changements importants dans les institutions qui régissaient l'Australie depuis 1786, et contre lesquelles les émigrés élevaient alors: comme aujourd’hui de vives et continuelles réclamations. En vertu d'un acte du parlement rendu en 1823, un conseil de cinq membres au moins et de sept au plus partagea l'autorité du gouverneur, qui jusqu'alors avait été à peu près absolue. H était dit, par le même acte, que l'assentiment de la majorité de ce conseil, en partie composé de propriétaires et de négociants, serait dorénavant nécessaire pour la mise en vigueur des règlements que la sûreté ou l'administration de la co- lonie pourraient exiger, pourvu cependan srl fussent pas contraires aux lois de la Grande-Bretagr ce qu'aurait à décider le grand-juge, qui, avec de autres magistrats subalternes, formait la cour suprême, dont les attributions pouvaient être comparées à Mrs des. para pets: dbngiotien idérables, et es 0 les cdlosidi: i nodéo de liberté, ne s'en montrèrent nullement satisfaits : ils trouvèrent que LITE 19 , æ. + 290 VOYAGE l'acte du parlement avait laissé trop de pouvoir au gou- verneur, en lui conférant le droit non-seulement de choisir les membres du conseil colonial, mais encore de mettre à exécution, en attendant la décision du roi, les ordonnances que ces derniers refusaient d'approuver. Par ce même acte, qui n’était valable que pour quatre ans, le gouvernement britannique se réservait la faculté d'introduire , quand ïl le jugerait à propos, l'institution du jury dans ses établissements de la Nouvelle-Hollande. Cette espèce de promesse parut bien vague, bien éloi- gnée aux habitants; aussi excita-t-elle leurs plaintes et principalement celles des publicistes de Sidney, à qui la liberté de la presse ne donne que trop la facilité de répandre leurs principes d'opposition et de dénigrer systématiquement les hauts fonctionnaires de la co- lonie. La population de la Nouvelle-Galles ps Sud était dans cet état de fermentation quand le général Darling vint en 1823 remplacer le gouverneur Brisbane, que des circonstances difficiles et des tracasseries sans cesse renaissantes avaient porté à solliciter son rappel, et qui partit estimé généralement de ses administrés, pour da droiture de son caractère et la variété de ses connais- sances, mais non exempt du reproche qu’on lui fit de s'étretrop isolé des partis, et d'avoir laissé prendre à ses alentours une trop grande part aux affaires publiques. Son successeur, que des instructions secrètes enga- geaient sans doute à se conduire autrement, ‘prit une route tout opposée, et ne s’en vit pas. moins bientot en butte aux dénonciations et aux violentes attaques de ces DE LA FAVORITE. 291 mêmes hommes qui avaient amèrement censuré la con- duite de ses prédécesseurs. Le général Darling avait une tâche d'autant plus épi- neuse à remplir que les changements survenus depuis peu dans l'état politique intérieur de la colonie op- posaient de nouveaux obstacles à la marche du gouver- nement. Le colonel Macquarie avait eu à réprimer, ül est vrai, l'ambition des grands propriétaires, que liait étroitement la défense de leurs priviléges et de leurs pré- jugés : mais il jouissait d’un pouvoir presque absolu ; ses adversaires étaient en petitnombre, et obligés eux- mêmes de résister aux émancipés, qui, malgré leur abaissement, pouvaient prêter quelque appui au gou- verneur. En 1826, les choses avaient bien changé : il s'était organisé un troisième parti tenant le milieu entre les deux autres, moins puissant, moins riche que le premier, plus remuant, plus ambitieux que le dernier, et formé d'hommes généralement instruits, d'une ima- gination ardente, et possédés de cet amour des nou- veautés qui, en Angleterre comme en France , agite les classes moyennes. Ce troisième parti, qu'ont fait naître la hauteur et les dédains de l'aristocratie australienne , se compose principalement d'hommes de loi-et d'avo- cats, auxquels l'habitude de parler et d'écrire donne à Sidney, comme dans tous les pays civilisés, beaucoup d'empire sur la multitude. Aussi exercent-ils surla nombreuse classe des petits propriétaires et des mar- chands une grande influence qui s'est étendue jusque sur les émancipés, dont ils affectent de prendre la dé- fense, pour se ménager des auxiliaires contre leurs ri- 19. 292 VOYAGE vaux. Ceux-ci, malgré cette défection qui a fort éclairei leurs rangs, ne s'en croient pas moins destinés de droit à remplir le principal rôle en Australie, c’est-à-dire à profiter de toutes les faveurs du pouvoir, à s’attribuer le monopole de toutes les places, à diriger la marche du gouvernement, enfin à tenir dans leur dépendance le tiers état et les émancipés. Rien ne leur manque, il faut en convenir, pour soutenir ces prétentions exor- bitantes : le haut commerce; les plus belles propriétés sont entre leurs mains, ils comptent parmi eux des gens aussi distingués par leurs talents que par leurs noms, dont l'illustration historique ne les a pourtant pas mis en Europe à l'abri de l’inégal partage des biens et de l'expatriation, sa conséquence presque nécessaire. Également froissés dans leur amour-propre et leurs intérêts par les institutions de leur pays natal, ils espèrent en appelant la Nouvelle-Galles du Sud à la liberté, s'y assurer les mêmes avantages qu'ont leurs aînés en Angleterre. Mais l'ancienneté, ce prestige qui entoure encore la noblesse féodale chez quelques na- tions de l'Europe, ne brille que bien faiblement sur les bords de là Nouvelle-Hollande, surtout aux yeux de la masse d'individus dont j'ai parlé plus haut, et qui forment à Sidney une espèce de tiers état. VALLLCL terre nouvelle l'antique édifice des priviléges qui n'existe DE LA FAVORITE. 293 plus en France, et qui chez nos voisins s'écroule de toutes parts? Ils s'y montrent si peu disposés, qu'au contraire ils s'opposent de toutes leurs forces aux pré- tentions de l'aristocratie australienne, et demandent sans cesse, bien moins peut-être dans l'intérêt général que pour abaisser la puissance et l'orgueil de cette caste, toutes les institutions dont leurs compatriotes jouissent en Angleterre, c'est-à-dire la liberté illimitée de la presse, le jugement par jury, et une assemblée lé- gislative. Une semblable cause peut paraître belle sans doute ; mais malheureusement, à la Nouvelle-Galles du Sud comme en Europe, elle est souvent ternie par la vio- lence et de coupables prétentions. Ses apôtres ne rou- gissent point d'user des plus indignes moyens pour avilir les premiers fonctionnaires : ils se livrent contre eux à des attaques calomnieuses , à des critiques remplies d'a- mertume et dénuées de fondement. Ces ambitieux ne craignent pas d'exciter contre le gouvernement et Îles hautes classes de la société, par des écrits incendiaires, la haine et la jalousie des émancipés. Heureusement pour la tranquillité de la colonie, ces+derniers n'ont jusqu'ici prêté que peu ou point l'oreille à de si dange- reuses insinuations : l'obscurité où ils sont retombés dépuis le départ du gouverneur Macquarie semble leur convenir, et ils témoignent pour leurs droits politiques une indifférence qui excite journellement l'indignation des journalistes de Sidney. Cette indifférence est pour- tant facile à comprendre; car les émancipés enrichis , qui ont pour la plupart amassé leur fortune sous le 294 * VOYAGE patronage de quelque membre de l'aristocratie, n’ont garde de se déclarer contre une caste où leur plus grand désir est de se faire admettre; et ceux qui, en bien plus grand nombre, exercent le petit commerce ou composent la classe ouvrière et domestique du chef- lieu, ayant également besoin de la protection des riches, sont forcés de se conformer à leur opinion politique et de paraître au moins penser comme eux. D'ailleurs, quel autre sentiment que l'amour du gain, et du gain illicite, peut germer chez des individus habitués à da honte et qui se voient méprisés même de leurs pré- tendus défenseurs? Quel intérêt pour les affaires pu- bliques doit-on attendre de malheureux qu'un préjugé inexorable poursuit sans cesse et a marqués du sceau de l'infamie ? I n’est plus pour eux d'espérance de rega- gner cette considération si flatteuse aux yeux des’ hon- nêtes gens, et par conséquent ils sont forcés de rester toute leur vie accolés aux misérables parmi lesquels on s'obstine toujours à les classer. Aussi n'existe-t-il pas de pays au monde où la populace soit aussi dépra- vée qu'à la Nouvelle-Galles du Sud. Le libertinage, une passion effrénée pour les liqueurs fortes, et les désor- dres qui en sont les suites ordinaires, tels que les rixes, le vol, l'assassinat, font annuellement rentrer dans les fers ou monter sur l'échafaud un grand nombre de dé- portés. En vain l'on chercherait chez la plupart des petits trafiquants et des artisans cette bonhomie, cette probité instinctive que l'on rencontre souvent en Eu- rope dans le bas peuple; à Sidney, la confiance, même dans les plus petites transactions, est regardée comme DE LA FAVORITE. 295 une duperie ; et si le nom injurieux de convict, donné au vendeur par l'acheteur mécontent, est puni d'une amende, celui-ci peut du moins témoigner impunément au boutiquier une méfiance et des soupçons qui révol- teraient le plus petit marchand de nos cités. Après avoir tracé le portrait des convicts, ferai-je celui des femmes leurs collègues? de ces femmes que des philanthropes, séduits ou trompés, nous repré- sentent comme régénérées moralement sous le ciel de l'Australie, et pratiquant sur cette nouvelle terre toutes les vertus qu'elles avaient oubliées dans les mauvais lieux des villes de la Grande-Bretagne. J'ai cherché ces vertueuses mères de famille, ces filles qui rachètent par une sagesse exemplaire leurs erreurs passées, et qui promettent d'être les compagnes fidèles des crimi- nels devenus honnêtes-gens. Je n'ai pas plus entendu parler à Sidney qu. Hobart- Town de filles ou de femmes repenties. J'ai vu d'indignes créatures, que ni les-lois ni les-châtiments les plus sévères ne peuvent empêcher de s'abandonner au larcin, à l'ivrognerie et à la prostitution. Elles remplissent les prisons , d'où elles sortent pires qu'auparavant, et odieuses même à leurs maris, qui, malgré les prescriptions de la loi, refusent de les reprendre avec eux. . On se laissera aller pourtant à un sentiment de com- passion en faveur de ces créatures, tout avilies qu'elles sont, si l'on réfléchit que leur sexe, pour lequel une première faute est presque toujours le prélude des derniers excès, avait non-seulement à subir à la Nou- velle-Galles du Sud influence d'un faux système , mais 296 VOYAGE encore à se défendre contre toutes les séductions qui doivent naturellement circonvenir de pauvres femmes, dans un pays où leur nombre est à peine le tiers de celui des hommes, et où les classes supérieures elles- mêmes montrent, sous le rapport des mœurs, des principes un peu relâchés. - J'ai voulu esquisser à grands traits la position des différents partis qui se partageaient les habitants de l'Australie au moment du passage de la Favorite au Port- Jackson, afin de donner au lecteur une idée des diffi- cultés que le général Darling éprouva dans l'exécution des mesures ordonnées par le ministère pour réduire les dépenses excessives de la colonie et assurer sa tran- quillité, mesures qui ne pouvaient manquer d’exaspérer contre le gouverneur ses remuants administrés. En effet, on prit texte d'abord de l'interruption des grands tra- vaux; fort utiles sans doute, mais qui avaient coûté déjà des sommes exorbitantes à la métropole, pour lui imputer le dessein d’entraver dans leur cours les pros- pérités du pays. La ferme intention qu'il manifesta de réprimer les prétentions de l'aristocratie, fit crier à l'arbitraire; enfin, ses tentatives pour refréner la dé- moralisation des émancipés et mettre un terme aux crimes des convicts, furent appelées de la tyrannie. Pendant quelque temps, il espéra trouver un soutien parmi les membres du tiers état, qui voyaient avec plaisir le pouvoir de leurs rivaux décliner chaque jour; mais bientôt ces alliés devinrent exigeants. Le minis- ière ayant de nouveau refusé, en 1827, époque du renouvellement du bill pour l'administration de 1a Nou- DE LA FAVORITE. 297 velle-Galles du Sud, non-seulement d'accorder le juge- ment par jury et une chambre législative, mais encore d’abolir certains droits de douanes, ainsi que le règle- ment relatif à la vente des terres (24), ce refus les aliéna d'autant plus, qu'il-réjetait à une époque fort éloignée leurs espérances ambitieuses. Dès lors, le gé- néral Darling vit la presse déchainée contre lui et contre les membres du conseil, dont elle critiqua les actes . amèrement, et à qui elle adressa les personnalités les plus offensantes. Le mot de liberté retentit journelle- ment dans les gazettes du cheflieu , et trouva de l'écho dans les rangs élevés de la société, dont les meneurs commencèrent à alléguer contre la métropole, et pro- bablement dans l'espoir d'arriver à un résultat sem- blable, les mêmes griefs qui ont causé la séparation de l'Amérique du nord. N'est-il pas, jusqü'à un certain point, excusable, l'homme d'état qui, malgré tous ses efforts pour faire le bien, se voyant en butte à tant d'attaques injustes, s’est laissé entraîner dans une voie de répression sur laquelle il est bien malaisé, même au fonctionnaire le plus sage et le plus maître de lui, de s'arrêter et de ne pas sacrifier quelquefois la légalité à l'honneur cruelle- ment blessé? Sans doute que le général Darling, crai- gnant cet esprit d'indépendance quis'exalie de plus en plus parmi les colons, aura voulu, en entrant lui- même.dans tous les détails des administrations civile et judiciaire, leur-rendre l'énergie qu'elles avaient per- due sous son prédécesseur : sans doute aussi qu'il aura senti la nécessité de mettre-un frein à cette licence de 298 VOYAGE la presse, interprète de toutes les mauvaises passions, et si redoutable au milieu d’une population composée d'individus, les uns ambitieux et désireux de change- ments, les autres entreprenants et dépourvus de toute espèce de moralité. Mais il aura blessé peut-être la va- nité ou les prétentions de quelques personnes : et com- ment pouvait-il éviter cette faute, dans la position diffi- cile où le plaçaient les discords de la Ms et de ses administrés ? Au milieu des débats de la Grande-Bretagne avec ses colonies australiennes , il est presque impossible de débarrasser la vérité des voiles dont les écrivains s'ef- forcent de l'envelopper pour améliorer leur cause. Les ennemis de la cour, se considérant comme destinés À jouer un rôle important dans les affaires publiques de la Nouvelle-Galles du Sud, si elle parvient à s'affranchir , représentent constamment à leurs concitoyens comme un despotisme intolérable, les précautions que prend l'Angleterre pour s'assurer quelques dédommagements de tant de trésors dépensés; ils la dépeignent comme une marâtre qui cherche à tenir le plus longtemps qu'elle peut ses enfants dans la dépendance, afin de profiter du fruit de leurs travaux, et qui les prive in- justement de leurs droits, de peur qu'ils ne secouent un joug trop pesant. De leur côté, les partisans de la métropole soutiennent leur opinion par une suite d’ar- guments difficiles à réfuter. Ils disent que la couronne, en prenant possession de la Nouvelle-Galles du Sud, et en y déportant à ses frais les criminels des trois: royau- mes, puis en y admettant de son plein gré les émigrants DE LA FAVORITE. 299 était incontestablement maîtresse d'imposer à ces der- niers les conditions qu’elle jugerait les plus favorables aux intérêts de la Grande-Bretagne, et qu'elle avait le droit de concéder les terres gratuitement ou non, de fixer le tarif des douanes de la colonie, et de régir cette dernière par des règlements particuliers. Après toutes les concessions que la cour de Londres a faites depuis 1814, on lui en a demandé, comme nous venons de le voir, deux autres bien plus importantes, et qui semblent justes et raisonnables au premier abord; mais, en y réfléchissant, on reconnaîtra qu'elle ne peut consentir à cette nouvelle demande sans compromettre sa puissance dans ces pays lointains. De quoi s’agissait-il en effet? De modifier le code colonial de telle sorte, que tous les crimes justiciables des cours d'assises en Angleterre, fussent jugés par un jury à la Nouvelle-Galles du Sud et à Van-Diémen, et d’octroyer à la colonie une assemblée législative : chan- gement qui, je l'avouerai, pouvait paraître d'autant plus convenable aux publicistes de Sidney, qu'ils comp- taient bien exclure les émancipés des fonctions de juré , et se servir de la tribune pour remuer les passions po- pulaires, mettre les différents partis aux prises, prè- cher la révolte contre la mère patrie; enfin pour se créer, à la faveur du désordre, une brillante position. Mais le ministère ne devait-il pas craindre de rallumer, entre les émancipés et leurs rivaux, les mêmes dis- cordes qui avaient causé le départ du colonel Mac- quarie? Pouvait-il, dans l'état d'effervescence où ils sont les uns et les autres, s'exposer, en leur accordant 300 VOYAGE une chambre législative, au danger presque certain de les voir bientôt lui refuser obéissance? Ne serait-il pas accusé, avec raison , d'aveuglement, si, après l'expérience de la révolution de l'Amérique du nord, ü fournissait bénévolement à des hommes turbulents un centre de réunion, un point d'appui pour soulever ses colonies et lui enlever à la fois un immense débouché toujours ouvert aux produits des manufactures britanniques , et les moyens de se délivrer de ses criminels, deux avan- tages que certainement il a payés assez cher? Cependant, la Grande-Bretagne n’est pas non plus exempte de torts envers ses sujets australiens ; et parmi les plaintes que ceux-ci exhalent contre elle, il en est plusieurs qui paraissent fondées. Elle a dépensé, il est vrai, des sommes prodigieuses pour ses colonies pé- nales; mais est-il bien juste que les émigrants à qui elle a permis d'aller peupler ces mêmes colonies, soient solidaires de ses fautes, et tenus de suppléer aux dé- penses qu'elle ne veut plus allouer, en pourvoyant eux- mêmes à l'entretien d'une administration aussi nom- breuse que richement rétribuée (25), et à celui des déportés, dont le chiffre augmente tous les ans? De plus, l'accroissement extraordinaire qu'a pris, depuis 1820, la population libre de la Nouvelle-Galles du Sud, n'autorise-t-il pas les colons à réclamer les institutions anglaises, et principalement une assemblée législative qui ait seule le droit de disposer des revenus de la co- lonie, et de les employer à la construction des monu- ments d'utilité publique, ainsi qu’à la conservation de ceux auxquels le sage Macquarie attacha son nom ? Les DE LA FAVORITE. 301 députés élus par chaque canton, connaissant mieux que les bureaux de Londres les véritables besoins du pays, lèveraient les entraves qui gênent son commerce, et ouvriraient des routes plus sûres à cette aventureuse activité des colons, qui, faute d’une bonne direction, devient en partie inutile et même contraire à sa prospé- rité. Si une pareille surveillance eût existé dès l'origine, une foule d’émigrants n'auraient pas perdu leur fortune et la vie dans ces petits établissements situés sur les côtes occidentales de la Nouvelle-HoHande, tels que celui de l’île Melville, qui devait, au dire des premiers explorateurs, attirer tout le commerce des îles à l'E. de Timor, et que l'abandon, la famine et les maladies ont dépeuplé en peu de temps ; celui de la rivière des Cygnes, où les malheureux colons ont à combattre, non-seulement la stérilité d’un sol privé d’eau douce et tourmenté constamment par les vents d'O., mais en- core plusieurs tribus de naturels rusés et méchants. Combien d’autres essais non moins malheureux ne pourrais-je pas citer! En vérité, lorsqu'on voit l'Angle- terre disséminer ainsi sur les plages de la Nouvelle- Hollande des hommes et des capitaux qui auraient été si précieux pour Van-Diémen et la Nouvelle-Galles du Sud, on serait tenté de-croire qu'elle n’a voulu que s'em- parer de tous les points accessibles de ce continent, de peur qu'ils ne tombassent au pouvoir de la France (26). Tels sont les principaux arguments que les publicistes de Sidney mettent en avant pour justifier leurs préten- tions aux institutions libérales qu'ils réclament si vive- ment. Ces arguments devraient paraître sans réplique 502 VOYAGE au ministère anglais; mais il est clair que les deux partis dissimulent , l'un ses craintes, l'autre ses véritables pro- jets, en les voilant, comme il arrive presque toujours, du prétexte spécieux du bien général. Cet état d'irritation et de défiance réciproques n'a pas dû réchauffer la sollicitude de la métropole pour la Nouvelle - Galles du Sud, ni l'engager beaucoup à se relâcher du système d'économie qu’elle suit -à son égard. On conçoit aisément, d’après cela, l'indifférence de l'administration pour les entreprises dont le but serait d'acquérir une connaissance moins imparfaite de la Nouvelle-Hollande, ou de créer des débouchés | pour les productions de la partie de ce continent cultivée par les Européens. Ces deux conditions sont pourtant bien nécessaires à la splendeur future de da colonie, et la seconde surtout devrait fixer toute l'at- tention du gouv t britannique; car, dès à présent, les-habitants de la Nouvelle-Galles du Sud commencent à comprendre la vérité de ce principe, qu'un pays agri- cole n’est riche qu’autant que sa population consomme elle-même ses récolies, ou qu’elles lui servent à payer les marchandises qu'il tire des autres contrées; or, l'Australie ne se trouve ni dans l'un ni dans l'autre cas. À Fépoque de la fondation de Sidney, les premiers arri- vants dirigèrent naturellement leur industrie vers la culture des céréales et la multiplication des troupeaux, seuls moyens d'échapper aux fréquentes disettes qui as- M à 1 + J 4 PP à à TT 4 } is: dé furent en petit nombre, ils vendirent facilement leur blé.ét leur maïs aux habitants du cheflieu, ou à l'état DE LA FAVORITE. 305 pour la subsistance de ses convicts; mais lorsque les émigrants accoururent en foule , et étendirent outre me- sure les défrichements, les produits excédèrent la con- sommation, et restèrent en grande partie dans les gre- niers. Gette surabondance faisait déjà sentir, en 1826, ses funestes effets, lorsqu'une sécheresse, qui dura trois ans, rétablit d'abord l'équilibre, en forçant les colons à consommer les grains des moissons précédentes, puis leur fit éprouver des pertes si fortes que beaucoup d’entre eux ne purent les supporter. Quand le fléau eut terminé son cours, le haut prix des farines et des bes- tiaux ranima de nouveau l'agriculture et en soutint le mouvement progressif, jusqu'à ce que l'abondance étant revenue, la colonie retomba dans le même embarras qu'auparavant. Telle était sa triste situation quand je la visitai en 1831, et l'avenir ne lui présageait rien d'heureux. Cependant plusieurs habitants avaient réussi à se tirer de cette position difficile. Lies uns, imitant les Arnéricains du Nord, mettaient en barils la fleur de farine, et la vendaient avec bénéfice aux bâtiments mouillés sur la rade du Port-Jackson. Les autres pré- paraient, pour les mêmes acheteurs, des salaisoñs dé bœuf. Mais ces deux branches de commerce , qui cons- tituent la principale richesse des É ii n'ont et jusqu'ici et ne prendront jamais, suivant t qu'une extension très-limitée à la détiles Galles du Sud ,-soit à cause du prix élevé des salaisons et de la difficulté de conserver longtemps les grains d'Australie , soit encore à cause de l'immense éloignement où est la Nouvelle-Hollande de tous les pays qui ont besoin de 504 VOYAGE ses denrées. Les armateurs de Sidney et d'Hobart-Town iront-ils, secondés par les vents d'O., chercher un dé- bouché au Chili, contrée dont les vastes plaines four- nissent en quantité des bestiaux et du blé qui sont transportés sur tous les points des côtes occidentales d'Amérique ? Trouveront-ils plus de facilité à placer leurs cargaisons chez les peuples du grand archipel d'Asie, qui ne vivent que de riz, et ont, pour la plupart, la chair de bœuf et de pore en horreur? Il ne restera donc à leur commerce extérieur que des routes peu importantes et même dangereuses; car le petit nombre de leurs bâtiments qui vont porter aux Européens éta- blis à l'ile Maurice, sur les rivages indiens et dans l'ar- chipel de la Sonde , des bois de construction et de mà- ture, des fromages, des moutons, des volailles, un peu de farine et quelques barils de viandes salées, ne par- viennent à ces diverses destinations qu'en franchissant le périlleux détroit de Torrès, ou qu'après avoir lutté, souvent en vain, pendant plusieurs semaines, contre des gros temps continuels, soit pour passer le détroit de Bass, soit pour doubler l'extrémité méridionale de Van-Diémen (27). - Un jour, probablement, la Nouvelle-Hollande tout entière sera envahie par la race blanche, et les habi- tants de ses différentes parties échangeront entre eux les denrées de leurs climats divers; alors les négociants de ce pays se déferont aisément de leurs marchandises, et les cultivateurs ne seront plus obligés de mettre en pâturages, comme ils le font aujourd'hui, des terres à blé dont le défrichement a coûté tant de peines et DE LA FAVORITE. 305 de dépenses. Ces pâturages , du reste , ne sont pas restés inutiles , car les toisons des brebis qu’ils nourrissent for- ment à peu près la seule branche lucrative gr sante tion que possède maintenant la colonie. Avant que les émigrants eussent franchi la chaîne des Montagnes Bleues, Sidney n'envoyait en Europe que très-peu de laine, et encore était-elle d'une qualité inférieure; mais quand ils eurent découvert les cantons de Bathurst et de Wellington-Valley; lorsque, au mi- lieu de belles plaines et sous un climat délicieux, leurs moutons se multiplièrent à l'infini, alors ils sentirent tout le parti qu'ils pouvaient tirer de ces animaux. Hon- neur à Mac-Arthur, qui le premier fit venir d'Espagne, de France et de Saxe des béliers de race pure! car ïl ouvrit à ses compatriotes émigrés la voie de fortune dans laquelle ils ont marché depuis avec tant de bon- heur. C'est à lui qu'ils doivent l'avantage inappréciable de pouvoir fournir maintenant les plus fines toisons du monde aux manufactures de la Grande-Bretagne, qui les a payées jusqu'ici un prix assez élevé pours< com- penser les frais d'un long voyage. Cette branche de commerce est considérable, et prendra peut-être encore une plus grande extension. Mais la colonie aura-t-elle beaucoup à s'en applaudir ? À Bathurst, par exemple, où les terrains n'ont eu jusqu'à présent qu'une valeur minime, le propriétaire de mou- tons se plaint déjà de la réduction de ses bénéfices; et quoique ses dépenses se bornent à peu près à l'entre- tien des bergers et des bergeries, il est certain que la vente de ses laines, soit qu’elle ait lieu à Sidney, soit JTE. 20 306 VOYAGE qu'elle s'opère à Londres par l'entremise d'un corres- pondant, comme l'usage commence à s'en établir; ne le rembourse pas toujours de ses avances : comment fera-t-il donc, si l'affluence des émigrants continue de faire augmenter la valeur des concessions ? Car il arri- vera nécessairement une époque où les propriétaires de moutons seront obligés, pour éviter une ruine totale, de hausser le prix de leurs laïnes, ou de conduire leurs troupeaux dans les cantons les plus éloignés du cheflieu. Dans cette dernière hypothèse, et en admet- tant, ce qui est douteux d'après les rapports des der- niers voyageurs, que ces cantons soient aussi favorables à la multiplication des bestiaux que ceux de Bathurst et d’Argyle, le transport jusqu'au lieu de l'embarque- ment deviendra fort dispendieux. Ainsi, de toute ma- nière, il sera d'abord extrêmement difficile, et plus tard impossible, aux négociants de Sidney de soutenir la concurrence sur les marchés d'Angleterre. Je ne me dissimule pas que beaucoup de personnes regarderont mes prévisions comme bien précoces; mais peut-être les partageront-elles, si je leur apprénds que l'Australie, qui n'avait tout au plus que treize mille habitants en 1803, en comptait trente-sept mille un quart de siècle après, nombre que le dernier recense- ment porte à quelques milliers de ‘plus, tant cette po- pulation s'accroît ee aux Re de aies de la Grande-Bretagne. Le danger qui menace le commerce des dnistoei à la Nouvelle-Galles du Sud ne saurait atteindre un genre d'industrie auquel l'activité des armateurs et l'audace DE LA FAVORITE. 307 des marins de Sidney a donné depuis le commence- ment du siècle un développement remarquable; je veux parler de la pêche de la baleine, dont l’exploita- tion occupe trente-cinq navires qui parcourent toutes les mers de l'hémisphère antarctique, depuis les ré- gions glacées du pôle jusqu'aux parages tranquilies de l'équateur, et y récoltent des milliers de tonnes d'huile, ainsi qu'une quantité énorme de ce sperma ceti avec quoi on fabrique les bougies diaphanes dont l'usage est si répandu à présent chez les nations de l'Europe civilisée. Telle est l'école où se forment au métier de matelot, si pénible dans cet Océan orageux, les hommes intrépides qui vont ensuite, sur les caboteurs, acheter le bois de sandal aux insulaires des archipels de la Po- lynésie, ou troquer, avec les anthropophages de la Nouvelle-Zélande, de la poudre et des fusils contre du phormium et des bois de construction. à J'ai cité les principaux objets d'exportation de la Nouvelle-Galles du Sud ; il en est encore plusieurs autres, parmi lesquels il faut compter les peaux de bœuls, les barbes de baleine, et une écorce d'arbre que l'on em- ploie à la préparation des cuirs. Mais ces objets d'im- portation, qui ne conviennent pas à tous les pays, n’ont pu jusqu'ici établir la balance du commerce d’une manière favorable à Sidney, qui voit en conséquence les bâtiments venus des autres colonies britanniques emporter chaque année, à son grand détriment, de fortes quantités de numéraire en échange de leurs ear- gaisons de sucre et de café. Un tel état de choses lui est très-préjudiciable et causerait bientôt sa ruine, si l'Aus- 20. E VOYAGE tralie ne parvenait à payer avec ses produits la majeure partie des marchandises qu’elle reçoit de la métropole, à qui elle offre, pour ses manufactures, un débouché qui ne peut manquer de s’agrandir avec le temps. Pour une puissance essentiellement commercçante et maritime, ce dernier avantage est capital, et l'Angleterre doit y tenir d'autant plus que, vraisemblablement, ce sera peut-être le seul qu'elle retirera désormais de ses possessions australiennes; car si elle leur accorde une chambre représentative , elle doit s'attendre qu'à limi- tation de l'Amérique du nord, un des premiers actes de cette assemblée sera le refus de recevoir dorénavant l'écume des prisons d'Angleterre, ces convicts qui entre- tiennent par leur mauvais exemple la plus effrayante démoralisation parmi la population de Sidney, empè- chent les arrivants d'origine libre d'exercer ‘leur indus- trie, et troublent la Saer s publique par leurs mé- faits continuels, _ La cour de Londres aura-t-elle beaucoup à gémir de ce dernier coup porté à son système de déportation? Je ne le pense pas. Elle regrettera sans doute tant de tré- sors inutilement dépensés, et les philanthropes verront avec douleur le renversement de leurs utopies. Mais que ceux-ci obtiennent des lois criminelles moins sé- vères; qu'ils indiquent des châtiments plus moraux que celui des bagnes, moins illusoires que la déportation, alors cette dernière peine deviendra inutile, et la Grande- Bretagne trouvera le dédommagement de’ ses sacrifices passés, non-seulement dans l'avantage si précieux pour elle de pouvoir offrir une nouvelle patrie à ces hommes DE LA FAVORITE. 309 que leur esprit remuant ou leur amour-propre froissé par des institutions vieillies poussent au désordre et à l'expatriation, mais encore dans l'impulsion que donne- ront à son commerce Van-Diémen et l'Australie. Il n’est même pas à craindre pour l'Angleterre que ses colonies de la Nouvelle-Hollande, si elles se déclarent libres, puissent de longtemps se soustraire à son in- fluence; car cette influence, basée sur la similitude de langage, de goûts, de coutumes entre les habitants des deux pays, doit être bien puissante, puisque les Améri- cains des États-Unis, malgré la haine profonde qu'ils portent à leurs anciens maîtres, n'en payent pas moins aux manufactures britanniques un tribut considérable. Plusieurs économistes anglais distingués vont encore plus loin que moi, et n'hésitent pas d'affirmer que la Nouvelle-Galles du Sud et Van-Diémen sont. un lourd fardeau pour la métropole, qui ferait bien de s’en dé- barrasser en leur donnant la liberté. Pour soutenir cette assertion , ils prétendent que la Grande-Bretagne, une fois dégagée, de leur mpÉeEnx entretien, n’en retiendrait pas moins lem e leur ; car, ajoutent- ils.et avec raison, aude Jo lois de douanes promul- guées en 1830 permettent aux navires de toutes les nations d'entrer à Sidney et à Hobart-Town et d'y intro- duire leurs chargements, moyennant des droits assez modérés, il ne s'y est pas encore présentéun seul pavillon étranger. L'avenir, cependant, pourrait bien démentir leur sé- curité; car leurs compatriotes , subissant peu à peu l'ac- tion d'un climat à peu près semblable à celui de la 310 VOYAGE France méridionale , commencent à rechercher les pro- duits de notre industrie et de notre sol. Pourquoi donc nos armateurs ne leur apportent-ils pas nos meubles si gracieux, nos papiers peints, nos étofles de soie, nos toiles imprimées, toutes marchandises dont le débit pro- curerait un gros bénéfice? Les bals, les festins qui aux deux chefslieux se succèdent presque journellement, assureraient la défaite des objets de mode et des comes- tibles dont Paris, Bordeaux et Marseille approvisionnent le monde entier. Malheureusement nos eaux-de-vie et nos vins sont prohibés dans les deux colonies (28); mais, outre les articles que je viens d’énumérer, il y en a cent autres qui pourraient compléter les cargaisons des na- vires, dont les capitaines prendraient en retour del'huile de baleine et des laines communes, deux matières que nos manufactures demandent à l'étranger. Mais pour que notre commerce maritime puisse exploiter cette nouvelle mine de richesses, il faut qu'il ne soit plus sacri- fié au commerce intérieur et que l'on modifie les droits de douanes; il faut que nos marchands se montrent plus entreprenants, moins avides de lucre, et surtout qu'ils mettent plus de bonne foi dans leurs transactions ; autrement, reçus avec empressement au Port-Jackson à leur premier voyage, ils en seront repoussés au se- cond, comme ils l'ont été jusqu'ici de presque tous les pays d'outre-mer. Ce malheur serait d'autant plus à déplorer que ja- mais peut-être contrée n'offrit aux spéculateurs français plus d'avantages que la Nouvelle-Galles du Sud et Van- Diémen : ces deux colonies touchent presque à leur DE LA FAVORITE. 511 émancipation, et seront bientôt un marché ouvert à la concurrence de toutes les nations; mais nos armateurs ne doivent pas, attendre cette révolution pour entamer des relations avec l’Australie, ils doivent au contraire se presser de les établir, afin d’exciter le goût que les colons ont pris déjà pour nos marchandises et de se tenir prêts à mettre à profit toutes les circonstances heureuses qui pourraient survenir. Mais, je le répète encore, il faut que notre gouvernement vienne à leur secours, en ne frappant que d’un droit modéré les laines communes et les huiles de poisson importées de la Nouvelle- Galles du Sud et de Van-Diémen par nos bâtiments, et que notre marine militaire, qui jusqu'ici n'a visité cette dernière qu'en courant et comme par hasard, y fasse de fré- quentes et longues apparitions , afin d'en frayer la route aux navires marchands, dont elle protégera en même temps les opérations. Je termine ici le court exposé de l'histoire des colo- nies pénales anglaises, et les considérations générales que j'ai crues indispensables pour faire connaître leur état présent; je les ai suivies dans leurs progrès si lents depuis leur naissance jusqu’à l'époque où les émigrants y furent admis sans exception; et l'on a pu se con- vaincre qu'elles sont aujourd'hui à la veille, non-seu- lement de repousser loin de leurs bords les convicts que leur envoie l'Angleterre, mais même de se rendre in- dépendantes de la mère patrie. Ges résultats sont-ils assez brillants pour que la France vise à les obtenir par Îles mêmes moyens? peut-elle espérer d'être plus heureuse que sa voisine? ses hommes d'état s'entendront-ils mieux 512 VOYAGE que ceux de a Grande-Bretagne à fonder des établis- sements pénitentiaires ? auront-ils à leur disposition plus de ressources pour y parvenir? C'est ce dont, je crois, douteront tous les lecteurs impartiaux : et la cour de Londres à commis cependant des fautes bien graves ; fautes dont une seule aurait suffi pour renverser de fond en comble un pareil édifice, si c'était nous qui l’eussions élevé, parce que nous ne possédons pas comme les Anglais les éléments nécessaires pour coloniser avec suc- cès, ni surtout ce commerce immense d'où dépend pour ainsi dire l'existence même du gouvernement britan- nique, qu'il force bientôt de rentrer dans la voie favo- rable à ses prospérités, toutes les fois que l'impéritie ou l'inexpérience d'un ministre l'en a fait dévier. Que la . France ne songe donc plus à exiler ses criminels ; qu'elle se défie des utopies philanthropiques; car les philan- thropes, comme tous les faiseurs de systèmes, sont sujets à compromettre les plus grands intérêts de leur “pays, pour la vaniteuse satisfaction de voir leur opinion adoptée de préférence à celle de leurs rivaux. La forme de notre gouvernement, l'état de nos finances, ne nous permettent pas, je le répète encore, de tenter d'aussi dispendieux essais, dont les conséquences probables seraient, comme chez nos voisins, l’'anéantissement de cette crainte du déshonneur que les dernières classes même de notre population ont heureusement conservée jusqu'ici. N’allons pas encourager les crimes par la dé- portation, au moment où, grâce à des lois plus douces et à l'instruction qui se répand peu à peu parmi le peu- ple, ils diminuent considérablement chaque année, Que DE LA FAVORITE. 315 des moyens de répression plus analogues à la civilisa- tion actuelle soient substitués au hideux régime des bagnes et des maisons de correction; puis, si nos mi- nistres tournent les yeux vers les Terres Australes, que ce ne soit que dans l'intention d'ouvrir dès à pré- sent, en faveur de notre malheureux commerce ma- ritime, des relations avec la Nouvelle - Galles du Sud ainsi qu'avec la Tasmanie, et de ménager ainsi à nos armateurs des chances favorables pour l'époque où ces contrées secoueront le joug de la métropole. 514 VOYAGE CHAPITRE XX. DESCRIPTION DE SIDNEY ET DE SES ENVIRONS. Pour le voyageur qui, après une traversée longue et fatigante, arrive à la Nouvelle-Galles du Sud et va jeter l'ancre devant Sidney, l'aspect enchanteur de cette ville est d'autant plus frappant que rien ne l'y a préparé. En abordant au Port-Jackson, ïl n’aperçoit d'abord que des falaises arides; puis, en entrant dans le canal, il longe des rivages rocailleux et déserts ; et quand il a dé- passé le phare, le séul objet qui attire ses regards, c'est la demeure abandonnée d’un ancien capitaine de port qui exerçait autrefois envers les marins une magnifique hospitalité, et dont les jardins , qui ont coûté des sommes énormes, sont redevenus le séjour des ronces et des broussailles ; la maison elle-même n'a conservé de sa beauté première que son exposition à l'extrémité d'une pointe élevée, au pied de laquelle passent les bâti- ments qui prennent la mer ou arrivent sur la rade du chef-lieu. Mais lorsqu'il est parvenu à un vaste DE LA FAVORITE. 515 bassin parsemé d'îles, où se décharge la rivière de Pa- ramatta, il commence à reconnaître l'approche d'une grande cité. Sur sa gauche s'étendent des champs cul- tivés, et de distance en distance paraissent des fermes entourées de bois qui protégent de leur ombre, dans la saison des plus fortes chaleurs , l’eau fraîche et limpide de plusieurs ruisseaux. Du côté opposé, des jardins, des vergers, des terrasses, embellissent des habitations char- mantes que s’empressent d'accoster une foule de bateaux de plaisance. (PL. 64.) Plus loin se présente Farme-Cove (l'Anse de la Ferme), avec ses parterres de fleurs ados- sés à un jardin botanique ét à un parc entrecoupé de superbes allées, qui servent de rendez-vous, dans les beaux jours, aux élégants équipages de la ville. C'est quand il a laissé derrière lui ce paysage délicieux, et qu'il a doublé la pointe septentrionale de Farme-Cove, que Sidney lui apparaît dans toute sa splendeur. (PI. 65.) = Comment peindre l'admirabl: coup d'œil de étroit et profond bassin de Sidney-Cove, rempli de navires dont les mâts, couronnés de pavillons doucement agi- tés par la brise, semblent une forêt mouvante, qui d'un côté cache à demi la plaine où s'étend la nouvelle ville, et que dominent de l'autre les anciens quartiers, bâtis en amphithéâtre sur le revers d'une presqu'île ? Si, revenu de sa surprise, le nouvel arrivant laisse errer ses regards au delà du bassin , que d'objets se disputent son attention ! Devant lui s'élève le fort Macquarie cons- truit sur un plateau de roches , au bout de la presqu'île qui sépare Farme-Cove du port de Sidney. Ses blanches murailles, et la tour qui les surmonte, composent le 516 VOYAGE premier plan d'un tableau dans le fond duquel parait, à travers les arbres du parc, un vaste édifice d’archi- tecture gothique, que ses créneaux et ses ouvertures découpées en ogives feraient prendre plutôt pour une forteresse du moyen âge que pour des écuries. La destination de ce bizarre édifice est d'autant plus diffi- cile à deviner que la demeure du gouverneur, dont il est une dépendance , n'a rien de remarquable que sa posi- tion au sommet d'un monticule, ses pelouses, ses bos- quets et ses plates-bandes de fleurs qui descendent. par une pente douce jusqu’au rivage, Dans cette partie de Sidney - Cove, tout est riant et rappelle les sites pittoresques des Antilles : une petite chaussée, bordée par le léger treillis à claire - voie qui clôt le jardin du gouverneur , et où abordent sans cesse des canots pleins de promeneurs ou de matelots sortis des navires mouil- lés près de là, conduit, en suivant les sinuosités de la plage, jusqu'à un nouveau quartier occupé par les pre- miers fonctionnaires et les plus riches négociants. Mais autant ce côté de Sidney-Cove est paisible et champêtre, autant l'autre est bruyant et animé: ici, des hangars abritent une foule de marchands et d'ouvriers; là, un canal porte les bateaux chargés de vivres et de munitions jusqu'au pied des magasins de l'état; plusloin, un étroit passage donne entrée dans le modeste arsenal où se radoubent les navires de la marine royale; enfin, chaque inégalité du rivage est un havre toujours en- combré d'embarcations, venues de tous les cantons de la colonie. Cette prodigieuse activité règne également au milieu de Sidney-Cove, où sont réunis tous les navires DE LA FAVORITE. 517 que la Grande-Bretagne expédie à la Nouvelle-Galles du Sud. Les uns, après avoir mis à terre plusieurs centaines de convicts apportés d'Angleterre , débarquent leurs cargaisons; les autres, arrivés précédemment, remplissent leurs larges flancs de tonnes d'huile et de ballots de laine : tous semblent disputer de diligence dans leurs préparatifs pour reprendre la mer (29.) En vain j'ai cherché parmi tant de navires ces espèces de. corvettes aux formes fines et élancées, aux grandes voiles, aux mâtures effilées, monuments de la folie ou de la vanité des armateurs du Havre et de Bordeaux ; je n'ai vu que des bâtiments d’une humble apparence, mais solidement construits : leurs façons ont été arron- dies, calculées pour contenir la CE de-marchandises guës. Ces navires, out aihissdnt en trois ou quatre mois l’espace immense qui sépare l'Angleterre de la Nouvelle-Hollande, doublent sans crainte le cap Horn, et font rarement des avaries. Le port de Sidney, quoi- que très-creux dans presque toute son étendue, peut à peine suffire à un pareil mouvement maritime : aussi les caboteurs se dirigent-ils sur un autre point; et si la rive orientale de la presqu'île donne une haute idée des liens qui unissent l'Australie à sa métropole, celle de lO., que borde pendant un mille environ, du N.auS., le havre Darling, offre l'image non moins admirable de la prospérité commerciale intérieure de la Nouvelle- Galles du Sud. Une foule agissante se presse à toute heure le long 318 VOYAGE de cêtte rive, autour des usines, des magasins et des débarcadères, sur lesquels de nombreux bateaux en- tassent, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, des volailles, du beurre, des fruits et des légumes fournis par les villages voisins du cheflieu, ou par Hunter-Bay, Port- Stephens et les autres établissements situés au N. et au S. du Port-Jackson. À peu de distance de ces débarcadères s’avancent dans la mer deux môles , où des alléges viennent déposer des marchandises apportées de toutes les régions du globe par les navires mouillés sur la rade devant le fort Macquarie, ou du charbon tiré des mines du Newcastle australien, charbon qui doit servir à alimenter plusieurs forges dont les marteaux se font entendre au loin, ainsi que des moulins à vapeur que signalent de noires colonnes de fumée. Enfin, de toutes parts les regards rencontrent des preuves de l'in- dustrie et de la civilisation la plus avancée. Le savant qui voyage aux campagnes romaines ou dans les déserts sablonneux de l'Égypte, va puiser au milieu des ruines de philosophiques inspirations sur la grandeur et la décadence de nations dont le souvenir est à peine arrivé jusqu'à nous. Oh! qu’il en trouverait de . plus douces pour lui, de plus utiles du moins pour l'hu- manité, s'il parcourait la capitale de l'Australie, cette cité populeuse qui s'élève majestueusement aux lieux mêmes où Miss this nn naguère leurs LE. £1! , de ces puissantes basiliques qui ue la fees sous leur poids et ont coûté tant de travaux aux peuples, sans avoir contribué à leur bonheur , il verrait des monuments bien simples, DE LA FAVORITE. 519 mais parfaitement disposés pour leur emploi; il visi- terait avec plaisir l'hôpital militaire, grand bâtiment sans colonnes, sans péristyle, et pourtant suffisamment aéré. Auprès de cet hôpital est le fort Phillip, situé à l'extrémité de la presqu'ile, qu’il défend du côté de la mer contre toute agression. De ce point, où plusieurs fois mes nouvelles connaissances me conduisirent, pour me faire admirer Sidney et ses alentours , je découvrais un ise développait le bassin és x ask nos l'embouchure de la Paramatta et la côte sep- tentrionale du Port-Jackson. Sur la droite je dominais le havre Darling, dont toute la circonférence est déjà parsemée d'habitations; sur la gauche se dessinait le fort Macquarie, puis, sur un plan moins éloigné, Sid- ney-Cove, qui n’était séparé de moi que par des mon- ticules rocailleux et couverts de baraques de bois et de briques, qu'à leur chétive apparence, au - pèle- mèle de leur position, je reconnaissais facilement pour les premiers abris que dressèrent Îles Anglais sur le sol de la Nouvelle- Hollande. Mais si, regardant de- vant moi, c’est-à-dire vers le S., je portais mes regards sur la ville, je distinguais facilement les progrès qu ‘elle a faits dans cette direction. Aux baraques qui m'entou- raient succédaient peu à peu des maisons de pierre de mieux en mieux coordonnées entre elles, à mesure que le terrain devenait moins raboteux et qu'elles se rapprochaient dela plaine au milieu de laquelle est bâtie la moderne Sidney. J'apercevais, s'allongeant en lignes droites à peu près parallèles , des rues parmi lesquelles George-street se fait remarquer par sa longueur, qui 320 VOYAGE est environ d’une lieue, ainsi que par les constructions publiques ou privées qui la bordent. Mes yeux pou- vaient la suivre dès sa naissance, lorsque étroite et tor- tueuse encore, elle serpente à travers les inégalités de la presqu'île, jusqu’à l'arsenal de marine et aux maga- sins du gouvernement, dont j'ai déjà décrit la position auprès du port; mais là elle grandit tout à coup et se dirige directement vers le S. - L'observateur qui entre, à son “et dune cette magnifique rue, véritable marché de la colonie, conçoit une bien haute idée de l'état présent et des des- tinées à venir du chef-lieu de la Nouvelle-Galles du Sud. I n'a pas encore perdu de vue le fond de Sidney-Cove, et ses chantiers où sont amoncelés, dans une vase pro- tectrice, des approvisionnements considérables de bois, qu'il découvre déjà , au bout de plusieurs rues tirées au cordeau et aboutissant presque toutes à l'hôtel du gou- gti Mreulement les demeures des principaux sq surmonte le feuillage du parc et du 7 nique, mais encore un plateau pittoresque, ss ae ré Mons Gbve: et où plusieurs opulents bourgeois ont choisi l'emplacement de leurs habitations, afin de résider hors de la ville, qui à leur grand cha- _grin ne tardera pas à gagner jusque-là. En effet, du côté de ce plateau des bâtisses récentes commencent à mar- quer les limites d’un large emplacement planté de jeunes arbres, qui lui donneront peut- être un jour, quand ils auront acquis toute leur croissance, quelque ressem- blance avec Hyde-Park de Londres, dont il a reçu le nom imposant. Parmi les monuments qui embellissent DE LA FAVORITE. 321 déjà cette future promenade, je citerai l'hôpital des con- victs, qui porte sur sa façade, écrit en gros caractères au-dessus du cadran d’une horloge, le nom de son fon- dateur le colonel Macquarie ; le temple protestant, le palais de justice, et un collége dans lequel les enfants des colons, ainsi que ceux qu'on y envoie des comptoirs britanniques de l'Inde, reçoivent une excellente éduca- tion. Tous ces monuments, bâtis de pierre et de briques, sont plus recommandables par leur destination que par leur structure, qui perd beaucoup à être comparée avec celle de l'église catholique, véritable cathédrale aux voûtes et aux fenêtres en ogive, dont la vaste encenite et le haut clocher, quoique non encore achevés , ne té- moignent que trop dès à op de Lespeei d'un prêtre qui, afin de lutter d'import e faste avec les mi- nistres anglicans, n'a pas bonté. d À de son in- fluence sur les malheureux convicts irlandais papistes pour leur faire consacrer journellement plusieurs heures de travail et une partie de leur salaire à l'édification de cette somptueuse église. Mais les travaux, malgré tous ses efforts, ne seraient encore que fort peu avancés, si les protestants eux-mêmes, dans l'intention probable- ment de donner une leçon de tolérance au fanatique prélat, ou peut-être aussi de contribuer à l'ornement de ce quartier de Sidney, n'avaient subvenu jusqu'ici par des collectes annuelles à la majeure partie des frais. Auprès de cette église et du collège, qui sont tout à fait isolés sur la lisière orientale de Hyde-Park, le pro- meneur jouit d’un calme parfait; mais si, les laissant sur la gauche, et après avoir longé quelques habitations 21 III, 322 VOYAGE clair-semées qui bornent la promenade au midi, comme l'hôpital des convicts la termine au N., il parvient jus- qu'au côté O., alors il retrouve la foule et le bruit. Ce côté, en effet, est garni d'une rangée de jolies maisons que divisent en' îlots des rues larges et droites, les unes menant directement au havre Darling, dont on aperçoit au loin la surface bleuâtre, les autres courant parallè- lement à George-street, qui traverse la ville par le mi- lieu. Si l'on prend cette belle rue à l'extrémité de Sidney- Cove, et qu'on la remonte du N. au S., on rencontre d'abord la prison, l'hôtel du commandant de la place et le trésor, édifices dont l'ensemble a une certaine ap- parence, malgré le peu de développement de leurs di- mensions, puis enfin la caserne, qui ne laisse rien à désirer sous le double rapport de l'exposition et de l'architecture. À travers une longue grille, qui prolonge George-street, les yeux peuvent parcourir une spacieuse esplanade qu'entourent des bâtiments de pierre à un seul étage, et entretenus avec un soin minutieux. C’est là que dans des salles bien aérées et garanties du soleil ainsi que de la pluie par de larges toits, logent les troupes de la garnison, dont les états-majors occupent de fort commodes pavillons construits aux deux extré- mités du principal corps de logis. Lorsque je visitai ce dernier, je fus frappé de l'ordre, de l'excessive propreté et surtout de l'air de confortable qui y régnaient et que Von chercheraït inutilement dans nos casernes. En An- gleterre , le militaire est non-seulement considéré, mais noblement traité. Si les soldats y sont soumis à une dis- DE LA FAVORITE. 325 cipline beaucoup plus sévère qu'en France, ils y éprou- vent du moins bien plus que chez nous la sollicitude de la patrie : ils ont une bonne solde qui les fait vivre à l'aise pendant qu'ils sont jeunes et vigoureux; et lorsque l’âge ou les blessures les forcent au repos, une pension con- venable les met à l'abri de la misère et du besoin, Leurs officiers trouvent également, dans la chambre des com- “unes, une bienveillante protection; tandis que nous, bien moins favorisés, nous voyons les députés de la na- tion attaquer ou ménager nos droits, suivant que les circonstances rendent les services de l'armée plus ou “moins nécessaires. Nous voyons nos faibles appointe- ments, Ou nos pensions de retraite plus faibles encore, prix de notre sang, seule espérance de nos vieux jours, soumis durant chaque session à des discussions humi- liantes, auxquelles la parcimonie a peut-être moins de part encore qu’une secrète et honteuse jalousie. Un peu plus loin vers le S. et sur le même aligne- ment que cette caserne, est situé l'hôtel des postes, où souvent j'assistai au départ des malles-postes qui trans- portent journellement les dépêches et les voyageurs dans tous les cantons de la colonie. Ce spectacle me sem- blait merveilleux, et je ne pouvais me défendre d'un sentiment d’admiration quand je songeais qu'à la place des superbes routes, des bourses et des villages floris- sants à travers lesquels ces voitures si frèles, si légère- ment suspendues, allaient rapidement circuler jusqu'à cent trente milles du cheflieu, s’étendaient, äl y à moins de trente ans, d'épaisses et sombres forêts. Je n'aurais jamais fini si j'énumérais toutes les cons- 21: 324 VOYAGE tructions qui ornent George-street. De chaque côté sont de belles maisons dont le rez-de-chaussée est occupé par des boutiques où lon voit étalées les marchandises du monde entier. Le brillant aspect de ces boutiques qu'annoncent aux chalands des enseignes peintes avec goût et originalité par les artistes australiens, les voi- tures élégantes et les lourdes charrettes se croisant dans toutes les directions, enfin la foule des passants, forment une suite de scènes plus gaies, plus singulières les unes que les autres, et qui feraient croire à l'émigrant débarqué depuis peu qu'il n'a pas quitté l'Angleterre, si la pureté de l'air et l'ardeur du soleil ne lui rappe- laient bientôt qu’il est sous l'heureux ciel de l'Australie. Malgré tout cet éclat, cependant, Sidney souffre d'un inconvénient bien fâcheux, surtout dans les contrées tro- picales; elle manque d’eau douce; quelques sources jail- lissent à peine de son territoire rocailleux et aride, et encore tarissent-elles presque toutes en été, époque de l’année où la sécheresse est continuelle, et où le vent d'E., qui souffle sans interruption, non-seulement rend la chaleur étouffante, mais de plus fait lever dans les rues des tourbillons d’une poussière fine et blanchâtre, qui aveugle les hommes ainsi que les animaux, et pé- nètre, malgré toutes les précautions, jusqu'au fond des appartements. C'est pour échapper à de pareilles mcom- modités, que les riches habitants se retirent, durant cette saison , à leurs maisons de plaisance ou dans leurs propriétés de l'intérieur. À l'époque de notre arrivée à Sidney, l'hiver était encore éloigné de sa fin ; les pluies rafraîchissaient sou- DE LA FAVORITE. 325 vent l'atmosphère, et cependant les inconvénients que je viens de signaler se faisaient déjà sentir : aussi plu- sieurs de mes connaissances se disposaient à partir pour leurs terres, et toutes voulaient m'emmener avec elles. Le besoin de soigner ma santé toujours un peu chancelante, et dont les festins auxquels j'assistais cha- que soir retardaient le rétablissement, le désir de voir de plus près mille détails relatifs à l'état de la colonie, me décidèrent à profiter d'aussi aimables invitations , et j'acceptai avec empressement celle que me fit sir John Jamison, un des plus opulents et des plus consi- dérés colons de la Nouvelle-Galles du Sud , d'aller, avec plusieurs officiers de la Favorite, passer quelques jours à son habitation, située à quarante milles du chefHieu, sur les bords de la Nepean. Accompagné de MM. de Boissieu et Sat, je sortis de Sidney le 12 août, sous la conduite de sir John Jami- son, dans une bonne berline tirée par quatre chevaux fringants; et comme nous suivimes George-street jus- qu'à son extrémité méridionale, il me fut aisé, malgré la rapidité de notre course, d'observer tout ce que ces quartiers renferment de monuments utiles ou curieux. Je remarquai aussi le marché, qui réunit tous les pro- duits de l'Australie. Au delà de ce point, et toujours sur la droite, des murs épais et à peine élevés au-dessus du sol me désignèrent l'emplacement de l'église protestante de Saint-André, dont on m'avait plusieurs fois vanté le plan magnifique. Plus loin encore, mais du côté op- posé, et lorsque nous touchions déjà aux limites de Sidney, mon obligeant compagnon de voyage me 526 VOYAGE montra le parc fréquenté par les colons, qui viennent, à des époques fixes, y vendre leurs bestiaux, ou acheter des béliers de race. Proche de ce parc sont des han- gars sous lesquels les fermiers remisent, les jours de marché, leurs charrettes et leurs attelages ; et à quelque distance de là se trouve le nouveau cimetière, lequel a remplacé ancien qu'ont envahi les quartiers récem- ment bâtis. Cette enceinte funèbre, où j'ai été maintes fois promener mes rêveries, renferme les sépultures des croyants de toutes les religions : là, une simple bar- rière sépare les tombes des catholiques , des juifs et des protestants, qui tous, de leur vivant, ont choisi pour patrie cette terre d’exil, et qui, après.sy être vrai- semblablement détestés et tracassés pendant leur vie, y dorment à présent ensemble du sommeil éternel. Là gisent, oubliés, les restes de bien des jeunes femmes victimes de l'atmosphère enflammée de l'Indostan. Le climat délicieux de l'Australie n’a pu ranimer leur poi- trine desséchée. Une pierre où un marbre couvert de pompeuses inscriptions, rappelle leurs noms et la date de leur décès; mais les larmes d'un ami ne viennent ja- mais les mouiller. R Ces tristes réflexions m'occupaient encore que déjà Sidney, ses rues bruyantes et ses modernes édifices étaient loine derrière nous. Notre voiture volait sur un chemin parfaitement uni et qu'une petite pluie humec- tait légèrement. J'apercevais enfin des bois, des: prai- ries ; leur verdure délassait mes yeux fatigués de la blancheur éclatante des maisons de la ville. J'éprouvais une agréable surprise en voyant es fermes avec leurs s DE LA FAVORITE. 527 abat-vent, leurs toits coniques et leurs boulingrins, que l'on croirait transportées comme par enchantement de la brumeuse Angleterre sous le soleil radieux de l'Australie, au milieu des forêts antarctiques dont les arbres gigantesques, pareils à des montagnes de feuil- lage, les dominaient de toutes parts. Mais je sentais en même temps que ces divers objets contrastaient d'une manière bizarre. Dans chaque contrée de l'an- cien monde, non-seulement le caractère et les usages nationaux de la population sont analogues au climat du pays, mais les ouvrages d'art et surtout d'architecture présentent un genre de beauté particulier qui semble inhérent à l’état habituel de l'atmosphère. On pourra done copier dans les capitales du nord de l'Europe, presque toujours obscurcies de brouillards, lès colon- nades et les dômes aér:ens qui décorent les monuments de Rome et d'Athènes; mais ces copies manqueront de ce qui est nécessaire pour faire briller leurs admirables proportions, c’est-à-dire du ciel pur et brillant de FI- talie ou -de la Grèce; de même que les flèches effilées et les portails de nos cathédrales gothiques perdraient, sous ce climat riant et voluptueux, ce qu’ils ont de sé- rieux et d'imposant. Ce défaut d'harmonie entre Les ouvrages de la nature et les travaux de l'art, qui nous avait d'abord frappés dans cette partie de la route, se reproduisait presque à chaque pas. Tantôt, au faîte d'une colline revêtue d'une pelouse où paissaient des troupeaux de moutons, nous apercevions une jolie ferme environnée de vergers sur lesquels nous laissions errer nos regards à l'aventure, 328 VOYAGE jusqu'à ce que les bouquets d'arbres indigènes qui bor- daient la chaussée de distance en distance nous les ca- chassent entièrement. Tantôt nos yeux suivaient jus- qu'à l'horizon les palissades qui, en Australie comme à Van-Diémen, servent de limites aux concessions, et empêchent les bestiaux de se mêler entre eux ou de s’avancer sur les chemins. Ces campagnes ressemblaient parfaitement à celles d'Angleterre pour la manière dont elles étaient cultivées et le genre de leurs productions ; mais je ne voyais pas dans l'air ces vapeurs hutnides, je n'entendais pas le murmure des eaux courantes qui donnent en tout temps aux champs de la Grande-Bre- tagne leur admirable fraîcheur ; les pluies seules de l'hiver avaient entretenu jusqu'alors cette verdure qui récréait notre vue, et que devaient bientôt flétrir les ardeurs de l'été. - à Nous arrivâmes vers le milieu de la journée à Para- matta. Cette ville a vu singulièrement réduire sa popu- lation et son commerce par la force d'attraction qu'exerce Sidney sur ses alentours, et par la formation récente de plusieurs comtés au S. et à l'O. des Montagnes Bleues. Dans l'origine de la colonie, elle était le centre des can- tons agricoles; mais aujourd'hui que les Anglais ont poussé les défrichements fort loin dans l'intérieur, elle n'est plus qu'un bourg où les hauts fonctionnaires ne résident que de temps à autre. Cependant, outre la maison de plaisance des gouverneurs, elle possède un établissement public qui lui assure une certaine impor- tance, la prison des femmes convicts, où cinq à six cents coquines expient dans la reclusion et sous une dis- DE LA FAVORITE. 329 cipline extrêmement dure, tous les genres de crime etde dépravation. Ces malheureuses femmes ne connaissent ni la honte, ni le repentir : à peine sont-elles sorties de captivité, qu’elles y rentrent pour de nouveaux méfaits. Je les ai vues, j'ai passé au milieu d'elles, et je n'ai ressenti aucune pitié. Leurs traits fanés par la débauche et leurs physionomies effrontées n'offraient plus aucuné trace de ces charmes, de cette modestie, dont l'empire est bien plus assuré que celui de la force et du courage. J'aurais désiré découvrir chez ces infortunées quelque chose qui m'intéressât à leur triste sort; mais l'ivrognerie et la dissolution les avaient abruties. L'aspect d'un bagne froisse l'âme et inspire la terreur; celui d'une maison de correction de femmes navre le cœur et lui fait éprouver des émotions déchirantes. L'établissement m'a paru par- faitement tenu; seulement j'ai trouvé la toilette des re- cluses un peu trop négligée. Je demandaïi pourquoi bon nombre d'entre elles avaient la tête rasée en tout ou en partie; et j'appris, non sans étonnement, que ces mé- chantes créatures, à qui les châtiments les plus sévères sont à peu près indifférents, considéraient la perte de leur chevelure comme une cruelle punition. La coquet- 4 L LE | lus: 1 re nina ons die terie aurait-elle ado ve s 1ieu g À tous les sentiments de pudeur et de retenue? Les moins intraitables passent leur temps à faire des chemises et À tisser des étoffes de laine pour l'habillement des con- victs du gouvernement, dans des salles qu'inspectent nuit et jour des surveillantes dont le ton brusque et l'air rébarbatif imposent à peine aux babillardes tra- vailleuses. Les autres sont employées, en plein air, à 330 VOYAGE casser des pierres par petits morceaux, qui servent à macadamiser les routes. La prison se compose de quatre corps de logis d’une structure assez agréable, donnant, à l'intérieur, sur une cour carrée, et à l'extérieur, sur un jardin où l’on cultive des légumes et des fruits pour la consommation de la communauté. Malgré cela, l'ensem- ble de l'édifice est triste, sombre, et annonce suffisam- ment sa destination. Aussi arrive-t-on avec plaisir, après l'avoir quitté, à la petite place qui occupe le centre de la ville, et que décorent une jolie église, la caserne de la garnison , et d’élégantes maisons où logent les autorités. En visitant l'intérieur de Paramatta, j'étais enchanté de sa propreté, de sa délicieuse exposition; mais lors- que parvenu au sommet de Rose-Hill, je pus jouir du délicieux paysage que la ville forme avec ses environs, je tombai dans le ravissement. Sur le penchant de la montagne que tapissent des pelouses encloses de treillis faits de lattes ingénieusement entrelacées, s'élève la de- meure d'été du gouverneur, dont le faite dépasse à peine les vieux arbres qui la protégent contre le soleil et le vent. Plus bas, au milieu des vergers et des plan- tations, se dessine la ville, située auprès de la rivière, dont mes yeux avaient peine à suivre les détours. Ici, ses bords dépouillés de bois laissaient paraître, par intervalles, les embarcations qu'entrainait le courant de la marée. Là, où les rochers et les arbres mas- quaient ses berges, une longue trace de fumée que laissait dans les airs un bateau à vapeur, indiquait sa direction et prêtait un nouveau charme à ces ta- bleaux enchanteurs. Les regrets que nous éprouvâmes DE LA FAVORITE. 551 en descendant Rose - Hill pour continuer notre route, s'affaiblirent insensiblement quand au lieu du pays presque sauvage que nous croyions avoir à traverser, nous trouvâmes des campagnes aussi riantes, aussi belles que celles dont nous nous éloignions. Les fermes devenaient plus rares, mais elles étaient plus consi- dérables et attiraient vivement notre curiosité, quoi- qu’elles n’eussent pas la brillante apparence des maisons de plaisance voisines de Paramatta. Celles-ci, à la vérité, nous montraient le spectacle de la nature australe tout à fait subjuguée par l'industrie européenne; mais les autres dans leur agreste structure, avec leurs champs nouvellement défrichés, nous en offraient un non moins attachant, celui de cette même nature défen- dant pour ainsi dire pied à pied ses forêts vierges, contre la marche conquérante de son ennemie. En eflet, de quelque côté que je tournasse mes regards, je ne voyais que des bosquets d'eucalyptus et de casuarinas , dont les masses compactes et obscures, séparées par de larges pièces de blé, semblaient les restes d'une armée battue, que le vainqueur presse de tous côtés. Le chemin était toujours uni, mais nous vOyagions dans la solitude. Les habitations, placées au milieu de vastes propriétés, ne nous apparaissaient plus que dans le lointain, tantôt à la crête d’une colline, tantôt grou- pées au fond d'un vallon, qu'arrosait un ruisseau dont les eaux bienfaisantes entretenaient la verdure de plu- sieurs prés où paissaient des moutons à peu de dis- tance de leurs bergeries. Les cavaliers et les voitures qui animaient la route entre Sidney et Paramatta, Ü 332 VOYAGE avaient disparu. Nous ne chariots pesamment chargés, dont de charronnage soï- oné et les bons attelages fixaient notre attention. Je ne concevais pas pourquoi leurs roues , qui n'avaient guère plus de largeur que celles de nos charrettes de même dimension, ne détérioraient pas le chemin autant qu'eus- sent fait ces dernières. Je crus d'abord que cela tenait à la sécheresse du climat ; mais en examinant ces roues, | ane de ocrandes q ae Sranas Je reconnus que les jantes étaient de forme conique, et portaient conséquemment à plat sur le sol, au lieu de le sillonner profondément avec leur bord extérieur, comme elles font -quand elles sont cylindriques. Peut- être est-ce là le meilleur moyen d'assurer la durée des routes, moyen que, du reste, les Anglais emploient de- puis longtemps. Cependant, malgré tant de sujets de distraction, je comptais les heures qui s'étaient écoulées depuis notre départ de Sidney, et mes regards se tournaient sans cesse vers les Montagnes Bleues que nous distinguions devant nous, et au pied desquelles devait se termi- ner notre course. Enfin, nous entrâmes dans une lon- gue avenue et vinmes descendre devant Regentville, superbe maison qui mérite le titre de château non-seu- lement par son genre d'architecture, car la terrasse , les deux aïles et la cour intérieure, environnée de bâtiments de servitude, rien ne lui manque, mais encore par la manière noble et bienveïllante dont le propriétaire , sir John Jamison, en fait les honneurs. Avec quel empressement j’accourus , après le diner, respirer le frais sur la terrasse, et goûter le repos d’es- DE LA FAVORITE. 353 prit et de corps dont les soucis me privaient depuis tant de mois! Le calme des champs avait pour mon âme un attrait infini, et tous les objets qui s'offraient à ma vue concouraient à rendre ces émotions encore plus douces. Autour de moi se développaitune admirable perspective que le soleil couchant éclairait de ses derniers rayons. Du plateau où est bâtie la demeure de sir John, je planais sur une campagne que les plus belles productions de la France méridionale, les unes encore jeunes, les autres touchant à leur maturité, émaillaient de mille couleurs. . Des files de pêchers en fleur semblables à des boules de neige, relevaient le vert foncé de gros arbres indigènes que l'on avait conservés pour garantir les plantations des vents froids du S. Çà et là étaient semées de petites métairies qui formaient autant de taches rougeâtres au milieu de la verdure qui parait la terre. Un moulin, construit sur un coteau, se détachait agréablement de la teinte bleuâtre de Thorizon; la brise du' soir faisait tourner lentement ses grandes ailes ; j'aurais voulu que ses murs fussent moins blancs , leur structure moins recherchée, il aurait bien mieux retracé à mon souvenir lhumble et rustique moulin du village, vieil ami de notre enfance, et que même à un âge avancé on ne se rappelle jamais sans attendrissement : celui-ci do- minait plusieurs hangars baignés par la Nepean, qui, après avoir décrit mille circuits, se dirige vers Broken- Bay pour y creuser son embouchure qu'une chaîne de rochers rend impraticable même pour les bateaux. Cette rivière, qui coulait autrefois dans la plaine à l'ombre de bois antiques, l'hiver comme un torrent 1m- 354 VOYAGE pétueux, et l'été comme un faible ruisseau, promène au- jourdhui ses eaux à travers des bourgs et des planta- tions; mais plus près des hautes terres et de sa source, elle reprend son aspect primitif et bondit entre deux remparts de granit couronnés gt une épaisse forêt qui monte d'étage en étage | Pa à la cime des Montagnes Bleues. Le sombre et majestueux rideau que forment ces montagnes me cacha le soleil à son coucher. Le crépus- cule dura peu, et bientôt les ombres de la nuit envahi- rent les sites pittoresques que gas un instant au- paravant. Le lendemain, de irès-bonne heure, je commençai à parcourir, sous la conduite de sir John, les campagnes dont la beauté m'avait tant charmé la veille : chaque objet piquait ma curiosité, et mon guide répondait à mes interminables questions, ‘avec une complaisance et une érudition que je m’empressai de mettre à profit pour méclairer sur l'état. politique, agricole et com- mercial de la Nouvelle-Galles du Sud. Observateur dé- sintéressé et sans prévention, »J'eivheenhé la vérité dans la conversation de ire. a instruites à des banni r Y sr que e présente ici_est très- D 0nt-À exempt de dértoute espèce d'exagé- fétionit À res étudié la marche du gouver- nement, les Mblnsauie à commises et la | cause des lieux jusqu'à quel point Jet Hi Pme “>< On DE LA FAVORITE. 355 la métropole étaient fondées, et apprendre comment il fallait considérer la colonie sous le rapport pénitentiaire. Là, j'ai examiné de près ces convicts dont l'état moral et physique est encore un problème pour beaucoup de partisans de la déportation; je les ai suivis dans leurs travaux afin de connaître leur caractère et leurs incli- nations, et rien en eux n’a justifié à mes yeux les éloges que les philanthropes et quelques voyageurs se sont plu à leur prodiguer. Moi aussi, lorsque j'arrivai à la Nou- velle-Galles du Sud, je fus d'abord séduit par la tenue décente et l'obéissance empressée des convicts em- ployés comme domestiques auprès des hauts fonction- naires et des riches particuliers, je crus même que tels étaient tous les condamnés, jusqu'à ce que j'eusse acquis la certitude que la plupart de ces domestiques appartenaient à la classe moyenne de la société, dont les membres reçoivent de l'éducation en Angleterre comme en France, et conservent toujours quelques bons sentiments au fond de l'abime où souvent une faute légère : suffit pour les entraîner. En Australie, du mn: | ils s'amegent: "3 volontions ne les autres tude le (30). lis conti De ien vêtus, et Ç modésénènts leurs demeures ne laissent rien à désirer alubrité et la tt non 2 0 que pour tous 336 VOYAGE ses chagrins, adoucir l’amertume de son cœur brisé par l'abandon et le mépris public. Si une compagne et des enfants eussent partagé son exil, il se fût mieux éonduit afin d'obtenir sa grâce et d'adoucir la rigueur de leur sort, ikserait devenu un bon fermier. C'est ce que le gouvernement britannique a probablement reconnu, car il autorise aujourd'hui assez souvent les condamnés politiques à emmener leurs familles avec eux à la Nou- velle-Hollande ; et ne pouvant accorder cette insigne faveur aux hommes convaincus de meurtre ou de vol, il les encourage du moins, par toutes sortes de moyens, à se marier, aussitôt après leur libération, avec les femmes déportées; mais de pareils liens achèveraient de pervertir les moins méchants de ces misérables, qui d’ailleurs répugnent à les contracter. Ces convicts, à l'air nonchalant , aussi peu sensibles aux reproches qu'aux encouragements, dépourvus tout à fait de bonne volonté, me rappelaient parfaitement nos forçats, avec lesquels du reste ils ont encore d’autres points de ressemblance. En général, on tire dans nos arsenaux maritimes un bien meilleur parti des galériens condamnés pour long- temps, que de ceux dont la peine est de courte durée. Les uns, pour qui l'avenir est à peu près fermé , se rési- gnent à leur sort, s'efforcent de l'améliorer en s'occupant, et deviennent souvent d'excellents ouvriers. Les autres, au contraire, tout TER au _— de rentrer dans la so- ciété, etdese ger ce q PP hl es torts envers eux, supportent impatiemment leur captivité. A la Nou- velle-Galles du Sud il en est de même : les déportés à DE LA FAVORITE. 337 vie que l'Angleterre envoie dans cette colonie sont plus obéissants , moins paresseux, et témoignent surtout moins d'éloignement que leurs RER pour les travaux des champs. Cet éloignement ne semblera pas extraordinaire, si l'on réfléchit que la plupart de ces criminels proviennent des villes, et qu'habitués dès leur enfance à la paresse, à des occupations sédentaires, ou aux douceurs de la domesticité, ils ne supportent pas sans dégoût les fatigues excessives qu'exigent les défrichements. Est-il étonnant, après cela, qu'à peine mis en liberté ils abandonnent la petite — qu'ils tenaient de leur maître et se retirent à Sidney afin d'y exercer quelque coupable industrie, où même qu'avant cette époque ils brisent leurs chaînes pour s'enfuir dans les bois et se joindre aux bash-rangers? Alors, malgré les garnisons répan- dues dans tous les villages, ils pillent les fermes, déro- bent les troupeaux, et obtiennent, des colons effrayés, des vivtes, des armes et des munitions. De si dangereux ennemis exercés à courir les forêts, où ils se retirent à la moindre apparence de danger, pour recommencer ensuite leurs déprédations , auraient probablement em- pêché les cultures de s'étendre, si les indigènes eux- mêmes irrités des vexations de ces coquins, ou excités par les primes de capture accordées par le gouverne- ment, ne leur faisaient une guerre d’extermination, de concert avec les troupes. Peu de mois encore avant le passage de la Favorite au Port-Jackson, ces dernières avaient détruit une nombreuse bande de bush-rangers qui portait ses ravages jusqu'aux portes de nr , et JTE, 338 VOYAGE . dont le redoutable chef était tombé sous leurs coups. Le nom seul de Wamsley inspirait la terreur aux ha- bitants du comté de Con A un courage à gieuses ; cet Irlandais exerçait un p convicts et sur les émancipés, qui, SRE à l'ascendant de son génie, le considéraient comme sorcier. Son ca- ractère n'avait rien de sanguinaire, aucun assassinat n'est reproché à sa mémoire, il protégea toujours les femmes et les enfants, et secourut, dit-on, souvent les malheureux; mais les fonctionnaires eurent tout à craindre de lui. Longtemps sa bande désola le pays, sans que les magistrats pussent arrêter le cours de ses brigandages : si elle se croyait en force, elle tenait tête aux soldats envoyés à sa poursuite ; dans le cas contraire, certaine de trouver des asiles sûrs dans les hôtelleries et les tavernes des routes, tenues généralement par des émancipés, elle se dispersait tout à coup, pour repa- raître bientôt sur un autre point, plus terrible qu'au- paravant. Enfin, l'appât des récompenses fit ce que la crainte des lois n'avait pu faire. Un jour que le chef des bush-rangers et ses deux principaux acolytes se re- posaient dans une auberge isolée, dont l'hôte les avait trahis, la force armée cerna la maison. Au premier bruit, les brigands franchissent la porte, mais la fuite était im- possible; alors s'engage une lutte désespérée : mx "0d se bat comme un lion, chacun de ses coups r de ses agresseurs; ceux-ci, que l'adresse et la : “98 d'un pareil antagoniste intimident, n’osent le serrer de trop près; il allait encore leur échapper, lorsqu'une DE LA FAVORITE. 339 balle lui traverse la tête au moment où, caché derrière un arbre, ilse découvrait pour ajuster l'officier qui com- mandait le détachement. ” Wamsley #mné expirant à Sidney, fut exposé e à la curiosité publique, et l'on grava son portrait décbiné d'après nature à l'instant qu'il mou- rut. Sa taille était très-haute , ses traits réguliers ; sa phy- sionomie portait l'empreinte d'une âme de feu. Cet homme se montra toujours généreux, sobre et entrepre- nant. Placé dans d'autres circonstances, il eût peut-être honoré sa patrie par ses talents : une fois entré dans la carrière du crime , il devint l'effroi de ses concitoyens. La majeure partie de ses complices étaient nés comme lui en Irlande, contrée qui ne fournit à la dé- portation que des sujets audacieux et enclins à larévolte, mais bien moins méchants cependant que les convicts écossais , auxquels la haine où la vengeance font souvent commettre les forfaits les plus atroces : tandis que les Anglais ne paraissent guère devant les tribunaux de Sidney que pour vol ou escroquerie. À quoi faut-il attri- buer cette différence? Est-ce au caractère national ou aux lois? Je pencherais pour cette dernière opinion; car YÉcosse étant régie par une jurisprudence criminelle moins sévère que celle du reste des trois royaumes, doit naturellement envoyer à la Nouvelle-Galles les con- victs les plus coupables et par conséquent les plus pats. Aussi les voit-on se livrer bien plus que les is, et presque autant que les Irlandais, au métier aventüreux de bush-ranger, et acheter une sauvage indépendance par des misères et des privations telle- 22. 340 VOYAGE ment cruelles, que parfois, ne pouvant les supporter, ils reviennent prendre leurs fers et implorer un par- don que les magistrats accordent facilement. Mais malheureusement pour le repos de la colonie , il en est un grand nombre parmi eux qui, accusés de meurtre et n'ayant en perspective que l'échafaud ou les horribles prisons de lie Norfolk, sont contraints de vivre dans les bois, où ils finissent par succomber tôt ou tard aux maladies ou aux embüches des naturels. Cependant, soit que l'influence de cette liberté, toute sauvage, toute souillée, qu'elle est, réveille chez ces hommes féroces quelques principes de justice ; soit que l'aspect continuel des majestueusés beautés de la nature épure leur âme et ranime en elle cette lueur d'équité qui ne s'y éteint jamais entièrement, ils confondent rare- ment, dans leurs vengeances contre les colons, les inno- cents et les coupables. Ainsi, le maître qui est juste et compatissant envers ses convicts n’a rien à redouter pour ses propriétés : mais celui qui les traite avec dureté et lésinerie ne jouit d'aucune tranquillité; les gardiens ni les troupes ne peuvent empêcher que ses possessions ne soient dévastées chaque nuit, ses troupeaux enlevés, et qu'il ne tombe enfin lui-même frappé d'un coup mortel. A Por-lackson comme à NeseR c'est princi- palement parmi les bergers que les bush-rangers trouvent gers des copines et tea da recrues qui non-seulementi 1 dre 1 bes tiaux mais LIILUIC partagent ayec eux er provisions qu'ils roreahi de l'habitation. Ilest facile de concevoir combien les moutons qui par- DE LA FAVORITE. 341 courent les plaines doivent avoir à souffrir de la négli- gence et de l'ignorance de semblables gardiens ; aussi, quoique sous le climat sec et doux de l'Australie ils puissent rester nuit et Jour en plein air sans incon- vénients , leurs toisons sont bien inférieures à celles des brebis renfermées dans les parcs. Tant que cet état de choses subsistera, c’est-à-dire tant que la colonie ne recevra pas d'Angleterre des bergers exercés et intelli- gents, ses innombrables troupeaux seront mal soignés, et elle ne fournira qu'une très-faible quantité de ces belles laines qui rivalisent avec ce que l'Europe pro- duit en ce genre de plus précieux. Si du moins les colons trouvaient à placer avantageu- sement les produits de leurs troupeaux sur Îles marchés de la Grande-Bretagne, ils pourraient attendre patiem- ment que le temps et l'émigration aient doté la Nou- velle-Galles du Sud de la population agricole qui lui manque; mais au contraire leurs profits vont toujours en diminuant, parce que les frais d'exploitation augmen- tent chaque année. Je ne parlerai pas des causes de pertes les plus communes, telles par exemple que la mort des béliers de race choisie, les sécheresses qui flétrissent l'herbe et engendrent parmi les bestiaux des maladies épidémiques, les conditions onéreuses que leur impo- sent, dans ces fächeuses circonstances , les marchands du cheflieu : tous ces malheurs sont momentanés et pe se renouvellent que rarement. Mais il en est un qui, avis, achèvera la ruine de cette branche de commerce, à moins que la métropole ne favorise lim- portation des laines d'Australie, au détriment de celles 542 VOYAGE qu'elle tire de l'étranger : c'est, comme je l'ai déjà dit dans le chapitre précédent, la valeur toujours crois- sante des pâturages, qui force les propriétaires de mou- tons à hausser le prix de leur denrée, ou à conduire leurs troupeaux loin des cantons habités. Le surhaus- sement de prix est désastreux; car dès à présent, les laines exportées de Sidney peuvent à peine soutenir, en Angleterre, la concurrence de celles d'Espagne ou de Saxe. Quant à la transhumance des troupeaux vers l'in- térieur du pays, elle ne serait pas moins préjudiciable aux cultivateurs. En effet, lors même qu'à l'O. des comtés de Bathurst et de Wellington-Valley , il y aurait, comme se l'imaginent quelques amateurs de merveilleux, des forêts superbes et un lac immense environné de prairies magnifiques, les laines qu'on expédierait de ce point à un port de mer pour y être embarquées, n’en seraient pas moins grevées des frais d'un voyage long et onéreux. Or, il paraît que l'existence de ces forêts et de ce lac est très-douteuse, car les modernes explorateurs assurent que plus on s'éloigne des Montagnes Bleues vers le cou- chant, plus on a lieu de s'étonner de la dénudation et de la stérilité du sol. Tantôt il est raboteux, privé entière- ment d’eau douce, et formé d’une espèce de terre rouge et friable dans laquelle on rencontre, à une certaine profondeur, des ossements fossiles et des végétaux pé- trifiés; tantôt il est entrecoupé de marais ou d'étangs qui baignent de leurs eaux saumâtres des plaines arides. Les savants de Sidney, dont ces découvertes ne flattent nul- lement l'amour propre national, prétendent actuelle- ment, que vers le N. où la Nouvelle-Hollande acquiert DE LA FAVORITE. 545 sa plus grande largeur de l'E. à l'O. il doit y avoir des chaines de hautes montagnes et de larges rivières bor- dées de contrées admirables. Si jamais leur supposi- tion se réalise, elle justifiera l'opinion de certains voya- geurs, que la Nouvelle - Galles du Sud pourrait bien être la partie du continent austral la moins favorisée de la nature. Depuis longtemps, me disait sir John Jamison, on aurait résolu cette question importante, si le gouverne- ment ne montrait une forte répugnance à donner l'au- torisation et les fonds nécessaires pour entreprendre de nouvelles explorations. Parmi les habitants , les uns at- tribuent cette répugnance à l'inquiétude qu'inspire à la métropole l'accroissement extraordinaire de l'Australie ; les autres, au contraire, la considèrent comme prove- nant d’une sage intention, celle d'empêcher que la co- lonie ne s’affaiblisse trop par la division de ses forces. Cette dernière opinion paraît la’ plus plausible, quand on énumère tous les établissements maritimes ou autres que ce gouvernement si sévèrement jugé a fondés au S. et au N. de Port-Jackson. Grâce à l'activité et au zèle des dépositaires de son pouvoir, plusieurs comtés se for- ment au S. O. de labaie Botanique, et déjà leurs pâtu- rages nourrissent beaucoup de chevaux très - estimés pour leurs formes et leur vigueur. C'est par ses soins en- core que Port-Hunter est devenu un des cantons les plus riches et les plus populeux de la Nouvelle-Galles du Sud. Dans ses fertiles campagnes, croissent tous les végétaux des zones torrides et tempérées : la banane, l'orange, la grenade, lamanas , la canne à sucre müûrissent à côté des 344 VOYAGE meilleurs fruits de la France; le giroflier, le muscadier et l'arbre qui donne la cannelle prêtent l'appui de leurs branches à la vigne bourguignonne ou bordelaise , tan- dis qu'à peu de distance le gracieux amandier et l'olivier provençal au pâle feuillage, commencent à étendre leurs rameaux et protégent de leur ombre des planta- tions de tabac et de cotonniers. C'est de la multitude de fermes répandues sur les bords d’une petite rivière qui arrose ce fortuné canton, que sortent les légumes variés, les volailles exquises, les fromages, le beurre dont Sidney reçoit journellement par un bateau à vapeur et par d'innombrables embarcations des quantités pro- digicuses. Si Port-Hunter offrait un bon ancrage aux gros na- vires, peut-être aurait-il disputé au Port-Jackson l'hon- neur d'être le centre du commerce de la colonie. Mais les vents d'E., quand ils soufflent avec violence, le ren- dent dangereux même pour les caboteurs, qui, afin d'é- viter un naufrage imminent, sont forcés de remonter la rivière dont je viens de parler. Aussi restera-t-il tou- Jours dans la dépendance du chef-lieu pour la consom- mation des produits de ses champs et de ses basses- Cours , comme pour le débit de ses houilles. Combien d'autres établissements secondaires , tels que Port-Mac- quarie, Moreton-Bay et Manning-River, situés égale- ment sur les côtes de la Nouvelle-Galles du Sud et près du tropique, témoignent de la sollicitude de l'adminis- tration, qui depuis quelque temps fait préparer d'a- vance, par des convicts disséminés sur ces divers points, des terres qu'elle vend ensuite aux émigrants pour un | DE LA FAVORITE. 545 prix modique. En général ces établissements ont par- faitement réussi, tandis que Port-Stephens, concédé, comme je l'ai déjà dit, par la cour à une compagnie de Londres, non-seulement n'a fait aucun progrès, mais encore tend à une ruine complète, malgré tous les avan- tages que lui assurent sa proximité de Sidney; sa rade où les navires mouillent en sûreté, et l'intérêt que lui porte son gouverneur le capitaine Parry, qui après avoir illustré son nom en explorant les régions voi- sines du pôle N., consacre aujourd'hui ses talents et son expérience à la prospérité de cette partie des possessions britanniques dans l'hémisphère opposé. Malheureusement ce gouverneur eut à lutter, dès son entrée en tonien.: contre tous les cheinclen qe les compagnies i t dans l'exécution de leurs desseins. Trompée par de faux rapports, la compagnie de Londres avait fait l'acquisi- tion de terrains sablonneux, peu propres à la culture des céréales et à l'éducation des bestiaux, et de plus condamnés, par suite du manque de ruisseaux et de sources, à une sécheresse presque continuelle, Quelque fâcheux que fussent ces inconvénients, on pouvait y remédier avec de la patience et de l'industrie. Mais le capitaine Parry ne trouva ni l'une ni l'autre de ces deux . qualités dans ses administrés, qui sortis en grande partie de la populace des villes d' Angleterre, et n'ayant aucune habitude des travaux de l’agriculture, à peine arrivés à leur destination, s'empressèrent de gagner Sidney afin de sy livrer à des occupations plus d'accord avec leur genre de capacité ou avec leur goût pour le 546 VOYAGE libertinage. Port-Stephens aurait donc été bientôt dé- serté, si la cour n'avait accordé aux actionnaires l'ex- ploitation exclusive des mines de houille de Newcastle, dont le revenu est très-considérable , ainsi que la faculté de prendre à son service un dixième des convicts ap- portés d'Europe à la Nouvelle-Galles du Sud; et encore malgré ce renfort de population , ne comptait-il que six cents habitants libres ou esclaves en 1831. Un sort pareil semble réservé à la plupart des essais de ce genre que l’on a tentés à la Nouvelle-Hollande. En vain les compagnies ont obtenu des priviléges et dépensé des sommes énormes : leurs plus brillantes espérances, leurs plus beaux projets sont restés sans résultats, parce que les gens employés par elles ne sauraient éprouver ce sentiment d'orgueil et d'indépendance si fortement prononcé chez le colon australien, qui se considère comme appelé à concourir à la splendeur de sa patrie adoptive, et à la création des institutions qui la régis- sent. Fier d'une aussi noble tâche , il grandit à ses pro- pres yeux, l'estime de ses concitoyens lui devient né- cessaire , et le désir de se distinguer excite son zèle et son énergie à l'égal de ses propres intérêts. Sans doute que cette disposition des _. entrave la marche du gouvernement; sans doute pourr quelque agitation, peut-être même ébniie la domination de la, mère patrie; mais elle n’amènera ; jamais l'anarchie dans cette colonie, où les rangs supérieurs, comme on l'a déjà vu, composés d'hommes que le désir d'établir con- venablement leurs familles, et non la pauvreté ou la crainte des lois, a contraints d'émigrer , offrent aux gou- DE LA FAVORITE. 347 vernants un solide point d'appui pour contenir les classes inférieures. Jusqu'ici du moins cette disposition n’a enfanté que des prodiges de persévérance et de patriotisme. D'abon- dantes moissons ont remplacé d’épaisses forêts, et des troupeaux innombrables couvrent les plaines que par- couraient seuls naguère les chiens sauvages et les kan- guroos. Quelquefois même de simples particuliers ont devancé le gouvernement dans les grands travaux récla- més par le besoin public. C'est ainsi que longtemps avant qu'une superbe route taillée dans le roc eût frayé un passage à travers les flancs escarpés du mont Vittoria, plusieurs autres chemins , portant les noms des habi- tants qui les ont ouverts à leurs frais, franchissaient les Montagnes Bleues et conduisaient au comté de Bathurst. Tels étaient les sujets de conversation qui rendaient si ipstructives pour moi mes promenades avec sir John Jamison. Tantôt nous nous élevions jusqu'aux plus hautes considérations politiques sur l'état présent et à venir de l'Australie; tantôt nous descendions jusqu'aux moindres détails de l'économie agricole. Alors mon hôte m'expliquait ses nombreuses expériences et les amélio- rations qu'il en attendait pour ses propriétés (31). Ge moulin dont j'avais remarqué, le jour de mon entrée à Regentville, la charmante exposition, donnait une fa- rine assez pure pour être conservée en barils et servir aux voyages de long cours. Dans les hangars placés au- près du moulin, on transformait, par des procédés éco- nomiques et sûrs, la chair de bœuf en salaisons. J'eus plus d’une fois occasion de goûter ces viandes salées, 548 VOYAGE et je les trouvai très-bonnes sous le double rapport de l'apparence et de la qualité ; mais comme le sel que l'on emploie à leur confection vient d'Angleterre, coûte assez cher et augmente beaucoup leur valeur, il est à craindre que de longtemps elles ne puissent convenir à l'exporta- tion : quant à présent, elles se consomment dans-les établissements pénitentiaires et à bord des bâtiments qui fréquentent Sidney. Sur cette magnifique propriété, à peine ma curio- sité était-elle satisfaite d'un côté, que cent objets inté- ressants l'attiraient autre part. Un jour que nous étions montés au sommet d'un coteau revêtu d'une couche de pierres calcaires, mon guide sourit de la surprise que Je témoignai en apercevant à mes pieds de longues files de vignes au feuillage vert et touffu, que soutenaient des échalas parfaitement alignés, d'après le mode suivi dans nos provinces septentrionales. Ce souvenir de notre heu- reuse France me causa une émotion que l'exilé seul peut comprendre. Ces beaux ceps me semblaient des compa- triotes : comme moi, ils étaient transplantés loin de leur pays natal, et j'examinais avec une sorte de jouissance leurs vigoureux bourgeons. Ils avaient déjà porté des fruits plusieurs fois sous le ciel de l'Australie : mais quoique tirés de nos crus les plus renommés, ils n’ont donné jusqu'à présent qu'un vin léger, à peu près sem- blable à celui que fournissent les vignobles riverains de la Loire. Mon digne hôte se promettait pour l'avenir un meilleur succès, et paraissait désirer vivement que Japprouvasse son espoir ; mais l'amour-propre national l'emporta chez moi sur toute autre considération, et DE LA FAVORITE. 549 après lui avoir accordé que la Nouvelle-Galles du Sud produira peut-être un jour, de même que l'Amérique et le cap de Bonne-Espérance , des vins d'une espèce très- recherchée, je lui prédis qu'elle ne pourra jamais se passer des nôtres, et que les habitants de l'Australie demanderont toujours ces vins de France si généreux et tellement sains, que, malgré l'abus qu'ils en font, jamais leur santé n’en est altérée. En attendant que les années justifient ma prédiction, les propriétaires de vi- gnobles, à limitation de sir John Jamison, brülent leurs vins pour en faire de l'eau-de-vie qui ne vaut guère mieux, et dont, à la faveur des droits excessifs imposés sur les esprits étrangers, ils trouvent le débouché dans la colonie. Ce débouché, toutefois, ne peut être consi- dérable , car les gens riches ne consomment que nos eaux-de-vie, et les pauvres aiment mieux le rhum, comme plus fort, ou les eaux-de-vie de. pêche et de grain, comme moins chères. Du coteau que nous venions de gravir, nous décou- vrions de vastes pièces de blé occupant à la fois le creux des vallons et les flancs des collines. J'exprimai mon étonnement de voir des terrains si différents employés de la même manière : sir John m'apprit alors que jus- qu’à l'époque où l'expérience eut appris à se défier des inondätions, non moins fréquentes que les sécheresses, les fermiers australiens avaient préféré, pour semer du grain, les bas-fonds aux croupes des montagnes; mais qu'aujourd'hui les deux genres de culture sont généra- lement adoptés, et souvent réussissent également bien dans la même année. À combien d’autres désastres ce- 350 VOYAGE pendant ne sont-ils pas exposés! On croirait, en vérité, que la sauvage nature australe cherche à défendre son empire par des prodiges effrayants. Quelquefois, dans l'après-midi d’un jour de septembre ou d'octobre, le ciel se couvre d'une brume tellement épaisse que le soleil ne peut la percer; l'horizon est enflammé :' tout à coup au milieu du calme le plus profond, le vent de N. O: s'élève par tourbillons qu'on dirait échappés d’une four- naïse ardente; il souflle ainsi durant plusieurs heures, puis il tombe entièrement, et l'atmosphère revient à son état habituel. Mais ce court intervalle de temps a suffi pour détruire toutes les espérances des cultivateurs: les arbres n'ont plus de fleurs ni de feuillage, les pâ- turages sont flétris, et les moissons desséchées jonchent de leurs débris le sol qu’elles paraient peu d’instants au- paravant. D'où peut provenir ce terrible phénomène? L'air embrasé que la proximité de l'équateur entretient sur la partie septentrionale de la Nouvelle-Hollande, attiré par quelque changement inaccoutumé dans la température de l'atmosphère ; s'est-il précipité, comme un torrent, vers le S. de ce continent? ou bien fautl croire avec le vulgaire que les incendies allumés dans les forêts, soit par la foudre, soit par les sauvages, ns ces chaleurs excessives ? Un autre fléau, non moins destructeur que le vent de N. _ sort de ces imetehsen régions septentrionales, qui, enveloppées jusqu'iei d’un voile impénétrable , ser- vent de texte aux-contes-merveilleux dés habitants de l'Australie. Souvent, à la suite d'un hiver doux et plu- vieux, apparaissent d'innombrables légions de gros vers DE LA FAVORITE. ° 551 blancs. Aucune barrière ne peut arrêter leur marche vers le S.; elles franchissent les ruisseaux, les rivières, et infectent de leurs débris les eaux stagnantes, Toute la verdure disparaît devant elles, et c'est principalement sur les productions exotiques que ces insectes exercent leurs ravages : ils dévorent les feuilles des arbres frui- tiers, rongent les ceps de vigne, et finissent heureuse- ment par trouver leur tombeau dans les sillons qu'ils ont complétement dépouillés. De quelle force de caractère, de quelle patience les colons n'ont-ils pas eu besoin pour vaincre tant de dif- ficultés, et pour se créer des demeures commodes au centre des forêts! Aussi étais-je pénétré d’une sorte de vénération pour ceux dont mon hôte me menait fré- quemment visiter en voiture les possessions. Quel coup d'œil vraiment magique s’offrait à nos regards , lorsqu'après avoir traversé un bois sombre et solitaire, nous arrivions par de jolis chemins, qui circulaient au milieu de champs et de prairies enclos de palissades, devant une charmante maison où nous attendait tou- jours une réception cordiale! Le petit édifice n'était qu’à un seul étage. Ses murs de pierres et de briques n'a- vaient pas la solidité de nos bâtisses d'Europe; mais son toit avancé, sa facade d'un blanc éclatant, ses fe- nêtres garnies de contrevents verts, la porte d'entrée dé- corée de cuivres brillants qué l'on apercevait du dehors à travers les arbustes d’un parterre flanqué, à -droïte et à gauche, de vieux eucalyptus, composaient un en- semble tout à fait séduisant. L'intérieur répondait à l'ex- térieur; même simplicité, même arrangement. Le luxe 5 VOYAGE cependant n'en était pas entièrement banni. L'assorti- ment des meubles du salon, une harpe ou un piano, les livres étalés sur une table de bois précieux, déposaient en faveur des goûts et des habitudes des maîtres du logis. Chez le mari, des traits brunis par l'air des champs, une physionomie grave et sérieuse, dénotaient un homme accoutumé à la vie retirée et aux occupations de la cam- pagne. Chez la femme, que nous surprenions ordinai- rement entourée de ses petits enfants, un air doux-et avenant, quoique très-réservé, me retraçait plutôt la tenue gracieuse de mes compatriotes que les manières généralement froides et compassées des Anglaises. Elle m'expliquait avec une aimable obligeance les divers dé- tails confiés à ses soins, et qui pouvaient piquer mon in- satiable curiosité. Tantôt je parcourais avec elleles salles destinées à la préparation du beurre et des fromages rouges ou blancs, qu'elle envoyait au marché de Sidney. Les nes en prie ingénieuses , les granié vases de fai it aitses différentes t ations igdh les instruments de la laiterie, me plaisaient: par cette excessive netteté qui rend intéressants les détails même les plus communs d’une ferme. Tantôt elle me conduisait aux celliers où l'on conservait les provisions d'hiver; je ne me lassais pas d'admirer la prévoyance et l'économie qui avaient présidé à leur collection. Là, je pouvais juger jusqu où + les ressources que les colons australiens : un sol nouveau, pour Fat loin de leur patrie une existence confortable. Enfin, au milieu dé ces cantons à demi conquis par la civilisation, j'observais partout DE LA FAVORITE. 353 un ordre, une activité inconnus dans les plus riches provinces de France. Pourquoi n’avouerais-je pas que cette comparaison m'inspirait un secret ess surtout quand mes nouvelles orgueil les peines que leur avait coûté le sort béviegh dont elles jouissaient? IH y a moins de trois années, me disait un colon, qu’à la place de ma riante demeure, des champs et des prés qui l'environnent, s'élevaient dés ar bres aussi anciens que le monde et aussi durs que le fer : il fallut des semaines entières et le secours simultané de la hache et du feu pour détruire chacun de ces gi- gantesques végétaux, dont vous voyez d'ici les troncs, noircis par les flammes et semblables à des squelettes menaçants, figurer au milieu des nappes de verdure; bientôt ils crouleront de vétusté, et il ne restera’ plus d’autres vestiges de leur puissance séculaire , que les palissades dont leurs plus grosses branches, livrées à la scie, ont fourni les matériaux. Au premier abord, le mbrifive de tant de grands arbres inspire des regrets ; on craint qu'un jour les ha- bitants de la Nouvelle-Galles du Sud ne gémissent de l'incurie avec laquelle on abat les bois autour des can- tons qui se forment de toutes parts. Mais ces ‘arbres, malgré leur beauté apparente, ne méritent pas d’être re- grettés; car, pressés par une masse de plantes parasites * qui intercepte la circulation: de. air, ils sont presque tous gâtés au cœur et rarement d'une belle vost donc sur les baliveaux qué les propriét oyants dirigent tous leurs soins; ils les sauvent de dpfestrer tion générale ; et leurs protégés, pouvant alors res- III. ÈS 554 VOYAGE pirer en croissent exempts de maladies et de défauts, Malheureusement tous les colons ne prennent pas ces sages précautions, et l'on peut prédire, sans crainte de se tromper, que dans peu de temps les espèces indi- gènes, recherchées pour la solidité de leur bois ou pour leurs vives couleurs, ne se trouveront plus qu'au fond des forêts de l'intérieur. Déjà le cèdre blanc et plu- sieurs sortes d'eucalyptus ont disparu des côtes, où ils étaient autrefois fort communs. Cette perte, néanmoins, sera facilement suppléée, si on continue à planter en Australie des peupliers, des chênes, des noyers, et d’autres arbres aussi utiles que les cultivateurs tirent de nos provinces et qui se naturalisent eme te à æ Nouvelle-Hollande. J'ai vu peu de propriétés où je n'aie ner quelques végétaux originaires de France. Je reconnais- sais le figuier , le câprier, le muscat de Provence, la ga- rance du rer ” eee de lin de Bretagne, PSS PTS | ichit nos départements du Nord. Ce n'étaient en ae des essais; mais la plupart avaient réussi et promettant d de pipe pr pour un avenir peu éloigné: : C'est ainsi que, saisissant toutes les occasions de nrciesvce ds pen es sine dire en courant, tions dont ces pays curieux ofiènt une moisson 'éisabondante, que des volumes entiers pourraient à peine! les contenir: aussi n'ai- je voulu qu'associer de lecteur aux impressions fugitives que tant d'objets divers m'ont laissées, et je m'estimerai DE LA FAVORITE. 355 fort heureux si je suis parvenu à les lui faire partager. Après avoir examiné les travaux merveilleux que les Anglais ont accomplis aux Terres Australes, je devais naturellement souhaiter de contempler celles-ci dans leur splendeur primitive. Sir John Jamison devinant mon désir, me proposa de remonter la Nepean jusqu'au pied des Montagnes Bleues. Un matin, peu d’'instants après le lever du soleil, nous nous embarquâmes, les deux officiers de la Fa- vorite, mon hôte et moi, dans un léger bateau con- duit par quatre vigoureux convicts. Dès que nous eûmes quitté le petit débarcadère situé au pied du moulin, nous commençâmes à lutter contre un courant rapide. La rivière, encore gonflée par les pluies de l'hiver, roulait ses eaux profondes entre deux rives escarpées, auprès desquelles nous allions alternativement chercher des chances moins contraires à notre navigation. Sur la gauche, nous laissions Regentville, dont les planta- tions s’avançaient jusqu'à la crête des falaises, qu'un troupeau de bœufs descendait lentement et avec pré- caution, pour venir boire au bord de l’eau. De ce côté, tout annonçait une prise de possession déjà ancienne ; de l'autre, au contraire, tout paraissait nouveau : ce canton venait d'être concédé à des employés de l'état, à qui le voisinage de la Nepean et la faculté d'obtenir aisément des convicts donnaient l'espérance de faire valoir des terrains que l'on avait es Lt à cause de leur mauvaise qualité. Li 2 En effet, chäque concession est déjà élire sie jardin garni de fleurs et de légumes, dont les plates- 23. FE : À VOYAGE bandes entourent la maisonnette où, en attendant qu'il ait fait construire une demeure plus digne de lui, le pro- priétaire vient le dimanche se reposer de ses fatigues administratives. C’est ainsi que les fonctionnaires, de- venus possesseurs de terres obtenues à des conditions ordinairement très-avantageuses, s'occupent beaucoup plus de leurs intérêts présents et à venir que de ceux de la métropole. Décidés, pour la plupart, à s'établir en Australie ou à Van-Diémen, comment oseraient-ils défendre franchement le pouvoir contre des colons tur- bulents? Comment des hommes qui sont destinés à re- tomber dans l'obscurité, s'ils retournent en Europe à l'expiration de leur charge, manqueraient-ils l'occa- sion de faire leur fortune aux dépens d’un gouverne- ment qui semble les encourager à l'abandonner? Doit-on s'étonner, après cela, que le gouverneur rencontre tant de difficultés dans l'exercice de ses fonctions? Il à sou- vent pour adversaires les gens qui, la veille encore, étaient ses conseillers , et dont l'opposition est en raison directe du besoin qu'ils éprouvent de se faire né 5 par les habitants leur autorité passée. La cour de Londres, si prudente ordinairement, paraît avoir oublié, dans cette circonstance, qu'aux colonies plus qu’en Europe peut-être, les dépositaires de son autorité doivent non-seulement être intègres désintéressés, et ne viser qu'à servir loyalement leur pays, mais encore occuper une position tellement in- dépendante de toute espèce d'influence de la part des administrés, que jamais aucun motif particulier ne puisse les porter à trahir la cause du gouvernement. DE LA FAVORITE *. 1887 D dé ET 6e #1 Pa TT | 2 £ . VAICRIL de texte à nos discours, champs, maisonnettes et jardins étaient restés derrière nous ; les bords de la rivière avaient pris un tout autre aspect, et nous naviguions au milieu d'une sauvage et imposante solitude. Tantôt des arbres liés entre eux par d'épaisses lianes, formaient un rempart impénétrable sur les rochers noirâtres et eoupés à pic qui, suspendus au-dessus de nos têtes, semblaient toujours au moment de nous écraser dans leur chute ; tantôt le courant, après avoir heurté avec fureur contre des blocs énormes de granit, s'épanchait en bouillonnant sur la couche de cailloux et de sable dont la Nepean avait revêtu ses grèves quelques jours auparavant : ces débris, arrachés par les torrents aux Montagnes Bleues, présentent aux minéralogistes une mine féconde à exploiter, et où l'on a déjà recueilli des preuves irrécusables que la Nouvelle - Hollande n'est pas d’une formation moins antique que les autres par- ties du globe. Nous entendions dans les bois le ramage confus d'une foule d'oiseaux dont les bandes légères apparaissaient de temps en temps. Au bruit des coups de fusil que répercutaient mille fois les rochers , de gros kakatoës blancs à l'aigrette jaune, des bouvreuils au plumage rouge, des volées de jolies mésanges à collier bleu, s'échappaient des massifs de feuillage; tandis que des légions d'oiseaux-mouches tout resplendissants d'or et d'azur se jouaient parmi des bouquets d'arbustes dont les baies servent à leur nourriture. Ges baies, que les émigrants désignent par des noms empruntés à nos fruits d'Europe, sont peu variées et généralement d'un 354 VOYAGE goût acide et désagréable ; cependant les cultivateurs pauvres les emploient aux usages domestiques : de l’une, espèce de groseille de couleur jaunâtre , ils tirent une sorte de cidre; avec une autre, dont les grappes sont écarlates, ils font des confitures; enfin, ils conservent pour hiver le petit fruit rose du cerisier australien, dont le feuillage pend par toufles assez semblables à des queues de cheval. Nous avions assigné pour but à notre excursion un vallon situé sur la rive gauche de la Nepean ; mais quoi- que ce lieu ne soit qu'à douze milles de Regentville, nous n'en mîmes pas moins cinq grandes heures à l'at- teindre, tant le courant était rapide aux endroits où les rochers resserraient leseaux; mais en arrivant, un excel- lent déjeuner, servi sur l'herbe, nous fit bientôt oublier les fatigues de la matinée. Le champêtre festin n'était pas encore terminé, que nous reçûmes la visite d'un sau- vage, accompagné de sa femme et de ses enfants. J'avais beaucoup souhaité une rencontre de ce genre, mais la vue de ces misérables créatures eut bientôt rassasié. ma curiosité. Le mari n'avait pour tout vêtement qu'une étroite ceinture, à laquelle pendait par derrière un ha- chot de fer. Sa peau noire , enduite de graisse et de crasse; son ventre ballonné, contrastant d’une manière désagréable avec la gracilité d bres et les larges dimensions de leurs extrémités; ses cheveux ébouriffés, ses grastestnins, ns sehpeux Pme a: lançaient des regards avid , lui d ir plutôt d'une bête de proie que d’un Din: I se jeta glouton- nement sur les restés du repas, que lui abandonnèrent DE LA FAVORITE. 399 les canoters ; et sans la précaution que nous primes d'en soustraire quelques bribes à sa voracité, pour en gratifier sa compagne , cette malheureuse n'aurait rien eu. Elle se tenait accroupie sur ses talons, à quelques pas de nous, veillant sur ses négrillons, qui se cachaïent en hurlant entre ses jambes, aussitôt que nous faisions mine de les approcher, Ni les cadeaux ni les attentions ne purent l'arracher à l'indifférence dont tous ses traits portaient l'empreinte. Une figure ignoble et grossière, des formes maigres et flétries, que couvraient à peine un morceau de peau de kanguroo attaché autour des reins, et une poche fixée sur le dos où dormait paisiblement un en- fant nouveau-né; des mamelles flasques et pendantes, sillonnées de Jengues cicatrices , Arises résultats des cor- rections onin enfin, sun A Fr En : faisaient de cctielélanpentenste istage. site F #60 vage et de l'abrutissement. Ses yeux ternes et abattus observaient avec anxiété les moindres mouvements de son maitre; qui, tout entier au désir d'obtenir des pré- sents, né s'inquiéta d'elle que lorsque, pressé par nous de-montrer son adresse et son agilité, il lui remit à garder les produits de notre munificence. À la demande de sir John Jamison, d’une fois éprouvé la générosité, 1l se mit opossums, espèce de marmott qui vit dans les trous des arbres, se nourrit de fruits ou de racines, et ne sort que la nuit. Ge quadrupède paraît très - inoffensif; ce- pendani la femelle défend ses petits avec un,courage incroyable, quand, prise au dépourvu, elle n'a pas eu le temps de les faire rentrer dans la poche qu'elle a sous 360 VOYAGE le ventre, et d'où on ne peut les arracher que lors- qu'elle a rendu le dernier soupir. Nous nous amusämes beaucoup de la façon singu- lière dont notre sauvage examina et flaira les arbres les uns après les autres, jusqu'à ce que, ayant découvert quelques poils engagés dans l'écorce d’un grand cèdre, il le fit résonner sous les coups de son hachot, qui lui servit ensuite à pratiquer le long du tronc des en- tailles au moyen desquelles il atteignit avec une promp- titude surprenante les plus hautes branches; et là, ayant introduit son bras dans une cavité profonde, il en retira un opossum à demi mort de peur. Mais l'agonie du pauvre animal dura peu : car des mains du capteur il passa dans celles de sa femme , qui l'étouffa incontinent:; et sa fourrure épaisse et moelleuse me fut présentée, quelques minutes après, dans un parfait état de conser- vation. Plusieurs fois le chasseur Mine ses recherches avec le même succès; puis jugeant qu'il n'avait plus rien à espérer de nous, il donna le signal du départ à sa compagne, qui se hâta de jeter pêle-méle nos présents, les corps des opossums dépouillés et ses us- i énage au fond d'un grand panier de jonc, dit sur son dos en plaçant le milieu de l'anse autour de son ; puis elle prit ses enfants par la main , et suivit son mari au fond du bois. Naguère, dans ces cantons, on ne rencontrait les natifs que par tribus nombreuses ; aujourd'hui on y découvre à peine quelques familles, et encore l'usage immodéré des liqueurs fortes et les maladies épidé- DE LA FAVORITE. 361 miques apportées de l'ancien monde les auront bientôt tout à fait anéanties. Les armes britanniques ne sont pour rien dans l'effrayante diminution de cette malheureuse race : le gouvernement de Sidney, au contraire, a mis en œuvre tous les moyens possibles de l’apprivoiser et de lui inculquer les premières notions d'agriculture, afin d'assurer son existence; mais ses tentatives n'ont pas reussi. Îl paraît même que le voisinage des habitations, où les naturels sont toujours accueillis avec humanité, loin de leur inspirer le goût du travail et de la vie sédentaire, produit sur eux un tout autre effet, et en leur procurant des secours contre la disette et les froids de l'hiver, les rend encore plus paresseux et augmente leur aversion pour tout genre 5 pme Aussi est- il très-rare qu'ils dégradent 1 ils ls se prêtent même à tous les désirs durvdhahez afin dobeuik des vi- vres, des couvertures de laine et surtout du rhum et du tabac; ils ramènent les convicts déserteurs ou les bes- tiaux égarés, apportent des peaux de kanguroo et d'o- possum, et servent de guides dans les forêts. Sur les frontières de la colonie, où la surveillance des magistrats chargés d'empêcher les émigrants d'op- primer les naturels ne peut être bien eflicace, ces der- niers ne se montrent pas aussi paisibles; parfois même ils ont égorgé des cultivateurs et incendié des fermes : mais l'exemple terrible que les Anglais firent dernière- ment d'une tribu belliqueuse, qui fut détruite presque entièrement pour s'être livrée, malgré les traités, à de sanglantes déprédations, et plus encore les dons que l'administration de Sidney distribue sans cesse parmi 562 : VOYAGE les chefs nouveaux-hollandais, semblent avoir assuré la tranquillité pour longtemps. L'aspect solitaire. des lieux où le désir de suivre la chasse du sauvage nous avait entraînés; la vue des vieux arbres renversés, dont l'écorce pourrie et revêtue d'une foule de plantes entrelacées cédait à chaque ins- tant sous nos pieds, tandis que les puissants eucalyptus répandaient au-dessus de nos têtes une ombre mysté- rieuse ; le spectacle imposant des masses granitiques qui commençaient à monter par gradins pour former la chaîne des Montagnes Bleues; enfin, le bruit sourd de la rivière bondissant de rochers en rochers, me pé- nétraient d'un sentiment indéfinissable de recueillement et d'effroi. Je sentais combien l'homme policé, quand il est seul et privé des secours de l’art et de l'industrie, est faible en présence de ces grands ouvrages de la na- ture, qu'envisage sans crainte le sauvage ; habitué à ne chercher d'appui que dans son courage et son instinct. Les bush-rangers, il est vrai, hantent également ces fo- rêts profondes; mais ils ne s'y maintiennent qu’en pil- lant les habitations et les troupeaux : encore aiment-ils mieux souvent reprendre leur ancien esclavage que de continuer la vie errante qu'ils y mènent. Comment, en ms — pourraient-ils exister longtemps au milieu de ces réuses solitudes où le voyageur égaré risque de formés par les pluies, et où il ne rencontre que le dan- gereux devil-dog, le kanguroo Si prompt à fuir, Le triste casoar , des serpents dont la piqüre est mortelle, et des DE LA FAVORITE. 365 myriades d'insectes venimeux? Je pus juger de la ma- nière dont ces malheureux préparent leurs grossiers ali- ments; car, lorsque côtoyant la Nepean pour regagner notre canot, nous passâmes à travers une clairière ta- pissée de caïlloux charriés par les eaux, une mare de sang et les entrailles d'un bœuf nous firent reconnaître l'endroit où quelques-uns d’entre eux venaient de cam- per la nuit précédente : nous trouvâmes bien encore debout et liées ensemble au sommet, les deux perches qui avaient servi à suspendre les quartiers de viande au-dessus d’un large brasier à l'entour duquel avait eu lieu le banquet, comme l'indiquaient suffisamment les pierres rangées en rondeet les os dispersés çà et là; mais nul vestige des convives : ils étaient partis vraisembla- blement dès le point du jour, afin d'échapper à l'espion- nage des naturels ou aux recherches des soldats, que la lueur des feux pouvait avoir mis sur leurs traces. Ces impressions pénibles se dissipèrent à mesure que notre embarcation, emportée par le courant, nous ra- mena auprès des cantons habités. Fatigués de la pers- pective monotone des Montagnes Bleues et des bois qui en bordent le pied, nous revimes avec plaisir les jolis paysages qui nous avaient charmés le matin. Les trou- peaux couchés sur l'herbe, à l'ombre des arbres garnis de fleurs ou de fruits; les moissons naissantes, les m sonnettes des fermiers, dont l'eau baignait les. petites possessions, et Regentville dans le lointain, me. firent sentir, comme je l'avais déjà éprouvé aux Philippines et à Java, que le spectacle de la nature vierge peut étonner et même exalter l'âme, mais que l'agréable coup d'œil 364 VOYAGE de campagnes bien cultivées et parsemées d'habitations riantes la détend ét la remplit de douces émotions. De retour au château, nous terminâmes la journée par une soirée dansante, qu'embellirent la plupart des dames dont nous avions fait la connaissance dans nos visites sur les propriétés envi tes; et le lendemain, de très-bonne heure, toujours de compagnie avec notre hôte, nous primes la route de Sidney, où m'attendaient des festins et des bals, distractions pour lesquelles je venais de faire ample provision de repos et de santé. La route était couverte de gens attirés des villages voisins par une course de chevaux. Pour satisfaire ma curiosité, mon guide fit arrêter la voiture à la porte d'une belle auberge, qu'assiégeait une foule d'individus dont la majeure partie me parut avoir oublié les pre- miers principes de la tempérance : ils décidaient bruyam- ment du plus ou du moins de légèreté que déployaient les coursiers qui passaient devant eux. Ces coursiers n'a- vaient rien de remarquable, ni pour les formes , ni pour les qualités; leur galop, que hâtaient à grands coups de talon des cavaliers à moitié ivres, était lourd et sans grâces. Ün pareil assemblage de bêtes et de gens me fit entrevoir une vérité que sir John Jamison me ré- véla ‘un instant après. Ces réunions, me dit-il, mau- raises copies de celles du même genre qui ont lieu dans les provinces d'Angleterre, sont le fléau de la colonie, et une cause de perdition pour la basse classe des cul- tivateurs. Ces hommes que vous voyez autour de nous, et dont la conduite et les manières jurent avec la pro- preté de leur habillement, sont des convicts libérés, DE LA FAVORITE. 365 propriétaires ou fermiers de quelque métairie. En tra- vaillant, ils pourraient ‘vivre dans l'abondance et as- surer l’existence à venir de leurs enfants: mais ils ai- ment mieux passer le temps dans la débauche et dans l'oisiveté. Si parmi eux il en est un qui se comporte mieux que les autres, il rencontre à ces fêtes d'an- ciennes connaissances, se laisse séduire par le mauvais exemple, et bientôt il est perdu à jamais. Combien ne voit-on pas, le long des routes, de ds mières désertes eten ruine ! Le terrain qui les environne, dès longtemps défriché , nourrissait naguère des familles nombreuses, et il n'attend, pour produire encore, que des bras laborieux: mais les propriétaires ont aban- donné leurs travaux pour se livrer à l'ivrognerie; et après avoir épuisé toutes leurs ressources, ils se sont retirés à Sidney, où probablement quelque nouveau crime les aura fait condamner à finir leur vie dans l'île Norfolk. ou dans les mines de charbon de Port-Hunter. H faut attribuer ce mal, qui empire plutôt qu'il ne dimi- nue, au peu de vigueur et de fixité apporté à l'exécution des règlements concernant les convicts; car à Van-Dié- men où le même système de police régit une popula- tion formée des mêmes éléments, de pareils désordres ont rarement lieu. Là, les émancipés cultivent leurs terres ; les crimes sont rares, même chez les convicts. Mais il faut dire aussi que dans les premières années qui suivirent la fondation de cette colonie, beaucoup.de coupables moururent sur l'échafaud , et que maintenant encore le malfaiteur ne doit espérer aucune pitié : tandis qu’à la Nouvelle-Galles, parmi la foule de misérables 366 VOYAGE LS : dd SR. D LE LL rt , 4 1: VYUL que ou à main armée amènent chaque année devant les tribunaux, il y en a fort peu qui subissent la peine capitale. Cette dissemblance entre les deux colonies provient encore de ce que les magistrats d'Hobart- Town, ins- truits, par l'expérience, des inconvénients où entraîne une trop grande indulgence envers les déportés, ne font grâce qu'à ceux dont ils ont lieu d'attendre quelque amen- dement. L'oubli de cette précaution est, je crois , la principale cause de la maladie morale qui dévore les basses classes de la population australienne, et qui tôt ou tard péné- trera jusqu'à Van -Diémen, parce que les mesures au moyen desquelles ony a contenu jusqu'ici les convicts et les émancipés se relâcheront, comme il est arrivé à Sidney, à mesure que s ’accroîtra le aus des nee et des émigrants. * Les effets de cette maladie ne: dns pas F bord le nouveau débarqué : la vue de ce peuple bien vêtu, l'absence totale de mendiants , le mouvement qui règne dans les'rües: de Sidney, le ge à faire une peu avant villes d'Europe Mais bientôt linsigne friponstenie: des patlte:mabohienilé) que les plaintes ou les reproches n'émeuvent seulement paiedémborelisationt des deux EE au Les: rangs his: ds pratiqu T1 qui au sein de nos grandes cités, étäblitides:liens de ntre rich s etles pau- vres, et que | ient aplacer les p: as sociations philanthropiques, sctiolsnéénite à la Nou- DE LA FAVORITE. 367 velle-Galles du Sud (32) qu'en Angleterre, viennent des- siller ses yeux et modifier ses premières impressions. Pendant notre station à l'auberge, le ciel, si clair le matin, s'était chargé de nuages, et la pluie commençait lorsque nous remontâmes en voiture. Dans l'après-midi, le temps devint si mauvais que sir John Jamison se décida à demander l'hospitalité à un de ses amis, M: Blaxland, dont Yhabitation n'était pas éloignée de la route conduisant de Paramatta au chef-lieu: et vers cinq heures du soir nous nous trouvâmes , à notre grande satisfaction, au milieu d’une charmante famille qui nous combla d'attentions. Le dîner, la conversation, et une mutuelle envie de profiter de loccasion de s'a- mronegs met bientôt nt une sorte d'intimité entre CPR pa 2 0 “| 1] de la maïi- son; aussi la sitébis se passa-telle fort gaiement au gré des deux partis. Quant à moi , toujours condamné au rôle d'observateur, je le remplis du moins cette fois avec agrément; et après avoir payé en contredanses mon tribut comme danseur, titre presque inhérent à celui de Français dans les pays mes, je m'attachai à dé- couvrir chez nos gracii par les différences que le climat et un tout autre genre de vie ont dû naturelle- ment établir, sous le double rapport du physique et du moral entre les Anglais venus d'Europe et la génération blanche née en Australie : mais je sentis combien il était difficile d'aborder un sujet aussi délicat, sans se laisser influencer par des préventions favorables; et dans ce moment même où, pour y parvenir, j appels mon se- cours le souvenir des bals étdes fêtes auxquels j'ai assisté 368 VOYAGE à Sidney, je ne sais pas encore vraiment si je sage observateur désintéressé. Pourquoi une température délicieuse ; un air pur et un ciel presque toujours serein n’exerceraient-ils pas sur notre espèce la même influence que sur les animaux ? Si les chevaux, les bœufs et les moutons ap- portés de la Grande-Bretagne ont acquis à la Nouvelle- Galles du Sud de plus belles formes et une plus grande vigueur, serait-il donc étonnant que les Anglais y eus- sent échangé leur complexion lymphatique, leur: teint blanc, leurs cheveux blonds, leur humeur flegmati- que , contre les formes élancées et flexibles, le teint ani- mé, les yeux noirs, la chevelure brune et le caractère ardent qui font reconnaître aisément l'habitant des con- trées d’où le soleil chasse de bonne heure les frimas? Les jeunes gens nés à la Nouvelle-Hollande sont géné- ralement d'une taille élevée, bien prisé, peu chargée d'em- bonpoint; leurs traits prononcés, et leur physionomie mobile , sonne un naturel hardi et bienveillant. Mais c'est principalement parmi les femmes que ces changements ne remarquables : je les ai trouvées presque toutes grandes et bien. faites, comme le sont les Anglaises; mais à ces agréments d’autres que ne possède pas également le beau sexe bri- tannique; je veux parler de cette tournure aisée et:v0- luptueuse, de PARC RER eds sis D: | tournés , de ces yeux rxprisils sde cétie-bouchefraiche a meublée de blan nches dents: enfin de SR RS CP A | ( di qui © fait pardonner aux dames de Sidoez, iaommate comme aux Pari- siennes, ce qu'il ÿ a souvent de-trop FE chez elles DE LA FAVORITE. 569 dans les appas dont on admire chez les dames du Nord la volumineuse rotondité. À ces charmes passes - la gaieté, au goût des plaisirs, qui les font oup aux Françaises, les jeunes Australiennes joignent cette force de volonté, ce dévouement dont les Anglaises donnent une si admi- rable preuve , en abandonnant leurs parents et les dou- ceurs de l'aisance, pour accompagner leurs maris aux Indes, à la Chine ou au milieu des forêts antarctiques. Combien de fois n’ai-je pas été étonné de l'air d’indiffé- rence avec lequel les dames de Sidney ou d'Hobart- Town me parlaient de leur prochain départ pour l'Europe, d'où elles comptaient revenir après moins d'une année d'absence! Et pourtant ce voyage était le tour du monde; elles avaient à doubler le cap Horn et celui de Bonne-Espérance, parages redoutés même des marins. À l'idée seule d'une semblable traversée, une Française mourrait de peur; l'Anglaise s'embarque sans témoigner la moindre inquiétude , prend possession de sa cabine, reste entièrement étrangère à tout ce qui se passe à bord, s'occupe de ses enfants, d'elle-même, et nullement. des autres passagers. J'ai vu fréquemment de très-jeunes ladys, appartenant par leur naissance et leur fortune aux sommités de la société britannique , entreprendre ainsi toutes seules les plus longues traver- sées. Îl est vrai que, suivant les usages reçus, elles sont alors confiées à la responsabilité du capitaine, qui, dans cé cas, exerce sur elles une espèce de surveillance que l'étiquette observée sur la plupart des forts navires mar- chands rend assez facile. Ainsi par exemple les femmes Ill. 24 570 VOYAGE ne paraissent guère qu'au diner; et encore durant les courts instants qu'elles y restent, elles ne peuvent être que fort peu l'objet des attentions des hommes; car à leur Mentor seul appartient le droit de les leur présenter (formalité qui, chez les Anglais, précède le commence- ment de toute liaison), et 1l se monte, comme on s'en doute bien, extrèmement avare de cette faveur. C'est principalement à bord des vaisseaux de la corppegnt des Indes, dont les commandants jouissent à juste titre de la confiance des pères et des maris de leurs jolies compatriotes, que cette coutume, qui révolterait bientôt nos vives et expansives Françaises, est suivie avec une rigidité que nous comprendrions difficilement. Un officier supérieur du régiment des dragons de la reine, en garnison à Madras, m'a raconté que, parti de Londres pour Calcutta sur un de ces vaisseaux, avec une dame et ses filles, dont une lui était promise en ma riage, il ne put avoir avec elles aucune relation pen- dant la traversée, parce que le capitaine jugea conve- nable de ne faire aucune présentation, afin de maintenir plus facilement le bon ordre parmi ses nombreux pis sagers. . De pareilles précautions sembleront Loi pis naires; mais quand on apprendra que des troupes de de- moiselles sans fortune vont ainsi dans l'Inde, sous la garde des capitaines de la compagnie, et ne tardent paÿ à s'y marier, on approuvera la prudence de ces der- niers, et l'on sera même disposé à souhaiter que no$ capi- taines du commerce veuillent imiter, du moins en partie, un exemple aussi sage. DE LA FAVORITE. 371 . H_est probable cependant que cette sévérité de prin- cipes, qui du reste n'est qu'apparente et s'accorde assez bien avec le froid maintien et les habitudes de nos voi- sins, ne régnera pas longtemps en Australie; car les mœurs des habitants y ont déjà subi de notables modi- fications qui tendent à les rapprocher des nôtres. Ainsi l'usage des parties de plaisir et des réunions, auxquelles engage un climat délicieux, commence à établir entre les deux sexes des rapports plus suivis, et par suite le goût de la société intime dont presque partout ailleurs les Anglais ignorent les douceurs. J'ai remarqué qu'à Sidney les hommes des hautes classes sont plus tem- pérants que ceux d'Angleterre, qu'ils ont meilleur ton auprès du beau sexe, et qu'ils n'ont pas coutume , après le repas , de chasser les femmes de table, pour ÿ passer des heures entières à s'enivrer. J'ai remarqué de plus que si parfois, comme on le voit fréquemment aux colonies britanniques, quelques jeunes officiers de la garnison se présentaient au bal dans un équilibre peu rassurant pour leurs danseuses, l'amphitryon au lieu de trouver cela tout naturel, en témoignait hautement son mécon- visent: pars eue amélioration plus précieuse encore l'intérieur des familles : les relations entre e parents m'ont pars: plus tendres, plus affectueuses en Australie qu'en Angleterre, où la nécessité de pour- voir à l'existence de nombreux enfants contraint les pères et mères à sen séparer de bonne heure; tandis qu'à la Nouvelle - Hollande, où les terres sont pour ainsi dire au premier occupant, le bonheur d'un père est de fixer ses fils auprès. de Jui... - 24 372 VOYAGE Mais ce principe de l’agglomération des individus rem- plit-il le but de la nature ? T1 faut croire que non, puisque les plus savants naturalistes prétendent que notre espèce est destinée, comme celles des autres animaux, à se dis- perser sur la surface du globe afin de la peupler. Dans ce cas, on doit convenir qu'aucune nation ne réunit à un de: gré plus éminent que les Anglais, les qualités nécessaires pour remplir cette importante obligation; chez eux l'atta- chement réciproque des parents et des enfants est tout à fait exempt de cet égoïsme d'affection si commun en France au sein des familles, et ils se soumettent aux plus longues séparations avec une philosophie et une ré- signation vraiment inconcevables pour nous autres Fran- çais qui so énéral tidolâtres du toit paternel. Cette sdolétrie, qui peut-être aussi est trop exclusive puisqu'elle s'oppose à ce que notre pays étende sa puis- sance au delà des mérs, se réveilla surtout en moi chez M. Blaxland , quand je remarquai la touchante amitié que se témoignaient tous les membres de sa famille : combien de doux souvenirs vinrent dans ce moment oc cuper ma pensée ! Et cependant, lorsqu'à la fin de la soirée les quatre demoiselles de la maïson se groupèrent derrière leur mère assise à un clavecin: et unirent leurs voix fraîches et sonores pour chanter la prière du soir, je compris comment sur cetté terre lointaine bien” des voyageurs avaient pu oublier leur patrie. Le lendémain ss toners de quitter nos aimables hôtes, DUUS D "COt environs dela rhabitation, qui, d'un côté, est séparée de la route par une lisière de bois, et de l’autre domine la rivière de Paramatta. à DE LA FAVORITE. 375 peine éloignée d'un tiers de lieue. L'exposition de Newing- ton n'est ni aussi belle ni aussi romantique que celle de Regentville : les terres y sont sablonneuses ; et les salines qu'on y a établies, bien qu'elles soient d'un meilleur rapport que des vergers et des champs de blé, exigent de trop fortes dépenses. En effet, soit que l’eau de la ri- vière, quoique prise à marée haute, renferme encore trop de parties douces; soit qu’elle tienne en dissolu- tion des substances qui empêchent sa complète évapo- ration, le fait est que le sel demeure au fond des bassins sous la forme d’une pâte molle que l’on ne peut conduire à l'état de cristallisation qu'en la soumettant, dans des chaudières, à l'action d'un feu ardent et continu. Le sel obtenu par ce procédé est bon, et se vend assez avantageusement à Sidney; mais il est à craindre qu'il ne puisse soutenir longtemps la concurrence de ce- lui d'Europe : car tandis que le prix de lun augmente par suite de la difficulté qu'éprouvent les sauniers à se pro- curer le bois qui leur sert de combustible et dont la ra- reté se fait de plus en plus sentir sur les bords de la mer, celui de l’autre baisse en raison de l'activité toujours crois- sante des relations de l'Australie avec sa métropole. Toutefois, M. Blaxland tire de ses marais salants un gros revenu, qui, joint à celui de plusieurs autres pro- priétés situées à TO. des Montagnes Bleues, le rend un des plus opulents colons de la Nouvelle-Galles du Sud. Sa probité et son expérience l'ont fait choisir pour siéger au grand conseil, et ses compatriotes le comptent au nombre de ceux d’entre eux qui, par un généreux em- pressement à tenter des essais dans toutes les branches 374 : VOYAGE de l'agriculture, et en apportant des capitaux ronge terre, ont le plus contribué à la prospérité de la colonie. À la fin de notre promenade, que dirigeaient madame Blaxland et ses filles, et au moment de retourner au logis pour monter en voiture, nous gravimes au som- met d'un monticule d’où l'on jouit d'une superbe vue de la Paramatta. Devant Newington elle est beaucoup plus large, plus creuse que près de Rose-Hill; mais ses rives n’offrent, au lieu de vallées fertiles, qué des rochers abruptes et dépourvus de végétation, et cette différence devient de plus en plus sensible à mesure que l'on ap- proche de embouchure. Cependant, partout où le sol est un peu susceptible de culture, les habitants de Sidney ont construit des maisons de plaisance ou des fermes qui, placées les unes à l'extrémité de pointes escarpées, que contourne en murmurant un courant rapide , les autres au fond de petites anses, fréquentées par une multitude de canots, forment des paysages très- pittoresques. Ce qui attira surtout notre attention, ce furent les bateaux de toute dimension , soit à voiles, soit à rames, soit mus par la vapeur , qui sillonnäient la surface paisible de la rivière, dont le cours sinueux des cachait et les laissait apparaître alternativement à nos regards. Pesamment chargés de marchandises et de pas- sagers, ils refoulaient péniblement le courant afin de gagner Paramatta; ou bien, suivant le fl de l'eau, ils ma- nœuvraient avec précaution pour éviter les bancs de sa- ble et arriver sains et saufs à Sidney , où nous entrâmes nous-mêmes, dans l'après-midi, après un court voyage q'avaient précédé un très-bon déjeuner, les adieux é DE LA FAVORITE. 375 affectueux de nos charmantes hôtesses, et une invitation de revenir, à laquelle, comme on le pense bien, nous n'eùmes garde de manquer. À peine étais-je de retour au chef-lieu, que les pre- miers fonctionnaires civils ou militaires de la colonie et les principaux bourgeois, avec le capitaine et l'état-ma- jor de la corvette anglaise, s'empressèrent de nous fê- ter, les officiers de la Favorite et moi. Les courses en voiture , ‘les banquets et les bals se partagèrent notre temps. Durant le jour, nous faisions des parties de cam- pagne dans les jolies propriétés qui entourent Farme- Cove et Elisabeth-Bay , ou nous visitions le jardin bo- tanique, enclos immense qui renferme déjà les arbres fruitiers et les plantes utiles des deux hémisphères. Là, auprès de fontaines jaillissantes, et sous des couverts touffus d'où s'élancent des pins de l’île Norfolk , au feuil- lage pyramidal, nous trouvions de frais abris contre la chaleur de midi. D’autres fois, cherchant des lieux plus vivants, nous circulions en calèche, au milieu d'une foule d'équipages, dans les allées du pare public; puis, mettant pied à terre à l'entrée des jardins du gou- verneur, nous nous rendions à la demeure du général Darling, toujours disposé à nous bien recevoir. Les sor- : rées n'étaient pas moins agréablement employées; car, à l'exception des jeudis que je m'étais réservés pour traiter à bord mes connaissances, chacun des autres jours de la semaine finissait par un festin ordinairement suivi d’un bal, que donnaient à tour de rôle, en l'honneur des Français, les riches particuliers et les autorités de Sidney. Dans ces grandes assemblées ; les dames étaient mises 376 VOYAGE avec goût et suivant les plus nouvelles buis de Paris. J'avouerai pourtant que leurs toilettes me frappèrent beaucoup moins que leur gaieté et leur entraînement au plaisir; car la roideur et la froide étiquette bri- tanniques me semblèrent furieusement négligées. Les contredanses françaises, les valses, voire même le mo- derne galop, se succédaient sans interruption jusqu'à une heure très-avancée de la nuit, et les danseurs ne quittaient leurs danseuses qu'après force engagements pour la soirée du lendemain. Si mes liaisons de société, auxquelles notre prochain départ donnait le privilège de l'ancienneté, ne m'eussent procuré quelqu'une de ces confidences dont les femmes sont rarement avares, trompé par d'aussi séduisantes apparences, j'aurais cru que le cheflieu de l'Australie était exempt de cet esprit cancanier qui désole, à ce qu'il paraît, toutes les villes du monde civilisé. Mais il n’en est rien; et à Sidney, de même qu'à Hobart-Town, les jalousies, les rivalités, suspen- dues seulement par l'arrivée de la Favorite, devaient reprendre leur cours après son départ. Un nouveau gouverneur était prochainement attendu ; ce change- ment capital mettait bien des existences en problème, bien des intérêts en mouvement; aussi imprimait-il une nouvelle activité aux tracasseries qui avaient de tout temps agité la société de Sidney. Restés neutres au milieu de ces tracasseries, et sourds à toutes les récriminations, à toutes les calom- nies dont, suivant l'usage, le pouvoir déchu était l'objet, nous profitions de la trêve conclue en notre faveur, ainsi que des fêtes auxquelles nous conviaient tour à DE LA FAVORITE. 577 tour les partis opposés, et que mon état-major , aussi gé- néreux dans cette relâche que dans toutes les autres, reconnaissait avec une grandeur que j'aurais voulu en vain surpasser. Pour clore dignement cette lutte et laisser à la plus belle moitié de la population de Sidney un dernier souvenir du passage de la Favorite, je donnai un bal auquel je priai les familles qui avaient eu pour nous des attentions. Grâce à l'aimable complaisance des officiers et des élèves, le pont de la corvette fut transformé en un vaste salon; les pavillons de signaux, décorés de guirlandes de feuilles et de fleurs, formèrent la légère tenture qui intercepta les rayons du soleil et servit à dissimuler ce que l'aspect d'un bâtiment de guerre pouvait avoir de trop sérieux. Les canons cé- dèrent leurs places à des banquettes improvisées, mais commodes et fort décentes. Enfin, lorsqu'à deux heures de l'après-midi les dames arrivèrent, la Favorite, dis- posée avec autant de simplicité que de goût, se trouva prête à les recevoir. Comme la curiosité leur imposait, heureusement pour moi, l'obligation d'oublier, du moins pour quelques heures, les querelles de leurs coteries, j'eus réunion nombreuse et très-gaie. La danse, dont ” ‘état-major de la Favorite fit les frais d’une manière très- brillante, ne fut interrompue que pendant le souper, et finit assez tard : alors un feu d'artifice , tiré du bord au moment où tous les invités retournaient à terre dans nos embarcations, termina les plaisirs de la journée. Après tant de festins et tant de bals, le repos était de- venu nécessaire pour nos amis de Sidney comme pour nous : un plus long séjour ne pouvait qu'affaiblir de part 378 VOYAGE DE LA FAVORITE. dé 1» LE j is. L À ra Aux adieux se mélisent bien des obrois mu- tuels : moi-même j'éprouvai un vif sentiment de peine en me séparant des hôtes qui m'avaientdonné tant de témoignages de bienveillance et d'intérêt (33). Mais il fallait continuer notre campagne ; et, le 21 septembre dans la matinée, après avoir salué de vingt et un coups de canon le chef-lieu de la Nouvelle-Galles du Sud , dont les habitants assemblés sur le rivage faisaient des vœux pour notre heureux retour en Europe, la Favorite mit sous voiles, quitta Port-Jackson , et le soir même, avant ** le coucher du soleil, le phare etes côtes de la Nouvelle- Hollande avaient disparu à nos yeux sous l'horizon. “647 ester créen nus, dog 28. &d la Labs RER phtlés iotiiis thé et. sa autres sbtdiures a été confiée à M. Diard, un de ces Français qui, dévorés du désir de s'instruire et d'étendre les bornes des connaissances humaines, . vont parcourir les quatre parties du monde, n'ayant pour tout moyen d'existence qu'une modique du gouvernement. - Les uns finissent par succomber aux fatigues et aux maladies qu'ils ont hravées avec une persévérance et un L'éomsmgpe: es rables ; les autres Europe rs ho 1 ramener set. pour récompense, it l'abandon et le besoin. Partout où je les ai email ot mes voyages, je les ai vus estimés , admirés des habitants, et considérés comme de véritables apôtres des sciences : titre qu'ils méritaient par leurs vastes con- naissances ; leur dévouement, et surtout par leur noble désinté- ressement. Combien de fois les principaux Hsitsiireinite des possessions européennes en Asie ne m'ont-ils pas témoigné leur étonnement de l'espèce de dénûment où là France laisse des hommes aussi précieux, lorsque l'A l'Allemagne ; la parcimonieuse Hollande nes les et avec soin et les comblent de bienfaits et d'honneurs! Leurs questions sur ce sujet m'embar- rassaient extrêmement. Pouvais-je leur répondre qué notre patrie gaspille; pour ainsi dire, les talents et le génie de ses ‘enfants, qu'elléiles laisse avec une inconcevable indifférence, porter :à ses Yoisins des découvertes utiles, dont elle cherche ensuite, mais trop. tard, à revendiquer la ‘posséssion ?.Pouvais-je. avouer que Lo 1! 380 NOTES. chez nous la médiocrité et l'indi sont l'unique partage de la science ous que le sir voyageur ne doit nullement attendre de ses concitoyens cette brillante et fruc- tueuse considération dont il aurait été entouré dans les autres pays, et qu'enfin il n'obtiendra jamais de l’état que des secours Brest be une __ nr | a reste, comment aucun examen , de chouslioen xéfisent six slnisties les disaions demandées pour assurer de misérables pensions , je ne dirai pas à de vieux soldats couverts de blessures reçues à la défense de la patrie (depuis longtemps de pareils services ne sont plus recon- nus), mais à des hommes dont les veilles et les travaux font pros- pérer nos manufactures ou notre commerce, améliorent la eul- ture des terres, et maintiennent le nom de notre nation au rang honorable où il est placé ? Quels ont été les résultats de ce déplo- rable système ? Il est facile de les deviner; les étrangers, profitant de notre négligence ou de notre ingratitude, attirent chez eux, en leur assurant une existence convenable, nos jeunes savants, dont ïls font servir les connaissances à la prospérité de leur pays. C’est ainsi que le pro de pi ed REP mr ser Re yages en C SE LP A Sn plusieurs genres de cultures qui promettent une ner de richesses aux Note 2, page 84. L, | NAVIGATION DE LA FAVORITE DANS LES DÉTROIS | DE MADURÉ Fa ET DE BALY. Le pe éyant 24 " ete qui drait vendait la corvette jusqu’ bp" PP a Onze heures du matin A RTE ”. Ps c ET sis LR +” un: | LR 7 pi nl lc ous tirer du milieu des navires qui remplissaient la rule! à six heures du soir, nous NOTES. 381 nous trouvions , par dix-sept pieds d'eau, dans la partie la plus étroite du passage; nous y mouillämes pour attendre le jour. Le lendemain, je fis lever l'ancre ; mais le calme me força bientôt de la laisser retomber, afin de ne pas dériver sur les bancs qui nous entouraient : précaution d'autant plus sage, qu'à basse mer la corvette échoua sur de la vase, par treize pieds d'eau, et y resta jusqu’à la marée suivante; une légère brise d'O. s'étant alors éle- vée, nous franchimes rapidement les obstacles qui arrêtent sou- vent les marins pendant des semaines entières. En effet, ce détroit est très-difficile dans cette partie , non-seu- lement parce que les terres de MaduréetdeJava paraissant à peine ne peuvent servir d'amers aux pratiques, mais encore parce que les fondations du fort commencé sous l'administration du géné- ral Dændels le partagent en deux canaux, dont l'un, celui du N., a été bouché avec des pierres , afin d'obliger les bâtiments à passer par l’autre, nee Déni mi CR à Li stats Java, tré Si,reomme tôut:porte à A6 ‘étoire, res seras faubersbicrosdiné comme point de défense, était destiné à servir de remarque aux pilotes, on ne saurait disconvenir qu'il ne remplisse très-bien, sous ce dernier rapport, les vues de son fondateur; car lorsque les blocs de rochers, qui font reconnaître son emplacement, sont à sec, ils désignent la bonne route aux marins ; et lorsque la ma- rée les recouvre, ils indiquent, d'une manière positive, qu'il y a au moins trois mere ë eau s.sà vs ps ne POP im- portants p Qi Dès que rdcus a penis dre vue deg cs pise diéissins éseipétite île boisée s'aperçoit dans l'E., et la sonde rapporte six brasses ; alors, comme il n'y a plus de dangers à craindre, les pilotes vous quittent, et l'on peut prolonger ses bords de chaque côté du détroit jusque par cinq brasses , fond de vase. Ce n’est pourtant pas la méthode usitée parmi les Hollandais allant aux Moluques ou’ aüx détroits : ils s'empressent au contraire de gagner la côte de Java, afin de profiter des brises de terre ; qui prennent ordi- nairement vers le soir après le calme. Je me conformai à cette 382 NOTES. coutume avec d'autant moins de répugnance , que je voulais tou- cher à Bézuki, dans l'intention d'y demander un pilote pour Baly. Aussi, dès que la corvette fut en dehors des bancs, et que la brise du S. E. s’éleva, nous primes bâbord aibaresèt hr sur Java. Dans l'après-midi, nous eûmes gros bourg:ou se tiennent des-plotes sm conduisent à à Sourabaya les navires venant du ne À ac à T di: 2 tra 1 ignirent à mouiller l'ancre à jet à deux milles du rivage. Le sollqie matin , avant quatre heures, la brise de terre s’éleva, et nous eontinuâmes à longer la côte jusqu'au moment où les vents de S. E. ses re- pris , nous louvoyâmes de nouveau. Auxenvirons de Passarouang il existe plusieurs cussitsl de roches très-accores et que rien n’annonce; aussi ne hante-t-on ce côté du détroit qu'avec précaution, surtout pendant l'obscurité. Nous passämes les journées du 13 et du 14, comme celle du 12, à lutter contre les vents du S. :E., qui remplaçaient la brise de terre fort peu d'instants après le lever du soleil; et comme ces vents cessaient avant son coucher, nous mouillions dans ce mo- ment l'ancre à jet, de peur que le courant ne nous fit perdre, en nous entraînant au N.,ce que nous avions Re avec tant de peine. 8: rs age Apr eue s dépassimes Prbolinge, he considé- «Toute cette partie de la côte tint ale de Java est généra- lement saine : les sondes y varient régulièrement de seize à dix sept brasses et augmentent progressivement à mesure que l'on court au N. : cependant il n'en faut pas approcher au - dessous de neuf brasses , à cause des bancs de vase dure qui la bordent dans certains endroits, et auprès desquels le plomb ne rapporte pas moins de quarante pieds. Du reste, la navigation n'y présente aucun risque pendant la mousson de l'E. : la mer est toujours belle, le ciel clair, les brises assez réglées et rarement très-fortes. Mais il n'en est pas de même pendant l'autre mousson : dans cette saison, la pluie ne discontinue pas, l'horizon se charge de NOTES. 385 nuages , enfin les vents d'O. et de N. O. soufflent avec une telle violence et font lever des lames si fortes, que les caboteurs cou- lent au large ou se brisent sur les plages. T1 paraît pourtant que les gros navires, pourvus. d’amarres. solides, pm ou Pate à 10m de Papas malheurs. FT PR POP DUR A rase + EPS Le STE À julie ferme , et que nous passâmes der nuit, est profond et sans aucun danger. Dès le 15 au matin, nous distinguions. parfaitement les mon- es qui dominent Bézuki : les plus hautes renferment des vol- cans dont la fumée montait dans les airs; les autres descen- dent gn ondulant jusqu'à la mer, où elles finissent par une grosse pointe arrondie à son extrémité et par un morne rougeâtre, qu'à une certaine distance on prendrait facilement pour une île. Quelques heures de bon vent auraient suffi pour nous conduire à notre destination; mais nous devions éprouver ce jour-là les mêmes contrariétés que la veille, c'est-à-dire forte brise de S. E. depuis dix heures jusqu’à sg heures de Seprémenb; et = calme pendant le reste dut re cette nuit à l'ancre et ne parvinmnes que le ti : à trois Fe du soir, devant Bézuki, où nous mouillâmes à un mille du rivage par huit brasses, fond de vase, relevant le mât de pavillon au S, 2° E., la pointe orientale au N. 68° E. , et celle de l’ouest au S. 87° O. La rade de Bézuki, quoiqu'en pleine côte , est très-sûre durant la mousson d'E.; et si quelquefois cette dernière, quand elle est fraiche, y fait lever un peu de houle, le calme du soir rend d'autant plus aisément pepe on mt accoutumée , que les courants sont faibles et inégaux. notre séjour dans cette relâche, le temps a été constam- ment clair et:très-chaud, mais principalement le jour ; car durant la nuit; des rosées abondantes rafraïîchissaient l'atmosphère. La brise du large prenait assez ordinairement vers les neuf heures du matin, et soufllait fortement à l'E. et au N. O. tout l'après-midi; puis le calme s'établissait jusqu'à quatre mers et la brise de terre s'élevait pour quelques instants. , 384 NOTES. J'espérais trouver à Bézuki des pilotes pour Baly ; mais j'appris que depuis quelques années ils résident, d'après les ordres du gouverneur, au bourg de Banjoewangy, et que, prévenus d'avance par la voie de terre de l’arrivée des bâtiments qui réclament leurs services , = viennent nn” “ eux age. à l'entrée du détroit. ; ainsi, par exemple, je is 284 fanes-au Piel qui conduisit la corvette depuis Panka jusqu'à Sourabaya, et 302 francs à celui dont j'eus besoin pour l'amener de ce dernier port à Passarouang. J'entre ici dans ces détails’ afin qu'ils servent de renseignements aux capitaines des navires qui suivront les traces de la Favorite. Le 21, à huit heures du soir, nous appareillämes pour Soumanap avec une petite brise de terre, et nous prolongeâmes la côte; mais comme au point du jour nous n'avions fait que fort peu de chemin quand le vent de S. E. sedéclara, le lieutenant de vaisseau hollandais, qui voulait bien nous servir de guide , renonçant à l'intention où ül était d’abord de s'élever dans Y'E. , afin d'attraper plus sûrement à la bordée l'extrémité orientale de Maduré, fit pnee _ amures et forcer de voiles. Cette hardiesse lui réus- sit elab e fixa à l'E. S. E. bon frais, et nous donnâmes le soir site dans la vaste baie de Soumanap, favorisés par un beau clair de lune ; mais quand la sonde ne rapporta plus que six brasses , je laissai tomber l'ancre pour attendre le j jour. À six heures, je remis sous voiles et mouillai la corvette par cinq brasses , fond de vase , à une lieue du rivage , et vis-à-vis le bourg de Soumanap. - La baie de Soumanap est formée à 1’ O. par la côte de Maduré qué ceint un large banc de vase; au N. E. et à l'E. par l'ile Lon- gue, dont les rivages, surtout celui du S. auprès duquel mouil- lent les bâtiments européens, peuvent être approchés en toute sécurité jusque par cinq brasses. Cette île qui git S. E. et N. O.. est séparée de la-grande terre par ün canal où l'on tronve d'abord peu plus loin , vers le N., dés hjriées de rochèste Son extrémité orientale, que les marins re- connaissent aisément de loin à un bouquet de trois arbres isolés, NOTES. 385 projette au large des récifs qu'il faut arfondir à grande distance. La baïe n’est pas aussi saine vers le S. O.; les trois îles qui la ferment dans cette partie, sont hérissées de brisants et forment entre elles des canaux impraticables pour les gros bâtiments. L'un qui longe Maduré, ne peut servir, malgré sa largeur apparente, qu'aux caboteurs ; l’autre qui est resserré entre l’île du Sud-Est et celle du Rossignol, n’a que quatorze pieds de profondeur ; enfin, les pratiques recommandent non-seulement de ne pas prendre le troisième, que borde à l'O. l'ile du Rossignol et à l'E. la petite île de la Tortue, laquelle termine ce côté de la baie, probablement à cause des coraux dont il est parsemé, mais encore de ne hanter ces parages qu'avec beaucoup de précaution, et jamais au-dessous de neuf brasses. Ces recommandations doivent être d'autant plus soigneusement observées, que toutes les cartes de cet archipel sont fort inexactes et dressées sur des renseignements donnés par les pratiques indigènes, la plupart du temps ignorants ou inhabiles à se faire comprendre. Ainsi environnée de terres, la rade de Soumanap est à l'abri des moussons. Celle d'E. y entre pourtant quelquefois, et favorise la sortie des bâtiments. Les marées y sont faibles et inégales, “plus fortes le matin que le soir , et font monter la mer de sept à huit pieds environ. De mai en septembre, le temps est toujours serein à Soumanap, et d'autant plus chaud, que le calme dure toute la nuit et même une partie de la matinée, car le vent de N. E. ne commence ordi- nairement que vers les dix ou onze heures. Nous attendimes ce moment, le 27 mai, pour lever l'ancre et gouverner sur Banjoe- wangy, établissement hollandais situé dans le détroit de Baly; mais comme la brise resta très-molle, nous ne parvinmes à doubler la Tortue qu'à deux heures : alors nous mimes le cap au S. O. 1/2 O., la sonde rapportant cinquante-quatre brasses. Vers mi- nuit, la corvette était à petite distance de Java, et reçut une petite brise del'O. dont nous profitâmes pour aller prendre connaissance du cap Sandana, que nous aperçûmes dès l'aurore, à plusieurs lieues dans l'E. La corvette le dépassa vers les deux heures , à la II. 29 386 NOTES. faveur d'une brise fraîche du N. O., et le détroit de Baly apparut devant nous. Auprès du cap Sandana est une haute montagne, située sur le bord de la mer, et qui, vue du N., présente deux pitons taillés d’une façon bizarre; mais quand on approche, on reconnaît qu'elle se compose de trois mornes groupés, et formant une espèce d’enton- noir, ancien cratère rempli d'eau. Ce groupe rend le double service de faire reconnaître le cap, que sans cela on confondrait avec les pointes basses qui l'avoi- sinent, et d'indiquer la position d'un plateau de récifs très-dan- gereux, gisant à deux lieues au N. du cap Sandana. I n’y a pas d'autres dangers , si ce n’est des brisants assez forts qu’on dis- tingue le long de la plage. Du cap à l'ouverture du détroit on compte sept lieues ; pour les franchir, nous gouvernämes au S. 33° E. et côtoyàmes Java. Bientôt nous vimes l'île aux Pigeons, banc de sable d’un demi- mille de long , auprès duquel les pilotes accostent les navires; elle divise le canal en deux parties également profondes , dont la plus large, celle d'O., est généralement préférée durant la mousson d'E. ,-parce que la marée y porte sur Java. Nous n'y sentimes pas d'abord toute la violence du courant; mais aussitôt que nous eûmes dépassé l'ile aux Pigeons, il nous emporta avec une ef- frayante vitesse. Le pilote conduisit d'abord la corvette auprès de Baly ; puis, lorsque nous fûmes au point le plus étroit du canal, il se rapprocha de la rive opposée de Java, afin, me dit-il, d'éviter des rochers qui bordent la côte d’O. Dans ce moment ,-la brise devint contraire, et nous louvoyâmes en serrant la côte de Java. Malheureusement il faisait nuit , et quoique le détroit eût à peiné un mille de large, il me fut absolument impossible de continuer mes remarques ; seulement je m'aperçus que le courant au S. E. était plus fort sous Baly que sous Java , où nous ressentions par moments des remous de marée qui nous ramenaient dans le N. Il paraît que l'inverse arrive durant l'autre saison; à cette époque le courant au N. O. est plus rapide près de Java, ét les remoûs de marée ont lieu près de Baly. Du reste, ces anomalies dans les NOTES. 587 courants, comme celles que nous observâmes dans les brises pen- dant notre navigation aü milieu de cet archipel, où souvent, én moins de quelques heures; la corvette mouillée soit au large, soit à toucher le rivage, évitait brusquement plusieurs fois , et où les vents lournaient dans la même journée du N. au S. par FE, ces anomalies, dis-je , ne se présentent probablement qu’au début des moussons ; car les pratiques m'ont assuré que lorsque ces der- nières sont bien établies , les courants ne varient plus et suivent la direction des vents généraux, qui règnent alors avec une telle intensité, et soulèvent des vagues si fortes, que les bâtiments de guerre même ne peuvent lutter contre de pareils obstacles , et se trouvent dans la nécessité d'aller chercher les détroits d'Assas et de Lombok, moins difficiles à franchir que celui de B Par bonheur, nous n'éprouvâmes pas ces terribles contrariétés, et le calme seul nous empêcha d'arriver avant neuf heures du soir à Banjoewangy, où la corvette mouilla par sept brasses, fond de vase, relevant à l'E. la plus haute is de 7 et à l'O. le mât de pavillon du fort. Pendant cette relâche, nous eûmes des jours extrêmement chauds et des nuits fraîches et humides. Les vents du N. soùf flaient chaque après-midi; aussi éprouvions-nous une houle très. fatigante. Le 1° juin, nous partîmes de Banjoewangy vers une heure , comptant sur la brise du N. pour refouler le flot; mais elle ne dura que deux heures et nous laissa à la merci du courant con- traire. Un peu avant le coucher du mar le jusant prit à son tour et nous porta rapidement josque'à à l’ouvert d'une baïe spa- cieuse située sur la côte de Java, et où les Anglais, lorsqu'ils pos- sédaient cette île, tentèrent de fonder un établissemént qui ne tarda pas à crouler, les maladies en ayant dévoré 1à population. Le pilote nous quitta, et nous continuâmes à louvoyer contre la petite brise de S. E. qui avait succédé à celle du N. Durant la nuit, nous avançâmes un peu, aidés par la märée plutôt 2e le vent ; qui ne cessant de varier, nous obligea d’ aller alt 2 ment du rivage de Java à celui de Baly, auprès duquel la sonde donna plusieurs fois vingt-trois brassés, quoique les cartes n’y | 388 NOTES. marquent pas de fond. À la pointe du jour, la brise s'étant élevée u N. E., nous pûmes sortir du détroit et perdre l'abri des terres ; en effet, à mesure que nous courions au large, l'horizon s'embru- mait, les hautes montagnes de Baly s’enveloppaient de nuages, et la mer devenait de plus en plus houleuse; enfin, nous attei- gnimes les vents généraux du S. E., je donnai la route au S. S.O., et nous entrâmes dans l'Océan du Sud. re Note 3, page 101. Voici comme un auteur anglais très-estimé, sir Thomas Stam- ford-Raflles, ancien gouverneur de Batavia, décrit la dernière éruption du volcan le plus redouté des Javanais. Que sont, auprès de ces grands bouleversements, les catastrophes d'Herculanum et de Pompeia « Toute la longueur de Java est formée par une suite de mon- tagnes dont plusieurs sont des volcans brülants. « L'élévation des montagnes du premier rang varie de 5000 à 11,000 pieds anglais au-dessus du niveau de Ja mer. La pre- mière chaine commence à l'O. dans le Bantam. On l'aperçoit de l'Océan Indien, quoique l'élévation du Gounoung-Karang, la principale d’entre elles, ne soit que de 5263 pieds anglais. - «La seconde chaîne est celle du Salak. Les marins l'appellent les Montagnes Bleues. « La troisième chaîne est celle du Gedé ou Pangorango dont plusieurs cimes sont volcaniques : une branche se dirige vers leS., l'autre vers l'E. On voit de Batavia le mont Salak et le mont Gedé. Il y a dans cette chaîne deux montagnes qui portent le « À lorient il y a trois énormes volcans ; savoir, l'Ung'arang, le Merbabu et le Merapi. Plus à lorient. encore , se trouve le volcan qu'on nomme Japära , dont les cimes ont une conformation telle- ment irrégukère qu’elles ne ressemblent en rien aux autres mon- tagnes de Jaÿa.: :.. 2 « Toutes ces chaînes forment trente-huit montagnes bien dis- NOTES. 389 unctes ; elles sont recouvertes de la plus brillante et de la plus an- tique végétation; elles offrent les traces bien reconnaissables de volcans éteints : quelques cratères seulement brûlent encore çà et là sur la surface de l'ile. Cet immense territoire paraît être sorti du sein des mers par d'horribles mouvements convulsifs. « H y a beaucoup de montagnes secondaires au pied de ces monts volcaniques : leur direction varie dans tous les sens; plu- sieurs d'entre elles sont calcaires. «Le savant M. Horsfield qui a séjourné pendant dix- huit ans aux Indes orientales, a examiné dans les plus grands détails la conformation géologique de plusieurs volcans de Java; voici la description qu'il fait du Tankuban-Prahou : « Ce volcan, dont le cratère, dit-il, est le plus large de ceux de «l'ile, est ainsi appelé parce qu'il ressemble à une praue ou «barque renversée. Le cratère est en forme d'entonnoir, d'un «mille au nr de circonférence : le limbe extérieur est très-irré- «gulier. « Je descendis par le côté du S. à une profondeur de 250 pieds; «je me lins à des cordes que j'avais attachées à des arbrisseaux qui «croissent entre les parois du cratère ; la lave y est en petits frag- «ments. À environ un tiers de cette profondeur, le cratère se «courbe très-obliquement. La partie inférieure est composée d'é- «normes piliers de roc, d'où jaillissent des ruisseaux d’eau vive qui “ont creusé un large canal, Le côté de l'E, se termine à la moitié « de sa profondeur par de grosses masses de rochers perpendicu- «laires : le côté du N. est moins escarpé; ilest couvert de végé- «taux. Le côté de l'O. ressemble à celui du N. « Le noyau de la montagne est un amas de basaltes disposés en «tuyaux d'orgue, au milieu desquels l ouverture volcanique s’est « formée. -« La surface de l'intérieur est complétement calcinée, de cou- «leur blanche qui varie quelquefois au gris et au jaune ; les laves «adhèrent en plusieurs endroits aux roches basaltiques qui sont «différentes en conformation et en couleurs. Le c est percé «en plusieurs endroits par des sillons que des courants d'eaux ont 390 NOTES. «tracés, et qui se précipitent à une profondeur énorme. Le fond du «cratère a un diamètre de 300 yards anglais. «Près du centre, mais un peu vers l'O., il y a un lac de «forme ovale irrégulière, dont le grand diamètre a environ « 100 yards; il s’épanche en plusieurs endroits : l'eau en est blanche «comme du lait ; elle bout à gros bouillons , principalement dans «la partie orientale. Sa chaleur est de 112° de Fahrenheit, son «odeur est sulfureuse, son goût est astringent et salin. Son air « fixe renfermé dans une bouteille, fait explosion avec violence «lorsqu'il sort. Les bords du lac, à une certaine distance, sont cou- « verts de lignes de terre alumineuse, très-légère, d'une finesse «“impalpable, ce qui empêche que l'on approche de l'eau : je vou- «lais en examiner la température et en recueillir pour l’analyser , «lorsque j'enfonçai dans la terre, à une profondeur assez grande, «et je dus placer de gros fragments de basalte pour marcher dessus. « Cette terre contient de l’alumine des laves, mise en dissolution « par les vapeurs sulfureuses du cratère ; elle est extrêmement pure «et d'une divisibilité au dela de toute imagination. « À l'extrémité orientale de ce lac, on voit les issues des doi sou- « terrains ; elles consistent en plusieurs ouvertures dont s'exhalent « perpétuellement des vapeurs sulfureuses. Deux à trois de ces «ouvertures sont plus larges que les autres, et distantes entre elles «de quelques pieds : elles sont irrégulières, oblongues et couvertes «de cristaux de soufre brut, qui s’attachent aux parois d'alumine et «ont une grande variété de configuration; la vapeur sort avec une « force incroyable ; on entend un violent bruit souterrain qui res- « semble au bouillonnement d'une immense chaudière, dans les en- «trailles de la montagne. On ne peut approcher de ces ouvertures d a EL RES 7 note FLE ir l'étendue D? x | sé d «intérieure du volcan L’argile qui les entoure est extrêmement « men la plus grande ouverture est d'environ douze pouces « de RES d tités de cette substance argileuse ont été jetées «à différent fs par les anciens cratères. « J'ai vu une semblable substance à la montagne de Klut, dans NOTES. 591 « héss mois de juin 18”. La terre, semblable à de la cendre, était si «impalpable et si légère, que le vent de la mousson la transporta «de cette montagne, située à la longitude de Sourabaya , jusqu'à « Batavia, vers l'O. : elle possède toutes les qualités de l'argile la « plus pure, et se mêle entièrement avec l'eau, de manière qu'on “en peut faire facilement de la poterie. Les Javanais n'ignorent « pas cette propriété, puisque les orfévres rassemblent ces cendres « pour faire les moules de leurs plus fins ouvrages. » « Les éruptions volcaniques beiymeiss:i boat Spons dons le district de Grabogan. Voici la déccriptign | qui a lieu popéinininnt; presqu'au centre d'une M plaine entourée de cratères ignés « On aperçoit de loin an tourbillons de fumée , l'on croit en- tendre le bruit confus du tonnerre ; lorsqu'on s'approche , on voit s élever à une hauteur de 20 à 30 pieds, par une force de répulsion provenant de l'intérieur dela montagne, une large masse hémisphé- rique d'environ seize pieds de diamètre. Chaque explosion estsuivie d'un bruit sourd , ce qui prouve la preneur de la colonne ; elles se répètent à des intervalles de deu des et continuent sans cesse. La substance boueuse se vipaid dans une plaine par- faitement unie, dont la circonférence est d'environ un demi-mille anglais ; elle n’est remplie que de particules terreuses mêlées d’eau salée. On conduit cette boue par des rigoles étroites, pour la ras- sembler de manière à en faire évaporer l'eau et cristalliser le sel. « Une odeur sulfureuse se fait sentir au moment de l'explosion; la boue lancée du volcan est plus chaude que l'atmosphère. Pendant la saison pluvieuse, les explosions sont plus violentes, plus hautes, et le bruit en est plus considérable. « Les descriptions des tremblements de terre de Naples, de la Sicile et de l'Islande, sont peu de chose en comparaison de la plu- part de ceux des îles de l'archipel Indien. Nous citerons entreautres les tremblements de terre qui eurent lieu depuis le 5 jusqu'au 17 avril 1815 dans l'ile de Sumbawa. « Les commotions furent senties à Java, à Bornéo et à Célèbes, dans une circonférence d'un millier de milles géographiques. À 392 NOTES. l'E. de Java, c'est-à-dire à 300 milles du théâtre de cetie catas- trophe, le ciel fut couvert de nuages et de cendres pendant plu- sieurs journées. Le bruit de l'éruption ressemblait tellement à celui du canon, que des officiers croyaient qu'un navire était attaqué sur la côte par des pirates. « Dans la malheureuse île de Sambawa, où se trouve le volcan, toutes les récoltes furent détruites : la famine fut si grande, que la fille du rayah de Sang’ir mourut d’inanition ; des villages entiers disparurent. Le rayah de Sang'ir, spectateur de l’éruption, raconta que, depuis le 7 jusqu'au 10 avril, trois colonnes de flammes sor- tirent de la montagne de Tomboro, à une hauteur prodigieuse, et se mêlèrent à leur extrémité. La montagne entière avait l'aspect d'un corps liquide enflammé : pendant la journée du 8, un amas de substances opaques lui cacha le feu et obscurcit l’atmosphère. s pierres grosses comme les deux poings tombaient sur le vil- lage de Sang'ir. « Une pluie de cendres tomba dans la nuit du g au 10; des tourbillons de vent emportaient les toits des maisons ; les arbres déracinés étaient jetés à la mer; des hommes, des bœufs et des che- vaux étaient enlevés. La mer se gonfla d'environ douze pieds, inonda des rizières et détruisit des maisons. Cette horrible tour- mente dura une heure entière. Es sous des pee: cessa jus- qu'au 11 avril; ell sans Linie pendant environ douze ES Leur violence se modéra dans l'après-midi, et elles cessèrent entièrement le 15. Douze mille personnes furent victimes de cette épouvantable éruption. « Le Papandayang, situé dans la partie occidentale du district de était autrefois l'un des plus énormes volcans de Java: la plus grande partie de la montagne fut engouffrée dans la terre, en 1772, pendant une très-courle mais épouvantable éruption: Voici comment cet événement arriva : Vers le milieu de la nuit du 11 au 12 août, un nuage lumineux d'un aspect extraordinaire enveloppa toute la montagne. L'alarme se répandit, les habitants du voisinage s'enfuirent, mais une grande partie d’entre eux n€ NOTES. | 395 purent s'éloigner avec assez de rapidité : la montagne s'enfonça tout à coup ; on entendit un bruit semblable à la plus horrible dé- charge d'artillerie; des débris volcaniques furent lancés à plu- sieurs milles de distance. Tout le sol sur 15 milles anglais de long et 6 milles de large fut bouleversé; 40 villages disparurent en grande partie; 2957 habitants périrent ; toutes les cultures furent détruites. » Note 4, page 106. Les bornes de cet ouvrage ne me permettaient pas de remonter plus haut que le commencement du siècle, dans l’histoire des progrès de la puissance hollandaise à Java; mais comme les événements antérieurs à cette époque ont pu influencer mon opi- nion sur la conduite actuelle des maîtres de Batavia, je crois devoir donner ici aux lecteurs un court précis de leurs guerres, et principalement de leurs transactions diplomatiques avec les princes malais, depuis qu’ils se sont établis dans les îles de la Sonde. (Extrait de l'Histoire de Java, par sir Thomas Stamford-Raffles.) « En 1596 de l'ère vulgaire, les Hollandais, conduits par Hout- man, parurent à Bantam, au déclin de la puissance des Portugais, qui y possédaient une factorerie. Le roi était alors à une expédi- tion contre Palembang. Les Hollandais quittèrent Bantam, qui était alors un port fréquenté par un grand nombre de Chinois, d'A- rabes, de Persans, de Maures, de Tures , de Malais et de Péguans ; quatre années plus tard, ils y vinrent former un établissement ; dans l’année suivante, ils eurént la permission d'y construire un édifice permanent; en 1609, ils avaient un agent à Grissée; en 1612, ils firent une convention avec le prince de Jakatra: Le 19 janvier 1610, ils firent un nouveau traité avec le même prince, qui ratifiait la construction d’un fort. De nouveaux secours arri- vérent d'Europe sous les ordres de l'amiral Coen ; la ville de Jakatra fut réduite en cendres , parce que le prince avait arrêté et fait con- 594 NOTES. duire dans l'intérieur plusieurs prisonniers hollandais , et la ville de Batavia fut construite sur ses ruines. « Le sultan de Matarem avait voulu vivre en bonne intelligence avec les Hollandais; mais ayant appris ce qui s'était passé à Jakatra, il envoya contre eux deux armées, qui furent successivement bat- ms -* perte d'environ 10000 hommes. Tannée 1629 de l'ère vulgaire, une seconde armée de Ma- Ra + présenta devant la ville de Batavia. Le siége etles assauts furent meurtriers. Les événements de la guerre étaient si désas- treux pour les Javanais, qu'ils furert repoussés trois fois et per- dirent la moitié d’une armée de 120000 hommes : enfin les Hol- landais envoyèrent un ambassadeur avec des présents, et la paix se fit. ; « Pendant le reste du règne du sultan Agoung, l'empire fut tranquille, à l'exception de deux révoltes. Ce prince mourut en 1646; les Hollandais disaient de lui que c'était un prince ins- truit : il avait établi sa domination sur l'ile entière, excepté à Jakatra. « Aria Prabou, sou fils, lui succéda sous le nom de sultan Aroum; ce fut un des monarques les plus cruels de Java. Le 24 sep- tembre 1646 , ce prince fit avec la compagnie hollandaise un traité écrit, dont les principaux articles étaient que le Sousouhounan fût informé annuellement, par un ambassadeur, des curiosités ar- rivées d'Europe ; que les prêtres javanais et autres personnes qui seraient envoyées dans les pays étrangers pourraient disposer des navires de la compagnie; que tout fugitif pour dettes ou autres motifs serait réciproquement rendu ; que la compagnie et le Sou- souhounan s’engageraient à s’entr'aider dans toutes les guerres : que les navires du Sousouhounan pourraient trafiquer dans tous les établissements de la compagnie, excepté à Amboine , à Banda et à Ternate; que les navires expédiés pour Malacca et les autres places du N. relâcheraient à Batavia. « Le 10 juillet 1659, la compagnie fit un traité avec le sultan de Bantam , pour l'extradition réciproque des déserteurs. « Une conjuration s'était formée contre le féroce sultan de Ma- NOTES. 395 tarem us pe rt qui sas D cd en sa pis Alit, son sounoe au prince, qi dit à Alit : « Voici la ré ue «attenter à mon autorité. » mens ang “a ce jeune homme fut assassiné par un homme qui avait voulu l'arrêter, et contre lequel il avait levé le kris. Le sultan, désolé de la mort de son frère, fit inscrire le nom de tous sud Jens _ la ue soupçonnant PR qu’ un d’entreeux iti l'Alun alun; ces sieste; au néuiièe de plus ne six « mille périrent à coups de canon. « La première reine avait un oiseau né d'une poule sauvage et d'un coq domestique. Le Sousounan s’imagina que c'était un pré- sage que son fils régnerait aussitôt qu’il serait suflisamment âgé : il fit réunir soixante personnes de sa famille sous un arbre de va reigner et les fit massacrer ; ils appelaient Dieu et le prophète à témoin de leur innocence. Son fils se maria sans son aveu : il fit ve- nir les deux époux, voulut que la jeune personne fût mise à mort avec toute sa famille, au nombre de quarante individus ; le 2 prince fut banni. « On raconte parmi les atrocités de ce monarque, qu'il viola sa fille ; enfin il devint si odieux, que les grands de l'empire sup- Plièrent son fils de prendre les rênes du gouvernement. Une cons- piration se forma ; une révolte devait éclater à Madura , tandis que le jeune prince resterait à la cour. Une armée vint de Macassar, en l'année 1675 de l'ère vulgaire, pour aider les rebelles. Deux armées du Sousounan furent défaites successivement : les Hollandais le secoururent avec quatre navires; les Macassarais furent battus et leurs chefs tués. Le sultan forma une troisième armée , et en donna le commandement à son fils. « Cependant le chef des conjurés de Madura, appelé Trouna Jaya, voulut se placer lui-même sur le trôrie de Matarem ; il avait remporté plusieurs victoires dans les districts de l'E., avait pris ion de Sourabaya et s'avançait vers Japara. « L’amiral Speelman partit de Batavia en décembre 1676, pour secourir le Sousounan , et il soumit toute la côte jusqu'à Japara. 396 NOTES. Un traité entre la compagnie et le Sousounan fut le résultat de ces succès. On stipula que la juridiction de Batavia s’étendrait jusqu'à la rivière de Krawang; que les marchandises de la compagnie seraient exportées franches dedroits : que les Macassarais, les Malais et les Maures ne pourraient faire le commerce dans les états du Sonan s ‘ils n'avaient point de passe-ports hollandais ; que ce +payerait 250000 dollars et verserait 3000 lastes de riz u les frais de la guerre , etc. etc. «Au mois de mai suivant , les flottes combinées de Speelman _et du Sousounan remportèrent une victoire décisive sur Trouna Jaya, qui he en pr ess lui 100 pièces de canon. révoltés it ès sur terre; enfin, au mois de gi sé , ils cusoisess à Matarem. Le monarque forcé de fuir de sa capitale, se retira avec son fils dans les mon- tagnes de nas: il y succomba bientôt à une maladie, et au moment dé mourir il dit à son fils : « Vous devez régner sur Java, « dont la souveraineté vous vient de vos ancêtres : soyez l'ami des « Hollandais, vous pourrez réduire par leur assistance les pro- « vinces de l'Est...» « Cependant les rebelles trouvèrent dans le palais la couronne de Majapahit , deux filles du roi et des trésors immenses : la perte des habitants de Matarem fut de 15000 hommes, les Madurais n'en perdirent guère moins. Le jeune et malheureux prince Mengkourat 1”, appelé Sida Tagal Aroun, retiré à Tagal, avait pris d'abord la résolution de partir pour la Mecque, et de devenir un hadji ; 1 se décida, après un songe mystique, à demander du se- cours à Batavia. Lorsque les troupes arrivèrent, le chef de la pro- vince de Tagal s'offensa de ce que les officiers hollandais étaient debout et le chapeau à la main devant le jeune monarque , tandis que les Javanais doivent être assis ; il fut très-étonné d'apprendre que c'est un signe de fespect en Europe « Le Sousounan s’informa ensuite du nom du commandant; et lorsqu'il sut qu'il avait le rang d'amiral, il s'approcha de lui. Des présents furent ensuite offerts à ce prince, parmi lesquels était un-magnifique habit de façon hollandaise ; le prince en fut si sa- NOTES. 397 tisfait qu'il s’en revêtit à l'instant. L'amiral se dirigea ensuite par mer vers Japara, tandis qu'une division hollandaise se dirigeait par terre, avec le prince , vers Pakalongan. « Quand l'amiral arriva à Japara, il y trouva un vaisseau anglais et un vaisseau français en détresse, qui firent savoir qu'ils avaient assisté les Hollandais, lorsque les rebelles atiaquaient Japara. L'amiral en remercia les é équipages et leur fit présent de 10000 dollars , en ordonnant qu'on les ramenât dans leur pays sur un de ses navires. « Les troupes s’avancèrent ensuite vers Kediri; la place fut as- siégée pendant cinquante jours et prise d'assaut. Les Macassarais auxiliaires des rebelles avaient fui; TrounaJaya avait aussi disparu. On trouva dans la place beaucoup d'or, une grande quantité de piastres d'Espagne, et la fameuse couronne de Majapahit ; mais les pierres précieuses en étaient enlevées. Le 9 décembre, neuf chefs macassarais obtinrent leur grâce. A7 « Cependant Trouna Jaya avait rassemblé de nouvélles troupes ; il manœuvra dans la plaine , mais son armée fut saisie d’une ter- reur panique à la vue des troupes combinées des Hollandais et des Javanais. Alors le beau-frère de Trouna Jaya lui donna le conseil d'aller implorer la clémence du prince, qui probablement lui par- donnerait. Trouna, après un moment de réflexion, se décida à suivre son beau-frère, en se faisant accompagner de ses femmes et de ses serviteurs. Ils prirent tous la route de Kediri , le 25 décem- bre 1679; ils se jetèrent aux pieds du Sousounan, en implorant Ja . grâce de Trouna. Ce malheureux n'avait point de kris; un chain était roulé autour de son corps, comme s’il était prisonnier. « C’est «bien, Trouna Jaya, dit le monarque, je vous pardonne. Sortez «pour vous habiller selon votre rang et revenez ensuite ; je vous «ferai présent d'un hris, et je vous installerai en qualité de mon «ministre. » Trouna publie, en sortant, la clémence du prince:il revient; le Sousounan ordonne à sa femme de lui donner:le kris appelé Kai Belabar, qui était tiré hors du fourreau. « Apprends, « Trouna Jaya , dit le monarque, que j'ai juré de ne tirer cette arme « de son fourreau que pour la plonger dans ton corps: reçois la 398 NOTES. «mort en punition de tes offenses. » En effet le malheureux Trouna venait de recevoir le coup fatal ; sa tête fut ensuite tranchée, son corps fut traîné dans les immondices et jeté dans une fosse. 4 Valentyn raconte cet événement avec d’autres circonstances ; mais M. Raffles doute des récits de cet écrivain, dont l'exactitude est souvent suspectée. «La tranquillité fut rétablie; le Sousounan retourna à Sama- g; et pour témoigner sa reconnaissance aux Hollandais, il loër y accorda assez de terrain pour construire un fort, et i espéra dans leurs secours lorsque de nouvelles occasions se pré- sentaient. « Les Javanais croient qu'une fois que le dons s’est étendu sur une place, la prospérité n'y revient jamais: cette idée supers- titieuse fut la cause que le Sousounan résolut d'abandonner Ma- tarem. I voulut fixer sa résidence à Samarang; mais il se décida ensuite à l'établir dans le district de Pajang, au milieu de la forêt Wana Kerta, et la nouvelle capitale fut appelée Kerta Soura ; les murs en existent encore sur la route de Soura Kerta, capitale actuelle du Sousounan. En l’année 1605 de Java (1682 de l’ére v.), le Sousounan Mangkourat mourut : on bläma son successeur u Nagara, appelé vulgairement Mangkourat Mas, parce qu'il s'était hâté de prendre les rênes du gouvernement avant que les honneurs funèbres eussent été rendus au monarque défunt. La compagnie l'invita à confirmer l'acte du 28 février précédent ; qui cédait en toute souveraineté aux Hollandais le royaume de Jakatra, entre les rivières d'Untoung Jäwa et de Krawang, et à accorder, en reconnaissance des services de l'amiral Speelmann pendant la révolte de Trouna Jaya, tout le pays entre les rivières de Krawang et de Panaroukan. Nous dirons ici qu'une charte du 15 janvier 1678, octroyée par le Sousounan précédent, plaça le commerce du sucre es Japara ec es mains is Hollandais ; que la taue, par un traité du 17-avril 1684; da frontière entre le royaume hôllan- dais de Jakatra et les états du roi de Bantam fut déterminée sur le cours entier de la rivière de Tang'ran on Untoung Jawa; qu'un NOTES. 399 autre traité du 6 janvier 1684, entre la compagnie et le sultan de Chéribon, assurait l'amitié de ce prince etautorisait une factorerié à Chéribon. « Cent jours après la mort du sultan Mengkourat |“, on cé- lébra les funérailles selon l'usage. Pendant la cérémonie, le Sou- sounan conçut une passion pour la femme de l'Adipati de Ma- dura ; il voulut lui faire violence, mais elle s’échappa. Son mari seréfugia à Samarang, invita Pangeran Pugar, oncle du Sousounan, à prendre la couronne et à se placer sous la protection des Hollan- dais. Le Sousounan voulut faire mettre à mort le fils du Pangeran ; mais deux éruptions du Merapi, volcan énorme de cette île, l’ef- frayèrent au point qu'il pensa que le ciel favorisait le Pangeran : il accorda la vie à son fils et lui donna 1000 chachas. Il envoya un régent en ambassade à Batavia, dans le même temps que le Pangeran y envoyait aussi une ambassade. La compagnie répon- dit au chargé d'affaires du Sousounan , que l’on traita comme un simple messager, qu'elle ne pouvait reconnaître son maître pour monarque, 1° parce qu'il était un tyran, qu'il avait excité son père contre les Hollandais ; 2° parce que l'ambassade au lieu de con- sister en princes ou ministres, selon l'usage, n'était composée que de deux régents ; 3° parce qu'en informant de son avénement, il n'avait pas proposé le renouvellement des traités ; 4° parce que des lettres interceptées faisaient connaître qu'il invitait le prince de Madura à se joindre à lui contre les Hollandais, qu'il voulait chasser de Java. « La compagnie fit proposer à Pangeran Pugar la cession de Demak, Japara et Tagal, pour prix de son assistance. Pugar, crai- gnant de déplaire aux Hollandais en refusant de céder ces trois places, leur offrit de payer tous les frais de la guerre. Ces propo- sitions étant acceptées, la compagnie fit mettre en mouvement les troupes européennes, le 18 mars 1704 ; elles arrivèrent à Sa- marang au mois d'avril. « Le 19 juin, le Pangeran Pugar fut reconnu souverain sr rang par les Hollandais , qui prirent aussitôt possession des dis- tricts dé Demak , Grabogan , Sisela, et du territoire de Samarang 400 NOTES. jusqu’à Un’garang. Les troupes de Mengkourat Mas furent forcées de se retirer vers Kerta Soura. « Avant de se mettre en marche, les chefs hollandais traitèrent avec Jaya Dennigral, chef des troupes de Kerta Soura, et-prirent possession des portes fortiliées de Pedakpayang, Ung'arang et Salatiga. L'ennemi avait environ 4oooo hommes près de cette dernière place; alors Mengkourat Mas s'enfuit de sa capitale, après avoir fait étrangler le fils de Pangeran Pugar. Son règne fut court; il était âgé de trente-quatre ans: on lui donnait le surnom de Pinchang, parce qu'il était boiteux. « Pangeran Pugar, âgé de cinquante-six ans, monta sur le trône de Java (1705) : on l’appela Pakabouana. « Le 5 octobre 1705, ce prince fit un traité avec les Hollandais : l'article 1° confirmait tout ce qui avait été stipulé antérieurement, etentre autres les traités de 1640 et 1677. L'art. 2 concédait à la compagniele district de Jebang. Art. 3, le Sousounan reconnaissait l'indépendance de Chéribon , d'après le traité de 1680. Art. 4, les territoires de Sumanap et Pamakasan passèrent sous la protection de la compagnie. L'art. 5 confirmait la cession de Samarang et Kaligawe, selon le Vanaiet de 1 Pi: si ports de Forhèyast et su moul: y étaient ajoutés Miss hs, 2 L'art. 7 autorise Len ee diable des Éélnhinies dans pu parties des états du Sousounan qu'ils le voudraient; ils seront réputés sujets de la compagnie et francs de capitation aussi long- temps que la compagnie les emploiera. Par l’art. 8, le prince pro- mettait d'approvisionner les Hollandais en riz, au prix des mercu- riales. Par l'art. 9, les ports macassarais, bougis et balians res- taient fermés aux sujets du Sousounan , selon l'acte précédent de 1677: Par l'art. 10 , le monopole de l'opium et du drap était con- servé à la compagnie et à ses agents. Par l'art. 11, les prises faites les croisières de la compagnie étaient vendues au profit des nrisiseni Par Far, 12, les sujets du Sousounan ne pouvaient ports de la com ie, àl'E,, à Bali et Dnisalosk:: au N., à Bésnet Banjarmassing ;. à l'O., à Bantam, Lampong , Jambi , Indragiri, Johor et Malacca, excepté, à l'E. à NOTES. 401 Bouton, Timor, Bima, etc. etc., sous peine de confiscation des navires et chargements. Par l'art. 13, plusieurs soldes de comptes dus par le Sousounan étaient acquittés, à condition que le pré- sent traité füt loyalement observé. « Le 11 du même mois {octobre 1705), un autre traité fut ré- digé par M. Dewilde : le prince promettait de supporter l'entretien d'un détachement de deux cents hommes de troupes hollandaises pour sa sûreté, à Kerta Soura, montant à 1300 piastres d'Espagne par mois. «Après ce traité, Mengkourat Mas fut poursuivi de place en place pendant deux ans. Enfin , en 1708, il se rendit à un repré- sentant de la compagnie appelé Xnol, qui le reçut à Sourabaya le 17 juillet, et le fit embarquer pour Batavia avec sa femme , ses concubines et ses serviteurs. Lorsqu'il fut arrivé dans cette grande ville, on le conduisit au château devant le gouverneur général (M: Van Hoorn ): le monarque se prosterna à ses pieds , en lui pré- sentant son kris. Le gouverneur lui rendit son kris , le traita avec humanité et l'envoya à Ceylan. « La fameuse Mahkotaou couronne de Majapabhit, fut perdue pour toujours pendant la guerre qui causa la perte de Mengkourat Mas. « Parmi les événements malheureux de ce règne, on peut citer la révolte de Sourapati qui commença en 1683 et qui ne fut étouf- fée qu'en 169 s Pakohbesate I“ mourut l'an 1648 de Java (1722 de l'ère v.), son règne fut presque toujours troublé par des révoltes : les Hol- land furent ses alliés et perdirent os: de pe dans plusieurs actions , mais la époq la suprématie sur lle de Java; sie à Sibosnncs ne fut plus que son pupille. H avait écrit à la compagnie pour la prier de choisir son successeur parmi ses trois fils, Prabou, Amangkou , Nagara : l'aîné fut choisi. Le plus jeune se révolta, s’empara de Matarem; les Hollandais envoyèrent des troupes à Sourabaya , et rétablirent l'ordre dans le temps que ce jeune prince mourait d’une très- courte maladie dañs le village de Kali Gangsa. Un des chefs de la rébellion fut exilé au cap de Bonne-Espérance. III. 26 102 NOTES. « En l’année 1657 de Java (1713 de l'ère v.), Pakabouana II, âgé d'environ quatorze ans, succéda à son père. Denou Raja, premier ministre du feu Sousounan , fut chargé du gouvernement jusqu'à ce que le jeune monarque fût en état de régner. « En 1737 de l'ère vulgaire, eut lieu la révolte des Chinois à Batavia. Un grand nombre de mécontents de cette nation sorti- rent clandestinement deBatavia, et se rassemblèrent à Gandaria, village peu éloigné de cette capitale. L'on raconte de diverses manières la cause de cette révolte : les uns disent que les Chinois étaient souvent molestés par les esclaves des Européens, et qu'ils ne purent obtenir justice ; d’autres, que la protection spéciale ac- cordée aux Chinois par le général Valkenaar excita la jalousie parmi les autres nations. Un Chinois, nommé Liu Chu , informa le Le rss de _. ni se ges à Gandaria et servit d'espion. Les rebel t de la ville; Sing Seh commandait tous les révoltés : on sfctimé les portes, on les reçut à coups de canon; _ plusieurs d’entre eux perdirent la vie; ils se retirèrent dans le plus grand désordre à Gading Melati. « Le lendemain, l'on fit débarquer tous les marins; l'ordre fut donné aux « Chinois de s’enfermer dans leurs maisons. La popula- tion eet iaigiue eut l'autorisation de faire main basse sur tous les Chinois qu'on rencontrerait. Sur environ neuf mille individus de cette nation , cent cinquante seulement échappèrent au carnage, et parvinrent à fuir jusqu’au Kampong Melati. Les propriétés chinoises furent pillées. « Après cela, le général baron Van Imhoff, à la tête de 8000 hommes de trchipes européennes et 2000 hommes de troupes javanaises, s'avança vers Melati où les Chinois s'étaient retran- pes le commandement de Si Panjoung; ils furent chassés cette position et se retirèrent à Paning'garan, où ils furent ot Les Hollandais perdirent dans cette affaire quatre cent cinquante hommes et les Chinois huit cents. « Lorsque la nouvelle de cette révolte parvint à Kerta Soura les ministres se concertèrent pour décider s'il fallait se déclarer en faveur des Hollandais et chasser les Chinois, ou pour ces der- NOTES. 305 niers, qui ne sont que de simples marchands , tandis que es Hol- landais sont des souverains. Le Sousounan décida qu'il fallait en- courager la révolte, et il renvoya Merta Pura, Toumoung Goung de Grabogan, à son poste, pour nan ne 4 ne rene aux Chi- nois , et pour leur promettre et entrer en correspondance avec leurs chefs; ils en firent part à Sing Seh. “ « Merta Pura demanda des munitions au commandant hollan- dais, pour attaquer les Chinois à Tanjoung Walahan , par ordre du prince. Cet officier fut la dupe de Merta Pura, qui fit de fausses attaques ; les SR de Pati, de Demak # de Kedou en firent de même. « Les Chinois assiégèrent Samarang et détruisirent Rembang. Les troupes de la compagnie abandonnèrent Jawana et Demak. « Le Sousounan découvrit qu'un des fils de Mengkourat Mas, revenu de Ceylan après la mort de ce malheureux prince, intri- guait avec le commandant du fort de Kerta résolut d'en massacrer la garnison. Ses troupes se insdititt devant le fort, sous le prétexte de marcher contre les Chinois ; après deux atta- ques, la garnison dut se rendre. Les chefs furent massacrés de sang- froid ; le reste de la troupe, ainsi que les femmes et les enfants, furent prisonniers et distribués parmi les Javanais; plusieurs soldats furent circoncis et forcés de se faire mahomé- s. « Alors les Hollandais de Samarang ouvrirent les yeux; ils dé- crétèrent que le Pangeran de Madura était affranchi de l'alliance du Sousounan. Le Pangeran fit périr tous les Chinois de son île, équipa des navires, et s’empara de Sidayou Touban et d'autres places. « Les Chinois, appuyés par le Sousounan , parcoururent le pays et mirent le siége devant les établissements maritimes, pe Ta- gal jusqu'à Pasourouan. « Cependant le Sousounan craignit bientôt que les Hollandais se vengeassent cruellement ; il désavoua son ministre Nata Kasouma, qu'il prétendit être l'auteur de tout ce qui était arrivé, et s fit avec 404 NOTES. la compagnie un traité par lequel il lui cédait Madura, la côte et Sourabaya. « Les payes cn — et ” gén avaient choisi pour Sousou- an le petit-fi 1 de Kouming, ns marchèrent vers Kerta Soura , y ésdislsdie et pillèrent le palais. Pakabouana s'était enfui; il fut pen par les troupes hollandaises et maduraïses, et il pardonna à plusieurs chefs javanais qui se soumirent, mais il ne voulut accorder aucune grâce aux Chinois. Après quatre mois, le prince de Madura entra dans Kerta Soura; l'usurpateur avait fui à son tour. « En novembre 1742, les Chinois furent battus à Asem, et se relirèrent à Brambanan. Le Pangeran de Madura avait voulu pla- cer le frère de Pakabouana sur le trône. Deux mois plus tard, une amnistie générale fut publiée; l'usurpateur se rendit aux Hollandais de Sourabaya, qui l'exilèrent à Ceylan. « Quelques mois après, le siége du gouvernement fut transféré, selon l'usage superslitieux , de Kerta Soura au village de Solo, à six milles anglais de cette ville. La capitale est appelée Soura Kerta; c'est là que le Sousounan (l'empereur) réside actuellement. « Le Pangeran de Madura refusa obstinément de se soumettre : après avoir commis les plus grands désordres à Sourabaya et sur la côte , il fut forcé de fuir; les Hollandais le poursuivirent et s'em- parèrent de l’île entière de Madura. « Toutes ces révoltes ébranlèrent l'autorité du Sousounan; un des plus jeunes frères de ce prince, appelé Pangeran Mangkou- boumi , se révolta aussi. Il avait appris l’art de la guerre pendant les années précédentes , en prenant une part très-active aux événe- ments. Merta Pura, et un ministre de l’usurpateur Kouming, lui promirent de l'aider : le Sousounan, pour avoir la tranquillité, lui donna le gouvernement indépendant de Soukawari. Bientôt après on veut l'en dépouiller ; il fuit de la cour pendant la nuit. L'époque de cette fuite, qui est appelée la querre de Java , eut lieu en l'an- née 1671 de Java (1745 de l'ère v.). Mangkouboumi protesta de son attachement au gouverneur général et demanda que son fils fût proclamé Pangeran Adipati Matarem (héritier présomptif); NOTES. 105 cette condition ne fut pas accueillie. Sur ces entrefaites, le Sousou- nan mourut, Le 11 décembre 1749, à son lit de mort, «il abdiqua «pour lui et ses héritiers, en faveur de la compagnie hollandaise « des Indes orientales, êt en laissant à la disposition de celle-ci, «pour l'avenir, le choix de la personne qui régnerait pour l'avan- .« tage de la compagnie et de Java. » « Après sa mort, Mangkouboumi se fit proclamer souverain devant une nombreuse assemblée; il envoya des ambassadeurs au gouverneur général pour l'assurer de son alliance; mais on préféra le fils de Pakabouana, enfant de neuf ans, qui fut appelé Pakabouana LL. « Les deux partis en vinrent aux hostilités : Mangkouboumi fut défait et repoussé à l'O.; mais bientôt il reprit de nouvelles forces , battit les Hollandais à Janar, village de Baglen, et à Tidar, près la montagne de Kedou. Après une troisième victoire , il mar- cha sur Pakalong'an qu'il livra au pillage, s avança même une fois jusqu'aux portes de Solo; cette capitale ne fut sauvée que par la vénération des Javanais pour le canon appelé Niai Stomi, qu'on transporta sur l'Alun alun au-devant des rebelles, sé s'en- fuirent. « Enfin, après plusieurs années de marches pénibles et ide con- tre-marches , les Hollandais se préyalant de l'abdication du feu Sousounan, écoutèrent les propositions de Mangkouboumi : un traité fut signé à Ginganti, village voisin de Soura Kerta; et pen- dant l’année 1755 de l'ère vulgaire, Mangkouboumi fut solennel- lement proclamé par le gouverneur général, sous le titre de sul- tan Amangkou Bouana, etc « Le sultan établit sa capitale à quelques milles: + l'ancienne ville de Matarem, à Yougya Kerta (Djocjo Carta ), où résident actuellement les sultans. Amangkou Bouana mourut l'an 1718 de Java (1792 de l'ère v.). Son fils lui succéda sous le titre d Amang- kou Bouana IL; il fut déposé en 1812. par les Anglais : son fils Ama Bouana JII lui succéda, et mourut en 2813; un enfant de neuf ans, son autre fils, succéda sous le nom de sultan Amangkou Bouana IV. 106 NOTES. « Quant au Sousounan ou empereur, il continua de résider à Solo; il mourut l'an 1714 de Java (1788 de l'ère v.). « Nous terminerons ici l’histoire de pur Les événements qui se lient à la révolution française, ebles actes importants du gouver- nement de Daendels, tiendront un jour une place distinguée dans les annales de l'Europe et des Indes ; mais, selon les expressions d'un de nos meilleurs historiens (M. Dewez, Hist. de Liége, t. IE, p: 328), les faits sont trop récents et les opinions trop partagées Lorsque l'esprit de parti peut n'être pas encore éteint, comment l'histo- rien peut-il donner une Juste idée. ….. L'exemple de Tacite nous au- torise au silence. D'ailleurs nous n'avons que l'intention de faire connaître les ressources immenses que notre industrieuse patrie peut retirer de nos établissements d'outre-mer. Si nous avons écarté les diatribes de MM. Raffles et Crawfurd, ce n’est point pour entrer dans des discussions polémiques. » Note 5, page FFT: À combien de débats n'ont pas donné lieu, parmi les savants nee les analogies plus ou moins concluantes qui existent entre les religions des différents peuples de l'Asie et de son grand archipel! Pour moi, qui ne puis avoir d'opinion sur ce sujet, je n'ai fait que répéter ce que j'ai lu dans sir Thomas Raffles, et je transeris ici, nes le chapitre de son livre où il traite cette question. « Nous allons donner do détails sur les diverses religions qui ont dominé à Java et dans d’autres îles de l'archipel Indien. Le culte de Siwa et de Dourga, du Linga et du Yoni, joint au bouddhisme, dominèrent à Java; mais la décence des sculptures et des ornements prouve qu'il y subit une réformation considé- rable. Les fragments des anciens écrits nous démontrent la supré- matie de celui de Siwa sur celui de Bouddha dans les anciens temps ; celui de: Bouddha ne domina quê dans des siècles plus modernes. L'invocation'suivante, qui est à la tête d’un petit traité de morale assez ancien, en est la preuve: « Je te salue, Hati (Siwa); NOTES. 407 «je t'invoque, parce que tu es le seigneur des deux et des hommes ! «Je t'invoque, Kesawa (Wishnou), parce que tu éclaires l'enten- «dement! Je t’invoque , Sounan (Sourya), parce que tu éclaires le «monde !» : « Plusieurs épithètes données à Siwa par les anciens Javanais paiens, et qui sont familières à leur postérité musulmane, dé- montrent la prééminence de Siwa. Il est appelé Mahadewa (le grand dieu), Jagat Nata (le seigneur de l'univers), Ywang Wa- nang (le tout-puissant). C’est le personnage principal des romans malais et javanais, sous la dénomination de Gourou (l'instructeur) Batara, expression qui ne signifie pas de dieu incarné, comme parmi les Indous, mais seulement une divinité; ce nom même a été donné quelquefois en signe d’apothéose aux meilleurs rois de Java. é « Les Javanais n'attachent à présent aucune idée distincte au mot bouddha, qu'ils prononcent bouda, selon leur orthographe alphabétique : ce mot signifie à peu près chez eux ce que le mot païen signifie parmi nous; de manière que si on leur demande de quelle religion étaient leurs ancêtres avant la conversion au ma- hométisme , ils répondent qu'ils professaient Agama Bouda , la foi de Bouda. «M. Crawfurd présume qu'une colonie d'Indiens du continent apporta le culte de Bouddha, et que des colons de cette nation bâ- tirent les teviples magnifiques de Boro Bodo que nous avons dé- crits, parce qu'on y retrouve tous les caractères de l'architecture des Indous; tandis que les monuments sacrés de la montagne de Lawou furent construits par les anciens habitants aborigènes , rs 55 y voit peu de caractère d'une architecture étran- gère « he le culte de Siwa et de Bouddha , celui de Wishnou fut suivi à Chéribon , selon x 2 le démontre un ancien manuserit cite par M. Raflles. st} « Les Javanais ne dlnéis dans tout le sit ‘de l'Inde quelle seul pays de Kaling ouKalinga ou Telingapar son véritable nom; c'est de là qu'ils assurent que leur est venue Ja religion de 108 | Nores leurs ancêtres ; le témoignage des Bramines de Bali contirme cette vérité. «Les Javanais 1 t nl es ; leurs noms ont été transmis jusqu'à ce jour. Les Bañéniati sont de mauvais génies qui habitent les grands arbres et errent pendant la nuit. Les Barkasa- han sont d'autres mauvais génies qui habitent l'air et n'ont jamais de demeure fixe. Les Damnit sont de bons génies, sous la forme humaine; ils protégent les maisons et les villages. Les Prayangan sont de beaux génies de forme féminine, qui ensorcellent les hommes et les rendent furieux; elles habitent les arbres et le bord des rivières. Les Kubo Kamale sont de mauvais génies, qui prennent ordinairement la forme de buffle et souvent aussi celle des maris pour tromper les femmes ; ils sont les protecteurs des voleurs et des malfaiteurs, Les Wewe sont des esprits malins; ils ont la forme de grandes femmes et prennent les enfants. Les Da- doungawou protégent les animaux sauvages des forêts et sont les patrons des chasseurs. «A Bali, la masse du peuple s'imagine que tous les éléments, les montagnes, les forêts, les états et les provinces ont des di- vinités tutélaires spéciales, auxquelles ils élèvent des temples. Sans doute l'ancienne religion de Java avait des dieux sem- blables. « 1 y a des objets purs et impurs. Le Niti Sastra recommande aux personnes de distinction de ne point manger de chiens, de rats, de serpents, de lézards ni de chenilles. « Les anciens sera croyaient à la transmigration des âmes. et pa et aux peines d’une vie future; mat detous les principes de la ER des Indous , les péniten- ces, les xx ga et le sacrifice de la veuve sur le er de son ee que leÿ ériciéns:J oir portés à l'excès. « L'île de Bali est la seule où le culte de l'Inde se soit conservé: la masse de la pres atee es ns: il y a peu de Boud- dhistes } urs t divisé comme dans l'Inde hdrisheulért en rite grandes castes : les prêtres, les sol- NOTES. 109 dats, les marchands et les esclaves; ces castes sont appelées res- pectivement Brahmana, Satriya, Wisiya et Soudra. « Les Bramines disent que le dieu Brahma produisit les Brah- mana de sa bouche et leur donna sa sagesse, les Satriya de sa poi- trine et leur donna sa force, les Wisiya de son ventre et leur donna les moyens d'alimenter la société, et les Soudra de ses pieds _ pour les destiner à la servitude et à l’obéissance. Les institutions des castes sont appelées Chatour-Jalma. Les individus des castes supérieures peuvent avoir des concubines nées dans les classes inférieures, mais le contraire est défendu. Ces unions forment, comme dans l'Inde, des variétés de nouvelles castes ; il ne peut y avoir de mariage légal qu'entre les personnes d’une même caste. l'y a en outre une classe appelée Chandala, nom provenant de l'Inde : elle est impure et habite l'extérieur des villages. Les po- tiers , les teinturiers, les marchands de cuir, les distillateurs et les vendeurs de liqueurs fortes sont de cette classe. « Les Bramines de Bali peuvent être considérés comme de véri- tables Indous. Le peuple est adonné à la superstition ; il adore les éléments personnifiés et les objets les plus remarquables qui l'en- tourent. Chaque nation de Bali a ses dieux tutélaires des villages, des montagnes, des forêts, des rivières et même des personnes. Ces divinités ont des temples que les Wisiyas et les Soudras fré- quentent, et dans lesquels les Bramines n'officient jamais. Les prêtres de ces temples inférieurs sont appelés > , C'est-à- dire gardiens. «Les Brahama déclarèrent à M. Crawfurd qu'ils n jadérent au- cune idole de la mythologie indienne. Ils sont traités avec le plus grand respect ; ils ont l'administration de la justice civile et crimi- nelle : cet usage est contraire à ce qui se pratique dans l'Inde, où Ja caste militaire occupe la magistrature. Les princes et les chefs snt ordinairement de la caste militaire; mais cela n'est pas in- variable, puisque la caste mercantile a produit les princes de la famille de Karang-asam , les plus puissants de l'ile, qui firent ré- cemment la conquête de l'ile mahométane de Lo « Les Balinais sectateurs de Siwa adorent: Mahadewa sous le 410 NOTES. nom de Prama Siwa (seigneur Siwa), et sous les noms indiens de Kala, Antapati, Nilakanta, Jagat-nata, et ils disent : org Suva Chatour Benja (ndorasiéet à Siwa aux quatre bras). « A paraît qu'il n’y a point de religieux mendiants à Bali. Les actes ridicules et extravagants de mortification, si communs dans l'Inde, sont inconnus aux dévots de Bali; leurs pénitences con- sistent dans l’abstinence de certaines nourritures, dans l’éloigne- ment de toute société humaine en se retirant dans des cavernes et dans des forêts, et quelquefois en vivant dans le célibat; mais cette dernière pénitence est fort rare. » Note 6, page 120. Le passage suivant donnera au lecteur une notion plus détaillée de ces sacrifices, dont je n’ai parlé que succinctement. (Extrait de l'Histoire de Java, par Rafles. } « L'usage de sacrifier la veuve sur le bûcher de son mari a lieu dans l'île de Bali avec des excès inconnus dans l'Inde même. Les femmes, les concubines, les esclaves et autres serviteurs se sacri- fient, surtout dans les castes militaires et mercantiles; rarement dans la caste servile, et, ce qui est étonnant, jamais dans la caste sacrée. Le raja de Blelling raconta à M. Crawfurd qu'au moment où le corps de son père, le chef de la famille de Karang-asam, fut brûlé, soixante et quatorze mpeg furent __.— hrs l'année 1813, il y eut vingt f ifièrent tsur > 0268 de Wayahes Jélanteg , autre pisis dé la même famille. “« Un Hollandais qui était à Bali en 1633, raconte qu’arrivé chez le li de Gelgel, qui paraît avoir été à cette époque le seul sou- verain de l'île, il le trouva dans la désolation , à cause d’une épi-. démie qui avait fait périr ses deux fils: la reine en mourut aprês son arrivée; son corps fut brûlé hors de la ville, avec vingt-deux de ses esclaves femelles. Voici les détails de cette horrible cérémo- nie. Le corps fut porté hors du palais par uné ouverture faite à la muraille , à la droite de la porte, dans la craïnte superstitieuse du NOTES. ail diuble, qui se place dans l'endroit par lequel le ment antenttis Les esclaves femelles qui étaient destinées à accompagner l'âme de la reine, marchaient en avant selon leur rang; elles étaient sou- tenues chacune par une vieille femme et portées sur des litières de u. Après qu'elles eurent été placées en cercle, cinq hom- mes et une à deux femmes s'approchèrent d'elles, leur ôtèrent les fleurs. dont elles étaient ornées: de temps en temps on faisait voler des pigeons et d'autres oiseaux, pour marquer que leurs âmes allaient bientôt prendre leur essor vers le a de la fé- licité. « Alors elles furent déporsillées de tous leurs vêtements , excepté de leurs ceintures : quatre hommes s'emparèrent de chaque victi- me; deux leur tenaient les bras étendus et deux autres tenaient les pieds , tandis qu’un pa se mue à PE « Quelques-unes des plus cour le poignard, uns la main idoisé: L passèrent à la main gauche en F elles se blessèrent le bras droit, en sucè- rent le. sngsien FA 1, et £. List doigt une marque sons © sur le Érobs elles rendirent l'arme aux exécuteurs, reçurent le premier coup entre les fausses côtes et le second sous l'os de l'épaule, Tarme étant dirigée de manière à se porter vers le cœur. Lorsque les horreurs de la mort furent visibles, on leur permit de se mettre à terre ; elles furent dépouil- lées de leurs derniers vêtements et laissées totalement nues. Leurs corps furent ensuite lavés, recouverts de bois, mais la tête seule tn: 4 LA a RE à D ce «Le corps. de la reine arriva; il était placé sur un magnifique badi de forme pyramidale, consistant en onze étages , et porté par un grand nombre de personnes d'un haut rang. De chaque côté du corps il y avait deux femmes, l’une tenant un parasol et l'autre un éventail pour chasser les insectes. Deux prêtres précédaient le badi, dans des chars d'une forme particulière, tenant dans une main des cordes qui étaient attachées au badi, pour faire entendre qu'ils conduisaient la défunte au ciel, et dans l’autre main une sonnette; tandis que les gongs, les tambours les flûtes et les A12 NOTES. autres instruments donnaient à la procession plutôt un air de fète que de funérailles. « Lorsque le corps de la reine eut passé devant les bûchers qui étaient sur la route, on le déposa sur celui qui lui était préparé et qui fut aussitôt enflammé ; on y brüla la chaise, le lit et générale- ment tous les meubles dont la défunte avait fait usage. « Les assistants firent ensuite une fête, tandis que les musiciens exécutaient une mélodie qui n’était pas tout à fait désagréable à entendre. On se retira le soir, lorsque les corps eurent été consu- més, etion plaça des gardes pour conserver les ossements. « Le lendemain les os de la reine furent reportés à son habitation avec une cérémonie égale à la pompe du jour précédent. On y porta chaque jour un grand nombre de vases d'argent, de cuivre et de terre, remplis d'eau ; une bande de musiciens et de piqueurs escortait les porteurs, précédée de deux jeunes garçons tenant des rameaux verts, et d’autres qui portaient le miroir, la veste, la boîte de bétel et d’autres effets mobiliers de la défunte. Les os furent lavés pendant un mois et sépt jours ; on les plaça alors sur une litière; on les transporta avec les mêmes égards que si c'était le corps entier ; on les déposa dans un endroit appelé Labec, où ils furent brûlés avec soin, recueillis dans une urne, et jetés en cérémonie dans la mer à une certaine distance de la côte. «Lors de la mort du monarque, ses femmes et ses concubines, au nombre d'environ cent cinquante personnes, se dévouèrent aux fl BEA ‘ « Les habitants de Bali font embaumer les corps des personnes qui viennent de mourir, el attendent le jour que leurs Bramines désignent pour les brûler; ce jour vient quelquefois un an aprés décès. » br le. Note 7, page 127. En traitant ce sujet, je me suis conformé, suivant ma cOu- lume , au jugement des hommes instruits que j'ai consultés sur les lieux; mais comme tous les savants ne s'accordent pas sur les NOTES. 435 propriétés du boon-upas , la justice me semble exiger que je donne également l'opinion de ceux d'entre eux qui assurent le contraire de ce que j'avance. (Extrait de l'Histoire de Java , par Raflles.) « Parmi ces végétaux, le bohon oupas (arbre à poison) est ce- lui qui a le plus exercé l'imagination des voyageurs du xvn' et du xvun' siècle. Foersch, chirurgien de la compagnie des Indes à Samarang , en publia une histoire tellement fabuleuse , lorsqu'il revint en Hollande en 1780, que plusieurs savants se pressés de la réfuter. Le septième volume des Actes de la société de Batavia, imprimé en 1814, contient un mémoire sur l'arbre à poison; tous les détails qu'on peut désirer s’y trouvent réunis. Ce mémoire est composé d'après les observations de MM. de Leschenault et Horsfeld; voici ce qu'il renferme: « Il y a beaucoup de plantes vénéneuses à Java; mais deux d’entre elles donnent un poison tellement subtil, que les habitants n'osent même y toucher qu'avec les plus grandes précautions. « L'une est l'arbor toxicaria de Rumphius, appelé antschar à Java; il croît dans la partie orientale de l'île, à Bornéo et à Célè- bes ; il appartient à la monoécie: la feat mhle a un calice écailleux, embriqué, point de corolle, plusi ts en étamines et couverts par les écailles du réceptacle, qui a la forme conique, oblongue, un peu arrondie à son extrémité; la fleur femelle n’a point de corolle, un seul germe ovoïde, élevé, deux styles longs, un seul stigmate aigu ; feuilles alternes, oblongues. C'est un des plus grands végétaux de Java; sa tige, nue, cylindrique et perpen- . diculaire, s'élève jusqu'à quatre-vingts pieds; l'écorce est d'un pouce et demi d'épaisseur dans sa partie inférieure ; lorsqu'on y fait une piqûre ou une incision, il en découle une liqueur jau- nâtre qui est le poison. Cette liqueur est plus dangereuse au 4 toucher que le rhus mélenss F Sora le livret tellement menteux qu 1 F « L'autre arbre à poison pi le tschettik. É sms de l'ouvrage intitulé le Monde maritime, publié à Paris en 1818, dit (t. III, Al4 NOTES. p. 208) que ce poison provient d'une racine dont la plante est in- connue. Ce fait n'est pas exact, car le mémoire dont nous avons extrait ces détails porte ces mots : The fructification of the tshittik is still unknown; after all possible research in the district where it grows, I have not been able to find it in a flowering state. «La fruc- «tification du tschettik est encore inconnue ; d’après toutes les «recherches possibles dans le district où il croit, je n'ai pas été « capable de le trouver en état de floraison.» Le même mémoire donne ensuite la description de ses racines, qui sont traçantes quoique la principale s'enfonce en terre; de sa tige, qui est en buisson : elle grimpe jusqu'au sommet des arbres les plus élevés, elle est d'environ un pouce et demi de diamètre, parfaitement cylindrique; son écorce est de couleur brune rougeâtre; la li- queur que cette écorce contient est de la même couleur, âcre etun peu nauséabonde; cette liqueur est le poison. Le branches termi- sales sont opposées; les feuilles sont pinnées en deux ou trois paires, ovales, un peu lancéolées, entières, terminées par une pointe; elles sont complétement lisses en dessus, ayant quelques veines parallèles en dessous ; les pétioles sont courts et quelque- fois recourbés. Le tschettik rampe à l'ombre, mais l’antschar couvre tout le voisinage ; il est faux que ce grand arbre fasse péri les se Sims roc es deux pl 4. ] + à am poisonner des flèches itéatinens de barsbon ; mé on lance avec des sarbacanes. « Le mémoire dont nous avons extrait ces détails cite vingt-six expériences faites avec ces deux poisons. Un chien mourut une heure après en avoir été frappé, une souris en dix minutes, Un singe en sept minutes , des poules en dix minutes, un chat en quinze minutes, un buffle énorme en deux heures dix minutes. « Les animaux tués par l'antschar ont été disséqués. Les grands vaisseaux du thorax, l'aorte et la veine cave étaient très-aflectés ; les viscères voisins des sources de la circulation et surtout les pou mons étaient D. mais le cerveau ne se trouvait que peu où point attaqué. NOTES. A5 « Les effets mortels du tschettik opèrent d’une manière totale. ment différente : les viscères du thorax et de l'abdomen n'offrent que les symptômes d'une mort occasionnée par les poisons ordi- naires ; le cerveau et la dure-mère sont tellement aflectés, telle- ment rouges et enflammés , que l'animal paraît avoir reçu une violente contusion. Le tschettik est le plus terrible des poisons connus. L'animal tué par l'un de ces deux poisons peut servir de nourriture aux hommes lorsqu'on en a extrait les parties atta- quées par la substance vénéneuse. » Note 8, page 140. En payant un juste tribut de louanges aux talents de M. Beau- temps-Beaupré, je n'ai nullement prétendu m'acquitter envers lui d'une dette de reconnaissance pour les témoignages d'ami- _ tié dont il m'a comblé, mais seulement faire mention de ses utiles _ travaux avec la sévère impartialité qui m'a guidé dans tout le cours de cet CUEFAGe à ch le même esprit d'impartialité qui exige encore q ivant du voyage de Péron, ou ce savant pr paie des unies faites durant l'expédition du contre-amiral d’'Entrecasteaux. « Ainsi que M. Freycinet le fera mieux observer dans une autre partie de ce voyage, les travaux géographiques de l'amiral d'En- trecasteaux à la terre de Diémen sont d’une perfection si grande, qu'il serait peut-être impossible de trouver ailleurs rien de supé- rieur en ce genre; et M. Beautemps-Beaupré, leur auteur principal, s'est acquis par là des droits incontestables à l'estime de ses com- patriotes, à la reconnaissance des navigateurs de tous les pays. Partout ouù les circonstances permirent à cet habile ingénieur de faire des recherches suffisantes, il ne laissa à ses successeurs aucune lacune à remplir. Le canal d'Entrecasteaux, les baies et les ports nombreux qui s’y rattachent, sont surtout dans ce cas. » { Voyage aux Terres Australes, tom. IT, liv. IL, pag. 58.) A16 NOTES. ei Note 9, page 142. Les deux hommes qui succombèrent à l'épidémie, et qui expi- rèrent les yeux tournés vers cette terre où ils espéraient recouvrer la santé, se nommaient , l'un Pierre-Marie Cheminant, l’autre Ferdinand Ricci. Le premier, matelot de première classe, avait gagné, par sa douceur, l'amitié de ses camarades et € s officiers ; le second, maître coq, était un homme avancé en âge et d’une constitution fatiguée. Note 10, page 151. Avant de donner ma manière de voir sur un pareïl sujet, j'ai consulté quelques hommes dont l'expérience et les talents pou- vaient m'éclairer. Je citerai entre autres M. Appert , qui, sous les ministères de 1819 à 1830, pour lesquels toute innovation était un crime, éleva le premier la voix contre le système pénitentiaire suivi en France jusqu'alors, et osa même se déclarer, dans le Jour- nal des Prisons, l'avocat de l'humanité et des malheureux. Honneur au citoyen qui, pour une si noble cause, n'a pas craint d'exciter le mécontentement du pouvoir, ni de s'exposer aux attaques de la méchanceté et de l'envie. HN a vu critiquer toutes ses démarches et noircir ses meilleures intentions ; mais le temps fera justice des calomnies , et les nombreuses améliorations introduites par lui dans le régime des prisons, resteront comme un monument de sa courageuse persévérance. Voici comment M. Appert s'exprime au sujet de l'expatriation, dans un ouvrage encore inédit : « Depuis quelques années, la manie des voyages lointains s'in- troduit parmi les classes qui, avant la multitude et la facilité des moyens de communication , ne songeaient pas même à visiter le chef-lieu de leur arrondissement : les campagnards surtout n’a- bandonnaient pas la cloche du village sans avoir de fortes raisons, et parfois ils préféraient laisser souffrir leurs affaires plutôt que D p J yag Ne gt . 1 j. ge Aujourd'hui, Fo NOTES. 417 il faut se féliciter du progrès des idées sous ce rapport, et recon naître que cette puérile habitude de ne sortir, pour ainsi dire, que pour aller dans son champ, était on ne peut plus. nuisible à la propagation de l'instruction nécessaire à tous, et à cet esprit d'association qui produit de si heureux résultats. Mais au milieu de ces fréquents voyages, dont plusieurs ont un but raisonnable, se glissent souvent d’aventureuses entreprises , et c'est principale- ment dans la Lorraine allemande que cet inconvénient se fait re- marquer. « Là de pauvres et nombreuses familles vendent leur modeste pa- trimoine pour courir les chances si incertaines de l'émigration ; ils se réunissent trente ou quarante, et louent un grand chariot, qui, moyennant un prix convenu, les conduit au Havre, où des bâtiments marchands les reçoivent pour les transporter aux États- Unis ou dans toute autre partie du nouveau monde. Parmi ces malheureux voyageurs se trouvent souvent de ces mauvais sujets demi-savants, qui regardent comme au-dessous d'eux les tra- vaux de la terre ou d'industrie, et qui, ayant absorbé l'héritage de leurs pères, la dot de leurs femmes, n’ont plus de crédit , de consi- dération, ni de moyens d'existence. Ces intrigants s'emparent de l'esprit des paysans, assez simples pour croire à tous leurs mensonges ; ils vivent à leurs crochets pendant la traversée, pro- mettant toujours la réussite de beaux projets dont la réalisation est impossible, et pour lesquels leur concours est indispensable. Les fatigues de la route avant l’arrivée au Havre, les privations de tout genre qe supportent les femmes et leurs nombreux enfants, le chagrin qu'on éprouve toujours en quittant le toit paternel, l'in- quiétude de réussir après le débarquement, sont autant de mo- üifs qui portent dans l'esprit de nos émigrants un malaise dont leur santé s’affecte bientôt. Les regrets avant de mettre les pieds dans le vaisseau font naître quelques brouilles dans les ménages. Celui.qui le premier a proposé de partir recoit des reproches des autres , l'harmonie cesse déjà de régner; les intrigants dont j'ai parlé profitent de ceite désunion pour augmenter leur : gg, portance, et nos pauvres paysans commenren gene dupes et à Jul. 27 418 NOTES. reconnaîlre l'erreur de leurs espérances ; mais que faire ? La bourse est à moilié vidée; l'amour-propre, ce puissant ennemi de tous les hommes, exerce son a et Et st: au un on n'oserait retourner dans le vi t. Il faut done quitter quoiqu'à regret les rivages de la France, et s'apprêter à de nouvelles privations , à de nouvelles maladies, à de nouvelles mi- sères ! Une fois en mer, la tristesse augmente à mesure qu'on s'é loigne; le chagrin et le climat font mourir quelques-uns des plus vieux et des plus jeunes passagers : c’est alors que les douleurs sont - D ROSE 1 J x ‘ éd : intéressantes familles pleurent et gémissent de leur excessive etim- prévoyante confiance ! Leur situation au débarquement, en suppo- se même Ligi le ire aire sans ohidiont; ne sera re pour achéter un in sn de pourvoir ds paire aux besoins d'une grande famille ; et en admettant que l acquisition füt pos sible, avec quoi fera-t-on produire ce bien , et comment vivra-t+on en attendant la première récolte ? D'un autre côté, la culture ne sera plus la même qu'en Alsace; chaque sol, chaque climat, demandent des procédés pariesieer, et l'expérience, si utile à un bon tuirateus, ne s'acquiert qu'avec le temps et l'étude. Si nous considérons ensuite Tignorance ordinaire de nos paysans, oignement qu'ils ont à adopter ls nouvelles méthodes ou lé nouveaux instruments, nous verrons que tout s'oppose à leurs succès, surtout sur une terre étrangère, dont ils ne con- naissent par conséquent ni les ressources ni les productions: Ajoutons à ces graves inconvénients l'absence des capitaux né- cessaires pour attendre les époques favorables à la vente des grains ou des bestiaux, et certes on sera convaincu de l'impuissance de os pauvres cultivateurs. Il ne leur restera donc que la possibi- té d'aller travailler à la journée chez les fermiers riches du pays; et dans ce cas, je le demande, n'étaient-ils pas cent fois mieux en France, au milieu de leurs parents, de leurs amis, et travaillant sur le petit patrimoine de leurs ancêtres! Je ne parle pas du changement ps. spas de la nourriture, des vêtements, de la NOTES. 419 société qu'ils auront; et c'est pourtant pour la vie quelque chose que ces considérations, dont on souffre à chaque instant du jour. Lors de mes fréquents voyages en Lorraine, j'ai souvent été con- sulté par d'honnèêtes gens du village que j'habite sur les avan- tages qu'ils pourraient retirer d'aller aux colonies , et je me félicite de les avoir détournés de partir; car j'ai l'intime conviction que nul pays du monde ne vaut mieux que la France pour les petits pro- priétaires qui sont laborieux et assez intelligents pour profiter des découvertes dont chaque jour l'agriculture s'enrichit. « Je n'ai pas voulu parler des manœuvres au moyen desquelles les paresseux et les mauvais sujets qui s'expatrient se rendent fré- quemment maîtres des faibles ressources de nos malheureux mais honnêtes émigrants : c'est encore une chance fâcheuse qu'il faut ajouter à toutes celles que je n’ai fait qu'esquisser; bien heureux si ce peu de lignes parvient à ceux que la manie de l'expatriation pourrait égarer ! Puissent-ils entendre les conseils d'un ami qui désire avant tout leur bonheur et leur prospérité ! » Note 11, page 153. Voyons de quelle manière, d’après M. Appert, il faut répandre l'instruction parmi les dernières classes de la population, afin de les rendre meilleures sous le double rapport de l'éducation et de la moralité. - « Bien souvent on confond l'instruction et l'éducation , et de cette erreur naissent une foule de discussions où les adversaires ne s'en- tendent plus, quoiqu ne tous les né pers Jen plus libé- rales intentions pour éclairer « L'instruction élémentaire , qui est utile à tous les hommes, doit comprendre la lecture, l'écriture, l'arithmétique, les premières notions de français , de dessin linéaire, et peut-être du code. Au- dessus ce serait trop, au-dessous ce ne serait pas assez, suivant moi, pour tous ceux qui se livrent au commerce, à li , à l'agriculture. C’est pour appliquer cette idée que j'ai pensé, en 1816, à provoquer et organiser les écoles régimentaires, celles des prisons et des hospices d'enfants trouvés. # 27: 420 NOTES. « Dans mon opinion, donner cette instruction à la masse était non-seulement utile, mais devenait un devoir sacré pour le gou- vernement. « Depuis 1816, LR. RE kE. 77: a x hac Les leçons du jour sont suivies par des milliers d'enfants, celles du soir par des centaines d'ouvriers qui trouvent dans ces bienfaisan- tes institutions un moral délassement aux fatigues de la journée. Ce que gagne l’école est enlevé au cabaret; les économies portées aux caisses d'épargne diminuent les produits de la loterie; les monts-de-piété, pour ne pas les nommer monts-d'usure, reçoivent plus rarement le samedi les modestes effets qu'on déposait pour aller le dimanche s'enivrer aux barrières. « Ces intéressants résultats ne sont pas amant dus à l'ins- truction, mais aussi à l'éducation. «L'intérieur des ménages du laborieux ouvrier n'est plus dan- gereux pour ses enfants. La mère est mieux traitée par le mari. L'élève de l'école est plus soumis envers ses parents ; et comme la misère, ce premier principe de toute discorde chez le pauvre, est moins grande, que les loisirs sont mieux employés par chacun, la pauvreté est moins dure à supporter, et ce qu'on puise à l’école n'est plus de l'instruction seulement, c'est aussi de l'éducation. Pénétré de l'importance des fonctions d'instituteur, je voudrais les voir honorer et encourager largement par le gouvernement; je voudrais que des témoignages d'estime et de considération fussent accordés par le souverain à ceux des instituteurs qui auraient le mieux répandu les bienfaits de l'étude dans les classes pauvres de la société. En relevant ainsi des fonctions si pénibles, si fati- gantes, on appellerait à elles des hommes de mérite et capables d'étudier le cœur et l'esprit de leurs élèves, grands ou petits, jeunes ou vieux : alors , comme je l'ai dit, les leçons renfermeraient plus que de l'instruction ; elles donneraient de salutaires avis pour sc | Sa 4 ME Se sun LE. € FLE LP J be x Li le sort les a placés. Les beautés du christianisme , la lecture des évangiles (sans commentaire des hommes), deviendraient alors la base de cette éducation , sans laquelle toute instruction ne produit NOTES. 421 rien ne ps de | amp) d'utile. Voilà comment j'entendrais pes sms je crois pp ‘elles E + ra . CAPE" *i. LS in félicité pour les hommes févotisls de la fortune ou de hi naissance. « L'évangile trace d’une manière divine les devoirs du riche.et du pauvre, du puissant et du faible : l'avenir, avec ses immortels principes , est pour tous le même; la conduite seule dans cette vie le détermine, il reste au-dessus de toute influence terrestre. Le livre de Dieu est l'égalité suprême, c’est le véritable code de l'homme : il promet à chacun suivant ses œuvres ; il rend humain dans la prospérité, patient dans l’adversité, et toujours bon en- vers son prochain; que faut-il de plus pour savoir se contenter en ce monde? L'éducation dont je souhaite que l'instruction ne se sépare jamais est celle-ci : rien de plus, rien de moins. Este «Si j je voulais citer des anecdotes à l'appui de mon opinion, je raisque, dans mes nombreuses visites aux bagnes et aux prisons, dHéiaes Ris que j'ai rencontré un homme instruit, il m’avouait toujours que son éducation avait été négligée dans son enfance. À cet égard, je dirai franchement que si je devais choisir entre l'instruction ou l'édacation pour le peuple ; je ne balancerais pas à préférer cette dernière ; car on se conduit toujours mieux avec de l'éducation sans instruction, qu'avec de l'instruction sans éduca- tion. Cette vérité se comprendra par l'examen de ce qui se passe tous les jours autour de nous. Je puis citer les criminels Saint- Hélène, Contrafatto, Fort, Mingrat, Fossard, Daumas - Dupin, Benoist, Castaing, qui certes ne manquaïent pas d'instruction , mais qui dans leur jeunesse n'avaient reçu aucune éducation mo- rale, et je pourrais nommer, si je n'étais forcé au silence, plu- sieurs malheureux sans instruction, mais dont les parents avaient soigné l'éducation, qui, malgré une excessive misère , ont refusé de commettre des crimes de complicité avec de célèbres voleurs fort instruits , mais sans éducation. Parlerai-je des faussaires, des escrocs de tout genre dont Paris est empoisonné ? de ces hommes parlant pourtant plusieurs langues, contrefaisant toutes les signa- tures, et prenant à loisir la tournure, les manières de tous les 122 NOTES. étrangers. Certes l'instruction ne leur manque pas, et cest l'absence de toute bonne éducation qui les précipite tour à tour dans les mauvaises compagnies et les folles dépenses qu'elles oc- casionnent. L'avilissement dans lequel ils sont tombés, l'abus qu'ils ont fait de tout ce qui mène au mal et à la captivité n'était arrêté par aucun principe de religion ni de morale; leur instruc- tion devient alors un moyen de plus d'employer leur rare intelli- gence à faire des dupes et souvent à commettre des crimes. On dit quelquefois , en parlant des enfants de criminels, qu'ils ont un mauvais sang ; c'est une déplorable erreur : ce sont les dange-. reux exemples des parents , les scènes affligeantes dont ils sont té- moins dans la maison paternelle, qui commencent leur corruption. Je pourrais en donner pour preuve beaucoup d'enfants de con- damnés à mort, qu'une auguste bienfaisance m’a ordonné de re- cueillir et de placer ; et l’on verrait que ces pauvres créatures" ont pas un mauvais sang, qu'ils s'instruisent, apprennent états, et que leur conduite est exemplaire. Que ce préjugé tombe donc devant l'évidence; qu'on s'occupe, à l'exemple d’une royale et si touchante bonté, des enfants des condamnés ; qu’on leur pro- cure surtout une éducation morale et religieuse, et l’on verra que la Providence ne rend pas le fils successeur-né de l'immoralité de son père. » Bes Note 12, page 155. J engage le lecteur à revoir la note 4 du pren vols il 5 cis des onérations de la C pi ues Op Uropique qui pese en 1817, colenisne 4 presqu'ile A cap Note 13, page 159. Pour faire prospérer une colonie, il ne sufht pas, comme On paraît l'avoir cru jusqu'ici en France, d'y entretenir une nom- breuse administration. I faut, de plus, que cette administration NOTES. 425 soit composée, non de sujets pris au hasard dans les diverses classes de la société, où ils ne jouissent pas toujours de la considé- ration publique, mais d'hommes recommandables par d'anciens et loyaux services dans des corps civils organisés, corps plus as- treints que les saples indiséus es Ertsinnt règles de conduite, Soirée Éimmanr faisant jeutie nécessaire de son existence rs I Fa encore qu'on tienne éloignés des fonctions un peu importantes ces gens d'une réputation équivoque, que le désir de rétablir leurs affaires , et non celui de se distinguer pour obtenir de l'avancement, déter- mine à briguer des places aux colonies. Il faut que le gouverne- ment montre une sévérité inexorable pour les plus légères concus- sions , quels que soient le titre ou le rang du coupable ; autrement une indigne tolérance s’établira entre les chefs et les inférieurs, aux dépens des administrés plus encore qu'aux siens propres, et 2 ifices de la France n'auront servi qu'à enrichir des fripons. évoyance doit s'étendre jusqu’au choix des troupes, et surtout de leurs principaux officiers, dont la tenue physique et morale a bien plus d'influence qu'on ne le pense généralement sur l'esprit des colons. Car si les chefs militaires ne sont pas en- tièrement sourds aux séductions de l'intérêt, jusqu'où les concus- sions n'iront-elles pas, et quelle barrière pourra les arrêter ? On verra toute droiture bannie des affaires publiques ou privées ; une commune soif du gain réduira au même niveau les fonctionnaires et les particuliers ; et les soldats eux-mêmes , contraints de coopé- x rer à des spéculations particulières colorées du prétexte du bien général , seront assujettis à des travaux pénibles, désastreux pour leur discipline et leur santé. L’Angleterre a su préserver ses colonies d’une partie de ces in- convénients, auxquels nous soustrairons aussi les nôtres si nous suivons la même route ; maïs malheureusement nous nous en écar- tons bien souvent; ainsi, par exemple, la France, toujours aveu- glée par ce déplorable principe, que ses possessions d'outre-mer sont faites pour servir d'exutoire à sa population et à l'armée, n'a pas renoncé, comme sa voisine, à l'usage d'y envoyer les mili- 424 NOTES. taires condamnés au boulet. Ces criminels, que les préjugés popu- laires absolvent, et qui n’en sont pas moins redoutables par leurs mauvais principes, y forment un foyer d'immoralité aussi dange- reux pour la garnison que pour les habitants. Imitons donc la Grande-Bretagne dans le soin qu’elle prend de bien choisir les administrateurs et les garnisons de ses colonies; ne nommons, comme elle, pour gouverneurs, que des hommes dont la réputation soit à l'abri des traits de la malignité; et la France pourra tirer parti des conquêtes qu'il est de son honneur de conserver, Note 14, page 160. : Depuis vingt ans, on a vu bon nombre de capitalistes acheter, dans nos départements les plus mal cultivés, des terrains à peu près en friche, qu'ils ont transformés en propriétés magnifiques , et ramener ainsi l'abondance au sein de cantons misérables et presque déserts. Mais par malheur, cet exemple n’est pas suivi, et généralement bien peu de gens riches se décident à quitter les grandes villes et à conduire leurs familles au fond de quelque pro- vince sur un bien négligé souvent depuis longues années. Si parfois un opulent citadin, ayant pour l’agriculture un goût qu'ont fait naître la lecture des ouvrages d'agronomie ou de fré- quents séjours à la campagne, surmonte cette répugnance et veut mettre ses études en pratique, il cherche à acheter non pas un do- ESY ps cs maine peu étendu, et qu'il puisse augmenter à mesure que ses essais réussiront, mais une terre vaste et surtout décorée d'un nom féodal; pour satisfaire sa vanité il paye fort cher et contracte même d’onéreux engagements. Qu'’arrive-til ? Notre nouveau châ- telain a déjà dépensé la majeure partie de ses capitaux quand il s'établit sur ses possessions, au plaisir de les parcourir en maître succède l'embarras de les exploiter ; les premiers frais sont fort oné- reux et les résultats tardifs. Enfin, en peu de temps il se trouve complétement ruiné et contraint par ses créanciers de vendre son acquisition à un autre agronome , qui probablement ne sera ni plus sage ni plus heureux que lui. ' NOTES. 425 En Angleterre , les choses se passent autrement; l'exploitation des terres est traitée comme une affaire de commerce. Le capita- Jiste qui croit employer ses fonds d’une manière lucrative dans ce genre de spéculation, afferme une propriété pour cinquante, soixante et même quatre-vingts ans: dès ce moment il la considère comme sienne; il s'y fixe pour toujours, et fait des dépenses con- sidérables pour bonifier le sol et en accroître les produits. S'il meurt, son fils aîné continue le bail, et le renouvelle la plupart du temps à son expiration. + C'est ainsi que dans ce pays, l'agriculture, souténue de capi- taux immenses et exercée par des hommes intelligents a fait des progrès étonnants depuis un siècle, et est parvenue à un point de perfection que nous ne soupçonnons seulement pas. Là, pas un sentier qui ne soit parfaitement entretenu , pas un champ qui ne produise tout ce qu'il peut produire; tandis que chez nous, des provinces restent pour ainsi dire incultes faute de routes, et parce qu’elles manquent de bras. Ce rapprochement, il faut en convenir, a hs. 2e chose d'humiliant pour notre patrie; mais d’un autre côté il est à craindre que lorsque l’agriculture sera devenue chez nous, comme chez nos voisins, un véritable commerce, cette bienfaisance, cette humanité pratique qui se sont réfugiées des villes dans les campagnes, ne disparaissent tout à fait pour faire place à l’'égoisme et à la dureté : alors les dernières classes de la- boureurs deviendront aussi misérables que le sont les paysans en Angleterre, où rie riche exploite le pauvre sans témoigner pour lui aucune ation. La philanthropie ne doit-elle pas redouter des améliorations de ce genre, quelque avantageuses qu elles puissent être pour la richesse du pays, dont la prospérité ne saurait d'ailleurs être réelle et durable, qu'autant que les basses classes de la popu- lation agricole la res et malheureusement le sort de ces classes a été jusqu'ici bien négligé! Car on ne peut se dissi- muler qu’elles n'ont rien gagné aux révolutions, si fructueuses pour les rangs moyens de la société. En effet, qu ’importe à ces pauvres gens l'abolition des priviléges de Lois , Ja liberté 426 NOTES. de la presse, et même l'instruction primaire? Leur premier be- soin, c'est du pain, ou bien le travail qui le leur fait gagner. Or, maintenant que la plupart des propriétés sont morcelées et cul- tivées par leurs possesseurs eux-mêmes, ou bien tombées. aux mains d'hommes enrichis qui ne tiennent nullement à la repré- sentation, et n’ont aucun intérêt à soutenir l'éclat d’un nom à peine connu dans le canton, le paysan, dans les provinces éloi- gnées de la capitale, doit regretter et regrette en eflet ses anciens protecteurs , ces familles opulentes sous la protection desquelles ses pères avaient trouvé leur subsistance de chaque jour, des se- cours dans la détresse et des soins dans leurs maladies. Espérons que le gouvernement avisera enfin aux moyens d'a- méliorer la condition des journaliers, condition si malheureuse dans la plupart de nos départements, et que cette réaction de la population des villes sur les campagnes, en affermissant de plus en plus la tranquillité publique, aura un autre résultat que celui d'augmenter la masse énorme de ces pauvres gens dont le sort est déja si digne de pitié. Note 15, page 166. J'emprunte encore ici à l'ouvrage inédit de M. Appert le tableau suivant des prisons de la capitale et des provinces. BAGNES, PRISONS, CONDAMNÉS. « Qu'elle serait curieuse l’histoire de ces établissements et des malheureux qu'ils renferment! Combien de maux , de crimes, de misères, d'infortunes diverses prennent leur source dans des cau- ses que la société pourrait détruire !.… pl. 2 € L ans les rpagues etles prisons ille, et l'on peut afhir- mer que nel mitme de détention n'en autne pas mille au bien chaque année. « Ce triste résultat est produit par le manque d'éducation morale et religieuse des prisonniers, les vices de l'organisation de toutes n0s PP CAR + 4 . CIN à pin + x“ NOTES. 427 prisons , el la situation des hommes libéres après avoir subi leur condam- « ous Lou nous scan ulen pas que les remèdes à tant de maux arunslssrsscin. te 28e ut éécn L, : É ms Le} ee 1° FR | 1 + À L At. mais aussi bien l'amélioration des mistraliles qui chegtaies commettent de nouveaux crimes n'est-elle pas importante, et l'on ‘ peut dire nécessaire à la moralisation générale du pays! Qu'on n'oublie donc pas, comme on le fait souvent , que les condamna- tions sont la plupart temporaires ; qu'elles rejettent, un peu plus tôt, un peu plus tard, les hommes qui en sont frappés au sein des villes , des villages et des manufactures, et qu’alors les vices qui restent aux libérés se propagent avec un succès bien dan- gereux parmi les classes pauvres de la société. Malgré l'horreur que m'inspire la psine de mort, je la comprendrais plutôt utile à la société que ces peines qu: achèvent de perdre le eompables pont en faire, lors de sa mise en liberté, un ardent et | de tous les vices, de toutes les débauches. Si je pouvais, dans cet article, développer, indiquer tout ce que j'ai appris depuis vingt ans en visitant les bagnes et les prisons, on ne s’étonnerait pas des crimes commis chaque année, mais de ceux qui pourraient se commettre, si malheureusement il était possible de s'associer, de s'entendre pour le mal, comme on le fait, quoique avec beau- coup de difficultés, pour le bien. « En donnant ici la description de deux ou trois prisons, prises au hasard , les faits parleront plus haut que tous mes discours. * BICÊTRE, PRÈS PARIS. « Le bâtiment peut con su: cents a mile p pbaion, un force principale est ieche les trois côtés qui joignent la a Neuf guérites sont ocoupées par des factionnaires appartenant à la compagnie des sous-officiers sédentaires # « Le al se compose d'un aumônier, d'un Dies, de 428 NOTES. deux commis grefliers, d'un pharmacien, d’un gardien chef et de dix autres. « Le directeur, M. Becquerel, s'occupe, avec le zèle le plus ho- norable, des détenus confiés à sa garde. Son on re éclairée, une solide instruction , un cœur excellent joint à une fermeté bien entendue , en font un directeur précieux que l'autorité devrait en- courager et consulter lorsqu'elle désire améliorer le régime des prisons. INFIRMERIE. «Au premier, salle des fiévreux (Saint-Roch }; contient cin- quante-quatre lits. Pour le coucher, une paillasse, deux matelas, un traversin de plume et des draps changés aussitôt que leur malpropreté l'exige. Un détenu a l'inspection de la salle. « Au deuxième, salle des blessés ( Saint-Denis }; cinquante-six lits. Cette salle n’est pas aussi commode que la précédente ; moins haute, elle est encore gênée par deux rangs de piliers. « Salle des galeux ( Bellevue ); seize lits. Le genre de traitement de cette maladie empêche la propreté et le renouvellement de l'air: aussi ces malades sont-ils beaucoup moins bien, en apparence, que les autres. Au sujet de cette salle, nous devons aa 57 un stratagème qu'emploient souvent les détenus pour rester à l'infir- merie : il consiste à se piquer avec une épingle noircie à la chan- delle, et ce moyen produit tout à faitles mêmes signes extérieurs que ceux de la gale. BATIMENTS DIVISÉS EN VIEUX ET NEUFS. «N° 1. Corridor de la chaussée, dallé, très-humide et sombre. Trente cabanons ( chambres de 12 pieds sur 10 ). Chaque bois de lit est garni d’une paillasse , d'un traversin de sen et d'une cou- verture de laine brune -« Ce corridor est santé pour les vuhdamnés aux fers. «N° 2. Derrière, en retour d'équerre. Ce corridor, qui a douxe cabanons ; sert à loger les condamnés à des peines capitales. NOTES. 429 « N° 3. Derrière , mêmes localités, sert aux détenus administra- « N° 4. Bâtiment neuf, au-dessus de la chaussée, moins humide, habité par les travailleurs, qui ont un matelas et ds ns: plus que les oisifs. « N°5. Devant. Les croisées de ce corridor forment la façade de la prison sur la cour de l'hospice. « N° 6. Derrière, au-dessus du troisième, même distribution. « N° 7. Troisième. Bâtiment neuf, au-dessus du deuxième bâti- ment neuf. « N° 8. Quatrième. Devant, au-dessus du troisième, devant. « N° 9. Cinquième. Derrière, au-dessus du quatrième, derrière. «N° 10. Quatrième. Bâtiment neuf, au-dessus du troisième bâ- timent neuf. «' N° 11. Cinquième. Devant, au-dessous du quatrième, devant. ‘«N° 12. La Huchette, au-dessus du cinquième, devant. « N° 13. Cinquième. Bâtiment neuf (autrefois pistole ). « Les chambres que l’on appelle cabanons sont tenues avec pro- preté : les fenêtres sont garnies de barreaux; l'air circule libre- ment. CACHOTS. « Les cachots, au niveau de la cour de l'hospice, reçoivent l'air par dix fenêtres de quatre pieds carrés. En sortant du corridor n° 1 on a vingt-six marches à descendre pour y arriver; ils sont moins grands que les cabanons et construits en pierre. « Ils font face aux fenêtres ; le corridor qui les sépare est inter- rompu par des portes construites entre chaque cachot. Deux gros verrous et une forte serrure les assujettissent solidement. Les cachots du derrière seraient comme les cabanons s'ils étaient moins obscurs. Souvent on y place les condamnés aux fers venant des départements et les condamnés à mort. « Salle Saint-Léger. Reçoit les condamnés à perpétnitéiis ou à F4 longues peines, des départements et de Paris. Cette chambre est la plus solide de la maison; les barreaux sont tellement croi- 430 NOTES. sés que les deux poings auraient de la peine à passer. D'énormes piliers soutiennent la voûte, faite en caveau ; les deux lits de camp peuvent chacun recevoir vingt hommes. Au fond de la salle, deux cabinets sont construits dans l'avancement du mur. L'un est destiné à l'approvisionnement des eaux, l’autre sert de lieux d’ai- sances. « Il n'est pas rare, à l'approche des départs de chaîne, de porter l'effectif de cette localité à quatre-vingt-dix. «Sa composition morale offre un tableau effrayant. L'air est in- fect pendant la nuit, et les gardiens de ronde assurent qu'en y entrant ils sont repoussés par la puanteur, résultat naturel de la transpiration des malheureux renfermés dans cette salle, et aug- mentée encore par l'exhalaison des latrines. « Saint-Léger contient souvent : «1° Le forçat à vie évadé, que l'on reconduit; «2° Le même, à son deuxième voyage ; «3° Le vagabond habitué au crime, déjà repris de justice ; «4° Le pilier des chambres correctionnelles, qui cette fois a vu les assises ; «5° Le soldat condamné pour vol; «6° Le même, condamné aux fers à perpétuité pour voies de fait ; «7 Le même, pour insubordination. Ce dernier ne part pas avec la grande chaîne : il est conduit par brigade. « Les conversations de cette horrible réunion de criminels sont épouvantables. Chacun met une espèce d'honneur à raconter ses orfaits : les uns avouent avoir assassiné à coups de couteau; d'autres avoir volé sur les grands chemins en tuant les voya- geurs qui osaient leur résister. Des jeunes gens de vingt à vingt- cinq ans, condamnés à perpétuité, avouent qu'ils regrettent de n'avoir pu achever leurs victimes. J’en ai vu un qui disait tran- quillement à ses camarades : « Lorsque je parviendrai à m'évader, «si je rencontre ma mère où mon père je les tuerai, car ils ne «m'envoient pas tout l'argent que je leur demande! » On frémit à de‘tels récits, et je ne visite jamais cette salle sans éprouver la NOTES. 451 crainte que de jeunes condamnés n'y puisent les derniers conseils qui en feraient d'audacieux assassins. « Ces hommes sont tellement redoutables que, plusi rs jours avant leur départ, le surveillant ne couche point . La salle reste alors au pouvoir de ces furieux , qui se battent à ou- trance. La plume ne peut retracer les horreurs qui se commettent pendant la nuit. « Ces malheureux, en proie à l'oisiveté, reçoivent chaque jour vingt-quatre onces de pain blanc; à dix heures, se distribue le bouillon maigre , et souvent à cette heure tous ont dévoré leur ration. Ils doivent alors attendre vingt-quatre heures pour satis- faire la même voracité. « Comme je viens de le dire, rien n’est plus aflligeant que les conversations de ces criminels. « L'un accuse de barbarie des juges influencés ; l’autre , au con- traire, se flatte de les avoir trompés : celui-ci doit la réduction de sa peine à des révélations importantes, cet autre est la victime d’une machination infernale. « Le vrai coupable se rit de la athée et l’homme qu'une première faute y amène n'ose pas exprimer le moindre repentir ; il passerait pour un lâche. « Assez souvent ceux pour qui le crime est une occupation fa- milière commettent leurs forfaits sous des noms supposés. Tantôt ils se nomment Pierre, tantôt ils se font appeler Jacques , en sorte que le crime de Pierre ne peut être reproché à Jacques. Par con- séquent, Jacques ne reçoit que la punition d'un délit; Pierre est recherché, et certes quand Jacques est en prison , Pierre est fort tranquille. «Un jeun homme du département de l'Eure, domicilié à m0 puis à Gisors , ensuite aux Andelys, avait commencé dès l’âge de huit ans le métier de voleur. Garçon de ferme, aujour- d'hui chez tel laboureur, demain chez tel autre, Auvray avait soin d'alléger la bourse de ses maîtres. Ses nombreuses infidélités re- connues, et quelquefois punies par un renvoi, ne l’étaient leplussou- vent pas. Enhardi par la réussite qu’il obtenait, Auvray continuait 152 NOTES. le métier : livré àtous les excès, guidé par tous les vices qu'enfantent la paresse et l'ignorance, il ne atedas pas à retomber au pouvoir de la justice. Un grand nombre de crimes pesaient sur lui; mais ses noms, qu'il avait su changer, éloignèrent une multitude d’accu- sations…. « Un autre disait à ses camarades qu'aussitôt sa peine finie, il se proposait de venir chez son père, honnête cultivateur, auquel il connaissait une réserve, et qu'en cas de refus il lui couperait la gorge. « Certainement, ajoutail-:il, nous autres voleurs, nous ne «connaissons personne , pas même nos parents, qui doivent au «contraire £heé es premiers à PRyAR » « Ces criminels parlent d’assassina g-froid étonnant. C'est un honboun: pour eux d'être cités comme intrépides dans ces sortes d'exécution. « Pour ne pas être victimes de ss scélératesse de ces hommes entièrement perdus, de timides coupables s'efforcent de dire comme eux. La continuelle habitude de fixer son esprit sur des choses qui font frémir, la nécessité de suivre ces principes pendant le temps de la condamnation, achèvent la perte de l’homme chez lequel un retour à la vertu serait souvent possible. « Pour l'éloigner d’une seconde faute, la loi frappe de la peine des fers un homme encore vertueux; mais s’il est placé avec des scélérats, sa perte est évidemment certaine, et le remède est plus dangereux que le mal. Dans le monde, on prédit une mauvaise fin à un jeune homme qui fréquente des gens vicieux : que sera-ce donc quand ils sont attachés à ses côtés ? « Cet infortuné regrette l'instruction qu'il a reçue, les principes qui lui ont été donnés ; il cherche à empoisonner son cœur pour s'affranchir des souffrances morales : voir le vice sans cesse autour de lui est une horrible torture. En effet, quoi de plus barbare. ue cette cohabitation avec des êtres perdus dans le crime ? Pourquoi ne point classer chacun selon ses œuvres et ses principes ? Ah! combien de milliers d’ individus se laissent emporter par le déses- poir, et qui, bannis de la société, en deviennent le fléau par cette injuste réunion | NOTES. | 133 « Punissez le malfaiteur habitué aux forfaits; mais ne frappez pas également l'homme repentant : c’est détruire l'équilibre de la loi, c'est accabler d’un triple fardeau l’homme trois fois moins robuste. Est-il juste que le voleur de grands chemins n'ait qu'une peine re en réparation de ses crimes, et us Thomme fois plus terrible, de la torture morale... S'il existait une école à Bicêtre, tous les hommes y travailleraient avec ardeur : les uns pour apprendre, afin d'occuper un emploi dans les bagnes; les autres pour se perfectionner dans ce qu'ils ont appris. « On en a entendu qui disaient : «Si j'a avais su lire et écrire, je «n'aurais pas souflert pendant quatorze ans aux galères. « Les mauvais sujets même désirent avoir un commencement d'état qu’ils n’ont jamais voulu suivre à Paris. « Avec un état, «disent-ils, je m'exempterais d'aller à la fatigue; et si jy prends «goût, je me convertirai; je renoncerai aux cour a me «coûtent cinq années d’esclavage. » « Et ces malheureux soldats condamnés à LAS. ans de fers pour avoir donné un démenti à leurs supérieurs, à un caporal peut- être ! Ils sont avec les forçats à vie , avec les assassins et les incen- diaires! quelle horrible injustice ! « À Saint-Léger, la même couverture les enveloppe, la vermine se promène sur tous deux; la maladie de l'un gagne le corps de l'autre. Quelle excuse donnerait l'autorité ? - « H faut souvent que la victime d’une loi trop sévère écrive l'énumération des forfaits du galérien ; il faut même qu'elle donne son approbation à de telles horreurs. Laisse-t-elle apercevoir la moindre répugnance à entendre ces exécrables récits, on l'insulte par les sarcasmes les plus dégoûtants. « Chacun de ces criminels rançonne le pauvre diable. Son pain passe dans leurs mains, son argent est enlevé de sa poses on “it de sa faiblesse, et s’il veut se plaindre, on le frappe. si justice lui est rendue , ces brigands pour se venger be teront encore davantage, il garde le silence et traîne péniblement sa triste vie. HI, 28 434 NOTES. « La veille du départ de la chaîne, ces malheureux passent la nuit à hurler, à casser les carreaux , à briser tout ce qu'ils ren- contrent, et vont tendre ensuite le cou au fer qui doit peser sur eux avant et après leur arrivée dans les bagnes. «Si après Bicètre nous prenons au hasard les prisons de Lille, on sera surpris qu’une aussi belle ville ne possède pas d’établisse- ments de charité mieux organisés. La construction de la prison de Saint-Pierre { pour les soldats) s'oppose à ce que les détenus y soient bien. Ces malheureux sont couchés tous ensemble sur des lits de camp. La malpropreté des chambres est extrême; l’air ne s’y renouvelle qu'avéc peine. Les cachots de la prison de Saint- Pierre sont abominables : on trouve encore celui qui servait à la torture des accusés. Des chaînes énormes les attachaïent à un po- teau qui était le centre d’un plafond couvert de clous et qui pouvait ou monter à la volonté des bourreaux. On conçoit l'hor- reur de cette invention, puisque, suivant les réponses du patient, les planchers se rapprochaient assez pour que les clous lui en- trassent dans le corps. ss « Aujourd’hui, le plafond ne descend plus et n’a plus de clous; le poteau existe et sert à attacher par de gros anneaux les | prisonniers condamnés ou contre lesquels on croit devoir prendre «aide fonrnss conlentis Les dortoirs de cette prison sont bien. Les condamnées s'occupent, mais avec peu de fruit; et la plupart ayant beaucoup de temps à faire, on pourrait établir des > couture ou de passementerie. Du reste, la malpropreté ete désordre s' s'y font remarquer. «Prison de laville. Cette prison est plus affreuse, s’il est possible. que la prison de Saint-Pierre. J'ai vu plus de vingt enfants au- dessous de dix-huit ans, repris contrebande, confondus ve hommes condamnés Les ch s vèétement d'une sr qui fait Roie. Les cours sont pleines de fumier, NOTES. 455 les cachots humides et souterrains. L'atelier, me reset par quel- ques hommes, est sale et mal situé; on n’y monte qu'avec diffi- culté par une échelle. Le chaufloir est empoisonné par la fumée et l'haleine du grand nombre de détenus qu'il contient. C'est dans ces lieux que des enfants de dix, douze et quinze ans sont obligés de vire et de coucher me des galériens et “des criminels. Qui «Si de Lille nous allons à Douai, voici ce qué nous avons à dire pour être également juste. Fe MAISON DE JUSTICE. ns « J'ai visité cette maison avec M. Blocaille, lieuténant-colonel de la gendarmerie. Soixante et dix-neuf prisonniers étaient dans plu- sieurs chambres; et quoique le bâtiment permette la division si nécessaire des prévenus et des condamnés pour délits, des hommes Jugés à la reclusion et de ceux jugés aux travaux forcés ou à mort, on a la douleur de retrouver ce vice dangereux. J'ai vu , dans une même chambre, plusieurs jeunes pre à un empri- sonnement par le tribunal ti de différents âges attendant la chaîne pour partir aux re galères; et un. “horonié condamné à mort pour assassinat. Les uns avaient les fers aux pieds depuis trois semaines, d’autres depuis plusieurs jours: j'ai touché ces lourdes chaînes et acquis la certitude que les malheu- reux qui les portaient souflraient beaucoup par le ue qu'elles avaient provoqué... « L'homme qui était condamné à mort demanda à cl arler en particulier ; le commandant de la gendarmerie ne me refusa pas cette satisfaction. « J'attends le moment de mon exécution , me dit _ «ce condamné; et puisque vous êtes le premier qui nous visitiez, « j'ai besoin de vous donner ma confianceetdene rien vous cacher « Je suis coupable du crime pour lequel or m'a condamné: j'ai tué «et volé, Dès mon enfance mes REA + 200 _ j ai eu de «mauvaises fréquentation, et l’habi « l'envie que j'avais de me corriger. J'ai is De ME de les « maisons de détention ; et, aujourd'hui, j'attends l'instant d'expier 28. 436 NOTES. « toutes mes fautes. Parmi les hommes que vous voyez dans notre «chambre, il en est qui sont âgés de dix-sept, dix-huit et dix-neuf «ans ; je les vois avec peine se former pour commettre de nouveaux « crimes lorsque leur temps sera fini. Ne pourriez-vous pas les faire «transférer dans une chambre à part? Ce serait, monsieur, le plus « grand Bien pevpus sé ne sn » « J'é ,quej a avais oublié que M. Blocaille m'attendait. Ce détenu s'en aperçut et me dit : « Maintenant, il faut que je renonce au plaisir d'être auprès « de vous; car si nous restions plus longtemps ensemble, le con- « cierge, croyant que je dénonce les abus dont nous gémissons, «me ferait mettre au cachot après votre départ. » Le sang-froid, l'espèce de moralité de ce malheureux qui voyait arriver sans fré- mir l'instant de monter sur l'échafaud, me firent regretter de le quitter si vite; j'aurais voulu le consoler, puisque j'étais assez heureux pour adoucir ses maux par ma présence. Cette conversa- tion a fait sur moi une impression que je n'oublierai jamais... «Je n'en finirais pas si je voulais citer toutes les observations qui prouvent combien est vicieux l'emprisonnement en France. Qui croirait, par exemple, qu'on est beaucoup mieux dans les es que dans les maisons centrales, et beaucoup mieux dans ces dernières que dans les maisons d'arrêt ? Et pourtant les bagnes ti pies grands criminels, Cr 0 nm J Ag 1 « Ce qus nous ayons dit ; jusqu'à Print: prouve évidemment l'utilité d’une réforme générale de notre système d'emprisonne- ment en France ; reste donc à choisir le meilleur moyen de rendre toute punition morale et utile. Des esprits également éclairés de- mandent la colonisation où le régime pénitentiaire, et voici bien t notre avis sur ces deux uses. qui, dans tous les cas, font honneur sent propagaieure « Les auteurs des: cations faites. « en France sur la colonisa- tion, veulent absolument rouver que ce qui est bon en Angle- terre doit être excellent en France. C'est une grave erreur, car il en est des punitions comme des récompenses : les unes el les NOTES. . 457 autres doivent, pour remplir leur but, être en rapport avec l'ins- truction , les habitudes, les mœurs, les besoins du peuple sur lequel on veut agir. On ne peut donc raisonnablement adopter pour base de la colonisation en France, ce qui s'est déjà fait, en supposant même un succès complet , dans ces divers pays, ce qui est souvent même contesté. Ainsi, pour résoudre la question de colonisation en France, il faudrait étudier avec conscience le régime de nos prisons et des bagnes ; il faudrait se rendre compte du résultat de ces deux sortes d'emprisonnement, et savoir alors s'ils peuvent être remplacés avec avantage pour la société et pour les condamnés. Nous ne parlons pas de la question d'argent : elle serait, dans tous les cas, un faible obstacle qui céderait devant une amélioration bien constatée «Nous ne pouvons donner ici tous les motifs qui rendent la fondation d’une colonie, pour les quarante-cinq à cinquante-cinq mille prisonniers que renferment malheureusement nos bagnes et nos prisons, bien difficile, très-coûteuse et peut-être peu efli- cace; mais nous pouvons assurer qu'après avoir consacré plus de quinze années à étudier ces diverses questions, nous sommes convaincu qu'il est possible de mieux faire pour les intérêts des honnêtes gens et l'amélioration des malheureux qui ont enfreint les lois du pays. « Le système pénitentiaire, avec les modifications que nécessi- terait son application sur une grande échelle, et surtout avec des hommes qui ont le malheur de n'avoir aucune idée , aucun senti- ment religieux, serait, je crois, le seul moyen à employer. Mais que ceux qui auront l'honneur d'être chargés de cette belle mis- sion ne soient pe mess. ss ils pré supne RÉ tous parti Aa és de siivss qu'il en frindrait pour tscder les institutions que réclame la position des honnêtes ouvriers ; que l’adminis- tration ne ferme pas l'oreille aux conseils de comités indépendants qui ne veulent que le bien ; qu'on étudie surtout le moral de nos prisonniers , leurs mœurs, leur éducation , leur ignorance, pour en tirer d'utiles leçons ; car, je le répète, ce sont les hommes ex- 158 NOTES. clusifs, et qui ne veulent jamais trouver bon ce qui n’est pas dans leurs plans , qui perdent les meilleures causes, Ces écrivains, quoi- que bien intentionnés , sont pour la réforme des prisons ce qu'ont été les jésuites pour la religion; ils reculent indéfiniment le succès de leurs propres doctrines. La philanthropie est une science qui doit marcher constamment avec les autres bienfaits de la civilisa- tion; pour réussir, elle ne doit pas oublier les intérêts de ceux qu'une bonne conduite et de laborieuses veilles placent en dehors de ses soins ; et il ne faut jamais qu’on puisse croire que, pour par- ticiper à ses généreuses inspirations , le malheureux a besoin d’en- freindre les lois. Û « J'appuie d'autant plus sur cette observation qu'elle s'applique à mes premiers écrits ; et j'avoue franchement qu’une longue expé- rience, de nombreuses visites aux bagnes et aux prisons, m'ont convaincu depuis que souvent le sort du coupable m'avait plus occupé que la situation de l'honnête artisan vivant de privations plutôt que de commettre un délit. « Ayons donc un bon système pénitentiaire , qui ramène s’il est possible le condamné. Nourrissons-le sainement, mais ne tombons pas dans l'extrême en lui donnant plus que ne recoit l'ouvrier de son travail; formons de vastes ateliers dans les prisons , et tâchons que le genre d'industrie appliqué ne nuise pas à la population libre ; réunissons surtout nos eflorts pour répandre les préceptes du christianisme dans les classes du peuple : car je le dis avec conviction, sans un sentiment religieux qui retient quand on veut mal faire, qui encourage lorsqu'on est malheureux, qui fait supporter tant de privations, toute espérance de solide améliora- tion est un rêve qui ne se réalisera jamais. Si j'avais le temps de citer ici mille faits à l'appui de mon opinion , on verrait que tous les condamnés qui ne reviennent pas dans les prisons avaient quelque croyance en Dieu, et qu'au contraire ceux qui n'ont fini leur détention que pour en mériter Île, sont des hommes sans aucune foi ni aucun principe religieux. «Si nous voulions parler des bagnes avec détail, il faudrait donner à cet article une étendue qui ne serait plus en rapport avec NOTES. 159 sa destination. Cependant, un mot sur ces établissements est peut- être indispensable pour bien apprécier la différence qui existe entre les maisons centrales et js nn «On 1+ énéral L on 16 est pli us cruelle que celle de l cspriscunéanehti et c'est aussi ce que proclame la loi : pourtant, sans nous plaindre assurément de l'humanité des commissaires chargés de la surveillance des bagnes, nous dirons franchement que les permissions qu'obtiennent les forçats raison- nables pour sortir ou aller travailler en ville, deviennent pour eux un grand soulagement à leur captivité, et les détenus ordi- naires sont, dans tous les cas, privés de cette faveur. En suppo- sant même que les galériens ne sortent point, ils sont encore mieux sous le rapport de l'air et du genre de travail actif auquel ils sont contraints. Cette vérité est d’ailleurs certifiée par nombre Lemtagien: > spnsioimnte.à à la reclusion, qui ont commis tout exprès, le prisons, x | ut A] re | puni- titi à 2 Je pourrais dire aussi qu'en géné- ral l'état sanitaire des maisons centrales est moins satisfaisant que celui des bagnes. Je ne parle pas des inconvénients qui peuvent résulter, pour la morale, des sorties de certains forçats; ils sont grands , mais ce n’est pas à moi de blâmer ce qui est fait dans le but d'adoucir leur situation. « Le régime intérieur des bagnes, comme celui des maisons centrales , laisse tout à désirer. Le mélange de tous les genres de condamnés est toujours la principale cause de l'immoralité com- plète qui règle la conduite de l'immense majorité des prisonniers. Le régime matériel a été amélioré sous le ministère de M. _. de Neuville, et mème quelques divisions des condamnés par tions et par bagnes ont produit un assez bon résultat pour rl honneur à son administration. À cette occasion, je ne puis m'em- pêcher de payer un tribut de reconnaissance à M. Hyde de Neu- ville, pour le bienveillant accueil dont il m'a honoré en donnant des ordres dans tous les ports pour que rien ne génât mes visites aux bagnes. C’est à ses sentiments vraiment philanthropiques que j'ai dû de pouvoir étudier, sans aucune entrave, ces tristes séjours 440 NOTES. du crime, du désespoir et de la plus profonde misère. J'ai publié toutes mes observations sur les bagnes, et, si je pouvais en don- ner un extrait, on verrait ce que sont ces établissements, qui, je Y'affirme, ne ramènent pas un homme à la vertu , et qui en perdent plus de six mille chaque année. Il faudrait instituer des écoles élémentaires dans toutes les prisons et les bagnes de France, et ne pas se borner à apprendre à lire et à écrire : car ces connais- sances pepières ne sont pas spi: utiles aux malheureux pri- sonniers ; rtout, c'est une éducation morale. Le plus g grandi olistacie:à à deux amélioration est l'absence de tout sentiment religieux; et, comme je l'ai déjà dit, sans croyance en autre chose qu'aux misères de ce monde, point de retour certain vers le bien. Ce qui confirme ma conviction, c’est que le sentiment exécrable du mal, source de tous les crimes, est pour le plus grand nombre des guériens le puissant moteur de leurs actions; ce sentiment excite et entretient leurs penchants. Ils respectent ceux qui ont commis les plus horribles crimes ; ils leur accordent une espèce de vénération qui devient souvent un culte, Ce qu'ob- tient cette religion infâme ne pourrait-il donc s'acquérir par des sublimes préceptes de l'évangile ? Je n’hésite pas à mieux augurer de ces malheureux, et j’assure qu'en s’occupant d'eux avec sollici- : tude et sans préjugés, le résultat répandenit à à ces soins généreux. «J'aurais mille anecdotes à citer à l'appui de mes justes espé- rances : On serai que Je gilériens paient aoelqaléie de bons cœurs, et de leur vie entrent pour plus de moitié dns leurs. excès. On rencontrerait d'excellents pères, se privant d’une partie de la nourriture, déjà si peu abon- dante, pour payer les mois de nourrice de leur enfant ou soula- ger de vieux parents. Là, un malheureux en mourant recom- mande son fils au compagnon attaché à la même chaîne, etcelui-ci aura soin de cet orphelin; plus loin, c’est un fils qui a pris la place de son père, que la loi eût frappé s’il eût dit un seul mot. IL faut lire la correspondance des dix mile condamnés des bagnes, et l'on verra qu'ils restent attachés à leur femme, à leurs enfants ; qu'ils déplorent leurs erreurs , que l'amour de la NOTES. 441 liberté domine toutes leurs passions ; et-qu'en profitant avec art et persévérance de ces sentiments, il serait possible d’en ramener beaucoup dans une bonne voie... « Maintenant, sinous parlons des forçats libérés, nous dirons que la réunion d’un grand nombre de ces hommes sur un même lieu, dans les villes surtout, est toujours dangereuse; car le mal, plutôt que le bien, trouve des imitateurs, et parmi les anciens forçats surtout cette contagion devient plus active, plus certaine. Ainsi, les prisons et les bagnes même, malgré l'espèce de sur- veillance des employés, combien d'actions répréhensibles, cou- pables, monstrueuses ne se commettent-elles pas! Là le vice est instructeur : ses leçons sont imposées aux jeunes prisonniers , à ceux dont la faute est légère et qu'un même emprisonnement confond malgré toute justice et toute morale. La détention devient alors l'école perfectionnée du mal; les sentiments honnêtes qui peuvent se trouver dans lecœur des jeunes détenus ou des hommes repris pour de simples délits, sont étouflés par d'épouvantables exemples et les conseils les plus perfides. J'ai vu souvent même que les excès les plus honteux étaient forcément imposés aux jeunes gens que la misère ou l'ignorance amenaient dans ces hor- ribles demeures. Je n’oserais écrire tout ce qui se passe dans la plupart des prisons et des bagnes ; il me suflira de dire que, sui- vant ma conviction, le plus honnête homme, enfermé deux ans en France, soumis.pendant ce temps au contact des autres condam- nés, serait perdu pour jamais. Quant aux libérés, je réclame pour eux un autre mode de surveillance et des moyens d'existence après qu'ils ont subi leur condamnation. Je voudrais, en changeant le ES. 21 + à: 1 s 1L Lt + g g P *q , avec la liberté, un asile contre la misère et la dépravation ; je voudrais qu'ils fussent de suite occupés à des travaux analogues à ce qu'ils auraient appris pendant leur captivité : je les diviserais autant que possible pour diminuer leur influence s'ils voulaient mal faire, et augmentéren même temps les chances d'amélioration. « En remontant à la source des crimes qui chaque jour afligent et effraient les gens honnêtes, on est forcé de reconnaître que la 442 NOTES. misère , l'opprobre et l'abandon dans lesquels les libérés vivent, sont toujours les plus dangereux provocateurs de cette indigne conduite, de ces excès de tout genre dont la société entière souflre et gémit. Mais en reconnaissant les torts des anciens condamnés, je dirai avec la même justice aux honnêtes gens et à l’administra- tion : Que faites-vous pour corriger les maladies intellectuelles de ces malheureux? Leur tendez-vous une main protectrice après l'expiration de la condamnation ? Avez-vous fait le moindre sacri- fice pour eux ? Ont-ils refusé des leçons de morale ? Les peines de la captivité ont-elles pu les changer, lorsque placés tous dans un même esclavage, chargés de chaines , loin de leurs familles, en- tassés pêle-mêle dans des cachots malsains, et ne rencontrant qu'opprobre et ignominie, ils se sont vus constamment abandon- nés au châtiment de la loi? Quels sont vos eflorts pour relever leur esprit et réchaufler leur cœur glacé par les souffrances et le repentir?.. Je vous le demande, à vous tous , heureux du jour, qu'avez-vous fait? Ah! je le dis avec regret, mais je ne dois rien cacher de ma pensée, combien de gens du monde se conduisent bien parce qu'ils ont les moyens de satisfaire leurs passions, et qui mépriseraient les lois si la misère mettait un frein à leurs pen- chants vicieux ! «Il est es sens de rester honnéte homme avec de la fortune , lorsqu'on p jo! t ses goûts, ses habitudes ; et, malgré t t cela, on voit t des riches commettre des fautes qui freit rouge à une multitude de modestes artisans. Aussi, je crois que le plus ordinaire est de rencontrer la vertu dans les classes moyennes de la société. « On parle fréquemment aussi d’expatrier les malfaiteurs sans s'occuper du choix du pays qui les recevrait ; il semble que c'est pourtant là le premier point à décider. D'abord la loi ne pourrait condamner à cette peine ceux jugés avant sa posait el c'est peut-être pour ces criminels seulement que cette mesure au rait quelque résultat. Pour les condamnés à venir, établissez un bon système d'emprisonnement. Isolez les coupables suivant les divers degrés d'immoralité, et vous n'aurez plus à craindre ces NOTES. 445 récidives qui afligent le cœur et l'esprit. Ne condamnez plus les libérés à cette surveillance si souvent dangereuse, puisqu'elle de- vient le prétexte de nouveaux crimes ou un moyen de se sous- traire à la honte qu'éprouvent tous les hommes en rentrant dans le lieu de leur naissance, au milieu de leurs familles. Faites que celles-ci, par la crainte de l'espèce de solidarité qui pèserait sur elles si chaque détenu, après sa condamnation , lui était renvoyé, soignent l'éducation plutôt que l'instruction première de leurs en- fants : car ce qui manque aux pauvres est plutôt une éducation morale qu'une instruction suffisante; si la première est utile, ia seconde est indispensable à son bonheur et à sa moralité. Réunis- sons tous nos eflorts, nos sacrifices pour amener le gouvernement à changer le système de détention actuel; formons des comités indépendants qui visitent les prisons et les bagnes ; que les libérés trouvent en eux d’humains protecteurs , et l'on verra bientôt que la France peut aussi bien que tous les autres pays régénérer ses condamnés , en diminuer progressivement le nombre, et se passer des exemples tant prônés et si peu applicables à nos nos MŒurs , à n0S besoins , à nos lois. » Note 16, page 172. Par un dplonble of de nos péetts, les forçats libérés for- t , qui, au lieu de leur four- nir seu moyens des se rétablir dans l'opinion age les repousse durement. de son e6ier 2t Hegrenndhmen dis muns et au déses- poir. Si encore t is payé le tribut à la justice humaine, pouvaient cod leur nom, leurs fautes passées , et vivre paisiblement du fruit de leur travail. Mais non, la tourbe des espions de police s'attache à leurs pas, leur fait acheter au poids de l'or chaque instant de tranquillité qu'elle leur laisse, et finit, en trahissant leur secret, par les faire expulser ignominieu- sement des ateliers où ils avaient trouvé de l'emploi. Que d'essais n’a pas tentés inutilement M. Appert pour alléger ce joug de fer! Que de faits cités par lui je pourrais raconter, au sujet de forçats 444 NOTES. libérés qui vounient sértir del'abîme , et que la nécessité y a fait retomber! Mais j'affaiblirais la teinte de naturel et de sensibilité qui distingue ses écrits; et, dans l'intérêt des lecteurs, j'aime mieux les copier que de chercher à les imiter. . LES FORÇATS ET LES PRISONNIERS LIBÉRÉS. « Celui qui trouble et ne ” en Lu ses crimes mérite de perdre la liberté; p ter cette vérité; mais la loi qui punit doit épées corriger. Le législateur, pour être juste, a besoin, comme un médecin qui veut guérir, d'étudier la maladie morale du coupable : alors seulement le châtiment sera équitable et humain. Lorsque la loi punit sans améliorer, elle perd son plus beau titre au respect des peuples, et n'est plus qu’une espèce de vengeance. Le mérite des bonnes institutions est de prévenir le mal plutôt que de le punir, d'améliorer toujours, et de ne jamais pervertir; je demande donc si le séjour des pri- sons et des bagnes peut produire ce bienfait social ? J'ai déjà écrit quelque part et je ne crains pas de répéter que l'emprisonnement en France n'atteint pas ce but, et que souvent même le détenu sort plus perverti de sa prison qu’il ne l’est en y entrant. Une pri- son doit être à la fois un hôpital et une maison d'éducation. Le condamné a le moral malade et l'esprit ignorant; il faut guérir l'un et instruire l’autre : on verra en suivant ce système que le nombre des criminels diminuera, et qu'enfin la médecine intellec- tuelle, si on peut s'exprimer ainsi, guérira autant de malades que la science de nos savantes académies. «On ne confond jamais, dans les hôpitaux, les diverses ma- ladies; d'habiles docteurs visitent tous les jours les malheureux qui sy trouvent; chacun reçoit le médicament que réclame son élat; les maladies contagieuses n’ont aucun moyen de se communiquer ; les convalescents sont aussi séparés des malades ; des hommes honorables sont à la tête de ces administrations bien- faisantes ; les dépenses sont surveillées avec une rigoureuse exac- titude; en un mot, tout concourt à la prospérité de ces pieuses ures du malheureux. NOTES. 445 « Si on reconnait avec moi que les prisons ressemblent aux hô- pitaux, comme les détenus ressemblent moralement aux malades, procédons par analogie , et divisons les maladies de l'esprit comme on le fait pour celles du corps : que les directeurs des prisons ou des bagnes soient choisis parmi des hommes instruits et philoso- phes, qui deviennent pour le coupable de bons et encourageants instituteurs ; que in comités we #0 er ARE conseils des hospices, visit apti ages avis et une bienveiïllante protection les rendit dans une voie meilleure. Voilà pour l'intérieur de la prison : mais qu'après la sortie de ce triste esclavage un refuge soit accordé au libéré qui a donné des preuves de repentir sincère; qu'il puisse trouver de l'ouvrage, et que loin de rendre la surveillance, prononcée par la loi tracassière et tourmentante, elle devienne toute protectrice et bienfaisante. Que des facilités de réunir le libéré à sa famille soient accordées, lorsque celui-ci pendant sa détention aura donné des garanties suffisantes, Je suis sn “sprétnen desuaee bimanstalié é liberté que pour ae va FR nouveaux Crimes ; mais je dirai avec la même franchise que trop souvent l'abandon, la misère dans lesquels sont jetés la plupart des libérés, leur ôtent, pour ainsi dire, la possibilité de rester honnêtes, puisque personne ne veut les employer, et qu'au contraire la défiance qu'ils inspirent est telle que c’est à qui les rebutera et s'en éloignera. Je le demande maintenant: que peuvent faire ces malheureux, ainsi humiliés!!.. Certainement un honnête homme, placé dans la même position, se conduirait comme eux; car enfin il faut vivre et manger tous les jours. En payant un cautionnement , on peut bien racheter la surveillance, et c'est encore là un grave inconvénient; car j'ai vu plusieurs fois des forçats voler aussitôt leur mise en liberté pour s'en affranchir. Ce n'est pas de l'argent qui devrait exempter de la surveillance ; on ferait beaucoup mieux de déclarer que l’amélio- ration des mœurs dans le cours de la captivité la réglera seule après la libération. Ce moyen exciterait l'émulation parmi les con- damnés; et en sachant bien profiter de cette heureuse disposition, 446 NOTES. on obtiendrait d'excellents résultats : la clémence royale, cette noble prérogative du souverain, pourrait aussi devenir une source immense d'améliorations morales pour les condamnés et pour la société tout entière; car la dépravation des libérés est, sous tous les rapports, dangereuse et onéreuse pour elle. Il faudrait que des co- mités de prisons, composés d'hommes indépendants et vraiment philanthropes, visitassent souvent les détenus ; qu'ils examinassent avec soin leur conduite pendant la détention, et que les rapports qu'ils adresseraient de concert avec l'autorité locale fussent, pour le garde des sceaux, unerègle pour les propositions de grâce. Je sais par expérience que de semblables comités s’organiseraient facile- ment en France, où la bienfaisance et l'humanité exercent dans tous les cœurs leur influence protectrice. «Mais pour que ces comités produisent tout le bien qu'on peut en attendre, l'administration supérieure doit être confiante envers eux, et éviter cet esprit de tracasserie que malheureusement elle semble affecter envers beaucoup de sociétés de bienfaisance. « On concevra facilement que les libérés dignes de l'intérêt des membres des comités de prisons en recevraient d’efficaces conseils: alors ces malheureux, placés sous ce patronage dans des ateliers ou des manufactures, auraient les moyens de vivre en travaillant, et ne seraient pl de mourir de faim ou de reprendrelemé- à tier de voleurs. E À sie. Leg de son côté, ne pourrait-il pas encourager la fondation de grandes manufactures où les libérés seraient reçus à leur sortie de prison ? Les métiers qu'ils auraient appris pendant la détention seraient les mêmes que ceux introduits dans ces ma- nufactures, pour éviter les lenteurs d'un nouvel apprentissage; ce qui est fort important, car ôter au libéré tout prétexte d'éloigne- ment pour ces établissements est une condition indispensable. L'autorité pourrait ainsi le surveiller facilement, encourager ses bonnes dispositions, l'engager à se marier pour que les liens de la famille, de la paternité, l'attachent à son travail et rendent sa vie plus heureuse, plus tranquille. Des écoles pour les enfants et les parents eux-mêmes, la fondation de caisses d'épargne, devien- NOTES. 447 draient, j'en ai la conviction , le complément utile de la réforme «Si je ne craignais d'étendre trop cet article, je citerais des exemples nombreux, qui prouvent qu'on peut, en s’occupant des condamnés pendant et après la déténtion, améliorer les mœurs de la plupart d’entre eux. «Je ne puis cependant résister au désir de citer quelques faits dont je garantis l'exactitude. « Un condamné sortant du bagne de Toulon, où je l'avais vu en 1827, est mis en liberté après dix ans de captivité; il arrive à Paris tient me ns pour me — pes s'il doit rentrer avec sa femme t livrée au libertinage. Je fais venir cher moi cette “Btiine, et en présence de son mari elle avoue ses fautes et son sincère repentir. Le libéré convient que, le premier, il a donné à sa femme l'occasion de se ve par sa condamnation; qu’ainsi il faut de part et d'autre s'excu- ser, et que désormais ils vivront en bonne harmonie. J'ai visité souvent ce ménage, et toujours je l'ai trouvé en paix et travail- lant avec assiduité, et faisant même de petites économies. Peu à peu, V.... m'a rendu ce que j'avais prêté pour l'acquisition d’un modeste mobilier. Cet homme est bon serrurier; il travaille fêtes et dimanches pour entretenir le ménage et avoir tous les soins possibles de sa femme, dont la santé est très-faible!. « Chaque jour, il est vrai, révèle de nouveaux crimes de la part de forçats libérés ou échappés des bagnes; mais il faut l'avouer, l'administration ne prend aucune mesure efficace site arrêter ces déplorables succès de la perversité. « La misère est presque toujours le premier principe qui porte les hommes au mal. Les besoins de la vie se renouvellent sans cesse : la prévoyance, le travail laborieux de celui qui ne possède Pour patrimoine que ses bras et son intelligence, ne sufhsent que rarement aux besoins d’un modeste ménage, où habite & som la vale: 1 Depuis que j'ai écrit cet article, le pauvre V.. … est venu m'annoncer la mort de sa femme. 118 NOTES. dot dé l'instruction, les relations, les j ) uisse ss de l’opulence, nous verrons que les efforts du Paul dans la voie du bien sont vraiment son plus bel éloge. “ee «Maintenant, ajoutons à la misère du simple artisan 1 un pen- chant vers le crime; la malheureuse expérience d'un emprison- nement qui, loin de le corriger, a achevé de corrompre le cou- pable; une surveillance qui, par son mode d'action, vient à chaque instant du jour rappeler au malheureux libéré qu'il est à jamais marqué du sceau de l'infamie , et qu’il n’est plus pour lui de société que dans les bagnes ou les prisons ; voyons cet homme, repoussé de tous les honnêtes gens , cherchant vainement de l'ouvrage pour obtenir par le travail l'indispensable nécessaire; suivons-le dans ses courses inuliles, rencontrant d'anciens compagnons d'infortune qui, moins disposés à renoncer au vice, lui présentent comme bien préférable le hasard d’une vie licencieuse et criminelle à cette morne recherche d’un gagne-pain qui fuit toujours yat lui; le luxe apparent des boutiques, l'or exposé si inc ément chez les agents de change, ces filles impudiques qui excitent ses désirs, voilà, je crois, beaucoup plus de motifs qu'il n’en faut pour entraîner de nouveau celui qui sort d’un esclavage où les plus Le are sentiments l'ont nourri si longtemps de leur pl été à même depuis longtemps de secourir un grand nombre de libérés des prisons ou des bagnes, qui venaient me confier leurs pênes en m'assurant Que, s'ils avaient du pain, ils ne voleraient pas, j'ai été assez heureux pour acquérir la certitude que, sur dix individus secourus à temps dans cette position, un seul ne pouvait résister à ses coupables penchants….> «N'en doutons pas, chez le prisonnier, le premier mobile du retour au bien est l'espoir de la liberté; et si, dans le fond des cachots, il est des hommes dont le sentiment est complétement éteint et qui ne désirent cette liberté que pour se livrer de nou- veau à tous les excès, il en est aussi, et ceux-là sont en majorité, qui maudissent leur f ité passée, et qui voudraient, par une conduite exemplaire, Prébnblier les fautes qu’ils ont commises. NOTES. 449 « Certes, -ces émolions, ces sentiments se rencontrent dans les malheureux € qui gémissent dans les prisons, et souvent c’est un germe qui dépérit en eux faute de pouvoir le cultiver. « En effet, supposons qu'un jeune homme, éloigné de sa famille et égaré par de mauvais conseils, soit arrêté à Paris et condamné à une longue captivité. Ce prisonnier, dont le cœur n’est pas cor. rompu, a réfléchi sur sa conduite. Le temps de sa détention n “# pas été perdu pour lui, et dans sa morne retraite il a pensé à sa mère, à ses enfanis... en un mot, tout son désir est. d'être hon- nête homme. Mais il est nu, privé d'argent, de toute espèce de secours, et ne vit chaque jour que de la moque pitance de la prison. Tout à coup, et au moment où il s’ y attend le moins, il apprend que l'on va briser ses chaînes! « On le rend à la iberté : les premiers élans de son âme sont pour ses parents, pour ce qu'il a de plus cher au monde. peut à piété son bonheur s, hélas ! le premier élan se passe ; il pense plus froidement ; +, dont la seule idée venait de faire battre doucement son cœur, se présente à à lui comme une nouvelle source de maux. « Sans pain, sans asile, il me EE le voir errant à l'aventure dans les rues de Paris, et se 1 t combat pour persister dans la voie du bien, qu'il s'était promis de suivre quand il était dans les fers. ù « Enfin, après avoir jongenps hésité, la faim le presse, et aussi- tôt sont rompus les derni e qui l'éloignaient du vice. Il s'est rappelé en un instant les leçons de ses anciens maitres de dé- bañche et de screen : il a commis un vol pour ne pas mourir inanition L « Ce malheureux, était-il perdu sans resource ? était-il incorri- gible ? Non, sans doute. Mais qu'il est aisé de parler de vertu etde probité quand on a de quoi se suflire, et qu'il est difficile de rester honnête homme quand on a faim ! Nous avons indiqué.en com- mençant le moyen de faire cesser, du moins. en partie, ce déplo- rable état de choses : on pourrait aussi se cotiser pour donner aux directeurs de chaque maison de SrEuesg une certaine somme , HIT. PES Dre 29 450 NOTES. dont ils disposeraient en faveur des libérés Re donné des preuves d'un repentir sincère. « Certainement, tous n'en feraient pas bon usage. Mais parce qu'ilest des êtres qui ne méritent pas notre intérêt, est-ce une rai- son pour le refuser à ceux qui en sont vraiment dignes ? « À cette occasion, il ne sera pas hors de propos de citer un fait qui, par les pensées consolantes qu'il doit suggérer, pourrait di- minuer l'effroi qu'inspirent trop souvent les malheureux qui sortent des bagnes, et qui se trouvent ainsi placés sous le coup immédiat d'une surveillance active de la part de la police. «Un forçat libéré, venant de Toulon, demanda un jour à me parler seul. Voici notre conversation : « J'arrive du bagne, où je vous ai vu lors de votre visite. Je ne « sais que devenir. Je trouverais de l'ouvrage si j'avais un livret; «mais pour l'obtenir il faut que je paye mon cautionnement à la « police. C’est deux cent dix francs qu'il me faudrait, et comment «les trouver? J'ai bien des connaissances anciennes; mais si je «les vois, qui sait à quelles conditions elles me prêteront cette «somme ? et j'ai juré de mourir plutôt que.de mal me conduire. «Cependant je ne puis pas rester chez ma pauvre mère qui n'a « pas trop pour elle, car son petit commerce de vendeuse de fruits «et de légumes ne lui rapporte que tout juste pour du pain et « son loyer : voilà ma position. Ve seul, monsieur, pouvez me «tirer d' » « Cet cr encore jeune, a . > ans au bagne, et comme il avait été condamné pour vol, je ne savais trop si je devais me fier à son histoire. Je ne lui donnai aucune réponse positive ; mais je l'engageai à venir avec sa sœur et sa mère, ce qu'il fit le lende- main. femme m'assura que son fils avait maintenant les meilleures intentions , et que sa fille, qui était sur le point de se marier, donnerait volontiers sa petite dot de cent francs , économi- sée par un travail assidu , pour sauver son frère de la misère. J'ob- servai à cette bonne sœur que son futur époux ne. consentirait peut-être plus au mariage, quand il saurait qu'elle n'avait plus de % et que son frère sortait du bagne. « C'est vrai, monsieur; mais NOTES. 451 «mon frère passe avant tout, et je cours faire part de tout cela à «mon prétendu : d’ailleurs, je ne veux rien lui cacher. » fs sor- tirent, et ce pr là je ne pus encore terminer celte affaire, qui commençait à m'intéresser. « Le lendemain, de grand matin, le frère et la sœur revinrent ; leur physionomie m’'annonça, avant qu’ils eussent parlé, que tout s’arrangerait. Je demandai à la sœur quelle était la pense de son prétendu. « Ah! monsieur, me dit-elle, il renonce à la dot pour «mon frère; et ce qui est plus beau encore, c'est qu'aussitôt mariés «nous le prenons chez nous. Je veux qu'il ne me quitte plus, et «avec ses journées on fera faire des habits et du linge, dont il a le «plus grand besoin. Mais ce n’est pas tout, monsieur: il faut en- «core cent dix francs; si vous pouviez nous prêter cinquante francs «et écrire sur un petit morceau de papier que vous portez intérêt «à mon frère, en expliquant sa position , j'aurais bientôt les autres “soixante francs, en quéêtant spprès de mes camarades , marchan- « des comme moi au marché. » « Je consentis aux deux propositions, craignant pourtant que la dernière n’eût pas de succès; car, inconnu sans doute aux femmes de la halle, elles n'auront, me disais-je, aucun égard à ma recom- mandation. CE HE. s MER . à de à SAT É étaient à peine écoulées qu ÿe revihtent etichantés de leur démarche. La sœur portait dans son tablier une grande quantité de sous , de piè- ces de six liards et d'autres petites monnaies, complétant, medit- elle en pleurant de joie, les deux cent dix francs montant-du cau- prise « Je vous ai nommé, j'ai dit ce que vous faïtes pour les . ,et pas une ne m'a refusé. Tiens, disait l'une, je con- «nais bien ce PRET ; c'estlui qu'a fait apprendre à lire à mon «homme, quand il était soldat à l'école réglementaire. Tiens, disait «l'autre, c'est lui qui distribue des secours pendant l'hiver aux «pauvres gens, de la part des bonnes princesses d'Orléans. En « vérité, monsieur, ajouta cette Sens sœur, ae, vous êtes « bien aimé dans tout le quartier. » « Je remis les cinquante francs promis, et, voulant Rates une 29. 452 NOTES. preuve de confiance à cette femme et à son frère, je ne voulus pas faire payer moi-même le cautionnement. Ils partirent, etG... s'en- gagea à venir de temps en temps me voir pour me tenir au courant de ses affaires. « Depuis ce temps, j'ai reçu ses visites presque tous les diman- ches. Il est habillé proprement et gagne de trois à quatre francs par jour. Sa sœur l’a logé et nourri gratuitement jusqu'à l’époque où son travail pouvait lui sufhre. « Un jour, je trouvai sa physionomie sombre et lui en demandai la cause. « J'ai rencontré, il y a quelques jours, d'anciens cama- « rades du bagne. J'ai tâché de les éviter, mais inutilement. Tu es « donc bien fier à présent, G...! Allons, viens prendre un verre « de vin avec nous, et si tu es un bon garçon, me dit à l'oreille «l'un d'eux, tu ne seras pas fäché de nous avoir vus. Je n'osai «refuser, et malgré moi j'entrai chez le marchand de vin. Is de- «mandèrent une chambre; et lorsque le garçon eut apporté le vin, «ils refermèrent la porte avec soin. Je tremblais qu'ils n'eussent «dans leur poche quelques vols et que la police ne vint à les «arrêter pendant que j'étais là; car assurément, j'aurais eu beau « dire que j'étais innocent, on m'aurait pris et condamné comme «complice aux travaux forcés à perpétuité. J'étais tout occupé de «cette idée, lorsque l'un me dit : Que fais-tu , que gagnes-tu ? Je «leur contai comme j'étais hors de peine et que c'était à vous que «je devais ma tranquillité. Votre nom les frappa, et après un mo- «ment de silence, ils me dirent : Nous allons te parler franche- «ment; mais ne dis rien à M. Appert, ça lui ferait de la peine. Veux- « tu faire quelque chose avec nous cette nuit? Nous avons un bon «coup de monté; et si la réussite est heureuse, tu ne seras plus “comme un imbécile à t'épuiser le tempérament pour gagner « quelques sous : crois-nous, c’est une bêtise de vouloir rester hon- « nête, On ne veut de nous nulle part. Tiens, quand on a le cachet «sur l'épaule, c’est fini; il faut faire bande à à part ou mourir de « faim. « Cette confidence m'effraya, et je n'eus pas la force de la rejeter «avec horreur. Is étaient quatre contre moi, et je craignais de leur NOTES. 453 « faire soupçonner ma façon de penser ; car l'idée d'être dénoncés «par moi pouvait leur donner celle de me perdre avec eux s'ils «étaient pris. Je ne parus pas très-éloigné d'accepter; mais rap- «pelant la promesse que je vous avais faite de me bien conduire, «j exprimai le désir de réfléchir et de ne rendre réponse que deux «jours après. L'un d'eux prit alors la parole et dit: Si tu es sûr «de conserver la protection de M. Appért, je conçois ta raison ; «mais nous autres, qui ne le connaissons pas assez pour aller lui « demander du secours, que veux-tu que nous fassions ? Moi, par « ss j'ai cherché de l'ouvrage pendant trois semaines, et j'ai «vu qu'en disant d'où je viens le patron était de suite éloigné «me prendre. messe il faut. aps ge Ds NEpoe mon «compte, je ne veux pas te forcer «mais surtout ne on pas le morceau. 5 des autres ne sévaènt « quel parti prendre; cependant ils ont consenti à me laisser par- «tir, après avoir exigé le serment de ma discrétion. Voilà, mon- «sieur, le motif de ma tristesse. Je tremble que ces malheureux ne «me compromettent; ils viennent d’être arrêtés à P..., et on les ac- «cuse de plusieurs crimes épouvantables. » « Cette longue conversation me fit un effet que je ne puis définir. G... s’en aperçut, et prenant un ton de voix plus doux et moins altéré, il me dit: « Soyez sans crainte, monsieur : je vous ai pro- «mis de rester honnête homme; ma pauvre mère, ma sœur et «mon beau-frère vous ont répondu de moi, jamais je n'oublierai «le devoir que m’imposent leurs bontés, votre confiance. Plutôt «mourir cent fois que de retomber dans l'esclavage des galères ! » « Avant de me quitter, G... voulut absolument me remettre un franc pour la petite caisse d'épargne des forçats, m'assurant que chaque mois il tâcherait de contribuer par sa cotisation au bien qu’elle devait nécessairement produire. « Depuis cette confidence, j'ai reçu plusieurs fois G...; sacon- duite chez ses parents et dans la maison où il travaille me donne la certitude que désormais il restera honnête homme. » 454 NOTES. Note 17, page 178. Écoutons la description qu'un Anglais, observateur spirituel et profond, le capitaine Basil Hall, fait de la principale maison de correction des États-Unis. « Le 30 mai, nous visitämes la prison d'état pénitentiaire : elle est située sur e rive gauche du dose. à varie EE - der York, ans un 11 14 S; Gino Lea ne m'a mail plaie remarquable par sa bonne tenue et son th rable discipline. Si la subordination est chose difficile à établir parmi des gens bien disposés, combien ne l’est-elle pas davantage quand :ïl s'agit d'êtres turbulents, et qui ne connaissent aucun frein. Voilà le problème que l'on est parvenu à résoudre en Amé- « On m'avait déjà dit que plusieurs centaines de forçats travail- laient à élever des murs qui devaient devenir leur propre prison ; mais l'ordre et la soumission qui régnaient dans ces travaux étaient merveilleux. Quoique ; je fusse déjà préparé à ces prodiges, mon étonnement fut. extrême : deux sentinelles seulement se pro- menaient près des hauteurs qui dominent le lieu où travaillent deux cents Fopin Le capitaine Lynds, surintendant de la maison, position de cet issement paraissait soumise à une régularité si parie, à une e autorité si shot: que le senti- ment de la plus co nous. Sans armes , nous marchions ras au milieu d'siasa et de brigands. Le silence profond q eurs travaux avait quelque cho na sihant ] A Le d'eux, nous h'entendimes pas un chuchotément, nous ne vimes pas un regard échangé entre les forçats. Le nes eu en effet le principe essentiel, où plutôt vitak, de cette éto t line ; et si l'on ajoute au silence un travail assidu, réglé, à heure nu. la re- clusion la plus rigoureuse pendant le reste de la journée, l'isole- NOTES. 455 ment complet durant la nuit, on conviendra que jamais machine morale n’a été organisée avec plus de moyens de succès. « Chaque prisonnier a son dortoir , espèce de cellule qui n’a pas plus de sept pieds de long sur une élévation égale , et d’une largeur de trois pieds et demi seulement ; cette étroite enceinte est fermée par une porte de fer, dans la partie supérieure de laquelle se trou- vent des trous plus petits que la main , qui donnent passage à l'air et à la lumière. Pour ventilateur, on a établi dans chaque cachot une espèce de cheminée ou tuyau de trois pouces de diamètre, qui s'élève à la hauteur du toit. Ces cellules sont rangées les unes sur les autres, par rangée de cent cellules : un petit corridor, qui n’a de largeur que pour le passage d’un seul homme , se prolonge sur chaque ligne et en rangée de cellules , et aboutit à un escalier com- mun. La prison de Sing-Sing, cette immense ruche pénitentiaire , contiendra huit cents cellules quand elle sera terminée : peut-être l'est-elle aujourd'hui. Elle est éclairée par des ns , et échauflée en hiver par des poêles. _« Dès que les sosie mind: pour la nuit, une sen- tinelle chaussée de lisière commence une surveillance active qui ne peut être trahie par le bruit de ses pas , et qui lui permet d'ob- server toute tentative que ferait un prisonnier pour communiquer avec son voisin. Une sonnette donne le signal du réveil ; aussitôt un chapelain de l'établissement lit la prière : la position qu'il oc- cupe lui permet de se faire entendre de tous les prisonniers placés du même côté de l'édifice, c'est-à-dire de quatre cents personnes. Aprsiqueities grichetensrbneliapte a RAR inné, les yeux fixés sur le geôlier ; et serendent ainsi aux ateliers. « Cependant ils font une station dans la cour, pour se laver les mains ét la figure , et pour déposer leurs seaux et leurs cruches que d'autres prisonniers sont chargés de reporter ; ces derniers ombpé tres font la cuisine ou blanchissent le linge. Tout l'ouvrage de la maison est confié aux forçats ; les autres, qui forment la masse principale, se rendent au lieu des travaux, où une tâche est as- U 456 NOTES. signée à chacun. Pour les uns ce sont des pierres à tailler, pour d’autres du fer à forger; la fabrication de la toile, celle des tonneaux, celle des souliers , font partie des travaux de l'établis- sement. «Chaque atelier a pour président un guichetier qui n'est point forçat. C’est un homme digne de toute confiance, et qui doit con- naître à fond les métiers qu'il fait exercer. Hexige le silence le plus rigoureux. Il réunit au moins vingt hommes sous ses ordres, jamais plus de trente. Le surintendant de la prison surveille à la fois les prisonniers et les guichetiers ; un petit carreau de la largeur d'un pouce, placé à l'extrémité d’un corridor étroit etobscur, lui per- met d'examiner l'intérieur des ateliers, sans être vu ni entendu. La pensée qu'ils ont tous qu'un œil vigilant examine leurs travaux les tient toujours sur le qui-vive. « À huit heures , le son d’une cloche annonce la suspension des travaux ; né SEE se SRE de nouveau en pe et _. re- conduits à sur le seuil de la well; les mains éplsvéée sur les côtés etimmobile comme une statue. Bientôt il reçoit le signal qui lui permet de se baisser, pour prendre le déjeuner déposé sur le plancher du cor- ridor. Vingtminutes es les prisonniers sont rappelés pour être reconduits au travail, où ils sont retenus jusqu’à midi. [ls revien- nent ensuite à cape guichet pour prendre leur diner, et retournent à leurs tr che de la nuit, les exercices de propreté du matin robothiidsteitl chacun se lave les mains et la figure, et se munit de sa cruche et de son baquet pour rentrer dans le gui- chet, où se trouve servie la préparation de farine de maïs qui com- pose le souper. À une heure fixe, la cloche les avertit de se mettre au lit; mais un peu avant le coucher, l'aumônier de l’établisse- ment récite les prières du soir. On ne peut donner trop d'éloges à cette tendance que l'on cherche à donner à l'esprit des forçats vers les pensées religieuses. « Après l'office du dimanche, m'a dit «M. Barrett, chapelain de Sing-Sing, je passe beaucoup de temps «dans l'intérieur des guichets: je m'entretiens avec les pe” «miers , et cette occupation m'intéresse de plus en plus. Je n'ai vu NOTES. 457 « personne encore montrer la moindre répugnance à m'entendre. « J'aurais déjà dà faire observer que la plupart des forçats , en Amérique , sont détenus pour des causes qui, en Angleterre , leur eussent valu l'exil ou la potence. La peine de mort est odieuse en Amérique, mais surtout dans les états du N. et de l'E. Le gouver- nement n'a point de colonie qu'il puisse consacrer à la transpor- tation de ses bandits; ce qui l’oblige à retenir en prison une foule de malfaiteurs, dont on aurait su se défaire en Angleterre. On a proposé deux projets pour obvier à cette nécessité dangereuse qui oblige l'Union à nourrir , au sein de l'état, une société permanente de scélérats. J'ai déjà fait connaître un de ces projets, mis en pra- tique à Sing-Sing. L'autre consisterait à tenir nuit et jour les cri- minels dans l’état le plus absolu d'isolement, à les bannir non- seulement de leur patrie, mais pour quelque temps du monde en- tier. Ce dernier projet, habilement mis en pratique, et soumis aux règles d'une discipline morale , trouve de nombreux partisans dans la Pensylvanie. Quelque vicieuses qu'aient été les premières habi- tudes du tbe avant sa dép se ne tarde pas à éprouver les effets profitables que îne : d'abord l'habitude du travail , qui lui laisse ns ce qu'il pourrait accomplir par son assiduité ; puis la tempérance, vertu qu'il n'avait probablement pas connue auparavant, et dont il peut comprendre les avantages. Après un sommeil plus calme et plus profond, qui ne lui laisse pointde lourdeur ni demaux de tête, le travail lui paraît une source de gaieté, de force etmême de distraction. L'obéissance lui est de- venue facile , il plie sans effort ses mauvais vouloirs à la volonté qui le domine. Il est bon de dire qu’une Bible est placée dans chaque cellule, et que la lecture de ce livre est la seule qui soit permise dans la maison. Comme beaucoup de prisonniers ne sa- vent pas lire, une école a été établie dans la prison d'Auburn, en 1826 ; cinquante forçats, dont l'âge ne dépassait pas vingt-cinq ans, y furent reçus. Le bienfait de cette faveur fut accueilli avec les dé- monstrations d’une vive reconnaissance : en 1828, le nombre des étudiants s'était élevé à cent vingt-cinq, sur cinq cent cinquante prisonniers. 458 NOTES. « Dans toutes les régions du monde, en Amérique même, et sous lheureuse influence du régime pénitentiaire, toutes les prisons sont pourvues de certains êtres qui paraissent s'attacher à ce genre de vie , comme par vocation ou par métier ; la prison est leur élément: apparemment qu'ils ne peuvent respirer que là. Ont-ils recouvré leur liberté, ils se sentent mal à l'aise, jusqu'à ce qu'ils retombent dans la solitude et sous les verrous. » Note 18, page 179. Les observations de M. Appert, sur la manière de traiter les détenus politiques, sont aussi sages que philanthropiques, et je m'empresse de les transcrire ici, quoiqu'elles ne soient pas entiè- rement conf Ë ière de voi : Ainsi, par exemple, je crois dell id. 1. 1 nèitsle ane che Ads | » " res ET + : sat [ele] eridé j + "4 où le contact journalier de leurs complices les tient dans un état perpétuel d'irritation qui, au grand désespoir de leurs familles (car la plupart sont des jeunes gens), empêche leur retour à de bons et sages principes. Je voudrais que les lieux de déte fus sent situés loin de Paris, au milieu de cantons sains et isolés. Là, ils seraient traités avec égards et douceur ; on leur fournirait les moyens de s'occuper suivant leur capacité; une bibliothèque serait mise à leur disposition , et le produit de leurs travaux ma- RE EE SE ns CPP MA 6 + 3: sh drélie ! supportable et leur sort à venir plus assuré. Si quelques-uns méconnaissant les bonnes intentions du gouvernement envers eux, se montraient intraitables , on emploierait , pour les ramener à la soumission, la reclusion solitairé et non les mauvais trai- tements qui rent toujours les prisonniers. H faudrait enfin toyens. Voyons maintenant ce que dit M. Appert. NOTES. 459 « Quant aux détenus politiques , je pense que dans aucun cas, sous aucun prétexte, ils ne doivent être confondus avec d’autres criminels; car, pour exprimer mon opinion tout entière, je dirai que dans tous les temps, sous tous les règnes, les passions, l'esprit de parti tendent, à l'égard de ces prisonniers, à une rigueur excessive, et par conséquent souvent aveugle. Je de- mande donc un régime, une prison pour les délits politiques. Ce n’est pas seulement dans l'intérêt de ces prisonniers que je forme ce vœu, c’est aussi pour la société ; car les fers , les chaînes, les cachots , la fréquentation de grands coupables, ne peuvent ja- mais produire le repentir, calmer la pétulance des idées poli- tiques ; et une raison encore plus puissante, c’est que les gouver- nements, comme les particuliers, juges dans leur propre cause, tendent toujours au despotisme , pour ne pas dire à la tyrannie. « D'abord, en gouvernant bien , le nombre de ces détenus de- nt l'n.t...s ue à ? à 2 À comprend bien le caractère, l'éducation de cette sorte de prison- niers, elle verra qu’un régime humain, moral, salubre et non vexatoire, ramènera bien plus vite que tout autre. Oter même au détenu politique le prétexte de-se plaindre , lui montrer que c'est pour ainsi dire à regret qu’on ne lui rend pas la liberté, serait un excellent moyen de calmer son irritation , tout en diminuant ses souffrances morales et physiques. Un gouvernement fort doit être au-dessus des petites tracasseries et de l'arbitraire; plus il sera grand et généreux, plus il ramènera à lui. » Note 19, page 179. La mesure que prendrait le gouvernement de renvoyer au dé- partement où il est né, pour y subir sa peine, tout individu con- damné pour un délit quelconque, me semble offrir beaucoup d'avantages et très-peu d’inconvénients. pr Premi t, la 1 te l'e pie son crime sous les yeux de ses parents et de ses concitoyens , arrêtera sur le bord del'abime beau- coup d'hommes qui, à présent, espèrent, s'ils sont découverts , # 460 NOTES. aller cacher ve honte: au loin ms les es etles maisons de correction. Q ion sans importance; elle est au vimiraise d'une sodeel immense et a servi de base dans plusieurs pays à la réforme des mœurs. Ensuite, en divisant les criminels accumulés dans nos prisons et dans nos arsenaux maritimes, et en les assujettissant au régime pénitentiaire dont j'ai parlé, nul doute qu'on ne parvienne à ra- mener bon nombre de ces malheureux dans la bonne voie. Puis enfin, les conseils généraux chercheront naturellement, en s’occupant avec plus de soin de la morale publique, à res- treindre le nombre des coupables, dont la multiplicité serait à la fois une charge et une honte pour le département. Considérée sous le point de vue matériel, cette mesure M * sente pas moins d'avantages. Car les établissements pénitentiaires étant placés sous T'ins- os des magistrats municipaux, intéressés personnellement à ce qu'ils soient bien dirigés, seront soumis à une surv “ continuelle, à laquelle l'amour- -propre local donnera chaque an- née une plus grande extension. Ainsi les dépenses diminueront peu à peu; et comme en France chaque province a son genre d'industrie, il sera plus facile de tirer du travail des condamnés un revenu ns: pour les entretenir. Ces derniers , qui d'après le mode actx t livrés an scandaleux arbitraire d’un entrepre- neur et d’un directeur nommés par l'administration de Paris, au- ront de plus cet avantage que leurs familles élèveront la voix pour faire valoir leurs plaintes et défendre leurs intérêts, dans le cas où la surveillance des autorités locales serait en défaut. pe pas les sun inférieurs des bagnes et des prisons. si peu fait des sentiments de repentir aux détenus, qu'ils mess au contraire aux vices par leur vénalité, ou exaspèrent par leur conduite brutale et leurs gros- siers propos, seront choisis avec plus de soin, et rendront de meilleurs services par cette raison-là même qu'ils jouiront d'une plus grande considération ? Les frais que coûtera la construction des maisons de correction NOTES. A6I départementales seront considérables sans doute ; mais l'état, que ces établissements débarrasseront de la foule de criminels dont il a aujourd'hui la charge, en supportera une partie; et les départe- ments pourront aisément faire face au reste, sans augmenter les charges des contribuables, en vendant ces biens communaux qui, au lieu de contribuer, dans les petites villes et dans les villages, au soulagement des pauvres, y sont, pour ainsi dire, l'apanage des plus riches habitants. La vente de ces biens mettrait un terme à bien des dilapidations ; et tandis qu'une partie des sommes qui en proviendraient serait consacrée à l'établissement des prisons, l'autre, placée sur les fonds publics, rapporterait un revenu fixe qu'on emplois à soutenir les pauvres incapables de gagner leur vie, et à fonder des maisons de travail, seul moyen d'arrêter l'accroissement continuel de ces mendiants qui pullulent dans les campagnes et font trembler les fermiers dont ils incendient sou- vent les propriétés. Je crois pourtant que ces maisons de correction n'auront guère d'autre effet que de pallier le mal; c’est à sa racine qu'il faut l'at- taquer, si l’on veut le détruire, et pour cela chercher par toutes sortes de moyens à préserver de la contagion la génération qui commence, soit en formant de ces maisons de refuge où les jeunes enfants sont recueillis et reçoivent une instruction analogue à leur destinée future, pendant que leurs parents vaquent à leurs tra- vaux ; soit en attribuant aux juges de paix le droit de faire enfer- mer juridiquement, et après une enquête officielle, dans des mai- sons d'éducation instituées à cet effet, les enfants qui montrent un penchant décidé au mal, et dont les familles sollicitent la reclu- sion. Aujourd'hui ces petits coupables, enhardis par l'impunité que leur assure le silence de la loi, grandissent dans le vice, pa- raissent bientôt devant les tribunaux correctionnels ou les cours d'assises, et dès lors ils sont perdus pour Mens: M Dr ] : d° il système 7 A à dE que ne me permettent de + en donner les Hite étroties de cet ouvrage et surtout d'une note ; je me suis donc borné à quelques idées générales qui, je l'espère, fixeront l'attention des lecteurs Le 162 NOTES, sur un sujet aussi important. Je terminera en disant _ ce sys- tème , établi aujourd'hui aux États-Unis et en Suisse, où il a par- faitement réussi, ne saurait l'être aussi aisément parmi nous : il faudrait vaincre d'anciennes habitudes , retrancher bien des abus, léser bien des intérêts particuliers. Mais quel projet n'a pas ses difficultés , et quel est l'homme de bien tant soit peu expérimenté qui ne sache combien il faut prendre de peine quelquefois pour être utile à ses semblables ? Note 20, page 223. Au moment de traiter une question si importante et aujour- d'hui si controversée, je ne saurais trop m'appuyer de l'opinion mmes qui, ainsi que moi, l'ont étudiée sur les lieux. Je mettrai donc sous les yeux de mes lecteurs celle d’un magistrat recommandable par ses connaissances étendues et la droiture de son caractère, M. Bannister, ancien procureur général à la Nou- velle-Galles du Sud, qui a publié les considérations suivantes dans la Revue étrangère (année 1834 , novembre, pag. 1). « ge us. les es es sont sn sur la question de savoir si e colonies pénales sont utiles ou nuisibles. Les deux opinions se belanest, et chacun sentant que la théorie ne saurait lutter contre l'évidence, on invoque de part et d'autre des faits contradictoires. 11 importe donc de constater les faits. Ceux qui, en France, désirent la formation de colonies pénales , se ren- dront peut-être sans difficulté, si l'idée assez généralement ré- pandue du succès des Anglais dans de pareilles entreprises Se trouve combattue et démentie par les résultats. Rien assurément de plus raisonnable que de consulter sur ce sujet l'expérience des Anglais ; mais aussi rien de plus important que de se tenir en garde contre des préoccupations trop favorables, et de ne pas ad- mettre légèrement les chimériques témoignages his Le ARE supposée. Les faits que nous allons exposer tage de rectifier quelques erreurs, et de diriger plus utilement l'attention en l'appelant de préférence sur les avantages et les ré- NOTES. 465 sultats du système pénitentiaire. Ce que nous allons dire sortira des idées communes ; mais la véritéest-elle toujours inhérente aux idées ou aux systèmes du plus grand nombre ? « Ceux qui penchent en faveur de l'établissement de colonies pénales pour la France, disent que les anciennes colonies de l'An- gleterre, aujourd'hui les États-Unis de l'Amérique, n'ont: été d'abord que des colonies pénales, et que leur prospérité actuelle n'est due originairement qu’à la seule industrie des criminels. Ils en infèrent que tout pays qui suivra cet plef espérer un succès pareil. Pour donner plus de poids à leur argumentation, ils ajoutent que les colonies pénales de l'Angleterre en Australie sont aussi dans un état de prospérité morale, et que ce succès devient un argument nouveau en faveur d'une colonie pénale francaise. Ge raisonnement est spécieux sans doute, mais il n’est que spé- cieux : les faits viennent renverser tout cet échafaudage. Ces faits attestent : « x Que lho mrnas ] anvlasnsssalsé st di 5 € jamais des colonies pénales, et que leur prospérité est devenue telle que nous la voyons, non pas en raison de l'importation de quelques milliers de criminels qui y ont été transportés, mais malgré cette transportation , qui n'a pu qu'entraver le progrès mo- ral de ces établissements ; «2° Que les nouvelles colonies anglaises en Australie qui sont vraiment des colonies pénales , se trouvent dans une situation mo- rale aui que satisfaisante. « Pour l'Amérique septentrionale, il est vrai de dire que quel- ques milliers de criminels y avaient été transportés avant 1776. MES, sh ht 1h. À > f. re : 1 pour égaler due partie des colons. De bonne heure les colons libres s’aperçurent des inconvénients d’une émigration de con- damnés {convicts) ; et, en 1602, la colonie de Maryland fit une loi qui défendit chez elle l'introduction des criminels, C’est sans doute aussi pour cette raison que le conseil privé du roi Guillaume III donnait à ce sujet, vers le même temps, l'ordre suivant : « Au « palais de Kensington, le 25 novembre 1697. Vu un rapport du MI SSS à pc A64 NOTES. «conseil de commerce sur la transportation des convicts en Amé- «rique, et sur la difficulté de disposer de ces convicts dans le pays ; « nous ordonnons que le conseil de commerce délibère sur la ques- «tion de savoir de quelle manière et dans quels endroits les con- «victs graciés sous condition d'être transportés peuvent ètre pla- «cés, et quelle serait la punition qu'on pourrait leur infliger, au «lieu de la transportation en Amérique !. » « L'Angleterre a toujours eu des hommes qui reconnurent les vices du système de la transportation des criminels; et, depuis Bacon jusqu à Bentham, les plus distingués d'entre ces hommes, l'on n'a pas cessé de réclamer l'abolition des lois de transporta- tion. Nous verrons plus tard que la lutte de ces excellents esprits contre ce système surgit au parlement avec beaucoup d'éclat dans l'année 1770, avant l'indépendance des États-Unis; et c'est un fait incontestable que les anciennes colonies ont presque una- nimement prié le gouvernement anglais de ne pas continuer d'y: envoyer les condamn « Ces colonies ont angel tout à fait au fléau d'une classe spé- ciale de convicts, les militaires condamnés, parce qu'avant l'indé- pendance de États-Unis l'armée anglaise était peu considérable. Mais, depuis cette époque, le gouvernement a commis la faute capitale de faire une colonie as pour les militaires à Sierra- Leone. D’après le rapport des personnes qui ont examiné l'état de cette colonie, la transportation des convicts militaires a été une des causes principales du peu de succès d’un établissement si phi- Mathrepique dans son origine, et énormément coûteux dans la suite. La France a déjà commencé à suivre cet exemple, en en- voyant les condamnés militaires à Alger, mesure que nous ne pou- vons nous dispenser de regarder comme une faute”. ? House of commons papers, 1831, n° 276, First report of the Committee on secondary purish- ments, pag, 145. 2 Jbid., me. ER - 5 La dé £ 1 D transportation pe ee 93 militaires, «Après ed : Eouvernement turc eut pris consistance à Alger, une « de soldats. Ces commissaires, au lieu de suivre À Tsiéé système, qui tdi de ne ssl que des NOTES. 465 «Depuis l'indépendance des États-Unis, on y à sérieusement examiné la question. Il s'agissait de décider s’il était convenable de déporter hors du pays les condamnés actuels. Le résultat de cet examen se trouve dans le rapport d’une commission de la législa- ture de Pensylvanie , qui fut fait en 1828. Après avoir envisagé la question sous ses différentes faces , la commission 4 rejeté la pro- position. « Ainsi, c'est une grave erreur de citer les anciennes colonies de l'Angleterre en faveur de l'établissement de colonies pénales. La législation coloniale du xvur' siècle, les opinions des colons du xvin siècle, et les recherches des citoyens des États-Unis du xx" siècle, déposent également contre de tels établissements. L'é- goïsme des Anglais militait seul en faveur de l'envoi des condam- nés en Amérique, comme c'est encore ce même égoisme qui a forcé les colons de recevoir des esclaves noirs, malgré leurs v vives réclamations. « L'expérience anglaise en Amérique, comme celle de Russes en Sibérie” et celle des Portugais en Afrique *, fournit mille preu- ves que les inconvénients de ce SRE de Jastre en x pensent de beaucoup les avantages : et appeler de des colonies américaines, c'est calomnier des hommes qui se dis- tinguaient par leur probité ; considérer les habitants actuels des États-Unis comme les descendants de criminels, c'est méconnaître entièrement l'histoire‘. « Sans doute les colonies anglaises en Australie sont des éta- blissements d’un tout autre ge Mais la Francé « a été induite ee: yet et HS Re pe enriliiset même des hommes qui avaient subi des ERP ee h die M ne de même la ne faut qu'un ho mme corrompu pour entraîner au mal tous qu’ fréquente: et Yentourent.» (Voy. l'Apereu en : : jen De. par Sidy Hundili Othman Khoja, pag. 1 Lo 1 Voyez le durs en M: par le capitaine Cochrane, publié én 1824. ; ri pe intitulé pue Repository, des mn affreux ze 5 en 1832. un Anglais = ses oi “ ts-Unis, où à le point est discuté avec imparti. En Allemagne, le docteur MERE à aussi + 000 are pd sf errege qui doit être lu par tous ceux qi LS La] LIT. 20 166 NOTES. en erreur sur l'état actuel des colonies australiennes, de même qu'elle l'avait été relativement à celles de l'Amérique septentrio- _: nale. Les beaux ouvrages d’Entrecasteaux et de Péron, et les dé- tails des voyageurs français, qui, étant reçus par les colons comme amis, ne voient, pour la plupart, que le côté riant des choses, et qui, en hôtes aimables, rapportent en Europe tout ce qu'ils ont vu de bon, et oublient bientôt ce qu'ils ont vu de condam- nable, ont beaucoup contribué à produire l'erreur que nous si- gnalons. Un auteur français, qui ne peut pas même invoquer celte excuse, a poussé L'exagération un peu plus loin; c’est M. de Blosseville, qui a publié récemment une histoire des colonies pé- naies de l'Angleterre en Australie. Sous le titre de résumé de l'état moral de ces colonies , cet auteur nous dit « que le vol à main armée « y est presque sans exemple; que la justice n'y a le plus souvent «qu'à connaître de délits d’un caractère peu grave, et qu'il est « très-rare que les planteurs soient volés par les convicts attachés à « leur service. » Pag. 453. « Il est fâcheux de s'occuper d'un sujet quand ceux qui le diseu. tent se trouvent dans le cas de nier réciproquement les assertions l'un de l’autre. Mais le respect pour la vérité nous fait un devoir de présenter des preuves irrécusables, qui démontreront jusqu’à . M. de ending quoique « son ouvrage ait été cou- nel de son histoire. Les fiits suivants sont basés ou sur des documents officiels et authentiques, à la portée de tout le monde, ou sur l'expérience personnelle de l’auteur, qui les a recueillis du- rant les années 1824, 1825 et 1826, à Sidney, où il était procureur du roi. « Sur ‘ue population de 36598 âmes, plus de 7000 individus furent, en 1825, condamnés de nouveau pour crimes, délits et contraventions commis dans la colonie; et ce chiffre s’est accru de beaucoup dep Fannée Pa. se « En 1828, lac P la colonie a condam hist sonnes pour félonies Crisis: AE 106: à la peine capitale, et 28 furent exécutées. En 1829, la même cour a condamné 266 per- NOTES. 467 sonnes pour félonies , dont 73 à mort, et 30 furent exécutées. En 1830, les condamnations prononcées par la même cour, pour fé- lonies , s’élevèrent au chiffre de 278, dont 134 sentences de mort, et 49 individus furent exécutés. « En 1828, les exécutions pour meurtre s’élevèrent à 7;en 2829, à 11; et en 1830, au même nombre de 11. « Dans les dernières années, les viols ont également augmenté. En 1826, dans le district de Windsor, où la disproportion entre les hommes et les femmes est presque la moindre de tout le pays, dans ce district où la population n'excède pas 5454 âmes, huit enfants au-dessous de 14 ans furent en 6 mois victimes de pareil- les violences. « En 1826, 14 jeunes filles ont été incarcérées à Sidney pour vol. : « En 1829, plus de 600 femmes furent renfermées dans une maison pénitentiaire à Parramatta , les unes par punition , les au- tres parce que les familles ne voulurent pas les recevoir comme domestiques, même sans salaire, ou enfin parce qu'il ne se trou- vait point d'hommes qui voulussent les épouser; et pourtant le peu de femmes qu'on sie dans le pays aurait: _ faciliter à celles qui s'y t de se marier. « Le 9 septembre ver une loi fut faite « pohcnt ec «mes mariés à retirer leurs femmes de la maison pénitentiaire de « Parramatta. » Voici les termes de cet acte législatif: « Attendu que «les maris dont les femmes ont été condamnées à subir la peine «d'emprisonnement dans la maison pénitentiaire à Parramatta, RS Gr après re cop ne) la L'eet i est clients mont tenus de les reprendre chez eux, sous pee « d’une amende de deux schellings et six sous par jour, applicable «à l'entretien et à la nourriture desdites femmes, pour de temps «qu'elles restent dans la maison pénitentiaire au dela du terme de «leur condamnation ‘.» On peut juger par cette loi de l’état et de L_ House of commons papers, 1833, n° 163, pag- 8. 168 NOTES. la pureté des mœurs des convicts de la Nouvelle-Hollande, et si leur vie privée, tant vantée par ceux dont le sentiment est favo- rable à l'établissement des colonies pénales , peut être invoquée à l'appui de cette opinion. Malheureusement , de telles lois ne remé- dieront point au mal ; et il est nécessaire que le système qui intro- duit tant d'hommes et si peu de femmes dans ce pays soit changé. Sans cela, on doit s'attendre à voir se multiplier les désordres de toute espèce, inévitables chez une semblable population. I est im- possible d'égaliser la somme respective des deux sexes dans une colonie pénale où l’on envoie les individus condamnés dans la mère patrie, parce que partout le chiffre des condamnations pro- noncées contre les femmes est moindre que celui des condamna- tions intervenues contre les hommes. En outre, les convicts, par 1 sd ÉSÉEti..) L s1 Ps ‘H, qui seules font les bons pères et les bonnes mères. « Dernièrement, une société, en Angleterre, a fait l'expérience d'envoyer en Australie des jeunes filles non condamnées. Cette me- sure avait pour but d'éviter les inconvénients attachés à la dispro- portion du nombre entre les individus des deux sexes: on dit que le résultat a été des plus fâcheux pour ces pauvres filles. Les mem- bres de la cr -dont nous arr appartiennent aux familles D SNS pe P aire le bien. ] rs "A 1 ième d administration de Ja nord pourrait obtenir du suc- cès ”. Mais ces personnes oublient que tous les systèmes possibles ont déjà été sayés , et que tous ont également échoué. Les mêmes personnes ent principalement cet heureux effet de la sévérité des mesures; mais ü ” es remarquable _ le système sévère a été jusqu "ici kp pl de tous. Les tabl suivent présentent cinq essais différents , et leurs résultats démontreront plus que les raisonnements quel succès on peut attendre de pa- reilles mesures. ? Report of the Committee on secondary punishments, 183. IL De 1810 à 1820. a 1824. NOTES. 4169 « Discipline et police sévères. Les grâces et bienfaits rarement accordés aux convicts. Les lois exécutées strictement, mais avec assez d'égalité. Une forme de gouvernement extrêmement arbi- traire. Les deniers du trésor public économisés | avec beaucoup de soin. « Discipline relâchée. Une police vivlente en- vers les individus. Grâces et bienfaits sans bornes accordés aux convicts; concessions, soit de ter- rains , soit de liberté, soit même d'emplois de la magistrature. Le trésor public dépensé sans con- trôle. Le gouvernement toujours arbitraire dans les formes et en fait. rs Eu ES PP TR PPT | sb: « P L: fait lé t 1 soalité. Les lois ec égal criminelles exécutées avec sévérité. La torture in- tème. Letré- siprest.s fs PA + sor public Bjasgiié: Le gouvernement arbitraire dans les formes et en fait. « Discipline Fr. _ 10 criminelles exé- ? tpl . régula rité. La liberté s de la presse accordée sans ns. Point de procès pour libelles. Peu de terres don- nées aux convicts. Le trésor public épargné. La forme du gouvernement moins arbitraire que dans les périodes précédentes. « Discipline sévère. Police illégale. Bienfaits ra- rement accordés aux convicts. L' eafeütion des lois criminelles extrêmement . Nouvelle espèce de collier de fer, pour les prisonniers, in- troduite de pu sep Les} journaux soumis à la cen quents. Le trésor pu- blic épargné. Le giérrersemesk moins arbitraire dans les formes, mais plus arbitraire en fait. « Sous l'influence de ces cinq systèmes, on vit la discorde civile 170 NOTES. augmenter et les crimes s'accroître, mais toujours avec cette coïncidence remarquable, que plus l'administration devenait sé- vère, plus aussi les criminels se multipliaient. Cette expérience est très-précieuse; nous pourrions même dire que nulle part les erreurs de l'administration ne sont moins pardonnables que dans l'Australie, parce que nulle part l'effet d’une mauvaise adminis- tration ne s'est manifesté plus promptement et plus ostensible- ment par l'état moral de la population. Dans les pays ordinaires, surtout dans les colonies fondées avec sagesse, les criminels sont, après tout, peu nombreux relativement à la masse. Mais dans l'Australie et dans toute colonie pénale, tant de gens sont enclins aux crimes , que les nouvelles mesures qui les concernent influent d'une manière très-rapide; on pourrait même dire que l'influence est instantanée et immédiate. Une statistique complète de l'état moral de l’Australie depuis son établissement, en 1788, accom- pagnée d'une collection des diverses lois de ce pays, serait un do- cument des plus importants pour l'étude du cœur de l'homme’. « Tel doit être nécessairement l'état des choses dans toute colonie pénale. Les habitants ont en effet cédé aux penchants criminels quand ils étaient entourés des préservatifs que peut offrir une so- ciété saine, et quand ils étaient sous les yeux mêmes de leurs amis et de leurs parents. Dans la nouvelle société, où la morale stgénéralement en rapport avec la condition des habitants, com- mtiments élevés pourraient-ils germer dans les cœurs déjà flétris et dégradés? quels motifs pourraient porter les habi- tants à s’amender? Durant le temps de leur captivité, ils sont dénués de toute pphee de propriété. Pour la plupart, ils sont né- aies à à jamais sans femmes , sans enfants , sans liaison au- 3: méprisés par les colons libres, suspects à leurs canards ls en qu'au gouvernement, est-il étonnant qu'ils donn . 14 dans les ME ‘du Dur. res vi _——— Ja FACE des qu de] France, en 6 ajoutant Sidne NOTES. 471 ces bien vagues. Leur avenir dépend des individus obscurs pré- posés au gouvernement de telles colonies , et le système du gouver- nement à leur égard change trop souvent pour que ce système puisse produire un effet permanent sur des hommes placés dans cette position. « Sous le rapport politique, la colonie pénale anglaise est aussi nécessairement exceptée du régime constitutionnel, qui autrefois exerçait une influence si marquée sur le bonheur des colons an- glais. Les impôts sont fixés, perçus et dépensés sans le consente- ment ou le contrôle des contribuables. Les lois sont l'œuvre d'hom- mes nommés par le roi, au lieu d'être rendues après les débats d'une législature représentative. L'administration dépend tout à fait de la libre volonté d'un ministre à Londres. Ce régime in- constitutionnel n'a pu heureusement influer beaucoup sur la pêche de la baleine, ou sur la multiplication des moutons qui produisent de la laine fine; et c'est de ces deux objets que provient le succès des colonies anglaises en Australie. L'activité des commerçants et des matelots anglais a su profiter du premier de ces avantages, et le second lient à un sol magnifique, à à un-délicieux climat , et au génie d’un seul homme”. Le hasard a beaucoup fait en faveur de la colonisation pénale des Anglais ; jusqu'ici les ministres de l'An- gleterre, autant qu'il leur a été possible, ont contribué aux succès matériels de l'établissement, sans songer à ses résultats moraux. « A la chambre des députés de France, M. Mauguin a soulevé un argument à ce sujet, qui mérite un examen spécial. « Je sais «très-bien , dit ce savant législateur à propos d'Alger, qu ‘en Angle- « Nouvelle-Hollande ; mais il faut joujouts distinguer, en Angle- «terre, ce qu'écrivent certains économistes, qui veulent influencer «l'opinion continentale, et ce que fait le soreenent à ce qui «est fort différent. » (Moniteur, 4 avril 1835, pag. 904), « La distinction faite ici entre le gouvernement qui & 1 M. Mac-Arthur, le nommé Arthur, dans le voyage de Péron , qui s'est reudu célèbre par le succès avec lequel il a utilise les mérinos, 472 NOTES. colonies pénales et ceux qui les condamnent est bien saisie. Mais c'est une erreur de borner ces derniers à « quelques écrivains ; » une réponse satisfaisante à l'observation de M. Mauguin ne sera pas difficile. Personne mieux que lui ne sait que souvent, sur certaines questions , les gouvernements s'opiniâtrent et persévèrent, malgré l'évidence, dans leurs systèmes vicieux ; et que si même les nations font pendant de longues années ce qui n’est ni sage ni juste , il serait d’une mauvaise logique de les imiter parce qu'el- les ne peuvent pas être détournées de leurs systèmes faux et dan- gereux. « Il est vrai que le gouvernement anglais s’est obstiné à continuer les colonies pénales , et n’a pas cédé aux instances des Howard, des ntham et des Whateley' contre tout système de déportation. Néanmoins la nation anglaise, quoique justement solidaire dans sa renommée pour tout ce qu'elle permet, n’a encore exprimé au- cune pensée à ce sujet, autrement que par un petit nombre d'or- ganes de la presse”. Le peuple n'a pas été dans le cas de se pro- noncer avec fruit sur de telles questions avant 1832, où un commencement de réforme parlementaire fut adopté. C'est, en outre, une erreur de dire que l'opposition aux colonies pénales se borne aux écrits de certains économistes de nos jours. Avant 1776, avant la guerre avec les anciennes colonies, des propositions for- melles furent faites dans le parlement, par les hommes les plus distingués, pour substituer à la Poapopition de meilleures me- sures pénales. Particulièrement en 1770, à l'occasion d'une dis- cussion relative à la transportation , sir George Savile présenta une proposition tendante à la réforme générale des lois criminelles‘. Ses eflorts, et ceux de Blackstone et Howard , ont donné lieu à des projets tout à fait contraires aux colonies pénales. Si ces projets ! Les de Bentham et de Howard sont connus; celui de Whateley, archevéque de a mme A se répandre, et peut-être il est destiné à atteindre une renommée égale. écrivains dont parle M. Mauguin, on compter ceux qui Jaborateurs dans sa revues re: Westminster, Law-Mayazine et Jarist, tous host des partis les plus opposés e: itique. x Pan) RE Pe _—_—_ _— vol, XVI, pag. 924. Cet ouvrage se trouve à Ja bi- bliotl à Par NOTES. 475 ont échoué, leur effet indirect n’a pas été perdu entièrement : au contraire ; ils ont porté le gouvernement, jusqu'à l'année 1 787; à ne plus penser à établir une nouvelle colonisation pénale. Même en 1784, on a décidé qu'on enverrait les criminels ziBnes en Afrique, au lieu de reproduire ailleurs le système d'esclavage pé- nal des anciennes colonies”. Ce projet était plus funeste encore que celui des colonies pénales, et il fut écarté par les vives ré- clamations des commerçants qui se trouvaient à la rivière de Gam- bie. Plus tard, quand la résolution fut prise, en 1787, de faire de nouveaux établissements dans l'Australie, le ae anglais n'avait pas l'intention d'y fonder une colonie pénale : s'agissait d’une colonie libre. Mais on ne parvint point à race ner les colons à s'y rendre, tant les bases de la fondation étaient fausses. Toutefois l'établissement pénal imaginé plus tard par lord Sydney, ministre anglais de l’époque, était moins vicieux que celui qui s'est développé sous ses successeurs”. « Depuis 1792 jusqu’à 1812, de nouvelles opinions ont acquis un grand ascendant à Londres. Les anciens principes de colo- nisation libre, qui ont amené l'indépendance heureuse des États- Unis, furent entièrement rejetés. Le parlement, trop occupé des guerres de l’Europe, abandonnait les établissements dans l’Austra- lie, avec toutes les autres possessions coloniales, à la bureaucra- tie puissante de =: rain) Svp Des sommes énormes furent dé- pensées tie, quise rattachait à une chtbisaison cémitisehle systématique également puissante. Leurs relations communes embrassaient presque tous les rangs un peu élevés de la société; et un tel degré de despotisme s'était établi dans leur système officiel, que si par hasard des individus probes entravaient leurs np: il devenait presque im possible à ces individus d'échapper à leur vengeance. Jusqu’ aujourd'hui les efforts de cette bureaucratie ont empêché toute recherche pro- fonde dans le sein du parlement , relativement au système moderne des colonies anglaises ; on a surtout méconnu le vrai caractère et ! Journals of the House of commons , vol. XL: ? Parliamentary papers on New South Waks, fer 1792: 474 NOTES. les inconvénients de la transportation des criminels en Australie. Jusqu'aujourd'hui pas une seule mesure de réforme indispensable n'a été adoptée ni mise à exécution dans l'intérieur de cette admi- nistration, même depuis 1830. Les hommes d'autrefois siégent encore dans cette administration : les mêmes principes y préva- lent encore. En vain pendant quarante années, depuis 1792 jusqu'à 1832 ; Bentham a signalé les vices du système des colo- nies pénales dans ses écrits véritablement prophétiques'. Ce ne fut que vers l'année 1812 que sir Samuel Romilly provoqua, à ce sujet, de nouvelles enquêtes parlementaires. Plus tard, l'in- fortuné Grey Bennet suivit les traces de Bentham et de Romilly, et avec plus de succès. En 1821, 1822 et 1823, les enquêtes du commissaire Bigge*, homme sans tache, et d'une grande expé- rience dans toutes les affaires coloniales, ont fourni beaucoup de matériaux propres à éclaircir la question de la transportation pé male, sans cependant en avoir aplani les difficultés. M. Bigge n'a- vait pas la mission d'y apporter le seul remède efficace et voie. c'est-à-dire, l'abolition entière du système. «Pendant ces huit dernières années, les plans proposés par M. Bigge ont été exécutés, à Aquelques peine près ; et ces chan- gements, joints rvenus dans les richesses desdites colonies, onk . fait sessde bien. Ils ont eu pour résultat l'amélioration de la vie matérielle et l'extension des li- bertés des colons. Mais il est impossible d'arriver dans de telles colonies aux résultats avantageux que présente le système péni- tentiaire. De là il suit qu'en Angleterre l'opinion de ceux qui s'oc- cupent de ce dernier système devient de jour en jour plus con- taire à la continuation des colonies pénales. «C'est pourquoi, en 1831 et 1832 , la chambre des communes a compris New South Wales dans les points confiés au Committee upon secondary punishments. Mais le Committee n’a fait qu'ébaucher * Voyez le chapitre sur Ja déportation, dans la Théorie des peines et eds 4 ple for the constitution, et À letter to lord Aie Ces où derniers ouvrages sont travaux de M, Bi igge ont été appréciés par MM. de Beaumont et pe Pa système pénilentiaire aux États-Unis, Appendice, ch, 1,2, 3, F2 à NOTES. 475 le sujet; le temps lui manquait pour l'examen de la question et pour l'audition des témoins prêts à donner : 3e MPRRBREENANIA d'une grande importance. Le Committ totalité travaux confiés à ses soins ; il avait trop à fie NN fallait iuvhsies et discuter une foule d'objets. Aussi à quoi celte enquête a-t-elle abouti? On a eu des renseignements informes et incomplets, 1° sur les maisons pénitentiaires pour les hommes ; 2° sur celles des femmes ; 3° sur les prisons ordinaires ; 4° sur celles établies sur les pontons; 5° sur le système péneniais aux États-Unis; 6° des détails sur l'Inde occidentale ; et 7° sur l'Australie. On dressa à la hâte quelques tableaux statistiques incomplets ; on reçut des dé- positions tronquées, ou on les fit écrire par des témoins absents, qui n'avaient pas le temps de bien rédiger leurs opinions. Avec de telles bases de l'enquête parlementaire, on ne doit pas être sur- pris de voir que le grand remède proposé par le Committee, pour guérir les maux ayoués par tous les témoins, soit: plus de sévérité. Si l'expérience eût été suffisamment consultée, il est impossible qu'on se füt arrêté à cette proposition : car c’est précisément le système sévère qui a le moins réussi. « Ce fut avec une difficulté extrême qu'on ot enfin à enga- ger le parlement, en 1831 et 1832 (années de réforme), à faire tout ce qu'il a accompli. Le parlement reçut du ministre une quantité immense de documents sur les criminels dans la Nouvelle-Hol- lande, rédigés en vertu d’une loi spéciale’; mais 1l lui fut impos- sible, faute de temps, de lire ces documents, bien moins encore de se livrer à une discussion approfondie. « Les Anglais les plus instruits attendent avec impatience une occasion de se livrer à un examen complet de la colonisation pé- nale. Peut-être le retour des commissaires qui sont partis de Lon- dres en février 1833 pour visiter les prisons des États-Unis; peut- ! L'acte 4, George IV, 96 pre” mé ? Je parle avec plus de n secondary punishments, et des documents mentionnés dans le texte, parce que J'étais en relation à ce sujet, en 1831 et 1832, avec plu- sieurs membres de Ja chambre des communes et de la prison discipline Society, qui s'y intéres- saient vivement. 476 NOTES. être aussi la discussion d’un code criminel, qu'on prépare en Angleterre, présenteront-ils une occasion de reprendre avec fruit ce travail délaissé. Nul doute que les débats futurs sur toutes les branches des lois criminelles n’acquièrent alors un bien plus grand intérêt qu'ils ne l'ont fait jusqu'ici. « D'après ces mare on peut noi sil Ayee doit être prise pour dèl t par les nati g Sans doute, si les discussions qui vènt s'ouvrir avaient pour résultat de ne rien changer dans le système des colonies pénales de l'Angleterre, l'exemple de ces colonies deviendrait alors d’un grand poids pour la France, sans cependant trancher tout à fait la question. « Nous avons présenté des faits qui avaient pour but de montrer, dans l'intérêt de cette question générale, l’état de la nouvelle co- lonie pénale, et la condition des transportés qui en font partie. «I nous reste, pour terminer cette esquisse, à signaler l'in- fluence de cette transportation sur deux autres classes de person- nes, dont la position dans la Nouvelle-Hollande est rarement ap- préciée ; ce sont : 1° les enfants blancs nés dans la colonie, ou qui y accompagnent leurs parents ; 2° les naturels noirs du À) Ces deux classes n’ont pas lé pouvoir de choisir leurs compa et le gouvernement n’a pas le droit de leur en donner de mauvais: se il le fait en ne peuplant la colonie que du rebut de la pus senc Bi n’est ne nsc rue quel doit être le résultat de la vi mmune des convicts avec les enfants presque dépourvus de dei guides naturels, et avec les pauvres naturels du pays, qui sont même plus enfants qu'eux. Les premiers, n'ayant devant les yeux que des exemples de vices de toute es- pèce, se corrompent facilement, et prennent, en croissant, des vicieuses et des mœurs criminelles. Les seconds sont persécutés d'une manière inconnue même aux Indiens des deux Amériques, aux Hottentots et aux Algériens. Si, sous les rapports matériels de commerce, d'agriculture, des arts même, la colomie obtenait des succès , devrait-elle les acheter par l'immoralité et la destruction de ces deux classes faibles ? Quelle idée de grandeur peut-on avoir d'une nation qui voudrait, pour quelques intérêts NOTES. 477 industriels, flétrir ainsi et stigmatiser du sceau du crime et du malheur deux classes entières d'êtres qui pouvaient être vertueux et heureux ? « On a souvent cri en France des reproches assez sévères contre ceux qui voudraient op toier des usages et les institu- tions de l'Angleterre. I serait ne banale anglo- manie à l'égard d’un établissement, plus sine autre, honteux pour les Anglais, mais qui heureusement est dans sa décadence. En effet, rien de plus remarquable que l'erreur de ceux qui trou- vent dans l’état actuel de la Nouvelle-Galles du Sud un argument favorable au système de la transportation des criminels. Sur tous les points, la morale est flétrie dans ce pays où l'on transporte les criminels ; et il est extrêmement probable que, dans le pays d'où on les a transportés, le nombre des criminels s’augmente, par la force des réflexions que fait naître le sort de ceux qui les ont de- vancés dans la Ryire du crime. PAPERS BA | nie «ll J uns des transportés RÉ les murs et les vertus > la noniété, et deviennent dignes d'y rentrer; mais la question ne peut être résolue par quelques faits isolés, et par des exemples qui ne sont que des exceptions : c'est à l ensemble des faits qu'il faut s'attacher. Il faut interroger l'expérience ; c'est elle qui nous indiquera par quel système un plus grand nombre de criminels est réformé et es rendu à la société avec la moindre perte morale”. » 1% Note 21, page 228. Les ravages que l'habitude des ss és cause parmi la population blanche de Van -Diémen seraient incroyables, s'ils n'étaient constatés par plusieurs écrivains dignes de foi, entre autres le docteur Ross, qui a écrit un article sur ce “se dans er ie de PA grep — |: a été examiné avec beaucoup de soin en 1827, dans les débats du parlement anglais sur lémigration. La éetor des laînes de ka Nouvelle-Hollandé a été également discutée dans cette même col- tion de documents précieux. 478 NOTES. l'Annuaire d'Hobart-Town, ouvrage + em qu'il rédige avec un goût et un talent remarquables. L'auteur, après avoir fait un ant éloge du climat doux et sain de la Tasmanie, continue ainsi: « C'est avec regret , qu'en opposition à tous ces avantages, qui proviennent du beau climat ét de l’état florissant de la colonie, jé me vois forcé de mettre un affreux contre-poids dans la ba- lance , je veux parler du #rand nombre de morts causées par l'i- vrognérie. D'après les calculs les plus modérés, la quantité de liqueurs fortes consommée à Van-Diémen ne va pas à moins de 100000 gallons; ce qui, réparti sur touté la population, fait environ cinq gallons par individu, homme, femme ou enfant. Un fait aussi étonnant montre, au premier coup d'œil, dans quels hor- ribles excès doit se plonger une partie des habitants. Cependant, quelque affreux que paraisse le mal, nous sommes heureux de pouvoir affirmer qu'il a beaucoup diminué, en comparaison de ce qu'il était autrefois. La majeure partie des premiers colons qui s’établirent sur les bords de la Derwent , quoique sortis de familles honnêtes et respectables, étaient des ivrognes feflés, et mou- rurent à la fleur de l'âge. C’est à leur déplorable exemple qu'il faut attribuer les Re de dissipation qui ont longtemps af- figé la colonie; car’: s du peuple sont toujours dispo- sés à copier les gens au abs d'eux, et surtout dans ce qu'ils font de mal. L'ivrognerie est particulièrement un vice d'imitation, et la nature se défend des premières caresses de cette Sirène, qui ne parvient à enchainer sa dupe qu'après des attaques longues et réitérées. Comme ce funeste exemple n’est plus donné par des . personnes d’une condition un peu élevée, et que tous les vieux ivroôgnes , sans exception , sont descendus dans la tombe qu'ils ont er: dues, les progrès du #4 diminuent Se 218 afinée. je ne veux le considérer ic ici que sous le point de veè du tort qu qu'il fait à la vie; il l'attaque de troïs manières spéciales: l’une en rui- nant graduellement la santé du buveur, qu'il rend incapable d'au- cune occupation et qu'il conduit au tombeau : l’autre, en produi- NOTES. 479 sant des apoplexies foudroyantes ou d’autres maladies aussi sou- daines ; dns la troisième, en portant au crime, au meurtre et en menant à l'échafaud les ivrognes que la mort avait épargnés jusque-là. La moitié des individus qui meurent à présent dans la colonie sont victimes , directement ou indirectement, de la pas sion des liqueurs fortes. » à Note 22, page 241. Que le lecteur qui a bien voulu s'intéresser à la cruelle posi- tion où se trouvait la Favorite lors de son arrivée à Van-Diémen , me permette de témoigner ici ma reconnaissance aux employés civils et militaires et aux particuliers d'Hobart-Town, qui, dans ces circonstances malheureuses, sont venus à notre secours avec un empressement et une bienveillance que mes officiers et moi nous n “oublierons j jamais. Si ces lignes parviennent jusqu'à eux, je désire qu’ dés, etque cette able le souvenir de la Favorite au général Arthur, au She Tux officiers du 69° régiment , dans qui nous avons trouvé des cama- rades et des amis ; à M. Burnett, secrétaire général; à MM. Frank- land, Montagu et Stephen, l'un ingénieur en chef, l'autre pro- cureur général, et le troisième avocat général, auxquels nous avons dû tant d’agréables soirées : à M. Lemprière , garde-magasin de l’état, dont la maison fut toujours ouverte à l'étatmajor de la cor- vette ; au lieutenant Hill, capitaine de ie qui fit preuve à notre égard d'une obligeance sans bornes ; à M. Sams, dont l’attache- ment pour moi alla jusqu'à le décider à me confier son ils, char- mant enfant qui devint mon compagnon de voyage jusqu'en Eu- rope. Mais je m ‘arrête, car nous comptions dans cette ville autant d'amis que d'habitants ; puissent-ils savoir que mon souhait Je plus ardent est de revoir un pays où j'ai reçu un si doux accueil! Pr Note 23, page 254. Le lecteur ne sera pas fâché de trouver ici la relation des cir- 480 NOTES. constances qui accompagnérent l'échouage du capitaine Cook sur les récifs de la mer de corail ; relation qui servira en même temps a agpiéter la mienne, en ajoutant de nouveaux renseignements à ceux que j'ai déja à fournis sur ces re: «Jusqu'icinous ‘alles t ette côte dan gereuse, où la mer, dans une Fr Acogt. -deux digréi de la- titude, c'est-à-dire de plus de treize cents milles, Cache partout des bas-fonds qui se projettent brusquement du pied de la côte, et des rochers qui s'élèvent tout à coup du fond en forme de pyra- mide. Jusque-là aucuns des noms que nous avions donnés aux différentes parties du pays n'étaient des monuments de détresse; mais en cet endroit nous commencämes à connaître le malheur, et c'est pour cela que nous avons appelé cap de Tribulation la te la pr ee" à en dernier lieu nous avions aperçue MN Eu à git au 1 6" 6’ de latitudes. et au 21439" d longitude O. Nous gouvernâmes au N. 1/4 N. O. à trois ou e lieues le long ; de la côte, ayant de 14 à 12 et 10 brasses d'eau. N s découvrimes au large deux îles situées au 16° delatitude S., à environ six ou sept hieugs de la grande terre. À six heures du soir, la terre la plus n rionale qui füt en vue nous restait au N. 1/4 N. O. 1/2 0. et nous avions au N.1 5% O. deux îles basses et couvertes de bois, que quelqn de: 1 pr irent pour des rochers qui s'élevaient au dessité de l'eau. dim inuâmes alors de voiles , et nous ser- râmes le vent au plus près ‘en voguant à la hauteur de la côte à l'E. N. E. et N. E. 1/4. ; car c'était mon dessein de tenir le large toute la nuit, ngn-seulement pour éviter le danger que nous apercevions à l'avant, mais encore pour voir s'il y avait quelques îles en pleine mer , d'autant plus que nous étions très-près de la latitude assignée aux me découvertes par Quiros, et que des géographes, par des raisons que je ne connais pas, ont cru devoir joindre à cette terre. Nous avions l'avantage d'un bon vent et d'un clair de lune pendant la nuit. En portant au large depuis six jusqu’à près de neuf heures, notre eau devint plus profonde de 14 à 21 brasses ; mais pendant que nous étions à souper, elle diminua tout à coup, et retomba à sn A81 2QL * 12, 2 1 1 Sur-le-champ j'ordonnai à chacun des se resit as son pose, ettout es prêt ape virer de bord et mettre à l vant une eau profonde, nous oonélénises que nous à avions pesé sur l'extrémité des bas-fonds que nous avions vus au coucher du soleil, et qu'il n'y avait plus de danger. Avant dix heures , nous-eümes 20 et 21 brasses : comme cette profondeur continuait, les officiers quit- tèrent le tillac fort tranquillement et allèrent se coucher. À onze heures moins quelques minutes, l'eau baissa tout d'un coup de 20 à 17 brasses, et avant qu'on püt rejeter la sonde, le vaisseau Mens ma we ps di si _ en Pre le PE que En peu dé moments Y Er fut sur le tillac, et tous PRE vi- rreur de notre situation. Comme nous avions Lenperné au large a avec une “bonne bee l'espace de ons p ÉAbblis - dangereux que :# autres, parce que les pointes en sont taiguis, et que chaque partie de la Surface est si raboteuse et si dure, qu'elle brise et rompt tout ce qui s’y frotte, même légèrement. Dans cet état, nous abattimes sur-le-champ toutes les voiles, et les bateaux furent mis en mer pour sonder autour du vaisseau. Nous décou- vrimes bientôt que nos craintes n ‘avaient point exagéré notre pole heur, et que le bâtiment ayant été porté sur une bande de il était échoué dans un trou qui se trouvait au milieu. TER ques endroits il y avait de 3 à 4 brasses d'eau, et dans d'autres il n'y en avait pas quatre pieds. Le vaisseau avait touché le cap au : N.E.; et à environ trente verges à stribord, l'eau avait une profon- deur de 8, de 10 et de 12 brasses. Dès que la chaloupe fut en mer, nous abattimes nos vergues et nos huniers, nous jetâmes l'ancre de toue à stribord, nous mîmes l'ancre d'affourche avec son câble dans le bateau , et on allait la jeter du même côté; mais en es une seconde fois autour : du » vaisseau, l'eau se t à l'arrière ; nous portâmes donc L'ésére à à la bee ag qu'a l'a- HIE. 31 182 NOTES. vant ; et après qu'elle eut pris fond, nous travaillâmes de toutes nos forces au cabestan , dans l'espoir de remettre à flot le vaisseau, si nous n’enlevions pas l'ancre; mais à notre grand regret nous ne pümes jamais le mouvoir. Pendant tout ce temps, il continua à battre contre le rocher avec beaucoup de violence, de sorte que nous avions de la peine à nous tenir sur nos jambes. Pour accroître notre malheur, nous vimes à la lueur de la lune flotter autour de nous les planches du doublage de la sise. et enfin la fausse ques et à chaque instant la mer se pré à nous engloutir. Nous n'a- vions d'autre ressource que d’ léger le vaisseau, et nous avions perdu l'occasion de tirer de cet expédient le plus grand avantage ; car malheureusement nous échouâmes à la marée haute, et elle était alors idérabl t diminuée. Ainsien allégeant le bâti- ment, de manière qu'il tirât autant de pieds d'eau de moins que ‘ la marée en avait perdu en tombant, nous ne nous serions trouvés que dans le même état où nous étions au premier instant de l'ac- cident. Le seul avantage que nous procurait cette circonstance , ce re 4 marée sara rater le vaisseau sur les rochers, violence. Nous avions quelque espoir sur la rte suivante; mais il était een que le bâtiment pût th d'autant plu her grattait sa quille sous ule du stribord avec une si prb os qu'on sinendaitié t de la cale de l'avant ; notre situation ne nous permet- tait pas de perdre du temps à des conjectures, et nous fimes tous nos eflorts pour opérer notre délivrance , que nous n'osions espé- rer. Les pompes travaillèrent sur-le-champ ; nous n'avions que six canons sur le tillac ; nous les jetâmes à la mer avec toute la promp- titude possible, ainsi que nôtre lest de fer et de pierres, des fu- tailles, des douves et des cerceaux, des jarres d'huile, de vieilles provisions, et plusieurs autres des matériaux les plus pesants. Chacun se mit au travail avec un sa. ep qui _. et _ ps: gaieté: et sans la moindri e os matelots ét + remis carte timent de leur situation , qéonm'estendit pas un seul jurement ; la crainte de se rendre coupable de cette faute, dans un moment NOTES. 485 où la mort semblait si prochaine, réprima à l'instant cette profane habitude , quelque empire qu'elle eût. « Enfin la pointe du jour (le 11) parut, et nous vimes la terre à environ huit lieues de distance, sans apercevoir dans l'espace in- termédiaire une seule île sur laquelle les bateaux eussent pu nous ‘conduire pour nous transporter ensuite sur la grande terre, en cas que le vaisseau füt mis en pièces. Le vent tomba pourtant par de- grés, el nous eùmes calme tout plat d'assez bonne heure dans la matinée : s'il avait été fort, notre bâtiment aurait infailliblement péri. Nous attendions la marée haute à onze heures du matin; nous portâmes les ancres en dehors , et nous fimes tous les autres préparatifs pour tâcher de nouveau de remettre le vaisseau à flot: nous ressentimes une douleur et une surprise qu'il n'est pas pos- sible d'exprimer, lorsque nous vimes qu'il ne flottait pas de plus . d’un pied et demi, quoique nous l'eussions allégé de près de cin- quante tonneaux ; car la marée du jour n'était pas parvenue à une aussi grande | que celle de la nuit. Nous nous miîmes à Felléger: acoh SRG sénat jotishen à la RE ne Jusau’ 1 pas fait Lehman d'eau; mais à mesure que la marée tombait, Leau y entrait avec tant de rapidité que deux pompes, travaillant continuellement, pouvaient à peine nous empêcher de couler à fond : à deux heures, deux ou trois voies d’eau s’ouvrirent à stri- bords es pinasse, 06 pi sous les Ê es o rame pres Noms dl have ne y séjaise : nous sr deux ancres d' affourche;d' une à stri- bord, et l'autre directement à la poupe; nous miîmes en ordre les cap-moutons et les palans, dont nous devions nous servir pour tirer les câbles peu à peu, et nous attachâmes fortement une des extré- mités des câbles à l'arrière, afin que l'eflort suivant püt produire quelque effet sur le vaisseau , et qu'en raccourcissant la longueur du câble qui était entre lui et les ancres on püt le remettre au large et le détacher du Haosaienochibre mi MER était. pr heures de l'après-midi, nous âmes que £e commencçai à monter; mais nous remarquâmes en même. icsnps que re voie 31. 484 NOTES. d’eau faisait des progrès alarmants, de sorte qu'on monta deux nouvelles pompes ; malheureusement il n'y en eut qu'une qui fût en état de travailler : trois pompes ient tinuell t; mais la voie d’eau avait si fort augmenté, que nous imaginions que le vaisseau allait couler à fond dès qu'il cesserait d’être sou- tenu par le rocher. Cette situation était effrayante, et nous regar- dions l'instant où le vaisseau serait remis à flot, non pas comme le moment de notre délivrance , mais comme celui de notre destruc- tion. Nous savions bien que nos bateaux ne pourraient pas nous porter tous à terre, et que quand la crise fatale arriverait, comme il n'y aurait plus ni commandement ni subordination, il s’ensw- vrait probablement une contestation pour la préférence, qui aug- menterait les horreurs du naufrage même, et nous ferait périr par les mains les uns des autres. Cependant nous savions très-bien que si on en laissait quelques-uns à bord , ils auraient vraisemblable- ment moins à souffrir, en périssant dans les flots, que ceux qui gagneraient terre, sans aucune défense contre les habitants, dans un pays où des filets et des armes à feu sufliraient à peine pour leur procurer la nourriture; et que quand même ceux-ci trouve- raient des moyens de subsister, ils seraient condamnés à languir le reste de leurs jours dans un désert horrible, sans espoir de goû- ter jamais les consolations de la vie domestique, séparés de tout commerce avec les hommes, si on en excepte des sauvages nus, 1 jantant RENE SP à 1 De + re 1: et qui étaient peut-être les hommes les plus grossiers et les moins civilisés de la terre. « La mort ne s’est jamais montrée dans toutes ses horreurs qu'à ceux qui l'ont attendue dans un pareil état: et comme le moment affreux qui devait décider de notre sort approchait, chacun vit ses Propres sentiments peints sur le visage de ses compagnons. Cepen- dant tous les hommes qu’on put épargner sur le service des pom- pes se préparèrent à travailler au cabéstan et au vindas, et le vais- seau flottant sur les dix heures et dix minutes, nous fimes le der- nier effort et nous le remîimes en pleine eau. Nous eûmes satisfaction à voir qu'il ne faisait pas alors plus d’eau que quand NOTES. 485 il était sur le rocher ; et quoiqu'il n'y en eût pas moins de trois pieds neuf pouces dans la cale, parce que la voie d'eau avait gagné sur les pompes, cependant nos gens n'abandonnèrent point leur tra- vail, et ils parvinrent à empêcher l'eau de faire de nouveaux pro- grès. Mais ayant souffert pendant plus de vingt-quatre heures une fatigue de corps et une nee: Ru 6 peines et perdant toute espérance, ils ‘abattement: ils ne pouvaient plus travailler à la rap de cinq ou six minutes de suite; après quoi chacun d'eux, entièrement épuisé, s'étendait sur le tillac, quoique l'eau des pompes l'inondât à trois ou quatre pouces de profondeur, Lorsque ceux qui les remplaçaient avaient un peu travaillé, et qu'ils étaient épuisés à leur tour, ils se jetaient à terre de la même manière que les premiers, qui se relevaient pour recommencer leurs efforts : c'est ainsi qu'ils se soulageaient les uns les autres, jusqu'à ce qu'un nouvel accident fut près de terminer tous leurs maux. Le bordage qui garnit l'intérieur du fond d'un navire est appelé la carlinque , et entre celui-ci et le bor- dage de l'extérieur, il y a un espace d'environ dix-huit pouces : l'homme qui jusqu'alors avait mesuré la hauteur de l'eau , ne l'a- vait prise que sur la carlingue, et avait fait son rapport en consé- quence ; maïs celui qui le remplaça pour le même service la me- sura sur le bordage extérieur, par où il jugea que l'eau avait gagné en peu de minutes, sur les pompes, dix-huit pouces, différence qui était entre le bordage du dehors et celui de l'intérieur. A cette nouvelle, le plus intrépide fut sur le point de renoncer à son travail ainsi qu'à ses espérances ; ce qui aurait bientôt jeté tout l'équipage dans la confusion du désespoir. Quelque terrible que füt d'abord pour nous cet incident, il devint par occasion la cause de notre salut : l'erreur fut bientôt découverte, et la joie subite que res- sentit chacun de nous en trouvant que son état n'était pas aussi dangereux qu'il l'avait craint, fut une espece d’enchantement qui sembla faire croire à tout l'équipage qu’à peine restait-:il encore quelque véritable pee Cette contes et cet espaisé au eds que lorsque nos gens salbitiennt Ft tai par fatigue et par dé- 186 NOTES. couragement, cependant ils réitérèrent leurs eflorts avec tant de courage et d'activité, qu'avant huit heures du matin les pompes avaient gagné considérablement sur la voie d'eau. Chacun parlait alors de conduire le vaisseau dans quelque havre, comme d’un projet sur lequel il n'y avait pas à balancer ; et tous ceux qui n'é- taient pas occupés aux pompes travaillèrent à relever les ancres. Nous.avions pris à bord l'ancre de toue et la seconde ancre; mais il nous fut impossible de Sauver la petite ancre d'aflourche, et nous fümes obligés d'en couper le câble : nous perdîmes aussi le câble de l'ancre de toue parmi les rochers; mais dans notre situation ces pertes étaient des bagatelles auxquelles nous ne faisions pas beau- coup d'attention. Nous travaillâmes ensuite à arborer le petit mât de hune et la vergue de misaine, et à remorquer le vaisseau au . E.; et à onze heures, ayant une brise de mer, nous remîmes enfin à la voile, et nous portâmes vers la terre. «A était cependant impossible de continuer longtemps le tra- vail nécessaire pour que les pompes gagnassent sur la voie d'eau; et comme on ne pouvait pas en découvrir exactement la situation, nous n'avions point d'espoir de l'arrêter en dedans : dans cet état M. Monkhouse, un des officiers de poupe, vint à moi et me pro- posa un expédient dont il s'était servi à bord d'un vaisseau mar- chand, qui, ayant une voie qui faisait plus de quatre pieds d’eau par heure , fut pourtant ramené sain et sauf de la Virginie à Lon- dres. Le maître du vaisseau avait eu tant de confasé us” cet expédient, qu'il avait ss son état, ne croyant pas qu'il fût nécessaire de boticher autrement sa voie d'eau. Je n’hésitai point à laisser à M. Monkhouse le soin d'employer le même expédient, qu'on appelle larder la bonnette ; quatre ou cinq personnes furent nommées pour l’aider, et voici comment il exécuta cette opération : il prit une petite bonnette en étui, et après avoir mêlé ensemble une grande quantité de fil de caret et de laine, hachés très-menu, il les piqua sur la voile aussi légèrement qu’il fut possible, et il étendit par-dessus le fumier de notre bétail et d'autres ordures : si nous avions eu du fumier de cheval, il aurait été meiïlleur. Lorsque la voile fut ainsi pré- Re OP SENTE Las: NOTES. 487 parée, on la plaça au-dessous de la quille , au moyen de quelques cordes qui la tenaient étendue ; la voie, en tirant de l'eau , tira en même temps de la surface de la voile, qui se trouvait au trou, la laine et le fil de caret, que la mer ne pouvait pas entrainer parce qu'elle n’était pas assez agitée pour cela : cet expédient réussit si bien, que notre voie d'eau fut fort diminuée, et qu'au lieu de gagner sur trois pompes, une seule suffit pour l'empêcher de faire des progrès. Cet événement fut pour nous une nouvelle source de con- fiance et de consolation; les gens de l'équipage témoignèrent presque autant de joie que s'ils eussent déjà été dans un port. Loin de borner dès-lors leurs vues à faire échouer le vaisseau dans quelque havre, ou d'une ile ou d'un continent, et à construire de ses débris un petit bâtiment qui püt nous porter aux Indes orien- tales, ce qui avait été quelques moments auparavant le dernier objet de notre espoir, ils ne pensèrent plus qu’à ranger la côte de la Nouvelle-Hollande, afin de chercher un lieu convenable pour le radouber , et poursuivre ensuite notre voyage comme si rien ne fût arrivé. Je dois, à cette occasion, rendre justice et té igner ma reconnaissance à l'équipage, ainsi qu'aux personnes qui étaient à bord, de ce qu'au milieu de notre détresse on n’entendit point d’exclamations de fureur, et de ce qu’on ne vit point de gestes de désespoir : quoique tout le monde parût sentir vivement le danger qui nous menaçait, chacun, maître de soi, faisait tous ses efforts avec pati paisible et constante, également éloignée de la violence tumultueusé de la terreur et de la sombre léthargie du désespoir. » # 2 ie Note 24, page 297. Dans un moment où l'on s'occupe tant chez nous de colonisa- tion, il aurait été sans doute très-utile de mettre sous les yeux des lecteurs la collection des règlements sur la concession des terres, actuellement en vigueur à la Nouvelle-Galles du Sud et à Van- Diémen; mais cette collection m'ayant paru trop volumineuse pour entrer dans cet ouvrage, je me suis borné à en extraire les ar- ticles qui, tout en prouvant la sollicitude du. gonvernement an- F. 188 NOTES. glais à l'égard des militaires, montrent en même temps quels moyens il emploie pour faire prospérer l’agriculture en Australie. Les divers règlements dont je donne ici la traduction littérale, sont tirés de l'Annuaire de Sidney, année 1833 AVIS Dü GOUVERNEMENT. BUREAU DU SECRÉTAIRE DE LA COLONIE, 1° Juillet 1831. « Les copies suivantes des conditions auxquelles seront concé- dées dorénavant les terres de la couronne , à la Nouvelle-Galles du Sud ainsi qu'à Van-Diémen, et des règlements applicables aux officiers de l'armée qui désirent obtenir des terres et s'établir dans ces colonies, ont été envoyées par le très-honorable secré- taire d'état chargé du département des colonies , et sont publiées pour l'instruction générale « Il a été décidé, par le gouvernement de S, M., qu'à l'avenir aucune terre de la couronne ne sera concédée autrement qu'en vente publique. « La totalité du territoire de la colonie sera divisée en comtés, cantons el paroisses , de manière que, lorsque cette division sera achevée, chaque ae comprendra une anni de vingt-cinq milles carrés en à Le prix sir de la qualité de la terre et de sa situation ; mais, dans ancun cas, il ne pourra être au-dessous de cing schel- lings par acre. «. Les personnes se proposant d'acquérir des terres la vente n'est pas annoncée, en feront au gouverneur la demande par écrit, dressée suivant un modèle particulier qui leur sera délivré par l'ingénieur en chef moyennant un droit de deux schellings six pences. « Ces personnes pourront choisir, dans les limites déterminées , la portion du sol qu’elles désirent acheter de cette manière. Alors NOTES. 489 cette portion sera mise en vente pendant trois mois , puis concé- | dée au plus offrant, pourvu toutefois que le prix offert ne soit pas au-dessous de cinq schellings. « L'acheteur devra déposer, au moment de la vente, le dixième de la valeur totale de la concession, et payer le reste un mois après, à compter du jour de l'adjudication, à moins qu'il n'ait pas été mis en possession de sa propriété. Dans le cas où le payement n'aurait pas eu lieu au terme fixé, le marché sera déclaré nul et le dépôt confisqué. « Au payement complet de à concession, un contrat, dressé sous la forme d’un fief absolu à la rente nominale d’un grain de poivre, sera donné à l'acquéreur, qui préalablement aurâ payé un droit de quarante schellings au secrétaire colonial, pour prépa- rer l'acte, et un autre droit de trois schellings au receveur de l'en- registrement. « en terres seront mises généralement en pme par Le d’ é,ou six cent quarante acres ; dérables pourront cependant ‘être achetés dné certaines circons- tances ; mais alors on adressera au gouverneur une demande con- tenant l’explication bien claire des motifs qui font désirer une aussi petite surface de terrain. « La couronne se réserve le droit de construire des ponts et des routes partout où pm 5 a l'exigera, ainsi que de prendre erres et d'autres matériaux fournis par éparation des ouvrages publics. se réserve encore la propri de métaux précieux « Le Dsniment deS. M ayant jugé shindie de substituer de nouveaux règlements à ceux en vigueur jusqu'ici, touchant la vente des terres , il est devenu nécessaire de modifier les me- sures qui ont rapport aux colons militaires , et dont le com- mandant en chef a donné connaissance à l'armée par les ordres du jour datés de juin 1826, mai 1827 et août 1827. «S. M. avait été priée de vouloir bien déclarer que les avan- . tages accordés aux officiers de l'armée par ces ordres du jour, se- 490 NOTES. raient maintenus, et que même, dans le but de faire jouir chaque officier en particulier qui voudrait aller s'établir à la Nouvelle- Galles du Sud et à Van-Diémen, des bénéfices provenant de la concession des terres, les mesures suivantes seraient adoptées. « Les officiers qui désireront devenir colons ne pourront, de même que tous les autres individus , se procurer des terres qu'aux ventes publiques; mais ils auront droit à une remise sur le prix d'achat , dans les proportions ci-dessous, pourvu toutefois qu'ils présentent un certificat de bonne conduite et d’un caractère sans tache, signé du commandant en chef. «Les officiers qui ont vingt ans de naiss et au delà, auront ie on le CHU TUE) NPC r SUPLEUDELE 300 div. sterl. « Quinze ans et au delà,................. 250 « Dix ans et au MOUTURE SUR. A 200 « Sept ans et moins de dix............... 190 « Chaque officier qui voudra ; jouir de cette faveur devra donner des garanties que lui et sa famille résideront au moins sept années dans l'établissement, et il devra aussi pourvoir aux frais de son passage et de celui de sa famille , d'Europe dans la colonie. « Les officiers de la flotte et des troupes de la marine jouiront de ces mêmes avantages et aux mêmes conditions. Li SOLDATS corne 4 RS us-officier rs etles soldats-congédiés du service, dans l'in- téntion de sétabr die la colonie , recevront des concessions gratuites dans les proportions suivantes : Ph e EN -+ 200 acres Caporaux dt sas eme kr otriemmeen"10D - AVIS DU GOUVERNEMENT. BUREAU. DU SECRÉTAIRE COLONIAL. 6 mars 1832. “ .S. Exc. Miele fait savoir que le gouvernement a mo- difié le système des concessions de terres dans les colonies britan- niques , en Amérique et en Australie, de manière à garantir aux NOTES. A9 officiers de l’armée, désirant devenir colons, des avantages calcu- lés d’après leur grade et leur temps de service. « À l'avenir, les officiers militaires qui achèteront des terres conformément aux règlements suivis dans ces colonies, auront droit, suivant leur grade et leurs services, à une remise sur le prix d'achat, d'après l'échelle suivante, en présentant toutefois des certificats du général commandant en chef. OFFICIERS SUPÉRIEURS. « Vingt-cinq ans de service et au delà; en tout. 300 li. sterl. «Vingt Ds... FRERE Sa. LS « Quinze ans....... toit ls ns de nte, TON e CAPITAINES. « Vingt ans et au delà; en tout. ......,..... 200 « Quinze ans et au delà...... ; OFFICIERS SUBALTERNES. « Vingt ans et au delà; PE 150 . « Sept ans au moins; en tout........ syUDt 353 0 « Les officiers de la flotte et des troupes de la marine auront droit à des remises semblables, suivant l'assimilation de leur grade et leur temps de service. BUREAU DU SECRÉTAIRE COLONIAL. Sidney, 9 mai 1832. « Rééleméhits d'après lesquels les sous-ofliciers et les soldats li- cenciés _ régiments servant à l'E. du — ass nr rnnndatl Mers: ss dE 1} Ai: @: d. nie pourront acheter des terres aux ventes publiques, et recevront une remise sur le prix d'achat dans les 3 suivantes : A SCIGENÈS., ........s.sssses..e : . bo liv. sterl. « Caporaux et soldats. .................... 25 « Les sous-oficiers et les soldats qui se pééblnétént de s'établir ux conditions ci-dessus, devront s MES S au bureau du major de brigade, à Sidney, pour ] ée, laquelle étant dûment remplie sera déposée au bérean de secrétaire colonial. » 492 NOTES. Note 25, page 300. En mettant ici sous les yeux des lecteurs un aperçu des dépenses que les colons australiens supportent pour l'entretien de l'admi- nistration qui les régit, je ne me permettrai aucun commentaire , et je n'établirai même pas de rapprochements entre la manière si différente dont en Angleterre et en France on traite les employés de l'état. Il n’en a été que trôp question peut-être dans le cours de cet ouvrage. Je ferai seulement observer que la plupart des fonc- tionnaires publics de la Nouvelle-Galles du Sud perçoivent, en sus de leurs appointements, les revenus de fermes appartenant au domaine royal, et reçoivent des Pr RES ps la ee pue des provisions journalières qui Aperçu des dépenses probables de la Nouvelle-Galles du Sud qui sont à la charge du trésor de la colonie, pour l'année 1833. SA LE GOUVERNEUR ET LES JUGES. k liv. st. schell. p- S. Exc. de gouverneur. .......4, 4.4. .. b,o00 0 0 Lograndigge:. 5.44. sa dseattoif FES 2,000 © 0 0 Re adjoints, 1,500 lié. chaque..... 3,000 0 10,000 O0 O0 ÉTABLISSEMENTS CIVILS. Fa 28 ÉTABLISSEMENT DE S. EXC. LE RE Secrétase:partiher. :4.15 4.25 un ét 300 0 0 Surintendant du domaine de Pam messa- gers, convicts employés sur les domaines du | seéRE ie: _... ss... CE) bai 7 1 Sir 7. ! NOTES. 493 wliv.st. schell. p, SECRÉTAIRE COLONIAL. Secrétaire colonial. ...:.....:....., 45-2000: 0. 0 Sous-secrétaire colonial... ........ sisi MS 0 DIRECTION DU GÉNIE. Inpaiienrediif..: à 6... ue 1,000 O0 0 Sous-ingénieur én Chef... {.........,%,... 090 00 Quatre ingénieurs et treize sous-ingénieurs. . -. 4,999 © o : Dessinateurs, commis, artistes, messagers , SUr- veïllants, rations de fourrage, vivres, habil- lements, instruments d'ingénieur, équipe- Ier, Ofcl. ..:....iû. 70 una seen: Ds ME à 11,886 12 1 # gi = RS PARTIE DES ROUTES, Six sous-ingénieurs , surintendant des ponts et 2:03 15 40 ES ; 59 10 1 + CONSEIL POUR LA DESTINATION DES CONVICTS. Deux membres à 100 liv. chaque. . .. PF. kr. 100 0 o n commis et messager... .......-."... 1617 18 9 + F 361 18 9 TRÉSOR COLONIAL. Fhigorier ........:66. 26e séesssese. 1,000 0° 0 _ oem et petites dépenses. ..... 299 12 6 494 NOTES. liv.st. schell. p. DOUANES. . 5 ou. 1,000 © O 4 æ & [ee] = | . an © (e) © © Douaniers, commis, gardiens, messagers..... 3,056 10 0 Patron et matelots d’un cotre de douanes et équi- DR Ra... ee 6 515 11 3 Location de l'hôtel des douanes, nourriture des 4 surveillants sur les bords de la#mer, habille- + ment de l'équipage du bateau et TRCSE des embarcations® .......... Re... 906 15 0 6,078 16 3 RECEVEUR DES DROITS RÉUNIS Micevenr,;,. A6, QPIMASSIR 1, SON Res 500 0 0 Commis , messagers, commission des crieurs pu- ° RM eu se nn ne cou. 7h1 195 0 PP “A7: de 1,241 15 0 ADMINISTRATION DES POSTES. È Directeur We.e die s-v-# 6 © 5 .6:8-6.h à » 2.6 e816 .. hoo oO 0 Commis, facteurs, trés ds dépiohel com- mission des facteurs adjoints. .:.:,:.4. 11,434 0 0 $ ; £ Æ ñ à en “66934 .0 0 INSPECTION DES DISTILLERIES Hal ion"... SAN ANRERE CE SE RRRS, RS. 300 © 0 Sous-inspecteur, loyer des bureaux... #...... 154 © 0 LE D 454, © 0 FA ” INSPECTION DES ABATTOIRS: Ce 4 Inspecteur, à Sidney... .... HEAR ES 160 © 0 or ARCHITECTE COLONIAL. Architecte colonial ne. SSSR ... 400 0,0 NOTES. 195 RAS: hoo oo portiers, rations de fourrage, vivres et habille: ; ment des convicts, instruments, ete....... 646 10 0 . INSPECTION DES MINES. Ingénieur des mines. nédnmene s capanhé vais: AE Commis, surveillants, vivres et habillement ds hommes employés aux aqueducs.......... 1,327 1379 CAPITAINE DE PORT. Capitaine et maître de port........... : 5005: 0 Phare, guetteurs de télégraphes, vivres et Frs billement de l équipage d’un bateau. .. - 400 0:20 | MusÉUM COLONIAL. WE D ue ruse snbieres à 130 © 0 Achat des échantillons. . ...... HE TTE ie “10 0 ne 200 © 0 2 x 2% BOTANISTE COLONIAL. Bolaniste en chef ss. 229020 0 Surinténdant , se agents, surveillants, vivres et habillement des convicts......... 536 1 3 NE. DA Dépense estimée de l'établissement civil, .... ÉTABLISSEMENT JUDICIAÏRE. COUR SUPRÊME ET PARQUET. Rare RE à À reporter....."1,200 © O0 496 NOTES. liv.st. schell. p. Fpbrt.:..... 1200 .0 0 Ve CE sou: ANNE ED:.-0 . Avocats de la couronne, un à 5oo livres st., RE ice res... - 800: : Greffier de la cour suprême. .............. 800 o À + Chef et cinq commis... .... en: << LÉO A Crieurs, sergents, huissiers, messagers, etc... 311 16 FE œ | œ © © Oo + 5,191 16 a COUR DES REQUÊTES. … Commissaire. .......... sas ettite.. O0 0 0 Grefliers, commis, sergents, as ea vor 1,758 0 o te 2,558 0 0 £ een COURS D'ASSISES. NE PR docs so rer diner ES Juge de paix, salaires et allocations. ....,... 315 10. 0 Allocations au président, crieurs, huissiers. .. 238 Oo 0 CO es "7: 12 100 nt SHÉRIF. Red ne de es à res 4000050 Sous-shérif, commis , sergents, frais de voyage. 966 18 9 ———— 1,966 18 9 POLICE. 11,187 19 7 nn NOTES. 497 hv.st, schell, p. CLERGÉ ÉPISCOPAL ET ENTRETIEN DES ÉCOLES. Le vénérable archidiacre . : .......,...:.2. me à o 0 Quinze chapelains, trois ess: commis, musiciens et bedeaux................ .. 5,516 ig 4 Allocations , loyer des presbytères.. ........, 2,841 5 .o M. Threlkeld, “or: à la civilisation des abo- x FRTINS = Ets Qub GA aaeile à Rs A Contrat es 2 chape : et éprtion du ï EE ul Rs à om éinsseis : OS 11,494 4 4 Maître d'école..,........ PACS 23 2 « Ci AMD: Ou Ü Loyer, fournitures, etc............ SET... 100 SS Construction de l'école à Paramatta. ........ 1,200 © © ÉCOLE PAROISSIALE. Salaires des maîtres et maîtresses, .......... 1,372 9 4 Allocations pour logements et un demi-penny par jour et par chaque enfant; réparations et cm moto mes sreocsc.. 059.13 _O 2,232 1.4 INSTITUTION DES ORPHELINS. Dis des files... vos... DU, 0 Entretien des troupeaux appartenant à l'institu- Tr ON EEE AE PT aies 100 à SA, PR ECO. : es ee ep eo 840 0 Oo HE. 32 198 NOTES. liv. st. schell, CLERGÉ PRESBYTÉRIEN, CATHOLIQUES ROMAINS ET. ÉCOLES. és Thomas Taber, précédent maître de l’école Ministre presbytérien ( éghse d'Écosse hs. 600 o o nes calicliques.-, 55e near 45o © o Écoles POOIONOUS. . 1545223732 NGNt ts 350 © o 1,400 0 o Dépenses présumées du clergé et des écoles.. 20,471 5 8 MILITAIRES. Rations de fourrage pue _ si du corps du gouverneur, 1ti d’'ar- tilerie AN Er VE CARRÉS ES NS. à: ss. 535 6. 3 Agent colonial à Londres {salaire }......... hoo o o PENSIONS PAYABLES A LONDRES. M°° Macquarie, veuve du gouverneur Macquarie. 400 ‘o 0 M°* Cobb , précédemment M” Bent, veuve du jngesayocat Dent. :.: 45.0, sus 200 O O0 M°* Lewin , veuve du procureur du roi Lewin.. 5o o o M°* Jamison , veuve du chirurgien Jamison. . . ho o o M°* Thompson , veuve du chirurgien Thompson. 30 o o M. John White, dernier chirurgien de la colonie . g1 D o 851 5 o PENSIONS PAYABLES DANS LA COLONIE. M°" King, veuve du gouverneur King... ... 200 O0 0 M°° S. Mileham, veuve du chirurgien Mileham. 100 0 0 M. Wm. Harper, précédent sous-ingénieur. . 109 10 © M. John Redman, précédent geôlier à ie 70 0.0 M. John Tucker, précédent commissaire garde- UPS CCR UN ST LPS RS 56° o 0 - M. John Gowen, précédent garde-magasin. ... 5o o 0 NOTES M. ie publique. ....:.........,,..4444.44.. M. John Pendergrass SES crieur de la ile. : 54 ds red Er MNT ÉTRS M Will VE 3 TR D | 1 SN 41 Dépenses présumées pour les pensions. ...... DIFFÉRENTS SERVICES. Pension à l'honorable Alexandre M'Leay, pour services rendus , d’après arrangement avec le US , Mé. SVP PI ENT INT TEL TL Le portier des bureaux dans la rue Macquarie, à Sidney,.............. ............ Allocations de 15 schellings par jour aux ofki- i lissant les fonctions de jurés. . . . La D me nd 1 Ve LR 1: e 1 FR J Frais de rosgé des témoins................ Allocations aux jurés. ...........:-...... Réparations extraordinaires des bâtiments du Fourniture de papier et de registres pour les dif- férentes administrations de la colonie. . .... Imprimés , gazettes et almanachs pour idem. . . Fournitures pour l'hôtel du gouvernement et les Bois à brûler et luminaire pour les bureaux. . Droits de réexportation payés par les douanes. . Somme payable au commissaire général pour les * dépenses de la police, conformément à un acte du conseil. ...................... Réverbères de Sidney, à 3 schel. chacun par nuit. L liv. st. schell. p 579 10 0 ho ::0: 0 12 © 0 13 13 9 655 3 9 1,466 8 9 790 © 0 29 00 660 ë Q © 00e 00 0e 700 O- 0 70 0 120 O O0 600 o o 6,600 œ 0 À reporter..:..,16,210 7 6 32. 500 NOTES. liv. si. schell, ; D E. . 16,210 7 Pour soutenir les missionnaires envoyés auprès des aborigènes par la Société des missions... 500 0 o Pour dons de provisions, d’habillement et de couvertures aux indigènes. ..........., s:" “800-7/05.0 Salaire du résident à la Nouvelle-Zélande. . ... 500 © o Dépense présumée pour la construction des ponts..... drain Lara ve ess na 238. BCE À Dépense présumée pour la construction d’un marché au blé et au foin à Sidney........ 713 i$, à Pour achever la digue à Newcastle. ..,..,.... 5oo 0 0 Pour se procurer des étalons de poids et me- MT ER nn D ETS e du à Log ed 0 254 10 o Pour les dépenses Lt La. RÉPONSE 2,000 © 0O Dé] [ 4 f P 1 HET EL n : .. 23,260 15 9 Total présumé des déboursés . . 110,252 ER le] Note 26, page 301. I n'y a jusqu'ici que deux points des côtes occidentales de la Nouvellé-Hollande qu'on ait reconnus propres à recevoir des co- lons européens, et tous deux sont occupés par les Anglais. Le premier, situé sous le 34° degré de latitude méridionale , fut ap- pelé la rivière des Cygnes (Swan-River) par l'amiral d’Entrecas- teaux, qui l'explora en 1 792, dans l'intention, probablement, d'en assurer la possession à la France. Mais celle-ci ayant oublié faire valoir ses droits, nos rivaux profitèrent de notre négligence, et, trente-deux années plus tard, un capitaine de la marine bri- lannique , qui fit de Swan-River une pompeuse description à son gouvernement, obtint facilement les moyens nécessaires pour ÿ fonder une colonie dont il fut nommé gouverneur. Grâce à la fièvre d'émigration qui agitait si fort, en 1823, la population d'Angleterre , les colons affluèrent au nouvel établis- € NOTES. 501 sement, croyant y faire une fortune rapide ; mais ils furent cruel- lement désappointés : au lieu du climat doux et sain, des terres fertiles et bien arrosées qu'on leur avait promis, ils ne trouvèrent qu’un sol sablonneux et battu par les terribles vents d'O. I exis- tait bien , prétendait-on , de l’autre côté des montagnes qui bor- dent la côte de la Nouvelle-Hollande dans cette partie, de belles plaines couvertes de forêts et de superbes pâturages; mais, pour y parvenir, il fallait franchir des passages difhiciles et s’exposer aux attaques de sauvages rusés, méchants et nombreux. Plus avait été grand l'engouement des colons, plus leur décou- ragement fut profond quand ils virent toutes leurs espérances déçues ; aussi, malgré les eflorts de leur gouverneur, beaucoup d’entre eux se retirèrent à Sidney ou à Hobart-Town, dont les négociants, peu satisfaits de leurs spéculations avec le nouvel éta- blissement , achevèrent de les décourager en leur persuadant que dans la supposition même où ils parviendraient à fertiliser le ter- ritoire de Swan-River, les coups de vent détruiraient toujours les récoltes, que la mauvaise qualité des pâturages engendrerait des maladies mortelles parmi les bestiaux, enfin que les cultivateurs eux-mêmes ne pourraient résister aux brusques variations de l'atmosphère, conséquence naturelle du voisinage d'un Océan sans cesse tourmenté par des ouragans. Les résultats ont confirmé ces prédictions. La colonie s'est obs- tinée à cultiver la rivière des Cygnes; mais l'inégalité du climat y empêche souvent les moissons de parvenir à leur maturité, et engendre des épidémies qui déciment les hommes et les animaux. À ces inconvénients il faut en ajouter un autre qui ne paraîtra pas moins fâcheux : c'est que la rade n'étant abritée des lames et des vents du large que par une petite île, n'offre presque aucun abri aux gros bâtiments. D'un autre côté, les partisans de la co- lonie assurent que la plupart des obstacles qui s'opposent à sa prospérité, disparaîtront quand les habitants auront mis entre eux et la mer les montagnes dont j'ai parlé. Au milieu de tant d'opi- nions différentes , il est d'autant moins facile de découvrir la vé- rité, que les colons de la rivière des Cygnes, aussi bien que ceux 502 NOTES. de l'Australie et de Van-Diémen, cherchent également à la ca- cher, les uns par intérêt local ; et les autres parce qu'ils prévoient que si les établissements situés sur les côtes occidentales de la Nouvelle - Hollande prennent de l'importance, ils attireront, en raison de leur position, les navires destinés pour Sidney ou Ho- bart-Town, et causeront par conséquent un très-grand dommage au commerce de ces deux ports. s L'autre point dont je voulais parler, est la baie du Roi-George, regardée à son tour, dans ce moment, comme un Eldorado par les émigrants anglais, et qui probablement aura le même sort que la rivière des Cygnes ; car, à céla près d’une bonne rade, elle n'offre guère plus d'avantages sous le rapport du climat et de la qualité des terres. Cependant la cour de Londres vient d'y former, à grands frais, une colonie entièrement composée d'hommes libres, et orga- nisée, dit-on, d'après un nouveau plan. Cet essai occupait vive- ment les habitants de Sidney et d'Hobart-Town lors de mon pas- sage dans ces deux villes , et l'on doutait fort qu'il réussit. Quels que soient, du reste, ses résultats, ce qu'il y a de positif, c'est que la Grande-Bretagne tient à présent en sa puissance tous les points abordables de la Nouvelle-Hollande, et qu'il n'en reste pas un pour la France, dont pourtant les navigateurs ont fait en grande partie l'exploration de ce continent. Note 27, page 304. Pendant notre relâche au Port-Jackson , une corvette anglaise, la Comète , et trois gros bâtiments marchands, partirent ensemble pour Madras. L'intention de leurs capitaines était de passer par le détroit de Torrès , que les marins qui font les voyages de Sidney à Calcutta, considèrent comme la voie la moins difficile pour aller dans l'Inde, depuis mai jusqu'en septembre , époque la plus favo- rable de l’année; mais, soit que da saison fût trop avancée, soit que les navires n’eussent pas les qualités nécessaires pour navi- guer au milieu des récifs et des bancs de corail, nous vimes au bout dé quelques semaines le convoi revenir en assez mauvais état. H avait rencontré des vents de N. E. si forts et si constants, NOTES. 505 que, ne pouvant leur résister, il avait dû changer de route et prendre le détroit de Bass pour se rendre à sa destination. Le capitaine de la corvette ne se dissimulait pas que le trajet autour de la partie méridionale de la Nouvelle-Hollande serait dangereux et très-pénible ; mais il espérait trouver sous la côte de ce continent de petites brises de terre qui l'aideraient à remonter jusqu’au cap Leuwin, d'où il comptait ensuite atteindre facile- ment, malgré les brises d'O., les vents généraux de S. E. Note 28, page 310. Pendant mon séjour à Sidney, tous les habitants que je consultai m’assurèrent que nos vins et nos eaux-de-vie pouvaient y entrer li- brement, en payant un droit de 15 p. 0/0; mais depuis mon retour en France, j'ai entendu plusieurs personnes, se disant parfaitement informées, afhrmer qu'ils n'y étaient pas reçus. C'est ce dernier avis que j'ai adopté dans le cours de mon ouvrage. Cependant , ayant pris des renseignements auprès d'un négociant de Londres, qui est en relation de commerce avec la Nouvelle-Galles du Sud, j'en ai reçu une réponse entièrement conforme à ce que j'ai en- tendu dire sur les lieux. Je la transcris ici, comme un document puisé à une source certaine et qui pourra être utile à nos armaleurs. Londres, 21 mars 1834. « Mon cher monsieur, « J'ai reçu votre lettre il y a trois jours, et ayant rencontré un gentleman arrivé dernièrement de Sidney, je suis parfaitement en mesure de vous fournir les renseignements que vous me deman- dez. 1 m'a dit qu'un droit de 5 p. 0/0 est prélevé en Australie sur toutes les marchandises de manufactures anglaises sans distinc- tion , et un autre de 15 p- o/o sur celles provenant des autres pays. H faut ajouter à ce dernier droit 3 p. o/o pour frais d'amarrage au quai et d'emballage, quelle que soit la force du bâtiment. Là se bornéntles droits sur les importations sous pavillon étranger. Les vins et lés‘eaux-de:vie de France ne sont pas prohibés ; et quant à 4 » ACS HIŒFREITC a) Le Port. lhaekson es : 504 NOTES. un seul (un américain), a-t-il ajouté, vient à Sidney, où on le traite comme anglais ; mais ce même gentleman m’a assuré que récemment, d'après une décision du bureau des colonies à Lon- dres, on avait considérablement augmenté les droits sur les car- gaisons de bâtiments étrangers. » Quelque concluante que soit cette réponse, je pense cependant que ceux de nos armateurs qui voudront profiter des avantages notables que leur offre le commerce avec l'Australie, feront bien de prendre de plus amples renseignements; parce qu'il se pourrait que , dans le but de favoriser les distilleries de grain et d’entraver l'introduction des liqueurs fortes dans la colonie, on eût frappé les vins et les eaux-de-vie de France d’un droit excédant 15 p. 0/0. Mais nos armateurs, je le répète , ne sauraient trop tôt entamer des relations commerciales avec la Nouvelle-Galles du Sud et Van- Diémen. Ils sont certains d'y faire des bénéfices considérables, s'ils y portent des marchandises de bonne qualité; ils devront plutôt regarder au choix qu’au bas prix des objets dont ils composeront leurs cargaisons , qui d’ailleurs se vendront d'autant plus promp- tement qu'elles seront plus variées. H est nécessaire pourtant que notre gouvernement vienne à leur secours, non-seulement en facilitant l'importation en France des principales productions de l'Australie, mais encore en obtenant de la cour de Londres l'ad- mission dans les ports de la Nouvelle-Galles du Sud, et à des con- ditions moins défavorables que par le passé, des produits de notre sol et de nos manufactures. Note 29, page 317. Comme je me flatte que nos bâtiments de commerce finiront par fréquenter Sidney, je ne crois pas inutile d'engager ici les capi- taines à prendre garde, quand ils y seront, qu'aucun individu ap- partenant à la classe des convicts ne se cache à leur bord au mo- ment de l’appareillage; car si cela leur arrivait , et que le fugitif fût découvert, non-seulement ils payeraient une amende consi- dérable et leur départ serait beaucoup retardé, mais encore ils NOTES. 505 courraient le risque d'essuyer d’autres désagréments quand ils reviendraient en Australie. Les agents de police exercent au Port- Jackson une surveillance très-active sur les navires, dans le but d'empêcher l'évasion des condamnés ; et, sous ce rapport, ils sont tellement soutenus par l'opinion publique, qu'un capitaine soup- conné seulement d’avoir favorisé la fuite d’un convict est tout à fait perdu de réputation dans la colonie et devient pour les auto- rités un objet de défiance et d'aversion. Note 30, page 335. Je mettrai ici sous les yeux des lecteurs quelques-uns des règle- ments que l'administration de Sidney a faits dernièrement en fa- veur des convicts. On y trouvera la preuve que je ne suis pas tombé dans l'exagération quand j'ai détaillé les soins que le gou- vernement anglais prend des déportés à la Nouvelle-Galles du Sud, et quand j'ai parlé de sa propension à diminuer ses dépenses au détriment des colons. BUREAU DU SECRÉTAIRE GOLONIAL. Sidney, 29 juim 1831, «Leg tayant pri idération l'énorme dépense où äl est entraîné, soit par l'entretien et le traitement des convicts malades, envoyés par les habitants aux hôpitaux de la colonie, soit par le gardiennage considérable qu'exigent les voyages conti- nuels des domestiques qui sont renvoyés de Sidney dans les can- tons de l'intérieur où résident leurs maîtres, ou rendus par ceux-ci à l'état comme mauvais sujets, à fait les règlements ci- dessous ; afin d’obvier à ces graves inconvénients. «Le maître donnera un schelling par jour pour son domestique soigné à l'hôpital; mais si la maladie se prolonge au delà d’un mois, il ne sera pas obligé de payer le surplus. « Les personnes qui enverront leurs domestiques aux hôpitaux , désigneront un agent sur les lieux pour les recevoir à l'époque de leur rétablissement; et dans le cas où cette formalité ne serait pas 506 NOTES. remplie, on assignera aux domestique autre destination , afin de ne pas laisser les hôpitaux s'encombrer d'hommes bien por- tants. «Tout potins qui aura obtenu des convicts, devra les faire réclamer à Sidney ou dans les autres lieux où ils sont rassemblés. S'il ne les demande pas, ils seront donnés à d’autres habitants ; et pour empêcher le retour d’un pareil désordre, le maître ainsi pris en défaut ne sera plus admis à faire valoir ses titres dans les répartitions des condamnés. « L'administration, ven made ce dernier cas extrêmement rare, a décidé 1 tloin du chef-lieu, etqui auront demandé des conxisis; devront désigner, pour les recevoir au mo- ment de leur destination, un fondé de pouvoir dont le nom et la demeure seront spécifiés sur la demande. « Cotnme tous les déportés reçoivent, immédiatement après leur arrivée d'Angleterre, un trousseau complet de hardes neuves, et qu'il est juste que le particulier , ayant le bénéfice du travail d’un convict, pourvoie à son entretien, les fondés de pouvoir payeront: 20 schellings pour ces hardes, au moment où les hommes leur seront remis. Le gouvernement a, de plus, jugé nécessaire de faire les règlements suivants, dans le but non-seulement de protéger contes les plaintes des gens malintentionnés ou mécontents les qui traitent généreusement leurs domestiques, mais encore ps d'assurer à ceux-ci une quantité convenable de nour- riture et de hardes. RATIONS. « Les rations de la semaine seront à l'avenir composées ainsi qu'il suit : « Douze livres de blé ou ui livres de farine de seconde qua- lité ; ou bien encore, suivant la volonté du maître, trois livres el demie de farine de maïs , plus neuf livres de blé qui peuvent être changées contre sept livres de farine de seconde qualité. « Sept livres de viande, soit de bœuf, soit de mouton, ou quatre livres de porc salé, deux onces de sel et deux onces de savon. + NOTES: 507 « Tous les articles que le maître fournira en sus des précédents devront être considérés comme une gratification "28 Eaé repas sg 2" illej aise convenable. HABILLEMENT. « L'habillement auquel Le convicts auront droit chaque nenée est ainsi déterminé : « Deux vareuses ouvertes, « Trois chemises de forte toile de coton ou de lin, « Deux paires de pantalons, « Trois paires de souliers de bon cuir, « Un chapeau ou un bonnet. « Ces hardes seront distribuées aux époques ci-après Fee Au 1°” mai de chaque année. « Une veste d’étoffe de laine, «Un pantalon idem, « Une paire de souliers, « Un bonnet ou chapeau. Au 1° août, « Une chemise, « Une paire de souliers. Au 1° novembre, « Une capote courte de laine, »Une paire de caleçons idem , « Une chemise, « Une paire de souliers. « Chaque homme aura au moins une bonne couverture, avec une paillasse ou un matelas de laine , qui seront considérés comme la propriété du maître. « Dans le cas où un convict, ayant reçu une destination, aurait été habillé par le gouvernement durant les deux mois qui pré- cèdent la distribution d'eflets au 1° mars, il ne lui en sera pas se. 0 gs pie au 1* août, et alors il ne re- 4, À ceyra que les hardes s} époque. D'après la même L] 908 NOTES. . mesure , le maître d'un domestique qui aurait été habillé par le gouvernement, en septembre ou octobre, ne devra lui délivrer, au 1° février suivant, qu’une chemise et une paire de souliers ; mais , passé ces dates, les différents objets énumérés dans le pré- sent règlement seront délivrés aux époques prescrites. « Les personnes qui ne se conformeront pas à ce règlement, basé sur les principes de la justice et de l'équité, n'auront plus de droits à la faveur d'obtenir des convicts du gouvernement. » Note 31, page 347. J'aurais d'autant plus désiré de faire entrer ici le dernier rapport de sir John Jamison à la Société d'agriculture australienne, dont il est président, que ce rapport, rempli de vues très - profondes, donne une haute mé des connaissances de l’auteur et de l'état PR RE à , " ” CHR LÉ LAILN ER PU à | s du Sud; mais il était trop étendu pour trouver place dans les notes de cet ouvrage : je me suis donc borné à y puiser une grande partie des renseignements dont je me suis servi pour traiter la partie agricole dans le tableau que j'ai tracé de l'Australie. : Note 32, page 367. On ne trouve à Sidney, non plus que dans les grandes villes d'An- gleterre , aucune de ces associations de charité, si communes chez nous et dont les membres, appartenant pour la plupart aux som- mités ne la ee Les avec un berge un zèle admirables, des consolations jusque dans lé greniers ; mais en sed il y a dans la capitale de l'Aus- tralie, comme à Londres, force sociétés pour la propagation des . idées religieuses et des livres saints. Cependant il existe à Sidney plusieurs institutions qui font honneur aux sentiments philanthro- piques des principaux habitants. Je citerai entre autres les caisses d'épargne , et une société dont le but est de diriger les premiers pas des gens pauvres, et principalement des anciens militaires qui ‘ NOTES. 509 viennent d’ id'Européà la Nouvelle-Galles du Sud. Elle leur indique la marche à suivre pour trouver du travail s'ils sont artisans , ou une place auprès de quelque riche propriétaire s'ils sont laboureurs ; et dans tous les cas, elle veille à ce qu'ils ne soient point dépouillés de leur petit avoir par les fripons dont fourmille la colonie. De son côté, l'administration montre une grande sollicitude pour l’amé- lioration des mœurs et l'instruction des basses classes. Elle a formé des écoles primaires dans tous les cantons, et elle entretient à ses frais des espèces de pensionnats où sont élevés , loin de leurs parents, un assez grand nombre d'enfants de convicts ou d'éman- cipés. Les garçons, parvenus à un âge fixé par les règlements, exercent en ville, sous le patronage de l'établissement, le métier qu'ils ont appris; et les filles entrent comme domestiques chez les habitants, ou bien reçoivent une dot en terre et en bestiaux, pour se marier avec des hommes de leur classe. Cette sage institution était bien nécessaire dans un pays où les femmes du peuple n’ont aucune moralité et ne peuvent par con- séquent donner que de fort mauvais principes aux enfants des maîtres qu'elles servent; aussi eut-elle, si l'on s'en rapporte à la brillante description qu’en trace Péron, de grands succès dans les premières années de sa fondation; mais il faut croire qu'elle a perdu de son influence à mesure que la population s'est accrue ; car aujourd’hui, quoique les pensionnats subsistent toujours, la vertu ne paraît pas avoir fait beaucoup de prosélytes parmi les des- cendants, mâles ou femelles, des convicts. Ce qui semblerait con- firmer ce que j'avance, c'est la mesure prise depuis peu par le gouvernement britannique d'envoyer à Sidney des jeunes filles recrutées dans les mauvais lieux des trois royaumes, dans l'espoir peut-être que Es ae LrRREe sous is ciel de l'Australie, elles mentle goût du vice l'a emportéchez elles sur les plus belles résolu- tions, et les nouvelles débarquées mêlées avec leurs devancières, composent un amalgame qui n'a rien d'édifiant pour les mœurs. 910 NOTES. Note 33, page 378. Malgré les nombreuses distractions qui signalèrent tous les mo- ments de notre relâche à Sidney, j'eus pourtant assez de loisir pour y former des liaisons d'amitié, dont le souvenir embellit encore celui que j'ai conservé de cette belle colonie. Que de témoignages particuliers de bienveillance n’ai-je pas reçus Li promis Re tionnaires de l’état, ainsi que des ! Avec quel plaisir je me sonxiendiai joulüues du Dnmstes et de la bonne et aimable madame Darling; du colonel Lindezay et des officiers de la garnison; de M. M Leay, secrétaire général, dont la charmante famille me comblait chaque jour de nouvelles at- tentions ; de M. Redley, commissaire général, sous le toit hospi- talier duquel j'ai passé de si doux moments; de MM. Kinchela et Manning, chez qui nous trouvions toujours une si affectueuse ré- ception; et du major Mitchell, ingénieur en chef des ponts et chaussées, dont j'ai reçu tant de preuves d'amitié! Que ne dois- je pas encore à MM. John Jamison, Blaxland et Richard Jones! Puissent-ils lire un jour ces lignes où je consigne l'expression de ma reconnaissance pour eux et pour tous les habitants qui nous ont si généreusement accueillis! FIN DU TOME TROISIÈME. CHAPITRE XVI. CHAPITRE XVI. CHAPITRE XVHI. CHAPITRE XIX. CHAPITRE xx. TABLE. Java. Mœurs et cout des habitants. Considé- rations générales sur la puissance des Hollan- dais, et sur leur commerce dans ces mers... Départ de Sourabaya. Voyage à Soumanap. Des cription de la partie orientale de Java et des îles qui l’environnent. Traversée ; jusqu’à la terre de Diémen. Épidémie à bord. Arrivée à Ho- Condétetons énbislce sur le système de pe nisation libre ou pénitentiaire suivi par les Anglais, et sur son applaten aux besoins dé la France. Description des 6 tanniques sur la terre de Diémen. Départ d'Hobart Town. Arrivée à Sidney, cheflieu de it la Nouvelle-Galles du Sud..:............ 14 Aperçu de la Nouvelle-Hollande et des vendée : sauvages qui l'habitent. Quelques détails sur les commencements et l'état présent de la co- lonie fondée par les Anglais dans 1æ Te #rientale de ce éonunent cs des 5 200 ed RE