NOUVELLES ARCHIVES

DU MUSEUM

D'HISTOIRE NATURELLE

wii.

Cette nouvelle série des Archives du Muséum, qui a commencé en 1865, se compose, chaque année, de :

Un RECUEIL DE MÉMOIRES inédits;

Un BULLETIN, contenant des Descriptions d'espèces nou- velles ou imparfaitement connues, des Rapports sur l’ac- croissement des collections du Muséum, des extraits de la Correspondance des voyageurs de cet établissement, et d’autres pièces analogues.

Ces deux parties ne peuvent se diviser ni faire l’objet d’abonne- ments séparés.

Chaque publication annuelle se compose de 40 à 50 feuilles d’im- pression sur format in-4° grand raisin, et de-22 à 30 planches dans ce même format, les unes noires, les autres coloriées, selon la nature du sujet.

La publication se fait en quatre fascicules par an, devant former ensemble un très-gros volume in-4°, accompagné de nombreuses planches.

Prix de l’abonnement annuel. . . , . . . . . .. 50 fr. Prix des quatre fascicules de l’année, pris après leur entière publication, sans abonnement. . 55 fr.

On ne reçoit d'abonnements que pour un an,

Les abonnements, payables d'avance, doivent être exclusivement adressés à la librairie Théodore Morçaxb, rue Bonaparte. 5, à Paris.

PARIS. J. CLAYE, IMPRIMEUR, 7, RUE SAINT-BENOIT, [1755]

on.

NOUVELLES ARCHIVES

DU MUSEUM

D'HISTOIRE NATURELLE DE PARIS

PUBLIÉES

PAR MM. LES PROFESSEURS-ADMINISTRATEURS

DE CET ÉTABLISSEMENT

_——— - OX PRÉ > TOME HUITIÈME

FX

ÉDITÉ PAR L. GUÉRIN ET Cie DÉPOT ET VENTE A La

LIBRAIRIE THÉODORE MORGAND, 5, RUE BONAPARTE, À PARIS

1872

NOMS

DE

MM. LES PROFESSEURS-ADMINISTRATEURS

DU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE

PAR ORDRE D'ANCIENNETÉ.

CAEVREUL...... pures Professeur de Chimie appliquée aux corps organiques. 1830.

BRONGNIART ,...., ve. Id. de Botanique, 1833.

BECQUEREL........... Id. de Physique appliquée. 1838.

Mine Enwanps,.,... Id. de Zoologie {Mamm. et Oiseaux); chargé de la Direction de la Ménagerie. 1841,

DECAISNE........... Id, de Culture. 1850.

PRMMT 6, Re Id de Chimie appliquée aux corps inorganiques. 4850.

DE QUATREFAGES...... d'Anthropologie. 1855.

PT SET PE ee” Id de Physique végétale, 1857.

DALANONSE....,.-.:.; Id de Minéralogie. 1857.

DRE. ir... Id de Géologie. 1864.

BLANOHARD.....,..... Id, de Zoologie (Insectes et Crustacés). 1862.

PAUL GERVAIS ........ Id. d’Anatomie comparée. 1868.

BerxarD (Claude)..., Id.

PROMANES ue. nes Id. GAUDRF...…. . Eee Id.

de Physiologie générale. 1868. de Zoologie ! Moll. Annél. et Zooph.}. 1869. de Paléontologie. 41872.

RECHERCHES

POUR SERVIR A L’HISTOIRE

DES

LOMBRICIENS TERRESTRES

EDMOND PERRIER

AIDE =NATURALISTE AU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, MAITRE DE CONFÉRENCES

A L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE

De tous les animaux, les Lombriciens ou Vers de terre sont peut- être ceux qu'on a le moins étudiés.

I n'ya pas vingt ans qu'on a acquis les premières notions pré- cises sur nos Lombrics indigènes, et, malgré les travaux publiés jus- qu’à ce jour, Claparède pouvait encore écrire, il y a deux ans, sur le Lombric terrestre, un volumineux mémoire qui est loin d’avoir épuisé l'histoire anatomique de cet animal.

Si nos Lombries indigènes ont tardé si longtemps à être connus, c’est bien pis encore pour les Lombrics exotiques. À peine en a-t-on signalé quelques espèces par des descriptions rapides, à peu près uniquement remplies par la liste des caractères extérieurs.

C'est dire qne toute une classe d'animaux, aussi distincte de ses

6 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

voisines que les oiseaux peuvent l'être des mammifères, ne nous est encore connue que par quelques-uns de ses types. C'est ce qui nous a engagé à étudier avec soin la collection des Lombriciens du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Monsieur le professeur Deshayes a bien voulu nous autoriser à faire sur les échantillons de la collection toutes les opérations qui nous paraîtraient nécessaires à leur étude; nous l'en remercions ici. Nous avons, en conséquence, ouvert un certain nombre de doubles et même quelques individus uniques, en prenant soin néanmoins qu'ils ne fussent, après cette opération, en aucune façon détériorés et puissent reprendre dans la liqueur la forme qu'ils avaient avant.

Ce genre de recherches a limiter beaucoup l'étendue de nos études sur chaque animal. Bien des questions délicates ont être réservées; néanmoins nous en avons vu assez pour nous assurer que sous une apparence extérieure des plus uniformes, les Lombrics devaient présenter une variété de types presque aussi grande que celle qu'on observe chez les véritables annélides, variété qu'il était impossible de soupçonner à l'avance.

Notre travail se composera de trois parties.

Dans la première nous ferons un historique rapide des travaux publiés jusqu'à ce jour sur les Lombrics, et nous préciserons autant que possible les problèmes que pouvait soulever l'étude de ce groupe.

La seconde partie sera consacrée à l'étude particulière de chacun des types que nous avons eus à notre disposition.

Enfin, dans la troisième partie, nous exposerons les résultats généraux qui paraissent se dégager de notre travail.

LOMBRICIENS TERRESTRES,

PREMIÈRE PARTIE.

HISTORIQUE. GÉNÉRALITÉS.

Nous ne nous arrêterons pas ici sur les premières phases de l'histoire des Lombriciens.

Linné les confondait avec tout ce qui était mou dans sa grande classe des Vers. Cuvier, les réunissant aux sangsues, en faisait l’ordre des Abranches de sa classe des Annélides; dans cet ordre. les Lom- brics étaient néanmoins séparés des sangsues à cause de la présence de soies locomotrices sur leurs téguments. Ils formaient pour la première fois une famille naturelle, celle des Annélides abranches sétigères.

Telle était encore, en 1830, la manière de voir de Cuvier rela- tivement aux Lombriciens.

C'était un progrès sur Lamarck qui, tout en plaçant dans un ordre particulier les Sangsues et les Lombrics, unissait à ces derniers un certain nombre d'animaux appartenant à un tout autre groupe. Dans la classification de Lamarck, les Lombriciens vrais ne forment qu'un seul genre de la famille des Annélides apodes échiurées.

En 1820, dans son système des Annélides, Savigny réunit aussi dans un même ordre les Lombrices et les Échiures, qui sont maintenant des Géphyriens; mais il forme pour les Sangsues un ordre particulier. celui des Hirudinées. D'ailleurs, dans son ordre des Lombriciens. Savigny fait deux familles : Fune pour les Lombriciens vrais, l'autre pour les Échiures et les animaux analogues, qu'à l’exemple de Lamarck, il rapproche des Lombrics. Savigny est le premier qui ait indiqué quelques divisions dans le genre Lombric. Il sépara, sous le

nom d’Hypogéons, des Lombrics qui avaient une rangée de soies dor-

(] NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. sales, de même qu'il créa le genre Clitellio pour des vers qui se rap- prochent de nos Naïs.

De Blainville, en 4828, donna dans le Dictionnaire des Sciences naturelles une classification des Vers dans laquelle les Lombrics, consi- dérés comme famille distincte, concourent, avec la plupart des Anné- lides errantes, à former l’ordre des Entomozoaires Chétopodes homo- criciens.

En 4838, M. Milne Edwards réunissait encore aux Lombriciens, pour former la famille des Annélides mésobranches terricoles, les Thalassémiens qui sont, comme nous l'avons dit plus haut, des Géphy- riens, et les Clyméniens qui sont de véritables Annélides. Plus tard, en 1841, il adopte purement et simplement, en changeant un peu les noms, le groupement de Savigny.

Ce n’est qu’en 1845, dans une publication de Johnston ‘, que les Lombriciens apparaissent formant un ordre spécial. Grube a adopté cette manière de voir dans son ouvrage intitulé die Familien der Anne- liden; il fait avec les Lombriciens l’ordre des Annélides oligochètes et divise cet ordre en deux familles : Lumbricina, Naïdea. Ce nom d'Anné- lides oligochètes a été adopté par Claparède dans Les nombreux travaux qu'il a publiés sur ce sujet. Au contraire, d'Udekem a conservé le nom de Lombriciens, qu'avait créé Savigny et que nous n'avons aucune raison de rejeter.

Nous arrivons à l'opinion de l’auteur français qui s’est le plus occupé des Annélides, M. de Quatrefages.

M. de Quatrefages limite tout autrement que ses devanciers la classe des Annélides ; il réserve ce nom aux Vers diviques, à corps com- posé d'anneaux portant des pieds en forme de mamelon et armés de soies eæsertiles et rétractiles.

_ Dans ce système, les Géphyriens, les Lombriciens et les Hirudi-

4. Annals of Natural History, t. XVL. 1845.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 9

nées forment autant de classes distinctes ayant une valeur équivalente à celle des Annélides proprement dites. Cette manière de voir parait la plus naturelle. Le mode d'existence des Lombriciens, l'absence chez eux de métamorphoses, la disposition tout autre de leur appareil locomoteur, l'absence constante d'appareils respiratoires comparables aux branchies des Annélides, l'hermaphroditisme à peu près général de toutes les espèces sont autant de caractères dont la valeur est certainement supérieure à celle des caractères qui séparent, par exemple, les Coléoptères des Orthoptères dans la classe des Insectes. Les Lombriciens, tels que les comprennent tous les naturalistes aujourd'hui, sont tout aussi différents des véritables Annélides que les Arachnides le sont des Insectes et des Crustacés. Si l’on adopte le nom de classes pour les groupes d’articulés dont nous venons de par- ler, il faut l’adopter aussi pour le groupe des Annélides, comme l’en- tend M. de Quatrefages, pour ceux des Lombriciens et des Hirudinées. Une certaine similitude trompeuse dans la forme extérieure ne peut être un argument suffisant contre cette manière de voir; aussi devons- nous nous étonner de cette rubrique : ORDRE DES ANNÉLIDES LOM- BRICINES, que M. Léon Vaillant a placée en tête de son tableau de la classification de ces animaux’, tableau qui n’est pour ainsi dire que le prologue d'un ouvrage devant compléter les trois volumes que M. de Quatrefages a publiés sur les Annélides, dans les Suites à Buffon de Roret.

Les Lombriciens étant admis comme classe distincte, nous devons maintenant faire connaître les principaux travaux dont ils ont été l’objet.

Les premiers mémoires anatomiques traitant spécialement des

1. Annales des Sciences naturelles, série, t. X. VIII. 2

10 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Lombriés sont ceux de Montègre, Leo ? et Morren*. 1ls traitent du Lombrie comme l'ouvrage de Strauss traîté du hanneton. Les prinei- paux organes y sont décrits, mais avec de nombreusés erreurs; ainsi Montègre croyait les Lombriés vivipares, Leo prénd les testicules pour les ovairés et les vésiculés séminalés ou poches copulatrices pour des testicules. Néanmoins il donne aux canaux déférents qu’il a le pre- mier signalés, leur véritable signification. Morren commet les mêmes fautes, sans parler des canaux déférents. "

En 1828, Dugès publie dans les Annales des Sciences naturelles un travaiF intitulé: Recherches sur la circulation, la respirahion et la repro- duction des Annélides abranches. Dans ce travail, Dugès décrit six espéces de Lombries sur lesquelles ses observations ont porté ; sa description de l'apparéil circulatoire est assez exacte ; il en est de même, au point de vue anatomique pur, de sa description des appareils génitaux; seu lement ses déterminations physiologiques sont fautives ; il prend, ui aussi, les testicules pour des ovaires, les vésicules séminales pour des testicules; mais il décrit et figure’ surtout fort bien les canaux déférents qu’il prend pour des oviductés. On retrouvé dans sa figuré les pavillons vibratiles terminaux de ces canaux; mais dans le texte il donne ées pavillons comme constitués par'le pelotonnement des ovi- ductes.

L'erreur dans laquelle sont tombés presque tous les auteurs rela- tivement aux testicules s'explique par la quantité considérable de grégarines à tous les degrés de développement que renferment ces organes. Ces grégarines, lorsqu'elles sont à l’état de psorospermies ou de pseudo-navicules, ont effectivement la forme de pétits œufs et, chose remarquablé, j'ai trouvé des organismes en’ tout semblables dans les testicules d’un Perichæta venant de Calcutta et dans ceux! du

1. Mémoires du Muséum d’'Hist. nat. cahier, 4815. 2. Diss. inaug. de structura Lumbrici terrestris, 1820. 3. Lumbrici terrestris historia naturalis nee non analome, 18922,

LOMBRICIENS TERRESTRES. 41

Ver des Antilles que j'ai désigné sous le nom de £udrilus decipiens. 11 semble donc que ces grégarines soient un parasite constant du testi- cule des Lombriciens terrestres,

Henle, le premier, décrivit exactément contenu des testicules‘. Stein ? leur attribua leur véritable signification ; mais #eckel *, prenant un terme moyen, vit, dans les véritables testicules, des ovaires et des testicules accolés, et Von Siebold* émit l'idée que chéz les Lombriés le testicule et l'ovaire étaient invaginés l’un dans Fautre. Pour Steenstrup, les glandes en question sont, chez: cértains Vers, dés tes- ticules, et, chez d’autres, des ovaires.

{On voit par ces citations combien cette question est demeurée longtemps embrouillée. Par la découverte des véritables ovaires, Jules d'Udekem détermina enfin le véritable rôle de chaque partie ; äl montra que les glandes controversées étaient purement et simplement des testicules, que leur produit se déversait à l'extérieur par une paire de canaux s’ouvrant très en ayant de la ceinture etse terminant &ha- cun par deux pavillons vibratiles, englobés dans l'enveloppe membra- neuse des testicules. Quant aux ovaires, il les trouva vers le treizième anneau, de chaque côté de la chaîne ventrale; mais ne put voir comment ils communiquaient avec l'extérieur. On reproche à d'Udekem d'avoir attribué à de petits corps placés auprès des poches copula- trices le rôle de glandes capsulogènes, d'avoir considéré même quelquefois comme telles de véritables poches copulatrices. Ce reproche est fondé; néanmoins, le mode de sécrétion de la capsule qui enveloppe les œufs est encore à trouver, et il n’est pas démontré le moins du monde que ce soit la ceinture qui effectue cette sécrétion comme le veulent quelques auteurs.

1. Müller’'s Archiv., 1835. Uber die Gattung Branchiobdella und über die Deutung der inneren Geschlechtsglider der Anneliden.

2. Müller's Archiv., 1842.

3. Müller’s Archiv., 1844.

4. Manuel d'anatomie comparée. (Trad. franç., pag. 227.) ;

12 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Le travail de d’Udekem, couronné par l’Académie de Belgique en 1853, n'avait pas encore épuisé la question. En 1857, un étudiant en médecine de Leipzig, Ewald Hering, publia dans le Zeïtschrift für wissenschaftliche Zoologie de von Siebold et Külliker, un remarquable tra- vail qui complète les résultats de d’'Udekem. Hering a démontré que les ovaires étaient greffés sur les téguments et ne s’ouvraient pas directement à l'extérieur. Les œufs, à leur maturité, tombent dans la cavité générale du corps; ils sont alors recueillis par des pavillons vibratiles à pédoncule très-court, logés, pour le Lumbricus terrestris, dans le quatorzième anneau du corps et qui, eux, s'ouvrent à l'extérieur.

Hering étudia en même temps avec soin l’accouplement des Lom- brics, confirma quelques-uns des faits trouvés par ses prédécesseurs, et signala le premier une paire de soies, plus grosses que les autres. situées au quinzième segment, au point même s'ouvrent les canaux déférents. Nous retrouverons des soies analogues chez d’autres espèces; elles jouent dans le phénomène de l'accouplement un rôle variable, mais d’une importance probablement assez grande. Hering démontra enfin que la.semence n’est pas déposée directement dans les poches copulatrices; mais qu’elle est éjaculée dans une sorte de gouttière temporaire formée par les téguments pendant l’accouple- ment et qui va de la ceinture aux orifices des poches copulatrices. La semence chemine dans cette gouttière par l'effet de contractions rhythmiques exécutées par les parois du corps. Ce fait, vrai pour les Lombrics de notre pays, ne l’est sans doute pas pour ceux des Lom- briciens exotiques que nous trouverons pourvus d’un appareil copu- lateur bien développé.

Les découvertes de d’'Udekem et de Hering furent assez vivement attaquées en 1858 par le docteur Williams (de Swansea) qui nia d’une manière absolue l'existence des canaux déférents, celle des pavillons

1. Transactions of the Royal Society, vol. CXLVHI, 1858.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 15

vibratiles découverts par Hering et même l'existence réelle des ovaires.

Malheureusement pour lui, le docteur Williams s’est laissé entrai- ner par une idée préconçue; c’est ainsi qu'il n’a pas vu des choses que tous les observateurs consciencieux ont retrouvé sans trop de peine, ont pu revoir avec la plus grande netteté et qui ont été figurées de nouveau, en 1865°, par l’un de ses compatriotes, le docteur Ray Lan- kester.

Toutefois le docteur Williams a introduit dans la science des idées morphologiques qui paraissent justes, quand on ne veut pas les exagérer, et qui ont été adoptées en particulier par Claparède et par Ray Lankester.

Ce sont ces considérations morphologiques que nous allons maintenant exposer.

Chez un grand nombre d’Annelés, il existe, dans chaque anneau du corps, des organes s’ouvrant à l'extérieur et présentant le plus souvent la forme de longs tubes tortueux, glandulaires sur une portion plus ou moins grande de leur longueur, munis intérieurement de cils vibratiles et se terminant, à l’intérieur du corps, par un pavillon béant et vibratile. Chez les Naïdiens ce pavillon traverse, en général, la cloison antérieure de l’anneau dans lequel est situé le tube tortueux ; il en résulte que chaque anneau du corps communique avec l’exté- rieur par l'intermédiaire d’un tube situé dans l’anneau suivant et s’ouvrant à l'extérieur à travers les téguments de ce dernier anneau. Williams a donné à cet appareil le nom d’organe segmentaire (segmental organ ) *. Les orifices de ces organes segmentaires sont chez nos Lom- brics et chez les Naïdiens situés en avant de chacun des faisceaux de

soies de la rangée inférieure.

1. Quarterly Journal of microscopical science, janvier 1865. 2. Transactions of the Royal Society, vol. CXLVIE, 1858. Researches on the structure and homology of the reproductive organs of the Annelids.

1h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Ces organes sont connus depuis longtemps.

Willis, Morren, Leo les ont décrits chez le Lombric comme des vésicules aériennes, des espèces de trachées. Dugès constata que les tubes qui y sont annexés sont pourvus de cils vibratiles et contiennent un liquide aqueux. Henle! fit la même observation en ce qui concerne l'Enchytrœus, petit ver transparent, plus voisin des Naïs que des Lom- brics, mais habitant la terre humide, comme ces derniers.

Déjà, en 1823, Gruithuisen les figure chez sa Maïs proboscidea ?, et en 1828 chez divers Chætogaster; il leur attribue, comme tous les au- teurs dont nous venons de parler, le rôle d'organes respiratoires. C’est aussi l'opinion de Siebold * qui signale le premier l'ouverture interne de ces organes dans les Tubifex rivulorum, Lumbriculus variegatus | Naïs elinguis, et même chez l’£nchytrœus albidus. Mais il n'a pu voir cet orifice chez les Lombrics dont les organes segmentaires sont compli- qués d'un appareil vasculaire très-développé. La première bonne des- cription de ces organes et de leur mode de terminaison, chez le Lom- bric terrestre, a été donnée en 1853, par Gegenbaur *, qui attribue à Leydig la découverte de l’orifice interne.de ces canaux; mais le Mémoire de Leydig sur la Branchiobdelle et la Pontobdelle FRE il est fait allu- sion n'est que de 1852.

A peu près à la même époque, et un peu avant le travail précé- dent; d'Udekem publiait son mémoire sur le Tubifex rivulorum *, daté du 5 février 1853 et, pour la première fois, il attribuait nettement aux organes segmentaires le rôle d’ organes sécréteurs et excréteurs ; il les comparait aux reins des animaux supérieurs. Cette interpréta- tion de d'Udekem a été depuis universellement adoptée.

L'est.ici que doit se placer le travail du docteur Williams dont nous

4. Archiv. für Anatomie von J. Müller, 1837. Uber Enchytrœus. 2. Nova Acla Academiæ Leopoldinæ curiosorum naturæ, t. XI. 3. Manuel d'anatomie comparée, pag. A6, t.1. (Trad. franç., 1849.)

4. Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie, t. IV. 5. Mémoires couronnés de l’Académie royale de Belgique, t. XXVNI, 1854-4855.

=

LOMBRICIENS TERRESTRES. 19

avons déjà parlé. Ce naturaliste, reprenant les travaux de ses devan- ciers, y ajoutant ses propres observations, considère l'existence des organes segméntaires comme l’un des traits fondamentaux de l'orga- nisation des Annelés. On les retrouve en effet chez les Hirudinées, chez à plupart des Annélides, et quelque chose d'analogue existe chez Ha Bônnéllie; comme Fa montré M. de Lacaze-Duthiers, et même chez les Rôtifères : à ce point de vue, M. Williams a raison d’attribuer une grande importance à ces organes ; il va beaucoup plus loin.

Pour lui les organes segmentaires représentent en quelque sorte la portion génitale du zoonite. Ils ne se spécialisent pas de cette façon dans tous les anneaux; mais partout se trouve un organe tenant en quelque façon à la génération c’est, selon M. Williams, par une transformation tout Forgane segmentaire ou de l’une de ses parties que l'organe en question est produit. Cette idée conduit M. Williams à dire qu'il n'existe pas d'autre eanal déférent que les organes seg- mentaires des anneaux sont situés les testicules ; que les testicules sont greffés sur la base de ces organes et possèdent avec eux une ouverture extérieure commune ; qu’il en est de même pour les ovaires et les oviductes.

Ce sont manifestement des erreurs anatomiques qu'il eût été facile à M. Williams d'éviter. ?

Toutefois il y a dans cette doctrine quelque chose à garder. Depuis le mémoire de Williams, depuis ceux de d’Udekem, l'étude des Lombri- ciens aquatiques a fait, entre les mains de Claparède, de grands progrès.

Dans deux mémoires publiés par les archives de la Société dés sciences physiques et naturelles de Genève *, Claparède s'occupe de Ta structure dés Lombriciens, auxquels il donne le nom d’Annélides oli- dt

1, Tome XVE, partie, 1862... 2. Recherches sur les Annélides, Turbellariés, etc, du golfe de Naples; et Recherches anatomiques sur les Oligochètes.

16 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Il est surtout question dans ces mémoires du groupe des Naïdiens, et l’auteur y démontre que, dans tous ces animaux, les glandes géni- tales se développent indépendamment des organes segmentaires ; mais que les canaux déférents ne sont pas autre chose que des organes segmentaires diversement modifiés. Il va plus loin et soutient que les poches copulatrices ne sont également que des modifications de ces mêmes organes et parfois de leur portion inférieure seulement, la portion supérieure se terminant comme d'habitude en pavillon vibra- tile et allant se greffer sur l'organe segmentaire de l’anneau suivant.

Ainsi Claparède admet les doctrines du docteur Williams, sauf cependant en ce qui touche les testicules et les ovaires qui, bien évi- demment, ne sont jamais greffés sur des organes segmentaires.

Il est remarquable, en effet, que, chez tous les Naïdiens, les organes segmentaires disparaissent dans tous les segments génitaux et qu’à leur place on trouve des organes qui leur ressemblent jusque dans leur forme (canaux déférents, oviductes) ou tout au moins s'ouvrent à l'extérieur par un orifice à peu près placé comme le leur (poches copulatrices).

Cette coïncidence perd peut-être un peu de sa valeur si l’on remarque que, chez les Naïdiens, les organes segmentaires manquent encore souvent dans les quatre ou cinq premiers anneaux du COrps, bien que ceux-ci ne contiennent ni canaux déférents, ni poches copu- latrices; que de plus ces mêmes anneaux sont fréquemment modifiés de manière à ne pas ressembler à ceux qui les suivent, comme on le voit chez plusieurs Naïs et chez les Dero, le faisceau supérieur des soies disparaît. Néanmoins la coïncidence en question existe et, jointe à l'analogie de la forme et de la fonction, excrétive dans les deux cas, des canaux déférents et des organes segmentaires, elle suffit à donner un certain poids à l'opinion commune de Claparède et de Williams.

Quand on passe des Naïdiens aux véritables Lombrics, une grosse difficulté se présente toutefois à ce sujet : c’est que chez ces derniers

LOMBRICIENS TERRESTRES. 17

les organes segmentaires coexistent ordinairement avec les canaux déférents et les poches copulatrices, dans les anneaux génitaux. L'ho- mologie n’est donc plus possible et il fallait s’y attendre, dit Claparède, car, chez les Lombrics, l’orifice des poches copulatrices est situé tout autrement que celui des organes segmentaires. Le premier est très- rapproché de la paire de soies supérieures, tandis que les seconds sont compris au contraire entre les deux paires de soies inférieures. Quant au canal déférent, il traverse plusieurs anneaux sans appartenir plus spécialement à aucun d'eux et doit être, suivant Claparède, considéré comme un organe de nouvelle formation.

De prime abord cette conclusion paraîtra étrange. Physiologique- ment, ces divers organes jouent chez les Lombrics le même rôle que chez les Naïs; anatomiquement, ils présentent exactement la même constitution; il est très-surprenant que dans des animaux aussi voisins, pour former des organes presque identiques dans la forme et dans la fonction, la nature ait employé des procédés différents.

De deux choses l’une : ou l'homologie généralement acceptée pour les Naïs est aussi vraie pour les Lombrics, ou elle est fausse pour les deux groupes d'animaux, Tel est le dilemme qui semble s'imposer de lui-même aux naturalistes.

Tandis que Claparède s’efforçait de l'esquiver, le docteur ay Lankester' proposait une solution, sans l'appuyer cependant sur aucun fait d'observation.

Pour lui, on doit considérer le zoonite du Lombricien comme portant normalement quatre paires de soies symétriquement placées et quatre organes segmentaires s'ouvrant, deux dans la région ven- trale, deux sur les côtés, entre les paires de soies latérales; mais dont il ne peut cependant préciser davantage la position. Chez les Naiïs, l'organe segmentaire supérieur avorte constamment; chez les Lom-

1. Quarterly Journal of microscopical science, janvier 1865. VIIL. 3

\

18 NOUVELLES ARCHIVÉS DU MUSEUM.

briciens cet avortement se produit aussi dans presque tous les anneaux, sauf cependant dans les anneaux génitaux les organes segmentaires supérieurs persistent, pour former les canaux déférents et les poches copulatrices. .

Cette théorie est ingénieuse; mais elle ne peut être défendue sérieusement que si toutes les conséquences qu'elle entraîne avec elles sont vérifiées par l'observation. Ces conséquences sont les sui- vantes :

On ne voit pas à priori de raison pour que les poches copula- trices et les vaisseaux déférents occupent plutôt tel ou tel anneau que tel autre. On doit donc s'attendre à voir les positions relatives de ces organes varier dans les différents types de Lombriciens vrais;

Dans un anneau qui présente déjà un organe segmentaire, on ne doit jamais trouver à la fois une poche copulatrice et un canal déférent ;

Si la condition fondamentale du zoonite est réellement de posséder quatre organes segmentaires, on ne voit pas pourquoi l'organe supérieur avorterait toujours, sauf dans les anneaux géni- taux; on doit dans certains types en retrouver des traces, et ces types doivent pouvoir conserver, au moins dans quelques anneaux, quatre organes segmentaires;

L'avortement doit pouvoir porter tout aussi bien sur le système inférieur que sur le système supérieur; il doit donc y avoir des types dans lequel c’est l'organe supérieur qui persiste et l'organe inférieur qui avorte ;

I doit être possible de rattacher morphologiquement chaque série d'organes segmentaires à une autre série d'organes plus constants de manière à pouvoir affirmer, quand il n'y à qu'une seule paire d'organes segmentaires, que cette paire dépend de tel ou tel sys- tème ;

Il doit enfin y avoir des cas l'organe segmentaire et le

LOMBRICIENS, TERRESTRES. . 19

canal déférent.soient assez évidemment semblables pour que l’homo- logie que l'on cherche à établir soit indiscutable.

De toutes ces propositions, :la.deuxième.est absolumentexclusive; si, dans un seul cas, elle, n'est pas remplie, il faut rejeter de toute nécessité la théorie supposée; quant aux autres, si les conditions qu'elles expriment n'étaient, jamais réalisées, cela ne’ rendrait pas l'hypothèse absurde ; maïs celle-ci ne pourrait jamais être considérée comme démontrée; de plus. elle serait inutile parce qu'une théorie n'a d'autre but que,de grouper des faits en apparence différents et que, dans le cas actuel, il serait beaucoup plus court de constater purement et simplement ce qui existe et de l’'énoncer comme tune loi, que de faire une supposition gratuite et de la substituer à la réalité des faits.

Au contraire, s'il existe des types dans lesquels se manifestent ces diverses conditions, diversement combinées, il y a avantage à accepter l'hypothèse tant que d’autres faits ne viennent pas l’infirmer; il y a de plus des chances pour qu’elle exprime réellement une loi de la nature; on peut s’en servir comme. d’un point de départ pour. de nou- velles investigations et prévoir à l'avance un certain nombre de com- binaisons organiques qu'il sera possible de rencontrer.

IL était probable qu'un travail du genre de celui-ci pourrait servir d'épreuve à la théorie de Ray Lankester; après ce que nous venons de dire, la conclusion ressortira d'elle-même de l'exposé de nos observations anatomiques.

Les questions relatives aux organes segmentaires et à l'appareil génital se trouvant ainsi posées, considérons maintenant les diverses parties de l’organisation des Lombrics, parties qui, pour avoir sou- levé moins de discussions, n’en sont pas moins intéressantes.

Le système digestif des Lombrics se trouve exactement décrit dans tous les ouvrages qui ont traité d’une manière générale de l’ana-

20 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

tomie de ces animaux; il est inutile d’en parler ici, d'autant plus que nous n'avons pas à indiquer de grandes modifications de cet appareil dans les types que nous avons examinés.

Au contraire, il est bon d’indiquer ce que l’on connaissait de l'appareil circulatoire. Les meilleures figures qui en aient été données sont dues à M. de Quatrefages'. On y voit un vaisseau dorsal unique et deux vaisseaux médians sur la ligne médiane ventrale. Le premier de ces derniers vaisseaux est entre l'intestin et la chaîne ganglion- naire, le second.est au-dessous de la bandelette nerveuse. Le vaisseau dorsal est plus ou moins contractile; antérieurement il est uni au vaisseau ventral supérieur par une série de six paires de gros vais- seaux latéraux, en chapelet, éminemment contractiles, embrassant assez lâchement l'intestin et qui jouent le rôle de cœur.

Le vaisseau dorsal et les deux vaisseaux inférieurs émettent cha- cun dans chaque anneau une paire de branches latérales ; il est pro- bable que les ramifications ultimes des branches émises par les vais- seaux ventraux et celles des branches du vaisseau dorsal s'unissent finalement en anses, ainsi que je lai constaté sur les Perichæta ?. Du reste, le vaisseau ventral supérieur dessert principalement l'appareil digestif, tandis que le vaisseau ventral inférieur est plus spécialement dévolu à la circulation périphérique.

Dans un mémoire sur les Pericheæta . publié à la fois dans les Annales des Sciences naturelles* et dans le Recueil d’une société savante de Montpellier, M. Léon Vaillant donne une figure inédite de d’Uke- kem représentant l'appareil circulatoire -du Perichæta posthuma. Chez cet animal le vaisseau sous-nervien paraît manquer; M. Vaillant ne s'étend pas davantage sur ce point dans une communication‘ qu'il a

1, Règne animal de Cuvier, grande édition de Masson; et Suites à Buffon, Annélides, pl. 1 2. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 1871, semestre, page 277.

3. T. X, série, 1868.

4, Comptes rendus, 1871, semestre, page 385.

LOMBRICIENS TERRESTRES. M

adressée depuis à l’Académie des sciences. Nous avions fait nous- même à l’Académie, dans la séance précédente‘, une communication sur les Perichæta ; mais, préoccupé à ce moment d’autres recherches, nous n'avions pas porté notre attention sur ce point de manière à émettre une opinion suffisamment motivée. Nous regrettons de n'avoir pu jusqu'ici combler cette lacune. Quoi qu'il en soit, à part ce point réservé, à part aussi le nombre des cœurs latéraux qui n’est que de cinq paires, dont deux incomparablement plus dévelop- pées que les autres, l'appareil circulatoire des Perichæta ne paraît pas s'éloigner beaucoup de celui des Lombrics. Il y a cependant un point que nous avons indiqué dans la communication déjà visée et sur lequel nous insisterons ici, c'est le suivant : il est manifeste que du vaisseau ventral unique que nous avons observé naissent deux séries de branches dans chaque anneau, les unes réservées à l'intestin qu’elles embrassent étroitement et sur lequel elles émettent de nom- _breux rameaux; les autres, constamment accompagnées chacune d’une branche du vaisseau dorsal qui se divise comme elle, les rami- fications terminales des deux branches s’unissant finalement en anses; ces derniers sont uniquement consacrés à la circulation périphérique. Le vaisseau ventral en question cumulant ainsi les fonctions des deux vaisseaux sus et sous-nervien du Lombric, il ne serait pas étonnant que chez les Perichæta l'un de ces vaisseaux fût supprimé; mais une pareille remarque ne saurait en aucune façon tenir lieu d’une bonne observation, et la question, pour nous, demeure entière.

Voilà, à notre connaissance, tout ce qui a été dit sur la consti- tution générale de l'appareil circulatoire des Lombriciens vrais, nous aurons Occasion de montrer dans la suite de ce travail quelles modi- fications nombreuses peut subir cet appareil dans le type Lombric.

1. Comptes rendus, 1871, 2 semestre, page 277. 2. PI. 1, fig. 45 et 46.

22 NOUVELLES ARCHIVES DU: MUSÉUM.

Un important mémoire de Claparède sur l’histologie du Lombric! ajoute quelques faits intéressants relativement aux détails de l’appa- reil circulatoire dont il montre la liaison avec les différents groupes d'organes. Malgré tout ce que ce travail contient de neuf et d’impor- tant, nous croyons pas cependant que toutes les conclusions en soient rigoureusement exactes. C’est ainsi que la connection des folli- cules en voie de formation des soies avec des diverticulum de l'appareil circulatoire nous paraît demander à être revue. D'ailleurs Claparède s'est certainement mépris lorsqu'il refuse aux follicules sécréteurs des soies une véritable constitution cellulaire, et sa méprise tient sans doute au mode d'investigation qu'il a employé. Le durcissement par l'alcool concentré a donner aux éléments de ces follicules sécré- teurs uné cohésion qui a empéché la distinction des cellules. En : employant un procédé opposé on arrive à de tout autres résultats.

Si l'on fait macérer pendant quelques heures un Lombric dans l'acide acétique très-dilué , ses tissus deviennent transparents, et leurs éléments se dissolvent avec une extrême facilité. Les fibres muscu- laires intérieures s’enlèvent alors fort bien par un simple raclage et on arrive sans peine à mettre à nu un grand nombre de follicules séti- gères, à différents degrés de développement,

Chaque follicule est double”, de telle façon que les deux soies d'une même paire sont sécrétées simultanément; néanmoins chaque soie a ses cellules sécrétoires spéciales, au nombre de quatre ou cinq, pourvues d’un beau noyau brillant pouvant mesurer jusqu’à 15 z et d’un nucléole qui a environ 34 de diamètre. Quant aux cellules elles-mêmes, qui sont en forme de triangles à côtés courbes et à angles arrondis ?, elles ontenviron 62 y de large sur 50 de long et sont pourvues de parois très-épaisses , réfringentes, atteignant 2 ou 3 d'épaisseur. Leur con-

1. Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie, t. XVUL. 4. PLi, fig 4,2, 3606, 3. PL. 1, fig. 5.

LOMBRICIENS :TERRESTRES. 23 tenu est granuleux et on,y distingue souvent des stries qui, partant du noyau, se dirigent vers la soie. Ce qu'il y a de remarquable dans le développement des soies du Lombric ordinaire, c'est que la pre- mière chose qui apparaît n’est pas comme dans les Naïs ou dans les Annélides, le bout externe de la soie (crochets, pointes, etc.). 11 se forme d'abord une sorte de palette translucide’, triangulaire, dont l'un des sommets s’épaissit de manière à former le bout de la soïe. La soie et sa palette basilaire s’allongent d’abord simultanément, cette dernière passant de la forme triangulaire à une forme irrégulière- ment rectangulaire, puis sa résorption se fait et la soie demeure seule, plus moins en forme d'S.

Chez les Perichæta les choses se passent un peu autrement ; mais encore il y a une production spéciale qui est formée avant la soie proprement dite. Ce mode de sécrétion n'ayant encore été signalé que chez les Lombriciens et se trouvant très-différent de ce qu’on observe soit chez les Naïs, soit chez les Annélides, il était bon de le signaler. Il est important de savoir si c’est un caractère général appartenant au groupe des Lombriciens tout entier, ou s'il est particulier seule- ment à quelques espèces,

En ce qui touche le système nerveux, il y a fort peu de choses À dire. Le seul fait important à rappeler, c’est la description donnée par M. de Quatrefages du système stomato-gastrique qui naît de nombreux ganglions très-étroitement rattachés eux-mêmes au collier œsopha- gien. Nous avons trouvé un ganglion analogue, maïs unique, chez les Perichæta*. La question de la constitution histologique des ganglions. de la répartition et de la terminaison des nerfs est d’ailleurs à peine entamée, malgré les travaux de Faivre® et de Claparède *. Nous

+ PER g,4,2, 3, & et 5. 2. PI. in, fig. 5

3. Ann. sc. nal., t. V, série, 1856, 4. Zeitschrift für wissenschaft. Zoologie, 1. XVHI,

2 © NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

n'avons rien à y ajouter nous-même dans cette partie de nos recherches ; mais nous y reviendrons plus tard et nous donnerons, au moins pour les espèces de notre pays, un travail étendu sur les rela- tions des diverses ramifications issues d’un même ganglion et sur leur mode de terminaison dans les organes. Ces relations nous servi- ront de base pour l'établissement ultérieur des lois morphologiques qui régissent le type Lombric. :

Il nous reste à indiquer maintenant les iravaux purement des- criptifs ou de classification qui ont été publiés sur les Lombriciens.

Le premier qui ait, depuis Linné, ajouté quelque chose à ce que l’on savait sur les espèces de Lombrics est Savigny.

Il distingua le premier diverses espèces parmi les Lombriciens des environs de Paris, et créa pour des vers exotiques à neuf rangées de soies, dont une dorsale, le genre Hypogeon *.

Après lui Dugès * décrivit et caractérisa un certain nombre d'espèces indigènes.

Enfin le travail de ces deux auteurs fut refondu dans un mémoire de Hoffmeister, publié en 1845 et intitulé : « Die bis -jetzt bekannten Arten aus der Familie der Regenwürmer. » Dans ce mémoire, accompagné d’une planche coloriée, Hoffmeister décrit huit espèces de Lombrics et crée les trois genres Phreoryctes, Criodrilus et Helodrilus, qui méri- tent peut-être une place à part parmi les Lombriciens.

M. Grube a publié, en 1851, sur la classe des Annélides, un tra- vail général dans lequel il est question des Lombrics comme d’un ordre de cette classe, ordre auquel il donne le nom d’Annélides Oligo- chèles; c'est la première fois que ce nom, donf s’est toujours servi Claparède, apparaît dans la science. Pour Grube, les Lombriciens se divisent en deux familles, les Lombriciens proprement dits et les Naïdiens.

1. Système des Annéhdes.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 25

Les premiers comprennent les genres : Lumbricus, Hypogeon, Peri- chœta, Criodrilus, Helodrilus, Phreoryctes, Euaxes et Lumbriculus. Ces deux derniers genres d’après leur groupement sont considérés comme fai- sant le passage aux Naïdiens; mais il n’est pas permis, ce nous semble, de les éloigner beaucoup des Tubifex et, à moins de former, pour eux et quelques autres, un groupe spécial parmi les Lombriciens, nous ne voyons pas qu'on puisse les maintenir dans la même famille que le genre Lombric et que ceux dont nous allons avoir à parler.

Ici viennent se placer les travaux de Claparède, qui constituent plutôt une série de petites monographies qu'un travail d'ensemble.

Néanmoins le savant génevois a proposé, en 1862, une classifi- cation des Oligochètes qu'il divise en deux familles :

Les TERRICOLES, qui ont deux vaisseaux ventraux, des organes segmentaires dans les anneaux qui renferment les oviductes, les canaux déférents et les réservoirs de la semence; le clitellum placé très en arrière des pores génitaux mâles; enfin un réseau vasculaire entou- rant les organes segmentaires;

Les Limrcores, dont le vaisseau ventral est unique, qui n’ont pas d'organes segmentaires dans les segments contenant les oviductes; les canaux déférents et les réceptacles de la semence; leur clitellum comprend toujours le segment porteur des pores génitaux mâles. Ils n'ont ni réseau, ni anses vasculaires embrassant les organes seg- mentaires.

Dans la première famille, Claparède ne range avec certitude que le genre Lumbricus et, avec doute, les Hypogeon Sav., et les Criodrilus Hoffm. 3

Dans la deuxième famille se trouvent les genres :

Tubifex, Lamk.

Limnodrilus, Clap.

Clhtellio, Say.

Lumbriculus, Grube.

VIII. æ

26 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Nemodrilus, Clap.

Enchytrœus, Henle.

Pachydrilus, Clap.

Naïs, Müller.

Stylaria, Linn.

Chœtogaster, Von Baér.

Euaxes, Grube.

Serpentina, OErsted.

Œolosoma, Ehrenberg.

Ces trois derniers genres n’ont pas été ‘examinés par l’auteur, mais il les range cependant dans cette famille, non pas avec restric- tion, comme l’a écrit M. Vaillant’, mais, sans nul doute, ce qui n’est pas la même chose. Les genres que Claparède range avec restric- tion dans cette famille sont ceux qu'il place après le membre de phrase et peut-être aussi, et ce sont les Helodrilus, Hoffm.; Phreoryctes, Hoffm.; Mesopachys, OErsted; Dero, Oken.

Nos recherches sur les Dero * nous permettent d'affirmer que ces animaux sont bien, en effet, de vrais Naïdiens très-voisins même des Maïs.

Il ne reste donc comme douteux que les genres Helodrilus, Phreo- ryctes et Mesopachys, sur lesquels nous n’avons non plus aucune obser- vation personnelle.

En ce qui concerne les familles mêmes de Claparède, nous ferons remarquer que leur diagnose est actuellement tout à fait erronée.

Nous connaissons aujourd’hui, on le verra par la suite de ce mé- moire, de véritables Terricoles ayant leurs pores génitaux mâles avant, sur et après la ceinture. L'appareil circulatoire possède une grande variabilité qui ne semble guère autoriser à l'employer dans une carac-

1. Note sur les Perichæta, Ann. sc. nat. (5° série), t. X. 2. Archives de zoologie expérimentale et générale publiées sous la direction de M. H. de Lacaze Duthiers, t. Te, janvier 1872,

LOMBRICIENS TERRESTRES. 27

téristique. I faut donc, de toute nécessité, rayer le premier de ces ‘caractères et se tenir au moins sur la réserve en ce qui concerne le second. |

Les caractères restant sont beaucoup plus importants, car ils paraissent se rattacher à une différence typique entre les deux familles d’Oligochètes admises par Claparède.

Si dans les anneaux contenant l'appareil excréteur des orifices génitaux on trouve aussi des organes segmentaires, cela tient à ce que chez les Terricoles chaque anneau contient typiquement deux paires de ces organes, l'une inférieure, l’autre supérieure ; que généralement l’une ou l’autre de ces paires, quelquefois les deux, avortent dans la plupart des anneaux, sauf dans ceux qui contiennent l'appareil géni- tal elles coexistent, Nous décrirons des genres dans lesquels c'est la paire supérieure d'organes segmentaires qui avorte (Zumbricus, Titanus, etc.); d'autres dans lesquels c’est la paire inférieure (Anteus, Rhinodrilus), d’autres enfin (Perichæta) les deux paires manquent à la fois. D'autre part, si les organes segmentaires des Terricoles sont accompagnés de vaisseaux, cela tient à ce que, chez ces Vers, aux troncs longitudinaux principaux et aux anses latérales qui les unissent est surajouté un réseau capillaire très-complexe qui pénètre dans les parois du corps jusque sous l’hypoderme, accompagne tous les organes internes, envoyant des canaux dans toutes leurs parties! et que nous croyons jusqu'ici ne se rencontrer à ce degré de dévelop- pement que chez les Lombriciens vrais. |

Ce sont là, à la vérité, des caractères anatomiques, presque histo- logiques, mais, il faut bien le reconnaitre, c’est à eux que les Lombrics doivent leur aspect spécial ; ils constituent leur véritable caractère et sont bien autrement liés au plan de leur organisation que la bifidité des soies. Celle-ci dépend simplement du mode particulier d'existence

4. Voir la planche ur de ce mémoire relative aux Perichæta.

28 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

des animaux qui les présentent; elle nous paraît devoir exister chez tous les Lombriciens vrais, mais les caractères propres aux Naïdiens peuvent certainement coexister avec la simplicité de la terminaison de ces organes; en sorte que la forme des soies ne doit pas être con- sidérée comme un caractère exclusif, ainsi que l’a fait un savant dont nous aurons tout à l'heure à examiner les travaux.

En 1865, M. d’Udekem a publié dans les Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles‘ un travail qu'il considère comme le résumé des connaissances acquises à cette époque sur les Lombriciens.

Rejetant la classification de Grube comme trop peu précise, s'exprimant dans les termes les plus flatieurs sur la classification de Claparède, d’'Udekem, tout en ne faisant à cette dernière qu’un reproche grammatical, propose cependant une classification qui lui est propre et qui est basée sur les modes de reproduction.

Pour d'Udekem, comme pour M. de Quatrefages, les Lombriciens forment une classe parallèle à celle des Annélides, des Géphyriens, des Hirudinées. Des Lombriciens, les uns se reproduisent uniquement au moyen d'organes sexuels, les autres peuvent se reproduire en outre par gemmes ou plutôt par une scission compliquée de bourgeonne- ment. Ce sont les caractères qui distinguent les Agemmes des Gemmi- pares.

L'ordre des Agemmes comprend trois familles :

Les Lombricidées, c'est-à-dire tous nos Lombriciens ter- restres ;

Les Tubifécidées, composées des Tubifex, des Limnodrilus et de quelques genres voisins qui se rapprochent d’ailleurs beaucoup des Naiïs par tous leurs autres caractères ;

Les Enchytricidées ne comprenant encore que le genre Enchytræus.

1. T. XXXV, 4865.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 29

Quant à l’ordre des Gemmipares il est constitué par les Maïs, les Dero, les Aulosomes, les Chætogaster et les genres voisins.

On remarquera que, de tous ces animaux, les Lombricidées seules ont des œufs microscopiques, placés après la ponte dans une capsule et entourés d’albumen ; ils s’éloignent donc sous ce rapport, ainsi que sous beaucoup d’autres, des autres familles. Aussi n’est-on pas étonné de voir d’'Udekem citer, sans se récrier du tout, la classification de Claparède qui en fait sa première famille, celle des Oligochètes terri- coles, tandis qu'il rejette tous les autres genres dans la famille unique des Oligochètes limicoles.

Nous n'avons à nous occuper ici que des Lombricidées de d’Ude- kem, équivalant aux Terricoles de Claparède.

Claparède admet trois genres dans ses Terricoles, ce sont les genres Lumbricus, Linné, Hypogeon, Savigny, et Criodrilus, Hoffmeister.

En 1863, époque fut rédigé son travail, d'Udekem n’admet comme bien établis que les genres :

Lombric. L. Soies ventrales en deux ou quatre séries; vivant dans la terre humide.

Pontoscolex *. À quatorze séries de soies; vivant sur les bords de la mer.

Perichæta. Schmarda. Soies disposées en anneaux autour du corps; terre humide.

Hypogeon. Savigny. Une série de soies dorsales.

La première partie seule de ce travail a paru ; d'Udekem y décrit huit espèces de Lombrics qui sont celles adoptées par Hoffmeister, lequel considère comme de simples variétés un assez grand nombre d'espèces de Savigny et de Dugès.

Voici la liste de ces espèces * :

4. Écrit par erreur, sans doute, Penthoscolex, Schmarda. 2. Nous rétablissons dans cette liste l'orthographe d’un certain nombre de noms qui ont éte imprimés, dans le recueil belge, d’une manière évidemment fautive.

30 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

A. Lumbricus agricola, Hoffmeister.

Sxn. : Lumbricus terrestris, Linn., F. Muller. Enterion herculeum, Say. terrestre, Say. Lumbricus gigas, Dugès.

2. Lumbricus communis, Hoffmeister.

Sy. : Lumbricus anatomicus, Dugès. Enterion carneum, Say.

caliginosum, Sav.

cyaneum, Say.

iclericum, Say. L. trapezoïdes, Dugès.

»

©

Lumbricus rubellus, Hoffmeister.

Syn. : Enterion ferum, Say.

h. Lumbricus riparius, Hoffmeister. SN. : Enterion octaedrum, Say. chloroticum, Sax. virescens, Say. .. 5. Lumbricus olidus, Hoffmeister. SyN. : Enterion fœtidum, Sav. rubidum, Saw. 6. Lumbricus stagnalis, Hoffmeister. Svn. : Lumbricus complanatus. 7. Lumbricus pictus, Hoffmeister. 8. Lumbricus agilis, Hoffmeister.

SyN. « Enterion tetraedrum., Sax. Lumbricus amphisbæna, Dugès.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 41

Les Mémoires précédents ne traitent guère que des Lombriciens indigènes.

Le travail le plus riche en renseignements sur les espèces exo- tiques, qui ait été publié dans ces dernières années, sur les Lombri- ciens, est celui de Kinberg, daté de 1866", et qui à passé trop inaperçu.

C’est un travail général sur le groupe tout entier des Annélides ayant pour but de faire connaître un grand nombre d'espèces nouvelles et postérieur à celui de Schmarda; il ajoute à la liste des Lombriciens onze genres nouveaux. Les Lombriciens sont d’ailleurs considérés comme une simple famille de la classe des Annélides.

L'auteur ne paraît pas tenir compte des recherches anatomiques de d’Udekem, de Ray Lankester, de Hering, puisqu'il donne le nom vague de Tubercula genitalia à ce que les anciens auteurs appelaient la Vulve et qu'aujourd'hui nous savons être au contraire les orifices géni- taux mâles.

Voici comment il établit sa classification :

Soies de chaque RE | chez l'adulte, au nombre

RES, (En PSS ain ASS CL Trigogenia, nov. 2. de huit À. Partout géminées et rapprochées. Tubercules ventraux de chaque côté au nombre : = DOUBS Ta RTS ete tre st Lumbricus, Linn. 8. de deux. « . . +, . « « « . si Mandane, nov. B. Alternant dans les anneaux antérieurs. . . . Geogena, nov.

C. Antérieures rapprochées par paires, posté- rieures écartées. Segment buccal :

a. Non allonge" re, Alyattes, nov. Bi iéhé di LEE SEE Eurydame, nov. D. Géminées et distantes. , . . . . . . . t Hypogeon, Say. E. Antérieures dorsales distantes; ventrales rap- prochées, postérieures toutes distantes. . Hegesypile, nov.

1. Ofversigt af Kongl. vetenskaps. Akademiens Fürhandlingar, t. 23, 4866. Stockholm.

32 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 3. de plus de huit.

A. Plus nombreuse en arrière qu’en avant. PUs papilliformes de la bouche : a. Nuls, Lobe céphalique : +. Terminal et supère, à bord postérieur :

DS ODSORM EE N 1 0 4 de Amynlas, nov.

AR ARS 7 8 . 2 Nitocris, nov. ht. Torminal. stress res osthe Pheretima, nov. M à Du Se : Rhodopis, nov.

B. En nombre égal sur tout le corps . . . . . Perichæta, Schm. G. Plus nombreuses en avant qu’en arrière. . . Lampito, nov.

À la suite de ce tableau viennent des descriptions plus SÉLIéES qui permettent de faire les observations suivantes :

Il n'existe pas de ceinture dans le genre Tritogenia, bien que les orifices génitaux mâles se montrent entre le 46° et le 17° anneau. Ce genre paraît devoir être conservé. On ne peut s'empêcher de le con- sidérer comme une sorte de passage au Phreoryctes , d'Hoffmeister, si bien étudié par Leydig.

Dans le genre Lumbricus, tel qu’il est défini par Kinberg, nous trouvons, au milieu d'espèces nombreuses de provenances différentes et qui peuvent être de vrais Lombrics, un animal nommé L Eugeniæ dont la ceinture est composée des segments 43 à 17 ou 12 à 14, les orifices génitaux étant entre les segments 16 et 17 ou 45 et 16. Il ya probablement une erreur de chiffre. C’est de 13 à 45 ou 12 à 14 qu'il faut lire. Dès lors les orifices génitaux sont postérieurs à la ceinture et le Lumbricus Eugeniæ doit en conséquence être reporté à un autre genre. Nous donnerons la description de cet animal telle qu'elle est donnée par Kinberg à propos des Vers qui nous paraissent devoir s'en rapprocher.

Du reste, Kinberg appelle Lombrics tous les Lombriciens qui ont quatre doubles rangées de soies rapprochées deux par deux, deux « tubercules ventraux » seulement, c’est-à-dire deux orifices génitaux

LOMBRICIENS TERRESTRES. 33

mâles ; nous verrons plus loin que cette caractéristique est défectueuse et qu'il faut restreindre le genre Lombric aux Lombriciens qui possèdent quatre doubles rangées de soies simples, une ceinture et deux orifices génitaux mâles, situés en avant de la ceinture. Dans ce genre, ainsi défini, rentrent, avec une grande probabilité, les animaux suivants :

L. Josephinæ. Sainte-Hélène. L. infelix. Port-Natal.

La position reculée de la ceinture nous fait également laisser dans ce genre les Vers suivants, Kinberg n'a pas vu d’orifices mâles (tubercules ventraux), bien qu’il nous paraisse douteux qu'on ne retrouve pas ces orifices dans le voisinage du quinzième anneau, comme d'habitude :

L. armatus. Buenos-Ayres. . L. Novæ-Hollandiæ. Sydney.

Ces données étendent, comme on le voit, beaucoup l'aire de répar- tition du genre Lombric, tel que nous le concevons en ce moment.

Enfin, voici quelques animaux que nous sommes bien forcé de laisser aux incertæ sedis, puisque Kinberg ne signale chez eux ni cein- ture, ni « tubercules ventraux ». Ce sont ses :

L. Helencæ. Sainte-Hélène. L. Hortensiæ. Sainte-Hélène.

Vineti. Madère. Pampicola. Montevideo, Tellus. Buenos-Avyres.

Tahitana. Tahiti. Capensis. Le Cap. L. Apt. Sau Francisco (Californie).

FERRER

a

Le genre Mandane demande de nouvelles études; les espèces que Kinberg y range ne présentent que d’une manière incomplète le carac- tère générique important, celui d’avoir deux paires de « tubercules ventraux ». La position de la ceinture, elle est indiquée (4. litto-

VINL. 5

34 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

ralis K., anneaux 12-16), celle des orifices génitaux mâles Kin- berg les a vus (#. Patagonicus K., anneaux 16 et 48) indiquent des animaux à orifices génitaux postclitelliens. Si l'on admet, ce qui est probable ”, que, dans toute l'étendue du genre, la ceinture et les orifices génitaux oceupent la même position, on sera frappé de la ressemblance que présentent sous ce point de vue les Handane de Kinberg avec nos Acanthodrilus; néanmoins nous ne pouvons admettre la confusion des deux genres, les caractères fournis par Kinberg n'étant pas suffisants pour permettre de l’établir avec certitude. D'ailleurs nos Acanthodri- lus ont quatre pénis chitineux fort remarquables, fort visibles et dont Kinberg ne fait pas mention. Nous placerons done les Handane à eôté de nos Acanthodrilus, en attendant que de plus amples informations nous permettent de mieux juger des relations de ces deux coupes.

Kinberg cite trois espèces de Mandane, elles proviennent du port Famine (Patagonie), de l’île de Magala et d'un étang du voisinage de Montevideo.

La seule espèce de Geogenia de Kinberg présente de singulières affinités avec notre Rhinodrilus; mais le segment céphalique est trans- verse au lieu de former une sorte de trompe, comme chez ce dernier. Les mots : « Cingulum fossis ventralibus duobus instructum » semblentindi- quer que les orifices mâles sont situés sur la ceinture, et cette opinion est corroborée par le grand développement des soies ventrales de cet organe, chose que l’on voit aussi chez le Rhinodrilus. D'ailleurs, les soies dans les deux genres sont pourvues d’ornements qui ne différent que dans leur forme. Ajoutons enfin que, dans tous les deux, les ori- fices des organes segmentaires sont situés dans le voisinage des soies dorsales : ils sont en avant chez les Rhinodrilus, Kinberg les place en arrière chez les Gesgenia. C’est une position singulière, dans l’état

1. Nous y sommes autorisé, comme on le verra par l’étude des genres postclitelliens que nous avons eus à notre disposition.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 35

actuel de nos connaissances, et qui nous paraîtrait suffisante pour dis- tinguer les deux genres, même en l'absence de la différence qui résulte de la forme du lobe céphalique, forme à laquelle les zoologistes me semblent avoir attaché une importance un peu exagérée.

Quoi qu'il en soit, les Geogenia, qui proviennent de Natal, doivent évidemment être placés dans le voisinage des Rhinodrilus, parmi nos Lombriciens intraclitelliens.

Le genre Alyattes, distingué dans le tableau synoptique, est con- fondu avec les Lombries dans le texte du mémoire; il doit évidemment en être séparé. La disposition de ses soies rappelle celle que nous aurons à décrire plus tard dans notre genre Titanus; mais les Alyaites paraissent avoir leurs orifices mâles avant la ceinture. Je main- tiendrai donc leur séparation ; ils proviennent de Buenos-Ayres.

Les Eurydames diffèrent des Alyattes par la forme de leur segment céphalique; je ne sais trop les placer n'ayant aucun renseignement sur la disposition de leur appareil génital, Ces deux genres font, dans l'esprit de Kinberg, la transition aux Æypogeons de Savigny, dont il paraît ne pas admettre la neuvièmé rangée de soies dorsales.

Je n'ai pas vu de vrais Hypogeons, mais Grube et d'Udekem admettent ce genre tel qu'il a été délimité par son autear. Ce n'est donc que très-provisoirement qu'on doit eonsidérer comme lui appar- tenant les deux espèces: (4. Havaicus, de Oahu, et-#. Atys, de Buenos- Ayres) que Kinberg y range. D'ailleurs, la position reculée de la cein- ture chez l'une de ces espèces me fait pencher à rapprocher les Vers en question des Lombriciens à orifices génitaux mâles antérieurs à la ceinture.

Le genre Hegesipyle, fondé sur un Ver de Natal (H. Hanno), est encore un passage des Lombrics aux Hypogeons sous le rapport la disposition des soies dont les dorsales sont écartées en avant, comme elles le sont toutes en arrière, les véntrales demeurant rapprochées en avant. Malheureusement, Kinberg n’a vu ni ceinture ni tuber-

36 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

cules ventraux; voilà donc encore un genre aux éncerlæ sedis.

Restent les genres Amyntas, de Guam; Mitocris, de Rio-Janeiro; Pheretima, de Tahiti et de la Californie; Rhodopis de Java; Lampito, de Mauritius, tous créés par Kinberg, qui ajoute encore à la liste un Peri- chœta de Oahu. Ces genres ne sont que des variations sur le thème des Perichæta de Schmarda. Des différences de nombre entre les soies antérieures et postérieures, d’autres dans la forme du segment cépha- lique en font les frais. Nous croyons qu'avant d'accepter définitivement ces genres, une étude plus approfondie des animaux qui les composent serait à faire. Il nous paraît difficile de restreindre le genre Perichæta aux espèces qui ont le même nombre de soies sur tous les anneaux du corps; qu'il y en ait davantage sur les annéaux antérieurs que sur les anneaux postérieurs, ou que ce soit l'inverse, le type de la disposi- tion n’en demeure pas moins le même ; ces différences du plus au moins sont évidemment de peu de valeur. D'ailleurs, dans tous ces genres, les orifices mâles sont postclitelliens, comme chez les Perichæta. Nous ne ferons, en conséquence, des cinq derniers genres de Kinberg qu'un seul genre, celui des Perichæta, mais, par prudence et pour conserver, jusqu'à plus ample informé, l’œuvre d'un auteur consciencieux qui a sur nous l'avantage d’avoir vu les animaux en litige, nous diviserons le genre Perichæta, de Schmarda, en sous-genres, correspondant aux genres de Kinberg.

L'importance du travail que nous venons d’analyser est des plus grandes. L'auteur y décrit onze genres nouveaux, tous exotiques et permet de se faire une idée plus juste de la répartition géographique de deux genres déjà connus. Malheureusement, il n’a pu éclairer son travail par des recherches anatomiques : sur beaucoup de points, les documents qu'il nous fournit sont encore trop insuffisants pour donner une idée bien nette des animaux dont il nous parle. Il n’en est pas moins vrai que c’est que nous trouvons la première esquisse géné- rale des modifications que peuvent présenter les Lombriciens exotiques ;

LOMBRICIENS TERRESTRES. 37

c'est Kinberg qui a le premier signalé les variations de position de ce qu'il appelle les « tubercules ventraux »; il avait vu, en 1865, leur disposition chez les Perichæta, disposition qu’en 1869 M. Vaillant, qui ne connaissait pas encore le travail de Kinberg, a signalée de nou- veau. On verra, par la suite, que les dispositions de cet orifice consti- tuent un caractère d’une grande valeur pour la détermination des grandes coupes de la classe des Lombrics.

Il nous reste à parler maintenant du mémoire publié en 1869 par M. Léon Vaillant’ et ayant pour titre : Vote sur l'anatomie de deux espèces de PERICHŒTA et essai de classification des Annélides Lombricines.

Nous avons déjà fait connaître la partie anatomique de ce travail. Nous allons nous occuper maintenant de l'essai de classification tenté par M. Vaillant.

Dans la classification de M. Vaillant, l'Ordre des Annélides Lombri- cines est divisé en deux familles : celle des Lumbricina propria et celle des Waidea. Chacune de ces familles comprend deux tribus, à savoir les Lumbricina propria et les Enchytræina, pour la première ; les Naidea propria et les Chætogastrina pour la seconde.

Ces divisions sont uniquement établies sur le caractère de la sim- plicité des soies ou de leur division en crochet double à leur extré- mité. Nous dirons plus loin ce que nous pensons de cette division.

Bornons-nous pour le moment à la tribu des Lombricina propria qui fait l’objet de notre travail. M. Vaillant la décompose en onze genres; mais, ainsi que nous l’avons dit, il n’a pas eu connaissance du travail de Kinberg, publié trois.ans avant le sien, sans cela il eût certaine- ment admis quelques-uns des genres de cet auteur; de plus, il n'a pas cru devoir tenir compte des particularités présentées par les échantillons de la collection du Muséum, qu’il a examinés, et parmi lesquels il n’a signalé qu'une espèce nouvelle, déjà étudiée par

1. Annales des Sciences naturelles, série, t. X, pag. 225 et suiv.

38 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

d'Udekem, mais inédite, le Perichæta posthuma. Ça été là, comme on le verra par la suite, une réserve un peu exagérée. Si nous ajoutions aux onze genres admis par M. Vaillant et dont un le genre Æchino- drilus est nouveau, les six genres de Kinberg que nous admettons provisoirement, cela porterait à dix-sept les genres de la famille des Lombricina propria, connus en 1869.

Mais ce nombre doit être diminué. En effet, M. Vaillant appelle _ Lombriciens proprement dits tous les vers dont les soies sont simples. Or cette définition est on ne peut plus artificielle à notre point de vue. Nous en donnons la preuve :

I w’y a pas de genres qui aient plus d’affinités que les Euaxes de Grube et ses Lumbriculus. Le renflement médian des soies des Euaxes se retrouve chez la plupart des soies de Naïs tandis que je n’en connais pas d'exemple chez les Lombriciens. À part le crochet terminal qui est simple au lieu d’être double, ces soies rappellent exactement celles des Zumbriculus, dont les Eua.res ont d’ailleurs toute l'organisation.

Eh bien, M. Vaillant est conduit par sa méthode à classer les Euaxes parmi les Lombriciens tandis qu’il reporte les Lumbriculus aux Naïdiens. C’est évidemment une séparation d'autant plus mal- heureuse que Grube, qui a soigneusement étudié les deux genres et qui attachait lui aussi une grande importance aux soies, avait laissé les Lumbriculus et les Euaxes parmi ses Lombriciens proprement dits, bien que les Lumbriculus vappelassent par leurs soies les Naïs. Nous avons dit les raisons qui paraissent avoir déterminé la manière de voir de Grube. Pour nous, nous n’hésitons pas à faire des £uaxes et des Lombricules des Naïdiens à cause de la simplicité relative deleur appa- reil vasculaire, de l'absence du gésier dans leur appareil digestif et de la conformation de leurs soies qui se rapprochent de celles des Naïs, malgré l’analogie apparente qu’on est tenté d'établir entre celles des Euaxes et celles des Lombrics.

C'est donc là, à notre avis, une modification fâcheuse que M. Vail-

LOMBRICIENS TERRESTRES. 39

lant a introduite dans le système de M. Grube. Ou il fallait laisser les Lombricules et les Zuares avec les Lombrics, ou il fallait reporter ces deux genres avec les Naïs, ce qui nous paraît la meilleure solution, comme M. Vaillant l’a parfaitement senti lui-même en ce qui concerne les Lombricules.

Nous avons dit précédemment notre op'nion au sujet des Phreo- ryctes, Helodrilus, Criodrilus de Hoffmeister et des Trichodrilus, de Clapa- rède : nous ne reviendrons pas sur ce point.

La création du genre Echinodrilus était nécessaire, comme l'indique très-bien M. Vaillant.

Voyons maintenant sur quelle base ce savant à assis sa classifi- cation.

Pour lui les caractères extérieurs tirés de la conformation et de la disposition des soies doivent actuellement primer tous les autres. Il repousse, en conséquence, les caractères tirés de la disposition des organes génitaux dont les orifices sont pourtant, avec la position de la ceinture, la forme du lobe céphaliqué, celle des soies et leur dis- position, à peu près les seuls signes extérieurs auxquels on puisse s'adresser pour l'établissement des coupes.

M. Vaillant rejette ces caractères comme trop variables avec l’âge ou la saison. C’est peut-être une raison pour un nomenclateur, ce ne pourrait en être une pour un zoologiste qui recherche les véritables affinités. La disposition des organes génitaux n'a peut-être pas une très-grande importance chez les animaux supérieurs, quoique dans ses grands traits elle présente néanmoins une assez grande constance et que tous les naturalistes en aient tenu compte. Mais chez les animaux inférieurs la conservation de l'individu cède le pas à conservation de l’espèce; l'appareil génital prend une importance toute particu- lière; il envahit parfois toute l’économie et l’on ne peut songer à négliger les caractères qu'il fournit et qui d’ailleurs s'imposent d’eux- mêmes. En particulier, la classification des Nématoïdes de Dujardin

h0 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

n'est-elle pas presque entièrement fondée sur la disposition des organes génitaux, et n'est-elle pas encore aujourd’hui acceptée par tous les helminthologistes?

D'ailleurs, nous devons le dire, ce sont précisément les particu- larités que nous avons remarquées dans la disposition extérieure des orifices génitaux des Lombriciens du Muséum qui nous ont conduit à entreprendre le travail que nous publions en ce moment. C’est done, après l'exposé de nos recherches, que l'on pourra mieux juger de la valeur des caractères fournis par ces organes.

DEUXIÈME PARTIE.

ÉTUDE PARTICULIÈRE DES TYPES NOUVEAUX DE LOMBRICIENS.

Il s’en faut que la collection du Muséum, si riche à certains égards, nous ait fourni de nombreux types de Lombriciens à étudier. Les vers de terre sont trop communs partout, ceux des pays étrangers ressemblent trop aux nôtres pour que les voyageurs songent à les récol- ter, à moins que par leur taille, comme certains vers du Brésil ou de Cayenne, ils ne s'imposent à l’attention.

D'autres causes diminuent encore les ressources de l’anatomiste lorsqu'il s’agit d'animaux venant de loin. Parmi les échantillons qu’on rapporte les uns n'ont pas encore atteint leur maturité sexuelle et ne peuvent guère servir à une étude approfondie, les autres ont été trop contractés ou trop mal conservés par l'alcool pour qu'il soit possible de tirer quelque fruit de leur examen.

Ces sortes de déchets étant laissés de côté, il ne nous est resté à disséquer qu'un très-petit nombre de vers appartenant à des genres différents. Fort heureusement leur répartition géographique nous a fait espérer tout d’abord que nos résultats présenteraient quelque intérêt.

LOMBRICIENS TERRESTRES. hl

New-York, la Nouvelle-Calédonie, Cayenne, la Nouvelle-Hollande, le Brésil, Venezuela, Calcutta, les Antilles : telles sont les prove- nances de nos vers. Il était difficile qu’elles fussent plus variées. Aussi n’est-il pas étonnant que chacun des animaux que nous avons étudiés constitue un véritable type anatomique parfaitement distinct, mais isolé. C’est ce qu'il était facile de prévoir, sachant comment la collection du Muséum était composée. Il est fort probable qu'à mesure que nos connaissances sur les Lombrics s’étendront, un nombre plus ou moins considérable de ces vers viendront se ranger derrière les chefs de file que nous cherchons à faire connaître aujourd’hui, tandis que d’autres chefs de file nombreux sans doute viendront s'ajouter aux premiers.

Nous allons décrire en détail successivement les Vers qui font l’objet de ce travail. Il nous est encore impossible, vu l'insuffisance des matériaux, d'établir un ordre scientifique rigoureux dans la série des genres à décrire; toutefois nous tâcherons de faire suivre autant que possible ces genres, suivant leur degré plus ou moins grand de ressemblance, sans chercher à établir rien d’absolu à cet égard.

Un point sur lequel il est bon d’insister, c’est que les orifices des organes génitaux sont situés chez les véritables Lombrics exotiques que nous avons pu étudier, les L. americanus et Dictoris, au quinzième anneau, bien avant, par conséquent, de la ceinture qui est située après le trentième. Ce caractère qui leur est commun avec nos Lombrics indigènes avait été considéré par Claparède comme un caractère de l'ordre des Lombriciens proprement dits, caractère qui les distinguait de l'ordre des Enchytréens et de celui des Naïdiens les orifices génitaux mâles sont situés dans la ceinture même.

Il est non moins remarquable que de tous les Lombriciens étran- gers à l'Europe que nous avons examinés jusqu'ici, les Lumbricus ame-

4. Recherches sur les Oligochètes. VII. 6

A2 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

ricanus et Victoris soient les seuls animaux de leur ordre qui présentent le caractère que Claparède attribuait à l’ordre tout entier des Lombri- ciens. Déjà une exception de ce genre avait été signalée par M. Léon Vaillant à propos des Perichæta ; mais la disposition singulière des soies des Perichæta et quelques caractères anatomiques, particuliers, que présentèrent ces vers paraissaient devoir les isoler dans leur ordre. Il existe cependant, comme nous le verrons plus loin, un certain nombre de Lombriciens qui présentent la combinaison des caractères offerts par les Lombrics, d’une part, les Perichæta de l’autre, et en particulier cette situation des orifices génitaux en arrière de la ceinture qui avait frappé tout d'abord dans ce dernier groupe. Dans un assez grand nombre de Lombriciens, on trouve même les orifices génitaux mâles situés sur la ceinture, absolument comme chez les Naïs. Ce qui montre d’une manière bien évidente que la position des orifices génitaux ne saurait être prise en considération comme caractère de l’ordre.

Nous n'avons pas, à l'heure qu’il est, un nombre de faits suffi- sants pour appuyer solidement une opinion quelconque au sujet de la valeur positive de ce caractère quant aux coupes secondaires ; tou- tefois il nous paraît jusqu'ici devoir être préféré à ceux que l’on pour- rait tirer de la disposition, assez uniforme d’ailleurs, des soies locomo- trices. Nous ne croyons pas non plus, comme nous l'avons déjà dit, avoir encore assez fait pour nous permettre de ranger les Lombries que nous connaissons dans un ordre rigoureusement scientifique. Ceci étant établi, nous pouvons choisir pour une disposition plus ou moins artificielle tels caractères qui nous conviendront, et comme ceux que l’on tire de la position des orifices génitaux sont parfaite- ment nets et en général faciles à observer, nous les choisirons pour grouper les vers que nous avons à faire connaître.

A priori, trois groupes seulement semblent pouvoir être constitués. Ou les orifices génitaux mâles sont en avant de la ceinture, du Clitel- lum, et nous les dirons alors préclitelliens, ou ils sont sur la ceinture

LOMBRICIENS TERRESTRES. A5 même, c’est-à-dire éntraclitelliens, ou enfin ils sont en arrière de la ceinture et par conséquent postclitelliens.

On peut, par abréviation, se servir de ces adjectifs pour désigner les groupes de Lombrics qui présentent le caractère auquel ils se rapportent, de telle façon que nous avons pour répartir ces vers les trois groupes suivants :

ÏJ. LOMBRICIENS PRÉCLITELLIENS.

Parmi les animaux dont nous avons à parler dans ce mémoire, le seul genre Lombric appartient à ce groupe.

IL —— LOMBRICIENS INTRACLITELLIENS.

Nous pouvons dès à présent y classer deux genres nouveaux, originaires d'Amérique et qui sont créés pour des vers dont la lon- gueur dépasse de beaucoup 1 mètre ; nous étudierons ces genres sous les noms de Anteus et Titanus.

Un troisième genre, qui également américain, mais de taille plus restreinte, prendra le nom de Rhinodrilus, à cause d’une espèce de trompe dont est pourvu l'animal qui le constitue.

Viennent ensuite les genres Endrilus. nov., Geogenia, Kinberg.

III. LOMBRICIENS POSTCLITELLIENS.

Nous y rangeons les genres : Mandane, Kinberg. Acanthodrilus,

Digaster,

hh NOUYVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Perionyx,

Perichæta, Schmarda, dont trois sont nouveaux ; nous verrons d’ailleurs que, dans tous ces animaux. certains caractères spéciaux accompagnent toujours jusqu'ici la position particulière des orifices génitaux.

Nous passons maintenant à l'étude des Lombriciens du premier groupe qui ne contient encore que le genre Lombric, et peut-être les genres Alyattes et Hypogeon de Kinberg.

[. LOMBRICIENS PRÉCLITELLIENS.

GEN. LUMBRICUS. Linné. LUMBRICUS AMERICANUS, Ed. Perr.!

Nous réservons ce nom à un ver originaire de New-York et qui représente dans cette partie des États-Unis notre Lombric terrestre. Il appartient du reste bien évidemment au même genre que ce dernier.

L'échantillon que nous avons ouvert a été rapporté en 1864 par M. Milbert ; il est dans un état parfait de conservation. Voici sa description :

« Longueur, 4 décimètre environ.

« Ceinture après le trente et unième anneau, y compris la tête? formée aux dépens de six anneaux; orifices génitaux mâles situés au quinzième anneau. Soies disposées par paires; quatre rangées

1. PL 1, fig. 6, 7 et 8.

2. En général, chez les Lombriciens, l'anneau qui entoure immédiatement la bouche porte antérieurement un petit prolongement dorsal, plus ou moins court. Ce prolongement entame quelquefois l'anneau en question; il en est toujours séparé au moins par un trait, et c’est à lui que je réserve le nom de lobe céphalique. L'anneau buccal, qui supporte le lobe céphalique, est compté, dès lors, comme ‘étant le premier anneau, bien que d'ordinaire il ne porte pas de soies, M, Vaillant ne compte pas cet anneau, qu’il réunit au lobe céphalique sous ce dernier nom.

LOMBRICIENS TERRESTRES. h5

longitudinales de paires de soie en forme d’/ très-allongée. Les soies de la ceinture sont droites dans la plus grande partie de leur longueur, pointues, recourbées seulement à leur extrémité interne. Ces soies sont beaucoup plus grandes que celles des anneaux ordinaires et semblent, par conséquent, jouer un rôle spécial qui est probablement relatif aux phénomènes de la fécondation. »

Le tube digestif se compose d'un pharynx entouré d’un tissu glandulaire qui occupe les sept premiers anneaux : l'œsophage à parois beaucoup plus minces s'étend sous la forme d'un tube droit, un peu élargi postérieurement, du septième anneau au seizième ; un gésier à parois fortement musculeuses occupe le seizième anneau. L'intestin, garni de sa couche hépatique, qui enveloppe aussi le vaisseau dorsal, commence aussitôt après et ne présente aucune particularité digne d'être signalée. Dans la portion du corps que traverse l'œsophage entre le pharynx et le gésier se trouvent les organes génitaux. Nous ne pouvons rien dire de la glande femelle, trop délicate pour être retrouvée sur un animal conservé dans l'alcool et dont on veut respecter d’ailleurs toutes les parties essentielles.

Mais nous avons pu bien étudier l'appareil génital mâle. Il se compose de trois paires de testicules attachées respectivement à la partie postérieure et inférieure des cloisons qui séparent le neuvième anneau du dixième, le dixième du onzième, et le douzième du treizième. On peut donc considérer les testicules comme appartenant aux anneaux dix, onze et douze ; mais ils refoulent en arriére les cloi- sons, d’ailleurs très-minces, de ces anneaux, de telle façon qu’ils cou- vrent presque tout l'œsophage, au-dessus duquel ils se recourbent. Des trois paires de testicules, les deux premières sont peu volumineuses ; la troisième au contraire est presque triple de chacune des deux autres. Une disproportion analogue se retrouve comme on sait entre les trois paires de glandes génitales du Lombric terrestre. La similitude va même plus loin.

A6 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Bien qu'ayant au moins en apparence trois paires de tes- ticules, le Lombric terrestre ne possède que deux paires de pavillons vibratiles greflées sur le canal déférent. La première paire dessert les deux petites paires de testicules, la seconde paraît réservée à la plus grosse. Chez le Lumbricus americanus, il n’y à aussi que deux paires de pavillons vibratiles, la première placée dans le dixième, la seconde dans le douzième anneau; c'est-à-dire que chaque pavillon vibratile est situé entre deux testicules qu’il paraît pouvoir desservir à la fois. D'ailleurs, ces pavillons ne sont pas, comme ceux du L. terrestre, enfermés avec le testicule dans une membrane commune ; ils sont parfaitement libres, comme cela doit être si, en effet, chacun d’eux doit desservir à la fois deux testicules. Le pavillon antérieur et le pavillon postérieur d’un même canal déférent sont très-différemment développés. Le pavillon postérieur est au moins trois fois plus volu- mineux que l’autre ; la membrane constitutive de chacun d’eux est d’ailleurs excessivement plissée et tortillée, incomparablement plus que dans tous les Lombriciens nous avons pu l’étudier.

il est bon de remarquer ici que la disproportion entre les pavil- lons dont nous venons de parler ne se retrouve pas chez Je Lombric terrestre. Faut-il voir une confirmation de cette idée que chez l'espèce américaine chaque pavillon dessert deux testicules dont le dernier trois fois plus volumineux que les autres, tandis que dans l'espèce européenne le premier pavillon dessert deux testicules, et le second un seul, mais aussi gros que les deux autres pris ensemble, ce qui établit dans ce cas une compensation qui n’a pas lieu dans le premier ? Peut-être cela vaudrait-il la peine d’être examiné, mais il faudrait pour cela ou plus d'animaux que nous n’en avons eu‘, ou au moins des animaux plus frais.

Le L. americanus possède deux paires de poches copulatrices situées

4. Nos recherches n’ont pu être faites en général que sur un seul individu.

LOMBRICIENS TERRESTRES. A7 dans le neuvième et le dixième anneau; ce sont simplement du moins à l’état je les ai vues deux petites poches sphériques dépourvues de tout appendice ou diverticulum.

Les organes segmentaires sont très-apparents dès le quatrième anneau ; nous les avons vus sûrement dans le neuvième, qui renferme en outre une poche copulatrice; dans le dixième, l'on trouve en outre un testicule et auquel on pourrait attribuer le premier pavillon vibratile du canal déférent, ce que je n'ose pourtant faire d’une manière absolue à cause de la difficulté que j'ai éprouvée à me bien rendre compte de la position de ce pavillon relativement à la mince cloison contre laquelle il est appuyé. Dans le onzième et le douzième anneaux je ne puis affirmer la présence des canaux segmentaires, dont j'ai cru voir pourtant quelques traces difficiles à observer à cause de la grande dimension du pavillon vibratile, qui s'étend sur ces deux anneaux entre les deux paires de testicules postérieurs. Ils reparaissent bien nets au treizième anneau et dans tous les suivants; on les trouve en particulier dans le quinzième, est l’orifice des canaux déférents.

Ainsi, le Lombric américain possède : au neuvième anneau. une poche copulatrice et un organe segmentaire ; au dixième, un testicule, une poche copulatrice, un organe segmentaire ; au onzième, un testicule et le petitpavillon vibratile du canal déférent ; au douzième, le gros pavillon vibratile du canal déférent peut-être seul; au treizième, un testicule et un organe segmentaire.

Les anneaux quatorze et quinze, qui contiennent chacun un organe segmentaire, sont traversés en même temps par le canal déférent.

Ces faits, bien qu'il soit difficile d’en tirer aucune conclusion, sont importants à noter ; car il ne faut pas oublier que la question de l’'homologie du canal déférent chez les Lombrics est multiple. Eût-on une fois démontré au moyen de types bien choisis qu'il y a identité morphologique entre le canal déférent et les organes segmentaires, comme le premier traverse presque toujours plusieurs anneaux, il

te) NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

resterait encore à savoir à quel anneau il faut le rapporter. Suivant qu'on le rapportera à tel ou tel anneau, on sera conduit à interpréter de façons différentes les divers organes qui peuvent être dans son voisinage, et c’est ainsi qu'une homologie douteuse peut jeter un doute sur beaucoup d’autres qui s’enchaînent avec elles. On ne peut donc mettre trop de précision dans la définition des rapports que l’on cherche à établir ; or cette précision dans l’idée résulte elle-même de la précision qui a été portée à l'étude anatomique du groupe d'animaux dont on s'occupe. ,

L'appareil circulatoire est constitué sur le plan de celui du Lombric terrestre ; les anses contractiles sont situés aux neuvième et dixième anneaux. On remarque des concrétions calcaires sur le gros testicule et dans les parois de l'intestin au neuvième anneau.

Voici donc, aux États-Unis, un animal appartenant bien réelle- ment au genre Lombric proprement dit, mais se distinguant néan- moins par quelques caractères anatomiques d'ordre secondaire.

LUMBRICUS VICTORES Ed. Perr.

Ce Lombric, dont je donnerai ailleurs l'anatomie détaillée, se rapproche à certains égards du précédent, bien plus que de nos Lombrics indigènes, dont il a, comme lui, la taille et les couleurs.

Les soies sont simples ; la ceinture occupe huit anneaux, elle com- mence après le vingt-cinquième anneau. Le vingt-sixième et le vingt- septième anneau sont encore distincts, on voit entre eux un pore dorsal. Ces pores se voient d’ailleurs sur tous les anneaux, sauf les anneaux antérieurs. Entre le septième et le huitième on voit déjà un point

A. Je dédie cette espèce à M. Victor Borie, mon parent, qui a bien voulu, lorsqu'il remplis- sait les fonctions de directeur du Comptoir d’escompte de Paris, faire recueillir pour le Muséum par ses agents à l'étranger, les Vers de terre des localités qu’ils habitaient, notamment ceux d'Alexandrie, de Saïgon et de Sanghaï.

LOMBRICIENS TERRESTRES®. 49 très-pelit qui est peut-être un véritable pore ; mais entre le huitième et le neuvième anneau, le pore est parfaitement évident.

Sur le côté des anneaux neuf, dix et onze se voient les orifices des poches copulatrices.

Le quinzième anneau porte à sa face ventrale les orifices génitaux mâles.

Les testicules, au nombre de trois paires, ont la forme ordinaire ; au-dessous d'eux on voit deux organes opalescents en forme de touffe et flottant dans la cavité générale. Ces organes ne sont pas autre chose que les pavillons vibratiles des canaux déférents qui ont ici une forme spéciale. Leur surface est couverte de prolongements digitiformes ou villosités couvertes de cils vibratiles et contenant chacun une anse vasculaire. Ce sont ces villosités qui donnent aux pavillons vibratiles cette apparence d’une touffe de filaments, que j'ai précédemment signalée.

Les ovaires sont placés dans le quatorzième anneau sur le dos de la cloison antérieure et font saillie à l’intérieur du corps perpendi- culairement à cette cloison. Ce sont deux petits corps glandulaires, allongés et bosselés. Il est remarquable qu'ils soient ainsi visibles au lieu d'être, comme chez les autres Lombrics, si complétement appli- qués sur les téguments, qu'il soit besoin d’une préparation spéciale

pour les voir.

II. LOMBRICIENS INTRACLITELLIENS

OU A ORIFICES GÉNITAUX MALES SITUÉS DANS LA CEINTURE GEN. ANTEUS. Nov. gen.

Etym. Antée, géant, fils de la Terre. Le genre nouveau que nous proposons ici ne comprend jusqu à présent qu'une seule espèce, originaire de Cayenne.

VIII.

5pO NOUVÈLLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Le Muséum en possède deux exemplaires dont l’un sans indiea- tion de provenance, l'autre provenant de Cayenne et donné à la col- lection par M. Eydard de Saint-Quentin, Ce dernier est le plus beau des deux échantillons. Sa longueur est de 1",16. C’est certainement de tous les Eombriciens connus celui dont la taille est le plus considé- rable. Cest la raison qui nous à fait assigner au genre le nonr que nous avons choisi.

Ne connaissant qu'une seule espèce, nous n'avons pas à donner de caractéristique du genre; la description du ver dont il s'agit en tiendra lieu. Il est bon de remarquer d’ailleurs que nous connaissons trop peu de Eombriciens pour asseoir:sur des bases solides la caracté- ristique des différents genres à établir dans cette classe d'animaux. Tout ce que nous pouvons faire, c’est-de signaler séparémentvet d'isoler en leur donnant un nom générique particulier les Vers qui bien évi- demment ne peuvent être réunis dans un même: genre. Ce n’est que: plus tard, lorsque nous connaîtrons le plus grand nombre des Lombrics qui fouillent nos terres végétales, que nous pourrons grouper les: espèces qui se rapprochent le plus sous les: noms génériques précé- demment établis, ow sous des nomsnouveaux. Ce groupement une fois effectué, les caractères génériques se signaleront d'eux-mêmes; il Y aura plus qu’à les enregistrer.

ANTEUS GIGAS: Ed. Perr,

L'Anteus, auquel nous donnons le nom spécifique de Anteus gigas, a 1°,16 de long sur 3 centimètres de largeur environ dans la région de la ceinture et 2 centimètres dans la région postérieure.

Si l’on observe l’animal par le dos, la ceinture, au moins dans

les échantillons que j'ai pu voir, ne commence pas brusquement

4. PL 1, fig. 43.

LOMBRICIENS TERRESTRBS, 51

comme dans la plupart de nos Vers. Déjà le huitième anneau est un peu modifié; l’épaississement et l’opacité des parois ne fait qu'aug- menter dans les anneaux suivants; toutefois, quand on coupe les tégu- ments, on n'aperçoit une modification bien marquée que dans le douzième ou treizième anneau, qui présente dans son épaisseur une mince couche glandulaire bien distincte. Dans le quinzième anneau l'épaisseur des parois du corps dépasse 2 millimètres ; cette épaisseur se maintient jusqu'au vingt-neuvième anneau. Le trentième est bien évidemment hors de la ceinture.

Si l'on observe l'animal par sa région ventrale, la gradation est un peu moins marquée. Le treizième anneau (y compris le segment buecal) présente dans sa région centrale une région plus foncée qui semble indiquer une structure autre que celle du reste de l'anneau ; celui-ci est lui-même partie intégrante du Glitellum si on l’observe par la région dorsale. Petit à petit, à mesure que l'on s'éloigne de la tête, cet espace foncé augmente dans les anneaux suivants et forme dans chacun d’eux comme un îlot conservant la structure ordinaire des téguments quand les autres parties de l’anneau deviennent glandu- laires.

Au dix-huitième anneau et jusqu'au vingt-neuvième inclusive- ment, l’ilot envahit toute la région ventrale. On voit alors une bande ventrale médiane moins consistante que le reste des parois du corps qui, dans l’animal conservé, se retire à l’intérieur de manière à laisser saillants les bords de la portion glandulaire des anneaux, qui forment ainsi, non plus une ceinture complète, mais une sorte de selle, un véritable clitellum. De chaque côté et à égale distance des deux lignes médianes ventrale et dorsale, chacun des anneaux de la ceinture porte sur son bord antérieur un orifice très-distinct. Il est facile de reconnaître que ces orifices sont exactement homologues des orifices des organes segmentaires. Ce sont d’ailleurs les seuls qu'il soit pos- sible de constater à la surface des anneaux; je. n’ai rien vu qui res-

52 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM

semblât à des pores génitaux spéciaux; je n'ai pas vu davantage de vestiges de pores dorsaux sur la ligne médiane.

Les soies sont disposées, comme chez le Lombric ordinaire, en quatre rangées de paires, deux rangées sont franchement ventrales, deux latérales. Ces rangées sont constamment parallèles d'une extré- mité à l’autre du corps, et les soies de chaque paire sont toujours très- rapprochées l’une de l’autre. Ces soies ont du reste la forme enS allongée qui se retrouve chez le plus grand nombre des Lombriciens terrestres.

Immédiatement en avant de la soie supérieure de chacune des paires de la rangée supérieure de soies se voit l’orifice des organes segmen- taires. Cette disposition est remarquable, car chez tous les Lombriciens terrestres connus jusqu'ici, c’est en avant des rangées de soies infé- rieures que s'ouvrent les organes segmentaires. Cette exception, toute remarquable qu’elle soit, ne prendra qu'un peu plus tard sa véritable signification, lorsque nous aurons étudié d’autres types, il sera pos- sible alors de montrer quelle est son importance morphologique.

Tels sont les caractères extérieurs de l'animal que nous désignons sous le nom d’Anteus gigas.

Les caractères anatomiques ne sont pas moins singuliers. Lorsqu'on ouvre l'animal par le dos, on voit que toute la partie antérieure du corps, jusqu'au neuviéme anneau inclusivement, est occupée par une masse ovoide, dure, résistante, nacrée, de laquelle semble partir l’in- testin et sur laquelle s'appliquent en partie des cloisons parfaitement continues, enfermant les testicules dans un sac complet. Il est dif- ficile de ne pas croire que cette masse n’est pas une sorte de pharynx musculeux résultant de la fusion avec le gésier de toute la partie de l'intestin ordinairement antérieure à cet organe. Mais si lon vient à fendre longitudinalement la masse en question, on reconnaît bientôt

qu'elle est formée par la superposition de toutes les cloisons de la partie antérieure du corps, lesquelles sont épaissies, fibreuses, nacrées comme des aponévroses et s’emboîtent les unes dans les autres comme une

LOMBRICIENS TERRESTRES, 53

série de cornets. Ces cloisons ne présentent d'orifice que pour le pas- sage du tube digestif et pour celui des vaisseaux; elles constituent à la partie antérieure du corps comme une sorte de squelette fibreux qui protége le système nerveux central, le pharynx, l’œsophage, le gésier etune partie de l'appareil génital. Elle donne à cette région une soli- dité considérable et la transforme en un véritable groin qui permet à l'animal de fouiller le sol sans danger pour les organes plus ou moins délicats situés dans la région antérieure de son corps. Dans aucun autre Ver nous n'avons vu d'une manière aussi marquée cette modifi- cation protectrice des cloisons.

L'appareil digestif ne présente d'ailleurs aucune modification essentielle. L'appareil protecteur formé par les cloisons une fois ouvert, on peut constater l'existence d’un pharynx à parois épaisses et glandulaires; vient ensuite un œæsophage membraneux portant sur ses parois quelques corps glandulaires; enfin le gésier qui est enfermé dans les cloisons limitant le sixième anneau, mais qui se trouve rejeté en arrière à la hauteur du neuvième, entraînant avec lui les cloisons qui le maintiennent. Ces dernières conservant leur point d'attache antérieur se trouvent ainsi transformées chacune en une sorte de membraneux; elles s'appliquent exactement l’une sur l’autre dans toute leur partie antérieure, tandis que les fonds des deux dés sont distants de toute la longueur du gésier. Cette même disposition se répétant pour toutes les cloisons qui précèdent, on voit que l’appareil cloisonnaire protecteur présente une série de chambres dont la cavité aurait pour section un croissant, tandis que les sommets du croissant se prolongeraient beaucoup en avant. C'est au fond de ces chambres que sont placés les divers organes qui doivent être protégés et sur lesquels nous aurons à revenir.

Ajoutons ici qu'à partir de la cloison postérieure au gésier, les cloisons suivantes, tout en conservant les mêmes caractères histo- logiques, se redressent peu à peu en s’écartant et constituent des

b}/ NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

chambres plus vastes qui paraissent indépendantes de la masse anté- rieure et dans lesquelles se voient les organes génitaux; puis les cloisons s'amincissent et l’on arrive ainsi insensiblement aux minces cloisons membraneuses, planes circulaires, qui, dès le quinzième anneau, ont déjà pris le caractère qu’elles conserveront jusqu’à l'extrémité du corps.

Si l'appareil digestif est constitué comme chez tous les Lombriciens, il n’en est pas de même de l’appareil circulatoire, au moins en ce qui touche les organes d’impulsion.

Nous ne pouvons donner une description complète de cet appareil, borné que nous avons été dans nos recherches par la nécessité de conserver l'échantillon sans altérer en rien aucune de ses parties essentielles; mais nous pouvons signaler néanmoins quelques intéres- santes particularités.

L'appareil vasculaire laisse voir tout d’abord un gros vaisseau dorsal, cylindrique dans la majeure partie de son étendue et contenant du sang coagulé, bleu foncé. Dans chaque anneau, ce vaisseau émet au moins une anse vasculaire qui embrasse étroitement l'intestin; nous ne pouvons rien dire des vaisseaux médians inférieurs ni des anses vasculaires périphériques. Mais le point remarquable est celui-ci : dans les anneaux douze, treize, quatorze, quinze, seize et dix-sept, le vais- seau dorsal se renfle en une série de grosses ampoules remplissant ordinairement chacune un anneau, mais dont quelques-unes pour- raient bien être doubles, car nous en avons compté huit bien distinctes non compris les bulbes antérieurs et postérieurs par lesquels les deux troncs du vaisseau dorsal s’abouchent dans cette poche moniliforme. Dans l'échantillon que j'ai disséqué toute cette partie moniliforme avait subi un déplacement considérable au moment de la mort de l’animal; elle s'était repliée sur elle-même, de sorte qu'il était difficile d’assi- _gner la place véritable qu’elle avait occuper. Pour avoir une idée de ce déplacement il suffira de consulter la figure 13 l’on verra que, tout en correspondant à six anneaux au moins, la poche

LOMBRICIENS TERRESTRES. 55

entière semble contenue dans les seizième et dix-septième an- neaux.

Les paroïs de ce renflement moniliforme sont bien évidemment musculaires. On doit donc le considérer lui-même eomme un cœur véritable. La contractilité, que l’on constate en général dans tout le vaisseau dorsal, s’est ici concentrée en un seul point. Il s'est formé un véritable cœur impair longitudinal, tout à fait exceptionnel jusqu'ici chez les Lombriciens.

Ce cœur n'est pas du reste le seul' organe d'impulsion du sang. Eorsqu'on a ouvert les cloisons de la partie antérieure du corps, on remarque dans les poches qui dépendent du septième, du huitième, du neuvième et du dixième anneau deux anses vasculaires latérales, tout à fait analogues à celles qui constituent les cœurs latéraux chez les autres Lombriciens. De ces anses, celle du septième anneau est d’un petit calibre ; au contraire, celle du dixième est volumineuse et renflée en ampoule. Les autres vont graduellement en diminuant de calibre du dixième anneau au septième.

Toutes les quatre ne sont peut-être pas également contractiles, mais elles sont morphologiquement équivalentes. On peut donc dire que l'Anteus gigas possède un cœur dorsal impair moniliforme el quatre paires de cœurs latéraux sous forme d’anses anastomotiques entre le vaisseau dorsal et le vaisseau ventral. |

C'est dans le onzième et le douzième anneau, dans la ceinture même par conséquent et en arrière du gésier, contrairement à ce qui se voit chez les vrais Lombrics, que se trouvent les testicules. Ce sont de très-grosses glandes aplaties de haut en bas, refoulant derrière: elles les cloisons qui les suivent et attachées à la partie inférieure et médiane de la face postérieure de lai cloison qui les précède. Ces cloisons sont épaisses, nacrées, ne présentent d'autre orifice que celui que traversent l'intestin et les vaisseaux qui lui sont accolés. Chaque paire de testi- cules est donc complétement enfermée dans une poche parfaitement

56 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. close et ne communiquant à l'extérieur que par un seul orifice, celui de l’organe segmentaire.

Ces organes! présentent d’ailleurs dans ces deux anneaux et dans les sept suivants qui font également partie de la ceinture un calibre plus considérable. Au lieu d’être pelotonnés comme chez la plupart des Lombries, ils sont simplement un peu flexueux; leur calibre est suffisant pour qu'on puisse les injecter facilement par leur orifice extérieur, qui est lui-même fort apparent sur la ceinture. Chacun d'eux est terminé par une sorte de houppe formée par une série de replis membraneux implantés sur sa portion terminale libre. Cette houppe constitue le pavillon vibratile au milieu duquel s'ouvre le canal.

Bien que nous ayons soigneusement recherché les canaux défé- rents, nous n'avons rien vu qui pût en être considéré comme la trace. Nous croyons donc qu'ici les organes segmentaires des anneaux géni- taux en tiennent lieu.

Dans les anneaux qui suivent le vingtième, les organes segmen- taires sont de bien plus petit calibre, plus ou moins pelotonnés, et leurs circonvolutions sont reliées par une membrane qui fait apparaître chacun d’eux comme une sorte de lame frangée aplatie dont l’appa- rence n'a, au premier abord, rien de commun avec celle que pré- sentent les organes segmentaires des anneaux antérieurs.

Nous n'avons pas vu d’ovaires. Cette circonstance nous portait à penser que le Ver qui nous occupe n'était pas hermaphrodite, mais il y a dans le septième anneau, au moins, une poche sphérique qui res- semble beaucoup à une poche copulatrice; ce fait nous commande par conséquent une grande réserve en ce qui touche la dioïcité de l’Anteus.

Si incomplets que soient les détails que nous venons de donner, on voit qu'ils sont plus que suffisants pour justifier l'établissement d'un

4. PI. 1, 6g. 44.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 57

genre nouveau, s’éloignant à bien des titres de tous les genres connus. Le Ver qui en est jusqu'ici l'unique représentant portait dans la collec- tion du Muséum le nom générique d’Æypogeon: mais il ne présente aucune trace de la rangée de soies dorsales attribuée à ce genre par Savigny. Ce n’est donc certainement pas un Hypogeon.

Nous faisons dès à présent la même remarque pour le Ver brési- lien dont nous allons maintenant nous occuper et qui doit aussi con- stituer un genre nouveau.

GEN. TITANUS. Nov. gen.

L'est encore pour un Ver de très-grande taille qu'est fondé le genre dont nous allons parler.

Le Muséum possède de ces Vers plusieurs échantillons venant du Brésil et dont le plus grand atteint 1",26 de long. Tous ces échantillons se rapportent à la même espèce qui est jusqu’à présent unique dans son genre et dont la description tiendra lieu, pour le moment, de carac- téristique pour ce dernier.

Nous lui donnerons, à cause de son origine, le nom de :

TITANUS BRASILIENSIEIS: Ed. Per,

Longueur, pouvant atteindre un mètre vingt-six centimètres, plus grêle que le précédent, du moins si l’on s’en rapporte aux individus conservés dans l'alcool que j'ai eus à ma disposition; la portion anté- rieure du corps est moins fortement renflée; l’animal tout entier paraît beaucoup moins robuste.

La ceinture commence après le quatorzième anneau (y compris

1. PI. 1, fig. 45 et 16.

VHI, 8

58 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

l’anneau buccal) ; ses téguments me sont pas très-épaissis. D'ailleurs elle commence franchement et non pas graduellement comme, dans l’Anteus gigas. Elle comprend neuf anneaux et finit également brus- quement; elle est d’ailleurs incomplète et interrompue dans toute sa longueur par une large bande ventrale longitudinale, qu'on ne trouve pas bordée de bandelettes comme dans l'espèce précédente, C’est au point de jonction de cette bande et des bords de la çeinture propre- ment dite que se trouvent les orifices génitaux mâles, entre le dix- huitième et le dix-neuvième anneau. Ces orifices sont très-nets et bordés extérieurement par un petit bourrelet circulaire.

Les soies présentent une disposition remarquable, analogue à celle qui a été signalée par Kinberg, dans les genres Alyattes et Eury- dames du Brésil et de Panama. En avant de la ceinture, elles forment comme d'ordinaire quatre doubles rangées. Les deux soies qui con- stituent chacun des termes de ces rangées sont très-rapprochées, presque contiguës, comme cela se voit chez presque tous les Lom- brics. En arrière de la ceinture, elles paraissent déjà plus écar- tées l’une de l’autre, et cet écart va en augmentant jusqu'à la partie postérieure du corps. Il en résulte que dans les deux derniers tiers du corps de l'animal on distingue non plus quatre, mais huit rangées de soies; seulement chacune de ces rangées, au lieu d’être formée par des paires de soies, est formée par des soies simples et isolées. Les quatre rangées d’un même côté sont parfaitement équidistantes et occupent, à elles quatre, tout le flanc de l'animal. La rangée supérieure et la rangée inférieure de droite sont séparées de leurs homologues de gauche par une distance égale au triple de celle qui sépare deux rangées consécutives du même côté,

Ces soies sont d'ailleurs en forme d'S et ne présentent aucune particularité intéressante.

Dans toute la région les soies sont disposées par paires, l’orifice des organes segmentaires se trouve placé sur le bord antérieur de

LOMBRICIENS TERRESTRES. 59

l'anneau, un peu en avant de la paire de soies inférieure et légèrement au-dessus de la soie supérieure de cette paire, relativement très-loin d’ailleurs de Ja paire de soie supérieure.

Lorsque les soies de chaque paire s’écartent de manière à former huit rangées simples au lieu de quatre doubles rangées, on retrouve le même orifice en avant et au-dessus de chacune des soies qui for- ment la seconde rangée latéralé à partir de la région ventrale.

Or, comme le démontre l'inspection de Fanimal et comme on pourrait d’ailleurs le conclure de sa position, cette soie est l'homo- logüe de la soie supérieure de chacune des paires inférieures des quatre rangées que l’on observe dans le premier tiers de l'animal. Il est donc évident que l'orifice ségmentaire s’est déplacé en même temps que la soie de manière à conserver avec elle les mêmes rela- tions de position.

I ÿ a donc une liaison réelle entre l’orifice segmentaire et la soie qui lui correspond, et c’est une loi morphologique qu'il était inté- ressant d'établir pour arriver à l'interprétation de certains faits. De cette loi nous pouvons conéluré tout d'abord ceci : c'est que les organes segmentaires que nous avons décrits chez l'Anteus gigas ne sont pas les homologues de ceux que l'on trouve chez le Titanus brasi- liensis et chez tous lès Lombrieiens qui ont été étudiés jusqu'ici.

Si l’on ouvre par le dos le Titanus brasiliensis, on reconnaît immé- diatement que son appareil cloisonnaire est loin d’être aussi développé que celui de lAnteus gigas. On ne trouve ici rien qui ressemble au puissant appareil protecteur que nous avons précédemment décrit.

L'appareil digestif est muni d’un pharynx glandulaire et d'un gésier; mais l'ésophage est excessivement court. Le gésier occupe éepéndant le sixièiné anneau, comme dans l’Anteus gigas. Seule- ment, au liéu d'être reporté en arrière par une élongation plus grande de l’æsophage et d'entraîner avec lui les cloisons limitantes de l'anneau dont il dépend et toutes les cloisons antérieures, ici

60 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

le gésier commence avec l'anneau dont il fait morphologiquement partie et finit presque en même temps. Il en résulte que la cloison qui le maintient antérieurement et toutes les cloisons antérieures sont à peu près perpendiculaires à l’axe du corps de l'animal ; ces cloisons ne peuvent donc se recouvrir mutuellement et constituer un appareil défensif. La plus ou moins grande longueur de l'œsophage se montre ici comme l’une des causes dominatrices qui déterminent l'absence ou la présence de l'appareil protecteur formé par les cloisons anté- rieures. Ces modifications sont d’ailleurs probablement en rapport avec le genre de vie de l'animal, avec la nature des terrains dans lesquels il habite, la qualité des aliments dont il se nourrit, et ce sont des rapports qu’il serait intéressant de connaître.

Nous trouvons ici, en ce qui touche l'appareil circulatoire, un perfectionnement des plus inattendus et qui est fait pour étonner dans un groupe inférieur comme celui des Lombriciens. Cet appareil se compose essentiellement d'un vaisseau dorsal et d’un ou plusieurs vais- seaux ventraux, Chose dont nous n'avons pu nous assurer. Dans chaque anneau, une anse périviscérale unit le vaisseau dorsal au vaisseau ventral; dans les anneaux huit, neuf, dix et onze, cette anse prend un développement plus considérable, se renfle en une série d’ampoules irrégulièrement sphériques et constitue ainsi un vaisseau latéral, moniliforme, contractile, analogue à celui qui constitue les cœurs des Lombriciens ordinaires. Dans le quinzième anneau, les choses se passent tout autrement. Là, du vaisseau ventral naît de chaque côté une branche qui se renfle bientôt en une poche très-volumineuse occupant toute l'étendue du douzième anneau et la partie antérieure du quatorzièm'e ; elle est adossée à la cloison antérieure de ce dernier. Postérieure- ment cette poche coiffe un gros organe musculaire, en forme d'olive. large à sa base, terminé en pointe postérieurement et qui occupe toute la longueur des anneaux quatorze, quinze et seize’. Sa largeur à

4, PL x, fig. 45 c'et 16.

LOMBRICIENS TERRESTRES, ôt

la base est presque égale à celle de l'intestin qui se trouve comprimé entre les organes musculaires de chaque côté. Cet organe est de couleur blanc rosé, comme les parois mêmes du corps; de plus il est opaque. Au contraire, les parois de la poche antérieure, bien qu'évi- demment musculaires, sont transparentes et, dans l'animal conservé, colorées en bleu foncé par le sang coagulé qu’elles renferment. De l'extrémité de l'organe musculaire, un peu en dedans et un peu aussi avant la pointe de cet organe, naît un vaisseau d’assez fort calibre qui longe en remontant les paires extérieures de l'organe et vient s'ouvrir dans le vaisseau dorsal, à la hauteur de la cloison antérieure du quatorzième anneau. On reconnait évidemment dans cette description un cœur appartenant au quatorzième anneau, un cœur parfaitement constitué et non plus un simple vaisseau contractile comme ceux qui ont été décrits jusqu'ici, un cœur pourvu d’une oreillette semi-mem- braneuse, d'un ventricule à parois puissamment musculaires, se rapprochant, par conséquent, autant qu'il est possible, des cœurs des animaux supérieurs.

Ce fait est certainement le premier de ce genre qui ait été signalé dans l’histoire des Lombriciens ; il constitue le terme le plus élevé des modifications que peuvent subir les parties contractiles de l’ap- pareil vasculaire de ces animaux. On ne peut même relever qu'un petit nombre de faits analogues dans l’histoire des Annélides marines. M. de Quatrefages a trouvé un cœur réduit à un ventricule, chez les Marphyses, de chaque côté du tube digestif entre l’œsophage et la portion dentaire de la trompe ‘. Il signale aussi chez les Arénicoles et chez les Polyophthalmes un appareil cardiaque plus complet et constitué, comme chez le Titanus brasiliensis, par une oreillette et un ventricule; seulement le mode de constitution de ces cœurs est ici

tout différent et leur homologie très-difficile à établir, pour ne pas

1. De Quatrefages. Hist. Nat. des Annélides. Suites à Buffon, 1. 1®, p. 64.

62 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

dire plus. Chez le Polyophthalme d'Ehrenberg, l'intestin est couvert d’un riche lacis vasculaire qui aboutit à l'oreillette placée au-dessus de l'intestin ; célle-ci communique avec le ventricule qui envoie à son tour le sang dans un vaisseau se dirigeant vers la portion ventrale. La réunion sur la ligne médiane de chacun de ces vaisseaux latéraux donne naissance à une aorte abdominale dans laquelle le sang court d'avant en arrière; un autre vaisseau naît à la fois des deux ven- tricules, chemine au-dessus de l'intestin en se dirigeant vers la tête et constitue une aorte supérieure dans laquelle le sang marche d’ar- rière en avant.

Chez notre Lombrie, les choses ne se passent pas ainsi. Lesang révient, par le vaisseau ventral, dans l'oreillette qu'il remplit, passe de dans le ventricule et de celui-ci dans le vaisseau dorsal. H en résulte que dans la partie du vaisseau dorsal antérieure au treizième anneau, le sang marche d’arrière en avant et se dirige vers la tête; au contraire dans la partie du vaisseau qui suit le treizième anneau, le sang chemine d'avant en arrière; il suit une marche exactement inverse dans le vaisseau ventral, supposé unique, mais qui peut être double : c’est un point sur lequel mes recherches me pouvaient pas porter. Quant aux anses d’anastomose périviscérales du vaisseau dorsal et du vaisseau ventral, le sang les parcourt de haut en bas.

Iln'est peut-être pas sans intérêt de remarquer que cette marche du sang telle que nous venons de la décrire et telle qu'elle résulte de la structure anatomique de l'animal est exactement contraire à celle que M. de Quatrefages a reconnüe dans le Lumbricus trapezoïdes !. le sang marche d'arrière en avant dans le vaisseau dorsal, et d'avant en arrière dans les deux vaisseaux ventraux. Dans les anses périviscérales la marche du sang est sans doute aussi de haut en bas.

Il y a relativement aux organes segmentaires quelques faits

1. Suites à Buffon. Hist. des Annélides, pl. 1.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 63

remarquables à signaler. J'ai constaté leur existence ou du moins l'existence de tubes tout à fait analogues, dans les anneaux huit, neuf, dix et onze. Il m'a néanmoins été complétement impossible, sur trois échantillons dont les téguments étaient bien conservés et suffisamment distendns dans cette partie, d'apercevoir leurs orifices. C'est seulement entre le treizième et le quatorzième anneau que cet orifice apparaît pour la première fois, c’est-à-dire à la partie antérieure de l'anneau qui précède la ceinture; on le voit avec la plus grande netteté. Entre le dix-huitième et le dix-neuvième anneau, il est remplacé par l’orifice génital mâle qui est plus grand et légèrement reporté en dedans. 1

1214

manque COMp tentre le dix-septième et le dix-huitième anneau.

Nous aurons à approcher ces faits de ceux qui nous seront fournis par la disposition de l’appareil génital.

De ce dernier je n’ai pu voir que la portion mâle. Elle se compose de deux longs testicules ovalaires, aplatis, fixés par un court pédon- cule à la partie postérieure, inférieure et médiane de la cloison anté- rieure du douzième anneau. Ces testicules! sont plus ou moins repliés sur eux-mêmes et autour de l'intestin; lorsqu'ils sont développés et étendus ils occupent toute la longueur comprise entre le douzième et le vingt-cinquième anneau, ils traversent par conséquent toute la cein- ture et ne finissent que bien au delà de l'orifice génital. Au-dessous de leur pédoncule naît de chaque côté un canal assez court, droit, qui n’est autre chose que le canal déférent; je n'ai pu m'assurer s'il se terminait antérieurement en pavillon vibratile; postérieurement il aboutit à une sorte d’empâtement qui occupe toute l'étendue du dix- huitième et du dix-neuvième anneau. On peut ouvrir cet empâtement et on reconnaît que ce n’est pas autre chose qu’une poche à parois musculaires s’ouvrant au dehors par l’orifice génital mâle et qui peut, jusqu’à un certain point. jouer le rôle de vésicule séminale. Je n'ai

1. PI. 1, 6g. 45,4

64 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

pas vu d’organe qu'on puisse considérer comme un organe copulateur proprement dit. La fécondation n’a très-probablement lieu que par simple rapprochement des orifices.

Je n'ai rien vu que l'on puisse considérer comme une poche copulatrice. Il est singulier, d'autre part, que chez un animal de cette taille, comme chez l’Anteus, l'ovaire échappe à une recherche minutieuse. C'est pourquoi je me pose encore ces deux ques- tions :

L'organe que j'ai indiqué chez l’Anteus gigas comme étant peut- être une poche copulatrice, a-t-il réellement cette destination ?

L’Anteus gigas et le Titanus brasiliensis sont-ils vraiment herma- phrodites?

Évidemment de nouvelles recherches sont nécessaires sur ce point : l’hermaphroditisme, s’il existe, a besoin d’une confirmation directe. L'hermaphroditisme de tous les Lombriciens a été conclu simplement de l'étude de nos Lombrics indigènes; nous en avons déjà assez dit pour montrer combien sont cependant peu généraux la plupart des caractères que nous présentent ces Vers. Nous ne pouvons, pour le moment, que soulever cette question de l'hermaphroditisme constant des Lombriciens sans la résoudre. Nous ajouterons cependant que, de même qu'il y a parmi les Annélides, ordinairement dioïques, quelques rares espèces hermaphrodites, il pourrait fort bien se trouver chez les Lombrics habituellement hermaphrodites un certain nombre de types dioïques.

J'insisterai encore ici sur les points suivants :

Dans les anneaux qui produisent les testicules et aboutit le canal déférent, on ne voit pas les orifices des organes segmentaires et je n'ai pas constaté d’une manière certaine l'existence de ces organes, pourtant si visibles, quoique ne paraissant pas s'ouvrir au dehors dans les anneaux antérieurs. Cet orifice manque encore dans l'anneau qui précède celui s'ouvre le canal déférent. Enfin l’orifice de ce canal

LOMBRICIENS TERRESTRES, 69

a exactement les mêmes relations de position que l'orifice des organes segmentaires.

Les individus d’après lesquels cette description est faite ont été rapportés du Brésil en 1837 par M. Gaudichaud. Ils sont.au nombre de trois; un quatrième ne porte aucune indication de localité; tous sont en assez mauvais état,

GEN. RHINODRILUS, Nov. Gen.

J'établis le genre Rhinodrilus pour un Ver de l'Amérique méri- dionale (Caracas, dans la république de Venezuela), qui se fait remar- quer, à première vue, par un prolongement en forme de trompe de son lobe céphalique, caractère jusqu'à présent unique chez les Lom- briciens terrestres.

Bien que Hoffmeister ait distingué trois genres ! d'après la forme du lobe céphalique, je ne considérerais pas les caractères tirés de ces modifications de forme comme suffisants pour établir un genre nou- veau, si aucune modification organique n’accompagnait celle-ci. Aussi, tout en faisant allusion dans la composition du nom du genre à l'existence de la trompe ou plutôt du tentacule, caractère extérieur le plus saïllant de notre animal, n’ai-je pas l'intention d'indiquer que ce genre ne devra contenir que des Lombriciens pourvus d’une trompe.

Cette trompe n’a du reste aucun rapport ayec l'appareil digestif, et n’a rien de commun avec ce que M. de Quatrefages appelle la trompe des Annélides, avec ce qui constitue la trompe des Naïs et des genres voisins. Elle est, au contraire, l'analogue de l’appendice cépha- lique de la Naïs proboscidea, appendice qui avait provoqué pour cet

4. Lumbricus, Helodrilus, Criodrilus. VII. : 9

66 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. animal la création du genre Stylaria * et qui caractérise encore le genre Euaxes de Grube.

On peut encore comparer l’appendice unique dés Rhinodrilus au prolongement en cône de la tête des Glycères. C’est une sorte de ten- tacule, et pas autre chose.

C’est sur un échantillon unique qne notre genre est établi; la des- cription de cet échantillon devra tenir lieu par conséquent de carac- téristique pour le genre. Nous donnerons à l'espèce que nous allons décrire le nom de Rhinodrilus paradoæus, à cause des caractères jusqu'ici exceptionnels qu’elle présente.

RHINODRILUS PARADOXUS Sp. n01.°

Ce Ver a la taille de notre Lombric ordinaire (15 centimètres), dont il ne diffère à première vue que par sa trompe, qui a à ou 4 milli- mètres de long environ.

La ceinture est située après le dix-huitième anneau et occupe les anneaux dix-neuf, vingt et vingt et un. Elle est peu marquée en dessus; mais en dessous elle est rendue très-distincte par deux ban- delettes longitudinales, légèrement ‘concaves vers la ligne médiane

4. Comme le fait remarquer M. Vaillant, ce genre n’est peut-être pas aussi mauvais qu’on veut bien le dire, attendu que dans la Naïs proboscidea les faisceaux de soïes sont composés autre- ment que chez un certain nombre d’autres Naïs; suivant W.C. Minor, l'appareil digestif présente aussi quelques particularités. Quant au mode de reproduction asexuée, nous ne croyons pas la différence aussi fondamentale que le pense M. Minor, attendu que chez tous les Naïdiens que j'ai étudiés à ce point de vue, la scissiparité se complique toujours d’un double bourgeonnement qui se produit à la fois à l'extrémité postérieure du corps de l’ânimal qui se divise et au point même la scission se produit. Je me suis expliqué sur ce point dans un travail relatif au Dero obtusa, qui a paru depuis quelque temps déjà ?.

2. PI. 1, fig. 9, 40, 41 et 42

À U} TS té, ra COR PE | (4 [nf

iences and arts, vol. XXXV, janvier 1863) 2. Comptes rendus de PAcadémie ds Sciences, 1870, et Avchsoss de A expérimentale de M. de Lacaze Duthiers, t. ler; janvier 1872.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 67

et qui s'étendent sur les trois anneaux que nous avons désignés.

C’est entre ces bandelettes que l’on voit les orifices génitaux, au nombre de deux, sur le sillon qui sépare le dix-neuvième anneau du vingtième, Ces orifices ont la forme de deux boutonnières transversales; de leur angle externe part, de chaque côté, un sillon arqué, longitu- dinal, parallèle aux bandelettes. Ce sillon traverse le vingtième anneau etse termine avec lui; son extrémité inférieure est unie à celle du sillon symétrique par un repli transversal, concave vers l'extrémité cépha- lique et plus profond que les sillons interannulaires. Les orifices géni- taux et les sillons qui en dépendent détachent ainsi entre les bande- lettes de la ceinture une sorte d’écusson, très-net sur l'individu con- servé dans l'alcool que j'ai examiné. Il y a évidemment à se demander ce que devient cette apparence chez l'animal vivant; mais fût-elle un accident comme on en voit tant sur les animaux conservés dans l'al- cool, il était bon de la signaler, non toutefois sans réserve.

Les soies sont disposées sur quatre doubles rangées comme dans le genre Lumbricus. Elles présentent néanmoins quelques particula- rités caractéristiques et dont on n’a pas encore signalé d'exemples *.

On sait que dans presque tous les Lombriciens étudiés jusqu'ici à ce point de vue, les soies sont toujourslisses et généralement en forme d'S.

Nous avons vu toutefois, dans le Lumbricus americanus, une modi- fication légère des soies de la ceinture qui deviennent droites et très- longues relativement à celles du corps, qui sont en forme d'S. Chez le Rhinodrilus paradoæus, les soies du corps * sont bien en forme d'S, mais leur portion externe est un peu plus épaisse que leur portion interne ; de plus, toute leur portion externe présente de petits arcs chitineux saillants, à concavité externe, et qui sont assez irrégulièrement dispo- sés. C’est déjà une exception, car chez tous les autres Lombriciens

4. Il serait intéressant d’avoir une bonne figure des soies des Geogenia. Kinb. qui présen-

tent aussi une ornementation, 2. PI. 1, fig. 44 bis.

68 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

les soies sont très-franchement lisses; toutefois cette ornementation passerait facilement inaperçue si l’on s’en tenait à l'examen des soies du corps, chez qui les petits ares chitineux, quoique très-nets, ne s'imposent cependant pas très-énergiquement à lattention. Sur les soies du corps, ces arcs ne sont en quelque sorte que les vestiges d’une structure très-remarquable présentés par les soies des an- neaux seize, dix-sept, dix-huit et dix-neuf qui précèdent immédiate- ment la ceinture ou en font déjà partie.

Ces dernières soies sont parfaitement droites, de même largeur que les soies du corps, mais environ deux fois et quart plus longues; elles sont lisses pendant un peu plus de la moitié de leur longueur ; mais dans le reste qui forme la partie saillante à l’extérieur, on voit la chitine se soulever de manière à former une quantité de nids de pigeon régulièrement disposés et dont l'ouverture est dirigée vers la pointe extérieure de la soie.

C'est une ornementation dont'aucun autre exemple n’a été signalé. Il est évident que ces soies ont un rôle spécial à jouer dans l’accouplement, comme Hering l’a fait remarquer le premier, en ce qui concerne les vrais Lombrics. Il est difficile, dans le cas actuel, de se prononcer sur la nature précise de ce rôle; mais nous verrons dans un autre animal les soies du voisinage de la ceinture se modifier encore davantage, leur rôle se préciser en même temps et l’ensemble des soies d’un anneau constituer un véritable pénis.

Quoi qu'il en soit, il y a un fait à retenir : si dans la grande majorité des Lombrics terrestres connus, les soies se présentent avec un grand caractère de simplicité, le Rhinodrilus paradoæus nous montre que des complications plus ou moins grandes peuvent se produire dans la structure de ces organes. Ce qui est actuellement l'exception peut n'être qu'une exception apparente, car nous connaissons à peine

1. PL 1, fig. 40 et 44.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 69

quelques types isolés du groupe des Lombriciens, trop peu pour que toute généralisation ne soit pas encore prématurée. Aussi craignons- nous que M. Grube, et avec lui M. Léon Vaillant, n'aient accordé une trop grande valeur au caractère tiré de la simplicité des soies des Lombrics. Nous croyons même, nous le prouverons un peu plus tard, que leur mode de disposition ne peut dépasser la valeur d'un caractère générique.

En ce qui concerne les organes segmentaires, nous retrouvons ici, comme dans l’Anteus gigas, leur orifice en avant des soies de la rangée supérieure, etcela a lieu dans tous les anneaux. Voici donc une seconde exception à cette règle généralement admise et sur laquelle avait insisté Claparède, que les organes segmentaires s'ouvrent en avant des soies de la région ventrale.

Arrivons maintenant à l'anatomie proprement dite de l'animal.

L'appareil digestif ne présente aucune particularité saillante. Un pharynx à parois épaisses et glandulaires, un œæsophage membraneux, un gésier à parois très-musculeuses, enfin un intestin; voilà sa con- stitution. Le gésier dépend du septième anneau; mais il est reporté un peu en arrière par l'allongement de l’œsophage et se trouve occu- per ainsi la longueur des neuvième, dixième et onzième anneaux. L'appareil circulatoire est essentiellement remarquable, du moins dans sa partie antérieure, la seule que j'ai observée, et encore pas aussi complétement que je l'aurais voulu. s

Il se distingue tout d'abord par l'existence de deux vaisseaux dorsaux et de deux vaisseaux ventraux'; ces quatre vaisseaux sont tous situés sur la ligne médiane, les uns plus particulièrement en rapport avec l'intestin, les autres plus près des parois du corps.

Voici maintenant comment ces vaisseaux sont reliés entre eux: les deux vaisseaux, dorsal et ventral, les plus éloignés de l'intestin,

A, PI. 1, fig. 42.

70 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

sont unis par des anses flottantes qu'on peut désigner sous le nom d’anses périphériques. Il m'a semblé qu'à la partie antérieure le vais- seau ventral se bifurquait; mais c’est un fait qui me laisse encore quelques doutes que comprendront tous ceux qui ont essayé d'étudier des parties aussi délicates sur des animaux conservés depuis longtemps dans l'alcool et que l’on est dans l'obligation de ne pas détériorer, il faut presque, par conséquent, voir Sans toucher.

Quant aux deux vaisseaux plus voisins de l'intestin, ils sont réu- nis par des anses embrassant assez “étroitement l'intestin et qui deviennent plus libres et assez volumineux dans les anneaux 20, 21 et 22, elles prennent même l'aspect irrégulièrement bosselé propre aux cœurs des Lombrics dont elles n'atteignent cependant pas le volume. C’est ce qu’explique l'existence dans les trois anneaux qui précèdent d'autant de paires d'organes que nous croyons être les véri- tables cœurs. Chacun de ces organes est en rapport par un vaisseau spécial d’une part avec le vaisseau dorsal inférieur, de l’autre avec le vaisseau ventral supérieur. De plus, sur chacun d'eux on distingue deux parties bien distinctes : l'une inférieure, à parois transparentes, gonflée par un sang bleuâtre coagulé, de forme sphérique; l'autre supérieure, blanche, opaque, plus volumineuse, de forme ovoïde et s’abouchant par son petit bout avec le vaisseau qui conduit au tronc dorsal. On ne peut s’empêcher de voir un cœur muni de son oreil- lette, qui serait la partie inférieure de l'organe et de son ventricule qui serait la partie supérieure. C’est la détermination à laquelle nous nous arrêtons.

Sur le ventricule on aperçoit quelques veines bleuâtres partant du sommet et disparaissant bien vite. L'existence de ces veines nous avait fait d’abord concevoir quelque doute, car elles semblaient être disposées en vue de produire une sorte d'irrigation dans l'organe qui aurait eu, dès lors, quelque analogie avec un appareil glandulaire ; mais l’apparence en question tient sans doute à ce que, sur certains

LOMBRICIENS TERRESTRES. 71

points, près du sommet du ventricule, les fibres longitudinales s’écar- tent et laissent apercevoir la membrane interne et le sang qu’elle con- tient. D'ailleurs, la présence de l'oreillette et l'absence de tout autre appareil suffisant d’impulsion pour le sang démontrent bien que les organes en question ne peuvent être que des cœurs analogues à ceux du Titanus brasiliensis. Ici ces cœurs, au nombre de six, ont chacun un volume relatif moins considérable que les cœurs du Titanus, qui ne sont qu'au nombre de deux. C’est évidemment une conséquence de leur nombre. Leur disposition anatomique est d’ailleurs la même : l'oreillette en rapport avec le vaisseau ventral, le ventricule en rapport avec le vaisseau dorsal interne. Dans ces deux vaisseaux, le cours du sang est donc le même que celui que nous avons décrit pour le Tita- nus. Quant aux vaisseaux externes, nous ignorons comment ils com- muniquent avec les autres; nous ne pouvons rien dire de la marche du sang à leur intérieur.

Les organes génitaux sont constitués par une paire de glandes situées immédiatement en arrière du gésier et qui sont des testicules. Un canal déférent y aboutit de chaque côté. Ce canal est muni d'un pavillon vibratile, enfermé avec le testicule dans une membrane commune.

Nous n'avons vu aucune trace de poches copulatrices; nous pou- _vons donc faire ici la réflexion que nous avons déjà faite à propos du genre précédent:

Les Rhinodrilus sont-ils réellement hermaphrodites ?

GEN. EUDRILUS', Nov. Gen.

J'ai déjà présenté à l'Académie des sciences une note relative à l’or- ganisation d'un ver appartenant au genre dont je vais maintenant parler.

4 Plus, fig. 26 à 30.

72 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

A l’époque de ma communication je ne connaissais encore que l'échantillon vivant que j'avais disséqué ; j'ai depuis rencontré dans la collection du Muséum deux Lombriciens provenant, l’un de la Marti- nique, l’autre de Rio-Janeiro, qui rentrent évidemment dans ce genre et qui, dans tous les détails de leur anatomie, différent à peine du pre- mier Eudrilus que j'ai vu : l’Eudrilus decipiens.

Toutefois je dois faire ici une remarque importante. Les deux vers que j'ai pu voir conservés dans l'alcool sont évidemment intra- clitelliens, quoique leurs orifices mâles soient rejetés entre le dernier et l’'avant-dernier anneau de la ceinture; au contraire, l'individu que j'ai eu vivant a été indiqué dans mes notes et dans ma communication à l'Académie comme postclitellien; toutefois j'ai indiqué un aréole partant de la ceinture et semblant la prolonger jusque sur les orifices mâles.

Y a-t-il eu une méprise de ma part? Je regrette de ne pouvoir le vérifier actuellement par suite de la destruction accidentelle de l'échantillon qui servit alors à mes recherches.

Quoi qu'il en soit, les orifices mâles dans l'échantillon en ques- tion et dans ceux que j'ai actuellement sous les yeux se trouvent occu- per exactement la même position, c'est-à-dire le bord postérieur du dix-septième anneau.

La ceinture qui occupait les anneaux 13, 44 et 15 dans l'Eudrilus decipiens, occupe les anneaux 13 à 18 inclusivement dans l'Eudrilus de la Martinique, et les anneaux 14 à148 dans celui de Rio-Janeiro, elle est du reste dans les deux cas assez peu distincte et les anneaux paraissent se modifier graduellement, surtout dans le ver de la Martinique.

En somme, c’est seulement sur l'étendue en arrière de la ceinture que porte la différence ; comme elle englobe les orifices mâles dans les individus conservés, je range les £udrilus parmi les Lombriciens intra- clitelliens, tout en signalant un point douteux, propre d’ailleurs à infirmer la valeur des caractères tirés des orgânes génitaux, s’il était

LOMBRICIENS TERRESTRES, 73 démontré qu'iln’y a pas eu erreur de ma part en ce qui touche l'ÆEu- drilus decipiens.

Les Eudrilus sont d’ailleurs des vers fort remarquables.

Leur taille est médiocre, leurs soies simples, disposées par paires sur quatre rangées latérales symétriques deux à deux. Les deux ran- gées d’un même côté sont très-rapprochées l'une de l’autre,

Les orifices des organes segmentaires sont en avant des soies de la rangée supérieure comme dans les Anteus et les Rhinodrilus.

Les orifices mâles s'ouvrent en avant des soies de la rangée inférieure.

Si l'on suit la rangée supérieure des soies de chaque côté, en arrivant au quatorzième anneau on distingue immédiatement en avant des soies, ou même à leur place, un orifice très-net, quelquefois bordé d'un bourrelet, ce qui n'empêche pas l’orifice de l'organe segmen- taire, un peu réduit, d'occuper sa place habituelle; les soies de la rangée inférieure ne sont d’ailleurs aucunement modifiées.

Quelle est la signification de ces orifices? Je l'indiquerai en par- lant des organes génitaux.

L'appareil digestif des Eudrilus diffère à peine de l'appareil digestif des autres Lombriciens ; l'œsophage est très-court et le gésier situé vers le septième anneau.

L'appareil circulatoire est constitué sur le plan de celui des Lom- bries proprement dits, quant à ses centres d’impulsion. Ces derniers sont en effet de simples anses latérales bosselées situées entre le gésier et l'appareil génital.

Celui-ci est constitué d’une manière remarquable.

Les testicules sont au nombre de trois chez l’Eudrilus decipiens ; chez les autres vers, je n’en ai vu que deux bien développés ; mais il m'a semblé qu’en avant s’en trouvait un autre bien plus petit et pour ainsi dire rudimentaire.

De ces testicules part de chaque côté un canal déférent qui

VIIL. 10

7h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

arrive jusqu’au dix-septième anneau en se contournant diversement; il aboutit dans une poche particulière sur laquelle nous aurons à revenir tout à l'heure.

Dans cette poche aboutit encore constamment un tube qui se rattache à un organe allongé en forme de saucisse”, d'aspect nacré, qui rappelle par sa position la prostate des Lombriciens postclitelliens, mais qui ne présente en aucune façon l'aspect glandulaire de ces der- nières.

On voit encore quelquefois sur la poche du dix-septième anneau un troisième appendice formé de deux culs-de-sac grelfés comme les branches d’un Y sur une tige commune.

J'ignore quel peut être l’usage de ces appendices et je n'ai pu suivre d’une manière bien exacte leurs rapports avec le contenu de la poche, qui est lui-même assez exceptionnel. Ce n’est pas autre chose qu'un pénis* en forme de crochet charnu, fibreux, capable de faire saillie au dehors ainsi que je m'en suis directement assuré, mais qui demeure habituellement retiré à l’intérieur de la poche.

C'est là, comme on le voit, un appareil copulateur des plus com- plets et des plus remarquables.

L'appareil femelle n’est pas moins étrange.

Il est situé dans le quatorzième anneau et son orifice extérieur n'est pas autre chose que l'orifice porté par cet anneau en avant de la paire supérieure de soies.

On voit partir de cet orifice un tube qui se recourbe plusieurs fois en se dirigeant en arrière, se renfle finalement en une poche allongée à parois plus ou moins distendues et dont l'extrémité en cul- de-sac se dirige en avant.

Greffés sur ce tube avant sa dilatation en poche, on voit d’abord un tube plus petit, entortillé de façons diverses, et juste en face de

41. PI. u, fig. 26, vs. 2. PI. n, fig. 27 et 28.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 75

lui une sphère assez peu volumineuse, quelquefois deux qui présen- tent alors un aspect un peu différent. Je n’ai pu examiner ces derniers corps que sur deux individus conservés dans l'alcool, l'un depuis 1826, l’autre depuis 1833. Mais cet examen ne peut laisser aucun doute; ce sont des ovaires dans lesquels il est encore possible de reconnaître des œufs avec tous leurs éléments caractéristiques".

Le membre vitelline assez épaisse a conservé sa forme sphérique ; le vitellus s’est un peu condensé et ramassé d’un côté; la vésicule transparente est encore bien nette et contient une, deux ou trois taches germinatives.

De plus, chaque œuf paraît entouré d'une couche granuleuse assez épaisse que je m'abstiendrai d'interpréter à cause des chances d'erreur que présente l'examen histologique de pièces conservées, surtout depuis si longtemps. Il n’en demeure pas moins constant que les ovaires sont ici greffés sur un appareil qu'on ne peut considérer que comme une poche copulatrice.

Je décrirai comme espèces distinctes les £udrilus de provenance différente que j'ai eus à ma disposition, bien que les caractères exté- rieurs qui les distinguent soient assez fugitifs. Il me semble que les dispositions anatomiques spéciales que je vais avoir à signaler moti- vent suffisamment cette distinction. ;

EUDRILEUS LACAZIEK>:. Edmond Perrier.

La longueur de ce ver est médiocre; sa partie antérieure est aplatie et se termine par un lobe céphalique simple; la partie posté- : 4. PI. iv, fig. 76. 2. Je dédie cette espèce à mon savant et excellent maître M. H. de Lacaze Duthiers,

membre de l’Institut, professeur à la Sorbonne, ancien professeur au Muséum et à l'École nor- male, il a bien voulu m'appeler à lui succéder.

76 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

rieure va en Ss'amincissant beaucoup, elle est bien plus grêle que l’antérieure.

Comme dans les autres espèces je ne signalerai que les carac- tères dont je n’ai pas eu à parler en définissant le genre.

La ceinture, peu marquée, occupe les anneaux 43, 44, 15, 16, 17 et 18, en tout six. |

Les pores génitaux femelles du quatorzième anneau sont situés très-nettement en avant des soies supérieures qui sont bien distinctes.

Le gésier, assez allongé, est situé à la hauteur du sixième anneau, sans que je veuille affirmer d’une manière bien positive qu’il lui appar- tient, les cloisons correspondantes se trouvant détruites.

On trouve des vaisseaux latéraux contractiles dans les anneaux 8, 9 et 10, peut-être 7.

Les anneaux 11 et 12 contiennent chacun une paire de testicules bien développés; il y en a une autre, mais beaucoup plus petite, dans le dixième anneau. |

Dans le quatorzième anneau, sur la base de la poche copulatrice, on ne voit à l'extérieur que le petit tube tortillé et à l’intérieur, c'est-à-dire vers l'axe du corps, un petit ovaire sphérique.

Le canal déférent se rend à la bourse du pénis sans se tottiller sur lui-même; sur cette bourse sont grelfés la longue poche en forme de saucisse et l’appendice en Y, qui tous deux ont un aspect fibreux très-caractérisé.

Dans tous les anneaux, même dans ceux qui contiennent les ovaires, il y a un organe segmentaire.

Ces organes, à partir du quinzième anneau, se font remarquer par leur coloration jaune-orangé. Cette coloration répond à une por- tion glandulaire de l'organe; celui-ci se prolonge vers l'axe du corps en un petit tube transparent, entortillé à l'extrémité duquel j'ai cher- ché, sans l’y voir, un pavillon vibratile, Ces organes reposent sur la face postérieure de chaque cloison.

LOMBRICIENS TERRESTRES. v à à

IL y au Muséum deux échantillons de l’£udrilus Lacazii, tous deux sont en assez mauvais état.

Ils ont été rapportés de la Martinique par M. Plée; l’un date de 1826, l'étiquette de l’autre ne porte pas de date.

EUDRIELUS PEREGRINUS!. Edm. Perrier.

L'Eudrilus peregrinus est plus grand que le précédent; son lobe céphalique, bien distinct, entame postérieurement et très-nettement le segment buccal.

La ceinture occupe cinq anneaux ; ses anneaux extrêmes sont le quatorzième et le dix-huitième.

L’extrémité postérieure paraît moins rétrécie que dans l'espèce précédente.

Les pores génitaux femelles du quatorzième anneau sont moins distincts, peut-être un peu plus reculés, et je n’ai pu distinguer à la loupe les soies qui doivent se trouver derrière eux.

Pour ne pas trop détériorer l'échantillon unique du Muséum, je n'ai pas voulu découvrir le gésier qui se trouve avant le huitième anneau. Cet anneau contient une anse cardiaque ainsi que les deux suivants; ces derniers sont les plus développés. ;

Les testicules sont situés aux onzième et douzième anneaux; je n'ai vu dans le dixième anneau qu'une sorte de toute petite masse glandu- laire, absolument indéterminable.

Dans le quatorzième anneau, les organes femelles comprennent : la poche copulatrice, le petit tube entortillé qui est extérieur, une masse glandulaire située en face de lui, intérieurement et dans laquelle je n'ai pas vu d'œufs; enfin au-dessous du tube tortillé et exté-

4. Je donne à ce Ver l’épithète de peregrinus à cause de sa provenance assez éloignée des Antilles, d’où proviennent les deux autres.

78 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

rieurement à lui, mais greffé comme lui sur le pédoncule de la poche copulatrice un ovaire bien distinct et que j'avais sous les yeux quand j'ai parlé des ovaires des Eudrilus dans la description du genre.

L'appendice en Y de la bourse du pénis est formé de deux branches très-inégales en longueur, appliquées l’une contre l'autre, tandis qu’elles sont égales dans l'espèce précédente.

IL n'existe dans la collection du Muséum qu’un seul individu de cette espèce ; il a été rapporté de Rio-Janeiro, en 1855, par M. Gau- dichaud.

EUDRILUS DECIPIENS Edm. Perr.

Ce ver a été recueilli dans la terre d’un envoi de plantes des Antilles par M. Houllet, chef des serres au Muséum, qui m'avait déjà remis quelques jours auparavant plusieurs échantillons d’une espèce nouvelle de Perichæta et qui avait bien voulu, à ma demande, porter son attention sur la terre de l'envoi des Antilles qu'il venait de rece- voir. M. Houllet continue d’ailleurs à surveiller le dépotement des plantes qui lui sont envoyées, et il n’y a pas de doute que, grâce à lui, la collection de Lombriciens du Muséum de Paris ne s’accroisse rapidement et que l’histoire de ces singuliers animaux ne s’enrichisse de faits nombreux.

A l’époque cet £udrilus me fut remis, je n'avais encore étudié avec quelque soin que nos Lombrics indigènes et les Perichæta. Je ne connaissais de Lombriciensayant leurs orifices génitaux mâles non situés en avant de la ceinture que ces derniers et, comme les soies ne sont pas toujours très-visibles au premier coup d’œil, je crus d’abord avoir affaire à un Perichæta, ce qui aurait beaucoup augmenté l'aire d’exten- sion de ce genre. C’est à cause de cette erreur momentanée que j'ai nommé le ver qui nous occupe : Eudrilus decipiens. Quant au préfixe Eu dont j'ai fait précéder le mot grec qui veut dire ver, il provient de ce

LOMBRICIENS TERRESTRES, 79

que le premier Lombricien terrestre chez qui un véritable appareil copulateur ait été signalé est précisément l'£udrilus decipiens; ce ver me semblait donc à ce moment plus parfait que les autres. Nous verrons que les Acanthodrilus sont aussi pourvus de pénis, autrement constitués d'ailleurs que ceux que nous avons décrits chez les divers Æudrilus ; nous avons vu aussi des Lombriciens chez qui l’organisation atteint un plus haut degré de perfection ; néanmoins il n’y a pas d’inconvénient sérieux à conserver le nom primitif que nous avons choisi et qui se trouve déjà consacré d’ailleurs par une communication faite à l'Aca- démie le 13 novembre 1871.

La taille, la couleur, l'aspect général de l’Eudrilus decipiens sont, en tout, ceux de nos Lombrics. La bouche s'ouvre franchement au- dessous du lobe céphalique qui est très-aigu. Les soies forment quatre rangées; il m'a semblé que, assez souvent, chaque faisceau contenait plus de deux soies parfaitement développées; mais il faudrait exami- ner sur plus d'un individu si ce fait présente quelque constance; nous ne l’inscrivons ici qu'à titre de renseignement. La ceinture occupe les anneaux treize, quatorze et quinze; elle est continue. Les orifices génitaux mâles sont situés au dix-septième anneau, c’est-à-dire sur le deuxième anneau après la ceinture; ils se font remarquer par leur netteté et par l’aréole opaque et blanchâtre qui l'entoure.

L'animal ayant été plongé vivant dans une solution faible d’acide chromique, nous avons vu sortir par l’un de ces orifices une sorte de crochet charnu à concavité tournée vers le bas et à pointe mousse beaucoup moins large que sa base. Au-dessous de ce crochet et en continuité de tissu avec lui se trouvait une poche sphérique égale- ment sortie au dehors et présentant le même aspect nacré. Nous avons cru d’abord à une simple hernie avec retournement en doigt de gant du canal déférent, mais un examen attentif nous a bien vite montré qu'il y avait une spécialisation plus grande d’une partie du canal déférent et que nous avions affaire à un véritable pénis

80 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

rétractile. Du côté le pénis n’était pas sorti spontanément, nous pensions le voir au dedans du corps, mais nous n'avons vu à sa place qu'un empâtement discoïde assez épais, sur lequel venaient s'insérer le canal déférent et le canal excréteur de la poche allongée et fibreuse; nous avons dès lors pensé que cet empâtement, qui était beaucoup moins visible de l’autre côté, n'était autre chose qu'une bourse à l’intérieur de laquelle devait se trouver le pénis rétracté; nous avons donc déchiré les parois de cette bourse et nous avons trouvé à son intérieur le second pénis charnu recourbé autour de la poche’. Cela confirmait notre première observation : à savoir que bien réel- lement les £udrilus ont un pénis charnu distinct de toutes les autres parties de l'appareil génital, rétractile à la volonté de l'animal et enfermé quand il est rentré en dedans dans une poche particulière que nous avons déjà nommée bourse du pénis. C'est un organe pour ainsi dire à demi externe, que l’on peut observer presque sans dissec- tion et qu'à ce titre nous avons décrit en même temps que les autres caractères zoologiques.

Voyons maintenant les caractères anatomiques”.

Le tube digestif se compose, comme d'habitude, d'un pharynx musculeux, qui occupe ici les cinq premiers anneaux, puis d'un œsophage très-court qui commence vers la moitié du cinquième anneau et se termine au commencement du septième; dans ce dernier se trouve le gésier qui l’occupe entièrement sans le dépasser, enfin vient l'intestin proprement dit.

De l'appareil circulatoire je n'ai vu qu'un vaisseau dorsal et deux paires de cœurs latéraux dans les septième et huitième anneaux.

Les anneaux neuf, dix et onze contiennent chacun une paire de

testicules. Ces testicules ont la forme de langues recourbées au-dessus

4. Pl 1, fig. 27 et 28. 2, Voir pl. 1, fig. 26, et l'explication des planches.

LOMBRICIENS TERRESTRES. S1

de l'intestin ; ils sont tous absolument égaux entre eux, tandis que chez les vrais Lombrics, qui présentent aussi trois paires de testicules, la paire postérieure est beaucoup plus grande que les deux autres. Les vers du genre Lumbricus et ceux du genre £Eudrilus sont du reste encore les. seuls on ait constaté trois paires de testicules; partout ailleurs jusqu'ici il n’y a que deux paires de ces organes, même une seule.

Le douzième anneau renferme les poches copulatrices. Ici ces or- ganes sont complexes. Ils sont constitués par un tube qui se dirige d’a- bord obliquement en dehors et en bas, puis se recourbe brusquement, en suivant un trajet tortueux, pour remonter en dedans et en haut vers la ligne médiane. Arrivé un peu au-dessous de l'intestin, ce tube se recourbe de nouveau brusquement et descend parallèlement à la ligne médiane, puis il se recourbe une dernière fois en remontant sur l'intestin, parallèlement à l'axe longitudinal, en donnant naissance à un long renflement piriforme qui est la véritable poche copulatrice.

Dans la seconde partie de son trajet, lorsqu'il se dirige oblique- ment de dehors en dedans et de bas en haut, ce tube donne naissance à deux appendices qui naissent vis-à-vis l’un de l’autre et se dirigent l'un en avant, l'autre en arrière. Le premier est une petite sphère glandulaire, supportée par un pédoncule assez court. D'après ce que nous avons vu dans les deux espèces précédentes, c'est très-pro- bablement l'ovaire; mais nous n'avons pas d'observations précises sur ce point. Le second est un tube six ou sept fois replié sur lui- même et dont toutes les parties repliées se touchent de manière à figurer au premier abord un organe triangulaire compacte supporté par un pédoncule courbe *.

Nous retrouverons une complication analogue dans une espèce de Perichæta ; mais ce qui est important à noter ici, comme dans [es autres

4, Pl. nr, 6g, 26, pc. vi. 11

82 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

espèces, c’est l’interversion des positions respectives des poches copu- latrices et des testicules. Dans tous les Lombriciens que nous avons étudiés jusqu'ici, les poches copulatrices sont au moins au nombre de deux paires et situées ordinairement en avant des testicules. Ici, il n°y a plus qu’une paire de ces poches, et elles sont situées, au contraire de ce qui arrive d'ordinaire, franchement en arrière des testicules.

11 en résulte que non-seulement tous les organes essentiels de la génération, mais même les organes accessoires, sont reportés tous ensemble en arrière du gésier.

De chaque côté du corps, il n’y a qu’un seul canal déférent, flot- tant assez librement dans la cavité générale. Après avoir subi plu- sieurs inflexions, ce canal passe en dehors de la bourse du pénis, se recourbe au-dessous il se contourne plusieurs fois sur lui-même et remonte enfin pour venir s’aboucher dans la bourse du pénis. Immé- diatement au-dessus de lui s'ouvre le canal de la poche fibreuse allon- gée. Celle-ci est exclusivement formée par un long tube cylindrique légèrement flexueux dans lequel on peut distinguer deux parties obliquement séparées l'une de l’autre; l’une postérieure est légère- ment translucide; l’autre, antérieure, est blanche opaque et légère- ment nacrée.

Le liquide que contient probablement cette poche et le sperme se mélangent-ils dans la poche située au-dessous du pénis, pour être de éjaculés par cet organe dans les poches copulatrices ?

Bien que nous ayons observé d’autres détails relatifs en particu- lier au système nerveux, nous ne les consignerons pas ici; ils sont trop incomplets pour avoir à nos yeux quelque valeur.

Je n’ai pas non plus suffisamment étudié les organes segmentaires pour en parler ici.

Avec ce ver s'en trouvait un autre, dépourvu de ceinture, plus petit et qui certainement n'était pas encore à l'état de maturité sexuelle.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 83

En somme, on voit dès à présent que la position des orifices des organes segmentaires permet de distinguer deux groupes chez les Lombriciens intraclitelliens.

PREMIÈRE TRIBU, Orifices des organes segmentaires situés en avant des soies de la rangée ventrale.

1. Huit soies par anneau géminées à la partie antérieure du corps, isolées et formant huit rangées ad à la partie posté-

ORDD 5 PTE ER Er TE Ru ME et Tilanus.

DEUXIÈME TRiBu. Orifices des organes segmenlaires en avant des soies de la rangée supérieure.

A. Soies géminées dans toute l'étendue du corps. A. Un orifice spécial situé en avant des soies de la rangée inférieure pour les canaux déférents. a. Lobe céphalique prolongé en tentacule. Soies or- DADeNUES SU RS ee sec + se . . Rhinodrilus. B. Lobe Sshatiue simple. oies sans ornements . . Æ£Eudrilus. B. Point d'orifice spécial pour les canaux déférents. Un seul genre. . . . . . . . . JESRIS DNS ANNE III. LOMBRICIENS POSTCLITELLIENS OU A ORIFICES GÉNITAUX

#2 « - MALES SITUÉS APRÈS LA CEINTURE.

Jusqu'ici les Lombriciens dont l’orifice génital est placé après la ceinture sont les plus nombreux que nous ayons rencontrés.

Tandis que nous n’avons rien vu personnellement qui permette de distinguer plusieurs genres dans les Lombriciens antéclitelliens, tandis que les genres de Lombriciens intraclitelliens se réduisent à quatre, tous Américains, nous trouvons quatre genres bien caractérisés de Lombriciens postclitelliens, et leur répartition conduit à consi- dérer comme probable que ce type est beaucoup plus général que les deux autres. Nous trouvons, en effet, dans le groupe des postclitel-

8/ NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

liens des vers provenant de la Nouvelle-Calédonie (Acanthodrilus) d’autres provenant de la Nouvelle-Hollande (Digaster), d’autres de l'Inde et des régions voisines (Perichæta). Cest une aire de distribution beaucoup plus grande que celle des deux autres groupes.

En effet, nous trouvons les Lombriciens antéclitelliens en Europe, dans l'Amérique du Nord et, comme viennent de nous le prouver de récents envois, en Égypte, à Alexandrie, à Damiette; c’est-à-dire dans trois régions qui ont toujours été considérées comme présentant sous tous les rapports la plus grande analogie. L'Amérique du Sud se mon- tre, jusqu’à présent, comme la patrie exclusive des Lombriciens intra- clitelliens; enfin en Asie et en Australie , nous trouvons le type type postclitellien. Cette diversité dans les stations est évidemment très-remarquable; en présence surtout de la limitation assez nette des stations des autres types, elle conduit à se demander si réellement le type principal des Lombriciens n’est pas précisément celui dont nous nous occupons ici. Notre Lombric terrestre, dont Claparède avait pris les caractères pour les étendre au groupe tout entier, serait ainsi presque une exception dans ce groupe.

D'ailleurs la position des orifices génitaux n’est pas le seul carac- tère par lequel les Lombriciens postclitelliens se distinguent des autres animaux de la même espèce. On pourra voir dans les descrip- tions que nous allons donner quels sont les caractères qui coexistent avec celui-ci et l'on pourra ainsi en apprécier la valeur; mais nous n'insistons pas davantage ici, préférant conserver pour une autre partie de ce Mémoire des généralités qu’il y a avantage à grouper avec d’autres pour bien juger de leur signification.

Dans une précédente communication à l’Académie, nous avons déjà distingué trois genres, dont voici les noms, ce sont :

Les Acanthodrilus de la Nouvelle-Calédonie ;

2* Les Digaster de la Nouvelle-Hollande ;

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3 Les Perichæta de Java, de l'Ile Bourbon, de Ceylan, de Calcutta, du Pérou, à peu près, en somme, de la région du Pacifique.

Les deux premiers de ces genres sont nouveaux, le troisième est de Schmarda qui lui attribue cinq espèces ; M. Vaillant en a créé une sixième; Baird et Grube chacun une; nous en avons étudié une autre, ce qui porte au moins à neuf le nombre des Perichæta connus, sans compter les espèces dont Kinberg a fait des genres séparés. Nous décrirons ici trois Acanthodrilus. Quant au genre restant, il ne contient qu'une seule espèce.

Nous aurons encore à ajouter à ce bilan des Lombriciens posteli- telliens cinq nouveaux Perichæta, et un genre très-voisin des Peri- chæta, et que nous nommerons Perionyx.

Dans les deux premiers genres, les soies sont disposées comme chez les Lombrics; dans le troisième et le quatrième, elles sont nom- breuses et disposées en cercle sur les anneaux. Ce caractère particu- lier, joint à la position des orifices génitaux, aurait pu conduire à éloigner beaucoup les Perichæta et les Perionyæ des autres Lombri- ciens; mais on verra que le caractère tiré de la disposition des soies n’a pas une importance extrême et que ces genres ne diffèrent pas beaucoup, en somme, des autres genres du même groupe.

GEN. ACANTHODRILUS, Nov. Gen.

Trois espèces se placent dans ce genre; deux proviennent de la Nouvelle-Calédonie, une troisième de Madagascar. Des deux premières, l'une atteint presque les dimensions des Anteus et des Titanus; l'autre ne dépasse pas la taille de nos Vers de terre indigènes; ces deux espèces sont d’ailleurs, comme on le verra, parfaitement distinctes.

Leur caractère le plus saillant, celui qui frappe tout d’abord, c'est l'existence de quatre orifices génitaux mâles au lieu de deux.

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Par chacun de ces orifices, on voit saillir un faisceau de soies courbes, d'aspect nacré, très-longues et plus ou moins rétractiles, sans l'être toutefois d’une manière complète. Chacun de ses faisceaux constitue un véritable pénis. C’est la première fois que nous avons à signaler une aussi remarquable modification des soies locomotrices. Toutefois, les Rhinodrilus et même les Lombrics nous avaient déjà fait pressentir un rapport entre les soies et l'appareil de la génération.

Les soies sont du- reste disposées par paires sur quatre rangées, comme chez les Lombrics. Ces rangées occupent plus spécialement la région ventrale de l’animal.

Les pores dorsaux, que nous n’avons vus ni dans les Anteus ni dans les Titanus, apparaissent ici bien évidents. Les individus que nous avons examinés étaient trop détériorés pour que nous puissions dire rien d’absolument certain sur la position des orifices segmentaires. Cependant, sur l’Acanthodrilus obtusus, le plus grand des deux, il nous a semblé que les orifices s’ouvraient sur la ligne des soies de la rangée supérieure. Toutefois, les téguments présentaient de nombreuses solu- tions de continuité en forme de pointillé ; la cuticule avait en grande partie disparu; il nous est donc impossible d'affirmer la chose d’une manière tout à fait positive.

Nous bornons ces généralités et nous passons tout de suite à la description anatomique et zoologique des espèces.

Nous appellerons la première : Acanthodrilus obtusus, parce que les soies de son pénis sont arrondies au bout; la seconde, Acanthodrilus ungulatus , parce que ces mêmes soies sont recourbées en forme de griffe, et la troisième, Acanthodrilus verticillatus, parce que ces soies semblent présenter une sorte de guillochage disposé en anneau.

LOMBRICIENS TERRESTRES. S7

ACTANTHODRILUS OBTUSUS sp. nov.'

Longueur, soixante-dix centimètres environ. Corps cylindrique, légèrement atténué en avant et en arrière. Ceinture peu apparente, mais placée avant les orifices génitaux mâles, qui occupent les dix- neuvième et vingt el unième anneaux.

Les soies locomotrices ont la forme ordinaire, les soies péniales sont hérissées de pointes à leur extrémité, qui est légèrement recourbée et obtuse. Au centre du carré formé par les orifices entre lesquels elles font saillie, se trouvent les apparences de deux orifices qui me paraissent être le résultat d’une altération de l’animal, mais que je signale néanmoins pour ne rien laisser passer. J'ignore d’ailleurs à quoi de semblables ouvertures pourraient servir. Les pores dorsaux sont très-évidents, situés à la limite de chaque anneau; quant aux orifices des organes segmentaires, j'ai dit dans les généralités relatives au genre tout ce que j'ai pu observer.

A l’œsophage fait suite un gésier musculeux, ovoïde, occupant les anneaux sept, huit et neuf, et sur lequel s’insère obliquement de haut en bas et d'avant en arrière, l'intestin proprement dit, lequel ne pré- sente rien de particulier.

Sur la ligne médiane supérieure se voit le vaisseau dorsal duquel, dans les anneaux dix, onze, douze, treize et quatorze, partent cinq paires d’anses latérales, moniliformes et contractiles qui constituent dix cœurs latéraux analogues à ceux des vrais Lombrics.

C'est au treizième anneau que l’on trouve une paire d'organes glandulaires qui sont très-probablement des glandes génitales. Leur aspect n’est pourtant pas celui que l’on est habitué à trouver aux tes- ticules, aussi ne chercherai-je à rien affirmer à cet égard.

4. PI. où, fig. 47.

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Aux anneaux dix-neuf et vingt et un se trouvent d’autres organes glandulaires en forme de languettes très-longues et pelotonnées, qui occupent exactement la position habituelle de la prostate, et se pro- longent en un tube excréteur contenant les spicules péniens. Sont-ce bien des prostates ?

Je n'ose pas l’affirmer.

En effet, si j'admets que l’organe glandulaire du treizième anneau est un testicule, que ceux des anneaux dix-neuf et vingt-et-un sont des prostates, il se trouve que chaque testicule aura pour lui seul deux canaux déférents, deux prostates, deux pénis, ce qui paraît peut pro- bable. II se pourrait donc que les organes du treizième anneau fussent les ovaires ou toute autre chose.

seraient alors les testicules ?

L'apparence des organes des dix-neuvième et vingt et unième anneaux rappelle assez bien celle des glandes mâles des autres Lom- brics; mais nous aurions alors des testicules directement greffées sur leur canal déférent et sur leur pénis, ce qui, dans l’état présent de nos connaissances, paraît assez contraire à ce que nous savons du type Lombric.

Nous devons donc, au moins en ce moment, accepter avec réserve cette interprétation ; en voici d’ailleurs une autre qui nous paraît pos- sible.

Remarquons en premier lieu que, chez l'individu qui avait servi à nos études, la ceinture n’était pas apparente. L'époque de la géné- ration était donc passée ou à venir. Il est, en conséquence, possible que les testicules ne fussent pas encore développés ou fussent déjà flétris. Ils doivent être d’ailleurs au nombre de deux paires au moins. L'existence des prostates n’est pas une objection à cette manière de voir, car J'étude des Perichæta nous apprend que ces glandes persistent souvent alors que toutes les autres parties de l'appareil génital sont plus ou moins complétement dans un état momentané d'atrophie.

LOMBRICIENS TERRESTRES. s9

Les deux paires de testicules, quand il n'y en a que deux, se mon- trent d’ailleurs presque toujours avec un égal développement; nous ne croyons cependant pas pouvoir attribuer avec certitude aux organes du treizième anneau la signification d'ovaires.

L'étude histologique de leur substance n'a pu d’ailleurs nous donner aucun renseignement sur leur nature, comme cela arrive trop souvent pour les échantillons conservés dans l'alcool.

Les poches copulatrices sont situées dans les anneaux huit et neuf; elles sont piriformes, sans aucun annexe. La seconde paire est beaucoup plus volumineuse que la première.

Nous remarquons que chez l’Acanthodrilus obtusus les organes géni- taux essentiels sont situés en arrière du gésier, contrairement à ce que l’on trouve chez les Lombrics proprement dits.

L'échantillon que nous avons étudié a été donné, en 1865, au Muséum d'Histoire naturelle, par le Musée des Colonies; il est ori- ginaire de la Nouvelle-Calédonie.

ACANTHODRILUS UNGULATUS nov. sp.

Tout d’abord, cette seconde espèce diffère de la première par sa taille, qui est beaucoup moindre, puisqu'elle ne dépasse pas un déci- mètre. Les caractères essentiels sont, du reste, les mêmes, mais plus apparents, parce que l’échantillon que nous avons examiné était juste à l’époque de sa maturité sexuelle.

Le corps était fortement contracté par l'alcool.

La ceinture, parfaitement nette, occupe quatre anneaux, les qua- torzième, quinzième, seizième et dix-septième. Elle est tailladée dans tous les sens par des incisions obliques provenant, au moins en partie, de la rupture des tissus, brusquement contractés par un alcool trop

concentré. Elle entoure, du reste, le corps tout entier; à son bord VII. 12

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ventral postérieur, elle est seulement un peu entamée par une sorte de double écusson, formé de deux plaques elliptiques les tégu- ments sont plus épaissis. C’est sur ces plaques que se trouvent les ori- fices génitaux mâles, au milieu des dix-huitième et vingtième anneaux et sur la même ligne que la rangée de soies inférieures. Les quatre pénis font saillie à l'extérieur et se distinguent immédiatement sur- tout à l'intérieur du corps par leur aspect nacré. Chacun d’eux est formé par quatre soies courbes *, diminuant graduellement d'épaisseur de la base au sommet et terminées par un crochet qui est tantôt sim- ple et régulièrement courbe, tantôt deux fois recourbé à angle droit; Sa pointe, qui est dans tous les cas très-aiguë, est reliée de chaque côté au reste de la soie par un repli chitineux légèrement et irrégu- lièrement dentelé à son bord libre. Ces replis et le crochet constituent ainsi une sorte de gouttière.

Dans une certaine longueur, à partir du crochet, la surface de chaque soie est couverte de pointes acérées, dirigées vers l'extrémité libre et placées comme des écailles sur la soie. À mesure que l’on s éloigne de l’extrémité libre, ces pointes, d’abord très-serrées et pres- que contiguës, S'écartent de plus en plus et finissent par disparaître. Un autre caractère remarquable se manifeste encore dans toute la lon- gueur du premier‘tiers de la soie. À partir d’une petite distance du crochet, l’intérieur de la soie semble formé d’une série de disques alter- nativement clairs et obscurs, placés les uns au-dessus des autres; les disques obscurs paraissent plus épais que les disques clairs qui, de leur côté, Se continuent sans interruption avec le revêtement chitineux extérieur de la soie. Ces disques vont en s’élargissant et diminuant de plus en plus d'épaisseur, à mesure que l’on s'éloigne de l'extrémité crochue. Ils finissent par occuper toute l'épaisseur de la soie. A partir de ce moment, on cesse bientôt de les distinguer à l’intérieur de

l. Pl. n, fig. 22 et 23.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 1

celle-ci, qui devient alors marquée d’une série de sillons annulaires équidistants, très-rapprochés les uns des autres, et entre lesquels la substance chitineuse forme bourrelet. Puis ces sillons s’effacent peu à peu; la surface de la soie devient lisse, on n'y distingue plus que quelques stries longitudinales, irrégulières.

Ces détails sont évidemment en rapport avec le mode de for- mation de la soie; mais nous ignorons jusqu'ici leur signification précise.

Le tube digestif commence par un pharynx glandulaire gros- sièrement piriforme qui paraît occuper les quatre premiers anneaux. L'œsophage vient ensuite, membraneux et cylindrique comme d’habi- tude. Après le huitième anneau, il se renfle en un gésier musculeux qui occupe le neuvième anneau et empiète même un peu sur le dixième; puis vient l'intestin avec ses caractères habituels.

Nous devons dire ici que ces relations sont celles que nous avons constatées sur l’animal que nous avons ouvert, mais nous n'avons pu nous assurer d'une manière absolument positive que la contraction n'avait pas produit quelque déplacement. Nous avons prendre des chiffres bruts qui, dans tous les cas, ne peuvent pas s'éloigner beau- coup de la réalité.

De l'appareil circulatoire nous n'avons pu voir que le vaisseau dorsal qui se ramifie beaucoup à la surface du gésier. Mais chaque rameau vasculaire se trouvait transformé en une cordelette excessi- vement friable, condition aussi mauvaise que possible pour l'étude.

Les testicules sont au nombre de deux paires, placés dans les anneaux onze et douze; leur forme est ovalaire et leur consistance uniformément pulpeuse. Chacun d'eux possède son canal déférent particulier qui aboutit à une prostate multilobée; le canal excréteur de cette prostate, uni au canal déférent, forme un canal beaucoup plus volumineux que chacun des premiers et dont les paroïs sont sou-

tenues par les soies péniales.

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Les deux prostates de chaque côté sont immédiatement conti- guës, de manière qu’elles semblent former une masse glandulaire unique. La prostate inférieure se réfléchit postérieurement et remonte un peu pour venir s'unir à son pénis par son extrémité postérieure, tandis que le pénis de la prostate antérieure part de la région moyenne de la glande. Ces deux glandes occupent, du reste, l'étendue de six anneaux, le premier faisant partie de la ceinture.

Je n'ai pu voir les pavillons vibratiles qui doivent .terminer les canaux déférents.

Remarquons qu'ici encore les testicules sont placés en arrière du gésier.

Les poches copulatrices sont situées aux anneaux huit et dix. Chacune est munie d’un lobe postérieur, assez petit, et n’a pas d’au- tre appendice. Dans le neuvième anneau se voient plusieurs sacs glan- dulaires, séparés par une glande multifide. Cet appareil est-il l’ana- logue de celui qui occupe le treizième anneau de J'Acanthodrilus obtusus ? Est-ce un ovaire? Ce sont deux questions auxquelles je ne puis répondre.

IL est du reste suffisamment évident que les vers du genre Acan- thodrilus sont hermaphrodites.

L'A. ungulatus vient, comme son congénère, de la Nouvelle-Calé- donie; il a été donné, comme lui, au Muséum en 1863, par le Musée des Colonies. |

ACANTHODRILUS VERTICILLATUS. Edm. Per.

Je range cet animal parmi les Acanthodrilus avec un léger point de doute, son appareil génital n'étant pas du tout développé et paraissant réduit aux quatre pénis formés de soies courbes, caracté- ristiques jusqu'ici des vers de ce genre.

La longueur de cet animal est de 350 millim.; sa largeur de

LOMBRICIENS TERRESTRES. 95 8 millim.; les soies lisses et en forme d’S sont disposées par paires et sur quatre rangées comme d'habitude.

La lobe céphalique n’entame pas le premier anneau et paraît, au contraire, s'élargir à sa base de manière à ressembler à la partie supérieure d’un trèfle; mais cette apparence tient peut-être à un état particulier de conservation.

La ceinture n’est pas apparente.

Sur la face ventrale du corps on voit vers la région antérieure une paire de gros orifices. Ces orifices sont placés au milieu du vingt- cinquième anneau apparent; mais le rang de l'anneau auquel ils appar- tiennent est tout au plus dix-huit. En effet, ainsi qu'on peut s'en assurer en ouvrant l'animal, les plis des téguments, bien qu'en appa- rence tous identiques, sont loin de limiter des anneaux et l’on voit plusieurs plis correspondre à l'intervalle de deux cloisons.

De plus on ne trouve pas de soies dans tous les intervalles de deux plis consécutifs; mais comme dans la région antérieure il arrive que les soies manquent parfois par avortement ou par usure, il devient assez difficile de supputer le nombre des anneaux compris dans un intervalle déterminé. Toutefois je crois ne pas me tromper beaucoup en disant que c’est le dix-huitième anneau qui porte les orifices en question, exactement au point devrait se trouver une paire de soies ventrales.

Le dix-septième anneau porte également deux orifices un peu plus petits. Les uns et les autres correspondent intérieurement à un sac contenant les soies péniales qui sont plus développées au dix-hui- tième anneau qu'au dix-septième, comme cela a lieu pour les orifices.

Les soies sont courbes, terminées en pointe et annelées, chaque strie annulaire paraissant hérisste de pointes rangées en verticille, d’où le nom spécifique. Accolé au sac sétigère on aperçoit en arrière un petit sac glandulaire.

Il existe un gésier.

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L'animal dont je viens de donner une succincte description est de Madagascar.

Il a été donné en 1861Fau Muséum par M. Coquerel, officier de

marine.

GENRE DIGASTER. Nov. gen.

Ce genre ne contient qu'une seule espèce, je :

DIGASTER LUMBRICOIDES' Sp. nov.

Il est difficile de ne pas confondre à première vue cet animal avec un Lombric ordinaire. Seule, la position des orifices génitaux en arrière de la ceinture révèle une organisation différente et appelle l'attention d’un anatomiste.

La ceinture est placée après le douzième anneau; elle paraît un peu échancrée au-dessous à son bord postérieur et occupe trois anneaux; les orifices génitaux mâles s'ouvrent au bord antérieur du dix-septième anneau, et le seizième étant très-court, ils sont très- rapprochés de la ceinture.

Tous les autres caractères, la forme Le corps, la disposition des soies, etc., sont d’ailleurs ceux des vrais Lombrics.

Dès qu’on a ouvert l'animal, des différences importantes se révè- lent néanmoins aussitôt. La plus frappante porte sur l'appareil digestif.

On le voit commencer d'abord par un pharynx, glanduleux comme d'habitude et occupant les quatre premiers anneaux. L'œso- phage se montre ensuite; mais à peine a- t-il été amorcé qu'il se renfle presque aussitôt en un premier gésier musculeux occupant le

1. PI, 11, fig. 24 et 25, et pl. 1v, fig. 64 et 65.

LOMBRICIENS TERRESTRES,. 95

cinquième anneau et tout semblable au gésier des Lombrics ; dans le sixième anneau, l'œsophage reprend sa forme ordinaire; puis dans le septième anneau, il se renfle de nouveau et constitue un second gésier absolument identique au premier. C’est alors seulement que ecom- mence l'intestin. |

L'existence de ces deux gésiers pouvant au premier abord paraître un fait accidentel, j'ai tenu à savoir exactement ce qu'il fallait en penser. Comme plusieurs individus de cette même espèce se trouvaient dans la collection, j'en ai choisi deux de provenance différente que j'ai ouverts; tous deux m'ont présenté les deux gésiers dans les mêmes conditions. On doit donc admettre qu'ils font bien réellement partie de l’organisation normale du ver dont nous nous occupons. Comme ce caractère est unique jusqu'ici, nous nous en sommes servi pour composer le nom du genre nouveau qu’il nous a fallu créer, le genre Digaster, dont l’étymologie se lit d'elle-même.

Sur le tube digestif se trouve appliqué le vaisseau dorsal. Il donne naissance dans les anneaux huit, neuf, dix, onze et douze à des anses latérales embrassant l'intestin et dont la première est moins volumi- neuse que les autres. Ces anses constituent cinq paires de cœurs latéraux.

Dans les anneaux dix et onze se trouvent des glandes en grappes assez volumineuses. Ce sont probablement les testicules. Il est intéres- sant de noter que leur aspect extérieur est tout différent de celui que présente habituellement le testicule des Lombrics, qui forme une masse pulpeuse compacte, et non pas un amas de grains disposés en grappe. Néanmoins les relations de ces glandes du Digaster avec les canaux déférents ne permettent guère de douter de leur nature.

On voit, en effet, chaque canal déférent s'épanouir au-dessous de chacune des glandes en un petit pavillon vibratile à bords très- déchiquetés, exactement comme cela arrive pour les autres Lom- briciens.

96 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

En arrière le canal déférent’ vient s'ouvrir dans une prostate aplatie, elliptique, dont les lobules, quoique bien limités, sont réunis de manière à former une masse compacte. C'est au bord antérieur de la glande que se termine le canal déférent. De ce point naît un canal plus volumineux qui s'ouvre à l'extérieur et qui joue probablement le rôle de pénis, bien que ses parois ne soient pas très-riches en éléments musculaires; tout au moins doit-il contribuer à l’éjaculation par la contraction de ses parois.

Les poches copulatrices sont situées dans les anneaux 8 et 9 et s'ouvrent à leur bord antérieur; elles sont piriformes et courtement pédonculés. Elles sont situées, ainsi que tout le reste de l'appareil géni- tal, en arrière du second gésier. Immédiatement en avant de la cein- ture j'ai cru voir deux petits orifices. Faut-il les rattacher aux oviductes ou aux organes segmentaires ? Je l’ignore; il m'a d’ailleurs été impos- sible de retrouver les ovaires.

Les Digaster forment, comme on voit, un type de Lombricien assez intéressant. Ils ont été rapportés de la Nouvelle-Hollande en 1846 par M. Jules Verreaux. Quelques-uns d’entre eux ont une origine plus précise ; ils viennent du voisinage du port Maquerie.

GEN. PERICHZÆTA,., Schmarda.

Bien que je me propose de publier dans un mémoire spécial mes recherches sur l’organisation des Perichæta, bien que j'aie déjà fait connaître par une note à l’Académie des sciences les principaux résul- tats d'un travail anatomique assez complet sur l’une des espèces de ce genre, je ne crois pas inutile de réunir ici ce que nous connaissons de l’organisation de ces animaux. On trouvera ainsi rassemblés dans

1. Pi, 1, fg: 25.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 97

ce travail tous les points essentiels de nos connaissances anatomiques sur le groupe des Lombriciens terrestres, et l’on pourra plus facilement se faire une idée complète des éléments qui constituent ce groupe. Je me bornerai ici comme précédemment à l'anatomie pure et simple; l'histologie a été à dessein laissée presque partout de côté, afin de ne pas altérer l'homogénéité d’un travail entrepris sur des matériaux qui ne pouvaient que bien rarement se prêter aux recherches de micros- copie.

Le genre Perichæta a été fondé par Schmarda pour des vers dont le caractère essentiel est d’avoir sur chaque anneau un nombre considé- rable de soies isolées, équidistantes, formant un cerele tout autour de l’anneau et en son milieu. Ces soies sont du reste simples et en forme d’S à boucles très-allongées, comme chez les autres Lombrics. Schmarda décrit cinq espèces de Perichæta, les uns pourvus, les autres dépourvus de ceinture. Il est probable que ces derniers n'étaient dépourvus de cet organe que parce qu'ils n'étaient pas à l’époque de la maturité sexuelle. La ceinture est un organe d’une existence trop générale et trop constante dans toute la classe des Lombriciens pour qu'il soit permis de supposer jusqu’à preuve évidente du contraire que quelques espèces isolées dans un genre en sont complétement dépourvues à toutes les époques de leur existence, quand d'autres espèces du même genre la possèdent.

Au caractère tiré des soies, énoncé par Schmarda, M. Léon Vail- lant en a ajouté un autre qui, à part les réserves à faire pour le mémoire déjà cité de Kinberg, était alors absolument exceptionnel : celui de la position des orifices génitaux mâles en arrière de la cein- ture. Il a de plus étudié une espèce nouvelle que d’'Udekem avait déjà eu occasion d'examiner. Ce Perichæta nouveau, qui fait partie de la collection du Muséum, a reçu de M. Vaillant le nom de Perichæta posthuma. Une autre espèce, le P. Cingulata de Schmarda, a été déter- minée par M. Vaillant dans la même collection.

VIN. 15

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Baird a décrit de son côté une espèce de la Nouvelle-Galles du Nord, le P. diffringens; Grube a signalé un Perichæta de Tahiti (P. tahi- tensis); enfin nous avons vu qu'après avoir subdivisé le genre Peri- chæta en quatre autres, Kinberg avait décrit autant de vers nouveaux que l’on doit rapporter à ce genre. Cela fait en tout douze espèces appartenant à ce genre de Schmarda.

J'en ai moi-même ajouté précédemment une treizième, origi- naire de Calcutta et de la Cochinchine et que je propose d'appeler Perichæta Houlleti, du nom du savant et excellent chef des serres du Muséum, à qui j'en dois la connaissance.

C'est de ce Perichæta que j'ai publié l'anatomie dans les comptes rendus de l’Académie des sciences.

Auparavant, M. Vaillant avait publié dans les Annales des sciences naturelles l'anatomie des Perichæta posthuma et cinqulata. Xl a le premier signalé l'existence d’une sorte de prostate chez ces animaux, ainsi que la disposition générale de leur appareil circulatoire.

Plus tard, dans une note à l’Académie publiée à la suite de la mienne, le même naturaliste a insisté sur quelques dispositions par- ticulières de l’appareil circulatoire et du système nerveux, ainsi que sur une prétendue préférence des Perichæta pour la terre qui enve- loppe les bulbes d'Orchidées. Je soupçonne que cette préférence pour- rait bien tenir simplement à ce que les plantes que nous recevons le plus souvent des pays qu'habitent les Perichæta sont précisément des Orchidées.

Quoi qu'il en soit, il restait encore beaucoup à faire après le travail de M. Vaillant. J'ai été assez heureux pour combler quel- ques-unes de ces lacunes en faisant connaître la disposition des pavil- lons vibratiles qui terminent les canaux déférents, en décrivant pour la première fois les singuliers ovaires ombelliformes du Perichæta

4. Comptes rendus, 1874, semestre, p. 277.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 99 Houlleti, et les entonnoirs sessiles qui servent d’oviductes. J'ai trouvé également chez les individus que j'ai observés une sorte de pénis rudimentaire, que M. Vaillant ne figure pas dans les espèces qu'il a eues entre les mains, bien qu’il existe au moins chez le P. posthuma ; enfin j'ai signalé des poches copulatrices de forme toute différente de celles qui avaient été décrites jusque-là. L'étude de l'appareil vasculaire, celle du sytème nerveux, ont été également complétées par la description du mode de terminaison des vaisseaux et par celle d’une partie au moins du système nerveux stomato-gastrique. Enfin j'ai également donné de nombreux détails sur les glandes annexes du tube digestif.

On peut donc considérer les Perichæta comme étant, après le Lombric terrestre, les mieux connus de tous les Lombriciens terri- coles. Je vais donner une description succincte de l'organisation des espèces que j'ai étudiées et qui portent à dix-sept le nombre des

Perichæta connus.

PERICHÆTA HOULLETE Sp. nov.

Longueur, 1 décimètre environ; ceinture commençant après le treizième anneau et oceupant les anneaux quatorze, quinze et seize, paraissant assez ordinairement dépourvue de soies, mais en présentant néanmoins dans certains cas. Soies au nombre de quarante-cinq à cinquante par anneau, simples et en forme d'S. Les soies en voie de formation sont surmontés d’une sorte de bourrelet grumeleux, entouré par les cellules sécrétrices. |

Orifices génitaux mâles situés sur le deuxième anneau qui suit la ceinture, entourés par une aire blanchâtre provenant de ce que les prostates se montrent à travers les téguments. Sur la ceinture et en avant un orifice parfois peu distinct, qui ma paru en rapport avec les oviductes, et qui se retrouve dans toutes les autres espèces. Enfin

100 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

des poches copulatrices au nombre de trois paires entre les anneaux six, sept, sept, huit et huit, neuf

La couleur est celle de nos Lombrics; l'animal est venu de Cal- cutta dans Ja terre de plantes expédiées de ce pays; il était à son arri- vée parfaitement vivant.

Voyons maintenant quelle est l’organisation anatomique de ce ver.

L'appareil digestif se trouve comme toujours formé d'un pharynx glandulaire à parois très-épaisses, d’un œsophage assez allongé et membraneux, d’un gésier musculaire et d’un tube digestif propre- ment dit’.

Le pharynx occupe les cinq premiers anneaux, il est piriforme, d'un blanc mat et recouvert de plusieurs couches de glandes qui s’ou- vrent à son intérieur par trois paires d'orifices.

L'œsophage, très-légèrement conique et s’élargissant un peu d'avant en arrière, occupe les anneaux 6, 7, 8 et le commencement du 9°.

Il présente sur sa longueur de remarquables appareils glandu- laires. Ce sont, en premier lieu, trois paires de houppes de tubes situés chaque paire dans un anneau différent. Ces tubes sont réfléchis sur eux-mêmes et contournés en spirale*. Ils contiennent des cellules pâles ovalaires pourvues d’un noyau.

Dans le sixième anneau deux glandes piriformes sont appliquées de chaque côté de l'œsophage; leur gros boutest tourné en avant, leur petit bout se continue en arrière de chaque côté par un court canal excréteur qui vient s'ouvrir dans l’œsophage au point même celui-ci traverse la cloison 6, 7. De chaque côté ces glandes se réflé- chissent en avant et se prolongent en un pédoncule tendineux qui les relie aux parois du corps*.

4. PL, u, fig. 37 et 38. 2. PI. u, fig. 44, 3 PI. 11, fig. 38 ’, et fig. 42 et 43.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 401

Du côté opposé de la cloison 6, 7, dans le septième anneau par conséquent, s'ouvrant néanmoins exactement au même point que les précédentes, se trouvent deux glandes en grappe formées d’acini sphé- riques, longuement pédonculés et formant les plus élégantes arbores- cences ‘.

Get ensemble de glandes constitue l'appareil glandulaire le plus complexe qui ait encore été signalé chez les Lombriciens. Il faut y voir autre chose qu'un simple appareil salivaire. On se demande involontairement de quelle modification dans le régime de l'animal est corrélatif ce développement exubérant des glandes diges- tives, qui d’ailleurs se retrouve à peu de chose près dans les autres espèces.

Le gésier occupe le neuvième anneau; il est suivi de l'intestin. Ni l'un ni l’autre ne présentent rien de particulier.

J'ai retrouvé dans mes individus le diverticulum en doigt de gant de l'intestin que M. Vaillant signale dans les individus du Perichæta cin- gulata qu'il a étudiés, mais ils sont ici peu développés. Ces appendices existent aussi dans les autres espèces, ainsi que je m'en suis assuré.

Je crains de n’avoir pas vu d’une manière tout à fait complète l'appareil circulatoire ; voici tout au moins ce que j'en puis dire avec certitude.

Il existe un vaisseau dorsal et au moins un vaisseau ventral. Dans les segments 10, 44, 12, 13 et 14, ces vaisseaux longitudinaux sont réunis par des anses latérales dont les trois premières sont grèles quoique bosselées et contractiles; les deux dernières sont au contraire fortement renflées surtout à leur sommet supérieur et réunies au vais- seau dorsal par un très-court et très-mince canal ?.

Cette disposition semblerait indiquer que le sang va du vaisseau

1. PI. 1, fig. 38, h", et fig. &4. 2. PI. 11, Gg. 46.

102 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

dorsal dans les cœurs latéraux, lesquels, en se contractant, le chasse- raient dans le vaisseau ventral. Le cours du sang serait donc ici iden- tique à celui que M. de Quatrefages a assigné à ce liquide chez le Lombric, contraire à celui que l’anatomie nous oblige à lui attribuer dans deux de nos vers intraclitelliens.

En arrière des cœurs les deux vaisseaux longitudinaux sont réu- nis par deux séries d’anses; les unes embrassent étroitement l'intestin auquel ils fournissent des branches vasculaires et sont en partie recouvertes par la couche hépatique ; les autres ont une disposition plus complexe.

Du vaisseau dorsal naît une branche mince qui contourne l’intes- tin et se rapproche du vaisseau ventral, sans cependant s'unir à lui. Au point arrive cette première branche , le vaisseau ventral donne naissance à une branche nouvelle de même calibre qui chemine côte à côte avec la première; ces deux branches se relèvent ensemble le long des parois du corps, se divisent et se subdivisent toujours paral- lèlement sans jamais se séparer et finissent par s'unir au-dessous de la couche hypodermique par des anses terminales. Nous rétrouvons donc ici, comme chez les animaux supérieurs, la veine et l'artère presque constamment ensemble ; seulement ici le réseau capillaire est presque entièrement supprimé, car on ne peut considérer comme tel les anses terminales dont nous venons de parler *.

Dans le système nerveux nous signalerons seulement deux faits :

L'existence sur le collier œsophagien d’un ganglion stomato- gastrique de chaque côté, analogue à ceux que M. Quatrefages a trouvés, mais en bien plus grand nombre, chez les Lombrics ?.

Les curieuses modifications de volume que subissent les gan- glions de la chaîne ventrale. Jusqu'au dix-huitième anneau qui porte

4. PI. 1x, fig. 46 et 47. 2. PI. ur, fig. 50 et 52.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 103 les orifices des organes génitaux, les ganglions vont en diminuant constamment; mais au dix-huitième anneau le ganglion se renfle, prend une forme en losange raccourci; son volume est au moins double de celui des ganglions précédents et souvent le nerf qui en part est lui-même beaucoup plus volumineux; on le perd au voisinage des orifices génitaux".

Il est à remarquer que ce renflement des ganglions se produit, non pas au point sont sécrétés les produits de la génération, mais dans l'anneau au travers duquel ils devront sortir à la suite de l’accou- plement. Ce renflement semble donc en rapport avec le genre parti- culier de sensibilité tactile que doivent présenter les organes copu- lateurs mâles, avec la production de l'orgasme qui doit précéder l'éjaculation du sperme et dont l'existence chez les Lombrics semble ainsi anatomiquement démontrée. Il n’est pas sans intérêt de rappeler ici que chez le Perichæta diffringens, M. Vaillant a vu non-seulement un renflement du ganglion déjà existant, mais encore, de chaque côté de ce ganglion, un ganglion surajouté, ce qui est un perfectionnement de plus de lappareil sensitif de cette région.

L'appareil génital a pu être ici étudié dans tous ses détails. Cha- cune de ses parties se présente d’ailleurs avec une netteté beaucoup plus grande que chez notre Lombric indigène, netteté qui se retrouve pourtant dans certaines espèces du genre Lombric, dans le Lombric américain, par exemple, et dans le Lumbricus Victoris qui nous a été envoyé par M. le directeur de l'agence du comptoir d’escompte d'Alexandrie, à la demande de M. Victor Borie, et qui provient de Damiette. |

L'appareil génital mâle se compose de ‘deux paires de testicules trilobés , situés dans les anneaux 11 et 12, en arrière par conséquent du gésier, comme nous l'avons vu jusqu'ici chez tous les Lombriciens

1. PI, ox, fig. 54.

104 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

intra et postclitelliens. Ces testicules, comme ceux de l’Eudrilus des Antilles, comme ceux de nos Lombrics indigènes, sont bourrés de gré- garines et de psorospermies à tous les états de développement.

En arrière de chaque testicule, engagé par son pédoncule dans la cloison qui le suitse voit un pavillon vibratile assez grand *, à sur- face plissée et frisée et s’ouvrant librement dans la cavité générale et non pas dans l'enveloppe du testicule. Il suffit de déchirer avec un peu de soin les cloisons qui traversent les pédoncules de ces pavil- lons et celles que traverse le canal déférent pour avoir l'ensemble de ces organes flottant dans la préparation. Nous avons déjà constaté une disposition analogue, quoique avec une liberté moins grande du canal déférent chez divers Lombrics. Le canal déférent vient se greffer postérieurement sur le canal excréteur d’une grosse glande multilobée, d’un blanc mat, que M. Vaillant a signalée le premier chez les Lombriciens du genre Perichæta et déterminée avec doute comme une prostate *.

Nous avons vu qu’une glande analogue se retrouve avec quelques modifications peu importantes de forme chez tous les Lombriciens postclitelliens que nous avons étudiés jusqu'ici. Le canal déférent et le canal excréteur de la prostate une fois unis forment un tube rela- tivement fort gros, qui se replie sur lui-même en forme de crosse, avant de s'ouvrir au dehors et dont les parois sont fort épaisses et for- mées de deux plans de fibres musculaires, les unes longitudinales, les autres annulaires et transversales.

J'ignore si ce tube est susceptible de saillir au dehors; mais cela est peu probable ; c’est à mon avis un pénis rudimentaire, et le premier pas vers la constitution de ce pénis parfaitement développé et contenu dans une bourse spéciale que j'ai fait connaître chez l’£udrilus deci-

piens et les autres vers du même genre.

4. PI. ni, fig, 53 et 54. 2. PI. mi, fig. 55.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 105

Les organes génitaux femelles sont aussi nets que les organes géni- taux mâles. Ils sont constitués par deux ovaires', situés dans le treizième anneau et formés par une sorte de sac aplati en disque dans l'épaisseur des parois duquel se développent les œufs. Ces sacs sont supportés par un pédoncule assez allongé fixé à la paroi antérieure de la cloison 13-14.

Derrière cette cloison, au bord antérieur de Ia ceinture et à la base des pédoncules des ovaires, se montrent les oviductes®?; ce sont deux pavillons vibratiles en forme d’entonnoirs simples, sessiles, et qui m'ont paru s'ouvrir au dehors par un orifice commun; mais je dois mettre ici un léger point de doute, bien que cet orifice s’aperçoive assez nettement sur plusieurs échantillons de Perichæta de la collec- tion du Muséum.

Les poches copulatrices sont au nombre de trois paires, situées res- pectivement dans les anneaux 7, 8 et 9, ou plutôt à cheval sur les cloi- sons antérieures de ces anneaux . Chacune d'elles est en effet consti- tuée de trois parties, deux postérieures à la cloison, une antérieure. Les parties postérieures à la cloison sont : une grosse poche piriforme, la vraie poche copulatrice; un tube replié plusieurs fois sur lui- même à la manière d’une flûte de Pan dont tous les tuyaux seraient unis entre eux et alternativement par chacun de leur bout. Ce tube s'abouche dans la poche au point celle-ci s’insère sur la paroi du corps. En avant de la cloison se trouve une petite poche glandulaire bilobée s’ouvrant d’ailleurs au même point que le tube replié dont elle a la structure. On le voit, au premier abord, et à part quelques diffé- rences dans la position respective des parties, ces poches copulatrices ont exactement la constitution des deux poches copulatrices ovigères des Eudrilus. s

4. PI. ru, fig. 60 et 61, ainsi que pl. u, fig. 37, o. 2. PI. 11, fig. 37, et pl. m, fig. 62. 3. PI nu, 6g. 37 pe, p'e', p''c", et pl. m, fig. 58 et 39.

LA VIH. 1%

106 * NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

PERICHÆTA ARFENES. Edm. Perrier.

Je dois placer ici la description d'un Lombricien qui pourrait bien n'être pas autre chose que le P. posthuma, décrit par M. Léon Vaillant. Ce n'est donc que provisoirement et en attendant des docu- ments nouveaux que je distingue ce ver sous le nom de 2. affinis.

On comprendra facilement les raisons de cétte distinction.

Les vers que M. Vaillant a étudiés et dont plusieurs, étiquetés de sa main, sont dans la collection du Muséum, se trouvent compléte- ment ramollis par un séjour prolongé dans un alcool trop faible peut-être; leur système musculaire est presque complétement tombé en déliquescence. Au contraire, les individus qui font l’objet de cette description ont été plongés vivants dans de l'alcool concentré qui les a fortement contractés; c'est une première difficulté pour la compa- raison qui élimine complétement les caractères extérieurs.

Ces derniers vers sont d’ailleurs très-bien conservés et leurs caractères anatomiques ne concordent pas parfaitement avec ceux que M. Léon Vaillant a assignés aux Perichæta posthuma, passablement altérés qu’il a eus à sa disposition.

De plus, l'origine des deux vers est différente, le P. posthuma provenant de Java, le nôtre étant originaire de Saïgon (Cochinchine), il porte, en annamite, le nom de Trung Hd’.

La longueur de l'animal contracté est de 4110 milllim. et sa lar- geur de 5 millim. La distance de la tête à la ceinture est de 48 millim.; la ceinture a elle-même 5 millim. de longueur.

Elle est formée des quatorzième, quinzième et seizième anneaux ; Sa position est donc la même que chez le P. posthuma et chez les

autres Vers du même genre; le tubercule céphalique est petit, mais bien distinct.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 107

Assez souvent, la ceinture est nettement limitée en avant et en arrière par un pore dorsal; dans quelques échantillons, deux autres pores situés entre ceux-là indiquent les limites des trois anneaux qui forment la ceinture et sur lesquels on distingue parfois nettement le cercle de soies caractéristique des Perichæta.

Le premier orifice extérieur des poches copulatrices est situé entre le cinquième et le sixième anneau; un anneau plus bas, par conséquent, que dans le Ver décrit par M. Vaillant dont les figures indiquent la première paire de poches copulatrices entre le troisième et quatrième anneaux, lesquels sont dans notre nomenclature les quatrième et cinquième.

Ces orifices sont au nombre de quatre de chaque côté’ et bien visibles à une forte loupe; le dernier se trouve entre les anneaux huit et neuf; tous sont situés sur le côté des anneaux.

Le dix-huitième anneau porte les orifices génitaux mâles. Ceux-ci sont précédés et suivis d’une papille saillante *, très-apparente et dont le centre paraît perforé. Ces papilles correspondent chacune intérieu- rement à un petit amas glandulaire blanchâtre, sécrétant probablement une liqueur particulière pendant l’accouplement.

Je signalerai ici, comme variété accidentelle, un individu chez qui il existait une paire de papilles sur le dix-septième anneau et deux autres en arrière du pore génital sur les anneaux dix-neuf et vingt.

Dans un autre individu dont les anneaux paraissaient s'être ressoudés en avant de la ceinture après une mutilation partielle, le pore génital et les papilles d’un côté se trouvaient avoir reculé d’un anneau sur les organes homologues du côté opposé. J'ai placé ces deux individus à part dans la collection du Muséum.

(4. PL av, fig. 66, pe. 2. PI. 1v, fig. 66, m et j.

108 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Dans tous les échantillons, les papilles étaient placées juste sur le cercle des soies.

Je n'ai pas vu de pores latéraux correspondant aux pores des organes segmentaires; mais les pores dorsaux sont bien visibles.

Quand on ouvre l’animal, on trouve toute la partie antérieure du tube digestif soutenu par d’épaisses cloisons, se recouvrant par- tiellement et constituant un appareil protecteur assez efficace.

En les fendant par le haut on découvre le tube digestif qui se compose comme d'habitude : d’un pharynx glandulaire occupant les quatre premiers anneaux; d’un œsophage assez court com- mençant avec le cinquième anneau et finissant avec le septième; 3 d'un gésier musculaire compris entre deux épaisses cloisons qui sont l’une la cloison antérieure du huitième anneau, l’autre la cloison postérieure du neuvième anneau; la cloison intermédiaire paraît supprimée. [ci le gésier correspond à deux anneaux; on trouve en effet deux ceintures de soies dans l'intervalle des cloisons qui le soutiennent; ce fait a son importance, comme nous le verrons tout à l'heure.

L'intestin commence avec ses caractères habituels au dixième anneau.

Au vingt-sixième anneau, on voit s'ouvrir dans l'intestin, deux larges cœcums latéraux, bosselés, ayant exactement la même appa- rence que l'intestin, étroitement appliqués à sa surface, sans cepen- dant contracter avec lui aucune adhérence. Ces cœcums remontent jusqu'au vingt-troisième anneau en diminuant graduellement de lar- geur. Leur aspect est assez différent de celui que présentent les mêmes organes chez le P. cingulata et le P. Houlleti. La, en effet, les cœcums ont une couleur plus blanche que celle de l'intestin, ils sont étroits et lisses, tous caractères qui les distinguent de ceux du ?. affinis.

Dans son trajet l'æsophage porte à la hauteur des cinquième et

sixième anneaux deux paires de houppes de tubes glandulaires

LOMBRICIENS TERRESTRES,. 109

analogues à celles du P. Houlleti, houppes qui se retrouvent aussi chez le P. cingulata de Schmarda, disséqué par M. Vaillant, mais qui n'ont pas été signalées par lui dans son mémoire. |

Dans le quatrième anneau, adhérant à la face postérieure du pharynx se trouvent des glandes en grappe dont les petits acini sphériques sont parfaitement visibles à l'œil nu. |

Ainsi le développement de l'appareil glandulaire que nous avons signalé chez le P. Houlleli se retrouve à peu près aussi considérable dans l'espèce qui nous occupe.

On remarquera que l'appareil digestif que nous venons de décrire diffère sous quelques rapports de celui que M. L. Vaillant attribue au P. posthuma. En effet, M. Vaillant dit que chez le P. posthuma « il n'y a pas de gésier, ni de cœcums latéraux », toutes choses qui existent chez notre P. affinis, et qui suffiraient à elles seules pour établir une différence au moins spécifique.

Malheureusement l'affirmation de M. Vaillant aurait besoin, croyons-nous, d'être contrôlée sur des individus en meilleur état que ceux qu'il a eus à sa disposition. En particulier, l'absence complète d'un gésier musculeux paraîtra quelque chose de bien extraordinaire, si l'on se souvient que cet organe a été rencontré chez tous les véritables Lombriciens terrestres, quelque différente que soit leur organisation.

Aussi ai-je cru devoir éclaircir ce point particulier et j'ai ouvert à cet effet l’un des P. posthuma que M. Vaillant a lui-même étiquetés dans la collection du Muséum. Ces individus ont, comme je l'ai déjà dit, leur système musculaire très-ramolli par l'alcool, et la portion musculaire du gésier a participé à ce ramollissement et presque com- plétement disparu. Mais l'enveloppe fibreuse extérieure est demeurée sans altération, a conservé sa forme globuleuse caractéristique, son aspect nacré et tranche nettement sur la portion de l'œsophage qui la précède et sur l'intestin qui la suit; elle se trouve d’ailleurs éga-

110 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

lement dans le huitième anneau, mais il est impossible de retrouver bien nettement les cloisons qui la maintiennent; sa position demeure donc encore un peu vague.

Il n’en est pas moins certain que chez le P. posthuma le gésier existe comme chez les autres Perichæta.

Quant aux cœcums latéraux, j'ai cru inutile, à cause de l’altération des échantillons du Muséum, de les rechercher, je laisse donc ce point indécis. tout en appelant l'attention sur ce que dans le P. afjinis les cœcums ressemblent tellement à l'intestin qu'il serait peut-être fort difficile de les distinguer avec certitude sur des échantillons tant soit peu altérés.

L'appareil circulatoire est constitué comme chez les autres Perichæta; je signalerai particulièrement de gros eœurs latéraux aux treizième et quatorzième anneaux; ces cœurs sont simplement des vaisseaux bosselés contractiles. Dansles cinquième etsixième anneaux, qui contiennent les glandes en tubes de l'œsophage, l'appareil vascu- laire prend un développement tout à fait remarquable, qui ne m'avait pas frappé chez le P. Houlleti. On trouve des vaisseaux formant de gros pelotons entortillés, qui semblent indiquer qu'il s’accomplit dans ces anneaux une modification assez importante du liquide des vaisseaux rouges.

Les organes segmentaires sont ici très-rudimentaires, ce qui con- corde avec l'absence d'orifice extérieur attribuable à ces organes,

absence sur laquelle nous avons déjà eu occasion d’insister *.

4. On ne peut s'empêcher de rapprocher ces deux faits : l'absence des organes segmentaires et de leur réseau vasculaire propre ; le développement énorme et dr des tubes glandulaires de l’œsophage et d’un appareil vasculaire qui leur est propre.

Nous ne voulons certainement établir aucune homologie anatomique entre ces deux systèmes d'organes; mais, au point de vue physiologique, il est peut-être permis de se demander si les seconds ne seraient pas destinés à suppléer à l'absence des premiers. Le produit de leur sécré- tion serait rejeté dans l’œsophage et entraîné avec les autres déjections, au lieu d’être rejeté directement au dehors.

A la vérité on se demande alors pourquoi ces tubes sont situés sur l’œsophage, circonstance

LOMBRICIENS TERRESTRES. 111

L'appareil génital mâle se compose, comme chez les autres espèces, de deux paires de testicules situés dans les onzième et douzième anneaux, d'une paire de canaux déférents et d’une paire de prostates à peu près semblables à celles des autres espèces.

Le canal déférent et le canal excréteur de la prostate se réunissent en un canal musculaire commun, semblable à celui que j'ai décrit chez le P. Houlleti. Ce canal musculaire existe également, ainsi que je m'en suis assuré, chez le P. posthuma; mais il n’a pas été décrit par M. Vaillant. :

Les canaux déférents sont terminés chacun par deux pavillons vibratiles, rapprochés des pavillons symétriques, sur la ligne médiane au-dessous de l'intestin et immédiatement en contact avec la face pos- térieure du pédoncule de chaque testicule.

La forme dc ces pavillons diffère peu de celle décrite pour le P. Houlleti.

Les poches copulatrices sont au nombre de quatre paires situées dans les anneaux six, sept, huit et neuf. Nous avons vu que la cloison huit-neuf à disparu dans le Ver qui nous occupe; aussi trouve-t-on deux paires de poches copulatrices entre les deux cloisons qui main- tiennent le gésier, une pour chaque anneau; c’est même ce fait inat- tendu qui a éveillé notre attention et nous a conduit à découvrir que le gésier correspondait à deux anneaux.

La constitution de ces poches copulatrices est du reste exactement celle que M. Vaillant a figurée et décrite pour le P. cingulata.

Nous devons un grand nombre d'individus de cette espèce à notre

qui semble devoir leur foire attribuer un rôle dans la digestion; mais est-il impossible que le liquide sécrété par ces tubes soit lui-même modifié de manière à pouvoir être utilisé partielle- ment par l'économie? La bile chez les animaux supérieurs n'est-elle pas, elle aussi, une sécrétion excrémentitielle d’une part, et utile à la digestion de l’autre ?

Je prends cette hypothèse pour ce qu'elle vaut. C’est simplement une question que pose l'anatomie à l'expérience.

412 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM,

parent M. Victor Borie, qui a bien voulu, pendant qu'il remplissait les fonctions de directeur du Comptoir d’escompte de Paris, demander à ses agences à l'étranger les Vers des localités elles étaient situées.

Remarquons que s’il était prouvé que le P. affinis et le P. posthuma sont bien la même espèce, celle-ci se rencontrerait à la fois dans l'ile de Java et sur le continent, ce qui serait un fait géographique

assez intéressant.

PERICHÆTA ROBUSTA. Ed. Perr.

Syn. : P. cingulata. L. V. pars.

Dans sa note sur les Perichœta, déjà plusieurs fois mentionnée dans le cours de ce travail, M. Léon Vaillant a écrit à propos de ces Vers les phrases suivantes :

« Au voisinage des orifices mâles, on trouve des papilles dont le rôle est d'assurer l’'adhérence des individus au moment de la copulation ; leur disposition n’est pas la même dans les deux espèces dqnt je m'oc- cupe ici.

« Chez le P. Cingulata, ces papilles sont situées dans le quinzième anneau, exactement sur la ligne médiane, entre les ouvertures mâles ; je ne les ai pas vues sur tous les échantillons du Muséum ; quatre sur six seulement les offraient ; celui que j'ai disséqué en était précisément privé. »

J'ai trouvé dans la collection du Muséum, en dehors des échan- tillons que j'y ai moi-même placés et de ceux dont M. Vaillant a fait son P. posthuma, neuf Vers appartenant au genre Perichæta et parmi lesquels je ne compte pas un animal de Ceylan, étiqueté P. cingulata et pour qui j'ai créer le genre Monmiligaster.

De ces neuf Vers, l’un, originaire du Pérou, est hors de cause ; deux provenant des Indes orientales portaient, l'un la simple étiquette

. LOMBRICIENS TERRESTRES. 113 Enterion, l'autre était appelé P. cingulata, Schm.; un troisième, de taille considérable était dépourvu de toute étiquette; un quatrième, rapporté de l'Ile de France par M. Desjardins, est l'individu même déterminé et disséqué par M. Vaillant. Ces quatre échantillons pré- sentent ce caractère commun d’être absolument dépourvus de papilles dans le voisinage de leurs orifices génitaux mâles. Ce sont en consé- quence ceux qui se rapprochent le plus de l'individu dont M. Vaillant a donné l'anatomie et qui doit être considéré comme le Perichæla cin- gulata type. La description de Schmarda est trop incomplète pour qu'il soit possible de tenir compte d'autre chose dans la détermination de cette espèce que du travail de M. Vaillant, qui permet au contraire de la distinguer nettement. C’est donc au Ver décrit par M. Vaillant et à ceux qui lui ressemblent que nous appliquerons le nom de Perichæta cingulata.

Voyons maintenant quels sont ceux que nous pouvons grouper avec lui.

Ceux qui paraissent s’en rapprocher le plus sont les deux échan- tillons des /ndes orientales: mais l'examen de leur tégument ne montre pour les poches copulatrices qu’un seul orifice situé entre le septième et le huitième anneaux, et nous verrons que l'anatomie confirme ce fait.

Nous sommes loin des quatre paires de poches copulatrices du P. cingulata: ces deux individus doivent donc être écartés.

Le grand individu sans indication de provenance présente environ soixante-cinq soies par anneau; c’est beaucoup plus que M: Vaillant n’en assigne au P. cingulata. De plus, les orifices de ses poches copu- latrices sont au nombre de deux paires situées l’une entre le sixième et le septième anneau, l’autre entre le septième et le huitième *. C'est encore un individu à écarter.

4. PI. av, fig. 74, pc. VII

, L] 114 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Restent les quatre individus que M. Vaillant signale comme pour- vus de papilles entre les orifices génitaux mâles". Mais ces individus se distinguent immédiatement par leurs formes plus massives, la moins grande longueur de la partie de leur corps postérieure à la ceinture, et aussi, nous allons le-voir, par leurs caractères anato- miques.

Ils forment donc encore une espèce distincte.

Il résulte de que des six individus déterminés par M. Léon Vaillant comme étant des Perichæla cingulala, aucun ne présente les caractères propres au Ver qu'il a disséqué. II a eu la singulière fortune de mettre la main sur un échantillon unique, ayant des caractères spé- ciaux qui le rapprochent énormément du Perichæta posthuma et qui est beureusement demeuré dans la collection comme type de l'espèce à laquelle M. Vaillant à cru avoir affaire.

Ces détails que nous donnons à regret étaient nécessaires pour guider les naturalistes qui auraient à rechercher dans la collec- tion du Muséum les échantillons visés par M. Vaillant et dont nous sommes responsable.

Il est nécessaire d'ajouter d’ailleurs qu'entre le P. cingulata, tel que j'ai cru devoir le conserver, et le P. posthuma, il n'y à de différence bien établie que l'absence chez le premier de toute papille au voisi- nage des orifices génitaux et le nombre un peu moins considérable des soies portées par chaque anneau *.

Je réserverai le nom de Perichæta robusta aux individus de l'Ile de France, recueillis par M. Desjardins probablement en 1835 et

PL ge 61:

2. Si l'on compare les diverses descriptions données soit par M. Vaillant, soit par nous des Perichæta cingulata, posthuma et affinis, on ne peut s'empêcher de se demander s'il y a réellement lieu de distinguer ces trois espèces. Il faudrait pour décider la question comparer des individus vivants ou tous également bien conservés. Nous conservons néanmoins, par défé- rence pour notre prédécesseur, les noms qu’il a adoptés, en restreignant néanmoins la signifi- cation du premier, comme nous venons de l'expliquer.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 115

qui présentent entre les deux orifices mâles du dix-huitième anneau ! deux papilles saillantes admirablement distinctes.

Voici la description zoologique et anatomique de ce Ver *, qui se distingue aussi nettement que possible du P. cingulata, ainsi qu'on va le voir :

Longueur, 150 à 180 millim.

Largeur, 6 à 7 millim.

Distance de l'extrémité céphalique au bord antérieur de la cein- ture, 25 millim.

Longueur de la ceinture, 5 millim.

Nombre des soies de chaque anneau, 15.

Les orifices génitaux mâles sont sur le dix-huitième anneau, tout à fait latéraux; entre eux se trouvent les papilles qui sont très-sail- lantes. Au milieu da premier anneau de la ceinture. sur la ligne ven- trale médiane se trouve un orifice que nous considérons comme celui des oviductes.

Les orifices ‘des poches copulatrices, au nombre de deux paires, sont situés entre les anneaux sept et huit et les anneaux huit et neuf. Chacun d’eux est immédiatement suivi d’une petite papille que portent le huitième et le neuvième anneau. Ces papilles sont nettement visi- bles à l'œil: nu et se trouvent sur les trois échantillons.

Les pores dorsaux sont très-visibles. Le tube digestif ressemble beaucoup à celui du P. Houlleti. L'œsophage est très-allongé et est muni de houppes glandulaires latérales. Le gésier, très-volumineux,

4. Nous rappellerons ici que nous comptons comme premier anneau l'anneau buccal que M. Vaillant réunit au lobe céphalique et qu'il laisse avec lui en dehors de sa nomenclature; nous comptons de plus la ceinture pour le nombre d'anneaux auxquels elle correspond morphologique- went et qui est ici de trois, comme M. Vaillant Va parfaitement vu, bien que dans sa nomen- clature il ne compile la ceinture que pour un anneau, ce qui peut avoir des incorvénients et n’a aucun avantage. L’anneau que nous numérotons dix-huit correspond à celui que M. Vaillant nomme le quinzième.

2, Pl. iv, fig. 67.

116 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

dépend du huitième anneau ; mais il est reporté bien plus en arrière par l'allongement de l’œsophage. L’intestin présente deux cœcums lisses, comme ceux du P. cingulata, étroits et s’ouvrant à la hauteur du vingt-sixième anneau, un anneau plus haut que chez les P. cingulata et affinrs.

Les anses vasculaires contractiles qui servent de cœur sont situées dans les anneaux onze, douze et treize; de plus dans les anneaux de treize à vingt, inclusivement le vaisseau dorsal présente un aspect moniliforme exactement comme dans les Anteus, et ses parois paraissent musculaires. II semble que les huit poches consécutives qu'il présente dans cette région soient sa partie réellement contractile.

Les testicules occupent les anneaux onze et douze ; ils ont cette forme trilobée que j'ai figurée chez le P. Houlleti, et sont tous quatre parfaitement égaux entre eux.

La prostate ressemble aussi à celle que j'ai figurée; maïs le canal excréteur commun estun peu plus grêle, plus allongé et plus sinueux.

Entre les deux prostates, deux petites glandes piriformes, mais aplaties horizontalement s'ouvrent à l'extérieur par chacune des papilles placées entre les orifices mâles et qui ne sont pas, en consé- quence, uniquement des organes d’adhérence.

Les ovaires sont de petites grappes d'apparence glandultaire situées immédiatement en arrière de la cloison antérieure du treizième anneau et contenant des œufs bien reconnaissables. Dans le même anneau on voit deux petits corps qui remontent verticalement comme deux petites cornes de chaque côté de l'intestin, qu’elles placent comme entre deux parenthèses.

J'ignore quel est l'usage de ces petits corps que j'ai pu suivre jusqu'au voisinage du point d'insertion des ovaires; j'ai pu constater que leurs parois étaient d’une remarquable richesse vasculaire; elles étaient comme brodées de minces vaisseaux décrivant à leur surface les arabesques les plus compliquées.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 117

I n’y à que deux paires de poches copulatrices situées dans les anneaux huit et neuf. Comme chez le P. Houlleti, chaque poche se compose de trois parties; mais ces parties ont ici une forme un peu différente et de plus elles sont situées toutes les trois en arrière de la cloison antérieure de lanneau qui contient la poche proprement dite *.

La poche principale est supportée par un assez long pédoncule, elle a la forme d’un œuf dont le gros bout serait fixé au pédoncule. La poche du huitième anneau était, dans l'échantillon que j'ai ouvert, plus volumineuse que celle du neuvième. A côté d'elle se voit un tube assez long, libre, d'abord Jégèrement flexueux et qui, après avoir décrit quelques sinuosités, se renfle en un assez long spadice, présen- tant, d'espace en espace, quelques étranglements annulaires. Ce spa- dice est formé de deux parties emboitées l’une dans l'autre, l'extérieure transparente, l’intérieure opaque. Le tube est au contraire d'aspect nacré et s'enfonce dans les téguments à côté du pédoncule de la poche copulatrice, mais sans se confondre avec lui. Il est en dedans par rapport à lui.

En arrière de ces deux premiers organes se voit une petite masse glandulaire, supportée par deux pédoncules, dont lun s'enfonce dans les téguments en arrière du pédoncule de la poche copulatrice, l'autre plus en dedans, encore plus en arrière, semble correspondre à la papille extérieure.

Doit-on considérer ces deux pédoncules comme deux canaux excréteurs ?

I] m'est impossible de répondre à cette question.

Les organes segmentaires, sous forme de tubes extrêmement déli- cats, sont adhérents aux cloisons, ou disséminés sur la membrane péri-

tonéale que tapisse la cavité générale.

A. PI, 1v, fig. 68.

118 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Aux trois individus, de l'Ile de France, de M. Desjardins. nous joignons un individu récolté à Manille par M. Barrot en 1852.

PERICHÆTA ASPERGHELEUNMN. Edm. Perr.

L'animal dont nous allons nous occuper est le grand individu, sans désignation d'origine, dont il a été question à propos du Perichæta robusta et dont voici les dimensions :

Longueur, 370 millim.

Largeur moyenne, 10 millim.

Distance de l'extrémité céphalique au bord antérieur de la cein- ture, 30 millim.

Longueur de la ceinture, 9 millim.

Nombre des soies comptées sur l’un des anneaux antérieurs à la ceinture, environ 80.

Le corps est un peu plus large en avant qu’en arrière de la cein- ture. Celle-ci est située après le treizième anneau (douzième sétigère) ; elle est composée de trois anneaux et porte sur le milieu de la face ventrale de son premier anneau un petit orifice (orifice femelle ?).

Les orifices mâles sont situés de chaque côté de la face ventrale du dix-huitième anneau.

Ils sont constitués d’une manière tout à fait exceptionnelle jus- qu'ici.

De chaque côté du dix-huitième anneau on voit deux fortes papilles saillantes, au centre de chacune desquelles je m'attendais à voir à la loupe un orifice; mais il n’en est rien. Le pourtour de ces papilles est criblé, en avant et en arrière, de petits orifices formant deux lignes irrégulières, l'une en avant du cercle de soies, l’autre en arrière; ce cercle est interrompu par les papilles en question.

Sur la papille de gauche j'ai compté onze orifices, dont cinq sur la ligne supérieure ; sur la ligne inférieure, quatre de ces orifices for-

#

LOMBRICIENS TERRESTRES. 119 maient une double ligne et ils étaient placés deux à deux l’un devant l’autre.

Sur la papille de droite, il y a en tout quatre orifices en bas, cinq en haut; de plus, chaque papille présentait en outre vers l'extérieur la trace d’un petit orifice entre Les deux lignes en question, exactement sur le prolongement des orifices de soies.

Ayant reconnu cette singulière conformation des papilles mâles, j'ai cherché à voir comment se trouvaient constitués les orifices des poches copulatrices dont il m'avait semblé au premier abord que l’ani- mal ne présentait que des traces sur les lignes de séparation des anneaux sept-huit et huit-neuf. Or voici ce que j'ai reconnu : de chaque côté, et sur leur bord postérieur, le septième et le huitième anneau portent une rangée de quatre petits orifices; juste en face de ces rangées se trouvent des rangées correspondantes de cinq orifices appartenant au bord antérieur des anneaux huit et neuf.

De plus, extérieurement et au fond de la ligne de séparation des anneaux qui portent ces orifices, se trouve encore un petit orifice.

La papille de gauche était évidemment monstrueuse; et c’est la papille de droite qu'il faut considérer comme le type de la disposition. Il résulte alors de notre description que les canaux déférents et les poches copulatrices paraissent s'ouvrir à l'extérieur chacun par dix orifices. Il semble donc que les orifices des poches copulatrices soient disposées en sens inverse de ceux des testicules, de sorte que l’ac- couplement ne pourrait avoir lieu que les animaux étant disposés tête bêche. |

Il serait assez intéressant de voir ce fait déjà connu pour nos Lombrics, démontré ici par une disposition anatomique particulière.

Toutefois les séries d’orifices correspondant aux poches copula- trices présentent comme les mamelons mâles quelques irrégularités de nombre; mais de fait essentiel, celui de la conformation identique des orifices mâles et de ceux des poches copulatrices, n’en paraît pas

120 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

moins garder sa valeur démonstrative, au sujet des fonctions qu'ont à remplir ces dernières, fonctions qui d’ailleurs ne sont plus discu- tées. Quant au rôle des petits orifices que je viens de décrire, l’ana- tomie de l'animal nous montrera ce qu’il faut en penser, et nous pourrons voir par combien, en zoologie, il faut être prudent dans ses inductions, quelque séduisantes qu’elles paraissent.

Le premier pore dorsal est situé entre le dixième et le onzième anneau ; tous les autres intervalles annulaires en sont pourvus, y com- pris ceux qui limitent la ceinture. Je n’ai vu sur la ceinture que de faibles traces de ces pores ainsi que des ceintures de soies.

L'anatomie de l'animal est d’ailleurs exactement celle des autres Perichæta.

Le pharynx glandulaire est peu développé et l’œsophage se renfle en une sorte de poche avant de se réunir au gésier qui est situé en arrière de la cloison postérieure du huitième anneau.

L'intestin présente deux cœcums en forme de cornes de bélier, bosselés et ridés, qui commencent au vingt-septième anneau et remontent jusqu'à la cloison postérieure du vingt et unième.

Dans le septième et le sixième anneau se trouvent les volumi- neuses touffes des glandes en tubes de l’œsophage que l’on voit bien nettement s’aboucher à des diverticulums latéraux de celui-ci.

_ Le pharynx s'étend jusqu'au cinquième anneau.

A cause de la grande taille de l'échantillon, l'appareil circulatoire apparaît avec la plus grande netteté; il présente une teinte violacée.

Le vaisseau dorsal, qui se renfle un peu dans le dix-huitième anneau, conserve, à partir de là, un calibre plus grand jusqu’à son arrivée au gésier. Il diminue assez brusquementalors de diamètre, mais demeure bien net jusqu'aux deux ou trois premiers anneaux; je n'ai pas poussé plus loin son étude.

Dans les anneaux dix, onze, douze et treize, 4l émet des anses latérales volumineuses probablement contractiles. Les plus considé-

LOMBRICIENS TERRESTRES. 121

rables sont, comme d'ordinaire, celles des anneaux douze et treize.

Dans les cinquième et sixième anneaux, des branches latérales presque aussi grosses que le tronc principal paraissent destinées au groupe des glandes en tube.

Les testicules formés de plusieurs lobes occupent les anneaux onze et douze.

La prostate présente ses caractères habituels; il en naît un tube d'aspect nacré qui, après être descendu en arrière, se recourbe sur lui-même en se renflant beaucoup et revient en avant s’enfoncer dans les téguments du dix-huitième anneau. Il n'y a là, comme on voit, rien qui diffère de ce qu'on rencontre d'habitude chez les autres Perichæta.

Mais tout autour du point d'insertion du tube pénien se voient de petites glandes, tout à fait analogues à celles que nous avons vu dépendre des papilles qui accompagnent si souvent les orifices mâles des autres Perichæta. Chacune de ces glandes s'ouvre à l'extérieur par l’un des orifices que nous avons mentionnés; ces orifices sont donc simplement les analogues des papilles que nous venons de rappeler.

Ainsi se trouve démontrée fausse l’idée qui ne peut manquer de naître, lorsqu'on observe seulement l'extérieur de l'animal, que les canaux déférents et les poches copulatrices s'ouvrent à l'extérieur par une sorte de trémie.

Quant à l'absence de l’orifice mâle proprement dit, il tient seule- ment à ce que l'appareil génital de l'individu qui nous occupe n'avait pas encore atteint son complet développement.

On trouve dans le treizième anneau des organes glandulaires ressemblant exactement à ceux du Perichæta robusta.

Il n’y a que deux paires de poches copulatrices situées dans les huitième et neuvième anneaux. Leur constitution ne diffère pas

non plus de celle de beaucoup d’autres Perichæta. Une grosse poche VIN. . 46

492 NOUVELLES ARCUIVES DU MUSEUM.

ovoide supportée par un court pédoncule en est la partie principale. Immédiatement en avant pénètre dans les téguments un tube qui après s'être un peu tortillé se renfle en un assez court cul-de-sac.

Autour de ces deux premières parties se trouve une couronne de petites glandes exactement semblables à celles qui entourent les ori- fices mâles. |

C’est une singulière concordance. À quoi servent ces petiles glandes? je l’ignore absolument. Peut-être sécrètent-elles un liquide propre à assurer l’adhérence des individus pendant l’accouplement ; mais ce ne peut être qu'une simple conjecture. Leur existence parait d’ailleurs très-générale chez les Perichæta, et leur disposition ou plutôt celle de leurs orifices externes, les papilles, de divers auteurs, me paraît être un caractère que l’on ne doit jamais omettre dans les diagnoses spécifiques.

Je n'ai pu voir ici la moindre trace d'organes segmentaires.

PERICHÆTA QUADRAGENAMRHA. Edm. Perrier.

SyN. : Perichæla cingulata. L. V. pars.

Je désigne sous ce nom deux des Perichæta cingulata de M. Vaillant qui sont originaires des Indes orientales et dont les caractères exté- rieurs se rapprochent beaucoup, en effet, au premier abord, de ceux du P. cingulata.

Les deux échantillons du Muséum me paraissent être un peu ramollis ; aussi les dimensions que je donne sont-elles peut-être légè- rement trop fortes pour la longueur qui est de 210 millim.

Largeur, 4 millim.

Distance de l’extrémité céphalique à la ceinture, 25 millim.

HiPEN BE TE

LOMBRICIENS TERRESTRES. 123

Longueur de la ceinture, 5 millim.

Cette espèce est donc beaucoup plus grêle dans ses proportions que la précédente.

En avant de la ceinture, les soies sont de quarante environ par anneaux ; de le nom spécifique que j'ai choisi.

La ceinture est située après le treizième anneau; elle est, comme d'habitude, formée de trois anneaux et porte sur le milieu de la face ventrale de son premier anneau un pore parfaitement évident (ori- fice femelle, probablement). Les pores mâles sont sur le dix-huitième anneau.

Entre le septième et le huitième anneau, sur les côtés du corps, on aperçoit les orifices des poches copulatrices; il n’y a absolument qu'une paire de ces orifices‘, qui forment quatre paires chez les Peri- chœta cingulata, posthuma et affinis. |

L'appareil digestif est constitué sur le type ordinaire. Le gésier dépend, du moins dans sa partie antérieure, du huitième anneau.

Dans le quatrième et le cinquième anneau, l'œsophage est muni de glandes en tubes, comme cela arrive si fréquemment; il y a de plus, dans le cinquième anneau, une paire de glandes en grappes disposées comme chez le P. Houllen.

Le vaisseau dorsal ne m'a pas présenté l'aspect moniliforme que j'ai signalé chez le P. robusta; des anses contractiles se trouvent aux treizième et quatorzième anneaux.

Il y a deux paires de testicules situées dans les onzième et douzième anneaux. 11 m'a semblé que les testicules d’un mème côté se confon- daient presque par la base.

4. Les diverses descriptions d'espèces que nous venons de faire montrent j'insiste de nouveau sur ce point combien il est important de signaler le nombre et la position des poches copulatrices. On arrive toujours à distinguer lears orifices à la loupe sur les individus bien développés, et ces orifices comptent parmi les meilleurs caractères spécifiques que l'on puisse employer.

124 ; NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

La poche copulatrice, unique de chaque côté, parait à cheval sur la cloison des anneaux sept et huit”.

Dans le huitième anneau se trouve la poche véritable qui est très-volumineuse, probablement sphérique, maïs que j'ai trouvée vide et flasque.

Dans le septième on voit un large tube, également mou, qui, après s'être pelotonné sur lui-même, se termine en cul-de-sac rejeté vers l’intérieur, mais embrassant la partie antérieure du peloton.

Le tube et le canal excréteur de la poche se réunissent au moment de s’enfoncer dans les téguments.

La prostate est très-profondément lobée; son canal excréteur, après s'être réuni au canal déférent, prend d’ailleurs l'apparence spé- ciale que nous avons eu à signaler chez la plupart des autres espèces.

Jen’ai pas recherché les cœcums intestinaux, à cause de l’état des individus que j'ai eus entre les mains.

PERICHÆTA ELONGA'TA. Edm. Perrier,

Je désignerai sous ce nom deux Perichæla, dont l’origine me paraît actuellement singulière; ils sont étiquetés comme venant du Pérou, et auraient été donnés au Musée en 1867 par M. Baraquin. Ils sont, d’ailleurs, en fort mauvais état, tout à fait ramollis, ce qui est peut-être pour beaucoup dans leur singulière forme.

Leur longueur est de 355 millim.

Leur largeur ne dépasse pas 4 millim.

Distance de l'extrémité céphalique à la ceinture, 23 millim.

Ceinture, à millim.

Ea ceinture et les pores génitaux occupent leur position habi-

tuelle au quatorzième et au dix-huitième anneau.

4. PI. 1v, fig. 69.

\ LOMBRICIENS TERRESTRES. 125

I'n°y à qu'une seule paire d’orifices pour les poches copulatrices celles-ci sont, en effet, au nombre d’une seule paire et composées cha- cune d’une simple poche, qui s'ouvre extérieurement entre le qua- trième et le cinquième anneau.

L'œsophage s'étend jusqu'au dixième anneau; celui-ci contient le gésier, qui est très-allongé ; je n’affirmerai cependant pas que ce soit la position morphologique de ce dernier.

Les testicules sont situés aux anneaux onze et douze; les ovaires forment deux petites grappes accolées à la face postérieure de la cloison antérieure du treizième anneau. On distingue encore ici de chaque côté de l'intestin les deux corps que j'ai signalés chez les P. robusta et aspergillum.

La prostate se fait remarquer par la dissociation considérable de ses éléments; elle prend ici tout à fait l'aspect d’une glande en grappe assez lâche, ce qui confirme la structure histologique que nous Jui avons attribuée chez le P. Houlleti, et qui est figuré pl. m1, fig. 56; ses canaux excréteurs se réunissent en un tube qui décrit une petite sinuosité, puis forme un arc assez considérable à concavité externe avant d'aboutir à l'orifice génital”. Dans ce parcours ce canal présente l'aspect nacré habituel.

Nous n’ajouterons pas d’autres détails relativement à cette espèce

qui est, on le voit, suffisamment caractérisée.

Nota. Il reste encore dans la collection du Muséum un Peri- chæta, originaire de Tourane (Cochinchine), mais qui est dépourvu de ses organes génitaux.

En raison de ce fait et du peu de connaissance que nous avons des caractères vraiment spécifiques, des animaux qui nous occupent, en dehors de ceux qui fournissent les organes de la génération, je

4. PI 1v, fig. 70.

126 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

considère cet individu comme indéterminable pour le moment. Il provient de l'expédition faite en 1838 par MM. Eydoux et Souleyet.

GENRE PERIONYX.

Nous créons ce genre pour un animal voisin des Perichæta, mais qui s’en éloigne par le développement de sa ceinture, la disposition de ses orifices mâles, la position de ses poches copulatrices, enfin la netteté de ses organes segmentaires.

Le lobe céphalique échancre aussi beaucoup plus profondément le premier anneau; mais ce caractère est peut-être plutôt spécifique que générique.

Il est possible que la découverte de nouvelles espèces amène à confondre plus tard ce genre avec les véritables Perichæta. Cette coupe est donc plutôt pour nous actuellement un sous-genre qu'un véritable genre.

PERIONYX EXCAVATXUS. Edm. Perrier.

Étym,. #egt, autour &wé, ongle.

Longueur de l'animal, 120 millim.; largeur, 4"°, 5 à la ceinture, et 3°",5 en moyenne. À

Tous les individus que j'ai eus à ma disposition étaient fortement contractés par l'alcool.

Le corps est sensiblement de même largeur, depuis la ceinture jusqu’à l'extrémité postérieure, qui est très-obtuse. La ceinture est un peu plus renflée que toute la partie du corps qui la suit; au devant d'elle, le corps diminue graduellement, mais assez rapidement

LOMBRICIENS TERRESTRES. 127 d'épaisseur jusqu'à l'extrémité antérieure, qui est assez pointue‘. Les longueurs de ces différentes régions sont les suivantes :

Partie du corps antérieure à la ceinture, 11°", 5.

Ceinture, 6%, 5.

Partie du corps postérieure à la ceinture, 102 millim.

On voit par que la ceinture est plus rapprochée de l'extrémité antérieure que dans les Perichæta, que. d’ailleurs, elle est elle-même relativement plus longue, ce qui n’est pas étonnant, puisqu'elle est formée de cinq anneaux bien distincts au lieu de trois.

La bouche est nettement inférieure, le lobe céphalique court, obtus et rabattu sur elle, au moins dans les échantillons que j'ai observés, échancre profondément en arrière le premier anneau et pénètre jusqu’à son tiers postérieur.

La ceinture commence après le douzième anneau et, par consé- quent, le treizième anneau en fait partie, tandis qu'il est en dehors chez les Perichæta. |

Les pores génitaux mâles sont situés au milieu de la face ven- trale du dix-huitième anneau, exactement, par conséquent, sur l’an- neau on les trouve chez les Perichæta. 11 n’y a de modifié que la ceinture qui empiète d’un anneau en avant et d’un anneau en arrière.

Toutefois, les pores génitaux ont une apparence spéciale; ils sont très-petits, très-rapprochés l’un de l’autre ou, pour mieux dire, con- tigus et situés dans une fossette transversale qui frappe l'œil tout de suite, en arrière de la ceinture *. Cette fossette n’occupe pas toute la longueur de l'anneau; elle s’efface graduellement et très-vite sur les côtés, de sorte que le bord externe de chacun des bourrelets circu- laires qui entourent les pores fait suite aux téguments et n'en est séparé par aucun enfoncement; au contraire, en avant et en arrière

4. PI. rv, fig. 73 et 74. 2. PI. 1v, fig. 74, m.

198 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

un sillon très-marqué plus allongé en avant qu'en arrière sépare très- nettement ces bourrelets du reste des téguments.

Entre le septième et le huitième anneau, de même qu'entre Île huitième et le neuvième, on voit à la face ventrale, chacune très-rap- prochée de sa voisine sur le même anneau, deux boutonnières trans- versales qui sont évidemment les orifices des poches copulatrices ‘.

Ici, par une conséquence naturelle du rapprochement des orifices mâles, les orifices des poches copulatrices sont beaucoup plus rap- prochés. Au lieu d'occuper les côtés du corps comme chez les Peri- chæta, ils occupent franchement la région ventrale. Ajoutons qu'ils sont réduits à deux paires, ce que nous avons rencontré d'ailleurs dans ce groupe.

Les pores dorsaux sont plus gros et plus visibles dans les anneaux qui précèdent la ceinture que dans ceux qui suivent. On en voit un en avant et un Ln arrière de cet organe, mais assez petit; celui qui se trouve entre le onzième et le douzième anneau est assez souvent peu distinct, mais entre tous les anneaux qui précèdent ils sont visibles à l'œil nu; le premier qui soit bien distinct est entre le cinquième et le sixième anneau.

Les soies sont petites, assez espacées, longues, minces, très-lége- rement courbées en forme d'S; on peut en compter environ une trentaine par anneaux; mais les caractères tirés du nombre des soies doivent être employés avec circonspection, car ce nombre varie sans doute avec la taille de l’animal.

Les caractères anatomiques de notre animal le rapprochent, comme on devait s’y attendre des Perichæta; néanmoins il en est quel- ques-uns qui lui sont propres.

Le tube digestif offre, comme d'habitude, un pharynx, un œæso- phage et un gésier. Le gésier occupe le douzième anneau, je n'ai pas

1, PI 1v, fig. 74, pc.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 129

vu de cœcums latéraux à l'intestin, bien que je les aie cherchés.

L'appareil circulatoire est construit sur le type habituel. 11 existe des organes segmentaires bien évidents; mais je n’ai pu voir leur orifice extérieur.

Les testicules sont situés dans les anneaux onze et douze; ils sont au nombre de deux paires, dont l'antérieure moins développée; il m'a semblé, mais ce fait aurait besoin d’une confirmation, que le testicule postérieur droit, qui est composé de plusieurs lobes, était en général plus développé que son homologue de gauche.

La glande prostatique est bien développée, mais présente une forme générale circulaire dans laquelle sont à peine découpés quelques lobes. Le canal excréteur présente la forme qu'on lui con- naît chez les Pericheæta.

Les ovaires, assez apparents et dont les œufs sont très-visibles à l'œil nu, sont situés dans le treizième anneau. Ils sont adhérents aux parois de la cavité générale et non pas pédonculés et flottants comme chez le Perichæta Houlleti; leur forme est d’ailleurs très-irrégulière.

Les poches copulatrices sont situées dans les anneaux sept et huit, elles m'ont paru formées d’un simple sac piriforme; il n’y en a que deux paires.

Je m'abstiendrai de donner plus de détails anatomiques sur cet animal.

L'état de durcissement se trouvent les nombreux échantillons que je possède m’'empêche d’entreprendre des recherches plus appro- fondies et qui eussent cependant été intéressantes, puisque Fanimal qui nous occupe est le premier qui, tout en se rattachant d'une manière évidente au type des Perichæta, S'en éloigne cependant à cer- tains points de vue.

Les échantillons de ces Vers que possède le Muséum ont été recueillis, à la demande de M. Victor Borie, alors directeur du Comptoir d'escompte de Paris, par l'agence que cet établissement

17

VIIL.

130 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

possède à Saigon. Ils sont originaires de ce pays, ils s'appellent, en annamite : Trung Khoan Co, et y ont été par conséquent distingués des vrais Perichæta, qui se nomment Trung Com.

IV. LOMBRICIENS ACLITELLIENS.

Je forme ici un nouveau groupe qui contient peut-être un assez grand nombre de Lombriciens; mais mes observations personnelles ne me permettent encore d'y ranger qu'un seul genre, le genre Moni- ligaster, et encore non sans quelque doute.

Les Lombriciens de ce quatrième groupe seraient dépourvus de ceinture.

GENRE MONILIGASTER. N. G.

Une seule espèce, le :

MONILEGASTER DÆSH AYESIEZ. Edm. Perrier.

Longueur, 150 millim.; largeur, 6 millim. Le corps est sensible- ment cylindrique; il diminue graduellement de largeur en avant, à partir du dixième anneau à peu près, pour constituer l'extrémité céphalique; en arrière, le diamètre du corps se conserve jusqu'aux derniers anneaux qui constituent une calotte sphérique terminant le corps. La partie antérieure et postérieure du corps sont remarqua- blement résistantes, comparativement surtout à la région moyenne ; mais ce peut être une particularité individuelle.

Le lobe céphalique est assez allongé, cylindrique, et ne m'a pas paru entamer le premier anneau.

La structure des téguments de toute la région antérieure du corps semble différente de celle des deux tiers postérieurs et rappelle, jusqu’à

LOMBRICIENS TERRESTRES. 131

un certain point. la ceinture des autres Lombriciens, mais avec une spécialisation bien moins marquée; on ne peut d’ailleurs distinguer aucune autre trace de ceinture proprement dite.

Les soies sont petites, disposées par paires dans toute l'étendue du corps; les deux soies de chaque paire sont très-rapprochées l’une de l’autre; les paires de soies sont d’ailleurs disposées en quatre lignes latérales.

Les orifices des organes segmentaires sont situés en avant des soies de la rangée supérieure et très-petits.

Entre le septième et le huitième anneau, exactement sur chaque ligne inférieure de soies, on voit un orifice allongé transversalement en boutonnière et dont les lèvres sont légèrement denticulées. Un orifice tout à fait semblable se trouve entre les anneaux dix et onze; mais il est ici placé au milieu de la distance qui sépare les deux rangées de soies supérieure et inférieure.

Tels sont les caractères extérieurs qui distinguent ce Ver.

Son organisation est des plus singulières. F

L'appareil digestif’ présente un pharynx et un œsophage très- courts, suivis d'un petit gésier musculaire qui occupe le sixième anneau; mais l'intestin ne commence pas après ce gésier; après lui, un second æsophage conduit à un deuxième gésier musculaire, qui commence au treizième anneau et ne finit qu'au vingt-deuxième , occupant ainsi toute l'étendue de dix anneaux. Ce gésier présente, sur sa longueur trois étranglements qui le divisent en quatre poches à peu près sphériques extérieurement et d’égal volume. Ces quatre poches, disposées bout à bout, donnent à cet appareil une apparence de cha- pelet que nous avons voulu rappeler dans la dénomination du genre.

A la surface de ce gésier se voient des fibres longitudinales dis-

1. PL. iv, fig. 77.

132 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

posées l’une à côté de l’autre sans contracter d’adhérence entre elles et qui forment un étui à chaque poche; dans le sillon qui sépare les poches on voit une bandelette annulaire qui embrasse étroitement le pourtour de l'organe et sur la nature de laquelle je ne saurais me prononcer.

Il m'est également impossible de dire à combien d'anneaux cor- respond morphologiquement le deuxième gésier; il me paraît difficile que chaque poche corresponde à un seul anneau, ce qui porterait seulement à quatre le nombre des anneaux correspondant au gésier tout entier qui en occupe dix. Nous avons vu d’ailleurs que chez le Perichæta afinis, le gésier simple correspondait à deux anneaux bien caractérisés.

Le pharynx est rattaché aux parois du corps par de nombreuses cloisons transversales dans l'épaisseur desquels sont disposées de volumineuses plaques glandulaires dont la sécrétion est déversée dans le pharynx par une multitude de petits canaux visibles à la loupe; les cellules sécrétantes sont très-grandes et leurs noyaux très-petits. Ce sont certainement des glandes salivaires.

L'intestin ne nous a présenté aucune particularité dans sa région antérieure, la seule que nous ayons examinée.

L'appareil circulatoire paraît constitué sur le type habituel; j'ai trouvé de volumineuses anses contractiles aux sixième, huitième et neuvième anneaux; il peut en exister davantage ; mais les recherches qui portent sur des animaux conservés depuis longtemps ne peuvent donner aucun résultat positif à cet égard.

Les organes segmentaires peu développés dans les anneaux génitaux mâles sont bien évidents dans ceux qui suivent et dans ceux qui précèdent.

L'appareil génital se présente avec un degré de complication tout

J'PL NN 08. 16

LOMBRICIENS TERRESTRES, 133

à fait exceptionnel; mais en même temps les divers organes qui le constituent sont d’une grande netteté.

Le M. Deshayesi étant hermaphrodite, nous aurons à examiner l'appareil génital mâle et l'appareil femelle.

Disons tout de suite que les quatre orifices que nous avons signalés dans la description extérieure de l’animal (deux entre les anneaux sept et huit, deux entre les anneaux dix et onze) dépendent d'autant de testicules distincts, disposés par paires dans la cavité générale.

C'est un fait jusqu'ici exceptionnel que les orifices des testi- cules soient aussi distants les uns des autres.

Mais la constitution de chacune des deux paires d'appareils mâles est encore plus remarquable.

Pour chacun d’eux il faut distinguer une partie essentielle, le testicule, une partie glandulaire accessoire et enfin les canaux qui mettent ces différentes parties en rapport entre elles ou avec l'exté- rieur.

Voyons d’abord comment est composée la paire antérieure d'or- ganes mâles.

Les testicules sont très-petits et forment chacun une petite masse ovoide, d’un blanc crayeux, située dans le huitième anneau. Dans l'échantillon que j'ai examiné, ces testicules n’étaient d’ailleurs pas complétement développés.

Dans le septième anneau on voit de chaque côté deux grosses glandes, bien plus grosses que les testicules, contiguës l’une à l’autre de forme irrégulièrement pyramidale et de couleur jaunâtre. À une loupe même assez faible, ces glandes® se montrent formées d’une mul- titude de grains ovoides sur le dos de chacun desquels un petit trait

rougeâtre indique la présence d’un vaisseau. Ces deux glandes d'un

4. PI. 1v, fig. 59 et 80.

134 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

même côté sont réunies l’une à l’autre par une même enveloppe péri- tonéale. Du milieu de la base triangulaire de chacune de ces glandes naît un canal fibreux, blanchâtre, assez long et droit; bientôt ces deux canaux se réunissent en un seul, dont le calibre est à peine plus con- sidérable que celui des deux premiers, qui possède à peu près la même longueur que chacun d'eux, et finalement s'ouvre à l'extérieur par l'orifice déjà signalé entre le septième et le huitième anneau.

Si, maintenant, on soulève le petit testicule du huitième anneau, on aperçoit facilement au-dessous de lui et très-près de l'intestin, un petit tube très-blanc, d'aspect nacré, entortillé comme le serait un gor- dius‘; et, de fait, comme j'avais déjà rencontré dans ce même anneau un petit nématoïde, j'ai pu me demander un instant si je n'avais pas affaire à un autre animal de ce genre. L'existence d’un tube entortillé symétrique et les connections de chacun d’eux m'ont vite détrompé.

En effet, en suivant ce petit tube entortillé dans le voisinage du testicule, on le voit bientôt s'unir à une large expansion membraneuse, déchiquetée et frisée qui s'étend au-dessous du testicule et remonte en avant entre ce dernier et les cloisons antérieures du huitième anneau, dont elle tapisse presque toute l'étendue; un lobe de cette expansion flotte même, dans l'animal ouvert, au-dessus du tube digestif, et rencontre le lobe symétrique homologue. I n’y a pas du reste la moindre fusion entre cette expansion membraneuse et la cloison à laquelle elle est adossée.

C’est un large pavillon vibratile, plus développé que tous ceux que nous avons vus jusqu'ici. L'existence de ce pavillon confirme la détermination que nous avons faite de la glande du huitième anneau, comme dun testicule, nous en rapportant à son aspect extérieur. L'examen histologique n'a pu venir à notre SeCOUTS ; car ces glandes étaient certainement en voie de développement et, dès lors, ne conte-

4 PE sv, fig. 79.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 135 paient aucune trace des filaments spermatiques, seuls caractéris- tiques des testicules.

Si maintenant l’on cherche à discerner la terminaison antérieure du petit tube tortillé, on le voit traverser la cloison antérieure du hui- tième anneau, passer dans le septième et venir enfin s'implanter dans l'angle de réunion des deux canaux excréteurs des glandes du septième anneau ; il en résulte que le canal commun qui fait suite aux deux canaux excréteurs particuliers des glandes du septième anneau doit contenir à un certain moment et le liquide sécrété par ces glandes et le sperme, comme cela a lieu pour le pénis rudimentaire des Perichæta.

La structure des glandes du septième anneau est fort simple; si on fait à travers leur épaisseur une coupe, on voit sur cette coupe une série de courbes fermées, sur le pourtour desquelles est disposé un épithelium à longues cellules cylindriques dont il m'a été difficile de voir les noyaux, mais dont les parois sont bien nettes vers l’inté- rieur de la courbe le contenu de la cellule prend une couleur bien moins foncée, en même temps que les granulations sont moins abon- dantes. Ces courbes sont réunies entre elles par un tissu transparent, semé de noyaux, qui est probablement du tissu conjonctif, dans l’épais- seur duquel serpentent des vaisseaux rouges. Je n'ai pas besoin de dire que les courbes dont je viens de parler ne sont pas autre chose que les sections des lobules sphériques, ou à peu près, dont la glande est composée.

Ainsi ce premier appareil génital mâle se trouve constitué des mêmes parties que chez les Perichœæla, les Digaster, les Acanthodrilus. On remarque cependant cette différence que dans tous les Lombriciens étudiés jusqu'ici il faut chercher l’orifice des canaux déférents sur les anneaux qui suivent les testicules ; tandis qu'ici ces orifices sont au contraire placés sur l'anneau qui précède.

1. PI, 1v, fig. 80.

136 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Le deuxième appareil mâle comprend comme le premier, outre les testicules, des parties accessoires assez nombreuses, mais On ne peut s'empêcher d’être surpris de voir combien il est, néanmoins, différent du premier.

Les testicules volumineux, de forme irrégulièrement ovoides, sont situés dans le dixième anneau et enveloppés d’une tunique péri- tonéale assez lâche qui semble les relier plus spécialement à la portion dorsale de la cloison antérieure.

J'ai pu m'assurer par l'observation microscopique que ces tes-

ticules contenaient de nombreux faisceaux de filaments spermatiques.

Le dixième anneau contient, outre les testicules, un organe qui paraît glandulaire’ et qui est formé d'un nombre considérable de feuillets blancs, opaques, triangulaires, isolés les uns des autres et qui paraissent fixés dans toutes les orientations possibles sur un axe commun, de manière que les points d'insertion soient très-rappro- chés. Cet organe fait fortement saillie dans le neuvième anneau et occupe une grande partie du dixième.

Entre lui et le testicule se trouve un tube pelotonné, assez sem - blable à celui du huitième anneau, mais peut-être d’un calibre un peu moindre. D'une part, ce tube est relié à l'enveloppe testiculaire qu'il traverse, et l'on peut constater tout autour de son point d'insertion une aréole blanchâtre, opaque et d’une résistance plus grande que l'enveloppe testiculaire.

Y a-t-il un épaississement de celle: ci, ou bien contient-elle un pavillon vibratile terminal? c’est ce dont je n'ai pu m'assurer. Quoi qu'il en soit, il ne saurait être douteux que Île tube pelotonné en ques- tion est un canal déférent.

Par son autre extrémité ce tube se perd au milieu des feuillets de l'organe d'apparence glandulaire placé au-dessous du testicule.

4. PL 1v, fig. 81.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 137

que devient-il?

Ne voulant détruire aucun des organes de l'échantillon unique de la collection, j'ai cru devoir renoncer à le suivre, ce qui aurait néces- sité lexcision de la plus grande partie des feuillets; mais je n'ai pas été peu étonné, en examinant au microscope l’un de ces derniers, de le trouver lui-même constitué par un tube extrémement pelotonné‘ et dont toute les circonvolutions étaient maintenues en contact par une délicate enveloppe extérieure.

Doit-on supposer que c'est le canal déférent lui-même qui s'en- roule de manière à produire les feuillets en question?

Il me semble que ce serait attribuer au canal déférent une lon- gueur bien considérable et un calibre bien restreint, car le diamètre de ces tubes ne dépasse pas 20u; d'autre part, la nature glandulaire de ces derniers ne paraît pas absolument évidente ; il est donc prudent de laisser la question indécise entre ces deux solutions; je penche cependant à considérer l'organe feuilleté comme une glande,

En effet, de son extrémité opposée au testicule on voit naître un canal bien plus considérable que le tube pelotonné lui-même et dont le calibre semble indiquer qu'il est destiné à servir d'écoulement à une quantité plus considérable de matière que ce premier canal.

Celui-ci se prolonge sans faire beaucoup de sinuosités jusque vers le dix-septième anneau; il est d’ailleurs parfaitement évident sans dissection et à la seule condition de soulever un peu les organes qui le recouvrent et en particulier un assez gros organe très-allongé qui, au premier abord, paraît s'étendre du douzième anneau au dix-sep- tième, à l'extrémité postérieure duquel il se réfléchit en dedans pour se terminer ensuite en cul-de-sac *.

Le canal que nous avons décrit tout à l'heure passe au-dessous de

A. PI. 1v, fig. 83. 2. PI. 1v, fig. 77 vs et 81 vs.

VIT.

138 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

cet organe et s'ouvre finalement dans celui-ci, au point même il se réfléchit.

Cet organe allongé sert donc de réservoir au produit mixte con- stitué par les sécrétions de Ia deuxième paire de testicules et des glandes en tubes (?) qui lui sont annexées, si tant est que l'organe feuilleté soit une glande.

Nous n'avons pas encore indiqué l’orifice externe de cet appareil si compliqué.

Si l'on cherche à suivre l'organe allongé (Vésicule séminale ?) que nous venons de décrire en avant du douzième anneau, on le voit se transformer bientôt en un gros tube d'aspect nacré, de couleur jau- nâtre qui ne tarde pas à s’infléchir vers l'extérieur et se termine enfin sur la ligne d'insertion de la cloison qui sépare le dixième anneau du onzième.

Son orifice externe n’est pas autre chose que l’orifice que nous avons signalé en ce point, dans notre description générale de l'animal.

Cette seconde paire d'orifices est encore par conséquent une paire d'orifices mâles. Le Moniligaster Deshayesi possède donc quatre orifices mâles, comme les Acanthodrilus ; seulement ces orifices sont beaucoup plus espacés que dans ces derniers animaux, placés beaucoup plus en avant et Surtout dépourvus de ces remarquables soies péniales que nous avons figurées *.

Ce second appareil mâle diffère, comme on le voit, beaucoup du premier; il se rapproche des appareils décrits dans les autres genres en ce sens que le canal déférent se dirige d’abord en arricre, et s'ouvre, comme chez les Eudrilus, dans une sorte de vésicule sémi- nale. Cependant l’orifice extérieur par s'écoulent tous les produits de l'appareil se trouve finalement ramené sur l'anneau même qui contient le testicule; c’est encore un fait que nous n'avons rencontré

4. PI. 1v, fig. 75, et pl. n, fig. 47, 24 et 22.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 159 qu'une autre fois, chez l'Anteus gigas, et d’ailleurs dans des conditions toutes différentes,

On se demande à quoi peut servir une complication si grande dans l'appareil mâle. A la vérité, le nombre des testicules n’est pas supérieur à celui que l’on trouve dans les autres groupes; mais dans quel but chaque paire de ces organes a-t-elle été pourvue d’an- nexes si différents et d’un mode d'excrétion si particulier?

Peut-être la réponse à cette question est-elle indiquée par l'inégal développement des deux paires de testicules; il semble que chacune d'elles doive entrer en activité à des époques de l’année dif- férentes et {peut-être à des moments les conditions extérieures ne sont plus les mêmes et nécessitent par conséquent un mode différent de fécondation.

Mais ce n’est qu'une hypothèse dont le fondement demande à être bien plus solidement assis que je n'ai pu le faire.

L'accouplement doit se passer d’ailleurs autrement que chez la plupart des autres Lombriciens, car ici, bien que tous les autres organes essentiels ou accessoires de la génération soient parfaitement développés, je n'ai pas pu découvrir une trace de ces poches copula- trices dont l’existence est cependant si générale.

L'appareil génital femelle se trouve donc réduit aux ovaires et aux oviductes qui présentent les uns et les autres de remarquables particularités. Au-dessus de l'intestin, entre les vésicules séminales (?) et immédiatement au-dessus d'elles, on voit deux bandelettes‘ granu- leuses, légèrement ondulées qui s'étendent, en flottant assez librement dans la cavité générale, maintenues seulement par les cloisons qu'elles traversent, du douzième anneau à la partie postérieure du quinzième.

1. PL 1v, fig. 77, o et 84, o.

140 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Ce sont les ovaires beaucoup plus volumineux que partout ailleurs, bien que les œufs n’atteignent pas des dimensions très-con- sidérables. Is sont cependant visibles à l'œil nu comme de petites granulations prenant, quand lPœuf a acquis son maximum de déve- loppement, l'apparence d’une sphérule d’un blane de craie. Ces gra- nulations disparaissent vers l'extrémité postérieure du cul-de-sac ovarique, l’on trouve une multitude d'œufs en voie de formation. Malgré le séjour prolongé de l’animal dans l’alcoo!, toutes les parties constitutives des œufs sont les plus faciles à distinguer.

En suivant chaque ovaire antérieurement on le voit passer en sautoir au-dessus de la vésicule séminale' située de son côté, puis se réfléchir, passer au-dessous du canal excréteur de cette vésicule et se diriger vers la bandelette nerveuse ventrale, pour s’insérer très-près d'elle, au point de jonction des téguments et de la face postérieure de la cloison qui sépare le onzième anneau du douzième.

L'insertion se fait si près de la bandelette nerveuse qu'en arra- chant la pénoncule de l'ovaire, on enlève en même temps une portion de cette bandelette dont tous les éléments, fibres et cellules, sont encore de la plus grande netteté.

Dans ce trajet, l'ovaire n’est pas absolument libre; on voit flotter autour de lui un large pavillon vibratile, formé dans sa partie évasée d'une membrane très-délicate dont le bord supérieur ondule de chaque côté de l'intestin et sur un plan au moins aussi élevé.

immédiatement au-dessous de cette partie évasée, le pavillon se prolonge en une sorte de cornet qui suit la même direction que l'ovaire et qui est fixé en dehors aux téguments par de délicats replis membraneux.

Toute la portion ces cornets qui regarde extérieurement de chaque côté est marquée de stries alternativement transparentes et

LOMBRIGIENS TERRESTRES. lat opaques et qui sont déjà visibles à l'œil nu ou tout au moins avec une faible loupe. Au contraire, la paroi interne se modifie de manière à présenter de nombreux replis en forme de feuillets, d'apparence bien évidemment glandulaire.

Je n'ai pu découvrir l'orifice extérieur de ces pavillons; mais j'ai voulu du moins me rendre compte de la signification des appa- rences qu'ils présentaient et j'ai examiné à cet effet une portion de l’un d'eux au microscope.

J'ai ainsi reconnu que la portion feuilletée était constituée par des cellules glandulaires très-volumineuses, à fort beaux noyaux nucléolés et dont la nature demeure inconnue.

Quant aux stries opaques, elles sont produites par le grand déve- loppement de l’épithelium qui sur les bords de chaque strie se montre fortement cilié; on peut voir des œufs engagés entre deux stries voisines, comme si le sillon qu'elles limitent était le chemin que ces œufs doivent suivre pour arriver à l'extérieur. Cette distribution par- ticulière de la partie ciliée est encore un fait que je n'ai rencontré nulle autre part.

On voit par les détails dans lesquels je viens d'entrer que le Woni- ligaster Deshayesi ne peut être rattaché à aucun des types de Lombri- ciens déjà étudiés. C'est encore un de ces points isolés, si nombreux jusqu'ici dans la classe qui nous occupe et que les découvertes ulté- rieures pourront seuls relier entre eux d’une manière rationnelle.

L'échantillon, unique dans la collection que nous venons de décrire, est originaire de Ceylan; le Muséum le doit à M. Lechesnault. IL portait dans la collection l'étiquette : Perichæta cingulata.

442 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Genre /NCERTÆ SEDIS : UROCHÆTA. Nov. Gen.

UROCHÆTA HYSTREX. Edm. Perrier.

Je laisse incertaine la place que doit occuper le Lombricien pour lequel je forme ce genre. II n’en existe que deux échantillons très- détériorés dans la collection du Muséum, et chez tous deux l'appareil génital est incomplétement développé.

D'ailleurs l'Urochæta hystrix ne peut être raisonnablement rap- proché en ce moment d'aucun des types que nous avons étudiés jusqu'ici.

La taille de ce Ver est celle de nos Lombrics ordinaires; mais ses soies ont une disposition tout à fait remarquable; à la région ventrale, dans la première moitié du corps, on distingue nettement de chaque côté deux rangées de soies isolées, parfaitement régulières, semblables à celles que l’on trouve chez certains Lombrics propre- ment dits, c’est-à-dire que les soies se succèdent sans interruption d’anneau en anneau. A la région dorsale, du moins à partir du deuxième tiers de la longueur, on distingue des soies assez espacées, mais ces soies alternent d’anneau en anneau de manière à former des quinconces fort réguliers. Dans le dernier quart les soies paraissent se multiplier beaucoup et rendent comme tuberculeuse la partie caudale de l’animal'; elles forment alors seize rangées telles que toutes les soies d’une rangée alternent d’anneau en anneau avec les soies des rangées voisines. Sur chaque anneau on trouve huit soies rangées symétriquement; il n’y en a jamais sur la ligne médiane dorsale. Il n’y en a pas non plus sur la ligne médiane ventrale.

4. PL. 1v, fig. 85 et 86.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 143

Cette disposition des soies en quinconce rapproche les Vers qui nous occupent des Geogenia de Kinberg et des Pontoscolex de Schmarda. Mais chez les premiers les soies n’alternent que dans la région anté- rieure du corps, tandis qu'ici l'alternance est surtout marquée à la région postérieure; chez les seconds, les soies paraissent alternér aussi bien à la région ventrale qu'à la région dorsale, et de plus il n'y aurait que quatorze séries au lieu de seize que j'ai pu constater chez les échantillons du Muséum. Je n'ai pas pu d'ailleurs consulter l'ouvrage même de Schmarda, et les diagnoses reproduites par d'Udekem et par M. Léon Vaillant sont trop brèves pour qu'il me soit possible d'appré- cier bien nettement la distance qui sépare les Pontoscolex des Urochæta.

J'ai trouvé après le quatorzième anneau une ceinture composée de sept anneaux, mais incomplétement développée. Il m'a été impos- sible d’apercevoir aucune trace des orifices génitaux.

L'anatomie m'a montré un tube digestif pourvu de glandes œsophagiennes et composé à la manière ordinaire, mais à gésier placé très en avant, comme nous l'avons vu chez plusieurs Intraclitelliens, et comme cela se voit encore, mais à un degré moindre, chez les Postclitelliens.

Sur le dos de l'intestin court un vaisseau dorsal dont la partie antérieure présente un aspect franchement moniliforme semblant indiquer que la contractilité se localise ici comme chez les Anteus et certains Perichæta.

Dans les trois anneaux qui suivent le gésier on voit de chaque côté de l'intestin de singuliers organes; ce sont de petites poches surmontées chacune d’une couronne de petits culs-de-sar * contenant chacun quelques noyaux; les poches sont du reste régulièrement striées verticalement. J'ignore ce que ces remarquables organes peuvent être.

A. PI. iv, fig. 87. 2. PI. 1v,: fig..87, 2..et.88.

141 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

En arrière d'eux se trouve une paire de glandes à lobules très- distincts qui m'ont paru être des testicules non encore complétement développés. C'est en arrière de ces glandes que commence la partie moniliforme du vaisseau dorsal.

Je n'ai pas vu d'organes segmentaires.

On conçoit que je n'ose m'aventurer à donner plus de détails; les animaux que j'ai entre les mains, quelque intéressants qu'ils soient, se trouvent trop détériorés pour m'inspirer une grande confiance dans mes recherches.

Je crois pourtant devoir faire remarquer que par la position de son gésier et l'absence de toute prostate, l'Erochæta hystrix rappelle certains types intraclitelliens,

Ici se termine lexposé des recherches anatomiques que nous avons entreprises dans le but de faire connaître l’organisation géné- rale des Lombrics. Il nous reste maintenant à grouper les faits que nous venons d'exposer de manière à faire ressortir les généralités qui peuvent se dégager de ces recherches.

Tel est le but de la troisième partie de ce mémoire, que nous allons maintenant aborder.

Mais auparavant, il n’est pas inutile de présenter dans un tableau synoptique l’ensemble des genres que nous avons pu examiner direc- tement et qui font partie de la collection du Muséum.

Quant aux genres anciens, nous possédons, en général, trop peu de renseignements pour entreprendre de les ranger dans nos coupes; pour ceux de Kinberg en particulier, nous renvoyons à ce que nous avons dit du mémoire de ce savant, dans notre partie historique.

Dans le tableau qui suit, nous ferons appel uniquement aux caractères extérieurs des animaux.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 145

TABLEAU SYNOPTIQUE

DES GENRES DE LOMBRICIENS TERRESTRES DE LA COLLECTION DU MUSÉUM

I. LOMBRICIENS ANTÉCLITELLIENS à orifices génitaux mâles situés en avant de la ceinture.

Un:seul genre + à some ldagnerteiléauus. dur dust véunac Laslaiias Lise:

IT. LOMBRICIENS INTRACLITELLIENS OU à orifices génitaux mâles situés dans la ceinture.

Soies disposées sur quatre rangées.

A. Orifices des organes segmentaires en avant des soies de la rangée ventrale Soies disposées par paires en avant de la ceinture, écartées les unes des autres en arrière et formant ainsi huit ran- gées distinctes 2... Qué de RS

B, Orifices des organes segmentaires en avant des soies de la rangée dorsale. a. Appareil copulateur manquant complétement; orifices extérieurs de la génération, confondus avec ceux des organes segmentaires; soies toutes semblables. . . . . Anleus, N. G. b. Orifices mâles bien distincts situés sur les rangées des soies ventrales. Soies de la ceinture modifiées en vue de la copulation et ornementées. Lobe ira pbs en tentacule . . . Rhinodrilus, N. G. Orifices mâles et orifices Gunsitehe _ dislinets; ces ne confondus avec ceux des poches copulatrices. Un pénis musculaire rétractile, mais enfermé dans une oc spétials 0. EI JOIN 27150 NSG:

ILI. LOMBRICIENS POSTCLITELLIENS Ou à orifices génitaux mâles situés en arrière de la ceinture.

A. Soies disposées par paires et sur quatre rangées. a. Deux paires d’orifices génitaux mâles armés chacun d’un pénis composé d’un certain nombre de soies courbes et aiguës. . » . . . . «+. Acanthodrilus, N. G. b. Une seule paire Se géditave * “mâles: point d’appareil copulateur . . . . . . . . . . . + .… Digaskr,N.G, VIN. 19

146

NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

B. Soies isolées, disposées de manière à former un cercle au

à

S

IV. LOMBRICIENS ACLITELLIENS, ou du moins paraissant

mailieu de chaque anneau; une seule paire d’orifices mâles,

. Orifices mâles situés à la région ventrale, mais

éloignés l’un de‘l’autre et placés sur le deuxième anneau après la ceinture qui est de trois anneaux. Orifices des poches copulatrices tout à fait latéraux. . . . .

. Orifices mâles contigus, rassemblés dans une fossette

située sur l'anneau qui suit immédiatement la ceinture, celle-ci: formée de plus de trois anneaux. Orifices des poches copulatrices nettement situés à la face ventrale et presque contigus. Lobe céphalique entamant profon- dément en arrière le premier anneau. . . . . . . . .

dépourvus de ceinture. Soies sur quatre rangées, par paires dans chaque rangée.

Orifices des organes segmentaires en avant des soies de la rangée supérieure. Quatre orifices génitaux, deux sur la direction des soies de la rangée ventrale, deux entre les deux rangées de soies d’un même côté. Ce sont quatre orifices mâles . . . . . . . . . . .

GENRE INCERTÆ SEDIS, Soies en quinconce au moins à la partie postérieure du Corps . +... « + + + ++ + + + »

Perichæœta, Schmarda.

Perionyzx, N. G.

Moniligaster, N. G.

Urochæta, N. G.

Nous ajoutons ainsi neuf genres à la nomenclature adoptée. Aucun

d'eux ne peut faire double emploi avec les genres adoptés avant

Kinberg et qu'il resterait à répartir dans nos groupes; mais une étude attentive des genres proposés par Kinberg est à faire; le naturaliste suédois s’est placé à un point de vue particulier qui rend sés diag- noses presque inutiles pour nous. Toutefois son mémoire indique

qu'il reste encore beaucoup à

ce groupe si curieux des Lombriciens terrestres.

apprendre avant d'arriver à connaître

LOMBRICIENS TERRESTRES. 147

TROISIÈME PARTIE.

DE L'ORGANISATION DES LOMBRICIENS EN GÉNÉRAL.

Dans cette troisième partie nous nous proposons de passer en revue chacun des appareils qui jouent un rôle dans l’organisation des Lombrics, cherchant à apprécier la valeur des caractères que ces divers appareils peuvent fournir à la classification, ou à déduire de leurs modifications les lois morphologiques qui dominent l'organisa- tion du type Lombric. Nous aurons ainsi à étudier les organes locomo- teurs, les soies, l'appareil digestif, l'appareil circulatoire, les organes excréteurs, le système nerveux, l'appareil de la géné- ration. Ce sont les titres d'autant de paragraphes que nous ferons suivre d’une conclusion renfermant ce que ce mémoire aura établi d’essentiellement nouveau.

DES SOIES ET DE LEUR DISPOSITION

M. Grube et après lui M. Léon Vaillant ont pris pour base de leur classification des Lombriciens la nature et la disposition des soies locomotrices de ces animaux. Il est donc nécessaire de bien établir ici quel est le genre de services qu'il faut attendre de ces organes en ce qui touche les classifications. ; |

Voyons d’abord ce qui est relatif à la forme des soies.

11 est admis d’une manière générale que les soies des Lombriciens terrestres sont des soies simples, c’est-à-dire en forme de bâtonnets légèrement recourbés comme le serait une $ majuscule très-allongée. L'extrémité périphérique est terminée en pointe obtuse, l'extrémité interne plus ou moins arrondie. Jusqu'ici ces soies étaient les seules

118 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

que l’on eût observées chez les Lombriciens et la constance du carac- tère était telle que M. Grube, professeur à l’université de Breslau, et à sa suite M. Léon Vaillant, avaient cru pouvoir en faire un véri- table critérium de l’ordre des Lombriciens terrestres. C’est aïnsi que ces auteurs se sont trouvés conduits à classer les Ænchytreus parmi les Lombriciens terrestres dont ils constitueraient une simple tribu.

Je ne sais trop quelles autres analogies ont pourrait invoquer à l'appui de ce rapprochement.

Si les Enchytrœus sont terrestres ou du moins vivent dans la terre humide comme les Lombrics, si leurs soies ne présentent jamais de crochet terminal, iln’en faut pas moins reconnaître que ces soies pré- sentent , elles aussi, des caractères spéciaux qui les séparent des soies de tous les vrais Lombriciens terrestres connus jusqu'ici. Au lieu d'être recourbées en S, comme les soies locomotrices des Lombrics, celles des Enchytréens sont droites d’abord, puis recourbées brusquement à angle droit à leur extrémité interne, etje n’ai pas été peu étonné de retrouver ce caractère des soies des Enchytrœus européens sur un Enchytrœus provenant de Cochinchine et que j'ai dû, comme tant d’autres choses, à l’obligeance de M. Houllet, chef des serres au Muséum d'Histoire naturelle de Paris.

Or, ces différences ont tout autant de droit à l'attention des natu- ralistes et tout autant de valeur, comme caractère, que l'existence ou la non-existence d’un double crochet terminal. Je ne crois donc pas qu'on puisse s’en servir pour justifier le rapprochement tenté par MM. Grube d’une part et Vaillant de l’autre.

De plus, si l’on considère que les téguments des ÆEnchytrœus, la constitution de leur ceinture, leur appareil génital, leur appareil cir- culatoire sont autant de points qui les rapprochent des Naïs, je crois que la considération des soies, telles que la présentent les auteurs dont je viens de parler, n’a guère d’autre valeur que celle qu’avaient les

LOMBRICIENS TERRESTRES. 119

caractères artificiels, si ingénieusement employés du reste par les naturalistes anciens.

Sans confondre pourtant les Enchytrœus avec les Naïs dont les éloigne leur genre de vie, la forme jusqu'ici spéciale de leurs soies et quelques caractères anatomiques secondaires, je ne crois pas non plus qu'il soit permis de les unir aux Lombriciens terrestres proprement dits.

Il y a tout avantage à les séparer, à en faire un groupe à part, un ordre si l’on veut, équivalent à celui des Lumbricina, à celui des Naïdea et qu'on peut appeler l’ordre des ÆEnchytreida. C'était là, du reste, la manière de voir de d’Udekem, dont l'autorité, en pareille matière, n'avait d’égale que celle de Claparède. Ce dernier allait encore plus loin puisqu'il réunissait les Enchytrœus aux Naïs.

Je crois avoir montré, d’ailleurs, qu'en ce qui concerne la sim- plicité des soies, il faut être prudent. Ce que nous connaissons des Lombriciens terrestres me paraît être insignifiant relativement à la masse de renseignements à recueillir. J'ai trouvé au Muséum seule- ment quelques dizaines d'espèces au plus, recueillies pour ainsi dire au vol sur toute la surface du globe. Sur ces quelques individus épars se trouvent déjà une dizaine de types nouveaux, modifiant beaucoup des idées qu’on s'était faites jusqu'ici du groupe des Lombrics. Et parmi ces types j'en trouve déjà dont les soies locomotrices présentent des complications spéciales de structure (Rhinodrilus), et d'autres qui se modifient profondément, se hérissent de pointes et se recourbent en crochet de manière à jouer un rôle tout nouveau pour elles, celui de Spicules copulateurs. N'est-ce pas une sorte d'avertissement que des études plus suivies nous montreront des formes de soies différentes de celles que nous connaissons. N'est-ce pas tout au moins une invitation à la prudence?

Si, d’ailleurs, l’on veut absolument trouver dans les soies des caractères différentiels entre les Lombrics et les Naïs, il n’est pas sans

150 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

intérêt de rappeler ici certains faits que j'ai observés chez le Lombric terrestre et chez les Perichæta d’une part, chez le Dero obtusa et chez quelques Naïs de l’autre.

Chez ces derniers‘, aux dépens d’une même masse de protoplasma granuleux, se forment des sphérules qui sont les premiers indices non- seulement des matrices des soies, mais encore des muscles destinés à les mouvoir. Ces masses, d’abord identiques ou à peu près, se diffé- rencient de plus en plus. Les unes s’allongent graduellement en fu- seau, ce seront plus tard les fibres musculaires ; les autres se gonflent en demeurant sphériques. Bientôt un noyau brillant, très-réfringent, apparaît à leur centre; puis un autre se forme à côté. Ce ne sont pas autre chose que les pointes du crochet double de chaque soie bifurquée. La hampe de la soie ne se forme qu'après, de sorte que celle-ci appa- raît d’abord par son extrémité périphérique, qui ne se modifie plus et grandit par son extrémité interne. Dans tous les cas, il semble qu'elle se forme aux dépens d’une cellule unique; tout au moins est-il impos- sible de décomposer en éléments plus simples la masse protoplas- mique au sein de laquelle apparaissent les premiers rudiments des crochets. |

Chez les Lombrics et chez les Perichæta, les choses se passent autrement.

Les plus jeunes matrices de soies que j'aie vues étaient com- posées de cinq grosses cellules, irrégulièrement triangulaires, pour- vues d’une épaisse membrane d’enveloppe, d’un noyau très-réfringent, nucléolé et entouré d’une masse granuleuse *. Ces cellules, en s’acco- lant, forment un follicule à l’intérieur duquel se voient, chez le Lom- bric, une lame transparente en triangle isocèle, homogène et inco- lore. L'une des cellules recouvre comme un chaperon la base du

1. Voir : Archives. de Zoologie expérimentale, dirigées par M. de Lacaze Duihiers. Janvier 4872. 2. PL 1, fig. À à 5.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 151

triangle et des stries granuleuses partant de son noyau se dirigent vers cette base. J'ignore si quelque chose d’analogue se retrouve sur les autres cellules, je ne l'ai point observé.

Quoi qu'il en soit, cette lame triangulaire grandit, sans s'élargir par sa base, en même temps que son sommet s'épaissit, se colore en jaune et prend peu à peu l'aspect de la pointe d’une soie. À un cer- tain moment, la lame basilaire arrive ainsi à ressembler à une palette rectangulaire se raccordant par l’un de ses côtés étroits à la moitié externe d’une soie ordinaire. Ici donc la soie n'apparaît pas tout d'abord, elle est précédée d’une formation spéciale sur laquelle elle semble ensuite se former. D'ailleurs, quand la soie a acquis une certaine longueur, sa palette basilaire, loin de continuer à s’ac- croître, commence à se résorber et finit par disparaître sans laisser aucune trace.

Chez les Perichæta, au lieu d’une palette, c’est une sorte de bourre- let rugueux qui apparaît d’abord, et la soie se montre au centre de ce bourrelet.

Il y a, d'après sui, une différence essentielle entre la formation des soies chez les Lombriciens et les Naïdiens que j'ai étudiés, et l'on voudra bien reconnaître que ces différences ne semblent pas être purement accidentelles. Les faits recueillis sont encore trop peu nom- breux pour permettre une généralisation; cependant si la distinction que je signale venait à se confirmer, il faudrait, pour avoir le droit de rapprocher les Enchytræus des Lombriciens terrestres, en se fon- dant sur la forme de leurs soies, démontrer que chez eux les soies se forment comme chez ces derniers. Cette démonstration est encore à faire. 11 est possible qu’elle confirme le rapprochement que je cri- tique en ce moment; mais tous ceux qui ont examiné des soies d’'En- chytrœus v voudront bien reconnaître qu'à leur aspect on est plus tenté de les rapporter au mode de formation des soies des Naïs qu'à celui

des Lombrics.

452 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Voyons maintenant quels caractères nous fournit la disposition des soies sur le corps.

Jl semble évident jusqu'ici que la disposition dominante des soies est celle que l’on peut constater chez notre Lombric indigène; elles forment le long des côtés du corps quatre bandes longitudinales dans chacune desquelles les soies sont disposées par paires. Il y a quelque chose qui rappelle la disposition des pieds chez les Annélides.

Néanmoins, cette disposition est loin d’être la seule. Nous avons vu que l’écartement graduel des soies d’une même paire nous fait passer chez les Titanus à une disposition nouvelle, les soies sont géminées et en quatre bandes à la partie antérieure du corps, isolées à la partie postérieure du corps de l'animal elles forment huit bandes équidistantes.

D’après Kinberg, on retrouve cette disposition dans les genres qu'il nomme Alyatte et Eurydame, originairesdes îles voisines de l’isthme de Panama ; au contraire, une disposition inverse s’observe, toujours suivant Kinberg, dans le genre Fegesipyle qui provient de Natal. Enfin l’écartement des soies d’une même paire, de manière à former huit bandes latérales équidistantes pour un même côté, se trouve réalisé dans toute l’étendue du corps chez les Hypogeons de Savigny, si l’on en croit cet habile observateur; de plus, une nouvelle rangée dorsale viendrait ici s'ajouter aux huit premières.

Toutefois, Kinberg n'admet pas l’existence de cette neuvième rangée que nous n'avons jamais rencontrée; cela ne l'empêche pas de conserver le genre Hypogeon de Savigny.

De nouvelles rangées peuvent cependant venir s’intercaler entre celles qui existent généralement. Et cela peut avoir lieu soit surtout en avant, comme dans le genre Lampito (Kinberg), de Mauritius, soit principalement en arrière comme dans les genres Amynthas, Nitocris, Pheretima, Rhodopis également de Kinberg et qui viennent, le premier de Guam, le second de Rio-Janeiro, le troisième de Californie et de

LOMBRICIENS TERRESTRES, 1535

Taïti, le quatrième de Java. Enfin, si cette addition se fait unifor- mément dans toute l'étendue du corps, nous obtenons le genre Peri- chœta de Schmarda, auquel nous conduisent ainsi une série de modi- fications graduelles et pour ainsi dire ininterrompues. Les soies nouvelles peuvent d’ailleurs s'ajouter aux faisceaux de soies de deux paires sans que ceux-ci cessent de former quatre rangées longitu- dinales; on retrouve ainsi le Lumbricus mullispinus de Grube, pour qui M. Vaillant a proposé le genre £chinodrilus.

Nous venons de supposer le cas d’une complication graduelle; mais, au lieu de s’écarter de l’autre, l'une des deux soies d'une même paire peut avorter et l'animal ne plus présenter que six soies sur chaque anneau comme les Tritogenia de Kinberg, ou même que quatre rangées de soies simples, comme cela arrive chez les Phreoryctes, si bien étudiés par Leydig.

Enfin, on trouve encore signalées dans les auteurs deux autres modes de disposition des soies.

Les Pontoscolex de Schmarda ont les soies alternes d'anneau en anneau, et cette disposition s’observe encore, mais à la partie antérieure seulement du corps, chez les Geogenia de Kinberg, origi- naires de Natal. Nous avons signalé une disposition analogue chez nos Urochæta. Les Megascolex de Templeton les ont rassemblées sur des papilles à la région dorsale.

De ces genres, le dernier surtout aurait besoin d'être étudié de nouveau; Baird confond les Wegascolex avec les Pericheta.

Quoi qu'il en soit, on voit combien peuvent être variées les dispositions que présentent les soies des Lombrics. D’après l’exa- men des individus du Muséum et les indications fournies par Schmarda et Templeton, j'avais pressenti qu'on devrait trouver un grand nombre de dispositions intermédiaires entre les Lombrics et les Perichæta d'une part, les Lombrics et les Pontoscolex de

Schmarda de l’autre. Les descriptions données par Kinberg comblent VIN, 20

4154 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

en partie ces lacunes sans qu'il cesse d’être probable que des com- binaisons nouvelles seront découvertes. Malheureusement, Kinberg paraît s'être arrêté à l'examen extérieur des animaux, de sorte qu'il est impossible de savoir quels rapports peuvent exister entre les dispositions des soies qu'il indique et l’organisation intérieure de ses Lombrics. Il est tout à fait impossible; à mon avis, de recon- naître sûrement des genres uniquement fondés sur la disposition des soies, celles-ci pouvant être disposées exactement de la même manière chez des animaux très-dissemblables, les Lombrics, les Acanthodrilus et les Rhinodrilus, par exemple. Il est d’ailleurs per- mis de se poser cette question : Ÿ a-t-il un rapport quelconque entre ces divers modes de disposition et l’organisation interne des Lom- briciens de telle sorte que ces dispositions puissent prendre à posteriori une importance que tout d’abord on ne voit pas de raison de leur assigner ?

Jusqu'ici, la réponse à cette question paraît devoir être néga- tive. Nous venons de voir, en effet, la disposition à quatre rangées de paires persister dans les types les plus divers; inversement des animaux que tout porce à considérer comme voisins, les Perichæta et les autres Postclitelliens, par exemple, diffèrent tout à coup sous ce rapport. |

Nous croyons donc devoir considérer comme très-artificielle une classification exclusivement fondée sur la disposition des soies, de même que nous croyons assez secondaire le caractère de simplicité invoqué par Grube pour caractériser sa famille des Lombriciens pro- prement dits et adopté plus tard par M. Léon Vaillant qui paraît d’ail- leurs n'avoir pas connu à ce moment le mémoire de Kinberg, mémoire publié en suédois et par conséquent peu consulté; ce caractère est tout au moins insuffisant pour justifier le rapprochement sous un même titre d'animaux aussi dissemblables d'ailleurs que les Enchy- trœus et les Lombriciens proprement dits.

l

LOMBRICIENS TERRESTRES. 155

Il nous semble que si quelque chose différencie bien nettement les Lombriciens vrais, c'est la nature de leurs téguments constitués par une cuticule et une couche hypodermique parfaitément décrite par Claparède', tandis que l’oû trouve à la place, chez les Naïs, un épithelium formé d'une couche unique de cellules nucléées et que le nitrate d'argent rend aussi nettes que possible; c’est la com- plication de leur appareil vasculaire constituant sous la peau un réseau très-complexe qu'on ne retrouve ni chez les Naïs ni chez les Enchytrœus; c’est enfin leur appareil digestif constitué sur un plan des plus uniformes et s’écartant d'une manière bien nette de ce que l’on trouve chez les autres membres de la classe des Lombriciens. C'est cet appareil digestif que nous allons maintenant étudier.

APPAREIL DIGESTIF.

Dans tous les Lombriciens terrestres connus, l'appareil digestif peut être considéré comme un tube droit étendu de l'extrémité anté- rieure à l'extrémité postérieure du corps et dont les parois se spé- cialisent en certains points pour l’accomplissement de fonctions déterminées.

C’est ainsi qu’on trouve loujours chez les animaux de ce groupe :

Un pharynx glanduleux, piriforme, très-renflé ;

. 2 Un œsophage plus ou moins allongé, à parois minces, transparentes, légèrement musculeuses ;

Au moins un gésier renflé, en forme de tore ou d’anneau, à parois très-épaisses, très-musculaires et présentant toujours à l'extérieur un aspect nacré, analogue à celui des aponévroses des muscles des animaux supérieurs ;

Enfin, un intestin proprement dit, présentant souvent un

A, Zeitschrift, loc. cit.

156 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

repli intérieur désigné sous le nom de Typhlosolis par Morren et par les auteurs qui l’ont suivi, par Claparède en dernier lieu. L’'intes- tin est plus large que lœsophage, un peu moins que le gésier; il paraît souvent étranglé à la hauteür de chacune des cloisons interan- nulaires ou dissépiments. Ses parois sont molles, flasques, glandu- laires; elles présentent en outre un lacis vasculaire très-développé qui paraît être ici un appareil d'absorption, bien plus qu'autre chose. Ce lacis se retrouve, comme on sait, chez les Naïdiens, il est peut- être destiné à la fois à l'absorption des matières nutritives et à la respiration.

Je n’ai rencontré jusqu'ici aucune exception, par réduction du nombre des parties, au mode de constitution de l'appareil digestif que je viens d'indiquer. Le genre australien que j'ai nommé Digaster présente au contraire un degré de complication aussi remarquable qu'inattendu. Il y a à, sur le trajet de lœsophage, deux gésiers, musculeux, identiques entre eux, identiques aussi au gésier unique qu'on rencontre habituellement chez les Lombrics. L’un d'eux est situé comme d'habitude immédiatement en avant de l'intestin; l’autre, antérieur, est séparé de ce dernier par un tube membraneux, repre- nant le diamètre et la consistance ordinaire de l'œsophage.

Cette disposition nous conduit à celle plus remarquable encore des Moniligaster, dont le deuxième gésier est formé de quatre poches musculaires consécutives et correspond à un nombre considérable d’anneaux.

Les dispositions des parties du tube digestif relativement aux organes génitaux et aux organes d'impulsion du sang sont intéres- santes à étudier et d’ailleurs fort remarquables.

Il se présente ici deux cas, suivant que les orifices génitaux sont placés ou non en avant de la ceinture.

Chez les Lombriciens antéclitelliens que nous avons étudiés, le gésier s'est toujours trouvé placé en arrière des organes génitaux et de leurs

LOMBRICIENS TERRESTRES. 157

organes accessoires, en arrière aussi des anses Ccontractiles ou cœurs latéraux de l'appareil circulatoire. Dans ces Vers, l'œsophage est d’ailleurs très-allongé et la ceinture rejetée relativement très-loin en arrière ; quelquefois presque au milieu du corps.

Au contraire, chez tous les Lombriciens intra ou postclitelliens, le gésier est placé en avant des testicules et des ovaires, c'est-à-dire en avant des organes essentiels de la génération. Il est également en avant des centres d’impulsion du sang, que ce soient des cœurs dorsaux impairs, comme chez l'Anteus, ou des cœurs latéraux, comme chez les autres Lombriciens.

Quant aux poches copulatrices, elles peuvent être situées en avant ou en arrière du gésier. Il ne nous parait pas possible d'exprimer encore par une loi générale leurs rapports de position avec l'appa- reil digestif. Nous ne saurions trop rappeler d’ailleurs que les lois que nous exprimons ici sont celles qui résultent des faits exposés dans ce travail, elles en sont le résumé et nous ne prétendons nullement que l'étude de plus nombreux Lombrieiens ne vienne pas les modi- fier en quelques points. Mais dans {une branche quelconque de la science il est impossible de procéder autrement. Une loi n’est jamais que l'expression des faits connus au moment elle est énoncée. Il en est bien peu que le cours des temps n'ait pas modifiées.

Si le tube digestif proprement dit se modifie à peine dans tout le groupe des Lombriciens terrestres, il n'en est pas de même des organes qui lui sont annexés et en particulier de ceux qui sont éhar- gés de l'élaboration des sucs digestifs.

Les seuls dont l'existence puisse être actuellement considérée comme constante sont : le revêtement hépatique de l'intestin et les glandes pharyngiennes, qui sont probablement homologues de ce que l’on est convenu d'appeler glandes salivaires chez les animaux inver- tébrés et qui prennent une disposition des plus remarquables chez

158 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

les Moniligaster. Chez les Perichæta, nous avons vu quel degré de com- plication pouvaient atteindre les glandes qui s'ouvrent dans l’œso- phage. Sur l'intestin même, M. Vaillant à signalé un cœcum qu'il a vu chez le P. cingulata de Schmarda, que j'ai retrouvé sur une espèce originaire du Saïgon, et voisine du ?. posthuma. L. V., et sur toutes les autres espèces. Jusqu'ici, les Perichœæta sont les seuls Lombrics qui se soient montrés aussi riches en organes glandulaires. Il ne faut pas oublier cependant que l'attention a été bien peu dirigée sur ce point, et il est probable que ces animaux ne demeureront pas aussi exCcep- tionnels à ce point de vue.

Malheureusement, l'étude des glandes un peu délicates n'est possible que sur des individus frais, que l’on n’a pas essayé jusqu'ici de se procurer, bien que cela soit relativement facile, les Lombrics étant de tous les animaux mous ceux qui résistent le plus facilement aux voyages quand on les laisse dans la terre ils ont été trouvés.

Il résulte, comme on a pu le voir, de ce que nous venons de dire, que les caractères anatomiques tirés de la situation relative des organes digestifs et des autres organes des Lombrics coïincident par- faitement avec le caractère extérieur tiré de la position des orifices génitaux relativement à la ceinture, ce qui semble venir à l'appui du groupement que nous avons adopté dans nos descriptions et dans le classement de la collection du Muséum.

Il semble que les orifices génitaux, en se retirant en arrière, aient entraîné avec eux tout l'appareil génital et aient ainsi forcé les organes essentiels à enjamber le gésier, comme ils avaient eux-mêmes enjambé, plus ou moins complétement, la ceinture.

Nous devons cependant faire remarquer que les poches copula- trices sont demeurées indépendantes de ce mouvement de retrait, puisque chez les Lombriciens intraclitelliens on les trouve aussi bien en avant qu'en arrière du gésier. Nous ne sommes pas certain de leur existence chez tous les Lombriciens intraclitelliens. Chez FAnteus,

LOMBRICIENS TERRESTRES, 159

nous avons rencontré quelque chose qui leur ressemble, elles sont morphologiquement en arrière du gésier, bien qu'elles paraissent en avant par suite du refoulement à la hauteur du neuvième anneau, de ce dernier, qui dépend, comme nous l'avons dit, du sixième.

Voilà donc un Lombricien intraclitellien où, par analogie, on croirait devoir chercher les poches copulatrices en avant du gésier, comme cela a lieu chez quelques postelitelliens et elles sont cependant en arrière. La loi provisoire que nous avons énoncée s’ap- plique donc exclusivement, nous tenons à le préciser, aux organes génitaux essentiels, aux testicules et aux ovaires.

DE L'APPAREIL CIRCULATOIRE,

On sait que chez les Lombries ordinaires, l'appareil circulatoire se compose de trois vaisseaux longitudinaux; l’un dorsal, les deux autres ventraux et respectivement situés au-dessus et au-dessous de la chaîne nerveuse. Ces vaisseaux sont reliés entre eux par des anses latérales, accolées à l'intestin ou se ramifiant sous la peau.

Le vaisseau ventral supérieur est particulièrement chargé de la circulation intestinale, le vaisseau sous-nervien de la circulation cutanée.

Quelques-unes des anses latérales antérieures se renflent, prennent un aspect moniliforme, deviennent contractiles et constituent autant de cœurs latéraux.

C’est le type général que nous retrouvons chez la plupart des Lombriciens.

Peut-être, chez les Perichæta, n’y a-t-il qu'un seul vaisseau ven- tral; mais c’est un point encore douteux. Dans tous les cas, une relation qui paraît constante, c’est le voisinage des cœurs et des testi- cules, de telle sorte que les uns et les autres se trouvent parfois dans

160 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

les mêmes anneaux. Néanmoins, règle générale, les anses contractiles sont en avant des testicules, entre ceux-ci et le gésier dans les Lom- briciens intra et postclitelliens, et tout à fait en avant dans les autres.

Cette règle n’est pas infirmée pour les anses contractiles ordinaires des Anteus et des Titanus ; mais là, à ces anses viennent s'ajouter des organes d’impulsion spéciaux, plus perfectionnés et qui se trouvent en arrière des testicules. Ces organes se constituent d’ailleurs soit au moyen du vaisseau dorsal, soit au moyen des anses contractiles laté- rales, comme je l’ai montré chez les Titanus et les Rhinodrilus *.

Ces modifications dans le mode de formation des organes d’im- pulsion ne sont pas les seules qui méritent d'être signalées. Ainsi, au contraire de la simplification que nous avons dubitativement signalée chez les Perichæta, une complication se manifeste chez les Rhinodrilus par l'addition d'un second vaisseau dorsal. L'appareil de la circulation périphérique, celui de la circulation intestinale, semblent ici séparés; les cœurs à oreillette et ventricule dépendent de ce der- nier système, ainsi que les anses contractiles qui les suivent.

Par les quelques linéaments que nous venons de tracer, on voit que l'appareil circulatoire des Lombriciens est loin d’être encore bien connu. Il présente d'intéressantes modifications qu'il serait utile de pouvoir étudier dans tous les groupes. encore il est indispen- sable de s'adresser à des individus frais, qu'on ne peut malheureuse- ment se procurer que très à la longue.

1. Voir dans ce Mémoire ce que j'ai dit précédemment au sujet de la constitution des cœurs latéraux véritables de ces genres et du cœur dorsal impair des Anteus, Perichæta et Urochæta, dans les chapitres relatifs aux diverses espèces de ces genres.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 161

APPAREILS D'EXCRÉTION. ORGANES SEGMENTAIRES.

Nous nous sommes, dans la première partie de ce travail, posé la question suivante :

«-Doit-on, avec Ray Lankester, considérer les Lombriciens ter- restres comme typiquement pourvus de deux paires d'organes segmen- taires dans chaque anneau, toute la série supérieure de ces organes avortant généralement, sauf dans certains anneaux les organes restants se modifient de manière à remplir certaines fonctions spé- ciales? »

Si cela est, avons-nous dit, il doit se présenter des cas l'avor- tement est moins complet que chez nos Lombrics indigènes, les seuls qui aient été bien étudiés; dans d'autres cas, lavortement peut avoir été déplacé et nous devons trouver la série supérieure revenant à son développement normal, coexistant avec la série infé- rieure, ou prenant sa place. i

A la vérité, aucun de ces cas ne se fût-il présenté, nous n'avions pas le droit de conclure en toute rigueur contre l'hypothèse, mais si l’un ou plusieurs d’entre eux se rencontrent, cette dernière devient probablement, par ce seul fait, l'expression d'une réalité.

Tout d'abord une question secondaire se présente. Comment distinguer l’un de l’autre les deux systèmes d'organes segmentaires, si l’un d’eux est seul développé?

Comment caractériser chacun d'eux?

Nous devons avant tout examiner cette question, et elle se trouve heureusement résolue par l'étude des animaux que nous avons eus

à notre disposition. VIIT. 21

162 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Dans la grande majorité des cas (Lumbricus, Acanthodrilus, etc.) l'orifice externe des organes segmentaires se trouve placé légèrement au-dessus des soies de la rangée inférieure et toujours en avant.

Il semble donc déjà que cette relation prenne la valeur d’une loi morphologique. Mais nous avons vu que les soies de chaque paire ne demeurent pas toujours unies. Quand elles se séparent. comme chez les Titanus, de manière à former huit rangées longitudinales, que va-t-il arriver? L’orifice conservera-t-il sa position initiale rela- tivement aux lignes médianes dorsale et ventrale, ou se déplacera-t-il en même temps que les soies?

Dans la première alternative, il est évident que nous devions chercher un autre point de repère pour déterminer la position de l'orifice en question; dans la seconde, il est non moins évident que ce point de repère est tout trouvé : c’est la position des soies loco- motrices.

Eh bien, dans les Titanus, à mesure que les deux soies de la paire inférieure de chaque anneau s’écartent l’une de l’autre, nous voyons l'orifiee des organes segmentaires se déplacer avec la soie supé- rieure, demeurer toujours dans son voisinage, en avant et un peu au-dessus, dans les relations mêmes il se trouvait quand les deux soies étaient géminées.

On peut donc se croire autorisé par ce fait, malheureusement unique, à énoncer cette loi :

« L'orifice externe de la série inférieure des organes segmentaires est intimement lié à la soie supérieure de chaque paire inférieure de soies; il est placé au devant et un peu au-dessus d'elle; il la suit dans tous ses déplacements ; ils se caractérisent mutuellement. »

Ceci étant établi, il demeure évident que, par analogie, s’il existe un second système d'organes segmentaires, il devra proba- blement se trouver dans les mêmes relations morphologiques avec les soies de la rangée supérieure.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 163

C'est, en effet, ce que nous trouvons chez les Anteus, les Rhino- drilus et les Moniligaster. Ici on voit une ligne d’orifices, en avant et au-dessus de chacune des soies supérieures de la rangée supé- rieure. Î} n'existe pas d’orifices en avant des soies de la rangée inférieure. Nous devons admettre en conséquence que, dans ces genres, nous avons affaire à un système d'organes segmentaires morphologiquement différent d& premier, système que nous appel- lerons système des organes segmentaires supérieurs. Le système des organes segmentaires inférieurs à avorté.

Ainsi, il est rendu au moins fort probable par ce que nous venons de dire que les Lombries possèdent bien typiquement denx paires d'organes segmentaires par anneau. [I est même digne de remarque que ehez l’Anteus, dont les cloisons interannulaires anté- rieures sont si épaisses, ces organes segmentaires, sans presque se modifier, servent de canaux déférents.

Malheureusement notre démonstration s'arrête à ces faits. Nous n'avons pas vu les deux systèmes d'organes coexister d'une manière évidente; cela rendrait la démonstration complète. Mais les disposi- tions que nous venons de signaler rentrent d'une manière trop frappante dans les conséquences de l'hypothèse de Ray Lankester, pour qu'il soit actuellement impossible de ne pas lui accorder quelque valeur positive.

11 semble donc que l’on puisse prévoir dès ce moment qu'on trouvera des Lombrics à huit rangées de soïes. isolées chez qui les organes segmentaires s’ouvriront en avant des rangées de soies les plus élevées, qu’on en trouvera d’autres chez qui l’une des deux séries existera dans une partie du corps, l’autre série se montrant dans le reste de Fanimal, qu'enfin au moins dans une certaine région du corps les deux séries d’orifices pourront coexister.

Il est bien fâcheux que Kinberg, qui a eu à sa disposition des Vers si eurieux et d'origines si diverses, n'ait donné aucun détail sur ce point.

164 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM

Il y a d’ailleurs parmi les Vers que j'ai décrits dans ce Mémoire, des animaux remarquables et qui réalisent presque ila démonstration que j'ai essayé d'établir : ce sont les £udrilus. Là, comme dans l’An- teus et le Rhinodrilus, les orifices des organes segmentaires sont en avant des soies de la rangée supérieure. Nous avons donc affaire à des organes segmentaires supérieurs. Ces orifices se retrouvent avec tous leurs caractères, mais un diamètre un peu plus grand sur les an- neaux seize, quatorze, quinze et treize qui font partie de la ceinture. De plus, le seizième anneau porte une paire d'orifices qui sont exactement situés sur le prolongement des deux rangées inférieures de soies, exactement dans la situation que devraient occuper les orifices des organes segmentaires inférieurs. Seulement ici, les paires inférieures des soies de l'anneau ont disparu, et les orifices en question se trouvent reportés à la partie postérieure de l'anneau; cela s'explique suffisamment par la grandeur de ces orifices et les modifications apportées à leurs usages. Ces orifices sont en effet ceux des canaux déférents. L'absence des soies qui devraient leur correspondre, corré- lative du grand développement de ces orifices, semble bien indiquer ici qu'il y à une liaison morphologique intime entre ces deux sortes d'organes; elle confirme l’opinion que nous avons émise relativement à la nature de ces orifices, tendant à les faire considérer comme ceux d'organes segmentaires inférieurs. Par conséquent, nous trou- vons ici, dans un même anneau, les deux catégories d'organes super- posées et, comme cela devait arriver quelque part, dans un rapport inverse à celui qu'on observe chez les Lombrics. Toutefois ces mêmes Eudrilus font naître une difficulté nouvelle. Leur quatorzième anneau porte, outre l’orifice segmentaire habituel, un orifice nouveau placé en arrière du premier et qui n’est pas autre chose que l’orifice com- mun d’un oviducte et d’une poche copulatrice. Par sa position, cet orifice rappelle celui des organes segmentaires et porterait à ratta- cher la poche copulatrice qui porte l'ovaire au système des organes

LOMBRICIENS TERRESTRES, 165

segmentaires supérieurs. Comme cet organe el son orifice extérieur existent également dans le même anneau, on est bien forcé de repousser celte homologie, et la conséquence de ce fait semble être que les poches copulatrices, contrairement à une opinion que d’autres faits semblaient rendre probable, ne sont nullement des modifica- tions des organes segmentaires. Ajoutons cependant qu'ici la relation singulière que l'ovaire contracte avec les poches copulatrices peut

servir à diminuer un peu la valeur de l’objection.

Nous venons de nous occuper des Lombriciens qui portent huit soies sur chaque anneau. Que deviennent dans les autres les relations que nous avons tâché d'établir? Je laisse une lacune que de plus heureux rempliront. Je n'ai pu observer parmi les Lombriciens pré- sentant plus de huit soies que les Perichæta et les Perionyr, et chez ceux-là il m'a été impossible de découvrir sur les téguments d’autres orifices que ceux des pores dorsaux, des poches copulatrices, des canaux déférents et des oviductes.

À l’époque j'ai eu des Perichæta vivants entre les mains, mon attention ne s'était pas encore portée sur les organes segmentaires, et je m'attachai d'autant moins à les rechercher que M. Vaillant ne les avait pas trouvés chez le P. cingulata et que je ne songeais en aucune façon à contrôler ses résultats, Je n’affirmerai donc pas posi- tivement ici que chez les Perichæta les deux systèmes d'organes segmentaires soient frappés d’avortement. Néanmoins cela ne me paraîtrait en aucune façon’ surprenant. Du moment que l’un de ces systèmes peut avorter d’une manière aussi persistante, que néanmoins l'avortement ne porte pas constamment sur l’un des systèmes de préférence à l’autre, il n’y a pas de raison pour que dans certains types l'avortement ne porte pas sur les deux systèmes à la fois”.

41. Depuis le moment ce passage a été écrit, il m’a été possible d'étudier à ce point de

166 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Une autre question se pose ici : c'est celle de la nature des pores dorsaux, de leurs conditions d'existence ou de disparition, des carac- tères que l’on en peut tirer. Malgré mon désir d'aborder ce pro- blème, je ne crois pas avoir encore de documents suffisants pour le résoudre.

SYSTÈME NERVEUX.

Le système nerveux des Lombriciens terrestres n’a pas été de ma part l’objet de recherches approfondies. Il paraît se présenter avec un grand caractère d’uniformité.

Il me suffira d’ailleurs de renvoyer aux travaux de Faivre‘ de Claparède*® et de M. de Quatrefages”® pour ce qui concerne l'anatomie ou l’histologie des Lombrics de nos pays. On peut lire d’autre part dans ce Mémoire même, au chapitre des Perichæta, un résumé de ce que M. Vaillant, d’une part, et moi, de l’autre, avons observé chez ces derniers animaux.

Le plan général se trouvant le même, l'intérêt se porte surtout sur le système stomato-gastrique si complétement décrit par M. de

vue d'assez nombreux Perichæta, conservés depuis peu dans l’alcool et en très-bon état ; or, à l'extérieur de leurs téguments, il m'a été absolument impossible de: découvrir aucune trace d'orifice latéral; je n'ai pas davantage trouvé à l’intérieur d’indice des tubes entortillés caracté- ristiques des organes segmentaires; mais j'ai trouvé à leur place soit un réseau glandulaire, soit . des tubes délicats pourvus de vaisseaux, et qui évidemment en tiennent lieu. Il me paraît certain qu'ici il y a un avortement incomplet des deux systèmes d'organes, et il n’est pas sans intérêt de rapprocher cet avortement de ce fait que précisément il a lieu chez des Vers pour qui le mode de distribution des soies rend illusoire la loi morphologique que nous avons

ment énoncée.

L'importance de ce rapprochement n’est pas diminuée par ce qui a lieu chez les Porn qui possèdent des organes segmentaires bien développés, mais dont il m'a été cependant impos- sible de retrouver les orifices extérieurs.

4. Ann. Sc. Nat., 1856.

2. Zeitschrift für wissensch. Zoologie, 1869.

3. Règne animal. Ed. Masson, et Annélides des Suites à Buffon de Roret.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 167

Quatrefages pour le Lombric terrestre et dont j'ai indiqué quelques traces chez le Perichæta Houlleti,

Il y aurait aussi un grand intérêt à connaître exactement la dispo- sition des branches nerveuses dans chaque anneau, leur rapport avec les différents organes contenus dans ces anneaux, leur mode de ter- minaison, enfin la manière exacte dont chaque anneau est mis en communication nerveuse avec ses voisins. Ce sont des recher- ches que j'ai commencées sur quelques Lombrics indigènes, qui ne peuvent être continuées avec avantage,sur les divers types de la classe qu'après avoir été menés à bonne fin sur un type primitive- ment choisi.

J'espère pouvoir publier bientôt un travail étendu sur ce point, en conséquence je ne m'étendrai pas davantage ici.

Je dois dire pourtant que, même chez les vers les plus élevés, il m'a été impossible de rien voir qui pût être considéré comme un organe des sens bien défini.

I y a bien dans la peau quelques parties qui semblent en rap- port avec le sens du toucher; mais le sens de la vue et celui de l'ouie paraissent complétement absents. Quant à l'odorat et au goût, qui se traduisent rarement à l'extérieur par des organes caractéristiques, on conçoit qu'il n’en puisse être ici question.

APPAREIL GÉNITAL.

Les Lombriciens sont actuellement considérés comme hermaphro- dites, tandis que les Annélides sont au contraire dioïques et c'est un des caractères les plus frappants qui distinguent ces deux

classes d'Annelés. - Toutefois des recherches encore récentes sont venues enlever à ces différences le caractère absolu qu’elles ont eu longtemps.

168 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Parmi les Annélides et, dans des genres habituellement dioïques, il s’est trouvé quelques espèces véritablement hermaphrodites. Ces découvertes n’ont cependant pas supprimé la valeur zoologique du caractère mis en lumière par M. de Quatrefages. C’est, en effet, dans les Annélides tout à fait inférieures seulement que l’hermaphroditisme à été constaté ; il est en quelque sorte, chez elles, une marque de dégra- dation de l'organisme et n’a pas plus d'importance pour la caractéris- tique générale de la classe que l'absence de soies qui a été signalée par M. Strethill Wrigth, M; Dyster, puis par M. van Beneden père, chez l'Annélide qu'ils ont nommée le premier Phoronis hippocrepia et le troisième Crepina.

De même il n’est pas impossible que chez les Lombriciens l’her- maphroditisme ne soit pas absolument général. Nous avons vu en effet que, chez quelques Lombriciens intraclitelliens, il semblait que les sexes pussent se trouver séparés. Ces faits ont toutefois besoin de confirmation.

Dans tous les cas, la dioïcité coïnciderait ici avec un degré plus grand de perfection de l'organisme. De telle façon que si, d’une part, les Annélides en se dégradant semblent passer aux Lombriciens infé- rieurs, inversement les Lombriciens en se perfectionnant paraissent revenir aux Annélides, du moins sous le rapport de la constitution de l'appareil génital.

L'hermaphroditisme est d’ailleurs de beaucoup le cas le plus général ; il y a donc lieu de considérer pour chaque ver :

L'appareil génital mâle et ses accessoires ;

L'appareil génital femelle et ses accessoires.

APPAREIL GÉNITAL MALE.

L'appareil génital mâle se compose de parties essentielles ce sont : Les Testicules ;

LOMBRICIENS TERRESTRES, 169

Et de parties accessoires :

Les canaux déférents;

Les glandes accessoires ;

Les vésicules séminales ;

Les organes copulateurs.

Nous nous occuperons successivement de chacune de ces parties.

Des testicules. Les testicules peuvent être au nombre de une, deux ou trois paires. Je n'en ai jamais trouvé davantage. Dans le premier cas, les testicules sont linguiformes, diversement ondulés et très-volumineux (Titanus brasiliensis).

Le second cas, qui paraît être le plus fréquent, s’observe chez les Anteus, Rhinodrilus, Acanthodrilus, Perichæta, Digaster.

En général, les testicules sont alors égaux, diversement lobés et formés par une masse pulpeuse, blanchâtre , demi-transparente , au milieu de laquelle se voient quelques taches d’un blanc de craie. Outre les spermatozoïdes, j'ai vu presque toujours de nombreuses gréga- rines ou psorospermies, à tous les états de développement, remplir ces organes. Ce parasite paraît être eonstant dans les testicules des Lombriciens terrestres ‘, et sa forme varie très-peu avec les espèces de Lombrics qu'il habite.

On doit signaler comme une exception remarquable les testicules en grappe des Digaster.

On trouve enfin trois paires de testicules chez les Eudrilus et les vrais Lombrics. Seulement, chez les premiers de ces Vers, les trois paires de testicules sont quelquefois égales, tandis que chez les Lom- brics la première et la seconde paire sont bien moins développées que la troisième; cela m'a paru un fait général.

J'ai déjà indiqué les rapports des testicules avec les organes voi- sins; je n’y reviendrai pas. J’ajouterai seulement que les testicules

42 PL mi, fig. 63. VII.

‘470 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

paraissent toujours attachés à la région postérieure et inférieure de la cloison antérieure des anneaux qui les contiennent. Je ne voudrais rien dire de général sur leur histologie, les ani- maux conservés dans l’alcool ne se prêtant pas à ce genre d’études. Les indices de spermatozoïdes que j'ai pu voir semblent indiquer que ces éléments se développent exactement comme chez nos Lom- -briciens indigènes. 1 ne paraît y avoir aucun rapport entre le nombre des paires de testicules et la famille à faquelle appartiennent les Lombrics; au con- traire, jusqu'ici le nombre de ces organes paraît constant dans le -même genre (Lumbricus, Perichæta, Acanthodrilus, ete.).

Canaux déférents. Règle générale, les canaux déférents sont au nombre de deux. Ils sont symétriques et constitués chacun par un canal étroit, appliqué contre la paroi ventrale du corps, souvent à demi enfoui dans le tissu musculaire du corps et par conséquent assez difficile à distinguer.

D'une part, ce canal s’ouvre à l'extérieur directement ou indirec- tement; de l’autre, il se bifurque et chacune des branches nouvelles se termine par un épanouissement membraneux, en forme de pavil- lon, à surface plissée (Lumbrieus terrestris, L. americanus, Perichæta, etc.) ou papilleuse (L. Victoris). Ces pavillons sont formés de cellules con- stituant un épithelium vibratile très-actif.

Les pavillons peuvent d’ailleurs affecter deux modes de disposi- tion différents : tantôt ils sont à peu près libres dans la cavité du corps, tantôt, au contraire, ils s'engagent dans la membrane d’enve- loppe du testicule et font ainsi corps avec la glande sécrétante.

Ces deux dispositions se retrouvent dans le genre Lumbricus. 1] existe, comme on sait, dans les espèces de notre pays et dans toutes celles du genre que j'ai examinées, trois paires de testicules. On ne trouve jamais pour ces trois paires de testicules que deux paires de

LOMBRICIENS TERRESTRES. 174 pavillons vibratiles situés chacun entre deux paires de testicules con- sécutives.

Chez nos Lombrics ces pavillons vibratiles sont égaux, engagés dans le tissu enveloppant du testicule ét semblent desservir le pre- mier les deux petits testicules, le second le grand testicule seule- ment. C'est du moins ce qui résulte des figures de d'Udekem.

Chez le Lombric de Damiette dont j'ai déjà parlé, sous le nom de L. Victoris, les pavillons vibratiles ont la même situation et sont encore égaux; mais ils flottent librement dans la cavité du corps, et leur surface papilleuse apparaît dés qu'on ouvre l'animal comme un amas de villosités blanchâtres.

Chez le Lumbricus americanus, les pavillons vibratiles sont encore libres; mais le pavillon postérieur prend un développement énorme et remplit toute la cavité générale, tandis que le pavillon antérieur conserve son volume normal. Chaque pavillon paraît du reste pouvoir desservir à la fois deux paires de testicules, et le développement énorme du second peut être considéré comme corrélatif du déve- loppement, lui-même très-considérable, de la troisième paire de tes- ticules.

Ainsi, dans le genre Lombric, l'appareil génital est construit Sur deux types un peu différents, les pavillons vibratiles des canaux excréteurs du sperme pouvant être non libres dans la cavité du corps.

Il est d’ailleurs assez remarquable que les testicules étant au nombre de trois paires, les pavillons vibratiles demeurent néanmoins au nombre de deux seulement de chaque côté du corps.

Faudrait-il voir dans les deux premières paires de testicules une division en deux lobes profonds d’une glande ne constituant primiti- vement qu'une seule paire? Je ne saurais le dire en ce moment; mais cette hypothèse ramènerait les Vers du genre Lumbricus au type qui paraît être le plus général chez les Lombriciens.

172 NOUVELLES ARCHIVES DU :MUSEUM,

D'ailleurs, chez les £udrilus, les trois paires de testicules sont bien évidemment indépendantes, et chacune m'a semblé posséder sa paire spéciale de pavillons vibratiles, engagée comme chez nos Lom- brics indigènes dans la membrane d’enveloppe du testicule ; toutefois mes observations sont incomplètes en ce qui touche le nombre de ces pavillons.

Chez tous les autres Lombriciens que j'ai examinés, sauf peut- être les Moniligaster, les pavillons vibratiles sont en nombre égal à celui des testicules et toujours libres dans la cavité générale.

Il est bon de noter ici que les Acanthodrilus et les Moniligaster, avec leurs quatre orifices génitaux et leurs quatre canaux déférents, portant ordinairement chacun son pavillon vibratile, semblent indi- quer qu'il faut considérer la paire unique de canaux déférents des autres Lombriciens comme résultant de la fusion de deux paires primitives qui ne demeurent séparées que par leur extrémité libre. C’est un point de morphologie qu'il serait intéressant d'élucider par l'étude d’un plus grand nombre de types.

Peut-on et doit-on considérer les canaux déférents comme homo- logues des organes segmentaires? Je n'hésite pas à répondre oui à cette question, et voici mes raisOns :

le Chez l’Anteus gigas, ce sont les organes segmentaires eux- mêmes, sans aucune modification de position et presque sans aucune modification de forme, qui jouent le rôle de canaux déférents.

Les orifices de ces canaux occupent toujours à peu près la même position que ceux des organes segmentaires correspondants.

Leurs relations avec les soies sont évidentes, puisque chez le Rhinodrilus les soies voisines se modifient de manière à jouer un rôle nouveau en rapport avec le rôle, nouveau lui-même, que l'organe seg- mentaire modifié est appelé à jouer. Ce rapport est encore plus évi- dent chez les Acanthodrilus, les orifices des organes segmentaires devenus canaux déférents et ceux des sacs sétigères correspondants

LOMBRICIENS TERRESTRES. 173

se confondent. Toutefois ce rapport cesse de se montrer pour l’un des systèmes d’orifices mâles chez les Moniligaster.

L'existence démontrée de deux systèmes, d'organes segmen- taires correspondant à chaque série de soies, dans le type schéma- tique du Lombric, élimine l'objection provenant de la coexistence des organes segmentaires et des canaux déférents dans un même anneau.

A la vérité un certain nombre de questions me paraissent encore obscures.

On sait que, sauf chez les Anteus, les canaux déférents traversent généralement plusieurs anneaux, tandis que les organes segmentaires sont assez souvent à cheval sur deux anneaux, mais jamais plus, habituellement même ils sont contenus tout entiers dans le même anneau. Gela étant, à quel anneau faut-il attribuer les canaux défé- rents?

Doit-on en faire des dépendances de l'anneau qui porte leur ori- fice? C'est la première idée qui se présente; elle est d’ailleurs con- forme à la manière de voir généralement adoptée pour les Naïs, l'on ne considère que l’orifice externe des organes segmentaires pour caractériser ces derniers. Mais si l’on remarque que les organes seg- mentaires des Lombriciens terrestres ne portent jamais qu'un pavillon vibratile, tandis que les canaux déférents en portent deux. si l'on se souvient que chez les Acanthodrilus et les Moniligaster, ces canaux demeurent dédoublés dans toute leur étendue et ne portent alors chacun qu'un pavillon vibratile; si l’on ajoute enfin que les canaux déférents sont en général beaucoup plus volumineux que les organes segmentaires correspondants, on arrive à se demander s’il ne faut pas considérer chaque canal déférent comme résultant de la fusion de plusieurs organes segmentaires et il reste alors à déterminer le nombre et la position de ceux de ces organes qui se sont ainsi confondus.

J'avoue qu’il ne m'est pas possible, dans l’état actuel de mes con- naissances, de décider ce qu'il faut penser de cette manière d'envi-

174 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

sager les canaux déférents et des questions secondaires qui s'y ratta- chent.

Une autre lacune qui me paraît importante à combler est celle-ci : dans les anneaux se trouvent à la fois les organes segmentaires et les canaux déférents, quels sont les rapports exacts des uns et des autres ?

Par l'inspection des orifices extérieurs il m'a été difficile de me faire une idée précise de ces rapports; quant aux dispositions inté- rieures, je n'ai encore que des données trop incomplètes pour qu'il me soit possible de formuler un jugement.

Malgré l'attention que j'ai portée sur ce point, je crois donc devoir réserver encore mon opinion. Je reprendrai, je l'espère, ce sujet avec d’autres matériaux et je ferai mes efforts pour l’élucider. C'est là, du reste, il faut bien le reconnaître, la pierre de touche des idées morphologiques dont je viens de me déclarer partisan et auxquelles je renoncerais sans plus d’hésitation si les faits qui restent à découvrir ne venaient pas se coordonner facilement autour d'elles.

Glandes accessoires. C’est un fait très-remarquable que, parmi tous les Lombriciens que nous avons étudiés, ceux-là seulement dont les orifices génitaux mâles sont en arrière de la ceinture se soient montrés pourvus d'une glande accessoire plus ou moins assimilable à une prostate, et que d’ailleurs aucun d’entre eux n’en ait été privé. J'ignore si des exceptions se présenteront plus tard à cette loi, qui se présente cependant avec un caractère de netteté inspirant une grande confiance.

Comment sont constituées ces glandes? J'ai pu le rechercher sur quelques échantillons vivants.

Comme on peut le voir par la figure que nous en donnons !, la prostate lobée des Perichæta est constituée par un tissu conjonctif assez

4, PI. ur, g. 56. Perichæta Houlleti.

LOMBRICIENS TERRESTRES. -475

lâche unissant un nombre considérable de culs-de-sac piriformes,, à contours granuleux et qui noircissent par le nitrate d'argent faible, tandis que le. tissu intersticiel demeure blanchâtre. On arrive ainsi à mettre bien nettement en évidence la constitution de ces organes. Les culs-de-sac se prolongent d’ailleurs en conduits grêles qui s’abouchent successivement les uns avec les autres et finissent par se rendre dans le canal excréteur unique de la glande, canal qui s'ouvre lui-même directement dans le canal déférent.

Cette structure est évidente sans préparation chez le Perichæta

elongata.

Une structure analogue se voit chez les Acanthodrilus et les Digaster.

Vésicules séminales. Chez les Eudrilus, à la place de la prostate,

on voit un simple tube à parois translucides en avant, d'aspect laiteux en arrière, à surface lisse et comme tendue par un liquide. Ce tube très-volumineux est quelquefois accompagné d’un diverticulum en forme d’Y; je n’ai pu en faire l'étude histologique.

Mais tout porte à considérer cet organe comme une véritable vésicule séminale. C’est encore la signification qu’il convient, croyons- nous, d'attribuer à la longue poche à extrémité réfléchie dans laquelle vient s'ouvrir le canal excréteur de la deuxième paire de testicules chez les Moniligaster.

Appareils copulateurs. C'est principalement aussi chez les Lom- briciens postclitelliens que des appareils copulateurs nettement définis se sont montrés. Parmi les intraclitelliens, les Eudrilus sont pourvus d’un appareil de ce genre. De même que chez les intraclitelliens nous avons vu les centres d’impulsion du liquide sanguin se constituer au moyen de parties très-différentes de l'appareil circulatoire, et se COm- pliquer plus ou moins quand ils se constituaient aux dépens d’une partie déterminée; de même, nous allons voir dans la classe des Lom- briciens une certaine partie, se compliquant graduellement, donner

176 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

finalement un pénis absolument parfait, et celui-ci se constituer dans d'autres cas au moyen de parties toutes différentes.

Chez les Pericheta* qu'il a étudiés, M. Vaillant ne signale rien qui

ressemble à un pénis; suivant cet anatomiste, le canal de la prostate cet le canal déférent s'unissent en un tube extrémement court qui s'ouvre directement au dehors. Ici donc, si l'on s’en rapporte aux figures et aux descriptions de M. Vaillant, il n'y aurait même pas de rudiment d’un pénis.

Chez les Digaster et les Moniligaster, on voit déjà quelque chose de plus. Le canal déférent très-grêle vient se jeter dans le canal excréteur de la prostate, au point même celui-ci sort de la glande*. I] en résulte un canal mixte beaucoup plus volumineux que le canal défé- rent, assez allongé, à parois flasques et molles, présentant quelques fibres musculaires et que l’on peut considérer comme le premier rudiment d’un pénis.

En effet, chez le Perichæta Houlleti, ce canal se renforce de fibres musculaires longitudinales et annulaires formant une couche épaisse autour de ses parois et leur donnant avec une grande opacité, une solidité considérable et un aspect nacré. Ce canal est habituellement recourbé en fer à cheval, de manière que ses deux extrémités soient rapprochées l’une de l’autre. Bien que je sois tenté de croire le con- traire, il est possible qu’il fasse saillie au dehors lors de l’accouple- ment et joue à cet instant le rôle d’un véritable pénis. Quoi qu'il en soit, voilà une partie de l'appareil excréteur du sperme qui com- mence évidemment à se distinguer du reste du canal déférent, plus que la partie correspondante des Digaster et qui joue évidemment un rôle actif dans l’accouplement. Cela justifie pleinement notre détermination de cette partie comme un pénis rudimentaire.

1. Perichæta posthuma. L. V. et P. cingulata. Schmarda. Ann. Sc. Nat. loc. cit. 2. PI. u, fig. 25, et pl. 1v, fig. 79.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 177

Enfin, chez les £udrilus, la spécialisation est complète.

Le pénis est encore formé par l'extrémité du canal mixte résul- tant de la jonction du canal déférent et du canal issu de la poche homologue en apparence de la prostate; mais de nouvelles parties secondaires se surajoutent au pénis proprement dit. Ce dernier est rétractile ; il a la forme d’un crochet musculaire dont la concavité est tournée vers la queue de l’animal'. A sa base, ce crochet présente inférieurement une poche sphérique assez volumineuse qui peut, comme lui, rentrer à l'intérieur. C'est une seconde vésicule ne jouant son rôle que immédiatement avant ou pendant la fécondation.

Lorsque cet appareil copulateur si complet est rétracté, on ne l'aperçoit ni à l’intérieur ni à l'extérieur du corps ; cela tient à ce qu'il est alors renfermé dans une poche spéciale en forme d'ampoule circu- laire ses diverses parties sont disposées comme l'indique la figure 27 de la planche II. On voit alors le canal déférent et le canal de la vésicule séminale pénétrer isolément dans cette ampoule ou bourse du pénis; ils n'ont pas besoin de s’unir auparavant, les sécrétions qu'ils conduisent, si elles sont distinctes, tombant dans la poche rétractile dont j'ai déjà parlé et qui peut être considéré comme une seconde vésicule séminale. Dans le cas on admettrait que la vésicule sémi- nale fût également glandulaire, cette seconde poche ne serait pas seulement un réservoir du sperme, ce serait un réservoir du liquide mixte qui est éjaculé.

Je viens de décrire le plus haut degré de perfectionnement qu'at- teigne, à ma connaissance, le pénis musculaire, formé aux dépens des parois des canaux excréteurs des glandes par la simple addition des fibres musculaires. Mais le pénis peut encore se constituer au moyen d'organes empruntés à un autre système, le système locomoteur.

Que faut-il pour faire un pénis? Un canal éjaculateur et un appa-

4. PL. u, fig. 27 et 28. VIIL.

178 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

reil de soutien quelconque destiné à donner à ce canal une rigidité suffisante pour pénétrer dans l’orifice des organes femelles.

Tout à l’heure nous avons vu cette rigidité produite au moyen de fibres musculaires; nous allons la voir maintenant empruntée aux soies locomotrices.

Que certaines soies puissent jouer un rôle dans l’accouplement, c'est un point que Hering a le premier signalé. On les voit alors se modifier dans leurs formes, s’allonger beaucoup, de courbées qu’elles étaient devenir droites ‘, ou se couvrir d’ornements spéciaux *. Ce sont en général les soies de la ceinture qui se modifient ainsi; mais, chez les Rhinodrilus, ces soies sont en même temps les plus voisines des ori- _ fices génitaux mâles. Ainsi il ne saurait être douteux que les soies locomotrices puissent se prêter à une adaptation spéciale en vue de laccouplement. C'est d’ailleurs toujours au voisinage des soies, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, que s'ouvrent soit les organes segmentaires, soit les canaux déférents.

Chez les Acanthodrilus, les canaux déférents et les sacs sétigères des anneaux correspondants ont la même ouverture, de telle sorte que les soies sont appliquées à la paroi intérieure du canal déférent. Ces soies deviennent d’ailleurs plus nombreuses, prennent une forme spé- ciale déjà décrite dans la deuxième partie de ce mémoire *, et sont renforcées d'assez nombreuses soies de remplacement plus courtes et incolores. L'ensemble de ces soies forme un véritable pénis recourbé qui fait généralement saillie au dehors et qu'on ne peut mieux com- parer qu'aux longs spicules de certains Nématoïdes.

Ici, on le voit, l'adaptation des soies au rôle d’organe copulateur. est complète ; leur forme et leur longueur paraissent les rendre tont à fait inaptes au rôle d'organes locomoteurs.

4. Lombrics, pl. 1, fig. 8. 2. Rhinodrilus, pl. 1, fig. 10 et 44. 3. Acanthodrilus, pag. 87 et 90.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 179

Tels sont les deux modes de formation du pénis qu’il m'a été donné d'observer chez les Lombriciens postelitelliens.

J'ai dit que les organes copulateurs manquaient chez les autres. En effet, chez les antéclitelliens je n'ai rien vu qui rappelât même de loin un pénis. Mais chez les intraclitelliens, dans le genre Tilanus, si le pénis n'existe pas lui-même, on trouve quelque chose d'analogue à la bourse du pénis des £udrilus, également intraclitelliens. Là, le canal déférent, avant de s'ouvrir à l’intérieur, s’élargit en une sorte d'am- poule aplatie, ayant la forme d’une ellipse, dont le grand axe serait longitudinal ‘. Cette bourse est reliée aux parois du corps par trois brides latérales et extérieures ; son aspect étant le même que celui de la bourse du pénis des £udrilus, on s'attendrait volontiers à trouver , aussi un pénis dans son intérieur; mais si on vient à la fendre, on trouve simplement sur ses parois quelques papilles qui lors de l'ac- couplement font peut-être légèrement saillie à l'intérieur. On pourrait concevoir que ces papilles en s’allongeant et s’accolant l’une à l'autre puissent dans d’autres espèces former un vrai pénis; je ne serais donc pas surpris que cela ait été réalisé dans des types autres que ceux dont je me suis occupé, et qu’on le retrouvât en particulier chez quelques postclitelliens.

De même l'existence de soies modifiées chez les Rhinodrilus, au voisinage des orifices génitaux, semble indiquer que le second mode de formation du pénis que j'ai indiqué chez les postclitelliens POUR aussi se rencontrer chez les intraclitelliens.

Toutelois je dois faire remarquer que ces soies modifiées se trou- vant ici sur la ceinture, comme cela a lieu chez les Lombrics, il est possible que leur adaptation ait suivi une autre voie, car chez Îles Lombrics ces soies ne deviennent jamais pénis. Le second mode de formation de l'appareil copulateur a donc, en quelque sorte, une

4. Plx, fig. 45.

180 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

chance de moins que le premier de se rencontrer chez les Lombriciens intraclitelliens.

J'ajouterai enfin que tous les Lombriciens à appareil copulateur bien développé se sont montrés en même temps porteurs d’une prostate ou d’une vésicule séminale. Il y a peut-être entre l'existence de ces deux organes une relation de cause à effet qu'il serait inté- ressant d'établir et qui deviendrait probable s’il se vérifiait que l'existence de ces accessoires ne peut cadrer avec la situation anté- clitellienne des orifices génitaux mâles, et qu’en même temps les animaux présentant cette disposition n’ont jamais que des organes copulateurs mâles rudimentaires.

On voit combien de questions d'anatomie philosophique soulève l'étude des organes génitaux mâles des Lombrics. Puis-je espérer avoir jamais assezifdeHdocuments pour les résoudre? S'il inspire à d’autres le désir d'aborder ces question, mon travail n'en aura pas moins porté ses fruits,

J'aborde maintenant l'étude comparative des organes génitaux femelles.

9 __ APPAREIL GÉNITAL FEMELLE.

Dans l’appareil génital femelle, nous trouvons aussi des parties essentielles :

Les Ovaires;

Et des parties accessoires qui sont :

Les Oviductes ;

Les Poches copulatrices.

De ces diverses parties, les ovaires et les oviductes sont en général d’une délicatesse et d’une petitesse extrêmes; leur décou- verte ne remonte pas à plus de quinze ou vingt ans, et leur étude est toujours difficile. Aussi n’aurons-nous pas grand’chose à en dire à

LOMBRICIENS TERRESTRES. 181

propos d'animaux conservés dans l'alcool et tous les organes sont plus ou moins flétris. D'ailleurs, les ovaires ne peuvent être sûrement reconnus qu'au moyen de l'examen histologique, qui est trop souvent impossible sur les animaux conservés. Nous avons eu heureusement à notre disposition quelques individus vivants, d’autres assez bien conservés, ce qui nous permettra de donner néanmoins un certain nombre de détails qui paraîtront nouveaux.

Ovaires. Chez les Lombrics indigènes, les ovaires sont, comme on sait, de petits corps piriformes, intimement unis aux| tissus sous- jacents et situés de chaque côté de la chaîne ventrale dans le douzième ou le treizième anneau. Ils sont assez difficiles à voir et à étudier.

Cette disposition n’est pas générale et il y a un certain nombre de Lombriciens chez qui les ovaires sont beaucoup plus faciles à apercevoir.

Parmi eux se trouvent deux animaux que j'ai pu observer vivants : le Lombric de Damiette que j'ai appelé Lumbricus Victoris, et le Perichæta Houlleti.

Chez le premier de ces animaux, les ovaires forment deux petites glandes étroites et mamelonnées suspendues perpendiculairement à la face postérieure de la cloison antérieure du quatorzième anneau. Ils sont très-évidents dans la préparation dès qu'on ouvre l'animal; mais on est porté à les méconnaître quand on se rappelle la disposi- tion ordinaire de ces organes chez les Lombrics. Aussi ne fus-je pas peu surpris, en portant ces petites glandes sous le microscope, de les trouver remplies d’œufs. Je me rappelai alors avoir vu chez d’autres Lombriciens conservés dans l'alcool, quelque chose d’analogue. Mal- heureusement, l’examen histologique de ces parties étant impossible, je n’avais pu m’assurer de leur nature, et je n’ai pu retrouver dans mes notes d'indications suffisamment précises à leur sujet.

Chez le Perichæta Houlleti, les ovaires sont encore plu visibles et ont une forme toute spéciale. Ce sont des disques membra-

182 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

neux remplis d'œufs et supportés par un long pédoncule très-grêle, Ce pédoncule est fixé à la base de la cloison postérieure du treizième anneau, il est traversé par des vaisseaux qui se rendent au disque, s’y épanouissent en rayonnant et forment, en se bifurquant, une anse double autour de la plupart des œufs. Les deux branches résultant de la bifurcation se réunissent de nouveau après s'être repliées et con- stituent un vaisseau de retour qui regagne le pédoncule. La membrane -qui forme le disque est formée d’une simple couche de cellules, à noyaux très-apparents.

Nous avons eu occasion de signaler chez d’autres Perichæta des formes plus élémentaires.

Rappelons encore ici les ovaires si évidents des Perionyx et des Moniligaster, et ceux des Æ£udrilus grelfés sur les poches copula- trices.

Chez les Anteus et Titanus dont la taille est si considérable, j'espé- rais trouver quelque chose qui rappelât l'ovaire ; cela m'a été impos- sible. Rapprochant ce fait de l’absence, au moins chez les derniers, de poches copulatrices, on voit que l’hermaphroditisme est loin d'être évident. Les Woniligaster nous montrent cependant que les ovaires peuvent exister sans qu'il y ait pour cela nécessairement des poches copulatrices. La question demeure donc entière.

Oviductes. Je n'ai étudié les oviductes que chez les Perichæta et chez les Moniligaster; je renvoié pour leur étude à ce que j'en ai dit en parlant de ces Vers et aux figures que j'en donne *. Chez les Perichæla, ces appareils ressemblent absolument à ceux que Hering à décrits chez le Lumoricus terrestris; ils sont plus développés et un peu plus complexes ch:z les Moniligaster. IL est probable que l’existence de ces organes est constante. |

4. PI. an, fig. 60. 2. PI. ui, fig. 62, et pl. 1v, fig. 81 et 84.

LOMBRICIENS TERRESTRES, 183

Rien n'indique jusqu’à présent qu’on doive les considérer comme des modifications des organes segmentaires.

Poches copulatrices. Les poches copulatrices soulèvent d’intéres- santes questions au point de vue morphologique. Elles varient non- seulement dans leur forme, mais encore dans leur nombre et dans leur position relativement aux autres organes de l'animal. Je n'ai aucun exemple bien constaté de leur variation de position relative- ment aux autres parties constitutives de l'anneau dans lequel elles sont situées,

Les variations de forme et de nombre peuvent s'expliquer très- facilement par des réductions ou des avortements plus ou moins complets, portant soit sur la totalité, soit sur certaines parties de l’or- gane.

Les variations de position relativement aux autres viscères s'expliquent plus difficilement. À la vérité, nous avons constaté ailleurs un déplacement analogue du gésier; mais le gésier n'étant autre chose qu'une partie du tube digestif modifiée d’une certaine façon, on conçoit sans peine que cette modification puisse se produire plus haut ou plus bas. Ces changements, qui portent sur le point un organe déjà formé subit une modification spéciale, n’ont pas la même importance que ceux qui portent sur la position relative de deux organes indépendants, lesquels, dans un même type, doivent toujours naître dans la même position et gardent pendant toute la durée de la vie de l’animal des traces plus ou moins évidentes des relations qu'ils présentaient d’abord. C’est ce qu’on observe chez tous les animaux dont l'organisme ne peut être scindé en unités infé- rieures, plus ou moins près de s’équivaloir, chez les mollusques, par exemple, et jusqu’à un certain point chez les vertébrés l'unité de l'individu prime, plus que partout ailleurs, l'individualité des unités inférieures, des segments dans lesquels on a voulu diviser ces animaux, à l’imitation des annelés.

184 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Un Ver, au contraire, est en quelque sorte la réunion d'indivi- dualités nombreuses, placées bout à bout, plus ou moins incompléte- ment fusionnées, présentant d’un bout à l’autre les mêmes organes, répétés dans chaque anneau et capables de se modifier de manière à remplir telle ou telle fonction nécessaire à l'existence ou à la pro- pagation de l’individualité collective.

Cette manière d'envisager un Ver conduit à penser que les rela- tions de position des organes ne sont fixes que dans un même anneau; mais qu'aucune loi morphologique nécessaire ne détermine la posi- tion de l'anneau dans lequel un organe, faisant partie d’un système donné, peut subir telle ou telle modification en vue d’une adaptation spéciale. La modification en question peut se produire dans un anneau ou dans un autre, suivant les conditions dans lesquelles l'animal est destiné à vivre.

Ainsi, typiquement, les anneaux ayant tous la même constitution, lorsque dans l’un d’eux un organe en apparence nouveau apparaît, il y a toujours lieu de se demander si cet organe est bien en réalité une formation nouvelle, ou s’il ne résulte pas de quelque modification d’un organe préexistant.

Nous aurions pu nous poser cette question pour les testicules et les ovaires qui sont évidemment homologues entre eux, mais il est bien probable que ce sont des formations nouvelles; nous ne nous y sommes pas arrêtés. Nous nous sommes posé cette même question pour les canaux déférents et nous en avons peut-être avancé la solu- tion. Elle se représente maintenant pour les poches copulatrices. :

Remarquons d'abord qu'avec la manière de considérer les annelés que nous venons de développer, les changements de position qu’elles présentent relativement aux autres organes n’ont plus rien d’extraor- dinaire, qu'on les considère comme des formations nouvelles ou comme de simples transformations d'organes préexistants. Il faut néan- moins choisir entre ces deux manières de voir.

LOMBRICIENS TERRESTRES. ne ..

La dernière est, à priori, la plus probable.

En effet, les orifices des poches copulatrices sont exactement placés comme le seraient ceux des organes segmentaires supérieurs, dans la plupart des Lombriciens, aussi tant qu'on n’a pas eu montré des cas les poches copulatrices coexistaient dans le même anneau avec les deux paires d'organes segmentaires ou des organes qui en soient certainement dérivés, cette manière d'envisager les poches copulatrices s’imposait d'elle-même à l'esprit.

Pour mon compte je n'ai longtemps rien vu qui fût contraire à cette manière de voir; puis les £udrilus sont venus présenter une exception assez singulière sous ce rapport, et dès lors j'ai revenir à la première interprétation.

Néanmoins, je dois le dire, il faudrait pour l’établir solidement des faits plus nombreux que ceux que nous possédons actuellement. L'étude des organes segmentaires est délicate; elle se fait mal sur des individus conservés dans l'alcool; je crois donc qu'il est bon de réser- ver encore son jugement définitif, tout en indiquant néanmoins sa tendance vers une opinion déterminée.

Voici maintenant les faits que j'ai pu observer, je les grouperai en signalant les lacunes que j'ai laisser dans mes recherches.

Le nombre des poches copulatrices varie de quatre paires à une seule paire. Il existe quatre paires de poches copulatrices chez Îles Perichæta cingulata et posthuma et chez le P. afjinis; je n’en ai trouvé que trois paires chez le P. Houlleti et chez un autre d'espèce douteuse que j'ai observé. Il n'existe également que trois paires de poches copulatrices au plus chez les Lombrics; je n’en ai trouvé que deux chez le L. Americanus, chez les Acanthodrilus, les Perionyæ, certains Perichæta et les Digaster. Enfin il n’en existe qu’une seule chez les £udrilus et quelques Perichæta, et pas du tout chez les Titanus et les Moniligaster.

Voilà donc un organe sujet à de nombreuses variations comme nombre; ses variations de position ne sont pas moins nombreuses.

VIII. 24

186 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

En effet, dans la grande majorité des cas, les poches copulatrices sont situées en avant des testicules, tout à fait dans la région antérieure du corps; c’est ce que l’on voit chez les Acanthodrilus, les Digaster, les Peri- chæta et bien d’autres genres que nous n’avons pas examiné directement.

Chez les Lombrics il arrive le plus souvent que les poches copu- latrices se trouvent au moins en partie dans les mêmes anneaux que les testicules. C’est ce qui se voit chez le L. Americanus en particulier. Il semble que les organes génitaux ayant tous été ramenés en avant de la ceinture, il y ait eu empiétement de leurs diverses parties les unes sur les autres, de telle sorte que celles qui se trouvaient primi- tivement fournies par des anneaux différents sont maintenant placés dans les mêmes anneaux.

Enfin chez les Eudrilus, les poches copulatrices, réduites à une seule paire, ont complétement enjambé les testicules et se trouvent maintenant situées en arrière, mais dans un anneau différent, Ainsi, dans tous les Lombriciens postclitelliens et intraclitelliens, quelle que soit la position des poches copulatrices, elles se sont jusqu’à pré- sent toujours montrées dans des anneaux différents de ceux qui ren- ferment les testicules.

Au contraire, chez les Lombriciens antéclitelliens, ces deux sortes d'organes peuvent se trouver dans le même anneau.

Il est possible que ce mode de disposition soit en rapport avec la place moins grande attribuée chez ces derniers à l'appareil génital remonté tout entier en avant du gésier et de la ceinture et n’occupant que sept ou huit anneaux environ, au lieu de dix à quinze anneaux qui lui sont dévolus, dans les postclitelliens; néanmoins nous ne devons jusqu'ici considérer ces résultats que comme provisoires.

Chez les /ntraclitelliens, ce que l’on peut considérer comme les poches copulatrices, chez l’Anteus, sont deux organes placés en avant des testicules dans des anneaux différents. Chez les Tianus, je n’ai pas vu de poches copulatrices.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 187

Je n'ai pas besoin d'’insister, je pense, sur la facilité avec laquelle s'expliquent les variations de nombre et de position des poches eopu- latrices, que l’on considère ces dernières comme des modifications spéciales d'organes préexistants qui ne pourraient être, eeci admis, que les organes segmentaires, ou que ce soient, au contraire, des organes nouveaux.

La forme des poches copulatrices n’est pas moins variable que leur disposition,

Chez les Lombries, ce sont de simples poches sphériques, plus ou moins volumineuses; chez les Perichæta étudiés par M. Léon Vail- lant, elles sont piriformes ‘et présentent sur le eôté un petit diverti- culum; nous avons retrouvé la même disposition chez un Perichæta très-voisin du ?. posthuma, si ee n’est le même dans un autre état de développement et qui provient de Cochinchine. Cet individu, préparé de manière à montrer ses organes internes, a été déposé par nous dans les collections du Muséum; il proyenait d'un envoi du Comptoir d’escompte de Saïgon.

Chez le Perichæta Houlleti, dont nous avons fait une étude assez approfondie, les poches copulatrices sont plus complexes. Elles se composent, comme on l'a vu, de trois parties; l’une piriforme, plus grosse que les autres et assez longuement pédonculée, est la véritable poche copulatrice ; elle est attachée par l'extrémité de son tube excré- teur à la partie inférieure de la cloison antérieure de l'anneau qui la contient. Les deux annexes sont attachées au même point, mais l’une est en arrière de la cloison, l’autre en avant. Celle-ci est tout simple- ment une sorte de petite poche en massue, à peine renflée et légère- ment lobée à son sommet libre. La première partie est un tube cylin- drique plusieurs fois replié sur lui-même dans le même plan et dont toutes les parties sont reliées entre elles par une sorte de mésentère. Ce tube est aveugle à son sommet libre.

La petite poche en massue et le tube replié ont d'ailleurs exacte-

158 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

ment la même structure. Ils sont formés d’un tissu conjonctif assez épais dont les parois sont parcourues par de petits vaisseaux et qui limitent une cavité tapissée de petites cellules pâles à noyau très-pelit.

Il n’est pas sans intérêt de noter que chez les £Eudrilus les poches copulatrices, malgré les particularités que présentent leur nombre et leur situation, se trouvent exactement constituées en apparence comme celles des Perichæta.

Seulement *, la poche principale est plus allongée portée sur un long pédoncule et réfléchie sur lui; la petite poche en massue est, chose singulière, remplacée par l'ovaire, etil semble au premier abord que les deux annexes soient simplement reportés tous deux en arrière de la cloison antérieure de l’anneau, et non plus à cheval sur cette cloison comme dans le Perichæta Houlleti,

Quelles peuvent être les fonctions du premier de ces deux annexes de la poche copulatrice que nous voyons reparaître sans aucun chan- gement notable dans deux types si différents et qui manquent d'ail- leurs dans des animaux très-voisins de ceux-là? Je l’ignore absolument et je ne connais aucun fait qui me permette d'émettre une hypothèse, même avec la plus grande réserve.

Je bornerai donc ce que j'avais à dire des poches copulatrices.

Nous avons d’ailleurs maintenant passé en revue les divers sys- tèmes d'organes qui font partie de l’économie des Lombriciens. Notre tâche est donc de fait terminée.

Toutefois, de même que nous avions commencé l'exposé de nos recherches en traçant un tableau de l’état de nos connaissances sur les Lombriciens au moment nous avons entrepris notre travail, il ne sera pas sans utilité de résumer très-brièvement dans un chapitre spécial les faits nouveaux que nous espérons avoir mis en lumière et

4. PI. nu, fig. 59. 2. PI. u, fig. 26.

LOMBRICIENS TERRESTRES 189

les conséquences que nous croyons pouvoir en dégager. Ce chapitre sera naturellement notre conclusion,

CONCLUSION.

I. Au point de vue de la classification des Lombriciens, nous avons, pour la première fois, appelé l'attention :

Sur la position des orifices génitaux mâles par rapport à la ceinture ; 1

Sur la position des orifices des organes segmentaires par rap- port aux soies.

1°— En ce qui concerne les orifices génitaux mâles, nous avons mon- tré que leurs variations de position entraiînaient avec elles un certain nombre de variations concomitantes dans les caractères anatomiques. En sorte que la position anté, intra ou postcliellienne de ces orifices doit être considérée comme un des caractères les plus importants auxquels on doive avoir recours pour la répartition des genres.

En ce qui concerne la position des orifices des organes segmen- taires, nous avons donné un point de repère qui permet de rapporter ces organes à deux séries différentes et donne par conséquent un carac- tère nouveau, presque toujours facile à utiliser, en rapport immédiat avec l’organisation interne de l'animal et qui a par conséquent une importance considérable.

De ces faits résulte nécessairement ceci : que toute description générique est incomplète et insuffisante, au premier chef, si elle ne tient aucun compte de ces caractères, que nous considérons comme de premier ordre et qui sont seuls capables, à notre avis, de donner la véritable place des genres dans la classe, puisqu'ils sont eux-mêmes des caractères de familles ou de tribus.

Après ces caractères viennent ceux tirés de la présence ou de

190 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

l'absence d'appareils copulateurs externes, de la position des orifices des poches copulatrices, enfin de la disposition des soies, caractères qui peuvent être diversement combinés entre eux.

> Il ressort du reste de notre travail que des dispositions de soies analogues doivent se rencontrer parallèlement dans des ordres et des familles différents. Cela est au moins démontré pour la disposi- tion des soies la plus fréquente, celle ces organes forment quatre doubles lignes longitudinales.

D'ailleurs, comme caractères distinctifs des ordres des Lombri- ciens, des Enchytréens et des Naïdiens, nous avons insisté sur le caractère tiré du mode de sécrétion des soies, caractère que nous avons le premier mis en évidence et qui entraîne presque forcé- ment avec lui l'isolement ou le groupement par paires de ces organes chez les Lombriciens par opposition à la fasciculisation qui s’observe chez les Enchytréens et les Naïs.

La simplicité de l’extrémité n’est peut-être pas non plus sans quelque rapport avec ce mode de sécrétion ; mais comme la simplicité de l'extrémité se retrouve chez tous les Enchytréens et se retrouvera probablement aussi chez quelques Naïdiens, que d'ailleurs cette sim- plicité n’est en aucune façon exclue par le mode de sécrétion de la soie dans ces derniers ordres, elle ne peut être invoquée que comme carac- tère accessoire des Lombriciens proprement dits.

Enfin nous avons caractérisé nettement et d’une manière com- plète un certain nombre de genres qui, groupés avec ceux dont l'étude anatomique avait déjà été si bien faite par d'Udekem, Claparède, Leydig, Grube et autres, pourront servir de base à une classification vraiment rationnelle des Lombriciens.

IT. Au point de vue anatomique :

Nous avons donné un nombre assez considérable de détails nou- veaux sur l'appareil digestif dont nous avons démontré la remarquable uniformité de composition et sur l'appareil circulatoire, dont les cen-

D LOMBRICIENS TERRESTRES,. 191

tres d’impulsion nous ont présenté des dispositions aussi imprévues que compliquées.

Les organes segmentaires et l'appareil reprodueteur ont été l'objet d'études attentives. Nous avons fait connaître pour la première fois d'une manière complète l'appareil femelle chez les Perichæta, le Lumbrieus Victoris, les Eudrilus et le Moniligaster Deshayesi.

Cet appareil femelle n’était connu que chez nos Lombries indi- gènes.

Enfin nous avons encore fait connaître, dans l'appareil mâle, diverses sortes d'organes absolument nouveaux ; en particulier. des appareils copulateurs de diverses formes.

III. Au point de vue morphologique :

À° Nous avons établi les rapports qui existent entre la position des parties remarquables de l’appareil digestif et celle des organes essen- tiels de l'appareil génital.

Nous avons montré qu'il y avait une liaison entre la position des orifices des organes segmentaires et celle des soies locomo- trices. |

Cela fait, nous avons assis sur des bases anatomiques lhy- pothèse de l'existence typique de deux systèmes d'organes segmen- taires pouvant avorter plus ou moins complétement chez les Lom- briciens. É

De est résultée une interprétation très-claire de la nature morphologique des canaux déférents et peut-être des poches copula- trices, quoique de graves raisons puissent conduire à voir dans ces dernières des organes indépendants.

Nous avons fait voir à l’aide de quelles parties de l’appareil cir- culatoire pouvaient se constituer les organes propulseurs du sang.

Nous avons montré comment les organes copulateurs mâles pouvaient se constituer soit aux dépens de certaines parties des canaux déférents, soit aux dépens des soies locomotrices.

192 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Ce sont autant de considérations nouvelles qui ont été intro- duites dans l’histoire des Lombriciens. |

Je le répète en terminant, les documents dont j'ai pu faire usage sont loin d’être assez complets pour que je puisse espérer avoir établi des lois définitives. Mais même ainsi, peut-être, les zoologistes ne trouveront pas inutiles les détails dans lesquels je viens d’entrer et que mon plus vif désir est de pouvoir compléter un jour.

EXPLICATION DES PLANCHES

Nota. Dans toutes les figures d'anatomie, les mè.nes lettres ont été employées pour dési- gner les organes analogues. Ces lettres sont les suivantes :

ph Pharynx glandulaire. æ OEsophage. g Gésier musculaire. i Intestin. c,c'c'" Anses cardiaques latérales. n Anneaux nerveux. vd Vaisseau dorsal. w Vaisseau ventral. t,t',l' Testicules. o Ovaires. m Orifices génitaux mâles. f Orifices génitaux femelles ou des oviductes. pr Prostate. Poches copulatrices, ou leurs orifices si la figure représente seulement les _ téguments extérieurs. l Glande en tube accessoire des poches copulatrices. vs Vésicules séminales. d Canal déférent. v,0 Pavillons vibratiles. s ou sg Organes segmentaires. s Follicules sétigères. k Glandes accessoires autour des orifices génitaux.

Dans quelques figures représentant des organes isolés ces lettres ont reçu une autre signifi- cation, mais, dans ce cas, on a toujours pris soin d’en avertir dans l'explication de la figure. 25

VIII.

194 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

PLANCHE I.

Figures 1, 2, 3et 4. Follicules sécréteurs des soies du Lombric terrestre à divers états de développement. c Cellules sécrétantes avec noyau nucléole et membrane d’enveloppe très- paisse. s Stries allant du noyau vers la soie. r Soies précédées de leur palette p. Fig. 5. Les cellules sécrétantes et les soies isolées par l’action de l’acide acétique faible.

Fig. 6. LumBricus AMERIGANUS. Edm. Perrier. Anatomie d'ensemble de la partie anté- rieure du corps.

Fig. 7. Inem. Les pavillons vibratiles de l’un des canaux déférents. (Grossissement : 2 fois environ.)

Fig. 8. Inem. Une soie prise dans la ceinture. (Grossissement : 90 fois. Grandeur

naturelle : Amm,8.)

Fig. 9. RHINODRILUS PARADOXUS. Edm. Perrier. La partie antérieure de l’animal vue en dessous pour montrer la position relative de la ceinture et des orifices génitaux mâles, #2.

A la partie supérieure de la figure on voit le lobe céphalique prolongé en tentacule.

Fig. 10. Inem. L'une des soies ornementées de la ceinture, L’extrémité inférieure seule est représentée grossie 280 fois. :

Fig. 414. Ipem. Deux soies entières de ces mêmes anneaux, grossies 90 fois.

Fig. 44 bis. IpemM. Une soie prise dans la région du corps postérieure à la ‘ceinture,

grossie 90 fois. Fig. 42. Inem. Portion centrale de l'appareil circulatoire vd, vaisseau dorsal ; #, vais- seau ventral: €,c',c", cœurs latéraux.

Fig. 43: ANTEUS Gi6AS. Edm. Perrier. Anatomie de la région antérieure du corps. cd, cœur dorsal; b, bouclier protecteur formé par les cloisons.

Fig. 14. Inem. Organe segmentaire des anneaux qui contiennent les testicules, à peine grossi.

Fig. 15. TiTANUS BRASILIENSIS. Edm. Perrier. Anatomie de la région antérieure du corps. p Poche dans laquellé s’ouvre le canal déférent. n Chaîne nerveuse. co Cœur principal. Fig. 16. Inem. L'un des cœurs principaux et les vaisseaux dans lesquels il s’abouche. vec Ventricule. or Oreillette.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 195

PLANCHE Il.

. ACANTHOPRILUS OBTUSUS. Une soie pénialé grossie 280 fois {Pextrémité exté- rieure seulement).

. ACANTHODRILUS UNGULATUS. Edm. Perrier, Anatomie de la région antérieure. pr, prostate.

+ Înem. Deuxième testicule isolé pour montrer les deux lobes dont il se compose. . Înem. L'une des poches copulatrices.

. ÎnEM. Extrémité de l’une des soïes péniales fortement grossie.

. ÎnEM. Une soie péniale entière grossie 90 fois.

. Le MÈME, ouvert et vu en dessous pour montrer les 4 pénis chitineux et leurs rela- tions avec la ceinture.

. DiGasTER LumBRicoïnes. Edm, Perrier. Anatomie de la région antérieure. 9,9, les deux gésiers. Înem. Union du canal déférent et du canal. excréteur de la prostate.

. EupriLus pEcIPiENS. Edm. Perrier. Anatomie de la région antérieure du corps.

0, ovaires; vs, vésicule séminale (?).

. InEM. Bourse du pénis ouverte pour montrer la disposition du pénis rétracté à son intérieur,

Inem. Le pénis saillant.

. Ibem: Le collier œsophagien et les branches nerveuses qui en naissent et se

dirigent vers la région antérieure du corps.

. IpEm. Une des soies grossie 90 fois.

. PERICHÆTA HOULLETI. Edm. Perrier, La portion antérieure du ver vue en dessus pour montrer la forme du lobe céphalique, de la ceinture et la position des ori- fices des poches copulatrices pc.

Inem. La ceinture et les régions voisines pour montrer les orifices mâles # et

l’orifice femelle unique f.

. Inem. Ceinture d’un individu paper: Elle s’est fendue, dans l'acide chro- mique, en croix de Saint-André.

IpEm. Une soie fortement grossie.

. IpeM. Epithélium particulier de la région céphalique. ent 280 fois.

. Ipem. Hypoderme et corps spéciaux très-réfringents qu'il contient.

InEM. Anatomie de la région antérieure du corps.

Les glandes æsophagiennes sont enlevées pour laisser voir tous les détails de l'appareil génital.

IneMm. La partie antérieure de l'appareil digestif.

a Tendons reliant le pharynx aux parois du corps. h Glandes œsophagiennes en tubes.

196 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

h! Glandes compactes. h'" Glandes en grappe:

Fig. 39, PericHæTA HouLLETI. Orilices des pl yngi à l’intérieur de cet organe. Fig. 40. Ivem. Epithélium de l’intérieur du gésier.

Fig. 41. Inem. L'une des glandes en grappe de l’œsophage. G

Fig. 42, Inem. L'une des glandes compactes de l’œsophage vue de ES G=—=1.

Fig. 43. Inem. L'un des acini sécréteurs de cette glande. G— 90.

de &$. Inem. L’un des tubes glandulaires de l'œsophage formant une double spirale et

contenant des cellules pâles. G— 280.

PLANCHE III.

Fig. 45. PericnæTa uouLcueri. Edm. Perrier. Figure demi-schématique montrant l’en- semble de l'appareil circulatoire (partie antérieure). Les lignes pointillées indiquent

théoriquement comment se fait la réunion des vaisseaux dans les parois du corps et comment nous supposons qu’elle s’accomplit dans la région céphalique

Fig. 46 et 47. Inem. Anses terminales des vaisseaux et mode de bifurcation nie des vaisseaux afférent et éfférent.

Fig. 48.. Inem. Terminaison des vaisseaux sous l’hypoderme.

Fig. 49. Inem. Disposition des éléments contractiles des parois des anses cardiaques.

Fig. 50. Inem. Partie antérieure de la chaîne nerveuse.

Fig. 81. Ipem. Partie de la chaîne nerveuse voisine des orifices génitaux pour montrer les variations de volume que subissent les ganglions dans cette région,

Fig. 52. IDEM. pire nerveux péri-œæsophagien montrant un ganglion stomato-gas- trique, $

Fig. 53. IDEM. sa pavillons vibratiles qui terminent les canaux déférents un peu grossis.

Fig. 54. IDEM. see histologique des pavillons vibratiles des canaux déférents. G 2

Fig. 55. IDE. se prostate; formation du pénis rudimentaire au moyen de son canal excréteur et du canal déférent.

Fig. 56. Ipem. Portion de la prostate traitée par le nitrate d'argent et ire la dispo- sition des culs-de-sac sécréteurs qui ont été colorés en noir. G—

Fig. 87. Inem. Un faisceau de spermatozoïdes encore réunis à la sphère rt

Fig. 58. Inem. La poche copulatrice et ses annexes, un peu grossie.

Fig. 59. Inem. Les annexes de la poche copulatrice fortement grossis pour montrer leur

structure. G 90.

pt Membrane péritonéale. v Vaisseaux.

pe Poche copulatrice.

Fig. 60. Ipem. Un ovaire. G = 90. : 0 es.

v Vaisseaux.

po Pédoncule.

LOMBRICIENS TERRESTRES. 197

Fig. 614. PericaætA HouzerTi. Un œuf entouré de son cul-de-sac ovarique. Fig. 62. Inem. Les pavillons vibratiles qui constituent les oviductes. Fig. 63. Inem. Grégarinides à divers états de développement occupant le testicule.

PLANCHE IV.

Fig. 64. DIGASTER LUMBRICOÏDES. Edm. Perrier. L'animal vu en dessous pour montrer la position des divers orifices de l'appareil génital, pc Orifices des poches copulatrices. f Orifices femelles (?). m Orifices mâles.

Nota. La numérotation des anneaux dans cette figure ne concorde pas parfaitement avec. celle qui est dans le texte et qui doit être considérée comme non avenue. Un examen des plus attentifs des échantillons m’a déterminé à adopter cette nouvelle manière de voir. On comprendra l'embarras que j'ai éprouver à compter des anneaux sur des échantillons couverts de rides transversales, et dont les soies n’étaient apparentes que sur un petit nombre d’anneaux. Il faut considérer les orifices pe, p'c', comme dépendant des septième et huitième anneaux; les ori- fices » sont sur le dix-huitième, chacun d’eux est précédé et suivi d’une papille. C’est la dispo- sition connue déjà chez les Perichæta.

Fig. 65. Le MÊME, vu en dessus pour montrer les pores dorsaux.

Fig. 66. PericHæTa AFFINIS. Edm. Perrier. L'animal vu en dessous pour montrer les orifices dépendants de l'appareil génital et les papilles viennent s'ouvrir les conduits excréteurs des glandes accessoires, 7,

Fig, 67. PERICHÆTA ROBUSTA. Edm. Perrier. L'animal vu en dessous. Fig. 68. Le MÊME. Une poche copulatrice et ses annexes un peu grossis.

Fig. 69. PERICHÆTA QUADRAGENARIA. Edm. Perrier. Une poche copulatrice et le tube qui y est annexé.

Fig. 70. PERICHÆTA ELONGATA. Edm. Perrier. La prostate montrant d’une manière évi- dente et sans préparation sa structure glandulaire.

Fig. 74. PERICHÆTA ASPERGILLUM. Edm. Perrier. L'animal vu en dessous. Les orifices mâles et ceux des poches copulatrices sont entourés par un cercle de petits ori- fices glandulaires.

Fig. 72. Le Même. Une poche copulatrice et ses annexes.

Les petites glandes Æ sont disposées de la même manière autour du pénis.

Fig. 73. PERIONYX EXCAVATUS. Edm, Perrier, L'animal vu en dessus pour montrer la forme de son lobe céphalique et la disposition de ses pores dorsaux.

Fig. 74. Le MÈME, vu en dessous, pour montrer la disposition des orifices de l'appareil génital.

198

Fig. 75.

Fig. 76.

Fig. 71.

Fig. 78.

Fig.-79.

Fig. 80.

Fig. 81.

Fig. 82. Fig. 83.

Fig. 84.

Ce

Fig. 85.

Fig. 86. Fig. 87.

Fig. 88.

NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. AGANTHODRILUS VERTIGILLATUS. Edm. Perrier. Les soies péniales; G 16.

EupriLus PEREGRINUS. Édm. Perrier. Portion d’ovaire grossie ; elle a été figurée afin de ne laisser aucun doute sur la détermination que j'ai faite des ovaires greffés sur les poches copulatrices.

Œufs; b Couche granuleuse sphérique de nature indéterminée que l’on voit autour des œufs.

MonuiGastrer Desmayesi. Edin. Perrier. Anatomie de la portion antérieure du corps, montrant l'appareil digestif et les organes génitaux.

Le MÈME. Structure des glandes salivaires placées dans l'épaisseur des cloisons de la partie antérieure du corps. Sur une partie de la préparation, les cellules du milieu sont enlevées et laissent voir de profil les cellules glandulaires.

Le MÊME. Pavillon vibratile, canal déférent et glandes accessoires de l’un des testicules antérieurs. Un peu grossis.

Le MÈME. Structure de l’un des lobules de la glande accessoire pr de la figure précédente.

Le MÈME. Figure d'ensemble de la partie postérieure de l'appareil génital mon- trant le testicule l' de la deuxième paire et son appareil déférent, en ovaire 0, et son pavillon vibratile.

L Tube tortillé placé au-dessus du testicule qui est figuré relevé et vu en dessous. n Feuillets d'apparence glandulaire formant au-dessous du testicule une assez grande masse à l’une des extrémités de laquelle pénètre le tube /, tandis que de l’autre sort le canal déférent d. ws Grande poche s’ouvrant à l'extérieur (vésicule séminale?) et dans laquelle pénètre en k le canal déférent. o Ovaire pv Son sise vibratile.

Une portion de lovaire grossie 90 fois.

Structure des feuillets glandulaires de l'organe k de la figure 81. Ils sont formés par un ou plusieurs tubes entortillés.

Pavillon vibratile des ovaires, montrant les stries couvertes de cils vibratiles entre lesquelles cheminent les œufs.

UrocHærTA HysTRix. Edm. Perrier. Extrémité postérieure vue en dessus pour montrer la disposition des soies. Le MÈME. Extrémité postérieure vue en dessous. Le MÊME. Anatomie de la région autérieure de animal de la figure FR æ,y Glandes génitales indéterminées. 2,2 Organes problématiques. LE Môme. Extrémite supérieure de l’un des organes z de la figure précédente.

OSTEOLOGIE

DU

SPHARGIS LUTH

(SPHARGIS CORIACEA );

PAR M. PAUL GERVAIS,.

J'avais remarqué, il y a déjà plusieurs années, une singulière particularité anatomique du Sphargis, grand Chélonien marin, plus généralement connu sous le nom de Tortue luth, particularité qui consiste en ce que, dans cette espèce, la carapace est formée de petits compartiments osseux extrêmement nombreux, compara à de la marqueterie, et qu'elle est indépendante du squelette pro- prement dit. Cette observation me faisait vivement désirer de trou- ver l’occasion d'étudier le squelette complet de ce singulier reptile, -pour en établir la comparaison avec celui des Chélonées, dans la famille desquelles il a souvent été classé, quoique ses caractères exté- rieurs soient assez importants pour qu'on l'en sépare, ce qui a d’ail- leurs été fait par plusieurs zoologistes.

Au mois de mai 1872, deux Chéloniens de cette espèce ont été pêchés sur nos côtes de l'Océan, ils avaient été amenés par les

200 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

courants, ce qui est un fait rare et digne d’être signalé‘. Ayant pu me procurer un de ces exemplaires, mort déjà depuis plusieurs jours, lorsqu'il fut envoyé à Paris, et dont l’anatomie complète était ren- due impossible par son état de putréfaction déjà assez avancé, j'en ai fait préparer le squelette que nos galeries ne possédaient pas encore.

C'est de ce squelette que je vais donner la description; les planches jointes à ce Mémoire contribueront à faire ressortir l'intérêt qui se rattache à cette étude. Fy ai ajouté quelques indications relatives au squelette d’un animal de la même espèce provenant d'un sujet encore jeune.

On y trouvera aussi une démonstration nouvelle que le fossile propre au miocène des environs de Montpellier que j'ai signalé autre- fois sous le nom de Sphargis pseudostracion, et que l’on avait antérieu- rement attribué à un poisson du groupe des Coffres, provient bien d'un animal du même genre que les Sphargis actuels.

S L DU CRANE.

Le Sphargis se rapproche plus par la forme de son crâne * des Chélonées, qui sont aussi des Chéloniens marins, que de tout autre groupe du même ordre. Il possède, en effet, comme elles, une double

4. Il a déjà été fait de semblables captures dans les mêmes parages, mais à des intervalles éloignés. Ainsi de Lafont a communiqué à l’Académie des sciences de Paris, la prise d’un Sphar- gis, opérée le 4 août 1729 à l'embouchure de la Loire, et l’on en cite un autre qui fut pêché sur les côtes de Bretagne le 40 juillet 4765. Il en vient aussi de temps en temps sur les côtes de l’An- gleterre. La Méditerranée en voit également. Rondelet en signale un exemplaire pris de son temps par les pêcheurs de Frontignan (Hérault), et Amoreux a parlé, en 1778, d’un autre sujet dont s’emparèrent, à peu de distance du même lieu, les pêcheurs de Cette. C’est aussi sur un Sphargis de la Méditerranée qu’Alessandrini, de Bologne, a fait ses études anatomiques relatives à celte espèce de Chéloniens.

2. PI. v, fig. 4-6.

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH, 201

voûte osseuse recouvrant la région crotaphydienne et qui continue de chaque côté, jusqu’à l'aplomb postérieur du segment occipital, l'arc postérieur du cercle orbitaire. Cette double voûte est due, comme on le sait, à l'extension considérable qu'ont prise les frontaux posté- rieurs, qui se joignent par leur bord supérieur à la presque totalité du bord correspondant des pariétaux, rabattus à droite et à gauche de la ligne sagittale et atteignant le bord antérieur du mastoidien éga- lement relevé en forme de crête, pour s'associer, sur la totalité de sa longueur, au bord supérieur du jugal. Les Emysaures, plus particuliè- rement l’Emysaure de Temminck*, sont au nombre des Chéloniens qui se rapprochent le plus sous ce rapport des Chélonées et des Sphargis, mais sans présenter précisément la même forme crânienne que ces Chéloniens marins, soit les Chélonées des différents genrés, soit le Sphargis lui-même.

Cependant le Sphargis ne se laisse pas confondre avec les Chélo- nées par les détails de la conformation de son crâne, et il présente à cet égard des caractères propres qui l’éloignent des trois genres connus (dans cette famille*. C’est ce que nous allons examiner.

Envisagé dans son ensemble, le crâne du Sphargis se fait remar- quer par une plus grande obliquité de l’orifice extérieur des narines et par une plus forte saillie de la partie symphysaire des os inter- maxillaires. Il présente, en outre, à la région intermaxillaire une grande échancrure médiane entamant fortement son bord antérieur, et une paire d’échancrures moins considérables, quoique très-appa- rentes encore, se remarque au commencement du bord tranchant des maxillaires, à peu de distance de la suture de ces os avec les inter- maxillaires. L’échancrure placée au-dessous du jugal et du temporal

4. Voir pour la figure du crâne de cette espèce : J.-E. Gray, Catal. of Shield Reptiles in he Coll. of the brit. Mus., pl. xxxvin, fig. 2, pl. xxxix, et pl. xe, fig. 4.

2. Ces genres sont ceux des Mydasea (P. Gerv.), comprenant les Chelone Mydas, virgata, maculosa et marmorala; des Caretta (Ritgen), pour le C. imbricata et des Thalassochelys (Fitzinger), pour les C. caouana et Dussumieri.

vil. 26

202 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

écailleux, en avant de la saillie inférieure de l'os de la caisse, est aussi plus prononcée et elle affecte une autre forme, étant augmentée en arrière par une entaille demi-circulaire faite aux dépens des 08 jugaux et du temporal écailleux. La saillie de Ja branche descendante de los de la caisse qui fournit le point sur lequel joue l’excavation articulaire de la mâchoire inférieure est en même temps plus sail- lante, et la cavité qui soutient la membrane du tympan et sert de caisse auditive est plus allongée verticalement; cette cavité est également moins arrondie en avant.

La partie épineuse ou médiane de l’occipital supérieur ne se pro- longe pas autant en arrière des pariétaux.

Il y a des particularités également propres au Sphargis dans la proportion et les contours des os qui concourent à former la face infé- rieure du crâne de cette espèce.

On peut citer comme tel l'isolement de la partie antérieure du vomer, entre les deux grandes perforations limitées, en dedans par cet os, en dehors par la pointe antérieure des palatins, perforations qui constituent les ouvertures postérieures des narines. Ces orifices sont ici plus rapprochés des intermaxillaires qu’ils ne le sont chez les Chélonées.

Les arrière-narines des Chélonées, outre qu’elles sont sensible- ment plus reculées et que leur forme est tout autre, conservent cepen- dant les mêmes connexions; mais elles forment un double canal ouvert dans les palatins, et leur séparation est due à une cioison du vomer intimement soudée à ces derniers os; tandis que chez le Sphargis, les mêmes orifices sont représentés par une simple paire de grands trous ovalaires laissant voir sur le crâne dépouillé de ses parties molles la cavité orbito-crotaphydienne avec laquelle ces orifices com- muniquent. |

Les palatins du Sphargis n’ont donc pas les mêmes contours que ceux des Chélonées.

L]

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTA, 203

Son vomer est également différent dans sa forme, et il en est de même pour les ptérygoïdiens, pour le sphénoïde et pour le basilaire.

Ajoutons avant de décrire d’une manière plus spéciale chacun de ces os, que le crâne du grand Chélonien qui nous occupe s'éloigne en outre de celui des Chélonées par quelques autres particularités et qu'il atteint des dimensions supérieures aux leurs; ce qui est en rapport avec la grandeur totale de cet animal.

Si nous commençons par la face supérieure du crâne, nous remarquons que les deux os appelés par Cuvier frontaux antérieurs *, mais que l’on pourrait tout aussi bien regarder comme les os propres du nez, ne se joignent sur la ligne médiane que par une petite partie de leur bord interne, tandis-que chez les Chélonées ils sont mis en rapport sur toute la longueur de ce bord.

Les frontaux principaux * ont aussi une autre apparence. Hs sont un peu plus longs et moins larges. Le bord supérieur, servant à leur articulation avec les frontaux postérieurs et les pariétaux, ne forme pas, comme chéz les Chélonées, un angle droit dont les deux lignes touchent, Fune le pariétal correspondant, l'autre le frontal posté- rieur.

À part quelques légers détails de ses contours et une apparence plus écailleuse, le frontal postérieur du Sphargis n'offre rien de bien particulier. De même que chez les Chélonées il forme une sorte de parallélogramme oblique recouvrant la plus grande partie de la fosse crotaphyte.

Les pariétaux* sont plus larges en arrière, ils ont aussi une apparence plus squameuse; ils sont en outre proportionnellement plus étroits en avant et ils recouvrent un peu moins les orbites.

4. PI. v, fig. 4.

2. Ibid., fig. 4, 3 et5, lettre a. 3. 1bid., fig. 4 et 5, lettre f. 4 5

. 1bid., fig. 4, 2 et 3, lettre g. . Ibid. fig. 4, 3, 5 et 6, lettre A.

204 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Quant aux os jugaux :, les différences que l'on peut y reconnaître n’ont également qu'une faible importance.

Mais la branche montante du mastoïdien est notablement plus étroite, et sa partie inférieure externe ne contribue pas autant que chez les Chélonées à l'encadrement de l’excavation de la caisse; sa saillie inférieure est toutefois plus forte et plus rejetée en dehors.

Le temporal écailleux*? contribue au contraire pour une part plus grande à cet encadrement dont il fournit le contour antérieur, par suite du refoulement de l'os carré ou os de la caisse.

L'os de la caisse* est, à son tour, plus développé dans sa branche

descendante fournissant à la mâchoire inférieure son condyle articulaire.

Ainsi que nous l’avons déjà dit, la saillie apophysaire de l’occipital supérieur * est moins forte dans le Sphargis, et les occipitaux externes ou opistotiques® sont plus renflés à leur point de jonction avec la saillie apophysaire des mastoidiens.

Les occipitaux latéraux °, généralement appelés occipitaux externes bien qu'ils soient internes par rapport aux précédents, ont leur moitié supérieure plus déclive, et leur saillie servant de support au condyle occipital, qui est resté cartilagineux, dans les deux crânes adultes que nous possédons, est plus forte.

C’est aussi un caractère de la saillie condylifère du basilaire ou occipital inférieur” du Sphargis que d’être plus élargie. Le col qui porte cette saillie est dans le même cas, et les deux masses latérales de la portion extérieure de cet os sont bien plus fortes.

Il n’y a pas au bord postérieur du sphénoïde® de crête transver- . PL v, fig. 4, 2,3 et 5, lettre 1.

. Ibid., fig. 2, 3, 5 et 6, lettre K.

. Ibid. fig. 2, 3, 5 et 6, lettre L.

Ibid., fig. 4, 2, 3 et 6, lettre p.

Ibid., fig. 2 et 6, lettre o.

Ibid., fig. 2 et 6, lettre q.

. Ibid., fig. 2 et 6, lettre z.

. Ibid., fig. 6, lettre 4.

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OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH, 205

sale reproduisant la fossette prébasilaire des Chélonées, fossette sur- tout apparente chez les sujets adultes de cette famille, et la surface visible du sphénoïde est elle-même beaucoup plus étendue. Au lieu de former un triangle à peu près équilatéral, elle est irrégulièrement pentagonale, à bords latéraux et antérieurs se confondant presque en une courbe unique et à angles latéraux postérieurs tronqués. Sa longueur l'emporte sensiblement sur sa largeur.

L'os dont il vient d'être question sépare sur une partie considé- rable de leur bord interne les ptérygoïdiens droit et gauche qui ne se réunissent l’un à l’autre qu’en avant et dans une étendue égalant environ le quart de leur longueur totale. Leur ligne de jonction est bien plus considérable chez les Chélonées et leur forme y est différente, aussi bien dans la portion de ces os qui touche aux palatins que dans celle par laquelle ils s’articulent avec la base de la saillie condylienne des os de la caisse.

Les palatins * sont à peu près triangulaires, à base postérieure irrégulièrement coupée, à pointe antérieure remontant le long des maxillaires, jusqu'auprès de la fosse incisive ces os vont toucher le vomer *, avec lequel ils sont plus largement en contact par le com- mencement de leur bord interne, c’est-à-dire en arrière. C’est entre eux et le vomer qu'est percée la double excavation des narines posté- rieures, excavation que nous avons déjà dit être considérable. En arrière les mêmes os touchent aux ptérygoiïdiens, et ils concourent avec eux ainsi qu'avec les maxillaires et les jugaux à fournir à la fosse crotaphydienne sa limite antérieure. L'entrée de cette fosse est com- plétée à la même face de crâne par les ptérygoïdiens, la saillie condy- lienne de l'os de la caisse et le bord antérieur excavé du temporal

écailleux.

4, PI. v, fig. 2, lettre s. 2. Ibid., fig. 2, lettre s. 3. 1bid., fig. 2, lettre d.

206 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

La voûte palatine n'est pas pleine comme celle des Chélonées, et, indépendamment des deux grandes perforations des arrière-narines, qui laissent apercevoir à la fois les cavités orbitaires et les fosses

SRE

nasales, elle conserve au fond de l’excavation des os inter ires

recevant la saillie de la mâchoire inférieure un véritable trou naso- palatin qui fait communiquer la partie antérieure de la surface palatine avec les narines, disposition qui n’a pas lieu chez les Chélonées, mais se retrouve chez d'autres Chéloniens et chez un grand nombre d’ani- maux appartenant à des ordres différents de celui-là.

Une autre particularité du crâne du Sphargis réside dans l'appa- rence des os mêmes qui le constituent, principalement de ceux qui en forment la base et la voûte palatine. Ils ont dans leur structure aussi bien que dans les rapports qu'ils établissent les uns avec les autres une apparence plus écailleuse et par suite plus ichthyoïde que cela n’a lieu chez les Chélonées et chez les autres Chéloniens. L'apparence striée des os de la voûte crânienne est aussi plus marquée et ceux de la face sont extérieurement plus rugueux.

La mâchoire inférieure offre des particularités plus caractéris- tiques encore. La symphyse mentonnière, au lieu d’être épaisse et doublement excavée aux points correspondant à la double saillie du bord gengival placée supérieurement en dehors des os intermaxillaires, comme cela à lieu dans les Chélonées, est au contraire relevée en une

forte pointe médiane saillante qui va se loger avec la corne du bec, dont elle est garnie, dans l’excavation que nous avons signalée à la région intermaxillaire en arrière de son échancrure marginale. Les deux branches de cette mâchoire sont aussi plus minces et leur bord dentaire * est tranchant au lieu d’être épaissi et élargi dans sa portion interne en une plate-forme qui, dans les Chélonées, longe supérieu- rement l'os dentaire * jusqu’à son point de contact avec le coronoïdien

4. PI. v, fig. 4. 2. Ibid., fig. 4, no 4.

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 207

surangulaire ‘, L’angulaire*? et l’operculaire * n’ont pas non plus la même forme. Quant à l’articulaire, il n’était point encore ossifié chez les deux grands exemplaires que nous avons étudiés, et je ne retrouve pas non plus de traces osseuses du complémentaire.

Si, pour terminer cette description de la région céphalique, nous étudions l'os hyoïde, nous remarquons qu'il s'éloigne à son tour très-sensiblement de celui des Chélonées. Indépendamment de son volume plus considérable que chez la Chélonée franche, il a les cornes de la première paire’ ou paire antérieure moins prononcées et indi- quées seulement dans notre squelette par une double paire de points d’ossification engagés sur les côtés de Ja saillie antérieure du corps; le reste en est cartilagineux. Celles de la seconde paire sont plus fortes que dans la même Chélonée, mais également coudées et termi- nées par une portion cartilagineuse ; elles s’insèrent latéralement vers le point le corps de l'hyoïde cesse d’être cartilagineux pour deve- nir osseux. [1 y a en arrière une troisième paire de semblables appendices *” beaucoup plus forte que la première, ici rudimentaire et presque nulle, moindre au contraire que la seconde, mais bien plus épaisse qu’elle, et dont la moitié seulement est ossifiée. De ces trois paires de cornes, la deuxième et la troisième répondent aux pièces nommées par E. Geoffroy cératohyal et entohyal (cornes moyennes et postérieures de Guvier ). La première paire reproduirait à son tour les cornes dites antérieures par Cuvier (glossohyiaux, E. Geffroy), qui seraient ici très-atrophiées.

Le corps de l’os hyoïde* est bien plus grand que chez la Ché- PI, v, fig. 4, n°8. Jbid., 3. Ibid., 4, pl. vn, fig. 2. Ibid., pl. vu, fig. 2. . Ibid., lettre d. Ibid., lettre b.

. Ibid. , lettre c. . Ibid. lettre 4.

eHmamrmwr

208 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

lonée franche. Il forme une sorte de trapèze appointi en avant, c’est- à-dire du côté de la langue, coupé carrément en arrière et sur les côtés ; sa moitié postérieure est seule ossifiée, Quoique plus semblable à celui des Chélonées, soit de la Chélonée franche, soit du Caret, qu’à celui des Grocodiles, il a cependant une certaine analogie avec ce dernier; mais il n’en conserve pas, dans la totalité de sa surface, le caractère cartilagineux et les cornes moyennes atteignent un plus grand développement.

J'ai peu de choses à dire au sujet des organes des sens dont je ne veux Signaler ici que quelques parties osseuses.

Le cercle ossifié de la sclérotique est composé de douze pièces irrégulièrement striées dont je donne la figure vue par les faces externe et interne. Leur disposition rappelle à quelques égards les mêmes pièces étudiées chez les Ichthyosaures, mais elles sont ici beaucoup plus petites, ce qui est aussi le cas pour les Chélonées.

L'osselet de l’ouie *, unique comme chez les autres Chéloniens, est en forme de cône allongé, mieux encore en forme de trom- petie grêle et à peu près droit. Il est effilé à sa partie allant vers l'oreille interne et coupé circulairement à son autre extrémité qui porte sur le tympan; cette extrémité est beaucoup plus épaisse que l'autre. L'os dont il s’agit est moins gréle, plus fort et moins ossifié que celui de la Chélonée franche, ‘et il différe encore davantage de celui de l'Émysaure de Temminck; il est également moins osseux. Sa longueur est de 43 millimètres.

4. PI, v. fig. 7 et 7a. 2. Ibid., fig. 8et8a.

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 209

LL. DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES CÔTES.

La colonne vertébrale’ se décompose comme celle des autres Chéloniens, en régions cervicale, dorsale, sacrée et coccygienne.

Il y a huit vertèbres cervicales, en ne comptant pas comme ver- tèbre distincte la partie odontoide de l'axis, qui est libre, étant à la fois séparée du corps de cette vertèbre et de celui de l’atlas; le nombre des dorsales est de dix ; celui des sacrées de trois, et celui des coccygiennes de dix-huit. Dans la Chélonée Mydas, on compte huit vertèbres cervicales, dix dorsales, trois sacrées et dix-neuf coccygiennes *.

Les vertèbres cervicales du Sphargis, sauf leur apparence plus trapue, ont une grande analogie de forme avec celles de la Chélonée Mydas.

L'atlasé est de même formé d’un arc supérieur ou neurapophy- saire dont les deux moitiés ossifiées sont disjointes *, et il est com- plété inférieurement par une bande * répondant à celle qui existe à l'état osseux dans les mammifères et les oiseaux, mais cette bande ou arc inférieur de la vertèbre atlas reste ici cartilagineuse* et il y a au-dessous d'elle une pièce accessoire de consistance osseuse”, semblable à celle que Cuvier signale, dans la Chélonée Mydas, comme ayant une apparence rotuliforme. On pourrait voir dans l'arc carti- lagineux le corps de l'atlas non encore ossifié, el dans la pièce

4. PI. vi et pl. vu, fi 2. Cuvier attribue vingt vertèbres coccygiennes à cette espèce.

5. Ibid., lettre d. 6. 1bid., lettre e. VII.

210 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM,

accessoire devenue osseuse une portion de ce corps lui-même; mais ce sont deux pièces distinctes, et une masse en partie ossifiée, ana- logue à celle dont il est ici question, se remarque en arrière de la partie inférieure du corps de plusieurs des vertèbres suivantes’, ce qui ne permet pas d'accepter l'interprétation que nous venons de rap- peler; il en existe même une”, celle-ci entièrement osseuse, sous la masse odontoide que nous avons déjà dit être détachée de l’axis aussi bien que de l’atlas.

Cette masse odontoïde* forme donc un os à part qui entre dans l'excavation inférieure du trou rachidien de l’atlas, et y occupe la place devrait être le corps de cette première vertèbre. On sait que beaucoup d’anatomistes regardent l’odontoïide comme n'étant autre que le corps de l’atlas lui-même, que cet odontoïde soit soudé avec lui comme chez la Tortue matamata, ou qu’il adhère à la partie antérieure du corps de l’axis, ainsi que cela se voit chez les mammi- fères et chez les oiseaux.

La face antérieure de l’odontoïde du Sphargis est un peu con- vexe; sa face postérieure, au contraire, est concave.

La face antérieure de l’axis *, qui est convexe, s'articule avec la face postérieure de l'odontoide.

La troisième vertèbre est également opistocélienne ou convexo- concave, c’est-à-dire convexe en avant et Concave en arrière.

La quatrième est bi-convexe, ou à la fois convexe en avant et convexe en arrière.

Les quatre vertèbres suivantes, c’est-à-dire les cinquième, sixième, septième et huitième, sont toutes procéliennes ou concavo-convexes,

os

PI. vi, fig. 4.

PI. vi, fig. 4, lettre e. PI, vi, fig. 4.

. 1bid., lettre c.

PI. vi, fig. 5.

e æ & je

OSTEOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 211

el par conséquent concaves en avant et convexes en arrière. Leur cavilé articulaire antérieure et leur condyle, ou saillie articulaire postérieure, tendent de plus en plus à s’élargir transversalement, au lieu que les mêmes surfaces convexes antérieurement et concaves en arrière, prises sur les deuxième et troisième vertèbres, ont la forme de calottes sphériques.

On sait que les vertèbres dorsales des Chéloniens présentent des formes différentes en rapport avec les différents groupes de cet ordre. La loi qui régit ces différences nous est en grande partie expliquée par le degré plus ou moins avancé d’ossification auquel arrive la carapace résultant de la soudure des apophyses épineuses avec les plaques dor- sales qui entrent dans la composition de cette carapace et le degré _de jonction plus ou moins intime des côtes avec les os dermiques placés de chaque côté des plaques dorsales et en rapport avec elles. À un état de moins en moins complet de la carapace correspond un développement de plus en plus grand des vertèbres dorsales et de leurs arcs supérieurs. C’est surtout dans les Chéloniens marins que ce rapport est évident, et il se trouve confirmé chez le Sphargis par une disposition tout à fait spéciale *.

Dans cette espèce, il n’y a ni fusion ni synostose de la carapace, soit avec les vertèbres dorsales ét sacrées, soit avec les côtes, et la cage thoraco-abdominale est aussi indépendante de la couverture osseuse qui la protége, que cela a lieu chez les Tatous. C'est une exception unique dans l’ordre des Chéloniens, exception à laquelle correspondent plusieurs dispositions tout à fait remarquables des mêmes régions du squelette.

Les vertèbres dorsales ? sont, comme chez les autres Chéloniens, de forme biplane, c'est-à-dire aplaties sur les deux faces antérieure et postérieure de leur corps, sauf toutefois la première, qui est concave

4. PI. vi, fig. 4 et 2, et pl. vu, fig. 4. 2. PI. vi, fig. 6 et 7.

212 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

sur sa face antérieure par laquelle elle s'articule avec la face posté- rieure ou convexe de la huitième cervicale et la dixième ou dernière qui est convexe en arrière, en vue de son articulation avec la première sacrée, elle-même concave en avant.

Ces vertèbres différent par la forme de leurs corps de celles de la Chélonée franche en ce qu’elles sont plus épaisses, quoique, sauf pour la dixième, leur longueur dépasse encore sensiblement leur largeur. La partie moyenne de leur corps est un peu moins large que les extrémités articulaires et leurs arcs supérieurs ou parties neurapo- physaires sont renforcés au-dessus de l'articulation des côtes et élar- gis en une double masse renflée à leur extrémité ; le milieu en est un peu excavé en dessus, sauf pour la première de ces vertèbres. C'est entre ces masses épaissies que les apophyses épineuses, qui font par- tie des neurapophyses, s’articulent entre elles, cela par l'intermédiaire de lames médianes amincies qui partent en avant et en arrière des masses supra vertébrales elles-mêmes sur la ligne médiane, et se diri- gent l’une vers l’autre pour se réunir deux à deux par une suture en engrenage. Cette suture s'accomplit au-dessus de la partie moyenne de grandes perforations situées bilatéralement entre ces lames arti- culaires et les corps. perforations qui constituent des trous de conju- gaison relativement gigantesques. Les engrenages ne sont pas Synos- tosés et on les désarticule aisément *.

La suture séparant les neurapophyses d’avec les corps vertébraux s’est conservée dans les deux sujets adultes que nous possédons, et il est évident qu'elle aurait persisté longtemps encore. Quant au contact articulaire des arcs neurapophysaires* les uns avec les autres, il se fait au-dessus de la jonction de deux corps consécutifs. Les trous de conjugaison sont au-dessus des corps, largement ouverts, ainsi que

1. PI. vi, fig. 2, et pl. vu, fig. 4. 2. Ibid. 3. Ibid., et pl. vi, fig. 7, lettre d.

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 213

nous venons de le dire, à droite et à gauche de la colonne vertébrale, entre ces corps et les apophyses articulaires qui limitent leurs contours.

Les côtes! sont insérées par une synchondrose analogue à celle des neuraphyses, au-dessus de la jonction des corps entre eux et à Ja base de la partie élargie de ces neuraphyses. Cette articulation se fait par l'intermédiaire de leur propre tête surmontant une sorte de col, après lequel chacune d'elles s’élargit brusquement pour se continuer en une lame ensiforme convexe en dehors, concave en dedans.

La première et la dernière paire de côtes sont notablement plus petites que les autres. |

Ainsi que nous l'avons déjà exposé, ces côtes, pas plus que les par- ties neurapophysaires des vertèbres dorsales, n’adhèrent à la carapace, et on peut les séparer de cette dernière sans qu’il soit besoin d’opérer aucune fracture, ce qui serait impossible si l’on avait affaire à tout autre Chélonien.

Viennent ensuite les trois vertèbres sacrées ? qui sont également indépendantes de la partie ossifiée des téguments. Elles augmentent en dimension de la première à la troisième; leurs corps sont plus courts que ceux des dorsales et tous trois sont concavo-convexes. Les arcs neurapophysaires, non encore synostosés avec eux, sont épaissis, renforcés au-dessus par un double mamelon et en rapport les uns avec les autres par des apophyses articulaires beaucoup plus épaisses que celles des vertèbres dorsales ; aussi les facettes articulaires par lesquelles ces apophyses sont mises en rapport entre elles ont-elles la forme propre aux facettes de cet ordre; il en existe une paire en avant et une paire en arrière, et il n’y a plus ici d’engrenage médian s’opérant au moyen de deux lames amincies comme pour les vertèbres dorsales.

1. PI. vi, fig. 4 et 2, et pl. vus, fig. 4. 2. Ibid.

214 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Il faut ajouter que Les apophyses transverses des vertèbres sacrées” qu'on pourrait aussi bien appeler des côtes sacrées, et par lesquelles ces vertèbres donnent attache à l’os des îles, ne sont pas seulement en rapport avec le corps de ces vertèbres, mais également insérées comme les côtes sur la base latérale externe de leurs neurapophyses et comme à cheval sur la double surface articulaire que présentent les vertèbres sacrées sur leur partie antéro-latérale. Leur synostose doit être tardive.

Cette disposition, que l’on retrouve d’ailleurs au sacrum des jeunes Chélonées, se continue sur les vertèbres coccygiennes ‘, ou du moins sur les premières de ces vertèbres, dont les apophyses transverses sont également articulées, d’abord avec la base des neurapophyses et une petite partie de la surface antéro-supérieure des corps vertébraux, et, ensuite, plus complétement avec ces corps, de manière à reprendre peu à peu leur caractère de véritables apophyses transverses et à perdre celui de côtes qu’elles avaient d’abord. D’ailleurs, les apo- physes transverses? des dernières vertèbres coccygiennes sont déjà synostosées avec le corps des vertèbres auxquelles elles appartiennent. Il n’en existe pas pour les deux dernières de ces vertèbres.

Les arcs neurapophysaires des premières coccygiennes* ont seuls conservé le caractère apophysaire propre à l’état d'ossification incom- plète des vertèbres précédentes, et un certain nombre de ces vertèbres, qui sont encore épophysées, quant à leurs apophyses transverses, ont leurs arcs supérieurs synostosés avec les corps qui les supportent; enfin toutes les dernières le sont à la fois par leurs ares et par leurs apophyses transverses.

Les apophyses articulaires des vertèbres de la queue sont, comme celles de la région sacrée, les unes antérieures, les autres

4. PI. vi, Gg. 4 et 2, et pl. vu, Gig. 4. 2. Ibid., fig. 4,2 et 8 à 10; pl. vu, fig. 4. 3. Ibid., fig. 8-40.

OSTEOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 215

postérieures, et elles établissent les mêmes rapports entre elles dans la succession de ces vertèbres. Les apophyses épineuses des vertèbres coccygiennes sont également renflées à leur partie libre *, et de même plus ou moins bimamelonnées, du moins les trois premières.

La queue du Sphargis, quoique modelée dans sa partie vertébrale sur celle des Chélonées, a évidemment une force supérieure à celle de la même partie du corps envisagée chez ces Chéloniens; elle est

non-seulement plus robuste, mais proportionnellement plus longue.

CT DU PLASTRON.

Le Sphargis est de tous les Chéloniens celui dont le plastron”* présente la moindre surface osseuse. Au lieu de former, comme dans les Chélonées, un bouclier osseux largement ouvert, il est vrai, dans son milieu, entre la pièce médiane dite entostérnal et la symphyse des xyphosternaux et dont les bordures internes portent de fortes dentelures osseuses dépendant des hyosternaux et les hyposternaux, il représente une ‘sorte d’anneau ovalaire, à grand diamètre antéro- postérieur et qui constitue à lui seul la charpente inférieure du tho- racogastre. Les deux épisternaux * y sont prolongés en avant en une pointe occupant la ligne médiane; les hyosternaux * portent latéralement une pointe semblable placée en dehors de leur partie médiane ; il y a une simple saillie au même point sur les hyposter- naux* et les xyphosternaux *, également aplatis et minces, four- nissent une paire de lames cultriformes qui se rejoignent en arrière.

1. PI. vi, fig. 8 et 9, lettre a.

6. 1bid., lettre d.

216 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Ce plastron ne m'a pas montré d’entosternal, pas plus chez le Sphargis adulte que dans le très-jeune âge, et Ratke ', qui a représenté celui d’un sujet sortant de l'œuf, n’en signale pas non plus. Il est vrai que cet auteur n’a pas figuré non plus les hyosternaux qui, dans le jeune âge, restent ordinairement adhérents à la partie dermique du plastron.

S FT, DE L'ÉPAULE ET DU MEMBRE ANTÉRIEUR.

Si nous passons maintenant à l'étude de l'épaule”, nous consta- tons une grande ressemblance entre sa composition et sa forme avec celle des Chélonées. Elle est également formée de deux os pour chaque côté, et ces deux os sont à la fois épais et allongés. Le pre- mier*, qui est le moins long des deux, est bifurqué près de sa base, dont la surface terminale entre dans la composition de la cavité glénoide. Une de ses branches * répondant à l’omoplate proprement dite remonte vers la huitième vertèbre cervicale, et va s'attacher par sa partie épiscapulaire, restée cartilagineuse, à la Surface articulaire correspondante formée par la base externe de la partie neurapophy- saire de cette vertèbre, ce qui lui offre une surface d'attache plus large que celles destinées aux côtes par les vertèbres dorsales. La seconde branche* de lomoplate descend au plastron et va s’y mettre en contact avec sa correspondante de l’autre côté. Celle-ci représente évidemment l’apophyse acromion.

Le second os° de l’épaule est l’apophyse coracoïde séparée en

Ueber die Entwickelung der Schildkrôten, pl. 1v, fig, 5. PI, vu, fig. & et 4a, et pl. vin, fig. 6.

PI. vu, fig. 4 et 4 a, lettres a et a.

Ibid., lettre a.

Ibid., lettre a'.

lbid., lettre b.

F © 9 du. te RON

1

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH, 217

une pièce distincte ou d'une soudure tardive, comme cela a lieu chez les Chélonées. Il correspond au coracoïdien des oiseaux, est plus long que l’apophyse acromion et descend de chaque côté au-dessous d'elle et en dehors pour aller s'attacher plus bas encore au plastron.

On pourrait compléter ces analogies avec l'épaule et le sternum des autres vertébrés, en comparant les épisternaux des Chéloniens à la clavicule, et leur entosternal au sternum lui-même.

La cavité glénoiïde est formée par la réunion des deux os cora- cordien et omoplate dont la surface articulaire est recouverte par un épais cartilage cachant l'articulation synchondrique de ces deux os.

L'humérus ? est bien plus fort que celui de la Chélonée franche, plus aplati et plus développé dans ses saillies d'attache musculaire. La grosse tubérosité y est beaucoup plus saillante; la petite, qui est dans le même Cas, se confond avec une crête deltoïdienne plus mar- quée et moins relevée, et se projette notablement en dehors. Le condyle s'élargit en s’aplatissant; il est comme sécuriforme en dehors, c'est-à-dire à sa partie épitrochléenne et plus épais à sa partie con- dylienne. Vers son tiers externe est une perforation”? correspondant à celle dite épitrochléenne ou du condyle interne qui existe dans cer- tains genres de mammifères, et que l’on retrouve aussi dans les Ché- lonées ainsi que dans un petit nombre d’autres reptiles, et, lorsque la partie articulaire inférieure du même os qui est encore cartila- gineuse, comme le sont aussi sa tête articulaire et le sommet de sa grosse tubérosité, a été enlevée, on remarque qu'elle partage très- nettement la partie inférieure de l’humérus en deux portions, dont l’interne ne peut être considérée que comme l’un des rayons primi- tifs de cet os principal du bras séparé des deux autres. Une disposi- tion analogue existe d’ailleurs chez les Chélonées, et je n’en parle ici

1. PI vu, fig. 3, lettre a.

2. Ibid., fig. 5.

3. Ibid., fig. 5, lettre a. VIII, 28

218 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

qu'à titre de rappel; sans m’étendre davantage à cet égard, m'étant proposé de ne traiter dans ce Mémoire que des questions qui ont rapport à la comparaison spéciale du Sphargis avec les Chéloniens dont il se rapproche le plus.

Les deux os de l’avant-bras', quoique plus courts que ceux de notre grand squelette de Chélonée, lequel est cependant moins fort que celui du Sphargis ici décrit, sont aussi plus robustes etils portent une main bien plus allongée. Cest ainsi que le métacarpien, mesuré sur le Sphargis, a 0",16, tandis que celui du Mydas ou Chélonée franche n’a que 0",08, le reste de la rame antérieure étant en propor- tion avec ces mesures.

Les os du carpe? sont au nombre de neuf. Deux radiaux, plus grands que les autres, constituent une première rangée, et ont en dehors d’eux un pisiforme, plus grand encore, aplati, à peu près carré, qui porte à la fois sur cette rangée et sur la seconde.

La seconde rangée est de cinq os, tous les cinq également apla- tis, comme ceux en avant desquels ils sont placés et discoïdes, ce qui rappelle les os de la patte des Ichthyosaures. Chacun d’eux répond à l’un des cinq os métacarpiens.

Entre la ligne de contact des deux os de la première rangée et du bord postérieur des troisième et quatrième os de la seconde, se trouve un os intermédiaire.

Les métacarpiens interne et externe sont plus larges que les trois autres. Chacun de ces cinq os métacarpiens porte un doigt formé de phalanges grêles et allongées, en rapport avec les aptitudes natatoires de la patte dans la construction de laquelle ils entrent.

Il ya deux phalanges au pouce et trois à chacun des quatre autres doigts. Les phalanges terminales sont moins longues que les autres.

4, PI, vu, fig. 6., 2. Ibid., fig. 7.

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 219

S . DE LA CEINTURE ILIAQUE ET DU MEMBRE POSTÉRIEUR.

On observe aussi quelques différences entre le membre postérieur du Sphargis et celui des Chélonées.

Ainsi les os innominés‘ n’y ont pas tout à fait la même forme.

Les pubis* différent un peu sous ce rapport, et l'intervalle répondant aux trous obturateurs qui sépare chacun d'eux des is- chions * est moins grand. De leur côté. les os des îles sont moins épais.

Ces trois os, bien distincts ici les uns des autres, se trouvent en contact dans la cavité cotyloïde à la formation de laquelle ils contri- buent tous les trois, et dont l’excavation est recouverte par un épais cartilage concave.

L'intervalle entre les te et les ischions est aussi occupé par un cartilage, et il y en a un autre remontant vers le ventre, en avant de la symphyse des pubis. La branche supéro-externe des pubis est surmontée d’une saillie cartilagineuse analogue”.

Le fémur® est moins différent de celui de notre grand squelette de Chélonée, et il n'est pas sensiblement plus grand, les membres postérieurs ne participant pas à l'allongement des membres anté- rieurs.

Il en est de même pour les deux os : la jambe”.

PI, vu, fig, 8, 8a et 8b.

dd: Ibid. Rs yet

enr wSN = S 2 :

Ibid., fig. 10.

220 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

La patte ou partie terminale” est aussi dans ce cas; cependant les doigts y sont évidemment plus allongés.

Il y a deux os au protarse ou première rangée du tarse; l'un, plus grand, en rapport avec les extrémités inférieures du tibia et du péroné ; l’autre, plus petit, sous la partie externe de l'extrémité du péroné.

Quatre os forment la seconde rangée ou le mésotarse. Ils sont inégaux entre eux et ne correspondent pas aussi bien que ceux du mésocarpe aux rayons digitaux. Leur forme est aplatie et rappelle celle des pièces constituant les deux rangées de la partie carpienne.

Le premier et le cinquième métacarpien sont plus larges que les autres, mais le premier l'emporte sensiblement en longueur sur le cinquième, dont la forme rappelle à quelques égards celle du pisi- forme. Le métatarsien médian est long de 75 millimètres.

IL y a deux phalanges au premier et au cinquième orteil et trois à chacun des trois autres. Les phalanges terminales sont sensiblement

les plus courtes.

S VI. SQUELETTE DU FŒTUS.

On trouvera aussi parmi les figures qui accompagnent ce Mémoire des détails relatifs au squelette du Sphargis jeune, détails pris sur un sujet qui venait de sortir de l'œuf”. Les sutures crà- niennes n'y montrent pas une apparence aussi manifestement ichthyoïide que dans les sujets adultes. Les frontaux antérieurs sont séparés en avant par un petit cartilage représentant les carti- lages du nez. Les os du carpe sont déjà formés, mais on ne dis-

4. PI. vu, fig. 44. 2. PI. vu.

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 221

tingue pas encore ceux du tarse, et il y a quelques dispositions particulières concernant les vertèbres. Ainsi les saillies des apophyses épineuses ou neurapophyses n’ont pas encore apparu, et les trous de conjugaison sont moins largement ouverts.

S VIL. DE LA CARAPACE.

Ainsi que nous l'avons dit, la carapace du Sphargis ! n'est point soudée avec les vertèbres dorso-lombaires et les côtes de cet animal, comme cela à lieu chez tous les autres Chéloniens; en outre, sa partie la plus importante ne paraît pas correspondre à celle, fournie par le dermato- squelette, qui, chez les autres Reptiles du même ordre, s’unit avec le névro-squelette du tronc pour former la boîte osseuse dans laquelle sont enfermés les viscères.

Tout le dessus du corps est recouvert par un grand bouclier convexe*, parcouru par cinq carènes longitudinales, bouclier qui a fait donner à cette espèce le nom de Luth.

Chez l'adulte, ce bouclier dorsal est constitué par un nombre extrêmement considérable de petits disques osseux irrégulièrement polygonaux ou subcirculaires et inégaux entre eux; ils y sont asso- ciés et articulés les uns avec les autres au moyen de sutures dentées plus visibles à la surface inférieure de la carapace qu'à sa surface supérieure, et que l’on rend très-transparentes en dégraissant cette carapace et la grattant, ce qui la rend à peu près diaphane. Après cette préparation, elle ressemble presque à de l'écaille, mais sa structure est osseuse.

Il y a des disques plus grands que ceux qui viennent d’être indi-

à. PLEx. 2. Ibid., fig. 1; d’après un sujet nouvellement éclos.

222 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUNM.

qués, mais articulés de même, soit entre eux, soit avec ceux qui les bordent bilatéralement. Ces disques sont distribués selon sept séries longitudinales constituant les sept carènes relevées et tuberculées dont il a déjà été question.

Cette curieuse disposition offerte par les petits disques du Luth et par les séries de ses plaques carénées est représentée dans notre planche IX* pour une zone tirée du milieu de cette carapace sur le côté droit, et dont une partie montre la surface externe *, l’autre montrant la surface interne *.

La figure 4 de la même planche est celle d’un fragment de l’une des pièces fossiles découvertes dans les calcaires miocènes de Ven- dargues (Hérault), que j'ai décrites comme provenant d’une carapace de Sphargis, sous le nom de S. pseudostracion*, en rappelant qu’on avait cru y voir antérieurement une portion de la carapace d’un poisson du genre Cofre *. Sa comparaison avec la carapace des Luths actuels ne laisse aucun doute sur la convenance qu'il y a de l’attribuer à un animal du genre qui nous occupe.

La plus grande partie de la surface visible sur ce fossile montre la face externe de la carapace qui, dans l'animal frais, est recouverte de fines couches épidermiques rappelant l’épithélium de certaines muqueuses, Près du bord externe, qui à été entamé obliquement, on commence à apercevoir les sutures dentées qui servent à l’attache des pièces osseuses les unes avec les autres. Une partie de cette plaque répond à l’une des séries carénées, et la coupe verticale, qui limite le bord inférieur de la pièce, ainsi que la partie gauche de celle-ci, coupée obliquement, laissent apercevoir la disposition finement spon- gieuse de la, partie profonde des plaques. Le Sphargis. fossile de . PI 1x, fig. 3 a à d.

. Ibid. fig. 3.b, et 30. Ibid., fig. 3, 3b et 3d.

Zool. et Pal, franc., p. 438, pl, 1x, fig. 1. Marcel de Serres, Dubrueil et Jeanjean, Caverne de Lunel-Viel, p. 251.

CEE

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 223

Vendargues était d’une dimension encore supérieure à celle des Sphargis actuels.

Il s’en faut de beaucoup que le même nombre plaquettes osseuses se trouve déjà dans la carapace des Sphargis Luths au moment de leur naissance. Il est au contraire beaucoup moindre à cette époque, et ce n’est qu'avec l’âge qu'il augmente. Notre figure 1 de la planche IX montre l'apparence de la carapace pendant les pre- miers temps de la vie.

La partie dermato-squelettique du plastron ne possède pas le même caractère. Les plaques osseuses y sont plus rares ne s’y voient bien que sur les parties marginales. Dans le plastron de l'exem- plaire pris sur nos côtes de l’ouest, la plus grande partie de la surface inférieure du tronc est occupée par des tubercules ovalaires, distants les uns des autres et formant des séries isolées, quoique disposées régulièrement par lignes longitudinales. Ces lignes sont au nombre de cinq principales, dont la médiane est double, comme on le voit déjà sur le plastron des sujets naissants le plus grand écartement de ses deux branches répond à l'insertion du cordon vitellin. :

Ce n’est pas à l'enveloppe composée de ces plaquettes osseuses, engrenées pour la plupart les unes avec Îles autres et réunies à la manière d’une mosaïque, que se borne le dermato-squelette des Sphargis. Il existe en outre, chez ces singuliers animaux, une grande plaque ossifiée’ placée au-dessus du point le cou se joint à la colonne dorsale. Cette plaque, que Ratke a déjà vue dans le jeune Sphargis qu'il a disséqué*, acquiert dans l’âge adulte un développe- ment assez considérable. Elle a, dans notre exemplaire, 0*, 46 de long et 0”,24 de large dans ses parties les plus développées, mais ses COn- tours sont irréguliers, et la partie principale du disque qu'elle constitue est entourée de prolongements en forme de rayons qui lui donnent

4. PI. vus, fig. 42, 12a et 12 b. 2. Loc. cit., pl. 1v, fig. 3, lettre a.

29h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

l'apparence d’une étoile, dont la portion antérieure manquerait. Elle est d’un seul morceau et très-différente par sa structure des disques cutanés dont nous venons de parler. On distingue à sa face infé- rieure, près du prolongement médian qui en forme pour ainsi dire la queue’, une facette articulaire par laquelle elle est en rapport avec le sommet émoussé de l’apophyse épineuse de la dernière vertèbre cervicale, laquelle dépasse en volume toutes les autres vertèbres de la même région.

Cette plaque, qu’on ne saurait cependant attribuer au névro- squelette, est elle-même recouverte par la carapace dermique, et l’on voit sur cette dernière, au point elle la recouvre, une impression indiquant le point spécial par lequel elle était en rapport avec elle. Ce n'est pas néanmoins que la pièce dont il s’agit soit particulière au Sphargis. Elle répond à la bande osseuse située au même lieu, en avant de la carapace chez les autres Chéloniens et sur laquelle s'appuie également l’apophyse épineuse de la erniène vertébre cervicale.

Cuvier la représente à la lettre de la figure 5 de sa plan- che XIIT consacrée à la Trionyx*, et l’on serait tenté de se demander si dans les animaux de ce genre les granulations de la surface externe de la carapace ne répondent pas aux plaquettes engrenées de la cara- pace superficielle du Luth; mais l'analyse Mein démontre qu'il n’en est pas ainsi.

Il ressort des faits consignés dans ce Mémoire que, tout en appartenant bien, comme les Chélonées, à l'ordre des Chéloniens, le genre Sphargis ne saurait être classé dans la même famille qu’elles. I doit évidemment constituer un groupe à part, ainsi que Font

4. PI. vu, 6g. 42 b, lettre a. 2. Oss. foss., t. V, partie.

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTW. 225 déjà admis quelques auteurs, particulièrement MM. Gray", Fitzinger* et Cope*.

Cette manière de considérer le genre Sphargis s'appuie sur plu- sieurs faits importants tirés de la considération du squelette. Tels sont la conformation du crâne, l'état rudimentaire de la carapace proprement dite, qui se trouve réduite à la plaque étoilée propre à la région cervicale, l'apparence du plastron et la présence d’une cara- pace supplémentaire formée par les nombreuses pièces osseuses, articulées les unes aux autres par engrenage, dont la réunion a fait donner à cette espèce le nom de Luth.

4. Sphargidide, S.-E. Gray, Ann. of Philosophy, t. X, p. 212 (1825). Id., Cat, of Shield Reptiles, p. 70.

2. Dermatochelidæ, Fitz., Syst. Reptil., p. 30.

3. Athecæ, E. Cope, Americ. Assoc. for Advancement ‘of Science, t. XX p. 235; 4871. Id., Descript. of the genus Protostega (Americ. Philos. Soc., mars 1872).

VIL. 29

226 NOUVELLES ARCHIVES DD MUSÉUM.

EXPLICATION DES PLANCHES

PLANCHE V. TÈTE OSSEUSE DU SPHARGIS.

Fig. 4. Vue en dessus.

Fig. 2. Vue en dessous.

Fig. 3. Vue de profil, avec la mâchoire inférieure (fig. 4). Fig. 5. Vue de face.

Fig. 6. Vue en arrière.

Ces figures sont réduites à : de la grandeur naturelle.

Les lettres indiquant les différents os sont les mêmes pour chaque os que celles employées par Cuvier dans les figures du crâne des Chéloniens parues dans son ouvrage sur les O:sements fossiles.

a Frontaux antérieurs. b Maxillaires supérieurs. es © Palatins.

d Vomer.

e Intermaxillaire,

f Frontaux principaux. ‘4 Frontaux postérieurs. h Pariétaux.

à Jugaux.

k Temporaux.

L Tympaniques.

m Mastoïdiens.

n Rochers.

o Occipitaux externes. p Occipital supérieur. qg Occipitaux latéraux. r Basilaire.

$ Ptérvgoïdiens.

t Sphénoïde.

OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH, 227

Fig. 7 et 7a. Le cercle de pièces osseuses de la sclérotique, vue en avant (fig. 7) et en arrière (fig. 7a). De grandeur naturelle.

Fig. 8. L’osselet en trompette de l’oreille moyenne et en 8 a la partie élargie par laquelle il s'applique sur le tympan. De grandeur naturelle.

PLANCHE VI. COLONNE VERTÉBRALE.

Fig. 4. La colonne vertébrale, vue en dessous, depuis l’atlas jusqu'aux dernières vertèbres

caudales ; e côtes sont attenantes aux vertèbres, La même partie du squelette, vue eu dessus.

Fig. . La vertèbre atlas, vue en avant.

Fig. 4. L'odontoïde, vue en avant.

Fig. 5. La vertèbre axis, vue en avant.

Fig. 6. La première vertèbre dorsale, vue en avant.

Fig. 7. La sixième vertèbre dorsale, vue en avant,

Fig. 8 La première vértèbre caudale, vue en avant.

Fig. 9. La troisième vertèbre caudale, vue en arrière.

Fig. 40. La quatrième vertèbré caudale, vue en avant.

Les dr mnt 1 et 2 sont réduites à ; de la Stdledr naturelle; les figures 3 à 40 sont duites à

PLANCHE VIl. : LES DIFFÉRENTES PIÈCES DU SQUELETTE,.

Fig. 4. Le crâne et la colonne vertébrale, vus de profil; les côtes droites ont été enle- vées, celles du côté gauche laissées en place.

Fig. 2. L'os hyoïde,

Fig. 3. Le plastron. 3

Fig. 4 et a. L'épaule : omopilaie et coracoïdien, Cr

Fig. 5. L'humérus. "

Fig. 6. Les deux os de l’avant-bras. rh

Fig. 7. Le carpe, le métacarpe et les phalanges digitales.

Fig. 8. Le bassin (os innominé), vu en avant. Il comprend le. pubis (a), l’ischion (b), l'os des îles, (c) et leurs prolongemenits cartilagineux (d, d' et d'').

ig. 8a. Le même, vu de profil.

Fig. 8b. Le même, vu en arrière.

Fig. 9. Le fémur.

Fig. 40. Les deux os de la jambe : tibia (a) et péroné (b).

+

Ra,

228 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Fig. 414. Le tarse, le métatarse et les phalanges des orteils.

Fig. 12. L’os nuchal, placé au-dessus de la colonne vertébrale à la jonction du cou avec la région dorsale et un peu écarté de sa véritable position.

Fig. 42 a. Le même, vu en dessus,

Fig. 126. Le même, vu en dessous. En à est la facette par laquelle il s’articule avec l’apophyse épineuse de la dernière vertèbre cervicale.

PLANCHE VIII. LE SQUELETTE DU SPHARGIS PEU DE TEMPS APRÈS L’'ÉCLOSION.

Fig. 4. Crâne, vu de profil.

Fig. 4 a. Le même, vu en dessous.

Fig. 4 b. Le même, vu en dessus.

Fig. 2. La mâchoire inférieure encore incomplétement ossifiée, vue de CRE

Fig. 3. La colonne vertébrale, dans toute son étendue; vue en dessus.

Fig. 4. La même, vue en dessous.

Fig. 5. Le plastron, encore attachéaux prolong ts fibreux int idiens. Les deux os de lépaule sont représentés au trait.

Fig. 6. Les épaules droite et gauche, avec les deux membres antérieurs en place.

Fig. 7. Le bassin {os innominé) et les trois pièces qui le composent, avec les deux mem- bres postérieurs.

Les figures de cette planche sont toutes au double de la grandeur naturelle,

Les lettres ont la même signification que sur les planches v et vu.

PLANCHE IX. LA CARAPACE ET LE PLASTRON.

Fig. 4. La carapace du Sphargis nouvellement éclos (Sphargis coriacea), vu par sa face externe,

Fig. 2. Le plastron du même, vu par sa face externe.

Fig. 3. Une bande de la carapace du Sphargis adulte (Sphargis coriacea), prise sur la moitié de la largeur de cette carapace, à peu près vers le milieu du corps. Elle a été partagée en quatre tronçons, vus les uns par la face interne, qui montre mieux les sutures engrenées (fig. 3, 36 et 3 d), les autres par la face externe (fig. 3a et 3c).

. Fig. &. Portion de carapace fossile de Sphargis se se pseudostracion, P. Gerv.), prove- nant des calcaires bleus de Vandargues { Hérault).

Toutes les figures de cette planche sont de grandeur naturelle.

RECHERCHES

SUR LA

FAUNE CARCINOLOGIQUE

DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE

PAR

M. ALPH. MILNE EDWARDS

La distribution géographique des Crustacés dans l'hémisphère Sud a déjà fixé l'attention de plusieurs naturalistes, mais nos connais- sances à ce sujet sont encore très-incomplètes et ne feront des progrès sérieux qu'à la suite d’une étude approfondie de la faune marine d'un certain nombre de points appartenant à cette grande région du globe. Les nombreuses collections carcinologiques formées depuis quelques années à la Nouvelle-Calédonie et offertes au Muséum d'histoire natu- relle par divers voyageurs me permettront de remplir quelques-unes des lacunes qui existent dans cette partie de la zoologie, et fourniront un des termes de comparaison indispensables à la solution des ques- tions relatives au mode de répartition des formes organiques à la surface de la terre.

La Nouvelle-Calédonie, située dans l'océan Pacifique à l’est de la Nouvelle-Hollande, sous le même parallèle que Madagascar et Rio de Janeiro, est entourée d’un grand nombre d’ilots et d'îles qui en sont

230 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

des dépendances naturelles ; les plus éloignées sont les îles Loyalty, qui se trouvent à environ quinze lieues vers l’est. Toutes ces terres sont entourées de récifs madréporiques les Crustacés, essentiellement marins, trouvent à la fois des retraites sûres et une nourriture abon- dante; aussi le nombre des individus, et même celui des espèces de cette classe qui y vivent, est-il extrêmement considérable.

Les côtes sont très-découpées et en arrière de cette ceinture madréporique, dans les parties basses, existent des marécages cou- verts de palétuviers, habitent d’autres Re propres aux eaux douces ou aux eaux saumâtres.

Ces conditions, particulièrement favorables, ont permis à plusieurs voyageurs français de recueillir à la Nouvelle-Calédonie les nombreux | matériaux que je me propose aujourd’hui de mettre en œuvre.

En 1861, M. l'amiral Jouan, alors commandant de la Bonite, fut le premier dont les recherches enrichirent sous ce rapport le Muséum d'histoire naturelle; bientôt après, M. Aubry Lecomte, directeur du musée des colonies, toujours plein de zèle pour la science, nous pro- cura un certain nombre de Crustacés provenant principalement des envois de M. Deplanche, chirurgien de marine. Depuis cette époque, M. Ed. Marie, sous-commissaire de la marine, le R. P. Montrouzier, M. Baudouin, alors capitaine d’infanterie de marine, M. Banaré et M. Delacour firent au Muséum des envois non moins intéressants ; enfin M. Balansa, quoique chargé spécialement de l'exploration bota- nique de la Nouvelle-Calédonie, y a formé une collection de Crustacés extrémement importante, tant par la variété des espèces que par l'excellent état des objets; à l’aide de certaines précautions il a su con- server les couleurs de la plupart de ces animaux, dont les teintes s'effacent en général si rapidement, et le nombre souvent énorme des individus qu'il a réunis permet d'apprécier exactement le degré de variabilité ou de fixité des caractères généralement employés pour la délimitation des groupes spécifiques.

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-GALÉDONIE. 231 L'étude de cette faune locale m'aurait paru insuffisante si elle n'avait pas été faite comparativement à celle des faunes circonvoisines, et j'ai trouvé dans la riche collection du Muséum tous les éléments nécessaires à ce travail. Dans les conclusions de ce Mémoire je ferai connaître avec détails les résultats auxquels conduit cette comparaison, mais dès à présent je puis annoncer que la population carcinologique de la Nouvelle-Calédonie, loin d’être limitée à ce petit archipel, fait partie d’une grande faune dont le foyer principal semble être l'océan Indien, et dont les limites sont, à l’ouest, la mer Rouge et, à l’est, les stations extrêmes constituées par les îles Marquises et l'archipel des Sandwich.

CHAPITRE PREMIER.

GROUPE DES OXYRHINQUES.

Genre SCHIZOPHRYS (Stimpson).

Mirarax {restrictum)., Milne Edwards, Hist. nat. des Crust., 183%, t. I, p. 320.

DIONE. Dehaan, Fauna japonica. Crust., p. 82.

Scrizopanys (partim), White, Ann. and Mag. of nat. hist.; série, t. II, p. 283, 1848, et Proceedings zoological Society of London, 1847, p. 222.

SCHIZOPHRYS. Stimpson, American Journ. of sc. and urts, janvier 4860.

1. SCHIZOPHRYXS ASPERA. Voy. pl. x, fig. 1.

Milne Edwards, Op. cit.,t. I, p. 320. Dana, United States exploring Expedition, 1852, Crust., t. I, p.97, Es 1, fig. à DIONE AFFINIS. De Haan, Faun. jap., Crust., p. 93, pl. xxnt, fig. _ . no of the Acad. of the nat. sc. Philadelphia, 1856, 5.

282 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

ScHiZOPHRYS AFFINIS. Stimpson, American Journ. of sciences and arts, janvier 1860.

SCHIZOPHRYS ASPERA, Stimpson, Âmer. Journ. of sc. and arts, janvier 1860.

MiTHRAX SPINIFRONS. A. Milne Edwards, Annales de la Société entomologique de France, 27 février 4867, série, t. VII, p. 263.

ScmizopmRys sernaTus. White, List of Crust. in British Museum, p. 9. Ann. and Mag. of nat. hist., 2 série, t. Il, p. 283, avec figure dans le texte. Pro- ceedings of the zool. Soc. of London, 1847, p. 222, avec figure dans

le texte. Adams and White. Voy. of Samarang. Crust., page 16, 1848. MiTHRAX AFFINIS. F. de Brito Capello, Journ. de sc. math., phys. e naturaes, Lis-

bonne, 1871, 42, p. 3, pl. 1x, fig. 4.

Le genre Schizophrys correspond exactement à la division des Mithrax triangulaires, établie par M. Milne Edwards dans son histoire naturelle des Crustacés; il correspond aussi au genre Dione de de Haan, mais ce nom ayant déjà été employé en 1816 par Hubner pour désigner un genre de Coléoptères n’a pu être donné à un genre de Crustacés, et M. Stimpson a appliqué aux espèces qui rentrent dans ce petit groupe la désignation de Schizophrys, employée par White pour deux espèces dont une ne doit pas être distinguée des Mithrax triangu- laires, tandis que l’autre se place probablement dans le genre Cyclomaia.

Ce genre est représenté sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie par le S. aspera, qui vit en assez grande abondance sur les fonds rocheux.

Cette espèce varie beaucoup dans ses caractères extérieurs, et les zoologistes qui n'ont eu qu’un petit nombre d'individus entre les mains ont souvent considéré comme spécifiques les particularités qui n'étaient qu'individuelles'. Le plus souvent le rostre est composé de deux cornes qui se terminent par deux pointes, l’une interne presque droite et longue, l’autre externe légèrement oblique en dehors et courte. Les bords latéro-antérieurs sont armés de six épines sub-

équidistantes et. très-fortes, en arrière desquelles existe une autre

4. Voyez pl. x, fig. 1.

CRUSTACES DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 233 épine plus faible, située sur la région branchiale postérieure. La cara- pace est couverte de granulations assez rapprochées, dont quelques- unes sont, sur les parties saillantes, plus grosses que les autres et res- semblent à de petites pointes; mais ces caractères ne se répètent pas exactement chez tous les individus, et j'ai été frappé des variations que j'ai vu exister à cet égard entre les individus. J'ai pu en étudier près de cinquante appartenant à des individus d'âge et de sexe diffé- rents, mais pris dans la même localité, et ce sont ces circonstances qui m'ont conduit à réunir sous un même nom spécifique tous les Crustacés indiqués plus haut dans la liste synonymique. Ainsi les mâles‘ sont en général plus plats et plus épineux que les femelles, les pattes antérieures sont aussi beaucoup plus longues chez les premiers que chez les seconds. Quelquefois chacune des cornes du rostre porte une petite épine supplémentaire, et il existe sur la carapace des pointes aiguës correspondant aux tubercules saillants que l'on rencontre d'or- dinaire dans cette espèce *. C’est un individu de cette variété et pro- venant de l'ile des Navigateurs que j'avais désigné précédemment sous le nom de Mithrax spinifrons. Les cornes rostrales sont parfois plus courtes, plus larges à leur base”, et j'ai vu de très-jeunes individus elles étaient simples. J'en ai également vu l'intervalle des tuber- cules saillants était entièrement lisse.

D'ordinaire les poils crochus qui couvrent le corps de ce Mithra- cide accrochent une foule de débris qui forment au-dessus du test une couche plus ou moins épaisse masquant tous les détails.

Le Schizophrys aspera paraît avoir une répartition géographique très-étendue, et suivant les localités il porte souvent des noms dif- férents.

La provenance des individus types qui ont servi à la description

A. Voyez pl. x, fig. 1. 2. Ibid., g. 1. 3. Ibid., fig et Af.

VIH.

23h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

de cette espèce est malheureusement inconnue, mais il est probable qu’ils viennent de la mer des Indes.

M. L. Rousseau a recueilli à Zanzibar et M. Grandidier a rap- porté de Madagascar (côte occidentale) de nombreux représentants de ce Crabe, sur lesquels on retrouve toutes les variations que j'ai signalées chez ceux de la Nouvelle-Calédonie. D’autres Schizophrys provenant de la côte de Malabar ont été envoyés au Muséum par M. Dussumier; nos collections en possèdent également du Japon, exactement semblables à ceux figurés par de Haan sous le nom de Dione affinis, et ne différant en rien des individus venant de la côte orientale d'Afrique ou de l'océan Pacifique. Enfin j'ai déjà dit que le Mithrax spinifrons (A Edw.) de l’île des Navigateurs ne devait pas être distingué du Schizophrys. aspera : tels sont les matériaux qui existent dans nos galeries, mais d’après les travaux de White, de Dana et de Stimpson, cette espèce se trouverait encore à Maurice, à Bor- néo et à l’île Ousima*.

Le Schizophrys aspera est généralement d’un brun violacé, tirant parfois sur le verdâtre.

Les plus grands individus que j'ai vus avaient les dimensions suivantes :

sn ne Mon Le ot 0 mèt. 070 Largeur depuis la pointe du rostre jusqu’au bord postérieur.. . . . . O0 056

4. Le Schizophrys serrata de White n’est qu’une variété peu épineuse du S. aspera. Le Mithrax affinis de M. Brito Capello provient de la collection cédée par M. Guérin-Méneville au musée de Lisbonne; il ne porte pas d'indication de provenance, mais il ne diffère pas sensi- blement du Schizophrys aspera.

CRUSTAGÉS DE LA NOUVELLE CALÉDONIE. 239

Genre CYCLOMAIHIA ({Stimpson).

Mirarax (restrictum ). Fee Proceedings of the Acai. of nat. sc. of Philadelphia, 1856, 16.

CycLax (partim). Hell, Crustaceen fauna des rothen Meeres. Sitzungsb. der Akad. d. Wissenchaft. Wien. 4861, p. 304. CYCLOMAIA. Stimpson, American Journ. of sciences and arts, janvier 1860.

Scmzopnys (partim). White. Ann. and Mag. of nat. hist., série, L II, 1848, p. 283.

Le genre Cyclomaia établit le passage entre les Mithracidés et les Micippidés; par la forme générale de leur corps, ces Crustacés se rap- prochent beaucoup des Cyclax de Dana, mais leurs pattes, au lieu d'être extrêmement grêles, présentent des proportions ordinaires. Ce genre ne comprend. jusqu’à présent que peu d'espèces. L'une", le Cyslomaia orbicularis de Stimpson, a été trouvée à l'ile Selio, dans le détroit Gaspard, par l’expédition américaine commandée par MM. Ringgold et Rodgers; la seconde a été décrite par M. Heller sous le nom de Cycla spinicinctus, mais je crois devoir la séparer des Cyclax pour la placer dans le genre Cyclomaïa ; cette dernière, dont l'existence a d'abord été signalée dans la mer Rouge, se trouve aussi dans l'archipel Samoa. Une troisième, signalée par White sous le nom de Schisophrys spini- gera, appartient, suivant toutes probabilités au genre Cyelomaia ; elle provient des Philippines. Enfin une nouvelle espèce se rencontre sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie‘; je la désignerai sous le nom de

Cyclomaia margaritata.

4. Le Muséum possède d’autres spécimens de cette espèce provenant des îles Sandwich et Viti.

236 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM,

2. CYCLOMAIA MARGARETATA.

Voyez pl, x, fig. 2 et 3,

Cette espèce atteint une assez grande taille. M. Balansa en a recueilli un mâle qui, les pattes étendues, mesure quinze centimètres ; il l’a trouvée au milieu des rochers toujours couverts par la mer.

Chez le mâle adulte’ la carapace est orbiculaire; sa largeur éga- lant sa longueur, elle est régulièrement bombée, à régions bien dis- tinctes et couvertes de gros tubercules perliformes et disposés réguliè- rement ; onencompte une vingtaine sur la région gastrique et de quinze à dix-huit sur les régions branchiales. Ceux de la région cardiaque sont au nombre de sept environ, mais un peu plus petits; dans l'inter- valle, le test est orné de granulations fines et nombreuses.

Le front est large, peu avancé, son extrémité ne dépassant pas Îles épines de l’article basilaire des antennes externes. Il est formé de deux pointes médianes courtes et obtuses, et des angles orbitaires internes qui sont élargis et obtus; sur la ligne médiane le front se prolonge en bas bien au-dessous de la cloison inter-antennulaire. Les orbites sont profondes; leur bord sourcilier est bifissuré, mais beaucoup moins profondément que chezles Schizophrys et les vrais Mithrax. Les bords latéraux sont armés de six dents courtes, grosses et très-gra- nuleuses (en comptant l’angle orbitaire extorne), la seconde hépa- tique est bifide, comme d’ordinaire dans ce genre. Le bord latéro-pos- térieur forme un arc de cercle, à grand rayon.

Les régions ptérygostomiennes sont granuleuses; l’article si laire des antennes externes est plus large que long et armé en avant de 3 épines courtes et mousses? ; les fossettes antennulaires sont très-

1. Voyez pl. x, fig. 2 2. Voyez pl. x, fig. 2%

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, 237

grandes. Le mérognathe ou troisième article des pattes-mâchoires externes est comparativement beaucoup plus élargi que le second ou ischiognathe, et présente une profonde échancrure à angle interne pour recevoir le quatrième article.

Les pattes antérieures sont assez renflées, la main lisse, à doigts béants, l’avant-bras et le bras sont couverts de granulations. Les pattes ambulatoires sont fortes ; leurs deux derniers articles sont lisses, mais la jambe et la cuisse portent des tubercules pointus rangés sur une ou deux lignes longitudinales. L’abdomen du mâle est court; le cinquième article est plus étroit que ses voisins et le septième est très-surbaissé.

Les jeunes de cette espèce‘ diffèrent tellement de l'adulte que si je n'avais pas eu sous les yeux tous les passages entre ces deux formes, je les aurais certainement considérées comme appartenant à un autre type spécifique. Leurs orbites sont plus larges; les régions branchiales sont moins renflées, aussi le corps est-il moins orbicu- laire ; les pointes rostrales sont triangulaires, beaucoup plus lamel- leuses, et relativement plus longues. Les gros tubercules de la cara- pace sont moins nombreux et les dents latérales moins grosses à leur base ; mais on voit ces caractères se modifier à mesure que la taille augmente. La couleur des Cyclomaias est d’un rouge brun marqué de taches jaunâtres sur la carapace et sur les pattes.

Largeur de la carapace du mâle adulte. . . . . . . . . . . . . . O0 mèt. 045 BONBMOOEs ce à se VS dt ee tete ont 0 041 Longueur de la main. , . . . . . . . . . . .: . . + . . a.fl 001,088 Largeur de la carapace du plus petit individu. . : . . + . + - . 0 01 Longueur, ce fier pe is. + ie M SR 0 01

4. Voyez pl. x, fig. 3.

238 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Genre MICIEP P A.

_Leach, Zoolog. Miscell., t. TX. Milne Edwards, Hist. nat. des Crustacés, 1834, t. I, p. 329.

3. MICIPPA THALEHA (Herbst.) Voy. pl. xt, fig. 1.

Cancer Tuazta. Herbst, Naturgesch. der Krabben und Krebse, pl. Lvi, fig. 3. —— Gerstaecker, Carcinologische beiträge. Archiv. für Naturgesch., 1851, p. 409. +

Cette espèce, fort rare dans les collections, a été figurée assez imparfaitement par Herbst; elle a ensuite été confondue avec d’autres représentants du même genre’, jusqu'à ce que M. Gerstaecker ait de nouveau fait connaître l'individu qui avait servi de type à Herbst; malheureusement il s’est borné à le décrire et ne l’a pas fait repré- senter.

M. E. Marie, sous-commissaire de la marine, a trouvé sur les côtes nord de la Nouvelle-Calédonie un de ces Micippes qui me paraît se rapporter à l'espèce de Herbst. Le front est long, très-déclive, formé de deux cornes rostrales réunies dans presque toute leur lon- gueur et divergentes vers leur extrémité ; la carapace est très-granu- leuse ; elle est bordée latéralement par des denticules espacés et peu saillants, si ce n’est en arrière des régions branchiales. Chez le Micippa Haanii (Stimpson) du Japon, le front présente à peu près la même forme, les pointes du bord latéral sont peu développées dans

1. De Haan a décrit, dans la Faune japonaise (p. 98, pl. xxin. fig. 2.), un Micippe qu'il croyait identique au Cancer Thalia de “Herbst, mais qui s’en distingue par plusieurs caractères importants. Aussi M. Stimpson lui a-t-il donné le nom de #. Haani. (Proceedings of the Acad. of nat. sc. of Philadelphia, 1856, sp. 10.)

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-GALÉDONIE. 239

toute la portion antérieure, mais la région gastrique et les régions branchiales postérieures portent chacune deux épines très-longues et très-pointues. Le Micippa aculeata, décrit par M. Bianconi dans son travail sur la faune de Mozambique, prend place dans la division des Micippes dont les cornes rostrales ne portent pas de dents sur leur bord externe, mais dont les bords latéraux sont garnis d’épines très- développées. Le Wicippa pusilla du même auteur west peut-être que le jeune de l'espèce précédente.

Le Micippa Thalia se tient dans les coraux à d'assez grandes pro-

fondeurs. Longueur de la carapace d’un mâle. . : . ,.. ... . . . .. 0 mèt. 0? Largeur maximum de la carapace. . . , . . . . . . . . . , 0, 0 06

4. MICIPPA PHILYRA (Herbst). Voyez pl. x1, fig. 2.

Cancer Pæicyra. Herbst, Naturgesch. der Krabben und Krebse, pl. Lvm, fig. 4. Micippa PuizyrA. Leach, Zool. Miscell., t. HE, pl. cxxvin. Desmarest, Consid. sur la classe des Crust., pl. xxu, fig. 2. Guérin, /conographie, pl. vin bis, fig. 4. Milne Edwards, Hist. nat. des Crust., t. 1, p. 330. _ Jouan, Notes sur quelques animaux observés à la Nouvelle-Calédonie, Mém. de la Suc. des sc. nat. de Cherbourg, t. IX, p. 38.

Le Micippa philyra paraît plus commun que le précédent, il s’en distingue très-facilement par la disposition du front, qui est beaucoup plus large, garni de chaque côté d'une petite dent latérale et qui se courbe en bas, de façon à former avec la carapace un angle tout à fait droit. Les orbites sont complétement cloisonnées en dessus et en dessous, de façon à ressembler à des tubes, dans lesquels sont logés les pédoncules oculaires. L'article basilaire des antennes externes est très-grand, très-granuleux et la tigelle mobile s’insère sur les

240 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

côtés du front, vers la moitié de la hauteur de sa portion lamelleuse.

Presque tous les individus de cetie espèce que j'ai pu observer présentaient avec ceux de la mer des Indes de petites différences, mais trop peu importantes pour en autoriser la séparation spécifique ; les bords latéraux de la carapace ne portaient que des granulations , on n’y voyait aucune épine, si ce n’est sur la région gastrique posté- rieure; tous les autres caractères étaient les mêmes, et d’ailleurs, sur une femelle de cette espèce rapportée de Sumatra par M. Martin j'ai constaté les mêmes particularités.

Le Micippa Philyra habite les mêmes récifs que le M. Thalia.

Longueur de la carapace d’une femelle. . . . . . «4. . . 4. 0 mèt. 022 ReISeuT MAXIMUM, 2 + + » +. » » + .OUIRIRT Cl MIE 0

5. MICIPPA SPATULIFRONS (Nov. sp.). Voy. pl. x1, fig. 3.

Cette espèce est de toutes celles du même genre la plus com- mune sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie, elle habite aussi les fonds de coraux. |

Le front est moins déclive, non-seulement que chez le #. Philyra, mais aussi que chez le #. Thalia; il forme un plan très-oblique et lamelleux, un peu resserré à sa base, au-dessous des orbites, il présente une échancrure pour l'insertion de la tigelle mobile de l’an- tenne externe, il ne tarde pas à se dilater sensiblement et se termine par quatre pointes, dont deux médianes dirigées en bas et deux latérales qui se portent en dehors.

Le bord orbitaire supérieur se prolonge peu de façon à laisser à découvert le pédoncule oculaire; en arrière il porte deux échancrures peu profondes, et son angle externe constitue une dent triangulaire et large à sa base. L'article basilaire des antennes externes est lisse et

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 241

se termine en dehors par un bord presque droit, dont les angles sont faiblement marqués; son bord inférieur et interne ne se joint qu'à sa base à la partie correspondante de la carapace; il existe un hiatus assez large, au-dessus duquel se trouve l'œil. L'épistome est séparé de la base de l’article basilaire de l'antenne par une fissure bien limitée.

La carapace est très-aplatie, fortement déprimée de chaque côté de la région gastrique; elle est couverte de granulations, mais dépour- vue de pointes ou d’épines. Les bords latéraux sont presque droits, car les régions branchiales se renflent peu ; ils sont garnis de tubercules aplatis ou de denticules irréguliers, et il existe une très-petite épine sur la région branchiale postérieure. En arrière le bouclier céphalo- thoracique est bordé de tubercules très-serrés.

Les pattes antérieures du mâle sont courtes et renflées; comme d'ordinaire dans ce genre} :les doigts ne’se touchent que par leur extrémité, et, dans leur portion béante, il n'existe pas de dents sail- lantes. La main chez le mâle est très-renflée. Les pattes ambulatoires sont courtes et ne présentent rien de remarquable à noter. L'abdo- men du mâle est très-petit, les différents articles en sont tous à peu près égaux. De même que chez les autres représentants du mème genre, le corps et les pattes portent des poils qui s’accrochent à tous les détritus que l’animal rencontre au milieu des rochers il vit. ob .: Cette espèce est d'un rouge brique, quelquefois violacé et mar- quée de taches plus claires. Par la forme de son front, elle se distingue immédiatement des Micippa Thalia (Herbst), Haanii (Stimpson), miliaris (Gerstaecker), aculeata et pusilla (Bianconi), qui tous n’ont que deux pointes rostrales. Chez le Micippa spinosa de Stimpson, qui provient de Port-Jackson, le front offre à peu près la même inclinaison, mais il présente de chaque côté une sorte de lobe arrondi bien différent des cornes latérales du #. spatulifrons. Chez le M. hirtipes de Dana,

VuL. 31

2h12 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

il y a chaque côté de la lame frontale deux dents courtes et trian- gulaires qui n’existent pas Chez notre espèce.

Le ‘Micippa spatulifrons ne paraît pas appartenir en propre à la faune la Nouvelle-Calédonie : Muséum en à reçu divers individus provenant de la mer Rouge et du cap de Bonné-Espérance.

1} i,engueur de la carapace d’un mâle très-adulte. : +... :- 0. mèt. 028 RM de un er Les es ss si: e . 0 022 Longueur de la carapace des individus idées ns 8 D ee OR bagemnirgate ditoe ZHBA9)HI 20100 894 29H + 0 —: M6

Genre CRIOGCARCINUS.

Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés; 1834; t. 1, p: 334.

G. CRIOCAROINUS SUPERCILIOSUS (Guérin). Voyez pl. xt, fig. 3

CANCER SUPERCILIOSUS. Herbst, Vaturg. der Krabben und Krebse, pl. x1v, fig. 89: Voyez aussi Seba, t. IL, pl. xvu, fig. 14. berge SUPERCILIOSUS. Guérin (Manuscrit dans la nr. pe Muséum). Milne Edwards, Op. cit., t. 1, p.3 Micippa sidi Gerstaecker, Carcinologische at —. Archiv. fur Natur- gesch., 1856, p. 109.

Ce Crustacé, très-singulier par ses formes, doit se placer immé- diatément après les Micippes et avant les Paramicippes et les Pseudo- micippes.

Ses caractères distinctifs semblent l'exagération de ceux du #i- cippa Thalia, et surtout du #. Philyra, maïs son aspect extérieur est Si singulier, ses orbites prolongées en forme de gouttières ouvertes en dessous et vers l'extrémité desquelles se trouvent des pédoncules oculaires très-longs et ne pouvant s’y reployer, les expansions spi- niformes du bord orbitaire et de la carapace sont tellement remar-

CRUSTACÉS, DE. LA. NOUVELLE-CALEDONIE. 243

quables,. qu'il est impossible de ne pas, le nan SNA des, Micippes. : 110)

Le Criocarcin.est connu, han ses pas: puisque. Fi a donné une figure, et Herbst l'a également, représenté mais, d'une manière {rop .imparfaite pour permettre d'en bien-apprécier les carac- téres; celte espèce est toujours restée très-rare : il en existait un exemplaire dans les collections du Muséum, mais sans indication de provenance, et ‘aucun auteur iMmoôdérne l'avait signalé et n'avait indiqué sa patrie. Dans, ces dernières années, nos collections se sont enrichies de deux individus en bon état de conservation, el provenant de la Nouvelle-Calédonie; lun est aw père’ Montrouzier, l'autre à M. Baudouin, capitaine d'infanterie de marine.

La profondeur à laquelle se trouve ce Crabe, les fonds rocheux il habite, son aspect pierreux et les nombreuses -corallines dont il se couvre PARAIEOES les difeuteés que Fon a sas se le PER

Longueur totale de la, PHARES depuis l'extrémité! du, rostre, du la. ps postérieure OURS, . Je Ge de Ur ID VS ue vi Det - mèêt. Largeur au niveau di gone! branchiälés. . . . . . ue Q— bal

Genre PFICROCEREUS. Alph. Milne Edwards, Ann. de la Société entomologique, série, t. V, 4865, p. 136.

Le genre Picrocerus doit se ranger à côté des Stenocinops, des Pises, des Criocarcins et des Tychés. 1 présente les longs pédoncules oculaires et les cornes rostrales très-développées des premiers, mais le bord sus-orbitaire, au lieu de donner naïssance à une épine fron- tale, S’avancé en forme de voûte au-dessus de l'œil. Le pédoncule oculaire, au lieu d'être enchâssé à sa base, est libre, et son articu- lation sur l’anneau ophthalmique étant reportée très en dehors, il peut se reployer contre la portion antérieure de la carapace. |

2h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

‘Les Picrocères se distinguent des Pises et des Tyches par la con- formation du bord sus-orbitaire, par la disposition des pédoncules oculaires ét par la conformation des pattes-mâchoires; ils ne peuvent confondre avéc les Criocarcins, car céux-ci sont nettement carac- térisés par leur front déclive et par leurs orbites presque tubulaires.

! )1#t

7. PICROCERUS ARMATUS.

Voyez pl. xin et pl. xu, fig. 2.

PICROCERUS ARMATUS,., À, Milne Edwards, op. cit., p.137. Le mâle. est figuré pl. 1. INaAca us ? Jouan. Animaux observés à la Nouvelle-Calédonie. Mém. de la Société des sc. nat. de Cherbourg, t. AX, p. 37. |

.Gette espèce, qui seule constitue le genre Picrocerus, n’a encore été signalée que sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie’, elle paraît fort rare; on la trouve sur les récifs madréporiques à une assez grande profondeur. M. Baudouin et M. Deplanche en avaient d’abord découvert plusieurs mâles ; depuis, M. E. Marie en a recueilli une femelle sur les rochers qui entourent l’île Chabrol ou Lifou.

La carapace est étroite en avant et pyriforme; les régions y sont bombées et portent des tubercules arrondis et très-clair-semés. Deux épines occupent la ligne médiane de la région gastrique : une paire de pointes analogues placées transversalement se voit sur le lobe cardiaque antérieur, une autre épine isolée sur le lobe cardiaque pos- térieur : chaque région branchiale est armée en arrière d’une pointe longue et cylindrique à côté de laquelle se remarquent deux ou trois tubercules spiniformes; enfin, en arrière, sur la ligne médiane, la carapace se termine par deux petites pointes. Les cornes frontales sont très-longues, aussi développées chez la femelle que chez le mâle

4. Le Musée britannique de Londres possède quelques Picrocères provenant des Nouvelles Hébrides.

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALEDONIE. 95

et légèremiént dirigées en bas; le bord orbitaire supérieur se prolonge béauéoup en déhors ét termine en arrière par une forte pointé: éntre lescornes frontales il existe une épine interanténnulaire dirigée en: bas et accompagnée de deux très-petites pointes latérales. : Les ‘bords Tatéraux sont garnis en arrière de l'angle orbitaire, d'une petite épine dirigée directement en déhors, puis de deux longues épines hépatiques à peu près égales, la première se portant en dehors et'én avant, la seconde en dehors. Deux épines plus Courtes et plus 'espacées se voient sur le bord branchial. ! ‘Varticle basilaire-des antennes externes est long et étroit‘; il porte une pointe de chaque côté de l'insertion de la tigélle mobile ; celle-ci prend son origine en dehors de l'orbite et se voit à découvert à la base des cornes rostrales. Le bord externe de l’article basilaire est si intimement soudé à la carapace qu'il est impossible de voir les traces de la séparation primordiale de ces parties. Les fossettes anten- nulaires sont très-grandes et les antennes internes s’y replient très-obliquement ; l’épistome est long et étroit. Les pattes-mâchoires externes sont remarquables par la forme de leur mérognathe dont l'angle interne et inférieur se prolonge en une pointe aiguë; l’angle antéro-supérieur étant terminé par une courte pointe au dessous de laquelle s’insère la tigelle mobile de ces appendices buccaux *.

Les pattes antérieures du mâle sont longues et un peu plus grosses que celles de la femelle ; la main est lisse, les doigts de la pince sont en contact dans touté leur longueur et à bords tranchants armés de très- fines denticulations. L’avant-bras est spinuleux et porte en dessus une pointe aiguë. Le bras est armé de trois épines acérées sur son bord postérieur et d’une quatrième au-dessus de l'articulation avec lavant- bras. Les pattes ambulatoires sont longues et lisses; leur dernier article est grêle et très-allongé.

1. Voyez pl. xu, fig. 2. 2. Ibid., fig. 2.

246 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. ,,

L'abdomen. du mâle est formé de sept.articles, libres/;le cin- quième est.le plus long de tous. Le troisième est 'armé.de, chaque côté d'une petite épine dirigée .en dehors. :L'abdomen de. la femelle est ovalaire et peu bombé. Son bourrelet médian, est, bien, marqué ; il présente aussi une série de bosselures latérales. Les premier, deuxième,

troisième et quatrième articles. sont petits ; le sipauiRipe est de beau- re le plus, long et le plus large. 44 «

La couleur de cette espèce: est, En rouge a sr a Mis se claires. Le corps.et. les ‘pattes, à l'exception. des mains; sont couverts. de, poils, crochus. peu épais. qui servent à fixer sur le FRERE de petits animaux et des débris sous-marins.

Longueur de la carapace (le rostre compris) d'un mâle adulte... . . 0 mèt. 430

Largeur au nivéau des régions branchiales. . .. . . . . . . . . 0 065 Largéur totale les ! pattes étendues. . 1 2120404100, 4 4 10e O0 833 Longueur de la carapace d’une femelle. .,. . : +. Éd A 0. —: 070;

Largeur au niveau des régions branchiales, . . . . . + + + . . . 0 030

Genre NACRE (Milne Edwards),

MicROPHRYS. Milne Edwards, Observations sur le squelette umentarre des Crustacés décapodes, Annales des sciences naturelles ; de teg 3e série, 4854, t. XVI, p. 251, pl. u, fig. 1 et 2

MicNia. Stimpson, Notes on north american LEE 2, Annals of the cts of natural history in New-York, t. var, 4860:

PenicerA (partim). Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés, t, 1, p. 334.

Pisa (partim). Milne Edwards, 0p. cit., t. I, p. 308

_ Beil, Trans. zool. Soc., t. IE, p. 50, pl. 1x, fig. 6.

Ce genre, dont l'établissement a été proposé en 1851 par M. Milne Edwards, correspond exactement à la division des Wilnia de M. Stimp-

4. Voyez pl. xu, fig. 2b. 2. Ibid., fig. 2°.

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 2h47 son‘; il renferme plusieurs Crustacés rangés précédemment soit parmi les Pericères, soit parmi les Pises et chez lesquels les orbités Sont in complétement tubulaires, le rostre formé de deux cornes pointues, la tigelle mobile dés antennes externes insérée en dehors de l'orbite et à découvert sur les côtés du front. L'article basilairé ést asséz large, à dent latéro-antérieure bien développée, à bord externe se soudant au bord sous-orbitaire, de façon à fermer complétement l'orbite en dessous. L’abdomen de la femelle est Se 506 de $sépt articles dis- tincts; genre a pour types :

Microphrys Weddellii (M. Edwards) des côtes du Pérou ; 2% Le M. bicornutus Pericera bicornuta (Latreille) et comprend en outre les espèces suivantes : Microphrys aculeatus. Pisa aculeata (Bell). Milnia aculeata (Stimp- son) ; Microphrys platisoma, Milnia platisoma (Stimpson) ; 25° Microphrys Styx (Herbst). Pisa Styx (Latreille).

S. MICROPHRYS STYX. Voyez pl. x1, fig. à.

Cancer Srrx. Herbst, Naturg. der Krabben und Krebse, pl. Lvim, fig. 6.

Pisa STYx. Latreille, Encyclopédie méthod.; t: x, p. 141. Milne Edwards, Hist. natur. des Crust., t. I, p. 308.

Maiznia Sryx. Stimpson, Notes on north american Crustacea, 2, Ann. of the Lyceum of nat. hist. in New-York, t. VIT, avril 4860.

Cette espèce se trouve en grand nombre sur les côtes de la Nou- velle-Calédonie. Elle a été anciennement figurée par Herbst d'une manière si imparfaite que je crois utile de la faire représenter de nouveau ici et d'indiquer quelques-uns de ses caractères les plus

1. Le nom de Milnia a déjà été employé par J. Haime pour désigner un Échinoïde.

248 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

saillants. La carapace est peu élargie en arrière, ce qui lui donne

un aspect différent du, H. bicornutus et surtout du #. Weddelli; les | régions y, sont bien marquées et couvertes de mamelons arrondis disposés régulièrement. Le front est formé, de deux pointes réunies à leur base, pointues à leur extrémité qui se contourne légèrement.en dedans. Une pointe sus-orbitaire se voit de chaque côté du rostre et se dirige en haut et en avant; c’est à peine si l’on voit.les traces des deux fissures qui dans le genre Pisa découpentle bord orbitaire supérieur. Le plancher de la cavité destinée à loger l'œil est formé par l'article basilaire de l'antenne externe qui, sans être aussi large que chez le Microphrys bicornutus, n’est pas séparé de l’angle orbitaire inférieur de la carapace par un hiatus comme chez les Pises. L'angle antérieur de cet article basilaire se prolonge sous forme d’épine en dehors de la tigelle mobile *.

Les pattes antérieures sont courtes et chez le mâle les mors de la pince ne se touchent que par leur extrémité. Les pattes ambulatoires sont trapues, noueuses, garnies sur les premiers articles de dents spiniformes et terminées par des ongles extrêmement crochus.

La couleur de ce crabe est d’un rouge violacé maculé de jaune, mais ces couleurs sont masquées par les débris dont sont toujours cou- vertes la carapace et les pattes.

La répartition géographique du Micophrys Styx. s'étend depuis la mer Rouge jusqu'aux îles de l'Océanie.

Longueur de la carapace d’un grand individu. . 4, 4, . « .1:4 à 0 mèt. 023 Largeur bi ET TURN 78 UT ON UN Ce Die RU TT PA NT Du Ge ie Jen, Do œ + ee. + 0 cit 025

4: Voyez pl: x, fig. 4°.

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, 249°

Genre HYASTENUS.

HYAsTENUS. White, Description of new Crustacea from the eastern seas. Procee: dings of the zoological Society, 1847, p. 56. NaxiA {partim). De Haan, Fauna japonica; Crust., p. 96.

Gerstaecker, Archiv. fur Naturgesch., 1856, p. 444. CHORINUS (partim). Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés, t. 1, p. 315. - Adams et White. Voyage of Samarang. Crust., p. 13.

Pisa (partim). Adams et White, op. cit., p. 9.

En 1847, M. White forma le genre Æyastenus pour recevoir un Crustacé figuré par Seba et remarquable par la longueur de ses cornes rostrales et par plusieurs autres particularités importantes, et il le désigna sous le nom de Æ. Sebæ. Je crois utile de réunir à cette espèce un certain nombre d’autres Oxyrhinques qui ont été rangés par les zoologistes dans des genres très-différents, mais qui se rap- prochent par un grand nombre de caractères communs, et d'étendre dans ce but les limites du genre Æyastenus.

Cette petite division, très-rapprochée des Pises, des Naxies et des Chorines, se distingue : par la forme de ses bords sourciliers qui ne se prolongent pas en cornes latéro-frontales, par l'insertion de la tigelle des antennes externes qui se fait sous le rostre, par la dispo- sition de son front divisé en deux cornes plus ou moins longues, par ses orbites à bord externe bien constitué, par ses pattes ambulatoires en général grêles dont les premières dépassent de beau- coup les autres, par la soudure des quatrième, cinquième etsixième anneaux de l'abdomen de la femelle.

Ainsi caractérisé le genre Hyastenus devra comprendre les espèces suivantes :

4, HyASTENUS SEBE. Cancer araneus, cornutus alter. Seba, Thes., t. Il, pl. xvin, fig. 42, 1758.— Hyastenus Sebæ, White, op. cit., p. 517.— Ann. and Mag. of nat. hist., t. XX, p. 61, 1847.— Voyage of the Samarang. Crust., p. 11, 1848. VII. 32

250 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM:

2, HYASTENUS PLEIONE. Cancer Pleione. Herbst, Naturgeschichte der Krabben und Krebse, 249, pl. zviu, fig 6. Naxia Pleione. Ger- staecker, Carcinologische Beiträge. Archiv. fur Natur- gesch., 1856, p. 114.

3, HYASTENUS DICANTHUS. : Naxia AN De Haan, Fauna japonica; Crust., p. 96, pl. xx1v,

&. HYASTENUS ARIES. Pisa Aries. hs Encyclopédie méth., t. X, p. 140. Chorinus Aries. Milne Edwards, Hist. nat. des Crust. . HYASTENUS VERRUCOSIPES (?). Chorinus verrucosipes. Adams et White. Samarang. Crust., | p- 13, pl. n, fig. 3.

6, HYASTENUS PLANASIUS. Pisa planasia. Adams et White, op. eit., p. 9, pl. u, fig. 4et5

7. HYASTENUS VERREAUXII. À. Milne Edwards. Collection du Muséum. Espèce très-voisine de l'H. dicanthus, mais ayant les régions hépatiques moins développées, l'angle orbitaire interne moins saillant et les cornes frontales plus longues et plus droites. De la Nouvelle- Hollande.

8. HYASTENUS SPINOSUS, À. Milne Edwards. Collection du Muséum. Espèce voisine de

la précédente, mais caractérisée par deux épines médianes

sur la région gastrique et une épine en arrière de la cara-

pace. De l'archipel Viti et de Mozambique.

ot

=

A ces huit espèces vient s’en ajouter une autre qui fait partie de la faune de la Nouvelle-Calédonie et dont je donne ici les caractères.

9. HYASTENUS ORYX (Vo0. sp... Voyez pl. xiv, fig. 4.

Cette espèce doit se placer à côté de l’Hyastenus Sebæ (White) avec laquelle elle présente une grande analogie de formes et de propor- tions. La carapace est peu élargie, légèrement pyriforme et renflée en dessus. Le front est constitué par deux cornes longues, grêles, pointues à leur extrémité, plus écartées à leur base que chez l'A. Sebæ, et qui s’avancent en divergeant un peu. L’orbite est grande, et en dessus son bord présente une fissure large, mais peu profonde, qui limite en avant l’angle ou plutôt la dent orbitaire externe.

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 251

La région gastrique est bombée et porte des tubercules assez gros et disposés régulièrement ; il en existe trois sur la ligne médiane, puis deux paires en arrière, Enfin on en voit quatre moins distincts de chaque côté. La région cardiaque antérieure très-saillante porte aussi de nombreux tubercules; la région cardiaque postérieure est armée d’une épine médiane qui se dirige en arrière, au-dessus du bord postérieur. Les régions branchiales sont aussi très-tubercu- leuses et sont garnies en arrière d'une épine dirigée en dehors. Ces trois épines qui se voient sur la portion postérieure de la carapace manquent chez le Hyastenus Sebæ, on ne remarque que quelques tubercules.

L'article basilaire des antennes s’élargit notablement en dehors et son angle antéro-externe se prolonge en une petite pointe". L'épis- tome est très-long et le cadre buccal s’élargit beaucoup en avant; aussi le mérognathe est-il très-dilaté à son angle antéro-externe.

Les pinces sont très-grêles, même chez le mâle; les pattes ambu- latoires présentent la même particularité, et celles de la première paire dépassent de beaucoup les autres.

L’abdomen du mâle est étroit et comme enchâssé dans le plas- tron sternal?. Il s’amincit régulièrement vers son extrémité; son septième article est long et en forme de languette. L’abdomen de la femelle est au contraire très-élargi et très-bombé*.

Le corps et les pattes sont couverts de poils brunâtres trop courts | et trop peu serrés pour cacher les tubercules de la carapace; si on les enlève, on voit que le test est d’une couleur jaune marquée de taches d’un rouge vif.

Longueur depuis la base du rostre jusqu'au bord postérieur de la carapace. 0,012 Largeur de la carapaee. . . . . . . : - . « - + « . + FE Le ME 0,008

4. Voyez pl. xiv, fig. 4*. 2. Ibid., fig. 4°. 3. Ibid., fig. 4.

252 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

L'Hyastenus Oryx est facile à distinguer de l'A. Sebæ par les cornes frontales plus écartées, l’article basilaire des antennes plus large et à épine antérieure et les trois épines qui arment en arrière la carapace. LA. Oryx n’a été trouvé que sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie. L'H. Sebæ vient des mers des Philippines et de la

Cochinchine.

Genre MENÆTIUS,

Milne Edwards, Histoire naturelle des Crust., 1834, t. I, p. 338.

10. MEN ÆTIUS MONOCEROS.

Pisa moxoceros. Latreille, Encyclopédie, t. X, p. 139.

J'ai pu examiner un très-grand nombre d'individus de cette espèce provenant soit des côtes de la Nouvelle-Calédonie, soit de la mer Rouge, soit de celles de la mer des Indes, et j'ai reconnu qu'elle variait beaucoup, non-seulement suivant les sexes, mais aussi suivant les individus. Les femelles sont toujours plus bombées et plus bosse- lées que les mâles; mais indépendamment de ces différences, qui sont constantes, on peut facilement remarquer que la pointe frontale est plus ou moins longue, plus ou moins élargie; que les découpures du bord latéral, tantôt très-marquées, tendent ailleurs à s’effacer; que les tubercules de la carapace sont parfois très-saillants, tandis qu'ils manquent presque complétement chez d’autres individus. Ces carac- tères différentiels ne semblent avoir aucune constance; et si on suivait l'exemple donné par plusieurs zoologistes, on en arriverait à distin- guer presque autant d'espèces que l’on a d'individus sous les yeux ; aussi, après avoir attentivement comparé des séries considérables d'exemplaires de cette espèce, provenant, soit de la même localité,

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, 253

soit de localités différentes, je suis arrivé à cette conclusion que l'on doit réunir au Menœtius monoceros les espèces suivantes :

MeNærius XyPHiAs. Pisa Xyphias. Latreille, Encyclopédie méthodique, t. X, p. 140. De l'île Maurice (?).

M. ARABICUS. Inachus arabicus. Ruppell, Krabben des rothen Meeres, p. 284, pl. v, fig. 4. De la mer Rouge. M. PORCELLUS. White, Ann. and Mag. of nat. hist., série, t. IT, p. 284, 4848. De l'ile Maurice. M. SUBSERRATUS. Adams et White. Voyage of Samarang. Crust., p. 48, pl. 1v, fig. 4 et 2

Dana, Expl. Exped., Crust., t. 1, p. 122, pl. 1v, fig. 7. Des îles Philip- pines, Viti et Samoa.

M. INORNATUS. Dana, op. cit., p. 125, pl. v, fig. 3. Des îles Hawaï. M. AREOLATUS. + Dana, 0p. cit., p. 124, pl. v, fig. 2. Des îles Soolo. M. ANGUSTUS. Dana, op. cil., p. 120, pl. 1v, fig. 5. Localité douteuse, M. TUBERCULATUS. Adams et White, Samarang Crust., p. 49. Dana, op. cit., p. 493, pl. v, fig. 4. De l’ile Paumotu. M. DEPRESSUS. Dana, op. cit., p.124, pl. 1v, fig. 6. Des îles Loo-Choo. M. ruGosus. A. Milne Edwards, Notes sur l’île de la Réunion par Maillard, Crustacés, p. 7, pl. xvui, fig. 2, M. DENTATUS. Stimpson, Proceedings Acad. nat. sc. of Philadelphia, 1856, sp.

28. Des îles Amakirrima.

Genre XENOCARCINUS.

White, Appendix lo Jukes’'s voyage of H. M. S. Fly. Proceedings of the zoological Society, 4847, p. 419.

11. XENOCARCINUS TUBERCULATUS. Voyez pl. xur, fig. 4.

White, op. cit. Hess, Beiträge zur Kenntniss der decapoden Krebse ost Australien, 1865, p. 5.

Cette espèce, très-remarquable par la singularité de ses formes, varie au moins autant que le Menœtius monoceros. Toute la carapace

254 : NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

est fortement bosselée et porte latéralement des tubercules saillants ‘; tantôt, au contraire, elle est presque lisse?. Le rostre, chez les mâles et surtout chez les vieux individus, est long et assez grêle *; chez les jeunes, il est au contraire très-large et très-court*, et si l’on n'avait à sa disposition qu'un petit nombre d'individus, on serait conduit à multiplier beaucoup les espèces. J'ai examiné tous les exemplaires que possède le Musée britannique, à Londres, et ceux du Muséum de Paris, et j'ai pu suivre toutes les transitions qui rattachent l’une à l’autre les formes extrêmes.

Le Xenocarcinus tuberculatus n’a jusqu’à présent jamais été figuré, il devait être représenté dans la description des Crustacés recueillis pendant l'expédition du capitaine Ross dans l’Hémisphère austral, mais ce travail commencé n’a jamais été achevé.

Les premiers exemplaires connus de cette espèce venaient du groupe de Cumberland, en Australie; depuis, nos collections se sont enrichies de plusieurs ÆXenocarcinus trouvés aux îles Viti et à l’île Chabrol ou Lifou, appartenant au groupe des îles Loyalty.

La couleur de la carapace et des pattes est rougeâtre maculée

de jaune. Lonpupur.tolule : du COrDR.. nue ai nie es js. 0 mèt. 048

taper oi mes. Li .%.- 5 1,10 SANS 7 00) +... 06 007

Genre CAMPOSCIA.

Latreille, Régne animal de Cuvier, édition, t. IV, p. 60 (1829). Milne Edwards, Hist. naturelle des Crust., t. 1, p. 282. De Haan, Fauna japonica Crust., p. 87.

1. Voyez pl. xu, fig. 1. 2. 1bid., fig. 16. 3. 1bid., fig. 4°. &. Ibid., fig. 16.

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 255

12. CAMPOSCIA RETUSA.

Latreille, op. cit., p. 60.

Milne Edwards, op. cit., p. 283, pl. xv, fig. 45 et 16.

Guérin, /conographie. Crust., pl. 1x, fig. 4.

Milne Edwards, Atlas du régie animal de Cuvier. Crust., pl. xxxnr, fig. 1. Stimpson, Proceedings Acad. nat. sc. of Philadelphia, 1856, sp., 47. Blecker, Décapodes oxyrhinques de l'archipel indien, 1856, p. 5.

La Camposcia retusa est assez abondante sur les côtes rocheuses de la Nouvelle-Calédonie, mais grâce aux poils qui couvrent tout son corps et qui accrochent des spongiaires et une foule de débris, elle se dérobe facilement aux recherches. Le Muséum en a reçu plusieurs exem- plaires provenant de cette région, par les soins du Père Montrouzier et de M. E, Marie. Nos collections en possèdent d’autres trouvés dans les mers de l'Inde par M. Lamarre-Picot, à l’île de la Réunion, par le docteur Coquerel, à Zanzibar, par M. L. Rousseau et à Djedda par Botta. M. Blecker signale également cette espèce dans l'archipel indien, et M. Stimpson l’a recueilli à l’île Ousima.

Genre PARTHENOPE. Fabricius, Suppl. Entom. syst., p. 352. Latreille, Règne animal, 1re édition, t. III, p. 23. Milne Edwards, Hist. des Crust., t. I, p. 359.

13. PARTHENOPE HORRIDA.

CANCER HORRIDUS. Linné, Mus. Lud. Ulr., p. 442, et Systema naturæ, 1% édition, t. I, p. 4047, 4767. CANCER SPINOSUS. Rumphius, Rariteit Kamer, 1705, pl. 1x,

_ ba, t. HE, pl. xx, fig. 2 PARTHENOPE HORRIDA, Fabricius, op. cit. _ Latreille, Encyclop., t. X, p. 44, pl. ccLxxix, fig. 3 | copiée d’après Seba); pl. cezxxx, fig. 2 (copiée d’après Rumphius).

256 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

PARTHENOPE HORRIDA. Leach, Zool. Miscell., t. If, pl. xcvur, Desmarest, Consid. sur la cl. des Crust., pl. xx, fig. 4. Guérin, /conographie. Crust., pl. vu, fig. 2. _ Milne Edwards, Règne animal. Crust., pl. xxvi, fig. 2.

Cette espèce paraît rare sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie ; je n’en ai vu qu'un seul exemplaire rapporté par M. de Planche en 1863. Il ne différait en rien de ceux qui se trouvent dans l'océan Indien et à l’île Maurice.

Genre CERATOCARCINUS.

CERATOCARCINUS. White, Description of new Crustacea from the Eastern Seas. Proceedings zool. Soc., 1847, p. 56. Ann. and Mag. of nat. hist., t. xx, p. 62. Dana, United States exploring Expedition, 1852, t. I, p. 439. HARROVIA. Adams et White. Voyage of Samarang. Grust., p. 55.

14. CERATOCARCINUS DILATATUS. (Nov. 5p.).

Voyez pl. xiv, fig. 2.

Cette espèce se distingue facilement du Ceratocarcinus longimanus de White par la forme beaucoup plus élargie de la carapace; sa forme est d’ailleurs à peu près la même. Le front est large et se com- pose de deux cornes obtuses chez les individus adultes, aiguës et légèrement divergentes chez les jeunes. Latéralement la carapace se dilate et forme de chaque côté une pointe dirigée en dehors, et beau- coup plus forte que dans l’espèce de White. Le dessus du corps est mamelonné, les bosselures qui le couvrent sont ornées de granu- lations confluentes, tandis que, dans l'intervalle, le test est lisse. Le long des bords latéro-antérieurs, il existe une série de bosselures granuleuses nettement limitées en dedans. L’épine latérale est par- courue en dessus par un fsillon profond et bien marqué. La région gastrique est occupée par deux gros tubercules granuleux, en arrière

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 267 :

desquels on en remarque deux autres ; une seconde paire de mamelons analogues occupe la région cardiaque; enfin, sur chacun des lobes branchiaux moyens, on remarque un tubercule. Ces bosselures gra- nulées manquent sur le Cératocarcin à longues mains.

Entre les deux cornes rostrales, le front s'abaisse et limite en avant les fossettes antennulaires, qui sont disposées presque transver- salement'. L'article basilaire des antennes externes est large, et la tigelle mobile s’insère sous la corne rostrale, qui présente en dessous un sillon destiné à la recevoir. Les orbites sont petites et les pédon- cules oculaires peu mobiles;

Les pattes de la première paire sont longues, le bras débordant de près des deux tiers de sa longueur le bord de la carapace. Elles sont granuleuses et marquées de sillons longitudinaux. Les pattes ambulatoires sont beaucoup plus grèêles que chez le Ceratocarcinus lon- gimanus, et la cuisse est garnie de quelques granulations.

Le corps est d’un jaune rosé, sur lequel tranchent vivement des bandes d’un rouge vif. Sur les pattes on remarque une ornementation analogue. Cette vivacité des couleurs et cette teinte rouge se retrouve avec de légères variations dans toutes les espèces de ce genre; ainsi, chez le Ceratocarcinus longimanus, le fond de la carapace est rouge de sang avec cinq lignes transversales plus claires. Chez le C. speciosus, découvert par Dana dans l'archipel Viti, des bandes carminées figurant deux arcs dont les cordes seraient l’une vis-à-vis de l’autre sont disposées transversalement sur la carapace. Chez le C. albolineatus (Stimpson) * il existe également des bandes rouges et blanchâtres.

Le C. dilatatus est très-rare à la Nouvelle-Calédonie ; on ne peut

se le procurer qu’au moyen de dragages; l’un des exemplaires que

4. Voyez pl. xiv, fig. 2,

2. Cette espèce avait été rangée. par erreur dans la division des Leucosiens par Adams et White; mais depuis M. Stimpson lui a rendu sa véritable place zoologique. (Voyez Proceed. Acad. of nat. sc. of Philadelphia, 1856, sp. 39.)

VIIL, : 33

NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

258 possède le Muséum a été découvert par M. Baudouin; l’autre par

M. E. Marie. Longueur de la carapace {le rostre compris). . . : + + 0 mèt, 010 Largeur à partir de l'extrémité des pointes latérales. . . . . . . : 0 042

Genre LAMBRUS.

Leach., Trans. of the Linn. Soc., t. IL, p. 310. Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés, t. 1, p. 352 De Haan, Fauna japonica. Crustacea, p. 81.

15. LAMBRUS HOPLONOTUS.

Adams et White. Voyage of Samarang. Crust., p. 35, pl. vu, fig. 3

Cette espèce est très-rare dans les collections et le seul exem- plaire qui a servi de type à la description de White et qui existe au Musée britannique ne porte aucune indication précise de localité

M. Baudouin en a découvertune autre sur les côtes de la Nouvelle- Calédonie, dans les coraux à une certaine profondeur; il est un peu plus petit que celui qui a été figuré dans la partie zoologique du Voyage

du Samarang, mais il présente les mêmes caractères :

0, mèt. M2 0 016

Longueur de la carapace. . . . . « . . . . - . + . . Largeur à partir de la pointe ds ne latérales

CURE TR ee Don

16. LA MBRUS SCULPTUS (700. 59.) Voy. pl. xiv, fig. 3 Cette espèce n’atteint jamais une taille considérable; elle vit au

milieu des coraux du récif de Tio, M. Balansa en a recueilli plu- sieurs exemplaires pêchés à dix mètres environ de profondeur.

CRUSTACÉS. DE. LA NOUVELLÉ-CALÉDONIE. 259

La carapace est triangulaire et dilatée en arrière; le front lamel- leux et très-avancé est aussi légèrement déclive et s’amineit graduel- lement vers son extrémité, qui est arrondie. Les régions sont bombées; un profond sillon longitudinal sépare les régions gastrique et cardiaque des portions latérales. Sur chacune d'elles existent des tubercules granuleux et comme framboisés. Les bords latéraux sont tuberculeux, mais ne portent ni dents ni pointes; ils sont terminés en arrière par une épine aiguë qui se dirige en dehors et légèrement en arrière. Un peu en dedans de cette épine il en existe une autre près d'un quart plus petite. Enfin le bord postérieur porte deux lignes transversales de tubercules.

Les pattes antérieures sont longues, surtout chez le mâle ; la main aplatie en dessus est armée sur son bord externe d’une série de cinq grandes dents entre lesquelles existent d'ordinaire des tubercules plus ou moins saillants, le bord interne est serratiforme; entre ces deux bords, la face supérieure porte quelques tubercules framboisés. La face externe est parcourue longitudinalement par une ligne de granu- lations; les doigts de la pince, très-fortement courbés en bas, sont noirs à leur extrémité. L’avant-bras et le bras sont aussi armés de dents et de tubercules. Les pattes ambulatoires sont grèles et lisses.

L'épistome est comme sculpté; il est creusé sur la ligne médiane d’une fossette profonde’. On remarque sur les régions ptérygosto- miennes, en dehors du cadre buccal, un sillon en forme de gouttière à parois parfaitement lisses, tandis que les parties voisines Sont très- granuleuses. Ce sillon s'étend depuis l'ouverture afférente des bran- chies jusqu’à la base de l'orbite; il est transformé en un tube par une sorte de plancher constitué par des poils longs et serrés qui s’in- sérent sur le bord de la patte-mâchoire externe. Lorsque les pinces

sont repliées contre la carapace, on voit à la base des doigts une

4. Voy. pl. xiv, fig. 8°.

260 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

dépression correspondant à ce sillon. Il en résulte que lorsque l’ani- mal est enfoui dans le sable et que l'extrémité du corps seule paraît au dehors, l’eau peut facilement entrer par cette ouverture dans la chambre branchiale. Une disposition analogue se remarque chez le Lambrus crenulatus (de Saussure) et chez quelques autres espèces dont M. Stimpson a formé une petite division sous le nom de Platy- lambrus *. |

Ce petit Lambre ressemble au L. dicanthus de de Haan, mais son front est plus long, plus déclive, ses épines latérales plus longues et dirigées plus en arrière; enfin les ornements du bord postérieur sont différents. Son front très-avancé le distingue de l'espèce précé- dente chez laquelle on retrouve la gouttière ptérygostomienne pour l'entrée de l'eau dans la chambre branchiale.

Le Lambrus carenatus ne peut être confondu avec notre petite espèce, à cause de la forme en losange de sa carapace et des épines acérées qui en arment le bord postérieur *.

Le corps et les pattes sont d’un rouge brun maculé de jaunâtre. Mais ces couleurs disparaissent sous les poils gris qui couvrent la

carapace. Longueur de la carapace. ... . , . ,.. , . de ts 0 MR DE Longueur mesurée depuis l'extrémité des épines Lisraie Sue rs 0. = 041

4. Stimpson, Preliminary report on the Crustacea dredged in the quif stream (Bulletin of the Museum of comparative zoology of Cambridge, t. WE, p. 109).

2, Le Lambre rapporté par Adams êt White au L. carenatus (Milne Edwards), et décrit et figuré dans la partie zoologique du voyage du Samarang (page 27, pl. v, fig. 3), est bien dif- férent de cette espèce; je proposerai de le désigner sous le nom de L. Whites. Quant au Lam- brus Jourdainii (voyez F. de Brito Capello, Journ. de sc. math. phys. et nat. de Lisbonne, 4871, p. 8, pl. ur, fig. 6), il me paraît devoir être identifié au véritable L. carenatus (Milne Edwards).

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE.

17 LAMBRUS AFFINIS (nov. 5p.).

Voyez pl. x1v, fig. 4.

Cette espèce est beaucoup plus abondante que les deux précé- dentes; on la trouve aussi au milieu des coraux, à la Nouvelle-Calé- donie et à l’île des Pins.

La carapace est étroite et très-bombée; le front est large, lamel- leux, triangulaire, déprimé sur la ligne médiane ‘. Le bord orbitaire est interrompu par une fissure étroite. Les régions gastrique, car- diaque et branchiale sont garnies de tubercules en forme de mamelons qui manquent dans les parties déprimées de la carapace. La portion frontale et les régions hépatiques sont lisses. Les sillons branchio- gastriques et branchio-cardiaques sont très-profonds. Les ‘régions hépatiques sont nettement limitées en arrière par un sillon qui les sépare des régions branchiales; leur bord latéral est à peine ondulé, tandis que sur le bord des régions branchiales il existe une sorte de feston formé par environ six dents ou plutôt par six tubercules apla- tis et très-rapprochés; sur le bord postérieur il n'y a ni dents ni épines.

L'article basilaire des antennes, l’épistome et les pattes-mâchoires externes sont lisses *. On n’observe aucune trace du canal extérieur afférent de la chambre branchiale qui existe sur les côtés du cadre buccal chez le Lambrus sculptus et chez le L. hoplonotus.

Les pattes antérieures du mâle sont très-longues; chez la femelle elles sont un peu plus courtes, mais encore bien développées. L'une d'elles est un plus forte que l’autre. La main, en forme de prisme triangulaire dont une des faces serait tournée en haut, porte sur

1. Voyez pl. xiv, fig. 4». 2. Ibid., fig. 4°.

262 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

ses bords des tubercules arrondis qui chez les grands individus tendent à devenir dentiformes, mais ne s'élèvent jamais beaucoup. Entre ces crêtes la surface des mains est généralement lisse. L’avant-bras est parcouru par deux ou trois bourrelets saillants légèrement rugueux. Le bras est garni en arrière, en dessous et sur son bord antérieur, de séries de tubercules semblables à ceux que l’on observe sur les mains. Les pattes ambulatoires sont longues, très-grêles et entière- ment lisses.

L'abdomen du mâle est étroit en avant, son sixième article est armé d’une pointe spiniforme près de son bord postérieur ‘. L'abdo- men de la femelle est lisse, Le corps et les pattes sont d’un brun rouge marbré de jaune et presque entièrement glabres. Il n'existe que quelques petits bouquets de poils très-fins sur les gros tuber- cules de la carapace et des pinces.

Cette espèce doit se placer à côté du ZLambrus gracihs (Dana), du L. turriger (Adams et White) et du L. lamellifrons (Adams et White). Elle se distingue facilement des deux premiers par l'absence de pointes

sur le bord postérieur du bouclier céphalo-thoracique et du dernier | par sa carapace plus élargie au niveau des régions hépatiques, par son front moins avancé, par ses pattes antérieures dépourvues de grandes dents serratulées et par ses pattes ambulatoires plus longues et plus grêles.

Le Lambrus afjinis n’est pas spécial à la faune de la Nouvelle-Ca- lédonie. Le Muséum en possède plusieurs exemplaires rapportés des Seychelles par M. L. Rousseau, de Cochinchine et de l'île Poulo-Con- dore par M. R. Germain.

Lagauenr de lp -Carapargs ee re ess tte ee + N 0,026 PR ee ds so . a se + : 0m,028 Déhcebifiée Mai io. JIS ENS 29OSL 29) .onu 4 . 0,038 Longueur de la portion du bras dépassant la carapace. . . . . . 0,027

4. Voyez pl. xiv, fig. 4°.

CRUSTACES DE LA NOUVELLE-CALEDONIE, 263

Genre ŒTHR A.

Leach. Zool. miscell.

Lamarck, Histoire des animaux sans vertèbres, t. V, p. 624. Latreille, Règne animal, édition, t. IV, p. 24.

Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés, t. 1, p. 370. De Haan, Fauna japonica. Crust., p. 81.

18. ŒTHRA SCRUPFOSA.

"CANCER scruposus. Linné, Wus. Lud. Ulr., p. 450. CancER PoLyNoME. Herbst, Naturg. der Krabben und Krebse, pl. Lu, fig. 4 et 5. ŒrurA DEeprEessA. Lamarck, op. cit., t. V, p. 265. _ Desmarest, p. 110, pl. x, fig. 2. Œrara scruposa. Milne Edwards, Hist. nat. des Crust., t. 1, p. 3714, et Atlas du Règne animal de Cuvier. Crustacés, pl. xxxvIm, fig. 2.

Le genre Œthra constitue à lui seul le groupe des Cancériens cryp- topodes de M. Milne Edwards. Au contraire, pour de Haan, M. Stimp- son et M. Smith, il devrait rentrer dans la division des Oxyrhinques ; d’après l'examen que j'ai fait des caractères de l'Œthra seruposa, je suis disposé à partager cette manière de voir, tout en reconnaissant les analogies étroites qui existent entre cette espèce et certains Can- cériens, et, ainsi que l’a fait remarquer l’auteur de l'Histoire naturelle des Crustacés, on peut dire que ce genre établit le passage entre les Oxyrhinques (et particulièrement les Parthénopiens) et les Cyclome- topes.

L'Œthra séruposa, qui pendant longtemps a été la seule espèce connue du genre‘, se trouve dans toutes les mers de l'Inde; on l'a

41. Récemment M. Smith en a fait connaître une autre espèce, l'Œthra scutata, provenant de la Californie inférieure (American journ. of‘sc. and arts, et Ann. and Mag. of nat. hist., t. IV, p. 230).

26/4 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

rencontrée depuis l’île de la Réunion jusque sur les côtes de la Nou- velle-Calédonie, le Père Montrouzier, M. E. Marie et M. Balansa en ont recueilli de beaux exemplaires.

Longueur de la carapace d’une femelle adulte. . . . . . vo sah eo 0 "mèt:07 RAR. suis ps purs 6.0 PL À ,GnIHQnE, ANRUSD, 0 010

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-GALÉDONIE. 265

EXPLICATION DES PLANCHES

PLANCHE X. s

Fig. 4. ScaizopHRys ASPERA (À. M. Edwards), mâle appartenant à la variété Spinifrons, représenté de grandeur naturelle.

Fig. 4°. Région antennaire du même; cette figure est grossie, ainsi que les suivantes.

Fig. 4. Portion antérieure de la carapace, vue en dessus, pour montrer les trois épines de

= chacune des cornes rostrales.

Fig. 4°. La même partie, vue de côté.

Fig. 44, Portion antérieure de la carapace d’un autre exempiaire dont les cornes rostrales sont simplement bifides.

Fig. et 1f. Portion antérieure de la carapace de jeunes individus chez \sbbie les cornes rostrales sont courtes et le test presque lisse.

Fig. 2. CYCLOMAIA MARGARITATA (A. Milne Edwards), mâle, de grandeur naturelle.

Fig. 2. Région antennaire du même.

Fig. 2b. Patte-mâchoire externe, grossie.

Fig. 2°. Plastron sternal et abdomen du même individu.

Fig. 2°. Pince, vue en dehor

Fig. 2e, Trois des épines ou de la carapace pe pour montrer les granulatious qui les couvrent.

Fig. 3. CYCLOMAIA MARGARITATA, mâle très-jeune, grossi deux fois. Fig. 3°. Région antennaire. Fig. 3°, Épines latérales de la carapace, très-grassies.

PLANCHE XL.

Fig. 4. Micippa rHALIA (Herbst), mâle, grossi d’un tiers. Fig. 14. Région antennaire du même. Fig. 4b. Front vu en avant.

VII.

Fig. Fig. Fig.

22. ”. |

NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Micippa piLyrA (Herbst), mâle, grossi d’un tiers. Carapace, vue de côté.

. Région antennaire. . Front vu en avant,

Micippa sPATULIFRONS (A. Milne Édwards), mâle, de grandeur naturelle.

. Région antennaire.

. Front vu en avant.

- Abdomen du même individu, un peu grossi. . Pince un peu grossie.

Micropgrys sryx (Herbst), mâle, grossi du double.

. Région antennaire du même.

. Plastron sternal et abdomen.

.- Pince, vue en dehors.

. Doigt de l’une des pattes ambulatoires.

PLANCHE XII.

XENOCARCINUS TUBERCULATUS (White), mâle, grossi du double.

+ Le même, de grandeur naturelle. . Abdomen et plastron sternal, - Région antennaire, très-grossie,

Pince vue par sa face externe.

.- Les trois derniers articles d’une des pattes ambulatoires. . Carapace grossie d’un mâle très-adulte.

Carapace grossie d’un très-jeune individu.

Région antennaire d’un PicROGERUS ARMATUS (A. Milne Edwards), mâle {de gran- deur naturelle, ainsi que les figures suivantes).

Patte-mâchoire du même.

Plastron sternal et abdomen.

Plastron sternal et abdomen d’une femelle.

CRIOCARCINUS SUPERCILIOSUS (Herbst), mâle (de grandeur naturelle).

. Front grossi et vu en avant.

Région antennaire grossie.

Fig. 3°. Pince grossie et vue en dehors.

+ Abdomen et plastron sternal, de grandeur naturelle.

Patte-mâchoire externe grossie.,

CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALEDONIE. 267

PLANCHE XIII.

PICROCERUS ARMATUS (A. Milne Edwards), individu mâle représenté de grandeur naturelle. (Les détails de la région antennaire et du plastron sternal sont figurés pl. xu, fig. 2.)

PLANCHE XIV.

Fig. 4. HyasTENUS onyx (A. Milne Edwards), individu mâle (grossi). Fig. 1%, Région antennaire du même.

Fig. 4. Patte-mâchoire externe.

Fig. 4°, Plastron sternal et abdomen d’un mâle.

Fig. 14 Abdomen d’une femelle.

Fig. 1°. Lignes indiquant les dimensions naturelles de la carapace.

Fig. 2. CERATOCARCINUS DILATATUS (A. Milne Edwards), mâle, grossi du double, Fig. 2* Région antennaire du même.

Fig. 2». Pince vue en dehors.

Fig. 2°. Lignes indiquant les dimensions naturelles de la carapace.

Fig. 3. LamBrus scuLpTus (A. Milne Edwards), mâle, grossi du double, Fig. 3%, Région antennaire du même

Fig. 3. Front vu en avant.

Fig. 3°. Pince vue en dehors.

Fig. 34, Lignes indiquant les dimensions naturelles de la carapace.

Fig. 4&. LamBrus AFrINIS (A. Milne Edwards), mâle, de grandeur naturelle. Fig. 4%. Région antennaire du même. Fig. 4. Front vu en avant.

Fig. 4 Abdomen.

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BULLETIN

NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM

TOME VIII

VI.

JOURNAL D'UN VOYAGE

DANS

LE CENTRE DE LA CHINE

ET DANS

LE THIBET ORIENTAL . PAR

M. L’'ABBE ARMAND DAVID

GUORRESJPFUNUAN

DE L'INSTITUT DE FRANCE ET DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE

Pékin, 25 mai 1868. En 1866, j'ai fait un premier grand voyage en Mongolie, pour le compte du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Les collec- tions que j'y ai formées et que j'ai envoyées en France ne sont pas très- brillantes : ces hauts plateaux Mongols, sont d’une pauvreté désespérante, sous tous les rapports. Néanmoins un certain nombre d'espèces animales et végétales nouvelles, les unes pour la science, les autres pour la géographie zoologique, ont été le prix de mes fatigues. Il est probable que ma campagne aurait eu des résultats bien plus considérables pour la science, si l'état de rébellion de la Chine occidentale ne m'eût pas empêché de pénétrer jusqu'au Kokonoor, à travers le Kansou, comme c'était mon dessein : cette région inex- plorée encore, et de difficile accès, doit renfermer des nouveautés de plus d'une sorte.

Aussi, d'accord avec les prof iministrateurs du Muséum et d’après les avis particuliers du savant zoologiste, M. Milne-Edwards, vais-je entre-

! NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

prendre un second voyage pour m'en approcher le plus possible, non plus par la Mongolie et le Kansou triomphent les musulmans révoltés, mais en remontant le fleuve bleu, et à travers la grande province du Se-tchuan. Mon intention est de faire d’abord une étape de quelques mois dans la province centrale du Kiangsi, et de m’avancer ensuite vers les principautés indépen- dantes du Thibet oriental, pour entrer enfin dans le Kokonoor par sa pointe méridionale. Je présume qu'il me faudra environ trois ans pour terminer cette . exploration, et j'ai fait mes préparatifs en conséquence. Ma santé, qui n’est guère satisfaisante depuis plusieurs années, semble s’être raffermie depuis mon expédition en Mongolie; et, malgré les appréhensions et les prophéties de mes amis, elle me promet des forces suffisantes pour exécuter ma nouvelle entreprise. Au surplus, je me munis de médicaments; et le docteur Martin, médecin de la légation de France, a eu la bonté de me fournir de tout ce qui est nécessaire pour combattre la fièvre, et surtout la dyssenterie, dont je redouterais particulièrement une rechute. Ces climats orientaux usent vite la santé des Européens qui travaillent : l'un des effets singuliers que l’anémie a produits sur moi, c’est un affaiblissement de la mémoire ; c’est pourquoi je me suis résigné en voyage à noter au crayon les événements et les observations de chaque journée, dont je désire ne pas perdre le souvenir. Je me suis déjà bien trouvé de cette méthode dans mon exploration de la Mongolie ; et le conseil des professeurs du Muséum a fait imprimer, m'écrit-on, dans les Vouvelles Archives, mon Journal de voyage, avec mon itinéraire géologique, que je leur avais envoyé pour compléter mes renseignements et les notes dont étaient accompagnés les divers objets composant mes collections zoologiques, bota- niques et minéralogiques. Je comprends que les hommes d'étude acceptent avec avidité toutes les informations qu'on leur transmet sur les pays et les choses peu ou point connus ; et je continuerai à crayonner mes notes, et, s’il est pos- sible, d'une manière moins incomplète que par le passé. Elles pourraient tomber sous d’autres yeux que les miens, ou sous ceux des parents et des amis à qui les détails personnels ne sont jamais désagréables ni même superflus.…

Me voilà donc à la veille de mon départ : enfin tout est prêt, ou à peu près. Je pense m’engager dans une expédition qui durera trois ans, et qui peut me mener bien loin de Pékin! et cependant je me sens aussi tranquille que s’il s'agissait d’une promenade. Je remercie la divine providence de cette dis- position de bonne augure.

BULLETIN. 5

Dès ce matin j'ai envoyé mes cinq caisses et malles à Tongtcheou, sur une de ces énormes brouettes en usage ici, qui ne me coûte que dix tiao ou ligatures de Pékin (environ huit francs). La ville de Tongtcheou, non loin de laquelle se trouve le village de Palikiao, qu'il faudrait prononcer et écrire Palit- chiao (pont de Pali), est bâtie au bord du Péy-ho, fleuve du nord (VA de ho, fleuve, doit se prononcer comme le J espagnol) ; elle sert de port à la capitale et n’en est éloignée que de cinq ou six lieues à l’est. Il faudra cependant toute la journée pour y arriver aux trois ou quatre hommes qui traînent péniblement mes bagages, sur une route souvent mauvaise, et par un temps qui est déjà extrêmement chaud.

Le climat de la Chine septentrionale est remarquable par sa température extrême : car, l’été de Pékin, qui est sous le quarantième degré de latitude, donne une moyenne de chaleurs égale à celle du Caire (30° lat.), et son hiver, une moyenne de froids égale à celle d'Upsal (60° lat.)

Le reste de ma journée est bien occupé par les visites que je fais aux légations de France, d'Angleterre, de Russie, d’Espagne <t des États-Unis. Quand on est si loin de la patrie, les nationalités disparaissent, et, tous les Européens, nous nous regardons comme des compatriotes perdus au milieu de ces masses chinoises, dont les sentiments diffèrent des nôtres encore plus que les traits physiques ; nous finissons par prendre un intérêt de famille les uns aux autres, à quelque nation européenne et à quelque croyance religieuse que nous appartenions. Je n’ai donc qu’à me louer de l'accueil et des encouragements que je recois de tous les personnages distingués dont je me fais un devoir d'aller prendre congé, d’autant plus que je les connais tous personnellement ; et si les résultats de mon entreprise sont en rapport avec les souhaits qu’on m’exprime, je suis sûr de trouver dans mes explorations de quoi contenter les savants professeurs du Muséum.

M. le comte de Lallemand désire favoriser le mieux possible mon voyage, et il me donne des lettres de recommandation pour les vicaires apostoliques du S. O., qui, en temps et lieu, peuvent ne pas m'être inutiles. I|me demande aussi d'examiner l’état des principautés thibétaines, pour savoir s’il y a lieu de persister à exiger légalement, du gouvernement de Pékin, des passe-ports pour les missionnaires destinés au Thibet : on ne sait pas encore au juste jus- qu'à quel point ces régions éloignées sont chinoises. Je promets à son Excel- lence d'écrire, dès ma première étape du Kiangsi, pour lui dire, en quoi

Rs NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉNM,

consistent mes espérances et les chances probables de ma campagne.

Le docteur Martin, médecin de la légation de France, me donne aussi ses commissions. [l est en relation avec la Société d’acclimatation et désire lui faire quelque envoi d’animaux ou de plantes : on a mis à sa disposition une somme à cet effet. Je désirerais moi-même être de quelque utilité à cette Société pour nos essais d’acclimatation ; mais je doute fort que, dans les régions si éloignées et de si difficile accès, comme celles que je me propose de visiter, il me soit possible de satisfaire ses désirs.

Le reste du personnel de la légation de France consiste, en ce moment, dans MM. le comte de Rochechouart, le comte de Montbel, Lemaire premier interprète, et un jeune élève de langues nouvellement arrivé,

A la légation d'Angleterre, je ne puis m'empêcher d’être touché de la bien- veillance que me témoigne quoique étranger, sir Ruth. Alcock, ministre plé- nipotentiaire. Lady Alcock me montre une petite et gentille tortue à poils que son fils vient de lui porter de Hankeou : cet animal délicat que la dame élève soigneusement dans sa chambre n’a pas plus de cinq ou six centimètres de long; il a les yeux bleus et le dos couvert de longs poils verdâtres, ressem- blant à des toufles d’herbes marines, qui le tiennent à fleur d’eau. On dit qu'elle est très-rare dans a Chine centrale et qu’on n’a pu en obtenir un second échantillon à aucun prix. Pour moi, je craius fort que ces prétendus poils ne soient que des plantes aquatiques qu'on a établies en parasites, et d'une manière régulière, sur l’écaille du reptile amphibie : les Chinois sont les plus adroits fraudeurs du monde.

26 mai 1868. Je pars de Pékin à sept heures du matin, dans la charrette couverte de la maison, et arrive à Tongtcheou avant midi. En traver- sant les rues de la ville, je vois entre les mains d’un Chinoïs un Eurylæma! vivant, noir et violet; je ne puis m'expliquer la présence à Pékin de ce bel oiseau propre à la Malaisie et aux grandes îles méridionales. Dans les parties sablonneuses de la plaine que je traverse, j'aperçois pour la première fois des Sophora herbacea, plante que je n’ai rencontrée encore qu'en pleine Mongolie, Quant aux grands et beaux arbres du Sophora japonica, j'observe qu'ici leur feuillage n’est pas dévoré par ces myriades de chenilles d’une jolie phalène grise, qui le détruisent complétement à Pékin depuis deux ans.

A Tongtcheou, je retrouve mon domestique Thomas et un autre servi- teur chinois; ils ont eu les plus grandes peines pour Jouer une barque cou-

BULLETIN. 7

verte, au prix de quinze {iao (six taëls) : c’est cher pour le court voyage d'ici à Tientsin. La raison en est que toutes les barques et toutes les voitures sont occupées par les vingt mille candidats qui étaient venus à la capitale pour con- courir au doctorat, et qui s’en retournent chez eux après avoir subi leursexamens.

Le port de cette ville est encombré de barques impériales qui apportent du Sud le riz de l’empereur. C’est sans doute l’arrivée de ces immenses pro- visions qui à fait subitement baisser, de moitié, le prix des blés à Pékin; de même que celui de l’argent métallique, comme cela arrive toujours ici. D'un autre côté, on regarde comme assurée la récolte des moissons qui, cette année, s'annonce exceptionnellement belle, grâce aux fréquentes pluies qu'il y a eu depuis quelque temps. Il y avait longues années qu’on n’avait pas vu cela dans ces pays qui souffrent habituellement de la sécheresse.

C’est vers une heure que nous nous mettons en mouvement, contrariés par un vent fort et frais du S. O. qui retarde notre marche, non moins que par cette multitude d’embarcations accumulées, à travers lesquelles nous sommes obligés de glisser, jusqu'à ce que nous ayons gagné le véritable fleuve du Péy-ho (les Chinois ne lui donnent point ce nom ici). La rivière, quoique peu large, est profonde, et il paraît que l'effet de la marée se fait sentir jusqu'ici, si loin de la mer; ce qui prouve combien est unie cette plaine immense, qui continue encore à s’agrandir par les dépôts des fleuves qui se déchargent dans notre golfe, lequel paraît de:tiné à disparaître entièrement. Il est probable qu’un lent mouvement oscillatoire d’exhaussement a aussi lieu sur une grande partie des côtes chinoises : c’est ce qui explique en partie les changements d'embouchure du grand fleuve Jaune.

Quoique nous descendions le fleuve, ce n’est qu’à force de rames ou de perches que nous nous avançcons. Nous continuons à marcher jusque fort avant dans la soirée qui est fraîche et tranquille ; le vent est tombé. Les Chinois ne voyagent point la nuit; nos deux bateliers amarrent donc la barque, et avalent leur riz avec quelques herbes, pendant que mon Chinois chrétien et moi, nous terminons nos prières en suppliant le Créateur de cet admirable Cosmos de nous accorder que le dernier jour du long voyage que nous commençons se termine aussi paisiblement que cette première journée.

27 mai. La nuit a été calme et sereine. On se remet en marche avant le jour. Le fleuve est tranquille et plat comme un miroir; mais l’eau est sale et

fangeuse.

8 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Vers onze heures, se lève encore le vent du sud qui nous contrarie si fort et ralentit notre navigation. La traversée est distraite un moment par la pénible vue d’un cadavre d'homme, emporté par le courant : c’est un spectacle assez fréquent en Chine, parce qu'on jette à l’eau les corps des pauvres, qui n’ont pu s'acheter un cercueil. En fait d'oiseaux, je n’aperçois que quelques bécas- seaux (Totanus glareola et hypoleucos) absolument semblables à ceux qui fré- quentent nos marais et nos rivières de France : ils rasent légèrement la surface des eaux en jetant leur petit cri d’effroi d'habitude. En réalité, ils ne sont point effrayés, parce que personne ici ne songe à molester ces jolies bêtes aux couleurs modestes, mais à la tournure si élégante, au vol si gracieux. II passe aussi, mais bien haut dans les airs, quelques Glareola orientalis, espèce qui ne diffère guère de notre perdrix de mer d'Europe que par la couleur du des- sous des ailes. Un autre oiseau intéressant que je vois aujourd’hui comme hier, c’est le Chibia brevirostris, Cab., on Drongo noir aux reflets métalliques ; il porte sur la tête, en forme de crins, quelques longues plumes sans bar- bules ; quelques notes de sa voix argentine, qu'il émet même la nuit, imitent fort bien le son d’une clochette. Ce bel oiseau vient du Sud, pour nicher en grand nombre sur les arbres qui entourent les maisons de la plaine ; les vil- lageois le respectent, non-seulement parce qu’il détruit beaucoup d'insectes, mais encore parce que, doué d’un grand courage (et quoique sa taille ne dépasse pas celle du merle) il éloigne le corbeau et le milan, ennemis de leurs basses-cours.

Comme végétation, les bords du fleuve sont d’une tristesse souveraine : pas un buisson, pas une plante ligneuse, en dehors des quelques saules plan- tés dans les villages. Quant aux espèces herbacées, on n’en voit qu'un petit nombre ; et ce sont toujours les mêmes, Celles que j’aperçois en fleur, et que je crois reconnaître en passant sont : Rumex Hydrolapathum, Nasturtium am- phibium, Tournefortia arguzia, Mollucella incisa, le cosmopolite Pissenlit, Plantago major, Rehmannia glutinosa, Botriospermum sinense, Myosotis pedun- cularis. Quelques autres se disposent à fleurir bientôt : Leonorus, sibirieus,

Aanthium orientale, Convolvulus arvensis, Calistegia pubescens, Youngia sonchfolia, et deux ou trois Polygonum. 28 mai. La nuit a été encore calme, et nous l’avons passée à l'ancre.

Partis de nouveau avant le jour, nous nous croisons avec une multitude de

barques de l'Etat, chargées de riz : chacune, me dit-on, en porte detrente à qua-

BULLETIN, 9

rante mille livres, Quoique favorisés par le vent du sud, ces bateaux remon- tent halés chacun par trois hommes ; ils sont neufs pour la plupart : car il n’y a que peu de temps qu'on en a fait construire un millier, pour remplacer ceux qui avaient été détruits par les rebelles, dans les années précédentes.

Les Européens qui visitent Pékin s’étonnent d'y voir une population si inférieure, en nombre, à l’idée qu’ils s’en étaient faite d’après les relations anciennes. En effet, cette capitale qui a renfermer autrefois plusieurs mil- lions d'hommes, dans ses deux vastes quadrilatères de grandioses murailles, ne paraît plus en contenir maintenant que quelques centaines de mille. A l'antique splendeur a succédé la misère et la ruine ; et cela en peu de temps. Quelle à été la cause principale de ce prompt dépérissement? La destruction, par les rebelles, des barques impériales, et l'occupation des provinces cen- trales, les plus riches en riz, par les bandes des Taïpings. Il faut savoir que la ville de Pékin est censée contenir deux cent mille soldats {chy-jen, vexillaires d’origine tartare, qui vivent de la solde impériale et du riz que l’État leur fournit. Cette distribution d'argent et de riz, faite autrefois régulièrement chaque mois, suffisait abondamment pour l’entretien de ces soldats et de leurs familles (en Chine, les soldats sont ordinairement mariés). C’est aussi ce qui _entretenait le petit commerce de Pékin, presque exclusivement; car ne se fait point de grandes affaires commerciales dans cette capitale, il n’y a pas de grande industrie. D’un autre côté, la province, très-peuplée, se suffit à peine à elle-même, et de plus, ne produit presque point de riz, premier objet essentiel en Chine. Depuis donc une vingtaine d’années, que la rébellion à privé l’empereur de presque tous ses revenus, Pékin s’est trouvé sans res- sources ; beaucoup de familles s’en sont éloignées pour chercher à vivre ail- leurs. Bientôt la pauvreté y est devenue générale, une sécheresse obstinée de plusieurs années s’étant aussi mise de la partie pour achever de ruiner le pays. Dans ces derniers temps la misère a été tellement grande, qu'il est mort de faim beaucoup de monde, quoique les pauvres chinois utilisent pour leur ali- mentation les herbes sauvages, les racines, les feuilles et l’écorce des arbres. Nous-mêmes, depuis assez longtemps, nous avions réduit sensiblement notre modeste ordinaire pour pouvoir secourir un peu les malheureux, ce qui n’a pas empêché beaucoup de nos chrétiens de la capitale et des environs de périr d’inanition pendant l'hiver et le printemps passés.

Mais que la paix vienne à se rétablir dans l'empire avec l'ordre : en peu

VIII. b

10 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM,

d'années Pékin et les autres villes déchues se repeupleront rapidement. Car, comme ces Orientaux se marient presque tous fort jeunes, les nouvelles géné- rations apparaissent vite et comme par enchantement, pour grouiller à leur . tour dans cette immense fourmilière humaine que nous appelons l’empire chinois.

Cependant cette paix si nécessaire ne parait pas encore près de revenir:

nous voyons cela en arrivant à Tientsin, vers cinq heures de l'après-midi. Car pour pénétrer dans cette ville, il nous faut faire ouvrir une véritable muraille de barques de guerre, qui barrent le fleuve, et la défendent contre les rebelles qui ne sont que peu éloignés d'ici. En effet, cet hiver, ces bandes de mal- faiteurs, organisées dans la province centrale du Ho-nan, se sont unies à une partie de musulmans révoltés, sortie du Kan-sou, et ont tout à coup envahi les provinces du Chan-tong et du Pé-tchély, pillant, tuant et massacrant tout sur leur passage. Pékin même s’en est cru sérieusement menacé; nous y avons eu des alertes d'autant plus émouvantes, que la population nous croyait plus ou moins disposés à pactiser avec les rebelles. Un jour, un grand personnage du palais impérial est venu, travesti, nous avertir de songer à notre salut, parce que, à l'approche des brigands, la famille impériale se préparait à fuir en Tartarie, et que, en partant, on avait l'intention de faire main basse sur les chrétiens et sur les Européens de la capitale. On voulait d’abord assouvir cette invincible haine des Chinois contre tout élément étranger. La vérité est que les troupes impériales, mal organisées, mal payées, mal nourries, refusaient de marcher contre l’ennemi. Quelques milliers de soldats, soi-disant armés et formés à l’européenne, envoyés contre lui dès le commencement de l’irruption, “en avaient été surpris, pendant une matinée de brouillard, et taillés en pièces ou dispersés, en laissant dans les mains des rebelles les armes chèrement achetées aux Anglais et aux Américains. Ce qui est pis encore: les reste de l'armée s’accordait avec les ennemis pour ne pas se battre, et pour marauder, voler et incendier en commun ; ce qui avait échappé aux uns, était inévita- blement ruiné par les autres. Voilà les Chinois en action!

La riche et commerçante ville de Tientsin est donc toute en émoi, menacée qu’elle est continuellement par les Nien-féi, qui en veulent surtout à ses richesses. Les deux rivières, qui s’unissent un peu au-dessus de la ville, sont presque entièrement couvertes, sur une grande étendue, d’une multitude de barques de toute provenance, et refugiées pour se mettre à l'abri des

BULLETIN. at

canons. De temps en temps, en voit emportés par le courant les corps inani- més des victimes des brigands, des cadavres souvent mutilés avec une indé- cence atroce. Tout ce spectacle est peu égayant et peu rassurant pour Ceux qui ont à rester ici. Cependant on s’est presque habitué au danger (tant il y a longtemps qu'il dure), et l’on vit au jour le jour, Chinois et Européens.

Ces derniers pourtant ne paraissent pas avoir à craindre pour leurs personnes; Car, il est déjà venu à Tientsin plusieurs canonnières européen- nes, pour les protéger et les recueillir au besoin.

Quand j'approche de notre maison de la mission française, je suis agréablement ému en voyant flotter devant elle nos couleurs nationales sur les mâts de deux canonnières françaises, l’Aspic et le Lebrethon : c’est plus qu'il n’en faut pour faire respecter nos établissements.

La mission et le consulat de France sont contigus, et bâtis sur un terrain impérial qui fut cédé à la France, à l’époque de l'expédition de Chine. On a utilisé le mieux possible les constructions en bois qui, dans les siècles passés, avaient l'honneur de loger Sa Majesté impériale, quand elle voyageait de la cour du nord (Pé-kin) à la cour du sud (Nan-kin), et vice versd. C'était sous la dynastie précédente : il y a donc bien longtemps de cela ! Cependant bien des Chinois souffrent encore amèrement de voir les diables d'Occident établis dans une résidence du Fils du cel.

Je puis enfin débarquer, avant la nuit, au Ouang-haé-lou (nom de notre résidence), et embrasser mon excellent collègue M. Chevrier, qui dirige cette mission avec l’aide de quelques indigènes. Dès ce soir même, j'ai l'avantage de faire la connaissance de M. de Nercia, commandant de l’Aspic, et de M. Labarrière, commandant du Lebrethon. Ce dernier qui avait été averti de mon voyage, par notre ministre de Pékin, s’empresse de m'ofirir une place sur son bateau. I doit, dit-il, partir bientôt pour Changhay, quand seront terminées les réparations qu'on lui fait subir au bassin : c’est une canonnière faible, construite en Chine sur les plans de l'amiral Roze, avec une machine vieille et insuffisante pour bien tenir la mer. Cependant, l’occasion est si belle et le passage sur les bateaux marchands est si cher, que j'accepte avec recon- naissance l'offre de M. Labarrière.

Je reçois aussi, ce soir, la visite d’un autre Français qui réside à Tientsin depuis plusieurs années; c'est celle de M. Coutris. Il me donne des détails très-intéressants ‘sur plusieurs choses : à propos des rebelles, qu'on dit

12 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM,

toujours se trouver non loin de la ville, il m'apprend en secret qu’il a cu le hardiesse d'aller deux fois, et seul, jusqu’au milieu d’eux. D’après lui, ils sont bien plus à redouter qu'on ne le pense; ils sont bien armés et bien disciplinés; mais les munitions de guerre leur font défaut. Ils en veulent surtout à la dynastie régnante. Cependant ils agissent avec précaution, à cause des Européens qu'ils croient favorables à l’empereur. Selon M. Coutris, c'est à tort qu'on leur attribuerait les massacres et les pillages qui sont commis par les impériaux eux-mêmes ou par les bandes du général Ly, déguisées en Tehang-mao (longs cheveux). Les véritables rebelles se comportent avec modération; mais la nombreuse canaille qu’ils entraînent à leur suite ne les imite point. Ils n’en veulent point aux Européens, disent-ils ; et, quant à Tientsin, s’ils voulaient s’en emparer, ils le feraient en moins de deux heures. Ils ont peu de poudre, mais assez de capsules et d'armes, quoiqu’ils aient perdu dernièrement quatre mille fusils que leur apportait un navire de Canton, et qui ont été pris par les hommes de l’empereur. Il y à parmi eux beaucoup de musulmans et quelques Européens, entre autres, dit-on, un ex-officier d'Aspromonte. M. Coutris a été lui-même fortement pressé de rester avec eux, mais en vain, quoique les mandarins ne lui paraissent pas préférables aux brigands. Après tout, ce sont des barbares et des voleurs. Leur chef, qui se fait appeler Yen-ouang (roi de l’enfer), a une autorité sans limites; il se laisse très-rarement voir de ses soldats; et alors; c’est pour leur donner ses ordres, sans parler et simplement par un signe. Il a un sérail de femmes ainsi que plusieurs de ses sujets. Dans les combats, ce sont les. hommes qu’on a ramassés chemin faisant, qu'on place à la tête de la colonne pour se faire un rempart de leurs corps. Les rebelles ne se rasent pas et ils laissent croître toute leur chevelure; d’où leur vient le nom de Tchang-mao.

À propos d'histoire naturelle, M. Coutris, qui est chasseur, m’apprend qu'il y a quelques Sen-pou-siang, ou Elaphurus davidianus, non loin de Tient- sin, vers l’ouest, dans une grande plaine humide et marécageuse; il y en a même tué un. J'ai lieu de croire que ces animaux sont des fugitifs du parc de Haé-dze, d'où moi-même j'ai eu les individus que j'ai envoyés en Europe. Il me dit aussi qu’en hiver les lièvres (Lepus sinensis) sont si nombreux dans les terrains incultes des environs, que dans une excursion qu'il y à faite, avec M. Chevrier, il en a pris au faucon trente-quatre, dans une seule après-midi ! Le lièvre chinois est un peu plus petit que celui d'Europe; mais ressemble à

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celui-ci pour tout le reste. Vers la Mongolie, il y en a une autre espèce, appelée Tolaï par Pallas; elle est un peu plus grande que l’autre, et on ne peut guère l'en distinguer que par la couleur blanchâtre de ses fesses. Les lapins sauvages sont inconnus en Chine, Les lièvres et les lapins portent le même nom chez les Chinois, et passent dans leur esprit pour emblème de l'impureté, de même que le chien et la tortue. Aussi est-ce faire la plus vilaine injure possible à un homme que de l'appeler du nom de ces animaux.

29 mai. Toujours vent de sud. La journée se passe en visites actives et passives, du petit nombre de Français qui se trouvent à Tientsin. Il est à remarquer qu'il n’y à guère que les Français qui aient ici leurs établissements dans la ville chinoise : le consulat, la mission, la maison des sœurs de charité, les magasins de plusieurs négociants, se trouvent au beau milieu des habitations chinoises ; tandis que les Anglais, les Américains, les Russes, soit par défiance soit plutôt par répulsion contre la race jaune, sont allés se fixer à deux kilomètres plus au sud sur un terrain inhabité jusqu’à présent et qu’on appelle la concession européenne. Il est entièrement séparé et éloigné des quartiers chinois.

M. Sandri, négociant italien, établi à Tientsin depuis l'expédition, m'ap- prend qu’il vient de faire un voyage en Europe, et que la maladie des vers à soie y dure toujours. Ce monsieur, qui s’est beaucoup occupé de sériciculture, m'engage à examiner dans mes voyages aux provinces centrales et occiden- tales, s’il n’y aurait pas moyen de se procurer de la bonne graine de vers à soie. Il pense que les vers sauvages ne peuvent pas satisfaire en Europe. Quant à celui de l’Aïlante, et un autre qui vit sur des buissons au Chan-tong (sur le jujubier sans doute), il me dit qu’ils ne peuvent donner que des bourres peu précieuses.

Aucune de ces quatre espèces de vers n’est élevée sérieusement dans notre province de Pékin, quoique les régions voisines, le Léao-tong et le Chan- tong, produisent plusieurs espèces de soie.

Je trouve cultivée à Tientsin une jolie espèce de grande Centaurée (Jacea) à fleurs bleues ou roses ; c’est pour moi une nouveauté à ajouter à la courte liste des plantes ornementales de nos Chinois du Nord.

Ce soir, presque tous les matelots de l'excellent équipage de l'Aspic, viennent chanter des cantiques à la mission qui n’est qu'à cinq pas de leur

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canonnière : c’est ce qu’ils font tous les jours, au grand plaisir de tout le monde; et c’est pour eux une innnocente récréation, laquelle leur rappelle agréablement la patrie, en même temps que leurs sentiments de religion. Une ville chinoise ne pourrait leur offrir aucune bonne distraction. Au contraire, rien ne saurait retenir l’homme, comme la religion, dans le sentiment du devoir, dans le respect de lui-même, et dans la patience.

30 mai. Grand vent d’est froid, ciel couvert, quelques grosses gouttes de pluie pendant la journée.

Pas de nouveautés aujourd’hui. Je vois le jeune père de Beaurepaire qui a beaucoup de goût pour la botanique. Il m’'apprend que ses confrères, le père d’Argy et le père Eudes, s'occupent activement d'histoire naturelle, dans leurs vicariats de Changhay ; et qu’ils ont l'intention de travailler en com- mun, avec quelques autres collaborateurs, à un grand ouvrage scientifique sur la Chine. Je ne puis qu'encourager cet utile projet, parce que, actuelle- ment, il n’y a guère que les jésuites qui puissent disposer d'hommes suffisants pour une telle entreprise en Chine.

Ce soir, il y a quelque émoi dans la ville; on parle d’un mouvement menaçant des rebelles. Les Tientsinois comptent beaucoup sur la puissance des canonnières européennes; l’Aspic et le Lebrethon ont fait déja quelques majestueuses promenades sur différents points du fleuve, pour rassurer les esprits, et pour montrer aux Tchang-mao qu’on les recevra à coups de canon, s'ils s’approchent trop d'ici. Je suis porté à croire cependant qu'on serait fort embarrassé s’il fallait leur envoyer un seul boulet... Je sais que le Lebre- thon n'a pas même une mèche prête. Heureusement que de loin Le lucciole sono lanterne !

31 mai. Jour de la Pentecôte. Messe solennelle dans notre petite chapelle chinoise avec assistance des marins armés des deux vapeurs fran- çais, des officiers et des résidents européens catholiques de la ville. Après la messe, il y a, dans la mission, un grand déjeuner pour messieurs les officiers et les Français de Tientsin. Il me fournit l’occasion de faire la connais- sance de M. de Chalmaison, l’un des plus frénétiques chasseurs que j'ai vus de ma vie.

Ce jeune monsieur est venu depuis deux ans s'établir à Tientsin avec sa femme pour satisfaire Sa passion pour la chasse. 11 à déjà beaucoup voyagé pour cela dans les Cordillères, à Java, etc. Ici, il ne trouve certes pas la

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même richesse de la nature, la même abondance de gibier que dans ces régions tropicales; mais, à certaines époques de l’année, les lièvres et les oiseaux foisonnent dans les plaines stériles et les marais qui s'étendent entre Tientsin et la mer, vastes terrains salés, abandonnés naguère par l'Océan, et encore rebelles à la culture.

Depuis six ans que j'habite le nord de la Chine, je n’ai eu que peu d'occasions d'étudier les productions et les animaux hydrophiles : et M. de Chalmaison, ainsi que M. Coutris, me donnent d’utiles renseignements sur les espèces animales qui fréquentent les bords de notre mer. Ainsi, j'apprends d'eux que le Chaçal (que je n’ai jamais vu encore en Chine) existe dans le pays; que la Panthère s’avance parfois jusque dans ces plaines si éloignées des montagnes ; qu’un Loup noir (sans doute une mélanisme) déjoue depuis long- temps tous les chasseurs des environs; que le Cygne à pattes rouges (Cygnus Davidi,Sw.) et la grue noire (Grus monacha) passent régulièrement à Takou, de même que plusieurs Ibis. M. de Chalmaison est aussi amateur de Coléop- tères; et parmi ceux qu'il a récoltés, je remarque un joli Carabe à taches caténulées, qui à échappé jusqu’aujourd’hui à mes recherches (Car. smarag- dinus).

Pendant notre déjeuner, la conversation et les discussions se sont natu- rellement portées plusieurs fois sur les chrétiens chinois, et sur l'efficacité de nos efforts pour christianiser la Chine. Comme cela arrive d’ordinaire aux Européens, plusieurs de nos honorables invités soutiennent que c’est en vain que nous tentons d’inculquer à nos Chinois les maximes évangéliques. D’après eux, tous ces Orientaux seraient incapables de vertu, et il n'y aurait dans leur conversion que des motifs d'intérêt et de dissimulation; il serait donc plus sage de les laisser tranquilles dans leurs usages. Les missionnaires ne sont que trop habitués à entendre ces sortes d’objection. mais, en laissant de côté les raisonnements théologiques (non goûtés de tout le monde, quoique péremptoires) et en accordant qu’il manque au caractère chinois ce cachet de générosité qui est le propre des races occidentales, nous répondons que notre travail auprès de ce peuple est loin d’être inutile; qu’il y a parmi eux des âmes bien nées et faites pour le christianisme; que, dans les familles conver- ties depuis plusieurs générations, on reconnaît une modification sensible, en mieux, dans l’ensemble des sentiments et de la conduite. Chaque année, il ya une moyenne de quinze à vingt mille indigènes adultes qui sont admis au bap-

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tème, après une sérieuse épreuve, d'au moins un an, pour chacun. D'un autre côté, il est malheureux de devoir confesser que ce n’est point la pré- sence de nos Européens qui facilite notre œuvre de propagande religieuse : ceux-ci, pour la plupart, sont loin d’être des modèles de piété et de vertu! comme nous le disent souvent nos Chinois.

Mais ce soir même la Providence permet que nous ayons un exemple de ce que peut le sentiment chrétien pour dompter même la passion la. plus vivace du Chinois, l’avarice : un marchand chrétien de Changhay, inconnu, vient offrir pour la construction de notre nouvelle église, la somme de cin- quante taëls (400 fr.) pour remercier ainsi Dieu d’avoir béni son voyage et son commerce. Et M. Chevrier, en acceptant ce cadeau si considérable pour un Chinois peu riche, me demande : « Que dirait M. N... s’il voyait ceci, lui qui a soutenu que les Chinois ne sont chrétiens que par intérêt et pour nous tromper ? »

1°" juin 1868. Le temps est beau et chaud ; le vent souffle du nord. Je fais une course à Su-tchu-lin, c'est le nom de la concession quartier européen. Je vois un bon nombre de jolies maisons confortables et élé- gantes, habitées par des négociants, mais, aucune, je crois, n'appartient à des Français. Des bateaux à vapeur armés de canons, sont ancrés devant le quai pour protéger les Européens. Du côté de terre, une muraille et des redoutes de terre, armées de canons et garnies çà et de piquets de soldats _ chinois, doivent tenir l’ennemi en respect. Il est probable que, sans les Euro- péens, les rebelles se seraient déjà emparés de Tientsin qu'ils auraient pillé et brûlé immanquablement. Ce soir, on nous annonce encore qu'ils ne sont plus qu'à trois lieues de la ville.

2 juin. Beau temps encore. Rien de remarquable; les réparations du Lebrethon avançant lentement, trop lentement pour mon impatience.

Je reçois de M. Coutris et prépare un Rolle (Zurystomus orientalis). Ce bel oiseau, dont la taille, les formes et les couleurs (vert, bleu et roux) rap- pellent un peu notre Rollier d'Europe, paraît remplacer celui-ci dans l’ex- trême Orient. Comme lui, il vit dans les régions chaudes, et, en été, il s’avance très-loin dans le Nord. M. Coutris m'a donné cet oiseau en vie : il est d’un caractère sauvage et cherche à mordre quand on le prend ; il mange volontiers du riz, du pain, de l’œuf dur, de la patate douce. Il aime à grim- per sur les meubles en s’aidant, comme les perroquets, de son bec qui est

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d'un beau rouge orange de même que ses pattes. Pris à la main, il crie fort, un peu à la façon du Geai d'Europe. Ils étaient deux de la même espèce quand M. Coutris a abattu celui-ci, en le blessant d’un plomb à l'aile; leur vol était droit et rapide. Quelques ornithologistes voudraient faire de cet oiseau, grand voyageur, une espèce distincte de l’espèce linnéenne qui-habite l'Inde : je crois que c’est à tort.

3 juin. Vent fort et orageux, le ciel est couvert de poussière, et il tombe un peu de pluie vers le milieu du jour. Le Lebrethon, sur lequel il me tarde de partir pour Changhay, songe enfin à sortir du bassin. Il a mal choisi son jour; il manque de s’échouer au bord du fleuve, à cause de la violence du vent. Mais enfin il en triomphe; et en faisant retentir au loin un brillant coup de canon, il arrive triomphalement devant le consulat de France se placer à côté de l’Aspic. Le commandant, M. Labarrière, est un excellent officier de marine, plein d'activité et d'intelligence. Quant à M. de Nercia, l'estime et l'affection dont tout son équipage l'entoure, sont quelque chose d’exceptionnel. En lui, une grande et loyale piété rehausse les vertus et les qualités de son état.

4 juin. Beau temps, avec vent de terre. J’embarque ce matin mes caisses, pour partir demain sur la canonnière. Le soir, dîner en ville chez M. Sandri, en compagnie des deux commandants français, de M. Hubert, de M. Borel et de M. Chevrier. A table, discussions animées, mais bienveil- lantes, sur le salut des catholiques, etc. (l’un des convives est protestant), thème éternel de questions délicates et inconcluables, quand on ne part pas de principes bien compris. C

5 juin. Beau temps encore aujourd’hui; au matin, le vent souffle de l’est et du sud-est. Vers sept heures, le Lebrethon se met en mouvement et part pour Su-tchu-lin. Je termine, avant de m’embarquer le soir, mes der- niers préparatifs et mes visites. J’ai le regret de ne pouvoir aller saluer les respectables et saintes sœurs de charité, dont l'établissement est au centre de la ville chinoise, à une distance trop grande de la mission et du consulat de France. Elles sont bien à la merci des Chinois, en cas de danger! Cepen- dant les bonnes œuvres qu’elles accomplissent et l'exemple de leur dévouement et de leurs vertus, leur ont acquis l’estime de toute la population chrétienne et païenne. Depuis six ans qu’elles sont ici, la confiance dont elles jouissent ne fait qu'augmenter, à en juger, du moins, par le succès toujours croissant

VIII. (a

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de leurs œuvres, de leurs écoles, etc. Sur dix sœurs de charité qui dirigent grand établissement de Tientsin, six sont Françaises, deux RES: une Anglaise et une Italienne; quelques jeunes Chinoises postulent aussi pour devenir filles de la charité.

6 juin. Nous partons le matin de Su-tchu-lin, par une grande pluie battante, Le cours du fleuve est fort sinueux, et les bas-fonds sont nombreux : aussi notre canonnière, malgré la lenteur et les précautions de sa marche, ne peut-elle éviter de s’ensabler plusieurs fois, mais sans d'autre inconvénient que la perte du temps. J’apercois sur les bords de l’eau quel- ques Avocettes communes et des Lobivanellus inornatus ; sorte de grand Van- neau dont les aïles sont armées d’un éperon, et dont le bec est garni à sa base de deux lobes charnus jaunes.

7 juin. Nous voici arrivés à Takou. Nous laissons le fleuve. pour nous engager dans la mer. Celle-ci, d’abord calme, devient bientôt agitée; la canonnière roule beaucoup, et je commence à payer mon tribut à la navigation, par un violent mal de mer.

Les oiseaux que je signale dans la rade sont le Larus cachinnans, le L. crassirostris, le Sterna hirundo et l’Huîtrier à long bec, espèce très-voisine de la commune. |

8 juin. Le temps devient meilleur et la mer plus calme, à mesure que nous approchons des îles Miao-tao, sur les côtes du Chantong dont les rochers apparaissent roux. On y aperçoit aussi des dunes; et, plus loin, des chaînes de montagnes à pics aigus, dont les formes semblent indiquer la nature calcaire. Dans les îlots que nous longeons, séjournent et nichent paisiblement un grand nombre de Goëlands et de Cormorans communs.

C'est à dix heures et demie que nous entrons dans la rade de Yenthaé, en laissant à notre droite le village de Tchefou, du nom duquel les Européens appellent ces parages. La mer est très-belle ; sept navires à voile européens et six bâteaux à vapeur sont à l'ancre. Ici, j'ai le plaisir inattendu de recevoir la visite de M. Conolly, secrétaire de la légation anglaise de Pékin. Il est venu s'embarquer sur le vaisseau amiral anglais qui part pour le Japon; de il ira, avec l’amiral, au fleuve Amour qu’il remontera pour parvenir ensuite à Kiachta, et retourner à Pékin à travers la Mongolie. C’est une promenade qui en vaut la peine.

M. Conolly m'apprend que le célèbre ornithologiste, M. R. Swinhoe

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consul d'Angleterre, est arrivé à Pékin le jour même de mon départ, et qu’il a été presque aussi contrarié que moi-même de ne pas m'y rencontrer, H ajoute qu'il y séjournera deux ou trois mois, après lesquels il repartira pour une exploration sur le Yangtzékiang, peut-être à travers la Chine intérieure. Le voyage qu'il a fait l'hiver dernier dans l’île de Haïnan, et qui a fatigué beaucoup sa santé, aurait été très-fécond en découvertes scientifiques. Ces nouvelles m'intéressent grandement. Je connais par les faits tout ce qu’il y a d'activité, d'énergie et de savoir dans ce naturaliste si heureux... Me lais- sera-t-il quelque chose à faire encore ?

Je vois aussi M. Viguier, dont j'ai fait précédemment connaissance à Pékin. Ce jeune Parisien demeure ici en qualité de commissaire des douanes chinoises; il habite l’une de ces maisons blanches qu’on voit nichées sur la pointe du cap de Yenthaé. Il me montre un échantillon de la mine de quartz aurifère qu’on a découverte dernièrement, non loin d'ici, et l’on annonce qu'il va arriver d'Amérique une bande de mineurs et d’aventuriers, pour l’ex- ploiter, malgré la défense du gouvernement et l'opposition formelle des léga- tions européennes. Il est heureusement probable que cette nouvelle mine d’or n’est pas riche ; sans cela, elle ne serait pas restée si longtemps inconnne. Nos chercheurs d’or s’en retourneront donc gros Jean comme devant : O auris saçra fames |

La baie de Yenthaé, ou Tehefou, est fort belle; les côtes qui l'entourent sont en pente douce, et le terrain ne s’élève que graduellement jusqu'à de médiocres montagnes qui ferment l'horizon. Le quartier des Européens fait bonne mine, et les environs de cette ville non murée, sont variés et jolis. Le climat y est sec et sain : ce serait donc un séjour agréable, Déjà, c'est un lieu de bains de mer et un rendez-vous de plusieurs Européens qui y viennent passer la saison chaude. On sait qu'ici la mer ne gêle plus en hiver, comme cela a lieu dans le reste du golfe du Tchély.

Je vois ici de nombreuses barques chinoises occupées à la pêche des Maquereaux, des Dorades et des Turbots,

Après midi, nous levons l’ancre, pour aller charger du charbon dans un petit ilot voisin qui appartient à la France. Pendant que l'équipage tra- vaille à monter la houille anglaise, dont il y à toujours un dépôt, je descends à terre avec M. Labarrière, son second M. Gabet, et le docteur Jollet.

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La roche qui compose l’île est un grès très-siliceux et schisteux, d’une couleur roussâtre; quelques schistes offrent des traces de charbon dans les parties inférieures et plus calcaires, qu’on trouve vers la mer. L'ilot très- stérile contient un village; on y cultive du blé, du maïs, etc. Plusieurs collines sont couvertes en partie de pins, de chênes à feuilles de châtaignier et de chênes à grandes feuilles; j'aperçois aussi quelques taillis de chênes destinés à l'entretien des vers à soie quercivores.

Je rencontre déjà ici bien des plantes qui sont inconnues à Pékin : un Oxalis (corniculata ?), le Convolvulus soldanella, une sorte d’Acacia nain, un ARubus à fleurs roses, un Dolychos ligneux, un grand Carduus, un Statice à fleurs rouges, un Lychnis à fleurs blanches, le Thymus algeriensis non encore fleuri, etc.

Beaucoup de Martinets à ventre blanc (Cypselus vittatus ?) voltigent sur les collines et autour du phare qui domine élégamment le pic le plus éminent de l’île. C'est en vain que nous brülons beaucoup de poudre en essayant d’abattre quelqu'un de ces oiseaux au vol puissant. Mais je ne suis pas plus heureux aujourd’hui que par le passé; quoique j'aie vu des milliers de ces Martinets, ici et ailleurs, jamais je n’ai eu la satisfaction d’en posséder un échantillon, pour en constater sûrement l’espèce. Je suis pourtant à peu près certain qu'il s’agit ici du Cyps. vittatus, Jard., et non du Cyps. apus ? de Pékin, ni d’un Dendrochelidon inconnu, à longue queue fourchue, que j'ai vu aussi dans la Chine septentrionale.

Les autres oiseaux terrestres aperçus dans l’île sont l’Hirondelle commune et un Hobereau. En fait d'oiseaux aquatiques, il y a des Cormorans, des Goëlands et des Huîtriers ; M. Gabet tue un magnifiqne exemplaire de ces derniers, que je prépare pour le Muséum.

Je ne vois ici presque point d'insectes, et le seul Lépidoptère nouveau est un Deilephila que je crois être le D. pinastri. La marée basse nous laisse voir des rochers calcaires couverts d’huîtres et d’autres coquilles ; il y à aussi des Anémones de mer; mais point d'Oursins, d’Astéries. On me dit que ces eaux abondent en Poulpes.

Le soir, après avoir terminé l’approvisionnement de houille et de vivres, nous nous remettons en route sur une mer parfaitement plate et phosphores- cente ; la mer d'huile des marins.

9 juin. La matinée est belle et la mer encore calme. Mais bientôt

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il vient un brouillard épais du S.-E., et l’on stoppe pendant une petite heure. Peu à peu le temps se refroidit et le ciel se couvre de nuages venant du Cap Chantong, d'où nous avons entendu, la nuit précédente le roulement lointain du tonnerre. Il paraît que ce cap est célèbre par ses brouillards immanquables. Je vois quelques grands Pétrels gris (Puflinus leucomelas ?) qui rasent en se dandinant les vagues agitées.

10 juin. Le voyage continue sans nouveautés; seulement la mer devient de plus en plus houleuse, et j'en souffre passablement : quel vilain mal que ce mal de mer! comme il avilit l’homme! |

11 juin. I] pleut, il vente du côté qui nous est contraire; la naviga- tion devient de plus en plus agitée et pénible. À midi, commence une épou- vantable tourmente, qui ne cesse qu'à minuit. Je souffre du mal de mer plus que jamais, et jusqu’à regretter de m'être embarqué sur ce bateau; le commandant, pourtant, a pour moi la plus grande bonté, les plus grands égards, pour lesquels je lui saurai toujours gré.

Nous n’avancons pas d’un pas pendant ces douze mortelles heures, quoi- que la machine à vapeur fonctionne toujours de toutes ses forces pour lutter contre l'orage.

12 juin. Enfin, à uné heure après minuit, la tempête devient moins impétueuse ; et notre pauvre canonnière, toute ruisselante et sale par son combat contre les éléments, peut commencer à avancer. Peu à peu la mer se calme et la journée se fait bonne. Nous apercevons quatre soufileurs, gros cétacés d’une espèce que je ne connais pas (peut-être le Balænoptera Swinhoei ?)

Bientôt, la aude; jaune des eaux nous avertit que nous approchons de l'embouchure du Yangtzékiang; de même que la vue de la petite île pyrami- dale de Cha-wé-chan nous annonce le voisinage de la terre. Dans la soirée, nous pénétrons et jetons l’ancre dans le Yangtzékiang qui est tellement large à son arrivée à la mer, qu'on n’en aperçoit point les rives.

13 juin. La nuit a été belle et bonne; la matinée l’est aussi. Nous remontons le fleuve Bleu et pénétrons dans son affluent, le Wampo, sur lequel est bâti Changhay, jusqu’à la maison du commissaire français. C'est M. Conflans; il m'invite à aller déjeuner chez lui avec le commandant. Les bords de la rivière sont verdoyants; j'y vois des Hérons crabiers, des Coucous, des Pastors, des Drongos. Le petit et si vif Cisticola cursitans

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s'élève de temps en temps au-dessus des roseaux (phragmiles) en faisant “entendre son habituel tic, tie, tic, de sa voix la plus argentine. Cet oiseau me paraît différer peu ou point de celui que j'ai examiné autrefois dans les plaines d'Oristano, en Sardaigne. Je prends, suçant les parties tendres des roseaux, une sorte de gros Pentatoma d’un roux pourpre. Il y a très-peu d'insectes et les plantes offrent peu de variété. Je retrouve parmi celles-ci notre Trigeron canadense d'Europe.

Nous arrivons à Changhay vers trois heures. La vue de cette ville me fait une grande impression : il y a si longtemps que je n’étais plus habitué à cet air de grandeur, d’aisance et de propreté !

Je descends dans notre Procure, chez M. Aymeri qui habite cette ville depuis longues années et y fait les affaires de toutes nos missions de Chine avec un zèle et une habileté au-dessus de tout éloge, et avec l’estime générale de la population européenne.

14 juin. Dimanche. Ciel couvert dès le matin; le soir orage et temps " assez frais.

J'ai la satisfaction de rencontrer à Changhay les membres de la célèbre expédition du Mékong, qui viennent d'y arriver en même temps que moi. Ce sont M. Garnier, ancien camarade de M. Labarrière, qui a remplacé M. de Lagrée, décédé au Yun-nan, d’une affection du foie; M. de Carné, chargé de l’histoire anecdotique du voyage; M. Torel, chargé de la botanique; M. Joubert, s'occupant de géologie et des dessins ; et un autre monsieur dont j'ignore le nom. 1] n’y a pas malheureusement de zoologiste parmi eux.

M. Garnier a la complaisance de me donner de très-utiles renseignements sur les régions qu'il a parcourues et vers lesquelles j’ai l'intention de m'appro- cher le plus possible. Il me dit que le cours du fleuve Bleu est souvent mal indiqué sur les cartes ; que ce fleuve est inférieur en grandeur au Mékong, qui, à la même distance de la mer, est beaucoup plus large que le Yangtzé.… L'expédition n’a pas pu aller plus haut que le Yun-nan, à cause des mahomé- tans révoltés. Il m'apprend que cette province paraît très-riche en oiseaux et en insectes, ainsi qu'en métaux de plusieurs espèces. Il est entrecoupé de hauts plateaux et de profondes vallées, réunissant les climats et les produc- tions les plus variés.

J'ai aussi l'occasion de voir aujourd’hui M, Jamet, qui est revenu du Yun-nan, avec l'expédition. Ce missionnaire m’annonce que pendant l'été il

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est impossible, ou au moins très-dangereux et très-long de remonter le Yang- izékiang, dont les eaux sont alors hautes et impétueuses. Dans les temps les plus favorables, la barque chinoise emploie trente et quelques jours pour franchir l’espace qui est entre Hankeou et Tchong-kin au Se-tchuan. Force m'est donc d’attendre jusqu’à l’hiver, pour songer à pénétrer dans les provinces occidentales. Comme ressources d'histoire naturelle, il me dit que le Se-tchuan est un pays déboisé, formé en grande partie de petites collines; mais que, sur les frontières occidentales et vers le Thibet, je trouve- rai de grandes montagnes encore boisées et nourrissant beaucoup d'animaux intéressants.

15 juin. Pluie torrentielle et longue dans la matinée. A propos de climat, M. Aymeri m’apprend que sur trois jours il y en a un de pluie à à Changhay : ce n’est plus Pékin ; nous avons, dans l’année, au moins trois cents jours de sécheresse.

Quelques Européens de Changhay aiment à tenir des oiseaux en volière, soit pour leur propre jouissance, soit le plus souvent pour les expédier aux jardins d’acclimatation d'Europe. La gent emplumée que je vois chez eux con- siste en quatre espèces de Faisans (Ph. torquatus, Reevesi, nyctemerus et pictus), le beau Satyre de Temminck, que je vois pour la première fois en vie ; la Bartavelle orientale; le Canard mandarin; la Tourterelle chinoise ; le Padda et le Munia acuticauda. Quant aux Chinois, ils n’ont point de volières, et moins encore de faisanderies ; et les Faisans argentés et les Canards manda- rins qu'on voit ici ont été portés du Japon l’on aime à élever les oiseaux.

J'observe, sur les arbres des jardins de la ville, une quantité de cocons, d’un tissu extrêmemement fort et tenace, qui adhèrent aux branches par leurs extrémités allongées : je les prends pour des cocons de quelques bombyæ. Mais M. Fournier, frère coadjuteur de M. Aymeri, qui a du goût pour les choses de la nature, m'apprend qu'ils sont l’ouvrage d’un papillon diurne, très-connu à Changhay et dans toute la Chine méridionale; il est tout noir, avec quelques taches blanches aux ailes inférieures. Je pense qu’il s’agit du P. pammon. Jusqu'à présent, je ne connaissais, dans le genre Papilio, que des chrysalides nues.

16 juin. La pluie a cessé, le ciel est magnifique ; mais le temps est toujours assez frais pour la saison.

D’après les nouveaux renseignements reçus, je me suis résolu à aller

2h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

passer quelques mois dans le Kiangsi, je pourrai commencer à faire quel- que chose pour l’histoire naturelle. Là, je trouverai chez mes confrères qui dirigent les missions de cette province centrale toutes les facilités pour mes opérations. Mais, quand il faudra aller travailler plus loin à l’ouest, il y aura une difficulté particulière, dont je n'aurais pas à me préoccuper en Europe : c’est la question de l'argent. En Chine, il n’y a d’autre monnaie que les sapèkes de cuivre. L'argent y est en lingots et il est considéré comme une marchandise. La valeur en change selon les temps et lieux; on l'échange ‘contre les sapèkes, au fur et à mesure des besoins; mais l'Européen perd tou- jours à l'opération.

Si j'ai à vivre dans les régions lointaines, pendant deux ou trois ans, l'argent qu'il m'y faudrait porter est en telle quantité, que le transport (qui doit se faire souvent à dos d'homme) me viendrait à coûter très-cher, sans compter qu’il exciterait les tentations des nombreux voleurs du.pays. Heureu- sement pour moi, cette fois encore, ce sont les missionnaires qui me tirent d'embarras : M. Lemonnier, procureur des missionnaires des provinces occidentales, a la bonté de se charger de me faire donner, par les commerçants chinois de ces régions, tout l’argent qui me sera nécessaire ; même à Moupin, principauté thibétaine indépendante, il faudra que j'aille séjourner quelques mois. : A propos de Moupin, j'ai la chance de rencontrer chez M. Lemonnier un Chinois , ex-élève des missionnaires de cette contrée si riche en productions d'histoire naturelle. Celui-ci m’apprend que c’est le directeur du collége, M. Arnal, qui s’est surtout occupé de se procurer et faire préparer tous les oiseaux et mammifères intéressants et nouveaux, qui ont été envoyés à M. Dabry et à M. Perny, et par eux transmis en Europe, comme le Lophophorus L'huisi, l'Ithaginis Geoffroyr, le Crossoptilon thibetanum, etc. C’est donc à M. Arnal que revient le mérite de la découverte de ces espèces nouvelles ; et je suis étonné de ne voir jamais citer son nom dans les rapports et les descriptions qui en ont été faites : sie vos, non vobis..….! Ce jeune homme m’annonce que, bien que les recherches de M. Arnal aient duré deux ans, ses chasseurs ne sont point parvenus à lui procurer les échantillons de tous les animaux qui peuplent les bois de Moupin. 11 y aura donc encore quelques glanures pour moi, au moins dans les espèces les moins remarquables.

Cette après-midi, je vais faire une seconde visite au consulat de France,

BULLETIN, 25

pour y voir les animaux que MM. Garnier et Ci° ont rapportés du Yun-nan. Il y a un jeune Ours vivant, très-noir, à poil court, et à croissant blanc sur la poitrine (Ursus tibethanus). Cet animal diffère de mon Ours noir de Pékin par des teintes plus foncées, par les oreilles et les pattes relativement moins grandes, et par un naturel beaucoup plus doux. Quel est donc l'Ours péki- nois que je rapportais à l'espèce thibetaine, avant d’avoir eu des objets de comparaison ?

Ces messieurs rapportent aussi un fragment d’une très-grande dent fos- sile, d’un carnivore inconnu (?), qui leur a été donnée par un missionnaire, M. Vincçot, de la partie orientale du Se-tchuan.

Les oiseaux vivants qu’ils possèdent consistent en Thaumalea Amherstiæ, Ceriornis Temminckii, Phasianus...? (analogue au Ph. torqualus, mais sans collier) : c’est une variété remarquable et probablement une espèce nouvelle non encore décrite. Ils ont aussi deux Pigeons vivants qui ne me paraissent point différer du €. rupestris, Pall., si abondant dans les montagnes de Pékin.

17 juin. Je vais faire un tour à la campagne de Changhay. Les oiseaux que j'aperçois sont : Munia acuticauda, Cisticola cursitans, Suthora webbiana, espèce abondante dans cette pee et identique à celle de Pékin, je ne l'ai rencontrée qu'en montagne.

Les insectes sont peu abondants ; je récolte un Syntomis dont l'abdomen est elégamment annelé de jaune d’or, un Sesia aux ailes vitrées; et, sur l'Urtica nivea qui croît communément sur les murailles de la ville chinoise, je fais une bonne provision d’un joli Bupreste noir et blanc, et d’une espèce d’Agrilus.

Les canaux et les flaques d’eau qui abondent autour de la ville m'offrent une petite Grenouille inconnue à Pékin, Rana gracilis, et un curieux petit poisson, une sorte de Gobius, qui se tient habituellement hors de l’eau. à la manière des grenouilles. Quand on le trouble, il se meut avec assez de vivacité, au moyen de ses nageoires pectorales, et file, en sautillant rapidement sur l’eau et sans s’y enfoncer, jusqu’au bord opposé.

- La végétation est peu variée ; je remarque un Spiranthus à fleurs roses et à odeur de vanille.

Les gens du pays me disent que les mammifères de la contrée con- sistent en une Civette qui vit dans des terriers, en une Taupe très-petite, etc.

VII, d

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Les animaux employés au travail des champs sont : le grand et beau Buffle arni, aux immenses cornes disposées en arc parfait, et le Zébu chinois : deux espèces qui ne vivent pas dans la Chine septentrionale.

18 juin. Pluie pendant toute la journée. Le baromètre est très-bas, et le temps toujours frais, au point que M. Aymeri porte la houppelande,

A propos de baromètre, M. Garnier m'apprend que, dans ces mers, la hauteur moyenne barométrique est de 758%", 7.

19 juin. Temps couvert. Baromètre 2 heures) 754"*. Rien de nouveau.

20 juin. neuf heures et demie) Barom. 756" ; therm. 23°. Nous prenons, dans notre maison, une grosse Couleuvre que je mets en bouteille pour le Muséum.

21 juin. (Neuf heures.) Bar. 756". ; therm. 22°.

22 juin. (Neuf heures.) Bar. 754""; therm. 25°. Aujourd’hui il fait chaud, et la journée est fort belle. En compagnie de mon confrère, M. Taglia- bue, je fais une course à Sikawé, les pères jésuites ont un grand et bel éta- blissement. J'observe en route qnelques petites troupes de Cyanopica Cyanea, qui parcourent familièrement et en babillant les haies et les arbres de la plaine; et dans un village, les Friquets (Passer montanus) offrent le curieux phéno- mène qu'ils sont presque tous atteints de mélanisme ! Dans le magnifique jardin du collége, on cultive plusieurs plantes européennes, que je n’ai pas encore vues en Chine, comme : le Dalhia, le Peuplier d'Italie, le Cerisier, etc. Le P. Pfister, mathématicien et astronome, s’occupe aussi d’entomologie; tandis que le P. Eudes est actuellement en train de collectionner les Poissons du Yangtzékiang. J'espère que leurs recherches profiteront aussi à nos collections nationales du Muséum. On me parle encore du projet qu’on a de fonder à Nan-kin un institut scientifique, destiné à étudier la Chine sous tous ses aspects.

Je trouve sous les pierres humides quelques Annélides, blanchâtres et très- longs, en forme de tænia : on m’apprend que c’est une espèce abondante au pays.

23 juin. Temps couvert et très-chaud ; vent de midi.

Je fais mes préparatifs pour m'embarquer ce soir, pour le Kiangsi, sur un de ces grands bateaux de la compagnie Russel, qui font le service de Hankeou. M. Aymeri obtient pour moi, en ma qualité de missionnaire, la

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demi-place, et je ne paye que 25 taëls au lieu de 50 taëls (400 francs), qui est le prix ordinaire. Ce serait encore fort cher pour l’Europe ; car il ne s’agit que d’un trajet de deux ou trois jours.

Nos sœurs de charité tiennent, à Changhay, l'hôpital européen. Je vais les saluer et prendre leurs commissions pour le Kiangsi, l’on songe à fon- der aussi une maison de sœurs. Depuis le départ de la sœur de Jaurias pour Pékin, c’est la sœur Pasquier qui est supérieure ici; et, parmi ses compagnes, je reconnais avec plaisir la sœur de Mervé, qui nous avait tous tant édifiés par son dévouement pendant notre longue traversée de France en Chine. Dans le monde, on donne facilement le nom de vertueuses aux personnes qui se consacrent aux œuvres de charité; mais il est toujours très-diffcile de sacri- fier, pour Dieu et le prochain, tous ses plaisirs, toutes ses satisfactions, pres- que toutes ses légitimes sympathies, et pendant toute sa vie... Le monde ne peut guère comprendre cela complétement.

Vers le soir, grand orage et pluie, je m'embarque à huit heures.

24 juin. Pluie dans la matinée et presque tout le jour. Quoique tout le monde se soit embarqué hier soir, ce n’est que ce matin après minuit que le Hirado (nom Japonais de notre steamer) s’est mis en mouvement. Nous naviguons rapidement contre le courant de cet immense fleuve, dont nous ne pouvons encore presque point apercevoir les rives. Je suis le seul voyageur européen dans les grandes cabines; mais les petites cabines regorgent de Chinois, qui y fument tranquillement leur opium aux vapeurs nauséabondes, que le vent porte jusqu’à nous par bouffées.

Le soir, on stoppe un moment devant Tchenkiang et Nankin, pour y prendre et laisser des hommes et des effets. Il monte quelques nouveaux VOya- geurs européens; je ne suis plus seul avec le brave M. Mac-Queen, Ecossais, commandant du vapeur. M. Diniz, bon catholique portugais, le juif Elias et le nouveau consul de Kiou-kiang, sont venus augmenter notre société.

25 juin. Aujourd’hui, notre navigation devient plus intéressante : le fleuve a ses bords plus rapprochés, l’on voit des montagnes au sud. Le temps est couvert, mais sans pluie jusqu’au soir, il y a encore orage. Pendant l’averse, j’aperçois deux Marsouins d’une couleur blanchâtre ; nous sommes pourtant déjà bien loin de la mer.

Près de Tatoung, d’où l’on va à Taï-ping, et près de Mokou (qui donne son nom à un thé) se voient de hautes montagnes, dont l’une a la crête très-

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hérissée, en forme d’un peigne gigantesque. Quel excellent endroit pour des recherches d'histoire naturelle! J'espère que le P. Eudes ne manquera pas d'explorer ces régions qui appartiennent à sa mission. Déjà, près de nous, les côtes nous apparaissent couvertes d’une abondante végétation de broussailles, spectacle dont je n’ai jamais joui dans le nord de l’Empire partout il y a pénurie de plantes. Plusieurs grands Papillons noirs, viennent voltiger sur notre navire à trois étages, qu'ils prennent sans doute pour un bosquet flottant.

26 juin. —- Menace de pluie dès le matin, Ce sont les frontières du Kiangsi, que nous longeons déjà à notre gauche; bientôt nous passons devant l'ouver- ture du fameux lac Poyang, dont l’entrée est signalée par une tour placée pittoresquement sur un roc isolé. Les bords méridionaux de cette petite mer intérieure, font de loin, l'effet de falaises abruptes et nues.

En nous approchant de Kiou-kiang, on aperçoit les bords du fleuve com- posés d’une terre de plus en plus rouge et pauvre. Ici la végétation paraît bien moins riche que celle que nous avons admirée hier.

C’est à sept heures et demie, que nous arrivons et stoppons devant la ville des neuf fleuves. Mon bon et cher confrère, M. Rouget, averti de mon voyage, vient à ma rencontre au bateau, malgré une petite pluie fine qui mouille bien. Me voilà vite débarqué et rendu à l’aquatique résidence épiscopale de Mgr. Baldus, il est superflu d'observer que je recois du respectable et savant vicaire apostolique du Kiangsi, l'accueil le plus paternel et le plus cordial; en un mot, je me retrouve en famille.

La ville de Kiou-kiang est l’un des ports intérieurs ouverts au commerce européen; il y à un petit nombre de maisons bâties à la manière occi- dentale : celle des missionnaires est de ce nombre. Elle est commode et assez grande pour y loger le séminaire du vicariat, qu’on y a transféré de l’intérieur de la province, les chrétiens sont toujours plus ou moins molestés par une fraction des lettrés.

La ville est construite, à côté du Yangtzé, sur plusieurs petites collines ; elle est entourée d’une muraille irrégulière, baignée par le fleuve du côté du nord, et du côté de l’est et de celui de l’ouest, par deux lacs d’eau limpide. Mais la plus grande partie de la population chinoise vit hors de l’ancienne enceinte, sur cette langue de terre étroite qui s’étend à l’ouest de Kiou-kiang, entre le fleuve et le grand lac. La position de cette ville, chef-lieu du dépar-

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tement des Neuf-Rivièrex, en faisait autrefois un entrepôt d’un commerce im- portant et un riche centre de population. Mais cette grande prospérité a été anéantie dans la dernière guerre des rebelles Taï-ping, et il faudra longtemps pour qu'elle renaisse.

Les petites collines qui bordent le Yangtzékiang, s'élèvent à mesure qu’on s’en éloigne vers le sud et le sud-ouest. Là, l'horizon est fermé par les sommets du Luc-han ou Ly-chan, la montagne la plus considérable du Kiangsi, qui me paraît avoir environ 4200 ou 1500 cents mètres d'altitude.

Du côté du nord, au delà du fleuve, le pays est parfaitement plainier, et ce n’est qu’assez loin qu’on y aperçoit une chaîne de montagnes, vers le nord-ouest; elles appartiennent à la province du Houpé.

KIANGSI KIOU-KIANG.

27 juin. Barom. 750"" ; therm. 27°. Beau temps.

Ma première journée du Kiangsi est toute employée à reconnaitre les productions des environs de Kiou-kiang, avec un empressement et une avidité que le naturaliste peut seul comprendre : ce pays est si différent de ceux que j'ai examinés jusqu'ici! Et d’abord, je fais une excursion dans l’in- térieur de la ville murée qui est à peu près déserte depuis que les Taï-ping l'ont saccagée et brûlée. La plupart des habitations chinoises, sont rangées le long du fleuve et près de la concession européenne. La population ne paraît pas hostile aux Européens, quoique son naturel paraisse plus ardent que dans le Nord, les enfants, en particulier, paraissent sensiblement moins rete- nus et plus tapageurs qu'à Pékin; ils folâtrent et se querellent presque autant que des Européens.

Je trouve ici une végétation presque toute nouvelle pour moi. Les lacs d'eau claire sont couverts de Trapa bicornis sur lesquels je vois courir des gracieux Parras (Hydrophasianus sinensis), aux longs doigts armés d'ongles démesurés. Les Chinois donnent le nom de Faisans d'eau (Choui-ki) à ces oiseaux noirs el blancs avec une tache dorée sur le cou, et dont la queue mince est très-lonzue. Quelques petites Sarcelles (Vettapus coromandelianus), à tête et collier noirs, butinent aussi parmi ces herbes aquatiques et volent successi- vement du lac sur les toits des maisons, et de à l’eau.

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L'une des plantes les plus communes, est l’Ortie blanche ou Tchou-ma (Urtica nivea) ; elle-croit dans tous les vieux murs, dans tous les fossés. Je remarque plusieurs Fougères nouvelles pour moi, entre autres, l'espèce grim- pante, si délicate et si élégante ; plusieurs Rosiers, Ronces, Clémaltites, Aristo- loches, Smilax, Cucurbitacés, différant de leurs congénères du Nord. Je songe tout d’abord à récolter et préparer des échantillons de toutes ces plantes pour l'herbier du Muséum.

Comme le pays est complétement déboisé, les oiseaux sont peu nombreux ; ceux que j'aperçois aujourd'hui, outre les espèces aquatiques déjà notées, le Martin-pêcheur vulgaire, et les Hérons blanc et cendré, sont : Acridotheres cristatellus, 1x0 sinensis, Suthora webbiana, Garrulax perspicillatus, Embe- riza cioides, Tinnunculus alaudarius, les Hirundo quitturalis et Daurica. Les Martinets communs de Pékin manquent ici comme à Changhay.

Le Milan noir (M. melanotis) est aussi abondant ici que dans tout le reste de la Chine. Le seul Moineau du pays paraît être le Friquet, Passer montanus ; les Corbeaux sont, le C. sinensis, et le C. torquatus. La Pie commune (Pica media?) ne semble pas abondante ici comme dans le Nord. ER

En fait d'insectes, je capture le Papilio Xuthus qui est très-nombreux, ainsi que le Thaïs Telamon, jolie espèce à longues queues, que je pensais jus- qu'aujourd'hui propre seulement à la Chine septentrionale. Je prends aussi les Piérides du chou et de la moutarde, les Vanesses et Atalante, le Colias de Pékin, un Macroglossa nouveau, etc. Les principaux Coléoptères qui m'offrent des formes nouvelles pour moi, sont deux Longicornes, deux Cétoines, deux Anomala. Il y a énormémement de Libellules, une entre autres qui à les ailes noires; ces méchantes bêtes détruisent les Lépidoptères.

Mais, je ne dois pas laisser les Papillons sans noter que, parmi les espèces prises aujourd’hui, il y en a encore trois qui me paraissent les mêmes qu’en Europe : Polyommatus phoas, Satyrus phodra, et Argynnis adippe.

Une jolie petite Cigale verte que j'ai récoltée abondamment à Changhay dans les herbes, ne se voit plus ici que rarement.

En somme, quoique je sois assez content de ma première journée, je comprends déjà qu’il n’y aura point de grande nouveauté à me procurer dans ce pays; et je reporte mes principales espérances aux lointaines montagnes thibétaines. .. Toujours le futur !

Dans la conversation du soir, qui roule naturellement sur les objets de

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mes recherches, monseigneur Baldus me dit que, dans la partie le plus occi- _dentale du Honan, sa grandeur a résidé longtemps, avant de venir au Kiangsi, il existe des poissons-crieurs ! que les Chinois appellent oua-oua-yu, et qu’il en a même mangé. Qu'est-ce? des salamandres peut-être? Nous ver- rons plus tard; cette information mérite attention. Monseigneur raconte aussi un curieux trait de mœurs des animaux, dans une région montueuse de son ancien vicariat : les chrétiens ayant pris ses petits à une louve, celle-ci parvint à trouver la maison on les avait portés; mais ne pouvant reprendre ses petits, elle enleva ceux d’une chienne de la maison, les emporta dans* sa caverne et les éleva comme siens. Ces chiens furent vus plus tard ; et ils étaient sauvages comme de véritables loups; leur voix avait même un peu changé. On leur donna la chasse, et c’est avec beaucoup de peines qu’on parvint à en tuer deux. | -

28 juin. dix heures) Bar. 750""; therm. 25°.

Ciel couvert au matin ; plus tard, pluie.

Malgré le mauvais temps, je continue mes chasses. Les Sarcelles des toits sont nombreuses; j'en prends des échantillons. Ce sont des oiseaux peu sau- vages et dont quelques individus restent en permanence au haut de notre chapelle. , .

Je vois passer deux Dicrurus que je prends pour le D. macrocercus.

29 juin. Bar. 749°*, Temps frais.

Je tue deux Parrus d’un coup ; un troisième à mon approche plonge et disparaît sous l’eau pendant plusieurs minutes, pour aller reparaître au loin. Je suis étonné de voir faire ce manége à ces oiseaux dont les doigts ne sont ni palmés ni lobés.

30 juin. Barom. 750"*. Le temps se remet au beau.

Le Ly-chan montre pour la première fois sa cime à nu. Je continue mes recherches sans grands résultats.

juillet 1868. Barom. 751"*. Temps chaud et ciel serein.

Excursion à Nazareth avec les séminaristes et leur directeur M. Rouget. On a donné ce nom de Nazareth à une maison qu'on à bâtie à l’européenne vers l'extrémité méridionale du lac, et qui a logé aussi quelques années les élèves du séminaire. Aujourd’hui elle leur sert de lieu de promenade. À une lieue plus au sud encore, il y a la sépulture d’un célèbre lettré du pays, qui est environnée de grands arbres, presque les seuls du canton. S'il ÿ a donc

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des oiseaux dans la région, c’est qu’ils doivent concourir. Je pousse jusque- avec nos jeunes gens. Les petites collines que nous parcourons sont cou- vertes d'une meilleure végétation; il y a quelques Chênes, de petits Châtai- gniers qu'on coupe tous les ans et qui donnent néanmoins d'excellents petites châtaignes, des Pins à feuilles minces (P. sinensis), le beau Cunninghamia sinensis, une sorte de Platane à feuilles triangulaires, ou Liquidambar, et quel- ques autres essences inconnues de moi. Le Camphrier, qui abondait naguères dans ces régions, a complétement disparu par les ravages des rebelles, Plusieurs sortes de Xanthoxylon abondent dans les haies, et le Melia Azedé- rach? auprès des habitations. Ce qui m'étonne, c’est de ne rencontrer ici aucun exemplaire de l’Ailante, arbre si rustique et si commun dans tout le Nord.

Quoique le soleil soit chaud, notre promenade est délicieuse. Avant de repartir, pour diner à Nazareth, je tue dans le bosquet funéraire un Geai, Garrulus sinensis, d'une espèce que je n’avais pas encore rencontrée; car celui de Pékin est le G. Brandti qu'on retrouve jusque dans la Sibérie. Les autres oiseaux acquis ce matin sont : le Cyanopica cyanea, V’Ixos sinensis, le Pako ou Acridotheres cristatellus, et un Milvus mélanotis.

Chemin faisant, nous prenons aussi un très-joli Lézard, Tachydromus sex-lineatus, à longue queue très-mince, inconnu dans le Nord; il est gris en dessus, vert aux flancs, et vert pâle en dessous; il aime à grimper dans les buissons avec agilité; tandis que le seul petit lézard gris ocellé de Pékin (Eremias variabilis), a des goûts tout à fait terrestres. Nous récoltons encore quelques insectes nouveaux, entre autres, un Curculionide d’assez forte taille qui abonde sur les chatons du châtaignier nain qui couvre une partie de ces collines.

J'observe que, ici comme dans le reste de la Chine, l’Acacia Julibrizin ou de Constantinople, est fort commun; est-ce son pays d'origine ?

Il est presque nuit quand nous nous éloignons de Nazareth et de ces rizières les Grenouilles commencent déjà leur ramage, auquel se mêle le cri si fort de la Foulque, Fuliea atra. Nous mettons une demi-heure à traverser en baleau le lac Tranquille, qui nous mène jusqu’à la porte même de notre maison.

2 juillet. Barom. 754""; therm. 29° 1/2 dix heures.)

Ciel couvert au matin et vent assez fort; plus tard le temps devient plus

chaud, et dans ma chambre le thermomètre monte jusqu'à 31°. Journée em-

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ployée en préparations; je vois un vol de Hérons gris se nsrviné vers l’ouest, en se tenant en forme de V à la manière des Grues.

3 juillet. Barom. 755" ; therm. 32°; vent du sud-ouest. Ciel serein.

Pas de nouveañtés, si ce n’est que, pendant que je suis à herboriser, je rencontre des Chinois, qui portent des charges de tiges de haricot chanvre. Ges haricots, qui croissent spontanément et en abondance dans toutes les col- lines incultes, poussent de très-longs sarments ligneux dont les indigènes obtien- nent des fibres textiles, avec lesquelles on fait des tissus très-estimés et extrêmement solides. Voici comment on me dit qu’on procède pour extraire le fil: On suspend ces tiges à des cordes tendues autour d’un feu; et quand elles se sont ainsi chauflées peu à peu, les femmes chinoises séparent et divi- sent, avec leurs longs ongles, l'écorce qui vient facilement et qu’on lave après à l’eau. Ces longs fils naturels se tissent sans être tordus.

h juillet. Barom. 755"" ; therm. 31°: Vent sud-est.

Ce matin, je tue sur le lac un second Parru en parfait état; un autre blessé disparaît sous l’eau, sans que je puisse voir il en ressort pour respirer : ces beaux oiseaux peuvent donc y retenir leur respiration pendant plusieurs minutes. Je remarque que dans cette espèce d'Aydrophasianus, les mâles sont sensiblement plus petits que les femelles. Ces oiseaux ont le vol plus soutenu et plus haut que les Poules d’eau; il poussent souvent un cri fort, une sorte de ricanement très-curieux, qu'on entend aussi quelquefois la nuit,

Mon domestique Ouang Thomas, ce même jeune Pékinois qui m'a accompagné dans le voyage de Mongolie, m'aide beaucoup, quand il le veut, dans mes chasses aux Insectes et aux Reptiles : rien n'échappe à ses yeux de lynx. Aujourd’hui il me porte, entre autres choses, la première Reinette que j'aie vue en Chine, c’est je crois, celle que les auteurs anglais distinguent sous le nom d’AHyla sinensis. Elle est d’un vert pâle en dessus, d’un blanchâtre argenté en dessous, avec une raie noirâtre dans la région des oreilles. Elle me paraît différer peu de l'espèce commune d'Europe, si tant est qu'elle en difière.

Aujourd’hui, je vois encore entre les mains d’un enfant un échantillon du Rat commun du Kiangsi, qui n’est point le même qu'à Pékin. Il est surtout reconnaissable à la couleur roux de rouille qui s'étend de son cou sur son dos. ; 5 juillet. Barom. 754"; therm. 29 1/2°.

vHi.

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Le matin le ciel est couvert, l'atmosphère tranquille, le Ly-chan caché dans les nuages; dans l’après midi, vent violent de nord-est. En allant ce malin dire la messe dans l'établissement de lorphelinat, dans l'enceinte de la ville ancienne, je trouve croissant en abondance dans le jardin un Sureau yèble qui me paraît identique avec lespèce européenne. Mais il est impos- sible de décider la question d’identité sans avoir sous les yeux les objets de comparaison; aux deux extrémités de l’ancien continent la plupart des espèces végétales et animales doivent être différentes, quant à l’Yèble, je ne l’ai point observée dans la Chine septentrionale croissent deux espèces de Sambucus, le S. racemosa, aux montagnes, et le S. Williamsii, dans la plaine.

C'est aussi sous les décombres de ce même jardin qu’on prend pour moi une vipère très-venimeuse, le Trigonocephalus Blomhoffi, espèce que j'ai envoyée autrefois à Paris, provenant de la Mongolie.

Cet orphelinat de Kiou-kiang n’est pas très-nombreux, les enfants qu’on _ y élève avaient été dispersés au temps des rebelles et à cause de la mauvaise volonté des lettrés du pays, de leur ancien établissement qui était à l’intérieur de la province. Les pelites filles abandonnées par leurs parents et recueillies par la charité chrétienne, sont assez nombreuses. Ici, à défaut des sœurs de charité, ce sont de bonnes femmes chinoises, qui les élèvent et les instruisent jusqu'à l'âge on les marie. Malgré cela, la malignité chinoise des païens, ne manque pas de dire que les missionnaires ne recueillent ces pauvres aban- données que pour les envoyer aux lupanars d'Europe. Ils nous jugent d’après eux-mêmes; car ce n’est que dans un mauvais but qu'eux sauvent la vie aux petiteslilles d'autrui, chez lesquelles ils trouvent quelque disposition à la beauté. Quant aux petits garcons, les Chinois de cette contrée en exposent fort peu depuis que la guerre de rebelles a terriblement décimé le nombre des hommes dans les familles; aussi, le directeur de l’orphelinat me dit-il que, quand quel- qu'un des enfants de l'établissement parvient à l’âge de puberté, et qu'il est doué de qualités physiques suffisantes, il est avidement demandé pour être adopté par les familles chrétiennes dont les fils ont été tués pendant les troubles.

6 juillet. Bar. 753%"; therm. 29°. Temps orageux; vent du nord- est, il pleut le soir,

Pour être plus rapproché des montagnes et avoir plus de facilités pour mes recherches d'histoire naturelle, je me résous et me prépare à aller m’éta-

BULLETIN ET

blir dans la maison, ou villa, de Nazareth je me trouverais en pleine cam- pagne. Le local, que j'ai visité dernièrement, offre toutes les commodités voulues pour mon but; il y a une chapelle se réunissent les quelques chré- tiens de l'endroit. Là, je ne serai qu'à une lieue, ou même moins, de la résidence épiscopale de Kiou-kiang, d’où il faudra que je tire toutes mes ressources d'alimentation pour moi et mon Chinois. Je fais donc aujourd'hui une bonne provision de riz, qui est bon et pas cher ici, de fromage, de hari- cots, d'ail confit dans le vinaigre, de thé et de sucre. Quoiqu'en Chine, nous prenions toujours le thé sans sucre. J'ai l'habitude d'acheter du sucre chi- nois partout j'en trouve, pour boire de l’eau sucrée en guise de vin; car je me trouve mal d’user des boissons que les Chinois extraient des grains fermentés : malheureusement, il n’y a pas de sucre partout. Mais, ici comme ailleurs dans l’intérieur de la Chine, point de lait, point de vin de raisin, point de viande bovine si ce n’est par exception; item, pour le pain. Cependant, à Kiou-kiang un Cantonnais fait du pain à l'européenne pour les étrangers du port; mais il le vend à un prix si exorbitant, que je renonce à m'en pourvoir habituellement. Par bonheur, on trouve à acheter au pays quelques œufs, dif- férentes sortes de cucurbitacées; mais presque point de poisson en cette saison,

7 juillet, Bar. 750%; therm. 29°. Il pleut au matin et vente. Cest à trois heures et demie que je m’embarque dans le bateau de la maison, pour me transporter, avec tout mon avoir, dans mon ermitage de Nazareth. Un confrère chinois, le P. Yen, chargé de la procure de la mission, veut bien m'accompagner pour m'y établir au mieux. Mais à peine avons-nous dépassé le milieu du lac, tranquille jusque-là, que le vent devient violent et tourne contre nous ; bientôt, malgré les efforts de notre rameur, robuste mais peu expérimenté, nous nous trouvons poussés rapidement et engagés dans un dédale inextricable d’épaisses herbes aquatiques. Nous sommes en dan- ger de chavirer et exposés à l'ouragan et à la pluie qui recommence, jusqu'à ce que nous parvenions à nous approcher de terre. nous louons un autre bateau qui essaye, mais en vain, de remorquer le nôtre malgré la brise. Enfin, par le secours d’un autre batelier de l'endroit qui connaît parfaitement les sinuosités praticables au milieu de ces lourds végélaux flottants, nous parvenons à nous dégager de l'embarras et à nous diriger à notre port, vers la pointe méridionale du lac. De à Nazareth, il n'y a plus que vingt minutes de chemin; mais à cause de la pluie qui est tombée, les sentiers

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tracés à travers les rizières sont tellement boueux, glissants et peu commodes, qu’il est déjà bien tard quand nous et nos bagages sommes tous rendus à notre nouvelle demeure. Ce sont nos braves chrétiens qui nous aident à cela, non ‘pas gratis, mais avec un dévouement que nous ne pourrions attendre des autres Chinois. Chemin faisant, je trouve un Serpent curieux tué et trop abîmé pour que je puisse en profiter pour mes collections : il est petit, la queue finit brusquement et sans pointe mince ; il est d’un rouge orange au ventre et d’un noir d'acier en haut. Une femme chinoise qui vient de tuer ce reptile, me dit que c’est une espèce très-venimeuse.

8 juillet. Bar. 747"; therm. 26°. Pluie la nuit, toute la matinée et tout le jour, et très-forte.

Le mauvais temps et les travaux d'installation nous empêchent de presque rien faire aujourd’hui pour nos collections. Dans l'intervalle des averses de l'après-midi, je sors sur les petits tertres verdoyants qui entourent la maison: peu d'insectes, quelques plantes inconnues, entre autres, un véritable petit Arbutus, genre que je n’avais pas rencontré précédemment en Chine. Dans le doute que c’est une espèce non encore décrite, je la désigne dans mes notes sous le nom de Arbutus kiangs'nensis.

Le Faisan commun de Chine, Phas. torquatus, paraît abondant dans ces alentours ; pendant la pluie d'aujourd'hui, j'en vois qui s’approchent jusque tout près de ma fenêtre ; mais je me garde bien de les tirer, ayant pris pour principe de ne jamais tuer un animal qui ne m'est pas nécessaire pour mes collections d'histoire naturelle. Je trouve moins de peine à me nourrir au besoin de seul riz de seul millet, que de tuer pour ma table ces pauvres créatures qui jouissent si joyeusement de la vie à laquelle elles ont droit et qui ne ne nuisent pas à la nature qu’elles embellissent au contraire. Cela n'accommode pas toujours mes gens, quand il s'agit de Faisans surtout ; mais je tiens ferme à ma méthode.

C'est aujourd’hui que je rencontre le premier échantillon de cette splen- dide Cicindèle chinoise, si abondante dans les provinces méridionales, mais inconnue à Pékin et dans ses environs. Là, vit lespèce non moins belle, aux élytres rouge de feu, qui ne paraît être qu'une variété du €. tricolor de Si- bérie. Cinq autres espèces du même genre, propres au nord de l’Empire, ne paraissent pas exister sous cette latitude où, sans doute, j'en trouverai d’autres nouvelles pour moi.

BULLETIN. 37

9 juillet. Bar. 747%; therm. 27° 8 heures).

Pluie encore aujourd’hui et pendant toute la journée : c’est dommage. Je ne puis pas exécuter notre projet d’excursion concerté pour ce malin , c'est- à-dire aller jusqu’au pied du mont Ly-chan; cependant mon temps n’est pas tout à fait perdu.

Augustin, l’un des serviteurs chrétiens de la mission, vient de la ville me porter, avec des provisions de bouche, une Tortue en vie : elle est d'un brun verdâtre, avec le cou vert et les yeux d’un jaune clair. C’est l'Emys Revesii, espèce commune dans les rizières du Sud. Il a aussi un autre exemplaire de Vipère, prise à l’orphelinat, ainsi que des Geckos, Platydactylus japonicus. La teinte générale de ces derniers est un noirâtre velouté avec des taches et des points gris comme aussi les yeux; j'observe que dans l'alcool ces couleurs se changent en gris marbré de brun.

D'après mon Chinois, il se trouverait dans ce pays trois espèces de Tor- tues ; mais je crois qu'il se trompe et que les caractères de couleur qu’il m'in- dique ne sont que des différences d’âge d’une seule et même espèce. Je mets

de côté, bien entendu, la Tortue exclusivement aquatique, et qui est la même qu'à Pékin, et en Mongolie dans le Hoang-ho, le Gymnopus perocellatus. Quant à la jolie petite espèce à poils que m'a montrée à Pékin Lady Alcock, et qui provient des affluents du Yangtzé, je n'ai pas assez de données pour former mon opinion sur sa distinction.

La pluie continue jusqu’à la nuit. Vers le soir j'aperçois dans le riz un Héron noirâtre que je ne reconnais pas; le Macroule aussi y est, et nous régale jusque fort tard et même pendant la nuit, de son sonore et monotone chant ou cri, avec un immense accompagnement de coassements de Gre- nouilles qui se trouvent égayées et ragaillardies par l’abondante pluie.

Je remarque encore ce soir le chant à trois notes d’un Coucou ; l'espèce de Pékin est la même qu’en Europe, et crie à deux notes comme elle. Mon oiseau d'aujourd'hui est peut-être le Cuculus micropterus de Gould dont M. Swinhoe parle dans ses écrits sur l’ornithologie chinoise.

10 jüillet. Bar. 746°*; therm. 26 1/2° 8 heures et demie).

Encore la pluie aujourd’hui, et une pluie diluvienne. Cela diminue sin- gulièrement ma besogne du jour : j'ai le temps de réfléchir à autres choses qu’à celles du moment. Je ne suis distrait que par le bruit des goultières et par les coassements incessants et polyphones des Grenouilles qui fourmillent

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ici non-seulement dans les rizières, mais jusque dans la maison elles s’aventurent hardiment,

L'humidité accrue par ces pluies torrentielles fait répandre partout ces petits animaux; ils grimpent jusque sur les collines, et il est diflicile de trouver un mètre carré de terrain l’on ne voit sautiller lestement un batracien qui vient fièrement empiéter sur le domaine d’autrui..…

Leurs ennemis homériques ne font pas non plus défaut; non pour se battre contre ces innocents amphibiens que protége la grosse pluie, mais pour infester tous les recoins de notre grande maison. Ils en percent en tous sens les murailles de brique non cuite et les tendres boiseries de Cha-mou ou Cunninghamia lanceola. La nuit dernière a été fort bruyante par les ébats de ces héros de la Batrachomyomachie ; il semble que les Rats et les Souris de tout le canton se soient donné le rendez-vous dans les salles désertes et délabrées de cette grande masure. Jadis les missionnaires y élevaient les jeunes Ghi- nois choisis dans tout le vicariat pour étudier le latin et les sciences néces- saires pour entrer dans la carrière ecclésiastique.

Mais je laisse mes importuns tapageurs pour m'occuper de Eu. kiang et de ses alentours.

Cette ville est fort ancienne et très-renommée dans toute la Chine; elle devait être considérable, à en juger par les murailles qui subsistent toujours. Mais ce qui reste aujourd’hui de la ville intérieure se réduit à fort peu de chose : il n’y a guère plus qu’une longue rue principale près de la porte la plus rapprochée du fleuve Bleu dont les eaux baignent ses remparts au nord, comme je l'ai déjà noté. Tout le reste de l’intérieur de l'enceinte consiste en collines qu’on laisse incultes en grande partie.

Nos Chinois nous disent que ce sont les rebelles Taïpings qui ont ruiné la ville : mais il est à croire que, dès avant les ravages de ces saccageurs, une bonne partie en avait déjà disparu. Peu à peu la population commer- çante s'était transportée en dehors des murailles, le long du grand fleuve, se font à peu près toutes les affaires du pays. C’est que se trouve aussi la concession anglaise sur laquelle s'élèvent une douzaine de maisons euro- péennes habitées par autant d'Occidentaux. Parmi ceux-ci comptent le per- sonnel de la mission catholique et celui de la chapelle protestante.

Avant que nos missionnaires transportassent ici leur résidence principale et épiscopale, il n’y avait point de chrétiens dans la contrée. 1l y en à main-

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tenant un certain nombre de nouveaux, auxquels se sont ajoutés plusieurs familles anciennes transmigrées du Houpé, et s’en ajouteront d’autres qui ont demandé à se faire instruire dans la religion, car, il s’est manifesté un certain mouvement de conversion dans plusieurs lieux des environs.

Les voisinages de Kiou-kiang sont assez remarquables : une série de lacs qui s'étendent sur la rive méridionale du Yangtzékiang, est bâtie la ville, en font une région tout aquatique qui pourtant n'est point malsaine, Tous ces lacs communiquent avec le grand fleuve et en suivent le niveau qui varie considérablement aux différentes saisons de l’année. De vertes prairies flottantes de Trapa bicornis (chàtaignes d’eau) couvrent de grandes surfaces de ces eaux claires, et servent de refuge à l’élégant Parru de Chine, au cou d'or et à la queue longue, comme je l'ai déjà remarqué. L’Aigrette aux blancs panaches, le Héron gris, le Martin-pêcheur et quelques Macroules, sont les seuls oiseaux aquatiques qu’on apercoive sur le lac en cette saison, car la jolie petite Sarcelle à collier noir (Wettapus coromandelianus) n’y descend que rarement; elle aime plutôt à rester sur les toits les plus élevés de la ville et, en particulier, sur notre église.

On devrait s'attendre à ce que l’on fût dévoré de cousins et de mous- tiques dans un pays si aqueux. Il n’en est pourtant rien, et voici, je crois, la raison : ces incommodes tyrans, suceurs de sang humain, ont besoin, pour se multiplier, d'eaux stagnantes leurs larves puissent se développer à leur aise; mais nos lacs sont peuplés d’une multitude de poissons grands et petits, et de chevreites non moins nombreuses, qui ne cessent de faire une guerre à outrance à tous les insectes aquatiques, et détruisent ainsi la progéniture des mouches parasites. Voilà comment je m'explique la rareté des moustiques à Kiou-kiang.

Ici, au contraire, nous nous trouvons dans cette campagne de Nazareth au milieu de rizières et de pelits étangs sans poissons, les cousins naissent et se développent en grand nombre, pour le tourment des voisins.

Le territoire kiangsinois s'étend encore quelques lieues au nord au delà du fleuve; et un village, à trois heures de distance d'ici, se trouve être la limite de trois provinces : Houpé, Ngan-hoei et Kiangsi. Une chaîne de mon- tagnes moyennes termine la plaine du nord, non loin du Yangtzé. Au sud les hautes montagnes sont encore plus rapprochées et ont pour contre-forts des collines très-accidentées qui arrivent jusqu’au fleuve. C'est sur elle et au

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milieu d’elles qu'était placée l’ancienne ville de Kiou-kiang dont les murailles, en bon état encore, suivent en serpentant les accidents et les ondulations capricieuses du terrain.

Le sol, miné par les eaux le long du fleuve, laisse voir une sorte de pou- dingue ferrugineux très-rouge et fort compacte, qui dans certains endroits est formé d’une multitude de petites géodes : c’est, je crois, le terrain auquel les géologues anglais ont donné le nom de Limerite, et qui est aussi très- développé dans l'Inde.

Sur ces collines je n’aperçois pas de roches compactes; une terre meuble très-rouge et ocreuse recouvre un sous-sol récent de cailloux roulés.

On me dit que, avant que les rebelles vinssent ici porter le fer et le feu, tous ces coteaux étaient couverts de grands arbres. On n’y trouve plus main- tenant que de hautes herbes et d’humbles DER avec quelques planta- tions récentes de Pins (Pinus longifolia).

Un Européen ne peut pas comprendre à quel point portent l'esprit de vandalisme et de destruction inutile ces hordes indisciplinées de brigands infâmes et d’assassins impitoyables que les étrangers décorent du nom de rebelles. Il y a quelques années quand ils vinrent à Kiou-kiang, ils y égor- gèrent tant de monde, que les victimes de leur barbarie, me dit-on, remplirent de leurs cadavres tout le bassin du lac principal, qui a bien une ou deux lieues de circonférence. La province voisine du Kiangan fut encore’ plus maltraitée; les missionnaires et nos chrétiens m’apprennent que de vastes étendues de cette région, jadis si peuplée, sont actuellement changées en véritables déserts, infestés de panthères et d’autres animaux sauvages.

On représente la population de l’intérieur du Kiangsi comme étant fort hostile aux Européens et aux chrétiens; ici, on paraît s’habituer peu à peu aux étrangers.

La position avantageuse de Kiou-kiang, placé sur le grand fleuve, et à peu de distance du lac de Poyang, en fait un entrepôt de commerce de thé assez considérable ; c'est qu’on porte aussi une grande partie de la célèbre porcelaine du Kiangsi. Aussi les Européens s’étaient-ils hâtés d'y faire des établissements qui ont pu effectuer de bonnes affaires au commencement ; mais leur prospérité à diminué bientôt, en même temps que le nombre des

Occidentaux. Le commerce passe entre les mains des Cantonais et des autres Chinois.

BULLETINe M

Cette nation a la bosse du négoce; et, quand elle sera plus au courant des langues et des connaissances de l’Europe, il pourra bien se faire qu’elle absorbe peu à peu les richesses du reste du monde... Il sera difficile de lutter contre la sagacité des Chinois, leur prudent sang-froid et leur esprit d'économie. Les Anglais n’y tiendront pas, et les juifs eux-mêmes auront beaucoup à faire ! ,

Le caractère de ce peuple varie selon les provinces. Mais une chose me frappe en observant les habitants de ce pays : je les trouve, contre mon attente, beaucoup plus bruyants que leurs compatriotes du Nord, plus dispu- teurs, plus tapageurs, plus actifs en un mot dans tous les sens. Il paraît aussi qu’il y a plus d’esprit et de finesse, mais aussi plus de corruption. Ici, les enfants se harcellent continuellement et se battent entre eux, presque aussi souvent que les Français; et j'ai beaucoup étonné mon estimable confrère, M. Rouget, qui dirige depuis douze ans les séminaristes du Kiangsi, quand je lui ai dit que, à Pékin, il n'arrive jamais qu’un de nos élèves rompe le silence en temps prohibé, ou viole les règles de la plus sévère tenue dans tout l'extérieur. Nous avons même besoin de les exciter à se divertir en récréa- tion, pour le bien de leur santé ; tant est grande leur apathie et leur réserve naturelle et acquise.

Mais voilà un monologue bien long et qui me porte loin de mes bêtes et de mes plantes! Vers le soir, une interruption de pluie me permet de faire une abondante chasse de Coléoptères dans les champs inondés, Nous prenons aussi et préparons une Souris qui paraît être la méme que celle de nos maisons de France : ceci est bon à constater.

11 juillet. Bar. 746%; ther. 27°. Il a plu toute la nuit, et la pluie . continue à être torrentielle le matin, pour cesser vers le milieu du jour. Nous pouvons donc sortir et prendre encore maints Insectes, entre autres une sorte de Dytisque fort joli qui porte sur les élytres des dessins imitant des carac- ières chinois, et que j'appellerais volontiers pour cela Dytiscus bis-sinensis. Le seul oiseau nouveau aperçu est le Parus minor, espèce répandue dans tout l'Empire chinois, mais moins commune au sud qu’au nord. Cet oiseau diffère peu de la grande Mésange d'Europe qu'il remplace ici ; au lieu de jaune, il a du blanc sale au ventre, mais sa voix me rappelle parfaitement celle de notre Charbonnière.

12 juillet. Bar. 751"; ‘therm. 27°. Encore la pluie aujourd’hui.

f

VIE,

A2 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Il y a quelques oiseaux au pays; ils sont sans doute chassés des mon- tagnes par le mauvais temps : le Suthora webbiana, l'Ardetta flavicolhs, le Parus minor, l'Emberiza civides et un grand et magnifique Hochequeue (Eni- curus Leschenaultü) noir et blanc et à longue queue fourchue. C’est pour la première fois que je vois en vie ce bel oiseau; il vient se poser et chanter plain- tivement sous ma fenêtre, puis il véle sur le toit de la maison voisine pour S'y promener péndart quelques minutes de la manière la plus gracieuse : cette espèce vit solitaire dans les ravins les plus profonds et près des cascades des montagnes méridionales.

La pluie continue toujours, quoique le baromètre monte d’un millimètre à quatre heures du soir.

13 juillet. Barom. 752"%, Therm. 26° (9 h. du matin).

Pluie encore et grande humidité partout; mais, vers le soir, le temps commence à étré moins mauvais ; quelques rayons de soleil percent les gros nuages et font voler le Papilio pammon, une belle Vanesse noire teintée de bleu, et un grand Satyre, tous papillons inconnus à Pékin. Une Belette, d’une couleur de cannelle uniforme, profite aussi de l’occasion pour faire un tour de promenade sous mes yeux : je crois qu’elle demeure à la maison elle doit déranger plus d’un rat. C’est une raison pour ne pas en vouloir trop au long et fluet quadrupède.

15 juillet. Barom. 752%*. Therm. 96°.

Après un peu de pluie au matin, le temps se remet décidément au beau. Mes occupations de taxidermie et mes petites chasses de détail sont aujourd’hui égayées par la présence de nos jeune séminaristes, que M. Rouget a menés passer ici leur jour de congé. Nous revoyons, mais sans pouvoir le capturer, notre Enicurus qui chasse aux petits vers dans les rigoles voisines : €’est un- oiseau égaré par la tempête.

15 juillet. Barom. 751%", Therm. 29° 9 heures). Belle journée. |

Je vais passer la journée à Kin-kiang. C’est la Saint- Henri, fête du vénérable monseigneur Baldus. Nos élèves chinois la célèbrent avec des Khoto prostrations d'usage ici, un compliment en latin et en leur langue, et sur- tout avec un petit extraordinaire à leur table. Ici, il faut peu de chose pour s'égayer, et nous participons à la réjouissance commune. Elle ne coûte ni ne compromet point!

BULLETIN, 43

Sur le lac, se voient toujours les Parrus à longue queue, et les Sarcelles des toits sont fidèles à leur poste,

16 juillet, Barom. 752"°, 5, Therm.? I] fait très-chaud et serein.

J'ai tout arrangé pour faire au mont Ly-chan une reconnaissance qui durera tout le jour. Je pars de très-bonne heure avec mon Thomas, Après avoir dépassé les collines, déjà vues en allant au Tombeau du lettré;, nous en tra- versons d'autres qui sont assez garnies de Pins médiocres, puis d’autres plus fraiches et ombragées de Cunninghammia et d'autres petits arbres; ensuite, nous enfilons une longue vallée, en marchant sur un chemin pavé et de grosses pierres, antiques reliques d’une prospérité disparue.

En montant toujours dans ce boyau, qui est très-fréquenté de porteurs de broussailles, seule production de la montagne, nous parvenons à une misé- rable pagode habitée par trois bonzes. Cet édifice n’a rien de remarquable que sa position à la jonction de deux vallées inclinées et de deux ruisseaux d’eau claire qui s’y rencontrent, puis s’éloignent en tombant de cascade en cascade. [} y à pourtant, peu avant d'arriver à la pagode, un remarquable pont de pierre fort ançien, Je me trouvais encore sur ce pont, arrêté pour respirer à l'ombre des premiers grands arbres que j'aie rencontrés, et incer- tain si je devais me hasarder à aller troubler mes solitaires, quand j’entendis un aboiement profond qui semblait venir de la pagode et qui me fit aussitôt prendre une décision négative. Sur ces entrefaites, arrive un bonze qui, de l'air le plus doucereux et le plus riant, m'invite à entrer dans la pagode et à accepter une tasse de thé et une pipe (je dois dire que je trouve toujours chez les Chinois beaucoup de politesse et de bonnes manières). Je remercie le bonze de mon mieux, en donnant pour excuse de mon refus que j'ai grand’- peur des chiens. Mais, des chiens! fait-il, nous n'en avons pas à la pagode. Comment? je viens d'entendre l’aboiement d’un gros chien, qui m'a fait trembler de tous les membres. Je vous dis que nous n'avons point de chien. est donc, reprends-je, la maison voisine d’où peut venir l’aboiement que nous avons certainement entendu, mon suivant et moi. Oh! je com- prends, dit alors mon interlocuteur ; vous avez entendu la Grenouille des cas- cades. La Grenouille? Qui, rien qu'une Grenouille. Et sur ce, il se met à me faire la description d’une grosse Grenguille noirâtre, qui vit dans les cascades deces montagnes, et dont la voix est extrêmement forte et profonde ; elle imite à s’y méprendre le cri lointain d’un gros chien. Alors, nous, ten-

hf NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

dons attentivement l'oreille pour écouter #i au bruit des eaux se mêle encore le cynique coassement à trois temps; mais rien. la Grenouille aboyeuse a eu vent de nos mauvaises intentions. Elle se tait et se cache obstinément dans ses ruisselantes cavernes; c’est en vain que, descendus dans le ravin, nous perdons beaucoup de temps à la chercher. Elle est rusée et rare : il faudra revenir une aütre fois tout exprès pour lui donner la chasse.

Ici, comme par toute la Chine et la Mongolie, le terrain qui entoure la pagode est sacré, et des arbres plus ou moins nombreux peuvent y croître sans trop de danger. Les espèces que j'y observe (outre celles déjà rencontrées plus bas) sont le Sferculia à feuilles de platane, un Érable, nouveau pour moi, dont les feuilles sont ovales, lancéolées et simples (je la désigne dans mes notes sous le nom de Acer ulmifolia) ; un Chêne à feuilles de laurier et à écorce très-lisse. Je récolte aussi une jolie Liliacée rose, et une plante énorme de la même famille, qui donne de longues fleurs blanc-et-noir, peu élégantes.

En fait d'animaux, ceux que je parviens à capturer aujourd’hui sont le beau Merle indigo, Myiophonus cœæruleus, le Munia topela? deux grands Papilio noirs, P. bianor et P. arcturus ; et un Girin de grande taille, qui abonde sur ces ruisseaux de montagne. Plus bas, dans le même torrent, je récolte en abondance une nouvelle coquille aquatique, sorte de Paludine dure et rugueuse. Nous rencontrons aussi à la montagne, et plus abondant que plus bas, le joli Lézard vert et bleu, au corps si mince et si long.

Quoique la journée soit très-chaude et qu'aucun nuage ne voile le soleil, le désir d'enrichir nos collections dans cétte première montagne nous fait courir et fatiguer extrêmement, et beaucoup plus qu’il ne convient dans ces cli- mats pernicieux et traîtres. Nous commençons à sentir cela dès notre voyage de retour; car l’action solaire à été tellement énervante sur moi que je sens avec étonnement manquer. subitement toutes mes forces. Un malaise insolite m'accable pendant la route; plusieurs fois je m’arrête en défaillant légèrement. Dans une de ces pauses forcées, pendant laquelle je m'avoue à regret que j'aurai à me tenir en garde contre ce soleil méridional (30° lat.), plus soi- Sneusement encore que contre celui de Pékin (qui pourtant est tout aussi Chaud au thermomètre). Mon gaillard de domestique va se jeter tout en sueur dans les eaux froides du torrent et s’y laisse même endormir (comme il

s’endormait jadis en Mongolie sur le dos de sa mule), imprudence qui peut lui coûter cher!

BULLETIN. A5

Enfin nous arrivons chez nous; mais ces neuf ou dix heures de marche m'ont paru bien longues.

17 juillet. Barom. 751"". Therm. 30°. Journée très-chaude encore, passée en préparations. Je me sens très-fatigué et mal à mon aise par le coup de soleil d'hier; espérons qu’il n’aura pas des suites graves. J'acquiers

ce jour le premier échantillon d’un Lézard, ou Scinque, nouveau pour moi, le Plestiodon pulchrum.

18 juillet. Bar. 749°*. Therm, 30°. Temps moins chaud, vent d'est.

Herborisation aux environs, sans grandes nouveautés.

19 juillet. Dimanche passé à Kiou-kiang avec mes confrères. Chaleur modérée, ciel nuageux, vent. Le soir, orage au loin. Quand, il y a deux siècles et demi, l’humble Vincent de Paul jetait à Paris les fondements de sa congrégation de la mission, son esprit si sûr-et si pénétrant pouvait bien prévoir que sa nouvelle et modeste institution se répandrait dans la chrétienté (dont elle recevait en partage la partie la plus délaissée alors) et même dans les pays étrangers. Mais l'humilité extraordinaire de ce grand et saint ami des pauvres ne lui permettait pas certainement de soupçonner qu'un jour son nom, porté sur les autels, serait béni avec effusion et invoqué jus- qu’au cœur de cette impénétrable et mystérieuse Chine, dont on ne connais-

‘sait guère que le nom de son temps. C’est ce que nous faisons aujourd’hui, nous aussi, ét avec le concours d’un bon nombre de Chinois chrétiens : la Saint-Vincent les à rassemblés de tous les environs dans la modeste église de Kin-kiang, pour assister à une messe solennelle chantée par l'évêque, l'accompagnement d’harmonium n’a pas même manqué.

20 juillet. Barom. 751"*. Therm. 30°. Le temps se remet au beau. - Le vent souffle du N.-E. comme ces jours passés.

Aujourd’hui, nos élèves de Kin-kiang viennent passer la journée à Naza- reth, et m’aident de leur mieux à chercher les insectes ; mais ceux-ci semblent diminuer en nombre. Je me prépare à retourner à la montagne de Ly-chan; je prends mes précautions pour pouvoir y rester plusieurs jours. C’est dans la maison des bonzes, à côté de la pagode, qu’il me faudra loger ; il n’y a pas d’autre maison dans ces parages.

91 juillet. Bar. 753". Therm. 27° à Nazareth.

Orage dans la nuit avec pluie forte. Départ pour la pagode de Ly-chan vers sept heures passées. Il n'y à pas encore une heure que nous sommes en

A6 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

route, que la pluie nous surprend et nous mouille avec nos paquets, sans avoir nous réfugier. Nous continuons pourtant à nous avancer vers les mon- tagnes, malgré les réclamations des trois Chinois qui m’accompagnent : je compte sur mon baromètre dont la hauteur m'annonce le beau temps, En effet, la pluie cesse peu à peu, et nous arrivons à notre pagode vers dix heures et demie. LA, le baromètre ne marque plus que 717": tandis que le thermo- mètre se maintient à 27°. ;

Les seuls oiseaux que j'aie rencontrés ce matin sont deux Cinclus Pal- lasii, que je ne parviens pas à capturer, pas plus que plusieurs #yiophonus cœruleus que je tire aussi en vain. Ce soir, je suis plus heureux avec l'Enicurus Leschenaulti et le Pomatorhinus stridulus, et j’acquiers un bel échantillon de chacune de ces espèces si intéressantes.

Avant la nuit, j'ai le temps de monter jusqu'au sommet d'une haute colline d’où je puis jouir pour la première fois de la vue du Poyang, qui s'étend à perte de vue vers le Sud. De là, ce grand lac, que les barques mettent en moyenne huit à dix jours à traverser dans le sens de sa longueur, parait varié d’île et de golfes très-accidentés.

22 juillet. Barom. 717**. Therm. 26°. (Pagode de Ly-chan.)

La nuit à été orageuse et le vent violent; mais au matin l’atmosphère est calme. Nous allons en excursion sur les pics voisins. [l'y en à quatre prin- cipaux rapprochés deux à deux : nous désignons sous le nom des Deux- Jumeaux-Inférieurs les moins élevés, et sous celui des Deux-Jumeaux-Supé- rieurs les plus hauts. Ceux-ci sont encore bien moins hauts que la masse cen- trale du Ly-chan. Sur les deux pics plus bas que nous atteignons aujourd’hui et nous passons une heure et plus, notre baromètre descend à 685°" et 682"%, tandis que le thermomètre se maintient à 29° et 28°. Les Jumeaux- Supérieurs nous paraissent avoir cent cinquante mètres de plus en hauteur ; et le sommet principal du Ly-chan en a autant encore de plus; ce qui lui donnerait une altitude de 4,200 à 4,300 mètres, c’est-à-dire un tiers de plus qu'il n’est marqué dans les premières caries anglaises.

Malheureusement, les brouillards, dans lesquels nous nous trouvons bien- tôt enveloppés, nous empêchent de bien reconnaître les alentours, et les crêles les plus élevées de ce massifmontweux qui passe pour l’un des plus con- sidérables de toute la province. Excepté un cap roide et rocailleux, tout le reste de ces hauteurs paraît déboisé, même du côté du sud. Nous récoltons

BULLETIN, 47

ici quelques bons insectes de forme nouvelle. Quatre espèces de Papilio pren- nent leurs ébats sur ces cimes désertes; deux sont tachés de vert et ravissants de beauté (un Charaxes et le Pap. sarpedon). Les Pap. Authus et Machaon y sont très-nombreux. Les volatiles à plumes font, au contraire, entièrement défaut : pas une Perdrix, pas un Faisan, que j'espérais rencontrer dans ces montagnes. Nous reconnaissons des traces, (des arguments à posteriori) de Loup, animal qui est, dit-on, fort rare au pays. L'un des arbrisseaux les plus abondants que je rencontre ici est l’inélégant Fortunea sinensis.

23 juillet. Beau temps, avec vent assez fort.

La journée est utilement employée à collectionner aux alentours de notre Pagode, Mes principales acquisitions sont : un Serpent nouveau, un bel échantillon de la grosse Grenouille aboyeuse des cascades, un Bufus aquatique, un Pomatorhinus, et un Engoulevent qui diffère du Caprimulgus Jotaka du Nord. Je pense que c’est l'espèce décrite par Swinhoe, sous le nom de €, Stie- tomus. En fait d'insectes, outre le P. bianor, la Vanesse bleue, et d’autres, une blessure naturelle d'un vieux Cedrela sinensis nous fournit une belle mois- son de coléoptères parmi lesquels figurent trois espèces différentes, de Lucanus et de jolies Cétoines.

. Nos deux ou trois bonzes, les maîtres de la Pagode, nous voient avec étonnement poursuivre avec tant de fatigues nos petites bêtes ; ils se figurent et disent qu'elles nous serviront de médicaments. Ils sont assez polis et com- plaisants pour nous, excepté un vieux valétudinaire qui passe son temps à fumer l’opium et murmure de temps en temps. Ces hommes nous donnent l’eau chaude pour le thé, et ils nous laissent cuire le riz qui forme notre nour- riture avec des œu/fs pourris à la chinoise, et des ails salés. Quant à la chambre, ils n’ont pu nous céder qu’une pièce obscure et humide, renfermant deux tables couvertes de paille. C’est là-dessus que nous étendons le soir nos cou- vertures. Outre nous deux, nos braves bonzes logent chez eux (et un peu mieux que nous) quelques étudiants chinois qui sont venus ici pour se pré- parer aux examens, loin des distractions et de la chaleur de la plaine. Il paraît que c'est un usage assez répandu au Kiangsi, que celui des jeunes lettrés qui vont ainsi s'établir dans les bonzeries solitaires des montagnes pour mieux étudier. Cette province d’ailleurs est célèbre par le grand nombre de lettrés et de mandarins qu’elle fournit à tout l'empire : c’est ce qui fait, en partie, que la population en est plus hostile aux Européens et au christianisme

8 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Je suis étonné de voir que nos élégants futurs mandarins, qui ne sont plus de jeunes écoliers, mais des hommes de vingt à vingt-cinq ans, étudient leurs livres en lisant et chantant à haute voix; comme cela a lieu aussi dans nos écoles de Pékin. Les Chinois disent qu’en étudiant de la sorte, les choses se gravent mieux dans la mémoire; et je crois qu'ils ont raison. Seulement la fatigue qu'ils subissent en criant ainsi du matin au soir, doit contribuer beau- coup aux maladies de poitrine qui sont si communes chez les jeunes gens.

24 juillet. Barom re therm. 28°. Pagode de Ly-chan, à trois heures de l'après-midi.

Après avoir préparé nos captures d’ his je poursuis en vain quelques Merles indigos (Myiophonus cœæruleus) que je vois se poser aussi bien sur les arbres que sur les rochers. Ces beaux oiseaux volent à la manière des Petro cincla dont ils semblent différer fort peu par l’ensemble des mœurs et même par le chant. Cependant ils affectionnent le bord des torrents et les ravins obscurs ; c’est que je les rencontre le plus ordinairement, souvent en com- pagnie du grand Enicurus à queue fourchue; et aujourd’hui encore je tue un bel exemplaire de cette espèce. Je prends aussi, mais en mauvais état, un Munia topela, le premier et le seul échantillon ; cependant M. Swinhoe donne cette espèce comme commune dans tout le sud de la Chine.

En fait de végétaux, l’herbier que je forme ici, renferme bon nombre de plantes remarquables. Les Fougères sont variées; l'espèce grimpante abonde partout. [l y a des Saxifrages, des Begonia, des Primevères. Je n’ai jamais rencontré de ces dernières plantes dans le nord de la Chine, bien que le sud en nourrisse bon nombre d’espèces. Quant aux arbres, outre ceux que j'ai rencontrés l’autre jour, j'observe encore une ou deux autres espèces de Sterculia, une sorte de Figuier élastique fort remarquable, un Corylus, un vrai Ulmus. Le Corylopsis n’est pas ici.

Les roches schisteuses métamorphiques qui composent ces montagnes me rappellent beaucoup celles de Si-chan, de Pékin, qu’on emploie communément dans les bâtisses de la capitale. Il n’y a point de granite; mais je remarque des quartzites, des grès schisteux ; et, dans certains endroits, du calcaire bleu qui reparaît plus bas, non loin de la ville de Kin-kiang.

Les eaux du torrent nourrissent, outre l'énorme Grenouille noirâtre aboyeuse, un joli petit Poisson, un Crabe et des Chevrettes. Les Mollusques sont extrèmement rares ; je ne trouve que trois espèces de Helix de petite taille.

BULLETIN. 9

?5 juillet. Ciel serein, temps calme et très-chaud.

Barom. 716"* ; therm. 26°, à six heures du matin.

Dès le matin, nous quittons notre ermitage et ses peu saints solitaires, pour retourner à Nazareth. Mes porteurs de bagages, deux robustes et braves Chinois chrétiens, sont venus me chercher à point nommé, et nous ramènent au logis par une route plus directe et plus commode, mais qui a l'inconvénient de nous faire traverser plusieurs centres d'habitations. C’est ce que je n'aime pas beaucoup et tâche d'éviter le plus possible, pour ne pas exciter l’ennuyeuse et souvent malveillante attention de ces Chinois.

[l'est à peu près midi quand nous rentrons chez nous, brûlés par le soleil, Ici, le baromètre note 754"", et le thermomètre 38° à l'ombre.

26 juillet. Octave de la Saint-Vincent de Paul.

Après avoir mis ordre à mes collections rapportées de la montagne, nous allons passer la journée à Kin-kiang. J'ai le plaisir d'y trouver l’aimable con- frère M. Anot, qui vient de retourner de sa mission du centre de la province, et dont j'avais fait autrefois la connaissance à Pékin. Cet estimable mission naire, qui habite la Chine depuis plus de vingt ans, blâme beaucoup, que j'ose sortir au soleil, surtout pendant tout ce mois qu’il dit être mortel aux Euro- péens; il appuie ses assertions par plusieurs exemples regrettables qui ont privé la mission d'ouvriers jeunes et vigoureux. Ce que j'éprouve déjà des effets fâcheux de ce climat, sans trop oser l’avouer, me fait complétement adhérer aux bons conseils de M. Anot, malgré toute l’impatience que je sens d'utiliser le temps de mon séjour au Kiangsi. Je renonce donc au projet que j'avais formé d’aller explorer une région montueuse et boisée, de l’est de la province, des chrétiens m'indiquent, entre autres curiosités, un Porc-épic, qui pourrait très-bien constituer une espèce particulière.

M. Anot m’'apprend que dans la partie sud-est du Kiangsi, sur les limites du Fokien, il existe d'immenses montagnes boisées qui renferment un grand nombre d'animaux : Sangliers, Ours, Tigres. Il me parle d’une sorte de Lapin terrestre que les indigènes déterrent en creusant fort loin, et qui passe pour un aliment recherché. Je pense que c’est une espèce de gros Rhizomys.

Quoique les ramifications des grandes montagnes visitées autrefois par M. Anot soient accessibles aux Européens qui fréquentent les provinces de Canton, de Fokien et de Tchékiang, je pense bien qu’une tournée dans cette région donnerait de bons résultats pour l'histoire naturelle. Je souhaite donc

VIH, 9

50 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

qu’il me soit donné plus tard l'opportunité et le temps d’aller les explorer à loisir.

97 juillet. Barom. 754""; therm. 85°. Beau temps; pas de nou- veautés.

28 juillet. Le temps continue à être serein et chaud, quoique tempéré par le vent d'ouest.

(A onze heures.) Barom. 755*"; therm. 33°.

Le petit Lézard, ou Scinque, à queue bleue paraît assez commun ici; tan- dis que le Lézard vert à longue queue est plus abondant dans les montagnes, au milieu des herbes et des buissons. Les Thaïs Télamon continuent à être aussi nombreux maintenant qu’il y a un mois.

Vers le soir, je parviens à abattre un Héron de couleur noirâtre; son compagnon (le mâle sans doute) vient s'établir dans la même rizière pour faire entendre, pendant une partie de la nuit, un cri fort et monotone, qu’on peut imiter par la syllabe khla, khla, khla, répétée sur le même ton et à inter- valles égaux.

29 juillet. Barom. 753""; therm. 32° deux heures et demie). Temps chaud, avec vent.

J'acquiers un grand Serpent noir annelé de rouge, peut-être le Lycodon rufuzonatus, espèce inconnue au Nord; et plusieurs autres reptiles. Une Belette que nous prenons aussi, ainsi qu'une petite Chauve-souris, me paraissent être les mêmes qu'à Pékin, c’est-à-dire le Mustela sibirica, et le Vesperus serotinus. Cette Belette, plus grande que celle d'Europe est répandue dans toute la Chine, et vient jusque dans les maisons; nous prenons la nôtre sous un tas de paille (le seul combustible de notre cuisine) elle avait caché ses cinq petits. Dans l’après-midi le temps devient très-orageux.

30 juillet. (A sept heures du matin) Barom. 751"; therm. 30°. Ciel nuageux.

Excursion à la tombe du Lettré. Jy capture quelques oiseaux nouveaux pour moi : Athene cuculoïdes, Picus Guerini, et un Phyllopneuste tenellipes.

31 juillet. Barom. 751"; therm. 30° sept heures du matin).

Barom. 752"; therm. 32° quatre heures du soir).

Il tonne et vente, mais sans pleuvoir; on commence à souffrir de la sécheresse sur ces collines. Mon jeune Chinois me rapporte encore cinq de ces beaux Papilio à taches vertes (P. Sarpedon), mais tous endommagés plus

BULLETIN. b1

ou moins. Cette espèce a le vol très-léger, mais moins violent que le Papillon vert à quatre queues ; elle aime à voltiger sur les arbres les plus élevés et ne se pose que rarement. La Nymphale à ailes glacées de vert, est assez com- mune dans les taillis.

J'acquiers deux Turtur humilis, espèce méridionale, et un Lanius à tête et dos gris qui diffère de ceux que je connais, peut-être le L. Bucephalus.

Le soir le tonnerre gronde encore au loin ; peut-être pleuvra-t-il bientôt.

1 août 1868. Barom. 755""; therm. 28° sept heures du matin). Le temps continue à être orageux ; il ne tombe que quelques gouttes de pluie.

J'acquiers une belle Couleuvre annelée de noir et de blanc, et le Serpent aquatique vert qui ne diffère de celui de Pékin, que pour avoir moins de rouge aux côtés du cou (Amphiesma tigrinum). Dans l'après-midi, le vent devient frais et très-fort, et le baromètre monte à 794"",

2 août. Barom. 755""; therm. 27° sept heures du matin).

Beau temps avec quelques nuages. Pas de nouveautés.

3 août. Chaleur au matin; le soir tempête, grand vent et pluie.

Je vais passer une partie de la journée à Kin-kiang, chez M. Klein- wischter et MM. Atkinson; et nous rafraichissons nos souvenirs d'Europe en faisant de la musique. M. Kleinwischter est une de mes connaissances de Pékin ; je suis heureux de le revoir au Kiangsi, il est placé comme commissaire de douane sinico-européenne. Il prend intérêt à l’histoire naturelle, et il a même envoyé plusieurs objets intéressants à Hambourg, sa patrie, entre autres, un Gypaëte vivant qu’il avait acquis à Pékin.

Les emplois de la douane impériale occupés par les Européens, sont grassement rétribués; mais on à à subir de fréquentes humiliations de la part des jalouses autorités chinoises, M. Kleinwischter s'attend à être changé, contre son gré, pour avoir résisté un peu trop franchement aux volontés du

mandarin de Kin-kiang. Les missionnaires ne connaissent que trop la malignité des magistrats chinois!

4 août. Barom. 755""; therm. 30° 9 heures du matin). Beau temps, vent.

5 août. Barom.(à 3 heures et demie du soir) 756"; therm. 22°. Beau temps, avec fort vent du sud-ouest.

Dans une course aux grandes collines, je tue deux Alcyon pileatus, un Picus

kalaënsis ; j'aperçois un Sifta ressemblant au S. Cæsia.

52. NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Pas d’autres nouveautés; on commence à couper le riz au pays.

6 août. Barom. 755"; serein, très-chaud.

Je fais, sans grands résultats, une excursion vers les montagnes. J’y trouve des collines couvertes de Tcha-you, plante que je n'avais pas encore observée : ce sont de grands Camelia à fleurs blanches de médiocres grandeurs, et qui donnent des fruits que les Chinois utilisent pour faire l'huile. Cette huile, de médiocre qualité, est surtout employée pour l'éclairage, et il s’en fait une bonne quantité dans toute la Chine centrale.

Enfin aujourd’hui, mes chercheurs d’animaux m’en apportent deux en vie, fort intéressants : un Tchouan-chan-kia, perceur de montagnes, et un Kotze-ly, chien-civette (Manis Dalmanni, et Helictis moschata.) Le Pangolin se roule en boule, comme les Hérissons, et n’ose pas développer ses membres quand il se croit vu; mais, laissé seul dans la chambre, il se met à marcher comme un petit Crocodile, et d’une manière brusque. Le Kotzely fait aussi le mort tant qu’on ne le trouble pas ; mais il grogne à la manière du Blaireau, si on le touche. C’est la nuit qu'il prend ses ébats, ayant des mœurs compléte- ment nocturnes. Les Chinois me disent que ce joli quadrupède monte sur les arbres fruitiers pour en dévorer les fruits, comme les Pagura.

7 août. (A septheures) Barom. 752"" ; therm. 28°.

(A midi) Barom. 753"*; therm. 33°. (A six heures du soir). Barom. 752""; therm. 34°.

Journée très-chaude, employée à préparer nos mammifères et les plantes

8 août. Barom. sept heures du matin) 750"; therm. 30°.

(A quatre heures du soir) 750"; therm. 35°.

9 août. Barom. 751"", Temps très-chaud au matin; soir, orage et un peu de pluie.

10 août. Barom. midi) 750"; therm. 29.

A heures) 749""; therm. 28°.

Temps couvert et vent de N.-E. Acquisition de plusieurs coléoptères lamellicornes nouveaux. Nous récoltons un grand et bel œillet (Dianthus sinensis ?) sur nos collines voisines, dans les endroits très-découverts. Un œillet presque semblable, à pétales longuement ciliés, ne se trouve que dans les montagnes boisées, au nord de la Chine et en Mongolie.

11 août. Bar. 7 h. m.) 750%; therm. 27°. Quelques nuages au ciel, vent fort du N.-N.-E. pendant tout le jour.

BULLETIN. 53

Excursion aux grandes collines boisées ; j'y capture un Picus Guerini, un Lanius lucionensis, et deux exemplaires du Suya striata, petit oiseau à longue queue, qui aime à se poser à la cime des buissons en faisant entendre un cri monotone qui ressemble à celui de la cigale. 1 paraît rare au pays, et il ne se trouve que sur les montagnes arides et sauvages. En fait de plantes, la plus remarquable de celles que je rencontre aujourd’hui est un délicieux lis blanc tacheté de rouge, que je n’ai observé que dans une seule vallée élevée et boisée. |

12 août. Barom. 7h.) 750"" ; therm. 26°.

ee 5 h. soir) 750", 5 ; therm. 29°. Il vente fort tout le jour : le matin du S.-E., et le soir du N.-E.

13 août. Bar. (tout le jour) 750"* ; therm. 28°, Ciel nuageux, avec vent du S.-E.

15 août. Bar. (7h. mat.) 749" ; therm. 27°, avec ciel couvert.

midi) 750"; therm. 31°. Ciel couvert et orageux.

Tous ces jours se ressemblent pour nous, et se passent en préparations et en petites chasses d’entomologie. Nous nous disposons à rentrer à Kin- kiang pour les fêtes de l’Assomption ; le bateau est venu nous chercher. Maïs à peine y sommes-nous embarqués que nous avons la mauvaise chance d’être surpris par un vent impétueux et la pluie. Nous parvenons pourtant à gagner le bord de cette petite mer en fureur avant que d’être trop mouillés et à nous réfugier sous le devant de porte d’une maison voisine. Mais la pluie étant devenue torrentielle, nous nous hasardons à frapper à cette porte, sans trop espérer qu’on nous l’ouvre, et en nous rappelant que, dans une circonstance semblable, des Chinois, à qui nous demandions quelques minutes d’abri, aimèrent mieux nous laisser tremper jusqu’aux os, que de nous admettre même dans une étable qui était tout ouverte. Mais ici, à notre grande satisfaction, on s’empresse de nous faire entrer, et, avec toute l’urbanité chinoise possible, le maître de la maison nous sert lui-même le thé et la pipe : je n’oublierai jamais ce bon accueil inattendu ! Tant que la pluie dure, cet homme qui paraît instruit et à son aise, qui est habillé très-proprément et tout de blanc, nous fait maintes interrogations sur l’Europe, sur les missionnaires, mes confrères, qu'il connaît personnellement et estime, quoique païen. Pendant notre long entretien, les femmes et les jeunes filles de la maison profitent d’un prétexte quelconque pour entrer dans la salle et passer devant nous afin d’avoir l'occa-

54 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

sion de voir comment est fait un Siang-jen homme d'Occident. De notre côté, nous observons qu'ici, comme à Pékin, il y a dans les familles aisées des types réguliers et qui ne feraient point mauvaise figure en Europe.

15 et 16 août. Temps couvert et pluvieux, avec fort vent du N.-E.

Journées passées à Kin-kiang avec monseigneur Baldus et mes autres confrères, à célébrer les fêtes auxquelles affluent un grand nombre de chré- tiens anciens et nouveaux. Malgré les tracasseries et les vexations que les Chinois éprouvent d’ordinaire pour embrasser le christianisme, les conversions continuent à augmenter peu à peu, et c'est surtout dans ces circonstances que nous le constatons. Je retourne le soir du 16 à la campagne de Nazareth.

17 août. Bar. 9h.) 753" 1/2; therm. 27° 1/2. Temps couvert et calme. 18 août. Bar. 7 h. 1/2) 753" ; therm. 27°. Ciel calme, mi-couvert.

—- midi) 754"; therm. 31°. Menace d'orage.

Quoiqu'il fasse un temps accablant, je fais une course aux petits taillis, sans y rien prendre de bon. Les riz mürissent, et les autres récoltes du pays paraissent prospérer, de manière qu'on est déjà sûr que l’année ne sera pas mauvaise.

Aujourd’hui nous nous attendions à voir quelque queue de l'éclipse annoncée par les journaux pour l’Inde; mais ici on n'en aperçoit aucune trace. a

19 août. Beau temps, vent du N.-E. assez fort.

Barom. midi) 753"; therm. 32°.

—. (à5h.) 751%"; therm. 34°.

Aujourd’hui, pour la première fois en Chine, j'entends le fameux Hoamy ou Leucodiopteron sinense, qui s'approche de ma maison; j’en tue un mâle adulte. C’est l’oiseau que les Chinois aiment le plus à tenir en cage, soit pour le chant, soit pour le combat. Je tue aussi une variété albine de l'Hirundo dauriea. J'observe que les Hirondelles de cette espèce, peu abondantes ici d'ordinaire, y apparaissent depuis quelque temps en grand nombre, dans les jours qu'il fait du vent. Il ne me paraît guère d’autres oiseaux au pays, excepté les Lanius schack et lucionensis, et l’Ixos qui. est toujours le plus abondant.

20 août. Bar. 8 h.) 749"*; therm. 29°.

-- (à6h. soir) 747%"; therm. 32°. Ciel couvert, vent fort du N.-E.

BULLETIN, 55

21 août, 22 août. Journées sereines et très-chaudes passées à Kin- kiang ; je suis obligé d’y rester à cause de la maladie de mon aide chinois. Ce jeune homme, très-robuste, a trop compté sur sa bonne santé. Outre les bains froids pris en sueur, il a eu l’imprudence de dormir à la belle étoile, la nuit de l’Assomption, ne pouvant supporter la chaleur d’une chambre encombrée d'hommes. Il est pris de fièvres intermittentes, maladie difficile à guérir ici. Je soupçonne que son mal, comme aussi le malaise et l’affaiblissement dont je souffre moi-même, peut provenir en partie de notre alimentation presque entièrement végétale, que nous avons à la campagne, et qui consiste principa- lement en courges et en concombres mal préparés. L'indisposition de mon Ouang Thomé me contrarie beaucoup, parce qu’elle m’oblige à presque sus- pendre mes travaux. Je ne puis retourner sans lui à Nazareth, lui seul est en état de me servir la messe et de m’aider dans mes chasses et préparations. Quoique cet homme soit avec nous depuis longues années, il n’a aucune confiance dans la médecine européenne, et il refuse de prendre la quinine que je lui offre : il préfère manger les gros médicaments chinois et boire force eau- de-vie du pays. Nous verrons s’il ne sera pas obligé d'en venir à mon remède.

Depuis quelques jours, quatre énormes Pélicans sont venus s'établir sur le lac de Kin-kiang, dont les abondants poissons leur fournissent une nourri- ture facile. Je crois qu’ils appartiennent à la même espèce que ceux que j'ai eus à Pékin et que je pense être le Pel. crispus, ou le Philippinensis.

J'observe aussi un curieux phénomène ornithologique. Un Hoamy, le roi des oiseaux chanteurs de la Chine, s’approche plusieurs fois avec curiosité jusqu’à notre église, pour écouter le son de l’orgue qu’on y joue : il est paraît-il, meilleur appréciateur de notre musique européenne que les Chinois. Ceux-ci y sont parfaitement indifférents.

23 août. Je vais passer la journée à Nazareth avec nos étudiants du séminaire chinois, En route, je vois plusieurs Hérons à ailes et cou blancs, ayant le dos roux obscur ; l'espèce est inconnue au Nord.

Bar. 40 h.) 752*°; therm. 35° 1/2.

3h.) 750**; therm. 35° 1/2.

Du 25 août au septombre 1868. Je suis obligé de rester à Kin-kiang à cause de la maladie de mon homme qui est accablé par la fièvre, et d’une manière alarmante. Il consent enfin à prendre de ma quinine, et ses attaques cessent à la deuxième administration du remède.

56 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

Après les fortes chaleurs que nous avons eues ces jours passés, le temps commence à se refroidir considérablement à cause surtout d’un vent frais du Nord qui souffle quotidiennement. Une très-grande pluie, qui tombe le 31 août, abaisse encore beaucoup la température.

2 septembre. Je vais encore passer la journée à la campagne avec nos étudiants. Le baromètre 4 h.) y note 752""; le thermomètre, 25°. Nous poussons notre excursion jusqu’au bosquet de la sépulture du Lettré, je tue un Sitta sinensis, analogue au S. cœæsia d'Europe, et un Phylloscopus plum- beitarsus, petit Gobe-mouche que j'ai aussi pris à Pékin.

Des lettres que je reçois de Changhay m'’apprennent l’arrivée dans cette ville de notre vénéré confrère, M. Salvayre, procureur général de notre con- grégation, qui vient faire la visite ou inspection de nos missions de Chine. Comme il désire me voir et me parler, je me détermine à faire le voyage de Changhay en laissant ici mon aide chinois se rétablir de ses fièvres.

VOYAGE A CHANGHAY ET NING-PO AU TGHÉKIANG.

6 septembre au 20 septembre.

Mon voyage à Changhay, et de à Ving-po dans le Tchékiang, n'offre rien de particulier pour l’histoire naturelle ; le temps est le plus souvent mau- vais et pluvieux. En descendant rapidement le fleuve qui commence à grossir beaucoup, je rencontre à bord de l’Hirado M. Wylie, missionnaire protestant qui réside en Chine depuis vingt ou trente ans et qui a écrit de savants ouvrages sur la langue et l’histoire de l'Empire. Il vient de faire une tournée de cinq mois au Se-tchuan, pour en examiner les dispositions des habitants par rapport au christianisme et pour y répandre des bibles : c’est plus qu’au- cun autre révérend n’a encore fait ici dans le même but. Ces messieurs, ordi- nairement embarrassés d’une famille, ne peuvent guère se hasarder dans les entreprises périlleuses ; il y en a même quelques-uns qui entremêlent leurs travaux apostoliques de lucratives fonctions commerciales. Ainsi, à Changhay, j'ai passé plusieurs fois devant la maison d’un Clergyman, lequel est devenu fort riche par le négoce, et qui, ces jours-là même, faisait publier sur les journaux qu'il avait telle grosse dot à donner à chacune de ses filles quand on voudrait les épouser. M. Wylie, en compagnie d’un seul domestique,

BULLETIN, 57

a remonté le feuve Yangtzé jusqu’à Souy-fou ; de il s'est rendu à Tchentou, et à poussé jusqu’à Hangtchang dans le Chensi méridional ; puis il est redes- cendu par le fleuve Han à Han-Koou. 11 me dit qu’il n'a trouvé partout que des dispositions pacifiques dans les populations et il s’en dit très-satisfait. I est probable que s’il avait séjourner quelque temps au Se-tehuan, il aurait raison de parler différemment, par rapport à la bienveillance chinoise, Néan- moins les renseignements qu'il a la bonté de me donner, servent à me rassu- rer sur mon futur voyage.

Après avoir consacré, deux ou trois jours à Changhay et à mes entre- tretiens avec M. Salvayre, je vais en sa compagnie et en celle de M. Aymeri, faire une visite à monseigneur Delaplace. Dix-sept heures de traversée nous portent à Ving-po, admirable port de Tchékiang, connu et fréquenté par les Européens, depuis l’époque de leurs premiers voyages à l'extrême Orient.

Outre monseigneur Delaplace, j'ai le plaisir de faire la connaissance de mes confrères MM. Montagneux, Bret, Guillot, Rizzi, etc; ainsi que celle des sœurs de la charité qui tiennent dans cette ville un grand établissement de bienfaisance. |

Une seconde grande maison des sœurs vient d’être laissée et abattue, parce qu'on s'était aperçu à temps que toutes les boiseries étaient mangées par les termites ou fourmis blanches. Je passe à Ving-po trois jours qui sont attris- tés par une grosse pluie presque incessante. C’est ici que j'observe pour la première fois le Copsychus saularis, élégant oiseau noir et blanc, ami des habilations humaines : une paire s’est cantonnée au jardin de la missionÿ Ils sont curieux pour leur voix forte et pénétrante, pour leur humeur belli- queuse, et surtout pour la manière dont ils lèvent la queue toujours en trois temps, et l’abaissent ensuite tout d’un coup, en l’élargissant en forme d'éven- tail. 1 : Dans mon voyage de retour au Kiangsi, je vois sur le Yangtzé beaucoup de Canards sauvages, des Hérons gris, des Aigrettes, des Garzettes, des Cra- biers à cou noir, des Sternes et quelques Vanneaux à pieds jaunes, Lobivanel- lus cinereus. Partis de Changhay le 18 après minuit, nous arrivons à Kin-Kiang le 20 à sept heures du matin.

20 à 22 septembre. Mon homme étant passablement bien rétabli, nous recommençons nos excursions autour de la ville, en attendant que

VIII. h

58 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

vienne le moment de pouvoir partir vers le Se-tchuan, c’est-à-dire, après les grandes eaux. L'inondation est cette année plus tardive que d’ordinaire. Ouang Thomé qui a l'œil assez exercé, me dit que pendant mon abscence il a vu sur les murailles de la ville un oiseau de la taille d’un Geai, violet en dessous et brun en dessus, et portant deux pinceaux de plumes noires sur les deux côtés de la tête, en forme de petites cornes. Je ne connais point _ cette espèce et ne Ja voit point notée dans les catalogues de M. Swinhoe : le récit de mon homme est-il une fable ? Il n’avait aucun intérêt à metromper ; et des chrétiens venus du Houpé me disent qu’en effet il existe dans leurs montagnes des oiseaux de cette sorte qui y vivent deux à deux, dans les vallées solitaires... Nous verrons.

23 septembre. A cause de l’état de faiblesse de Ouang Thomé, je prends un autre Chinois vigoureux pour m’accompagner aujourd’hui jusqu’à la montagne du Ly-chan. Partis de bonne heure, nous arrivons jusqu'à la pagode et au delà. Nous voyons l’'iridée rouge tachetée, Pardanthus sinen- sis, très-commun au bord des torrents, ainsi qu’un Rhuta à fleurs blanches.

Dans les bois de la montagne, je tue encore deux Merles indigos (Myio- phonus cœruleus); un Pouillot à pieds blancs ( Phylloscopus tenellipes), un autre oiseau fort joli, noir et blanc, avec les pattes très-blanches, qui fré- quente le bord des ruisseaux (Ænicurus Scouleri) que je rencontre pour la première fois. Je me procure aussi, en revenant sur les buissons de la plaine, deux exemplaires d'un grand Garrulax (G. perspecillatus) à front et joues noirs, C’est un oiseau criard et difficile à tuer : il justifie pleinement son nom générique par son babil continuel et ses cris perçants, Les autres prises de la journée consistent en une Grenouille aboyeuse, des Crabes et Crevettes de ruisseau, et des Goujons du torrent du Ly-chan. F

Les insectes et les papillons diminuent ; mais le Thaïs telamon continue toujours à être commun, et il n’y a que des individus jaune pâle.

Pendant la course, j'ai aperçu et reconnu deux oiseaux rares du pays; ce sont le Cinele pallas et le Ruticille fuligineux.

24 septembre Nazareth). Bar. 4 heures du soir) 756%; therm. 24°.

I à commencé à pleuvoir hier au soir ; il pleut ce matin et toute la jour- née, Mon temps n’est pas perdu, je l'emploie en préparations taxidermiques et à sécher nos plantes, pendant que mon homme court les rues et les marchés

BULLETIN, 29

pour acquérir toutes les espèces de poissons d'eau douce qu'il peut rencontrer, Ici, il nous a été facile d’avoir des bouteilles à large goulot, pour les collec- tions dans l'alcool, Mais l’eau-de-vie qu'on nous vend me paraît faible, et je suis obligé de la renouveler plusieurs fois pour conserver mes poissons et mes reptiles. Je possède déjà, pour le Muséum, une trentaine d'espèces de pois- sons et autant de reptiles.

25 septembre. Temps très-couvert et petite pluie: fine. Bar. Al-heures) 760" ; therm. 22° 4/2.

26 septembre. Ciel moins lourd, mais temps incertain; pluie au soir. Bar. 11 heures) 761" ; therm. 22°.

Je quitte définitivement la campagne de Nazareth et rentre à la résidence des confrères de Kin-kiang , pour y organiser l'envoi de mes collections à Paris, et pour me préparer à mon grand voyage vers le couchant. *

pu 27 SEPTEMBRE 1868 au AA OCTOBRE, A KIN-KIANG.

D'après ce que me disent les habitants du Kiangsi, il y a cette année plus de mauvais temps et de pluies qu'à l'ordinaire : c'est un contre-temps pour moi; je perds beaucoup de journées, el j'éprouve de grandes difficultés à sécher les échantillons des plantes et des animaux. J'en perds même quel- ques-uns complétement. C’est ce qui fait que mon herbier est moins volumi- neux qu’il n'aurait été avec une saison meilleure. Le jour de saint Michel (29 sept.) la pluie tombe par torrents, el le fleuve, qui était déjà plus haut qu’en été, a monté encore; et il monte toujours dans les premiers jours d'oc- tobre. Voilà plus d'un mois que notre maison (la résidence centrale de la mission), est complétement investie par les eaux du lac qui communique avec le Yangtzé ; nous n’en sortons qu'en barque. Un grand nombre de petites maisons chinoises des: alentours ont été démolies, et les familles sont allées s'établir ailleurs.

Iliparaît que cette crue des eaux, si longue et si tardive, est'tout à fait extraordinaire. Aujourd'hui, 10 octobre, le niveau du ‘fleuve n’est que d'un pied et demi au-dessous de la plus forte inondation qui ravagea Hankoou, il ÿ a trois ans. Nous avons appris dernièrement que le fleuve jaune, de son côté, a débordé et changé de lit, sur-une grande étendue. Il court ici les bruits les

60 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

plus étranges, d’après lesquels, ce seraient les eaux du Hoang-ho qui se déver- seraient en parties dans celles de Yangtzékiang ! Je ne connais pas l’intérieur de la Chine et ne sais dire si cela est possible; mais je pense que si cette communication se faisait, elle aurait lieu plus bas qu'ici. Le fait est qu'à Kin- kiang même le fleuve couvre la plaine du nord, jusqu’à perte de vue; et que l’eau étant entrée dans notre cuisine et notre réfectoire, non-seulement les Grenouilles et les Crapauds, mais les poissons eux-mêmes y prennent leurs ébats.

Un de ces soirs pluvieux, un oiseau des révérences Cp de crainte, sans doute, de se mouiller la nuit dehors, entre dans une de nos chambres et se laisse, pour son malheur, prendre par mon chasseur qui en fait une magnifique peau.

A propos d’oiseaux, des Chinois chrétiens du Houpé, venus s'établir ici, me parlent d’un Faisan particulier qui existe dans les montagnes de leur pro- vince, et qui ne scrait ni le Faisan commun, ni le Faisan doré, ni le vénéré, ni le pu ni la Perdrix, ni le Faisan amherst : ils l’appellent hoa-ky.

Le 9 octobre, notre compador achète sur le marché un de ces curieux Esturgeons au museau excessivement long qui forme le tiers de la longueur totale de l'animal : c’est un jeune individu. Je n’ai aucun moyen de le préserver, dans l'alcool ou autrement ; les Chinois l’appellent ici Kouy-yu, ou poisson précieux, et l’estiment beaucoup pour la table. Dans un livre de voyages anglais, je vois une figure de ce poisson cartilagineux, qui existerait aussi, parfaitement identique, dans les eaux du Mississipi.

Cette inondation extraordinaire qui afflige le pays me contrarie aussi particulièrement, soit en retardant mon départ définitif pour le Se-tchuan, soit en m'empêchant de collectionner les poissons. On ne pêche guère plus sur le lac et point sur le fleuve. Désirs) l’un de ces jours, jai fait une assez abondante prise de petits poissons, à notre porte même ; et voici comment : la veille, comme beaucoup d’autres soirs, les dévots païens avaient exécuté une grande procession nocturne en bateaux sur le lac; il y avait une immense profusion de lanternes en papier de toutes couleurs, dont ils déposaient un très- grand nombre sur les eaux, pour se rendre ainsi favorables les dieux aqua- tiques et calmer leur courroux, en même temps que l’inondation. Or l'huile qui coûte le moins ici et qu’on emploie dans les lampes est le Tong-you, huile

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vénéneuse extraite des noix de l’Eleococca verrucosa. Les petits poissons, avalant de cette huile abondamment répandue sur les eaux du lac, mouraient en foule, ou venaient empoisonnés se faire prendre au bord; j'ai ainsi acquis plusieurs bonnes espèces que j'aurais en vain demandées aux pêcheurs.

Quoique cette tardive crue des eaux nous soit très-contraire, j'ai eu avis que je ne tarderai pas à recevoir ici mes compagnons de voyage, avec qui je dois remonter le Yangtzé-kiang. Je me hâte donc de terminer l'emballage de mes collections que j'expédie pour le jardin des plantes de Paris, sans en retenir de doubles, tant mes provisions sont modestes! Elles consistent en une dizaine de mammifères, une trentaine d'espèces d'oiseaux, en cin- quante ou soixante espèces de poissons et de reptiles. Le nombre d'espèces de Coléoptères monte à trois cent trente-cinq; il y a cent espèces d'Hémiptères, quarante-deux d'Hyménoptères, trente et une de Diptères ; une soixantaine d'espèces de Névroptères et d'Orthoptères, autant et plus de Lépidoptères. Soit en tout siæ cent trente espèces d'insectes. L’herbier ne compte qu'environ deux cents espèces de plantes. Voilà, avec quelques coquilles et quelques autres objets, quelles ont été mes acquisitions dans cette première étape forcée du Kiangsi.

Selon ce que me disent mes confrères et les Chinois qui connaissent le sud de la province, il y aurait à faire de bien plus riches acquisitions d’his- toire naturelle ; mais, d’après mes informations, je comprends qu'une expé- dition profitable dans ces régions me prendrai de six à dix mois. Pour le moment, j'ai hâte d’aller ailleurs, tout en souhaitant que la Providence me fournisse l’occasion et les moyens de les explorer plus tard.

12 octobre. Les eaux continuent à monter à Kin-kiang, et ont atteint presque le niveau de l’inondation de l’an 4866. II tombe toujours des pluies très-fortes et très-longues. Les autres années, le beau temps avait commencé déjà à cette époque, pour durer jusqu’à la fin de l'hiver, d’après les hommes du pays. Il faut avouer que jusqu'ici les éléments ne favorisent pas beaucoup mon voyage et mon entreprise d'exploration!

Comme je le prévoyais, je recois aujourd'hui des lettres de Changhay qui m’annoncent l’arrivée, pour demain, des jeunes missionnaires destinés au Se-tchuan et au Yunan. En conséquence, je m’empresse de faire mes dernières dispositions de voyage ; je regrette que, malgré ma quinine que je lui prodigue, mon garçon a de fréquentes rechutes de fièvre : il ne prend pas les précau-

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tions nécessaires pour se guérir et commet beaucoup d’imprudences. Jagpere au moins que cette leçon lui servira pour l'avenir.

13 octobre. À huit heures du matin, arrive l’AHirado, avec MM. Gen- nevoise, Bompas, Pourias et Pellé, qui vont être mes compagnons de voyage jusqu’au Se-tchuan. Ces jeunes missionnaires viennent faire une visite à mon- seigneur Baldus, pendant que leurs deux autres confrères, MM. Turgis et Provôt, voyagent sur un autre bateau.

M. Cunnem, l'employé de la compagnie Russel, à fait des difficultés pour accepter mon billet, ou ficket, que j'avais pris à Changhay pour Han- koou, avec la faculté de m'arrêter à Kin-kiang ; il finit pourtant par se rendre, quand le brave M. Mac-Queen se charge de mon affaire. Je ne sais pourquoi l’administration de ces bateaux fait payer un prix égal de Changhay à Hankoou et à Kin-kiang, quoique cette dernière ville soit d’un quart moins éloignée.

Nous nous embarquons et partons à neuf heures : les voyageurs euro- péens du bateau sont assez nombreux.

14 octobre. À cause du mauvais temps et du fort courant, nous sommes obligés de nous arrêter pendant une partie de la nuit. C’est à une heure après midi que nous arrivons à Hankoou. Nous descendons à la procure de la mission italienne nous recevons un excellent accueil du P.: Graziano de Carli, de Venise, L'inondation est tellement considérable, que cette ville semble une seconde Vénise, nous dit notre procureur,

15 octobre. Le temps devient meilleur, mais reste frais. Nous allons faire une visite et déjeuner à Ou-tchan-fou, chez monseigneur Zanoli, vicaire apostolique du Houpé,dont cette grande ville est la. capitale. Pour cela, il nous faut traverser en bateau le fleuve qui est très-large ici et bordé d’une infinité d'embarcations chinoises de toute grandeur. Outchang, Hankoou et Hanyang, trois villes séparées l’une de l’autre par le Yangtzé et par le Han, grosse rivière qui naît au Kanzou, forment l’un des plus grands centres de: population de l’empire chinois, sans pourtant y compter les six. ou sept mil- lions d'âmes ! dont on parlait autrefois. L’évêque. catholique a son établisse- ment principal et son séminaire dans le chef-lieu, dans une maison bâtie à l'européenne. Une petite fête religieuse y à réuni aujourd’hui plusieurs des missionnaires du vicariat. J'ai le plaisir d'y rencontrer le-P, Celso, qui a les cheveux blancs comme la neige quoiqu'il n’ait que trente-huit ans. Ce:père

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porte un intérêt particulier aux oiseaux et aux animaux du pays, dont il trouble la paix quand l’occasion s’en présente. Je ne perds aucune occasion d'acquérir des renseignements sur les productions des pays que je parcours. Le P. Celso qui connaît une grande partie du Houpé me dit que cette province nourrit, outre les autres Faisans ordinaires de Chine, le Tsen-ky à ventre blanc, ou Faisan amherst. Celui-ci formerait, d’après lui, trois espèces! Je pense que ce bon père, qui n’est pas naturaliste, prend pour différences spécifiques les variétés d'âge et de sexe qui sont ordinaires au genre Thaumalea.

Il me dit merveilles d’un petit oiseau à longue queue et à couleur d’or, qui habite les broussailles des hautes montagnes l'Ofhopyga, ou le Pericro- cotus ?). Il m’apprend que le Merle noir à bec jaune (que j'ai vu en cage chez le P. de Carli), et qui ne vit point dans le nord de la Chine, est abondant ici dans la plaine, sur les arbres qui bordent les canaux, mais ne visite point les montagnes ; que la femelle de cette espèce est noire comme le mâle, sans en avoir le bec jaune. Ce Merle, que je pense être le Merula mandarina de Gould, me paraît avoir. des proportions un peu plus fortes que le Merle d'Europe; le bec est plus robuste et la queue un peu fourchue. Son cri et son chant sont aussi plus forts et différents : c’est donc sûrement une espèce bien distincte.

Quant aux mammifères, le P. Celso m'informe qu'un Muntjac (Cervulus sinensis ?} est commun dans les montagnes, vivent aussi, d’après lui, deux espèces de Sangliers, deux espèces de Renards, le Tigre, l'Ours, et beau- coup de petits mammifères.

Ce soir, nous sommes invités à dîner au consulat de France, par M. Gué- naud qui fait l'intérim pendant l'absence du titulaire, M. Dabry; nous trou- vons chez lui tous les résidents français de Hankoou, c’est-à-dire M. Giraudet,

vice-chancelier, et M. Dupuis, négociant d’armes. Comme les eaux sont débordées, le consulat s’en trouve complétement entouré; et c'est en bateau que nous arrivons jusqu’à la porte. Ce phénomène de grande inondation est ici plus commun qu’on ne pensait, et les terrains concédés aux Européens par la Chine sont le plus exposés" à l’eau. Aussi, n’y a-t-il pas lieu d'espérer que Hankoou devienne un grand établissement européen, comme l'avait fait croire d'abord sa situation centrale. Cette année, le débordement est causé par les eaux du Han, plus que par celles du Yangtzé. Les maisons européennes de Hankoou sont assez nombreuses, mais le commerce diminue, et nos compa-

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triotes s’en retournent peu à peu à Changhay et ailleurs. C’est cette dernière ville qui est et sera l’entrepôt commercial principal de tout l'extrême Orient.

Je vois chez M. Guénaud le lettré chinois du consulat, un chrétien d’une honnêteté et d’une religion rares. Cet homme, très-instruit dans les livres de son pays, me dit qu'il y est fait mention de neuf espèces de poules sauvages qui vivent dans l'empire (gallinacés), et que le Hoaky est de ce nombre. C’est lui qui a surtout aidé M. Dabry pour ses acquisitions, informations ét tra- ductions d'histoire naturelle; il a même remonté le Yangtzé jusqu’au Se- tchuan pour y acheter des poissons. 11 me dit que Tchong-kin lui a fourni plus de quinze espèces de ces derniers qu’on ne pêche jamais à Hankoou ; et que le Houpé est séparé du Se-tchuan par de grandes montagnes souvent boisées.

De son côté, M. Guénaud, qui est grand chasseur, me confirme les récits du P. Celso, en me disant qu'il fait souvent des parties de chasse aux collines qui bordent les lacs de la rivière Han; et qu’ordinairement il lui arrive d’en rapporter plusieurs Ghevrotins, lesquels n’ont point de cornes. Sont-ce des Cervulus, ou bien une autre espèce inconnue de Cervide de petite taille ?

Jusqu'en ces derniers temps, il résidait à Hankoou une douzaine de mili- taires français qui étaient employés par le gouvernement chinois comme officiers instructeurs de l’armée impériale : ils viennent d’être congédiés, sous le pré- texte qu'on manque d'argent pour les payer. Le chancelier provisoire du consulat est l’un de ces militaires renvoyés.

Je suis loin de blèmer les Européens qui cherchent à se faire un peu de fortune en acceptant des emplois du gouvernement impérial. Mais il est remar-. quable que, soit en Chine soit au Japon, ce sont des Français surtout qui se sont chargés de la fondation des chantiers et des arsenaux, et de l'instruction des armées indigènes; c’est-à-dire de fournir à ces nations toujours hostiles à nous, quoi qu’on fasse, les moyens de combattre avant tout les Européens, quand elles se croiront assez fortes. Il est certain que, dans le cas d’une rup- ture avec les peuples de l'extrême Orient, les puissances occidentales auraient désormais plus de difficultés pour leur imposer leurs volontés, que par le passé, grâce aux intérêts personnels des commerçants et des particuliers.

Comme topographie, si Hankoou est bâti trop bas, Outchang se trouve au contraire dans une belle position, sur de petites collines qui s'élèvent jus-

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qu’à une quarantaine de mètres au-dessus du fleuve. Les pierres de construc- tion que je vois dans ces deux villes, consistent en grès rouge et en un très- beau granite à petits grains. Avant d'arriver à Hankoou, nous avons vu plus bas des carrières de pierre à chaux et de marbre blanchâtre. Les bois de con- struction viennent en grands radeaux par les fleuves, surlout du Hou-nan et du Se-tchuan : c’est du pin et du sapin, et j'en remarque de très-larges planches. Ici, le pays est complétement deboisé.

Malgré la surabondance des eaux des fleuves, et des lacs, on me dit que le climat de ces régions est très-sain.

16 octobre. Le temps continue à se rétablir, et la nouvelle lune commence bien. Nous nous réjouissons de pouvoir bien commencer notre voyage; car c’est ce soir que nous allons nous remettre en route. Outre les quatre missionnaires avec lesquels je suis venu de Kiou-kiang à Hankoou, il y en à trois autres qui nous avaient précédés sur un autre vapeur appartenant à une autre compagnie anglaise qui a eu la complaisance de leur donner un passage entièrement gratuit: ce sont MM. Provot, Clément et Turgis, tous trois Angevins. M. Provot et M. Gennevoise ont été déjà au Se-tchuan, et c'est à eux que nous confons le soin de nous piloter jusqu’à Tchong-kin. Ce dernier confrère surtout, à cause de son expérience et de ses dispositions exceptionnelles, a la bonté de vouloir se charger de pourvoir aux besoins com- muns de la bande : il sera notre tangkia, notre économe, le régulateur de uotre famille, laquelle se compose maintenant de nous huit missionnaires, et de trois guides et domestiques. Il a déjà fait de grandes provisions de vivres, renforcé notre vestiaire par l'achat de vestes ouatées, en prévision du froid qui arrive, et loué deux barques sur lesquelles nous allons voyager jusqu'à la ville de Cha-che. Là, nous serons obligés de chercher une autre grande em- barcation, pour continuer notre voyage jusqu’au Se-tchaan.

Nous aurions bien pu nous embarquer ici définitivement dans un seul bateau qui nous aurait portés jusqu’à Tchong-kin, sans avoir les désagréments d’un transbordagé ; mais il faudrait aller par le Yangtzékiang. Or les circuits nombreux que le grand fleuve forme de Hankoou jusqu’à Cha-che occasion- nent une grande perte de temps; tandis qu’il ne nous faudra qu'une huitaine de jours, pour arriver à ce dernier point, en naviguant en deux petites bar- ques, par les lacs et les canaux qui se succèdent dans cette direction.

17 octobre. Très-belle nuit et très-belle matinée. Nous nous sommes

VIII. ?

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embarqués hier au soir; mais comme les Chinois ne voyagent point la nuit, ce n’est que ce matin que nous nous mettons en marche, et de très-bonne heure. Notre première journée passe sans incident remarquable : chacune de nos barques n’a que quatre hommes pour la gouverner, et nous nous sommes aussi distribués quatre à quatre sur chaque*bateau. |

Les Chinois de notre suite, nos malles et les autres bagages sont commo- dément placés, sans danger de se mouiller. De temps en temps, l’un des bate- liers descend à fond de cale pour en retirer l’eau qui y pénètre toujours par les fissures, en plus ou moins grande quantité. Ces bateaux à fond plat sont calfatés, non pas avec du goudron, mais avec l'huile épaissie de l’Æleococca verrucosa, éong-you; ils sont garnis d’une couverture en planches unies ensemble au moyen de ficelles et non de clous. C’est làa-dessous qu’est notre chambre, nous avons étendu nos couvertures de lit, Les hommes de notre suite et du bord dorment sous des toits de nattes en bambou, qu’on étend le soir, soit sur le devant, soit sur le derrière de la barque. Ce seul et unique appartement du milieu dont nous ne pouvons pas sortir est bien petit pour quatre hommes ; ce n’est qu’au milieu que nous pouvons nous tenir debout. Il nous sert de chambre à coucher, de salle à manger et de salon d'étude. Ces bateaux marchent, selon l'opportunité, à la voile, à la rame, à la perche, ou halés par les bateliers. Bientôt nous laissons le grand fleuve pour prendre, à notre droite, un étroit canal qui nous mène vers les lacs alimentés par le Han.

18 octobre. Beau temps, vent d’ouest. Nous entrons dès le matin dans un. grand lac. Jusqu'ici nos hommes ont halé les bateaux tant qu'a duré le canal; mais ici, les bords sont loin, il faut ramer. Désespérant de faire notre journée ordinaire, à cause du vent qui est contraire, on suspend la marche ; l’on s'arrête de bonne heure, pour passer tout ce jour et la nuit au bord d’une des petites îles montueuses qui dominent ces eaux.

Pour mon compte, je ne suis point fâché de ce petit contre-temps qui me fournit l’occasion de descendre à terre et d'y faire mes observations. Les roches qui constituent cet îlot sont sédimentaires, et consistent en grès quartzeux et en argilles. Près de quelques maisons je vois des meules de moulin en cal- caire bleu. On me dit qu’en hiver ce lac n’existe pas, que toute cette région est sèche alors et les îles actuelles ne sont que des montagnes qui surgissent au milieu d’une plaine immense.

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Notre îlot est sec, et la végétation en est misérable. J'y récolte un Teu- crium à belles fleurs bleues, et un Lin à larges feuilles. En fait d'animaux, je vois des lièvres, un Faucon pèlerin, le Pakoou Accridotheres cristatellus, \’Ixos sinensis en vols nombreux, trois espèces de Tourterelles (sinensis, humilis et rupicola), le Pinson des Ardennes, le Rouge-queue (Phænicurus aurorea), le Roitelet modeste (Reguloïdes chloronotus), plusieurs Pouillots que je ne reconnais pas, l'£rythrosterna leucura, un beau Gobe-mouche (Perierocotus cinereus ?) l'Authus campetris, l’Alouette des champs et le Tarin d'Europe. Il n'ya point d'oiseaux aquatiques; sans doute parce que ces lacs sporadiques ren- ferment peu de poissons.

Quoique ma santé ait été relativement bonne depuis quelque temps, ce soir je me trouve très-souffrant et pris d’un malaise insolite et inexplicable pour moi. Je ne sais à quelle cause attribuer mon mal, si ce n’est à une inno- cente tasse de thé sans sucre, que j'ai bue à mon retour au bateau. Pendant la nuit mes douleurs d'estomac et de ventre sont tellement violentes, que j'ai la pensée d’un empoisonnement!.. Les souffrances deviennent si insupportables que je m'évanouis bientôt; mais heureusement, la nature vient à mon aide, et d’abondantes évacuations me soulagent peu à peu et me rendent à la vie. Par- tout ailleurs qu'ici je n'aurais jamais pensé à l’empoisonnement ; mais en Chine c'est dit-on un moyen très-vulgaire de se défaire des hommes. Moi qui exé- cute de nombreux voyages pour l’histoire naturelle, je sais que ces populations soupçonneuses et hostiles aux Européens croient que je suis un espion des Occidentaux qui cherche à pénétrer jusque dans les parties les plus reculées de leur empire, soit pour y faire des cartes, soit pour y découvrir leurs mines de métaux précieux! On sait maintenant que plusieurs missionnaires sont morts du poison (entre autres, M. Delamarre à qui les lettrés chinois en vou- laient d’une manière particulière et dont ils réussirent à suborner les domes- tiques). Déjà plusieurs fois pendant mon séjour dans la campagne de Kiou- kiang, il m'était venu des doutes à l’occasion de douleurs d’entrailles d’une nature toute nouvelle que j'éprouvais après avoir pris mes aliments ou le thé; mais je n’osais point m'arrêter à mes soupçons, d’aufant plus que les symp- tômes n'étaient point graves encore. Le fait est que désormais, que mes craintes soient fondées en raison ou non, j'ai droit de me tenir sur mes gardes, sans craindre le reproche d’une manie.

19 octobre. Très-beau temps, point de vent. Nous nous remettons en

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mouvement, et avançons à force de rames pendant toute la journée; cepen- dant nous ne parvenons à faire qu'environ soixante-dix lys de route. Les îlots et les maisons abandonnées s'élèvent partout au milieu du lac; l’inondation qui dure depuis quatre mois ne commence pas encore à diminuer. Pourtant la population, d'assez chétive apparence, ne semble pas trop impatiente de ce déluge auquel elle est sans doute habituée périodiquement. Aujourd’hui non plus, je ne vois pas d'oiseaux aquatiques, si ce n’est quelques vols de Canards sauvages qui fendent rapidement les airs vers le soir. Nous nous arrêtons et passons la nuit contre un petit tertre couvert de maisons qui constituent le village de Siao-choui-kang ; ce nom, qui signifie le trou de la petite eau, est loin d’être justifié en ce moment.

20 octobre. Beau temps, un peu nuageux, vent contraire.

Nous voyageons sans incident remarquable, tantôt dans des lacs, tantôt dans les canaux nos bateliers préfèrent toujours haler leurs barques que de ramer. J’aperçois deux Cormorans, les premiers du voyage à l’intérieur.

24 octobre. I commence à pleuvoir pendant la nuit, et la pluie con- tinue le jour ; nous avançons peu aujourd'hui. Pas de nouveautés. Nous tou- chons à la fin de ce premier grand lac, plus ou moins continu, qu’on nous dit n'exister que dans les grandes eaux. Cette année, l’inondation dure plus long- temps que d'ordinaire ; et ici les eaux couvrent la plaine sur une longueur de 300 lys de l’est à l’ouest, sur 7 ou 8 lys de large. De nombreux groupes de maisons et d’arbres sont répandus comme des îles sur cette mer tempo- raire.

22 octobre. La pluie qui avait cessé la nuit, a recommencé ce matin; nous marchons peu et toujours au milieu de la chaussée de l’ancien canal. Aujourd'hui, j'aperçois plusieurs oiseaux, mais aucune espèce nouvelle : des Poules d’eau, des Goëlands, des Parrus, le Héron cendré, le Milan govinda, un grand Buzard, peut-être le €. spilonotus, abondent ; le Corbeau à collier blanc, la Corbine à gros bec, la Pie commune, la Pie bleue, le Pasteur huppé, l'Étourneau cendré, la Pie-grièche schach, le Martin-péêcheur de Bengale qui diffère très-peu du nôtre, la Bergeronnette jaune, le Moineau friquet.

23 octobre. Un vent violent et irrégulier succède à la pluie de la nuit. Nous voguons tantôt rapidement, tantôt avec peine, dans ce canal tortueux dont les bords commencent à devenir plus jolis. Les raffales du vent, qui

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souffle du nord, nous fatiguent beaucoup, en secouant fortement nos plates barques et les poussant souvent contre la rive opposée. ;

Nous parvenons pourtant à la douane de Kiou-Kouang dont les em- ployés font aussi chez nous leur visite obligatoire : nous sommes à moitié route de Hankoou à Cha-che, distance qu’on nous dit être de 525 lys. Il se met bientôt à pleuvoir et à souffler un grand mauvais vent, et force nous est de nous arrêter ici. Nos matelots s’attendent à la continuation du mauvais temps pour demain; car c’est le neuvième jour du neuvième mois, et ce jour, disent-ils, il y a des orages et des ouragans, de même que le troisième jour du troisième mois : Kiou yué, kiou; San yué, san: pou Young Chang tchouan (c'est-à-dire, le neuvième jour du neuvième mois et le troisième jour du troisième mois, il est imprudent de naviguer). C’est un proverbe du pays.

Les bords du canal, qui se bifurque en ce lieu, sont assez agréables et boisés ; et comme il n’y a d'arbres que là, c’est le rendez-vous d’une immense multitude d'oiseaux appartenant aux espèces communes.

24 octobre. Très-mauvaise nuit passée à l'ancre devant la douane ; et très-mauvaise matinée. La journée est perdue pour le voyage. Le temps se refroidit sensiblement, et le thermomètre dans l'intérieur de la barque ne marque plus que 46° (nous sommes près du trentième degré de latitude). La pluie continue jusqu’au soir avec le vent violent et orageux.

25 octobre. Temps frais; le vent s’est calmé la nuit, et la pluie a cessé aussi. On part de bonne heure, et nous filons rapidement au travers de deux petits lacs, nommés Ta-thiédze et Siao-thiédse (grand plat et petit plat). Puis, nous nous engageons de nouveau dans les canaux, la navigation est plus sûre et bien plus agréable pour moi. De petits Grèbes ressemblant au Podiceps minor, sont abondants dans ces eaux. Chemin faisant, je mets en peau et préserve au sel et au poivre (faute d’autres matières sous la main) deux beaux Garrulax perspecillatus que j'ai abattus le long des canaux.

26 octobre. Il pleut fort depuis hier soir; nous ne pouvons partir ni le matin ni dans l'après-midi. La pluie ne cesse que vers la nuit.

27 octobre. Le temps s’est amélioré. Nous partons de bonne heure. En traversant un lac de deux ou trois lieues de long, je vois passer des bandes d'Oies que je ne reconnais pas à leur voix, qui est nouvelle pour moi. Il y a aussi des oiseaux qui ressemblent à des Parrus, mais qui sont plus blancs et

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ont le ventre tout blanc; sont-ce des jeunes de l’Aydrophasianus sinensis ? I] passe encore devant moi beaucoup de Canards, et un gros Héron à couleurs obscures. En cheminant ensuite sur les bords du canal, j'y aperçois une sorte de Calamodyta, de petite taille et à couleurs foncées, que je ne connais pas non plus. Les Pies bleues sont toujours très-abondantes.

Le Sophora est assez commun ici, avec le Melia et un Acacia qui res- semble au lebbed d'Égypte.

Dans l'après-midi, les terrains que le canal traverse sont plus Da. et les champs ne sont plus inondés ; mais les pluies abondantes ont tellement détrempé la terre qu’il est presque impossible de marcher sur la chaussée qui encaisse le canal. Il y à ici quelques Bécassines qui semblent appartenir à l'es- pèce ordinaire.

Mais ce que nous voyons ce soir avec grand intérêt, ce sont les fameux Cormorans pêcheurs. Ces oiseaux réduits en domesticité, au point de se pro- pager dans l’esclavage, procurent d'immenses pêches aux Chinois. Nous voyons plusieurs bateaux très-bas, portant chacun vingt à trente de ces oiseaux. Quand le pêcheur veut les faire pêcher, il les pousse à l’eau, en les touchant du bout de sa longue perche; sans quoi ces bêtes obéissantes et très-familières ne s’y jettent pas. Les Cormorans plongent alors de tous les côtés, et ne reparaissent à la surface des ondes que pour respirer ou pour rapporter le poisson qu’ils ont saisi et qu’ils ne peuvent pas avaler à cause d’un anneau métallique qu’ils ont au cou. Leur maître les empoigne alors par leur cou et retire la proie qui est dans leur sac; puis les rejette dans l’eau jusqu à ce qu'on ait ainsi dépeuplé cette partie du lac ou de la rivière. Il ne faut que peu d'instants pour accumuler une grande quantité de poissons ; mais ceux-ci, étant toujours plus ou moins meurtris par le bec du Cormoran, sont moins estimés pour la table que ceux qu'on prend aux filets. Les pêcheurs chinois ont le plus grand soin de ces oiseaux qui leur sont si utiles; quand ils les voient fatigués de la pêche, ils les remettent sur les perchoirs, et les y laissent longtemps immobiles, pour sécher le plumage; celui-ci paraît se mouiller davantage chez les oiseaux domestiques que chez les sauvages. De plus, quand on n’a pas l’occasion de les faire travailler, on les fait baigner régulière- ment un à un. Les oiseaux se laissent prendre et reprendre avec docilité et quand on les remet ensemble, ils cäquettent de plaisir, à la manière des Canards. La. démarche des Cormorans domestiques est embarrassée et très-disgracieuse.,

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28 octobre. Le temps est douteux au matin, mais il se soutient sans pluie. Jusque vers le milieu du jour, notre navigation se fait dans des canaux dont les bords élevés sont garnis d’arbres : l'espèce dominante ici est le Stil- hngia sebifera, ou arbre à suif, Je vois passer des bandes innombrables de Sturnus cineraceus et des Oies sauvages, Anser albifrons? Dans l’après- midi, nous traversons le dernier grand lac qui a six lieues de long, et qu’on nomme Tchang-hou (long lac); une brise du N. et du N.-E. favorise notre navigation.

Aujourd’hui, comme les jours précédents, nous avons fréquemment passé devant des pêcheries au filet carré. Un"système de longues perches en bambous sert à abaisser et à relever cet immense filet dont le milieu est ordinairement muni d’un bout allongé en forme de verveux renversé, ou d’une nasse en osier. [1 y a, à côté, une cabane où, nuit et jour, un vieillard, un enfant ou une femme, est occupé à faire fonctionner cet appareil, au moyen d’une corde et sans efforts. Ils doivent sans doute prendre du poisson ; mais, quoique nous ayons regardé très-souvent relever le filet des eaux, jamais il ne nous est arrivé d’y en voir aucun... Cette observation a été faite par d'autres voyageurs. i

Le soir, nous arrivons dans le dernier canal que nous ayons à parcourir, près duquel se trouvent les terres impériales bordées d’un beau quai en pierre de taille calcaire. Mais il est trop tard pour que nous puissions arriver aujour- d'hui à notre port de Cha-che ; nous nous arrêlons donc pour passer la nuit, amarrés tranquillement près d’un grand pont de pierre. Pendant une bonne partie de la nuit, notre sommeil est interrompu par les chants et la musique des Chinois qui passent et repassent sur le pont : c’est, sans doute, quelque cerémonie, quelque procession religieuse des païens.

29 octobre. Ce matin, nous arrivons enfin à Cha-che : c’est ici que se termine le canal, et que finit aussi cette première partie de notre navigation; c'est ici que nous devons quitter nos deux barques et nous transporter avec tous nos effets, par terre, de l’autre côté de cette ville, qui est un marché per- manent et très-considérable, pour nous y rembarquer sur une grande barque du Se-tchuan, laquelle devra nous porter à notre destination. Mais en Chine les choses ne se font pas vite : quoiqu'il n’y ait que quelques kilomètres de dis- tance entre cette extrémité du canal et le bord de Yantzékiang, et que le port du grand fleuve regorge de grosses embarcations vides, on nous dit qu’il

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faudra non-seulement tout aujourd’hui, mais peut-être plusieurs jours, avant que nous soyons prêts à nous remettre en route : les Changleang ou pour- parlers inévitables pour louer la barque qu’il nous faudra nous obligeront donc à attendre avec patience. Heureusement il y a ici une petite chrétienté avec une résidence de missionnaire, sous les murailles de la ville de Kin- tcheou, et c’est que nous allons attendre.

Après avoir donc payé nos braves bateliers et leur avoir fait le cadeau de règle en sapèkes, nous nous transportons sur deux autres petites barques avec nos effets, et quoique contrariés beaucoup par un vent très-violent, nous arri- vons de canal en canal au quartier de la mission, vers une heure de l'après- midi. Il yaici près de deux cents chrétiens; ils sont bien pauvres et vivent presque tous en faisant des parapluies de papier huilé. On dit que la popula- tion païenne du pays est fort hostile au christianisme.

La maison du missionnaire et la chapelle des chrétiens, ou Koung- kouan, sont peu éloignées de l’une des portes de Kin-tcheou; en y entrant, nous sommes plus étonnés que contrariés de trouver le logis vide : le P. Lo, prêtre indigène, qui savait sans doute que des confrères européens devaient passer ici, est allé en mission depuis plusieurs jours. Il n’est pas téméraire de soupçonner que ce bon père a craint d’être trop dérangé par la présence des étrangers. C’est égal! nous nous installons très-bien dans cette maison vide; les chrétiens sont pour nous rendre, moyennant quibus, tous les petits services dont nous avons besoin.

La ville de Kint-cheou est bien murée, entourée de grands canaux pleins d’eau, et très-ancienne, puisque Confucius en parle comme d’un centre déjà antique de son temps; ce qui en porte l’âge à plusieurs milliers d'années. Une partie de la population qui habite l’intérieur des remparts est composée de Tartares-Mantchous qu'on y a établis à l’avénement de la dynastie actuelle- ment régnante. Ces Tartares avec leurs familles ne diffèrent plus des Chinois, qu'en ce que les femmes laissent croître le pied à sa grandeur naturelle. Ici, comme dans toutes les grandes villes centrales ils se trouvent, ils occupent un quartier séparé, et sont tous militaires par état. Ils reçoivent du gouverne- ment une solde et des distributions de riz, et possèdent de bonnes terres pour leur entretien et pour celui de leurs chevaux.

30 octobre. Le temps continue à se maintenir bon; et le vent, qui est assez fort, sèche la terre qui était par trop humide à cause des grandes

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pluies passées. Tout ce pays est plainier, et d'aucun côté on n'apercoit les montagnes ; seulement vers le nord-ouest on distingue au loin un léger renfle- ment du terrain qui s'élève, dit-on, en avançant dans la même direction, jus- qu'à former de véritables collines.

Les environs de Kin-tcheou passent pour être très-fertiles, et cette année la récolte du riz a été fort bonne. Aussi y a-t-il allégresse dans la population, et rencontrons-nous de fréquentes processions de païens qui vont aux pagodes, ou Miao, remercier Fo de l’abondance des moissons.

La pierre calcaire qu’on emploie ici dans les constructions est grisâtre et remplie de coquilles marines; on me dit qu’elle provient du sud-ouest du Yang-tzé, à plus de 200 lys d'ici. Le charbon minéral vient aussi de plusieurs centaines le lys de distance, des montagnes de l’ouest et du nord- ouest. (Tang-yang-shien : c’est de l’anthracite qui brûle sans fumée et en répandant peu d’odeur ; il contient un peu de soufre.

Ici, j'ai la bonne fortune de trouver de l'excellente déni de fer à bon marché : la douane en a saisi plusieurs sacs, je ne sais pour quelle cause, et cherche à s’en défaire, Nous en achetons une bonne provision à raison de 38 sapèkes peu près quatre sous) la livre, pour suppléer au plomb de chasse qui manque en Chine et coûle très-cher à Changhay. Il est vrai que la gre- naille use vite le fusil et casse les dents; mais ces inconvénients importent peu à moi qui ne chasse pas le gibier pour la table et qui tire les bêtes le moins possible et seulement quand les chasseurs indigènes ne suflisent pas pour mes acquisitions de zoologie.

Un vieux chrétien de Siang-yang, domicilié à Cha-che, me répète encore que le fameux hoaky vit dans les montagnes septentrionales du Houpé. D'autres chrétiens originaires des montagnes qui sont à quatre journées nord- ouest de Kin-tcheou me confirment aussi les détails déjà reçus à Hankoou et relatifs à une grande chaîne montueuse et boisée qui forme la frontière du Houpé et du Se-tchuan dans leur pays, et vivraient beaucoup d'animaux sauvages. Il est dommage que les voyages soient si difficiles et si lents en Chine et que je ne puisse pas visiter des pays qui paraissent si intéressants ! Quant à notre phasianide, nommé hoaky, je pense que ce n ‘est qu'une question de synonymie, bien que j'aie entendu parler à Hankoou d'une nouvelle espèce de faisan qu'un voyageur anglais aurait rapporté je ne sais d'où.

VIH.

Î

7h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

31 octobre. Le beau temps continue, l’atmosphère:s’attiédit, et le vent souffle du sud.

Nosguides, qui ont couru tout hier pour trouverune barque, nous lannon- cent qu’ils en ont arrêté une, grande et convenable, maïs :qui ne pourra se mettre ën route que dans six ou sept jours. .

La maison que nous Hhabitons en maîtres temporaires a son petit jardin entouré d’une ‘haute muraille : un beau Sterculia platanifolia y croît à côté d’un cyprès à deux feuilles et-d'an thuya de petite dimension; il y ‘a aussi un pied de ‘vigne, rareté portée de je me sais où. Les fleurs iconsistent «dans le Chrÿsanthème des Indes, la reine-marguerite; le pardanthe, l’hémerocalleà larges feuilles, la tomate portée d'Europe, tetc.

Aujourd'hui je’revois ici le freux, Corvus pastinator, que je n'avais point rencontré depuis mon départ de Pékin, l’on en a toute l’année; j'entends aussi le cri d’un petit oiseau granivore ‘qui me paraît nouveau. Point d’autres particularités ornithologiques. Malgré mes recherches et celles de mes bien- veillants confrères, ‘de M. Bompas en particulier, je ne trouve:au jardin ique très-peu de coquilles et d'insectes ; on dirait qu’il y en a pénurie au pays.

novembre 1868. Dimanche de la Toussaint. Très-belle ‘journée.

Nous célébrons notre fête catholique avec une pompe sans exemple ici : ‘il a messe chantée et'solennelle en :toute règle, aveciconcours des:chrétiens ‘chinois qui paraissent goûter assez le chant et les fonctions ecclésiastiques. Il ‘est vraïque notre petite escouade de ‘missionnaires a la chance rare de compter dans son sein plusieurs ex-maîtres de cérémonies et de chant religieux.

2 ‘novembre. Journée belle et chaude. En compagnie d’une partie de mes confrères, je vais faire une :promenade de reconnaissance ‘à une lieue de distance nord-ouest de Kin-tcheou. Hl:ylà, au milieu des champs, des terrains incultes‘et assez accidentés, destinés en partie:aux sépultures, ‘avec.des brous- saillés et des arbres; nous y rencontrons'le Turdus Naumanni, le>Cisticola eur- sitans qui devient de moins en ‘moins commun à mesure qu'on s'éloigne vers T'ouest, un sylvain Cyanecula, l'authus cervinus, V'alauda cohvax., la :caille Commune, le faisan à collier. Sur les-canaux j’aperçois, ‘pour la première fois en Chine, un busard des marais, àitête blanchâtre, le Circus OTUgINOSUS SANS doute et un'grand martin-pêcheur noir et blanc, Alcedo rudis.

Vers le soir, :mon Ghinois :capture quelques exemplaires d’un curieux petit papillon, une sorte de Psyché aux ailes transparentes, qui voltigeait en

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grand nombre autour d’un arbrisseaw dont il ne sait pas me dire le nom. Au coucher du soleil la clarté de Vatmosphère nous permet d'apercevoir versle nord-ouest des coines qui paraissent éloignées de nous de. quelques lieues seulement.

3 novembre. Ciel voilé au matin; un peu de pluie à huit. heures, puis le temps s'améliore pour le reste du jour.

Pas de nouveautés ; nous attendons toujours qu’on ait fini les longs prépa ratifs de la barque louée : les Chinois comptent le temps pour rien. Nous nous apercevons qu'un vieux et cérémonieux cuisinier qui s’est imposé à nous adroi- tement profite de l’occasion pour filouter le plus possible sur le prix et la . qualité de nos provisions; comme il ne s'agit que de peu de jours, nous pre- nons patience. [1 nous en faut beaucoup en Chine! Outre le calcaire à fos- siles qui vient ici du sud-ouest et de l’ouest, je vois aussi du grès qu'on me dit provenir du sud du fleuve Bleu.

4 novembre. Comme l’on ne peut pas s’embarquer encore d’'aujour- d'hui, nous profitons du temps très-beau, mais chaud, qu'il fait, pour exécuter une course au sud du Ta-kiang (grand fleuve), seul nom que les Chinois de l’intérieur donnent au fleuve Bleu. Pas de capture et d'observations utiles pour l’histoire naturelle ; nous abattons quelques freux (corvus pastinator) qu’on cuisinera ce soir chez nous comme si c’étaient des pigeons. Nous aperéevons un vol en ligne oblique de treize immenses pélicans (P. Crispus?) qui vont se poser devant nous sur la plage : nous aurions bien envie de posséder un de ces gigantesques palmipèdes ; mais, pendant que nous essayons de nous en approcher au travers des petites dunes mouvantes qui bordent le fleuve, un malheureux lièvre saute de nos pieds pour çourir dans la plaine nue, et donne ainsi l'éveil à nos pacifiques oiseaux. 11 s’envolent lourdement et gagnent un îlot inaccessible formé par les boues.

Les champs d’au delà du Sie md sont déboisés et parfaitement plats, à perte de vue : c’est une terre d’alluvion profonde et exceliente. Du côté nord, le fleuve est bordé d’une grande et magnifique chaussée sur laquelle court la route qui mène jusqu’à Itchang. Plus bas que le niveau des eaux de la grande artère de la Chine, s'étendent vers Kin-tcheou de beaux jardins pota- gers et des champs fertiles : on les voit de loin hérissés de tumulus et d’autres sépultures. Les plantes que j'y vois cultivées en cette saison consistent en raves, en paélsaé (brassica sinensis), en carottes et en cannes à sucre. Je dis-

76 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

tingue aussi une espèce de Xanthoxylon épineux qui est commun ici dans les haies; une sorte de grand laurier qui forme un grand arbre; le saule soupi- rant; le planera? sans épines et à écorce caduque; le sophora du Japon, un acicia, etc.; mais point d’ormeaux.

à novembre. Il fait très-beau temps et assez chaud. Nous disposons tout pour nous embarquer ce soir. Ce sont les chrétiens du lieu qui s'offrent à transporter nos bagages jusqu’au bord du Takiang, c’est-à-dire à trois quarts d'heure de notre maison, et nous avons trente ou quarante colis les uns plus lourds que les autres. Nous nous sommes même chargés de porter à nos frais des caisses d’outils et d’armes destinés à un armurier européen qui est au service d’un grand mandarin du Kouy-tcheou. Mais notre pares- seuse barque ne se trouve au point du fleuve elle avait promis de monter; et force nous est de nous transporter à nuit close et avec de grandes difficultés jusqu'au port de Cha-che. Nous y arrivons après deux heures d’efforts, et non sans perdre quelques objets en route. Nous avons lieu de penser que ce malentendu, dit involontaire, a été ménagé par nos Chinois pour pouvoir pécher dans l’eau trouble.

6 novembre. Nous partons de bon matin et par un beau temps, et remontons le fleuve sans rien voir de particulier, si ce n’est quelques mouettes et goëlands.

Le pays continue à être plat.

Notre barque est assez commode et faite pour porter les voyageurs; c’est tout ce que j'ai vu de mieux encore en fait d’embarcation chinoise. Nous sommes installés, tous les huit Européens, dans trois chambres garnies de petites fenêtres de planches. L’équipage consiste, pour le moment, en une vingtaine d'hommes que le capitaine a loués à Cha-che, pour aller jusqu’à lichang; il en faudra trouver d’autres qui connaissent mieux les difficiles passages à traverser pour arriver jusqu’à Tchongkin. Le maître batelier ou capitaine est un jeune homme, à manières prévenantes ; mais il est doublé de sa mère, intrépide fumeuse d’opium, veuve peu timide, qui prend souvent sur elle de donner les ordres à l’équipage. Cette femme, à la mine pâle et presque cadavéreuse, se montre rarement, et seulement dans les circonstances solen- nelles, hors de sa chambrette, elle passe presque tout son temps à déguster les vapeurs de la drogue qui mine sa santé et sa bourse. Mais telle est la tyrannie du vice de l’opium, que jamais ou presque jamais 1l n’arrive que ceux

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qui y tombent parviennent à s’en défaire, même quand ils voient clairement qu'ils hâtent par leur ruine et leur mort.

. Ici les Chinois appellent l’opium Ya-pien, imitation du son européen ; à Pékin, on le désigne sous le nom de Yang-yen, fumée ou tabac des Occi- dentaux. |

7 novembre. Aujourd’hui le temps est un peu pluvieux et triste. Dans la matinée, notre navigation n'offre rien de remarquable ; nous avançons presque toujours halés par nos hommes : quand le courant est trop fort d’un côté, ceux-ci remontent sur la barque, et l’on passe à l’autre bord du fleuve, en ramant en cadence. Le cri ou chant que les bateliers de ces contrées emploient pour s’aider à ramer ensemble est quelque chose qu’on n'oublie jamais quand on l’a entendu une fois : d’abord, l’un des hommes pousse, sur le ton le plus élevé possible, quelques longues notes chevrotantes qui rap- pellent assez le cri de rappel des montagnards écossais, ou l’/rrintzina des contrebandiers basques ; et, chaque fois, ses compagnons lui répondent à lunisson un formidable Heou, achromatiquement ascendant ou descendant. selon la circonstance.

Quand il arrive qu’on va à la voile et que le vent vient à faiblir, nos matelots ne manquent pas de se mettre à siffler pour invoquer le dieu des brises. Il est curieux de retrouver, chez presque tous les peuples du monde, cet usage identique d'appeler le vent en sifflant; je pense qu’il n’y à dans cette unanimité qu’une question d'harmonie imitative.

Comme la vie rigoureusement sédentaire de nos étroits appartements est très-peu commode, nous profitons de toutes les occasions que la marche de la barque est ralentie par le courant, pour descendre à terre : Changpo, comme disent nos gens, afin de dégourdir nos jambes rebelles encore à la posture de celles des tailleurs, à laquelle elles sont condamnées ici dans notre embarcation mandarinale, comme elles l’étaient à Pékin dans les fiacres couverts. :

Étant donc allés à terre, cette après-midi, au nombre de six sur huit voyageurs, et ayant laissé malheureusement le chemin qui longe le fleuve, pour suivre une grande chaussée qui semblait devoir abréger notre route, tout en nous faisant éviter de traverser une ville ou Forum considérable, nommée Kiangkeou, qui se trouvait devant nous, il nous est arrivé de nous engager dans les terres et autour d’un lac impassable que nous croyions pouvoir con- tourner pour aller plus haut retrouver le fleuve. Maïs pas du tout : plus nous

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marchons, et plus nous nous éloignons de notre barque-maison et plus nous nous engageons dans un dédale de maraïs inextricables. Quelques Chinois que j'avais rencontrés et interrogés nous avaient bien dit que le reste de cette journée ne nous suffirait pas pour faire le tour que nous nous proposions ; mais mes ardents et jeunes camarades répugnaient à revenir sur les pas et espéraient faire l'impossible à force d'énergie et d’agilité : en avant, toujours, répondent-ils. Mais à force d'aller en avant les forces s’épuisent, et le dîner nécessaire pour’ les réparer laisse passer son heure ; d’un autre côté, la nuit arrive à grands pas et ne nous laisse guère plus voir que l’effrayante longueur du lac qui semble s'agrandir à mesure que nous nous efforcons d'en voir la fin... C'est alors que nous songeons enfin à la retraite; mais, hic opus, hic labor ! La nuit devient obscure et, pour comble de contre-temps, il recom- mence à pleuvoir. Cependant, guidés un peu par les indications d’un brave paysan, nous parvenons enfin à retrouver la ville de Kiangkeou, que nous avions si malheureusement cherché à éviter + force nous est d'en traverser plusieurs rues en faisant le moins de bruit possible ; heureusement que cette pluie, si désagréable d’ailleurs, rend les voies désertes ; et nous ne donnons pas l'éveil aux gens qui boivent et fument dans les boutiques. Avant d’avoir excité leur attention, nous arrivons au bord du fleuve qui va nous guider au bateau; mais un Canal par lequel les eaux du lac susdit se déchargent dans le Yangtzé nous arrête bientôt : nous n'avons pas d'argent pour payer la barque qui passe les voyageurs. Nous appelons pourtant le batelier qui vient à nous, et nous trouve installés sur sa nacelle avant qu'il ait eu de temps de nous reconnaitre et surtout de se douter de notre pauvreté extrême. Arrivés au bord supérieur, nous descendons lestement à terre, en laissant M. Provôt | chercher majestueusement dans sa poche quelques sapèkes qu'il dit avoir encore; il réussit à en trouver pour la valeur de trois ou quatre centimes. I les met dans la main de notre pauvre charron, et se hâte de se perdre dans les salutaives ténèbres...! qu'y at-il à faire dans ce cas?

Il s'agit maintenant de retrouver notre embarcation ; nous espérions que, ne nous voyant pas revenir, nos gens auraient deviné notre mésaventure et se seraient arrêtés pour nous attendre! Nous oubliions que nous étions en Chine! Nous continuons donc à côtoyer le fleuve le plus diligemment possible ; il ‘pleut toujours, et l'obscurité est parfaite. Nous passons devant des maisons et des villages : M. Provôt, qui parle le mieux d’entre nous le chinois

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de ces parages, demande des nouvelles de notre désiré bateau. Ceux qui se sont aperçus de son passage disent. qu’il doit être monté encore bien plus haut ; il emploie toute son éloquence pour décider quelqu'un à nous guider ou au moins à nous donner une lanterne de papier. Mais : point d'argent, point de Suisse! Lao-pan, crie-t-il à toutes les maisons nous: voyons encore de la lumière, ayez pitié de pauvres voyageurs égarés ; venez nous guider au bateau mandarinal : nous vous y payerons bien. Mais il a beau supplier et prodiguer le titre honorifique de Lao-pan. (monsieur), il n’obtient ni guide ni lanterne, Dans les provinces du centre de la Chine, on donne le titré de Lao- pan aux hommes du peuple de quelque importance : ces paroles signifient littéralement vieille planche, et devaient primitivement être réservées à un maître batelier. Nous marchons donc tristement, en trébuchant souvent et tombant les uns après les autres. Notre chemin est souvent interrompu par des éboulements de terrain : ce sont alors de véritables difficultés et des dangers réels; notre voyage nocturne paraît éternel !

Enfin, en ma qualité de voyageur expérimenté, je me mets à la tête de la bande. L'impossibilité de nous arrêter nous oblige à redoubler d'efforts; mais bientôt une maisonnette abandonnée nous barre le chemin ; nous avons, d’un côté, le fleuve à pie à notre gauche, de l’autre un marais compliqué nous ne pouvons pâs nous engager bonnement. Que faire? La maisonnette qui nous arrête si mal à propos a un toit qui s’avance de deux pieds ; il y a quelques paquets de tiges de sorgho : voilà, dis-je, pour passer notre nuit; nos forces sont épuisées; il n’y a plus moyen de faire un pas en ‘avant: Sur ce, nous nous groupons silencieusement, et nous nous asseyons ou couchons les uns contre les autres, en songeant, sans le dire tout haut, que si la faim et la fatigue ne nous tuent pas, il n’en sera pas peut-être de même du froid; car nous sommes trempés de sueur et de pluie, et il souffle un vent froid, piquant.

Mais il est un Dieu. pour les enfants! (Ce dernier nom nous convient aujourd’hui.) Il ne s'était pas encore passé trois quarts d’heure depuis notre halte de désespoir ; la brise n'avait pas encore glacé nos membres , quelques- uns d’entre nous- n'avaient pas encore terminé leurs prières du soir et celles qui remplacent pour le missionnaire en voyage la récitation du Bréviaire, quand tout à coup nous voyons poindre une lumière; elle s’avance vers nous... Deo gratias ! nous voilà sauvés.

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En effet, deux des Chinois que nous avions en route priés en vain de nous guider, et auxquels je n’avais pas pour ma part épargné les épithètes que leur dureté méritait, s'étaient ravisés après coup, par une inspiration salutaire du ciel, et s'étaient mis bravement en route pour nous éclairer et mener jusqu’à notre bateau. Il nous fallut encore quatre longues heures de pénible marche pour y arriver; mais enfin nous y parvinmes, grâce à Dieu, à trois heures après minuit, après avoir passé par mille petits dangers et avoir tous fait plus ou moins de chutes dont aucune dangereuse. La plus regrettable a été celle de M. Bompas qui, en cheminant philosophiquement au bord d’une haute chaussée, s’est laissé tout à coup choir dans le vide et est allé, à dix ou douze pieds plus bas, s’enfoncer dans la molle boue d’une rizière. Notre vieux guide (un seul nous a suivis) a fait aussi plusieurs culbutes remar- quables; mais lui n’y prend pas tant garde, un autre Dieu que nous le protége! Au milieu de notre course à travers champs, cet homme gai, bavard et assez bien mis d’ailleurs, a eu le talent de faire ouvrir une guin- guette; on y a chauflé du thé et du Chao-tsiou (eau-de-vie de sorgho) : nous‘ avons bu le premier, il a bu le second et si bien bu qu’il en est gris; et nous pouvons croire, sans jugement téméraire, que ce n’est pas pour la première fois. Ses chutes donc ne l’en rendent que plus intéressant et ne l'empêchent pas de nous mener à notre port de salut.

Les bons Messieurs Turgis et Pellé étaient dans les transes, ne sachant que penser et que faire... Deux fois ils avaient envoyé nos hommes pour nous chercher ; mais ceux-ci, à la chinoise, n'avaient pas poussé bien loin leurs investigations... Bref, nous voici chez nous, le cœur plein de reconnais- sance pour la miséricordieuse Providence qui veille sur les missionnaires, et pour le bon vieux guide qui nous à tirés d’embarras et d’un grand danger. Aussi nous hâtons-nous de lui donner plusieurs ao, ou longues files de sapèkes, avec un bon souper et du Chao-tsiou, ad libitum, ce qui ne l'empêche pas de nous escamoter un autre rouleau de monnaie qui ne lui était pas destiné.

Douze ou treize heures de marche forcée et autant et plus de jeûne avaient creusé notre estomac : nous dévorons donc activement nos plats en retard et allons donner à nos membres un repos dont rarement ils ont eu plus besoin. En somme, la journée a été plus périlleuse et pénible que malheu- reuse; nous ne l’oublierons pas pourtant aisément, et elle servira As leçon pour l'avenir.

BULLETIN. s1

Notre lac, d’éternelle mémoire, est à peu de distance au N.-0. de Kiangkeou, et paraît avoir plusieurs lieues de circonférence. 11 n’est point indiqué sur la carte du capitaine Blakiston, qui n’en a sans doute aperçu que la crique qui y mène, et qui n’en parle point dans sa relation si intéressante (Five morath on the upper Yangtze) dont j'ai reçu une copie de l’obligeance de M. Hollingworth, négociant anglais. :

Dans la journée, j'ai apercu beaucoup d'oiseaux aquatiques sur le lac, et sur ses bords quelques faisans et des geais chinois.

8 novembre, dimanche. Malgré la grande fatigue, nous nous levons de bonne heure afin de pouvoir commencer à sanctifier le jour du Seigneur par la célébration de la messe, avant le départ de la barque.

‘sde temps est couvert et doux. Vers midi, les collines apparaissent des deux côtés du fleuve; les plus élevées sont au sud et ont de cent à deux cents mètres de hauteur. La végétation y paraît abondante, les pins sont les arbres les plus ordinaires. Chemin faisant et tout en me réjouissant que le pays plat, si stérile pour le naturaliste, va bientôt finir, je revois mon martin- pêcheur (Ceryle rudis), une poule d’eau, des gazelles blanches en troupe, une farlouse que je ne reconnais pas au bord de l'eau. Les oiseaux connus sont plus abondants que jamais. |

Je prends un Terias nouveau pour moi et déux LÉycoua nouveaux sur les digues couvertes de gazon brouté, parmi lequel fleurissent encore quelques pissenlits en retard. Le curculiouite vert des Armoises se voit encore coïn- munément sur le sable. Le colias jaune pâle de Pékin est aussi ordinaire ici ; il m'a semblé voir une seconde espèce de colias orange. Je vois aussi passer un thecla soyeux, fort joli et de grande taille, que je ne connais point.

Nous voyons les montagnes s'élever à mesure que nous nous avançons vers l’ouest. Derrière la ville de Ki-kiang-shien, au sud du fleuve, nous distin- guons de lointaines montagnes qui paraissent avoir mille mètres de haut.

L'arbre à suif est l’un des plus abondants du pays que nous traversons ; M. Provôt nous montre aussi les premiers arbres à cire que nous rencontrons et qui sont sans feuilles : ce sont, ce me semble, des fraxinus véritables, de moyenne grandeur. Notre confrère nous apprend que c’est sur cette plante qu'on élève les petits insectes qui donnent cette belle cire transparente qu’on estime tant en Chine.

9 novembre. Il tombe une petite pluie le matin.

VII.

82 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Les collines paraissent de plus en plus boisées, et les maisons blanchies à la chaux se détachent agréablement sur le fond verdoyant du paysage. Vers le sud, un léger brouillard nous empêche de distinguer clairement les der- nières montagnes par lesquelles finissent, à nos yeux, ces jolies collines arrondies qui s'élèvent en amphithéâtre à mesure qu’elles s’éloignent de nous.

Nous passons, vers 9 heures, en face d’une ville considérable appelée Dje-kiang-shien, auprès de laquelle se dresse, du côté de l’est, une haute tour conique qui fait bel effet. |

Après diner, en marchant sur la rive droite, nous nous engageons au milieu de petites collines recouvertes de cailloux roulés siliceux et provenant, je crois, de la dégradation d’un poudingue superficiel. Quant aux parois du lit du fleuve, on voit, au-dessous de l’alluvion, des couches soulevées du côté sud-est et composées de grès tendre et d’argile rouge. La roche calcaire se voit çà et plus en dedans.

Les pins sont encore les arbres les plus abondants ; il y a aussi des chênes, des camphriers et d’autres essences nouvelles pour moi. Des orangers et des palmiers à chanvre (Chamærops excelsa) entourent les habitations, ainsi que de grands bananiers : ce sont les premiers que j’apercois. En un mot, quoique nous suivions toujours la même latitude, la flore se modifie et change avec la longitude, et le paysage devient de plus en plus joli.

© En fait d'animaux, pas de nouveautés. Je vois un Turniæ, des Turtur sinensis , l’'{xos sinensis par vols nombreux, le milan, l’épervier et la créce- relle. J'entends un Garrulas qui me paraît nouveau : peut-être le Garr. sannio de Swinhoe.

Les élégants Terias, les rapides Colins aux ailes de soufre, les Lycæna bleus, voltigent autour des fleurs peu nombreuses en cette saison : quelques labiées, l'Oxalis corniculata ! vieille et chère connaissance de mon enfance ; le cosmopolite Taraxacon, un Polygomme aux petites fleurs roses. En lon- geant les jardins, j'y reconnais le bel nie cames malvacé aux grandes fleurs blanches, roses et jaunes.

Le niveau des eaux du Yangtrékiang s’abaisse tous les jours; et ici il est en ce moment plus bas de quinze à vingt pieds qu'il y à une quinzaine de jours.

10 novembre. I] à plu un peu toute la nuit et il continue à pleuvoir

BULLETIN. 83

tout le jour. Cela ne nous empêche pas de continuer notre route, halés tou- jours par nos vigoureux matelots qui ne paraissent pas trop incommodés de la pluie. Les Chinois du Nord la redoutent tellement qu'ils suspendent tout voyage, toute occupation extérieure, pour peu qu'il pleuve.

Aujourd'hui nous passons certains endroits, certains coudes du fleuve, le courant est déjà rapide et le balage y est laborieux. Différemment qu'hier, ici c’est au nord, à notre droite, que les collines sont le plus élevées ; les montagnes de la rive méridionale ne paraissent plus à cause du brouillard,

Les eaux du Yangtzé baissent toujours et me permettent d’apercevoir çà et dans la vase des cailloux roulés blancs siliceux, pareils à ceux des col- lines examinées hier. Il y a aussi en évidence la roche vive dont les couches s’ouvrent à l’ouest et consistent en grès tendre dépourvu de fossiles, et en argile rouge souvent marbré de bleu.

Après une halte de deux heures à laquelle nous oblige la pluie devenue par trop forte, nous reprenons notre navigation à trois heures jusqu’à la nuit. |

J'ai aperçu sur le bord de l’eau le Charadrius longipes, qui représente le pluvier doré de l'extrême Orient.

11 novembre. Le temps se découvre. Ce matin, nous passons heureu- sement notre premier véritable rapide, qui est d’une violence médiocre. Les collines des deux rives sont aujourd’hui composées de gros poudingue solide ; et celles de la rive droite, hautes de deux cents à quatre cents mètres, affectent d'ordinaire la forme pyramidale; les strates consérvent jusqu’au sommet leur forme horizontale primitive.

Nos bateliers nous apprennent que nous approchons d'Achang; en effet, de bonne heure, nous apercevons la haute tour qui annonce cette ville au loin; plusieurs de mes confrères, devançant la barque par terre, se donnent la satisfaction de monter jusqu’au sommet de ce beau monument. A midi, nous passons en face d’une pagode perchée, comme nid d’aigle, sur la pointe aiguë d’une montagne qui est taillée à pic du côté du fleuve et par l’action séculaire des eaux.

C’est à trois heures de l’après-midi que nous arrivons et nous arrêtons à Itchang. En approchant de cette ville, les montagnes diminuent de hauteur, mais offrent le même aspect et la même composition géologique que plus bas.

84 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

12 novembre. Beau temps, fort vent du sud-est. (Halte d’Itchang.) D’après nos conventions, notre capitaine a le droit de s'arrêter dans ce port pendant deux jours, pour y renouveler, ou, du moins, renforcer son équipage. Le nombre des barques que nous voyons ici est bien inférieur àe lui de Chache; mais notre batelier y trouvera les gens qu'il lui faut.

Pour moi, je ne suis point contrarié de cette halte, et je me propose d'employer tout mon temps à reconnaître les productions naturelles de la contrée. En compagnie de plusieurs de mes confrères, je vais passer la journée à terre, dans les montagnes de la rive du sud du côté opposé à la ville. Il nous faut pour cela traverser le fleuve, qui est encore très-large ici. Ges col- lines souvent pyramidales et assez aiguës ont une hauteur de trois à cinq cents mètres au-dessus du niveau du fleuve Bleu; elles sont formées de grès un peu rougeätre disposé en couches presque toujours horizontales.

Nous suivons la vallée d’un clair ruisseau qui semble provenir de mon- tagnes plus élevées qui bornent à l’ouest notre horizon, et dont l’une a un sommet en têle ronde assez curieux. Le massif du nord-ouest vers Ou-chan ne paraît pas lrès-considérable encore : c’est un renflement du sol parsemé d'innombrables petites collines. De même, les collines basses de la partie N.-E., qui est derrière la ville, sont couchées en masses irrégulières et con- fuses sur de vastes renflements du sol, Sans offrir aucun sommet ou pic remarquable.

Cette ville d'Itchang, vue de ces hauteurs, ne paraît pas considérable pour son étendue; la partie murée en est médiocre. Le canal qui sépare en deux les faubourgs n’est point une rivière distincte venant du Nord, comme l'indique la carte du Yangtzé de Blakiston, mais un bras du même fleuve détaché plus haut pour former une île sur laquelle s'étend une partie de la ville extérieure.

Les collines et les montagnes, taillées à pic sur la rive opposée à la ville, sont assez jolies; elles sont habitées dans les vallons. Les chamærops, les bambous, les pamplemousiers aux énormes fruits acides, s’entremêlent aux chênes à feuilles de châtaignier, au sophora, au fortunea sinensis et à d’autres arbres communs, et donnent ainsi au paysage une apparence de région semi- tropicale. La végétation herbacée ici, aussi, est très-peu variée; les plantes que j'observe fleuries sont un ou deux pyrethrum, l’érigeron canadense, des violettes, une clématite rose, une sorte d’abelia, le bel arbuste malvacé ren-

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contré plus bas, des potentilla, des aster, des chrysanthemum blancs croissant dans les rochers suspendus sur le fleuve. Je récolte aussi une gentiane curieuse à grande fleur rose et blanche, un erioph@rum? qui vit dans les rocs. Plu- sieurs fougères sont nouvelles pour mes yeux. Le pays n’est pas boisé; il y à pourtant quelques pinus sinensis, des biota; et, près des habitations, des sterculia, des pawlonia et des saules ainsi qu’une sorte de laurus à écorce blanche et à fruits noirs. Je récolte les graines d’un joli petit cratægus à fruits rouges et ceux d’un smilax, genre nombreux dans toute Chine.

En cherchant les insectes sous les pierres, nous prenons deux très- petites grenouilles comme je n'en ai jamais vu: elles sont adultes. Leur cou leur générale est un gris-roux ayant sur le dos des lignes brunes et angu- leuses symétriquement tracées sur les deux côtés : j'appellerais ce pygmée des batraciens anoures de Chine, Ranina symetrica. Certainement son volume est

des centaines de fois plus petit que celui de ma Rana latrans, des cascades du Kiang-si, espèce bien distincte de la grenouille, grosse aussi, des rizières, Rana tigrina. Je retrouve aujourd’hui et transcris mes notes sur la grenouille aboyeuse : « Taille très-grande. Dessus brun avec des petits points noirs et des taches nombreuses plus foncées; dessous, blanc sale ou jaunâtre. Une tache noirâtre derrière l'œil. Les vieux individus ont des couleurs plus claires et parfois le fond en est jaunâtre sale, avec des points noirâtres et d’autres taches obscures. OEil grisâtre. Vit sous les rochers des cascades. »

Je prends ici un Colias edusa ? espèce qui ne vit pas à Pékin, et les Vanessa cardu et atalanta? On ne voit presque point de coléoptères ni de traces d’insectes, si ce n’est quelques outhophagus. Ce pays doit être pauvre pour l’entomologie. Nous n’apercevons non plus que peu d'oiseaux; le milan govinda est seul très-abondant et plane continuellement au-dessus de la ville et des barques, sur les mâts desquels il vient se reposer parfois : les rochers des montagnes voisines doivent lui fournir un abri facile.

Nous récoltons aussi quelques hélix, des bulinus; et les coquilles me paraissent devenir ici plus communes qu'ailleurs en Chine.

Après une journée fort agréable, nous regagnons notre barque en repas- sant le grand fleuve agité, cette fois, par le vent d’est ou sud-est. Le ciel continue à être serein.

13 novembre. Beau temps, ciel serein, atmosphère tranquille. Cette nuit, le niveau de l’eau s’est élevé de cinq pieds : il doit avoir plu beaucoup

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plus haut. Le soleil se couche encore par un très-beau ciel serein qui nous permet d'observer de nombreuses étoiles filantes.

J'ai passé ma journée à ranger mes petites collections pendant que M. Gennevoise et nos gens de service couraient à la ville pour faire les pro- visions de route nécessaires d'ici à la ville de Kouy-fou: c'est dans cet inter- valle qu’aura lieu la partie de notre navigation réputée la plus périlleuse.

144 novembre. Matinée de brouillards; après diner le ciel s’éclaircit. Nous allons faire une promenade aux collines de la rive méridionale, et nous y faisons, cette fois, une prise abondante de petits bousiers fort jolis, de trois ou quatre espèces ou formes nouvelles pour nous. Le vanessa brun-bleu, si commun à Canton, se montre aussi assez abondant ici avec ses congénères rencontrés avant-hier.

Outre le chêne à feuilles entières comme celles du châtaignier, nous voyons aussi quelques pieds de chênes à feuilles ordinaires,

Sur les rochers de la rivière, nous apercevons le premier échantillon du merle de roche bleu, qui me paraît être semblable au merle solitaire d’occident, Petrocincla Cyanea. J’observe avec étonnement que les étour- neaux cendrés et les pasteurs, si communs plus bas, manquent complétement dans ces parages. Qui sait pourquoi ? Il faut peut-être à ces oiseaux la plaine ou son voisinage; ici nous n'avons plus que les montagnes qui vont devenir de plus en plus considérables à mesure que nous avancerons vers l’ouest.

15 novembre. Pluie toute la journée. Enfin nos gens sont prêts; ils nous annoncent que nous repartirons ce soir, [l arrive dans notre barque beau- coup de nouveaux bateliers portant chacun leur lit et leur paquet : c’est que désormais il nous faudra beaucoup plus de monde pour traîner notre embar- cation dans les grands rapides qui foisonnent plus haut.

Nous recevons la visite d’un chrétien important d’Ischang, qui vient nous offrir en cadeau-quelques petites bagatelles et s’excuser de n'avoir pasinvité les Cheu-fou (pères spirituels) à dîner chez lui, attendu un récent incendie qui lui a causé de grandes pertes et même brûlé la plus grande partie de sa maison. Îl paraît que c’est un brave homme, qui rendait beaucoup de services aux Européens voyageant dans ces parages ; et nous regrettons vivement le malheur qui lui est arrivé : les exceptions à la règle sont d'autant plus remar- quées qu'elles sont plus rares.

Aujourd'hui notre cher procureur a une scène assez orageuse avec le

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maître batelier : celui-ci prétend que l’argent que nous lui donnons (deux cents taëls, puis beaucoup de gratifications obligatoires et convenues pour lui et tout l'équipage) ne suffit pas à ses frais et qu’il va être en perte au bout du voyage. Il demande un changement de contrat: il se lamente et pleure même de concert avec sa mère. Mais M. Gennevoise ne se laisse pas tromper à ces chinoiseries, habituelles à ces hommes. I lui promet un plus gros cadeau s’il fait son devoir à notre satisfaction.

His dictis, nous partons, c’est-à-dire que nous quittons la rive gauche pour aller nous amarrer à la rive droite d’où, demain, il nous sera plus Er de prendre notre élan définitif.

16 novembre. Pluie la nuit, et le matin encore ; l’on part néanmoins de très-bonne heure, et on est aidé par une forte brise favorable. Il ne nous faut que deux heures pour arriver aux fameuses gorges dites d’Itchang. En attendant, le chemin ou sentier de halage devient de plus en plus difficile, souvent nos hommes doivent grimper ou sauter comme des singes, et deux chefs de chiourme ne léur épargnent pas les coups de fouet sur le dos, pour les exciter au travail dans les moments critiques. Ce spectacle nouveau nous révolte d’abord et nous fâche même; maïs comme nous voyons que les battus ne trouvent rien à redire à ce mode d’agir à leur égard, nous comprenons que c’est un usage du pays, qui est justifié par pures difficulté des passages à surmonter.

Jusqu’à l'entrée des gorges, les collines, taillées à lpie par le fleuve, continuent à offrir les mêmes couches horizontales de grès et de conglomérat que plus bas, et deviennent de plus en plus boisées. Bientôt il n’est plus possible de haler, nos gens remontent sur la barque. Puis, lentement et avec difficulté, à cause de la cessation du vent, nous dépassons cette si imposante entrée des gorges. Là, le lit du fleuve se resserre jusqu’à deux ou trois cents mètres de largeur, tandis qu'un peu plus bas ses eaux occupaient majes- tueusement un espace qu’il faut"compter par kilomètre. Ce qui nous étonne beaucoup, c’est de voir que le Yangtzékiang, si étroitement encaissé ici par les montagnes, coule cependant avec une lenteur inaccoutumée ; nous nous attendions à un phénomène tout contraire. La profondeur de l’eau doit être très-grande.

Cette entrée des gorges d’Itchang est l’une des scènes de la nature les plus belles qu’on puisse voir. Les deux bords du fleuve, taillés souvent à pic.

bb] NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

s'élèvent à plusieurs centaines de mètres de hauteur ; de nombreuses cascades latérales, dont les eaux tombent en vapeurs, et des groites, suspendues sur ces hautes murailles verticales, donnent au paysage un aspect excessivement pitto- resque. Une végétation assez abondante, et verte encore, orne les rochers.

_ La vallée du Yangtzékiang et tous les petits vallons de côté semblent être formés par l’action multe séculaire des eaux. Leur immense profondeur indique une très-haute antiquité. Comme composition, ce sont toujours les mêmes grès gris disposés en couches horizontales, surtout vers le sommet des montagnes, et supportés par le calcaire bleu qui est, au contraire, soulevé du côté ouest. |

Nous nous avançons lentement et à force de rames sur ces eaux silen- cieuses : on dirait un fleuve souterrain. C’est dans l'après-midi seulement que nous passons devant la douane chinoise : nous n’y avons pas de longues formalités à remplir. On nous rapporte que, il y a deux semaines, il a péri vingt-trois barques en dix jours contre un seul écueil, que les eaux cachaient alors et que nous voyons immédiatement au-dessus de cette douane.

Il y a peu d'oiseaux dans ces rochers, qui retentissent sans cesse du cri des rameurs. Nous en voyons un qui nous intéresse beaucoup par sa beauté et parce que c’est la première fois que nous le rencontrons. C'est le Ruticilla leucocephala, qui ne se rencontre qne sur les pierres baignées par les eaux courantes il cherche des larves d’insectes. Il est gros comme une petite grive, d’un beau rouge, roux brillant, avec la tête d’une blancheur de neige, tandis que le cou et les ailes sont noirs.

17 novembre. 11 n'a pas plu la nuit, il ne pleut pas au matin ; mais le ciel est menaçant. Nous partons de bonne heure, en traversant des montagnes tout aussi curieuses que celles d'hier. La végétation paraît plus abondante et plus verdoyante, parce que, sans doute, les pluies sont plus fréquentes vers le centre de la chaîne.

Les fleurs jaunes d’un joli Pyrethrum sént les plus abondantes ; je vois aussi près de l’eau une Marguerite blanche, et un Saule nain dont les bouts sont fleuris. Les rochers suspendus sur le fleuve abritent aussi dans leurs crevasses une petite et très-verte Fougère cordiforme.

Les roches consistent encore en calcaires, en grès calcaires, disposés en couches horizontales ou un peu ouverts à l'Ouest. Aujourd’hui, comme hier au soir, nous apercevons de longues raies noirâtres et. multiformes qui se dessi-

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nent en zones horizontales sur la pierre calcaire d'un gris-bleuâtre. Je pense que c’est du quartz pyromaque.

Ces gorges si abruptes sont pourtant cultivées par les Chinois partout

ils ont pu former de petits champs, au moyen de murs en gradins qui me rappellent les Oliviers en amphithéâtre de la Ligurie ; j'y vois du blé et des légumes. Les Orangers, les Pamplemousiers, les Palmiers à chanvre, les Bananiers sont communs et mêlés au Pawlonia, au Sterculia, au Tong- chou ou Eleococca, au Croton-sebiferum, au Biola qui, ici, laisse pendre ses ramilles en festons à la manière de certains Sapins, aux Bambous au feuillage si gai, si vert, si élégant. Les Pins ordinaires de Chine couronnent toutes les hauteurs en compagnie de quelques Chênes; mais nulle part je n’aperçois de grands arbres ; et même dans les lieux qui me semblent les plus inacces- sibles, les arbres paraissent mondés et privés régulièrement de leurs branches d'en bas. Aujourd'hui je revois encore mon beau Rouge-queue à calotte blanche ; il paraît assez commun, et souvent il est accompagné d’autres oiseaux | grisâtres à queue blanche que je suppose être des jeunes du Ruticilla fuli- ginosa. Pas d’autres oiseaux, si ce n’est des Milans et des Crécerelles qui restent tranquillement perchés au-dessus de nos têles sans s’épouvanter des cris des rameurs.

Je regrette beaucoup de ne pouvoir descendre à terre pour mieux examiner les fraîches montagnes que nous traversons : le chemin est interrompu à chaque instant par des berges verticales et très-hautes, el il faudrait trop souvent passer d’un bord à l'autre du fleuve en retenant pour moi la chaloupe qui est nécessaire aux haleurs.

Vers onze heures nous arrivons à un village appelé Lantho, un ruisseau vient déboucher du Nord : j'y vois des ouvriers occupés à tailler des meules de moulin dans une roche qui de mon bateau me paraît être du granit. Après-midi, nous sommes invités à descendre à terre afin d'alléger le bateau qui doit franchir ce soir plusieurs rapides, vers la Pagode de Koaun-lin-miao. Ces rapides sont bordés de blocs de granit, et ici tout le lit du fleuve paraît en être constitué et obstrué. Je rencontre sur la rive des galets de porphyre, de pétrosilex et de grès.

Ces collines, qui bordent immédiatement le Yangtzé, sont plus basses el moins aiguës que les montagnes sédimentaires qui les suivent des deux

VIIL. l

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côtés et qui peuvent avoir de quinze cents à deux mille pieds de haut au moins.

En attendant que notre bateau ait dépassé péniblement et très-lente- ment les dangereux écueils, je collectionne sur les coteaux voisins : jy prends la très-petite Grenouille symétrique sous les pierres, un petit Lézard gris, Phrynocephalus, à grosse tête, deux nouvelles espèces d'Hélix, plusieurs Coléoptères, entre autres, un grand Nebria noir qui se creuse des galeries dans le sable. Une Gentianée, à corolle divisée en quatre et d’un bleu pâle rayé, est très-abondante.

18 novembre. Temps couvert et toujours menaçant; les nuages semblent peser sur les montagnes.

L'on part au point du jour. Des bandes de Hérons blancs rasent l’eau, tandis que d’autres se voient sur les îlots de granit, occupés encore à se faire la toilette du matin avant de se répandre par la campagne. Je crois qu'il y a là, mêlées ensemble, l’Aigrette, la Garzette et peut-être aûssi la troisième espèce de Chine. Du haut des collines boisées que nous longeons, j'entends le chant énergiqué et assez agréable d’un Garrulax ? que je ne connais pas.

De bonne heure et avant d’être retardé par d’autres bateaux (on y hale les barques une à une et en les distançant beaucoup, à cause de la fréquente rupture des cordes) nous franchissons un fort rapide formé encore par l'amoncellement de grands et nombreux rochers granitiques. nous voyons les débris d’un récent naufrage, et les pauvres naufragés sont assis sur les tas de coton qu'ils ont pu sauver de l’eau. Les endroits dangereux que nous passons ces deux jours portent le nom général de Yao-dja-hou, et commen cent à Houng-lin-miao. Le premier grand rapide s'appelle Hoang-lin-dxe, le second Houng-che, et le troisième Taé-che. Près de Chan-theou-pin se voit une belle pagode près de laquelle un torrent venant du Sud s’est ouvert passage au fleuve au milieu d'innombrables blocs arrondis de granit.

Nous àavançons peu aujourd’hui : toute la journée se passe à franchir péni- blement plusieurs rapides qui se succèdent, aux environs du village Chan- theoupin. Nous avons devant nous les noires et hautes montagnes d’Ou-chan.

Je tue sur les rochers un Petrocincla tout bleu, qui, au lieu d’une simple variété du P, Manillensis, me paraît être identique avec le Mérle bleu du solidaire d'Europe.

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19 novembre. Ciel chargé et sombre. Hier nous n’avons fait qu'une lieue de route à cause des rapides, et notre bateau ayant, en outre, perdu deux heures de temps précieux pour se charger (non gratis) d’une partie des marchandises d'une barque setchuanaise qui a fait naufrage ici dernièrement.

Ce matin nous dépassons un autre rapide très-violent, au milieu de bancs de rochers granitiques qui s’avancent dans le fleuve. Nous voyons encore une barque très-grosse brisée et couchée sur les flancs : c’est peut- être aujourd’ hui même qu'elle s'est perdue sur ces rochers dangereux.

Étant descendu à terre dans l après-midi, je récolte le petit Saule fleuri des rochers, un véritable Buis que je vois pour la première fois en Chine et qui est aussi en fleur. Je trouve aussi le Vitex incisa que je n'avais encore rencontré au Sud. Un Papillon noir et blanc et nouveau pour moi voltige sur des buissons impénétrables : il a les allures d’un Satyrus.

Aux granits des rapides succèdent des protogynes et des amphibolites ; puis, près de l'entrée des gorges de Lou-han, se trouvent des couches de quartzites et de gneiss, s’ouvrant au N.-E. ; et, à l’entrée même de Lou-kan, recommencent les calcaires et les sédiments arénaires dont les strates s'ouvrent aussi au N.-E, Les couches supérieures sont grisâtres, et celles de dessous bleuâtres et assez tourmentées : leur inclinaison étant ici en sens inverse qu'au delà des granits, il est évident que c'est l’éruption de cette roche cristalline qui a formé ces montagnes.

Un bon vent nous favorisant, nous montons cette fois assez rapidement à travers les gorges qui paraissent moins grandioses que celles d’Iichang ; et nous arrivons au soir aux rapides de Tsin-tlan, un long village est pittoresquement aligné sur la rive droite, et un autre sur la rive gauche. Les trois rapides de Tsin-tan sont réputés les plus dangereux par les navigateurs chinois. Nous voyons étendus sur la plage les cotons et les débris de deux récents naufrages ; et c’est ici que, il y a trois ans, les onze Missionnaires des Missions étrangères ont fait naufrage et ont eu tous leurs effets perdus.

C'est cette fréquence des sinistres et la nécessité de maintenir beaucoup de haleurs supplémentaires dans ces parages dangereux qui ont donné origine à ces deux grands bourgs suspendus aux flancs de la montagne, au moyen de nombreuses colonnes de bois qui soutiennent les maisons.

Ici les roches consistent en gros conglomérats et en schistes verdâtres,

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dont les puissantes assises sont relevées à l’Est et au N.-E, Dans la journée j'ai aperçu un Cireus noirâtre, qui pourrait bien être le C. Æruginosus d'Europe.

20 novembre. Les nouvelles gorges dans lesquelles nous continuons à voyager aujourd’hui sont aussi parsemées de rapides, mais de moindre impœætance.

Je prends sur des schistes calcaires friables une nouvelle espèce d’Helix aplatie. J'aperçois un autre Circus, ou faucon quelconque inconnu. Le tendre et gracieux Ad. Capillus veneris tapisse partout les creux des rochers : à Pékin, cette fougère européenne est souvent remplacée par une forme voisine et dont, à cause de ses folioles arrondies, on a voulu faire une espèce distincte, sous le nom d’Ad. Capillus junonis.

Vers onze heures, un gros bateau qui marchait devant nous et avait presque franchi un rapide à tout à coup sa corde rompue, et le courant l’entraîne sur le nôtre, qui était déjà engagé dans le passage dangereux. Heureusement on parvient à en parer une partie du choc qui pouvait causer notre ruine.

Nous voyons avec plaisir, et avec effroi à la fois, que nos bateliers font l'acquisition d’une seconde longue corde de bambous : nous n’aurons donc jamais fini avec ces périlleux rapides ?

Ces gorges moins obstruses, à mesure que nous nous avançons vers l'Ouest, sont plus peuplées aussi : elles sont cultivées jusqu’au haut des montagnes.

Nous arrivons vers la nuit vis-à-vis Koun-scheon-shien, l’on amarre la barque pour passer la nuit. Nous avons eu à passer plusieurs autres rapides qui paraissent assez mauvais. A une demi- lieue au-dessous de cette petite ville, nous avons élé emportés, en tourbillonnant, par un vortex entre deux rochers très-dangereux : nous nous sommes bien tirés de ce mauvais pas, à force de temps et de cordes. Les bateliers disaient que c'élaient les diables qui soulevaient et agitaient sous nous les ondes désordonnées. Non loin de gisait une barque naufragée et moitié coulée.

Les roches continuent à avoir la même direction ; ce ne sont plus des calcaires, mais des grès micacés, des psamides mêlées de marne rougeâtre. Dans les fentes de ce grès micacé je prends un joli nouveau petit Æelix, très-strié.

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La ville de Kong-tcheou est entourée de murailles ; elle s'étend irré- gulièrement, au nord du fleuve, sur les flancs d’une montagne, ayant à son côté occidental un ruisseau assez fort. Là, les bords du Yangizé se rappro- chent comme deux murailles menaçÇantes, et, plus usées au bas que dans le haut, semblent vouloir tomber dans les eaux. Un peu plus bas, deux bancs de galets occupent et obstrüent le milieu du grand fleuve : ce doit être un terrible passage à l’époque des grandes eaux. |

Dans cette après-midi, nous avons eu la pluie ; mais elle a cessé la nuit.

21 novembre. Temps incertain au matin. Nous remontons et nous avançons lentement et péniblement et toujours halés à cause des forts courants. A deux ou trois kilomètres au-dessus de Kong-tcheou, nous voyons sur notre gauche les premières mines de charbon. Ce minéral n'y paraît pas abondant, et on l'extrait de deux ou trois montagnes fort raides les schistes noirâtres carbonifères sont en couches presque verticales. L'aspect général du sol cultivé ici est d’une couleur rougeâtre.

Depuis deux jours je vois (sans pouvoir m'expliquer pourquoi) les blocs de rochers divers qui bordent le fleuve, recouverts comme d’un vernis luisant noirâtre ou plombé. Cela provient-il d’un composé de fer que les eaux auraient déposé sur ces pierres roulées ? Les schistes de grès micacés que j'ai examiriés en face de la ville nous avons passé la nuit dernière, sont aussi très-communément parsemés d’une substance rouge cristallisée qui pourrait être de l’arsenic sulfuré.

Vers dix heures, nous nous arrêtons et descendons à terre pour laisser à notre barque franchir le grand rapide de Yé-thang ; c’est le plus fort que nous ayons encore rencontré, mais il n'est pas long. Les couches de grès gris et de marne calcaire rouge sont ici très-redressées et alternent entre elles. Un peu plus haut que le village, je trouve des Coguilles bivalves marines silicifiées et incrustées dans une roche verdâtre fort dure, ainsi qu’une autre coquille univalve incomplète. Ces fossiles; qui doivent appartenir à des formations très-anciennes, paraissent très-rares ici et sont inconnus des Chinois à qui je les ai montrés. Cette roche à ‘coquilles silicifiées est inférieure au grès gris, et celui-ci au calcaire compacte qui, ici, couronne toutes les hauteurs.

Après avoir franchi heureusement le Yé-thang, un vent favorable (chose

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rare pour nous dans ce voyage) nous porte bientôt à l'autre rapide, peu aimable, de Mon-khoou-tan (rapide de la Chienne) que nous passons égale- ment bien ; et nous arrivons vers la nuit à Patoung, nous nous arrêtons pour aujourd’hui. Je note que ce mot de {an ou thang, par lequel on désigne un rapide, est prononcé différemment, selon les lieux, par les Chinois riverains : voilà pourquoi aussi je l’écris différemment.

22 novembre. Nous avons passé la nuit au-dessous de la petite ville de Patoung (les huit cavernes) : ce n’est guère qu’une longue rue perchée et échelonnée horizontalement à notre gauche, sur le versant très-rapide de la montagne. Les maisons, hissées sur des murs et des colonnades de perches et d'arbres, ont un aspect particulier, assez pittoresque, qui rappelle certains hameaux des vallées élevées des Alpes. On vend du charbon minéral réduit en pains.

Je continue à trouver ici les mêmes couches de grès très-relevées et allernant avec l’argilite rouge ou taché de bleu ; elles supportent du calcaire gris compacte fort dur et que l’action atmosphérique use en fentes et en lignes saillantes dues sans doute à des filons siliceux qui résistent mieux aux agents naturels.

Vers midi, nous passons devant une rivière venant du Nord et nommée Siang-kheou (bouche sonore). La pluie, qui à commencé pendant la nuit, continue toute la journée. Le temps est refroidi, et les montagnes principales de la gorge d’Ouchan, nous entrons, apparaissent couvertes de neige. Le vent nous étant contraire aujourd'hui, c’est avec lenteur que nous procédons ; et c'est encore laborieusement et avec danger que nous surmontons différents rapides. Au moment le plus critique de l’une de ces ascensions, un bateau emporté par le courant s'engage imprudemment dans la très-longue corde avec laquelle on hale le nôtre; les haleurs tombent tous à la fois, et notre lourde barque est entraînée par le rapide et par les vortex violents, au milieu du fleuve, vers les écueils inférieurs. Mais grâce à Dieu, quoiqu'il n’y eût que peu de monde à bord, il ne nous arrive pas malheur et nous revenons enfin vers le rivage sans encombre, mais après avoir perdu beaucoup de temps.

Asupédiatement Lo de FpÉnéiRes dans les gorges d’Ouchan, continue la même it logique, nous passons un autre rapide fort raide et très-bruyant : 5 : les bateliers lui donnent le nom de Mou-tchou-tang (rapide de la truie). Ensuite les bateliers remontent tous à bord, parce que, dans les

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gorges, les hautes berges à pic ne permettent plus de haler : nous nous trouvons quinze bateaux, ayant tous les voiles déployées ; mais, fante de vent, nous n’avançons guère, quoique l’on rame à toute force. Dans l’inté- rieur des gorges, les montagnes assez élevées n’offrent aux regards que du calcaire gris à couches très-soulevées vers le S.-0. ; leur sommet blanc de neige contraste avec le vert sombre des Orangers qui croissent à quelques centaines de mètres au-dessous dans les vallons.

Dans l’après-midi, nous passons devant des blocs énormes de rochers noirâtres et plus ou moins cubiques qui sont accumulés d’une manière étrange sur la rive méridionale du fleuve. Les Chinois disent qu'il y a quelques années, ces rochers donnaient de la fumée! Je n’y vois pourtant rien qui semble y annoncer un volcan ; et les taches à raies noirâtres qui entrecoupent le calcare bleuâtre me paraissent être formées par du silex pyromaque, en rognons et en masses qui sont empâtés dans la roche sédimentaire. Îlest pourtant possible qu’une combustion spontanée des houilles très-sulfureuses qu’on rencontre fréquemment dans ces régions ait produit un volcan temporaire et restreint qui aura brisé la pierre qui les contenait.

Grâce à la pluie et au vent contraire, nous n’avons fait aujourd’hui que fort peu de route.

23 novembre. Belle matinée. Le soleil, que nous ne voyons plus depuis longtemps, se lève splendide et dore la neige des montagnes dont l'éclat contraste avec le sombre profond de la végétation des régions inférieures. Les oiseaux égarés par ce rare beau temps chantent de bien plus belle voix et répondent aux échos ; je reconnais les sons harmonieux et puissants du Leucodiopteron sinense. Mais ce n’est ici ni le lieu ni le temps de jouir de la nature : dès avant midi nous nous retrouvons dans un rapide très-violent et très-difficile les bateliers ont longtemps à lutter contre la violence du courant, ‘en halant de toutes leurs forces au moyen de deux cordes, avant de nous tirer au-dessus du goufre,

Vers le milieu de la journée nous arrivons à la frontière du Houpé et du Setchuan. La limite du Nord est marquée par un petit torrent qui s'ouvre un passage au milieu de très-hautes montagnes, un peu au-dessous du viage de Péi-che. On nous dit qu'il y a là, gravés sur une grande pierre que les eaux couvrent en moment une série de caractères indiquant la séparation des deux provinces. égales en étendue à deux grands royaumes

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d'Europe. La limite de la rive du Sud est au commencement du village de Péi-che, et non à la fin comme semble l'indiquer la gravure de Blakiston.

Les roches sont ici toutes calcaires, et les murailles à pic des mon- tagnes s'élèvent à une hauteur considérable. Les strates conservent à peu près leur position primitive horizontale, les couches intérieures sont veinées de spath; celles d'en haut, plus grossières, forment une masse énorme de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur. Les cavernes sont très-fréquentes dans toutes ces gorges d'Ouchan et quelques-unes très-pittoresques.

L'on nous dit qu'il y a encore 70 lys de route de Péi-che à la ville d'Outchang, la première qu’on rencontre en entrant au Setchuan par le Yangtzé.

. À une lieue au-dessus de la frontière, les montagnes qui encaissent et resserrent le fleuve prennent un aspect encore plus, grandiose ; les berges de la rive septentrionale sont presque verticales et s'élèvent jusqu'à deux et trois mille pieds. Des arbustes et des arbres rabougris croissent en paix sur ces immenses murailles aucun bûcheron ne peut les atteindre.

24 novembre. Temps couvert, vent d’Est. Toujours des rapides de distance en distance. Nous arrivons à Outchang après dix heures du matin. En cheminant sur les bords du fleuve je rencontre le Jasmin jaune à l’état sauvage ; il est très-abondant sur les coteaux et porte à la fois les fleurs et les fruits mûrs. J’y vois aussi le Buis à petites feuilles, le Aus cotinus et deux autres Sumacs, ainsi que d’autres plantes inconnues pour moi. Les divers Helix, déjà récoltés, abondent aussi sur ces terrains qui continuent à être calcaires. Les montagnes qui sont derrière la petite ville murée d’Out- chang sont arrondies et médiocrement élevées.

FN y a ici aussi un rapide important et difficile au-dessous duquel bon nombre de barques attendent leur tour pour se faire haler par les nombreux tireurs de l’endroit. Nous y perdons beaucoup de temps, sans compter qu’un horrible remous de l’eau fait entre-choquer violemment et dangereusement les bateaux arrêtés et amarrés à la rive : le nôtre reçoit d’un voisin un choc vigoureux qui faillit enfoncer son flanc et pour lequel notre capitaine ne manque d'exiger un bon dédommagement pécuniaire.

C'est un peu au-dessus de ce rapide que s’est noyé, au printemps passé, M. Maret, des Missions étrangères, jeune prêtré de grande espérance.

A demi-lieue plus haut qu'Outchang nous devons nous arrêter encore et

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perdre tout le reste de cette journée, pour franchir le rapide très-court mais très-incliné de Shia-ma-thang. Près de quatre-vingts tireurs, quand notre tour _est venu, mettent plus de demi-heure à faire franchir à la barque l'espace de cinq ou six mètres ! En attendant notre tour de passer, les barques se heurtent ici aussi rudement, et un lourd bateau est emporté par le vortex droit contre le nôtre, au risque de nous briser : ce sont alors dés cris et une confusion indescriptibles. Mais on pare encore le coup, et tout rentre dans l’ordre.

Il pleut un peu tout le soir. Les montagnes qui paraissent à l'Est- Nord-Est d'Outchang semblent être fort élevées.

25 novembre. 11 pleuvine et fait froid.

Après avoir passé la nuit au-dessus du Shïa-ma-thang, nous nous remet tons en voyage et nous avançons lentement à cause des rapides qui fourmil- lent toujours. On nous apprend qu'il ÿ a encore soixante lys de route jusqu’à la grande ville de Kouy-fou. Chemin faisant, je tire un émerillon adulte qui va tomber et se perdre dans le fleuve. Je tue aussi un Totanus hypoleucos et un autre Petrocincla cyanea, très-adulte. Les autres seuls oiseaux aperçus sont les Corvus sinensis et pastinator, qui remplacent en Chine nos Corbines et nos Freux.

Les roches calcaires et les grès continuent toujours; et ici aussi les pierres qui bordent l’eau sont communément recouvertes d’un enduit noir et d’une sorte de stalagmite de fer. Je recueille sur la rive deux morceaux isolés de porphyre vert et rouge, roche qui n'existe point dans ces régions : je suppose qu'ils y ont été portés d’ailleurs par quelque collectionneur ou voyageur curieux.

26 novembre. Nous avons passé cette nuit à trente lys de Kouy-fou, à l'entrée de la gorge de Fong-siang (la boîte au vent). La pluie, qui avait continué un peu tout hier, a cessé pendant la nuit; et ce matin nous avons le plus beau soleil de tout notre voyage. Un faible vent d’est aide notre ascension ; mais bientôt un petit rapide nous arrête encore. On profite de la halte pour. déjeuner.

: Les montagnes de cette gorge sont fort élevées et calcaires, absolument semblables géologiquement à celles des gorges précédentes. L'enduit de fer est toujours sensible sur les pierres que l’eau baigne de temps en temps.

Vers midi, nous dépassons un rocher élevé d’une quinzaine de pieds au-

VIIL, m

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dessus du fleuve et fameux pour les fréquents naufrages’ qu’il occasionne. On dit qu'autrefois un empereur envoya des ordres pour détruire tous les rochers semblables qui obstruent la navigation, mais que les gens du pays empêchèrent qu'on ne fit sauter ce rocher par la poudre, parce qu'ils pensent superstitieusement qu’à sa destruction, toute la ville de Kouy-fou deviendrait la proie des flammes.

Vers onze heures du matin, nous arrivons en vue de Kouy-fou; et MM. Genevoise, Provôt et moi, nous débarquons auprès d’une belle tour blanche, pour aller par terre jusqu’à la résidence de M. Vinçot, qui se trouve dans la partie la plus haute de la ville. Kouy-fou est un chef-lieu département ; il est entouré de belles murailles ; les rues en sont belles et bien peuplées. = M. Vinçot est un missionnaire qui habite la Chine depuis. quinze ou viugt ans ; il parle la langue du pays avec une: perfection d’accent rare, H! séjourne d'ordinaire au Tchong-king et il est venu passer quelques mois ici pour les affaires de la Mission. Quel bonheur pour nous de retrouver un Français, un ami véritable, au milieu de ces populations si peu sympathiques pour nous ! Il est superflu de: noter que ce digne et vénérable confrère nous. fait l'accueil le plus cordial qui va nous refaire un peu de tant d'émotions; du voyage. Tous nos jeunes confrères viennent aussi diner avec nous chez M. Vinçot ; nous trouvons même moyen de nous y caser pour passer tous la: nuit dans cette maison. nouvellement achetée, qui paraît neuve, mais dont. toutes les boiseries sont dévorées à. l’intérieur par les termites ou fourmis blanches. C’est pour la première fois: que je rencontre ces insectes. destruc- teurs au Nord du Yangtzékiang.

Les montagnes calcaires à flancs escarpés du côté du fleuve finissent à une lieue au-dessous,de Kouy-fou ; vers le N.-E. de la ville l’on en-aperçoit d'autres qui. peuvent avoir plus de mille mètres au-dessus du fleuve. M. Vinçot nous dit que sous le pittoresque Cap à pic qui limite la gorge: de: Fong-siang,, il y a aussi des, traces de volcans, et que naguère les rochers y fumaient encore. Je doute de ce fait dont il n’a point été témoin, et, dans tous les cas, je pense, qu'il ne s'agirait que de l'inflammation momentanée d'un dépôt de charbon: sulfureux.

27 novembre, Le temps, qui à été très-beau hier elce matin, se gâte. dans l'après-midi, et il pleut un peu vers le soir.

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M. Vincot, qui est observateur et possède des connaissances en chimie et dans les sciences physiques, me donne beaucoup de renseignements sur ces pays qu'il connaît fort bien. I} h’apprend : qu’il y a de la houille avec soufre, dans plusieurs endroits des environs de Kouy-fou ; 2 que des sources de sel sônt exploitées sur trois points de ce district; 3 que la galène argen- lifère est répandue en abondance dans toute la chaîne de montagnes qui s'étend, à trois lieues au sud du grand fleuve et parallèlement à son cours, jusqu'à la province de Kong-tcheou, sur une longueur d’une soixantaine de lieues et avec la profondeur d’une dizaine de lieues ; que le cuivre se trouve aussi communément dans les mêmes montagnes. Un Chinois chrétien, sous la direction de M. Vinçot, va essayer quelque exploitation de ee dernier mMinérai ; et il me montre quelques échantillons de ces métaux. H y a du cuivre natif, sulfuré et carbonaté mêlés ensemble; la galène est à petites lames.

Il m'apprend encore que Tchougkin abonde en sulfate de fer, que les Chinois obtiennent de la houille au moyen de grands arrosages ; ce sel, at Setchuan, se vend à vil prix, et M. Vinçot en fait de l'acide sulfurique, qui ne lui revient qu'à trente franés pour les 400 kilos, tous frais payés. Avec cét acidé il a fait l'acide nitriqué , puis de la stéarine, tous les autres acides, ete.

Il a enseigné à des Chinois la manière de séparer l'or qui se trouve dans les lingots d'argent de ces pays et qui en contiennent communément Œuarante parties sur mille. Mais Popération faite dans les petits creusets de terre cuite est chanceuse ; et pour la faire en grand, il faudrait une coupe de Platine de la valeur de vingt-cinq à trente mille francs. 11 me dit qu'il connait des Chinois qui s’engageraient à faire faire de gros bénéfices à VEüropéen qui voudrait leur procurer le susdit creuset d’or blanc (c'est ainsi qu'on nomme souvent le platiné en Chine). |

M. Vincot me dit encore qué le Yun-nan est réellement très-riche en métaux, que la rébellion, qui ruine actuellement cette province, y a commencé pour cette raison que gouvernement éxigeait, d’après la loi chinoise, qu’on continuât encore après l'épuisement de certaines mines, à payer lès droits d'exploitation qui sont aëécordés in æternum ! Cette obligation d'impôt sans fin serait cause que les Chinois n’ouvrent point les mines qu’ils craignent pouvoir être bientôt épuisées.

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M. Vinçot s’est procuré un certain nombre d’ossements fossiles, chezl es marchands de drogues ; il paraît que c’est la ville de Souy-fou surtout qui est l’entrepôt de ce genre de commerce. Ici, dans les environs de Kouy-fou, il à lui-même ramassé plusieurs espèces de dents fossiles, dans la terre meuble qui garnit le bas des montagnes. Une grande grotte découverte dernièrement aurait fourni beaucoup d’ossements fossiles qui ont été aussitôt brisés et pulvérisés dans les pharmacies du pays. Il m’apprend encore qu'il existe des bancs de coquilles fossiles à cinq ou six journées au N.-0. de Gouy-fou, près de Suthin, à Thiè-shan et à Ten-tchio. 11 y aurait à faire une course bien intéressante.

Les chrétiens chinois que je questionne me disent qu’il existe de grandes montagnes boisées, à deux ou trois journées du nord de Kouy-fou, avec des bois consistant principalement en sapins de deux sortes. Que plusieurs quadru- pèdes sauvages, entre autres un Singe verdâtre, vivent dans ce pays, avec le Tragopan, le Faisan à collier, le Faisan doré, le Faisan vénéré et un autre Faisan à couleurs modestes qu’ils nomment Tsin-ki et qui a les formes du Faisan doré. Ils veulent sans doute parler du jeune de cette espèce.

Les oiseaux que je vois à Kouy-fou sont : Milvus melanotis, Pica media, Turtur sinensis, Coccothraustes vulgaris, Passer montanus, [xos sinensis, Parus minor, Phœænicurus aurorea, Ruticilla leucocephala, Ruticilla fuliginosa, Cop- sychus saularis, Motacilla lucionensis, et les Corbeaux communs.

Vers le soir, nous rentrons dans notre barque, sans M. Genevoise qui a reçu ici une lettre de son évêque, M‘ Desflèches, qui le destine à diriger la Mission de Kouy-fou. Nous avons quelque peine à retrouver notre bateau qui est monté à deux lys plus haut, après avoir terminé sa visite obligatoire de la douane. Il nous faut pour cela traverser les vastes rues provisoirement improvisées sur la plage, et se sont établies toutes les industries de la ville pour être plus à portée des nombreux voyageurs. À l’époque des grandes eaux, tous ces lieux en sont couverts, jusqu'aux murs de la ville parfois.

La soirée est très-calme ; jusque fort avant dans la nuit, nous entendons de la musique, de différents points du fleuve. Ce sont les Hoa-niang qui, dans de petites nacelles couvertes et ornées de lanternes coloriées, courent chercher fortune autour des bateaux voyageurs. Ces malheureuses pauvres créatures, bien parées, bien fardées, chantant et jouant la guitare avec l’accompagne- ment du violon du conducteur, perdent bien leur temps auprès de notre

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bateau qui n’ouvre pas même les fenêtres pour les voir : aussi ne s’y arrêtent elles point. Leur chant et leur musique ne sont pas désagréables, quoique fort monotones et sans harmonie. Depuis plus de six ans que je suis et je voyage en Chine, je dois dire, à Ja louange de cet empire, que je n'y avais encore jamais rencontré de ces infortunées tentatrices. Mais il paraît qu'il y a certaines villes les mauvaises mœurs et les mauvaises traditions sont héréditaires ; et la riche ville de Kouy-fou, avec ses nombreux employés de la douane impériale et avec les nombreux bateliers et voyageurs qui y passent continuellement, a une triste réputation sous ce rapport-là. On dit la même chose de Canton et de quelques autres ports. L'homme est plus ou moins corrompu partout; mais, même au sein du paganisme, il y à une grande différence entre un pays et un autre. Et en Chine, en général, l’effron- terie et l’ostentation du vice sont heureusement plus rares qu’on ne pourrait le croire ; la pudeur et la décence y sont respectées, au moins au dehors. D'ailleurs, comme presque tout le monde s’y marie de bonne heure et qu’on tient beaucoup à l’honneur des familles, il reste peu de personnes pour se jeter dans le désordre ; et (faut-il le dire?) certains écarts y sont plus rares que dans notre Europe déchristianisée !

Je ne dois pas quitter Kouy-fou sans noter que, dans le jardin de la Mission, j'ai vu, entre autres arbres, de grands et beaux Pistachiers ou Téré- binthes, dont j'ai recueilli la graine mûre, pour l’envoyer au Muséum. Je n'avais jamais rencontré encore ces plantes en Chine.

28 novembre. Nous partons de bonne heure de Kouy-fou, par un temps couvert et assez frais. Les collines qui bordent le fleuve sont moins élevées à notre droite; elles sont bien cultivées jusqu’à leur sommet. Les couches sédimentaires qui les forment consistent en grès, marnes et conglo- mérats.

Dans l’après-midi, la corde avec laquelle on hale notre barque se rompt, et nous nous trouvons entraînés assez loin en arrière. Nous voyons deux autres bateaux naufragés. Chemin faisant, je capture plusieurs Rutcilla leucocephala et Rut. fuliginosa. Ces deux Rouges-queues ont plus d’analogies entre eux qu'avec tous les autres et devraient constituer un genre séparé des Phœnicurus ordinaires, ils se tiennent constamment sur les pierres des torrents et des rivières, vivant d'insectes aquatiques, ont les mêmes allures, la même humeur batailleuse, le même genre de voix et de cri. Le Ruticilla fuliginosa a un

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joli chant qu'il fait entendre en plein hiver ; et quand deux mâles se rencon- trent, c’est un assaut de ramage, de courbettes, de mimiques, très-curieux let amusant, qui s'établit entre eux. On sait que le mâle adulte de cette espèce test d’un bleu obscur, avec la queue rousse, tandis que la femelle est grisâtre avec la queue blanche. Une fois j'ai rencontré une femelle qui, avec la queue blanche, avait le cou bleu comme le vieux mâle, J'ai trouvé le Rouge-queue fuligineux à Pékin et même en Mongolie ; mais jamais le Rouge-queue à tête blanche ne s’avance jusqu’au nord de l'empire,

Le Cincle pallas et le Merle bleu indigo (Myiophonus) sont aussi deux oiseaux que je vois fréquemment sur les bords des torrents qui aboutissent au grand fleuve. Je prends encore aujourd'hui la première Musaraigne que j'aie trouvée en Chine : elle est d’un gris noir, avec la queue cylindrique assez longue.

29 novembre. Dimanche, comme toujours en jour de fête, nous nous levons de très-bonne heure pour pouvoir célébrer les saints mystères avant qu’on ne se mette en route.

Vent d'ouest assez frais. Le temps continue à être couvért, mais sans pluie. Nous voyageons aujourd’hui à la suite de treize bateaux qui transpor- tent un grand mandarin de Pékin et sa suite. Les chevaux que nous avons vus hier marchant en file le long du fleuve doivent appartenir à ce magistrat lettré qui est énvoyé au Setchuen pour y présider les grands examens du baccalau- réat. Vers onze heures on noüs annonce que, un peu plus haut, une grande barque a péri ce matin et que plusieurs hommes s’y sont noyés. Cela n'est pas gai. Encore aujourd'hui nous passons plusieurs rapides; et dans l’un d’eux, une barque semblable à la nôtre à :sa corde -cassée devant nous et est entraînée par le courant nous ne savons où. Une autre qui marchait après nous se heurte contre les rochers et paraît perdue : nous la laissons se débattre à son aise derrière nous, à la mode chinoise. |

Sur les collines de grès schisteux de la rive droite, je prends: un petit Helixæ strié nouveau; et d’un coup de fusil j'abats deux Crécerelles qui se battaient ensemble sans se: préoccuper de notre voisinage : mes Chinois en feront bombance ce soir. ;

30 novembre. La nuit a été sereine, et la journée est très-belle. Montagnes pyramidales avec les couches horizontales de grès et de marne rouge. |

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Nous perdons presque toute la journée à franchir les deux grands rapides de Miao-tchy-dze et de Fang-yañg. Dans le premier notre barque avait passé déjà le pas difficile quand un petit bateau de voyageurs, emporté par le Gourant; engage son gouvernail dans nos cordes: et pour sauver cette malheureuse embarcation et nous-mêmes , nous coupons les deux cordes qui nous tirent, et notre barque est entraînée au loin et en grand danger de faire naufrage. Grâce à Dieu, on en est quitte pour la peur et du temps perdu.

J'observe qu'il arrive très-rarement aux barques mandarinales d'avoir de ces sortes d'accidents; c'est que, d’un côté, elles sont toujours:moins Char- gées, et, de l’autre, elles sont mieux pourvues d'hommes et de bons engins.

Dans ces passages difficiles, je voyage à pied le plus possible; aujour- d'hui je parcours la rive septentrionale en: franchissant plusieurs torrents latéraux dont les eaux bondissent dans le grand fleuve en cascades écumantes, Partout où, comme ici, les couches sédimentaires sont dans une position horizontale, les bérges s’usent en murailles verticales, et le passage des cours d’eau offre de grands obstacles.

L'arbre des Pagodes, que nous avons commencé à voir depuis plusieurs jours, est un grand et beau figuier (Ficus. indiea ?) à feuilles ovales et persistantes. Les Chinois multiplient cet arbre en en faisant avaler les graines aux oiseaux. Le Hoamy se voit ici.en cage et paraît commun au-pays, d’après ce que: disent les indigènes qui viennent curieusement m'aider dans mes recherches d'insectes.

1#° décembre 1868. Temps menaçant au matin, pluie vers le soir. Nous nous arrêtons quelque temps: devant Yun-yang qui est une ville (sans murs) assez considérable, bâtie en amphithéâtre, ayant des rues dallées. Ici: aussi il y a une communauté de chrétiens : quelques-uns d’entre eux viennent faire visite aux Missionnairés voyageurs, avec des cadeaux, d'excellentes oranges mandarines et d'énormes citrons ou pamplemousses. Nous allons saluer leur curé chinois, le P. Lo; qui me donne des renseignements: sur Moupin;, il:a étudié autrefois:

décembre. Petite pluie tout le jour. Hier nous avions eu encore notre corde de halage rompue ; aujourd'hui il y a aussi des rapides, mais nous les franchissons sans accident.

Depuis Yun-yang, les roches calcaires ont cessé; on a maintenant des strates horizontaux de grès schisteux. Le pays devient de plus en plus joli,

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la campagne est verte, et les champs de Cannes à sucre sont communs le long des collines. Je récolte deux belles Fougères, et je prends un Lanrus schach. Le Merle solitaire et les Ruticilles continuent à être assez abondants. J'entends le cri étrange d’un oiseau que je ne reconnais pas et qui a quelque analogie avec celui du Garrulas perspicillatus; mais cette espèce ne vit plus en decà du Houpé et de la grande plaine.

3 décembre. Ciel couvert et menaçant. Nous arrivons au soir devant la ville de Ouan-shien, qui est l’un des plus jolis endroits que nous ayons vus encore. À une lieue au-dessous de cette ville, nous avons traversé à pied une grande plage de galets qui est inondée en été : c’est que M. Blakiston indique des lavages d’or que nous ne voyons point. Les pierres roulées du fleuve consistent ici en porphyres variés, beaux et de toutes les nuances ; mais le vert tacheté de rouge et le rouge sont les couleurs les plus abondantes,

Cependant les roches qui composent les montagnes continuent à n’offrir que des couches de grès, de marne et de conglomérats dans la partie inférieure.

En passant devant les boutiques de la ville, jy vois établis beaucoup de crabes, qui ne me paraissent point diflérer de l’espèce commune de Chine, Telphusa sinensis.

Nos cuisiniers ont la bonne fortune d’acheter deux jeunes individus de ce remarquable esturgeon à long nez dont j'ai déjà parlé comme vivant aussi dans le Mississipi : c’est un très-bon poisson.

On dit qu'Ouan-Shien est très-prospère, et que les mœurs y sont loin d’être exemplaires. Pour nous, nous n'avons pas lieu de nous louer cette fois- ci de la politesse de cette population : en traversant la partie inférieure de la ville avec mes confrères pour nous rendre à notre barque qui nous avait devancés, nous avons été entourés et suivis d’une foule malveillante qui, malgré notre air pacifique et modeste, ne nous à pas épargné les vilaines épithètes, les menaces et même quelques coups de pierres. En Chine comme en France, ce ne sont pas les gens de bien et de vertu qui font les troubles et les révolutions. Ici aussi il y a un petit nombre de chrétiens indigènes, et à la nouvelle du passage des nouveaux Chen-fou (pères spirituels), ils ne manquent pas de venir nous saluer et nous offrir des cadeaux d’oranges mandarines ; mais ils prennent pour cela la nuit, pour n'être pas vus des paiens, qui sont ici très-hostiles au christianisme.

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Les plus belles pierres abondent auprès d’Ouan-Shien, et l’on y voit une grande profusion d’escaliers, de ponts, de sépultures en pierre de taille et des chemins pavés en grandes dalles. Le grès porte des empreintes de végétaux, et le calcaire métamorphosé en marbre contient beaucoup de débris de coquilles. Il y a de la houille, mais je ne sais pas l'endroit précis d’où on l’apporte.

4 décembre. Belle matinée. Nous partons assez tard, à cause de quelques-uns de nos bateliers qui sont allés passer la nuit en ville. Nous suivons maintenant une direction à peu près méridionale; le fleuve est toujours plus ou moins encombré de rochers, dont quelques-uns énormes rendent la navigation très-pénible et dangereuse. C’est tous les jours, depuis longtemps, que nous voyons des bateaux brisés et naufragés, et que nous sommes soumis à de fatigantes émotions chaque fois que notre corde de bambou s’accroche aux pierres et qu’elle est en danger de se briser en nous laissant à la merci des courants et des vortex.

Dans l'après-midi, nous descendons à terre pour laisser notre barque franchir le rapide de Fou-than : c’est un lieu très-périlleux et tout rempli d’une quantité d'énormes blocs de grès. Je visite quelques vallons boisés je rencontre l’Ürocissa sinensis, le Hoamy, le Bulco japonieus, etc. J'y tue trois exemplaires d’une charmante petite espèce de Mésange, Psaltria Con- cinna, que je rencontre pour la première fois. Cet oiseau, déjà rencontré dans l'Himalaya, a la tête fauve ainsi que la gorge, et l'iris d’un jaune clair ; il est peu farouche et parcourt par petites troupes les Chênes et les Bambous, en compagnie du Parus minor. Je prends une autre Fougère à feuilles de Geranium.

Un arbrisseau à fleurs synanthérées, une sorte d’Eupatorium de trois ou quatre mètres de haut, est assez commun dans les taillis. Le pays devient de plus en plus boisé, et les coteaux sont assez bien garnis d'arbres.

La soirée est aussi belle que le jour. À peine commençait-on à se reposer sur notre grande barque et sur la nacelle des rameurs, que notre sommeil est interrompu par les gémissements étranges d’un de nos bateliers qu’on dit être atteint d’hydrophobie : ses cris ont quelque chose qui tient de ceux d’un chien lié à la corde. On se lève pour lui administrer quelques médecines qui parais- sent le calmer.

5 décembre. Beau temps ; le vent nous est: favorable le matin. Vers

VLIL. LL

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midi, la corde s'étant encore rompue ou échappée, nous avons quelques moments d'alarme et de danger. Aujourd’hui le fleuve est plus dégagé, les collines sont plus éloignées ; vers le sud, on voit des montagnes assez élevées. Le pays est fort joli et couvert de végétaux verdoyants; les maisons sont d'ordinaire cachées sous l’épais feuillage des Bambous, des Orangers, des Biota, des Figuiers sacrés, etc. On ne voit plus ici le Palmier à chanvre qui était commun dans les gorges.

Quoique la roche qui forme les rives du fleuve soit toujours du grès calcaire, les galets qu’on voit sur la plage consistent en porphyre, quartz et pétrosilex, provenant sans doute de quelque poudingue que les eaux désa- grégent dans les grandes profondeurs.

6 décembre, dimanche. Après nos fonctions religieuses célébrées de grand matin dans notre petite communauté, nous partons au point du jour et procédons sans grand incident aujourd’hui. Le ciel est voilé, le vent manque; et comme à cause des accidents des berges, nos haleurs sont obligés de passer souvent d'un bord à l’autre du fleuve, nous n’avançcons que lentement, car, chaque fois, c’est un grand coude en arrière que le courant fait faire à notre lourde barque.

Nous passons dans la matinée devant le roc isolé de Che-pao-tchaé, sur lequel s'élève pittoresquement un groupe de pagodes; on y parvient par un escalier monumental construit sur les flancs du rocher en forme de tour à neuf étages.

Notre pauvre prétendu enragé fait pitié à voir ; il se plaint amèrement de son père adoptif qui, dit-il, lui refuse l'argent qui lui est dû. Celui-ci, qui est maître timonier, le bat et le maltraite avec la dernière dureté. Le jeune homme se jette plusieurs fois dans l’eau, soit pour s’y noyer, soit pour éteindre le feu intérieur qui le brûle. Est-ce effet de la rage, de la folie, du Tehy ? Les Chinois donnent ce nom à une espèce de spleen extemporaire qui les saisit quand ils se concentrent après avoir reçu un affront ou un déplaisir violents. J'en ai vu mourir en moins de vingt-quatre heures; ce malheur ne leur arrive pas quand ils se répandent en pleurs et en plaintes.

Le soir, notre bateau est amarré au rivage; et pendant que nous ter- minons nos prières et que nos bateliers sont occupés à dévorer leur riz, sur le devant de la barque, le pauvre malade, à qui l’on avait lié les mains et les pieds pour l'empêcher de se jeter encore dans l’eau, parvient à se hisser sur

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le bord de la petite nacelle, au fond de laquelle on l’a laissé tout nu et gre- lottant de froid, saute dans l’eau tout à coup et est emporté par le courant,

sans qu'aucun de ses camarades ni son père adoptif bougent de leur place pour le repêcher et lui sauver la vie. Nous ne nous en apercevons que quand il est déjà bien loin de nous. Il faut avouer qu'il n’y à pas beaucoup de cœur dans ces païens. Sur les reproches que, dans notre émotion et dans notre colère, nous leur adressons sur leur dureté impardonnable , ils nous répon- dent qu’ils vont brûler des pétards en son honneur! et tout est fini là. Je n’aï pas encore noté que presque toutes les prières et toutes les cérémonies reli- gieuses des Chinois se réduisent à brûler des pétards et des cierges; et les bateliers surtout sont prodigues de ces sortes de dévotions.

7 décembre. Temps brumeux; vent faible et contraire. Le pays est accidenté et toujours fort joli; les geais à longue queue bleue et d’autres oiseaux animent les coteaux assez bien garnis d'arbres à huile et d’autres que je ne reconnais pas. L'on n’aperçoit plus les montagnes hautes qui font suite aux premières collines encaissant le fleuve. De bonne heure nous passons en face d’une île élevée et boisée assez grande.

L'on voit des hommes portant dans des hottes le sable aurifère qu'ils recueïllent sur le rivage. Ce sable, qui contient de nombreuses parcelles de mica couleur d’or et d'argent, doit être bien pauvre en métal précieux : les gens qui s’occupent du lavage paraissent les plus malheureux du pays et sont d’ailleurs peu nombreux. Je pense donc que ce fleuve, malgré son nom de Kin-cha-kiang (fleuve à la poudre d’or), n'est pas plus riche en or que toute autre rivière. La roche vive continue à n'être que du grès plus ou moins grossier.

Depuis deux ou trois jours, le fleuve varie beaucoup en largeur, et il ya souvent des bancs de rochers ou de galets qui s’avancent dans son lit; il y a aussi de fréquents îlots de récifs. Aussi la navigation est-elle difficile, et nous n’avancons que lentement. Je crois qu'il ne sera jamais rt à un vapeur de monter jusqu'ici.

Un peu au-dessous de Famous nous avons encore à passer un fort rapide. Cette ville est jolie et agréablement assise sur deux trois collines verdoyantes et bien boisées l’on discerne de nombreuses et belles pagodes. Nous nous arrêtons pour la nuit à une lieue au-dessus de Tchoung- tcheou; le ciel se couvre de brouillards.

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8 décembre. (mm. Conc.) Beau temps, calme, mais ciel voilé. Le fleuve est tantôt étroit, tantôt très-large, de manière que nos tireurs sont obligés de haler avec une corde de plusieurs centaines de mètres de longueur, dans certains endroits les eaux paraissent avoir autant de largeur qu’à King-kiang.

Les rives sont toujours composées de couches à peu près horizontales de grès calcaire, sous lequel on voit la marne rouge et bariolée comme avant. Plus tard, les couches sont soulevées vers le sud-ouest. :

Pendant la promenade de l'après-midi, je vois dans les bambous deux petits oiseaux verts, inconnus, qui me paraissent être des Zosterops, sans couleur rousse aux flancs : c’est peut-être le Z. simplex du sud de la Chine, que je ne connais pas. Je récolte aussi au bord d’une fontaine une charmante espèce de Parnassia, à pétales blancs terminés par des cils longs et minces.

Nous nous arrêtons pour la nuit à Yangthoutchy, d’où l’on aperçoit, der- rière les collines immédiates, d'assez hautes montagnes des deux côtés de la rivière.

9 décembre. Ciel voilé comme hier, matinée tranquille. Nous recom- mençons de bonne heure notre navigation, qui s'exécute assez paisiblement, quoique la rivière soit bien inégale, On nous dit que dans les grandes eaux il y à ici aussi des rapides violents et dangereux. Du haut des collines voisines, j'entends le sifflement d’un oiseau qui me rappelle le merle mandarin que j'ai vu à Hankeou, chez le P. Graziano.

Ce matin, quelques hommes viennent en bateau nous présenter un livre rouge et demander de l'argent pour contribuer à la construction d’une pagode... C’est la mère de notre maître barquier, l’intrépide fumeuse d’opium, qui se charge de faire l’aumône aux quêteurs, qui n’insistent pas auprès de nous quand nous nous déclarons chrétiens. Je dois noter que les Chinois de ces provinces centrales et occidentales paraissent bien plus attachés à leurs superstitions que leurs compatriotes du Nord; ici les pagodes sont plus nombreuses, mieux tenues et plus belles, et les bonzes eux-mêmes paraissent plus à leur aise, mais non plus vertueux.

Nous passons encore aujourd'hui un grand rapide qu’on dit être fort dangereux en été. Les roches stratifiées de grès, de marne et de conglo- mérats continuent à se voir, de même que le

S cailloux roulés de porphyre dans le lit du fleuve. D’

un heureux coup de fusil j’abats, à une grande dis-

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tance, deux Tourterelles à grand collier (Turtur sinensis); les nombreux Chinois qui m'ont vu tirer s’extasient sur la bonté de l’arme européenne. Je capture aussi deux Drymæca extensicauda et un Suya striata. Ces oiseaux, par petites bandes dans les hautes herbes et les buissons des coteaux décou- verts, semblent avoir dans leurs mœurs beaucoup d’analogie avec notre Cisticola cursitans du sud de l’Europe et de l’Asie.

10 décembre. Temps couvert et humide. Vers onze heures, nous pas- sons devant la tour blanche qui annonce le voisinage de Fong-thou et qui se dresse pompeusement sur une colline à notre gauche. En face de cette tour, sur la rive opposée, se trouve une grande plage de rochers et de cailloux l’on nous dit qu’il existait jadis une petite ville, ou forum, qui a été aban- donnée, parce que les diables hantaient l'endroit sous forme humaine.

Vers midi, nous parvenons à Fong-thou, dont l'aspect est fort joli à cause de ses pagodes, de ses tours et des collines verdoyantes qui l'entourent. La rivière est toujours fort accidentée ; les rochers, les rapides ne cessent point. Je ne trouve pas, comme Blakiston, que les environs de cette ville soient boi- sés que le reste du pays. Au contraire, il y a deux jours que nous croyons ne plus voir les arbres diminuer sur les montagnes. Cependant les plantations de cannes à sucre sont plus communes et donnent au paysage une teinte générale de vert tendre fort agréable et comparable à celle des moïissons au printemps.

Il pleut dans l’après-midi, avec vent d'ouest, et nous sommes obligés de nous arrêter à quelques lys au-dessus de Fong-thou : c’est la première fois, depuis notre départ de Chache, qne nous suspendons notre marche à cause du mauvais temps; jusqu'ici les pluies avaient été de peu d'importance. Cependant, une heure avant la nuit, on peut se remettre en voyage.

À quelque distance au-dessous de Fong-thou s'élève une jolie colline conique, couverte d'arbres et surmontée d’une pagode. On nous raconte qu’on conserve dans ce sanctuaire le corps sec d’une sainte déifiée, dont on a doré le visage. Nos Chinois prétendent qu'aucune embarcation ne peut passer les rapides de ce lieu sinon par sa permission; et, quand ils y arrivent, les bate- liers ont soin de brûler force pétards pour implorer sa miséricorde.

Les galets sont plus abondants et variés au rivage; mais les roches vives sont toujours du grès gris. Les collines sont moins raides; et derrière celles-ci, les nuages nous permettent à peine de distinguer des montagnes peu con- sidérables.

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11 décembre. Ciel couvert, brouillard léger et petite pluie. On marche bien le matin; la rivière est étroite et assez bonne. Vers onze heures, nous passons devant un village nommé Ly-che-tchen, dont nous notons les maisons remarquables par leur blancheur et par les poutres et les soliveaux qui sont intercalés et se croisent dans la muraille, à peu près comme cela a lieu dans le pays basque. Vers midi, nous avons notre corde de halage cassée et un * moment d'émotion ; mais on nous reprend bientôt, et nous continuons la route. Une barque qui nous suit immédiatement a aussi sa corde rompue aux mêmes rochers que nous, mais sans plus d’inconvénients.

A une heure, nous quittons notre bateau afin d’éviter les longueurs d’un grand détour du fleuve, et nous allons, partie à pied sur des collines boueuses et glissantes, et partie en petite embarcation, à Fout-cheou nous arrivons le soir, chez M. Sabatier, des Missions étrangères.

Fout-cheou, bâti sur les flancs d’une montagne qui fait angle à la jonc- tion du Yangtzékiang et du Pen-shui-ho, rivière aux eaux claires qui naît dans le Koueï-tcheou, est une fort grande ville qu'on dit peuplée de quatre à cinq cent mille habitants. La résidence du missionnaire est en dehors de la porte orientale ; je m'y installe, avec les camarades qui m'ont suivi, pour attendre l'arrivée de notre barque.

12 décembre. Il pleut beaucoup la nuit et au matin. Nuit et journée passées chez M. Sabatier (de Moutiers), revenu malade de Kouey-tcheou, pour s’en retourner en France, et retenu ici par Monseigneur Desflèches. Nous envoyons chercher nos autres confrères pour rester tous ensemble ici jusqu’à demain. Mais ce n’est que tard dans l'après-midi qu'ils nous rejoignent, tandis que notre grande barque continue à monter et ne s’arrête qu’à dix lys plus haut, à notre grand déplaisir.

Les environs de Fou-tcheou sont fort montueux, surtout vers le sud, dans la direction de Pen-shouy et de You-yang. M. Sabatier m'apprend que ces parages-là sont fort propres pour une exploration d'histoire naturelle et contiennent de grandes montagnes avec des bois, des tigres, des pan- thères, etc. Il me parle du Singe noir du Kouy-tcheou, qui est très-grand, à longue queue et fort difficile à obtenir; ce sont les Miaotre seuls qui de pren- nent en vie. Le Copsychus saularis est très-abondant sur les toits et dans les égouts de la ville.

13 décembre, dimanche. Encore pluie toute la nuit et le matin. De

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bonne heure, nous célébrons la sainte messe , afin de pouvoir parlir au point du jour pour rejoindre notre bâtiment. Nous avons la chance d'y parvenir vers neuf heures, sans trop nous mouiller.

Ici aussi nous laissons un de nos compagnons. M. Provôt a reçu des lettres de son vicaire apostolique qui l’avertissent de s'arrêter dans cette ville d'où il devra se diriger vers Pen-shouy, quoique les nouvelles qui viennent de ce pays-là annoncent de fort mauvaises dispositions des païens contre les éta- blissements chrétiens.

La rivière de Pen-shouy-ho qui débouche dans le Yangtzé, à Fou-tcheou, est considérable et navigable au loin: elle est fort dangereuse, et les bateaux qui font cette navigation ont une forme particulière : ils sont très-solidement construits, pointus et relevés aux deux bouts; ils sont munis d’un double gou- vernail en forme d’énorme rame, placé à chaque extrémité. Il paraît que dans certains rapides de ce cours d’eau, les vortex sont tels qu’il arrive que des bateaux y sombrent et disparaissent entièrement.

Le combustible qu’on brûle à Fou-tcheou consiste en broussailles et en paille. Nous avons pourtant vu près d’ici de la houille en poudre. Le Bananier est assez commun dans cette ville et très-gros; il y a aussi des Cicas revo- luta. Mais ces plantes n’y sont pas spontanées.

Les montagnes sont élevées le long du fleuve et n’offrent que des roches calcaires caverneuses et des grès gris. Le Milan est très-abondant dans toutes ces gorges; je vois aussi une petite Buse au vol rapide, sans doute le B. Poliogenys.

En s’éloignant de Fou-tcheou, les collines diminuent de hauteur et de raideur ; les flancs en sont lentement inclinés et cultivés jusqu’à la cime. Les Bambous verdoyants abondent toujours, et la contrée offre assez d’arbres, de médiocre taille, qu’on y laisse croître pour les besoins de la navigation. Ce sont surtout les Tuïa, le Chêne et une sorte de Frêne, qu’on emploie à cet usage, Les bandes de Hérons blancs sont très-abondantes sur le fleuve,

14 décembre. Après avoir eu de nouveau la corde de halage rompue dans un rapide, hier soir, un peu au-dessous du village considérable de Ling- che, nous nous sommes arrêtés et avons passé la nuit en face de cet endroit, Nous y débarquons et laissons les naufragés et les balles de coton que nous avions recueillis dans les gorges d’Ouchan.

Linche est bâti sur la rive sud, à côté d’un torrent; les collines qui

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l’adossent et qui l’avoisinent sont boisées çà et et ont des sommets étendus et assez plats. Elles n’ont guère que cinq cents à mille pieds d'élévation au- dessus du fleuve.

Vers neuf heures du matin, nous atteignons l’île que Blakiston appelle de l’Ecrivain; et encore nous avons un moment d'émotion désagréable en voyant notre corde se casser immédiatement au-dessus d’un rocher dange- reux. On a le bonheur de nous ressaisir avant que le courant ne nous emporte trop loin. Véritablement ces bateliers sont trop imprudents! Ils s’obstinent à employer, pour haler le bateau, des cordes de bambous trop minces ou trop fatiguées par leur continuel frottement sur les rochers de la rive, lesquels se voient usés et cannelés souvent profondément par cette action séculaire. Par- fois nous nous surprenons effrayés en voyant notre barque se balancer lour- dement au milieu des flots et des récifs, à la merci d’une corde longue de cent et deux cents mètres, et grosse au plus comme deux doigts, laquelle doit résister aux efforts de vingt haleurs et de quarante et même de quatre-vingts dans les rapides violents. Il est vrai que ces cordes de bambous tressées ou tordues sont très-solides et résistantes quand il ne faut pas trop les plier; la nature siliceuse qui en forme l'extérieur les rend très-dure contre le frottement du rocher. Aujourd'hui encore le ciel est tout couvert, mais la pluie a cessé. Nous marchons assez bien, notre bateau étant allégé de trente ou quarante quintaux de marchandises qu’on a débarquées la nuit dernière : il est vrai que nous nous trouvons aussi privés de plusieurs haleurs qui s’arrêtent en route, à mesure qu'ils rencontrent leurs maisons.

Vers deux heures nous franchissons, sans trop de peine, le rapide de Houang-yéli-thang (rapide de la marte jaune), qui est au bout d’un îlot de galets ; en été il est violent et périlleux. Dans un coude que fait ici le fleuve, j'apercois deux ou trois groupes d’oiséaux aquatiques posés sur le sable : ce sont peut-être des oies sauvages. Je suis étonné de voir que, dans cette saison, il y ait si peu de palmipèdes sauvages sur ces eaux; je m'attendais au contraire, sachant quelle est l'énorme quantité de ces oiseaux qui passent à Pékin eu se dirigeant vers le sud. Il est possible que les cris assourdissants dont les rameurs font continuellement résonner ces gorges soient cause que les oiseaux de toute sorte fuient en d’autres lieux.

Vers quatre heures, nous passons devant de nombreuses mines de houille et auprès d'un marché à charbon que l’on nomme Koua-kouang-yao.

BULLETIN. 113

Le soir nous nous arrêtons un peu plus bas que la petite ville de Tchang- cheou. Deux prêtres chinois qui y résident viennent nous faire une agréable visite sur notre barque : c’est l’occasion de casser la têle à une bouteille de cognac tenue en réserve. Les Chinois n’apprécient point les vins rouges d'Europe, mais ils goûtent l’eau-de-vie et les liqueurs douces. Le vieux P. Tchoung est aimable et gai; il parle le français assez bien et nous demande si nous n’aurions pas quelques livres à lui donner. Il désirerait sur- tout les ouvrages de sainte Thérèse, qu'il aime à lire, quoiqu'il n’ait pas, dit- on, des goûts exclusivement extatiques, comme sa patronne de prédilection.

13 décembre. Ciel couvert; pas de pluie au matin.

Nous passons devant la ville de Tchang-cheou, que nous laissons à notre droite, en tenant la rive opposée, à cause des grands bancs de galets qui rendent la navigation difficile auprès de cette ville. Tchang-cheou est dans une position pittoresque, sur une petite colline assez jolie et entourée d’autres collines l’on aperçoit de belles pagodes. Une atmosphère de brouillards l'enveloppe : elle provient sans doute du charbon minéral qu'on y brûle et qui donne beaucoup de fumée. |

L'on voit beaucoup de Hoche-queues à dos noir (Motacilla lucionensis ?) se promener sur la rive plate; tandis que quelques Hirondelles cendrées (Cotyle sinensis) rasent la surface des eaux en chassant aux insectes volants. Ici encore la roche consiste en calcaire, dont on fait de la chaux, et en grès divers. Les collines sont élevées de quelques centaines de pieds seulement et ne sont point escarpées : elles sont cultivées en rizières et verdoyantes de bambouseraies. Celles-ci deviennent de plus en plus abondantes et prospères à mesure que nous avançons vers l'Occident.

Quelques lys plus haut que la ville, la rivière se trouve partagée en deux branches, en cette saison, par une île de galets. Nous y voyons une grande barque à voyageurs, ou mandarinale, enfoncée dans l’eau et brisée. C'est hier soir que le naufrage a eu lieu, pendant qu'on se laissait emporter par le cou- rant; le capitaine, qui est des amis du nôtre, est venu le voir à bord. Je vérifie que tous ces amas de galets si fréquents proviennent d'anciens poudingues dont les assises sont cachées sous les couches de calcaire et de grès.

Vers midi, nous passons devant le forum de Chang-péi-touo, bâti sur la rive méridionale autour d’une anse qu'y forme le fleuve; les maisons font l'effet de grands poulaillers hissés sur de longues perches. On nous y porte à

VU, 0

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vendre des Anguilles rousses à queue mince, semblables à celles de Pékin.

Vers le soir, nous atteignons le village de Lotchy, sis sur notre droite. Depuis Chang-péi-touo, la rivière est très-accidentée et nous avons marché dans la direction S.-0., ayant sur le côté septentrional de petites collines couvertes de cannes à sucre. Derrière elles se trouvent des montagnes qui vont en s'élevant vers l’ouest et qui doivent avoir près de cinq cents mètres d’élévation au-dessus du Yang-tzé-kiang.

16 décembre. Le temps, qui s'était éclairci et mis au beau hier au soir, est ce matin tout brumeux, et nous ne pouvons voir qu’à quelques pas devant nous. Nous avons passé la nuit à quelque distance au-dessus de Lo-tchy, qui parait être un chantier de construction de barques. De j'ai aperçu aussi, sur la rive nord, de jolies montagnes de même hauteur que celles de la rive sud, et formant une chaîne dont la direction semble du S.-0. au N.-0.; elles paraissent peu boisées.

Les fortifications dont tous les sommets plats sont munis, ce que nous voyons fréquemment ici depuis quelques jours, de même que dans les monta- gnes d'Ouchan, commencent à devenir plus rares vers l'Ouest. Ce sont des lieux de refuge les campagnards se retirent dans les temps de troubles, pour mettre leur vie et leur avoir à l'abri des déprédations des rebelles ou brigands.

Depuis que nous sommes entrés au Setchuan, je vois mêlées aux Bam- bous des touffes de Roseau véritable (Arundo donax). Je n’avais point encore rencontré en Chine cette plante de notre patrie, tandis que le petit Roseau des marais (Phragmites) est partout abondant en Chine comme en Mongolie, et au sud comme au nord de l'empire.

Vers huit heures, nous passons le long de plusieurs îles de rochers placés au milieu du fleuve, que Blakiston indique sous le nom d’ile de Fuzzeler. J'ignore la signification de ce de midi nous dépassons le village con- sidérable de Mou-toung (et n Hou-toung, comme l’a écrit ce dernier voyageur). Un peu plus haut, le fleuve est partagé en deux par des bancs de rochers très-considérables. Ce sont des calcaires et des grès compactes.

Avant de nous arrêter pour la nuit, nous passons un endroit le fleuve est si large et si peu profond sur les bords, que notre barque est halée par une corde longue de quatre à cinq cents mètres. nous trouvons encore un bateau semblable au nôtre qui vient d'y faire naufrage ce soir même : ila été frappé et brisé par une embarcation plus petite qui était entraînée par le

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courant. Plus bas, nous avons déjà vu une autre barque brisée et plantée sur un rocher. Que d'accidents, que de naufrages! Parviendrons-nous sans mal- heur jusqu’à Tchougkin, qui n’est plus qu'à peu de distance ? Je commence à me trouver très-fatigué au moral et au physique, et il me tarde d’en finir avec cette navigation tyrannisante…

17 décembre. Temps pluvieux. Cette nuit on a été sur le qui-vive, à cause des voleurs qui maraudaient autour de nous. I] paraît que les pirates d'eau douce infestent de préférence certains points du grand fleuve, et les bateaux voyageurs évitent de s’isoler le plus possible.

De bonne heure nous franchissons le grand rapide d’Y-lo-dre, rempli de vilains tourbillons : c’est le dernier, dit-on, avant d'arriver à Tchongkin. Nous ÿ Courons encore un péril : à peine avions-nous passé le point difficile, qu'une autre barque se détache de ses tireurs devant nous, et le courant l’entraîne sur la nôtre, en grand danger de nous briser ensemble et nous engloutir dans le vortex; heureusement qu'elle ne fait que friser légèrement notre navire.

Ce matin, le fleuve est fort accidenté : rochers qui s’avancent dans les eaux, récifs de toute façon, cachés et patents, bancs de galets, courants, tout conjure pour rendre la navigation tourmentée. Une grosse barque git échouée sur les pierres, à quinze ou vingt pieds au-dessus du niveau actuel du fleuve.

Les roches du rivage consistent en poudingues noircis par le fer et en des grès gris, plus durs qu’en bas. Un grand nombre d’Hirondelles de rivage se voient posées sur les sables volant sur les eaux. Elles jettent un petit cri de rappel, assez grave, qui rappelle celui du petit Martinet, qui est commun dans le nord de la Chine comme en Europe; mais ce n’est point la même espèce. Elle en diffère surtout par ses couleurs cendrées grisâtres, et est propre aux parties septentrionales. | Vers midi, nous passons devant la douane qui a la charge de contrôler les barques descendantes ; nous n'avons donc point à nous y arrêter. Bientôt après, nous avons en vue, à notre gauche, une chaîne de montagnes pointues, qui se dirige vers le sud.

C'est vers trois heures que nous apercevons enfin Tchongkin. Le temps s’est mis au beau, il fait un doux soleil; et les deux villes de Li-min-fou et de Tchongkin, qui sont séparées par une grande rivière venant du Nord, font le plus bel effet. Ces deux riches cités forment un centre de population très-

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considérable; un grand nombre de jonques et de bateaux sont échelonnés le long du rivage. Sur la rive sud, côté opposé à la ville, il n’y a guère que des faubourgs ; les montagnes y sont plus raides, et l’on aperçoit de loin l’une d'elles, de forme pyramidale, qui est surmontée d’une longue tour en forme d’aiguille. Sur le fond vert sombre des Orangers et d’autres arbres à feuillage persistant se dessinent agréablement les maisons blanchies à la chaux. quand les touffes de Bambous ne les couvrent pas entièrement.

Les collines de la rive septentrionale, sur lesquelles sont assis les deux fou, ou chef-lieu de département, sont assez plates, un peu élevées vers le nord-est. Les énormes couches horizontales de grès dur, coupées en berges verticales du côté du fleuve, soutiennent les murs crénelés de Tchongkin et semblent former ensemble d’imposantes murailles d’une hauteur prodigieuse.

Nous débarquons vers cinq heures, et, après avoir monté en chaise une série d’escaliers en pierre très-inclinés, nous parvenons à la nuit tombante à la résidence de monseigneur Desflèches, vicaire apostolique du Setchuan oriental. Mon baromètre y indique l’altitude de 274 mètres.

18 décembre. Première journée à Tchongkin, point d'incidents notables. Le temps se gâte et tourne à la pluie vers le soir.

La résidence de M:' Desflèches est une très-grande maison chinoise, c'est-à-dire qu'elle consiste en plusieurs compartiments construits princi- palement en bois et n'ayant que le rez- de-chaussée, et plus ou moins séparés par des cours intérieures ; elle est dans le centre de la ville et contient la chapelle principale des chrétiens qui sont assez nombreux ici. La population de Tchongkin est considérable (les Missionnaires lui donnent au moins cinq cent mille habitants), riche et très-active. On me dit que les païens y sont très-hostiles aux chrétiens et aux Européens ; il y à six ou sept ans, ils avaient, dans une émeute, détruit et brûlé toute cette maison épiscopale. Les missionnaires européens sont encore obligés de se montrer le moins possible, et Monseigneur tient à ce que nous ne sortions jamais qu'en chaise couverte, afin de ne pas exciter la malveillante curiosité des Chinois.

19 décembre. Temps pesant, avec petite pluie durant tout le jour.

20 décembre. Temps pluvieux. On nous dit qu'il pleut très-souvent ici, et que le soleil ne s’y voit que par excephion : c'est un climat qui donnerait facilement le spleen.

Je reçois beaucoup d’utiles renseignements sur le Setchuan, de monsei-

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gneur Desflèches et du bon M. Favan, qui vivent dans cette province depuis plus de trente ans. Ce dernier, qui maintenant se porte bien pour son âge, me dit que l’usage inévitable du thé sans sucre, lui avait dans le temps causé une insomnie tellement tenace qu’il a été douze ans sans pouvoir dormir ! il en était devenu presque fou. Et ce n’est qu'à force d’opium, et en s’abste- nant scrupuleusement du thé, qu’il a recouvré la faculté de dormir et la santé première. Monseigneur Desflèches me recommande, comme un endroit favo- rable pour acquérir de bons objets d'histoire naturelle, la ville de Kouan-shien, à quelques journées au N.-0. de Tchentou, qui est le rendez-vous commer- cial de toutes les principautés barbares et même de Kokonoor. Ici, à Tchongkin, il n’y a rien de particulier pour les collections, et les quelques raretés qu’on y vend par hasard proviennent de l'Ouest, du Yun-nan et du Kouy-tcheou, et même du Chensi.

21 décembre. Quoique le ciel soit uniformément et épaissement couvert, il ne pleut pas aujourd’hui.

D'après mes informations, passées et présentes, le point le plus avan- tageux pour mes recherches d'histoire naturelle paraît devoir être la principauté indépendante de Moupin. Pour m'y rendre il me faudra aller d’abord à Tchentou, capitale du Setchuan. 11 y a deux voies pour parvenir à cette grande ville, la voie du fleuve et la voie de terre ; la première demande une trentaine de jours, et la seconde une dizaine seulement. Je me détermine à voyager par terre, en envoyant par eau mes quatre ou cinq malles ou caisses, dont le transport à dos d'homme serait par trop coûteux, en profitant du bateau qui doit porter à Tchentou mes jeunes compagnons de route, MM. Bompas et Pellé.

En attendant que tout soit disposé pour continuer mon voyage, je vais reconnaitre les voisinages de Tchong-kin. Je pars donc après déjeuner, en chaise couverte, pour un petit collége que monseigneur Desflèches a établi à trois petites lieues au S.-0. de la ville; j'emporte mes instruments, et j'y resterai deux ou trois jours, si je trouve à utiliser mon temps. La campagne est admirablement bien cultivée et paraît très-fertile ; la terre produit en toute saison. Les champs consistent surtout en rizières alimentées par la pluie, et qu’on voit établies jusqu’au haut des collines. Dans les endroits culminants sont creusés de grands bassins qui tiennent en réserve les eaux tombées du ciel. On voit maintenant les Fèves en fleur, les petits Pois, des Navets et des

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Raves, le pé-tsaé ou Chou chinois, des Épinards, le Froment. II y à quelques plantes sauvages fleuries, comme un Fumaria Corydalis, une Autir- rhinée, etc.

Le petit collége, ou Probatorium, l'on commence à instruire une tren- taine de jeunes Chinois, qui aspirent à entrer au Séminaire, est un enclos assez vaste renfermant beaucoup d'arbres et de Bambous qui servent de refuge aux oiseaux du canton qui, du reste, est très-peu boisé. J'y rencontre l’Urocissa sinensis, le Garrulaæ sannio, le Pomathorinus stridulus, le Copsychus saularis, le Suthora webbiana, le Parus minor, le P, à calotte fauve ou Psaltria concinna, le Reguloïdes proregulus, un Abrornis nouveau de pelite taille et masqué de fauve aux joues et à la tête, le Yanthia cyanura, le Munia aculicanda, le Fringilla montifringilla, l’Hesperiphona melanura, le Passer montanus, et l’Autour.

Les arbres du bosquet consistent en Chênes de deux espèces, en Biosta orientalis, et plusieurs autres que je ne connais pas: Dans le jardin croissent et prospèrent quelques pieds du fameux Van-mou ou Lan-mou, ce prétendu Cèdre au bois incorruptible, dont ont tant parlé les anciennes lettres et descrip- tions de la Chine. A l'aspect général de la plante, à la forme et à l’odeur aro- matique de ses feuilles, qui sont persistantes , je reconnais que c’est un vrai Laurier, bien qu’à cette époque il n’y ait aucun des organes de fructification. Le Laurus nan-mou est un des plus beaux arbres qu’on puisse voir; il croît très-haut et très-droit. Son bois odorant, et inattaquable par les insectes xylo- phages, est très-recherché pour en faire des colonnes et des poutres d’une durée éternelle, d’après les Chinois. On peut voir près de Pékin, dans l’une des principales sépultures impériales des Ming, une trentaine de ces colonnes qui sont remarquables par leurs proportions gigantesques, et qui ont été transportées à grands frais autrefois du sud, maintenant le Nan-mou est devenu très-rare,

22 décembre. Quoique le ciel eût commencé hier soir à s’éclaircir par exception, ce matin il se met à pleuvoir fort et pour toute la journée.

Les deux prêtres chinois qui dirigent le Probatorium ont fait leurs études dans le collége de Moupin (où autrefois les Missionnaires étaient allés chercher un refuge contre Ja persécution des mandarins chinois). Ils me confirment qu'il y a le bœuf sauvage ? le Gaélu qu’ils nomment Onagre, le Chevrotin, le Faisan à camail blanc, le Lophophore ou Pae-mou-ki. Le mont

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Ta-shué-thang, aux neiges perpétuelles, ne serait qu'à peu de journées de Moupin. D’après ces mêmes messieurs, le Faisan ordinaire de Tchongkin n'a point de collier blanc; et en été ce pays serait fréquenté par un oiseau chanteur et imitateur, à couleurs belles et variées.

À cause du mauvais temps, je ne puis sortir de la maison : c’est dommage ! car une foule d'oiseaux se font entendre aux alentours. Cependant je parviens à capturer trois exemplaires du joli Abrornis à tête fauve et à croupion jaune, comme Île Reguloïdes chloronotus, dont il a la taille et les allures ; mais son cri est doux et plus fort.

A propos de Moupin, le P. m'apprend encore que dans les bois de ces montagnes vit un curieux quadrupède, fou, stupide, à jambes courtes et qui vit dans les trous et sur les arbres ; il crie comme un petit enfant, et pour cette raison, les Chinois le nomment Chan-tché-oua (Ailurus?). 11 me cite aussi une Salamandre gigantesque, Oua-oua-yu, qu'il a vu prendre autrefois et qui pesait une vingtaine de livres. C’est sans doute le poisson criant des habitants du Houpé et peut-être le même gros Batracien qu'au Japon. Il est intéressant, en tout cas, de vérifier son existence sur le grand continent.

23 décembre. Le temps se met au beau. Je passe la matinée parmi les Bambous et les arbres du jardin, à poursuivre les nombreux petits oiseaux qui les fréquentent. 11 y a un petit Phyllopneuste ou Abrornis d’un verdâtre obscur, que je ne parviens pas à acquérir; il est très-vif, toujours en mouvement et se cachant dans les feuilles et les broussailles les plus touffues; de nombreuses familles de Suthora et de Mésange à tête rousse, voyageant en compagnie des Roitelets à joues fauves. Je capture mon premier échan- tillon du Garrulax à joues blanches (G. Sannio). Le Pinson des Ardennes et le Pinson à masque noir sont abondants sur les Biota, dont ils mangent les pepins.

Après-midi, je retourne à la ville ; le temps est très-beau, et la vue des fleurs déjà nombreuses dans les champs fait rêver le printemps, quoique nous commencions à entrer dans l'hiver. En longeant une plage de gravier, un peu en haut de Tchongkin, j'observe que les caillous roulés y consistent en calcaire, en marbre et en porphyre rougeâtre et verdâtre.

En rentrant chez monseigneur Desflèches, je suis agréablement surpris d'y voir arriver en même temps mon ami M. Mihière, dont j'ai fait autrefois

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connaissance à Pékin. Ce digne missionnaire vient de Kouet-tcheou et doit se rendre par Canton dans la Mission du Kouang-si, dont il vient d'être nommé préfet apostolique. Avant d’aller à son nouveau poste, il a l'intention de faire le voyage de la capitale de l’empire, afin d'y obtenir des passe-poris en règle.

24 décembre. Pas de pluie, mais ciel couvert. Je fais mes préparatifs pour partir, après la fête, pour Tchen-tou.

M. Mihière m'engage à visiter le Kouey-tcheou, il dit qu'il y à beaucoup à faire pour l’histoire naturelle. Cette province ne renferme pas de hautes montagnes, mais consiste dans un immense plateau gonflé jusqu’à une altitude assez considérable ; il y existe encore pas mal de bois et de terrains vides. On y trouverait tous les Faisans de la Chine occidentale, et un autre gros Gallinacé inconnu, dit-il, appelé Ma-mou-ky. Les Tourterelles sont de trois ou quatre espèces. À Shuy-mou, près de Vgan-shuen, se trouve le Faisan Amberst, avec le Faisan doré, et un autre Faisan à panache rouge, qui différerait de ces deux espèces.

M. Mihière me dit que le printemps serait la bonne saison pour aller au Kouey-tcheou; qu'il faudrait partir par terre de Tchongkin, et qu’en huit Journées de route on arriverait à Tsen-yi, son ancienne résidence, il y aurait déjà un bon endroit pour collectionner.

25 décembre. Noël. Bonne journée, couverte le matin, sereine le soir. J'ai l'honneur de célébrer les Messes de minuit et de l'aurore, dans la chapelle de la résidence épiscopale ont afflué en grand nombre les chrétiens de la ville. À midi, nous sommes invités à diner chez les prêtres indigènes les principaux chrétiens veulent saluer et traiter les Missionnaires nouvellement arrivés, Pour moi, j'aime mieux passer ma journée en compagnie de monsei- gneur Desflèches et du vieux et gai M. Favan. Tous les deux m'indiquent le district de Longaufou, comme digne d’être exploré, à légal de Kouan-shien viennent à aboutir les principales productions des pays des Mantze.

26 décembre. Bonne journée sans pluie. On a loué une barque pour porter MM. Bompas et Pellé à Kia-tin ; il leur faudra chercher une autre embarcation pour parvenir jusqu’à Tchentou : c’est à leur obligeance que je confie mes malles, qui mettront environ un mois pour ce voyage. Quant à moi, je ne pourrai partir que demain à midi, par terre.

M. Mihière, qui a visité autrefois Tchentou, me recommande de m'y

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procurer les semences d’un arbre à blancs fruits ronds qu'on utilise quelquefois en guise de savon : je crois qu’il a tout bonnement en vue le Welia azederach, espèce déjà introduite en Europe.

27 décembre. Pas de pluie.

Monseigneur Desflèches, évêque de Sinite, vicaire apostolique de cette partie de la province de Setchuan, est un homme d’une santé délicate, souf- frant de rhumatismes fréquents; mais il est très-actif encore, et s'occupe beaucoup du chinois, qu’il connaît fort bien. Pour l'usage des missionnaires il a fait arranger et imprimer la carte de cette province sur une grande échelle; avec un volume de texte correspondant : c’est une reproduction, avec additions latines, de la grande carte réservée exclusivement pour l'usage des manda- rins. Elle comprend, mais d’une manière très-inexacte, toutes les principautés indépendantes de l'Ouest et du Thibet, et au delà. Monseigneur Desflèches n'a que cinquante-six ans, et cependant c’est l’un des évêques les plus anciens de Chine. M. Favan a une soixantaine d’années, et se porte assez bien depuis qu’il a été guéri de son indomptable insomnie de douze ans de durée. Il était arrivé en Chine en compagnie de notre confrère, monseigneur Baldus, vicaire apostolique du Kiang-si.

D'après ces messieurs et les Chinois du pays, le climat de Tchongkin n'est pas beau ; il y pleut fort souvent, en moyenne la moitié des jours de l’année. Le ciel y est habituellement nuageux ou brumeux, sans compter l’épaisse fumée produite par la houille qu’on y brûle. L’été y est fort chaud; et, cette année, on y a noté 43 degrés de chaleur à l'ombre. L'hiver est doux, et rarement le thermomètre descend à zéro degré, ou au-dessous. La tempé- rature de 6 degrés passe déjà pour du froid, et les habitants portent alors des habits de ouate et de peau. Les maisons de la ville sont bâties en partie en bois, qui vient ici par les fleuves et qui n’est pas cher. L'humidité y est pourtant très-grande, et toute la population se ressent du mauvais climat : on me dit qu'habituellement il y a une moitié des habitants de Tchongkin qui sont malades...

À propos des chrétiens, monseigneur de Sinite me parle de l’opposition qui a été organisée contre la conversion des païens : à Tchongkin personne ne peut embrasser le christianisme, sans se voir mettre à la porte de toutes les maisons et privé de tout emploi, de tout moyen pour vivre. Ailleurs on est obligé de retarder et d'empêcher par prudence les conversions en masse des

vin p

122 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

indigènes, de crainte de voir les nouveaux chrétiens maltraités, attaqués et incendiés, comme cela a eu lieu plusieurs fois dans la province.

C'est seulement à une heure et demie que tout est prêt pour nous mettre en route. M. Favan, procureur de la Mission, a fait avec un entrepreneur de voyages un contrat le plus avantageux possible, pour me transporter à Tchentou en dix ou douze jours. Ici, il n’y a pas de route carrossable, pas de voitures, pas de mulets, pas d’ânes, très-peu de chevaux et à l’usage des courriers. Tout se porte à dos d'homme, ou en brouette. On a loué trois hommes pour ma chaise et trois autres pour mes bagages indispensables et ceux de l’inséparable Pékinois qui m’accompagne (y compris, bien entendu, notre literie). Ces vigoureux porteurs font dix lieues par jour en moyenne, et se payent à raison de trois mille six cents sapèkes chacun pour le voyage en- tier. De plus, d’après l'usage qui fait loi, en arrivant à Tchentou, je céderai à mes porteurs la chaise qui a été achetée à mes frais ; en outre, tous les deux jours, je leur donnerai à tous un cadeau pour le pourboire, et à la fin du voyage un autre présent obligatoire de neuf cents sapèkes. Ici on a douze ou quinze cents sapèkes pour un taël, ou once d'argent; mais le taël y est plus fort qu’à Changhay et à Pékin. M. Favan a pris ses précautions pour me faire tenir mon argent à Tchentou, au fur et à mesure de mes besoins, sans être obligé de le porter avec moi; ce qui constituerait un grand em- barras et un danger véritable, surtout vers cette fin de l’année chinoise.

Ce soir nous ne faisons guère qu’une trentaine de lys de chemin, et nous nous arrêtons pour passer la nuit à Lao-tsaopou, pas loin d’une première chaine de petites montagnes d’où l’on extrait de la houille,

28 décembre. Cette nuit, il a soufflé d’abord un assez fort vent, puis il a commencé à pleuvoir; et nous avons de la pluie pendant tout le jour. Néanmoins nous cheminons assez bien sur la grand'route qui mène de Tchongkin à la capitale de la province : c’est un chemin dallé, large d'environ un mètre et demi. Comme le pays est tout montueux, une grande partie de la route consiste en escaliers. Pour épargner les forces de mes porteurs, je descends de ma chaise dans ces pas difficiles ; mais ces hommes n'aiment pas trop cela, je ne sais pourquoi. Ils ne sont pas sans doute accoutumés à cet acte de généreuse humanité, de la part de leurs clients chinois.

Aujourd’hui nous traversons deux autres chaînes de montagnes un peu plus élevées que celles d'hier et plus rustiques; elles sont assez boisées et

BULLETIN. 193

se trouvent à une quinzaine de lieues à l’ouest de Tchongkin. Par toutes ces montagnes on voit aussi des mines de charbon; j'ai vu des hommes portant de la houille très-noire, et d’autres de la houille grise. En examinant des morceaux de schistes carbonifères, j'y ai remarqué les mêmes traces ou empreintes de calamites que j'ai observées dans les spécimens de San-yu, près Pékin. Les montagnes que nous avons traversées à quatre ou cinq lieues de Tchongkin offrent des blocs de calcaire à veines blanches ; mais après reparaissent les mêmes grès gris ou jaunâtres, les mêmes marnes rougeâtres et verdâtres, que dans le lit du Yangtzékiang.

Les plantes que je vois sur les coteaux incultes consistent en Pinus sinensis, Cunninghamia lanceolata, Biota orientalis, deux Chênes à feuilles caduques et un Peuplier assez beau ayant de la ressemblance avec espèce à grandes feuilles du Nord. J'y vois aussi un composé ligneux à fleurs jaunes, et le premier Bambou que j'aie rencontré se préparant à fleurir. Les Bambous de Chine ne fructifient qu’une fois, et alors toute la bambouseraie provenant du même type meurt ensemble. Le Pteris à feuilles plus allongées que le Pi.-aquila est plus abondant ici que l'espèce commune.

Les petits oiseaux sont assez nombreux. Je n’ai rien vu de nouveau si ce n'est un grand Busard à croupion blanc, et un oiseau noir non reconnu ; peut-être un Drongo. Une compagnie de Garrulaæ sannio cherchait tranquil- lement sa nourriture derrière et sur une maisonnette de la campagne.

La pluie cesse vers le soir, et ‘nous faisons halte, pour la nuit, dans la ville de Laé-fong-yi. Avant d’y arriver, nous avons passé auprès d’une usine à porcelaine, un ruisseau Tait mouvoir la machine à écraser la pierre qu’on y emploie ; je crois que ce n’est autre chose qu’un grès blanchâtre que j'ai vu dans le voisinage. Le fait est que je n’ai aperçu nulle part ici de kaolin, de pegmatite ou de granit,

Aujourd'hui, chemin faisant, j'ai observé beaucoup de personnes dont la peau est aussi blanche que celle des Européens. En général, les habitants du pays paraissent être à leur aise et sont assez bien mis. Le long de la route nous avons rencontré souvent de beaux arcs de triomphe, construits avec d'énormes blocs de grès, artistiquement travaillés : quelques-uns de ces monuments feraient bonne figure même en Europe, pour leur forme élégante et plus élancée que cela n’a lieu d'ordinaire dans les constructions chinoises. On me dit que ces arcs, ou paé-lou, sont érigés par les communes ou par des

424 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

familles riches, soit pour perpétuer le souvenir de quelque grand acte de bienfaisance, soit le plus souvent pour célébrer la vertu et l’abnégation de quelque jeune fille ou veuve qui a refusé de se marier, pour mieux se dévouer au soin de vieux parents, ou de neveux abandonnés.

Parmi les pierres de taille qui pavent le chemin, j'en observe qui contiennent de nombreuses coquilles fossiles, qui forment souvent de jolis dessins sur les dalles polies par le frottement des passants. Mais ces coquilles sont si brisées el perdues duns la pâte de la roche calcaire qu’on ne peut y rien distinguer, si ce n’est que ce sont des fragments d'espèces marines très-anciennes.

29 décembre. 11 pleut toute la journée ; et le soir il neige au village nous nous arrêtons de bonne heure, à cause du mauvais temps.

Aujourd'hui nous voyageons toujours dans les petites collines, peu élevées et entièrement cultivées, qui occupent la plus grande partie de cette province et qui ont à peu près la même hauteur, en dehors des arêtes formées en divers sens par des chaînes de montagnes peu considérables. Ces colli- nettes innombrables, qui paraissent les restes d’un plateau, dont leurs sommets indiquent la hauteur, sont entrecoupées de vallées d'érosion formées par l’action séculaire des forces atmosphériques. Leurs couches horizontales de grès et de marne se correspondent partout, excepté dans les chaînes mon- tueuses les dépôts plus anciens ont été mis à nu. C’est dans ceux-ci que les formations carbonifères sont accessibles et qu’on exploite la houille.

Je rencontre encore des hommes portant dans des paniers et dans des sacs du charbon bitamineux d'excellente qualité, comme celui que j'ai observé précédemment à Sartchy, en Mongolie ; on en fait aussi du coke.

Tout le pays que nous parcourons aujourd’hui est admirablement cultivé. Les Fêves en fleur ont un pied de hauteur ; les petits-Pois sont aussi fleuris : le Froment est très-beau et abondant. Les Navets qu’on vend ici sont très- grands et excellents ; quelques-uns sont arrondis, les autres longs d’un pied avec le gros bout à la partie inférieure. Ce seraient plutôt des Radis que des Navets. Nous voyons aussi des champs couverts de Pavots, déjà hauts d’un pied.

En fait d'animaux, je rencontre ce matin un bel oiseau inconnu, qu'aucun naturaliste n'a signalé en Chine : c’est un Saxicola ou Dromolea, tout noir dessus et dessous, excepté à la queue qui est blanche à la base et aux côtés ;

BULLETIN, 125

il est un peu plus petit que le Merle et ressemble beaucoup au Sax-cachinnans de l’Europe méridionale. Il butinait dans les buissons et parmi les Fèves. En cas de nouveauté, je lui donnerais volontiers le nom de Dromolea imprevisa.

Dans les lieux incultes abondent lEmberiza ciopsis et l’'Emb. castaneiceps. Je trouve encore en quantité le Psaltria coucinna, en compagnie du Suthora ; le Drymoica extensicanda est aussi très-commun dans les légumes et les herbes vertes : c’est un oiseau familier et gai.

Nous n'avons fait dans la journée que soixante lys de route; l'endroit nous passons la nuit s'appelle Taé-can-tchang. C'est environ trois cents sapèkes que je dépense pour les frais d’auberge, en souper et chambre, pour moi et mon domestique ; le déjeuner et le diner ensemble nous ont coûté une centaine de sapèkes pour chacun. Ce total de cinq cents sapèkes, qui équi- valent à deux francs et demi, est la moyenne de mes frais quotidiens de nour- riture et d’auberge pour deux hommes. Je déjeune et dîne avec mes porteurs, au riz pur, ne pouvant digérer les fragments salés et pimentés de rave et de carotte dont ceux-ci l’assaisonnent; mais, le soir, je me paye le luxe de quelques œufs ou d’un peu de viande de porc, la seule qu’on trouve à acheter dans les centres populeux.

39 décembre 1868. Il à neigé la nuit, et il continue à neiger toute la journée; aussi ne faisons-nous, aujourd’hui encore, que soixante lys de chemin.

Vers midi, nous traversons la ville murée de Py-Chan, je crois, l’on nous dit qu’il y a des chrétiens et une résidence de missionnaire : le temps ne nous permet pas d'aller lui faire une visite. Au nord de cette ville s'étend, dans la direction du nord-est, une chaîne de montagnes assez boisées qui peuvent - avoir jusqu'à huit cents mètres d’élévalion au-dessus du reste du pays. Une autre chaîne apparaît au loin vers l'occident, en courant vers le sud-ouest, On exploite dans ces montagnes de la houille qui me paraît fort belle, d'après les échantillons que je rencontre sur la route. Vers deux heures nous traver- sons une rivière tortueuse, sur un beau pont de pierre planchéié et couvert d’un toit; et nous venons bientôt après nous arrêter au village de Hoang- kouo-chou (arbre au fruit jaune, ficus nitida). 11 continue à tomber de la neige, mais elle ne s’arrête que sur quelques toits de chaume; tandis que les mon- tagnes sont parfaitement blanches dans leur moitié supérieure.

Les roches du pays parcouru continuent à être du grès, dont la couleur

126 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

devient rouge ou bariolée çà et là. Il y a une profusion d’ares de triomphe, bâtis avec cette pierre, comme aussi d'énormes plaques couvertes d’inscrip- tions en l’honneur des âmes généreuses qui ont contribué à construire cette route, toute pavée de pierres de taille. Il est probable que c’est l'abondance et la bonté de la matière qui a porté les Chinois de cette contrée à ériger ces monuments dans lesquels ils déploient souvent un goût réellement artistique ; de même qu’en Grèce et en Italie, la facilité d’avoir le beau marbre a sug- géré de bonne heure l'idée de s’en servir jusqu'au point d’en faire des chefs-d'œuvre. Je pense que si les Grecs et les Italiens se fussent trouvés placés par la Providence dans les pampas d'Amérique ou sur les plateaux de Mongolie, ils n'auraient pas plus excellé dans les arts que d’autres peuples.

L’aubergiste chez qui nous dormons aujourd’hui est un grand amateur d'oiseaux de bataille. 11 élève dans d’élégantes petites cages deux espèces de Suthora : le S. webbiana, et la seconde, à tête rousse, qui provient de Junnau et de l'ouest du Setchuan, et dont le plumage général a une teinte plus grise que celui de son congénère. Les Chinois se passionnent pour les combats d'oiseaux, et attribuent des prix fous à ceux qui se battent bien; quelquefois la valeur d’un beau mulet! Les coqs, les perdrix fauves, les Copsychus et les Suthora sont les espèces le plus souvent élevées pour les combats. J'ai vu un de ces derniers, gros comme le pouce, se mettre en fureur à un petit sifflement de son maître; au point que la cage ayant été ouverte, au lieu de profiter de sa liberté, il se jeta sur la figure du pauvre Chinois et saisit si tenacement la peau de son front que nous eùmes toutes les peines du monde à lui faire lâcher prise sans emporter pièce.

31 décembre. La nuit est froide, mais la neige cesse, ma montre s'étant arrêtée et les nuages empêchant de voir la position de la lune, je me lève bien avant le jour avec mon domestique, qui (par raison de sécurité et d'économie} dort toujours dans la même pièce que moi. Nous avons depuis longtemps roulé et ficelé chacun notre lit, et préparé nos paquets; et nous attendons, en faisant nos prières de coutume, que nos porteurs viennent nous prendre pour partir au point du jour. Mais ceux-ci ne s’éveillent point, et la nuit continue longtemps à être noire, en nous laissant grelotter à notre aise dans notre humide taudis. J1 était à peine minuit quand je me suis habillé, impatient de regagner aujourd'hui le temps perdu par la pluie

BULLETIN, 127

et la neige; car, quoique nous nous trouvions à notre cinquième jour- née de voyage, nous ne sommes encore qu'à moins de trois cents lys de Tchongkin.

Le jour ayant enfin commencé à poindre, nous nous remettons en route par un beau temps, et, après avoir parcouru bravement quatre-vingts lys, nous venons dormir dans une grande auberge de la ville murée de Youn-tchang- shien. nous avons quelques difficultés avec l'aubergiste qui veut se faire payer plus cher que de coutume. 1l faut savoir que souvent les Chinois vendent leurs objets et leurs services non pas selon la valeur de la chose, mais selon l'importance et la richesse présumée de l'acheteur.

Rien de nouveau en route, si ce n’est que j’ai pris une musaraigne d’un noir de taupe, au bord d’une rizière. Outre les oiseaux ordinaires, j'ai ren- contré la bécassine commune, le héron blanc et des étourneaux qui me sem- blent différents de l'espèce de Pékin (Sturnus cineraceus) : c'est sans doute le St. sericeus dont je n’ai pas encore fait la connaissance.

1" janvier 1869. Ciel couvert; température douce. Fait plus de cent lys de roule ; passé plusieurs villes.

J'observe beaucoup de forgerons, de faiseurs de clous : le fer doit abon- der au voisinage, il est très-mou. Les champs semés de pavots paraissent devenir plus nombreux. Partout je vois porter de la houille, à dos d’homme et de bœuf; on commence aussi à rencontrer quelques mulets, qu'on dit provenir du Yun-nan. À mesure que nous nous approchons du centre de la province, le peuple a l’air plus industrieux et plus prospère.

Nous arrivons pour la nuit à la populeuse ville de Long-tchen-shien devant laquelle nous admirons sur une colline une tour blanche à neuf étages et plusieurs arcs de triomphe fort beaux, sous lesquels passe la voie publique ; quelques-uns de ceux-ci ont des colonnes de vingt-cinq à trente pieds, d’une seule pierre : c’est toujours le même plan d’architecture.

Long-tchen est très-grande ; elle a des portes doubles, plaquées de fer. Une rivière la sépare d’une seconde ville également murée et dont les portes sont aussi doubles et ferrées. C’est donc ici un centre considérable de popu-: lation. Les maisons des rues principales sont grandes et paraissent pros- pères : les auberges sont incomparablement plus belles que dans le nord de la Chine; les rues sont pavées de grandes dalles de grès.

J'observe dans les boutiques beaucoup de soufre, de gypse fibreux, de

128 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM, sulfate de fer, de l’arsenic rouge, etc. La houille vient des montagnes qui sont à l’ouest de la ville, pas très-loin.

Au sortir de la ville, nous avons encore à passer sous toute une série d’arcs de triomphe plus ou moins chargés de sculptures et d'inscriptions. Ces monuments, d’un style assez uniforme, ne laissent pas que de produire un effet imposant, dont on est étrangement frappé quand on a voyagé dans d’autres parties de la Chine, si pauvres et si monotones.

(La suite à un prochain fascicule.)

REMARQUES

SUR

L’IBIS SINENSIS

DE M. L'ABBÉ A. DAVID

PAR M. E OUSTALET

ATTACHÉ AU LABORATOIRE D'ORNITHOLOGIE

ant: .

{PLANCHE : VI

M. l’abbé David a envoyé récemment au Muséum un fort bel Ibis, qui lui semble différer, sous certains rapports, de l’/bis nippon, Temm., et il en a donné la description succincte dans une lettre datée de Shangaï, 10 mars 1872, et adressée à M. le professeur Milne Edwards ‘.

Cet Ibis, dit-il, est un mâle adulte, et présenté les dimensions sui-

vantes : Longuour:totale…. if: ta sie yetioe fr: slar Om, 78 CO HU OUPOFIE 2. 1 sonate gere = 0,64 DR MD, Ur ne ia se à À 2: 0,15 OU DÉS RS PORN Eee Mere 175

L'iris est rose jaunâtre, le bec noir et rouge à l'extrémité, les pieds et les ongles rouges. La tête, dans sa majeure partie, est nue et couverte d’une peau ridée rouge; la nuque est garnie d’une toufle de plumes effilées, de

1. Voyez Comptes rendus de l'Académie des Séiences, du 8 juillet 1872. 2. Cette mesure est prise de l'angle-dela bouche à l'extrémité du bec.

VII, q

130 © NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

couleur gris cendré, dont les plus longues mesurent A1 centimètres. La même teinte grise s’étend sur le dos et les ailes; elle s’éclaircit sur la poi- trine et passe au blanc sur le ventre; elle est remplacée par du rose orangé sur la queue, les pennes des ailes et les parties environnantes. On ne remarque pas, ajoute M. l’abbé David, de différences entre les sexes adultes, et les jeunes sont couverts d'un duvet cendré uniforme. Cet Ibis vit sédentaire dans la vallée du Tché-kiang, il se nourrit de petits poissons et de sangsues.

* I niche dans les endroits isolés, sur les arbres les plus élevés, et pond deux œufs que le mâle et la femelle couvent alternativement. Les parents veillent altentivement sur les pelits, jusqu’à ce que ceux-ci soient en état de voler, et les défendent contre leurs ennemis et en particulier contre les milans.

M. l'abbé David fait remarquer que, dans l’espèce nommée Mippon, suivant la description de Temminck, les adultes sont blancs et roses, et les jeunes de couleur grise, tandis que tous les individus adultes qu'il a eu l’oc- casion d'observer dans le Tché-kiang sont d’un cendré clair dans les parties supérieures, non-seulement au printemps, mais pendant toute l’année d’après les chasseurs. Aussi, sur l'étiquette jointe à l'individu qu’il a envoyé, le savant voyageur a inscrit :

« {bis nippon, Temm. ?? Q] vieux adulte. A cause de la couleur cendrée qui. orne les parties supérieures de l'oiseau chinois, et qui n’est pas indiquée dans l'Ibis du Japon, je propose le nom d’/bis sinensis pour cette race grise à toutes les saisons. »

Ayant pu étudier de près, dans le laboratoire d’ornithologie, le magni- fique exemplaire envoyé par M. l'abbé David, j'ai eu naturellement le désir de le comparer d’une part à la description et aux figures de l'Ibis nippon données par Temminck, de l'autre aux échantillons de la même espèce con- servés dans les galeries et dans les magasins du Muséum .

Nous devons à Temminck et à Schlegel deux belles figures de l’Ibis nippon; la première se trouve dans les planches coloriées (pl. priv), la deuxième dans la Fauna japonica (Aves, pl. Lxxt). Ces figures ont été exé- cutées, l’une d’après un individu en plumage parfait, rapporté par M. Bür- ger, l’autre d'après un exemplaire mâle adulte recueilli au Japon par M. von Sicbold, et conservé au Musée des Pays-Bas. Dans la première figure, celle des Planches coloriées, le bec est noir et sensiblement arqué, surtout à l'ex- trémité; la face est nue et colorée en rouge, la huppe est allongée et de

BULLETIN. 131

couleur grise, le cou blanc en dessous et grisâtre en dessus, le dos gris cendré, les couvertures des ailes d’une nuance plus élaire, les pennes primaires et secondaires teintées d’un rose assez vif, la queue rose en dessous, princi- palement dans la région médiane, la poitrine grisâtre, le ventre et les cuisses lavés de blanc et de gris.

L'autre figure diffère sensiblement de la première : la coloration géné- rale est plus blanche, le bec plus violacé, et les parties qui sont peintes en gris dans la première sont seulement d'une {einte salie dans la deuxième. Les rectrices intermédiaires, surtout dans le voisinage de la tige, sont com- plétement roses.

Voici, du reste, les descriptions données par Schlegel dans la Fauna japo- nica (p. 117) et par Temminck dans les Planches coloriées : Bec sensiblement courbé, d’un brun violacé, passant au roux à l'extrémité. Têle en grande partie couverte d’une peau nue qui monte, en longeant le bord postérieur de l'oreille, sur l’occiput, et qui s’avance en pointe jusque vers le menton, précisément sous l’aplomb de l'angle postérieur des narines; toutes ces parties nues Ont une belle teinte vermillon, de même que les pieds. Doigts antérieurs réunis à la base au moyen d’une membrane échancrée qui s'étend jusqu’à la première phalange de ces doigts. Ongles d’un brun de corne tirant au jaunâtre à la pointe. Queue faiblement arrondie. Première rémige de 44 lignes, deuxième de 6 lignes plus courte que la troisième, qui ne dépasse guère la quatrième, quoique celle-ci soit la -plus grande de toutes. La nuque est garnie d'une houppe toufflue composée de plumes longues, étroites, subulées et pointues par le bout, que l'oiseau a la faculté d’étaler en large coifle. Ces plumes occipitales, ainsi que toutes les parties supérieures du cou et le dos, ont une teinte: cendrée blanchâtre. Les grandes et les petites couvertures des ailes, de même que les longues plumes du recouvrement, sont d’un blanc très- faiblement nuancé de rose ; toutes les pennes des ailes et de la queue sont d'un beau rose clair, et les baguettes de ces plumes ont une teinte orange lustrée; les parties inférieures du corps, l'abdomen et les couvertures du dessous de la queue sont d’un blanc pur.

Temminck ajoute * :

« Le plumage des adultes est d’un beau blanc, offrant sur la queue et

4, Fauna japonica, Aves., p. 417.

132 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM.

les rémiges une jolie nuance aurore. On observe dans les jeunes individus une forte nuance couleur de plomb, sur le cou et le dos, et le blanc des autres parties est en général moins pur que dans les adultes. »

En parcourant récemment l'ouvrage de Radde ‘, j'y ai trouvé, au sujet de l'Tbis nippon, quelques renseignements fort intéressants. Le savant voya- geur raconte que, se trouvant, le 5 avril 1858, chez les Birar-Tunguses, non loin du poste de Kasatkena, il a eu l’occasion d'observer, au bord d’un de ces petits lacs si fréquents dans cette contrée, trois individus de l'espèce décrite par Temminck. Ces oiseaux se tenaient sur le rivage couvert de carex élevés, mais ils étaient très-farouches, et s’envolaient à la première alerle, en faisant briller au soleil la belle couleur orangée de leurs ailes et de leur queue; aussi, pendant deux jours, Radde et son compagnon, un chef Tunguse nommé Gantimur, firent-ils de vains efforts pour en approcher à portée de fusil; ils furent même obligés de renoncer à leur tentative, et ce n'est que plus tard que Radde put étudier, au Musée de l’Académie, un jeune individu de cette espèce, tué par M. Maak dans son voyage à l’Ussuri, en janvier 1859. Il en donne une description minutieuse, et, après avoir signalé quelques particularités dans la disposition des plumes qui limitent la porlio dénudée de la face, il dit? :

« Le plumage tout entier de ce jeune oiseau présente une belle couleur grise, à peine nuancée de jaune. Cette couleur est fort intense sur le cou, la tête et le dos, mais passe presque complétement au-blanc sur la région infé- rieure du corps, et principalement sur les couvertures du dessous de la queue et sur les cuisses. Les plames de la huppe, déjà fort allongées, sont également d’un beau gris, avec les tiges d’un brun noirâtre et quelques raies transver- sales très-étroites et plus ou moins étendues dans le sens de la largeur. En examinant attentivement les petites plumes du dos, de la poitrine et du ventre, on voit qu'elles ont la base d'un blanc pur et la tige blanche ; au contraire, la plupart des couvertures supérieures (surtout les grandes), de même que les plumes scapulaires et toutes les rémiges présentent déjà dans leur portion basilaire une belle teinte saumonée; cette couleur est encore plus vive sur la tige de ces OS DE ds A lola uuduust . ! 52

1. Reisen im Süden von Oit. Sibirien, in den Jahren, 1855-59 incl. von Gustav. Radde. Saint-Petersburg. 4863. P. 341 et 342 2. Radde, op. cit., p. 342.

BULLETIN. M :

Quant aux rémiges, la première et la deuxième sont presque entièrement d'un noir grisâtre dans leur moitié antérieure, et celte teinte sombre s'étend en mourant sur la portion terminale des rémiges 3 à 6, elle offre déjà un passage sensible à la nuance saumonée. Quelques vestiges la teinte noi- râtre se retrouvent aussi sur les plumes avoisinant le pli de l'aile, La queue, formée de douze pennes, est à peine arrondie à l'extrémité; les plumes qui la composent sont d’un rose saumoné à la base et d’un gris blanchâtre au som- met, la portion intermédiaire offrant des transitions insensibles d'une nuance à l’autre; la teinte grise de l’extrémité s'étend non-seulement sur les barbes, mais sur la tige elle-même. Les pieds sont robustes et relativement assez courts; dans le jeune oiseau ils sont d’une couleur brun-jaunâtre agréable à Pœil. »

Celle description, donnée par Radde, ne pourrait-elle pas convenir presque de point en point à l'Ibis envoyé par M. l'abbé David? Mais, avant d'insister sur ce fait, il convient d'examiner en détail les échantillons d'Ibis nippon contenus dans la collection du Muséum.

Le premier individu que l’on ait recu à Paris provient du Japon et a été échangé à Temminck ; on est, par conséquent, parfaitement certain de sa détermination spécifique. Dans cet exemplaire (g7), le bec, sensiblement arqué, est d’an noir à reflets violacés, dans la majeure partie de son étendue, mais la base et l'extrémité, qui sont maintenant décolorées et d’une nuance d'ocre jaune, étaient probablement, dans l'oiseau vivant, d'une nuance plus moins rougeâtre. De même la face, qui est dénudée jusqu'en arrière des oreilles, et couverte d’une peau ridée et comme parcheminée, avait sans doute une coloration beaucoup plus vive. La nuque est ornée d’une aigrette de plumes étroites, un peu repliées en gouttières, et dont les plus longues mesu- rent 40 centimètres; ces plumes sont d’un blanc sale. La même teinte s'étend sur le devant du cou, le ventre et les couvertures des ailes; mais les plumes scapulaires sont d’une nuance plombée. Les rémiges et les rectrices sont d’un blanc grisâtre, avec la tige d’un rose orangé. Le ventre présente aussi quelques reflets rosés. Les tarses et les pieds, dont la coloration primitive est effacée, sont maintenant d'une teinte jaunâtre, ainsi que les ongles.

Il ya dans les galeries du Muséum un deuxième exemplaire d'Ibis nip- pon (o7 adulte?), dont la conservation ne laisse rien à désirer ; il a été envoyé des environs de Pékin, en 4867, par M. Fontanier.

134 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

Le bec de cet oiseau est d’un noir violacé, assez fortement arqué, pris- matique à la base et arrondi à l'extrémité qui est rouge. La peau nue et r'dée sur le front, qui revêt la face, dessine une sorte de masque, d’un beau rouge vermillon, derrière lequel commence une huppe fort élégante, com- posée de plumes effilées, de 5 à 9 centimètres de long. Ces plumes ont leurs bords légèrement enroulés et semblent se continuer, dans la région postérieure du cou, par d’autres plumes plus larges, à barbes très-déliées, qui s'étendent jusqu'à l’origine des plumes scapulaires. Celles-ci sont étalées, aplaties et d’un blanc jaunâtre, tandis que les couvertures des ailes, la poitrine et le ventre ont des reflets roses. On remarque aussi sur le ventre des plumes longues et soyeuses. La première rémige de chaque côté est tout entière d’un gris légè- rement rosé avec la tige couleur de chair; la deuxième présente déjà le long du bord externe et du bord interne des taches roses claires ; la troisième n’a plus de gris que dans le voisinage de l'extrémité, et la quatrième est entière- ment d'un blanc rosé, sauf un ou deux points obscurs. Enfin les autres pennes primaires et les secondaires sont complétement roses, avec Ja tige orangée. Les rectrices ont les mêmes reflets couleur de chair, surtout dans le voi- sinage de la tige. Les pieds sont d’un beau rouge vermillon, avec les ongles bruns. |

Enfin, parmi les oiseaux en peau des collections du Muséum, il se trouve un troisième Ibis nippon (,0?) envoyé du nord de la Chine, en 1854, par M. de Montigny, et présentant, exactement comme le précédent, des pas- sages de la teinte grise à la teinte couleur de chair sur les pennes primaires des ailes : en effet, la première de ces rémiges est grise dans toute son étendue, sauf le long du bord interne ; la deuxième offre en dedans une bande claire beaucoup plus allongée; la troisième n’est tachée de brun que près du som- met, et la quatrième est entièrement blanche ou plutôt rosée. La face supé- rieure de la queue, dans sa portion médiane, et la face interne des ailes sont d’une belle nuance rose. Le reste du plumage est d’un blanc rosé : cette teinte est un peu salie sur les couvertures des ailes et nuancée de jaunâtre sur la poitrine.

Si maintenant je mets en regard d’une part les dimensions de l’{bis nippon , telles qu’elles nous sont données par Temminck et par Radde, et telles que j'ai pu les mesurer sur les exemplaires du Muséum, de l’autre les dimensions de l’/bis sinensis, indiquées par M. l'abbé David, et vérifiées sur

BULLETIN. 135

l'individu envoyé par le savant voyageur, j'obtiens le tableau comparatif suivant ! :

IBIS IBIS NIPPON. TEMM. SINENSIS À. Day. s u LA n E £ 8 a f meneriiies ax. DV a 2 ‘a + DU MUSÉÈUM MUSÉUM æ (1) (2) (3) Longueur totale 0,792 0,636 0,800 0,700 0,780 0,780 Longueur de la queue..,......,, 0,158 0,165 0,150 0,130 0,105 0,150 Longueur du bec?.............. 0,169 0,143 | 0,135 0,155 0,155 0,175 Hauteur du bec 0,022 0,026 0,030 0,020 0,023 0,025 Largeur du bec 0,022 0,026 £,030 0,020 0,022 0,025 Longueur du tarse ses 0,079 0,077 0,084 0,079 0,072 0,080 Longueur du doigt médian...... 0,063 0,063 0,072 0,068 0,072 0,068 Longueur de l’ongle de ce doigt. . 0,013 0,014 0,015 0,013 0,012 0,012 Longueur du pouce 0,022 0,024 0,032 | 0,027 0,028 0,026 Longueur de l’ongle du pouce.... 0,009 0,013 0,012 0,012 0,011 0,012

Que résulte-t-il de toutes ces données ? Évidemment que l’Ibis nippon est sujet à diverses variations, COmme taille et comme plumage; que les jeunes individus, comme Temminck le constate, ont une forte teinte plombée sur le cou et sur le dos, et toutes les autres parties d’un blanc plus ou moins sale, tandis que les adultes sont blancs avec des nuances roses, principalement sur le milieu dés rectrices et des rémiges; qu’enfin il est souvent facile de retrouver chez ces derniers, au moins sur les pennes primaires, des traces de la livrée grise du jeune âge. Mais il y a un certain nombre de caractères qui ressortent de la description de Temminck et qui ne font défaut dans aucun des individus que j'ai eus sous les yeux, par exemple : la face nue jusqu'en arrière des oreilles, couverte d'une peau ridée, principalement sur le front, et colorée en rouge vermillon, le bec sensiblement arqué, d’un noir violet, avec la commissure et l'extrémité rougeâtre; la nuque ornée d’une aigretle de plumes étroites et

4. Les mesures évaluées en pouces ont été coaveriies en millimètres. 2. Cette mesure est prise de l'angle de la bouche à l'extrémité du bec.

4136 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

subulées, la tige des rectrices et des rémiges de couleur orangée, les tarses écailleux et d’un beau rouge vermillon, etc. Or, ces caractères se retrouvent exactement les mêmes dans l’/bis sinensis, et celui-ci, présentant les mêmes dimensions en moyenne, ne se distinguerait du véritable Nippon que par la coloration grise de son plumage qui subsisterait à tous les âges, au lieu de disparaître d'assez bonne heure, comme chez ce dernier, en ne laissant de traces que sur les grandes pennes des ailes. Mais est-ce une différence suffisante pour établir une nouvelle espèce en faveur des Ibis du Tché-kiang, maintenant surtout que l’on sait qu’un assez grand nombre d'oiseaux sont susceptibles de se reproduire sous la livrée du jeune âge? Je ne le crois pas, et en émettant cette opinion, je suis heureux de pouvoir m'appuyer sur l'au- torité incontestée de mon savant maître M. J. Verreaux, qui serait porté à con- sidérer l'individu envoyé par M. l'abbé David comme un jeune de lIbis nippon. Sans aller tout à fait aussi loin, ne pourrait-on pas admettre que l'Ibis sinensis de M. l’abbé David n’est qu'une race locale de l’/bis nippon, race dans laquelle les individus, sous l'influence d’un climat, d’une nourriture, d’un genre de vie particuliers, conserveraient très-longtemps, sinon toute leur vie, cette livrée grise qui dans d’autres parties de la Chine et au Japon dis- paraît après la mue? Car, il faut bien le remarquer, l’Ibis nippon n’est pas, comme le croyait Temminck, une espèce spéciale au Japon et aux îles de la mer de Chine; elle a été déjà rencontrée non-seulement dans le Céleste Empire, comme le prouxent les échantillons envoyés au Muséum par MM. Fon- tanier.et de Montigny, mais encore dans la Sibérie orièntale, comme l’indiquent les individus observés par Radde ; il n’y a donc rien d'étonnant à ce que cet oiseau se trouve aussi dans la province de Tché-kiang. Si l’on admet ces con- clusions, il y a lieu d'adopter pour l’/bis nippon la diagnose suivante :

Adult. : Alba, remigibus roseo-linctis, rachidibus auroreis, occipite longe cristato, facie nuda, rostri nigri base apiceque flavis; pedibus fusco rubentibus.

Juv. : Fusco-cinerea, remigibus pallide cinereis, rachidibus auroreis, facie nuda, rostri nigri base et apice flaventibus, pedibus brunneo vel fusco rubentibus.

. Var. sinensis : Omni ætate juveni simillima. Syx. : bis nippon, Temm., col. 551: Temm. et Schleg., Faun. japon., Aves, p. 447 et pl. Lxx1. Schleg:, Handi., Dierk., p. 84, pl. vi. = Schleg. de Dier., p. 244.

BULLETIN. 137 Geronticus nippon, G. R. Gray, List. Birds Brit. mus. (1844), 4 II, p. 9. Nipponia Temmincki, Reich. Syst. av. pl. exLt, p. 538. Nipponia nippon, Bp. Consp. av. (1 855), t. IL, p. 452. Ibis mppon, Rob. Swinhoë, bis (1861), p. 261, 20. Blackiston, Jbis (1862), p. 331, note. Rob. Swinh., Proc. zool. Soc. (1863), p. 348, 3241. Schleg., Mus. Pays- Bas (1863), p. 9. Rob. Swinh., /bis (1867), p. &13, note. Radde, Reise mi Süd. von Ost.- Siber. (1863), p. 541. Geronticus (Nipponia) nippon, G. R. Gray, Hand-list gen. and sp. B. Brit. Mus. (1871), t. TE, p. 40, 40232. Toki des Japonais, Var. : Jbis sinensis, A. Dav., Comples rend. Ac. scienc. du 8 juillet 4872.

PROVENANCE : Japon (1849), par Temminck. Province de Tché-ly, environs de Pékin (1867), par M. Fontanier. Chine septentrionale (1854), par M. de Montigny. Sud de la Sibérie orientale, Birar-Tunguses, Urgun (1858), d'après M. Radde. /4., Ussuri (1859), par M. Maack. Province de Tché-kiang (1872), par M. l'abbé David.

ADDITIONS

AU JOURNAL DU VOYAGE

DE M. L’ABBÉ ARMAND DAVID

PAR

M. J. VERREAUX.

La description des oiseaux de la collection de M. l'abbé David, qui sont nouveaux pour la science, et qui ont été insérés dans le précédent volume de ce recueil, n’a pu être accompagnée de figures; mais aujourd'hui il m'est possible de remplir en partie cette lacune regrettable, et je m'empresse de

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138 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM.

profiter de cette circonstance pour faire représenter les espèces dont les noms suivent et dont les caractères ont été indiqués dans l’article sus-men- tionné.

EXPLICATION DES PLANCHES

PLANCHE LI.

1. Picus Mursi, J. Verr. G Fig. 2. Picus Mursi, J. Verr. © 3. Picoides funebris, J. Verr. G juv.

PLANCHE Il.

1. Milna Jerdonii, J. Verr.

2. Proparus Swinhoëi, J. Verr. Fig. 3. Mecistura vinacea, J. Verr.

k. Alcippe pϾcilotis, J. Verr.

PLANCHE III.

4. Suthora qularis, J. Verr. . . 2. Suthora Alphonsiana, J. Verr. Fig. 3. Yuhina diademata, J. Verr. 4. Carpodacus Edwardsii, J_ Verr.

PLANCHE IV.

Fig. 1. Carpodacus vinaceus, J. Nerr, & Fig. 2. Carpodacus vinaceus, J. Verr. @ Fig. 3. Carpodacus trifasciatus, 3. Verr. &

PLANCHE V.

1. Parus Pekinensis, J. Verr. 2. Silva ruficapilla, J. Verr.

Fig. 3. —" Alcippe cinereiceps, J. Verr. 4. Mecistura fuliginosa, 3. Verr.

FIN DU TOME HUITIÈME.

TABLE DES MATIÈRES

MÉMOIRES.

4. Recherches pour servir à l’histoire des Lombriciens terrestres, par M. E. Perrier, . 1 2. Ostéologie du Sphargis luth (Sphargis coriacea), par M. Paul Gervais. . , . . . 499

3. Recherches sur la Faune carcinologique de la Nouvelle-Calédonie, par M. eue NUOS BONE see ve. . rex Vars Nid “+. 229

BULLETIN.

4. Journal d’un voyage dans le centre de la Chine et dans le Thibet oriental, par

M. l'abbé Armand David, correspondant du Muséum d’histoire naturelle. . 2. Remarques sur l’Ibis sinensis de M. l’abbé A. David, par M. Oustalet. . . . . . . 129 3. Additions au journal du voyage de M. l’abbé A. David, par M. J. Verreaux. . . . 137

TABLE DES PLANCHES.

MÉMOIRES.

PI. 4, 2, 3, 4. Lombriciens terrestres.

PI. 5, 7, 8, 9. Sphargis coriacea.

PI. 40. Schizophrys aspera; Cyclomaia margaritata.

PI. 44. Micippa Thalia: M. Philyra; M. Spatulifrons; Microphrys Styx.

PI. 12. Xenocarcinus tuberculatus; Picrocerus armatus; Criocarcinus superciliosus. PI. 43. Picrocerus armatus.

PI. 44. Hvyastenus Oryx; Geratocarcinus dilatatus: Lambrus sculptus. L, Affinis.

BULLETIN.

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. 4. Picus Mursii; Picoïdes funebris.

PI. 2. Milna Jérdoni; Proparus Swinhœi; Mecistura vinacea; Alcippe pæcilotis.

PI. 3. Suthora gularis; S. Alphonsiana ; Yuhina diademata ; Carpodacus Edwardsii. PI, 4. Carpodacus vinaceus; C. trifasciatus. ;

PI. 5. Parus Pekinensis, Silva ruficapilla Alcippe cinereiceps; Mecistura fuliginosa. PI. 6. Ibis sinensis.

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