^^ NOTES ET NOTICES Sar l'Expédition scientifique des Anglais au pic de Ténériffe, en 1856. Sur POrig^ine des Espèces. iSur « Toulon , port de mer. n Sur l'Ouvragée de lliss IVig^htingale, intitulé : « UTotes on IVursing^. » Traduction d'un article du Tktaiv sur les Aquariumi. PAR J.-P.-A. MADDEN Membre de la Société des Sciences Naturelles de Seine- el-Oise. Agrégé de l'Université impériale. VERSAILLES IMPRIMERIE DE E. AUBERT 6, AVENUE DE SCEAUX. I86Z1 Ô D 1 8b 4- THE LIBRARY OF THE UNIVERSITY OF CALIFORNIA LOS ANGELES GIFT OF Dr. Elmer Belt NOTES ET NOTICES NOTES NOTICE S Sur l'Gxiiéilitiuu scieutifique des Anglais au pic de Ténériffe, en 1856. Sur l'Oris^ine des Espèces. Sur u Toulon, port de mer.» Sur l'OuTrajSi^e de Miss ^'i^htingale, intitulé : <( ^'otes on Mursing. » Traduction d'un article du TlTJklIi sur les Aquariunio PAR J.-P.-A mADDEN Kembre de la Société des Sciences Naiurelies de Seine-ei-Oisc, Agrégé de l'Universilé impériale. i VERSAILLES 1 M r r> 1 M !■: ii i v. de e . a 1 1? f. n i 0, AVEM'I-; IVE SCKAIX. 18G/1 Les quatre premiers articles de cette brochure ont été écrits sur la demande du directeur d'une Revue ; ils devaient s'intituler : Re- vue des Revues anglaises. Ce directeur garda plusieurs mois, sans l'imprimer, le manuscrit que je lui avais v^tm?, plusieurs jours avant l'époque qu'il m'avait assignée. (Il me les avait demandés le 5 mai 1860 et les reçut quinze jours après.) Le manuscrit me fut enfin restitué. Je n'ai jamais rien demandé à personne, pas même à faire impri- mer mes éiucubrations dans les Revues contemporaines; mais il paraît que cette discrétion ne suffit pas à qui tient à sa dignité; il faut de plus savoir refuser comme niaises ou insidieuses, les offres de ***. La Société des Sciences naturelles de Seine-et-Oise, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir depuis 1836, aprî's avoir entendu la lec- ture des deux premiers articles, en demanda l'impression dans ses Mémoires. J'en fais faire un tirage à part et j'y joins les deux derniers arti- cles, ainsi qu'une traduction que j'ai faite d'un article du Titan sur les Aquarium. J.-R-A. Madden, Agrégé de l'Université impériale. Versailles, diinanclie des Hameaux J80i. EXPÉDITION SCIENTIFIOUE DES ANGLAIS PIC DE TENERIFFE Communication lue à la Société des Sciences naturelles de Seine-et- Oise, dans ses séances des 20 et 27 mars 1860, PAK m. IVIADDEN. Une expédition scientifique après celle de Crimée. — Comment on voit les étoiles à 3,000 mètres au-dessus de l'Océan. — Comment J.-B. Morin vit, le premier, les étoiles en plein jour. — Il y a, dans l'atmos- phère, des régions de calme. — Nuages de poussière jaune, sans doute le Pollen des végétaux africains. — Oubli singulier d'un astronome. — La lune exerce de l'influence sur le temps. — M. Piazzi Smyth et sir John Herschel ont raison contre Arago. L'astronomie physique devait naître dans les vastes plaines de la Chaldée, au centre d'un horizon sans bornes, sous un ciel calme et limpide, pendant ces nuits rafraîchies par un immense rayonnement et où l'homme, accablé du poids du jour ei de la chaleur, peut enfin respirer libre- ment un air réparateur. Là se trouve, en eiïet, son berceau, mais elle a grandi sur un autre sol, et Kepler, le père de la science, obser- vait sous l"épais ciel germanique et au milieu des brumes de la Vistule ; aussi lui, qui traça le premier l'orbite de Mercure, paradoxe étonnant, mais vérité historique, ne vit jamais cette planète que des yeux de son génie. Newton, qui s'éleva plus haut encore que Kepler, observait sous un ciel où l'astronome doit disputer à des légions de nuages et de brouillards quelques heures furtives pendant quel- ques nuits privilégiées. Même lorsque ces rideaux impor- tuns se déchirent et laissent entrevoiries étoiles, l'atmos- phère de nos climats, soumise à d'incessantes variations de température et de pression, est agitée par un mouvement de trépidation désespérant pour les observateurs. New- ton l'avait dit lui-même : l'unique remède k ces maux est un ciel pur et tranquille, au-dessus des couches des plus épais nuages, tel qu'on le trouve sur la cime des monta- gnes les plus élevées. On résolut en Angleterre de tenter l'expérience. La guerre de Crimée était finie, la paix con- clue; c'était au printemps de 1856. Tout le monde fit son devoir pour favoriser l'expédition , ministres , savants , riches et ouvriers. Les nouveaux argonautes partirent à la conquête de leur toison d'or, à bord du yacht Titania(\\\e. leur avait prêté M. Robert Stephenson, sous la direction scientifique du professeur Piazzi Smyth. Le premier lord de l'amirauté leur avait procuré 500 livres sterling et les autorisations nécessaires de la part de la cour d'Espagne; car c'était vers Ténéritfe qu'ils faisaient voile. Ils empor- taient avec eux une cargaison d'appareils de la plus rare perfection et que leur donnaient les plus illustres savants de l'Angleterre : l'astronome de la reine, M. Airy, sir David Brewster, l'amiral Fitz Roy, etc. ; ils arrivèrent à Santa Cruz de Ténériffe le 8 juillet. On sait que cette île est la plus grande des Canaries et que son pic célèbre, qui a 3,808 mètres d'élévation, se voit de 180 kil. en mer. Ils commencèrent par s'établir à Guajara,sur le bord du grand cratère à la hauteur de 2,715 mètres, afin de mesu- rer la puissance de la vision de leurs innlrumenls, dans cette atmosphère élevée. Si le lecteur se rappelle que les — u - étoiles des six premières grandeurs sont les seules visibles à l'œil nu, et qu'à partir de la septième commencent celles qui exigent, pour la plupart des yeux, l'emploi d'une lu- nette, il couiprendra sans peine les résultats obtenus; ainsi M. Piazzi Smyth n'avait jamais réussi, à l'observatoire d'Edimbourg, à voir une étoile de onzième grandeur, la compagne d'à (alpha) de la Lyre, même dans les nuits les plus favorables et quand l'étoile n'était qu'à 5° du Zénith, tandis qu'avec le même instrument et les mêmes yeux, à Guajara, à 2,715 mètres d'élévation, l'étoile étant à 25° du Zénith, la compagne d'à (alpha) se voyait aisément et plus aisément même que la compagne de la Polaire, étoile de neuvième grandeur, ne se voyait à Edimbourg. On put aussi observer des étoiles des douzième, treizième et quatorzième grandeurs; celles de quinzième et seizième grandeurs restèrent invisibles. • Ainsi la science avait conquis quatre classes de grandeurs! les étoiles doubles, formant système, se dédoublaient net- tement à la station de Guajara; plus haut encore, à Alta- Vista, à 3,260 mètres, des étoiles doubles, à moins d'une seconde de distance, se voyaient distinctement écartées l'une de l'autre. Ce qui favorisait le dédoublement de ces étoiles binaires ce n'était pas seulement la station élevée au-dessus des couches les plus épaisses des nuages et des brouillards, c'était aussi la sécheresse extrême de l'air; le moindre dépôt de rosée sur un objectif éteint la netteté de la vision ; mais là l'atmosphère était tellement privée de vapeur aqueuse que la formation de la rosée était physi- quement impossible. On se rappelle qu'un jour, il y a environ 200 ans, Morin, cet obstiné défenseur du système de Ptolémée, dirigea une lunette d'un pied et demi et non d'un demi- pied, comme le dit Delambre, vers la belle étoile d'Arc- — 5 — tiirus; c'était le soir, et Arcturus descendait vers l'horizon. Il voulait le voir en plein jour, et il le vit. Sa joie fut si grande que d'un coup de pied il renversa sa lunette; il sentait qu'il venait de doubler la vie des astronomes ! M. Piazzi Sniytli fit aussi des observations d'étoiles en plein jour, mais les résultats ne surpassaient pas de beau- coup ceux des observations d'Edimbourg. Cependant il en vit beaucoup plus qu'en Ecosse ; mais ce qui le frappa davantage fut l'éclat incomparable des étoiles de première grandeur, de Sirius, par exemple. Il ne vit pas le ciel d'un azur foncé presque noir, comme sur le sommet des Alpes, bien qu'à la hauteur de 3,720 mètres. A l'œil nu, à la station de Guajara, les étoiles illumi- naient la voûte des cieux d'un éclat resplendissant. Jupi- ter, après minuit, brillait d'une lumière incomparable, et cependant on ne pouvait distinguer ses satellites. Tel était l'aspect de la lune, que l'observateur éprou- vait invinciblement la sensation que notre satellite est plus près de nous que les étoiles. Les étoiles filantes res- semblaient à des étincelles d'un feu rougeâtre, sillonnant les airs, et la scintillation des étoiles était beaucoup moin- dre que lorsqu'on les voit de la plaine. Si l'on se rappelle ici que la scintillation est pour les matelots l'avant-cour- rière infaillible de la pluie après la sécheresse, on com- prendra la raison de leur conviction. Ainsi, la hauteur des stations favorisait incontestable- ment les observations astronomiques, mais la violence des vents, si l'on ne pouvait s'y soustraire, devait neutraliser cet avantage ; on sait, en eftet, que c'est entre les 10" et 30* degrés de latitude que se développe surtout le phéno- mène des vents alises, et que la latitude du pic es^ de 28° et quelques minutes; aussi les sommets infé- rieurs de Ténériffe sont-ils exposés à toute leur violence, — 6 — dont le fameux dragounier d'Orotava, ce patriarche des forêts de la terre, éprouve éternellement les effets; mais .un peu plus haut leur fureur s'apaise, et plus haut encore se trouve une couche neutre qui sépare l'alise inférieur, dont la direction est N.-E. , de l'alise supérieur ou S.- O. Cette région du calme est à 3,000 mètres au-dessus de l'Océan, et Guajara en est très voisine ; il arriva cependant qu'un matin l'alise nord -est y souffla pendant plusieurs heures avec une vitesse de douze lieues à l'heure. Ce fut donc à Alta-Vista que M. Piazzi Smyth établit son poste astronomique à 3,264 mètres d'élévation. Un autre obstacle vint se joindre au vent; c'était un brouillard sec de poussière qui rendait surtout impos- sibles les observations diurnes. Il se présentait en couches étagées et isolées, entre lesquelles on voyait distincte- ment l'atmosphère; sa couleur par transmission était d'un jaune citron terne. D'où venait-il? où allait-il? M, Piazzi Smyth l'ignore. Il est regrettable qu'on n'ait pas cherché à l'examiner pour découvrir sa composition; mais si l'on remarque sa couleur jaunâtre, sa présence surtout après le printemps et la région où il se montre, dans le voisinage du iVlaroc qui s'étend au nord-est, on pourra conjecturer que ces amas de poussière ne sont autre chose que le pollen des végétaux du continent accumulé et chassé par le vent alise, et conservant pendant quelque temps une forme stable, sous l'influence de forces élec- triques. Cette conjecture pourrait s'appuyer sur des faits analogues; ainsi il tomba,aucommencementde mai 1823, à Craiishem et aux environs, dans le Wurtemberg, une pluie de poussière jaune qui, vue au microscope, se com- posait de globules semblables au pollen des arbres verts. Au mois d'avril 1827, il tomba, non loin du mont Araralh, en Perse, une pluie de graines qui formait en quelques en- _- 7 — droits une couche de six pouces d'épaisseur ; elle pu!, ser- vir d'aliment à des moutons et à des hommes. Elle pro- venait d'un lichen. Quoiqu'il en soit, ces brouillards étant au-dessous de la station d'Alta-Vista, M. Pinzzi Smyth put examiner près du Zénith la planète de Jupiter, Elle lui offrit un bien au- tre aspect qu'aux observateurs d'Europe ; il en distinguait nettement les bandes, et quand un des quatre satellites venait h glisser sur la surface du disque brillant, son om- bre s'y dessinait nettement en une tache très noire. Il re- connut aussi que les espaces brillants, entreles bandes pa- rallèles, ne sont pas autre chose que des nuages chassés par les vents alises de la planète et présentant à l'obser- vateur les mêmes apparences que ceux qui glissaient sous 'ses pieds, chassés par l'alise terrestre. Les observations du soleil offrirent de grandes difficul- tés : l'astronome et sa lunette étaient exposés en plein air à l'action des rayons directs; rien dans cette limpide at- Bdosphère n'en tempérait l'ardeur; aussi l'oculaire s'é- chauffait-il au point de ne pouvoir être impunément tou- 'ché, et le voile noir dont il fallait se couvrir la tête brûlait, et sa fumée irritait les yeux de l'observateur. M. Piazzi Smyth voulant obtenir une image photographi- que dusoleil, sans pouvoir y réussir complètement, ajoute: Je trouvai, par une série d'expériences, le résultat très Inattendu que Voici : « Le foyer chimique dé la lunette était plus éloigné de 1/2 pouce que le foyer optique ». Le savant astronome, en écrivant ces mots, avait assurément oublié que dès le mois de mai ISkU, c'est-à-dire plus de douze ans auparavant, M. Claudet avait soupçonné d'a- bord, puis démontré expérimentalement, quele foyer d'ac- tion photogénique ne coïncide pas avec le foyer lumineux, et qu'il était parvenu à déterminer d'avance, pour un ob- jectif donné et pour chaque dislancedesobjets, le foyer dac- tion photogénique avec la certitude d'un succès infaillible. M. Piazzi Srayth arriva aussi à une conclusion opposée à celle d'Arago sur la question de l'intensité de la lumière du disque solaire : il trouva, par différents procédés, que le milieu est incontestablement plus lumineux que les bords, et que la lumière centrale est blanche, tandis que celle des bords est jaunâtre. Je terminerai cette revue très sommaire de la savante communication de l'astronome royal par la mention de l'opinion de M. Piazzi Smyth sur l'influence de la lune. C'est une croyance universelle et qui remonte aux pre- miers laboureurs et aux premiers navigateurs, que les phases de la lune amènent toujours des changements de temps. Les savants, et surtout Arago, n'ont jamais partagé cette opinion. Sir John Herschel toutefois semble donner gain de cause aux deux partis rivaux i\ la fois ; l'observa- teur, placé au niveau de la terre, ne peut constater l'in- fluence de la pleine lune pour dissoudre les nuages, parce que les rayons qu'elle nous envoie à la néoménie ont perdu leur chaleur en traversant les couches supérieures de nuages, et arrivent épuisés aux couches voisines de la surface du globe ; mais ces mêmes rayons, quand ils com- mencent à pénétrer dans l'atmosphère, peuvent dissiper les nuages par leur chaleur qui est encore entière. M. Piazzi Smyth a en effet observé à. Guajara que, la nuit de la pleine lune, tous les nuages de l'étage supérieur ta cette station disparaissaient jusqu'à la dernière particule, ce qui n'empêchait pas ceux des couches inférieures de per- sister pendant toute la lunaison. Ainsi la chaleur des rayons lunaires, qui peut agir sur des couciies très éle- vées dans l'atmosphère, arrive inerte aux couches les plus basses, flottant à 7 ou 800 mètres au-dessus du niveau des mers. ORIGINE DES ESPÈCES Communication lue à la Société des Sciences naturelles de Seine-et-Oise, dans sa séance du 15 mai 1860, Qu'est-ce qu'une espèce dans le règne végétal et dans le règne animal? — Définition des naturalistes bibliques et des naturalistes sceptiques. — Le Tclliamed, de Demaillet, adopte la métamorphose des espèces. — La Bévue de Westminster traite Moïse de demi-barbare. — Comment un ours devient une baleine. — La terre s'est peuplée de plantes et d'animaux à des époques successives et en des lieux différents. — Depuis 7,000 ans les espèces n'ont pas changé. — Comment la nature bâtit un archipel ou un monde nouveau. — Quels mineurs et quels maçons elle emploie. — Il existe aujourd'hui des espèces d'animaux identiques depuis plus de 30,000 ans! — Comment les abeilles, les mulots et les chats contribuent à la fertilisation des prairies artificielles de l'Angle- terre. — Comment les hérons et les canards peuplent les lacs et les rivières de coquillages et de plantes d'eau. — Fécondité d'une poignée de limon. Il n'est personne qui ne sache ce que c'est qu'une es-/ pèce, soit dans le règne végétal, soit dans le règne ani- mal, et on le sait d'autaul mieux qu'on ne l'a pas appris dans un livre, mais par sa propre observation ; ainsi les lis que vous cultivez viennent de lis tout à fait semblables, et le chien, votre auxiliaire à la chasse, ne descend-il pas de quadrupèdes en tout pareils à lui : cette série de lis qui se succèdent d'année en année, cette lignée de chiens, voilà l'origine de l'idée d'espèce. Au témoignage de nos sens vient se joindre celui non moins légitime de nos anciens, et alors, appliquant le pro- — 10 — cédé bien connu de Vinduciion ^ cet acte de foi par lequel nous croyons à la stabilité des lois de la nature, nous concevons une espèce comme une série indéfinie d'êtres semblables entr'eux et capables de se reproduire. Mais ces mots »< série indéfinie » figurent assez mal dans une définition. Il faut s'entendre sur leur valeur et par conséquent nous apprendre quel a été le premier terme de l'espèce et quel en sera le dernier. Il faut avouer que le problème est sérieux et imposant, et que les solu- tions des naturalistes ont été jusqu'à ce jour insuffisantes et incomplètes. Les uns, apportant avec eux dans le sanctuaire de la science le livre de la Genèse, les yeux sans cesse fixés sur le volume sacré, déclarent que les espèces ont commencé à l'époque assignée par Moïse, finiront aussi bien que le monde lui-même, et qu'entre ces deux limites elles de- meurent immuables et identiques. Les autres, ne tenant nul compte de l'antique cosmogo- nie mosaïque, n'invoquant que les données de Vobserva- tion et n'y appliquant que leur logique, prétendent que les espèces différentes descendent d'une seule souche ou tout au plus d'un très petit nombre, qu'elles ne sont per- manentes qu'entre certaines limites de temps , qu'en dehors de ces limites elles cessent d'être identiques, se modifient, s'altèrent, et, s'il fallait interpréter leur silence, car le silence est parfois indiscret, on pourrait croire que, renouvelant le dogme de l'éternité de la matière, ils n'as- signent aucune limite à son existence. Or, pendant cette évolution de siècles sans fin, les espèces ont tout le loisir de se former, de disparaître pour faire place à d'autres meilleures ou pires, subissant tour- à tour avec une doci- lité plastique toutes les influences des lieux et des temps. Le.^ naturalistes qui prétendent concilier la révélation — 11 — et la science ont-ils réfléchi que l'historien sacré ne parle après tout que des espèces du règne animal, et que le vague et rindétermination des mots de la Vulgate ne légi- timent pas d'une manière absolue les conséquences qu'ils en tirent, quant à l'origine de ces espèces? D'ailleurs à quoi bon ce travail de conciliation entre la Genèse, livre inspiré de Dieu et s'adressant à la foi, et les recherches purement scientifiques des hommes? Quel si grand besoin la religion a-t-elle donc du frêle appui de la science humaine? Quel danger peut-elle courir si cet appui vient à lui manquer? La science est essentielle- ment progressive, parce qu'elle est et qu'elle sera toujours imparfaite; mais l'ensemble des vérités chrétiennes est immuable, parce qu'il est sorti parfait des mains de son auteur. Si donc la chélive science de l'homme, si pénible- ment, si lentement élaborée, vient parfois à vérifier quel- qu'assertion de Moïse., qu'elle en soit, si elle veut, heureuse et fière ; mais qu'elle ne s'épuise pas en pénibles efl"0Tts pour soutenir un édifice bâti sur le roc inébranlaDle, et surtout qu'elle n'aille pas s'imaginer que la foi chancelle, pour être attaquée par un savant armé d'une décoO- verte. Quoi qu'il en soit le problème de l'origine des espèces est, malgré les elTorts répétés des savants, aussi loin d'être résolu par eux aujourd'hui que jamais. Quelle est la pre- mière main qui ait confié au sol la semence du blé et du riz, le gland du chêne et la datte du palmier? Quelle puissance a lancé le premier aigle dans les airs, le pre- mier poisson dans les flots, le premier coursier dans la plaine? Les générations le demandent depuis des siècles et la science n'a jamais su leur répondre. Il y a plus : les plus grands naturalistes ont varié d'opi- nion sur l'origine et sur la nature des espèces; ainsi Buffon — 12 — avait déclaré d'abord qu'il n'y a pas d'espèces dans la na- ture, puis il revint à l'opinion contraire. Linné a écrit : Je suppose depuis longtemps, mais sans oser l'affirmer, que toutes les espèces dun même genre ont formé d'abord une seule espèce. Guvier, qui d'abord avait admis la transformation des espèces, écrivit plus tard : « Si cette transformation a eu lieu, pourquoi la terre ne nous en a-t-elle pas conservé les Iraces? Pourquoi nedécouvre t-on pas entre le Palœo- therium, le Mégalonyx, le Mastodonte, etc., et les es- pèces d'aujourd'hui, quelques formes intermédiaires? » Le docteur Joseph Hooker avait partagé l'opinion com- mune que les espèces existent, et qu'elles sont immuables; mais il s'est rangé à l'hypothèse contraire et a même, dit- on, ébranlé les opinions du célèbre géologue sir Charles Lyell, sur la stabilité des espèces. C'est un écrivain assez peu sérieux, Demaillet, dont l'ou- vrage parut il y a déjà plus de cent ans sous le titre de « Telliamed, » qui soutint le premier, en s'appuyant sur des faits mal observés, l'hypothèse de la métamorphose des espèces. Consul de France à Alexandrie, il étudia, il admira les phénomènes que présente le Nil, le rôle im- mense qu'il joue pour la fertilisation de la contrée. Il s'exagéra la puissance de l'eau en général et soutint que a tous les animaux terrestres ont passé du séjour des eaux à la respiration de l'air, et ont contracté la faculté de mugir, de hurler, d'aboyer et de se faire entendre, qu'ils n'avaient point dans la mer, ou qu'ils n'avaient du moins que fort imparfaitement. » Mais c'est le savant naturaliste français Lamarck qui s'est constitué le véritable champion de la non-existence des espèces dans sa philosophie zoologique, il y a plus d'un demi-siècle, et l'ouvrage de M. Ch. Darwin, qui vient — 13 — défaire îant de bruit chez nos voisins d'outre-mer, a laissé, au dire même d'un de ses admirateurs, le problème au même point où il l'avait trouvé. Voici le titre de son livre : On the origin of'species, hy means of nalarai sélection; or tlteprcservation of favoured races in ihe struggle for lif'e. [De l'origine des espèces par le choix de la nature; ou de la conser- vation des races favorisées dans la lutte pour la vie. ) Quelques exemples feront comprendre le sens tout parti- culier que l'auteur attaclie ii ces mots « choix de la na- ture, » « natural sélection » . Quand le jardinier voit lever la semence, vous savez qu'il éclaircit son plant en arrachant les plus faibles indi- vidus pour ne conserver que les plus robustes. Il en est de même dans l'éducation de certains animaux où l'on ne laisse à la mère que les petits qui piomettent quelqu'avan- tage. Voilà ce que M. Darwin appelle le choix de Ihomme. Mais il est un autre choix, et c'est la nature qui le fait elle-même : M. Darwin rappelle la multitude d'individus de chaque espèce végétale et animale qui périssent avant ou peu après la maturité; ceux qui survivent au milieu de cette lutte de tant de frères pour la vie, à quelque cause qu'ils doivent leur avantage, le transmettent à leur progé- niture, et c'est ainsi que la nature choisit elle-même au milieu de ses nombreux enfants. L'auteur de l'article de la Revue Écossaise se pose en admirateur de IM. Darwin qu'il appelle « naturaliste ac- compli ) , et à qui il attribue un « style charmant » ; il va même jusqu'à nous informer, dut-il nous trouver indiffé- rents, que « M. Ch. Darwin est un homme indépendant et pouvant disposer de tout son temps pour la poursuite de ses recherches » ; il continue en termes aussi élogieux qu'obscurs '.a c'est par son style aimable, et par une dispo- — u — sition et un enchaînement artis^tîques de ses arguments principaux, que M. Darwin a séduit plusieurs jeunes natu ralistes, la majorité peut-être, et leur a fait adopter la forme homéopathique de l'hypothèse transmutative qu'il désigne parles mots de choix de la nature. L'auteur deTardclede la Revue de Westminster nous représente M. Darwin comme indiCférent à la réputation qu'il s'est acquise par son livre qui partage, nous dit-il, l'attention publique avec la guerre d'Italie et les volon- taires. Le tour ingénieux de ce compliment rappelle trop ce que dit Shakespeare : When I tell him ho hâtes flatterers, He says he does, being then most flattered. i II se laisse dire par moi qu'il hait le flatteur, car c'est alors qu'il est le plus flatté. » Les naturalistes, s'écrie-t-il en terminant un long arti- cle, devront à l'auteur de a l'origine des espèces » un im- mense tribut de reconnaissance. Malheureusement la bien- veillance du critique est fort exclusive; ainsi je citerai une tirade contre les naturalistes bibliques : « Les mythes du paganisme sont morts, aussi bien qu'Osiris et Jupiter, et les exhumer pour les opposer à la science actuelle serait affronter le plus légitime mépris; mais les imaginations contemporaines qui avaient cours chez les grossiers habi- tants de la Palestine, et que nous ont transmises des écri- vains dont le nom même et le siècle sont, de l'aveu des savants, complètement inconnus, n'ont pas malheureuse- ment encore essuyé le même sort, et les neuf- dixièmes du monde civilisé les regardent encore aujourd'hui comme la règle infaillible et le critérium des conclusions légitimes, dans les sciences qui ont rapport à l'origine des êtres et surtout des espèces. Dans ce xviur siècle, aussi bien qu'à — 15 — l'aurore de la science moderne, la cosmogonie des semi- barbares Hébreux est le cauchemar de la science et la honte de l'orthodoxie.... Combien de savants ont eu la faiblesse d'user leur existence à vouloir faire entrer de force le généreux vin nouveau de la science dans les vieilles bouteilles du judaïsrael » J'aimerais mieux les « vieilles outres « de saint Mathieu que les vieilles bouteilles du critique indigné; ujais j'aime- rais mieux encore ne pas voir exhumer ces colères suran- nées, ces vieilles diatribes que Voltaire au moins faisait passer à force d'esprit, et je détourne les yeux quand je vois ramasser dans la poussière une marotte disloquée, que Ion prend pour la massue d'Hercule. Voici un exemple allégué pai- M. Darwin en faveur de son hypothèse des transmutations : « Hearne a vu dans/ l'Amérique du nord un ours nager des heures entières, la gueule béante, pour attraper, c\ la manière des baleines, des insectes dans l'eau. Même dans un cas aussi extrême que celui-ci, si les insectes ne faisaient pas défaut et si des rivaux mieux armés ne se trouvaient pas sur les lieux, je ne vois pas pourquoi une race d'ours, subissant t'in- fluence de circonstances de plus en plus aquatiques, se modifiant dans sa structure et dans ses mœurs, n'en viendrait pas à acquérir une gueule de plus en phts grande, jusqu'au point de devenir de vraies ha^- leinesl » Mais Telliaraed avait métamorphosé des poissons en oiseaux avant M. Darwin qui, partant, n'a pas ici le mérite de l'invention. L'exemple précédent fait saflRsamment comprendre cette conclusion vague et indécise de iVL Darwin : « Les ani- maux descendent de quatre ou cinq souches tout au plus, et les plantes d'un nombre égal ou moindre. Tous les ani- - 16 — maux et tous les végétaux descendent d'un seul et même prototype. » Oh 1 combien cet instable et vacillant scepticisme est-il moins scientifique que le franc dogmatisme des natura- listes bibliques! Sans doute l'apparition des végétaux et des animaux sur la terre n'éclata pas tout à coup comme un enchante- ment ; elle fut successive et se localisa en différents lieux. Examinez ces plaques de houille, véritable herbier pré- paré il y a des milliers de siècles par les mains de la nature, et où se conservent plus de ^00 échantillons de la Flore du globe à l'aube de la création ; vous y lisez que les êtres qui ont successivement paru sur la terre offraient à chaque nouvelle évolution un perfectionnement nou- veau. Ainsi c'étaient d'abord des acotylédones, des crypto- games analogues à nos fougères, mais de dimensions vraiment colossales , puis des mouocotylédones , des palmiers et des liliacées du port de nos yucca, enfin des dicotylédones, des conifères tels que le cèdre du Li- ban, et des cycadées au tronc couvert d'écaillés et cou- ronnées de feuilles à la manière des palmiers. Il en est de même de la Faune antédiluvienne. Quant au lieu où s'épanouit la vie pour la première fois, je crois qu'on ne peut défendre l'hypothèse de Linné, qui pensait que toutes les espèces sont sorties d'un seul point de la terre, d'une montagne équatoriale, couronnée de neiges éternelles, et offrant ainsi, à toutes les hauteurs et sur tous ses flancs, tous les climats de la nature ; d'abord Linné ne connaissait que dix mille espèces ; aujourd'hui l'on en connaît cent mille ; comment une seule montagne aurait-elle pu les contenir ? Ensuite combien d'espèces exigent des conditions tellement spéciales qu'elles ne — 17 — vivent que sur le seul point du globe où ces conditions se trouvent réunies! Ainsi l'arbre qui nous donne le quin- quina ne croît que sur le versant oriental des Andes jusqu'au 18° de latitude australe. Le cèdre du Liban n'a pas d'autre patrie que cette célèbre montagne, et la disa grandifJora ne croît que sur une aire assez restreinte, au sommet du plateau du cap de Bonne-Espérance. Ainsi il ne faut pas douter que la vie organique n'ait suivi pas à pas les transformations atmosphériques et géo- logiques de notre planète et que les différentes espèces ne se soient épanouies chacune dans le lieu le plus favo- rable à son existence. Que l'homme ait contribué à la formation de variétés, on ne peut le nier puisqu'on le vérifie tous les jours ; mais il n'a pas produit d'espèces proprement dites, car. ainsi qu'on l'a dit avec raison , l'homme ne crée guères que des monstres, et même, si une variété une fois obtenue, il l'abandonne à la nature, les nouveaux semis tendent rapi- dement à revenir à l'état sauvage et à reproduire les ca- ractères du type spécifique. Au reste il est bon de remarquer que les espèces végé- tales caractérisées par leur petitesse sont les seules quinvoquent les partisans de la non -permanence; mais ils n'ont pas osé prendre leurs exemples chez les végétaux puissants tels que le cèdre et le chêne. De même, pour les animaux, qui a jamais sérieusement douté que le lion, le cheval et l'éléphant aient jamais pu ou puissent jamais être autre chose que lion, cheval et éléphant? Les plantes et les animaux sculptés, peints et décrits par les artistes de Ninive et de Thébeset par Homère, se recon- naissent encore après trente, quarante et cinquante siècles; les grappes de la vigne et les baies de l'olivier ciselées sur le marbre de Paros ne diffèrent point de nos grappes 2 — 18 — et de nos olives, et j'ai vu, peintes sur des papyrus trouvés avec des momies, des fleurs du Nil, de la même blancheur et du même azur que celles de nos jours. En un mot depuis 7.000 ans qu'il y a des hommes et qui observcDt, la nature ne paraît pas s'( carier du mo- dèle qui lui a été imposé, et si l'on considère l'espèce qui assurément aurait dû, si cela se pouvait, perdre au moins en partie son type originel, une espèce qui ne compte pas aujourd'hui moins de 800 millions d'individus, l'espèce humaine en un mot, on la retrouve encore entièrement semblable aux images et aux signalements que nous ont légués les siècles les plus reculés. L'immuable caractère des espèces n'est établi par les faits qui viennent d'être rappelés que pour les 6 OU 7 mille ans qui achèvent maintenant de s'écouler ; mais on peut emprunter à d'autres phénomènes la preuve qu'il existe encore aujourd'hui des espèces animales qui re- montent beaucoup plus haut dans le passé. Comme la conclusion que nous avons à déduire est im- portante, établissons à loisir et solidement nos prémisses : le savant F. Maury, de la marine des Etals Unis, a calculé que si, après avoir extrait le sel de la mer, on en formait une couche sur toute la surface de l'Amérique septen- trionale (5 ou 6 millions de milles carrés !) cette couche aurait encore un mille d'épaisseur (1,610 mètres) ; outre le sel ordinaire, la mer contient du carbonate de chaux que les eaux pluviales et les fleuves y charrient sans cesse et d'autres sels encore. Celte masse énorme de matière solide est maintenue en dissolution dans toutes les parties de l'Océan; mais la na- ture s'est réservé des forces à l'aide desquelles elle peut aisément dégager de ces immenses carrières le plâtre, le marbre et les pierres, dont elle a besoin quand elle veut — 19 — bàlir un archipel ou un nouveau monde ; les Miineurs qu'elle emploie sont des êtres presque mystérieux, car ils ont longtemps passé, aux yeux des savants, pour des plantes, bien que ce soient de véritables animaux; ce sont des myriades de petits zoopliyles, au corps gélatineux, de forme presque cylindrique , et munis de six tentacules. Condanmés à vivre et à mourir à peu près dans les lieux où ils sont nés, ils ne suspendent jamais leurs travaux. Chacun d'eux a pour mission d'extraire de la goutte d'eau qui l'environne le carbonate de chaux et de ma- gnésie, et le sulfate de chaux qu'elle recèle ; ce sera la partie solide des matériaux qu'on leur demande; ils doi- vent aussi extraire quelques atomes d'oxyde de fer des- tiné à teindre en rose ou en rouge celle matière solide. A ces caractères qui ne reconnaît dans l'ouvrier le polype, et dans l'ouvrage le corail? Ces petites créatures, placées presqu'au dernier degré de l'échelle des êtres, mais suppléant à leur faiblesse indi- viduelle par l'instinct de l'association, se groupent en- semble, et, puisant dans l'Océan des éléments capables de durcir, ils s'en font une habitation que l'on appelle Poly- pier. Là ne s'arrête pas le résultat du travail de nos petits ouvriers, à la fois mineurs et maçons : le fond de l'Océan Pacifique se soulève ici et plus loin il s'affaisse ; mais ce mouvement est si lent! Comment le constater? Le polype va nous l'apprendre. Il lui faut de la lumière pour vivre ; ainsi, quoique les rayons du soleil pénètrent les eaux de l'Océan jusqu'à la profondeur de près de ^00 mètres, il ne s'établit jamais plus bas que 60 mètres environ. Si, à cette profondeur, il trouve le bord d'un cratère submergé, et il y en a beau- coup d'enfouis sous les flots du Pacifique, entre les Tro- — 20 — piques, il y commence ses travaux en suivant le contour du cratère, mais sans cherclier à s'étendre latéralement; il semble s'élever vers la lumière par le chemin le plus court; il se forme ainsi une espèce de tour ronde ou ovale, selon la forme du cratère, où la brique et la pierre sont remplacées par l'entrelacement d'une infinité de branches de la plus gracieuse structure, et tantôt rouges ou vertes, blanches ou bleues, jaunes ou violettes, offrant en un mot presque toutes les nuances de l'arc-en-ciel. Quand la crête de l'ouvrage s'élève de deux ou trois mètres au-dessus des eaux, Touvrier cessf son travail, car il meurt hors de l'Océan. Cependant quelquefois la tour de corail s'élève des plus grandes profondeurs de la mer, s'appuyant sur une base que les rayons solaires ne peuvent atteindre. Comment le polype aurait- il travaillé si loin de la surface ? Ce n'est pas lui qui s'est éloigné de la lumière, c'est son ouvrage : le volcan s'est affaissé, lentement, insensiblement; le polype pouvait donc continuer sur la crête submergée une nou- velle construction; et la tour avait beau senfoncer par sa base, son couronnement venait toujours s'élever à la sur ■ face de l'eau. Quelquefois le polype bâtit autour d'une île qu'il envi- ronne d'un rampartde corail ; telle est Tahiti : l'île se com- pose d'une montagne de trois quarts de lieue d'élévation, et d'une étroite plaine se déroulant au pied de la monta- gne; à l'entour un rempart de corail laisse entre lui et le rivage un vaste bassin circulaire. Enfin le polype borde souvent les immenses rivages des continents des longues franges de son corail ; on a pu sui- vre, dit le savant paléontologiste de Neufchâtel, le profes- seur Agassiz, la formation et l'accroissement de ces récifs de corail, surtout en Floride, avec assez de précision pour — -21 — vérifier qu'il faut environ 8,000 ans pour qu'un de ces remparts de corail s'élève du fond de l'Océan jusqu'au ni- veau des eaux. L'extrémité méridionale seule de la Floride est bordée de quatre remparts concentriques de polypiers qui n'ont pu se développer que l'un après l'autre ; ainsi le premier a commencé à se former il y a plus de 30,000 ans; or le corail dont ils sont tous bâtis esf^ absolument de la même espèce. Voilà donc des faits qui attestent, aussi po- sitivement que cela soit possible aux sciences physiques, qu'au moins certaines espèces d'animaux qui existent en- core aujourd'hui existaient déjà par-delà 30,000 ans, et que durant cette longue période elles n'ont pas subi le plus léger changement. Mais, dira-t on, ce que n'ont pu faire 300 siècles, un plus grand nombre le pourra faire , le temps étant un élé- ment dont la nature dispose à son gré et qu'elle peut pro- diguer sans jamais s'appauvrir. Si les transmutations que vous défendez ne doivent se réaliser qu'à des époques si éloignées, elles sont placées hors du domaine des sciences utiles, des sciences d'observation surtout, et si pour arri- ver à votre solution du problème il faut vous suivre dans un monde si éloigné et si dilférent du nôtre, je préfère à une science si ambitieuse une humble et sage ignorance : « guœdani nescire sapientis est. t Si l'ouvrage de M. Darwin a laissé le problème de l'ori- gine des espèces à peu près au même point où il l'avait pris, on le trouve du moins parsemé d'observations du plus grand intérêt pour l'histoire naturelle ; en voici quel- ques échantillons. Tout le monde connaît l'hypothèse de la chaîne des êtres, cette chaîne dont chaque anneau est indispensable à celui qui le précède comme à celui qui le suit ; voici des observations à l'appui de celte hypothèse ; c'est M. Darwin — 22 - qui parle : % iVles expériences m'ont appris que les visites des abeilles sont, sinon indispensables, du moins très fa- vorables à la fertilisation de nos trèfles; l'abeille sauvage iy humble- h ee des Anglais est une grosse abeille qui se nourrit surtout du nectar de la fleur du trèfle) est la seule qui visite le trèfle rouge [trifolium. pratense), parce que les autres ne pourraient arriver jusqu'au nectar. Aussi je suis à peu près convaincu que, si toute la race de ces abeil- les venait à s'éteindre ou à diminuer en Angleterre, la pen- sée et même le trèfle deviendraient très rares ou même disparaîtraient complètement. Or le nombre d'abeilles dé- pend presque, dans un lieu donné, du nombre de mulots qui détruisent leurs rayons et leurs nids, et M. H. Newman, qui a longtemps suivi les habitudes de ces abeilles, croit que plus des deux tiers de ces insectes périssent ainsi dans toute l'Angleterre ; mais tout le monde sait que le nombre des mulots dépend de celui des chats, et M. Newman as- sure avoir trouvé près des villes et des villages plus de nids d'abeilles qu'ailleurs, ce qu'il attribue aux chats qui dé- truisent les souris. Voilà pourquoi je croirais volontiers que les chats, en grand nombre dans un district, peuvent, avec la collaboration des mulots et des abeilles, amener l'abondance de certaines fleurs dans ce district. » Comme les deux plantes mentionnées par l'auteur sont hermaphrodites, le rôle de l'abeille n'est pas nécessaire comme pour les plantes diclines ; mais on conçoit qu'il fa- vorise la fécondation, en multipliant les contacts du pollen et du stigmate. Les observations et les expériences suivantes ne sont pas moins curieuses. M. Darwin, en recueillant des objets d'histoire naturelle dans les rivières du Brésil, fut frappé de la ressemblance des insectes et des coquillages avec ceux de la Grande- — 23 — Bretagne, tandis que les animaux terrestres ne rappelaient nullement la faune britannique. Comment des animaux d'eau douce se sont-ils propagés si loin? Voici sa réponse : Quand un canard sort d'une mare couverte de lentilles d'eau, il a le dos chargé de ces petites plantes, et en en jetant d'un aquarium dans un autre, j'ai tout-à-fait, sans le vouloir, peuplé le second des coquillages du premier ; mais voici un moyen plus efficace : j'ai suspendu les pattes d'un canard dans un aquarium ; elles y représen- taient cellesde l'oiseau endormi dans une mare véritable : il y avait dans cet aquarium des œufs de coquillages en train d'éclore ; eh bien ! je trouvai une multitude de ces petits animaux qui s'étaient traînés jusque sur les pattes du canard, et qui s'y tenaient si ferme qu'ôtés de l'eau ils adhéraient encore. Ces jeunes mollusques, malgré leur nature aquatique, survécurent sur les pattes du cauard, dans un air humide, de douze à vingt heures; or, pendant ce temps là, un canard ou un héron aurait parcouru dans son vol au moins 6 ou 700 milles et n'aurait pas manqué de s'abattre au bord d'un étang ou d'un ruisseau, dans quelqu'île ou sur quelque plage séparée par les flots. M. Darwin lit alors la jolie expérience que voici dans ses propres termes : « Je pris en février trois cuillerées de limon, en trois points dilTérents, sous l'eau, au bord d'un petit étang. Ce limon, sec, ne pesait que six onces trois quarts. Je le tins couvert pendant six mois dans mon cabi- net, arrachant et comptant chaque plante à mesure qu'elle poussait. Il y en avait de beaucoup d'espèces, et j'en comptai 537 en tout. Cependant le limon tenait dans une petite tasse à déjeûner. !M. Darwin conclut que les oiseaux aquatiques doivent transporter les graines et mêmes les œufs des plantes et des petites espèces animales aquatiques à de grandes flis- ^* ¥ra S; - daasFeaa silée; i ^aa éametl M. Dar* i ? -•aimmtim pfdart qc : idb^ liât koB €t ~ i ' fiTaat et ri - eaa ! Qr (M a : r TpoliMses d saïaat, on î sstmce ëes c serfaâoas patrio;^^ .' iragediMt — 25 L'ART DE LA GARDE-MALADE CE qu'il est et ce qu'il n'f.st pas. M"* Florence Niglitingale héroïque garde-malade. — Elle n'aurait pas eu besoin d'écrire son livre si elle eût été sœur de charité. — Connnent saint Benoît veut que l'on traite un malade. — Ce que disait, à ce sujet, la sœur du marquis de Pomponne, l'abbesse de Port-Royal, An- gélique Arnaud. — Quarante ans de tortures pour une partie de plaisir sur la glace. — Comment la bienheureuse Lydwiue enseigne aux ma- lades à prolonger leurs jours, malgré la maladie, et à être heureux sur un lit de douleurs. Tel est le titre du livre qiie vient de publier miss Flo- rence Niglitingale. Un bon livre après tant de bonnes ac- tions! du génie et de l'héroïsme ! l'admiration et la recon- naissance universelles! L'héroïque garde-malade peut bien se dire : J'ai assez vécu pour la gloire et pour le bonheur ! Sans doute on ne taxera pas mes paroles d'exagération quand on se rappellera que Miss Nightingale a sacrifié sa fortune, son repos, et, ce qui est si cher aux Anglais, son « comfort » pour traverseras mers, parcourir des champs de bataille, prodiguer des soins, des consolations, son âme en un mot, à des soldats blessés et mourants. Mais ce qui donne peut-être d'elle la plus noble idée, c'est l'as- cendant exercé par elle sur les compagnes qu'elle à en- traînées dans cette généreuse croisade. Qui de nous ne sent pas à l'occasion s'enflammer son âme d'un pur en- thousiasme ? Mais il s'éteint bien vite, et nous abandonnons les premiers notre propre drapeau ; mais un feu qui se communique, et embrase tout autour de lui. ne peut par- tir que du plus ardent foyer. — 26 — Rien ne manque à son bonheur, disais-je, mais Je me trompais ! Que n'est elle une des humbles filles de saint Vincent-de-Paul ! C'est là qu'elle devait briller, si l'on peut dire qu'elles brillent, ces femmes qui descendent souvent d'un rang élevé afin d'ensevelir leurs noms et leurs vertus. Sœur de charité, miss Nightingale n'aurail pas eu besoin de publier son livre; car ce livre est déjà fait : les consti- tutions de tous les ordres religieux ont formulé il y a des siècles le principe qui doit animer la personne chargée du soin des malades. Il y a plus de 1200 ans que saint Be- noît écrivait au chapitre 36 de sa Règle : « Avant, et sur toutes choses, l'on doit avoir soin des malades en sorte qu'ils soient servis comme si c'était Jésus Christ en personne. » Voici ce que prescrivaient les constitutions de l'ordre du Carmel : «Que l'infirmier se dévoue à remplir avec une affection suprême ce devoir d'une excellente charilé; qu'il en endure les très fréquentes contrariétés avec allégresse pour l'amour de Celui qui a dit : J'étais malade et tu m'as visité. Mais surtout que le supérieur s'applique à consoler et à soulager les malades, quels que soient les voyages, quelles que soient les dépenses qu'il y ait à faire, et nous enjoignons strictement qu'il soit déclaré un indigne supé- rieur, celui qui ne soigne pas ces malades et ces hôtes avec une suprême charité, d'autant plus que c'est surtout grâce à ce zèle de tendresse que notre ordre, si humble d'abord, s'est accru, et que Dieu l'a béni, ainsi que nous le savons par nos traditions. » Dans un autre endroit, la même Règle dit : «Un frère dévoué, aimable, n'ayant pas de préoccupation, aura la garde spéciale des malades, et ce frère saura, pourra et devra les soigner avec le talent et avec l'amour convena- bles, sous peine de dix jours de.... » Une abbesse de Fort- Royal, Angélique Arnatid, sœur du - 27 — marquis de Pomponne, disait à ses religieuses : « Ou ue fait rien en servant les malades quand on n'agit que par compassion, et il arrive que si l'on rencontre des personnes qui ne considèrent pas les services qu'on leur rend et qui se plaignent lorsqu'on ne pense qu'à leur faite du bien ou qui seraient de mauvaise humeur ou diOiciles, on n'a plus le même zèle pour les servir, parce que l'arailiè se sent blessée de cette conduite.... La charité a des princi- pes bien différents de cetie amitié : c'est J. -C. qu'elle aime, c'est lui qu'elle sert, c'est à lui qu'elle veut plaire; ainsi les difficultés et même les rebuts qu'elle peut avoir à supporter ne diminuent rien de son zèle et l'augmentent au contraire, parce que la charité est d'autant plus pure et forte qu'elle est dégagée de ce qui est purement humain. « En un mot rien n'est plus ordinaire, dans toutes les ins- titutions catholiques, que la répétition de ce précepte : a Regardez, traitez, chérissez un malade, fût-il couvert d'une affreuse lèpre, comme le Christ en personne.» Un tel précepte élève bien haut l'âme d'une garde-malade, et lui inspire sans doute plus de lumières, plus de zèle et plus de tendresse que ne feront jamais les livres écrits par miss Florence Nighfingale. L'auteur de l'article du QuarUrly Review rapproche de ce dernier ouvrage, comme pendant, celui qui a pour titre : La vie dans la ch.xmbre d'un maiade. Eh bien ! encore ici, la tâche était remplie depuis longtemps : et lorsque la religion pénétrait davantage dans notre vie quotidienne, elle versait sur nos plaies et sur nos blessures un vin et une huile autrement réparateurs. Les exeuiples abondent, je n'eu citerai qu'un seul. C'était pendant l'hi- ver de 1395, sur un lac de la Hollande occidentale ; une gracieuse jeune fdle patinait à la mode du pays avec ses compagnes; tout-à-coup elle tombe sur un amas de gla- — 28 — çons, renversée par une imprudente patineuse ; on la re- lève, mais cruellemunt blessée, et à partir de ce moment, elle ne quittera plus son lit d'inexprimables douleurs que pour celui de la tombe. Son long supplice dura jjrès de quarante ans. Pendant ces longues et tristes années elle ne prit d'abord pour aliments que quelques miettes de pain et quelques gouttes d'eau; épuisée par des maux inouis, elle dut renoncer même à cette ombre de nourri- ture et prolongeai miracle de sa vie, sans sommeil etsans aliments, pendant dix-neuf ans entiers ! Tout son corps, immobile pendant dix-sept ans, n'était qu'une vaste plaie. Elle vida jusqu'à la lie le calice des douleurs humaiDes ; passant tour à tour du frisson à la fièvre, dévorée vivante par les vers; devenue aveugle, ayant perdu tous ceux qui pouvaient l'aimer, elle s'imposait encore les rigueurs de la haire et du cilice ; enfin elle cessa de souffrir et de vivre le mardi de Pâques de l'an 1^3^, seule et aban- donnée, comme elle l'avait demandé à Dieu. Cette femme s'appelait Lydwine. Thomas à Kempis, Jean Brugman et Jean Gerlach ont écrit sa vie ou plutôt la légende de cette sainte fille ; j'ai lu les deux premiers, et j'ai con- pris, en lisant leurs crédules et naïfs récits, comment cette vierge de la Hollande avait pu tant souffrir et si longtemps, comment son âme devenait toujours plus grande que sa douleur, et comment enfin, assaillie de tous les maux qui sont l'héritage de la chair, elle goûtait encore de sublimes délices. C'est que le malade ne vit pas seulement d'air pur, de tisane et de petits soins! C'est que le principe mysté- rieux de la vie relève surtout de l'âme ; or, l'âme de Lyd- wine, fortifiée par des aliments divins, rallumait ce flam- beau toujours prêt à s'éteindre. — 31 — LA MANTE DES AQUARIUM {Titan, octobre 1856.) Le retour périodique d'une manie d'une espèce ou d'une autre est devenu presque infaillible. La tendance à ces épi- démies de l'âme est l'une des faiblesses de notre nation, et elle ne manque jamais de se produire sous différentes formes, à de plus ou moins longs intervalles. Naguère en- core elle s'est montrée à propos de ces absurdes bipèdes, les poules de Cochinchiue, et ces oiseaux bizarres avaient ;\ peine pris faveur qu'une épidémie plus folle encore sempara de nos esprits : on se mît à lenvi à métamor- phoser de simples bocaux de verre en splendides vases de porcelain(* de la Chine et du Japon ; ce fut surtout la plus aimable moitié du genre humain qui se livra à cette manie; mais elle s'y abandonna avec tant de fureur que, pendant quelque temps, on ne voyait dans les foires et les bazars, on n'offrait les jours de naissance et de mariage que de magnifiques exemplaires de cette imitation bourgeoise des splendeurs de Saxe et de Sèvres; mais la potichomanie, comme les autres manies qui l'ont précédée, n"a rempli qu'une assez courte carrière et s'est vue remplacer par une nouveauté plus séduisante : au vase à long col a succédé le vaste vase à poissons; le chinois au gros ventre, le paysage aux perspectives impossibles, les brillantes cou- leurs de papillons, d'oiseaux et de fleurs, que la science — 32 - désavouait, ont disparu devant une soudaine invasion des têtards de tittlebats (1) et d'anémones; en un mot. les aquarium sont à l'ordre du jour. La popularité de cette ingénieuse et charmante inven- tion a quelque chose de vraiment extraordinaire, et je me reproche dp l'appeler manie, quoiqu'une passion si répan- due et si intense ne soit guère autre chose. De Taquarium est sortie une littérature toute entière, sans compter deux professions au moins, entièrement nouvelles, et les ac- croissements énormes d'autres plus anciennes; et rien n'a mieux servi à populariser davantage l'étude de l'histoire naturelle, si ce n'est peut-être l'invention du microscope. Il y a aujourd'hui un peu plus de trois ans que les bas- sins de l'aquarium des jardins zoologiques de Regent's Park sont ouverts au public, et depuis cette époque jusqu'à ce jour l'intérêt et l'enthousiasme qu'inspire l'aquarium n'ont fait que s'accroître. Le grand succès de l'aquarium de Regent's Park a eu pour conséquence immédiate l'éta- blissement d'aquarium dans d'autreslocalités;et, dans cha- cune de nos grandes villes, on trouverait h peine un lieu public sans sa collection d'animaux d'eau douce ou d'eau de mer pour attirer les visiteurs eu plus grand nombre. En publiant son élégant volume intitulé Y Jquartum M. Gosse a fait jaillir sur ce sujet un intérêt tout nouveau. Cet ouvrage a fait éclore l'aquarium de salon qui met les simplcis particuliers à même d'avoir chez eux, et sous leurs regards continuels, des collections semblables à celles qui frappaient tellement l'attention dans les lieux publics. A peine ce naturaliste avait-il mis celte idée en avant qu'elle fut accueillie avec empressement et que l'aquarium devint (1) Je pense que l'auteur veut dire ici sticklebacks ; il s'agirait ainsi d'une espèce du genre Gast erosleus. Ge genre doit son nom aux pointes aiguës dont son dos est armé. — 33 — l'ornement favori et privilégié de la chambre et du salon. Il est vrai que les dépenses ne laissaient pas d'abord d'ê- tre considérables, et pendant quelque temps ce ne fut que chez les favoris de la fortune, et dans les grandes maisons, que l'on pouvait rencontrer un aquarium. Mais le nombre des marchands augmenta; puis survint la concurrence, et les choses durent changer; et si vous ne disposez que de quelques shillings, vous pouvez néanmoins avoir votre collection de chères anémones et une ménagerie aqua- tique toute entière sur la fenêtre de votre chambre. Peu importe à quelle distance de la mer vous résidiez; car il p;iraît qu'il en est des aquarium comme de ces fameux lits que l'on voit annoncés à toutes les gares : on les envoie francs déport, et, pour les recevoir partout, il suffit d'a- dresser une simple lettre à l'un des marchands de cette nouvelle denrée, à Londres. Dans la capitale même, cette manie est devenue aujour- d'hui une véritable fièvre. On voit se dégarnir, au profit de l'aquarium, toutes les fenêtres où étaient déposés ces glo- bes à poissons rouges aux formes surannées; et tel est l'en- combrement de certaines voies publiques que la police a du intervenir sans perdre un moment. Les squares aristo- cratiques du Wtst End. les coquettes villas des faubourgs, les rues populeuses de la cité, les paisibles maisons des petites rues écartées les plus solitaires, tout, jusqu'aux pauvres fenêtres de Spitalfields et de Bethnai Grecn, vous présente l'aciuarium sous une forme ou sous une autre et vous démontre de mille manières l'ardeur avec la- quelle toutes les classes de badauds de Londres se sont engouées de la fantaisie à la mode. Le visiteur a bientôt reconnu que le marché de Covent- Gardcn a joint à sou vieux commerce de fruits recherchés celui uon moins considérable d'aoimaux vivants. On y — 3^ — trouve en dépôt tous les ustensiles nécessaires à l'aquarium d'eau douce, et je crois qu'on y trouve aussi bien des cho- ses inutiles et même incompatibles avec lui. L'atnateur de curiosités reviendrait enchanté d'une visite en ce lieu. Outre les aquarium de forme et de grandeur différentes qui attendent l'acheteur, notre amateur, au milieu d'une foule aussi avide que lui-même de regarder les hôtes de ces aquarium, verrait des rangées de globes, de baquets, de vases, de jarres, tous pleins d'animaux entassés, jusqu'au moment où un acquéreur viendra en choisir quelques uns. Ici il verrait un globe rempli de belliqueuses épinoches; là une bâche dans laquelle prennent leurs ébats des cen- taines de brillants poissons d'or, de goujons et d'ables(l); à côté une collection de limaçons d'étang; et puis une vaste jarre où s'agitent une multitude de lézards d'eau, qui semblent fort mal à l'aise, et qui tiennent fixés sur le visi- teur leurs yeux si doux et si beaux; sur une une autre ta- blette sont rangés des globes de moindres dimensions, des bocaux qu'animent des légions de scarabées, de noc- tonètes (2) , de larves de libellules (3) , de nèpes {U) et d'araignées d'eau; puis, dans des verres soigneusement recouverts et garnis au fond d'un peu de foin humide, il apercevrait des grenouilles, d*^ jeunes crapauds d'énorme taille palpitant au soleil; un ou deux serpents aux souples (1) Leuciscus phoxinus, espèce d'able tirant ses noms grec, latin et français de sa blanciieur. (2) Noctoncta glauca, noctonète. Hémiptère nageant sur le dos, comme le dit son nom, et fréquent dans les eaux dormantes, aux environs de Paris. (3) Libellula depressa, libellules. La beauté de leurs formes et de leurs couleurs, la légèreté de leur vol et leurs joyeux essaims au bord des eaux, dans les beaux jours, leur ont valu le nom de demoiselles. (4) .\epa cinerea. Cette espèce, du genre Nepa, pique de son bec re- courbé et se trouve dans les eaux dormantes. — 35 — allures, et peut-être aussi une troupe de remuants cerfs- volants (stag beelles). Pour celui qui sait ce qu'est un aquarium, il pourrait y avoir lieu de protester contre la présence de ces dernières créatures; mais tous les goûts ne se ressemblent pas, et comme ici on fait commerce de tout ce qui vit. on n'est guère en droit de se plaindre de la bonne intention d'un marchand qui cherche à contenter tout le monde. Mais à côté de cetîe espèce de ménagerie se trouvent les plantes que réclame un aquarium, Vanacharis et la vaUsnerit, le nymphéa blanc et les autres végétaux aquatiques d'usage en pareil cas ; on y trouve aussi le sa- ble et le gravier, les coquillages et les rocailles artificielles nécessaires à l'établissement complet d'un aquarium d'a- près l'idée que l'on s'en est faite à Coveni-Gardtn; cette idée n'est pas du reste la meilleure, bien qu'elle soit géné- ralement adoptée; et probablement à quelque heure du jour que le visiteur monte les degrés delapmzra, il ne manquera pas de voir e petit filet rond plonger activement et sans cesse dans les globes et les bassins pour exécuter la commande de quelqu'amateur qui attend, l'air à moitié honteux, à moitié enthousiasmé de la singulière acquisi- tion qu'il va faire. Les marchands de Covent-Garden ne sont pas les seuls, il y en a une demi douzaine environ disséminés parli ville, dontles fenêtres offrent une singulière étude, et devantces fenêtres s'assemble en général une foule curieuse d'apprentis naturalistes. C'est \k plus spécialement que se rencontrent les extravagances extrêmes de la manie de l'aquarium, et que Ton peut reconnaître combien il est facile de tourner une chose admirable en ridicule. L'un des plus originaux de ces établissemeiUs figurait naguère encore dans une de ces allées si nombreuses et si longues, si tortueuses et 3 — 36 — si fréquentées, de ces allées qui offrent au piéton qui parcourt Londres un chemin de traverse, et qui, naturelle- ment étroites, le deviennent encore davantage par les éta- lages dés faïenciers, les paniers des fruitiers, les boites des ferrailleurs, les étaux odorants des marchands de ma- rée, les boutiques des fripiers avec leurs awas de belles robes surannées, de vieux souliers et de vieilles bottes obstruant le passage. Il y avait à cette boutique une large et haute fenêtre où l'on voyait de haut en bas, d'un bout à l'autre, empilés, entassés, tous les vases imaginables remplis à rase d'animaux que l'on supposait convenir à un aquarium. Si j'en excepte une seule bâche carrée placée dans un coin, et qui abritait dans une eau verdâtre une collection piteuse d'anémones, tout l'établissement n'of- frait que des animaux d'eau douce, et pour former cet amas il avait fallu dépeupler les mares et les fossés de tous les champs et de tous les chemins des environs. Sur la plus basse tablette de cette fenêtre on avait rangé les vases les plus lourds : ainsi on y voyait plusieurs de ces malras de cristal qui brillent d'une lumière colorée chez les pharmaciens; ils étaient noirs, grâce à l'accumu- lation de têtards, de limaçons d'étang et de salamandres en couches superposées et tellement écrasées qu'on pou- vait se demander si le marchand n'était pas en contraven- tion avec la loi relative à la protection des animaux. Les poissons rouges, les carpes de Prusse, k'S goujons et les épinoches étaient un peu mieux traités, et cependant on les voyait nager à la surface de l'eau, ouvrant énormé- ment la bouche pour respirer, et pour leur propre compte semblant fort peu enthousiasmés de l'aquarium. Sur une tablette plus haute et plus étroite étaient rangés, serrés l'un contre l'autre, de petits globes, des jarres, des bo- caux où figuraient un assortiment de petites grenouilles, — 37 — d'araignées d'eau, de phryganes (1) et d'autres larves, avec de plus gros échantillons de lézards d'eau, plus beaux que ceux de l'étage inférieur, et par conséquent ayant plus d'espace pour prendre leurs ébats ; ils jouissaient de plus d'un brin d'anacharis destiné à purifier leur eau. Sur les tablettes les plus élevées étaient des fioles et des vases à jacinthes remplis de bêtes que des gamins en extase baptisaient de noms triviaux, mais que, dans son élé- gant latin, le marchand nommait le grand et le petit di- dieiis ou scarabée vorace. L'intérieur de la boutique ressemblait à l'extérieur : comptoir, tablettes et plancher, tout était chargé de toute espèce de vases, contenant ou devant bientôt contenir les malheureuses victimes de la manie à la mode. Si maintenant nous passons de ces tentatives, dans les- quelles se développait assurément trop de zèle en faveur des aquarium, aux efforts intelligents et inspirés moins par Tintérêt que par la science, nous reconnaîtrons que Ion peut s'occuper de la vent'; et de l'achat de ces habitants des eaux sans peine et sans dégoût, et que la curiosité et l'intérêt y sont même vivement excités. Voulez vous visiter un établissement où cette nouvelle industrie s'exerce sur une grande échelle et où l'on réunisse tous les efforts pour reproduire les conditions naturelles et spéciales à ces dif- férentes familles d'animaux? Vous n'avez rien de mieux à faire que d'aller visiter la maison de M. Ltoi/d de Port- iund-Road, Régent' s-Park. ftl. L. .. tient assurément le premier rang, sans aucun rival, sur la liste des personnes qui s'occupent de servir comme lui l'étude de cette por- tion des sciences naturelles. Vous trouverez toujours chez lui tous les éléments nécessaires à la formation des aqua- (1) Phryganea grandis. Les phryganiens se réunissent dans les belles soirées d'été au bord de l'eau et y voltigent péle-méle en très grand nombre. — 38 — rium d'eau douce ou d'eau de raer ; mais c'est surtout à l'aquarium de celte seconde espèce que IM. L... consacre son altention, etson approvisionnement d'animaux marins, dont le chiffre s'élève à H ou 15 mille spécimens, offre un égal intérêt aux simples amateurs et aux naturalistes de profession. Cette ménagerie étant le produit des travaux d'une troupe organisée de col-ecLeurs dispersés çà et là dans les localités les plus riches, le long du rivage de la mer, elle offre le tableau le plus fidèle de la Faune et de la Flore océaniennes que puisse reproduire un aquarium. Cette multitude d'animaux si variés occupe environ 50 bâ- ches de cristal où elle nage au sein d'un petit océan de plus de mille gallons de véritable eau de mer (plus de 4,5i3 litres). Une fois que vous avez franchi le seuil de la porte de M. L..., vous pouvez, avec un peu d'imagination, vous croire à plusieurs milles de la poussière de Portland- Road et de la station de cabriolets qui s'y trouve; vous vous croyez transporté par enchantement dans quelque anse paisible au bord de la mer. Avec ou sans imagina- tion, vous reconnaissez et vous saluez la brise parfumée de l'Océan, et, dès le premier coup d'oeil jeté sur les bâches de cristal qui vous entourent, vous devinez que vous êtes en présence d'innombrables merveilles mariti- mes. Promenons donc nos regards pendant une ou deux minutes : remarquez ici, dans cette bâche de cristal, peu profonde et à huit faces, avec quel bonheur une jeune co- lonie de crabes prend ses ébats sur un fond de sable et de cailloux ; on les croirait encore sur leur côte natale du Dorsetshire; voyez aussi, suspendue sous celte roche en saillie, une petite porcellaue â larges pinces (1), la cousine- (1) Porcellana platijcheles. Espèce de crustacée commune sur les côtes de l'Océan. On les y rencontre ordinairement sous les pierres. — 39 — germaine du crabe de rivage et l'Iiôtesse favorite d'un aquarium. Vous remarquez dans la bàclie voisine une col- lection d'anémones , ces beautés favorites et si dignes de l'être parmi toutes le? beautés tie l'Océan. Ici l'anémone avec ses jolis bras ornés d"anneaux, et l'anémone ùettis geminacea, avec ses franges do gracieuses tentacules, se dressent avec orgueil et semblent compter sur notre admi- ration ; là un dianthus, assez gros pour être mieux appris, s'est collé contre la glace verticale de la bâche et ne nous laisse voir ainsi que sa base. Regardez attentivement ces rocailles dont le fond se hérisse; vous y verrez quelques petits dianthus dans la même attitude que le plus gros, et semblables à des étoiles de gelée colorée ; tandis que çà et là s'élèvent du milieu du sable dos tentacules disposées en cercle et qui trahissent la présence de quelque soli- taire qui aime à se creuser une demeure souterraine. Plus loin nous nous trouvons en face d'un membre de la famille des échinodermes, — c'est un hérisson armé de dards ; il avance une espèce de trompe délicate en forme de ver, tout en rampant sur le bloc de granit; ici, voyez une charmante astérie teintée de rose [uraster rubens), exécutant une semblable manœuvre; là, c'est une de ces bizarres holothuries ou concombres de mer; elle est venue respirer à la surface de l'eau. — M. L... nous donne une preuve de la sagacité de cet animal qui, dans un accès de spleen, a dégorgé ses entiailles. La pauvre créature est encore en convalescence et paraît tout à fait pâle et anéantie. A côté nous rencontrons une bâche contenant une légion de litlorina titiona; elles sont toutes à l'œuvre sur les parois transparentes; elles fauchent unepraiiic de verdâlres conferves qui nous laissent à peine entrevoir, nageant au milieu d'elles, quelques meniDres de la famille des labres ou vieilles de mer. Voici maintenant un bassin — 40 — d'eau de mer artificielle, limpide comme le cristal, et con- tenant plusieurs actinies, aussi heureuses que dans l'élé- ment natal. Ici, remarquez surtout cette belle anguicoma, à la stature droite et fière, et étalant avec complaisance ses tentacules frêles et transparentes, — c'est la reine des anémones. En vérité, on n'en finirait jamais avec ces anémones : voici devant nous anthea cerciis; voyez comme il pose sur la cime d'un rocher, allongeant de tous côtés ses longs bras qui ressemblent à des serpents ; plus bas se dresse l'énorme hunodes crassicornis, étalant les plus riches nuances. Au dessus, dans ce petit bocal qu'il occupe à lui tout seul, se trouve l'anémone Edtvanlsia vcstiia, à la forme de ver, et que découvrit Edward Forbes dans les parages de la mer Egée, auprès de l'île de Paros, et qui passait pour une espèce rare avant que les collecteurs de M. L... ne l'eussent trouvée sur la côte de Galle septen- trionale. Cette anémone offre une particularité intéres- sante ; elle se façonne un tube épais et solide à l'aide d'une sécrétion spéciale ; ce tube est à moitié enfoncé dans le sable et l'animal s'y retire à la moindre alarme. Regardez-le en ce moment : il se dégage hardiment de son tube et déploie ses nombreuses tentacules dont l'en- semble forme un disque diapré de mille taches; mais un choc léger sur la paroi de cristal le fait à l'instant rentrer en lui-même et disparaître, et l'on ne voit plus qu'une cou- ronne de sable que les yeux scrutateurs du naturaliste ne sauraient jamais remarquer sur le rivage. Si vous jetez un regard sur cet autre bocal, vous y apercevez un groupe de serpuice, qui, en vers prudents, se tiennent à l'intérieur pendant la chaleur du jour; aussi ne pouvez-vous distin- guer que l'extrémité de leur brillant panache lavé de blanc et de rose. M. Lloyd nous signale dans ce même — h\ — vase une petite tache blanche sur le tube d'un serpuia. A l'œil nu on ne peut rien voir de plus; mais, à l'aide d'un microscope, la petite taclie blanche se métamorphose en un polype hydraformed'une exquise beauté etque l'habile naturaliste espère voir bientôt se changer en un embryon de méduse. Le bocal n° 3 nous présente un couple d'arai- gnées d'eau et toute une couvée de petits échappés d'un sac d'œufs flottant à la surface; ces petits êtres exécutent mille mouvements saccadés, comme de véritables puces d'eau; ou voit qu'ils sont heureux de leur récente liberté. Le n" U n'est pas le moins curieux : on y voit une demi- douzaine de coraux scMnblables à autant de petites perles: ce sont les seuls représentants, sur nos rivages, des coraux des tropiques, ces architectes de récifs et de continents. Dans un autre endroit nous rencontrons un groupe d'épi- noches qui semblent goûter la fraîcheur dans un reccin dont ils se sont empares; une troupe de petites anguilles, dans un bocal séparé où elles serpentent avec grâce au milieu des rubans du valisnaria spiralis. Ailleurs on a groupé de toutes les façons possibles des anémones com- munes et présentant une douzaine de nuances variées; elles attendent, immobiles, leau que Ion va leur verser. Plus loin se trouvent réunis un aquarium et des touffes de fougères, groupe charmant qui fera le bonheur de l'ama- teur qui peut payer de quelques pièces d'or une ravis- sante fantaisie. Arrivés à ce point, nous heurtons un im- mense bassin aux parois d'ardoise, dans lequel M. Lloyd emmagasine d'innombrables gallons d'eau de mer (un gallon vaut l\ litres 5^,345 ou un peu plusde 4 litres 1/2). Onprend cette eau loin de la vue des côtes et on l'apporte toutes les semaines pour la débiter au comptoir à tant le gallon, comme s'il s'agissait de Porter de Londres. Mais que les futurs amateurs d'aquarium résidant à l'intérieur n'aillent — h2 — pas prendre l'alarme à cause de la difficulté de transpor- ter une telle denrée par la poste : on peut la remplacer par un paquet de sels marins, selon la formule de M. Gosse, et fabriquer soi-même son eau de mer. Ayez seulement la précaution de faire croître quelques plantes marines dans cette eau artificielle avant d'y introduire des animaux, et votre aquarium n'en vaudra pas moins pour avoir été ali- menté par la pompe de la maison. Pour couronner l'œuvre, M. Lloyd tient non- seulement une provision de plantes et d'animaux, de bâches et de vases, mais vous pouvez voir encore sur les tables de son établissement une belle collection de tous les articles rela- tifs à l'aquarium et de tous les instruments et appareils qu'il a fallu inventer. Le seul catalogue des livres est im- mense, mais tout le monde n'en a pas besoin. Vous trou- verez donc des hydromètres, des thermomètres, des loupes et des microscopes, des filtres en cristal pour aérer l'eau, des siphons pour la décanter, des tubes et des cuillers pour enlever tout ce qui pourrait blesser la sensibilité des chers petits prisonniers, Kn jetant un dernier coup d'œil sur ces innombrables vases et bassins, on se demande quelle sera la destinée de leurs hôtes si animés aujour- d'hui. Une des bizarres conséquences de la mode des aqua- rium, c'est la valeur vénale prodigieuse qu'elle a donnée à des choses qu'on n'aurait jamais cru pouvoir se changer en espèces sonnantes : un marchand de CoventGarden nous disait l'autre jour, piqué sans doute de nos innom- brables questions : < Tenez ! si vous voulez, je vous livre- rai des anacharis à deux sous piècel» — Or, l'anacharis est une de ces mauvaises herbes qui envahissent et ob- struent tous les canaux et dont ou se débarrasserait volon- tiers à prix d'or ! Il en est de même du reste, grâce aux — 43 — aquarium! Les limaçons ordinaires, lymnea et planorbis, que l'on peut ramasser par vingtaines dans toutes nos mares, le long des routes, se vendent au taux de trente six sols la douzaine; les épinoches et les ables montent aussi haut ; mais il est des scarabées qui atteignent jusqu'à 3 francs la paire ! Quant aux poissons de mer, ce sont des trésors qu'il faut payer plus cher encore. P;ir exemple, au marché aux poissons, on trouverait trop chères des lit- torines à deux sous la pièce; mais pour un aquarium le prix en est bien plus élevé, et il ne faut pas même re- garder à les payer si cher! Payer des crevettes et des che- vrettes plus de 2 francs paraît un prix exorbitant, et ce- pendant M. Lloyd vous dira lui-même qu'il n'en a jamais assez. Ces petits gobies et ces petites anguilles, que les enfants ramassent sur la côte d;ms les flaques d'eau des rochers, ou qu'ils attrappent sous les pierres à la marée descendante, il vous faudra les payer le prix du maque- reau le plus cher. Il va sans dire que les prix les plus extrordinaires sont pour les anémones. Celle qu'on appelle rtiescmbryanthe- mum, étant commune sur toutes les plages, et se trou- vant jusqu'au niveau des plus hautes eaux, vous pouvez vous la procurer à 12 sous et au-dessus ; l'anémone cras- sicornis, espèce de taille énorme, mais qui ne manque guère de mourir après huil jours de captivité (quoique, pour le dire en passant, le nouveau portier de l'aqua- rium aux jardins zoologiques, proteste contre notre as- sertion, — « .Mourir I dit-il, non, non, s'il vous plaît; j'en ai ici dans une bâche que je conserve depuis trois ans! »), ne se vend pis moins de 24 sous ! mais pour avoir un bel exemplairede l'anémone anguicoma,hMis, dianlhns ou gemmacea, il vous faut payer au moins k ou 5 francs ; vous n'aurez pas la jolie anémone fraise à — 44 — moins de ô fr. ; et s'il vous prenait envie de posséder l'es- pèce nouvelle, Edwardsia, il faudrait y mettre jusqu'à 8 ou 9 francs. Il nous serait aisé d'allonger cette liste, ce prix-courant, mais en voilà bien assez pour vous montrer que notre marchand d'aquarium n'exerce pas un luimble trafic et qu'il sait faire rendre justice à ses hôtes océa- niens, au point de vue financier aussi bien qu'à tout autre. Mais pourquoi ces prix extraordinaires ? Il ne faut pas en chercher la cause longtemps et bien loin ; pesez bien toutes les circonstances et vous trouverez ces prix raison- nables : que de risques, que d'accidents imprévus pour maintenir vivantes tant de créatures diverses ! Eh bien! il faut payer ces risques et périls! Les collecteurs doivent gagner leur vie en recueillant ces animaux avant que le marchand ne les ait en sa possession pour gagner la sienne à son tour. L'homme qui fournit les animaux d eau douce est presque toujours un pauvre diable, le digne pendant de l'oiseleur traditionnel que nous avons par fois rencontré, cheminant vers sa demeure, le dos péniblement chargé de cages et de filets. On peut voir ce pauvre pê- cheur pendant une matinée d'été, à quelques milles de Londres, ramassant des salamandres et des scarabées dans les fossés de la route ou péchant au filet dans les mares et les étangs: guettez-le le soir au retour, examinez ses vases de fer- blanc, vous y verrez une foule de créatures entassées et pantelantes; la moitié sera morte avant qu'il n'ait pu les livrer au marchand, à la ville. Les collecteurs d'ani- maux de mer sont d'un ordre tout différent : ils ne se met- tent à Tceuvre qu'après s'être procuré des bottes et un ceinturon, un panier et des bouteilles, un ciseau, un mar- teau et un levier ; il leur faut de plus des yeux de lynx et des mains adroites à manier leurs outils. Qu'un simple — i5 — amateur descende à la côte pour y passer un jour d'au- tomne, puis qu'il en revienne les mains vides après une journée d'aventures au milieu des falaises et des flaques d'eau ; rien de mieux ! mais celui qui est collecteur de profession doit revenir les jarres et les bouteilles pleines, après chaque retraite des flots. M. L.... n'emploie pas moins de quatorze de ces pê- cheurs de profession qui sont continuellement occupés à peupler ses bassins et ses bâches ; et dans tout le ruban de côtes qui se déroule depuis Douvres jusqu'au golfe de Solway et qui embrasse le sud et l'ouest tout entiers, il n'est pas une seule importante localité qui ne soit par eux mise à contribution au profit de ses aqu;irium. Le voyage pour revenir de la côte à Londres ne saccomplit pas tou- jours sans accidents assez graves. Un long trajet par une journée chaude, fût-ce par un train express, ne contribue guère au bien-être de créatures habituées aux rivages des mers et aux rayons du soleil. Il arrive quelquefois en pareil cas que chevrettes et crevettes perdent leur pâ- leur de fantôme et se présentent la queue repliée en des- sous avec leur teinte bien connue de rose ou de brun; quant aux anémones, on les prendrait pour ces coquillages qui se débitent tout cuits dans les rues de Londres; les crabes sont devenus rouges et les poissons flottent le ventre à l'air. Voilà comment un approvisionnement considérable coûte si cher; de plus, représentez- vous que de soins il faut pour maintenir en bonne condition quelques milliers d'a- nimaux, et vous comprendrez sans peine pourquoi la passion des aquarium peut coûter si cher. Si le naturaliste, M. Gosse, est ce que nous croyons, il doit parfois être épouvanté en pensant aux désastres qu'il a occasionnés aux petites créatures qu'il aime si tendre- ment. On est réellement effrayé quand on songe à l'im- — 46 - mense destruction causée par les aquarium, destruction qui s'attaque surtout à des classes d'animaux qu'aupara- vant la persécution n'avait jamais atteints; et n'allez pas croire que ce soit entre les seules mains des pécheurs et des marchands que périssent ainsi des myriades de créa- tures; il en meurt bien davantage quand, échappées aux premiers périls, elles tombent entre les mains de simples amateurs. Il faut en convenir : ces personnes-là ignorent ou négligent trop généralement les principes essentiels d'un aquarium; elles entassent poissons, mollusques et crustacés dans leurs biches et leurs bassins, et s'étonnent bientôt d'y voir la vie languir et s'éteindre. La première, la condition essentielle d'un aquarium, c'est la présence de plantes vivantes pour y dégager l'oxygène nécessaire à la vie des animaux: faute d'observer cette condition, en n'em- ployant que des végétaux morts ou mourants, on compte- rait en vain sur la réussite de sou aquarium. Pour en as- surer le succès, commencez donc par le garnir de plantes, attendez ensuite des preuves que ces plantes ont repris et végètent avec vigueur , alors vous pouvez introduire vos petits animaux sans péril ; et il suffira d'observer les pré- cautions les plus simples pour les conserver en vie indé- finiment. La plus commune, la plus fatale erreur au sujet d'un aquarium, c'est d'y entasser les animaux. On s'imagine généralement qu'une bâche ou un bassin ne sera bien peuplé qu'après y avoir accumulé une multitude d'ani- maux qui n'y trouveraient pas assez de place pour remuer en liberté et pour montrer en conséquence leurs habitu- des caractéristiques. A cette erreur s'en joint d'ordinaire une autre également nuisible : on n'assortit pas les ani- maux convenablement. Le jardinier mal habile gâte la beauté de ses bordures en les composant de fleurs qui ne — hl — font que se nuire réciproquement sans contribuer à l'elTel général; de même, l'amateur extravagant manque le but de l'aquarium, en y réunissant des êtres disparates et deux fois plus nombreux que l'espace et la nature ne le comportent. Dans la plupart des aquarium que l'on rencontre à Londres, ces erreurs sautent aux yeux. Ainsi, rien n'est moins rare que de voir une bâche élégante, de grandes dimensions, ornée de pittoresques rocailles (au- tre erreur) et d'un jet d'eau, dans laquelle on n'aperçoit qu'une masse d'animaux hétérogènes : poissons rouges, goujons, épinoches, salamandres se tordent pêle-mêle, et le bienheureux petit nombre qui nage à la surface ouvre une bouche pantelante et semble près de suffoquer. Avouez-le ! votre aquarium est un lieu de torture où les pauvres poissons, n'ayant qu'un air impur à respirer, doi- vent périr avant le temps. On va même jusqu'à mettre ensemble des animaux dont les uns servent de proie aux autres. Des larves de libellules, des scarabées et des noc- tonèles avides de sang, sont de celte manière groupés dans une bâche où ils ne se contentent pas de dévorer les petits poissons, mais encore se jettent les uns sur les au- tres et convertissent l'aquarium en un champ de bataille et de massacre. Un autre danger dont il faut se garder, c'est l'exposition inintelligente de l'aquarium à l'action de la chaleur et de la lumière du soleil. Ces deux principes sont indispensa- bles jusqu'à un certain degré passé lequel commence le danger. Sous l'influence d'une trop vive lumière l'eau se trouble parce qu'il s'y développe une végétation micros- copique qui va s'accumulaut sans cesse sur les parois de cristal de la bâche, et qui cache comme d'un voile verdâ- tre tout l'intérieur du vase ; une température trop élevée peut en tuer les habitants. Il faut donc, en été, protéger — 48 — continuellement votre aquarium contre la lumière à l'aide d'un écran. Ici la négligence peut faire perdre à l'amateur une collection précieuse ; c'est ainsi que, bien des années avant l'invention de l'aquarium, nous avons perdu toute une république de têtards dont nous observions, jeune en- core, les curieuses méiamorphoses. Il importe aussi, quand on monte un aquarium, de n'y introduire que les animaux dont les conditions d'existence puissent être reproduites. Vous voyez souvent dans les aquarium des êtres pour lesquels ces aquarium ne sont pas faits; mais qu'arrive t il? à peine introduits, ils lan- guissent et meurent. Cela arrive surtout aux animaux qui vivent à de grandes profondeurs dans la mer, et aux pois- sons qui aiment a courir et à voyager. On essaya, lors de l'ouverture de l'aquarium aux jardins zoologiques, d'accli- mater certains crabes aux longues jambes, et hôtes des profondeurs de l'Océan, — et puis des araignées de mer, comme on les appelle vulgairement, enfin des ophiuridœ non moins curieuses. Ce sont ces frêles étoiles de mer, dont Edward Forbes nous adonné l'intéressante monogra- phie; mais on ne tarda guère à reconnaître que la mince couche d'eau des bâches et la lumière trop vive étaient fort peu favorables au bien-être des petits étrangers, et l'on a renoncé à un second essai. Il y a aussi plusieurs espèces d'anémones qui séjournent dans les recoins som- bres et caverneux et dans les fissures de rochers profon- dément submergés et que l'eau n'abandonne qu'aux ma- rées les plus basses; ces anémones ne conviennent nulle- ment à l'aquarium et ne font jamais qu'y languir. Comme il ne manque pas d'animaux convenables, il est absurde, 11 esl cruel de f..ire dun objet naturellement beau et at- trayant un spectacle de tortures et d'agonies. Nous conseillons donc à la personne qui possède un — 49 — aquarium (homme ou femme, car rien ne sied mieux à une dame) de n'y placer que les animaux qui doivent y prospérer; que le nombre soit en harmonie avec les di- mensions et aussi avec les plantes vivantes de cet aqua- rium ; on sentira alors, comme récompense de ses soins, naître l'inlérêt et le charme, et Ton aimera ce petit monde aquatique qu'on aura su rendre heureux. Si l'on se pro- pose un aquarium d'eau douce, il faut renoncer aux ro- cailles inutiles ainsi qu'aux scarabées et aux salamandres, à moins qu'on ne les garde dans des vases à part. On com- mencera par s'assurer que les anacharis et les valisne- ria ou tout autres plantes fonctionnent bien, puis on in- troduira quelques poissons rouges, des goujons et des ables (point dépinoches! ce sont de petits démons tou- jours prêts à se battre!). Vous y pourrez joindre une jeune anguille ou deux, et l'indispensable brigade de lymnta et de ptanorhis pour dévorer la végétation superflue, et vous aurez une bâche limpide, fraîche, agréable à voir, habitée par une population saine, active, et qui vous inspi- rera un intérêt et un charme toujours nouveaux. Cepen- dant l'aquarium d'eau de mer est le plus en faveur ; sans doute c'est parce que d'abord ses plantes et ses habitants sont moins familiers et moins prosaïques, ensuite on y volt des créatures aux formes plus curieuses et plus élégantes et aux teintes plus variées et plus brillantes. Mais ici encore un plan simple et un nombre modique sont la condition essentielle dun efl'et pittoresque. Un aquarium d'eau de mer trop rempli rappelle le réservoir de ces bateaux de pêche hollandais, et conviendrait mieux aux arcades de BUtingfgaie qu'à l'élégant salon d'un amateur. Je ne connais rien de plus beau qu'un aquarium habilement disposé, quelque simple qu'il soit dans ses prétentions. Une simple cloche de jardinier, posée la tête en bas sur — 50 — un support de bois, el dans laquelle on a jeté une poignée de sable et de cailloux autour d'un ou deux blocs de gra- nit, après qu'il s'y sera développé quelques algues vertes ou rouges, pourra recevoir cinq ou six anémones, un groupe de scrpufœ, quelques sauterelles, et un petit gobie ou un petit blennie; vous posséderez alors un objet que jamais personne pensive et intelligente ne se lassera d'observer. Il va sans dire qu'avec plus d'espace et une plus grande variété d'objets, l'aquarium offrirait aussi plus d'attraiis. Parmi les favoris digues d'entrer dans des bâches de plus grandes dimensions, je signalerai ce charmant petit crabe surnommé porcelaine (on l'appelle aussi hroad-claw), et son parent de turbulent renom le crabe soldat ; ce crustacé, moitié crabe, moitié écrevisse, qui, dé- pourvu de têt, cherche la coquille d'un mollusque défunt, s'en empare et se promène çà el là traînant péniblement sa demeure adoptive derrière lui. Il y a encore la petite sepiole, ce membre le plus petit de la tribu vorace des céphalopodes; on le voit s'élancer en zig-zag, s'enterrer dans le sable, puis sillonner l'eau comme un éclair; et les gracieuses crevettes et chevrettes, ces aériennes créatures qui, pâles et légères comme de jolis fantômes, glissent en faisant d'insaisissables mouvements. Vous avez aussi parmi les poissons les labres, aux mille splendides nuances, heu- reux de se cacher au milieu des aiguës et des rocailles, le mulet aux reflets d'argent, les gobies à l'air de jolis démons, le syngnalus et les plies, qui excitent tant d'ad- miration chez les badauds visiteurs des jardins zoologi- ques; je passe sous silence les asiéries et les hérissons qu'il est si difficile de conserver, mais qui récompensent de la peine qu'ils occasionnent. On les verrait manœuvrer leurs tentacules effilées et délicates, ramper le long des ro- chers et des parois transparentes de leur palais de cristal. En un mot, il y a une variété infinie dans les formes des animaux que peut offrir un grand aquarium, et pour peu qu'on leur donne des soins intelligents, ils vivent indéfini- ment et finiront par devenir des hôtes et des amis insé- parables de la famille ; viennent-ils à mourir (cor c'est un tribut qu'ils doivent payer aussi bien que nous), quand ils atteindraient la belle vieillesse des anémones de sir J. Dalyell, on trouverait encore pour les pleurer des larmes aussi sincères que pour l'oiseau des Canaries que nous ra- vit la mort. Un des plus importants résultats de la popularité de l'aquarium, c'est l'impulsion qu'il a donnée à l'élude de la Faune Océanienne. On a vu des personnes tellement charmées de ce qu'elles ont pu voir chez elles de la vie des chevrettes, crevettes et anémones, qu'elles ont résolu d'aller les étudier dans leur élément natal, dans les fentes des rochers et les flaques que la marée basse abandonne le long du rivage. Il en est résulté pour les personnes qui vont prendre les eaux un nouvel élément d'occupation. Il est vrai qu'un y rencontre toujours les mêmes badauds, flânant sur la grève, les mê- mes parties de bateau et d'àue, des lecteurs plongés dans leurs livres et des demoiselles enthousiastes que ravit d'admiration la teinte sombre et azurée de l'Océan ; mais ;» côté de ces niais admirateurs, on voit maintenant pa- raître une nouvelle catégorie de visiteurs, calculanirheurc exacte des grandes marées et des plus basses eaux, ne parlant que de scrpuke , niidibranchi et zoophytea, alTectant de porter des bottes ù gros clous, des vêtements qui bravent l'eau, d'énormes paniers pleins de pots à con- fiture, de bocaux, de fioles, cl qui ne manquentjamais de fuir vers le rivage à chaque uiarée montaïUc, mouillés, trempés, répandant autour i\'QW\ une odeur qui les ferait h — 52 — prendre peur des tritons métamorphosés en simples mor- tels et quittant pour la première fois les profondeurs de l'Océan. Et n'allez pas croire que devant les dandys du costume le plus correct, le plus irréprochable, nos col- lecteurs de coquilles et. de varechs se sentent embarrassés ou humiliés ; on a beau les lorgner d'un air dédaigneux, prendre des airs d'orgueilleuse pillé pour leur faiblesse, ils bravent de tels dédains. Ils ont lu le poème de (îlaucus, et peut-être est-ce M. Gosse qui les a lui-même initiés aux mystères de leur nouvelle profession; aussi, loin de rougir de se montrer pataugeant à travers les plantes marines et explorant les mares et les flaques d'eau, ils ne compren- nent pas l'indifférence des promeneurs en présence des mille objets si beaux et si intéressants qu'ils foulent sous leurs pieds dédaigneux en suivant la zone du rivage, que la mer quitte et reprend tour à tour. Voilà déjà plusieurs années que cette branche intéressante de la zoologie excite une attention de plus en plus croissante; mais, depuis l'ap- parition de l'aquarium, celte étude est devenue populaire et à l'ordre du jour, à l'exclusion de toute autre, et l'on s'attend toujours à trouver toute personne instruite et cu- rieuse parfaitement au courant de l'Ichthyologie. Nous adresserons à nos lecteurs le conseil d'examiner l'excellent petit manuel de zoologie des mers de M. Gosse, et de consacrer un peu de leur temps à étudier le nou- veau monde que ce livre révèle à la zoologie ; et nous nous tromperions beaucoup si, après avoir lié connais- sance avec ce petit monde de l'Océan, ils n'entreprenaient pas de suite de monter un aquarium qui resterait toujours l'objet favori de leur constante prédilection. \\\^.>. — liiipMiueiic ilr E. .Ul'.IJ'i'r, G. .ivi ERRATUM. l'âge 8, 19' ligne, supprimer ces mois : il la néominie. TOULON PORT DE QUERRE J.-P.-A. MADDEN. IMPBIUERIE CEr.F, A \ EiSsAILtES, 5^', RLE t)U PLEiîiS. >y 'é- . '■^i .^ ^ ^■/ ^^^.m K-iA'^S^; ^^ ■( ]"Ani:leterre. Cherbourg est un (léti, la flotte de la Manche est la réponse. On saura, plus toi <|uon ne i)ense. si la tlolle tiançaisc est invincible. I.ps iiHlioi^ ainsi ijnt' U's iiidixidiis soiil inshnrli- venieiit portées à s'aiiDcr ou à se liair, et (|iielle (|iie soit la. cause de ces seutiiiieuls, ils poussent de si la- (1) La note sur Toulon devail fairu paitie du recueil qui pré- cède ; mais, pendant l'impresbioti, on m'a fait remarquer qu'il était possible d'attribuer im caractère politique à cette note, et que cet écrit devait être soumis au timbre prescrit par le décret du 17 février 185-2. Pour satisfaire au vœu de la loi, ou a donc fait une œuvre à part de cette note, et on l'a placée à la Hn du recueil. VoiKi la cause de la lacune que l'on remarque dans la pagination et de rinlcrversiou de l'ordre du texte. [lides et si profondes racines, (ju'il devient impossible de les arracher, et on a beau employer le fei' et le feu contre ces vigoureuses plantes, elles ne disparaissent d'un lieu que pour se montrer en dix autres à la fois. il faut avouer, k la honte de notre espèce, que la haine surtout jouit de cette énergique ténacité, et, en dépit de leurs rapports commerciaux, et industriels, politiques et littéraires, l'Angleterre el la France, quoi qu'en dise un niais optimismeou un égoïsme béat et satisfait, n'eji sont pas moins depuis des siècles deux rivales jalouses, s'observant sans relâche, et toujours prète.'i' à briser les frêles barrières qui les séparent pour assouvir une haine invétérée. Des écrivains sans cœur ou sans mé- moire pourront traiter cette haine de surannée etniei- cbez les autres ce qu'ils ne sont pas capables de sentir eux-mêmes, mais le peuple qui n'a pas le temps de les lire, le peuple qui s'instruit plus avec son cfbni- qu'avec sa tête, verra longtemps encore la flamme du bûcher de Jeanne, et entendra toujours les plaintes du prison- nier de Sainte-Hélène. Voyez si le poème de Voltaii-e a sali la gloire populaire de la Pucelle ! Le ciseau de Marie d'Orléans, la Messénienne de Casimir Delavi- gne, voilà ce que nos enfants Admirent, et naguère encore n'avons-nous pas entendu proposer de la mettre au rang des saints ? Tl est vrai qu'en la reléguant dans le ciel, on l'auraithientôt oubliée sur la terre. Je faisais ces réflexions en lisant un article qui parut il y ;ujiicl(|ues jours dans une revue anglaise, et inti- tulé: Toulon port (le guerre L'auteur o[)pose ce mot célèbre : « L'Empire, c'est la paix » à la guerre de Cri- mée et à la guerre d'Italie I! signale l'énorme extension donnée à nos forces de terre et de mer, les forteresses colossales et les ports immenses de l'Empire. Il nous représente Chei'bourg, cette forteresse maritime de première classe, comme une menace à l'adresse de l'Angleterre, mais il iu(li(jue mimoyen des'en emparer, même à peu de frais, puis il ajoule : « L'Empereur n'a coucenlré à Clu'iVMtirg iiiic Hotte énorme que parce i(u"il pense qu'il ne faut pas juoins pour sauver Cliei- liourg qu'une « invincible armada ». La Hotte li'am:aise csl-ellc iiiviiuilile ? Le (em))s seul j)ourra nous l'ap- picMidi'C, et cela peut-être plus tût (jii'on n'\ comple en général. » n passe alors de Cli(i-,.ourg à Toulou, ipi'il regarde comme unpori mililairequerEmpereur se ré.servcpour ne pas tout risquer d'un seul coup. L'arsenal de Toulon est. dit-il, un des plus vastes du monde. Après un ta- lilcau flatteur de la pui.>^sauce maritime de l'Empire, il ajoute : « Tout nous porte à croire que Napoléon a plei- nement réalisé ses plans, et qu'il est prêt, à un monieiil donné, fi engager avec nous une lutte à outrance, pour la domination de FOcéan. Nous n'avons qu'un seul moyen de le prévenir : c'est de redoubler d'activité dans nos arsenaux Cherbourg, c'est l'incarnalioji — 6 — de la haine française contre les Anglais, c'est le résul- tat de nos haines séculaires. Louis XIV, cet amer ennemi de l'Angleterre, a posé la première pierre de ce grand ouvrage, mais il n'en faisait qu'un moyen de défense, tandis que Napoléon I" en voulait faire un moyen d'attaque. Napoléon III, fidèle aux traditions de l'Empire, a réalisé les desseins de son oncle avec beaucoup d'énergie, et on peut lire dans cette énergie les vrais sentiments qui l'animent au sujet de sa puis- sante rivale. Il pi'oclama la paix du monde en Taon- tant sur le trône, mais quand on voit avec ((uelle fièvre il s'est hâté délever la puissance militaire de son l>ays, d'augmenter s;i flotte et de com])léter Cherboui-g, et ses effrayants eJïoi'ts (lerrific exertions) pour y pai- venir, on demeure convaincu qu'il dirigeait ses pen- sées vers un anlre objet que se^ œuvres, sinon son lan- gage, font coniiaitre: mais il s'est trompé en prenant l'achèvement de Cherbourg pouj- une démonstration et un triomphe : Il nous a fait lancer une flotte dans la Manche, voilà tout ! -> Toulon ne nous inquiétera jamais l;intque nous entretiendrons Malte et Gibraltar en bon état de ser- vice. Pour désarmer Cherbouig, il nous faut travaille)- sans relâche aux fortifications et au port de Douvres ; tant que ces travaux seront inachevés, la sécurité de l'Angleten-e contre une invasion françHise dépendra de notre croisière de la Manciie (channel fleet), et de — 7 - noire inquiète surveillance des mouvemenls de Napo- léon. >> Est-il vrai que tels soient les sentiments et les dispo- sitions de deux nations alliées ? Que seraient-ils donc si elles étaient en guerre ? Les différentes races d'ani- maux ont apporté avec elles en [laraissant sur In terre des instincts invincibles de haine et de destruction ré- ciproques; l'homme doit-il, lui aussi, subir fatalement In même loi que la brute ? Non ! une telle doctrine esl absurde et impie; mais commençons par reconnaître franchement cette maladie de la haine a laquelle nous sommes en proie, au lieu de In nier, et une fois instruits du iiinl. nous immiitoms Irouvcr le l'f'inède. VKI.SAII.I.KS. — IVII'I'.IMKI lE CKllF, h'J , lil'K l)i; II.KSSIS.