en FIST M nu HART NU RHIN 4 in \ re 4 DU AH tn {! LE ALT AU NN { je is ASIE RAS 1 À il AN À }) OA Wap NU TMC NE € Ï d IMPRIMÉ AUX FRAIS DU DUC DE LOUBAT, Membre Associé Étranger de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de l'Institut de France. NOrES SUR LA MÉDECINE ET LA BOTANIQUE DES ANCIENS MEXICAINS A. GERSTE S. J. ROME IMPRIMERIE POLYGLOTTE VATICANE 1909 (Extrait de la Revue des questions scientifiques, 1887-88) IMPRIMATUR Fr. ALBERTUS Lepipi, O. P., S. P. Ap. Magister. IMPRIMATUR losepHus CEPPETELLI, Patr. Const., Vicesgerens. AVERTISSEMENT Ses Votes sur la médecine et la botani- A que des anciens Mexicains sont tirées d'une série d'articles de vulgarisation publiés, en 1887 et 1888, dans la Revue des questions scientifiques. Pour reparaître maintenant, à un si long intervalle et après que tant de sources nou- velles sont devenues accessibles aux historiens comme aux archéologues, ces pages auraient dû être refondues et largement complétées. Dans l'impossibilité où il se trouve d'entreprendre pareil travail, l'auteur s'est borné malgré lui à de légères retouches, à des indications rapides ajoutées çà et la. Vaille que vaille, la modeste compilation se réimprime sur les instances et aux frais d'un savant qui ne laisse échapper aucune occasion d'encourager les efforts et de stimuler le zèle des américanistes. L'archéologie mexicaine, en particulier, doit aux initiatives ÿ + 6 AVERTISSEMENT princières de Joseph Florimond de Loubat la vie nouvelle qui l'anime aujourd'hui. Aussi le Congrès international des américanistes, tenu à Paris en 1900, saluait-il d'une acclamation una- nime ces paroles de son président: « Personne na contribué avec plus de zèle et de générosité a cette transformation de notre outillage scien- tifique que M. le duc de Loubat. Non content de fonder des prix et d'instituer des chaires, il subventionne largement des voyageurs qu'il envoie photographier et mouler les grandes ruines du Mexique et de l'Amérique Centrale; il n'hésite pas à faire reproduire ensuite à trés grands frais, au profit de nos musées, les mor- ceaux les plus importants de la sculpture in- dienne, et met entre les mains de tous”ceux qui sintéressent sérieusement aux civilisations éteintes du Nouveau Monde, des exemplaires de chacun des Codex mexicains, quil édite luxueusement en /ac-simile coloriés » ‘. Ces services extraordinaires, et bien d'autres rendus depuis, l'Institut de France a cru devoir les reconnaître par une de ses distinctions les plus flatteuses: M. de Loubat, on le sait, est un des huit membres associés étrangers de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. 1 Congrès inlernational des américanistes, X1/ session lenue à Paris en 1900, p. XVI. AVERTISSEMENT 7 Il ne sera pas inutile d'indiquer ici les prin- cipales pictographies reproduites ces dernières années, et que nous aurons plus d'une fois à citer au passage. Ces publications sont incompa- rablement supérieures, faut-il le rappeler, à celles où Lord Kingsborough engloutit sa fortune. Codex Vañcanus n° 3773, publié par la Bi- bliothèque Vaticane, Rome, 1806. Codex Borgia, publié par la même Biblio- thèque, Rome, 1898. Codex de Bologne (Cospiano), Rome, 1808. Codex Telleriano-Remensis, publié par Mon- sieur E.-T. Hamy, Paris, 1890. Codex Vaticanus n° 3738 (de los Rios), publié par la Bibliothèque Vaticane, Rome, 1900. Tonalamaïl Aubin, Berlin, 1900. Codex Fejérvary-Mayer, Paris, 1901. Codex Magliabecchiano X17I. 3, Rome, 1904. Toutes ces peintures ont été reproduites en photochromographie, sur l'initiative et aux frais du duc de Loubat. Des savants de marque les ont décrites et étudiées. Nous devons notam- ment à M. Seler les commentaires du Vaticanus 3773 (en 1902), du Borgia (1904-1909), du Tonalamatl Aubin (1900), du Fejérvary-Mayer (1901), à M. del Paso y Troncoso, si je ne me trompe, la Descripciôon del Côdice Cospiano (1898), à M. Hamy, l'/xéroduction du Teèlle- 8 AVERTISSEMENT riano-Remensis (1899); enfin au préfet de la Bibliothèque Vaticane celle du Codex Rios (1900). Mentionnons encore, à raison de son impor- tance, le Codex Borbonicus, publié en jac-simile avec un commentaire explicatif par M. Hamy (Paris, 1899), et l'excellent ouvrage que lui a consacré M. Troncoso (Florence, 1898). Quant aux autres textes figurés, sacrés ou profanes, officiels ou de caractère privé, qui ont été livrés au public depuis vingt ans, il serait trop long d'en dresser ici l'inventaire ou d'en essayer le classement. Ce double travail a été commencé par d'au- tres qui sauront sans doute le mener à bon teérmeur ? W. LEHMANN, Les peintures mixteéco-zapotèques et quel- ques documents apparentes, Paris, 1905, extrait du /ournal de la Societé des Américanistes de Paris, Nouvelle série, t. II. Cfr. CHAVERO, Calendario de Palemke, Segunda parte, Mexico, 1906, pp. 7 sq. Cfr. J. GALINDO y ViLLa, Las pinturas y los ma- nuscrilos jerog lificos mexicanos, dans Anales del Museo Nacional de Mexico, segunda época, t. II, pp. 25-56. |. ®;. D G] CHaAPITRE I. La médecine indigène au XVI° siècle. Aptitudes naturelles et acquises des Mexicains. — La médecine au premier siècle de l’époque coloniale. — Législation. — Méthodes européennes et traditions locales. L’antique civilisation des Mexicains, lentement éla- borée dans leurs temples, dans leurs observatoires, dans les collèges des /amacazque”, a un certain air de parenté avec celle de Memphis, de Thébes et de Babylone. À comparer, notamment, leur chronologie et leur astronomie avec les données que fournissent les monuments de l'Égypte et les tablettes des Assyriens, on est frappé des ressemblances non moins que des contrastes. Si le paralléle était établi en détail, il tournerait peut-être, sur plusieurs points, à l'honneur de l’Anahuac ?°, Les peuples orientaux, il est vrai, furent 1 Cfr. SAHAGUN, Zistoria general de las cosas de Nueva España, t. I, lib. IV, pp. 271 sqq., édit. Bustamante, México, 1829-1830. C'est l’édition que nous citerons constamment, sauf avertissement contraire. 2 Anahuac s'emploie ici dans le sens généralement reçu. L’étymo- logie du terme et la portée qu’il a dans les textes anciens, sembleraient lui donner une signification plus restreinte (E. SELER, Gesammelle Abhandlungen zur Amerikanischen Sprach-und Alterthumskunde, Berlin, 1904, t. II, pp. 49-77). Disons aussi, une fois pour toutes, qu’en prenant les termes de VNañoas ou Nahuas, Toltèques, Mexicains, Aztlèques, etc., dans l’acception vulgaire, nous n’entendons préjuger aucune question ethnographique. (Voyez d’ailleurs SELER, Ueber den Ursprung der alla- mertkanischen Kulturen, et Ueber den Ursprung der mitlelamertkant- schen Kulluren, op. cit., pp. 16 sqq., 23 sqq.). 10 CHAPITRE I les premiers en date, et il s’est trouvé des auteurs pour reconnaître en eux de lointains initiateurs de la science mexicaine. Quoi qu'il en soit, là même où nous voyons les Nahuas livrés à leurs propres ressources, sans traditions et sans guides, tout accuse une race des plus intelligentes. Leurs connaissances techniques, leurs aptitudes industrielles nous saisissent d’admira- tion. Et non seulement quand ils avaient vu travailler quelque artiste étranger, ils s’élevaient d'emblée à la hauteur de leur maître‘; mais ils inventaient, et leur initiative sut produire des chefs-d'œuvre. Dans le domaine des sciences, rien ne révèle leur génie comme les progrès réalisés en astronomie, en botanique et en médecine. Ils s’y montrent du reste avec leurs défauts et leurs qualités, avec ce perpé- tuel mélange de grandeur et de puérilité, d'observa- tions profondes et d’incroyables superstitions. De là sans doute tant d’appréciations contradictoi- res. Il règne, parmi les historiens, un double courant, deux systèmes, si l’on veut, auxquels les préoccupa- tions politiques ou religieuses ne sont pas toujours étrangères, mais qui tiennent un peu aussi à la cons- titution même de ces peuples si étranges, si bigarrés. Pour les uns, jamais race humaine ne fut mieux douée. Laissée à elle-même et au jeu normal de ses institu- tions, elle aurait bientôt dépassé les nations de l’ancien 1 Cfr. MENDIETA, /istortia ecl. indiana, lib. IV, cap. 13, pp. 407 sqq.; Memoriales de Fray Toribio de Motolinia, manuscrilo de la coleccion del señor Don Joaquin Garcia Icazbalceta. Publicalo por primera vez su hijo Luis Garcia Pimentel, Méjico, 1903, P. I, c. 59, p.176; SAHAGUN, op. cit., t. III, p. 70; cfr. BERNAL Diaz DEL CASTILLO, Æisloire véri- dique de la conquête de la Nouvelle-Espagne, trad. Jourdanet, 2° édit., GOT, p. 241. LA MÉDECINE INDIGÈNE AU XVI® SIÈCLE II monde les plus avancées; la malencontreuse interven- tion de l’Europe, la fondation de l’empire colonial l'arrêtérent dans son développement. Mais d’autres traitent de fables toutes ces splendeurs. Il ne faut, semble-t-il, chercher la vérité ni dans ces dithyrambes, ni dans ces dénigrements. Du moins est-il hors de doute que les Nahuas aimaient passionnément la nature; tout les poussait à l'étudier: leur passé, leurs instincts, les conditions du pays. Les investigations poursuivies durant des siècles, les notions transmises d’une génération à l’autre et cons- tamment enrichies, avaient fini par créer un sérieux enseignement. Si les Espagnols apportérent aux indi- gènes d’inappréciables biens de l’ordre moral, ceux-ci, en revanche, pouvaient leur apprendre ce que valent, en histoire naturelle, l'observation et l’expérimenta- tion directe: en réalité, comme disait Mer Moxo, les conquérants gagnérent à prendre les Indiens pour guides. Quoi qu’en aient dit de savants américanistes, l’art médical indigène survécut à la ruine de Tenochtitlan. Nous en suivons la trace après la conquête; et voilà pourquoi, avant de remonter à l'ère précortésienne, il n'est pas sans intérêt d'indiquer sommairement ce qu'étaient les médecins de Mexico au XVI siecle. M. Icazbalceta nous a facilité ce travail préliminaire, et ici nous n’aurons le plus souvent qu'à résumer son mportante dissertation . 1 Pibliografia mexicana del siglo X V7, México, 1886, pp. 159 Sqq.; et Obras de D. J. Garcia Jcazbalceta, édit. Agüeros, 1896-1899, t. I, pp. 65-124. Sous un titre trop modeste, la Prb/iograñfia contient des étu- des de tout premier ordre sur le mouvement religieux, social, littéraire et 12 CHAPITRE I La législation en cette matière témoigne de la sollici- tude du gouvernement colonial. Les ignorants et les inhabiles étaient inexorablement écartés, et des com- missions officielles s’occupaient de vérifier les titres et les diplômes. Les pharmacies se voyaient soumises à de sévères enquêtes. Les honoraires étaient taxés; une ordonnance de 1536 réduisait le taux maximum à une demi-piastre par visite. Il dut pourtant s’introduire encore d'assez grands abus, puisque, au jugement de quel- ques contemporains, vingt jours de traitement suf- fisaient à ruiner la victime, et que dans les cas dé- sespérés il valait mieux tuer tout de suite le malade, pour ne pas voir se perdre, grâce à la faculté, outre la vie de celui-ci, la fortune de son héritier. En revanche Mexico comptait alors des médecins d'un rare désintéressement, qui assistaient gratuitement les pauvres, et, empêchés parfois de se rendre auprés d'eux, payaient de leurs deniers la visite d’un confrère. D’autres construisaient des asiles pour les enfants trou- vés, des hôpitaux pour les métis et les mulatres *. Sans parler de ceux qui en temps d’épidémie s’im- provisaient infirmiers et médecins *, les religieux mexi- cains du XVI° siècle fournirent au corps médical un contingent respectable. Suivant le conseil de Cassio- dore, «ils apprenaïent la nature des plantes et recher- scientifique de la Nouvelle-Espagne. Elle suffit à honorer la mémoire d’un homme, vrai type du savant et du littérateur chrétien, que le Mexique regarde à bon droit comme un de ses fils les plus méritants. 1 Bibliografia, pp. 63 sqq. Cfr. ICAZBALCETA, La instrucciôn piblica en la ciudad de México durante el siglo XV7, México, 1893, pp. 65 sq. 2 Comment ne pas rappeler le grand franciscain Bernardino de Sahagun, qui, dans la terrible peste de 1545, faillit mourir après avoir prodigué ses soins aux naturels et en avoir enterré de ses mains plus de LA MÉDECINE INDIGÈNE AU XVI° SIÈCLE 13 chaient attentivement la vertu des mélanges ». Tous les ordres sont représentés dans ce long ménologe de moines guérisseurs. Citons, parmi les plus célébres, le franciscain Lucas de Almodovar ’, Fr. Pedro de S. Juan, le dominicain Francisco Jimenez, qui publia un résumé de l’œuvre grandiose du docteur Hernandez *; Alonso Lopez de Hinojosos, coadjuteur temporel de la Com- pagnie de Jésus 3; un prêtre augustin, Farfan, dont le Tractado brebe de medicina eut quatre éditions de 1579 à 1610; le vénérable Gregorio Lopez; enfin Juan de Unza, célébre dans les fastes de la science cléricale par ses cures merveilleuses. Quand un de ses malades succombait, le bon franciscain expiait par un supplé- ment de discipline sanglante la négligence dont il s'était peut-être rendu coupable # Si certains docteurs en fai- saient autant, ajoute un biographe, quelles rudes épau- les il leur faudrait! Quant aux théories et aux méthodes, elles étaient moins grossières qu'on ne se l’imaginerait. En dehors même des utiles notions fournies par les indigènes, notions qui ont laissé leur empreinte jusque dans les dix mille? (SAHAGUN, t. III, lib. XI, c. 12, p. 328. Cfr. Obras de... /caz- balceta, t. III, p. 140). Il trouva des émules de son zèle et de sa charité parmi ses confrères (MENDIETA, Æ/istoria eclesiastica indiana, édit. Icaz- balceta, México, 1870, pp. 513 sqq., 663), et parmi les religieux des autres ordres (ALEGRE, /Æis{oria de la Compañia de Jesus en Nueva-España, México, 1841, t. I, pp. 107 sqq.). 1 MENDIETA, Âistoria eclesiastica indiana, p. 689. 2 Quatro libros de la naturaleza y virtudes de las plantas y animales que eslan recevidos en el uso de medicina en la Nueva-España. \CAZBAL- CKTAS Op: Cit, p. 170. 3 Summa y recopilacion de cirugia, con un arte para sangrar y exa- oninar barberos, México, 1595. La première édition parut en 1578. 4 MENDIETA, /istor ia ecl. indiana, Pp. 717. ICAZBALCETA, op. cit., D. 172. 14 CHAPITRE I! ouvrages médicaux publiés alors en Europe’, plusieurs écrits du XVI° siècle accusent je ne sais quelle su- périorité de vues et un remarquable esprit de re- cherche. I faut lire, dans Juan de Barrios *, un curieux cha- pitre sur les eaux potables de la capitale. Plus loin, parlant des maladies contagieuses, il concentre sa sol- licitude sur l'hygiène publique. Il y a d’abord toute une classe de fruits dont il interdit la vente. Quand l'épidémie nous menace, il ne veut pas qu'il entre en ville du linge, des étoffes, ni des aliments plus ou moins décomposés. Les rues doivent être propres, sans traces d’immondices, ni amas d'eaux stagnantes. Il est indispensable de nettoyer, de surveiller les égouts, d'empêcher les danses des nègres, de fermer les théà- tres et les écoles, de réglementer sévèrement les bou- cheries. Qu'il y ait des hôpitaux parfaitement aménagés pour les pestiférés et pour les convalescents 5, des lavoirs distincts pour le linge des malades et celui des personnes non atteintes. Il convient de brüler les objets du défunt, d’enterrer celui-ci aussi profondément que possible, et de jeter de la chaux vive dans la fosse. De grands feux seront allumés dans les rues, des liqui- des désinfectants répandus dans les maisons. 1 Voyez, par exemple, NicoLAs MONARDES, /7is{oria medicinal de las cosas que traen de nuestras Indias occidentales, que sirven en la medi- cina, imprimé en 1569, 1571, 1574, 1580, et traduit en français, en anglais et en italien. ICAZBALCETA, op. cit., p. 178. 2 Verdadera Medicina, Astrologia y Cirugia, México, 1607. Cfr. N. LEON, Biblioteca boténico-mexicana, p. 56. 3 Sur les hôpitaux de México au XVI° siècle, nous trouvons d’inté- ressants détails dans HWéxico en 1554. Tres diälogos que Francisco Cer- vantes Salazar escribiô é imprimio en México en dicho año, édit. ICAZBALCETA, PP. 202 sSqq. LA MÉDECINE INDIGÈNE AU XVI® SIÈCLE 15 La thérapeutique s'inspirait volontiers alors des traditions locales. Plusieurs écrivains et, parmi les der- niers en date, M. Lucien Biart , disent que l’art mé- dical de l’Anahuac parait avoir médiocrement attiré : l'attention des auteurs espagnols. Est-ce bien là ce qui ressort des traités publiés au XVT° siècle et auxquels nous avons déja fait allusion? A-t-on oublié que le docteur Hernandez, envoyé à la Nouvelle-Espagne par Philippe II, passa sept années en laborieuses re- cherches? Et, avant comme après lui, que de mission- naires recueillirent avidement les remèdes du pays, pour les essayer dans les couvents et les hôpitaux! Sahagun *, par exemple, énumère toutes les maladies et propose pour chacune d'elles un traitement en vogue chez les Indiens. Au chapitre VII du livre XI de son Æistoria, il donne de longues listes d’herbes médici- nales, et avoue qu'il en a appris les vertus à l’école des docteurs de Tlaltilulco, vieillards indigènes, ne sachant pas écrire, mais fort expérimentés dans l’art de guérir 3. Nous pourrions en appeler encore au fameux jardin de Huaxtepec, où les colons continué- rent à cultiver les simples, et aux mesures édictées par la métropole pour la formation d’une flore médicale. N'allons pas cependant jusqu’à méconnaître l’op- position, tantôt sourde, tantôt bruyante, que des prati- ciens venus d'outre-mer firent parfois à leurs concur- rents mexicains. Histoire ou légende, l'épisode du 1 Les Aztèques: histoire, mœurs, coutumes, p. 213. Archives de la commission scientifique du Mexique, p. 351. 2 Historia general de las cosas de Nueva España, édit. BUSTAMANTE, t. IL, lib. X, c. 28, pp. 85 sqq. TORQUEMADA, Monarquia indiana, t. I, MD. ÆV, C. 43, D. 115. 3 SAHAGUN, t. III, p. 287. 16 CHAPITRE I. - LA MÉDECINE INDIGÈNE AU XVI® SIÈCLE doctor indio de Morelia rappelle cette hostilité. Accusé d'exercice illégal de la médecine, traduit devant le proto-médicat de Mexico et sur le point d’être châtié pour impéritie, le pauvre rebouteur supplia ses juges de respirer le parfum d’une herbe qu'il leur présenta. Tous furent pris aussitôt d’une violente hémorragie, que l'accusé les défia d'arrêter. Effectivement tous leurs remèdes demeurérent vains, jusqu’à ce que l'In- dien leur eut fait sentir une autre plante qui étancha le sang comme par enchantement *. L'art indigène a donc trouvé des incrédules; mais, d'autre part, ce qui en a été conservé par écrit, nous le devons presque entièrement à la curiosité et au zèle scientifique des Européens. CT pid:; LITE MD 282. f L° €! OT 0 sen LA DUO 2 UD 0 VU 702 CC, CHAPITRE Il. La médecine précolombienne. Ses attaches religieuses et sacerdotales. — Divinités tutélaires. — Les premiers maî- tres dans l’art de guérir. Essayons maintenant de pénétrer dans l’époque précolombienne, interrogeant, autant que possible, les monuments primitifs, et comparant aux données qu'ils nous livrent, les procédés actuellement en vogue, ca et là, au sein de la population native. Ce sera cons- tater une fois de plus avec quelle obstination beau- coup d’indigènes se cantonnent dans les pratiques héréditaires. Nous verrons en outre combien est riche la matière médicale de l’Anahuac, encore peu connue en Europe, et comment les Aztèques surent la mettre a profit. Cette étude, à peine essayée et parfois entière- ment omise par les américanistes, offre de sérieuses difficultés. Pour arriver à se faire une idée même super- ficielle des anciennes méthodes curatives, il faudrait se frayer un chemin à travers un ensemble incohérent et touffu de mythes, de cérémonies religieuses et de supers- titions. Il convient toutefois de s’arrêter un moment à ces manifestations étranges: car là revit à nos yeux une des phases marquantes de ce qu’on appelle la civi- lisation précolombienne; et, de plus, au milieu même 2 18 CHAPITRE II des extravagantes coutumes léguées par les ancêtres et constamment retenues, l’on entrevoit déja les efforts d’une race qui aspire à une connaissance plus pratique et plus rationnelle de l’art de guérir. Quelques historiens, lorsqu'ils vantent l'antique cul- ture mexicaine, ne font pas assez nettement la part des diverses tribus. Dans ces notes sur la médecine, nous n’entendons guëre parler que des Aztèques, et nous réservons les questions relatives aux nations apparen- tées ou limitrophes. On sait, en effet, que plusieurs peuplades américaines avaient des moyens fort simples de supprimer la maladie. L’affection paraissait-elle grave? Aussitôt la famille transportait le patient au point le plus élevé de quelque montagne voisine, dépo- sait à côté de lui des aliments et un vase rempli d’eau, puis le laissait à lui-même jusqu'à la mort ou à la guérison, sans permettre que personne l’approchât. Dans leurs idées, l’eau était le remède par excellence, parce qu’elle guérissait le corps en lavant les taches de l'âme’. Après trois ou quatre jours d’indisposition sé- rieuse, les Teochichimèques enfonçaient une flèche dans la gorge du patient. Ils tuaient de même leurs vieillards, pour ne pas voir se prolonger leurs souffrances, et ils les enterraient avec des démonstrations de joie et des chants qui duraient deux ou trois jours *. La plupart des tribus #eca demeurèrent étrangères au mouvement médical commencé à Tollan, et ce fut assez tard que les Aztèques eux-mêmes recueillirent cet art avec d’autres épaves de la civilisation toltèque. 1 TORQUEMADA, Monarquia indiana, lib. XIII, c. 35, pp. 490 sqq. Cir.1bid.,.cC; 27, DAS. 2 SAHAGUN, Æistoria de las cosas de Nueva España, t. II, p. 119. LA MÉDECINE PRÉCOLOMBIENNE 19 Bien entendu, ils le reçurent mélé de pratiques reli- gieuses qu'ils ne tardèrent pas à multiplier. En voici une assez remarquable. Dés que le cas devenait me- naçant, le médecin disait à l’infirme: « Tu as commis quelque péché », et le lui répétait jusqu’à ce qu'il en tirât l’aveu d’une faute peut-être déjà bien ancienne. C'était aux yeux de tous la principale médication : pour sauver le corps, il fallait d’abord purifier l'âme ‘. Ne dirait-on pas un souvenir de l’Æcclesiashique * dans les avis qu'il donne aux malades? L'idée si profonde et si juste qui inspirait ces conseils se retrouve, défigurée, chez d’autres races américaines, tout comme dans les croyances de l’ancien monde. Parmi tant de textes bien connus, nous ne voulons rappeler que la formule de conjuration découverte dans la bibliothèque d’Assur- banipal :; elle établit un rapport entre le péché et la maladie. Arrière, mauvais esprit; retire-toi de cet homme. Quand même tu serais le péché de son père, Ou le péché de sa mère, Ou le péché de son frère aîné, Ou le péché d’un inconnu, Arrière ! On sait qu'une sorte de confession était en hon- neur au Mexique avant la conquête. Bien que fort différente de celle des chrétiens, elle explique cepen- dant en partie l’incroyable empressement des Aztèques 1 Cfr. ibid., t. Il, p. 63 sqq. MENDIETA, Âisloria ecl. indiana, HDI C /41, p. 281. ICAZBALCETA, Op. cit., p. 160. 2 XXXVIII, ro sqq. Ab omni delicto munda cor tuum.….. el da locum medico. 3 FR. KAULEN, Assyrien und Babylonien nach den neuesten Ent- deckungen, 3e édit., 1885, p. 151. 20 CHAPITRE II a recevoir des premiers missionnaires le sacrement de pénitence . La divinité tutélaire de la médecine était 7oczuatl ou 7oct (notre aïeule), appelée également 72/0 innan et 7Yalli iyollo *. On la représentait quelquefois sous les traits d'une femme âgée, le visage blanc dans le haut et noir depuis le nez 3. Sa fête, qui tombait au mois ochpaniztli*, était marquée par l'immolation d'une femme nommée 70ci, comme la déesse, et ornée des mêmes attributs. Après plusieurs jours de réjouissan- ces, où les ci, c'est-à-dire les femmes-médecins et les accoucheuses, divisées en deux groupes, simulaient un combat, on coupait la tête à la 70, on l’écorchait, et un jeune homme, revêtu de la peau sanglante, allait au temple arracher le cœur de quatre victimes humai- 1 Voir à ce sujet de curieux détails dans MENDIETA, op. cit., p. 282. 2 Cfr. le fragment manuscrit de la bibliothèque nationale de México, publié par M. ICAZBALCETA, Pibliografia mexicana, pp. 309 et 312. Teleo innan veut dire la mère des dieux (/eof/, dieu; pluriel /e/eo); Tlalli iyollo, le cœur de la terre. 3 TEZOZoMoc, Cronica mexicana, édit. Vigil, México, 1878, pp. 505 et 508. Cfr. Codice Ramirez, ibid., p. 28 sqq. Sous le nom de 77açol- leotl, cette divinité jouait un grand rôle dans le panthéon indigène. Les formes diverses qu’elle revêt dans les peintures, notamment dans celles du groupe Borgia, ont été interprétées par M. E. SELER, Codex Vati- canus nr. 3773 (Codex Vaticanus B) herausgegeben auf Kosten Seiner ÆExcellenz des Herzogs von Loubat..… erlaütert von Dr Eduard Seler, Berlin, 1902, pp. 1o1, 102, 173, etc.; Codex Borgia… t. 1, Berlin, 1904, pp. 152-165, 230, 276. Cfr. Das Tonalamatl der Aubin'schen Samm- lung, Berlin, 1900, pp. 92, 93, 95, 100. 4 Sur le mois ochpanizlli et les autres cfr. E. DE JONGHE, Ze calendrier mexicain. Essai de synthèse et de coordination, Paris, 1906, p. 27 sqq. E.-T. HaMy, Codex Telleriano-Remensis, Paris, 1899, p. 7 Sqq., p. 12, et la planche r1° de la reproduction chromotypique. LA MÉDECINE PRÉCOLOMBIENNE 22 nes *. Au mois Æueytecuilhuitl, les hicr sacrifiaient encore une jeune fille à la déesse Cuacoatl. Les médecins étaient aussi fort dévots à 7zapotla- lenan où Zzapotla tenan, à laquelle ils attribuaient l’in- vention de l'huile ox, et à Zxélilion*, qui accueillait dans son temple les enfants malades. Ceux-ci, quand ils le pouvaient, devaient danser devant l’idole ou, du moins, boire une eau sainte conservée dans le sanc- tuaire $. N'y a-t-il pas là une ressemblance avec les sociétés primitives de l’ancien monde? Chez les plus civilisées, la médecine s’exerçait dans les temples et était le patri- moine exclusif de la caste sacerdotale. Les hommes qui s'étaient voués au soulagement des maladies pas- saient au rang des dieux et recevaient des autels. Les premiers annalistes mexicains nous ont laissé à ce sujet des indications vagues et fort défectueuses ; mais tout donne à penser que chez les anciens Nahuas, comme en Égypte, comme à Babylone, l’art de guérir était contenu en un certain nombre de préceptes trans- mis par chaque génération de prêtres à la génération suivante. Les traités conservés dans le temple d’/#/ofep, a Memphis, fournissaient de nombreuses recettes même D con, (1, lib. I, cap. 8: lib. Il, c. XI, pp. 6, 65. 2 Zxtlillon signifie « celui qui a la face noire, négrillon ». Rappe- lons, en passant, que les Mexicains enduisaient leurs idoles de o/%, ulli, résine brune ou de couleur plomb noirâtre (caoutchouc), et que leurs prêtres se peignaient en noir, « tellement qu’ils ressembloient à des nègres fort reluisants » (ACOSTA, Æis/oire naturelle el morale des Indes, lib. V, c. 5, fol. 243). Est-ce un détail nouveau à ajouter aux souvenirs d’une immigration nègre dont la trace semble se retrouver sur plusieurs points du Mexique ? MMHAGUN, €. I, lib. IT, ©. 1x et 30, pp. 64 et 148; t, II, Dr 1322: 22 CHAPITRE II aux médecins étrangers *. Que des #Æocalli mexicains aient eux aussi gardé des recueils sacrés, c'est une conjecture dont l’étude plus complète des monuments hiéroglyphiques pourra seule faire apprécier la valeur. Dès maintenant, un fait nous parait se dégager de l’histoire comparative des races américaines. A mesure qu'on se rapproche de leurs origines, les ana- logies avec les conceptions médicales de l'antique Orient deviennent plus précises. Chez les Toltèques, par exemple, la médecine était bien un art sacré, qui faisait partie du ministère sacerdotal, et il en fut ainsi longtemps avant la fondation de Tollan. En Californie, où nous trouvons des espèces de #yockkenmüddings des Nahuas primitifs, et où s’écoula vraisemblablement la période lacustre ou semi-lacustre de la race *, les prêtres étaient en même temps sorciers et médecins. Le pére Salvatierra l’affirme pour les naturels qu'il évangélisa; et l’opiniâtre persistance des Indiens dans leurs usages traditionnels, comme aussi les conditions spéciales des tribus californiennes, nous font reporter cette coutume à une époque reculée. Nous oserions appeler docteurs et prêtres les sorciers-guérisseurs de la Basse-Californie, les /uparan des Pericués, les dicur- nocho des Guaicures, les guama des Cochimis 5. À 1 GALIEN, /[lepi œuvôécews papuakwv Kara yévn, BiBAia &”, lib. V. Cfr. MASPERO, Aisloire ancienne des peuples de l'Orient, 3e édit., p. 8x. 2 CHAVERO, México 4 través de los siglos, t. 1, pp. 116, 117. Cfr. NADAILLAC, L'Amérique préhistorique, p. 52. 3 Cfr. CLAVIGERO, Âistoria de la antigua Ô baja California, lib. I, 8 25, p. 30 sq., México, 1852. Dans sa relation sur la Californie, le P. Baegert, un des anciens missionnaires, met en scène les sorciers-mé- decins et leurs jongleries, semblables à celles que pratiquaient leurs con- frères de l’Anahuac; mais il n’admet pas que ces magiciens fussent aussi regardés comme prêtres (WVachrichten von der Amerikanischen Halbinsel LA MÉDECINE PRÉCOLOMBIENNE 23 l'extrémité opposée de la région mexicaine, la race du sud, aprés l'invasion de la péninsule maya par des émigrants originaires du nord, avait, paraît-il, son sacer- doce réparti en quatre classes: prophètes, gardiens des rites, sacrificateurs, médecins: les chzlanes soulageaient les malades par l'application des plantes et l'emploi des sorts. Les Tarasques cependant, les Aztèques * et quel- ques tribus congénères, bien que pénétrées des in- fluences toltèques ou mayas, ne firent point de la médecine un apanage de la caste des prêtres. Dans les classes inférieures des A/exica, presque tous, hom- mes, femmes, enfants, forcés par la misère de se pour- voir eux-mêmes d'aliments et de remédes, connaissaient la vertu des plantes et leurs applications *. Maïs à côté de la médecine domestique s’éleva bientôt, nous le ver- rons ailleurs, une médecine plus ou moins systéma- tique, basée principalement, elle aussi, sur l'étude des simples. Quelques hommes s'étaient voués plus assi- dûment à ce travail, commencé, dit-on, chez les Tol- tèques, par Tlalecuin ou Tlaltetecuin, Xochicauacan, Oxomoco et Cipactonal. Ces deux derniers, homme et Californien, Mannheim, 1773, librement traduit par Charles Rau dans Articles on anthropological subjects contributed lo the annual reports of the Smilhsontan Institution, Washington, 1882, pp. 28, 32). Sur les sorciers Huichols à la fois médecins et, en certaines circonstances, direc- teurs du culte religieux, voyez LEON DiGuET, La Sierra du Nayarit et ses indigènes, extrait des Nouvelles archives des Missions scientifiques, t. IX, Paris, 1899, pp. 58 sq. : Voyez toutefois l’important article de M. Ad. F. Bandelier sur les Aztèques dans 74e catholic encyclopedia, t. II, New-York, 1907, pi-270. 2 Cfr. TORQUEMADA, Monarquia indiana, t. II, lib. XIV, c. 14, P- 558. ‘ 24 CHAPITRE II. — LA MÉDECINE PRÉCOLOMBIENNE femme, désignés parfois comme des demi-dieux ’ et comme les initiateurs de la civilisation nahua, passaient pour les premiers maïîtres de la médecine et de l’art divinatoire *. Par une curieuse coïncidence, les Quichés appel- lent Xmucane et Xpiyacoc les premiers ancêtres de la race, et leur donnent presque les mêmes caractères qu’au couple nahua :. Il va sans dire que les peuples mayas-quichés, à l'instar de leurs voisins septentrionaux, s'étaient choisi, dans leurs riches dynasties de dieux, des protecteurs de la médecine. Les ouvrages de Cogolludo, Landa, Lizana et autres fourniraient les éléments d’une étude comparative, de haut intérêt, mais trop vaste pour être abordée ici. L 1 Cfr. MENDIETA, Aistoria ecl. indiana, lib. II, c. 14, p. 97. 2 Naturellement on leur attribuait aussi l’invention du /onalamatl ou calendrier (SAHAGUN, t. I, lib. IV, c. 1, p. 284). Les deux vieillards sont représentés dans plusieurs peintures, et en particulier dans une scène du Codex Borbonicus (fol. 21 de l'édition Hamy, 1899), parfai- tement interprétée par M. del Paso y Troncoso (Descripciôn, historia y exposicion del côdice piclôrico de los antiguos Nä&uas… Florencia, 1899, pp. 92, 93, 307, 308). Les deux bâtons terminés en tête d’animal qui attirent les regards dans le dessin du Borbonicus, offrent de frap- pantes analogies avec les rakawé-kwalelé des Huichols (SELER, Dre Huichol-Indianer des Slaates Jahsco, dans Gesamnmelte Abhandlungen, t. III, p. 381). Détail significatif, les peintures, comme les vieilles légendes, associent plus d’une fois, aux deux médecins-sorciers, le dieu- prêtre Quetzalcoatl, un des personnages dont le rôle est prépondérant dans les traditions mexicaines et centro-américaines (MENDIETA, loc. cit. DEL PASO Y TRONCOSO, Leyenda de los soles,… Florencia, 1903, p. 30. W. LEHMANN, 7radifions des anciens mexicains, texte inédit et ori- ginal,.… Paris, 1906, pp. 20-22. Codex Magliabecchiano, Edit. de M. le duc de Loubat, fol. 77 vo et 78 r°). 3 Cfr. CHAVERO, op. cit., p. 281. CHAPITRE Il. La magie médicale. Sorciers malfaisants. — Magiciens guérisseurs. — Superstitions, rites, supercheries. — Amulettes et pronostics. L'art de guérir avait, on vient de le voir, plus d’une attache à la théogonie et au culte: mais l’idée religieuse allait se défigurant d'âge en âge, jusqu’au jour où elle finit par être absorbée ou, du moins, dominée par les prestiges et les incantations de la sorcellerie. Tout fantastique qu'il paraisse, le code de la magie médicale mérite un sérieux examen. En rap- prochant de la manière la plus imprévue diverses races du nouveau monde, il nous apporte un utile appoint de données ethnographiques. Sans doute, il serait hatif et téméraire de batir un système sur des ressemblances plus ou moins vagues dans les superstitions: ces mala- dies de l'intelligence humaine, ces déviations du sen- timent religieux naissent, hélas! tout spontanément chez les races oublieuses de la révélation. Nul besoin d’invoquer des relations suivies entre les peuples, et moins encore l'identité ethnique, pour expliquer com- ment l’homme de tous les pays cherche à pénétrer l'avenir, à communiquer avec un monde invisible, à conjurer les influences occultes auxquelles il impute toutes ses misères. Seulement, que cette tendance offre 26 CHAPITRE III dans des nations distinctes des caractères identiques et s'affirme souvent par les mêmes détails, sera-ce toujours là un jeu du hasard ou un fruit naturel de l’âme humaine dégradée? N'y pourrait-on voir parfois un souvenir d’origine, un lontain héritage, dont une famille humaine, en se dispersant et en se ramifiant, a porté les débris sous toutes les latitudes? Ce n'est pas encore le moment de prononcer; mais il y aura toujours profit à signaler quelques-uns des éléments de cette importante question. Dans plusieurs districts où les influences chrétiennes n’ont guère pénétré, dans d’autres où le bannissement de nombreux et zélés missionnaires vint brusquement interrompre, en 1767, l’œuvre de l’évangélisation, les indigènes ont un irrésistible penchant pour les prati- ques de la magie médicale. Il est malaisé d'en sur- prendre le détail; car ils s’en cachent devant la gente de razon (comme ils nomment les blancs) de peur d’être morigénés ou raillés. Nous avons pourtant assez vu les brujos, curanderos, conjuradores et tout leur attirail pour reconnaitre ce double phénomène qu'on observe chez tant de races à certaine période de leur développe- ment : avec l'étude des simples et l'application des pré- ceptes traditionnels, un énorme fatras de superstitions. Fous nos maux sont l’œuvre d’un esprit malfaisant ou naissent d’une influence occulte. À la moindre indis- position, le campagnard de telle ou telle province est tenté de se croire ensorcelé, exkechizado, et voilà pour- quoi le médecin, pour guérir, doit savoir dissiper le maléfice. Que de localités nous pourrions citer où la visite d’un praticien sérieux est toujours vue de très mauvais œil, tandis qu'aux premiers symptômes d’une LA MAGIE MÉDICALE 27 maladie suspecte, le ürwo (sorcier) est anxieusement attendu | Le procédé des magiciens modernes rappelle sou- vent à la lettre celui de leurs confrères précolombiens ; et maintenant comme alors leurs caprices font loi. Sans doute, au milieu de leurs incantations et de leurs conju- rations, ils appliquent de véritables remèdes, qu'ils tiennent de leurs prédécesseurs ou de leur expérience personnelle: les frictions, les breuvages, les poudres merveilleuses exercent leur action, mais la cérémonie magique a seule les honneurs de la guérison. Avant d'entrer dans l'examen de ces rites, il im- porte de mettre en saillie la distinction si ancienne et si universelle entre les kechiceros et les contrahechi- ceros, ceux qui jettent le sort et ceux qui le défont, Sorciers malfaisants. — Les peuples de l'antique Orient, les Chaldéens de Babylone, pour nous borner à cet exemple, connaissaient non seulement le magicien bienfaisant, mais encore l’enchanteur, trafiquant de phil- tres, marchand de poisons, sorcier mauvais dont les im- précations évoquaient les esprits de l’abîme et causaient toutes les maladies. Cette distinction, qui, sous une forme ou sous une autre, se retrouve aussi dans les papyrus égyptiens et dans les souvenirs ou les pratiques d’autres peuples, n'était pas inconnue aux anciens Mexicains. Les tra- ditions tarasques signalent deux classes de médecins. Les Szguame * ne guérissaient qu'à l’aide d’enchante- 1 Cfr. LAGUNAS, Arte y dictionario con oftras obras en lengua Michuacana, México, 1574; ICAZBALCETA, Pibliografia mexic., p. 160. — Chez les Tarasques, « al que se le probaba ser hechicero (siguame) le 28 CHAPITRE III ments et des manœuvres les plus bizarres. Auteurs en même temps de tous les sorts néfastes, ils étaient craints, haïs et souvent maltraités. En revanche les Xurhica, qui, au milieu de leurs cérémonies supersti- tieuses et tout en se livrant à l’hydromancie, appli- quaient des substances minérales et végétales, étaient considérés comme tout-puissants, même dans les plus délicates affaires domestiques * Chez les Mayas et les Quichés il y avait, ou nous nous trompons fort, des enchanteurs en face des prêtres- médecins; mais, à coup sur, les Nahuas connaissaient diverses catégories de sorciers *. Quelques-uns avaient la spécialité des maléfices 3. Entre autres pratiques, conservées de nos jours dans plusieurs cantons où la foi n'a pas encore pris racine, les charmeurs faconnaient, en argile ou à l’aide de morceaux d'étoffe, une sorte de mannequin, le transper- caient de pointes de maguey et allaient le placer au bord de la route, C'était l’envoutement. La personne visée par le sortilège devait infailiblement ressentir des douleurs aux endroits marqués par l’épine dans le simulacre. rompian la boca con unas navajas de /zinapu (obsidiana), le arrastraban vivo y cubrian de piedras » (N. LEON, Zos Tarascos, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. 1, 1904, p.443; cf. p.457 sq.). 1 Relaciôn de las ceremonias y ritos… de los Indios de la pro- vincia de Mechuacän, dans Colecciôn de documentos para la hisloria de España, t. LIII, cité par NicoLas LEON, Apuntes para la historia de la medicina en Michoacan, et Los Tarascos, loc. cit., dans la notex, ci-dessus. 2 M. E. Seler a recueilli sur la matière maints détails intéressants dans un article intitulé : Zawberei im alten México (Gesammelle Abhand- lungen, t. II, pp. 78-103, Berlin, 1904). 3 SAHAGUN, t. III, lib. X, c. 9, pp. 22 sq.; cfr. p. 120. LA MAGIE MÉDICALE 29 Certains ôrwyos et Ürujas passaient pour se trans- former en toute espèce d'animaux ‘. Ils apparaïissaient aussi sur les montagnes sous la forme d’un corps enflammé, franchissant comme un éclair d'énormes distances. Malheur aux maisons où ils pénétraient pour sucer le sang des enfants! Rien n'était efficace pour leur barrer la route comme d’armer de chardons portes et fenêtres, ou de placer dans la cour une écuelle contenant de l’eau et du charbon. Ces sor- ciers, universellement méprisés et abhorrés, portaient parfois le nom de #ahualli *, aujourd’hui encore appli- qué aux sorcières qui par divers enchantements se mé- tamorphosent à leur gré. Le même terme désignait une sorte d'amulette. On appelait nahualisme ou plutôt nagualisme, une superstition originaire du sud, semble-t-il, et fort en vogue chez les Zapotèques: elle consistait à regarder la destinée d’un homme comme inséparablement unie à celle d’un animal qui prenait le nom de wagual. Les magi- ciens initiaient à ces pratiques les jeunes enfants dont on leur confiait l'éducation. Ils les menaient aux champs, 1 TORQUEMADA, Monarquia indiana, t. 11, lib. VI, c. 48, p. 89; MENDIETA, /ist. indiana, t. 11, c. 19, p. 109. Zrbros de mercedes del archivo general, manuscrit, t. III, fol. 89, dans ICAZBALCETA, Don Fray Juan de Zumarraga, p.9; ORoZCO y BERRA, /istoria antigua de México, te LE ND.-24- 2 Cfr. SAHAGUN, t. III, lib. X, c. 9, pp. 22 sqq.; Dieco MuNoz CAMARGO, isloria de Tlaxcala, lib I, c. 16, édit. Chavero, p. 134. — La loi mexicaine « voulait qu’on mit à mort, en lui ouvrant la poitrine, quiconque jetait des sorts pour attirer des maux sur une ville; elle ordonnait de prendre le sorcier qui par ses maléfices endormait les gens pour pénétrer dans leur maison et les voler sans risque » (Zeves que lenian los Indios de la Nueva España, Anähuac Ô México, recueillies en 1543 par ANDRÉS DE ALCOBIZ, et publiées par ICAZBALCETA, Vueva colecciôn de documentos, t. II], p. 310). 30 CHAPITRE III et là, aprés des offrandes religieuses, apparaissait à chacun d’eux l’être vivant qui devait être son ragual ”. Magiciens pguerisseurs. — La crédulité des masses attribuant la maladie à des causes occultes, il était naturel d’en demander la guérison à des agents mys- térieux. Le sorcier persécuteur et méchant appelait le sorcier bienfaisant et libérateur. N'est-ce pas là l'explication la plus plausible de cette répugnance qu'ont eue tant de peuples à accepter d’autres médecins que des prêtres ou des magiciens ? Nos infirmités (ainsi disent les livres sacrés de l'Égypte) ne sont souvent que la manifestation visible d’un désordre caché, d'un génie malfaisant qui a pris pos- session du corps. En vain espérez-vous une guérison durable des troubles extérieurs, si vous ne chassez l'esprit mauvais dont ils trahissent la présence. De là le double rôle des guérisseurs ; de là ces ordonnances complexes, qui, tout en prescrivant des remèdes fort naturels, s’attaquent, par une conjuration, à la racine profonde de tous nos maux. Les papyrus égyptiens 1 Dans les relations mexicaines proprement dites, connues jusqu'ici, le nagualisme n’apparaît qu’à une époque assez tardive (Cfr. SELER, Zauberei im allen México, loc. cit., p. 86). Il est décrit, entre autres, dans le 7ratado de Las supersticiones y costumbres gentilicas que 09 viven entre los Indios naturales desta Nueva-España, escrilo en México por el Br. Hernandez de Alarcon… año 1629 ( Anales del Museo Nacional de México, t. VI, 1892, p. 133. Touchant les superstitions, consulter encore dans le même volume: Preve relaciôon de los dioses y rilos de la gentilidad, par PETRO PONCE, Æelaciôn auténtica de las tdolatrias, supersticiones, vanas observaciones de los indios del obispado de Oaxaca, par GONÇALO DE BALSAFLORE, 1656; Manual de ministros de indios para conocimiento de sus idolatrias, y extirpaciôn de ellas, par JACINTO DE LA SERNA ; Zn/forme contra idolorum cullores del obispado de Yucat@n, par PEDRO SANCHEZ DE AGUILAR, 1639. LA MAGIE MÉDICALE 31 nous ont transmis plusieurs de ces invocations magi- ques; et, dans les idées de beaucoup d’autres races, ce n’est qu'après avoir éloigné le démon possesseur, ou effacé le péché, ou dissipé l’enchantement, qu'un traitement pouvait être efficace. À Babylone, au lieu de médecins proprement dits ‘, il y avait des prètres sor- ciers, guérisseurs, conjurateurs, qui avaient raison de la maladie en purifiant l'infirme, en opposant une invo- cation nouvelle à l’invocation coupable qui avait frappé la victime. Des fragments conservés au «British Museum » contiennent bon nombre de ces formules libératrices. Le système médical des anciens Nahuas réposait sur une conception semblable. Pour eux, comme pour beaucoup de leurs descendants actuels, c'était un art magique, exercé tantôt par de misérables exploiteurs, tantôt par de vrais curanderos, qui administraient d'excellents remèdes sans négliger pour cela l'appareil de la sorcellerie. Regardez le 7éflacuilique, tel que le virent nos premiers missionnaires *. Il souffle d’abord sur la par- tie malade, la presse en tous sens, y applique les lèvres et la suce, pour en retirer enfin de petites cou- leuvres, des insectes, des épines, des cheveux: là était l’origine de la douleur ou du malaise. Suivant les cas, il extrait aussi des vers de la bouche et des yeux. L'on comprend avec quelle puissance ces charlatans se ren- daient maîtres de l'imagination populaire. Ceux d’au- jourd’hui n’ont pas encore désappris cet art: après le traitement, ils brisent parfois, devant le malade, un 1 Cfr. HÉRODOTE, édit. Müller, Paris, 1844, lib. I, c. 197, p. 66. 2 TORQUEMADA, Monarquia indiana, lib. XIII, c. 35, p. 492; DIV, c. 28, p. 416; SAHAGUN, t. I, lib. I, c. 8, p. 6. 32 CHAPITRE III œuf dont ils font sortir les objets divers qu'ils préten- dent avoir retiré du corps. Des documents du siècle dernier nous apprennent que, dans l'Etat de Puebla, les 4z117 où curanderos de hechizos étaient passés maï- tres en impostures et tours d’escamoteurs *. Pour accré- diter leur ministère, ils s’occupaient avant tout de con- vaincre le client qu'il était dûment ensorcelé; et, du reste, leurs manipulations pouvaient parfois à elles seules provoquer la maladie que leur victime croyait avoir reçue du mauvais sort. Quant aux fatigues du massage, de la succion, de la prestidigitation, ils s'en dédommageaient amplement, et par l'ascendant qu'ils prenaient sur la tribu, et par le prix élevé qu'ils met- taient à leurs soins. Si nos conjectures sur l’affinité ethnique des peu- ples mexicains sont fondées, il faudra retrouver chez eux, plus ou moins altérées, les coutumes du plateau central. Et en effet, les documents, les traditions anti- ques déposent en ce sens. La même où ces sources d’'in- formation font défaut, les pratiques actuelles des Indiens parlent assez d’elles-mêmes. Nous objecterait-on qu'il n'est permis d'en rien conclure pour leurs ancêtres? Mais les races ici demeurent stationnaires ou, du moins, plusieurs tribus s'offrent à nous comme des reliques vivantes d'une époque déja reculée. Elles sont les monuments authentiques du passé, monuments trop négligés jusqu'ici. En cette matière, on aurait tort, nous semble-t-il, de s'en tenir aveuglement aux relations primitives, 1 Cf. ANDRES PEREZ DE VELASCO, Æ1 ayudante de cura, pp. 93 sq., Puebla, 1766. LA MAGIE MÉDICALE 33 oubliant qu'à peu d’exceptions près, elles sont l’œuvre d'écrivains étrangers, assez bien placés sans doute pour surprendre les secrets des natifs, mais peut-être inha- biles encore à les traduire. Ces descriptions si détaillées, si minutieuses, ne reflètent pas toujours exactement l’an- cienne société mexicaine: il y manque un peu la pers- pective, la couleur locale, les nuances. Et peut-il en être autrement? Sous l'empire des idées et des impres- sions apportées d'outre-mer, les premiers colons défi- gurent parfois, à leur insu, un monde si nouveau pour eux. Et, faute de termes exacts pour exprimer les tra- ditions indigènes, ils recourent aux équivalents assez mal choisis de leur propre langue. Qu'on se rappelle ici les inappréciables travaux lexicographiques laissés par le XVI siècle: en dépit de longues et effrayantes études, leurs auteurs n’ont pas toujours réussi à saisir ni à reproduire la physionomie des langues américaines: c'est qu'ils voulaient instinctivement les ramener à des grammaires semblables aux nôtres. Ces idiomes de structure si différente, mis de force dans un cadre auquel ils ne pouvaient se plier, devaient inévitable- ment perdre quelque chose de leur caractère. Nous croyons voir les mêmes anachronismes dans mainte relation historique. Pour suppléer aux livres, plusieurs groupes d'indi- gènes, isolés, et plus réfractaires que d’autres à la civi- lisation moderne, nous sont restés comme les témoins des usages antiques. Certains détails que les livres laissent dans l’ombre, des coutumes dont nous ne pé- nétrons pas le sens, s'expliquent tout naturellement et séclairent d'un jour nouveau, si l’on examine de près les mœurs actuelles. Il en est ainsi notamment de la 3 34 CHAPITRE III magie médicale. Malgré tant de secousses et de bou- leversements, ce n’est pas seulement le type de la race et les institutions qui se sont maintenus avec une étonnante fixité; il y a des régions soustraites jusqu’aujourd'hui à l’action directe de l'Évangile, où les superstitions elles-mêmes ont traversé les siècles sans altération sensible. Ce fait se renouvelle ailleurs, mais il est ici d'une portée qui ne saurait échapper aux ethnographes. Il permet de compléter les docu- ments écrits et de les soumettre à un controle parfois indispensable. À ce titre, des témoignages relativement modernes peuvent avoir grande valeur, et nous n’hésitons pas à invoquer ceux des missionnaires du XVII siècle. En parlant de quelques tribus californiennes, leurs prêtres, disent-ils, à la fois médecins et sorciers, gué- rissent les maladies par l'application des herbes, et en imposent à la multitude en s’arrogeant le pouvoir de conjurer les maléfices. Quelquefois ils soufflent sur le membre endolori avec une telle force que le bruit s'entend assez loin. Dans d’autres cas, ils sucent la partie malade, surtout quand elle a été frappée d’une flèche. C’est un moyen d'absorber le poison de la bles- sure ; mais ils font croire au patient qu'ils retirent de son corps des morceaux de bois, de petites pierres, des épines, cause unique de la douleur. Et, afin de mieux tromper, ils cachent d'avance ces objets dans leur bouche, pour les exhiber après l'opération. Ensuite ils les enfilent en collier, et étalent ce trophée comme une preuve de leur art. Mêmes supercheries chez les curanderos magiciens de Sinaloa, qui autrefois s’opposèrent si vivement, et is. El LA MAGIE MÉDICALE 35 pour cause, à l'évangélisation de leurs compatriotes *, Maîtres de la vie et de la mort, ils étaient universel- lement redoutés. « Ces médecins endiablés, dit un vieil historien ?, tantôt soufflent avec force sur le malade, tantôt sucent les organes atteints. L’on serait tenté de voir là en somme une ventouse qui attire et dissipe les humeurs. Malheureusement, tout cela est mélé de tant de superstitions et de tromperies que nous n’'osons nous y fier. Ils donnent à entendre à leurs victimes qu'ils leur enlévent du corps des bâtonnets, des épines, de petites pierres (que ces imposteurs dissimulaient dans la bouche ou dans la main). La cure faite, ils montrent ces objets avec ostentation….. Ils guérissent les blessures de flèche en suçant le poison... et n’en sont guère en- dommagés, car ils crachent aussitôt le poison, qui n’est pas mortel s'il ne pénètre dans le sang et ne s’incor- pore avec lui ». Du reste, ils attribuaient leur puis- sance au démon, nommé par eux abuelo, aïeul, sans trop se rendre compte s'il était créateur ou créature. Il leur apparaissait, disaient-ils, sous la forme d’un ser- pent ou de quelque autre animal. Les habitants de la Sierra de Topia, au témoignage de Ribas 5, avaient aussi des Lechaceros, dont les sorti- 1 ANDRES PEREZ DE RiBAs, Æistoria de los triumphos de nuestra santa fee entre gentes las mas barbaras, y fieras del nuevo Orbe, Madrid, 1645, lib. VI, c. 5, p. 386 sqq. 2 Ibid., lib. I, c. 5, pp. 17 sqq. En 1892, lors d’un voyage d’explo- ration dans la Sierra Madre de l’état de Chihuahua, on nous dénonçait des pratiques semblables dans la fraction restée païenne des tribus Tarahu- mares. D’après M. Nicolas Leën, les Popolacas donnent aujourd’hui encore dans le même travers (Conferencias del Museo Nacional, seccion de etnologta, Num. 7, Los Popolacas, México, 1905, p. 14). Du reste le magicien ou médecin-suceur a été connu sous toutes les latitudes. PEREZ DE Risas, lib. VIII, c. 12, p. 496. Cfr. p. 474. 36 CHAPITRE III lèges faisaient peur, parce qu'ils donnaient la maladie ou la santé, la vie ou la mort, des récoltes abondantes ou la stérilité. Sur les Mayas, les données sont moins précises. Nous savons pourtant que des vieillards sorciers pro- nonçaient des formules d’enchantement sur les femmes enceintes, et guérissaient les morsures de vipères. Ils entendaient aussi des confessions et jetaient des sorts avec des grains de maïs. Il serait fastidieux de multiplier ces citations. Pas- sons du Mexique à une autre partie du continent amé- ricain, et les peuplades sauvages de l’Orénoque nous fourniront ample matière à rapprochements. Leurs mé- decins (appelés, suivant les tribus, #oanes, piaches, alabuqguis), pour accréditer leur pouvoir, se disaient en rapports suivis avec des génies invisibles *. Les fraches commençaient par prescrire un jeune rigoureux au malade et à toute sa famille, ou défendaient à qui que ce soit dans la maison de se livrer au sommeil *. Les mojanes posaient en médecins habiles et se vantaient d'en finir avec la maladie rien qu’en suçant l'organe affecté. Souffrait-on, par exemple, d’un mal d'estomac? Ils arrivaient, cachant dans la bouche des racines ou des herbes; puis, après avoir appliqué les lévres sur le siège de la douleur, ils montraient triomphalement les prétendues racines extraites de l’estomac. Chez les Otomaca, la succion était si forte qu'elle faisait jaillir le sang, et, dans ce sang, le guérisseur montrait les 1 El Orinoco ilustrado, historia natural, civil y geographica, escrita por el P. JosepH GuMiLLA, de la Compañia de Jesus, Madrid, 1741, PP. 309 sqq. 2 Ibid., p. 147. LA MAGIE MÉDICALE 37 éclats de pierre qui étaient les mystérieux agents de l’infirmité. Souvent aussi les docteurs jetaient à profusion de l’eau froide sur leurs clients, ou bien, comme chez les Guaybas et les Chiricoas, le patient était plongé dans l’eau jusqu’au cou. Quelques tribus mexicaines, le lecteur s’en souviendra, accordaient tout crédit à un traitement analogue. Les médecins des Guaranes (Guayra), demi-sorciers, se disaient investis par le ciel lui-même du don de guérir. En somme, ils ne guérissaient que l'imagination: car, pour tout remède, ils se contentaient de sucer la partie malade et feignaient d'en extraire divers objets qu'ils tenaient cachés dans la bouche *. Enfin, dans les tribus des Chiquitos, une ordonnance médicale complète se composait de deux prescriptions: d’abord sucer le membre endolori, quelle que soit la nature du mal; puis vouer une femme à la mort, parce que c'est des femmes que proviennent tous les malheurs *. Plus au nord, à la côte de Paria, les féticheurs fai- saient croire au malade que des influences hostiles lui avaient introduit dans le corps des lames, des couteaux pp desvpierres 5, Les Bohiques, prètres-médecins de Haïti, em- ployaient eux aussi une médication semblable à celle des Mexicains de Sinaloa #, Ces superstitions avaient donc envahi les contrées les plus diverses, depuis la région isthmique du con- 1 CHARLEVOIX, Historia Paraguayensis, Venise, 1779, lib. IV, p. 53. 2 Ibid., p. 215. JUAN PATRICIO FERNANDEZ, S. J]., Æelacion historial de las missiones de los Indios que llaman Chiquitos, Madrid, 1726, c. 2, pp. 28sqq. 3 TORQUEMADA, Monarquia indiana, t. II, lib. VI, c. 26, p. 55. Mibid,, tom. IE, lib. XIIE, ©: 35, p. 401. 38 CHAPITRE III tinent américain jusqu'aux îles et jusqu'aux pays méri- dionaux. La sorcellerie revêtait à peu prés partout les mêmes formes. En voici une qui parait avoir été familière chez les Nahuas: quelqu'un était-il pris de fièvres violentes, on se hâtait de fabriquer une espèce de petit chien en pate de maïs, et d'aller le fixer sur un plant de maguey, dans le chemin public. Malheur à qui passait par là le premier ! Il emportait avec lui la fièvre dont il débar- rassait le malade . On se rappellera que les Péruviens de la côte déposaient aussi sur la route les habits de l'infirme, bien surs que le passant qui les toucherait prendrait sur lui tout le mal. Armulelles el pronostics. — Les fouilles ont mis au jour un très grand nombre d'amulettes, et l’on a pu constater leur existence chez la plupart des tribus mexi- caines, depuis Tehuantepec jusqu’au nord *. — Sur les magiciens de Sinaloa, Perez de Ribas nous transmet ce détail caractéristique, qu'ils étaient en commerce avec l'esprit mauvais et qu'ils portaient dans une petite bourse de cuir le gage du pacte diabolique. Ils y ren- fermaient des pierres à moitié transparentes. Ce mys- térieux sachet était gardé et vénéré comme une re- lique 5, 1 MOTOLINIA, Memoriales, part. 1, c. 49, p. 126. 2 Les riches collections archéologiques de Mgr F. Plancarte, l’évêque actuel de Cuernavaca, en contiennent de curieux spécimens (ÆZxposicion histôrico-americana de Madrid para 1892, Secciôn de México. Catälogo de la colecciôn del Señor presbilero don Francisco Plancarte, nn. 1189- 1208, 1693, 1695, 2623-2628. Voir aussi le catalogue général de la Sec- ciôn de México, publié par M. DEL Paso y TRoNcoso, Madrid, 1892 et\1893,1: 11, p.190, tetce): 3 Æistoria de los triumphos de nuestra santa fee, p. 17. LA MAGIE MÉDICALE 39 Dans certaines conjonctures pourtant, aucun talis- man, aucun charme ne pouvait avoir raison de la fascination ou du sort mauvais; et c'était pour savoir à quoi s'en tenir que les Nahuas recouraient à de mul- tiples pronostics. Ils enchevétraient des cordelettes et les lançaient à quelque distance: demeuraient-elles mélées, le malade devait mourir: mais si l’une d'elles en tombant s'étirait, la guérison était certaine *. Ils jetaient aussi à terre, sept ou huit fois, une poignée de maïs: qu'un grain restât debout, c'était de trés mauvais augure pour l’infirme *. Afin de connaître l'issue de la maladie, surtout chez les enfants, l’on s’adressait volontiers à l’hydromancien 5, a//an feittant (devin au moyen de l’eau). Le chant du #co/ot! (hibou) perché sur la hutte ou sur un arbre voisin présageait la maladie ou la mort #, et la chouette était appelée « yautequihua, messagère du 1 MOTOLINIA, /Zisloria de los Indios de la Nuera España, trat. 11, C. 8. MENDIETA, /Zisé. ecl. indiana, lib. 11, c. 19, p. 110. 2 TORQUEMADA, AMonarquia indiana, t. II, lib. VI, c. 48, p. 84. Cette superstition affectait des formes bien diverses. Très curieuse celle que rendent le dessin et la légende du Zrbro de la uida que los Yndios antiguamenta hazian y supersticiones y malos ritos…. C’est le folio 78 du Codex Magliabecchiano XTIT, 3, manuscrit post-colombien de la Liblio- thèque nationale de Florence, reproduit en photochromographie aux frais du duc de Loubat, Rome, 1904. Dans l'édition due aux soins de Mme Zélia Nuttall, en 1903, la scène occupe le feuillet 66. 3 Cfr. SAHAGUN, t. I, lib. I, c. 8, p. 6. HERNANDEZ DE ALARCON, Zratado de las supersticiones… (Anales del Museo Nacional de México, LVL 1002, pp. 194, 197). 4 Le hibou, symbole de la mort, apparaît dans le Tonalamail Aubin, f. 9, dans le Codex Borgia, f. 7, dans le Cospiano, f. 7, dans le Vati- canus 3773, fl. 8, 13 et 30, où nous le voyons associé à Tlaçolteotl. — Les plus célèbres de nos anciens codex, en particulier ceux qui relèvent du groupe Borgia, s’employaient principalement comme livres divina- toires. Le tonalamatl faisait connaître aux augures les jours propices ou néfastes, les chances diverses de bonheur ou d’infortune. 40 CHAPITRE III. — LA MAGIE MÉDICALE dieu et de la déesse des enfers », parce qu'elle venait, disait-on, visiter le malade au nom du funébre wzcélan- tecutli. Si l'on rencontrait en chemin le ver pirawztlr, il fallait tracer sur le sol deux lignes en forme de croix et, plaçant l’insecte au centre, voir quelle direction :k prenait: rampaitil vers le nord, c'était un arrêt de: mort inéluctable *; sinon, il n’y avait pas grand mab a redouter. Ces peuples superstitieux tiraient présage des plus insignifiantes circonstances et tournaient tout en pro- nostic. On ne saurait lire sans tristesse, dans Saha- gun *, le détail de ces absurdités: elles font songer à des aberrations trop semblables, hélas! chez des races bien différentes et à des époques plus rapprochées de la notre. 1 SAHAGUN, t. Il, lib. IV, c. 5, 8 sqq. pp. 8, 1o sqq. MENDIETA, p. 110. - Micllampa, « du côté nord », signifiait aussi « vers la région des trépassés »; et Mictlantecu!li, le seigneur du royaume des morts, personnifiait souvent le septentrion. 2 SAHAGUN, loc. cit., pp. 1-29. Cfr. CECIL10 A. ROBELO, Super séi- ciones de los Indios Mexicanos, dans Memorias de la Sociedad cientificæ « Antonio Alzale » publicadas bajo la direccion de Rafael Aguilar y Santillan, t. 26, México, 1907, pp. 51-71. CHAPITRE IV. La thérapeutique. Efficacité de la thérapeutique indigène. — Corps médical, — Doctrines et pratiques. — Élaboration des remèdes végétaux, — Le emaacalli. — La médecine opéra- toire. — Anesthésiques, Tout imprégné qu'il fût de magie, l’art médical ne se bornait pas, chez les Mexicains, aux imprécations, aux lustrations, aux cérémonies extravagantes que cer- tains auteurs décrivent si complaisamment. Au milieu d'éléments religieux fort altérés par la superstition, se laissent entrevoir de sérieuses connaissances pratiques. Malheureusement, dés qu'on veut dégager de cette gangue les notions vraiment utiles, on se heurte à d'énormes difficultés. Les détails jetés de-ci, de-là par nos premiers chroniqueurs laissent la question à peine ébauchée ; et, pour la résoudre, ce n’est pas trop de toutes les données que fournissent les pictographies, la linguistique, les analogies avec d’autres civilisations mieux connues, l'étude patiente de la médecine popu- Jaire d'aujourd'hui. Cette recherche nous entrainerait trop loin. Tout au plus pouvons-nous réunir quelques notions, exposées peut-être à se perdre, sur la valeur de la thérapeutique indigène, sur ses procédés, sur la composition du corps médical. En une matière où nous nous aventurons pour ainsi dire sans guide, on n'attend pas de nous un exposé complet et approfondi. 42 CHAPITRE IV D'après d'anciens mémoires ‘, les Aztèques pos- sédaient merveilleusement la science d'Esculape; et aujourd’hui même, pour un petit nombre de sceptiques, on compte une légion d’admirateurs. Suivant eux, les remèdes transmis chez les Indiens de génération en génération étaient et sont encore souverains pour tous les maux. Ils les appliquent de confiance. Ces vertus ne sont-elles pas un peu imaginaires? Assurément beaucoup d'écrivains les ont trop célébrées, et il serait périlleux de partager pratiquement leur enthousiasme archéologique. Des drogues les plus pré- conisées par les rebouteurs indigènes, quelques-unes n'ont aucun effet, ou même sont nuisibles. Nous nous en expliquerons plus loin en parlant de la matière médicale, mais nous verrons aussi que beaucoup de ces remèdes ont pour eux la sanction d'une expérience déjà longue. Du reste, les faits sont nombreux et incontestables. Il serait facile de citer bien des Européens réputés in- curables, ruinés en consultations et en remèdes, et qu’un 1 Les citations se pressent sous la plume. Une des plus significa- tives est celle que fournit un texte, récemment mis au jour, de Fray Toribio de Motolinia : « Véndese en estos mercados [au éanquiztli, marché indigène] medicinables con las quales curan muy naturalmente y en breve, ca tienen héchas sus experiencias, y de esta causa han puesto à las yerbas el nombre de su efecto y para que es apropiada. A la yerba que sana el dolor de la cabeza Ilâämanla medicina de Ja cabeza; 4 la que sana del pecho l'ämanla del pecho; 4 la que hace dormir Iämanla medicina del sueño... » (Memoriales, édit. Garcia Pimentel, p. 328, et voyez la note très judicieuse de M. del Paso y Troncoso, ibid.). Acosta certifie, à son tour, « qu'il y eut beaucoup de grands personnages experts a curer et medeciner avec les simples, et faisoient de fort belles cures, d'autant qu’ils avoient cognoissance de plusieurs vertus et proprietez des herbes, racines, bois et des plantes qui croissent par dela » (Æis{oire naturelle el morale des Indes, Paris, 1606, lib. IV, c. 29, fol. 174). LA THÉRAPEUTIQUE 43 traitement assez bizarre du curandero a rendus à la vie. Pour maintes affections graves, les herboristes en titre connaissent des secrets religieusement enseignés de pére en fils. Mais s'agit-il d’indispositions ou d’acci- dents vulgaires, le premier venu, dans certains districts, vous dira sans hésiter quelle herbe doit vous guérir. Dans une récente excursion en terre chaude, notre compagnon de voyage, pris subitement d'un mal d’yeux insupportable, vit venir à lui un campagnard, qui, ayant entendu ses plaintes, lui offrit, si nos souvenirs sont fidèles, une poignée de yerba de santa Maria et de yerba dura fraichement cueillies. Très peu de temps après qu'on les eut appliquées à froid sur les yeux, la douleur disparut. Dans des maladies dangereuses, devant lesquelles les sommités médicales s'étaient décla- rées impuissantes, nous savons à n’en pas douter que des tisanes préparées par les indigènes ont été prompte- ment et pleinement efficaces. Déjà les conquistadores vantaient hautement la mé- decine et la chirurgie des nations soumises. Ils recru- térent quelquefois parmi elles leur corps médical mili- taire. Après le désastre de la moche triste et la bataille d'Otumba, Cortes et ses compagnons furent guéris de leurs blessures par les Tlaxcaltèques *. Nombre d’Espagnols, que les plus habiles de leurs compatriotes avaient abandonnés et réputés perdus, furent redevables de la vie à nos rebouteurs. Entre leurs mains, les blessures se cicatrisaient vite. Les cures étaient rapides, non seulement parce que, étran- 1 Lettre de Fernand Cortes à Charles-Quint, du 30 octobre 1520, dans VEDIA, Æisforiadores primitivos de ZJndias, t. 1, Madrid, 1852, p. 46 sq. 44 CHAPITRE IV gers à toute vue d'intérêt personnel, ils ne prolon- geaient pas à dessein la maladie, comme l’observe , mais grâce surtout à une 1° malicieusement Motolinia longue pratique et à l’ingénieuse application des re- méèdes du pays. Si leur mérite n'avait été manifeste, Cortes * eût-il prié l’empereur, dès 1522, de ne laisser passer en Amé- rique aucun médecin de l’ancien monde? Il en vint pourtant, et en bon nombre; mais ils n'ébranlérent pas le prestige dont jouissaient les guérisseurs indiens. Ajoutons que ceux-ci, après la conquête, reçurent une certaine éducation scientifique. Dans l’école du couvent de Tlatelolco (77at/ulco), ils prenaient de la thérapeu- tique une connaissance assez exacte. Il résulte même d'un Confesionario de 1599 qu'ils s’accusaient comme d'une faute d’avoir exercé leur art sans examen préa- labie 5. Corps medical. — L'organisation du corps médical chez les Nahuas est enveloppée de ténèbres. Dans cer- taines familles, la profession de la médecine passait constamment du père aux fils. Mais formaient-ils une caste proprement dite? Les monuments figuratifs sont muets sur ce point. Ils donnent seulement, que je sache, les hiéroglyphes de l’endormeur, de l’herboriste, de l’arracheur de dents, du saigneur, etc. *, sans rien pré- ciser ni sur leurs pratiques ni sur leur organisation. 1 Memoriales, part. Il, c. 13, p. 298. ICAZBALCETA, Pibliogra/jia Mmexicana, P. 161. 2 JCAZBALCETA, loc. cit. 3 Ibid., p. 160. 4 Cfr. Orozco v BERRA, Æistoria antigua de México, t. II, pp. 30 sqq., et dans l’atlas, planche IX, nn. 41, 57, etc. LA THÉRAPEUTIQUE 45 D'’anciens documents nous font croire, sans per- mettre de l’affirmer, que chez les peuples de l’Anahuac ;, comme chez les Égyptiens de la période memphitique, l'exercice de la médecine était partagé. « Les médecins égyptiens, dit Hérodote *, ne traitent qu'une seule espèce de maladie, qui les ophtalmies, qui les maux de tête ou de dents. D'’aucuns consacrent exclusive- ment leurs soins aux douleurs intestinales, d’autres aux maladies cachées ». Rome, on le sait, avait également des médecins /opiques. À défaut de témoignages directs, nous croyons trou- ver dans l’idiome tarasque des traces d'une institution semblable. Le vocabulaire de Gilberti donne les termes suivants: x#rhaica mayapensri, chirurgien; £zinangart- cuhperi, médecin des yeux; ézinandicuhpert, médecin des oreilles 5. Cela ne veut pas dire sans doute que les prati- ciens ordinaires aient été aussi exclusifs, mais que, pour certaines affections plus générales dans le pays, il y avait des spécialistes qu’on employait de préférence. Les monarques de Tzintzuntzan (Michoacan) s'en- touraient d'un corps bien fourni de médecins szmpli- 1 Sahagun distingue les médecins proprement dits, les chirurgiens et les saigneurs, ceux qui administrent la purgation ou les astringents, les oculistes, etc. (t. I, lib. I, c. 8, p. 6, et voyez surtout le texte mexi- cain reproduit par M. Seler dans son commentaire du Codex Borgia, D D::153). 2 HÉRODOTE, lib. Il, c. 84, p. 97, lib. IIL, c. 1, p.132. Cfr. Clesiae Cnidii fragmenta, Edit. Müller, Paris, 1844, p. 2; MASPERO, Æistotre anc. des peuples de l'Orient classique ; Égypte el Chaldée, p. 215 sq. 3 Cfr. Nicozas LEON, La cirugia en Michoacan, p. 1. Pour ce qui regarde l’archéologie particulière des Tarasques, nous ne pouvons que renvoyer le lecteur aux savantes monographies du directeur du //”seo michoacano, docteur Nicolas Len (actuellement professeur au musée national de México). 46 CHAPITRE IV cistas. C'étaient des empiricos erbolarios, herboristes empiriques, placés sous la direction d’un chef. Tous se réunissaient en consulte dés que la santé du roi ou caltzontzin paraissait menacée, et, quand leurs efforts échouaient, ils s’adjoignaient de nombreux collègues *. C'est qu'il y allait de leur vie; si l’auguste malade succombait, plusieurs de ses médecins devaient le sui- vre dans l’autre vie pour lui continuer leurs services. On les tuait au pied du buücher royal *. Dans des villages indigènes, nous voyons quelque- fois des femmes, des curanderas, se vouer au soula- gement des malades; nous n’hésitons pas à revendiquer pour leurs ancêtres une coutume analogue. Sahagun, du reste, mentionne fréquemment les wedicas avec les parteras, et Motolinia, dans un manuscrit de la biblio- thèque Icazbalceta, dit formellement: « Les personnes du sexe étaient toujours soignées par des femmes, et les hommes par des hommes » 3. Doctrines et pratiques médicales. — Des témoins d'une incontestable autorité nous apprennent à quels résultats étonnants arrivaient les thérapeutistes de l'Anahuac. Mais quelles doctrines et quelles méthodes suivaient-ils? Leur enseignement, fondé sur l’obser- vation et sur une expérience séculaire, avait-il été for- 1 Relaciôon de las ceremontas y rilos, poblacion y gobierno de los Zndios de Mechuacan, cité par N. LEON, Apuntes para la historia de la medicina en Michoacan, 2° Edit., pp. 3 et 23. Los Zarascos, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. I, p. 458 sq. 2 Cfr. ALONSO DE LA REA, Cronica de la orden de S. Francisco, r629 hub 1, tc rreture. 3 ICAZBALCETA, Bibliog. mexic., p. 160. MOTOLINIA, MWemoriales, part. 2, €. 16, p. 307. Cfr. SAHAGUN, :t: Il, dhib. VI, ces ns LA THÉRAPEUTIQUE 47 mulé en préceptes et consigné dans les pictographies? Consultaient-ils des répertoires, des livres profession- nels, quelque chose comme le foxalamatl des astro- logues? Rien de précis à cet égard dans les manus- crits hiéroglyphiques, ni dans les chants sacrés, ni dans les souvenirs populaires; du moins, ces précieuses sources d'information, trop peu connues encore, ne nous ont pas jusqu'ici livré le secret que nous cherchons. Quoique les Nahuas aient certainement eu mieux que les vagues données d’un grossier empirisme, il ne semble pas que leur médecine théorique ait été fort développée. Ils n’étudiaient guère l'intérieur du corps humain. On sait qu’en Égypte, malgré l'habi- tude d'embaumer et de momifer les cadavres, les notions anatomiques furent longtemps des plus rudi- mentaires. Les Mexicains, croyons-nous, ne profitérent pas davantage des incisions réglementaires qu’ils pra- tiquaient sur les victimes humaines, quand ils les écor- chaient, leur arrachaient le cœur ou les démembraient pour les festins rituels. Leur enseignement traditionnel, très vénéré, n’était pourtant pas inviolable; il se modifiait en passant de pére en fils et se complétait par les recherches per- sonnelles. Ils n'étaient pas enfermés dans les formules d'un code sacré, comme les Égyptiens, qui ne pouvaient tenter une nouvelle méthode qu'à leurs risques et périls, surs d'être punis de mort si l’essai tournait à mal, A Tenochtitlan, les expérimentateurs avaient les coudées plus franches. Sans aller jusqu’à disséquer les cadavres ni à pratiquer la vivisection dans un but scientifique, ils firent, grâce à une attentive observation de la nature, de réels progrès dans « l’art divin ». 48 CHAPITRE IV Leur médication, d'abord purement conjecturale, puis appuyée sur l'expérience, parait s'être élevée peu à peu à la hauteur d'un art et presque d’une science. Un vaste champ d’études leur était ouvert dans les hôpitaux; car, dès avant la conquête, México, Texcoco, Tlaxcalla, Cholula et d’autres grandes capitales avaient ouvert des asiles aux malades’. Les faits y furent sou- mis à une appréciation intelligente. Le traitement était dirigé par des vues rationnelles. Et si, comme l'affirme Hernandez *, l’on savait distinguer les affections di- verses, déterminer leurs caractères, en signaler les phases, n’y a-t-il pas là déjà toute une pathologie? Ces Indiens devaient avoir du coup d'œil pour fixer d'un mot, comme ils le firent parfois, les causes de ma- ladies jusqu'alors totalement inconnues. Quand éclata cette mystérieuse épidémie qui devait ravager périodi- quement la colonie sous les vice-rois, les professeurs européens en cherchaient encore dans Hippocrate le nom et les remèdes, que déjà les naturels l'avaient exactement baptisée du nom de waflazahuatl (ulcus in omento, aut glandulis) 3. Ce que devaient être autrefois les procédés médi- caux, on peut encore le savoir par induction; car 1 TORQUEMADA, Monarquia indiana, t. I, lib. VIII, c. 20, p. 160. 2 Cfr. CLAVIGERO, Æistoria antigua de Méjico, lib VII, p. 188. 3 Cfr. Joan. ALoys. MANEIRO, De vitis aliquot Mexicanorum, pars I, Bologne, 1791, pp. 185 sqq. MENDIETA, Aisé. ecl. indiana, lib. IV, c. 36, pp. 513 sqq. SAHAGUN, op. cit., t. IIT, p.228 10240 Los tres siglos de México, pp. 64, 131, 144. —- Dans ses Considérations médicales sur la campagne de Fernand Cortès (Histoire véridique de la Nouvelle-Espagne, écrite par …Bernal Diaz del Castillo, Paris, 1877), M. le D' Jourdanet disserte longuement sur le #7at/azahuatl (pp. 896 sqq.). L'interprétation qu’il propose, hypothétiquement du reste, pour l’appel- lation nahua, nous paraît inadmissible. LA THÉRAPEUTIQUE 49 l'usage s'en est conservé jusqu'à nos jours, et nous pourrions, à l’aide des coutumes actuelles, reconsti- tuer à peu près tout le régime précolombien. Il serait même fort utile de compléter ainsi les témoignages directs que nous fournissent Sahagun, Hernandez, Monardes et autres. Mais nous ne voulons ici qu’ef- fleurer le sujet. C'était dans l'élaboration des remèdes végétaux que triomphait l'esprit de recherche des curanderos. Antidotes, émétiques, vermifuges, dépuratifs, émol- lients, diurétiques, fébrifuges, il y avait une infinité de médicaments pour les indispositions ordinaires comme pour les cas les plus graves. Les simples s’adminis- traient sous toutes les formes: décoctions, infusions, huiles, onguents, emplâtres ‘. Certaines gommes et résines servaient d’électuaires. - Les doses, soigneuse- ment mesurées, variaient suivant les âges. Aux soldats blessés, aux femmes après leur déli- vrance, à ceux qu'avait mordus un animal venimeux ou que tourmentait la fièvre, à bien d’autres encore, le /emazcalh était tout indiqué. L'on appelle ainsi un bain de vapeur en usage de date immémoriale. Nos anciens auteurs le mentionnent, mais sans le décrire ; 1 CLAVIGERO, Op. cit., lib. VII, p. 189. ORoZCO v BERRA, Æist. antigua de México, t. 1, p. 357. À en croire Fernand Cortes, les re- mèdes se vendaient tout préparés dans des pharmacies, à Mexico: « Hay calle de herbolarios, donde hay todas las raices y yerbas medi- cinales que en la tierra se hallan. Hay casas como de boticarios donde se venden las medicinas hechas, asi potables como ungüentos y em- plastos » (Deuxième lettre à Charles-Quint, dans VEDIA, Æisloriadores Primitivos de Indias, Madrid, 1852, t. I, p. 32. ZURITA, Preve rela- ciôn de los Señores de la Nueva España, dans ICAZBALCETA, lVueva Colecciôn de documentos para la hisloria de México, 1891, t. IL, pag. 137). 50 CHAPITRE IV et l’on pourrait à peine s’en faire une idée, si la pra- tique ne s’en était perpétuée à travers les siècles. Aujourd’hui encore, nous ne visitons guére de vil- lage ni même de grande métairie, sans y voir une ou plusieurs constructions affectées à ces bains. Qu'on se figure une espèce de four en adobes (briques séchées au soleil), vouté, circulaire, de huit pieds environ de dia- mètre et haut de cinq à six pieds, muni d’un orifice à la partie supérieure. Le fond légèrement convexe est un peu au-dessous du niveau du sol. On y pénètre, en ram- pant ou à genoux, par une porte étroite. Du côté opposé a cette ouverture est disposé un foyer en pierres ou en adobes, uni au /emazcalli par une paroi commune de letzontli (tezontle) ou de quelque autre pierre poreuse. Quand celle-ci est surchauffée par le feu du fourneau, le malade entre dans l'hypocauste, en ferme soigneu- sement les ouvertures, jette de l’eau sur le /eézonthi embrasé et, se couchant sur une natte, se baigne dans l’épaisse vapeur qui s'élève aussitôt. En même temps, il se fouette le corps et surtout les membres endoloris à l’aide d’une verge d’herbes ou de feuilles de maïs trempées dans de l'eau chaude. Cette opé- ration provoque une sueur plus ou moins abondante suivant les cas. Les Indiens disent merveille de ce bain thermal *. La médecine opératoire était en possession de maints procédés réputés fort efficaces. Elle savait 1 SAHAGUN, t. III, lib. XI, p. 286. CLAVIGERO, op. cit., lib. VII, pag. 190. GUSTAV BRüHL, Die Cullurvôlker Alt-Amertka’s, Cincinnati, 1875-1887, pag. 304. Cfr. Mme CAECILIE SELER, Auf allen Wegen in Mexiko und Guatemala, Berlin, 1900, p. 48 sd. LA THÉRAPEUTIQUE SI promptement fermer une plaie, remettre des membres luxés ou désarticulés, réduire les fractures . Un corps d’ambulance accompagnait l’armée, « Il y avait, dit Mendieta *, des gens de qualité pour prendre soin des blessés durant la bataille. On les recueillait et on les transportait à l’endroit où se tenaient les zurujanos, prèts à prodiguer les secours de leur art». Entre autres hémostatiques, ces chirurgiens appli- quaient sur la plaie un baume « d’une puissance mer- veilleuse pour guérir des blessures rebelles à tout autre traitement, et étancher le sang » *. Ils obtenaient ce baume en faisant cuire dans l’eau les tiges et les baies du waripenda, plante à feuilles lancéolées, dont le fruit, en grappes, ressemble au raisin. Ils tiraient du règne végétal mille autres ressources pour le pan- sement. On tenait compte aussi de l'altitude et du climat. Nous le savons par cet aphorisme de la chirurgie indigène: Les blessures invétérées à la jambe, assez inoffensives dans les zones froides ou tempérées, peu- vent être fatales en #erra caliente; tandis que celles de la tête offrent beaucoup moins de gravité sous un ciel brülant que sur le haut plateau. En cas de fracture, on empéchait à tout prix le contact de l'air, et l’on étendait sur la région dou- loureuse une substance aromatique, formée de résines 1 OROZCO Y BERRA, Æisloria antigua de México, t. 1, p. 357. Cr. SAHAGUN, t. III, lib. X, c. 8, p. 21 sq. 2 Æist. ecl. indiana, lib. Il, c. 26, p. 131. MOTOLINIA, Memoriales, Part TI, "C: 13, p. 298. } 3 Rerum medicarum Novae Hispaniae thesaurus, Rome, 1651, lib. III, c. 13. Cfr. Archives de la commission scientifique du Mexique, EP. 359. 52 CHAPITRE IV et de graines de wacazol ou ({oloatzin * pulvérisées. Puis on la couvrait de plumes; et, après avoir remis en présence les deux surfaces séparées par l'accident, on les maintenait par des attelles fortement serrées, pour assurer la soudure des os. Souvent l'appareil s'enlevait au bout de vingt jours, et faisait place à des éclisses de ocuzotle, garnies de poudres végé- tales *. Les ulcères se guérissaient par le ranauapatli et le zacatlepatli 3, les apostèmes par le Yalamatl et le suc du chilpatli, certaines plaies par le baume amé- ricain, le pecietl (tabac) ou l'zontecpatli (espèce de plante laiteuse). Sahagun parle aussi de médicaments antiseptiques. Le massage était en honneur. Les Aztèques se saignent encore au moyen de pointes de maguey. Il en était de même autrefois, mais l’on employait en outre l’épine du porc-épic mexicain (wztlacuatzin), ou une lame d’obsidienne (ztztli). La même pierre, sous le nom de /znapu, sert toujours de lancette aux Tarasques, qui l’ont héritée de leurs ancêtres précolombiens. C'est un éclat de forme triangulaire, haut de deux centimétres, ajusté a un manche, et appelé purelagua. Un coup sec et rapide le fait pénétrer dans la veine t. Les Indiens du Michoacan connaissaient-ils la tré- panation? M. de Nadaïllac en a signalé la trace sur 1 Dans la langue vulgaire, cette daturée s’appelle /o/oache. 2 SAHAGUN, t. III, lib. X, c. 28, pp. 97, 103 sqq. 3 CLAVIGERO, op. cit., lib. VII, p. 191. Cfr. SAHAGUN, t. III, p. 87 sqq. 4 Nicoras LEON, La Cirugia en Michoacän, p. 1. LA THÉRAPEUTIQUE 53 ni des crânes du Pérou’, et, comme le dit le docteur Leon, il existe assez d'analogies entre Péruviens et Tarasques, pour qu'on puisse s'attendre à trouver en vogue chez ceux-ci une opération semblable. Cepen- dant, ni les cranes aztèques que nous avons pu exa- miner, ni, croyons-nous, ceux du Michoacan n'ont fourni jusqu'ici aucun indice à cet égard. > Il est permis de supposer que, pour soustraire les malades aux douleurs des opérations chirurgicales, plusieurs tribus nahuas recouraient à des agents anes- thésiques. Dans son 7esoro de medicinas *, le véné- rable Gregorio Lopez écrivait vers 1580: «La man- dragore amène la perte de la sensibilité pendant trois heures. Les médecins l’administrent avant de couper ou de cautériser. Il convient d'en prendre une drachme dans la boisson ou avec quelque aliment». Pline, ainsi que Dioscoride, signale les propriétés narcoti- ques et stupéfiantes de cette solanée; et peut-être est-ce de lui que l’ermite-guérisseur les apprit; mais peut-être aussi fut-ce chez les peuplades au sein desquelles il vécut. N'oublions pas qu'il habita suc- cessivement la vallée d’Atemajac occupée par des Chichimèques, les hauteurs de la Huaxtèque et d’At- lixco, enfin l'hôpital de Huaxtepec, où il composa son ouvrage, ayant sous les yeux la collection de simples 1 Mœurs et monuments des peuples préhistoriques, Paris, 1888, pp. 216-219. - M. le Dr Nicolas Leôn a fait récemment une trouvaille importante aux environs de Tzintzuntzan, celle d’un fragment de crâne trépané avant la mort (Los Tarascos, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. I, 1904, p. 461). Quant aux trépanations posthumes, elles étaient très fréquentes sur divers points de l'Amérique (NADAILLAC, L'Amérique préhistorique, p. 513). 2 ICAZBALCETA, PBibliografia mex., p. 174. 54 CHAPITRE IV commencée avant la conquête et poursuivie par les colons. Nous relevons, d’ailleurs, dans Sahagun ce curieux passage *: Au mois xocohuetzi, les maîtres condui- saient au sanctuaire de X7whtecutli, dieu du feu, les esclaves et les prisonniers destinés à être brulés vifs, et dansaient jusqu’à la nuit tombante. À minuit ils enlevaient aux victimes quelques cheveux de la tête, et « leur saupoudraient la figure d'une substance nommée yauhtli pour engourdir la sensibilité et leur rendre la mort moins douloureuse. Puis ils les chargeaïent, pieds et poings liés, sur leurs épaules, les menaient comme en dansant autour d’un grand brasier, où ils les pré- cipitaient l’un après l’autre. On les en retirait à moitié brülés, mais respirant encore, pour leur arracher le cœur ». Selon Torquemada, on employait, comme anes- thésiques, les graines de yawhfli triturées *, qui don- naient aussi un encens pour les cérémonies sacrées ; et, afin que les captifs voués au sacrifice ne trou- blassent pas la fête et mourussent joyeusement, on leur faisait prendre parfois une boisson enivrante, nommée /euvellr 3. Rappelons enfin l’herbe feyof/ (une cactée du genre Anhalonium, Anhalonium lewini), qui, mangée ou prise en décoction, plonge dans l'ivresse pour deux ou trois jours. « Les Chichimèques, observe Sahagun #, en font grande consommation. C’est elle qui leur donne 11Op: "cit. t. Lib: Il C. To, 29, 34 /1DP. 03, 0TAT EPA 2 Monarquia indiana, t. XI, lib. X, c. 22, p. 274. 3 MENDIETA, op. cit., lib. Il, c. 16, p. 100. SAHAGUN, t. II, HbY"NIIL,- 0.54, D. 387 Sd! 4 Op. cit., t. III, lib. XI, c. 7, pag. 247: CE pag. 116. LA THÉRAPEUTIQUE 55 du cœur, leur enlève toute crainte pendant la bataille, les rend insensibles à la faim et à la soif, les préserve, disent-ils, de tout danger ». Pour beaucoup de tribus mexicaines, le peyol] était non seulement une sorte de panacée, un remède aux propriétés merveilleuses, mais une plante sacrée qui avait ses fêtes solennelles. À en faire un usage mo- déré, l’on y puisait de l'énergie pour supporter lon- guement des fatigues extraordinaires, par exemple, lors de la récolte du maïs. Mais à une dose plus forte, c'était l'ivresse, le délire; et les naturels prenaient alors leurs hallucinations pour des messages de la divinité: la racine du feyof/ leur avait dévoilé l'avenir. Les premiers missionnaires et leurs successeurs, au cours des âges, eurent fort à faire pour extirper les multiples superstitions dont la «raiz diabolica » for- mait le centre. Aujourd’hui encore malheureusement elle n’est que trop connue chez quelques Tarahuma- res paiens, chez les Huichols et chez d’autres Matière medicale. — Nous sommes bien plus am- plement informés sur la pharmacopée indigène que sur les théories et les méthodes. « Celui qui s'occupe de médecine, écrit encore Sahagun, connaît les herbes, les racines, les arbres, les pierres, et leur donne un 1 Cfr. Ruiz DE ALARCON, 7rafado de supersticiones... c. 2: « De las idolatrias y supersticiones y obseruacion de cosas a que atribuyen divinidad, especialmente el Ololiuhqui, Piciete y el Peyote » dans Anales del Museo Nacional de México, t. VI, pp. 134 sqq. Consulter surtout LEON Dicuer, La Sierra du Nayarit et ses indigènes, extrait des Nou- velles Archives des Missions scientifiques, t. IX, Paris, 1899, pp. 55-58, et le travail considérable de MANUEL URBINA, Æ7 Peyote y el Ololiuhqui, dans Anales del Museo Nacional de México, t. VII, pp. 25-48. 56 CHAPITRE IV. —- LA THÉRAPEUTIQUE emplacement à part sur le tianguiz, pour les vendre » *. On le voit, les substances minérales y jouent un cer- tain rôle. Pour les maux de cœur, on triturait dans l'eau froide les pierres guauhteocuitlall et xiuhto- moltetl, cette dernière semblable au czalchiuitl, verte et tachetée de blanc. Il suffit, disait-on, d'appliquer sur la nuque un fragment d’azéeil! pour arrêter les saignements de nez. De l'aflchipin, pierre assez molle et friable, on faisait un médicament destiné à tempérer la chaleur excessive du corps ?. Les Aztèques ne dédaignaient pas non plus les remèdes tirés du règne animal. La chair du tigre passait pour douée de vertus merveilleuses, notam- ment contre certaines fièvres. Une espèce d’insecte multipède et écailleux, séché, pulvérisé, mêlé de ré- sines, calmaït les douleurs de la goutte. L'axzr, d'un usage médicinal si fréquent, est une sécrétion animale, d’après Sahagun. Le /apayaxin cuit et mangé résol- vaitles humeurs. Divers insectes donnaient aussi des spécifiques contre les maux de dents, les ophtal- mies, etc. Mais les docteurs mexicains avaient une prédilection marquée pour les simples, comme nous l'avons indiqué déjà *, et comme l’expliqueront encore les pages suivantes. 1 SAHAGUN, t. IE, lib. X, c. 24, p. 59, et c. 8, pp. 22 qu le /zanguiz (tianquiztli, marché) cfr. MOTOLINIA, Memoriales, p. 329. 2 SAHAGUN, t. III, lib. XI, c. 7, pp. 284 sqq.: De las piedras medicinales. 3 Ci-dessus, pp. 42 sq., 49. CHAPITRE V. La botanique indigène. Le Thesaurus de Hernandez. — Parterres et potagers flottants, — Passion pour les fleurs. — Parcs royaux. — Jardins botaniques. Pour nous renseigner sur cette botanique médicale qui formait la base de tout le système, nous avons la consciencieuse compilation de Fray Bernardino de Saha- gun, quelques données recueilles par Motolinia et par d’autres missionnaires, les peintures figuratives, la lan- gue elle-même, si riche et si expressive dans la nomen- clature des végétaux, enfin l’inappréciable travail de Hernandez. Le célèbre médecin de Philippe IT, arrivé au Mexique, en 1570, avec le titre de Protomédico, se mit aussitôt en devoir d'étudier l’histoire naturelle et plus spécialement la thérapeutique de la Nouvelle- Espagne, en vérifia lui-même les résultats et les fit examiner par ses confrères dans les hôpitaux du pays. Il consigna le fruit de ses investigations en seize volumes manuscrits, qui périrent dans l'incendie de l'Escurial, en 1671, mais dont heureusement les Jésui- tes possédaient une copie, utilisée plus tard, croyons- nous, par le P. Nieremberg *. 1 Cette copie, longtemps conservée dans notre collège de Madrid, fut imprimée en 1790 (Ærancisci Hernandi, Medici atque Historici Phi- lippi ZI... et lotius Novi Orbis Archiatri, Opera, cum edita, tum tne- dita... Madrid). Dès la fin du XVI° siècle, un médecin italien, Nardo 58 CHAPITRE V Or, le Rerum medicarum Novae Hispaniae thesau- rus reflète assez exactement l'état scientifique de l’an- cien Anahuac: car, sans méconnaiïtre le zéle de"Her- nandez ni le succés de ses recherches personnelles, c'est bien aux Indiens et aux créoles qu'il faut faire honneur de cette œuvre colossale. En vertu d’un ordre royal, les médecins du pays transmirent à l'envoyé de la cour de Madrid tout ce que leur avaient appris leurs propres observations et des traditions séculaires. Ils lui indiquérent, entre autres, les noms et les vertus de douze cents plantes ‘. Et, à vrai dire, un étranger n'aurait pu sans leur secours connaître en si peu de temps la flore infiniment variée d’un pays tropical. Her- nandez l'avoue de bonne grâce, et plus d’une fois il s'excuse du laconisme de ses explications en disant que les Mexicains ne lui en ont pas appris davantage *. Plus loin nous établirons que les dessins de l’ou- Angelo Recchi, avait condensé en un volume les données médicales fournies par Hernandez, et son travail fut utilisé par un religieux domi- nicain, François Ximenez, qui publia à México, en 1615, ses Quatro libros de la naturaleza y virtudes de las plantas... L'ouvrage italien de Recchi parut plus tard. L'édition romaine de 1651 a pour titre: Æerum medi- carum Novae Hispaniae lhesaurus, sive plantarum, animalium, mine- ralium mexicanorum historia ex Francisci Hernandez … relationibus a Nardo Antonio Recho collecta. Dans son Æisloria naturae maxime peregrinae, de 1635, le P. Eusebe Nieremberg S. J. donna de larges extraits des relations de Hernandez, avec les figures correspondantes esquissées par les indigènes: reproduction d’autant plus utile que plu- sieurs de ces dessins, parfois les plus caractéristiques, sont absents de l’édi- tion de Recchi. (ICAZBALCETA, PBibliografia mexicana, pp. 169 sqq. Sur Hernandez et ses compilateurs, voir aussi la notice pleine d'intérêt de M. le D' Leôn dans Piblioteca botänico-mexicana, México, 1895, pp. 304- 321. Sur Nieremberg, le grand érudit et le naturaliste encore trop peu apprécié, consulter LonGINos NavÀs S. J].: Zinneo en España, Home- naje a Linneo, Zaragoza, 1907, pp. 21-29). 1 CLAVIGERO, op. cit., lib. VII, p. 180. 2 Cfr. Anales del Museo Nacional de México, t. II, pp. 137 sqq. LA BOTANIQUE INDIGÈNE 59 vrage trahissent, eux aussi, la main de collaborateurs indigènes. De l'examen attentif de ces monuments, un fait se dégage : c'est que pour les connaissances botaniques les Mexicains l’emportérent longtemps sur beaucoup de peuples de l’ancien monde. Une longue vie nomade qui leur fit prendre gout à l'observation de la nature, une singulière passion pour les plantes d'agrément, la nécessité quotidienne de demander au règne végétal des aliments et des remèdes, la connaissance promp- tement acquise des flores les plus distinctes au cours de conquêtes poussées jusqu’à l'Océan; l'intérêt aussi qu'inspirait toute fleur nouvelle aux marchands (foc4- leca, naualoztomeca) pour leur commerce, aux #acurlo ou peintres pour leurs descriptions figuratives; plus tard, la création de vastes jardins, de collections sys- tématiques qui facilitaient la comparaison des genres et acheminaient les herboristes vers un groupement rationnel: voilà, aux yeux d’un savant auteur, ce qui explique les rapides progrès réalisés par la botanique mexicaine. Ajoutons le caractère même de la race, attentive, réfléchie, sérieuse, plus portée aux notions positives qu'aux œuvres d'imagination, douée d’un admirable instinct d'imitation, qui, sans exclure l'esprit d'initiative et la spontanéité, lui permettait de repro- duire au vif toutes les productions de la nature et d'en conserver le souvenir; les travaux des chirampa et le séjour prolongé dans ces curieux jardins des lagunes, où aux légumes et aux fleurs se mélaient aussi les plantes médicinales ‘; enfin la richesse du 1 Cfr. BRüHL, Die Culturvôlker Alt-Amertika’s, p. 275. — L'on accu- sait naguère Clavigero d’avoir tiré de son imagination ce qu’il rapporte 60 CHAPITRE V pays, qui, grace à des terrains heureusement étagés, offre sur un espace restreint des différences fort tran- chées dans l'exposition, l'altitude et le climat des pro- vinces, réunissant ainsi les plantes des latitudes les plus diverses. Durant le trajet de Vera-Cruz à México, l'on suit avec étonnement cette rapide succession de quatre zones distinctes, la bande du littoral, la terre chaude, la région tempérée et la froide cime des montagnes. Dans une portion considérable du territoire mexicain, comprise entre la région polaire et la zone torride, et se confondant parfois avec elles, s'étale une végétation tout autrement remarquable, riche et variée qu'en Europe sous les mêmes paralléles. Quant aux provinces du sud, leurs productions sont nettement des « jardins flottants ». Le reproche est-il fondé ? Si le célèbre historien s’est trompé, il a pu être induit en erreur, nous semble-t-il, par des sour- ces anciennes et généralement estimées. Tel le récit de Durän (Æfs/oria de las Indias de Nueva-España, t. I, c. 6, p. 51. Cfr. Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. IV, 1907, p. 36 sq.). Telle encore l'affirmation de Joseph Acosta, que voici dans sa vieille traduction fran- çaise : « Ceux qui n’ont point veu les iardins qui se font au lac en Me- xique au milieu de l’eauë, ne croiront et tiendront pour contes ce que j'escris... Mais realement et de fait c’est chose fort faisible, et a l’on veu plusieurs fois faire de ces iardins mouvans en l’eauë ». (Æïstoire naturelle et morale des Indes... composée en Castillan par JoSEPH ACOSTA, el traduite en françois par ROBERT REGNAULT-CAUxOIS, Paris, 1606, lib. VI, c. 6, f. 311). Ixtlilxochitl, de son côté, assure que les Mexicains se virent foncés de « Ilevar los jardines por el agua » (Obras histôricas de DoN FERNANDO DE ALVA IXTLILXOCHITL, Æelaciôn undécima, Edit. Chavero, México, 1891, t. I, p. 313). Enfin l’opinion de Clavigero a pour elle une autorité aussi respectable que celle de M. Icazbalceta : « Tales huertos, dit-il à propos des chinampa, fueron al principio flo- tantes y mudaban de lugar 4 gusto del dueño, como una embarcaciôn ; mas después, por haber disminuido el agua de los lagos, fueron que- dando fijos en el fondo, como hoy se hallan » (ocabulario de mext- canismos,.. por el señor DON JOAQUIN GARCIA ICAZBALCETA ... Obra pôstuma publicada por su hijo Luis Garcia Pimentel, México, 1905, p. 152 sq.). LA BOTANIQUE INDIGÈNE 61 tropicales et, par suite, doivent avoir beaucoup moins changé depuis les temps historiques que celles des zones tempérées: la flore luxuriante des tropiques résiste mieux au voisinage de l’homme, et il est plus difficile d’extirper des espèces. Combien cette incomparable nature ravit les Nahuas et quel parti ils surent en tirer, d'irrécusables docu- ments nous l’attestent. Bien avant la conquête, les Aztèques commencérent à réunir les plantes, à en es- sayer les vertus, à les grouper suivant leurs propriétés médicales ou leurs affinités botaniques. C’est là un des aspects les plus attrayants de la culture américaine, et nous nous proposions d’en indiquer ici les grandes lignes, quand M. le docteur François del Paso y Tron- coso nous a communiqué sa magistrale étude sur la botanique nahua . Il paraît impossible de mieux traiter le sujet, et l’on nous saura gré d'analyser cette mono- graphie trop peu connue encore. Que les Aztèques se soient voués avec passion à arracher ses secrets au règne végétal, ce fait avait été mis en lumière depuis longtemps; mais c’est le mérite de M. Troncoso d'être entré dans la question plus avant que personne, en étudiant les jardins bota- niques des Nahuas, et en reconstruisant, non pas sur les données incomplètes des monuments écrits, mais au moyen d’une habile dissection de la langue elle-même, leur système de nomenclature et leur classification, 1: Elle a paru dans les Anales del Museo Nacional de México, t. TI (1886), pp. 140-235, comme le premier livre d’un ouvrage intitulé: Æs/u- dios sobre la historia de la medicina en México. Primer estudio: La bot@nica entre los Nahuas. C’est la seule partie, croyons-nous, que l’émi- nent directeur du Musée national ait publiée jusqu'ici. Nous la citons d’après le tiré à part qui en a été fait. 62 CHAPITRE V classification rudimentaire, si l’on veut, grossièrement ébauchée, mais à coup sur antérieure aux premiers essais tentés en ce genre par les naturalistes weuro- péens. Jardins botaniques de l'Anahuac. — Ve bonne heure, et certainement avant l’arrivée de Cortes, plusieurs grandes capitales de l’Anahuac possédaient des terrains appropriés où l’on réunissait les plantes locales et exotiques, pour les comparer entre elles et les sou- mettre à diverses expériences. Les princes mexicains qui les créérent, continuaient ainsi ou, du moins, re- nouaient la tradition toltèque. Le mouvement civilisa- teur commencé par Nezahualcoyotl, le roi-poëète de Texcoco, n'était en définitive qu’une renaissance et, comme toute renaissance, devait passer par une double phase d'imitation et de création. C’est à la première qu'appartiennent les jardins botaniques. Suivant toute apparence, ils étaient un souvenir de la magnifique Tula; mais les Toltèques eux-mêmes n’en avaient-ils point pris l’idée ailleurs? Supérieurs aux nations qui leur succédèrent dans l’Anahuac, n'étaient-ils pas à leur tour des fils dégénérés d’une civilisation primitive, plus haute encore que la leur? M. Troncoso incline à le croire. Et certes, beaucoup de tribus américaines sont allées déclinant peu à peu et se dégradant. Nous les voyons s’acheminer à l’état sauvage, et leur abjec- tion n’est pas un stade initial : elle est un des derniers termes d'une déchéance progressive. Toutefois, pour le peuple et la période qui nous occupent, si la dégra- 1 TRONCOSO, op. cit., p. 7. LA BOTANIQUE INDIGÈNE 63 dation s’accentue dans le système religieux et moral à mesure qu’on s'éloigne du berceau de la race, en revanche la culture matérielle, les arts plastiques, les constructions, les connaissances astronomiques parais- sent accuser, dans l’ensemble, un progrès continu et atteindre leur apogée à l’époque toltèque. Pourquoi ne pas admettre un développement parallele dans les investigations botaniques ? Nous l’avouons pourtant, la chaîne rompue des civilisations passées ne permet à cet égard que des conjectures. Toujours est-il que les Nahuas du XIV siècle révé- laient déjà cet amour des plantes si caractéristique chez leurs descendants actuels. Parcourez une localité indigène: rien qu’à voir ces villages-jardins, ces huttes perdues dans la verdure, l’atrium de l’église orné de gracieuses plantations, cette profusion de fleurs dans le temple même, vous croirez retrouver l'antique société aztèque, où tous, monarques et sujets, nobles et #ace- huallin, étaient toujours en quête de fleurs et de sim- ples. Les marchands demandaient de nouveaux objets de trafic à la flore des provinces lointaines; les guer- riers, au cours de leurs expéditions, recueillaient avi- dement les espèces inconnues dans la métropole, et le luxe s’en emparait aussitôt. Comme présent des mieux agréés, l'on offrait aux grands, aux ambassadeurs étrangers, des guirlandes de fleurs. Paraïître en public un bouquet à la main était une distinction sociale, une marque de noblesse, et même certaines plantes ne pouvaient servir qu'aux principaux de la nation, d’au- tres au seul monarque. Ainsi, l’on interdisait au vul- gaire le cacalaxochifl (littéralement, fleur de corbeau), 64 CHAPITRE V Plumiera rubra de la famille des apocynées; le #za- xochitl, Plumiera alba; et cette délicieuse magnoliée appelée yo/oxochitl, d'un parfum si pénétrant qu'une seule fleur suffit à embaumer une maison entière :. Il en était une autre de beauté inestimable, dit Her- nandez, et très appréciée des grands, le coatzontecoxo- chitl (fleur tachetée «en tête de serpent ») *. Nul n'était admis sans bouquet en la présence du roi. Même étiquette, ou à peu près, dans les temples; car les idoles étaient parées de fleurs avec un soin scrupuleux. Dans son horreur pour toute effusion de sang, Quetzalcoatl avait prescrit des sacrifices de pain, de fleurs, etc.; et, quoique plus tard ses dévots aient aussi immolé des victimes humaines, les offrandes pri- mitives ne furent pas oubliées. Outre celles qu'on lui faisait tout le long de l’année, Tlaloc, le dieu des pluies, recevait au printemps les prémices des fleurs nouvelles et, jusqu'à cette fête, il était défendu d’en respirer le parfum. La corporation des fleuristes, les xochimanque, célébrait à la même époque les solennités de Coatli- cue, leur déesse tutélaire 3. À la grande fête florale, Xochilhuitl, on vénérait spécialement les deux divinités Macuilxochitl (littéralement, cinq fleurs) et Xochiprllr *. 1 TRONCOSO, op. cit, pp. 10, 96. Cfr. SAHAGUN, op. cit., t. III, lib. XI, c. 7, p. 291; CLAVIGERO, op. cit., lib. I, # 6, pp. 8 sqq. 2 Quand les Zincei romains en virent un dessin colorié, provenant du Mexique, «ils en furent ravis au point de l’adopter comme emblême de leur docte académie, sous le nom de Æïor del Lince » (CLAVIGERO, loe.’cit:): 3 SAHAGUN, op. cit., t. I, lib. Il, c. 3, pp. 54, 140, 211, etc. TOR- QUEMADA, Monarquia indiana, t. II, lib. VI, c. 30, pp. 60 sqq., C. 24, p. 50; lib. VIII c. 23, p. 168: lib VII, c. 4, Pp. 94 Sda Oo C. 30, p. 477: 4 Cfr. SAHAGUN, t. I, lib. 8, c. 14, pp. 19-22. Xochipilli revient fréquemment dans les codex, par exemple dans le Vaticanus 3773, ff 32, LA BOTANIQUE INDIGÈNE 65 Dans le calendrier rituel, grande aussi était l’impor- tance de Xochuquetzal, la déesse des fleurs. Pour n'être jamais pris au dépourvu, les Aztèques imposaient aux peuplades soumises des tributs de fleurs. Tous les jours il entrait ainsi à México, dit Durän ‘, « des chargements entiers de rosiers », que les vassaux allaient planter dans les domaines de leurs seigneurs. Et c'était à n’en pas croire ses yeux, d’après Tezozomoc *, « tant était grande la variété de roses, jasmins, lauriers qui arrivaient de toutes parts ». Beaucoup de ces plantes se propageaient à Tenochtitlan même; d’autres dans les régions chaudes les plus voi- sines de la capitale. Il y croissait, outre les espèces déjà citées, le cacauaxochitl (Lexarza funebris de la flore mexicaine), le 2zguixochitl (Morelosia huanita), la plante grimpante /oracaxochiquauitl, et bien d’autres, originaires des zones humides ou brülantes 3, On serait surpris de les voir toutes acclimatées sur le plateau central, si l’on ne savait comment les horticulteurs tenaient compte de la position et des accidents du terrain, traitaient le sol, abritaient les plantes ou les livraient à toute la chaleur du midi, réglaient l’arro- sage et l'écoulement des eaux. 38, 90; dans le Magliabecchiano, ff. 35 et 47; dans le Fejérväry-Mayer, f. 26. Macuilxochill est représenté dans le Magliabecchiano, f. 60, et ailleurs; Xochiquetzal dans le Vaticanus 3773, f. 42, dans le Féjérvary, f. 29, etc.; dans le codex Rios, f. 7: « Sochiquetsal, id est essaltatione delle rose ». Cfr. SELER, Das Tonalamatl der Aubins chen Samml., p.119. ? Fray DIEGo DuRAN, /istoria de las Indias de Nueva-España, EM C025, D. 212. 2 HERNANDO ALVARADO TEZOZOMoC, Cronica mexicana, Edit. Vigil, C0; D:253. 3 Ibid. SAHAGUN, op. cit., t. III, lib. XI, c. 7, p. 292. BETANCURT, Teatro mexicano, part. I, trat. 2, n. 126. [él] 66 CHAPITRE V Leurs collections s’enrichissaient de jour en jour, parfois au prix de luttes sanglantes. Ainsi le dernier empereur envoya des ambassadeurs munis de présents a Malinal, seigneur de 77achquiauhco, avec mission de lui dire: « Motecuhçuma, notre maïître et ton parent, a su par le roi Ahuizotl que tu possédes en tes jardins l'arbre Yapalizquixochill *, aux fleurs si belles et d’une odeur si suave. Cet arbre, il désire l'avoir; il te le demande à titre de parent et d’ami, prêt à en donner le prix que tu voudras ». Malinal refusa, mais il paya cher son refus. Motecuhzoma lui déclara la guerre, et lui enleva, avec l'arbre convoité, la couronne et lavie Cette passion pour les plantes ornementales expli- que comment ont surgi tant de parcs magnifiques qui, plus tard, furent un objet d’admiration pour les yeux émerveillés des conguistadores. Quand, après de lon- gues années d’une vie aventureuse et misérable, les Aztèques s’établirent en maîtres dans la vallée de México, leurs chefs voulurent affirmer leur grandeur par le faste de leurs jardins. Ceux qu'embellit ou créa Nezahualcoyotl contenaient, à côté des espèces autochtones, mille essences variées reçues de terres lointaines, plantes exquises qui récréaient la vue et flattaient l’odorat. Leur entretien était à la charge de divers pueblos, qui venaient tour à tour et en se relayant prendre soin des plantations royales. Citons celles de Tzinacanoztoc, Cozcaquauhco, Tepetzinco, Quauhyacac, où se voyaient encore les grottes qui 1 C’est le nom d’une fleur de la famille des borraginées. L’arbre lui-même s'appelle #apalizquixochiquauitl: TRONCOSO, op. cit., p. 8. 2 TORQUEMADA, Monarquia indiana, lib. II, c. 69, pp. 196 sqq-. LA BOTANIQUE INDIGÈNE 67 longtemps avaient abrité les Chichimèques troglo- dytes ”. Le plus célèbre sans contredit des jardins tex- cuans fut celui de Tetzcotzinco, que le monarque phi- losophe et naturaliste établit dans sa capitale même, et dont quelques ruines nous permettent aujourd'hui encore de deviner les splendeurs. Nezahualcoyotl, dit Clavigero *, planta de nouveaux jardins et des bois, qui en partie survécurent à la conquête. Il affection- nait l'étude des animaux et des plantes, et parce qu'il ne pouvait réunir dans sa résidence royaie les pro- ductions de toutes les provinces, il fit représenter au vif, sur les murs de sa demeure, toute la faune et la flore de l’Anahuac. Hernandez au XVI siècle vit encore de ces peintures. Autour des vieux palais de Texcoco, Motolinia observa une clôture formée de plus de mille cèdres énormes et de toute beauté. Ces rangées d’ar- bres formaient peut-être l'abri de plantes plus délicates. Les rois de Tenochtitlan rivalisaient de magnifi- cence avec leurs voisins de Texcoco. Des guerres heureuses leur fournissaient des végétaux exotiques de formes exquises, et ils résolurent de les réunir dans des terres chaudes au sud de la capitale. Voici comment l’intéressante chronique de Durän à rapporte une de leurs fondations les plus renommées, celle de Huaxtepec, dans l'État actuel de Morelos: 1 TRONCOSO, op. cit., pp. II sqq. 2 Historia antigua de México, lib, IV, $ 4 et 14, pp. 82 et 90. Cfr. IXTLILXOCHITL, Æisloria de la nacion Chichimeca, c. 42 (édit. Cha- vero, México, 1892, pp. 208-212). Remarquons toutefois que ce descen- dant des monarques de Texcoco, réduit à solliciter les faveurs du roi d’Espagne, exagérait volontiers les splendeurs de son empire disparu. 3 Æistoria de las Indias de Nueva España, t. I, c. 31, pp. 252 sqq. 68 CHAPITRE V Tlacaelel, ayant proposé à son frère (Motecuh- zoma Ilhuicamina) de grands travaux pour recueillir et distribuer les eaux de Huaxtepec, l'engagea aussi à députer des messagers à Pinotl, vice-roi de Cuetlaxtla (Cuetlaxtlan), pour lui demander des pieds « de cacao, de xuchiuacazth, yoloxuchitl, cacauaxuchutl, yzquixu- chitl, vacalxuchitl, cacaloxucluitl, et les rosiers de toute espèce qui naissent en cette région ». Le roi, goûtant ce conseil, manda de Cuetlaxtla des Indiens agriculteurs, qui mirent en terre les essences nouvelles aux endroits indiqués. Ils jeunèrent pendant huit jours, répandirent sur les plantes le sang qu'en forme de sacrifice ils se tiraient des oreilles. Ayant demandé aux majordomes de l’empereur de grandes quantités de papier, d'encens et de we, ils en firent offrande au dieu des fleurs; ils lui immolérent aussi bon nombre de cailles, dont le sang servit à arroser la terre et les arbustes. « Ce faisant, aucune plante ne périrait, disaient-ils.. Dés la troisième année, les fleurs foisonnaient ; et Montecuma, levant les mains au ciel, rendit grâces au Seigneur de la création. Lui et Tlacaelel se prirent à pleurer de joie en voyant le succès de leur entreprise. À leurs yeux, c'était un bienfait signalé du Seigneur des hau- teurs, du jour et de la nuit, qui procurait ainsi à la nation mexicaine, et à toutes les tribus du pays, la joie d’avoir des roses dont elles s'étaient vues privées jusqu'alors ». Tezozomoc', racontant le même fait, parle aussi d'arbres fruitiers, et du Æweynacaxtli (ou 1 Crônica mexicana, C. 40, pp. 370 sqq. Voyez aussi, sur les plan- tes citées dans le texte, SAHAGUN, op. cit., t. III, lib. XI, c. 7, pp. 290 sqq. BETANCURT, 7eatro mexicano, part. I. trat. 2, c. 10, n. 167 sqq. CLAVIGERO, op. cit., lib. I, ? 7. LA BOTANIQUE INDIGÈNE 69 xochiuacaztli), du Wuxuchatll (Epidendrum vanilla), du mecaxochuiitl, etc. Le jardin de Huaxtepec, au dire de Fernand Cor- tés, mesurait deux lieues de circuit. Ceux de Itztapala- pan, de Tenochtitlan, du Peñon, de Chapultepec avec ses terrasses échelonnées comme des gradins , atti- raient aussi l'attention. Prescott et d’autres écrivains modernes, égarés peut-être par des chroniques indigènes, ont plus d’une fois renchéri encore sur ces splendeurs. La gloire de l'antique México n’a pas besoin de ces exagérations. C’est assez pour elle que des témoins comme Cortes, Bernal Diaz et tous les premiers conquis- tadores s'extasient devant la superbe ordonnance des parcs royaux, leur système d'irrigation, la distribution des cultures, les allées d'arbres, les buissons en fleurs, la profusion de plantes d'agrément *. Si les monarques se plaisaient à afficher leur opu- lence dans de luxueuses plantations, ils s’inspiraient, en même temps, d’une pensée plus haute: celle de créer de véritables jardins botaniques pour la culture des simples et l'étude de leurs propriétés. Dans celui de Tetzcotzinco, Hernandez trouva le cococxihurtl 3, plante médicinale dont il prit le dessin; à Huaxtepec, le Zoztziloxitl ou le chuchte des Huaxtèques, que M. Tron- 1 Cfr. CERVANTES SALAZAR, México en 1554, Tres diälogos, édit. Icazbalceta, p. 277. 2 Cfr. les lettres de Fernand Cortès à Charles-Quint, du 30 octo- bre 1520 et du 15 mai 1522, dans VEDIA, Æistoriadores primitivos de {ndias, t. 1, pp. 34 5sqq., 66. BERNAL Diaz, Aistoire véridique, édit. cit., pp. 242, 438. OrRozCO y BERRA, Æistoria antigua de México, t. I, pag. 373. 3 Bocconia frutescens de la famille des papavéracées (TRONCOSO, Op. cit, p.13). 70 CHAPITRE V coso identifie avec le yrospermum Pereirae des légu- mineuses, et dont les Indiens tiraient un baume fré- quemment employé. Du reste, plusieurs des plantes dont Motecuhzoma, d’après le récit de Tezozomoc, peupla Huaxtepec, passaient pour curatives au pre- mier chef, Le xochiuacaztlhi guérissait la fièvre, les asthmes, etc.; le wecaxoc/uïl, les coliques et les mala- dies du foie; le #/z/xochitl servait de diurétique. Mille autres témoignages établissent que les Aztèques s’ap- provisionnaient au loin d'herbes salutaires, les acclima- taient chez eux et s’enquéraient curieusement de leurs applications. Ainsi, des côtes de l'océan Pacifique ils amenérent à Anenequilco (Etat de Morelos) le /acoxo- chitl, Bouvardia de la famille des rubiacées, recom- mandée par les médecins modernes comme efficace dans les cas d’hydrophobie ‘ Ces indications peuvent paraître un peu vagues. Mais quant au jardin impérial de Tenochtitlan, le doute n'est pas possible. Bernal Diaz, qui le visita, nous parle avec admiration de ses herbes médicinales. Mote- cuhzoma, assez froid pour les arbres fruitiers et les productions céréales ou potagères, se passionnait pour les plantes d'agrément et se montrait grand amateur de simples. Sur son ordre, les médecins en essayaient les vertus, et appliquaient au personnel de la cour ceux dont ils avaient reconnu l'efficacité. À en croire Solis *, «ils avaient des herbes pour toutes les mala- dies, pour toutes les douleurs, et, instruits par l’expé- 1 Ibid., p. 94. 2 Hisloria de la conqguista de Méjico, Edition José de la Revilla, Paris, 1884, lib. III, cap. 14, pp. 213 sqq. Cfr. GOMARA, Crônica gene- ral de las Indias, part. 11, dans VEDIA, Æistoriadores primitivos, t. 1, PP. 345, 348. BERNAL Draz, Histoire véridique, édit. cit., ©. 91, p. 242: LA BOTANIQUE INDIGÈNE 71 rience, faisaient des cures merveilleuses. Dans les jar- dins royaux l'on dispensait libéralement toutes les plan- tes salutaires que prescrivaient les médecins ou que sollicitaient les infirmes. L'on s’informait aussi du résultat, soit par vanité, soit parce qu’on croyait le gouvernement obligé à veiller ainsi sur la santé des sujets ». L’affirmation toujours un peu suspecte de l’historiographe s’autorise dans le cas présent des noms respectables de Gomara et de Herrera. Au sur- plus, la langue elle-même atteste chez les Nahuas ce soin curieux de rechercher les vertus des plantes; car les termes botaniques, qui sont fort nombreux dans leur vocabulaire, expriment souvent les propriétés caractéristiques du végétal et ses applications *. Au résumé, qu’il y eut dans l’empire aztèque des enclos destinés à la culture des arbres, des fleurs et des herbes bienfaisantes, le fait est avéré. Pour attri- buer aux Tarasques des exploitations semblables, l’il- lustre auteur de la Pofanica entre los Nahuas ïnvo- que la tradition orale. Au dire d’un habitant du pays, toutes les plantes médicinales connues au Michoacan et réputées salutaires avaient été réunies, par ordre des Caltzontz: de Tzintzuntzan, dans un jardin situé sur le penchant d’une colline, près du lac de Patzcuaro. Aujourd’hui encore, la médecine domestique se pour- voit abondamment de simples en ces parages. Peut- être, ajoute-t-on, cette colline n'est-elle que le Tzirate, au nord de Cocupao (villa de Quiroga). - Mais notre savant ami a-t-il été bien informé? M. le docteur Ni- « La quantité d’herbes médicinales et utiles que l’on cultivait était vrai- ment digne d’être admirée ». : Voir ci-dessous Vomenclature, aux chapitres VI et IX. 72 CHAPITRE V colas Ledn, avec la compétence que lui ont assurée ses investigations sur les Tarasques, conteste l’authen- ticité de cette tradition ‘ et, tout en admettant comme probable l'existence de jardins botaniques, assure qu'il n’en trouve ni vestiges ni souvenirs sur le Tzirate. L'endroit, du reste, manque absolument d’eau et, bien qu'il abonde en herbes utiles, il est beaucoup trop froid pour porter toutes les espèces tropicales intro- duites dans l’ancienne médecine tarasque. Quoi qu'il en soit, personne ne songe à nier que ce peuple ne se montrat, lui aussi, bien au courant de sa flore. Dans les listes dressées par Hernandez ?, M. Troncoso relève environ deux cent cinquante noms tarasques appliqués à des plantes médicinales de ces contrées et fournis au Protomedico par les naturels. Il s'en trouve même davantage, croyons-nous: jusqu’à trois cents et plus. C’est également des indigènes que Humboldt et Bonpland apprirent à connaître ce grand nombre d'espèces utiles dont ils parlent dans le Mova genera et species plantarum 3. Quant aux Tlaxcaltèques, Matlatzincas, Totonaques, Zapotèques, Mayas, etc., certains indices nous font entrevoir chez eux des connaissances botaniques assez avancées, ou du moins quelque zèle pour la culture des plantes locales et exotiques. Ces faits parlent haut en faveur des Aztèques, et 1 Apuntes para la hisloria de la medicina en Michoacan, 2° édit., Morelia, 1887, p. 13. 2 Cfr. REcCHI, Æerum medicaruim Novae Hispaniae thesaurus, Romae, 1651. Ærancisci Hernandi opera, Madrid, 1790. N. LEON, Los Tarascos, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. I, pp. 459, 462-484. 3 Paris, 1815. LA BOTANIQUE INDIGÈNE 73 annoncent un degré de culture plus élevé, à un point de vue spécial, que celui du vieux monde à la mème époque. Est-ce à dire, comme on l'a insinué, que les jardins botaniques fondés en Europe au XVI* siècle ne furent qu'une imitation des plantations mexicaines ? L'on pouvait en prendre ailleurs l’idée et le modèle. Sans parler des souvenirs laissés par l’antiquité grec- que et romaine ’, les monastères du moyen äge sem- blent avoir mis en honneur les collections de plantes : témoin les bénédictins de Salerne et, avant eux, les ouvrages de Walafrid Strabo, de sainte Hildegarde, d’autres encore. Nous n’oserions même pas avancer d'une manière absolue, avec M. Troncoso, que l’Ana- huac eût ses jardins botaniques plus d’un demi-siècle avant qu'en Europe aucun gouvernement organisat ou prit sous sa protection ces utiles établissements. N'est-il pas vrai que Abdu’r-Rahman I en fonda un à Cordoue dés le VIII siècle et qu'il envoya des explorateurs à la recherche de plantes rares? À vrai dire, les historiens regardent généralement comme les premiers jardins botaniques en régle ceux qu'ouvrirent au public, de 1543 à 1546, les sénats de Pise et de Padoue, et ceux-là ont été devancés par les Mexicains. Quoi qu'il en soit, n'est-il pas merveilleux qu’une peuplade en des îlots, au milieu de lagunes, soit à peine en 2 naguëére errante, traquée, réduite à vivre 1 HumBoOLDT, Cosmos, 7° édit., pp. 194, 219. TRONCOSO, op. cit., pp. 23 sq. 2 Dans son importante relation sur l’Æésloire mexicaine de Cristobal del Castillo, M. del Paso y Troncoso met bien en lumière les humbles origines des Mexicains, qui « constituaient une classe infime de la grande nation nauatl ». (Congrès international des américanistes, XII° session, 74 CHAPITRE V. — LA BOTANIQUE INDIGÈNE possession d’une patrie, qu’elle réalise des concep- tions si hautes et si pratiques? qu'aux étrangers, venus pour leur apporter la civilisation, et les dépassant par tant de côtés, les Aztèques apprennent l'art de mieux observer la nature, de grouper ses produc- tions, d'en tirer parti? et que leur médecine fit chaque jour de nouvelles conquêtes, alors que la science euro- péenne s’immobilisait, ou peu s’en faut, dans les traités d'Hippocrate et de Galien? pp. 209 sq.). Voyez aussi DEL Paso y TRONCOSO, ÆYagmentos de la obra general sobre historia de los Mexicanos..…. por Crislobal del Castillo, Florencia, 1908. sos tt ss AS HE CHAPITRE VI. Science rudimentaire des végétaux. Vocabulaire. — Synonymie. — Noms descriptifs et caractéristiques. Comparée aux connaissances actuelles, la botani- que nahua était assurément dans l'enfance. Tout dénote une période de tatonnements. Mais l’on avançait tou- jours, et le travail des âges passés, les multiples données fournies par les aïeux et successivement accrues par chaque génération nouvelle, devaient aboutir à former un enseignement mieux ordonné, plus ferme et plus substantiel. Témoin les relations que Hernandez et d'autres avant lui rédigérent presque sous la dictée des Indiens”. Encore n'y a-t-il là, sans doute, que des débris. Ces laborieux explorateurs n'ont pu tout re- cueillir, ni tout comprendre. Eh bien, si incomplète qu’elle puisse être, leur compilation laisse assez devi- ner de quoi les Aztèques étaient capables. Déjà com- mencent à s y montrer les éléments d’une taxinomie générale et d’une phytographie rationnelle. Les végé- taux se distinguent par des noms bien appropriés, qui en décrivent souvent le port et les organes. Ils vien- nent se ranger en des groupes, arbitraires communé- ment, mais parfois aussi déterminés par des affinités 1 Cfr. ci-dessus, chapitre V. 76 CHAPITRE VI naturelles. L’excellente étude de M. le docteur Tron- coso nous renseignera à ce sujet. Ce qui attire d’abord notre attention, en examimant le vocabulaire botanique, c’est la multiplicité des syno- nymes. Dans le vaste empire mexicain, où se parlaient tant de langues, un même végétal portait, suivant les provinces, les dénominations les plus diverses. Rien de plus naturel que de vouloir les rapprocher et les identifier. Mais la synonymie indigène était mieux qu'une simple juxtaposition de termes locaux ou régionaux. A côté d’une appellation usuelle, tirée par exemple de certains détails de forme ou d’une vertu curative, surgit fréquemment un mot technique qui ramène la plante à un groupe déterminé. Ainsi le fooicxill (patte d'oiseau: c'est la forme qu'affecte son limbe pro- fondément fendu) s’appelle encore cax{latlapan, et ren- tre de la sorte dans le genre /pomæa des convolvu- lacées. Le prinipiniche des Tarasques se nomme en aztèque chapolxochitl, fleur du chapulin (sauterelle), à cause de sa ressemblance avec cet insecte ‘; mais la dénomination vulgaire était complétée par celle de #ua- palill (siempreviva, immortelle), qui rappelait le port de la plante, la consistance des feuilles ; par celles de mincapatli (médecine de flèches) et coxalpalli (méde- cine pour la rate), la préoccupation maîtresse des Mexicains étant toujours d'indiquer les ressources thé- rapeutiques qu'offrait le végétal. On trouvera sans peine d’autres exemples dans les mots aztèques (au nombre de 2500 ou plus) du catalogue botanique de Hernandez. Beaucoup d’entre eux n’appartiennent pas 1 TRONCOSO, op. cit., pp. 27 sq. SCIENCE RUDIMENTAIRE DES VÉGÉTAUX 77 a des types aborigènes du plateau central; mais, en important chez eux des échantillons de la flore étran- gére, les Aztèques les baptisaient d’un nom nahua, soit en traduisant celui qu'ils portaient dans le pays de leur provenance, soit en créant de toutes pièces une dénomination nouvelle. La synonymie mexicaine est si abondante qu’elle a pu sembler quelquefois un luxe inutile. Mais analysez les termes, groupez-les, et vous aboutirez souvent à une description exacte du type végétal. Avec leur langue synthétique, si riche de mots et de formes, si variée dans ses combinaisons, les Nahuas étaient à l'aise pour donner à la plante des noms exprimant les points saillants de son organisation, résumant ses principaux caractères, indiquant ses applications économiques ou médicales. Ils désignaient ainsi, par des appellations distinctes, la forme et l'aspect de la plante, les con- ditions du terrain producteur; la nature, la direction, la consistance de la tige, des feuilles et de la fleur; la couleur, les dimensions, la durée et jusqu'aux moin- dres détails. Voici, entre mille, quelques termes em- pruntés à la dissertation déjà citée. Pour indiquer le port général de la plante, citons quauitl où quahuitl (arbre), xruitl ou xthutl (végétal herbacé), guaguauhtzin (arbuste), etc. De là, copal- quaurtl (arbre du copal: une térébinthacée arbore- scente), et copalxiutll (herbe du copal: une labiée herbacée). Les radicaux a (de af/, eau), aten (de af et tent, bord), # (de #f/, pierre), /epe (de fepetl, montagne), etc. donnent à entendre que le végétal est aquatique, ou croit au bord de l’eau, qu'il vient dans un terrain 78 CHAPITRE VI pierreux ou sur les montagnes: afenxthuitl, herbe au bord de l’eau *. La racine, le tronc, les branches, les feuilles, la fleur, le fruit, s'expriment par un radical caractéristi- que *, qui entre en composition avec d’autres termes et se modifie suivant les particularités de chacun des organes. Que la tige, par exemple, soit ligneuse ou herbacée, d'écorce épaisse, rugueuse, couverte d'épi- nes et de telle classe d’épines, anguleuse et d’autant d'angles, plus ou moins solide, développée en telle ou telle direction, pubescente et de poils longs ou courts: tout cela, l’idiome nahua le traduit sans peine. Il sait tenir compte du pétiole, du limbe de la feuille, de ses nervures, de ses dimensions relatives et, si elle est composée, du nombre de folioles: ainsi e, radical de et ou yez (trois), se retrouve dans les noms des trifoliées, comme dans les phaseolus (légumineuses). Ce vocabulaire ne dénote-t-il pas un véritable esprit d'observation en même temps qu'il reflète l’inexprima- ble richesse de la langue? Celle-ci, à l’aide d’un petit nombre de termes exacts, précis, fixe des idées que beaucoup de nos idiomes ne sauraient rendre que par de longues périphrases. Si l’on met en regard de la plante grimpante figurée dans l’édition romaine de Hernandez (page 211) son nom aztèque de /pehorla- capitzxochitl 3, la justesse de ce mot saute aux yeux; car il signifie: « plante d'agrément (xoc/f/), qui croit en terrain montagneux (Æpe/l), dont la tige noueuse 1 Cfr. MACARIO ToRREs, Æséudios gramalicales sobre el Nahuatl, Leôn, 1887. 2 Cfr. SAHAGUN, op. cit., t. III, lib. XI, pp. 234 sqq. 3 TRONCOSO, op. cit., Pp. 39 sqq. SCIENCE RUDIMENTAIRE DES VEGETAUX 79 comme le roseau (acaf/) se traine (Lo/, huilana) et se dresse, mince (pifzaua) ». Quelques-unes de ces appellations s'adaptent si heu- 1 , reusement à la plante, qu'elles ont passé dans la nomenclature moderne sans altération ou par une sim- ple traduction. Dans la famille des iridées, le genre Tioridia de la tribu des galaxiées n’est autre que le oceloxochitl, où fleur du tigre, des Aztèques ‘. Le CZz- ranthodendron de la flore mexicaine (bombacées) traduit littéralement le nom indigène wacpalxochiquaurtl (arbre dont la fleur est comme la paume de la main). Axo- chat! veut dire que la floraison coïncide avec les pre- mières pluies mexicaines, en d’autres termes, qu’elle commence avec le printemps et finit avec lui 3: or, n'est-ce pas là précisément le sens du nom technique correspondant, Sexecio vernus ? Un examen attentif du glossaire aztèque y découvre une tendance marquée à peindre par un seul mot quelque propriété essentielle de la plante, sauf à com- pléter au besoin cette dénomination par des termes apposés qui représentent les caractères différentiels *. Nous n'oserions dire pourtant que l’on visait à donner ainsi le signalement du végétal: la synonymie la plus 1 Hernandez lui donne pour synonyme ‘eyolchipauac, herba laeti- Jicans. - Des botanistes la reconnaïtront peut-être dans la fleur à gran- des dimensions figurée à la page 28 du Codex Borbonicus (F. DEL PASO y TRONCOsO, Descripciôn, historia y exposteion del Côdice,... p. 125). 2 Les Espagnols l’appelaient vulgairement arbo7 de manitas. 3 TRONCOSO, p. 35. Entre autres synonymes de l’axochiati, Hernan. dez indique: zezahualxochiatl, fleur du jeûne (au printemps avait lieu un jeûne universel des prêtres en l’honneur de Tlaloc, le dieu de la pluie); tonalxihuill et tonalxochiatl, herbe, fleur du soleil. Cfr. SELER, Gesam- melle Abhandlungen, t. II, pp. 446 sq. 4 L'occasion se présentera d’insister sur ce fait. Cfr. ci-dessous, chapitres VII et IX. 80 CHAPITRE VI. - SCIENCE RUDIMENTAIRE DES VÉGÉTAUX riche n'y aurait pas suffi. Mais ce peuple avait dans la peinture une ressource tout autrement précieuse pour la phytographie. Le dessin, soit naturel et figu- ratif, soit symbolique et conventionnel, ou même phonétique, parvenait à tracer le portrait de chaque plante. CHArITRE VII. Iconographie conventionnelle. Iconographie des plantes. — Symboles, caractères phonétiques. — L'arbre cruci- forme, — Types figurés des divers groupes végétaux. — Signification des cou- leurs dans l'image polychrome, — Autres signes déterminatifs. À en juger par plus de cent cinquante hiérogly- phes que nous avons pu étudier dans le Codex Men- dozino ’, la loi suivante semblait présider à l’iconogra- phie botanique : des parties isolées d'une plante, racines, branches, feuilles, fleurs et fruits, se peignaient tres communément au naturel, comme le prouvent les em- blèmes de Camotlan, Chilacachapan, Huaxtepec, Huitza- nolla, Izhuatlan, et nombre d’autres; mais la plante entière était plutôt figurée par un signe conventionnel, souvent idéographique, parfois phonétique. Ce dut être là, nous l'avons indiqué dans un autre travail, la dernière étape du système graphique que les Toltèques avaient introduit dans l’Anahuac. Réduite d'abord à copier servilement les objets matériels, multi- t Cet inappréciable document a été reproduit, d’après une copie postcolombienne, dans le tome 1° des An/iguilies of Mexico, de lord Kings- borough. Il se compose d’une relation historique, d'un registre d'impôts, d'un tableau des usages du pays. C’est principalement sur la seconde partie de ce recueil qu’ont porté les études iconographiques de M. TRON- coso, Æsludios sobre la medicina entre los Nahuas, (cuaderno 1], p. 59 sqq.). Il y aurait tout profit à poursuivre cette enquête à travers les manuscrits hiéroglyphiques que la munificence du duc de Loubat a mis à la portée des chercheurs. L'entreprise tentera sans doute quel- que archéologue-naturaliste. 82 CHAPITRE VII pliant ensuite les caractères allégoriques, l'écriture nahua ne se cantonna pas dans l’idéographisme. L'’em- ploi fréquent de signes arbitraires lui frayait la voie au système phonétique, et d’abstraction en abstraction elle finit par s'acheminer au syllabisme. Le son attribué à l'image qu’on retrace n'est plus celui du mot tout entier, comme dans nos rébus, mais celui de l'articu- lation initiale. Ne voit-on pas même poindre déjà dans mainte pictographie une division embryonnaire en voyel- les et en consonnes? C, Z, TL, avaient, dit-on, des caractères à part; mais ce qui ne fait pas de doute, c'est que les figures de chemin (047), d'eau (af), du haricot (e//, Phaseolus vulgaris), de l'action de boire’, désignent fréquemment les simples émissions de voix, O, A, E, I. Dans certains cunéiformes, le signe eau se prononce à la lecture comme notre lettre a: il en est absolument de même pour beaucoup d'hiéroglyphes du Codex Mendozino, tels que Amacoztitlan, Amax- tlan, etc., où l’image peint le son à et non pas l'idée de l'eau. L'on a prétendu que les Mayas, par leur écriture d'aspect alphabétique, étaient allés plus loin dans la voie du phonétisme que les premiers émigrés de Huehuetlapallan *. Il est certain que d’autres races ont 1 L'action de boire de l'eau, représentée figurativement par une lèvre et trois gouttes d’eau, se disait a//iliztli, terme dérivé régulière- ment de af et du radical 2. 2 Cette opinion a été vigoureusement combattue par M. Seler (Der Charakler der aztekischen und der Maya-Handschriflen. —- Ein neuer Versuch zur Entziflerung der Mayaschrift, etc.), dans Gesammelte Abhandlungen, t. 1, pp. 407 sqq., 558, 562, 568, 576. Cfr. CHAVERO, Calendario de Palemke, Los signos de las veinlenas, dans Anales del Museo Nacional de México, t. VII (1903), pp. 425 sq. DANIEL G. BRIN- TON, Æssays of an Americanist, Philadelphia, 1890, pp. 230-273. ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE 83 retardé sur ceux-ci: les Tarasques, quoi qu'on dise, s'en tinrent à des représentations objectives, soit toutes matérielles, soit idéographiques ‘, et probablement même aux plus simples de toutes, aux plus rudimen- taires *. Cette digression n'est pas oiseuse; car, si l’on admettait avec certains américanistes, égarés par quel- ques lignes de Champollion-Figeac, que tous les Mexi- cains, même ceux du plateau central, s'étaient arrêtés au système figuratif et symbolique, ce serait perdre son temps que de vouloir déchiffrer la littérature indi- gène. Elle demeurerait un livre scellé, comme le furent longtemps, à la suite d’une méprise analogue, Îles textes égyptiens. Sous peine de n’y rien voir, il faut déméler les signes purement phonétiques des idéo- grammes, et dans ceux-ci, l'élément figuratif de l’élé- ment alléscorique. Souvent les hiéroglyphes qui repré- sentent des personnes, des localités, des noms pris isolément, sont de purs rébus de mots ou de syllabes; mais pour exprimer les rapports qui unissent entre eux les différents termes, pour former une phrase, pour énoncer une série de notions ou l’enchaïînement des faits, c’est l'idéographie qui entre en jeu: au moins 1 Ces termes et d'autres analogues n’ont pas toujours un sens bien fixe chez les américanistes. Nous les prenons dans l’acceptiou la plus usitée. Le phonétisme est la peinture des sons ; l’idéographisme, la pein- ture des idées: Les idées se représentent soit figurativement, c’est-à-dire par l’image des objets eux-mêmes, soit symboliquement, à l’aide d'un caractère convenu. Ce signe de convention peut être ou purement arbi- traire, ou la reproduction d’un objet matériel en relation plus ou moins étroite avec l’idée qu’on veut rendre. C'est à ces différents cas que se rapporte la terminologie un peu compliquée de certains auteurs. 2 Cfr. Nicozas LEON, Anales del Museo michoacano, t. 1, p. 3, Morelia, 1888. Du même auteur, Zos Tarascos, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. I, 1904, p. 453. 84 CHAPITRE VII n'est-il pas établi que l’ensemble d’un texte düt se lire phonétiquement *. D'ailleurs dans cette écriture trés complexe, que M. del Paso y Troncoso appelle justement synthétique, les caractères de diverses catégories s'employaient simultanément; et la seule division peut-être admis- sible, c'est que pour les usages de la vie courante ?, pour les transactions commerciales, dans les composi- tions vulgaires, l'écriture tendrait plus fréquemment à être phonétique; les mappes d'histoire, les actes admi- nistratifs, tous les monuments publics, affectant plutôt l'idéographisme, recourraient aux sons par impuissance et faute de mieux. Il nous semble aussi que les livres sacrés, tels que le /oamoxtli et le fonalamatl, échap- pérent mieux au phonétisme et gardèrent les symboles primitifs. Ceux qui les avaient rédigés, et leurs suc- cesseurs dans le sacerdoce rituel ou astrologique, les initiés, en avaient seuls le secret 5. Après un petit nom- bre de générations, le vulgaire dut cesser de compren- dre et surtout d'employer la plupart de ces allégories. 1 F. DEL PASO y TRONCOSO, Descripciôn, hisloria y exposiciôn del codice piclôrico (Borbonicus), pp. X1I-XIV. SELER, Gesammelle Abhand- lungen, t. 1, pp. 407-409, 413. Cfr. AUBIN, Æssai sur la langue mexti- catne, dans Archives de la Sociélé Américaine de France, Nouvelle Série, t. I, Paris, 1875, pp. 350 sqq. 2 Chaque famille, paraît-il, dressait pour son compte une espèce de calendrier et y consignait les faits notables, Gama parle même d’un véri- table commerce de lettres. Les titres de propriété étaient aussi en hié- roglyphes. Cfr. ORoZCO Y BERRA, op. cit., t. I, p. 398 sq. 3 SAHAGUN (t. III, lib. X, c. 29, p. 139 sqq.) dit que dès le principe les Mexicains se firent accompagner dans leurs pérégrinations par des «sages ou devins qui s’appe'laient amovoague, c'est-à-dire hommes versés dans les peintures antiques ». Sur les /armnatinime amoxuaque (die Weisen, die Bücherkundigen) voyez le texte cité et traduit par M. SELER, dans son Codex Vaticanus 3773, Berlin, 1902, pp. 142, 329. ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE 85 N'observe-t-on pas chez d’autres races aussi, qu’au milieu des incessants progrès de l'écriture, les formes antiques, sans disparaître totalement, finissent par n'être plus populaires, et se réfugient dans des documents d'un ordre élevé, dans des écrits religieux? Ainsi, quoique les hiéroglyphes proprement dits fissent place en Égypte a des tracés de plus en plus cursifs, à l'hiératique et au démotique, ceux-ci ne bannirent jamais complètement les images symboliques des an- ciens hiérogrammates. Que les Nahuas, au cours des âges, aient réduit leurs caractères à des expressions toujours plus sim- ples, nous n'en voulons ici d'autre preuve que leurs dessins botaniques‘. Pour désigner, non pas telle plante déterminée, mais une classe étendue (l'arbre, le végé- tal herbacé, les lécumineuses), les « écrivains », ou du moins une école importante de #/acurlo, tendaient à dégager les signes strictement figuratifs de tous les traits qui caractérisent une espèce. Il en résultait un type général, fondé d’abord sur limitation de la nature, mais qui, à l’aide d'abréviations successives, n’était presque plus à la fin qu'un chiffre conventionnel, su- sceptible de vastes applications. Voulait-on ensuite re- venir à une famille particulière, il ne fallait pas en retracer l’image au naturel (c'était la l'écriture dans son enfance), mais à l'idéogramme abstrait ajouter un simple déterminatif. Ou je me trompe fort, ou d’autres peuples accusent également, dans la formation de leurs 1 Il s’agit ici, on le comprend, du système graphique, de l'écriture en images, et non de la peinture en général. Les artistes savaient bien, le cas échéant, reproduire les végétaux sous leurs formes réelles (cfr. ci- dessous, chapitre VIID). S6 CHAPITRE VII hiéroglyphes, cette double marche ascendante et de- scendante, cette méthode d'élimination et de recompo- sition, trop naturelle d’ailleurs dans l’évolution de la pictographie pour qu'il doive paraître étrange de la retrouver un peu partout. Mais il est des coïncidences qui rentrent moins bien dans cette explication. Plusieurs emblèmes fondamen- taux, identiques ou de même aspect chez beaucoup de races mexicaines, sembleraient un souvenir plutôt que la création spontanée de chaque peuple ou une rencontre fortuite. Et peut-être l’hiéroglyphique est- elle un anneau de la chaîne mystérieuse qui parait rattacher à une origine commune, bien que déjà loin- taine, des groupes ethniques d’une physionomie maïin- tenant si distincte. Il ne sera donc pas inutile de signaler quelques- uns des types principaux de l'iconographie nahua. Com- mençons par celui de l'arbre en général. Dans les emblèmes de Cuauitlixco, Cuauhnahuac, Cuauhtitlan, Cuauhnacaztlan, Ocoyacac, etc., l'arbre (cuauill ou quauifl) est constamment figuré par un tronc cylindrique, de couleur jaune brun, qui se déve- loppe en trois branches de la même nuance, terminées chacune par un volumineux appendice vert foncé, mul- tilobé, et plus ou moins orbiculaire ". La tige s'appuie sur des racines peintes en rouge, à moins que le sens du mot retracé n’exige une autre base: ainsi, dans Ahuexoyocan, Huaxtepec, Cuauhtoxco, l'arbre nait im- médiatement de l’eau, d’une colline, du dos d’un lapin. En d’autres cas, le signe est abrégé ou tronqué ; mais, 1 Cfr. TRONCOSO, op. cit., p. 62 sqq. ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE 87 même alors, il garde presque toujours les couleurs convenues, comme dans Cuauhpanoyan, Cuauhteco- matzinco, Cuauhtetelco. Un type universel, applicable aux espèces arbore- scentes les plus diverses, ne pouvait manquer d’être un signe arbitraire. N'est-il pas d'autant plus remar- quable de rencontrer un symbole analogue, à quelques détails près, chez les Mayas, les Zapotèques et les Mixtèques? L'idée fondamentale apparaît toujours la même, au milieu d'inévitables variantes de forme. Tandis que dans le quauitl aztèque la tige et les trois rameaux ne se coupent guére à angles droits (sauf peut-être dans Cuauhtoxco), les peintures zapotèques de la bibliothèque Bodléienne (num. 2858, pl. 6) nous pré- sentent un arbre doublement cruciforme; les traverses y sont perpendiculaires entre elles, et terminées cha- cune par trois branches qui forment croix à leur tour *. Dans la pictographie de Fejérväry *, nous avons un groupe de cinq médaillons, où figure l'arbre symbo- lique; les traverses horizontales s’épanouissent en trois rameaux affectant la forme d’une croix; mais le bras supérieur est remplacé par un oiseau, qui repose sur l'arbre, à peu prés comme dans la célébre tablette de Palenque. Dessins analogues dans le précieux Codex Borgia 5, ainsi que dans le Vaticanus 3773 ‘; et ce ne sont pas les seuls monuments qui offrent des figura- tions parallèles. Ces arbres cruciformes furent-ils créés de toutes MC ibid, p. 63. 2 Fol. 1, dans l’édition de M. le duc de Loubat. 3 Foll. 49, 50, 51, 52, 53, édit. Loubat. 4 Foll. 17, 18, édit. Loubat. 88 CHAPITRE VII pièces pour désigner allégoriquement le dieu des pluies ou la vertu fécondante des rayons solaires? Sont:ils, comme le veulent quelques auteurs, le symbole de la vie ou celui de l'intelligence? Faut-il y voir une nota- tion chronologique, soit d'une période de 260 ou de 1040 ans, comme dans le Codex Borgia, soit du grand xiguipilli où cycle de 8000 années dans les reliefs de Palenque? N'y aurait-il pas là plutôt l'expression graphique des quatre points cardinaux et des conceptions astro- nomiques ou mythologiques qui s’y rattachaient? Est-il permis encore d'attribuer quelques-unes de ces croix à des souvenirs d’une évangélisation précolombienne ? Ou bien enfin, n'est-ce au début qu'une modeste image figurative, un arbre vulgaire que l'évolution hiérogly- phique a réduit à l'état de symbole abstrait? Autant de théories, pour la plupart hypothétiques, lesquelles ont été mises en avant et ont eu leurs défenseurs. Nous n’oserions maintenant reprendre pour notre compte ce problème si discuté, ni même, dans un cadre aussi étroit, résumer la controverse *. Il faudra seulement rappeler l'aspect tout diffé- rent de l'arbre hiéroglyphique des Égyptiens; une simple tige s’épaississant vers le haut en un appendice fusiforme: tel est l’idéogramme ou le déterminatif 1 Bornons-nous à signaler l'explication d’un des maïtres les plus autorisés de l’américanisme, M. Seler, dont les travaux sont appréciés et admirés par ceux-là même quine partagent pas toutes ses vues et com- battent quelques-unes de ses conclusions. L’illustre professeur a plus d'une fois abordé le problème des symboles cruciformes, à savoir dans son commentaire du Codex Fejérväry-Mayer (Berlin, 1901, pp. 8-14; cfr. pp. 17-20); dans celui du Vaticanus 3773 ou Vaticanus 2 (Berlin, 1902, pp. 76-81); et récemment enfin dans son grand ouvrage sur le ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE 89 arbre. Mais, si je ne me trompe, ce même caractère représente phonétiquement l'articulation syllabique &, et alors il a pour équivalent un signe cruciforme, dis- tinct de la croix ansée qui représente la vie *: coïn- cidences dont on ne songe ici, bien entendu, à rien conclure. Au sens de quelques auteurs, le {ax égyp- tien et le T renversé de l'écriture chinoise font aussi pendant à l’arbre dichotome des textes mexicains et ont eu la même genèse: ce ne seraient, au principe, que des arbres symboliques. Les hiéroglyphes mexicains présentent des symboles génériques, non seulement pour les guaurtl, mais pour des groupes végétaux plus restreints. En voici quel- ques-uns : Bambusacces. Beaucoup de plantes de cette famille ont pour caractéristique une tige jaune, striée horizon- talement de raies noires. C’est ainsi que, dans les ta- bleaux du Mendozino, l'emblème de Otlatitlan (édition de Kingsborough, planche 48, fig. 3) peint aux yeux la Bambusa arundinacea *. Cactees. Épaisses ramifications charnues, généra- lement au nombre de trois, munies d’aiguillons sur le bord, surmontées de la fleur et du fruit. Exemples: Codex Borgia (Berlin, 1906, t. II, pp. 103-108). Cfr. DE NADAILLAC, L'Amérique préhistorique, p. 324 sqq. D. CHARNAY, Les explorations de Téobert Maler, Paris, 1904 (extrait du Journal de la Société des américanistes de Paris) p. 4 sq. Papers of the Archæological Institute of America. American Series V. Hemenway Southwestern expedilion, by À. F. BANDELIER, Cambridge, 1890, p. 127. 1 Cfr. Apozr ERMAN, Ægyplian grammmar, London, 1894, pp. 17, 56, 181, 189. ERMAN, Aegyplisches Glossar, Berlin, 1904, pp. 9, 10, 22. 2 Cfr. TRONCOSO, op. cit., p. 64. Nous relevons un autre exemple dans Otlazpa (pl. 30, fig. 6). go CHAPITRE VII Nopalla (pl. 18, fig. 1), Teonochtitlan (pl. 44, fig. 13), Xoconochco (pl. 49, fig. 1). Contfères. Généralement l'organe conoïde, comme dans Ocopan (pl. 41, fig. 8), Ocoyacac (pl. 9, fig. 10). Convoluulacees. Plusieurs espèces sont facilement reconnaissables à la racine tubéreuse. Elle apparaît de grandes dimensions et garnie de feuilles trilobées dans Camotlan (pl. 46, fig. 5), où elle désigne le Camotli comestible, Batatas edulis de Choisy ou Cou- vulvulus batatas *. Nous la retrouvons sous une autre forme dans Puhcauhtlan. Graminees. Tiges herbacées, jaunes, barbelées. Voyez Zacatepec (pl. 15, fig. 12), Zacatla (pl. 42, fig. 13), etc. Mais la tribu des arundinces est caractérisée par de grandes feuilles alternes et sessiles, qui représentent le Phragmiles communis (acat!). Le dessin, constam- ment bleu dans Acatepec (pl. 24, fig. 5), Acatzinco (pl. 44, fig. 4) et beaucoup d'autres, est vert pour des raisons spéciales dans Acamiltzinco (pl. 27, fig. 20). Légumineuses. Fruit en forme de gousse, modifié suivant les diverses espèces de cette nombreuse famille. Le mizquitl (Mimosa circinalis) est toujours armé d'épi- nes, comme le montrent Mizquic (pl. 21, fig. 3) et Mizquitlan (pl. 13, fig. 23). Sapotees. Fruit orbiculaire, de couleur verte, rattaché a l’arbre par un pédoncule simple. Dans cette classe rentrent le /zapoll, sapotille ou néfle d’Amérique, figuré dans Tzapotlan (pl. 21, fig. 5, et pl. 47, fig. 7); le /etzapoll où telzontzapoil (Lucuma Bonplandi où Vitel- laria mammosa), représenté dans Tetzapotitlan et dans 1 Sur les camotli cfr. HERNANDEZ, t. I, pp. 351 sqq., Madrid, 1790. ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE 97 Tzontzapotla (pl. 55, fig. 7, et pl. 50, fig. 2); le //2//za- potl, de couleur brune ou noire (2rospyros ebenaster); le cochiztzapotl, où iztactzapotl (Casimiroa edulis de La Llave); le xicotzapotl (Achras sapota de Linné); le coz- tictzapoll (Lucuma salicifolia où Vitellaria salicifolia) ; peut-être encore le /olo{zapotl (Sideroxylon mexicanum) et d’autres *. Les Cupulifères du Codex Mendozino ne se distin- guent de l'arbre normal que par un complément pho- nétique. Le signe bleu caractéristique de l’eau nous donne ahuatl (Quercus insieris), et à l'aide d’un nou- veau suffixe akuatzitzin (Quercus parva, de Hernandez). Voyez Ahuatepec (pl. 22, fig. 11) et Ahuatzitzinco (oltaz, fig. 11). Dans cette liste de types botaniques, qu'il serait facile d'allonger, l’on entrevoit déja quel rôle jouaient les couleurs. Cette particularité n’est pas sans impor- tance pour l'étude de l’iconographie, et mérite de re- tenir un instant notre attention. Il y avait là tout un langage, moins expressif, mais aussi fixe dans ses régles, ou peu s'en faut, que le tracé hiéroglyphique. Seraitce trop s'aventurer que d'y voir une tradition des âges primitifs où, sans réussir encore à rendre suffisamment une idée par le dessin, on fixait surtout par les couleurs le message qu'il fallait transmettre ou le souvenir des principaux événements? Les æwam- pum (petits disques de bois, noyaux, pierres rondes, coquillages, enfilés sur un cordon et diversement teints 1 Cfr. SAHAGUN, /Zisloria general de las cosas de Nueva España, t. II, lib. XI, c. VI, p. 235. MANUEL URBINA, Los Zapotles de Her- nandez, dans Anales del Museo Nacional de México, t. VII, 1901, PP: 209-234. 92 CHAPITRE VII suivant la pensée qu’on voulait exprimer) furent long- temps, et à peu prés jusqu'aux temps modernes, la seule écriture officielle des Lenape, des Iroquois, des Hurons, et sans doute aussi de leurs prédécesseurs sur le continent américain; car quel autre sens donner à ces innombrables billes en os, en coquillage, en pierre, mises au jour dans les #wnuli de la vallée du Mississipi? Le Creek-Mound seul en a livré prés de quatre mille". Au Mexique mème, il sen est trouvé beaucoup, notämment à Tequixquiac, dans les tertres de la Sierra Gorda et au Yucatan. Bien d’autres civilisations rudimentaires présentent un phénomène analogue. Les archives des Caras (Quito), pour citer un détail entre mille, n'étaient que de petites lames de pierre, des bâtonnets, des morceaux d'argile, conservés dans les temples, de couleurs et de dimen- sions variées *. Les Quipos ou Oquippos 3, franges à nœuds des Chibchas, des Araucaniens, des Puruchas, de beaucoup d’autres peuples du sud et peut-être de quelques tribus mexicaines #, reposaient également sur 1 Cfr. BRADFORD, American antiquilies and researches inlo the origin and history of the Red Race, p. 15. DANIEL BRINTON, 74e Ayths of the New Wortd, p. 189. Orozco y BERRA, Æisloria.…. de México, t. II, pag. 312. - La signification des couleurs dans les æwampum est indiquée, entre autres, par CHARLES RAU, Ancient aboriginal trade in North America (Articles on anthropological subjects contributed 1o the annual reports of the Smithsonian Institution, Washington, 1882, bp. 119/Sq.). 2 Cfr. BrüHL, Die Cullurvôlker Alt-Amerika's, pp. 216 sqq. 3 DE NADAILLAC, L'Amérique préñislorique, pp. 458 sqq. - Au Pérou et en Bolivie, les anciens gguippos paraissent survivre, quoique modifiés et simplifiés, dans le chémpu, sorte de boulier compteur formé de ficelles de couleurs différentes, dont quelques indiens se servent encore de nos jours (HAMY, Decades americanæ, 5° et 6° décades, p. 28 sq.). 4 BOTURINI, Zdea de una nueva hisloria de la América Seplen- trional, p. 87. ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE 03 la combinaison des couleurs et des cordelettes. Comme dans les wampum, le blanc était le symbole de la paix, le rouge celui de la guerre. Nous connaissons trop peu les anciennes peintures des grottes californiennes * pour oser rien en déduire; mais, à coup sur, la polychromie monumentale, si chère aux Mayas-Quichés, et intro- duite à leur exemple chez les races voisines, rentrait dans la règle générale. Dans les décorations murales du « Palais du Tigre », à Chich'en Itza, l'on avait cru reconnaître que le bleu exprimait la sainteté, le pour- pre le bonheur, le vert la sagesse, et le jaune Îles passions mauvaises. Les couleurs éclatantes, surtout le bleu, le jaune, le rouge, dont les Aztèques étaient épris, et qu'ils prodiguaient sur les monuments, sur les idoles, sur leur céramique même, n'avaient-elles pas fréquemment, elles aussi, leur signification bien précise ? Le système graphique marche du même pas que la civilisation matérielle; mais, comme celle-ci, en se perfectionnant ou en se raffnant, il se souvient toujours de ses humbles débuts. Le chromatisme, moins néces- 1 CLAVIGERO, /Zistoria de la Antigua Ô Baja California, MExico, 1852, pag. 21. Ces peintures se rencontrent sur le flanc des falaises, à l’intérieur de grottes, dans des abris sous roche. À l’époque où les mis- sionnaires jésuites les découvrirent, «les couleurs étaient parfaitement conservées », à savoir, «le jaune, le rouge, le vert et le noir». Les hommes et les femmes représentés dans ces pictographies « différaient manifestement, par le vêtement comme par les traits, des habitants actuels de la péninsule... Le costume ressemblait à celui des Mexi- cains ». (OROZCO y BERRA, Geografia de las lenguas y cuadro efno- grâéfico de México, pp. 357 sq.). Des explorations récentes sont venues confirmer la relation envoyée par les missionnaires du XVIII siècle (LEON DiGuET, Rapport sur une mission scientifique dans la Basse- Californie, extrait des Nouvelles Archives des Missions scientifiques, t. IX, Paris, 1898, pp. 29-41 et planches ITII-VI). 94 CHAPITRE VII saire dans une hiéroglyphique déjà fort avancée, de- meura cependant en vogue. Il apparaît dans beaucoup de pictographies nahuas, sujet à des règles presque aussi inflexibles que celles de l'héraldique européenne. Ainsi, en feuilletant le Codex Mendozino, vous recon- naîtriez aisément à leur coloration toujours la même les hiéroglyphes a/7 (eau), fepell (colline ou monta- gne), xal/i (sable), z34/: (obsidienne), #puzth (cuivre), xtuttl (dans le sens de pierre précieuse), etc.; puis, toute une série d'animaux, comme le ckapulin (Acri- dium peregrinum d'Olivier), l’'epatl (Mephaitis bicolor de Gray, sorrillo), le cuauhili (aigle), le cacalotl (cor- beau), l'ezcuintli (espèce de chien), le coyotl (Canis latrans), le tamazolin (crapaud), le éznacan (chauve- souris), etc. Il en est encore ainsi pour des caractères purement conventionnels, comme celui du mouvement 0/# (voyez Olinalan, Olintepec); celui de la nuit yoalli (Yoallan, Yoaltepec). Le symbole de l’année est presque toujours peint en vert, par allusion à l’herbe qui repousse chaque année ‘: xzuill où xthuwitl signifie à la fois herbe, année, cométe et pierre précieuse ou turquoise *. Que si un même signe apparaît parfois diversement colorié, c'est que le sens spécial du mot dessiné l'exige ainsi, et ces exceptions, loin de nuire au déchiffrement, le rendent souvent plus facile. L’acaf! (roseau), bleu en général, devient multicolore, comme dans Acaticpac et Acapan, lorsqu'il a une portée chronologique. La 1 GAMA, Descripcion hislorica y cronolôgica de las dos piedras. Anales del Museo nactonal de México, t. II, p. 251. 2 FRAY ALONSO DE MoLiNA, Vocabulario en lengua mexicäana 7 castellana, fol. 159, Mexico, 1571. ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE 95 tête humaine, cuivrée ou jaune-clair, suivant qu'elle représente un homme ou une femme ’, est noire dans Tepecacuilco, où, selon toute vraisemblance, elle désigne une tribu entière dont les origines ou l'histoire justi- fient sans doute cette dérogation. Le Mendozino a quel- ques figures tout en blanc; mais il s’agit alors d’un dieu ou d'un objet relatif à la divinité. Comparez, par exemple, Teotliztacan (p. 38, fig. 6) et Tlamacazapan (pl. 38, fig. 7). Pour un lecteur au courant des tra- ditions religieuses des Aztèques, il y a dans ce fait un vaste champ d’études nouvelles. Dans la botanique figurée, plus qu'ailleurs peut- être, les enluminures parlaient aux yeux. La nécessité de créer des symboles généraux, applicables à de vastes groupes, avait donné naissance à des types imaginaires qui ne rappelaient que de loin la réalité, et l’on aurait pu se méprendre sur leur signification sans ces cou- leurs uniformes qui spécifient généralement les grandes divisions. Un même dessin peut avoir une valeur idéo- graphique ou phonétique trés différente suivant sa colo- ration. Ainsi, quand l'arbre typique a le tronc et les branches, non plus jaune brun, mais entièrement vertes, il faudra lire ahuacatl, au lieu de qguawïl. Tel est le 1 Au folio 17 du Codex Telleriano-Remensis, «le peintre indigène a pris grand soin de bien distinguer les deux sexes par des couleurs de peau très différentes. L'homme, ombre, est rougeâtre, la femme, #uger, est plutôt jaune. Et l’on retrouve ainsi, d’une façon inattendue, dans l’iconographie mexicaine, des pratiques dont l’ancienne Égypte nous avait fourni des exemples frappants » (E.-T. Hamv, Codex Telleriano- Remensis, pag. 27; cfr. pag. 33). « La nuance sous laquelle les Égyp- tiens représentent le corps humain, varie entre le jaune-rougeûtre pour les hommes et le jaune-pâle pour les femmes » (F. CHABAS, Études sur l'anliquilé historique d'après les sources égypliennes. Paris, 1872, pag. 33). 96 CHAPITRE VII cas de l'hiéroglyphe Ahuacatlan, où figure la Persea £ralissima *. Ces principes et d’autres énoncés plus haut ne se vérifient pas indistinctement et universellement dans toutes les mappes historiées. Pour leur application il faut tenir compte, cela va sans dire, du caractère de la pictographie et de sa provenance *. Un rôle de tri- buts, un plan cadastral, les annales d'un peuple, un livre à horoscopes, ne seront pas régis par des lois uniformes; dans les monuments aztèques, les couleurs prendront quelquefois un autre sens que dans les mix- téques ou les zapotèques, et les manuscrits apparte- nant à une même famille pourront encore offrir entre eux des divergences. Pour la catégorie dont il est plus spécialement question ici, plusieurs peintures n’ont pas le guawll symbolique, mais un caractère figuratif, une simple image, comme le prouvent Cuauhyacac et Huexotla du Mapa Tlotzin, publié par M. Aubin. Dans celles-là même où les régles paraissent systématiquement obser- vées, il se présente des notations irrégulières; mais alors, on l’a compris déjà, l’anomalie est plus appa- rente que réelle, et s'explique par d’autres lois de 1 Beaucoup d'autres faits démontrent que la couleur était souvent à elle seule un élément phonétique ou idéographique, et qu’il en fallait tenir compte dans la lecture. Le signe /epe/l (colline ou montagne) était ordinairement vert, et donnait le nom de lieu /epec. Peint en noir, il doit se lire #/illepec. Cfr. OrRozco Y BERRA, op. cit., t. I, p. 391. 2 Pour déterminer la provenance des matériaux archéologiques, codex, idoles, terres cuites et sculptures de tout genre, l'étude compa- rative des couleurs est parfois d’un précieux secours. Les travaux de M. Seler en offrent de remarquables exemples (Voir son commentfaire du Codex Vaticanus 3773, pp. 160, 161, etc., et celui du Codex Borgia, LL PATSE). ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE 97 l'écriture, quand elle n'est pas due à la maladresse d'un compilateur moderne. Nous le verrons plus loin, les copistes postérieurs à la conquête n’ont pas tou- jours saisi le sens ni la valeur de certains détails essentiels. Quand le dessin leur semblait par trop inexact ou trop bizarre, ils le corrigeaient parfois au risque de le dénaturer. Le codex Telleriano-Remensis, plus correctement dessiné par endroits que le Vati- canus 3738, est aussi moins fidèle et, pour la même raison, les figures qui accompagnent l'excellente /75- loria de las Indias de Fray Diego Durän nous sont un peu suspectes. Voilà pourquoi il est si difficile d'établir des règles absolues, qui ne soient jamais en défaut. Malgré tout, les indications générales que nous fournissent quelques pictographies de premier ordre peuvent jeter du jour sur l’hiéroglyphique mexicaine, en révélant le jeu des divers éléments qui la composent. Prbre-type, tel qu'il 4 été décrit: plus haut, se présente parfois sans aucune modification botanique : comme dans Cuahuacan, Cuahuitlixco, Cuauhnahuac ;, Cuauhxayacatitlan. Mais le plus souvent il est modifié par des détails accessoires, variés à l'infini, qui adaptent le symbole universel à chacun des genres particuliers. Chez les Égyptiens, les signes déterminatifs, accolés à l'expression phonétique d’un terme et destinés à en faciliter la lecture, désignent par son image même, plus ou moins précise, l’objet dont les caractères pré- cédents ne peignaient que le son. Quelques hiérogly- phes mexicains paraissent trahir un procédé semblable ; du moins trouvons-nous des pléonasmes dans Ocoya- 1 Cfr. Anales del Museo Nacional de México, t. II, pp. 264sqq.; planches dé Gama, pl. 4, fig. r2. 98 CHAPITRE VII cac * et ailleurs. En général, pourtant, le système des (lacuilo exprime chaque idée à l’aide d'un seul signe, simple ou complexe, idéographique ou phonétique, dont tous les éléments déterminatifs ont leur raison d’être. Nous avons déjà vu comment ils représentent la riche famille tropicale des Sapotées. Pour préciser davan- tage, pour rendre, par exemple, le //zapoul ( Vrtellaria mammosa), ils substituent à la base rouge du proto- type le signe de la pierre (#f//), jaune et pourpré. — Parmi les /sapotl les Aztèques rangeaient tous les fruits de saveur douce, et ils classaient ceux de saveur acide sous le nom générique de xocofl *, dont le type se rencontre dans Axocopan (pl. 29, fig. 1), Xocoyocan (pl. 57, fig. 5), Xocotla (pl. 41, fig: 2). MCompesez cependant Xoconochco (pl. 49, fig. 1), et Xocotitlan (pl. 37, fig. 8). D’autres signes additionnels, complétant l'arbre symbolique et abstrait, faisaient de celui-ci un ahuehuetl (Zaxodium mucronatum des coniféres), un auexotl (Salix babylonica des salicinées), un Auaxin (Acacia esculenta des légumineuses), un Æwixachin (Acacia albi- cans), ou enfin, avec une infinité d’autres, le Cerasus capolin des amygdalées, si bien caractérisé par ses grappes rouges dans Capulteopan *, Capulapan ou Ca- pulhuac. L'analyse nous révèle une racine constante et des affixes variables, non seulement dans le type de l'arbre, 1 TRONCOSO, op. cit., p. 60. 2 Ibid., p. 62. Cfr. BETANCURT, 7eafro Mexicano, trat. II, n. 154. Voir ci-dessous, chap. X. 3 TRONCOSO, op. cit., pp. 61 sqq. ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE 99 mais dans beaucoup d'autres symboles végétaux. L’hié- roglyphe général des cactées doit-il être ramené à l’'Opuntia (tuna de piedra, tuna lapidea de Hernandez), espèce de nopal qui croît de préférence dans les inters- tices des rochers? Il suffit de combiner le radical nochtli avec le signe de la pierre (#7), ce qui donne graphiquement #enochthi*. Le zacatl, le xochitl, le quilitl, le #1zquitl, etc., fourniraient de nouveaux exemples de la méthode mnémonique et didactique de nos anciens peintres botanistes. C’est la même que celle qui pré- sidait au langage parlé, et qui servait de point de départ à la classification *. Combien ce procédé était à la fois expéditif et fécond pour fixer et transmettre l’enseignement, M. Troncoso le prouve par l’hiéroglyphe des conifères. L'idée que les indigènes voulaient donner de l’ocofl (Pinus teocote de Scheid), était celle d’un arbre dont l'écorce porte des crevasses profondes, naturelles ou faites de main d'homme, distillant un produit résineux (le ocofzofl, téré- benthine, littéralement, sueur épaisse du pin). Le fruit est un cône écailleux, de surface inégale, sessile ; les feuilles longues, menues, pointues et raides. Comment réunir en un seul terme tant d'éléments significatifs ? Et de vouloir les rendre par une série de noms juxta- posés, quel embarras pour la mémoire! Les /aculo con- densaient tous ces attributs en un signe unique, facile à retenir, disant tout par lui-même, et suppléant ainsi au texte explicatif, dont ils ignoraient l'usage. C’est le t Ibid., pp. 65 et 74. Voyez aussi Xoconochco, où est représentée la {una agria (xocotl, fruit acide); Nochtepec, Nopalla (Codex Mendo- zino, pl. 49, fig. 1; pl. 38, fig. 5; pl. 45, fig. 6), etc. 2 Voir chapitres VI et XI. 100 CHAPITRE VII symbole ordinaire de l'arbre; mais la tige, crevassée, striée de noir, porte un appendice blanchàtre pour figurer la résine qui en découle. Un organe conoïde, de surface réticulaire, est fixé, sans pédoncule, entre les branches. Aux extrémités, deux panaches repré- sentent bien les feuilles. Cet hiéroglyphe, complet dans Ocoapan (pl. 41, fig. 8), ne garde plus ailleurs qu'une partie de ses traits essentiels ”. Une telle méthode d’'accumulation, en donnant le signalement de chaque objet ou son expression articu- laire complète, devait en revanche, on le pense bien, aboutir souvent à une image disgracieusé, sinon tout à fait grotesque. 7/an, par exemple, une des termi- naisons de lieu, pouvait s'exprimer par un complément phonétique tiré du mot #antli, dent. Aussi Cuauhtitlan apparaît-il sous la forme d’un arbre (cwautl) muni d’une double rangée de dents. Pour Totoltzinco nous avons une tête de dindon tricolore * (/otohin, Meleagris mexicana), surmontant une moitié de corps humain accroupi (ézzntl). Les codex fourmillent de notations semblables où, pour signifier les modifications par- ticulières d’une idée abstraite, pour rendre un nom propre, pour rappeler un événement, l’on amoncelait les détails les plus disparates. Ajoutez que bien des 1 Les raies noires tracées sur la tige suffisent-elles à caractériser le pin? Un américaniste de haute valeur l’affirmait récemment dans un ouvrage justement estimé. Nous avouons ne pouvoir concilier cette opi- nion avec les hiéroglyphes de Cuauhpanoyan, Cuauhtochco, Cuauhxi- lotitlan, Mictlancuauhtla, etc., rayés de noir eux aussi, et pourtant sans relation aucune avec l’ocofl. 2 Le Zololin tricolure, associé au signe de montagne (/epefl), forme le nom de lieu 7ofotepetl dans le Codex Rios (fol. 67 de l’édition Lou- bat) et, avec la même gamme de couleurs et la même disposition, dans le Telleriano-Remensis (fol. 25, édit. Loubat). ICONOGRAPHIE CONVENTIONNELLE IOI pictographes, écrivains plutôt que peintres, et moins soucieux des règles de l'esthétique que d’un tracé rapide, faisaient naturellement bon marché de l’élé- gance des formes. Au témoignage des congwistadores, ils peignaient extrêmement vite, abrégeant le dessin ou se contentant de l’ébaucher. ! NAl A: EAN f | RC LV en CA Ÿ AA "A NA AU # AV : ANUN 1W ñ LA No Mr à 1 Q : < ab “ |! Lan L D. 4. té de M. At à KTNGR « Ï LOT l ; | 4 PAS \ L'AUTRE R A 4, he qe # 4 Ds LA . Nr AL) 1 { ARC I 14 OM TETE rl PESTE HONFATT MM à à L. n DARI LT VA PEL OR) L'|V TITRES 1 Ni HAL ET AR HA MALPUREES UE FÉES M EG 0 à A3 Wa ! PEAR: AN RAT FAITS Hu, AM L JPAPNL, J Au) pa | (2 Ji | ei etat LA Ft | ARS \ ANNE «fi î 1 \ )? ‘ « * ‘ = . C5) l “ mir ‘ j Cr ' ‘ Î aux Ê { Ce TTL fr DATE 1 LT l 4 SL OL ARR + is NB CRETE LC TT) TE Ahéiy le PAT T ET tt: QT ê pa AN, rtat los Yade RON AA A RUE à il | CRC OS LURE VOTE" L FOUT LOGE LE | CESSER EE SE) ——} RER TERMES ss, CHAPITRE VII. Iconographie figurative. Sens artistique des pictographes. — Les mosaïstes en plumes. — Peintures mura- les. — Représentations naturelles des plantes. — Les dessinateurs indigènes de Hernandez. Nous venons d'exposer sommairement le système de la peinture symbolique. On s’expliquera sans doute par ses procédés tant d’appréciations injustes sur les artistes mexicains, comme si les tableaux hiéroglyphi- ques donnaient la mesure de leur goût et de leur talent. Dans ces corps chétifs terminés par une énorme tête de profil avec l'œil de face, dans ces silhouettes grimaçantes, dans ce labyrinthe d'images fantastiques, anguleuses, disposées à rebours, d’aucuns s’obstinent à voir des peintures figuratives, quand il n’y a le plus souvent qu'une écriture conventionnelle. Son aspect caricatural suffirait seul au besoin à en révéler la des- tination. Œuvre de toute une race et de diverses races peut-être, travail inconscient de plusieurs siècles, les derniers #acuilo ne l'avaient pas créée et n'étaient pas libres de la transformer à leur fantaisie. Ils se la transmettaient de père en fils, liés à peu près comme nous le sommes dans l'écriture ordinaire, et comme le sont les artistes en peinture héraldique. Il devait en être ainsi notamment pour la composition et la 104 CHAPITRE VIII transcription des livres auguraux ou rituels. Tout en gardant certaine initiative qui se traduit d'une mappe à l’autre par des différences de méthode et d’exécu- tion ‘, les pictographes respectaient les types primor- diaux légués par les ancêtres et religieusement véné- rés dans l’Anahuac. Avaient-ils tort? Pour exiger d'eux un travail plus délicat, plus raffiné, il faudrait oublier qu'ils regar- daient comme leur premier devoir de se faire com- prendre. C’est en s’accommodant aux formes reçues, en pliant leur génie à des règles consacrées par une longue tradition, qu'ils pouvaient demeurer clairs et intelligibles. Prescott et son école ont beau dire qu'ils ne l’étaient pas, que les contemporains eux-mêmes trouvaient ce langage figuré bien vague et bien énig- matique: en réalité beaucoup le lisaient couramment et, sur ce point, les témoignages foisonnent *. Bien entendu, les pictographies n’offraient pas tou- tes la même facilité de lecture. Il y en avait dont l'interprétation était réservée aux plus savants. Nous croyons même, en général, que le système scripturaire des mexicains, sous ses diverses formes, n’eût pu ren- dre à lui seul tout un discours, un traité didactique, 1 LEON Y GAMA, Descripcion hislorica y cronolôgica de las dos piedras.. dans Anales del Museo Nacional, t. VII, pp. 246 sqq. 2 En voici un récemment mis au jour: « Las leyes como todas sus memorias, escribian con carateres 6 figuras 4 ellos muy inteligibles, y à cualquiera de nosotros que las quiera mirar con alguna plâtica, 4 pocas vueltas las entenderä. Yo por las mesmas figuras voy sacando y escribiendo estas cosas que aqui digo, y lo que dubdo 6 no entiendo, por no errar pregüntolo 4 algun buen maestro » (MOTOLINIA, Memo- rtales, p. II, c. 17, p. 312). Comparez cependant POMAR, Æelaciôon de Texcoco, Edit. Icazbalceta, Mueva colecciôn de documentos, México, 189100 LIL D-eAT. ICONOGRAPHIE FIGURATIVE 105 des récits détaillés. Servant plutôt de points de repère pour l’enseignement oral, les figures et les symboles se complétaient par la tradition vivante qui se trans- mettait dans les familles, dans les écoles et dans les temples ‘. À une époque où l’on avait la clef de ce langage écrit, les conguistadores et les premiers mis- sionnaires en parlaient avec admiration ‘. Aujourd’hui encore, et pour nous-mêmes, il est certainement le moins mystérieux du nouveau continent. En tout état de cause, répétons-le, si les dessins sont extravagants, le coloris parfois absurde, il n’y avait point là un caprice de l'ouvrier ou le résultat de son impuissance. C'était un parti pris; dessin et coloris obéissaient aux lois de l'écriture. En veut-on d’autres preuves? Là où le peintre, le sculpteur, le statuaire avaient toute liberté d’allures, et pouvaient s'affranchir des modeles imposés par l'usage, ils arrivaient à des représentations fort con- venables d'animaux, d'arbres et, n’en déplaise à quel- ques critiques, à des figures humaines vivantes et pleines d'expression. Cortes, Las Casas, Torquemada à, bien d’autres, s’enthousiasment devant ces merveilles de l’art plastique. En dépit de leurs exagérations, si exagération il y a, ils nous semblent plus prés de la vérité que le savant auteur de l’Archkæological 1 Lettre de Juan de Tovar à José Acosta, publiée par Icazbalceta (De la destruccion de antigüedades mexicanas, pp. 69 sq.) et en partie par le P. Ehrle, S. J., dans 77 manoscritlo messicano vaticano 3738, Intro- duzione, pp. 7 sq., où sont encore cités d’autres textes. 2 Cfr. OrRozcO v BERRA, Æistoria antligua y de la conqguista de México, t. 1, pp. 394 sqq. 3 Monarquia indiana, lib. XIII, c. 54; lib. XVII, c. 50; lib. XVIII, cap. !. 106 CHAPITRE VIII Tour in Mexico, quand il écrit que les sculptures des anciens Mexicains ne valent pas mieux que les gra- vures sur bois ou sur ivoire des tribus américaines du nord-ouest *. Les statues mexicaines sont pour la plupart mytho- logiques, et difformes par système; le défaut d’har- monie saute aux yeux. Mais dans beaucoup aussi les traits bien accentués, la vigueur des touches, l'entente des détails, l'expression d'ensemble, accusent le sen- timent du beau et une main exercée. Une statuette que nous avons recueillie sur le Chichipico, et qui représente une femme dans l'attitude de la prière, nous paraît joindre à la pureté des lignes une rare distinction. Qui ne connaît l’/#dio triste du Musée national de México, et la tête colossale du dieu Totec, et tant de figures d'un modelé à peu près irréprocha- ble *, et ces grandioses reliefs de Xochicalco taillés sans le secours du fer? 3 Il est difficile maintenant de concevoir comment l’on a pu assouplir ainsi les maté- riaux les plus rebelles. Les peintures, nous le verrons bientôt, n'étaient pas non plus dépourvues de mérite. Le jeu de la lumière et de l’ombre, la perspective linéaire, la gradation y font ordinairement défaut; mais quel- ques-unes, sans atteindre une perfection consommée, gardent d’exactes proportions, comme ces antiques 1 Cfr. BRüHL, ie Cullurvôlker Alt-Amerika’s, p. 293. 2 OROZCO Y BERRA, op. cit., t. I, p. 354. — Dans son essai sur Za escultura nahua M. J. Galindo y Villa fait ressortir l'habileté, le goût, le sens esthétique, que dénotent bon nombre de bas-reliefs et de statues (Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. I, 1904, p. 233). 3 Cfr. MANUEL G. REVILLA, Æ7 arte en México, en la época anti- gua y durante el gobierno virreinal, México, 1893, pp. 17 sqq. ICONOGRAPHIE FIGURATIVE 107 portraits de rois dont parle Clavigero *, Les Mixtèques ont produit des œuvres notables. Quant aux pictogra- phies appartenant à d’autres tribus, dans celles-là même où l'artiste dut sacrifier ses inspirations au symbolisme classique, nous sommes souvent frappés de l’heureux groupement des figures, de l'impression de vie qu’elles nous laissent, de la vérité, de l’exacti- tude, de la verve avec lesquelles certains détails sont rendus. Au demeurant, ce qui nous reste à dire de l’ico- nographie figurative édifiera complètement le lecteur sur les aptitudes des /acuilo mexicains. Iconograplue figurative. - À côté de l'iconographie conventionnelle, enchevétrement de signes bizarres, il est resté des vestiges d’une iconographie figurative ou, si l’on veut, symbolico-figurative, qui représente l'objet par son image exacte, ou du moins par ses principaux contours. Avant tout il importe de rappeler le merveilleux instinct des indigènes pour copier la nature au vif. Mendieta, qui les vit à l’œuvre, s'en porte garant: « Ce qui dépasse toute croyance, dit-il entre autres choses, c’est leur habileté à reproduire à l’aide de plu- mes d'oiseaux, laissées dans leurs couleurs naturelles, tout ce que peut retracer le pinceau du meilleur pein- tre... S'ils sont vingt, chargés en commun de quelque tableau, ils divisent celui-ci en autant de sections qu'ils sont d'artistes, et se les distribuent entre eux. Quand chacun chez soi, séparément, a terminé le fragment 1 Æisloria antigua de Méjico, lib. VII, p. 181. 108 CHAPITRE VIII qui lui est échu, ils se réunissent pour ajuster les pièces, et l’image totale est aussi parfaite, aussi ache- vée, que si elle sortait des mains d’un seul ouvrier ». Et ailleurs: « Ils avaient de bons peintres, qui repré- sentaient au naturel des oiseaux, des arbres, de la verdure …. Quant aux figures humaines, ils les pei- gnaient laides, monstrueuses, comme celles de leurs dieux, parce qu'’ainsi on le leur avait enseigné. Mais une fois chrétiens, quand ïls virent nos images de Flandre et d'Italie, il n’y en a aucune, pour belle qu'on la suppose, qu'ils ne parvinssent à reproduire » * Quoique les indigènes aujourd’hui ne peignent plus guëre, ils révélent encore en mainte occasion la justesse de coup d'œil et l’habile tour de main qui distingue la race. Dans tel village, vous verrez un pauvre Indien, 1 Aistoria eclesiastica indiana, lib. IV, c. 12, pp. 404 sqq. Cfr. Aco- sTA, Aistoria natural y moral de las Jndias, lib. IV, c. 37; BEAUMONT, Cronica de la Provincia de .…. S. Pedro y S. Pablo de Michoacan, lib. I, c. 8; ALONSO DE LA REA, Cronica de la Orden de S. Francisco, lib. I, c. 6 et 9. GoMARA, Crônica general de las Jndias, part. 11 (VEDIA, Historiadores primitivos, t. 1, p. 348). — Dans sa relation de 1581, Fray Martino Eguatio assure que « les plus fameux peintres d'Espagne sont parfois émerveillés du soin et de l’habileté avec lesquels les natifs ajustent les plumes suivant leurs teintes »; dans GONZALEZ DE MENDOZA, Dell'historia della China, Roma, 1586, p. 314. —- Sur la manière dont les indigènes exécutaient ces travaux, rien de plus instructif qu’un cha- pitre des manuscrits de Sahagun conservés à Madrid. M. Seler l’a fait connaître dans une belle communication présentée au huitième Congrès des américanistes: L'orfévrerie des anciens Mexicains et leur art de travailler la pierre et de faire des ornements en plumes (Gesammelte Abhandlungen, t. Y, pp. 620-663). Cette relation de Sahagun, et d’autres connues par ailleurs, font comprendre de mieux en mieux le prix qui s’attachera un jour à l'édition définitive des œuvres du grand mission- naire. Le Gouvernement mexicain, on le sait, a confié cette tâche délicate à M. del Paso y Troncoso. (Cfr. F. DEL PAso y TRONCOS0o, Études sur le codex mexicain du P. Sahagun, conservé à la Bibliothèque Me- d'ceo-Laurenziana de Florence, extrait de la Æivista delle Biblioteche e degli Archivi, anno VII, t. VID. ICONOGRAPHIE FIGURATIVE 109 d'aspect misérable, modeler votre buste pendant le temps d'arrêt d’un train. Il est étonnant, divertissant parfois, de voir avec quelle finesse. ils saisissent alors toutes les particularités caractéristiques. Convenable- ment formés, ils fourniraient aux arts plastiques des travailleurs de mérite. Leurs ancêtres ont laissé dans les palais des pein- I tures murales remarquables ‘. Déjà sans doute ils y ébauchaient le paysage; ils devaient du moins s’y es- sayer, puisqu'en parlant de divers offices, on a pu dire: « Le bon peintre nuance parfaitement les cou- leurs, et sait représenter les ombres, les lointains, les feuillages » * Ce genre de tableaux, si propre à éveiller l'amour de la nature et à en favoriser l’étude, ne se bornait pas chez les Aztèques à la reproduction des scènes locales. Les expéditions militaires, en agrandissant l'empire, ouvraient aux artistes des horizons nouveaux. Épris des magnificences de cette zone tropicale qui allait s’élargissant devant eux, ils en fixaient le souvenir sur les murs des demeures seigneuriales. Bien avant la conquête, et à l'époque même où ils étalaient sur les peaux apprêtées, sur les papiers en fibres d’'agave, sur des tissus divers, les extravagances de l'art sacré, ils peignaient dans les #cpan de México et de Texcoco des fauves, des plantes, des productions autochtones et exotiques, de proportions convenables et singulié- rement ressemblantes. 1 Cfr. BOTURINI, /dea de una nueva hisloria de la América seplen- trional, p. 9. 2 SAHAGUN, Op. cit., lib, X, c. 8, t. III, p. 20. TRONCOSO, op. cit., p.67. 110 CHAPITRE VIII C'était mieux encore que de la peinture décorative; il y avait là un enseignement; et Nezahualcoyotl, nous l'avons vu, y trouvait le moyen d’avoir constamment sous les yeux toute la flore et toute la faune de l’Ana- huac, assez fidèlement reproduites pour que Hernandez en tirat parti dans sa monumentale Histoire naturelle :. Au surplus, l’œuvre du Profoméedico lui-même té- moigne du retour des pictographes à des représenta- tions plus exactes et plus naturelles. Dans son livre, vraie botanique en images, les planches l’emportent sur le texte, et disent assez haut leur origine mexicaine. Qui donc aurait songé, sinon les naturels, à y faire entrer des symboles de l'antique écriture? Eux seuls en comprenaient la valeur, si bien que leurs copistes d'outre-mer, prenant ces signes inconnus pour de sim- ples ornements, les ont souvent omis ou altérés dans leurs transcriptions. Mais aux indigènes ce langage était familier, et après un ordre royal qui leur enjoi- gnait d'aider le grand naturaliste espagnol, c’est sur- tout à l’aide de peintures, il fallait s’y attendre, qu'ils lui auront fourni les renseignements désirés. De ce précieux recueil, détruit par les flammes en 1671, nous n'avons plus que les planches repro- duites par Nardo Angelo Recchi et par le jésuite Eusébe Nieremberg dans son Æ#storia nature maxime peregrinæ *. Bien moins nombreuses que les dessins zoologiques, les figures de plantes qui ont échappé au désastre suffisent pourtant à nous initier au sys- tème iconographique des collaborateurs de Hernandez. La main indigène se trahit là, parfois malhabile, mais 1 CLAVIGERO, op. cit., lib. IV, p. 90; lib. VII, p. 180. 2 Ci-dessus, p. 57 sq. ICONOGRAPHIE FIGURATIVE 111 fidèle, assez exacte d'ordinaire, et s'appliquant à pré- senter le végétal sous son aspect véritable. Ainsi l'afa- tapalcatl * est correctement dessiné au naturel, avec des organes de végétation et de reproduction: l’hié- roglyphe ne joue plus qu'un rôle secondaire, puisqu'il indique seulement que la plante est aquatique. Les autres gravures accusent, elles aussi, une transition du symbolisme, tel qu’il règne presque partout dans les /acurlolli, à un procédé mixte où domine l’élé- ment figuratif, et où les caractères conventionnels ne servent que d'accessoires ?. Ces tendances se manifestent, quoique plus timi- dement, jusque dans certaines pictographies d’un ca- ractère tout différent. La fameuse 77ra del Museo, où se déroulent les pérégrinations aztèques, nous offre un remarquable dessin de cactées appartenant au genre Echinocactus. Et en général, les images de petite di- mension peuvent souvent passer pour des copies selon nature, sans intention allégorique. Diego Muñoz Camargo nous parle aussi d’un cahier où les Indiens avaient peint « dans leurs formes et leur structure, et en- indiquant leurs propriétés, quelques- unes des plantes les plus appréciées des naturels ». Il est permis de voir là un nouveau document d’'icono- graphie figurative, et il en existe peut-être bien d’au- tres égarés à l'heure qu'il est dans les archives d'Es- pagne *. 1 Les textes imprimés portent a/a/apalacail. 2 TRONCOSO, op. cit., pp. 69 sqq.- On a émis des soupçons sur l’exac- titude de ces figures botaniques. M. le D" Leôn établit que le soupçon n’est pas toujours fondé (Biblioteca botänico-mexicana, p. 309). 3 TRONCOSO, op. cit., pp. 72 sqq. AVE : "11 ll * tro MONTRE PA OI 1 ACANUN dé 1 NO L'AIR ELLE TE HN 189% val DAUTE NU mon Lai [ LE A Kris [4 NO F0 A NME Wars A Let rt Ah MONTRE CAT OREE TU HSM AUTRE La au Mis 90 Le PE À UT PARUS 7 44 Mir WT CHAPITRE IX. Taxinomie végétale. Nomenclature. — Termes composés, binaires et ternaires. — Tol/in, copalli, tzauhtli. — Avantages et inconvénients de la terminologie mexicaine. L'iconographie mexicaine mettait suffisamment en relief quelques-unes des propriétés de chaque famille végétale; mais elle avait une portée plus haute, et un lecteur attentif aura pu y entrevoir les germes d’une véritable classification. Le fait que Ilcs Nahuas ont distribué les plantes en catégories déterminées, alors que la classification de la flore européenne était pour ainsi dire encore à naître, peut sembler assez étrange pour qu'il convienne de s'arrêter un instant à le démontrer. Les pictographies et la terminologie fournissent de sérieux arguments *. Nous le savons déjà, l'analyse découvre dans les hiéroglyphes un double élément: le symbole générique, applicable à un vaste ensemble de végétaux, né de la comparaison de plusieurs espèces qui, aux yeux des Indiens, offraient des points de contact; puis des signes déterminatifs variables, qui complétaient ou mo- difiaient le radical abstrait pour traduire les attributs 1 TRONCOSO, pp. 73 sqq. 114 CHAPITRE IX de quelque groupe inférieur. N'’était-ce pas en défini- tive toute une répartition méthodique, et celle-ci ne devait-elle pas bien autrement parler aux yeux et aider la mémoire qu'une nomenclature écrite ou pure- ment orale? Grâce à ces types généraux, se retrou- vant au milieu des différences spécifiques dans tous les individus d’une même classe, l’on embrassait d’un coup d'œil les grandes divisions du règne végétal. L'idiome parlé venait au secours de la peinture. Il désignait généralement les plantes par un terme composé, et ouvrait ainsi, de son côté, une voie à la classification. À prendre d'abord chaque nom à part, nous le voyons communément formé de divers radicaux, plus ou moins altérés dans leurs parties finales, sauf le dernier. Celui-ci exprime presque toujours l’idée domi- nante, la notion principale *, tandis que les autres ont pour rôle de spécifier et de préciser, en indiquant le port de la plante, sa coloration, sa consistance, ses vertus, le terrain où elle naït, etc. Genre et espèce étaient, si j'ose dire, marqués d’un mot. Cette struc- ture du langage botanique, signalée déjà plus haut ?, demande à être examinée maintenant de plus près. Le fZollin, que les auteurs traduisent par jonc, glaïeul, souchet, et qui est entré dans la langue hispano- mexicaine sous la forme de /#/e 3, avec une signifi- cation plus vaste et parfois indécise, nous permettra 1 Cfr. Estudio de la filosofia y riqueza de la lengua mexicana por el Presb. AGUSTIN DE LA RosA, Guadalajara, 1889, pp. 21 sq., 81-91. 2 Chapitre VI, p. 75 sqq. 3 EureMIo MENDOZA, Calälogo razonado de las {alabras mexi- canas introducidas al Castellano, p. 57. TAXINOMIE VÉGEÉTALE 115 de mieux comprendre le mécanisme du système nahua *. Ce terme apparait dans: Listollin, tule tranchant; de /ollin et zfztlr, obsi- dienne, ou fragment d’obsidienne, employé comme rasoir, lancette, flèche, etc. La. tige est triangulaire, dit Sahagun *, la racine et les fleurs médicinales. Jxtollin, tule pour les ophtalmies, de 2x/%, œil. Istactollin, tule blanc (fac), souchet épais et long. Petlatollin, tule qui sert à tisser les nattes appe- lées pellatl (petate). I a aussi des propriétés théra- peutiques à, Popotollin, de popotl, genèt, balai. Comparez le scoparius de Linné. Nacacetollin, tule anguleux, de acace, angle, coin. Tlhlitollin, tule noir, de #riltic, noir, brun. Zepetollin, lule de montagne, de /epetl, montagne ou colline. Tzontollin, tule chevelu, de /zontli, cheveu, poil. Il est beaucoup d’autres noms dérivés de o//in, et toujours de la même maniére, sauf cinq ou six dans lesquels l'élément fixe précède le qualificatif varia- ble, au lieu de le suivre. Une nuance de la pensée exigeait, croyons-nous, cette interversion: /o/zama, tule marin (awazt/, lagune, mer), synonyme de atollin *; tolpath, tule médicinal; fo/nacochtli, (nacochtli, pendants d'oreilles); fo/patlactli (patlactli, chose longue); 4omi- milli, gros jong, colonne de #ule 5, 1 TRONCOSO, op. cit., pp. 79 sqq. oo III; lib. XI, c. VII, 7, .p. 289: cfr..p. 270. 3 Ibid., p, 280. 4 Ibid. 5 Nous préférons cette interprétation à celle que donne le diction- naire de M. Rémi Siméon: /w/e de champ cultivé (illi). Mimilii 116 CHAPITRE IX Procédés identiques pour la dénomination des arbres résineux. Des vingt espèces qu'énumère Hernandez, dix- sept s'appellent copalli; ainsi: copalxocotl, où, suivant l'interprétation latine du célèbre naturaliste, arbor gum- mosa pruna ferens; copalxtuill où arbor copalli redolens; lecopalquauit! où copalli montana *, et ainsi de suite. Voici un groupe de végétaux tout différents, qui tirent leurs noms, eux aussi, d’un élément commun ({zauhili où {zacutli) combiné avec divers affixes: a/zauh- ti, amatzauhtli, Walzacuili, tzauhxilotl. Ns appartiennent à la grande famille de ces orchidées que les Aztèques convoitaient si vivement, et qu'ils allaient se procurer au loin pour les propager dans les jardins de la capitale *. À leur tour, ayofh, quilitl, {zapotl, on le verra plus loin, fournissent de longues séries de dérivés. Dans ces listes, et d’autres qu’on dresserait sans peine pour le zacall ou çacatl, le nochtli, le auacatl, etc., la nomenclature offre un air de parenté avec celle de la botanique moderne. Elle est manifestement binaire, quoique les termes constitutifs soient soudés entre eux. Et comme nous désignons fréquemment par un signifie bien colonne, et du reste Molina, qui fait autorité en cette ma- tière, traduit /o/mimilli: junco gordo y largo. Cfr. SAHAGUN, loc. cit., pag. 289. 1 M. URBINA, /Vofas acerca de los copales de Hernandez y las PBur- seraceas mexicanas, dans Anales del Museo Nacional de México, t. IN, 1887, P. 100 sqq. 2 M. URBINA, MVo/as acerca de los « Tzauhtti y à Orquideas mexi- canas, dans Anales del Museo... segunda época, t. I, pp. 53-84. - La flore mexicaine compte cinq cent vingt espèces d’orchidées, appartenant à quatre-vingts genres. Nombreuses celles qui méritent une place à part pour la beauté des fleurs ou leur gracieuse originalité, On en trouvera la description détaillée dans C. CoNzaTTI, 7'axinomia de las orquideas mexticanas, au tome 21 des Memorias de la Sociedad scientifica « An- lonio Alzate », México, 1904, PP. 249-351. TAXINOMIE VÉGÉTALE 117 troisième nom les variétés d’une même espèce, ainsi les Mexicains employaient jusqu'à trois radicaux soit isolés, soit réunis par agglutination. Vochili *, fruit du nopal ou l'arbre lui-même (famille des cactées, genre Opuntia), donne xoconochth, tuna acidulée (xococ, aigre); mais aussi Zz/acxoconochtli, tuna acide et blanche. A/oya- xocoël, fruit acide de cours d’eau; a/oyaxocoll chachiltre, fruit acide de cours d’eau et de couleur vermeille. Ces ressemblances de terminologie ne s’étendaient pourtant pas à la classification; car le troisième terme des Nahuas pouvait indiquer aussi bien une nouvelle espèce qu’une variété accidentelle *. En revanche, leurs vocables avaient sur la nomen- clature linnéenne l'avantage d’être plus expressifs et, disons-le, plus rationnels à certains égards. Non seu- lement les indigènes prenaient tous leurs mots dans un même idiome, mais, au lieu de recourir à des expressions plus ou moins poétiques ou à des noms propres, absolument étrangers aux attributs du végétal (comme Tournefortia, Lavoisiera, Magnolia, etc.), ils visaient uniquement à rappeler quelque particularité distinctive de la plante. Ce mérite ne balance pas les graves défauts de la nomenclature mexicaine. Tout d’abord, elle ne tient pas assez compte du caractère dominant de chaque espèce, et accuse une connaissance imparfaite des organes végétaux, de leur importance relative, de leur valeur dans la classification. Puis, il s’y trouve trop de lacunes: ce double élément générique et spécifi- 1 Les Espagnols l’ont appelée /#na, d’un mot caraïbe. 2 TRONCOSO, op. cit., p. 82. 118 CHAPITRE IX que, que nous avons fait ressortir dans bon nombre de termes botaniques, est absent de beaucoup d'autres. Plus simple d'apparence, plus concise que nos systèmes modernes, puisqu'elle décrit souvent un vé- gétal par un seul mot, elle offre parfois, en réalité, une ficheuse complication dans les radicaux multiples qui forment cette appellation unique. Et là où il n’entre que deux radicaux, l'emploi d'un même nom dans des acceptions différentes est bien fait pour nous dérouter. Des essences qui n'avaient entre elles aucune affinité organique, localisées sur les points les plus divers, pouvaient cependant jouir des mêmes vertus médicinales, ou se prêter aux mêmes applications industrielles. En ce cas ou en d'autres analogues, il était naturel qu'il leur échüt un nom identique. Dans les listes de simples de Sahagun ;, nous avons relevé plusieurs weipath (grand remède) et ololiuhqui (chose ronde), ainsi que divers #acoxiuil, Hacoxochitl, chichilquiltic. Hernandez donne trois /amal- ayotli, treize palancapatli (remède pour les ulcéres) et trente-sept zz/acpatli (remède blanc). En voila bien assez, à défaut même d’autres preuves, pour établir que la nomenclature indigène ne fut ni l'œuvre d'un seul homme, ni un travail d'ensemble bien coordonné. Formée graduellement et un peu au hasard, elle porte l'empreinte de longs tätonnements. Quand les Aztèques eurent conscience de ces dé- fectuosités (et il étaient trop perspicaces pour tarder à les reconnaître), ils ne songérent pas à refondre leur système, mais à le compléter. Aux noms équi- voques s’adjoignirent des synonymes ou des termes r Tom. HI, lib. XI, €. VIT, /pp.:252, 264, 269. TAXINOMIE VÉGETALE 119 explicatifs pour en fixer le sens: nous le voyons dans les weipalhi, dans les ololiuhqui, dans sept palanca- patli et huit z2z/acpatli. Les autres homonymes avaient- ils aussi leurs déterminatifs? C’est probable, mais ceux-ci ne sont point parvenus jusqu'a nous. Plusieurs ont échappé à Hernandez; on le constate en confron- tant sa terminologie avec celle que fournissent d'anciens travaux indigènes *. Somme toute, les méthodes suivies dans l’Anahuac, mieux connues, apparaïtraient beau- coup moins défectueuses; car, il ne faut pas l'oublier, nous n'avons guëre que les débris recueillis apres l'occupation étrangère, quand la société antique s’ef- fondrait et n'était plus que l'ombre d'elle-même. Malgré ces conditions défavorables, la botanique mexicaine se montre pourtant en avance sur l’ensei- gnement contemporain dans le vieux monde. Ce n'est qu’au XVII siècle que Joseph Pitton de Tournefort détermina avec précision les limites des genres admis à son époque. Encore laissait-il bien des espèces con- fuses dans leurs caractères, difficiles à reconnaïtre dans leurs appellations. Pour fixer exactement la physio- nomie de chaque groupe inférieur, pour substituer aux longues phrases qui les désignaient une expression concise, comprenant un nom générique et un terme spécifique, il a fallu tout le génie de Linné. Eh bien, plusieurs siècles avant que parut le créateur de la langue botanique moderne, les Aztèques avaient déjà leur nomenclature à eux, imparfaite encore, mais supé- rieure à la glossologie qui régnait alors dans nos écoles. On peut en dire autant de la classification proprement dite. 1 Cfr. TRONCOSO, op. cit., p. 84. hi tea: Û CHAPITRE X. Classifications diverses. Divisions arbitraires. — Essais de groupements naturels. — Les ayotli, les {sapotl et autres familles végétales, Pour apprécier la valeur relative de la taxinomie mexicaine, il n’y a qu’à lire l'étude que M. le docteur Troncoso lui a consacrée. Ces pages, pour la plupart vraiment neuves et originales, n’offrent pas seulement un grand attrait archéologique. En apprenant aux explo- rateurs à se familiariser avec la terminologie nahua, elles les préparent aux plus précieuses découvertes. L'intelligence de la langue botanique, telle que Îa consignérent les premiers naturalistes et telle qu'elle subsiste aujourd’hui parmi la population aborigéne, ménerait certainement à de fécondes applications. S'il reste encore beaucoup à faire, du moins le cadre de ces recherches a-t-il été tracé, et quelques jalons posés avec grande intelligence. Après les efforts de Magnol, Adanson, etc., pour ranger les plantes suivant l'ensemble de leurs analo- gies, Antoine Laurent de Jussieu établit définitivement ou plutôt créa la méthode des familles naturelles. Le Genera plantarum, publié en 1789, exposa pour la première fois avec netteté les principes généraux 122 CHAPITRE X qui doivent servir à la démarcation d’un genre à l'autre. Depuis cette époque, la science dont il avait posé les bases n’a cessé de se développer. Mais comme elle est encore loin d’être parfaite! Que d’anneaux manquent dans ses séries d'êtres, et quelle distance parfois les sépare! Il faut moins s'étonner dés lors et des vices et des lacunes de l'antique classification nahua. Sans ètre tout à fait empirique, elle ne forme encore ni système ni méthode proprement dite. L'invasion espagnole la saisit dans sa période d'élaboration, alors que, faute de plan et de principes arrêtés, elle poussait un peu en tous sens, tantôt artificielle, tantôt naturelle, sou- vent mêlée ou flottant indécise entre les deux pro- cédés. La séparation des familles repose sur des carac- tères variables, sur des analogies accidentelles (port de la plante, dimensions, couleurs, propriétés), quel- quefois sur les organes de reproduction, ailleurs sur les caractères de la végétation, qui, on le sait, ne suffisent jamais seuls à déterminer un groupe naturel. Et ainsi des ordres inférieurs viennent se placer sous des divisions générales auxquelles ils se rattachent moins par leurs affinités botaniques que par des ressemblances purement extrinsèques *. Pour nous faire une idée de cette répartition trop arbitraire, prenons au hasard les radicaux qui revien- nent dans un grand nombre de termes: ils expriment une idée générale, et ce sont eux qui ont présidé à la formation des séries artificielles. Les espèces rap- 1 TRONCOSO, op. cit., p. 85. CLASSIFICATIONS DIVERSES 123 portées à chaque genre se distinguent entre elles par des affixes qualificatifs *. Voici quelques-unes des divi- sions primaires : XiuirL s'applique aux plantes herbacées, et donne, par exemple, wzcaxtufl (herbe du mort), a/enxrurtl (herbe du bord de l'eau), coaxiwtl (herbe de la cou- leuvre), cococxtuill (herbe piquante). QuauiTL désigne les végétaux de plus forte con- sistance, et se retrouve dans #/z/quauifl (arbre noir), ulquaurll (arbre qui produit le #//, caoutchouc mexi- cain), papaloquauitl (arbre des papillons), et dans une infinité d’autres. MECATI, dénomination générique pour les plantes grimpantes et les joncs très déliés*’, entrait en com- position pour former #ecaxochitl (fleur en cordon, Piper amalago), xocomecatl (cordon acide, plante volubile à fruit aigre, Vitis labrusca), etc. PATLI réunissait dans un groupe très dense, mais absolument factice, les plantes réputées médicinales: palancapatlt (remède pour les ulcères), pozaualizpatli (remède pour les enflures), yollopatli (remède pour les maladies de cœur), poztecpatli (remède pour les luxations, les ruptures), zpzpatli (remède pour les tout jeunes enfants), ezpafli (remède couleur de sang, Croton sançuifluum), chichicpatli (remède amer), etc. Quizrrz est le nom commun des herbes comes- tibles, soit cultivées dans les jardins, soit à l’état sau- vage: cochizquilitl 3 (quiluil soporifique, de cochi dormir: 1 Ibid., p. 88 sqq. 2 Cfr. SAHAGUN, op. cit., t. III, lib. XI, c. 7, p. 287. BETANCURT, part. I, trat. 2, n. 219. 3 Depuis les temps les plus reculés, les pêcheurs connaissent l’action narcotique du cochizquilitl: ils en jettent les feuilles dans l’eau pour 124 CHAPITRE X les indigènes s’en servaient pour endormir les enfants); tonalchichicaquilitl *, ocoquilitl (herbe comestible rési- neuse), eloquilitl, mizquilitl, tolcimaquilitl... Tout compte fait, nous relevons dans le vocabulaire plus de soixante termes formés à l'aide de gw/il. Xs désignent tous des végétaux réputés propres à l'alimentation hu- maine XocoTL formait une nouvelle classe des végétaux dont le fruit a une saveur acide. Sahagun * cite entre autres le /exocotl, le maçaxocotl, le aloraxocotl, le xal- xocotl. XocHITL: sous ce terme venaient se ranger les plantes d’ornementation. Parmi les Arguloa des orchi- dées, nous avons par exemple: le coxfzontecoxochitl (fleur à la tête de vipére), plante médicinale dont la superbe fleur tachetée était en grand renom chez les Aztéques; dans d'autres genres, le cozhtccoatzontecoxo- chitl (Cattleya citrina des orchidées), qui s’interprète: fleur jaune ressemblant à une tête de vipère; #opal- xochicuezaltic (Epiphyllum speciosum des cactées; lit- téralement, fleur de nopal qui a l'apparence d’une flamme), etc. engourdir le poisson et le prendre plus aisément (M. URBINA, ?/antas comestibles de los antiguos Mexicanos, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. I, p. 543). 1 De /onalli (soleil), chichic (amer), af! (eau), quilitl, c'est-à-dire herbe comestible, amère, qui vient près de l’eau et demande de la cha- leur; plante d’été; cfr. SAHAGUN, loc. cit., p. 247. 2 SAHAGUN, t. III, lib. XI, c. 7, « De las yerbas comestibles cocidas. De las yerbas que se comen crudas », pp. 245-249. - URBINA, P/antas comestibles, loc. cit., pp. 503-591. 3 Op. cit., t. III, p. 236 sq. Zexecotl, Cralaegus crus galli, Cra- laegus mexicana, dont le fruit (forum saxeum de Hernandez) est astringent et donne une excellente gelée (Cfr. RÉMI SIMEON, Déction- naîre de la langue nahuaël, p. 489. Voir ci-dessus, chap. VII, p. 98. CLASSIFICATIONS DIVERSES 125 Ces arrangements tout artificiels rappellent en plus d'un point ceux de la science européenne avant Jus- sieu, et péchent par les mêmes côtés. En rompant les rapports établis par la nature, il disséminent en des familles distinctes des genres étroitement appa- rentés. Mais, au milieu même de ces inévitables morcel- lements, il s’opérait au Mexique un lent travail de coordination rationnelle. Certaines espèces, offrant une organisation commune, toutes semblables par leur aspect et par leur structure intérieure, se combinaient entre elles et formaient des sections assez nettement définies. On dirait un essai de la méthode naturelle, un effort pour assigner à chaque être la place qu'il occupe réel- lement dans la hiérarchie végétale, et ramener ainsi la taximonie dans sa véritable voie, Il est regrettable que la botanique nahua n'ait pas été mieux étudiée à ce point de vue: mille faits con- cluants révéleraient une fois de plus l'esprit d’obser- vation et la sagacité de ses fondateurs inconnus. Pour nous circonscrire, indiquons seulement, d'après Sahagun, Hernandez et Ximenez, quelques plantes étroitement liées à l'économie rurale et domestique, mais qui pres- que toutes en même temps trouvent leur place dans un groupe parfaitement naturel, celui des cucurbita- cées. Ayotli, ayotetl où ayutell en est le nom commun. Cependant ce terme désigne aussi par antonomase le pépon proprement dit, à la peau généralement jaune pale, dure, crustacée; aux graines ovales et blanches ; à la pulpe solide, jaune, et souvent d’un goût sucré. Il 126 CHAPITRE X apparaît dans l’hiéroglyphe de Ayoxochiapan (Codex Mendozino, pl. 26, fig. 19). Ayofzin, diminutif de ayotli; Calabacilla où Cucur- bila fœtidissima ; « semblable à l’ellébore par ses raci- nes, dit Hernandez *, et à la calebasse ordinaire par ses feuilles. Elle s'applique avec succès dans les cas de lèpre, de pelade, de dartres vives, de prurigo ». C’est elle, croyons-nous, qui figure dans Ayotzintepec (Codex Mendozino, pl. 48, fig. 15. Cfr. fig. 7). Chichicayoth, calebasse amère (cHichc), espèce syl- vestre, à racine ronde :. Chayoth, calebasse épineuse 3%, Sechium edule, à fruit uniloculaire monosperme. Costicayotli, ayotli jaune (coztic), Cucurbita pallida de Hernandez, qui lui donne pour synonymes acayotli et Hueyacayctli; forme oblongue, pulpe jaunâtre, se- mence blanche et striée. C’est une bonne espèce comes- tible. | Cuauhayotli à la forme du Cucumis melo, la coque jaunûtre, la chair rouge, la graine mince et blanche #. Cuauhayotli où Quauhayothi est aussi un arbre ori- ginaire de Voallan, produisant des fleurs très blan- 1 Ærancisci Hernandi, medici algue historici Philippi II... el lolius novi orbis archiatri, opera, cum edita, tum inedila, t. 1, P. 104, Madrid, 1790. 2 Quatro libros de la naturaleza y virludes de las plantas, por Fr. Francisco Ximenez, lib. II, part. II, folio ro1, Mexico, 1615. Cet auteur dit avoir ajouté beaucoup de plantes aux listes qu'avait dressées Hernandez. 3 MOLINA, Vocabulario de lengua mexicana y castellana, fol. 19, Mexico, 1571. 4 HERNANDEZ, loc. cit., p. 99 sqq. S Ibid., p. 108. Cfr. G. ALcocer, Catälogo de los frutos comesti- bles mexicanos, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. II, pp. 455 sqq. CLASSIFICATIONS DIVERSES 127 ches et une sorte de courges oblongues, de grandes dimensions. Jztacayotli, ayotli blanc (izfac), espèce comestible, variété du Cucurbita pepo; elle a l'écorce et la pulpe blanches, la graine oblongue. Tlalayotli où Hlallayotli, Calabacilla silvestris; Saha- gun en décrit le port et vante ses vertus médicatrices ”. Tamalayofli, grande calebasse ronde, Cucurbita maxima, à coque dure, pulpe jaunâtre, d'une saveur agréable. Un famalayotli, distinct du précédent, a l'écorce jaune, la chair de la mème couleur, la graine large et trés blanche, C’est, dit-on, un bon remède pour les inflammations d'yeux et d’autres affections *. Tamalayot}i: encore une espèce différente, propre aux terres chaudes. Le fruit roussâtre, oblong, à pulpe rouge, peut se manger . Thllicayoth, de taille médiocre, chair jaune pâle, graine blanche assez longue. T'zilacayotli (chilacayote), appelée quelquefois aussi cuicuilhcayotli. Le fruit, de forme sphérique, mesure jusqu'à trois empans de diamètre; il a la peau lisse et blanc verdâtre, la pulpe blanche, fibreuse. C'est le Cucurbita ficifolia de Bouché ou le Cucurbita sonans de Hernandez *, donnant un son creux quand on le frappe. Une de ses varietés s'appelle Zslactzilacayolli S; chair jaune pâle, graine blanche 1 Hisloria general de las cosas de Nueva España, t. TT, lib. X, c. 28, PAG END XI, C. 7, p. 257. 2 HERNANDEZ, loc. cit. 3 Ibid. 4 Ibid., p. 99 sqq. SAHAGuN, t. I, lib. I, cap. 21, p. 37. 5 HERNANDEZ, loc, cit., p. 101. 128 CHAPITRE X et de forme allongée. On lui attribue des propriétés thérapeutiques. Tzonayotli, Cucurbita capillala ({zonth, cheveux): elle doit son nom à sa pulpe trés fibreuse. On l'appelle parfois ézfacayotli. Elle se rattache au genre Zuffa. Ayolzoyacati, excellente calebasse, que les Mexicains font séchér au soleil ; ils en forment une conserve ‘ qui sert de condiment durant toute l’année. Plusieurs végétaux, rangés à tort parmi les cucur- bitacées, au lieu de ayo/}, portent un autre nom. C'est ce que l’on observe dans des variétés non comestibles, comme l'a/ecomatl, dont les Indiens tirent des gourdes pour transporter l'eau (af, eau, fecomatl, vase), le cuauhtecomatl, etc. ?, Il serait facile de multiplier ces exemples. Beau- coup de plantes, identiques par la forme ou la dispo- sition des parties diverses de la fructification, venaient se classer dans des séries naturelles : celle des zaca/l, pour les graminées, des f/epatli, pour divers genres de renonculacées, quoique le mot /epatli (médecine brü- lante ou médecine pour la fièvre) s’appliquat spécia- lement au Z/umbago lanceolata. Quilitl, dénomination générale des plantes alimentaires, désignait parfois, dans un sens plus restreint, tout un groupe d’amarantha- cées et de chénopodiacées, deux familles d’un port tout à fait différent, mais tellement voisines par leur organisation qu'il est fort difficile d’en tracer les limites. 1 MOLINA, op. cit., fol. 3. 2 Cfr. HERNANDO ALVARADO TEZOZOoMocC, Cronica mexicana, édit. José Vigil, pp. 248, 251. M. Le Dr Urbina a consacré une belle mono- graphie aux « Ayolli de Hernandez, à calabazas indigenas » (dans Ana- les del Museo Nacional de México, t. VII, 353-390). CLASSIFICATIONS DIVERSES 129 Les arbres compris sous le nom collectif de /zapotl (alzapotl, chactzapotl, etc.) *, appartiennent tous aux sapotacées, ou à des familles que d’étroites affinités rapprochent de la premiére. Les fruits offrent des ca- ractères semblables. De plus, la plupart de ces espèces donnent une substance gommeuse, le czctli (vulgaire- ment chzcle) ou gutta-percha du Mexique, si précieux pour ses applications industrielles *. Les /zauhtli ou orchidées, mentionnés au chapi- tre IX, forment eux aussi un ensemble bien délimité, Puis encore, les nombreux xocoyolli ou xoxocoyolli que nous font connaître Sahagun et Hernandez, sont tous de la famille des oxalidées, et leur nom (xocor, acide) rappelle le goût caractéristique de la plante, précisément comme le terme oxalis de notre vocabu- laire 3, Pour conclure, les indigènes avaient su reconnaître assez souvent les connexions réelles qui relient les vé- gétaux entre eux, et, à ce point de vue, leur classi- fication semblait annoncer déjà celle de la botanique actuelle. 1 Cfr. ci-dessus, chap. VII, pp. 90, 91, 98. 2 URBINA, Zos zapotes de Hernandez, dans la Revue citée, t. VIT, pp. 228-231. 3 URBINA, Plantas comestibles de los anliguos Mexicanos, dans Anales del Museo Nacional, segunda época, t. I, p. 577. 14 EL ENT TOR Tire MAN ‘ fu l ‘ /n) { » NE 4 EAN Je 7 à fi + AA rvIC) 4 + nl k CET L PAS TAN, EE To 4 as MRC ru { pre 1 tt & ARTE D 'h CARE : 4 Li FT LEA din Ÿ | L d L Yu EVIL L L nf ÉFREETE ; | ANTIUA Ÿ ; FIST D'L) 4 A, L Û ÿre €: df} “4 oi s ; ? ) ae , à { { # n LA ! i \ 4 ÿ S 14 1, : 31 din t. LT +1 ' L ( ti pt Lé it Le } L] d La È f get nu" l w : Fra | ‘ F f Aisne Ver ET) j k NEO ip: | # cv 100 | a ue MT GS TES fr! ri WU R À à 1e Sue an | MMS ON eme, Ne Lt APE AMAR ET OU AA SPAS RS 13 4 intel Tv ML NPA LE a ) ————) (SZ) SIS2S2673S GSES SES ES CHAPITRE XI. Ébauche de géographie botanique. Variété de culture dans la région mexicaine. — Les notations géographiques du Codex Mendozino. — Toponymie des provinces de Sinaloa, Michoacan et autres. — Vue d'ensemble sur l’ancienne botanique aztèque. Aux essais de classification indiqués jusqu'ici, nous serions tenté d’en ajouter un troisième. La géographie botanique, d'invention si récente en Europe, parait avoir attiré l'attention des Nahuas. Ne devait-il pas en être ainsi dans ce pays privilégié qui, grace à de brus- ques changements d'altitude, présente dans un espace relativement étroit et presque sous les mêmes paral- lèles une incomparable variété de culture? Depuis les neiges du Popocatepetl et de l’Iztaccihuatl jusqu'aux côtes brülantes de l'Océan, ils voyaient la puissance organique du sol croître à mesure que s'élevait la tem- pérature, et les types changer graduellement avec les différences de hauteurs ‘. Aux forêts de pins et de ché- nes des régions hautes, succédaient les immenses plaines du maguey et la verdure un peu uniforme du plateau central; puis, plus bas, d’épaisses masses végétales, aux couleurs brillantes, aux fruits variés et exquis. Et 1 A. GARCIA CUBAS, Étude géographique, statistique... des États Unis Mexicains, México, 1889, pp. 121-127. 132 CHAPITRE XI chacune de ces régions se divisait à son tour en zones parfaitement définies, que l'œil embrassait pour ainsi dire d'un regard, groupées comme dans un panorama féerique. Les Aztèques s’en étaient rendu compte au cours de leurs explorations, et avaient bien saisi la physionomie spéciale de chaque district. Nous en trou- vons la preuve dans la langue elle-même et dans plus d’un texte de nos premiers annalistes. Quand il s’agit, par exemple, de peupler leurs jardins d’essences nou- velles, ils allérent les chercher à coup suür les unes sous un climat tempéré, les autres dans les terres humides et chaudes. À côté de ces grandes divisions établies dans la flore de leur vaste empire, ils introduisirent bien des subdivisions. Dans un rapide recensement de picto- graphies, nous avons été surpris de relever tant de termes botaniques. Des quatre cent soixante localités qui figurent dans le rôle des tributs du Codex Mendo- zino, plus du quart montrent dans leur hiéroglyphe quelque organe végétal, et un très grand nombre sont uniquement désignées par un nom de plante. C’est en miniature toute une géographie botanique de l’Anahuac, qui témoigne du zèle qu’apportaient les Mexicains a étudier les productions de chaque province. Que l'on en juge par quelques noms pris çà et là, et dont plusieurs appartiennent, détail notable, à des points fort éloignés de la métropole. Ahuacatlan, littéralement lieu où abonde le ahuacatl (Persea oratissima des laurinées). Chictlan, lieu où abonde le cAzct, sécrétion épaisse du xicotzapotl, aujourd'hui encore employée par le vul- gaire comme masticatoire. ÉBAUCHE DE GÉOGRAPHIE BOTANIQUE 133 Chiltecpintla, lieu où pousse le chfecpintli (Capsi- cum microcarpum des solanées), qui donne un piment de petites dimensions, très piquant: c4//, piment, £ec- pinili, puce *. Coaxomulco, coin des mures sauvages (Æubus fru- ficosus : c'est une espèce indigène, à baies noires). Huaxtepec, sur le plateau qui produit le Æuaxin (de la famille des légumineuses). Xiloxochitlan, lieu où il y a beaucoup de xz/0xo- chall, genre Pachira ou Carolinea des bombacées). Xochicuauhtitlan, l'endroit des arbres du liquidam- bar, xochiquauit! (Liqguidambar styraciflua * de Linné). Xochiyetla, là où se donne en profusion le tabac- fleur ou tabac parfumé. Xoconochco, la localité des Æ#unas agrias, aujourd'hui Soconusco, sur le Pacifique, presque à la frontière du Guatemala. Xocoyoltepec, sur le plateau où croît le xocoyolli (Rumex acetosa des polygonées). Dans les anciens chants nahuas conservés à la Bibliothèque nationale de México, nous trouvons plu- sieurs autres noms, par exemple: Mizquitlan, le pays du wezquitl (Mimosa circinalis des légumineuses). Mizquic, Mizquihuacan, Mizquiz: autant de localités qui tirent encore leur nom du w#zzquill. (Cfr. ci-dessus, pag. 90). 1 Cfr. TEezozoMmoc, Cronica mexicana, p. 483. 2 Le vrai nom mexicain de ce bel arbre serait plutôt xochiocofzo- quauiti (littéralement, l’arbre qui produit une térébenthine aromatique). Voir G. ALCOCER, Æ7 Liquidambar, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. I, 1904, pp. 376-391. 134 CHAPITRE XI Tzihuactitlan, lieu où abonde l’arbuste /22kuactii ou ézioactli, espèce de maguey (gave) de petites dimensions, croissant en terrain rocheux; pour Her- nandez, ce serait plutot une cactée. Ailleurs apparaissent Chillan, au milieu du piment (chlli); Quauhichcac, dans le coton (gwauhichcatl) "; Xo- chitlalpan, le pays des fleurs; Zapotlan et Zapotitlan, localités où la sapotille (/zapof/) vient en abondance. Puis, comme tout le faisait prévoir, des noms fournis par les cactées, si abondantes au Mexique, par les agaves, et en particulier par le ef], qui était vrai- ment pour les indigènes et est encore l’arbol de las maraviilas. N suffira de rappeler Metepec (el, tepetl), Tenochco, Tenochtitlan, Tziuactepetl *. La carte géographique de Sinaloa est très instruc- tive. Depuis une époque reculée, trois langues ont principalement contribué à former la toponymie de cette région: le tarasque, le cahita, le nahua. Or, les vocables empruntés à ce dernier idiome représentent, dans une large proportion, les plantes du pays. Sous sa forme actuelle fort altérée, Guamuchiltita est bien l'endroit du guamuchile (guamochutl, l'arbor fructus crepantis de Hernandez); Guacoyol dérive de guauk- coyolli, Chiquelititan de chichicquilitl, Copala de copalh, Piaztla de piaztli, sans parler de beaucoup d’autres 3. Il n'y a pas jusqu'au Guatemala que la langue 1 Annales de … Chimalpahin Quauhtlehuanitzin, édit. Rémi Siméon, Paris, 1889, pp. 173, 188, etc. 2 Tziuactepetl nous est connu par le Codex Rios, fol. 67, et par le Codex Telleriano-Remensis, fol. 25, éditions de M. le duc de Loubat. — Cfr. ci-dessus, 7z21huactitlan. 3 EusTAQUIO BUELNA, Peregrinacion de los Azlecas y nombres geo- gräficos indigenas de Sinaloa, 2e Edit., México, 1892, pp. 72-150. ÉBAUCHE DE GÉOGRAPHIE BOTANIQUE 135 nahua, si expansive, si conquérante, n'ait semé de noms de lieu à signification botanique; on connait Xochitepec, Zacatepec, Zapotitlan ’, etc. Beaucoup d’autres textes anciens, dépouillés à la hâte, nous améënent à des constatations analogues. Il serait superflu de les consigner ici. Circonstance à noter: non seulement les Aztèques, mais encore des races voisines, avaient observé, au moins dans certaine mesure, la distribution géographi- que de la flore. Ainsi, chez les Tarasques, bien des lo- calités doivent leur nom à leurs productions dominantes. Apupio, endroit où se trouve l'apupu, variété du Sicyos edulis. Capirio, lieu des capiri, arbre de la famille des sapotées. Caramecuaro, lieu où croissent les caramequa (Cala- dium, tribu des aroïdées, famille des aracées). Cupandaro, endroit des cupanda (Persea grahissima, famille des laurinées). Cuirindalito, endroit des cuirindal (Licania arborea, des rosacées). Huacuxa, endroit des Æuacux (Lucuma mammosa, des sapotées). ÆHuanimba et Huanigueo, lieu où croît la 4wanita, (Æluanita morelosia, des borraginées). Penjamo, là où abondent les penlamu (ahuehuetl, en aztèque; 7'axodium mucronatum des conifères). Ziricicuaro, lieu des fziritzecua (Mimosa circinalis). 1 Ces noms prirent plus tard la forme de Sacatepeques, Suchitepe- ques, etc. Cfr. Æistoria de Guatemala Ô recordaciôn florida escrita en el siglo XVIT por el capitäén D. FRANCISCO ANTONIO DE FUENTES Y GuzMAN, publiée par Justo Zaragoza, Madrid, 1882-1883, tom. Il, pP. 212 sqq. 136 CHAPITRE XI Pour voir combien sont fréquentes les étymologies de ce genre, il suffira de parcourir le vocabulaire géo- graphique publié par le savant directeur du museo Michoacano, le docteur Nicolas Leôn Une analyse serrée de la toponymie mexicaine est fort utile aux ethnographes, tout le monde en convient; mais les naturalistes n’ont guère moins à y gagner. Ainsi, en l’absence de preuves historiques directes, ils se demandent si telle espèce végétale est autochtone ou d'importation post-colombienne: qu'on trouve son nom incorporé dans un ancien vocable aztèque, bien antérieur au XVI siecle, et le doute est levé. 1 En résumé, si la botanique mexicaine, telle que nous l'avons esquissée, n'accuse pas une connaissance sérieuse de la physiologie ni de l’organographie végé- tales, si elle ne peut supporter la comparaison avec la science moderne, elle n’en témoigne pas moins, au milieu même de ses nombreuses imperfections, du travail persévérant et de la perspicacité de la race nahua. Les peuples du vieux monde avaient été de lon- gue date initiés à ces études par Dioscoride et Théo- phraste; les faits, les idées, les théories nouvelles qui surgissaient au cours des âges devenaient, par le moyen d’une écriture facile, le patrimoine des générations sui- vantes. Et cependant quels progrès fit la science des végétaux? Sans doute les moines, qui nous transmirent 1 Anales del Museo Michoacano, t. X, po. 10-28, Morelia, 1888. ÉBAUCHE DE GÉOGRAPHIE BOTANIQUE 137 les ouvrages du philosophe d’Anazarbe, herborisaient, précisaient les caractères des plantes, en déduisaient d’utiles applications. Les serres de leurs jardins, notam- ment celles d'Albert le Grand à Cologne, avaient durant tout l’hiver des plantes en fleurs. La nature les attirait. Mais, en dehors des monasteres, la botanique était délaissée et semblait dépourvue d'intérêt. Dios- coride avait décrit plusieurs centaines de végétaux, et, au lieu d’enrichir cette flore, c'est à peine si les civilisations postérieures purent en reconnaitre et en identifier une partie. Quant à classifier, les écoles n'en avaient guëre souci. Vers la même époque, une peuplade perdue au fond de l'Amérique, au sortir d’une ère bien longue de pérégrinations sanglantes, dès qu'elle trouve où s'établir à demeure, se livre à l’étude de la flore locale et exotique: avec quelle intelligence et quel succés, nous l'avons vu. Le développement fut si rapide, il y eut bientôt une telle somme de connaissances, qu'on hésiterait à en faire honneur aux Aztèques, pour y voir plutôt un héritage laissé par leurs prédécesseurs. Mais, quelque grande qu'’ait été la part de la tradition, leur botanique porte l'empreinte parfaitement visible des derniers occupants du plateau central, et les traces d’un travail nouveau. En plus d’un point, ils firent seuls leur apprentissage. Les nations qui les entou- raient, les unes sauvages ou incultes, les autres sans relations directes avec eux, n'aidérent en rien ou pres- que rien à leur éducation scientifique *. Ils n'avaient pas, pour fixer leur enseignement, les ressources d’une 1 TRONCOSO, op. cit., p. 86. 138 CHAPITRE XI. = ÉBAUCHE DE GÉOGRAPHIE BOTANIQUE écriture alphabétique. Ajoutez qu'ils furent constam- ment tenus en haleine par des guerres de défense ou de conquête. C’est dans ces conditions qu’ils purent nommer, décrire et jusqu’à certain point classifier des milliers de végétaux. Avec cet élan vigoureux, il leur eût suff, pour arriver à de merveilleux résultats, qu'un esprit supérieur, s’emparant des éléments accumulés avant lui, réussit à les coordonner, à les ramener à quel- ques vues d'ensemble, à en déduire les conséquences. CHAPITRE XII. Les fleurs dans la poésie nahua. L'ancienne littérature poétique. — Les poèmes attribués à Nezahualcoyotl, — Can- tares de Sahagun. — Chants nahuas de la Bibliothèque de México. — L'amour des fleurs. Les Mexicains avaient le gout et le sens de la poésie. Pour donner à leurs fêtes plus d'éclat, les grands s’entouraient de chantres et de poëtes. Eux- mêmes, notamment à la cour de Texcoco, s’exerçaient à composer, et la tradition attribue au grand civilisa- teur Nezahualcoyotl (mort en 1472) « des chants en l'honneur du dieu unique, auteur du ciel et de la terre, conservateur de toutes choses, invisible » *. Sa fameuse « Ode de la fleur » nous est parvenue dans une tra- duction otomie *. Pour plusieurs de ses poëmes le texte original existe encore dans cette belle langue nahua, sonore, imagée, expressive, si apte à rendre les délicatesses de la pensée et du sentiment. L'on assure, en outre, que l’ancienne littérature poétique comprenait des traités didactiques et moraux, des récits d'histoire, et, à côté de productions plus légères, un grand nombre de chants sacrés #, A l’occa- sion de telles solennités religieuses, il fallait passer 1 IXTLILXOCHITL, Historia chichimeca, c. 49; cfr. c. 44,47; Relaciôn undécima: dans l’édition Chavero, t. Il, pp. 244, 219, 235; t. I, p. 321. 2 GRANADOS, 7'ardes americanas, pp. 90 sq. 3 C’était parmi les prêtres surtout que se trouvaient les poètes de profession. "140 CHAPITRE XII des journées entières dans le cwicacalli, «la maison du chant », pour célébrer les louanges des dieux. Les enfants destinés à s'enrôler un jour parmi les prêtres apprenaient de bonne heure, dans le cal/mecac, « tous les versets des chants appelés divins, lesquels étaient consignés en caractères dans leurs livres » * Ces compositions diverses formeraient, qui ne le voit, un trésor pour l'archéologie comme pour la linguistique. Elles nous mettraient en contact plus intime avec l’âme mexicaine et nous transmettraient quelques- unes des traditions primitives. Mais c’est une opinion fort accréditée, érigée même en dogme par des américanistes, que de tout cela il n'y a rien à tirer, parce que rien n'a. survécu 44 conquête. À peine resterait-il trois ou quatre chants de Nezahualcoyotl *, quelques beaux vers conservés par le père Carocci , et un petit nombre d’insigni- fiants débris. Et encore, aux yeux de nos critiques, ces fragments seraient-ils, dans leur forme actuelle, postérieurs à l’arrivée des Espagnols #. Cette opinion n'est plus soutenable. Que plusieurs hymnes aient subi plus tard une épuration, qu'il y en ait de parfaitement apocryphes, soit. Mais comment, aprés avoir lu, par exemple, les Cantares conservés a Madrid 5, révoquer en doute leur haute antiquité? 1 SAHAGUN, t. I, appendice du livre III, c. 8, p. 276; lib. Il, c. 3, pag. 53. 2 KINGSBOROUGH, Mexican antiquilies, tom. VIII, pp. 110 sq. 3 CLAVIGERO, op. cit., lib. VII, pp. 177 sqq. 4 M. Chavero l’affirme pour les chants de Nezahualcoyotl. D’au- tres vont plus loin que lui. Cfr. IXTLILXOCHITL, t. Il, p. 236 en note. Dario JuLIO CABALLERO, Gramätica del 1dioma mexicano, p. 180 sq. 5 De los canlares que dezian a honra de los dioses en los templos y fuera dellos. Sous ce titre l’infatigable Sahagun avait recueilli vingt LES FLEURS DANS LA POESIE NAHUA 1417 Ils sont, en vérité, d’une saveur toute primitive, d'un langage si archaïque, si étrange, que, par endroits, nos meilleurs mexicanistes y perdent. leur mexicain. Sans aller fouiller les collections espagnoles, les sceptiques auraient pu trouver, sans peine et tout prés d'eux, bien des chants traditionnels. Dans un riche recueil de poésies en langue nahua ’, que M. José Maria Vigil a eu l’obligeance de nous communiquer à la Bibliothèque Nationale de México, nombre de pié- ces sont antérieures au XVI[° siècle et d’une manifeste authenticité. Une partie en a été publiée par M. Da- niel Brinton * sur une copie qui nous parait fort défec- tueuse. Pour autant que nous avons pu en juger, les com- positions connues jusqu'ici ne nous renseignent guëres sur la botanique indigène. Mais au moins mettent-elles en relief ce trait du caractère mexicain dont il a été chants en langue mexicaine, que possèdent aujourd’hui la Biblioteca del Palacio à Madrid et la Laurenziana de Florence. L’édition qu’en a faite M. Seler (Gesammelte Abhandlungen, t. Il, pp. 964-1107) l’emporte de beaucoup sur celle du Æig-Veda Americanus (Sacred Songs of the ancient Mexicans, with a gloss in nahuatl, Philadelphie, 1890). Sur la foi de la copie fautive imprimée par M. Brinton, nous croyions trouver dans ces poèmes des preuves nouvelles en faveur d’une « langue chichimèque ». (La langue des Chichiméques, étude ethnologique, Bruxelles, 1891). La récente publication du texte exact nous oblige à modifier un peu cette opinion. Nos arguments n’ont plus tous la portée que nous leur prêtions alors. 1 Cantares de los Mejicanos y otros opusculos. 2 Brinton's library of aboriginal American literature. Number V7. Ancient Nahuatl poetry, containing the Nahuatl text of XX VII ancient Mexican poems, with a translation, introduction, notes and vocabulary, Philadelphie, 1887. - Cfr. SELER, Gesammelte Abhandlungen, t. VI, pP. 55 sq., en note. — L’essai de traduction donné ci-après date de plus de vingt ans: nous regrettons de n’en pouvoir vérifier l’exactitude, n'ayant pas sous les yeux le texte original. 142 CHAPITRE XII question plus haut: un vif et dominant attrait pour les fleurs. Le xochifl est un des motifs préférés du dessin hiéroglyphique, où il figure, non seulement avec sa valeur propre de «fleur », mais encore comme sym- bole du sang, du cœur, de l’éloquence, du chant, etc. *. Or, il en va de même à peu prés dans la langue poétique. Moins fréquemment évoquée dans les can- ares de Sahagun *, la flore apparaît à chaque instant dans ceux de la Bibliothèque de México, et plus d'un cuicall est exclusivement consacré aux fleurs. Il ne sera pas sans intérêt d’en détacher quelques passages ÿ: « Je me demande où je pourrai cueillir de belles et douces fleurs. Si j'interroge le brillant oiseau guainambi ou le jaune papillon, ils me diront qu'ils savent où s’épanouissent les jolies et douces fleurs... Et je les mettrai dans les plis de mon vêtement, et avec elles je saluerai les enfants, et je réjouirai les nobles. Réellement, au cours de mes promenades, 1 Cfr. Codex Borgia, édit. de M. le duc de Loubat, fol. 3, 10, 13, 17, etc., et le commentaire de M. Seler, t. I, pp. 16, 24, 25, 49, 283. L'examen du Codex Vaticanus et des autres aboutit au même résultat. 2 Voyez cependant les chants IV, VII, XIV, etc., dans l'édition de M. Seler, et cfr. BRINTON, Æssays of an Americanis!, pp. 298 sqq. 3 Chants I, III, VI, XV, XVII. Le recueil mexicain contient des pièces d’une inspiration très élevée: telle Ja page traduite par M. San- chez Santos, dans Congreso internacional de Americanistas, Actas de la undécima reunion, México, 1895, pp. 297 sqq. Toute la collection mériterait d’être sérieusement étudiée. - En dehors des Aztèques, d’au- tres races mexicaines révèlent dans leurs vieilles épopées l’importance donnée aux fleurs. Bornons-nous à rappeler le chant désigné sous le nom de Majakuagy, le législateur divinisé des Huichols, où sont men- tionnées les belles orchidées de la Sierra (L. DicueT, La Sierra du Nayarit, Paris, 1899, pp. 9 sqq. et 43). LES FLEURS DANS LA POÉSIE NAHUA 143 j'entends comme la voix des roches répondre au suave chant des fleurs. « Où pourrons-nous cueillir les fleurs ? Et comment atteindrai-je cette région fleurie, cette terre fertile, où il n'y a ni servitude ni affliction? Si quelqu'un y peut arriver, ce ne sera qu’en obéissant à l’auteur de l’uni- vers. Ici sur la terre, le chagrin remplit mon âme quand je me rappelle où moi, le chantre, j'ai vu la région fleurie, et j'ai dit: Vraiment, il n'y a pas d’endroit heureux sur la terre. Vraiment il est une autre vie aprés celle-ci. Puissé-je y arriver! Puissé-je apprendre à connaître ces bonnes fleurs, ces douces fleurs, ces fleurs délicieuses! »… « Moi, le chantre, je suis entré dans la maison jonchée de fleurs. « O mon ami, puisses-tu apporter à mon instru- ment des fleurs variées! Couvre-le de brillants ocoxo- chatl. Offre-les et élève la voix en un chant nouveau pour réjouir l’auteur de l'univers »… « Je m'avance, en armes, couvert du bouclier, sur le champ de bataille, afin de mériter ces nobles fleurs qui nous réjouiront. « Vainement, Ô mes amis, convoitons-nous ces nobles fleurs et tentons-nous de les cueillir, à moins de com- battre, la poitrine découverte et à la sueur de notre front, nous rendant ainsi dignes de ces superbes fleurs, au cours d'une guerre dure et pénible, pour laquelle nous récompensera la cause de l'univers »… Parlant des émigrés de Chicomoztoc: « Une se- conde fois, dit le barde, ils abandonnent les wzquitl de Huetlalpan. Dociles aux ordres de Dieu, ils vont là où sont les fleurs »… 144 CHAPITRE XII « La où tu mènes tes pas, Ô chantre, apporte ton tambour couvert de fleurs... Qu'il se dresse au milieu de fleurs dorées. Une pluie de fleurs tombe là où il se trouve; de superbes guirlandes l’enlacent.….. « Ici les guerriers et les adolescents, portant à la main les brillantes fleurs x2/oxochitl, vont et viennent respirant le suave parfum... « Ta demeure, à Auteur de la vie, est en tous lieux. Les tapis qui la décorent sont des fleurs, de beaux tissus de fleurs. C’est là que les enfants t'adres- sent leur prière »… Souvent aussi le poëte peint vivement la brièveté de la vie, le néant des jouissances humaines, exhalant ses regrets de devoir mourir un jour et « abandonner ses fleurs odoriférantes » … « Je pleure quand je songe qu’un jour ces belles fleurs ne me serviront plus de tente Des idées analogues reviennent avec une telle in- sistance dans la poésie des anciens Nahuas, qu'ils sembleraient n'avoir apprécié du règne végétal que les plantes d'agrément. On dirait presque une fasci- nation. ]l n’en est rien. Observateurs pratiques, plutôt que poètes et théoriciens, ils visaient d’abord aux appli- cations utiles. Pour les Aztèques, peuple éminemment agricole, le succès des récoites primait tout. C’est une des grandes préoccupations qui se fait jour jusque dans leurs mythes religieux et dans les sacrifices san- glants de leur culte. Ensuite ils cherchaient dans la flore du pays des ressources pour les travaux indus- triels comme pour les besoins divers de l'économie 1 Cfr. les chants XI, XXIIL, etc., et les vers de Nezahualcoyotl, publiés par Kingsborough. M LES FLEURS DANS LA POÉSIE NAHUA 145 domestique. Mais surtout, ce qu’ils ont connu et employé de simples est, répétons-le, à peine croyable; et, s’il ne faut pas toujours ajouter foi à leur parole quand ils vantent les vertus médicatrices de leurs herbes, d'autre part, leurs renseignements contribueraient cer- tes beaucoup à enrichir la matière médicale de la thé- rapeutique moderne. 10 : RAA OU où à | I w ts DU Dre tas CURTIS OT NT) 1 ab) AA TOR LUN : L { ÿ uR f { \ re 1 [l … 0 mn D ' i Fra” té up Tr à xd td 4 Ÿ , mn “1 1 (} Wings (à LAS A Ur } y ART CNE A: D SONORE LU ALT 05 7 D ta ] } 1 NN a: HAUT EL DEN Ut PURES APPENDICE De quelques travaux récents sur la botanique et la médecine des anciens Mexicains. C'était, il n’y a pas longtemps, une plainte générale que les médecins et les naturalistes dédaignaient trop souvent le fonds de connaissances que nous avait légué l’ancien Mexique. Il n’est que juste de le recon- naître, ces dernières années ont été marquées par une éclatante réaction. De tous côtés on s’est mis à l'œu- vre, ou plutôt l’on a repris, avec autant de zéle et plus de méthode, la tradition inaugurée au XVI siecle. Les livres où missionnaires, colons, explorateurs con- signaient la science populaire de l’époque ont attiré l'attention des maîtres de la science moderne. Plusieurs de ces textes viennent d'être réimprimés et, dans une certaine mesure, mis à jour. Ximenez, qui avait traduit partiellement et enrichi d'observations person- nelles l’inestimable compilation de Hernandez, a eu deux éditions nouvelles . Un travailleur d'élite s'occupe à nous donner celle de Sahagun, complète et défini- tive. Le Manual de Ministros de Indios, composé par 1 L'une est due à Nicolas Leôn, l’autre à Antonio Peñafiel. * 148 APPENDICE un prêtre du pays, Jacinto de la Serna, est une mine d'utiles renseignements pour l'archéologie comme pour la thérapeutique; il a été imprimé à Madrid et à México en 1892 Un autre ouvrage ancien, très apprécié et conçu dans un esprit scientifique, est l’Æis/oria del Nuevo Mundo *, entièrement achevée vers 1654, après un demi-siècle de patientes et sagaces observations. Elle vint à la lumière de 1890 à 1895 5. L'auteur, Barnabé de Cobo S. J., avait vécu au Mexique vingt ans, près de quarante au Pérou, menant de front, avec les tra- I vaux du ministère sacerdotal, des études d'histoire, de géographie, de botanique # Parmi les plantes qu'il décrit magistralement, nous comptons plus de cent espèces mexicaines, et de ce chef «son œuvre est le meilleur complément de celle de Hernandez » $. Les 1 L'édition espagnole a été faite sur un manuscrit de la bibliothè- que du docteur Leôn. Bien que la mexicaine remonte à 1892, elle n’a été mise en circulation qu’en 1899, avec le tome VI des Azales del Museo Nacional de México. 2 Historia del Nuevo Mundo por el P. Bernabé Cobo de la Com- pañia de Jesus. Publicada por primera vez con notas y otras ilustra- ciones de D. Marcos Jimenez de la Espada (Socièdad de Bibliéfilos Andaluces, Sevilla, 1890-1895, t. I-IV). Cfr. Hamy, L'œuvre du P. Ber- nabé Cobo, dans Decades americane, 5e et 6e décades, pp. 72-75. 3 Dans le tome VII de ses Anales de Historia natural (1799-1804) Cavanilles inséra la Descripcion del Peru du P. de Cobo. Après la publication faite à Séville, en 1895, il resterait encore, du même auteur, dix volumes in-folio, inédits, sur « l’histoire naturelle des Indes ». (Som- MERVOGEL, Pibliothèque de la Compagnie de Jésus, t. I], col. 1254). 4 ENRIQUE TORRES SALDAMANDO, Los antiguos Jesuitas del Fer, Lima, 1882, pp. 98-106. s Nic. LEON, Biblioteca boténico-mexicana, p. 91. Au jugement de José Antonio Cavanilles (Discurso sobre algunos botänicos), Cobo a sur ses prédécesseurs et ses contemporains l’avantage d’avoir souvent carac- térisé les plantes avec tant de bonheur, qu’aujourd’hui encore un bota- niste peut les reconnaître. (SALDAMANDO, op. cit., pp. 101 sq.). APPENDICE 149 naturalistes la mettent volontiers à contribution; ils y trouvent parfois la réponse à des questions restées longtemps indécises. Pour n'en toucher qu'une seule, notre chirimoya (guauhtzapotl, Anona cherimolia) n'est pas originaire du Pérou, comme le soupçonnait Al- phonse de Candolle ; elle y fut introduite par le P. de Cobo, qui l'avait vue pour la première fois au Gua- temala, en 1629, lorsqu'il se rendait au Mexique *. Plus tard elle passa en Espagne. Le même voyageur pro- pagea au loin d’autres végétaux mexicains. Il mérite de prendre place à côté des nombreux missionnaires qui, en vue de l'intérèt général et sans préjudice des œuvres d'apostolat, s’attachaient à reconnaître et à faire adopter en Europe les meilleurs produits naturels de leur pays d'adoption. Les écrits de Barnabé Cobo n'ont pas été les seuls à être exhumés des archives. En 1787, Charles III avait envoyé à la Nouvelle-Espagne, en mission scien- tifique, le docteur Martin Sessé avec trois collabora- teurs. Au Mexique, ils s’adjoignirent le créole José Mariano Mociño. Celui-ci étudia pour sa part, en s’aidant des traditions indigènes, la flore du Guatemala, de la Tarahumare, de la Californie, de Guadalajara. Les dossiers réunis par les vaillants explorateurs étaient restés jusqu ici presque inaccessibles : la Société Mexicaine d'Histoire Naturelle et l'Institut National de Médecine firent copier et livrérent à la publicité, 1 GABRIEL V. ALCOCER, Catlülogo de los frutos comestibles mext- canos, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. II, 1905, pp. 421 sq.; Cfr. pp. 448 sq., 454. Dalos para la materia médica mexicana, segunda parte, Mexico, 1898, pp. 51Sq., 111, 150 APPENDICE de 1886 à 1894, leur Æora Mexicana et leurs ?lantae Novae Fispanae *. En 1803, Alexandre de Humboldt et Bonpland entreprirent l'expédition qui eut un si juste retentisse- ment. À leur suite, une légion de botanistes européens sont allés, durant le XIX® siècle, butiner au Mexique. Le pays lui-même commença de bonne heure à fournir un contingent appréciable d’observateurs habiles. Les noms de Alzate, Cervantes, La Llave, trois membres du clergé mexicain, ceux de Antonio Cal, Lejarza et plusieurs autres, rappellent une période de renouveau scientifique. Si plus tard les discordes intestines et d’incessantes révolutions ralentirent cet essor, si les Mexicains, trop défiants de leurs propres forces et tributaires outre mesure de l'importation européenne, parurent quelquefois laisser en friche leur vaste domaine, ils ne tardèrent pas à prendre une glorieuse revanche. Leurs publications sur la flore du pays sont allées se mul- tipliant ces dernicres années, gagnant toujours en pré- cision et en rigueur. Celles qui ont un caractère purement spéculatif ne ressortissent pas à la présente étude *. Nous avons plutôt en vue les notions botaniques des anciens Azte- ques, les applications qu'ils en faisaient, la valeur que 1 Nic. LEON, Piblioteca botänico-mexicana, pp. 181-191, 323-340. Cfr. G. ALCOCER, Las Julianräceas, dans Anales del Museo Nacional de México, segunda época, t. IV, 1907, p. 323. JOSÉ RAMIREZ, Los escrilos inéditos de Martin Sessé y José Mariano Mociño, dans Anales del Instituto Médico Nacional, t. IV, Mexico, 1899, pp. 24-31. 2 On en trouvera le détail, avec des notes biographiques et criti- ques, dans la PBrblioteca botänico-mexicana. M. Leôn y a catalogué tous les ouvrages parus au Mexique ou ailleurs avant 1895. APPENDICE 151 les unes et les autres peuvent avoir encore aujourd’hui. Sur ce terrain spécial, notre âge a vu éclore une riche floraison de productions nouvelles. C’est vers la constatation des effets physiologiques et thérapeutiques que se sont orientées de préférence les recherches modernes. On ne compte plus les dis- sertations, les thèses de doctorat, les monographies de toute forme. Mais cette masse imposante de do- cuments, où l'excellent et le bon côtoient le médiocre, ne rend pas, au dire de juges autorisés, tous les ser- vices qu'on aurait pu s'en promettre. Faute d’exacti- tude dans les classifications, de rigueur et de suite dans les méthodes, bien des forces furent gaspillées, beau- coup d'efforts dépensés en vain. L'ère des grands progrès s’ouvrit en 1890 ‘ avec l'inauguration de l’Institut Médical à Mexico: une de ces créations heureuses que la science mexicaine doit a la présidence du général Porfirio Diaz. On se pro- posait de soumettre à des investigations systématiques les produits naturels de la contrée, et les propriétés que leur attribuent la tradition primitive ou la croyance actuelle des indigènes. Immensément riche et variée, cette matière médicale populaire ; mais combien parfois sujette à caution! L'Institut s’imposa la tache de la passer au crible, de séparer la paille du bon grain. Pour exécuter ce programme, il se divisa en cinq sections, et attesta bientôt sa vitalité par des publi- cations originales, de grand prix. Ses Anales exposent périodiquement et en détail les recherches faites sur la composition chimique des végétaux et sur leur 1 Anales del Instituto Médico Nacional, t. IX, Mexico, 1908, PP. 181-183. 152 APPENDICE action physiologique, les multiples expériences et Îles observations prolongées sur leurs vertus médicales. Les volumes intitulés Dafos para la materia medica mexicana * rappellent d’abord, pour chacune des espèces étudiées, les données historiques que Hernandez ou d'autres avaient recueillies de la bouche des indiens; puis, en resumé, les travaux des diverses sections que les Anales indiquaient minutieusement et dans toutes leurs phases; enfin les effets observés dans le traite- ment des malades. Cette consciencieuse enquête aboutit plus d’une fois à exclure de la pharmacopée des plantes long- temps réputées salutaires: * leurs propriétés se sont révélées nulles ou insignifiantes. À côté de ces résultats utiles déjà, quoique négatifs, beaucoup d’acquisitions réelles et de conquêtes définitives. Pour n’en men- tionner que quelques-unes, le lecteur se souvient du cochiztzapotl (de cochi, dormir), que les Nahuas préco- lombiens regardaient comme un soporifique:° à son tour, la thérapeutique moderne peut l’administrer avec assurance aux malades qui ont besoin avant tout d’un sommeil tranquille et réparateur; le précieux remède ne laisse pas au réveil cet état de malaise et n'offre pas les inconvénients constatés pour plusieurs autres agents hypnotiques. Le #exfamalxochitl (Aa- nunculus petiolaris) est classé parmi les révulsifs supé- 1 Le premier volume parut à México en 1895, le deuxième en 1898, le troisième en 1900, etc. 2 Datos para la materia médica mexicana, segunda parte, p. III. 3 SAHAGUN, t. III, lib. XI, c. 6, p. 235. Cfr. ci-dessus p. 91. Le -cochiztzapotl est la Casimiroa edulis de La Llave et le Zanthoxylon araliaceum de la nomenclature moderne. APPENDICE 153 rieurs à la poudre de cantharide. Le #pozan (Puddleia americana), le chichicamole (Microsechium Helleri), le yepaciuitl (Croton dioicus), que dans un lointain passé les herboristes aztèques déclaraient curatifs, ont tra- versé victorieusement les épreuves de l’expérimentation clinique, et avec eux nombre d’autres dont M. Flores nous présente l'inventaire dans son Manual terapeutico de las plantas mexicanas ‘. M. Fernando Altamirano, le savant directeur de l’Institut de Médecine, était donc bien fondé à dire, en plein congrès scientifique, que les médicaments naturels de provenance mexicaine sont trop peu connus en Europe: ils remplaceraient avec avantage bien des produits patentés, obtenus par la synthèse chimique. On ne fait pas assez de cas, et c'est un tort, des nombreuses ressources que la prévoyance de la nature a mises si libéralement à notre disposition ? Mieux avisés que nous en un sens, les anciens Mexicains s'adonnaient avec ardeur à la recherche des remèdes végétaux , et les faits nous obligent souvent a reconnaître la justesse de leurs observations. 1 Dalos para la materia médica, segunda parte, pp. 112-136; ter- cera parte, pp. 35 Sqq., 93 sqq., 115 sqq. Anales del Instituto Médico Nacionai, t. VI, p. 29; t. IX, pp. 39, 41, 81 etc., 297-391. 2 Buillelin de la Société Royale de pharmacie de Bruxelles, 15 jan- vier 1898, cité dans Axales del Instituto Médico Nacional, t. III, pp. 258 sqq. 3 Sur ce point voyez encore la note du docteur Jourdanet, dans sa traduction de Sahagun, Paris, 1889, pp. 874 sqq. —- Autant que la médecine, l'hygiène des Aztèques mériterait d’être examinée de plus près. Leurs maximes et leurs usages, surtout pour ce qui concerne l’éducation physique des enfants et des jeunes gens, sont en général d’une sagesse surprenante, et parfaitement adaptés aux conditions spé- ciales du Haut Plateau. Mais il est impossible même d’effleurer ici cette 154 APPENDICE Il n'est pas moins frappant de voir avec quelle habileté ils faisaient servir la flore à l’industrie manu- facturière, aux arts, à l'hygiène, aux besoins variés.de la vie domestique et sociale. C’est là encore une con- clusion qui ressort des investigations récentes. Dans un congrès des Américanistes, M. Altamirano a énu- méré les espèces dont les Aztèques savaient tirer parti’; et notre âge leur donne raison une fois de plus, car il emploie volontiers, et aux mêmes fins, beaucoup de leurs plantes tinctoriales, textiles, à résine, à latex, à produits saponacés, etc. Une des découvertes qui les honore grandement est celle de l'o/7 (caoutchouc), qu'ils extrayaient de l’ofguauitl et du farantaquam. Le metl entre leurs mains se prêtait à mille usages; et si bien que, « avec toute notre chimie, nos appareils, nos procédés de fermentation, nous ne les avons pas sur- passés; ou plutôt ils sont restés nos maîtres » *. La canagria (Rumex hymenosepalus), si appréciée mainte- nant aux États-Unis, est depuis très longtemps exploitée pour le tannage dans la région mexicaine 5. Et combien d'autres végétaux commencent à attirer l'attention des compagnies industrielles! 4. Une mention spéciale est due à ceux qu'a étudiés M. le docteur Urbina : les amates, les amoles, les copales, matière, qui du reste a été traitée succinctement par M. Rojas: Preve estudio sobre la higiene de los antiguos pobladores de la Mesa Central, dans Congreso internacional de Americanistas,… Undécima reunion, México, 1895, pp. 65-73. 1 Historia natural aplicada de los antiguos Mexicanos, ibid., pp. 363-379. 2 Ibid., pp. 370 sq. 3 Datos para la materia médica, t. III, pp. 79 sqq. 4 Cfr, Anales del Instituto Médico Naciona!, t. IX, p. 196. PCA APPENDICE 155 I les guelites, les fzauhtlh, les zapotes, etc. '. Toutes ses dissertations, à la fois sérieuses et captivantes, corro- borent les vues émises plus haut touchant la nomen- clature et la classification botanique; elles montrent aussi avec plus d’évidence quels pénétrants observa- teurs étaient ces Nahuas, et combien ingénieux à faire valoir leurs richesses naturelles. Ce n’est là qu'un des traits remarquables de leur caractère. Il y en a d'autres, et de plus saillants, qui donnent à cette race un singulier relief et lui assurent un rang à part dans l’ancienne Amérique intertropicale. Sans doute nous sommes très loin de la connaître à fond *. Les Aztèques en particulier font assez brus- quement irruption dans l’histoire, avec des institutions dont les origines, les attaches 3 et le développement graduel offrent encore trop d’obscurités. Toutefois la lumière se fait peu à peu. Sur plusieurs points l’infor- mation est devenue plus sûre et plus précise, grâce aux explorations de ces dernières années et aux docu- 1 Motas acerca de los amoles mexicanos, dans Anales del Museo Nacional de México, t. VI, Apéndice, pp. 2 sqq. Zos amates de Her- nandez, ibid., t. VII, pp. 93 sqq. Les autres travaux ont été cités plus haut, pp. 116, 124, 129, etc. 2 Dr. WALTER LEHMANN, Methods and results in mexican research, Paris, 1909, pp. 2sqq., 124. 3 La filiation des races mexicaines et les rapports qui unissent entre elles leurs civilisations, ont donné lieu aux théories les plus aventu- reuses. Ici plus qu'ailleurs l’imagination des auteurs s’est donné longtemps libre carrière. Des tendances plus critiques prévalent aujourd’hui, et c’est un grand bien, pourvu que la réaction ne soit pas poussée à l’extrême. Qu'il nous soit permis à ce propos de revenir sur une opinion attribuée ci-dessus (p. 53) a M. Leon. Les analogies signalées entre les Taras- ques du Michoacan et les Péruviens n’ont pas, dans sa pensée, la signification qu’on était tenté de leur donner autrefois. (Bo/efin del Museo Nacional de México, segunda época, t. I, 1903, p. 135; cfr. pp. 326 sq.). 156 APPENDICE ments mis au jour, grace surtout aux manuscrits figu- ratifs publiés par le duc de Loubat, aux travaux entrepris sous son inspiration et à ses diverses créa- tions scientifiques. À mesure qu'on pénètre ainsi plus avant dans cette mystérieuse civilisation précolombienne, la sur- prise et l'admiration grandissent; mais en même temps se révélent avec plus de clarté certains côtés repous- sants, d’effrayantes plaies morales de l’antique société mexicaine. Elles expliquent le jugement sévère que tendait à porter sur elle un historien aussi perspicace . que M. Garcia Icazbalceta. Au terme de sa carrière, jetant un dernier regard sur le passé d’un pays qui avait été l’objet de ses laborieuses études, il s’ar- rête un instant, penseur avisé, aux périodes les plus brillantes de México et de Texcoco: « Ces peuples, abrutis par le despotisme, rendus cruels par des guerres incessantes et par les sacrifices humains poussés à des excès inouis, marchaient-ils alors dans la voie du pro- grès ou n'étaient-ils pas plutôt en décadence? » Il se demande ce qu'ils seraient devenus sans la colonisation espagnole, sans le dévouement des missionnaires. « Les Mexicains n'auraient-ils pas perdu successivement ce qu'ils avaient hérité de nations plus avancées que la leur, pour finir par s’abimer dans une totale barbarie? C’est le sort inévitable des peuples qui vivent isolés, victimes du despotisme, de l’idolätrie et de passions » sans frein *. Mais quelque opinion que l’on se forme 1 Æstudio historico, dans Obras de D. J. Garcia JZcazbalceta, édit. Agüeros, t. VI, pp. 10 sq. Cfr. Memorias de la Academia Mexicana correspondiente de la Real Española, t. IV, 1895, pp. 34 Sq. APPENDICE 157 du déclin de la race, un fait paraît définitivement acquis: l'empire aztèque avait atteint un degré de culture dont il ne faut certes pas exagérer la portée, mais dont il serait injuste de méconnaitre le grand intérêt et l’im- portance relative. Mere NA , i Le (4 | LA Qu EN | | AMANETS CON EN ATEN EPP NS * | » l HS DCE AL GUN Re À + Da à : . Le 4 À 4? AJ 14) Le "e \ É } A | 4 #4 Fi | Ti A OUT ñ A à * de ‘ei ) Lx PAT LUS PUF: CHNEDE AO € OAI ANT APS NES +5 #00 CETTE A AMEN Ph} HIT fa 4e | (Run - tir PA at 4 ar “ dl ‘ [& À die 08 108 4 X dE e } *« LANTTe L ki AR TS { TE Fe (ln AL ñ N di ln Ms ae NORME Pi: 17 PE AV LLALTTN A0 Lite SAUT) ait er NN Ent ft TR ds onmidinn te der ORNE LL LENT | AT TES ï Na Las Ed: M nl 1e . à ‘il l L 1 | | ENT u { ACTE ls DUR TAN 1 L AU \ D Tu Lu PAG. Avertissement 5 CHAPITRE I. La médecine indigène au XVIe siècle. Aptitudes naturelles et acquises des Mexicains. - La méde- cine au premier siècle de l’époque coloniale. - Législa- tion. - Méthodes européennes et traditions locales . . . 9 CHAPITRE II. La médecine précolombienne. Ses attaches religieuses et sacerdotales. - Divinités tutélai- res. - Les premiers maîtres dans l'art de SUÉTIR EMEA CHAPITRE III. La magie médicale. Sorciers malfaisants. - Magiciens guérisseurs. - Superstitions, rites, supercheries. - Amulettes et pronostics . . . . . 25 CHAPITRE IV. La thérapeutique. Efficacité de la thérapeutique indigène. - Corps médical. - Doctrines et pratiques. - Élaboration des remèdes végé- taux. - Le /emazcalli. - La médecine opératoire. - Anes- en ds et TAN NT tte « 160 TABLE DES MATIÈRES CHAPITRE V. La botanique indigène. PAG. Le Thesaurus de Hernandez. - Parterres et potagers flot- tants. - Passion pour les fleurs. - Parcs royaux. - Jardins botaniques 1 AS 0 2 EME ET RENE CHAPITRE VI. Science rudimentaire des végétaux. Vocabulaire. - Synonymie. - Noms descriptifs et caractéris- LIQUES! + en A SR CHAPITRE VII. Iconographie conventionnelle. Iconographie des plantes. - Symboles, caractères phonéti- ques. - L'arbre cruciforme. - Types figurés de divers groupes végétaux. - Signification des couleurs dans l’image polychrome. - Autres signes déterminatifs . . . . . . 8 CHAPITRE VIII. Iconographie figurative. Sens artistique des pictographes. - Les mosaïstes en plumes. - Peintures murales. - Représentations naturelles des plan- tes. - Les dessinateurs indigènes de Hernandez . . . . 103 CHAPITRE IX. Taxinomie végétale. Nomenclature. - Termes composés, binaires et ternaires. - Tollin, copalli, tzauhtli. - Avantages et inconvénients de dla :terminologie mexicaine. ..,. . . 1 CHAPITRE X. Classifications diverses. Divisions arbitraires. - Essais de groupements naturels. - Les ayotli, les {zapotl et autres familles végétales. . . 121 TABLE DES MATIÈRES 161 CHAPITRE XI. Ébauche de géographie botanique. PAG. Variété de culture dans la région mexicaine. - Les notations géographiques du Codex Mendozino. - Toponymie des provinces de Sinaloa, Michoacan et autres. - Vue d’'en- semble sur l’ancienne botanique aztèque . . . . . . . 131 CHAPITRE XII. Les fleurs dans la poésie nahua. L'ancienne littérature poétique. - Les poèmes attribués à Nezahualcoyotl. - Cantares de Sahagun. - Chants nahuas de la Bibliothèque de México. - L'amour des fleurs . . 139 APPENDICE. De quelques travaux récents sur la botanique et la méde- D anciens Mexicains 0 7 :00,) 4 Ju SV it, 147 1e MOOUUSPANS) Leur tant (ul un dl fu ; % qu. DEA Han : Pr 11 F 4 î L ne We x 1h | CL = 4 In? ù À. is | 1 LA nu > PA ATTIr 1 FU LR LE NAT AAA Fr 4! tué 1h v aan FL LA ‘ VOLE TM |: 08 . : FE | AMI LEUR | { (LL EF AUR (We AMP EN Let U à Le MOT VAT) W18 TANT NT EEE | AT TRRNRRIT BVVE) | fn il nUAuyE HT 1H} HR i} 1 A nié ghii Hu !: D CTARA NATH TE PL Li {; . RIT à (en # F pou ! 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