Colletet, Guillaume

Notices biographiques sur les trois Marot.

NOTICES BIOGRAPHIQUES

SUK

Les Trois Marot

Par G. COLLETET

Précédemment tranfcrites daprès le manufcrit détruit

dans l'incendie de la bibliothèque du Louvre

le 24 mai 187T & publiées

pour la première fois

par GEORGES GUIFFREY

A PARIS C/ie:^ A\ Lemerre , Libraire

47, PASSAGE CHOISEUL, 47 1871

NOTICES BIOGRAPHIQUES

SUR

Les Trois Marot

NOTICES BIOGRAPHIQUES

SUR

Les Trois Marot

Par G. COLLETET

Précédemment tranfcrites d'après le manufcrit détruit

dans l'incendie de la bibliothèque du Louvre

le 24 mai 1871 & publiées

pour la première €ois

par

i

GEORGES GUIFFREY

A PARIS Chc:^ A. Lemerre, Libraire

47, PASSAGE CHOISEUL, 47 I 87 I

Pu

â07284

JEAN MAROT

OMME l'Aurore eft d'autant plus chère & plus agréable à la Terre qu'elle eft la couriere de ce bel aftre qui l'anime & qui fait fleurir & fruc- tifier toutes chofes; auify qui confiderera Jean Marot, comme l'autheur de la vie de Clément, bénira mille fois l'heureufe naifTance du père qui mit un tel fils au monde. Et en cela il luy advint comme à Loiiis de Ronfard, à Oélavien de Saind- Gelais, à Jules de l'Efcale, à Jean Douza, à Vef- pafien StrofTe, & à quelques autres qui furent poètes véritablement, mais qui produifirent des enfans qui l'emportèrent de bien loin fur eux dans le facré myftere de la poëfie ; puifque Pierre de Ronfard, Mellin de Saind- Gelais, Jofeph de

6 Les Trois Marot.

TEfcale, Jean Douza, & Hercule StrofTe, furent de grands foleils fur le ParnafTe des Mufes latines & françoifes , qui effacèrent la fplendeur des avant coureurs de leur lumière. Celuy dont je veux parler nafquit en la ville de Caen en Nor- mandie, province fertile en poètes que Clément Marot mefines en rend ce fidèle tefmoignage en faveur de fon père qu'il appelle fon arbre paternel :

De Jean de Meun s'enfle le cours de Loire, En maiftre Alain Normandie prend gloire Et plaint encor mon arbre paternel, &c. . .

I Comme il eftoit pourveu d'un gentil efprit qui Texcitoit à la poëfie, il crut qu'il ne devoit point cacher fon talent en terre & que pour le faire valloir, il devoit venir le faire efclatter en la cour du roy Louis XII, qui n'eftoit gueres de moins père des Mufes que père du peuple, ce qu'il fit certes d'autant plus volontiers qu'avec beaucoup de vertu il avoit fort peu de bonne fortune, tef- moin ce qu'en diél fon fils :

Son art efloit fon bien fpi?^ituel Et Tefperance efloit fon temporel.

Les poètes eftoient alors fort rares, & pour peu qu'un homme euft l'addreffe de mefurer un vers & d'apparier quelques rymes il paflbit pour un efprit inimitable, ou du moins fort edevé au

Jean Marot. j

deflus du vulgaire. Quelques-unes de Tes rymes scellant efpandues à la cour parvinrent jufques au cabinet de la royne Anne, duchefle de Bretagne, qui les leut avec plaifîr & qui en vouUut cognoiftre Tautheur 5 & fon bonheur voullut que cefte ver- tueufe princeffe prifl tant de gouft à fon entretien, aufly bien qu'à Tes vers qu^'elle Tarrefta des lors à fon fervice en qualité de fon poëte, ou de fon efcrivain ordinaire, comme ils difoient, & luy ordonna pour cela de bons gages. Ainfy Marot, qui avoit peine à fubfîfter de luy mefme, fe vit en eftat de faire un eftabliffement folide & de dire avec raifon :

Que les bienfaits ejî oient fon temporel.

Mais, comme en matière d'advanoement il n'y a prefque que la première planche difficile à trou- ver, après le deceds de cefte genereufe princefTe, qui fut deux fois royne de France, le roy Fran- çois I", qui aimoit la poëfie & les poètes plus que tous fes predeceffeurs enfemble, & qui eftoit bon poëte luy mefme, ne defdaigna pas de jetter les yeux deffus luy, &, pour l'approcher plus près de fa perfonne, de luy donner une charge de valet de chambre ordinaire de Sa Majefté; & par la ren- contre d'un bon maiftre, Marot fe put confoler de la perte de fa bonne maiftrefte. Ce fut alors auffy qu'il mit plus que jamais la main à la plume & qu'il produifit de certaines petites fleurs poé- tiques qui eurent l'agrément des clames & par

8 Les Tt^oïs Marot.

confequent de toute la cour. Comme le poëte Ennius fuivit le grand Scipion dans Tes expédi- tions militaires, Marot, qui fut à peu près l'En- nius de Ton fiecle , fuivit le Roy, fon maiilre, au voyag-e d'Italie, il compofa des vers qui le firent cognoiftre tant deçà que delà les Alpes. Car encore que cet autheur n'euil aucune cognoif- fance des langues grecques & latines, & qu'il ne fe fouftint que de fes propres forces, fi eft ce que l'on peut dire avec vérité que la nature luy avoit infpiré ce fecret génie qui faiél fmon les grands & fublimes poètes du moins les poètes affez ele- gans, car c'eft ainfy qu'Eftienne Pafquier appelle Jean Marot dans fes dodes Recherches de la France. Mais quoy qu'il euft compofé beaucoup de divers ouvrages qui furent fort approuvez de fon temps, eft ce qu'il fut fi peu foigneux de les recueillir de fon vivant que nous n'avons pas la quatriefme partie de ce qu'il avoit faid. N'eft ce point, comme il avoit le fens fort bon & le jugement fort clair & fort pénétrant, qu'il fe doutoit bien que noftre langue ne s'enrichiroit pas beaucoup de fes fraifles threfors, & qu'il prevoyoit déjà que fon fils & quelques autres efprits de fa volée effa- ceroient bientôt dans fon art tous ceux qui les avoient précédez? Certes, fi c'efl cela, il n'avoit pas mauvaife raifon, puifqu'il falloit bien des efforts, d'autres élévations d'efprit & d'autres génies que le fien pour tirer noftre langue de Tenffance elle eftoit, & pour la mettre dans l'eftat floriffant nous la voyons. Ce n'eft pas

Jean Ma?^ot. q

que ces premiers efforts foient à melprifer puif- que la perfeétion d'une langue n'eft pas l'ouvrage d'un feul règne, ny d'un feul homme, mais c'eft qu'ils ne méritent pas toute la louange que l'on doibt aux ouvrages accomplis & affin que mon leéleur puifTe juger de foy mefme de la valeur des fîens...

L'an 1536, Tes œuvres furent imprimées à Paris foubs le titre Le Recueil de Jean Marot de Caen,^ &c., poëte, &c., en fuitte de l'adolefcence clémentine de fon iils ; il eft bien vray qu'elles avoient efté déjà imprimées feparement à Paris chez Pierre Roffet, mais fans la datte de l'année. Elles contiennent plufieurs rondeaux, plufieurs epiftres & plufieurs chants royaux, dignes, ce diél l'advis au leéleur, d'eftre non feuUement eftimez mais admirez. Mais fi l'Admiration» comme difent les fages, eft la fille de l'Ignorance, il nous excu- fera bien fi, ayant quelque lumière des chofes dont il s'agit, nous demeurons dans les fimples termes de l'eftime & n'allons pas jufques à l'ad- miration.

Pour ce que fes vingt quatre rondeaux^ dont il compofa le Doâtrinal des princejfes & nobles dames, font la première & peut eftre la principale partie de fon livre en ce qu'elle contient plufieurs enfei- gnements falutaires à bien vivre, j'en rapporteray pour exemple celuy cy il confeille aux dames de condition d'avoir toujours chez elles des gens dodes & lettrez comme il les appelle dans fon titre :

10 Les Tî^ois Marot.

Et! fa mat/on doibt la princejfe avoir Gens bien lettre^, car ainfy qu'on peut voir Que l'arbre & fruiâ le verger embellijî. L'homme fçavant fa demeure ennoblit. Par la doBrine iffant de fon fçavoir. Tout bon confeil elle en peut recevoir. Mais d'un gros fol certes à dire voir Autant vaudroit qu'il dormift fur un lit

En fa maifon. Préférer faut fcience à tout avoir : La raifon eft, que l'or ne peut pourvoir Oit fens humain fon vouloir accomplift, Princeffe donc de grand honneur s'emplifl. Qui d'attirer gpis difcrets faiâ devoir

En fa maifon.

Entre fes epiftres, celle, qu'au nom des dames de Paris il addrefle au roy François I", eftant delà les monts, & ayant deifaia les SuifTes, eft affez ingenieufe; mais encore n'eft elle rien auprès de celle qu'il efcrivit de Milan à la royne Claude, première femme du roy François F", il avoit commencé de faire le naïf & véritable tableau de la deffaiéte des SuifTes au camp de Sainéle Bri- gide, deflein que la mort prévint au grand regret de ceux qui euffent efté ravis de lire des chofes mémorables dont l'autheur avoit efté le tefmoin oculaire; elle commence de la forte :

Tige d'honneur, hermine liliale, Chappeau ducal foubs couronne loyalle.

Jean Marot. ii

Refplendijfaiit par fon celejîe lujlre Inextinguible, 6 dame très illujlre. Ne t'efbahisfi moy, fiinple orateur. De ta mai/on le moindre ferviteur, Ay o^ê prendre audace de fefcrire ; Car le fubjet que je prétends infcrire En cejîe carte, eji très favorable. Doux & plaifant que l'auras agréable. Comme je crois, & que n'auras efgard Si l'efcrit vient de bajfe & fimple part. Autre rai fon, fouveraine princeffe. Me donne cœur, c'eji que plus grand liejje Ne pourroit dame en fon cœur recevoir Que bon rapport du fien efpoux avoir.

Et le relie où, dans un vieux ftyle, il y a d'af- fez bons & topiques pour un homme qui n'avoit que fa rhétorique naturelle. Ce qu'il confirme encore par fa refponfe des Eftats de France aux feditieux, qu'il traitte auffy mal par fa plume, que fon prince les avoit mal traittez avec Tes armes. Et c'eft qu'il monftre comme la fortune a grande part aux affaires humaines , & que pour avoir comme laiffé perdre Milan on peut juger par la prife de Fontarabie en peu de mois, & de Hefdin en moins d'un jour, quelle eft la valeur des Fran- çois dans le cours de leurs conqueftes.

Mais pour ne point parler de fes chants royaux, qui font tous des matières chreftiennes & pieufes & qui ne font pas mal faits en leur genre , je ne puis m'empefcher de rapporter encore icy un de

12

Les Trois Marot.

Tes derniers & plus naift rondeaux ». . ^.

P'us que ce vieux ffenre dlTr' ' ''""'=>"'

'■orte renouvelle de n!fl ^ ^^'' ' "'*'^ ''^ ^«^"e

.- pas de ^o s,%T:::iT' '^"'^ "'^ ^ p-^-

%ent «efles d^n faire ''°'''' "î"' "^ ^^^

par ceft ample recûernT' P°"""' °" '' P^"' ^°"- peu de ;ours. ^"' ' "" ^" =" '=°"'P''é depuis

(^omme ma très honnorée ,naiftreffT' ' tout honneur

^tpar depit chacun d'eux me ^i^ Mais c'en tnuf diffame;

Je ''aiJra/TietZr':: "'''^'-'^' J ^jervirajfans blafme

Ln tout honneur.

^i faut advoupr m.^ P>- rupporcables de' "L^ ^"7 """^ '* "" "-

licompofaencoreenverfh» •• des deux heureux voyais de r""'r' ''"'^''''-^ 3"e iit le viaoneux ZoS xil '"^ ^''^'''

'^" '557, qui font d-aumnt ' ' ""P'-""«» à Lyon,

<>- --a v,eH,e mais nai" fp .l'/^^'^^''^'^^ ^ ''-'

vcpoeiie y remarque beau-

Jean Marot. 13

coup de circonftances particulières que les hif- toires modernes ont oubliées. Voici le commen- cement du voyage de Gènes :

Alors que Mars vit affaiblir fes armés. Paix avoir lieu, ceffer bruiti & vacarmes, Harnois mis jus, fes ejîandars plojei. Et fes vaffaux nejîre plus emplojei A démolir villes, chajîeaux, ne murs. Hors de l'efpoir des triomphes futurs. Il pourpenfa les façons & manières De fufciter fes foldats & bannières Qui avaient eflé par trop longtemps. Outre fou veiiil, fans debat^ & contens. Ainfj penfant furvint de fan hault throfne Dame Pallas, qii'aulcuns nomment Bellanne, Jadis cojiceue au cerveau Juppiter, Luj- fuadant que, fans plus arrefler, Circumvolafi les nations Itales.

Et le relie il y a de la profe & des vers & des defcriptions aflez vives & allez bien imagi- nées dans leur vieux langage.

Voicy comme il commence le voyage de Ve- nife, qui eft de fort longue haleine :

Au temps que Mars foubs le vouloir des dieux Fit triompher par gefles glorieux Louis douiiefme, aorné, par mérite. De bruit & los que mort ne def hérite, Vulcan laiffa foufJJer en fes fourneaux.

14 Les Trois Marot.

Centaures plus ne battirent métaux Armes forgeant, car le vraj- Jîls unique Du dieu Mapors, d'un Jîer bras herculique, Avoit mis jus la nation fuperbe Comme la faux qui renverfe toute herbe, &c.

Au refte le leéleur fçaura que ce voyage, qui eft auffi bien que l'autre très difficile à recouvrer, eft parfemé de rondeaux & d'autres fortes de vieilles poëfies, qui, comme j'ai diél, font fort confiderables à caufe de l'hiftoire véritable qu'elles contiennent.

Il mourut fous le règne de François I", à l'aage de 60 ans, comme je l'infère tant de l'epiftre naïfve que Clément Marot, fon fils, adreffa au mefme Roy pour luy fucceder en l'eflat de fon père, que de Cefte epigramme dont il couronna la fuitte de l'epiflre que Jean Marot efcrivoit de Milan à la royne Claude ; car c'eft ainfy qu'en parle ce jeune Clément :

Icf l'autheur fon epijîre laiffa.

Et de diâer pourtant ne fe lafja.

Mais en chemin la mort le vint furprendre

En luj difant : Ton efprit par deçà

De travailler foixante ans ne cejja.

Temps efi qu'ailleurs repos il aille prendre.

Je croirois volontiers qu'il mourut en fa ville de Cahors en Quercy, il s'eftoit marié pendant un voyage que le roy François V fit en Langue-

Jean Mat^ot. i^

doc. Du moins après Ton fervice à la cour, celle ville fut fa demeure ordinaire & le lieu natal de fon fils , qu'il exhorta toujours de fon vivant de fuivre le doux & noble exercice des Mufes & de rendre en cela de bons & ag^reables fervices au l^oy & à fa patrie. En quoy certes il efloit bien efloigné de l'humeur avare & boudeufe de la plufpart des pères , qui ne portent leurs fils qu'à ces emplois utiles, mais épineux, qui leur acquièrent beaucoup de bien & peu ou point de renommée.

Sa devife efloit ne trop ne trop peu. Outre ces galands hommes qui ont parlé de luy avec honneur, comme La Croix du Maine, Antoine du Verdier & Georges Draude , qui ne l'oublient pas dans leurs bibliothèques univerfelles André du Chefne, dans fa biMiotheque particu- lière des hiftoriens de France, parlant de fa defcription des deux heureux voyages d'Itahe, luy rend cefl illuflre tefmoignage qu'ils elloient fort véritablement efcrits. Il fe trouve mefme à l'en- trée de fes œuvres de l'édition de l'an 1536, une gentille epigramme latine d'un certain poëte qui ne feint point de dire qu'il ne le faut plus appeler en latin Marotus mais Maro, & là-deffus il continue de le comparer avec Virgile, le grand Virgile, des mots duquel mefmes je me ferviray en cette occafion.

Si par va licet componere inagnis. Finalement, un poëte latin anonyme regala fa

i6

Les Trois Marot.

defcription des deux vovap-P. H'f^oi- a

gramme Jat.ne qui n'a pas 1' r' ''"^ ^^^ 4"! n a pas mauvaife grâce.

""'l'^"' ^^''^ P^''<t''s ,ui refait unus Galhcus h,c vates, galHca mira canil.

CLEMENT MAROT

L n'en eft pas toujours des grands poètes, ce qu'au rapport des poètes mefmes il en eft de la Majefté qui îl devient grande, fitoft qu'elle eft née. Mais il en eft d'eux ordinairement comme du plus précieux de tous les métaux que la nature ne forme, ne purifie & ne raffine dans fes entrailles qu'avecque la longueur du temps, ou tout au moins comme du tonnerre qui n'efclatte pas du premier coup, mais qui murmure & qui gronde dans les nues auparavant que d'efclatter fur la terre. Et en eftet il eft fouvent arrivé que les grands poètes ont efté précédez par la naiftance de quelques autres qui eftoyent comme les eflays de la nature, ou les courriers de l'art & les ache-

i8 Les Trois Marot.

minements à la perfedion, puifque les poètes divins ont fouvent eu pour pères des poètes, à la vérité, mais qui n'eftoyent que des poètes humains. Car c'eft ainfy que noftre cygne Vandomois appelle les poètes du commun 5 ainfy Hercule de Strozzi eut pour père Vefpafîen de Strozzi, qui fit des vers latins véritablement, mais, au rapport d'un grand critique de Ton fiecle, nullement comparables à ceux de Ton fils ; ainfy le grand Torquato Taflb l'emporta de bien loin en matière de poëfie ita- lienne fur Bernardo Taffo, fon père, dont nous avons un jufte volume ; ainfy Mellin de Sainél- Gelais effaça dans fes poëfies la gloire d'Oélavien fon père; ainfy Jofeph de l'Efcale fit bien pa- roiftre par l'oppontion de fes poëfies latines avec- que celles de Jules Cefar fon père, que le père n'en eftoit pas vm auffi bon fabricateur qu'il en eftoit bon juge ; ainfy noftre divin Pierre de Ron- fard effaça par fes mufes naiffantes toute la gloire que Loiiis de Ronfard, fon père, s'eftoit acquife par fes vers françois foubs le règne de François premier; ainfy Cefar de Noftradamus fit bien voir, par le corps de fes poëfies, la force de l'efprit dont il eftoit animé, & qu'en ceft art il l'empor- toit de bien loin fur fon père, d'auffy loin qu'un excellent poëte l'emporte fur un fimple rymeur; &, fi j'ofe mettre en jeu ceux qui vivent, Nicolas Vauquelin des Yveteaux monftra bien par la force & par la pureté de fes vers que Jean de la Fref- naye Vauquelin, fon père, tout fameux qu'il fut en fon fiecle, n'avoitpas trouvé, comme le fils, le

Clément Marot. lo

glorieux fecret de contenter & de ravir le noftre. Certes le deflin de ces grands poètes fut le deftin mefme de Clément Marot, puifqu'ayant eu pour père le poëte Jean Marot, on peut dire juftement de luy, ce que l'on dit autrefois d'un ancien, 7>- dides melior pâtre. En effet, il eut pour père Jean Marot, qui fe fit de fon temps fignaler par fes vers, & duquel auffy j'ai faia la vie en qualité de poëte françois. Mais, foit que le fils fufl dans un meilleur fiecle, foit qu'il fe fuft employé ferieufe- ment & plus foigneufement à cultiver noflre lan- gue, il advint qu'il fut le premier des François qui commença de tirer noftre langue de cefle obfcure & honteufe barbarie elle eftoi^ enfevelie mifera- blement, & qui la rendit, fmon fort pompeufe & fort efclattante, du moins affez claire & intelligible, ce qui fut d'autant plus admirable en luy, qu'il n'avoit aucune cognoiffance des langues, ni des fciences. Auffy l'heureufe félicité de fon efprit le rendit fi agréable à ce grand réparateur des bonnes lettres, le roy François premier, qu'il confentit aifement que Clément Marot, qui avoit des fa plus tendre jeuneffe eflé nourry auprès de Marguerite de Na- varre, & qu'il fervoit en qualité de. fon valet de chambre ordinaire, exerçât auprès de Sa Majesté la charge de valet de chambre que Jean Marot, fon père, avoit exercée autresfois; & ce grand monarque prit un tel plaifir dans la ledure des vers de ce gentil poëte, qu'à fon exemple toute la cour pohe en fit fes délices. 11 n'y avoit point de princes, ny de princeffes, de grands feigneurs,

Les Trois Marot.

20 ^

poëfos de ce bel efpru ^^^ ^ ^^^^^„

eombloa auffydeb, n & ^^ "- -™"^ """^ rechercho« fon amu.e ^^ ^^^^^ ^^ ^^ ^^p^^_

'""""Ïefld t ^etae jufque dans les pays tation selpanuiL 'nt à le confiderer

étrangers, qu. .-— «.^^^^^e & le pl- comme le prem.er poe e de b ^.^^^ ^^^^^^

grand oj— * ^ ."f ^^^^nça d'eftre auffy de Cahors en ^^J'I^^^ ^ d elprir, que la 'Tt ITd :: e trpt la naiffance du grand Te tJeC^rn,n feullement les François, max

'f- "" ttr::;: r i:at:.e d^es chores

advmt, par «ne /«J° -, f„, contraint

humâmes, que cet ««J^^"' ^ ^^ .,

d'abandonner la cour & la franc

eftoit prefque adoré^ ^.^^^^„, u caufe de fon

•rc'rftr3rirp::^^^'^equ>. grand pe.ne,

ri . Îen eft du poL Marot comme du poe.

Ovide dont on fçait le bann.ffement en Sc.thye

^^dom les grammainens cherchent encore le

Clément Marot. 21

vray fubjed. Toutesfois, s'il en faut croire Antoine de Laval, le fubjed du banniflement de Marot vient d'un difcours un peu libre qu'il avoit pro- féré contre le roy François lorfqu'il avoit di6l : Il n'eft que du fablon d'Eftampes pour faire reluire un vieux pot. Ceux qui fçavent l'hiftoire fecrette & particulière du temps n'ignorent pas que cela regardoit la maiftrefTe du Roy, ducheffe d'Ef- tampes & de Ponthieux, laquelle fe vouUut vanger de Marot à la première occafion, tant il eft vray de dire que jamais les femmes ne perdent la mémoire des traits piquans que l'on a lancés contre elles. Si l'on adjoufte foy à un autheur moderne, Marot fut banny du royaume & des boi;ines grâces de fon Roy pour avoir compofé des vers trop libres contre les gens d'Eglife. Et, en effet, la plus commune créance eft que l'eftroitte familiarité qu'il avoit contraélée avec les principaux luthériens, le fit foupçonner d'avoir changé de relligion & de fuivre le libertinage & la nouveauté, auify bien que tant d'autres qui, pour cela mefme, furent punis, ou congédiés, foit par les arrefts , foit par l'exprès commandement du Roy. Et en effet, c'eft le fentiment de Théodore de Beze qui, dans fes Portraits des hommes illujlres, parlant de Marot, diél que ce gentil poëte fortit deux fois du royaume à caufe de la relligion. Et c'eft pour- tant de quoy Marot luy mefme fe juftifie dans plufieurs endroits de fes œuvres, & notamment dans fon epiftre qu'il efcrivit au Roy pendant fon exil à Ferrare, car c'eft qu'en exagérant la

11

Les Trois Marot.

«nalice de fes adverfaires & de fes envieux ,1 „. .

Demor. tonferf, pour, après à W ai Ce

^^^r. iernoy courir vers toj ,naint conte

ZT: ,""''"" ^^'-"^"^ nrenteurs Dégels as font les premiers inventeurs-

'^ '"f'-f 'Is m'ont ,,nné le no,n

Luther e,"crZJa "" "' '^ ''^"""'■

y ">" Pefche,, &, tout bien aiviCé ^""on, de luj. ne fuis point baptift

,.f ' '^ '■«'*^' il repouffe cefte calonin.-. q"'I peut, & monftre gu'ii ."^ "'°'"."'^' =>"«"( bercail de la vraye Edife / '"""' '^"^ «J" f"fon de ceux qu'i l'of Ji'a LT ^^ "''' ' '^ -"- tique. Et, enfuitte devVn.t ^ P"""" "" ''^^^- P>aint de certain /ujrco^f.r" "' '^"' " ''^ «- dans Ton poLTde -En r^ '"'" ^^°'' vanger de luy, foubs prétexte dL '"'' P°" ''^ "a-re, eftoient entrez danTr "^ "" """^ '■"='&i- emparez de Tes pap.ers TZ r T" °"' ^'^'*°'^« "■efine iniuftement eT r '"^'' * '''•^"'^"t

A propos de quoy Zc^TlT"' ^ '^^ ^onte.

----LdJr.ti-nTr;:--'

Clément Marot. 23

partout, pour avoir rencontré parmy fes livres des livres deffendus, de magie, de nécromancie & de cabale, comme un homme de lettres, avec la per- miflîon de fes fuperieurs, n^avoit pas la liberté de voir toute forte de livres, bons ou mauvais, pour apprendre les uns & réfuter les autres , & c'eft ce qu'il diél aufîy luy mefme en ces termes :

// ejl bien vray que livres de deffenfe

On y trouva; mais cela n'ejî offenfe

A un po'éte, à qui l'oii doibt la/cher

La bride longue & rien ne luy cacher.

Soit d'aj^t magie, iiecromajtce, ou cabale.

Et n'ejl doârine, efcrite, nj- verbale.

Qu'un vray poëte au chef ne deujî avoir

Pour faire bien d'efcrire fon devoir.

Sçavoir le mal eji fouvent proffitable.

Mais en ufer eJi toujours evitable.

Et d'autre part, que m'a nuit de tout liî^e?

Le grand donneur m'a donné fens d'ejlire

En ces livrets tout cela qui accorde

Aux fainâs efcrits de grâce & de concorde.

Et de jetter tout cela qui diffère

Du f acre fens, quand près on le confère.

Il fe plaint encore dans ce mefme poëme de certains doéleurs ig-norans, qui nommoient alors hérétiques tous ceux qui fçavoient les langues à perfedion. En quoy véritablement il a tort de condamner un corps fçavant & célèbre pour la

24 L^^ Trois Marot.

fimplicité, ou pour la malice de quelques-uns, car c'eft ainfy qu'il en parle :

Autant comme eux, fans caufe qui f oit bonne.

Me veut du mal l'ignorante Sorbonne,

Bien ignorante elle eji d'ejlre ennemie

De la trilingue & noble Académie

Qu'as erige'e. Il eJi trop manifejie

Que dedans contre ton veuil celejîe

EJI deffendu qu'on ne vaife allegant

Hébreu, nj grec, nj latin élégant

Difant que c'eji langage d'heretique.

O pauvres gens, de fçavoir tout hetique,

Bienfaiâes vraj^ ce proverbe courant.

Science n'a haijieux que l'ignorant.

Certes, o Roj, fi le profond des cœurs

On veut fonder de ces forboniqueurs.

Trouvé fera que de toj ils fe deulent.

Comment douloir? mais que grand inalfe veulent^

Dont tu as faiât les lettres & les arts

Plus reluifans que du temps des Cefars.

Par il defigne l'inftitution des profefTeurs royaux que le grand roy François 1" avoit efla- blis & gagez dans fon collège de Cambray, de Triquet, ou de trois Evefques, qui eft la meime chofe, & que dans leur eftabliflement eurent pour adverfaires quelques-uns du corps de Sorbonne, comme Ta obfervé, je croy, le dode Pafquier dans Tes Recherches de la France.

Quoy qu'il en foit, Marot craignant l'indigna-

Clément Marot. 25

tion du Roy, fon maiftre, auquel fes ennemis l'avoient rendu odieux , fe retira d'abord en Bearn, auprès de Marguerite de Navarre, fœur du Roy, qui, félon Framianus Stradas, pluftot que félon la vérité, eftoit alors l'ancien & ordinaire afyle des coupables. Marot luy mefme parle de celle retraite en d'autres termes lorfqu'il diéï :

Je m'en alla/, pour fuir ce danger. Non en pajs, non à prince ejlraiiger. Non point ufant de fugitif dejlour. Mais pour fervir Vautre Roy à mon tour. Mon fécond maiftre, & ta fœur fon efpoufe, A qui je fus des ans à quatre â dou^e De ta maiîi noble heureufement donné, &c.

Et puis voyant comme on punifToit par le feu, non feullement tous les hérétiques décla- rez, mais encore ceux qui eftoient aucunement foupçonnez de l'eftre, il paffa en Italie & fe retira dans la ville de Ferrare, auprès de celle vertueufe princelTe, belle fœur & couline germaine du roy François \" & lille du roy Louis XII, duchelTe de Ferrare.

De ton clair fang une princejfe humaine. Ta belle fœur & coufine germaine. Fille du Roy tant craint & renomme'. Père du peuple aux chroniques nommé. En fon duché de Ferrare venue.

26 Les Trois Marot.

M'a retiré de grâce & retenue.

Pour ce que bien luj' plaijî mon efcriture.

Et que je fuis encor ta nourriture.

Quelque temps après, le Roy, qui cheriflbit Marot, ayant efté appaifé, tant par les rymes diverfes , qu'il luy avoit envoyées d'Italie fur le fubjeél de fa difgrace, que par les recommanda- tions de quelques amis qu'il avoit à la cour, fouf- frit que ce bel efprit y revint, & en tefmoigna mefme beaucoup de fatisfaéïion, & ce fut alors que Marot, à la perfuafîon de ce fameux profef- feur en lan^e hébraïque , François Vatable , ayant quitté les ,fubjeds profanes , & s'eftant refolu de ne plus faire des vers que pour les chofes fainéles, entreprit la verfion françoife des divins pfeaumes de David. Mais pour ce qu'il n'avoitpas la cognoiffance des langues neceffaires pour un fi noble travail, il foUicita le mefme Vatable & Mellin de Sainél-Gelais de luy expliquer en profe les verfets des cinquante pfeaumes, ce qu'ils firent très volontiers pour l'intereft public & pour l'afFedion particulière & cordiale qu'ils luy por- toient, & fur leur profe il compofa fes vers. Mais comme il eftoit fort peu verfé dans ces hautes matières, il y fit tant de bévues & tant d'erreurs, qu'encore que la cour receuft favorablement fon ouvrage & que le Roy mefme prifi grand plaifir à chanter fes fiances, que les plus habiles mufi- ciens de ces temps avoient mis fur de très beaux airs différents, fi eft ce qu'à caufe des

Clément Marot. 27

plaintes de la Sorbonne & la jufte cenfure qu'elle fit de fes pfeaumes, on deffendit de les lire, & Sa Majefté foufFrit que Ton fit defFenfe de les lire & de les reimprimer davantage. Mais celle def- fenfe, comme diél le fidèle interprète de Thifloire de la g-uerre de Flandre dans la vie de Margue- rite de Parme, produifit l'effet ordinaire , elle augmenta l'envie des ledeurs & la réputation de l'ouvrage. Néanmoins il prit de nouveaux fubjeéls d'efcrire, & de la poëfie fainéle il repafTa bientoll à la prophane, qui efi:oit efFedivement celle il reufîîfToit le mieux. Cependant fa hardiefTe s'ac- crut par les divers applaudifTements qu'il en receut partout. Et, comme il ii'efloit pas capable d'arrefler fon efprit, ny fa plume, il fe mit à com- pofer tant d'invedives contre ces puifTans adver- faires, & à compofer des œuvres qui fe fentoient encore tant du fagot & du libertinage, que l'ap- prehenfion du châtiment dont on le menaça le fit bien toft retirer à Genève, il acheva de fe def- crier par les longues conférences qu'il eut avec ce grand & dode herefiarque, Jean Calvin, qui le receut à bras ouvers , & qui contrada avecque luy une amitié inviolable, ce qui fut caufe que fa verfion des pfeaumes fut entièrement abandonnée par tous les bons cathohques, & ce d'autant plus que quelque temps après , cet autre doéte & fameux apoftat, Théodore de Beze, fon amy, voullut parachever la Venus de cet Appelle fran- çois, puifqu'il adjoufta aux cinquante pfeaumes, que Marot avoit traduits, les cent autres qui ref-

28 Les Trois Mat^ot.

toient encore à traduire. En quoy, au jugement mefme d'Eftienne Pafquier , Théodore de Beze tout confommé qu'il eftoit dans les fciences &dans les lang-ues, reuffit beaucoup moins encore que Marot, d'autant que comme Marot ignoroit les langues eftrangeres, celuy cy n'avoit nullement eftudié les grâces de fa langue maternelle, fpecia- lement dans noftre poëfie vulgaire , qui , toute vulgaire qu'elle eft, n'employé pas indifféremment toute forte de mots & de phrafes, ce qui monflre clairement la grande difficulté qu'il y a de tra- duire des ouvrages en vers.

Apres avoir donc fejourné quelque temps à Genève, & humé l.'air peftilent & empoifonné du lac de Léman & de la relligion reformée, dans le dépit qu'il eut de fe voir fi mal à la cour qu'il aimoit après tout, beaucoup plus que toutes les conférences des miniflres, il fe retira en Piedmont & dans la ville de Thurin, il tafcha par la réputation que fon mérite s'eftoit acquife partout, de fubfifter & de vivre avec le plus de repos & de tranquillité qu'il luy fut poffible, ce qui ne fut pas fans fe plaindre encore ainfy de l'injuftice de fa patrie :

•T abandonna/ fans avoir commis crime L'ingrate Finance, ingrate, ingratijfime A fon poëte; &, en la delaiffant. Fort grand regret mon cœur ne vint bleffant; Tu ments, Marot, grand regret tu fentis Quand tu penfas à tes enffans petits.

Clément Marot. 29

Par OLi il paroift aflez qu'il eftoit marié, & qu'il avoit un defplaifîr extrefme d'eftre contraint, par la perfecution de fes ennemis, d'abandonner ainfy fa femme & fes enfFans. Ainfy cet excellent homme, qui avoit parmy les fîens û juftement mérité le titre de poëte, ne le fut que trop à fon dommage , puifque la fortune qui , par une haine fecrette & particulière , traverfe ordinairement le repos de ces hommes divins, le prit enfin pour but de fes traits & luy fit fentir les cruelles pointes de fa rage. Auffy fut ce dans ce funefte efloignement de fa famille, de fes amis & de la cour de fon prince que, dans le comble de Fennuy & de la mélancolie il eftoit, la mort le vint furprendre & luy donner le fatal coup de la mort. Tannée mefme que l'armée du Roy foubs la conduitte du duc d'Anguyen remporta fur les Impériaux la mémorable victoire de Serifolas, qui fut Tan 1 544, & le foixantiefme de fon aage. Il laiffa un fils nommé Michel Marot, duquel j'ay faiét auffy la vie dans cefte hiftoire des poètes.

Quiconque fera curieux de voir fon vray por- trait le peut confulter parmy Les Hommes Illiijîres de Théodore de Beze, dans le Prompttiat't^e des médailles des perfonnes renommées, & VHiJloire chronologique des grands hommes imprimée à Pa ris, l'an 1617.

Il avoit la tefte groffe & ronde, le front large & eflevé, les cheveux longs, le nez gros & eflevé, les yeux à fleur de tefte, la barbe & les mouftaches longues, & le col affez court. Quant à fa taille

Les Trois Marot. Tapprends qu'elle eftoit affe. med.ocre, & fa devife

ancienne eftoit, /<> mo»-' «y """•'^- ^ , .

Je m'abftiendrois volontiers icy de parler de fes ouvrages, d'autanc qu'ils font cognus a tous ceux qui fet^aiettent les livres, neantmo.ns pu.f- Vft ,me lov que je me fuis impolée icy, Tque d'^meuS^j'y feky en payant quelques tetuës obfervations qui ne font pas fi con.n.unes, fe ne refuferay pas à mon leaeur cur.eux ce pet.

"'lÏs œuvres furent fi favorablement accueillies de tous à mefure qu'U les compofoit, que )ama livre ne fut ny tant .mpr.mé, ny tant -"^ujl-j^ fien- ie n'en excepteray pas un feul de tous ceux ' , ,„rp/luv & aui remplirent l'Europe

nui vmrent après luy ex h"' ^ . _

du bruit de leur nom. Car, encore que cet autheur ne U pasremply de la cognoiffance des bonne lettres fi eft ce que je croy qu'.l n'en efto.t pas f dénué qu'il ne'les mift affe^ heureufement en pratique Auffy ma créance eft, qu'ayant con- Cméfajetmeffe en la leéW des bvres fran- CoTs à mefure qu'il vefquit il appnt la langue latin'e, & mefme quelque chofe de la grecque, car. pour ce qui eft de l'italienne, le fe,our affe long qu'il fit en Italie, luy en put donner affe. de cognoiffance, &, pour juftifier ce que je dis, com- ment eft ce qu'il auroit pu traduire en vers fran- cois XHifioirc de Uandre & de Hero. compofee ;ar Mufée en beaux vers grecs; le Jugement de Minos par ce fameux orateur grec , Lucien ; la première Eglogue des Bucoliques de Virgile; les

Clément Marot. ->!

deux premiers livres de la Metamoiyhofe d'Ovide & plufieurs Epigrammes de Martial, les Trijîes vers de Philippe Beroalde, fur la mort & pafîion de Noftre Seigneur, quelques vers latins de Sal- mon Macrin, les Vifions de Pétrarque & quelques uns de Tes plus beaux fonnets, s'il n'avoit eu cognoiflance de ces trois langues étrangères, car, de dire qu'il ait faiél tout cela par le fecours d'au- truy, il eft ridicule de croire qu'il ait toujours eu à fa fuitte & à Tes gages quelque truchement, & quelque interprète. Ne dit-il pas luy mefme, dans la préface de Tes Metamorphofes, "qu'il ne vouUut pas tant le fier en fes inventions propres que les laifTant repofer il ne jettaft l'œil fur les livres latins, dont la gravité des fentences & le plaifîr de la leélure avoient mené fa main & amufé fa mufe. Et puis dans les poëiîes que nous avons de fon invention n'y en a-t-il pas un aifez bon nombre qui, par leurs traits poétiques & par leurs belles expreffions moulées fur l'antiquité, nous peuvent perfuader qu'il avoit faiél quelque amitié avecque les anciens poètes grecs & latins? Quoy qu'il en foit, tout ce qu'il efcrivit, foit invention, foit tradudion, il le fit, comme did Pafquier, avec un très heureux genius, c'eft à dire, avec une veine grandement fluide & naturelle, avec un vers non affeélé & avec un fens toujours très raifon- nable. Ce qui le fit eftimer partout, & ce qui luy perfuada mefme qu'il acqueroit par l'immorta- lité au mefpris de fes envieux & des ignorans de fon fiecle. Du moins eft ce ainfy qu'il a parlé dans

î2 Les Trois Marot.

quelques vers qu'il addrefle au leéteur, au frontif- pice de Ton livre.

OJîer je peux, approche-tqy mon livre. Un tas d'efcrits qui par d' autres font faits , Or va, c'eft faiâ, cours léger & délivre Et defchargê d'u7i lourd & pe faut faix. Sans eux, mon livre, en mes vers pourras prendt^e Vie après moy, pour jamais, ou longtemps. Mes œuvres donc content te doibvent rendre. Peuples & roys s'en tiennent bien contens.

Auffi peut-on dire qu'encore que le fîecle fui- vant euft produiél dans la poëfie des héros dont peut eftre il ne valloit pas l'ombre, puifque Ron- fard, du Bellay, du Bartas & Defportes montèrent après luy fur noftre ParnafTe, eft ce que de noftre temps mefme fa Mufe a faiét tant de bruit , qu'à caufe de luy on a renouvelle l'antique ufage des rondeaux & des epiftres en vers naïfs & burlef- ques, & ceux qui les ont renouveliez n'ont efté louez, ny eftimez parmy nous qu'autant qu'ils approchoient de la naïfveté & du mérite de ceux de Marot. Ainfy l'illuftre rhéteur Quintilien n'efti- moit les hommes eloquens qu'autant que leur ftyle imitoit celluy de Ciceron. Je fçay que, comme il eft malaifé d'exceller parfaitement en quelque art que ce foit, il eut des ennemis & des adverfaires dans Ton art mefme, tefmoin un petit Sagon & un Charles de la Huetterie qui fe voullurent mefler d'efcrire contre luy, mais il abbaiffa bien leur

Clément Marot. ^-^

orgueil par les rymes piquantes qu'il luy lança, que Sagon fut longtemps le jouet de la cour' comme Marot en fut toute la gloire. L'epiftre qu'il compofaluymefme foubs le nom de Phrippelippes, fon valet, contre le plat & orgueilleux Sagon ' m'en peut démentir. Certes, fi j'en fuis cru, jamais le poëte Archiloque ne fit des iambes plus per- çans contre Lycambe qu'il obligea de fe tuer, & ne luy fit jamais un plus fameux licol. Et, comme il eftoit auffy chery fort tendrement des habiles de fon fiecle, il fut puifTament fécondé par plufieurs de fes amis , & fpecialement de Charles de Fontaine, qui prirent à tafche de confondre ces petits & nouveaux adverfaires, comme j'ay did ailleurs. Je fçay bien que le grand Ronfard confi- derant la fehcité de fon fiecle, auprès de celle de Marot, ne put un jour s'empefcher de ravaller le mérite de Marot, lorfque, dans fon ode fur la vic- toire du comte d'Anguyen, à Serifoles, il parle ainfy à ce jeune prince vidorieux, qui eftoit alors heutenant gênerai pour Sa Majefté, en Piedmont :

L'hymne qu'après tes combats Marot fit de ta viâoire. Prince heureux n'efgala pas Les mej^ites de ta gloire ; Je confejje bien qu'à l'heure Sa plume ejîoit la meilleure Pour efbaucher fimplement Les premiers traits feullement. Mais mor d'un meilleur aage,

3

34

Les Trois Marot.

Aux lettres induftrieux. Je veux parfaire V ouvrage D'un art plus laborieux.

au V^^^ll^'^lZ\2 ode de Ronfard rur le

r '•"' '& W'il fouhaitte que le le^eur & en parai ele, & û'C q ^^ ^^^^ p^^^

fe donne la pauenc de les ^^^^^^ ^^^^ ^^

juger puis après des coups ^^^^^. ^^^

't t S:S1 eTce^uC lin. l'un, U n'aura "r la de mefprifer l'autre, tefmoignage qu. pas fubjea '"'"'"P „x pour Marot, que

eft d'autant P^^ f :^;;;jrnon feuUement pour Pafquier a «'=°g"" fl^^^^^e, mais peut eftre le prenuer P^^ " ^Us ceux qm font à X^'alltSeRonrard parle .honorable-

comme )e diray tantoft, ?" J^/i' A,„fy paroiftre la haute eftime l"'' f^f^'^'^'g^Enn.us,

^::£i -r--a:;°::rrS

agréable, qu'au rapport d un certa .^

fimie utdiulaboraveritœtasfecuta,utmagi

Clément Marot. ^^

d'un efprit afTez grand & d'un naturel merveilleux, mais c'eft que la poëfie françoife ne commençoit quafi que deifous luy, & qu'elle ne pouvoit à Ton commencement eftre parfaire comme elle a efté foubs Ronfard, nidla res confummata eji diim incipit, diél Seneque , & les commencemens des chofes font tousjours bien efloignés de leur perfeélion, & cela eft vray, que, du temps de Marot mefme, la plufpart de ceux qui efcrivoient ignoroient la cefure de l'E féminin, ou la couppe féminine comme on l'appella des lors, règle très neceflaire à noftre poëfie françoife, que Marot n'obferva jamais à la première édition de fes œuvres, & qu'il apprit de Jean le Maire des Belges, comme on le voit dans l'epiftre de l'Adolefcence Clémentine du mefme Marot, dattée de Paris, le 12" jour d'aouft 1532. AufTy l'obferva-t-il inviolablement depuis, tefmoin ce vers de la première Eglogue de Virgile :

O Melibe'e, amy cher & parfaiâ.

Car en la première édition il y avoit ainfy :

O Melibée, mon bon amy parfaiâ.

Et ainfy des autres 5 car quant à l'alternative & à l'entrelas de la ryme mafculine & féminine, fi cognus & fi bien pratiquez depuis par les poètes épiques & lyriques , comme cela n'eftoit pas encore de la cognoiflance, ou du moins du goût de fon fiecle , il ne les faut pas chercher dans les

^ Les Trois Marot.

^ "'! trcuÏs ffeLs, & le no.ma de fon

'" r.tlefcënce Clémentine, ou les premières

„om ^'^^f^^2Z Marot de Cahors en Quercy,

oeuvres de Clément ra favorablement

livre qui , comme , ay ^f'^^' p^^„,, „e le

receu, que )-- P^\^"„t J ';,à caufe des

f„t ^««ivanta^tiblf ouL: inesV'l contient,

Tr" Tn^diaSs commencèrent à déclamer

plufieurs pred,cateu ^^^^^.^ ^„ p^yic, qu.

contre luy. Ma ^teue ^^

^^nfpr & car oubliance, dans la cnanc reÎe7lL,ce.em^neA-^^^^^^^^

tr a:; :drndtle1e/u.;:rs,raffea.n ÏÏ avo'i pour cet ouvrage, part.culanté que ce TeÎme Puyherbaut exagère puiffamment en fu.te Te quoy les chreftiens de ne fe plus amufer a cefte

IL^":-"^ -rme qu^co comme un efpnt abandonné au l.bertmage & au

Clément Marot. -ij

lutheranifme. En effet, comme c'eftoit la créance commune, il tafcha de s'en juftifier encore par une epiftre à Bouchard , doéleur en théologie, auquel I il parle ainfy :

Donne refponfe à mon prefent affaire,

Doâe doâeur, qui t'a induit à faire

Emprifonner depuis Jîx jours en ça

Un tien amj, qui onc ne t'offenfa.

Et voulloir mettre en luj crainte & terreur

D'aigre jujiice, en difant que l'erreur

Tient de Luther, point ne fuis lutherijle.

Ni ivinglien, encore moins papifle.

Je ne fus onc, ne fuis, nj ne feray

Sinon chrejlien, & mes jours pafferaj.

S'il plaiji à Dieu, foubs fon fis Jefus-Chrift;

Je fuis celluj qui aj faiS maint efcrit.

Dont un feul vers on n'en fçauroit extraire

Qui à la loj diviite fut contraire, &c.

Auffy y a-t-il bien de l'apparence que ce fut plus toft une haine particulière d'une certaine dame, légère en amour & vindicative, contre laquelle Marot avoit compofé ce rondeau :

Comme inconfante & de cœur fauffe & lafche Elle me laiffe, &c...

que rintereft de la relligion, qui lui caufa cefte difgrace; car, comme il appelle ce mefme ron-

Les Trois Marot. r s^ c «rife la gentille ballade qu'il deau la caufe de fa P"^«' '^5„our refrain : fo en prifon & qu. a toujours pour

=ftp «lame, pour fe vanger faUWenparoiftre que cafte da«e,^^ ^^^^^^^

de luy, avo:t folU .te ardam ^^^^^ ^^^^ ,^

doaeur d'employer ^^^^^^H ^^ lutheranifme, faire emprifonner foubs p e ext ^^^^ ^^^

„ais le roy François prem e^ q^ ^^^^ ^^ ^,^^_ nez, & qui l^^ï^"'^ '""^'f,' Tndifcret &intereffé, pocnfie, ayant ^^^^^^^f^^L toft Marot en & tout ce petit P«^ -^g^' ^^ ^^ i, ,o„deau par- liberté, comme on le peut voi v faia qu'il en compofa :

Sir:;:— ir^^-^- ^-T^da^rre^-dS^e^Xe

!TTf" re te d quelques lafches dévots, ou Ï, oTrrteS:re.e. lly peufa faire perdre a v

-rïi^:T«tT:SertdTparis,qul

pnfon. Mais a ,u V^ ^^^^^ ^^^.^ ^^^^^^^

rfes pÏfombres replis des âmes noires dans les p us l'innocence de

rcurMalumtédesaccufateurs-ouvritles laccuic rniiffrant & perfecute, &, pai^

Clément Marot. îû

moigna bien qu'il eft très difficile d'impofer a fes fens & d'obfcurcir fes divines lumières.

Mais quiconque voudra voir les œuvres de Marot en un feul & jufte volume peut chercher Fedition qui en fut faide à Lyon Tan 1597, aufly bien que les autres qui furent failles fur celle-là mefme à Rouen & en plufieurs autres villes du royaume. Elles contiennent ce qu'il appelle Opufcules, qui font de divers poëmes, des Elégies, des Epiflres, des Ballades, des Chants divers, des Rondeaux , des Chanfons , des Epigrammes , des Eftrennes, des Epitaphes ou le Cimetière, des Complaintes & les verfions dont j'ay parlé.

Entre fes opufcules, qui font un petit recueil de diverfes poëmes , pour ne rien dire de fon Temple de Ciipido qui eit un excellent & véritable origi- nal poétique, fon poëme de l'EnfFer eft fort gentil & fort confîderable, en ce qu'il contient une forte & jufte inveélive contre les mauvais juges, & eft comme une efpece d'apologie pour repouffer la calomnie de ceux qui l'appelloient luthérien, ou fuppoft de Luther; c'eft qu'il did de bonne grâce pour refponfe à Rhadamante :

Car tu es rnide, & mon nom eji Clément,

Et pour moîijtrer qu'à grand tort on m'attrijîe

Clément n'ejl point le nom de lutherijîe

Ains ejl le nom, à bien l'interpréter.

Du plus contraire emtemjy de Luther,

C'ejl le fainâ nom du pape qui accole

Les chiens d'Enfer, s'il luj plaijt, d'une ejlole.

40

Les Trois Marot.

Le crains-tu point? c'ejl celluf qui a^rme. Qui ouvre Enfer, quand il veult, & le ferme. Cellujr qui peut en feu chaud martyrer Cent mille efprits, ou les en retirer.

Par a de%ne fans doubte le V-V^Cleme^^^^^ au'il recognoiffoit comme le chef vifible de 1 Eglife univerfelle, & par confequent on peut croire qu il n'eftoit paslutherifte, ny de la créance des autres fedateurs de Luther.

En fuitte il dia qu'il natquit

A Cahors en Quercf, Que je laijfaypour venir querre icf ^ Mille malheurs, auxquels ma dejîinée M'avoit fou/mis, car une matinée. N'ayant dix ans, en France fus mené. depuis me fuis tant pour mené Que f oublia/ ma langue maternelle Et grojfement apprins la paternelle. Langue françoife es grands cours eftimée. Laquelle enfin quelque peu s'eft limée. Suivant le roy François, premier du nom. Dont lefçavoir excelle le renom. Ceft lefeul bien que fay acquis en France Depuis vingt ans en labeur & fouffrance.

Et puifqu'il fut, comme j'ay did, vallet de chambre de la fœur du roy François avec quel- ques autres particularitez de fa vie que j'ay ci- devant touchées, enfin il fe refolut de fouffnr fes miferes, puifque le Roy luy mefme, fon bon mail-

Clément Marot. a\

tre, n'en eftoit pas alors exempt, eftant auffy bien que luy prifonnier en Efpagne, & aiifTy bien que luy malmené de la mauvaife fortune. En quoy il paroifl que, comme les grands poètes ont quelques forts attachements à la vertu des grands princes, ils ont encore beaucoup de fympathie avec leur bonne ou leur mauvaife fortune.

Ses Elégies font efcrites d'un ftyle fi naïf que fon temps n'a rien produit de mieux.

Quant à fes Epiftres, on peut dire, fans le flatter, qu'elles font aù-deffus du mérite de fon fiecle, & mefme qu'elles doivent vivre jufque au dernier de tous les fiecles, furtout celle qu'il addreffe au roy François premier, après avoir efté defrobé par fon vallet, & l'autre il fupplie Sa Majefté de le délivrer de prifon; car il me femble qu'il fe rencontre autant de naturel, voire mefme autant d'efprit, que l'on en puifle rencon- trer dans pas une auftre pièce de cefte nature, & entre tant de bonnes chofes ce trait me femble excellent & pathétique :

Au mi f érable corps. Dont je vous parle, il n'efl demeuré fors Le pauvre efprit qui lamente & f ouf pire. Et en pleurant tafche de vous faire rire.

Son autre Epiftre au mefme prince , pour luy recommander Papillon, poëte franc ois, qui eftoit malade, a, ce me femble, aufly des agremens tout particuliers & tefmoigne bien par qu'il n'eftoit

Les Trois Marot. pas moins excellent amy qu'excellent poète. Belle Lcon certes pour quelques poètes env.eux de noftre temps, qui, bien loin de féconder de le;^ "vorable fufege la fortune de le- «iodes anu, tafchent toujours de la deftruire par le"- lafches medifances & parleurs impertmentes cenfures. meauai.c y youUo s exammer

Je n'aurois jamais taiCt, n )>- vuu icy ponctuellement tous les ouvrages de ce be ef^It; il fuffit d'adjoufter que fes EpiS-~ " nrefqùe toutes le fel & la pomte de celles de 'mLL.S. qu'elles ont auffypaffé de jn temps

pour des chefs-d'œuvre qui Pe^-ve" bien eftre encore l'agréable divert.ffement d" ""ft"^^ ' f f^ parmy fes Complaintes, celle P-r le gêner IPru- dhome & celle pour Flonmond Robertet, & E^o gue pour la reyne mère, Loyfe de Savoie, fon efcriL d'un fi bel air & d'un ftyle fi Poénq- & fi pailoral que les Tombeaux de Jean Second & les Ces funèbres de l'antique Mofchus & de Bion Jfme n'ont rien de plus fort , ny de plus agréable ; le doae leaeur en peut juger auffy bien que moy. Mais comme au rapport d'Eftienne Pafqu.e (Recherches de la France, 1. vu, c. , ) , ce fut Clément Marot qui reforma le Romant de la Rofe & qui e fit parler le langage de fon temps aifin d.nviter les efprits délicats à la ledure de cefte vieille & fameufe antiquaille, fi nous en croyons encore quelques autheurs, il traduifit en vers franço.s le colloque d'Erafme de rAbbé& de la Femme favante avec ceUuy de la Vierge |.«<;y=<P5, ou qm hait le ma- riage, & compofa le Sermon du bon & du mauvais

Clément Marot. 43

pajleur, la Complainte du pajioureau chrejîien, faiâe en forme d'Eglogue rujiiqiie foiibs la perfonne de Pan, dieu des bergers, trouvée après la mort de Tautheur en la ville de Chambery, & imprimée à Rouen Tan i S49 ; ^^ Balladin & le Riche en pauvreté, joyeux en affliâion & content en fouffrance, impri- mez à Thurin, pièces qui ne fe rencontrent point dans le corps de fes livres.

Apres tant de beaux & de divers ouvrages, il ne faut pas s'eftonner û les plus habiles hommes de Ton fiecle, & mefme du fiecle fuivant , ont û hautement exalté fon mérite, & û nous voyons leurs efcrits briller de la fplendeur de fon nom ; la plus part de fes amis, &, entre les autres, Charles Fontaine , faifant allufion fur le nom de Marot, l'appeloient le Maro, ou le Virgile de fon fiecle; mais quant à luy il croyoit bien, à la vérité, en avoir le nom, mais non pas le mérite, tefmoin ce qu'il did là-deffus fi naïfvement, & fi juftement auify, dans fon EnfFer :

Quand au furnom, aufff vraj qu'Evangile, Il tire à cil du po'éte Virgile, Jadis cherj de Mecenas à Rome, Maro s'appelle & Marot je me nomme; Marot je fuis, & Maro ne fuis pas. Il n'en fut onc depuis le Jien tj^efpas ; Mais puif qu'avons un vray Mecenas ores, Quelque Maro nous pouvons voir encordes.

Charles de Sainde-Marthe, dans fon Tempe

44 Les Trois Marot.

de France luy rend ce tefmoig-nage d'eftime & le met au premier rang^ de nos autheurs François :

Calliope, la mufe refonnante, A par fa voix une voix conformante, Cefi fon Marot, le poëte fçavatit. Lequel premier met la plume en avant. Plume de mots & fentence fertile. Plume à trouver & à coucher fubtile.

Il luy addrefTa encore plufieurs autres vers comme l'epigramme fur fon vallet qui Favoit defrobé. Elle commence ainfy :

Ton ferviteur le mien avoit appris.

Ou tous deux ont efié à mefme ef choie;

jy ay efié, comme toj, fi bien pris

Qu'il ne m'eft pas demeuré une obole;

Le tien efioit de f ai 8 & de parolle

Un vrai gafcon; fi le mien ne Vétoit,

A tout le moins bonne mine en portoit, &c.

Celle qu'il fît pour refponfe à quelqu'un qui l'exhortoit de mettre fes vers en lumière :

Chafcun Marot efcrivant ne peut efire Pour attirer le leâteur par douxfijle, ôc.

Celle qu'il luy addreffe comme à fon père d'al- liance & comme à fon maiftre en poëfie :

Que dira-t-on de me voir fi hardj

De compofer après toy cher Clément? &c.

Clément Marot.

, Celle ,1 le prie, comme allant fon bon amv

de^>.c_nder Tes oeuvres à la duchelTe ^

Tu vors. Marot. quel moyen j'ay trouvé Donnant mon livre à la perle de Franee. &c.

Celle du faux bruit de fa

mort

Il fut un bruit que Marot efioit mort Et ee bruit faux un menteur affeura. &c.

Et finalement dans fon epiftre en profe au recretau-e d'Avanfon, ,1 le met en tefte desteau" efpnts de fon temps qu',1 eftimoit le plus Euftol de Beauheu, dans fes divers rapports^ luy addrel

appeUe très éloquent poëte, & eftime fa ville de

dans" ÎoTfe rr'/^ ''^™'^ l"^''- -"P^ '«^

content V.'"' f" ^'"''''"''' "°" ^^"'l^-ent conten de 1 avo.r, dans fon art poétique francois

futurs, le loue encore hautement dans fon Ouintil les diverfes rymes de fon invention, & dans la SldÏT 'V "''''-' ^'Ovide/tefmoince

^^■«/r ^/^/^ Mu/eus rAnden, Poëte grec, qui pour le coimnm bien

^ Les Trois Marot.

Qu'on peut cueiWr de fa fagedoarine, ,

Parle francois par la langue dmne farte ji , X Mnrnt en France,

nu ^rand Uaro, nomme Marot

^ 1 nu non la Romaine arrogance. Le veuille, ou non Marot non moindre en fa françotj

, r^ infiQ-ue romaine.

Qu'ejioit Maro en fa langue

•. H.bert d'iffoudun, dans fes rondeaux, po'ëtesfrançoispl commence amfy.

Comme à Plate je crois ,u'en ton enfance, Zs le berceau, en fgned'eWence Mouches à nnel te ren,pliffoient la touche, &c.

D.„s Tes v.fions ^^^f^'^ZnlnTZ':. Lieffe, il faia une longue d.greffion en En voicy quelques vieilles rymes :

Our ce Marot, que tu me verras lire, pZs dou. eft-il que d'0,yHeus la lyre. Car R Virgile efl poète plus grave Entre Latins, aufrreft le plus trave

Entre François ce Marot ^"^J'f'' Chafcun le peut cognoiflre par fes d,as.

Et ne crof point que par fuavite

Il n'ait de nom jufte confimté

Au grand Maro, & qu'il en fo.t proptce

De militer & vivre fous la hce

De vos efprits; donc après la leBure

De mots dorés d' élégante faSure,

Clément Marot. An

Prins & choifis au livre marotic Tenant de l'art & engin poëtic, Ny a celluy d'entre eux qui ne s'hardie D'aimer Marot & puis ne l'ejiudie, &c.

Dans Tes epigrammes qui font à la fin de Ton Temple de la Chafteté, il faia fouvent fort hon- norable commémoration de luy, tefmoin celle qui commence :

Qiii tient propos de Cahors en Qiiercy, Du bon Marot la terre naturelle, Cognoijl ajfei ce paj-s efclaircy D'avoir produit une femence telle, &c.

Parmy fon recueil d'epitaphes, j'y en ay ren- contré une de fa façon qui porte pour titre : Epitaphe de feu Clément Marot, prince des poètes de fon temps, & qui eft conceue en ces termes deferans au poffible :

Lorfque la mort par envie & outrance Fit à Thurin choir Marot à l'envers. Vous eujjîei ^<^" les poètes de France Plorer leur père en deuil & plaints divers. difoient-ils, fera mangé des vers Le bon poëte, amoureux de P allas. Puis tout Soudain ils entroient en foulas, Difants, le corps fubjet à pouriture Thurin i^eçoit, mais les hauts deux, helas! Ont eu l'efprit, France fon efcriture.

48 Les Trois Mavot.

Finalement, dans fon epiilre latine, qui eft inférée à la fin de Tes commentaires des divins oracles de Zoroaftre, ancien philofophe grec, fai- fant une doéle enumeration des fçavans hommes & des beaux efprits de fon fiecle, il parle ainfy honorablement du poëte Clément Marot : Perpe- tuum fpleiidoris fui fpecimen pojieris reliquit Cle- înens Marotus. C'eft-à-dire que Clément Marot a laifTé par fes fameux efcrits un éternel échantil- lon de fa fplendeur & de fa gloire à la pofterité.

Jean le Mafle, Angevin , dans fes annotations fur le Bréviaire des nobles , parlant des epi- grammes de Clément Marot, diél que nos poètes, devenant à fon exemple plus délicats & plus friands , commencent à quitter les triolets & les virelais pour accouftrer l'epigramme en la forme qu'on la voyoit alors. Jean Doublet, Dieppois, dans fes diverfes élégies, introduit une vieille dariolette ou maquerelle, qui enfeigne à une belle & jeune iîlle l'art d'aimer pour le gain & à faire quelque honteux traffic de fon corps, & luy faiét dire qu'elle ne fe doibt point laiffer charmer aux beaux vers de fon fiecle, fuifent-ils ceux de Marot, ou de Ronfard mefme, qu'il appelle le Pindare gaulois ; où, en paffant, je diray qu'il femble que la Macette de Régnier ne foit qu'une copie de ce vieux original, fi ce n'eft qu'ils ayent tous deux emprunté la mefme chofe du Bernia, ou de quel- que autre poëte italien. Eftienne Forcadel, après fon chant des Seraines, luy confacre quelques vers qui me font échappez de la mémoire.

Clément Marot. Jacques Pelletier du Mans, dans fon Art poé- tique françcs parlant de la première introdulio„ des odes en France, m que les pfeaume d" Marot font de vrayes odes & qu'il „e leur en manque que le non,, comme aux autres la chofe Et plus bas, parlant de la fatyre francoife, il dia que de fon temps Clément Marot fot le premiet qu. en fit & qui l'appela coq à l'afne, dont il donne es ra.fons que l'on peut voir à loi/ir dans fon l.vre. Ma,s pour rendre l'honneur qu'il do.b aux poètes de fon temps, il d.a ces parolles d'u^ ex- ceUent homme, qui font fort confiderables, que nous n avons Jamais eu en France un poë e de P us heureux naturel, qu. n'a eu pas u'n au..e deffaut, finon qu'd n'a pas voullu grand chofe ayant peu tout ce qu'U a voullu, homme .nim!: table en certames fehcitez & finguherement en la

traduflion des pfeaumes , œuvres à vivr. , , m.o i'„ 0 1 ' "^"""^es a vivre autant

que I ouy & le non, tant pour la matière que pour la forme, & tant pour l'ame que pour le corps

François Burgot fait mention de noftre poëte en quelque endroit de fes ouvrages qu'il feroit peut eftre ennuyeux de citer.

A-^^^^v""^- ^^ ^^'^' "°" '^""«"^ ^""""e i'ay diét de lavoir mis parmy fes Illujlres. & d'avoir compofé des vers latins fur fa mort, ne defdaiVna pas encore de luy confacrer cefte epigramme en noftre langue

J'admire ton efprit en mille inventions

Qui ton nom graveront au temple de mémoire.

4

y^'

;-o Les Trois Marot.

Mais des pfeaumes faints tes riches ver/tons Te couronnent, Marot, d'une éternelle gloire.

Il eft bien jufte auffy que, comme il loue hau- tement la beauté de fon efprit, il condamne ail- leurs le libertinage de fa vie , en difant que ce poëte ayant paffé prefque toute fa vie à la fuitte de la cour Fhonnefteté & la pieté n'ont guère d'audiance, il ne fe foucia pas beaucoup de refor- , . mer fa vie peu chreftienne, ains fe gouvernoit à

Jlr,. fa manière accouftumée mefme en fa vieilleffe.

- C'eft le jugement de Beze ; mais après tout laiflbns

au grand & divin fcrutateur des cœurs, fi j'ofe efcorcher ce mot du latin des Efcritures Sainéles, à juger des aétions des hommes puifqu'il en juge nettement & fans paiîîon. Quoy que Joachin du Bellay en plufieurs endroits de fon traiélé de V Illujiration de la langue françoife femble ne pas eftimer beaucoup les œuvres de Marot, lorfqu'il fe rid de ceux qui s'attachent fort à Fimiter (1. 5, c, 8.) qu'il femble mefme le blafmer, o chofe eftrange, pour avoir, did-il, trop fuperftitieufe- ment entremeflé dans tous fes pfeaumes les vers mafcuhns avec les féminins, & qu'il appelle le demeflé, qu'eut ce poëte avec un de fes plus fameux adverfaires, la farce de Marot & de Sagon. Si eft ce qu'il ne put s'empefcher de rendre le tefmoignage à la vérité lorfqu'il compofa une epitaphe en fa louange , dont je ne rapporteray que les premiers vers, puifqu'on la peut voir en- tière dans fes œuvres qui font fort publiques.

Clément Marot.

Si de cellur le tombeau veut fçavoir

f' d' Marc avait plus due l'e nom Il te convient tous les lieux aller voir Ou Franee a mis le but de fon renom. &c.

la manière de ViX""""" ^" ^^^^' ^^^P-- à

27'' '' '"'"■'■ '<" P'^^-nont. l'univers Mejit, me t.nt, m'enterra, me eognut

^l^-' """""'■'" ^ourt tout mol temps eut P.edmont mes os & l'univers mes vers.

quiefme cercle de fa C.W T'^"''"^' ''^"^ cm- à propos de It nT:£^r,T'''''''f''" ainry les louanges de Mafot ^''"^' ^'^""

^rot. l'un des premiers, d'un vers doux & facile ûe /. mufefejit auditeur fort docile ^

tA chanta l'Epigramme & l'Eglogue bien joint Ta^ après Martial ,ue Virgile plus coijt Punfonjlyle elima de façon plus heureufe

^2 Les Trois Marot.

En la tnetamorphofe héroïque & nomhreufe. Et aux chants de David qu'en vers il a rendus AJfei bien agence^ & non pas entendus.

Guillaume de Sallufte du Bartas, dans le fé- cond jour (Babylone) de fa grande Semaine, louant ceux qui ont le mieux cultivé noftre langue fran- çoife, rend cet éternel & véritable éloge à Clé- ment Marot :

Mais qui font les François? ce terme fans façon D'où la groffiere main du pareffeux maçon A levé feullement les plus dures écailles, C'ejl tof Clément Marot qui, furieux, travailles Artiflement fans art, & poingt d'un beau foucf Tranfporte Helicon d'Italie en Quercj, Marot que je venere ainff qu'un coiffée Noircf, brifé, mouffu, une médaille ufée Un ef corné tombeau; non tant pour leur beauté Que pour le faind refpeâ de leur antiquité, &c.

Jean Vulteïus de Rheims, qui publia, Tan 1^37, quatre livres d'Epigrammes latines, femble avoir pris à tafche de le louer prefque dans toutes les pages de fon livre. Je n'en rapporteray icy que cefte feuUe epigramme qui eft peut eftre une des plus fubtiles, car la plus part des autres me femblent fi fades, que celles que l'on appelle epigrammes à la grecque ne le fauroient eftre davantage. C'eft donc ainfy qu'il parle à Marot :

Clément Marot.

Grata bonis funt grata ,„a!is tua carmina; doais

Indoa,s tua funt carmina grata ftmul Hoc magnum pulchrum.ue puta, na,n maxima laus eft

Pojfe placere bonis, poffe placerc malis.

Mais puifque j'en fuis fur le latin, ce fameux autheur d'Ital.e, L,l.us Gyraldus, dans fo„ ^Z dialogue des poètes de fon temps, rend ce tefmoi- gnage en faveur de celuy dont .1 eft queftion. Ce-

l'-2f'P'-'"''''-'S'^Gallorum,plurimafuoicliomate ; *; f " ^^'•^%'""' confcripta edidit, inter auœ

f''"'^e'^'norphof,s0.idiana,&VirgiUiEglogaJu. d'cum M,nois. Encomium Beroaldi & aliapermulta tum profana, tum etiamfacra.- & puis que l'on difé que le nom de nos poètes vulgaires ne paffe pas' les Alpes avec honneur! De moy, j'ay de grandes \

obl,gat.ons à l'Italie qui eft devenue fi foulent ^

1 écho de mes vers, & qui fi foulent aufly les faiél parler fa langue, mais d'un air hien pL noblt & plus efclattant que je ne les fis jama.s parler la noftre. Vous le tefmoignerez à la pofterité grands Bagn,s, doaes Camoles, illuftres Allacis qui n'avez pas dédaigné d'eftre les fidelles interprètes de 2Vr . ? t ''' '^°™'"""i'î"er aux Nymphes de lArne & du Tybre; je debvois ce me femble cefte pente difgreffion à ces excellens hommes qu, m ont fa,a tant d'honneur; mais pour retour- ner d ou nous fommes partis, Jean Edouard du Monm, que j'appellerois volontiers le dode & ténébreux fanfaron de noftre Parnaffe dans fon

54 Les Trois Marot.

Temple de la Poëfie philofophique, après en avoir exclus quelques petits efprits de Ton fiecle qu^l appelle des ombres vagabondes & des fonnetteurs françois, dia qu'il vaudroit bien mieux y intro- duire Rabelais & Marot.

Pour entrer en crédit en nojtre fainâ palais logeroit plus tôt Marot & Rabelais.

Eftienne Tabourot rapporte par cy par plu- iieurs vers de Marot dans Tes agréables Bigar- rures; rautheur du Promptuaire des médailles, dans fa féconde partie, après avoir did que Tes vers fembleroientpeu de chofe en comparaifon de ceux d'aujourd'huy, fi eft ce qu'il ne defdaigne pas de nous donner fon portrait & de dire enfuitte qu'il s'eft acquis de grandes louanges des le temps que la poëfie françoife a commencé d'eftre en prix & en eftime. Mais celluy qui nous a donné en abrégé Phiftoire chronologique des grands hommes du dernier fiecle, paffe bien plus avant lorfque parlant de Marot, il n'en dia que ces deux mots qui font très remarquables, c'eft affavoir qu'il eftoit le poëte des princes & le prince des poètes de fon aage. François des Rues, dans fa defcrip- tion des villes de France, en parlant de Cahors en Quercy, n'oubhe pas de remarquer que c'eftoit la ville natale de Clément Marot, l'un des pre- miers poètes du dernier fiecle. Eftienne Pafquier ne fe peut lafTer de le citer & de le louer en mille endroits de fes dodes Recherches de la France

Clément Marot. & Spécialement dans Ton fepriefme livr. r> '

Roche on 'tous 1^°""'^ & Marefcha. de la

pneur de Sa,ne-Rom„aId, feuillant, d L e troi ' fieme volume de Ton Threfor chr'onolojique t

eT ~f/,:,?°r- ■""'^-^ de roni:^:: ï

en vray qu il fe meconte lorfau'il HiA « l.eu que Marot avo.t traduit en vers f 1 1 " despreaumes deDavM^puir^u'effealtr Z

deflus & comme le d.fent en termes exprès Théo dore de Beze & Eftienne Pafquier. Mail le ne" rero.t ,ama s faia, /i ;'al,e,uoisMcy cous eux I ont honorablement parlé de luy. Qu'il ll.ffil

r; 't""" 'ï"^ ^^ '"^ ^y -«^ toutÎ etate' &^ns lever la plume, ceux-là feulement "rj ront prefentez à ma mémoire. 11 eft bien vray Le

TfÎltts "^ '"''''' ''""-'"- -^^ -

■fepri/e de Marot le chef-d'œuvre chanté hn la mufe françoife ore plus accomplie,

Auffy bien que celluy qui pour louer le grand uunt voicy le premier vers :

Lefollajtre Marot mefaid tout fondre en ris.

5^ Les Trois Ma rot.

Mais poiivois-je paffer icy foubs filence la Frefnaye Vauquelin qui dans Ton Art poétique François parle ainfy de noftre fameux Marot en parlant du progrès de la fatyre.

Depuis, les coq à Vafne à ces vers fuccederent. Qui les rimeursfrançois trop longtemps pojfederent. Dont Marot eut l'honneur, &c.

Et en un autre endroit il loue hautement Ton petit recueil d'Eftrennes. Vofîîus parle encore de luy en termes fort honnorables, & voilà tout ce que jufqu'à prefent j'ay trouvé de ceft excellent homme du fiecle de François premier dans mes longues ^ pénibles leélures.

MICHEL MAROT

ONT RE la maxime d'Horace, il n'ar- rive que trop fouvent que les forts n'engendrent pas des forts, que les aigles ne produifent que des colombes, & mefme, félon le commun proverbe Filii Heroum noxa, que les héros ne mettent au monde que des lafches & des pagnotes. Cela fe peut voir claire- ment en la perfonne de celluy cy; car encore qu'il fut €]s de Clément Marot, prince des poètes de fon temps, fi eft ce que bien loin de fucceder à la principauté de fon père, il laifla paffer fon fceptre en d'autres mains & ne fe fentit aucunement du lieu de fa naiffance. Ce qui me faiél croire que ce iîls proffita fort peu des inllrudions de fon père, ou plus toft que fon père luy faillit auparavant

^8 Les Trois Mat^ot.

qu'il fuft en aage de les recevoir. Quoy qu'il en foit, il le vouUut imiter en faifant quelquefois les rymes ; mais comme fon père en avoit fai6l pour fa gloire , celluy cy n'en fit qu'à fa honte , puif- qu'elles font déplorables au dernier point. Certes en matière d'èftude & de réputation que l'on y acquiert, je ferois volontiers de l'advis de ce grand & célèbre jurifconfulte Jacques Cujas. Il n'avoit qu'un fils, & jugeant bien qu'il eftoit naturellement ennemy du travail, & par confequent qu'il ne pourroit jamais tenir un rang notable parmy les grands jurifconfultes de fon fiecle, ny marcher dignement fur les traces paternelles , il le divertit de cefte eftude fevere, & le laiflant fuivre fes incli- nations, il luy donna de quoy fubfiller dans le jeu & dans les agréables compagnies des courtifans & des dames. En effet on ne doibt pas eftre blafmé pour n'eftre pas fçavant, mais on le doibt eftre pour fe piquer d'un art l'on eft incapable de reuflîr. Tous les enffans des poètes ne font pas obligez d'eftre poètes de mefime ; mais ils font obli- gez de ne rien produire qui foit indigne de la réputation du nom qu'ils portent. Ce Marot donc fit des vers, mais fi lafches & fi fades, qu'il eut beaucoup mieux faiél de lire ceux de fon père que de nous donner les fiens. Quiconque fera curieux d'en voir n'a qu'à confulter le livre qu'Antoine Couillard efcrivit contre les prophéties de Noftra- damus & qui fut imprimé à Paris l'an 1560, puifque l'on trouve de fes odes & de fes epi- grammes qui certes n'ont rien du fleury d'Ho-

Michel Marot.

race, ny de Taigu de Martial; tefmoin ce com- mencement d'une ode qu'il addreffa à la reyne de Navarre, princeffe qui Faimoit fans doubte en la coniîderation de Ton père :

Ma princejje.

Ma maijlrejfe. Je fuis le fils de Clément,

Qui fans rufe

Par fa miife Salue la Reyne humblement.

Je n'ay grâce.

Ni l'audace Telle que mon père avoit,

Ny la veine

Souveraine Dont fi bien chanter fouloit ;

Qui me garde

Et retarde De m' offrir devant tes yeux

La peur forte

Que je porte Efl que ne puis faire mieux.

Et le refte qui ne juftifie que trop la vérité de ce dernier vers. Voicy encore une de fes fades epigrammes au feigneur du Pavillon , Antoine Couillard, Ton amy intime & fon frère d'alliance , qui pour recompenfe luy en addreffa plufieurs autres.

6o Les Trois Marot.

Efprit divin de bonne y^ace jjfu.

font ajjîs des deejfes les dons,

Excufe un peu inon efcrit mal tijfii

Que prefenter à tes clairs j^eux ofons.

Socrate peut qu'un chafcun cognoijfons,

Ainfj, pour vray n'ejlant feur de moy mefme,

N'ofois chanter à ta lyre fuprefme.

Mais puif que fay ta volonté cognue

Ne craindras plus de t'en donner de mefme

Puifqu'envers toy ma mufe ejî devenue.

Comme toutes les autres ne font pas de meil- leure trempe, je m'abftiendray d'en rapporter icy davantage.

Je croy qu'il mourut afTez jeune, & que ce fut environ l'an 1 560. Et je fonde ma créance prefque indubitable fur ce que je rencontre fort peu de fes vers, & que je ne trouve point, ou peu d'autheurs de fon temps qui ayent parlé de luy. Sa devife qui efloit trifîe & penfif, me perfuade encore que, n'ayant rien du mérite de fon père, il ne fe fentit que de fa mauvaife fortune , & que l'accompa- gnant dans fon départ précipité de la cour de France, il avoit ruiné fa famille & laiffé tout à l'abandon , car je trouve dans une de fes epi- grammes qu'il iit un voyage pénible en Italie, c'eft ainfy qu'il en parle :

A. mon retour du pays de Ferrare, Par Chambery mon chemin s' addrejfant , J'ai trouvé certe une chofe bien rare

Michel Marot. 6i

Ail cabinet de mon père Clément,

Car revolvaiit fes efcrits pour les lire...

Et le refle , il dit ruftiquement qu'entre les manufcrits de Ton père il trouva une lettre en ryme qu'il addreffoit à ce feigneur du Pavillon, Antoine Couillard ; mais je me fuis aflez expliqué fur cet article dans la vie de celluy là, difant que j'avois peine à croire que celte epiftre fut .du %le de Clément Marot, car il y a toutes les apparences du monde que c'ell plus toft une produélion du fils que du père.

Antoine du Verdier & La Croix du Maine ont faiét mention de luy dans leur Bibliothèque fran- çoife , & l'autheur du Promptuaire des arts & des fciences ne l'a pas oublié dans fon catalogue.

Ce prefent livre fut achevé d'imprimer le

Jeudi xxviii" jour de Septembre, l'an

M DCCC LXXI, pour Georges GuifFrey

par Jules Claye, imprimeur.

*

COLLECTION GEORGES GUIFFREY LETTRJES INÉDITES

DE DIANE DE POYTIERS

Publiées par G. GUIFFREY

Un beau volume m-8% imprimé par L. Perrtn sur papier teinté. Prix : 30 fr.

PROCÈS. CRIMINEL

DE JEHAN DE POYTIERS

SEIGNEUR DE SAINT-VALLIER

Introduction & Notes par G. GUIFFREY Un beau volume in-8°, imprimé par J. Claye. Prix : 30 fr.

POEME INÉDIT

DE JEHAN MAROT

Avec une Introduction & des Notes par G. GUIFFREY Un beau vol. in-8", imprime par L. Perrin.,— 15 fr.

sous PRESSE ;

OFluvres complètes de Clément Marot . avec notes, variantes, & un grand nombre de vers inédits publiés d'après les manuscrits originaux, par G. Guiffrey. 6 vol. m-8".

I\MUS. .1. Cl.AYK, IMPKIMKUR, ", UrK S.\INT-BBN<ilT. [ li<S |

Collet et, Guillaume

Notices biographiques sur les trois Marot.

PLEASE DO NOT REMOVE SLIPS FROM THIS POCKET

UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY