NOTICE SUR PAR Henri DE SAUSSURE 8646G Ra GENEVE IMPRIMERIE RAMBOZ ET SCHUCHARDT RLE DE LA PÉLISSERIE, 48 1371 € NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE PAR Henri DE SAUSSURE TIRÉ DES ARCHIVES DES SCIENCES DE LA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLL Septembre 1871. Avec l'autorisation de la Direction. GENÈVE IMPRIMERIE RAMBOZ ET SCHUCHARDT RUE DE LA PÉLISSERIE, 18 1571 NOTICE ÉDOUARD CLAPARÈDE Lue à la Société de Physique et d'Histoire naturelle de Genève, dans la séance du 6 juillet 1871 !. Les sciences ont fait à Genève cette année une perte considérable dans la personne du professeur Édouard Claparède, décédé en Italie pendant le voyage qui devait le ramener auprès de nous. Quoique prévu depuis longtemps, cet événement n’en a pas été moins douloureux pour toute la population let- trée de notre ville, et je dirai même pour le monde sa- vant tout entier. En ce qui nous concerne personnelle- ment, lié d'amitié avec Édouard Claparède, c’est avec le sentiment d'une profonde affliction que nous venons au- jourd’hui payer un tribut à sa mémoire dans les lignes qui suivent. Mais c’est en même temps un devoir que nous aimons à remplir, tout en sentant notre insuffisance à retracer, comme elle le mérite, la vie d’un homme doué d’un génie si supérieur et d’un si noble caractère. Il est des hommes dont la réputation s’est formée gra- duellement en suivant une marche lente et régulière, et qui finissent, par l'effet du temps et d’une constante ap- plcation, à prendre rang parmi les illustrations académi- 1 Un extrait de cette notice a été inséré à la fin du rapport du Pré- sident, dans le tome XXI des Mémoires de la Société de Physique (17e partie). 4 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. ques. Il en est d’autres qui semblent comme prédestinés à marquer d'emblée dans le pays qui les vit naître, et qu’un génie naturel appelle presque dès l’entrée de leur car- rière à exercer une véritable influence sur la vie intel- lectuelle de leur entourage. Mais il n’est pas rare de voir ces hommes d'élite succomber avant l’âge normal, comme si tout chez eux devait être précoce, le terme même de leur existence, comme la sève de l'esprit, la maturité du caractère et l'expérience des choses. Plus d'un exemple de ce génre nous a déjà frappé; on dirait que chez ces hommes la nature se complait à faire, au détriment de l’être physique, une compensation de l’exu- bérance des dons qu'elle accorde à l'esprit, et qu'une sorte de loi d'équilibre veut que chez eux la vie se con- sume à proportion de tout ce que dégage la pensée. Tel a été, en particulier, le trait frappant de la vie de Claparède. Prenant rang, presque dès le début, parmi les savants du premier mérite, doué d'une intelligence fé- conde en résultats surprenants, mais sans cesse tourmenté par une santé chancelante, il a succombé à la fleur de l’âge au moment le plus brillant de sa carrière. Édouard Claparède ‘ était issu d’une ancienne famille senevoise qui, du reste, n'avait jamais marqué dans les sciences, ce n'est donc pas son éducation première qui lui inspira le goût des études scientifiques. Ce goût se trouva inné chez lui et doit être considéré comme une conséquence nécessaire de l'esprit d'analyse et des facultés logiques qui étaient au fond de son organisation. Ilcommencça ses études à l’Académie de Genève, où ses aptitudes aussi rares que variées le firent bientôt distin- 1 Né à Genève le 24 avril 1832, mort à Sienne le 31 mai 1871. NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. D guer par ses professeurs. Il fut avant tout l'élève de M. Pictet-de la Rive, auprès duquel il trouva un secours et une bienveillance qu'il s’est toujours plu à reconnaitre dans le cours de sa carrière scientifique. En 1853, il se rendit à Berlin pour compléter ses études à l’Université de cette capitale, et devint l'élève de J. Müller, qui te- pait alors le sceptre de la physiologie et de l'anatomie comparée. Îl y arriva précisément à l’époque où Müller était absorbé par ses immenses recherches sur l’anatomie et les métamorphoses des Échinodermes. Claparède se ressentit profondément de ces circonstances, et l’ardeur avec laquelle il participa aux travaux de laboratoire de son maitre, le porta bientôt à se consacrer presque ex- clusivement à l'anatomie et l’embryogénie des animaux inférieurs; de là un goût prononcé pour la micrographie, qui fut bientôt développé par ses relations avec Ehren- berg, et qui décida de sa carrière scientifique. À Berlin, Claparède donna à ses études une extension | prodigieuse, qui aurait certainement été beaucoup trop vaste pour un autre que lui. Tout en menant de front l'étude des sciences naturelles, celle de la médecine et celle des langues du Nord, qu'il ne tarda pas à posséder d'une manière complète, il travaillait avec ardeur à des tra- vaux originaux. Îl apprit tout seul Le dessin et arriva aussi dans cet art à un haut degré de perfection. En 1855, il accompagna Müller dans un voyage en Norwége, et il sé- journa ensuite pendant deux mois sur un récif des bords de l’Océan avec un de ses camarades de l'Université dans le but de poursuivre l’étude des’ animaux marins. De 185% à 57 ilse livra, à Berlin, en commun avec son ami Lachman, à de vastes investigations sur les Infusoires et les Rhizopodes, et rédigea sur l’organisation de ces ani- 6 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÉDE. maux un ouvrage considérable, qui remporta plus tard, à l'Académie des Sciences de Paris, le grand prix des sciences physiques. En 1857, Claparède fut recu docteur en médecine. De retour à Genève, il y devint bientôt membre de la Société de physique, de la Société médicale et de l’Insti- tut national genevois. Il ne tarda pas à être agrégé au professorat de l’Académie, et la distinction dont il fit preuve dans son enseignement jusqu'à la fin de sa vie, n’a pas peu contribué à soutenir à l'étranger la renommée de cette institution. [l devint aussi l’un des rédacteurs les plus laborieux des Archives de la Bibliothèque uni- verselle, dont le bulletin scientifique, aussi bien que la partie consacrée aux mémoires, a élé remplie pendant 15 années de ses savantes analyses, d'autant plus pré- cieuses qu'elles font, pour la plupart, connaître des ou- vrages écrits dans des langues étrangères. Déjà comme étudiant, Claparède avait publié un cer- tain nombre de mémoires très-estimés, insérés pour la plupart dans les Archives de Müller, et qui lui avaient valu une place fort honorable parmi les zoologistes. Tel est son mémoire sur l’Actinophrys Eichhornü, chez lequel il signale une grande vésicule contractile qu’il considère comme un organe cordiforme. Il décrit le mode de diges- tion de ces animaux, capables d’envelopper et de digérer des matières végétales et animales par n'importe quelle partie de leur corps, tout orifice servant chez eux indif- féremment de bouche ou d’anus, ce qui doit les faire classer dans les Rhizopodes. Tel est aussi son travail sur le Cyclostoma elegans, qui lui servit de thèse pour le doc- torat, et dans lequel il décrit un organe calcaire composé de couches concentriques, logé entre les replis de l’in- NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. 7 testin, organe dont on ne connaissait aucun exemple chez les Gastéropodes. A cette série de ses travaux appartient encore son anatomie de la Néritine fluviatile qu’il mon- tre ne pas être hermaphrodite, et dont l’opercule testacé offre une structure différente de celle de la coquille; ce qui doit faire exclure l'opinion de Gray, que l’opercule est une seconde valve atrophiée, etc. Son grand ouvrage sur les Infusoires, rédigé en colla- boration avec Lachman, qui mourut avant la publica- ton de ce travail, le fit aussitôt classer parmi les mai- tres de la zoologie. Quoique aujourd’hui un peu dé- passé par les travaux de Stein, Zenker, Cohn et autres, dont l'œil à pu s’armer d'instruments plus parfaits, on peut dire que cet ouvrage est réellement celui qui à fondé la science moderne des infusoires, dont l’organisa- tion et les affinités étaient encore si peu comprises, malgré les travaux d'Ehrenberg, de Dujardin et de plu- sieurs autres naturalistes. Claparède et Lachman mon- trent que ces êtres ne sont ni aussi compliqués que l’a- vait cru Ehrenberg, ni aussi simples que le prétendait Mayen, dont la théorie a longtemps dominé, et suivant lequel le corps de ces animalcules se compose d’une simple cellule formant une sorte de poche. Îls renversent cette théorie à l’aide d’un arsenal d'observations et de faits sous le poids duquel les champions de l’unicellula- risme ont dû rapidement succomber. Ils établissent les affinités des infusoires, d’une part avec les Vers et les Cœlenthérés, d'autre part avec les Rhizopodes, et en donnent pour la première fois une classification satisfai- sante. [ls y distinguent 10 familles et décrivent un grand nombre d'espèces ; pas autant, il est vrai, qu'Ehrenberg en avait signalé; mais en revanche ils font faire un 8 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÉDE. grand pas à la connaissance de l’organisation de ces êtres. La partie de l'ouvrage qui concerne les Rhizopodes, tend surtout à révéler une organisation définie chez ces animaux qu'on avait voulu considérer comme n'en pos- sédant pour ainsi dire aucune. La troisième partie de l'ouvrage, qui traite de la reproduction des Infusoires et des Rhizopodes, avait été envoyée déjà en 1855 à l’A- cadémie des Sciences de Paris; elle fut couronnée en 1858 et ne put paraître qu'en 1860. Nous voyons ensuite le nombre des publications de Claparède s’accroître avec une rapidité surprenante, comme on peut en juger par le catalogue de ses œuvres que nous plaçons à la suite de cette esquisse biogra- phique. Quoique ses études se reportassent toujours avec pré- dilection sur les animaux inférieurs, il s’occupait des su- jets les plus variés et rédigeait souvent des notices éten- dues, destinées à donner le résumé des travaux récents sur tel ou tel point de la science. On trouvera dans les « Archives » de la Bibliothèque Universelle un grand nombre de mémoires de ce genre, où il traite de matières intéressant la physiologie, la zoologie, la géologie, et même l’archéologie, tandis que dans d’autres articles il aborde les plus hautes questions de philosophie naturelle. En 1858, il s’occupa de la théorie de la vision bino- culaire et publia divers mémoires sur l’horoptre. IL y con- firme par de nombreuses expériences les démonstrations de À. Prévost et de Burckhardt, desquelles il résulte que les points vus simples par les deux yeux ne peuvent être situés que sur une circonférence de cercle passant par le point de mire et par les centres optiques, et sur une ligne droite passant par le point de mire perpendiculairement au plan de vision. NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. 9 Ce furent probablement ces études sur la vision au moyen des yeux simples qui le conduisirent, l’année sui- vante, à l'étude du développement des yeux composés des Arthropodes, dont il suivit l’évolution chez diverses nymphes, avec une merveilleuse sagacité. Cette étude l’amena à conclure que la théorie de la vision chez les insectes, telle que l'avait formulée Müller, n’était pas sou- tenable, parce que l’animal serait si myope, qu'il verrait à peine à quelques pieds de distance. Il montre que cha- que élément correspondant à une facette constitue un œil distinct, et que le principe des points séparés ne peut plus subsister pour ces yeux-là. Il faut donc supposer chez l'animal le pouvoir d'objectiver les impressions dans la direction des rayons qui viennent frapper chaque fa- cette. Quoique déjà fort célèbre dans le monde scientifique, Claparède n’était point encore connu du grand public; ce fut un cours populaire, fait à Genève‘ en 1860, qui fonda sa renommée sous ce rapport. Une affluence énorme ne cessa d’assiéger la porte de la salle de ses leçons, attirée par la vaste érudition et la clarté d’ex- position du professeur qui excellait à se mettre à la portée du vulgaire, aussi bien qu’à traiter au sein des so- ciétés savantes, les sujets les plus abstraits. Mais en même temps qu'il entraînait ses auditeurs par tant de qualités réunies, la largeur de ses vues et l'indépendance de ses idées lui attiraient de la part de certains esprits étroits des attaques aussi ridicules qu'immodérées, de nature à aigrir fout autre caractère que le sien. Il les supporta avec patience, et l’on ne saurait mettre en ? Cours du soir de l'Hôtel de Ville. 10 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARËÈDE. doute qu'il n’ait été chez nous l’un des hommes qui ont le plus contribué à faire tomber des préjugés contraires à l'esprit de la science moderne. En dehors de son enseignement, auquel Claparède s’est toujours livré avec une véritable passion, et de la publication de ses nombreux ouvrages, il n’a mené à Ge- nève qu'une existence modeste, concentrée dans le sanc- tuaire de son cabinet, et sa vie n’est marquée par aucun événement qui intéresse le public. L'état constant de ma- ladie dans lequel il à vécu, lobligeait à des ménagements particuliers. Il entreprit néanmoins des voyages assez fréquents sur les bords de la mer, dans le but de pour- suivre ses études sur les animaux marins. En 1859, il fit un voyage en Angleterre et se lia d’a- mitié avec le D' Carpenter, qui l’accompagna dans les Hébrides. Le séjour qu'il fit sur les côtes de cette île l’a- mena à Composer divers mémoires d’un haut intérêt sur de nouveaux vers marins alliés aux vers de terre, et sur les Turbellariés ; mémoires insérés dans le bulletin de la Société de physique d'Édimbourg, dans les Archives de Reichert et dans les Mémoires de la Société de physique de Genève. C’est de ce séjour aussi que date un travail sur le Tomopteris onisciformis, qu'il rédigea en commun avec le D' Carpenter (Linnean Transactions). L’embranchement des-Vers semble avoir eu pour lui un attrait particulier, et il a fixé son attention jusqu'à la fin de sa vie. À Genève, il continua ses recherches sur ces animaux, s'appliquant à l’étude des espèces parasi- tiques, limnicoles et terrestres qu’il trouvait à sa portée. Outre son travail sur la fécondation chez les Vers néma- toïdes, où il discute la signification des parties de l'œuf, nous trouvons encore dans les Mémoires de la Société de NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. 11 Physique et d'Histoire naturelle de Genève ses Recherches sur les Oligochètes ou vers de terre, dans lesquelles il rend très-bien compte des différences anatomiques et physiologiques de ces animaux, jusque-là fort négligés, dont les affinités avaient été mal comprises. Il y démontre l’'homologie de l'organe segmentaire avec les tubes repro- ducteurs ; il forme, comme Grube, des Oligochètes un or- dre séparé, qu'il divise en terricoles et limnicoles, en se basant sur des différences importantes dans le système vasculaire et dans l'appareil reproducteur. Ces recherches sur les Annélides, bien qu'interrompues par d'autres travaux, reparaissant presque d'année en année sous la forme de notices plus ou moins étendues, ont fini par devenir l’objet d’un ouvrage capital, mal- heureusement le dernier qu’il mit au jour. Dans diverses publications où il a réuni des mélanges d'observations (Glanures zoologiques, etc.), il décrit beau- coup de formes singulières, propres aux Annélides er- rantes:; des formes larvaires aberrantes, des modes par- ticuliers de reproduction, ainsi qu'un grand nombre de faits anatomiques et physiologiques. En 1867, il communiqua à la Société helvétique des sciences, réunie à Einsideln, un grand travail sur l’histo- logie du Lombric terrestre, qui parut plus tard à Leipzig. Dans cette étude il se surpasse par la finesse des pré- parations, et le soin mis dans ses recherches. On y trouve décrite pour la première fois d’une manière satisfaisante, la structure du système nerveux et des trois grosses fi- bres tubulaires que l’auteur avait précédemment décou- vertes chez divers Oligochètes. Ces fibres géantes ne sont pas noyées dans la substance médullaire axiale, mais au contraire placées en dehors du cordon nerveux et repo- 119 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. sant sur le névrilème interne; elles ne se ramifient pas en avant comme l'avait cru Leïidig, mais chez le lombric elles s'arrêtent au contraire un peu ayant l’extrémité du cordon ventral, et chez les Arenicola elles se noyent sim- plement dans la commissure. La question du développe- ment des vers avait aussi occupé Claparède pendant bien des années, sans cependant qu'il eût livré son travail à la publicité, parce qu'il y trouvait encore des lacunes. Mais:il a constaté ce fait que parmi les œufs renfermés en grand nombre dans la capsule secrétée par le clitellum, un seul se transforme en embryon; celui-ci augmente rapi- dement de volume, parce que dès que sa bouche est for- mée, il dévore les œufs qui l'entourent et qui lui servent de magasin de nourriture. C’est là un phénomène tout analogue à celui qui avait été décrit chez certains mol- lusques gastéropodes tels que les Purpurea, etc. Dès 1860, les études de Claparède se portent sur l’évolution des Arthropodes. En 1862, la Societé des Sciences d'Utrecht lui décerne une grande médaille d’or, pour ses belles recherches sur le développement des araignées, qui furent publiées dans les mémoires de cette société. Ce travail est un chef-d'œuvre d'exécution, un type d'observation sûre et complète dans l’établissemen t des faits, un modèle de clarté dans leur exposition. L’embryologie des araignées n’était encore connue que d'unê manière rudimentaire par les travaux fort an- ciens de Herold et de Rathke. Claparède la met en pleine lumière dans tous ses détails, et fait ressortir toutes les analogies et les différences qui règnent entre le dévelop- pement des Aranéides et celui des autres Arthropodes. Il découvre en particulier ce fait qui paraît tout spécial aux Aranéides, c'est que l'embryon qui, durant la première NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. 13 période génétique, se trouve enroulé sur le dos, au lieu de se renverser pour s’enrouler sur le ventre comme chez les autres Arthropodes, opère sa réversion par un artifice particulier, en se partageant par le milieu et en laissant passer, par l'ouverture ainsi formée, le vitellus qui vient alors occuper la face ventrale de l'embryon ; d'où résulte que les deux moitiés de ce dernier, au lieu de former plus tard la face ventrale de l’animal, en for- meront les faces latérales *. C'est, sans doute, afin de s'assurer si cette anomalie est bien une phase constante chez les Arachnides, que Claparède se consacra peu de temps après à l'étude du développement des Acariens. Il ne constata pas chez ces derniers le même fait, mais ses recherches le conduisirent à d’autres résultats non moins piquants. Cette étude, abondante en faits curieux, ren- ferme en particulier la découverte d’un double et même d’un triple emboitement de l'œuf, phénomène que l’au- teur a désigné par les noms de deutovum et de tritovum. Cette singulière phase du développement ne se rencontre 1 Voici comment ce Mémoire fut couronné par la Société d’Utrecht : Certes Claparède n’a jamais recherché les honneurs et les préroga- tives qui s’attachent à la célébrité, et c’est toujours avec une extrême modestie qu'il a offert ses travaux à qui voulait se charger de leur publication, sans songer à aucune récompense. Son mémoire sur le développement des Aranéides n'avait point été établi dans le but de prendre part à un concours ou de remporter un prix proposé. L'au- teur l'avait d’abord envoyé à Leipzig où il ne trouva pas d’éditeur, vu le coût des planches. La Société d'Utrecht venait de se constituer ; Claparède essaya de proposer le mémoire en question à cette Société, sans se flatter d’un grand succès. Les savants d’Utrecht, frappés de la valeur scientifique de l'ouvrage et de la magnificence des dessins qui l’'accompagnaient, résolurent non-seulement de le publier, mais ré- pondirent qu'ils seraient heureux d’en recevoir d’autres du même genre. En même temps l’auteur ne fut pas peu surpris d'apprendre que son mémoire avait été couronné d’une médaille d’or. 14 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. du reste pas chez toutes les espèces; elle manque chez les Tetranychus qui vivent sur les végétaux; le deutovum s’observe chez les Atax, qui vivent sur les branchies des bivalves de nos ruisseaux, et le ériovum apparaît chez les Nyobia, en particulier chez la N. muris, qui vit en parasite sur les souris. Le travail sur l’évolution des araignées fut suivi de près par une étude sur la circulation du sang chez ces animaux. L'auteur réussit à observer, par transparence, d’une manière très-complète, de jeunes Lycoses prises au sortir de l’œuf. Le sang, en s’échappant du cœur, circule, non pas d’arrière en avant comme on pourrait le supposer, mais au contraire, d'avant en arrière, comme Leydig l’a- vait déjà indiqué. Le cœur n'offre pas de cloisonnement, mais il est muni d'orifices latéraux, s’ouvrant dans le mouvement de diastole et permettant ainsi l'entrée du sang dans l'organe central. L’extrémité de cet organe est tubulaire et forme une aorte caudale, d’où le liquide se répand dans le pygidium. Les recherches sur le développement des Athropodes se continuent ensuite dans un grand ouvrage in-fohio, publié à Leipzig, en 1863, sur l'anatomie de divers ani- maux sans vertèbres, étudiés sur la côte de Normandie, ouvrage dans lequel se trouve décrite l’embryologie de plusieurs types de crustacés. Bien que la liste des ouvrages de Claparède allàt gros- sissant très-rapidement d'année en année, chacune de ses productions forme pour ainsi dire un jalon de repère dans l’histoire des êtres qu'il étudie et fait faire à la science sur tous les sujets qu'il aborde un pas incontesta- ble. Il ne reculait devant aucune peine lorsqu'il s'agissait d’élucider une question. Rencontrait-il dans ses lectures NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. 15 des points obscurs ou des assertions qui ne lui parais- saient pas admissibles, il se condamnait souvent à re- prendre ab ovo le travail d’un autre dans l'espoir de se rendre compte de la vérité. Ces recherches, entreprises dans le seul but de satisfaire son esprit, ont souvent donné lieu de sa part à d’intéressantes communications au sein des sociétés savantes et ont quelquefois été pu- bliées sous forme de notes. C’est ainsi, par exemple, qu'il a tranché le débat qu'avaient fait naître les travaux contradictoires de Meeznikow et de Balbiani sur la re- production des pucerons. Après avoir refait lui-même toute l'étude de cette reproduction, il a montré que, con- trairement à l'opinion de Balbiani, ces insectes ne sont pas hermaphrodites. Lorsque parut l'ouvrage de Darwin sur l'origine des espèces, Claparède s’empara des vues de l’auteur avec une sûreté de coup d’œil que la marche de la science a depuis lors pleinement justifiée, et qui lui permit de s'élever à des conclusions importantes. IL publia à cette époque, dans la Revue Germanique, sur le livre de Dar- win, des articles remarquables, dans lesquels il s'élève à une grande hauteur de vues, et en 1869 encore il donne une critique des plus judicieuses de l’ouvrage de Wal- lace, auteur qui revendique avec raison la simultanéité de l’idée servant de base à la théorie de la sélection natu- relle, Dans tous ses travaux, on le trouve du reste inspiré des tendances darwinistes, et il fait jallir de ses observa- tions, des rapprochements ingénieux appuyant tous la doctrine de l’évolution qui joue aujourd’hui un si grand rôle dans les sciences biologiques. Ainsi, et pour n’en citer qu'un seul exemple, il consacre, à la fin de son beau mémoire sur le développement des Acariens, un 16 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. chapitre à l’appui de la théorie de Darwin, en mon- trant que l'appareil qui sert de crampon chez les aca- riens parasitiques, échappe à la loi d’homologie. En effet, ce n'est point un organe fixe qui remplit ces fonctions, mais bien au contraire tel ou tel organe qui se trouve modifié, suivant les espèces, en vue de ladaptation aux mêmes fonctions. Chez les uns ce sont les pattes antérieures, Chez d’autres les pattes postérieures; chez les Listophorus, c'est même la lèvre inférieure qui se transforme en organe fixateur. Or, si les Acariens parasi- tiques formaient une famille déterminée, dépendant d’un type primitif, l'organe fixateur serait toujours le même, tandis que si, au contraire, les parasites sont les descen- dants d'espèces non parasitiques, dont les mœurs ont occasionnellement changé, et avec les mœurs aussi la forme des organes, comme le veut le système de Darwin, cha- que espèce a pu adapter un organe quelconque aux fonctions de la fixation, en sorte qu'il ne saurait sous ce rapport régner entre elles d'unité homologique. Et c’est précisément là ce qu’on observe. A lire le résultat de tant de vastes recherches exécu- tées avec un si grand soin, on ne se douterait pas qu'elles eussent été sans cesse interrompues par la maladie. La santé de Claparède était, en effet, pour lui et pour ses amis, un sujet de préoccupations continuelles, et il n’est pas hors de propos, avant de parler des derniers ouvrages de notre ami, de.dire un mot des souffrances physiques qui ont empoisonné sa vie, qui ont sans cesse interrompu ses travaux scientifiques et qui lui ont suscité des difficultés de tous genres. On ne peut comprendre qu'un homme, dont l'existence n’a été pour ainsi dire qu’un long martyre, ait pu produire de sinom- NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÉDE. 17 breux et si importants ouvrages. D'une constitution fai- ble, il avait été atteint déjà en 1854 d’un rhumatisme arti- culaire qui, en se portant au cœur, avait laissé à cet or- gane une lésion, cause principale de toutes les complica- tions ultérieures. Encore simple étudiant, il était déjà su- jet à des accès de palpitations extrêmement graves, et parfois accompagnés d'hémoptysies très-inquiétantes. En 1857, une crise de ce genre faillit l'emporter. Tout donnait lieu de craindre que d’un jour à l’autre il suc- comberait à une nouvelle atteinte. Depuis le retour de Claparède à Genève, le mal était toujours allé en aug- mentant et réagissait d’une manière désastreuse sur tout l'organisme, principalement sur les fonctions de l’esto- mac et des organes respiratoires. Le régime très-sévère que le malade suivait, en apportant un certain allégement à ses maux, ne pouvait qu'augmenter sa faiblesse et il se manifestait chaque jour chez lui quelque phénomène nouveau qui déroutait toutes les prévisions des méde- cins. De fréquentes névralgies lui occasionnaient des souf- frances atroces, et pour les faire cesser il eut recours à des moyens extrêmes. Les crises de palpitations, les hémor- ragies revenaient sans cesse à des époques indétermi- nées, souvent accompagnées d'accidents imprévus. Durant des mois entiers 1l devenait incapable d'aucun travail, et son existence même semblait être un continuel miracle. L'énergie qu'il déployait dans sa lutte contre ces horri- bles souffrances dépasse tout ce qu'on peut imaginer, et faisait l'admiration de son entourage !. Cette même éner- 1 Ainsi, pour faire cesser les névralgies horribles auquel il était sujet, il n’hésita pas à se faire arracher toutes les dents. Il serait im- possible de faire comprendre à qui ne la pas connu, tout ce que cet homme a souffert. Il nous a souvent dit que l'amour du travail et de 2 18 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. gie, il l'employait à se remettre à l’œuvre aussitôt qu’ar- rivait un moment de soulagement. Nous l'avons vu re- prendre ses fonctions de professeur dans un état tel qu'il avait de la peine à se traîner jusqu’à l’Académie, crachant le sang pendant la leçon et, néanmoins, l'heure terminée, oubliant ses maux au point de continuer à converser avec ses étudiants et à répondre à leurs questions. En 1860 :ïl s'était marié. Une affection réciproque l'avait conduit à épouser une de ses parentes, qui devint la compagne obligée de tous les actes de sa vie. Cet événement l'avait placé dans une position indépendante, en lui créant un intérieur, et sa maison était devenue un centre de conversations scientifiques, qui seront long- temps regrettées sans être remplacées. À toute heure et quelles que fussent ses occupations, on trouvait tou- jours auprès de lui le bon accueil d’un homme qu'on ne semblait jamais déranger. Qui ne conservera le plus gra- cieux souvenir de ses réceptions hebdomadaires à sa campagne à Cologny; réceptions empreintes d’une simple cordialité où une conversation toujours intéressante et substantielle réunissait autour de sa table un petit nom- bre d'amis, pour la plupart adeptes des sciences, des arts et de la littérature ; mais auxquels venaient se mêler aussi quelques hommes placés en dehors de ces spécialités ? Les travaux de Claparède avaient été presque entiè- rement interrompus pendant les années 1865-66 par suite de l’état de sa santé; il avait été atteint du typhus et avait eu la douleur de voir sa femme et ses enfants visités par de graves maladies. Aussi le besoin d’un cli- sa famille pouvait seul le décider à soutenir une existence qu'il a in- contestablement réussi à prolonger à force d'énergie et de précau- tions. NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. 19 mat plus doux, le décida en 1866 à passer l'hiver à Na- ples. Ce séjour lui fut propice au delà de toutes ses pré- visions. Sa santé fut relativement très-bonne durant cet hiver, et c'est alors qu'il se livra à ses immenses études sur les Annélides du golfe de Naples qui ont rempli en grande partie les tomes XIX et XX des Mémoires de la Société de Physique de Genève, et qui, dans l’opinion des savants, placèrent Claparède parmi les maîtres de cette branche de la zoolgie. Dans cet ouvrage, qui se compose de deux volumes in-4° accompagnés de plus de 50 planches très-chargées, il fait connaitre un grand nombre de formes nouvelles, et établit une bonne critique de la synonymie, si épi- neuse dans les groupes où les formes changent avec l’âge des animaux. Mais l'ouvrage renferme surtout une ri- chesse extraordinaire de faits anatomiques et physiolo- giques. Dans le nombre des découvertes qu’il expose, l'une des plus frappantes est celle qui touche la reproduc- tion de la Mereis Dumerili. Cette Annélide pond des œufs fécondés d’où s'échappe un ver qui avait été précédem- ment classé dans le genre Heteronereis ; ce ver pond à son tour des œufs féconds qui, suivant les saisons, tantôt donnent naissance à une seconde espèce de Heteronerers, tantôt reproduisent la première forme de Nereis. Il s’agit donc ici d'une véritable génération alternante sexuelle, telle qu'on n’en avait jamais observé encore. L'ouvrage sur les Annélides de Naples a dû exiger, suivant les ap- préciations d’un auteur anglais, un travail d’une si éton- nante application, qu'on aurait peine à concevoir qu’un homme, même en parfaite santé, fût en état de produire quelque chose de pareil dans un espace de temps aussi court. 20 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. Les deux années que Claparède passa à Genève après son retour furent marquées pour lui par les alternatives habituelles qui se produisaient dans sa santé. Ce fut pen- dant cette période qu'il termina son travail sur le déve- loppement et l'anatomie des Acariens, travail qui ne put «malheureusement pas trouver place dans les Mémoires de la Société de Physique de Genève, et qui parut en Alle- magne !. Le résuhat favorable de son premier séjour à Naples, au point de vue de sa santé et de ses recherches, décida Claparède, en 1868, à y passer un second hiver; mais ce nouveau séjour ne ressembla guère au premier. Une grave maladie de sa femme lui rendit le travail presque impossible; les soins assidus qu'il prodigua à la compagne de sa vie l’éprouvèrent beaucoup, et il revint lui-même extrêmement souffrant. Le mal qui le minait avait fait des progrès incontestables, et plusieurs fois nous avons cru le perdre après son retour. Bien que son activité fût sin- gulièrement diminuée, et que même la tâche de lensei- gnement fût devenue pour lui très-difficile, il continua toujours à travailler et publia diverses notices de moindre étendue, toutes empreintes du même génie d’observa- tion. En 1870, il voulut essayer une fois encore du climat du Midi et repartit en automne pour Naples; mais, loin d’éprouver le moindre soulagement, 1l y tomba plus ma- lade que jamais, et les souffrances qu'il endura pendant ce séjour ne lui permirent de suivre à aucune occupation. Il ne se faisait nullement illusion sur son état ; ses lettres étaient des lettres d’adieux et indiquaient clairement qu'il ne s'attendait point à revoir Genève; car une hydropisie 1 Zeitschrift für wissensch. Zool. XVIII. Leipzig, 1868. NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÉDE. OU qui remontait lentement vers les organes vitaux ne lui laissait aucun espoir. Dans cette situation, il prit un parti qui servira à pein- dre l'énergie extraordinaire qu'il déployait dans sa lutte contre les souffrances. Se voyant abandonné des hommes de l’art, il se décida à essayer d’un traitement qu'il qua- lifiait lui-même de barbare et que les médecins décla- raient impraticable pendant plus de vingt-quatre heures ; il se priva pendant vingt-deux jours de toute boisson, tout en s’administrant beaucoup de sel marin. Il réussit, en effet, par ce moyen héroïque à faire momentanément cesser l’hydropisie ; il reprit même assez de forces pour effectuer quelques promenades à pied. Ses lettres firent un instant renaître une lueur d'espoir chez ses amis ; on l'avait vu tant de fois se relever de si bas que cet espoir finit presque par revêtir le caractère de la certitude ; mais le patient ne devait pas résister aux fatigues du voyage. L’hydropisie reparut après son départ de Naples et aug- menta avec une rapidité effrayante. Claparède y succomba le 31 mai à Sienne, au milieu des circonstances les plus tristes et les plus émouvantes, entouré seulement des soins de sa femme. Le professeur Schiff, accouru de Flo- . rence pour lui venir en aide, n’arriva que le lendemain de sa mort. Claparède n’était àgé que de 39 ans et laissait deux enfants en bas àge. Quelque prématurée qu’ait été sa mort, il a assez enri chi la science pour s’y être fait un nom considérable. Les ouvrages qu'on lui doit survivront à leur auteur, car tous renferment des recherches exactes et des faits bien étu- diés. Mais que de regrets ne doit-on pas avoir en pensant à tout ce que cet homme aurait produit si son existence 29 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÉDE. s'était prolongée encore pendant quelques années ! On en peut juger par son dernier ouvrage sur les Annélides du golfe de Naples, qui fut l’œuvre d’une seule saison de séjour dans ces parages. Il est bien plus difficile de se figurer ce qu'on aurait vu sortir de sa plume si, au lieu d'être sans cesse aux prises avec les souffrances, il avait joui d’une bonne santé. Son existence précaire ne lui a ja- mais permis d'entreprendre des ouvrages de longue ha- leine, et on a lieu de s'étonner qu'il ait pu même en pro- duire d'aussi étendus durant les trop courtes périodes qu'il pouvait consacrer à un travail suivi. Il laisse un ouvrage inédit sur l’histologie des Anné- lides, fruit des derniers efforts de sa vie. Espérons que cette œuvre, que nous savons être aussi remarquable que les précédentes, ne tardera pas à être livrée à la publi- eité, malgré les difficultés matérielles qui en ont jusqu'à ce jour entravé la publication. Par acte testamentaire, Claparède a légué à la ville de Genève sa magnifique bibliothèque scientifique. En pre- nant place dans notre bibliothèque publique, cette riche collection y comblera une lacune qui depuis longtemps ne se faisait que trop sentir. Le donateur, en terminant sa Carrière scientifique, a voulu que les éléments de tra- vail depuis longtemps accumulés par lui continuassent à profiter à d’autres et à contribuer au développement scientifique de sa ville natale, auquel il s'était toujours si vivement intéressé. Cet acte de munificence lui assure la reconnaissance des générations futures. Après avoir cherché, dans les pages qui précèdent, à tracer l’esquisse de la vie de Claparède, il nous reste à NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. 23 rendre compte des principaux traits de son caractère. Tous ceux qui ont entretenu avec lui des rapports sui- vis connaissaient sa modestie et cette droiture parfaite qui dénotait chez lui une conscience à l'abri de tout re- proche. Il possédait l'instinct de la générosité et distribuait avec largesse toutes ses publications, quelle que fût d’ail- leurs leur importance. Il était serviable au delà de toute expression. Pour les étudiants comme pour ses nombreux visiteurs, Claparède était toujours rempli de prévenances. C'était toujours avec une parfaite bienveillance qu'il ve- nait en aide à ceux qui aimaient à le consulter pour leurs propres travaux, ou qui, arrêtés par quelque difficulté, ré- clamaient le secours de ses lumières. Jamais il ne laissait sentir sa supériorité ; il n'avait rien de dédaigneux pour les travaux d’autrui; il accordait aux moindres produc- tions une attention aussi sérieuse que si C’eussent été des œuvres importantes. Il avait un cœur sensible qui s’ouvrait à toutes les in- fortunes. Nous l'avons vu toujours prêt à venir en aide aux hommes de science nécessiteux, et à prendre l’ini- tiative de souscriptions au profit de leurs veuves et de leurs orphelins. Le dévouement se manifestait chez lui, même au profit des inconnus, comme le prouve le fait sui- vant : Une faiblesse extrême, résultat de ses maladies, et le danger toujours menaçant des hémoptysies, interdisaient à Claparède tout effort physique et l’obligeaient, sous peine d’un vrai danger de mort, à fuir les foules où il aurait pu être bousculé. Malgré cela; à l’époque de nos plus grandes agitations politiques, on l’a vu s’interposer dans la rue au milieu d'une batterie, afin d’arracher un homme à une sorte de guet-apens où il venait de tomber. Il 24 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÉDE. l’aide à se réfugier dans un magasin, en garde la porte pendant plus d’une heure, parlemente avec les forcenés qui réclament leur victime, et finit par les décider à la re- traite. Dans sa vie scientifique, iln’a jamais montré aucune de ces petites passions jalouses, si fréquentes chez les hommes qui suivent la même carrière. Toujours il s’est appliqué, dans ses écrits, à rendre justice aux travaux des autres. Le seul reproche qu'on pourrait lui adresser (et bien- heureux qui n’en mérite pas d’autres!) c’est de s'être souvent montré un peu trop entier dans la forme qu'il - imprimait à la discussion. Il manquait un peu de ce moel- leux, un peu de cette urbanité qu’on rencontre ordinai- rement chez ceux qui S’expriment dans la langue fran- çaise, et de cette finesse de tact qui veut que l'opinion personnelle sache s’effacer au moment où elle menacerait de devenir blessante. Lorsqu'il distinguait clairement l’er- reur, il la combattait parfois avec trop de crudité. Dans ses articles de critique, il a souvent traité sévèrement la su- perficialité de certains auteurs, et sa probité scientifique lui faisait rudoyer le manque de bonne foi, sans se laisser arrêter par aucune considération. Du reste, cette disposi- tion, que je voudrais presque nommer un excès de droi- ture, était en partie échipsée chez lui par sa bonté natu- relle, et 1l ne conservait de ressentiment contre personne. Quelque dangereux qu'il soit de chercher à juger des opinions d'autrui, nous croyons ne pas nous tromper en disant que Claparède était un disciple décidé de Kant, par conséquent un subjectiviste convaincu; mais en même temps il semblait graviter vers un panthéisme dynamique dans lequel l’idée de la force l’emportait sur celle de la matière. Ces tendances, assez fréquentes chez les natu- NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. 925 ralistes, et qui chez lui semblaient ressortir de ses cours aussi bien que de ses écrits, lui avaient valu, au dé- but de sa carrière, d'innombrables désagréments de la part des personnes vouées aux idées dogmatiques. Mais, après quelques années, lorsqu'il fut mieux connu, il finit par être apprécié par ceux mêmes qui s'étaient faits ses détracteurs, et il mettait une certaine coquet- terie, qui n'était pas sans un grain de malice, à les trai- ter en amis, ou même à les inviter à sa table, « comme il convenait à un homme sans préjugés. » On l’entendait volontiers répéter « que la divergence des opinions ne doit point éloigner les hommes les uns des autres,» ainsi que cela se voit malheureusement trop souvent dans ce monde, et il se divertissait aux dépens de ceux qui, parce qu'ils ne pensent pas de même sur certains points, croient ne plus pouvoir se saluer. Sa conversation était toujours savante, sur quelque sujet qu'elle se portàt, car on aurait difficilement trouvé une spécialité scientifique ou littéraire, même parmi les plus étrangères à ses études ordinaires, sur laquelle 1l fût pris au dépourvu, et malgré le positivisme de ses travaux, il ne dédaignait point les œuvres d'imagination. Dans l’a- bandon de l'intimité, il devenait un causeur charmant, avec lequel on oubliait les heures, et, dans le monde, que ses maux l’empêchaient de fréquenter beaucoup, les char- mes de son entretien le faisaient rechercher des femmes aussi bien que des hommes de toutes les catégories. La mort de Claparède a enlevé à Genève un des plus beaux fleurons de sa couronne scientifique, et à notre Académie l’un de ses meilleurs professeurs. Pour tous ceux qui, de près ou de loin, s'intéressent aux progrès des 26 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. sciences, elle est un profond sujet de deuil. Claparède était un de ces hommes qui marquent dans la vie intellectuelle d’un pays et qui semblent prédestinés à faire école. On rencontrait en lui un ensemble de facultés qui rarement se trouvent réunies chez le même individu ; ainsi, une facilité extraordinaire à s’assimiler les travaux des autres, une mémoire prodigieuse, une promptitude de conception et une sûreté d'observation qui ne s’est jamais démentie. À ces facultés essentielles il joignait toutes les qualités ac- cessoires qui facilitent le travail dans le domaine des sciences naturelles; il excellait dans l’art d'établir de fines préparations ; 1l maniait le pinceau avec autant de talent que le scalpel et dessinait lui-même les planches de ses ouvrages. [l connaissait toutes les langues de l'Europe, en dehors des langues slaves; ses lectures étaient immen- ses, et, bien qu'il ne prit guère de notes, son érudition avait (qu’on me passe l’expression) quelque chose d’ef- frayant ; c’est ce que disait de lui un de ses juges à l’é- poque où, à peine sorti des études, il subissait à Genève ses derniers examens. Enfin, chez lui, une logique puis- sante conduisait d'un pas assuré jusqu'aux déductions les plus abstraites, sans jamais s’égarer en route dans le domaine de l'imagination. Aussi la largeur de ses vues frappait tous ceux qui l’abordaient, et son enseignement avait une ampleur qui entraiînait dès les premières phrases, bien qu'il ne sacrifiàt jamais à l’éloquence. Mais pour ceux qui vivaient dans son intimité, ce n’est pas seulement un savant qu'ils perdent en lui, c'est aussi un ami sûr et dévoué, un homme qui, à côté du génie de la science, possédait toutes les qualités du cœur. Henri DE SAUSSURE. 1. (UE) ps Qt er] I 10. 11. NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. DAT LISTE DES OUVRAGES D’ÉDOUARD CLAPARÉDE. Résumé des travaux les plus récents sur la génération alternanle et sur les métamorphoses des animaux infé- rieurs. (Archives des Sciences de la Bibliothèque Uni- verselle de Genève, 1854, tome XXV.) . Ueber Actinophrys Eichhorni. (Archiv für Anatomie, Physiologie, ete., von D° J. Müller, Berlin, 1854; et Annals of Natural History, 1855, tome XV.) . Sur la théorie de la formation de l’œuf. (Archives des Sciences, 1855, tome XXIV; et Annals of Natural Hist., 1856, tome XIIL.) . Anatomie und Entwicklungsgeschichte der Neritina flu- viatilis. (Müller’s Archiv, 1857; et Annals of Naiural History, 1857, XX.) . De Cyclostomatis elegantis anatome. Dissertatio inaugüra- lis. Berolini, 1857. (Thèse in-folio.) . Supplément à un mémoire de G.-R. Wagener : Ueber Dicyema, ete. (Müller’s Archiv, 1857.) . Beitrag zur Anatomie des Cyclostoma elegans. (Muller’s Archiv, 1858.) . Note sur la reproduction des Infusoires, par Ed. Clapa- rède et J. Lachman. (Annales des Sciences naturelles. Paris, 1857, tome VIIL.) . E. Claparède et J. Lachman. Études sur les Infusoires et les Rhyzopodes; 2 vol. grand in-4°. Genève, 1857—61. (Extrait des Mémoires de l’Institut national genevois, tomes V, VI et VIL) Grand prix de l’Acad. des Sciences de Paris. Sur les prétendus organes auditifs des antennes chez les Coléoptères lamellicornes et autres insectes. (Annales des Sciences naturelles, 1858, tome X.) De la formation et de la fécondation des œufs chez les vers Nématoïdes. Genève, 1859, in-4°. (Extrait des Mé- 28 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19; 1 NORICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. moires de la Société de Physique de Genève, 1860, tome XV.) — Voir aussi Annals of Nat. Hist., 1858, tome I, et Zeitschr. für wissenschaftl. Zool., 1858, tome IX. . Analyse des travaux les plus récents relatifs à l’accommo- dement de l’œil aux distances. (Archives des Sciences, 1858, tome I.) Quelques mots sur la vision binoculaire et stéréoscopique et sur la question de l’Horoptre. (Archives des Sciences, 1858, tome IL.) Nouvelles recherches sur l’Horoptre. (Ibid.) Encore un mot sur l’Horoptre. (Ibid.) — Voir aussi Zeitschrift für wiss. Zool., 1858, tome IX, et Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 1858, p. 566. Beitrag zur Kenntniss des Horopters. (Reichert’s Archiv !, 1859.) Sur l’action physiologique du Curare. (Archives des Sciences, 1858, tome IL.) Remarque sur la note (précédente) de M. Prévost, rela- tive à la vision binoculaire. (Archives des Sciences, 1859, tome IV.) Ueber die Kalkkôrperchen der Trematoden und die Gattung Tetracotyle. (Zeitschr. für wiss. Zool., 1858, tome IX, et Quarterly Journ. microscopie. scienc., 1859, tome VII.) . On the reproduction of a Medusa belonging to the Genus Lizzia. (Edimburg Proceedings Phys. Soc., 1859—62, tome IL.) . Recherches sur les lois d'évolution du monde organique pendant la formation de la croûte terrestre, par H.-G. Bronn.— Traduction extraite par Claparède. (Archives des Sciences, 1859, tome IV.) . Existe-t-il chez les êtres vivants des forces vitales pro- ires ? (Archives des Sciences, 1859, tome V.) P Continuation des : Archiv für Anat. Physiolog. und wissenschaftl. Medecin, de J. Müller. Berlin. NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÈDE. 29 3. Sur certaines cavités des antennes, etc. (Comptes rendus de l’Acad. des Sciences de Paris, 1859, tome XLVIIE) . Zur Morphologie der zusammengesetzten Augen bei den Arthropoden. (Zeitschrift für wissensch. Zool., 4860, tome X.) Voir aussi Annals of Nat. Hist. 1860, VI; et Annales des Sciences naturelles, 1859, tome XIT. . Beiträge zur Fauna der Schottischen Küste. (Zeitschr. für wissensch. Zoolog. 1860, tome X.) . Physiologie de l’état électrotonique des nerfs, par M. Ed. Pfluger. Extrait par Claparède. (Archives des Sciences, 1860, tome VIL.) . Coup d'œil sur l’état actuel de l’ethnologie au point de vue de la forme du crâne osseux, par Anders Retzius. Traduit du suédois par Claparède. (Archives des Scien- ces, 1860, tome VIT.) . La couronne de plis des deux premières sphères de seg- mentation chez l’œuf de la grenouille. (Archives des Sciences, 1861, tome XI.) . Beitrag zur Kenntniss der Gephyrea. (Reichert’s Archiv, 1861.) 30. Ueber Polydora cornuta. (Reichert’s Archiv, 1861.) . Contributions à l’histoire naturelle des Etats-Unis d’Amé- rique, par le professeur Agassiz. Article analytique par Claparède. (Archives des Sciences, 1861, tome XII) 2. L'époque glaciaire en Scandinavie. (Archives des Scien- ces, 1861, tome XIIL.) 33. M. Darwin et sa théorie de la formation des espèces. (Re- vue germanique, 1861, tomes 16 et 17.) . Études anatomiques sur les Annélides Turbellariés, Opa- lines et Grégarines, observées dans les Hébrides. Ge- nève, in-4°, 1862. (Extrait des Mémoires de la Société de Physique de Genève, 1862, tome XVI.) . Recherches anatomiques sur les Oligochètes. Genève, 1862, in-4°. ([bid.) , Observations anatomiques sur le Bipalium Phebe. Genève, 1862, in-4°. (Ibid.) 30 NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÉDE. 97 99. A0. LA, . Recherches sur l’évolution des Araignées. Mémoire au- quel la Société des Arts et Sciences d’Utrecht a décerné une médaille d’or. Utrecht, 1862, in-4°. (Inséré dans le tome 1° des Natuurkundiger Verhandlingen de cette Société.) . Claparède and W.-B. Carpenter, further researches on Tomopteris onisciformis. (Trans. Linn. Soc., 1862, tome XXIIL) Études sur la circulation du sang chez les Aranées du genre Lycose. Genève, 1862, in-4°. (Extrait des Mémoires de la Société de Physique de Genève, 1863, tome XVIL.) — Voir aussi : Annales des Sciences naturelles, 186%, IT. Glanures zootomiques parmi les Annélides de Port-Ven- dres, Genève, 1863, in-4°. (Extrait des Mémoires de la Société de Physique de Genève, 1863, tome XVIL) Beobachtungen über Anatomie und Entwickelungsge- schichte wirbelloser Thiere an der Küste von Nor- mandie angestelll. Leipzig, 1863, 1 vol. in-folio. . L’âge de bronze en Scandinavie. (Bibliothèque univer- selle de Genève, partie littéraire, 1863, tome XVI et XVIL) . Les principes de la classification animale de M. Dana. (Archives des Sciences. Genève, 1864, tome XXI.) . Note sur la reproduction des pucerons. (Annales des Sciences naturelles, 1867, tome VIF.) x. Miscellanées zoologiques. (Ann. Sc. nat., 1867, tome VIIL.) . Sur un crustacé parasite de la Lobulara digitata. (Ann. Sc. nat., 1867, tome VIIL.) . Nota sopra un Alciopide parasitici della Cydippe densa. (Soc. Ital. del Sc. nat. 1867.) . De la structure des Annélides, etc. (Archives des Sciences, 1867, tome XXX.) . Des progrès récents dans l’étude des infusoires, princi- palement d’après F. Stein. (Archives des Sciences, 1868, iome XXXI.) NOTICE SUR ÉDOUARD CLAPARÉDE. 31 30. De la myopie au point de vue de la physiologie actuelle. (Archives des sciences, 1868, tome XXXIL) 51. Studien an Akariden. (Zeitschr. für wissensch. Zoolog. 1868, tome XVIIL.) 52. Beiträge zur Erkenntniss der Entwickelungsgeschichte der Chætopoden, von Ed. Claparède und Elias Mecz- nikow. (Zeitschrift für wissensch. Zoolog., 1868, tome XIX.) 53. Histologische Untersuchungen über den Regenwurm (Lumbricus terrestris). (Zeitschr. für wissensch. Zool. 1868, tome XIX.) 94. Recherches sur les Annélides présentant deux formes sexuées distinctes. (Archives des Sciences, 1869, tome XXXVL.) D). Les Annélides Chétopodes du golfe de Naples. Genève, 1868, 1 vol. in-4°. (Extrait des Mémoires de la Sociélé de Physique de Genève, 1868 et 1869, t. XIX et XX.) 56. Supplément aux Annélides Chétopodes, etc. Genève, 1870, in-4°. (Ibid., 1870, tome XX.) . Remarques à propos de l’ouvrage de M. Alfred Russel Wallace sur la théorie de la sélection naturelle. (Ar- chives des Sciences, 1870, tome XXXVIIL.) 58. Ouvrage inédit : Recherches sur la structure des Anné- lides sédentaires, 15 planches. Qt I On trouvera en outre, dans le Bulletin des Archives de la Bibliothèque universelle de nombreuses analyses d'ouvrages scientifiques, dont plusieurs offrent presque le caractère de notices originales. (Voir les années 1859-1871.) NaRE | Gay Éd — |_ PAMPHLET BINDER == Syracuse, N. Y. ZE Siockton, Calif. ! | DUR