Ijyr'i.

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NOUVELLE

MÉTHODE

DE CULTIVER

LA VIGNE

DANS TOUT LE ROYAUME;

Plus économique (s" \plus favorable à la perfeélien du Vin, que la Méthode ordinaire :

Prouvée par des Expériences.

Far M, M a u f i n , ancien Valet de Chambre

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A PARIS,

Chez M ü s I E R fils . Libraire’, quai des Auguftins.

R DCC. LXIIL Avec )[pfrobation & Pnvtie^^du Rot,

V:r'ïi-;f3''

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TABLE

DES CHAPITRES.

Discours préliminaire. F. i Chapitre premier. De la di- (lance des Ceps. p

ChaP. II. De la Préparation de la terre. 2.-^

ChaP. III. Des différents Cépa- ges propres à faire du Tin. 28 Chap. IV. De la convenance des differents Terreins , avec lès dif- férents Cepages. 32

Chap V . Du Plant de la Vigne.

Chap. VI. Du temps <& de la maniéré de planter. 3 5"

Chap. VII. Des opérations quil convient faire pour réduire les Vignes ordinaires à la dijtance propofée. 41

Chap, VIII. Des Fumiers* 48

iV T A B L E.

Chap. IX. De laTaille de la gne. 55

Chap. X. Des Labours^ 58 Chap. XI. Du temps déficher & de lier la Vigne à réchalas. 6 1 Chap. XII. De l" Ebourgeonne-^ ment. 62

Chap. XIII. De la Rognure. 6^ Chap. XIV. De la maniéré de faire le P’^in. 6^:

Chap. XV. Des Expériences. Chap. XVI. Comparaifon des frais des deux Cultures^ 85 Chap. XVII. Des avantages de la nouvelle Culture relative^ ment à P Agriculture & au Com- merce, 10 î

Fin de la Table,

V

APPROBATION.

J’a I lu, par ordre de Monfeignêüf le Chancelier , un Manufcrit qui a pour titre : Nouvelle Méthode de cultiver la Vigne dans tout le Royau-* 772e, plus économique Gr plus favorable à la perfeêlion du Vin que la Méthode ordinaire^ &c. ôc je n’y ai rien trou- vé qui me parût devoir en empê- cher rimpreflion. A Paris , ce 20 Janvier 1763.

MASSON.

PRIVILEGE DU ROL

ouïs, par la grâce de Dieu , Roi de France & de Navarre , à nos amés 8c

féaux Conlèillers , les Gens tenant nos Cours de Parlement , Maîtres des Requêtes ordinai- res de notre Hôtel , Grand-Confeil , Prévôt de Paris , Baillifs , Sénéchaux , leurs Lieu- tenans Civils, & autres nos Jufticiers qu’il appartiendra : Salut. Notre amé le Sieur M A U PI N , Nous a fait expofer qu'il defî- reroit faire imprimer & donner au public un Ouvrage qui a pour titre : Nouvelle Méthode de cultiver laVignCy prouvée par Vexpériencey s’il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres de Privilège pour ce nécelTaires. A ces caus£s>

voulant favorablement traiter rPxpoiani j Nous lui avons permis & permettons par cés Préfentes , de faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois que bon lui femblera , & de îe faire vendre & débiter par tout noire Royaume , pendant le temps de fîx années confécutives , à compter du jour de la date des Préfèntes, Faifons défenfes à tous Impri- meurs , Libraires & autres perfonnes de quel- que qualité & condition qu’elles (oient, d’en introduire d’impreffion étrangère dans aucun lieu de notre obéiffance ; comme aufïi d’imt- primer ou faire imprirher , vendre , faire vendre , débiter , ni contrefaire ledit Ouvra- ge, ni d’en faire aucun Extrait, (bus quel- que prétexte que ce puiffe être, fans la pef- mifTion expreffe & par écrit dudit Expofafit y ou de ceux qui auront droit de lui; à peine de confifcation des Exemplaires contrefaits, de trois mille livres d’amende contre chacrm des Contrevenants, dont un tiers à Nous, un tiers à l’Hdtel-Dieu Paris , & Tautre tiers audit Expofant , ou celui qui aura droit de lui , 8c de tous dépens, dommages & in- térêts : A la charge que ces Préfentes feront enregiftrées tout au long fur le Regiftre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d’icelles; que l’imprelTion dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume & non ailleurs , en bon pa- pier 8c beaux caraderes , conformément à la feuille imprimée attachée pour modèle fous le contre-fcel des Préfentes ; que l’Im- pétrant fe conformera en tout aux Régle- mens de la Librairie, 8c notamment à celui du 10 Avril 1725 ; qu'bavant de i’expofer en

Vente , le Manufcrît qui aura fèrvl de copie à rimpreffion dudit Ouvrage , fera remis dans le meme état l’Approbation y aura été donnée , ès mains de notre très-cher & féal Chevalier, Chancelier de France , le fîeur DE Lamoignon; & qu’il en (era enfuite remis deux Exemplaires dans notre Biblio- rhéque publique j un dans celle de notre Château du Louvre , un dans celle dudit fieur DE Lamoignon , & un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier, Garde des Sceaux de France , le fieur Feydeau de Brou; îe tout à peine de nullité des Préfentes. Du contenu delquelles vous mandons 8c enjôi- gnons de faire jouir ledit Expofiint & (es ayant caufe , pleinement & paifiblement, (ans Ibuffrir qu’il leur fbit fait aucun trou- ble ou empêchement. Voulons que la copie des Prélèntes qui fera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvra- ge , (bit tenue pour duement fignifiée ; & qu’aux copies collationnées par l’un de nos aimés & féaux Confèillers- Secrétaires , foi foit ajoutée comme à l’original : Comman- dons au premier notre Huiffier ou Sergent fur ce requis , de faire pour l’exécution d’i- celles tous ades requis & néceffaires, fans demander autre permiflion, & nonobftant Clameur de Haro, Charte Normande, & Lettres à ce contraires. Car tel eft notre plaifir. Donné à Paris , le neuvième jour du mois de Mars , l’an de grâce mil (ept cens foixante-trois , & de notre régné le qua- rante-huitieme. Par le Roi en ion Ccnfèil.

$tgné-i LE BEGUE.

, r .

Regîjlré fur le Regîjlre XV de la Chambré Royale Ù* Syndicale des Libraires Impri- meurs de Paris y num, 923 5 fol. 400, row- formément au Réglement de 1723 , qui fait défenfes-y art. 41 , à toutes perfonnes de quel- que qualité & condition quelles foient , au- tres que les Libraires & Imprimeurs , “îe vendre , débiter , faire afficher aticuns Livres four les vendre en leurs noms , foît qu^ils s^ en difent les Auteurs ou autrement ^ & à la charge de fournir à la fufdite Chambre neuf exemplaires prefcrits par V article 108 du même Réglement. A Paris ce 16 Mars 17^3#

Le Breton^ Syndic,

NOUVELLE

NOUVELLE

MÉTHODE

DE CULTIVER

L A V I G N E.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

T J ES progrès & ia perfedion des différentes parties de TA- griculture, le fouiagement du Cultivateur ; voilà, fans doute, les objets les plus dignes de l’at- tention publique. Ils ont un rap- port fl direél & fl prochain à la vie de l’homme , qu’on doit les regarder commie les plus im- portants pour lui. Rien de effentiel que la fubfiftance, & rien de fi beau que de s’en oc-

A

5 Nouvelle Méthode çuper. C’eft être utile dans le genre d’utilité le plus diftingué- comme le plus précieux. Quel^ le eftime & quelle reconnoi fian- ce ne devons-nous donc point aux favantes Sociétés qui con- facrent leurs talents & leurs foins à enrichir notre Agriculture , à chercher & à nous enfeigner les moyens de fertilifer nos ter- res , enfin à répandre parmi nous l’abondance & tous les biens qui en font la fuite ? Mais ce n’eft point allez pour l’Agriculr teur de connoître & de fentir' tout le prix de leurs bienfaits , il doit encore les féconder dans leurs travaux ; il doit, à leur exemple , s’attacher à dévelop- per les vrais principes de l’A- griculture, à en étendre les pro- grès , & plus encore à en per- feâionner les différentes par- ties. Il n’y en a aucune qui ne laifie encore beaucoup à défi-

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de CULTIVER LA Vigne.' 5’ rer ; mais fur-tout la Vigne, par le vice de fa culture , demande la première ôc la plus grande attention ; c’eft ce qui m’a dé- terminé à en faire le fujet par- ticulier de ce Traité.

La Vigne , après le Blé , efl la branche de l’Agriculture la plus confidérable , celle qui oc- cupe le plus grand nombre de Cultivateurs , celle qui intérelTe perfonnellement & direûement le plus de Citoyens ; mais c’eft auflî celle qui en appauvrit le

f»lus. Le Vigneron même, pour equel la Vigne doit être le moins avare , en eft prefque tou- jours la première viâinie. Sur dix , il n’y en a peut-être pas un qu’elle faffe vivre ; le refte eft dans la mifere : on peut en ju- ger par la difficulté de la per- ception des impôts. Le Bour- geois ,»je le fais par expérien- ce , n’en eft pas mieux traité \

4 Nouvelle Méthode il eft fouvent forcé de Tarra^- cher, ou du moins de l’aban- donner. Mais comment peut-il fe faire que la Vigne , qui eft na- turellement fi féconde , caufe la ruine de celui qui la cultive ? Quelles en peuvent être les çaufes ? C’eft , fans doute , la trop grande multiplication de la Vigne : ce font nos mœurs , qui, en nous rendant plus déli- cats & plus recherchés , nous attachent aux plaifirs du luxe , aux plaifirs artificiels , & nous dégoûtent de ceux que la natu- re plus fîmple ôc plus vraie nous offre fans ceffe dans les riches produ, étions de la terre. C’eft fur- tout la maniéré finguliere & peu naturelle dont on cultive la Vigne. La Vigne eft peut-être de toutes les plantes la plus vivace, celle qui met le moins de temps à croître & à fe for- cer J, dont les racines pouffent

£)E cultiver la Vigne, f en terre, s’étendent & s’alon- gent avec le plus de facilité ; celle, par conféquent, qui de- mande le plus d’écart. Cepen- dant , de tous les arbrilTeaux , la Vigne eft celui que l’on plante le plus près-à'près. Les ceps, au bout de quatre à cinq ans , n’ont fouvent pas un pied , un pied & demi de diftance en- tr’eux. Delà la néceilité, pout les entretenir, de les fumer fans celfe ; delà mille opérations aufli embarraffantes pour le Vi- gneron qu’onéreufes au Proprié- taire ; delà un nombre infini de frais & de dépenfes , dont l’effet le plus certain eft l’appauvrif- fement, & quelquefois la perte du Cultivateur, Mais fi cela eft, pourquoi donc cet empreffe- menc général à planter ôc à con- ferver la Vigne ? C’eft parce que la Vigne eft l’efpece de bien la plus commode pour le Bour-

Aiij

Nouvelle Méthode geois. C’eft parce que ce der- nier & le Vigneron féduits par quelques füccès paffagers , par le rapport apparent de la Vigne , comptent leur profit, plutôt fur la récolte que fur les avances qu’elle leur coûte ; c’eft enfin par inconfidération , par l’im- prefïion d’un ancien préjugé qui s’eft tranfmis jufqu’à nous , que la Vigne eftunbien avantageux, le meilleur bien. Et autrefois cela étoit vrai ; mais on ne fait pas attention que la trop gran- de multiplication de la Vigne, peut- être aulli la diminution de la population, & bien certaine- ment la révolution qui s’eft faite dans notre goût pour les plai- firs & les excès de la table , en augmentant, d’un côté , la pro- duêtion du vin , de l’autre, en diminuent naturellement lacon- fommation ; enforte que la Vi- gne , qui véritablement étoit

DE cultiver la Vignè; 7 autrefois un très-bon bien, en eft devenu aujourd’hui un fort mauvais. Autrement, pourquoi le Bourgeois , pourquoi le Vi- gneron délailTeroient - ils leurs Vignes, comme cela ne fe voit que trop fouvent ? Pourquoi , dans la grande multitude des Vignerons , y en a-t-il fi peu d’aifés ? Pourquoi , de tous les hommes qui travaillent la terre, le Vigneron eft-iile plus obéré, le plus indigent ? Pourquoi ? Mais non : fans m’arrêter da- vantage à démontrer l’épuife- ment du Vigneron , & l’obftacle invincible que cet épuifemenc met à la population , j’en ai dit affez pour prouver que la ma- niéré ordinaire de cultiver la Vigne, bien loin d’être profita- ble, efl: prefque toujours oné- reufe & quelquefois même rui- neufe pour le Vigneron & pour le Bourgeois ; d’où il eft ailé de

A iv

î8 Nouvelle Méthode juger quel nombre prodigieux d’hommes elle met dans la peine. Il faut donc la réformer , cette méthode , ôe lui en fubftituer une nouvelle , plus fimple , moins difpendieufe & plus avantageux fe au Cultivateur. C’eft le but que je me propofe. La perfe- £tion de la culture de la Vigne n’eft cependant pas le feul bien qui m’occupe. Mon deffein, en travaillant au foulagement du Cultivateur, eft encore de ren- dre cette culture utile au pro- grès de l’Agriculture , & par fuite à ceux du commerce. Voi- là les trois objets de cet Ou- vrage. Je commencerai donc par établir les principes de la nouvelle Culture ; enfuite je rap- porterai en preuve les expérien- ces qui les confirment : enfin je ferai voir les avantages qui en reviennent au Cultivateur , à l’Agriculture & au Commerce,

DE CULTIVER LA ViGNE. ÿ

CHAPITRE PREMIER

De la dljlance des Ceps,

CZ^E SEROiT naturellement ici le lieu rapporter l’origine de la Vigne , Jfbn étymologie , la dénomination des différentes parties qui la compofent ; mais ces connoiffances , plus curieu- fes qu’utiles , étant abfolument indifférentes à la perfeélion de la culture de la Vigne , qui efl le principal objet que j’ai en vue , je ne penfe pas devoir m’y arrêter. Ainfi je vais commen- cer d’abord par établir la diftan- ce que je crois à propos d’ob' ferver entre les ceps.

La Vigne étant, comme je l’ai déjà dit , une plante vivace , dont les racines s’étendent ôc s’alongent confidérablenient

ïo Nouvelle Méthodé j’eftime , qu’en quelque forte de terre que ce foit , on ne peut pas mettre les ceps à moins de quatre pieds de diftance en tout fens, les uns des autres. Dans les terres fortes , fur-tout cel- les qui font humides, je les ai- merois autant à cinq qu’à quatre.

Cet efpace , à la vérité , efl: beaucoup plus confidérable que celui qu’on laifle ordinairement entre les ceps ; mais il y en a tant de raifons , ôc il en réfulte de fi grands avantages , que je me flatte que tout le monde en reconnoîtra la néceflité fur l’ex- pofé que j’en vais faire.

En effet , Les racines des ceps ainfi éloignés, ayant s’étendre, n e fe trouvent point affamées par les pieds voifins , & fourniffent à leur cep une nourriture abon- dante. C’eft un proverbe ufité parmi nos Vignerons, que les -places rapportent. Il eft donc

DE cultiver LA Vigne, ii bien important de difpofer les ceps de maniéré qu’ils ayent plus d’écart entr’eux que dans la méthode ordinaire.

Cependant j’aimerois encore mieux les rapprocher que de les provigper, comme on fait com- munément. Cet ufage me paroît abufif & deflruâeur. En plan- tant les ceps les uns près des autres , chaque cep a non-feu- lement fes racines propres , qui pouffent horizontalement dans toute l’épaiffeur de la terre , mais encore des racines per- pendiculaires qui s’enfoncent dans toute la profondeur de cette terre , pour y puifer les fels & l’humidité qui s’y trou- vent.

Les ceps provignés , au con- traire , n’ayant tous qu’une fou- che commune & leurs racines latérales , il n’eft pas poffible qu’ils tirent de la terre autant

12 Nouvelle Methodé de nourriture que s’ils avoiené chacun leur pivot particulier. D’ailleurs il eft vraifemblable que la charge confidérable que l’on donne à la mere- fouche doit afFoiblir Pa£lion fes racines pivotantes , en forte qu’elles ne peuvent pas s en- foncer , ni s’étendre dans toute la profondeur de la terre , ÔC par cpnféquent il en relie beau- coup d’inutiles. En un mot , & ceci elt de la plus grande im- portance f & convient à toutes fortes d'arbres ; moins la fouche eft chargée de ceps , & le cep chargé de branches , & plus la Vigne eft forte ôc vigoureufe.

Il eft donc vrai de dire que la façon de provigner la Vigne ^ loin de l’améliorer, n’eft propre , au contraire qu’à la détériorer. Mais fl cette opération eft nui- fible à la Vigne, la maniéré de planter les ceps les uns fi près

DE CULTIVER LA Vigne, des autres , ne lui ell gueres plus avaiitageufe.

1°. Ces ceps n’étant féparés entr’eux que par de très-petites efpaces , leurs racines doivent en très-peu de temps fe joindre , fe mêler enfemble, & empietter les unes fur les autres. Alors quelle confufion ! quel défor^ dre ! Le moindre eflfépuifement de la terre.

La Vigne ne fe cultivant que dans l’objet du fruit, c’eft aller directement contre cet ob- jet que d’y multiplier les ceps , comme on fait ordinairement ,* cela eft aifé à démontrer.

En effet, fuppofons deux ar- pents de terre de cent perches chacun , la perche de vingt pieds.

Dans l’un , les ceps feront plantés à quatre pieds de diftan- ce de tout fens.

Pans l’autre , les cepç fetonf

14 Nouvelle Méthode à deux pieds de diftance éga-^ lement de tous fens.

Ainfi le premier contiendra , fi l’on veut , deux mille cinq cents ceps.

Le fécond en contiendra dix mille. Voilà donc dans ce der- nier fept mille cinq cents ceps de plus que dans le premier. Or chaque cep ayant fes racines , fa tige & fes branches ; voilà fept mille cinq cents tiges , leurs ra- cines & leurs .branches que la terre fera obligée de nourrir dans l’un de plus que dans l’au- tre. La feve employée à la pro- duction ôc à l’entretien de ces différentes parties , ne pouvant l’être en même temps à la pro- duêtion des raifins , pour lef- quels elle fe trouve réellement en pure perte , il eft vrai de dire , que c’eft aller contre l’objet du fruit , que de trop multiplier Jes ceps.

DE CULTIVER LA Vigne. 15*

Envain , pour défendre cette pratique, oppoferoit-on , que fl ces ceps l'urehargent la terre de l’entretien d’un bois confi- dérable , ils portent auffi leur fruit; enforte que par leur grand nombre , ils en donnent beau- coup plus que dans le premier arpent de Vigne, il n’y a que la quatrième partie des ceps contenus dans le fécond.

Cette objection fondée furie préjugé général eft , à la vérité , un peu fpécieufe ; mais il n’en eft pas plus mal aifé de la détrui- re, & de faire voir qu’elle porte abfolument à faux.

En effet, les racines étant les principaux organes de la nu- trition de la Vigne , ainfi que de toutes les autres plantes , la Vigne doit naturellement rap?- porter plus ou moins à raifon de ce que fes racines font plus ou moins fortes, plus ou moins

ï6 Nouvelle Méthode longues , enfin , de ce qu’elles ont plus ou moins de terre à s’é- tendre , & par conféquent plus ou moins de fucs à exprimer. Or dans la première fuppofition, les ceps ayant quatre fois autant de diftance entr’eux que ceux de la fécondé , leurs racines font cenfées avoir pareillement qua- tre fois autant d’étendue & de portée que les racines de la dèr- niere fuppofition ; par confé- quent elles doivent fournir à leur cep quatre fois autant de nourriture , & par fuite , quatre fois autant de fruit.

Il y a plus ; en fuppofant dans le fécond cas que les racines de quatre ceps pris enfemble fournilTent à ces quatre ceps autant de nourriture que dans le premier, les racines de cha-r que cep lui en fourniffent à lui féul , le même efpace de terre , q^uatre pieds q.uarrés , par exem»

DE CULTIVER LA ViGNf. 17 pie, contenant dans cette fécon- dé hypothefe quatre ceps , au lieu d’un feul qu’il contient dans la première, il s’enfuit que dans cet efpace, ce feul cep doit en- core profiter , pour l’augmenta? tion de fon fruit , de la feve employée dans le fécond cas, à la formation & à l’entretien des trois tiges de furplus ôc de leurs branches. Cen’eft pas tout encore ; les racines fe multi- pliant à raifon de la multiplicité des ceps , le fécond arpent doit contenir quatre fois autant de racines que le premier. Il eft vrai que dans celui-ci les raci- nes font cenfées avoir trois fois plus d’étendue ; mais il n’en eft pas moins vrai qu’elles y font en bien moindre quantité , 6c par conféquent qu’elles doivent bien moins épuifer la terre. Tren- te racines de quatre pieds de long fatiguent incomparable-

B

i8 Nouvelle Méthode ment moins la terre que cent vingt racines loftgues d’un feul pied : la raifon en eft claire.

Il doit donc pafler pour cer- tain ; 1°, que bien loin que la grande quantité des ceps ferve à la produétion des raifins , elle lui eft abfolument contraire ; 2®, que les racines feules doivent être le premier objet de la cul- ture, comme elles font les prin- cipaux organes de la nutrition des plantes & de leur fruélifica- tion. Gela eft établi de maniéré à ne devoir laifter aucun doute. Cependant , comme dans une màtiere aufti importante, on ne doit rien négliger de ce qui peut opérer ou fortifier la conviélion , on fe croit obligé d’ajouter à ce qu’on vient de dire , une réfle- xion qui achevé de le confirmer.

C’eft une vérité aufli recon- nue qu’elle eft palpable , que toutes les plantes tranfpirent

DE CÜLTIVÊR LA ViGNE. plus OU moins à raifon de leur porofité & de ia chaleur.

Une autre vérité non moins certaine , c’eft que par cette tranfpiration les plantes per- dent beaucoup de leur feve. Cela peut fur-tout fe remarquer l’Eté dans la grande ardeur du foleil , il fe fait une telle ra- réfaâion de la feve, & par cet- te raifon une fi grande évapora- tion, que non-feulement les plus gros légumes en tombent d’épui- fement; mais encore queles tiges jTîêmes des arbres en font quel- quefois brûlées & defféchées.

Il ell encore certain que cette tranfpiration eft plus ou moins forte , à raifon de l’étendue plus ou moins grande des furfaces ; enforte qu’en fuppofant dans les deux arpents les ceps d’éga- le groffeur, & par conféquent de furface égaie, il y aura dans le fécond trois fois plus de tran^

20 Nouvelle Méthode piration & de perte de feve que dans le premier. Mais comme il eft à croire que dans celui-ci les ceps acquerront . tout au moins le double de la groffeur des autres, il faut fuppofet que la tranfpiration fera double aufli, c’eft-à-dire , qu elle fe fera à raifon de cinq mille ceps , au lieu de deux mille cinq cents ; en ce cas ce fera èncore la moitié , & même en calculant à la ri- gueur , plus de la moitié moins de tranfpiration , & par confé- ■quent plus de la moitié moins, de perte fur la feve. Quelle pro- digieufe économie ! Il n’eft pas polfible d’en donner une évalua- tion fixe ; mais il eft sûr que plus on y réfléchira, & plus on la trouvera avantageufe, & telle qu’elle doit accroître confidéra- blement la vigueur des plantes. Ainfi, fous quelque point de vue qu’on enviîage la multiplicité

CULTIVER LA V IGNE. 21 des ceps , il eft vrai de dire qu’il y atout à gagner à les écarter y & tout à perdre à les rappro-, cher.

Envain diroit-on, que fi leur écartement convient à certaines terres, il peut être nuifible dans d’autres : les Vignes de Proven- ce , les Graves de Bordeaux & de quelques autres endroits , les ceps font encore plus éloignés que je ne le recom- mande , détruifent entièrement cette objeélion.

On ne feroit pas mieux fondé à’ prétendre que les ceps ainfî efpacés pouffant plus vigoureu- fement , ils donneront de fortes tiges , qui s’élevant d’année en année , formeront des Vignes hautes. , Avec de l’attention on peut les rabattre chaque an- née , indépendamment de ce qu’on doit les charger à propor- tion de leur force, 2°; Si ces

22 Nouvelle Méthode ceps , par la force de la terre J s’emportoient malgré tout , ce qui feroit déjà un heureux em- barras, le pis-aller feroit d’en étendre les branches de droite & de gauche comme en con- trefpalier , de la maniéré que cela fe pratique en quelques vignobles ( <? ). Il ne peut donc y avoir aucun inconvénient de ce côté ; ainli après avoir traité de l’écartement des ceps , relative- ment à l’abondance de la feve ôc à la vigueur qu’il leur pro- cure, je vais palier aux autres, avantages qui en réfultent.

Le fécond de ces avantages, après celui de l’abondance de

(a) Particuliérement en Franche- Comté , c’eft ce qiFîls appellent en Echameys , ou en Liqou- lot. Les échameys font faits avec des échalas de trois pieds & demi de hauteur , Sc de perches en long & en travers j qui forment un quar- té parfait 5 après ^uoi

on y attache le pied de la Vigne avec de To- fier* Le liqoulot n’eft élevé de terre que d’un pied avec des perches en long feulement: tous les échalas font arrêtés les uns avec les autres avec de rolier. Voyei^ prem. Vol. d’un Traité fui ia Vigne > p. 46^^

DE CULTIVER LA ViGNE. 25 la feve , ôc qui eft très-confidé- rable , c’eft que dans la prati- que que je propofe , les ceps ne font prefque point fufcepti- bles de la gelée : , parce que leurs racines , comme je l’ai fait voir, leur donnent plus de feve que dans la méthode ordinaire : , parce que l’air circulant li- brement autour des ceps , il en chaffe l’humidité : 3", parce que ^le's longs bois qu’on lailfe fur ces ceps vigoureux, étant faci- lement agités par le vent , l’hu- midité ne peut pas, pour ainli dire , s’y arrêter.

Un troifieme avantage non moins grand que les deux au- tres, & qui réfulte de l’éloigne- ment des ceps , provient en- core de l’air, qui, d’un côté, en purgeant rhumidité de la Vi- gne, la rend moins fujette à couler, & fes grappes à fe pour- rir j & de l’autre, exalte fa feve,

24 Nouvelle Méthode mûrit fes raifins , & leur donné une toute autre qualité que dans les Vignes ordinaires ; d’où s’en- fuit naturellement la plus gran* de perfection du vin.

Un quatrième avantage, quî efl le^principal que je me pro- pofe J eft l’économie confidéra- ble des façons & autres dépen- fes de la Vigne. J’en parlerai dans le plus grand détail à la fin de ce T raité.

CHAPITRE II.

De la préparation de laT trre,

.A. VA N T d’enfeigner la ma- niéré de préparer la terre, il femble qu’il feroit à propos d’en faire connoître les différentes fortes. Mais , , les notions or- dinaires fur cette matière me pa- roilTent fuififantes : 2°, cette

mariere

DE CULTIVER LA Vigne. îîiatiere eft fi étendue , ôc a été traitée par tant d’Auteurs , & fl fava^nm^nt par quelques-uns , que je ne peux pas mieux faire que d’y renvoyer {a), 3’’ , Le Vigneron le Bourgeois , dans ia plantation de la V igné , font communément indifférents" a ia qualité des terres , qu’il eü: alfez inutile d’entrer dans au^- €une difçutioiî à ce fujet. Je dirai cependant qu’en général la terre eft bonne , à raifon de ce qu’elle conlerve mieux fon humidité ; de ce qu’elle eft plus ou moins maniable y plus ou moins facile à labou^ rer ; de ce quelle contient plus ou moins de parties douces , fpongieufes , aufli propres à s’ouvrir aux influences de l’air

( a) Voyei le Journal économique , Juillet 1758 ; rEflTaî fur rainé- ^orarion des terres 5 un

nouveau Traité fur I* Vigne, premier volume I Mai fon ruftîque , édi«

tiondci755'»

Q

S.6 Nouvelle Méthode qu’à retenir long-temps ce qu’el- Jes en ont reçu.

A l’égard des terres propres à la Vigne , il n’y en a aucune dont elle ne s’accommode ^ mais 11 elle vient plus forte' dans les terres humides , elle fe plaît aufli dans les terres fe- ches, & y donne’un bien meil- Jeur vin.

Quant à la préparation de la terre , la vigne eft une plan- te tellement vivace & fi robufte , que pour la planter, on peut, abfolument parlant , fe con- tenter des préparations ordinai- res J quelqu’imparfaites qu’elles foient ; alors dans la pratique qu’on enfeigne, elle fera d’un tiers moins coûteufe que dans l’autre ; mais aufli de même que dans cette derniere, elle fera fort long-temps à croître & à rapporter , ainfi U fera encore

CULTIVER LA Vigne. 27 plus avantageux de préparer la terre de la maniéré que je vais l’indiquer.

Les premières racines de la Vigne font fi foibles & fi déli- cates , qu’on ne peut pas trop ameublir la terre qui les envi- ronne, ôc qui eft deftinée à leur donner leur première nourri- ture.

D’après cela, je penfe qu’il faut creufer les fofles pour le plant, foit croflette, foit che- velure , foit plant enraciné, de deux pieds de tout fens ; plus profondes elles n’en vaudront que mieux pouf les terres for- tes, fur-tout s’il s’agilToit de plan- ter des chevelures , ou du plant enraciné. Mais à l’égard des fa- bles ôc autres terres fort légè- res , non-feulement il feroit inu- tile de défoncer plus avant, parce que ces fortes de terres cedent facilement aux efforts des raci- Cij

$8 Nouvelle Méthode nés ; mais encore cela pourroît Être préjudiciable dans ces com? mencements il faut retenir , autant qu’il eft ppflible, l’eai; à la fuperficie, loin d’en faci? liter l’écoulement.

Ges folTes doivent être fouillées au moins trois ou quatre mois avant la plantation; fl cette at- tention n’eft pas abfolument né? çelFaire , du moins ne peut-ellq qu’être avantageufe.

CHAPITRE III,

P es différents Cepag^es pro^z près ajaire du Vin,

Le Morill ON noir qu’oiï appelle en Bourgogne Pineau , & à Orléans Auvernas , parce que la plante eft venue d’Auver- gne , eft fort doux , fucré , ex- cellent à manger ^ vient biei|

DE CULTIVER LA ViGNE. dp Hans toute forte de terre. Son bois a la coupe plus rouge qu’au* cun autre. Le meilleur eft ce- lui qui eft court, dont les nœuds ne font point efpacés de plus de trois doigts : il a le fruit en- taffé ,& la feuille plus ronde que les autres de la même efpece*

Il y a une fécondé efpece de Morillon , qu’on appelle Pineau àigret , qui porte peu & donne de petits raifins peu ferrés ; mais le Vin en eft fort & même meil- leur que celui du premier Mo- rillon. Ce fécond Pineau aigret à le bois long, plus gros, plus moelleux & plus fâche que l’au- tre ;les nœuds éloignés les uns des autres de quatre doigts au moins , Pécorce fort rouge ea dehors , & la feuille découpée en trois ou en patte d’oie.

Le Morillon façonné , autre- ment dit Meunier , parce qu’il à les feuilles blanches & fari-

Ciij

50 Nouvelle Méthode neufes , fait de bon Vin, charge beaucoup , ôc par cette raifon , fe multiplie , depuis plufieurs années, confidérablement dans les Vignobles des environs de Paris , au préjudice du Pineau qui charge moins , mais dont le Vin eft bien meilleur ôc beaucoup plus eftimé.

Le, Bourguignon ou TrelTeau ell un raifin noir aflez gros , meilleur à faire du Vin qu’à manger : il charge des plus , ôc donne de groffes grappes.

Le Sanmoireau fe nomme Quille de Cocq aux environs d’Au- xerre. C’eft un raifin noir excel- lent à manger ôc à faire du Vin r il a le grain un peu long ôc prefiTé.

Le Fromenteau eft un raifin exquis ôc fort connu en Cham- pagne : il eft d’un gris rouge, ôc la grappe en eft alfez grofle, le grain fort ferré, la peau dure.

CULTIVER LA Vigne, le fuc excellent , ôc fait le meil- leur Vin. C’eft à ce raifm que le Vin de Sillery doit fon mé- rite & fa réputation.

Indépendamment de ces ef- peces de raifms, il y en a en- core plulîeurs autres, tant de noir que de blanc ; mais à l’é- gard du noir , les efpeces en font fi groflîeres, qu’elles ne peu- vent faire que de mauvais Vins,

A l’égard du blanc , quoiqu’il y en ait plufîeurs efpeces efti- mables , dans l’objet du Vin rouge, on n’en confeille point l’ufage. En effet, le raifin blanc ' étant de fa nature plus aqueux ôc moins fubftantiel que le noir, il gâte la couleur duVin rouge,ôc le rend en même temps plus foible, plus mou ôc plus liquoreux. Une faut donc point en planter, du moins dans les pays feptentrio- naux ; car pour les pays méri- dionaux, où la chaleur excefiive

C iy

5 2 Nouvelle MfTHODî:

donne du Vin plein de feu, éd feve , & beaucoup plus épais que dans nos meilleurs Vigno- bles , je penfe qu’il eft fouvent avantageux d’y mêler les diffé- rents cepages de rouge ôc de blanc.

CHAPITRE IV.

De la convenance des diffé- rents Terreins , avec les différents Cepages,

Îl Y A tant de fortes de terre entre la terre forte & la terre légère , qu’il n’eft pas pofltble d’afTiffner à chacune d’elles l’ef-

O

pece de cepage qui lui con- vient le mieux. Cependant on peut dire en général ; , que toutes les fortes de terres s’ac- commodent de toutes les for- tes de cepages j , que dans

ÙB CULTIVER LA V IGNE. 3 $ l’objet de la qualité du Vin, il faut préférer les cepages moins greffiers à ceux qui le font plus

^ qu’il faut proportionner la qualité des cepages à celle la terre : ainli dans les terres légère^ , on y plantera les efpe- ces délicates , celles qui deman- dent le moins de nourriture , dans les terres fortes , les efpe- ces qui chargent le plus j avec cette ditférence cependant, que les complants plus délicats j donneront de meilleur Vin dans les terres fortes que les plus greffiers , & y réuniront mieux que ces complants greffiers ne réuffiroient dans les terres lé-, gérés.

Peut-être m’objeûera-t-on j que ces complants délicats donneront un vin fin & par trop léger ; mais , d’un côté , en obfervant de ne planter que du cepage rouge, le V in en acquerra

Nouvelle Méthode beaucoup plus de corps qu’efll mélangeant , comme on fait or- dinairement, le blanc avec le rouge : d’un autre côté , les cé- pages groffiers , dont on fait ufa- ge, ne parvenant prefque ja- mais à leur maturité , ils don- nent au Vin bien moins de corpS que de verdeur & d’amertume ^ âinfi je penfe qu’ils lui font plus contraires qu’avantageux.

CHAPITRE V,

Du Plant de la Ktgné,

La Vigne fe plante & fe per^ pétùe de boutures , autrement dit, crolTette , chapon, mar- , cotte , ou de plant enraciné, qu’on appelle Plan chevelu &" chevelé. Ce dernier, ôc ce qu’on appelle Chevelures aux environs de Paris , font préférables à U

cüLTivÈRLA Vigne* 55? croffette , en ce qu’ils rapport tent plutôt ; mais la croffette leur eft préférable , en ce qu’el- le coûte nfoins , dure davanta- ge , & que le choix en eft beau- coup plus facile que du plant enraciné. Seulement il faut avoir l’attention que la croffette ait, autant que cela fe pourra, à l’extrémité d’en bas , du bois de deux feves ; elle en portera plutôt du fruit.

CHAPITRE VI.

Du temps & de la maniéré de planter.

La Vigne, ainfi que les Ar- bres, doit être plantée en Au- tomne : la terre alors s’affaif- fant par fon propre poids , & par les grandes pluies de l’Au- tomne & de l’Hiver , les raci-

$ $ Nouvelle Méthode nés ferrées & enveloppées dd toutes parts par la terre qui les environne , fe trouvent , au Printemps , en état de pom- per les fucs de cette terre, & de nourrir abondamment leur

moyen le nouveau plant réuf- lît plus fûrement , & rapporte beaucoup plutôt. Il eft donc bien avantageux de fuivre cette

f)ratique , non-feulement pour és terres légères, mais encore, dans mes principes , pour les terres fortes ôc humides.

Quant à la maniéré de plan- ter ; les foffes préparées , com- me je l’ai dit, fi c’eh: du plant enraciné ou des chevelures , il faut les planter avec toutes leurs racines ôc leurs chevelures, en obfervant d’en rafraîchir lé- gèrement le bout , & d’écour- ter celles qui pourroient avoir

plante.

On peut alfurer que par c

DE CULTIVER LA ViGNE, 37 été bleffées. On doit être cer- tain que le plant ne tardera pas à reprendre, & donnera du fruit dès la fécondé année. J’en ai fait l’épreuye.

Dans le courant du mois de Mars 1750, je fis, par expérien- ce , lever de vieux ceps , & des chevelures ; ^ufii tôt je fis creu- fer des trous de deux pieds, deux pieds & demi de profondeur, & autant de largeur ; j’y plantai mes vieux ceps &mes chevelu- res avec foin & avec toutes leurs racines : ces ceps , ou du moins les vieux , m’ont donné du fruit dès la même année , ôe ericore celle-ci. Les chevelu- res, à la vérité , n’en ont point fourni ; mais certainement elles m’en donneront l’année pro- chaine, ôc m’en auroient donné dès cette année , fi mes occu- pations , en me portant à d’au- tres objets^ m’euffent permis df

|8 Nouvelle Méthode les faire tailler , & de les faire labourer dans le temps & de la maniéré qu’il convenoit. J’en juge ainfi par leur bois , & fur-^ tout par leurs racines que j’ai fait déchaulfer à quelques-unes, & qui font très -b elles , très^ longues, très-fortes ôc en gran- de quantité. Mon Vigneron, à mon infçu , planta le même jour quelques chevelures , fuivant l’ufage ordinaire j mais il s’en faut de beaucoup qu’elles aient autant profité que les miennes.

Il faut donc planter la Vigne avec toutes fes racines & fes chevelures ; en les recouvrant, on aura foin de les féparer,de les alonger , & de les difpofer de maniéré , qu’autant qu’il fera pofTible, elles ne fe touchent point , & qu’elles fe trouvent dans la terre à différentes épaif- feurs. On aura foin aufîi qu’il y git fous les racines un detni^

DE CULTIVER LA ViGNE. 3p

Î)ied de miettes de terre, & que a foffe fort remplie au niveau du fol. Cette derniere attenr tion , néçeffaire aux terres lé- gères à çaufe de la gelée, Teft encore plus dans les terres for- tes , à caufe de leur grande hu- midité.

Au furplus , quand on pref- jCrit toutes ces précautions , ce n’eft pas qu’elles foient abfolu - ment indifpenfables , en forte que fans cela la Vigne ne puilTe pas réulîir ; mais c’eft pour en affurer d’autant plus le fuccès , /& pour en avancer le rapport.

Pour ce qui ell de la crof- fette , plus elle aura de lon- gueur, plus la partie qui fera couchée ou élevée en terre , portera de noeuds , & plus elle jettera de racines , & par con- féquent plutôt elle donnera du fruit.

A l’égard de la quedioji

Nouvelle Méthode fouvent agitée , s’il eft à propos ou non de fumer la Vigne en la plantant. Je fuis, avëc plu- fieurs Auteurs , pour l’affirma^ tive. Envain diroit-on que c’eft un aliment trop fort pour un fujet fl délicat : on ne yoit pas fur quoi ce fentiment pourroit être fondé. S’il y avoir du dan- ger, ce ne pourroit être que dans la maniéré ôc peut - être dans la fuite, par ^ignorance d’un Vigneron, qui , _fe laiflant féduire par une apparence de vigueur, pourroit furcharger le jeune cep. Cependant , en fou- tenant que le fumier ne peut pas auire aux progrès de la plan - ire , & au contraire ; je penfe que , fur-tout dans les fables & dans les terres légères ou trop brûlantes , il feroit beaucoup plus avantageux, dans le temps de la plantation, de mettre au pied du cep, la valeur de deux

bE CULTIVER LA ViGNE. 41, paniers de terre , foit franche , foit forte , foit même glaife , pourvu qu’elles foient bien mû- ries à l’air ôc bien pulvérifées. Il eftaifé de feiitir tous les avan- tages qui en peuvent réfulter. Un des plus confidérables , c’eft d’éviter par-là le fumier fi coû- teux , & en même temps fi pré- judiciable à la qualité du Vin.

CHAPITRE VIL

Des Opérations quil con- vient faire pour réduire les Vignes ordinaires a la dijlance propofée.

La Vigne eft de toutes les plantes , une de celles qui du- rent le plus ; cependant on peut dire que communément elle ne paffe gueres quarante à cinquan- te ans : ainfi pour en entretenii:

D

42 Nouvelle Méthode la même quantité , il faut croîrô que chaque année on en re- plante la quarantième ou la cin- quantième partie. Quand donc on ne fuivroit la culture que j’indique , que relativement à cette quantité y ce feroit tou- jours une grande économie ÔC un grand avantage pour le Cul- tivateur. Mais cet avantage fera incomparablement plus confi- dérable en étendant cette pra- tique à toutes les Vignes en général. Il eft vrai que les Vi- gnes faites , offrant ce femble un bénéfice préfent , on aura peine à y renoncer en vue d’un bénéfice à venir , qui paroît toujours moins affuré. Mais , , parmi ces Vignes faites, il y en a toujours beaucoup à re- faire : 2°, En les fuppofant dans le meilleur état, il faut au moins les entretenir ; & alors il faut trois fois plus d’échalas , trois

de CULTIVER LA Vigne. 4^ fois plus de fumier , trois fois plus de façon , & il en coûte au moins pour les labours un tiers de plus que dans la mé- thode que j’enfeigne : 3°, Les Vignes établies , fuivant cette derniere maniéré , dureront au moins dix ans , vingt ans ôc peut-être trente ans de plus que dans la maniéré ordinaire : ainfi , à tout compter , il eft aifé de voir qu’il leroit encore plus avantageux de réduire toutes les Vignes à la diftance que je recommande. Un exemple ren- dra la chofe encore plus fen-' fible. V

Suppofons deux arperits de Vigne, égaux en tout, plantés fuivant l’ufage commun.

Suppofons encore que , pour les cultiver , il en coûte , tout compris, 100 liv. qui en rap- portent i JO liv. c’eÛ JO liv. de profit net par arpent.

44 Nouvelle Méthode

De ces deux arpents , nouS en laiflerons un à la culture j ordinaire , l’autre fera réfor- mé fur mes principes ; le pre- mier coûtera de culture loo liv. & continuera de rapporter ua profit net de 50 liv.

Le dernier coûtera de cul- ture f O liv. & ne rapportera la première & la fécondé année que le prix de fes façons ; mais à la troifieme & aux fuivantes, il rapportera autant & plus que l’autre arpent, c’eft-à-dire, au moins lyoliv.

Sur ces i^o liv. il rî’y a à pré- lever pour les frais de culture que 50 livres ; donc par année il rapportera de bénéfice net 100 iiv. C’eft JO liv. par an de plus que le premier.

Celui-ci, dans les quatre pre'- mieres années , aura donné , à raifon de jo liv. par an , un pro- duit de 2 00 livres i celui-là, dans

CÜLTIVER LA ViGNÉ. 4f les deux dernieres de ces qua-* tre années , donnera également ^ à raifort de loo liv. par an, un produit de 200 liv. Donc dès la quatrième année le Cultiva- teur aura retiré autant de béné- fice de l’un que de l’autre , & aura en outre , par la fuite , dans l’arpent réformé , 50 liv. de bé- néfice par an, de plus que dans l’autre. Il feroit donc bien avan- tageux pour lui d’adopter en- tièrement la méthode qu’on lui propofe ; il ne pourroit s’y re- fufer qu’autant qu’il douteroit de la diminution des frais de culture, & que fa Vigne ainfi éclaircie , lui rapportât autant qu’auparavant ; mais à l’égard des frais, l’entretien de la Vi- gne devant être en proportion avec la quantité des ceps qu’el- le contient, dès qu’il y a une fuppreffion de plus des cinq fi- xiemes de ces ceps, la diminu-

4(? Nouvelle Méthode tion des frais qu’ils entraînenf doit paffer pour démontrée, ôc le fera encore plus à la fin de cet Ouvrage.

A l’égard du produit, les prin- cipes que j’ai établis & les ex- périences que je rapporterai , prouvent de la maniéré la plus viélorieufe , qu’il eft égal ÔC même fupérieur au produit des Vignes ordinaires.

Il eft vrai que ces principes ont été difcutés particuliére- ment à l’occafion de la planta- tion ; mais ils n’en conviennent pas moins à l’opération que je propofe. En effet , le cep qui reftera feul fur la mere-fouche, n’ayant plus à partager fa nour- riture avec les ceps voifins ; il profitera feul de toute la fe- ve de la mere-fouche, éten- dra fes racines, ôc deviendra fort & vigoureux , ôc d’une grande abondance j cela eft certain , ôc

DE CULTIVER LA Vigne. 47 fera encore prouvé par les ex- périences que je rapporterai : ainfî il n’eft plus queftion que d’établir la maniéré dont on doit procéder à l’écartement des ceps.

Cet écartement fe fera , en arrachant tous les ceps qui fe trouveront dans les quatre pieds qu’il faut laiffer de diftance d’un cep à Pautre ; lorfqu’on arra- chera ces ceps , on aura foin de ne point endommager les gîtes,

A Pégard de ceux que l’on confervera , quand ils ne fe rencontreront point jufte à la di- llance de quatre pieds , on pour- ra les rabailTer en terre à peu près comme on fait pour pro- vigner , enforte que les racines ne fe trouvent point trop près de la fuperficie.

Ces opérations , comme on le voit, font fort fimples ; elles ne coûtent pas même le prix

48 Nouvelle Méthode des échalas inutiles que l’on peuf revendre 5 ainfi tout fe réunit pour déterminer le Cultivateur à les entreprendre & à mettre , comme j’ai fait moi- même, tou« tes fes Vignes jeunes ôc vieilles par rangées.

CHAPITRE VUE

Des Fumiers*

La fécondité de la terré devant naturellement s’épuiCer par fes productions fuccelïîves , il paroît nécelTaire d’en renou- veîler les Aies de temps en temps ; mais A cela eftindifpen- fable , ce doit être principale- ment dans les terres plantées , foit en Arbres , foit en Vignes, les labours ne pouvant pé- nétrer aullî avant que les raci- foit, il femble qu’il n’y a que le

fumier ^

DE CULTIVER LA ViGNE. 4p fumier, les engrais en général qui puiffent reftituer à ces ter^ res les fels & la fertilité qu’el- les ont perdues. Cependant je fuis perfuadé que dans la prati- que que je propofe , on peut, abfolument parlant, s’en palier, non-feulement dans l©s terres fortes , dans les bonnes terres , à l’égard defquelles,, en obfer- vant les attentions ci-après , je fuis convaincu que le fumier n’eft jamais, ou que très rare- ment nécellaire , mais encore dans les fables ôc dans les ter- res légères, u i

En effet, i°, les racines étant^ dans mes principes , beaucoup plus fortes , plus longues ôc plus vigoureufes qu’elles ne peuvent l’être dans l’ulàge; or- dinaire, elles doivent toujours donner une feve abondante à leur cep : 5^ La terre que j’ai recommandé mettre au pied

Nouvelle Méthode du cep lors de la plantation , éfant à quatre ou cinq pouces de la ‘ruperficie , peut, par fa qualité , être regardée comme yn engrais perpétuel , aulTi pro- pre à maintenir la fraîcheur de la plante , qu’à lui conferver les fels & 4es parties nutritives qu’elle reqoit du labour & des pluies; 3°, Au lieu de fumier 011 peut mettre, & cela feule- pient aux ceps qui en auront abfolument b€foin,un ou deux paniers de la première terre que •j’ai indiqué : cela coûtera bien moins , durera beaucoup plus , jSc ne fera ni aux racines , ni à |a qualité du Vin , le même tort que le fumier : 4°, On peut fup- pléer avantageufement au fu- mier , en donnant à la Vigne un labour au mois de Novembre. Ge labour fe fait pour faciliter dans la terre l’entrée des pluies îibondantes de l’Automne & de

DE ,CÜLTI¥ÊR LA ViGNE, f 1 l’Hiver , de maniéré qu’elles puilTent , s’il eft polTible , delr cendre jufqu’au pied des plan- tes : c’efl peut-être, par cette jraifon , le plus elTentiel des la- bours ; & à cette occafion j’ob- ferverai que je fuis bien éloi- gné de prétendre indiflinéle-- ment , comme quelques Au- teurs , que les hivers fecs font les plus avantageux pour les plantes : cela elî vrai pour les plantes annuelles , & pour la deftruêtion des infectes ; mais autrement ce ne peut rêtre pour les plantes vivaces , telles que les Arbres ôc la Vigne , dont les profondes racines ne peu- vent être vivifiées que par les grandes pluies, qui leur portent l’humidité 6c les fels nécelTaires pour leur végétation.

, Enfin , on peut fe pafler de fumier , en obfervant avec foin de maintenir la Vigne baffe

Eij

5’a Nouvelle Méthode de tige, en n’en laiflant point trop vieillir les branches , en n’en multipliant point trop les têtes , & en la taillant toujours relativement à fa vigueur & à fa derniere pouffe. Cette atten- tion , fur-tout fi l’on y joint le îabour d’Automne, eft fi impor* tante & fi avantageufe, qu’à moins d’accidents extraordinai- res, on peut compter que la Vi- gne, une fois bien venue & d’ail? leurs bien conduite , n’aura ja- mais befoinde fumier, ni même d’être terrée, ou du moins que très-rarement ; ainfi le fumier, dans mes principes , devenant inutile , je me difpenferai d’en faire connoître les différentes fortes & leurs propriétés.

t)E CULTIVER LA VlGNE.

CHAPITRE IX,

De la Taille de la Vigne,

néceffaire à la Vigne qu’aux Ar- bres fruitiers. Mais dans quel temps faut-il la faire ? Les uns prétendent que ce n’eft qu’au renouvellement de la feve ; les autres , & c’eft le fentiment des plus favants Auteurs anciens 6c modernes , prétendent qu’il eft plus avantageux de la faire en Automne : pour moi, voilà la troilieme année que j’en ai pris l’ufage, ôc je m’en fuis toujours bien trouvé. Il n’eft point juf- qu’à mes Vignerons , qui s’é- toient d’abord foulevés , qui ne reconnoiflent qu’au moins il n’y a aucun inconvénient dans cette pratique. Il y a plus de diffi-

Eiij

54 Nouvelle Méthode Gulté fur la maniéré ; cela doit dépendre de la vigueur de la Vigne: fi elle eft foible, il faut la tailler courte ; fi elle eft forte, il faut la tailler à vin, c’eft-à- dire, y faire de longs bois, comme j’ai fait cette année ^ fur une bonne partie dçs ceps de mes Vignes ; mais fur-tout, & c’eft encore une attention que j’ai eu & dont mes Vigne- rons s’étoient bien écartés , il faut retrancher rigoureufement, fur chaque cep , tous les vieux bois , toutes les têtes qu’on n’y juge pas abfolument néceffaires;: fauf à faire de longs bois , & à donner plus de taille aux brins qu’on a iaiffés : des exemples rendront la chofe plus fenfible.

Suppofons d’abord un cep qui portera quatre têtes : fi on ^ iaifie ces quatre têtes , on pour- ra tailler les deux plus baffes à deux yeux chacune, & les deux

DE CULTIVER LA ViGî'JE. ^5? autres à trois yeux^ Je connois des Vignerons qui ne taille- roient fûrement pas autrernent 2 cependant il feroit beaucoup mieux de retrancher une tête , d’en tailler deux à quatre yeux j & la plus baffe à deux. On aura la même quantité de boutons , & néanmoins on économifera la feve d’une tête< On doit être affuré que le cep s’en portera beaucoup mieux.

Autre Exemple*

Suppofons encore , comme j’en ai vu , & comme il eft aifé d’en voir fur des ceps vigou- reux plantés dans mes princi- pes ; fuppofons , dis-je , au pied de la tige un fort jet de deux ans , long de quatre pieds , qui aura produit la derniere année douze brins de farment ; cer- tains Vignerons , attendu la grande force du cep , tailleront ^

^6 Nouvellè Méthode: '

& ceci n’eft pas fuppofé, tail- leront , dis-je , à deux yeux fur chacun de ces brins ; d’autres plus entendus commenceront à retrancher les fix derniers brins de l’extrémité , & tailleront à trois yeux fur les fix reliants : peut-être feroit-il encore mieux de tailler feulement fur cinq brins , dont le plus bas à trois yeux, les deux fuivants à quatre, & les deux derniers à cinq ou à lîx: quoi qu’il en foit, il ell cer- tain que ces derniers , par la fuppreffiort des lîx ou fept brins , &du vieux bois qui les portoit, font une économie conlîdéra- ble de la feve ; & cependant le cep fe trouve taillé pour une égale & même pour une plus grande quantité de fruit.

C’ell aiwfi qu’un Vigneron in- telligent fait faire rapporter fa Vigne , & en même temps la conferver à peu de frais j oîi un

CULTIVER tA ViGNE. ^"1 Vigneron peu inftruit ou mal intentionné , comme il y en a tant, la ruine , & le Propriétai- re qu’il conftitue dans de gran- des dépenfes pour la rétablir.

Pour ce qui eft de la taille du jeune plant, foit crolTette, foit |)lant enraciné , il faut le tailler a deux yeux j la fécondé année, on pourra le tailler à deux tê- tes, chaque tête à deux yeux ; le tout cependant félon la vi- gueur de la pouffe. Quelques- uns prétendront mieux faire en ne le taillant ,point du tout cet- te fécondé année. Mais ce prin- cipe ne me paroît point fondé : tailler un arbre , quelque cliofe qu’on puilfe dire au contraire , fera toujours le décharger.

A l’égard de la troifieme an- née & des fuivantes , c’eft la force du cep qui doit décider. On obfervera feulement dans ces commencements , de char-

58 Nouvelle Méthode ger à la taille plutôt moins que plus.

CHAPITRE X.

Des Labours.

Les labours aident tellement la végétation , que je penfe qu’on n’en peut pas trop donner à la Vigne : il ne faut pas qu’ils foient profonds , mais fréquents pour détruire l’herbe , qui man- ge la graiffe , & boit l’humidité de la terre. Je ne crois rien de plus nüilîble aux plantes que les mauvaifeS herbes ; & par conféquent rien de plus avan* tageux que leur deftruétion.

On efl dans l’ufagede donnef trois labours à la Vigne ; ôc , ab- folument parlant, cela eft fufB- fant ; cependant il ne pourroit^ comme je l’ai déjà obfervé^ qu’être fort utile de lui en don*

de cültiverla Vigne, fter quatre, dont le premier en Automne ; c’eft une dépenfe de plus j mais dont on doit’ être certain que l’on fera avan- tageufement rembourfé à la ré- colte {a).

Les trois autres labours fe donneront ; le premier , plutôt dans les terres feches que dans celles qui ne le font pas , de- puis le commencement de Mars jufques vers le milieu d’Avril ÿ le fécond , une quinzaine de jours avant la fleur ; & s’il n’a pas été fait dans ce temps , il faut attendre que la Vigne foit entièrement défleurie , ôc que tout le fruit foit noué ; le troi- fieme fe donne ordinairement au commencement d’ Août,

Au refte , ces labours s’avan- cent plus ou moins, fui vant que le temps eft plus ou moins fa- vorable, que les terres font plus

( ft) Ceft ma pratique, & je m’en trouve fort Hieis>,

'<^0 Nouvelle Méthode ou moins feches , enfin que l’année eft plus ou moins hâ- tive.

Quant à la maniéré de faire ces labours , pour ne point em dommager les racines de la Vi- gne, je penfe que, même les , deux premiers labours , ne doi- vent pas excéder la profondeur de trois pouces. Cette profon- deur eft fuffifante pour détruire l’herbe ; c’eftmême le moyen le plus sûr d’y parvenir. En pi- quant plus avant, non feulement on blelfe les racines , mais en- core, au lieu de couper les mau- vaifes herbes & leurs racines, on les enterre toutes entières par gazons , en forte qu’elles ne font que changer de place & quelles repoulfent de même qu’auparavant: le Vigneron doit donc , dans tous fes labours , avoir l’attention de ne point piquer fa houe perpendiculai-!

DE CULTIVER LA ViGNE. 6l rement en terre ^ comme il fait ordinairement , mais de la glif- fer obliquement & horizontale- ment entre deux terres à la pro- fondeur que je viens d’indiquer ; alors il détruira bien plus sû- rement les mauvaifes herbes & leurs racines , qui , par ce moyen, fe trouveront féparéeg; les unes des autres»

CHAPITPvE XI.

I)u temps de ficher & de lier la Vigne à Véchalas.

Il est à propos de ficher dès le mois de Mars , ou du moins au commencement d’Avril, en ob- fervant de placer les échalas à l’o-^ rient des ceps. Cette attention, en abritant une partie du cep (des premiers rayons du foleil

^2 NouyELLE Méthode levant J fert fouvent à le pré^ ferver de la geldip.

C’eft aufli dans ce temps qu’il faut lier le vieux boi$ à l’écha* las : le bois vert ne fe lie qu’a?* près rextinètion de la fleur.

CHAPITRE XII.

De r Ebourgeonnement.

L’ébourgeonnement fe fait pidinairenient en Mai & quel- quefois en Juin:pn ne peut le faire trop tôt.

Il confîfte à retrancher tous les nouveaux remettons quicroif- fent au deflTous de H tête du cep & qui fortent du tronc. On fupprime encore tous les bourgeons qui pouflent fur le bois de la derniere taille , lorf- qu ils n’ont point de grappes, ôc

DE CULTIVER LA ViGNE. <$J qu’ils ne font point néceflaires pour le bois de l’année fuivanr te ; car en ce cas , non- feuler menton les laiffe, mais quel- quefois même dans la vue de rabaifler la Vigne toujours trop difpofée à s’élever , on çonferve le plus fort des bourgeons de l’année qui pouffe au pied du cep. Cette attention, fur-tout, eft fort importante dans les Vignes cul- tivées dans mes principes ; au- trement les ceps , beaucoup plus vigoureux que dans la méthode ordinaire , s’éleveroient aufl] beaucoup plus haut , & par-là s’épuiferoient en peu de temps, il y a encore une autre forte d’ébourgeonnement qui fe fait lors de la taille ; c’eft d’abattre non-feulement les petits yeux qui fortent de la fouche , mais encore ceux qu’on juge inutiles fur le bois de l’année derniere, comme les premiers yeux qui

(^4 Nouvelle Méthode naiflent fur le bois à l’approche de la fouche, qui produilent ra- rement du fruit, & dont on n’a point à efpérer de beau bois pour l’année fuivanteo Cette ef- pece d’ébourgeonnement trop négligé fert à fortifier les yeux qui relient, & par conféquent ne peut qu’être fort utile.

CHAPITRE XIII.

De la Rognure.

Î^OGNER la Vigne , c’efl arrê- ter ou couper le bout des bran- ches , ôc retrancher les menus rejettons qui fortent du bas & des côtés de la fouche : cette façon fe donne quelque temps après la fleur , pour aflurer. une feve abondante aux fruits- qui fe font déclarés , & pour faci- liter aux rayons du foleil les moyens de mûrir les raifms ;

mais

toÉ CULTIVER LA Vigne. 6^ mais à l’égard des ceps qui poul^ fent beaucoup , elle me paroît tout au moins fuperflue , d’au- tant, qu’en ce cas , elle n’eft pro- pre qu’à faire naître fur le brin qui a été pincé , de foibles jets dont on ne peut faire ufage.

CHAPITRE XIV.

JDe la maniéré de faire le J^in,

La Vigne ne fe cultivant que dans l’objet du Vin, il eft na- turel d’enfeigner la meilleure maniéré de le faire. Cette ma- niéré eft fi importante , quelle fuflit quelquefois pour tirer de l’obfcurité , des Vins qui étoient abfolument inconnus. Cepen- dant fl elle fuffit pour rendre le Vin meilleur, il ne faut pas croire qu’elle fuffife également

66 Nouvelle Méthode pour le rendre parfait ; la per- feâion du Vin dépend princi- palement du grain de terre , de Tefpece du complant, & de Texpofition des ceps.

A l’égard du grain de terre , on n’eftpas maître de fe le don- ner ; on ne peut que choifir le meilleur.

Par rapport au complant^orî en connoît à peu près les meil- leures efpeces ; on doit donc les préférer.

Quant à rexpofition , qui^ avec le complant, décide prin- cipalement de la qualité du Vin, il n’y a point de grand vigno- ble où il n’y en ait de très-fa- vorable: on peut donc, dans ces fortes de vignobles , faire d’ex- cellentVinjmais on le peut faire, fur-tout dans la méthode que je propofe ; je n’en répéterai point les raifons , il jeft aifé de fe les repréfenter. Je dirai feulenienr

OE CULTIVER LA ViGNE. 6-J que réloignement des ceps ^11 avantageux à la perfedion du Vin, que c’eft la voie la plus sûre, &la feule qui puiffe per- feûionner nos Vins, fur-tout dans les parties feptentrionales. Quel intérêt l’Etat & le Culti- vateur n’ont- ils donc pas à l’a- dopter ? Mais ces Vins feront encore plus parfaits , fi, en ob- fervant d’ailleurs toutes les pré- cautions qui font d’ufage dans les meilleurs vignobles, on égrappe les raifins avant de les Jetter dans la cuve. En féparant ainfi les lai- fins de leurs grappes , oai enleve toute l’âcreté qu’elle leur com- munique ; alors on peut, fans crainte , laifier fermenter le moût jufqu’à la parfaite cuifTon du grain. Le Vin qui ne fera pas , comme dans l’ufage ordi- naire, chargé des parties grof- fieres & hétérogènes ^ la gra-

Nouvelle Méthode pe, fera beaucoup plus agréa- ble , plus moelleux , & en même temps plus coloré, plus ferme & de plus de garde. Depuis trois ans j’en fais l’expérience j & je puis alTurer que mon Vin efl: fupérieur & fe conferve mieux que les Vins du même lieu. Le Vigneron, qui a peine à en trouver la raifon dans une caufe aullî fimple, fe perfuade que je travaille mon Vin , tant il eft convaincu de fa fupério- rité. Mais ce n’elt point alTez de-faire de bon Vin, il faut en- core le conferver ; pour cela il eft nécelfaire de le tirer de deffus fa lie le plutôt qu’il eft poftible. On pourra , pour la première fois , le tirer a clair dès le mois de Décembre , & pour la fécondé fois au mois de Mars. L’air &la lie font les deux fléaux du Vin. A l’égard des caves , comme

trÈ CULTIVER LA VlGNË. 6ÿ le Vin ne peut foutenir le voi-* finage d’aucune odeur forte, il faut avoir l’attention d’écarter tout ce qui pourroit en occa- fionner , & y entretenir la plus grande propreté.

CHAPITRE XV.

Des Expériences,

Les principes que j’ai établis jufqu’à préfent font fi folides , fi lumineux & fi preffants en fa- veur de la nouvelle méthode , que je ne penfe pas qu’on puilfe s’empêcher de l’adopter. Ces principes , nouveaux tout au plus par leur application à la Vigne & par l’analyfe que j’en ai faite , font en général fi re- connus & Il fuivis dans d’autres cultures, ôc même en partie dans celle de la Vigne, que j’ai

70 Nouvelle Méthode lieu de croire que perfonne n’en< trèprendra de les contefter. Je pourrois donc en quelque forte m’y borner , fans faire encore de nouveaux efforts * Cependant, comme dans une matière qui in- téreffe directement tant de Ci- toyens, on ne doit rien négliger de ce qui peut l’éclaircir & y ré- pandre un jour falutaire , je vais rapporter les effais que j’ai faits , & les expériences , ou que j’ai vues , ou qui font parvenues d’ailleurs à ma connoiffance.

Je commence par mes elfais.

Mes Vignes , fituées à Triel près Poiffy, ont été, dans les premières années que je les ai eues , cultivées à la maniéré du pays , c’eft-à-dire , fort mal : je le fentois bien ; mais j’étois trop indécis fur le choix duremede , pour en préférer aucun. Cepen- dant , rebuté de mes pertes, Ôc convaincu par mes réflexions

CÜLTIVEÊ. LA VïGNE. ’J't fur la nature de la Vigne que la grande proximité des eeps ne pouvoit que lui être préju- diciable , j’effayai , il y a deux ans , de mettre dans quelques- unes de mes Vignes plus de diftance entre mes ceps : le ' fuccès juftifia ma tentative , ôc les principes généraux de M, Duhamel, ôc de quelques autres Auteurs pour l’écartement des Plantes.

Cette première réulïite me détermina, au mois d’Oêlobre i']6\ , à mettre toutes mes Vi- gnes jeunes ôc vieilles , faifant la quantité de trois arpents , par |)lanches , dont les rangées font a quatre pieds l’une de l’autre, ôc les- ceps dans le fens des ran- gées à même diftance de quatre pieds. Les ceps qui fe font trou- vés dans cet efpace , ont été im- pitoyablement arrachés, malgré les clameurs de mes Vignerons,

72 Nouvelle Méthode

Toutes ces Vignes, quoique non fumées depuis quatre à cinq ans, & la plupart dans les fables, ont pouffé, cette année fifeche & fi brûlante , un bois prodi- gieux, beaucoup plus fort , plus gros & plus long que celui, non- feulemenr des Vignes voifines, mais encore de toutes celles du canton ; elles pouffoient, même avec emportement, pendant que toutes celles du lieu étoient ar- rêtées ÿ & il n’y a pas de doute qu’elles n’eulfent encore pouf- fées davantage fi le Printemps moins fec leur eût permis d’é- tendre leurs racines ôc d’en faire de nouvelles.

A l’égard du Vin , comme el- les avoient été taillées à bois elles ne m’en ont pas donné les deux tiers de l’an paffée : cette année je les ai fait tailler; j’aî chargé de longs bois tous les ceps que j’ai jugé pouvoir les

porter |

de cultiver la Vigne. 73» porter ;-ainfi j’ai lieu d’efpérer de recueillir l’année prochaine autant, ou à-peu-près autant de Vin que li je les euflelaif- fées dans leur premier état , ôc à bien moins de frais ; puifqu’en leurfaifant donner deux labours de plus, elles me coûtent en- core , pour les façons , un quart de moins, & que je n’y metÿ ni fumier ni échalas.

D’ailleurs mes ceps épuifés fe rétablihant & fe fortifiant d’année en année , il y a lieu de croire que mes Vignes me rap«- porteront, & à beaucoup moins de frais , plus que par le palTé ; je me fonde fur la pouffe pro- digieufe qu’elles m’ont donnée cette année, & fur la nature des opérations que je leur ai fait faire, & qui font telles , que je ne doute point que fi on les eût fait dès l’an paffé, j’aurois eu , à la deiniere récolte , un

G

74 Nouvelle Méthode quart de Vin de plus que je n’et| ai recueilli,

Çet effai ne prdfente point un fuccès décidé j mais aufli eft-ce la première année ; ôc d’ailleurs on peut dire qu il eft fûrement annoncé par la vi' gueur extraordinaire de la Vi-

Au furplus , je vais pafler aux expériences que je me fuis en- gagé de rapporter. Leur réuflite doit être regardée comme un préfage avantageux pour les miennes.

Dans un très-bon Traité fur la Vigne , telle qu’elle fe cul- tive communément, le favant Auteur du Mémoire fur la Cul- ture de la Vigne dans la Guyen- ne , rapporte la méthode d’un de fes amis en ces termes :

« Je ne puis me difpenfer de S’ rapporter ici une nouvelle » méthode imaginée & mife en

Î3E CULTIVER LA Vigne.

V pratique par un de mes amis : »> elle eft plus firaple, moins em-

barraffante & moins coûteufe « que toute autre ; voici le fait. Dans la Paroiffe de Quinfac Entre-deux-Mers, à deux lieues

V environ de Bordeaux , les Payfans taillent la Vigne à cot

3? {a). Les afîes n’y ont que deux »? ou trois pouces de hauteur ; »> on n’y en lailTe que trois , ôç » chacune de ces ahes n’a quç ?? trois yeux.

» Cet ami intelligent en agrî^ 3? culture, appliqué à faire va-^ »? loir fes fonds , il eft pré- »? fent pendant tout le cours de 3? l’année, avoit diverfes pièces 3’ de Vignes taillées à cot, fe- Ion l’ufage d’Entre-deux-Mers, Les ceps étoient à la diftance »? de quatre pieds entr’eux , ran-

{a) Cot , mot Gafcon qui fîgnifieen François cou : tailler à cot , c’eft pailler fore court. Cette

taille eft d’ufage dans h Guyenne pour la Vkas balîb. ^

'^6 Nouvelle Méthode » gés en droite ligne , deux ran- » gés fur chaque planche , & M chaque planche ehtre deux fil- » Ions creux , ou rigoles.

» Il mit , il y a quatre ans » dans une de ces pièces , fes o> ceps à douze pieds de diftan^ » ce entr’eux, ce qui! fit aifé- S5 ment , etj arrachant dans la » même ligne , le fécond & le » troifiemê entre le premier ôc 9> le quatrième qu’il laifTa, & ainfi » de fuite. Au devant de cha- » que cep , il mit un fort écha- »? las pour le foutenir ; & après » avoir coupé tout le bois faux » & inutile qui pouffoit vers le » devant & le dehors , il a taillé » tout le bois de trois ou qua- » tre branches , qu’il a confervé o> à trois pieds & demi ou quatre » pieds au - deffus du fol : il a » mis des échalas entre les ceps, s> pour en foutenir un autre qu’il V a pofé horizontalement ^ ôc

DE CULTIVER LA ViGNE. 77, » lié aux deux éehalas fichés eil » terre. Sur cet éehalas horizon^ » tal , il a placé en éventail ou »efpalier, fes branches dont il » avoit coupé les fommités.

» Il fit cette opération dans l’Automne de 175:1. Cette pie- » ce de Vigne qui n’avoit pro- » duit à la derniere récolte que » très-peu de Vin , lui en donna » un quart de plus l’année fui- » vante 175^2 ; & l’année 1753 , » une moitié de plus. Au mois » de Juin i75'4} il préfumoit, » par la quantité de raifiris dont » la Vigne étoit chargée, pou- » voir en efpérer le double de » ce qu’il en avoit eu l’année » précédente ; & en effet, fes ef- » pérances ont été remplies. Un » vignoble ainft compofé , lui » donne le double du Vin qu’il » recueille d’un autre vignoble » voifin de même étendue , àc » taillé à l’ordinaire. »

Giij

Nouvelle Méthode

Cette expérience , quoique rapportée par l’Auteur, par rap- port à la taille ^ n’en convient pas moins à l’objet qui nous oc- cupe. Car fl cette Vigne, au lieu d’être taillée très-courte , comme auparavant , l’a été à trois ou quatre pieds au deflus du fol ; fi elle a foutenue cette taille , ôc produit des raifins en fl grande abondance, ce n’eft que parce que les ceps ayant beaucoup plus de diftance en^ tr’eux, leurs racines fefont,à proportion , beaucoup plus a- îongées qu’auparavant. Cette expérience eftdonc une preuve fans réplique de la folidité des principes que j’ai établis. Il y a plus , c’eft qu’il en réfulte que la Vigne, difpofée fuivant ces mêmes principes , rapporte plus que dans la méthode ordinaire.

Aureftei je fuis bien éloigné de confeiller une fi grande di-

DE CULTIVER LA ViGNE. 7P îlance entre les ceps , elle ne pourroit être admife tout au plus que dans des terres extraor- dinâirement légères , ôc non dans les terres médiocres , ôc encore moins dans les terres fortes, où. à moins de beaucoup d’incon- vénient, ôc de tenir la Vigne très- haute, elle ne fuffiroitpas pout confommer la feve qui eft bieil plus abondante dans ces fortes de terres que dans les autres.

La fécondé expérience efi: rapportée par le célébré Auteur du Traité de la Culture des ter-* res , dans fon V'. volume.

Il réfulte de cette expérien- ce , que partie d’une Vigne de vingt-quatre ans ayant, en i75'2, été établie en planche de cinq pieds de large , avec trois ran- gées de ceps fur cette planche a deux pieds ôc demi les uns des autres en tout fens ; il en réfulte, dis-je, que cette plan-

G iv

fo NoUVÉLLE MfTHÔDÊ che , à côté de laquelle on avoî€ formé une plate-bande de cinq pieds de large , a rapportée en | i75'4 un peu plus que la vieille ' iVigne ; & err 17^ y , environ deux cinquièmes de plus : elle a produit fur le pied de vingt- trois muids & quatre-vingt- feize pintes par arpent.

Voilà aflurériierit un fuccès bien remarquable, & qui prouve d’une maniéré bien convaincan-' te , l’avantage qu^il y a à écarter l$s ceps les uns des autres , mê- me dans les Vignes plantées à l’ordinaire ôc toutes formées.

A ces deux expériences fi dé- terminantes , je vais en joindre une troifieme tout au moins auffi décifive.

A Carrieres--fous-Poiiry , chez Madame la Comtefle de Pons , eft une piece de Vigne conte- nant trois arpents , plantée il y a cinq ans. Cette Vigne efl di^

DE CULTIVER LA ViGNE. Ût ftribuée par rangées éloignées les unes des autres de trois pieds ; les ceps dans le fens des rangées font à quatre pieds de diftance l’un de l’autre. La fé- condé année , elle a été fumée, mais peu, & la moitié moins que dans la méthode ordinaire ; de- puis ce temps la partie de cette Vigne, qui eft dans la plus mau-* vaife terre, a reçu encore un peu d’engrais, mais moins que la pre-» miere fois. Cette Vigne a rap-s porté la première année deux à trois muids de vin ; la fécondé y quatre à cinq; la troilieme, fepc muids ôc demi ; la quatrième^ quinze muids; ÔC la cinquième, qui eft la derniere récolte , vingt- un muids, c’eft-à-dire , cinq à fix muids plus que fi elle avois été plantée fuivant l’ufage or- dinaire. Le Vin en efl; bien fu- périeur , & fe vend à-peu-près le double de celui du lieu. Cette

s 2 Nouvelle Méthodê Vigne fituée en partie dans uti gravier du plus mauvais fable, porte un bois incomparablement plus beau que dans les meil- leures terres. Quelques PayfanS qui s’étoient , comme c’eft l’orr dinaire , prévenus contre cette nouveauté , l’ont adoptée dans des plantations qu’ils viennent de faire ; & il n’y a point lieu d’en être furpris , tant cette Vi- gne eft belle ; le bois , je ne peux pas trop le répéter , eft fi fort, fl vigoureux ôc en fi grande quantité , que le Vigneron le plus immodéré pour l’ufage du fumier , feroit forcé d’avouer , que loin qu’il pût être utile dans une pareille Vigne , il ne pour- roit au contraire que lui être préjudiciable ; en forte qu’il eft vrai de dire, que dans la mé- thode que je propofe , le Culti- vateur fe trouvera heureufe- ment forcé d’employer fon fu-

DE CULTIVER LA ViGNE. 85 mier ailleurs que dans fes Vi- gnes , & de le porter dans fes terres.

Cette derniere expérience encore plus rapprochée de mes principes que les précédentes ^ du moins quant à la diftance des ceps, doit achever d’en dé- montrer la folidité , & ne laifle aucun fubterfuge au préjugé ni à l’ignorance. En effet, quel- que folides , quelqu’évidents que foient les raifonnements , la prévention aulli injufte qu’el- le eft aveugle , fe croit toujours en droit d’en douter ; mais quand ils font appuyés & prou- vés par les faits , que peut-ôn leur oppofer ? Prendra-t-on le parti de les nier ? Qu’un Au- teur , pour établir fon opinion , fuppofe , ou du moins amplifie , change les faits , en altéré les circonftances , abfolument par- lant , tout cela eft poffible ; mais

§4 NdüVELtE Méthode qu’un tiers , comme dans la pre* miere expérience , les rapporte fans aucune vue perfonnelle 5 mais que je rapporte moi, com- me je viens de faire en dernier lieu , une expérience faite par tine perfonne inconnue^ qui peut me démentir fi j’en impoîe ; c’eft alTûrément ce qui n’eft pas , ôc ée qui ne peut paroître vraifeni- biable. Il faut donc ou douter de tout , ou tenir ces faits pour certains. Mais, en les admet-» tant , peut-être pour en éluder la conféquencè , entreprendra- t-on de diftinguer ? Peut-être di- ra-t-on qu’il faut avoir égard; I®, à la différence des lieux; mais la première Sa la derniere expériences font faites dans des climats contraires ; l’une dans un pays 'Èhaud , l’autre dans un pays tempéré : , à la qualité des terres ; mais la première ôc la derniere expériences font fai-;

DE CULTIVER ViGNE. 8 tçs dans des terres légères , & c’eft dans ces fortes de terres que, fuivant le préjugé com- mun, elles auroient moins léulïîr; 5°, pour le rapport, à la plantation orignaire de la Vi- gne ; mais la première & la fé- condé expériences regardent de vieilles Vignes , des Vignes tour tes formées , dont les parties mi- les par planches ou plus écartées,' ont rapporté autant & même beaucoup plus que les parties iailTées en leur premier état, Ainfi foit qu’on regarde le clir mat & la qualité des terres, foit qu’on regarde la plantation quelle qu’elle foit, il ne peut qu’être avantageux d’écarter le$ çeps , comme je le prefcris^

26 Nouvelle Méthode

CHAPITRE XVI.

Çomparaifon des fiais dç$ deux Cultures,

P OUR faire voir d’un feul coup d’œil tout le montant du bé- néfice économique de la nour velle culture , j’aurois defiré pou- voir réduire à un prix moyen tous les frais de la Vigne dans les différentes Provinces du Royaume ; mais fi cette opéra? tion n’eft pas abfolument impofi fible , du moins eft-elle trop difi ficile pour n’être pas fautive. C’eft ce qui m’a fait préférer de rapporter l’exemple d’un feul vignoble, dont la culture & les frais me font parfaitement con- nus. C’eft une réglé dont cha- cun pourra faire l’application à foti bien particulier ^ en obfer-

DE CULTIVER LA Vigne, 87 vant la différence du prix,foit fur les façons , foit fur les four- nitures. Par ce moyen, on pourra facilement connoître dans cha- que vignoble le montant de l’é- conomie de la nouvelle culture fur l’ancienne.

Les frais de culture variant néceffairement fuivant la valeur (des denrées & la main-d’œu- vre , il eft certain que cette éco- nomie ne fera pas par-tout la même, ni auffi confidérable que dans les environs de Paris , ou pour chaque arpent elle fe mon- te , pour la plantation & perfec- tion de la Vigne, à 852 liv. 10 f, & pour les frais d’entretien ôc de culture, à 74 liv, i 3 fols. En- forte que fi on comptoir tous les arpents de Vigne du Royau- me fur ce pied , ce feroit une économie fur la plantation & perfedion de la Vigne, de deux milliards 587 millions 700 mille

§8 Nouvelle Méthode livres; ôc fur les frais annuels de cuiturfi, de 225 millions 5? 5' o mille livres. Mais cette écono- mie fera toujours dans des pro- portions relatives ; de maniéré que fl elle eft , aux environs de Paris , de près des trois quarts d,es ftais de plantation & d’en- tretien de la culture aâuelle, elle fe trouvera pareillement des trois quarts, ou à-peu-près, dans les autres vignobles,

La nouvelle culture fera donc par-tout d’un grand avantage. Pour le prouver, il ne faut que faire la comparaifon des frais des deux cultures. C’eft à quoi je vais procéder, après avoir fait auparavant quelques obfer.r vations préliminaires , que je crois nécelTaires pour la par- faite intelligence de m.on opéra- tion.

1®, L’arpent de comparaifon i ^tué à Trie! près Poi/fy , eft

de

DE CULTIVER LA Vigne, tp 3e loo perches , ôc la perche de vingt-deux pieds.

2°) On fuppofe que la Vigne met dix ans à fe former & à prendre fon dernier accroiffe- ment. Ce dernier accroiffement eft fuppofé, lorfque la Vigne étant entièrement provignée , elle contient tous les ceps qu’el- le peut porter. Alors dans le préjugé commun , elle eft cen- îée dans fon plein rapport.

3°, Dès la fécondé année, on fume la Vigne d’un bout à l’au- tre ; & pour cela on compte au moins deux cents voies de fu- mier. La troifieme année, on monte la Vigne en échalas ; la quatrième , & quelquefois mê- me dès la troifreme , on com- mence à provigner ; & à cet effet , on fait huit à neuf cents foffes , fuivant la fo ce de la Vigne; la cinquième, on con- tinue de la provigner , & ainfi

5)0 Nouvelle Méthode tous les ans , jufqu à l’accom-i piiflenient des dix années , temps auquel, & fouvent auparavant, la Vigne a reçue, ou à-peu-près, cinq mille foffes , deux cents cinquante voies de fumier , in- dépendamment de deux cents de premier fumage : on compte 2^ mille échalas , fuppofés durer vingt-quatre ans (a).

, Quoique dans la nouvelle culture , l’arpent ne contienne que trois mille ceps , on compte fix mille échalas par arpent , à caufe des longs bois ôc de l’é- tendue qu’il faut donner aux for- tes branches de ces ceps.

, Dans les Vignes toutes formées , on compte que , pour les entretenir en bon état ôc bien échalalfées, il faut par an trois cents folfes, vingt-deux voies de fumier , à raifon d’une voie

(Æ)Ces échalas font quatre pieds & demi ds^ de bois de chêne ou de haut* châtaignier , Ôc portent

DE CULTIVER LA Vigne. <?i pour quatorze fofTes , & un mil- le d’échalas.

6^ f On compte les frais de plantation égaux dans rune ôc l’autre culture, parce qu’on fup- pofe qu’en général , au lieu de faire des foifes de deux pieds , comme je l’ai confeillé , la plus grande partie des Cultivateurs fe contentera de les faire d’un pied de tout fens ; cela eft plus économique, & c’efi: ainfi que la Vigne de la troifieme expé- rience a été plantée. Au fur- plus , fl on faiîbit les foifes plus profondes, la Vigne en vien- droit plus vite , & rapporteroit au moins une année plutôt ; ainli par ce moyen l’excédent des frais fe trouveroit rembourfé ôc au-delà.

, A l’article des façons , je les ai réduites , dans la nouvelle culture , à la moitié des frais de l’ancienne j parce qu’encore que

Hij

'^2 Nouvelle Méthode j’aie infinué de faire quatre 6c même cinq labours , je fuppofe toujours que l’on fe bornera à en faire trois. La Vigne , malgré cela, rapportera autant que dans la maniéré ordinaire , & il en coûtera moins ; cependant je confeillerai toujours , par les rai- fons que j’ai expliquées ci-de- vant à l’article des engrais, de donner le premier des trois la- bours dans l’Automne : à la ma- niéré d’Argenteuil , on met la terre par buttes, & au Printemps on la rabat. Il eft vrai que c’efl: une façon de plus ; mais cette façon ne coûte pas un demi-la- bour, & on en eft payé à la ré- colte qui en eft plus abondante.

8°, Dans les frais de planta- tion & d’entretien, j’ai compris le fumier ; parce que je fuppofe que du moins jufqu’à un cer- tain temps , bien que la terre foit préférable 6c moins coûteu-

CÜLTIVER LA ViGNÉ. fe, on continuera cependant de fe fervir de fumier , quoiqu en bien moindre quantité qu’aupa- vant.

Voilà à-peu-prës toutes leâ cbfervations qui m’ont paru né- eelTaires pour faciliter l’intelli- gence de la comparaifon que je vais donner des frais des deux cultures*

CULTURE ACTUELLE,

Plantation.

t'rais de plantation .... 5'o liVà

Premier fumage , deux cefits voies , ou fommes de che- val à une livre la voie. . 200 liVi

Six cents bottes d’échalas, à

100 liv, le cent 600 Kv.

Cinq milles foffes, à 2 1. 1 o f.-

le cent 125 liv#

Fumier defdites fofles, à vingt fols la voie de fu- mier. . 250 liv.

Total 1^2,5' livres#

NouvelleMéthoue

NOUVELLE CULTURE.

Plantation.

Frais de plantation 5*0 I.

Premier fumage 100 L

Cent cinquante bottes d’é-

chalas . ij'o I.

Fumier 62 1. 10 f.

Total ^ . 562 1. 10 f.

Partant, dans la méthode ac- tuelle , les frais de plantation jufqü’à la parfaite progreffion de la Vigne, excede ceux de la nouvelle de huit cents foixante- deux livres dix fols , dont l’in- térêt eft de quarante- trois li- vres deux fols îix deniers par an.

CULTURE ACTUELLE.

Entr etien. Troîscentsfofresparan,à3 I.

par cent . . p

Fumier, 22 voies, à raifon d’une voie pour quatorze

foffes 22 liv.

Echalas, un millier. . . . . 25 liv.

Façon. 60 liv.

Total

1 16 liv.

t)E CÜLTIVER LA VlGNE.

nouvelle culture.

Entr etien.

Fumier. 5* 1. lo

Echalas. - ^1. 5

Façon. ^ 30 1.

Total 41 1. 15* f.

Partant, les frais de culture de la méthode aâ;uelle,excedeceux de la nouvelle de foixante- qua- torze livres cinq fols par an. A cette fomme, il faut ajouter celle de 43 liv. 2 i. 6 den. pour l’inté- rêt defdites 852 liv. lo fols ^ ces deux fommes font enfem- ble celle de 1 17 liv. 5 f. 5 den. par arpent. Or en fuppcfant qu’il y ait en France trois mil- lions d’arpents de Vignes,

(æ) M. de Vauban, Projet de dixme roya- le , fuppute en France 30 mille lieues quar- lées 5 & dans la lieue quarrée, 4688 arpents 82 perches , chaque ar- pent de loo perches , & îa perche de io pieds. ^ compte 300 arpents

de Vigne par lieue quar- rée , ce qui , multiplié par 30000 f donne millions d'arpents de Vi-^ gne en France , non com^ pris la Lorraine ; mais ce nombre paroît in- croyable , ôc ne répond point à la eonfommatzon ni au commerce d'ex^

^6 Nouvelle Méthode fur chacun defquels il y ait an- nuellement une économie de 117 liv. y f. 6 den. Ces trois millions d’arpents multipliés par 117 liv. ^ ù 6 den. font trois cents cinquante-un millions huit cents vingt-cinq mille li- vres , dont le Cultivateur béné- ficie par année dans la nouvelle méthode fur l’anciennne. Mais comme cette fuppofition faite pour tout le Royaume , feroit exhorbitante , réduifons l’éco- nomie annuelle à un tiers ( (^ ) de

fîortatîon , en ne fuppo- ianc même que trois muids par arpent , au lieu de quatrè que j’eftî- me Tun portant Tautre.

(h) On aiiroît pu, avec raifon, ne porter la redudion qu’à moi- tié , & non au tiers. En effet, depuis le premier ^lars jufqu’au premier Odoî^re , les Journées d’hommes qui ne font point nourris, ne fe payent communément , dans les environs de Pa- ris, que vingt fols 3 Si de-

puis le premier Odohre jufqu’au premier Mars, que quinze fols. Or il n’y a point de Vignoble en France , , dans ces deux temps diffé- rents , les journées fe payent moins de la moi- tié , & il y en a beau- coup oîi elles vont aux deux tiers. U en eft de même des engrais Sc des échalas ; mais , pour prévenir toute difficulté, on a mis l’économie au plus bas»

de CULTIVER LA Vigne. 57 la fomme de 3J1 millions 82 j mille livres , & certes la rédu- ction eft forte , ce fera encore une économie par année de 1 17 millions 275 mille livres.

On pourroit ajouter que la Vigne rapporte plutôt dans la jiouvelle méthode que dans l’au- tre , quelle dure plus long- temps ; enfin que la Vigne étant cenfée ne durer que cinquante ans , les frais de plantation dans l’ancienne culture excédant , fuivant la rédudion que nous venons de faire, çeux de la nou- velle de 287 liv, 10 fols par ar- pent, cette fomme multipliée par trois millions d’arpents de Vignes qu’il y a en France ^ forme celle de èda millions joo mille livres , qui , dans la révo- lution de cinquante années , fe trouve réellement en pure perte pour la culture de la Vigne, ou plutôt pour le Cultivateur, Mais

^ 8 Nouvelle Méthode quelqu’im portants quefoientce$ objets , on les laiffe de côté pour remplir les vuides, ôc pour les modérations que l’on fe croiroit en droit de prétendre. Toujours fera-t-on fondé à appuyer fur îes confidérations fuivantes :

lO/En fuppofant que le Culti- vateur qui économife fur fa cul- ture 1 17 millions 275 mille liv. par an , n’en emploie que la moi- tié (a) aux autres productions, & que ces autres productions ne lui rapportent, tous frais faits , qu’un quart de profit; c’eft encore environ 1 6 millions qu’il faut ajouter à ces 1 17 millions 27 J mille livres; ce qui fait de bénéfice pour lui la fomme de 133 millions 275 mille liyres par année.

(a) L’économie con- ïîftant principalement , èînfî qu’on peut le voir , en engrais & en jour- ipées d’hommes > il de

toute nécelïité que 1$ plus grande partie de cette économie fojt emf ployée au profit .de TA- griculturç»

DE CULTIVER LA V IGNE, ÿp

, Les Cultivateurs plus ai- fês & doat le Vin , par fa qua- lité, pourra fe confervex plus long-temps qu’à préfent , feront plus qu’ils ne font^ eu état d’at- tendre , & pourront ténéfîcier , les uns de 5 , de 4 , de 5 liy, par muid , ôc les autres de ro, de 20 liv. & plus.

3°, Les principes que J’ai éta^ biis ; les expériences que J’ai rapportées ; les exemples fré- quents des ceps ifolés qui pro- duifent avec abondance, &, pour ainfi dire, fans aucune culture; les longs bois qu’on peut lailfer dans la nouvelle méthode en bien plus grande quantité que dans l’autre ; la diftribution des ceps, qui, erj même temps qu’elle eft plus favorable à la végéta- tion, les met prefqu entièrement à l’abri des accidents , tels que la gelée , la coulure ôc autres.

'iop Nouvelle Méthode Toutes ces circonftances doî^- vent faire efpérer non-feule- ment des récoltes plus sûres ôc plus égales, ce qui mérite la plus grande attention , mais en- core plus abondantes ; enforte qu’on |)eut tout au moins les ef- timer a un cinquième de plus# Quand on ne porteroit le profit du Cultivateur fur cet ob-, jet & celui de l’article précé- dent qu’à y O millions , éc cela n’ell: point exagéré ; ces $o mil- lions ajoutés auxdits 133 mil- lions 2 j$ mille livres , donne- ront plus de 180 millions, qui font le montant du bénéfice an- nuel de la nouvelle méthode fur l’ancienne. Quel avantage pour le Cultivateur!

DE cultiver LA Vigne, ioî

Il iii. I ■■■

CHAPITRE XVIL

Des avantages de la nouvelle Culture , relativement à r Agriculture & au Com- merce.

La méthode que je propofe opéré non-feulement le foula- gement du Cultivateur , mais encore elle fournit à FAgricui- ture une augmentation confidé^ râble d’hommes 6c d’engrais.

En effet , en fuppofant en France trois millions d’arpents de Vignes , il faut dans la mé- thode ordinaire^ àraifon de trois arpents pour unhomme (a) , un million de Vignerons pour les cultiver.

Dans mes principes au corn

i( fl ) Cette fuppucatîon eil reçu généralement;

liij

Î02 Nouvelle M^thod^

traire , il eft certain qu’en î^et- tant les chofes au plus haut, il n’en faudra pas les deuxtierst^) ; par ccnféqucnt c’eft plus de trois cents ttiille Cultivateurs qiü pourront s’employer aux autres produÊlions & aux défriche- ments. Dans tous les temps ce feroit aflurément un très-grand avantage ; mais dans la difette l’on eft de Cultivateurs , une pareille recrue eft, pour l’Agri- culture , d’un prix inftîmable.

A l’égard des engrais , on peut fuppofer que deux arpents de Vigne , tant les Vignes faites que celles nouvelles plantées , employent au moins autant de fu- mier qu’un arpent de terre en blé {b). Si donc on fupprimé

( û ) On en peut juger par la diminution du prix des façons.

{h) Il y a beaucoup de Vignes négligées , qui ne font point fumées , ou fluc trcs-peu 5 mais auffi

31 y en a beaucoup d’au- tres qui le font plus que je n’ai fuppofé ; & les Vignes nouvelles plan« tées le font encore plus quQ ces dernieres.

DE CULTIVER LA Vigne, ioj Entièrement le fumier , voilà i ^ cents mille arpents qui pour-^ ront être fumés dans la nou- velle méthode , qui ne peuvent pas l’être dans l’ancienne j mais comme dans certaines terres il en faudra quelquefois, quoi- qu’en petite quantité , on en peut retenir un quart au total ; il om reliera encore dequoi fu- mer onze cents vingt-cinq mille arpents , qui produiront blé , chanvre & lin , ils ne pro- duifent peut-être rien, ou fort peu de chofe.

Ainlî hommes & engrais^ voilà les fecours que la nou- velle méthode de cultiver la Vigne promet à l’Agriculture. Ils font, comme l’on voit, de la plus grande importance , foit par l’augmentation des engrais , qui fe doubleront encore par l’ufage que l’on en fera (a) ,

{a) Le fumier des Vignes, tranfporcé àiwe

liv

"104 Nouvelle Méthode foit par l’augmentation des Cul- tivateurs , ces derniers princi-* paiement , fi l’on en fuppofe une bonne partie appliquée à la charrue & aux défrichements , produiront à l’Agriculture par année plus de loo millions de bénéfice , & au Roi plus de 50^ en préfuppofant toutefois la libre exportation des grains hor#du Royaume^ reclamée par une fou- le de bons Citoyens aulli diftin- gués par leurs lumières» que re- commandables par leur zele {b)» Quant aux progrès du Com- merce , ils font une fuite natu- relle ôc néceflaire de ceux de l’Agriculture. Du refte , pour peu que l’on fuive mes calculs , il eft aifé de voir que le Culti- vateur employant une partie

terres, donnera de la paille & autres matières propres à faire des en- grais.

{h) Voyeït FElTai fur la police des grains 5 le

Traité de la Conferva- tion des grains par M. Duhamel 5 les Eléments du Commerce ; EfTai fur Tamélioration des ter- rcs3 EAmi des HommeSr

bE CULTIVER LA ViGNE. 10^ de fon gain à fes befoins ôc à fes commodités (a), c’efl: un objet d’augmentation pour le commerce de plus de quatre- vingt millions par an de la part du Cultivateur feul. Tout fe réunit donc ici en faveur de la méthode que je propofe ; les progrès de l’Agriculture , les avantage^ du Commerce , mais fur- tout le foulagemient du pau- vre Cultivateur, ôc l’économie qu’elle lui procure ; voilà ce qui doit la rendre précieufe. Cette méthode , en remettant au Cultivateur, au Vigneron une partie de fon temps, ôc prefque tous fes fumiers , il pourra les employer à la culture des autres produàions ; il pourra en enri- chir fes terres qui , dans les Vi- gnobles , ne font toujours que

(a) Cela eft fuppofé , puïrqii’on ne compte que )a moitié de fon gain au profit de TAgricukure.

îo6 Nouvelle MiÉTHODÉ trop négligées : tantôt il por* tera dans fon champ le fumier qu’il mettoit autrefois dans fa Vigne; tantôt il préparera pour Je Lin ou le Chanvre la terre à laquelle , faute d’engrais , il ofoit à peine confier le moindre des grains : ici , moins précipité qu’auparavant dans fon travail, il ira fouiller la terre qu’il ne faifoit qu’égratigner ; , i! ira enfin arracher , au mépris ôc à la fté- rilité , le champ que la multi- tude dé fes trauvaux Tavoit con- traint d’abandonner : par-tout , les campagnes, les Vignobles offriront le riche fpeftacle des terres les plus fécondes & les mieux cultivées. Le Vigneron , dont les greniers feront en proportion , & aufli bien garnis que fes celliers , n’ayant plus à redouter le fléau meurtrier la faim , ne fera plus , comme

DE CULTIVER LA Vigne. 107 il ne Teft que trop fouvent , forcé de vendre fon vin à perte ( ^ ) , ou plutôt de le donner pour acheter du pain , que par cette raifon il paie plus cher que le relie des autres hommes. Tels font les effets bienfaifants de la méthode que je propofe : par- tout où elle fera reçue , elle chaf- fera, elle bannira l’indigence & la trifteffe, pour y répandre la joie , la vie ôc l’abondance : ces biens en font une fuite naturelle j le Vigneron lui-même, quel que foit fon préjugé , eft obligé de les reconnoître. Du moins ell-il certain que de tous ceux aux- quels j’ai communiqué mon ou- vrage , il n’y en a exaêlement au- cun qui n’en avoue , avec une forte d’empreffement , les prin- cipes & les avantages qui en ré- fultent. Quelques-uns , ainli que

{a) Le befoîn, en | eft une des caufes prin*^ preflanc le Vigneron de cîpales de fâruine. yçndfç fon Vin à perte , j

ioS Nouvelle Méthode plufieurs Amateurs de rAgricuî* ture , font difpofés à en faire l’épreuve au plutôt fur une por- tion de leurs Vignes. Mes Vi- gnerons même , qui, dans l’opé- ration que je leur ai fait faire aux miennes , ont le plus éclaté contre moi , maintenant que leurs celliers pleins de Vin, ils ont à peine l’aliment le plus né- ceflaire , ils commencent à fe rapprocher de mon opinion, ôc à regretter le temps ôc la grande quantité d’engrais qu’ils ont pro- digués à leurs Vignes , au pré- judice de leur terre, qui les eût nourris, elle leur eft inutile.

En général , le Cultivateur eft aujourd’hui fi rebuté de la culture ingrate de la Vigne , qu’on peut dire qu’il eft difpo- à la changer, ôc à recevoir toutes celles dans lefquelles on lui fera voir moins de perte ôc quelques avantages. La mé-*

DE CULTIVER LA ViGNE. 10^ thode que je lui propofe , en écartant entièrement toute idée de perte, lui préfente un béné- fice certain & un retour avan- tageux. Il y a donc lieu de croi- re qu’il pourra l’adopter. Mais , pour opérer une révolution aull^ grande , & la rendre générale , c’eftpeu des efforts d’un fimple Citoyen, s’il n’eft foutenu par le Gouvernement , & aidé par les Sociétés Royales d’ Agricul- ture des différentes Générali- tés du Royaume. Ces Sociétés ayant, parleurs lumières & par leur établiffement , la confian- ce du Cultivateur , elles feules pourront le décider à abandon- ner fa routine ordinaire. C’eft dans cette vue que j’ofe leur adreffer particuliérement mon Ouvrage. Cet Ouvrage , fur-> tout en ce qui regarde le fond & l’effence du fyftême de cultu- re économique que je propofe ;

100 Nouv. Méthode ; &c;

& c’eft dequoi il s’agit , me pa- roît fondé fur des principes in- conteftables , & appuyé en ou- tre & par furabondance, fur des expériences de plufieurs années aufÏÏ décilives qu’elles font cer- taines. J’ai donc fujet de me flatter que toutes les Sociétés d’ Agriculture accueilleront fa- vorablement la nouvelle mé- thode, & qu’elles voudront bien fe joindre à moi pour l’établir dans tous les Vignobles du Royaume. G’eft le but de mon travail , & le fuccès que l’on doit fe promettre de leur zele pour la perfection de l’Agricul- ture & le foulagement du Cultir yateur.

3F I N.