Dr d'A Lys % NOUVELLES OBSERVATIONS NE : LES AB LLLIES. + ADRESSÉES à M TCHARLES D'ONNET: P AR FRANÇOIS HUBER. A À GE N ÊVE. Chez BARDE, MANGET & Compagnie, Imprimeurs - Libraires. 17792. HER LE 0 LE 4 , Eee > ay 411: FD R LR AC E L Hx publiant mes obfervations fur les abeil- les, je ne diffimulerai point que ce n’eft pas de mes propres yeux que je les ai fai- tes. Par une fuite d’accidens malheureux, je fuis devenu aveugle dans ma première jeuneffe ; mais Jj'aimois les fciences, & je n’en perdis pas le gout en perdant l'organe de la vue. Je me fis lire les meilleurs ouvra- ges fur la phyfique & fur Phiftoire naturelle : javois pour lecteur un domeftique ( Fraw- çois Burnens né dans le Pays-de-Vaud}) qui ‘s'intérefoit fingulièrement à tout ce qu’il me lifoit: je jugeai aflez vite par fes réflexions fur nos lectures, & par-les conféquences : qu’il favoit en tirer, qu’il les comprenoit auff bien que moi, & qu’il étoit né avec les talens d’un obfervateur. Ce n'eft pas le À iÿ Aie premier exemple d’un homme, qui, fans éducation , fans fortune, & dans les circonf- tances les plus défavorables, ait été appelé par {a nature feule à devenir naturalifte. Je réfolus de cultiver fon talent & de nren fervir un jour pour les obfervations que je projetois : dans ce but, je lui fis répéter d'abord quelques - unes des expériences les plus fimples de la phyfique; il les exécuta avec beaucoup d’adrefle & d'intelligence ; il pañla enfuite à des combinaifons plus difh- ciles. Je ne poilédois pas alors beaucoup d'inftrumens, mais il favoit les perfedion- ner, les appliquer à de nouveaux ufages, & lorfque cela devenoit néceffaire, il faifoit lui - même les machines dont nous avions befoin. Dans ces diverfes occupations, le goût qu'il avoit pour les fciences devint bientôt une véritable pañlion, & je n’héfitai OR plus à lui donner toute ma confiance, par- faitement afluré de voir bien en voyant par fes veux. La fuite de mes lectures n'ayant conduit aux beaux mémoires de M. de Réaumur fur les abeilles, je trouvai dans cèt ouvrage un fi beau plan d'expériences, des obfervations faites avec tant d'art, une logique fi fage, que je réfolus d'étudier. particulièrement ce célèbre auteur, pour nous former mon lec. teur & moi à fon école, dans l’art fi diff. cile d’obferver la nature. Nous commenci- mes à fuivre les abeilles dans des ruches vitrées , nous répétàmes toutes les expérien. ces de M. de Réaumur, & nous obtinmes exactement les mêmes réfultats, lorfque nous employämes les mêmes procédés. Cet accord de nos obfervations avec les fiennes me fit un extrême plaifir, parce qu’il me donnoit RE pren la preuve que je pouvois m'en rapporter abfolument aux yeux de mon élève. Enhar- dis par ce premier eflai, nous tentàmes de faire fur les abeilles des expériences entiè- rement neuves; nous imaginâmes diverfes conftructions de ruches auxquelles on n’avoit point encore penié, & qui préfentoient de grands avantages, & nous eûmes le bon- heur de découvrir des faits remarquables qui avoient échappé aux Swammerdam ; AUX Réaumur & aux Bonnet. Ce font ces faits que je publie dans cet écrit: il n’en eft aucun que nous n'ayons vu @ revu plu- fieurs fois, pendant le cours de huit années que nous nous fommes occupés de recher- ches fur les abeilles. On ne peut fe faire une yjufte idée de la patience & de ladrefle avec lefquelles mon ledeur a exécuté les expériences que [RP] je vais décrire : il lui eft arrivé fouvent de fuivre pendant 24 heures, fans fe-permet- tre aucune diftraétion , fans prendre ni repos ni nourriture, de fuivre, dis-je, quelques abeilles ouvrières de nos ruches, que nous avions lieu de croire fécondes, afin de les furprendre au moment où elles pondroient des œufs. D’autres fois, lorfqu’il nous impor- toit d’examiner toutes les mouches qui habi- toient une ruche, il ne recouroit pas à opération du bain, qui eft fi fimple & fi facile, parce qu’il avoit apperçu que le féjour dans l'eau défigure les abeilles jufqu'à un certain point, & ne permet plus de recon- noitre les petites différences de conforma- tion que nous voulions conftater ; mais il prenoit entre fes doigts, une a une, toutes les abeilles, et les examinoit avec attention fans redouter leur colère : il eft vrai qu'il \ Fi 10: 1 avoit acquis une telle dextérité, qu’il évitait pour lordinaire les coups d’aiguillon ; mais il métoit pas toujours auffi heureux, & lors même qu'il étoit piqué, il continuoit fon examen avec la tranquillité la plus parfaite. Je me reprochois fréquemment de mettre fon courage & fa patience à une telle épreuve, mais il s’intérefloit aufli vivement que moi au fuccès de nos expériences, & dans lextrème défir qu’il avoit d'en connoi. tre les rélultats, il comptoit pour rien la peine, la fatigue & les douleurs paflagères des piquüres. Si donc il y a quelque mérite dans nos découvertes, jen dois partager Phonneur avec lui ; & ceft une grande fatisfaction pour moi de lui aflurer cette récompenfe, en lui rendant publiquement jufice. Tel eft le récit fidèle des circonftances [ 11 ] dans lefquelles je me fuis trouvé: je ne me cache point que j'ai beaucoup à faire pour gagner la confiance des naturaliftes ; mais pour être plus sûr de lobtenir, je me permettrai ici un léger mouvement d’amour- propre. J'ai communiqué fucceflivement à Mr. C. Bonnet mes principales obfervations {ur les abeilles, il les a trouvées bonnes, il m'a exhorté lui-même à les publier, & c’eft avec fa permiflion que je Îles fais paroitre fous fes aufpices. Ce témoignage de fon approbation eft fi glorieux pour moi, que je n'ai pu me refufer au plaifir d’en infor- mer mes lecteurs. Je ne demande point qu'on me croye uniquement fur ma parole: je raconterai nos expériences & les précautions que nous avons prifes: je détaillerai fi exactement les procédés que nous avons employés, que res 2 tous les obfervateurs pourront répéter ces expériences, & fi alors, comme je n'en doute point, ils obtiennent les mêmes réful. tats que moi, j'aurai cette. confolation , que Ja perte de ma vue ne m'aura pas rendu tout-à-fait inutile aux progrès de l'Hiftoire Naturelle. NOUVELLES OBSERVATIONS SUR LE SA DIE EN: LETTRE PREMIERE. Sur la fécondation de la Reine - Abeille, Pregny le 13 Août 1789. MonsIEUR, Lorsque j'ai eu lhonneur de vous rendre compte à Genthod de mes principales expé- riences fur les abeilles, vous avez defiré que jen écrivifle tous les détails, & que je vous les envoyafle, pour que vous pufiez CRE T. en juger avec plus d'attention. Je me fuis donc preflé d’extraire de mes journaux les obfervations ci-jointes. Rien ne pouvoit être auffi flatteur pour moi que l'intérêt que vous voulez bien prendre au fuccès de mes recherches. Permettez- moi donc de vous rappeler la promefle que vous m'avez don- née de m'indiquer de nouvelles expériences à tenter. Après avoir long-temps fuivi les abeilles dans des ruches vitrées, conftruites fur les proportions .qu'indique M. de Réaumur , vous avez fenti, Monfieur, que leur forme métoit pas favorable à Pobfervateur , parce que ces ruches font trop épaifles, que les abeilles y conftruifent deux rangs de gateaux parallèles, & que conféquemment tout ce qui fe pañle entre ces gâteaux échappe à l'obfervation": d’après cette remarque, qui eft parfaitement jufte, vous avez confeillé aux naturaliftes de fe fervir de ruches beaucoup plus plattes, ou dont les verres fuffent tellement rapprochés l’un de Fautre, qu’il ne Pas put y avoir entr'eux qu'un feul rang de gâteaux. J'ai fuivi votre confeil, Monfieur ; j'ai fait faire des ruches de 18 lignes d’é- paiffeur feulement, & je n'ai pas eu de peine à y établir des effaims. Mais il ne faut pas s’en rapporter aux abeilles du foin de conftruire un gateau fimple dans le plan de la ruche; elles ont été inftruites par [a nature à bâtir des gâteaux parallèles, ceft une loi à laquelle elles ne dérogent jamais, lorfqu’on ne les y force pas par quelque difpofition particulière : fi donc on les Jaif foit faire dans nos ruches minces, comme elles ne pourroient pas conftruire deux gateaux parallèles au plan de la ruche , elles en conftruiroient plufieurs petits, perpendi- culaires à ce plan, & alors tout ce qui fe pafleroit entre les gâteaux feroit également perdu pour Pobfervateus : il faut donc arran- ger d'avance les gâteaux Je les fais placer de manière que leur plan foit bien perpen- diculaire à l'horizon, & que leurs deux furfaces foient des deux côtés, à 3 ou 4 F6, 1 lignes des verres de la ruche. Cette diflance laifle aux abeilles une liberté fufifante, mais elle leur Ôte celle de former, en s’accumu- lant, des grappes ou des maflifs trop épais fur la furface des gateaux. À laide de ces précautions, les abeilles s’établiffent facile- _ ment dans des ruches auf minces; elles y font leurs travaux avec la même affiduité & le même ordre, & comme il n’y a aucune cellule qui n’y foit à découvert, nous fom- mes parfaitement suürs que les abeilles ne peuvent nous y cacher aucun de leurs mou: vemens. | Il eft vrai qu’en obligeant ces mouches à fe contenter d’une habitation où elles ne _ pouvoient conftruire qu'un feul rang de gâteaux, J'avois, jufques à un certain point, changé leur fituation naturelle , & cette circonftance pouvoit paroiître capable d’al: térer plus ou moins leur inftint. J'imagi- nai donc, pour prévenir toute efpèce d’ob- jelion, une forme de ruches, qui, fans perdre lavantage de celles qui font très: minces ; # LR on minces, fe rapprochât davantage de la forme des ruches ordinaires, où les abeilles conf. truifent plufieurs rangs de gäteaux parallé- les. En voici en peu de mots la defcription. (1) Je me procurai plufieurs petits chaflis 7 ( 1 ) Voyez la planche première dos je joins ici l'explication. Explication de la planche 1'°. La ruche en livre eft compofée de la réunion de 12 Chaflis placés verticalement & parallèlement les uns aux autres. La Figure I repréfente un de ces chaflis : Îles mon. tans fg, fg doivent avoir 12 pouces, & les traverfes JF, gg 9 ou 103 l’épaiffeur des montans & des traver. fes fera d’un pouce , & leur largeur de r$ lignes ; ii eft important que cette dernière mefure foit exacte. / aa, Parcellé de gâteau qui fert à diriger les abeilles dans leurs travaux. d, Liteau mobile qui fert à fupporter fa partie in: - férieure. Je : bb,Bbb, Chevilles dont lufage eft de contenir le g4. teau dans le plan du chaffis : il y en a 4 de l’autre côté que l’on ne peut voir dans cette figure ; mais la figure 4 permet de voir comment elles doivent être placées. ee, Chevilles plantées dans les traverfes au - deffous du liteau mobile , dans les montans , & pour le foutenir. La Figute IT repréfente une ruche en livre , compofée B (A8. 3 de fapin d’un pied en quarré, & de 15 lignes d’épaifleur : je les fis joindre tous enfemble par des charnières, enforte qu’ils puflent s'ouvrir & fe fermer à volonté comme les feuillets d’un livre, & je fis couvrir les deux de 12 cadres tous numérotés. On voit entre le 6e, & le €, chafis , deux planches avec leurs recouvremens qui | divifent cette ruche en deux parties égales, & qui n’y doivent être placées que lorfqu’on veut la feparer pour former un effaim artificiel. Elles font defigneées par aa. bb, Planches qui ferment les deux côtés de la ruche, & qui ont des recouvremens. On voit des portes au bas de chacun des cadres de cette ruche ; toutes doivent être fermées, à la referve des cadres n°. 1 & n°. 12 ; mais il faut qu’elles puiffent s'ouvrir à volonte, | La Figure III fait voir la ruche en livré ouverte en partie, pour faire fentir que les chaffis dont elle eft com- pofée peuvent être unis par une charnière quelconque, &. s'ouvrir comme les feuillets d’un livre. aa Sont des recouvremens qui la ferment par les côtés. La Figure IV n’eft autre chofe que la figure 17€. vue d’un autre fens. a a , Parcelle de gâteau qui fert à diriger les abeïlles. bb, bb, Chevilles difpofées en pinces, qui, fervent à le contenir dans le fens du chaffis. | cc, Portions des deux liteaux, l’un fupérieur & fixe fert à retenir le gâteau dans fa fituation verticale ; au. tre inférieur & mobile fert à le fupporter par deffous, Jai ant chaflis extérieurs par des carreaux de verre qui repréfentoient la couverture du livre. Lorfque nous voulions, mon lecteur & moi, employer les ruches de cette forme, nous avions foin de fixer un gâteau de cellules dans le plan de chacun de nos chafis; nous introduifions enfuite toute la quantité d’abeil- les dont nous avions befoin pour chaque expérience particulière ; puis , en ouvrant fucceffivement les divers chaffis, nous inf pections plufeurs fois, tous les jours, cha- que gâteau fur fes deux furfaces: il n'y avoit donc pas dans ces ruches une feule cellule où nous ne puflions fuivre à chaque inftant -ce qui fe pafloit;.je pourrois pref. que dire qu’il n’y avoit pas une feule mou- che que nous ne _connuffions particulière. ment. Dans.le fait, cette conftrudion n'eft autre, chofe qu’une réunion de plufieurs ruches fort applaties, qu’on peut féparer les unes des autres à volonté: je conviens qu’il ne faut pas, vifiter les abeilles lorfqu’elles habitent des domiciles de ce genre , .& | B if r 2 ] avant qu’elles ayent elles - mêmes fixé fol dement leurs gâteaux dans les chaflis ; ils pourroient fans cette précaution fortir du plan dés cadres, tomber fur les abeilles 4 en écrafer & en bleffer quelques - unes, & les irriter à tel point, que l’obfervateur ne pourroit éviter des piquüres toujours défagréables & quelquefois dangereufes : mais bientôt elles s’accoutument à leur fitua- tion, elles s’apprivoifent en quelque forte, & au bout de trois jours on peut opérer fur la ruche, l'ouvrir, emporter des por- tions de gâteaux, en remettre d’autres, fans que les mouches donnent des fignes de mécontentement trop redoutables: Veuillez vous fouvenir, Monfieur, que lorfque vous vintes dans ma retraite, je vous montrai une ruche de cette forme qui étoit depuis long-temps en expérience , & que vous fütes fingulièrement étonné de la tranquillité avec laquelle les abeilles permirent qu’on l’ouvrit. J'ai répété toutes mes obfervations dans les ruches de cette dernière forme, & elles FA. y ont eu exactement les mêmes réfultats que dans celles qui étoient les plus minces. Je crois donc avoir détruit d'avance les objec- tions qu’on auroit pu me faire fur les inconvéniens fuppolés de mes ruches plat- tes. Je n'ai, du refte, aucun regret d’avoir recommencé tout mon travail; en refaifant plufieurs fois les mêmes obfervations, je fuis bien plus certain d’avoir évité l'erreur, & d’ailleurs, jai trouvé dans ces dernières ruches, (que je nommerai ruches en livre ou en feuillet ) quelques avantages qui les rendent très-utiles , lorfqu'on veut s'occuper de la partie économique des abeilles. Je les détaillerai dans la fuite fi vous me le per- mettez. Je viens a@uellement, Monfieur, à l’ob- jet particulier de cette lettre, la féconda- tion de la Reine-abeille ( 1). J'examinerai (1) Je n’ofe pas exiger de mes lecteurs que , pour comprendre mieux ce que j'ai à leur expofer, ils relifent les mémoires de Réaumur fur les abeilles , & ceux de la Socicté de Luface, mais je les invite à méditer l'extrait: B ij E 22 ] d'abord en peu de mots les différentes opi- pions des naturalistes fur le fingulier problème que préfente cette fécondation : je vous ren- drai compte des obfervations les plus remar- quables que leurs conjectures n’ont donné heu de faire, & je décrirai enfuite les nou- velles expériences par lefquelles je crois avoir réfolu le problème. Swammerdam , qui avoit obfervé les abeil- .ks avec une afliduité conftante, & qui n’étoit jamais parvenu à voir un accouple- ment réel entre un faux - bourdon & une Reine , fe perfuada que l’accouplement n'ctoit point néceffaire à la fécondation des œufs; mais comme il remarqua que les faux - bourdons exhalent en certains temps une odeur trés-forte, il s'imagina que cette odeur étoit une émanation de l'aura femi- als, ou laura feminalis elle-même, qui, qu'en a donne M. Bonnet dans fes œuvres, Tom. X de l'édit. in-8. & V de l’édit. 274. Ils y trouveront un pré- cis court & parfaitement clair de tout ce que les natu- raliltes avoient découvert jufau’a prélent fur ces mouches. [ 23 en pénétrant le corps de la femelle, y opé- roit la fécondation. Il f& confirma dans fà conjecture, lorfqu'il vint à difféquer’ les organes de la génération des mâles ; il fut fi frappé de la difptoportion qu’ils préfen- tent, comparés aux organes de la femelle, qu’il ne crut pas la copulation pofhble ; fon opinion fur linfluence de l'odeur des faux- bourdons avoit d’ailleurs cet avantage, qu’elle expliquoit très-bien leur prodigieufe multi- plication. Il y en a fouvent 1500 ou 2000 dans une ruche, &@& fuivant Swammerdam, il falloit bien qu’ils y fuflent en grand nom- bre, pour que lémanation qu’ils répandent eüt une intenfité ou une énergie fuffifante à la fécondation. M. de Réaumur a déjà réfuté cette hypothèfe par des raifonnemens juftes & concluans ; cependant il n’a point fait la feule expérience qui put la vérifier ou la détruire d’une manière décifive. Il falloit enfermer tous les faux-bourdons d’une ruche dans une baite de fer-blanc percée de trous B iv [ 24 très-fins , qui donnaflent pañlage à lémana- tion de l'odeur, fans laifler pafler les orga- nes mêmes de la génération; placer cette boite dans une ruche bien peuplée, mais exactement privée des mâles de la grande ‘ & de la petite taille, & fe rendrè atten- tif au réfultat. Il eft évident que fi, après avoir difpofé les chofes de cette manière, ja Reine avoit pondu des œufs féconds, Phypothèle de Swammerdam eût acquis beau- coup de vraifemblance, & qu'au contraire, elle eut été renverfée fi la Reine nm’avoit pas pondu du tout, ou n’avoit pondu que des œufs ftériles. Nous avons fait cette expérience telle que je viens de l'indiquer, avec toutes les précautions poflbles, & la Reine eft reftée inféconde. Il eft donc cer- tain que l’émanation de l'odeur des mâles ne fuffit point à la féconder. M. de Réaumur avoit une autre opinion: il croyoit que la fécondation de la Reine- abeille étoit la fuite d’un accouplement réel ; il enferma quelques faux-bourdons avec une rer 17 Reine vierge, dans un poudrier ; il vit cette femelle faire beaucoup d’agaceries aux mâles ; cependant, comme il n’apperçut point de jonction aflez intime pour qu'il püt lappe. ler un véritable accouplement, il ne pro- nonça point, & laifla la queftion indécife. Nous avons répété après lui fon obferva- tion : nous avons renfermé, à diverfes repri. fes , des Reines vierges avec des faux-bour- dons de tout âge ; nous avons fait l'expérience dans toutes les faifons, & nous avons été témoins de toutes les petites agaceries, de toutes les avances faites aux mâles par la Reine: nous avons même cru voir quel- quefois entr'eux une efpèce de jondion , mais fi courte & fi imparfaite, qu’il n’étoit pas vraifemblable qu’elle püt opérer la fécondation. Cependant, comme nous ne voulions rien négliger , nous primes le parti d’enfermer dans fa ruche la Reine vierge qui avoit fouffert cette approche d’un mâle, & de lobferver pendant quelques jours pour voir ff elle feroit devenue féconde. [ 26 ] Nous fimes durer fa prifon plus d’un mois, & dans tout cet efpace de temps , elle ne pondit pas un feul œuf; elle étoit donc reftée flérile. Ces jonctions inftantanées n’ope-' rent donc pas la fécondation. Vous avez rapporté, Monfieur, dans la Contempl. de la Nat. part. XT, chap. XX VIT, les obfervations d’un naturalifte anglois, M. de Braw. Elles paroifloient faites avec exac- titude, & éclaircir enfin le myftère de la fécondation de la Reine - abeille ( FE }. Cet obfervateur , favorifé par le hafard, apperçut un jour au fond de quelques cellules où il y avoit des œufs, une liqueur blanchätre, en apparence fpermatique, fort diftincte au moins de la gelée que les ouvrières raffem. blent ordinairement autour des vers nou- vellement éclos. Il fut très-curieux d’en con- noitre l’origine , & comme il conje@ura que c'étoient des gouttes de la liqueur prolifi- que des mâles, il entreprit de veiller dans (1) Voyez le LXVIT Vol. des Trans. philos. É 27 3 une de fes ruches tous les mouvemens des faux-bourdons, pour les furprendre au moment où ils arroferoient les œufs. Il affure qu'il ne tarda pas à en voir plufieurs qui infi- nuoient la partie poltérieure de leur corps dans les cellules, &. qui y dépofoient leur liqueur. Après avoir répété plufieurs fois cette première obfervation, il entreprit une aflez longue fuite d'expériences : il renferma un certain nombre d’ouvrières dans des cloches de verre avec une Reine & quelques faux-bourdons, il leur donna des parcelles de gâteau où il n’y avoit que du miel, & point de couvain, & il vit cette Reine pon- dre des œufs que les males arrosèrent, & dont il fortit des vers. Lorfqu’au contraire, il ne renferma point de faux-bourdons dans la prifon où il tenoïit la Reine, cette femelle ne pondit point, ou ne dépofa que des œufs ftériles. Il mhéfita plus alors à donner comme un fait démontré que les mäles des abeil- les fécondent les œufs de la Reine à la maniçre des poiflons & des grenouilles, c’ert- v [ 28 Ï à - dire , extérieurement après qu'ils font pondus. | | Cette explication avoit quelque chofe de très-fpécieux ; les expériences fur lefquelles elle étoit fondée, paroïfloient bien faites, & * elle rendoit furtout parfaitement raifon du nombre prodigieux de mâles qui fe trouvent dans les ruches : cependant , il reftoit une objection trés-forte à laquelle auteur avoit négligé de répondre. Il nait des vers lorfqu’il n'y a plus de faux-bourdons. Depuis le mois de Septembre jufqu’en Avril, les ruches font pour l'ordinaire privées de mâles, & malgré leur abfence, les œufs que la Reine pond dans cet intervalle ne font point ftériles : ils n’ont donc pas befoin, pour être fécon. dés, de l'influence de la liqueur prolifique. Faudroit - il donc fuppoler qu’elle leur eft nécefaire dans un certain temps de l’année, & que, dans toute autre faifon, elle leur devient inutile? | Pour découvrir la vérité au milieu de ces faits, en apparence fi contradictoires, je ré. [ 29 ] folus de répéter les expériences de M. de Braw, & d’y apporter plus de précautions qu'il ne paroifloit y en avoir mis lui-même. Je cherchai d’abord dans les cellules qui con- tenoient des œufs cette liqueur dont il parle, & qu’il prenoit pour des gouttes de fperme : nous trouvâmes, mon lecteur & moi, plu- fieurs cellules , où effedivement il y avoit une apparence de liqueur, & je dois conve- nir que les premiers jours où nous fimes cette oblervation , nous n’eümes aucun doute fur la réalité de cette découverte : mais enfuite nous reconnümes qu'il y avoit ici une illu- fion , caufée par la réflexion des rayons de la lumière; car, nous ne pouvions appercevoir de ces traces de liqueur , que lorfque le foleik dardoit fes rayons au fond des cellules. Ce fond eft ordinairement tapissé des débris de différentes coques des vers qui y font éclos fucceffivement ; ces coques font affez brillan- tes, & l’on conçoit que lorfqw’elles font for- tement éclairées , il en réfulte un effet de lumière , fur lequel il eft facile de fe +rom- [ 88,1 per. Nous nous en convainquimes d’une ma: nière très-précife en ‘examinant la chofe de plus près. Nous détachämes les cellules qui préfentoient ce phénomène , nous les cou: pames fous tous les fens, & nous vimes alors très - clairement qu'il n’y avoit pas la plus petite trace d’une véritable liqueur. Quoique cette première obfervation nous eüt déijàa infpiré une forte de défiance contre la découverte de M. de Braw, nous répétà- mes fes autres expériences avec le plus grand foin. Le 6 Août 1787, nous baignâmes une ruche ; nous examinames avec une attention fcrupuleufe toutes les abeilles. pendant qu’elles étoient -dans le bain. Nous nous aflurimes qu'il n'y avoit aucun male, ni de la grande ni de la petite taille ; nous vifitèmes également tous les-gäteaux, & nous reconnümes qu’il ne s’y trouvoit pi nymphe, ni ver de males, Lorfque les abeilles furent séchées, nous les replaçimes toutes avec leur Reine dans leur habitation; puis nous transportâmes cette tuche dans mon cabinet. Comme nous defs EE Ms ious que ces abeilles puflent jouir de la liberté, nous ne les enfermâmes point ; elles allèrent donc dans la campagne, & y firent leur récolte ordinaire : mais , attendu qu'il falloit s’aflurer que, pendant tout le temps de l'expérience , il ne s'introduiroit aucun mâle dans la ruche, nous adaptâmes, à fon entrée, un canal vitré, dont les dimenfions étoient telles, que deux abeilles feulement pouvoient y pafler à la fois, & nous veill4- mes attentivement fur ce canal, pendant les 4 ou $ jours que l’expérience devoit durer. Si un male sétoit préfenté , nous l'aurions reconnu à l'inftant , nous l’aurions écarté pour qu'il ne troublàt point le réfultat de lexpé- rience commencée. Or nous pouvons répon- dre qu’il ne s’en préfenta pas un feul, Cepen- dant la Reine pondit, dès le premier jour, (le-6 Août ) 14 œufs dans des cellules d’ou- vrières , & tous ces vers furent éclos le 10 du même mois. Cette expérience eft décifive. Puifque les œufs que pondit la Reine, dans une ruche où L 32 1 | n’y avoit point de mâles, & où il étoit impoffble qu'il s’en introduisit un feul; puif- que ces œufs, dis-je, furent féconds , il eft très-sür que, pour éclorre, ils n’ontpas be- {oin d’être arrofés de la liqueur des males. Il me femble qu’on ne peut propoler con- tre cette conféquence aucune objection un peu raifonnable. Cependant, comme je me fuis fait habitude, dans toutes mes expériences, de chercher moi-même avec grand foin les plus petites difficultés qu’on pourroit élever fur leurs réfultats, je penfai que les partisans de M. de Praw diroient que les abeilles, privées de leurs faux-bourdons, favent peut. être chercher ceux qui habitent d’autres ruches, leur enlever la liqueur fécondante, & la rapporter dans leur propre domicile pour la dépofer fur les œufs. Il étoit fort aifé d'apprécier la valeur de ce foupçon. Il sagifloit de répéter l'expé- rience précédente, en prenant la précau- tion d’enfermer les abeilles dans leur ruche, fi exactement qu'aucune d’entrelles n’en put fortir. C 33 ] fortir, Vous favez, Monfieur, que ces mou- ches peuvent vivre pendant 3 ou 4 MOIS prifonnières dans une ruche, qui eft d’ail- leurs bien approvifionnée de miel & de cire, & à laquelle on a laiffé de petites oùuvertu- res pour le paflage de l'air. Je fis cette expé- rience le 10 Août, je m’étois afuré par le baiñ qu'il n’y avoit aucun mâle parmi ces abeilles; elles furent prifonnières, au fens le plus étroit, pendant quatre jours, & au bout de ce temps, je trouvai fur leur lit de gelée 40 petits vers nouvellement éclos, Je pouffai l'exactitude au point de faire bai- gner encore une fois cette ruche, pour m'af {urer qu'aucun mâle n’avoit échappé à mes recherches ; nous examinämes toutes les mou- ches une à une, & nous pouvons garantir qu'il n’y en eüt pas une feule qui ne nous montrât fon aiguillon. Ce réfultat , fi conforme à celui de la première expérience, démon- troit que les œufs de la Reine - abeille ne font point fécondés extérieurement. Pour achever de détruire l’opinion de M. Ç [4 1 de Braw , il ne me refte plus qu’à indiquer ce qui l'a induit en erreur. C’eft que dans {es différentes obfervations, il s’eft fervi de Reines-abeilles, dont il ne connoifloit pas Phiftoire depuis leur naiïflance. Lorfqu’il a vu éclorre les œufs pondus par une Reine enfermée avec des mâles, il en a conclu que les œufs avoient été arrofés dans leurs cellules par la liqueur prolifique des faux- bourdons ; mais pouf que cette conclufion fut jufte , il eût fallu s’aflurer auparavant que cette femelle ne s’étoit jamais accouplée, & il avoit négligé de s’en inftruire. Le fait eft que , fans le favoir, il avoit employé à cette expérience une Reine qui avoit eu come merce avec un male. S'il s’étoit fervi d'une Reine vierge, qu’il l’eut enfermée avec des faux-bourdons dans fes cloches, au moment où elle feroit fortie de fa cellule royale, il auroit eu un réfultat tout différent. Car même au milieu de ce ferrail de mâles, cette jeune Reine n’auroit jamais pondu, comme. je le prouverai dans la fuite de cette lettre. P6r | | Les obfervateurs de Luface, & en par: ticulier M. Haïtorf, ont cru que la Reine- abeille étoit féconde par elle-même fans le concours des mâles. (1) Je vous rappelle- rai, Monfieur, le précis de l'expérience fur laquelle ils fondoient cette opinion. M. Hattorf prit une Reine fur la virgi- nité de laquelle il ne pouvoit avoir de doute; il Penferma dans une ruche dont il exclut tous les mäles de la grande & de la petite forte, & quelques jours après il y trouva des œufs & des vers. Il prétend, que dans lé cours de cette expérience, il ne s’intro- duifit aucun faux-bourdon dans cette ruche, & comme, malgré leur abfence, cette Reine pondit des œufs, d’où fortirent de petits Vers, il en conclut qu’elle eft féconde par * elle-même. C1) Voyez dans l’hiftoire des abeïlles de M. Scirach un Mémoire de M. Hattorf intitulé : Recherches phy- fiques fur cette queftion : La Reine-abeille doit-elle être Fécondée par les faux-bourdons ? Ci 4.136 : 1 En réfléchiffant fur cette expérience , je ne la trouvai pas aflez\ exacte. Je favois que les faux - bourdons paflent très - facilement d’une ruche dans une autre, & M. Hattorf mavoit pris aucune précaution pour qu’il ne s’en introduisit point dans la fienne ; il dit bien qu’il n’y vint aucun mâle, mais il ne nous dit pas par quel moÿen il saflura de ce fait : lors même qu’il feroit parvenu à reconnoitre qu'il n’y étoit entré aucun faux- bourdon de la grande taille , il reftoit pof: fible qu’il fe füt introduit un petit male, qui eùt échappé à fa vigilance, & qui eût fécondé la Reine. Pour éclaicir ce doute, je rélolus de répéter l’expérience de cet obfervateur, telle qu’il l'a décrite, fans y apporter plus de foin ou de précautions, Je plaçai une Reine vierge dans une ruche dont jenlevai tous les mâles, & je laiffai aux abeilles une liberté entière : quelques jours après, je vifitai cette ruche, ÿy trou- vai des vers nouvellement éclos. Voilà bien le même réfultat que M. Hattorf ; mais, EF OT 1 pour en tirer la même conféquence, il fai. loit s’aflurer très-pofitivement qu’il ne s’étoit introduit aucun male. 1] falloit baigner les abeilles & les examiner une à une. Nous fimes cette opération , & après une recher. che très-attentive, nous trouvames en effet quatre petits males. [l fuit de-là que pour faire une expérience décilive fur cette quel- tion, il ne fuffit pas, en difpofant l'appa- reil , d'enlever tous les faux-bourdons; il faut empêcher encore par quelque moyen sûr, qu'aucun d’entreux ne vienne à s’y intro- duire, & c’eft ce que Fobfervateur Alle- mand avoit négligé de faire. Je me préparai alors à réparer cette omiflion. Je pris une Reine vierge; je la plaçai dans une ruche, jenlevai foigneule- ment tous les males, &. pour être phyli- quement sür qu'il n’en viendroit aucun, jadaptai, à louverture de ma ruche, un ‘canal vitré, dont les dimenfions étoient telles ; que les abeilles ouvrières pouvoient y palier librement, mais qui étoit trop petit C üj 088. 1 pour ‘qu'un mâle de la plus petite taille püt s'y gliffer. Les chofes reftèrent ainfi difpofées pendant trente jours ; les ouvrières, aant & venant librement, firent tous leurs travaux ordinaires ; mais la Reine refta fté- rile ; au bout de trente jours fon ventre étoit auf efilé qu'au moment de fa naif fance, Je répétai cette expérience piufieurs fois, le réfultat fut toujours le même. Ainfi donc , puifqu'une Reine, qu’on fépare rigoureufement de tout commerce avec les mâles, relte stérile , il eft évident quelle n’eft pas féconde par elle - même. L'opinion de M. Haïtorf eft donc mal fondée. | Jufques ici, en cherchant à vérifier ou à détruire par de nouvelles expériences les conjectures de tous les obfervateurs qui m'avoient précédé, favois acquis la connoif- fance de nouveaux faits ; mais ces faits étoient , en apparence , fi contradictoires entreux , qu'ils rendoient la folution du pro- blême plus difficile encore. Lorfaw’en tra. p69" 1 ! vaillant fur l'hypothèfe de M. de Braw, j'en- fermai une Reine dans une ruche, dont je pris foin d’écarter tous les fanx-bourdons , cette Reine ne laiffa pas d’être féconde. Lorfqu’au contraire , en examinant l'opinion de M. Hattorf, je plaçai dans les mêmes circonftances une femelle de la virginité de laquelle j’étois parfaitement sûr , cette femelle refla ftérile. | Embarraflé par tant de difficultés, je fus fur le point d'abandonner ce fujet de recher- ches, lorfqw’enfin, en y réfléchiffant plus attentivement ,.je crus que ces contradic- tions apparentes provenoient du rapproche- ment que je me permettois de faire entre des expériences exécutées fur deg Reines vier- ges, & d’autres exécutées fur des femelles que je navois pas obfervées dès leur naif. fancé, & qui avoient peut-être été fécondées à mon infçu. Plein de cette idée, pentre- pris de fuivre un nouveau plan d’obferva- tions, non fur des Reines prifes au hafard dans mes ruches, mais fur des femelles C iv À é 4 : décidément vierges, & dont je connoitrois l'hiftoire depuis le moment de leur lortie de la cellule. si J'avois un très- grand nébibie de ruches : Fenlevai toutes les femelles qui y régnoient, & je fubftituai à chacune d’entrelles une: Reïne prife au moment de fa naiflance; je partageai «enfuite ces ruches en deux claffes. Dans celles de la première, j'enlevai tous les mâles de da grande taille & de la petite, &. qe.leur. fs adapter, un canal vitré aflez étroit, pour qu'aucun faux-bourdon ne -püt S'y introduire, mais en méhe temps allez large pour que les. abeilles ouvrières puf. {ent entrer: & fortir librement. Dans les ruches..de, da feconde .clafle,.je liflai, tous les, faux-bourdons qui pouvoient s'y trou. vér; jy en introduifis même .de nouveaux , -& comme ,je-ne voulois. pas qu'ils puffent s'échapper, Je donnai à ces ruches, .ainfi qu'aux premières , un Canal vitré trop.étroit pour le, .pallage des males. Je fuivis pendant plus d’un mois, .& avec CAE 7 beaucoup'.de foin, cette expérience faite en grand, & je fus fort furpris de voir au bout de ce terme toutes mes KReines éga- lement ftériles. | Il eft donc parfaitement sûr que les Rei- nes - abeilles reftent infécondes, même au milieu d’un ferrail de males, lorfqu’on prend la précaution de les tenir prifonnières dans leur ruche. Ce réfultat me conduifoit à foupçonner que les femelles ne peuvent être fécondées dans. l'intérieur des ruches , & qu'il faut qu’elles en fortent pour rece- voir les approches du male. Il étoit bien facile de s’en aflurer par une expérience directe. Comme ceci eft important. je rap- porterai en détail celle que nous fimes, mon fecrétaire & moi, de 29 Juin 1788. | Nous favions que , pendant la belle faifon, les faux -bourdons fortent ordinairement de _ deurs ruches à l’heure la plus chaude du Jour. Or , il'étoit naturel de penfer que , fi les Reines font obligées d’en fortir aufñ pout _être fécondées, elles feroient inftruites à choi. — te 1 | fir le temps même de la fortie des mâles. Nous nous plaçâmes donc vis-à-vis d’une ruche dont la Reine inféconde étoit âgée de cinq jours. Il étoit onze heures du matin: le foleil avoit brillé depuis fon lever, & Pair étoit très-chaud ; les mâles commencoient à fortir de quelques ruches , nous agrandimes alors louverture de la porte de celle que nous voulions obferver : puis nous fixames toute notre attention fur cette porte & fur les mouches qui en fortiroient. Nous vimes d'abord paroïtre les mâles, qui ne tardèrent pas à prendre l’eflor , dès que nous les eûmes mis en liberté. Bientôt après la jeune Reine parut à la porte de fa ruche ; elle ne prit . point le vol en fortant. Nous la vimes fe _ promenér fur lappui de cette ruche pendant quelques inftans , elle brofloit fon ventre avec fes jambes poftérieures : les abeilles , & les mâles qui fortoient de fa ruche, ne lui rendoient aucun foin, & paroifloient ne lui donner aucune attention : la jeune Reine prit enfin le vol. Quand elle fut à quelques | #48 1] piés de fa ruche, elle fe retourna, & sen rapprocha comme pour examiner le point d'où elle étoit partie; ( on eüt dit qu’elle jugeoit cette précaution néceflaire pour le reconnoître à fon retour ) elle s’en éloigna enfuite, & elle décrivit en volant des cercles horifontaux à douze ou quinze piés au-deffus de la terre. Nous diminuâmes alors l’ouver- ture de fa ruche, pour qu’elle ne put y rentrer à notre infçu, & nous allâmes nous placer au centre des cercles qu’elle décrivoit en vo- lant, afin d’être plus à portée de la füuivre & de voir toutes fes actions. Mais elle ne refta pas long-temps dans une fituation auff favorable à l’obfervation ; bientôt elle. prit un vol rapide, & séleva à perte de vue : nous regagnames auflitôt notre polte au-de. vant de fa ruche, & au bout de fept minutes nous vimes la jeune Reine revenir au vol, & fe pofer à la porte d’une habitation dont elle n’étoit fortie qu’une fois. Nous la primes alors dans nos mains pour l’examiner, & ne lui ayant trouvé aucun figne extérieur qui L 44 ] indiquât la fécondation, nous la laifsâmes rentrer dans fa demeure. Elle y refta près d'un quart d'heure, au bout duquel elle reparut; après s'être broffée comme la pre. mière fois, elle partit au vol, elle fe retourna pour examiner fa ruche, & s’éleva d’abord a une telle hauteur, que nous la perdimes bientôt de vue. Cette feconde abfence fut bien plus longue que la première; ce ne fut qu'après vingt-fept minutes que nous la vimes revenir au vol, & fe pofer fur Pappui de La ruche. Nous la trouvâmes alors dans un état bien différent de celui où nous l'avions vue quand elle étoit revenue de fa première excur- fion : la partie poftérieure de fon corps étoit remplie d’une matière blanche , épaifle & dure; les bords intérieurs de fa vulve en étoient couverts; la vulve elle - même étoit entrouverte, & nous pümes voir aifément. que fa capacité intérieure étoit remplie de la même matière. Cette fubftance reffembloit affez à la liqueur dont font remplies les véfi- çules féminales des mâles, & nous les trou bar 1 vames parfaitement femblables entr’elles quant à la couleur & à la confiftance ( 1). Mais il nous falloit une preuve plus forte que cette reflemblance , pour être sûrs que la liqueur blanche , dont la Reine étoit revenue impré- gnée, étoit bien la liqueur fécondante des mäles ; il falloit qu’elle opérât la fécondation. Nous laifsàèmes donc rentrer cette Reine dans (1) On verra dans la lettre fuivante que ce que nous prenions pour des gouttes de fperme coagulé , étoit réellement les parties de la génération du mâle, que Paccouplement fixe dans le corps de la femelle. Nous devons cette découverte à une circonftance dont je don- nerai ci-deflous les details. Pour ne pas allonger cet ouvrage , j'aurois du peut-être fupprimer tout ce que je raconte ici de mes premières obfervations fur la fécon- dation de la Reïine-abeille, & pafler tout de fuite aux expériences qui prouvent qu’elle rapporte avec elle les organes de la génération du mâle; mais, dans des obfer- vations de ce genre, qui font également neuves & deli cates, il eft fi facile de fe tromper, que je crois rendre fervice à mes Lecteurs en leur expofant, de bonne foi, les erreurs que j'ai commifes. C’eft une nouvelle preuve, ajoutée à tant d’autres, de l’obligation où fe trouve un obfervateur , de répéter mille & mille fois fes expérien- ces, pour obtenir enfin la certitude qu’il voit les cho- fes fous leur véritable point de vue, [ 46 ] fa demeure, & l’y enfermämes. Deux joui après nous ouvrimes la ruche, & nous eûmes la preuve que la Reine étoit devenue féconde. Son ventre étoit fenfiblement grofli, & elle avoit déjà pondu près de 100 œufs dans les cellules d’ouvrières. | Pour confirmer cette découverte, nous fimes plufieurs autres expériences qui eurent le même fuccès. — Je tranfcrirai encore celle - ci de mon journal. Le 2 Juillet, le temps étoit très- beau, les males fortoient en foule. Nous offrimes la liberté à une Reine qui n’avoit jamais habité avec les males , (car fa ruche en avoit toujours été rigoureufement privée}. Elle étoit âgée de onze jours, & abfolument inféconde; nous la vimes bientôt fortir de fà ruche, partir au vol après l'avoir examinée, & s’élever à perte de vue: elle revint au bout de quel- ques minutes, fans aucune des marques extérieures de la fécondation ; elle en fortit pour la feconde fois, au bout d’un quart: d'heure, mais d'un vol fi rapide, que nous + VS ne pûmes la fuivre que pendant ün inftant bien court; cette nouvelle abfence dura trente minutes. Le dernier anneau de fon ventre étoit ouvert, & la vulve étoit rem- plie de la matière blanche dont nous avons parlé, & toute fa capacité intérieure en étoit remplie. Nous replaçämes cette Reine dans fon habitation, d’où nous continuämes d’exclure tous les mäles. Nous la vifitèmes deux. jours après, & nous trouvâmes la Reine féconde. Ces obfervations nous apprirent enfin pourquoi M. Hattorf avoit obtenu des réful. tats fi différens des nôtres. Il avoit eu des Reines fécondes , dans des ruches qui étoient privées de mâles, & il en avoit conclu que leur concours n'étoit pas néceflaire à la fécondation; mais il mavoit pas Ôté à fes Reines la liberté de fortir de leurs ruches, & elles en avoient profité pour aller join- dre les mâles. Nous avions, au contraire à entouré nos Reines d’un grand nombre de males, & elles étoient reftées ftériles, parce ? É 48. ] que les précautions que nous avions ptifes pour enfermer les mäles dans les ruches, avoient auffi empêché nos Reines d’en fortir, & d'aller chercher az-dehbors la fécondation qu’elles ne pouvoient obtenir au-dedans. Nous avons répété ces expériences fur des Reines âgées de 20, 95, 30, 3$ jaurs. Toutes font devenues fécondes après üne feule imprégnation. Nous avons cepen: dant obfervé quelques particularités effen- tielles dans la fécondité de celles de ces Reines qui n’ont été fécondées que depuis le 20°, jour de leur vie; mais nous nous téfervons d’en parler, quand nous pourrons offrir aux naturaliftes des obfervations affez sûres & afez répétées pour mieux mériter leur attention. Qu'on me permette, cependant, d’ajou- ter ici un mot. Quoique nous n’ayons pas été témoins, mon leeur & moi, d'un accouplement réel entre la Reine & un faux . bourdon, nous croyons néanmoins que, d’après les détails où nous venons d'entrer , & 4 :] d’entrer, il ne reftera aucun doute fur la réalité de cet accouplement , & fur {a nécef. fité pour la fécondation. La fuite de nos expériences , faites avec toutes les précautions poflibles, nous paroïit démonftrative. La ftérilité conftante des Reïnes dans les ruches où il ny avoit point de mâles, & dans celles où elles étoient enfermées avec des mâles ; la fortie de cés Reines hors de leurs tuches, & les fignes très-marqués d’impré. gnation qu’elles préfentent en yÿ revenant, font des preuves contre lefquelles il ne peut pas refter d’objéctions. Nous ne défefpérons pas de pouvoir, au printemps prochain , nous procurer le dernier complément de cette preuve, en faififfant la femelle à l'in£ tant même de la copulation. Les naturaliftes avoient toujours été fort embarraflés à expliquer le nombre des faux- bourdons qui fe trouvent dans la plupatt des ruches, & qui ne paroiflent qu’une charge à la Communauté des abeilles, pui D L'ER à qu'ils n'y remplifflent aucune fonétion, Mais aujourd'hui on peut commencer à entrevoir l'intention de la nature, en les multipliant à tel point; puifque la fécondation ne peut s’opérer dans l’intérieur des ruches, & que la Reine eft obligée de voler dans le vague des airs pour trouver un male qui puifle la féconder, il falloit que ces mäles fuffent en aflez grand nombre pour que Ja Reine eut la chance d'en rencontrer un; sil ny eut eu dans chaque ruche qu'un ou deux faux-bourdons , la probabilité qu'ils en {or- tiroient au même inftant que la Reine, & qu'ils fe rencontreroient dans leurs excur- lions, eut été bien petite, & la plupart des femelles feroient reftées ftériles. Mais pourquoi la nature n’a-t-elle pas permis que la fécondation s’opérât dans Pin- térieur des ruches ? C’eft un fecret qu’elle ne nous a point dévoilé. Il eft poflible que quelque circonftance favorable nous mette à portée de le pénétrer dans la fuite de nos | LE A obfervatioñs. On pourroit imaginer diverfes conjectures , mais aujourd'hui on veut des faits, & on rejette les fuppolitions gratui- tes. Nous rappellerons feulement que les abeilles ne forment pas là feule république d’infectes qui préfente cette fingularité ; les femelles des fourmis font également obli- gées de fortir de leur fourmilière pour étre fécondées par les mâles de l’efpèce. Je nofe vous prier, Monfieur, de me communiquer les réflexions que votre génie vous infpirera fur les faits que je viens de vous expolfer. Je n’ai point encore de droit à cette faveur ; mais fi, comme je n’en doute point, il vous vient à Pefprit de nouvelles expériences à tenter, foit fur la fécondation de la Reine-abeille, foit fur d’autres points de lPhiftoire de ces mouches, faites-moi la grace de me les indiquer: j'apporterai à leur exécution tous les foins dont je fuis capable , & je regarderai cette marque d’ami- tié & d'intérêt de votre part comme l’encou- D àïj n'a ] rasement le plus flatteur que je puifle rece- voir dans la continuation de mon travail. Jai l’honneur d’être avec relpe , MoNSIEUR, Votre, &c. LL, 731 LE" MOT RE De M. BONNET à M. HuBE Sur Les Abeilles. Vous m'avez furpris, Monfieur, bien agréa. blement en me communiquant votre inté- reffante découverte fur la fécondation de la Reine-abeille. Quand vous avez foupçonné que cette mouche fortoit de la ruche pour être fécondée , vous avez eu une idée très- heureufe, & le moyen auquel vous avez eu recours pour vous en aflurer étoit très- approprié au but. Je vous rappellerai ‘à ce fujet que les males &@& les femelles des fourmis s'accou- plent en Pair, & qu'après la fécondation Îles femelles rentrent dans la fourmilière & y dépofent leurs œufs. Contemp. de la Nat. Part, KI, chap. XXII, note LI. Ii relteroit D ii de ra a faifir l'inffant où le faux-bourdon s’unit à la Reine-abeille; mais le moyen de s’af- furer de la manière dont s’opère une copu- latign qui sexécute en l'air, & loin des yeux de lobfervateur ! Dés que vous avez de bonnes preuves que la liqueur qui humec- “toit les derniers anneaux de la Reine à fa rentrée dans la ruche, étoit bien la même que celle que fourniflent Îles males, c’eft plus qu'une;fimple préfomption en faveur de laccouplement. Peut-être eft-il néceffaire, pour. qu'il s’opêre, que le mâle puifle faifir ja femelle par-deflous le ventre, ce qui ne fauroit s’exécuter bien qu’en l'air. La grande ouverture que. vous avez obfervée dans une certaine circonftance à l’extrémite du ventre de la Reine paroit bien répondre au volume lingulier:des parties fexuelles du mâle. Vous defirez, mon cher Monfieur, que je vous indique quelques nouvelles expé- siences à tenter {ur nos induftrieufes répu- blicaines ; je le ferai avec d'autant plus d’em- -prefflement & de plaifir, que je fais mieux M SR à quel point vous poflédez l'art précieux de combiner les idées, & de tirer de cette combiraifon -des réfaltats propres à nous révéler de nouvelles vérités, Voici donc quel- ques FRERE qui me viennent sens ce moment à lefprit. que il conviendroit Defaver de féconder arti- ficiellement une Reine vierge, en introdui- fant dans le vagin avec la pointe d’un pin- ceau un peu de la liqueur prolifique du male, & en prenant les précautions pro- pres à écarter toute méprife. Vous favez tout ce que les fécondations artificielles nous ont défa valu en plus d'un genre. Afin d'être :affuré que la Reine qui eft fortiè dela ruche pour être fécondée, eft bien la même qui y rentre pour y dépo- fer fes. œufs, il fera néceffaire de peindre fon -corcelet avec un vernis impénétrable à l'humidité. Il fera bien auf. de peindre le corcelet d’un bon nombre d’ouvrières pour découvrir la durée;de la:vie de l'abeille. D iv LO 1 On y parviendroit plus furement encore en les mutilant légèrement. | Pour éclorre, le petit. ver exige que fon œuf foit. fixé prefque verticalement par une de fes extrémités près du fond de l’alvéole; ceci fait naître une queftion : eft - il bien sûr qu'un œuf d'abeille ne puifle donner fon fruit qu autant qu'il eft fixé par un de fes bouts près du fond d'un alvéole ? Je roferois l’affirmér , & je laiffe à l'expérience à décider la queftion. x Je vous le difois un jour ; j'ai eu long- temps un doute fur la véritable nature de ces petits corps oblongs que la Reine dépofe au fond des cellules: j'avois du penchant à les prendre pour de petits vers qui n’ont pas encore commencé à fe développer. Leur forme très-allongée me paroifloit favorifer / mon foupçon : il sagiroit donc de les obfer- ver avec la plus grande afliduité depuis Pinftant de la ponte jufqu'à celui de l’éclo- fion, Si Pon voyoit la peau s'ouvrir, & le petitver fortir par l'ouverture, il n'y auroit sit A AE plus lieu à aucun doute, & ces petits corps {eroient bien de véritables œufs. : Je reviens à la manière dont s'opère l’ac- couplement. La hauteur à laquelle la Reine & les mâles s'élèvent en lair ne permettent point de. voir diftintement ce qui fe pale entreux : il faudroit donc effayer de ren- fermer la ruche dans une chambre dont le plancher feroit fort exhauflé. II conviendroit encore de répéter l'expérience de M. de Réaumur ,: qui renferma une Reine avec quel- ques mâles dans un poudrier; &@& fi au lieu de poudrier on employoit un tube de verre de plufieurs pouces de diamètre, & de plu- fieurs pieds de longueur, peut - étre réuff- roit-on à obferver quelque chofe de décilif. Vous avez eu le bonheur d’obferver de ces petites Reines dont labbé Néédham avoit parlé, & qu’il mavoit point vues: il importera beaucoup de difléquer avec foin ces petites KReines pour y découvrir les ovaires. Lorfque M. Riem m'eut appris, qu'ayant renfermé environ trois Cens ouvrié. É: 98.1 tes dans une caifle avec un gâteau qui ne contenoit aucun œuf, & que quelque temps après il avoit trouvé des centaines d'œuf dans ce gâteau, qu'il attribuoit à la ponte de ces ouvrières, je lui recommandai fort de difféquer les ouvrières : il le fit, & nvan- nonça qu'il avoit trouvé des œufs dans trois d’entr'elles. C’étoient apparemment de peti- tes Reines qu’il avoit difféquées fans les con- noître. Comme il naît de petits faux-bour- dons, il n’eft pas étrange qu’il naïfle. de . petites Reines, & fans doute, par:les mêmes circonftances extérieures. Ces RKReines de la petite taille méritent fort qu’on les fafle connoitre, parce qu’elles peuvent influer beaucoup dans diverfes expé- riences, & jeter l’obfervateur dans lembar- ras. Il faudra s’aflurer fi elles prennent leux accroiflement dans des cellules pyramidales , plus petites que les ordinaires, ou dans des cellules exagones. La fameufe expérience de Schirach fur la prétendue converfion d’un ver commun en si) ver royal ne fauroit être trop répétée, quoiqu’elle lait été bien des fois par les obfervateurs de Luface. Mais Pinventeur afluroit fort que lexpérience ne réuflit qu'avec des vers de trois à quatre jours, & jamais avec de fimples œufs. Je delirerois qu’on s’aflurât mieux de la vérité de la der- nière aflertion. Les obfervateurs de Luface, & celui du Palatinat foutiennent que les abeilles com- munes ou les ouvrières ne pondent que des œufs de faux-bourdons, lorfqu’on les ren. ferme avec des gâteaux abfolument privés d'œufs : il y auroit donc de petites Reines qui ne pondroient que des œufs de faux- bourdons ; car il eft évident que ces œuis, qu'on a cru pondus par les ouvrières, Vavoient été par des Reines de la petite taille. Mais, comment fuppofer que les ovai- res de ces petites Reines ne contenoient que des œufs de faux-bourdons ? M. de Réaumur nous a appris qu'on prolonge la durée de la vie des chrylalides, [080 3 en les tenant dans un lieu froid, tel qu'une glacière : il conviendroit de tenter la même expérience fur les œufs de la Reine-abeille & fur les nymphes des faux - bourdons &. des ouvrières. Une autre expérience intéreffante à ten- ter, feroit de retrancher tous les gâteaux compolés de cellules communes, pour ne laiffer fubfifter que les gâteaux compofés de cellules deftinées aux vers des faux-bourdons. On verroit fi les œufs des vers communs, que la Reine pondroit dans ces grandes cellules, donneroient des ouvrières de plus grande taille. Mais il y a bien de Pappa- rence que le retranchement des cellules communes décourageroit les abeilles; ear elles ont befoin de ces fortes de cellules pour y renfermer la cire & le miel. Peut- être néanmoins qu’en ne retranchant qu’une partie plus ou moins confidérable des cel- lules communes, la mère feroit forcée de pondre des œufs communs dans des cellu.… les de faux-bourdons. Le [62 1 Je defirerois encore qu’on eflayät de tiret délicatement d’une cellule royale le jeune ver qui y eft logé, & de le placer au fond d’une cellule commune, où FPon auroit dépolé de la bouillie royale. La forme des ruches influe beaucoup fur la difpofition refpedtive des gâteaux : ce feroit donc une expérience trés-indiquée que de varier beaucoup la forme des ruches & leurs dimenfions intérieures. Rien ne feroit plus propre à nous faire juger de la manière dont les abeilles favent modifier leur travail & lapproprier aux circonftances. Ceci pour. roit encore donner lieu à découvrir des faits particuliers que nous ne devinons pas. On n'a pas comparé avec foin lœuf royal, & l'œuf de faux - bourdon avec les œufs d’où fortent les vers communs. Il con- viendroït fort d’inftituer cette comparaifon pour s’affurer fi ces différens œufs récèlent des caractères qui les faflent diftinguer. La bouillie dont les ouvrières alimentent le ver royal n’eft pas la même que celle * F6 1 dônt elles alimentent le ver comniun : ne pourroit -on point tenter d'enlever avec la pointe d’un pinceau un peu de la bouillie du ver royal pour en alimenter un ver com- mun, qui fe trouveroit placé dans une cel- fule commune de la plus grande dimenfion ? J'ai vu des cellules communes prefque ver. ticales en embas, & où la Reine n'avoit pas laiffé de pondre des œufs communs. Ce feroient de telles cellules que je préférerois pour Pexpérience que je propofe. J'ai raflemblé dans mes Wemoires fur les Abeïlles, divers faits qui exigeroient d’être vérifiés; mes propres obfervations ne l’exi- geroient pas moins: vous faurez, mon cher Monfieur, choifir entre ces faits ceux qui méritent le plus de vous occuper: vous avez déjà tant enrichi l’hiftoire des abeilles, qu’on peut tout attendre de votre fagacité & de votre perfévérance. Vous favez quels font les fentimens que vous avez infpirés au Con- templateur de la Nature. A Genthod le 18 Août 1585. É 65.1] mes , RECONDE :LET-ERE de M: Huser à M. BONNET. Suite des obfervations fur la fecondation de la Keine - Abeille. Pregny le 21 Août 1791. MonNstEUR, C'est en 1787 & 1788 que j'ai fait tou- tes les expériences dont je vous ai rendu compte dans ma précédente lettre. Elles me paroiflent établir deux vérités fur lefquelles on n’avoit eu jufqu’à préfent que des indi- cations très.vagues. 10. Les Reines - abeilles ne font point fécondes par elles-mêmes ; elles ne le devien- nent qu'après un accouplement avec. un faux-bourdon. 2. L’accouplement s'opère hors de la ruche , & dans les airs. EF 6 1 Ce dernier fait étoit fi extraordinaire ; que malgré toutes les preuves que nous en avions acquifes, nous defirions très-vive- ment de prendre la Reine fur le fait. Mais comme dans cette circonftance elle s'élève à une grande hauteur, nos yeux ne pou- voient jamais y atteindre. Ce fut alors que vous me confeillâtes, Monfieur, de retran- cher une partie des ailes des Reines vier- ges, pour les empêcher de voler auffi rapi- dement & à une fi grande diftance. Nous nous y primes de toutes les manières pour profiter de ce confeil, mais à notre grand regret, nous vimes que quand nous muti- lions beaucoup les aïles de ces mouches, elles ne pouvoiént plus voler, & que quand nous n’en retranchions qu’une petite par- tie, nous ne diminuions point la rapidité de leur vol. 1 y a probablement un milieu entre ces deux extrêmes, nous ne sümes pas le faifir. Nous effayämes encore, d’après votre recommandation, de rendre leur vue moins percante, en Couvrant une partie de | leurs Eve] leurs yeux d'un vernis opaque ; cette ten: tative fut également inutile. Enfin, pour dernier moyen, nous cherchàmes à féconder artificiellement des Reines-abeilles, en intro: duifant dans leurs parties poftérieures la liqueur des mäles( 1). Nous fuivimes, dans (1) Swammerdam , qui nous a donné la defcriptiori de l’ovaire de la Reine des abeilles, l’a Jaiffée imcom- plète. Il dit qu’il n’a pu voir comment le canal des œufs a fa fortie hors du ventre ;, ni quelles font les parties qu'on y peut appercevoir outre celles qu’il a décrites, (*) < Quelque peine que je.mie fois donnée il il. 5 pour découvrir diftinctement l’iflue de la vulve, je #» n'ai pu en venir à bout, tant parce que j'étois pour >» lors à la campagne, & que je.n’avois pas avec moi _» tous mes inftrumens , que parce que je ne voulois » pas faire fortir la vulve du derrière de ia femelle, de » peur d’endommager quelques autres parties , que » javois befoin d'examiner en même temps. Cepen- # dant, j'ai vu affez nettement que le canal excretoire » des œufs forme un renflement.mufculeux à l’endroit, » où il s'approche du dernier anneau du ventre; qu’en- » fuite il fe rétrécit & fe dilate de nouveau en devenant #» membraneux, Je n'ai pu le fuivre plus loin ; parce #» Que je voulois conferver la véficule du venin, qui ef » fituée précifément à cet endroit, avec quelques mu£ €) Bible de la Nature. EF | 66 cette opération toutes les précautions que nous pümes imaginer pour en aflurer le fuccès, & le réfultat n'en fut pas fatisfaifant. Plufieurs Reines furent les victimes de notre curiofité ; les autres qui y furvécurent n’en reftèrent pas moins ftériles. : cles qui fervent au jeu de l’aiguillon. Mais dans une « autre femelle, il m'a femble que la vulve , en fuppo- , fant Pabeille couchée fur le ventre, s'ouvre dans le » derniér anneau fous Paiguillon, & qu’il eft très-diff- : cile de pénétrer dans cette ouverture , à moins que ces parties ne s'étendent & ne fe déployent dans le + temps que Pabeille porrd. ;, Noùs avons effäyé, Monfieur, de voir ce qui avoit échappé à Pinfatigable Sioammerdam; il nous a mis fur la voie , en nous indiquant le temps de la ponte comme celui où l’on pouvoit faire cette recherche avec le plus d'avantage : nous avons vu alors que le canal excré- toire des œufs n’avoit pas fa fortie immédiatement hors du corps; & que les œufs au fortir de la matrice tom- boient dans une cavité, où ils étoient contenus quel- ques inftans plus ou moins longs, avant de fortir hors du corps par les lèvres écailleufes du dernier anneau du ventre. Le 6e. Août 1787, nous primes dans fa ruche une Reine très-féconde : la tenant délicatement par Îles ailes & renvert&e, tout fon ventre étoit à découvert ; elle en D 67";] Quoique ces diverfes tentativés eullent été infruétueufes, il n’en étoit pas moins prouvé que les femelles fortent de leur ruche pour chercher les mâles, & qu’elles y reviennent avec les fymptômes de fécon- dation les plus évidens ; fatisfaits de cette découverte, nous n’efpérions plus que du faifit l’extrémite avec les jambes de la feconde paire, & l’amenant par ce moyen du côté de fa tête, elle le courba autant qu’elle pût, & prit la forme d’un arc. Cette attitude nous paroïflant contraire à la ponte, nous la forçcâmes , par le moyen d’une païlle, à en prendre une plus naturelle & à redrefler fon ventre. Cette reine preffée de pondre ne put plus long-temps retenir fes œufs : nous lui vimes faire un effort & allonger fon ventre; la partie inférieure du dernier anneau s’écartoit affez de la fupérieure pour laifler une ouverture, qui mit à découvert une partie de la capacité intérieure du ventre. Nous vimes l’aiguillon dans fon étui, dans la partie fupérieure de cette cavité. La Reine alors fit de nouveaux efforts, & nous vimes un œuf fortir du bout du canal de l'ovaire , & s’élancer dans la cavité dont nous avons parlé; puis les lèvres fe refermêrent, & ce ne fut qu'après quelques inftans qu'elles fe rouvtirent bien moins que la première fois, & fufifamment pour laifler fortir l'œuf que nous avions vu tomber dans cette cavité. E ij ER 7 temps où du hafard la preuve décifive, un véritable accouplement opéré fous nos yeux. Nous étions loin de foupçonner une décou- verte fort fingulière que nous avons faite cette année au mois de Juillet, & qui donne une démonftration complète de laccouple- ment fuppolé. Nous favions par nos propres obferva- tions que le fperme des faux-bourdons fe coagule dès qu'il eft expofé à l'air ; & plu- fieurs expériences, en confirmant ce fait, nous avoient laiffé fi peu de doute à cet égard, que toutes les fois que nous vimes reparoitre les femelles avec les fignes exté- rieurs de la fécondation, nous crûmes recon- noitre, dans la fubftance blanchäâtre dont leur vulve étoit remplie, les gouttes du fperme des mâles. Nous n’imaginèmes pas même alors de difféquer ces femelles pour nous en affurer plus pofitivement. Mais cette année-ci, foit pour ne rien négliger, foit peut-être pour examiner le développement que nous fuppoñons produit dans les orga- [2601 nes des Reines - abeilles par l'injection de fperme coagulé que les males y laifloient, nous avons entrepris d'en difléquer piufieurs ; à notre grande furprife , nous avons trouvé que ce que nous prenions pour un réfidu de la liqueur prolifique, étoit réellement les parties de la génération du maäle, qui fe féparent de fon corps dans le temps de la copulation, & reftent implantées dans la vülve des femelles. Voici les détails de cette | découverte. Après avoir pris la réfolution de diffé- quer quelques Reines - abeilles au moment eù elles reviendroient à leur ruche avec les fignes extérieurs de la fécondation, nous nous procurames, fuivant la méthode de Schirach ; plufieurs Reines, & nous leur don- nâmes fucceflivement la liberté de fortir pour aller chercher les mâles ; la première qui en profita fut retenue à l'inftant où elle alloit rentrer dans {a ruche, & fans diflec- tion, elle nous apprit d’elle-même ce que nous defrions impatiemment de favoir. Nous E ij Ho. ARE l'avions faifié par fes quatre aïles, & nous examinions le deffous de fon ventre, qui fe préfentoit à nous. Sa vulve entr'ouverte laif- foit voir le bout prefqu'ovale d’un corps blanc qui empéchoit par fon volume & par fa pofition les. lèvres de fe rapprocher; le ventre de la Reine étoit dans un mouve- ment continuel; il s’allongeoit, fe raccour. cifioit, fe courboit, & fe redrefloit alterna- tivement, Déjà nous étions prêts à couper fes anneaux, & à chercher par le moyen de la difleétion la caufe de tous ces mou. vemens, quand nous vimes cette Reine cour- ber aflez fon ventre pour pouvoir en attein- dre lextrémité avec fes jambes poftérieures, & faifir avec les crochets de fes pieds la partie du corps blanchätre qui étoit entre les Tèvres de fa vulve, & qui les tenoit écartées ; elle faifoit évidemment effort pour tirer ce corps hors de fa vulve ; elle y réuffit bientôt, & le dépofa dans nos mains. Nous nous attendions à voit lamas informe de quelque liqueur coagulée. Mais quelle fut Le 3 aotre furprife, quand nous vimes que ce que la Reine avoit tiré de fa vulve étoit une partie même du faux - bourdon qui lPavoit rendue mère! d’abord nous n’en crûmes pas nos yeux ; mais enfin, après avoir examiné ce corps fou$ toutes fes faces, foit à l'œil nud , foit avec le fecours d’une bonne loupe, nous reconnümes diftinétement que c’étoit Ja partie des faux - bourdons que M. de Réaumur appelle le corps lenticulaire , ou la lentille, & dont voici la defcription copiée dans fon ouvrage même (I). “ Lorfqu’on a ouvert le corps d’un faux- » bourdon, foit par-deflus , foit par-deflous, , On remarque bientôt une mafle formée » par laffemblage de plufieurs corps, fou- » vent d’un blanc qui furpafle celui du lait: » vient-on à développer cette mafle, on la » trouve compolée principalement de qua- , tre corps oblongs; les deux plus gros de » cès corps tiennent à une efpèce de cor- (1) Voyez gme, Mémoire fur les abeilles, édition in-A°, page 489. | E iv Ve (er Line, ] don tortueux que Swammmerdam a appelé la racine du pénis r, & il a donné le nom de véficules féminales ss, aux deux corps blancs & longs que nous venons de confidérer, Deux autres corps , oblongs comme les précédens, mais qui ont un diamètre qui n’eft guères que la moitié de celui des premiers, & qui font plus courts, font appelés par le même auteur les vaiffeaux déférens dd. Chacun d’eux communique avec une des véficules fémi- nales, près de l'endroit gg, où celles-ci s’uniflent avec le cordon tortueux r : de Pautre bout de chacun de ces vaifleaux déférens part un vaifleau xx, aflez délié, qui, après quelques plis & replis, abou- tit à un corps # un peu plus gros, mais difficile à dégager des trachées qui l’envi, ronnent. Swammerdam regarde. ces deux corps #f comme les teflicules. Nous avons donc deux corps d'un volume: confidéra- bie qui communiquent avec deux autres corps encore plus longs & plus gros. 99 5 2) 22 3) Eers 1 Ces quatre corps ont un tiffu cellulaire, rempli d’une. liqueur laiteufe, qu’on en peut tirer par expreflion. Le cordon long & tortueux r, auquel tiennent les deux plus grands de ces Corps, ceux qui ont été nommés es oéficules féminales , ce cordon, dis-je, eft fans doute le conduit par lequel la liqueur laiteufe peut fortir. Après sêtre plié & replié plufieurs fois fur lui-même, il s’élargit, ou fi lon veut, il fe termine à une efpèce de vefle 73, ou de fac charnu. On trouve cette dernière partie plus ou moins allongée, & plus ou moins applatie dans différens males ; en lappelant Ze corps lenticulaire ou la lentille, nous lui donnons un nom qui préfente une image affez reffemblante de la figure qu'il a conftamment dans tous les faux-bourdons, dont les parties inté- rieures ont acquis de la confiftance dans Pefprit-de-vin. Ce corps 7/7 eft donc une lentille afez renflée, dont la moitié , ou à-peu-près, de la circonférence, eft bor- [ 74 ] dée par deux lames écailleufes 2 x, de cou- - Ieur de marron, qui fuivent la courbure de fon contour. Un petit cordon blanc, qui fait le vrai bord de là lentille, eft pourtant vifible, & les fépare lune de l’autre, Cette lentille eft un peu oblon- gue; auf, pour nous exprimer plus Com- modément, lui donneronsenous deux bouts, que nous diftinguerons lun de l’autre par le nom de poferieur & celui dantérieur. Le Bout antérieur l, le plus proche de la tête, eft celui où sinsère le canal r, qui part des véficules féminales. Le bout oppolé ;, le plus proche de l'anus, eft le poñtérieur ; c'ett d'auprès de ce dernier que partent les deux lames écailleufes e7, ex, d'où chacune élargit pour venir couvrir une partie de là lentille. Au-deffous de l’endroit où chaque lame éeft lé plus clergie, elle a une efpêce d'échancrure , qui iui fait deux pointes moufles, d’iné- gale longueur, & dont la plus longue eft far Ja circonférence de la lentille. Outre 1:00 ces deux lames écailleufes , il y en a deux autres ##, de la même couleur, plus étroites, & au moins plus courtes de la moitié, dont chacune eft pofée tout pro- che des précédentes, & dont l’origine eft auprès de l’origine de celle qu’elle accom- pagne ; c’eft-à.dire, au bout poftérieur de la lentille. Le refte de cette lentille eft blanc & membraneux : de fon bout pof- térieur part un tuyau #, un cânal de même - blanc & de même membraneux, du diamce- tre duquel il eft difficile de juger , car les membranes qui le forment font vifible- ment pliflées. À un des côtés de ce tuyau eft attachée une partie p, charnue, qui a quelque chofe de la figure d’une palette dont une des faces feroit concave, & auroit fes bords gaudronnés ; l’autre face de cette palette eft convexe ; en quelques circonftances les gaudrons fe relèvent , leurs bouts excèdent le refte du contour. ils forment des efpèces de rayons qui font paroïtre la palette très-joliment ouvra- Le NI gée. Elle eft couchée fur la lentille, elle s’y applique par fa partie concave; mais elle ne lui eft pas adhérente. Swarmmerdam a paru difpofé à croire que cette palette eft la partie qui caractérife le mâle. » Les parties dont nous venons de par- ler, & qui font les plus vifibles dans le “corps des faux-bourdons, ne font point encore de celles qui en fortent les pre- mières, ni de celles qui, hors du corps, fe font le plus remarquer. Si on confi- dère le canal #, ou lefpèce de fac qui part du bout poftérieur de la lentille, fi on le confidère, dis-je, du côté oppofé au bord de la lentille qui fait la fépara- tion des deux grandes plaques écailleu- fes, on voit diftinétement ce corps #, que nous avons appelé Farc; on peut compter ces cinq bandes velues difpofées tranfverfalement, elles font de couleur fauve, pendant que le refte eft blanc. Cet arc femble même hors du canal membra- neux, parce qu'il n’eft recouvert que par 2 L'ART. 1 une membrane très-tranfparente ; par un de fes bouts, il atteint prefque le corps lenticulaire, & par lautre il fe termine x l'endroit où le canal membraneux fe joint à des membranes #, pliflées & jau- nâtres, qui font une efpèce de fac, qui s'applique contre les bords de l'ouverture, préparée pour laifler fortir toutes les par- ties deftinées à la génération. Les mem- branes roulsatres dont nous parlons font celles que la preflion oblige à fe mon- trer les premières en-dehors, celles qui forment cette mafle allongée dont le bout eft une efpèce de mafque velu. Enfin à ce fac, fait de membranes roufsitres , tien- nent deux appendices cc, d’un jaune rougeatre, & rouges même à leur bout ; ce font ces appendices qui paroiffent en- dehors, fous la forme de cornes, &c. ., Le corps lenticulaire /i, armé des lames écailleufes Ze, ie, eft la feule des parties décrites par M. de Réaumur que nous ayons trouvée engagée dans la partie pofté. (78. 21 tieute de nos Reines, Le canal 7 ,que Suis suerdam a appelé la racine du penis , fe rompt après l'accouplement, & nous en avons vu Jes fragmens, à l'endroit où il fe joint au bout 7 de la lentille vers fon extrémité anté- rieure , inais nous mavons trouvé aucune trace du £anal £, fait de membranes pli. fées, qui, dans le corps des mâles, part du bout poftérieur de la lentille 77, ni de la palette gaudronnée p , qui adhére à ce canal, & que Swammerdam avoit nommée péwis , à caufe de fa reflemblance à celui d’autres animaux, quoiqu'il ne crut pas lui. même que cette partie, (qui n’eft point percée } put faire les fonctions d'un vrai penis, & jouer le principal rôle dans la fécondation. Il faut donc que le canal #, & tout ce qui lui appartient, fe rompe en 7, tout près du bout poftérieur de la lentille, puifque nous n'en avons trouvé aucun fragment, en cet endroit des corps lenticulaires Zi, qw’avoient laiflé dans les vulves de nos Reines les mâles qui les avoient fécondées. Le canal r, C7 v9 0 que Swammerdam a appelé la racine du pénis avec plus de raifon qu'il ne Îe croyoit lui-même, n’eft point étendu dans le corps du mâle, comme il Peft dans la figure que j'ai fait graver ici; mais ce canal long & tortueux fe plie & fe replie plufieurs fois depuis les véficules féminales d’où il part, jufqu’au corps lenticulaire où il fe termine, & où il parte la liqueur féminale. Ce canal peut donc s'étendre, s’allonger, au temps de Yaccouplement, & permettre au corps len- ticulaire de fe porter en avant & en-dehors du corps du mäle, Lorfqu’on ouvre un faux - bourdon, on voit que cela peut fe pañler ainfi au temps de Paccouplement ; car fi on faifit le corps lenticulaire , & fi on eflaye de le déplacer, les plis du canäl tortueux s’effacent, ce cordon s’allonge beaucoup plus qu’il ne le faut pour que la lentille puifle fe porter hors du corps du-mäle, & fi l'on veut l’en écarter davantage, le canal fe rompt en /, tout auprès de la lentille, & au même endroit [69 1 où il fe rompt au temps de l’accouplement, _ Quand on dilféque un faux-bourdon, or voit vers le commencement du canal 7 _ deux nerfs très-apparens, qui s’insèrent dans les véficules féminales, & qui diftribuent à ces véficules, & à la racine du pénis, beau- coup de ramifications qui fervent fans doute au mouvement de ces parties, & à lémif- fion de la liqueur féminale. Les deux petites parties qu’on apperçoit tout auprès de ces nerfs font deux ligamens, qui fervent à retenir en fituation les organes de la géné- ration de forte qu’on ne peut les tirer fans faire quelqu'effort , excepté cependant la racine du pénis, & le corps lenticulaire ; qui peuvent fortir naturellement, & qui {or- tent en effet hors du corps du mäle dans le temps de l’accouplement, Une preflion plus ou moins forte peut ‘faire fortir du corps des mâles toutes les parties de la:géné- ration que nous avons décrites, mais Ces parties fe retournent alors, & fe prélentent par la face intérieure. SH GHACT A » WT 1 Swammerdan, & M de Réaumwi âprès lui , avoient admiré ce méchanifme ; ilsavoient bien vu que ce retournement devoit être opéré par l’efort de l'air, qui gonfloit ces parties, & ils avoient cru que les organes de la génération des imâles fortoient de leur corps, & fe retournoient au temps de l’ac- couplement, comme lorfqu’on les y obligeoit par une prefhion plus ou moins forte. Nous avons preflé comme eux un grand nombre de faux-bourdons ; nous avons vu mille fois ce retournement merveilleux qu’ils ont dé- taillé avec la plus grande précifion , mais jamais nos mäles n’ont furvécu à cette opé- ration; nous avons vu, comme M. de Réaw- mur, quelques mâles en petit nombre, que nous n’avions point preflé, & qui avoient fait fortir d’eux - mêmes quelques - uñes de leurs parties retournées ; mais ils étoient morts à l'inftant, & fans avoir pu faire ten- trer au - dedans de leur corps celles de ces parties qu'une preflion, peut-être acci- dentelle , avoit forcé d’en fortir ; il métoit E [ 82 3 donc point probable que les parties des males fortiflent en fe retournant de dedans en-dehors au temps de laccouplement, & les détails où je vais entrer prouvent incon- teftablement que cela ne fe pafle point ainfi. Si Swammerdam n'eùt pas été prévenu de cette idée, il auroit vu que le corps lenticulaire pouvoit, dans léredion, fortir hors du corps du mâle fans fe retourner ; il auroit mefuré le canal tortueux qu'il à appelé la racine du pénis; il auroit vu qu’il pouvoit en certains temps acquérir une ex- tenfion fuffifante pour permettre à la lentille de fe porter au-dehors ; il auroit deviné peut-être le véritable ufage des lames écail- leufes; il nous auroit expliqué celui du canal # de la palette gaudronnée p ; & le jeu de toutes ces parties, plus admirable peut - être que le retournement Ke il avoit obfervé le premier. Notre obfervation prouve inconteftable. ment la réalité de l’accouplement. La par- tie des mâles que nous avons trouvée dans | G :8# 1 la vulve de nos Reines, & que nous avons appelée jufques ici Le corps lenticulaire li, peut & doit recevoir le nom de péxis, vu fa poñtion & fon ufage. La face par laquelle on voit cette partie dans le corps de la Reine, eft la même que celle par laquelle on la voit dans le corps des mâles; ce qui eft prouvé par la pofition des lames écail- leufes 2e, qui font attachées .au-dehors de la partie poftérieure des pénis que nous avons trouvés dans les vulves de nos Reines. Il eft évident que fi le retournement fuppolé avoit lieu , les lames écailleufes fe trouveroient au-dedans du bout antérieur du pénis, &on les verroit au -travers de fa membrane par leur côté concave, au lieu qu’elles-fe pré- fentent par leur face convexe dans les vul- ves des femelles, comme dans le corps des mâles. Mais quel eft l'ufage de ces lames ? Leur figure, leur dureté, leur pofition réla- - tivement l’une à lautre, & leur fituation à l'extrémité du pénis ne nous permettoient guêres de douter qu’elles ne fuffent de vraies | F ij [ 84 ] pinces, mais pour le favoir pofitivèment il falloit voir leur poftion & celle du pénis lui-même dans la vulve des Reines; nous empêchames pour cela quelques-unes de nos Reines ‘de. déplacer & d’arracher de leur corps les parties qu’y avoient laiflé les mâles qui venoient de les féconder, & la diflec- tion nous apprit que ces lames étoient de vraies pinces, comme nous l’avions conjec- turé. : kg vabes Le pénis des mäles étoit placé au-deffous de l’aiguillon des Reines, & le prefloit con tre la région fupérieure du ventre; ce pénis remplifloit donc la cavité de la vulve; il s’'appuyoit, pat fon bout poftérieur, contre l'extrémité du vagin ou-du casal excrétoire ; cétoit-là que l’on voyoit le jeu & l'ufage des pièces écailleufes ; leurs extrémités étoient écartées l’une de Pautre, mais un peu plus qu’elles ne le font dans. le corps du male; elles prefloient entr’elles quelques parties de: la femelle qui étoient au-deflous du canal excrétoires lextrème petitefle de ces par- C::85 1 ties ne nous à pas permis de les diftin- guer ; mais leffort qu'il nous à fallu faire, pour: les féparer &, pour enlever le pénis hors du vagin de la femelle, ne nous a laiflé aucun doute fur l’ufage des pinces écailleufes. Quand on ouvre le corps d’un faux-bour- -don du côté du dos, ces lames écailleufes ee fe préfentent par leur côté convexe, & par le fommet de langle qu’elles forment à leur origine. Elles font dans la fituation inverfe quand on les voit dans le corps de la femelle ; ce qui étoit le deflus du pénis dans le corps du mâle repole fur la partie inférieure de la vulve de la Reine, & les pointes des pinces font dirigées vers la par- tie fupérieure. Ceci peut laifler foupçonner que le mâle monte, fur le dos de la femelle au temps de l’accouplement, mais nous fom- mes loin de l’aflurer encore. La partie que nous avons appelé le pénis étoit-elle la feule partie que les mäles des abeilles introdui- {oient dans les femelles, au temps de lac- couplement ? Nous avons cherché avec foin F ii [ 86 ] à répondre à cette queftion, & nous pou- vons garantir que cette partie eft la feule de toutes celles qui ont été décrites par M. de Réaumur que nous ayons trouvée dans la vulve de nos Reines; mais nous avons découvert une nouvelle partie qui lui a échappé, ainfi qu'à Swammerdam, & dont nous parlerons en rendant compte de l’ex- périence même qui nous la faite appercevoir. Il nous eft arrivé quelquefois, en féparant le corps lenticulaire du canal excrétoire contre lequel il étoit appliqué, d’entrainer avec lui un corps blanc qui lui adhéroit par une de fes extrémités, & dont lautre étoit plus ou moins engagée dans le vagin. Ce corps paroifloit cylindrique vers la par- tie inférieure du bout de la lentille où il achéroit ; il fe renfloit enfuite, puis fe rétré- cifloit pour fe dilater de nouveau, & plus que la première fois ; après quoi il fe rétré- cifloit encore, & fe terminoit en pointe. Ces détails n’étoient point fenfibles à la vue fimple, & il falloit une loupe aflez forte L'ST pour les appercevoir ; le plus fouvent, cette partie s’eft rompue quand nous avons arra- ché le corps lenticulaire, & quand les Rei- nes fe les font arrachées elles-mêmes entre nos mains. La figure de ce corps & fa poli- tion fmbloit autorifer à le regarder comme la verge ou le pénis lui-même, dont le corps lenticulaire ne feroit qu’un appendice. Mais la dernière Reine que nous avons eue à notre difpofition, nous a fait voir une patticula- rité qui permet d'en douter, & qui fait foupçonnier que ce corps n’eft autre chofe que la liqueur féminale même , qui fe feroit moulée & coagulée dans le vagin, & qui, adhérant au corps lenticulaire par fa vifco- fité, pourroit le fuivre quand on le fépare- roit du vagin. Nous trouvames dans la vulve de cette Reine un peu d’une matière blan- che , extravafée près de l’ouverture du vagin. Cette matière, d’abord liquide, fe coagula bientôt à l'air, comme cela arrive à la fe- mence des faux - bourdons. En féparant le corps lenticulaire du vagin, nous fimes (ot F iv [. 88 7 tir avec lui un fil qui y étoit engagé, & qui fe rompit près de la lentille ; il nous parut avoir trop peu de confiftance & de force pour pouvoir être pris pour la verge du mâle. Les corps lenticulaires que nous avons trouvés dans les vulves de nos Kei- nes, nous Ont paru plus gros que ceux que nous avons trouvés dans le corps des males que nous avons difléqués, & nous avons remarqué comme M. de Réaumur que ces mêmes parties , prifes dans différens mâles, mont pas toujours un volume. égal, IF UE KPERLENCE Le 10€, Juillet, nous laifsämes fortir les unes aprés les autres trois Reines vierges qui étoient âgées de quatre à cinq jours. Deux de ces Reines prirent leflor plufieurs fois ; leurs abfences furent courtes & infruc- tueufes ; celle à qui nous donnâmes la liberté la dernière en profita mieux que les autres ; elle fortit trois fois : fes deux premières abfences furent courtes, mais la dernière Ce 89: ] dura trente-cinq minutes. Elle revint alors dans un état bien différent, & qui ne nous permit pas de douter de l'emploi qu’elle avoit fait de fon temps, car fa vulve entrou- verte laifloit voir les parties qu’avoit laillé dans fon corps le mäle qui lavoit rendue mère. Nous faisimes fes quatre ailes d’une main, & nous reçumes dans l’autre le corps lenticulaire qu’elle arracha de fa vulve avec es crochets de fes pieds; fon bout pofté- rieur étoit armé de deux pinces écailleufes ee, & élaftiques; on pouyoit les écarter l’une de Pautre; fi on les làchoit elles {e rappro- choient , & fe mettoient dans leur première fituation. Vers le bout antérieur de la len- tille, on voyoit un fragment de la racine du penis; ce canal s’étoit rompu à une demi-ligne du corps lenticulaire. Nous iaif- sames rentrer cette Reine dans fon habita- tion ; nous arrangeâmes fa porte de manière _ qu’elle ne put en fortir à notre in{çu. Le 17€. nous vilitèmes fa ruche, nous n’y trouvames point d'œufs ; la Reine étoit [ @ 1 tout auf mince que le jour de fa première _fortie Le mäle qui s’étoit accouplé avec elle n’avoit donc pas fécondé fes œufs. Nous _effayâmes de lui offrir encore la liberté; elle en profita, & après deux abfences, rap- porta à fa ruche les preuves d’un fecond accouplement; nous la renfermâmes après cela, & les œufs qu’elle pondit dans la fuite, nous prouvèrent que le fecond accouple- ment avoit été plus heureux que le premier, & qu’il pouvoit y avoir des mâles plus pro- pres que d’autres à la fécondation. Il ef bien rare qu'un premier accouplement ne fufife pas. Nous n'avons vu que deux Rei- nes à qui il en ait fallu deux pour deve- nir fécondes, & toutes les autres Pont été dès la première fois qu’elles fe font accou- plées. om, EXPÉRIENCE. Le 18°. nous offrimes la liberté à une Reine vierge, & âgée de vingt-fept jours ; elle fortit deux fois; fa feconde abfence dura Le vinst-huit minutes; & à fon retour elle rapporta à fa ruche Les preuves de l’accouple- ment. Nous ne l'y laifsâmes point rentrer, mais nous la plaçcames fous un verre, pour voir comment elle fe débarrafleroit des par- ties du mäle qui empéchoient fa vulve de fe refermer ; elle ne put y réufhir tant qu’elle n'eut que la table & les parois du verre pour point d'appui. Nous plaçames fous fon verre un petit morceau de gâteau pour lui donner les mêmes facilités qu’elle auroit trouvées dans fa ruche, & pour voir fi avec ce fecours elle pourroit fe pafler de celui des abeilles. Elle y monta bien vite, fe cramponna aux bords des cellules avec fes quatre premières jambes ; puis, allongeant les deux dernières & les étendant le long de fon ventre, elle paroifloit le preffer entr’elles, en les gliffant du haut en-bas le long de fes côtés : Paffant enfin les crochets de fes pieds dans l’ouver- ture que laifloient entr’elles les deux pièces du dernier anneau, elle faifit le corps lenticu- aire, & le laiffa tomber fur la table ; nous F8. 4 le primes alors: fon bout poftérieur étoit armé d’one pince écailleufe , au- deflous de laquelle , & dans la même diredion, étoit un corps cylindrique d’un blanc grisâtre ; le bout de ce corps qui étoit le plus éloigné de la lentille étoit fenfiblement plus gros que ne Pétoit celui par lequel il y adhéroit, & après ce renflement, il fe terminoit en pointe : cette pointe étoit double, & ouverte en bec d’oileau, ce qui nous fit juger que ce corps avoit été rompu & déchiré; l'expérience fui- vante appuya cette conjecture. 3m, EXPÉRIENCE. Le 19€. nous donnâmes la liberté à une Reine vierge, qui étoit âgée de quatre jours; elle fortit deux fois : fa première abfence fut courte ; la feconde duïa trente minutes, & elle revint de fa dernière courfe avec les marques de la fécondation, Nous voulions avoir entières les parties que le mâle avoit _laiflées dans fa vulve ; & il falloit, pour y parvenir, empêcher que la Reine ne les Ee9R "1 rompit, en les arrachant avec fes jambes. Nous tuâmes cette femelle je plus prompte- ment qu'il nous fut poffible, & nous cou- pâmes fes derniers anneaux pour mettre! fa vulve à découvert ; mais en lui Ôtant-la vie, nous mavions pas détruit le mouvement, & il y en eut de tels dans ces parties que le corps lenticulaire fortit fpontanément de {a vulve ; nous vimes au - deflous des -pinces dont il étoit armé les reftes d’un corps cylin- drique, qui s’étoit rompu tout près de fon, origine; une partie de ce corps étoit reftée dans celui de la femelle; nous pümes l'en tirer avec une pince & le placer au foyer d’une lentille : ce corps, aflez petit vers fon origine, devenoit plus gros en s’en éloignant, & formoit alors un renflement fenfible : il fe rétrécifloit enfuite, & repre- noit fon premier volume; puis il fe renfloit encore, & formoit une efpèce de glard plus, gros que le premier renflement : de-là, il fe rétrécifloit par degrés, & fe terminoit en. pointe aiguë, Nous avions trouvé cette pointe. [ 94 ] engagée jufques au gland dans le canal excré- toire , & le refte étoit dans la vulve. gme. EXPÉRIENCE. Le 20€. nous donnämes la liberté à deux Reinés vierges : la première étoit déjà fortie les jours précédens; mais la rareté des mâles dans cétte faifon ne lui avoit pas permis de fe féconder jufqu’à ce jour. Nous la faisimes à fon retour ; elle avoit la vulve entrouverte, & le pénis d'un mâle paroïfloit entre fes lèvres : nous voulions la mettre hors d'état de le tirer elle-même hors de fon corps, mais elle l’enleva avec fes jambes fi vive. ment, que nous ne pümes la prévenir, & nous la laifsämes rentrer dans fa ruche. La feconde de celles des Reines à qui nous avions donné la liberté fortit deux fois : fa première abfence fut courte comme à l’or- dinaire : la feconde dura environ demi heure ; elle revint alors féconde, & nous la primes à fon retour. Nous ouvrimes promptement fa vulve après l'avoir tuée. Nous trouvèmes DU Sr le corps lenticulaire placé comme dans toutes les Reines que nous avions difféquées jufqu’alors : la pince dont un de ces bouts étoit armée étoit placée au-deffous de Pex- trémité du canal excrétoire. Les deux lames dont elle eft formée prefloient entrelles des parties que nous ne pouvions diftinguer, & leur office paroïfloit être de faire approcher l'extrémité de la lentille de lorifice du vagin, & de l’y.appliquer affez fortement pour qu'il fallüt quelque effort pour vaincre leur réfif- tance & pour les détacher. Mais avant de féparer ces parties, nous les plaçimes au foyer d’une loupe affez forte. Nous vimes alors une particularité qui nous avoit échappé: en tirant en arrière le corps lenticulair®, il fortit du vagin une petite partie D, qui étoit adhérente au bout poftérieur de la lentille, & qui étoit placée au-defflous de lextrémité des lames écailleufes. Elle rentra d'elle-même dans la lentille comme les cornes d'un lima. con. Cette partie eft très- courte, blanche, & paroit cylindrique : il ÿ avoit , au-deflous E6, à des pinces, quelque peu de liqueur fémi- nale à demi coagulée, au fond de la vulve. En cherchant ce qui pouvoit être refté alors dans le vagin, nous n’y trouvèmes aucune partie dure: nous en exprimames beaucoup de fperme: cette matière étoit prefque liquide, mais bientôt elle fe coa- gula, & forma une mafle blanchätre qui n'avoit . rien d’organifé. Cette obfervation faite avec foin détruifit tous nos doutes , & nous démontra que ce que nous avions pu prendre pour la verge des mâles, n’étoit autre chofe que la femence elle-même, qui avoit pris la forme intérieure du vagin, en sy moulant & en sy coagulant. La feule partie dure que le male eut introduit dans le vagin de la femelle étoit donc cetté pointe courte & cylindrique qui s’étoit reti- rée dans la lentille , quand nous l'en avions féparée. Son office & fa fituation prouvent que c’eft-là qu'il faut chercher l'ifue de la liqueur féminale, fi toutefois on peut efpé- rer F2, 1 rer dé la trouver ouverte en tout autre temps que celui de laccouplement. Nous avons voulu chercher cette nou: velle partie dans les faux-bourdons, & nous Vavons trouvée dans le prernier que nous avons difléqué ; en preflant, du haut en- bas, les véficules féminales, nous avons forcé la liqueur blanche dont elles étoient remplies à en fortir, & à defcendre dans la racine du pénis r, & dans le corps len- ticulaire Z5, qui s’eft alors fenfiblement gon: flé ; nous avons empèché que cette liqueur ne retournât en - arrière, & nous l'avons forcée par une nouvelle preflion de fe por- ter en-avant, en preflant la lentille. La liqueur n’en eft point fortie cependant: mais nous avons vu paroître au bout poftérieur du corps lenticulaire, & au - deffous de la pince écailleufe, un petit: corps, blanc, court, cylindrique, & qui avoit la même apparence que celui que nous avions trouvé engagé dans le vagin de notre Reine. Quand nous ne prefhons pas la lentille, cette partie a ES d ÿ rentroit, & nous la voyons reparoître toutes les fois que nous recommencions de la preffer. Je vous prie, Monfieur, en lifant cette lettre, de jeter les yeux fur la figure que M. de Réaumur a publiée des organes fexuels des faux-bourdons, & que j'ai fait copier ici ; les defcriptions qui y {ont jointes m'ont paru fort exactes, & donnent une idée juite de la fituation de ces parties lorfqu’on les obferve dans le corps des mâles. Sur la feule infpection de ces figures, on conçoit facilement Papparence que préfentent ces parties dans la vulve de la femelle, lorfqu’elles y reftent implantées après l'accouplement, Les détails que j'ai expofés achévent de fixer l'imagination du lecteur, & indiquent fufifamment la fituation & la forme de la nouvelle partie que jai découverte., Je ne doute point qu’en perdant leurs parties fexuelles , les faux-bourdons ne. pé- riflent après l’accouplement. Mais par quelle raifon la nature a-t-elle exigé de ces mâles r 99 1 tn fi grand facrifice? C’eft un myftère que je n’entreprendrai point de pénétrer. Je ne connois aucun fait analogue dans l’hiftoire des animaux ; mais comme il y a deux efpè- ces d’infectes - dont l’accouplement ne peut s’opérer que dans les airs , les éphémères & les fourmis, il feroit très - intéreflant de favoir fi leuts males perdent auffi leurs par- ties fexuelles dans ces circonftances, & fi, en faifant, comme les faux-bourdons , l'amour au vol, la jouifflance eft aufhi pour eux le prélude de la mort ? Agréez l’affurance de mon refpet, &c. L'‘F00: 1 LETTRE TROISIÈME. Continuation du même fujet. Obfervations fur les Reïnes- abeilles , dont la fécondation ef retardée. Pregny le 21 Août 1791. Je vous ai dit, Monfieur, dans ma première lettre, que lorfqu’on ne permettoit aux jeu- nes Reines-abeilles de recevoir les approches du mâle que le 2$me, ou 30me, jour après leur naiffance, le réfultat de cette féconda- tion préfentoit des particularités très-intéref- fantes. Je ne vous en donnai pas alors les détails, parce qu’au moment où j'eus l’hon- neur de vous écrire, mes expériences fur ce fujet n’avoient pas encore été aflez mul- tipliées. Dès - lors je les ai répétées un fi grand nombre de fois, & leurs réfultats ont été fi uniformes, que je ne crains plus ‘de vous annoncer comme une découverte certaine, le fingulier effet que produit fur PUMOE 7 jes ovaires de la Reïine-abeille le retard de la fécondation. Lorfqu'une Reine reçoit les approches du mâle dans les quinze premiers jours de fa vie, elle devient en état de pon- dre des œufs d’ouvrières & des œufs de faux - bourdons: mais fi fa fécondation eft retardée jufques au 22m, jour, fes ovaires font viciés de manière qu’elle deviendra inha- bile à pondre des œufs d’ouvrières ; elle ne pondra plus que des œufs de mâles. Jétois occupé de recherches relatives à la formation des effaims, lorfque jeus pour la première fois l’occafion d’oblerver une Reine qui ne pondoit que des œufs de faux- bourdons, C’étoit en Juin 1787. J'avois vu que quand une ruche eft prête à eflai- mer, le moment du jet eft toujours pré- cédé par une agitation très-vive, qui d’abord faifit la Reine, fe communique enfuite aux ouvrières, & excite au milieu d’elles un fi grand tumulte, qu’elles abandonnent leurs tra vaux, & fortent en défordre par les portes de leur ruche, Je favois bien alors quelle étoit G ii LA ho one | ja caufe de l'agitation de la Reine; (1) mais jignorois encore comment ce délire fe com- muniquoit aux ouvrières, & cette difficulté arrétoit mon travail. Pour la réfoudre, j'ima- ginai de chercher par des expériences direc- tes, fi toutes les fois que la Reine feroit fortement agitée, même hors du temps des eflaims, fon agitation fe communiqueroit également aux abeilles communes. J’enfer- mai dans une ruche une Reine , au moment de fa naïlfance , & je l’empêéchai de fortir, en rendant les portes de fon habitation trop étroites pour elle. Je ne doutois pas que dès qu’elle fentiroit le defir impérieux de fe joindre aux mâles, elle feroit de grands efforts pour s'échapper de la ruche, & que limpoffbilité d'y réuflir la jetteroit dans une forte de délire. J’eus la conftance d’obferver cette Reine captive pendant 3$ jours. Je la vis tous les matins vers les onze heures , lorfque le temps étoit beau, & que le foleil (1) Je lexpoferai dans l’hiftoire des effaime. [ 103 j invitoit les mâles à fortir des ruches, je la vis, dis-je, parcourir. impétueufement tous les coins de fon habitation pour chercher une “iflue : mais conuné elle n’en -trouvoit point, fes efforts inutiles lui donnèrent cha- que fois une agitation extraordinaire, dont je décrirai ailleurs les fymptômes.,.& dont les ‘abeilles communes reflentirent auf Îes attéintes. — Pendant le cours de cette lon- gueuprifon, la Reine ne fortit pas, une feule fois, elle ne put donc pas être fécondée. Le 36e, jour je lui-rendis enfin la-liberté , elle:en: profita bien vite, & ne tarda pas à revenir avec les’ fignés les plus marqués de’ fécondation: ==5Content du fuccès de cette expérience pour l'objet particulier.que je nvétois. propofé , :j'étois loin: d’efpérer qu’elle me procureroit. encore :la connoif- fance d’un fait très-remarquable, Quellé ne fut-point ma furprife ,: 1orfque:je reconnus que cette. femelle, qui commenca;:comme à lordinaire fa ponte, 46 heures après Vac- couplement, ne pondoit point: des œufs G iv [ 104] d’ouvrières, mais des œufs de faux- bour- dons , & que dans la fuite elle pondit uni- quement des œufs de cette forte! Je mépuifai d’abord en conjectures fur ce fait fingulier : mais plus jy réfléchiflois, plus je le trouvois inexplicable. Enfin, en méditant avec attention fur les circonftances de l'expérience que je viens de décrire, il she parut qu'il y en avoit deux principales , dont je devois tächer avant tout de pefer {éparément. linfluence. D'un côté, cette Reine avoit fouffert une prifon fort longue ; d’un autre côté, fa fécondation avoit été extrêmement retardée. : Vous favez, Mon- fieur, que les Reines-abeilles: reçoivent ordi- nairement' les approches du mâle le cinq ou fixième jour après leur naiflance, & celle-ci ñe sétoit accouplée que le 36m, jour. Si je fuppofe ici que l’emprifonnement pouvoit être la çaufe du fait, cesn’eft pas que je donne moi-même beaucoup de poids à cette fuppoñition. Dans l’état naturel, les Reines- abeilles ne: fortent de leur ruche qu’une Far. 3 feule fois pour chercher les mâles ; tout le refte de leur vie elles y reftent volontai- rement prifonnières : il étoit donc bien peu vraifemblable que la captivité eut produit l'effet que je travaillois à expliquer. Cepen- dant, comme dans un fujet aufli neuf il ne faut rien négliger, je voulus maflurer d’abord fi c’étoit à la longueur de l’emprifonnement, ou bien au retard de la fécondation , qu’étoit due la fingularité que javois obfervée dans la ponte de cette Reine. Mais ce travail n’étoit pas facile. Pour découvrir fi c’étoit la captivité de la Reine, & non le retard de la fécondation , qui avoit vicié fes ovaires , il auroit fallu permettre à uue femelle de recevoir les approches du amäle, & cependant la retenir prifonnière : or cela ne fe pouvoit pas, attendu que les Reïnes-abeilles ne s’accouplent jamais dans l'intérieur des ruches. Par la même raifon il étoit impoflible de retarder l’accouple- ment d’une Reine fans la conftituer prifon- nière,, Cette difficulté m'’embarrafla leng- [ ‘2406 3] temps : jimaginai enfin un appareil qui n’étoit pas rigoureufement exat, mais qui remplit foit ä-peu-près mon but. | Je pris une Reine au: moment où elle venoit de fubir fa dernière métamorphofe ; je la plaçai dans une ruche bien approvi- fionnée, & peuplée d’un nombre fuffifant d'ouvrières & de mäles. Je rétrécis la porte de cette ruche au point qu’elle devint trop étroite pour le paflage de la Reine, en la laiflant affez large pour que les abeilles com- munes puñlent aller & venir librement. Je pratiquai en même temps une autre ouver: ture pour le paflage de la Reine, & j'y adaptai un canal vitré'iqui communiquoit a une grande boîte quarrée de verre, de huit piés en tout fens. La Reine pouvoit venir à tout inftant dans cette boîte, y voler, sy ébattre, y refpirer un air meilleur que celui de l'intérieur des ruches, & cependant elle ne pouvoit y être fécondée, car quoique les mâles volaffent auffi dans cette mêmeenceinte, Vefpace en étoit trop borné pour qu'il .put [ 107 3 s'établir aucune jonction entr'eux & la femelle. Vous favez, Monfieur , par les expériences que je vous ai racontées dans ma première lettre, que lPaccouplement ne fe fait que dans le haut des airs. Je trouvai donc dans Ja difpofition de cet appareil l'avantage de retarder la fécondation, en même temps que je laiffai. à la Reine une liberté afflez grande pour que l'état, dans lequel elle feroit appe- lée à vivre, ne fut pas trop éloigné de Pétat. de nature. Je fuivis cette expérience pendant quinze jours. La jeune femelle captive for. tit de fa ruche tous les matins lorfque le temps étoit beau, elle vint fe promener dans {a prifon de verre, elle y voloit avec aflez de facilité, & fe donnoit beaucoup de mou- vement. Pendant cet intervalle elle ne pon- dit point, parce qu’elle n’eut de jonion avec aucun mäle. Enfin le 16me, jour je lui donnai une entière liberté : elle s’éloigna de {a ruche, s’éleva dans le haut -des airs, & revint avec tous les fignes de fécondation. Deux jours après elle pondit : fes premiers [ ‘08 1 œufs furent des œufs d’ouvrières, & dans la fuite ellé en pondit autant que les Reines les plus fécondes. Il fuit de-là, 10. que la captivité n’altère point les organes des Reines-abeilles. 29, Que lorfque la fécondation a lieu dans les feize premiers jours qui fuivent leur naiflance, elles pondent des œufs des deux fortes. Cette première expérience étoit fort im. portante ; en m’indiquant clairement la mar- che que je devois fuivre dans mon travail, elle le rendoit beaucoup plus fimple ; elle excluoit abfolument la fuppofñtion que javois faite fur l'influence de la captivité, & ne me laifloit à chercher que les effets d’un plus long retard dans la fécondation. Dans ce but je répétai l'expérience pré- cédente de la même manière que la pre- mière fois; mais au lieu de rendre à la Reine vierge, que je plaçai dans la ruche, fa liberté, le 16m, jour après fa naiflance, Je la retins captive jufques au 21m, jour; elle F0 709 1 ortit alors, s’éleva dans Pair, fut fécondée , & revint dans fon habitation. Quarante-fix heures après elle commença à pondre, mais c'étoient des œufs de males, & dans la fuite, quoiqu’elle füt très-féconde , elle n’en pon- dit aucun d’une autre forte. Je m’occupai encore pendant le refte de cette “année 1787, & dans les deux années fuivantes, d’expé- riences fur le retard de la fécondation, & jeus conftamment les mêmes réfultats. Il eft donc vrai, que lorfque laccouplement des Reines-abeilles eft retardé au-delà du 20me, jour, il n’opère, fi je puis parler ainfi, qu'une demi - fécondité : au lieu de pondre également des œufs d’ouvrières & des œufs de mâles, ces Reines pondront des œufs de mäles feulement. | Je ne prétends point à l'honneur d’expli- quer ce fait étrange. Lorfque la fuite de mes obfervations fur les abeilles m'a fait con- noître qu'il y avoit quelquefois dans les ruches des Reines qui ne pondoient que des œufs de faux - bourdons, j'ai dû chercher LPO A quelle étoit la caufe prochaine d’une pareilie fingularité, & je me fuis affuré que cette caule eft le retard de la fécondation. La preuve que jen ai acquife eft démonftra- tive, car je puis toujours empêcher les Rei- nes-abeilles de pondre des œufs d’ouvrières en retardant leur fécondation jufques au 22me, ou 23m, jour. Mais quelle eft la caufe éloignée de ce fait, ou en d’autres ter mes, pourquoi le retard de la fécondation met-il les Reines-abeilles hors d’état de pon- dre des œufs d’ouvrières ? C’eft un problème fur lequel lanalogie ne fournit aucune lumière ; dans toute lhiftoire phyfiologique des animaux, je ne connois point d’obfer- vation qui y ait le moindre rapport. Ce problème paroïit bien plus difficile encore, quand on fait comment les chofes fe pañlent dans l'état naturel, c’eft-à-dire , lorfque la fécondation na fouffert aucun retard. Dans ce cas, quarante - fix heures après l’accouplement, la Reine pond des œufs d’ouvrières , & continue, pendant onze PAM 1 mois de fuite, à pondre prefqu’uniquement des œufs de cette forte. Ce n’eft qu’au bout de ces onze mois qu’elle commence à faire une ponte confidérable, & fuivie d'œufs de faux-bourdons. Quand au contraire la fécon- dation eft retardée au-delà du 20me, jour, ‘Ja Reine pond, dès la 46me, heure, des œufs de mâles, & n’en pond jamais d’autres pen- dant le refte de fa vie. — Or puifque dans l'état naturel la Reine ne pond que des œufs d’ouvrières, pendant les onze premiers mois , il eft clair que les œufs d’ouvrières & les œufs de mâles ne font pas mélés indiftinétement dans fes. oviduitus : les œufs occupent fans doute dans les ovaires une place correfpondante aux lois que fuit la ponte: ceux d’ouvrières font placés les pre- miers, ceux de faux - bourdons font placés à la fuite de ceux - là : & il femble que la Reine ne peut pondre aucun œuf de mâle. qu'auparavant elle ne foit débarraflée de tous les œufs d’ouvrières qui occupent le premier rang dans {es oviduttus.. Pourquoi L m2 1 donc cet ordre eft-il interverti lorfque Pac: _ couplement eft retardé ? Comment fe fait-il que tous les œufs d’ouvrières que la Reine eut dü pondre, fi la fécondation eut été faite à temps, fe flétriflent, difparoiflent, & n'arrêtent plus le paflage des œufs de mâles, qui ne font placés qu’en feconde ligne dans les ovaires. L Ce n’eft pas tout : je me fuis afluré qu’un feul accouplement fuffit à féconder tous les œufs qu’une Reine-abeille doit pondre perï- dant le cours de deux ans au moins: j'ai même lieu de croire que ce feul acte fuffit à la fécondation de tous les œufs qu’elle pondra pendant fa vie, mais je n’ai de preuve sûre que pour le terme de deux ans. Ce fait, déjà bien remarquable en lui-même, rend encore plus difficile à concevoir l'influence du retard de la fécondation. Puifqu’un feul accouplement fuffit, il eft clair que la liqueur des males agit dès le premier inftant fur tous les œufs que la Reine doit pondre pen- dant deux ans; elle leur donne, fuivant vos principes ; EST 1 principes, Monfieur, ce degré d'animation qui détermine enfuite leur développement fucceffif; après avoir reçu cette première impulfion de vie, ils croiflent, ils mürifient, pour ainfi dire, progreflivement jufques au jour où ils feront pondus: & comme les lois de la ponte font conftantes, que les œufs pondus pendant les onze premiers mois font toujours des œufs d’ouvrières, il eft clair que ces œufs, qui doivent forür les premiers, font aufli les premiers qui arri- vent à la maturité: il faut donc, dans Pétat naturel, lefpace de onze moïs pour que les œufs de mâles prennent le degré d’accroif- fement qu’ils doivent avoir au moment où ils font pondus. Cette conféquence , qui me paroit directe, rend le problème iñfoluble à mes yeux. Comment fe fait-il que les œufs de mâles qui doivent croître lentement pendant onze mois, reçoivent tout-à-coup leur der« nier développement dans Pefpace de 48 heu. res, lorfque la fécondation à été retardée au: delà de 21 jours, & par le feul effet de ce H [ 114 1 retard. Remarquez, je vous prie, que la fuppofition de Paccroiffement fucceflif des œufs n’eft pas gratuite: elle eft bien dans les principes d’une faine phyfique : d’ailleurs, pour s'aflurer qu’elle eft fondée, il fuit de jeter les yeux fur la figure qu’à donnée Swam- merdam des ovaires de la Reine-abeille : on y voit que les œufs, renfermés dans cette partie des filets contigué à la vulve , font beaucoup plus avancés ,: plus gros que ceux qui font contenus dans la partie oppofée de ces mêmes filets. La difficulté que je propofe ici refte donc dans toute fa force. C’eft un abÿme où je me perds. | Le feul fait connu qui ait une apparence de rapport avec ceux que je viens de décrire, c’eft l’état où fe trouvent certaines graines végétales qui, quoiqu’extérieurement bien confervées, perdent en vieilliffant la faculté de germer: il fe pourroit aufh que les œufs d’ouvrières ne confervaflent que pendant un temps fort court la propriété d’être fécon- dés par la liqueur féminale, & que, palñté FOIS, 1 ce terme, qui ne feroit que de 1$ ou 158 jours, ils fuflent déforganifés au point de ne pouvoir plus être animés par cette liqueur. Je fens, Monfieur, que cette comparaifon eft très-imparfaite, & que d’ailleurs elle n’ex- plique rien; elle ne met pas même fur la voie de tenter aucune expérience nouvelle. Je n’ajoute plus qu'une réflexion. On n’avoit obfervé jufques ici d'autre effet du retard de la fécondation fur les femelles des animaux que de les rendre abifolument ftériles. Les Reines-abeilles nous offrent le premier exemple d’une femelle à laquelle ce retard laifle encore la faculté d’engendrer des mâles. Or comme il n’y a point de faituni- que dans la natüre, il eft très-vraifemblable que d’autres animaux nous offriroient auffi la même particularité. Ce feroit donc un objet de recherches très-curieux , que d’obfer- ver les infeétes fous ce nouveau point de vue. Je dis les infectes, car je n’imagine pas qu’on découvrit quelque chofe d’analogue dans les animaux d’un autre genre. Il fau. | H ÿ { 116 ] droit même commencer les expériences que jindique ici fur les infectes qui fe rappro- chent le plus des abeilles, comme les gué- pes, les bourdons velus, les abeilles maçou- nes , toutes les efpèces de mouches, &c. &c. Qn tenteroit enfuite quelques expériences fur les papillons ; & on découvriroit peut - être alors quelque animal , fur lequel le retard de la fécondation produiroit le même effet que fur les Reines - abeilles. Si cet animal étoit d'une grandeur fupérieure à celle des abeil- les, la diffeétion en feroit beaucoup plus facile, & l’on difcerneroit ce qui arrive aux œufs dont le retard de la fécondation ne per- met pas le développement. Au moins pour. roit - on efpérer que quelque circonitance heureufe conduiroit à la folution du pro- bléme. (1) (x ) Les expériences que je propofe dans ce paragra- phe me rappellent une réflexion fort fingulière de M. de Réaumur. En parlant des mouches vivipares, il dit qu’il ne feroit point impoffible qu’une poule accouchàt d’un poulet vivant, fi après avoir été fécondee, on trouvoit HAE 7 AS ES Je reviens au récit de mes expériences. En Mai 1789 je faifis deux KReines, au moment où elles fubifloient leur dernière métamorphofe ; je plaçai lune dans une ruche en feuillets bien pourvue de miel & de cire, & fuffifamment peuplée d’ouvrières & de mâles. Je plaçai l’autre Reine dans une ruche exactement femblable, mais dont j'avois enlevé tous les faux-bourdons. J'arrangeai les por- tes de ces ruches de manière que les abeilles communes pufent jouir d’une entière liberté, mais je les rendis trop étroites pour le paf- fage des femelles & des faux-bourdons. Je laiffai ces Reines prifonnières pendant lef pace de 30 jours. Après ce terme, je leur donnai la liberté ; elles fortirent avec empret- fement, & revinrent fécondées. Au commen- cement de Juillet je vifitai les deux ruches, & jy trouvai beaucoup de couvain: mais _ quelque moyen de retenir pendant 20 jours dans fes ovidué?us les premiers œufs qu’elle auroit dû pondre. Vovez Réaumur Ji les infectes , Tom. IV, Mémoire 10%. Hi ANR : LES ce couvain étoit compolé en entier de vers & de nymphes de mâles; il n'y avoit pas, à la lettre, une feule nymphe, un feul ver d’ouvrières. Les deux Reires pondirent fans interruption jufques en automne, & tou- jours des œufs de faux-bourdons. Éeur ponte finit dans la première quinzaine de Novem- Ere, comme celle des Reines de mes autres ruches, — Je defirois beaucoup de favoir ce qu’elles deviendroient au printemps fuivant ; ii elles recommenceroïient leur ponte, fi une nouvelle fécondation leur feroit néceffaire , & dans le cas où elles pondroient , de quelle forte feroient leurs œufs; mais comme leurs ruches étoient déjà fort affoiblies, je crai- gnois qu'elles ne périflent pendant lhiver. Cependant par bonheur nous parvinmes à les conferver, & dès le mois d'Avril 1790 nous vimes ces Reines recommencer leur ponte : par les précautions que nous avions prifes, nous étions très-sûrs qu’elles n’avoient pas reçu de nouveau les approches du mâle. — Ces derniers œufs étoient encore des œufs de faux-bourdons. BR :] Il eut été très- intéreflant de fuivre plus loin Fhiftoire de ces deux femelles, mais à mon grand regret leurs ouvrières les aban- donnèrent le 4%. Mai: & ce même jour nous trouvâmes les KReines mortes. Il n’y avoit cependant aucune teigne dans les gâteaux qui eùt pu déranger les abeilles, & le miel étoit encore affez abondant ; mais comime dans le cours de l’année précédente il n’y étoit né aucune ouvrière, que d’ailleurs lhiver en avoit fait périr plufieurs, elles fe trouvèrent en trop petit nombre au printemps pour vaquer à leurs travaux ordinaires, & dans leur découragement elles défertèrent leur habi- tation pour fe jeter dans les ruches voifines. Je trouve dans mon journal le détail d’une multitude d'expériences fur le retard de la fécondation des Reines-abeilles: je ne finirois point fi je les tranfcrivois toutes ici : je répète encore qu’il n’y a pas eu la plus petite variation dans le réfultat principal, & que toutes les fois que l’accouplement de ces Reines a été différé au - delà du gime, EH 1 (::120 jour , elles n’ont pondu que des œufs de mäles. Je me bornerai donc, Monfieur, à vous rendre compte de celles de mes expé- riences qui m'ont valu la connoiflance de quelque fait remarquable dont je n’ai point | encore parlé. | Le 4 Octobre 1789 il näquit une Reine dans une de mes ruches : nous plaçames cette Reine dans une ruche en feuillets. Quoique la faifon fut déjà bien avancée, il y avoit encore un bon nombre de mäles dans les ruches. Il étoit important de favoir, fi, dans ce temps de l’année, ils pourroient éga- lement opérer la fécondation ,' & dans le cas où elle réuffiroit, fi la ponte commencée au milieu de automne feroit interrompue ou continuée pendant lhiver. Nous laifsämes donc a cette Reine la liberté de fortir de la ruche. Elle s’'échappa effeivement ; mais elle fit 24 tentatives inutiles avant de reparoitre. avec les fignes de la fécondation. Enfin le 31 OGobre elle fut plus heureufe ; elle for- tit, & revint avec les marques les plus évi- Me ho à AT dentes du fuccés de fes amours ; elle étoit âgée alors de 27 jours , & par conféquent fa fécondation avoit été fort retardée. Elle auroit dû pondre 46 heures après , mais le temps fut froid, & elle ne pondit point ; ce qui, pour le dire en paffant, prouve bien que le réfroi- diffement de la température eft la principale caufe qui fufpend la ponte des Reines pen- dant l'hiver. Jétois fort impatient de favoir ü, au retour du printemps, elle feroit féconde fans avoir befoin d’un nouvel accouplement. Le moyen de s’en aflurer étoit fimple: il fuffifoit de rétrécir la porte de fa ruche, afin qu’elle ne put point s'échapper. Je la retins donc prifonnière depuis la fin d’Oc- tobre jufques en Mai. Au milieu de Mars nous vifitâûmes fes gäteaux , & nous y trou- vàames bon nombre d'œufs; mais comme ils n’étoient point éclos encore, nous ne pou- vions favoir sil en naïîtroit des ouvrières ou des mäles : il falloit attendre quelques jours de plus pour en juger. Le 4 d’Avril nous examinames encore l'état de la ruche, & | Les nous y trouvames une quantité prodigieufe de vers & de nymphes. Toutes ces nym- phes &c tous ces vers étoient de la forte des faux-bourdons. La Reine n’avoit pas pondu un feul œuf d’ouvrières. Dans cette expérience, comme dans les précédentes, le retard de la fécondation avoit donc rendu la Reine - abeille incapable de pondre des œufs d’ouvrières. Ce réfultat eft ici d'autant plus remarquable , que la ponte de cette Reine avoit commencé quatre mois & demi feulement après fa fécondation. Le terme de 46 heures qui s'écoule à lordi- naire entre l’accouplement de la femelle & fa ponte n’eft donc pas un terme de rigueur : l'intervalle peut être beaucoup plus long fi la température devient froide. Enfin il fuit de cette expérience, que lors même que le froid retardera la ponte d’une Reine qui a été fécondée en automne, elle commencera à pondre au printemps, fans qu’un nouvel accouplement lui devienne néceflaire. J'aouterai ici que la Reine dont je viens \! Érraes de tracer l’hiftoire étoit d’une étonnante fécondité. Le premier de Mai nous trou- vâmes dans fa ruche , outre 600 mäles fous la forme de mouches, 2438 cellules qui contenoient, ou des œufs, ou des vers, ou des nymphes de faux - bourdons. Elle avoit donc pondu en Mars & Avril plus de 3000 œufs de mâles; c’eft environ $O par Jour. Malheureufement elle périt peu de temps après , & nous ne plümes pas continuer notre obfervation :.je m'étois propofé de calculer le nombre total d'œufs de mäles qu’elle auroit pondu pendant lannée, & de le comparer à celui des œufs de la même forte que pondent les Reines dont la fécon- dution n’a pas été retardée. Vous favez, Munfieur, que celles-ci pondent au prin- temps environ 2000 œufs de faux - bour- dons; elles en font, au mois d’Aoùt, une feconde ponte moins confidérable, & dans les intervalles, elles pondent prefqu’unique- ment des œufs d’ouvrières. Il n’en eft pas ainfi des femelles dont lacconplement a été [ 124 ] différé , elles ne pondent aucun œuf d'ou. vrières ; pendant quatre, cinq, fix mois de fuite, elles pondent fans interruption des œufs de müles, & en fi grand nombre que je préfume que dans ce court efpace de temps, elles donnent naiffance à plus de faux-bourdons qu’une femelle dont la fécon. dation n’a pas été retardée n’en fait naître dans le cours de deux ans. Jai fort regretté de m'avoir pu vérifier cette conjecture. Je dois encore, Monfieur, vous rendre compte de la manière affez remarquable dont les Reines qui ne pondent que des œufs de mâles dépofent quelquefois ces œufs dans les cellules. Elles ne les placent pas toujours fur les lofanges qui fervent de fond aux alvéoles, mais elles les dépofent fouvent fur leur pan inférieur, & à deux lignes de l'ouverture. La raifon en eft que leur ventre eft plus court que celui des Reines dont la fécondation n’a point été retardée, leur extrémité poftérieure refte effilée, tandis que les deux premiers anneaux qui tiennent au ÉPAET 3 corcelet ont extraordinairement renflés : il réfulte de cette forme, que lorfqu’elles fe difpolent à pondre, leur anus ne peut pas s'étendre jufques aux lofanges du fond des cellules : l’enflure des anneaux antérieurs du ventre ne le permet pas ; & conféquemment les œufs doivent refter fixés là où l'anus peut atteindre. Les vers qui en proviennent paf- fent tout le temps qu’ils font fous la forme de ver à la même place où étoit l'œuf dont ils fortent, ce qui prouve que les abeilles ne font point, comme on Flavoit préfumé, chargées du foin de tranfporter les œufs de Ja Reine. Mais elles employent, dans le cas dont il s’agit ici, un autre procédé; elles allongent hors du plan du gâteau les cellu- les où elles voyent des œufs placés à deux lignes de diftance de l'ouverture. Permettez - moi . Monfeur, de m'écarter un moment de mon fujet, pour vous racon- ter une expérience dont le réfultat m'a paru intéressant. Je dis que les abeilles ne font point chargées du foin de tranfporter dans F 456 7] des cellules. convenables les œuis que leur Reine a mal placés ; & à n’en juger que par le feul fait que je rapporte ici, vous me trouverez fans doute bien fondé à leur refu- fer cette induftrie. Cependant, comme plu- fieurs auteurs ont affuré le contraire, & ont voulu nous faire admirer les ouvrières dans Je tranfport des œufs, je dois vous prouver d’une manière évidente qu’ils fe font trompés. J'ai fait conftruire une ruche vitrée à deux étages : j'ai rempli l'étage fupérieur de rayons à grandes cellules, & létage inférieur de gâteaux compolés de cellules communes. Ces deux étages étoient féparés lun de l'au- tre par une efpèce de traverfe ou de dia- phragme, qui laifloit de chacun de fes côtés un efpace fuffifant pour le libre paffage des ouvrières d’un étage à l’autre, mais trop étroit pour que la Reine püt s’y gliffer. Jai peuplé cette ruche d’un bon nombre d’abeil. les, & j'ai enfermé dans la partie fupérieure une femelle très -féconde, qui avoit achevé depuis peu de temps fa grande ponte d'œufs. É, 287 1 de mäles. Cette femelle n’avoit donc plus que des œufs d’ouvriéres à pondre , & elle ne pouvoit les dépofer que dans de grandes cellules, puifqu’il n’y en avoit point d’une autre forte autour d’elle. Vous devinez, Monfieur, le but que je me propolois en difpofant les chofes de cette manière. Mon raifonnement étoit bien fimple. Si la Reine pond des œufs d’ouvrières dans les grandes cellules, & que les abeilles foient chargées du foin de tranfporter les œufs mal placés, elles ne manqueront pas de profiter de la liberté que je leur ai donnée de paller d’un des étages de leur ruche à lautre, elles iront chercher les œufs dépofés dans les grands alvéoles , & les porteront dans l'étage infé- rieur où font les petites cellules qui leur conviennent, Si au contraire elles laiflent les œufs d’ouvrières dans les grands alvéoles, J'aurai acquis la preuve certaine qu’elles ne font point chargées du foin de les tranfporter. Le rélultat de cette expérience excitoit vivement ma curiofité. Nous obfervâmes | Les à plufieurs jours de fuite la Reine de notre ruche & fes abeilles avec une attention fou- tenue. Pendant les vingt - quatre premières heures , la femelle s’obftina à ne pas pondre un feul œuf dans les grandes cellules qui lentouroient ; elle les examinoit l’une après l'autre, mais pañloit outre, & n’infinua fon ventre dans aucune : on la voyoit inquiète, tourmentée ; elle parcouroit fes gâteaux en tout fens ; la fenfation de fes œufs paroifloit lui être très-incommode, mais elle perfiftoit à les retenir, plutôt que de les dépofer dans des cellules dont le diamètre ne leur con- venoit pas. Ses abeilles ne cefloient point cependant de lui rendre des hommages & _ de la traiter en mère. Je vis même avec plaifir, que lorfque la Reine s’approchoit des bords de la traverfe qui féparoit les deux étages, elle les mordoit pour chercher à aggrandir le paffage ; fes ouvrières s’appro- choient d’elle , travailloient aufli de leurs dents, & faifoient tous leurs efforts pour détruire les portes de la prifon. Mais leur | peine Ep 1 peine fut inutile. Le fecond jour la Reine ne pouvoit plus retenir fes œufs , ils lui échappoient comme malgré elle; elle les laifloit tomber au hasard. Nous en trouvä- mes cependant huit où dix dans les cellules : mais le lendemain ils étoient difparus. Nous imaginâmes alors que les abeilles les avoient tranfportés dans les petits alvéoles de Pétage inférieur; & nous les y cherchâmes avec le plus grand foin; mais je puis vous affures qu'il n’y en avoit pas un feul. Le troifième jour la Reine pondit encore quelques œufs ; qui difpaturent comme les premiers. Nous les cherchâmes de nouveau dans les petites cellules, ils n’y étoient point. Le fait - ft que les ouvrières les mangent, & voilà ce qui a trompé les obfervateuts ; qui préten- dent qu’elles les tranfportent. Ils ont vu dif: paroître les œufs dés cellules où ils étoient mal placés, &c fans autre examen ils ont affuré que les abeilles les pattoient dilleurs : elles les prennent bien à la vérité, mais elles ne les tranfportent pas; elles les mangent, ; É480 1 … La nature n’a donc point chargé les abeil. les du foin de placer les œufs dans des cel. lules qui leur foient appropriées. Mais elle a donné aux femelles elles-mêmes aflez d’inf. tin@ pour fentir de quelle forte-eft l'œuf qu’elles vont pondre , & pour le placer dans une cellule qui lui convienne. M. de Réau- mur l’avoit déjà obfervé, & à cet égard mes obfervations s'accordent avec les fiennes. Il eft donc certain que dans l’état naturel, lor(- que la fécondation s’eft faite à temps, lorf que la Reine n’a fouffert par aucune cir- conftance , elle ne fe trompe point dans le choix..des diverfes fortes de cellules où elle _ doit dépofer fes œufs : elle ne manque point à pondre ceux d’ouvrières dans les petits alvéoles, & ceux de mâles dans les grandes cellules. — Vous voyez, Monfieur, que je parle ici de ce qui fe pafle dans l’état natu- rel. — Cette diftindion eft importante : car on ne retrouve plus la même fureté d’inf- tint dans la conduite des femelles dont lac- couplement a été trop différé: celles - ci É (er He choififfent pas les cellules où elles doi: vent pondre leurs œufs. Cela eft fi vrai, que dans les premiers temps où J'obfervai les Reines dont la fécondation eft retardée, je me trompai plus d’une fois fur la forte des œufs qu’elles pondoient : je les voyais pondre indiftinétement dans les petites cellules & dans les cellules de faux-bourdons, & ne devinant point que leur inftinét eut fouffert, je croyois que les œufs pondus dans les petites cellules étoient des œufs d’ouvrie- res : je fus donc très-furpris quand , au mo- ment où les vers qui en étoient éclos de. voient fubir leur métamorphofe ën nymphes , je vis les abeilles fermer leurs cellules avec des couvercles bombés , exadtement fembla. bles à ceux qu’elles placent fur les cellules qui contiennent des vers de males, & en apprendre d'avance que tous ces vers devoient fe transformer en faux-bourdons. Is étoient en effet des mâles. Ceux qui étoient nés dans les petites cellules furent des mâles de la petite taille. Ceux qui avoient été élevés Xi) | #2 à dans les grandes celluies devinrent de grands faux-bourdons. — J’avertis donc les obfer- vateurs qui voudront répéter mes expérien- ces fur les Reines qui ne pondent que des œufs de males, de ne pas fe laifler induire en erreur par cette circonftance, & de sat- tendre à voir ces Reines dépofer des œufs de faux-bourdons dans des cellules d’ouvrières. Il ya plus, & ceci eft une obfervation vraiment curieufe : ces mèmes femelles , dont la fécondation a été différée, pondent quel. quefois des œufs de faux-bourdons dans des cellules royales. Lorfque je donnerai lhif- toire des eflaims, je ferai voir que dans l'état naturel, au moment où les Reines commencent leur grande ponte üe mäles, les ouvrières conftruifent un aflez grand nombre de cellules royales : il y a fans doute un rapport fecret entre l'apparition des œufs de faux-bourdons & la conftruction de ces cellules : c’eft une loi de la nature à laquelle les abeilles ne dérogent point. Il m’elt donc pas furprenant qu'elles conftruifent des cel. [#33 4 lules de cette forte, dans les ruches gouver- nées par des Reines qui ne pondent que des œufs de faux-bourdons. Il n’eft pas non plus fort fingulier que ces Reines dépolent dans des cellules royales les œufs de la feule forte qu’elles puiffent pondre, car en géné- ral leur inftinct paroïit altéré.. Mais ce que je ne conçois pas, c’eft que ies abeilles foi- gnent les œufs de mâles dépofés dans ces cellules, exactement comme ceux qui doi- vent devenir Reines ; elles leur donnent une nourriture plus abondante , elles élèvent enfuite & prolongent ces cellules comme elles le font lorfaw’elles contiennent un ver royal ; elles y travaillent, en un mot, avec une telle régularité , que fouvent nous y avons été trompés nous-mêmes. Nous avons ouvert plus d’une fois de ces cellules, après que les abeilles leur avoient ajufté le couvercle qui doit les fermer, dans la perfuafion d’y trou- ver des nymphes royales, & cependant c’étoit toujours une nymphe de faux-bour- don qui y étoit logée. — Ici Pinftin® des | L ii} [ 134 ] ouvrières paroit en défaut. — Dans létat naturel, elles diftinguent parfaitement les vers de males de ceux des abeilles commu- nes , puifqu’elles ne manquent jamais de don- ner aux cellules où font ces vers de males, un couvercle particulier. Pourquoi donc ne diftinguent-elles plus les vers de faux-bour- dons, lorfqu’ils fe trouvent placés dans des cellules royales? Ce fait me paroïit mériter beaucoup d'attention. Je fuis convaincu que pour pénétrer les lois de linftint des ani- maux, il faut obferver avec foin les cas où cet inctinct paroiït s’égarer. J'aurois dû , peut-être, Monfieur, en com- mençant cette lettre, donner un précis des obfervations que d’autres naturaliftes ont fai- tes avant. moi, fur les Reines qui ñe pon- dent que des œufs de mâles. Mais je répa- rerai ici cette omiflion. — Dans un ouvrage, intitulé Hifloire de la Reine des abeilles , tra- duit de Pallemand par Blaflière , on a imprimé une lettre que vous écrivit M. Schrach en date du 1$ Avril 1771, où il parle de Len 1 quelques-unes de fes ruches dont tout le couvain fe transformoit en faux - bourdons. Vous vous fouvenez, Monfieur, qu’il attri- buoit cet accident à quelque vice inconnu des ovaires de la Reine régnante dans les ruches où il ne naifloit que des mâles ; mais il étoit loin de foupçonner que le retard de la fécondation eut produit ce vice des ovai- res. Il fe félicitoit avec raifon d’avoir décou- vert un moyen d'empêcher le dépériflement des ruches qui fe trouvent dans ce cas: & ce moyen étoit fort fimple , il fuifoit d’en- lever la Reine qui ne pond que des œufs de faux - bourdons, & de lui en fubftituer une dont les ovaires ne fuflent pas viciés. Mais pour faire cette fubftitution, il falloit pouvoir fe procurer des KReines - abeilles à volonté, & la découverte de ce fecret étoit réfervée à M. Schirach. J'en parlerai dans la lettre fuivante. Vous voyez par ce détail que toutes les expériences du naturalifte allemand avoient eu pour objet de fâauver les ruches dont les Reines ne pondent que Le [ #26 1 des œufs de mäles, & qu’il n’avoit pas tra- vaillé à découvrir la caufe du vice qui fe manifefte dans leurs ovaires. M. de Réaumur dit auffi un mot, quel. que part, d’une ruche dans laquelle il avoit trouvé beaucoup plus de faux-bourdons que d’abeilles ouvrières, mais il ne fe livre à aucune conjecture fur ce fait : il ajoute feu. lement comme une circonftance remarqua- ble, que les males furent tolérés dans cette ‘ruche jufques au printemps de l’année fui. vante. Il eft vrai que les abeilles gouvernées par une Reine qui ne pond que des œufs de mäles, ou par une Reine vierge, gardent leurs faux -bourdons plufieurs mois après qu'ils ont été maflacrés dans les autres ruches. Je ne faurois pas en indiquer la raifon, mais c’eft un fait que j'ai revu bien des fois, pendant la longue fuite d’obferva- tions que javois entreprife fur les Reines dont la fécondation a été retardée. En géné- ral, il m'a paru qu'aufli long -temps que la Reine d’une ruche pond des œufs de mâles, E457 1] fes abeilles ne maffacrent point les faux- bourdons qui exiftent dans cette mème ruche fous la forme de mouches, Agréez, Monfieur , le témoignage de mon refpett, #28) 1 LETTRE QUATRIÈME. Sur ln decouverte de M. ScHrRAcCH. Pregny le 24 Août 1791. Lorsque vous avez été appelé, Monfieur , dans la nouvelle édition de vos œuvres, à rendre compte des belles expériences de M. Schirach fur la converfion des vers d’abeilles communes en vers fOYAux, VOUS avez invité les naturaliftes à les répéter. En effet, une découverte aufli importante demandoit à être confirmée par plufieurs témoins. Je m’em- prefle donc de vous apprendre que toutes mes recherches établiffent la réalité de cette découverte. Depuis près de dix ans que je travaille fur les abeilles, j'ai répété l’expé- rience de M. Schirach tant de fois, avec un fuccès fi foutenu , que je ne puis pas élever le moindre doute. Je regarde donc comme un fait’certain, que lorfque les abeilles per- dent leur Reine, & qu’elles confervent daus 879,1 leur ruche des vers d’ouvrières, elles agran- diffent plufieurs des cellules dans lesquelles ils font logés, qu’elles leur donnent, non- feulement une nourriture différente, mais en plus forte dofe, & que les vers élevés de cette manière, au lieu de fe convertir en abeilles communes, deviennent de vérita- bles Reines. Je fupplie mes lecteurs de mé- diter l’explication que vous avez donnée d'un fait auf nouveau, & les conféqueces philofophiques que vous en avez tirées. Cont. de la Nat. Part. XT, chap. X XVII. Je me bornerai dans cette lettre à vous raconter quelques détails fur la forme des cellules royales que les abeilles conftruifent autour des vers qu’elles deftinent à l’état royal. Je finirai par la difcuflion de quel- ques points fur lefquels mes obfervations différent de celles de M. Schirach. Lorfque les abeilles ont perdu leur Reine, elles s’en apperçoivent très-vite, & au bout de quelques heures elles entreprennent les travaux néceflaires pour réparer leur perte. [ 140 ] D'abord, elles choififfent les jeunes vers d’ouvrières auxquels elles doivent donner les foins propres à les convertir en Reines, & dès ce premier moment elles commencent à agrandir les cellules où ils font logés. Le procédé qu’elles employent eft curieux. Pour le faire mieux comprendre, je décrirai leur travail fur une feule de ces cellules : ce que jen dirai doit s'appliquer à toutes celles qui contiennent les vers qu’elles appellent au trône. Après avoir choifi un ver d’ouvrières, elles facrifient trois des alvéoles contigus à celui où il eft placé; elles en emportent les vers & la bouillie, & élèvent autour de lui une cloifon cylindrique; fa cellule devient donc un vrai tube, à fond rhomboïdal, car elles ne touchent point aux pièces de ce fond ; fi elles lendommageoient, il faudroit qu’elles miffent à jour les trois cellules cor- refpondantes de la face oppofée du gâteau, & que par conféquent elles facrifiaffent les vers qui les habitent, facrifice qui n’étoit pas néceflaire , & que la nature n’a pas per- Û 141 ] _ mis. Elles laiflent donc le fond rhomboïdai, & fe contentent d'élever autour du ver un vrai tube cylindrique, qui fe trouve ainfi qué les autres cellules du gâteau, placé ho- rifontalement. Mais cette habitation ne peut convenir au ver appelé à létat de Reine que pendant les trois premiers jours de fa vie; il faut qu’il vive les deux autres jours, pendant lefquels il conferve encore la forme de ver, dans une autre fituation : pour ces deux jours, portion fi courte de la durée de fon exiftence , il doit habiter une cellule de forme à-peu-près pyramidale, dont la bafe _foit en enhaut & la pointe en embas. On diroit que les ouvrières le favent, car dès que le ver a achevé fon troifième jour, elles préparent le local que doit occuper fon nouveau logement, elles rongent quelques- unes des cellules placées_au-deflous du tube cylindrique, facrifient fans pitié les vers qui y font contenus, & fe fervent de la cite qu’elles viennent de ronger pour conftruire un nouveau tube de forme pyramidale , L 142 | qu’elles foudent à angle droit fur le prémièr : & qu’elles dirigent en embas : le diamètre de cette pyramide diminue infenfiblement depuis fa bafe, qui eft aflez évafée, jufques à la pointe. Pendant les deux jours que le ver l'habite, il y a toujours une abeille qui tient fa tête plus ou moins avancée dans la cellule : quand une ouvrière la quitte, 1l en vient une autre prendre fa place. Elles y travaillent à prolonger la cellule à melure que le ver grandit, & elles lui apportent fa nourriture , qu’elles placent devant fa bou- che, & autour de fon corps : elles en font une efpèce de cordon autour de lui. Le ver, qui ne peut fe mouvoir qu’en fpirale, tourne fans cefle pour faifir la bouillie placée devant fa tête ; il defcend infenfiblement , & arrive enfin tout près de lorifice de fa cellule : c’eft à cette époque qu'il doit fe transformer en nymphe. Les foins des abeïl.. les ne lui font plus néceffaires : elles fer. ment-fon berceau d’une clôture qui lui elt appropriée, & il y fubit au temps marqué fes deux métamorphofes. | A ME à 7 EU M. Schirach prétend que les abeilles ne choififlent jamais que des vers de #rois jours pour leur donner l'éducation royale : je me {uis afluré, au contraire, que l'opération réuf- fit également fur des vers âgés de deux jours feulement, Permettez-moi dé vous raconter tout au long la preuve que j'en ai acquife: _elle démontrera en même temps la réalité de la converfion des vers d’ouvritres en Reines, & le peu d'influence qu'a l'âge des vers fur le fuccès de l'opération. Je fis placer dans une ruche privée de Reine quelques parcelles de gâteaux dont les cellules renfermoient des œufs d’ouvriè- res, & des vers de la même efpèce déjà éclos. Le même jour les abeilles agran- dirent quelques-unes des cellules à vers; elles les convertirent en cellules royales , & donnèrent aux vers qui y étoient conte- nus, un épais lit de gelée. — Je fis enlever alors cinq des vers placés dans ces cellu- les, & mon lecteur leur fubftitua cinq vers d'ouvrières que nous avions vu fortir de [ 144 3 Vœuf 48 heures auparavant. Nos aäbeil les ne parurent point s'appercevoir de cet échange : elles foignèrent les nouveaux vers” comme ceux qu’elles avoient choifis elles- mêmes ; elles continuèrent à agrandir les cellules , où nous les avions placés, & les fermèrent au temps ordinaire ; elles couvè- rent enfuite ces cinq cellules pendant fept jours, au bout defquels nous les emportà- mes pour avoir vivantes les Reines qui en devoient fortir. Deux de cés Reines forti- rent prelqu'en même temps, elles étoient de la grande taille, & parfaitement dévelop- pées à tous égards. Les trois autres cellules ayant paflé leur terme fans qu'aucune Reine en fut fortie, nous les ouvrimes pour voir dans quel état elles y étoient: nous trou-. vames dans l’une, une Reine morte, fous forme de nymphe : les deux autres étoient vuides; leurs vers avoient filé leurs coques de {oie, mais ils étoient morts avant de pal- fer à l’état de nymphe, & n’offroient plus qu'une peau defléchée. — Je ne puis rien IMASINSE | C 145 ] imaginér de plus pofitif que cetté expérience : il éft démontré que les abeilles ont le pou- voir de convertir en Reïines des vers d’ou- vrières, puifqu’elles ont réufli à fe donner des Reines, en opérant fur des vers d’ou- vrières que nous leur avioris choifi nous- mêmes : il eft également démontré, que pour le fuccès de l’opération, il n’eft pas nécef- faire que les vers aient frois jours, puifque ceux que nous avions confiés à nos abeilles étoient âgés de deux jours feulement. Ce n’eft pas tout; les abeilles peuvent convertir en Reines des vers d’ouvrières beau- coup plus jeunes encore. L'expérience fui- vante m'a appris que lorfqu’elles ont perdu leur Reine, elles deftinent à la remplacer des vers âgés de gwelques heures feulement; Je poflédois une ruche qui, étant, privée de femelle, n’avoit depuis long-temps aucun œuf ni aucun ver: je lui fis donner une Reine de la plus grande fécondité; elle ne tarda pas à pondre dans les cellules d’ou- vrières, Je laiffai cette femelle dans la ruche, K [ 146 I un peu moins de trois jours, & je Îa fis enlever, avant qu'aucun des œufs qu’elle avoit pondus fut éclos : le lendemain, c’eft- à-dire le quatrième jour, mon lecteur compta $O petits vers, dont les plus ägés avoient à peine 24 heures. Cependant, dès cette époque, plufieurs de ces vers étoient déjà deftinés à devenir Reines ; la preuve en eft que les abeilles avoiïent mis autour d’eux une provifion de gelée beaucoup plus grande que celle qu’elles donnent aux vers ordinai- res. Le jour fuivant, les vers avoient près de 40 heutes; les ‘abeilles avoient agrandi Jeurs berceaux ; elles avoient converti leurs cellules exagones en cellules cylindriques de la plus grande capacité ; elles y travail- fèrent encore les jours fuivans, & les fer- mèrent le cinquième jour, à dater de Ia naiffance des vers. Sept jours après la clô- ture de la première de ces cellules royales, nous en vimes fortir une Reine de la plus grande taille, Cette Reine commença d’:bord à fe jeter fur les autres cellules royales, & L M7 1 elle chercha à y détruire les vers ou les nym- phes qui y étoient renfermées. Je raconte. rai dans une autre lettre les effets de fa fureur. Vous voyez, Monfieur , par ces détails, que M. Schirach n’avoit point encore aflez varié fes expériences, lorfqu’il a affirmé que, pour fe convertir en Reines, il falloit que les vers d’ouvrières fuflent âgés de érois jours. Il eft certain que l'opération a le même fuccès, non-feulement fur les vers de deux jours, mais encore fur ceux qui ne font agés que de quelques heures. Après avoir fait, pour vérifier la décou- Yerte de M. Schirach, les recherches dont je viens de rendre compte, j'ai voulu favoir fi, comme le prétend cet obfervateur , le feu moyen qu’aient les abeilles de fe procurer une Reine, foit de donner une certaine nour- riture aux vers d’ouvrières, & de les élever dans des cellules plus grandes, Vous n’avez point oublié que M. de Réaumur avoit là. deffus des idées bien différentes. # La mère , K ij 5 22 2 2 22 2 52 22 3 2 22 2 32 D 22 32 [ 148 1 | dit-il, doit pondre, & pond des œufs ; d’où doivent fortir des mouches propres à étre mères à leur tour. Elle le fait , & nous allons voir que les travailleufes favent qu’elle le doit faire. Les abeilles, à qui les mères font fi chères, paroiflent s’inté- refler beaucoup pour les œufs qui en doi- vent donner , & les regarder comme bien importans : elles conftruifent des alvéoles particuliers où ils doivent être dépofés , &c. &c.— Quand une cellule royale n’eft encore que commencée, elle a affez la forme d’un gobelet, ou, plus précifément , celle d’un de ces calices deftinés à con- tenir un gland, & dont le gland eft {orti. , @c. &c. M. de Réaumur ne foupçonnoit pas la poflbilité de la converfion d’un ver d’ou- -dSra . . « e \ vrière en KReine, mais il penfoit que la mère abeille pondoit dans les cellules royales des œufs d’une forte particulière, d’où fortoient ‘ des vers qui devoient devenir Reines à leur tour. Au contraire, fuivant M. Schirach, 6° 449 7 les abeilles ayant toujours la poffbilité de fe procurer une Reine, en donnant une cer. taine éducation à des vers d’ouvrières âgés de trois jours, il eut été inutile que la nature accordât encore aux femelles la faculté de pondre des œufs royaux; une telle pro- digalité de moyens ne lui paroifloit pas con- forme aux lois ordinaires de la nature : il affirme donc en propres termes que la mère abeille ne pond point des œufs royaux, dans des cellules préparées pour cette fin: il ne regarde les cellules royales que comme des cellules ordinaires élargies par les abeilles, au moment où elles deftinent le ver qui y eft renfermé à devenir une Reine; & il ajoute qu’en tout état de caufe, la cellule royale feroit trop longue pour que la mère, en y introduifant fon ventre, put'en tou- cher le fond & y dépoler un œuf. | M. de Réaumur ne dit nulle part, jen conviens, que la Reine ait pondu, fous fes yeux, dans une cellule royale ; cependant, il n’avoit aycun doute fur ce fait, & d’après K iii EDS d toutes mes obfervations, je vois qu'il avoit deviné fort jufte. Il eft parfaitement sûr, qu’en certains temps de l’année, les abeilles préparent des cellules royales, que les femel- les y dépofent leurs œufs, & que de ces œufs il fort des vers qui deviennent des Reines. L’objection que fait M. Schirach fur la longueur des cellules royales ne prouve rien : la Reine n'attend point, pour y pondre, qu’elles foient achevées; elle y dépofe fes œufs, lorfqw’elles ne font encore qu’ébau- chées, & qu’elles ont la forme du calice d'un gland. Ce naturalifte, ébloui par léclat de fa découverte, n’a pas vu la vérité toute entière ; il a apperçu le premier la reflource que la nature a accordée aux abeilles, pour réparer la perte de leur Reine, & il seft perfuadé trop vite qu’elle mavoit pourvu, par aucun autre moyen, à la naiflance des femelles. Son erreur provient de ce qu’il n'a pas obfervé ces mouches dans des ruches affez plattes. S'il s’'étoit fervi de ruches comme POST "7 les miennes, il auroit trouvé dans toutes celles qu'il auroit ouvertes, au printemps, la confirmation de l'opinion de M. de Réaus mur. — Dans cette faifon, qui eft celle des effaims, les ruches en bon état font gou- vernées par une Reine féconde. On y trouve des cellules royales, d’une forme affez dif- férente de celles que les abeilles conftrui- fent autour des vers d’ouvrières, qu’elles deftinent à devenir Reines. Ce font de gran- = des cellules, attachées au bord des gâteaux par un pédicule , & appendues verticalement, en manière de ftalaétites ; tèlles en un mot que M. de Réaumur les a décrites. Les femelles n’attendent pas pour y pondre qu'elles aient toute leur longueur ; nous en avons furpris quelques - unes au moment où elles y dépo- Joient un œuf; la cellule n’avoit alors que la grandeur du calice d’un gland : les ouvriè- res ne les allongent jamais qu'après que Pœuf y a été pondu : elles les agrandiffent à mefure que le ver prend fon accroife. ment, & les ferment lorfqu'il va fe tran£ K iv LE 12 ] former en nymphe royale. — Il eft donc vrai qu'au printemps la Reine -abeille dé- pofe dans des cellules royales, préparées d'avance, des œufs d’où doivent fortir des mouches de fa forte. La nature a donc pourvu par un double moyen à la multi. plication & à la confervation de Pefpèce chez les abeilles. Jai Phonneur d'être, &c. Des, 1 LETTRE CINQUIÈME. Expériences qui prouvent qu'il y a quelque- fois dans les ruches, des abeilles ouvrières qui pondent des œufs feconds. Pregny le 25 Août 1791. MonNSIEUR, La fingulière découverte de M. Küems, fur l'exiftence des abeilles ouvrières fécondes , vous a paru bien douteufe ( I) : vous avez foup- çonné que les œufs , dont cet obfervateur attribuoit la ponte à des owvrières, avoient été réellement pondus par de petites Keines, que leur taille fait confondre aifément avec les abeilles communes. Cependant vous n’a- vez pas prononcé d’une manière décifive , que M. Riems fe füt trompé : & dans la lettre que vous m'avez fait l'honneur de (x) Voyez Contempl, de la Nat. nouv. édit. in-4® fartie XI, page 265. CE 1 nrécrire, vous m'avez invité à chercher, par des expériences nouvelles, s’il y a effec- tivement dans les ruches des abeilles 04- vrières, capables de pondre des œufs féconds. J'ai fait, Monfieur , ces expériences avec beaucoup de foin. Vous jugerez du degré de confiance qu’elles méritent. Le $ Août 1788, nous trouvames des œufs & des vers de grands faux - bourdons dans deux de mes ruches , qui étoient l’une & l'autre privées de Reines depuis quel- que temps, Nous y vimes aufli les premiers commencemens de quelques cellules roya- les, appendues en manière de ftaladites fur les bords des gâteaux. Dans ces cellules, il y avoit des œufs de mäles. Comme jétois parfaitement sür qu’il ny avoit point de Reine de la grande taille parmi les abeilles de ces deux ruches, il étoit clair que les œufs qui s’y trouvoient, & dont le nombre augmentoit tous les jours, avoient été pon- dus, ou par des Reines de la petite taille, ou par des owvrières fécondes. Javois DOME 7 lieu de croire que c’étoient effectivement des abeilles communes qui les pondoient , car nous avions apperçu fouvent des mou- ches de cette dernière forte, qui introdui- foient leur partie poftérieure dans les cellules, & qui y prenoient la même attitude que prend la Reine lorfqu’elle va pondre. Mais, malgré tous nos efforts, nous n'avions pu en faifir aucune dans cette circonftance, pour l’examiner de plus près; & nous ne voulions rien affirmer juiqu'à ce que nous eufhons tenu entre nos doigts les abeilles qui avoient pondu.— Nous continuames donc nos ob- fervations avec la même afliduité, efpérant que, par un hafard heureux, ou dans un moment d’adrefle, nous parviendrions à faifir une de ces abeilles. Pendant plus d’un mois toutes nos tentatives échouèrent. Mon lecteur m'offrit alors de faire fur ces deux ruches une opération, qui exigeoit tant de courage & de patience, que je wavois pas ofé lui en parler, quoique j'en eufle auf conçu le plan moi-même. Il me L- 156.1 propofa d'examiner. féparément toutes Îes abeilles qui peuploient ces ruches, pour favoir s’il ne sétoit point gliflé parmi elles quelque petite Reine qui eût échappé à nos premières recherches. Cette expérience étoit bien importante; car fi nous ne trouvions point de petites Reines , nous acquérions alors la preuve démonftrative que les œufs dont nous cherchions l’origine avoient été pondus par de fimples ouvrières. Pour faire avec toute lexactitude pof- fible une opération de cette nature , il ne falloit pas fe contenter de baigner les abeilles. Vous favez , Monfieur, que le con- tact de l’eau reflerre leurs parties extérieu- res, qu'il altère jufques à un certain point la forme de leurs organes ; & comme les petites KReines reffemblent beaucoup aux ouvrières, la plus légère altération dans les formes m’auroit plus permis de diftinguer, avec affez de précifion , à quelle forte appar- tenoit chacune des mouches qu’on auroit baiguées. Il falloit donc prendre une à une, Lo SAS fans les ruches, toutes les abeilles, les fai. fir vivantes malgré leur colère , & obferver avec le plus grand foin leurs caractères fpé- cifiques. C’eft ce que mon lecteur entreprit , & exécuta avec une adrefle inconcevable. Il employa onze jours à cette opération, & pendant tout le temps qu’elle dura il fe per- mit à peine d'autre diftrattion que celle qu’exigeoit le repos de fes yeux. Il tint entre fes doigts chacune des mouches qui compoloient ces deux ruches, il examina attentivement leur trompe, leurs jambes pof. térieures , leur aiguillon; il n’en trouva pas une feule, qui n’eût les caractères d'abeille commune , C’et-àa-dire, la petite corbeille fur les jambes poftérieures, la trompe longue, & laiguillon droit. Il avoit préparé d’avance des boîtes vitrées où étoient placés quelques gâteaux: ceft dans ces boîtes qu'il mettoit chaque abeille, après lavoir examinée : je n'ai pas beloin d’avertir qu’il les y retint prifonnières ; cette dernière précaution étoit indifpenfable, car lexpérience n’étoit pas L 48 1 finie encore ; il ne fuffifoit pas d’avoir coüf: taté que toutes ces mouches étoient de la forte des abeilles ouvrières, il falloit conti- nuer à les obferver , & voir fi quelqu'une d’entrelles pondroit des œufs. Nous exami- nâmes donc, pendant plufieurs jours, les cellules des gâteaux que nous avions don: nés à ces mouches, & nous ne tardämes pas à y appercevoir des œufs nouvellement pondus, d’où fortirent au temps ordinaire des vers de faux-bourdons. Mon lecteur avoit tenu entre fes doigts les abeilles qui les pondirent ; & comme il étoit parfaitement sûr de n'avoir tenu que des abeilles communes, il eft démontré qu'il y a quelquefois dans les ruches des abeilles ouvrières fécondes. Après avoir vérifié la découverte de M. Riems , par une expérience auf décifive , nous replaçämes dans des ruches vitrées, fort minces, toutes les abeilles que mon lecteur avoit examinées : ces ruches, qui n’avoient que 18 lignes d’épaifleur , ne pouvoient con- Le B'O9 1 tenir qu’un feul rang de gâteaux ; elles étoient ainfi très - favorables à l’obfervateur. Nous ne doutâmes plus qu’en perfiftant à veiller nos abeilles, nous ne parvinflions à fur- prendre, au moment de fa.ponte, lune de celles qui étoient fécondes, & à la fai- fir. Nous voulions la difléquer, comparer l'état de fes ovaires à lPovaire des Keines , & reconnoître les différences. Nous eùmes enfin , le 8 Septembre, le bonheur d’y réuflir. Nous apperçümes dans une cellule, une abeille qui y avoit pris l'attitude d’une femelle qui pond ; nous ne lui laifsämes pas le temps d’en fortir ; nous ouvrimes promptement la ruche , & nous faisimes cette abeille : elle avoit tous les caraëtères extérieurs des abeilles com- munes; la feule différence que nous pümes reconnoitre, & elle étoit bien légère, c’eit que fon ventre nous parut moins gros & plus effilé que celui des ovorières. Nous la difféquâmes enfuite, & nous trouvames fes ovaires plus petits, plus ‘fragiles, compolés dun moindre nombre d'oviduitus que les [ 160 ovaires dés Reines ; les filets qui coritenoient : les œufs étoient extrémement fins, & prés fentoient de légers renflemens placés à d’é- gales diftances. Nous comptâmes onze œufs de grofleur fenfible, dont quelques - uns nous parurent prêts à être pondus: Cet ovaire étoit double comme celui des Reines. Le 9 Septembre nous faisimes une autre abeille féconde , au moment où elle venoïit de pondre, & nous la difléquämes. Son ovaire étoit encore moins développé que celui de l'abeille dont il s’eft agi dans lar- ticle précédent; nous n’y comptämes que quatre œufs qui fuflent au terme de matu. rité. Mon lecteur tira un de ces œufs de loviduitus qui le renfermoit, & réuflit à le faire tenir par un de fes bouts fur une lame de verre: ce qui fembleroit indiquer, pour le dire en pañlant, que c’eft dans les oviduc- tus mêmes que les œufs font enduits de la liqueur vifqueufe avec laquelle ils viennent au jour , & non dans leur trajet au-deflous du fac fbhérique, comme le croyoit Swarmer dam. | Pendant A à 3 Peridant le réfte de ce mois, rious trou: Ames encor=, dans les mêmes ruches, dix abeilles fécondes, dont nous fimes également la diffédion. Nous diftinguâames aifément les ovaires de la plupart de ces mouches : il y en eût cependant quelques-unes dans lef: quelles nous n’en vimes aucune trace : les oviduêus de ces dernières métoient, fuivant toute apparence , développés qu'imparfaite- ment; & pour les reconnoître , il aüroit fallu plus d’adreffe que nous n'avions pu en acqué: rir encore dans la diffedtion. Les ouvrières fécondes ne pondent jamais des œufs d’abeilles comrzaunes ; elles ne pon: dent que des œufs de mâles. M. Riems avoit déjà obfervé ce fait fingulier, & à cet égard toutes mes oblervations confirment les fien: nes. J'ajouterai feulement à ce qu'il en dit; que les ouvrières fécondes ne font point abfo: lument indifférentes fur le choix des cellu les où elles dépofent leurs œufs. Elles pré: fèrent toujours de les pondre dans les gran- des cellules, & ne les placent dans les petits L C6 : 1 alveoles que lorfau'elles n’en trouvent point d'un plus grand diamètre. Mais elles ont ce rapport avec les Reines dont la fécondation a été retardée, qu’elles pondent aufli quel- quefois leurs œufs dans les cellules royales. Ea parlant dars la lettre troifième de ces femelles qui ne pondent que des œufs de faux-bourdons, j'ai témoigné mia furprife des foins que les abeilles rendent à ceux qu’elles qu’elles dépofent dans les cellules royales, de l'affiduité avec laquelle elles nourriffent les vers qui en proviennent, & de la clô- ture fous laquelle elles les enferment lorf- qu'ils font près de leur terme; mais je ne fais pourquoi j'ai oublié de vous dire, Mon- fieur, que les ouvrières, après avoir fermé ces cellules royales, les guillochent & les couvent jufques à la dernière transforma- tion des mâles qu’elles contiennent. Les ou- vrières traitent bien différemment les cellu- Îles royales dans lefquelles les abeilles fécon- des pondent des œufs de faux - bourdons ; elles commencent à la vérité par donner es | tous leurs foins à ces œufs, & aux vers qui en éclofent ; elles ferment ces cellules au temps convenable , mais jamais elles ne man- quent à les détruire trois jours après les avoir fermées. _ Après avoir heureufement achevé ces pre: mières expériences , il reftoit à découvrir Ia caufe du développement des organes fexuels des ouvrières fécondes. M. Riems ne seft point occupé de cet intéreffant probléme ; & je craignis d’abord de m'avoir, pour le réfoudre , d'autre guide que mes conjectu: res. — Cependant après y avoir bien réflé: chi, je crus appercevoir dans le rapproche- ment des faits dont cette lettre contient le détail, une forte de lueur propre à éclai- rer la marche que je devois fuivre dans cette nouvelle recherche. | Depuis les belles découvertes de M. Schr- rach, il eft hors de doute que toutes les abeilles communes font originairement du fexe féminin; la nature leur a donné des germes dun ovaire, mais elle na permis qu'il fe L ij Le] | [ 164 ] développât que dans le cas particulier où ces abeilles recevroient fous la forme de ver une nourriture particulière. Il faut donc exa- miner.avant tout fi nos ouvrières fécondes ont eu dans l’état de ver cette même nourriture. Toutes mes expériences mont convaincu qu'il ne naït des abeilles capables de pon- dre que dans les tuches qui ont perdu leur Reine. Or; lorlque les abeilles ont ‘perdu leur mère, elles préparent une grande quan- tité de gelée royale‘ pour en nourrir les vers qu’elles deftinent à la remplacer. Si.donc les ouvrières fécondes ne naiffent jamais que dans ce feul cas , il eft évident qu’elles ne naiffent que dans les ruches doat les abeïlles préparent de la,ge/ée royale. C’eft fur cette circonftance ; Monfieur, que je portai toute mon atteri- tion. Elle me fit foupçonner que ‘lorfque les abeilles donnent à quelques vers ’educa- tion royale , elles laiffent tomber , ou par acci- dent, ou par une forte d’inftinét dont j'ignore le principe, : de petites portions de gelee. royale ; dans les alvéoles voïfins des celluies M 07.1 où font les vers deftinés à l'état de Reines, Les vers d’ouvrières qui ont recu, acciden- tellement, ces petites dofes d’un aliment auf aif, doivent en reflentir plus ou moins l'influence : leurs ovaires doivent acquérir une forte de développement. Mais ce déve- loppement fera imparfait. Pourquoi? Parce que la nourriture royale n’a été adminiftrée qu'en petites dofes; & que d’ailleurs, les vers dont je parle ayant vécu dans les cel- lules du plus petit diamètre, leurs parties wont pas pu s'étendre au-delà des propor- tions ordinaires. Les abeilles qui naïtront de ces vers auront donc la taille & tous les caractères extérieurs des fimples ovvriè- res, mais elles auront de plus la faculté de pondre quelques œufs, par le feul effet de ja petite portion de gelée royale qui aura té mêlée à leurs autres alimens. Pour juger de la juftefle de cette expli- cation, il falloit fuivre , dès leur naiflance, les ouvrières fécondes, chercher fi les alvéo- les, dans lefquels elles font élevées , fe trou- | LH [ 166 1 vent conftamment dans le voifinage des cel- lules royales, & fi la bouillie dont ces vers fe nourriflent eit mêlée de quelques portions de gelée royale. Malheureufement cette dernière partie de l'expérience eft fort diffi- cile à exécuter. Quand la gelée royale eft pure, on la reconnoît à fon goût aigrelet _& relevé, mais lorfqu’elle eft mêlée de quel- qu'autre fubitance, on ne diftingue plus fa. faveur que d’une manière très-imparfaite. Je crus donc devoir me borner à l'examen de lemplacement des cellules où naifflent les ouvrières fécondes. Comme ceci eft impor- tant, permettez - moi de vous décrire une de mes expériences en détail. En Juin 1790, je m’apperçus que les abeilles d’une de mes ruches les plus min- ces avoient perdu leur Reine depuis plufieurs jours, & qu'il ne leur reftoit aucun moyen de la remplacer, parce qu’elles n’avoient point de ver d’ouvrières. Je leur fis donner alors une petite portion de gâteau dont toutes les cellules contenoient un jeune ver de [167 ] cette forte. Des le lendemain, les abeilles prolongèrent plufieurs de ces alvéoles en forme de cellules royales, autour des vers qu’elles deftinoient à devenir Reines. Elles donnèrent aufli des foins aux vers placés dans les cellules voifines de celles-là. Qua- tre jours après, toutes les cellules royales qu’elles avoient conftruites étoient férmées , & nous comptämes avec plaifir dix - neuf petits alvéoles qui avoient également reçu toute leur perfettion, & qui étoient fermés d’un couvercle prefque plat. Dans ces der- niers étoient les vers qui n’avoient pas reçu Péducation royale ; mais comme ils avoient pris leur accroifflement dans le voifinage des vers deftinés à remplacer la Reine, il étoit très-intérefflant pour moi d’obferver ce qu'ils deviendroient. I} falloit faifir le moment où ils prendroient leur dernière forme. Pour ne pas le manquer, j'enlevai ces dix-neuf cel- lules ; je les plaçai dans une boîte grillée que jintroduilis au milieu de mes abeikes ; jenlevai également les cellules royales ; car L 1Y Er où, 1 ii importoit beaucoup que les Reines, qui devoient en fortir, ne vinflent pas compli- quer ou déranger les réfultats de mon expé- rience. — Il y avoit bien ici une autre pré- caution à prendre : je devois craindre qu’en privant mes abeilles du fruit de leurs peines & de l’objet de leurs efpérances, elles ne tom- baffent dans le découragement : je pris donc l£ parti de leur donner une autre portion de gateau qui contint du couvain d’ouvrières , en me réfervant de leur ôter impitoyablement ce nouveau couvain, quand le temps en feroit venu. Ce moyen réuflit à merveille, les mou- ches, en donnant leurs foins à ces derniers vers, oublièrent ceux que je leur avois enlevés. Quand le moment où les vers de mes dix-neuf cellules devoient fubir leur dernière transformation approcha, je fis vifiter plu- fieurs fois, chaque jour, la boîte grillée où 3e les avois renfermées, & jy trouvai enfin Hx abeilles exactement femblables aux abeil. les cominunes. Les vers qui étoient dans les treize autres cellules périrent fans fe méta- morphofer en mouches. De2r09 "1 Jôtai alors de ma ruche la dernière por. tion de couvain que j'y avois placée pour prévenir le décoïragement des ouvrières ; je mis à part les Reines nées dans les cel- lules royales, & après avoir peint d’une couleur rouge le corcelet de mes fix abeil- les, après leur avoir amputé lantenne droite, je les fis entrer toutes les fix dans la ruche, & elles y furent bien accueillies. Vous concevez facilement, Monfieur , quel étoit mon projet dans cette fuite d’opé. rations. — Je favois qu'il n'y avoit parmi mes abeilles aucune: Reine de la grande ni de la petite taille : fi donc, en continuant à les obferver, je trouvois dans les gâteaux aes œufs nouvellement pondus, combien ne devenoit-il pas vraifemblable qu'ils Pau- roient été par l’une ou l'autre de mes fix . abeïlles! Mais, pour en acquérir la parfaite certitude, il falloit les furprendre au moment de la ponte, & afin de les reconnoitre, il falloit les marquer de quelque tache inef. façable. [ 170 ] Cette marche eut un plein fuccès. — En effet, nous ne tardàmes pas à appercevair des œufs dans la ruche; le nombre en augmentoit même tous les jours : les vers qui en provenoient étoient tous de la forte des faux-bourdons. Mais il fe pafla bien du temps avant que nous puffons faifir les mou- ches qui les pondoient. Enfin, à force d’af. fiduité & de perféverance, nous apperçu- mes une abeille qui introduifoit fa partie poftérieure dans une cellule; nous ouvrimes la ruche; nous faisimes cette abeille ; nous vimes l'œuf qu’elle venoit de dépofer ; & en Vexaminant elle-même, nous reconnümes à linftant, aux reftes de couleur rouge qu’elle avoit fur fon corcelet, & à la privation de fon antenne droite, qu’elle étoit une de ces fix mouches élevées fous la forme de ver dans le voifinage des cellules royales. Je n’eus plus de doute alors fur la vérité de ma conjecture ; je ne fais cependant, Monfieur, fi la démonftration que je viens d'en donner vous paroïtra aufli rigoureule, CUT" 1 qu’elle me le paroît à moi-même. Mais voici | comment je raifonne. S'il eft certain que les ouvrières fecondes naiflent toujours dans les alvéoles voifins des cellules royales, il n’eft pas moins sûr que ce voifinage eft en lui- même une circonftance aflez indifférente ; car la grandeur & la forme de ces cellules ne peuvent produire aucun eftet fur les vers qui naiflent dans les alvéoles qui les entou- rent. Il ya donc ici quelque chofe de plus : or nous favons que les abeilles portent dans les cellules royales une nourriture particu- lière ; nous favons encore que l'influence de cette bouillie fur le germe des ovaires eft très puiflante, qu’elle peut feule déve- lopper ce germe ; il faut donc néceffairement fuppofer que les vers placés dans les alvéo- les voifins ont eu part à cette nourriture. Voilà donc ce qu’ils gagnent au voifinage des ceïlules royales; c’eft que les abeilles qui fe portent en foule vers ces dernières pañlent fur eux, s’y arrêtent, & laifflent tom- ber quelque portion de la gelée qu’elles del- C7#72.1 tinent aux vers royaux. Je crois ce raifon- nement conforme aux règles d’une faine logique. J'ai répété fi fouvent l'expérience que je viens de décrire, & j'en ai pefé toutes les. circonftances avec tant de foin, que je fuis parvenu à faire naître des abeilles ozvrières fecomdes dans mes ruches, toutes les fois que je le veux. Le moyen eft fimple. — J'en- lève la Reine d’une ruche; auffitôt les abeil- les travaillent à la remplacer, en agrandif- fant plufieurs des cellules qui contiennent du couvain d’ouvrières, & en donnant aux vers qu’elles renferment la gelée royale ; elles laiflent auf tomber de petites dofes de cette bouillie fur les jeunes vers logés dans les cellules voifines, & cette nourriture déve- loppe jufques à un certain point leurs ovai- res. Il naît donc toujours des ouvrières fécondes dans les ruches où les abeilles s’occupent à réparer la perte de leur Reine; mais il eft fort rare qu’on les y trouve, parce que les jeunes Reines élevées dans les cellules roya- Ds À les fe jettent fur elles, & les maflacrent. Il faut donc, pout fauver leur vie, enlever leurs ennemis ; il faut emporter ces cellules roya- les avant que les vers qui y font logés aient {ubi leur dernière transformation. Alors les ouvrières fécondes ne trouvant plus de riva- les dans la ruche au moment de leur naïf fance , y feront fort bien reçues, & fi on a foin de les marquer de quelque tache recon- noiflable ; on les verra pondre quelques jours après des: œufs de mâles. Tout le fecret du procédé que jindique ici confifte donc à enlever les cellules royales à temps; c’eft-à- dire, dès qu’elles font fermées, & avant que les jeunes Reines en foient forties. (1} (1) J'ai vu fouvent des Réines-abeilles, au moment de leur naiffance, commencer par attaquer les cellules royales, & fe jeter enfuite fur les cellules communes qui les touchoient. La première fois que je fus témoin de ce dernier fait, je n’avois point encore obferve les ouvrieres fécondes , & je ne pus comprendre par quel motif les Reines dirigeoient ainfi leur fureur contre des cellules communes : mais je conçois atuellement qu’elles diftinguent la forte de mouches qui y font renfermées, & qu’elles doivent avoir contr’elles le même inftin® de jaloufe, ou le même fentiment d’averfion, que contre les nymphes de Reines proprement dites, [ 174 1 fe n'ajoute plus qu'un mot à cette lon: gue lettre. La naiïffance des ouvrières fécon- des n’a rien de bien furprenant quand on a médité les conféquences de la belle décou- verte de Schirach. Mais pourquoi ces mou- ches ne pondent-elles que des œufs de mâles ? Je conçois qu’elles n’en pondent qu'un petit nombre , parce que leurs ovaires n’ont reçu qu’un développement très-imparfait,. mais je ne diftingue point par quelle raïfon tous leurs œufs font de la forte des mâles. Je ne devine pas mieux de quelle ‘utilité elles font dans les ruches : & je n’ai fait encore aucune expérience fur la manière dont s’opère ] leur fécondation. Agréez, Monfieur, lafurance de mon refpet, &c. LA AT LETTRE SIXIÈME. Sur les combats des Reines , fur le mafjacre des males, € fur ce qui arrive dans une ruche quand on fubfiitue à fa Reine natu- relle une Reine étrangère. Pregny le 28 Août 1794. MonNSIEUR, Lorsque M de Réaumur compofa fon hi£ toire des abeilles , il n’avoit pas vu tout ce qui à rapport à ces mouches induftrieufes, Plufieurs obfervateurs, & en particulier ceux de Luface, ont découvert nombre de faits importaus qui lui avoient échappé; j'ai fait aufhi à mon tour diverfes obfervations qu'il ne foupçonnoit pas ; cependant, & c’eft une chofe très-remarquable, non-feulement tout ce qu'il déclare en propres termes avoir ou a été vérifié par les naturaliftes qui Pont faivi, mais encore toutes fes conjectures fe [176 ] _ font trouvées juftes; les obfervateurs alle: . mands, MM. Schirach, Hattorf, Riems, le contredifent bien quelquefois dans leurs mé: moires , mais je puis vous aflurer que lorf- qu'ils combattent les expériences de M. de Réaumur , ce font prefque toujours eux qui fe trompent ; l’on en pourroit citer plufeurs exemples. Celui que j'en rapporterai aujcur- d’hui me fournira l’occafion de vous détail ler quelques faits intéreffans. M. de Réaumur avoit obfervé que quand il nait ou qu'il furvient quelque Reine fur- numéraire dans une ruche, l’une des deux périt en-peu de temps : à la vérité il n’avoit pas vu le combat dans lequel elle fuccombe, mais il avoit conjecturé que les Reines s’at- taquoient réciproquement , & que Fempire demeuroit à la plus forte ou à la plus heu- reufe. M. Schirach, au contraire, & après lui M. Kiems, prétendent que ce font les abeilles ouvrières qui fe jettent fur les Rei- nes étrangères, & qui les tuent à coups d'aiguillon. Je ne comprends point par quel | hafard É 277 ] hafard ils ont pu faire cette obfervation ; car, comme ils ne fe fervoient que de ruches aflez épaifles où fe trouvoient plu- fieurs rangs de gâteaux parallèles, ils pou- voient tout au plus appercevoir le commen. cement des hoftilités : les abeilles courent très-vite quand elles fe combattent ; elles fuyent de tous côtés ; elles fe gliffent entre les gâteaux, & cachent ainfi leurs mouve- mens à l’abfervateur. Pour moi, Monfieur, qui me fuis fervi des ruches les plus favo- rables , je n’ai jamais vu-de combat entre les Reines & les ouvrières , mais bien fouvent entre les Reines elles-mêmes. | Javois en particulier une ruche dans la- quelle fe trouvoient à la fois cinq ou fix cellules royales, dont chacune renfermoit une nymphe : lune d'elles étant plus âgée, fubit avant les autres la dernière transforma. tion. Il y avoit à peine dix minutes que cette jeune Reine étoit fortie de fon berceau, qu’elle alla vifiter les autres cellules royales fermées ; elle fe jeta avec fureur fur la pre. M [ 178 ] mière qu’elle rencontra : à force de travail; elle parvint à en ouvrir la pointe ; nous la vimes tirailler avec fes dents la foye de la coque qui y étoit renfermée ; mais proba- blement fes efforts ne réuflifloient pas à fon gré, car elle abandonna ce bout de la cellule royale, & alla travailler à l'extrémité oppo- fée, où elle parvint à faire une plus large ouverture ; quand elle l’eut affez agrandie, elle fe retourna pour y introduire fon ven- tre; elle y fit divers mouvemens en tout fens, jufques à ce qu’enfin elle réuffit à frapper fa rivale d’un coup d’aiguillon mor- tel. Alors , elle s’'éloigna de cette cellule, & les abeilles qui étoient reftées jufqu’à ce moment fpectatrices de fon travail, fe mirent après fon départ à agrandir la brèche qu’elle y avoit faite, & en tirèrent le cadavre d’une Reine à peine fortie de fon enveloppe de nymphe. ‘ Pendant ce temps-là, la jeune Reine vic- torieufe fe jeta fur une autre cellule royale, &. y fit. également une large ouverture, L879/:] mais elle ne chercha point à y introduire l'extrémité de fon ventre ; cette feconde cel. Jule ne contenant pas , comme la première, une Reine déjà développée, & à laquelle il ne reltoit plus qu’à fortir de fa coque ; elle ne renfermoit qu’une nymphe royale : il y a donc toute apparence que, fous cette forme, les nymphes de Reines infpirent moins de fureur à leurs rivales ; mais elles n’en échappent pas mieux à la mort qui les attend; car, dès qu’une cellule royale a été ouverte avant le temps, les abeilles en tirent ce qu’elle contenoit fous quelque forme qu'il s’y trouve, de ver, de nymphe ou de Keine: auffi , lorfque la Reine victorieufe eut quitté cette feconde cellule, les ouvrières agrandi. rent l’ouverture qu’elle y avoit pratiquée, & en tirérent la nymphe qui y étoit renfer- mée : enfin, la jeune Reine fe jeta fur une troifième cellule, mais elle ne réuñit pas à louvrir : elle y travailloit languifflamment, elle paroïifloit fatiguée de fes premiers efforts. Nous avions befoin, dans ce temps-là, de Mi [ 180 ] Reines pour quelques expériences particu- lières, nous nous déterminâmes donc à empor- ter les antres cellules royales qu’elle n’avoit pas attaquées encore, pour les mettre à . abri de fes fureurs. | Nous voulümes voir enfuite ce qui arri- veroit, dans le cas où deux Reines forti- roient de leurs cellules en même temps, & par quels coups l’une des deux périroit. Nous fimes fur ce fujet une obfervation, que je trouve dans mon journal en date du 15 May 1790. Deux jeunes Reïines fortirent ce jour-là de leurs ceHules, prefqu’au même moment, dans une de nos ruches les plus minces. Dès qu’elles furent à portée de fe voir, elles : s’élancèrent l’une contre l’autre avec Pappa- rence d’une grande colère, & {e mirent dans une fituation telle, que chacune avoit fes antennes priles dans les dents de fa rivale; la tête, le corcelet, & le ventre de lune étoient oppofés à la tête, au corcelet & au ventre de autre; elles n’avoient qu’à ET 9: 7 replier l'extrémité poftèrieure de leurs corps, elles fe feroient percées réciproquement de leur aiguillon, & feroient mortes toutes les, deux dans le combat. Mais il femble que la nature n’a pas voulu que leurs duels fif- fent périr les deux combattantes ; on diroit qu’elle à ordonné aux Reines qui fe trou- veroient dans la fituation que je viens de décrire (ceft-à-dire, en face & ventre con- tre ventre ) de fe fuir à l’inftant même avec la plus grande précipitation. Auf, dès que les deux rivales dont je parle fentirent que leurs parties poftérieures alloient fe rencon< trer, elles fe dégagèrent l’une de Fautre , & chacune s'enfuit de fon côté. Vous ver- rez, Monfieur, que j'ai répété cette obfer- vation très-fouvent; elle ne me laifle aucun doute, & il me femble même que, dans ce cas-ci, on peut pénétrer l'intention de la nature. Il ne devoit pas y avoir dans une ruche plus d’une Reine : il falloit donc que fi par hafard il en naifloit ou en furvenoit une M ïüj [ 182° ] feconde , l’une des deux fut mife à mort, Or, il ne pouvoit pas être permis aux abeil- les ouvrières de faire cette exécution, parce- que dans une république compofée d’autant d'individus entre lefquels on ne peut pas fup- pofer un concert toujours égal, il feroit fré- quemment arrivé qu’un groupe d’abeilles fe feroit jeté fur l’une des Reines , tandis qu’un fecond groupe auroit maflacré l’autre, & la ruche auroit été privée de Reines. Il fal- loit donc que les Reines feules fuffent char- gées du foin de fe défaire de leurs rivales. Mais comme , dans ces combats, la nature ne vouloit qu'une feule viétime , elle a fage- ment arrangé d’ayance qu’au moment où, par leur pofition, les deux combattantes pourtoient perdre la vie lPune & l'autre, elles reflentiflent toutes les deux une crainte {i forte, qu’elles ne penfaflent plus qu'a fuir fans fe darder leurs aiguillons. 7 Je fais qu’on court rifque de fe tromper, quand on cherhe minutieufement les caufes finales des plus petits faits. Mais , dans celui- L'r85 1 ci, lé but & le moyen mont paru fi clairs, que je me fuis hafardé à donner cette con- jédture. Vous jugerez , Monfieur, infiniment mieux que moi, jufau'à quel point elle eft fondée. Mais je reviens de cette digreflion. Quelques minutes après que nos deux Reines fe furent féparées, leur crainte cefla, & elles recommencèrent à fe chercher bien tôt elles s’apperçurent, &' nous les vimes courir lune contre l'autre : elles fe reffaifi- rent encore comme la première fois, & fe mirent exactement dans la même pofñition : le réfultat en fut le même; dès que leurs ventres s’approchèrent, elles ne fongèrent plus qu’à fe dégager l’une de l’autre, & elles s’enfuirent. Les abeilles ouvrières étoient fort agitées pendant tout ce temps-là, & leur tumulte paroifloit s’accroitre, lorfque Îles deux adverfaires fe féparoient ; nous les vimes à deux différentes fois arrêter les Reïñes dans leur fuite, les faifir par les jambes, & les retenir prifonnières plus d’une minute. Enfin, dans une troifième attaque, celle des M iv [ 184 7 deux Reïînes qui étoit la- plus acharnée où la plus forte, courut fur fa rivale au moment où celle-ci ne la voyoit pas venir; elle lg faifit avec fes dents à la naïffance de l'aile, puis monta fur fon corps, & amena l’extré. mité de fon ventre fur les derniers anneaux de fon ennemie, qu’elle parvint facilement à percer de fon aiguillon; elle lâcha alors l'aile qu’elle tenoit entre fes dents, & retira fon dard; la Reine vaincue tomba, fe traîna languiflamment , perdit fes forces très-vite, &.expira bientôt après. Cette obfervation prouvoit que les Reines vierges fe livrent entr'elles des combats finguliers. Nous vou. limes voir enfuite fi les Reines fécondes & mères avoient les unes contre les autres la même animofité. Nous choisimes pour cette nouvelle obier. vation, le 22 Juillet, une ruche plate, dont la Reine étoit trés-féconde, & comme nous étions curieux de favoir fi elle détruiroit les celulles royales, ainfi que le pratiquent les Reines vierges, nous plaçaämes d’abord ES 98f 71 au milieu de fon gâteau trois de ces cellu- les fermées. Auffitôt qu’elle les apperçüt elle s’élança fur le groupe qu’elles formoient , les perça vers leur bafe, & ne les quitta qu'après avoir mis à découvert les nymphes qui y étoient renfermées. Les ouvrières qui, jufqu’a ce moment , étoient reftées fpecta- trices de cette deftruction, vinrent alors pour enlever les nymphes royales; elles prirent avidement la bouillie qui refte au fond de ces cellules, elles fucèrent aufi ce qui fe trouvoit de fluide dans Pabdomen des nym- phes, & finirent par détruire les cellules dont elles les avoient tirées, Nous introduisimes enfuite dans cette même ruche une Reine très-féconde, dont nous avions peint le corcelet pour la diftin- guer de la Keïne régnante : il fe forma très- vite un cercle d’abeilles autour de cette étran- gère , mais leur intention n’étoit pas de l’ac- cueillir ou de la careffer ; car, infenfiblement, elles s’accumulèrent fi bien autour d'elle, & la ferrèrent de fi près, qu’au bout d’une L 06. ] minute elle perdit fa liberté & fe trouva prifonnière. Ce qu’il y a ici de très-remar- quable, c’eft qu'au même temps , d’autres ouvrières s’'accumuloient autour de la Reine régnante, & gênaient tous fes mouvemens : nous vimes l’inftant où elle alloit être enfer- mée comme l’étrangère. On diroit quelque- fois que les abeilles prévoyent le combat que vont fe livrer les deux Reines, & qu’elles font impatientes d'en voir liflue; car elles ne les retiennent prifonnières que lorfqu’elles paroiflent s’écarter l’une de Pautre ; & fi l’une des deux, moins gênée dans fes mouvemens, femble vouloir fe rapprocher de fa rivale; alors, toutes les abeilles qui formoient ces mafifs, s’écartent pour leur laiffer l'entière liberté de s'attaquer ; puis elles reviennent les ferrer de nouveau, fi les Reines paroif fent encore difpofées à fuir. Nous avons vu ce fait très-fouvent ; mais il préfente un trait fi neuf & fi extraordi- naire de la police des abeilles, qu’il faudroit le revoir mille fois, pour ofer l'aflurer poli 87 - 1 tivement. Je voudrois, Monfieur , inviter les naturaliftes à examiner avec attention le combat des Reines, & à conftater, furtout, quel eft le rôle qu'y jouent les ouvrières. Cherchent-elles à accélérer ces combats ? Excitent-elles par quelque moyen fecret Îa fureur des combattantes? Comment fe fait- il, qu’accoutumées à rendre des foins à leur propre Reïihe, il y ait pourtant des circonftances où elles larrêtent, lorfqu’elle fe prépare à fuir un danger qui la menace ? Pour réfoudre ces problèmes, il faudroit tenter une longue fuite d’obfervations. C’eft un champ d'expériences bien vafte , & dont les réfultats feroient infiniment curieux. Veuillez me pardonner mes fréquentes digref- fions, ce fujet eft très- philofophique, mais il faudroit votre génie , Monfieur, pour le manier & le préfenter; je pourfuis la def- cription du combat de nos deux Reines. Le maflf d’abeilles qui entouroient la Reine régnante lui ayant permis quelque léger mouvement, elle parut s’acheminer [ 188 ] vers la portion du gâteau fur laquelle étoit fa rivale ; alors toutes les abeilles fe recule- ‘rent devant elle; peu-à-peu, la multitude d’ouvrières qui féparoient les deux adver- faires fe difperfa; enfin, il n’en reftoit plus. que deux, qui s’écartèrent & permirent aux Reines de fe voir : en cet inftant, la Reine régnante fe jeta fur l’étrangère, la faifit avec fes dents, près de la racine des ailes, & parvint à la fixer contre le gâteau, fans lui Jaiffer la liberté de faire de la réfiftance, ni même aucun mouvement ; enfuite elle recourba fon ventre, & perca d’un coup mortel cette malheureufe victime de notre curiofité. Enfin, pour épuifer toutes les combinai. fons, il nous reftoit encore à découvrir sil y auroit un combat entre deux Reines dont l'une feroit féconde & l'autre vierge, 6 quelles en feroient les circonftances &l'iflue. Nous avions une ruche vitrée, dont la Reine étoit vierge & âgée de vingt-quatre jours ; nous y introduisimes le 18 Septembre [ 189 ] une Reine très-féconde, & nous la placà- mes fur la face du gâteau oppofée à celle où étoit la Reine vierge , pour nous donner le temps de voir comment les ouvrières Îa recevroient : elle fut bientôt entourée d’abeil- les qui l’enveloppèrent. Cependant elle ne fut qu'un inftant ferrée entre leurs cercles ; elle étoit preflée de pondre, elle laifoit tomber fes œufs, & nous ne pümes voir ce qu’ils devinrent; les abeilles ne les por- térent furement pas dans les cellules, car nous n’en trouvâmes aucun quand nous les vifitimes., Le groupe qui entouroit cette Reine s’étant un peu diffipé, elle s’achemina vers le bord du gâteau, & fe trouva bientôt à une très- petite diftance de la Reine vierge, Dès qu’elles s’appercurent , «elles s’élancèrent Tune contre l'autre; la Reine vierge monta alors fur le dos de fa rivale, & darda fur fon ventre plufieurs coups d’aiguillon; mais comme ces coups ne portèrent que fur la . partie écailleufe , ils ne lui firent aucun mal, & les combattantes fe féparèrent : quelques [ 490 7 minutes après elles revinrent à la charge: cette fois la Reine féconde parvint à monter {ur le dos de fon ennemie, mais elle cher- cha inutilement à la percer, laiguillon n’en- tra pas dans les chairs; la Reine vierge parvint à fe dégager & s'enfuit ; elle réuffit encore à s'échapper dans une autre attaque , où la Reine féconde avoit pris fur elle Pavantage de la pofition. Ces deux rivales paroifloient de même force, & il étoit dif- ficile de prévoir de quel côté pencheroit la victoire, lorfqu’enfin, par un hafard heu- reux, la Reine vierge perça mortellement l'étrangère, qui expira fur le moment même. Le coup avoit pénétré fi avant, que la Reine victorieufe ne püt pas d’abord retirer fon dard, & qu’elle fut entrainée dans la chüte de fon ennemie. Nous la vimes faire bien des efforts pour dégager fon aiguillon: elle n'y püt réuflir qu'en fe tournant fur l'extrémité de fon ventre, comme fur un pivot. [Il eft probable que par ce mouve- ment les barbes de laiguillon fe fléchirent, fes] fe couchèrent en fpirale autour de la tige, & qu’elles fortirent ainfi de la plaie qu’elles avoient faite. Je crois, Monfieur, que ces obfervations ne vous laifferont plus aucun doute fur la conjecture de notre célèbre Réaumur. Il eft certain que, fi l’on introduit dans une ruche plufieurs Reines, une feule confervera l’em- pire, que les autres périront fous fes coups, & que les abeilles ouvrières ne tenteront pas un inftant d'employer leurs aiguillons contre cette Reine étrangère. J'entrevois ce qui a pü tromper à cet égard MM. Riems & Schirach, mais pour lexpliquer, il faut que je raconte dans un affez long détail un nouveau trait de la police des abeilles. Dans l’état naturel des ruches, il peut fe trouver pour quelques momens plufieurs Reines, celles qui feront nées dans les cel- lules royales que les abeilles y auront conf truites; & elles y refteront jufqu'à-ce quil fe foit formé un effaim, ou qu’un combat entre ces Reines ait décidé à laquelle appar- [ 192 Ï tiendroit le trône; mais, hors ce cas, il . ne peut jamais y avoir de Reines furnumé- raires, & fi un obfervateur en veut intro- duire une, ce n’eft que par la force quil y parvient, c’eft-à-dire, en ouvrant la ruche. En un mot, dans l’état naturel, jamais une Reine étrangère ne pourroit s’y glifler, & voici pourquoi. Les abeilles pofent & entretiennent nuit & jour une garde fuffifante aux portes de leur habitation : ces vigilantes fentinelles examinent tout ce qui fe préfente, & comme fi elles ne s’en fioient pas à leurs yeux feu- lement, elles touchent de leurs antennes flexibles tous les individus qui veulent péné- trer dans la ruche, & les diverfes fubftances qu’on met à leur portée, ce qui, pour le dire en paflant, ne permet guères de dou- ter que les antennes ne foient l’organe du ta, S'il fe préfente une Reine étrangère, les abeilles de la garde la faififlent à linf- tant; pour l’empècher d’entrer elles accro- chent avec leurs dents, fes jambes ou fes ailes , U 193 ] ailes, & ia ferrent de fi près entre leurs cercles qu’elle ne peut pas s’y mouvoir: peu- à-peu, il vient de l'intérieur de la ruche de nouvelles abeilles qui fe joignent à ce maffif & le rendent encore plus ferré; toutes leurs têtes font tournées vers le centre où la Reine eft renfermée, & elles s’y tiennent avec une telle apparence d’acharnement, qu’on peut prendre la pelotte qu’elles forment & la porter quelques momens fans qu’elles s’en apperçoivent ; il eft de toute impofhbilité qu’une Reine étrangère, enveloppée & ferrée fi étroitement, puifle pénétrer dans la ruche. Si les abeilles la retiennent trop long-temps prifonnière elle périt, & fa mort eft pro- bablement occafionnée ou par la faim ou par la privation d'air : il eft très-sür au moins qu’elle ne reçoit pas de coups d’ai- guillon : il ne nous eft arrivé qu’une feule fois de voir les dards dés abeilles fe tourner contre une de ces Reines emprifonnées, & ce fut par notre faute; touchés de fon fort, nous voulümes la tirer du centre de la N l'4 3 pelotte qui l’enveloppoit ; à l’inftant les abeil. les s'irritérent, lâchèrent toutes leurs aiguil- lons, & quelques coups portérent contre la malheureufe Reine, qui fuccomba. Il eft fi vrai que ces aiguillons n’étoient pas diri- _gés contrelle, que plufieurs ouvrières en furent percées elles - mêmes; & ce n’étoit . Certainement pas leur intention de fe tuer les unes les autres. Si donc nous n'avions pas troublé les abeilles de ce mafhf, elles fe feroient contentées de garder la Reine entrelles , & ne l’auroient pas maflacrée. Or, pour en revenir à M. Riems, c’eft dans une circonftance analogue à celle que je viens de décrire, qu’il a vü les ouvrières s’acharner à pouriuivre une Reine; il a cru qu’elles cherchoient à la percer de leurs dards, & il en a conclu que les abeilles communes étoient chargées de tuer les Rei- nes furnuméraires. Vous avez rapporté fon obfervation dans la Conteszplation de la na- ture (1); mais vous voyez, Monfieur, (1) Nouvelle édition, Part, XI, Chap. XX VII, note 7. FRS 11 d’après les détails dans lefquels je viens d'entrer, qu'il s’étoit mépris; il ne connoif- foit point lattention avec laquelle les abeilles obfervent ce qui fe pañle à l'entrée de leurs ruches, & il ignoroit abfolument les moyens qu’elles emploient pour empêcher les Reines furnuméraires d’y pénétrer. Après avoir bien conftaté, qu’en aucuns cas, les abeilles ouvrières ne tuent à coups d’aiguillon les Reines furnuméraires, nous fûmes curieux de favoir comment une Reine étrangère feroit reçue dans une ruche qui n’auroit point de Reine régnante ; nous fimes, pour éclaircir ce point, une multi- tude d'expériences dont les détails prolonge- roient trop cette lettre. Je n’en rapporterai ici que les principaux réfultats. | Lorfqu’on enlève la Reine d’une ruche, les abeilles ne s’en apperçoivent pas d’abord ; elles n’'interrompent point leurs travaux, elles foignent leurs petits, elles font toutes leurs opérations ordinaires avec la même tranquillité; mais au bout de quelques heu- | N ij É.586 1 res, elles s’agitent; tout paroit en tumulte dans leur ruche; on entend un bourdonne- ment fingulier ; les abeilles quittent le foin de leurs petits, courent aveë impétuofité fur la furface des gâteaux & femblent en délire; elles s’appercoivent donc alors que leur Reine n’eft plus au milieu d’elless Mais comment peuvent-elles s’en appercevoir ? Comment les abeilles qui font fur la furface d'un gâteau favent-elles que la Reine eft ou neft point fur le gâteau voifin? | En parlant d’un autre trait de lhiftoire de nos mouches, vous avez propolé vous- même ces queftions, Monfieur; je ne fuis aflurément pas en état d'y répondre encore, mais J'ai raflemblé quelques faits qui facili- teront peut-être aux naturaliftes la décou- verte de ce myftère. | Je ne doute point que cette agitation ne provienne de la connoiffance qu'ont les ouvrières de l’abfence de leur Reine, car dès qu'on la leur rend, le calme renaît au milieu d'elles à Pinftant même; & ce qu'il OS: PAS y à de bien fingulier, c’eft qu’elles ja recor. noiffent; prenez, Monfieur, cette expref- fion au pied de la lettre. La fubftitution d'une autre Keine ne produit point le même effet, fi elle eft introduite dans la ruche pendant les douze premières heures qui fui. vent l'enlèvement de la Reine régnante. Dans ce cas, lagitatior continue, & les abeilles traitent la Reine étrangère comme elles le font lorfque la préfence de leur pro- pre Reine ne leur laifle rien à défirer; elles la faififlent, l’enveloppent de toutes parts, la |. retiennent captive dans un maflif impéné- trable pendant un efpace de temps très-long, & pour l'ordinaire cette Reine y fuccombe, foit de faim, foit par l'effet de la privation de Pair. | Lorfqu’on a laiffé pañler dix-huit heures avant de fubftituer une Reine étrangère à la Reine régnante enlevée, elle y eft traitée d’abord de la même manière ; mais les abeil- les qui lavoient enveloppée fe laflent plus vite ; le maffif qu’elles forment autour d’elle N ii L 988, J n’eft bientôt plus auf ferré; peu-à-peu elles le difperfent; & enfin, cette Reine fort de captivité; on la voit marcher d’un pas foible & languiffant : quelquefois elle expire dans Pefpace de quelques minutes. Nous avons vüû d’autres Reines fortir bien portantes d’une prifon qui avoit duré dix-fept heures, & finir par régner dans les ruches où d’abord elles avoient été fi mal reçues. Mais fi on attend vingt-quatre ou trente heures pour fubftituer à la Reine enlevée une Reine étrangère, celle-ci fera bien accueillie , & régnera dès l'inftant où elle fera introduite dans la ruche (I). (x) Je parle ici du bon accueil , qu’aprés un inter- règne de 24 heures , les abeilles font à tonte Reine étrangère qu’on fubftitue à leur Reine naturelle. Mais comme ce mot d'accueil et affez vague, il convient d'entrer dans quelques détails pour déterminer le fens précis que je lui donne. — Le 1$ Août de cette année jintroduifis dans une de mes ruches vitrées une Reine féconde , âgée de onze mois. Les abeilles étoient privées de Reine depuis 24 heures, & pour réparer leur perte, elles avoient dejà commencé à conftruire douze cellules royales , de la forte de celles que j'ai décrites dans une CU 39% 1 Une abfence de vingt - quatre ou trente heures fuffit donc pour faire oublier aux abeil- les leur première Reine. Je m'interdis toute conjecture. . Cette lettre n’eft remplie que de defcrin- tions de combats, & de fcènes:lugubres: je devrois peut-être, en la terminant ;- vons - des lettres précédentes, — Au moment où je placai furle gâteau cette femelle étrangère , les ouvrières ‘qui {e trou- vérent. auprés d'elle , la touchèrent de leurs anteénnes,, pafsèrent leurs trompes fur toutes les parties de {on corps , & lui donnèrent du miel; puis elles firent place à d’autres qui la traitèrent exactement de la même ma nière. Toutes ces abeilles battirent des ailes à la fois, &Ae rangèrent en cercle autour de leur fouveraine. Il en réfulta une forte d’agitation qui fe communiqua peu- à-peu aux: ouvrières placées fur-les autres parties de cette même face du gâteau, & les détermina à venir reconnoitre à leur tour ce qui fe pafloit fur le lieu de la fcène. Elles arrivèrent bientôt, franchirent le cercle que les premières venues avoient formé , s'approchérent de la Reine, la touchèrent de leurs antennes, ui done nèrent du miel; & après cetre petite cérémonie fe recu- lerent , fe placerent derrière les autres , & grollirent le cercle. Là elles agitèrent leurs ailes, fe trémoufsèrent, fans defordre, fans tumulte, comme fi elles euffent éprouvé une fenfation qui leur fût très-agréable, — La Reine n’avoit pas quitté encore la place où je l’avois N iv fl: 20% donner la rélation de quelque trait d'une induftrie plus douce & plus intérefante, Cependant, pour w’avoir plus à revenir fur des récits de duels & de maffacres, je join drai encore ici mes :oblervations fur Le car- nage des males. mife, mais au bout d’un quart d'heure, elle fe mit à marcher. Les abeilles , loin de s’oppofer à fon mouve- ment, ouvrirent le cercle du côté où elle fe dirigéoit , la fuivirent, & lui bordérent la haie. — Elle étoit preflce du befoin de pondre, & laifloit tomber {es œufs. Enfin. après un féjour de quatre heures , elle commenga. à de: pofer des œufs de mâlés dans les grandes collules: 7. #encontra fur fon chemin. : Pendant que les faits que je viens de décrire fe paf foient fur la face du gâteau où j'avois placé cette Reine, tout étoit refté parfaitement tranquille fur la face oppo- fée : il femble que les ouvrières, qui fe trouvoient fur cette dernière, ignoraffent profondément l’arrivée d’une Reine dans teur ruche; elles travailloient avec beaucoup d'activité: à leurs cellules royales, comme fi elles euffent ignoré qu’elles n’en n’avoient plus befoin; elies foignoient les vers 1oyaux , leur apportoient de la gelée, :&e! &c. Mais enfin ia nouvelle Reine pañla de leur côté; elle fut recue de'leur part avec le même empreflement qu’elle avoit éprouve de leurs compagnes fur la premiere face ‘du gâteau; elles lui bordérent la haie, lui donnérent du miel, la touchérent de leurs antennes; & ce qui EVE | Vous vous rappelez, Monfieur, que tous les obfervateurs d’abeilles s'accordent à dire que, dans un certain temps de l'année, les ouvrières chaflent & tuent les faux - bour- dons. M. de Réaumur parle de ces exécu- tions comme dune horrible tuerie : à la vérité, il ne dit pas en propres termes qu’il SRE 27 | prouve encore mieux. qu’elles Îa traitérént en mére , c'eft qu'elles renoncérent tout de fuite à continuer les cellules royales, qu’elles enlevèrent les vers royaux, & mangérent la bouillie qu’elles avoient accumulée autour d'eux. Depuis ce moment la Reine fut’ reconnue de tout fon peuple, & fe conduifit dans fa nouvelle habi. tation comme elle eut fait dans fa ruche natale. : Ces détails me paroiffent donner une idee affez jufte de la maniere dont les abeilles reçoivent une, Reine étrangère , lorfqu’elles ont eu le temps d’oublier la leur. Elles la traitent exactement comme fi c’étoit leur Reine naturelle, à cela près que , dans le premier inftant, il y a peut-être plus de chaleur, ou, fi j’ofe parler ainfi, plus de démonfrrations. Je fens limproprièté de ces termes, mais M. de Réaumur les a en quelque forte confacrés : il ne fait aucune-difficulté de dire que les abeilles rendent à leur Reine des foins, des refpects , des hommages, & a fon exemple, ces mêmes expref. fions ont échappé à la plupart des auteurs qui ont parlé _des abeilles. L 30% | én ait été le témoin; mais ce que nous avons obfervé eft fi conforme à ce qu'il en raconte, qu'il n’elt pas douteux qu'il nait vü lui-même les particularités de ce maflacre: C’eft ordinairement dans les mois de Juillet & d'Août que les abeilles fe défont des mâles. On les voit alors leur donner là chaffe , les pourfuivre jufqu’au fond des ruches, où ils fe réuniflent en foule; & comme on trouve dans ce même temps une grande quantité de cadavres de faux - bour- dons für la terre au- devant des ruches, il ne paroiffoit pas douteux, qu'après leur avoir donné.la chaffe ju les abeilles ne les tuaffent à coups d’aiguillon. Cependant on ne les voit point employer cette arme contreux fur la furface des gâteaux; elles & conten- tent de les pourfuivre & de les en chäffer. Vous le dites vous-même, Monfeur, dans une des notes nouvelles que” vous avez ajoutées à la Contemplation de la nature (ETS ——. (1) Note 5, Chap. XXVI, Part. XI. Frees 7 & vous paroillez difpofé à croire que les faux - bourdons, réduits à fe retirer dans un coin de la ruche, y meurent de faim. Cette conjecture étoit très- vraifemblable ; cepen- dant il reftoit encore pofhible que le car- nage s’opérât dans le fond des ruches, & que jufqu'ici on ne füt pas parvenu à Py voir, parce que cette partie eft obicure & échappe aux yeux de lobfervateur. Âfin d'apprécier la juftefle de ce doute, nous imaginämes de faire vitrer la table qui fert de fond aux ruches, & de nous placer par deffous, pour voir tout ce qui fe pafle- roit dans le lieu de la fcène. Nous conftrui- simes une table vitrée, fur laquelle nous posämes fix ruches peuplées d'effaims de l'année, & en nous couchant fous cette table nous cherchàämes à découvrir de queile ma- nière les faux-bourdons perdoient la vie. Cette invention nous réuflit à merveille. Le 4 Juillet 1787, nous vimes les ouvrières faire un vrai maflacre des mâles, dans fix _ efaims, à la même heure, & avec les mêmes [ 204 ] particularités. La table vitrée étoit couverte d’abeilles qui paroifloïent très - animées, & qui s’élançoient fur les faux-bourdons à mefure qu’ils arrivoient au fond de la ruche; elles les faififloient par les antennes, les jambes, ou les ailes; & après les avoir tiraik lés, ou, pour aiufi dire, écartelés, elles les tuoient à grands coups d’aiguillons, qu’elles dirigeoient ordinairement entre les anneaux du ventre; linftant où cette arme redouta- ble les atteignoit étoit toujours celui de leur mort, ils étendoient leurs aîles & expiroient. Cependant, comme fi les ouvrières ne les euffent pas trouvés auf morts qu'ils nous le paroifloient, elles les frappoient encore de leurs dards, & fi profondément qu’elles avoient beaucoup de peine à les retirer : il falloit qu’elles tournaflent fur elles-mêmes pour réuflir à les dégager. | Le lendemain, nous nous mimes encore dans la même pofition, pour oblerver ces mêmes ruches, & nous fümes témoins de nouvelles fcènes de carnage. Pendant trois CRU 1 heures, nous vimes nos abeilles en furie tuer des mâles. Elles avoient maffacré la veille ceux de leurs propres ruches; mais ce jour-là, elles fe jetoient fur les faux -bonr- dons chaflés des ruches voifines, & qui venoient fe réfugier dans leur habitation. Nous les vimes aufh arracher des gâteaux quelques nymphes de mäles qui y reftoient ; elles fuçoient avec avidité tout ce qu'il y avoit de fluide dans leur abdomen, & les emportoient enfuite au - dehors. Le jour fui- vant ilne parut plus de faux - bourdons dans ces ruches. Ces deux obfervations me femblent déci- fives, Monfieur; il eft inconteftable que la pature a chargé les ouvrières du foin de tuer les mâies de leurs ruches, dans certains temps de l’année. Mais quel eft le moyen qu’elle emploie pour exciter la fureur des abeilles contre ces mâles? c’eft encore Ià une de ces queftions auxquelles je n’entre- prendrai point de répondre. J'ai cependant fait une obfervation qui pourra conduire un [2206 # jour à la folution du problème. Les abeilles : ne tuent jamais les mâles dans les ruches privées de Reines; ils y trouvent, au con-: traire, un afile afluré, dans les temps mêmes où elles en font ailleurs un horrible maf- facre ; ils y font alors foufferts, nourris, &. on y en voit un grand nombre, même au mois de Janvier. Ils font également con- fervés dans les ruches qui, n'ayant point de Reine proprement dite, ont parmi elles quel. ques individus de cette forte d’abeilles qui pondent des œufs de miles, & dans celles dont les KReines à demi-fécondes , fi je puis parler ainfi, n'engendrent que des faux-bour- dous. Le maflacre n’a donc lieu que dans Jes eflaims dont les Reines font compléte- ment fécondes, & ce n’eft jamais qu'après la faifon des effaims qu’il commence. Jai l'honneur d'être &c. ré LL 48097 1 PETTRE SEPTIÈME. Suite des expériences fur la manière dont les abeilles reçoivent une Reine etrangere : obfervations de A. de Réaumur [ur ce Jujet. Pregny le 30 Août 1791. Je vous ai fouvent dit, Monfieur, combien jadmirois les mémoires de M. de Réaumur fur les abeilles. Je me’ plais à répéter, que fi j'ai fait quelques progrès dans l'art d’ob- ferver, je les dois à l'étude approfondie des ouvrages de cet excellent naturalifte. En général, fon autorité me paroit fi forte que jen crois à peine, mes propres expériences, lorfque leurs réfultats différent de ceux qu'il a obtenus. Aufli, lorfque je me trouve en oppofition avec l'hiftorien des abeilles, je recommence mes obfervations , j'en varie les procédés, j'examine avec le plus grand foin toutes les circonftances qui pourroient [ 08 1 me faire illufion, & je n'interromps mon travail qu'après avoir acquis la certitude morale de ne m'être point trompé. A l’aide de ces précautions, j'ai reconnu la juitefte du coup-d’œil de M. de Réaumur, & jai vü , en mille occafions , que fi certaines expériences paroiflent le combattre, c’eft qu’elles font mal exécutées. J'en excepterai cependant quelques faits fur lefquels j'ai et conftamment un réfultat différent du fien. Ceux que j'ai expofés dans ma précédente . lettre, fur la manière dont les abeilles reçoi- « vent une Reine étrangère à la place de celle | a laquelle elles étoient accoutumées, font : de ce nombre. Lorfqu’après avoir enlevé la Reine d’une ruche, je lui fubftituois, fur le champ, une Reine étrangère, les abeilles recevoient mal cette ufurpatrice ; elles la ferroient, l’enve- loppoient, & fouvent finifloient par létouf- fer. Je ne pus réuflir à leur faire adopter une Reine nouvelle qu’en attendant vingt ou vingt-quatre heures pour la leur donner. | Au [ 209 ] Au bout de ce temps, elles paroiïffoient avoir oublié leur propre Reine, & recevoient avec refpet toute femelle qu'on mettoit à fa place. M. de Réaumur dit, au contraire, que fi on enlève aux abeilles leur Reine, & qu’on leur en préfente une autre, la Reine nou- velle fera au moment même parfaitement bien reçue. Pour le. prouver, il rapporte tous les détails d’une expérience, qu'il faut lire dans l'ouvrage même (1); je n’en don- nerai ici que l'extrait : il fit fortir de leur ruche natale quatre ou cinq cens abeilles, & il les détermina à entrer dans une boîte vitrée, vers le haut de laquelle il avoit fixé un petit gâteau ; il vit d’abord ces mouches sagiter beaucoup : pour les calmer, ou les confoler, il eflaya de leur offrir une Reine nouvelle. Dès cet inftant le tumulte cefla, & la Reine étrangère fut reçue avec tout . refpect. e Je ne contefte pas le réfultat de cette (1) Edition in-4°, Tom. Y , pag. 258. (@) Et 910 1 | expérience; mais, à mon avis, elle ne prouve pas la conféquence que M. de Réau- mut en tire : l'appareil quil y a employé éloignoit trop les abeilles de leur fituation naturelle, pour qu'il püt juger de leur inftin@ & de leurs difpofitions. Il a vu lui- même, en d’autres circonftances, que ces mouches réduites à un petit nombre per- doient leur induftrie, leur activité, & ne fe livroient qu’'imparfaitement à leurs travaux ordinaires. Leur inftin@ eft donc modifié par toute opération qui les réduit à un trop petit nombre. Pour que l'expérience fut vraiment concluante, il falloit donc l’exé- cuter dans une ruche bien peuplée, enlever à cette -ruche fa Reine natale, & lui en fabftituer à linftant même une étrangére ; je luis perfuadé que, dans ce cas, M. de Réaumur auroit vû les abeilles emprifonner Pufurpatrice, la ferrer entre leurs cercles pendant quinze ou dix-huit heures au moins, & finie fouvent par létouffer. Ilr’auroit vù faire d'accueil à une Reine étrangère, que É: SEE ] Jorfqu’il auroit attendu vingt - quatre heures à lintroduire dans la rt , après lenlève. ment de la Reine natale. Je n'ai eu à cet égard aucune variation dans le réfultat de mes expériences. : leur nombre, & l'atten- tion avec laquelle je les ai faites, me font préfumer qu’elles peuvent mériter votre confiance. Dans un autre endroit du mémoire que jai déjà cité (1), M. de Réaumur affirme que es abeilles qui ont une Reine dont elles font contentes, font cependant difhofees à faire le moilleur accueil à une femelle étran- gère qui vient chercher‘ un afile parmi elles. Je vous ai raconté, Monfieur, mes expé- riences fur ce fait, dans. ma lettre précé- dente ; elles ont eu un fuccès très - différent ce celui de M. de Réaumur. Jai prouvé que les ouvrières n’emploient jamais leur aiguillon contre aucune Reine, #rais il s’en faut bien qu’elles faflent un bon accueil à - " : r : = a Ur) Page 267. O ij Re une femelle étrangère; elles la retiennent ferrée au tuilieu d’elles, la preffent entre leurs cercles, & ue paroiflent lui laiffer de liberté que lorfqu’elle s'apprête à combattre ja Reine régnante. Mais on ne peut faire cette obfervation que dans nos ruches les plus minces. Celles de M. de Réaumur avoient toujours au moins deux gâteaux parallèles ; & par cette difpofition, il napu : voir quelques circonftances très - importantes qui infuent fur la conduite que tiennent les “ouvrières , lorfowon leu donne plufieurs femelles. Il a pris pour des carefles les cer- cles que les onvrières forment d’abord à Ventour d'une Reine étrangère; & pour peu que cette Reine fe foit avancée entre les gateaux, il lui aura été impofñlible de voir que ces cercles, qui fe rétrécifloient toujours davantage, finifloient par gêner beaucoup Jes mouvemens de la femelle qui y étoit renfermée. Si donc il avoit employé des ruches plus minces, il auroit reconnu que ce qu'il prenoit pour les fignes d’un bon [ 215 1 accueil, n’étoit que le prélude d'un véritable emprifonnement, Je répugne à dire que M. de Réaumur s’eft trompé ; cependant je ne puis admettre avec lui, qu’en certaines occalions, les abeil- les fouffrent dans leurs ruches une plutalité de femelles. L'expérience fur laquelle il fonde cette affertion ne peut pas être regardée comme décitive. Il fit entrer au mois de Décembre une Reine étrangère dans une ruche vitrée, placée dans fon cabinet, & il l'y enferma. Les abeilles ne pouvoient pas en rien emporter au dehors, cette étrangèré y fut bien reçue, {a préfence retira les ou- vrières de l’état d'engourdifflement où elles étoient alors, & où elles ne retombèrent plus. Elle n’excita point de carnage; le nombre des abeilles mortes qui étoient au fond de la ruche n’augmenta pas fenfible- ment, & il ne s’y trouva point de cadavres de Reïines. Pour que l’on püttirer de cette -obiervation quelque conféquence favorable à O ii [ 214 ] | ‘la pluralité des Reïnes , il faudroit s’être affuré qu'au moment où on introduifit la Reine nouvelle dans la ruche, elle avoit encore fa Reive natale ; or, l'auteur négligea cette pré- caution, & il eft très - vraifemblable que Îa ruche dont il parle avoit perdu fa Reine, puifque les abeilles y étoient languiflantes , & que la préfence d’une Reine étrangère leur rendit leur activité. J'efpère, Monfieur, que vous me pardon. nerez cette légère critique ; loin de chercher des fautes dans les ouvrages de notre céle. bre Réaumur, j'ai eu le plus grand plaifir lorfque mes obfervations fe font accordées avec les fiennes; & beaucoup plus encore lorfque mes expériences ont juftifié fes con- jeures. Mais jai du indiquer les cas où Pimperfeétion de fes ruches la induit en erreur, & expliquer par quelles raifons je n'ai pas vù certains faits de la même ma- nière que lui; je defiresfurtout de mériter votre confiance, & ie n'ignore pas qu'il me CÉSIr: ] faut de plus grands ‘efforts lorfque j'ai à combattre lhiftorien des abeilles. Je m'en rapporte à votre jugement, Monfieur, & vous prie d’agréer laflurance de mon ref pect, &c. [{ 216 ] Le nent eotpen— 7 Sea 222 0 EEE 2 RE LETTRE HUITIÈME La Reine abeille efi- elle ovipare? Quelle ef influence de la grandeur des cellules où fes œufs font depofés fur la taille des mouches qui en proviennent ? Recherches fur la nanière dont des vers des abeilles filent le foye de leurs coques. Pregny le 4 Septembre 1791. Je raffemblerai dans cette lettre, Monfieur, quelques obfervations ifolées, rélatives à di. vers traits de l’hiftoire des abeilles dont vous avez defiré que je m’occupafe. Vous m'avez invité à chercher fi la Reine eft réellement ovipare. M. de Réaumur n’a point décidé cette queftion : il dit même qu'il n’a jamais vû éclorre de ver d'abeille; il affure feulement qu’on trouve des vers dans les cellules, où, trois jours auparavant, des œufs avoient été dépolés. Vous .com- - preuez, Monfieur, que pour faifir le moment | { 217 ] où le ver fort de l'œuf, il ne faut pas fe bor- ner à l’obferver dans l’intérieur des ruches, parce que lemouvement perpétuel des mou- ches ne permet pas de diftinguer afflez pré. cifément ce qui fe pañle au fond’ des alvéo- les. Il faut retirer ces œufs, les placer fur une lame de verre au foyer du microfcope, & veiller avec attention fur tous les change. mens qu’ils éprouvent. Il eft encore une autre précaution à pren- dre : comine il faut aux vers, pour éclorre, un certain degré de chaleur, fi on en privoit les œufs trop-tot, ils fe deflécheroient & périroient. Le feul moyen de réuflir à voir Pinftant où le ver fort de l’œuf, confifte donc à veiller la Reine lorfqu’elle pond, à mar- quer Îles œufs qu’elle vient de dépofer de quelque figne reconnoiflable, & à ne les enlever de la ruche, pour les placer fur une lame de verre, qu’une heure ou deux avant les trois jours révolus, Il eft très-certain alors que les vers écloront, attendu qu'ils auront joui le plus long-temps poñible de L 218 ] toute la chaleur qui leur eft néceflaire. Tel . eft le procédé. que j'ai fuivi. En voici main- tenant lé réfultat. | +1) Nous enlevames au mois d’Août quelques cellules, dans lefquelles étoient des œufs. pondus trois jours auparavant ; nous retran- châmes les pans de tous ces alvéoles, & nous fixâmes fur une lame de verre la pièce du fonds pyramidal, où les œufs étoient implantés. Bientôt nous vimes de légers mou- . vemens d’inclinaifon & de redreflement dans … lun de ces œufs; au premier moment, la, loupe ne nous faifoit rien appercevoir fur | la furface de l'œuf qui fut organifé; le ver. étoit pour nous entiérement caché fous fa . pellicule : nous le plaçämes alors au foyer d'une lentille très-forte; mais, pendant que. nous préparions cet appareil, le jeune ver rompit la membrane qui l’emprifonnoit, & fe dépouilla d’une partie de fon enveloppe : nous la vimes déchirée & chiffonnée fur. quelques parties de fon corps, & plus par- ticuliérement fur fes derniers anneaux : le 1e Di lver, par des mouvemens affez vifs, fe cour- boit & fe redrefloit alternativement ; il Jui ‘fallut vingt minutes de travail pour achever de jeter fa dépouille ; fes grands mouvemens cefsèrent alors, il fe coucha, fe contourna en arc, & parut dans cette polition prendre un repos dont il avoit befoin. Ce ver pro- venoit d’un œuf pondu dans une cellule d'ouvrière, & feroit devenu une ouvrière lui - même. | Nous nous rendimes enfuite attentifs au moment où un ver de mâle devoit éclorre. Nous l'exposämes au foleil fur une lame de verre : en le regardant avec une bonne lentilie, nous découvrimes neuf des anneaux du ver fous la pellicuie tranfparente de Peœuf; cette membrane étoit encore entière; le ver étoit complétement immobile. Nous diftin- guions Îur fa furface les deux lignes longi- tudinales des trachées, & un grand nombre de leurs ramifications. Nous ne perdiumes pas de vue cet œuf un feulinftant, & pour cette fois nous faisimes les premiers in ou- T 220 ] vemens du ver. Le gros bout fe courboit., fe redrefloit alternativement , & touchoit prefque le plan où la pointe étoit fixée. Ces efforts opérèrent d’abord le déchirement de la membrane dans la partie fupérieure près de la tête, puis fur le dos, & enfin fuccef. fivement dans toutes les parties. La pellicule chiffonnée reftoit en paquets fur divers en- droits du corps du ver: elle tomba enfuite, Quelques obfervateurs ont dit que les ouvrières rendoient des foins aux œufs que pond leur Reine avant que le ver en füt forti, & il eft vrai qu’en quelque temps qu’on vilite une ruche, on voit toujours des ou- vrières qui tiennent leur tête & leur thorax enfoncés dans les cellules où il y a des œufs, & qui reftent immobiles dans cette pofition piufieurs minutes de fuite. Il eft impoflible de voir ce qu'elles y font, parce que leur corps cache abfolument l'intérieur des cellu- les. Mais il eft facile de s’aflurer que, lorf- qu’elles prennent cette attitude , elles ne s’occupent point à foigner les œuis. Si l'on E 9 ] enferme dans une boîte grillée des œufs au moment où la Reine vient de les pondre, & qu'on les place enfuite dans une ruche forte, pour qu’ils y ayent le-degré de cha- leur qui leur eft néceffaire, les vers éclo- fent au temps ordinaire comme fi on les eût laiflés dans les cellules. Ils n’ont donc pas befoin pour éclorre que les abeilles ren- dent aux œufs dont ils fortent aucuns foins paiticuliers. Jai lieu de croiré que, lorfque les ou- vrières entrent dans les cellules la tête Ja première, & y reltent fans mouvement pen- dant quinze ou vingt minutes, c’eft unique- ment pour s’y repofer de leurs courfes & e leurs fatigues. Les obfervations que jai faites fur ce fujet me femblent très - pré. cifes. Vous favez, Monfieur , que les abeil. les conftruifent quelquefois des efpèces de cellules de forme irrégulière contre les vitres de leur ruche; ces cellules, qui font vitrées d’un côté, deviennent très - commodes pour Vobfervateur , puilqwelles permettent de U 20%. 1 voir tout ce qui fe pafle dans leur intérieur. Or, jai vü fréquemment des abeilles y- entrer dans des momens où rien ne pouvoit les y attirer; c’étoient des cellules où il ne reftoit plus rien à finir, & qui cependant ne contenoient ni œufs ni miel. Les ouvriè- res ne venoient donc: s'y placer que pour y jonir de quelques inftans de repos. En eflet, elles y reftoient vingt ou vingt-cinq minutes , dans une telle immobilité qu’on auroit pù croire qu’elles étoient mortes, fi la dilatation de leurs anneaux n’avoit pas montré qu’elles refpiroient encore. Ce be. foin de repos n’eft pas particulier aux ouvrières feules : les Reines entrent auff quelquefois la tête la première dans les gran- des cellules à mâles, & y reftent très-long- temps immobiles. L’attitude qu’elles y pren- nent ne permet pas trop aux abeilles de leur rendre des hommages ; cependant, même dans ces circonftances , les ouvrières ne laif fent pas de faire le cercle autour d'elle, & de brofler la partie de leur ventre qui refte à découvert. 283 71 Les faux- bourdons n'entrent pas dans les cellules, quand ils veulent fe repofer ; mais ils s’accumulent, fe ferrent les uns . contre les autres fur les gâteaux, & confer- vent quelquefois cette fituation pendant dix- huit ou vingt heures, fans prendre le plus léger mouvement. Il eft donc sèr que la Reine eft ovipare. Comme ïl importe dans plufieurs expé- riences de connoître exactement le temps que _ vivent Îes trois fortes de vers des abeilles, avant de prendre eur dernière forme, Je joindrai ici mes obfervations particulières fur ce fujet. Ver d’onvrières. Trois jours dans Pétat d'œuf : cinq jours dans l'état de ver, au bout defquels les abeilles ferment fa cellule d'un couvercle de cire : le ver commence alors à filer fa coque de foie, il emploie trente-fix heures à cet ouvrage : trois jours après, il fe métamorphole en nymphe, & pale fept jours & demi fous cette forme ; [ 224 ] il n'arrive donc à fon dernier état, celui de mouche , que le vingtième jour de fa vie, à dater de linftant où l'œuf dont il fort a été pondu. Le ver royal pafle également trois jours fous la forme d'œuf, & cinq fous celle de ver : après ces huit jours, les abeilles fer- ment fa cellule, & il commence tout de fuite à y filer fa coque, opération qui l’oc- cupe vingt-quatre heures : il refte dans un parfait repos le dixième & le onzième jour, & même les feize premières heures du dou- zième; à cette époque il fe transforme en nymphe, & pale quatre jours & un tiers fous cette forme. C’eft donc dans le feizième jour de fa vie qu’il arrive à l'état de Reine parfaite. Le ver #üäle. Trois jours dans l'œuf: fix & demi fous forme de ver : il ne fe méta- morphofe en mouche que le vingt-quatrième jour après fa naiflance : je date également du jour où l'œuf dont il fort a été pondu. Les vers d’abeilles font apodes ; cependant ils ne font point condamnés à une immobi- lité | [ 22$ 7 lité complète dans leurs cellules : ils s’y avan. cent en tournant en fpirale. Ce mouvement fi lent dans les trois premiers jours, qu'il eft à peine reconnoiflable, devient enfuite plus facile à diftinguer ; jai vü ces vers faire alors deux révolutions entières dans Pefpace d'une heure trois- quarts. Loriqu’ils s’approchent du terme de leur métamor- phofe, ils ne font plus qu’à deux lignes de lorifice de la cellule. L’attitude qu'ils y pren- nent eft toujours la même; ils y font con- “tournés en arc. Îl réfulte de cette poftion que, dans les cellules horifontales , telles que les cellules d’ouvrières, & les cellules de faux - bourdons, les vers font placés perpen- diculairement à lhorilon; & qu’au contraire, dans les cellules perpendiculaires à l'horilon, telles que le font les cellules royales, les vers font placés horifontalement. On pour- toit croire que cette différence de polition a une grande influence fur laccroiliement des différens vers d’abeilles, & cependant élle n’en a point. En tournant des gâteaux P Fe" 1 qui contenoient des cellules communes rein- plies de couvain, j'ai obligé les vers à fe contenter d’une fituation horifontale, & leur développement n’en a point fouffert : j'ai retourné auf des cellules royales, de ma- nière que les vers royaux qu’elles renfer- moient fuflent placés verticalement, & leur accroiflement n’en a été ni moins rapide ni moins partait. | Je me fuis beaucoup occupé de la ma- nière dont les vers d’abeilles filent la foie de leurs coques, & j'ai vü à cet égard des païticularités qui m’ont paru également neu- ves & intéreffantes. Les vers d’osvrières & ceux de szûles fe filent dans leurs cellules des coques complètes, c’eft-à-dire, qui font fermées à leurs deux bouts, & qui envelop- pent tout leur corps; les vers royaux, au contraire, ne filent que des coques incom- plètes, c’eft-à-dire, qui font ouvertes à leur partie poftérieure, & qui n’enveloppent que la tête, le thorax & le premier anneau de abdomen. La découverte de cette différence A or daris la forme des coques, qui au bremiet coup-d’œil peut paroïître minutieufe, m'a fait cependant, un extrême plaifir, parce qu’ellé montre évidemment Part admirable avec lequel la nature fait correfpondre enfemble les différens traits de l’induftrie des abeilles. = Vous vous rappelez, Monfieur, les preu- ves que je vous ai données de laverfon qu'ont les Reines les unes contre les autres, des combats qu’elles fe livrent, & de Fachar- nement avec lequel élles cherchent à fe détruire. Lorfqu'il y a plufieurs nymphes royales dans une ruche, celle qui fe trans- forme la première en Reine fe jette fur les autres & les perce à coups. d'aiguillon. Or, elle ny réufliroit pas fi ces nymphes étoient enveloppées d’une coque complète. Pour- quoi? parce que la foie que filent les vers eft forte, que la coque eft d’un tiflu ferré, & que laiguillon ne pénétreroit pas ; ou s’il y pénétroit, la Reine ne pourroit point Pen retirer , parce que es barbes du dard s’arréteroient dans les mailles de cette coque ; F Pi | 278] & elle périroit elle-même vidtime de fa propre fureur. Ainfi donc, pour qu’une Reine parvint à tuer fes rivales dans leurs cellules, il falloit qu’elle y trouvât leurs parties pof- térieures à découvert; les vers royaux ne devoient donc {e filer que des coques incom- plètes : remarquez, je vous prie, que c’étoient bien leurs derniers anneaux qu'ils devoient laifler à nud, car c’eft la feule partie de leur corps que laiguillon puifle attaquer; la tête & le thorax font revèêtus de lames écailleufes continues que cette arme ne pé- nétre point. Jufqu’ici, Monfieur, les obfervateurs nous avoient fait admirer la nature, dans les foins qu’elle s’eft donnée pour la confervation & ja multiplication des efpèces; mais dans le fait que je raconte, il faut admirer encore les précautions qu’elle a prifes pour expofer certains individus à un danger mortel. Les détails où je viens d’entrer indiquent donc clairement la caufe finale de Pouver- ture que les vers zoyawx laiflent à leurs [ 229 coques, mais ils ne nous montrent pas f c’elt pour obéir à un inftinct particulier qu'ils laiflent cette ouverture, ou bien parce que l'évafement de leurs cellules ne leur permet pas de tendre des fils dans la partie fupé. rieure. Cette queftion m'intérefloit beaucoup. Le feul moyen de la décider étoit d’oblferver les vers pendant qu'ils filent, mais on ne le pouvoit pas dans leurs cellules opaques: Jimaginai donc de les en déloger, & de les introduire dans des portions de tubes de verre, que javois fait fouffier de manière 2 imiter parfaitement la forme des différentes fortes d’alvéoles. Le plus difficile étoit de les tirer de leur habitation, & de les placer dans ces nouveaux domiciles Mon lecteur fit cette opération avec beaucoup d’adreffe; il ouvrit dans mes ruches plufieurs cellules royales fermées ; il choifit le moment où nous favions que les vers alloient commen- cer leurs coques; il les prit délicatement, & fans qu’ils en fouffriflent, il en introduifit un dans chacune de mes cellules de verre. P iij [ 230 3 Bientôt nous les y vimes fe préparer à ouvrage : ils commencèrent par étendre la partie antérieure de leur corpsen ligne droite, en laiflant roulée leur partie poltérieure ; celle-ci formoit donc une courbe dont les parois longitudinales de la cellule étoient les tangentes , & lui fourniffoient deux points d'appui. Suffifamment foutenus dans cette fituation , nous les vimes approcher leur tête des différens points de la cellule aux- quels ils pouvoient atteindre, & en tapifler la furface d’une couche de foie épaiffe. Nous remarquämes qu'ils ne tendoient point leurs fils d’une parois à l’autre, @ que même ils ne le pouvoient pas, parce qu’obligés pour fe foutenir de tenir roulés leurs anneaux poftérieurs , la partie libre & mobile de leur corps n'eft plus aflez longue pour que leur bouche puifle aller placer des fils fur les deux parois diamétralement oppotées. Vous n'avez pas oublié, Monfieur, que les cel- lules royales ont la forme d’une pyra- mide dont la bafe eft aflez large, aflez Cor : ] évalée, & dont la pointe eft longue & ramincie. Ces cellules font placées verticale ment dans les ruches , la ba en- haut, & la pointe en-bas. Dans cette poltion, vous comprenez que le ver royal ne peut fe foutenir dans fa cellule, que lorfque la cour- bure de fa partie poftérieure lui fournit deux points d'appui, & qu'il ne peut trouver cet appui qu’autant qu’il refte dans la partie infé- rieure, ou vers la pointe. Si donc il vouloit monter pour filer vers le bout évafé de la cellule, ilne pourroit pas atteindre en même temps fes parois oppofées, parce qu’elles feroient trop éloignées l’une de Pautre, il ne pourroit pas toucher d’une part avec fà queue & de l’autre avec fon dos : il tom. beroit donc : je m'en fuis afluré très-politi- vement, en plaçant quelques vers royaux dans des cellules vitrées trop larges, & dont le plus grand diamètre s’étendoit plus vers la pointe qu’il ne le fait dans les cellules ordinaires : ils n’ont pù s’y foutenir. | Ces premières expériences ne me permets P iv Em 1] toient pas de fuppofer un inftin@t particulier dans les vers royaux; elles me prouvorent que s'ils filent des coques incompiètes, c’eft qu'ils y font obligés par la forme de leurs cel. lules. Cependant je voulus avoir une preuve plus directe encore. Je fis placer des vers de cette même forte dans des cellules de verre cylindriques, ou fimplement dans des por- tions de tubes qui imitent les ceilules ordi. naires, & jeus le plaifir de voir cés vers fe filer des coques complètes, aufli bien que le font les vers d'ovrieres. Enfin, je plaçai des vers communs dans des cellules de verre fort évafées, & ils y laifsèrent leur coque ouverte. Il eft donc démontré que les vers royaux & les vers d’ouvrières ont exactement le même inftinct, la même induftrie, ou en d’autres termes, que, placés dans les mêmes circonftances, ils fe conduifent de la même manière, J'ajou- terai ici que les vers royaux , logés artifi. ciellement dans des cellules d’une telle forme qu’ils puiflent fe filer des coques complètes, [ 233 ] | ÿ fubiflent egalement bien toutes leurs mé. _tamorphofes. L'obligation que la nature leur a impofée de laifler une ouverture à leurs coques, n’eft donc pas néceflaire à leur dé- veloppement, elle n’a donc d'autre but que de les expofer au danger certain de périr fous les coups de leur ennemi naturel : obfervation neuve & vraiment fingulière. Pour achever Phiftoire des vers d’abeilles, je dois rendre compte des expériences que jai faites fur le changement qu’apporte à leur taille la grandeur des cellules où ils vivent. C’eft à vous, Monfieur, que je dois l'indication des expériences qu’il y avoit à faire fur cet intéreflant fujet. Comme il fe trouve fouvent, dans les ru- ches, des mâles plus petits que ne doivent l'être les individus de cette forte, & quel- quefois aufli des Reines qui n’ont pas toute la grandeur qu’elles devroient avoir , il étoit curieux de déterminer en général jufqu’à quel point la grandeur des cellules dans Jelquelles les abeilles ont pañlé leur premier [ 234 ] age influe fur leur taille. C’eft dans ce but que vous nravez confeillé d’ôter d’une ruche tous les gâteaux compolés de cellules com- munes, & de n'y laifler que ceux qui font compofés de grands alvéoles. Il étoit évi- dent que fi les œufs d’abeilles communes, que la Reine pondroit dans ces grandes cel- lules, donnoient naiflance à des ouvrières d’une plus grande taille, il faudroit en con- clure que la grandeur des alvéoles avoit une influence marquée fur celle des abeilles. La première fois que je fis cette expé- rience elle n’eut pas de fuccès, parce que les teignes fe mirent dans la ruche que j'y avois confacrée, & découragèrent mes abeil- les : mais je la répétai enfuite, & le réfultat en fut aflez remarquable. Je fis enlever dans lune de mes plus . belles ruches vitrées tous les rayons com- pofés de cellules communes, je n’y laiffai que les gâteaux compolés de cellules à faux- bourdons, & afin qu'il n’y eut point de place vacante , jy en fis placer d’autres encore de | [423$ :1 la même forte. C'étoit au mois de Juin, c’eft-à-dire, dans le temps de l’année le plus favorable aux abeilles. Je m'’attendois que ces mouches répareroient bien vite le défor- dre que cette opération avoit produit dans ‘leur ruche, qu’elles travailleroient aux bré- ches que nous avions faites, qu’elles lieroient les nouveaux rayons aux anciens, & Je fus très-furpris de voir qu’elles ne fe mettoient point à l'ouvrage. Je les obfervai pendant quelques jours, dans Pefpérance qu’elles re- prendroient de l’activité. Mais cette efpérance fut encore trompée. Les abeilles ne cefloient pas, à la vérité, de rendre des refpeëts à leur Reine, mais à cela près leur conduite étoit abloiument différente de celle qu’elles ont à Vordinaire : elles reftoient entaflées fur Îles gâteaux fans y exciter de chaleur fenfble ; un thermomètre placé au milieu d'elles ne monta qu'à 22°. quoiqu'il füt à 20 à l'air extérieur. En un mot, elles me paroiffoient être dans le plus profond découragement, La Reine elle-même, qui étoit trés- [ 1236 J féconde, & qui devoit fe fentir preflée du befoin de pondre, héfita long-temps avant. de dépofer fes œufs dans les grandes cellu- les, elle les lailoit tomber plutôt que de les pondre dans des alvéoles qui n’étoient point faits pour eux. Cependant, le fecond jour nous en trouvâmes fix qu’elle y avoit dépofés affez régulièrement. Trois jours après les vers en étoient éclos, & nous les fuivimes pour en connoitre l’hiftoire. Les abeilles commencèrent par leur donner de la nourriture, elles n’étoient pas fort em- preflées dans ce travail, cependant je ne défefpérai point qu’elles ne continuaffent à les élever. Je me trompois encore, car dès le lendemain tous ces vers difparurent, & les cellules où nous les avions vus la veille étoient vuides. Un morne filence régnoit dans la ruche, il n’en fortoit qu’un très- petit nombre d’abeilles, celles qui revenoient ne rapportoient pas de pelottes de cire fur leurs jambes. Tout étoit froid & inanimé. Pour leur redonner un peu de mouvement, ce L237. 4 jimaginai de placer dans leur ruche un gâ. teau compolé de petites cellules, & rempli de couvain de mâles de tout âge. Les abeil- les, qui s’étoient obftinées pendant douze jours à ne pas vouloir travailler en cire, ne s’occupérent point à fouder ce nouveau rayon avec les leurs; cependant leur induftrie fe réveilla, & leur fit employer un procédé que je ne prévoyois point : elles fe mirent à enlever tout le couvain qui étoit dans ce gâteau, elles en nettoyèrent parfaitement toutes les cellules, & les rendirent propres à recevoir de nouveaux œufs ; je ne fais fi elles avoient Pefpérance que leur Reine vien- droit y pondre, mais ce qu’il y a de sur, c’eft que fi elles s’en étoient flattées, elles ne fe trompérent point : de ce moment, la femelle ne laiffa plus tomber fes œufs, elle vint fe fixer fur Île nouveau gâteau, & y pondit une telle quantité d'œufs, que nous en trouvâmes cinq ou fix enfemble dans plufieurs cellules. Je fis enlever alors tous les gâteaux compofés de grands alvéoles, pour [ ‘238 1 mettre à leur place des rayons à petites cel- lules, & cette opération acheva de rendre à mes abeilles toute leur activité. Les circonftances de ce fait me paroïflent dignes d'attention; elles prouvent d’abord que la nature n’a pas laiflé à la Reine abeille le choix de la forte d'œufs qu’elle a à pon- dre, elle a voulu que dans un certain temps de l’année cette femelle pondit des œufs de . mâles, dans un autre temps des.œufs d’ou- vrières, & elle ne lui a point permis d’in« tervertir. cet ordre. Vous avez vü, Mon- fieur, dans la Lettre III, qu’un autre fait m'avoit déjà conduit à la même conféquence, & comme elle me paroit fort importante, j'ai été charmé de la voir confirmée par une nouvelle obfervation. Je répète donc que les œufs ne font pas mêlés indiitinétement dans les ovaires de la Reine, mais qu’ils ont été arrangés de manière à ce que, dans une cer- taine failon, elle ne doit en pondre que d’une feule forte. Ce feroit donc en vain que dans le temps de l’année où cette Reine [ 239 ] doit pondre des œufs d’ouvrières, on vou- droit la forcer à pondre des œufs de faux: bourdons en rempliffant fa ruche de grandes cellules, car nous voyons par lexpérience que Je viens de décrire, qu’elle aimera mieux laifler tomber fes œufs d’ouvrières au hafard que de les placer dans des alvéoles qui ne font pas faits pour eux, & qu'elle ne pon- dra point d'œufs de mâles. Je ne me laifle point aller au plaifir d'accorder à cette Reine du difcernement ou de la prévoyance, car d'ailleurs japperçois une forte d’inconfé- quence dans fa conduite. Si elle fe refufoit à pondre des œufs d’ouvrières dans de gran- des cellules, parce que la nature lui a appris que la grandeur de ces berceaux n’eft pas proportionnée à la taille ou aux befoins des vers communs, pourquoi ne lui auroit-elle pas également appris qu’elle ne devoit pas pondre plufieurs œufs dans le même alvéole ? Il paroifloit bien plus facile d'élever un feul ver d’ouvrière dans une grande cellule, que d'en élever plufieurs de la même forte dans [ 240 ] un petit alvéole. Le prétendu difcernement de la Reine abeille n’eft donc pas fort éclairé. Le trait d’induftrie qui brille le plus ici, c’eft celui des abeilles communes de cette ruche, Lorfque je leur donnai un rayon compoté de petites cellules, rempli de cou- vain mâle, leur activité fe réveilla; mais au lieu de s'appliquer aux foins qu’exigeoit ce couvain, comme elles s’en feroient occupées dans toute autre circonftance, elles détrui- firent tous ces vers, toutes ces nymphes, net- toyèrent leurs cellules, afin que fans aucun retard leur Reine tourmentée du befoin de pondre put y venir dépoler fes œufs. Si on pouvoit leur fuppofer du raifonnement ou du fentiment, ce fait feroit une preuve inté- reffante de leur affettion pour leur femelle. L'expérience dont je viens de vous donner le long détail n'ayant pas rempli le but que je me propofois, de déterminer l'influence qu'a la grandeur des cellules fur la taille des vers qui y naïflent, j'imaginai une autre expé- rience qui fut plus heureufe. Je [ 241 ] Je choifis un gâteau de grandes cellules qui contenoient des œufs & des vers de mâles. Je fis enlever tous ces vers de deflus leur bouillie, & mon lecteur mit à leur place ” des vers âgés d’un jour pris dans des cellules d’ouvrières, puis il donna ce gâteau à foigner aux abeilles d’une ruche qui avoit fa Reine. Les abeilles n’abandonnèrent point ces vers déplacés, elles fermèrent les cellules qui les contenoient d'u couvercle prefque plat, clôture bien différente de celle qu’elles pla- cent iur les cellules de mâles; ce qui prouve, pour le dire en pañant, que quoique ces vers habitaflent de grands alvéoles, elles avoient fort bien diftingué qu'ils n’étoient pas des vers de faux -bourdons. Ce gâteau refta dans la ruche pendant huit jours, à dater du moment où les cellules furent fer- mées. Je le fis enlever enfuite pour viliter les nymphes qu'il contenoit. C'étoient bien des nymphes d’ouvrières, elles nous paru- rent plus ou moins avancées, mais pour la grandeur & pour la forme elles étoient tou. Q [ 242 TJ tes parfaitement femblables à celles qui pren- nent leur accroifflement dans les plus petites: cellnles. Yen conclus que les vers d’ouvriè- res ne prennent pas plus d’extenfion dans les grands alvéoles que dans les petits. J’ajou- terai méme, que quoique je n’aye fait cette expérience qu’une feule fois, elle me paroit décifive. La nature qui a appelé les ouvrières a vivre fous leur forme de ver, dans des cellules d’une certaine dimenfon, a voulu fans doute qu’elles y reçuflent tout le déve- loppement auquel elles devoient parvenir, elles y trouvent tout l’efpace qu’il faut pour la parfaite extenfion de tous leurs organes: un plus grand efpace leur feroit donc inutile à cet égard ; elles ne doivent donc pas pren- dre.une taïlle plus grande dans les cellules plus fpacieufes que celles qui leur font def- tinées. S'il fe trouvoit dans les gäteaux quel. ques cellules. plus petites que les cellules communes, & que la Reine y pondit des œufs d’ouvrières, il eft vraifemblable que les abeilles qui y feroient élevées n’y acquerroient & [243 ]: qu'une taille inférieure à œlle des abeilles communes , parce qu’elles y feroient génées : mais il ne réfulte pas de-là qu’un alvéole plus élargi doive leur donner une taille extraordinaire, L'effet que produit, fur la grandeur des faux-bourdons, le diamètre des cellules où ile vivent fous la forme de ver, peut nous fervir de règle pour juger de ce qui doit arriver aux vers d’ouvrières dans les mêmes circon£ tances. Les grandes cellules de mâles ont tout l'efpace néceflaire pour la parfaite exten- fion des organes propres aux individus de cette forte. Si donc on élevoit des mâles dans des alvéoles plus grands encore que ceux-là, ils n'y prendroient point une taille fupérieure à la grandeur ordinaire des faux- bourdons. Nous en avons la preuve dans ceux qui font engendrés par les Reines dont la fécondation a été retardée. Vous vous rappelez, Monfieur, que ces Reines pon- . dent quelquefois des œufs de mäles dans les cellules royales : or les faux -bourdons Qi [ 244 ] provenus de ces œufs, & élevés dans ces cellules bien plus fpacieufes que ne le font celles que la nature leur deftine ordinaire- ment, ne font pourtant pas plus grands que les mäles ordinaires. Il eft donc vrai de dire que, quelle que foit la grandeur des alvéoles où les vers d’abeilles feront élevés, ils n’y acquerront pas une taille fupérieure à celle qui eft propre à l’efpèce. Mais, sils vivent fous leur première forme dans des cellules plus petites que celles où ils doivent être, comme leur accroiflement y fera gêné, ils ne parviendront pas à la taille ordinaire. J'en ai acquis la preuve par le réfultat de lexpérience fuivante. J'avois un gâteau tout compolé de cellules de grands faux- bourdons, & un gâteau de cellules d’ouvrié- res, qui fervoient également de berceaux a des vers de mâles. Mon lecteur prit dans les plus petites cellules un certain nombre de vers, & les plaça dans les grandes fur le lit de gelée qui y avoit été préparé : réci- proquement, il introduifit dans les petites ER. ] cellules des vers éclos dans les plus grandes, & il donna ces vers à foigner aux ouvrières d'une ruche dont la Reine ne pondoit que des œufs de males. Les abeilles ne s’irquie- terent point de ce déplacement, elles foi. gnèrent également bien tous les vers, & quand ils furent arrivés au terme de leur métamorphofe, elles donnèrent aux petites comme aux grandes cellules ce couvercle bombé qu’elles placent ordinairement fur les berceaux de mâles. Huit jours après nous enlevames ces gâteaux, & nous trouvames comme je my attendois, des nymphes de grands faux -bourdons dans les grandes cel- Jules, & des nymphes de petits males dans les cellules plus petites. Vous m'aviez indiqué, Monfieur , une autre expérience, que j'ai faite avec foin, mais qui a rencontré dans l'exécution des difficultés que je ne prévoyois pas. Pour apprécier le degré d'influence que peut avoir la bouillie royale fur le développement des vers, vous m'aviez chargé d'enlever un peu Q iï [ 246 3 de cette bouillie avec la pointe d’un pinceau ; & d'en alimenter un ver d’ouvrière qui fe trou- veroit placé dans une cellule commune. Jai tenté deux fois. cette opération fans fucces, & je me fuis même afluré que jamais elle ne pourroit réufir. Voici pourquoi. Lorfque les abeilles ont une Reine, & qu’on leur donne à [oiguer des vers dans les cel- Jules defquels on a mis de la bouillie royale, elles enlèvent très - vite ces vers, & mangent avidement la bouillie {ur laquelle on les avoit placés. Quand au contraire elles font privées de Reine, elles convertiffent les cellules com- munes dans lefauelles font ces vers, en cel- lules royales de la plus grande forte ; alors les vers qui ne devoient fe transformer qu’en abeilles communes deviennent infailliblement de véritables Reines. Mais il y a un autre cas dans lequel nous pouvons juger de linfluence de la bouillie royale, adminiftrée à des vers placés dans des celiules conimunes. Je vous en ai expolé fort au long les détails dans ma lettre fur Ce 11. l'exiftence des ouvrières -fécondes. Vous n’au- rez point oublié, Monfieur, que ces ouvriè- res devoient le développement de leurs orga- nes fexuels à quelques portions de gelée royale, dont elles avoient été nourries fous leur forme de ver. Faute de nouvelles obfer. vations plus diredes:fur ce fujet, Je renvoie aux expériences décrites dans la lettre V:: ;; Recevez laffurance de mon refpeét, x _ LE 248 1 Les nnret ti : ” PRET : TT ES À LETTRE NEUVIÈME. Sur - la formation des Effaims. Pregny le 6 Septembre 1791. Je puis ajouter quelques faits, Monfieur’, aux Cônnoillances que M. de Réaumur nous a données fur la formation des effans. Ce célèbre Naturalifte dit, dans fon hif- toire des abeilles , que c’elt toujours, ou prefque toujours, une jeune Reine qui fe met à la tête des effaims : mais il ne la point affirmé pofitivement si lui reftoit quelques doutes. Voici fes probres paroles : « Eft-il » bien sûr, comme nous l'avons fuppofé » jufqu’ici, avec tous ceux qui ont parlé des » abeilles, que ce foit toujours une jeune » mère qui fe mette à la tête de la colonie ? » La vieille mère ne pourroit-elle point pren- » dre du dégout pour fon ancienne habita- » tion ? Enfin, ne pourroit-elle pas être dé- » terminée, par quelques circonftances par- £ * ÿ . [ 249 1 » ticulières, à abandonner toutes fes poffef. , fions à la jeune femelle ? Je ferois en état » de fatisfaire à cette queition , autrement w. que par des vraifemblances, fans les contre- » temps qui ont fait périr les mouches des » tuches, à la mère de chacune defquelies » J'avois mis une tache rouge fur le corcelet. ;, Ces expreflions femblent indiquer -qne M. de Réaumur foupconnoit les vieilles mères abeilles de fe mettre quelquefois à la tête des effaims. Vous verrez, Monfieur , par les dé- tails où je vais entrer, que ce foupçon étoit parfaitement juite, Une même ruche peut jeter plufieurs effaims pendant le cours du printemps & de la belle faifon. La vieille Reine eft toujours à la tête de la première colonie qui fort; les autres font conduites par les jeunes KReines. Tel eft le fait que je prouverai dans cette lettre ; il eft accompagné de circonftances remarquables, dont je ne négligerai point de donner ici lhiftoire. | _ Mais avant d’en commencer le récit, je L 26 À dois répéter ce que j'ai déjà dit bien des fois ; c'eft que, pour voir bien ce qui eft rélatif à l'induftrie & à l'inftinct des abeilles, il faut {e fervir ou de nos ruches en feuillets, ou de nos ruches les plus plattes. Lorfqu’on laifle à ces mouches la liberté de conftruire plu- fieuts rangs de gâteaux parallèles, on ne peut plus obferver ce qui fe palle, à tout inftant, entre cès gateaux ; ou fi l'on veut examiner ce qu’elles y ont conftruit, on eft obligé de les en chaffer par le moyen de l’eau ou de la fumée , procédé violent qui ne laifle rien dans état de nature , qui dérange pour long- temps l’inftin&@ des abeilles, & expole par conféquent l’obfervateur à prendre de fimples accidens pour des lois conftantes. Je viens maintenant aux expériences qui prouvent qu'une vieille Reine conduit tou- jours le premier effaim de l’année. J'avois une ruche vitrée compolée de trois gâteaux parallèles, placés dans des cadres, qui pouvoient s'ouvrir comme les feuillets d’un livre : la ruche étoit affez bien peuplée, Ces. . & pourvue abondamment de miel, de cire brute & de couvain de tout âge. Je lui ôtai fa Reine le $ Mai 1788 : le 6, j'y fisentrer toutes les ‘abeilles d’une autre ruche, avec une Reine féconde & âgée pour le moins -d'un an. Elles entrèrent fans difficulté & fans combat, & furent en général bien reçues. Les anciennes habitantes de la ruche, qui depuis la privation de leur Reine avoient déjà commencé douze cellules royales, ac- cueillirent auf parfaitement la Reine féconde que nous leur donnames; elles lui offrirent -du miel; elles formèrent autour d'elle des cercles réguliers ; cependant, il y eut dans la foirée un peu d’agitation, mais qui fe - borna à la furface du gâteau fur laquelle nous avions placé la Reine, & qu’elle n’avoit pas quitté. Tout refta parfaitement calme fur l'autre furface du même gâteau. Le 7 au matin, les abeilles avoient dé- truit leurs douze premières cellules royales. L'ordre continuoit d’ailleurs à régner dans la ruche ; la Reine y pondoit alternativement [| 252 ] des œufs de mâles dans les grands alvéoles, & des œufs d’ouvrières dans les petites cellules. | Vers le 12, nous trouvames nos abeilles oc- cupées à conftruire vingt-deux cellules royales de lefpèce de celles que décrit M. de Réau- mur, c’eft-a-dire, qui n’ont point leurs bafes dans le plan du gâteau, mais qui font fuf pendues par des pédicules plus où moins longs, en manière de ftaladites, fur les bords des chemins que les abeilles fe pratiquent dans l’épaiffeur des gâteaux. Elles ne reflem- bloient pas mal au calice d’un gland, & les plus longues n’avoient guères que deux lignes & demi depuis leurs fonds jufqu'a leurs orifices. | Le 13, le ventre de la Reine nous parut déjà plus anminci qu'au moment où elle fut introduite dans notre ruche : cependant elle pondoit encore quelques œufs, foit dans les cellules communes, foit dans les cellules de males. Nous la furprimes aufli ce même jour, au moment où-elle pondoit dans une LU NS ] des cellules royales : elle en délogea d’abord ouvrière qui y travailloit , en la pouffant avec fa tête; puis, après en avoir examiné le fond, elle y introduifit fon ventre, en fe tenant accrochée avec fes jambes antérieures fur une des cellules voifines. Le IS, laminciflement de la Reine étoit bien plus marqué encore : les abeilles ne cefloient de foigner les cellules royales, qui étoient toutes inégalement avancées : quel- ques-unes ne s’élevoient qu’à trois ou qua- tre lignes, tandis que d’autres avoient déjà un pouce de longueur, ce qui prouve que la Reine mavoit pas pondu dans toutes ces cellules à la même date. Le 19, au moment où nous nous y atten- dions le moins, cette ruche jeta un effaim ; nous n’en fümes avertis que par le bruit qu’il fit en Pair : nous nous prefsâmes de le recueillir, & nous le plaçiämes dans une ruche préparée. Quoique nous euflions manqué les circonftances du départ, l’objet particulier de cette expérience fut néanmoins parfaitement f [ 254 ] rempli; car en examinant toutes les mouches de l’effaim, nous nous convainquimes qu’il avoit été conduit par la vieille Reine, par celle que nous avions introduite le 6 du mois, & que nous avions rendue toujours reconnoiflable par l’amputation d’une antenne. Remarquez qu’il n’y avoit aucune autre Reine dans cette colonie. Nous vifitâmes la ruche dont elle étoit fortie; nous y trouvà- mes fept cellules royales fermées à la pointe, mais ouvertes fur le côté & parfaitement vuides ; il y en avoit onze autres entiérement fermées, & quelques - unes nouvellement commencées ; d’ailleurs, il ne reftoit aucune Reine dans cette ruche. L'effaim nouveau devint enfuite Pobjet de notre attention : nous l’obfervämes pendant le refte de lPannée, l’hiver, & le printemps fuivant, &@& nous eùmes, au mois d'Avril, le plaifir de voir fortir, à la tète d’un effaim, cette même Reine qui, au mois de Mai de l'année précédente, avoit conduit celui dont je viens de vous parler. al Cr: 1 Vous voyez, Monfieur, que cette expé- rience eft pofitive. Nous nous fomimes fervis d'une vieille Reine ; nous l'avons placée dans notre ruche vitrée, dans le temps de fa ponte de mâles ; nous avons vû les abeilles la bien recevoir , & choilir cette même époque pour conftruire des cellules royales. La Reine à pondu dans une de ces cellules fous nos yeux, & eft fortie enfin de cette ruche à la tête d’un effaim. Cette obfervation, nous lavons répétée plufieurs fois avec le même fuccès. Il nous paroit donc inconteftable que c’est toujours la vieille Reine qui conduit hors de la ruche le premier effaim; mais elle ne la quitte qu'après avoir dépofé dans les cellules roya- les des œufs dont il fortira d’autres Reines après fon départ. Les abeilles ne préparent ces cellules que lorfqu’elles voient leur Reine occupée de fa ponte de mäles, & ceci eft accompagné d’une circonftance trés - remar- quable, c’eft qu'après avoir fait cette ponte, le ventre de la Reine elt fenfiblement dimi- Er: 256: | nué ; elle peut voler facilement, tandis qu'avant de pondre les mâles, fon ventre eft fi pefant qu’elle peut à peine fe trainer. Il falloit donc qu’elle les pondit pour fe trouver en état d'entreprendre un voyage qui, quelquefois, peut être affez long. Mais cette condition feule ne fuffit pas : il faut encore que les abeilles foient en grand nombre dans la ruche; il faut qu’elles y furabondent pour qu’il fe forme un eflaim, & on diroit que ces mouches le favent; car fileur ruche eft mal peuplée, elles ne conf truiront point de cellules royales au moment de la ponte des mâles, qui eft la feule épo- que de l’année où la vieille Reine puifle conduire une colonie. Nous en avons acquis la preuve dans le réfultat d’une expérience faite très en grand. | Le 3 Mai1788, nous divisèmes en deux dix-huit ruches, dont les Reines avoient tou- tes environ un an; ainfi chacune des parties de ces ruches mavoit plus que la moitié des abeilles qui compofoient chaque peu plade ter 1 plade avant. la. divifion : dix-huit demi- ruches fe trouvèrent fans Reines : mais dans lefpace de dix ou quinze jours les abeilles réparèrent cette perte, & fe procurèrent des femelles : les dix-huit autres parties avoient _ confervé les Reines , qui étoient très-fécondes. Ces Reines ne tardèrent pas à commencer leurs pontes de mâles ; mais les abeilles, qui fe voyoient en petit nombre, ne conftruifirent _ point de cellules royales, & aucune de ces ruches ne donna d’effaim. Si donc la ruche dans laquelle fe trouve la vieille Reine- n’eft pas très-peuplée, elle y.refte jufqu’au prin- temps fuivant; & fi, à cette nouvelle .épo- que, la population eft fufhfante, les abeilles prépareront des cellules royales , dès que deux Reine commencera fa ponte de mâles ;, çelle- ci y dépofera fes œufs, & fortira à la, tête d’une colonie, avant la naiflance des, jeunes Reines. Tel eft, Monfieur ; fort. en cg précis de mes obfervations fur les effaims que conduifent les vieilles Reines; pardon- R FE 6 nez-moi d'avance la longueur des détaiis où je vais entrer fur l’hiftoire des cellules royales, que cette Reine laïfle dans la ruche au moment de fon départ. Tout ce qui eft rélatif à cette partie de la fcience des abeilles étoit jufqu’a préfent fort obfcur; il m'a fallu une longue fuite d’obfervations, continuées pendant.plufieurs années, pour foulever un peu le voile qui couvroit ces myftères : j'en ai été dédommagé, il éft vrai, par le plaifir de voir mes expériences fe confirmer réci- proquement; mais ces recherches, vi Paffi- duité qu’elles exigeoient, étoient devenues réellement très - pénibles. Après avoir conftaté, en 1788 & en 1789, que les KReïnes âgées d’un an con- duifoient les premiers eflaims, & qu’elles laifloient dans la ruche des vers, ou des nymphes, qui devoient fe métamorphofer en Reines à leur tour, j'entrepris en 1790 de profiter de la beauté du prirtemps, pour obferver tout ce qui a rapport à ces jeunes Reines; je vais extraire de mes journaux mes principales expériences. [ 259 7 Le 14 Mai, nous introduüisimies dañs une grande ruche vitrée, très-platte, les abeilles de deux pañiers, en ne leur deftinant qu’une feule Reine, qui étoit née l’année d’aupa- avant; & qui, dans fa ruche natale, avoit déja commencé fa ponte de mâles. Le IS, nous fimes entrer cette Reine dass la ruche. Elle étoit très - féconde; elle fut fort bien reçue, & commençGa très - vite à pondre alternativement dans les cellules communes, & dans les grands alvéoles. Le 20, nous trouvâmes les fondemens de feize cellules royales : elles. étoient toutes placées fur Jes bords de ces chemins que les abeilles pratiquent dans l’épaiffeur de leurs gâteaux, pour paller d'une furface à l’autre: leur forme étoit en manière de ftalactites. Le 27, dix de ces cellules étoient fort agrandies , mais inégalement ; & aucune navoit la longueur que les abeilles leur Gon- nent lorfque les vers font éclos.* Le 28, fa Reine n’avoit ceffé de pondre jufqu’à ce jour : fon ventre étoit fort raminci ; R ÿ L86p ‘1 mais elle commençoit à s’agiter. Bientot {a démarche devint plus vive; cependant lie examinoit encore les cellules, comme lort- qu’elle’veut y dépofer fes œufs : quelquefois elle y faifoit entrer la moitié de fon ventre, puis len retiroit brufquement fans y avoir pondu; d’autres fois, ne s'y enfonçant pas da- vantage , elle y dépofoit un œuf, qui fe trouvoit alors placé fort irrégulièrement ; il n'étoit point fixé par l’un de {es bouts au fond de la cellule, mais il étoit couché au milieu d'un des pans de l’exagone. La Reine en courant ne produifoit aucun fon diftinét, & nous n’entendions rien qui fut différent du bourdonnement ordinaire des abeilles ; elle pañloit fur le corps de celles qui fe trouvoient fur fa route; quelquefois, lorfqw’elle s’arré- toit, les abeilles qui la rencontroient s’ar- rétoient aufk comme pour la regarder; elles s’avançoient brufquement vers cette Reine, la frappoient de leur tête & montoient fur fon dos ; elle partoit alors, portant en croupe quelques-unes de fes ouvrières; aucune ne C 261 ] lui donnoit du miel, mais elle en prenoit elle-même dans les cellules ouvertes qui fe trouvèrent fur fa route; on ne lui bordoit plus la haie, on ne lui faifoit plus de cer- cles réguliers. Les premières abeilles que fes courfes avoient émues la fuivoient en cou- rant comme elle, & émouvoient à leur tour en paflant celles qui étoient encore tranquil- les fur les gateaux. Le chemin qu’avoit par- couru la Reine étoit reconnoiffable après fon paflage par lagitation qu’elle y avoit excité, & qui ne fe calmoit plus. Bientôt elle eut vifité toutes les parties de fa ruche, & y eùt excité un trouble général; s’il ref- toit encore quelques endroits où les abeilles fuffent tranquilles, on voyoit celles qui étoient agitées y arriver & y communiquer le mou- vement. La reine ne pondoit plus dans les cellules , ‘elle lailoit tomber fes œufs : les abeilles ne foignoient plus leurs petits ; toutes couroient & fe croifoient en tout fens; celles même qui étoient revenues de la campagne avant que l'agitation fut extrême, n’étoient R iij L'A26 |] pas plutôt entrées dans la ruche qu’elles par. ticipoient à ces mouvemens tumultueux , elles ne fongeoient plus à fe débarrafler des pelottes de cire qu’elles portoient à leurs jambes, & couroient aveuglément. Enfin, dans un moment, toutes les mouches fe pré- cipitèrent vers les portes de la ruche & leur Reine avec elles. Comme il m'importoit beancoup de revoir la formation de nouveaux eflaims dans cette même ruche, & que par conféquent Je defi- rois qu’elle reftât très-peuplée, je fis enlever la Reine à l’inftant où elle fortoit, afin que les abeilles ne s’éloignaflent pas trop, & puffent rentrer. En effet, dès qu’elles eurent perdu leur femelle, elles revinrent elles- mêmes fe placer dans la ruche. Pour aug- menter encore plus la population, je leur joignis un autre efaim qui étoit forti d’une ruche en panier, dans la même matinée, &@& dont je fis pareillement enlever la Keine. Tous les faits que je viens de raconter étoient bien poñitifs , & d’ailleurs ne paroif- [ 263 ] {oient nullement fufceptibles d’équivoque : cependant je voulus les revoir encore ; jétois furtout curieux de favoir fi les vieilles Reines fe conduifoient toujours de la même manière, Je me déterminai donc à faire repla- cer, dans cette même ruche vitrée, une Reine âgée d’un an, que javois obfervée jufqu’alors, & qui venoit de commencer fa ponte de mäles. Elle y fut introduite le 29. Ce même jour, nous trouvâmes qu’une des cellules royales, que la précédente Reine avoit laiflées, étoit plus grande que les au- tres, & à fa longueur, nous jugeâmes que le ver qui y étoit renfermé avoit deux jours. L'œuf dont il fortoit avoit donc été pondu le 24, par la précédente Reine; le ver en étoit éclos le 27. Le 30, la Reine pondoit beaucoup, alternativement dans les grands & les petits alvéoles. Ce mème jour & les deux fuivans, les abeilles agrandirent plu- fieurs de leurs cellules royales, mais inéga- lement; ce qui prouve qu’elles renfermoient des vers de différent âge. KR iv [ 264 ] Le 1 Juin il y en eût une de fermée; le 2, il y en eüt une autre. Les abeilles en commencèrent auf plufeurs nouvelles. À onze heures du matin, tout étoit encore parfaitement tranquille dans la ruche; mais à midi, la Reine pañla tout-à-coup de l’état le plus calme à une agitation très - marquée , qui gagna infenfiblement les ouvrières, dans toutes les parties de leur domicile. Quelques minutes après, elles fe précipitèrent en foule vers les portes & fortirent avec leur Reine: elles fe fixèrent fur une branche d’arbre du voifinage , jy fis chercher & enlever la Reine, añn que les abeilles en étant privées, ren- traffent dans la ruche, & effedivement elles ne tardèrent pas à s’y replacer. Leur pre- : mier foin parut être d'y chercher leur fe- melle ; elles étoient encore fort agitées , mais peu-à-peu elles fe calmèrent, & à trois heures tout étoit tranquille & bien ordonné. Le 3, elles avoient repris tous leurs tra- vaux ordinaires : elles foignoient leurs petits, travailloient dans l’intérieur des cellules roya. [ 265 ] les ouvertes, & rendoient auf quelques foins à celles qui étoient fermées : elles les guillochoient, non en y appliquant des cor. dons de cire, mais en tant au contraire de deflus leurs furfaces : ce guillochis eit prefque imperceptible vers la pointe de la cellule, il devient plus profond au- deflus, & depuis-là jufqu’au gros bout de la pyra- mide, les ouvrières le creufent toujours plus profondément. La cellule, une fois fermée, devient ainfi plus mince, & elle Peft telle- ment dans les dernières heures qui préce- dent la métamorphofe de la nymphe en Reise, qu’on peut voir tous fes mouvemens à travers la légère couche de cire qui fert de fond aux guillochis, pourvu toutefois qu’on place ces cellules entre l'œil & la lumière du foleil. Ce qu'il y a d’affez remarquable, c’eft qu’en aminciffant ces cellules depuis le moment où elles font fermées, les abeilles favent modérer ce travail de manière qu'il ne foit achevé que lorfque la nymphe eft prête à fubir fa dernière métamorphole : au LL | feptième jour, l'extrémité de la coque eft prefqu’entiérement décirée , fi je puis me fer- vir de ce mot; aufli eft-ce dans cette partie que font la tête & le corcelet de la Reine. Le décirement de la coque facilite fa fortie, en ne lui laiffant que la peine de couper la foie dont elle eft tiflue. Il eft très- vraifem- blable que ce travail eft deftiné à favorifer l'évaporation de l'humeur furabondante de la nymphe royale, & que les abeilles favent le graduer, & le proportionner fuivant l’âge & l'état de la nymphe. J'ai entrepris quel- ques expériences directes fur ce fujet; mais elles ne font pas achevées. Ce même jour du 3 Juin, nos mouches fermèrent une troifième cellule royale, vingt-quatre heures après avoir fermé la feconde. Les jours fui. vans, la même opération fe fit fucceflivement fur plufieurs autres cellules. Le 7, nous attendions à tout moment de voir fortir une Reine de la cellule royale qui avoit été fermée le 30 Mai. Dès la veille, A cette Reine étoit arrivée à fon terme, fes [ 267 ] fept jours étoient accomplis. Le guillochis de fa cellule étoit fi approfondi, que nous appercevions un peu ce qui. fe pañloit dans l'intérieur ; nous pouvions diftinguer que la foie de la coque étoit coupée circulairement à une ligne & demie au-defflus de la pointe; mais comme les abeillés n’avoiént pas voulu que cette Reine fortit encore, elles avoient foudé le couvercle contre la cellule avec quelques particules de cire. Ce qui nous parut alors fort fingulièer, ceft que cette femelle rendoit dans fa prifon une efpèce de fon, un claquement fort diftinét : le foir ce chant étoit encore plus particularifé, il étoit compolé de plufieurs notes fur le même ton, & qui fe fuivoient rapidement. Le 8, nous entendimes le même chant dans la feconde cellule. Plufieurs abeilles faifoient la garde autour de chaque cellule royale. Le 9, la première cellule s’ouvrit. La jeune Reine qui en fortit étoit vive, fa taille effilée, fa couleur rembrunie, nous com- [ 1e63: 1 primes alors la raifon pour laquelle les abeilles retiennent captives, au-delà de leur terme, les jeunes femelles dans leurs alvéoles : c’eft afin qu’elles foient en état de voler dès Pinf. tant où elles en fortent. La nouvelle Reine devint l'objet de toute notre attention : dès qu’elle pafloit près des cellules royales, les : abeilles qui les gardoient la tirailloient, la mordoient & la chafloient; elles fembloient fort acharnées contr’elle, & ne lui laifloient quelque tranquillité que lorfqu’elle étoit fort éloignée de toute cellule royale. Ce manège fe répéta très-fréquemment dans la journée; elle chanta deux fois : lorfque nous la vimes produire ce fon, elle étoit arrêtée, fon cor- celet appuyoit contre le gâteau, fes ailes étoient croilées fur fon dos : elle les agitoit fans les décroifer & fans les ouvrir davan- tage. Quelle que füt la caufe qui lui faifoit choifir cette attitude, les abeilles en paroif- foient affectées, toutes baifoient alors la tête 4 & reftoient immobiles. Le lendemain, aie préfentoit les [ 269 |] mêmes apparences , il y reftoit encore vingt- trois cellules royales, qui étoient toutes afli. dûment gardées par un grand nombre d’abeil- les. Dès que la Reine s’en approchoit, toutes ces gardes s’agitoient, lenvironnoient, la mordoient, la houfpilloient de toutes les manières, & finifloient ordinairement par la chafler; quelquefois elle chantoit dans ces circonftances, en reprenant lattitude que J'ai décrite tout-a-lheure, & de ce moment les abeilles devenoient immobiles. La Reine emprifonnée dans la cellule N°.2 n’étoit point fortie encore; nous len- tendimes chanter à différentes repriles. Nous vimes auf par hazard la manière dont les abeilles la nourrifloient. En l’examinant atten- tivement, nous remarquämes une petite ou- verture dans la partie du bout de la coque que cette Reine avoit coupée, au moment où elle auroit pu fortir, & que fes gardes avoient recouvert de cire pour la retenir prifonnière. Par cette, fente elle faifoit fortit & rentrer. alternativement fa trompe : les LS. ] abeilles ne virent pas d’abord ce mouvenient: mais enfin l’une d'elles lapperçut, & vint appliquer fa bouche fur la trompe de la Reine captive; puis elle fit place à d’autres, qui vinrent également s’en approcher pour lui donner du miel. Quand elle fut bien raÎfafiée , elle retira fa trompe, & les abeilles tebouchèrent avec de la cire Pouverture par laquelle elle Pavoit fait fortir. Entre midi & une heure, ce même jour ; la Reine devint fort agitée. Les cellules royales de fa ruche étoient fort multi pliées; elle ne pouvoit aller nulle part fans en rencontrer quelqu'une , & dès qu’elle en approchoit, elle étoit fort mal- traitée ; elle fuyoit ailleurs, où elle ne trou- voit pas un meilleur accueil. Ses courfes agitèrent -enfin les abeilles; elles reftèrent pendant long-temps dans la plus grande confufion; puis elles fe précipitèrent vers les portes de la ruche, fortirent, & alle- : rent fe placer fur un arbre du jardin. Ce qu'il y eût de fingulier, c’eft que la Reine [ 271 3 ne put pas les fuivre, & conduire elle même l’effaim : elle avoit voulu pañler entre deux cellules Royales avant que les abeil- les en euflent abandonné la garde, & elle en fut tellement ferrée & mordue, qu’elle ne put fe mouvoir. Nous l’enlevâmes alors, & nous ia plaçames dans une ruche féparée pour une expérience particulière : les abeil. les qui s’étoient formées en effaim, & qui étoient accumulées en grappe fur une bran- che d'arbre, reconnurent bientôt que leur Reine ne les avoit pas fuivies, &@& elles rentrèrent elles-mêmes dans leur habitation. Telle fut l’hiftoire de la feconde colonie de cette ruche. Nous étions très-curieux de fuivre ce que deviendroient les autres cellules royales : entre celles qui étoient fermées, il y en avoit quatre qui contenoient des kKReines parfaitement développées, & qui auroient pü fortir fi les abeilles ne les en avoient empêché. Elles ne furent point ouvertes pendant le temps qui précéda agitation de Pellaim, ai dans linftant du jet. [ 272 ] Le 11 aucune de ces Reines n’étoit encore libérée : celle du N°, 2 avoit dù fubir fa transformation le 8; elle étoit donc pri- fonnière depuis trois jours; & par conié: quent la prifon fe prolongeoit plus que celle du No. I, qui avoit donné lieu à Îa formation de Peflaim. Nous ne devinions pas la raifon de cette différence dans la duréé de la captivité. Le 12 cette Reine fut ‘enfin délivrée , nous la trouvames dans la ruche; elle y étoit traitée exactement comme fa dévan- cière : les abeilles la laifloient tranquille lorfqu’elle étoit loin de toute cellule royale, & la tourmentoient cruellement lorfqu’elle en approchoit. Nous obfervames aflez long- temps cette Reine : puis, ne prévoyant pas que, dès le même jour, elle dût emmener une colonie, nous perdimes de vue pen- dant quelques heures notre ruche. Nous revinmes cnfuite la vifiter à midi, & nous fümes très furpris de la trouver prefque abandonnée ; elle avoit jeté pendant notre | | abfence , EC | abfence, un eflaim prodigieux qui étoit encore réuni, en forme d’une grappe très- épaile, fur une branche de poirier dans le voifinage. Nous vimes aufli avec étonne- ment que la cellule N°. 3. étoit ouverte; !c couvercle y tenoit encore comme par une charnière. 11 y a toute apparence que la Reine, qui y étoit captive, profita du temps de défordre qui précède le jet pour fortir. Nous ne doutâmes point alors que les deux Reines ne fufflent enfemble dans l'effaim ; effectivement, nous les y trouvames Vune & l'autre, & nous les enlevames afin que les abeilles rentraffent dans la ruche. Elles y rentrèrent auflitôt, Tandis que nous étions occupés de cette opération, la Reine, captive dans la cellule N°. 4, fortit de fa prilon: & les abeilles Vy trouvèrent à leur retour. Elles furent d'abord affez agitées, mais elles fe calmèrent vers le foir, & reprirent leurs travaux ordi- naires: elles firent une févère garde autour des cellules royales, & prirent grand foia S [ 274 ] d'en écarter leur Reine, dès qu’elle vouloit s’en approcher : il reftoit en ce moment dix- huit de ces cellules fermées, & qu’il falloit garder. | A dix heures du foir, la Reine, prifon- nière dans le N°. $, fut mife en liberté: il y eût donc alors deux Reines vivantes dans là ruche : elles cherchèrent d’abord à fe com- battre, mais parvinrent à fe dégager l’une de Pautre : pendant la nuit elles fe combat- tirent plufieurs fois, fans qu’il y eut rien de décifif: le lendemain 13, nous fümes témoins de la mort de l’une des deux, qui fuccomba fous les coups de l’autre. Les détails de ce duel furent abfolument femblables à ce que j'ai raconté ailleurs fur les combats des Reines. Celle qui refta victorieufe nous donna alors un fpectacle afflez fingulier. Elle s’'approcha d’une cellule royale, & prit ce moment pour chanter & pour fe mettre dans cette attitude qui frappe les abeilles d’immobilité. Nous crümes, pendant quelques minutes , que pro- fitant de leffroi qu’elle infpiroit aux ouvrie- - L [ 275 } res gardes de la cellule, elle parviendroit 4 Pouvrir & à tuer la jeune femelle qui y étoit renfermée ; auf fe mit-elle en devoir de monter fur la cellule; mais, en s'y prépa- rant, elle ceffa de chanter, & quitta cette attitude qui paralyfe les abeilles : de ce mo- ment, les mouches gardiennèes de la cellule reprirent courage; & à force de tourmenter & de mordre la Reine qui les inquiétoit, elles parvinrent à la chafler fort loin. Le 14, il fortit uné Reine de la cellule -N°. 6; & vers les onze heures, la ruche ‘jeta un effaim avec toutes les circonftances de délordre que j'ai décrites précédemment : _ Pagitation fut même fi confidérable, que les abeilles ne reftèrent pas en nombre fufhfant pour garder les cellules royales, & que plu- fieurs des Reines qui y étoient prifonnières patvinrent à les ouvrir, & à. s'échapper : il y en avoit trois dans la grappe de leffaim , “& trois autres qni étoient reftées dans la ruche : nous enlevâmes celles qui avoient conduit la colonie, afin d’obliger les abeilles à revenir. S i) | RC A Elles rentrèrent dans la ruche; elles repri- | -rent leur pofte de gardes autour des cellules royales fermées, & maltraiterent les trois Reines libres qui vouloient s’en approcher. Dans la nuit du 14 au 15 il y eût un duel dont une de ces Reines fut victime ; nous la trouvames morte le matin fur le devant de la ruche, mais il en refta égale- ment trois vivantes enfemble; la troifième étoit fortie de fa cellule pendant cette même nuit. Dans Ja matinée du 15, nous fûmes jémoins d’un duel entre deux de ces Rei- nes; & il n’en refta plus que deux libres à la fois : elles furent extrêmement agitées Pune & l'autre, foit par le defir qu’elles avoient de fe combattre, foit par le traite- ment qu’elles éprouvèrent de leurs abeilles, lorfqu’elles ne fe tenoient pas éloignées des cellules royales : bientôt leur agitation fe communiqua aux mouches de la ruche; & à midi elles fortirent impétueufement avec les deux femelles. Ce fut le cinquième eflaim que cette ruche donna depuis le 30 Mai, LOT 7 jufqu’au 1$ Juin. Elle en donna encore. le 16 un fixième, dont je ne vous décrirai point les détails, parce qu’ils ne m’apprirent rien de neuf, J'ajouterai que nous perdimes malheureu- fement ce dernier eflaim, qui étoit très-fort ; les abeilles s’enfuirent à perte de vue, & nous ne les retrouvames point. La ruche refta alors fort mal peuplée ; il n’y avoit plus que le très - petit nombre d’abeilles qui mavoient pas participé à l'agitation au mo- ment du jet, & celles qui revinrent de la campagne après que Peffaim fut forti. Les cel lules royales fe trouvèrent depuis ce moment fort mal gardées; les Reines qu’elies conte- noient s’en échappèrent ; il fe donna entr’el: les plufieurs combats, jufqu’a ce que le trône refta à la plus heureufe. Malgré fes vidoires, depuis le 16 jufqu’au 19 elle fut traitée par fes abeilles avec aflez d’indifférence : c’eft que, pendant ces trois jours, elle conferva fa virginité. Enfin, elle fortit pour aller chercher les mäles, revint S ii { 278 ] avec tous les fignes extérieurs de la féconda. tion, & dès-lors elle fut accueillie aveg toutes. fortes de refpe&s : elle pondit fes pre- miers œufs, quarante-fix heures après avoir été fécondée. | Voilà, Monfieur, un compte fimple & fidèle de mes obfervations fur la formation des effaims. Pour rendre ce récit plus net, je n'ai pas voulu linterrompre par le détail de plufieurs expériences particulières que je fs en même temps, avec lPintention-d'éclaircir différens points de cette hiftoire qui réftoient obfcurs: Ce fera, fi vous le permettez, le fujet des lettres fuivantes. Malgré là longueur de mes rélations,, je ne défefpère point de vous intéreller encore. ÂApréez Paflurance de mon refpett &c. P.S. En relifant cette lettre, je m'apper- cois, Monfieur, que jai laiflé en arrière une. objection qui pourroit embartafler mes leéteurs, & à laquelle je ne dois pas négli- ger de répondre. Comme après les cinq: [ 279 ] premiers effaims dont je viens de vous tracci Fhiltoire, j'ai toujours fait rentrer dans la ruche les abeilles qui en étoient forties dans le moment du jet, il m’eft pas furprenant que cette ruche fe foit trouvée conftamment aflez peuplée, pour que chaque colonie füt nombreufe. Mais , dans létat naturel, les chofes ne fe paflent point ainfi; les abeilles qui compofent un eflaim ne rentrent. point dans la ruche qu’elles viennent de quitter; & lon me demandera fans doute quelle refflource de population met une ruche ordi- naire en état de fournir trois ou quatre effaims, fans refter elle-même trop affoiblie. Je ne veux point diminuer la difficulté: j'ai dit qu’en plufieurs cas l'agitation qui pré- cède le jet eft fi confidérable, que la plu- part des abeilles quittent la ruche; & alors lon a peine à comprendre que quatre ou cinq jours aprés, cette même ruche fait capable d'envoyer une autre colonie affez forte. | Mais, remarquez d’abord que la vicille S iv CARS 1] Reine, en la quittant, y laiffe une quantité prodigieufe de couvain d’ouvrières. Ces vers ne tardent pas à fe transformer en abeilles, & quelquefois la population eft prefqu’auñi grande après le premier effaim qu’elle l’étoit avant fon départ. La ruche eft donc parfai- tement en état de fournir une feconde colo- nie fans fe trop dépeupler. Le troifième & le quatrième eflaim laffoibliffent plus fenfi- blement ,; mais le nombre d’habitans qui y reftent eft prefque toujours aflez grand pour que les travaux ne foient pas interrompus : & fes pertes font bientôt réparées par la grande fécondité des Reines abeilles. Vous vous rappelez qu’elles pondent plus de cent œufs par jour. TE] j Si, dans quelques cas; lagitation du jet eft aflez vive pour que toutes les abeilles y participent & fortént à:la fois, en laiffant da ruche déferte, cette défertion ne dure qu'un inftant : les effaims ne partent que dans ies beaux momens du jour, & c’eft à cette même époque que les abeïlles fortent pour butiner Le 1 dans la campagne; or toutes celles qui font occupées au dehors à leurs diverfes récoltes ne participent point à l'agitation du jet: quand elles reviennent à la ruche, elles y reprennent. tranquillement leur travail : & leur nombre n'eft pas petit; car lorfque le temps elt beau, il y a au moins un tiers des abeilles de chaque ruche qui vont à la fois butiner dans la campagne. Enfin, dans ce cas même qui paroït em- barraffant, d’une agitation fi vive que toutes les abeilles défertent la ruche, il s'en faut bien que toutes celles qui cherchent à fortir deviennent membres de la colonie. Quand cette agitation de délire les faifit, elles fe précipitent & s'accumulent toutes à la fois vers les portes de la ruche, & là elles s’échaut- fent de telle manière qu’elles tranfpirent abon- damment : les abeilles qui font placées plus près du fond, & qui fupportent le poids de toutes les autres, paroiflent baigñees de fueur ; leurs aîles en deviennent humides ; elles ne font plus capables de voler, & lors même [ 282 ] qu’elles parviennent à s'échapper, elles ne vont pas plus Join que lappui de Ïa ruche, & ne tardent pas à y rentrer. Les abeilles qui font nouvellement forties de leurs cellules ne partent point avec lef. faim : encore foibles, elles ne pourroient fe foutenir au vol. Voilà bien des recrues pour repeupler cette habitation qu’on croyoit déferte. DSL TRAME TUE rt LETTRE DILIEME Continuation du même fujet. Pregny le 8 Septembre 1+0x. Aix de mettre plus d'ordre dans la con. tiouation de lhiffoire des effaims, je crois, monfieur, qu’il eft convenable de récapi- tuler en peu de mots les principaux faits contenus dans la lettre précédente, & de donner fur chacun d’eux tous les dévelop- pemens qui réfultent de plufieurs expé- riences nouvelles dont je n'ai point encore parlé. : | Premrer Fair. S5 l’on obferve, au retour du printemps, me riche Die pepe, © gouvernée par une Reine feconde, on verra cette Reine pondre, dans le courant du mois de Mai, une quantité prodigieufe d'œufs de smûles ; ES les ouvrières choifiront ce guoment pour confiruire plufieurs cellules royales de lefpèce de celles que décrit M, de [ 1484 1 Réaumur. Tel eft le réfultat de plufieurs obfervations long-temps fuivies, entre lef- quelles il n’y a jamais eù la plus légère variété, & je nhéfite point à vous l’annoncer comme une vérité démontrée; mais je dois joindre ici une explication néceflaire. Pour qu’une Reine commence fa grande ponte de mäles, elle doit être agée de onze mois au moins : lorfqu’elle eft plus jeune elle ne pond que des œufs d’ouvriè- res. Peut-être une Reine née au printemps pondra-t-elle dans le courant de lété cin- quante ou foixante œnfs de mâles en tout, mais pour qu'elle entreprenne fa grande ponte d'œufs de faux bourdons, qui doit être de 2000 au moins,: il faut qu’elle ait achève soû Onzième mois. Dans la fuite de nos expériences, qui ont plus ou moins dérangé le cours naturel des chofes, il eft arrivé très-fouvent que les Reines ne par-. venoient à cet âge qu'en Octobre; & dès ce moment, elles commencçoient leurs pontes de mâles; les. ouvrières choïfifloient auf C 285 ] cette époque pour bâtir des cellules roya- les comme fi elles y étoient invitées par quelques émanation fortie de ces œufs. A la vérité il n’en réfultoit pas la formation d'aucun effaim , parce qu’en automne tou- tes les circonftances qui y font néceffaires manquent abfolument ; mais il n’en eft pas moins évident qu'il y a uneliaifon fecrette entre la ponte des œufs de males & la conftruétion des cellules royales. Cette ponte dure ordinairement trente jours. Le 20 ou le 21. à dater du moment où elle a commencé, les abeilles pofent les fondemens de plufieurs cellules royales; elles en font quelquefois feize ou vingt, nous en avons vü jufqu'à 27. Dès que ces cellules ont atteint 2 ou 3 lignes de hau- teur, la Reine y pond des œufs d’où doi- _went naître des mouches de fa forte , mais elle ne les y pond pas tous le même jour : pour que la ruche puiffe donner plufieurs eflaims il importe que les jeunes femelles qui doi- vent les conduire ne naiflent pas toutes à 366 ] Ja méme date; & l’on diroit que la Reine le fait d'avance, car elle a grand foin de mettre a moins un Jour d'intervalle entre chaque œuf qu’elle pond dans ces diffé- rentes cellules. En voici la preuve. Les abeilles font infiruites à fermer les alvéoles au moment où les vers qu'ils contiennent font prêts à fe métamorphofer en nymphes; or, elles ferment à différentes dates tou- tes les cellules royales; il eft donc évident que les vers qu’elles contiennent ne {ont pas tous précilément du même âge. Avant que la Reine commence à pondre des œufs de faux -bourdons, fon ventre eft très-renflé ; mais à mefure qu’elle avance dans cette ponte il diminue fenfiblement, & lorfquw’elle eft terminée il eft fort aminci: elle fe trouve alors en état d’entreprendre un voyage que les circonftances peuvent prolonger : cette condition écoit donc nécef- faire ; & comme tout harmonife dans les loix de la nature, ce temps de la naïf fance des mâles s'accorde avec celui de Ja naiflance des femelles qu’ils doivent féconder. CUT 1 SEecoND Fait. Lorfoue les vers éclos des œufs que la Reine a pondus dans les cellules royales Jont préts à fe transformer en nym- phes, cette Keine fort de la ruche en condui- Jent un effaim à fa fuite: cejt une règle confante, que le premier eflaim qu'une ruche jette au printemps ejt toujours conduit par la vicille Reine. Je crois en pénétrer la rai. fon : pour qu'il n’y eût jamais pluralité de femelles dans une ruche, la nature a inf. piré aux Reines abeilles une horreur mu- tuelle les unes pour les autres : elles ne peu- vent fe rencontrer fans chercher à fe com- battre & à fe détruire. Or, lorfque les Rei- * nes font à-peu-près du même âge, la chance du combat elt égale entrelles, & le hafard décide à laquelle appartiendra le trône. Mais fi lune des combattantes elt plus âgée que les autres, elle eft plus forte, & lavantage du combat lui reftera ; elle détruira fuccef- fivement toutes fes rivales à mefure qu’elles naîtront. Si donc la vieille Reine n’étoit pas {ortie avant la naiflance des jeunes femelles, 288.7 renfermées dans les cellules royales, elle auroit détruit toutes ces femelles au moment où elles auroient {ubi leur dernière transfor- mation : la ruche n’auroit jamais pu don- ner d’effaims , & l’efpèce des abeilles feroit périe. Il falloit, pour la confervation de Pefpece, que la vieille Reine conduisit elle- même le premier eflaim. Mais quel eft le moyen fecret que la nature employe pour Ja décider à partir ? Je l'ignore. Il eft très-rare dans nos pays, cependant il n’eft pas fans exemple, que l'effaim, con- duit par une vieille Reine, fe peuple aflez dans lefpace de trois femaines pour don- ner une nouvelle colonie, que cette même Reine conduit encore : & voici comment cela peut arriver. La nature n’a pas voulu que la Reine quittât fa première ruche avant d'avoir achevé fa ponte d’œufs de mäles ; il falloit bien qu’elle fe délivrât de fes œufs de faux-bourdons pour devenir plus légère ; d’ailleurs, fi en entrant dans un nouveau domicile, fa première occupation eût été d'y É 289 1] d'y pondre encore des mäles, elle aufoit pü périr par vicilleffe ou par accident avant d’avoir dépolé des œufs d’ouvrières : les abeilles n’auroient eu alors aucun moyen de la remplacer, & la colonie fe feroit détruite. Es 1 Tous les cas ont été prévus avec une fagefle infinie. La première chofe que font les abeilles d’un effaim, c’eft de conftruire des cellules d’ouvrières : elles y travaillent avec beaucoup d’ardeur, & comme les ovai- res de la Reine ont été arrangés avec une prévoyance admirable , les premiers œufs qu’elle a à pondre dans fa nouvelle kabi- tation font des œufs d’ouvrières. Cette ponte dure ordinairement dix à onze jours; & pendant cet intervalle, les abeilles conftrui- fent des portions de gâteaux à grands alvéo- les. On diroit qu’elles favent que leur Reine pondra aufh des œufs de faux - bourdons : effedivement elle recommence à en dépofer quelques-uns, en beaucoup moindre nom- , . " L'obe, . bre que la première fois, à la vérité; mais T [ 290 ] cependant en quantité fufhfante pour que les abeilles foient encouragées à conftruire des cellules royales. Or, fi dans ces cir- conftances le temps refte favorable, il n’eft pas impofñble qu’il fe forme uue feconde colonie , que la vieille Reine conduira encore trois femaines après avoir conduit le pre- mier eflaim. Mais, je le répète, cela eft fort rare dans notre climat: je reviens à lhif- toire de la ruche dont la Reine mère a emmené la première colonie. Troisième Fair. Dès que l'ancienne Reine a emmené fon premier effaim , les abeilles qui refient dans la ruche foignent particulièrement les cellules royales, font autour d'elles une garde févère, © ne permettent aux jeunes Reïnes qui y ont été élevées d'en fortir que Jfuccelivement , à quelques jours de difiance les unes des autres. Je vous ai mandé , Mon fieur , dans la lettre précédente , les détails. & les preuves de ce fait: jy ajouterai ici quelques réflexions. Dans le temps des effaims, la conduite ou l'inftin@ des abeilles paroït L 291 7 recevoir une modification particulière. En tout autre temps, lorfqu’après avoir perdu leur Reine elles deftinent à la remplacer plufeurs vers d’ouvtières, elles prolongent & agrandillent les cellules de ces vers; elles leur donnent une nourriture plus abondante & d’un goût plus relevé ; & par ces foins, elles parviennent à transformer en Reines des vers qui ne devoient naturellement de- venir que des abeilles communes. Nous leur avons vu conftruire dans le même temps 27 cellules royales de cette forte; mais. lotfqw'une fois elles lés ont fermées & ache- vées, elles ne cherchent plus à préferver les jeunes femelles qui y font contenues des attaques de leurs ennemies. L’une de ces femelles fortira peut-être la première de fon berceau & fe jettera fucceflivement fur tous tes les cellules royales, qu’elle ouvrifa pour y percer fes rivales, fans que les ouvrières s’occupent à les défendre; fi pluñeurs Rei- nes fortent à la fois, elles fe chercheront, fe combattront, il y aura plufieurs victimes, T ij [ 292 ] & le trône reftera à la femelle victorieufe; Bien loin que les abeilles témoins de ces duels cherchent à s’y oppofer, elles paroi- tront plutôt exciter les combattantes. C’eft tout autre chofe dans le temps des effaims. Les cellules royales qu’elles conf- truifent alors ont une forme différente des premières ; elles les font en manière de fta- lactites ; quand elles ne font qu’ébauchées, elles refflemblent affez au calice d’un gland. Dès que les jeunes Reines, qui y ont été élevées , font prêtes à fubir leur dernière transformation, les abeilles font autour de ces cellules une garde aflidue. La femelle, qui provient du premier œuf royal que Pancienne Reine a pondu , fort enfin de fon berceau ; les ouvrières la traitent d’abord avec indifférence ; bientôt cette femelle céde à Pinftinét qui la prefle de- détruire fes rivales ; elle va chercher les cellules où elles font renfermées ; mais aufitôt qu’elle s’en approche, les abeilles la pincent, la tirail- lent, la chaffent, l'obligent à s'éloigner; & C9. 1 eomme les cellules royales font en grand nombre, à peine trouve-t-elle dans fa ruche un coin où elle foit tranquille. Sans cefle tourmentée par le défir d’attaquer les autres Reines, & fans cefle repouflée, elle s’agite alors, traverfe en courant les divers groupes que forment les ouvrières, & leur commu- nique fon agitation. En cet inftant on voit un grand nombre d’abeilles fe jeter vers les portes de la ruche; elles en fortent; leur jeune Reine eft avec elles; c’eft une colo- nie qui va chercher ailleurs une autre habi- tation. Après leur départ, les ouvrières qui font reftées dans la ruche donnent la liberté à une autre Reine, qu’elles traitent avec la même indifférence que la première, qu’elles chaffent d’auprès des cellules royales, & qui fe voyant perpétuellement croifée dans fes courfes, s’agite, fort, & emmêne avec elle un nouvel efflaim. (Cette fcène fe répète avec les mêmes circonftances trois ou quatre fois pendant le printemps dans urie ruche bien peuplée. À la fin, le nombre des Ti ( 294 ) abeilles fe trouve tellement réduit, qu'elles ne peuvent plus faire autour des cellules royales une garde aufi févère ; plufieurs jeunes femelles fortent alors toutes à la fois de leur prifon , elles fe cherchent, fe com- battent, & la Reine victorieufe dans tous ces duels règne paifiblement fur la république. Les plus longs intervalles que nous ayons obfervés entre chaque effaim naturel ont été de fept à neuf jours ; c’eft pour Pordi- naire le temps qui s'écoule entre la pre- mière colonie que conduit la vieille Reine, & l'eflaim que conduit la première des _ jeunes fémelles qui eft mife en liberté; l'in- tervalle eft moins long entre le fecond & le troifième ; & le quatrième effaim part quel. quefois le lendemain du troifième. Dans les, ruches laiflées à elles- mêmes, lefpace de quinze ’à dix-huit jours fuffit pour le jet des quatte éffaims, fi toutefois le temps eft favorable, ‘comme je: vais l'expliquer. Où ne voit jamais fe former d’effaim que dans un beau ‘jour, ou, pour parler plus Fr :896 7 exactement, dans un inftant du jour où le foleil luit, & où Pair eft calme. Il nous eft arrivé d’obferver dans une ruche tous les fignes avant-coureurs du jet, le défordre, l'agitation ; mais un nuage palloit devant le foleil, & le calme renaifloit dans la ruche; | les abeilles ne fongeoient plus à effaimer. Une heure après , le foleil s'étant montré de nouveau, le tumulte recommençoit , il s’accroifoit très-rapidement, & leffaim partoit. Les abeilles paroiffent, en général, crain- dre beaucoup l'apparence du mauvais temps. Lorfqu’elles butinent dans la campagne , la marche d’un nuage au-devant du foleil les fait rentrer précipitamment, &. je ferois porté à croire que c’eft la diminution fubite de la lumière qui les inquiète ; car, fi le ciel eft uniformément couvert, sil my a pas d’alternatives de clarté & d’obfcurité, elles vont à la campagne faire leurs récoltes ordinaires, @ les premières gouttes d’une pluie douce ne les font pas même revenir avec une grande précipitation. T'iv [ 296 ] Je ne doute point que la néceffité de rencontrer un beau jour pour le jet d’un effaim ne foit une des raifons qui ont décidé la nature à donner aux abeilles le droit de prolonger la captivité de leurs jeunes Reines dans les cellules royales. Je ne diffimulerai pas qu’elles paroiffent quelquefois ufer d’une manière un peu arbitraire de ce droit : cepen- dant, la prifon des Reines eft toujours plus longue lorfque le mauvais temps dure fans interruption plufieurs jours de fuite, Ici la caufe finale ne peut pas être méconnue. Si les jeunes femelles avoient eu la liberté de {ortir de leurs berceaux dès qu’elles y auroient reçu leur dernier développement, il y auroit eu pendant les mauvais jours pluralité de Reines dans les ruches, & par conféquent des combats & des victimes : le mauvais temps auroit pu fe prolonger aflez pour que toutes les Reines arrivaflent à l'époque de leur transformation & de leur liberté. Après tous les combats qu’elles fe feroient livrées, une feule, vidorieufe de [ 297] toutes les autres , feroit reftée en pofleffion du trône , & la ruche, qui naturellement devoit donner plufieurs effaims, n’en auroit _pas donné un feul : la multiplication de l’efpèce auroit- donc été laiflée au hafard de : la pluie & du beau temps; au lieu qu’elle en eff tout-à-fait indépendante par les fages difpofitions de la nature. En ne laiffant fortir de captivité qu’une feule femelle à la fois, la formation des eflaims eft aflurée. Cette explication me paroit fi fimple, que je crois fuperfu d'y infifter davantage. Mais je dois indiquer une autre circonf- tance importante qui réfulte de la captivité des Reines; c’eft qu’elles font en état de \ voler & de partir dès que les abeilles leur laiflent la liberté; & par ce moyen elles deviennent capables de profiter du premier moment où le foleil fe montre pour emme- ner une colonie. Vous favez, Monfieur, que toutes les abeilles, quelles qu’elles foient , ouvrières ou faux-bourdons , ne font point en état 1C.2898 : 1 de voler d’un jour ou deux, lorfquwelles fortent de leurs cellules immédiatement après leur transformation; elles font encore foi- bles, blanchitres ; leurs organes font mal raffermis : il leur faut vingt-quatre ou trente - heures au moins pour qu’elles acquièrent toutes leurs forces, & que leurs facultés fe développent. Il en feroit de mème des femelles, fi leur prifon ne fe prolongeoit pas au-delà du temps de leur transforma- tion : au lieu qu’on les voit fortir de cap- tivité, fortes, rembrunies, développées, & plus en état de voler qu’elles ne le feront dans aucun autre temps de leur vie. Jai dit ailleurs quelle force les abeilles employent pour retenir les femelles prifonnières ; elles foudent , par un cordon de cire, le cou- vercle de leurs cellules fur fes parois. J'ai dit aufli comment elles les nourriflent. Je ne répéterai point ces détails. Un fait qui eft encore bien remarquable, _ C’eft que les femelles font mifes en liberté fuivant la date de leur âge. Nous avons eu Fer ] ‘oin de diftinguer par des numéros toutes les -cellules royales au moment où les ouvrières les fermoient d’un couvercle, & nous choiïfifhons cette époque , parce qu’elle fervoit à nous indiquer avec précifion l’âge _des Reïnes. Or, nous avons toujours obfervé que la Reine la plus âgée étoit libérée la première ; celle qui la fuivoit immédiate. ment étoit la feconde qui obtenoit fa liberté, & ainfi de fuite ; aucune des femel- les ne fortoit de prifon qu'après que {es ainées étoient devenues libres. Je me fuis demandé cent fois à moi-. même : comment les abeilles diftinguent- elles, d’une manière fi fure, âge de leurs captives? Je ferois mieux fans doute de répondre à. cette queftion comme à tant d’autres, par un fimple aveu de mon igno- rance ; cependant, Monfieur, permettez-moi de vous expofer une conjecture. Vous favez que je mai pas abufé, comme quelques auteurs, du droit de me lfvrer aux hypo- thèfes. Le chant ou le fon que les jeunes [ 300 ] Reines rendent dans leurs cellules ne feroit-il point un des moyens que la nature employe pour faire connoitre aux abeilles lPâge de ces Reines ? Il eft très- sûr que la femelle dont la cellule a été fermée avant celles des autres chante aufli la première. La femelle contenue dans la cellule fermée immédiate- ment après celle-là chante plutôt que fes. cadettes, & ainfi de fuite. Je conviens que comme leur captivité peut durer fix jours, il refte poflble que, dans cet efpace de temps, les abeilles oublient quelle eft la Reine qui a chanté la première ; mais il fe peut aufhi que les Reines varient leur chant, Paugmentent en force à mefure qu’elles deviennent plus âgées, & que les abeilles foient appries a diftinguer ces variations. Nous avons nous-mêmes reconnu des diffé- rences dans ce chant, foit relativement à la fucceffion des notes, foit à l'égard de lin- tenfité du fon : il y a vraifemblablement des nuances encore plus fines qui échappent à nos organes, mais que ceux des ouvrières peuvent faifir, \ [ 301 ] Ce qui donne quelque poids à cette con- jecture, c’eft que les KReines, élevées fui- vant la manière qu’a découverte M. Schirach, font ablolument muettes, auffi les ouvrières ne font-elles jamais la garde autour de leurs cellules ; elles ne les retiennent pas captives un feul inftant au - delà du terme de leur transformation, & lorfqw’elles l'ont fubie, elles leur permettent des combats à outrance, jufqu’à-ce qu’une feule d’entrelles devienne victorieufe de toutes les autres. Pourquoi? Parce qu’alors le feul but à rem- plir, eft de remplacer la Reine perdue; or, pourvu que dans le nombre des vers élevés en Reines, un feul vienne à bien, le fort de toutes les autres femelles n’a plus rien d’intéreffant pour les abeilles ; au lieu qu’au temps des effaims, il falloit élever une fuc- ceffion de Reines pour conduire les diverles colonies; & pour que la vie de ces Reines fut aflurée, il falloit les préferver des fuites de cette horreur mutuelle qui les anime les unes contre les autres. Voilà la raifon évi- { { 305 1 | dente de tontes les précautions que les abeilles, inftruites par la nature, prennent dans le temps des eflaims ; voila lexplica- tion de la captivité des femelles; & afin que la durée de cette captivité fut mefurée fur l'âge des jeunes Reines, il falloit qu’elles euffent un moyen de faire diftinguer aux ouvrières le temps où elles devoient obtenir leur liberté. Ce moyen eft le fon qu’elles rendent, @ les variations qu’elles favent lui donner. | Malgré toutes mes recherches, je n'ai pu découvrir où eft placé l’inftrument qui leur fert à produire ce fon. J'ai entrepris une nouvelle fuite d’expériences fur ce fujet; mais elles ne font pas achevées encore. Il refte un autre problème à réfoudre: comment fe fait-il que les Reines, élevées fuivant la méthode de M. Schirach, foient muettes, tandis que celles qui font élevées dans le temps des effaims, ont la faculté de rendre un certain fon ? Quelle eft la raifon phyfique de cette différence ? LE N L'1285 "] Jai cru d’abord qu'il falloit Pattribuer à l'époque de leur vie, où les vers qui doi- vent devenir KReines reçoivent la bouillie royale. Les vers royaux reçoivent, au temps des effaims, la nourriture de Reines , dès le moment où ils fortent de l'œuf: ceux au contraire qui font deftinés à devenir Reines , fuivant la méthode de M. Schirach, ne la reçoivent que le fecond ou le troi- fième jour de leur vie. Il me fembloit que cette circonftance étoit très-capable d’influer fur diverfes parties de l’organifation, & en particulier fur linftrument de la voix. Mais expérience a détruit cette conjecture. J’avois fait conftruire , avec des portions de tubes de verre, des cellules qui imitoient parfaite- ment la forme des cellules royales, pour y obferver la manière dont les vers fe méta- morphofent en nymphes, & les nymphes en Reines. J'ai décrit dans la Lettre VIII les obfervations que je rappelle ici. Nous introduisimes dans une de ces cellules arti- ficielles une nymphe , provenant d’un ver [ 304 ] élevé en Reine fuivant la méthode de M. Schirach. Nous fimes cette opération vingt- quatre heures avait le terme où il devoit naturellement fubir fa dernière métamor- phofe, & nous replaçames notre cellule de verre dans la ruche, pour que la nymphe y eût le degré de chaleur qui lui eft nécef- faire. Le lendemain nous eumes le plaifir de la voir fe dépouiller de fes enveloppes, & prendre fa dernière forme ; elle ne pou- voit pas s'échapper de fa prifon, mais nous y avions ménagé une petite ouverture pour qu’elle put en faire fortir fa trompe, & que Jes abeilles vinflent la nourrir. Je mr'atten- dois que cette Reine feroit abfolument muette ; cependant elle rendit des fons fem- blables à ceux que jai décrits ailleurs. Ma conjecture étoit donc faufle. Je penfai alors que cette Reine sétant trouvée gênée dans fes mouvemens & dans fon defir de liberté, c’étoit l’état de contrainte qui déterminoit les femelles à produire cer- tains fons, Suivant ce nouveau point de vue, les C 36$ ] es Reines élevées, foit à là manière de Sci: rach, foit d’après l'autre méthode ; ont Éga- Iement la capacité de chanter ; mais Pour y ètre déterminées, il faut qu’elles Le ‘trouvent dns une fituation génaänte. Or;'les Reines qui proviennent des vers d’ouvrièrés ‘ne font pas contraintes un feul inftant de leur vie; dans l’état naturel; &fi elles ne chantent point, ce n’eft pas qu’ellés foient dépourvues dé lorgäne de la voix; ceft: qu’elles n’ont rien Qui les incite à €hanter : au lieu que celles qui naiffent dans le tenips des ‘effaims y font excitées par létat de captivité où les abeilles les retiennent. J'attache moi - même peu dé’ valeur à cette fuppoftion, Monfieür ; & ff'ÿéh ai rendu compte ici, c’eit moins pour mien faire un mérite , que pour méttre des obfervateurs fur la voie d'en in sé une meilleure. _ Je ne me ferai pas non plus un mérite de la découverte du chant de la Reine abéille. D'anciens auteurs en ont parlé; M. de Réau- mur cite à cette occalion un ouvrage publié V L 3% 1] en latin en 1671 , fous le titre de #1o- narchia-feminina, par Charles Buttler. (K} Il donne un précis très-court des. obferva- tions dé ce naturalifte. On y voit qu'il avoit embelli, ou pour mieux dire, défi- guré la vérité, en y mêlant les imagina- tions les plus folles; mais il n’en eft pas moins évident que Buttler avoit entendu le véritable chant des Reines, & qu’il ne le con- fondoit point avec le bourdonnement confus qu’on entend: fréquemment dans les ruches. QuaTriÈèME Fair. Lorfque les jeunes Reis nes fortent de leurs ruches natales, en con- duifant :un efjaimn , elles font encore dans létat de virginité. Le lendemain du. jour où