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les cahiers d'aujourd'hui

Octave Mîrbeau

par Marguerite Audoux. Henri *Béraud. Tristan Bernard. George tesson. François Crucy.

Gustave Geffroy, Sacha Guitry,

Frantz Jourdain. Valéry Lar- baud. Thadée Natanson. Er- nest Tisserand. Charles Vildrac.

Séverine. Léon Werth.

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Cinquième Annit

Gustave Geffroy séverine . . . Tristan Bernard Frantz Jourdain Thadée Natanson Marguerite Audoux LÉON Werth . Sacha Guitry Valéry Larbaud Charles Vildrac François Crucy . Ernest Tisserand Henri Béraud . George Besson .

SOMMAIRE

Souvenirs de Mirbeau. Mirbeau à Rennes. Mirbeau et la Postérité. La bonté de Mirbeau. Sur des tjfaits d'Octave Mirbeau. Ce que je sais de lui. Le pessimisme de Mirbeau. . Octave Mirbeau. Mirbeau l'Essayiste. Témoignages. Souvenirs.

Les Farces et Moralités. Notre Mirbeau en Province. Octave Mirbeau vivant.

Octave Mirbeau . . . Aux Soldats de tous les Pays.

Lettres de Mirbeau à Claude Monet, Lettres a Francis Jourdain.

PORTRAITS D'OCTAVE MIRBEAU

Enquête : Les Allemands exposeront ils aux salons français ?

RÉPONSES DE MM. Laprade. Le Fauconnier. Marchand. André Fraye. Joseph Bernard. Marval. Friesz. Lotiron. Asselin. Picart-le-Doux. Bonnard. Vlaminck. Manguin. Matisse. Desvallières. Albert André. Marquet.

LES CAHIERS D'AUJOURD'HUI

publiés sous la direction de GEORGE BESSON

PARAISSENT 6 FOIS PAR AN

RÉDACTION ADMINISTRATION ABONNEMENTS

27, QUAI DE GRENELLE PARIS (XV^)

TÉLÉPHONE: SÉGUR 63-71

ABONNEMENT :

France- Belgique Un an : 24 frs.

Etranger Un an : 28 frs.

CE NUMÉRO: 5 FR.

Dépositaire exclusif pour la vente au numéro : G. CRÈS & C'^ , 21, Rue Hautefeuille, PARIS

IMPRIMERIE SAINTE-CATHERINE, BRUGES, (BELGIQUE). Le Directeur-Gérant : GEORGE BESSON.

SOUVENIRS DE MIRBEAU

J'ai gardé un souvenir affectueux et attendri de l'amitié qui a existé, qui existe toujours, entre Mirbeau et moi. Mais il faut dire que notre première rencontre imprimée annonça mal nos sentiments futurs. Il publiait le pamphlet des Grimaces^ qui n'était guère favorable à la République. Je commençais à écrire dans la Justice^ journal du parti radical qui existait alors, et je ne manquai pas de dire juvénile- ment son fait à Mirbeau qui menait un violent assaut de coups de plume et d'encre corrosive contre la Gueuse. Mirbeau, heureusement, ne s'en tint pas là, changea de route, cingla vers la Littérature, publia les Lettres de ma chaumière, le Calvaire. Je lui apportai, toujours dans la Justice, mon témoignage et mon hommage littéraires, et je vis surgir un matin, dans mon logis de Belleville, Octave Mirbeau en personne, qui venait me remercier. On pense que j'étais touché et confus de cette démarche d'un aîné, déjà célèbre, et que je ne lui parlai pas des Grimaces.

Mirbeau était à cette époque un beau gaillard, haut en couleur, la moustache et les sourcils roux, les yeux verts, une balafre au front. Sanglé dans un vêtement à taille et à plastron, je le vois encore tel qu'un demi-solde batailleur de la Restauration. Il avait, par contre, le sourire affable, la poignée de main énergique, et une grande tendresse dans ses yeux verts. De ce jour, nous vécûmes en bon compagnonnage et en sûre affection. Nous admirions le même art,

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alors en pleine discussion, nous nous rencontrions avec Monet, Pissaro, Renoir, RafFaëlli, avec Rodin, chez l'un ou chez l'autre, dans les salles d'expositions, dans les journaux. Mirbeau menait son combat de façon retentissante dans les feuilles boulevardières, je continuai d'écrire dans la pénombre de la Justice. L'exposition Monet-Rodin, galerie" Georges Petit, nous réunit dans le même catalogue qui réunissait le grand peintre et le grand statuaire. Puis, il y eut des interruptions de nos rencontres, du fait de Mirbeau, très féru de campagne.

Combien il avait raison de laisser Paris pour les ombrages et les fleurs, les fleurs dont il avait la passion, les champs, les bois, les rivières, décor harmonieux et reposant de son travail toujours nerveux, brûlant, combatif ! J'allai parfois le visiter dans ses solitudes, aux Damps, à Carrières-sous-Poissy, à Cheverchemont. Puis, il éprouvait le désir irrésistible de retourner vers la vie de Paris, le journal, l'art, le théâtre. Il y était aussi dans son élément, comme la salamandre dans le brasier. La dernière fois que je le vis à Cheverchemont, il avait invité l'Académie Concourt qu'il reçut, avec M"^* Mirbeau, de la manière la plus cordiale et la plus succulente. Il était visiblement heureux ce jour-là, Claude Monet fut des convives, vinrent, après le déjeuner, deux jeunes littérateurs égyptiens habitant Triel, Adès et Josipovici, auteurs de Goha le simple.

Quoi qu'on ait dit, Mirbeau se plaisait beaucoup aux réunions de l'Académie Concourt, dont il animait les déjeuners de son humeur sarcastique, de ses histoires étonnantes, et aussi de sa verve bon enfant et de ses recettes culinaires. On s'y disputait parfois, Mirbeau se fâchait lorsque son candidat ne " passait " pas, mais il revenait toujours, se rendant^ aux raisons conciliantes nécessaires dans toutes les réunions humaines, même académiques, que les académiciens soient Dix ou Quarante.

Survinrent la guerre, la maladie, les tristes jours l'on vit Mirbeau gardant sa pensée et son espoir, mais dépérissant, frémissant à l'idée de ne pas connaître la fin de la terrible aventure. Quelques jours avant sa mort, je déjeunai avec lui et M™^ Mirbeau, il était à la

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fois accablé par son mal, mais anxieux et ardent, puis je le vis étendu pour son dernier sommeil, les yeux clos, le visage calme, commençant le grand voyage de l'éternité.

Autour de lui, rien n'était changé. Les tableaux qu'il aimait montraient sur les murailles les images de la vie, des paysages de Claude Monet, des paysannes de Pissaro, des fleurs de Cézanne, un torse de fillette au visage rieur, de Renoir... Sur les meubles et sur les socles, des statuettes surgissaient avec des gestes de tristesse et *de regret, des mouvements de marche et de départ. Dans un angle obscur, le buste en marbre blanc de Mirbeau, sculpté par Rodin, semblait regarder Mirbeau mort, et tous deux avaient la même immobilité réfléchie. Le lendemain, on allait emporter et confier à l'abîme de la terre ce qui restait de cet homme qui avait vécu si violemment, et toutes ces œuvres qui avaient entouré son dernier jour garderaient leur aspect fixé et immuable.

Pour ceux qui ont été les amis de Mirbeau et qui lui ont dit leur adieu dans cette chambre mortuaire, ces œuvres des artistes qu'il a aimés et défendus conserveront dans leur mémoire cet arrangement suprême autour de son lit funèbre. C'est désormais le décor de son tombeau, et le souvenir de l'écrivain qui les a célébrées restera vivant au milieu d'elles. S'il y avait une immortalité sur notre planète ravagée par les cataclysmes de la nature et par les convulsions de l'humanité, il serait juste que le nom de Mirbeau subsistât dans l'esprit des générations futures lorsqu'elles contempleront les œuvres décrites par sa plume savante, commentées par son enthousiasme. L'admiration mérite de survivre, comme les créations qui l'ont suscitée. Une grande partie des pages qu'a laissées Mirbeau a été consacrée à des apologies d'artistes, à la célébration de talents et de génies que l'on voit monter vers la gloire. L'avenir devra lui tenir compte de sa prescience, qui s'est si souvent exercée avec une force si magnifique.

Ses dons ne s'étaient pas moins manifestés dans ses romans et dans les livres qui les suivirent, et qui n'étaient plus des romans, mais des pamphlets sociaux, des libres voyages à travers le monde civilisé.

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auquel il ne ménageait pas ses critiques, ses diatribes, ses invectives. Toujours, d'ailleurs, il donna libre cours à son sarcasme et à son indignation, et cette manière qui lui était naturelle, déjà visible dans les Lettres de ma chaumière^ prend une ampleur dramatique avec le Calvaire^ livre d'une rare sensibilité, d'une analyse poussée jusqu'à la souffrance. Si la frénésie l'emporte devant le cas morbide de V Ahhè JuleSy il faut classer comme un chef-d'œuvre la triste et trop véridique histoire de Sébastien Roch, victime de l'éducation qui lui a été imposée. Avec le Jardin des Supplices, l'imagination tourmentée et exaspérée de l'écrivain atteint des bas-fonds d'horreur dont il n'y a peut-être pas d'exemples en littérature (il y en a dans l'art, de Jan Luyken à Goya). Quelques pages excessives du Journal d'une femme de chambre ne doivent pas faire oublier l'extraordinaire acuité de l'observation. Dans la 628-E 8y l'ironie féroce alterne avec l'ironie joyeuse en des pages de force et de finesse, véritables " Reisebilder " de Mirbeau. Avec Dingo, tout en décrivant les faits et gestes de son chien, l'écrivain lui prête son âme inquiète et douloureuse révoltée par tant de vilenies et d'iniquités.

Tous ces livres constituent à leur auteur une physionomie parti- culière, infiniment originale, qui prendra place dans l'histoire de la littérature française, bien que les critiques académiques se refusent même à nommer celui qui possédait un art si étrange et varié, une langue si ferme et irréprochable. " Je suis un caricaturiste, et l'on n'aime pas la caricature ", me disait un jour Mirbeau à propos de ses piécettes de théâtre telles que VEpidémie. Un caricaturiste, soit, mais d'une espèce spéciale, qu'il a créée lui-même, de par son tempérament. Il est évident qu'il n'a pas la bonhomie puissante de Daumier, et je cherche en vain à quel déformateur français il pourrait être comparé. Il y a plutôt chez lui du cauchemar à la Goya, et de la verve cruelle à la Swift. Tout de même, par les Affaires sont les affaires, il a prouvé qu'il savait discipliner son talent jusqu'à lui donner une parenté avec les allures de notre théâtre classique. Telle est, en raccourci, la carrière littéraire de l'ami regretté.

GUSTAVE GBPPROY.

MIRBEAU A RENNES

C'est par un temps d'Apocalypse qu'il a fallu quitter Paris, ce soir du 5 août 1899. L'affluence à la gare Montparnasse, par suite de la coïncidence du procès de Dreyfus avec l'ouverture des grandes vacances et les départs à la mer, a été tellement considérable qu'il a fallu une heure, pas moins, aux voitures, pour gravir la rampe qui monte, à gauche, de la façade jusqu'aux voies. Et sous quel déluge, cinglant malgré les capotes des victorias ; parmi les éblouissements, les éclats de la foudre dont les chevaux s'affolaient ! On entendait craquer les brancards, les roues enchevêtrées, les caissons coincés, tandis que retentissaient les jurons des cochers, les cris des femmes, les hurlements des enfants.

Aux bagages, le chaos et l'assommade ! Impossible de se retrouver, de se reconnaître, dans une mêlée pareille ! Rejoindra-t-on même le train ? Les employés sont fous ou se cachent.

Soudain, sur le fond d'éclairs du hall vitré, comme un personnage de fresque : Bernard Lazare ! Nous nous abordons avec la même question :

Mirbeau est-il ?

Lui, l'initiateur, le propulseur de toute l'affaire, le Nîmois subtil et placide, juif mâtiné de Sarrazin, et moi, interprète instinctive du sentiment des foules, nous sentons combien l'être hardi, vivant, tumultueux qu'est Mirbeau, sera utile là-bas. Son immense talent, au

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service de la cause, l'aura peut-être moins servie que ne la servira, sur place, son verbe enflammé, son geste énergique, son rire énorme. 11 est le sarcasme en personne : il nous le faut contre ces bonzes 1

Nous sommes tous à VHôtel Moderne^ Mirbeau compris. Il est magnifique de foi et de colère sa parole soulèverait des mondes !

Le premier soir a été épique.

Par les soins des amis d'ici, on avait pu se grouper, se réunir presque au complet, sauf quelques-uns logés en ville. Quel coup de filet pour MM. de l'Etat-major s'ils avaient pu faire cerner VHôtel Moderne et déférer ses hôtes à leur justice ! Une seule exception : M. Arthur Meyer. Mais cet israélite subtil et courtois, aura l'art de passer entre les susceptibilités et les irritations sans choquer personne. Toute la presse est ici : il s'y sent donc mieux profession- nellement, fût-ce isolé, qu'à VHôtel de France^ farci de généraux.

Et voilà qu'à la table d'hôte du premier accueil (le système des services particuliers, n'ayant pas encore été inauguré) survient une forte dame au parler important, au geste impératif, suivie d'un officier de gendarme qui a un peu l'aspect d'un garçon boucher. Tous deux s'installent, la serviette au menton, sous les regards curieux et amusés de l'assistance. Qui est-ce }

C'est Lebrun-Renault et sa " dame " : le Lebrun-Renault qui, sur son rapport, le soir de la dégradation, avait inscrit honnêtement : *' rien à signaler ", qui le soir s'était exprimé de même avec les inter- wiewers et qui, beaucoup plus tard, sous la gouverne du général Mercier, avait colporté la légende des aveux !

Comment ces gens ont-ils pu manger, mener leur dîner de bout en bout } Les voisins, d'un seul mouvement, avaient écarté leurs chaises... et on ne les perdait pas des yeux !

C'est à ces moments, que le spectacle donné par Mirbeau, à son insu, devient extraordinaire, mi-terrible, mi-plaisant. Cet être de bonté de ceux desquels on dit qu'il ne ferait pas de mal à une mouche prend allure de grand carnassier aux aguets. Ses maxilaires puissants s'accentuent encore davantage ; sa mâchoire avance, dans un

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mouvement de menton qui n'est pas "joli " du tout, mais étrangement significatif; sa moustache se hérisse, ses prunelles dorées deviennent fulgurantes, ses mains se crispent ou s'allongent en avant. Tout ce qu'il y a de roux et de fauve, dans ce grand diable taillé en force, ressort du civilisé ; il est superbe 1

Et rigoloj pour qui connaît sa nature intérieure ! Car son amertume n'est qu'une déception de tendresse vis-à-vis de l'humanité. Il l'a trop aimée, voilà ! Maintenant, il la juge... Et il en demeure inconsolable, tout en continuant à chercher, ce misanthrope, des occasions de se dévouer, et de s'indigner.

Ici il est servi. Dreyfus d'une part, ses bourreaux de l'autre. Mirbeau a de quoi ne pas chômer ! Et puis l'horreur de l'uniforme, de la discipline, du sabre, qui a toujours été en lui, rencontre, dans l'Affaire, un terrain de culture incomparable. Il y contracte une fureur d'anti-militarisme qui durera autant que les énergies de sa belle intelligence.

Il n'a pas seulement que la haine de la guerre : il tient en exécration la caserne, tout ce qu'elle représente, tout ce qui y touche ! Même les anomalies comme Picquart, Sebert, Cordier, Forzinetti, Ducros, Hartmann, Freystaetter, Carvalho, Bernheim, confirment pour lui la règle d'une hostilité irréductible.

Et il l'exprime, cette hostilité, tout haut, sans se gêner, dans la rue, dans le préau du lycée aux suspensions d'audiences, dans la salle même siège le Conseil ! Il n'est pas provocant : il est sincère mais d'une fougue dans la sincérité qui brave tout, qui emporte tout 1 A aucun ne saurait s'appliquer davantage le mot dont fut spécifiée la capacité de travail du père Damas : une des forces de la nature !

M. Meyer l'a bien senti le jour que, comme un cyclone, Mirbeau lui souffla le conseil d'émigrer vers d'autres parages, de quitter l'hôtel nous séjournions tous. Je n'assistais pas à la scène ; seulement, des témoins encore éberlués m'en rapportèrent les péripéties. Il paraît qu'elle fut homérique.

Mais j'ai vu pleurer deux fois le rude homme: ce matin qu'on

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tenta d'assassiner Labori, et cet après-midi du 9 septembre Dreyfus, encore une fois, fut condamné.

Mirbeau s'était contenu devant l'ennemi. La détente eut lieu dans le hall de V Hôtel Moderne nous nous retrouvions, consternés.

Il n'y a plus de justice !... Il n'y a plus rien ! clamait-il les poings aux tempes. Tout est fini !

C'est alors que je lui dis :

Non, Mirbeau ! C'est maintenant que l'afFaire Dreyfus com- mence...

Il comprit, puisqu'il répliqua :

Ah ! oui, les représailles de l'Etat-Major ! On va voir !

On a vu.

SEVERINE.

MIRBEAU ET LA POSTERITE

Octave Mirbcau possédait, entre autres qualités, la plus précieuse : la curiosité.

Aussi n'avait-il jamais vieilli, caria vieillesse ne commence pour un écrivain que lorsqu'il n'a plus de curiosité.

Notre grand Anatole France nous en a donné un bel exemple. Il n'a jamais été vieux bien qu'Académicien.

Qu'on ne voie pas ici une plaisanterie contre l'Académie. Les bro- carts de ce genre sont désuets et absurdes. On ne plaisante pas un groupement qui a, tout de même, réuni à travers les âges la majeure partie des grands écrivains Français. Mais quand un Mirbeau dédaigne l'Académie, quand un Anatole France se détache d'elle, il n'y faut pas voir une attitude orgueilleuse et enfantine, mais un simple instinct de conservation de la personnalité.

Qu'un tel, ou un tel, ou encore un tel, soit candidat à l'Académie, cela n'a aucune importance. Ils font bien de chercher la consécration, l'enregistrement d'une notoriété honorable et moyenne. Mais, pour un ouvrier libre, adhérer à cette Coopérative, c'est renoncer à soi-même.

Evidemment, il y a souvent, à mépriser l'Académie, une certaine outrecuidance. C'est un orgueil ridicule que de prétendre qu'on n'a pas besoin de l'Académie pour échapper à l'oubli des siècles. Cepen- dant cet orgueil est un devoir pour quiconque croit se sentir un écrivain.

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Un écrivain, avant l'âge de 80 ans, ne doit penser ni à l'Académie, ni à la Postérité.

Henry Bernstein, prononçant la louange funèbre d'Henry Bataille lui prédisait qu'il serait immortel. Il croyait lui décerner l'éloge cul- minant. Mais c'est un préjugé bourgeois que de considérer l'inusabi- lité de l'œuvre comme sa qualité principale :

Quand Malherbe dit :

Et trois ou quatre seulement Au nombre desquels on me range Peuvent donner une louange Qui demeure éternellement...

Ces vers transportent non seulement par leur beauté, mais par l'emphase de leur testimonial, tous ceux qui se mêlent d'écrire.

Théophile, en affirmant que les vers souverains Demeurent Plus forts que les airains nous procure une satisfaction analogue.

N'empêche qu'un dessin sur le sable qui ne dure que quelques heures peut dépasser en sublimité les marbres les plus indélébiles. Seulement, il ne procure pas à son auteur une gloire aussi avantageuse.

Octave Mirbeau n'a jamais eu d'autre souci que de s'exprimer de la façon la plus complète. Il ne s'est jamais demandé si telle ou telle expression garderait la même force, la même fraicheur ou le même attrait pour les générations de l'avenir.

D'ordinaire les critiques, quand ils prétendent savoir ce qui plaira à la postérité me font l'effet de choisir certains fruits, propres spéciale- ment à faire des confitures pour nos petits neveux. Il en résulte que nos rayons sont garnis de pots bien étiquetés, dont la plupart restent couverts éternellement de leur papier parchemin.

Voltaire disait : Dante durera longtemps, car on le lit peu. C'est juste pour beaucoup d'auteurs. Moi, je crois que Mirbeau durera long- temps parce qu'on le lira beaucoup. Le Journal d'une femme de chambre touche, émeut, amuse les gens de notre époque. J'imagine qu'une œuvre de Mirbeau a de grandes chances de survie à cause de toute la vie qui s'est accumulée en elle.

TRISTAN BERNARD.

LA BONTE DE MIRBEAU

Quelque probe, loya], et sincère que soit un homme, il est bien rare qu'il ne se laisse pas influencer par son milieu et par le souci, même inconscient, de l'impression produite par lui sur son entourage. La réputation qu'avait Mirbeau de se montrer agressif, implacable et même méchant le blessait peu et, au fond, ne pouvait lui déplaire car il ne répondit jamais à ces sortes d'attaques et pas une fois il ne tenta de rectifier le jugement fantaisiste porté par ceux qui ne l'avaient pas approché et qui n'avaient rien su analyser dans cette nature fort peu compréhensible pour un observateur superficiel.

L'auteur du Calvaire ne possédait évidemment ni la douceur, ni la mansuétude d'un St. François d'Assises. Il subissait des émotions dont il lui était impossible d'atténuer la violence et il était incapable de ménager, de doser ses coups, mais il était d'une bonté ardente et agissante qu'aucune désillusion, qu'aucune trahison ne parvinrent à éteindre. 11 faut avoir goûté son intimité pour apprécier l'élévation de cet être d'élite dont la sensibilité valait celle d'un enfant, qu'une injustice quelconque exaspérait, que la souffrance d'autrui désolait et qui se rangeait toujours du côté des faibles et des vaincus.

Mirbeau avait un culte pour les fleurs dont il parlait, sans se lasser, avec une admiration d'une tendresse éloquente. Je me souviens de promenades délicieuses dans le jardin de Concourt à Auteuil et, plus tard, dans la propriété de Cheverchemont oii il s'arrêtait à chaque pas

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devant une rose, un œillet, un iris, une pivoine pour s'émerveiller et laisser éclater l'enthousiasme qu'il apportait dans tout ce qu'il aimait. Le vol d'un oiseau le ravissait et il n'admettait pas qu'on fit souffrir un animal. Je vis un jour sa figure se contracter en apercevant dans la campagne, un pigeon blessé se trainer dans un sillon et comme un de nous lui conseillait d'achever la pauvre petite bête, il se déclara incapable de commettre pareille cruauté et il ramena chez lui l'ago- nisant en le portant doucement dans sa main.

Comme cet impulsif supportait mal la contradiction, un jour il se fâcha parce que j'appuyai avec ténacité la candidature de Constantin Meunier pour le monument à élever à Emile Zola, quand son choix s'était porté sur Maillol. Dans son dépit il alla porter à la Revue de Finot un article plus que vif dans lequel je n'étais pas épargné. L'article resta dans les cartons du journal, et lorsque deux mois plus tard je tombai assez gravement malade, oubliant sa colère, Mirbeau vint prendre chaque jour de mes nouvelles et, à ma convalescence, se montra le plus affectueux des amis en s'asseyant à mon chevet et en m'apportant le réconfort de cette conversation si originale, si mordante, si inattendue dont il avait le secret.

Jamais cet homme acerbe et quelquefDis injuste n'a commis une lâcheté, une vilenie, une mauvaise action, et une main tendue désar- mait ses animosités les plus violentes. Ah ! certes non, il n'était pas méchant, et je sais avec quelle générosité il a épargné des adversaires dénués de scrupule et de pudeur qui le salissaient de la façon la plus lâche quand la maladie et la vieillesse le tenaient éloigné de la vie active et quand cependant il aurait pu se venger cruellement en publiant les suppliques larmoyantes et les lettres de plate courti- sannerie dont il avait été inondé.

Les services, la plupart inconnus, qu'il a rendus sont innombrables ; il mettait une sorte de pudeur farouche à les tenir cachés et on l'irritait quand on faisait devant lui allusion à sa générosité. Ses intimes connurent seuls la façon passionnée dont il intervint auprès de Fasquelle pour qu'il éditât immédiatement, sans discussion ni réflexion, le délicieux ouvrage de Marguerite Audoux que mon fils avait mis sous ses

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yeux. Il passa la nuit à lire le manuscrit de Marie-Claire. Enthousiasmé il courut le lendemain matin rue de Grenelle, et il ne sortit du cabinet de son éditeur qu'avec une promesse formelle de publication. Rayon- nant, il annonça séance tenante la bonne nouvelle à celle qu'il n'avait jamais vue, la félicitant, l'encourageant, lui assurant le succès avec cette certitude un peu divinatrice qu'il possédait et qui ne le trompa jamais.

Pauvre Mirbeau comme on a mal compris sa véritable nature et avec quelle venimeuse iniquité certains écrivailleursont laborieusement com- posé sur lui une légende dont il est heureusement facile de discerner le mensonge et la sottise !

PRANTZ JOURDAIN.

SUR DES TRAITS

D'OCTAVE MIRBEAU

Son œuvre est là. L'histoire de sa réputation se poursuit. La mode et les modes auront sur elle leur influence. Il faut les laisser faire, il faut bien. Petit à petit les commentaires vont recouvrir de leur patine ses écrits, tandis que, tant qu'on parlera français, des hommes et des femmes qui auront eu le bonheur de ne pas laisser entamer leur ingénuité, retrouveront, à force de rire les uns et d'autres de s'émouvoir, son génie dans sa pureté et la vertu de sa verve. C'est une gourmandise qu'aimer, même qu'admirer. Les gourmands, quand ils mangent, ne parlent pas. Ils ont mieux à faire de leur langue et de leurs lèvres et assez de besogne pour leurs dents.

Plaisir de choix que d'entendre affirmer qu'il n'y a pas d'écrit qui vaille un homme. Surtout par quelqu'un qui sait ce que c'est qu'un livre. Pourvu qu'il y ait un homme. Jamais il n'y eût plus un homme qu'avec Octave Mirbeau.

Il n'est pas d'herbier qui vaille la grâce d'une anémone en vie.

Un de ces collectionneurs, qui ont plus de joie à deviner qu'à amas- ser, disait qu'à tous les Vuillard, quel que pût être leur délice, il pré- férait, combien de fois ! Edouard Vuillard. Ce qui revient à soutenir que, des hommes, les œuvres ne sont que des signes ou des souvenirs et tout le reste n'est que fétichisme. Qu'il s'agisse, faisant confire des

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épluchures, de ne rechercher des auteurs que quand ils sont en renom ou d'édifier trois volumes de prose sur un recueil de vers. Comment ne pas préférer à l'amateur, qui, même en se privant, couvre de billets de banque un dessin de Watteau, cette dame d'honneur de la grande duchesse de Weimar qu'il fallut à la fin exiler tant elle puait et c'était simplement qu'elle conservait dans un médaillon, entre ses seins, le bout d'un cigare mâchonné par Liszt ?

Mais à un million de coudées de ces enfantillages, même le Moïse et même la Sixtine ne sont rien au prix de Michel Ange tel qu'il fut lui-même. Or nous n^n sommes instruits que par des anecdotes, ses sonnets, des mémoires, un recueil de faits qui ne suffit pas. Que devaient penser du héros ceux qu'il aima et surtout qui l'aimèrent .'' Savonarole dont la mort le dégoûta de travailler et Laurent de Médicis et son fils Jean, le pape ami de la volupté, qui n'ont pas produit son prodige mais auxquels le monde est redevable de son œuvre parce qu'ils en aimèrent le créateur.

Essayons de revivre un peu avec Octave Mirbeau, délectation s'il en fut et de donner quelque idée du souvenir que les amis qui l'approchèrent conservent d'un trésor. Quand ce ne serait que pour fournir à la curiosité que suscite un tel homme ou seulement un aliment à des rêveries.

Il fut lui-même au moins en dix êtres divers qui ne se ressemblaient que par la qualité de leur relief. L'ardeur de ses préoccupations arrivait à modeler non seulement sa physionomie, mais son corps. Il se racontait, sans se ménager plus que les autres, trouvant mille occasions de se moquer, lui compris, de tout le monde ou de s'exalter au seul souvenir des batailles qu'il avait menées. Paraissaient tour à tour l'étudiant venu à Paris de sa Normandie, le mobile de 70, le sous-préfet du 16 Mai, le journaliste du temps de Jules Grévy et le boursier de l'année de l'Union générale et du Krach. C'était encore le polémiste de toutes les modes et de toutes les luttes d'idées qui vont, de la fin du XIX^ siècle au début de ce siècle-ci, du naturalisme au symbolisme et de l'impressionnisme à l'anarchie, en passant

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d'Emile Zola à Stéphane Mallarmé, et de Rodin et de Cézanne à Pierre Bonnard par Ibsen et Nietsche, Wagner, Dostoiewsky et Debussy. Vient l'affaire Dreyfus il se donne entièrement. Entre temps il grandit toujours par ses livres. Une pièce qu'il écrit fait saillie dans l'histoire du théâtre français. Toujours, partout, le même tonnerre ou la même séduction d'un homme qui s'imposait souve- rainement, sans que le moindre effort fût perceptible. Qu'il s'animât jusqu'à faire immanquablement taire tous les autres ou qu'il se tût si longtemps à écouter, boire ce qu'il entendait, dévorer ce qu'il regar- dait. Ce qui jamais ne varia c'est la hauteur et la souplesse d'une taille qui se cambrait et se ployait avec infiniment de grâce et portait à ravir, de quelque vêtement qu'il l'habillât, le tricot du marin ou le frac ouvert sur un plastron d'émail, avec la même aisance que rien n'égalait et en faisait l'invité de ses invités comme le maître de toute maison il paraissait et ne brûlait que sa flamme. La flamme de cette flamme elle s'allumait toute dans ses yeux dont l'éclat mais plus encore la clarté, couleur des rivières qui courent, faisait jouer des paillettes de métal. Le même œil, quand grondait la colère, scintillait non sans férocité et le poil, qui se hérissait autour, achevait, avec la dureté d'une mâchoire dont les muscles se bosselaient, sa ressemblance avec un tigre. Mais le même œil, quand il voulait séduire ou rede- venir lui-même, reprenait la limpidité des eaux tranquilles c'est un délice de se mirer, tandis que dans le visage n'apparaissait plus sous la moustache en or qu'un sourire se nuançait une gentillesse d'enfant.

S'il fumait, dès le réveil, toujours des cigarettes de caporal, rare- ment un cigare, même entre les plats et ne s'arrêtait, et encore! qu'endormi, c'est qu'il lui fallait, comme il rongeait ses ongles, amuser les élans de son impatience, toujours en éveil et en quête de motifs d'exaltation, ou quand elle avait été assez loin, qu'il voulait un appui à sa lassitude et l'étendait pour la laisser rêver. Entre ses jambes ou à ses pieds c'était d'un manège du même genre que l'environnait, non moins assidu, un chien, toujours de race.

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Une dame qui conservait encore dans la corpulence de sa soixantaine les yeux et un peu du sourire d'une beauté dont on avait parlé et l'accent du pays d'où elle était venue, on la vit un soir tendre vers lui les bras en attestant qu'elle avait eu l'envie toujours et la gardait de ce qu'elle appelait dans son langage " sa jolie frimousse de Gaulois ".

Un avocat, qu'on appelait un grand avocat, qui n'aurait pu compter certes après sa mort sur plus de dix ans de célébrité, et encore réduite à ses confrères, mais qui ne savait à Mirbeau aucun gré de l'avoir transmis à la postérité grâce à un profil en gargouille dans un de ses livres, trouvait risible que ce fût à Bismarck qu'on pût comparer l'écrivain. Il ne s'agit pourtant que d'une ressemblance physique à un moment donné elle paraît indéniable quand on rapproche deux photographies.

De la diversité que cet animateur sans pareil répandit et fît vivre non moins dans sa vie que dans ses écrits les extrêmes sont figurés par la fougue d'une sorte d'officier de cavalerie, encore plus ami des bêtes et des plantes que comtempteur des humains, d'une violence qui fait trembler et d'une hardiesse qui déconcerte mais d'une humilité l'instant d'après qui fait qu'on s'attendrit, dont les salons que Stendhal eût dit ultra, raffolent, qui fait peur aux salles de théâtre et envie aux salles de rédaction, viveur, persiflant la sottise, impitoyable pour les épisodes d'une guerre dont sa verve mettait en relief moins la part de drame que la part, comble, d'opérette, trouvant à la vie un goût de bouffonnerie dont il voyait à peine la peine de rire, mais prêt le mois d'après à périr de trop aimer ; mâle dont on envie les bonheurs, se battant dix fois en duel sans être touché une, épris de toute créature dans sa fraîcheur et des objets d'art ou des idées dans leur nouveauté, promenant dans tous les milieux pres- qu'une frénésie de vivre et sa curiosité dans toutes les contrées, n'acceptant pour guide de ses goûts que son goût à lui et d'autre maître que les idées dont il fait choix ou sa fantaisie et, à la fin, par le contemporain au désespoir des guerres de 14-18. Celui-là est un

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vieillard mais à qui sa douleur d'esprit procure un retour de jeunesse qui se noie d'amertume. Il n'arrive pas à se consoler de la déroute de toutes les philosophies dont la générosité l'avait conquis. L'insanité qui fait délirer l'univers le met à la torture. Ce qu'il espère avant tout de la victoire, n'est-ce pas Athis ? et vous Ker Roussel ? c'est la fin de la violence. A Cheverchemont, à Triel, il caresse de ses doigts qui tremblent les arbres de son jardin. Il laisse croître ses cheveux et sa barbe aussi longs que les portait Tolstoï, Tolstoï que la gravité de sa tristesse évoque, Tolstoï qui a marqué si souvent pour lui son admi- ration et auquel il finit par ressembler étrangement. Jusque sur le lit il agonisa, fidèle à ses amitiés, gardant sa piété à ses rêves de jeunesse, environné des tableaux et des statues qu'il a, le premier, proclamé des chefs-d'œuvre mais qu'il refuse de vendre à n'importej quel prix aux marchands qui vivent de leur consécration. A ses forces qui s'épuisent, ses colères tombées, sa gentillesse et son goût de séduire survivent. D'un ami qui se soulève à son chevet et dit sa peur de le fatiguer, il retient la main en proférant avec peine mais infiniment de grâce et toute la coquetterie de sa tendresse. " Restez, c'est une si bonne fatigue !

Octave Mirbeau manqua toujours divinement de mesure. A la façon des héros. A la façon des dieux et de Dieu lui-même, dont ce serait, s'il est, un des attributs. Le mesure est bonne pour les moindres d'entre les humains. Le manque de mesure d'un sot peut donner des velléités d'assassinat. Le tout est de savoir si l'on se sent de taille à manquer de mesure !

[1 n'aimait que jusqu'à la dévotion. Il ne détestait qu'à partir de la haine. Mais dans quel paradis son imagination savait s'ingénier à enchanter ceux qu'il aimait ! Sur ceux qu'il n'adorait, ni n'exécrait il ne s'est jamais senti la force d'ouvrir la bouche. A ses favoris il passe tout. D'eux tout est à louer. Ils n'en disent ni nen font jamais assez. Pour les autres, sa verve était sans pitié. Quand on parlait devant lui de tel auteur au pinacle dont les succès s'accumulaient et qu'il mépri- sait, qu'on supputait le total de ses gains. " Laissez, laissez, disait-il,

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c'est un feu qui ne durera pas. Déjà je mets de côté pour lui mes pantalons hors d'usage ". De fait le jour vint il put les offrir. Comme on essayait qu'il concédât dans une œuvre dont ne subsistait à la fin d'une discussion que des miettes, qu'il concédât la marque au moins d'un effort. " Un effort ? un effort ? grondait sa voix, mais c'est-à-dire que c'est le contraire de l'effort ". D'un geste de la main il coupait un verbiage qui l'impatientait : " Pourquoi mentez-vous quand vous savez que vous mentez et que vous savez que je le sais ". Mais personne ne se fût avisé de toucher devant lui à Hiroschighé ou à Toulouse-Lautrec, à Sacha Guitry ou à Claude Monet. En quoi il ressemblait si fort au sage de la légende orientale qui apaise la querelle en cris et en larmes de deux enfants auprès d'un panier de fruits, et, selon sa promesse, rend entre eux la justice " comme ferait Dieu lui-même " donne à l'un tout le panier et ne laisse à l'autre rien. Nourri de St-Simon il avait appris de lui à haïr et mépriser Louis XIV. Rien non plus ne lui paraissait plus comique que Napoléon et il s'esclaffait des heures durant à lire le Mémorial. Cependant jamais il ne parlait pour étonner et rien ne l'étonnait plus que les étonnements qu'il suscitait. Il disait tout et ce qui paraissait une énormité le plus naturellement du monde car il ne haïssait rien tant que l'affectation. Des hommes superficiels ou qu'il avait maltrai- tés pouvaient lui reprocher de manquer du sens de la critique : il avait le sens de l'essentiel. Son ami Renoir aussi se plaignait qu'on ne voulût pas admettre ses copies de Delacroix qui n'avaient absolument rien de commun avec celles qui abondaient. Il fallut le temps pour qu'éclatât leur ressemblance avec la gloire des modèles. Ainsi les critiques de tous les jours ne discernent pas les objets qu'on leur soumet, en disent du bien ou du mal selon la place laissée à leur papier et continuent. Ainsi vont les poules qui portent sur le délice, qu'elles ignorent, de leur robe, l'étroitesse de tête de la bêtise elle- même, et ne distinguent pas entre les grains et les vers qui tentent leur bec. Mais il est des humains qui, par prédestination, écartent l'ivraie, et font sa place au grain, voire à celui qu'ils savent capable, tel le blé contemporain des momies, capable de germer encore après

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des siècles. Or, à mesure que les années passent on vérifie qu'Octave Mirbeau fut toujours, comme Baudelaire, mais avec plus de sim- plicité, du bon côté.

C'est bien encore à la façon des prophètes qu'il a fait toute sa vie trembler les puissants et fourni des opinions au monde. Mais le même qui pouvait en cent lignes consacrer Maeterlinck que la veille on ignorait ou démolir un ministre (M. Leygues ou tel autre survivront parce qu'ils l'irritèrent ou l'amusèrent) pouvait s'arrêter une heure à bavarder avec un cantonnier ou un boueux. Et comme il savait, qu'on demande à Tristan Bernard ! parler des fleurs ou de certaines grami- nées.

On a pu entendre dire qu'il était possible même facile de prendre sur Mirbeau de l'influence. Sans doute il écoutait Mallarmé avec déférence, il en écouta même d'autres, Vanderem, Werth, ou Vallotton, Félix Fenéon avec enchantement, et toute sa vie Léon Blum. Mais on en a entendu se vanter de lui avoir fourni un motif, tel épisode, voire l'idée d'une scène. Ces bavards l'auraient donc inspiré : à peu près à la façon d'un caillou qui en dégringolant du haut d'une berge fait retentir le tonnerre des échos d'un torrent. L'historiette caillou n'est même jamais reconnaissable. C'est qu'alors qu'on s'imaginait naïvement qu'il écoutait, c'est en lui-même qu'il entendait retentir l'anecdote. Les types aussi et les scènes se sculptait sa maîtrise il en avait beaucoup moins regardé que vu les modèles, on voudrait dire les yeux génialement fermés. D'où des proportions qui confondent, enchantent le lecteur et lui soumettaient, quel qu'il fût, tout auditoire. Il fallait ne plus l'entendre, avoir échappé à son emprise, pour crier à l'invraisemblance. Qu'il l'apprît, il en ajoutait. Fertilité du poète qui tire de lui-même toute la matière qu'il faut pour recréer le monde.

Un écrivain qu'il avait vu tout simplement venir chercher de l'argent à un guichet, ne fournissait, a-t-il pu faire rire assez Coolus et combien d'autres, jusqu'au modèle je crois bien ? ne fournissait rien moins qu'un pendant au délire d'Harpagon volé de sa cassette. Mais un mot d'un financier, un rien, produit la scène dernière des

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"Affaires". Répétons, écoutez le mot de Beethoven qu'un de ses amis, ne serait-ce pas Paisiello ? avait emmené entendre un opéra qu'il venait de faire jouer à Vienne. Beethoven ne cessa de marquer d'acte en acte son admiration, se récriant presque à chaque morceau, et, tenant l'auteur embrassé à la sortie, concluait à tue-tête : " Enfin il est magnifique votre opéra, il faut absolument que je le fasse " !

Il ne fallait défier Octave Mirbeau de rien, ni en propos, ni en actions. Il faisait à sa guise. Pair de tous les grands. Il a toujours réussi tout ce qu'il lui a plu d'entreprendre. Il a su le cas échéant faire tout un journal de la première à la dernière ligne. Quand il y a été obligé, il a gagné beaucoup d'argent à la Bourse. Le jour venu il a fait des livres. Quand il a abordé le théâtre il y a triomphé.

Rien ne lui résistait. Rien ne subsistait avait passé le vent de sa violence. Force était aux plus fiers, aux plus hautaines aussi de céder à sa douceur.

Quand il s'était fâché comme un Dieu, sans plus de justice, qu'il avait été aussi partial qu'une amoureuse, ou qu'il avait ri comme un enfant, sans plus de raison, mais ri aux larmes, qu'il dénigrât un homme en place, s'attendrît sur un malheureux, ou fît voir clair enfin dans ses admirations à celui qui croyait en connaître le mieux tous les motifs, on n'était à l'écouter qu'au bonheur de l'entendre, sans même s'étonner sur le moment, tant la puissance et la diversité de son génie avait jailli avec naturel.

THADBE NATANSON.

CE QUE JE SAIS DE LUI

Je le trouvais en haut du chemin il aimait à attendre et voir venir ses amis. Les deux mains tendues, il s'informait d'abord de ma santé, puis il ouvrait la barrière verte de son beau jardin, et tout de suite il m'entraînait par les allées.

Venez voir mes fleurs. Nous allions lentement d'une touffe de fleurs à l'autre pendant^

qu'il m'expliquait de quel endroit il les avait fait venir, et quels soins elles exigeaient. Les rosiers grimpants, surélevés, encerclés et formant d'énormes bouquets placés de-ci de-là sur la pelouse, attiraient et retenaient le regard. Mais c'était surtout vers les fleurs rares que Mirbeau s'attardait pour m'cxpliquer leur origine. Je ne pouvais retenir leurs noms compliqués, pour la plupart. Il s'en étonnait :

C'est que vous n'aimez pas les fleurs, disait-il. Et il souriait avec une indulgence pleine d'ironie.

Quand fleurirent les pavots, ce fut comme une plus grande fête dans le jardin. Il n'y en avait que quelques pieds, mais ils étaient si hauts et si toufflis qu'ils paraissaient garnir à eux seuls toutes les plates bandes. Les rouges surtout avaient un éclat si éblouissant qu'ils semblaient plutôt des morceaux de soleil tombés dans la verdure et restés accrochés aux tiges. Des boutons plus gros que le poing, lais- saient échapper comme à regret une soie brillante et frippée, tandis que les fleurs épanouies étalaient de larges pétales d'un rose à peine

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teinté ou d'un jaune si merveilleux qu'on pensait tout de suite à des robes de fées.

Il y avait aussi les digitales, avec leurs clochettes bariolées, quel- ques-unes, velues et comme armées de crochets à l'intérieur semblaient des bêtes étranges et mauvaises, dont je m'éloignais.

Oui, elles portent en elles le mal, disait Mirbeau, mais elles sont si belles,

I] n'accordait pas moins d'importance aux arbres qu'il faisait planter dans des endroits soigneusement choisis à l'avance, lit il arrivait que l'un d'eux dépérit, il s'en désolait et disait :

Je n'ai pas su trouver la place qui lui convient. Il s'attardait auprès de l'arbre, il en faisait le tour.

Voyez-vous, disait-il, il ne se plait pas ici, il s'ennuie, et si je ne l'ôte pas de là, il va mourir.

Et les mains derrière le dos, les épaules voûtées et son grand corps incliné, il s'éloignait tristement de l'arbre malade.

La souffrance des choses tout autant que celle des êtres lui apportait à lui-même une souffrance qu'il augmentait comme à plaisir. Rarement il riait, et lorsque cela lui arrivait, son rire était plus amer que gai.

11 eut pourtant un instant de franche gaîté le jour je lui avouai ne pas savoir reconnaître un sycomore d'un platane.

Ils sont cependant très différents, me dit-il.

Et il me montra l'un et l'autre. Mais, peu après, comme nous tournions le dos aux deux arbres, il eût une malice dans les yeux en me demandant soudain :

A quoi reconnaissez-vous un sycomore d'un platane .''

Le sycomore est plus brun, dis-je. Il s'arrêta tout surpris.

Plus brun, c'est vrai, reprit-il, mais je n'y avais jamais songé, quoique je sache les différencier depuis toujours.

Il reprit sa marche tout en riant, et il dit encore, se moquant de lui-même.

On croit tout savoir...

L'intérieur de sa maison faisait encore penser aux fleurs, tant les

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murs en étaient peint de couleurs délicates. Il n'aimait pas à y rester enfermé cependant. Et lorsque son cabinet de travail ne le réclamait pas, et que le mauvais temps l'empêchait de sortir, il se tenait dans un retrait du grand vestibule, d'où il pouvait voir tout ensemble par la baie vitrée, le ciel, le jardin et la vallée de la Seine qui s'étendait au loin. Il aimait aussi à marcher d'un bout à l'autre de la galerie qui élargissait sa maison. Ainsi, il lui semblait qu'il était encore dehors.

On eut dit qu'il n'était à l'aise qu'au milieu de grands espaces. Selon lui, son jardin manquait d'étendue, et sa maison était beaucoup trop resserrée. Parfois lorsqu'il y entrait, il avait un mouvement violent des épaules, comme s'il eut voulu, d'un seul coup, en reculer les murs.

Dans les derniers temps de sa vie il ne put résister au désir de la faire agrandir. Et comme je m'en étonnais en disant qu'elle était déjà très grande, il me répondit bourru et comme en colère :

Une maison n'est jamais trop grande.

La laideur lui apportait la même souffrance que l'injustice.

Tout ce qui est laid est méchant, disait-il.

Il critiquait sans mesure, mais il ne se montrait pas plus satisfait de lui-même que des autres. Jamais il ne trouvait ses actes assez nobles, assez purs, et toujours il restait inquiet de ce qu'il avait dit ou fait, avec le regret de n'avoir pas dit ou fait mieux.

Une grande partie de son temps se passait à lire les manuscrits qu'il recevait de tous côtés. Et un jour, que quelqu'un le plaignait de la fatigue que devait lui apporter une pareille occupation, il répondit aussitôt :

Il le faut bien, car dans le tas, il peut y en avoir un bon.

Et, à ce moment-là, toute la générosité qui était en lui, apparut dans son regard.

Il était sensible à toute affection, mais il désirait surtout être aimé des pauvres.

" Vous l'êtes, lui disais-je. "

Il réfléchissait une minute, puis sa lèvre se retroussait de façon ironique :

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Savoir ? faisait-il.

Il en eut la preuve quelques semaines avant sa mort.

Les hommes, alors, tous occupés à pointer des canons à fabri- quer des obus, n'avaient pas le temps de réparer un tuyau de chauffage destiné à entretenir la chaleur dans la chambre d'un malade. Il s'en trouva deux cependant qui sacrifièrent leur nuit de repos à cette réparation nécessaire. Et au matin, lorsqu'en plus de leur salaire on leur offrit un bon pourboire en récompense de leur adresse et de leur activité, ils refusèrent simplement en disant :

Pour Mirbeau, nous aurions même travaillé pour rien. Lorsqu'il mourut, l'amour des pauvres vint encore à lui.

Tandis que la foule se rangeait derrière le cercueil, un fiiacre s'avança comme pour prendre la file et suivre aussi le convoi. Mais au même instant un passant qui semblait très pressé l'arrêta en lui faisant signe de tourner. 11 y eut une discussion. Le vieux cocher refusait de charger le client sans vouloir donner aucune raison pour cela. Et comme le passant, fort de son droit, insistait et prenait quand même place dans la voiture, le cocher lui dit l'air chagrin :

Enfin, Monsieur, puisque vous l'exigez, je vais vous conduire

chez vous, mais j'aurais été bien plus content de suivre Mirbeau

jusqu'au cimetière.

MARGUERITE AUDOUX.

, )

LE PESSIMISME DE MIRBEAU

Si dans les années qui précédèrent la mort de Mirbeau, quelqu'un lui parlait de ses livres, il répondait avec une sorte d'irritation : " Ce n'est rien... rien du tout... " Ou bien ses yeux, interrogeaient naïvement et il disait, d'une voix d'enfant qui doute : " Vous croyez... alors vraiment... Vous croyez...''"

Et si Mirbeau n'était pas dans un jour de découragement et de négation, il ajoutait :

" Peut-être ai-je eu un certain sentiment de la vie... Et j'ai été pessimiste...

Je crois bien qu'il disait aussi : " Etre pessimiste... tout est là...

Et quand bien même il n'eût point ajouté ce commentaire, le mot de pessimisme prenait dans sa bouche une grande force, la même force que les adjectifs d'admiration ou de mépris dont il usait pour juger un homme. C'était alors comme si l'épithète se fut détachée des autres mots, fut devenue une masse solide, dont Mirbeau eût pleine satisfaction. Si Mirbeau prononçait le mot : admirable, il semblait heureux, comme s'il eût dressé une statue dans l'espace. S'il détestait, son visage et sa voix se crispaient. Il prenait le mot, comme on prend une arme, le répétait, comme on frappe plusieurs coups, le répétait pour anéantir. Mais il arrivait souvent qu'à l'instant Mirbeau semblait le plus sûr de son arme, il la maniât avec hésitation. Le mot contondant n'était plus qu'un pauvre mot parlé, souvent un mot balbutié.

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Mais, quand il disait : pessimisme, il le disait avec calme et fermeté, comme si le mot eut contenu en lui seul toute la vérité.

Mirbeau aimait les êtres simples, les jardins et les fleurs. Mais toute sa vie il toucha à des milieux l'on ignore la simplicité et l'on ne connaît point d'autres fleurs que celles qui poussent en gerbes dans les vitrines des fleuristes. Peut-être ce contraste explique-t-il l'alternance de son enthousiasme et de son amertume. On ne sait guère d'ailleurs que l'amertume de Mirbeau était en quelque sorte dirigée vers le dedans et qu'elle était bien plus rongement qu'invec- tive, souffrance que colère, mépris que haine. A la source de cette amertume, il y avait toujours une déception... Et la générosité même de Mirbeau, la confiance presqu'enfantine qu'il accordait d'abord aux inconnus devait multiplier ces déceptions. Nul n'était plus sensible que lui au magnétisme de l'individu. Mais quel que fut l'homme inconnu qu'il voyait pour la première fois, il le paraît d'extraordinaires qualités. 11 attendait tout de lui... Contradiction bien naturelle : cette même générosité qui accordait tant dans l'excitation du premier contact refusait tout dès que s'était révélée la bassesse ou l'inertie du personnage. Mais qu'il fut à nouveau en contact avec celui qui l'avait déçu, qu'il avait placé si haut et qui, à l'expérience, lui semblait tomber de si haut, Mirbeau souffrait de son propre jugement et n'en accordait point la rigueur au sentiment qu'il avait de toute présence humaine. Voilà ce que les âmes basses ne peuvent comprendre, voilà pourquoi elles n'ont vu en Mirbeau qu'un homme violent, incohé- rent dans ses sympathies et ses haines.

Souvenez vous de ce passage de la 628 E 8. déjà cité dans les Cahiers. Mirbeau parlant de cette envie furieuse qu'il a de contredire et même d'injurier l'homme qui l'impatiente ou la femme prétentieuse et littéraire qui commence à disposer ses phrases, fait l'aveu que ses convictions les plus ardentes, si elles passent dans leur bouche, ne lui semblent plus siennes. Mais il ajoute : " Je ne me contredis pas, je les contredis...

Mirbeau eut beaucoup de gens à contredire. Quand il débuta, le Boulevard n'était pas sans doute un pays de pure légende, comme il

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l'est devenu. Et quand bien même Mirbeau eut acquis déjà l'expé- ' rience qu'il devait avoir plus tard des gens de lettres et de leurs groupes, il eut été incapable de cette défense qui consiste à rejeter en bloc et à mépriser dans l'universel. Ceux-là même qui l'ont connu vieilli peuvent deviner la curiosité qu'il avait des êtres. Mirbeau a j aimer au premier contact, aimer d'attente, ceux-là même dont un | observateur médiocre et moins ardent eut aussitôt saisi l'indignité et la fourberiel. ^

Il fait allusion, dans sa préface à une exposition de Félix Vallotton, 1 à la diminution par les contacts, à la flétrissure par les milieux de littérature et de journalisme. Mais il retrouve la sérénité auprès des peintres de son époque qui accomplissent leur tâche avec dignité, sans penser au public, sans penser aux pourboires du succès... Ainsi dans le Calvaire et dans quelques pages postérieures en date, Mirbeau découvre avec une sorte d'épouvante l'emprise de la courtisane méchante et l'esclavage auquel elle contraint l'homme réfugié dans une haine muette... C'est du même sentiment qu'il découvre la bassesse de l'homme et l'infamie de la femme. Ceux qui ne retrou- vent qu'eux mêmes en cette bassesse accusent de sadisme son besoin d'agression et l'exaspération de son dégoût.

11 pouvait se réfugier dans les jardins et contempler les fleurs. Ceux qui l'ont vu dans le jardin de Claude Monet se pencher vers une échinacéa, il aimait à nommer les fleurs comprendront. Mais il ne savait pas oublier les hommes. Tant qu'il eut conscience, il les j espéra simples et bons et ne se résigna jamais à accepter la moyenne combinaison, dosée selon l'usage social, des vertus hypocrites et des sadismes de huis-clos. C'est dans cette non-acceptation et dans l'oscillation jamais diminuée entre ce qu'il espérait des hommes et sa déception qu'est peut-être la grandeur et le tragique de sa vie...

LÉON WERTH.

I

OCTAVE MIRBEAU

J'ai connu Mirbeau chez mon père, kVépoquQ des Mauvais Bergers. C'était en 1897, j'avais 12 ans et l'impression qu'il me fit fut profonde. Il était grand, beau, mince et élégant. Il avait des yeux d'un bleu très clair, un regard inoubliable et des sourcils terribles. Il avait des poils roux sur les mains et sa façon de parler était rapide, saccadée, persuasive et passionnante. Il avait toujours vu la veille ou le matin même des choses extraordinaires. On l'écoutait avec un peu d'in- quiétude et avec ravissement. On ne lui coupait jamais la parole, car on ne savait pas si ce qu'il racontait était à moitié vrai, com- plètement faux ou tout à fait exact mais quand Mirbeau était venu déjeuner à la maison il était question de lui pendant cinq ou six jours et l'on se répétait ses mots, ses histoires et on l'imitait et de nouveau mon père l'invitait pour les lui faire répéter. Mais Mirbeau ne répétait jamais ses histoires. Il en avait toujours de nouvelles.

Je me rendais bien compte à cette époque que Mirbeau était un grand homme mais je ne me rendais pas compte de l'homme qu'il était.

Sa bienveillante amitié pour moi et ma gratitude pour lui datent de 1 907. Je venais d'avoir un four noir au théâtre Réjane La Clef et la lettre qu'il voulut bien m'écrire au lendemain de cette pièce est

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gravée dans mon cœur. Depuis et jusqu'à sa mort je n'ai cessé de le voir et de l'aimer davantage si malgré la décourageante sévérité de la presse à mon égard j'ai continué d'écrire, c'est à Mirbeau que je le dois qu'on lui en fasse un grief si l'on veut mais qu'on ne m'empêche pas de lui en témoigner ma profonde et tendre reconnais- sance.

Il faut absolument que les amis de Mirbeau parlent de lui et disent ce qu'ils savent de son caractère et de son cœur chaque fois qu'ils en ont l'occasion car ceux que Mirbeau n'a pas aimé ne peuvent se faire une idée de l'homme qu'il était.

D'autres, bien mieux que je ne saurais le faire vous parleront de son œuvre et vous diront pourquoi Mirbeau était, est et restera l'un des plus grands écrivains du siècle, mais je me flatte de pouvoir mieux que n'importe qui vous dire que l'amitié de Mirbeau était d'une qualité rare, inestimable, supérieure et qu'aucune amitié jamais ne saurait la remplacer. On se faisait des ennemis quand on avait son amitié tant elle était précieuse et recherchée. Dix lignes de Mirbeau sur Cézanne faisaient trembler de rage une demi-douzaine de mauvais peintres.

Il est une vertu française qui semble hélas ! s'éteindre davantage chaque fois qu'un homme comme Mirbeau s'en va c'est l'enthou- siasme ! Mirbeau était d'une époque oii l'on se battait pour une idée, l'on se dévouait à ses amis. Souvenez-vous de Rodin, de Monet, de Maeterlinck, et de Dreyfus.

Mirbeau était bon, généreux de toutes les manières, galant, courtois, attentionné, indulgent et juste il avait toutes les plus belles quali- tés et si je pouvais réunir ses ennemis, je leur dirais : " Vous croyez " que vous n'aimiez pas Mirbeau, quelle erreur ! c'est lui qui ne

" vous aimait pas !

SACHA GUITRY.

MIRBEAU L'ESSAYISTE

Dans vingt ou trente ans les historiens de la période littéraire iSço-Jçio auront à s'occuper de l'œuvre d'Octave Mirbeau, roman- cier, essayiste, dramaturge et critique, et rechercheront tous les docu- ments qui pourront éclairer la figure de cet homme de lettres qui a joué un rôle très important dans la vie intellectuelle de cette période. Ceux qui l'ont connu ont donc le devoir d'apporter leur témoignage à ceux qui essaieront de définir les mérites de son œuvre et l'étendue de son influence.

J'ai connu Octave Mirbeau, d'abord, comme tout le monde, par ses livres, du moins par ceux de son époque de grande notoriété, qui ne sont pas véritablement des romans, mais des séries d'essais. J'avais, au collège, aimé Montaigne et Diderot, et vers vingt ans j'avais eu la chance de rencontrer l'œuvre de H. D. Thoreau : j'étais donc tout préparé à comprendre et à goûter un essayiste français contemporain. Comme on dit " Hazlitt l'Essayiste ", je disais " Mir- beau l'Essayiste ". Je lui savais gré de nous donner autre chose que des romans psychologiques ou naturalistes, et de renouveler la forme " essai " en y introduisant les préoccupations et les aspirations intel- lectuelles, les préférences esthétiques, et même les affectations et les manies, les bons et les mauvais goûts qui constituaient le fond de la vie, non seulement française, mais européenne, de l'époque. Passant sur ce qu'il y avait d'un peu gros dans ces essais, sur cela qui, préci-

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sèment, devait faire le succès de vente de ses ouvrages : les anecdotes de table-d'hôte et ces " passages scabreux " qui devaient faire prendre ses livres au grand sérieux par les lecteurs campagnards et par les collégiens, je m'attachais, et quelquefois avec enthousiasme, à tout ce qui, dans ces livres, était interprétation de la vie et de la sensibilité contemporaine, à tout ce qui était purement littéraire et ouvrage de moraliste et de poëte. Comme je vivais, la plupart du temps, hors de France, et que je ne lisais pas les journaux de Paris, j'ignorais com- plètement son œuvre de critique d'art et de critique littéraire, ces articles qui ont servi à lancer quelques-uns des meilleurs écrivains et des plus grands peintres de l'époque. J'avoue que j'en ignore encore un grand nombre, et je suis surpris qu'on ne les ait pas depuis longtemps réunis en volume. Une édition complète et soignée de ces articles serait assurément le plus beau monument qu'on pourrait élever à sa mémoire.

Rentré à Paris en 1906 je fis la connaissance de quelques écrivains qui étaient en rapports d'amitié avec Mirbeau : Charles-Louis Philippe, entre autres, et lorsque je fis imprimer, en 1908, la première partie d'un ouvrage que j'ai publié, complet, en 19 13, j'envoyai à Mirbeau un des cinquante exemplaires du service de presse. 11 ne m'en accusa pas réception, mais quelques mois plus tard j'eus la grande surprise et le très vif plaisir d'apprendre qu'à la réunion de l'académie Con- court pour l'attribution du fameux prix annuel, il m'avait donné sa voix, bien que je n'eusse pas fait acte de candidat et que ce volume eût paru sous le nom de l'auteur supposé, principal personnage de mon livre. De tous les encouragements que je reçus alors, ce fut peut-être le plus précieux, et je suis confus lorsque je songe que je ne l'en remerciai pas immédiatement. Toutefois, à partir de ce moment- là, je me sentis en rapports avec lui : je n'étais plus un inconnu pour lui, et il était certain que tôt ou tard nous nous rencontrerions. Mais ce ne fut qu'après la mort de Ch. L. Philippe, et en 19 10, que j'eus avec lui une première entrevue. Je m'attendais à une déception. Par ses livres, et hors de France, j'avais connu " Octave Mirbeau l'Essayiste ", l'écrivain européen ; et voici que j'allais me trouver en présence de

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'homme, du membre de l'académie Concourt, du monsieur " bien :onnu à Paris ", du notable habitant. (Evidemment, la rue de Long- :hamp n'était ni les Charmettes, ni Sils-Maria). Mais non : ce fut bien .'homme, et dans un certain sens, le monsieur, l'homme bien élevé, que je trouvai, mais pas du tout le notable habitant. Il ne portait pas a notoriété sur lui. Sa brusquerie n'était pas l'assurance de l'homme qui a profondément conscience de son importance sociale locale, qui 5e sent solidement installé dans la considération des gens qui l'entou- rent, et qui ne doute plus de lui-même. Cette brusquerie n'était pas ion plus une pose. C'était plutôt une habitude née du besoin de protéger une sensibilité très délicate et toujours en danger d'être froissée. Je me rappelle bien, dans l'ombre d'un salon, ses yeux d'un gris-vert extraordinairement clair, presque pâle, mais vifs, aigus, et par moment presque inquiets.

J'ai aussi le souvenir d'une autre entrevue, très courte, sur le trottoir de l'avenue de l'Opéra, un soir de décembre. L'académie Concourt était réunie au Café de Paris. 11 était question d'attribuer le Prix Concourt à une de nos amies, et Mirbeau lui donnait sa voix. Nous étions allés aux nouvelles. Mirbeau sortit de la réunion, fatigué, et plus brusque et bourru que de coutume. J'étais resté un peu en arrière. On lui dit que j'étais là. "Où est-il ? ah, Larbaud, vous êtes ? " J'ai oublié ses paroles ; il s'agissait du vote de l'académie Con- court (notre amie, en partie grâce à l'influence de Mirbeau, obtint un autre prix, matériellement aussi important que le prix Concourt) ; mais je revois très distinctement sa figure, dans le brouillard froid et la buée des haleines, et ses yeux pâles qui avaient une expression de bonté et de reproche en me regardant. Il aurait désiré, je crois, que nous nous vissions plus souvent. Mais il y avait entre nous une différence d'âge qui rendait toute intimité impossible ; et puis, dans ces années-là, il habitait la banlieue ; et puis... Mais j'aurais voulu lui dire que je le respectais et que je l'aimais, non seulement à cause de ses livres, mais pour la passion avec laquelle il avait servi les lettres. Et je regretterai toujours de ne pas lui avoir dit cela, d'une manière ou d'une autre, ce soir-là. D'autant plus que je ne devais plus le revoir dans la suite.

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J'aurais du moins voulu pouvoir lui dédier une étude dans laquelle j'ai essayé de donner un aperçu de l'œuvre de William Ernest Henley, poëte, critique, essayiste et dramaturge anglais. 11 me semble en effet que l'œuvre d'Octave Mirbeau aura, dans notre histoire littéraire, une place analogue à celle qu'occupe, dans l'histoire des lettres anglaises, l'œuvre de W. E. Henley, le grand batailleur littéraire, le découvreur de génies méconnus et de débutants intéressants, le mora- liste et le critique d'art qui a le plus fait, en son temps, pour libérer l'art et la littérature anglaise des entraves et des affectations de l'épo- que victorienne, et pour diriger les nouveaux écrivains dans les voies réputées alors dangereuses. Et un précurseur aussi, dont l'œuvreJ parallèle à celle de Samuel Butler, annonce l'époque contemporaine]

Comme W. E. Henley et comme aussi Louis Veuillot et Villiers de l'Isle-Adam, Mirbeau aimait la polémique, l'ironie, le mot cruel e^i le ton désobligeant (c'était la transposition littéraire de sa brusquerie). Je me souviens de l'avoir entendu raconter, avec un certain plaisir qu'un de ses livres avait été brûlé publiquement, de la main du bour- reau à Vienne ou à Budapesth. Peut-être l'anecdote suivante ne luî aurait-elle pas déplu : pendant les premiers mois de la guerre de 1914-1918, dans un hôpital militaire, un jeune blessé qui lisait, je crois bien, " La 628. E 8 " s'écria dans un moment d'indignation : " Ce Mirbeau, quel mauvais esprit ! Il se permet de raconter que nos fortifications du Nord ne valent rien. On devrait le fusiller, ce type-là ! "

VALERY LARBAUD.

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TEMOIGNAGES

Je fis sa connaissance en mil neuf cent douze. Je venais de publier un livre : Découvertes, que Mirbeau lut grâce à George Besson et luquel il fit l'honneur de porter quelque intérêt. Mirbeau n'aimait ni ne détestait à demi : Le voilà qui se met en tête de présenter Décou- vertes pour le prix Concourt, après que toutes les candidatures étaient déjà posées. " Il ne l'aura pas, disait-il ; la cuisine doit être déjà faite. Mais il aura toujours ma voix. " Et bien qu'il fût malade et fixé à Cheverchemont, il se rendit au déjeuner des Concourt, uniquement Dour y parler de Découvertes. Et la presse, dans son habituelle élégance ie langage, de présenter l'inconnu que j'étais comme un outsider dangereux, parce que j'étais le candidat de Mirbeau. Le Journal et le Matin, prirent même, quelques jours avant le vote, la précaution de me demander poliment un conte, destiné à paraître avec l'annonce du •ésultat, pour le cas où...

Je ne leur envoyai rien ; je n'aurais pu leur envoyer que des vers^ ît pas même des vers réguliers. Je n'eus d'ailleurs pas le prix ; mais non livre obtint quatre voix, ce à quoi j'étais loin de m'attendre. Malheureusement, cette manifestation de sympathie pour Découvertes împêcha que Julien Benda fût lauréat. Les Dix ne pouvant se mettre l'accord sur son nom ni sur le mien, le prix alla aux Filles de la Pluie le M, Savignon.

Ce fut un peu avant cet événement que Mirbeau m'invita à déjeuner

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à Cheverchemont avec Léon Werth. J'étais heureux de cette invitation mais j'avais un peu le trac. J'étais encore très timide à cette époque ; de cette timidité ridicule qui vous empêche de reprendre du poulet et qui est cause que vous vous asseyez seulement sur la pointe des fesses. Quelle figure de petit garçon allais-je faire devant Mirbeau, un homme d'une telle autorité ? Heureusement qu'il y avait Werth avec moi, Werth, familier de la maison nous allions. Au sortir de la gare de Triel, nous prîmes un sentier à travers champs qui montait vers la propriété de Mirbeau, située à flanc de coteau et dominant la vallée de la Seine. Nous grimpions dur, au soleil, le long des jeunes avoines. Il y avait quelqu'un, là-haut, qui descendait le sentier à notre rencontre.

Voilà Mirbeau, dit Werth joyeusement; c'est donc qu'il va bien. Mirbeau me tend des mains solides, et je vois un rude et bon

visage, des yeux affectueux et j'entends une voix qui me met tout de suite à mon aise :

" Il y a longtemps que je ne me suis porté aussi bien qu'aujour- d'hui ; c'est une chance : vous n'avez pas idée comme c'est assommant de venir me voir quand ça ne va pas. "

Quand je pense au Mirbeau qui m'apparut ainsi, pour la première fois, au milieu des champs, je pense aussi à Paul Signac. Non pas que Mirbeau lui ressemblât physiquement ; mais chez lui, comme chez Signac, la nature ne dissimulait rien d'elle-même. Dès l'abord on connaissait et l'on comprenait. Il y a d'ailleurs plus d'un trait de caractère commun à ces deux grands artistes: Générosité, juvénile puissance d'enthousiasme, de tendresse et de colère ; réactions vio- lentes devant la sottise, indépendance et fermeté du jugement. Ce sont des hommes d'une seule pièce, plein chêne, comme dit Vlaminck: des hommes comme en produit peu cette époque de souplesse et d( capitulations, cette époque du contre-plaqué.

La journée à Cheverchemont fut radieuse dans la belle maisor claire et vaste que Mirbeau venait de faire construire ; le soleil inon- dait la salle à manger, toute tendue en jaune citron et que décoraien magnifiquement les Tournesols et le Paysage aux Cyprès de Van Gogh

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les seuls tableaux peut-être qui pussent tout-à-fait s'accommoder de ces murs éclatants.

Je fis la connaissance de tous les dessins, tableaux, statuettes dont Mirbeau aimait à s'entourer. Il en observait l'effet sur ses visiteurs et les vantait lui-même avec une passion qui n'admettait ni contradiction ni réserve.

Je ne me souviens plus comment, alors qu'il nous montrait l'amé- nagement tout récent de sa bibliothèque, il vint à nous parler de Gorki et de cette pétition de tous les écrivains d'Europe, dont il avait pris l'initiative quelques années auparavant, pour réclamer la mise en liberté du grand écrivain russe, malade et prisonnier du Tzar.

" J'ai là, nous dit Mirbeau, le dossier de toutes les réponses faites à mon appel par des personnalités littéraires du monde entier. La pétition qu'il s'agissait de signer invoquait uniquement la haute valeur de l'écrivain emprisonné. Des gens de toutes opinions pou- vaient la signer et en tait la signèrent de grand cœur. Seuls, deux ou trois écrivains réactionnaires français refusèrent, dont M. Maurice Barrés. J'avais écrit personnellement à Barrés, de façon qu'il fût obligé de me répondre. Je vais vous montrer sa lettre de refus, elle le juge définitivement. "

Il est bien dommage qu'après dix années j'aie oublié les termes de cette lettre. Mais je me souviens qu'elle m'apparut comme un chef d'oeuvre de jésuitisme et un parfait témoignage de muflerie et de lâcheté.

N'est-ce pas que c'est admirable .'' nous dit Mirbeau ; je garde précieusement cette lettre et je la publierai. Un tel document doit être connu du public un jour ou l'autre. "

Le sera-t-il jamais ? Et le public, hélas ! en a-t-il pas vu bien d'autres depuis, des documents, qui n'ont pu le secouer de sa fatigue et de son indifférence .'' Le Barrés de cette lettre-là était un petit saint auprès du Barrés de la guerre, du sacrificateur national.

Mirbeau nous montra son jardin et surtout une collection de rosiers du Japon dont il était très fier ajuste titre. Aidé de son jardinier, il se mit à planter lui-même trois de ces précieux arbustes qu'il venait

de recevoir. Tout en disposa: les racines avec soin sur frais, il faisait à son aide une ule de remarques qu'il mêlai pliments et de mots d'amitié. ,es rosiers furent parfaitem< terre, fumés et arrosés ; je crcs bien que chacun des assist la main. Cependant le visage c Mirbeau était soucieux.

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de recevoir. Tout en disposant les racines avec soin sur le terreai frais, il faisait à son aide une foule de remarques qu'il mêlait de com- pliments et de mots d'amitié. Les rosiers furent parfaitement mis er terre, fumés et arrosés ; je crois bien que chacun des assistants y miii la main. Cependant le visage de Mirbeau était soucieux. I

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"Je suis ennuyé ! Voilà un garçon que j'aime beaucoup et i. désignait son jardinier ; il est très consciencieux, intelligent, amou- reux de son métier ; et de plus il est très sensible. Ce matin, j'ai eu un mouvement d'impatience ; je l'ai rudoyé... J'ai peur de lui avoir fait de la peine. "

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...J'entrai dans une grande pièce le jour pénétrait par deux portes-fenêtres que ne masquait aucun rideau. C'était un après-midi de Mai. Je venais voir Octave Mirbeau pour la première fois et j'étais bien intimidé.

Aussitôt introduit dans le vaste cabinet de travail, la surprise, un plaisir singulier effacèrent bien vite toute appréhension. Il semblait qu'on eut fait volontairement place nette à la lumière. On la sentait présente. On aurait pu compter sur les dix doigts les objets qui décoraient l'endroit. Mais chacun de ces objets, choisi, semblait animé d'un frémissement, d'une vibration qui ne l'avaient remué en aucun autre lieu, musée, magasin ou galerie.

Un bronze japonais, représentant un oiseau, posé sur le bureau d'acajou, paraissait avoir perdu son poids. De l'aisselle au talon on croyait voir onduler le profil d'une statuette de femme nue, bras levés, de Maillol et d'un tableau de Van Gogh, représentant des fleurs, irradiait une singulière clarté. Caries choses, découvertes par Mirbeau, placées par lui dans un certain milieu, sortaient de l'état d'inertie et paraissaient enfin trouver vie.

J'étais tout à ma surprise lorsqu'il entra.

Peut-être fut-il sensible au muet étonnement de ce nouveau venu. Dès ce jour-là du moins il fut pour moi amical prévenant, affectueux.

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de recevoir. Tout en disposant les racines avec soin sur le terreau frais, il faisait à son aide une foule de remarques qu'il mêlait de com- pliments et de mots d'amitié. Les rosiers furent parfaitement mis en terre, fumés et arrosés ; je crois bien que chacun des assistants y mit la main. Cependant le visage de Mirbeau était soucieux.

" Vous ne vous sentez pas bien ? lui demanda Werth.

" Mais si ! mais si ! "

" Alors il y a quelque chose qui ne va pas ? " Notre hôte ne répondit pas. Mais à quelques minutes de là, il nous

prit à l'écart, Werth et moi, et nous dit en maîtrisant mal sa nervosité :

"Je suis ennuyé ! Voilà un garçon que j'aime beaucoup et il , désignait son jardinier ; il est très consciencieux, intelligent, amou- \ reux de son métier ; et de plus il est très sensible. Ce matin, j'ai eu un mouvement d'impatience ; je l'ai rudoyé... J'ai peur de lui avoir fait de la peine. "

CHARLES VILDRAC.

SOUVENIRS

... J'entrai dans une grande pièce le jour pénétrait par deux portes-fenêtres que ne masquait aucun rideau. C'était un après-midi de Mai. Je venais voir Octave Mirbeau pour la première fois et j'étais bien intimidé.

Aussitôt introduit dans le vaste cabinet de travail, la surprise, un plaisir singulier effacèrent bien vite toute appréhension. Il semblait qu'on eut fait volontairement place nette à la lumière. On la sentait présente. On aurait pu compter sur les dix doigts les objets qui décoraient l'endroit. Mais chacun de ces objets, choisi, semblait animé d'un frémissement, d'une vibration qui ne l'avaient remué en aucun autre lieu, musée, magasin ou galerie.

Un bronze japonais, représentant un oiseau, posé sur le bureau d'acajou, paraissait avoir perdu son poids. De l'aisselle au talon on croyait voir onduler le profil d'une statuette de femme nue, bras levés, de Maiilol et d'un tableau de Van Gogh, représentant des fleurs, irradiait une singulière clarté. Caries choses, découvertes par Mirbeau, placées par lui dans un certain milieu, sortaient de l'état d'inertie et paraissaient enfin trouver vie.

J'étais tout à ma surprise lorsqu'il entra.

Peut-être fut-il sensible au muet étonnement de ce nouveau venu. Dès ce jour-là du moins il fut pour moi amical prévenant, affectueux.

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de recevoir. Tout en disposant les racines avec soin sur le terreau frais, il faisait à son aide une foule de remarques qu'il mêlait de com- pliments et de mots d'amitié. Les rosiers furent parfaitement mis en terre, fumés et arrosés ; je crois bien que chacun des assistants y mit la main. Cependant le visage de Mirbeau était soucieux.

" Vous ne vous sentez pas bien ? lui demanda Werth.

" Mais si ! mais si ! "

" Alors il y a quelque chose qui ne va pas ? "

Notre hôte ne répondit pas. Mais à quelques minutes de là, il nous prit à l'écart, Werth et moi, et nous dit en maîtrisant mal sa nervosité :

"Je suis ennuyé ! Voilà un garçon que j'aime beaucoup et il désignait son jardinier ; il est très consciencieux, intelligent, amou- reux de son métier ; et de plus il est très sensible. Ce matin, j'ai eu un mouvement d'impatience ; je l'ai rudoyé... J'ai peur de lui avoir fait de la peine. "

CHARLES VILDRAO.

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RAC,

... J'entrai dans une grande pièce le jour pénétrait par deux portes-fenêtres que ne masquait aucun rideau. C'était un après-midi de Mai. Je venais voir Octave Mirbeau pour la première fois et j'étais bien intimidé.

Aussitôt introduit dans le vaste cabinet de travail, la surprise, un plaisir singulier effacèrent bien vite toute appréhension. Il semblait qu'on eut fait volontairement place nette à la lumière. On la sentait présente. On aurait pu compter sur les dix doigts les objets qui décoraient l'endroit. Mais chacun de ces objets, choisi, semblait animé d'un frémissement, d'une vibration qui ne l'avaient remué en aucun autre lieu, musée, magasin ou galerie.

Un bronze japonais, représentant un oiseau, posé sur le bureau d'acajou, paraissait avoir perdu son poids. De l'aisselle au talon on croyait voir onduler le profil d'une statuette de femme nue, bras levés, de Maillol et d'un tableau de Van Gogh, représentant des fleurs, irradiait une singulière clarté. Caries choses, découvertes par Mirbeau, placées par lui dans un certain milieu, sortaient de l'état d'inertie et paraissaient enfin trouver vie.

J'étais tout à ma surprise lorsqu'il entra.

Peut-être fut-il sensible au muet étonnement de ce nouveau venu. Dès ce jour-là du moins il fut pour moi amical prévenant, affectueux.

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Dix ou quinze ans plus tard, il venait de s'installer à Cheverche- mont, lorsque je montai voir la maison construite selon ses plans, ornée et fleurie selon son goût. Les murs peints à l'intérieur, atti- raient et retenaient la lumière et quand il ouvrait la fenêtre de son cabinet de travail un paysage merveilleux apparaissait.

Un paysage étendu, profond et que l'on découvrait de haut.

La rivière en avait plus d'éclat et les arbres lointains, en masses ou en rideaux, prenaient, en perdant leur personnalité, une expression nouvelle.

Paysage colorié, mais les valeurs se combinaient entre elles de façon subtile, se dégradant ou se renforçant au gré des heures et des saisons.

De la fenêtre du cabinet de Cheverchemont on pouvait suivre tous les enchantements de la lumière, et son double spectacle, soit qu'elle ébranle l'atmosphère de ses vibrations, soit qu'ayant pénétré les choses, elle réapparaisse après avoir subi réfractions et dispersions.

Mais je n'ai senti et compris que plus tard quelle était la part qui revenait à Octave Mirbeau lui-même dans la réalisation des spectacles qu'il nous offrait ainsi.

Cette partie du monde, si ample et si restreinte, que l'on découvrait du haut de la colline au dessus de Triel, cette partie du monde découverte et " centrée " par lui, c'était un peu sa création.

Un matin d'été, après la guerre.

J'avais traversé de bonne heure le golfe du Morbihan. Venu des ** promontoires carrés de la presqu'île de Rhuys ", j'avais pris pied au fond d'une de ces petites " criques mauves " de la côte au dessous d'Arradon. Je filais en bicyclette vers le Bono, qui est un petit port à l'intersection de la rivière du même nom et de la rivière d'Auray.

Arrivant à l'entrée du pont suspendu, aux câbles tout récemment enduits de coaltar, qui relie le Bono à Kérisper, j'aperçus Thiesson et Charles Vildrac, qui me guettaient.

Nous passâmes de l'autre côté pour nous rendre à Saint-Avoye.

Au tournant d'un chemin, Vildrac, montrant de beaux arbres au

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delà d'une clôture, me dit : "L'ancienne maison de Mirbeau ; c'est qu'il écrivit U Abbé Jules. "

Son nom, prononcé en ce lieu, éveillait bien des souvenirs.

Le matin déjà, traversant le golfe, je pensais à la description qu'il en a faite dans Sébastien Roch^ livre écrit une année après L'Abbé Jules^ mais tout plein d'impressions du Morbihan.

Je sens plus vivement que jamais aujourd'hui frémir dans ce livre l'esprit ardent de l'écrivain. Sous les accents divers que lui inspire la même éternelle passion, exaltée ou déçue, il réapparaît. Le contraste de ces élans, suivis d'accablements, qu'efface presque aussitôt quel- que nouvel émerveillement, est ici saisissant.

Tantôt Mirbeau évoque la lande, "espace de cauchemar", ... "où " rien de vivant ne semblait croître et fleurir, les gramens eux- " mêmes sortaient de la terre déjà desséchés " et tantôt il s'exalte à la vue d'un autre paysage tout proche :

" La route était très large... Des murs en pierre sèche, rehaussés de l'or travaille des moii- ses, incrustés de la délicate joaillerie du lichens et des capillaires, bordaient de chaque côté les prairies, de petits champs valloné... Dans le ciel, d'une douceur charmante, s'épandait une lueur fine, contenue, qui s'imprégnait au translucide signe des nuages, tramés d'or laiteux et lavés de nacres légères... "

Le port, vu à marée basse, avec ses " barques échouées ", ses " eaux mortes " l'odeur de la vase, cause à Sébastien Roch une impression navrante. Mais le même site, deux heures plus tard, quand revient le flot, " battant d'un léger clapotement les murs du quai ", portant quelques chaloupes de pêche qui " rentrent, voiles carguées, à l'aviron, avec un bruit de soie froissie ", l'enchante.

Jamais, Mirbeau n'est inerte, indifférent.

Ceux qui lui reprochaient si vivementautrefoissesinvectives, tenaient alors pour honorables leur veulerie et leur prudence. " Pourquoi " n'être pas comme tout le monde ! " gémissai un jour l'un d'eux, à bout de griefs contre celui dont on redoutait le fouet.

FRANÇOIS CRUCY.

LES FARCES ET MORALITÉS

La guerre. Une popote. Une popote d'étapes. Abruti par trois mois de Somme et par le terrible hiver de 19 17, je me trouve, selon le hasard des " mouvements ", à la table d'un commandant qui, dans le civil, préside un Tribunal bien parisien.

Précisément, il ouvre les journaux.

Tiens, cette crapule de Mirbeau il est mort.

Un long silence. La nouvelle tombe dans le vide. Mirbeau ce

nom ne dit rien aux adjudants retraités, hôtes familiers du comman- dant-magistrat. Et moi, je n'ai pas relevé l'injurieuse exclamation ; une seule chose m'apparaît : Mirbeau est mort... Je le savais malade, perdu, mais il me semble surnaturel qu'on puisse alors mourir sinon sous les obus et les balles....

Le commandant parle.

Une fois, j'ai jugé un procès Mirbeau : une couturière réclamait de l'argent à la mère Mirbeau. Celle-ci était venue avec son mari. Mon premier mot fut : Taisez-vous ! Hein ? quoi ? Taisez-vous ! Qu'est-ce qu'on vous doit, vous ? Il gelait comme aujourd'hui. J'avais conservé ma pelisse sous ma robe. Je fais ouvrir les fenêtres. Mirbeau tousse. La mère Mirbeau éternue.. L'avocat se mouche. Mes assesseurs grelottaient. J'ai expédié l'affaire en cinq sec. Condamnation sans discussion.... les frais.... les dépens....

J'écoute machinalement. Je devine la belle figure insensible, aux

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grands yeux fermés dans les orbites approfondies.... Le commandant parle :

Ce sera épatant, après la guerre : on rencontrera une crapule ; pan ! on lui fichera un coup de revolver I

Il fait atrocement froid dans la baraque au poêle éteint. A côté, près d'un fourneau de cuisine, les ordonnances jouent à la manille. On les entend rire et crier : atout et atout..,. Le commandant parle :

Mon ami Mangin me l'a dit avant-hier : je laisserai la moitié de mon armée par terre, mais le soir je coucherai à Laon

Cela, ce pourrait être une farce de Mirbeau. C'était une farce de Mirbeau. La brute militaire et judiciaire faisait au maître de Chever- chemont une oraison funèbre dans le style du Portefeuille. L'avouerai- je, il n'était que cette résurrection spontanée pour adoucir un peu le chagrin qui, une à une, enfonçait des pointes dans mon cœur.

Car le Mirbeau que je préférais était alors celui des petites pièces en un acte. Et c'est encore vers ces essais nerveux et profonds que mon goût s'incline et se fixe aujourd'hui. On ne les joue nulle part, que je sache. Mais on les dirait écrits pour les gens de notre époque régénérée par la guerre et le commerce du pétrole. Dans cent ans, le cœur de l'homme et l'âme de la cellule sociale n'auront pas tellement changé que les farces de Mirbeau paraissent aucunement vieillies. On fourrera toujours en prison, comme dans le Portefeuille^ les vieillards misérables lorsqu'ils s'aviseront d'être honnêtes, et les honnêtes gens, comme dans Scrupules se feront voleurs par crainte du pire ; il y aura toujours, comme dans FEpidémiej des conseillers municipaux pour prononcer l'oraison funèbre du bourgeois inconnu, et, comme dans r Interview^ une presse turbulente, ignare, indiscrète et vénale.

Les farces sociales de Mirbeau sont terribles et vraies. Elles ne prendront pas plus de rides que les pamphlets de Paul-Louis ni que la Satyre Ménippée, il est déjà question d'un nommé Louchard, qui fut pendu, parce qu'il était pendard.... Mais Loucheur lui-même n'est-il pas un personnage de Mirbeau ^

D'ailleurs, ses moralités. Amants et Vieux Ménage l'emportent encore

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sur ses farces. Mirbeau, dans la peinture douloureuse de l'humaine désolation et dans la caricature de l'espèce, y atteint au sublime. Dans un temps tout se copie, se délaie, se digère et se remange, Vieux Ménage et Amants n'ont pas trouvé d'imitateur. L'immense duperie de l'amour, il l'a traitée avec tant de puissance et d'une plume si sensible, qu'il semble qu'il ait désespéré l'application labo- rieuse des détrousseurs de cadavres et des rapetasseurs de guenilles. Aussi bien, n'y peuvent-ils trouver loques ni charogne. Rien n'est encore aussi vivant, vivant jusqu'à donner des gifles, que ces actes rapides contre lesquels les amis infidèles et les admirateurs pénitents conspirent le silence de l'oubli.

Un jour, pour plaire aux deux écrivains, un thuriféraire imbécile avait tenté de faire un parallèle entre Courteline et Mirbeau. Mirbeau ntn fut point flatté et il répondit qu'il ne se reconnaissait aucune parenté avec un pauvre homme " qui écrit d'interminables niaiseries dans la langue de Leconte de Lisle". Condamnation sommaire et brutale dont l'injustice superficielle cache une amère vérité. Courteline, pour beaucoup, est un grand homme. Maints jeunes gens débutent dans la critique en découvrant la "philosophie" de Courteline ! C'est aussi classique qu'il l'était, il y a trente ans, d'exécuter feu Georges Ohnet.

Nous ne parlerons pas de la philosophie de Mirbeau. Il ny a pas de philosophie, dans Mirbeau. Ni philosophie, ni littérature. Mirbeau est la vie même, sans embellissement, mais sans charge. S'il écrit des farces, c'est que farce est la vie, et grosse, et grotesque. Ses bons hommes, nous les connaissons tous, et je me souviens de ma stupé- faction en reconnaissant dans le reporter de V Interview le portrait frappant, " mélange de gommeux et d'employé de magasin ", d'un camarade qui, peu de temps avant la représentation de la pièce, tapait sur ses poches en me disant : " un journaliste ne paie jamais rien... "

Mais les Farces et Moralités ne valent pas seulement par l'exacti- tude des caractères. Celle de la langue y surprend. A l'heure les puristes sévissent, les vaudevillistes les plus ignorants se mon-

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trent très pointilleux sur l'observation de la syntaxe, il nous plaît de constater que Mirbeau écrivait en langue parlée. Son dialogue est un calque fidèle du langage moderne. Les raccourcis de la conversation et les solécismes usuels sont respectés par ses personnages. Ils ne balancent pas leurs phrases. Ils s'expriment directement, chacun selon son milieu, son caractère et son état d'esprit. Et quand les philologues voudront savoir, dans quelques siècles, comment on parlait en 1900, ils n'auront pas besoin de faire tourner les phonographes des yîrckiv es

de la Parole : il leur suffira de relire les Farces et Moralités

La Vie.... le langage vrai.... les personnages d'une société qui ne change guère depuis qu'il y a des hommes et qu'ils vivent, et que

l'amour en fait des pantins l'art le plus simple, invisible à force de

sincérité, de tendresse sincère, de cette tendresse tellement inintelli- gible aux culs-de-lettres (i) qu'ils l'ont baptisée : cruauté ! Voilà ce qu'on trouve dans les six petits actes des Farces et Moralités dont la libre facture, par delà trois siècles de théâtre gourmé, ne trouve sa pareille que dans le Cuvier^ Pierre Pathelin^ la Pippée, Mallepaye et Baillevent....

(i) Le mot est de M. Marcello-Fabri.

ERNEST TISSERAND.

NOTRE MIRBEAU, EN PROVINCE

Nous parlions de lui au café. De vrais cafés littéraires, pour ne pas dire les derniers, d'irréprochables copains se brouillaient pour ou contre l'amour de quelques écrivains. Car nous dations un peu, comme nos cravates et nos coupes de cheveux. Nous portions avec nous, dans notre ville de pluie et de fumées, des enthousiasmes désuets et je ne sais quelle odeur d'ancien Procope. Mais nous aimions les lettres avec une passion assidue ; ainsi vont les amours, toutes les amours, en province, l'on est vieux garçon à vingt-cinq ans.

Nous vivions pour le plaisir de ces disputes littéraires, où, quelque- fois, nous entraînions un Parisien, j'entends un provincial de Paris, et qui venait, en toute innocence, respirer les senteurs de l'air natal. Nous le traînions dans nos cabarets romantiques, les bouteilles vertes se doublent, dans des tables cirées, d'immobiles reflets. On enfermait le voyageur ; on le pressait de questions sur les hommes ; on s'ameutait contre des opinions qu'il exprimait distraitement, puis on le reconduisait, égaré, mécontent, alourdi par le beaujolais, jusqu'au seuil de l'hôtel. Il me souvient que nous traîtames de la sorte Régis Gignoux, Léon Werth, Claude Terrasse, feu Xavier Roux, d'autres encore, qui, s'en retournant, ne nous pardonnaient point le procédé...

Que nous importait ? N'avions-nous pas tiré de ces touristes tombés aux mains de notre bande, le témoignage précieux qui nous

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manquait ? Par eux, nous apprenions l'âme quotidienne des célébrités, qu'ils fréquentaient. Nous nous défiions, en effet, des " médaillons " suspendus aux colonnes des journaux, et aussi des études, monogra- phies et dithyrambes publiés dans les revues. Nous subodorions le chiqué des échos ; et notre aride curiosité cherchait là-bas, d'invisibles vérités au milieu du disparate des légendes.

Et, cependant, nous jugions bien les hommes. Je m'en rends compte aujourd'hui. Nous vivions dans une espèce de recul à rebours, dans une vie antérieure qui nous prêtait la lucidité même de l'avenir. On a tort de railler les attardés. On ferait mieux de les contenter. Le lettré de province qui, tout bonnement, juge les vivants à la mesure des morts, est un terrible juge.

Ainsi nous observions Mirbeau et ses contemporains. Il est parti. Sa disparition n'a en rien modifié nos anciens avis. Pour lui, comme pour les autres, nous étions fixés. Il n'est, en vérité, en ces matières, d'autres sages que les clients des cafés littéraires en province. Eux seuls font le départ du vrai et du faux dans les oraisons funèbres. Paris y apporte une hideuse pudeur, faite de remords et de boulevar- derie. On l'a bien vu, hier, lors du subit trépas d'Henri Bataille. La critique ne fut plus, en un instant, qu'un chœur de renégats. Et pour Rostand, donc !

Paris s'étonne de voir mourir les Parisiens. Mais les provinciaux s'accommodent de cette perspective ; et elle admire ou dédaigne les hommes fameux comme si, déjà, leurs dalles étaient noircies par vingt ans d'averses.

Nous admirions Mirbeau. Il nous apparaissait comme le grand profanateur du Préjugé bourgeois, que nos maîtres, fabricants d'étoffes, membres de la Chambre de commerce, famille Aynard, Monsieur Isaac, tous les "Grands-Lyonnais enfin " servaient avec une particu- lière ferveur.

Certains nous reprochaient de n'aimer en Mirbeau que sa brutalité goguenarde, son agressive loyauté. Nous savons à présent que c'était le meilleur de lui-même. On nous crie qu'il fut bon. Eh ! imbéciles,

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nous le savions bien ! Il n'est que les doucereux chacals de la bonté professionnel pour douter qu'un homme rustique soit un brave homme.

Tout me dit que nous avions raison de l'aimer pour la crudité de sa franchise. Ce qui nous reste de lui l'atteste. Le Mirbeau des rares complaisances nous est étranger, et plus encore celui sur qui, du haut d'un tertre funèbre, M. Hervé osa vomir sa tendresse. L'autre Mirbeau seul vit et vivra ; nous ne cesserons point d'entendre les éclats de ses belles colères, ni le bruit des giffles qu'il asséna, quand même les joues sur lesquelles ces giffles retentirent, seraient depuis longtemps tombées en poussière.

Nous avions raison, Mirbeau, de vous aimer ainsi, pous ce que vous fûtes : le mâle forcené qui arrachait à Mademoiselle Andrée Gide de petits cris, au temps cette jeunesse se confiait à Angèle, son amie de pension. Pour ce que vous fûtes, Mirbeau : le tendre ami des révoltés, celui dont la pitié fut toujours aux muffles incom- préhensible ; pour ce que vous fûtes, écrivain du Calvaire : l'écho ricaneur d'un sanglot ; mais, au bout du compte un homme, un pauvre homme, et qui le savait.

HENRI BÉRAUD.

OCTAVE MIRBEAU VIVANT

C'est à Mirbeau que je voulais apporter ce " cahier ". Trop tard. Lui seul, qui savait se donner, pouvait célébrer un vivant. Il ignorait les hommages posthumes et cette pudeur qui dissimule presque toujours notre égoïsme ou notre veulerie. Il criait son admiration, sa tendresse, il criait aussi le pauvre homme ! son estime :

" Cette oeuvre est admirable... et l'auteur... quel homme ! Je l'aime, lui... quelle belle âme !

L'œuvre était presque toujours " admirable ". La " belle âme était, le plus souvent, une sale petite âme de pauvre homme, mais la flamme de Mirbeau rendait ces sentiments inséparables.

Ceux que l'égoïsme, le succès ou la guerre n'ont pas éloigné de Mirbeau, ceux qui pensent encore à lui réserver, auprès d'eux, une petite place n'ont, aujourd'hui, que la ressource de refaire les gestes religieux de ces petits bourgeois qui, les lendemains d'obsè- ques, fouillent dans les tiroirs, classent les documents évocateurs et rassemblent les portraits de l'être qu'ils ont perdu. Des amis, des admirateurs de Mirbeau, ont apporté ici leurs témoignages et leurs souvenirs. Quelques portraits se ressemblent comme tirés d'un même cliché .'' Quelques anecdotes rappellent les faits d'un même jour } Répétitions ? Répétitions nécessaires pour donner à cette figure le relief sauveur. Cela seul importe. L'œuvre peut attendre. Elle est assez vivante, elle unit et fait se heurter trop d'hommes encore

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pour qu'il soit urgent de lui donner un rang sur les tablettes des bibliothèques qu'ont envahies peut-être les œuvres d'une autre généra- tion. Les quais de pierre, les piles de ponts ne sont pas perdus parce que l'inondation, quelque temps, les dissimula. Et puis, cette œuvre a un gardien : Mirbeau lui-même, complice de ses personnages, surgissant partout pour nous amuser, pour nous émouvoir. Par sa crânerie, sa loyauté, par sa ferveur il domine son époque. Et la nôtre, plus encore. " Don Juan de l'Idéal " (i), il semble d'un autre âge. Entre lui et ses contemporains, nulle commune mesure. Il est spontané, il est fantaisiste, il a l'outrance, l'enthousiasme, les gestes que l'on prête aux personnages de légendes. Autour de lui, en littérature, en politique, ses partisans sont des comparses, le chœur qui confirme. Il les écrase de sa noblesse car nul ne montre cette naturelle élégance. Il n'a pas d'école. 11 ne sait pas conserver de cour. Chacun de ses gestes est le témoignage d'une aristocratie qui l'isole, mais de sa table de travail, par ses chroniques longtemps hebdomadaires du Journal^ de r Aurore^ de la première Humanité il anime et gouverne une foule.

Son allure de bel athlète, son goût de la vie et du combat en force scandalise parfois dix pions très laids et peu virils qui expriment leur satisfaction par des gloussements de pédérastes chatouillés. Ils frôlent. Mirbeau ne sait qu'étreindre. Mirbeau combat et son attaque est un direct en plein visage. On lui oppose l'ordre et le choix, la mesure aussi, avec un peu de perfidie... sans violence et parce qu'il délaisse son perchoir d'homme de lettres, il est " le vétérinaire " qui écrit des chroniques libertaires, des pages " aux soldats de tous les pays ".

(i) Que dire de celui qui serait le Don Juan de tout l'Idéal ? M. Octave Mirbeau y/ait songer. Il n'y a pas que l'absolu de la beauté. Il y a l'absolu de la bonté, du bonheur, de l'art, de la justice. L'amour du cœur va à d'autres choses qu'à la femme ; on veut aimer des tableaux, des livres, les malheureux, les pauvres, les fleurs, les morts, les nuages oti veut pouvoir s'aimer soi-même. Comment faire avec un seul cœur, si exigu et qui contient si peu f Pourtant il faut aimer encore. On n'a pas assez aimé. On s'est trompé en aimant. Alors, onvideson cœur pour le remplir de nouveau. On se déprend, parfois, mais c'est afin de se passionner autre part. C'est la nature de Don Juan... Or M. Octave Mirbeau lui ressemble comme un frère, plus souffrant plus inassouvi, puisqu'il aime davantage et que son idéal est sans limites.

Georges Rodenbach (l'Elite. iSçg).

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Ambition, vanité, prudence des usuriers de la tendresse qui veulent servir sans être dupes et se méfient de toute ferveur, Mirbeau ignorait ces bassesses. 11 était prêt à se calomnier, à se dire peu doué, à se croire en face de ses admirations : " tout laid, tout petit, tout bête.. ". Il trainait la mélancolie de l'homme qui plaça vraiment sa tendresse à fonds perdus et qui se le rappelle. Son regard en faisait l'aveu comme si dégoûts, mépris, souffrances morales inavouées lui avaient imprimé cette tristesse hautaine, cette fatigue ou ce désespoir que je n'ai retrouvé chez personne.

Un paragraphe de la ôiS-E'S évoque cette tristesse :

Mes chers amis... mes charmantes amies... tous mes bien aimés, vous tous qui vous êtes, hélas ! détachés de moi, vous surtout dont je me suis détaché, de combien de reniements, de combien de lâchetés vous êtes responsables... et je puis bien vous le dire, de combien de larmes ! Car, pauvres imbéciles que vous êtes, vous avez toujours ignoré la belle source de tendresses qu'il y avait en moi . "

Dans le même livre, se trouve un aveu de lassitude et d'anxiété infiniment poignant pour qui connut Mirbeau à la fin de sa vie :

" Il me parla en termes vagues, heurtés, douloureux, de toutes les amitiés sans courage qu'il avait du laisser le long de la route... de l'ironie, de l'égoïsme chez les meilleures, de la pitié offensantes chez les pires. Et voilà... Il était fatigué de se sentir toujours si seul... fatigué de sentir quelquefois, souvent, qu'il n'était pas, à soi-même, un " compagnon "... Et quand la vieillesse viendrait tout à fait i*...

Quand la vieillesse vint tout à fait, Mirbeau attendit " les amitiés sans courage ". Elles n'allèrent pas jusqu'à Cheverchemont où, dès 1912 il s'était retiré presque complètement. Embusqué derrière la barrière blanche qui fermait son jardin, il guettait l'arrivée des cinq ou six personnes qui alternaient leurs visites pour lui laisser l'illusion d'être encore entouré.

Il montrait ses genoux qui le portaient mal, disait son dégoût son impuissance à écrire. Puis, très vite, il cédait aux plaisanteries et de sa voix saccadée, il plaisantait à son tour, taquinant, parlant d'un ami avec un rien d'ironie toujours très tendre :

" Vallotton... mon petit... est un marin admirable. Il lit réguliè rement le Moniteur de la Flotte^ il connait tous les bateaux, leur nom leur tonnage... et leur âge... évidemment !..

Il prenait la gravité inattendue et bonhomme d'un conseiller :

" Il ne faut pas exagérer mon petit Werth... C'est étonnan comme vous aimez l'exagération.

Ou bien, pour un autre, il se faisait convaincant, avec douceur :

Les mots grossiers sont toujours inutiles... il ne faut pas employé) de mots grossiers. Il faut écrire simplement... chercher des mots tou| simples, tout ordinaires qui ne vieillissent pas... des mots justes... Ça fait si joli, des mots justes !

Il exprimait une opinion et comme on s'arrêtait étonné ou amusé, une fois de plus, par cette charmante outrance avec laquelle, en défor- mant la vérité, il arrivait plus sûrement qu'un autre à suggérer la vrai semblance, il répétait les derniers mots de sa phrase en les martelant. Il trouvait un nouvel argument, le plus fort, le plus inattendu, hors de propos, qui dans son esprit devait convaincre et accentuait joyeuse- ment l'outrance :

" Il est très gentil... mais c'est un imbécile. Ah ! mais oui... un imbécile, je vous assure. Un imbécile et un policier, bien entendu... "

A ce moment, un peu congestionné, ses bons yeux immobilisés par la stupeur, sa lèvre inférieure en avant, ses sourcils fauves plus longs s'il était possible, et plus crochus, marquaient tout à la fois l'étonne- ment de n'être pas cru et un peu de réprobation pour nos doutes. Pour toute négligence aussi : " Vous n'avez pas encore lu ce livre .'^ "

C'étaient les livres les plus disparates qu'il proposait : les premiè- res œuvres de Pierre Hamp, le Petit Ami de Paul Léautaud, Jours de famine et de détresse de Neel DofF, Heureux qui comme Ulysse (i) de Jean Schlumberger, Marie-Claire àt Marguerite Audoux, la Turque d'Eugène Montfort, la Retraite sentimentale de Colette : " Les trente dernières pages de cette Retraite disait-il sont belles comme VEcclésiaste. " Les Poèmes d'un riche amateurjQmhryon du Barnabooth de Valéry Larbaud, Découvertes de Charles Vildrac.

(i) Heureux qui comme Ulysse publié d'abord aux Cahiers de la Quinzaine forme le début de l'Inquiète Paternité [N. R. F.)

C'étaient des Mémoires ou les Lettres de la Princesse Palatine. C'était la Maison Blanche de Léon Werth qui venait de lui apporter, avec son affection, une verve, sœur austère de sa propre verve, un entrain trépidant et un sens de l'ironie par lesquels les deux amis se con- frontaient, l'un surenchérissant sur l'autre jusqu'au grand éclat de rire qui les réunissait toujours.

C'étaient les pièces de Sacha Guitry, prétexte à un paternel enthousiasme, le dernier : " Vous allez voir ce deuxième acte... il dépasse tout... ce n'est rien, je ne sais pas comment c'est fait... c'est immense..." Et la veille de la répétition générale il s'impatientait au point d'être malade. Il admirait ce théâtre, il en aimait tendrement l'au- teur qui, pendant les sombres années de Cheverchemont montra un véri- table génie d'invention pour distraire Mirbeau avec une drôlerie ingénieuse et une émotion qui se dissimulaient sous des apparences d'enfantillages toujours renouvelés.

J'ai remarqué des différences d'opinion entre Mirbeau et ses amis. Je ne l'ai jamais entendu contredire Francis Jourdain, ne pas accepter, de suite, en art, en politique, en littérature, ses jugements et ses suggestions. Il citait son nom : " Francis a dit... " Suprême référence. Influence sentimentale } Imprégnation intellectuelle } Mirbeau se plaisait à subir le magnétisme de cet homme tendre " petit neveu parisien de St. François d'Assises ", disait Charles-Louis Philippe de ce clarificateur des esprits qui se trouvèrent à son contact, ces vingt années dernières. Mirbeau n'ignorait pas ce que tous les plus originaux eux-mêmes lui devaient et sa confiance était absolue en ces antennes si subtiles, si bien appareillées aux siennes qu'il lui sem- blait percevoir le premier ce que Francis Jourdain lui avait cependant transmis. Ou bien, d'autres fois, ils paraissaient penser ensemble et réagir simultanément comme éclatent deux pièces d'un feu d'artifice, sans que l'on sache exactement laquelle des deux provoqua la déflagra- tion de l'autre.

J'ai constaté à quelques années de distance la même épouvante causée par la nuit tombante, à Cagnes, chez Renoir privé de son

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travail, attendant l'heure du lit et de la souffrance et chez Mirbeau, M Cheverchemont, avec ses souvenirs. Dès 1913, lorsqu'il quittait ses amis, c'était toujours par un adieu : " Vous partez en voyage, mon petit... deux mois... vous ne me reverrez pas. Ah ! non, je suis foutu. " Il répétait cette phrase avec une énergie croissante, au point d'intimider ses familiers eux-mêmes. Un soir il fit cette déclaration à M. Claude Monet : " Nous ne nous reverrons pas Monet ! " " ^ " *' Je suis foutu, c'est la fin ! " Monet riposta par un soufflet, non pas la claque amicale qui impose silence, dit M. Sacha Guitry, témoin de la scène, mais par le coup violent d'un homme tout-à-fait en colère.

Resté seul, Mirbeau savait qu'il ne dormirait pas. Le lendemain, il se trainerait " vide comme une vieille gourde " de la cage de verre du petit cabinet de travail abandonné, à la salle à manger, puis au salon devant les BertheMorizot,Cézanne, Renoir, Van Gogh,Pissarro, Monet, Bonnard, Marquet, les étapes de sa vie, partout anxieux, partout obsédé par sa fatigue, partout oisif par impuissance, lucide et délaissé. Voûté, les jambes fléchissantes, les mains jointes sur les reins, la tête en avant coiffée d'un petit feutre relevé sur les côtés, il échouerait dans un fauteuil d'osier sous le jeune arbre rond qui lui cachait le soleil. Et, avec ce regard d'un homme qui a pleuré ou qui ne veut pas voir, il verrait encore les mêmes fleurs, la même immuable pelouse, la même vallée, la Seine d'argent vieilli et les yeux tristes de son petit chien fauve qui avait ses sourcils...

A ces moments il lui arrivait de ricaner et de dire sur un ton qui voulait être de confidence :

" L'ennui... l'ennui... il suffit d'être seul pour ne pas s'ennuyer. "

GEORGE BESSON.

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Ces deux pages presque inconnues de Mirbeau furent écrites sur la demande de Francis Jourdain, après la guerre de Mandchourie, pour un numéro de La Rue. (La Rue n'eut qu'un numéro consacré à la Révolution russe de 1905) Octave Mirbeau écrivait à cette occasion :

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Mon cher Francis^ comptez sur moi... Je vais écrire un épisode de la guerre qui me fut conté par un officier polonais. C est quelque chose d'effarant. 1

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OCTAVE MIRBBAU vers 1895

OCTAVE MIRBEAU 1916

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LETTRES A CLAUDE MONET

Octave Mirbeau ne datait presque jamais ses lettres. Nous avons classé cette correspondance (1884-19 II) dans un ordre approximatif.

M

on cher ami.

Hervieu m'écrit que Coquelin cadet va se présenter aux Bons Cosaques (i), vendredi prochain. Il a travaillé cet été et s'est acquis un tas de parrains. Cazin, Richepin, Grosclaude, Lemaitre, Bergerat. Enfin, il en a des masses. C'est dégoûtant si ce monsieur est admis. Et notre dîner sera comme tous les autres dîners, car vous savez qu'il ne s'en fait pas un sans Coquelin cadet. Il me semble qu'il y a un tas de gens, déjà, qui seraient mieux ailleurs. Donc, je vous en prie, formez un petit groupe pour empêcher ce cadet de passer. Prévenez Renoir, Helleu, qu'il faut qu'ils viennent. Hervieu votera contre, je pense. Mais enfin, on ne sait pas. Arrangez vous de manière qu'il soit blackboulé. Si malgré tout, il passait, je vous assure que je ne remettrais plus les pieds aux Bons Cosaques nous avons déjà des Clermont-Ganeau, des Joseph Moutet, que sais-je ?... Et nous tâcherions d'en remonter un autre, avec la crème de celui-là.

Rodin est admirable ; à la campagne il se laisse aller à parler. Et il sait tant, mon cher ami ! Et l'on est étonné des grandes et belles choses qu'il vous dit. Je connais peu de plus belle âme que la sienne. Devant lui, tout mon orgueil tombe et je reste comme un Cabanel conscient devant un Velasquez.

(i) Diner auquel assistaient Mirbeau et la plupart de ses amis.

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i

A bientôt, mon cher Monet. Et surtout ne grattez plus vos toiles, pour ^ l'amour de Dieu.

Je vous embrasse affectueusement.

Octave Mirbeau.

Ch(

Je suis très content que vous ameniez Caillebotte. Nous causerons jardinage comme vous dites, car pour l'art et la littérature, c'est de la blague. Il n^ a que: la terre. Moi, j'en arrive à trouver une motte de terre admirable et je reste des heures entières en contemplation devant elle. Et le terreau ! J'aime le terreau comme on aime une femme. Je m'en barbouille et je vois dans les tas fumants les belles formes et les belles couleurs qui naîtront de ! Comme l'art est petit à côté de ça ! Et comme il est grimaçant et faux.

Fers 1 885-1 886.

P. S. J'ai reçu, il y a quelques jours une lettre de la mère Adam qui me priait de l'aller voir. Elle me dit :

" Je suis désolée de vous avoir donné le Salon et j'ai une peur atroce de ce qui va en résulter. Tenez, " Elle me montra quatre lettres. L'une de M. Bouguereau, la seconde de M, Bonnat, la troisième de M. Henri Lévy, la quatrième de M, Rixens, toutes protestant contre moi et suppliant M™® Adam de me retirer le Salon, Et elle ajouta :

J'ai recherché combien nous avions d'abonnés peintres et sculpteurs. Quatre vingt ! Tous de ceux que vous n'aimez pas. Alors ils vont se désabonner. , Ce sera un désastre. Je vous en prie mon cher Mirbeau, renoncez au Salon. C'est un sacrifice que je vous demande. Je vous ferai une compensation.

J'ai répondu : j|

" Je ne tiens pas du tout à votre Salon,.. D'abord je n'en avais pas parlé ou si peu ! Faites faire cela par qui vous voudrez. Ce que j'exige, c'est de faire un article sur l'Exposition des Internationaux, et naturellement, comme je l'entendrai, sans retouches, ni observations de votre part.

Elle a fini par consentir.

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Mais voyez ! Quand on veut parler de quelque chose, maintenant, dans les revues et dans les journaux, on consulte d'abord la liste des abonnés. C'est admirable, n'est-ce pas ?

M

on cner ami.

êtes-vous ? Dans le soleil ? Vous avez de la chance. Moi, je ne suis dans rien. Je travaille comme un bagneux à terminer mon stupide Abbé Jules (i). Et les transes ! Et les angoisses de ne pas arriver. Je suis aux trois-quarts fou ! Je vous envoie ce petit mot, seulement pour vous porter mon amitié, et pour vous faire savoir que je ne vous oublie pas.

Ce pauvre Rodin ! Je crois bien qu'il est fâché avec moi. Et cela me fait de la peine. Je lui ai écrit un mot à propos de sa décoration, lui disant qu'il restait pour moi après sa décoration, ce qu'il était avant. Et que s'il était content, j'étais content. J'ai fait aussi à propos de cela un article qui l'aura peut-être froissé malgré tous les éloges. Voilà plus de trois semaines qu'il ne m'a écrit. Il n'a pas répondu à deux lettres. Je pense que s'il est fâché, une petite visite à Paris le remettra. Je serais désolé de perdre son amitié. Ce que c'est pourtant que la décoration ! Et un grand bonhomme comme lui. Qu'est-ce que ça peut bien lui faire ? Est-ce que vraiment, mon cher Monet, il n'y aurait que nous deux, qui nous en fichions complètement ?

Kérisper par Auray (Morbihan). Mon cher ami.

Pardonnez-moi. Voilà qu'après avoir terminé mon bouquin (2) et même huit jours avant de l'avoir terminé, j'ai été pris d'une intoxication de tabac et de fièvres paludéennes. Sans être très malade, j'étais plongé dans un abrutissement tel, que tout effort m'était pénible et douloureux. Et, voyez si c'est bête, toutes les trois ou quatre heures, je m'évanouissais. Sur le conseil du médecin je suis allé à Paris passer quelques jours. J'en suis revenu mieux, mais j'ai besoin encore d'un bon temps de repos et de moins de fumées.

Mon livre est donc terminé. Vous le recevrez. Il paraît le 13 mars. Je n'en

(i) L'Abbé Jules, 1888. (i) L'Abbé Jules.

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suis pas content, malgré qu'à Paris quelques amis aient voulu me consoler. Je sens que c'est mauvais, déhanché, que l'originalité qui aurait pu y être, n'est . pas sortie. Enfin je ne suis pas un homme de génie, pas même de talent. Il faut me résigner à ce que je suis. J'espère que vous ne m'en aimerez pas moins pour ça.

J'ai vu GefFroy à Paris. Et nous avons beaucoup parlé de vous. Il m'a dit qu'il était furieux contre vous ; car il a vu vos figures de cet automne et il les trouve superbes. Je m'en doutais bien, mon cher ami. Ne pouvez vous donc pas les réparer ? C'est un véritable meurtre. Prenez garde d'avoir la folie du toujours parfait.

Rodin est radieux. Il n'était pas fâché ! Au contraire : Il m'a écrit deux lettres touchantes et délicieuses.

Quand venez-vous ici ? Vous m'avez promis. Il faut que vous veniez, cette fois. J'ai rudement besoin de me retremper un peu dans votre vaillance et dans votre esprit.

Il paraît que le bon Besnard m'a en horreur. De cela, je m'en fiche. Il a dit à Hervieu qu'il avait pris pour lui ce que j'avais exprimé de Gervex, de Duez et de Béraud. Quant à ces derniers ils cherchent toujours à me jouer un bon tour de rapin. On m'a prévenu I Mais quoi ? Cela m'est égal.

Mon cher ami.

Ce pauvre Becque m'a fait mal. Il était plus seul qu'un paria l'autre soir. Tous fichaient le camp autour de lui. Après le i"' acte, Porel ne lui a plus adressé la parole parce qu'on n'avait pas applaudi, au baisser du rideau. Il l'accu- sait de le ruiner. C'est beau la vie, hein ?

Mon cher ami.

J'avais écrit à Magnard pour lui demander de faire un article sur Whistler et sur Renoir, lors de leur prochaine exposition.

Voici textuellement la réponse de Magnard :

" L'article sur Whistler me plairait ; j'aurais des objections contre celui sur Renoir, du moins le Renoir d'aujourd'hui qui est parfois bien caricatural. "

164

Non ! mais que dites-vous de ça ? Je pense qu'il confond avec l'autre. Peut- être pas !

Mon cher ami,

Entendu.

Pour le 14 juillet, soyez tranquille. J'ai, après votre conversation, été aussi net que possible dans la réponse, vous n'avez rien à craindre. Ce que je vous disais, c'était tout simplement un désir exprimé par le ministre qui n'est pas habitué aux réponses de ce genre, et qui serait embêté si l'on savait qu'il vous a oiFert la Croix et que vous l'avez refusée.

Voilà tout. Croyez bien que j'aime assez votre attitude pour ne rien faire, en dessous, qui pût la contrarier, et vous déplaire.

J'avais très nettement refusé pour moi, j'avais fait entendre au ministre que vous l'aviez déjà refusée, cette croix et que je ne croyais pas que vous l'acceptiez maintenant. Aujourd'hui il sait à quoi s'en tenir. Dormez sur vos deux oreilles.

Kérhper par Auray (Morbihan.) Cher ami.

Je ne suis pas trop mécontent de l'Abbé. Je crois qu'il n'a pas grand succès dans le public ; la presse le traite avec une indifférence qui serait pour me plaire. Mais je sais que dans les cénacles d'art et de littérature il a assez bien réussi. J'ai reçu des lettres précieuses et inattendues. Vous me direz ce que vous en pensez.

Dites à Maupassant que je lui écrirai bientôt ; dites-lui qu'en attendant sa lettre m'a fait un grand, grand plaisir et que je lui suis très reconnaissant de " la phrase du fou " car c'est ce que j'ai tenté de faire.

Cher ami.

Et ce pauvre Maupassant ! Est-ce assez triste ! Depuis que je sais ce drame, j'ai toujours présent à l'esprit, ces paroles de Saint- Just : " Celui qui n'a pas eu

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I' d'amis, sera mis à mort ! " Et jamais J^Iaupassant n'a rien aimé, ni son art, ni

1 une fleur, ni rien ! C'est la justice des choses qui le frappe ! Mais c'est horrible!

Oui, Monet, aimons quelque chose pour ne pas mourir, pour ne pas devenir

fous ! Mais je crois que ce n'est pas à nous de nous donner ces conseils, car si

jamais nous devenons fous, ce sera d'aimer trop de choses.

Casa Carola Menton.

Mon bien cher ami,

Enfin !. Mais d'abord pardonnez moi mon si long et si stupide silence. Tous les jours, je me disais : " Oui, il faut que j'écrive à Monet " et puis je me mettais au travail et je m'irritais, je m'agaçais, je m'emportais contre mon imbécillité, et finalement la journée de passer à la recherche des phrases et des idées, sans que je vous eusse écrit. Ah ! Quel terrible moment que celui de l'enfantement d'un livre. Cela vous prend tout votre temps, vos amis, votre santé. Et quel atroce martyre, cette certitude l'on est de ne rien faire qui vaille, le supplice de voir de belles choses au dessus de soi et de ne pouvoir les saisir. Je fais un livre (i) d'une diflîculté peut être insurmontable pour un homme de génie. Or, vous pensez ce que cela doit être pour moi. C'est le roman d'un enfant. Je prends l'enfant à onze ans et je le lâche à 17, l'âge auquel il meurt, et je mets 400 pages à décrire cette âme en face de l'éducation, en face du balbutiement de sa personnalité, laissant voir, par des aspirations confuses, incertaines, des élans spontanés, l'homme qu'il fut devenu plus tard. Cela m'avait longtemps tenté. Je m'étais dit : " Combien de grands artistes, de grands poètes meurent à 1 7 ans et sont perdus pour nous ".

Enfin, je travaille énormément, sans avancer beaucoup, car je rature, je recommence, je reprends sans cesse les chapitres. C'est une infernale vie. Naturellement je ne fais pas de peinture et c'est ce qui me navre le plus. Et puis qu'est ce que vous voulez que je peigne, en présence de cette admirable lumière que vous seule pouvez rendre.

Dites moi donc quand aura lieu votre exposition. Et quelles toiles connues de moi, vous exposez ? Je veux vous faire un article dans le Figaro. C'est pourquoi j'ai différé celui de PEcho de Paris. Je suis en ce moment, au mieux avec Magnard, qui me comble d'éloges et d'amitié et je veux au moins en profiter pour que cela serve à quelque chose de bon.

(i) Sébastien Roch. 1890.

166

Je n'ai encore rien reçu de Whistler. Ce que vous me dites de lui est bien amusant, et le gonflement de la personnalité de Whistler est aussi très comique. Il y a un fond de snob enragé dans ce grand artiste. Mais qui, du gros Stott ou du maigre Whistler assène les coups ?

Non, j'ignorais la maladie du pauvre Renoir. Que cela est triste et le malheur s'acharne sur ce pitoyable garçon. Envoyez moi donc son adresse. Mais a-t-il ide quoi vivre ? Mettez-moi un peu au courant de sa situation.

Et dire que je n'ai pas encore écrit à Rodin depuis mon arrivée ici ! Il doit m'en vouloir. Mais aussi, je deviens fou. Et je crois bien que c'est le dernier livre que je ferai. Ça donne trop de souffrance.

R... m'a écrit une des plus extraordinaires lettres qui se puisse imaginer.

Il s'excuse d'avoir accepté \z. croix, par ce motif que ça lui permettra désormais de faire de la peinture honorable. Et il me comble de conseils comme ceux-ci : " Je vous conseille de faire de la peinture à peine appuyée et d'écrire des romans dont on ne comprendra que le sens ". Décidément, c'est le pire des idiots.

Excusez le laconisme de ma lettre. Mais je suis en train de faire violer un enfant par un jésuite et cela me tarabuste. Je veux vous dire seulement que je vous aime toujours, que je pense à vous. Et comment ne pas penser à vous, dans ce pays que vous avez si splendidement exprimé, oii je retrouve, à chaque pas, dans l'émerveillement de la nature, l'émerveillement de vos toiles. Et dire que tout cela sera vu en Amérique ! Oh ! les infâmes brutes que les Français !

Lei Damps par Pont-de-V Arche (Eure). Mon cher ami.

Oui, nous eussions été bien contents de vous voir, parce que de tous les êtres humains, vous êtes celui que j'aime le mieux, mais je pensais que vous étiez en

plein travail Il fallait vous attendre à

cette attaque de rhumatismes. Maintenant qu'elle est venue, il faut vous soigner sérieusement et ne plus commettre d'imprudences. Quand à ce sale, à cet horrible temps que nous avons et que nous aurons encore jusqu'à la fin d'août, nous avons le droit de le maudire. Mais, de là, à inférer que vous êtes fichu artistiquement, parce qu'il pleut, qu'il fait du vent et qu'on a fauché la rivière, c'est de la folie pure, et vous raisonnez comme un théologien ou

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comme un philosophe spiritualiste partisan des causes finales. Je pensais bien souvent à vous, mon cher ami, et je me disais : " Ce pauvre Monet, doit-il rager avec ses toiles commencées et qu'il ne pourra pas achever par cette abomi- nable pluie, ce vent suicidant. " Comme /^ suis un homme de science^ je ne songeais pas à accuser autre chose que la nature, qui est admirable, mais dont la brutalité irraisonnée et sans cause, l'inconscience aveugle et le désordre fou sont vraiment par trop irritants. Voilà mon Dieu, ce qui est la vérité, que si le temps avait été beau, si on nous avait laissé vos herbes, vous auriez fait des chefs-d'oeuvres, que vous ferez l'année prochaine. Seulement, ayez la sagesse de prendre des précau- tions, de ne plus vous exposer à l'humidité et au froid, comme vous l'avez fait, jusqu'ici et surtout de guérir ce rhumatisme moral qui paralyse votre raison. Moi aussi je suis désolé de mon jardin, mais pour d'autres causes que vous. Ici, rien ne pousse et, à part des roses rendues horribles par la pluie, je n'ai pas une fleur, pas une ! Les soleils ne sont guère plus hauts que des pimprenelles ; les dalhias sortent à peine et ne fleuriront pas. Quand aux pavots, ils sont, sur le fumier, mangé au cœur par les limaces et au pied par les vers blancs. Les reine- marguerites n'ont pas levé. Sur quinze francs de graines, j'en ai récolté cinquante pieds, maigres et chétifs, qui vont mourir. Les chrysanthèmes restent station- naires oscillant entre une vie misérable et la mort. Ils agonisent. J'avais semé une collection de sulpicylosis et de phlox annuels et rien n'a levé. Vos escholst- chins jaunissent et pourissent. Enfin c'est le néant. Ajoutez que le vent m'a cassé les capucines en fleurs. Ce sont les lapins qui les mangent. Il y a beaucoup de ma faute dans tout cela. Mais il y a aussi, je crois, un vent de stérilité laissé par l'ancien propriétaire. Cet homme a trop détesté les fleurs. Chaque fois qu'il en poussait une, il s'en allait. Elles se vengent aujourd'hui en ne poussant plus du tout.

Et voilà, mon bon ami. Ajoutez à ces déceptions que je ne travaille pas et que je ne peux pas travailler et vous aurez une idée de mon bonheur. Je n'ai plus la moindre idée à couler en phrases et mon cerveau est vide. Alors, je m'abrutis à errer dans le jardin, sarclant mécaniquement les fèverolles, les mer- curiales, les horties, les liserons et les chiendents qui poussent avec une abon- dance et une persistance endiablantes

Et je ne vois personne. Les quelques amis qui devaient venir me voir m'écri- vent l'un après l'autre, qu'ils ne viendront pas. Telle est ma vie. Elle est coquette et douce, comme vous voyez. Et puis voilà l'argent qui va manquer ; il va falloir me remettre au journalisme, ce qui m'assomme ; et je me sens inca- pable de faire même un article, ce qui m'épouvante.

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Et le baromètre baisse toujours, et je n'ai pas une fleur ! Et je me suis abonné à la Revue d'Aujourd'hui qui est bien la revue la plus bête que je connaisse et M. D... qui la dirige le plus sot et insupportable personnage qui soit sur la terre. Par dessus le marché, la littérature m'embête au delà de tout. J'arrive à cette conviction qu'il n'y a rien de plus vide, rien de plus bête, rien de plus parfaitement abject que la littérature. Je ne crois plus à Balzac, et Flaubert n'est qu'une illusion de mots creux. Alors que les sciences naturelles découvrent des mondes et vont désembroussailler les sources de vie, de toutes les routes qui les cachaient, alors qu'elles interrogent l'infini de l'espace et l'éternité de la matière et qu'elles vont chercher au fond des mers primitives, la mucosité pri- mordiale d'où nous venons, la littérature, elle, en est encore à vagir sur deux ou trois stupides sentiments artificiels et conventionnels, toujours les mêmes, en- gluée dans ses erreurs métaphysiques, abrutie par la fausse poésie du panthéisme idiot et barbare ! Et ce qu'il y a de plus terrible, c'est l'impuissance je suis, moi particulièrement, de sortir de cette crasse intellectuelle, de ce mensonge, de cette abjection. J'entrevois bien ce qu'il y aurait à faire, mais j'en suis incapable. Ce serait une éducation nouvelle à faire ; ce serait la chimie, l'anatomie, la géologie, la paléontologie, l'embryogénie à apprendre. Et je suis trop vieux. Alors, un dégoût me vient de mon ignorance et de la besogne plate et infiniment stupide à laquelle je suis condamné. Si j'étais seul, si je n'avais pas une femme, je louerais un champ, j'y ferais pousser des légumes et j'irais les vendre à Rouen dans une petite charrette, tous les matins.

Voilà j'en suis, mon bon Monet. Et cette crise de cerveau ne fait que commencer. Je me demande si je pourrai la vaincre et supporter le dégoût croissant que je m'inspire. Le mieux serait que non. Ah ! vous qui êtes un fort et un voyant et qui avez le génie de la création, vous qui travaillez à des choses vraies et saines, dites-vous bien que vous êtes un heureux et un élu et que vous avez tort de vous plaindre. Vous avez derrière vous une œuvre énorme et splen- dide ; vous en avez encore une devant vous, plus belle peut-être parce que chez les tempéraments comme le vôtre, tout grandit, s'élargit, pousse en force, avec le temps. Ne vous martyrisez pas à vouloir l'impossible. Je vous embrasse tendrement.

\^ février 1892. Cher ami.

J'ai joliment regretté de ne pas vous avoir vu à Paris ; mai? vous n'avez pas à regretter de n'y être point allé.

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La soirée a été, malgré les applaudissements des amis, quelque chose de sinistre C'est horriblement mauvais, vers et musique. Les vers sont des énumérationi de choses inutiles, dans un style pauvre. Les mélodies commencent par de^ phrases sévères et banales, pour se disloquer tout de suite dans un déhanchemenf de café-concert. Aujourd'hui mon impression est celle-ci : tout cela sent mauvais les sous-sols du quartier latin et les indigestes outrances des Hydropattes. Ça été une vraie déception et irrémédiable. La vérité, c'est que Rollinat ne sent pa% la nature. Il prête aux choses et aux êtres des fonctions, des significations qui ne sont pas les leurs. Ainsi, il y a une ballade il marie à la fin " La Reine des fourmis" et "le Roi des Cigales", une autre encore il fait s'épouser, dans une explosion de joie masturbée " la Petite Rose " et " Le Petit Bluet ". C'est absurde et faux et vieillot comme du Béranger. On nous a récité un poème qui s'appelle : " Les peupliers " ! On s'attend à une musique frissonnante, svelte, légère pour exprimer cet élancement cette grâce, cette sonorité délicieuse, aérienne qu'est le peuplier. Eh bien! mon cher Monet les vers ont un fracas terrifiant et absurde. Ce sont des Himalayas qui se heurtent et s'émiettent, des armées qui se menacent, des trains qui se rencontrent, des abîmes qui s'ouvrent et qui engloutissent monts, plaines, villes, peuples, forêts. J'étais ahuri et ne savais plus je me trouvais. Et si vous saviez comme cela a été dit et chanté : des messieurs de la Comédie-Française avec leur accent froid, manière, leurs tradi- tions imbéciles 1 Et cette Yvette Guilbert !

Je pensais à vous et je me disais : " comme Monet souffrirait, s'il était !

Moi qui ne connaissais pas Rollinat, j'ai réellement souffert pour lui. Je crois que ce pauvre garçon est dévoyé, on le mène par des chemins il n'a à atten- dre que des déceptions amères, jusqu'à l'écroulement final. On veut exploiter son oeuvre, la faire chanter partout, peut-être le remettre en scène lui-même, lui faire courir le cachet, dans les salons, comme un cabotin. Tout cela est triste.

Et j'ai la sensation d'une tristesse plus grande : c'est que Rollinat en a assez de son hermitage de la Creuse, de sa vie obscure : il a la nostalgie des cafés litté- raires et il se prépare ainsi une rentrée définitive à Paris,

Ah ! ce pauvre Rollinat, comme il devrait voir vos peupliers ! Je les aime et je suis resté abasourdi, mais dans un sentiment inverse à celui que me fait éprouver Rollinat. C'est une œuvre absolument admirable, cette série, une œuvre, vous vous renouvelez encore, par le métier et la sensation et vous atteignez l'absolue beauté de la grande décoration.

J'ai éprouvé des joies complètes, une émotion que je ne puis rendre, et

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si profonde que j'aurais voulu vous embrasser. La beauté de ces lignes, la nou- veauté de ces lignes et leur grandeur et l'immensité du ciel et le frisson de tout cela... vous entendez mon cher Monet, jamais, jamais aucun artiste, n'a rendu de pareilles choses et c'est encore une révélation d'un Monet nouveau... Je suis atterré.

Viendrez-vous bientôt r Et cette gelée r N'est ce pas monstrueux ?

Je vous embrasse.

P. S. Quand vous verrez Geffroy ne lui confiez pas mon sentiment aussi net sur RoUinat. Il sait que je n'aime pas ça, je le lui ai dit et j'ai refusé de faire l'article qu'il me demandait mais je n'ai pas été avec Geffroy aussi catégorique qu'avec vous. Je sais que cela lui aurait fait de la peine et il ne faut pas faire de peine à ses amis, surtout quand ce sont de grands cœurs comme Geffroy et victimes d'un sentiment le plus noble qui soit.

Les Damps par Pont-de-V Arche (Eure), Mon cher Monet

Vous travaillez, vous êtes heureux. Moi je ne fais que de stupides articles de journaux, je renonce, à faire autre chose. Je ne puis faire des livres et des articles en même temps ; il faut rompre trop souvent le courant de ses idées, cela vous rejette trop loin, en dehors de la préoccupation obstinée qui doit s'attacher à la confection d'un livre. Et puis, je suis plus foutu que jamais, et vidé comme une vieille gourde. Je suis bien heureux que vous vous soyez redressé plus fort que jamais et que vous repreniez confiance en vous même. D'ailleurs j'étais bien sur de cela. Vous avez l'âme forte et les reins solides. Moi, je n'ai rien que des apparences qui s'évanouissent au premier obstacle. Enfin dans ma détresse, j'aurai toujours la joie de vous admirer, mon cher Monet, et de vous aimer.

Hervieu est reparti depuis plus de huit jours. Il n'a pas le coffre solide, le pauvre garçon, mais il est bien intelligent, malgré des travers mondains qui me font de la peine dans un esprit si supérieur.

N'oubliez pas de me dire comment s'appellent vos dahlias rouges. Je suis infiniment triste de moi mon cher Monet, parce que je sens que c'est fini et que la vie n'a pour moi, rien de ce que je voudrais. Quand vous viendrez, je vous prêterai les livres de Mae^erlinck^C'est un admirable homme de génie. N'écou- tez pas une minute ce qu'on pourra vous dire à Paris de lui.... Ils crèvent tous de jalousie, de voir un Belge si grand. Et ils voudraient rabattre le prodigieux

I7«

génie de ce poète unique. Il n'y a que Mallarmé qui en pafle avec émotion et comme il faut. Je viens de lire les Aveugles^ un petit livre récemment paru. Il n'y a pas dans toute la littérature humaine, une œuvre qui soit comparable à ^ celle-là et même qui lui ressemble quelque peu. Et ils sont tous, les galapiats de lettres, à dire que Maeterlinck démarque Shakespeare et Laforgue. Vous verrez comme vous serez étonné. C'est la beauté môme, qui, pour le première fois apparaît, avec un tel resplendissement dans la littérature.

Quelle saleté que les gens de lettres ! Et comme Geffroy, qui aune belle âme, lui, devrait les envoyer promener, avec Daudet, Concourt, Zola et tous et tous ! Moi, voilà l'impression que me donne Maeterlinck : il me fait paraître tout laid, tout petit, tout bête.

^v:ew'

Cher ami,

Nous allons très bien. Et je ne fais rien que de rêver à ce que je ferai plus tard. Toute la journée, je m'en vais mon fusil sur le dos, en quête de canards que je ne tue même pas. Et je suis très heureux comme ça.

Ne lisez pas mon article sur Pissarro. 11 est idiot. Je n'ai pas dit la moitié des choses que je voulais dire. Il paraît que le père Durand n'est pas content. Il espérait que j'éreinterais Pissarro dans sa dernière manière.

J'ai reçu une lettre de Mallarmé, navrante sur le pauvre Gauguin. Il est dans la misère noire. Il voudrait s'évader de Paris et s'en aller à Tahïti parmi les choses qu'il a laissées de lui, dans ces primitifs pays et y travailler à neuf; on voulait, pour l'aider dans ses projets, que je fisse au Figaro un article, concordant avec la vente de trente de ses toiles. Ça n'a pas été tout seul. Enfin Magnard s'est décidé à me l'accorder.

Je vais demain à Paris pour voir quelques toiles récentes et quelques poteries. Gauguin est venu me voir. C'est une nature sympathique et véritablement tourmentée de la souffrance de l'art. Et puis il a une admirable tête. Il m'a beaucoup plu. Dans cette nature d'apparence un peu fruste, il n'est pas malaisé de reconnaître tout un côté cérébral très intéressant.

Il était très tourmenté de sa\oir ce que vous pensez de son évolution, vers la complication de l'idée dans la simplification de la forme. Je lui ai dit que vous aviez aimé beaucoup la Lutte de Jacob avec F Ange et ses poteries. J'ai bien fait ; cela lui a causé du plaisir. Et Noilà, mon ami, tout le neuf de ma vie. Je compte

i

17^

mes morts, ils sont nombreux. Je n'ai plus rien. Et vous ? oui, faites du silos. Je viens tout à l'heure de regarder les dahlias, ils sont dans un merveilleux état de conservation. Seuls survivants de cette affreuse catastrophe.

P. S. On a tiré des masses de cygnes ici ! Tuer des cygnes ! N'est-ce pas la plus idiote des barbaries? J'ai vu une chose superbe et lamentable. Quatre cygnes, dans le soleil, sur le fond bleu sombre du ciel. L'un de ces cygnes était blessé et son aile était toute rouge de sang.

Mais tirez donc ! tirez donc ! me cria un paysan. Ah ! Sacré nom de Dieu, tirez donc !

J'avais bien envie de tirer, mais sur lui.

Cher ami,

Serez-vous bientôt libres ? Tous les jours j'attends le facteur, espérant qu'il me portera une lettre de vous. Et chaque fois, c'est une déception. Ne nous oubliez pas, dites, mon cher Monet. Ne faites pas comme ce bon Hervieu, qui après s'être annoncé, se décommande tout à coup, parce qu'il a peur de s'ennuyer dans une maison l'on ne se met pas pour dîner, en smoking, et M. Détaille, son nouvel ami, ne marche pas sur la tête et ne fait pas danser des pipes sur son nez. Hervieu a préféré aller passer quelques jours chics, chez M™* Madeleine Lemaire. En voilà encore un qu'il faudra rayer de la liste des amis. Hélas ! La vie a cela de triste, que chaque jour vous apporte une décep- tion et brise vos idoles.

Je travaille avec ardeur et ne fait rien qui vaille. Je me suis lancé dans un livre au dessus de mes forces. Avec beaucoup de talent il pourrait être très beau; mais comme il est et comme il sera, c'est moins que rien.

Mon cher ami.

Imi

Excusez-moi bien. Mais vous devez penser que nous vivons dans des drames permanents (i) et que je n'ai guère le loisir de vous écrire. Ce soir encore, nous sommes sortis très tard et malgré le service de police, nous avons été hués et poursuivis de la belle façon. Je crois que nous n'avons affaire qu'à des brail- lards, mais il suffit pourtant de quelques fous pour que la chose soit tragique.

(i) Procès Zola.

génie de ce poète unique. Il n'y a que Mallarmé qui en pafle avec émotion et comme il faut. Je viens de lire les Aveugles, un petit livre récemment paru. Il n'y a pas dans toute la littérature humaine, une œuvre qui soit comparable à celle-là et même qui lui ressemble quelque peu. Et ils sont tous, les galapiats de lettres, à dire que Maeterlinck démarque Shakespeare et Laforgue. Vous verrez comme vous serez étonné. C'est la beauté même, qui, pour le première fois apparaît, avec un tel resplendissement dans la littérature.

Quelle saleté que les gens de lettres ! Et comme Geffroy, qui aune belle âme, lui, devrait les envoyer promener, avec Daudet, Concourt, Zola et tous et tous ! Moi, voilà l'impression que me donne Maeterlinck : il me fait paraître tout laid, tout petit, tout bête.

Cher ami,

Nous allons très bien. Et je ne fais rien que de rêver à ce que je ferai plus tard. Toute la journée, je m'en vais mon fusil sur le dos, en quête de canards que je ne tue même pas. Et je suis très heureux comme ça.

Ne lisez pas mon article sur Pissarro. Il est idiot. Je n'ai pas dit la moitié des choses que je voulais dire. Il paraît que le père Durand n'est pas content. Il espérait que j'éreinterais Pissarro dans sa dernière manière.

J'ai reçu une lettre de Mallarmé, navrante sur le pauvre Gauguin. Il est dans la misère noire. Il voudrait s'évader de Paris et s'en aller à Tahïti parmi les choses qu'il a laissées de lui, dans ces primitifs pays et y travailler à neuf; on voulait, pour l'aider dans ses projets, que je fisse au Figaro un article, concordant avec la vente de trente de ses toiles. Ça n'a pas été tout seul. Enfin Magnard s'est décidé à me l'accorder.

Je vais demain à Paris pour voir quelques toiles récentes et quelques poteries. Gauguin est venu me voir. C'est une nature sympathique et véritablement tourmentée de la souffrance de l'art. Et puis il a une admirable tête. Il m'a beaucoup plu. Dans cette nature d'apparence un peu fruste, il n'est pas malaisé de reconnaître tout un côté cérébral très intéressant.

Il était très tourmenté de savoir ce que vous pensez de son évolution, vers la complication de l'idée dans la simplification de la forme. Je lui ai dit que vous aviez aimé beaucoup la Lutte de Jacob avec P Ange et ses poteries. J'ai bien fait ; cela lui a causé du plaisir. Et voilà, mon ami, tout le neuf de ma vie. Je compte

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mes morts, ils sont nombreux. Je n'ai plus rien. Et vous ? oui, faites du silos. Je viens tout à l'heure de regarder les dahlias, ils sont dans un merveilleux état de conservation. Seuls survivants de cette affreuse catastrophe.

P. S. On a tiré des masses de cygnes ici ! Tuer des cygnes ! N'est-ce pas la plus idiote des barbaries? J'ai vu une chose superbe et lamentable. Quatre cygnes, dans le soleil, sur le fond bleu sombre du ciel. L'un de ces cygnes était blessé et son aile était toute rouge de sang.

Mais tirez donc ! tirez donc ! me cria un paysan. Ah ! Sacré nom de Dieu, tirez donc !

J'avais bien envie de tirer, mais sur lui.

Cher ami,

Serez-vous bientôt libres? Tous les jours j'attends le facteur, espérant qu'il me portera une lettre de \ous. Et chaque fois, c'est une déception. Ne nous oubliez pas, dites, mon cher Monet. Ne faites pas comme ce bon Hervieu, qui après s'être annoncé, se décommande tout à coup, parce qu'il a peur de s'ennuyer dans une maison l'on ne se met pas pour dîner, en smoking, et M. Détaille, son nouvel ami, ne marche pas sur la tête et ne fait pas danser des pipes sur son nez. Hervieu a préféré aller passer quelques jours chics, chez M™*^ Madeleine Lemaire. En voilà encore un qu'il faudra rayer de la liste des amis. Hélas ! La vie a cela de triste, que chaque jour vous apporte une décep- tion et brise vos idoles.

Je travaille avec ardeur et ne fait rien qui vaille. Je me suis lancé dans un livre au dessus de mes forces. Avec beaucoup de talent il pourrait être très beau ; mais comme il est et comme il sera, c'est moins que rien.

Mon cher ami.

Excusez-moi bien. Mais vous devez penser que nous vivons dans des drames permanents (i) et que je n'ai guère le loisir de vous écrire. Ce soir encore, nous sommes sortis très tard et malgré le service de police, nous avons été hués et poursuivis de la belle façon. Je crois que nous n'avons affaire qu'à des brail- lards, mais il suffit pourtant de quelques fous pour que la chose soit tragique.

(i) Procès Zola.

Cette affaire est abominable. Et l'armée, soyez-en sûr, mon cher ami, est venue à la barre, commettre le crime le plus odieux qui se puisse commettre. Des bandits ! Ils se sont, vendredi dernier, trouvés acculés. C'était la déroute. Ils en sont sortis par le mensonge et par le faux.

Je vous conterai tout cela en détail. Car vous pensez si j'en ai des impressions et de toutes sortes.

Ce mot seulement, cher Monet, pour vous dire que nous pensons bien à vous tous et que nous \'oudrions que vous redeveniez bien portants tous.

Nous vous embrassons tendrement.

P. S. Zola est admirable. Durant ces quinze audiences, pas une minute de défaillance. C'est comme un Christ.

Cher ami,

A l'instant, je reçois la nouvelle que le propriétaire du cirque de Rouen s'est dédit. Il ne veut plus nous donner sa piste pour y faire courir nos discours en liberté (i). C'est donc partie remise.

Mais par exemple, si vous voulez venir jeudi à Toulouse, là, la bataille sera chaude. Vous savez que rien n'est plus admirable que de parler en public. Hier soir, j'étais en verve. Ça été très bien.

68, Avenue du Bots de Boulogne.

Vous êtes dans un moment il ne faut pas rester seul en face de vous-même, à vous hypnotiser de fantasmes, qui entretiennent perpétuellement en vous et la développent une neurasthémie qu'il ne faut rien pour chasser. Il faut vous secouer, vous distraire dessus et de vos habitudes quotidiennes. Ne travaillez pas. Vous vous rattraperez plus tard. Venez à Paris souvent, en dépit de votre dégoût à y venir. Et au besoin, voyagez. L'auto est une cure excellente. La diversité des paysages et des occupations spirituelles est souveraine. Croyez bien ce que je vous dis, c'est la vérité. Vous croyez que c'est encore à Giverny que vous êtes le mieux. C'est une erreur. Vous serez mieux partout ailleurs. Je ne vous dis pas de le quitter, vous pensez. Mais quittez-le de temps en temps... deux, trois, huit jours... vous n'avez pas le droit de ne pas essayer cette cure facile, pour

(i) Meeting organisé en 1899, pendant l' aj^aire Dreyfus.

vous, pour votre entourage, pour vos amis... Et vous reconnaîtrez bien vite que j'ai raison. Allons ! Un bon mouvement ! Venez à Paris passer deux jours, pour commencer. Nous nous promènerons, nous irons ici et là... du Jardin des Plantes qui est une chose admirable, au Théâtre Français. Nous mangerons bien, nous dirons des bêtises et nous ne verrons pas de tableaux. Madame Monet et ma femme essaieront des boléros, des jupons. Et nous irons tous les quatre voir les jardins de l'Hay.

Voyons, quand venez-vous r Prenez une décision. Et n'hésitez pas, ne discutez pas. C'est le médecin qui vous parle. Sacré Monet, va !

84, Avenue du Bois de Boulogne.

Excusez mon silence, d'abord. Vous ne pouvez vous imaginer ce que cette affaire (i) a bouleversé mes habitudes et comme elle a pris tout mon temps. Avec un homme comme Claretie, capable de tout, ayant une clientèle inté- ressée à le défendre, il fallait avoir l'œil et riposter à toutes ses attaques et à toutes ses intrigues et contrecarrer tous ses actes. C'est demain le jugement. Je pense qu'il sera conforme aux conclusions du ministère public. Mais pourtant, je n'en sais rien. Claretie est assez intimement lié avec Ditte, le président et Clemenceau a, depuis quelques jours, une figure énigmatique. Je ne suis pas sans inquiétude. D'un autre côté, ce serait un tel déni de justice, que je ne veux pas croire qu'on l'ose. Ce ne sera pas fini même si je -gagne. Car je veux que Claretie s'en aille et il semble que celui-ci \euille s'incruster plus que jamais à son rocher. Il faudra batailler pour obtenir sa démission ou sa révocation et ce sera peut-être la chose la plus difficile. Enfin, le gain du procès me donnerait de la force et de l'autorité. Nous verrons cela demain.

Et vous, cher Monet ? Vous voilà encore démoralisé ! Un homme comme vous ! C'est insensé et douloureux ! Pourquoi vous être laissé aller à ne pas faire votre exposition ? Ça, vous savez, c'est de la pure folie. Quand on est ce que vous êtes on n'a pas le droit de ne penser qu'à soi. Il faut penser aux autres, à ceux qui vous aiment, qui vous admirent et pour qui une manifestation de votre génie est plus qu'une joie, toute une éducation. Vous ne savez pas à quel point tout cela me chagrine. Je suis entré l'autre jour chez Durand à l'exposi-

(1) Procès du "Foyer".

tion qu'il fait de vos toiles. C'est tout simplement xertigineusement beau. Cela^ fait pousser un cri d'admiration à tout le monde. Il y a une dizaine de toiles qui ont déjà l'éternité du chef-d'œuvre.

Et vous voilà démoralisé, comme un enfant ! Vous, qui devriez avoir la pleine conscience de vous même et vous dire, tout tranquillement, sans vanité d'artiste, que vous avez fait tout ce qu'un homme peut faire de grand.

Voyons, Monet, mettez-vous donc en face de la réalité, une bonne fois. Imposez une discipline humaine à votre raison. Dites vous qu'il est des rêves qu'une âme forte ne doit pas tenter, parce qu'ils sont irréalisables. On ne peut aller plus loin que le monde sensible et sapristi ! ce que vous sentez, ce que vous voyez est un domaine assez vaste, assez infini pour vous !...

84, Avenue du Bois de Boulogne.

Moi, je suis bien patraque. Je ne dors plus. Je passe mes nuits à me promener dans ma petite chambre et j'ai le corps entier en proie aux rhumatismes. J'ai le dégoût de lire. Ainsi vous vous représentez mon état, qui est de de l'exaspération. Robin vient me voir aujourd'hui, et je vais commencer à me soigner sérieusement, car je ne peux plus vivre ainsi. J'en arriverais vite à la folie. Vous voyez qu'il y en a pour tout le monde.

Oui, mon vieux, nous avons été voir Chantecler. Et je vous assure que ça n'a pas contribué à nous redonner de la gaieté. Vous ne pouvez imaginer à quel point ce spectacle est répugnant. Les décors, les costumes, sont au delà du laid. Et c'est sale, sale ! Quant à la pièce elle-même, je ne vous en parle pas. Cela a quelque chose de pénible, de douloureux. On sent que ce pauvre Rostand fait de la paralysie générale. Et cette idée glace le rire qui nous prendrait à chaque vers. Comment peut-on écouter cela de sang-froid ? C'est un problême. Car j'ai remarqué que tout le monde s'ennuie à mort. Et quand le rideau baisse sur le dernier acte, c'est un soulagement général.

176

LETTRES A FRANCIS JOURDAIN

1909.

Mon cher Francis,

Vous ne m'importunez pas. Je trouve même que vous ne m'importunez pas assez. Vous savez bien que tout ce que vous désirez, je le veux. Donc c'est entendu. Dites à M. Besson qu'il aura ma préface (i)

Ce n'est pas un beau cadeau que je lui fais. Et je lui promets, de temps en temps, des bouts d'articles, quand j'aurai une idée.

Je vais me mettre d'ici deux jours à la préface, et je l'enverrai à votre père.

Heureux homme qui devez à Couilly respirer l'air que respire Coquelin ! Avez-vous été voir cet élevage des vieux cabots ? Ça doit être drôle !

Octave Mirbeau

1909.

Cher ami.

Je viens de finir la préface. Mais comme elle est pleine de ratures et absolu- ment illisible, je vais la recopier. Votre père l'aura mardi matin. Je vous préviens pour que vous puissiez lui demander de \ou£ l'envoyer, ou de la faire recopier.

Oh ! n'attendez pas quelque chose de merveilleux ! Mais il y a sur l'art, sur la vie, sur la morale, sur la démocratie radicale-socialiste, des idées qui, je crois, vous plairont.

En tout cas, je n'ai pas voulu faire des pages doctrinaires, solennelles et glacées

(i) Les " Cahiers d'aujourd'hui" dont le 1* est d'octobre igi2 de-vait paraître en içoç et publier la préface de Mirbeau écrite pour le catalogue du Salon d Automne.

177

qui sont de mode pour les préfaces en général, et pour les préfaces d'art, en particulier.

J'ai vagabondé ici et là, et quand j'ai pu, j'ai rigolé, en me foutant des gens de mon mieux.

Mais j'ai peur que votre père n'aime pas beaucoup cela et qu'il ait compté sur quelque chose de plus spécial. Vous me direz ce qu'il en aura pensé.

1909.

Mon cher Francis,

Je suis bien triste et bien découragé. Et c'est maintenant que je comprends avec plus de force, ce que nous perdons en ce pauvre petit Philippe (i) ! Si vous saviez quelle colère j'éprouve contre cette académie stupide, plate et méchante

contre surtout qui n'a pas su donner à ce grand artiste, un peu de

bonheur, un peu de tranquillité ; je ne dis pas un peu de fierté Elle ne pou- vait lui donner ça : il l'avait en lui-même.

Je suis plus dégoûté que jamais de la méchanceté des hommes, de la sottise haineuse des collectivités, et plus effrayé encore de l'impuissance l'on est à faire un peu de bien, et un peu de beau.

Et rien ne se paie dans cette sacrée vie. Les salauds triomphent toujours d'être des salauds. Et les autres sont voués éternellement à la peine.

Quand ont lieu les obsèques ? Pourrai-je y aller ? J'ai beaucoup toussé cette nuit...

Je ne peux pas vous dire de venir me voir... Mais cela me ferait du bien.

A vous de tout mon cœur.

Octave Mirbeau.

1909.

Pouvez-vous venir demain, dimanche, vers 6 heures, à la maison. Je vous demande pardon de ces dérangements. Mais j'ai à vous remettre quelque chose pour M}^^ Marguerite Audoux.

J'ai vu R. Il est terrible. Il veut tout avoir pour rien. Le voilà qui veut s'en- tendre avec F. Et naturellement au détriment de l'auteur. J'ai écrit à F. de l'envoyer promener, ce qu'il fera je n'en doute pas.

Vous savez qu'il se prépare une campagne de dénigrement contre M"^ Audoux, vous et moi. Il y a déjà de bons amis qui sont furieux contre cette malheureuse,

(i) Mort de Charles-Louis Philippe, Décembre 1909.

178

et qui la jalousent. Ça commence déjà, dans le Cri de Paris. Je sais qui est l'auteur de cet écho. Vous serez stupéfait de le connaître. A demain n'est- ce pas ?

Votre ami, Octave Mirbeau,

P. S. Je ne pense qu'à ce pauvre petit Philippe, et je suis presque heureux de ne l'avoir pas vu, à son agonie et à son lit de mort. Au moins ai-je gardé de lui une image vivante. Et il ne me semble pas qu'il est mort... Et j'arrive à ne pas le plaindre, et à me dire qu'il est heureux maintenant... Car, véritablement, l'ignominie des hommes... c'est trop, c'est trop !..

Entre nous vous savez que est un imbécile, et, je crois, une crapule... Ah !

naturellement !..

J'ai peur que vous n'ayez pas reçu ma lettre. J'ai comme une vague idée que j'ai mis votre patelin de Contevroult et Couilly, sous l'indication de " Seine et Oise ". Alors, naturellement, elle n'ira pas en Seine et Marne.

Travaillez- vous ?

Moi, je suis mieux. Je commence à marcher, sans trop de fatigues, et j'espère que ma phlébite va tout à fait disparaître, dans la nuit des temps.

Et je travaille maintenant avec acharnement. Je vais bientôt achever mon livre: Dingo, qui est l'histoire d'un chien. Ça me change des hommes.

A vous de grande amitié.

Octave Mirbeau.

P. S. Il faut absolument que vous lisiez un livre : La Société sous Philippe- Auguste^ par Luchaire. Histoire des moines, des évêques, des seigneurs, à cette époque. C'est tordant. Lisez ça.

1910

Cher ami,

Avez-vous reçu ma lettre. Quand puis-je vous voir ? Puis-je aller samedi chez-vous ?

Je n'ai pu voir Fasquelle ; il n'est jamais à la librairie mais je sais qu'il a de la sympathie, pour M. Valéry Larbaud. Il en a parlé à son employé Bourbier. Je vais essayer encore de le voir demain, et lui ai donné rendez-vous. Viendra-t-il ? Un petit mot, n'est-ce pas. A vous, de tout coeur,

Octave Mirbeau. 179

Mon cher ami,

Vous me connaissez assez, j'espère, pour savoir que je n'eusse pas été le moins | du monde embarrassé pour parler de l'antimilitarisme qui est un article de foi, pour moi, et dire ce que je pense de toutes les polices. Hervé, qui par quelques côtés, m'est antipathique, j'eusse été heureux de louer aussi son courage que j'aime. Mais vous savez mon horreur, pour toutes ces démonstrations publiques, et c'est vrai qu'en ce moment, je ne suis pas bien du tout.

Si Hervé avait été tout seul à se défendre, je n'eusse point hésité. Mais que faisait ma voix, si peu écoutée, parmi celles des témoins qu'il avait ?

Ne me trouvez pas lâche, mon cher Francis, car je ne le suis point, en ces matières, je vous assure. Et plaignez moi de toutes ces phobies que je dois certainement à une santé incertaine et tracassée.

Quand vous vois-je ? Vous savez que c'est toujours pour moi un grand plaisir.

A vous de tout mon cœur.

Octave Mirbeau.

Eté 1 9 1 1 .

Mon bien cher ami,

Vous avez été délicieux. Vous m'avez permis de voir le pays magnifique dans lequel vous vivez, heureux maintenant ; c'est à dire que je vous vois mieux, et que je vous entends ; et cela était doux car ces chaleurs m'ont exténué et m'ont remis comme au début de ma maladie. Je suis exténué et je n'ai de goût à rien. Il me reste l'espoir que j'irai mieux quand cela changera un peu et que je sentirai les merveilleuses caresses d'un air frais sur mon visage.

Je pense que vous êtes heureux, que vous travaillez, et que votre femme et vos enfants se portent bien. Je vous embrasse tous avec passion.

Octave Mirbeau. P. 5. Et Werth? Que devient-il r est-il ?

57 Ri;e Ampère, (;(vii!J

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Billet adressé à M. Sac/ta Guitry (içl

Les Artistes Allenciands exposeront» ils aux Salons Français ?

Nous avons envoyé la circulaire suivante à divers peintres exposant surtout au Salon d^ Au- tomne :

La Section d'Art Décoratif du Salon d'Automne a récemment et à l'unanimité émis le vœu que les artistes appartenant aux nations en guerre avec la France de 1914 à 1918 et exclus des Salons français, puissent de nouveau présenter leurs œuvres au jury du Salon d'Automne.

Approuvez-vous l'initiative des artistes décora- teurs et acceptez-vous de voir désormais aux Salons vous exposez des œuvres d'artistes allemands et autrichiens ?

Veuillez nous envoyer votre réponse avant le l*^'' juin et si vous êtes opposé au vœu des artistes décorateurs, pouvez-vous nous donner brièvement votre avis sur cette question ? Votre réponse paraîtra dans le 9 des " Cahiers d'Aujourd'hui ".

Noiis avons reçu les lettres suivantes que nous publions dans Fordre de leur réception :

De M. Pierre Laprade

Il est de toute évidence que l'on doit laisser ex- poser les Allemands et les Autrichiens.

Quel que soit l'avis que l'on ait sur la question, frapper d'interdit un concurrent, c'est le faire bénéficier d'une faveur inespérée et le pire danger

est celui que l'on ignore. Nous n'avons rien à redouter.

Si les Allemands sont des assimilateurs merveil- leux, surtout en art industriel, je ne vois pas en eux cette puissance créatrice qui a fait les Cézanne et les Renoir. Je ne vois pas chez eux, en art, les quelques hommes qui donnent une figure à une époque.

De M. Le Fauconnier

Les Boches au Salon d'Automne. Très volon- tiers. Monsieur. Le bleuâtre Comité du Salon d'Automne (entendons-nous bien : le Comité) qui se distinguait jusqu'ici par une mentalité réaction- naire " évolue " à l'unanimité ! Pensez si j'ai souri, car pendant la guerre ce noble comité m'a déclaré déserteur quoique réformé cinq fois consécutive- ment. Il veut maintenant les Boches. Donnez-leur, je vous en supplie l'occasion de recevoir une belle leçon d'art décoratif, car les Allemands et Autri- chiens sont de grands décorateurs modernes.'

De M. Jean Marchand

Je ne vois pour ma part aucun inconvénient .i ce que les œuvres des artistes allemands et autri- chiens figurent cette année au Salon d'Automne si ces œuvres sont intéressantes.

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De M. André Fraye

Je suis si convaincu qu'il faut inviter au plus tôt les ennemis d'hier à présenter leurs œuvres au Salon d'Automne qu'à une dernière assemblée générale quelques amis et moi en avons pris l'ini- tiative. Cela se termina d'ailleurs par un vote d'étouiFement. Il appartient cependant aux artistes d'être les premiers à écarter les idées de haine entre peuples, qui permettent aux guerres de se renouveler.

Les guerres sont, je pense, l'œuvre de la haute finance internationale. Pourquoi nous, qui vivons dans l'amour du Beau et faisons passer l'intérêt en second plan, continuerions-nous à nous montrer intransigeants ?

Je crois fermement que les artistes allemands n'aiment pas plus que nous à troquer leurs pinceaux ou leurs plumes pour le fusil. Flétrissons la guerre qui détruit, nous, les créateurs.

La paix est faite. Si les traités sont mauvais ou non exécutés, est-ce notre faute ? Cela ne nous regarde pas. Les politiciens ont leurs aftaires, nous les nôtres. J'ai combattu quatre ans et ai été blessé. Dans le vote pour ou contre, je vote pour et des deux mains.

De M. Joseph Bernard

J'approuve entièrement l'initiative des artistes décorateurs en ce qui concerne la réintégration des artistes allemands et autrichiens au Salon d'Au- tomne.

De Madame Marval

et que cela aide à rétablir l'équilibre

du monde !!!

De M. Othon Friesz

L'Art ne se vivifie-t-il pas par de constants échanges, de. continuelles comparaisons ? Celui-là même qui garde dès raisons de haine contre des allemands ne peut nier l'existence de l'art, chez un peuple fut-il allemand ou autrichien ; alors, pour- quoi excluerait-on ses produits ? Comment oser le critiquer si nous ne suivons pas ses efforts ? Si ceux- ci arrivent à nous intéresser, tant mieux ; cela

aidera à dissiper le " mauvais souvenir " et contri-^ buera à donner un peu d'air à la pensée humaine. '

De M. Robert Lotiron 1

.... J'approuve l'initiative des Artistes décorateurs J

du Salon d'Automne. ]

1 De M. Maurice Asselin ;

L'assemblée générale du Salon d'Automne dis- '.

cuta le vœu de sa section d'Art Décoratif. ^

La majorité des membres présents décida, si j'ai j

bonne mémoire, d'attendre jusqu'en 1924, date de i

l'exposition internationale d'Art Décoratif. Membre |

du Comité du Salon d'Automne, je ne puis que 1

m'incliner devant cette décision. Personnellement, \

je puis le dire, j'ai voté pour l'admission immédiate '

de tous les artistes étrangers. ' ]

De M. Picart le Doux

A mon point de vue,la question n'a pas à se poser. Le nationalisme est affaire de généraux, marchands d'obus et politiciens. Les artistes n'ont rien à voir là-dedans et le Salon d'Automne qui fut le plus libéral doit l'être encore en acceptant le3 œuvres d'artistes de quelque nationalité qu'ils soient pourvu qu'ils aient le respect de leur art.

Tout cela est l'évidence même et il est déplorable d'être obligé de le répéter. Wagner est toujours Wagner malgré les tueries industrialisées et bureau- cratisées.

De M. Pierre Bonnard

... Je suis d'avis d'accepter tout le monde...

De M. Maurice Vlaminck

Refuser la participation des artistes étrangers aux manifestations d'art du Salon d'Automne me sem- ble une faiblesse.

Est-ce que le Poilu décorateur français aurait peur de l'art des Barbares ? Nous ne craignons* pourtant pas grand chose. Ne sommes-nous pas cé| qu'il est convenu d'appeler la Civilisation ? Cari sans aucun doute nous représentons exclusivementj la Civilisation. Aurions-nous peur de la Kultur eti

II

de leur sale camelotte r Ne sommes-nous pas hors concours ? Reculer devant leur art quand nous n'avons pas eu peur de leur Bertha ?!! Le poilu inconnu se redresserait dans sa tombe !

De M. Henri Manguin

J'approuve l'initiative des Artistes décorateurs et pour ma part n'ai aucune raison de refuser d'exposer au milieu d'œuvres d'artistes allemands et autrichiens.

De M. Henri Matis^e

Les artistes allemands et autrichiens aux Salons français ? Oui !

De M. Georges Desvallières

Je ne partage pas la manière de voir des artistes décorateurs. Voici les raisons de cette divergence de vue :

Un homme qui ne tient pas ses engagements, qui ne fait pas honneur à sa signature est un mal- honnête homme.

Le commerçant qui traite avec un tel homme fiit oeuvre immorale d'abord, c'est un commerçant bien léger par surcroit.

A mon sens, il est donc immoral et léger d'ou- blier le torchon de papier de 1914 tant que les clauses du traité de 1918 n'auront pas été exécu- tées par les Allemands. C'est la seule façon qu'ils aient de nous témoigner leur volonté de renoncer aux théories de leur Empereur sur la valeur d'une signature ou d'une parole donnée.

Tant que cette volonté ne sera pas exprimée,

j toute confiance nous est interdite d*ans l'intérêt I supérieur de la Société et par cela même de rAlle-r. magne qui ù\\t partie de cette Société.

L'Allemagne a failli aux règles de morale qui sont la base de toute société, il faut qu'elle recon- naisse son erreur pour que nous puissions reprendre des relations que notre devoir de chrétiens nous ordonne de rendre non seulement cordiales mais fraternelles.

De M. Albert André

Je ne sais pas pourquoi les peintres refuseraient d'accueillir leurs confrères allemands et autrichiens.

Les concerts donnent de la musique allemande, les éditeurs publient des tr.-vductions d'ouvrages allemands, le C^/é de la Rotonde a une belle clien- tèle de peintres qui ne sont pas tous Français et alliés. Alors ?

Pourquoi, s'il y avait un Renoir ou un Cézanne allemand se refuserait-on le plaisir de le connaître ?

De M. Albert Marquet

Les Allemands aux salons français ?.. Pourquoi pas ?

Nous avions demandé a 50 peintres leur avis sur r admission des artistes allemands et autrichtc^' ■'••■■ Salons français. Dix-sept nous ont répondu.

Peut-être eut -il été plus intéressant de poicr /.; question suivante :

Acceptez-vous de reprendre des relations com- merciales avec les collectionneurs et les marchands boches ?

m

Les Cahiers d'aujourd'hui

1

LEON WERTH . . RÉGIS GIGNOUX . ANDRÉ BILLY . . Mj'^RCKL RAY . . ERNEST TISSERAND

RENE ARCOS . . GEORGE BESSON

1912-1920. Mon ami le Mort. Paul Léautaud. George Grosz. Interview de M. François-

Marsal. Dans la Chambrée. Renoir à Gagnes.

2

LEON WERTH . .

V. LARBAUD . . .

NEEL DOFF . . .

ANDRÉ SALMON .

CHARLES VILDRAC ANDRÉ MORIZET . VLAMINCK . . .

Racine.

Questions Militaires. Pensionnat déjeunes filles Façons d'être jeune-Poli- tique d'abord ! Concert. André Tardieu. Lettre sur la Peinture.

N°3

LUCIE COUSTURIER . Sentimentalité noire. LÉON WERTH . . . Nocturne. EMILE VUILLERMOZ Cinégraphie. ERNEST TISSERAND . Calepin. RÉGIS GIGNOUX . . Vive Boulebasse !

PAUL LÉAUTAUD . . In Mémoriam.

VINS

CHARLES VILDRAC LÉON WERTH . .

RÉGIS GIGNOUX .

HENRI BÉRAUD .

Le Piccolo.

Romanée Conti.

Chardonnay.

Du Champagne au Vou-

vray. On buvait le Beaujolais.

EMILE VUILLERMOZ Château-Chalon.

/

JULES ROMAINS

ANDRE SALMON

FRANÇOIS CRUCY .

Allusion voilée au vin de

F***.

Façons d'êtie jeunes.

II. Gens de Revue, latecxjews. _

5

PAUL LEAUTAUD . LÉON WERTH . . ROLAND-MANUEL.

OTHON E. FRIESZ .

CARL STERNHEIM

In Mémoriam (suite)

Marthe.

Musique et Cinémato- graphe.

Artistes de Provinces. Peintres ignorés et bien connus.

Berlin.

6

HENRI BERAUD . .

RÉGIS GIGNOUX . .

NEEL DOFF . . . .

LÉON WERTH . . .

JEAN BERNIER . . .

FÉLIX FÉNÉON ET

Rt.NÉ DELANGE. .

EGON WELLESZ . .

Écrivains d'exportation.

Portrait Léon Wertli.

Angelinette.

Notes.

Retour à Lorette.

Dialogue sur l'eau. Les dernières œuvres de Schoenberg.

N" 7

PAUL LEAUTAUD LÉON WERTH .

RENE ARCOS . . . LUCIE COUSTURIER

In Mémoriam (suite) Mars ou la guerre jugeant

les hommes. Frans Masereel. Paul Signac.

^AUL BUDRY. . . . C. F. Ramuz, écrivain

vaudois. MARIUS MERMILLON Les Mélancolies du Piaf.

8

LEON WERTH

ADOLFLOOS. .

RAMON GOMEZ LA SERNA . . VLAMINCK . . EGON WELLESZ. PAUL COLIN . . MAURICE ESMEIN

DE

Madame Marval.

Sur une exposition de

Matisse. Invectives ? Histoire d'un pauvre

homme riche.

Seins.

S.ouvenirs.

Héla Bartok.

Frank Wedekind.

Une Soirée à Luzarches.

Croquis de Albert André, Raoul Dufy, Dunoyer de Segonzac, Albert Marquet, Henri Matisse, George Grosz, Renoir, Othon Priesz, Marchand, Derain, Régis Gignoux, Aristide Maillol, Luc-Albert Moreau, Pierre Bonnard, Paul Signac, Lucien Mainssieux, Charmy, Vlaminck, Marie Laurencin, Lotiron, Henri Manguin, Zarraga, Karl Hofer, Prans Masereel, Francis Jourdain, André Fraye, Marval.

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