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ŒUVRES CHOISIES
DE
N. CHAMFORT
OEUVRES CHOISIES
DE
N. CHAMFORT
PUBLIEES AVEC PRÉFACE, NOTES ET TABLES
PAR
M. DE LESCURE
TOME SECOND
PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
Rue Saint-Honoré , 3 38
M DCCC LXXIX
\\7^
PORTRAITS ET CARACTERES
ANECDOTES ET BONS MOTS^
M. de Voltaire, passant par Soissons, reçut la visite des députés de l'Académie de Soissons, qui disoient que cette académie étoit la fille aînée de l'Académie Françoise. « Oui, Messieurs, répondit- il, la fille aînée, fille sage, fille honnête, qui n'a jamais fait parler d'elle. »
On disoît à M... académicien : « Vous vous marierez quelque jour. » Il répondit : « J'ai tant plaisanté TAcadémie, et j'en suis; j'ai toujours peur qu'il ne m'arrive la même chose pour le ma- riage. »
1 . L'astérisque indique les morceaux inédits, Chamfort. II. 1
2 PORTRAITS ET CARACTERES
On parloit de la dispute sur la préférence qu'on devoit donner, pour les inscriptions, à la langue latine ou à la langue Françoise, a Comment peut-il y avoir une dispute sur cela dit M. B...? — Vous avez bien raison, dit M. T... — Sans doute, re- prit M. B...; c'est la langue latine, n'est-il pas vrai? — Point du tout, dit M. T..., c'est la langue Françoise. »
« J'appelle un honnête homme celui à qui le récit d'une bonne action rafraîchit le sang, et un malhonnête celui qui cherche chicane à une bonne action. » C'est un mot de M. de Mairan.
Un certain Marchand, avocat, homme d'esprit, disoit : « On court les risques du dégoût en voyant comment Tadministration, la justice et la cuisine se préparent. »
Un homme dé lettres menoit de front un poëme et une affaire d'où dépendoit sa fortune. On lui demandoit comment alloit son poëme. « Deman- dez-moi plutôt, dit-il, comment va mon affaire. Je ne ressemble pas mal à ce gentilhomme qui, ayant une affaire criminelle, laissoit croître sa barbe, ne voulant pas, disoit-il, la faire faire avant de savoir si sa tête lui appartiendroit. Avant d'être immor- tel, je veux savoir si je vivrai. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 3
Une femme parloit emphatiquement de sa vertu, et ne vouloit plus, disoit-elle, entendre parler d'amour. Un homme d'esprit dit là-dessus : « A quoi bon cette forfanterie? Ne peut-on pas trouver un amant sans dire tout cela? »
M. le chancelier d'Aguesseau ne donna jamais de privilège pour l'impression d'aucun roman nou- veau, et n'accordoit même de permission tacite que sous des conditions expresses. Il ne donna à l'abbé Prévost la permission d'imprimer les pre- miers volumes de Cleveland que sous la condition que Cleveland se feroit catholique au dernier vo- lume.
M. d'Alembert eut occasion de voir madame Denis le lendemain de son mariage avec M. du Vivier. On lui demanda si elle avoit l'air d'être heureuse. « Heureuse! dit-il, je vous en réponds; heureuse à faire mal au cœur. »
« Comment trouvez-vous M. de...? — Je le trouve très-aimable; je ne l'aime point du tout. » L'accent dont le dernier mot fut dit marquoit très- bien la différence de l'homme aimable et de l'homme digne d'être aimé.
La jeune madame de M..., étant quittée par le
4 PORTRAITS ET CARACTERES
vicomte de Noailles, étoit au désespoir, et disoit : <( J'aurai vraisemblablement beaucoup d'amans; mais je n'en aimerai aucun autant que j'aime le vi- comte de Noailles. »
Le marquis de Villequier étoit des amis du grand Condé. Au moment où ce prince fut arrêté par ordre de la cour, le marquis de Villequier, capi- taine des gardes, étoit chez madame de Motte- ville lorsqu'on annonça cette nouvelle. « Ah! mon Dieu! s'écria le marquis, je suis perdu! » Madame de Motteville, surprise de cette exclamation, lui dit : « Je savois bien que vous étiez des amis de M. le prince; mais j'ignorois que vous fussiez son ami à ce point. — Comment! dit le marquis de Villequier, ne voyez-vous pas que cette exécution me regardoit; et, puisqu'on ne m'a point employé, n'est-il pas clair qu'on n'a nulle confiance en moi? » Madame de Motteville, indignée, lui répondit : « Il me semble que, n'ayant point donné lieu à la cour de soupçonner votre fidélité, vous devriez n'avoir point cette inquiétude, et jouir tranquille- ment du plaisir de n'avoir point mis votre ami en prison. » Villequier fut honteux du premier mou- vement, qui avoit trahi la bassesse de son àme.
M. de La Popehnière se déchaussoit un soirde- vant ses complaisans, et se chauiîoit les pieds; un
ANECDOTES ET BONS MOTS 5
petit chien les lui léchoit. Pendant ce temps-là, la société parloit d'amitié, d'amis : « Un ami, dit M. de La Popelinière montrant son chien, le voilà. » .
M. de B. et M. de C. sont intimes amis au point d'être cités pour modèles. M. de B. disoit un jour à M. de C. : « Ne t'est-il point arrivé de trouver, parmi les femmes que tu as eues, quelque étourdie qui t'ait demandé si tu renoncerois à moi pour elle, si tu m'aimois mieux qu'elle? — Oui, répondit celui-ci. — Qui donc? — Madame de M... » C'étoit la maîtresse de son ami.
M. de B.. . voyoitmadame de L... tous les jours; le bruit courut qu'il alloit l'épouser. Sur quoi, il dit à l'un de ses amis : « Il y a peu d'hommes qu'elle n'épousât pas plus volontiers que moi, et réciproquement : il seroit bien étrange que, dans quinze ans d'amitié, nous n'eussions pas vu com- bien nous sommes antipathiques l'un à l'autre. »
« Je repousse, disoit M..., les bienfaits de la protection. Je pourrois peut-être recevoir et ho- norer ceux de l'estime; mais je ne chéris que ceux de l'amitié. »
La nature, en nous accablant de tant de misères,
6 PORTRAITS ET CARACTERES
et en nous donnant un attachement invincible pour la vie, semble en avoir agi avec l'homme comme un incendiaire qui mettroit le feu à notre maison après avoir posé des sentinelles à notre porte. Il faut que le danger soit bien grand pour nous obli- ger à sauter par la fenêtre.
Le jour de la mort de madame de Châteauroux, Louis XV paroissoit accablé de chagrin; mais ce qui est extraordinaire, c'est le mot par lequel il le témoigna : Etre malheureux pendant quatre-vingt- dix ans ! car je suis sûr que je vivrai jusque-là. Je l'ai ouï raconter par madame de Luxembourg, qui l'entendit elle-même, et elle ajoutoit : « Je n'ai raconté ce trait que depuis la mort de Louis XV. » Ce trait méritoit pourtant d'être su, pour le sin- gulier mélange qu'ail contient d'amour et d'égoïsme.
M. de L... me disoit, relativement au plaisir des femmes, que, lorsqu'on cesse de pouvoir être pro-- digue, il faut devenir avare, et qu'en ce genre, celui qui cesse d'être riche commence à être pauvre. « Pour moi, dit-il, aussitôt que j'ai été obligé de distinguer entre la lettre de change payable à vue et la lettre payable à échéance, j'ai quitté la banque. »
M..., à qui on offroit une place dont quelques.
ANECDOTES ET BONS MOTS n
fonctions blessoient sa délicatesse, répondit: «Cette place ne convient ni à l'amour-propre que je me permets ni à celui que je me commande. »
« L'homme, disoit M..., est un sot animal, si j'en juge par moi. »
Voltaire disoit, à propos de V Anti-Machiavel du roi de Prusse : « Il crache au plat pour en dégoû- ter les autres. »
Un homme disoit à table : « J'ai beau manger, je n'ai plus faim. »
Une femme d'esprit, voyant à l'Opéra une Ar- mide difforme et un Renaud fort laid, dit : « Voilà des amans qui ne paroissent pas s'être choisis, mais s'être restés quand tout le monde a fait un choix. »
M. d'Argenson, apprenant, à la bataille de Rau- coux, qu'un valet d'armée avoit été blessé d'un coup de canon derrière l'endroit où il étoit lui- même avec le roi, disoit : « Ce drôle-là ne nous fera pas l'honneur d'en mourir. »
On offroit à M... une place lucrative qui ne lui convenoit pas. Il répondit : « Je sais qu'on vit
8 PORTRAITS ET CARACTERES
avec de l'argent ; mais je sais aussi qu'il ne faut pas vivre pour de l'argent. »
M. d'Argenson disoit à M. le comte de Sé- bourg, qui étoit l'amant de sa femme : « Il y a deux places qui vous conviendroient également: le gouvernement de la Bastille et celui des Invalides. Si je vous donne la Bastille, tout le monde dira que je vous y ai envoyé; si je vous donne les In- valides, on croira que c'est ma femme. »
* Le petit père André, s'étant avisé de pro- mettre au prince de Condé de prêcher impromptu sur tel sujet qu'on lui donneroit sur-le-champ, le prince, le lendemain, lui envoya un Priape pour texte de son sermon. Le prédicateur reçut ce beau sujet étant dans sa sacristie, et, montant en chaire, il commença ainsi: « Un grand vit dans l'opulence, et les pauvres, les frères de Jésus-Christ , expirent de misère, etc.. »
M... disoit qu'il y avoit tels ou tels principes excellons pour tel ou tel caractère ferme et vigou- reux, et qui ne vaudroient rien pour des caractères d'un ordre inférieur. Ce sont les armes d'Achille qui ne peuvent convenir qu'à lui, et sous lesquelles Patrocle lui-même est opprimé.
ANECDOTES ET BONS MOTS q
L'abbé Arnaud avoit tenu autrefois sur ses ge- noux une petite fille, devenue depuis madame du Barrj. Un jour, elle lui dit qu'elle vouloit lui faire du bien; elle ajouta : « Donnez-moi un mémoire. — Un mémoire? lui dit-il; il est tout fait! le voici: je suis l'abbé Arnaud. »
J'ai entendu un dévot, parlant contre des gens qui discutoient des articles de foi, dire naïvement : « Messieurs, un vrai chrétien n'examine point ce qu'on lui ordonne de croire. Tenez, il en est de cela comme d'une pilule amère : si vous la mâchez, jamais vous ne pourrez l'avaler. »
« Les athées sont meilleure compagnie pour moi, disoit M. D..., que ceux qui croient en Dieu. A la vue d'un athée, toutes les demi-preuves de l'exis- tence de Dieu me viennent à l'esprit; et, à la vue d'un croyant, toutes les demi-preuves contre son existence se présentent à moi en foule. »
* Un Anglois alla consulter un avocat pour sa- voir comment il pourroit être à couvert de la loi en enlevant une riche héritière. L'avocat lui de- manda si elle était consentante, a Oui. — Eh bien ! dit-il, prenez un cheval, qu'elle monte dessus, vous en croupe, et en passant criez par le premier village : « Mademoiselle X... m'enlève! » La chose
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fut ainsi exécutée, et au dénouement il se trouva; que c'étoit la fille de l'avocat qui avoit été en- levée.
* Un Anglois condamné à être pendu reçut la grâce du roi. « La loi est pour moi, dit-il : qu'on me pende. »
M. de L..., pour détourner madame de B..., veuve depuis quelque temps, de l'idée du mariage, lui dit : « Savez-vous que c'est une bien belle chose de porter le nom d'un homme qui ne peut plus faire de sottises! »
M... avoit, pour exprimer le mépris, une for- mule favorite : « C'est l'avant-dernier des hommes. — Pourquoi l'avant-dernier? lui demandoit-on. — Pour ne décourager personne : car il j a presse. »
On demandoit à madame de Rochefort si elU auroit envie de connoître l'avenir : « Non, dit- elle : il ressemble trop au passé. »
Madame d'Esparbès couchant une nuit ave< Louis XV, le roi lui dit : « Tu as couché avec tou! mes sujets. — Ah! Sire! — Tu as eu le duc dt Choiseul. — Il est si puissant! — Le maréchal d( RicheUeu. — Il a tant d'esprit! — Manville. —
ANECDOTES ET BONS MOTS II
Il a une si belle jambe! — A la bonne heure; mais le duc d'Aumont, qui n*a rien de tout cela? ■^ Ah! Sire, il est si attaché à Votre Majesté! »
Un vieillard, me trouvant trop sensible à je ne sais quelle injustice, me dit : « Mon cher enfant, il faut apprendre de la vie à souffrir la vie. »
On accusoit un jeune homme de la cour d'aimer les filles avec fureur. Il y avoit là plusieurs femmes honnêtes et considérables, avec qui cela pouvoit le brouiller. Un de ses amis, qui étoit présent, ré- pondit : « Exagération! méchanceté! il a aussi des femmes. »
Louis XV demandoit au duc d'Ayen ( depuis maréchal de Noailles) s'il avoit envoyé sa vaisselle à la Monnaie. Le duc répondit que non. « Moi, dit le roi, j'ai envoyé la mienne. — Ah! Sire, dit M. d'Ayen, quand Jésus-Christ mourut le ven- dredi saint, il savoit bien qu'il ressusciteroit le di- manche. »
* Madame du Deffand disoit à l'abbé d'Aydie : «Avouez que je suis maintenant la femme que vous aimez le plus. » L'abbé, ayant réfléchi un moment, lui dit : « Je vous dirois bien cela si vous n'alliez pas en conclure que je n'aime rien. »
12 PORTRAITS ET CARACTERES
Madame de... disoit de M. B... : « Il est hon- nête, mais médiocre et d'un caractère épineux : c*est comme la perche, blanche, saine, mais insi- pide et pleine d'arêtes. »
M. de L... parloit à son ami M. de B..., homme très-respectable, et cependant très-peu ménagé par le pubHc; il lui avouoit les bruits et les faux jugemens qui couroient sur son compte. Celui-ci répondit froidement : « C'est bien à une bête et à un coquin comme le public actuel à ju- ger un caractère de ma trempe ! »
M..., jeune homme, me demandoit pourquoi madame de B... avoit refusé son hommage, qu'il lui offroit, pour courir après celui de M. de L..., qui sembloit se refuser à ses avances. Je lui dis : « Mon cher ami. Gênes, riche et puissante, a offert sa souveraineté à plusieurs rois, qui l'ont refusée; et on a fait la guerre pour la Corse, qui ne pro- duit que des châtaignes, mais qui étoit fière et in- dépendante. »
Un plaisant, ayant vu exécuter en ballet, à rOpéra, le fameux Qu'il mourut de Corneille, pria Noverre de faire danser les Maximes de La Rochefoucauld,
ANECDOTES ET BONS MOTb l3
Le marquis de Villette appeloit la banqueroute de M. de Guéménée la Sérénissime Banqueroute.
On compte cinquante-six violations de la foi publique, depuis Henri IV jusqu'au ministère du cardinal de Loménie inclusivement. M. D... ap- pliquoit aux fréquentes banqueroutes de nos rois ces deux vers de Racine :
Et d'un trône si saint la moitié n'est fondée Que sur la foi promise et rarement gardée.
M. de Malesherbes disoit à M. de Maurepas qu'il falloit engager le roi à aller voir la Bastille. « Il faut bien s^en garder, lui répondit M. de Maurepas : il ne voudroit plus y faire mettre per- sonne. »
Un homme très-pauvre, qui avoit fait un livre contre le gouvernement, disoit : « Morbleu! la Bastille n'arrive point; et voilà qu'il faut tout à l'heure payer mon terme ! »
M. Helvétius dans sa jeunesse étoit beau comme l'Amour. Un soir qu'il étoit assis dans le fojer et fort tranquille, quoique auprès de mademoiselle Gaussin, un célèbre financier vint dire à l'oreille de cette actrice, assez haut pour que Helvétius l'entendît : « Mademoiselle, vous seroit-il agréable
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d'accepter six cents louis en échange de quelques complaisances? — Monsieur, répondic-elle assez haut pour être entendue aussi, et en montrant Helvétius, je vous en donnerai deux cents si vous voulez venir demain matin chez moi avec cette fi- gure-là. »
Je demandois à M... s'il se marieroit. Il me répondit : « Pourquoi faire? pour payer au roi de France la capitation et les trois vingtièmes après ma mort? »
M. de Th..., pour exprimer l'insipidité des ber- geries de M. de Florian, disoit : « Je les aimerois assez s'il y mettoit des loups. »
Le curé de Saint-Sulpice étant allé voir madame de Mazarin pendant sa dernière maladie pour lui faire quelques petites exhortations, elle lui dit en l'apercevant : « Ah! monsieur le curé, je suis en- chantée de vous voir; j'ai à vous dire que le beurre de l'Enfant-Jésus n'est plus à beaucoup près si bon : c'est à vous d'y mettre ordre, puisque l'En- fant-Jésus est une dépendance de votre église. »
On disoit à un homme que M..., autrefois son bienfaiteur, le haïssoit. « Je demande, répondit-il, la permission d'avoir un peu d'incrédulité à cet
ANECDOTES ET BONS MOTS l5
égard. J'espère qu'il ne me forcera pas à changer en respect pour moi le seul sentiment que j'aie be- soin de lui conserver. »
Après le crime et le mal faits à dessein, il faut mettre les mauvais effets des bonnes intentions, les bonnes actions nuisibles à la société publique , comme le bien fait aux méchans, les sottises de la bonhomie, les abus de la philosophie appliquée Dal à propos, la maladresse en servant ses amis, le, fausses applications des maximes utiles ou hon- nêtes, etc.
le maréchal de Biron eut une maladie très-dan- gertuse; il voulut se confesser, et dit devant plu- sieurs de ses amis : « Ce que je dois à Dieu, ce que e dois au roi, ce que je dois à l'État... » Un de s«s amis l'interrompit : « Tais-toi, dit-il, tu mouiras insolvable. »
Le lord Bolingbroke donna à Louis XIV mille preu/es de sensibilité pendant une maladie très- dangereuse. Le roi, étonné, lui dit : « J'en suis d'au:ant plus touché que, vous autres Anglois, vous n'aimez pas les rois. — Sire, dit Bolingbroke, nous ressemblons aux maris qui, n'aimant pas leurs femmes, n'en sont que plus empressés à plaire à cellesde leurs voisins. »
l6 PORTRAITS ET CARACTERES
M... disoit qu'il falloit qu'un philosophe com- / mençât par avoir le bonheur des morts, celui de ne pas souffrir et d'être tranquille; puis celui des vivans, de penser, sentir et s'amuser.
J'ai connu un misanthrope qui avoit des instans I de bonhomie, dans lesquels il disoit : « Je ne se- J rois pas étonné qu'il y eût quelque honnête homme/ caché dans quelque coin et que personne ne con- noisse. »
C'est un fait avéré que Madame, fille du rd, jouant avec une de ses bonnes, regarda à sa mail, et, après avoir compté ses doigts : « Commeit! dit l'enfant avec surprise, vous avez cinq dofgts aussi, comme moi? » Et elle recompta pour j'en assurer.
!
M. de Calonne, au moment oii il fut renvoyé, apprit qu'on offroit sa place à M. de Fourqumx, mais que celui-ci balançoit à l'accepter. « Je 'tou- drois qu'il la prît, dit l'ex-ministre : il étoit ami de M. de Turgot, il entreroit dans mes plans. — Cela est vrai, » dit Dupont, lequel étoit fort emï de M. de Fourqueux, et il s'offrit pour aller l'en- gager à accepter la place. M. de Calonne l'yen- voie. Dupont revient une heure après, criant :
/
ANECDOTES ET BONS MOTS 17
« Victoire! victoire! nous le tenons, il accepte. » M. de Galonné pensa crever de rire.
«Aujourd'hui, i5 mars 1782, j'ai fait, disoit M. de..., une bonne œuvre d'une espèce assez rare : j'ai consolé un homme honnête, plein de vertus, riche de cent mille livres de rente, d'un très-grand nom, de beaucoup d'esprit, d'une très- bonne santé, etc.; et moi, je suis pauvre, obscur et malade. »
Un homme d'une fortune médiocre se chargea de secourir un malheureux qui avoit été inutile- ment recommandé à la bienfaisance d'un grand seigneur et d'un fermier général. Je lui appris ces deux circonstances, chargées de détails qui aggra- voient la faute de ces derniers. Il me répondit tranquillement : « Comment voudriez-vous que le monde subsistât si les pauvres n'étoient pas con- tinuellement occupés à faire le bien que les riches négligent de faire, ou à réparer le mal qu'ils font? »
Un prédicateur disoit : « Quand le père Bour- daloue prêchoit à Rouen, il y causoit bien du dés- ordre : les artisans quittoient leurs boutiques, les médecins leurs malades, etc. J'y prêchai l'année d'après, j'y remis tout dans l'ordre. «
Chamfort. II. 3
l8 PORTRAITS ET CARACTERES
Vous rencontrez le baron de Breteuil; il vous entretient de ses bonnes fortunes, de ses amours grossières, etc.; il finit par vous montrer le por- trait de la reine au milieu d'une rose garnie de dia- mans.
Un sot fier de quelques cordons me paroît au- dessous de cet homme ridicule qui, dans ses plai- sirs, se faisoit mettre des plumes de paon au derrière par ses maîtresses. Au moins il y gagnoit le plai- sir de... Mais l'autre!... Le baron de Breteuil est fort au-dessous de Peixoto.
On voit, par Texemple de Breteuil, qu'on peut ballotter dans ses poches les portraits en diamans de douze ou quinze souverains et n'être qu'un sot.
C'est un sot, c'est un sot, c'est bientôt dit : voilà comme vous êtes extrême en tout. A quoi cela se réduit-il? Il prend sa place pour sa per- sonne, son importance pour du mérite, et son crédit pour une vertu. Tout le monde n'est-il pas comme cela? Y a-t-il là de quoi tant crier?
Madame de Créqui me disoit du baron de Bre- teuil : « Ce n'est, morbleu! pas une bête que le baron : c'est un sot. »
ANECDOTES ET BONS MOTS iq
M. de Broglie, qui n'admire que le mérite mili- taire, disoit un jour : « Ce Voltaire qu'on vante tant, et dont je fais peu de cas, il a pourtant fait un beau vers :
Le premier qui fut roi fut un soldat heureux.
* Madame la duchesse de B... protégeoit au- près du baron de Breteuil, ministre, l'abbé de C... pour qui elle venoit d'obtenir une place qui de- mande des talens. Elle apprend que le public a du regret que cette place n'ait pas été donnée à M. L... B..., homme d'un mérite supérieur. « Eh bien! dit-elle, tant mieux que mon protégé ait eu la place sans mérite; on en verra mieux quelle est l'étendue de mon crédit. »
* M. Baujon, porté par ses gens dans son salon, où étoient un grand nombre de belles dames qu'on appelle ses berceuses, leur dit en balbutiant : « Mesdames, réjouissez-vous : ce n'est point une apoplexie que j'ai eue, c'est une paralysie. »
* Le roi, après avoir reçu le serment de fidélité des Etals de Béarn, fait le serment de fidélité aux États, et promet de conserver leurs droits et leurs privilèges. Voilà des Gascons qui ont bien su faire leur marché, et il est inconcevable qu'ils soient les
20 PORTRAITS ET CARACTERES
seuls peuples parmi tant de provinces qui aient eu cet esprit-là.
Trois choses, disoit N..., m'importunent, tant au moral qu'au physique, au sens figuré comme au sens propre : le bruit, le vent et la fumée.
Madame».., tenant un bureau d'esprit, disoit de L... : « Je n'en fais pas grand cas; il ne vient .pas chez moi. »
On disoit de M..., qui se créoit des chimères tristes et qui voyoit tout en noir : « Il fait des' ca- chots en Espagne. »
Un catholique de Breslau vola, dans une église de sa communion , des petits cœurs d'or et autres offrandes. Traduit en justice, il dit qu'il les tient de la Vierge. On le condamne. La sentence est envoyée au roi de Prusse pour la signer, suivant l'usage. Le roi ordonne une assemblée de théolo- giens pour décider s'il est rigoureusement impos- sible que la Vierge fasse à un dévot catholique de petits présens. Les théologiens de cette commu- nion, bien embarrassés, décident que la chose n'est pas rigoureusement impossible. Alors le roi écrit au bas de la sentence du coupable : « Je fais grâce au nommé N..., mais je lui défends, sous peine de
ANECDOTES ET BONS MOTS 2I
la vie, de recevoir désormais aucune espèce de cadeau de la Vierge ni des saints. »
Un homme disoit à M. de Voltaire qu'il abusoit du travail et du café, et qu'il se tuoit. « Je suis né tué, » répondit-il.
Le marquis de ChoiseuI-la-Baume , neveu de i'évêque de Châlons, dévot et grand janséniste, étant très-jeune, devint triste tout à coup. Son oncle, l'évêque, lui en demanda la raison. Il lui dit qu'il avoit vu une cafetière qu'il voudroit bien avoir, mais qu'il en désespéroit. « Elle est donc bien chère? — Oui, mon oncle : vingt-cinq louis. » L'oncle les donna à condition qu'il verroit celte cafetière. Quelques jours après, il en demanda des nouvelles à son neveu : « Je l'ai, mon oncle, et la journée de demain ne se passera pas sans que vous l'ayez vue. » Il la lui montra, en effet, au sortir de la grand'messe. Ce n'étoit point un vase à ver- ser du café : c'étoit une jolie cafetière, c'est-à-dire limonadière, connue depuis sous le nom de ma- dame de Bussi. On conçoit la colère du vieil évêque janséniste.
Un entrepreneur de spectacles, ayant prié M. de ViUars d'ôter l'entrée gratis aux pages, lui dit :
22 PORTRAITS ET CARACTERES
(( Monseigneur^ observez que plusieurs pages font un volume. »
Je proposerois volontiers, disoit M. D..., je proposerois aux calomniateurs et aux méchans le traité que voici. Je dirois aux premiers : « Je veux bien que l'on me calomnie, pourvu que par une action ou indifférente ou même louable j'aie fourni le fond de la calomnie, pourvu que son travail ne soit que la broderie du canevas, pourvu qu'on n'invente pas les faits en même temps que les cir- constances, en un mot, pourvu que la calomnie ne fasse pas les frais à la fois et du fond et de la forme. » Je dirois aux méchans : « Je trouve simple qu'on me nuise, pourvu que celui qui me nuit y ait quelque intérêt personnel; en un mot, qu'on ne me fasse pas du mal gratuitement, comme il arrive. »
J'ai bien examiné M..., et son caractère m'a paru piquant : très-aimable et nulle envie de plaire, si ce n'est à ses amis ou à ceux qu'il estime; en récompense, une grande crainte de déplaire. Ce sentiment est juste, et accorde ce qu'on doit à l'a- mitié et ce qu'on doit à la société. On peut faire plus de bien que lui, nul ne fera moins de mal. On sera plus empressé, jamais moins importun.
ANECDOTES ET BONS MOTS 23
On caressera davantage, on ne choquera jamais moins.
Ne me vantez point le caractère de N... : c'est un homme dur, inébranlable, appuyé sur une phi- losophie froide, comme une statue de bronze sur du marbre.
Les amis de M... vouloient plier son caractère à leurs fantaisies, et, le trouvant toujours le même, disoient qu'il étoit incorrigible. Il leur répondit : « Si je n'étois pas incorrigible, il y a bien long- temps que je serois corrompu. »
Madame de Maintenon et madame de Caylus se promenoient autour de la pièce d'eau de Marly. L'eau étoit très-transparente, et on y voyoit des carpes dont les mouvemens étoient lents, et qui paroissoient aussi tristes qu^elles étoient maigres. Madame de Caylus le fit remarquer à madame de Maintenon , qui répondit : « Elles sont comme moi, elles regrettent leur bourbe. »
Le roi de Prusse a plus d'une fois fait lever des plans géographiques très-défectueux de tel ou tel pays. La carte indiquoit tel marais impraticable qui ne l'étoit point, et que les ennemis croyoient tel sur la foi du faux plan.
24 PORTRAITS ET CARACTERES
Louis XV ayant refusé vingt-cinq mille francs de sa cassette à Lebel, son valet de chambre, pour la dépense de ses petits appartemens, et lui disant de s'adresser au trésor royal, Lebel lui répondit : « Pourquoi m'exposerois-je aux refus et aux tra- casseries de ces gens-là, tandis que vous avez là plusieurs millions ? » Le roi lui répondit : « Je n'aime point à me dessaisir; il faut toujours avoir de quoi vivre. » [Anecdote contée par Lebel à M. Buscher.)
Ci Au ton qui règne depuis dix ans dans la litté- rature, disoit M..., la célébrité littéraire me paroît une espèce de diffamation qui n'a pas encore tout à fait autant de mauvais effets que le carcan; mais cela viendra. »
On attribuoit à la philosophie moderne le tort d'avoir multiplié le nombre des célibataires; sur quoi M... dit : « Tant qu'on ne me prouvera pas que ce sont les philosophes qui se sont cotisés pour faire les fonds de mademoiselle Berlin et pour élever sa boutique, je croirai que ce célibat pourroit bien avoir une autre cause. »
Madame de C... disoit à M. B... : « J'aime en vous... — Ah! Madame, dit-il avec feu, si vous savez quoi, je suis perdu! »
ANECDOTES ET BONS MOTS 25
Ondisoità M..., qui n'étoit plus jeune: «Vous n^êtes plus capable d'aimer. — Je ne l'ose plus, dit-il; mais je me dis quelquefois, en voyant une jolie femme : « Combien je l'aimerois si j'étois plus « aimable ! »
On connoît le proverbe : « On ne passe jamais sur le pont Neuf sans y voir un moine, un cheval blanc et une catin. » Deux femmes de la cour, passant sur le pont Neuf, virent en deux minutes un moine et un cheval blanc. Une des deux, pous- sant l'autre du coude, lui dit : « Pour la catin, vous et moi, nous n'en sommes pas en peine. »
Je demandois à M. R..., homme plein d'esprit et de talent, pourquoi il ne s'étoit nullement mon- tré dans la révolution de 1789. Il me répondit : « C'est que, depuis trente ans, j'ai trouvé les hommes si méchans en particulier et pris un à un que je n'ai osé espérer rien de bon d'eux en pu- blic et pris collectivement. »
Un homme engagé dans un procès criminel qui devoit lui faire couper le cou rencontra, après plu- sieurs années, un de ses amis qui dans le commen- cement du procès avoit entrepris un long voyage. Le premier dit à celui-ci : « Depuis le temps que nous ne nous sommes vus, ne me trouvez-vous pas
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26 PORTRAITS ET CARACTERES
changé?— Oui, dit l'autre, je vous trouve grandi de la tête. »
Il y a une chanson qui roule sur Hercule vain- queur des cinquante pucelles. Le couplet finit par ces mots ;
Comme lui je les aurai Lorsque je les trouverai.
M. Brissard, le père, écrivoit à sa femme: « Ma chère amie, notre chapelle avance, et nous pouvons nous flatter d'y être enterrés l'un et l'autre, si Dieu nous prête vie. »
On demandoit à madame Cramer, de retour de Genève à Paris après quelques années : « Que fait madame Tronchin (personne très-laide)? — Madame Tronchin fait peur, » répondit-elle.
Massillon étoit fort galant. Il devint amoureux de madame de Simiane, petite-fille de madame de Sévio-né. Cette dame aimoit beaucoup le style soiané, et ce fut pour lui plaire qu'il mit tant de soin à composer ses Synodes, un de ses meilleurs ouvrages. Il logeoit à l'Oratoire et devoit être rentré à neuf heures; madame de Simiane soupoit à sept par complaisance pour lui. Ce fut à l'un de
ANECDOTES ET BONS MOTS 27
ces soupers tête à tète qu'il fit une chanson très- jolie, dont j'ai retenu la moitié d'un couplet :
Aimons-nous tendrement, Elvire : Ceci n'est qu'une chanson Pour qui voudroit en médire ; Mais, pour nous, c'est tout de bon.
M. le comte de Charolois, ayant surpris M. de Brissac chez sa maîtresse, lui dit : « Sortez ! » M. de Brissac lui répondit : « Monseigneur, vos ancêtres auroient dit : « Sortons! »
M. le comte de Charolois avoit été quatre ans sans payer sa maison , ni même ses premiers offi- ciers. Un M. de Laval et un M. de Choiseul, qui étoient du nombre, lui présentèrent un jour leurs gens en lui disant : « Si Votre Altesse ne nous paye pas , qu'elle nous dise du moins comment nous pourrons satisfaire ces gens-ci? » Le prince fit ap- peler son trésorier, et, montrant M. de Laval et M. de Choiseul, et leur livrée : « Qu'on paye ces Messieurs, » dit-il.
« Au physique, disoit M..., homme d'une santé délicate et d'un caractère très-fort, je suis le roseau qui plie et ne rompt pas; au moral, je suis, au
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contraire, le chêne qui rompt et ne plie point. » Homo interior totus nervus, dit Van Helmont.
Il est d'usage en Angleterre que les voleurs dé- tenus en prison^ et sûrs d'être condamnés, vendent tout ce qu'ils possèdent pour en faire bonne chère avant de mourir. C'est ordinairement leurs chevaux qu'on est le plus empressé d'acheter, parce qu'ils sont pour la plupart excellens. Un d'eux, à qui un lord demandoit le sien, prenant le lord pour quel- qu'un qui vouloit faire le métier, lui dit : « Je ne veux pas vous tromper; mon cheval, quoique bon coureur, a un très-grand défaut : c'est qu'il recule quand il est auprès de la portière. »
La duchesse de Fronsac, jeune et jolie, n'avoit point eu d'amans, et l'on s'en étonnoit. Une autre femme, voulant rappeler qu'elle étoit rousse, et que cette raison avoit pu contribuer à la maintenir dans sa tranquille sagesse, dit : « Elle est comme Sam- son, sa force est dans ses cheveux. »
D'Arnaud, entrant chez M. le comte de Frise, le vit à sa toilette, ayant les épaules couvertes de ses beaux cheveux. « Ah! Monsieur, dit-il, voilà vraiment des cheveux de génie. — Vous trouvez.?
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dit le comte. Si vous voulez, je me les ferai couper pour vous en faire une perruque. »
Des députés de Bretagne soupèrent chez M. de Choiseul. Un d'eux, d'une mine très-grave, ne dit pas un mot. Le duc de Gramont, qui avoit été frappé de sa figure, dit au chevalier de Court, co- lonel des Suisses : « Je voudrois bien savoir de quelle couleur sont les paroles de cet homme. » Le chevalier lui adressa la parole. «Monsieur, de quelle ville êtes-vous? — De Saint-Malo. — De Saint- Malo ! Par quelle bizarrerie la ville est-elle gardée par des chiens? — Quelle bizarrerie y a-t-il là? répondit le grave personnage; le roi est bien gardé par des Suisses! »
Le maréchal de Belle-Isle, voyant que M. de Choiseul prenoit trop d'ascendant, fit faire contre lui un mémoire pour le roi par le jésuite Neuville. Il mourut sans avoir présenté ce mémoire , et le portefeuille fut porté à M. le duc de Choiseul, qui y trouva le mémoire fait contre lui. Il fit l'impos- sible pour reconnoître l'écriture, mais inutilement. Il n'y songeoit plus, lorsqu'un jésuite considérable lui fit demander la permission de lui lire l'éloge qu'on faisoitdelui dans l'oraison funèbre du maré- chal de Belle-Isle, composée par le père Neuville. La lecture se fit sur le manuscrit de l'auteur, et
3o PORTRAITS ET CARACTERES
M. de Choiseul reconnut alors l'écriture. La seule vengeance qu'il en tira, ce fut de faire dire au père Neuville qu'il réussissoit mieux dans le genre de roraison funèbre que dans celui des mémoires au roi.
Quand le duc de Choiseul étoit content d'un maître de poste par lequel il avoit été bien mené , ou dont les enfans étoient jolis, il lui disoit : « Combien paye-t-on ? est-ce poste ou poste et demie, de votre demeure à tel endroit? — Poste, Monseigneur. — Eh bien! il y aura désormais poste et demie. » La fortune du maître de poste étoit faite.
Le duc de Choiseul avoit grande envie de ravoir les lettres qu'il avoit écrites à M. de Calonne dans l'affaire de M. de La Chalotais; mais il étoit dan- gereux de manifester ce désir. Cela produisit une scène violente entre lui et M. de Calonne, qui ti- roit ces lettres d'un portefeuille, bien numérotées, les parcouroit et disoit à chaque fois : « En voilà une bonne à brûler », ou telle autre plaisanterie, M. de Choiseul dissimulant toujours l'importance qu'il y mettoit, et M. de Calonne se divertissant de son embarras et lui disant : « Si je ne fais pas une chose dangereuse pour moi, cela m'ôte tout le piquant de la scène. » Mais ce qu'il y eut
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de plus singulier, c'est que M. d'Aiguillon, l'ayant su, écrivit à M. de Calonne : « Je sais, Monsieur, que vous avez brûlé les lettres de M. de Choiseul relatives à l'affaire de M. de LaChalotais; je vous prie de garder toutes les miennes. »
Christine, reine de Suède, avoit appelé à sa cour le célèbre Naudé, qui avoit composé un livre très-savant sur les différentes danses grecques, et Meibomius, érudit allemand , auteur du recueil et de la traduction de sept auteurs grecs qui ont écrit sur la musique. Bourdelot, son premier médecin, espèce de favori et plaisant de profession, donna à la reine l'idée d'engager ces deux savans, l'un à chanter un air de musique ancienne, et l'autre à le danser. Elle y réussit, et cette farce couvrit de ri- dicule les deux savans qui en avoient été les ac- teurs. Naudé prit la plaisanterie en patience; mais le savant en us s'emporta et poussa la colère jusqu'à meurtrir de coups de poing le visage de Bourdelot ; et, après cette équipée, il se sauva de la cour, et même quitta la Suède.
* On demandoit au valet du comte de Caglios- tro s'il étoit vrai que son maître eût trois cents ans. Il répondit qu'il ne pouvoit point satisfaire à cette question, d'autant plus qu'il n'y avoit que cent ans qu'il étoit à son service.
32 PORTRAITS ET CARACTERES
* Un charlatan disoit la bonne aventure au peu- ple. Un petit décrotteur s'avance en haillons, presque nu, sans souliers, lui donne un sol en quatre liards. Le charlatan les prend, lui regarde les mains, fait ses simagrées ordinaires et lui dit : « Mon cher enfant, vous avez beaucoup d*envieux. » L'enfant prend un air triste. Le charlatan ajoute : « Je ne voudrois pas être à votre place. »
* M. le prince de Conti, voyant de la lumière à la fenêtre d'une petite maison du duc de Lauzun, y entra et le trouva entre deux géantes de la foire qu'il y avoit menées. Il resta à souper et écrivit à madame la duchesse d'Orléans, chez laquelle il devoit souper : « Je vous sacrifie à deux plus grandes dames que vous. »
* Le peuple dit quelquefois :\ « Voilà bien du kankan », pour dire : « Voilà bien du bruit. » Cette expression vient de la dispute élevée dans l'Univer- sité du temps de Ramus, dans laquelle il s'agissoit de savoir s'il falloit prononcer quanquam ou kankan. Il fallut un arrêt du conseil pour défendre à quel- ques professeurs de soutenir que cette phrase ego amat étoit aussi latine que ego amo. (V. Bayle^ article Kamus.)
Fontenelle avoit fait un opéra où il y avoit un
ANECDOTES ET BONS MOTS 33
chœur de prêtres qui scandalisa les dévots. Uarche- vêque de Paris voulut le faire supprimer. « Je ne me mêle point de son clergé, dit Fontenelle; qu'il ne se mêle pas du mien. »
La maréchale de Luxembourg, arrivant à l'église un peu trop tard, demanda où en étoit la messe, et dans cet instant la sonnette du lever-Dieu sonna. Le comte de Chabot lui dit en bégayant : « Ma- dame la maréchale,
J'entends la petite clochette,
Le petit mouton n'est pas loin. »
Ce sont deux vers d'un opéra-comique.
Le cocher du roi de Prusse l'ayant versé, le roi entra dans une colère épouvantable. « Eh bien! dit le cocher, c'est un malheur; et vous, n'avez-vous jamais perdu une bataille ? »
Le roi de Prusse causant avec d'Alembert, il entra chez le roi un de ses gens du service domes- tique, homme de la plus belle figure qu'on pût voir, D'Alembert en parut frappé. « C'est, dit le roi, le plus bel homme de mes Etats. Il a été -quelque temps mon cocher, et j'ai une tentation bien violente de l'envoyer ambassadeur en Russie. » Chamfort. II. 5
34 PORTRAITS ET CARACTERES
M. de Voltaire se trouvant avec madame la du- chesse de Chaulnes, celle-ci, parmi les éloges qu'elle lui donna, insista principalement sur l'harmonie de sa prose. Tout d'un coup voilà M. de Voltaire qui se jette à ses pieds : « Ah ! Madame, je vis avec un cochon qui n'a pas d'organe , qui ne sait ce que c'est qu'harmonie, mesure, etc. « Le cochon dont il parloit, c'étoit madame du Châtelet, son Emilie.
Notre siècle a produit huit grandes comédiennes : quatre du théâtre et quatre de la société. Les qua- tre premières sont : mademoiselle d'Angeville, mademoiselle Duménil , mademoiselle Clairon et madame Saint - Huberti ; les quatre autres sont: madame de Montesson , madame de Genlis, ma- dame Necker et madame d'AngiviUiers.
Luxembourg , le crieur qui appeloit les gens et les carrosses au sortir de la Comédie , disoit , lors- qu'elle fut transportée au Carrousel : « La Comédie sera mal ici, il n'y a point d'écho. »
M..O me racontoit avec indignation une mal- versation de vivriers. « Il en coûta, me dit-il, la vie à cinq mille hommes , qui moururent exacte- ment de faim. Et voilà j Monsieur, comme le roi est
servi! »
ANECDOTES ET BONS MOTS 35
C'est un fait certain et connu des amis de M. d'Aiguillon que le roi ne l'a jamais nommé ministre des affaires étrangères. Ce fut madame du Barry qui lui dit : « Il faut que tout ceci finisse, et je veux que vous alliez demain matin remercier le roi de vous avoir nommé à la place. » Elle dit au roi : « M. d'Aiguillon ira demain vous remercier de sa nomination à la place de secrétaire d'État des affaires étrangères. » Le roi ne dit mot. M. d'Aiguillon n'osoit pas y aller, madame du Barry le lui ordonna; il y alla. Le roi ne lui dit rien , et M. d'Aiguillon entra en fonctions sur-le- champ. »
C'est un fait connu que la lettre du roi envoyée à M. de Maurepas avoit été écrite pour M. de Machault. On sait quel intérêt particulier fit chan- ger cette disposition ; mais ce qu'on ne sait point, c'est que M. de Maurepas escamota , pour ainsi dire, la place qu'on croit qui lui avoit été offerte. Le roi ne vouloit que causer avec lui. A la fin de la conversation, M. de Maurepas lui dit : « Je dé- velopperai mes idées demain au conseil. » On as- sure aussi que, dans cette même conversation, il avoit dit au roi : « Votre Majesté me fait donc premier ministre? — Non, dit le roi, ce n'est point du tout mon intention. — J'entends, dit
36 PORTRAITS ET CARACTERES
M. de Maurepas, Votre Majesté veut que je lui apprenne à s'en passer. »
Le chevalier de Montbarey avoit vécu dans je ne sais quelle ville de province, et, à son retour, ses amis le plaignoient de la mauvaise société qu'il avoit eue. « C'est ce qui vous trompe, répondit-il; la bonne compagnie de cette ville y est comme partout, et la mauvaise y est excellente. »
Un jeune homme avoit offensé le complaisant d'un ministre. Un ami, témoin de la scène, lui dit, après le départ de l'offensé : s« Apprenez qu'il vaudroit mieux avoir offensé le ministre même que l'homme qui le sert dans sa garde-robe. »
Diderot, âgé de soixante-deux ans et amoureux de toutes les femmes, disoit à un de ses amis : « Je me dis souvent à moi-même : «Vieux fou! vieux « gueux! quand cesseras- tu donc de t'exposer à « l'affront d'un refus ou d'un ridicule ? »
Une fille, étant à confesse, dit : « Je m'accuse d'avoir estimé un jeune homme. — Estimé ! com- bien de fois? » demanda le père.
Madame de.,, vivoit avec M. de Senevoi. Un jour qu'elle avoit son mari à sa toilette, un soldat
ANECDOTES ET BONS MOTS Sy
arrive et lui demande sa protection auprès de M. de Senevoi, son colonel, auquel il demandoit un congé. Madame de... se fâche contre cet im- pertinent, dit qu'elle ne connoît M. de Senevoi que comme tout le monde, en un mot, refuse^ M. de... retient le soldat et lui dit : « Va de- mander ton congé en mon nom, et, si Senevoi te le refuse, dis-lui que je lui ferai donner le sien. »
M. de Chaulnes avoit fait peindre sa femme en Hébé ; il ne savoit comment se faire peindre pour faire pendant. Mademoiselle Quinault , à qui il contoit son embarras, lui dit : « Faites-vous pein- dre en hébété. »
M. de Turenne, voyant un enfant passer der- rière un cheval de façon à pouvoir être estropié par une ruade, l'appela et lui dit : « Mon bel en- fant, ne passez jamais derrière un cheval sans lais- ser entre lui et vous l'intervalle nécessaire pour que vous ne puissiez en être blessé. Je vous promets que cela ne vous fera pas faire une demi-lieue de plus dans le cours de votre vie entière ; et souve- nez-vous que c'est M. de Turenne qui vous l'a dit. »
On disoit à M... : « Vous aimez beaucoup la considération.» Il répondit ce mot qui me frappa ^
38 PORTRAITS ET CARACTERES
« Non, j'en ai pour moi, ce qui m'attire quelque- fois celle des autres. »
M. de Bissi, voulant quitter la présidente d'Ali- gre , trouva sur sa cheiiinée une lettre dans la- quelle elle disoit à un homme avec qui elle étoit en intrigue qu'elle vouloit ménager M. de Bissi et s'arranger pour qu'il la quittât le premier. Elle avoit même laissé cette lettre à dessein. Mais M. de Bissi ne fit semblant de rien, et la garda six mois en l'importunant de ses assiduités.
Madame de L... est coquette avec illusion, en se trompant elle-même. Madame de B... l'est sans illusion, et il ne faut pas la chercher parmi les dupes qu'elle fait.
M: de Boulainvilliers, homme sans esprit, très- vain et fier d'un cordon bleu par charge, disoit à un homme, en mettant ce cordon, pour lequel il avoit acheté une place de cinquante mille écus : « Ne seriez-vous pas bien aise d'avoir un pareil ornement? — Non, dit l'autre; mais je voudrois avoir ce qu'il vous coûte. »
L'évêque d'Arras, recevant dans sa cathédrale le corps du maréchal de Lévis, dit en mettant la main
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ANECDOTES ET BONS MOTS 89
sur le cercueil : « Je le possède enfin, cet homme vertueux ! »
Le baron de La Houze ayant rendu quelques services au pape Ganganelli, ce pape lui demanda s'il pouvoit faire quelque chose qui lui fût agréa- ble. Le baron de La Houze, rusé Gascon, le pria de lui faire donner un corps saint. Le pape fut très-surpris de cette demande de la parL d'un Fran- çois. Il lui fit donner ce qu'il demandoit. Le baron, qui avoit une petite terre dans les Pyrénées , d'un revenu très-mince, sans débouché pour les denrées, y fit porter son saint, le fit accréditer. Les chalands accoururent, les miracles- arrivèrent , un village d'auprès se peupla , les denrées augmentèrent de prix , et les revenus du baron triplèrent.
La maréchale de Noailles, actuellement vivante (1780), est une mystique comme madame Guyon, à l'esprit près. Sa tête s'étoit montée au point d'écrire à la Vierge. Sa lettre fut mise dans le tronc de Saint-Roch, et la réponse à cette lettre fut faite par un prêtre de cette paroisse. Ce manège dura longtemps; le prêtre fut découvert et inquiété, mais on assoupit cette affaire,
M. de Lassay, homme très-doux, mais qui avoit une grande connoissance de la société, disoit qu'il
40 PORTRAITS ET CARACTERES
faudroit avaler un crapaud tous les matins pour ne plus rien trouver de dégoûtant le reste de la journée, quand on devoit la passer dans le monde.
Le duc de La Vallière, voyant à l'Opéra la petite Lacour sans diamans, s'approche d'elle et lui de- mande comment cela se fait. « C'est, lui dit-elle, que les diamans sont la croix de Saint-Louis de notre état. » Sur ce mot, il devint amoureux fou d'elle. Il a vécu avec elle longtemps. Elle le sub- juguoit par les mêmes moyens qui réussirent à ma- dame du Barry près de Louis XV; elle lui ôtoit son cordon bleu, le mettoit à terre et lui disoit : « Mets-toi à genoux là-dessus, vieille ducaille. »
M... disoît d'un sot sur lequel il n'y a pas de prise : a C'est une cruche sans anse. »
* Le duc d'York, depuis Jacques II, proposoit à Charles II, son frère, je ne sais quelle action qui devoit inquiéter les communes. Le roi lui répondit : « Mon frère, je suis las de voyager en Europe. Après moi, vous pourrez vous mettre dans le cas de voyager tant qu'il vous plaira. » Celui-ci put se rappeler ce mot de son frère dans le long séjour qu'il fit à Saint-Germain.
* Jules César, ayant entendu un orateur qui dé-
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clamoit mal, lui dit : « Si vous avez voulu parler, vous avez chanté; si vous avez voulu chanter, vous avez chanté très-mal. »
* Le pape Clément XI disoit, en pleurant d'a- voir donné la constitution : « Si le P. Le Tellier ne m'eût pas persuadé du pouvoir absolu du roi, jamais je n'aurois hasardé cette constitution. Le P. Le Tellier a dit au roi qu'il y avoit dans le livre condamné plus de cent propositions censu- rables; il n'a pas voulu passer pour un menteur. On m'a tenu le pied sur la gorge pour en mettre plus de cent : je n'en ai mis qu'une de plus. »
* Un curé écrivoit à madame de Créqui sur la mort de M. de Créqui-Canaples, incrédule bi- zarre : « Je suis bien inquiet du salut de son âme; mais, comme les jugemens de Dieu sont impéné- trables et que le défunt avoit l'honneur d'être de votre maison, etc.. »
Le comte d'Argenson, homme d'esprit, mais dépravé et se jouant de sa propre honte, disoit i « Mes ennemis ont beau faire, ils ne me culbuteront pas : il n'y a ici personne plus valet que moi.
La Fontaine, entendant plaindre le sort des damnés au milieu de l'enfer, dit : « Je me flatte
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42 PORTRAITS ET CARACTERES
qu'ils s'y accoutument , et qu'à la fin ils sont là comme le poisson dans l'eau. »
L'abbé de Dangeau, de l'Académie françoise, grand puriste, travailloit à une grammaire et ne par- loit d'autre chose. Un jour, on se lamentoit devant lui sur les malheurs de la dernière campagne (c'étoit pendant les dernières années de Louis XIV). « Tout cela n'empêche pas, dit-il , que je n'aie dans ma cassette deux mille verbes François bien conjugués. »
Madame de Maurepas avoit de l'amitié pour le comte de Lowendahl (fils du maréchal), et celui-ci, à son retour de Saint-Domingue , bien fatigué du voyage, descendit chez elle. « Ah! vous voilà, cher comte? dit-elle. Vous arrivez bien à propos : il nous manque un danseur, et vous nous êtes néces- saire. » Celui-ci n'eut que le temps de faire une courte toilette et dansa.
Avant que mademoiselle Clairon eût étabh le costume au Théâtre-François, on ne connoissoit pour le théâtre tragique qu'un seul habit qu'on appeloit l'habit à la romaine, et avec lequel on jouoit les pièces grecques, américaines, espa- gnoles , etc. Lekain fut le premier à se soumettre au costume, et se fit faire un habit grec pour jouer Oreste d'Andromaque. Dauberval arriva dans la
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loge de Lekain au moment que le tailleur de la comédie apportoit l'habit d'Oreste. La nouveauté de cet habit frappa Dauberval, qui demanda ce que c'étoit. « Cela s'appelle un habit à la grecque, dit Lekain. — Ah! qu'il est beau! reprend Dauberval; le premier habit à la romaine dont j'aurai besoin, je le ferai faire à la grecque. »
Le duc de..., qui avoit autrefois de l'esprit, qui recherchoit la conversation des honnêtes gens, s'est mis, à cinquante ans, à mener la vie d'un courtisan ordinaire. Ce métier et la vie de Versailles lui con- viennent dans la décadence de son esprit , comme le jeu convient aux vieilles femmes.
On faisoit la guerre à M... sur son goût pour la solitude. Il répondit : « C'est que je suis plus accoutumé à mes défauts qu'à ceux d'autrui. »
Madame du Deffand, étant petite fille et au couvent, y prêchoit l'irréligion à ses petites cama- rades. L'abbé fît venir Massillon, à qui la petite exposa ses raisons» Massîllon se retira en disant : « Elle est charmante. » L'abbesse, qui mettoit de l'importance à tout cela, demanda à l'évêque quel livre il falloit faire lire à cette enfant. Il réfléchit une minute , et il répondit : « Un catéchisme de cinq sous. )) On ne put en tirer autre chose.
44 'ORTRAITS ET CARACTERES
M... disoit : « Je ne me soucierois pas d'être chrétien, mais je ne serois pas fâché de croire en Dieu. »
Quelqu'un, ayant entendu la traduction des Géor' gïques de l'abbé DeHUe, lui dit : « Cela est excel- lent; je ne doute pas que vous n'ayez le premier bénéfice qui sera à la nomination de Virgile. »
M. de Maurepas et M. d£ Saint-Florentin, tous deux ministres dans le temps de madame de Pom- padour, firent un jour, par plaisanterie, la répéti- tion du compliment de renvoi qu'ils prévoyoient que l'un feroit un jour à l'autre. Quinze jours après cette facétie, M. de Maurepas entre un jour chez M. de Saint-Florentin, prend un air triste et grave, et vient lui demander sa démission. M. de Saint-Florentin paroissoit en être la dupe, lorsqu'il fut rassuré par un éclat de rire de M. de Maurepas. Trois semaines après arriva le tour de celui-ci, mais sérieusement. M. de Saint-Florentin entre chez lui, et, se rappelant le commencement de la haran- gue de M. de Maurepas, le jour de sa facétie, il répéta ses propres mots. M. de Maurepas crut d'abord que c'étoit une plaisanterie, mais, voyant que l'autre parloit tout de bon : « Allons, dit-il, je vois bien que vous ne me persiflez pas ; vous êtes
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un honnête homme : je vais vous donner ma dé- mission. »
Une jeune personne dont la mère, à qui les treize ans de sa fille déplaisoient infiniment, étoit jalouse, me disoit un jour : « J'ai toujours envie de lui demander pardon d'être née. »
On faisoit compliment à madame Denis de la façon dont elle venoit de jouer Zaïre. « Il fau- droit, dit-elle, être belle et jeune. — Ah ! Madame, reprit le complimenteur naïvement, vous êtes bien la preuve du contraire. »
Un avare souffroit beaucoup d'un mal de dent; on lui conseilloit de la faire arracher : « Ah! dit-il, je vois bien qu'il faudra que j'en fasse la dépense ! »
Madame Brisard , célèbre par ses galanteries, étant à Plombières, plusieurs femmes de la cour ne vouloient point la voir. La duchesse de Gisors ctoit du nombre, et , comme elle étoit dévote, les amis de madame Brisard comprirent que, si madame de Gisors la recevoit , les autres n'en feroient aucune difficulté. Ils entreprirent cette négociation et réus- sirent. Comme madame Brisard étoit aimable, elle plut bientôt à la dévote, et elles en vinrent à l'in- timité. Un jour, madame de Gisors lui fit entendre
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que, tout en concevant très-bien qu'on eût une foiblesse, elle ne comprenoit pas qu'une femme vînt à multiplier à un certain point le nombre de ses amans. « Hélas! lui dit madame Brisard, c'est qu'à chaque fois j'ai cru que celui-là seroit le dernier. »
Madame de H... me racontoit la mort de M. le duc d'Aumont. «Cela a tourné bien court! disoit- elle. Deux jours auparavant, M. Bouvard lui avoit permis de manger, et, le jour même de sa mort, deux heures avant la récidive de sa paralysie, il étoit comme à trente ans, comme il avoit été toute sa vie; il avoit demandé son perroquet, avoit dit : « Brossez ce fauteuil... Voyons mes deux brode- « ries nouvelles... »; enfin toute sa tête, ses idées comme à l'ordinaire. »
« Je hais si fort le despotisme, disoit M..., que je ne puis souffrir le mot ordonnance du mé- decin. »
M. de Saint-Julien, le père, ayant ordonné à son fils de lui donner la liste de ses dettes, celui-ci mit à la tête de son bilan soixante mille livres pour une charge de conseiller au Parlement de Bordeaux. Le père, indigné, crut que c'étoit une raillerie, et lui en fit des reproches amers. Le fils soutint qu'il avoit
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payé cette charge. « C'étoit, dit-il, lorsque je fis connoissance avec madame Tilaurier. Elle souhai- toit d'avoir une charge de conseiller au Parlement de Bordeaux pour son mari, et jamais, sans cela, elle n'auroit eu d'amitié pour moi. J'ai payé la place, et vous voyez, mon père, qu'il n'y a pas de quoi être en colère contre moi, et que je ne suis pas un mauvais plaisant. »
On disputoit chez madame de Luxembourg sur ce vers de l'abbé Delille :
Et ces deux grands débris se consoloient entre eux !
On annonce le bailli de Breteuil et madame de La Reynière. « Le vers est bon, » dit la maréchale.
Diderot étoit lié avec un mauvais sujet qui, par je ne sais quelle mauvaise action récente, venoit de perdre l'amitié d'un oncle, riche chanoine, qui vouloit le priver de sa succession. Diderot va voir l'oncle, prend un air grave et philosophique, prê- che en faveur du neveu et essaye de remuer la passion et de prendre le ton pathétique. L'oncle prend la parole et lui conte deux ou trois indigni- tés de son neveu. « Il a fait pis que tout cela, re- prend Diderot. — Et quoi? dit l'oncle. — Il a voulu vous assassiner un jour dans la sacristie , au
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sortir de votre messe , et c'est l'arrivée de deux ou trois personnes qui l'en a empêché. — Cela n'est pas vrai! s'écria l'oncle; c'est une calomnie. — Soit, dit Diderot; mais, quand cela seroit vrai, il faudroit encore pardonner à la vérité de son re- pentir, à sa position et aux malheurs qui l'attendent si vous l'abandonnez. »
D..., misanthrope plaisant, me disoit , à propos de la méchanceté des hommes : « 11 n''y a que l'inutilité du premier déluge qui empêche Dieu d'en envoyer un second. »
M. de Brissac, ivre de gentilhommerie, désigne souvent Dieu par cette phrase : « Le gentilhomme d'en haut. »
Louis XIV, après la bataille de Ramillies , dont il venoit d'apprendre le détail, dit : a Dieu a donc oubUé tout ce que j'ai fait pour lui?» [Anecdote contée à M. de Voltaire par un vieux duc de Brancas.)
Le roi de Pologne Stanislas avançoit tous les jours l'heure de son dîner, M. de La Galaisière lui dit à ce sujet : « Sire, si vous continuez, vous finirez par dîner la veille. »
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M..., qui avoit une collection des discours de réception à l'Académie françoise , me disoit : « Lorsque j'y jette les yeux, il me semble voir des carcasses de feu d'artifice après la Saint-Jean. »
Un jour que l'on ne s'entendoit pas dans une dispute à l'Académie, M. de Mairan dit : « Mes- sieurs, si nous ne parlions que quatre à la fois ! »
Un poëte consultoit C. sur un distique, a Ex- cellent, répondit-il, sauf les longueurs. »
Quinze jours avant l'attentat de Damiens, un négociant provençal, passant dans une petite ville à six lieues de Lyon et étant à l'auberge, entendit dire dans une chambre qui n'étoit séparée de la sienne que par une cloison qu'un nommé Damiens devoit assassiner le roi. Ce négociant venoit à Paris; il alla se présenter chez M. Berryer, ne le trouva point, lui écrivit ce qu'il avoit entendu, re-
1 tourna voir M. Berryer, et lui dit cjui il étoit. Il repartit pour sa province. Comme il étoit en route,
I arriva l'attentat de Damiens. M. Berryer, qui comprit que ce négociant conteroit son histoire et que cette négligence le perdroit, lui Berryer, envoie un exempt de police et des gardes sur la route de Lyon. On saisit l'homme, on le bâillonne, on l'amène à Paris , on !e met à la Bastille , où il Chamfort. II. 7
So PORTRAITS ET CARACTÈRES
est resté pendant dix-huit ans. M. de Malesherbes, qui en délivra plusieurs prisonniers en 177 5, conta cette histoire dans le premier moment de son in- dignation.
* Néricault Destouches vivoit dans sa terre et y faisoit ses pièces. Il les apportoit à Paris, et s'en alloit la veille de la première représentation.
* Un ordre de choses où le supérieur est vil et l'inférieur avili»
La devise de Marie Stuart étoit une branche de réglisse avec ces mots : Dulcedo in terra, par allu- sion à François II, mort dès sa jeunesse.
* Diderot, ayant vu en Russie une classe de paysans esclaves appelés mougiks, qui sont d'une pauvreté affreuse, rongés de vermine, etc., en fit une peinture horrible à l'impératrice, qui lui dit : « Comment voulez-vous qu'ils aient soin de la mai- son, ils n'en sont que locataires? » L'esclave russe, en effet, n'est point propriétaire de sa personne.
On agitoit dans une société la question : « Le- quel étoitplus agréable, de donner ou de recevoir? » Les uns prétendoient que c'étoit de donner ; d'au- tres, que, quand l'amitié étoit parfaite, le plaisir
ANECDOTES ET BONS MOTS 5r
de recevoir étoit peut-être aussi délicat et plus vif. Un homme d'esprit, à qui on demanda son avis, dit : « Je ne demanderai pas lequel des deux plai- sirs est le plus vif, mais je préférerois celui de don- ner. Il m'a semblé qu'au moins il étoit le plus du- rable, et j'ai toujours vu que c'étoit celui des deux dont on se souvenoit plus longtemps. »
Une forte preuve de l'existence de Dieu , selon Dorilas, c'est l'existence de l'homme, de l'homme par excellence , dans le sens le moins susceptible d'équivoque, dans le sens le plus exact, et, par conséquent, un peu circonscrit; en un mot, de l'homme de qualité. C'est le chef-d'œuvre de la Providence, ou plutôt le seul ouvrage immédiat de ses mains. Mais on prétend, on assure qu'il existe des êtres d'une ressemblance parfaite avec cet être privilégié. Dorilas a dit : « Est-il vrai? Quoi ! même figure, même conformation extérieure?» Eh bien! l'existence de ces individus, de ces hommes, puis- qu'on les appelle ainsi, qu'il a niée autrefois, qu'il a vue, à sa grande surprise, reconnue par plusieurs de ses égaux; que par cette raison seule il ne nie plus formellement, sur laquelle il n'a plus que des nuages, des doutes bien pardonnables , tout à fait involontaires ; contre laquelle il se contente de protester simplement par des hauteurs, par l'oubli des bienséances ou par des bontés dédaigneuses ;
52 PORTRAITS ET CARACTERES
l'existence de tous ces êtres, sans douie mal défi- nis, qu'en fera-t-il? comment l'expliquera-t-il? Comment accorder ce phénomène avec sa théorie? dans quel système physique, métaphysique, ou, s'il le faut, mythologique, ira-t-il chercher la solu- tion de ce problème? Il réfléchit, il rêve , il est de bonne foi; l'objection est spécieuse, il en est ébranlé. Il a de l'esprit, des connoissances; il va trouver le mot de l'énigme; il l'a trouvé, il le tient, la joie brille dans ses yeux. Silence. On connoît dans la théologie persane la doctrine des deux principes, celui du bien et celui du mal. Eh quoi! vous ne saisissez pas? Rien de plus simple. Le gé- nie, les talens, les vertus, sont des inventions du mauvais principe, d'Orimane , du diable, pour mettre en évidence, pour produire au grand jour certains misérables, plébéiens reconnus, vrais rotu- riers ou à peine gentilshommes.
Une femme venoit de perdre son mari. Son con- fesseur ad honores vint la voir le lendemain et la trouva jouant avec un jeune homme très-bien mis. « Monsieur, lui dit-elle, le voyant confondu, si vous étiez venu une demi -heure plus tôt, vous m'auriez trouvée les yeux baignés de larmes ; mais j'ai joué ma douleur contre Monsieur, et je l'ai perdue. »
*Un homme, devant un grand dîner, ne distin-
ANECDOTES ET BONS MOTS 53
guant point les plats, disoit qu'il ressembloit à cet homme que les maisons empêchoient de voir la ville.
* Un militaire qui s'étoit souvent battu en duel, se trouvant à Paris, fit accepter à un vieux lieute- nant général une épée qu'il lui vantoit beaucoup. Quelques jours après, il alla le voir, et lui dit: « Eh bien! mon général, comment vous trouvez- vous de cette épée? » Il supposoit que celui-ci en avoit déjà fait usage en quelques rencontres.
Madame du Barry, étant h Luciennes,eut la fan- taisie de voir le Val, maison de M. de Beauvau. Elle fit demander à celui-ci si cela ne déplairoit pas à madame de Beauvau. Madame de Beauvau crut plaisant de s'y trouver et d'en faire les honneurs. On parla de ce qui s'étoit passé sous Louis XV. Madame du Barry se plaignit de différentes choses qui sembloient faire voir qu'on haïssoit sa personne. « Point du tout, dit madame de Beauvau, nous n'en voulions qu'à votre place. » Après cet aveu naïf, on demanda à madame du Barry si Louis XV ; ne disoit pas beaucoup de mal d'elle (madame de Beauvau) et de madame de Grammont. « Oh I beaucoup. — Eh bien! quel mal de moi, par I exemple ? — De vous , Madame , que vous étiez li hautaine, intrigante; que vous meniez votre mari
54 PORTRAITS ET CARACTERES
par le nez. » M. de Beauvau étoit présent : on se hâta de changer de conversation.
M. Dubreuil, pendant la maladie dont il mou- rut, disoit à son ami M. Pechméja : « Mon ami, pourquoi tant de monde dans ma chambre? Il ne devroit y avoir que toi : ma maladie est conta- gieuse. »
M. Du Bucq disoit que les femmes sont si décriées qu'il n'y a même plus d'hommes à bonnes fortunes.
La Gabrielli, célèbre chanteuse, ayant demandé cinq mille ducats a l'impératrice pour chanter deux mois à Pétersbourg, l'impératrice répondit: « Je ne paye sur ce pied-là aucun de mes feld- maréchaux. — En ce cas, dit la GabrielH, Votre Majesté n'a qu'à faire chanter ses feld-maréchaux. » L'impératrice paya les cinq mille ducats.
Duclos, qui disoit sans cesse des injures à l'abbé d'Olivet, disoit de lui : « C'est un si grand coquin que, malgré les duretés dont je l'accable, il ne me hait pas plus qu'un autre. »
Duclos disoit à un homme ennuyé d'un sermon prêché à Versailles : « Pourquoi avez-vous entendu ce sermon jusqu'au bout? — J'ai craint de dérangei
ANECDOTES ET BONS MOTS 55
l'auditoire et de le scandaliser. — Ma foi, reprit Duclos, plutôt que d'entendre ce sermon, je me serois converti au premier point. »
Mademoiselle Duthé , ayant perdu un de ses amans , et cette aventure ayant fait du bruit , un homme qui alla la voir la trouva jouant de la harpe, et lui dit avec surprise : « Eh! mon Dieu ! je m'attendois à vous trouver dans la désolation. — Ah ! dit-elle d'un ton pathétique , c'est hier qu'il falloit me voir ! »
« Je joue aux échecs à vingt-quatre sous dans un salon où le passe-dix est à cent louis, » disoit un général employé dans une guerre difficile et ingrate, tandis que d'autres faisoient des cam- pagnes faciles et brillantes.
M. de B... est un de ces sots qui regardent de bonne foi l'échelle des conditions comme celle du mérite ; qui le plus naïvement du monde ne conçoit pas qu'un honnête homme non décoré ou au-dessous de lui soit plus estimé que lui. Le ren- contre-t-il dans une de ces maisons où l'on sait encore honorer le mérite, M. de B... ouvre de grands yeux, montre un étonnement stupide ; il croit que cet homme vient de gagner un quaterne à la loterie : il l'appelle mon cher un tel, quand
56 PORTRAITS ET CARACTÈRES
la société vient de le traiter avec la plus grande considération. J'ai vu plusieurs de ces scènes dignes du pinceau de La Bruyère.
M..., qui venoit de publier un ouvrage qui avoit beaucoup réussi, étoit sollicité d'en publier un second dont ses amis faisoient grand cas. « Non, dit-il, il faut laisser à l'envie le temps d'essuyer son écume. »
Le comte de... et le marquis de... me deman- dant quelle différence je faisois entre eux en fait de principes, je répondis : « La différence qu'il y a entre vous est que l'un lécheroit l'écumoire, et que l'autre l'avaleroit. »
On disoit à Louis XV qu'un de ses gardes, qu'on lui nommoit, alloit mourir sur-le-champ pour avoir fait la mauvaise plaisanterie d'avaler un écu de six livres. « Ah ! bon Dieu! dit le roi, qu'on aille cher- cher Andouillet, Lamartinière, Lassone ! — Sire, dit le duc de Noailles, ce ne sont point là les gens qu'il faut. — Et qui donc? — Sire, c'est l'abbé Terray. — L'abbé Terray! Comment? — Il arri- vera, il mettra sur ce gros écu un premier dixième, un second dixième, un premier vingtième, un se- cond vingtième; le gros écu sera réduit à trente- six sous, comme les nôtres; il s'en ira par les voies
ANECDOTES ET BONS MOTS Sj
ordinaires, et voilà le malade guéri. » Cette plai- santerie fut la seule qui ait fait de la peine à l'abbé Terraj; c'est la seule dont il eût conservé le sou- venir : il le dit lui-même au marquis de Sesmai- sons.
On parloit à l'abbé Terrasson d'une certaine édition de la Bible; on la vantoit beaucoup. « Oui, dit-il, le scandale du texte y est conservé dans toute sa pureté. »
On annonça, dans une maison où soupoit ma- dame d'Egmont, un homme qui s'appeloit du Gues- clin. A ce nom, son imagination s'allume; elle fait mettre cet homme à table à côté d'elle*, lui fait mille politesses, et enfin lui offre dv. plat qu'elle a devant elle (c'étoient des truffes). « Madame, répond le sot, il n'en faut pas à côté de vous. » — «A ce ton, dit-elle en"contant cette histoire, j'eus grand regret à mes honnêtetés. Je fis somme ce dauphin qui, dans le naufrage d'un vaisseau, crut sauver un homme, et le rejeta à la mer en voyant que c'étolt un singe. »
La comtesse d'Egmont, ayant trouvé un homme du premier mérite à mettre à la tête de l'éducation de M. de Chinon, son neveu, n'osa pas le présen- ter en son nom. Elle étoit pour M. de Fronsac,
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58 PORTRAITS ET CARACTERES
son frère, un personnage trop grave. Elle pria le poëte Bernard de passer 'chez elle. Il y alla, elle le mit au fait. Bernard lui dit : « Madame, l'auteur de l'Art d'aimer n'est'pas un personnage bien im- posant; mais je le suis encore un peu trop pour cette occasion : je pourrois vous dire que made- moiselle Arnould seroit un passe-port beaucoup meilleur auprès de monsieur votre frère... — Eh bien! dit madame d'Egmont en riant, arrangez le souper chez mademoiselle Arnould. « Le souper s'arrangea. Bernard y proposa l'abbé Lapdant pour précepteur; il fut agréé. C'est celui qui a depuis achevé l'éducation du duc d'Enghien.
Une mère, après un trait d'entêtement de son fils, disoit que les enfans étoient très-égoïstes. « Oui, dit M..., en attendant qu'ils soient polis. »
Quelqu'un disoit que la goutte est la seule ma- ladie qui donne de la considération dans le monde. « Je le crois bien, répondit M..., c'est la croix de Saint-Louis de la galanterie. »
Le lord Rochester avoit fait dans une pièce de vers l'éloge de la poltronnerie. Il étoit dans un café. Arrive un homme qui avoit reçu des coups de bâton sans se plaindre; milord Rochester, après beaucoup de complimens, lui dit : « Monsieur, si
ANECDOTES ET BONS MOTS 59
Vous étiez homme à recevoir des coups de bâton si patiemment^ que ne le disiez-vous? Je vous les aurois donnés, moi, pour me remettre en crédit. »
Le roi de Prusse, qui ne laisse pas d'avoir em- ployé son temps, dit qu'il n'y a peut-être pas d'homme qui ait fait la moitié de ce qu'il auroit pu faire.
« Mes ennemis ne peuvent rien contre moi, di- soit M..., car ils ne peuvent m'ôter la faculté de bien penser, ni celle de bien faire. »
« Vous bâillez ! disoit une femme à son mari. — Ma chère amie, lui dit celui-ci, le mari et la femme ne sont qu'un, et, quand je suis seul, je m'ennuie. »
Mademoiselle d'Entragues, piquée de la façon dont Bassompierre refusoit de l'épouser, lui dit : « Vous êtes le plus sot homme de la cour. — Vous voyez bien le contraire, » répondit-il.
« La manière dont je vois distribuer l'éloge et le blâme, disoit M. de B..., donneroit au plus honnête homme l'envie d'être diffamé. »
M. de R... venoit de lire dans une société trois ou quatre épigrammes sur autant de personnes
6o PORTRAITS ET CARACTERES
dont aucune n'étoit vivante. On se tourna vers M. de..., comme pour lui demander s'il n'en avoit pas quelques-unes dont il pût régaler l'assemblée. « Moi! dit-il naïvement, tout mon monde vit : je ne puis vous rien dire. »
On faisoit une procession avec la châsse de sainte Geneviève pour obtenir de la sécheresse. A peine la procession fut-elle en route qu'il commença à pleuvoir. Sur quoi l'évêque de Castres dit plaisam- ment : « La sainte se trompe; elle croit qu'on lui, demande de la pluie. »
Mjlord Tyrauley disoit qu'après avoir ôté à un Espagnol 'ce qu'il avoit de bon, ce qu'il en restoit étoit un Portugais. Il disoit cela étant ambassadeur en Portugal.
Je me promenois un jour avec un de mes amis, qui fut salué par un homme d'assez mauvaise mine. Je lui demandai ce que c'étoit que cet homme; il me répondit que c'étoit un homme qui faisoit pour sa patrie ce que Brutus n'auroit pas fait pour la sienne. Je le priai de mettre cette grande idée à mon niveau. J'appris que son homme étoit un es- pion de police.
Il a plu un moment à madame la duchesse de
ANECDOTES ET BONS MOTS 6l
Grammont de dire que M. de Liancourt avoit au- tant d'esprit que M. de Lauzun. M. de Créqui rencontre celui-ci et lui dit : « Tu dînes aujour- d'hui chez moi. — Mon ami, cela m'est impos- sible. — Il le faut, et d'ailleurs tu y es intéressé. — Comment? — Liancourt y dîne : on lui donne ton esprit; il ne s'en sert point, il te le rendra. »
Quelqu'un ayant lu une lettre très-sotte de M. Blanchard sur le ballon dans le Journal de Pa- ris : « Avec cet esprit-là, dit-il, ce M. Blanchard doit bien s'ennuyer en l'air! »
On condamna en même temps le livre De /'£s/)rif et le poëme de la Pucelle. Ils furent tous deux dé- fendus en Suisse. Un magistrat de Berne, après une grande recherche de ces deux ouvrages, écri- vit au sénat : « Nous n'avons trouvé, dans tout le canton, ni Esprit ni Pucelle. »
Quand M. le comte d'Estaing, après sa cam- pagne de la Grenade, vint faire sa cour à la reine pour la première fois, il arriva porté sur ses bé- quilles et accompagné de plusieurs officiers bles- sés comme lui. La reine ne sut lui dire autre chose sinon : « Monsieur le comte, avez-vous été content du petit Laborde? »
« J'estime le plus que je puis, disoit M..,, et
02 PORTRAITS ET CARACTERES
cependant j'estime peu; je ne sais comment ceh se fait. »
« C'est bien mal fait, disoit M..., d'avoir laissé tomber le cocuage, c'est-à-dire de s'être arrangé pour que ce ne soit plus rien. Autrefois c'étoit un état dans le monde, comme de nos jours celui de jouer. A présent ce n'est plus rien du tout. »
Le duc de Choiseul, à qui l'on parloit de son étoile, que l'on regardoit comme sans exemple, répondit : « Elle Test pour le mal autant que pour le bien. — Comment? — Le voici. J'ai toujours très-bien traité les filles : il y en a une que je né- glige, elle devient reine de France, ou à peu près. J'ai traité à merveille tous les inspecteurs, je leur ai prodigué l'or et les honneurs : il y en a un ex- trêmement méprisé que je traite légèrement, il devient ministre de la guerre : c'est M. de Mon- teynard. Les ambassadeurs, on sait ce que j'ai fait pour eux sans exception, hormis un seul; mais il y en a un qui a le travail lent et lourd, que tous les autres méprisent, qu'ils ne veulent plus voir à cause d'un ridicule mariage : c'est M. de Ver- gennes, et il devient ministre des affaires étran- gères. Convenez que j'ai des raisons de dire que mon étoile est aussi extraordinaire en mal qu'en bien. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 63
M. de Castries, dans le temps de la querelle de Diderot et de Rousseau, dit avec impatience à M, de R..., qui me l'a répété : a Cela est in- croyable; on ne parle que de ces gens-là, gens sans état, qui n'ont point de maison, logés dans un grenier : on ne s'accoutume point à cela. »
Un pape causant avec un étranger de toutes les merveilles de l'Italie, celui-ci dit gauchement : « J'ai tout vu, hors un conclave, que je voudrois bien voir. »
On sait le discours fanatique que l'évêque de Dol a tenu au roi au sujet du rappel des protes- tans. Il parla au nom du clergé. L'évêque de Saint- Pol lui ayant demandé pourquoi il avoit parlé au nom de ses confrères sans les consulter : « J'ai consulté, dit-il, mon crucifix. — En ce cas, ré-> pliqua l'évêque de Saint-Pol, il falloit répéter exactement ce que votre crucifix vous avoit ré- pondu. »
Duclos avoit l'habitude de prononcer sans cesse, en pleine Académie, des f. .. , des b... L'abbé du Resnel , qui, à cause de sa longue figure, étoit appelé un grand serpent sans venin, lui dit : « Mon- sieur, sachez qu'on ne doit prononcer dans l'Aca- démie que des mots qui se trouvent dans le Dic- tionnaire. »
64 PORTRAITS ET CARACTERES
On demandoit à un ministre pourquoi les gou- verneurs de province avoient plus de faste que le roi. « C'est, dit-il, que les comédiens de cam- pagne chargent plus que ceux de Paris. »
M... me disoit, à propos des fautes de régime qu'il commet sans cesse, des plaisirs qu'il se per- met et qui l'empêchent seuls de recouvrer la santé : « Sans moi, je me porterois à merveille. »
Madame de Créqui, parlant à la duchesse de Chaulnes de son mariage avec M. de Giac, après les suites désagréables qu'il a eues, lui dit qu'elle auroit dû les prévoir, et insista sur la distance des âges. « Madame, lui dit madame de Giac, apprenez qu'une femme de la cour n'est jamais vieille, et qu'un homme de robe est toujours vieux. »
Le feu roi étoit, comme on sait, en correspon- dance secrète avec le comte de Broglie. Il s'agis- soit de nommer un ambassadeur en Suède. Le comte de Broglie proposa M. deVergennes, alors retiré dans ses terres, à son retour de Constanti- nople. Le roi ne vouloit pas; le comte insistoit. Il étoit dans l'usage d'écrire au roi à mi-marge, et le roi mettoit la réponse à côté. Sur la dernière lettre le roi écrivit : « Je n'approuve point le choix de M. de Vergennes. C'est vous qui m'y forcez :
I
ANECDOTES ET BONS MOTS 65
îoit, qu'il parte; mais je défends qu'il amène sa vilaine femme avec lui. » [Anecdote contée par Favier, qui avoit vu la réponse du roi dans les mains du comte de Broglie.)
Je demandois à M. de... s'il se marieroit. « Je ne le crois pas, » me disoit-il. Et il ajouta en riant : « La femme qu'il me faudroit, je ne la cherche point; je ne l'évite même pas. »
M... disoit : « Les femmes n'ont de bon que ce qu'elles ont de meilleur. »
M..., connu par son usage du monde, me di- soit que ce qui l'avoit le plus formé, c'étoit d'a- voir su coucher, dans l'occasion, avec des femmes de quarante ans, et écouter des vieillards de quatre- vingts.
Madame de Brionne rompit avec le cardinal de Rohan à l'occasion du duc de Choiseul, que le cardinal vouloit faire renvoyer. II y eut entre eux une scène violente, que madame de Brionne ter- mina en menaçant de le faire jeter par la fenêtre. « Je puis bien descendre, dit-il, par où je suis monté si souvent. »
N... disoit qu'il s*étonnoit toujours de ces fes- Chamfort. — II. a
66 PORTRAITS ET CARACTERES
tins meurtriers qu'on se donne dans le monde. Cela se concevroit entre parens qui héritent les uns des autres; mais, entre amis qui n'héritent pas, quel peut en être l'objet?
<c J'ai vu, disoit M..., peu de fiertés dont j'aie été content. Ce que je connois de mieux en ce genre, c'est celle de Satan dans le Paradis perdu.))
M. de..., qui avoit vécu avec des princesses d'Allemagne, me disoit : « Croyez- vous que M. de L... ait madame de S...? » Je lui répon- dis : « Il n'en a pas même la prétention; il se donne pour ce qu'il est, pour un libertin, un homme qui aime les filles par-dessus tout. — Jeune homme, me répondit-il, n'en soyez pas la dupe : c'est avec cela qu'on a des reines. »
M. de..., que des chagrins amers empêchoient de reprendre sa santé, me disoit : « Qu'on me montre le fleuve d'Oubli, et je trouverai la fon- taine de Jouvence. »
On faisoit une quête à l'Académie Françoise; i! manquoit un écu de six francs ou un louis d'or. Un des membres, connu par son avarice, fut soup- çonné de n'avoir pas contribué; il soutint qu'il avoit mis; celui qui faisoit la collecte dit : « Je ne l'ai pas vu, mais je le crois. » M. de Fontenelle
ANECDOTES ET BONS MOTS 6?
termina la discussion en disant : « Je l'ai vu, moi, mais je ne le crois pas. »
Fontenelle, âgé de quatre-vingts ans, s'em- pressa de relever l'éventail d'une femme jeune et belle, mais mal élevée, qui reçut sa politesse dé- daigneusement. « Ah! Madame, lui dit-il, vous prodiguez bien vos rigueurs! »
Autrefois on tiroit le gâteau des Rois avant le repas. M. de Fontenelle fut roi, et, comme il né- gligeoit de servir d'un excellent plat qu'il avoit devant lui, on lui dit : « Le roi oublie ses sujets. » A quoi il répondit : « Voilà comme nous sommes, nous autres! »
On demandoit à M. de Fontenelle mourant : « Comment cela va-t-il? — Cela ne va pas, dit-il; cela s'en va. »
Une femme âgée de quatre-vingt-dix ans di- soit à M. de Fontenelle, âgé de quatre-vingt- quinze : « La mort nous a oubliés. — Chut! » lui répondit M. de Fontenelle en mettant le doigt sur sa bouche.
M. de... demandoit à l'évêque de... une mai- sonde campagne où il n'alloit jamais. Celui-ci lui
68 PORTRAITS ET CARACTERES
répondit : « Ne savez-vous pas qu'il faut toujours avoir un endroit où l'on n'aille point, et où l'on croie que l'on seroit heureux si on y alloit? » M. de..., après un instant de silence, répondit : « Cela est vrai, et c'est ce qui a fait la fortune du paradis. »
« Ce n'est pas, me disoit M. de M,.., un homme très-vulgaire que celui qui dit à la For- tune : a Je ne veux de toi qu'à telle condition; « tu subiras le joug que je veux t'imposer », et qui dit à la Gloire : « Tu n'es qu'une fille à qui « je veux bien faire quelques caresses, mais que je « repousserai si tu en risques avec moi de trop a familières et qui ne me conviennent pas. » C'étoit lui-même qu'il peignoit, et tel est en effet son caractère.
M... disoit, à propos de madame de... : « J^ai cru qu'elle me demandoit un fou, et j'étois près de le lui donner; mais elle me demandoit un sot, et je le lui ai refusé net. »
M. de Barbançon, qui avoit été très-beau, pos- sédoit un très-joli jardin que madame la duchesse de La Vallière alla voir. Le propriétaire, alors très- vieux et très-goutteux, lui dit qu'il avoit été amou- reux d'elle à la folie. Madame de La Vallière lui
ANECDOTES ET BONS MOTS 6o
répondit : « Hélas ! mon Dieu, que ne parliez- vous ? vous m'auriez eue comme les autres. »
« Ce qui rend le monde désagréable, me disoit M. de L..., ce sont les fripons, et puis les hon- nêtes gens : de sorte que, pourque tout fût passable, il faudroit anéantir les uns et corriger les autres. Il faudroit détruire l'enfer et recomposer le para- dis. »
* J'ai entendu parler d*un fou de cour appa- remment très-sage, et qui disoit : « Je ne sais comment cela se fait, mais il ne me vient jamais de bons mots que contre les gens disgraciés. »
* Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, avoit pris pour son modèle dans la guerre An- nibal, qu'il citoit sans cesse. Après la bataille de Morat, où ce prince fut battu, le fou de cour qui l'accompagnoit dans sa fuite disoit de temps en temps : « Nous voilà bien annibalés ! »
* Le roi de Prusse combloit un officier de bontés, et l'oublia toutefois dans une promotion d'infan- terie. Cet officier se plaignit, et ses plaintes furent rendues au roi par un délateur, auquel le roi ré- pondit : « Il a raison de se plaindre, mais il ne sait pas ce que je veux faire pour lui. Allez lui
70 PORTRAITS ET CARACTERES
dire que je sais tout, que je lui pardonne, mais que je ne lui ordonne pas de vous pardonner. » En effet, cette histoire fut sue de l'officier intéressé, ce qui occasionna un duel au pistolet où le déla- teur fut tué. Le roi donna ensuite un régiment à l'officier oublié dans la précédente promotion.
* Le roi de Prusse trouva, à la prise de Dresde, beaucoup de bottes et de perruques chez le comte de Brûhl. « Voilà bien des bottes, dit-il, pour un homme qui n'alloit jamais à cheval, et bien des perruques pour un homme qui n'avoit point de tête! »
* Les habitans de Berlin ayant fait trois arcs de triomphe pour leur roi à son retour de la dernière campagne de la guerre de Sept ans, il publia sous le premier arc l'abolition d'un impôt, sous le deuxième l'aboHtion d'un second impôt, enfin sous le troisième l'abolition de tous les impôts.
* Le roi de Prusse, ayant fait faire de la fausse monnoie par des juifs, leur paya la somme convenue avec la monnoie qu'ils venoient de fa- briquer.
Le roi de Prusse avoit fait élever des casernes qui bouchent le jour à une église catholique. On
ANECDOTES ET BONS MOTS 7I
lui fit des représentations sur cela. Il renvoya la requête, avec ces paroles au bas :
Beati qui non viderunt et crediderunt,
Milord Hamilton, personnage très- singulier , étant ivre dans une hôtellerie d'Angleterre, avoit tué un garçon d'auberge et étoit rentré sans savoir ce qu'il avoit fait. L'aubergiste arrive tout effrayé et lui dit : « Milord, savez-vous que vous avez tué ce garçon? » Le lord lui répondit en balbu- tiant : « Mettez-le sur la carte. »
* La gabelle n'est connue que de nom en basse Bretagne, mais très-redoutée des paysans. Un sei- gneur fit présent à un curé de village d'une pen- dule. Les paysans ne savoient ce que c'étoit. Un d'eux s'avisa de dire que c'étoit la gabelle. Ils ra- massoient déjà des pierres pour la détruire, lorsque le curé survint et leur dit que ce n'étoit pas la gabelle, mais le jubilé que le pape lui envoyoit. Ils s'apaisèrent sur-le-champ.
* Un grand seigneur russe prit pour instituteur de ses enfans un Gascon, qui n'apprit à ses élèves que le basque, la seule langue qu'il possédât. Cela fit une scène plaisante la première fois qu'ils se trouvèrent avec des François,
72 PORTRAITS ET CARACTERES
* Un Gascon, ayant à la cour je ne sais quelle place subalterne, promit sa protection à un vieux militaire, son compatriote. Il le fît trouver sur le chemin du roi, et, le lui présentant, dit au roi que son compatriote et lui avoient servi Sa Majesté qua- rante-six ans. « Comment! quarante-six ans? dit le roi. — Oui, Sire, lui quarante-cinq ans, et moi un an... Cela fait bien quarante-six ans complets. »
* Mademoiselle, étant à Toulouse, disoit à un homme de distinction de la même ville : « Je m'étonne que, Toulouse étant entre la Provence et la Gascogne, vous soyez d'aussi bonnes gens que vous êtes. — Votre Altesse, répondit le Tou- lousain, ne nous a pas encore creusés. En nous creusant bien, elle trouveroit que nous valons à peu près les Provençaux et les Gascons ensemble. »
* Un ivrogne, buvant un verre de vin au com- mencement d'un repas , lui dit : « Arrange-toi bien, tu seras foulé. »
* Un ivrogne, tenant son camarade sous le bras, la nuit, dans l'obscurité, disoit : « Voyez comme la police est faite ici! On nous fait payer les boues et lanternes... Les boues, oh ! ilyen a, il n'y a rien à dire; mais les lanternes, 011 sont-elles? Quelle friponnerie ! »
ANECDOTES ET BONS MOTS yj
Un gazetier mit dans sa gazette : « Les uns di- sent le cardinal Mazarin mort, les autres vivant; moi, je ne crois ni l'un ni l'autre. »
Le vicomte de Saint-Priest, intendant de Lan- guedoc pendant quelque temps, voulut se retirer, et demanda à M. de Calonne une pension de dix mille livres. « Que voulez-vous faire de dix mille livres? » dit celui-ci, et il fit porter la pension à vingt mille. Elle est du petit nombre de celles qui ont été respectées à l'époque du retranche- ment des pensions par l'archevêque de Toulouse, qui avoit fait plusieurs parties de filles avec le vi- comte de Saint-Priest.
Le comte d'Artois, le jour de ses noces, prêt à se mettre à table et environné de tous ses grands officiers et de ceux de madame la comtesse d'Artois, dit à sa femme, de façon que plusieurs personnes l'entendirent : « Tout ce monde que vous voyez, ce sont nos gens. » Ce mot a couru, mais c'est le millième, et cent mille autres pareils n'empêche- ront jamais la noblesse françoise de briguer en foule des emplois où l'on fait exactement la fonction de valet.
On faisoit entendre à un homme d'esprit qu'il ne connoissoit pas bien la cour. Il répondit : « On
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■74 PORTRAITS ET CARACTERES
peut être très-bon géographe sans être sorti de chez soi : d'Anville n'avoit jamais quité sa cham- bre. »
« Dans ma jeunesse même, me disoit M..., j'aimois à intéresser, j'aimois assez peu à séduire, et j'ai toujours détesté de corrompre. »
M... disoit que la goutte ressembloit aux bâtards des princes, qu'on baptise le plus tard qu'on peut.
Le roi nomma M. de Navailles gouverneur de M. le duc de Chartres, depuis régent : M. de Navailles mourut au bout de huit jours; le roi nomma M. d'Estrades pour lui succéder : il mou- rut au bout du même terme. Sur quoi Benserade dit : « On ne peut pas élever un gouverneur pour M. le duc de Chartres. »
M... me disoit que madame de C..., qui tâche d'être dévote, n'y parviendroit jamais, parce que, outre la sottise de croire, il falloit, pour faire son salut, un fonds de batise quotidienne qui lui manqueroit trop souvent. « Et c'est ce fonds, ajou- toit-il, qu'on appelle la grâce. »
M. de..., qui voyoit la source de la dégrada- tion de l'espèce humaine dans l'établissement de
ANECDOTES ET BONS MOTS jS
la secte nazaréenne et dans la féodalité, disoit que, pour valoir quelque chose, il falloit se dé- franciser et se débaptiser, et redevenir Grec ou Romain par l'âme.
Ce fut le comte de Grammont lui-même qui vendit quinze cents livres le manuscrit des mémoires où il est si clairement traité de fripon. Fontenelle, censeur de l'ouvrage, refusoit de l'approuver, par égard pour le comte. Celui-ci s'en plaignit au chancelier, à qui Fontenelle dit les raisons de son refus. Le comte, ne voulant pas perdre les quinze cents livres, força Fontenelle d'approuver le livre d'Hamilton.
On disoit de l'avant-dernier évêque d'Autun, monstrueusement gros, qu'il avoit été créé et mis au monde pour faire voir jusqu'où peut aller la peau humaine.
« Madame de G,.., disoit M..., a trop d'esprit et d'habileté pour être jamais méprisée autant que beaucoup de femmes moins méprisables. »
On demandoit à La Calprenède quelle étoit l'étoffe de ce bel habit qu'il portoit. « C'est du Sylvandre, » dit-il (un de ses romans qui avoit réussi).
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y6 PORTRAITS ET CARACTERES
Un homme alloit, depuis trente ans, passer toutes ses soirées chez madame de... Il perdit sa femme; on crut qu'il épouseroit l'autre, et on l'y encoura- geoit. Il refusa. « Je ne saurois plus, dit-il, où aller passer mes soirées. »
Un jour que quelques conseillers parloient un peu trop haut à l'audience, M. de Harlay, premier président, dit : « Si ces messieurs qui causent ne faisoient pas plus de bruit que ces messieurs qui dorment, cela accommoderoit fort ces messieurs qui écoutent. »
M. de Fontenelle, âgé de quatre-vingt-dix- sept ans, venant de dire à madame Helvétius, jeune, belle et nouvellement mariée, mille choses aimables et galantes , passa devant elle pour se mettre à table, ne l'ayant pas aperçue. « Voyez, lui dit madame Helvétius, le cas que je dois faire de vos galanteries : vous passez devant moi sans me regarder. — Madame, dit le vieillard, si je vous eusse regardée, je n'aurois pas passé. «
L'abbé Raynal, dînant à Neuchâtel avec le prince Henri, s'empara de la conversation et ne laissa point au prince le moment de placer un mot. Celui-ci, pour obtenir audience, fit semblant de
ANECDOTES ET BONS MOTS 77
croire que quelque chose tomboit du plancher, et profita du silence pour parler à son tour.
« Henri IV fut un grand roi; Louis XIV fut le roi d'un beau règne. » Ce mot de Voisenon passe la portée ordinaire.
M..., ayant lu la lettre de saint Jérôme où il peint avec la plus grande énergie la violence de ses passions, disoit : « La force de ses tentations me fait plus d'envie que sa pénitence ne me fait peur. »
On disoit de J. J. Rousseau : « C'est un hibou. — Oui, dit quelqu'un, mais c'est celui de Minerve, et, quand je sors du Devin du V/V/age, j'ajouterois : déniché par les Grâces. »
Duclos disoit un jour à madame de Rochefort et à madame de Mirepoix que les courtisanes de- venoient bégueules et ne vouloient plus entendre le moindre conte un peu trop vif. Elles étoient, disoit-il, plus timorées que les femmes honnêtes. Et là-dessus il enfile une histoire fort gaie, puis une autre encore plus forte; enfin, à une troisième qui commençoit encore plus vivement, madame de Rochefort l'arrête et lui dit : « Prenez donc garde,
yS PORTRAITS ET CARACTÈRES
Duclos : VOUS nous croyez aussi par trop honnêtes femmes. »
C'étoit l'usage, chez madame de Luchet, que Ton achetât une bonne histoire à celui qui la fai- soit... « Combien en voulez-vous? — Tant. » Il arriva que, madame de Luchet demandant à sa femme de chambre l'emploi de cent écus, celle-ci parvint à rendre ce compte, à l'exception de trente-six livres, lorsque tout à coup elle s'écria : « Ah ! Madame, et cette histoire pour laquelle vous m'avez sonnée, que vous avez achetée à M. Co- queley, et que j'ai payée trente-six livres! »
Un homme de lettres à qui un grand seigneur faisoit sentir la supériorité de son rang lui dit : « Monsieur le duc, je n'ignore pas ce que je dois savoir; mais je sais aussi qu'il est plus aisé d'être au-dessus de moi qu'à côté. »
Madame du D... disoit de M... qu'il étoit aux petits soins pour déplaire.
On dit d'un homme tout à fait malheureux : « Il tombe sur le dos et se casse le nez. »
« Ce jour-là, je fus très-aimable, point bru-
ANECDOTES ET BONS MOTS 7^
tal,» me disoit M. S..., qui étoit en effet l'un et l'autre.
M. de..., homme violent, à qui on reprochoit quelques torts, entra en fureur et dit qu'il iroit vivre dans une chaumière. Un de ses amis lui ré- pondit tranquillement : « Je vois que vous aimez mieux garder vos défauts que vos amis. »
Le maréchal de Noailles disoit beaucoup de mal d'une tragédie nouvelle. On lui dit : « Mais M. d'Aumont, dans la loge duquel vous l'avez entendue, prétend qu'elle vous a fait pleurer. — Moi! dit le maréchal, point du tout; mais, comme il pleuroit lui-même dès la première scène, j'ai cru qu'il étoit honnête de prendre part à sa dou- leur. »
M. de Buffon s'environne de flatteurs et de sots qui le louent sans pudeur. Un homme avoit dîné chez lui avec l'abbé Leblanc, M. de Juvigny et deux autres hommes de cette force. Le soir, il dit à souper qu'il avoit vu dans le cœur de Paris quatre huîtres attachées à un rocher. On chercha longtemps le sens de cette énigme, dont il donna enfin le mot.
Un sot disoit, au milieu d'une conversation : « Il
So PORTRAITS ET CARACTERES
me vient une idée. » Un plaisant dit : « J'en suis bien surpris. »
Un malade qui ne vouloit pas recevoir les sa- cremens disoit à son ami : « Je vais faire sem- blant de ne pas mourir. »
Le chevalier de Narbonne, accosté par un im- portant dont la familiarité lui déplaisoit, et qui lui <lit en l'abordant : «Bonjour, mon ami! Comment te portes-tu? » répondit : « Bonjour, mon ami! Comment t'appelles-tu ? »
Feu madame la duchesse d'Orléans étoit fort -éprise de son mari dans les commencemens de son mariage; il y avoit peu de réduits dans le Palais- Royal qui n'en eussent été témoins. Un jour, les deux époux allèrent faire visite à la duchesse douai- rière, qui étoit malade. Pendant la conversation, elle s'endormit, et le duc et la jeune duchesse trouvèrent plaisant de se divertir sur le pied du lit <le la malade. Elle s'en aperçut, et dit à sa belle- iille : « Il vous étoit réservé. Madame, de faire rougir du mariage ! »
Il est temps, disoit M..., que la philosophie ait aussi son index, comme l'inquisition de Rome et de Madrid. Il faut qu'elle fasse une liste des livres
ANECDOTES ET BONS MOTS 8l
qu'elle proscrit, et cette proscription sera plus con- sidérable que celle de sa rivale. Dans les livres mêmes qu'elle approuve en général, combien d'i- dées particulières ne condamneroit-elle pas comme contraires à la morale et même au bon sens.'
M. de R... étoit autrefois moins dur et moins dénigrant qu'aujourd'hui; il a usé toute son indul- gence, et le peu qui lui en reste, il le garde pour lui.
M. de Ségur ayant publié une ordonnance qui obligeoit à ne recevoir dans le corps de l'artillerie que des gentilshommes, et, d'une autre part, cette fonction n'admettant que des gens instruits, il ar- riva une chose plaisante : c'est que l'abbé Bossut, «xaminateur des élèves, ne donna d'attestations qu'à des roturiers, et Chérin qu'à des gentils- hommes. Sur une centaine d'élèves, il n'y en eut que quatre ou cinq qui remplirent les deux con- ditions.
L'abbé Beaudeau disoit de M. Turgot que c*é- toit un instrument d'une trempe excellente, mais qui n'avoit pas de manche.
Un Américain, ayant vu six Anglois séparés de leur troupe, eut l'audace inconcevable de leur cou- Chamfort. — II. u
8-2 PORTRAITS ET CARACTERES
rir SUS, d'en blesser deux, de désarmer les autres et de les amener au général Washington. Le général lui demanda comment il avoit pu faire pour se rendre maître de six hommes : « Aussitôt que je les ai vus, dit-il, j'ai couru sur eux et je les ai environnés. »
M. de... disoit qu'il ne falloit rien dire, dans les séances publiques de l'Académie Françoise , par delà ce qui est imposé par les statuts; et il moti- voit son avis en disant : « En fait d'inutilités, il ne faut que le nécessaire. »
M... me disoit : « J'ai vu des femmes de tous les pays : l'Italienne ne croit être aimée de son amant que quand il est capable de commettre un crime pour elle; l'Angloise, une fohe, et la Fran- çoise, une sottise. »
Duclos disoit, pour ne pas profaner le nom de Romain, en parlant des Romains modernes : Un Italien de Kome.
* La plupart des règlements de police, arrêts du Conseil portant défense/et même de lois plus im- portantes, ne sont guère que des spéculations de finance qui ont pour objet d'avoir de l'argent en vendant la permission d'enfreindre les lois.
ANECDOTES ET BONS MOTS 85
* C'est une source de comique neuf qu'un mot dit pour faire un effet et qui en produit un autre. C'est surtout à la cour et dans le grand monde qu'on voit cet effet se produire fréquemment.
* Deux jeunes gens viennent à Paris dans une voiture publique. L'un raconte qu'il vient pour épouser la fille de M. de..., dit ses liaisons, l'état de son père, etc. Ils vont coucher à la même auberge. Le lendemain, l'épouseur meurt à sept heures du matin, avant d'avoir fait sa visite. L'autre, qui étoit un plaisant de profession, s'en va chez le beau-père futur, se donne pour le gendre, se conduit en homme d'esprit et charme toute la famille, jusqu'au moment de son départ, qu'il précipitoit, disoit-il, parce qu'il avoit rendez-vous à six heures pour se faire enterrer. C'étoit en effet l'heure où le jeune homme mort le matin devolt être enterré. Le domestique qui alla à l'au- berge du prétendu gendre étonna beaucoup le beau-père et la famille, qui crut avoir vu l'âme du revenant.
* Dans le temps des farces de la foire Saint- Laurent, il parut sur le théâtre un Polichinelle bossu par devant et par derrière. On lui demandoit ce qu'il y avoit dans sa bosse de devant . « Des ordres, dit-il. —Et dans ta bosse de derrière? — Des contre-
84 PORTRAITS ET CARACTERES
ordres. » C'étoit le temps où l'administration étoit la plus folle ou la plus sotte. Cette plaisanterie, très- bonne en elle-même, fit envoyer le plaisant à Bicêtre.
* M. de la Briffe, avocat général au grand Conseil, étant mort le lundi gras, fut enterré le mardi, et, le corbillard ayant passé au milieu des masques, il fut pris pour une mascarade. Plus on vouloit expliquer tout cet appareil à la populace, plus elle crioit : A la chienlit!
Le roi Jacques, retiré à Saint-Germain, et vivant des libéralités de Louis XIV, venoit à Paris pour guérir les écrouelles, qu'il ne touchoit qu'en qua- lité de roi de France.
M. de..., ayant aperçu que M. Barthe étoit ja- loux (de sa femme), lui dit : « Vous, jaloux! Mais savez- vous bien que c'est une prétention? C'est bien de l'honneur que vous vous faites. Je m'explique. N'est pas cocu qui veut : savez-vous que, pour l'être, il faut savoir tenir une maison, être poli, sociable, honnête? Commencez par ac- quérir toutes ces qualités, et puis les honnêtes gens verront ce qu'ils auront à faire pour vous. Tel que vous êtes, qui pourroit vous faire cocu? Une es- pèce ! Quand il sera temps de vous effrayer, je vous en ferai mon compliment. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 85
Le marquis de Chastellux, amoureux comme à vingt ans , ayant vu sa femme occupée pendant tout un dîner d'un étranger jeune et beau, Ta- borda au sortir de table et lui adressa d'humbles re- proches. Le marquis de Genlis lui dit : « Passez, passez, bonhomme; on vous a donné. »
Le maréchal de Villars fut adonné au vin, même dans sa vieillesse. Allant en Italie pour se mettre à la tête de l'armée dans la guerre de 1734, il alla faire sa cour au roi de Sardaigne tellement pris de vin qu'il ne pouvoit se soutenir et qu'il tomba à terre. Dans cet état, il n'avoit pourtant pas perdu la tête, et il dit au roi : « Me voilà porté tout na- turellement aux pieds de Votre Majesté. »
M. le duc de Choiseul étoit du jeu de Louis XV, quand il fut exilé. M. de Chauvelin, qui en étoit aussi , dit au roi qu'il ne pouvoit le continuer, parce que le duc en étoit de moitié. Le roi dit à M. de Chauvelin : « Demandez-lui s'il veut con- tinuer. » M. de Chauvelin écrivit à Chanteloup ; M. de Choiseul accepta. Au bout du mois, le roi demanda si le partage des gains étoit fait : « Oui, dit M. de Chauvelin : M. de Choiseul gagne trois mille louis. — Ah! j'en suis bien aise, dit le roi; mandez-le-lui bien vite. »
* Louis XV avoit joué avec le maréchal d'Es-
86 PORTRAITS ET CARACTERES
trées, qui, ayant beaucoup perdu, se retiroil. Le roi lui dit : « Est-ce que vous n'avez pas une terre ? »
* Fox, célèbre joueur, disoit : « Il y a deux grands plaisirs dans le jeu : celui de gagner et celui de perdre. »
* Un joueur vouloit sous-louer un reste de bail. On lui demanda s'il faisoit bien clair dans son appartement. « Hélas! dit-il, je n'en sais rien : je sors si matin, et je rentre si tard ! »
K Que peuvent pour moi, disoit M. . . , les grands et les princes? Peuvent-ils me rendre ma jeunesse ou m'ôter ma pensée, dont l'usage me console de tout? »
M... me disoit que ceux qui entrent par écrit dans de longues justifications devant le public lui parolssoient ressembler aux chiens qui courent et jappent après une chaise de poste.
Le comte de Mirabeau, très-laid de figure, mais plein d'esprit, ayant été mis en cause pour un pré- tendu rapt de séduction, fut lui-même son avocat. « Messieurs, dit-il, je suis accusé de séduction : pour toute réponse et pour toute défense, je de- mande que mon portrait soit mis au greffe. » Le
ANECDOTES ET BONS' MOTS 87
commissaire n'entendoit pas : « Bêle, dit le juge, regarde donc la figure de Monsieur! »
Un joueur fameux, nommé Sablière, venoit d'être arrêté. Ilétoit au désespoir, et disoit à Beau- marchais , qui Vouloit l'empêcher de se tuer : « Moi, arrêté pour deux cents louis! abandonné par tous mes amis! C'est moi qui les ai formés, qui leur ai appris à friponner. Sans moi, que se- roient B...., D..., N...? Ils vivent tous. Enfin, Monsieur, jugez de l'excès de mon avilissement : pour vivre, je suis espion de police ! »
Le duc de Lauzun disoit : « J'ai souvent de vives disputes avec M. de Calonne ; mais, comme ni l'un ni l'autre nous n'avons de caractère, c'est à qui se dépêchera de céder, et celui de nous deux qui trouve la plus jolie tournure pour battre en re- traite est celui qui se retire le premier. »
Pendant la guerre de 1745, l'empereur Fran- çois 1er ayant été couronné à Francfort, une partie du peuple, vouée à k faction autrichienne, s'avisa d'aller sous les fenêtres des ambassadeurs de France et d'Espagne, alors ennemies de l'Autriche, témoi- gnant sa joie par des cris de : Vive Vempereur ! L'am- bassadeur de France jeta de l'argent à cette popu- lace, qui cria : Vive la France! et se retira. Mais il
88 PORTRAITS ET CARACTERES
en fut autrement devant le palais du cardinal Aquaviva, protecteur d'Espagne. Celui-ci, se croyant bravé, ouvre sa fenêtre, et vingt coups de fusil partis à la fois jettent à terre autant de morts ou de blessés. Le peuple veut incendier le palais, et y brûler Aquaviva; mais celui-ci s'étoit assuré de plus de mille braves dont il couvrit la place. Qua- tre pièces de canon chargées à cartouches en imposent au peuple. Qui croiroit que le pape, avec l'autorité absolue et un corps de troupes , n'ait jamais songé à faire au peuple quelque justice du cardinal ? Voilà de terribles effets de la prepo- tenza. Ce n'est pas tout : ce cardinal Aquaviva eut, dans les derniers jours de sa vie, tant de re- mords de ses violences, qu'il voulut en faire publi- quement amende honorable : on en a fait à moins ; mais le sacré-collége ne voulut jamais le permettre, pour l'honneur de la pourpre. Ainsi, dans la capi- tale du monde chrétien, l'expression du remords, cette vertu du pécheur et sa seule ressource, fut interdite à un prêtre trop peu châtié par ses re- mords, et ce triomphe de l'orgueil sur une reli- gion d'humilité fut l'ouvrage de ceux qui se por- tent pour successeurs de ses premiers apôtres. La religion durera sans doute, mais la prepotenza ne peut pas durer.
M. de..., fort adonné au jeu, perdit en un seul
ANECDOTES ET BONS MOTS 8q
coup de dés son revenu d'une année : c'étoit mille. écus. Il les envoya demander à M..., son ami, qui connoissoit sa passion pour le jeu, et qui vouloit l'en guérir. Il lui envoya la lettre de change sui- vante : « Je prie M..., banquier, de donner à M... ce qu'il lui demandera, à la concurrence de ma fortune. » Cette leçon terrible et généreuse produisit son effet.
Un ambassadeur anglois à Naples avoit donné une fête charmante, mais qui n'avoit pas coûté bien cher. On le sut, et on partit de là pour déni- grer sa fête, qui avoit d'abord beaucoup réussi. Il s'en vengea en véritable Anglois et en homme à qui les guinées ne coûtoient pas grand'chose. Il annonça une autre fête. On crut que c'étoit pour prendre sa revanche, et que la fête seroit superbe. On accourt; grande affluence. Point d'apprêts. Enfin, on apporte un réchaud à l'esprit-de-vin. On s'attendoit à quelque miracle. « Messieurs, dit-il, ce sont les dépenses, et non l'agrément d'une fête que vous cherchez : regardez bien (et il entr'ouvre son habit, dont il montre la doublure), c'est un tableau du Dominiquin qui vaut cinq mille guinées; mais ce n'est pas tout : voyez ces dix billets, ils sont de mille guinées chacun, payables à vue sur la banque d'Amsterdam. » Il en fait un rouleau et les met sur le réchaud allumé. « Je ne
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^O PORTRAITS ET CARACTERES
doute pas, Messieurs, que cette fête ne vous satis- fasse et que vous ne vous retiriez tous contens de moi. Adieu, Messieurs, la fête est finie. »
On disoit à un jeune homme de redemander ses lettres à une femme d'environ quarante ans dont il avoit été fort amoureux. « Vraisemblablement elle ne les a plus, dit-il. — Si fait, lui répondit quelqu'un : les femmes commencent vers trente ans à garder les lettres d'amour. »
On appela à la cour le célèbre Levret, pour accou- cher la feue dauphine. M. le dauphin lui dit : « Vous êtes bien content, monsieur Levret, d'ac- coucher madame la dauphine ; cela va vous faire de la réputation. — Si ma réputation n'étoit pas faite, dit tranquillement l'accoucheur, je ne serois pas ici »
N... disoit qu'il falloit toujours examiner si la liaison d'une femme et d'un homme est d'âme à âme, ou de corps à corps; si celle d'un particulier et d'un homme en place ou d'un homme de la cour est de sentiment à sentiment, ou de position à position, etc.
M... disoit à un jeune homme qui ne s'aperce- voit pas qu'il étoit aimé d'une femme : « Vous
ANECDOTES ET BONS MOTS 9I
êtes encore bien jeune, vous ne savez lire que les gros caractères, »
M..., qu'on vouloit faire parler sur différens abus publics ou particuliers, répondit froidement : « Tous les jours j'accrois la liste des choses dont je ne parle plus. Le plus philosophe est celui dont la Hste est la plus longue. »
M. d'Ormesson, étant contrôleur général, disoit devant vingt personnes qu'il avoit longtemps cher- ché à quoi pouvoient avoir été utiles des gens comme Corneille, Boileau, La Fontaine, et qu'il ne l'avoit jamais pu trouver. Cela passoit, car, quand on est contrôleur général, tout passe. M. Pelletier de Morfontaine, son beau-père, lui dit avec douceur: « Je sais que c'est votre façon de penser; mais ayez pour moi le ménagement de ne pas le dire. Je voudrois bien obtenir que vous ne vous vantas- siez point de ce qui vous manque. Vous occupez la place d'un homme qui s'enfermoit souvent avec Racine et Boileau, qui les menoit souvent à sa maison de campagne, et disoit, en apprenant l'ar- rivée de plusieurs évêques : « Qu'on leur montre le château, les jardins, tout, excepté moi. »
On faisoit l'éloge de Louis XIV devant le roi de Prusse. Il lui contestoit toutes ses vertus et ses
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talens. « Au moins Votre Majesté accordera qu'il faisoit bien le roi. — Pas si bien que Baron, » dit le roi de Prusse avec humeur.
Louis XIV, voulant envoyer en Espagne un portrait du duc de Bourgogne, le fit faire par Coypel, et, voulant en retenir un pour lui-même, chargea Coypel d'en faire faire une copie. Les deux tableaux furent exposés en même temps dans la galerie : il étoit impossible de les distinguer. Louis XIV, prévoyant qu'il alloit se trouver dans cet embarras, prit Coypel à part et lui dit : « Il n'est pas décent que je me trompe en cette occa- sion : dites-moi de quel côté est le tableau origi- nal. » Coypel le lui indiqua, et Louis XIV, repas- sant, dit : « La copie et l'original sont si semblables, qu'on pourroit s'y méprendre; cependant, on peut voir avec un peu d'attention que celui-ci'est l'ori- ginal. »
L'abbé de Canaye disoit que Louis XV auroit dû faire une pension à Cahusac. « Et pourquoi? — C'est que Cahusac l'empêche d'être l'homme de son royaume le plus méprisé. »
Le roi, quelque temps après la mort de Louis XV, fit terminer avant le temps ordinaire un concert qui l'ennuyoit, et dit : « Voilà assez de musique. »
ANECDOTES ET BONS MOTS çî
Les concertans le surent, et l'un d'eux dit à l'au- tre : « Mon ami, quel règne se prépare ! »
Pendant la dernière maladie de Louis XV, qui dès les premiers jours se présenta comme mortelle, Lorry, qui fut mandé avec Bordeu, employa, dans le détail des conseils qu'il donnoit, le mot : // faut. Le roi, choqué de ce mot, répétoit tout bas et d'une voix mourante : // faut! il faut!
M... disoit à M. de Vaudreuil, dont l'esprit est droit et juste, mais encore livré à quelques illu- sions : « Vous n'avez pas de taie dans l'œil, mais il y a un peu de poussière sur votre lunette. »
Le maréchal de Richelieu ayant proposé pour maîtresse à Louis XV une grande dame (j'ai oublié laquelle), le roi n'en voulut pas, disant qu'elle coûteroit trop cher à renvoyer.
Un bon trait de prêtre de cour, c*est k ruse dont s'avisa l'évêque d'Autun, Montazet, depuis archevêque de Lyon. Sachant bien qu'il y avoit de bonnes frasques à lui reprocher, et qu'il étoit facile de le perdre auprès de l'évêque de Mirepoix, le théatin Boyer, il écrivit contre lui-même une lettre anonyme pleine de calomnies et facile à convaincre d'absurdité. Il l'adressa à l'évêque de Narbonne;
94 PORTRAITS ET CARACTÈRES
il entra ensuite en explication avec lui, et fit voir l'atrocité de ses ennemis prétendus. Arrivèrent en- suite les lettres anonymes écrites en effet par eux, et contenant les inculpations réelles; ces lettres furent méprisées. Le résultat des premières avoit mené le théatin à l'incrédulité sur les secondes.
M. de F..., qui avoit vu à sa femme plusieurs amans, et qui avoit toujours joui de temps en temps de ses droits d'époux , s'avisa un soir de vouloir en profiter. Sa femme s'y refuse. « Eh quoi! lui dit-elle, ne savez-vous pas que je suis en affaire avec M...? — Belle raison, dit-il, ne m'a- vez-vous pas laissé mes droits quand vous aviez L..., S..., N..., B .., T...? — Oh! quelle diffé- rence! étoit-ce de l'amour que j'avois pour eux? Rien, pures fantaisies; mais avec M..., c'est un sentiment : c'est à la vie et à la mort. — Ah! je ne savois pas cela : n'en parlons plus. » Et, en ef- fet, tout fut dit. M. de R..., qui entendoit conter cette histoire, s'écria : « Mon Dieu ! que je vous remercie d'avoir amené le mariage à produire de pareilles gentillesses ! »
On dit à la duchesse de Chaulnes, mourante et séparée de son mari : « Les sacremens sont là. — Un petit moment... — M. le duc de Chaulnes
ANECDOTES ET BONS MOTS 9S
voudroit vous revoir. — Est-il là? — Oui. — Qu'il attende : il entrera avec les sacremens. »
M... disoit de mademoiselle..., qui n'étoit point vénale, n'écoutoit que son cœur et restoit fidèle à l'objet de son choix : « C'est une personne char-" mante , et qui vit le plus honnêtement qu'il est possible hors du mariage et du célibat. »
M. de L... disoit qu'on auroit dû appliquer au mariage la police relative aux maisons, qu'on loue par un bail pour trois, six et neuf ans, avec pou- voir d'acheter la maison, si elle vous convient.
Madame de B...,ne pouvant, malgré son grand crédit, rien faire pour M. de D..., son amant, homme par trop médiocre, l'a épousé. En fait d'amans, il n'est pas de ceux que l'on montre; en fait de maris, on montre tout.
Un mari disoit à sa femme : « Madame, cet homme a des droits sur vous; il Vous a manqué devant moi. Je ne le souffrirai pas. Qu'il vous mal- traite quand vous êtes seule; mais, en ma pré- sence, c'est me manquer à moi-même. »
C'est M. de Maugiron qui a commis cette ac- tion horrible , que j'ai entendu conter et qui me
<)h PORTRAITS ET CARACTÈRES
parut une fable. Étant à l'armée, son cuisinier fut pris comme maraudeur; on vint le lui dire : « Je suis très-content de mon cuisinier, répondit-il; mais j'ai un mauvais marmiton. » Il fait venir ce dernier, lui donne une lettre pour le grand prévôt. Le malheureux y va, est saisi, proteste de son in- nocence, et est pendu.
Marmontel, dans sa jeunesse, recherchoit beau- coup le vieux Boindin, célèbre par son esprit et son incrédulité. Le vieillard lui dit : « Trouvez- vous au café Procope. — Mais nous ne pourrons pas parler de matières philosophiques. — Si fait, en convenant d'une langue particulière, d'un ar- got. » Alors ils firent leur dictionnaire. L'âme s'appeloit Margot, la religion Javoite, la liberté Jeanneton, et le Père éternel M. de VEtre. Les voilà disputant et s'entendant très-bien. Un homme en habit noir, avec une mauvaise mine, se mêlant à la conversation , dit à Boindin : « Monsieur, oserois-je vous demander ce que c'étoit que ce M. de l'Être qui s'est si souvent mal conduit, et dont vous êtes si mécontent? — Monsieur, reprit Boindin, c'étoit un espion de police. » On peut juger de l'éclat de rire, cet homme étant lui-même du métier.
M. de Marville disoit qu'il ne pouvoit y" avoir
ANECDOTES ET BONS MOTS 97
d'honnête homme à la police que le lieutenant de police tout au plus.
Il paroît certain que l'homme au masque de fer est un frère de Louis XIV : sans cette explication, c'est un mystère absurde. Il paroît certain, non seulement que Mazarin eut la reine, mais, ce qui est plus inconcevable, qu'il étoit marié avec elle : sans cela , comment expliquer la lettre qu'il lui écrivit de Cologne lorsque, apprenant qu'elle avoit pris parti sur une grande affaire, il lui mande : « Il vous convient bien, Madame, etc. »? Les vieux courtisans racontent, d'ailleurs, que, quelques jours avant la mort de la reine, il y eut une scène de tendresse, de larmes, d'explications entre la reine et son fils; et l'on est fondé à croire que c'est dans cette scène que fut faite la confidence de la mère au fils.
« La différence qu'il y a de vous à moi, me di- îoit M..., c'est que vous avez dit à tous les mas- ques : « Je vous connois », et moi je leur ai laissé l'espérance de me tromper. Voilà pourquoi le monde m'est plus favorable qu'à vous. C^est un bal dont vous avez détruit l'intérêt pour les autres ■et l'amusement pour vous-même. »
L'abbé Maury tâchant de faire conter à l'abbé Chamfort. — II. i3
98 PORTRAITS ET CARACTÈRES
de Beaumont, vieux et paralytique, les détails de sa jeunesse et de sa vie : « L'abbé, lui dit celui-ci, vous me prenez mesure! » indiquant qu'il cher- choit des matériaux pour son éloge à l'Académie.
Il existe une médaille que M. le prince de Condé m'a dit avoir possédée et que je lui ai vu regretter. Cette médaille représente d'un côté Louis XIII, avec les mots ordinaires : Kex Franc. et Nav., et de l'autre le cardinal de Richelieu, avec ces mots à l'entour : Nil sine consilio.
Un médecin de village alloit visiter un malade au village prochain. Il prit avec lui un fusil pour chasser en chemin et se désennuyer. Un paysan le rencontra, et lui demanda où il alloit. « Voir un malade. — Avez-vous peur de le manquer? »
M. Lorry, médecin, racontoit que madame de Sully, étant indisposée, l'avoit appelé et lui avoit conté une insolence de Bordeu, lequel lui avoit dit : « Votre maladie vient de vos besoins. Voilà un homme » ; et en même temps il se présenta dans un état peu décent. Lorry excusa son confrère, et dit à madame de Sully force galanteries respec- tueuses. Il ajoutoit : « Je ne sais ce qui est arrivé depuis; mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'après m'avoir rappelé une fois, elle reprit Bordeu. »
ANECDOTES ET BONS MOTS nn
M. de Tressan avoit fait, en ijSS, des couplets contre M. le duc de Nivernois, et sollicita l'Aca- démie en 1780. Il alla chez M. de Nivernois, qui le reçut à merveille, lui parla du succès de ses der- niers ouvrages, et le renvoyoit comblé d'espé- rances, lorsque, voyant M. de Tressan prêt à remonter en voiture, il lui dit : « Adieu, monsieur le comte; je vous félicite de n'avoir pas plus de mémoire. »
Madame de Nesle avoit M. de Soubise. M. de Nesle, qui méprisoit sa femme, eut un jour une dispute avec elle en présence de son amant; il lui dit : « Madame, on sait bien que je vous passe tout; je dois pourtant vous dire que vous avez des fantaisies trop dégradantes et que je ne vous pas- serai pas : telle est celle que vous avez pour le perruquier de mes gens, avec lequel je vous ai vue sortir et rentrer chez vous. » Après quelques me- naces, il sortit, et la laissa avec M. de Soubise, qui la souffleta, quoi qu'elle pût dire. Le mari alla ensuite conter cet exploit, ajoutant que l'histoire du perruquier étoit fausse, se moquant de M. de Soubise, qui l'avoit crue, et de sa femme, qui avoit été souffletée.
«Je me refuse, disoit M..., aux avances de M. de B..., parce que j'estime assez peu les qua-
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100 PORTRAITS ET CARACTERES
lités pour lesquelles il me recherche, et que, s*il savoit les qualités pour lesquelles je m'estime, il me fermeroit sa porte. »
Milord Hervej, voyageant en Italie et se trou- vant non loin de la mer, traversa une lagune dans l'eau de laquelle il trempa son doigt : « Ah! ah! dit-il, l'eau est salée; ceci est à nous. »
« Je crois, disoit M... sur le duc de..., que son nom est son plus grands mérite, et qu'il a toutes les vertus qui se font dans une parcheminerie. »
L'abbé Maury, étant pauvre, avoit enseigné le latin à un vieux conseiller de grand'chambre qui vouloit entendre les Institutes de Justinien, Quel- ques années se passent, et il rencontre ce conseil- ler, étonné de le voir dans une maison honnête. « Ah' l'abbé, vous voilà! lui dit-il lestement; par quel hasard vous trouvez-vous dans cette maison- ci? — Je m'y trouve comme vous vous y trouvez. — Oh! ce n'est pas la même chose. Vous êtes donc mieux dans vos affaires? Avez-vous fait quel- que chose dans votre métier de prêtre? — Je suis grand vicaire de M. de Lombez. — Diable! c'est quelque chose! Et combien cela vaut-il? — Mille francs. — C'est bien peu! » Et il reprend le ton icste et léger : » Mais j'ai un prieuré de mille écus. — Mille écus! bonne affaire (avec l'air de la
ANECDOTES ET BONS MOTS loi
considération). — Et j'ai fait la rencontre du maî- tre de cette maison-ci chez M. le cardinal de Rohan. — Peste! vous allez chez le cardinal de Rohan? — Oui, il m'a fait avoir une abbaye. — Une abbaye! Ah! cela posé, monsieur l'abbé, faites-moi l'honneur de venir dîner chez moi. »
L'abbé Raynal , jeune et pauvre, accepta une messe à dire tous les jours pour vingt sous; quand il fut plus riche, il la céda à l'abbé de La Porte, en retenant huit sous dessus; celui-ci, devenu moins gueux, la sous-loua à l'abbé Dinouart, en retenant quatre sous dessus, outre la portion de l'abbé Raynal : si bien que cette pauvre messe, grevée de deux pensions, ne valoit que huit sous à l'abbé Dinouart.
Milton, après le rétablissement de Charles II, étoit dans le cas de reprendre une place très-lucra- tive qu'il avoit perdue; sa femme l'y exhortoit; il lui répondit : « Vous êtes femme, et vous voulez avoir un carrosse; moi, je veux vivre et mourir en honnête homme. »
Les ministres en place s'avisent quelquefois, lorsque, par hasard, ils ont de l'esprit, de parler du temps où lis ne seront plus rien. On en est com- munément la dupe, et l'on s'imagine qu'ils croient
102 PORTRAITS ET CARACTERES
ce qu'ils disent. Ce n'est de leur part qu'un trait d'esprit. Ils sont comme les malades, qui parlent souvent de leur mort et qui n'y croient pas, comme on peut le voir par d'autres mots qui leur échappent.
Henri IV s'y prit singulièrement pour faire con- noître à un ambassadeur d'Espagne le caractère de ses trois ministres, Vilieroi, le président Jean- nin et Sully. Il fit appeler d'abord Vilieroi : « Voyez-vous cette poutre qui menace ruine?
Sans doute, dit Vilieroi sans lever la tête; il faut
la faire raccommoder, je vais donner des ordres. » Il appela ensuite leprésident Jeannin : « Il faudra s'en assurer, » dit celui-ci. On fait venir Sully, qui regarde la poutre. « Eh! Sire, y pensez-vous? dit-il; cette poutre durera plus que vous et moi. »
Dans le temps où parut le Hvre de Mirabeau sur l'agiotage, dans lequel M. de Calonne est très-maltraité , on disoit pourtant, à cause d'un passage contre M. Necker, que le livre étoit payé par M. de Calonne, et que le mal qu'on disoit de lui n'avoit d'autre objet que de masquer la collu-
sion.
On sait que M. de Luynes, ayant quitté le service pour un soufflet qu'il avoit reçu sans en tirer ven-
ANECDOTES ET BONS MOTS Io3
geance, fut fait bientôt après archevêque de Sens. Un jour qu'il avoit officié pontificalement, un mauvais plaisant prit sa mitre, et, l'écartant des deux côtés : « C'est singulier, dit-il, comme cette mitre ressemble à un soufflet. »
M..., à propos des six mille ans de Moïse, di- soit, en considérant la lenteur des progrès des arts et l'état actuel de la civilisation : « Que veut- il qu'on fasse de ses six mille ans? Il en a fallu plus que cela pour savoir battre le briquet et pour inventer les allumettes. »
C'est une chose remarquable que Molière, qui n'épargnoit rien, n'a pas lancé un seul trait contre les gens de finance. On dit que Molière et les auteurs comiques du temps eurent là-dessus des ordres de Colbert.
L'abbé de Molière étoit un homme simple et pauvre, étranger à tout, hors à ses travaux sur le système de Descartes; il n'avoit point de valet, et travailloit dans son lit, faute de bois, sa culotte sur sa tête par-dessus son bonnet, les deux côtés pen- dant à droite et à gauche. Un matin, il entend frapper à sa porte : « Qui va là? — Ouvrez.. » Il tire un cordon et la porte s'ouvre. L'abbé de Molière, ne regardant point : « Qui êtes-vous?
104 PORTRAITS ET CARACTERES
— Donnez-moi de l'argent, — De l'argent? — Oui, de l'argent. — Ah! j'entends, vous êtes un voleur? — Voleur ou non, il me faut de l'argent.
— Vraiment, oui, il vous en faut? Eh bien! cherchez là-dedans... » Il tend le cou, et pré- sente un des côtés de sa culotte; le voleur fouille. « Eh bien! il n'y a point d'argent. — Vraiment, non; mais il y a ma clef. — Eh bien! cette clef...?
— Cette clef, prenez-la. — Je la tiens. — Allez- vous-en à ce secrétaire; ouvrez... » Le voleur met la clef à un tiroir. « Pas celui-là, dit l'abbé, ce sont mes papiers... Ventrebleu! finirez-vous? ce sont mes papiers ! A l'autre tiroir, vous trouverez de l'argent. — Le voilà. — Eh bien' prenez... Fermez donc le tiroir... » Le voleur s'enfuit. « Monsieur le voleur, fermez donc la porte. Mor- bleu ! il laisse la porte ouverte!... Quel chien de voleur! il faut que je me lève par le froid qu'il fait! maudit voleur! » L'abbé saute en pied, va fermer la porte, et revient se remettre à son tra- vail.
Quand l'archevêque de Lyon, Montazet, alla prendre possession de son siège, une vieille cha- noinesse de..., sœur du cardinal de Tencin, lui fit compliment de ses succès auprès des femmes, et entre autres de l'enfant qu'il avoit eu de ma- dame de Mazarin Le prélat nia tout et ajouta :
ANECDOTES ET BONS MOTS Io5
« Madame, vous savez que la calomnie ne vous a pas ménagée vous-même; mon histoire avec ma- dame de Mazarin n'est pas plus vraie que celle qu'on vous prête avec monsieur le cardinal. — En ce cas, dit la chanoinesse tranquillement, l'enfant est de vous. »
Le chanoine Recupero, célèbre physicien, ayant publié une savante dissertation sur le mont Etna, où il prouvoit, d'après les dates des éruptions et la nature de leurs laves, que le monde ne pouvoit pas avoir moins de quatorze mille ans, la cour lui fit dire de se taire, et que l'arche sainte avoit aussi ses éruptions. Il se le tint pour dit. C'est lui-même qui a conté cette anecdote au chevalier de la Trem- blay e.
Madame de Montmorin disoit à son fils : «Vous entrez dans le monde; je n'ai qu'un conseil à vous donner : c'est d'être amoureux de toutes les fem- mes. »
J. J. Rousseau passe pour avoir eu madame la comtesse de Boufflers, et même (qu'on me passe ce terme) pour l'avoir manquée, ce qui leur donna beaucoup d'humeur l'un contre l'autre. Un jour, on disoit devant eux que l'amour du genre humain éteignoit l'amour de la patrie. « Pour moi, dit-
Io6 PORTRAITS ET CARACTERES
elle, je sais, par mon exemple, et je sens que cela n'est pas vrai : je suis très-bonne Françoise, et je ne m'intéresse pas moins au bonheur de tous les peuples. — Oui, je vous entends, dit Rousseau, vous êtes Françoise par votre buste, et cosmopo- lite du reste de votre personne. »
Il y a une farce italienne où Arlequin dit, à propos des travers de chaque sexe, que nous serions tous parfaits si nous n'étions ni hommes ni fem- mes.
Fox avoit emprunté des sommes immenses à différens juifs, et se flattoit que la succession d'un de ses oncles payeroit toutes ses dettes. Cet oncle se maria et eut un fils. A la naissance de l'enfant, Fox dit : « C'est le Messie que cet enfant : il vient au monde pour la destruction des juifs. »
Louis XV se fit peindre par Latour. Le peintre, tout en travaillant, causoit avec le roi, qui parois- soit le trouver bon. Latour, encouragé, et naturel- lement indiscret, poussa la témérité jusqu'à lui dire : « Au fait. Sire, vous n'avez point de ma- rine. » Le roi répondit sèchement : « Que dites- vous là? Et Vernet, donc! »
Louis XIV se plaignant chez madame de Main-
ANECDOTES ET BONS MOTS I07
tenon du chagrin que lui causoit la division des évêques : « Si l'on pouvoit, disoit-il, ramener les neuf opposans, on éviteroit un schisme; mais cela ne sera pas facile. — Eh bien! Sire, dit en riant madame la duchesse, que ne dites-vous aux qua- rante de revenir à l'avis des neuf? Ils ne vous refu- seront pas. »
L'abbé de la Galaisière étoit fort lié avec M. Orry, avant qu'il fût contrôleur général. Quand il fut nommé à cette place, son portier, devenu suisse, sembloit ne pas le reconnoître. « Mon ami, lui dit l'abbé de la Galaisière, vous êtes insolent beau- coup trop tôt, votre maître ne Test pas encore. »
« Pourquoi donc, disoit mademoiselle de..., âgée de douze ans, pourquoi cette phrase : « Ap- « prendre à mourir »? Je vois qu'on y réussit très- bien dès la première fois. »
Je ne vois jamais jouer les pièces de..., et le peu de monde qu'il y a, sans me rappeler le mot d'un major de place qui avoit indiqué l'exercice pour telle heure. Il arrive, il ne voit qu'un trompette : « Parlez donc, messieurs les b... ! d'où vient donc est-ce que vous n'êtes qu'un ? »
Madame de Prie, maîtresse du régent, dirigée
lOO PORTRAITS ET CARACTERES
par son père, un traitant nommé, je crois, Pléneuf, avoit fait un accaparement de blé qui avoit mis le peuple au désespoir, et enfin causé un soulèvement. Une compagnie de mousquetaires reçut l'ordre d'aller apaiser le tumulte, et leur chef, M. d'A- vejan, avoit ordre, dans ses instructions, de tirer sur la canaille : c'est ainsi qu'on désignoit le peuple en France. Cet honnête homme se fit une peine de faire feu sur ses concitoyens, et voici comme il s'y prit pour remplir sa commission. Il fit faire tous les apprêts d'une salve de mousqueterie, et, avant de dire : Tirez! il s'avança vers la foule, tenant d'une main son chapeau et de l'autre l'ordre de la cour : « Messieurs, dit-il, mes ordres portent de tirer sur la canaille; je prie tous les honnêtes gens de se retirer avant que j'ordonne de faire feu. » Tout s'enfuit et disparut.
On avisoit dans une société aux moyens de dé- placer un mauvais ministre, déshonoré par vingt turpitudes. Un de ses ennemis connus dit tout à coup : « Ne pourroit-on pas lui faire faire quel- que opération raisonnable, quelque chose d'hon- nête, pour le faire chasser? »
N... disoit à M. Barthe : « Depuis dix ans que je vous connois,j'ai toujours cru qu'il étoit impos- sible d'être votre ami; mais je me suis trompé; il
ANECDOTES ET BONS MOTS lOQ
y auroit un moyen. — Et lequel? — Celui de faire une parfaite abnégation de soi et d'adorer sans cesse votre égoïsme. »
Le fameux Ben-Johnson disoit que tous ceux qui avoient pris les Muses pour femmes étaient morts de faim, et que ceux qui les avoient prises pour maîtresses s'en étoient fort bien trouvés. Cela re- vient assez bien à ce que j'ai ouï dire à Diderot, qu'un homme de lettres sensé pouvoit être l'amant d'une femme qui fait un livre, mais ne devoit être le mari que de celle qui sait faire une chemise. Il y a mieux que tout cela : c'est de n'être ni l'amant de celle qui fait un livre, ni le mari d'aucune.
L'abbé Delille devoit lire des vers à l'Académie pour la réception d'un de ses amis. Sur quoi il di- soit : « Je voudrois bien qu'on ne le sût pas d'a- vance, mais je crains bien de le dire à tout le monde. »
* Discours d'un homme condamné à la hâte par la Cour des monnoies (Paris, lyyS ou 1776) à être pendu : « Messieurs, je vous remercie. En vous dépêchant de me faire pendre pour exercer votre juridiction, vous me servez et m'obligez infi- niment. J'ai commis vingt vols, quatre assassinats.
IIO PORTRAITS ET CARACTERES
Je méritois pis que ce qui m'arrive. Je suis inno- cent, mais je vous remercie. »
* Le maréchal de Luxembourg, retenu deux ans à la Bastille, sous le prétexte d'une accusation de magie, en sortit pour aller commander les armées. « On a encore besoin de magie, » dit-il en plai- santant.
*M. de..., menteur connu, venoitde raconter je ne sais quel fait peu croyable. — Monsieur, lui dit quelqu'un, je vous crois; mais convenez que la vérité a bien tort de ne pas daigner se rendre plus vraisemblable.
* Un abbé demandoit une abbaye au régent.
« Allez vous faire f ! répondit le prince sans
détourner la tête. — Encore faut-il de l'argent pour cela, dit l'abbé, et Votre Altesse en con- viendra si elle daigne me regarder. » Il étoit fort laid. Le prince éclata de rire et donna l'abbaye.
* Un Hollandois, sachant mal le françois, étoit en usage de conjuguer tout bas les verbes qui échappoient à ceux qui causoient avec lui. Un homme grossier lui dit : « Mais vous vous moquez de moi! » Il se mit à conjuguer ce verbe. « Sor- tons! dit l'autre^ — Je sors, tô sors, etc. —
ANECDOTES ET BONS MOTS III
Mettez-vous en garde! — Je me mets en garde. » Ils se battent. « Vous en tenez. — J'en tiens, tu en tiens, il en tient, etc. »
* Un homme qui parloit mal, entendant conter cette histoire, dit au conteur : « Monsieur, je vous la prends, et je la conterai plus d'une fois. — Volontiers, dit l'autre; je vous la cède, mais à condition que vous changerez souvent les verbes, afin que cela vous apprenne à conjuguer.
* Un homme, ayant été voir jouer P/ièc?re par de mauvais acteurs, disoit, pour s'excuser, qu'il avoit été à la Comédie pour s'épargner la peine de lire et ménager ses yeux. « Eh! Monsieur, lui dit quel- qu'un, voir jouer Racine par ces drôles-là, c'est lire Pradonl »
* M. le maréchal de Saxe disoit : « Je sais que tel bon bourgeois de Paris, logé entre son bou- langer et son rôtisseur, s'étonne que je ne fasse pas faire dix lieues par jour à mon armée. »
* Mademoiselle Pitt disoit à quelqu'un dont la figure l'intéressoit : « Monsieur, je vous connois depuis trois jours; mais je vous donne trois ans de connoissance. »
112 PORTRAITS ET CARACTERES
* Un curé d'Hémon, paroisse d'une terre du marquis de Créqui, dit à ses paroissiens: « Mes- sieurs, priez Dieu pour le marquis de Créqui, qui a perdu au service du roi son corps et son âme. »
* Histoire de M. de Villars, qui, le jour de Noël, entend trois messes, et se persuade que les deux dernières sont pour lui. Il envoie trois louis au prêtre, qui répond : « Je dis la messe pour mon plaisir. »
* Un soldat qui ne se souvenoit plus de quelle religion il étoit, se trouvant blessé à mort dans une armée composée de catholiques, calvinistes et luthériens, demanda à un de ses camarades quelle étoit la meilleure religion. Celui-ci, qui ne s'en étoit pas plus occupé, dit qu'il n'en savoit rien, et qu'il falloit consulter le capitaine. Celui-ci, consulté, répondit qu'il donneroit bien cent écus pour le savoir.
* On vola à un soldat son cheval. Il attroupe ses camarades, et déclare que, si on ne le lui rend pas d'ici à deux heures, il prendra le parti que prit son père en pareil cas. L'air menaçant dont il parloit effraya le voleur, qui lâcha sa prise. Le cheval revient à son maître. On le félicite; on lui demande ce qu'il auroit fait et ce que fit son
ANECDOTES ET BONS MOTS Il3
père. « Mon père, dit-il, ayant perdu son cheval, le fit crier et chercher partout. Il ne se retrouva point. Alors il prend sa selle, la charge sur son dos, prend son fouet, met ses bottes, ses éperons, et dit tout haut à ses camarades : « Vous voyez, je suis venu à cheval, et je m'en retourne à pied. »
* Musson et Rousseau, deux bouffons de société, ayant été invités à dîner dans une maison considé- rable, buvoient, mangeoient à l'envi l'un de l'autre, sans s'occuper des convives. On commen- çoit à le trouver mauvais, lorsque Rousseau dit à Musson : « Ah çà, mon ami, il est temps de com- mencer à faire notre état. » Ce mot répara tout, mais valut mieux que tout ce qu'ils dirent ensuite.
* Un chef de sauvages aux ordres de M. de Montcalm, ayant avec lui un entretien dans lequel le général se fâcha, lui dit d'un grand sang-froid : «Tu commandes, et tu te fâches?
*M. de Mesmes, ayant acheté l'hôtel de Mont morency, y fit mettre : Hôtel de Mesmes. On écrivit au-dessous : Pas de même.
* Un vieillard que j'ai connu dans ma jeunesse me disoit, à propos de la fortune de M. le duc de... : « J'ai presque toujours vu le bonheur des
Chamfort. — II. i 5
114 PORTRAITS ET CARACTERES
ministres et des favoris se terminer de façon à leur faire porter envie à leurs commis ou à leurs secré- taires. »
* Madame la duchesse du Maine, ayant un jour besoin de l'abbé de Vaubrun, ordonna à un de ses valets de chambre de le trouver, quelque part qu'il fût. Cet homme va et apprend, à sa grande surprise, que l'abbé de Vaubrun dit la messe dans telle église. Il prend l'abbé descendant de l'autel et lui dit sa commission, après lui avoir témoigné sa sur- prise de le voir dire la messe. Celui-ci, qui étoit fort libertin, lui dit : « Je vous supplie de ne pas dire à la princesse l'état dans lequel vous m'avez trouvé. »
* Il y avoit à la cour une intrigue pour marier Louis XV, qui dépérissoit par une suite de l'ona- nisme. Pendant ce temps, le cardinal de Fleury se déterminoit en faveur de la fille du roi de Pologne; mais le cas étoit urgent: chacun intriguoit pour faire marier le roi le plus vite qu'il étoit possible. Ceux qui Touloient écarter mademoiselle de Beau- mont les Tours gagnèrent les médecins, qui dirent qu'il falloit au roi une femme d'un âge fait pour réparer le mal que lui avoit fait l'onanisme et pour donner des enfants. Pendant ce temps-là, toutes les puissances se remuèrent, et il y eut peu de prin-
ANECDOTES ET BONS MOTS Il5
cesses dont les chauffoirs n'aient été envoyés au cardinal. On avoit envoyé à la reine une espèce de traité qu'on lui faisoit signer de ne jamais parler au roi d'affaires d'État, etc.
* Scène de l'abbé Maury et du cardinal de La Roche- Aymon, qui lui fait faire son discours pour le mariage de Madame Clotilde, tout en le grondant: « Surtout n'allez pas me faire ici des phrases; je ne suis pas un bel esprit. Il m'en faut trois tout au plus, à mon âge... etc. — Monseigneur, mais ne fau- droit-il pas...? — Ne faudroit-il pas... Qu'est-ce que c'est que cette question? Prétendez-vous me faire faire mon discours? — Monseigneur, je de- mande s'il ne faut pas parler de Louis XV. — Belle demande ! » Et là-dessus le cardinal enfile l'éloge du roi, puis celui de la reine. « Monseigneur, ne seroit-il pas à propos d'y joindre celui de M. le dauphin? — Quelle question! Me prenez- vous pour un philosophe qui refuse de rendre aux rois et aux enfants des rois ce qui leur est dû? — Mes- dames? » Nouvelle colère du cardinal et des propos de valet. Enfin l'abbé prend la plume et écrit trois ou quatre phrases. Le secrétaire du cardinal arrive. « Voilà l'abbé, dit le cardinal, qui vouloit me faire faire de l'esprit, des phrases, etc. Je viens de lui dicter ceci, qui vaut mieux que toute la rhétorique de l'Académie. Adieu, l'abbé; au re-
Il6 PORTRAITS ET CARACTERES
voir. Une autre fois, soyez moins phrasier et moins verbeux. »
*Le cardinal disoit à un vieil évêque : « Je trai- terai votre neveu comme le mien, au cas que vous veniez à mourir. » L'évêque, encore moins vieux que le cardinal, lui dit : « Eh bien, Monseigneur, je le recommande à Votre Eternité. »
* On contoit un jour des histoires incroyables devant Louis XV. Le duc d'Ayen se mit à conter celle d'un certain prieur de capucins qui tous les jours tuoit d'un coup de fusil un capucin au sortir de matines, en attendant son homme à un certain passage. Le bruit s'en répand; le provin- cial vient au couvent. Par bonheur, il se trouva qu'en faisant le dénombrement des capucins, il trouva qu'il n'en manquoit pas un seul.
* Mademoiselle de..., petite fille de neuf ans, disoit à sa mère, désolée d'avoir perdu une place à la cour : « Maman, quel plaisir trouvez-vous donc à mourir d'ennui? »
* Un petit garçon demandoit des confitures à sa mère. « Donne-m'en trop, » lui dit-il.
* Un homme devoit à un fossoyeur quelque
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argent pour avoir enterré sa fille. Il le rencontre, il veut le payer. Celui-ci lui dit : « Bon, Mon- sieur, cela se trouvera avec autre chose. Vous avez une servante malade, et votre femme ne se porte pas trop bien. »
* Un soldat irlandois prétendoit dans un combat tenir un prisonnier. « Il ne veut pas me suivre ! disoit-il en appelant un de ses camarades. — Eh bien! lui dit celui-ci, laisse-le, si tu ne peux l'emmener. — Mais, reprit l'autre, il ne veut pas me lâcher. »
* Le marquis de C..., voulant passer et faire passer ses amis dans une maison royale gardée par un suisse, range la foule, et, les prenant pour té- moins, dit au suisse : « Rangez-vous. Ces messieurs sont de ma compagnie; je vous avertis que les autres n'en sont pas. » Le suisse se range et laisse passer; mais quelqu'un vit les trois jeunes gens rire et se moquer du suisse. On l'avertit; il court à eux, demande au marquis : a Monsieur, votre billet? — As-tu un crayon? — Non, Monsieur. — En voici un, » dit un des jeunes gens. Le marquis écrit, et, tout en écrivant, dit au suisse : « J'aime qu'on fasse son devoir et qu'on garde sa consigne. » En même temps, il lui remet le billet, où étoit écrit: Laissez passer le marquis de C... et sa compagnie.
Ïl8 PORTRAITS ET CARACTÈRES
Le suisse prend le billet, et, tout triomphant, dit à ceux qui l'avoient averti : « J'ai le billet 1 »
* Un juge disoit naïvement à quelques-uns de ses amis : « Nous avons aujourd'hui condamné trois hommes à mort; il y en avoit deux qui le méritoient bien! »
* Un homme disoit un mal horrible de Dieu. Un de ses amis lui dit : « Tu dis toujours du mal du tiers et du quart. »
*M..., à qui je disois : « Votre gouvernante est bien jeune et bien jolie », me répondit naïvement: « Les rapports d'âge ne sont pas nécessaires; celui des caractères suffit. »
* Un docteur de Sorbonne, furieux contre le Système de la Nature, disoit : « C'est un livre exé- crable, abominable! C'est l'athéisme démontré! »
* Il y a une chanson qui roule sur Hercule, vainqueur de cinquante pucelles. Le couplet finit par ces mots :
Comme lui je les aurai Lorsque je les trouverai.
* On demandoit à un enfant : « Dieu le père
ANECDOTES ET BONS MOTS 11^
est-il Dieu? — Oui. — Dieu le fils est-il Dieu? — Pas encore, que je sache; mais, à la mort de son père, cela ne sauroit lui manquer. »
* Une petite fille disoit à M..., auteur d*un livre sur l'Italie : « Monsieur, vous avez fait un livre sur l'Italie? — Oui, Mademoiselle. — Y avez-vous été? — Certainement. — Est-ce avant ou après Votre voyage que vous avez fait votre livre ? »
* M. le dauphin avoit défini le prince Louis de Rohan un prince affable, un prélat aimable et un grand drôle bien découplé. Un M. de Nadaillac,. personnage très-ridicule, avoit été présent à ce propos, qu'on répétoit devant une femme qui vi- voit avec le prince Louis. Inquiète de ce qu'on en disoit, elle demanda ce que le dauphin avoit dit.' M. de Nadaillac lui dit : « Madame, cela vous intéresse, et vous en serez enchantée. » Il répéta le propos de M. le dauphin en substituant à la fin le mot d* accouplé à celui de découplé.
L'abbé de Fleury avoit été amoureux de ma- dame la maréchale de Noailles, qui le traita avec mépris. Il devint premier ministre; elle eut besoin de lui, et il lui rappela ses rigueurs « Ah ! Mon- seigneur, lui dit naïvement la maréchale, qui l'au- roit pu prévoir? »
120 PORTRAITS ET CARACTERES
Une petite fille de six ans disoit à sa mère : « Il y a deux choses qui m'ont fait bien de la peine. — Lesquelles, mon enfant? — Ce pauvre Abel tué par son frère, lui qui étoit si beau et si bon ! Je crois le voir encore dans cette estampe de la grande Bible. — Oh! oui, cela est bien fâcheux. Mais quelle est la seconde chose qui t'a affligée? — C'est dans Fanfan et Colas, quand Fanfan refuse à Colas une portion de sa tarte. Dis-moi, maman, la tarte étoit-elle véritable?»
« Quand j'ai une tentation, disoit M..., savez- vous ce que j'en fais? — Non. — Je la garde. )>
On louoit je ne sais quel président d'avoir une bonne caboche. Quelqu'un répondit : « C'est le terme que j'ai entendu employer cent fois, mais jamais personne n'a osé dire qu'il avoit une bonne tête. »
M. Poissonnier, le médecin, après son retour de Russie, alla à Ferney, et, comme il parloit à M. de Voltaire de tout ce qu'il avoit dit de faux et d'exagéré sur ce pays-là : « Mon ami, répondit naïvement Voltaire, au lieu de s'amuser à contre- dire, ils m'ont donné de bonnes pelisses, et ;e suis très-frileux. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 121
Pendant la guerre d'Amérique, un Écossois di- soit à un François en lui montrant quelques pri- sonniers américains : « Vous vous êtes battu pour votre maître; moi, pour le mien; mais ces gens-ci, pour qui se battent-ils? » Ce trait vaut bien celui du roi de Pégu, qui pensa mourir de rire en appre- nant que les Vénitiens n'avoient pas de roi.
Je venois de raconter une histoire galante de madame la présidente de..., et je ne Tavois pas nommée. M... reprit naïvement : « Cette prési- dente de Bernières dont vous venez de parler... » Toute la société partit d'un éclat de rire.
Un jeune homme sensible, et portant l'honnê- teté dans l'amour, étoit bafoué par des libertins qui se moquoient de sa tournure sentimentale. Il leur répondit avec naïveté : « Est-ce ma faute, à moi, si j'aime mieux les femmes que j'aime que les femmes que je n'aime pas? »
On disoit que M .. étoit peu sociable : « Oui, dit un de ses amis , il est choqué de plusieurs choses qui, dans la société, choquent la nature. »
M..,, faisant sa cour au prince Henri, à Neu- châtel, lui dit que les Neuchâtelois adoroient le roi de Prusse. « Il est fort simple, dit le prince, que
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122 PORTRAITS ET CARACTERES
les sujets aiment un maître qui est à trois cents lieues d'eux. »
Le duc de Chartres, apprenant l'insulte faite à madame la duchesse de Bourbon, sa sœur, par M. le comte d'Artois, dit : « On est bien heureux de n'être ni père ni mari. »
Au Pérou, il n'étoit permis qu'aux nobles d'étu- dier. Les nôtres pensent différemment.
On avoit dit à un roi de Sardaigne que la no- blesse de Savoie étoit très-pauvre. Un jour, plu- sieurs gentilshommes, apprenant que le roi passoit par Je ne sais quelle ville, vinrent lui faire leur cour en habits de gala magnifiques. Le roi leur fît entendre qu'ils n'étoient pas aussi pauvres qu'on le disoit. « Sire, répondirent-ils, nous avons appris l'arrivée de Votre Majesté; nous avons fait tout ce que nous devions, mais nous devons tout ce que nous avons fait. »
* M. de Lauraguais écrivoit à M. le marquis de Villette : « Je ne méprise point du tout la bour- geoisie, monsieur le marquis; je n'ai point ce tra- vers, et vous êtes bien sûr, etc. »
* On venoit de dire que M. de... étoit chicané
ANECDOTES ET BONS MOTS 123
sur ses preuves de noblesse, qui dévoient venir de la Martinique et qui n'arrivoient point, ce qui pouvoit bien lui faire perdre la place qu'il a à la cour. On lut ensuite une pièce de vers de sa com- position, et les huit premiers vers se trouvèrent très-mauvais. M. de T... dit tout haut : « Les preuves arriveront, ces vers ne valent rien. »
* M... disoit que, quand il voyoit un homme de qualité faire une lâcheté, il étoit toujours tenté de crier, comme le cardinal de Retz à l'homme qui le couchoit en joue : « Malheureux! ton père te regarde!... Mais, ajoutoit-il, il faudroit crier : « Tes pères te regardent », car souvent le père ne vaut pas mieux. »
* Laval, le maître de ballet, étoit sur le théâtre à une répétition d'opéra L'auteur, ou quelqu'un de ses amis, lui crîa à deux fois « Monsieur de Laval, monsieur de Laval! » Laval, s'avançant, lui dit : « Monsieur, voilà deux fois que vous m'appelez M„ de Laval. La première fois, je n'ai rien dit, mais cela est trop fort. . Me prenez-vous pour un de ces deux ou trois MM de Laval qui ne savent pas faire un pas de menuet ? »
* M. le comte de Charolois avoit été quatre ans sans payer sa maison, même ses premiers ofïi-
124 PORTRAITS ET CARACTERES
ciers. Un M. de Laval et un M. de Choiseul, qui ètoient du nombre, lui présentèrent un jour leurs gens en lui disant : « Monseigneur, si Votre Altesse ne nous paye point, qu'elle nous dise au moins comment nous pourrons satisfaire ces gens- ci. » Le prince fît appeler son trésorier, et, montrant M. de Laval et M. de Choiseul et leur livrée: « Qu'on paye ces messieurs'J » dit-il.
Quelqu'un disoit d'un homme très-personnel :' « Il brûleroit votre maison pour se faire cuire deux œufs. »
Madame Geoffrin disoit de Madame de la Ferté- Imbault, sa fille : « Quand je la considère, je suis étonnée comme une poule qui a couvé un œuf de cane. »
Le prince de Conti actuel s'affligeoit de ce que le comte d'Artois venoit d'acquérir une terre au- près de ses cantons de chasse. On lui fit entendre que les limites étoient bien marquées, qu'il n'y avoit rien à craindre pour lui, etc. Le prince de Conti interrompt le harangueur en lui disant : (( Vous ne savez pas ce que c'est que les princes ! »
M..., voyant, dans ces derniers temps, jusqu'à quel point l'opinion publique influoit sur les gran-
ANECDOTES ET BONS MOTS 125
des affaires, sur les places, sur le choix des minis- tres, disoit à M. de L..., en faveur d'un homme qu'il vouloit voir arriver : « Faites-nous en sa fa- veur un peu d'opinion publique. »
Un philosophe me disoit qu'après avoir examiné l'ordre civil et politique des sociétés, il n'étudioit plus que les sauvages dans les livres des voyageurs, et les enfans dans la vie ordinaire.
M... aime qu'on dise qu'il est méchant, à peu près comme les jésuites n'étoient pas fâchés qu'on dît qu'ils assassinoient les rois. C'est l'orgueil qui veut régner par la crainte sur la foiblesse.
Je demandois à M.,, pourquoi, en se condam- nant à l'obscurité, il se déroboit au bien qu'on pouvoit lui faire. « Les hommes, me dit-il, ne peuvent rien faire pour moi qui vaille leur oubli. »
Duclos parloit un jour du paradis, que chacun se fait à sa manière. Madame de Rochefort lui dit : « Pour vous, Duclos, voici de quoi composer le vôtre : du pain, du vin, du fromage et la première venue. »
Je pressois M. de L..: d'oublier les torts de M. de B..., qui l'avoit autrefois obligé; il me ré-
12b PORTRAITS ET CARACTERES
pondit : « Dieu a recommandé le pardon des in- jures; il n'a point recommandé celui des bienfaits. »
Le maréchal de Noailles avoit un procès au par- lement avec un de ses fermiers. Huit ou neuf con- seillers se récusèrent, disant tous : « En qualité de parent de M. de Noailles... »; et ils l'étoient en effet au huitantième degré. Un conseiller nommé M. Hurson, trouvant cette vanité ridicule, se leva, disant : « Je me récuse aussi. » Le premier prési- dent lui demanda en quelle qualité. Il répondit : « Comme parent du fermier. »
Le duc de Choiseul et le duc de Praslin avoient eu une dispute pour savoir lequel étoit le plus bête, du roi ou de M. de la Vrillière. Le duc de Praslin soutenoit que c'étoit M. de la Vrillière; l'autre, en fidèle sujet, parioit pour le roi. Un jour, au conseil, le roi dit une grosse bêtise. « Eh bien! monsieur de Praslin, dit le duc de Choiseul, qu'en pensez-vous .'* »
Quand Madame de F.., a dit joliment une chose bien pensée, elle croit avoir tout fait, de façon que, si une de ses amies faisoit à sa place ce qu'elle a dit qu'il falloit faire, cela feroit à elles deux une philosophe. M, de:v.disoit d'elle : « Quand elle a
ANECDOTES ET BONS MOTS 127
dit une jolie chose sur l'émétique, elle est toute surprise de n'être point purgée. »
Un évêque de Saint-Brieuc, dans son oraison funèbre de Marie-Thérèse, se tira d'affaire fort simplement sur le partage de la Pologne : « La France, dit-il, n'ajant rien dit sur ce partage, je prendrai le parti de faire comme la France, et de n'en rien dire non plus. »
Madame la duchesse du Maine, dont la santé alloit mal, grondoit son médecin et lui disoit : « Étoit- ce la peine de m'imposer tant de privations et de me faire vivre en mon particulier ? — Mais Votre Altesse a maintenant quarante personnes au châ- teau ! — Eh bien ! ne savez-vous pas que quarante ou cinquante personnes sont le particulier d'une princesse? »
M... étouffe plutôt ses passions qu'il ne sait les conduire. Il me disoit là-dessus : « Je ressemble à un homme qui, étant à cheval et ne sachant pas gouverner sa bête qui l'emporte, la tue d'un coup de pistolet et se précipite avec elle. »
On venoit de citer quelques traits de la gour- mandise de plusieurs souverains. « Que voulez- vous, dit le bonhomme M. de Bréquignj, que
128 PORTRAITS ET CARACTERES
voulez-vous que fassent ces pauvres rois ? Il faut bien qu'ils mangent ! »
On demandoit à Pechméja quelle étoit sa for- tune? « Quinze cents livres de rente. — C'est bien peu. — Oh! reprit Pechméja, Dubreuil est riche.»
Le cardinal de la Roche-Aymon, malade de la maladie dont il mourut, se confessa à je ne sais quel prêtre, sur lequel on lui demanda sa façon de penser, a J'en suis très-content, dit-il : il parle de l'enfer comme un ange. »
Une femme disoit à M... qu'elle le soupçonnoit de n'avoir jamais perdu terre avec les femmes. « Jamais, lui dit-il, si ce n'est dans le ciel. » En effet, son amour s'accroissoit toujours par la jouis- sance, après avoir commencé assez tranquillement.
Un paysan partagea le peu de biens qu'il avoit entre ses quatre fils, et alla vivre tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre. On lui dit, à son retour d'un voyage chez ses enfans : « Eh bien ! comment vous ont-ils reçu? comment vous ont-ils traité ? — Ils m'ont traité, dit-il, comme leur enfant. » Ce mot paroît sublime dans la bouche d'un père tel que celui-ci.
ANECDOTES ET BONS MOTS I 2Q
Dans le temps de l'assemblée des notables, un homme vouloit faire parler le perroquet de madame de... « Ne vous fatiguez pas, lui dit-elle, il n'ou- vre jamais le bec. — Comment avez-vous un per- roquet qui ne dit mot? Ayez-en un qui dise au moins i Vive le roi! — Dieu m'en préserve, dit- elle, un perroquet disant : Vive le roi! je ne l'au- rois plus : on en auroit fait un notable. »
On engageoit M. de.,, à quitter une place dont le titre seul faisoit sa sûreté contre des hommes puissans. Il répondit : « On peut couper à Samson sa chevelure, mais il ne faut pas lui conseiller de prendre perruque. »
Dans une dispute sur le préjugé relatif aux pei- nes infamantes qui flétrissent la famille du coupa- ble, M... dit : « C'est bien assez de voir des hon- neurs et des récompenses où il n'y a pas de vertu, sans qu'il faille voir encore un châtiment où il n'y a pas de crime. »
Une femme avoit un procès au parlement de Dijon. Elle vint à Paris, sollicita M. le garde des sceaux (1784) de vouloir bien écrire en sa faveur un mot qui lui feroit gagner un procès très-juste. Le garde des sceaux la refusa. La comtesse de Tal- ley rand prenoit intérêt à cette femme; elle en parla
Chamfort. — II. i y
l3o PORTRAITS ET CARACTERES
au garde des sceaux : nouveau refus. M"^^ de Tal- lejrand en fit parler par la reine : autre refus. M""^ de Talleyrand se souvint que le garde des sceaux caressoit beaucoup l'abbé de Périgord, soc fils; elle fit écrire par lui : refus très-bien tourné Cette femme, désespérée, résolut de faire une ten- tative et d'aller à Versailles. Le lendemain elle part ; l'incommodité de la voiture publique l'en- gage à descendre à Sèvres et à faire le reste de la route à pied. Un homme lui offre de la mener par un chemin plus agréable et qui abrège ; elle ac- cepte, et lui conte son histoire. Cet homme lui dit : « Vous aurez demain ce que vous deman- dez. » Elle le regarde et reste confondue. Elle va chez le garde des sceaux, est refusée encore, veut partir. L'homme l'engage à coucher à Versailles, et, le lendemain matin, lui apporte le papier qu'elle demandoit. C'étoit le commis d'un commis, nommé M. Etienne.
On disoit d'un escrimeur adroit, mais poltron, spirituel et galant auprès des femmes, mais impuis- sant : « Il manie très-bien le iîeuret et la fleurette, mais le duel lui fait peur. »
La finesse et la mesure sont peut-être les quali- tés les plus usuelles et qui donnent le plus d'avan- tages dans le monde; elles font dire des mots qui
ANECDOTES ET BONS MOTS l3î
valent mieux que des saillies. On louoit excessive- ment dans une société le ministère de M. Necker; quelqu'un qui, apparemment, ne l'aimoit pas, de- manda : « Monsieur, combien de temps est-il resté en place depuis la mort de M. de Pezay ? » Ce mot, en rappelant que M. Necker étoit l'ouvrage de ce dernier, fit tomber à l'instant tout cet en- thousiasme.
« Je sais me suffire, disoit M..., et, dans l'occa- sion, je saurai bien me passer de moi », voulant dire qu'il mourroit sans chagrin.
Un philosophe, retiré du monde, m'écrivoit une lettre pleine de vertu et de raison. Elle finissoit par ces mots : « Adieu, mon ami; conservez, si vous pouvez, les intérêts qui vous attachent à la société; mais cultivez les sentimens qui vous en séparent. »
Le czar Pierre l^^, étant à Spithead, voulut sa- voir ce que c'étoit que le châtiment de la cale qu'on inflige aux matelots. Il ne se trouva pour lors aucun coupable; Pierre dit : « Qu'on prenne un de mes gens. — Prince, lui répondit-on, vos gens sont en Angleterre, et par conséquent sous la protection des lois. »
l32 PORTRAITS ET CARACTERES
M. d'Espréménil vivoit depuis longtemps avec madame Tilaurier. Celle-ci vouloit l'épouser. Elle se servit de Cagliostro, qui lui faisoit espérer la dé- couverte de la pierre philosophale. On sait que Ca- gliostro méloit le fanatisme et la superstition aux sottises de l'alchimie. D'Espréménil se plaignant de ce que cette pierre philosophale n'arrivoit pas, et une certaine formule n'ayant point eu d'effet, Ca- gliostro lui fit entendre que cela venoit de ce qu'il vivoit dans un commerce criminel avec madame Ti- laurier. a II faut, pour réussir, que vous soyez en harmonie avec les puissances invisibles et avec leur chef, l'Être suprême. Epousez ou quittez ma- dame Tilaurier. » Celle-ci redoubla de coquette- rie; d'Espréménil épousa, et il n'y eut que sa femme qui trouva la pierre philosophale.
M. d'Invault, étant contrôleur général, demanda au roi la permission de se marier. Le roi, instruit du nom de la demoiselle, lui dit : « Vous n'êtes pas assez riche. » Celui-ci lui parla de sa place, comme d'une chose qui suppléoit à la richesse. « Oh! dit le roi, la place peut s'en aller, et la femme reste. »
On demandoit à M... : « Qu'est-ce qui rend le plus aimable dans la société ? » Il répondit : « C'est de plaire. »
ANECDOTES ET BONS MOTS l33
Une femme étoit à une représentation de Mé- rooe, et ne pleuroit point; on en étoit surpris. « Je pleurerois bien, dit-elle, mais je dois souper en ville. »
M... disoit, à propos de l'utilité de la retraite et de la force que l'esprit y acquiert : « Malheur au poëte qui se fait friser tous les jours ! Pour faire de bonne besogne, il faut être en bonnet de nuit et pouvoir faire le tour de sa tête avec sa main. »
M. de Vergennes n'aimoit point les gens de lettres, et on remarqua qu'aucun écrivain distingué n'avoit fait des vers sur la paix de lySB; sur quoi quelqu'un disoit : « Il y en a deux raisons; il ne donne rien aux poètes et ne prête pas à la poésie. »
« Il faut que ce qu'on appelle la police soit une chose bien terrible , disoit plaisamment madame de..., puisque les Anglois aiment mieux les voleurs et les assassins, et que les Turcs aiment mieux la peste ! »
Un malheureux portier à qui les enfans de son maître refusèrent de payer un legs de mille livres, qu'il pouvoit réclamer par justice, me dit : « Vou- lez-vous, Monsieur, que j'aille plaider contre les enfans d'un homme que j'ai servi vingt-cinq ans,
l34 PORTRAITS ET CARACTERES
et que je sers eux-mêmes depuis quinze ? » II se faisoit de leur injustice même une raison d'être généreux à leur égard.
M. de Vendôme disoit de madame de Nemours, qui avait un long nez courbé sur des lèvres ver- meilles : « Elle a l'air d'un perroquet qui mange une cerise. »
Un marchand d'estampes vouloit (le 2 5 juin) Tendre cher le portrait de madame de Lamotte (fouettée et marquée le 21), et donnoit pour raison que l'estampe étoit avant la lettre.
M... est un homme mobile, dont l'âme est ou- verte à toutes les impressions, dépendant de ce qu'il voit, de ce qu'il entend, ayant une larme prête pour la belle action qu'on lui raconte, et un sourire pour le ridicule qu'un sot essaye de jeter sur elle.
On demandoit à Diderot quel homme étoit M. d'Épinay. « C'est un homme, dit-il, qui a mangé deux millions sans dire un bon mot et sans faire une bonne action. »
C'est une chose curieuse que l'histoire de Port- Royal écrite par Racine. Il est plaisant de voir
ANECDOTES ET BONS MOTS l35
l'auteur de Phèdre parler des grands desseins de Dieu sur la mère Agnès.
M. Thomas me disoit un jour : « Je n'ai pas besoin de mes contemporains, mois j'ai besoin de la postérité. » Il aimoit beaucoup la gloire. « Beau résultat de votre philosophie, lui dis-je, de pouvoir se passer des vivans pour avoir besoin de ceux qui ne sont pas nés ! »
M. de C..., parlant un jour du gouvernement d'Angleterre et de ses avantages dans une assem- blée où se trouvoient quelques évêques, quelques abbés, un d'eux, nommé l'abbé de Seguerand, lui dit : « Monsieur, sur le peu que je sais de ce pays- là, je ne suis nullement tenté d'y vivre, et je sens que je m'y trouverois très-mal. — Monsieur l'abbé, lui répondit naïvement M. de C..., c'est parce que vous y seriez mal que le pays est excellent. »
« Savez-vous pourquoi, me disoit M. de..., on est plus honnête, en France, dans la jeunesse et juscju'à trente ans que passé cet âge ? C'est que ce n'est qu'après cet âge qu'on s'est détrompé; que, chez nous, il faut être enclume ou marteau; que l'on voit clairement que les maux dont gémit la nation sont irrémédiables. Jusqu'alors on avoit res- semblé au chien qui défend le dîner de son maître
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contre les autres chiens. Après cette époque, on fait comme le même chien, qui en prend sa part avec les autres. »
Je proposois à M. de L... un mariage qui sem- bloit avantageux. Il me répondit : « Pourquoi me marierois-je? Le mieux qui puisse m'arriver, en me mariant, est de n'être pas cocu, ce que j'obtiendrai encore plus sûrement en ne me mariant pas. »
On reprochoit à M. L..., homme de lettres, de ne plus rien donner au public. « Que voulez-vous qu'on imprime, dit-il, dans un pays où V Ahnanach de Liège est défendu de temps en temps? »
On disoit d'un courtisan léger, mais non cor- rompu : « Il a pris de la poussière dans le tour- billon; mais il n^a pas pris de tache dans la boue. »
Un prédicateur de la Ligue avoit pris pour texte de son sermon : Eripe nos, Domine, a lato f3:cis, qu'il traduisoit ainsi : « Seigneur, débourbonnez- nous! »
Quelque temps avant que Louis XV fût arrangé avec madame de Pompadour, elle couroit après lui aux chasses. Le roi eut la complaisance d'en- voyer à M. d'Etiolés une ramure de cerf. Celui-
ANECDOTES ET BONS MOTS iSy
ci la fit mettre dans sa salle à manger, avec ces mots : « Présent fait par le roi à M. d'Étiolés. »
Un célibataire qu'on pressoit de se marier ré- pondit plaisamment : « Je prie Dieu de me pré- server des femmes aussi bien que je me préserverai du mariage. »
Maupertuis, étendu dans son fauteuil et bâil- lant, dit un jour : « Je voudrois, dans ce moment- ci, résoudre un beau problème qui ne fût pas diffi- cile. » Ce mot le peint tout entier.
Le roi Stanislas venoit d'accorder des pensions à plusieurs ex-jésuites. M . de Tressan lui dit : « Sire, Votre Majesté ne fera-t-elle rien pour la famille de Damiens, qui est dans la plus profonde misère? »
Le baron de Breteuii, après son départ du mi- nistère, en 1788, blâmoit la conduite de l'arche- vêque de Sens; il le qualifioit de despote, et disoit : « Moi, je veux que la puissance royale ne dégénère point en despotisme, et je veux qu'elle se renferme dans les limites où elle étoit resserrée sous Louis XIV. » Il croyoit, en tenant ce dis- cours, faire acte de citoyen et risquer de se per- dre à la cour.
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l38 PORTRAITS ET CARACTERES
« Pour juger de ce que c'est que la noblesse, disoit M..., il suffit d'observer que M. le prince de Turenne, actuellement vivant, est plus noble que M. de Turenne, et que le marquis de Laval est plus noble que le connétable ^e Montmo- rency. »
On disoit à Delon, médecin mesmériste : « Eh bien! M. de B... est mort, malgré la promesse que vous aviez faite de le guérir. — Vous avez, répondit-il, été absent; vous n'avez pas suivi les progrès de la cure : il est mort guéri. »
Du temps de M. de Machault, on présenta au roi le projet d'une cour plénière , telle qu'on a voulu l'exécuter depuis. Tout fut réglé entre le roi, madame de Pompadour et les ministres. On dicta au roi les réponses qu'il feroit au premier président; tout fut expliqué dans un mémoire dans lequel on disoit : « Ici, le roi prendra un air sé- vère; ici, le front du roi s'adoucira; ici, le roi fera tel geste, etc. )> Le mémoire existe.
Quand l'abbé de Saint-Pierre approuvoit quel- que chose, il disoit : « Ceci est bon pour moi, quant à présent. » Rien ne peint mieux la variété des jugemens humains et la mobilité du jugement ■de chaque homme.
ANECDOTES ET BONS MOTS I 89
Un homme parloit du respect que mérite le pu- blic. « Oui, dit M..., le respect qu'il obtient de la prudence. Tout le monde méprise les harengères; cependant, qui oseroit risquer de les offenser en traversant la halle? »
On réfutoit je ne sais quelle opinion de M... sur un ouvrage, en lui parlant du public, qui en jugeoit autrement : « Le public, le public! dit-il; combien faut-il de sots pour faire un public? »
Madame Beauzée couchoit avec un maître de langue allemande. M. Beauzée les surprit au re- tour de TAcadémie. L'Allemand dit à la femme : « Quand je vous disois qu'il étoit temps que je m'en aille! )) M. Beauzée, toujours puriste, lui dit : « Que je m'en allasse. Monsieur. »
M... disoit du prince de Beauvau, grand pu- riste : « Quand je le rencontre dans ses prome- nades du matin et que je passe dans l'ombre de son cheval (il se promène souvent à cheval pour sa santé), j'ai remarqué que je ne fais pas une faute de françois de toute la journée. »
Madame de..., âgée de soixante-cinq ans, ayant épousé M..., âgé de vingt-deux, quelqu'un dit que c'étoit le mariage de Pjrame et de Baucis.
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On faisoit une question épineuse à M..., qui répondit : « Ce sont de ces choses que je sais à merveille quand on ne m'en parle pas, et que j'oublie quand on me les demande. »
M... disoit : « Je ne sais pourquoi madame de L... désire tant que j'aille chez elle; car, quand j'ai été quelque temps sans y aller, je la méprise moins. » On pourroit dire cela du monde en gé- néral.
M. . . disoit de madame la princesse de. . . : « C'est une femme qu'il faut absolument tromper, car elle n'est pas de la classe de celles qu'on quitte. »
M. de L... me disoit de M. de R... : « C'est l'entrepôt du venin de toute la société'; il le ras- semble comme les crapauds et le darde comme les vipères. »
M. le comte d'Orsay, fils d'un fermier général, et connu par sa manie d'être homme de qualité, se trouva avec M. de Choiseul-Gouffier chez le prévôt des marchands. Celui-ci venoit chez ce ma- gistrat pour faire diminuer sa capitation, considé- rablement augmentée ; l'autre y venoit porter ses plaintes de ce qu'on avoit diminué la sienne, et
ANECDOTES ET BONS MOTS 141
croyoit que cette diminution supposoit quelque atteinte portée à ses titres de noblesse.
M... disoit : « On m'a dit du mal de M. de... J'aurois cru cela il y a six mois; mais nous sommes réconciliés. »
« Une idée qui se montre deux fois dans un ouvrage, surtout à peu de distance, disoit M..., me fait l'effet de ces gens qui, après avoir pris congé, rentrent pour reprendre leur épée ou leur chapeau. »
Fontenelle avoit été refusé trois fois de l'Aca- démie, et le racontoit souvent; il ajoutoit : « J'ai fait cette histoire à tous ceux que j'ai vus s'affliger d'un refus de l'Académie, et je n'ai consolé per- sonne. »
Le régent vouloit aller au bal et n'y être pas reconnu. « J'en sais un moyen, » dit l'abbé Du- bois; et, dans le bal, il lui donna des coups de pied dans le derrière. Le régent, qui les trouva trop forts, lui dit : « L'abbé, tu me déguises trop ! »
Le régent envoya demander au président Daron la démission de sa place de premier président de Parlement de Bordeaux. Celui-ci répondit qu'on
142 PORTRAITS ET CARACTERES
ne pouvoit lui ôter sa place sans lui faire son pro- cès. Le régent, ayant reçu la lettre, mit au bas : Qu'à cela ne tienne, et la renvoya pour réponse. Le président, connoissant le prince auquel il avoit affaire, envoya sa démission.
A propos des choses de ce bas monde, qui vont de mal en pis, M... disoit : « J'ai lu quelque part qu'en politique il n'y avoit rien de si mal- heureux pour les peuples que les règnes trop longs. J'entends dire que Dieu est éternel : tout est dit. »
Je disois à M. B..., misanthrope plaisant, qui m'avoit présenté un jeune homme de sa connois- sance : « Votre ami n'a aucun usage du monde, ne sait rien de rien. — Oui, dit-il, et il est déjà triste comme s'il savoit tout. »
M. le duc de Chabot ayant fait peindre une
Renommée sur son carrosse, on lui appUqua ces
vers :
Votre prudence est endormie De loger magnifiquement Et de traiter superbement Votre plus cruelle ennemie,
M. le régent avoit promis de faire quelque chose du jeune Arouet, c'est-à-dire d'en faire un impor- tant et de le placer. Le jeune poëte attendit le
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prince au sortir du conseil, au moment où il étoit suivi de quatre secrétaires d'État. Le prince le vit et lui dit : « Arouet, je ne t'ai pas oublié, et je te destine le département des niaiseries. — Monsei- gneur, dit le jeune Arouet, j'aurois trop de ri- vaux... En voilà quatre. » Le prince pensa étoulTer de rire.
Lord Marlborough étant à la tranchée avec un de ses amis et un de ses neveux, un coup de canon fit sauter la cervelle à cet ami et en couvrit le vi- sage du jeune homme, qui recula avec effroi. Marlborough lui dit intrépidement : « Eh quoi ! Monsieur, vous paroissez étonné? — Oui, dit le jeune homme en s'essuyant la figure, je le suis qu'un homme qui a autant de cervelle restât ex- posé gratuitement à un danger si inutile. »
J'étois à table à côté d'un homme qui me de- manda si la femme qu'il avoit devant lui n'étoit pas la femme de celui qui étoit à côté d'elle. J'a- vois remarqué que celui-ci ne lui avoit pas dit un mot; c'est ce qui me fit répondre à mon voisin : « Monsieur, ou il ne la connoît pas, ou c'est sa femme. »
Le vicomte de S... aborda un jour M. de Vaines en lui disant : « Est-il vrai , Monsieur, que , dans
144 PORTRAITS ET CARACTERES
une maison où l'on avoit eu la bonté de me trou- ver de l'esprit, vous avez dit que je n'en avois pas du tout ? » M. de Vaines lui répondit : « Mon- sieur, il n'y a pas un seul mot de vrai dans tout cela. Je n'ai jamais été dans une maison où l'on vous trouvât de l'esprit, et je n'ai jamais dit que vous n'en aviez pas. »
M. de Sourches, petit fat hideux, le teint noir , et ressemblant à un hibou, dit un jour, en se re- tirant : « Voilà la première fois, depuis deux ans, que je vais coucher chez moi. » L'évêque d'Agde, se retournant et voyant cette figure , lui dit en le regardant : « Monsieur perche , apparemment. »
On demandoit à M. de Lauzun ce qu'il répon- droit à sa femme (qu'il n'avoit pas vue depuis dix ans) si elle lui écrivoit : « Je viens de découvrir que je suis grosse. » Il réfléchit, et répondit : « Je lui écrirois : « Je suis charmé d'apprendre « que le Ciel ait enfin béni notre union. Soignez « votre santé; j'irai vous faire ma cour ce soir. »
Le maréchal de Broglie avoit épousé la fille d'un négociant; il eut deux filles. On lui propo- soit, en présence de madame de Broglie , de faire entrer l'une dans un chapitre. « Je me suis fermé,
ANECDOTES ET BONS MOTS 14$
dit-il, en épousant madame, l'entrée de tous les chapitres... — Et de l'hôpital, » ajouta-t-elle.
Rulhière disoit un jour à C... : « Je n'ai jamais fait qu'une méchanceté dans ma vie. — Quand finira-t-elle ? » demanda C...
L'abbé Delille , entrant dans le cabinet de M. Turgot, le vit lisant un manuscrit : c'étoit ce- lui des Mois de M. Roucher. L'abbé Delille s'en douta, et dit en plaisantant :
« Odeur de vers se sentoit à la ronde.
— Vous êtes trop parfumé, lui dit M. Turgot, pour sentir les odeurs. »
Le roi de Prusse, voyant un de ses soldats bala- fré au visage, lui dit : « Dans quel cabaret t'a-t- on équipé de là sorte? — Dans un cabaret oii vous avez payé l'écot, à Kollin, » dit le sol- dat. Le roi, qui avoit été battu à Kollin, trouva cependant le mot excellent.
Un homme étoit en deuil de la tête aux pieds : grandes pleureuses, perruque noire, figure allon- gée. Un de ses amis l'aborde tristement : « Eh! bon Dieu ! qui est-ce donc que vous avez perdu ? Chainfort. — II. 19
146 PORTRAITS ET CARACTERES
— Moi! dit-il, je n'ai rien perdu : c'est que je suis veuf. »
M. l'évêque de L... étant à déjeuner, il lui vint en visite l'abbé de... L'évêque le prie de déjeuner; l'abbé refuse. Le prélat insiste. « Monseigneur, dit l'abbé, j'ai déjeuné deux fois, et d'ailleurs c'est aujourd'hui jeûne. »
Dans une dispute que les représentans de Genève eurent avec le chevalier de Bouteville, l'un d'eux s'échauffant, le chevalier lui dit : « Savez-vous que je suis le représentant du roi mon maître? — Sa- vez-vous, lui répondit le Genevois, que je suis le représentant de mes égaux? »
M... disoit, à son retour d'Allemagne : « Je ne sache pas de chose à quoi j'eusse été moins propre qu'à être un Allemand. »
La rareté d'un sentiment vrai fait que je m'ar- rête quelquefois dans les rues à regarder un chien ronger un os. « C'est au retour de Versailles, Marly, Fontainebleau, disoit M. de..., que je suis le plus curieux de ce spectacle. »
L*abbé de Vertot changea d'état très-souvent. On appeloit cela les révolutions de l'abbé de Vertot,
ANECDOTES ET BONS MOTS I47
Dans le temps qu'on établit plusieurs impôts qui portoient sur les riches, un millionnaire, se trou- vant parmi des gens riches qui se plaignoient du malheur des temps, dit : « Qui est-ce qui est heu- reux^dans ces temps-ci ? Quelques misérables. »
Colbert disoit, à propos de l'industrie de la na- tion, que le François changeroit les rochers en or si on le laissoit faire.
M... me disoit : « Je ne regarde le roi de France que comme le roi d'environ cent mille hommes auxquels il partage et sacrifie la sueur, le sang et les dépouilles de vingt-quatre millions neuf cent mille hommes, dans des proportions détermi- nées par les idées féodales, militaires, antimorales et antipolitiques qui avilissent l'Europe depuis vingt siècles. »
On sait quelle familiarité le roi de Prusse per- mettoit à quelques-uns de ceux qui vivoient avec lui. Le général Quintus Icilius étoit celui qui en profitoit le plus librement. Le roi de Prusse, avant la bataille de Rosbach, lui dit que, s'il la perdoit, il se rendroit à Venise, où il vivroit en exerçant la médecine. Quintus lui répondit : « Toujours as- sassin! »
Le roi de Prusse demandoit à d'Alembert s'il
148 PORTRAITS ET CARACTERES
avoit VU le roi de France. « Oui, Sire, dit celui-ci, en lui présentant mon discours de réception à l'Académie Françoise. — Eh bien! reprit le roi de Prusse, que vous a-t-il dit? — 11 ne m'a pas parlé, Sire. — A qui donc parle-t-il ? » poursuivit Fré- déric.
.. Plusieurs officiers françois étant allés à Berlin, l'un d'eux parut devant le roi sans uniforme et en bas blancs. Le roi s'approcha de lui et lui demanda son nom. « Le marquis de Beaucourt. — De quel régiment? — De Champagne. — Ah ! oui, ce ré- giment où l'on se f... de l'ordre. » Et il parla en- suite aux officiers qui étoient en uniforme et en bottes.
Un banquier anglois, nommé Ser ou Stair, fut accusé d'avoir fait une conspiration pour enlever le roi George III et le transporter à Philadelphie. Amené devant ses juges, il leur dit : « Je sais très- bien ce qu'un roi peut faire d'un banquier ; mais j'ignore ce qu'un banquier peut faire d'un roi. »
Dans les malheurs de la fin du règne de LouisXIV, après la perte des batailles de Turin, d'Oudenarde, de Malplaquet, de Ramillies, d'Hochstett, les plus honnêtes gens de la cour disoient : « Au moins, le roi se porte bien; c'est le principal. »
ANECDOTES ET BONS MOTS I^Q
Je causois un jour avec M. de V..., qui paroît vivre sans illusions dans un âge où l'on en est en- core susceptible. Je lui témoignois la surprise qu'on avoit de son indifférence. Il me répondit grave- ment : « On ne peut pas être et avoir été. J'ai été dans mon temps, tout comme un autre, l'amant d'une femme galante, le jouet d'une coquette, le passe-temps d'une femme frivole, l'instrument d'une intrigante. Que peut-on être de plus? — L'ami d'une femme sensible. — Ah! nous voilà dans les romans !»
M... débitoit souvent des maximes de roué en fait d'amour; mais, dans le fond, il étoit sensible et fait pour les passions. Aussi quelqu'un disoit de lui : « Il fait semblant d'être malhonnête, afin que les femmes ne le rebutent pas. »
« Dans le monde, disoit M..., vous avez trois sortes d'amis : vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se soucient pas de vous et vos amis qui vous haïssent. »
J. J. Rousseau étant à Fontainebleau, à la re- présentation de son Devin de village , un courtisan l'aborda et lui dit poliment : « Monsieur, per- mettez-vous que je vous fasse mon compliment? — Oui, Monsieur, dit Rousseau, s'il est bien. »
l5o PORTRAITS ET CARACTERES
Le courtisan s'en alla. On dit à Rousseau : « Mais y songez-vous ? Quelle réponse vous venez de faire! — Fort bonne, dit Rousseau; connoissez- vous rien de pire qu'un compliment mal fait ? »
On disoit à J. J. Rousseau, qui avoit gagné plusieurs parties d'échecs au prince de Conti, qu'il ne lui avoit pas fait sa cour, et qu'il falloit lui en laisser gagner quelques-unes : « Comment ! dit-il, je lui donne la tour. »
Voltaire disoit du poëte Roy, qui avoit été sou- vent repris de justice et qui sortoit de Saint- Lazare : « C'est un homme qui a de l'esprit, mais ce n'est pas un auteur assez châtié. »
Ce fut l'abbé S... qui administra le viatique à l'abbé Petiot dans une maladie très-dangereuse, et il raconte qu'en voyant la manière très-prononcée dont celui-ci reçut ce que vous savez, il se dit à lui-même : « S'il en revient, ce sera mon ami. »
M. de Roquemont, dont la femme étoit très- galante, couchoit une fois par mois dans la cham- bre de madame pour prévenir les mauvais propos si elle devenoit grosse, et s'en alloit en disant : « Me voilà net; arrive qui plante! »
La marquise de Saint-Pierre étoit dans une so-
ANECDOTES ET BONS MOTS l5l
ciété OÙ l'on disoit que M. de Richelieu avoit eu beaucoup de femmes sans en avoir jamais aimé une. « Sans aimer! c'est bientôt dit, reprit-elle; moi, je sais une femme pour laquelle il est revenu de trois cents lieues. » Ici elle raconte l'histoire en troisième personne, et, gagnée par sa narra- tion : « Il la porte sur le lit avec une violence in- croyable, et nous y sommes restés trois jours. »
M. le régent disoit à M^^ de Parabère, dévote, qui, pour lui plaire, tenoit quelques discours peu chrétiens : « Tu as beau faire, tu seras sauvée. »
M. de Voltaire, voyant la religion tomber tous les jours, disoit une fois : « Cela est pourtant fâ- cheux, car de quoi nous moquerons-nous? — Oh! lui dit M. Sabatier de Castres, consolez-vous; les occasions ne vous manqueront pas plus que les moyens. — Ah! Monsieur, reprit douloureusement M. de Voltaire, hors de l'Église, point de salut. »
D'Alembert, jouissant déjà de la plus grande réputation, se trouvoit chez madame du Deffand, où étoient M, le président Hénault et M. de Pont de Veyle. Arrive un médecin nommé Fournier, qui, en entrant, dit à madame du Defîand : « Ma- dame, j'ai bien l'honneur de vous présenter mon très-humble respect»; à M. le président Hénault:
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l52 PORTRAITS ET CARACTERES
« Monsieur, j'ai bien l'honneur de vous saluer » ; à M. de Pont de Veyle : « Monsieur, je suis votre très-humble serviteur » ; et à d'Alembert : a Bon- jour, Monsieur. »
Pendant un siège, un porteur d'eau crioit dans la ville : « A six sous la voie d'eau ! » Une bombe vient et emporte un de ses seaux : « A douze sous le seau d'eau! » s'écrie le porteur sans s'é- tonner.
Un homme dont la santé s'étoit rétablie en assez peu de temps, et à qui on en demandoit la raison, répondit : « C'est que je compte avec moi, au lieu qu'auparavant je comptois sur moi. »
J'ai vu M. de Foncemagne jouir dans sa vieillesse d'une grande considération. Cependant, ayant eu occasion de soupçonner un moment sa droiture, je demandai à M. Saurin s'il l'avoit connu particu- lièrement. Il me répondit qu'oui. J'insistai pour savoir s'il n'avoit jamais rien eu contre lui. M. Sau- rin, après un moment de réflexion, me répondit : « Il y a longtemps qu'il est honnête homme. »
A la bataille de Raucoux ou de Lawfeld, le jeune M. de Thiange eut son cheval tué sous lui, et lui-même fut jeté fort loin; cependant il ne fut
ANECDOTES ET BONS MOTS l53
point blessé. Le maréchal de Saxe lui dit : « Petit Thiange, tu as eu une belle peur? — Oui, mon- sieur le maréchal, dit celui-ci; j'ai craint que vous ne fussiez blessé. »
Dans une société où se trouvoit M. de Schwa- low, ancien amant de l'impératrice Elisabeth, on vouloit savoir quelques traits relatifs à la Russie. Le bailli de Chabrillant dit : « M. de Schwalow, dites-nous cette histoire; vous devez la savoir, vous qui étiez la Pompadour de ce pays-là. »
M. de C... avoit reçu un bienfait de M. d'A... Celui-ci avoit recommandé le secret. Il fut gardé. Plusieurs années après, ils se brouillèrent. Alors M. de C... révéla le secret du bienfait qu'il avoit reçu. M. de T..., leur ami commun, instruit, de- manda à M. de C... la raison de cette apparente bizarrerie. Celui-ci répondit : « J'ai tu son bien- fait tant que je l'ai aimé. Je parle, parce que je ne l'aime plus. C'étoit alors son secret; à présent, c'est le mien. »
Diderot, voulant faire un ouvrage qui pouvoit compromettre son repos, confioit son secret à un ami qui, le connoissant bien, lui dit : « Mais, vous-même, me garderez-vous bien le secret? » En effet, ce fut Diderot qui le trahit.
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l54 PORTRAITS ET CARACTERES
On s'étonnoit de voir le duc de Choiseul se soutenir aussi longtemps contre madame du Barry. Son secret étoit simple : au moment où il parois- soit le plus chanceler, il se procuroit une audience ou un travail avec le roi, et lui demandoit ses ordres relativement à cinq ou six millions d'éco- nomies qu'il avoit faites dans le département de la guerre, observant qu'il n'étoit pas convenable de les envoyer au trésor royal. Le roi entendoit ce que cela vouloit dire, et lui répondoit : « Parlez à Bertin; donnez-lui trois millions en tels effets; je vous fais présent du reste. » Le roi partageoit ainsi avec le ministre, et, n'étant pas sûr que son suc- cesseur lui offrît les mêmes facilités, gardoit M. de Choiseul malgré les intrigues de madame du Barry.
M... avoit montré beaucoup d'insolence et de vanité après une espèce de succès au théâtre : c'étoit son premier ouvrage. Un de ses amis lui dit : « Mon ami, tu sèmes les ronces devant toi; tu les trouveras en repassant. «
Marivaux disoit que le style a un sexe, et qu'on reconnoissoit les femmes à une phrase.
M. de Richelieu disoit, au sujet du siège de Mahon par M. le duc de Grillon : « J'ai pris Ma- hon par une étourderie, et, dans ce genre, M. de Grillon paroît en savoir plus que moi. »
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Le prince de Conti pensoit et parloit mal de M. de Silhouette. Louis XV lui dit un jour : « On songe pourtant à le faire contrôleur général. — Je le sais, dit le prince, et, s'il arrive à cette place, je supplie Votre Majesté de me garder le secret. » Le roi, quand M. de Silhouette fut nommé, en apprit la nouvelle au prince, et lui ajouta : « Je n'oublie point la promesse que je vous ai faite, d'autant plus que vous avez une affaire qui doit se rapporter au conseil. » [Anecdote contée par madame de Bouf fiers.)
L'Écluse , celui qui a été à la tête des Variétés amusantes, racontoit que, tout jeune et sans for- tune, il arriva à Lunéville, où il obtint la place de dentiste du roi Stanislas, précisément le jour où le roi perdit sa dernière dent.
C'est une chose bien extraordinaire que deux auteurs pénétrés et panégyristes, l'un en vers, l'autre en prose, de l'amour immoral et libertin, Crébillon et Bernard, soient morts épris passionné- ment de deux filles. Si quelque chose est plus étonnant, c'est de voir l'amour sentimental pos- séder madame de Voyer jusqu'au dernier moment, et la passionner pour le vicomte de Noailles; tan- dis que, de son côté, M. de Voyer a laissé deux cassettes pleines de lettres céladoniques copiées
l56 PORTRAITS ET CARACTÈRES
deux fois de sa main. Cela rappelle les poltrons, qui chantent pour déguiser leur peur.
Sixte-Quint, étant pape, manda à Rome un jacobin de Milan, et le tança comme mauvais ad- ministrateur de sa maison, en lui rappelant une certaine somme d'argent qu'il avoit prêtée quinze ans auparavant à un certain cordelier. Le coupable dit : « Cela est vrai, c'étoit un mauvais sujet qui m'a escroqué. — C'est moi, dit le pape, qui suis ce cordelier; voilà votre argent, mais n'y retombez plus, et ne prêtez jamais à des gens de cette robe. »■
On accusoit M... d'être misanthrope. « Moi, dit-il, je ne le suis pas; mais j'ai bien pensé l'être, et j'ai vraiment bien fait d'y mettre ordre. — Qu'avez-vous fait pour l'empêcher? — Je me suis fait solitaire. »
M. de L..., connu pour misanthrope, me disoit un jour, à propos de son goût pour la solitude : « Il faut diablement aimer quelqu'un pour le voir. »
Madame laprincessedeConti, fillede Louis XIV, ayant vu madame la dauphine de Bavière qui dormoit ou faisoit semblant de dormir, dit, après l'avoir considérée : « Madame la dauphine est encore plus laide en dormant que lorsqu'elle veille. »
ANECDOTES ET BONS MOTS ibj
Madame la dauphine, prenant la parole sans faire le moindre mouvement, lui répondit : « Madame, tout le monde n*est pas enfant de l'amour. »
On assure que madame de Montpensier, ayant été quelquefois obligée, pendant l'absence de ses dames, de se faire remettre un soulier par quel- qu'un de ses pages, lui demandoit s'il n'avoit pas eu quelque tentation. Le page répondoit qu'oui. La princesse, trop honnête pour profiter de cet aveu, lui donnoit quelques louis pour le mettre en état d'aller chez quelque fille perdre la tentation dont elle étoit la cause.
Des jeunes gens de la cour soupoient chez M. de Conflans. On débute par une chanson libre, mais sans excès d'indécence; M. de Fronsac sur-le-champ se met à chanter des couplets abo- minables qui étonnèrent même la bande joyeuse. M. de Conflans interrompit le silence universel en disant : « Que diable ! Fronsac , il y a dix bou- teilles de vin de Champagne entre cette chanson et la première. »
Le maréchal de Duras, mécontent d'un de ses fils, lui dit : « Misérable! si tu continues, je te ferai souper avec le roi. » C'est que le jeune homme avoit soupe deux fois à Marly, où il s'étoit ennuyé à périr.
l58 PORTRAITS ET CARACTERES
M. de La Reynière , obligé de choisir entre la place d'administrateur des postes et celle de fer- mier général, après avoir possédé ces deux places, dans lesquelles il avoit été maintenu par le crédit des grands seigneurs qui soupoient chez lui, se plaignit à eux de l'alternative qu'on lui proposoit et qui diminuoit de beaucoup son revenu. Un d'eux lui dit naïvement : « Eh! mon Dieu, cela ne fait pas une grande différence dans votre for- tune. C'est un million à mettre à fonds perdus ; et nous n'en viendrons pas moins souper chez vous. »
M. de Stainville, lieutenant général, venoit de faire enfermer sa femme. M. de Vaubecourt, ma- réchal de camp, sollicitoit un ordre pour faire en- fermer la sienne. Il venoit d'obtenir l'ordre, et sortoit de chez le ministre avec un air triomphant. M. de Stainville, qui crut qu'il venoit d'être nom- mé lieutenant général, lui dit devant beaucoup de monde : « Je vous félicite, vous êtes sûrement des nôtres. »
Le roi de Pologne Stanislas avoit des bontés pour l'abbé Porquet et n'avoit encore rien fait pour lui. L'abbé lui en faisoit l'observation. « Mais, mon cher abbé, dit le roi, il y a beaucoup de votre îaute : vous tenez des discours très-libres; on pré-
ANECDOTES ET BONS MOTS iSç
tend que vous ne croyez pas en Dieu. Il faut vous modérer : tâchez d'y croire; je vous donne un an pour cela. »
Madame de Bassompierre , vivant à la cour du roi Stanislas, étoit la maîtresse connue de M. de La Galaisière, chancelier du roi de Pologne, Le roi alla un jour chez elle, et prit avec elle des li- bertés qui ne réussirent pas. « Je me tais, dit Sta- nislas; mon chancelier vous dira le reste. »
M. de B..., âgé de cinquante ans, venoit d'é- pouser mademoiselle de C..., âgée de treize ans. On disoit de lui, pendant qu'il soUicitoit ce ma- riage, qu'il demandoit la survivance de la poupée de cette demoiselle.
M... disoit de M. de La Reynière, chez qui tout le monde va pour sa table, et qu'on trouve très ennuyeux : « On le mange, mais on ne le di-^ gère pas. »
Jamais Bossuet ne put apprendre au grand dau- phin à écrire une lettre. Ce prince étoit très-indo- lent. On raconte que ses billets à madame la com- tesse de Roure finissoient tous par ces mots : Le roi me fait mander pour le conseil. Le jour que cette comtesse fut exilée, un des courtisans lui demanda
l6o PORTRAITS ET CARACTERES
s'il n'étoit pas bien affligé. « Sans doute, dit le dauphin; mais cependant me voilà délivré de la nécessité d'écrire le petit billet. »
Madame de Talmont, voyant M. de Richelieu, au lieu de s'occuper d'elle, faire sa cour à madame de Brionne, fort belle femme, mais qui n'avoit pas la réputation d'avoir beaucoup d'esprit, lui dit : (( Monsieur le maréchal, vous n'êtes point aveugle; mais je vous crois un peu sourd. »
Onreprochoit à M. de... d'être le médecin Tant- Pis. « Cela vient, répondit-il, de ce que j'ai vu enterrer tous les malades du médecin Tant-Mieux. Au moins, si les miens meurent, on n'a point à me reprocher d'être un sot. »
Le maréchal de Broghe affrontant un danger inutile et ne voulant pas se retirer, tous ses amis faisoient de vains efforts pour lui en faire sentir la nécessité. Enfin l'un d'entre eux, M. de Jaucourt, s'approcha et lui dit à l'oreille : « Monsieur le ma- réchal, songez que, si vous êtes tué, c'est M. de Routhe qui commandera. » C'étoit le plus sot des lieutenants généraux. M. de Brogiie, frappé du danger que couroit l'armée, se retira.
On ne distingue pas aisément l'intention de
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ANECDOTES ET BONS MOTS l6l
l'auteur dans le Temple de Gnide, et il y a même quelque obscurité dans les détails : c'est pour cela que madame du Deffand Tappeloit l'Apocalypse de la galanterie^
Madame de Tencin disoit que les gens d'esprit faisoient beaucoup de fautes en conduite, parce qu'ils ne croyoient jamais le monde assez béte, aussi bête qu'il l'est.
Madame de Tencin, avec des manières douces, ëtoit une femme sans principes et capable de tout exactement. Un jour, on louoit sa douceur. « Oui, dit l'abbé Trublet, si elle eût eu intérêt de vous empoisonner, elle eût choisi le poison le plus doux. »
Madame la comtesse de Tessé disoit après la mort de M. Dubreuil : « Il étoit trop inflexible, trop inabordable aux présens, et j'avois un accès de fièvre toutes les fois que je songeois à lui en faire. — Et moi aussi^ lui répondit madame de Champagne, qui avoit placé trente-six mille livres sur sa tête : voilà pourquoi j'ai mieux aimé me don- ner tout de suite une bonne maladie que d'avoir tous ces petits accès de fièvre dont vous parlez. »
Le vieux d'Arnoncourt avoit fait un contrat de -douze cents livres de rente à une fille pour tout Chamfori, — II. 21
l62 PORTRAITS ET CARACTERES
le temps qu'il en seroit aimé. Elle se sépara de lui étourdiment, et se lia avec un jeune homme qui, ayant vu ce contrat, se mit en tête de le faire revivre. Elle réclama en conséquence les quartiers échus depuis le dernier payement, en lui faisant signifier sur papier timbré qu'elle l'aimoit toujours.
L'homme arrive novice à chaque âge de la vie.
M..., Provençal qui a des idées plaisantes, me disoit, à propos de rois et même de ministres, que, la machine étant bien montée, le choix des uns et des autres étoit indifférent. « Ce sont, disoit-il, des chiens dans un tourne-broche; il suffit qu'ils remuent les pattes pour que tout aille bien. Que le chien soit beau, qu'il ait de l'intelligence ou du nez, ou rien de tout cela, la broche tourne, et le souper sera toujours à peu près bon. »
On disoit d'un certain homme qui répétoit à différentes personnes le bien qu'elles disoient l'une de l'autre, qu'il étoit tracassier en bien.
M. Harris, fameux négociant de Londres, se trouvant à Paris dans le cours de l'année 1786, à Tépoque de la signature du traité de commerce, disoit à des François : « Je crois que la France n'y perdra un million sterling par an que pendant les
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ANECDOTES ET BONS MOTS l63
vingt-cinq ou trente premières années, mais qu'en' suite la balance sera parfaitement égale. »
Un homme d'esprit ayant lu les petits traités de M. d'Alembert sur l'élocution oratoire, sur la poé% sie, sur l'ode, on lui demanda ce qu'il en pensoit. Il répondit : « Tout le monde ne peut pas être sec. »
Un François avoit été admis à voir le cabinet du roi d'Espagne. Arrivé devant son fauteuil et son bureau : « C'est donc ici, dit-il, que ce grand roi travaille? — Comment, travaille! dit le conducteur; quelle insolence ! ce grand roi tra^ vailler! Vous venez ici pour insulter Sa Majesté! » Il s'engagea une querelle où le François eut beau-, coup de peine à faire entendre à l'Espagnol qu'on n'avoit pas eu l'intention d'offenser la majesté de son maître.
Le roi et la reine de Portugal étoient à Belem, pour aller voir un combat de taureaux, le jour du tremblement de terre de Lisbonne : c'est ce qui les sauva; et une chose avérée et qui m'a été garan- tie par plusieurs François alors en Portugal, c'est que le roi n'a jamais su l'énormité du désastre. On lui parla d'abord de quelques maisons tombées, ensuite de quelques églises, et, n'étant jamais re-
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venu à Lisbonne, on peut dire qu'il est le seul homme de l'Europe qui ne se soit pas fait une vé- ritable idée du désastre arrivé à une lieue de lui.
Un homme étoit abandonné des médecins; on demanda à M. Tronchin s'il falloit lui donner le viatique. « Cela est bien collant, » répondit-il.
M. de Choiseul-Gouffier voulant faire, à ses frais, couvrir de tuiles les maisons de ses paysans, exposées à des incendies, ils le remercièrent de sa bonté, et le prièrent de laisser leurs maisons comme elles étoient, disant que, si leurs maisons étoient couvertes de tuiles au lieu de chaume, les subdé- légués augmenteroient leurs tailles.
M. de Turenne dînant chez M. de Lamoignon, celui-ci lui demanda si son intrépidité n'étoit pas ébranlée au commencement d'une bataille. « Oui, dit M. de Turenne, j'éprouve une grande agita- tion; mais il y a dans l'armée plusieurs officiers subalternes et un grand nombre de soldats qui n'en éprouvent aucune. »
M. Turgot , qu'un de ses amis ne voyoit plus de- puislongtemps, dit à cet ami, en le retrouvant : « De- puis que je suis ministre, vous m'avez disgracié. »
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La comtesse de Boufflers disoit au prince de Conti qu'il étoit le meilleur des tyrans.
« Malgré toutes les plaisanteries qu*on rebat sur le mariage, disoit M.»., je ne vois pas ce qu'on peut dire contre un homme de soixante ans qui épouse une femme de cinquante-cinq. »
D'Alembert se trouva chez Voltaire avec un cé- lèbre professeur de droit à Genève. Celui-ci , ad- mirant l'universalité de Voltaire, dit à d'Alembert : « Il n'y a qu'en droit public que je le trouve un peu foible. — Et moi, dit d'Alembert, je ne le trouve un peu foible qu'en géométrie. »
M. de Calonne, voulant introduire des femmes dans son cabinet, trouva que la clef n'entroit point dans la serrure. Il lâcha un f... d'impatience, et, sentant sa faute : « Pardon, Mesdames, dit-il; j'ai bien fait des affaires dans ma vie, et j'ai vu qu'il n'y a qu'un mot qui serve. » En effet, la clef entra tout de suite.
Un homme qui avoit refusé d'avoir madame de S..., disoit : « A quoi sert l'esprit, s'il ne sert à n'avoir point madame de S...? »
M..., qui aimoit beaucoup les femmes, me di-
l66 PORTRAITS ET CARACTERES
soit que leur commerce lui étoit nécessaire pour tempérer la sévérité de ses pensées et occuper la sensibilité de son âme. « J'ai, disoit-il, du Tacite dans la tête et du TibuUe dans le cœur. » *
M... disoit, à propos de sottises ministérielles et ridicules : « Sans le gouvernement, on ne riroit plus en France. »
Dans le temps qu'il y avoit des jansénistes, on les distinguoit à la longueur du collet de leur manteau. L'archevêque de Lyon avoit fait plu- sieurs enfans; mais, à chaque équipée de cette espèce , il avoit soin de faire allonger d'un pouce le collet de son manteau. Enfin le collet s'allongea tellement qu'il a passé quelque temps pour jansé- niste et a été suspect à la cour.
On se souvient encore de la ridicule et excessive vanité de l'archevêque de Reims, Le Tellier-Lou- vois, sur son rang et sur sa naissance; on sait combien, de son temps, elle étoit célèbre dans toute la France. Voici une des occasions où elle se montra tout entière le plus puissamment. Le duc d'A..., absent de la cour depuis plusieurs années, revenu de son gouvernement de Berry, alloit à Versailles. Sa voiture versa et se rompit. Il faisoir un froid très-aigu. On lui dit qu'il falloit
ANECDOTES ET BONS MOTS 167
deux heures pour la remettre en état. Il vit un relais et demanda pour qui c'étoit. On lui dit que c'étoit pour l'archevêque de Reims, qui alloit à Versailles aussi. Il envoya ses gens devant lui, n'en réservant qu'un auquel il recommanda de ne point paroître sans son ordre. L'archevêque arrive. Pendant qu'on atteloit, le duc charge un des gens de l'archevêque de lui demander une place pour un honnête homme dont la voiture vient de se briser, et qui est condamné à attendre deux heures qu'elle soit rétablie. Le domestique va et fait la commission. « Quel homme est-ce? dit l'arche- vêque. Est-ce quelqu'un comme il faut? — Je le crois. Monseigneur*; il a un air bien honnête. — Qu'appelles-tu honnête? Est-il bien mis? — Mon- seigneur, simplement, mais bien. — A-t-il des gens? — Monseigneur, je l'imagine. — Va-t'en le savoir. » Le domestique va et revient. « Mon- seigneur, il les a envoyés (devant à Versailles. — Ah! c'est quelque chose, mais ce n'est pas tout. Demande-lui s'il est gentilhomme. » Le laquais va et revient. « Oui, Monseigneur, il est gentil- homme. — A la bonne heure! Qu'il vienne, et nous verrons ce que c'est. » Le duc arrive, salue. L'archevêque fait un signe de tête, se range à peine pour faire une petite place dans sa voiture. Il voit une croix de Saint-Louis. « Monsieur, dit- il au duc, je suis fâché de vous avoir fait attendre;
l68 PORTRAITS ET CARACTERES
mais je ne pouvois donner une place dans ma voi- ture à un homme de rien : vous en conviendrez. Je sais que vous êtes gentilhomme. Vous avez servi, à ce que je vois? — Oui, Monseigneur. — Et vous allez à Versailles? — Oui, Monseigneur. — Dans les bureaux apparemment? — Non, je n'ai rien à faire dans les bureaux. Je vais remer- cier... — Qui? M. de Louvois? — Non, Mon- seigneur, le roi. — Le roi! [Ici Varchevêque se re- cule et fait un peu de place.) Le roi vient donc de vous faire quelque grâce toute récente? — Non, Monseigneur : c'est une longue histoire. — Contez toujours. — C'est qu'il y a deux ans j'ai marié ma fille à un homme peu riche... [l*archevêque re- prend un peu de V espace qu'il a cédé dans la voiture) mais d'un tiès-grand nom. » [L'archevêque recède la place.) Le duc continue : « Sa Majesté avoit bien voulu s'intéresser à ce mariage... [l'archevêque fait beaucoup de place) et avoit même promis à mon gendre le premier gouvernement qui vaque- roit. — Comment donc ! Un petit gouvernement, sans doute? De quelle ville? — Ce n'est pas d'une ville. Monseigneur : c'est d'une province. — D'une province. Monsieur ! crie l'archevêque en reculant dans l'angle de sa voiture, d'une province! — Oui, et il va y en avoir un de vacant. — Lequel donc? — Le mien, celui de Berry, que je veux faire passer à mon gendre. — Quoi ! Monsieur...
ANECDOTES ET BONS MOTS 169
VOUS êtes gouverneur du...? Vous êtes donc le duc de...? » Et il veut descendre de sa voiture, « Mais, monsieur le duc, que ne parliez- vous? Mais cela est incroyable ! mais à quoi m'exposez- vous? Pardon de vous avoir fait attendre... Ce maraud de laquais qui ne me dit pas... Je suis bien heureux encore d'avoir cru, sur votre parole, que vous étiez gentilhomme : tant de gens le disent sans l'être ! Et puis ce d'Hozier est un fri- pon. Ah ! monsieur le duc, je suis confus. — Re- mettez-vous, Monseigneur. Pardonnez à votre laquais : il s'est contenté de vous dire que j'étois un honnête homme; pardonnez à d'Hozier, qui vous exposoit à recevoir dans votre voiture un vieux militaire non titré; et pardonnez-moi aussi de n'avoir pas commencé par faire mes preuves pour monter dans votre carrosse. »
M. de Fronsac alla voir une mappemonde que montroil l'artiste qui l'avoit imaginée. Cet homme, ne le connoissant pas et lui voyant une croix de Saint-Louis, ne l'appeloit que M. le chevalier. La vanité de M. de Fronsac, blessé de ne pas être appelé duc, lui fît inventer une histoire dont un des interlocuteurs, un de ses gens, l'appeloit mon- seigneur. M. de Genlis l'arrête à ce mot, et lui dit : « Qu'est-ce que tu dis là? Monseigneur ! On va te prendre pour un évêque. »
22
170 PORTRAITS ET CARACTERES
Les grands vendent toujours leur société à la vanité des petits.
On pressoit l'abbé Vatri de solliciter une place vacante au Collège royal. « Nous verrons cela, » dit-il. Et il ne sollicita point. La place fut donnée à un autre. Un ami de l'abbé court chez lui. « Eh bien! voilà comme vous êtes! Vous n'avez point voulu solliciter la place : elle est donnée. — Elle est donnée ? reprit-il ; eh bien ! je vais la demander.
— Etes-vous fou? — Parbleu! non; j'avois cent concurrens, je n'en ai plus qu'un. » Il demanda la place et l'obtint.
M. de Vaudreuil se plaignoit à C... de son peu de confiance en ses amis. « Vous n'êtes point riche, lui disoit-il, et vous oubliez notre amitié.
— Je vous promets, répondit C..., de vous em- prunter vingt-cinq louis quand vous aurez payé vos dettes. »
Le feu prince de Conti, ayant été très-maltraité de paroles de Louis XV, conta cette scène dé- sagréable à son ami le lord Tirconnel, à qui il demandoit conseil. Celui-ci, après avoir rêvé, lui dit naïvement : « Monseigneur, il ne seroit pas impossible de vous venger, si vous aviez de l'ar- gent et de la considération. »
ANECDOTES ET BONS MOTS 17I
Un des parens de M. de Vergennes lui deman- doit pourquoi il avoit laissé arriver au ministère de Paris le baron de Breteuil, qui étoit dans le casde lui succéder. « C'est que, dit-il, c'est un homme qui, ayant toujours vécu dans le pays étranger, n'est pas connu ici; c'est qu'il a une réputation usurpée, que quantité de gens le croient digne du ministère. Il faut les détromper, le mettre en évi- dence et faire voir ce que c'est que le baron de Breteuil. »
Un homme d*esprit défînissoit Versailles un pays où, en descendant, il faut toujours paroître monter, c'est-à-dire s'honorer de fréquenter ce qu'on méprise.
M. Lemierre a mieux dit qu'il ne vouloit en di- sant qu'entre sa Veuve du Malabar, jouée en 1770, et sa Veuve du Malabar, jouée en 1781, il y avoit Ja différence d'une falourde à une voie de bois. C'est en effet le bûcher perfectionné qui a fait le succès de la pièce.
Collé avoit placé une somme d'argent considé- rable, à fonds perdus et à dix pour cent, chez un financier qui, à la seconde année, ne lui avoit pas encore donné un sou. « Monsieur, lui dit Collé dans une visite qu'il lui fît, quand je place mon
172 PORTRAITS ET CARACTERES
argent en viager, c^est pour être payé de mon vivant. »
Un homme buvoit à table d'excellent vin sans le louer. Le maître de la maison lui en fit servir de très-médiocre. « Voilà de bon vin ! » dit le buveur silencieux. « C'est du vin à dix sous, dit le maître, et l'autre est un vin des dieux. — Je le sais, reprit le convive; aussi ne l'ai-je pas loué: c'est celui-ci qui a besoin de recommandation. »
On disoit au satirique anglois Donne : « Tonnez sur les vices, mais ménagez les vicieux. — Com- ment! dit-il, condamner les cartes et pardonner aux escrocs ? »
L'abbé Maurj, allant chez le cardinal de La Roche-Aymon, le rencontra revenant de l'assem- blée du clergé. Il lui trouva de l'humeur et lui en demanda les raisons. « J'en ai de bien bonnes, dit le vieux cardinal; on m'a engagé à présider cette assemblée du clergé, où tout s'est passé on ne sauroit plus mal. Il n'y a pas jusqu'à ces jeunes gens du clergé, cet abbé de La Luzerne, qui ne veulent pas se payer de mauvaises raisons. »
M... me disoit : « Toutes les fois que je vais chez quelqu'un, c'est une préférence que je lui
ANECDOTES ET BONS MOTS lyB
donne sur moi; je ne suis pas assez désœuvré pour y être conduit par un autre motif. »
Un homme épris des charmes de l'état de prê- trise disoit : « Quand je devrois être damné, il faut que je me fasse prêtre. »
Diderot, s'étant aperçu qu'un homme à qui il prenoit quelque intérêt avoit le vice de voler et i'avoit volé lui-même, lui conseilla de quitter ce pays-ci. L'autre profita du conseil, et Diderot n'en entendit plus parler pendant dix ans. Après dix ans, un jour, il entend tirer sa sonnette avec violence. Il va ouvrir lui-même, reconnoît son homme, et d'un air étonné il s'écrie : « Ah ! ah ! c'est vous ! )) Celui-ci lui répond : « Ma foi, il ne s'en est guère fallu. » Il avoit démêlé que Diderot s'étonnoii qu'il ne fût pas pendu.
M. de Voltaire, étant à Potsdam, un soir, après souper, fit un portrait d'un bon roi en contraste avec celui d'un tyran, et, s^échauffant par degrés, il fit une description épouvantable des malheurs dont l'humanité étoit accablée sous un roi despo- tique, conquérant, etc. Le roi de Prusse, ému, laisse tomber quelques larmes. « Voyez! voyez! s'écria M. de Voltaire, il pleure, le tigre ! »
174 PORTRAITS ET CARACTERES
M. de Vaucanson s'étoit trouvé l'objet principal des attentions d'un prince étranger, quoique M. de Voltaire fût présent. Embarrassé et honteux que ce prince n'eût rien dit à Voltaire, il s'approcha de ce dernier et lui dit : « Le prince vient de me dire telle chose » (un compliment très-flatteur pour Voltaire). Celui-ci vit bien que c'étoit une poli- tesse de Vaucanson, et lui dit : « Je reconnois tout votre talent dans la manière dont vous faites parler le prince. »
M. d'Autrey disoit de M. de Ximenès : « C'est un homme qui aime mieux la pluie que le beau temps, et qui, entendant chanter le rossignol, dit: « Ah ! la vilaine bête I »
* L'abbé de Tencin étoit accusé d'un marché si- moniaque. Aubri, avocat adverse, ayant paru foiblir dans ses allégations, l'avocat de l'abbé redoubla ses clameurs. Aubri joua l'embarras. L'abbé, qui étoit présent, crut faire merveille de saisir ce mo- ment pour achever de confondre la calomnie, offrant de s'en purger par serment. Alors Aubri l'arrêta, dit qu'il n'en étoit pas besoin, et produisit le marché en original. Huées, clameurs, etc. L'abbé parvint à s'évader et partit pour l'ambas- sade de Rome.
ANECDOTES ET BONS MOTS lyS
*M. de Silhouette, renvoyé, étoit accablé de sa disgrâce, et surtout des suites qu'elle pouvoit avoir. Ce qu'il redoutoit le plus, c'étoit les chansons. Un jour, après dîner (et il n'avoit rien dit à table), il s'approche tremblant d'une femme en qui il avoit confiance, et lui dit: «Parlez-moi vrai, n'y a-t-il pas de chansons?»
LE
MARCHAND DE SMYRNE
COMÉDIE EN UN ACTE ET EN PROSE
Représentée pour la première fois, le 26 janvier 1770,
Chamfort. II. «5
PERSONNAGES.
HASSAN, Turc habitant de Smyrne,
ZAYDE , femme de Hassan.
DORNAL, Marseillois.
AMÉLIE, promise à Dornal.
KALED , marchand d'esclaves.
NÉBI, Turc
FATMÉ, esclave de Zayde.
ANDRÉ , domestique de DornaL
Un Espagnol.
Un Italien.
Un Vieillard turc, esclave.
La scène est à Smyrne , dans un jardin commun à Hassan et à Kaled, dont Us deux maisons sont en regard sur le bord de la mer.
LE MARCHAND
DE SMYRNE
SCÈNE PREMIÈRE.
HASSAN, seul.
On dit que le mal passé n'est qu'un songe; c*est bien mieux : il sert à faire sentir le bonheur pré- sent. Il y a deux ans que j'étois esclave chez les chrétiens, à Marseille, et il y a un an aujourd'hui, jour pour jour, que j'ai épousé la plus jolie fille de Smyrne. Cela fait une différence. Quoique bon musulman, je n'ai qu'une femme. Mes voisins en ont deux, quatre, cinq, six, et pourquoi faire? .. La loi le permet... heureusement elle ne l'ordonne pas. Les François ont raison de n'en avoir qu'une; je ne sais pas s'ils l'aiment. J'aime beaucoup la
l8o LE MARCHAND DE SMYRNE
mienne, moi. Mais elle tarde bien à venir prendre le frais. Je ne la gêne pas. Il ne faut pas gêner les femmes : on m'a dit en France que cela portoit malheur... La voici.
SCENE II.
HASSAN, ZAYDE.
Hassan. Vous êtes descendue bien tard, ma chère Zajde?
Zayde. Je me suis amusée à voir, du haut de mon pa- villon, les vaisseaux rentrer dans le port. J'ai cru remarquer plus de tumulte qu'à l'ordinaire. Seroit- ce que nos corsaires auroient fait quelque prise? Hassan. Il y a long-temps qu'ils n'en ont fait, et, en vérité, je n'en suis pas fâché. Depuis qu'un chré- tien m'a délivré d'esclavage et m'a rendu à ma chère Zayde, il m'est impossible de les haïr. Zayde. Et pourquoi les haïr? Parce qu'ils ne connoissent pas notre saint prophète? Ne sont-ils pas assez à plaindre? D'ailleurs je les aime, moi; il faut que ce soient de bonnes gens, ils n'ont qu'une femme ; je trouve cela très-bien.
SCÈNE II l8l
Hassan, souriant.
Oui, mais en récompense... Zayde.
Quoi?
Hassan.
Rien. [A part.) Pourquoi lui dire cela? C'est détruire une idée agréable. (^ Tout haut.) J'ai fait vœu d'en délivrer un tous les ans. Si nos gens avoient fait quelques esclaves aujourd'hui, qui est précisément l'anniversaire de mon mariage, je croirois que le Ciel bénit ma reconnoissance. Zayde.
Que j'aime votre libérateur sans le connoître! Je ne le verrai jamais,., je ne le souhaite pas au moins.
Hassan.
Son image est à jamais gravée dans mon cœur. Quelle âme!... Si vous aviez vu... On rachetoit quelques-uns de nos compagnons; j'étois couché à terre; je songeois à vous, et je soupirois. Un chrétien s'avance et me demande la cause de mes larmes. « J'ai été arraché, lui dis-je, à une maî- tresse que j'adore; j'étois près de l'épouser, et je mourrai loin d'elle, faute de deux cents sequins, » A peine eus-je dit ces mots, des pleurs roulèrent dans ses yeux. « Tu es séparé de ce que tu aimes! dit-il; tiens, mon ami, voilà deux cents sequins; retourne chez toi, sois heureux, et ne hais pas les
182 LE MARCHAND DE SMYRNE
chrétiens. » Je me lève avec transport, je retombe à ses pieds, je les embrasse; je prononce votre nom avec des sanglots; je lui demande le sien pour lui faire remettre son argent à mon retour. « Mon ami, me dit-il en me prenant par la main, j'ignorois que tu pusses me le rendre; j'ai cru faire une action honnête : permets qu'elle ne dégénère pas en simple prêt, en échange d'argent. Tu igno- reras mon nom. » Je restai confondu, et il m'ac- compagna jusqu'à la chaloupe, où nous nous sé- parâmes les larmes aux jeux. Zayde.
Puisse le ciel le bénir à jamais! Il sera heureux, sans doute, avec une âme si sensible! Hassan.
Il étoit près d'épouser une jeune personne qu'il devoit aller chercher à Malte. Zayde.
Comme elle doit l'aimer!
SCilNE III.
HASSAN, ZAYDE, FATMÉ.
Zayde. Fatmé, que viens-tu donc nous annoncer? Tu parois hors d'haleine.
SCÈNE III l83
Fatmé. Il vient d'arriver des esclaves chrétiens. Cet Ar- ménien dont vous êtes fâché d'être le voisin, et que vous méprisez tant parce qu'il vend des hom- mes, en a acheté une douzaine, et en a déjà vendu plusieurs.
Hassan.
Voici donc le jour où je vais remplir mon vœu! J'aurai le plaisir d'être Ubérateur à mon tour. Zayde. Mon cher Hassan , sera-ce une femme que vous délivrerez?
Hassan, souriant. Pourquoi? Cela vous inquiète ; vous craignez que l'exemple...
Zayde. Non, je suis sans alarmes. J'espère que vous ne me donnerez jamais un si cruel chagrin. Vous ne m'entendez pas. Sera-ce un homme? Hassan. Sans doute.
Zayde. Pourquoi pas une femme? Hassan. C'est un homme qui m'a délivré.
Zayde. C'est une femme que vous aimez.
i8a le marchand de smyrne
Hassan. Oui... Mais, Zayde, un peu de conscience. Un pauvre homme en esclavage est bien malheureux; au lieu qu'une femme, à Smyrne, à Constantinople, à Tunis, en Alger, n'est jamais à plaindre. La beauté est toujours dans sa patrie. Allons, ce sera un homme si vous voulez bien. Zayde, Soit, puisqu'il le faut.
Hassan. Adieu. Je me hâte d'aller chercher ma bourse; il ne faut pas qu'un bon musulman paroisse devant un Arménien sans argent comptant, et surtout de- vant un avare comme celui-là.
SCÈNE IV.
ZAYDE, FATMÉ.
Zayde. Mon mari a quelque dessein, ma chère Fatmé; il me prépare une fête. Je fais semblant de ne pas m*en apercevoir, comme cela se pratique. Je veux le surprendre aussi, moi. J'entends du bruit : c'est sûrement Kaled avec ses esclaves. Je ne veux pas voir ces malheureux : cela m'attendriroit trop. Suis- moi et exécute fidèlement mes ordres.
SCÈNE V l8S
SCÈNE V.
KALED, DORNAL, AMÉLIE, ANDRÉ; UN ESPAGNOL, UN ITALIEN, enchaînés.
Kaled.
Jamais on ne s'est si fort empressé d'acheter ma marchandise. On voit bien qu'il y a long-temps qu'on n'avoit fait d'esclaves; il falloit qu'on fût en paix : cela étoit bien malheureux.
DORNAL.
G désespoir! la veille d'un mariage, ma chère Amélie!
Kaled, regardant autour de lui.
Qu'est-ce que c'est? On dit qu'il y a des pays où l'on ne connoît point l'esclavage... Mauvais pays. Aurois-je fait fortune là? J'ai déjà fait de bonnes affaires aujourd'hui; je me suis débarrassé de ce vieil esclave qui tiroit de ses poches de vieilles médailles de cuivre toutes rouillées, qu'il regardoit attentivement. Ces gens-là sont d'une dure défaite. J'y ai déjà été pris. Je ne suis pas fâché non plus d'être délivré de ce médecin fran- çois. Rentrons. Avancez. Qu'est-ce qui arrive?
24
l86 LE MARCHAND DE SMYRNE
c'est Nébi; il a l'air furieux. Seroit-il mécontent de son emplette?
SCÈNE VI.
LES ACTEURS PRÉCÉDENS, NÉBI.
NÉBI-
Kaled, je viens vous déclarer qu'il faut vous ré- soudre à reprendre votre esclave, à me rendre mon argent, ou à paroître devant le cadi. Kaled.
Pourquoi donc ? de quel esclave parlez-vous ? est-ce de cet ouvrier, de ce marchand? Je consens à les reprendre.
NÉBI
Il s'agit bien de cela! Vous faites l'ignorant : je parle de votre médecin françois. Rendez-moi mon argent, ou venez chez le cadi. Kaled.
Comment? Qu'a-t-il donc fait?
NÉBI.
Ce qu'il a fait ? J'ai dans mon sérail une jeune Espagnole, actuellement ma favorite; elle est in- commodée. Savez-vous ce qu'il lui a ordonné? Kaled.
Ma foi, non.
SCÈNE VI 187
NÉBI.
L'air natal. Cela ne m'arrange- 1- il pas bien, moi?
Kaled.
Eh!... l'air natal... Quand je vais dans mon pays, je me porte bien.
NÉBI.
Quel médecin ! Apparemment que ses malades ne guérissent qu'à cinq cents lieues de lui ! L'igno- rant! Il a bien fait d'éviter ma colère; il s'est enfui dans mes jardins : mais mes esclaves le poursuivent et vont vous l'amener. Mon argent, mon argent! Kaled.
Votre argent ? Oh ! le marché est bon : il tiendra.
NÉBI.
Il tiendra ! Non , par Mahomet ! J'obtiendrai justice cette fois-ci. Vous vous êtes prévalu du be- soin que j'avois d'un médecin. C'est bien malgré moi que j'ai eu recours à vous; mais je n'en serai plus la dupe. Vous croyez que cela se passera comme l'année dernière, quand vous m'avez vendu ce savant?
Kaled.
Quel savant?
. NÉBI.
Oui, oui, ce savant qui ne savoit pas distinguer du maïs d'avec du blé, et qui m'a fait perdre six
l88 LE MARCHAND DE SMYRNE
cents sequins pour avoir ensemencé ma terre sui- vant une nouvelle méthode de son pays, Kaled. Eh bien ! est-ce ma faute, à moi? Pourquoi faites- vous ensemencer vos terres par des savans? Est-ce qu'ils y entendent rien? N'avez-vous pas des labou- reurs? Il n'y a qu'à les bien nourrir et les faire travailler. Regardez-le donc avec ses savans!
NÉBI.
Et cet autre que vous m'avez vendu au poids de l'or, qui disoit toujours : De qui est-il fils? de qui est-il fils? et quel est le père, et le grand-père, et le bisaïeuU II appeloit cela, je crois, être généalo- giste. Ne vouloit-il pas me faire descendre, moi, du grand vizir Ibrahim !
Kaled.
Voyez le grand malheur! Quel tort cela vous fait-il? Autant vaut descendre d'Ibrahim que d'un autre.
NÉBI.
Vraiment, je le sais bien; mais le prix... ^Kaled.
Eh bien! le prix! Je vous l'ai vendu cher. Ap- paremment qu'il m'avoit aussi coûté beaucoup. Il y a long-temps de cela; je n'étois point alors au fait de mon commerce. Pouvois-je deviner que ceux qui me coûtent le plus sont les plus inutiles ?
SCÈNE VI 189
NÉBI.
Belle raison! Cela est-il vraisemblable? est-il possible qu'il _y ait un pays où l'on soit assez dupe... Excuse de fripon, excuse de fripon. Je ne m'étonne pas si on fait des fortunes. Kaled.
Excuse de fripon! des fortunes! Vraiment oui, des fortunes! Ne croit-il pas que tout est profit? Et les mauvais marchés qui me ruinent? N'ont-ils pas cent métiers où l'on ne comprend rien? Et quand j'ai acheté ce baron allemand dont je n'ai jamais pu me défaire, et qui est encore là-dedans à manger mon pain? Et ce riche Anglois qui voya- geoit pour son spleen, dont j'ai refusé cinq cents sequins, et qui s'est tué le lendemain à ma vue, et m'a emporté mon argent? Cela ne fait-il pas sai- gner le cœur? Et ce docteur, comme on l'appeloit, croyez-vous qu'on gagne là-dessus ? Et, à la dernière foire de Tunis, n'ai-je pas eu la bêtise d'acheter un procureur et trois abbés, que je n'ai pas daigné exposer sur la place, et qui sont encore chez moi avec le baron allemand?
NÉBI.
Maudit infidèle! tu crois m'en imposer par des clameurs; mais le cadi me fera justice. Kaled.
Je ne vous crains pas; le cadi est un homme juste, intelligent, qui soutient le commerce, qui
190 LE MARCHAND DE SMYRNE
sait très-bien que celui des esclaves va tomber, parce que tous ces gens-là valent moins de jour en jour.
NÉBI.
Ah çà! une fois, deux fois, voulez-vous repren- dre votre médecin?
Kaled. Non, ma foi.
NÉBI.
Eh bien! nous allons voir!
Kaled. A la bonne heure!
SCÈNE VII.
KALED, LES ESCLAVES.
Kaled, aux esclaves. Eh bien ! vous autres, vous voyez combien on a de peine à vous vendre. Quel diable d'homme! il m*a mis hors de moi. Il n'y a pas d'apparence qu'il me vienne d'acheteurs aujourd'hui; rentrons. Qui est-ce que j'entends? Est-ce un chaland?
SCENE VIII I^I
SCÈNE VIII.
UN VIEILLARD TURC, LES ACTEURS PRÉCÉDENS.
Kaled. Bon! ce n'est rien. C'est un esclave d'ici près»
Le Vieillard. Bonjour, voisin : est-ce là votre reste?
Kaled. Ne m'arrête pas, tu ne m'achèteras rien.
Le Vieillard. Je n'achèterai rien? Oh! vous allez voir.
Kaled. Que veut-il dire?
DoRNAL, à part. Je tremble.
Le Vieillard. Avez-vous bien des femmes? C'est une femme que je veux.
Kaled. Quel gaillard, à son âge!
Le Vieillard. Eh ! il n'y en a qu'une?
Kaled. Encore n'est-elle pas pour toi.
192 le marchand de smyrne
Le Vieillard. Pourquoi donc cela?
Kaled. Je l'ai refusée à de plus riches. Le Vieillard. Vous me la vendrez.
Kaled. Oui ! oui !
DORNAU
Seroit-il possible! Quoi! ce misérable...
Le Vieillard. Combien vaut-elle?
Kaled. Quatre cents sequins.
Le Vieillard. Quatre cents sequins ! C'est bien cher.
Kaled. Oh ! dame ! c'est une Françoise : cela se vend bien; tout le monde m'en demande. Le Vieillard. Voyons-la.
Kaled. Oh! elle est bien.
Le Vieillard. Elle baisse les yeux, elle pleure, elle me touche. C'est pourtant une chrétienne : cela est singulier. Trois cent cinquante!
SCENE VIII lû3
Kaled Pas un de moins.
Le Vieillard. Les voilà.
Kaled. Emmenez.
DORNAL.
Arrêtez... O ma chère Amélie! Kaled.
Ne vas-tu pas m'empêcher de vendre? Vraiment, je n'aurai pas assez de peine à me défaire de toi ! Vous autres François, les maris de ce pays-ci ne vous achètent point. Vous êtes toujours à rôder autour des sérails, à risquer le tout pour le tout.
DoRNAL.
Vieillard, vous ne paroissez pas tout à fait in- sensible; laissez-vous toucher. Peut-être avez-vous une femme, des enfants?
Le Vieillard. Moi, non.
Dornal.
Par tout ce que vous avez de plus cher, ne îious séparez pas! C'est ma femme. Le Vieillard. Sa femme? Cela est fort différent; mais, vrai- ment, Kaled, si c'est sa femme, vous me surfaites. Dornal. Pour toute grâce, achetez-moi du moins avec elle.
Chamfort. II. 2 5
194 le marchand de smyrne
Le Vieillard. Hélas! mon ami, je le voudrois bien; mais je n'ai besoin que d'une femme.
DORNAL.
Je vous servirai fidèlement.
Le Vieillard. Tu me serviras! Je suis esclave.
Kaled. Est-ce que tu les écoutes? André. Mes pauvres maîtres!
Amélie. O mon ami, quel sort!
Dornal. Ne l'achetez pas. Quelque homme riche nous achètera peut-être ensemble.
Le Vieillard. C'est bien ce qui pourroit t'arriver de pis : il t'en feroit le gardien.
Dornal, à Kaled. Ne pouvez-vous différer de quelques jours?
Kaled. Différer! On voit bien que tu n'entends rien au commerce. Est-ce que je le puis? Je trouve mon profit, je le prends.
Dornal. O Ciel! se peut-il?... Mais que dirai-je pour
SCÈNE VIII 1q5
attendrir un pareil homme? Quel métier! quelles âmes! Trafiquer de ses semblables.!
Kaled.
Que veut-il donc dire? Ne vendez-vous pas des nègres? Eh bien! moi, je vous vends... N'est-ce pas la même chose? Il n'y a jamais que la diffé- rence du blanc au noir.
Le Vieillard. En vérité, je n'ai pas le courage...
Kaled. Allons, toi, ne vas-tu pas pleurer aussi? Je garde ton argent; emmène ta marchandise, si tu veux. Il se fait tard.
Amélie. Adieu, mon cher Dornal !
DORNAL.
Chère Amélie !
Amélie. Je n'y survivrai pas !
Kaled. Cela ne me regarde plus.
Dornal. J'en mourrai.
Kaled. Tout doucement, toi, je t'en prie : ce n'est pas là mon compte. (Repoussant Dornal.) Ne vas-tu pas faire comme l'Anglois?
196 LE MARCHAND DE SMYRNE
DORNAL.
Ah! Dieu! faut-il que je sois enchaîné!...
André. O ma chère maîtresse!
SCÈNE IX.
KALED, DORNAL, ANDRÉ, L'ESPAGNOL, L'ITALIEN.
Kaled. M'en voilà quitte pourtant- Je suis bien heureux d'avoir un cœur dur; j'aurois succombé. Ma foi, sans son argent comptant, il ne l'auroit jamais emmenée, tant je m'en sentois ému. Diable! si je m'étois attendri, j'aurois perdu quatre cents se- quins. [Il compte ses esclaves.) Un, deux... Il n'y en a plus que quatre. Oh! je m'en déferai bien.
SCÈNE X.
LES ACTEURS PRÉCÉDENS, HASSAN,
Hassan , à Kaled. Eh bien ! voisin, comment va le commerce?
SCENE X 197
Kaled. Fort mal, le temps est dur. [A part.) Il faut toujours se plaindre.
Hassan. Voilà donc ces pauvres malheureux ! Je ne puis les délivrer tous : j'en suis bien fâché. Tâchons au moins de bien placer notre bonne action. C'est un devoir que cela, c'est un devoir. [A l'Espagnol.) De quel pays es-tu, toi? Parle. Tu as l'air bien haut... Parle donc...
L'Espagnol, Je suis gentilhomme espagnol.
Hassan. Espagnols ! braves gens ! un peu fiers, à ce qu'on m'a dit en France... Ton état.»* L'Espagnol. Je vous l'ai déjà dit : gentilhomme.
Hassan. Gentilhomme ! je ne sais pas ce que c'est. Que fais-tu ?
Hassan. Rien.
Hassan. Tant pis pour toi, mon ami; tu vas bien t'en- nuyer. [A Kaled.) Vous n'avez pas fait une trop bonne empiète.
Kaled.
Ne voilà-t-il pas que je suis encore attrapé ?
1^8 LE MARCHAND d£ SMYRNE
Gentilhomme, c'est sans doute comme qui diroit baron allemand. C'est ta faute aussi : pourquoi vas-tu dire que tu es gentilhomme? Je ne pourrai jamais me défaire de toi.
Hassan, à V Italien. Et toi, qui es-tu avec ta jaquette noire? Ton
pays?
L'Italien.
Je suis de Padoue.
Hassan.
Padoue? Je ne connois pas ce pays-là... Ton
métier?
L'Italien.
Homme de loi.
Hassan. Fort bien. Mais quelle est ta fonction particu- lière ?
L'Italien.
De me mêler des affaires d'autrui pour de l'ar- gent, de faire souvent réussir les plus désespérées, ou du moins de les faire durer dix ans, quinze ans,
vingt ans.
Hassan.
Bon métier ! et dis-moi, rends-tu ce beau service à ceux qui ont tort, à ceux qui ont raison, indiffé- remment ?
L'Italien.
Sans doute; la justice est pour tout le monde.
SCENE X 199
Hassan, riant. Et on souffre cela à Padoue ?
L'Italien. Assurément.
Hassan. Le drôle de pays que Padoue ! Il se passera bien de toi, je m'imagine. {A André.) Et toi, qui es-tu?
André. Moins que rien. Je suis un pauvre homme,
Hassan. Tu es pauvre ? Tu ne fais donc rien ?
André. Hélas ! je suis fils d'un paysan : je l'ai été moi- même.
Kaled. Bon! c'est sur ceux-là que je me sauve.
André. Je me suis ensuite attaché au service d'un bon maître, mais qui est plus malheureux que moi. Hassan. Cela se peut bien : il ne sait peut-être pas la- bourer la terre. Mais c'est l'habit françois que tu as là?
' André. Je le suis aussi.
Hassan. Tu es François ! Bonnes gens que les François !
200 LE MARCHAND DE SMYRNE
Ils ne haïssent personne. Tu es François, mon ami f Il suffit, c'est toi qu'il faut que je délivre. André. Généreux musulman, si c'est un François que vous voulez délivrer, choisissez quelque autre que moi. Je n'ai ni père, ni mère, ni femme, nienfans; j'ai l'habitude du malheur : ce n'est pas moi qui suis le plus à plaindre. Délivrez mon pauvre maître. Hassan. Ton maître! Qu'est-ce que j'entends? Quelle générosité! Quoi!... Ces François... Mais est-ce qu'ils sont tous comme cela?... Et où est-il, ton maître ?
André, lui montrant Dornal. Le voilà : il est abîmé dans sa douleur,
Hassan. Qu'il parle donc! Il se cache, il détourne la vue, il garde le silence. [Hassan avance, le considère malgré lui.) Que vois-je! est-il possible! je ne me trompe pas. C'est lui, c'est lui-même; c'est mon libérateur! (7/ Vembrasse avec transport.) Dornal. O bonheur! ô rencontre imprévue!
Kaled. Comme ils s'embrassent ! Il l'aime : bon ! il le payera.
Hassan. Je n'en revienspoint. Mon ami ! mon bienfaiteur !
SCENE X 20r
Kaled.
Peste! un ami, un bienfaiteur! Cela doit bien se vendre, cela doit bien se vendre. Hassan
Mais, dites-moi donc , comment se fait-il?... par quel bonheur?... Qu'est-ce que je dis? La tête me tourne. Quoi! c'est envers vous-même que je puis m'acquitter? J'ai fait vœu de délivrer tous les ans un esclave chrétien: je venois pour remplir mon vœu, et c'est vous...
DORNAL.
O mon ami! connoissez tout mon malheur.
Hassan. Du malheur ! il n'y en a plus pour vous. ( Se tournant du côté de Kaled.) Kaled, combien vous dois-je pour l'emmener?
Kaled. Cinq cents sequins.
Hassan. Cinq cents sequins... Kaled, je ne marchande point mon ami; tenez.
Dornal. Quelle générosité !
Hassan, à Kaled. Je vous dois ma fortune, car vous pouviez me la demander.
Kaled. Que je suis une grande bête! Bonne leçon.
26
202 le marchand de smyrne
Hassan. Laissez-nous seulement, je vous prie : que je jouisse des embrassemens de mon bienfaiteur. Kaled. Oh! cela est juste, cela est juste. Il est bien à vous. Allons, vous autres, suivez-moi. André , à Dornal. Adieu, mon cher maître.
Dornal. (A André.) Que dis-tu? peux-tu penser?... (^4 Hassan.) Mon cher ami, ce pauvre malheureux, vous avez vu s'il m'est attaché, s'il est fidèle, s'il a un cœur sensible!
Hassan. Sans doute, sans doute; il faut le racheter.
Kaled. Quel homme! comme il prodigue l'or! Si je profitois de cette occasion pour faire délivrer mon baron allemand... Mais il ne voudra pas. Hassan. Tenez, Kaled.
Kaled, regardant les sequins. En vérité, voisin, cela ne suffit pas!
Hassan. Comment ! cent sequins ne suffisent pas ? Un domestique,,.
SCÈNE X 2o3
Kaled. Eh! mais... un domestique... Après tout, c'est un homme comme un autre. Hassan. Bon ! voilà de la morale à présent.
Kaled. Et puis un valet fidèle, qui a un cœur sensible, qui travaille, qui laboure la terre, qui n'est pas gentilhomme... En conscience...
Hassan, donnant quelques sequins. Allons, laissez-nous. Qu'attendez-vous? qu'est- ce que vous voulez?
Kaled. ^ Voisin, c'est que j'ai chez moi un pauvre malheu- reux; un brave homme, qui est au pain et à l'eau depuis trois ans; cela fend le cœur : cela s'appelle un baron allemand. Vous qui êtes si bon, vous de- vriez bien...
Hassan. Je ne puis pas délivrer tout le monde.
Kaled. A moitié perte.
Hassan. Cela est impossible.
Kaled. Quand je disois que cet homme-là me resteroitî Oh ! si jamais on m'y rattrape... Allons, homme
204 ^^ MARCHAND DE SMYRNE
de loi, gentilhomme, rentrez là-dedans; allez vous coucher, il faut que je soupe.
SCÈNE XL
HASSAN, DORNAL.
Hassan. Mon cher ami, que je vous présente à ma femme. Savez-vous que je suis marié! C'est à vous que je le dois. Et vous, cette jeune personne que vous deviez aller chercher à Malte? Dornal. Je l'ai perdue.
Hassan. Que dites-vous?
Dornal. Je l'emmenois à Marseille pour l'épouser : elle a été prise avec moi.
Hassan. Eh bien! est-ce l'Arménien qui l'a achetée?
Dornal. Oui.
Hassan. Courons donc vite.
Dornal. Il n'est plus temps : le barbare l'a vendue.
SCÈNE XI 2o5
Hassan. A qui ?
DORNAL.
Je l'ignore. Un esclave de quelque homme riche l'a arrachée de mes bras.
Hassan. Ah! malheureux! c'est peut-être pour quelque pacha. Est-elle belle?
Dornal. Si elle est belle !
SCÈNE XII.
LES ACTEURS PRÉCÉDENS, ZAYDE.
Zayde. Mon ami, vous me laissez bien long-temps seule. Et votre esclave chrétien ?
Hassan. Mon esclave! c'est mon ami, c'est mon libéra- teur que je vous présente. J'ai eu le bonheur de le délivrer à mon tour.
Zayde. Étranger, je vous dois le bonheur de ma vie.
20b LE MARCHAND DE SMYRNE
SCÈNE XIII.
LES ACTEURS PRÉCÉDENS, FATMÉ.
Fatmé. Est-il temps? Ferai-je entrer?
Zayde. Oui, tu peux .
SCÈNE XIV.
ZAYDE, HASSAN, DORNAL.
Hassan. Quel est ce mystère ?
Zayde. Mon ami, vous m'avez tantôt soupçonnée de jalousie; je vais vous prouver ma confiance. Je me suis servie de vos bienfaits pour acheter une esclave chrétienne; je venois vous la présenter, afin qu'elle tînt sa liberté de vos mains.
SCENE XV ET DERNIERE 20'
SCÈNE XV ET DERNIÈRE.
HASSAN, ZAYDE, DORNAL, FATMÉ,
UNE Esclave chrétienne vêtue en musulmanej avec
un voile sur la tête,
Zayde . La voici. Voyez le spectacle le plus intéressant: la beauté dans la douleur.
Hassan s'approche et lève le voile, Qu'ell'e est touchante et belle!
Dornal.
Amélie I Ciel ! ( // vole dans ses bras.)
Amélie , avec joie. Que vois-je! mon cher Dornal!
Dornal.
Ma chère Amélie, vous êtes libre! je le suis aussi. Vous êtes auprès de votre bienfaitrice, de mon libérateur. (// saute au cou de Hassan, et veut ensuite embrasser Zayde, qui recule avec modestie. )
Hassan, à Dornal. Embrassez ! embrassez ! il est honnête, ce trans- port-là. (A Zayde, qui reste confuse.) Ma chère amie, c'est la coutume de France.
2o8 LE MARCHAND DE SMYRNE
Amélie , à Zayde. Madame, je vous dois tout! Que ne puis-je vous donner ma vie !
Zayde. C'est à moi de vous rendre grâces. Vous ne me devez que votre liberté, et je dois à votre époux la liberté du mien.
Amélie. Quoi ! c'est lui!
Hassan. Oh ! cela est incroyable ! A propos, vous n'êtes point mariés?
DORNAL.
Vraiment, non : nous ne le serons qu'à notre retour. Une de ses tantes nous accompagnoit : elle est morte dans la traversée. Hassan.
Vite, vite, un cadi, un cadi ! . . . Ah ! mais, à pro- pos, on ne peut pas. . . C'est cet habit qui me trompe.
Dornal. Ma chère petite musulmane, quand serons-nous en terre chrétienne! Ah! mon Dieu, nos pauvres compagnons d'infortune !
Hassan. Si j'étois assez riche. . . Mais, après tout, l'homme de loi, et cet autre, cela ne doit pas coûter cher, n'est-ce pas."*
SCENE XV ET DERNIERE 209
DORNAL.
Ah! mon Dieu, non! Nous les aurons à bon marché.
Fatmé.
Ah ! c'est bien vrai. Je viens de rencontrer l'Arménien; tout ce qu'il demande, c'est de les vendre au prix coûtant.
DORNAL.
D'ailleurs, moi, je suis riche, et je prétends bien...
Hassan.
Allons, délivrons-les. {A Fatmé.) Va les cher- cher. Qu'ils partagent notre joie, qu'ils soient heureux et qu'ils nous pardonnent de porter un doliman au lieu d'un justaucorps.
{Fatmé amène l'Arménien, suivi des esclaves qui ont paru dans la pièce et de ceux dont il y est parlé. Ils forment un ballet et témoignent leur recon- noissance à Zayde, à Hassan et à Dornal.)
Chamfort. II.
■■ I
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LETTRES DIVERSES
LETTRE PREMIÈRE.
A Madame de...
Ie me suis douté, Madame, en rece- vant votre billet et avant de l'ouvrir, qu'il m'arrivoit malheur, et c'étoit pour moi une nouveauté d'ouvrir un billet de vous avec chagrin. Je comptois faire ce soir mon entrée dans mon nouvel établissement d'Auteuil ; mais, ayant différé de deux jours pour vous faire ma cour avant mon départ, il faut bien que je diffère de deux autres pour que les deux premiers ne soient pas perdus. Je crois ce senti- ment-là plus honnête que celui qui fait recourir les joueurs après leur argent; mais, dans le fond, il est à peu près du même genre.
212 LETTRES DIVERSES
Ce sont plusieurs de mes amis qui sont cause que je viens me cacher quelque temps à la cam- pagne dans un assez mauvais temps. Croirez-vous que c'est pour travailler, pour finir ces épîtres de Ninon ' sur lesquelles on ne cesse de m'impatien- ter? N'est-il pas ridicule d'aller vivre sagement pour écrire des folies? Etre fou de sang-froid ou par réminiscence, cela n'est-il pas bizarre? Voilà l'inconvénient de dire à ses amis les choses sur les- quelles on travaille. On ne m'y reprendra plus. Être exposé à finir ce que je commence, à mettre de Tordre dans mes caprices, cela me paroît un peu dur, et je n'en serai plus la dupe.
Je ne vous parle plus, Madame, de mon res- pect ni de ma tendre amitié, qui dureront autant que moi.
LETTRE IL A
Voilà donc, mon ami, comme vous vous con- duisez, vous que je croyois la raison, la prudence,
I. Ces épîtres ont été égarées, ainsi que d'autres papiers, à la mort de l'auteur. Cette perte est probablement sans ressource, car les recherches les plus exactes n'ont pu nous les procurer. (^Note du premier éditeur.)
I
LETTRES DIVERSES 2l3
la sagesse même! A qui se fier après ce que je sais de vous, et sur qui compter désormais? On vous ordonne la plus grande modération dans l'usage de la pensée, et madame M... m'a dit qu'elle avoit reçu de vous une lettre charmante et pleine d'esprit : ce sont ses termes; je n'exagère rien, et je suis bien éloigné de vous chercher des torts. Vous ne pouvez pas la récuser non plus. Elle vous aime, elle a de la candeur et est à mille lieues de toute espèce de médisance, à plus forte raison de calomnie.
Une lettre charmante et pleine d'esprit! Est-il possible ? Quoi! c'est vous qui vous permettez de pareils excès! On est tranquille sur votre compte, et tout d'un coup voilà une infraction de régime qui vient effrayer vos amis. Si madame M... eût dit simplement une lettre charmante, je dirois : «Cela peut se passer; peut-être le mal n'est-il pas si grand qu'on le fait. « Vingt fois j'ai entendu dire : « C'est un ouvrage charmant », et, à la lec- ture, j'ai vu que rien n'étoit plus faux; mais pleine d'esprit ! C'est là ce qui est une faute absolument im- pardonnable. Je ne vous cache pas que je me crois oblige d'en faire avertir M. Tronchin, qui ne plai- sante point dans ces cas-là, et qui saura vous en dire son avis. De l'esprit! Vous n'ignorez pas com- bien la pensée est nuisible à l'homme; que, par cette raison, il n'y a presque point d'homme qui
214 LETTRES DIVERSES
pense la vingtième partie de sa vie; que vous- même, pour avoir pensé seulement la moitié de la vôtre, vous vous en trouvez très-mal. Et voilà que non-seulement vous pensez, mais même vous osez avoir de l'esprit! Vous savez qu'en pleine santé même il ne fait pas sûr de se donner cette licence; que l'esprit entraîne de grands inconvéniens à la ville, à la cour; et c'est vous... Je n'en reviens pas. Bon Dieu! à quoi sert la philosophie? Je ne m'y connois point, mais je soupçonne qu'il y a entre penser et avoir de l'esprit la même diffé- rence qu'il y a entre marcher et courir; et, si cela est vrai, jugez combien vous êtes coupable.
Vous allez me répliquer que vous avez beaucoup d'amitié pour madame M...; qu'au moment où vous avez pris la plume pour répondre à sa lettre, le sentiment a éveillé l'esprit chez vous. Je sais qu'il y en a des exemples, que ce genre d'esprit est le meilleur, le plus rare et le plus aimable, et que vous pouvez être dans ce cas; mais, de bonne foi, pensez- vous que cette excuse me rassure et me satisfasse ? D'abord il s'agiroit de savoir si M.Tronchin vous permet le sentiment. Cela m'é- tonneroit beaucoup dans un médecin aussi habile et qui connoît si bien la nature. Je doute très-fort qu'il vous ait rien prononcé là-dessus, et vous êtes trop honnête pour le compromettre avec la Faculté. On sait assez que le sentiment est presque
LETTRES DIVERSES 2l5
aussi malsain que l'esprit, et, quoiqu'on soît dans l'habitude de le contrefaire et de le jouer encore davantage , parce que la chose est beaucoup plus facile, vous voyez que, dans le vrai, on se le per- met assez rarement. Il est donc clair, mon cher ami, que votre excuse ne seroit qu'une défaite; et, au fond, je ne vois pas comment vous vous en tirerez.
La faute où vous venez de tomber d'une façon si humiliante m'a fait revenir sur le passé, comme il arrive en pareil cas , et je me suis rappelé que les deux dernières fois que j'ai eu le plaisir de vous voir il s'en falloit bien que vous ne fussiez net , et même je me souviens de quelques réflexions un peu vigoureuses ou piquantes qui doivent néces- sairement prendre sur la machine. J'ai songé alors que vous étiez assez mal environné, que mademoi- selle Thomas, outre son esprit, ayant encore celui qui naît du sentiment, peut très-fréquemment re- doubler chez vous les crises de ces deux facultés, ce qui ne sauroit manquer de vous faire beaucoup de tort. Il ne faut pas croire que je sois non plus sans inquiétude sur M. Ducis. Ceux qui ne connoissent que son talent tragique ne savent pas à quel point il est dangereux pour vous, et de combien de fa- çons il peut vous nuire par sa conversation forte, animée et attachante. Vous ne connoissez point, je crois, madame Helvétius; je sais, du moins, que
2l6 LETTRES DIVERSES
VOUS n'allez point chez elle. J'en suis enchanté pour vous...
LETTRE III.
20 août I 765.
Je crois assez connoître votre âme, mon cher ami, pour pouvoir vous donner des conseils utiles à votre bonheur. Garantissez-vous de tout senti- ment vif et profond. J'ai remarqué que toutes les fois que vous êtes vivement affecté de quelque chose vous tombez dans un chagrin qui n'est point cette douce mélancolie si délicieuse pour ceux qui l'éprouvent. De plus, les travaux rendent la gaieté nécessaire à votre santé. Quand un senti- ment profond vous rendroit heureux, du moins est-il certain qu'il ne vous délasseroit pas, et vous avez besoin d'être délassé. Ne craignez pas de per- dre par là cette sensibilité nécessaire à l'homme de lettres; vous en avez reçu une trop grande dose : rien ne peut l'épuiser. La lecture des excellens livres l'entretiendra davantage, sans exposer votre âme à ces secousses violentes qui l'accablent lors- que des nœuds qui nous étoient chers viennent à .j se briser.
Ne donnez jamais à personne aucun droit sur
LETTRES DIVERSES 217
VOUS. La roideur de votre caractère pouvant, par la suite, vous forcer à cesser de les voir, vous au- rez l'air de l'ingratitude. Tenez tout le monde poliment à une grande distance; prosternez-vous pour refuser. Je crois àTamitié, je crois à l'amour (cette idée est nécessaire à mon bonheur); mais je crois encore plus que la sagesse ordonne de re- noncer à l'espérance de trouver une maîtresse et un ami capables de remplir mon cœur. Je sais que ce que je vous dis fait frémir; mais telle est la dé- pravation humaine , telles sont les raisons que j'ai de mépriser les hommes, que je me crois tout à fait excusable.
Si quelqu'un étoit naturellement ce que je vous conseille d'être, je le fuirois de tout mon cœur. Est- on privé de sensibilité, on inspire un senti- ment qui ressemble à l'aversion; est-on trop sen- sible, on est malheureux. Quel parti prendre? Ce- lui de réduire l'amour au plaisir de satisfaire un besoin spontané, en se permettant tout au plus quelque préférence pour tel ou tel objet. Réduire l'amitié à un sentiment de bienveillance propor- tionné au mérite de chacun, c'est le parti que prit Fontenelle, qui avoit toujours les jetons à la main. Vous êtes né honnête : je suis sûr que vous ne pousserez pas cette défiance trop loin. Tout ceci se réduit à dire que votre âme ne doit jamais être inséparablement attachée à l'âme de personne ,
28
21(5 LETTRES DIVERSES
qu'il faut apprécier tout le monde et remplir tous les devoirs de l'honnête homme, et même de l'homme vertueux, d'après des idées justes et dé- terminées, plutôt que d'après des sentimens qui, quoique plus délicieux, ont toujours quelque chose d'arbitraire.
C'est par le travail seul que vous échapperez à l'activité de cette âme qui dévore tout. Le temps que vous emploierez chez vous sera pris sur celui que vous perdriez dans le monde, où vous vous amusez si peu , où vous portez le sentiment tou- jours pénible de la supériorité de votre âme et de l'infériorité de votre fortune , où vous trouvez des raisons de haïr et de mépriser les hommes, c'est-à- dire de renforcer cette mélancolie à laquelle vous êtes déjà trop sujet, qui vous met souvent de mau- vaise humeur et qui vous expose quelquefois à vous faire des ennemis. La retraite assurera en même temps votre repos, c'est-à-dire votre bon- heur, votre santé, votre gloire, votre fortune et votre considération; vous aurez moins d'occasions de vous permettre ces plaisirs qui, sans détruire la santé, affoiblissent au moins la vigueur du corps, donnent une sorte de malaise et détruisent l'équi- libre des passions,
La considération de l'homme le plus célèbre tient au soin qu'il a de ne pas se prodiguer. Ayez toujours cette coquetterie décente qui n'est indi-
LETTRES DIVERSES 219
gue de personne. Votre gloire y gagnera aussi; l'emploi de votre temps l'augmentera nécessaire- ment, et, par la même raison, votre fortune : car, croyez-moi, ne comptez jamais que sur vous.
Il y a encore une chose que je ne saurois trop vous recommander, et qui vous est plus difficile qu'à un autre : c'est l'économie. Je ne vous dis pas de mettre du prix à l'argent, mais de regarder l'économie comme un moyen d'être toujours indé- pendant des hommes , condition plus nécessaire qu'on ne croit pour conserver son honnêteté.
LETTRE IV.
A Madame S...
Barèges, le i 5 septembre.
Quoi ! Madame, vous avez eu la bonté d'aller voir mon nouveau taudis! Je vous reconnois bien là. Vous êtes contente de mon logement; mais moi je ne le suis point : je m'y prends trop tard pour me loger près de la rue Louis-le-Grand.
Madame de Grammont est partie depuis le commencement du mois. Il me seroit impossible de désirer autre chose que ce que j'ai trouvé en elle, et nous avons fini encore mieux que nous n'avions commencé. J'ai toutes sortes de raisons
220 LETTRES DIVERSES
d'être enchanté de mon voyage de Barèges. Il sem- ble qu'il devoit être la fin de toutes les contradic- tions que j'ai éprouvées, et que toutes les circon- stances se sont réunies pour dissiper ce fond de mélancolie qui se reproduisoit trop souvent. Le retour de ma santé , les bontés que j'ai éprouvées de tout le monde, ce bonheur si indépendant de tout mérite, mais si commode et si doux, d'inspi- rer de l'intérêt à tous ceux dont je me suis occupé ; quelques avantages réels et positifs, les espérances les mieux fondées et les plus avouées par la raison la plus sévère, le bonheur public et celui de quel- ques personnes à qui je ne suis ni inconnu ni in- différent, le souvenir tendre de mes anciens amis, le charme d'une amitié nouvelle, mais solide, avec un des hommes les plus vertueux du royaume, plein d'esprit, de talent et de simplicité, M. du Paty, que vous connoissez de réputation ; une au- tre liaison non moins précieuse avec une femme aimable que j'ai trouvée ici et qui a pris pour moi tous les sentimens d'une sœur, des gens dont je devois le plus souhaiter la connoissance et qui me montrent la crainte obligeante de perdre la mienne, enfin la réunion des sentimens les plus chers et les plus désirables : voilà ce qui fait, depuis trois mois, mon bonheur; il semble que mon mauvais génie ait lâché prise, et je vis, depuis trois mois, sous la baguette de la fée bienfaisante.
LETTRES DIVERSES 221
D'après ce détail, vous croiriez que je vis envi- ronné de tout ce que j'ai trouvé d'aimable ici, sous un beau ciel et dans une société charmante : non, je vis sous une douche brûlante ou dans une bouilloire cachée au fond d'un cachot. Tout ce que je distinguois est parti de Barèges. Il y fait un temps exécrable, et le brouillard ne laisse point soupçonner que les Pyrénées soient sur ma tête; mais je n'en suis pas moins heureux : j'avois be- soin de revenir sur les sentimens agréables dont j'ai joui avec trop de précipitation; je les recueille avec une joie mêlée de surprise. Mes idées sont faciles et douces, tous les mouvemens de mon cœur sont des plaisirs : voilà le vrai beau temps, et le ciel est d'azur.
Le ton de cette lettre est un peu différent de celles que je vous écrivois, Madame, de la rue de Richelieu, et même de quelques conversations que je me souviens d'avoir eues avec vous il y a cinq ou six mois. Que voulez-vous ? je vous montrois mon âme alors comme je vous la montre aujour- d'hui, « L'homme est ondoyant, » dit Montaigne. J'étois de fer pour repousser le mal, je suis de cire pour recevoir le bien. Les différentes philosophies sont bonnes; il ne s'agit que de les placer à pro- pos. Zenon n'avoit pas tort; Epicure avoit raison. Le régime d'un malade n'est pas celui d'un conva- lescent; celui d'un convalescent n'est pas celui d'un
222 LETTRES DIVERSES
athlète. Je me trouve bien de ma manière d'être actuelle; je reviendrois à l'autre s'il le falloit, mais je tâcherai d'écarter ce qui pourroit la rendre né- cessaire. Je n'y sais que cela.
Madame de Tessé et M. le duc d'Ayen ont passé ici quelques jours. J'ai fort à me louer de leurs bontés; je n'ai cependant point accepté l'of- fre de madame de Tessé pour Luchon. Je vous dirai pourquoi.
Je pars d'ici vers la fin de septembre. Je comp- tois m'en aller en droiture à Paris; je pressentois le besoin que j'aurois de revoir mes anciens amis, car je ne veux rien perdre; mais j'ai de nouvelles raisons de me priver encore de ce plaisir. M. de B... a trouvé absurde que je négligeasse l'occasion de voir M. de Choiseul; il prétend que ma con- noissance avec M. de Gr... pourroit finir par n'être qu'une connoissance des eaux. C'est ce qui ne peut jamais arriver. Il est actuellement à Chan- teloup; il peut s'en assurer par lui-même, et, entre nous, je crois qu'il ne laissera pas d'être un peu surpris. Quoi qu'il en soit, je défère à son conseil et à celui de mes amis, qui blâment mon peu d'em- pressement sur cela. Mais je ne serai à Chanteloup qu'à la fin d'octobre; j'y resterai le temps qu'il conviendra. J'étois fort tenté de m'en retourner par le Languedoc pour voir la Provence, qui est un fort beau pays.
LETTRES DIVERSES 22?
Voulez-vous bien, Madame, présenter mes res- pects à M. S...? Je vous adresserois aussi bien des compiimens pour les personnes que vous savez, si je ne craignois que quelques-unes, s'imaginant que ma lettre contient quelques bonnes histoires des eaux, ne s'avisassent de vous la demander, et je vous prie de vouloir bien ne pas la leur lire.
Conservez, je vous prie. Madame, votre santé, celle de M. S..., votre bonheur commun, vos bontés pour moi, et recevez les assurances de mon respect et de ma tendre amitié.
LETTRE V. A
Vous me demandez, mon ami, si ce n'est pas une espèce de singularité qui me fait voir la litté- rature sous l'aspect où je la vois; s'il est vrai que je sois dans le cas de jouir d'une fortune un peu plus considérable que celle de la plupart des gens de lettres; et enfin vous voulez que je vous con- fie, sous le sceau de l'amitié, quels sont les moyens que j'ai employés pour arriver à ce terme que vous supposez avoir été le but de mon ambition. Voilà, ce me semble, les divers objets de votre curiosité, autant que je puis le ré-
224 LETTRES DIVERSES
sumer de votre longue lettre. Mes réponses seront simples.
Mais je commence par vous dire que je suis presque offensé de voir que vous me supposiez un plan de conduite à cet égard. Mon tour d"'esprit, mon caractère et les circonstances ont tout fait, sans aucune combinaison de ma part. J'ai toujours été choqué de la ridicule et insolente opinion, ré- pandue presque partout, qu'un homme de lettres qui a quatre ou cinq mille livres de rente est au périgée de la fortune. Arrivé à peu près à ce terme, j'ai senti que j'avois assez d'aisance pour vivre soUtaire , et mon goût m'y portoit natu- rellement; mais, comme le hasard a fait que ma société est recherchée par plusieurs personnes d'une fortune beaucoup plus considérable, il est arrivé que mon aisance est devenue une véri- table détresse, par une suite des devoirs que m'imposoit la fréquentation d'un monde que je n'avois pas recherché. Je me suis trouvé dans la nécessité absolue ou de faire de la littérature un métier pour suppléer à ce qui me manquoit du côté de la fortune, ou de solliciter des grâces, ou enfin de m'enrichir tout d'un coup par une retraite subite. Les deux premiers partis ne me convenoient pas; j'ai pris intrépidement le dernier. On a beau- coup crié; on m'a trouvé bizarre, extraordinaire. Sottises que toutes ces clameurs. Vous savez que
LETTRES DIVERSES 225
j'excelle à traduire la pensée de mon prochain. Tout ce qu'on a dit à ce sujet vouloit dire : « Quoi ! n'est-il pas suffisamment payé de ses peines et de ses courses par l'honneur de nous fréquenter, par le plaisir de nous amuser, par l'a- grément d'être traité par nous comme ne l'est au- cun homme de lettres? »
A cela je réponds : J'ai quarante ans. De ces petits triomphes de vanité dont les gens de lettres sont si épris, j'en ai par-dessus la tête. Puisque, de votre aveu, je n'ai presque rien à prétendre, trouvez bon que je me retire. Si la société ne m'est bonne à rien, il faut que je commence à être bon pour moi-même. Il est ridicule de vieillir en qua- lité d'acteur, dans une troupe où l'on ne peut pas même prétendre à la demi-part. Ou je vivrai seul, occupé de moi et de mon bonheur; ou, vivant parmi vous, j'y jouirai d'une partie de l'aisance que vous accordez à des gens que vous-mêmes vous ne vous aviseriez pas de me comparer. Je m'inscris en faux contre votre manière d'envisager les hommes de ma classe. Qu'est-ce qu'un homme de lettres, selon vous, et, en vérité, sçlon le fait établi dans le monde ? C'est un homme à qui on dit : « Tu vivras pauvre et trop heureux de voir ton nom cité quelquefois; on t'accordera, non quelque considération réelle, mais quelques égards flatteurs pour ta vanité, sur laquelle je compte, et non pour Chamfort. — II. 29
220 LETTRES DIVERSES
Tamour-propre qui convient à un homme de sens. Tu écriras, tu feras des vers et de la prose pour lesquels tu recevras quelques éloges, beaucoup d'injures et quelques écus, en attendant que tu puisses attraper quelques pensions de vingt-cinq louis ou de cinquante, qu'il faudra disputer à tes rivaux en te roulant dans la fange, comme le fait la populace aux distributions de monnoie qu'on lui jette dans les fêtes publiques. »
J'ai trouvé, mon ami, que cette existence ne me convenoit pas; et, méprisant à la fois la glo- riole des grandeurs et la gloriole littéraire, j'ai immolé l'une et l'autre à l'honneur de mon carac- tère et à l'intérêt de mon bonheur. J'ai dit tout haut : « J'ai fait mes preuves de désintéressement, et je ne solliciterai pas. J'ai très-peu, mais j'ai au- tant ou plus que quantité de gens de mérite. Ainsi, je ne demande rien; mais il faut que vous me laissiez à moi-même : il n'est pas juste que je porte en même temps le poids de la pauvreté et le poids des devoirs attachés à la fortune. J'ai une santé délicate et la vue basse; je n'ai gagné jusqu'à pré- sent dans le monde que des boues, des rhumes, des fluxions et des indigestions , sans compter le risque d'être écrasé vingt fois par hiver. Il est temps que cela finisse, et, si cela n'est pas terminé à telle époque, je pars. »
Voilà, mon ami, ce que j'ai dit; et, si vous
LETTRES DIVERSES 227
VOUS étonnez que cela ait pu produire autant d'ef- fet, il faut savoir qu'une première retraite de six mois, où j'avois trouvé le bonheur, a prouvé invinciblement que je n'agissois ni par humeur ni par amour- propre. Il reste à vous, expli- quer pourquoi on se faisoit une peine de me voir prendre le parti de la retraite. C'est, mon ami, ce que je ne puis vous développer, au moins dans le même détailj; mais je puis vous dire sans que vous deviez me soupçonner de vanité, je puis vous dire que mes amis savent que je suis propre à plusieurs choses hors de la sphère de la littéra- ture. Plusieurs d'entre eux se sont unis pour me servir : les uns n'ont écouté que leur sentiment; d'autres ont fait entrer dans leur sentiment quelque calcul et quelque intérêt, et, les circonstances étant favorables, il en est résulté la petite révolution que vous jugez si heureuse.
LETTRE VI.
A M. l'abbé Koman.
4 mars i 784.
C'est un vœu que j'ai fait, mon cher ami, de vous répondre toujours à l'instant où j'aurai reçu votre lettre, et je n'ai pas besoin d'effort pour le
228 LETTRES DIVERSES
remplir. Il m'en faudroit pour différer, et je ne veux pas lutter contre moi-même.
Ah ! mon ami, que j'ai été étonné de voir que je diffère de vous dans la chose par laquelle je vous ressemble! Vous convenez que vous avez pris la meilleure part, et vous ne souhaitez pas que j'obtiennne un lot pareil; vous me le dites parce que vous le sentez. Cette raison est sans doute très-bonne; mais pourquoi ou plutôt comment le sentez-vous? Voilà ce qui m'étonne. Quoi! cette malheureuse manie de célébrité, qui ne fait que des malheureux, trouve encore un partisan, un protecteur! Avez-vous oublié qu'elle exige presque autant de misères, de sottises, de bassesses même que la fortune? Et quel en est le fruit? Beaucoup moindre, et surtout plus ridicule. Son effet le plus certain est de vous apprendre jusqu'où va la méchanceté humaine en vous rendant l'objet de la haine la plus violente et des procédés les plus affreux de la part de ceux qui ne peuvent partager cette fumée et qui sont jaloux de quelques misé- rables distinctions, presque toujours ennuyeuses et fatigantes, surtout pour moi, qui ai tout jugé.
J'ai aimé la gloire, je l'avoue; mais c'étoit dans un âge où l'expérience ne m'avoit point appris la vraie valeur des choses, où je croyois qu'elle pou- voit exister pure et accompagnée de quelque re- pos, où je pensois qu'elle étoit une source de
I
LETTRES DIVERSES 220
jouissances chères au cœur, et non une lutte éter- nelle de vanité; quand je croyois que, sans être un moyen de fortune, elle n'étoit pas du moins un titre d'exclusion à cet égard. Le temps et la ré- flexion m'ont éclairé; je ne suis pas de ceux qui peuvent se proposer de la poussière et du bruit pour objet et pour fruit de leurs travaux. Apollon ne promet qu'un nom et des lauriers : voilà ce que disoit Boileau avec quinze mille livres de rente des bienfaits du roi, qui en valoient plus de trente d'à présent; voilà ce que disoit Racine en rapportant plus d'une fois de Versailles des bourses de mille louis. Cela ne laisse pas que de consoler de la ri- valité et de la haine des Pradon et des Boyer. Encore ne put-il pas y tenir et laissa-t-il, à trente- six ans, cette carrière de gloire et d'infamie qui depuis lui est devenue cent fois plus turbulente et plus avilissante. Pour moi, qui dès mon premier succès me suis attiré, sans l'avoir mérité le moins du monde, la haine d'une foule de sots et de mé- chans, je regarde ce mal comme un très-grand bonheur; il me rend à moi-même, il me donne le droit de m'appartenir exclusivement; et, les amis les plus puissans ayant plus d'une fois fait d'inutiles efforts pour me servir, je me suis lassé d'être un superflu, une espèce de hors-d'œuvre dans la so- ciété. Je me suis indign'é d'avoir si souvent la preuve que le mérite dénué, né sans or et sans
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parchemins, n'a rien de commun avec les hommes, et j'ai su tirer de moi plus que je ne pouvois es- pérer d'eux. J'ai pris pour la célébrité autant de haine que j'avois eu d'amour pour la gloire ; j'ai retiré ma vie tout entière dans moi-même : penser et sentir a été le dernier terme de mon existence et de mes projets. Mes amis se sont réunis inuti- tilement pour ébranler ma fermeté : tout ce que j'écris comme à mon insu, et pour ainsi dire malgré moi , ne sera tout au plus que titulus nomenque sepulcri.
J'ai ri de bon cœur à l'endroit de votre lettre où vous me dites que vous m'avez cherché dans les journaux : vous m'avez paru ressembler à un étran- ger qui, ayant entendu parler de moi dans Paris, me chercheroit dans les tabagies et dans les tripots de jeu. J'en étois là depuis long-temps, lorsque je fis la rencontre d'un être dont le pareil n'existe pas dans sa perfection, relative à moi, qu'il m'a montrée dans le court espace de deux ans que nous avons passés ensemble. C'étoit une femme, et il n'y avoit pas d'amour parce qu'il ne pouvoit y en avoir, puisqu'elle avoit plusieurs années de plus que moi; mais il y avoit plus et mieux que de l'a- mour, puisqu'il existoit une réunion complète de tous les rapports d'idées, de sentimens et de posi- tions. Je m'arrête ici, parce que je sens que je ne pourrois finir. Je l'ai perdue après six mois de se-
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jour à la campagne, dans la plus profonde et la plus charmante solitude. Ces six mois, ou plutôt ces deux ans, ne m*ont paru qu'un instant dans ma vie; mais le bonheur d'être loin de tout ce que j'ai vu sur cette scène d'opprobres qu'on appelle littérature, et sur cette scène de folies et d'iniqui- tés qu'on appelle le monde, m'auroit suffi et me suffira toujours, au défaut du charme d'une société douce et d'une amitié délicieuse. L'indépendance, la santé, le libre emploi de mon temps, l'usage, même l'usage fantasque de mes livres : voilà ce qu'il me faut, si ce n'est point ce qui me suffit. C'est ce que m'enlèvera nécessairement le succès que vous avez la cruauté de souhaiter, et qui mal- heureusement est devenu, depuis ma dernière let- tre, encore plus vraisemblable'. L'âne qui ne veut point mordre son voisin, ni en être mordu devant un râtelier vide, sera forcé, s'il est changé en che- val bien pansé devant un râtelier plein, de faire quelques courses et de manéger pour gagner son avoine; et, quand je songe qu'en se déplaçant il aura plus d'avoine qu'il n'en pourra manger, je suis bien près de penser qu'il fait un marché de dupe.
Vous voyez par là, mon ami, combien je suis
I . On proposoit à Chamfort une place de secrétaire des commandemens à la cour. [Note du premier éditeur.)
23:
LETTRES DIVERSES
attaché aux sentimensqi^i m'appellent à la retraite, et vous le verriez bien davantage si vous pouviez savoir, fortune mise à part, combien ma position m'offre de côtés agréables, quels combats j'ai à soutenir contre les amis les plus tendres et les plus dévoués, quels efforts il me faut pour repousser ou prévenir les sacrifices qu'ils voudroient faire pour me retenir. Quelle est donc cette invincible fierté et même cette dureté de cœur qui me fait rejeter des bienfaits d'une certaine espèce, quand je con- viens que je voudrois faire pour eux plus qu'ils ne peuvent faire pour moi? Cette fierté les afflige et les offense ; je crois même qu'ils la trouvent pe- tite et misérable , comme mettant un trop haut prix à ce qui devroit en avoir si peu. Mon ami, je n'ai point, je crois, les idées petites et vulgaires répandues à cet égard; je ne suis pas non plus un monstre d'orgueil; mais j'ai été une fois empoi- sonné avec de l'arsenic sucré, je ne le serai plus : manet alta mente repostum. Vous me dites que vous tenez mon âme dans ma première lettre; il en est restéquelque chose, jecrois, pour la seconde. J'accepte, mon ami, avec un sentiment bien vif, l'offre que vous me faites de parcourir avec moi la Provence pour chercher l'asile qui me con- vient, et je me fais d'autant plus de plaisir de l'ac- cepter que je ne vous ferai pas faire un grand voyage : il faudra que votre pays ait de grands in-
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convéniens si la retraite la plus proche de vous n*est pas celle qui me convient le mieux.
Je vous avois promis des nouvelles littéraires; mais, par mon mouvement personnel, je suis bien froid sur cet article, et j'ai besoin, pour vous en envoyer, de songer que vous y mettez quelque in- térêt. On joue à présent avec un grand succès, malgré de grandes huées sur la scène et de gran- des réclamations et indignations à Paris et à Ver- sailles, le Mariage de Figaro de Beaumarchais. C'est un ouvrage plein d'esprit, même de comique et de talent, mais qui n'en est pas moins mons- trueux par le mélange de choses du plus mauvais ton et de trivialités. Les loges sont retenues jus- qu'à la dixième, et d'autres disent jusqu'à la ving- tième représentation. Le spectacle, sans petite pièce, ne dure plus que trois heures un quart, de- puis les retranchemens qu'on y a faits. Je ne vous parle point du Jaloux, du mauvais Coriolan de La Harpe : les journaux se sont chargés de cela. Un mot sur les Danaïdes, opéra nouveau oii Gluck a mis la main : c'est un ouvrage de Topinambous, à jouer devant des cannibales ; on dit pourtant que cela n'aura qu'une douzaine de représentations.
Parlons de notre Académie. M. de Montesquiou a eu toutes les voix : c'est qu'on a vu que tout partage seroit inutile, et il faisoit plaisir en se pré- sentant à l'Académie ; il écartoit l'abbé Maury, dont
3o
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plusieurs ne veulent pas entendre parler. Mon amusement actuel est de voir comment ils feront pour l'évincer à la première vacance, qui est très- prochaine, si elle n'est ouverte par la mort de M. de Pompignan. L'abbé a huit ou dix voix tout au plus; mais les autres gens de lettres, ses rivaux, n'en ont pas à beaucoup près autant. Personne n'y est appelé d'une manière positive. Prendre encore un homme de qualité seroit le comble du mauvais goût et le chef-d'œuvre du ridicule. Comment s'en tireront-ils? Je me divertirai des intrigues : ce sont mes seuls jetons; je n'en ai point d'autres. J'y vais si peu que je n'ai pas fait la moitié d'une bourse à jetons qu'on m'avoit demandée.
Adieu, mon ami; je n'ai plus que le temps de vous dire encore un petit mot de moi. Ma mère se porte à merveille, et n'a d'autre incommodité que de ne pouvoir faire usage de ses jambes; mais j'ai bien peur que cette seule incommodité n'a- brège les jours d'une personne aussi vive et plus impatiente, à quatre-vingt-quatre ans, que je ne l'ai jamais été. Il me semble que, si je restois en place une année, je ne pourrois plus vivre, et cette idée m'afflige sensiblement sur son état, quoiqu'on me mande d'ailleurs tout ce qui peut me rassurer. Adieu encore une fois; je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur. Il me semble que nous n'avons pas cessé de nous entendre.
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LETTRE VII.
Au même.
Paris, 5 octobre.
Que devez-vous penser de moi, mon cher ami, et d'un si long silence? Vous devez croire que tous les maux réunis ont fondu sur ma tête. Hé- las! vous ne vous tromperiez pas beaucoup. Il y a deux mois et demi que j'ai eu le malheur de perdre ma mère, et ce n'est pas vous qui vous étonnerez de l'effet qu'a pu faire sur moi cette affligeante nouvelle; ce n'est pas vous qui me direz que quatre-vingt-cinq ans étoient un âge qui devoit me préparer à ce malheur, et que quinze ans d'absence dévoient me le faire trou- ver moins terrible. La raison dit tout cela, et le sentiment paye son tribut. Je n'en dirai pas da- vantage, craignant surtout d'avoir déjà trop réveillé chez vous le sentiment d'une perte qui vous a rendu si longtemps malheureux et qui ne sera de long- temps oubliée. Mon second malheur est d'avoir eu pendant deux mois une fièvre double tierce, suivie d'une convalescence très-pénible et qui n'est pas terminée. Je ne sais comment toute ma personne étoit devenue un amas de bile, ce qui
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m'a empêché d'avoir recours au quinquina : c'est la nature qui m'a guéri, comme elle eût fait avant la découverte du spécifique. C'est un mois de plus qu'il m'en a coûté, et un mois de peines et de souffrances , pendant lequel il m'a été impossible d'écrire. Vous mander de mes nouvelles par une main étrangère, c'est ce que je n'ai pas voulu, dans la crainte que vous ne me crussiez mort; et d'ailleurs je suis d'une stupidité rare pour dicter.
Je passe, mon ami, à un autre article, dont je vous ai déjà touché quelque chose : c'est le projet d'aller vous trouver en Provence. Quand il n*y auroit eu d'obstacle que ma maladie, il ne pouvoit s'effectuer et ne le pourroit même encore qu'au mois de décembre; encore cela ne seroit-il pos- sible que dans le cas oii j'aurois un compagnon pour aller en chaise de poste : car d'aller par les voitures publiques dans cette saison, c'est ce qui me seroit aussi difficile qu'un pèlerinage dans le Sirius. Mais, mon ami, il y a d'autres obstacles encore plus grands : ce sont ceux qui naissent de ma nouvelle position. Vous avez peut-être lu dans les papiers publics qu'on a obtenu pour moi la place de secrétaire du cabinet de madame Elisa- beth, sœur du roi. Cette place vaut deux mille francs, et, quoiqu'elle ne m'enrichisse pas pour ce moment-ci, puisque dans la maison du roi les pre- mières échéances ne se payent qu'à un terme fort
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reculé, il n'en est pas moins vrai que je suis lié par la reconnoissance et par l'attachement aux personnes qui ont sollicité et obtenu cette place pour moi, tandis que j'étois cloué dans mon lit de- puis six semaines; je passerois pour un être sau- vage et indomptable, un misanthrope désespéré, et je serois condamné universellement. Il faut vous dire, de plus, qu'indépendamment de ma nouvelle place, ma liaison avec M. le comte de Vaudreuil est devenue telle qu'il n'y a plus moyen de penser à quitter ce pays-ci : c'est l'amitié la plus parfaite et la plus tendre qui se puisse imaginer. Je ne sau- rois vous en écrire les détails; mais je pose en fait que, hors l'Angleterre, où ces choses-là sont sim- ples, il n'y a presque personne en Europe digne d'entendre ce qui a pu rapprocher par des liens si forts un homme de lettres isolé, cherchant à l'être encore plus, et un homme de la cour jouissant de la plus grande fortune et même de la plus grande faveur. Quand je dis des liens si forts, je devrois dire si tendres et si purs : car on voit souvent des intérêts combinés produire entre des gens de let- tres et des gens de la cour des liaisons très-con- stantes et très-durables; mais il s'agit ici d'amitié, et ce mot dit tout dans votre langue et dans la mienne. Voilà, mon ami, quelles sont les raisons qui m'empêchent d'aller vous chercher, et qui vrai- semblablement me priveront toujours du plaisir de
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VOUS voir dans votre retraite de Provence. Il n'en falloit pas moins, je vous assure : car, quoique, dans votre dernière lettre, vous eussiez eu la bar- barie de vouloir me retenir dans la capitale, tou- jours par votre manie de me voir une plus grande fortune, il est pourtant certain que j'aurois juré au mois de mai dernier de ne pas passer l'hiver à Pa- ris. Les obstacles étoient de nature à pouvoir être vaincus, et ma fortune n'en étoit pas un. Vous m'avez mandé qu'il falloit, pour vivre agréable- ment en Provence, avoir trois mille livres de rente : au temps où vous me parliez, j'en avois quatre mille. Je posois la barre à ce terme, et je n'étois pas mécontent : c'est vous qui avez voulu que j'al- lasse plus loin. Vous voilà satisfait, et il y a à pa- rier que d'ici à six mois vous le serez infiniment davantage. Il restera ensuite à satisfaire votre au- tre manie, que j'aie de la célébrité. Je ne promets pas que j'y réussisse également; mais, soit que cette fantaisie me prenne, soit que je garde ma répugnance pour cette célébrité, dont vous parois- sez faire trop de cas, il est sûr que, tranquille sur mon avenir, je travaillerai beaucoup davantage et même mieux, et que j'aurai plus de titres à cette célébrité sije les manifeste : ce que j'ignore, car je suis bien endurci dans le péché. Je crois que vous seriez de mon bord si, comme moi, vous veniez voir de suite et longtemps notre public parisien.
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Au surplus, alors comme alors : je ne suis pas d'une pièce; je suis immuable quand les choses ne chan- gent pas, mais je suis mobile quand elles changent, et surtout quand elles changent à mon avantage.
J'apprends que l'on a été très-content de notre ambassadeur à Marseille, et c'est pour moi une joie très-vive. J'espère qu'on le sera partout, et on le seroit bien davantage si on connoissoit l'ha- bitude de ses sentimens intérieurs. C'est un de ces êtres qui ont contribué, par leurs vertus et leur commerce, .\ me réconcilier avec l'espèce humaine. Il faut qu'il ait prévu de grandes tribulations dans son ambassade, puisque la dernière lettre qu'il m'é- crit finit par ces mots : Ah! mon ami, quand dîne- rons-nous ensemble au restaurateur? J'oublie de vous dire qu'il est cause que je n'ai pu répondre à votre avant-dernière lettre, parce que j'ai passé avec lui exactement les quatre derniers jours de son séjour à Paris, et c'est l'époque où votre lettre m'arriva.
Adieu, mon ami; je vous aime et vous embrasse très- tendrement. J'espère que notre correspon- dance ne sera plus interrompue, et que la suite de contre -temps qui m'ont mis en arrière n'arrivera qu'une fois en la vie. Donnez-moi de vos nou- velles en détail, et ne me parlez que de vous. Je vous donne un bel exemple à cet égard. Je vous avertis que je me sais par cœur, et à la fin on se lasse de soi. Adieu encore. Vale et ama.
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LETTRE VIII.
A M. de V...
1 3 décembre i 788.
Je vois que vous vous souvenez de la Requête des filles sur le renvoi des évêques, et que vous voudriez donner un frère ou une sœur à cette ba- gatelle dont vous êtes le parrain; mais je vous as- sure qu'il me serôit impossible de faire un ouvrage plaisant sur un sujet aussi sérieux que celui dont il" s'agit. Ce n'est pas le moment de prendre les crayons de Swift ou de Rabelais, lorsque nous touchons peut-être à des désastres; et je pense qu'un écrivain qui jetteroit du ridicule sur tous les partis seroit lapidé à frais communs. Je ne pour- rois donc faire qu'un ouvrage sérieux, et de quoi serviroit-il ? S'il n'y en a pas encore qui présente sous tous les points de vue cette intéressante ques- tion, il en existe un grand nombre qui, par leur réunion, l'éclaircissent suffisamment. En effet, de quoi s'agit-ii? d'un procès entre vingt-quatre mil- lions d'hommes et sept cent mille privilégiés ' . J'en-
I. Il n'y en avoit pas cent mille, mais on en croyoit sept cent mille. [Note du premier éditeur.)
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tends dire que la haute noblesse forme des ligues pousse des cris, etc. : c'est ici, je crois, qu'on peut accuser la maladresse de la plupart des écrivains qui ont manié cette question. Que n'ont-ils dit aux grands privilégiés : « Vous croyez qu'on vous at- taque personnellement, qu'on veut vous attaquer... Point du tout : une grande nation peut élever et voir au-dessus d'elle quelques familles distinguées, trois cents, quatre cents, plus ou moins; elle peut rendre cet hommage à d'antiques services, à d'an- ciens noms, à des souvenirs ; mais, en conscience, peut-elle porter sept cent mille anoblis qui, quant à l'impôt, quant à l'argent, sont aux mêmes droits que les Montmorency et les plus anciens chevaliers François? Plaignez-vous de la fatalité qui fait mar- cher à votre suite cette épouvantable cohue ; mais ne brûlez pas la maison qui ne peut la loger. Ne sommes- nous pas accablés, anéantis sous cette même fatalité qui enfin a mis en péril ce que vous appelez vos droits et vos privilèges? Ne voyez- vous pas qu'il faut nécessairement qu'un ordre de choses aussi monstrueux soit changé, ou que nous périssions tous également, clergé, noblesse, tiers état? » Je suis vraiment affligé qu'on n'ait point dit et répété partout cette observation : elle eût ramené les esprits prévenus; elle eût désarmé l'a- mour-propre; elle eût intéressé l'orgueil aux suc- tcès de la raison, et peut-être eût-elle sauvé aux Chamfort. II. 3i
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notables l'opprobre ineffaçable dont ils viennent de se couvrir à pure perte. Un autre avantage de cette réflexion , c'est qu'elle eût sur-le-champ fait apprécier le moyen terme que quelques-uns pro- posent ridiculement : celui d'appeler, pour le seul consentement à l'impôt, le tiers état, à l'égalité numérique, en ne l'admettant que pour un tiers seulement à délibérer sur les objets de législation générale. Qui est-ce qui me fait cette proposi- tion? Est-ce un membre de l'ancienne chevalerie? est-ce un secrétaire du roi, du grand collège, du petit collège, car tous ont le droit de parler ainsi? Je réponds à ce dernier... Mais non, je ne réponds pas : vous sentez que j'aurois trop d'avantage. Per- mettre à un peuple de défendre son argent et lui ravir le droit d'influer sur les lois qui doivent dé- cider de son honneur et de sa vie, c'est une in- sulte, c'est une dérision. Non, cela ne sera point, cela ne sauroit être; la nation ne le souffrira pas, et, si elle le souffre, elle mérite tous les maux dont elle est menacée.
Mais on parle des dangers attachés à la trop grande influence du tiers état; on va même jusqu'à prononcer le mot de démocratie. La démocratie! dans un pays où le peuple ne possède pas la plus petite portion du pouvoir exécutif ! dans un pays où le plus mince suppôt de l'autorité ne trouve partout qu'obéissance et même trop souvent abjec-
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tion, OÙ la puissance royale ne vient que de ren- contrer des obstacles de la part des corps (dont presque tous les membres sont nobles ou anoblis), où le luxe le plus effréné et la plus monstrueuse inégalité des richesses laisseront toujours d'homme à homme un trop grand intervalle ! Quel pays plus libre que l'Angleterre ? et en est-il un où la supé- riorité du rang soit plus marquée, plus respectée, quoique l'inférieur n'y soit pas écrasé impunément? Que de faux prétextes, que d'ignorance, ou plutôt que de mauvaise foi ! Pourquoi ne pas dire nette- ment, comme quelques-uns : « Je ne veux pas payer » ? Je vous conjure de ne pas juger des au- tres par vous-même. Je sais que, si vous aviez cinq ou six cent mille livres de rente en fonds de terre, vous seriez le premier à vous taxer fidèlement et rigoureusement; mais vous vous rappelez l'offre généreuse faite par le clergé pendant la première assemblée des notables , et l'indigne réclamation qu'il a faite ensuite en faveur de ses immunités. Vous voyez le parlement feindre d'abandonner les siennes, et l'instant d'après se ménager les moyens de les conserver et même d'accroître son existence. Enfin, vous savez ce qui vient de se passer, et ce qui a si bien mis en évidence le projet formel de maintenir les privilèges pécuniaireS: M. de Chabot et M. de Castries, ayant consigné dans un mé- moire leur abandon de ces privilèges pour ne
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conserver que leurs droits honorifiques, n'ont pu trouver ni nobles ni anoblis qui voulussent signer après eux. Les gentilshommes bretons ne nous di- sent-ils pas qu'il n'est pas en leur pouvoir de se dessaisir de leurs privilèges utiles, que c'est l'héri- tage de leurs enfans, que ces droits seroient ré- clamés par eux tôt ou tard ? Et c'est ainsi qu'ils intéressent leur conscience à faire de l'oppression du foible le patrimoine du fort, de l'injustice la plus révoltante un droit sacré, enfin de la tyrannie un devoir. Je l'ai entendu... et vous voulez que j'écrive ! Ah! je n'écrirois que pour consacrer mon mépris et mon horreur pour de pareilles maximes.... Je craindrois que le sentiment de l'humanité ne remplît mon âme trop profondément et ne m'in- spirât une éloquence qui enflammât les esprits déjà trop échauffés; je craindrois de faire du mal par Texcès de l'amour du bien. Je m'effraye de l'ave- nir : je vois mettre aux plus petits détails une suite et un intérêt qui m'étonnent moi-même; on fait des listes de ceux qui ont été pour et de ceux qui ont été contre le peuple; on prête, on ôte tour à tour tel ou tel propos, bon ou mauvais, à tel ou tel homme. Pour mon compte, j'ai nié hardiment un mot attribué à M. le comte d'Artois, Ce mou- vement machinal, chez moi, a été l'effet de ma re- connoissance pour les marques de bonté que vous m'avez attirées de sa part. On suppose que ce
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prince a dit à un notable , dont l'avis avoit été fa- vorable au peuple : Est-ce que vous voulez nous en- raturer? Je ne crois point ce mot; mais, s'il a été dit, le notable pouvoit répondre: « Non, Mon- seigneur; mais je veux anoblir les François en leur donnant une patrie. » On ne peut anoblir les Bourbons, mais on peut encore les illustrer en leur donnant pour sujets des citoyens, et c'est ce qui leur a toujours manqué. C'est bien M. le comte d'Artois qui y est le plus intéressé ; c'est bien lui qui peut dire, à la vue de ses enfans : Posteri, posterij vestra res agitur. C'est de cette époque que tout va dépendre. J'ose affirmer que, si les privi- légiés pouvoient avoir le malheur de gagner leur procès, la nation, écrasée au dedans, seroit pour des siècles aussi méprisable au dehors qu'elle est maintenant méprisée. Elle seroit, à l'égard de ses voisins réunis, ce que le Portugal est à l'Angle- terre, une grande ferme, où ils récolteroient, en lui faisant la loi, ses vins, ses moissons, ses den- rées, etc. Si, au contraire, il arrive ce qui doit ar- river et ce qui est presque infaillible, je ne vois que prospérité pour la nation entière et pour ces pri- vilégiés si aveugles, si ennemis d'eux-mêmes, qui n'aperçoivent pas que l'aisance du pauvre fait par- tie de l'opulence du riche; pour les premiers hom- mes de l'État, qui ne voient pas qu'il n'y a de liberté et de dignité particulière que sous la sauve-
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garde de la liberté publique et de l'honneur na- tional. Eh ! grand Dieu, que peuvent-ils craindre pour leurs dignités ? Est-ce le tiers état qui les leur enlèvera? est-ce le tiers état qui arrivera aux places de la cour, aux grands emplois? Craignent-ils pour leurs fortunes? N'est-ce pas un 'fait avéré qu'en Angleterre les grandes fortunes territoriales des familles illustres ne datent que de la révolution de 1688? C'est le fruit du rehaussement dans la va- leur des terres, effet de la liberté publique et d'un accroissement marqué dans l'industrie nationale , qui l'un et l'autre tournent toujours, en dernière analyse, au profit des propriétaires terriens. Je suis si convaincu de cette double influence que, si on me demandoit, dans la sincérité de mon cœur, à quelle classe d'hommes je crois plus profitable la révolution qui se prépare, je répondrois que cette révolution, profitable à tous, l'est à chacun dans la proportion de supériorité déjà existante où son rang et sa fortune actuels le mettent sur la grande échelle sociale. J'en excepte le clergé, dont nous ne sommes pas en peine, ni vous ni moi, et les ministres (pour le temps, quelquefois très-court, pendant lequel ils sont ministres) ; mais on ne se dégoûtera pas du métier; et puis, on ne sauroit parer à tout.
Telle est ma manière de voir cette unique et in- concevable crise. J'ai voulu vous faire ma profes-
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sion de foi, afin que, si par hasard nos opinions se trouvoient trop différentes, nous ne revinssions plus sur cette conversation. Nos opinions ont plus d'une fois été opposées, sans que d'ailleurs nos âmes aient cessé de s'entendre et de s'aimer : c'est le principal , ou plutôt c'est tout. Je me souviens, entre autres , qu'il y a juste deux ans dans ce moment-ci, nous eûmes une discussion très-animée sur le parti que prenoit M. de Calonne, sur son projet de subvention territoriale, infaillible, disiez- vous, s'il étoit appuyé, comme il l'étoit, de toute la puissance du roi. Je vous dis que le roi y échoueroit. Je vous dis, en propres termes, que le roi pouvoit faire abattre la forêt la plus im- mense ; mais qu'on ne faisoit pas quatre cents lieues, à pied, sur des lianes, des ronces et des épines. Ce que l'on entreprend aujourd'hui est bien autrement difficile. Supposez, ce qui paroît impossible, que la nation soit vaincue aux pro- chains Etats généraux, je demande ce qui arrivera en 1791, à l'époque où le troisième vingtième cessera d'être dû, où les impôts, depuis l'incom- pétence reconnue des parlemens, exigeront le consentement national. Croyez - vous que ces cinquante -cinq millions seront perçus? croyez- vous même que les autres le soient exactement? Non, non. Croyez plutôt qu'on ne réduit pas vingt-trois ou vingt -quatre millions d'hommes
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dont le mécontentement ne se montre point sous la forme de révolte, mais sous celle de mauvaise volonté. Alors, que restera-t-il à ceux qui auront favorisé de si mauvaises mesures ? Je vous supplie, au nom de ma tendre amitié, de ne pas prendre à cet égard une couleur trop marquante. Je connois le fond de votre âme; mais je sais comme on s'y prendra pour vous faire pencher du côté antipo- pulaire. Souffrez que j'en appelle à la noble por- tion de cette âme que j'aime, à votre sensibilité, à votre humanité généreuse. Est-il plus noble d'ap- partenir à une association d'hommes, quelque res- pectable qu'elle puisse être, qu'à une nation en- tière, si longtemps avilie, et qui, en s'élevant à la liberté, consacrera les noms ^de ceux qui auront fait des vœux pour elle, mais peut se montrer sé- vère, même injuste, envers les noms de ceux qui lui auront été défavorables ? Je vous parle du fond de ma cellule, comme je le ferois du tombeau, comme l'ami le plus tendrement dévoué, qui n'a ja- mais aimé en vous que vous-même, étranger à la crainte et à l'espérance , indifférent à toutes les distinctions qui séparent les hommes, parce que leur coup d'œil n'est plus rien pour lui. J'ai cru remplir le plus noble devoir de l'amitié en vous parlant avec cette franchise : puissiez-vous la pren- dre pour ce qu'elle est, c'est-à-dire pour l'expres- sion et !a preuve du sentiment qui m'attache à tout
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ce que vous avez d'aimable et d'honnête, et à des vertus que je voudrois voir apprécier par d'autres autant qu'elles le sont par moi-même.
LETTRE IX.
^ M, p
Je n*ai reçu, Monsieur, votre billet qu'hier ma- tin, au moment où je sortois pour une affaire in- téressante qui m'a empêché d'avoir l'honneur d'y répondre sur-le-champ.
Je vous dois d'abord des remercîmens de la préférence que vous me donnez, en voulant m'as- socier à des gens de lettres que j'estime et que j'honore; mais, après mes remercîmens, je vous prie d'agréer le véritable regret que j'ai de ne pouvoir être leur coopérateur. La partie dont je serois chargé entraîne avec soi des inconvéniens auxquels ils ne se sont pas exposés. Je vous avoue franchement que je ne sais pas le moyen de traiter trois fois par mois avec l'amour-propre des auteurs, acteurs et actrices des trois théâtres de Paris, et surtout de la Comédie françoise. Serai-je un cri- tique juste et sévère, me voilà l'ennemi de tous les mauvais auteurs; et, malgré leur petit nombre,
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ils ne laissent pas d'être très-dangereux ; prendrai-je le parti de la grande indulgence, je déshonore, je décrédite mon jugement; et, ce qui n'est pas indifférent pour vous, le nombre des souscripteurs diminuera, car le public veut de la malignité. Il faut que l'article des spectacles soit attendu, qu'il inspire de la curiosité, de la crainte, de l'espérance; en un mot, qu'il remue les passions, comme les ouvrages de théâtre dont il rend compte. Faut-il tout vous dire. Monsieur ? gardez-moi le secret : un journal sans malice est un vaisseau de guerre démâté, à qui les corsaires même refusent le salut. On peut insister et prétendre qu'il est possible d'accorder la plus exacte politesse avec une criti- que sévère. Outre que je crois cet accord très- difficile, l'amour-propre des auteurs sait- il, dans ses chagrins, vous tenir compte de vos ménage- mens? On injurie, on insulte, on calomnie le cri- tique, et, en pareil cas, qui peut répondre de soi? Le sentiment de l'injustice irrite ; le caractère s'ai- grit; on devient injuste, absurde soi-même, et on finit par tomber dans un décri, dans un avilisse- ment qui équivaut à une flétrissure publique et à une véritable diffamation. Nous en avons des exem- ples déplorables dans la personne de M. F... et de M. de La H..., qui n'étoient point sans talens l'un et l'autre, à beaucoup près. Qui sait même s'ils n'étoient pas nés honnêtes? En vérité, cette
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destinée fait frémir. Il n'en faut pas courir les ris- ques; il ne faut pas tenter Dieu.
Telles sont mes raisons, Monsieur; et, en sup- posant, ce qui seroit peut-être en moi trop d'a- mour-propre, qu'elles ne vous satisfissent point comme propriétaire du privilège du [Mercure, je suis bien sûr que vous les approuverez comme homme, et comme honnête homme.
LETTRE X.
A Madame..,..
Voici le moment où je commence à soulever mon âme, après le coup qui vient de l'accabler. C'est ce qui m'a empêché, mon aimable amie, de répondre à votre lettre. Un autre sentiment m'a empêché de courir à vous. J'ai craint, je l'avoue- rai, j*ai craint votre présence autant que je la dé- sire; j'ai craint d'être suffoqué en voyant, dans ces premiers jours, la personne que mon amie aimoit le plus et dont nous parlions le plus souvent. Le cœur sait ce qu'il lui faut, et quand il le lui faut. C'est de vous que j'ai besoin maintenant : j'irai vous voir au premier jour, mais le matin, vers les dix heures. Je ne réponds pas du premier mo- ment; mais je ne suffoquerai point, parce que mon
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cœur peut s'épancher auprès de vous. Mais, quand je songe que ce même jour, et sans doute à cette même heure où je serai chez vous, elle vous ver- roit aussi... Je m'arrête, et ne puis plus écrire; les larmes coulent; et c'est, depuis qu'elle n'est plus, le moment le moins malheureux^
LETTRE XL
A la même.^
Paris, juillet i 789.
La veille du jour où j'ai reçu votre lettre, Ma- dame, j'avois vu M. Marmontel et lui avois parlé de celle qu'il avoit reçue de vous, avec les pièces justificatives attestant l'acte de vertu auquel vous vous intéressez. J'ai pris la liberté d'y joindre un petit mot de reproche sur son défaut de galante- rie. Sa réponse m'a prouvé que si, en devenant vieux, on est exposé à devenir paresseux ou moins galant, on peut du moins continuer à se tenir en règle et à mettre ses papiers en ordre. Il m'a mon- tré votre paquet, bien étiqueté, entre ceux de vos rivales, et il m'a dit que sa coutume étoit de ré- pondre après la décision de l'Académie. Je m'ima- gine. Madame, qu'il ne manquera pas à ce devoir; mais, en tout cas, je me ferai, à cet égard, le sup-
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pléant de M. Marmontel, et je deviendrai pour vous le secrétaire de notre secrétaire.
Vous ne me paroissez pas bien apitoyée sur le décès de notre ami feu le Despotisme, et vous savez que cette mort m'a très-peu surpris. C'est avec bien du plaisir que je reçois de votre main mon brevet de prophète. Il vaut mieux que celui de sorcier, qui m'a été expédié par plusieurs de mes amis; mais les femmes sont toujours plus po- lies, plus aimables que les hommes. Au reste, comme on ne scie plus les prophètes et qu'on ne brûle plus les sorciers, je jouis en toute sûreté des honneurs de ma prévoyance. Mais, en vérité, il n'en falloit pas beaucoup : il ne falloit qu'appro- cher du colosse pour s'apercevoir qu'il étoit creux et pourri, vernissé en dehors et vermoulu en de- dans. Sa chute, pour avoir été trop' soudaine, nous mettra dans l'embarras quelque temps; mais nous nous en tirerons.
Je voulois, ces derniers jours, aller causer avec vous et récapituler les trente ans que nous venons de vivre en trois semaines; mais la chaleur acca- blante d'hier et d'aujourd'hui m'a retenu chez moi. J'irai me dédommager quand le thermomètre sera descendu de quelques degrés. Il y en a un qui ne descendra pas : c'est celui de l'amitié que je vous ai vouée l'an cinquantième du règne de Claude-Louis XV. C'est une fort bonne raison de
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ne pas douter de mon tendre et respectueux atta- chement sous son successeur.
P. S. Voulez-vous bien vous charger de tous mes complimens pour M..., et le prier de rendre le Mercure un peu plus républicain : il n'y a plus que cela qui prenne. Item, que la Gazette de France soit aussi haussée de plusieurs crans, dans la pro- portion respectueuse où elle doit être à l'égard du Mercure. Ajoutez, je vous demande en grâce, qu'à ce prix je lui pardonne la peur qu'il a voulu me faire des baïonnettes, auxquelles il avoit une foi trop peu philosophique.
Mercr.... Paris, P. R. n. i8.
LETTRE XII.
A la mêniç.
Paris, 1789.
Je suis mal avec moi-même, mon aimable amie, et j'ai besoin d'espérer que je ne suis pas aussi mal avec vous. Pour commencer par ce qui me peine le plus, c'est que je ne puis dîner avec vous, ni même vous voir aujourd'hui. Je suis forcé d'assis- ter au dîner de notre société des trente-six, où je veux présenter deux de mes amis pour notre
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grand club, avant qu'il soit formé et que le scrutin soit établi. Je les désobligerois grossièrement et les exposerois à n'être pas reçus, et, de plus, je dé- plais beaucoup à la société déjà établie pour n'y avoir pas dîné depuis plusieurs vendredis, jour qui, n'étant pas académique, a été demandé en ma fa- veur par quelques amis particuliers; mais ce n'est pas cette dernière raison qui me prive de vous aujourd'hui, voilà pourquoi je n'ai pas tant d'hu- meur contre elle. Au surplus, je ferois mieux de garder tout à fait ma chambre : car, sans être ma- lade, je suis excédé, anéanti, et j'ai grand besoin de repos. Voilà près de huit jours qu'il m'a été impossible de me délivrer d'une fantaisie de poëte, vraiment poétique , au moins par son acharne- nement. Le jour, la nuit, le repas même, tout s'en est ressenti : je ne croyois pas être si jeune. Rien, absolument rien, n'a pu faire lâcher prise à cette lubie. C'est être mordu d'un chien enragé. Le chien n'étoit pas gros, mais c'est un chien- loup, ou plutôt un chien-lion, un mélange d'hor- rible et de ridicule, de raison et de folie, mais où la raison ordonnoit à la folie de paroître domi- nante. J'irai vous faire ma cour un de ces matins, et vous présenter à votre lever mon redoutable petit Bichon. J'espère que, malgré ses dents, et non pas malgré lui, il pourra vous amuser. Je ne me servirois pas de lui pour faire ma paix avec
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VOUS, car je ne la ferois jamais avec moi-même, si je n'avois pas à vingt reprises écarté, repoussé cette persévérante folie, souveraine maîtresse de mon imagination. Si je vous en demandois par- don, ce seroit vous demander pardon d'avoir eu quelques accès de fièvre. Fièvre soit, la comparai- son est juste , et il ne me falloit rien moins qu'une maladie pour m'empêcher de vous envoyer bien vite ce que je vous ai promis.
Il est vrai de dire que je me suis bien mis qua- tre à cinq fois au livre de M. de Saint-Pierre, dont j'avois mille choses à dire, toutes préparées dans ma tête, et il n'est pas moins vrai que je n'ai pu les retrouver, que rien ne venoit; mais à là place accouroient les idées dont j'étois rempli : la folle étoit reine dans la maison» Qu'y faire? Céder pour redevenir le maître. La voilà chassée, tout à fait chassée, et dès demain je me remets à la sa- gesse, c'est-à-dire à ce qui peut vous faire plaisir. Je vous l'enverrai tout de suite, ce qui est bien généreux : car je ne prétends pas différer le plaisir de prendre une tasse de chocolat auprès de votre chevet.
Adieu, mon aimable amie ; vous connoissez mon respect et mon attachement. Vous chargez-vous de tous mes complimens et de tous mes regrets auprès de M...?
LETTRES DIVERSES 257
LETTRE XIII.
A la même.
Paris, I 5 juillet 1790.
Bon Dieu! que j*admire votre courage et que j*aime votre bonté ! Que je vous ai désirée à la place où j'étois, en face de l'autel, et, tout au- près, un asile contre les averses! Je sais oii vous étiez, et vous étiez bien mal. Dans ce moment, je vous aurois presque grondée; mais je vous au- rois aimée davantage, s'il est possible. Comme il n'y aura plus de fédération, j'espère que vous vous ménagerez, que vous soignerez ce mieux qui, Dieu merci, est arrivé bien vite, dont j'irai voir les i progrès au plus tôt, peut-être aujourd'hui même, et dont je vous remercie.
J'aime bien encore votre nouvelle profession de foi : nous sommes inébranlables dans notre reli- gion. J'entends crier à mes oreilles, tandis que je vous écris : Suppression de toutes les pensions de France! et je dis : «Supprime tout ce que tu vou- dras, je ne changerai ni de maximes ni de senti- mens. » Les hommes marchoient sur leur tête, et ils marchent sur les pieds; je suis content : ils auront toujours des défauts, des vices même ; mais ils Chamfort. — II. 3 3
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n'auront que ceux de leur nature, et non les dif- formités monstrueuses qui composoient un gou- vernement monstrueux.
Adieu, mon aimable amie, conservez-vous pour vos amis. Faisons durer tout ce qui est bon de l'ancien temps , qui étoit si mauvais'.
LETTRE XIV.
Paris, 17 janvier 1792.
Je n'ai pas répondu, mon ami; à votre dernière lettre, i*' parce que je ne l'ai pas pu; 2° parce que je savois que sous trois jours les journaux se chargeroient de répondre à l'un de ses articles principaux, celui qui nous occupoit alors, les ras- semblemens des réfugiés brabançons à Lille ,. Douay, etc. Il j a des siècles depuis ce moment,, et tout est bien changé. Je vis avec des personnes (et ce ne sont pas celles que vous connoissez) qui se trouvent, par une position bizarrement favora- ble, très au fait des affaires des Pays-Bas. Tou- jours est-il vrai que depuis un mois ils m'annon- cent, quatre jours à l'avance, ce qui se trouve vérifié par l'événement. Ces gens-là soutiennent que Léopold craint une guerre avec nous plus que Les badauds de Paris ne la craignoient il y a deux
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ans. Ils prédisent que sa réponse du lo février prochain sera telle que nous la pourrions désirer dans le système le plus pacifique; et je conçois que les mouvemens déjà sensibles dans plusieurs de ses Etats, et entre autres dans la Styrie, sont bien capables de l'inquiéter. Mais, supposons qu'il veuille agir hostilement dans deux mois, que fe- rons-nous si, d'ici à ce temps, il parle en allié et en bon voisin? Lui déclarerons-nous la guerre? entrerons-nous dans le Brabant, comme un certain parti nous en sollicite? C'est ce qui paroît impos- sible, et, dans la supposition même où il lieroit sa partie avec les princes allemands pour nous faire au printemps prochain une guerre qu'il rendra sûrement une guerre d'Empire, comment forcerons- nous notre pouvoir exécutif, maître des combinai- sons militaires, à marcher en Brabant plutôt qu'à Liège, à Trêves, etc.? On rit de pitié lorsqu'on voit, après deux ans et demi de révolution, le parti patriote n'ayant pas eu le crédit de chas- ser un commis de la guerre, M. Bessière, par exemple, et des commis des affaires étrangères, tels que Hennin et Rayneval. Contraindra-t-il le roi à agir sérieusement contre son beau-frère, avec qui se sont concertés des arrangemens déjoués par le hasard plus que par la politique? C'est ce qui ne pourroit arriver qu'après une crise qui com- pliqueroit encore notre position et la rendroit
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peut-être encore plus embarrassante. Mon idée est toujours que tout ceci est un problème sans solu- tion, un drame brouillé et confus, dont le dénoû- ment tombera d'en haut comme celui des pièces d'Euripide. Ce que je sais seulement, c'est que le mouvement général entravera tous les mouvemens partiels et contradictoires dont on cherche à le re- tarder.
N'avez -vous pas bien ri du patriotisme qui, dans la séance du 14 de ce mois, a saisi nos mi- nistres et les huissiers? J'ai surtout été ravi de l'enthousiasme de M. de Lessart, quoique celui de M. Duport ait bien son mérite, M. Duport qui disoit la surveille : « Tout ceci ne peut pas aller, et la constitution ne marchera jamais sans une chambre haute ! »
La plupart de nos députés, quelques meneurs et quelques intrigans, voient que M. de Lessart tire à sa fin, et c'est même l'opinion générale. Ce n'est pas la mienne, et j'ai de fortes raisons de croire qu'il sera très-difïîcile de le déraciner. Peut-être en savez-vous autant que moi, si vous n'en savez pas plus. Quoi qu'il en soit, je dis à qui veut l'entendre que je ne compterai sur la sincérité des Tuileries que lorsque vous aurez ce ministère-là. Je m'aperçois que je ne réussis pas également au- près de tout le monde en parlant ainsi : cet ar- rangement n'est pas celui qui convient à certaines
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gens que vous savez ; mais c'est ce qui m'importe fort peu. Croiriez-vous qu'il y a eu une plate in- trigue pour y placer S. L...? L'ancien régime n'é- toit pas plus impudent. S. L... aux affaires étran- gères! lui qui ne sait pas plus la géographie que M. de Lessartl Vous jugez bien qu'on croyoit le gouverner jusqu'au moment où l'année 1793 ouvriroit la porte aux nobles de la minorité, les seuls hommes vraiment faits pour les places. Il est bien heureux pour les auteurs de cette plate intri- gue d'avoir été siffles avant le lever de la toile : ils en auroient été les dupes; il les eût joués tous et probablement foulés aux pieds. Qu'eût fait S. L...? Il ne manque pas d'esprit. Il a cette activité que donne à un ambitieux l'habitude du travail dans les emplois subalternes; il eût pris la géographie de Busching, de bonnes cartes, eût parcouru les cartons et les portefeuilles des affaires étrangères, se seroit bourré la cervelle de tout ce qui pouvoit y entrer en quinze jours, leur eût dit qu'il en sa- voit plus qu'eux en politique, et leur eût du moins prouvé qu'en intrigue et en audace il étoit leur maître à tous. Voilà l'homme, et tel est le carac- tère qu'il a montré depuis qu'il est en place. Vous savez qu'ils veulent M. Dietrich. Je sais que c'est un bon citoyen et un homme de mérite; mais j'ignore s'il a d'ailleurs toutes les connoissances requises.
202 LETTRES DIVERSES
Adieu, mon cher ami; je vous aime et vous em- brasse de tout mon cœur. Vos fanatiques vous donnent bien du tracas dans votre département. Mais le dégoût que m'inspirent ici les intrigans et les fripons, ci-devant honnêtes, remplit l'âme d'un sentiment plus mélancolique.
L'hommage de l'amitié à votre peureuse amie.
LETTRE XV.
Paris, I 2 août i 792.
Je continue, mon ami, de me bien porter; mais je ne néglige point mon régime. J'ai fait ce ma- tin le tour de la statue renversée de Louis XV, de Louis XIV, à la place Vendôme, à la place des Victoires. C'étoit mon jour de visite aux rois dé- trônés, et les médecins philosophes disent que c'est un exercice très-salutaire. Vous serez sûrement de leur avis. En tous cas, j'ai pris cela sur moi.
De la place Louis XV j'ai poussé jusqu'au château des Tuileries. C'est un spectacle dont on ne se fait pas l'idée. Le peuple remplissoit le jardin, comme il eût fait celui du Prato, à Vienne, ou ceux de Potsdam ; la foule inondoit les appartemens teints du sang de ses frères et de ses amis, et percés
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de coups de canon renvoyés en réponse à ceux qui les avoient massacrés la surveille. Les conversa- tions étoient analogues à ces tristes objets. A la vérité, je n'ai pas entendu prononcer le nom du roi ni celui de la reine; mais, en revanche, on y parloit beaucoup de Charles IX et de Catherine de Médicis. Une vieille femme y racontoit plusieurs traits de l'histoire de France. Un homme en haillons citoit l'anecdote de la jatte et des gants de la duchesse de Marlborough comme ayant été la cause d'une guerre. Il se trompoit : elle fit faire une campagne de moins; mais je me suis bien gardé de rétablir le texte : j'aurois été pris pour un aristocrate; d'ailleurs, la méprise étoit si légère, et l'intention du conteur étoit si bonne!
Voulez-vous savoir de combien de siècles l'opinion a cheminé depuis deux mois? Rappelez-vous le symptôme que je vous citois de la passion françoise pour la royauté, ce que je prouvois par la facilité avec laquelle les danseurs jacobins, sous mes fenêtres, passoient de l'air Ça ira à l'air Vive Henri IV! Eh bien, cet air est proscrit, et au moment où je vous parle la statue de ce roi est par terre. Rien ne m'a plus étonné dans ma vie. Je ne vous dirai plus que ceux qui voudroient la république trouveroient sur leur chemin la Henriade et le Lodoïx de l'univer-r site; non, cela n'est plus à craindre, et je suis sûr même que le Versalicas arces de nos poëmes latins
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modernes ne protégera pas Versailles. Il ne falloit rien moins que la cour actuelle pour opérer ce miracle; mais enfin, elle l'a fait: gloire lui soit rendue! Je n'ai plus le moindre doute à cet égard depuis que j'ai entendu les discours très-peu badauds des Parisiens autour des statues royales qui ont eu ce matin ma visite. Pour moi, le peu de badauderie qu'il me reste m^a engagé à lire quelques mots écrits sous un pied du cheval de Louis XIV. Que croyez-vousque j'y ai trouvé? Le nom de Girardon, qui avoit caché là son immortalité. Cela ne vous paroît-il pas l'emblème de la protection intéressée accordée aux beaux-arts par un despote orgueilleux,' et en même temps de la modeste bêtise d'un artiste, homme de génie, qui se croit honoré de travailler à la gloire d'un tyran? Plus j'étudie l'homme, plus je vois que je n'y vois rien. Au reste, il seroit plaisant que Girardon se fût dit en lui-même : « La gloire de ce roi ne durera pas; sa statue sera ren- versée par la postérité indignée de son despotisme, et son cheval, en levant le pied, parlera de ma gloire aux regardans. » Cet artiste-là auroit eu une philosophie qu'on pourroit souhaiter aux Racine et aux Boileau.
A propos de roi, on m'a dit qu'on parloît de vous pour l'éducation du prince royal. J'y trouve une difficulté : comment saurez-vous quel métier il faut faire apprendre à votre élève, en cas que les
LETTRES DIVERSES 205
François ressemblent aux Parisiens? Prenez-y garde ! cette difficulté vaut bien qu*on la propose.
Vous êtes sûrement bien aise que Grouvelle soit secrétaire du conseil, et par conséquent qu'un mauvais génie ne l'ait pas placé il y a sept ou huit jours, comme le bruit en avoit couru. Il trouvera ce métier bien doux auprès de celui de président de section, qu'il a fait pendant la terrible nuit d'avant-hier. Un président de section étoit, en ce moment, un composé de commissaire de quartier, arbitre, juge de paix, lieutenant criminel, et un peu fossoyeur, vu que les cadavres étoient là qui attendoient ses ordres, comme il arrive quand le pouvoir exécutif force la souveraineté à recourir au pouvoir révolutionnaire. Je suis bien aise aussi que Lebrun soit aux affaires étrangères, quoique je n'aie jamais pu, pendant deux mois, obtenir de lui une épreuve de la Gazette de France tandis qu'il la faisoit sous mon nom. Je n'ai pas de rancune.
Adieu, mon cher ami; je vous aime et vous em- brasse très-tendrement : vous voyez que, sans être gai, je ne suis pas précisément triste. Ce n'est pas que le calme soit rétabli, et que le peuple n'ait, encore cette nuit, pourchassé les aristocrates, entre autres les journalistes de leur bord; mais il faut savoir prendre son parti sur les contre-temps de cette espèce. C'est ce qui doit arriver chez un peuple neuf qui pendant trois années a parlé sans
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cesse de sa sublime Constitution, mais qui va la détruire, et, dans le vrai, n'a su organiser encore que l'insurrection. C'est peu de chose, il est vrai, mais cela vaut mieux que rien.
Adieu, encore une fois. Je vous espère sous huitaine, ainsi que notre cher malade. Je ne vous ai point parlé de lui, parce que je vais lui écrire.
LETTRE XVI.
A la Citoyenne..... I 5 frimaire, l'an II de la République.
C*est un besoin pour moi, mon aimable amie, de vous écrire, et je suppose qu'en ce moment-ci vous êtes disposée à faire grâce aux défauts de mon écriture. Je ne crojois pas, lorsque vous déchiriez votre linge pour mes blessures et pour m'envoyer de la charpie, que je pourrois sitôt tracer de ma main les remercîmens que je vous ai adressés du fond du cœur. Ils seront courts, cette fois-ci, mais ils n'en seront pas moins vifs : appliquez-leur ce qu'on dit des prières, ce qui n'empêche pas d'en faire quel- quefois de longues qui valent bien leur prix.
On me flatte d'obtenir bientôt ma liberté. Je suis difficile en espérance, mais je ne veux pas avoir
LETTRES DIVERSES 267
pour moi-même la cruauté de repousser celle-ci. Je serois pourtant plus voisin de vous au Luxembourg; mais vous ne me souhaitez pas d'être votre voisin à ce prix.
Adieu, mon aimable amie. Respect et tendresse, et sensibilité à vos peines que je sais.
I
DISSERTATION
SUR
L'IMITATION DE LA NATURE
RELATIVEMENT AUX CARACTERES DANS LES OUVRAGES D RAMATI Q,U ES.
N parle sans cesse de la nécessité d'imiter la nature, sans que personne daigne fixer le vrai sens de ce terme, qui devient presque une abstraction par le petit nombre d'idées claires et distinctes qu'on y attache. Ordinairement la philosophie , pour mériter ce, nom, a besoin de voir en grand: ici, elle doit descendre dans quelques détails, sous peine d'être absolument illusoire. Toutefois il est
270 DISSERTATION
nécessaire de remonter d'abord à des vues géné- rales.
Les grandes et sublimes proportions que la na- ture a mises dans ses ouvrages échappant à nos foibles yeux, les arts se sont proposé de créer pour nous un monde nouveau, plus parfait en apparence parce que nous embrassons plus aisément les rap- ports de ses différentes parties. Ils nous placent dans un ordre de choses d'un choix plus exquis; ils embellissent notre séjour; ils doivent orner l'édifice plutôt que d'en élever un semblable. L'homme, étant ce qu'il y a dans le monde de plus intéressant pour l'homme, a été le principal objet de l'étude des artistes. Ils l'ont considéré sous toutes les faces, sous les rapports qui le lient à ses semblables ; ils l'ont observé dans presque toutes ces circonstances si nombreuses qui oppo- sent l'homme de la nature à l'homme de la société , qui mettent aux prises ses goûts et ses intérêts, ses passions et ses devoirs; enfin ils l'ont placé dans les attitudes les plus pénibles, et lui ont fait subir une espèce de torture pour arracher de son âme l'expression véritable d'un sentiment pro- fond.
Quelle a dû être la marche de leur esprit dans cette opération? qu'a dû faire le peintre? qu'a dû faire le poëte? Ils ont regardé autour d'eux : l'un a vu que les hommes bien proportionnés étoient
SUR l'imitation de la nature 27F
en petit nombre ; l'autre, que la plupart d'entre eux avoient une âme foible et froide, indigne et incapable d'intéresser. Le peintre' aperçoit un homme d'une stature plus haute que celle des autres : il l'arrête, il lui dit : « Vous serez mon modèle.» Le poëte, à travers une foule méprisa- ble, distingue un homme qui mérite son attention; son âme est à la fois sensible et forte, ardente et inébranlable : «Voilà, dit le poëte, l'homme que je veux peindre. »
L'artiste doit m'offrir sans cesse le sentiment de mon excellence, et ce sentiment, je serai bien loin de l'éprouver si vous peignez les hommes exacte- ment comme ils sont dans la nature. Agrandissez- nous à nos propres jeux : c'est une flatterie indi- recte et d'autant plus ingénieuse, par laquelle vous séduirez à coup sûr notre jugement. Corneille a dit : «L'homme s'admirera en m'écoutant, en me lisant. Je lui montrerai Rodrigue tuant par hon- neur le père d'une maîtresse qu'il adore; Auguste pardonnant à son assassin; César vengeant la mort de son ennemi. Je peindrai de grands criminels, et on s'intéressera à leur sort, parce que le crime, si je le risque sur le théâtre, peut attacher; il n'y a que la bassesse qui soit tout à fait révoltante : un vil intrigant qui sacrifie son gendre à de lâches espérances de grandeur, je lui donnerai des re- mords qui feront au moins tolérer son caractère. »
2^2 DISSERTATION
Au reste, il seroit à souhaiter que Corneille eût pu placer Pauline et Sévère dans l'admirable situa- tion où il les a mis, sans exposer aux yeux un ca- ractère aussi vil que celui de Félix. De ce qu'on n'ose plus en hasarder de semblables, quelques personnes infèrent la médiocrité des successeurs de Corneille : lui seul, dit-on, pouvoit mettre un Félix, un Prusias, sur la scène. Il falloit conclure au contraire que depuis ce grand homme on a fait des progrès dans l'art qu'il a créé. On a senti qu'il falloit des raisons invincibles pour autoriser un poëte à peindre de si vils criminels. L'admirable rôle de Narcisse, dans Britannicus, contient une des plus belles leçons qu'on ait jamais données aux rois, et cependant cette considération n'em- pêche pas que le parterre ne voie ce personnage avec peine, et l'on sait que le public donna, aux premières représentations de ce chef-d'œuvre, des marques d'un mécontentement peu équivoque.
Plus on sonde ce principe, plus on le trouve fécond. Il explique d'une manière satisfaisante l'extrême déplaisir qu'on éprouve à voir des carac- tères nobles s'avilir et se dégrader. Je sais pour- quoi mon âme est affectée désagréablement lorsque le vainqueur des Curiaces enfonce le poignard dans le sein de sa sœur, dont le seul crime est de pleurer la mort de son amant. En lisant l'histoire même, ne sommes-nous pas sensiblement affligés
SUR l'imitation de la nature 273 lorsqu'un des principaux personnages s'avilit par quelque action qui flétrit une âme à laquelle la nôtre s'intéressoit? Cette nécessité de maintenir l'énergie du caractère est si reconnue que les poètes tragi- ques ont Tattention de ne jamais laisser entendre aux héros de leurs poèmes rien d'humiliant pour eux , même dans la bouche d'un ennemi. Woyez si les menaces d'Assur, dans Sémiramis, ont rien d'avilissant pour Arsace ! Ce secret de l'art qui consiste à faire tomber l'odieux d'un crime sur un confident est une des découvertes les plus utiles à la tragédie. Racine l'a mis le premier en usage dans Phèdre. L'auteur de Mahomet en a pirofité ha- bilement quand il s'est servi d'Omar pour donner à Mahomet l'idée de faire immoler Zopire par Séide.
Quoique les anciens aient négligé plus d'une fois de soutenir les caractères dans toute leur force, ils ne laissoient pas d'en sentir la nécessité. Lorsqu'ils étoient obligés d'avilir un héros, un dieu ou une déesse venoit partager le crime avec lui, ou même s'en chargeoit entièrement. Les hommes aimoient mieux qu'on leur montrât un dieu vindi- catif ou une déesse jalouse qu'un être de leur espèce vil et dégradé. C'est ainsi que, dans Ho- mère, Minerve, la déesse de la sagesse, conduit Uljsse et Diomède aux tentes de Rhésus. Elle ne 5e montre ni plus juste ni plus généreuse dans Chamfort. IL 35
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VAjax furieux, où elle trompe ce malheureux prince en feignant de le servir, tandis qu'elle sert en effet son rival. L'usage que les anciens faisoient, à cet égard, de leurs divinités, paroît plus condamnable encore que la manière dont ils s'en servoient pour le dénoûment de leurs pièces.
Il est à peu près reconnu que les modernes sont très-supérieurs aux anciens dans l'art de tracer les caractères. Je ne doute pas que ceux-ci n'aient bien peint les mœurs existantes sous leurs yeux; je dis seulement que les caractères des bons ouvrages anciens ne sont pas aussi fortement des&inés que ceux des bons ouvrages modernes. Je crois pou- voir en assigner plusieurs raisons. Ce n'est que depuis la renaissance de la philosophie qu'on a profondément réfléchi sur la théorie des beaux- arts. Les Grecs paroissent avoir peu médité sur ce sujet. Dominés par une âme sensible et une ima- gination ardente , ils se laissoient entraîner par ces guides, qui conduisent rapidement celui qui marche à leur suite , mais qui quelquefois l'égarent. En effet, le génie ne préserve pas des écarts du génie. Il a besoin d'être dirigé par des réflexions qu'il ne fait ordinairement qu'après s'être trompé plus d'une fois. Plus le goût de la société s'étend, plus les objets des méditations du philosophe se multi- plient. Les idées de la vraie grandeur et de la vraie vertu deviennent plus justes et plus précises.
SUR l'imitation de la nature 275
La corruption des mœurs, qui, selon quelques sages, est le fruit de ce goût excessif pour la société, est pour le poëte une raison de plus de multiplier les caractères vertueux. On a dit que plus les mœurs s'altèrent, plus on devient délicat sur les décences. Par cette raison, plus les hommes de- viennent vicieux, plus ils applaudissent à la pein- ture des vertus. Fatigués de voir des âmes com- munes, des bassesses, des trahisons, leur cœur se réfugie, pour ainsi dire, dans ces monumens pré- cieux, où il retrouve quelques traits d'une grandeur pour laquelle il étoit né.
Mais telle est la foiblesse de la nature humaine, même dans ses vertus, que, pour nous rendre in- téressans à nos propres yeux, le poëte a presque toujours besoin de nous embelhr. Quel est le terme auquel il doit s'arrêter? Je crois qu'il peut nous agrandir tant qu'il voudra, pourvu que l'illusion ne disparoisse point, pourvu que nous nous recon- noissions encore. L'intérêt cesse avec la vraisem- blance; mais ce qui est vraisemblable pour l'un ne l'est pas pour l'autre. Nous jugeons les hommes vertueux suivant les moyens que nous avons de les égaler. La décision de ce procès appartient exclu- sivement au très-petit nombre d'hommes qui, nés avec un sens droit et une âme élevée, peuvent trouver l'appréciation vraie de chaque chose, peu- vent dire : « Ce sentiment est juste et noble, celui-
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ci est vrai, celui-là est faux ou exagéré. L'un doit naître dans un cœur honnête, l'autre n'existe que dans la tête d'un poëte qui s'efforce de créer des vertus. » Croyons qu'il est des hommes dignes de porter' un tel jugement.
Souvent un seul sentiment faux détruit une illu- sion délicieuse, et la détruit plus désagréablement qu'une invraisemblance. Qu'une mère, réduite à la dernière infortune par l'erreur d'un juge, se retire dans un cloître avec sa fille; qu'elle passe pour la gouvernante de son enfant; qu'appelée ensuite, par un concours de circonstances, dans la maison de son juge, elle y vienne avec sa fille; que le fils de ce juge devienne amoureux de la jeune personne; que la tendre gouvernante se défie de cet amour, et veille sur sa fille avec toutes les inquiétudes et toutes les transes de la maternité : voilà ce qui doit intéresser tous les cœurs. Je veux bien passer au poëte la combinaison d'incidens divers dont il doit résulter de si grands mouve- mens; mais que cette mère dans l'indigence, souf- frant dans elle-même et dans sa fille, refuse la restitution de ses biens, c'est-à-dire ne oermette pas que son juge s'acquitte d'un devoir rigoureux, alors je vois un être imaginaire, produit par un auteur qui, dans ce moment, n'avoit pas le senti- ment juste des convenances véritables.
Une autre raison pour laquelle un auteur doit
SUR l'imitation de la nature 277
s'attacher à n'exprimer que des sentimens vrais, c'est que plusieurs bons esprits, ayant vu dans la plupart des ouvrages de théâtre une fausse gran- deur, rient de tout ce vain étalage dramatique dont rien n'est à leur usage, au lieu qu'un senti- ment noble et juste passe rapidement dans une âme bien faite, qui l'adopte avec avidité.
Il faut un sens très-exquis pour s'arrêter, à cet égard, dans les justes bornes, et ce n'est que de- puis Racine qu'on les a fixées. Pompée implore le secours du roi d'Egypte ; il a mis en sûreté la moitié de lui-même; il n'a plus rien à craindre que pour sa vie; il prévoit le traitement qu'on va lui faire; il s'abandonne à sa destinée sans se plaindre : voilà un grand homme. Mais il dédaigne de lever les yeux au ciel ,
De peur que, d'un coup d'oeil, contre une telle offense Il ne semble implorer son aide ou sa vengeance :
voilà un capitan impie. Les princesses de Corneille me paroissent quelquefois avoir pour la vie un mépris féroce et peu intéressant. Iphigénie dit naturellement :
Peut-être assez d'honneurs environnoient ma vie Pour ne pas souhaiter qu'elle me fiât ravie. Ni qu'en me l'arrachant un sévère destin Si près de ma naissance en eût marqué la fin.
278 DISSERTATION
Encore plusieurs gens de goût ont-ils blâmé Racine de n'avoir pas donné à cette jeune princesse une plus grande frayeur de la mort. Aménaïde avoue aussi un sentiment semblable :
Je ne me vante point du fastueux effort
De voir, sans m'alarmer, les apprêts de ma mort :
Je regrette la vie; elle doit m'être chère.
Puisque les hommes du plus grand courage ne doivent mépriser la vie que lorsqu'ils ne peuvent la conserver qu'en trahissant leur devoir, à plus forte raison de jeunes princesses innocentes ne doivent point la quitter sans regret, quoique prêtes à la sacrifier si leur devoir l'exige.
Mais, s'il est vrai qu'il n'y ait point de grande action dont l'humanité ne soit capable, il est im- possible que toutes les vertus se réunissent sur un seul être. Les poètes tragiques ont su éviter ce défaut , dans lequel sont tombés plusieurs romanciers excellens. Ceux-ci ont d'avance affoibli l'intérêt qu'ils font naître dans la suite. C'est ce qu'a fait l'auteur de Grandisson en prenant soin d'accumuler sur son héros toutes les vertus et tous les avan- tages que la nature et la fortune n'ont jamais réunis dans un seul homme.
Quelques auteurs célèbres, las de voir dans la plupart des caractères une empreinte romanesque , se sont avisés d'avilir tout à coup un personnage
SUR L IMITATION DE LA NATURE 279
qu'ils avoient rendu intéressant par la réunion des sentimens les plus délicats. Ils se fondent sur ce que nul n'est parfait dans la nature, et qu'il faut, en présentant au lecteur de grands écarts ainsi que de grandes vertus, lui persuader qu'il ne lit point un roman. On répond que l'art consiste à obtenir cet effet sans employer de pareils moyens. Un grand intérêt pris fortement dans nos mœurs véritables, quelques taches volontairement répandues dans les caractères principaux, quelques circonstances com- munes dans les événements, soutiendront parfaite- ment l'illusion. Le poëte et le romancier doivent imiter, en ce point, l'artifice de ces menteurs adroits qui assurent la croyance à leurs récits en y mêlant des détails frivoles. Au reste, le peu d'effet qu'ont produit ces ressorts dans des mains habiles et vigoureuses empêchera, sans doute, que des mains plus foibles osent jamais essayer de s'en servir.
Si l'idée de grandeur que nous attachons à notre nature est une source d'intérêt, le sentiment de notre foiblesse contre certains coups de la fortune, le besoin d'appui et de consolation, en ouvrent une autre non moins abondante, et souvent ces deux sensations se réunissent, La simple vue d'une action de générosité nous transporte. En sommes- nous les objets, elle arrache de nos yeux des larmes de reconnoissance et d'admiration. Quand
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nous avons le bonheur de la faire nous-mêmes, elle excite dans nous un doux tressaillement qui, se confondant par dégrés avec le calme d'une joie pure et concentrée, forme la jouissance la plus voluptueuse que la nature ait accordée à l'homme. Oreste et Pylade se disputant l'honneur de mourir l'un pour l'autre, que de sentimens délicieux s'élèvent à la fois dans votre âme ! Vous jouissez de la générosité de Pylade, il vous semble que vous l'imiteriez; l'infortune d'Oreste vous attache et vous attendrit. Une identification qui, pour être rapide, n'en est pas moins réelle, nous transforme dans l'homme que l'infortune accable , et dans l*ami généreux qui veut mourir pour lui. Nous jouissons des deux sentimens qui nous sont les plus chers : du sentiment de notre grandeur qui nous flatte , et de celui de notre foiblesse qu'on soulage.
Ce seroit peut-être ici la place d'examiner pour- quoi les grands crimes ne sont intéressans au théâtre que quand ils sont commis par des hommes à peu près vertueux. Si Œdipe étoit un scélérat, il ne seroit que révoltant. Qu'un monstre, pour remplir une vengeance méditée depuis plus de vingt ans, fasse boire à un malheureux père le sang de son fils, c'est une horreur qui n'est point intéressante. On répond que l'intérêt porte sur Thyeste. J'insiste, et je dis que Thyeste n'inspire
SUR l'imitation de la nature 281 point un intérêt déchirant tel qu'on devoit l'at- tendre d'une pareille situation si elle eût été adoucie. On a seulement pour lui cette pitié qu'on accorde à tous les malheureux. Un écrivain célèbre dans une lettre éloquente contre les spectacles, fait un grand mérite à l'auteur d'Atrée d'avoir in- téressé tous les spectateurs pour la simple huma- nité. Ce point de vue, sans doute, est philoso- phique ; mais qu'on examine s'il en falloit faire un mérite à l'auteur. Thyeste est jeté par la tempête dans un port soumis au cruel Atrée. Il faut échap- per à sa vengeance ; il cache sa qualité de prince : quoi qu'il fasse, il faut bien qu'il reste homme; il ne peut renoncer à ce titre. Il est évident que la force du sujet a tout fait, et qu'il n'a point un si grand mérite dans cette disposition, qui d'ailleurs appartient tout à fait à Sénèque. Mais qu'un amant sensible et généreux tue sa maîtresse vertueuse, et qu'il croit infidèle; qu'Oreste, que Ninias, mas- sacrent leur coupable mère avec le projet de ne jamais cesser de la respecter : voilà un genre de tragédie qui aura toujours des droits sur tous les hommes. L'événement tragique est le même, sans qu'il soit besoin d'offrir des monstres aux yeux des spectateurs. L'erreur commet le crime, l'homme reste vertueux: l'effet théâtral n'y perd rien.
Le dogme de la fatalité, répandu chez les an- ciens, les amena par degrés à concevoir ainsi la
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tragédie. D'abord, le besoin que les hommes ont d'être ébranlés fortement fit qu'on se contenta d'une émotion vive, de quelque manière qu'elle fût produite : Oreste tourmenté par les furies, Prorné- thée attaché sur le [Caucase tandis que des vau- tours lui déchiroient le cœur ; ces affreux spectacles suffirent. Ensuite on s'efforça de rendre intéressant le héros du poëme : le poëte ménagea tellement son action qu'on ne pouvoit imputer les crimes de son héros qu'à une fatalité tyrannique; c'est ce qui rend Œdipe et Phèdre si attachans. Depuis, Cor- neille, aidé de Guilhem de Castro et de son génie, inventa la tragédie fondée sur les passions. Enfin on est revenu depuis à un genre de tragédie fondé en même temps sur les passions et sur cette dépen- dance où nous sommes d'une cause supérieure : telle est Scmiramis , et telles sont les pièces dont les sujets sont tirés du théâtre des Grecs. Quelque admiration que j'aie pour ce genre, dans lequel on peut offrir aux hommes de grandes leçons et pe grands tableaux, j'avoue que je lui préfère la tra- gédie qui fait couler des larmes de pur attendrisse- ment : telles sont Andromaque , Zaïre, Alzire, etc.
Les différens peuples policés ont suivi des pro- cédés différens dans l'imitation de la nature. Les Grecs ont prodigué les grands traits, mais s'en sont souvent permis plusieurs qui avilissoient leurs héros.
SUR l'imitation de la nature 283
Ce défaut venoit de ce que, dans ces siècles hé- roïques et grossiers, on n'avoit point fixé les véri- tables notions des vertus morales. Les Romains, nés moins heureusement, mais ayant plus d'idées sur les décences, tracèrent des caractères moins forts, mais plus soutenus. Les deux ou trois siè- cles qui précédèrent la renaissance des lettres doi- vent être comptés pour rien. Une imitation servile des anciens, tant Grecs que Romains, tint lieu de tout mérite dans l'Europe littéraire. Les Anglois, les Italiens et les François prirent des routes diffé- rentes. Les deux premiers de ces peuples, surtout les Anglois, se piquèrent d'imiter la nature avec une vérité souvent grossière et rebutante. La preuve qu'ils n'étoient point dirigés dans cette marche par le désir d'opérer une illusion par- faite, mais seulement par une rusticité qui n'est point incompatible avec les élans du génie, c'est qu'en même temps qu'ils copioient la nature com- mune, ils choquoient toutes les vraisemblances, en resserrant dans l'espace d'un jour des événemens qui avoient rempli trente années. Les Italiens imi- tèrent la nature dans des détails moins odieux, mais peu intéressans. Dans la Mérope de Maffei, le vieillard qui vient chercher le jeune Egiste se permet de parler beaucoup , et de dire plusieurs choses inutiles à l'action. Blâmez, en Italie, cette absurdité, on vous répondra : «Telle est la nature. »
254 DISSERTATION
En France, nous pensons qu'il pourroit exister un vieillard qui, ayant élevé le fils de son roi, et l'ayant laissé échapper de ses bras, viendroit le ré- clamer sans bavardage.
Combien cette imitation servile de la nature est peu intéressante! Dès lors, le goût, ce conducteur du génie, est banni de l'empire des arts; dès lors, plus de nécessité de porter du choix dans les parties, pour en former un ensemble intéressant: une vérité, souvent désagréable, tiendra lieu de tout mérite. Plus de ces nuances, de ces adoucis- semens que la perfection du goût a introduits dans le langage et dans la peinture des passions, et dont Racine a le premier donné l'idée. Si vous peignez les anciens exactement tels qu'ils sont, vous pré- sentez le tableau de mœurs grossières à des hom- mes dont les mœurs se sont épuré'es par le temps; vous rappelez à un nouveau noble le souvenir de sa roture.
Exiger toujours cette froide ressemblance, c'est refuser d'accéder au traité secret, mais réel^ en vertu duquel l'artiste dit au public : « Admettez telle et telle supposition , et je m'engage à af- fecter votre âme de telle et telle manière. » Ces conventions étant au théâtre en plus grand nombre que partout ailleurs, vous proscrirez toute repré- sentation dramatique; la tragédie en musique vous deviendra tout à fait insupportable; vous n'aurez
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guère plus d'indulgence pour la tragédie parlée; vous demanderez pourquoi Pulchérie insulte Phocas en vers alexandrins, et la perfection même de l'art va devenir un défaut pour vous. Dans un chef- d'œuvre où de grands événemens sont représentés et réunis d'une manière attachante, vous serez en droit de remarquer que la nature ne place pas ainsi l'un auprès de l'autre plusieurs événemens extra- ordinaires. Si vous continuez à vous tenir rigueur, vous demanderez pourquoi César parle françois; vous serez le plus cruel ennemi de vos plaisirs : vous aurez vu Mérope, et n'aurez pas pleuré.
Voulez-vous voir combien la nature a besoin d'être embellie ? jetez les yeux sur la pastorale. Il est à croire que les guerres civiles d'Auguste et d'Antoine, les troubles de l'Italie dans le siècle du Guarini et du Tasse, l'abrutissement où les paysans ont toujours été plongés en France , n'ont pas permis que la patrie des Tityres, des Amyntes, des Tyrcis, des Céladons, ait été le séjour du parfait bonheur. Toutefois nous sentons que les habitans de la campagne , libres des travaux trop pénibles de leur état, abandonnés à la simplicité de leurs goûts, seroient plus près du bonheur que nous ne le sommes dans nos villes, où toutes les passions, exaltées au plus haut degré, se livrent sans cesse dans notre âme un combat qui l'accable et qui la déchire. Le poëte, traçant à notre imagination le
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tableau des plaisirs champêtres, fait pour nous les frais d'une agréable maison de campagne, où nous pourrons nous retirer quand nous serons fatigués des plaisirs brujans de la ville. Qu'il prenne garde seulement de détruire le prestige, en donnant à ses personnages des sentimens ou des idées étran- gers à leur état; mais qu'il ne craigne pas de me les montrer plus aimables qu'ils ne le sont en effet. Ses bergers sont-ils de beaux esprits, je ne suis point à la campagne,°'ni Fontenelle non plus; sont- ils grossiers, je m'y déplais, fût-ce avec Théo- crite.
Un philosophe a dit que, hors Dieu, rien n'est beau dans la nature que ce qui n'existe pas. On ne peut pas condamner plus fortement la représenta- tion de la nature commune. Parmi nous, quelques auteurs , prenant pour guide cette philosophie froide et fausse qui, pour mieux mesurer le champ des beaux-arts, commence par en arracher les fleurs et les fruits, ont cru, comme nos voisins, qu'il falloit réduire les arts à cette vérité rigoureuse qui fait de la ressemblance la chose même qu'on a voulu imiter. Si l'artiste qui cherche à la peindie se propose de tromper tout à fait le spectateur, il méconnoît l'objet de son art. Il faut donner à l'âme le plaisir de s'exercer; et les copistes, en quelque genre que ce soit, ne donnent jamais ce plaisir. Ce tableau du Poussin me saisit d'admira-
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tion ; toutefois l'illusion n'opère pas sur moi au point de me faire adresser la parole aux êtres qui paroissent animés sur la toile; ce n'est pas même ce plaisir que je cherche. Cette statue dont j'ad- mire la beauté, essayez de la peindre des vérita- bles couleurs de la nature, que la carnation soit exactement semblable à celle d'un homme, assurez l'effet du prestige en la couvrant d'habits sembla- bles aux nôtres : mon plaisir est évanoui; une ridi- cule surprise prend la place de l'admiration; je vois qu'on a voulu créer un homme, et qu'on n'a pas réussi. Je me demande pourquoi cette figure ressemble à un homme, et n'en est point un. Je souhaite avec Pygmalion que la statue soit animée; je sens l'insuffisance de l'artiste : elle me rappelle la mienne; et c'est cette idée qu'il doit toujours écarter. Il est à croire que le sentiment de la diffi- culté vaincue est un charme secret et toujours agissant, qui se mêle au plaisir que nous éprouvons à la vue d'une belle imitation de la nature. '- D'après ces considérations, on est en état de décider si la philosophie peut faire autant de tort à la poésie que le prétendent la plupart des gens de lettres. Il est vrai que quelques écrivains en ont abusé en la faisant dégénérer en une vaine métaphysique ; mais observez les avantages qu'elle peut produire en éclairant la marche d'un talent véritable. Un auteur célèbre a dit que tout ouvrage
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dramatique est une expérience faite sur le cc»ur humain. C'est le philosophe qui la dirige; le poëte ne fait que passionner le langage de ses acteurs. L*un place le modèle, l'autre dessine avec feu. Je sais que le génie peint à grandes touches et dé- daigne les nuances; mais je ne puis croire qu'il soit toujours emporté par une impulsion violente : il peut laisser échapper subitement un morceau plein de sensibilité ; il peut même concevoir un plan rempli de chaleur; mais il a besoin de la mé- ditation pour présider à l'ordonnance des parties et les diriger à un but moral. Il a pu fournir à Molière l'idée de la cassette; mais il a été secondé par de profondes réflexions lorsqu'il a compromis un père avare et usurier avec un fils libertin qui emprunte à un intérêt ruineux. Je vois le doigt de la philosophie empreint sur chaque vers du Tartufe et du Misanthrope. Ne croyons pas que cette ha- bitude de réfléchir puisse jamais refroidir un poëte; elle trace au contraire, dans son imagination , l'i- mage d'un beau idéal qui le dirige à son insu, même dans la chaleur de sa composition. Un phi- losophe pourroit donc composer un nouvel Art poétique, dans lequel il remonteroit aux sources de l'intérêt et du comique, où il approfondiroit l'art de tracer les caractères, où il feroitvoir les progrès que cet art a faits, et où il pourroit donner la so- lution de plusieurs problèmes littéraires. On peut
SUR l'imitation de la nature 289
assurer à celui qui exécuteroit bien cet ouvrage un très-grand succès, dont l'auteur ne seroit jamais témoin; mais, s'il se trouvoit un homme digne de l'entreprendre , il est à croire que cette dernière réflexion ne seroit pas capable de l'arrêter.
Chamfort. IT.
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NOTES ET VARIANTES
Page 8, ligne 17. Et les pauvres, les frères de Jésus- Christ. C'est : les membres de Jésus-Christ, qu'il faut lire.
P. 75, 1. 5. Ce fut le comte de Grammont lui-même, etc. Nous avons, dans la Préface de notre édition des Mémoires du comte de Grammont, par Hamilton, publiés dans cette collection même, démontré la fausseté absolue de cette as- sertion, la première édition des Mémoires étant postérieure de six ans à la mort du héros d'Hamilton.
P. 80, 1. 21. Il vous éloit réservé. Madame, défaire rou- gir du mariage. D'autres leçons portent : de faire rougir le mariage, forme encore plus énergique de la même pensée.
P. 147, 1. 19. Le général Quintus Icilius. On peut lire dans Thiébault, Souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin (édition Didot, t. P"", p. 400), l'histoire du sieur Guichard, né à Magdebourg de réfugiés français , et du caprice par lequel Frédéric II le fît, de professeur, général, et lui donna officiellement le nom de Quintus Icilius, aide de camp farvori de César.
P. i5 3, 1. 11, M. de C... avoit reçu un bienfait de M. d'A... Ces initiales cachent, paraît-il, M. de Condorcet et le duc d'Anville.
P. 154, I. I. Nous ne pouvons nous empêchei de faire toutes nos réserves comme historien, à propos de cette anec- dote. Le secret de M. de Choiseul pour se maintenir en dépit de M™° du Barry ne saurait avoir résidé dans le par-
202 NOTES ET VARIANTES
tage avec le roi des économies faites sur son département. Le roi n'avait garde de créer entre ses ministres et lui de ces honteuses solidarités. Si le fait eût existé], il n'eut jamais osé renvoyer le duc de Choiseul ; et, si la recette pour se maintenir en faveur eût été si efficace que cela, M^^ du Barry n'eût jamais pu faire congédier le premier mmistre qui avait eu le courage de la braver. Or c'est le contraire qui
arriva Donc il ne faut pas croire, parce qu'elle n'est
pas vraie, à l'anecdote que Chamfort a acceptée comme vraie parce qu'elle était maligne.
P. 170, 1. i3. M. de Vaudreuil se plaignait à C..., etc. C'est de Chamfort qu'il est ici question.
P. 219. Lettre IV. Cette lettre est adressée à M"-^ Sau- rin,* femme de l'auteur de Spartacus , amie dévouée de Chamfort. D'autres ont dit à tort M™« Suard : car le ma- riage de M^i^ Panckoucke avec Suard est postérieur à la d?te de cette lettre, qui doit être reportée à l'année 1774.
P. 2 23. lettre V. Cette lettre pourrait bien avoir été écrite à Mirabeau.
P. 227. Lettre VI. Cet abbé Roman, qui fut aussi l'ami et le correspondant de Rivarol , était un littérateur avigno- nais, né en 1726, mort en août 1787, sur lequel on trouve une bonne notice de M. Weiss dans la Biographie univer- selle de Michaud, 2^ édition. La Biographie Didot ne le mentionne pas.
P. 240. Lettre VIII. Cette lettre est adressée au comte de Vaudreuil.
P. 249. Lettre IX. M- P..., c'est M. Panckoucke, le cé- lèbre éditeur. La Lettre X et les suivantes sont adressées à sa femme.
P. 2 58. La Lettre XIV et la suivante paraissent adressées à Condorcet.
P. 266. Lettre XVI. C'est à M^e Ginguené que fut adressé ce billet, un des derniers qui soit sorti de la main de Cham- fort.
TABLE ANALYTIQUE
DES PORTRAITS ET CARACTÈRES
ET
DES ANECDOTES ET BONS MOTS
Abbé. Singulière excuse d'un abbé à un évêque qui l'in- vite à déjeuner. 146.
Académie française. Mot de M... sur la collection des discours de réception à l'Académie. 49. — Comment M. de Mairan arrête une dispute à l'Académie. 49. — M... di- sait qu'il ne fallait rien dire, dans les séances publiques, au delà de ce qui est imposé par les statuts. 82. — Le triple échec de Fontenelle ne console personne. 141.
Académie de Soissons. Mot de Voltaire sur elle, i .
Aguesseau (Le chancelier d'). Condition qu'il met à la permission d'imprimer les premiers volumes de Cléi^eland, de l'abbé Prévost. 3.
Aiguillon (Le duc d'). Comment il est fait ministre des affaires étrangères par M™° du Barry. 3 5.
Aimable. Mot qui peint la différence entre l'homme aimable et l'homme digne d'être aimé. 3.
Alembert (D'). Son mot le lendemain du mariage de M°^° Denis avec M. du Vivier. 3. — Mot que lui dit le roi de Prusse à propos d'un de ses beaux laquais. 3 3. — Comment il est salué par M. Fournier. i5i. — Critique
294 TABLE ANALYTIQUE
de ses petits traités littéraires. i63. — Ne trouve Voltaire un peu faible qu'en géométrie. i65.
Aligre (La présidente d'). Tour que lui joue M. de Bissi. 38.
Allemagne. Mot de M... à son retour d'Allemagne. 146.
Ambassadeur anglais à Naples. Comment il se venge de l'insuccès d'une fête, 89-90.
Amis. Dialogue entre deux amis. 5. — Il y a trois sortes d'amis. 149.
Amour. Mot de M^^ de C... à M. B..., et réponse de celui-ci, 24. — Mot d'un homme qui n'ose plus aimer. 2 5.
— De l'Italienne, de l'Anglaise, de la Française. 82. — Mot dit à un homme qui ne s'aperçoit pas qu'il est aimé. 91. — Mot d'un jeune homme honnête en amour. 121.
— Mot de M... sur la princesse de... : c'est une femme qu'il faut absolument tromper. 140. — M... fait semblant d'être malhonnête pour que les femmes ne le rebutent pas.
M9-
André (Le petit Père). Début de son sermon sur un
étrange sujet proposé par le prince de Condé. 8.
Angivilliers (M™^ d'). Est une des quatre grandes co- médiennes du siècle... à la ville. 84.
Anglais. Refuse sa grâce et veut être pendu. 10.
Anne d'Autriche. Était mariée avec Mazarin. 97.
Anville (m. d'). Fameux géographe; n'avait jamais quitté sa chambre. 74.
Aquaviva (Le cardinal). Est empêché par le sacré-col- lége de faire amende honorable de ses violences. 87-88.
Argenson (Le comte d'). Son mot à la bataille de Rau- coux. 7. — Son mot au comte de Sebourg, amant de sa femme. 8. — Son mot de courtisan cynique. 41.
Arlequin. Son mot dans une farce italienne. 106.
Arnaud (Baculard d'). Trouve au comte de Frise des cheveux de génie. Mot de celui-ci à ce propos. 28-29.
Arnaud (L'abbé). Son mémoire à M™° du Barry. 9.
Arnoncourt (M. d'). Singulier contrat qu'il fait à une fille. 161-162.
TABLE ANALYTIQ^UE 295
Arnoult (Sophie). C'est chez elle qu'est décidé le choix d'un précepteur pour le comte de Chinon. 58.
Artois (Le comte d'). Son mot le jour de ses noces. 73. — Mot du duc de Chartres en apprenant son insulte à la duchesse de Bourbon. 122.
Athées. Mot de M. D... sur les athées. 9. — Mot d'un athée qui voudrait ne pas l'être. 44.
AuBRY, avocat. Tour qu'il joue à l'abbé de Tencin. 174.
AuMONT (Le duc d'). Récit naïf de ses derniers moments. 46.
Auteur. Il faut laisser à l'envie le temps d'essuyer son écume. 56. — Réponse d'un auteur à qui on reprochait de ne plus rien donner au public. j3 6. — Ce que fait dire une idée qui se montre deux fois dans un ouvrage à peu de distance. 141. — Mot dit à un auteur insolent après un premier succès. 1 54.
AuTREY (M. d'). Son mot sur M, de Ximénès. 174.
Avances. Comment M... expliquait son refus des avances de M^e de ... 68.
Avare. Mot d'un avare qui avait mal aux dents. 45.
AvEjAN (M. d'), officier de mousquetaires. Comment il évite de tirer sur le peuple dans une sédition. 108.
Avocat. Conseil d'un avocat anglais qui tourne contre lui. 9.
Aydie (L'abbé d'). Son mot à M™<^ du Deffand, qui prétendait être la femme qu'il aimait le plus. 1 1.
Ayen (Le duc d'). Sa réponse à Louis XV, qui lui de- mandait s'il avait envoyé sa vaisselle à la Monnaie. 11. — Histoire incroyable qu'il conte devant Louis XV. 116.
Banqueroute de M. de Guéménée. M. de Villette l'appelle sérémssime, i3. — Vers de Racine que M. D.,. appliquait aux fréquentes banqueroutes de nos rois. i3.
Barbançon (m. de). Aveu que lui fait la duchesse de La Vallière. 68.
Barthe (m.). Plaisante semonce que lui adresse M. de ... sur ce qu'il se permet d'être jaloux. 84. — Mot dit à M. Barthe. io8c
Barry (La comtesse du). Comment elle fait le duc d'Ai-
196
TABLE ANALYTIQ^UE
guillon ministre des affaires étrangères. 3 5. — Scène avec M™^ de Beauvau. 5 3. — Secret du duc de Choiseul pour se maintenir malgré elle, 154.
Bassompierre (m. de). Sa réponse à M^^^ d'Entragues. 59.
Bassompierre (M°i^ de). Maîtresse de M. de la Galai- sière, chancelier du roi de Pologne. iSg.
Bastille. M. de Malesherbes est dissuadé par M. de Maurepas d'engager le roi à aller voir la Bastille. i3. — Mot d'un homme très-pauvre qui avait fait un livre contre le gouvernement. i3.
Beaujon (Le financier) et ses berceuses. 19,
Beaumarchais. Ce que lui dit le joueur Sablière, qu'il veut empêcher de se tuer. 87.
Beaumont (L'abbé de). Son mot à l'abbé Maury, qui est venu le voir. 98.
Beauvau (Le prince de). Grand puriste. Mot sur lui. 139.
Beauvau (La princesse de). Ce que lui dit M"^*^ du Barry pendant une visite au Val. 5 3-54,
Beauzée (M,). Leçon de grammaire qu'il donne à l'amant de sa femme. 139,
Belle-Isle (Le maréchal de). Fait faire contre le duc de Choiseul, par le jésuite Neuville, un mémoire au roi. 29.
Ben-Johnson. Dit qu'il faut prendre les Muses pour maî- tresses, et non pour femmes. 109,
Benserade (m. de). Son mot sur les précepteurs du duc de Chartres, 74,
Bernard (Le poëte). Comment il arrange le choix d'un précepteur pour le comte de Chinon. 58. — Meurt épris passionnément d'une fille. i55.
Bermère (La présidente de). Histoire galante sur la pré- sidente de Bernière. 121.
Berryer (m.). Fait mettre à la Bastille un négociant qui !'a prévenu des projets de Damiens, 49-50,
Bienfaits. Mot de M.,, sur les bienfaits. 5. — Dieu ne recommande pas le pardon des bienfaits. 126.
Bienfaiteur. Mot d'un homme à qui on disait que M,.., autrefois son bienfaiteur, le haïssait. i5.
TABLE ANALYTIQ^UE 207
BiRON (Le maréchal de). Sa confession interrompue par la boutade d'un ami, i5.
Bissi (M. de). Comment il s'impose à la présidente d'Aligre, qui veut le quitter- 38.
Blanchard (L'aéronaute). Mot sur une sotte lettre de lui. 6i.
BoiNDiN et Marmontel au café Procope. 96.
BoLiNGBROCKE (Lord). Son mot à Louis XIV sur les rois. i5.
BoRDEu (m. de), médecin. Soigne Louis XV dans sa dernière maladie. 93. — Remède étrange qu'il propose à M°ïc de Sully. 98.
BossuET. Ne put jamais apprendre au grand dauphin à écrire une lettre, i 59.
BouFFLERS (La comtesse de). Mot piquant que lui dit Rousseau. 106. — Appelle le prince de Conti le meilleur des tyrans, i 06.
BouLAiNviLLiERS (M. de). Mot qui lui est dit à propos de son cordon bleu par charge. 38.
Bourdaloue (Le P.). Comment il cause du désordre à Rouen. 1 7.
Bourdelot. Médecin de Christine, reine de Suède. Lui persuade de faire danser à Naudé et chanter à Meibomius une danse grecque. Meibomius s'en venge en le battant. 3 i.
BouTEViLLE (Le chevalier de). Réponse d'un représentant de Genève au chevalier de Bouteville. 146.
Bréquigny (M. de). Son mot sur la gourmandise des rois. 128.
Breteuil (Le bailli de). Application d'un vers de nelille que lui fait la maréchale de Luxembourg. 47.
Breteuil (Le baron de). Montre le portrait de la reine au milieu d'une rose garnie de diamants. 18. — Est fort au-dessous de Peixoto. 18. — Montre qu'on peut ballotter dans ses poches des portraits de souverains et n'être qu'un sot. 18. — Comment il n'est qu'un sot, 18. — Ce qu'en dit M°i° de Créqui. 18. — Veut renfermer l'autorité royale dans les limites où elle était resserrée sous Louis XIV.
38
298 TABLE ANALYTIQ^UE
iSy. — Pourquoi M. de Vergennes l'a laissé arriver au ministère. 171.
Brionne (La comtesse de). Rompt avec le cardinal de Rohan à l'occasion de M. de Choiseul; réponse qu'elle s'attire. 65. — Mot de M^^ de Talmont à Richelieu à propos de la comtesse de Brionne. 160.
Briffe (M. de la). Incidents à ses obsèques. 84.
Brisard ( M^^^ ). Son mot naïf à la comtesse de Gisors, qui lui reproche b nombre de ses amants. 46.
Brissac (m. de). Sa réponse au comte de Charolais, qui l'a surpris chez sa maîtresse. 27. — Comment il appelait Dieu. 48.
Brissard (m.) le père. Lettre à sa femme sur leur cha- pelle funèbre. 26.
Broglie (Le comte de). Comment Louis XV traite le comte de Vergennes dans sa correspondance secrète avec le comte de Broglie. Ô4-65.
Broglie (Le maréchal de). N'admire que le mérite mili- taire, 19. — Réponse de sa femme à son regret de s'être mésallié. 145. — Comment on le dissuade de trop s'expo- ser. 160.
Bucq^(M. du). Son mot sur les femmes. 54.
BuFFON (M. de). S'environne de flatteurs et de sots qui le louent sans pudeur. 79.
Bureau d'esprit. Mot de M°^° X... tenant un bureau d'esprit. 20.
Cachots en Espagne. M... se fait des cachots en Es- pagne. 20.
Cagliostro (Le comte de). Hâblerie de son valet. 3i. — Comment il fait épouser par M. d'Espréménil M™*' Ti- laurier. i3 2.
Calomniateurs. Traité que leur proposerait volontiers M. D... 22.
Calonne (m. de). Veut se faire remplacer par M. de Fourqueux. Manière dont Dupont de Nemours se charge de la négociation. 16-17. — Scène entre lui et M. de Choiseul. 3o-3i. — Pension qu'il fait avoir à M. de Saint-Priest. 73. — Ce que M. de Lauzun dit de leurs
I
TABLE ANALYTIC^UE 299
disputes, 87. — Est maltraité dans le livre de Mirabeau sur l'agiotage. 102. — Dit qu'il n'y a qu'un mot qui serve. i65.
I Calprenède (m. de la). Donne le nom de son roman à succès à l'étoffe de son habit. 75.
Canaye (L'abbé de). Son mot sur Louis XV et Cahusac. 92.
Caractère piquant de M. N... C'est une statue de bronze sur du marbre. 23. — Mot de M... sur son caractère. 23. — Très-fort uni à une santé délicate, comparé au chêne et au roseau. 27-28. — Caractère non vulgaire; ce que dit celui qui le possède à la Gloire et à la Fortune. 68.
Castries (m. de). Son mot à propos de la querelle de Diderot et de Rousseau. 63.
Catherine IL Son mot à Diderot sur la malpropreté des paysans russes. 5o. — Mot hardi que lui dit la Gabrielli.
CÉLÉBRITÉ littéraire. Est une espèce de diffamation. 24.
Célibataires. On accuse la philosophie moderne d'en avoir multiplié le nombre; mot de M... à ce sujet. 24.
CÉSAR. Son mot à un mauvais orateur. 40-4 1 .
Chabot (Le comte de). Comment il indique à la maré- chale de Luxembourg à quel endroit de la messe on en est. 3 3.
Chabot (Le duc de). Épigramme à propos de la Renom- mée peinte sur sa voiture. 142.
Chabrillan ( Le bailli de). Son mot au comte Schwalow. i53.
Chamfort, Comment il élude l'offre de services que lui fait M. de Vaudreuil, 170.
Charlatan. Dit la bonne aventure à un petit décrotteur.
32.
Charles IL Son mot à son frère, le duc d'York, qui lui donnait un conseil imprudent. 40.
Charles le Téméraire. Mot de son fou , après Morat. 69.
Charolais (Le comte de). Réponse qu'il s'attire de M. de Brissac. 27. — Sa manière de payer sa maison. 27.
3oo TABLE ANALYTIQ^UE
Chartres (Duc de). Son mot sur l'insulte faite par le comte d'Artois à sa sœur, la duchesse de Bourbon. 122.
Chatelet (La marquise du). Dans quels termes Voltaire se plaint à la duchesse de Chaulnes de ce qu'elle n'aime pas l'harmonie. 84.
Chatelux (Le marquis de). Amoureux de sa femme, est persiflé par M. de Genlis. 85.
Chaulnes (La duchesse de). Dans quels termes Voltaire se plaint à elle du peu de goiit de M™° du Chatelet pour l'harmonie. 34. — Son mari l'a fait peindre en Hébé; mot de M^i^ Quinault à ce sujet. 87. — Ce qu'elle dit à M™^ de Créqui sur son mariage avec M. de Giac. 64. — Ses derniers moments. 94-95.
Choiseul (Le duc de). Bon mot d'un député de Bre- tagne soupant chez lui. 29. — Comment il se venge d'un Mémoire contre lui rédigé par le jésuite Neuville. 29-30. — Comment il récompense les maîtres de poste dont il est content. 3o. — Scène entre lui et M. de Calonne à propos des lettres qu'il lui a écrites dans l'affaire La Chalotais. 3o- 3i. — Comment il prouve qu'il a une étoile pour le mal autant que pour le bien. 62. — Est la cause de la rupture du cardinal de Rohan avec M°^° de Brionne. 65. — Con- tinue après son exil à être intéressé au jeu du roi. 85. — Sa dispute avec M. de Praslin sur la question de savoir qui est le plus bête du roi ou de M. de la Vrillière. 126. — Son secret pour se maintenir malgré M'^'^ du Barry. 154.
Choiseul-Gouffier (M. de). Les paysans refusent sa proposition de faire couvrir leurs toits de tuiles. 164.
Choiseul-La Baume. (Le marquis de). Comment il se fait payer une cafetière par un oncle évêque. 21.
Christine, reine de Suède. Fait chanter à Meibomius et danser à Naudé une danse grecque par le conseil de Bour- delot. 3i.
Clairon (M^^®). Est une des quatre grandes comédiennes du siècle, 34. — Établit au théâtre la vérité du costume. 42.
Clément XI (Le pape). Accuse en pleurant le P. Le Tellier de l'avoir forcé à donner la Constitution. 41.
TABLE ANALYTIQ^UE 3or
CoLBERT. S'oppose à ce que Molière attaque les gens de finance. io3. — Ce qu'il dit de l'industrie française. 147.
Collé. Son mot à un financier. 171.
Comédiennes. Liste des huit grandes comédiennes du siècle. 34.
Comique. Une source de comique. 83.
Conclave. Mot d'un sot à propos d'un conclave. 63.
CoNDÉ (Le prince de). Étrange sujet de sermon qu'il donne au petit Père André. 8.
CoNDORCET (M. de). Divulgue le bienfait d'un ami qu'il n'aime plus, i 5 3.
Confesseur. Mot d'une comtesse à une jeune fille. 36.
CoNFLANS (Le marquis de). Son mot à M. de Fronsac. 157.
CoNTi ( La princesse de), fille de Louis XIV, Mot qu'elle s'attire d« la dauphine. i 56-157.
CoNTi (Le prince de). Dans quels termes il s'excuse en- vers la duchesse d'Orléans de ne pouvoir souper chez elle. 3 2. — Son mot sur les princes. 124. — Demande au roi le secret d'une épigramme contre M. de Silhouette. i5 5. — Ce que lui dit lord Tyrconnel en réponse à ses plaintes contre Louis XV. 170.
Considération. Comment on l'acquiert. 38.
Coquette. Avec ou sans illusion. 38.
Cour. Mot d'un homme à qui on reprochait de ne pas connaître la cour. 74.
Courtisan. Le métier de courtisan convient à la déca- dence de l'esprit, comme le jeu aux vieilles femmes. 43. — Mot sur un courtisan léger, mais non corrompu. 1 36.
Courtisane. Définition d'une courtisane non vénale. 95.
CoYPEL, peintre. Fournit à Louis XIV le moyen de pa- raître un connaisseur. 92.
Cramer (M™<^). Son mot sur M™^ Tronchin. 26.
Crébillon fils. Mort épris passionnément d'une fille i5 5.
Créqui (Le marquis de). Son mot à M. de Lauzun à propos de M. de Liancourt. 61.
Créqui-Hémon (Le marquis de). Manière dont un curé annonce sa mort. 112.
3o2 TABLE ANALYTIQ^UE
Créqui (La marquise de). Son mot sur le baron de Bre- teuil. i8. — Lettre que lui écrit un curé. 41. — Mot que lui dit M™° de Chaulnes. 64.
Grillon ( Le duc de). Mot de Richelieu à son sujet. 154.
Crime. Ce qu'il faut mettre après le crime et le mal faits à dessein, i 5,
Damiens. Un négociant, informé des projets de Damiens, prévient M. Berryer, qui le fait mettre à la Bastille. 49.
Dangeau (L'abbé de). Se console des malheurs de la guerre en constatant qu'il a dans sa cassette deux mille verbes français bien conjugués. 42.
Dangeville (M^^^). Est une des quatre grandes comé- diennes du siècle. 84.
Daron (Le président). Le régent exige sa démission de la charge de premier président à Bordeaux. 142.
Dauberval. Déclare à Lekain qu'il fera faire à la grecque le premier habit à la romaine dont il aura besoin. 43.
Dauphin (Le), fils de Louis XIV. Est consolé de l'exil de M°^° du Roure par le plaisir de n'avoir plus à lui écrire. 1 59-1 60.
Deffand (La marquise du). Mot que lui dit l'abbé d'Aydie. 11. — Massillon lui ordonne le remède du caté- chisme de cinq sous. 48. — Dit de M... qu'il est aux pe- tits soins pour déplaire. 78. — Comment dans son salon le médecin Fournier salue les gens. 1 5 1 . — Comment elle appelait le Temple de Gnide. 161.
Delille (L'abbé). Quelqu'un lui promet le premier bé- néfice à la nomination de Virgile. 44. — Ne sait pas gar- der le secret de ses vers. 109. — Mot de Turgot à l'abbé Delille. 145.
Delon, médecin mesmériste. Son mot sur un malade mort. i38.
Denis (M"^"), nièce de Voltaire. Compliment naïf qu'elle reçoit après avoir joué Zai're. 4$.
Despotisme. Définition d'un certain despotisme. 5o.
Dévot. Mot d'un dévot sur la foi. 9.
Diderot. Comment il se reproche, à soixante-deux ans, d'être amoureux de toutes les femmes. 36. — Fiction dont
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TABLE ANALYTIQ^UE 3o3
il use pour reconcilier un oncle avec son neveu. 47. — Mot que lui dit Catherine II sur la malpropreté des paysans russes. 5o. — Son portrait de M. d'Épinay. 184. — Trahit lui-même son secret. i53. — Son mot à un aventurier. 173.
Dieu. Preuve de l'existence de Dieu, suivant Dorilas. 5i- $2. — Mot d'un incrédule au sujet de l'éternité de Dieu. 142.
Différence entre les principes de deux hommes de cour. 56.
Dîner. Mot d'un homme qui, à un grand dîner, ne dis- tingue pas les plats, 5 3. — Festins meurtriers qu'on se donne dans le monde. 66.
Discours de remerciement d'un homme condamné à être pendu. 109.
Distique. Mot sur un distique. 49.
Donne. Satirique anglais. Ne veut pas tonner sur les vices sans attaquer les vicieux. 172.
Donner. Lequel est le plus agréable, de donner ou de recevoir. 5o-5i.
Dubois (L'abbé). Mot que lui dit le régent au bal de l'Opéra. 141.
DuBREUiL (M.). Son mot touchant à son ami Pechméja. 54. — Dialogue à son sujet entre M™° de Tessé et M°^° de Champagne, 161.
DucLos. Sa définition de l'abbé d'Olivet. $4. — Son mot sur un sermon. 54-55. — Grondé par l'abbé de Resnel sur ce qu'il jure en pleine Académie. 63. — Con- versation avec M™o de Mirepoix et M°^° de Rochefort. 77. — Comment il nomme les Romains modernes. 82. — Son paradis d'après M™'^ de Rochefort. 126.
Duel. Mot d'un duelliste. 5 3.
DuMÉNiL (Mii°). Est une des quatre grandes comédiennes du siècle. 34.
Dupont de Nemours. Se charge d'aller négocier le rem- placement de M. de Calonne par M. de Fourqueux. 16-17.
Duras (Le maréchal de). Punition dont il menace son fils. 157.
3o4 TABLE ANALYTIQ^UE
DuTHÉ (M^^^), Combien de tempselle pleure un amant. 55.
Écossais. Mot d'un Écossais à propos des Américains. 121.
Egmont (La comtesse d'). Déception que lui fait éprouver un descendant de du Guesclin. 5 7. — Comment elle ar- range le choix d'un précepteur pour son neveu. 5 7-58.
Egoïste. Définition d'un égoïste. 124.
Éloges. La manière dont on les distribue donnerait envie d'être diffamé. 59.
Embonpoint. Ce qu'on dit de celui de l'avant-dernier évèque d'Autun, monstrueusement gros.
Enfants. Égoïsme des enfants. 58.
Ennemis. Comment ils ne peuvent rien sur M... 59.
Entragues (M^^*^ d'). Réponse qu'elle s'attire de Bassom- piene. 59.
Épigrammes. Mot d'un faiseur d'épigrammes. 59-60.
Épinay (M. d'). Son portrait par Diderot. 134.
Esparbès (M°^° d'J. Dialogue nocturne entre elle et le roi Louis XV. lo-i i .
Espion de police. Définition d'un espion de police. 60.
EspRÉMÉNiL (M. d'). Comment Cagliostro lui fait épouser M""^ Tilaurier. 182.
Esprit. Sert à M°^^ de G... à être moins méprisée que beaucoup de femmes moins méprisables. 75.
Estaing (Le comte d'). Ce que lui dit la reine à son re- tour de la campagne de la Grenade. 61.
Estime. Mot d'un homme qui estime autant qu'il le peut. 62.
Estrées (Le maréchal d'). Mot de joueur que lui dit Louis XV. 86.
États de Béarn. Serment de fidélité du roi aux États de Béarn. 19.
Étioles (Le Normand d'). Mari de M™° de Pompadour. Ce qu'il fait d'un présent cynégétique de Louis XV. i36.
Évèque de Dol. Prononce un discours fanatique au sujet du rappel des protestants. 63. — Réplique qu'il s'attire de l'évêque de Saint-Pol. 63.
Faim. Mot d'un homme sans appétit. 7.
TABLE ANALYTIQ^UE 3o5
Femmes. Mot de M... sur les femmes. 65. — En quoi leur commerce est nécessaire à M... 166.
Fierté. Ce qu'il y a de mieux en ce genre. 66.
Filles. Mot dit pour excuser un jeune homme d'aimer trop les filles. 11. _ Mot de M. de L... sur un jeune homme dont on disait qu'il n'aimait que les filles. 166.
Fleury (L'abbé, puis cardinal de). Aveu que lui fait la maréchale de Noailles. 120.
Florian (m. de), m. de Th... regrette qu'il n'y ait pas de loups dans ses bergeries. 14.
Foncemagne (m. de). Mot de M. Saurin sur son honnê- teté. l5 2.
Fontaine de Jouvence. C'est l'oubli. 66.
FoNTENELLE (M. de). Son mot dans sa querelle avec l'archevêque de Paris à propos d'un chœur de prêtres dans un opéra. 3 3. — Son mot à propos d'une quête à l'Acadé- mie française. 66. — Son reproche à une femme qui l'avait dédaigné. 67. — Son mot à un repas de gâteau des rois. 67. — Sa réponse à la question : Comment cela va-t-il} 67. — A une femme qui lui disait : « La mort nous a ou- bliés. » 67. — Le comte de Grammont l'oblige d'approu- ver le manuscrit des Mémoires. -jS. — Son compliment à Mme Helvétius. 76. — Avait été refusé trois fois à l'Acadé- mie. 141 ,
Fou. Mot d'un fou de cour très-sage. 69. — Mot du fou de Charles le Téméraire. 69.
Fournier, médecin. Ses formules diverses de salutation chez Mme du Deffand. i 5 i .
Fox (M.). Trouve deux grands plaisirs au jeu. 86. — Son mot à la naissance d'un enfant qui le déshérite. 106.
Frédéric II, roi de Prusse. Fait grâce à un homme de Breslau qui a volé dans une église. 20-21. — Fait ré- pandre de faux plans topographiques. 2 3. — Mot de son cocher, qui l'a versé. 3 3. — Son mot à d'Alembert sur un beau laquais à son service. 3 3. — Dit qu'il n'y a pas d'homme qui ait fait la moitié de ce qu'il aurait pu faire. 59. — Sa rigueur contre un délateur. 69. — Son mot sur
le butin fait à Dresde chez le comte de Bruhl. 70.
Chamfort. II. 3 g
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3o6 TABLE ANALYTIQ^UE
Comment il récompense les habitants de Berlin de leur ac- cueil triomphal à la fin de la guerre de Sept ans. 70. — Tour qu'il joue à des juifs faux-monnayeurs. 70. — Sa réponse à une requête. 71, — Son mot sur Louis XIV. 92. — Mot de son frère le prince Henri sur sa popularité à Neuchâtel. 122. — Réponse d'un soldat à qui il demande l'origine d'une balafre, 145. — Son mot à d'Alembert sur ce que le roi ne lui a pas parlé. 148. — Sa définition du régiment de Champagne. 148. — Ce que dit Voltaire en le voyant pleurer. 173.
Frise (Le comte de). Son mot à d'Arnaud qui lui trouve des cheveux de génie. 29.
Fronsac (Le duc de). Comment sa force est dans ses cheveux. 28. — M^i° Arnoult est chargée de lui indi- quer un précepteur pour son fils. 58. — Ses chansons à un souper chez M. de Conflans. 157. — Manque d'être pris pour un évêque. 169.
Gabelle. Trait de l'horreur des paysans bas bretons pour la gabelle. 7 i .
Gabrielli (La). Célèbre chanteuse. Son mot hardi à Catherine II. 54.
Galaisière (L'abbé de la). Son mot au portier de M. Orry. 107.
Galaisière (M . de la). Son mot au roi Stanislas sur les 1 changements d'heure de son dîner. 48. — Mot de Stanislas j à sa maîtresse, i 59. j
Gascon. Instituteur des enfants d'un seigneur russe, ne leur apprend que le basque. 71. — Mot d'un Gascon au j roi. 72.
Gaussin (M^^^). Sa réponse à un financier entrepre- » nant. i3. j
Gazetier. Comment il évite de se prononcer sur la mort | du cardinal Mazarin. 73. S
Général. Mot d'un général employé dans une guerre difficile et ingrate. 5 5.
Genève. Belle réponse d'un député de Genève au che- valier de Bouteville. 146.
TABLE ANALYTIQ^UE Soy
Genlis (M^o ^e). Est une des quatre grandes comé- diennes du siècle... à la ville. 84.
Genlis (Le marquis de). Son mot au marquis de Cha- telux. 85. — Se moque de la vanité de M. de Fronsac. 169
Geoffrin (M^^). Son mot sur sa fille. 124.
Goutte. Croix de Saint-Louis de la galanterie. 58. — Ressemble aux bâtards des princes. 74.
GouvERNEMENTd'Angleterre. Pourquoi il est excellent. i3 5.
Gouvernement en France. On ne rirait plus sans le gou- vernement. 166.
Gouverneurs de province. Mot d'un ministre sur les gouverneurs de province. 64.
Grâce. Ce qu'on appelle la grâce suivant M... 74.
Grandir. Comment on peut grandir de la tête. 2 5.
Grammont (Le comte de). Vend i,5oo livres le manu- scrit des mémoires où il est si clairement traité de fripon, et oblige Fontenelle de l'approuver. 75.
GuÉMÉNÉE (Le prince de). Comment le marquis de Villette appelait sa banqueroute. i3.
Guesclin (du). Déception qu'un de ses descendants fait éprouver à M"i° d'Egmont. 57.
Hamilton. Le comte de Grammont oblige Fontenelle d'ap- prouver les Mémoires. 75.
Hamilton (Lord). Fait porter sur la carte un garçon qu'il a tué dans une auberge. 71.
Harlay (M. de). Premier président. Sa façon d'imposer silence à l'audience. 76.
Harris (m.). Ce qu'il dit du traité de commerce de 1786 avec l'Angleterre. i63.
Helvétius. Dans sa jeunesse était beau comme l'Amour. Mot de M^ic Gaussin à ce propos. 13-14.
Helvétius (M^e). Compliment que lui fait Fontenelle 76.
Henri IV. Jugé par l'abbé de Voisenon. 77. — Com- ment il s'y prend pour faire connaître à un ambassadeur d'Espagne le caractère de ses trois ministres. 102.
Henri (Le prince) de Prusse, frère de Frédéric. Comment, dans une conversation avec l'abbé Raynal, il trouve moyen
3o8 TABLE ANALYTIQ^UE
de placer son mot. 77. — Son mot sur la popularité de son frère à Neuchâtel. 122.
Hercule. Chanson sur Hercule, vainqueur des cinquante pucelles. 26.
Hervey (Lord). Son mot en traversant une lagune. 100.
Hollandais. Aventure d'un Hollandais qui sait mal le
français* i lo-i 1 1 .
Hommages. Pourquoi certaines femmes refusent-elles les hommages offerts pour courir après ceux qu'on leur refuse.
12.
Homme. Sa définition par M.... 7.
Homme de lettres. Mot d'un homme de lettres en ré- ponse à quelqu'un qui lui demandait des nouvelles de son poëme, 2. — Mot d'un homme à qui un grand seigneur faisait sentir la supériorité de son rang. 78.
Honnête. Pourquoi on est plus honnête en France avant trente ans que passé cet âge. i36.
HouzE (Le baron de la). Rusé Gascon. Parti qu'il tire d'une relique. 39.
HussoN (M.). Conseiller au parlement. Comment il se récuse dans un procès du maréchal de Noailles. 126.
Idéal de M. de.... Se défranciser et se débaptiser. 75.
Illusions. Mot d'un homme sans illusions. 149.
Importunité. Trois choses qui importunent M. N., au sens figuré comme au sens propre. 20.
Index. La philosophie, disait M... , doit avoir aussi son index. 80.
Injustice. Conseil d'un vieillard à un homme trop sen- sible à l'injustice, i i.
Inscriptions. Dispute sur la préférence qu'il convient de donner à la langue latine ou à la langue française. 2.
Ivrogne. Mot d'un ivrogne. 72.
Invault (m. d'). Contrôleur général. Le roi lui refuse la permission de se marier. 182.
Jacques 11. Comment Charles 11 repousse un conseil du duc d'York, futur Jacques 11. ^o. — Touche les écrouelles en qualité de roi de France. 84.
TABLE ANALYTIQ^UE 809
Jalousie. Mot d'une jeune fille dont la mère est jalouse.
Jansénistes. Comment l'archevêque de Lyon passe pour être janséniste. 1 66.
Jaucourt (m. de). Comment il dissuade le maréchal de Broglie de trop s'exposer. 160.
JÉRÔME (Saint). Ce que M... dit de la lettre où il peint sa lutte contre ses passions. 77.
JÉSUITES. N'étaient pas fâchés qu'on dise qu'ils assassi- naient les rois, i 2 5.
Joueur. Mot d'un joueur. 86. — Leçon donnée à un joueur par un de ses amis. 89.
Kankan. Locution populaire pour bruit. D'où vient cette expression. 3 2.
Lacour (M'^°), de l'Opéra. Son mot au duc de la Val- lière qui le subjugue à jamais. 40.
La Fontaine. Se flatte que les damnés s'accoutument à l'enfer. 41.
Lapdant (L'abbé). Comment il devient le précepteur du comte de Chinon. 58.
La Roche-Aymon (Le cardinal de). Scène entre lui et l'abbé Maury. 11 5. — Son mot sur son confesseur. 128. - — Ses plaintes à l'abbé Maury sur l'abbé de la Luzerne. 172.
Lassay (Le marquis de). Son mot sur le crapaud à avaler tous les matins à la cour, 40.
Latour (de), le peintre. Réplique qu'il s'attire de Louis XV. I 06.
Lauraguais (M. de). Sa lettre au marquis de Villette. 122.
Lauzun (Le duc de). Soupe avec deux géantes de la foire. 82. — Mot que lui dit M. de Créqui à propos de M. de Liancourt. 61. — Ses disputes avec M. de Calonne. 87. — Ce qu'il feroit en cas de grossesse de sa femme. 144.
Laval , maître de ballet. Offensé d'être pris pour un des messieurs de Laval. i2 3.
Lekain. Est le premier à se soumettre à la vérité du cos- tume au théâtre. 42.
3lO TABLE ANALYTIQUE
Lemierre (m.). Différence qu'il trouve entre sa pièce de la Veuve du Malabar^ en 1770 et en 1781. 171.
Le Tellier (Le P.). Accusé par le pape Clément XII d'être l'auteur de la Constitution. 41.
Le Tellier-Louvois. Archevêque de Reims. Infatué de son rang et de sa naissance. Aventure qui lui arrive. 166- 168.
Lettres d'amour. Les femmes commencent à les garder vers trente ans. 90.
LÉvis (Le maréchal de). Mot de l'évêque d'Arras en re- cevant le corps du maréchal de Lévis. 3 8- 3 9.
Levret (m.), célèbre accoucheur. Sa réponse au dau- phin. 90.
LiANCouRT (Le duc de). Mot de M. de Créqui sur lui, 61.
Lorry, médecin. Louis XV mourant l'entend avec dépit dire : Il faut. 93. — Comment il expliquait sa disgrâce auprès de M™^ de Sully. 98.
Louis XIV. Réponse que lui fait Bolingbrocke, à qui il disoit que les Anglais n'aiment pas les rois. i5. — Re- proche à Dieu ce qu'il a fait pour lui. 48. — Jugé par l'abbé de Voisenon. 77. — Frédéric II en est jaloux. 92.
— Subterfuge dont il use pour paraître connaisseur. 92. — Se plaint chezM"^*' de Maintenon de la division des évêques. Mot de M™° de Caylus à ce sujet. 107. — Sa santé con- sole la cour des plus grands malheurs. 148.
Louis XV. Son mot à la mort de M"^^ de Châteauroux. 6. — A un trésor particulier. 24. — Comment il prend le duc d'Aiguillon pour ministre des affaires étrangères. 3 5,
— N'aime pas M. de Vergennes. 64. — Permet que le duc de Choiseul, exilée demeure intéressé à son jeu. 85. — Son mot de joueur au maréchal d'Estrées. 86. — Choqué de ce que ses médecins disent : // faut. 93. — Refuse une maî- tresse parce qu'elle coûterait trop cher à renvoyer. 93. — Son mot au peintre La Tour. 106. — Intrigues pour son mariage. 114. — Histoire incroyable contée devant lui par le duc d'Ayen. 116. — Refuse à M. d'Invault la permis- sion de se marier. i3 2. — Envoie à M. d'Étiolés une ra-
TABLE ANALYTIQ^UE 3 II
mure de cerf. i36. — On lui présente le projet d'une cour plénière. Singulier mémoire à ce sujet. i38. — Garde au prince de Condé le secret de ses épigrammes contre M. de Silhouette, i 5 5.
Louis XVI. Comment il paraît terrible aux musiciens. 93.
LowENDAHL (Le comte de), fils du maréchal. M™° de Maurepas le fait danser le jour de son retour de Saint-Do- mingue. 42.
LuCHET (M'^o de). Compte que lui fait sa femme de chambre. 78.
Luxembourg (Le maréchal de). Son mot plaisant au sor- tir de la Bastille, i 10.
Luxembourg, crieur de la Comédie française. Regrette qu'elle soit transportée au Carrousel. 84.
Luxembourg (La maréchale de). Comment le comte de Chabot lui indique le moment de la messe où elle arrive. 3 3. — Vers de Delille dont elle fait l'application plaisante.
47-
LuYNES (M. de). Quitte le service pour un soufflet non rendu, et devient archevêque de Sens. io2-io3.
Luzerne (L'abbé de la). Donne de l'humeur au cardinal de La Roche-Aymon. 172.
Machault (m. de). Comment M. de Maurepas devient premier ministre à sa place. 3 5 — Projet d'une cour plé- nière présenté au roi. i38.
Madame, fille du roi Louis XV. Son étonnement en voyant que sa bonne a cinq doigts comme elle. 16.
Magistrat de Berne. Mot d'un magistrat de Berne sur le livre de VEsprit et le poëme de la Pucelle. 61.
Maine (La duchesse du). Ce qu'elle appelle « son parti- culier ». 127.
Maintenon (M™*^ de). Se compare aux carpes de la pièce d'eau de Marly. 2 3 .
Mairan (m. de). Sa définition de l'honnête et du mal- honnête homme. 2 . — Comment il obtient le silence à l'Académie. 49.
Major de place. Mot de lui que rappellent les représen- tations de certaines pièces. 107.
3l2 TABLE ANALYTIQUE
Malesherbes. m. de Maurepas le dissuade d'engager le roi à aller visiter la Bastille. i3. — Conte l'histoire d'un négociant mis à la Bastille par M. Berryer. 5o.
Malheur. Ce qu'on dit d'un homme tout à fait malheu- reux. 78.
Marchand, avocat. Son mot sur l'administration , la jus- tice et la cuisine. 2.
Mariage. Mot d'un académicien sur le mariage, i. — Mot de M. de B... à propos du bruit qu'il allait épouser son amie intime. 5. — Réponse de M... à la question s'il se marierait. 14. — Mot d'un mari qui bâille. Sg. — Mot de M... sur la femme qu'il lui faudrait. 65. — His- toire d'un homme qui refuse d'épouser sa maîtresse parce qu'il ne saurait où aller passer ses soirées. 76. — Exemple des gentillesses que lemariagepeutproduire. 94. — M. ..voudrait qu'on put le faire à bail. çS. — M°^° de B..., ne pouvant rien faire de son amant, l'épouse. 95. — Mot d'un mari à sa femme. 96. — En quels termes M. de L... refuse de se marier. i36. — Mot d'un célibataire qu'on pressait de se marier. 187. — Mot sur le mariage d'un homme de vingt deux ans avec une femme de soixante-cinq ans. 89. — Manière de reconnaître à table deux personnes mariées. 143. — Mariage d'un homme de cinquante ans avecune fille de treize ans. i 59.
Marie-Antoinette. Ce qu'elle dit au comte d'Estaing à son retour. 61 .
Marie-Stuart. Sa devise. 5o.
Marie-Thérèse. Comment l'évêque de Saint-Brieuc, dans son oraison funèbre, se tire d'affaire sur sa participation à la mutilation de la Pologne. 126.
Marivaux (M. de). Disait que le style a un sexe. 134.
Marlborough (Lord). Mot qui lui est dit à la tran- chée. 143.
Marmontel et Boindin au café Procope. 96.
Marville (m. de). Dit qu'il ne peut y avoir d'honnête homme à la police. 96.
Masque de fer (L'homme au). Est un frère de Louis XIV.
97-
mi
TABLE ANALYTIQUE 3l3
Massillon. Vers galants adressés par lui à M^e je Si- liane 26. — Ne trouve de remède à rincrédulité précoce de Muo de Vichy-Chamrond qu'un catéchisme de cina sous, 43. ^
Maugiron (m. de). Action horrible commise par lui 06 Maupertuis. Mot qui le peint tout entier. 187 Maurepas (m. de). Comment il reçoit une lett're du roi destinée à M. de Machault et devient premier ministre. 2 5 — Fait par badinage avec M. de Saint-Florentin la répéti- tion du compliment de renvoi. 44.
Maurepas (M^ic ^^y pait danser le comte de Lovvrendal le jour de son retour de Saint-Domingue. 42.
Maury (Abbé). Sa visite intéressée à l'abbé de Beau- mont. 98. — Scène plaisante entre lui et un vieux con- seiller, loo-ioi. — Scène entre lui et le cardinal de la Roche-Aymon. ii5. — Ce que lui dit le cardinal en re- venant de l'assemblée du clergé. 172.
Mazarin. Étoit marié avec Anne d'Autriche. 97. Mazarin (La duchesse de). Sa réponse aux exhortations suprêmes du curé de Saint-Sulpice. 14.
MÉDECIN. M... hait si fort le despotisme qu'il ne peut souf- frir le mot « ordonnance de médecin ». 46. — Mot dit à un médecin. 98. — Réponse d'un médecin à qui on reproche d'être le médecin Tant pis. 160.
Meibomius. Érudit allemand. Comment il se venge de Bourdelot, qui a persuadé à la reine Christine de lui faire chanter un air grec. 3 i .
Menteur. Mot dit à un menteur, iio. Mépris. Formule de M... pour exprimer le mépris. 10. MÉROPE. Pourquoi une femme ne pleure pas à une re- présentation de Mérope. i3 3.
Mesmes(M. de). Épigramme inscrite sur son hôtel. 11 3. Millionnaire. Mot d'un millionnaire. 147. MiLTON. Son désintéressement. loi. Ministre. Il est moins dangereux d'offenser le ministre que l'homme qui le sert dans la garde-robe. 36. — Les ministres en place parlent de leur retraite comme les ma- lades de leur mort, sans y croire, 102, — Moyen original
40
3l4 TABLE ANALYTIQ^UE
de faire chasser un ministre. io8. — Les ministres finissent souvent par porter envie à leurs commis. 114.
Mirabeau (Le comte de). Comment il se défend d'une accusation de rapt et de séduction. 86. — Son livre sur l'agiotage (où M. de Calonne est maltraité) n'en a pas moins, dit-on, été payé par lui. 102.
Misanthrope, Mot d'un misanthrope. 16. — Autre mot sur la méchanceté des femmes. 48. — Mot d'un mi- santhrope plaisant. 142. — Moyen de ne pas devenir mi- santhrope. i56. — Autre mot d'un misanthrope. i56.
Moïse. Mot de M.... à propos des six mille ans de Moïse. io3.
Molière. N'a jamais attaqué les gens de finance. io3.
Molière (L'abbé de). Scène entre lui et un voleur. 10S-104.
Montbarey (Le chevalier de). Son mot sur la société de province. 36,
Monde. Ce qui le rend désagréable. 69. — Il faut dire aux masques : Je vous connais, ou leur laisser l'espérance de vous tromper. 97. — Application au monde d'un mot de M... 140.
MoNTAZET (M. de). Archevêque de Lyon. Sa ruse pour éviter l'effet d'une dénonciation. 93. — Scène entre lui et une chanoinesse sœur de M™° de Tencin. 104-105.
MoNTESSON (Mn^° de). Est une des quatre grandes comé- diennes du siècle... à la ville. 34.
Montevnard (m. de). Opinion du duc de Choiseul sur lui. 62.
MoNTCALM (Le marquis de). Mot que lui dit un chef de sauvages, i i 3.
MoNTMORiN (M™° de). Son conseil à son fils entrant dans le monde. io5.
MoNTPENSiER (La duchesse de). Donne à ses pages de quoi perdre les tentations dont elle est cause, i Sy.
Mot sublime d'un paysan à propos de ses enfants. 128.
Motte (M™^ de la). Son supplice fait renchérir son portrait. 134.
Mourir. Il est inutile d'apprendre à mourir. 107.
TABLE ANALYTIQ^UE 3l3
MussoN et Rousseau, bouffons de société. Mot de l'un à l'autre, i 1 3.
Mystification. Exemple d'une mystification, 83.
Nadaillac (m. de). Dénature un mot du dauphin relatif au prince cardinal de Rohan. i 19.
Naïveté d'enfant. 116. — D'une petite filie. 116. — D'un fossoyeur. 11 6- 117. — D'un soldat irlandais. 117. — D'un Suisse du roi. i i 7-1 1 8. — D'un juge. 118, — D'un docteur en Sorbonne. 118. — Traits divers, i 19.
Narbonne (Le chevalier de). Comment il persifle la fa- miliarité d'un inconnu. 80.
Nature. Comment elle a agi en nous accablant de mi- sères et en nous donnant un attachement invincible pour la vie. 6.
Naudé. Danse devant Christine de Suède une danse grec- que. 3 i .
Necker (m.). Observation qui fait tomber en un instant l'enthousiasme qu'il inspire. i3i.
Necker (M'""^). Est une des quatre grandes comédiennes du siècle... à la ville. 34.
Nemours (M™° de). Portrait qu'en fait M. de Ven- dôme. 134.
Néricault-Destouches. Quitte Paris la veille de la pre- mière représentation de ses pièces. 5o.
Nesle (Le comte de). Fait battre sa femme par M. de Soubise. 99.
Nesle (La comtesse de). Est battue par son amant sur un conte de son mari. 99.
Neuville (Le P.). Jésuite. Comment le duc de Choiseul découvre qu'il est l'auteur d'un mémoire contre lui, et s'en venge. 29-30.
Nivernois (Le duc de). Rappelle à M. de Tressan des couplets faits contre lui. 99.
N0AILLES (Le vicomte de). Mot d'une dame quittée par lui. 4. — Est passionnément aimé par M""^ de Voyer. i55.
NoAiLLEs (Le maréchal de). Pleure à la tragédie par hon- nêteté. 79.
3i6 TABLE ANALYTIQUE
NoAiLLES (La maréchale de). Écrit à la Vierge. 89. — Son aveu au cardinal de Fleury. 119.
NoAiLLES (Le duc de). Sa consultation sur le cas d'un des gardes du roi devenu malade. 56.
Noblesse. Ce que M... est tenté de dire quand il voit un homme de qualité faire une lâcheté. i2 3. — Preuves de noblesse annoncées par de mauvais vers. i2 3. — Ob- servation sur la noblesse. i38.
Nobles. Au Pérou peuvent seuls étudier. 122.
Nobles de Savoie. Mot de quelques nobles de Savoie au roi de Sardaigne. 122.
Notables (Assemblée des). Plaisanterie sur l'Assemblée des Notables, i 29.
Olivet (L'abbé d'). Sa définition par Duclos. 54.
Opéra. Mot d'une femme d'esprit à une représentation d'Armide. 7. — Mot d'un plaisant qui voit exécuter en ballet le : Qu'il mourût! de Corneille. 12.
Opinion publique. Mot de M,., sur l'opinion publique.' I 24-1 25.
Œuvre. Une bonne œuvre de M.... 17.
Orléans (La duchesse d'). Remontrance qu'elle s'attire de sa belle-mère. 80.
Ormesson (M. d'). Remontrance qu'il s'attire de M. Pel- letier de Morfontaine, son beau-père. 91.
Orsay (Le comte d'). Se plaint par vanité de ce qu'on a diminué la capitation. 141.
Parabère (La comtesse de). Mot que lui dit le régent. i5i.
Paradis, Ce qui a fait la fortune du paradis. 67.
Passions. Manière dont M... étouffe ses passions. 127.
Pechméja (m.). Mot touchant que lui dit son ami Du- breuil mourant. 54.
Pelletier de Morfontaine (M.). Sa semonce à son gendre M. d'Ormesson, contrôleur général. 91.
Perche, poisson. Comparaison de M. B... avec une perche. 12.
Phèdre. Mot dit à un homme qui avait vu jouer Phèdre par de mauvais acteurs. 1 1 1 .
TABLE ANALYTIQ^UE 3ïJ
Philosophe. Accroît tous les jours la liste des choses dont il ne parle plus. 91. — Doit commencer par avoir le bon- heur des morts, puis celui des vivants. 16, — Mot d'un philosophe sur les sauvages et les enfants. i2 5. — Lettre d'un philosophe, i 3 i .
Pierre P"" (Le czar). Comment il cherche à savoir ce que c'est que le supplice de la cale, i3i.
PiTT (M^i^). Son mot à un homme qui l'intéresse.
Place. Mot de M... en refusant une place. 7. — Autre mot sur le même sujet. 8. — En quels termes M... refuse de quitter une place. 129.
Poissonnier (M.), médecin. Mot de Voltaire à Poisson- nier. 120.
Police. La plupart des règlements de police ne sont guère que des spéculations de finances, 82. — Mot sur la police. i33.
Polichinelle. Est envoyé à Bicêtre. 84.
PoMPADOUR ( M™^ de). Court après Louis XV aux chasses, n'étant encore que M°^° d'Etiolles. i36. — Fait présenter au roi le projet d'une cour plénière. Curieux mémoire à ce sujet. i38.
PoPELiNiÈRE (M. DE la). Son mot sur son chien. 5.
PoRQUET (L'abbé), Réponse du roi Stanislas à ses plaintes de n'avoir point de bénéfice.
Portier. Mot sublime d'un portier, 134.
Portugais. Définition du Portugais par lord Tyrauley. 60.
Prédicateur de la Ligue. Texte pris pour son sermon par un prédicateur de la Ligue. i36.
Préjugé relatif aux peines infamantes. 129.
Prêtrise (État de). Mot d'un homme épris de l'eut de prêtrise. 173.
Prie (La marquise de). Sédition causée par un accapare- ment de blé fait par elle. 108.
Procession de Sainte-Geneviève. Mot d'un évêque à ce sujet, 60.
Protection. Mot de la duchesse de B.... 19.
Provençal. Politique d'un Provençal à idées plaisantes. 162.
3l8 TABLE ANALYTIQ^UE
Proverbe. Rappelé par deux femmes de la cour passant sur le pont Neuf. 2 5.
Public. Mot de M. de B..., peu ménagé par le public. 12. — A quoi ressemblent ceux qui se justifient devant 1^ public. 86. — Genre de respect qu'il mérite. 189. — Sa définition par M.... 139.
Question épineuse. Réponse de M... à une question épineuse. 140.
QuiNAULT (M^^°). Sa réponse au duc de Chaulnes, qui lui demande comment il doit se faire peindre. 3 7.
Racine. Côtés plaisants de son histoire de Port-Royal. I 34-1 35.
Raynal (L'abbé). Sa conversation en monologue avec le prince Henri de Prusse. 76. — Messe à vingt sous qu'il cède à l'abbé de la Porte, qui la cède à l'abbé Dinouart, chacun retenant une part. 101.
Recupero (Le chanoine). Est tancé par la cour pour avoir dit que le monde ne peut avoir moins de 14,000 ans. I o5.
RÉGENT (Le duc d'Orléans, plus tard). Difficulté d'élever un gouverneur pour lui. 74. — Comment il accorde une abbaye d'abord refusée, iio. — Son mot à l'abbé Dubois, au bal de l'Opéra. 141. — Sa réponse au président Daron. 141. — Réponse plaisante que lui fait Voltaire. 143. — Son mot à M'"<^ de Parabère. i5i.
RÉGIMENT de Champagne. Ce qu'en dit le roi de Prusse. 148.
Religion. Réponse faite à un soldat qui demande quelle est la meilleure religion. 112.
Resnel (L'abbé du). Sa remontrance à Duclos, qui jure en pleine Académie. 63.
Retraite. Utilité de la retraite pour la force de l'esprit. i33.
Retz (Le cardinal de). Son mot à un homme qui le couchait en joue, i 2 3.
RÉVOLUTION de 1789. Pourquoi M. R... ne s'y est nul- lement montré. 2 5.
TABLE ANALYTIQ^UE 3î()
Reynière (M™^ de la). La maréchale de Luxembourg lui applique un vers de Delille. 47. — Mot que lui dit un grand seigneur qui soupait chez lui, i58. — Ce que dit de lui un de ses convives. 159.
Richelieu (Le cardinal de). Médaille où il figure avec Louis XIII. 98.
Richelieu (Le maréchal de). Propose à Louis XV une maîtresse qui est refusée, 98. — Aveu que son souvenir arrache à M""^ de Saint-Pierre. i5i. — Son mot au sujet du siège de Mahon. i5 5. — Mot de M"^^ de Talmont au maréchal de Richelieu. 160,
RocHEFORT (La comtesse de). Son mot sur l'avenir. 10. — Son mot à Duclos. 77. — Son autre mot à Duclos sur son paradis, i 2 5.
RocHESTER. Son mot à un poltron. 58-59.
RoHAN (Le cardinal de). Son mot à M™® de Brionne. 65, — Mot du dauphin sur lui, dénaturé par M. de Na- dailhac. i i 9.
Roi d'Espagne. Colère d'un chambellan à qui on a dit que le roi travaillait. i63.
Roi de France. Sa définition par M.... 147.
Roi DE Portugal. Était absent de Lisbonne, ainsi que la reine, le jour du fameux tremblement de terre. A tou- jours ignoré l'étendue du désastre. 164.
RoQUEMONT (M, de). Sa philosophie conjugale. i5o.
RoucHER. Mot que dit Turgot à Delille en lisant son poëme des Mois. 14 5.
RouRE (La comtesse de). Billets que lui écrit le grand dauphin. 159,
Rousseau (J. -Jacques), C'est un hibou, mais c'est celui de Minerve. 77. — Passe pour avoir eu la comtesse de Boufflers. io5. — Comment il reçoit un faiseur de com- pliments. 149-150. — N'est pas courtisan aux échecs, i 5o.
RoY. Poète. Ce que Voltaire dit de lui. i5o.
RuLHiÈRE (M, de). Mot sur lui. 140. — Sur sa méchan- ceté, 145.
Sablière (M, de). Joueur fameux. Ce qu'il dit à Beau- marchais, qui veut l'empêcher de se tuer. 87,
320 TABLE ANALYTIQUE
Saint-Huberti (M^ie de). Est une des quatre grandes comédiennes du siècle. 84.
Saint-Florentin (M. de). Fait avec M. de Maurepas,
par plaisanterie, la répétition du compliment de renvoi. 44.
Saint-Malo. Réponse d'un Breton de Saint-Malo à la
question de M. de Court : Pourquoi la ville est-elle gardée
par des chiens? 29.
Saint-Julien (M. de). Compte de ses dettes que lui remet son fils. 46-47.
Saint-Pierre (L'abbé de). Sa manière d'approuver les choses. i38.
Saint-Pierre (La duchesse de). Aveu qui lui échappe à propos de Richelieu. i5i.
Saint-Priest (Le vicomte de). Comment M. de Calonne lui fait avoir une pension de 20,000 livres, 78. Santé. Moyen de rétablir sa santé. i52. Saurin. Son mot sur l'honnêteté de M. de Foncemagne.
l52.
Saxe (Le maréchal de). Son mot sur les critiques des bourgeois de Paris. 11 1 . — Mot que lui dit M. de Thiange à Raucoux. i 5 2.
ScHWALOw (Le comte). Mot du bailli de Chabriilan au comte de Schwalow. i5 3.
Secours donné à un malheureux par un autre. 17.
SÉGUR (Le maréchal de). Plaisante conséquence de l'or- donnance par laquelle il prescrit de n'admettre dans le corps de l'artillerie que des gentilshommes. 81.
Senevoi (m. de). Comment il est obligé d'accorder un congé demandé. 36-37.
Siège. Sang-froid d'un porteur d'eau pendant un siège, i 5 2 .
Silhouette (M. de). Contrôleur général. Le roi garde au prince de Conti le secret d'une épigramme contre lui. i5 5. — Redoute les chansons faites contre lui. 175.
Simiane (M™° de). Petite-fille de M^^e de Sévigné. Est en commerce de galanterie avec Massillon. 26-27.
SixTE-QuiNT. Tance un prieur jacobin de Milan pour lui avoir jadis prêté de l'argent. i56.
TABLE ANALYTIQ^UE 321
Société. Plusieurs choses y choquent la nature. 121.
Qu'est-ce qui rend le plus aimable dans la société? 182.
Solitude. Comment M... explique son goût pour la so- litude. 43.
Solliciteuse. Obtient par le commis d'un commis ce qui avait été refusé par le ministre. 129-130.
Sot. Cruche sans anse. 40. — Portrait d'un sot. 5 5. — Mot d'un sot. 80.
SouBiSE (Le prince de). Le mari de sa maîtresse le pousse à la battre. 99.
SouRCHES (M. de). Mot que lui attire sa fatuité. 144.
Stair. Banquier anglais accusé de conspiration. Sa ré- ponse à ses juges. 148.
Stainville (m. de). Son quiproquo avec M. de Vaube- court. i58.
Stanislas, roi de Pologne. Mot que lui dit M. de la Ga-
laisière sur les changements d'heure de son dîner. 48.
Ce qu'il dit à l'abbé Porquet. i58. — Son mot à M^^ de Bassompierre. 159.
Subterfuge d'un soldat à qui on a pris son cheval. 1 12- ii3.
Sully (M™° de). Étrange remède que lui propose Bor- deu, médecin. 98.
Talmont (La princesse de). Son mot à Richelieu à pro- pos de Mi^o de Brionne. 160.
Tencin (L'abbé de). Tour que lui joue l'avocat Aubry. 174.
Tencin (M^o de). Ce qu'elle dit sur les fautes de con- duite des gens d'esprit. 161. — Sa douceur, selon l'abbé Trublet. 161.
Tentations. Ce qup M... fait des siennes. 120.
Terrassc:; (L'abbé). Son avis sur une édition de la Bible
Terray (Abbé). Est, suivant le duc de Noailles, un excellent médecin. 56.
Tessé (La comtesse de). Ce que lui dit M^o de Cham- pagne à propos de M. Dubreuil. 161.
Thiange (M. deJ. Son mot au maréchal de Saxe. i5 3. Chamfort. II. ^^
32 2 TABLE ANALYTIQJJE
TiLAURiER (M°i6), Portée en compte dans le bilan des dettes de M. de Saint-Julien te fils. 47. — Comment elle se fait épouser par M. d'Espréménil. i32.
Thomas ( M. ). Mot que lui attire son amour de la gloire. i35.
Toulousain. Vaut à peu près les Gascons et les Proven- çaux ensemble. 72.
Tressan (m. de). Sa visite de sollicitation académique à M. de Nivernois. 99. — Son mot au roi Stanislas à pro- pos de pensions accordées à plusieurs jésuites. 137.
Tronchin (m.), médecin. Son mot sur le viatique, 164.
Tronchin (M"^°). Manière dont M™® Cramer donne de ses nouvelles. 26.
Trublet (L'abbé). Ce qu'il dit de la douceur de M™° de Tencin.
Turenne (Le maréchal de). Conseil qu'il donne à un enfant pour éviter les ruades de son cheval. 37. — Avoue qu'au commencement d'une bataille il éprouve une grande agitation. 164.
TuRGOT. Son mot à l'abbé Delille. 14$. — Comment il est défini par l'abbé Beaudeau. 81. — Son mot à un ami qui le néglige depuis qu'il est ministre. 164.
Tyrauley (Lord). Ambasiadeur en Portugal. Sa défini- tion du Portugais. 60.
Tyrconnel (Lord). Ce qu'il dit au prince de Conti, qui Voudrait se venger de Louis XV. 170.
Usage du monde. Comment M... s'était formé à l'usage du monde. 65.
Vaines (M. de). Sa manière ironique de repousser un reproche. 144.
Valuère (Le duc de La). Comment il est subjugué par la petite Lacour. 40.
Valuère (La duchesse de La). Son aveu à M. de Bar- bançon. 68-69.
Vatry (L'abbé). Comment il obtient une place. 170.
Vaubecourt (m. de). Plaisant quiproquo du comte de Stainville à son égard. i58.
Vaubrun (L'abbé de). Mot de lui. 114.
TABLE AN ALYTIQ^UE 32 3
Vaucanson (m. de). Compliment que lui adresse Vol- taire. 174.
Vaudreuil (Le comte de). Ce que M... dit de lui. 93. — Réponse que lui fait Chamfort, à qui il offre ses ser- vices. 170.
Vendôme (M. de). Son portrait de M"^*^ de Nemours. .34.
Vertu. Mot dit à une femme qui parlait emphatique- ment de sa vertu, 3.
Vergennes (Le comte de). Opinion de M. de Choiseul sur le comte de Vergennes. 62. — Est maltraité dans la correspondance secrète de Louis XV avec le comte de Bro- glie. 64-65. — N'aime point les gens de lettres. i3 3. — Pourquoi il laisse M. de Breteuil être ministre. 171.
Versailles. Définition de Versailles. 171.
Vertot (L'abbé de). Ses changements d'état. 146.
Veuf. Mot d'un veuf, 146.
Veuve. Mot de M. de L... à une veuve pour la détour- ner d'un second mariage. 10. — Perd sa douleur au jeu,
52.
Villars (Le maréchal de). Mot que lui dit un entrepre- neur de spectacles qui veut ôter l'entrée gratis aux pages. 21. — Adonné au vin. 85.
Villars (M. de). Entend trois messes croyant qu'elles sont pour lui. 112.
ViLLEQUiER (Le marquis de). Comment le premier mou- vement trahit la bassesse de son âme, 4.
Villette (Le marquis de). Son mot sur la banqueroute de M, de Guéménée. i3. — Lettre que lui écrit M. de Lauraguais. 122.
Violence. Comment un homme violent fut arrêté dans son accès par un mot d'ami, 79.
VivRiERS. Comment M... flétrit une malversation de vi- vriers. 34.
Voleurs anglais. Condamnés, vendent ce qu'ils possèdent pour en faire bonne chère avant de mounr. Mot d'un vo- leur à un lord qui veut lui acheter son cheval. 28.
Voltaire. Son mot sur l'Académie de Soissons. i. —
324
TABLE ANALYTIQUE
Sur V Anti-Machiavel de Frédéric II. 7. — Sa réponse au reproche d'abuser du travail et du café. 21. — Ses plaintes contre M'^'^ du Châtelet. 84. — Son mot cynique à Pois- sonnier. 120. — • Sa réponse plaisante au régent. 143. — Son mot sur le poëte Roy. i5o. — Sur la religion. i5i. — D'Alembert ne le trouve un peu faible qu'en géométrie. i65, — Fait pleurer le roi de Prusse. lyS. — Son mot à Vaucanson. i 74.
VoisENON (Abbé de). Son jugement sur Henri IV et Louis XIV. 77.
Volupté. Mot de M. de L... expliquant pourquoi il a renoncé à la volupté. 6.
Vrillière (Le duc de la). M. de Choiseul a disputé avec M. de Praslin sur la question de savoir qui est le plus bête, de lui ou du roi. 126.
VoYER (M. de). Laisse deux cassettes pleines de lettres céladoniques. i55-i56.
VoYER (M™° de). Aime sentimentalement le vicomte de Noailles. i5 5.
Washington. Héroïque réponse que lui fait un Améri- cain qui a fait seul six prisonniers. 82.
XiMÉNÈs (M. de). Mot de M. d'Autray sur de Ximénès. 174.
I
TABLE
DU TOME SECOND
Pages
Portraits, Caractères, Anecdotes et Bons Mots. . i
Le Marchand de Smyrne , comédie en un acte et en
prose 177
Lettres diverses 209
Dissertation sur l'imitation de la nature , relative- ment aux caractères dans les ouvrages dramatiques. 269
Notes et Variantes 291
Table analytique des Portraits, Caractères, Anecdotes
et Bons Mots 29$
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IMPRIME PAR D, JOUAUST
POUR LA
NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE CLASSIQUE
Paris , 1879.
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date due
(
a39003 002380086b
CE PQ 1963 •C4A6 1879 V2 COO CHAMFORT, kCZié 1369591
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