W^"^^. ^i\J>' ymw OEUYRES COMPLETES DE BUFFON. TOME IL <»e««<»«»e«« THEORIE DE LA TERRE IL PAKIS. JMPniMEUih; UA. BliP.AUl). Kl K UU F01i\-SAi?iT-JA<:(JUES , K ij. OEUVRES COMPLETES DE BUFFON augmeatek: PAR M. F. CUVIER, MEMBRE DE l'iNSTITUT, { Actidémie des Sciences \ DE DEUX VOLUMES OFFRANT LA DESCRIPTION DES MAMMIFÈRES ET DES OISEAUX LES PLUS REMARQUABLES DÉCOUVERTS JUSQu'a CE JOUR, lt'll\ BEAU PORTRAIT DE liUFFON, ET DE 2G0 G B AV l! U K S E^ TAIT.EE-DOUCE, EXÉCUTÉES TOUR CETTE ÉDITTOÎS VAU LES MEILLEURS ARTISTES. A PARIS, OHEZ F. D. PILLOT, EDITEUR RUE DU FOUARRE, .\" J 9, PRES LA PLACE MAUBERT ', SALMON, LIBRAIRE, QUAI DES AUGOSTINS, IN" I9. 182Q. Jl; f SUITE DES PREUVES DE LA THEORIE DE LA TERRE, El 11 (J\, II. VVV\\\»X\VV\VV\\\\W-VVVWV\\WVWVWW\'V\VA'\'WWVV\VWVV\VV\'V'\VW\'\VVVV\\V\\\\ \\> SUITE DES PREUVES DE LA THEORIE DE LA TERRE ARTICLE yiTI. Sur les coqtdlles et autres productioiis de la mer qu'on trouve dans r intérieur de la terre. J AI souvent examiné des carrières du haut en bas, dont les bancs étoient remplis de coquilles; j'ai vu des collines entières qui en sont composées, des chaî- nes de rochers qui en contiennent une grande quan- tité dans toute leur étendue. Le volume de ces produc- tions de la mer est étonnant , et le nombre de ces dépouilles d'animaux marins est si prodigieux, qu'il n'est guère possible d'imaginer qu'il puisse y en avoir davantage dans la mer. C'est en considérant cette mul- titude innombrable de coquilles et d'autres produc- tions marines qu'on ne peut pas douter que notre terre n'ait été, pendant un très long temps, un fond de mer peuplé d'autant de coquillages que l'est ac- tuellement l'Océan : la quantité en est immense, et naturellement on n'imagineroit pas qu'il y eût dans la mer une multitude aussi grande de ces animaux; ce 8 THÉORIE DE LA TERRE. n'esl tjuc par celle des cof|uilles fossiles et pétrifiées qu'on trouve sur la terre que nous pouvons en avoir une idée. Eu effet, il ne faut pas croire, comme se l'i- maginent tous les gens qui veulent raisonner sur cela sans avoir rien vu, qu'on ne trouve ces coquilles que par hasard , qu'elles sont dispersées çà et là , ou tout au plus par petits tas, comme des coquilles d'huîtres je- tées à la porte : c'est par montagnes qu'on les trouve, c'est par bancs de loo et de 200 lieues de longueur; c'est par collines et par provinces qu'il faut les toiser, souvent dans une épaisseur de 5o ou 60 pieds, et c'est d'après ces faits qu'il faut raisonner. Nous ne pouvons donner sur ce sujet un exemple plus frappant que celui des coquilles de Touraine : voici ce qu'en dit l'Jiistorien de l'Académie ^ : « Dans tous les siècles assez peu éclairés et assez dépourvus du génie d'observation et de recherche , pour croire que tout ce qu'on appelle aujourd'hui pierres défigurées, et les coquillages même trouvés dans la terre, étoient des jeux de la nature, ou quelques petits accidents particuliers , le hasard a dû mettre au jour une infi- nité de ces sortes de curiosités, cjue les philosophes mêmes, si c'étoient des philosophes, ne regardoient qu'avec une surprise ignorante ou une légère atten- tion : et tout cela périssoit sans aucun fruit pour les progrès des connoissances. Un potier de terre, qui ne savoit ni latin ni grec, fut le premier, vers la fin du seizième siècle, qui osa dire dans Paris, et à la face de tous les docteurs, que les coquilles fossiles étoient de véritables coquilles déposées autrefois par la mer dans les lieux où elles se trouvoient alors; que 1. Année 1720, jDages 0 et suiv. AFvT. VHI. PnODUCTÏOAS DE LA MER. 0 des animaux, et surtout des poissons, avoient donne auxpierres fiji^aréestoutesleurs différentes figures, etc. ; et il défia hardiment toute l'école d'Aristote d'atta- quer ses preuves : c'eslBernard Palissy, Saintongeois, aussi grand physicien que la nature seule puisse en former un : cependant son système a dormi plus de cent ans, et le nom même de l'auteur est presque mort. Enfin les idées de Palissy se sont réveillées dans l'esprit de plusieurs savants ; elles ont fait la fortune qu'elles méritoient; on a profité de toutes les coquil- les, de toutes les pierres figurées que la terre a four- nies : peut-être seulement sont-elles devenues aujour- d'hui trop communes; et les conséquences qu'on en tire sont en danger d'être bientôt trop incontestables. » Malgré cela, ce doit être encore une chose éton- nante que le sujet des observations présentes de M. de R-éaumur, une masse de i5o, 680,000 toises cubiques, enfouie sous terre, qui n'est qu'un amas de coquilles, ou de fragments de coquilles, sans nu! mélange de matière étrangère, ni pierre, ni terre, ni sable : jamais, jusqu'à présent, les coquilles fossiles n'ont paru en cette énorme quantité, et jamais, quoi- qu'en une quantité beaucoup moindre, elles n'ont paru sans mélange. C'est en Touraine que se trouve ce prodigieux amas à plus de 56 lieues de la mer : oîi l'y connoît, parce que les paysans de ce canton S(^ servent de ces coquilles qu'ils tirent de la terre, comme de marne, pour fertiliser leurs campagnes, qui sans cela seroient absolument stériles. Nous laissons expliquer à M. de Réaumur comment ce moyen assez bizarre leur réussit; nous nous renfermons dans \a singularité de ce grand tas de coquilles. 10 THEORIE DE LA TERRE. « Ce i|uoii tire de terre, et qui ordinairement ny est pas à plus de 8 ou 9 pieds de profondeur, ce ne sont que de petits fragments de coquilles très recon- noissables pour en être des fragments; car ils ont les cannelures très bien marquées : seulement ils ont perdu leur luisant et leur vernis, comme presque tous les coquillages qu'on trouve en terre, qui doivent y avoir été long-temps enfouis. Les plus petits frag- ments qui ne sont que de la poussière, sont encore reconnoissables pour être des fragments de coquilles, parce qu'ils sont parfaitement de la même matière que les autres; quelquefois il se trouve des coquilles entiè- res. On reconnoît les espèces tant des coquilles en- tières que des fragments un peu gros : quelques unes de ces espèces sont connues sur les côtes de Poitou , d'autres appartiennent à des côtes éloignées. Il y a jusqu'à des fragments de plantes marines pierreuses, telles que des madrépores , des champignons de mer, etc. Toute cette matière s'appelle dans le pays du falun. » Le canton qui, en quelque endroit qu'on le fouille, fournit du falurijy a bien neuf lieues carrées de surface. On ne perce jamais la minière de falun ou fakinière au delà de 20 pieds : M. de Réaumur en rapporte les raisons, qui ne sont prises que de la commodité des laboureurs et de l'épargne des frais. Ainsi les faluniè- res peuvent avoir une profondeur beaucoup plus grande que celle qu'on leur connoît ; cependant nous n'avons fait le calcul des i3o,68o,ooo toises cubiques que sur le pied de 18 pieds de profondeur, et non pas de 20, et nous n'avons mis la lieue qu'à 2,200 toises : tout a donc été évalué fort bas. et peut-être ART. VIII. PRODUCTIOjNS DB LA MER. 11 l'amas de coquilles est-il de beaucoup plus grand que nous ne l'avons posé; qu'il soit seulement double, combien la merveille augmente-t-elle ! » Dans les faits de physique, de petites circonstances que la plupart des gens ne s'aviseroient pas de remar- quer, tirent quelquefois à conséquence et donnent des lumières. M. de Réaumur a observé que tous les frag- ments de coquilles sont, dans leur tas, posées sur le plat et horizontalement : de là il a conclu que cette infinité de fragments ne sont pas venus de ce que , dans le tas formé d'abord de coquilles entières, les supérieures auroient, parleur poids, brisé les infé- rieures; car de cette manière il se seroit fait des écrou- lements qui auroient donné aux fragments une infi- nité de positions différentes. Il faut que la mer ait apporté dans ce lieu là toutes ces coquilles, soit en- tières, soit quelques unes déjà brisées; et comme elle les apportoît flottantes, elles étoient posées sur le plat et horizontalement; après qu'elles ont été toutes «lé- posées au rendez-vous commun , l'extrême longueur du temps en aura brisé et presque calciné la plus grande partie sans déranger leur position. » Il paroît assez par là qu'elles n'ont pu être appor- tées que successivement; et en effet, comment la mer voitureroit-elle tout à la fois une si prodigieuse quan- tité de coquilles, et toutes dans une position horizon- tale.^ elles ont dû s'assembler dans un même lieu, et par conséquent ce lieu a été le fond d'un golfe ou une espèce de bassin. . » Toutes ces réflexions prouvent que, quoiqu'il ait dû rester, et qu'il reste effectivement sur la terre beau- coup de vestiges du déluge universel rapporté par l'É- \ 1 ^ THÉORIE DE LA TERRE. cnkue-Sainle, ce n'est point ce délug(.> qui a produit l'amas des coquilles de ïouraine; peut-être n'y en a- t-il d'aussi grands amas dans aucun endroit du tond de la mer : mais enfin le déluge ne les en auroit pa;^ arrachées; et s'il l'avoit fait, ç'auroit été avec mie im~ pétuosité et une violence qui n'auroient pas permis à toutes ces coquilles d'avoir une même position : elles ont du être apportées et déposées doucement, lente- ment, et par conséquent en un temps beaucoup plus long qu'une année. » 11 faut donc, ou qu'avant ou qu'après le déluge la surface de la terre ait été, du moins en quelques en- droits, bien différemment disposée de ce qu'elle est aujourd'hui, que les mers et les continents y aient eu un autre arrangement, et qu'enfin il y ait eu un golfe au milieu de la Touraine. Les changements qui nous sont connus depuis le temps des histoires ou des fa- bles qui ont quelque chose d'historique, sont, à la vé- rité, peu considérables; mais ils nous donnent lieu d'imaginer aisément ceux que des temps plus longs pourroient amener. M. deRéaumur imagine comment le golfe de Touraine tenoit à l'Océan , et quel étoit le courant qui y charrioit des coquilles; mais ce n'est qu'une simple conjecture donnée pour tenir lieu du véritable fait inconnu, qui sera toujours quelque chose d'approchant. Pour parler plus sûrement de cette ma- tière, il faudroit avoir des espèces de cartes géogra- phiques dressées selon toutes les manières de coquil- lages enfouis en terre : quelle quantité d'observations ne faudroit-il pas, et quel temps pour les avoir! Qui sait cependant si les sciences n'iront pas un jour jus- que là, du moins en partie ? ART. VIII. P1\0DUCTI0^^S DE LA MER. 1 ,) Celte quantité si considérable de coquilles nous étonnera moins, si nous faisons attention à quelques circonstances qu'il est bon de ne pas omettre. La pre- mière est que les coquillages se multiplient protli- 2;ieusement, et qu'ils croissent en fort peu de temps; l'abondance d'individus dans chaque espèce prouve leur fécondité. On a un exemple de cette grande mul- tiplication dans les huîtres : on enlève quelquefois dans un seul jour un volume de ces coquillages de plusieurs toises de grosseur; on diminue considéra- blement en assez peu de temps les rochers dont on les sépare, et il semble qu'on épuise les autres en- droits où on les pêche : cependant l'année suivante on en retrouve autant qu'il y en avoit auparavant; on ne s'aperçoit pas que la quantité d'huîtres soit dimi- nuée, et je ne sache pas qu'on ait jamais épuisé les endroits où elles viennent naturellement. Une se- conde attention qu'il faut faire c'est que les coquilles sont d'une substance analogue à la pierre, qu'elles se conservent très long-temps dans les matières molles, qu'elles se pétrifient aisément dans les matières du- res, et que ces productions marines et ces coquilles que nous trouvons sur la terre, étant les dépouilles de plusieurs siècles, elles on dû former un volume fort considérable. Il y a, comme on voit, une prodigieuse quantité de coquilles bien conservées dans les marbres, dans les pierres à chaux, dans les craies, dans les marnes, etc. On les trouve, comme je viens de le dire, par collines et par montagnes; elles font souvent plus de la moi- tié du volume des matières où elles sont contenues : elles paroissent la plupart bien conservées; d'autres l4 THÉORIE DE LA TERRE. sont eu fragments, mais assez gros pour qu'on puisse recoiinoître à l'œil l'espèce de coquilles à laquelle ces fragments appartiennent, et c'est là où se bornent les observations et les connoissances que l'inspection peut nous donner. Mais je vais plus loin : je prétends que les coquilles sont l'intermède que la nature em- ploie pour former la plupart des pierres; je prétends que les craies, les marnes, et les pierres à chaux ne sont composées que de poussière et de détriments de coquilles; que par conséquent la quantité des co- quilles détruites est infiniment plus considérable que celle des coquilles conservées. On verra dans le dis- cours sur les minéraux les preuves que j'en donne- rai ; je me contenterai d'indiquer ici le point de vue sous lequel il faut considérer les couches dont le globe est composé. La première couche extérieure est for- mée du limon de l'air, du sédiment des pluies, des rosées, et des parties végétales ou animales, réduites en particules dans lesquelles l'ancienne organisation n'est pas sensible; les couches intérieures de craie, de marne, de pierre à chaux, de marbre, sont compo- sées de détriments de coquilles et d'autres produc- tions marines, mêlées avec des fragments de coquilles ou avec des coquilles entières; mais les sables vitri- fiables et l'argile sont les matières dont l'intérieur du globe est composé; elles ont été vitrifiées dans le temps que le globe a pris sa forme, laquelle suppose nécessairement que la matière a été toute en fusion. Le granité, le roc vif, les cailloux, et les grès en grande masse, les ardoises, doivent leur origine au sable et à l'argile , et ils sont aussi disposés par couches ;: mais les tufs, les grès, et les cailloux qui ne sont pas en ART. VIII. PRODUCTIOiNS DE LA MER. \0 grande masse, les cristaux, les métaux, les pyrites, la plupart des uiinéraux, les soufres, etc., sont des ma- tières dont la formation est nouvelle en comparaison des marbres, des pierres calcinables, des craies, des marnes, et de toutes les autres matières qui sont dis- posées par coucheshorizontales, etqui contiennent des coquilles et d'autres débris des productions de la mer. Comme les dénominations dont je viens de me ser^ vir pourroient paroître obscures ou équivoques, je crois qu'il est nécessaire de les expliquer. J'entends par le mot d'argile non seulement les argiles blanches, jaunes, mais aussi les glaises bleues, molles, dures, feuilletées, etc., que je regarde comme des scories de verre, ou comme du verre décomposé. Par le mot de sable, j'entends toujours le sable vitrifiable ; et non seulement je comprends sous cette dénomination le sable fin qui produit les grès, et que je regarde comme de la poussière de verre, ou plutôt de pierre ponce, mais aussi le sable qui provient du grès usé et détruit par le frottement, et encore le sable gros comme du menu gravier, qui provient du granité et du roc vif, qui est aigre, anguleux, rougeâtre, et qu'on trouve assez communément dans le lit des ruisseaux et des rivières qui tirent immédiatement leurs eaux des hau- tes montagnes, ou de collines qui sont composées de roc vif ou de granité. La rivière d'Armanson, qui passe à Semur en Auxois, où toutes les pierres sont du roc vif, charrie une grande quantité de ce sable, qui est gros et fort aigre ; il est de la même nature que le roc vif, et il n'en est en effet que le débris, comme le gra- vier calcinable n'est que le débris de la pierre de taille ou du moellon. Au reste^ le roc vif et le granité sont l() THEO 11 lE DE LA TE HUE. une seulo et même substance; mais j'ai cru devoir em- ployer les deux dénominations, parce qu'il y a bien des gens qui en font deux matières différentes. Il en est de même des cailloux et des grès en grande masse : je les regarde comme des espèces de rocs viis ou de granités, et je les appelle cailloux en grande masse, parce qu'ils sont disposés, comme la pierre calcinable, par couches, et pour les distinguer des cailloux et des grès que j'appelle en petite masse, qui sont les cail- loux ronds et les grès que l'on trouve à la chasse , comme disent les ouvriers, c'est-à-dire les grès dont les bancs n'ont pas de suite et ne forment pas des carrières continues et qui -aient une certaine étendue. Ces grès et ces cailloux sont d'une formation plus nouvelle, et n'ont pas la même origine que les cail- loux et les grès en grande masse, qui sont disposés par couches. J'entends par la dénomination d'ar- doise, non seulement l'ardoise bleue que tout lemonde connoît, mais les ardoises blanches, grises, rougea- tres, et tous les schistes. Ces matières se trouvent or- dinairement au dessous de l'argile feuilletée, et sem- blent n'être en effet que de l'argile, dont les différentes petites couches ont pris corps en se desséchant, ce qui a produit les délits qui s'y trouvent. Le charbon de terre, la houille, le jais, sont des matières qui ap- partiennent aussi à l'argile, et qu'on trouve sous l'ar- gile feuilletée ou sous l'ardoise. Par le mot de tuf, j'en- tends non seulement le tuf ordinaire qui paroît troué, et, pour ainsi dire, organisé, mais encore toutes les couches de pierre qui se sont faites par le dépôt des eaux courantes, toutes les stalactites, toutes les in- crustations, toutes les espèces de pierres fondanles i AUX. Vlîl. PllO!)LCTI()\S DE LA M EU. I7 ii n'est pas douteux que ces matières ne soient nou- velles, et qu'elles ne prennent tous les jours de l'ac- croissement. Le tut" n'est qu'un amas de matières lapi- difiques, dans lesquelles on n'aperçoit aucune coucIk^ distincte : cette matière est disposée ordinairement en petits cylindres creux, irrégulièrement groupés et for- més par des eaux gouttières au pied des montagnes ou sur la pente des collines, qui contiennent des lits de marne ou de pierre tendre et calcinable; la masse totale de ces cylindres, qui font un des caractères spé- cifiques de cette espèce de tuf, est toujours ou obli- ([ue ou verticale, selon la direction des fdets d'eau qui les forment. Ces sortes de carrières parasites n'ont au- cune suite :.leur étendue est très bornée en compa- raison des carrières ordinaires, et elle est propor- tionnée à la hauteur des montagnes qui leur fournissent la matière de leur accroissement. Le tuf recevant cha- que jour de nouveaux sucslapidifiques, ces petites co- lonnes cylindriques qui laissoient entre elles beau- coup d'intervalle, se confondent à la fin, et avec le temps le tout devient compacte : mais cette matière n'acquiert jamais la dureté de la pierre ; c'est alors ce qu'Agricola nomme marga tofacea fistidosa. On trouve ordinairement dans ce tuf quantité d'impressions de feuilles d'arbres et de plantes de l'espèce de celles que le terrain des environs produit; on y trouve aussi as- sez souvent des coquilles terrestres très bien conser- vées, mais jamais de coquilles de mer. Le tuf est donc certainement une matière nouvelle, qui doit être mise dans la classe des stalactites, des pierres fondantes, des incrustations, etc. Toutes ces matières nouvelles sont des espèces de pierres parasites qui se forment l8 THÉORIE DE LA TEIUIE. AUX dépens des antres, mais qui n'arrivent jamais à la vraie pétriûcation. Le cristal, toutes les pierres précieuses, toutes celles qui ont une figure régulière, même les cail- loux en petite masse qui sont formés par couches concentriques, soit que ces sortes de pierre se trou- vent dans les fentes perpendiculaires des rochers ou partout ailleurs, ne sont que des exsudations des cailloux en grande masse, des sucs concrets de ces mêmes matières, des pierres parasites nouvelles, de vraies stalactites de caillou ou de roc vif. On ne trouve jamais de coquilles ni dans le roc vif ou granité, ni dans le grès; au moins je n'y en ai ja- mais vu, quoiqu'on en trouve, et même assez sou- vent, dans le sable vitrifiable, duquel ces matières tirent leur origine : ce qui semble prouver que le sable ne peut s'unir pour former du grès ou du roc vif que quand il est pur; et que s'il est mêlé de sub- stances d'un autre genre, comme sont les coquilles , ce mélange de parties qui lui sont hétérogènes en empêche la réunion. J'ai observé, dans le dessein de m'en assurer, ces petites pelotes qui se forment sou- vent dans les couches de sable mêlé de coquilles, et je n'y ai jamais trouvé aucune coquille; ces pelotes sont un véritable grès; ce sont des concrétions qui se forment dans le sable aux endroits où il n'est pas mêlé de ma- tières hétérogènes, qui s'opposent à la formation des bancs ou d'autres masses plus grandes que ces pelotes. ]\ous avons dit qu'on a trouvé à Amsterdam , qui est un pays dont le terrain est fort bas, des coquilles de mer à 1 00 pieds de profondeur sous terre, et à Marly-la-Yille, à six lieues de Paris, à ^5 pieds : on en ART. Vin. PRODLCTIOAS DE LA MK?,. H) trouve de même au fond des mines et dans les bancs des rochers au dessous d'une hauteur de pierre de 5o, loo, 200 et jusqu'à looo pieds d'épaisseur, comme il est aisé de le remarquer dans les Alpes et dans les Pyrénées; il n'y a qu'à examiner de près les rochers coupés à plomb, et on voit que dans les lits inférieurs il y a des coquilles et d'autres productions marines : mais, pour aller par ordre, on en trouve sur les mon- tagnes d'Espagne, sur les Pyrénées, sur les monta- gnes de France , sur celles d'Angleterre, dans toutes les carrières de marbre en Flandre, dans les monta- gnes de Gueldre , dans toutes les collines autour de Paris, dans toutes celles de Bourgogne et de Cham- pagne, en un mot, dans tous les endroits où le fond du terrain n'est pas de grès ou de tuf; et dans la plu- part des lieux dont nous venons de parler, il y a pres- que dans toutes les pierres plus de coquilles que d'au- tres matières. J'entends ici par coquilles non seulement les dépouilles des coquillages , mais celles des crus- tacés , comme test et pointes d'oursin, et aussi toutes les productions des insectes de mer, comme les ma- drépores, les coraux, les astroites, etc. Je puis assu- rer, et on s'en convaincra par ses yeux quand on le voudra, que dans la plupart des pierres calcinables et des marbres, il y a une si grande quantité de ces productions marines, qu'elles paroissent surpasser en volume la matière qui les réunit. Mais suivons. On trouve ces productions marines dans les Alpes, même au dessus des plus hautes mon- tagnes, par exemple, au dessus du montCenis; on en trouve dans les montagnes deGênes^ dans lesiVpen- nins et dans la plupart des carrières de pierre ou de '->.0 TIIKOIUE DE LA TKUKE. marbre en Italie; on en voit dans les pierres dont sont Lâlis les plus anciens édifices des Romains; il y en a dans les montagnes dn Tyrol et dans le centre de l'Italie, au sommet du mont Paterne, près de Bologne, dans les mêmes endroits qui produisent cette pierre lumineuse qu'on appelle la pierre de Bologne ; on en trouve dans des collines de la Fouille ; dans celles de la Calabre, en plusieurs endroits de l'Allemagne et de !a Hongrie, et généralement dans tous les lieux élevés de l'Europe^. En Asie et en Afrique, les voyageurs en ont remar- ([ué en plusieurs endroits : par exemple, sur la mon- tagne de Castravan au dessus de Barut, il y a un lit de pierre blanche, mince comme de l'ardoise, dont cha- que feuille contient un grand nombre et une grande diversité de poissons; ils sont la plupart fort plats et fort comprimés, comme est la fougère fossile; et ils sont cependant si bien conservés, qu'on y remarque parfaitement jusqu'aux moindres traits des nageoires, des écailles, et de toutes les parties qui distinguent chaque es])èce de poisson. On ti-ouve de même l)eau-' coup d'oursins de mer et de coquilles pétrifiées entre Suez et le Caire, et sur toutes les collines et les hau- teurs de la Barbarie; la plupart sont exactement con- formes aux espèces qu'on prend actuellement dans ia mer Rouge ^. Dans notre Europe on trouve des pois- sons pétrifiés en Suisse, en Allemagne, dans la carrièr(» d'Oningen , etc. La loniiue chaîne de montaiines, dit M. Bour^fuel, qui s'étend d'occident en orient, depuis le fond du Portugal jusqu'aux parties les plus orientales de la 1. Voyez sur cela Sleaon ,Kay , ^^ooti\var^.l , etc. •2. Voyez les Voyages de Show, vol, 11, pages 70 el 8/|. ART. VIII. PRODUCTIONS DE LA MER. 2 1 Chine, celles qui s'étendent collatéralement du côté du nord et du midi, les montagnes d'Afrique et d'A- mérique qui nous sont connues, les vallées et les plaines de l'Europe, renferment toutes des couches de terres et de pierres qui sont rempHes de coquillages, et de là on peut conclure pour les autres parties du monde qui nous sont inconnues. Les îles de l'Europe, celles de l'Asie et de l'Améri- que où les Européens ont eu occasion de creuser, soit dans Jes montagnes, soit dans les plaines, fournissent aussi des coquilles, ce qui fait voir qu'elles ont cela de commun avec les continents qui les avoisinent^. En voilà assez pour prouver, qu'en effet on trouve des coquilles de mer, des poissons pétrifiés et d'au- tres productions marines, presque dans tous les lieux où on a voulu les chercher, et qu'elles y sont en pro- digieuse quantité. « Il est vrai , dit un auteur anglois^, ^u'ilj ^ ^u quel- ques coquilles de mer dispersées çà et là sur la terre par les armées, par les habitants des villes et des vil- lages, et que la Loubère rapporte dans son Voyage deSiaîiij que les singes au cap de Bonne-Espérance s'a- musent contirmellement à transporter des coquilles du rivage de la mer au dessus des montagnes; mais cela ne peut pas résoudre la question pourquoi ces coquil- les sont dispersées dans tous les climats de la terre, et jusque dans l'intérieur des plus hautes montagnes, où elles sont posées par lit, comme elles le sont dans le fond de la mer. » En lisant une lettre italienne sur les changements ar- 1. Voyez Lettres philosophiques sur la formation des sels^ P^ge 2o5. 2. Taucred. Robinson. liLFFOiN. II. 2 ^12 THEORIE DE EA TERRE. rivés au globe terrestre, imprimée à Paris cette année (174^)' i^' ni'attendois à y trouver ce fait rapporté par la Loubère; il s'accorde parfaitement avec les idées de l'auteur : les poissons pétrifiés ne sont, à son avis, que des poissons rares, rejetés de la lable des Romains parce qu'ils n'étoient pas frais; et à l'é- gard des coquilles , ce sont , dit-il , les pèlerins de Syrie qui ont rapporté, dans le temps des croisades, celles des mers du Levant qu'on trouve actuellement pétri- fiées en France, en Italie, et dans les autres états de la chrétienté. Pourquoi n'a-t-il pas ajouté que ce sont les singes qui ont transporté les coquilles au sommet des hautes montagnes et dans tous les lieux où les hommes ne penvent habiter? cela n'eût rien gâté et eût rendu son explication encore plus vraisemblable. Comment se peut-il que des personnes éclairées et qui se piquent même de philosophie, aient encore des idées fausses sur ce sujet ^? ISous nous contenterons t . Sur ce que j'ai écrit , au sujet de la lettre italienne , dans laquelle il est dit que ce sont les pèlerins et autres qui, dans le temps des croi- sades, ont rapporté de Syrie les coquiHes que nous trouvons dans le sein de la terre en France, etc., ou a pu trouver, comme je le trouve moi- même, que je n'ai pas traité M. de Voltaire assez sérieusement ; j'a- voue que jaurois mieux fait de laisser tomber cette opinion que dt; la relever par une plaisanterie, d'autant que ce n'est pas mon ton, et que c'est peut-être la seule qui soit dans mes écrits. M. de Voltaire est un homme qui , par la supériorité de ses talents , mérite les plus grands égards. On m'apporta cette lettre italienne dans le temps même que je corrigeois la feuille de mon livre où il en est question ; je ne lus cette lettre qu'en partie , imaginant que c'étoit louvrage de quelque érudit d'Italie, qui, d'après ses connoissances historiques, n'avoit suivi que son préjugé, sans consulter la nature; et ce ne fut qu'après l'impression démon volume sur la Théorie de la terre, qu'on m'assura que la lettre étoit de M. de Voltaire : j'eus regret alors à mes expres- sions. Voilà la vérité : je la déclare autant pour M. de Voltaire que ART. VIII. PRODUCriOiNS DE LA MER. 2.) donc d'avoir dit qu'on trouve des coquilles pétrifiées dans presque tous les endroits de la terre où l'on a pour moi-inêmc et pour la postérité, à laquelle je ne voudrois pas laisser douter de la haute estime que j'ai toujours eue pour un homme aussi rare , et qui fait tant d'honneur à son siècle. L'autorité de M. de Voltaire ayant fait impression sur quelques per- sonnes , il s'en est trouvé qui ont voulu vérifier par eux-mêmes si les objections contre les coquilles avoient quelque fondement , et je crois devoir donner ici l'extrail d'un mémoire qui m'a été envoyé, et qui me paroît n'avoir été fait que dans cette vue. « En parcourant différentes provinces du royaume et même d'Italie, j'ai vu, dit le P. Ghabenat, des pierres figurées de toutes paris, et dans certains endroits en si grande quantité et arrangées de façon qu'on ne peut s'empêcher de croire que ces parties de la terre n'aient été autrefois le lit de la mer. J'ai vu des coquillages de toute espèce , et qui sont parfaitement semblables à leurs analogues vivants. J'en ai vu de la même figure et de la même grandeur : cette observation m'a paru suffisante pour me persuader que tous ces individus éloient de différents âges, mais qu'ils éloient de la môme espèce. J'ai vu des cornes d'ammon depuis un demi-pouce jusqu'à près de trois pieds de diamètre. J'ai vu des pétoncles de toutes grandeurs, d'autres bivalves et des univalves également. J'ai vu outre cela des bélemnites, des champignons de mer, etc. » La forme et la quantité de toutes ces pierres figurées nous prou- vent presque invinciblement cpielles étoieut autrefois des animaux qui vivoient dans la mer. La coquille surtout dont elles sont cou- vertes, semble ne laisser aucun doute, parce que, dans certaines, elle, se trouve aussi luisante , aussi fraîche;, et aussi naturelle que dans les vivants: si elle éloit séparée du no3au, on ne croiroit pas qu'elle fût pétrifiée. 11 n'en est pas de même de plusieurs autres pierres figurées que l'on trouve dans cette vaste et belle plaine qui s'étend depuis Montauban jusqu'à Toulouse, depuis Toulouse jusqu'à Alby et dans les endroits circonvoisins : toute cette vaste plaine est couverte de terre végétale depuis l'épaisseur d'un demi-pied jusqu'à deux; ensuite on trouve un lit de gras gravier et de la profondeur d'environ deux pieds ; au dessous du lit de gros gravier est un lit de sable fin , à peu près de la même profondeur ; et au dessous du sable fin , on trouve le roc. J'ai examiné attentivement le gros gravier ; je l'examine tous les jours, j'y trouve une infinité de pierres figurées de la même forme et ^4 THÉORIE DE LA TERRE. fouillé, et d'avoir rapporté les témoignages des auteurs d'histoire naturelle : comme on pourroit les soupçon- ner d'apercevoir, en vue de quelques systèmes, des coquilles où il n'y en a point, nous croyons devoir encore citer les voyageurs qui en ont remarqué par hasard, et dont les yeux moins exercés n'ont pu re- connoître que les coquilles entières et bien conser- vées ; leur témoignage sera peut-être d'une plus grande autorité auprès des gens qui ne sont pas à portée de s'assurer par eux-mêmes de la vérité des faits, et de ceux qui ne connoissent ni les coquilles ni les pétri- fications, et qui n'étant pas en état d'en faire la com- paraison, pourroient douter que les pétrifications fus- sent en effet de vraies coquilles, et que ces coquilles se trouvassent entassées par millions dans tous les climats de la terre. de différentes grandeurs. J'y ai vu beaucoup d'holothuries et d'autres pierres de forme régulière, et parfaitement ressemblantes. Tout ceci sembloit me dire fort intelligiblement que ce pays-ci avoit été ancien- nement le lit de la mer, qui, par quelque révolution soudaine, s'en est retirée et y a laissé ses productions comme dans beaucoup d'autres endroits. Cependant je suspondois mon jugement à cause des objec- tions de M. de Voltaire. Pour y répondre , j'ai voulu joindre l'expé- rience à l'observation. » Le P. Chabenat rapporte ensuite plusieurs expériences pour prou- ver que les coquilles qui se trouvent dans le sein de la terre sont de la même nature que celles de la mer ; je ne les rapporte pas ici , parce cfu'elles n'apprennent rien de nouveau , et que personne ne doute de cette idcndité de nature entre les coquilles fossiles et les coquilles marines. Enfin le P. Chabenat conclut et termine son mémoire en disant : « On ne peut donc pas douter que toutes ces coquilles qui se trouvent dans le sein de la terre , ne soient de vraies cocjuilles et des dépouilles des animaux delà mer quicouvroit autrefois toutes ces con- trées , et que par conséquent les objections de M. de Voltaire ne soient mal fondées. » ( Add. Bujf, ) ART. VIII. PRODUCTIONS DE LA MER. 25 Tout le monde peut voit- par ses yeux les bancs de coquilles qui sont dans les collines des environs de Paris , surtout dans les carrières de pierre, comme à la Chaussée près de Sèvres, à Issy , à Passy, et ailleurs. On trouve à Villers-Cotterets une grande quantité de pierres lenticulaires; les rochers en sont môme entiè- rement formés, et elles y sont mêlées sans aucun ordre avec une espèce de mortier pierreux qui les tient tou- tes liées ensemble. A Chaumont on trouve une si grande quantité de coquilles pétrifiées , que toutes les collines, qui ne laissent pas d'être assez élevées, ne paroissent être composées d'autre chose ; il en est de même à Courtagnon près de Reims, où le banc de co- quilles a près de quatre lieues de largeur sur plusieurs de longueur. Je cite ces endroits, parce qu'ils sont fa- meux, et que les coquilles y frappent les yeux de tout le monde. A l'égard des pays étrangers , voici ce que les voya- geurs ont observé. « En Syrie, en Phénicie, la pierre vive qui sert de base aux rochers du voisinage de Latikea, est surmon- tée d'une espèce de craie molle, et c'est peut-être de là que la ville a pris son nom de Promontoire blanc. La Nakoura, nommée anciennement Scata Tyrloriim^ ou l'Echelle des TyrienSj, est à peu près de la même nature, et l'on y trouve encore, en y creusant, quantité de toutes sortes de coraux, de coquilles^. » On ne trouve sur le mont Sinai que peu de co- quilles fossiles et d'autres semblables marques du dé- luge, à moins qu'on ne veuille mettre de ce nombre le tamarin fossile des montagnes voisines de Sinai : peut- 1 . Voyez les Voyages de Shaiv. 26 TIIÉOKIE DE LA TERRE. être que la matière première dont h^urs marbres se sont formés, avoit une vertu corrosive et peu pro- pre à les conserver; mais à Corondel , où le roc ap- proche davantage de la nature de nos pierres de taille, je trouvai plusieurs coquilles de moules et quelques pétoncles, comme aussi un hérisson de mer fort sin- gidier, de l'espèce^ de ceux qu'on appelle spatagl^, mais plus rond et plus uni. Les ruines du petit vihage d'Ain- el-Mousa, et plusieurs canaux qui servoient à y con- duire de l'eau, fourmillent de coquillages fossiles. Les vieux murs de Suez et ce qui nous reste encore de son ancien port ont été construits des mômes maté- riaux qui semblent tous avoir été tirés d'un même en- droit. Entre Suez et le Caire, ainsi que sur toutes les montagnes, hauteurs, et coHines de la Libye ^m ne sont pas couvertes de sable, on trouve une grande quantité d'hérissons de mer, comme aussi des coquil- les bivalves et de celles qui se terminent en pointe, dont la plupart sont exactement conformes aux espè- ces qu'on prend aujourd'hui dans la mer Rouge ^. Les sables mouvants qui sont dans le voisinage de Ras-Sem dans le royaume de Barca, couvrent beaucoup de pal- miers d'hérissons de mer et d'autres pétrifications que l'on y trouve communément sans cela. Ras-Semsh^ui- fie la tête du poisson et est ce qu'on appelle le village pétrifié, où l'on prétend qu'on trouve des hommes, des femmes, et des enfants en diverses postures et attitu- des, qui avec leur bétail, leurs aliments, et leurs meubles, ont été convertis en pierre. Mais à la ré- serve de ces sortes de monuments du déluge dont il 1. Voyages de Sliaw, lome II. page 8/|. ART. VIII. I>RO DICTIONS DE L X MER. '2'^ est ici question, et qui no sont pas parliculiers en cet endroit, tout ce qu'on en dit, sont de vains con- tes et fable toute pure, ainsi que je l'ai appris non seulement par M. Le Maire, qui, dans le temps qu'il étoi! consul à Tripoli, y envoya plusieurs personnes pour en prendre connoissance, mais aussi par des gens graves et de beaucoup d'esprit qui ont été eux-mêmes sur les lieux. » On trouve devant les pyramides certains mor- ceaux de pierres taillées par le ciseau de l'ouvrier, et parmi ces pierres on voit des rognures qui ont la fi- gure et la grosseur de lentilles; quelques unes môme ressemblent à des grains d'orge à moitié pelés : or, on prétend que ce sont des restes de ce que les ouvriers mangeoient, qui se sont pétrifiés; ce qui ne me pa- roît pas vraisemblable, etc.^. Ces lentilles et ces grains d'orge sont des pétrifications de coquilles connues par tous les naturalistes sous le nom de pierre lenti- culaire. ')0n trouve diverses sortes de ces coquillages dont nous avons parlé, aux environs de Maestricht , sur- tout vers le village de Zichen ou Tichen, et à la pe- tite montagne appelée des Huns^. » Aux environs de Sienne, je n'ai pas manqué de trouver auprès de Certaldo, selon l'avis que vous m'en avez donné, plusieurs montagnes de sable toutes far- cies de diverses coquilles. Le Monte-Mario, à un mille de Rome, en est tout rempli; j'en ai remarqué dans les Alpes, j'en ai vu en France et ailleurs. Oléarius, Stenon, Cambden, Speed, et quantité d'autres auteurs 1 . Voyages de Skaw, tome II , page 84- 2. \oyoz le Voyage de Misson, tome I[J. pi»g<' 109. 28 TIlÉoniE DE LA TERRE. tant anciens que modernes, nous rapportent le même phénomène^. » Yis-à-vis le village d'Inchené et sur le bord oriental du Nil, je trouvai des plantes pétrifiées qui croissent naturellement dans un espace de terre qui a environ deux lieues de longueur sur une largeur très médio- cre : c'est une production des plus singulières de la nature; ces plantes ressemblent assez au corail blanc, qu'on trouve dans la mer Rouge 2. » On trouve sur le mont Liban des pétrifications de plusieurs espèces, et entre autres, des pierres plates où l'on trouve des squelettes de poissons bien conservés et bien entiers, et aussi des châtaignes de la mer Rouge avec de petits buissons de corail de la même mer^. » Sur le mont Carmel nous trouvâmes grande quan- tité de pierres qui, à ce qu'on prétend, ont la figure d'olives, de melons, de pèches, et d'autres fruits, que l'on vend d'ordinaire aux pèlerins, non seulement comme de simples curiosités, mais aussi comme des remèdes contre divers maux. Les olives, qui sont les Z^/- pides judaïcl qu'on trouve dans les boutiques des dro- guistes , ont toujours été regardées comme un spéci- fique pour la pierre et la gravelle^. » Ces lapides judaïci sont des pointes d'oursins. «M. La Roche, médecin, me donna de ces olives pétrifiées, dites lapis JudatciiSj qui croissent en quan- tité dans ces montagnes, où l'on trouve, à ce que l'on m'a dit, d'autres pierres qui représentent parfaitement 1. Voyez le Foyage de Misson^ tome II, page 012. 2. Foyage de Paul Lucas, tome II, pages 58o et 081. 0. /f/(!mj tome III, page 026. f[. Foyages de ShaiVj tome II, page 70. ART. VIII. PRODUCTIONS DE LA 3IER. 2C) au dedans des natures d'hommes et de femmes^.» Ceci est l'hystérolithe. « En allant de Smyrne à Tauris, lorsque nous fûmes à Tocat, les chaleurs étant fort grandes, nous lais- sâmes le chemin ordinaire du côté du nord, pour pren- dre par les montagnes où il y a toujours de l'ombrage et de la fraîcheur. En bien des endroits nous trouvâ- mes de la neige et quantité de très belle oseille, et sur le haut de quelques unes de ces montagnes on trouve des coquilles comme sur le bord de la mer, ce qui est assez extraordinaire-. » Voici ce que dit Oléarius au sujet des coquilles pé- trifiées qu'il a remarquées en Perse et dans les rochers des montagnes où sont taillés les sépulcres près du vil- lage de Pyrmaraiis. « Nous fûmes trois qui montâmes jusque sur le haut du roc par des précipices effroyables, nous entr'aidant les uns les autres; nous y trouvâmes quatre grandes chambres, et au dedans plusieurs niches taillées dans le roc pour servir de lit : mais ce qui nous surprit le plus, ce fut que nous trouvâmes dans cette voûte, sur le haut de la montagne, des coquilles de mou- les, et en quelques endroits en si grande quantité , qu'il sembloit que toute cette roche ne fût composée que de sable et de coquilles. En revenant de Perse, nous vîmes le long de la mer Caspienne plusieurs de ces montagnes de coquilles. » Je pourrois joindre à ce qui vient d'être rapporté beaucoup d'autres citations, que je supprime pour ne pas ennuyer ceux qui n'ont pas besoin de preuves sur- 1. Voyage de Monconys> première partie, page 534. 2. Tavernier. v>0 TIIEOIIIE DK LA TERRE. aboiidanlos, et qui se sont assurés, connue moi, par leurs yeux, de l'existence de ces coquilles dans tous les lieux où ou a voulu les cbercher. On trouve en France non seulement les coquilles de nos côtes, mais encore des coquilles qu'on n'a ja- mais vues dans nos mers. Il y a môme des naturalistes qui prétendent que la quantité de ces coquilles étran- gères pétrifiées est beaucoup plus grande que celle des coquilles de notre climat : mais je crois cette opi- nion mal fondée; car, indépendamment des coquil- lages qui babitent le fond de la mer et de ceux qui sont difficiles à pécher, et que par conséquent on peut regarder comme inconnus ou même étrangers, quoiqu'ils puissent être nés dans nos mers, je vois en gros qu'en comparant les pétrifications avec les ana- logues vivants, il y en a plus de nos cotes que d'au- tres : par exemple, tous les peignes, la plupart des. pétoncles, les moules, les buîtres, les glands de mer, la plupart des buccins , les oreiiles-de-mer, les patelles, le cœur-de-bœuf, les nautiles, les oursins à gros tu- bercules et à grosses pointes, les oursins châtaignes de mer, les étoiles, les dentales, les tubulites, les as- troites, les cerveaux, les coraux, les madrépores, etc. , qu'on trouve pétrifiés en tant d'endroits, sont certai- nement des productions de nos mers ; et quoiqu'on trouve en grande quantité les cornes d'ammon, les pierres lenticulaires, les pierres judaïques, les colum- nites, les vertèbres de grandes étoiles, et plusieurs autres pétrifications, comme les grosses vis , le buccin appelé abajour, les sabots, etc., dont l'analogue vi- vant est étranger ou inconnu, je suis convaincu par mes observations que le nombre de ces espèces est ART. VIII. PRODUCTIONS DE LA MER. 0 1 petit en comparaison de celui des coquilles pétrifiées de nos cotes : d'ailleurs, ce qui fait le fond de nos marbres et de presque toutes nos pierres à chaux et à bâtir, sont des madrépores, des astroïtes, et toutes ces autres productions formées par les insectes de la mer, et qu'on appeloit autrefois plantes marines. Les coquilles, quelque abondantes qu'elles soient, ne font qu'un petit volume en comparaison de ces pro- ductions, qui toutes sont originaires de nos mers, et surtout de la Méditerranée. La mer Rouge est de toutes les mers celle qui pro- duit le plus abondamment des coraux, des madrépo- res, et des plantes marines. 11 n'y a peut-être point d'endroit qui en fournisse une plus grande variété que le port de Tor : dans un temps calme il se présente aux yeux une si grande quantité de ces plantes, que le fond de la mer ressemble à une foret; il y a des madrépores branchus qui ont jusqu'à 8 et lo pieds de hauteur. On en trouve beaucoup dans la mer Mé- diterranée , à Marseille, près des côtes d'Italie et de Sicile ; il y en a aussi en quantité dans la plupart des golfes de l'Océan , autour des îles, sur les bancs , dans tous les climats tempérés où la mer n'a qu'une pro- fondeur médiocre. M. Peyssonel avoit observé et reconnu le premier que les coraux, les madrépores, etc. , dévoient leur origine à des animaux, et n'étoient point des plantes, comme on le croyoit , et comme leur forme et leur ac- croissement paroissent l'indiquer. On a voulu long- temps douter de la vérité de l'observation de M. Peys- sonel : quelques naturalistes, trop prévenus de leurs propres opinions, l'ont môme rejetée d'abord avec 32 ÏHÉOKÏE DE LA TEKKE. une espèce Je dédain; cependant ils onl été obligés de reconnoitre depuis peu la découverte de M. Peys- sonel, et tout le inonde est enfin convenu que ces pré- tendnes plantes marines ne sont autre chose que des ruches ou plutôt des loges de petits animaux qui res- semblent aux poissons des coquilles , en ce qu'ils for- ment, comme eux, une grande quantité de substance pierreuse, dans laquelle ils habitent, comme les j^ois- sons dans leurs coquilles. Ainsi les plantes marines, que d'abord Ton avoit mises au rang des minéraux, ont ensuite passé dans la classe des végétaux, et sont enfin demeurées pour toujours dans celle des ani- maux. Il y a des coquillages qui habitent le fond des hau- tes mers, et qui ne sont jamais jetés sur les rivages : les auteurs les appellent pelagiœ^ pour les distinguer des autres, qu'ils appellent littorales. Il est à croire que les cornes d'ammon et quelques autres espèces qu'on trouve pétrifiées, et dont on n'a pas encore trouvé les analogues vivants, demeurent toujours dans le fond des hautes mers, et qu'ils ont été remplis du sédiment pierreux dans le lieu même où ils étoient : il peut se faire aussi qu'il y ait eu de certains animaux dont l'espèce a péri ; ces coquillages pourroient être du nombre. Les os fossiles extraordinaires qu'on trouve en Sibérie, au Canada, en Irlande, et dans plusieurs autres endroits, semblent confirmer cette conjecture ; car jusqu'ici on ne connoît pas d'animal à qui on puisse attribuer ces os, qui, pour la plupart, sont d'une grandeur et d'une grosseur démesurée^. 1. J'ai deux ol)servations essentielles à faire sur ce passage ^la pre- mière, c'esl que ces cornes d'ammon, qui paroissent faire un genre ART. VIII. PRODUCTIONS DE LA MER. O.) On trouve ces coquilles depuis le haut jusqu'au tond des carrières; on les voit aussi dans des puits plutôt qu'une espèce dans la classe des animaux à coquilles, tant elles sont différentes les unes des autres par la forme et la grandeur, sont réellement les dépouilles d'autant d'espèces qui ont péri et ne subsis- tent plus. J'en ai vu de si petites, qu'elles n'avoient pas une ligne, et d'autres si grandes, qu'elles avoient plus de trois pieds de diamètre. Des observateurs dignes de foi m'ont assuré en avoir vu de beaucoup plus grandes encore, et entre autres une de huit pieds de diamètre sur un pied d'épaisseur. Ces différentes cornes d'ammon paroissent former des espèces distinctement séparées : les unes sont plus, les autres moins aplaties; il y en a de plus ou de moins cannelées, toutes spirales, mais différemment terminées , tant à leur centre qu'à leurs extrémités : et ces animaux, si nombreux autrefois, ne se trouvent plus dans aucune de nos mers; ils ne nous sont connus que par leurs dépouilles, dont je ne puis mieux représenter le nombre immense que par un exeaiple que j'ai tous les jours sous les yeux. C'est dans une minière de fer en grain, près d'Étivey, à trois lieues de mes forges de Buffon ; minière qui est ouverte il y a plus de cent cinquante ans , et dont on a tiré depuis ce temps tout le minerai qui s'est consommé à la forge d'Aisy ; c'est là, dis-je, que l'on voit une si grande quantité de ces cornes d'ammon entières et en fragments, qu'il semble que la plus grande partie de la minière a été modelée dans ces coquilles. La mine de Conflans en Lorraine, qui se traite au fourneau de Saint-Loup en Franche-Comté, n'est de même composée que de bélemnites et de cornes d'ammon : ces dernières coquilles ferrugineuses sont de gran- deur si différente, quil y en a du poids depuis un gros jusqu'à deux cents livres. Je pourrois citer d'autres endroits où elles sont également abondantes. Il en est de môme des bélemnites, des pierres lenticu- laires, et de quantité d'autres coquillages dont on ne retrouve point aujourd'hui les analogues vivants dans aucune région de la mer, quoi- qu'elles soient presque universellement répandues sur la surface en- tière de la terre. Je suis persuadé que toutes ces espèces , qui n'existent plus, ont autrefois subsisté pendant tout le temps que la température du globe et des eaux de la mer étoit plus chaude qu'elle ne l'est aujour- d hui ; et qu'il pourra de même arriver, à mesure que le globe se refroi- dira , que d'autres espèces actuellement vivantes cesseront de se multi- plier, et périront comme ces premières ont péri, par le refroidissement. La seconde observation , c'est que quelques uns de ces ossements 54 THÉORIE DE LA TERRE. beaucoup plus profonds : il y on a au fond des mines de Hongrie^. Ou eu trouve à 200 l)rasses, c'est-à-dire à mille pieds de profondeur, dans des rochers qui bordent l'ile de Caldé , et dans la province de Pembroke en Angleterre -. Non seulement on trouve , à de grandes profon- deurs et au dessus des plus hautes montagnes, des coquilles pétrifiées, mais on en trouve aussi qui n'ont point changé de nature , qui ont encore le luisant, les couleurs , et la légèreté des coquilles de la mer : on trouve des glossopètres et d'autres dents de poisson dans leurs mâchoires ; et il ne faut , pour se convain- cre entièrement sur ce sujet, que regarder la coquille de mer et celle de terre, et les comparer. 11 n'y a personne qui, après un examen môme léger, puisse douter un instant que ces coquilles fossiles et pétri- fiées ne soient pas les mêmes que celles de la mer; on y remarque les plus petites articulations , et même les perles que l'animal vivant produit : on remarque que les dents de poisson sont polies et usées à l'extré- mité , et qu'elles ont servi pendant le temps que l'a- nimal étoit vivant. éuormos, que je croyois nppartir à des animaux inconnus, et dont je supposois les espèces perdues, nous ont paru néanmoins, après les avoir scrupuleusement examinés, appartenir à l'espèce de l'éléphant et à celle de l'hippopotame, mais, a la vérité, à des éléphants et des hippopotames plus grands que ceux du temps présent. Je ne connois dans les animaux terrestres qu'une seule espèce perdue; c'est celle de l'animal dont j'ai fait dessiner les dent? molaires avec leurs dimensions dans les Époques de la nature : les autres grosses dents et grands osse- ments que j'ai pu recueillir, ont appartenu à des éléphants et à des liippopotames. {Jdd. Biiff.) 1. Voyez Woodward. — 2. \oy(ii Ray' s Discourses, page 178. ART. VllI. PRODIjCTIO-XS DE LA MER. v^l) On trouve aussi presque partout, dans la terre , des coquillages de la même espèce , dont les uns sont pe- tits , les autres gros ; les uns jeunes , les autres vieux ; quelques uns imparfaits , d'autres entièrement par- faits : on en voit même de petits et de jeunes attachés aux gros. Le poisson à coquille appelé purpura a une langue fort longue, dont l'extrémité est osseuse et pointue; elle lui sert comme de tarière pour percer les coquil- les des autres poissons et pour se nourrir de leur chair : on trouve communément dans les terres, des coquilles qui sont percées de cette façon ; ce qui est une preuve incontestable qu'elles renfermoient autre- fois des poissons vivants, et que ces poissons habi- toient dans des endroits où il y avoit aussi des coquil- lages de pourpre qui s'en étoient nourris^. Les obélisques de Saint-Pierre de Rome, de Saint- Jean de Latran, de la place Navone, viennent, à ce qu'on prétend, des pyramides d'Egypte; elles sont de granité rouge, lequel est une espèce tle roc vil" ou de grès fort dur. Cette matière, comme je l'ai dit, ne contient point de coquilles; mais les anciens marbres africains et égyptiens, et certains porphyres, sont remplis de coquilles. Le porphyre calcaire est com- posé d'un nombre infini de pointes de l'espèce d'our- sin que nous appelons châtaigne de mer; elles sont posées assez près les unes des autres, et forment tous les petits points blancs qui sont dans ce porphyre. Chacun de ces points blancs laisse voir encore dans son milieu un petit point noir, qui est la section du i. Voyez Woodwaid , pjiges 29G el 5oo. 7)6 THÉORIE DE LA TERRE. conduit longitudinal de la pointe de l'oursin. Il y a en Bourgogne , dans un lieu appelé Ficin , à trois lieues de Dijon, une pierre rouge tout-à-fait semblable au porphyre par sa composition, et qui n'en diffère que par la dureté, n'ayant que celle du marbre, qui n'est pas, à beaucoup près, si grande que celle du por- phyre ; elle est entièrement composée de pointes d'oursin , et elle est très considérable par l'étendue de son lit de carrière et par son épaisseur : on en a fait de très beaux ouvrages dans cette province , et notamment les gradins du piédestal de la figure éques- tre de Louis-le-Grand , qu'on a élevée au milieu de la place royale à Dijon. Cette pierre n'est pas la seule de cette espèce que je connoisse : il y a, dans la même province de Bourgogne , près de la ville de Montbard, une carrière considérable de pierre composée comme le porphyre , mais dont la dureté est encore moindre que celle du marbre. Ce porphyre tendre est composé comme ce porphyre calcaire , et il contient môme une plus grande quantité de pointes d'oursins, et beau- coup moins de matière rouge. En Toscane , dans les pierres dont étoient bâtis les anciens murs de la ville de Yolaterra, il y a une grande quantité de coquillages , et cette muraille étoit faite il y a deux mille cinq cents aos^. Les marbres antiques et les autres pierres des plus anciens monuments con- tiennent donc des coquilles , des pointes d'oursins , et d'autres débris des productions marines , comme les marbres que nous tirons aujourd'hui de nos carriè- res. Ainsi on ne peut pas douter, indépendamment même du témoignage sacré de l'Écriture-Sainte , qu'a- 1. Voyez Stenon tn prodromo Diss. de solido intra soUdum, page 65. ART. VIII. PROni:CTIU>S DE LA ^MER. J- vaut le déluge la terre n'ait été composée des mêmes matières dont elle l'est aujourd'hui. Par tout ce que nous venons de dire, on peut être assuré qu'on trouve des coquilles pétrifiées en Eu- rope , en Asie , et en Afrique , dans tous les lieux où le hasard a conduit les observateurs : on en trouve aussi en Amérique, au Brésil, dans le Tucuman, dans les terres Magellaniques , et en si grande quantité dans les îles Antilles , qu'au dessous de la terre labou- rable , le fond, que les habitants appellent la chaux , n'est autre chose qu'un composé de coquilles , de ma- drépores, d'astroites, et d'autres profluctions de la mer. Ces observations, qui sont certaines, m'auroient fait penser qu'il y a de même des coquilles et d'autres productions marines pétrifiées dans la plus grande partie du continent de l'Amérique, et surtout dans les montagnes, comme l'assure Woodward : cepen- dant ^I. de La Condamine, qui a demeuré pendant plusieurs années au Pérou, m'a assuré qu'il n'en avoit pas vu dans les CiOrdilières ; qu'il en avoit cherché in- utilement, et qu'il ne croyoit pas qu'il y en eût. Cetle exception seroit singulière, et les conséquences qu'on en ponrroit tirer le seroient encore plus : mais j'avoue que, malgré le témoignage de ce célèbre observateur, je doute encore à cet égard, et je suis très porté à croire qu'il v a dans les montagnes du Pérou , comme partout ailleurs, des coquilles et d'autres pétrifica- tions marines, mais qu'elles ne se sont pas offertes à ses yeux. On sait qu'en matière de témoignage, deux témoins positifs qui assurent avoir vu suffisent pour faire preuve complète, tandis que mille et dix mille lémoins négatifs, et qui assui'ent seulement n'avoir JiUFFOX. H. 7)8 THlioUIE DE LA TERRE. pas vu, ne peuvent que faire naîlre un doute léger : c'est pour cette raison, et parce que la force de l'ana- logie m'y contraint , que je persiste à croire qu'on trouvera des coquilles sur les montagnes du Pérou , comme on en trouve presque partout ailleurs, surtout si on les cherche sur la croupe de la montagne, et non pas au sommet. Les montagnes les plus élevées sont ordinairement composées, au sommet, de roc vif, de granité, de grès, et d'autres matières vitrifiables, qui ne contien- nent que peu ou point de coquilles. Toutes ces ma- tières se sont formées dans les couches du sable de la nier qui recouvroient le dessus de ces montagnes. Lorsque la mer a laissé à découvert ces sommets de montagnes, les sables ont coulé dans les plaines, où ils ont été entraînés par la chute des eaux, des pluies, etc. , de sorte qu'il n'est demeuré au dessus des montagnes que des rochers qui s'étoient formés dans l'intérieur de ces couches de sable. A 200, vloo, ou l\oo toises plus bas que le sommet de ces montagnes, on trouve souvent des matières toutes différentes de celles du sommet, c'est-à-dire des pierres, des marbres, et d'au- tres matières calcinables , lesquelles sont disposées par couches parallèles, et contiennent toutes des co- quilles et d'autres productions marines : ainsi il n'est pas étonnant que M, de La Condaujineii'aitpas trouvé de coquilles sur ces montagnes , surtout s'il les a cher- chées dans les lieux les plus élevés, et dans les par- ties de ces montagnes qui sont composées de roc vif, de grès, ou de sable vitrifiable; mais au dessous de ces couches de sable et de ces rochers qui font le sommet, il doit y avoir, dans les Cordilières, comme ART. VIII. PllOnUCTlOINS DE LA MER. v)C) dans toutes les autres montagnes, des couches hori- zontales de pierres, de marbres, de terres, etc. , où il se trouvera des coquilles; car dans tous les pays du monde où l'on a fait des observations , on en a tou- jours trouvé dans ces couches. Mais supposons un instant que ce fait soit vrai, el: qu'en eftet il n'y ait aucune production marine dans les montagnes du Pérou , tout ce qu'on en conclura ne sera nullement contraire à notre théorie, et il pourroit bien se faire, absolument parlant , qu'il y ail sur le globe des parties qui n'aient jamais été sous les eaux de la mer, et surtout des parties aussi élevées que le sont les Cordillères : mais, en ce cas, il y au- roit de belles observations à faire sur ces montagnes ; car elles ne seroient pas composées de couches pa- rallèles entre elles, comme les autres le sont. Les matières seroient aussi fort différentes de celles que nous connoissons ; il n'y auroit point de fentes per-- pendiculaires; la composition des rochers et des pier- res ne ressembleroit point du tout à la composition des rochers et des pierres des autres pays : et enfin , nous trouverions dans ces montagnes l'ancienne struc- ture de la terre telle qu'elle étoit originairement, et avant que d'être changée et altérée par le mouvement des eaux : nous verrions dans ces climats le premier état du globe, les matières anciennes dont il étoit composé, la forme, la liaison, et l'arrangement natu- rel de la terre, etc. Mais c'est trop espérer, et sur des fondements trop légers, et je pense qu'il faut nous bornera croire qu'on v trouvera des coquilles, comme on en trouve partout aiheurs. A l'égard de la manière dont ces coquilles sont dis- 4^ TIlliOUlL: Dli LA JliP, F.E. posées et placées dans les coucbes de terre ou de pierre, voici ce qu'en dit Woodward : <. Tous les co- quillages qui se trouvent dans une infinité de coucbes de terres et de bancs de rochers, sur les plus bautes montagnes et dans les cai-rières et les mines les plus profondes, dans les cailloux de cornaline, de calcé- doine, etc. , et dans les niasses de soufre, de marcas- sites, et d'autres matières minérales et métalliques, sont remplis de la matière même qui forme les bancs ou les coucbes, ou les masses qui les renferment, et jamais d'aucune matière bélérogène. La pesanteur spécifique des diflerentes espèces de sable ne diffère que très peu, étant généralement, par rapport à l'eau, comme 2 V9 ou 2 ^/^^-à 1 ; et les coquilles de pé- toncle, qui sont à peu près de la même pesanteur, s'v Irouvent ordinairemeiit renfermées en grand nombre, tandis qu'on a de la peine à y trouver des écailles d'huîtres, dont la pesanteur spécifique n'est environ cpie comme 2 V3 ^ 1 ? <îe hérissons de mer, dont la pesanteur n'est cjue comme 2 ou 2 Vs ^ 1 " ^^^ d'autres espèces de coquilles plus légères : mais au contraire, dans la craie, qui est plus légère que la pierre, n'é- tant à la pesanteur de l'eau que comme environ 2 Vjo à 1, on ne trouve que des coquilles de hérissons de mer et d'autres espèces de coquilles plus légèr(\s. » Il faut observer que ce que dit ici Yvoodward ne doit pas être regardé comme règle générale; car on trouve des coquilles plus légères et plus pesantes dans les mêmes matières; par exemple , des pétoncles, des huîtres, et des oursins dans les mômes pierres et dans les mêmes terres; et iiiême on peut voir au Cabinet du Roi un pétoncle pétrifié en cornaline, et des our- A?» T. VIII. PRODUCTIONS DE LA MER. |1 âins pétriûés en agate : ainsi la Jiflereiice de la pesan- teur spécifique des coquilles n'a pas influé , autant que le prétend Woodward, sur le lieu de leur position dans les couches de terre ; et la vraie raison pourquoi les coquilles d'oursins, et d'autres aussi légères, se trouvent plus abondamment dans les craies, c'est que la craie n'est qu'un détriment de coquilles, et que celles des oursins étant plus légères, moins épaisses, et plus friables que les autres, elles auront été aisé- ment réduites en poussière et en craie; en sorte qu'il ne se trouve des couches de craie que dans les en- droits où il y avoit anciennement sous les eaux de la mer une grande abondance de ces coquilles légères, dont les débris ont formé la craie dans laquelle nous trouvons celles qui, ayant résisté au choc et aux frot- tements , se sont conservées tout entières, ou du moins en parties assez grandes pour que nous puis- sions les reconnoître. Nous traiterons ceci plus à fond dans notre discours sur les minéraux; contentons-nous seulement d'aver- tir ici qu'il faut encore donner une modification aux expressions de Woodward : il paroît dire qu'on trouve des coquilles dans les cailloux, dans les cornalines, dans les calcédoines, dans les mines, dans les masses de soufre, aussi souvent et en aussi grand nombre que dans les autres matières, au lieu que la vérité est qu'elles sont très rares dans -toutes les matières vitri- fiables ou purement inflammables, et qu'au contraire elles sont en prodigieuse abondance dans les craies , dans les marnes, dans les marbres, et dans les pier- res : en sorte que nous ne prétendons pas dire ici qu'absolument les coquilles les plus légères sont dans 4^ TîlEORIi: DE LA TEP.RE. les matières légères, et les plus pesantes dans celles qui sont aussi les plus pesantes, mais seulement qu'en général cela se trouve plus souvent ainsi qu'autre- ment. A la vérité, elles sont toutes également rem- plies de la substance même qui les environne, aussi bien celles qu'on trouve dans les couches horizontales que celles qu'on trouve en plus petit nombre dans les matières qui occupent les fentes perpendiculaires, parce qu'en effet les unes et les autres ont élé égale- ment formées par les eaux, quoiqu'en différents temps et de différentes façons, les couches horizon- tales de pierre, de marbre, etc., ayant été formées par les grands mouvements des ondes de la mer, et les cailloux, les cornalines, les calcédoines, et toutes les matières qui sont dans les fentes perpendiculaires, ayant été produites par le mouvement particulier d'une petite quantité d'eau chargée de différents sucs lapidi- fiques, métalliques, etc. ; et dans les deux cas, ces ma- tières étoient réduites en poudre fine et impalpable, qui a rempli l'intérieur des coquilles si pleinement et si absolument, qu'elle n'y a pas laissé le moindre vide, et qu'elle s'en est fait autant de moules, à peu près comme on voit un cachet se mouler sur le tripoli. 11 y a donc dans les pierres, dans les marbres, etc., une multitude très grande de coquilles qui sont en- tières, belles, et si peu altérées, qu'on peut aisément les comparer avec les coquilles qu'on conserve dans les cabinets ou qu'on trouve sur les rivages de la mer : elles ont précisément la même ligure et la même gran- deur; elles sont de la même substance, et leur tissu est le même; la matière particulière qui les compose est la même; elle est disposée et arrangée de la même ART. Vlïl. niODLCTIO^S DE LA MER. '\.) manière; la direction Je leurs fibres et des lignes spi- rales est la même, la composition des petites lames formées par les fibres est la même dans les unes et les autres : on voit dans le même endroit les vestiges ou insertions des tendons par le moyen desquels l'ani- mal étoit attaché et joint à sa coquille; on y voit les mêmes tubercules, les mêmes stî^lcSjAes mêmes can- nelures; enfin, tout est semblable, soit an dedans, soit au dehors de la coquille , dans sa cavité ou sur sa convexité , dans sa substance ou sur sa superficie. D'ailleurs , ces coquillages fossiles sont sujets aux mê- mes accidents ordinaires que les coquillages de la mer ; par exemple, ils sont attachés les plus petits aux plus gros; ils ont des conduits vermiculaires ; on y trouve des perles et d'autres choses semblables qui ont été produites par l'animal lorsqu'il habitoit sa coquille;., leur gravité spécifique est exactement la même que celle de leur espèce qu'on trouve actuellement dans la mer, et par la chimie on y trouve les mêmes choses ; en un mot, ils ressemblent exactement à ceux de la mer. J'ai souvent observé moi-même avec une espèce d'étonnement, comme je l'ai déjà dit, des montagnes entières, des chaînes de rochers, des bancs énormes de carrières, tcMS composés de coquilles et d'autres débris de productions marines, qui y sont en si grande quantité, qu'il n'y a pas à beaucoup près autant de vo- lume dans la matière qui les lie. J'ai vu des champs labourés dans lesquels toutes les pierres étoient des pétoncles pétrifiés ; en sorte qu'en fermant les yeux et ramassant au hasard , on pouvoit parier de ramasser un pétoncle : j'en ai vu d'entièrement couverts de cornes d'ammouj d'autres 44 THÉORIE DE LA TE II RE. dont toutes les pierres étoient des cœurs-de-bœuf ou hucardltes pétrifiés ; et plus on examinera la terre , plus on sera convaincu que le nombre de ces pétri- IJcations est infini, et on en conclura qu'il est impos- sible que tous les animaux qui liabitoient ces coquil- les aient existé dans le même temps. J'ai même fait une observation en cherchant ces co- quilles, qui peut être de quelque utilité ; c'est que dans tous les pays où l'on trouve dans les champs et dans les terres labourables un très grand nombre de ces coquilles pétrifiées, comme pétoncles, cœurs-de- bœuf, etc., entières, bien conservées, et totalement séparées, on peut être assuré que la pierre de ces pays est gélisse. Ces coquilles ne s'en sont séparées en si grand nombre que par l'action de la gelée, qui dé- truit la pierre et laisse subsister plus long-temps la coquille pétrifiée. Cette immense quantité de fossiles marins que l'on trouve en tant d'endroits, prouve qu'ils n'y ont pas été transportés par un déluge; car on observe plu- sieurs milliers de gros rochers et des carrières dans tous les pays où il y a des marbres et de la pierre à chaux, qui sont toutes remplies de vertèbres d'étoiles de mer, de pointes d'oursins, de coquillages, et d'au- tres débris de productions marines. Or, si ces coquilles qu'on trouve partout eussent été amenées sur la terre sèche par un déluge ou par une inondation, la plus grande partie seroit demeurée sur la surface de la terre, ou du moins elles ne seroient pas enterrées à une grande profondeur, et on ne les trouveroit pas dans les marbres les plus solides à sept ou huit cents pieds de profondeur. ART. VI [I. PKODLCTIOXS 1) K LA ME!;. 4'^ Dans toutes les carrières ces coquilles fout partie de la pierre à l'intérieur; et on en voit quelquefois à l'extérieur qui sont recouvertes de stalactites qui, comme l'on sait, ne sont pas des matières aussi an- ciennes que la pierre qui contient les coquilles. Une seconde preuve que cela n'est point arrivé par un dé- Juge, c'est que les os, les cornes, les ergots, les on- gles, etc., ne se trouvent que très rarement, et peut- être point du tout, renfermés dans les marbres et dans les autres pierres tlures; tandis que si c'étoit l'ef- fet d'un déluge où tout auroit péri, on y devroit trou- ver les restes des animaux de la terre aussi bien que ceux des mers ^. C'est, comme nous l'avons dit, une supposition bien gratuite, que de prétendre que toute la terre a été dissoute dans l'eau au temps tlu déluge, et on ne peut donner c[uelque fondement à cette idée, qu'en supposant un second miracle, qui auroit donné à l'eau la propriété d'un dissolvant universel; miracle dont il n'est fait aucune mention dans l'Ecriture-Sainte. D'ailleurs ce qui anéantit la supposition, et la rend même contradictoire, c'est que toutes les matières ayant été dissoutes dans l'eau, les coquilles ne l'ont pas été, puisque nous les trouvons entières et bien conservées dans toutes les masses qu'on prétend avoir été dissoutes : cela prouve évidemment qu'il n'y a ja- mais eu de telle dissolution, et que l'arrangement des couches horizontales et parallèles ne s'est pas fait en un instant, mais par les sédiments qui se sont amon- celés peu à peu, et qui ont enfin produit des hau- teurs considérables par la succession des temps ; car 1. Voyez Ray' s Discourses, pages 178 et suiv. 46 TÎIÉOUIE 1)E LA TEKRK. il est évident, pour tous les gens qui se donneront Ir* peine d'observer, que l'arrangement de toutes les matières qui composent le globe est l'ouvrage des eaux. Il n'est donc question que de savoir si cet ar- rangement a été fait dans le même temps : or nous avons prouvé qu'il n'a pu se faire dans le même temps, puisque les matières ne gardent pas l'ordre de la pe- santeur spécifique, et qu'il n'y a pas eu de dissolution générale de toutes les matières; donc cet arrangement a été produit par les eaux, ou plutôt par les sédi- ments qu'elles ont déposés dans la succession des temps : toute autre révolution, tout autre mouvement, toute autre cause, auroit produit un arrangement très différent. D'ailleurs, un accident particulier, une ré- volution, ou un bouleversement, n'auroit pas produit un pareil effet dans le globe tout entier; et si l'arran- gement des terres et des couches avoit pour cause des révolutions particulières et accidentelles, on trou- veroit les pierres et les terres disposées différemment en différents pays, au lieu qu'on les trouve partout disposées de même par couches parallèles, horizon- tales, ou également inclinées. Voici ce que dit à ce sujet l'historien de l'Acadé- mie ^. « Des vestiges très anciens et en très grand nom- bre d'inondations qui ont dû être très étendues, et la manière dont on est obligé de concevoir que les mon- tagnes se sont formées, prouvent assez qu'il est arrivé autrefois à la surface de la terre de grandes révolu- tions. Autant qu'on en a pu creuser, on n'a presque vu que des ruines, des débris, de vastes décombres 1, Année 1718, pages 5 et suiv. ART. VI il. PnODL CTIO^S DE LA MliR. 4; entassés pôle-mele, et qui, par une longue suite de siècles, se sont incorporés ensemble, et unis en une seule masse le plus qu'il a été possible : s'il y a dans- le globe de la terre quelque espèce d'organisation ré- gulière, elle est plus profonde, et par conséquent nous sera toujours inconnue, et toutes nos recher- ches se termineront à fouiller dans les ruines de la croûte extérieure ; elles donneront encore assez d'oc- cupations aux philosophes. » M. de Jussieu a trouvé aux environs de Saint- Cliaumont, dans le Lyonnois, une grande quantité de pierres écailleuses ou feuilletées, dont presque tous les feuillets portoient sur leur superficie l'empreinte ou d'un bout de lige, ou d'une feuille, ou d'un frag- ment de feuille de quelque plante : les représenta- tions de feuilles étoient toujours exactement éten- dues, comme si on avoit collé les feuilles sur les pierres avec la main ; ce qui prouve qu'elles avoient été ap- portées par de l'eau qui les avoit tenues en cet état; elles étoient en différentes situations, et quelquefois deux ou trois se croisoient. » On imagine bien qu'une feuille déposée par l'eau sur une vase molle, et couverte ensuite d'une autre vase pareille, imprime sur l'une l'image de l'une de ses deux surfaces, et sur l'autre l'image de l'autre sur- face; de sorte que ces deux lames de vase étant dur- cies etpétriûées, elles porteront chacune l'empreinte d'une face différente. Mais ce qu'on auroit cru devoir être, n'est pas ; les deux lames ont l'empreinte de la même face de la feuille, l'une en relief, et l'autre eu creux. M. de Jussieu a observé, dans toutes ces pier- res figurées de Saint-Chaumont, ce phénomène, qui 48 Tlli;oRïE DE LA TEIUIE. est assez bizarje; nous lui en laissons l'explication ^^ pour passer à ce que ces sortes d'observations ont de plus général et de plus intéressant. » Toutes les plantes gravées dans les pierres de Saint-Ghaumont sont des plantes étrangères; non seu- lement elles ne se trouvent ni dans le Lyonnois, ni dans le reste de la France, mais elles ne sont que dans les Indes orientales et dans les climats chauds de l'A- mérique : ce sont la plupart des plantes capillaires, et souvent en particulier des fougères. Leur tissu dur et serré les a rendues plus propres à se graver et à se conserver dans les moules autant de temps qu'il a fallu. Quelques feuilles de plantes des Indes, impri- mées dans les pierres d'Allemagne, ont paru éton- nantes à J^î. Leibnitz : voici la même merveille infi- niment multipliée; il semble même qu'il y ait à cela une certaine affectation de la nature; dans toutes les pierres de Saint-Chaumont on ne trouve pas nue seule plante du pays. » Il est certain, par les coquillages des carrières et des montagnes, que ce pays, ainsi que beaucoup d'au- tres, a dû autrefois être couvert par l'eau de la mer; mais comment la mer d'Amérique ou celle des Indes, orientales y est-elle venue? » On peut, pour satisfaire à plusieurs phénomènes, supposer avec assez de vraisemblance , que la mer a couvert tout le globe de la terre : mais alors il n'y avoit point de plantes terrestres ; et ce n'est qu'après ce temps là, et lorsqu'une partie du globe a été dé- couverte, qu'il s'est pu faire les grandes inondations qui ont transporté des plantes d'un pays dans d'au- tres fort éloignés. ART. vrn. rRODLCTIOXS DE LV M EU. ^9 » M. de Jiissiou croit que coinme le lit de la mer hausse toujours par les terres, le limon, les sables que les rivières y charrient incessamment, des mers renfermées d'abord entre certaines digues naturelles sont venues à les surmonter, et se sont répandues au loin. Que les digues aient elles-mêmes été minées par les eaux, et s'y soient renversées, ce sera encore le même effet, pourvu qu'on les suppose d'une gran- deur énorme. Dans les premiers temps de la forina- , tion de la terre , rien n'avoit encore pris une forme réglée et arrêtée ; il a pu se faire alors des révolutions prodigieuses et subites dont nous ne voyons phis d'exemple, parce que tout est venu à peu prés à un état de consistance, qui n'est pourtant pas tel, que les changements lents et peu considérables qui arri- vent, ne nous donnent lieu d'en imaginer comme pos- sibles d'autres de même espèce, mais plus grands et pro rapts. » Par quelqu'une de ces grandes révolutions, la mer des Indes, soit orientales, soit occidentales, aura été poussée jusqu'en Europe, et y aura apporté des plan- tes étrangères flottantes sur ses eaux; elle les avoit ar- rachées en chemin, et les alloit déposer doucement dans les lieux où l'eau n'étoit qu'en petite quantité, et poiivoit s'évaporer. » *II me seroit facile d'ajouter à l'énumération des amas de coquilles qui se trouvent dans toutes les par- ties du monde, un très grand nombre d'observations parliculières qui m'ont été communiquées depuis trente-quai re ans. J'ai reçu des lettres des îles de l'A- mérique , par lesquelles on m'assure que presque dans toutes on trouve des coquilles dans leur étal de na- j o ni !•: o II I ]<: de l\ t !■ i\ n e . Jure ou pétrifiées dans l'intérieur de la terre , et sou- vent sous la première couche de la terre végétale: M. de Bougainville a trouvé aux îles Malouiiies des pierres qui se divisent par feuillets, sur lesquelles on remarquoit des empreintes de coquilles fossiles d'une <\sj)èce inconnue dans ces mers. J'ai reçu des lettres de plusieurs endroits des Grandes-Indes et de l'Afri- que, où l'on me marque les mêmes choses. Don Llloa nous apprend (t. 111, p. oijde son Voyage), qu'au Chili, dans le terrain qui s'étend depuis Talcaguano, jusqu'à la Conception, l'on trouve des coquilles de différentes espèces en très grande quantité et sans au- cun mélange de terre, et que c'est avec ces coquilles que l'on fait de la chaux. 11 ajoute que cette particu- larité ne seroit pas si remarquable , si l'on ne trou- voit ces coquilles que dans les lieux bas et dans d'au- tres parages sur lesquels la mer auroit pu les couvrir ; mais que ce qu'il y a de singulier, dit-il, c'est que les mêmes tas de coquilles se trouvent dans les collines à 5o toises de hauteur au dessus du niveau de la mer. Je ne rapporte pas ce fait comme singulier, mais seu- lement comme s'accordant avec tous les autres, et comme étant le seul qui me soit connu sur les co- quilles fossiles de cette partie du monde , où je suis très persuadé qu'on trouveroit, comme partout ail- leurs, des pétrifications marines, à des hauteurs bien plus grandes que 5o toises au dessus du niveau de la mer : car le même don Llloa a trouvé depuis des co- quilles pétrifiées dans les montagnes du Pérou à plus de 200O toises de hauteur : et, selon M. Kalm, on voit des coquillages dans l'Amérique septentrionale, sur les sommets de plusionrs montasnos ; il dit en ART. VIII. PRODUCTIONS DE LA MER. 3 1 avoir vu lui-même sur le sommet de la monlagne Bleue. On en trouve aussi dans les craies des environs de Montréal, dans quelques pierres qui se tirent près du lac Ghamplain en Canada, et encore dans les par- ties les plus septentrionales de ce nouveau continent, puisque les Groenlandois croient que le monde a élé noyé par un déluge, et qu'ils citent pour garant de cet événement, les coquilles et les os de baleine qui cou- vrent les montagnes les pTus élevées de leur pays. Si de là on passe en Sibérie, on trouvera également des preuves de l'ancien séjour des eaux de la mer sur tous nos continents. Près de la montagne de Jéniséik, on voit d'autres montagnes moins élevées, sur le som- met desquelles on trouve des amas de coquilles bien conservées dans leur forme et leur couleur naturelles: ces coquilles sont toutes vides, et quelques unes tom- bent en poudre dès qu'on les touche; la mer de cette contrée n'en fournit plus de semblables; les plus gran- des ont un pouce de large, d'autres sont très petites. Mais je puis encore citer des faits qu'on sera bien plus à portée de vérifier : chacun dans sa province n'a qu'à ouvrir les yeux, il verra des coquilles dans tous les terrains d'où l'on tire de la pierre pour faire de la chaux; il en trouvera aussi dans la plupart des glaises, quoiqu'en général ces productions marines y soient en bien plus petite quantité que dans les matières calcaires. Dans le territoire de Dunkerque, au haut de la montagne des E.écoliets, près de celle de Cassel, à 4oo pieds du niveau de la basse mer, on trouve un lit de coquillages horizontalement placés et si forte- ment entassés, que la plus grande partie en sont bri- Tïii TliiioRlE DE LA TERRE. srs, cA par dessus ce lit, une couche de ^ ou 8 pieds d(î (erre et plus; c'est à six lieues de distance de la mer, et ces coquilles sont de la même espèce que celles qu'on trouve actuellement dans la mer. Au moiitOannelon près d'Aiiet, à quelque distance de Compiègne, il y a plusieurs carrières de très belles pierres calcaires, entre les diflèrents lits desquelles il se trouve du gravier mêlé d'.une infinité de coquilles ou de portions de coquilles marines très légères et Tort friables : on y trouve aussi des lits d'huîtres ordi- naires de la puis belle conservation, dont l'étendue est de plus de cinq quarts de lieue en longueur. Dans lime de ces carrières, il se trouve trois lits de coquilles dans diflérents états : dans deux de ces lits elles sont réduites en parcelles, et on ne peut en reconnoître les espèces, tandis que dans le troisième lit, ce sont des huîtres qui n'ont soufi'ert d'autre altération qu'une sécheresse excessive : la nature de la coquille, l'é- mail, et la figure sont les mêmes que dans l'analogue vivant; mais ces coquilles ont acquis de la légèreté et se détachent par feuillets. Ces carrières sont au pied de la montagne et un peu en pente. Eu descendant dans la plaine on trouve beaucoup d'huîtres, qui ne sont ni changées, ni dénaturées, ni desséchées comme les premières; elles ont le même poids et le même émail que celles que l'on tire tous les jours de la mer^. Aux environs de Paris, les coquilles marines ne sont pas moins communes que dans les endroits qu on vient de nommer. Les carrières de Bougival , où l'on tire de la marne, fournissent une espèce d'huîtres 1. Extrait (riinc Icllrr tlo ]\î. T.rsrliovin à M. de l^iilToii , Conijiirgnc. Je 8 oclohre 177;^. ART. Vin. PRODUCTIONS DE LA MET.. .).) d'une moyenne grandeur : on pourroit les appeler liiittres troiîc/uceSj allceSj, et lisses^ parce qu'elles ont le talon aplati, et cpi'elles sont comme tronquées en devant. Près de Belleville, où l'on tire du grès, on trouve une masse de sable dans la terre, qui contient des corps branchus, qui pourroient bien être du co- rail ou des madrépores devenus grès; ces corps marins ne sont pas dans le sable même, mais dans les pierres, qui contiennent aussi des coquilles de différents gen- res, telles que des vis, des univalves, et des bivalves. La Suisse n'est pas moins abondante en corps ma- rins fossiles que la France et les autres contrées dont on vient de parler ; on trouve au mont Pitatc^ dans le canton de Lucerne, des coquillages de mer pétrifiés, des arêtes et des carcasses de poissons. C'est au des- sous de la corne duDôme où l'on en rencontre le plus; on y a aussi trouvé du corail, des pierres d'ardoises qui se lèvent aisément par feuillets, dans lesquelles on trouve presque toujours un poisson. Depuis quel- ques années on a même trouvé des mâcboires et des crânes entiers de poissons, garnies de leurs dents. M. Altman observe que dans une des parties les plus élevées des Alpes aux environs de Grindelvald, où se forment les fameux Glctchers_, il y a de très belles carrières de marbre, qu'il a fait graver sur une des planches qui représentent ces montagnes : ces carriè- res de marbre ne sont qu'à quelques pas de distance du Gletclier. Ces marbres sont de différentes couleurs; il V en a du jaspé, du blanc, du jaune, du rouge, du vert : on transporte l'hiver ces marbres sur des traî- neaux par dessus les neiges jusqu'à Underseen, où on les embarque pour les mener à Berne par le lac BUFFON. II. 4 f)/j TIIEOIUE DE LA TERRE. lie Thoriuî , et ciisnlle par la rivière d'Are. Ainsi les marbres et les pierres calcaires se trouvent, comme l'on voit, à une très grande hauteur dans cette partie des Alpes. M. Cappeler, en faisant des recherches sur le mont (a'imsel (dans les Alpes), a observé que les collines et les monts peu élevés qui confinent aux vallées, sont en bonne partie composés de pierre de taille ou pierre mollasse , d'un grain plus ou moins fin et plus ou moins serré. Les sommités des monts sont compo- sées, pour la plupart, de pierre à chaux de différentes couleurs et dureté : les montagnes plus élevées que ces rochers calcaires sont composées de granités et d'autres pierres qui paroissent tenir de la nature du granité et de celle de l'émeri ; c'est dans ces pierres graniteuses que se fait la première génération du cris- tal de roche, au lieu que dans les bancs de pierre à chaux qui sont au dessous, l'on ne trouve que des concrétions calcaires et des spaths. En général, on a remarqué sur toutes les coquilles, soit fossiles, soit pétrifiées, qu'il y a certaines espèces qui se rencon- trent constamment ensemble, tandis que d'autres ne se trouvent jamais dans ces mêmes endroits. 11 en est de même dans la mer, où certaines espèces de ces animaux testacés se tiennent constamment ensemble, de même que certaines plantes croissent toujours en- semble, à la surface de la terre ^. On a prétendu trop généralement qu'il n'y avoit point de coquilles ni d'autres productions de la mer sur les plus hautes montagnes. Il est vrai qu'il y a plu- 1. Lettres phitosoplùques de M. Bourguet. Bibliotliéque raisonnée., mois d'avril, mai, et juin 1730. ART. VIII. PRODLCTIONS DE LA MEll. 5j sieurs sommets et un grand nombre de pics qui ne sont composés que de granités et de rochers vitres- cibles, dans lesquels on n'aperçoit aucun mélange, aucune empreinte de coquilles ni d'aucun autre dé- bris des productions marines; mais il y a un bien plus grand nombre de montagnes, et même quelques unes fort élevées, où l'on trouve de ces débris ma- rins. M. Costa, professeur d'anatomie et de botanique en l'université de Perpignan, a trouvé, en 1774? sur la montagne de INas, située au midi de la Cerdagne espagnole, l'une des plus hautes parties des Pyrénées, à quelques toises au dessous du sommet de cette mon- tagne, une très grande quantité de pierres lenticuléeSj c'est-à-dire des blocs composés de pierres lenticulai- res, et ces blocs étoient de différentes formes et de différents volumes ; les plus gros pouvoient peser qua- rante ou cinquante livres. Il a observé que la partie de la montagne où ces pierres lenticulaires se trou- vent, sembloit s'être affaissée; il vit en effet dans cet endroit unedépression irrégulière, oblique, très incli- née à l'horizon, dont une desextrémités regarde le haut de la montagne, et l'autre le bas. Il ne put apercevoir distinctement les dimensions de cet affaissementà cause delaneigequile recouvroit presque partout, quoique ce fût au mois d'août. Les bancs de pierres qui envi- ronnent ces pierres lenticulées, ainsi que ceux qui sont immédiatement au dessous, sont calcaires jusqu'à plus de cent toises toujours en descendant. Cette montagne de Nas, à en juger parle coup d'œil, sem- ble aussi élevée que le Canigou; elle ne présente nulle part aucune trace de volcan. Je pourrois citer cent et cent autres exemples de 56 THÉORIE DE LA TERRE. coquilles marines Irouvées dans une infinité d'en- droits, tant en France que dans les différentes pro- vinces de l'Europe; mais ce seroit grossir inutilement cet ouvrage de faits particuliers déjà trop multipliés, et dont on ne peut s'empêcher de tirer la consé- quence très évidente que nos terres actuellement ha- bitées ont autrefois été, et pendant fort long-temps, couvertes par les mers. Je dois seulement observer, et on vient de le voir, qu'on trouve ces coquilles marines dans des états dif- férents : les unes pétrifiées, c'est-à-dire moulées sur une matière pierreuse; et les autres dans leur état naturel, c'est-à-dire telles qu'elles existent dans la mer. La quantité de coquilles pétrifiées, qui ne sont pro- prement que des pierres figurées par les coquilles, est infiniment plus grande que celle des coquilles fos- siles, et ordinairement on ne trouve pas les unes et les autres ensemble, ni même dans les lieux contigus. Ce n'est guère que dans le voisinage et à quelques lieues de distance de la mer, que l'on trouve des lits de coquilles dans leur état de nature, et ces coquilles sont communément les mêmes que dans les mers voi- sines : c'est au contraire dans les terres plus éloignées de la mer et sur les plus hautes collines que l'on trouve presque partout des coquilles pétrifiées, dont un grand nombre d'espèces n'appartiennent point à nos mers, et dont plusieurs même n'ont aucun ana- logue vivant; ce sont ces espèces anciennes dont nous avons parlé, qui n'ont existé que dans les temps de la grande chaleur du globe. De plus de cent espèces de cornes d'ammon que l'on pourroit compter, dit un de nos savants académiciens, et qui se trouvent ART. VIII. PRODUCTIONS DE LA MER. ^7 en France aux environs de Paris, de Rouen, de Dive, de Langres, et de Lyon , dans les Cevennes, en Pro- vence, et en Poitou, en Angleterre, en Allemagne, et dans d'autres contrées de l'Europe, il n'y en a qu'une seule espèce nommée nautUus papyraccuSj qui se trouve dans nos mers, et cinq à six espèces qui naissent dans les mers étrangères. {Add. Buff.) ARTICLE IX. Sur les inégalités de la surface de la terre. Les inégalités qui sont à la surface de la terre, qu'on pourroit regarder comme une imperfection à la figure du globe, sont en même temps une disposi- lion favorable et qui étoit nécessaire pour conserver la végétation et la vie sur le globe terrestre : il ne faut, pour s'en assurer, que se prêter un instant à conce- voir ce que seroit la terre, si elle étoit égale et régu- lière à sa surface; on verra qu'au lieu de ces collines agréables d'où coulent des eaux pures qui entretien- nent la verdure de la terre, au lieu de ces campagnes riches et fleuries où les plantes et les animaux trou- vent aisément leur subsistance, une triste mer couvri- roit le globe entier, et qu'il ne resteroit à la terre de tous ses attributs, que celui d'être une planète obs- cure, abandonnée, et destinée tout au plus à l'habi- tation des poissons. Mais indépendamment de la nécessité morale, la- quelle ne doit que rarement faire preuve en philoso- phie, il y a une nécessité physique pour que la terre soit irrégulière à sa surface; et cela, parce qu'en la 58 TIIÉOIUE DE LA TERRE. supposant môme parfaitement régulière dans son on- iiinc, le mouvement des eaux, les feux souterrains, les vents, et les autres causes extérieures auroient néces- sairement produit à la longue des irrégularités sem- blables à celles que nous voyons. Les plus grandes inégalités sont les profondeurs de l'Océan, comparées à l'élévation des montagnes: cette profondeur de l'Océan est fort différente, même à de grandes distances des terres; on prétend qu'il y a des endroits qui ont jusqu'à une lieue de profondeur : mais cela est rare, et les profondeurs les plus ordi- naires sont depuis 60 jusqu'à i5o brasses. Les golfes et les parages voisins des côtes sont bien moins pro- fonds, et les détroits sont ordinairement les endroits de la mer où l'eau a le moins de profondeur. Pour sonder les profondeurs de la mer, on se sert ordinairement d'un morceau de plomb de 5o ou 4o livres, qu'on attache à une petite corde. Cette ma- nière est fort bonne pour les profondeurs ordinaires: mais lorsqu'on veut sonder de grandes profondeurs, on peut tomber dans l'erreur, et ne pas trouver de fond où cependant il y en a, parce que la corde étant spécifiquement moins pesante que l'eau , il arrive , après qu'on en a beaucoup dévidé , que le volume de la sonde et celui de la corde ne pèsent plus qu'au- tant ou moins qu'un pareil volume d'eau: dès lors la sonde ne descend plus, et elle s'éloigne en ligne obli- que, en se tenant toujours à la même hauteur : ainsi, pour sonder de grandes profondeurs, il faudroit une chaîne de fer ou d'autre matière plus pesante que l'eau. Il est assez probable que c'est faute d'avoir fait cette attention, que les navigateurs nous disent que ART. IX. INEGALITES DE LA TERRE. OQ la Dier n'a pas de fond dans une si grande qnantitr d'endi'oits. En général, les profondeurs dans les hautes mers ausmentent ou diminuent d'une manière assez uni- forme ; et ordinairement plus on s'éloigne des côtes, plus la profondeur est grande : cependant cela n'est pas sans exception, et il y a des endroits au milieu de la mer où l'on trouve des écueils , comme aux Abrolhos dans la mer Atlantique ; d'autres où il y a des bancs d'une étendue très considérable, comme le grand banc, le banc appelé le Borneur dans notre Océan, les bancs et les bas-fonds de l'Océan in- dien, etc. De même le long des côtes les profondeurs sont fort inégales : cependant on peut donner comme une rè- i;le certaine, que la profondeur de la mer à la côte est toujours proportionnée à la hauteur de cette même côte, en sorte que si la côté est fort élevée, la pro- fondeur sera fort grande; et, au contraire, si la plage est basse et le terrain plat, la profondeur est fort pe- tite, comme dans les fleuves où les rivages élevés an- noncent toujours beaucoup de profondeur, et où les grèves et les bords de niveau montrent ordinairement un gué, ou du moins une profondeur médiocre. 11 est encore plus aisé de mesurer la hauteur des montagnes que de sonder les profondeurs des mers , soit au moyen de la géométrie pratique, soit par le ba- romètre : cet instiumentpeut donner la hauteur d'une montagne fort exactement , surtout dans les pays où sa variation n'est pas considérable , comme au Pérou et sous les autres climats dé l'équateur. On a mesuré [)ar l'un ou l'autre de ces deux moyens la hauteur de 6o THÉORIE DE LA TKRRE. la pluparl des émiiiences qui sont à la surface du globe ; par exemple, on a trouvé que les plus hautes monta- gnes de la KSuisse sont élevées d'environ seize cents toises au dessus du niveau de la mer plus que le Ca- nigou, qui est une des plus hautes des Pyrénées^. Il paroît que ce sont les plus hautes de toute l'Eu- rope, puisqu'il en sort une grande quantité de fleu- ves, qui portent leurs eaux dans différentes mers fort éloignées, comme le Pô, qui se rend dans la mer Adriatique; le Rhin, qui se perd dans les sables en Hollande; leRhône, qui tombe dans la Méditerranée; et le Danube, qui va jusqu'à la mer Noire. Ces quatre fleuves, dont les embouchures sont si éloignées les unes des autres, tirent tous une partie de leurs eaux du mont Saint-Gothard et des montagnes voisines ; ce qui prouve que ce point est le plus élevé de l'Europe. Les plus hautes montagnes de l'Asie sont le mont Taurus, le montlmaus, le Caucase, et les montagnes du Japon. Toutes ces montagnes sont plus élevées que celles de l'Europe; celles d'Afrique, le grand Atlas, et les monts de la Lune sont au moins aussi hautes que celles de l'Asie ; et les plus élevées de toutes sont celles de l'Amérique méridionale, surtout celles du Pérou, qui ont Jusqu'à 3ooo toises de hauteur au dessus du niveau de la mer. En général, les montagnes entre les tropiques sont plus élevées que celles des zones tempérées , et celles-ci plus que celles des zones froi- des ; de sorte que plus on approche de l'équateur, et plus les inégalités de la surface de la terre sont gran- des. Ces inégalités , quoique fort considérables par rapport à nous, ne sont rien quand on les considère i. Vojcï V Histoire de l'Académie , 1708, page 24. ART. IX. INEGALITES DE LA TEllKE. () 1 par rapport au globe terrestre. Trois mille toises de diflférence sur trois mille lieues de diamètre, c'est une toise sur une lieue, ou un pied sur deux mille deux cents pieds; ce qui, sur un globe de deux pieds et demi de diamètre, ne fait pas la sixième partie d'une ligne : ainsi la terre, dont la surface nousparoît traver- sée et coupée par la hauteur énorme des montagnes et par la profondeur affreuse des mers, n'est cepen- dant, relativement à son volume, que très légèrement sillonnée d'inégalités si peu sensibles , qu'elles ne peu- vent causer aucune différence à la figure du globe. Dans les continents, les montagnes sont continues et forment des chaînes; dans les îles, elles paroissent être plus interrompues et plus isolées, et elles s'élèvent ordinairement au dessus de la mer en forme de cône ou de pyramide, et on les appelle, des pics. Le pic de Ténériffe, dans l'île de Fer, est une des plus hautes montagnes de la terre ; elle a près d'une lieue et de- mie de hauteur perpendiculaire au dessus du niveau de la mer. Le pic de Saint-George dans l'une des Aço- res, le pic d'Adam dans l'île de Ceylan, sont aussi fort élevés. Tous ces pics sont composés de rochers entas- sés les uns sur les autres, et ils vomissent à leur som- met du feu, des cendres, du bitume, des minéraux et des pierres. II y a même des îles qui ne sont pré- cisément que des pointes de montagnes, comme l'île Sainte-Hélène, l'île de l'Ascension, la plupart des Ca- naries et des Açores; et il faut remarquer que dans la plupart des îles, des promontoires et des autres terres avancées dans la mer, la partie du milieu est toujours la plus élevée, et qu'elles sont ordinairement séparées en deux par des chaînes île montagnes qui lespartagent 62 T m-: OUÏE DE LA TERRE. dans leur plus grande longueur, comme en Ecosse le uionl (^ransbain, qui s'étend d'orient en occident , et narlage l'ile de la Grande-Bretagne en deux parties : il en est de même des îles de Sumatra, de Lucon , de Bornéo, des Céièbes, de Cuba, et de Saint-Domin- gue, et aussi de l'Italie, qui est traversée dans toute sa longueur par l'Apennin, de la presqu'île de Corée, de celle de Malaye, etc. Les montagnes, comme l'on voit, diffèrent beau- coup en liauteur; les collines sont les plus basses de toutes; ensuite viennent les montagnes médiocrement élevées, qui sont suivies d'un troisième rang de mon- tagnes encore plus hautes, lesquelles, comme les pré- cédentes, sont ordinairement chargées d'arbres et de plantes, mais qui, ni les unes ni les autres, ne four-- nissent aucune source, excepté au bas; enfin les plus hautes de toutes les montagnes sont celles sur lesquelles on ne trouve que du sable, des pierres, des cailloux, et des rochers dont les pointes s'élèvent souvent jus- qu'au dessus des nues : c'est précisément au pied de ces rochers qu'il y a de petits espaces, de petites plai- nes, des enfoncements, des espèces de vallons où l'eau de la pluie, la neige, et la glace s'arrêtent, et où elles forment des étangs, des marais, des fontaines, d'où les fleuves tirent leur origine^. La forme des montagnes est aussi fort différente : les unes forment des chaînes dont la hauteur est assez é2;ale dans une très Ionique étendue de terrain, d'au- très sont coupées par des vallons très profonds; les unes ont des contours assez réguliers, d'autres paroissent au premier coup d'œil irrégulières, autant qu'il est possi- i. Novoz Lettres philosophiques sid' la fonnaUon des sels, \>; cela seul ne suffit pas pour rendre raison de la différence considérable qui se trouve entre le mouvement de ces deux roues : elle provient eu premier lieu, de ce que l'eau contenue dans ce canal cesse d'être pressée latéralement, comme elle l'est en effet lorsqu'elle entre par la vanne du biez et qu'elle frappe immédiatement les aubes de la roue : secondement, cette inégalité de vitesse, qui se mesure sur la dislance du biez à ces roues, vient encore de ce que l'eau qui sort d'une vanne n'est pas une coloi\ne qui ait les dimensions de la vanne; car l'eau l'orme dans son passage un cône irrégulier, d'autant plus déprimé sur les côtés, que la masse d'eau dans le biez a plus de largeur. Si les aubes de la roue sont très près de la vanne, l'eau s'y applique presque à la hauteur de l'ouverture de la vanne : mais si la roue est plus éloignée du biez, l'eau s'abaisse dans le coursier, et ne Irappe plus les aubesr de la roue à la même bâuteur ni avec autant de vitesse que dans le premier cas; et ces deux causes réunies produisent celte diminutiou de vitesse dans les roues ([ui sont éloignées du l)iez. ( /lild. Bufl'. ) 112 TIIKORIE DL LA TERRE. Jair, qui a onviron 675 lieues de cours, en comptant depuis la source du fleuve Kerlon, qui s'y jette, jus- ([ua la mer deKamtscbalka, où il a son em])oucluire; le fleuve Menamcon, qui a son embouchure à Poulo- Coiidor, et qu'on peut mesurer depuis la source du î.ongmu, qui s'y jette; le fleuve Kian, dont le cours est environ de 55o lieues en le mesurant depuis la source de la rivière Kinxa, qu'il reçoit, jusqu'à son embouchure dans la mer de la Chine ; le Gange, qui a aussi environ 55o lieues de cours; l'Euphrate, qui en a 5oo, en le prenant depuis la source de la rivière Irma, qu'il reçoit; l'Indus, qui a environ 4oo lieues de cours , et qui tombe dans la mer d'Arabie à la partie occiden- tale deGuzarate; le lleuve Sirderoias, qui a une éten- due de 4oo lieues environ, et qui se jette dans le lac Aral. Les plus grands fleuves de l'Afrique sont le Sénégal , qui a 1 125 lieues environ de cours, en y comprenant le jNiger, qui n'en est en effet qu'une continuation, et en remontant le Niger jusqu'à la source du Gombarou, qui se jette dans le Niger; le Nil , dont la longueur est de 970 lieues, et qui prend sa source dans la haute Ethiopie, où il fait plusieurs contours; il y a aussi le Zaïr et le Coanza, desquels on connoît environ l\^qo lieues, mais qui s'étendent bien plus au loin dans les terres de Monoémugi ; le Couama, dont on ne con- noît aussi qu'environ 4oo lieues, et qui vient de plus loin, des terres de la Cafrerie; le Quilmanci, dont le cours entier est de 4<^o lieues, et qui prend sa source dans le royaume de Gingiro. Enfin les plus grands lleuves d'Amérique, qui sont aussi les plus larges lleuves du monde, sont la rivière ART. X. FLEUVES. I l ,") des Amazones; dont le cours esl de plus de 1200 lieues, si l'on remonte jusqu'au lac qui est près de Guanuco, à 5o lieues de Lima, où leMara^non prend sa source; et sil'on remonte jusqu'à la source de la rivière INapo, à quelque distance de Quito, le cours de la rivière des Amazones est de plus de mille lieues. On pourroit dire que le cours du fleuve Saint-Lau- rent en Canada est de plus de 900 lieues, depuis son embouchure en remontant le lac Ontario et le lac Erié, de là au lac Huron, ensuite au lac Supérieur, de là au lac Alemipigo, au lac Cristinaux, et entin au lac des Assiniboïls, les eaux de tous ces lacs tombant des uns dans les autres, et enfin dans le fleuve Saint-Lau- rent. Le fleuve Mississipi a plus de 700 lieues d'étendue depuis son embouchure jusqu'à quelques unes de ses sources, qui ne sont pas éloignées du lac des Assini- boïls dont nous venons de parler. Le fleuve de la Plata a plus de 800 lieues de cours, en le remontant depuis son embouchure jusqu'à la source de la rivière Parana, qu'il reçoit. Le fleuve Orénoque a plus de 676 lieues de cours, en comptant depuis la source de la rivière Caketa près de Pasto, qui se jette en partie dans l'Orénoque, et coule aussi en partie vers la rivière des Amazones. La rivière Madera, qui se jette dans celle des Ama- zones, a plus de 660 ou 670 lieues. Pour savoir à peu près la quantité d'eau que la mer reçoit par tous les fleuves qui y arrivent, supposons que la moitié du globe soit couverte par la mer, et que l'autre moitié soit terre sèche, ce qui est assez juste ; supposons aussi que la moyenne profondeur de 1 1 I 111 H OUÏE I) K L A T E U K K . la mer, en la prenant dans toute son étendue, soit d'un quart de mille d'Italie, c'est-à-dire d'environ 200 toi- ses : la surface de toute la terre étant de 1 70,98 1 ,0 1 2 milles, la surface de la mer est de 85,49o,5o6 milles carrés, qui étant multipliés par V4? profondeur de la mer, donnent 21,072,626 milles cubiques pour la (juantité d'eau conteniie dans l'océan tout entier. .Alaintenant , pour calculer la quantité d'eau que l'O- céan reçoit des rivières, prenons quelque grand fleuve dont la vitesse et la quantité d'eau nous soit connues; le Pô, par exemple, qui passe en Lombardie, et qui arrose un pays de.58o milles de longueur, suivant lliccioli : sa largeur, avant qu'il se divise en plusieurs boncbes pour tomber dans la mer, est de cent per- çues de Bologne, ou de mille pieds, et sa profondeur de dix pieds; sa vitesse est telle, qu'il parcourt 4 milles dans une beure : ainsi le Pô fournit à la mer 200, 000 per- ches cubiques d'eau en une beure, ou 4?8oo,ooo dans un jour. Mais un mille cubique contient 1 25, 000, 000 percbes cubiques : ainsi il faut vingt-six jours pour qu'il porte à la mer un mille cubique d'eau. Reste maintenant à déterminer la portion qu'il y a entre la rivière du Pô et toutes les rivières de la terre prises ensemble, ce qu'il est impossible de faire exactement ; mais pour le savoir à peu près, supposons que la quan- tité d'eau que la mer reçoit par les grandes rivières dans tous les pays, soit proportionnelle à l'étendue et à la surface de ces pays, et que par conséquent le pays arrosé par le Pô et par les rivières qui y tombent, soit à la surface de toute la terre sèche en même pro- portion que le Pô est à toutes les rivières de la terre. Or, par les cartes les plus exactes, le Pô, depuis sa ART. X. FLEIVES. 1 I T) source jusqu'à son euiboucluire, traverse un pays de 58o milles de longueur, et les rivières (jui y tombent de chaque côté, viennent de sources et de rivières qui sont à environ 60 milles de distance du Pô : ainsi ce lleuve et les rivières qu'il reçoit, arrosent un pays de 58o milles de long et de 1 20 milles de large ; ce qui fait 45,600 milles carrés. àMais la surface de toute la terre sèche est de 85,49o,5o6 milles carrés; par conséquent la quantité d'eau que toutes les rivières portent à la mer, sera 1874 f<^is plus grande que la quantité que le Pô lui fournit : mais comme vingt-six rivières comme le Pô fournissent un mille cubique d'eau à la mer par jour, il s'ensuit que dans l'espace d'un an, 1874 riviè- res comme le Pô fourniront à la mer 26,5o8 milles cubiques d'eau, et que dans l'espace de 812 ans tou- tes ces rivières fourniroient à la mer 21,572,626 mil- les cubiques d'eau, c'est-à-dire autant qu'il y en a dans l'Océan , et que par conséquent il ne faudroit que 8 1 2 ans pour le remplir. Il résulte de ce calcul, que la quantité d'eau que l'évaporation enlève de la surface de la mer, que les vents transportent sur la terre, et qui produit tous les ruisseaux et tous les fleuves, est d'environ 245 lignes, ou de 20 à 21 pouces par an, ou d'environ les deux tiers d'une ligne par jour; ceci est une très petite éva- poration, quand même on la doubleroit ou tripleroit, afin de tenir compte de l'eau qui retombe sur la mer, et qui n'est pas transportée sur la terre. Voyez sur ce sujet l'écrit de Halley dans les Transactions philoso- p/iic/uesj n° 192, où il fait voir évidemment et par le calcul, que les vapeurs qui s'élèvent au dessus de la mer, et que les vents transportent sur la terre, sont 1 1 () T 11 E O lU E D E L A T E II R E . suiïisantes pourformer toutes les rivières et entretenir tontes les eaux qni sont à la surface de la terre. Après le INiî, le Jourdain est le fleuve le plus consi- dérable qui soit dans le Levant, et même dans la Bar- barie; il fournit à la mer Morte environ six millions de tonnes d'eau par jour : toute cette eau, et au delà, est enlevée par l'évaporation; car en comptant, sui- vant le calcul de Halley, 6914 tonnes d'eau qui se ré- duit en vapeurs sur chaque mille superficiel, on trouve que la mer Morte, qui a ^2 milles de long sur 18 milles de large, doit perdre tous les jours par l'évapo- ration près de neuf millions de tonnes d'eau, c'est-à- dire non seulement toute l'eau qu'elle reçoit du Jour- dain, mais encore celle despetites ri vièresqui y arrivent des montagnes de Moab et d'ailleurs : par conséquent elle ne communique avec aucune autre mer par des canaux souterrains. Les fleuves les plus rapides de tous sont le Tigre, rindus, le Danube, l'Yrtis en Sibérie, le Malmistra en Cilicie, etc. Mais, comme nous l'avons dit au com- mencement de cet article, la mesure de la vitesse des eaux d'un fleuve dépend de deux causes : la première est la pente, et la seconde le poids et la quantité d'eau. En examinant sur le globe quels sont les fleuves qui ont le plus de pente, on trouvera que le Danube en a beaucoup moins que le Pô, le Rhin, et le Rhône, puisque, tirant quelques unes de ses sources des mô- mes montagnes, le Danube a un cours beaucoup plus long qu'aucun de ces trois autres fleuves, et qu'il tombe dans la merJNoire, qui est plus élevée que la Méditer- ranée, et peut-être plus que l'Océan. Tous les grands fleuves reçoivent beaucoup d'autres ART. X. FLEUVES. 1 l'J rivières dans toute l'étendue de leur cours ; on a compté, par exemple, que le Danube reçoit plus de deux cents tant ruisseaux que rivières. Mais en ne comptant que les rivières assez considérables que les fleuves reçoi- vent, on trouvera que le Daftube en reçoit trente ou trente-une, le Wolga en reçoit trente-deux ou trente- trois, le Don cinq ou six, lelNiéper dix-neuf ou vingt, laDuine onze ou douze ; et de môme en Asie leHoanho reçoit trente-quatre ou trente-cinq rivières; le Jénisca en reçoit plus de soixante, l'Oby tout autant, le fleuve Amour environ quarante, le Kian ou fleuve de Nan- quin en reçoit environ trente, le Gange plus de vingt, l'Euphrate dix ou onze, etc. En Afrique, le Sénégal reçoit plus de vingt rivières : le Nil ne reçoit aucune rivière qu'à plus de cinq cents lieues de son embou- chure; la dernière qui y tombe est le Moraba, et de cet endroit jusqu'à sa source il reçoit environ douze ou treize rivières. En Amérique, le fleuve des Amazo- nes en reçoit plus de soixante, et toutes fort considé- rables; le fleuve Saint-Laurent environ quarante, en comptant celles qui tombent dans les lacs; le fleuve Mississipi plus de quarante, le fleuve de la Plata plus de cinquante, etc. Il va sur la surface de la terre des contrées élevées qui paroissent être des points de partage marqués par la nature pour la distribution des eaux. Les environs du mont Saint-Gothard sont un de ces points en Eu- rope. Un autre point est le pays situé entre les provin- ces de Belozera et de Vologda en Moscovie, d'où des- cendent des rivières dont les unes vont à la merBlanche, d'autres à la mer Noire, et d'autres à la mer Caspienne en xisie ; le pays des Tartares Mogols, d'où il coule des ULFFO>. 11, Il8 THÉORIE DE I, A JE H RE. rivirres dont 1rs unes vont se rendicdans la nicr'ri*;ui- quille on luvr de la JNonvelle-Zemble, d'anhcsaugoHe Lincliidolin, d'auhes à la mer de Corée, d'antres à celle de la Chine; et de même le petit Thibet, dont les eanx coulent vers la fher de la Chine, vers le ooji'e de Bengale, vers le goll'e de Cambaïe et vers le lac Ara! ; en Ani'M'ique la province de Ouito, qui l'ournit des eavix à la mer du Sud, à la nier du Nord, et au golfe du ^lexique. 11 y a dans l'ancien continent environ quatre cent trente fleuves qui tombent immédiatement dans l'O- céan ou dans la Méditerranée et la merlNoiie, et dans le nouveau continent on ne connoît guère que cent quatre-vingts lleuvesqui tond:>entinimédialement dar;s la mer; au resie, je n'ai compris dans ce nom])re que des rivières ijrandes au moins comme I esl la Somme en Picardie. Toutes ces rivières transportent à la mer avec leurs eaux une grande quantité de parties minérales et sa- lines qu'elles ont enlevées des dilTérents terrains par où elles ont passé. Les parlicuîes de sels. ile par un saut perpendiculaire de 5oo pieds; elle tombe comme dans un abime, d'où elle s'échappe avec une espèce de fureur. La rapidité de sa chute brise ses eaux avec tant d'effort contre les rochers et sur le fond de cet abîme, qu'il s'en élève une vapeur humide, sur laquelle les rayons du soleil forment des arcs-en-ciel, qui sont très variés; et lorsque hî vent du midi souffle et rassemble ce brouillard contre la montagne, au lieu de plusieurs petits arcs-en-ciel, on n'en voit plus qu'un seul (jui couronne toute la cascade. ( Add. Bnff. ) ' Nulr roinnuiiiiquce à M. de Uiiiroii par 31. Fresnaje, conseiller au conrcil supéiiciu' de S.iiiit Doniingup. 1 :i G THEO W i K î) E L A T K l\ Il !• . olfe de Guiaée. » Cette division des courants me fit naître l'idée d'une machine qui, coulée jusqu'au courant inférieur, pré- sentant une grande surface, auroit entraîné mon na- vire contre les courants supérieurs; j'en fis l'épreuve en petit sur un canot, et je parvins à faire équilibre entre l'efifet de la marée supérieure joint à l'effet du vent sur le canot, et l'effet de la marée iidérieure sur la machine. Les moyens me manquèrent pour faire de plus grandes tentatives. Voilà, monsieur, un fait évi- demment vrai, et que tous les navigateurs qui ont été dans ces climats peuvent vous confirmer. )) Je pense que les vents sont pour beaucoup dans les causes générales de ces effets, ainsi que les fleuves qui se déchargent dans la mer le long de cette côte, chaiToyant une grande quantité de terre dans le golfe de Guinée. Enfin le fond de cette partie , qui obhge par sa pente la marée de rétrograder lorsque l'eau ^ ART. XI. MERS ET LACS. 1 () I étant parvenue à un certain niveau, se trouve pressée par la quantité nouvelle qui la charge sans cesse, pen- dant que les vents agissent en sens contraire sur la surface, la contraint en partie de conserver son cours ordinaire. Cela nie paroît d'autant plus probable, que la mer entre de tous cotés dans ce golfe, et n'en sort que par des révolutions qui sont fort rares. La lune R'a aucune part apparente dans ceci, cela arrivant in- différemment dans tous ses quartiers. » J'ai eu occasion de me convaincre de plus en plus que la seule pression de l'eau parvenue à son niveau, jointe à l'inclinaison nécessaire du fond, sont les seu- les et uniques causes qui produisent ce phénomène. J'ai éprouvé que ces courants n'ont lieu qu'à raison de la pente plus ou moins rapide du rivage, et j'ai tout lieu de croire qu'ils ne se font sentir qu'à douze ou quinze lieues au large, qui est l'éloignement le plus grand le long de la côte d'Angole, où l'on puisse se promettre avoir fond... Quoique sans moyen certain de pouvoir m 'assurer que les courants du large n'é- prouvent pas un pareil changement, voici la raison qui me semble l'assurer. Je prends pour exemple une de mes expériences faite par une hauteur de fond moyenne, telle que trente-cinq brasses d'eau : j'éprou- vois jusqu'à la hauteur de cinq à six brasses, le cours dirigé dans le nord-nord-ouest; en faisant couler da- vantage comme de deux à trois brasses, ma ligne ten- doit au ouest-nord- ouest ; ensuite trois ou quatre brasses de profondeur de plus me l'amenoient au ouest- sud-ouest, puis au sud-ouest, et au sud; enfui, à vingt-cinq et vingt-six brasses, au sud-sud-est, et jusqu'au fond , au sud-est et à est-sud-est : d'où j'ai \6'2 TIIÉORIK DE LA TERRE. lir(5 les conséquences suivantes, que je pouvoiscoinpa^ rer l'Océan entre l'Afrique et l'Amérique à un grand fleuve dont le cours est presque continuellement di- rigé dans le nord-ouest; que, dans son cours, il trans- porte un sable ou limon qu'il dépose sur ses bords, lesquels se trouvant rehaussés, augmentent le volume d'eau, ou, ce qui est la même chose, élèvent son niveau, et l'obligent de rétrograder selon la pente du rivage. Mais il y a un premier effort qui le dirigeoit d'abord : il ne retourne donc pas directement ; mais, obéissant encore au premier mouvement, ou cédant avec peine à ce dernier obstacle, il doit nécessaire- ment décrire une courbe plus ou moins allongée, jus- qu'à ce qu'il rencontre ce courant du milieu avec le- quel il peut se réunir en partie, ou qui lui sert de point d'appui pour suivre la direction contraire que lui impose le fond : comme il faut considérer la masse d'eau en mouvement continuel , le fond subira tou- jours les premiers changements comme étant plus près de la cause et plus pressé, et il ira en sens contraire du courant supérieur, pendant qu'à des hauteurs difté- rentes il n'y sera pas encore parvenu. Voilà, monsieur, quelles sont mes idées. Au reste, j'ai tiré parti plu- sieurs fois de ces courants inférieurs; et moyennant une machine que j'ai coulé à différentes profondeurs, selon la hauteur du fond où je me trouvois, j'ai re- monté contre le courant supérieur. J'ai éprouvé que, dans un temps calme, avec une surface trois fois plus grande que la proue noyée du vaisseau , on peut faire d'un tiers à une demi-lieue par heure. Je me suis as- suré de cela plusieurs fois, tant par ma hauteur en la- titude que par les bateaux que je mouillois, dont je ART. XI, :\TERS ET LACS. I 6") iiie troiivois fort éloigné dans une lieuro, et enfin pai- ia distance des pointes le long de la terre. « Ces observations dé M. Deslandes me paroisse ni décisives , et j'y souscris avec plaisir; je ne puis même assez le remercier de nous avoir démontré que mes idées sur ce sujet n'étoient justes que pour le géné- ral, mais que, dans quelques circonstances, elles souf- froient des exceptions. Cependant il n'en est pas moins certain que l'Océan s'est ouvert la porte du détroit de Gibraltar, et que par conséquent l'on ne pent douter que la mer Méditerranée n'ait en même temps pris une grande augmentation par l'irruption de l'Océan. J'ai appuyé cette opinion, non seulement sur le cou- rant des eaux de l'Océan dans la Méditerranée, mais encore sur la nature du terrain et la correspondance des mêmes couches de terre des deux côtés du détroit, ce qui a été remarqué par plusieurs navigateurs in- struits. « L'irruption qui a formé la Méditerranée est visible et évidente, ainsi que celle de la mer Noire par le détroit des Dardanelles, où le courant est toujours très violent, et les angles saillants et rentrants des deux bords, très marqués, ainsi que la ressemblance des couches de matières qui sont les mêmes des deux côtés ^. » Au reste, l'idée de M. Deslandes, qui considère la mer entre l'Afrique et l'Amérique comme un grand fleuve dont le cours estdirio;é vers le nord-ouest, s'ac- corde parfaitement avec ce que j'ai établi sur le mou- vement des eaux venant du pôle austral en plus grande quantité que du pôle boréal. [Acid. Bitff.) Parcourons maintenant toutes les côtes du nou^ 1. Fragment d'une lettre écrite à M. de Buffon en 1772. îG4 THÉORIE DE LA TERRE. veau continent, et commençons par le point du cap Hold-with-liope, situe au "jTf degré latitude nord : c'est la terre la plus septentrionale que l'on connoisse dans le Nouveau-Groenland; el!e n'est éloignée du cap Nord de Laponie que d'environ 160 ou 180 lieues. De ce cap on peut suivre la côte du Groenland jusqu'au cercle polaire; là l'Océan forme un large détroit entre l'Islande et les terres du Groenland. On prétend que ce pays voisin de l'Islande n'est pas l'ancien Groen- land que les Danois possédoient autrefois comme pro- vince dépendante de leur royaume; il y avoitdans cet ancien Groenland des peuples policés et chrétiens, des évêques, des églises, des villes considérables par leur commerce; les Danois y alloient aussi souvent et aussi aisément que les Espagnols pourroient aller aux Canaries; il existe encore, à ce qu'on assure, des ti- tres et des ordonnances pour les affaires de ce pays, et tout cela n'est pas bien ancien : cependant, sans cju'on puisse deviner comment ni pourquoi, ce pays est ab- solument perdu, et l'on n'a trouvé dans le Nouveau- Groenland aucun indice de tout ce que nous venons de rapporter; les peuples y sont sauvages; il n'y a au- cun vestige d'édifice, pas un mot de leur langue qui ressemble à la langue danoise, enfin rien qui puisse faire juger que c'est le même pays; il est même pres- que désert et bordé de glaces pendant la plus graixde partie de l'année. Mais comme ces terres sont d'une très vaste étendue, et que les côtes ont été très peu fréquentées par les navigateurs modernes, ces na- vigateurs ont pu manquer le lieu où habitent les des- cendants de ces peuples policés; ou bien il se peut que les glaces étant devenues plus abondantes dans ART. XI. MERS ET LACS. 1 65 cette mer, elles empêchent aujourd'hui d'aborder en cet endroit : tout ce pays cependant, à en juger par les cartes, a été côtoyé etreconnu en entier; il forme une grande presqu'île à l'extrémité de laquelle sont les deux détroits de Forbisher et l'île de Frisland, où il fait un froid extrême, quoiqu'ils ne soient qu'à la hauteur des Orcades, c'est-à-dire à 60 degrés. Entre la côte occidentale du Groenland et celle de la terre de Labrador, l'Océan fait un golfe et ensuite une grande mer méditerranée, la plus froide de toutes les mers, et dont les côtes ne sont pas encore bien reconnues. En suivant ce golfe droit au nord, on trouve le large détroit de Davis, qui conduit à la mer Chris- tiane, terminée par la baie de Baffin, qui fait un cul- de-sac dont il paroît qu'on ne peut sortir que pour tomber dans un autre cul-de-sac , qui est la baie d'Hudson. Le détroit de Cumberland, qui peut, aussi bien que celui de Davis, conduire à la mer Christiane, est plus étroit et plus sujet à être glacé ; celui d'Hud- son, quoique beaucoup plus méridional, est aussi glacé pendant une partie de l'année ; et on a remarqué dans ces détroits et dans ces mers méditerranées un mouvement de flux et reflux très fort, tout au con- traire de ce qui arrive dans les mers méditerranées de l'Europe, soit dans la Méditerranée, soit dans la mer Baltique, où il n'y a point de flux et de reflux; ce qui ne peut venir que de la différence du mouvement de la mer, qui, se faisant toujours d'orient en occident, occasione de grandes marées dans les détroits qui sont opposés à cette direction de mouvement, c'est- à-dire dans les détroits dont les ouvertures sont tour- nées vers l'orient, au lieu que dans ceux de l'Europe, BUFFON. II, l66 TIIBORIE DE LA TERRE. ffui pri'senlent leur ouverture à l'occident, il n'y a aucun mouvement ; l'Océan, par son mouvement gé- néral , entre dans les premiers et fuit les derniers, et c'est par cette même raison qu'il y a de violentes ma- rées dans les mers de la Chine, de Corée, et de Kamts- chalka. En descendant du détroit d'Hudson vers la terre de Labrador, on voit une ouverture étroite, dans la- quelle Davis, en i586, remonta jusqu'à 5o lieues, et fit quelque petit commerce avec les habitants; mais personne, que je sache, n'a depuis tenté la décou- verte de ce bras de mer, et on ne connoît de la terre voisine que le pays des Eskimaux : le fort Pontchar- train est la seule habitation et la plus septentrionale de tout ce pays, qui n'est séparé de l'île de Terre- Neuve que par le petit détroit de Belle-Ile, qui n'est pas trop fréquenté; et comme la côte orientale de Terre-Neuve est dans la môme direction que la côte de Labrador, on doit regarder l'ile de Terre-Neuve comme une partie du continent , de même que l'île Royale paroît être une partie du continent de l'Acadie : le grand banc et les autres bancs sur lesquels on pê- che la morue ne sont pas des hauts fonds, comme on pourroit le croire; ils sont à une profondeur considé- rable sous l'eau, et produisent dans cet endroit des courants très violents. Entre le cap Breton et Terre- Neuve est un détroit assez large par lequel on entre dans une petite mer méditerranée qu'on appelle le golfe de Saint-Laurent : cette petite mer a un bras qui s'étend assez considérablement dans les terres, et qui semble n'être que l'embouchure du fleuve Saint- Laurent : le mouvement du flux et reflux est extrê- ART. XI. MERS ET Lx\CS. 167 mement sensible dans ce bras de mer; et à Québec môme, qui est plus avancé dans les terres, les eaux s'élèvent de plusieurs pieds. Au sortir du golfe de Ca- nada, et en suivant la côte de l'Acadie, on trouve un petit golfe qu'on appelle la baie de Boston, qui fait un petit enfoncement carré dans les terres. Mais avant que de suivre cette côte plus loin, il est bon d'obser- ver que depuis l'île de Terre-lNeuve jusqu'aux îles An- tilles les plus avancées, comme la Barbade et Antigoa, et même jusqu'à celle de la Guiane , l'Océan fait un très grand golfe qui a plus de 5oo lieues d'enfonce- ment jusqu'à la Floride. Ce golfe du nouveau conti- nent est semblable à celui de l'ancien continent dont nous avons parlé ; et tout de même que dans le con- tinent oriental, l'Océan , après avoir fait un golfe entre les terres de Ramtschatka et delà Nouvelle-Bretagne, forme ensuite une vaste mer méditerranée qui com- prend la mer de Ramtschatka , celle de Corée , celle de la Chine, etc. : dans le nouveau continent l'Océan^ après avoir fait un grand golfe entre les terres de Terre- lNeuve et celles de la Guiane, forme une très grande mer méditerranée qui s'étend depuis les Antilles jus- qu'au Mexique i ce qui confirme ce que nous avons dit au sujet des effets du mouvement de l'Océan d'o- rient en occident; car il semble que l'Océan ait ga- gné tout autant de terrain sur les côtes orientales de l'Amérique , qu'il en a gagné sur les côtes orientales de l'Asie, et ces deux grands golfes ou enfoncements que l'Océan a formés dans ces deux continents sont sous le même degré de latitude, et à peu près de la même étendue; ce qui fait des rapports ou des convenances singulières, et qui paroissent venir de la même cause. l68 THÉORIE DE LA TERRE. Si Ton examine la position des îles Antilles à com- mencer par celle de la Trinité, qui est la plus méri- dionale, on ne pourra guère douter que les îles delà Trinité, de Tabago, de la Grenade, des îles des Gra- nadilles, celles de Saint-Vincent, de la Martinique, de Marie-Galande , de la Désirade, d'Antigoa, de la Barbade, avec toutes les autres îles qui les accompa- gnent, ne fassent une chaîne de montagnes dont la direction est du sud au nord, comme celle de l'île de Terre-Neuve et de la terre des Eskimaux. Ensuite la direction de ces îles Antilles est de l'est à l'ouest en commençant à l'île de la Barbade, passant par Saint- Barthélemi, Porto-Rico, Saint-Domingue, et l'île de Cuba, à peu près comme les terres du cap Breton de l'Acadie, de la Nouvelle-Angleterre. Toutes ces îles sont si voisines les unes des autres, qu'on peut les re- garder comme une bande de terre non interrompue et comme les parties les plus élevées d'un terrain submergé : la plupart de ces îles ne sont en effet que des pointes de montagnes, et la mer qui est au delà est une vraie mer méditerranée, où le mouvement du flux et reflux n'est guère plus sensible que dans notre mer Méditerranée , quoique les ouvertures qu'elles présentent à l'Océan soient directemeat opposées au mouvement des eaux d'orient en occident; ce qui de- vroit contribuer à rendre ce mouvement sensible dans le golfe du Mexique : mais comme cette mer médi- terranée est fort large, le mouvement du flux et re- flux qui lui est communiqué par l'Océan, se répan- dant sur un aussi grand espace, perd une grande partie de sa vitesse et devient presque insensible à la côte de la Louisiane et dans plusieurs autres endroits. AUT. XI. MERS ET LACS. 1 G() L'ancien et ie nouveau continent paroissent donc tous les deux avoir été rongés par l'Océan à la même hauteur et à la même profondeur dans les terres; tous deux ont ensuite une vaste mer méditerranée et une grande quantité d'îles qui sont encore situées à peu près à la même hauteur : la seule différence est que l'ancien continent étant beaucoup plus large que le nouveau , il y a dans la partie occidentale de cet ancien continent une mer méditerranée occidentale qui ne peut pas se trouver dans le nouveau continent; mais il paroît que tout ce qui est arrivé aux terres orienta- les de l'ancien monde est aussi arrivé de même aux terres orientales du Nouveau-Monde, et que c'est à peu près dans leur milieu et à la même hauteur que s'est faite la plus grande destruction des terres, parce qu'en effet c'est dans ce milieu et près de l'équateur qu'est le plus grand mouvement de l'Océan. Les côtes de la Guiane, comprises entre l'embou- chure du fleuve Orenoque et celle de la rivière des Amazones, n'offrent rien de remarquable; mais cette rivière, la plus large de l'univers, forme une étendue d'eau considérable auprès de Coropa, avant que d'ar- river à la mer par deux bouches différentes qui for- ment l'île de Caviana. De l'embouchure de la rivière des Amazones jusqu'au cap Saint-Roch, la côte va pres- que droit de l'ouest à l'est, du cap Saint-Roch au cap Saint-Augustin, elle va du nord au sud ; et du cap Saint- Augustin à la baie de Tous-les-Saints, elle re- tourne vers l'ouest ; en sorte que cette partie du Rré- sil fait une avance considérable dans la mer, qui re- garde directement une pareille avance de terre que fait l'Afrique en sens opposé. La baiedeTous-Ies-Saints inO THEOIME DE LA TERRE. est un petit bras de rOcéan qui a environ 5o lieues de profondeur dans les terres, et qui est fort fréquenté des navigateurs. De cette baie jusqu'au cap de Saint- Thomas, la côte va droit du nord au midi, et ensuite dans une direction sud-ouest jusqu'à l'embouchure du fleuve de la Plata, où la mer fait un petit bras qui re- monte à près de loo lieues dans les terres. De là à l'extrémité de l'Amérique, l'Océan paroît faire un grand golfe terminé par les terres voisines de la Terre- de-Feu^. comme l'île Falkland, les terres du cap de l'Assomption, l'ile Beauchêne, et les terres qui for- ment le détroit de La Roche, découvert en 1671 : on trouve au fond de ce golfe le détroit de jVIagellan , qui est le plus long de tous les détroits, et où le flux et reflux est extrêmement sensible; au delà est celui de Le Maire , qui est plus court et plus commode, et enfin le cap Horn , qui est la pointe du continent de l'Amé- rique méridionale. On doit remarquer au sujet de ces pointes formées par les continents, qu'elles sont toutes posées de la même façon; elles regardent toutes le midi, et la plu- part sont coupées par des détroits qui vont de l'o- rient à l'occident : la première est celle de l'Amérique méridionale , qui regarde le midi ou Le pôle austral, et qui est coupée par le détroit de Magellan ; la se- conde est celle du Groenland, qui regarde aussi di- rectement le midi, et qui est coupée de même de l'est à l'ouest par les détroits de Forbisher; la troi- sième est celle de l'Afrique, qui regarde aussi le midi, et qui a au delà du cap de Bonne-Espérance des bancs et des hauts fonds qui paroissent en avoir été séparés; la quatrième est la pointe de la presqu'île de l'Inde , ART. Xï. MERS ET LACb. l"! qui est coupée par uu détroil qui forme 1 ile de Cey- lan, et qui regarde le midi, comme toutes les autres. Jusqu'ici nous ne voyons pas qu'on puisse donner la raison de cette singularité, et dire pourquoi les poin- tes de toutes les grandes presqu'îles sont toutes tour- nées vers le midi, et presque toutes coupées à leurs extrémités par des détroits. En remontant de la Terre-de-Feu tout le long des côtes occidentales de l'Amérique méridionale, l'O- céan rentre assez considérablement dans les terres, et cette côte semble suivre exactement la direction des hautes montagnes qui traversent du midi au nord toute l'Amérique méridionale depuis l'équateur jus- qu'à la Terre-de-Feu. Près de l'équateur, l'Océan fait un golfe assez considérable, qui commence au cap Saint-François, et s'étend jusqu'à Panama, où est le fameux isthme qui, comme celui de Suez, empêche la communication des deux mers, et sans lesquels il y auroit uue séparation entière de l'ancien et du nou- veau continent en deux parties; de là il n'y a rien de remarquable jusqu'à la Californie, qui est une pres- qu'île fort longue, entre les terres de laquelle et celles du INouveau-Mexique, l'Océan fait un bras qaoïi appelle la m^r Vermeille^, qui a plus de 200 lieues d'é- tendue en longueur. Enfin on a suivi les côtes occi- dentales de la Californie jusqu'au /p' degré; et à cette latitude, Drake , qui le premier a fait la découverte de la terre qui est au nord de la Californie, et qui l'a appelée Nouvelle' Albion^ fut obligé, à cause de la ri- gueur du froid, de changer sa route, et de s'arrêter dans une petite baie qui porte son nom; de sorte qu'au delà du ^ ou du 4.^ degré, les merë de ces ina THEORIE DE LA TERRE. clinials n'ont pas été reconnues, non plus que les terres de l'Amérique septentrionale, dont les derniers peuples qui sont connus, sont les Moozemlekis sous le 4^** degré, et les Assiniboils sous le 5i% et les pre- miers sont beaucoup plus reculés vers l'ouest que les seconds. Tout ce qui est au delà, soit terre, soit mer, dans une étendue de plus de mille lieues en longueur et d'autant en largeur, est inconnu, à moins que les Moscovites dans leurs dernières navigations n'aient, comme ils l'ont annoncé, reconnu une partie de ces climats en partant de Kamtschatka, qui est la terre la plus voisine du côté de l'orient. L'Océan environne donc toute la terre sans inter- ruption de continuité, et on peut faire le tour du globe en passant à la pointe de l'Amérique méridionale; mais on ne sait pas encore si l'Océan environne de même la partie septentrionale du globe, et tous les navigateurs qui ont tenté d'aller d'Europe à la Chine par le nord-est ou par le nord-ouest, ont également échoué dans leurs entreprises. Les lacs diffèrent des mers méditerranées en ce qu'ils ne tirent aucune eau de l'Océan, et qu'au con- traire s'ils ont communication avec les mers, ils leur fournissent des eaux : ainsi la mer Noire, que quel- ques géographes ont regardée comme une suite de la mer Méditerranée, et par conséquent comme une ap- pendice de l'Océan, n'est qu'un lac, parce qu'au lieu de tirer des eaux de la Méditerranée elle lui en four- nit, et coule avec rapidité par le Bosphore dans le lac appelé mer de Marmara ., et de là parle détroit des Dardanelles dans la mer de la Grèce. La mer Noire a environ deux cent cinquante lieues de longueur sur ART. XI. MEKS ET LACS. l -^ .) cent de largeur, et elle reçoit un grand nombre de fleuves dont les plus considérables sont le Danube, le Niéper, le Don, le Bog, le Donjec, etc. Le Don, qui se réunit avec le Donjec, forme, avant que d'arriver à la mer Noire, un lac ou un marais fort considéra- ble, qu'on appelle le Palus Méotide^ dont l'étendue est de plus de cent lieues en longueur, sur vingt ou vingt-cinq de largeur. La mer de Marmara, qui est au dessous de la mer Noire, est un lac plus petit que le Palus Méotide, et il n'a qu'environ cinquante lieues de longueur sur huit ou neuf de largeur. Quelques anciens, et entre autres Diodore de Sicile, ont écrit que le Pont-Euxin, ou la mer Noire, n'étoit autrefois que comme une grande rivière ou un grand lac qui n'avoit aucune communication avec la mer de Grèce; mais que ce grand lac s'étant augmenté considérable- ment avec le temps par les eaux des fleuves qui y ar- rivent, il s'étoit enfin ouvert un passage, d'abord du côté des îles Cyanées , et ensuite du coté de l'Helles- pont. Cette opinion me paroît assez vraisemblable, et même il est facile d'expliquer le fait; car en supposant que le fond de la mer Noire fût autrefois plus bas qu'il ne l'est aujourd'hui, on voit bien que les fleuves qui y arrivent, auront élevé le fond de cette mer par le limon et les sables qu'ils entraînent, et que par consé^ quent il a pu arriver que la surface de cette mer se soit élevée assez pour que l'eau ait pu se faire une is- sue ; et comme les fleuves continuent toujours à ame- ner du sable et des terres, et qu'en même temps la quantité d'eau diminue dans les fleuves, à proportion que les montagnes dont ils tirent leurs sources s'abais- sent, il peut arrivei". par une longue suite de siècles. 1^4 THEOIIIE DE LA TERRE. que le Bosphore se remplisse : mais comme ces effets dépendent de plusieurs causes, il n'est guère possible de donner sur cela quelque chose de plus que de simples conjectures. C'est sur ce témoignage des an- ciens que M. de Tournefort dit, dans son Voyage du Levant^ que la mer JNoire recevant les eaux d'une grande partie de l'Europe et de l'Asie, après avoir augmenté considérablement, s'ouvrit un chemin par le Bosphore, et ensuite forma la Méditerranée, ou l'augmenta si considérablement, que d'un lac qu'elle étoit autrefois, elle devint une grande mer, qui s'ou- vrit ensuite elle-même un chemin par le détroit de Gibraltar, et que c'est probablement dans ce temps que l'île Atlantide dont parle Platon a été submergée. Cette opinion ne peut se soutenir, dès qu'on est as- suré que c'est l'Océan qui coule dans la Méditerranée , et non pas la Méditerranée dans l'Océan. D'ailleurs M. de Tournefort n'a pas combiné deux faits essentiels, et qu'il rapporte cependant tous deux : le premier, c'est que la mer INoire reçoit neuf ou dix fleuves, dont il n'y en a pas un qui ne lui fournisse plus d'eau que le Bosphore n'en laisse sortir; le second, c'est que la mer Méditerranée ne reçoit pas plus d'eau par les fleu- ves que la mer INoire; cependant elle est sept ou huit fois plus grande, et ce que le Bosphore lui fournit ne fait pas la dixième partie de ce qui tombe dans la mer jXoire : comment veut-il que cette dixième partie de ce qui tombe dans une petite mer, ait formé non seu- lement une grande mer, mais encore ait si fort aug- menté la quantité des eaux, qu'elles aient renversé les terres à l'endroit du détroit, pour aller ensuite sub- merger une île plus grande que l'Europe.^ U est aisé ART. XI. MKRS ET LACS. 1 70 de voir que cet endroit de M. de Touriierort n'est ])as assez réfléchi, La mer Méditerranée tire au contraire au moins dix fois plus d'eau de l'Océan qu'elle n'en tire de la mer Noire, parce que le Bosphore n'a que huit cents pas de largeur dans l'endroit le plus étroit, au lieu que le détroit de Gibraltar en a plus de cinq mille dans l'endroit le plus serré , et qu'en supposant les vitesses égales dans l'un et dans l'autre détroit, ce- lui de Gibraltar a bien plus de profondeur. M. de Tournefort, qui plaisante sur Polybe au su- jet de l'opinion que le Bosphore se remplira, et qui la traite de fausse prédiction, n'a pas fait assez d'at- tention aux circonstances, pour prononcer comme il le fait sur l'impossibilité de cet événement. Cette mer, qui reçoit huit ou dix grands fleuves, dont la plupart entraînent beaucoup de terre, de sable, et de limon , ne se remplit-elle pas peu à peu? les vents et le cou- rant naturel des eaux vers le Bosphore ne doivent-ils pas y transporter une partie de ces terres amenées par ces fleuves? Il est donc, au contraire, très proba- ble que par la succession des temps le Bospliore se trouvera rempli, lorsque les fleuves qui arrivent dans la mer Noire auront beaucoup diminué : or, tous les fleuves diminuent de jour en jour, parce que tous les jours les montagnes s'abaissent; les vapeurs qui s'ar- rêtent autour des montagnes étant les premières sour- ces des rivières, leur grosseur et leur quantité d'eau dépend de la quantité de ces vapeurs, qui ne peut manquer de diminuer à mesure que les montagnes diminuent de hauteur. Cette mer reçoit, à la vérité, plus d'eau par les fleuves que la Méditerranée, et voici ce qu'en dit le 176 TU KO 11 JE DJÎ LA TERRE. même auteur : a Tout le monde sait que les plus gran- des eaux de l'Europe tombent dans la mer Noire par le moyen du Danube, dans lequel se dégorgent les rivières de Suabe, de Franconie, de Bavière, d'Autri- che, de Hongrie, de Moravie, de Carinthie, de Croa- tie, de Bothnie, de Servie, de Transylvanie, de Yala- chie ; celles de la B.ussie Noire et de la Podolie se rendent dans la même mer par le moyen du Niester; celles des parties méridionales et orientales de la Po- logne, de la Moscovie septentrionale, et du pays des Cosaques, y entrent par le Niéper ou Borysthène; le Tanaïs et le Copa arrivent aussi dans la mer Noire par le Bosphore Cimmérien; les rivières de la Mingrélie, dont le Phase est la principale, se vident aussi dans la mer Noire, de même que le Casalmac, le Sanga- ris et les autres fleuves de l'Asie mineure qui ont leur cours vers le nord; néanmoins le Bosphore de Thrace n'est comparable à aucune de ces grandes ri* vières^. » Tout cela prouve que l'évaporation suffit poUr en- lever une quantité d'eau très considérable, et c'est à cause de cette grande évaporation qui se fait sur la Méditerranée, que l'eau de l'Océan coule continuelle- ment pour y arriver par le détroit de Gibraltar. Il est assez difficile de juger de la quantité d'eau que reçoit une mer; il laudroit connoître la largeur, la profon- deur, et la vitesse de tous les fleuves qui y arrivent, savoir de combien ils augmentent et diminuent dans les différentes saisons de l'année : et quand môme tous ces faits seroient acquis, le plus important et le plus difficile reste encore , c'est de savoir combien cette 1. Voyez le Voyage du Levant de Tournefort, vol. II, page 125. ART. XI. MERS ET LACS. 1-" y J mer perd par l'évaporation ; car en la supposant même proportionnée aux surfaces, on voit bien que dans un climat chaud elle doit être plus considérable que dans un pays froid. D'ailleurs l'eau mêlée de sel et de bi- tume s'évapore plus lentement que l'eau douce; une mer agitée, plus promptement qu'une mer tranquille; la différence de profondeur y fait aussi quelque chose : en sorte qu'il entre tant d'éléments dans cette théorie de l'évaporation, qu'il n'est guère possible de faire sur cela des estimations qui soient exactes. L'eau de la mer Noire paroît être moins claire, et elle est beaucoup moins salée que celle de l'Océan. On ne trouve aucune île dans toute l'étendue de cette mer : les tempêtes y sont très violentes et plus dange- reuses que sur l'Océan , parce que toutes les eaux étant contenues dans un bassin qui n'a, pour ainsi dire, aucune issue, elles ont une espèce de mouve- ment de tourbillon, lorsqu'elles sont agitées, qui bat les vaisseaux de tous les côtés avec une violence in- supportable ^. Après la mer Noire, le plus grand lac de l'univers est la mer Caspienne , qui s'étend du midi au nord sur une longueur d'environ trois cents lieues, et qui n'a guère que cinquante lieues de largeur en prenant une mesure moyenne. Ce lac reçoit l'un des plus grands fleuves du monde , qui est le Wolga, et quel- ques autres rivières considérables, comme celles de Kur, de Faie, de Gempo; mais ce qu'il y a de singu- lier, c'est qu'elle n'en reçoit aucune dans toute cette longueur de trois cents lieues du côté de l'orient. Le 1. Voyez le,& Voyages de Chardin, page 142. 178 THÉORIE DE LA TERTiE. pays qui lavoisine de ce côté, est un désert de sable que personne n'avoit reconnu jusqu'à ces derniers temps; le czar Pierre P"" y ayant envoyé des ingénieurs pour lever la carte de la mer Caspienne, il s'est trouvé que cette mer avoit une figure tout-à-fait différente de celle qu'on lui donnoit dans les cartes géographi- ques ; on la représentoit ronde, elle est fort longue et assez étroite : on ne connoissoit donc point du tout les côtes orientales de cette mer, non plus que le pays voisin; on ignoroit jusqu'à l'existence du lac Aral, qui en est éloigné vers l'orient d'environ cent lieues ; ou si on connoissoit quelques unes des côtes de ce lac Aral, on croyoit que c'étoit une partie de la mer Caspienne : en sorte qu'avant les découvertes du czar, il y avoit dans ce climat un terrain de plus de trois cents lieues de longueur sur cent et cent cin- quante de largeur, qui n'étoit pas encore connu. Le lac Aral est à peu près de figure oblongue, et peut avoir quatre-vingt-dix ou cent lieues dans sa plus grande longueur, sur cinquante ou soixante de lar- geur; il reçoit deux fleuves très considérables, qui sont le Sirderoias et l'Oxus, et les eaux de ce lac n'ont aucune issue, non plus que celles de la mer Cas- pienne : et de même que la mer Caspienne ne reçoit aucun fleuve du côté de l'orient, le lac Aral n'en re- çoit aucun du côté de l'occident; ce qui doit faire présumer qu'autrefois ces deux lacs n'en formoienfe qu'un seul , et que les fleuves ayant diminué peu à peu et ayant amené une très grande quantité de sable et de limon, tout le pays qui les sépare a-ura été formé de ces sables. Il y a quelques petites îles dans la mer Caspienne, et ses eaux sont beaucoup moins salées ART. Xï. MEUS EX LACS. 1 -C) que celles de l'Océan. Les tempêtes y sont aussi fort dangereuses, et les grands bâtiments n'y sont pas d'u- sage pour la navigation, parce qu'elle est peu pro- fonde et semée de bancs et d'écueils au dessous de la surface de l'eau. Voici ce qu'en dit Pielro délia Valle : « Les plus grands vaisseaux que l'on voit sur la mer Caspienne, le long des côtes de la province de Mazande en Perse, où est bâtie la ville de Ferhabad, quoiqu'ils les appellent navires^ me paroissent plus petits que nos tartanes; ils sont fort hauts de bord, enfoncent peu dans l'eau , et ont le fond plat : ils don- nent aussi cette forme à leurs vaisseaux, non seule- ment à cause c|ue la mer Caspienne n'est pas profonde à la rade et sur les cotes, mais encore parce qu'elle est remplie de bancs de sable, et que les eaux sont basses en plusieurs endroits; tellement que si les vais- seaux n'étoient fabriqués de cette façon , on ne pour- roit pas s'en servir sur cette mer. Certainement je m'étonnois, et avec quelque fondement, ce me sem- ble, pourquoi ils ne pêchoient à Ferhabad que des saumons qui se trouvent à l'embouchure du fleuve, et de certains esturgeons très mal conditionnés, de même que de plusieurs autres sortes de poissons qui se rendent à l'eau douce, et qui ne valent rien; et comme j'en attribuois la cause à l'insulFisance qu'ils ont en l'art de naviguer et de pêcher, ou la crainte qu'ils avoient de se perdre s'ils pêchoient en haute mer, parce que je sais d'ailleurs que les Persans ne sont pas d'habiles gens sur cet élément, et qu'ils n'en"^ tendent presque pas la navigation, le kan d'Esterabad, qui fait sa résidence sur le port de mer, et à qui par conséquent les raisons n'en sont pas inconnues par IcSo THEORIE DE LA TERRE. rexpérience qu'il en a, m'en débita une, savoir, que les eaux sont si basses à vingt et trente milles dans la mer, qu'il est impossible d'y jeter des filets qui aillent au fond, et d'y faire aucune pêche qui soit de la con- séquence de celles de nos tartanes; de sorte que c'est par cette raison qu'ils donnent à leurs vaisseaux la forme que je vous ai marquée ci-dessus, et qu'ils ne les montent d'aucune pièce de canon, parce qu'il se trouve fort peu de corsaires et de pirates qui courent cette mer. » Struys, le P. Avril, et d'autres voyageurs ont pré- tendu qu'il y avoit dans le voisinage de Kilan deux gouffres où les eaux de la mer Caspienne étoient en- glouties, pour se rendre ensuite par des canaux sou- terrains dans le golfe Persique. De Fer et d'autres géographes ont même marqué ces gouffres sur leurs cartes : cependant ces gouffres n'existent pas, les gens envoyés par le czar s'en sont assurés. Le fait des feuil- les de saule qu'on voit en quantité sur le golfe Persi- que, et qu'on prétendoit venir de la mer Caspienne, parce qu'il n'y a pas de saules sur le golfe Persique , étant avancé par les mêmes auteurs, est apparemment aussi peu vrai que celui des prétendus gouffres; et Gemelli Carreri, aussi bien que les Moscovites, as- sure que ces gouffres sont absolument imaginaires. En effet, si l'on compare l'étendue de la mer Caspienne avec celle de la mer Noire, on trouvera que la pre- mière est de près d'un tiers plus petite que la se- conde; que la mer Noire reçoit beaucoup plus d'eau que la mer Caspienne; que par conséquent l'évapo- ration suffit dans l'une et dans l'autre pour enlever toute l'eau qui arrive dans ces deux lacs, et qu'il ART, XI. MERS ET LACS. 1 (S i n'est pas nécessaire d'imnginer dos ^ouflrcs dans la mer Caspienne plutôt que dans la mvv iSo'wc'^. 1. A tout ce que jai dit pour prouver (juc l.i mer C.ispieime n'est q-.i'un lac qui n'a point de communication avec lOcéan , et qui n'en a jamais fait partie, je puis ajouter une réponse que j'ai reçue de l'aca- démie de Pétersbourg, à quelques questions que j'avois faites au sujet do cette mer. .< Augusto 1748, octobr. 5, etc. Ganceliaria accademiic scicntiarum » mandavit ut Astrachanensis gubernii cancellaria rcs[)ondcn't ad se- » quentia : 1° Sunt-ne vorlices in mare Caspico necne? '.>,■» Quai gênera » pisciumilludiniiabitant? quoraodô appcllantur?et ajimarini lanlùm » ant et fluviatiles ibidem reperiantur? 5" Qualia gênera concliarum , » quaB speeies ostrearum et caucrorum occurrunt? 4° Qua^ gênera ma- » rinarum avium in ipso mari aut circa illud versantur ? Ad quaî Aslra- » chanensis cancellaria die lô Mart. 1749- sequentibus respondit. » Ad 1, in mari Caspico v^nlices occurrunt nusquam : liinc est, » quod nec iu mappis marinis exslant, ncc al> nllo offitialitim roi na- in valis visi esse perliibcntur. » Ad 2, pisces Caspium mare iuhabilanl ; acif)cnsercs , siurloli » Gmelin, siiuri , cyprini clavati, l)ramaB, percae, cjprini ventre aculo. » (ignoti alibi pisces), tincie, sahnones, qui, utè mari fluvjos intrare, » ita et in mare è fluviis remeare soient. » Ad 5, conchs in littoribus maris obviae quidem sunt , st d parvae^ » candidœ, aut ex una parte rubrae. Cancri ad litlora observantur mag- » nitudiue fluviatilibus similes: ostreae autem et eapila Médusa; visa » sunt nusquam. » Ad [\, aves marinaî quce circa mare Caspium versantur, sunt an- n seres vulgares et rubri, pelicani , cj^cni, anates rubne et nigricantes » aquilae , corvi aqualici , grues , plateau , ardeac albae einereae et nigri- rt cantes, cicouiae albœ gruibus similes, karawaiki ( ignolum avis no- » men), larorum varige speeies, slurui uigri et latcribus albis inslar » picarum, phasiani. anseres parvi nigrieanles, tudaki (ignolum avis « nomen) albo colore praediti. » Ces faits, qui sont précis et authentiques, confirment pleinement, ce que j'ai avancé; savoir, que la hier Casj;ienne n'a aucune commu- nication souterraine avec l'Océan; et ils prouvent de plus quelle w'i'w a jamais fait partie , puisqu'on n'y trouve point d'huilres ni dautres coquillages de la mer, mais seulement les espèces do ceux qui sont dans les rivières. On ne doit donc regarder cetîo mer eomme.uu uiFiON. ir. 12 iS'J THÉORIE DU LA TEilRE, Il y a des lacs qui sont comme des mares qui ne re- çoivent aucune rivière, et desquels il n'en sort au- cune; il y en a d'autres qui reçoivent des fleuves et desquels il sort d'autres fleuves, et enfin d'autres c[ui seulement reçoivent des fleuves. La mer Caspienne et le lac Aral sont de cette dernière espèce; ils reçoi- vent les eaux de plusieurs Heuves, et les contiennent : la mer Morte reçoit de même le Jourdain, et il n'en sort aucun fleuve. Dans l'Asie mineure il y a un pelit lac de la même espèce qui reçoit les eaux d'une ri- vière dont la source est auprès de ('ogni , et qui n'a, comme les précédents, d'autre voie que l'évaporation pour rendre les eaux qui! reçoit. Il y en a un beau- coup plus grand en Perse, sur lequel est située la ville de Marago; il est de figure ovale, et il a environ dix ou douze lieues de longueur sur six ou sept de largeur : il reçoit la rivière de Tauris, qui n'est pas considérable îl y a aussi un pareil petit lac en Grèce, à douze ou quinze lieiips de Lépante. Ce sont là les seuls lacs de cette espèce qu'on connoisse en Asie ; en Europe il n'y en a pas un qui soit un peu consi- dérable. En Afrique il y en a plusieurs, mais cpii sont tous assez petits, comme le lac qui reçoit le fleuve Gliir, celui dans lequel tombe le fleuve Zez, celui qui reçoit la rivière de Touguedout, et celui auquel abou- tit le fleuve Talilet. Ces quatre lacs sont assez près les uns des autres, et ils sont situés vei'S les frontières de Barbarie, près des déserts de Zara. Il y en a un autre grand lac formé chius ]<> milieu cl<'s terres par les eaux des fleuves, puisqu'on n'y trouve (|ue les mêmes poissons et les mêmes coquillages qui liaîutent les fleuves , et point (\n tout ceux qui peupleul l'Océan ou la ?,iédilenanée. (.//r/ayar et deux ou trois au- tres qui sont voisins de l'embouchure du Sénégal; le Jac de Guarde et celui de Sigisme, qui tous deux ne font qu'un même lac de forme presque triangulaire, qui a plus de cent lieues de longueur sur soixante- quinze de largeur, et qui contient une île considé- rable : c'est dans ce lac que le Niger perd son nom; et au sortir de ce lac qu'il traverse, on l'appelle Snie- gal. Dans le cours du même fleuve, en remontant veis la source, on trouve un autre lac considérable qu'on appelle le lac BounwUj, où le Niger quitte encore son nom, car la rivière qui y arrive s'appelle 6'<^/m^^/r/^ ou Gombaroiv, En Ethiopie, aux sources du Nil, est le grand lac Gambia, qui a plus de cinquante lieues de longueur. Il y a aussi plusieurs lacs sur la côte de l88 TUÉORIi: DE LA TERRE. Guinée, cjui paroissent avoir été formés par la nier; et il n'y a que peu d'autres lacs d'une grandeur un peu considérable dans le reste de l'Afrique. L'Amérique septentrionale est le pays des lacs : les plus grands sont le lac Supérieur, qui a plus de cent vingt-cinq lieues de longueur sur cinquante de lar- geur; le lac Huron, qui a prés de cent lieues de lon- gueur sur environ quarante de largeur; le lac des lili- noîs, qui, en y comprenant la baie des Puants, est tout aussi étendu que le lac Huron; le lac Erié et le lac Ontario, qui ont tous deux plus de quatre-vingts lieues de longueur sur vingt ou vingt-cinq de largeur; le lac Mistasin, au nord de Québec, qui a environ cinquante lieues de longueur; le lac Cbamplain, au midi de Québec, qui est à peu près de la même éten- due que le lac Mistasin; le lac Alemipigon et le lac des Crislinaux, tous deux au nord du lac Supérieur, et qui sont aussi fort considérables; le lac des Assiniboïls, qui contient plusieurs îles, et dont l'étendue en lon- gueur est de plus de soixante-quinze lieues. Il y en a aussi deux de médiocre grandeur dans le Mexique, in- dépendamment de celui de Mexico : un autre beau- coup plus grand, appelé le lac Nicaragua, dans la province du même nom ; ce lac a plus de soixante ou soixante-dix lieues d'étendue en longueur. Enfin dans l'Amérique méridionale il y en a un pe- tit à la source du Maragnon; un autre plus grand à la source de la rivière du Paraguay; le lac Titicaca, dont les eaux tombent dans le fleuve de la Plata; deux autres plus petits dont les eaux coulent aussi vers ce même fleuve, et quelques autres qui ne sont pas con- sidérables dans l'intérieur des terres du Cbili, AKT. XI. Mi:US ET LACS. j 8t) Tous les lacs dont les fleuves tirent leur origine, tous ceux qui se trouvent dans le cours des fleuves ou qui en sont voisins et qui y versent leurs eaux, ne sont point salés : presque tous ceux, au contraire, qui reçoivent des fleuves, sans qu'il en sorte d'autres fleuves, sont salés; ce qui semble favoriser l'opinion que nous avons exposée au sujet de la salure de la mer, qui pourroit bien avoir pour cause les sels que les fleuves détachent des terres, et qu'ils transportent continuellement à la mer : car l'évaporation ne peut pas enlever les sels fixes, et par conséquent ceux que les fleuves portent dans la mer y restent; et quoique l'eau des fleuves paroisse douce , on sait que cette eau douce ne laisse pas de contenir une petite quan- tité de sel, et, par la succession des temps, la niera dû acquérir un degré de salure considérable, qui doit toujours aller en augmentant. C'est ainsi, à ce que j'i- magine, que la mer Noire, la mer Caspienne, le lac Aral, la mer Morte, etc., sont devenus salés; les fleu- ves qui se jettent dans ces lacs v ont amené successi- vement tous les sels qu'ils ont détachés des terres, et l'évaporation n'a pu les enlever. iV l'égard des lacs qui sont comme des mares, qui ne reçoivent aucun fleuve, et desquels il n'en sort aucun , ils sont ou doux ou salés, suivant leur différente origine ; ceux qui sont voisins de la mer sont ordinairement salés, et ceux qui en sont éloignés sont doux, et cela parce que les uns ont été formés par des inondations de la mer, et que les autres ne sont ([ue des fontaines d'eau douce, qui, n'ayant pas d'écoulement, forment une grande éten- due d'eau. On voit aux Indes plusieurs étangs et ré- servoirs faits par l'industrie des habitants, qui ont jus- 190 THEOniE DE LA TERRE, qu'à deux ou trois lieues de superficie, dont les bords sont revêtus d'une muraille de pierre; ces réservoirs se remplissent pendant la saison des pluies; et servent aux habitants pendant Tété, lorsque l'eau leur man- que absolument, à cause du grand éloignement où lis sont des fleuves et des fontaiiies. Les lacs qui ont quelque chose de particulier sont la mer Morte, dont les eaux contiennent beaucoup plus de bitume que de sel; ce bitume, qu'on appelle bitume de Judée ^ n'est autre chose que de l'asphalte, et aussi quelques auteurs ont appelé la mer Morte lac Asplialtite. Les terres aux environs du lac contiennent ime grande quantité de ce bitume. Eien des gens se sont persuadé, au sujet de ce lac, des choses sembla- bles à celles que les poètes ont écrites du lac d'A- verne, que le poisson ne pouvoity vivre, que les oi- seaux qui passoient par dessus étoient suffoqués : mais ni l'un ni l'autre de ces lacs ne produit ces fu- nestes effets, ils nourrissent tous deux du poisson, les oiseaux volent par dessus, les hommes s'y baignent sans aucun danger. Il y a, dit-on, en Bohême, dans la campagne de Bo- lesiaw, un lac où il y a des trous d'une profondeur si «i;rande, qu'on n'a pu le sonder, et il s'élève de ces trous des vents impétueux qui parcourent toute la Bohême, et qui pendant l'hiver élèvent souvent en l'air des morceaux de glace de plus de cent livres de pesanteur. On parle d'un lac en Islande qui pétrifie; le lac Néagh en Irlande a aussi la même propriété : mais ces pétrifications produites par l'eau de ces lacs ne sont sans doute autre chose que des incrustations comme celles que fait l'eau d'Arcueil. Ain. XI. 5! EUS ET LACS. 1 ( ) I Sur les parties septentrionales de la mer AtUuitique. * A la vue des îles et des goU'es qui se multiplient ou s'agrandissent autour du Groenland, il est diiïicile, disent les navigateurs, de ne pas soupçonner que la mer ne refoule, pour ainsi dire, des pcMes vers l'équa- teur : ce qui peut autoriser cette conjecture, c'est que le flux qui monte jusqu'à dix-huit pieds au cap des Etats, ne s'élève que de huit pieds à la baie de Disko, c'est-à-dire à dix degrés plus haut de latitude nord. Cette observation des navigateurs, jointe à celle de l'article précédent, semble confirmer encore ce mou- vement des mers depuis les régions australes aux sep- tentrionales, où elles sont contraintes, par l'obstacle des terres, de refouler ou refluer vers les plages du midi. Dans la baie de Hudson , les vaisseaux ont à se préserver des montagnes de glaces auxquelles des navigateurs ont donné quinze à dix-huit cents pieds d'épaisseur, et qui étant formées par un hiver perma- nent de cinq à six ans dans de petits golfes éternel- lement remplis de neige, en ont été détachées par les vents de nord-ouest ou par quelque cause extraordi- naire. Le vent du nord-ouest, qui règne presque conti- nuellement durant l'hiver, et très souvent en été, ex- cite dans la baie môme des tempêtes effroyables. Elles sont d'autant plus à craindre, que les bas-fonds y sont très communs. Dans les contrées qui bordent cette baie, le soleil ne se lève, ne se couche jamais sans un grand cône de lumière : lorsque ce phénomène a dis- \Ç)2 THEO 11 1 E 1) E J. A T E I'. K E. paru, l'aurore boréale en prend la place, l.e ciel y est rarement serein; et, dans le printemps et dans l'au- tomne, l'air est habituellement rempli de brouillards très épais, et durant l'iiivei', d'une infinité de petites ilècbes glaciales sensibles à l'œil. Quoique les chaleurs de l'été soient assez vives durant deux mois ou six se- jnaines, le tonnerre et les éclairs sont rares. La mer, le long des côtes de Norwège qui sont bordées par des rochers, a ordinairement depuis cent jusqu'à quatre cents brasses de profondeur, et les eaux sont moins salées que dans les climats plus chauds. La quantité tle poissons huileux dont cette mer est remplie la rend grasse au point d'en être presque In- flammable : le flux n'est point considérable, et la plus haute marée n'y est que de huit pieds. ' On a fait, dans ces dernières années, cjuelques ol)- servalions sur la température des terres et des eaux dans les climats les plus voisins du pôle boréal. <' Le froid commence dans le Groenland à la nou- velle année, et devient si perçant au mois de février et de mars, que les pierres se tendent en deux, et que la nier fume comme un four, surtout dans les baies. Cependant le froid n'est pas aussi sensible au milieu de ce brouillard épais que sous un ciel sans uuages : car, dès qu'on passe des terres à cette atmo- sphère de fumée qui couvre la surface et le bord des eaux, on sent un air plus doux et le froid moins vif, quoique les habits et les cheveux y soient bientôt hé- rissés de bruine et de glaçons. Mais aussi cette fumée cause plutôt des engelures qu'un froid sec; et, dès qu'elle passe de la mer dans une atmosphère plus froide, elle se change en une espèce de verglas, c[u.e ART. XI. MERS ET LACS. 19,^ îo vent disperse dans l'horizon, et qni canse un froid si piquant, qu'on ne peut sortir au grand air sans risquer d'avoir les pieds et les mains entièrement ge- lés. C'est dans cette saison que l'on voit glacer l'eau sur le feu avant de bouillir : c'est alors que l'hiver pave un chemin de glace sur la mer, entre les îles voisines, et dans les baies et les détroits... »La plus belle saison du Groenland est l'automne; mais sa durée est courte, et souvent interrompue par des nuits de gelées très froides. C'est à peu près dans ces temps là que , sous une atmosphère noircie de vapeurs, on voit les brouillartls qui se gèlent quel- quefois jusqu'au verglas, former sur la mer comme un tissu glacé de toiles d'araignées, et dans les cam- pagnes charger l'air d'atomes luisants, ou (e hérisser de glaçons pointus, semblables à de fuies aiguilles. » On a remarqué plus d'une fois que le temps et la saison prennent dans le Groenland une température opposée à celle qui règne dans toute l'Europe; en sorte que si l'hiver est très rigoureux dans les climats tempérés, il est doux au Groenland; et très vif en cette partie du nord, quand il est le plus modéré dans nos contrées. A la hn de 1709, l'hiver fut si doux à la baie de Disko, que les oies passèrent, au mois de janvier suivant, de la zone tempérée dans la glaciale, pour y chercher un air plus chaud, et qu'en i-j/j^^ o" f^c vit point de glace à Disko jusqu'au mois de mars, tandis qu'en Europe, elle régna constam- ment depuis octobre jusqu'au mois de mai... » De même l'hiver de l'jôô, qui fut extrêmement froid dans toute l'Europe, se fit si peu sentir au Groen- land . qu'on V a vu quelquefois des étés moins doux. " 1() 4 T 1 1 1-: () Il I E DE r, A 1 E R l\ E . Les voyageurs nous assurent que, dans ces mers voisines du Groenland, il y a des montagnes de glaces flottantes très hautes, et d'autres glaces ilotlantes comme des radeaux, qui ont plus de deux cents toi- ses de longueur sur soixante ou quatre-vingts de lar- geur : mais ces glaces, qui forment des plaines im- menses sur la mer, n'ont communément que neuf à douze pieds d'épaisseur : il paroît qu'elles se forment immédiatement sur la surface de la mer dans la sai- son la plus froide, au lieu que les autres glaces Hot- tantes et très élevées viennent de la terre, c'est-à- dire des environs des montagnes et des côtes, d'où elles ont été détachées et roulées dans la mer par les neuves. Ces dernières glaces entraînent heaucoup de bois, qui sont ensuite jetés par la mer sur les côtes orientales du Groenland : il paroît que ces bois ne peuvent venir que de la terre de Labrador, et non pas de la Norwège, parce que les vents du nord-est, qui sont très violents dans ces contrées, repousse- roient ces bois, comme les courants, qui portent du sud au détroit de Davis et à la baie de liudson, ar- rêteroient tout ce qui peut venir de l'Amérique aux côtes du Groenland. La mer commence à cliarroyer des glaces au Spitz- berg dans les mois d'avril et de mai ; elles viennent au détroit de Davis en très grande quantité, partie de la Nouvelle-Zemble, et la plupart le long de la côte orientale du Groenland, portées de l'est à l'ouest, sui- vant le mouvement général de la mer. L'on trouve, dans le Voyage du capitaine Phipps, les indices et les faits suivants. «Dès ir)i>7, Robert Thornc, marchand de Bristol, ART. XI. MERS ET LACS. 1 C),) fit naître l'idée d'aller aux Indes orientales par le pôle boréal Cependant on ne voit pas qu'on ait formé aucune expédition pour les mers du cercle polaire avant 1607, lorsque Henri Iludson fut envoyé par plu- sieurs marchands de Londres à la découverte du pas- sage à la Chine et au Japon par le pôle boréal Il pénétra jusqu'au 80** 20', et il ne put aller plus loin... » En 1609, sir Thomas Smith fut sur la cote méri- dionale du Spitzberg, et il apprit, par des gens qu'il avoit envoyés à terre, que les lacs et les mares d'eau n'étoient pas tous gelés (c'étoit le 26 mai), et que l'eau en étoit douce : il dit aussi qu'on arriveroit aus- sitôt au pôle de ce côté que par tout autre chemin qu'on pourroit trouver, parce que le soleil produit une grande chaleur dans ce climat, et parce que les glaces ne sont pas d'une grosseur aussi énorme que celles qu'il avoit vues vers le 'jo" degré. Plusieurs au- tres voyageurs ont tenté des voyages au pôle pour y découvrir ce passage, mais aucun n'a réussi...» Le 5 juillet, M. Phipps vit des glaces en quantité vers le -jg** 54" de latitude; le temps étoit brumeux; et, le 6 juillet, il continua sa route jusqu'au 'jg^ 39' 09", entre la terre du Spitzberg et les glaces : le -j, il continua de naviguer entre les glaces flottantes, en cherchant une ouverture au nord par où il auroitpu entrer dans une mer libre : mais la glace ne formoit qu'une seule masse au nord-nord-ouest, et au So'' 56' la mer étoit entièrement glacée; en sorte que toutes les tentatives de M. Phipps pour trouver un passage ont été infructueuses. «Pendant que nous essuyions, dit ce navigateur, une violente rafjle le ] 9. septembre, le docteur Irving \gG THÉORIE DE LA TEftIlE. mesura la tem}3é rature de la mer dans cet état d'agi- tation, et il trouva qu'elle étoit beaucoup plus chaude que celle de l'atmosphère. Cette observation est d'au- tant plus intéressante, qu'elle est conforme à un pas- sage des Qucst'wjis natur elles de P lut arque j, où il dit que la mer devient chaude lorsqu'elle est agitée par les flots.... » Ces rafales sont aussi ordinaires au printemps qu'en automne; il est donc probable que si nous avions mis à la voile plus tôt, nous aurions eu en allant le temps aussi mauvais qu'il l'a été à notre retour. » Et comme M. Phipps est parti d'Angleterre à la lin de mai, il croit qu'il a profité de la saison la plus favorable pour son expédition. » Enfin, continue-t-il , si la navigation au pôle étoit praticable, il y avoit la plus grande probabilité de trouver, après le solstice, la mer ouverte au nord, parce qu'alors la chaleur des rayons du soleil a pro- duit tout son effet, et qu'il reste d'ailleurs une assez grande portion d'été pour visiter les mers qui sont au nord et à l'ouest du Spitzberg. » Je suis entièrement du même avis que cet habile navigateur, et je ne crois pas que l'expédition au pôle puisse se renouveler avec succès, ni qu'on arrive ja- mais au-delà du 82 ou Sô*" degré. On assure qu'un vaisseau du port de Whilby, vers la fin du mois d'avril 17^4' ^ pénétré jusqu'au 80*" degré sans trouver de glaces assez fortes pour gêner la navigation ; on cite aussi un capitaine Robuison_, dont le journal fait loi qu'en 1770 il a atteint le 81"* oo' ; et enfin on cite un vaisseau de guerre hollandois qui protégeoit les pê- cheurs de cette nation, et qui s'est avancé, dit-on, ii ART. XI. >1EKS ET LACS. 1 C)" y a cinquante ans, jusqu'au 88^ degré. Le docteur Campbell, ajoute-t-on, tenoit ce fait d'un certain docteur Daillie^ qui étoit à bord du vaisseau, et qui professoit la médecine à Londres en 1745. C'est pro- bablement le même navigateur que j'ai cité moi-même sous le nom de capitaine Mouton ; mais je doute beau- coup de la réalité de ce fait , et je suis maintenant très persuadé qu'on tenteroit vainement d'aller au delà du 82 ou 83" degré , et que si le passage par le nord est possible, ce ne peut être qu'en prenant la route de la baie de Hudson. Voici ce que dit à ce sujet le savant et ingénieux auteur de VHistoire des deux Indes : «La baie de Hud- son a été long-temps regardée et on la regarde encore comme ia route la plus courte de l'Europe aux Indes orientales et aux contrées les plus riches de l'Asie. » Ce fut Cabot qu.i le premier eut l'idée d'un pas- sage par le nord-ouest à la mer du Sud. Ses succès se terminèrent à la découverte de l'île de Terre-Neuve. On vit entrer dans la carrière après lui un grand nom- bre de navigateurs anglois. .. Ces mémorables et har- dies expéditions eurent plus d'éclat que d'utilité. La plus heureuse ne donna pas la moindre conjecture sur le but qu'on se proposoit... On croyoit enfin que c'étoit courir après des chimères, lorsque la décou- verte de la baie de Hudson ranima les espérances prêtes à s'éteindre. )) A cette époque une ardeur nouvelle fait recom- mencer les travaux, et enfin arrive la fameuse expédi- tion de 1746, d'où l'on voit sortir quelques clartés après des ténèbres profondes qui duroient depuis deux siècles. Sur quoi les derniers navigateurs fondent- ils 15UFFOK. II. 198 THÉORIE DE LA TERRE. de meilleures espérances? D'après quelles expériences osent-ils former leurs conjectures? C'est ce qui mérite une discussion. » Trois vérités dans l'histoire de la nature doivent passer désormais pour démontrées. La première est que les marées viennent de l'Océan, et qu'elles en- trent plus ou moins avant dans les autres mers, à pro- portion que ces divers canaux communiquent avec le grand réservoir par des ouvertures plus ou moins con- sidérables : d'où il s'ensuit que ce mouvement pério- dique n'existe point ou ne se fait presque pas sentir dans la Méditerranée, dans la Baltique, et dans les autres golfes qui leur ressemblent. La seconde vérité de fait est que les marées arrivent plus tard et plus foibles dans les lieux éloignés de l'Océan , que dans les endroits qui le sont moins. La troisième est que les vents violents qui soufflent avec la marée la font remonter au delà de ses bornes ordinaires, et qu'ils la retardent en la diminuant, lorsqu'ils soufflent dans un sens contraire. » D'après ces principes, il est constant que si la baie de Hudson étoit un golfe enclavé dans des terres, et qu'il ne fût ouvert qu'à la mer Atlantique, la marée y devroit être peu marquée , qu'elle devroit s'afToiblir en s'éluignant de sa source , et qu'elle de- vroit perdre de sa force lorsqu'elle auroit à lutter con- tre les vents. Or, il est prouvé, par des observations faites avec la plus grande intelligence, avec la plus grande précision, que la marée s'élève à une grande liauteur dans toute l'étendue de la baie ; il est prouvé qu'dle s'élève à une plus grande hauteur au fond de la baie que dans le détroit même ou au voisinage ; il ART. XI. MERS ET LACS. ] i)i) est prouvé que cette hauteur augmente encore, lors- que les' vents opposés au détroit se font sentir : il doit donc être prouvé que la baie de Hudson a d'au- tres communications avec l'Océan que celle qu'on a déjà trouvée. » Ceux qui ont cherché à expliquer des faits si frap- pants en supposait une communication de la baie de Hudson avec celle de Baffin , avec le détroit de Davis, se sont manifestement égarés. Ils ne balanceroient pas à abandonner leur conjecture, qui n'a d'ailleurs au- cun fondement, s'ils vouloient faire attention que la marée est beaucoup plus basse dans le détroit de Da- vis, dans la baie de Baffm, que dans celle de Hudson. » Si les marées qui se font sentir dans le golfe dont il s'agit ne peuvent venir ni de l'Océan Atlantique, ni d'aucune autre mer septentrionale, où elles sont tou- jours beaucoup plus foibles, on ne pourra s'empêcher de penser qu'elles doivent avoir leur source dans la mer du Sud. Ce système doit tirer un grand appui d'une vérité incontestable, c'est que les plus hautes marées qui se fassent remarquer sur ces côtes, sont toujours causées par les vents du nord-ouest qui souf- flent directement contre ce détroit. » Après avoir constaté, autant que la nature le per- met, l'existence d'un passage si long-temps et si in- utilement désiré , il re^e à déterminer dans quelle partie de la baie il doit se trouver. Tout invite à croire que le welcome k la côte occidentale doit fixer les ef- forts dirigés jusqu'ici de toutes parts sans choix et sans méthode. On y voit le fond de la mer à la profondeur de onze brasses : c'est un indice que l'eau y vient de quelque océan, parce qu'une semblable transparence :fOO THÉORIE DE LA TERRE. est incompatible avec des décharges de rivières, de neiges fondues et de pluies. Des courants , dont on ne sauroit expliquer la violence qu'en les faisant par- tir de quelque mer occidentale, tiennent ce lieu dé- barrassé de glaces, tandis que le reste du golfe en est entièrement couvert. Enfin les baleines, qui cher- chent constamment dans l'arrière-saison à se retirer dans des climats plus chautls, s'y trouvent en fort grand nombre à la fin de Tété ; ce qui paroît indiquer un chemin pour se rendre , non à l'ouest septentrio- nal , mais à la mer du Sud. » Il est raisonnable de conjecturer que le passage est court. Toutes les rivières qui se perdent dans la côte occidentale de la baie de Hudson sont foibles et petites; ce qui paroît prouver qu'elles ne viennent pas de loin, et que par conséquent les terres qui séparent les deux mers ont peu d'étendue : cet argument est fortifié par la force et la régularité des marées. Par- tout où le flux et le reflux observent des temps à peu près égaux , avec la seule différence qui est occasio- née par le retardement de la lune dans son retour au méridien, on est assuré de la proximité de l'Océan, d'où viennent ces marées. Si le passage est court, et qu'il ne soit pas avancé dans le nord, comme tout l'indique, on doit présumer qu'il n'est pas difficile; la rapidité des courants qu'on observe dans ces parages, et qui ne permettent pas aux glaces de s'y arrêter, ne peut: que donner du poids à cette conjecture. » Je crois, avec cet excellent écrivain, que s'il existe en effet'un passage praticable, ce ne peut être que dans le fond de la baie de Hudson, et qu'on le ten- teroit vainement par la baie de Baffin, dont le climat ART. XI. MERS ET LACS. 20I est trop froid, et dont les côtes sont glacées, surtout vers le nord : mais ce qui doit faire d'outer encore beaucoup de l'existence de ce passage par le fond de la baie de Hudson, ce sont les terres que Behring et ïscliirikow ont découvertes, en 174I5 sous la même latitude que la baie de Hudson; car ces terres sem- blent faire partie du grand continent de l'Amérique . qui paroît continu sous cette même latitude jusqu'au cercle polaire : ainsi ce ne seroit qu'au dessous du 55^ degré que ce passage pourroit aboutir à la mer du Sud. [Add, Biiffon.) Sur les lacs salés de l' Asie. *Dans la contrée des Tartares Uûens, ainsi appelés parce qu'ils habitent les bords de la rivière Uf, il se trouve, dit M. Pallas, des lacs dont l'eau est aujour- d'hui salée, et qui ne l'étoit pas autrefois. Il dit la même chose d'un lac près de Miacs, dont l'eau étoit ci-devant douce, et qui est actuellement salée. L'un des lacs les plus fameux par la quantité de sel qu'on en tire , est cehii qui se trouve vers les bords de la rivière Isel, et que l'on nomme Soratsckya. Le sel en est en général amer : la médecine l'emploie comme un bon purgatif; deux onces de ce sel forment une dose très forte. Vers Kurtenegsch , les bas-fonds se couvrent d'un sel amer, qui s'élève comme un ta- pis de neige à deux pouces de hauteur; le lac salé de Korjackof fournit annuellement trois cent mille pieds cubiques de sel^; le lac de Jennu en donne aussi en abondance. 1. Le pied cubique pèse Ireale-ciuq livres, de sei/x' onces chacune 202 THEORIE DE LA. TERRE. Dans les voyages de MM. de l'académie de Péters- bourg, il est fait mention du lac salé de Jamuscha en Sibérie; ce lac, qui est à peu près rond, n'a qu'en- viron neuf lieues de circonférence. S'es bords sont couverts de sel , et le fond est revêtu de cristaux de sel. L'eau est salée au suprême degré ; et quand le soleil y donne , le lac paroît rouge comme une belle aurore. Le sel est blanc comme neige, et se forme en cristaux cubiques. Il y en a une quantité si prodi- gieuse, qu'en peu de temps on pourroit en charger un grand nombre de vaisseaux; et dans les endroits où l'on en prend, on en retrouve d'autre cinq à six jours après. Il suffit de dire que les provinces de To- bolsk et Jéniséik en sont approvisionnées, et que ce lac suffiroit pour fournir cinquante provinces sembla- bles. La couronne s'en est réservé le commerce , de même que celui de toutes les autres salines. Ce sel est d'une bonté parfaite ; il surpasse tous les autres en blancheur, et on n'en trouve nulle part d'aussi propre pour saler la viande. Dans le midi de l'Asie, on trouve aussi des lacs salés ; un près de l'Euphrate, un autre près de Barra. Il y en a encore, à ce qu'on dit, près d'Haleb et dans l'île de Chypre à Larnaca; ce dernier est voisin de la mer. La vallée de sel de Barra, n'étant pas loin de l'Euphrate, pourroit être labou- rée , si l'on en faisoit couler les eaux dans ce fleuve , et que le terrain fût bon; mais à présent cette terre rend un bon sel pour la cuisine, et même en si grande quantité, que les vaisseaux de Bengale le chargent en retour pour lest. [Add. Buff. ) AUI. XII. FLUX ET REFLUX. 20v> ARTICLE Xll. Du flux et reflux- L'eau n'a qu'un mouvement naturel qui lui vient de sa fluidité ; elle descend toujours des lieux les plus élevés dans les lieux les plus bas, lorsqu'il n'y a point de digues ou d'obstacles qui la retiennent ou qui s'op- posent à son mouvement; et lorsqu'elle est arrivée au lieu le plus bas, elle y reste tranquille et sans mou- vement, à moins que quelque cause étrangère et vio- lente ne l'agite et ne l'en fasse sortir. Toutes les eaux de l'Océan sont rassemblées dans les lieux les plus bas de la superficie de la terre ; ainsi les mouvements de la mer viennent de causes extérieures. Le princi- pal mouvement est celui du flux et du reflux, qui se fait alternativement en sens contraire, et duquel il résulte un mouvement continuel et général de toutes les mers d'orient en occident ; ces deux mouvements ont un rapport constant et régulier avec les mouvements de la lune. Dans les pleines et dans les nouvelles lunes, ce mouvement des eaux d'orient en occident est plus sensible, aussi bien que celui du flux et du reflux; celui-ci se fait sentir dans l'intervalle de six heures et demie sur la plupart des rivages, en sorte que le flux arrive toutes les fois que la lune est au dessus ou au dessous du méridien, et le reflux succède toutes les fois que la lune est dans son plus grand éloignement du méridien, c'est-à-dire toutes les fois qu'elle est à l'horizon , soit à son coucher, soit à son lever. Le mouvement de la mer d'orient en occident est conti- '20l\ THEORIE DE LA TERRE. nuel et constant, parce que tout l'Océan dans ie flux se meut d'orient en occident, et pousse vers l'occi- dent une très grande quantité d'eau, et que le reflux ne paroît se faire en sens contraire qu'à cause de la moindre quantité d'eau qui est alors poussée vers l'oc- cident ; car le flux doit plutôt être regardé comme une intumescence, et le reflux comme une détumes- cence des eaux, laquelle, au lieu de troubler le mou- vement d'orient en occident, le produit et le rend continuel, quoiqu'à la vérité il soit plus fort pendant l'intumescence, et plus foible pendant la détumes- cence , par la raison que nous venons d'exposer. Les principales circonstances de ce mouvement sont. 1° qu'il est plus sensible dans les nouvelles et pleines lunes que dans les quadratures : dans le prin- temps et l'automne il est aussi plus violent que dans les autres temps de l'année, et il est le plus foible dans le temps des solstices; ce qui s'explique fort na- turellement par la combinaison des forces de l'attrac- tion de la lune et du soleil. 2° Les vents cliangent sou- vent la direction et la quantité de ce mouvement, surtout les vents qui soufflent constamment du même côté ; il en est de même des grands fleuves qui por- tent leurs eaux dans la mer, et qui y produisent un mouvement de courant qui s'étend souvent à plusieurs lieues; et lorsque la direction du vent s'accorde avec le mouvement général, comme est celui d'orient en occident, il en devient plus sensible : on en a un exemple dans la mer Pacifique, où le mouvement d'o- rient en occident est constant et très sensible. 5** On doit remarquer que lorsqu'une partie d'un fluide se meut, toute la masse du fluide se meut aussi : or. ART. XII. FLLX ET REFLUX. 20.) dans le mouvement des marées, il y a une très grande partie de l'Océan qui se meut sensiblement; toute la masse des mers se meut donc en même temps, et les mers sont agitées par ce mouvement dans toute leur étendue et dans toute leur profondeur. Pour bien entendre ceci, il faut faire attention à la nature de la force qui produit le flux et le reflux, et réfléchir sur son action et sur ses effets. ?sous avons dit que la lune agit sur la terre par une force que les uns appellent attraction, et les autres pesanteur : cette force d'attraction ou de pesanteur pénètre le globe de la terre dans toutes les parties de sa masse; elle est exactement proportionnelle à la quantité de matière, et en même temps elle décroît comme le carré de la distance augmente. Cela posé, examinons ce qui doit arriver en supposant la lune au méridien d'une plage de la mer. La surface des eaux étant im- médiatement sous la lune, est alors plus près de cet astre que de toutes les autres parties du globe , soit de la terre , soit de la mer ; dès lors cette partie de la mer doit s'élever vers la lune, en formant une émi- nence dont le sommet correspond au centre de cet astre : pour que cette éminence puisse se former, il est nécessaire que les eaux, tant de la surface envi- ronnante que du fond de cette partie de la mer, y contribuent; ce qu'elles font en efî'et à proportion de la proximité où elles sont de l'astre qui exerce cette action dans la raison inverse du carré de la distance. Ainsi la surface de cette partie de la mer s'élevant la première, les eaux de la surface des parties voisines s'élèveront aussi, mais à une moindre hauteur, et les eaux du fond de toutes ces parties éprouveront le 2o5 THEORIE DE LA TERRE. même eHot et s'élèveront par la même cause, en sorte que, toute cette partie de la mer devenant plus haute et formant une éminence, il est nécessaire que les eaux de la surface et du fond des parties éloi<];nées et sur lesquelles cette force d'attraction n'agit pas, viennent avec précipitation pour remplacer les eaux qui se sont élevées : c'est là ce qui produit le flux, qui est plus ou moins sensible sur les différentes côtes, et qui, conmie l'on voit, agite la mer non seulement à sa surface, mais jusqu'aux plus grandes profondeurs. Le reflux arrive ensuite par la pente naturelle des eaux; lorsque l'astre a passé et qu'il n'exerce plus sa force, l'eau, qui s'étoit élevée par l'action de cette puissance étrangère, reprend son niveau et regagne les rivages et les lieux qu'elle avoit été forcée d'aban- donner : ensuite, lorsque la lune passe au méridien de l'antipode du lieu où nous avons supposé qu'elle a d'abord élevé les eaux, le même eflet arrive; les eaux, dans cet instant où la lune est absente et la plus éloignée, s'élèvent sensiblement, autant que dans le temps où elle est présente et la plus voisine de cette partie de la mer. Dans le premier cas, les eaux s'élè- vent, parce qu'elles sont plus près de l'astre que tou- tes les autres parties du globe ; et dans le second cas c'est par la raison contraire, elles ne s'élèvent que parce qu'elles en sont plus éloignées que toutes les autres parties du globe : et l'on voit bien que cela doit produire le même eflet; car alors les eaux de cette partie étant moins attirées que tout le reste du globe, elles s'éloigneront nécessairement du reste du globe, et formeront une éminence dont le sommet ré- pondra au point de la moindre action, c'est-à-dire au ART. XII. FLLX ET REFLUX. 20^ point du ciel directement opposé à celui où se trouve la lune , ou , ce qui revient au même , au point où elle étoit treize heures auparavant, lorsqu'elle avoit élevé les eaux la première fois : car lorsqu'elle est par- venue à l'horizon, le reflux étant arrivé, la mer est alors dans son état naturel, et les eaux sont en équi- libre et de niveau ; mais quand la lune est au méri- dien opposé, cet équilibre ne peut plus subsister, puisque les eaux de la partie opposée à la lune étant à la plus grande distance où elles puissent être de cet astre, elles sont moins attirées que le reste du globe, qui, étant intermédiaire, se trouve être plus voisin de la lune, et dès lors leur pesanteur relative, qui les tient toujours en équilibre et de niveau, les pousse vers le point opposé à la lune, pour que cet équilibre se conserve. Ainsi dans les deux cas, lorsque la lune est au méridien d'un lieu ou au méridien opposé, les eaux doivent s'élever à très peu près de la même quan- tité , et par conséquent s'abaisser et refluer de la même quantité lorsque la lune est à l'horizon, à son cou- cher ou à son lever. On voit bien qu'un mouvement dont la cause et l'effet sont tels que nous venons de l'expliquer, ébranle nécessairement la masse entière des mers, et la remue dans toute son étendue et dans toute sa profondeur; et si ce mouvement paroît insen- sible dans les hautes mers, et lorsqu'on est éloigné des terres, il n'en est cependant pas moins réel : le fond et la surface sont remués à peu près également; et même les eaux du fond, que les vents ne peuvent agiter comme celles de la surface , éprouvent bien plus régulièrement cette action que celles de la sur- face, et elles ont un mouvement plus réglé el qui est 2o8 TIIEOr.Ili DE LA TKRRE. toujours alternativement dirigé de la même façon. De ce mouvement alternatif de flux et de reflux, il résulte, comme nous l'avons dit, un mouvement continuel de la mer de l'orient vers l'occident, parce que l'astre qui produit l'intumescence des eaux va lui-même d'orient en occident, et qu'agissant succes- sivement dans cette direction, les eauxsuiventle mou- vement de l'astre dans la même direction. Ce mou- vement de la mer d'orient en occident est très sensible dans tous les détroits : par exemple, au détroit de Ma- gellan, le flux élève les eaux à près de vingt pieds de hauteur, et cette intumescence dure six heures, au Heu que le reflux ou la détumescence ne dure que V«)erœu et de Roest. Il y a cependant aujourdhui deux paroisses qui seroient nécessairement sans habitants, si le courant ne preuoit pas le chemin que je viens de dire ; mais, comme i! le prend en effet, ceux fjui veulent passer de la pointe de Lofœde à ces deux îles, attendent rjue la mer ait monté à moitié, parce qu'alors le courant se dirige vers l'ouest : lorsqu'ils veulent revenir de ces îles vers la [)oiute de Lofœde, ils attendent le mi-redox, parce qu'alors le courant: est dirigi'^ vins le continent; ce qui fait (p.i'ou passe av(!c beaucoup de facilité Or, il ART. XI H. IXEGAUTKS 1)1 lON'D DE LA MER. ,'2J1 droits. Nous avons vil que le fond de la mer csl, comme la surface de la lerre, hérissé de monlao:nes, semé n'y a point de cour;inl s.ins prntc; cl ici l'eau monte d'un côlé et tles- cead de l'autre. » Pour se convaincre de celte vérité, il snfîil v.!e considérer qu'il y a une petite langue de terre qui s'étend à seize milles de ^or^vège dan» la mer, depuis la pointe de Lofœde, qui est le plus à l'ouest, jusqu'à celle de Loddinge, qui est la plus orientale. Cette petite langue de terre est environnée par la mer; et soit pendant le flux, soit pendant le reflux, les eaux y sont toujours arrêtées, parce qu'elles ne peuvent avoir d'issue que par six petits détroits ou passages qui divisent cette langue de terre en autant de par'.ies. Quelques uns de ces détroits ne sont larges que d'un demi -quart de mille, et quelquefois moitié moins; ils ne peuvent donc contenir qu'une petite quantité d'eau-, Ainsi, lorsc[ue la mer monte, les eaux qui vont vers le nord s'arrêtent en grande partie au sud de cette langue de terre : elles sont donc bien plus élevées vers le sud que vers le nord. Lorsque la nier se retire et va vers le sud, il arrive pareillement que les eaux s'arrêtent en grande partie au nord de cette langue de terre, et sont par consé- quent bien plus hautes vers le nord que vers le sud. » Les eaux arrêtées de celle manière, tantôt au nord, tantôt au sud, ne peuvent trouver d'issue qu'entre la pointe de Lofœde et de Tile de Woerœn , et qu'entre cette île et celle de Roest. » La pente qu'elles ont lorsqu'elles descendent, cause la rapidité du courant; et par la même raison celte rapidité est plus grande vers la pointe de Lofœde que partout ailleurs. Comme cette pointe est plus près de l'endroit où les eaux .s'arrêtent, la pente y est aussi plus foile ; et plus les eaux du courant s'étendent vers les îles de Woerœn et de îloest, plus il perd de sa vitesse » Après cela, il est aisé de concevoir pourquoi ce courant est tou- jours diamétralement opposé à celui des eaux de la mer. Rien ne s'op- pose à celles-ci, soit qu'elles montent, soit qu'elles descendent ; au lieu que celles (jui sont aiTÔtées au dessus de la pointe de Lofœde ne peuvent se mouvoir ni en ligne droite, ni au dessus de cette même pointe, tant que la mer nest point descendue plus bas, et n"a pas, en se retirant, emmené les eaux que celles qui sont arrêtées au dessus de Lofœde doivent remplacer >y Au commencement du flux et du reflux, les eaux de la mer ne |)euvent pas détourner celles du courant; mais lorsqu'elles ont monté '2?>'l fHKORlti UE LA TEtîRF. €rint''i!;alll('s, vA coiir^i' par • Celle explication me paroît bonne et coiit'orme aux vrais principes de îa théorie des eaux courantes. Nous devons encore ajouter ici la description dr» fameux courant de Charybde et Scvlla , près de la Sicile , sur lequel M. Brydone a l'ail nou- vellement des observations qui semblent prouver que sa rapidité cl la violence de tous ses mouvements ; .^t fort diminuée. « Le fameux rocher d;? Seylla est sur la côte de la Calabre, le cap Pelore sur celle de Sicile, et le eésèbre détroit du Phare court entre les deux. L'on entend, à (pielques milles de distance de l'entrée du tlétroit, le mugissement du courant: il augmente à mesure qu'on s'ap- proche, et, en plusieurs endroits, Veau forme de grands tournants , lors même que tout le reste de la nier est uni comme une glace. Les vaisseaux sont attirés par ces tournants d'eaux : cependant on court peu de danger quand le temps est calme : mais si les vagues rencon- trent ces tournants violents, elles forment une mer terrihie. Le courant porte directement vers le rocher de Scj'lla : il est à environ un mille de l'entrée du Phare. Il faut convenir cpie réellement ce fameux Scylla n'approche pas de la description formidable qu'ilomèi'e en a faite; le passage n'est pas aussi prodigieusement étroit ni aussi difficile qu'il le représente : il est probable que depuis ce temps il s'est fort élargi, et que la violence du courant a diminué en même proportion. Le rocher a près de deux cents pieds d'élévation; on y trouve plusieurs cavernes et une espèce de fort l)ati au sommet, l^e fanal esta présent sur le cap P(;lore. L'entrée du détrcnt entre ce cap et la Coda di Volpe en Ca- labre, paroît avoir à jieine un mille de largE LA TEFiilE. 1 fe Iciiips ues pluies, ou riiiver d(.' ces cliLiials. Au cap' de Bonne-Espéiance le veut de nord-ouest souille 2)eiidant le mois de septembre. A Patna dans l'Inde, ce même vent de nord-ouest souffle pendant les mois de novem])re, décembre, et jauvier, et il produit de i;randes pluies; mais les vents d'est soufflent pendant les neuf autres mois. Dans l'Océan Indien, entre l'AlVi- que et l'Inde, et jusqu'aux îles Moluques, les vents moussons régnent d'orient en occident depuis janvier jusqu'au commencement de juin, et les vents d'occi- dent commencent aux mois d'août et de septembre, et pendant l'intervalle de juin et de juillet il y a de très grandes tempêtes, ordinairement par des vents de nord : mais sur les côtes ces vents varient davan- tage qu'en pleine mer. Dans le royaume de Guzarate et sur les cotes de la mer voisine, les venfs de nord soufflent depuis le mois de mars jusqu'au mois de septembre, et pendant les. autres mois de l'année il régne presque toujours des vents de midi. Les Hoilandois, pour revenir de Java, partent ordinairement aux mois de janvier et de fé- vrier par un vent d'est qui se fait sentir jusqu'à 18 de- grés de latitude australe, et ensuite ils trouvent des vents de midi qui les portent jusqu'à Sainte-Hélène. Il y a des vents réglés qui sont produits par la fonte des neiges; les anciens Grecs les ont observés. Pen- dant l'été les vents de nord- ouest, et pendant l'hiver ceux de sud-est, se font sentir en Grèce, dans la Thrace, dans la Macédoine, dans la mer Egée, et jus- qu'en Egypte et en Afrique; on remarque des vents de même espèce dans le Congo, à Guzarate , à l'extré- mité de l'Afrique j qui sont tous produits par la fonte ART. \l V. V £ i\ T S l\ K G L ES. 2 /| 1 des neiges. Le flux el le rellux de la mer produisent aussi des vents réglés qui ne durent que quelques lieures, et dans plusieurs endroits on remarque des vents qui viennent de terre pendant la nuit, et de la mer pendant le jour, eomme sur les côtes de la Nou- velle-Espagne, sur celles de Congo, à la Havane, etc. Les vents de nord sont assez réglés dans les climats des cercles polaires : mais plus on approche de l'équa- teur, plus ces vents de nord sont foibles; ce qui est commun aux deux pôles. Dans l'Océan Atlantique e\ l'Ethiopique il y a Un vent d'est général entre les tropiques, qui dure toute l'année sans aucune variation considérable, à l'excep- lion de quelques petits endroits où il change suivant les circonstances et la position des côtes. i° Auprès de la côte d'Afrique, aussitôt que vous avez passé les îles Canaries, vous êtes sûr de trouver un vent frais de lîord-est à environ 28 desjrés de latitude nord : ce vent passe rarement de nord-est ou de nord-nord-est, et il vous accompagne jusqu'à 10 degrés latitude nord, à environ cent lieues de la côte de Guinée, où l'on trouve au 4^ degré latitude nord les calmes et tornados; '2° ceux qui vont aux îles Caribes trouvent, en appro- chant de l'Amérique, que ce môme vent de nord-est tourne de plus en plus à l'est, à mesure qu'on appro- che davantage; 7f les limites de ces vents variables dans cet Océan sont plus grandes sur les côtes d'Amé- rique que sur celles d'Afrique. Il y a dans cet Océan un endroit où les vents de sud et de sud-ouest sont continuels; savoir, tout le long de la côte de Guinée dans un espace d'environ cinq cents lieues, depuis Sierra-Leona jusqu'à l'île de Saint-Thomas. L'endroit y,\'2 THEORIE DE LA TE RUE. le plus élroit de cette mer est depuis la Guinée jus- qu'au Brésil, où il n'y a qu'environ cinq cents lieues : cependant les vaisseaux qui partent de la Guinée ne dirigent pas leur cours droit au Brésil; mais ils des- cendent du côté du sud, surtout lorsqu'ils partent aux mois de juillet et d'août, à cause des vents de sud-est qui régnent dans ce temps. Dans la mer Méditerranée le vent souffle de la terre vers la mer, au coucher du soleil, et au contraire de la mer vers la terre au lever, en sorte que le matin c'est un vent du levant, et le soir un vent du cou- chant. Le vent du midi, qui est pluvieux, et qui souf- fle ordinairement à Paris, en Bourgogne, et en Gham- pagne, au commencement de novembre, et qui cède à une bise douce et tempérée, produit le beau temps qu'on appelle vulgairement l'été de la Saint-Martin. Le docteur Lister, d'ailleurs bon observateur, pré- tend que le vent d'est général qui se fait sentir entre les tropiques pendant toute l'année, n'est produit que par la respiration de la plante appelée lentille de mer, qui est extrêmement abondante dans ces climats, et que la différence des vents sur la terre ne vient que de la différente disposition des arbres et des forets; et il donne très sérieusement cette ridicule imagina- tion pour cause des vents, en disant qu'à l'heure de midi le vent est plus fort parce que les plantes ont plus chaud et respirent l'air plus souvent, et qu'il souffle d'orient en occident, parce que toutes les plan- tes font un peu le tournesol , et respirent toujours du côté du soleil. D'autres auteurs, dont les vues éloientplus saines, ont donné pour cause de ce vent constant le mouve- A UT. XIV. VEMS r. IK.rKS. 1.: j.") nVenl de la terre sur son axe : mais celle opinion n'est, t.[iie spécieuse, et il est facile de faire comprendre anx p;ens môme les moins initiés en mécanique, que tout iîuide qui envii-onneroit la terre ne poiirroit avoir au- cun mouvement particulier en vertu de la rotation du globe, que l'atmosphère ne peut avoir d'aulre mou- vement que celui de cette même rotation, et que tout tournant ensemble et à la fois, ce mouvement de ro- tation est aussi insensible dans l'almosphère qu'il l'est à la surface de la terre. La principale cause de ce mouvement constant est. comme nous l'avons dit, la chaleur du soleil ; on peut voir sur cela le traité de Halley dans les Transactions philosophujues; et en général toutes les causes qui pro- duiront dans l'air une raréfaction ou une condensa- tion considérable, produiront des vents dont les di- rections seront toujours directes ou opposées aux lieux où sera la plus grande raréfaction ou la plus grande condensation. La pression des nuages, les exhalaisons de la terre, l'inflammation des météores , la résolution des vapeurs en pluie, etc., sont aussi des causes qui toutes produi- sent des agitations considérables dans l'atmosphère; chacune de ces causes se combinant de différentes fa- çons, produit des effets différents : il me paroît donc qu'on tenteroit vainement de donner une théorie des vents, et qu'il faut se borner à travailler à en faire l'histoire : c'est dans cette vue que j'ai rassemblé des faits qui pourront y servir. Si nous avions une suite d'observations sur la direc- tion, la force, et la variation des vents, dans les dif- f(' renls climats; si cette suite d'observations étoit exacte 1> I ^ THEORIE DE LA TKRP, E. et assez étendue pour qu'on pût voir d'un coup d'œil le résultat de ces vicissitudes de l'air dans chaque pays, je ne douté pas qu'on n'arrivât à ce degré de connoîs- sance dont nous sommes encore si fort éloignés, à une méthode par laquelle nous pourrions prévoir et prédire les différents états du ciel et la différence des saisons : mais il n'y a pas assez long-temps qu'on fait des obser- vations météorologiques, il y en a beaucoup moins qu'on les fait avec soin, et il s'en écoulera peut-être beaucoup avant qu'on sache en employer les résidtats, qui sont cependant les seuls moyens que nous ayons pour arriver à quelque connoissance positive sur ce sujet. Sur la mer les vents sont plus réguliers que sur la terre, parce que la mer est un espace libre, et dans lequel rien ne s'oppose à la direction du vent; sur la terre, au contraire, les moQtagnes, les forets, les villes, etc., forment des obstacles qui font changer la direclion des vents, et qui souvent produisent des vents contraires aux premiers. Ces vents réfléchis par les montagnes se font souvent sentir dans toutes les pro- vinces qui en sont voisines, avec une impétuosité sou- vent aussi grande que celle du vent direct qui les pro- duit; ils sont aussi très irréguliers, parce que leur direction dépend du contour, de la hauteur, et de la siluation des montagnes qui les réfléchissent. Les vents de mer souillant avec plus de force et plus de conti- nuité que les vents de terre; ils sont aussi beaucoup moins variables et durent plus long-temps. Dans les vents de terre, quelque violents qu'ils soient, il y a des moments de rémission et quelquefois des instants de repos; dans ceux de mer, le courant d'air est constant ART. XIV. VENTS REGLES. 2/|5 et continuel sans aucune interruption : la difTcrence de ces eft'ets dépend de la cause que nous venons d'in- diquer. En général, sur la mer, les vents d'est et ceux qui viennent des pôles, sont plus forts que les vents d'ouest et que ceux qui viennent de l'équateur; dans les (er- res, au contraire, les vents d'ouest et de sud sont plus ou moins violents que les vents d'est et de nord, sui- vant la situation des climats. Au printemps et en au- tomne les vents sont plus violents qu'en été ou en hiver, tant sur mer que sur terre; on peut en donner plusieurs raisons : i° le printemps et l'automne sont les saisons des plus grandes marées, et par conséquent les vents que ces marées produisent, sont plus violents dans ces deux saisons; 2° le mouvement que l'action du soleil et de la lune produit dans l'air, c'est-à-dire le flux et le reflux de l'atmosphère, est aussi plus grand dans la saison des équinoxes; o'^la fonte des neiges au printemps, et la résolution des vapeurs que le soleil a élevées pendant l'été, qui retombent en pluies abon- dantes pendant l'automne, produisent, ou du moins augmentent les vents ; 4° le passage du chaud au froid , ou du froid au chaud, ne peut se faire sans augmenter ou diminuer considérablement le volume de l'air, ce qui seul doit produire de très grands vents. On remarque souvent dans l'air des courants con- traires : on voit des nuages qui se meuvent dans une direction, et d'autres nuages plus élevés ou plus bas que les premiers, qui se meuvent dans une direction contraire; mais cette contrariété de mouvement ne dure pas long-temps, et n'est ordinairement produite que par la résistance de quelque nuage à l'action du isrFFON. IT. l'i 2fi6 THEORIE DE LA TEIIRE. vent , et par la répulsion du vent direct qui règne seul dès que l'obstacle est dissipé. Les vents sont plus violents dans les lieux élevés que dans les plaines; et plus on monte dans les hautes montagnes, plus la force du vent augmente jusqu'à ce qu'on soit arrivé à la hauteur ordinaire des nuages, c'est-à-dire à environ un quart ou un tiers de lieue de hauteur perpendiculaire : au delà de cette hauteur le ciel est ordinairement serein, au moins pendant l'été, et le vent diminue; on prétend même qu'il est tout- à-fait insensible au sommet des plus hautes monta- gnes : cependant la plupart de ces sommets, et même les plus élevés, étant couverts de glace et de neige, il est naturel de penser que cette région de l'air est agitée par les vents dans le temps de la chute de ces neiges; ainsi ce ne peut être que pendant l'été que les vents ne s'y font pas sentir. JNepourroit-on pas dire qu'en été les vapeurs légères qui s'élèvent au sommet de ces montagnes, retombent en rosée, au lieu qu'en hiver elles se condensent, se gèlent, et retombent en neige ou en glace, ce qui peut produire en hiver des vents au dessus de ces montagnes, quoiqu'il n'y en ait point en été? Un courant d'air augmente de vitesse comme un courant d'eau, lorsque l'espace de son passage se ré- trécit : le même vent qui ne se fait sentir que médio- crement dans une plaine large et découverte, devient violent en passant par une gorge de montagne , ou seulement entre deux bâtiments élevés, et le point de la plus violente action du vent est au dessus de ces mêmes bâtiments, ou de la gorge delà montagne ; l'air étant comprimé par la résistance de ces obstacles, a ART. XIV. VENTS REGLES. 2!\-J plus de masse, plus de densité ; et la même vitesse sub- sistant, l'effort ou le coup du vent, le momentum^ en devient beaucoup plus fort. C'est ce qui fait qu'au- près d'une église ou d'une tour les vents semblent être beaucoup plus violents qu'ils ne le sont à une certaine distance de ces édifices. J'ai souvent remar- qué que le vent réfléchi par un bâtiment isolé ne lais- soit pas d'être bien plus violent que le vent direct qui produisoit ce vent réfléchi ; et lorsque J'en ai cherché la raison , je n'en ai pas trouvé d'autre que celle que je viens de rapporter : l'air chassé se comprime con- tre le bâtiment et se réfléchit non seulement avec la vitesse qu'il avoit auparavant, mais encore avec plus de masse; ce qui rend en effet son action beaucoup plus violente^. i . Je dois rapporter ici une observation qui me paroi t avoir échappé à l'altention des physiciens, quoique tout le monde soit en état de la vérifier; c'est que le vent réfléclii est plus violent que le vent direct, €t d'autant plus qu'on est plus près de l'obstacle qui le renvoie. J'en ai fait nombre de fois l'expérience , en approchant d'une tour qui a près de cent pieds de hauteur, et qui se trouve située au nord, à l'ex- trémité de mon jardin , à Mouibard : lorsqu'il souffle un grand venl du midi, on se sent fortement poussé Jusqu'à trente pas de la tour : après quoi il y a un intervalle de cinq ou six pas où l'on cesse d'être poussé, et où le vent, qui est réfléchi par la tour, fait, pour ainsi osée de la vitesse multipliée parla masse, cette quantité est bien plus grande après la compression qu'auparavant. C'est une masse d'air ordi- naire qui vous pousse dans le premier cas, et c'est une masse d'air une^ ou deux fois plus dense qui vous repousse dans le second cas. ( Add, Bujf. ) ART. XIV. VENTS lîKGLES. ^/JC) (lire , par accès : nous en donnerons des exemples dans l'article qui suit. On pourroit considérer les vents et leurs différentes directions sous des points de vue généraux, dont on lireroit peut-être des inductions utiles: par exemple, il me paroît qu'on pourroit diviser les vents par zones; que le vent d'est, qui s'étend à environ 2 5 ou 5o de- grés de chaque côté de i'équateur, doit être regardé comme exerçant son action tout autour du "lobe dans la zone torride : le vent de nord souffle presque aussi constamment dans la zone froide, que le vent d'est dans la zone torride; et on a reconnu qu'à la Terre- de-Feu et dans les endroits les moins éloignés du pôle austral où l'on est parvenu , le vent vient aussi du pôle. Ainsi l'on peut dire que le vent d'est occupant la zone torride, les vents du nord occupent les zones froides; et à l'égard des zones tempérées, les vents qui y régnent ne sont, pour ainsi dire, que des cou- rants d'air, dont le mouvement est composé de ceux de ces deux vents principaux qui doivent produire tous les vents dont la direction tend à l'occident; et à l'égard des vents d'ouest, dont la direction tend à l'o- rient, et qui régnent souvent dans la zone tempérée, soit dans la mer Pacifique, soit dans rOcé;in Atlan- tique, on peut les regarder comme des vents réfléchis par les terres de l'Asie et de l'Amérique, mais dont la première origine est due aux vents d'est et de nord. Quoique nous ayons dit que, généralement parlant, le vent d'est règne tout autour du globe à environ 25 ou 5o degrés de chaque côté de I'équateur, il est ce- pendant vrai que dans q^i^mes endroits il s'étend à une bien moindre distan^SB que sa direction n'est 250 ïïlÉO?vIE DE LA TERRE. pas partout de l'est à l'ouest; car en deçà de l'équa- teur il est un peu est-nord-est, et au delà de l'équa- teur il est est-sud-est; et plus on s'éloigne de l'équa- teur, soit au nord, soit au sud, plus la direction du vent est oblique : l'équateur est la ligne sous laquelle la direction du vent de l'est à l'ouest est la plus exacte. Par exemple, dans l'Océan Indien le vent général d'o- rient en occident ne s'étend guère au delà de i5 de- grés : en allant de Goa au cap de Bonne-Espérance on ne trouve ce vent d'est qu'au delà de l'équateur, environ au 12* degré de latitude sud, et il ne se fait pas sentir en deçà de l'équateur; mais lorsqu'on est arrivé à ce 12^ degré de latitude sud, on a ce vent jus- qu'au 28^ degré de latitude sud. Dans la mer qui sé- pare l'Afrique de TAmérique, il y a un intervalle, qui est depuis le 4*" degré de latitude nord jusqu'au 10^ ou 1 1^ degré de latitude nord, où ce vent général n'est pas sensible ; mais au delà de ce lo*" ou 1 1*" degré ce vent règne et s'étend jusqu'au 50*" degré. Il y a aussi beaucoup d'exceptions à faire au sujet des vents moussons, dont le mouvement est alterna- tif : les uns durent plus ou moins long-temps, les au- tres s'étendent à de plus grandes ou à de moindres distances; les autres sont plus ou moins réguliers, plus ou moins violents. Nous rapporterons ici, d'après Va- renius, les principaux phénomènes de ces vents. « Dans l'Océan Indien , entre l'Afrique et l'Inde jusqu'aux Mo- luques , les vents d'est commencent à régner au mois de janvier, et durent jusqu'au commencement de juin ; au mois d'août ou de septembre commence le mou- vement contraire, et les vents d'ouest régnent pen- dant trois ou quatre mois; dans l'intervalle de ces A UT. XIV. VENTS llEGLl-S. 23 1 moussons, c'est-à-dire à la fin de juin, au mois de juillet, et au commencement d'août , il n'y a sur cette mer aucun vent fait, et on éprouve de violentes tem- pêtes qui viennent du septentrion. » Ces vents sont sujets à de plus grandes variations en approchant des terres; car les vaisseaux ne peuvent partir de la côte de Malabar, non plus que des autres ports de la côte occidentale de la presqu'île de l'Inde , pour aller en Afrique, en Arabie, en Perse, etc. , que depuis le mois de janvier jusqu'au mois d'avril ou de mai : car dès la fm de mai et pendant les mois de juin , de juillet , et d'août, il se fait de si violentes tempêtes par les vents de nord ou de nord-est, que les vaisseaux ne peuvent tenir à la mer ; au contraire, de l'autre côté de cette presqu'île, c'est-à-dire sur la mer qui baigne la côte de Coromandel , on ne connoît point ces tempêtes. » On part de Java, de Ceylan , et de plusieurs en- droits au mois de septembre pour aller aux îles Molu- ques, parce que le vent d'occident commence alors à souffler dans ces parages ; cependant, lorsqu'on s'é- loigne de l'équateur de i5 degrés de latitude australe, on perd ce vent d'ouest et on retrouve le vent géné- ral, qui est dans cet endroit un vent de sud-est. On part de même de Cochin , pour aller à Malaca , au mois de mars, parce que les vents d'ouest commencent à souffler dans ce temps. Ainsi ces vents d'occident se font sentir en différents temps dans la mer des Indes : on part, comme l'on voit, dans un temps pour aller de Java aux Moluques, dans un autre temps pour al- ler de Cochin à Malaca, dans un autre pour aller de Malaca à la Chine, et encore dans un autre pour aller de la Chine au Japon. 'jb2 THEOBIE DE LA TERRE. » A Banda les vents d'occident finissent à la fin de mais; il règne des vents variables et des calmes pen- dant le mois d'avril; au mois de mai les vents d'orient recommencent avec une grande violence. A Ceylan les vents d'occident commencent vers le milieu du mois de mars, et durent jusqu'au commencement d'octobre que reviennent les vents d'est, ou plutôt d'est-nord- est. A Madagascar, depuis le milieu d'avril jusqu'à la lin de mai, on a des vents de nord et de nord-ouest; mais aux mois de février et de mars ce sont des vents d'orient et de midi. De Madagascar au cap de Bonne- Espérance le vent du nord et les vents collatéraux soufflent pendant les mois de mars et d'avril. Dans le iioli'e de Bengale le vent de midi se fait sentir avec violence après le 20 d'avril; auparavant il règne dans cette mer des vents de sud-ouest ou de nord-ouest. Les vents d'ouest sont aussi très violents dans la mer de la Cbine pendant les mois de juin et de juillet; c'est aussi la saison la plus convenable pour aller de la Chine au Japon : mais pour revenir du Japon à la Chine, ce sont les mois de février et de mars qu'on préfère, parce que les vents d'est ou de nord-est ré- sinent alors dans cette mer. 11 y a des vents qu'on peut regarder comme parti- culiers à de certaines côtes : par exemple, le vent de sud est presque continuel sur les côtes du Chili et du Pérou : il commence au Ifi" degré ou environ de la- titude sud, et il s'étend jusqu'au delà de Panama; ce qui rend le voyage de Lima à Panama beaucoup plus aisé à Taire et plus court que le retour. Les vents d'^oc- cident soufflent presque continuellement, ou du moins très iVéquemment , sur les côtes de la terre Magella- ART. XIV. VENTS REGLES. '>.).) nique, aux environs du détroit de Le Maire; sur !a côte de Malabar les vents de nord et de nord-ouest régnent presque continuellement ; sur la côte de Gui- née le vent de nord-ouest est aussi fort fréquent, el à une certaine distance de cette côte, en pleine mer, on retrouve le vent de nord-est; les vents d'occident régnent sur les côtes du Japon aux mois de novembre et de décembre. » Les vents alternatifs ou périodiques dont nous ve- nons de parler, sont des vents de mer; mais il y a aussi des vents de terre qui sont périodiques, et qui reviennent ou dans une certaine saison, ou à de cer- tains jours, ou même à de certaines heures : par exem- ple, sur la côte de Malabar, depuis le mois de sep- tembre jusqu'au mois d'avril , souffle un vent de terre qui vient du côté de l'orient; ce vent commence or- dinairement à minuit et finit à midi, et il n'est plus sensible dés qu'on s'éloigne à douze ou quinze lieues de la côte; et depuis midi jusqu'à minuit il régne un vent de mer qui est fort foible, et qui vient de l'occi- dent : sur la côte de la Nouvelle-Espagne en Améri- que, et sur celle de Congo en Afrique, il régne des vents de terre pendant la nuit, et des vents de mer pendant le jour : à la Jamaïque les vents soufflent de tous côtés à la fois pendant la nuit, et les vaisseaux ne peuvent alors y arriver sûrement, ni en sortir avant le jour. En hiver le port de Cochin est inabordable, et il ne peut en sortir aucun vaisseau, parce que les vents y soufflent avec une telle impétuosité, que les bâti- ments ne peuvent pas tenir à la mer, et que d'ailleurs le vent d'ouest, qui y souffle avec fureur, amène à 254 THEOniK DE LA TERRE. remboucbiire du fleuve de Cochin une si grande quan- tité de sable, qu'il est impossible aux navires, et même aux barques, d'y entrer pendant six mois de l'année; mais les vents d'est qui soufflent pendant les six au- tres mois repoussent ces sables dans la mer, et ren- dent libre l'entrée de la rivière. Au détroit de Babel- Mandel , il y a des vents de sud-est qui y régnent tous les ans dans la même saison, et qui sont toujours sui- vis de vents de nord-ouest. A Saint-Domingue il y a deux vents différents qui s'élèvent régulièrement pres- que chaque jour : l'un , qui est un vent de mer, vient du côté de l'orient, et il commence à dix heures du matin; l'autre, qui est un vent de terre, et qui vient de l'occident, s'élève à six ou sept heures du soir et dure toute la nuit. Il y auroit plusieurs autres faits de cette espèce à tirer des voyageurs, dont la connois- sance pourroit peut-être nous conduire à donner une histoire des vents qui seroit un ouvrage très utile pour la navigation et pour la physique. Sttr l'état de l'air au dessus des hautes montagnes. *Ii est prouvé, par des observations constantes et mille fois réitérées, que plus on s'élève au dessus du niveau de la mer ou des plaines, plus la colonne de mercure des baromètres descend, et que par consé- quent le poids de la colonne d'air diminue d'autant plus qu'on s'élève plus haut; et comme l'air est un fluide élastique et compressible, tous les physiciens ont conclu de ces expériences du baromètre, que l'air est beaucoup plus comprimé et plus dense dans les plaines qu'il ne l'est au dessus des montagnes. Par ART. XIV. VENTS RÉGLÉS. .«355 exemple, si le baromètre, étant à vingt-sept pouces dans la plaine, tombe à dix-huit pouces au haut de la montagne, ce qui fait un tiers de différence dans le poids de la colonne d'air, on a dit que la compres- sion de cet élément étant toujours proportionnelle au poids incombant, Tair du haut de la montagne est en conséquence d'un tiers moins dense que celui de la plaine, puisqu'il est comprimé par un poids moin- dre d'un tiers. Mais de fortes raisons me font douter de la vérité de cette conséquence, qu'on a regardée comme légitime et même naturelle. Faisons pour un moment abstraction de cette com- pressibilité de l'air que plusieurs causes peuvent aug- menter, diminuer, détruire, ou compenser; suppo- sons que l'atmosphère soit également dense partout : si son épaisseur n'étoit que de trois lieues, il est sûr qu'en s'élevant à une lieue, c'est-à-dire de la plaine au haut de la montagne, le baromètre étant chargé d'un tiers de moins, descendroit de vingt-sept pouces à dix-huit. Or, l'air, quoique compressible , me pa- roît être également dense à toutes les hauteurs, et voici les faits et les réflexions sur lesquels je fonde cette opinion. i°Les vents sont aussi puissants, aussi violents au dessus des plus hautes montagnes que dans les plaines les plus basses; tous les observateurs sont d'accord sur ce fait. Or, si l'air y étoit d'un tiers moins dense, leur action seroit d'un tiers plus foible, et tous les vents ne seroient que des zéphirs à une lieue de hauteur, ce qui est absolument contraire à l'expé- rience. 2° Les aigles et plusieurs autres oiseaux , non seii- •256 THÉORIE DE LA TERRE. lement volent au sommet des plus hautes montagnes, mais même ils s'élèvent encore an dessus à de juran- des hauteurs. Or, je demande s'ils pourroient exécu- ter leur vol ni même se soutenir dans un fluide qui seroit une fois moins dense, et si le poids de leur corps, malgré tous leurs efforts, ne les ramèneroit pas en bas. 5° Tous les observateurs qui ont grimpé au sommet des plus hautes montagnes conviennent qu'on y res- pire aussi facilement que partout ailleurs, et que la seule incommodité qu'on y ressent est celle du froid, qui augmente à mesure qu'on s'élève plus haut. Or, si l'air étoit d'un tiers moins dense au sommet des montagnes, la respiration de l'homme, et des oiseaux qui s'élèvent encore plus haut, seroit non seulement gênée, mais arrêtée, comme nous le voyons dans la machine pneumatique dès qu'on a pompé le quart ou le tiers de la masse de l'air contenu dans le réci- pient. 4° Comme le froid condense l'air autant que la cha- leur le raréfie, et qu'à mesure qu'on s'élève sur les hautes montagnes le froid ausjmente d'une manière très sensible, n'est-il pas nécessaire que les degrés de la condensation de l'air suivent le rapport du de- gré du froid? et cette condensation peut égaler et même surpasser celle de l'air des plaines, où la cha- leur qui émane de l'intérieur de la terre est bien plus grande qu'au sommet des montagnes, qui sont les pointes les plus avancées et les plus refroidies de la niasse du globe. Cette condensation de l'air par le froid, dans les hautes régions de l'atmosphère, doit donc compenser la diminution de densité produile Alfr. XIV. VENTS REGLES. 25^ par la diminution de la charge ou poids incombanl, et par conséquent l'air doit être aussi dense sur les sommets froids des montagnes que dans les plaines. Je serois même porté à croire que l'air y est plus dense, puisqu'il semble que les vents y soient plus violents, et que les oiseaux qui volent au dessus de ces sommets de montagnes semblent se soutenir dans les airs d'autant plus aisément qu'ils s'élèvent plus haut. De là je pense qu'on peut conclure que l'air libre est à peu près également dense à toutes les hauteurs, vl que l'atmosphère aérienne ne s'étend pas à beau- coup près aussi haut qu'on l'a déterminée, en ne con- sidérant l'air que comme une masse élastique, com- primée par le poids incombant : ainsi l'épaisseur totale de notre atmosphère pourroit bien n'être que de trois lieues, au lieu de quinze ou vingt comme l'ont dit les physiciens ^. iNous concevons alentour de la terre une première couche de l'atmosphère, qui est remplie de vapeurs qu'exhale ce globe, tant par sa chaleur propre que i . Albazen , par la durée des crépuscules , a prétendu que la hauteur de l'atmosphère est de 44>5oi toises. Kepler, par cette même durée, lui doune 4i >i lo toises. .M. de La liire, eu parlautdo hi réfracliou horizoutaie de Ô-2 minutes, étahlit le terme moyen de la hauteur de l'atmosphère à 54,585 toises. M. Mariotte, par ses expériences sur la compressibililé de l'air, donne s l'almosphère plus de 3o,ooo loises. <>pendant, en ne prenant pour l'atmosphère que la partie de 1 air ou sopère la réfraction, ou du moins presque la totalité delà réfrac- tion, M. Bouguer ne trouve que 5i58 toises, c'est-à-dire deux lieues v.i demie ou trois lieues; et je crois ce résultat plus ceitain et mieux fondé que tous les autres. 258 TIIEOIUE DE LA TEKRÎ:. par celle du soleil. Dans cette couche, qui s'étend à ia hauteur des nuages, la chaleur que répandent les exhalaisons du globe, produit et soutient une raréfac- tion qui fait équilibre à la pression de la masse d'air supérieur, de manière que la couche basse de l'atmo- sphère n'est point aussi dense qu'elle le devroit être à proportion de la pression qu'elle éprouve : mais à la hauteur où cette raréfaction cesse, l'air subit toute la condensation que lui donne le froid de cette région où la chaleur émanée du globe est fort atténuée, et cette condensation paroît même être plus grande que celle que peut imprimer sur les régions inférieures, soutenues par la raréfaction, le poids des couches su- périeures ; c'est du moins ce que semble prouver un autre phénomène qui est la condensation et la suspen- sion des nuages dans la couche élevée où nous les voyons se tenir. Au dessous de cette moyenne région, dans laquelle le froid et la condensation commencent, les vapeurs s'élèvent sans être visibles, si ce n'est dans quelques circonstances où une partie de cette couche froide paroît se rabattre jusqu'à la surface de la terre, et où la chaleur émanée de la terre, éteinte pendant quelques moments par des pluies, se ranimant avec plus de force, les vapeurs s'épaississent alentour de nous en brumes et en brouillards : sans cela elles ne deviennent visibles que lorsqu'elles arrivent à cette région où le froid les condense en flocons, en nua- ges, et par là même arrête leur ascension ; leur gra- vité, augmentée à proportion qu'elles sont devenues plus denses, les établissant dans un équilibre qu'elles ne peuvent plus franchir. On voit que les nuages sont généralement plus élevés en été, et constamment en- ART. XIV. VENTS RÉGLÉS. 23() core plus élevés dans les climats chauds; c'est que, dans cette saison et dans ces climats, la couche de l'évaporation de la terre a plus de hauteur : au con- traire, dans les plages glaciales des pôles, où cette évaporation de la chaleur du globe est beaucoup moin- dre, la couche dense de l'air paroît toucher à la sur- face de la terre et y retenir les nuages qui ne s'élè- vent plus, et enveloppent ces parages d'une brume perpétuelle. ( Add. Buff. ) Sur quelques vents qui varient régulièrement. * Il y a de certains climats et de certaines contrées par ticulières où les vents varient , mais constamment et régulièrement ; les uns au bout de six mois, les autres après quelques semaines, et enfin d'autres du jour à la nuit ou du soir au matin. J'ai dit, page ^54 de ce volume, « qu'à Saint-Domingue il y a deux vents dif- » férents, qui s'élèvent régulièrement presque chaque ) jour; que l'un est un vent de mer qui vient de l'o- » rient, et que l'autre est un vent de terre qui vient » de l'occident. » M. Fresnaye m'a écrit que je n'avois pas été exactement informé. « Les deux vents régu- liers, dit-il , qui soufflent à Saint-Domingue, sont tous deux des vents de mer, et soufflent l'un de l'est le ma- tin, et l'autre de l'ouest le soir, qui n'est que le même vent renvoyé; comme il est évident que c'est le soleil qui le cause, il y aun moment de bourrasque que tout le monde remarque entre une heure et deux de l'a- près-midi. Lorsque le soleil a décliné, raréfiant l'air de l'ouest, il chasse dans l'est les nuages que le vent du matin avoit confinés dans la partie opposée. Ce 'iGo THEORIE DE LA TERRE. sont ces nuages renvoyés, qui , depuis avril et mai jus- (|ue vers l'automne, donnent dans la partie du Port- au-Prince les pluies réglées qui viennent constamment de l'est. Il n'y a pas d'habitant qui ne prédise la pluie du soir entre six et neuf heures, lorsque, suivant leur expression, la brise a été renvoyée. Le vent d'ouest ne dure pas toute la nuit, il tombe régulièrement vers le soir; et c'est lorsqu'il a cessé, que les nuages poussés à l'orient ont la liberté de tomber, dès que leur poids excède un pareil volume d'air : le vent que l'on sent la nuit est exactement un vent de terre qui n'est ni de l'est ni de l'ouest, mais dépend de la projection de la côte. Au Port-au-Prince, ce vent du midi est d'un froid intolérable dans les mois de janvier et de février : comme il traverse la ravine de la rivière froide, il V est modifié^. « Sur les lavanges, * Dans les hautes montagnes, il y a des vents acci- dentels qui sont produits par des causes particulières, et notamment par les lavanges. Dans les Alpes, aux environs des glacières, on distingue plusieurs espèces de lavanges. Les unes sont appelées lavanges venteu- ses ^ parce qu'elles produisent un grand vent; elles se forment lorsqu'une neige nouvellement tombée vient à être mise en mouvement, soit par l'agitation de l'air, soit en fondant par dessous au moyen de la chaleur intérieure de la terre : alors la neige se pe- 1. Note coaiinaniquéc à M. de CufToii par M. Ficsaaye, conseiller au conseil supérieur de Saint-Domingue, en date dn lo mars 1777. ( Add. Bujf. ) ART. XIV. LAVAXGES. .'H) « lolonne, s'accumule, et tombe en coulant en grosses masses vers le vallon ; ce qui cause une grande agi- tation dans l'air, parce qu'elle coule avec rapidité et en très grand volume, et les" vents que ces masses pro- duisent sont si impétueux, qu'ils renversent tout ce qui s'oppose à leur passage, jusqu'à rompre de gros sapins. Ces lavanges couvrent d'une neige très fine tout le terrain auquel elles peuvent atteindre, et cette poudre de neige voltige dans l'air au caprice des vents, c'est-à-dire sans direction fixe ; ce qui rend ces nei- ges dangereuses pour les gens qui se trouvent alors en campagne, parce qu'on ne sait pas trop de quel côté tourner pour les éviter, car en peu de moments on se trouve enveloppé et même entièrement enfovii dans la neige. Une autre espèce de lavanges, encore plus dange- reuse que la première, sont celles que les gens du pays âp^eWenl schlaglauwenj, c'est-à-dire lavanges frap- pantes; elles ne surviennent pas aussi rapidement que les premières, et néanmoins elles renversent tout ce qui se trouve sur leur passage, parce qu'elles en- traînent avec elles une grande quantité de terres, de pierres, de cailloux, et même des arbres tout entiers, en sorte qu'en passant et en arrivant dans le vallon, elles tracent un chemin de destruction en écrasant tout ce qui s'oppose à leur passage. Comme elles mar- chent moins rapidement que les lavanges qui ne sont que de neige, on les évite plus aisément : elles s'an- noncent de loin; car elles ébranlent, pour ainsi dire, les montagnes et les vallons par leur poids et leur mouvement, qui causent un bruit égal à celui du ton- nerre. ULFrO.\. II. 17 ^.G.'? THÉO RIE DJ: i,A TE HUE. Au reslc , il ne faut qu'une très petite cause pour produire ces terribles eft'ets; il suffît de quelques flo- cons de neige tombés d'un arbre ou d'un rocher, ou même du son des cloches, du bruit d'une arme à feu , pour que quelques portions de neige se détachent du sommet, se peiotonnent et grossissent en descendant jusqu'à devenir une masse aussi grosse qu'une petite montagne. Les habitants des contrées sujettes aux lavanc^es ont imaginé des précautions pour se garantir de leurs el- l'ets; ils placent leurs bâtiments contre quelques pe- tites éminences qui puissent rompre la force de la lavange : ils plantent aussi des bois derrière leurs ha- bitations; on peut voir au mont Saint-Gothard une foret de forme triangulaire, dont l'angle aigu est tourné vers le mont, et qui semble plantée exprès pour dé- tourner les lavanges et les éloigner du village d'Urse- ren et des bâtiments situés au pied de la montagne; et il est défendu, sous de grosses peines, de toucher à cette forêt, qui est, pour ainsi dire, la sauve-garde du village. On voit de même, dans plusieurs autres en- droits, des murs de précaution dont l'angle aigu est opposé à la montagne, afin de rompre et détourner les lavanges; il y a une muraille de cette espèce à Da- vis, au pays des Grisons, au dessus de l'église du mi- lieu, comme aussi vers les bains de Leuk ouLouèche en Valais. On voit dans ce même pays des Grisons et dans quelques autres endroits, dans les gorges de mon- tagne, des voûtes de distance en distance, placées à côté du chemin et taillées dans le roc, qui sei^ent aux passagers de refuge contre les lavanges. [Jdd. Bnff.) ART. XV. VENTS IKUÉGl LI3LRS , OLRAGAINS. 2()3 ARTICLE XV. Des vents irrégidiersj des ouragans ^ des trombes^ et de quelques autres phénomènes causés par l'agitation de la mer et de l'air. Les vents sont plus irréguliers sur terre que sur mer, et plus irréguliers dans les pays élevés que dans les pays de plaines. Les montagnes non seulement chanu;ent la direction des vents, mais même elles en produisent qui sont ou constants ou variables suivant les différentes causes : la fonte des neiges qui sont au dessus des montagnes, produit ordinairement des vents constants qui durent quelquefois assez long-temps; les vapeurs qui s'arrêtent contre les montagnes et qui s'y accumulent, produisent des vents variables, qui sont très fréquents dans tous les climats, et il y a au- tant de variations dans ces mouvements de l'air qu'il y a d'inégalités sur la surface de la terre. Nous ne pou- vons donc donner sur cela que des exemples, et rap- porter les faits qui sont avérés; et comme nous man- quons d'observations suivies sur la variation des vents, et même sur celle des saisons dans les diffé- rents pays, nous ne prétendons pas expliquer toutes les causes de ces différences, et nous nous bornerons à indiquer celles qui nous paroîtront les plus naturel- les et les plus probables. Dans les détroits, sur toutes les côtes avancées, à l'ex- trémité et aux environs de tous les promontoires, des presqu'îles, et des caps, et dans tous les golfes étroits, les orages sont plus fréquents ; mais il y a outre cela 9.6 ;\ THÉORIE DE LA TEUUE. (k\s mers beaucoup plus orageuses que d'autres. LX)-^ eéaii Indien, la mer du Japon, la mer Magellaniqiie, celle de la côte d'Afrique au delà des Canaries, et de l'autre côté vers la terre de INatal, la nierllouge, la mer Vermeille, sont toutes fort sujettes aux tem- pêtes. l/Océan Atlantique est aussi plus orageux que le i^rand Océan, qu'où a aj)pelé, à causi; de sa tran- c[uil!ité, mer Pacifique : cependant cette mer Pacifique n'est absoinmeut tranquille qu'entre les tropiques, et jusqu'au quart environ des zones tempérées; et plus on approche des pôles, plus elle est sujette à des vents variables dont le cbangemeîit subit cause souvent des tempêtes. Tous lescoutinents terrestres sont sujets à des venLs variables qui produisent souvent des effets singuliers: dans le royaume de Cachemire, qui est environné des montagnes du (Caucase, on éprouve à la montagne Pire-Penjale des changements soudains; on passe, pour ainsi dire, de l'été à l'hiver en moins d'une heure „ il y règne deux vents directement opposés, l'un de nord et l'autre de midi, que, selon Bernier, on sent successivement en moins de deux cents pas de dis- lance. Ija position de cette montagne doit être singu- lière etmériteroit d'être observée. Danslapresqu'de de l'Inde, qui est traversée du nord au sud par les mon- tagnes de Gâte, on a l'hiver d'un côté de ces monta- gnes, et l'été de l'autre côté dans le même temps, en sorte que sur la côte de Coromaudel l'air est serein et tranquille, et fort chaud, tandis qu'à celle de Ma- labar, quoique sous la même latitude, les pluies, les orages, les tempêtes, rendent l'air aussi iVoid qu'il peut l'être dans ce climat; et au contraire lorsqu'on a ART. XV. VENTS IRRÉGLLIEHS, OI'RAGAXS. ^^(k") rélc ùMalabar, on a l'hiver à Coromaiidol. Cette môme dififérence se trouve des deux cotés du cap de Rasai- gâte en Arabie : dans la partie de !a mer qui est au iiord du cap, il règne une grande tranquillité, tandis que dans la partie qui est au sud on éprouve de vio- lentes tempêtes. Il en est encore de même dans l'île de Ceylan : l'hiver et les grands vents se font sentir dans la partie septentrionale de l'île, tandis que dans les parties méridionales il fait un très beau temps d'été ^ et au contraire quand la partie septentrionale jouit de la douceur de l'été, la partie méridionale à son tour est plongée dans un air sombre, orageux, et pluvieux. Cela arrive non seulement dans plusieurs endroits du continent des Indes, mais aussi dans plusieurs îles : par exemple, à Céram, qui est une longue île dans le voisinage d'Amboine, on a l'hiver dans la partie sep- tentrionale de l'île, et l'été en même temps dans la partie méridionale, et l'intervalle qui sépare les deux saisons n'est pas de trois ou quatre lieues. En Egypte il règne souvent pendant l'été des vents du midi qui sont si chauds, qu'ils empêchent la res- piration; ils élèvent une si grande quantité de sable, qu'il semble que le ciel est couvert de nuages épais; ce sable est si fin et il est chassé avec tant de violence, qu'il pénètre partout, et même dans les coflres les mieux fermés : lorsque ces vents durent plusieurs jours, ils causent des maladies épidémiques, et sou- vent elles sont suivies d'une grande mortalité. 11 pleut très rarement en Egypte ; cependant tous les ans il y a quelques jours de pluie pendant les mois de décem- bre, janvier, et février. Il s'y forme aussi des brouil- lards épais qui sont plus fréquents que les pluies. 266: TIIEOÎIIE DE LA TERRE. surtout aux environs du Caire : ces brouillards com- mencent au mois de novembre, et continuent pendant l'hiver; ils s'élèvent avant le lever du soleil; pendant toute l'année il tombe ime rosée si abondante, lors- que le ciel est serein, qu'on pourroit la prendre pour une petite pluie. Dans la Perse l'hiver commence en novembre et dure jusqu'en mars : le froid y est assez fort pour y former de la glace, et il tombe beaucoup de neige dans les montagnes, et souvent un peu dans les plai- nes; depuis le mois de mars jusqu'au mois de mai il s'élève des vents qui soufflent avec force et qui ramè- nent la chaleur; du mois de mai au mois de septem- bre le ciel est serein, et la chaleur de la saison est mo- dérée pendant Ja nuit par des vents frais qui s'élèvent tous les soirs, et qui durent jusqu'au lendemain ma- tin ; et en automne il se fait des vents qui, comme ceux du printemps, soufflent avec force; cependant^ quoique ces vents soient assez violents, il est rare qu'ils produisent des ouragans et des tempêtes : mais il s'é- lève souvent pendant l'été, le long du golfe Persique, un vent très dangereux que les habitants appellent SamyeU et qui est encore plus chaud et plus terrible que celui de l'Egypte dont nous venons de parler; ce vent est suffocant et mortel; son action est presque semblable à celle d'un tourbillon de vapeur enflam- mée, et on ne peut en éviter les effets lorsqu'on s'y trouve malheureusement enveloppé. Il s'élève aussi sur la mer Rouge, en été, et sur les terres de l'Ara- bie, un vent de même espèce qui suffoque les hom- mes et les animaux, et qui transporte une si grande quantité de sable, que bien des gens prétendent que ART. XV. VEMS IRKEGULIERS, OURAGANS. 2G7 celle mer se trouvera comblée avec le lemps par l'en- tassement successif des sables qui y tombent : il y a souvent de ces nuées de sable en Arabie, qui obscur- cissent l'air et qui forment des tourbillons dangereux. A la Véra-Cruz, lorsque le vent de nord souffle, les maisons de la ville sont presque enterrées sous le sable qu'un vent pareil amène : il s'élève aussi des vents chauds en été à iNégapatan dans la presqu'île de l'Inde, aussi bien qu'à Pétapouli et à Masulipatan. Ces vents brûlants qui font périr les hommes, ne sont heureu- sement pas de longue durée, mais ils sont violents; et plus ils ont de vilesse, et plus ils sont brûlants, au lieu que tous les autres vents "ï^afraîchissent d'autant plus qu'ils ont de vitesse. Cette différence ne vient que du degré de chaleur de l'air: tant que la chaleur de l'air est moindre que celle du corps des animaux, le mouvement de l'air est rafraîchissant; mais si la chaleur de l'air est plus grande que celle du corps, alors le mouvement de l'air ne peut qu'échauffer et brûler. A Goa, l'hiver, ou plutôt le temps des pluies et des tempêtes, est aux mois de mai, de juin, et de juillet; sans cela les chaleurs y seroient insuppor- tables. Le cap de Bonne-Espérance est fameux par ses tem- pêtes et par le nuage singulier qui les produit : ce nuage ne paroît d'abord que comme une petite tache ronde dans le ciel, et les matelots l'ont appelé œil de bœuf; j'imagine que c'est parce qu'il se soutient à une très grande hauteur qu'il paroît si petit. De tous les voya- geurs qui ont parlé de ce nuage, Kolbe me paroît être celui qui l'a examiné avec le plus d'attention : voici ce qu'il en dit, tom. ï, pag. 224 et suivantes : «Le nuage 1^(38 TUEUIUE DE LA TELUIE. qu'on voit sur les montagnes de laTablCj ou àuDiablc^ ou du Vent y est composé, si je ne me trompe, d'une in- finité de petites particules poussées premièrement con- tre les montagnes du Cap, qui sont à l'est, par les vents d'est qui régnent pendant presque toute l'année dans la zone torride; ces particules ainsi poussées sont arrêtées dans leur cours par ces hautes monta- gnes, et se ramassent sur leur côté oriental ; alors elles deviennent visibles, et y forment de petits monceaux ou assemblages de nuages, qui, étant incessamment poussés parle vent d'est, s'élèvent au sommet de ces montagnes. Ils n'y restent pas long-temps tranquilles et arrêtés; contraints d'avancer, ils s'engouffrent entre les collines qui sont devant eux , où ils sont serrés et pressés comme dans une manière de canal : le vent les presse au dessous,, et les côtés opposés des deux montagnes les retiennent à droite et à gauche. Lors- qu'en avançant toujours ils parviennent au pied de quelque montagne où la campagne est un peu plus ouverte, ils s'étendent, se déploient, et deviennent de nouveau invisibles ; mais bientôt ils sont chassés sur les montagnes par les nouveaux nuages qui sont pous- sés derrière eux, et parviennent ainsi, avec beaucoup d'impétuosité, sur les montagnes les plus hautes du Cap, qui sont celles du Vent et de la Table^ où rè- gne alors un vent tout contraire : là il se fait un conflit affreux, ils sont poussés par derrière et repoussés par devant; ce qui produit des tourbillons horribles, soit sur les hautes montagnes dont je parle, soit dans la val- lée de la Table, où ces nuages voudroient se précipi- ter. Lorsque le vent de nord-ouest a cédé le champ de bataille, celui de sud-est augmente et continue d<7> ART. XV. VENTS IRIVÉGULIERS , OLllAGAAS. 26() soufïlcr avec plus ou moins de violence pendant son seiueslre ; il se renforce pendant que le nuage de l'œil de bœuf est épais, parce que les particules qui vien- nent s'y amasser par derrière, s'efforcent d'avaiicer ; il diminue lorsqu'il est moins épais, parce qu'alors moins de particules pressent par derrière ; il baisse en- tièrement lorsque ce nuage ne paroît plus, parce qu'il n'y vient plus de l'est de nouvelles particules , ou qu'il n'en arrive pas assez ; le nuage enfin ne se dissipe point, ou plutôt paroît toujours à peu près de même gros- seur, parce que de nouvelles matières remplacent par derrière celles qui se dissipent par devant. » Toutes ces circonstances du phénomène condui- sent à une hypothèse qui en explique si bien toutes les parties : l'^Derrière la montagne de IciTablc on re- marque une espèce de sentier ou une traînée de lé- gers brouillards blancs, qui, commençant sur la des- cente orientale de cette montagne, aboutit à la mer, et occupe dans son étendue les montagnes àc Pierre. Je me suis très souvent occupé à contempler cette traînée, qui, suivant moi, étoit causée par le passage rapide des particules dont je parle, depuis les monta- gnes de Pierre jusqu'à celle de la Table. » Ces particules, que je suppose, doivent être ex- trêmement embarrassées dans leur marche par les fré- quents chocs et contre-chocs causés non seulement par les montagnes, mais encore par les vents de sud et d'est qui régnent aux lieux circonvoisins du Cap; c'est ici ma seconde observation. J'ai déjà parlé des deux montagnes qui sont situées sur les pointes de la baie F a Izo ou fausse baie : l'une s'appelle la Lèvre pendante^ et l'autre Norivège. Lorsque les particules 270 T 1 î E () RIE DE L A T E l\ R E . ([ue je conçois sont poussées j»iir ces monta forment les toniados en question dans luic plaine en- vironnée de tous cotés d'une cliaîne de montagnes. Les gouflVes ne paroissent être autre chose que des tournoiements d'eau causés par l'action de deux ou de plusieurs courants opposés. L'Euripe, si fameux par la mort d'Aristote, absorbe et rejette alternative- ment les eaux sept fois en vingt-quatre heures : ce gouffre est près des côtes de la Grèce. Le Charybde, qui est près du détroit de Sicile, rejette et absorbe les eaux trois fois en vingt-quatre heures. Au reste , on n'est pas trop sûr du nombre de ces alternatives de mouvement dans ces gouffres. Le docteur Placen- tia, dans son Iraité qui a pour titre VEgeo redlvlvo j, dit que l'Euripe a des mouvements irréguliers pen- dant dix-huit ou dix-neuf jours de chaque mois, et des mouvements réguliers pendant onze jours; qu'or- dinairement il ne grossit que d'un pied, et rarement de deux^'pieds ; il dit aussi que les auteurs ne s'ac- cordent pas sur le flux et le reflux de l'Euripe; qu(î les uns disent qu'il se fait deux fois, d'autres sept, d'autres onze, d'autres douze , d'autres quatorze fois, en vingt-quatre heures; mais que Loirlus l'ayant exa- miné de suite pendant un jour entier, \\ l'avoit observé à cliaque six heures d'une manière évidente et avec un mouvement si violent, qu'à chaque fois il pouvoit faire tourner alternativement les roues d'un moulin. Le plus grand gouffre que l'on connoisse est celui de la mer de IXorwège; on assure qu'il a plus de vingt lieues de circuit; il absorbe pendant six heures tout ce qui est dans son voisinage, l'eau, les baleines, les vaisseaux, et rend ensuite pendant autant de temps tout ce qu'il a absorbé. .^-4 TIlÉoniK DE l.A TE RUE. 11 n'est pas nécessaire de supposer dans le fond de la mer des trous et des al)]mes qui engloutissent con- tinuellement les eaux, poiu- rendre raison de ces gouf- fres ; on sait que quand l'eau a deux directions con- traires, la composition de ces mouvements produit un tournoiement circulaire, et semble former un vide dans le centre de ce mouvement, comme on peut l'observer dans plusieurs endroits auprès des piles qui soutiennent les arches des ponts, surtout dans les ri- vières rapides : il en est de môme des goufïVes de la mer, ils sont produits par le mouvement de deux ou plusieurs courants contraires; et comme le flux ou le redux sont la principale cause des courants, en sorte que pendant le flux ils sont dirigés d'un côté, et que pendant le reflux ilsvont en sens contraire, il n'est pas étonnant que les gouffres qui résultent de ces courants attirent et engloutissent pendant quelques heures tout ce qui les environne, et qu'ils rejettent ensuite pen- dant tout autant de temps tout ce qu'ils ont absorbé. Les goufl'res ne sont donc que des tournoiements d'eau qui sont produits par des courants opposés, et les ouragans ne sont que des tourbillons ou tournoie- ments d'air produits par des vents contraires : ces ouragans sont communs dans la mer de la Chine et du Japon , dans celle des îles Antilles, et en plusieurs autres endroits de la mer, surtout auprès des terres avancées et des côtes élevées; mais ils sont encore plus fréquents sur îa terre, et les effets en sont quel- quefois prodigieux. « J'ai vu, dit Bellarmin, je ne le croirois pas si je ne l'eusse pas vu, une fosse énorme creusée par le vent, et toute la terre de cette fosse (uriportée sur un village, en sorte que l'endroit d'où la terre avoit élé enlevée paroissoit un Irou épouvanta- ble , et que le village fut entièrement enterré par cette terre transportée*. » On peut voir dans \ Histoire de r Académie des Sciences et dans les Transactions phi- losophiques le détail des effets de plusieurs ouragans qui paroissent inconcevables, et qu'on auroit de la peine à croire, si les faits n'étoient attestés par un grand nombre de témoins oculaires, véridiques, et in- telligents. Il en est de même des trombes, que les navigateurs ne voient jamais sans crainte et sans admiration. Ces trombes sont fort fréquentes auprès de certaines côtes de la Méditerranée, surtout lorsque le ciel est fort couvert, et que le vent souffle en môme temps de plu- sieurs côtés ; elles sont plus communes près des caps de Laodicée , de Grecgo , et de Carmel, que dans les autres parties de la Méditerranée. La plupart de ces trombes sont autant de cylindres d'eau qui tombent des nues, quoiqu'il semble quelquefois, surtout quand on est à quelque distance, que l'eau de la mer s'élève en haut. Mais il faut distinguer deux espèces de trombe^. La première, qui est la troinbe dont nous venons de parler, n'est autre chose qu'une nuée épaisse, com- primée, resserrée, et réduite en un petit espace par des vents opposés et contraires, lesquels, soufflant en même temps de plusieurs côtés, donnent à la nuée la forme d'un tourbillon cylindrique, et font que l'eau tombe tout à la fois sous cette forme cylindiique; la quantité d'eau est si grande et la chute en est si pré- 1. Bellarmiiiup, de aucnsinnrntis in Dcum. li~b THÉOTIIE DE LA TERRE. cipitcc , que si malheureusement une de ces trombes lomboit sur un vaisseau, elle le briseroit et le submer- geroit dans un instant. On prétend, et cela pourroit être fondé, qu'en tirant sur la trombe plusieurs coups de canons chargés à boulets, on la rompt, et que cette commotion de l'air la fait cesser assez prompte- inent : cela revient à l'effet des cloches qu'on sonne pour écarter les nuages qui portent le tonnerre et la grêle. L'autre espèce de trombe s'appelle typhon; et plu- sieurs auteurs ont confondu le typhon avec l'ouragan , surtout en parlant des tempêtes de la mer de la Chine , qui est en effet sujette à tous deux : cependant ils ont des causes bien différentes. Le typhon ne descend pas des nuages comme la première espèce de trombe; il n'est pas uniquement produit par le tournoiement des vents comme l'ouragan : il s'élève de la mer vers le ciel avec une grande violence; et quoique ces ty- phons ressemi)lent aux tourbillons qui s'élèvent sur la terre en tournoyant, ils ont une autre origine. On voit souvent, lorsque les vents sont violents et con- traires, les ouragans élever des tourbillons de sable, de terre, et souvent ils enlèvent et transportent dans ce tourbillon les maisons, les arbres, les animaux. Les typhons de mer, au contraire, restent dans la même place, et ils n'ont pas d'autre cause que celle des feux souterrains; car la mer est alors dans une grande ébullition, et l'air est si fort rempli d'exhalai- sons sulfureuses, que le ciel paroît caché d'une croûte couleur de cuivre, quoiqu'il n'y ait aucun nuage et qu'on puisse voir à travers ces vapeurs le soleil et les éloiîes : c'est à ces feux souterrains qu'on peut attri- AlVr. XV. VENTS lîlREGLLIEllS, OrilAGANS. ^A"/' buer la tiédeur de la mer de la Chine en hiver, où ces typhons sont très fréquents^. Nous allons donner quelques exemples de la ma- nière dont ils se produisent. Voici ce que dit Théve- not dans son Voyage du Levant : « Nous vîmes des trombes dans le golfe Persique entre les îles Quésomo. Laréca, et Ormus. Je crois que peu de personnes ont considéré les trombes avec toute l'attention que j'ai faite dans la rencontre dont je viens de parler, etpeut- être qu'on n'a jamais fait les remarques que le hasard m'a donné lieu de faire; je les exposerai avec toute la simplicité dont je fais profession dans tout le récit de mon voyage, afin de rendre les choses plus sensi- bles et plus aisées à comprendre. » La première qui parut à nos yeux étoit du côté du nord ou tramontane, entre nous et l'île Quésomo, à la portée d'un fusil du vaisseau ; nous avions alors la proue à grec levant ou nord-est. Nous aperçûmes d'abord en cet endroit l'eau qui bouillonnoit et étoit élevée de la surface de la mer d'environ un pied; elle étoit blanchâtre, et au dessus paroissoit comme une fumée noire un peu épaisse, de manière que cela ressembloit proprement à un tas de paille où l'on au- roit mis le feu, mais qui ne feroit encore que fumer : cela faisoit un bruit sourd, semblable à celui d'un torrent qui court avec beaucoup de violence dans un profond vallon; mais ce bruit étoit mêlé d'un autre un peu plus clair, semblable à un fort sifflement de serpents ou d'oies. Un peu après nous vîmes comme un canal obscur qui avoit assez de ressemblance à une fumée qui va montant aux nues en tournant avec beau- 1 . Voyez Acta evud. Lips. supp, , tome 1 , page /jo5. UUFFOIV. ir. . ^ 18 '2^S THÉORIE \j\i LA TERRK. coup >90 TllKOlUE DK LA TERUE. son niveau. Je vis sortir d'un môme nuage douze à quatorze Irombes complètes, dont trois seulement considérables, et surtout la dernière. Le canal du mi- lieu de la manche étoit si transparent, qu'à travers je voyois les nuages que derrière elle, à mon égard, le soleil éclairoit. Le nuage , magasin de tant de trom- bes, s'étendoit à peu près du sud-est au nord-ouest, et cette grosse trombe, dont il s'agit uniquement ici, me restoit vers le sud-sud-ouest : le soleil étoit déjà iort bas, puisque nous étions dans les jours les plus courts. Je ne vis point d'ondées tomber du nuage : son élévation pouvoit être de cinq ou six cents toises au plus. » Plus le ciel est chargé de nuages , et plus il est aisé d'observer les trombes et toutes les apparences qui les accompagnent. M. de La Nux pense, peut-être avec raison, que ces trombes ne sont que des portions visqueuses du nuage, qui sont entraînées par différents tourbillons, c'est-à-dire par des tournoiements de l'air supérieur engouffré dans les masses des nuées dont le nuage total est composé. Ce qui paroît prouver que ces trombes sont com- posées de parties visqueuses, c'est leur ténacité, et, pour ainsi dire , leur cohérence ; car elles font des in- flexions et des courbures, même en sens contraire, sans se rompre : si cette matière des trombes n'étoit pas visqueuse, pourroit-on concevoir comment elles se courbent et obéissent aux vents, sans se rompre? Si toutes les parties n'étoient pas fortement adhéren- tes entre elles, le vent les dissiperoit, ou tout au moins les feroit changer de forme ; mais comme cette ART. XV. TROMBES. ^^C) I forme est constante dans les trombes grandes et pe- tites, c'est un indice presque certain de la ténacité visqueuse de la matière qui les compose. Ainsi le fond de la matière des trombes est une substance visqueuse contenue dans les nuages, et chaque trombe est formée par un tourbillon d'nir qui s'engouffre entre les nuages, et boursoufllant le nuage inférieur, le perce et descend avec son enveloppe de matière visqueuse; et comme les trombes qui sont complètes descendent depuis le nuage jusque sur la surface de la mer, l'eau frérbira, bouillonnera, tour- billonnera à l'endroit vers lequel le bout de la trombe sera dirigé par l'effet de l'air qui sort de l'extrémité de la trombe comme du tuyau d'un soufflet : les effets de ce soufflet sur la mer augmenteront à mesure qu'il s'en approchera, et que l'orifice de cette espèce de tuyau, s'il vient à s'élargir, laissera sortir plus d'air. On a cru mal à propos que les trombes enlevoient l'eau de la mer, et qu'elles en renfermoient une grande quantité : ce qui a fortifié ce préjugé , ce sont les pluies, ou plutôt les averses qui tombent souvent aux environs des trombes. Le canal du milieu de toutes les trombes est toujours transparent, de quelque côté qu'on les regarde : si l'eau de la mer paroît monter, ce n'est pas dans ce canal , mais seulement dans ses cô- tés; presque toutes les trombes souffrentdesinflexions, et ces inflexions se font souvent en sens contraire, en forme d'S , dont la tête est au nuage et la queue à la mer. Les espèces de trombes dont nous venons de parler ne peuvent donc contenir de l'eau, ni pour la verser à la mer, ni pour la monter au nuage : ainsi ces trombes ne sont à craindre que par l'impétuosité de '2(^2 TllEOIUi: DE LA TE RUE. l';iir ([ni sort de leur orifice inférieur; car il paroîlra certain à tous ceux qui auront occasion d'observer ces trombes, qu'elles ne sont composées que d'un air en- gouffré dans un nuage visqueux, et déterminé par son tournoiement vers la surface de la mer. M. de La Nux a vu des trombes autour de l'île de Bourbon dans les mois de janvier, mai , juin , octobre, c'est-à-dire en toutes saisons; il en a vu dans des temps calmes et pendant de grands vents : mais néanmoins on peut dire que ces phénomènes ne se montrent que rarement, et ne se montrent guère que sur la mer. parce que la viscosité des nuages ne peut provenir que des parties bitumineuses et grasses que la chaleur du soleil et les vents enlèvent à la surface des eaux de la mer, et qui se trouvent rassemblées dans des nuages assez voisins de sa surface ; c'est par cette raison qu'on ne voit pas de pareilles trombes sur la terre, où il n'y a pas, comme sur la surface de la mer, une abondante (juantité de parties bitumineuses et huileuses que l'action de la chaleur pourroit en détacher. On en voit cependant quelquefois sur la terre, et même à de grandes distances de la mer; ce qui peut arriver lors- que les nuages visqueux sont poussés rapidement par un vent violent de la mer vers les terres. M. de Gri- gnon a vu au mois de juin i "j6S, en Lorraine , près de Vauvillier, dans les coteaux qui sont une suite de l'empiétement des Vosges, une trombe très bien for- mée; elle avoit environ cinquante toises de hauteur ; sa forme étoit celle d'une colonne, et elle communi- (juoit à un gros nuage fort épais, et poussé par un ou plusieurs vents violents, qui faisoient tourner rapide^ ment la trombe, et produisoient des éclairs et des ART. XV. TROMBES. 2^5 coups de tonnerre. Cette trombe ne dura que sept ou huit minutes, et vint se briser sur la base du coteau, qui est élevé de cinq ou six cents pieds ^. Plusieurs voyageurs ont parlé des trombes de mer, mais personne ne les a si bien observées que M. de La Nux. Par exemple , ces voyageurs disent qu'il s'é- lève au dessus de la mer une fumée noire, lorsqu'il se forme quelques trombes ; nous pouvons assurer que cette apparence est trompeuse, et ne dépend que de la situation de l'observateur : s'il est placé dans un lieu assez élevé pour que le tourbillon qu'une trombe excite sur l'eau ne surpasse pas à ses yeux l'horizon sensible, il ne verra que de l'eau s'élever et retomber en pluie, sans aucun mélange de fumée, et on le re- connoîtra avec la dernière évidence, si le soleil éclaire le lieu du phénomène. Les troQibes dont nous venons de parler n'ont rien de commun avec les bouillonnements et les fumées que les feux sous-Qiarins excitent quelquefois , et dont nous avons fait mention ailleurs; ces trombes ne ren- ferment ni n'excitent aucune fumée. Elles sont assez rares partout : seulement les lieux de la mer où l'on en voit le plus souvent sont les plages des climats chauds, et en même temps celles où les calmes sont ordinaires et où les vents sont le plus inconstants ; elles sont peut-être aussi plus fréquentes près les îles et vers les côtes que dans la pleine mer. [Add, Buff. ) 1. Note communiquée par M. de Griguon à M. de Buffou , le 6 août 1777. BUFFON. II. 2^/\ THEORIE DE LA TERRE. ARTICLE XVI. Des volcans et des tremblements de terre. Les montagnes ardentes qu'on appelle volcans ren- ferment dans leur sein le soufre , le bitume , et les matières qui servent d'aliment à un feu souterrain, dont l'effet, plus violent que celui de la poudre ou du tonnerre , a de tout temps étonné , effrayé les hom- mes, et désolé la terre. Un volcan est un canon d'un volume immense , dont l'ouverture a souvent plus d'une demi-lieue : cette large bouche à feu vomit des torrents de fumée et de flammes, des fleuves de bi- tume, de soufre, et de métal fondu, des nuées de cendres et de pierres , et quelquefois elle lance à plu- sieurs lieues de distance des masses de rochers énor^ mes, et que tou^s les forces humaines réunies ne pourroient pas mettre en mouvement. L'embrasement est si terrible, et la quantité des matières ardentes, fondues, calcinées, vitrifiées, que la montagne re- jette, est si abondante, qu'elles enterrent les villes, les forêts , couvrent les campagnes de cent et de deux cents pieds d'épaisseur, et forment quelquefois des collines et des montagnes qui ne sont que des mon- ceaux de ces matières entassées. L'action de ce feu est si grande, la force de l'explosion est si violente, qu'elle produit par sa réaction des secousses assez fortes pour ébranler et faire trembler la terre, agiter la mer, renverser les montagnes, détruire les villes et les édifices les plus solides, à des distances même très considérables. ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 296 Ces effets, quoique naturels, ont été regardés comme des prodiges; et quoiqu'on voie en petit des effets du feu assez semblables à ceux des volcans, le grand, de quelque nature qu'il soit, a si fort le droit de nous étonner, que je ne suis pas surpris que quelques au- teurs aient pris ces montagnes pour les soupiraux d'un feu central, et le peuple pour les bouches de l'enfer. L'étonnement produit la crainte, et la crainte fait naî- tre la superstition : les habitants de l'île d'Islande croient que les mugissements de leur volcan sont les cris des damnés, et que leurs éruptions sont les effets de la fureur et du désespoir de ces malheureux. Tout cela n'est cependant que du bruit, du feu , et de la fumée : il se trouve dans une montagne des vei- nes de soufre , de bitume, et d'autres matières inflam- mables; il s'y trouve en môme temps des minéraux, des pyrites, qui peuvent fermenter, et qui fermentent en effet toutes les fois qu'elles sont exposées à l'air ou à l'humidité; il s'en trouve ensemble une très grande quantité ; le feu s'y met et cause une explosion proportionnée à la quantité des matières enflammées, et dont les effets sont aussi plus ou moins grands dans la même proportion : voilà ce que c'est qu'un volcan pour un physicien, et il lui est facile d'imiter l'action de ces feux souterrains, en mêlant ensemble une cer- taine quantité de soufre et de limaille de fer qu'on en- terre à une certaine profondeur, et de faire ainsi un petit volcan dont les effets sont les mêmes, propor- tion gardée, que ceux des grands; car il s'enflamme par la seule fermentation, il jette la terre et les pier- res dont il est couvert, et il fait de la fumée, de la flamme et des explosions. 2gb THEORIE DE LA TERRE. Il y a en Europe trois fameux volcans , le mont Etna en Sicile, le mont Hécla en Islande, et le mont Vé- suve en Italie près de Naples. Le mont Etna brûle de- puis un temps immémorial; ses éruptions sont très violentes, et les matières qu'il rejette si abondantes, qu'on peut y creuser jusqu'à soixante-huit pieds de profondeur, où l'on a trouvé des pavés de marbre et des vestiges d'une ancienne ville qui a été couverte et enterrée sous cette épaisseur de terre rejetée, de la même façon que la ville d'Héraclée a été couverte par les matières rejetées du Vésuve. Il s'est formé de nou- velles bouches de feu dans l'Etna en i65o, 1669, et en d'autres temps. On voit les flammes et les fumées de ce volcan depuis Malte , qui en est à soixante lieues : il s'en élève continuellement de la fumée, et il y a des temps où cette montagne ardente vomit avec im- pétuosité des flammes et des matières de toute espèce. En 1 557 , il y eut une éruption de ce volcan qui causa un tremblement de terre dans toute la Sicile pendant douze jours, et qui renversa un très grand nombre de maisons et d'édiûces; il ne cessa que par l'ouver- ture d'une nouvelle bouche à feu , qui brûla tout à cinq lieues aux environs de la montagne ; les cendres rejetées par le volcan étoient si abondantes et lancées avec tant de force, qu'elles furent portées jusqu'en Italie , et des vaisseaux qui étoient éloignés de la Sicile en furent incommodés. Fazelli décrit fort au long les embrasements de cette montagne, tlont il dit que le pied a cent lieues de circuit. Ce volcan a maintenant deux bouches principales : l'une est plus étroite que l'autre. Ces deux ouvertures fument toujours, mais on n'y voit jamais de feu que ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 297 dans le temps des éruptions : on prétend qu'on a trouvé des pierres qu'il a lancées jusqu'à soixante mille pas. En i685, il arriva un terrible tremblement en Sicile, causé par un violente éruption de ce volcan ; il détrui- sit entièrement la ville de Catane, et fit périr plus de soixante mille personnes dans cette ville seule, sans compter ceux qui périrent dans les autres villes et vil- lages voisins. L'Hécla lance ses feux à travers les glaces et les nei- ges d'une terre gelée ; ses éruptions sont cependant aussi violentes que celles de l'Etna et des autres vol- cans des pays méridionaux. Il jette beaucoup de cen- dres, des pierres ponces, et quelquefois, dit-on, de l'eau bouillante; on ne peut pas habiter à six lieues de distance de ce volcan , et toute l'île d'Islande est fort abondante en soufre. On peut voir l'histoire des violentes éruptions de l'Hécla dans Dithmar Blefl'ken. Le mont Vésuve, à ce que disent les historiens, n'a pas toujours brûlé, et il n'a commencé que du temps du septième consulat de Tite Yespasien et de Flavius Domitien : le sommet s'étant ouvert , ce volcan re- jeta d'abord des pierres et des rochers, et ensuite du feu et des flammes en si grande abondance, qu'elles brûlèrent deux villes voisines, et des fumées si épais- ses qu'elles obscurcissoient la lumière du soleil. Pline, voulant examiner cet incendie de trop près, fut étoufle par lafumée^. Dion Gassius rapporte que cette érup- tion du Vésuve fut si violente, qu'il jeta des cendres et des fumées sulfureuses en si grande quantité et avec tant de force, qu'elles furent portées jusqu'à Rome, et i. Voyez l'Épître de Pline le jeune à Tacite. 2gS THÉORIE DE LA TERRE. même an delà de la mer Méditerranée en Afrique et en Egypte. L'une des deux villes qui fut couverte des matières rejetées par ce premier incendie du Vésuve, est celle d'Héraclée, qu'on a retrouvée dans ces der- niers temps à plus de soixante pieds de profondeur sous ces matières, dont la surface étoit devenue, par la succession du temps, une terre labourable et cul- tivée. La relation de la découverte d'Héraclée est en- tre les mains de tout le monde : il seroit seulement à désirer que quelqu'un versé dans l'histoire naturelle et la physique, prit la peine d'examiner les différentes matières qui composent cette épaisseur de terrain de soixante pieds; qu'il fît en même temps attention à la disposition et à la situation de ces mêmes matières, aux altérations qu'elles ont produites ou souffertes elles-mêmes, à la direction qu'elles ont suivie, à la du- reté qu'elles ont acquise, etc. II y a apparence que Naples est situé sur un terrain creux et rempli de minéraux brûlants, puisque le Vé- suve et la Solfatare semblent avoir des communica- tions intérieures; car quand le Vésuve brûle, la Sol- fatare jette des flammes ; et lorsqu'il cesse, la Solfa- tare cesse aussi. La ville de Naples est à peu près à égale distance entre les deux. Une des dernières et des plus violentes éruptions du Vésuve a été celle de l'année 1707 ; la montagne vomissoit par plusieurs bouches de gros torrents de matières métalliques fondues et ardentes, qui se ré- pandoient dans la campagne et s'alloient jeter dans la mer. M de Montealègre, qui communiqua cette re- lation à l'Académie des Sciences, observa avec hor- reur un de ces fleuves de feu, et vit que son cours ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE, 299 étoit de six ou sept milles depuis sa source jusqu'à la mer, sa largeur de cinquante ou soixante pas, sa pro- fondeur de vingt-cinq ou trente palmes, et, dans cer- tains fonds ou vallées, de cent vingt; la matière qu'il rouloit étoit semblable à l'écume qui sort du four- neau d'une forge, etc.^. En Asie, surtout dans les îles de l'Océan Indien , il y a un grand nombre de volcans ; Tun des plus fa- meux est le mont Alboui^ auprès du mont Taurus, à huit lieues de Hérat : son sommet fume continuelle- ment, et il jette fréquemment des flammes et d'au- tres matières en si grande abondance, que toute la campagne aux environs est couverte de cendres. Dans l'île de Ternate il y a un volcan qui rejette beaucoup de matière semblable à la pierre ponce. Quelques voya- geurs prétendent que ce volcan est plus enflammé et plus furieux dans le temps des équinoxes que dans les autres saisons de l'année, parce qu'il règne alors de certains vents qui contribuent à embraser la matière qui nourrit ce feu depuis tant d'années. L'île de Ter- nate n'a que sept lieues de tour, et n'est qu'un sommet de montagne ; on monte toujours depuis le rivage jus- qu'au milieu de l'île, où le volcan s'élève à une hau- teur très considérable et à laquelle il est très difîicile de parvenir. Il coule plusieurs ruisseaux d'eau douce qui descendent sur la croupe de cette même montagne ; et lorsque l'air est calme et que la saison est douce, ce gouffre embrasé est dans une moindre agitation que quand il fait de grands vents et des orages. Ceci con- firme ce que j'ai dit dans le discours précédent, et semble prouver évidemment que le feu qui consume i. Voyez VHistoire de l'Académie, année 1757, pages 7 et 8. 5oO TIIîîORIE DE LA TERRE. les volcans ne vient pas de la profondeur de ia mon- tagne, mais du sommet, ou du moins d'une profon- deur assez petite, et que le foyer de l'embrasement n'est pas éloigné du sommet du volcan; car si cela n'étoit pas ainsi , les grands vents ne pourroient pas contribuer à leur embrasement. Il y a quelques au- tres volcans dans les Moluques. Dans l'une des îles Maurices, à soixante-dix lieues des Moluques, il y a un volcan dont les effets sont aussi violents que ceux de la montagne de Ternate. L'île de Sorca, l'une des Moluques, étoit autrefois habitée; il y a voit au milieu de cette île un volcan, qui étoit une montagne très éle- vée. En 1690, ce volcan vomit du bitume et des ma- tières enflammées en si grande quantité, qu'il se forma un lac ardent qui s'étendit peu à peu, et toute l'île fut abîmée et disparut. Au Japon, il y a aussi plusieurs volcans, et dans les îles voisines du Japon les naviga- teurs ont remarqué plusieurs montagnes dont les som- mets jettent des flammes pendant la nuit et de la fu- mée pendant le jour. Aux îles Philippines il y a aussi plusieurs montagnes ardentes. Un des plus fameux volcans des îles de l'Océan Indien, et en même temps un des plus nouveaux, est celui qui est près de la ville de Panarucan dans l'île de Java : il s'est ouvert en i586; on n'avoit pas mémoire qu'il eût brûlé au- paravant; et à la première éruption il poussa une énorme quantité de soufre, de bitume j et de pier- res. La môme année, le mont Gounapi dans l'île de Banda, qui brûloit seulement depuis dix-sept ans, s'ouvrit et vomit avec un bruit affreux des rochers et des matières de toute espèce. Il y a encore quelques autres volcans dans les Indes, comme à Sumatra et ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. JO I dans le nord de l'Asie, au delà du fleuve Jéniscaet de la rivière de Pésida : mais ces deux derniers volcans ne sont pas bien reconnus. En Afrique il y a une montagne, ou plutôt une ca- verne appelée Beniguazeval, auprès de Fez, qui jette toujours de la fumée, et quelquefois des flammes. L'une des îles du cap Vert, appelée l'ile de Fuogue, n'est qu'une grosse montagne qui brûle continuelle- ment : ce volcan rejette, comme les autres, beaucoup de cendres et de pierres; et les Portugais, qui ont plusieurs fois tenté de faire des habitations dans cette île, ont été contraints d'abandonner leur projet par la crainte des effets du volcan. Aux Canaries, le pic de Ténériffe, autrement appelé la montagne de Teide, qui passe pour être l'une des plus hautes montagnes de la terre, jette du feu, des cendres et de grosses pierres : du sommet coulent des ruisseaux de soufre fondu du côté du sud à travers les neiges; ce soufre se coagule bientôt, et forme des veines dans la neige, qu'on peut distinguer de fort loin. En Amérique il y a un très grand nombre de vol- cans, et surtout dans les montagnes du Pérou, et du Mexique : celui d'Aréquipa est un des plus fameux; il cause souvent des tremblements de terre plus com- muns dans le Pérou que dans aucun autre pays du monde. Le volcan de Carrapa et celui de Malahallo sont, au rapport des voyageurs, les plus considérables après celui d'Aréquipa ; mais il y en a beaucoup d'au- tres dont on n'a pas une connoissance exacte. M. Bou- guer, dans la relation qu'il a donnée de son voyage au Pérou , dans le volume des Mémoires de l'Académie de l'année 1744^ ^^i^ mention de deux volcans, l'un ap- 502 THÉORIE DE LA TE II RE. pelé Cotopaxi, et l'autre Picliiricha ; le premier est à quelque distance et l'autre est très voisin de la ville de Quito : il a même été témoin d'un incendie de Coto- paxi en 1742, et de l'ouverture qui se fit dans cette montagne d'une nouvelle bouche à feu; cette érup- tion ne fit cependant d'autre mal que celui de fon- dre les neiges de la montagne et de produire ainsi des torrents d'eau si abondants, qu'en moins de trois heu- res ils inondèrent un pays de dix-huit lieues d'éten- due, et renversèrent tout ce qui se trouva sur leur passage. Au Mexique il y a plusieurs volcans dont les plus considérables sont Popochampèche et Popocatepec : ce fut auprès de ce dernier volcan que Cortez passa pour aller au Mexique, et il y eut des Espagnols qui montèrent jusqu'au sommet, où ils virent la bouche du volcan qui a environ une demi-lieue de tour. On trouve aussi de ces montagnes de soufre à la Guade- loupe, à Tercère et dans les autres îles des Açores; et si on vouloit mettre au nombre des volcans toutes les montagnes qui fument ou desquelles il s'élève même des flammes , on pourroit en compter plus de soixante : mais nous n'avons parlé que de ces volcans redoutables auprès desquels on n'ose habiter, et qui rejettent des pierres et des matières minérales à une grande distance. Ces volcans, qui sont en si grand nombre dans les Cordilières, causent, comme je l'ai dit, des tremble- ments de terre presque continuels, ce qui empêche qu'on y bâtisse avec de la pierre au dessus du premier étage ; et pour ne pas risquer d'être écrasés, les habi- tants de ces parties du Pérou ne construisent les étages supérieurs de leurs maisons qu'avec des roseaux et du ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. OO.) bois léger. Il y a aussi dans ces montagnes plusieurs précipices et de larges ouvertures dont les parois sont noires et brûlées, comme dans le précipice du mont Ararath en Arménie, qu'on appelle l'Abîme; ces abî- mes sont les bouches des anciens volcans qui se sont éteints. Il y a eu dernièrement un tremblement de terre à Lima dont les effets ont été terribles; la ville de Lima et le port de Callao'ont été presque entièrement abî- més, maislemal a encore été plus considérable au Gal- lao. La mer a couvert de ses eaux tous les édifices, et par conséquent noyé tous les habitants; il n'est resté qu'une tour. De vingt-cinq vaisseaux qu'il y avoit dans ce port, il y en a eu quatre qui ont été portés à une lieue dans les terres, et le reste a été englouti par la mer. A Lima, qui est une très grande ville, il n'est resté que vingt-sept maisons sur pied ; il y a eu un grand nombre de personnes qui ont été écrasées, surtout des moines et des religieuses, parce que leurs édifices sont plus exhaussés , et qu'ils sont construits de matières plus solides que les autres maisons. Ce malheur est arrivé dans le mois d'octobre 1746 pendant la nuit : la secousse a duré quinze minutes. Il y avoit autrefois près du port de Pisco au Pérou, une ville célèbre située sur le rivage de la mer : mais elle fut presque entièrement ruinée et désolée par le tremblement de terre qui arriva le 19 octobre 1682; car la mer, ayant quitté ses bornes ordinaires, en- gloutit cette ville malheureuse, qu'on a taché de réta- blir un peu plus loin à un bon quart de lieue de la mer. Si l'on consulte les historiens et les voyageurs, on 3o4 THÉORIE DE LA TE 11 RE. y trouvera des relations de plusieurs tremblements de terre et d'éruptions de volcans, dont les effets ont été aussi terribles que ceux que nous venons de rappor- ter. Posidonius, cité par Strabon dans son premier livre, rapporte qu'il y avoit une ville en Phénicie, si- tuée auprès de Sidon, qui fut engloutie par un trem- blement de terre, et avec elle le territoire voisin et les deux tiers même de la ville de Sidon , et que cet ef- fet ne se fit pas subitement, de sorte qu'il donna le temps à la plupart des habitants de fuir ; que ce trem- blement s'étendit presque par toute la Syrie et jus- qu'aux îles Cyclades , et en Eubée, où les fontaines d'Aréthuse tarirent tout à coup et ne reparurent que plusieurs jours après par de nouvelles sources éloignées des anciennes ; et ce tremblement ne cessa pas d'agi- ter l'île, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, jusqu'à ce que la terre se fût ouverte dans la campa- gne deLépante et qu'elle eût rejeté une grande quan- tité de terre et de matières enflammées. Pline, dans son premier livre, chap. 84, rapporte que sous le règne de Tibère il arriva un tremblement de terre qui renversa douze villes d'Asie; et dans son second livre, chapitre 85, il fait mention dans les termes suivants d'un prodige causé par un tremblement de terre : « Factura est semel ( quod equidem in Etruscse disci- » plinae voluminibus inveni) ingens terrarum porten- » tum, Lucio Marcio, Sex. Julio coss. in agro Muti- » nensi. Namque montes duo inter se concurrerunt, » crepitu maximo adsultantes, recendentesque, inter » eos flammâ fumoque in cœlum exeunte interdiù, » spectante è via iEmiliâ magnà equitum Romanorum , » familiarumque et viatorum multitudine. Eoconcursu ART. XVI. VOLCANS ET TllE-MBLEMENTS DE TERRE. OOi) » villae omnes elisœ ; animalia permulta, quse intrà » fuerant, exanimata siint, etc. » Saint Augustin (de MiracuJis, lib. ii, cap. 5) dit que par un très grand tremblement de terre, il y eut cent villes renversées dans laLibye. Du temps de Trajan, la ville d'Antioche et une grande partie du pays adjacent furent abîmés par un tremblement de terre; et du temps de Justinien , en 628, cette ville fut une seconde fois détruite par la même cause avec plus de quarante mille de ses ha- bitants; et soixante ans après, du temps de saint Grégoire, elle essuya un troisième tremblement avec perte de soixante mille de ses habitants. Du temps de Saladin, en 1 182 , la plupart des villes de Syrie et du royaume de Jérusalem furent détruites par la même cause. Dans la Fouille et dans la Calabre il est arrivé plus de tremblements de terre qu'en aucune autre partie de l'Europe : du temps du pape Pie II, toutes les églises et les palais de Naples furent renversés; il y eut près de trente mille personnes de tuées, et tous les habitants qui restèrent furent obligés de demeu- rer sous des tentes jusqu'à ce qu'ils eussent rétabli leurs maisons. En 1629, il y eut des tremblements de terre dans la Fouille, qui firent périr sept mille per- sonnes; et en i658, la ville de Sainte-Euphémie fut engloutie, et il n'est resté en sa place qu'un lac de fort mauvaise odeur ;Raguse et Smyrne furent aussi pres- que entièrement détruites. Il y eut en 1692 un trem- blement de terre qui s'étendit en Angleterre, en Hol- lande , en Flandre , en Allemagne , en France , et qui se fit sentir principalement sur les côtes de la mer et auprès des grandes rivières ; il ébranla au moins deux mille six cents lieues carrées; il ne dura que deux .J06 THÉOIllE DE LA TERRE. minutes : le mouvement étoit plus considérable dans les montagnes que dans les vallées. En 1688, le 10 de juillet, il y eut un tremblement de terre à Smyrne qui commença par un mouvement d'occident en orient. Le château fut renversé d'abord, ses quatre murs s'étant entr'ouverts et enfoncés de six pieds dans la mer. Ce château, qui étoit un isthme, est à présent une véritable île éloignée de la terre d'environ cent pas, dans l'endroit où la langue de terre a manqué : les murs qui étoient du couchant au levant sont tom- bés; ceux qui alloient du nord au sud sont restés sur pied. La ville, qui est à dix milles du château, fut renversée presque aussitôt; ont vit en plusieurs en- droits des ouvertures à la terre, on entendit divers bruits souterrains : il y eut de cette manière cinq ou six secousses jusqu'à la nuit; la première dura envi- ron une demi-minute : les vaisseaux qui étoient à la rade furent agités, le terrain de la ville abaissé de deux pieds ; il n'est resté qu'environ le quart de la ville, et principalement les maisons qui étoient sur des ro^ chers : on a compté quinze ou vingt mille personnes accablées par ce tremblement de terre. En 1696, dans un tremblement de terre qui se fit sentir à Bolo- gne en Italie, on remarqua, comme une chose par- ticulière , que les eaux devinrent troubles un jour au- paravant. « Il se fit un si grand tremblement de terre à Tercère, le 4 uiai i6i4? qu'il renversa en la ville d'An- gra onze églises et neuf chapelles, sans les maisons particulières; et en la ville de Praya il fut si effroya- ble, qu'il n'y demeura presque pas une maison debout ; et le 16 juin 1628, il y eut un si horrible tremblement ART. \VI. VOLCANS ET ïlllLMBLEMENTS DE TERRE. JO7 dans l'île de Saint-Michel, que proche de là la mer s'ouvrit et fit sortir de son sein, en un lieu où il y avoit plus de cent cinquante toises d'eau , une île qui avoit plus d'une lieue et demie de long et plus de soixante toises de haut^. Il s'en étoit fait un autre en 1691, qui commença le 26 de juillet, et dura, dans l'île de Saint-Michel, jusqu'au 21 du mois suivant; Tercère et Fayal furent agitées le lendemain avec tant de violence, qu'elles paroissoient tourner : mais ces af- freuses secousses n'y recommencèrent que quatre fois, au lieu qu'à Saint-Michel elles ne cessèrent point un moment pendant plus de quinze jours ; les insulaires, ayant abandonné leurs maisons qui tomboient d'elles- mêmes à leurs yeux , passèrent tout ce temps exposés aux injures de l'air. Une ville entière, nommée Villa- Franca, fut renversée jusqu'aux fondements ^ et la plupart de ses habitants écrasés sous les ruines. Dans plusieurs endroits les plaines s'élevèrent en collines, et dans d'autres quelques montagnes s'aplanirent ou changèrent de situation ; il sortit de la terre une source d'eau vive qui coula pendant quatre jours, et qui pa- rut ensuite sécher tout d'un coup ; l'air et la mer, en- core plus agités, retentissoientd'un bruit qu'on auroit pris pour le mugissement de quantité de bêtes féro- ces; plusieurs personnes mouroient d'effroi; il n'y eut point de vaisseaux dans les ports mêmes qui ne souf- frissent des atteintes dangereuses, et ceux qui étoi^nt à l'ancre ou à la voile à vingt lieues aux environs des îles, furent encore plus maltraités. Les tremblements de terre sont fréquents aux Açores ; vingt ans aupara- vant il en étoit arrivé un dans l'île de Saint-Michel, i. Voyoz les Voyages de Mandelslo. r)08 THÉORIE DE LA TERRE. qui avoit renverse une montagne fort haute. Il s'en fît un à Manille, au mois de septembre 1627, qui aplanit luie des deux montagnes qu'on appelle Carvallos^ dans la province de Cagayan. En i645, la troisième partie de la ville fut ruinée par un pareil accident, et trois cents personnes y périrent; l'année suivante elle en souffrit encore un autre. Les vieux Indiens disent qu'ils étoient autrefois plus terribles, et qu'à cause de cela on ne bâtissoit les maisons que de bois, ce que font aussi les Espagnols, depuis le premier étage. » La quantité des volcans qui se trouvent dans l'île confirme ce qu'on a dit jusqu'à présent, parce qu'en certains temps ils vomissent des flammes, ébranlent la terre, et font tout ces effets que Pline attribue à ceux d'Italie, c'est-à-dire de faire changer de lit aux riviè- res et retirer les mers voisines , de remphr de cendres tous les environs, et d'envoyer des pierres fort loin avec un bruit semblable à celui du canon ^. » « L'an 1 646, la montagne de l'île de Macliian se fen- dit avec des bruits et un fracas épouvantables, par un terrible tremblement de terre, accident qui est fort ordinaire en ces pays là : il sortit tant de feux par cette fente , qu'ils consumèrent plusieurs nègreries avec les habitants et tout ce qui y étoit. On voyoit encore , l'an i685, cette prodigieuse fente, et apparemment elle subsiste toujours; on la nommoit l'ornière de Machian , parce qu'elle descendoit du haut en bas de la montagne, comme un chemin qui y auroit été creusé, mais qui de loin ne paroissoit être qu'une or- nière. » UHistoire de l' Académie fait mention, dans lester- 1. Voyez le Voyage de GemeUi Carrerl, page 129. ART. XVI. VOLCANS li T TREMBLEMENTS DE TERRE. 5o9 mes suivants, des tremblements de terre qui se sont faits en Italie en 1702 et i-joo : « Les tremblements commencèrent en Italie au mois d'octobre 1702, et continuèrent jusqu'au mois de Juillet 1705 : les pays qui en ont le plus souffert , et qui sont aussi ceux par où ils commencèrent, sont la ville de Norcia avec ses dépendances dans l'État ecclésiastique, et la province de l'Abruzze. Ces pays sont conligus et situés au pied de l'Apennin, du côté du midi. » Souvent les tremblements ont été accompagnés de bruits épouvantables dans l'air, et souvent aussi on a entendu ces bruits sans qu'il y ait eu de tremblements, le ciel étant même fort serein. Le tremblement du 2 février i 700, qui fut le plus violent de tous, fut ac- compagné, du moins à Rome, d'une grande sérénité du ciel et d'un grand calme dans l'air : il dura à Rome une demi-minute, et à Aquila, capitale de l'Abruzze, trois heures. Il ruina toute la ville d'Aquila, enseve- lit cinq mille personnes sous les ruines , et fit un grand ravage dans les environs. » Communément les balancements de la terre ont été du nord au sud , ou à peu près ; ce qui a été remar- qué par le mouvement des lampes des églises. » Il s'est fait dans un champ deux ouvertures, d'où il est sorti avec violence une grande quantité de pier- res qui l'ont entièrement couvert et rendu stérile; après les pierres il s'élança de ces ouvertures deux jets d'eau qui surpassoient beaucoup en hauteur les arbres de cette campagne, qui durèrent un quart d'heure, et inondèrent jusqu'aux campagnes voisines. Cette eau est blanchâtre, semblable à de l'eau de sa- von, et n'a aucun goût. BUI»FON. II. 5lO THÉORIE DE LA TE RUE. » Une montagne qui est près de Sigillo, bourg éloi- gné d'Aquila de vingt-deux milles, avoit sur son som- met une plaine assez grande, environnée de rochers qui lui servoient comme de murailles. Depuis le trem- blement du 2 février, il s'est fait, à la place de cette plaine, un gouffre de largeur inégale, dont le plus grand diamètre est de vingt-cinq toises, et le moindre de vingt : on n'a pu en trouver le fond, quoiqu'on ait été jusqu'à trois cents toises. Dans le temps que se fit cette ouverture, on en vit sortir des flammes, et en- suite une très grosse fumée, qui dura trois jours avec quelques interruptions. » A Gênes, le i" et le 2 juillet 1700, il y eut deux petits tremblements; le dernier ne fut senti que par des gens qui travailloient sur le môle : en même temps la mer dans le port s'abaissa de six pieds, en sorte que les galères touchèrent le fond, et cette basse mer dura près d'un quart d'heure. » L'eau soufrée qui est dans le chemin de Rome à Tivoli s'est diminuée de deux pieds et demi de hau- teur, tant dans le bassin que dans le fossé. En plu- sieurs endroits de la plaine appelée ie Testine^ il y avoit des sources et ans ruisseaux d'eaux qui formoient des marais impraticables; tout s'est séché. L'eau du lac appelé l'Enfer a diminué aussi de trois pieds en hauteur : à la place des anciennes sources qui ont tari, il en est sorti de nouvelles environ à une lieue des premières; en sorte qu'il y a apparence que ce sont les mêmes eaux qui ont changé de route ^. » Le même tremblement de terre qui , en 1 558 , forma 1. Page 10. année 1704 ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 7} 1 1 î^ Monte di Cenere auprès de Pouzzol, rempiit eu même temps le lac Lucrin de pierres, de terres, et de cendres; de sorte qu'actuellement ce lac est un ter- rain marécageux. Il y a des tremblements de terre qui se font sentir au loin dans la mer. M. Shaw rapporte qu'en i 7^4 . étant à bord de la Gazelle ^ vaisseau algérien de cin- quante canons, on sentit trois violentes secousses l'une après l'autre, comme si, à chaque fois, on avoit jeté d'un endroit fort élevé un poids de vingt ou trente tonneaux sur le lest : cela arriva dans un endroit de la Méditerranée où il y avoit plus de deux cents brasses d'eau. Il rapporte aussi que d'autres avoient senti des tremblements de terre bien plus considérables en d'au- tres endroits, et un entre autres à quarante lieues ouest de Lisbonne, Scliouten, en parlant d'un tremblement de terre qui se fit aux îles Moluques, dit que les montagnes fu- rent ébranlées, et que les vaisseaux qui étoient à l'an- cre sur trente et quarante brasses, se tourmentèrent comme s'ils se fussent donné des culées sur le rivage, sur des rochers, ou sur des bancs. « L'expérience, continue-t-il , nous apprend tous les Jours que la même chose arrive en pleine mer où l'on ne trouve point de fond, et que quand la terre tremble, les vaisseaux viennent tout d'un coup à se tourmenter jusque dans les endroits où la mer étoit tranquille^. » Le Gentil, dans son Voyage autour du monde^ parle des tremble- ments de terre dont il a été témoin, dans les termes suivants: « J'ai, dit-il, fait quelques remarques sur 1, Voyez tome VI, page 100, 7)12 THEORIE DE LA TEIîRE. ces treinlDÎements de terre. La première est qu'une demi-heure avant que !a terre s'agite, tous les ani- maux paroissent saisis de frayeur; les chevaux hen- nissent, rompent leurs licous, et fuient de l'écurie; les chiens aboient; les oiseaux, épouvantés et presque étourdis , entrent dans les maisons; les rats et les sou- ris sortent de leurs trous, etc. La seconde est que les vaisseaux qui sont à l'ancre sont agités si violemment, qu'il semble que toutes les parties dont ils sont com- posés vont se désunir ; les canons sautent sur leurs af- fûts, et les mâts, par cette agitation, rompent leurs haubans : c'est ce que j'aurois eu de la peine à croire, si plusieurs témoignages unanimes ne m'en avoient convaincu. Je conçois bien que le fond de la mer est une continuation de la terre; que si cette terre est agitée , elle communique son agitation aux eaux qu'elle porte : mais ce que je ne conçois pas, c'est ce mouve- ment irrégulier du vaisseau, dont tous les membres et les parties prises séparément participent à cette agi- tation, comme si tout le vaisseau faisoit partie de la terre, et qu'il ne nageât pas dans une matière fluide; son mouvement devroit être tout au plus semblable à celui qu'il éprouveroit dans une tempête. D'ailleurs, dans l'occasion où je parle , la surface de la mer étoit unie, et ses flots n'étoient point élevés; toute l'agita- tion étoit intérieure, parce que le vent ne se mêla point au tremblement de terre. La troisième remar- que est que si la caverne de la terre où le feu souter- rain est renfermé va du septentrion au midi , et si la ville est pareillement située dans sa longueur du sep- tentrion au midi, toutes les maisons sont renversées j .\\i lieu que si cette veine ou caverne fait son effet en ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLIl.AIE^TS DE TERRE. 01 O prenant la ville par sa largeur, le tremblement de terre fait moins de ravage, etc. ^. » Il arrive que, dans les pays sujets aux tremblements de terre , lorsqu'il se fait un nouveau volcan, les trem- blements de terre finissent et ne se font sentir que dans les éruptions violentes du volcan, comme on l'a observé dans l'île Saint-Christophe. Ces énormes ravages produits par les tremblements de terre ont faire croire à quelques naturalistes que les montagnes et les inégalités de la surface du globe n'étoient que le résultat des effets de l'action des feux souterrains, et que toutes les irrégularités que nous remarquons sur la terre dévoient être attribuées à ces secousses violentes et aux bouleversements qu'elles ont produits. C'est, par exemple, le sentiment de Ray; il croit que toutes les montagnes ont été for- mées par des tremblements de terre ou par l'explosion des volcans, comme le mont dl Cenere^ l'île nouvelle près de Santorin , etc. : mais il n'a pas pris garde que ces petites élévations formées par l'éruption d'un vol- can, ou par l'action d'un tremblement de terre, ne sont pas intérieurement composées de couches hori- zontales, comme le sont toutes les autres montagnes; car en fouillant dans le mont di Cenere^ on trouve les pierres calcinées, les cendres, les terres brûlées, le mâchefer, les pierres ponces, tous mêlés et confondus comme dans un monceau de décombres. D'ailleurs, si les tremblements de terre et les feux souterrains eus- sent produit les grandes montagnes de la terre, comme les Cordilières, le mont Taurus, les Alpes, etc., la. 1. Voyez le Nouveau Voyage OMtour du monda de M. Le Gentil^. tome I , pages 172 et suiv. 5 I 4 T II É O lU E I) E t A ï' E R R £ . force prodigieuse qui auroit élevé ces masses énormes auroit en même temps détruit une grande partie de la surface du globe, et l'effet du tremblement auroit été d'une violence inconcevable, puisque les plus fameux tremblements de terre dont l'iiistoire fasse mention n'ont pas eu assez de force pour élever des montagnes : par exemple , il y eut , du temps de Valen- tinien I", un tremblement de terre qui se fit sentir dans tout le monde connu,, comme le rapporte Am- mien Marcellin^, et cependant il n'y eut aucune mon- tagne élevée par ce grand tremblement. Il est cependant vrai qu'en calculant on pourroit trouver qu'un tremblement de terre assez violent pour élever les plus hautes montagnes , ne le seroit pas as- sez pour déplacer le reste du globe. Car, supposons pour un instant que la chaîne des hautes mbntagnes qui traverse l'Amérique méridio- nale , depuis la pointe des terres Magellanîques jus- qu'aux montagnes de la Nouvelle-Grenade et au golfe de Darien, ait été élevée tout à la fois et produite par un tremblement de terre, et voyons par le calcul l'ef- fet de cette explosion. Cette chaîne de montagnes a environ dix-sept cents lieues de longueur, et coinmu- nément quarante lieues de largeur, y compris les Sier- ras , qui sont des montagnes moins élevées que les Andes; la surface de ce terrain ect donc de soixante- huit mille lieues carrées. Je suppose que l'épaisseur de la matière déplacée par le tremblement est d'une lieue , c'est-à-dire que la hauteur moyenne de ces montagnes, prise du sommet jusqu'au pied, ou plu- tôt jusqu'aux cavernes qui, dans cette hypothèse, i. I^ib. XXVI, cap. xiv. doivent les supporter, n'est que d'une lieue; ce qu'on m'accordera facilement : alors je dis que la force de l'explosion ou du tremblement de terre aura élevé à une lieue de hauteur une quantité de terre égale à soixante-huit mille lieues cubiques; or, l'action étant égale à la réaction, cette explosion aura communiqué au reste du globe la même quantité de mouvement : mais le globe entier est de i2,5io,525,8oi lieues cubiques, dont ôtant 68,000, il reste 1 2,3 10, 455, 80 1 lieues cubiques, dont la quantité de mouvement aura été égale à celle de 68,000 lieues cubiques élevées à une lieue; d'où l'on voit que la force qui aura été assez grande pour déplacer 68,000 lieues cubiques et les pousser aune lieue, n'aura pas déplacé d'un pouce le reste du globe. Il n'y auroit donc pas d'impossibilité absolue à sup- poser que les montagnes ont été élevées par des trem- blements de terre, si leur composition intérieure, aussi bien que leur forme extérieure, n'étoient pas évidemment l'ouvrage des eaux de la mer. L'intérieur est composé de couches régulières et parallèles rem- plies de coquilles; l'extérieur a une figure dont les angles sont partout correspondants : est-il croyable que cette composition uniforme et cette forme régu- lière aient été produites par des secousses irrégulières et des explosions subites? Mais comme cette opinion a prévalu chez quelques physiciens, et qu'il nous paroît que la nature et les effets des tremblements de terre ne sont pas bien en- tendus , nous croyons qu'il est nécessaire de donner sur cela quelques idées qui pourront servir à éclaircir cetie matière. 5l6 THÉORIE DE LA TERRE. La terre ayant subi de grands changements à sa sur- face, on trouve, même à des profondeurs considéra- bles, des trous, des cavernes, des ruisseaux souter- rains, et des endroits vides qui se communiquent quelquefois par des fentes et des boyaux. Il y a de deux espèces de cavernes. Les premières sont celles qui sont produites par l'action des feux souterrains et des volcans; l'action du feu soulève, ébranle, et jette au loin les matières supérieures, et en même temps elle divise, fend, et dérange celles qui sont à côté , et produit ainsi des cavernes, des grottes, des trous, et des anfractuosités : mais cela ne se trouve ordinaire- ment qu'aux environs des hautes montagnes où sont les volcans, et ces espèces de cavernes produites par l'action du feu sont plus rares que les cavernes de la seconde espèce, qui sont produites par les eaux. Nous avons vu que les différentes couches qui composent le globe terrestre à sa surface, sont toutes interrom- pues par des fentes perpendiculaires dont nous expli- querons l'origine dans la suite; les eaux des pluies et des vapeurs, en descendant par ces fentes perpendi- culaires, se rassemblent sur la glaise, et forment des sources et des ruisseaux ; elles cherchent par leur mouvement naturel toutes les petites cavités et les pe- tits vides, et elles tendent toujours à couler et à s'ou- vrir des routes, jusqu'à ce qu'elles trouvent une issue ; elles entraînent en même temps les sables, les terres, les graviers , et les autres matières qu'elles peuvent diviser, et peu à peu elles se foni des chemins ; elles forment dans l'intérieur de la terre des espèces de petites tranchées ou de canaux qui leur servent de lit ; elles sortent enfin, soit à la surface de la terre, soit ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 5 1 7 dans la mer, en forme de fontaines : les matières qu'el- les entraînent laissent des vides dont l'étendue peut être fort considérable, et ces vides forment des grottes et des cavernes dont l'origine est, comme l'on voit, bien différente de celle des cavernes produites par des tremblements de terre. Il y a deux espèces de tremblemeiits de terre : les uns causés par l'action des feux souterrains et par l'ex- plosion des volcans, qui ne se font sentir qu'à de pe- tites distances et dans les temps que les volcans agis- sent, ou avant qu'ils s'ouvrent : lorsque les matières qui forment les feux souterrains viennent à fermenter, à s'échauffer, et à s'enflammer, le feu fait effort de tous côtés; et s'il ne trouve pas naturellemenl des issues , il soulève la terre et se fait un passage en la rejetant, ce qui produit un volcan dont les effets se répètent et durent à proportion de la quantité des matières in- flammables. Si la quantité des matières qui s'enflam- ment est peu considérable, il peut arriver un soulève- ment et une commotion, un tremblement de terre, sans que pour cela il se forme un volcan ; l'air produit et raréfié par le feu souterrain peut aussi trouver de petites issues par où il s'échappera , et dans ce cas il n'y aura encore qu'un tremblement sans éruption et sans volcan ; mais lorsque la matière enflammée est en grande quantité, et qu'elle est resserrée par des ma- tières solides et compactes, alors il y a commotion et volcan : mais toutes ces commotions ne font que la première espèce des tremblements de terre, et elles ne peuvent ébranler qu'un petit espace. Une éruption très violente de l'Etna causera, par exemple, un trem- blement de terre dans toute l'île de Sicile; mais il ne r)l8 THÉORIE DE LA TERRE, s'étendra jamais à des distances de trois ou quatre cents lieues. Lorsque dans le mont Vésuve il s'est formé quelques nouvelles bouches à feu , il s'est fait en même temps des tremblements de terre à Naples et dans le voisinage du volcan : mais ces tremblements n'ont ja- mais ébranlé les Alpes, et ne se sont pas communiqués en France ou aux autres pays éloignés du Vésuve. Ainsi les tremblements de terre produits par l'action des volcans sont bornés à nn petit espace, c'est pro- prement l'effet de la réaction du feu ; et ils ébranlent la terre, comme l'explosion d'un magasin à poudre produit une secousse et un tremblement sensible à plusieurs lieues de distance. Mais il y a une autre espèce de tremblement de terre bien différente pour les effets et peut-être pour les causes : ce sont les tremblements qui se font sentira de grandes distances, et qui ébranlent une longue suite de terrain sans qu'il paroisse aucun nouveau vol- can ni aucune éruption. On a des exemples de trem- blements qui se sont fait sentir en même temps en Angleterre, en France, en Allemagne, et jusqu'en Hongrie : ces tremblements s'étendent toujours beau- coup plus en longueur qu'en largeur; ils ébranlent une bande ou une zone de terrain avec plus ou moins de violence en différents endroits, et ils sont presque tou- jours accompagnés d'un bruit sourd, semblable à celui d'une grosse voiture qui rouleroit avec rapidité. Pour bien entendre quelles peuvent être les causes de cette espèce de tremblement, il faut se souvenir que toutes les matières inflammables et capables d'ex- plosion produisent, comme la poudre, par l'inflam- mation , une grande quantité d'air : que cet air produit ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 5' i 9 par le feu est dans l'état d'une très grande raréfaction, et que par l'état de compression où il se trouve dans le sein de la terre, il doit produire des effets très vio- lents. Supposons donc qu'à une profondeur très con- sidérable, comme à cent ou deux cents toises, il se trouve des pyrites et d'autres matières sulfureuses, et que par la fermentation produite par la fdtration des eaux ou par d'autres causes elles viennent à s'enflam- mer, et voyons ce qui doit arriver : d'abord ces ma- tières ne sont pas disposées régulièrement par couches horizontales, comme le sont les matières anciennes qui ont été formées par le sédiment des eaux; elles sont au contraire dans les fentes perpendiculaires, dans les cavernes au pied de ces fentes, et dans les autres endroits où les eaux peuvent agir et pénétrer. Ces ma- tières, venant à s'enflammer, produiront une grande quantité d'air, dont le ressort, comprimé dans un pe- tit espace comme celui d'une caverne, non seulement ébranlera le terrain supérieur, mais cherchera des rou- les pour s'échapper et se mettre en liberté. Les routes qui se présentent sont les cavernes et les tranchées formées par les eaux et par les ruisseaux souterrains ; l'air raréfié se précipitera avec violence dans tous ces passages qui lui sont ouverts, et il formera un vent furieux dans ces routes souterraines, dont le bruit se fera entendre à la surface de la terre, et en accompa- gnera l'ébranlement et les secousses; ce vent souter- rain produit par le feu s*é tendra tout aussi loin que les cavités ou tranchées souterraines, et causera un tremblement plus ou moins grand à mesure qu'il s'é- loignera du foyer, et qu'il trouvera des passages plus ou moins étroits; ce mouvement se faisant en Ion- Ô'20 TIIKOIUE DE LA TERRE. gueur, rébraiilemeiit se fera de même; et le tremble- ment se fera sentir dans une longue zone de terrain ; cet air ne produira aucune éruption, aucun volcan, parce qu'il aura trouvé assez d'espace pour s'étendre, ou bien parce qu'il aura trouvé des issues, et qu'il sera sorti en forme de vent et de vapeur; et quand même on ne voudroit pas convenir qu'il existe en effet des routes souterraines par lesquelles cet air et ces vapeurs sou- terraines peuvent passer, on conçoit bien que, dans le lieu même où se fait la première explosion , le terrain étant soulevé à une hauteur considérable, il est néces- saire que celui qui avoisine ce lieu se divise et se fende horizontalement pour suivre le mouvement du pre- mier, ce qui suffit pour faire des routes qui de proche en proche peuvent communiquer le mouvement à une très grande distance. Cette explication s'accorde avec tous lesphénomènes. Ce n'est pas dans le même instant ni à la même même heure qu'un tremblement de terre se fait sentir en deux endroits distants, par exem- ple, de cent ou deux cents lieues; il n'y a point de feu ni d'éruption au dehors par ces tremblements qui s'é- tendent au loin, et le bruit qui les accompagne pres- que toujours marque le mouvement progressif de ce vent souterrain. On peut encore confirmer ce que nous venons de dire, en le liant avec d'autres faits : on sait que les mines exhalent des vapeurs; indépendamment des vents produits par le courant des eaux, on y re- marque souvent des courants d'un air malsain et de vapeurs suffocantes : on sait aussi qu'il y a sur la terre des trous, des abîmes, des lacs profonds qui pro- duisent des vents, comme le lac deBoleslaweaBohôme,. dont nous avons *parlé. ART. XVI. VOLCA?ÇS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. .)2 I Tout ceci bien entendu, je ne vois pas trop com- ment on peut croire que les tremblements de terre ont pu produire des montagnes, puisque la cause même de ces tremblements sont des matières minérales ot sulfureuses qui ne se trouvent ordinairement que dans les fentes perpendiculaires des montagnes et dans les autres cavités de la terre, dont le plus grand nombre a été produit par les eaux; que ces matières en s'en- flammant ne produisent qu'une explosion momentanée et des vents violents qui suivent les routes souterrai- nes des eaux; que la durée des tremblements n'est en effet que momentanée à la surface de la terre, et que par conséquent leur cause n'est qu'une explosion et non pas un incendie durable; et qu'enfin ces trem- blements qui ébranlent un grand espace , et qui s'é- tendent à des distances très considérables, bien loin d'élever des chaînes de montagnes, ne soulèvent pas la terre d'une quantité sensible, et ne produisent pas la plus petite colline dans toute la longueur de leur cours. Les tremblements de terre sont, à la vérité, bien plus fréquents dans les endroits où sont les volcans qu'ailleurs, comme en Sicile et à jNaples : on sait, par les observations faites en différents temps, que les plus violents tremblements de terre arrivent dans le temps des gr.nndes éruptions des volcans; mais ces tremble- ments ne sont pas ceux qui s'étendent le plus loin, et ils ne pourroient jamais produire une chaîne de montagnes. On a quelquefois observé que les matières rejetées de l'Etna, après avoir été refroidies pendant plusieurs années, et ensuite humectées par l'eau des pluies, se sont rallumées, et ont jeté des flammes avec une ex- Ô'22 TllEOillE DE LA TEKRE. plosion assez violente qui produisoit même une espèce de petit tremblement. En 1669, dans une furieuse éruption de l'Etna, qui commença le 1 1 mars, le sommet de la montagne baissa considérablement, comme tous ceux qui avoient vu cette montagne avant cette éruption s'en aperçu- rent ; ce qui prouve que le feu du volcan vient plutôt du sommet que de la profondeur intérieure de la montagne. Borelli est du même sentiment, et dit pré- cisément « que le feu des volcans ne vient pas du cen- tre ni du pied de la montagne, mais qu'au contraire il sort du sommet et ne s'allume qu'à une très petite profondeur^. » Le mont Vésuve a souvent rejeté, dans ses érup- tions, une grande quantité d'eau bouillante : M. Ray, dont le sentiment est que le feu des volcans vient d'une très grande profondeur, dit que c'est de l'eau de la mer qui communique aux cavernes intérieures du pied de cette montagne; il en donne pour preuve la sécheresse et l'aridité du sommet du Vésuve, et le mouvement de la mer, qui, dans le temps de ces vio- lentes éruptions, s'éloigne des côtes, et diminue au point d'avoir laissé quelquefois à sec le port de INa- ples. Mais quand ces faits seroient bien certains, ils ne prouveroient pas d'une manière solide que le feu des volcans vient d'une grande profondeur; car l'eau qu'ils rejettent est certainement l'eau des pluies qui pénètre par les fentes, et qui se ramasse dans les cavités de la montagne : on voit découler des eaux vives et des ruisseaux du sommet des volcans, comme il en découle des autres montagnes élevées; et comme elles 1 . Voyez Ijorelli , de Incendiis moniis Etnœ. ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 0 2.> sont creuses et qu'elles ont été plus ébranlées que les autres montagnes, il n'est pas étonnant que les eaux se ramassent dans les cavernes qu'elles contiennent dans leur intérieur, et que ces eaux soient rejetées dans le temps des éruptions avec les autres matières: à l'égard du mouvement de la mer, il provient uni- quement de la secousse communiquée aux eaux par l'explosion ; ce qui doit les faire affluer ou reduer, sui- vant les différentes circonstances. Les matières que rejettent les volcans sortent le plus souvent sous la forme d'un torrent de minéraux fondus, qui inonde tous les environs de ces monta- gnes : ces fleuves de aiatières liquéfiées s'étendent même à des distances considérables; et en se refroi- dissant, ces matières, qui sont en fusion , forment des couches horizontales ou inclinées, qui, pour la posi- tion , sont semblables aux couches formées par les sé- diments des eaux. Mais il est fort aisé de distinguer ces couches produites par l'expansion des matières rejetées des volcans, de celles qui ont pour origine les sédiments de la mer : i** parce que ces couches ne sont pas d'égale épaisseur partout; 2° parce qu'elles ne contiennent que des matières qu'on reconnoît évi- demment avoir été calcinées, vitrifiées, ou fondues; 3" parce qu'elles ne s'étendent pas à une grande dis- tance. Comme il y a au Pérou un grand nombre de volcans , et que le pied de la plupart des montagnes des Gordiiières est recouvert de ces matières reje|j^es par ces volcans, il n'est pas étonnant qu'on ne trouve pas de coquilles marines dans ces couches de terre ; elles ont été calcinées et détruites par l'action du feu : mais je suis persuadé que si l'on creusoit dans la terre 024 THÉORIE DE LA TERRE. argileuse qui , selon M. Bouguer, est la terre ordinaire de la vallée de Quito, on y trouveroit des coquilles, comme l'on en trouve partout ailleurs; en supposant que cette terre soit vraiment de l'argile , et qu'elle ne soit pas, comme celle qui est au pied des montagnes, un terrain formé par les matières rejetées des volcans. On a souvent demandé pourquoi les volcans se trouvent tous dans les hautes montagnes. Je crois avoir satisfait en partie à cette question dans le dis- cours précédent; niais comme je ne suis pas entré dans un assez grand détail, j'ai cru que je ne devois pas finir cet article sans développer davantage ce que j'ai dit sur ce sujet. Les pics ou les pointes des montagnes étoient au- trefois recouvertes et environnées de sables et de ter- res que les eaux pluviales ont entraînés dans les val- lées; il n'est resté que les rochers et les pierres qui formoient le noyau de la montagne. Ce noyau, se trouvant à découvert et déchaussé jusqu'au pied, aura encore été dégradé par les injures de l'air; la gelée en aura détaché de grosses et de petites parties qui auront roulé au bas; en même temps elle aura fait fendre plusieurs rochers au sommet de la montagne; ceux qui forment la base de ce sommet se trouvant découverts, et n'étant plus appuyés parles terres qui les environnoient, auront un peu cédé; et en s'écar- tant les uns des autres ils auront formé de petits in- tei^lles : cet ébranlement de rochers inférieurs n'aura pu se faire sans communiquer aux rochers supérieurs un mouvement plus grand; ils se seront fendus ou écartés les uns des autres II se sera donc formé dans ce noyau de montagne une infinité de petites et de ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. O^il grandes fentes perpendiculaires, depuis le sommet jusqu'à la base des rochers inférieurs; les pluies au- ront pénétré dans toutes ces fentes, et elles auront détaché, dans l'intérieur de la montagne, toutes les parties minérales et toutes les autres matières qu^elles auront pu enlever ou dissoudre; elles auront formé des pyrites, des soufres et d'autres matières combus- tibles; et lorsque, par succession des temps, ces ma- tières se seront nccumulées en grande quantité, elles auront fermenté, el en s'enflammant elles auront pro- duit les explosions et les autres effets des volcans. Peut-être aussi y avoit-il, dans l'intérieur de la mon- tagne, des amas de ces matières minérales déjà for- mées, avant que les pluies pussent y pénétrer; dès qu'il se sera fait des ouvertures ou des fentes qui au- ront donné passage à l'eau et à l'air, ces matières se seront enflammées et auront formé un volcan. Aucun de ces mouvements ne pouvant se faire dans les plai- nes, puisque tout est en repos, et que rien ne peut se déplacer, il n'est pas surprenant qu'il n'y ait aucun volcan dans les plaines, et qu'ils se trouvent tous en effet dans les hautes montagnes. Lorsqu'on a ouvert des minières de charbon de terre, que l'on trouve ordinairement dans l'argile à une profondeur considérable, il est arrivé quelquefois que le feu s'est mis à ces matières ; il y a même des mines de charbon en Ecosse, en Flandre , etc., qui brûlent continuellement depuis plusieurs années : la communication de l'air suffit pour produire cet effet. Mais ces feux qui se sont allumés dans ces mines ne produisent que de légères explosions, et ils ne for- ment pas des volcans, parce que tout étant solide et iil FFOX. ir. 2 1 7)'2G THÉORIE DE LA TERRE. plein dans ces endroits, le feu ne peut pas l'Ire excite, connue celui des volcans, dans lesquels il y a des cavités et des vides où l'air pénètre ; ce qui doit néces- sairement étendre l'embrasement, et peut augmen- ter l'action du feu au point où nous la voyons lors- qu'elle produit les terribles effets dont nous avons parlé. Sur les tremblcmenîs de terre. * 11 y a deux causes qui produisent les tremble- ments de terre : la première est l'affaissement subit des cavités de la terre; et la seconde, encore plus fréquente et plus violente que la première, est l'ac- tion des feux souterrains. Lorsqu'une caverne s'affaisse dans le milieu des con- tinents, elle produit par sa chute une commotion qui s'étend à une plus ou moins grande distance , selon la quantité du mouvement donné par la chute de cette masse à la terre; et à moins que le volume n'en soit fort grand et ne tombe de très haut, sa chute ne produira pas une secousse assez violente pour qu'elle se fasse ressentir à de grandes distances : l'effet en est borné aux environs de la caverne affaissée; et si le mouvement se propage plus loin, ce n'est que par de petits trémoussements et de légères trépidations. Comme la plupart des montagnes primitives repo- sent sur des cavernes, parce que, dans le moment de la consolidation, ces éminences ne se sont formées que par des boursoufflures, il s'est fait, et il se fait en- core de nos jours, des affaissements dans ces monta- gnes toutes les fois que les voûtes des cavernes minées par les eaux ou ébranlées par quelque Ireinblement , viennent à s'écrouler : une portion de la montagne s'affaisse en bloc, tantôt perpendiculairement, mais plus souvent en s'inclinant beaucoup, et quelquefois même en culbutant. On en a des exemples frappants dans plusieurs parties des Pyrénées, où les couches de la terre, jadis horizontales, sont souvent inclinées de plus de l\b degrés ; ce qui démontre que la masse entière de chaque portion de montagne dont les bancs sont parallèles entre eux, a penché tout en bloc, et s'est assise, dans le moment de l'afifaissement, sur une base inclinée de 4«^ degrés : c'est la cause la plus gé- nérale de l'inclinaison des couches dans les monta- gnes. C'est par la même raison que l'on trouve sou- vent entre deux éminences voisines, des couches qui descendent de la première et remontent à la seconde, après avoir traversé le vallon. Ces couches sont hori- zontales, et gisent à la même hauteur dans les deux collines opposées, entre lesquelles la caverne s'étant écroulée, la terre s'est affaissée, et le vallon s'est formé sans autre dérangement dans les couches de la terre que le plus ou moins d'inclinaison, suivant la profon- deur du vallon et la pente des deux coteaux corres- pondants. C'est là le seul effet sensible de l'affaissement des cavernes dans les montagnes et dans les autres parties des continents terrestres : mais toutes les fois que cet effet arrive dans le sein de la mer, où les afïais- sements doivent être plus fréquents que sur la terre, puisque l'eau mine continuellement les voûtes dans tous les endroits où elles soutiennent le fond de la Tùe\\ alors ces affaissements non seulement dérangent * et font pencher les couches de la terre, jnais ils pro- 528 TIIÉOKIE DE LA TEK RE. (luisent encore un autre efiet sensible en faisant bais-' ser le niveau des mers; sa bautenr s'est déjà déprimée de deux mille toises par ces ailaissements successifs depuis la première occupation des eaux; et comme toutes les cavernes sous-marines ne sont pas encore à beaucoup prés entièrement écroulées, il est plus que prol)able que l'espace des mers s'approfondissant de plus en plus, se rétrécira par la surface, et que par conséquent l'étendue de lous les continents terrestres continuera toujours d'augmenter par la retraite et ra- baissement des eaux. Une seconde cause, plus puissante que la première, concourt avec elle pour produire le même efl'el ; c'est la riq^ture et l'affaissenient des cavernes par l'eflorl des feux sous-marins, li est certain qn'il ne se fait au- cun i]iouvement, aucun affaissement dans le fond de la mer, que sa surface ne baisse; et si nous considé- rons en général les effets des feux souterrains, nous reconnoîtrons ([ue , dès qu'il y a du feu, la commo- tion de la terre ne se borne point à de simples trépi- dations, mais que l'effort du feu soulève, entr'ouvre la mer et la terre par des secousses violentes et réi- térées, qui non seulement renversent et détruisent les terres voisines, mais encore ébranlent celles qui sont éUngnées, et ravagent et bouleversent tout ce qui se trouve sur la route de leur direction. Ces tremblements de terre, causés par les feux sou- terraijis, précèdeivt ordinaiiement les éruplions des volcans et cessent avec elles, et quebjuefois même au moment où ce feu renfermé s'ouvre un passage dans les flancs de la terre, et porte sa llamme dans les airs. Souvent aussi ces tremblements épouvantables conti- ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. .}'2() juieiit tant que les éruptions durent : ces deux effets sont intimement liés euseiuble; et jamais il ne se fait une grande éruption dans un volcan, sans qu'elle ait été précédée ou du moins accompagnée d'un trera- l)lement de terre, au lieu que très souvent on ressent des secousses même assez violentes sans éruption de l'eu. Ces mouvements où le feu n'a point de part , pro- viennent non seulement de la première cause que nous avons indiquée, c'est-à-dire de l'écroulement des cavernes, mais aussi de l'action des vents et des orages souterrains. On a nombre d'exemples de terres soulevées ou affaissées par la force de ces vents inté- rieurs. M. le chevalier Hamilton , homme aussi respec- table par son caractère, qu'admirable par l'étendue de ses connoissances et de ses recherches en ce genre, m'a dit avoir vu entre Trente et Vérone, près du vil- lage de lloveredo, plusieurs monticules composés de grosses masses de pierres calcaires, qui ont été évi- demment soulevées par diverses explosions causées par des vents souterrains. Il n'y a pas le moindre in- dice de l'action du feu sur ces rochers ni sur leurs fragments : tout le pays des deux côtés du grand che- min , dans une longueur de près d'une lieue, a été bouleversé de place en place par ces prodigieux ef- forts des vents souterrains. Les habitants disent que cela est arrivé tout à coup par l'effet d'un tremble- ment de terre. Mais la force du vent , quelque violent qu'on puisse le supposer, ne me paroîtpasune cause suffisante pour produire d'aussi grands effets; et quoiqu'il n'y ait au- cune apparence de feu dans ces monticules soulevés par la commotion de la terre, je suis persuadé que 350 THEORIE DE LA TERRE. ces soulèvements se sont faits par des explosions élec- triques de la foudre souterraine, et que les vents in- térieurs n y ont contribué qu'en produisant ces orao;es électriques dans les cavités de la terre. Nous rédui- rons donc à trois causes tous les mouvements convul- sifs de la terre : la première et la plus simple est Taf- faissement subit des cavernes; la seconde, les orages et les coups de foudre souterraine; et la troisième, l'action et les efforts des feux allumés dans l'intérieur du globe. Il me paroît qu'il est aisé de rapporter à l'une de ces trois causes tous les phénomènes qui ac- compagnent ou suivent les tremblements de terre. Si les mouvements de la terre produisent quelque- fois des éminences, ils forment encore plus souvent des gouffres. Le i5 octobre 1775, il s'est ouvert un gouffre sur le territoire du bourg Indu no, dans les états de Modène , dont la cavité a plus de quatre cents brasses de largeur, sur deux cents de profondeur. En 1726, dans la partie septentrionale de l'Islande, une montagne d'une hauteur considéi-able s'enfonça en une nuit par un tremblement de terre, et un lac très profond prit sa place : dans la même nuit, à une lieue et demie de distance, un ancien lac, dont on igno- roit la profondeur, fut entièrement desséché et son fond s'éleva de manière à former un monticule assez haut, que l'on voit encore aujourd'hui. Dans les mers voisines de la Nouvelle-Bretagne, les tremblements de terre , dit M. de Bougainville , ont de terribles conséquences pour la navigation. Les 7 juin, 12 et 27 juillet 1766, il y en a eu trois à Boéro, et le 22 de ce même mois un à la Nouvelle -Bretagne. Quelque- fois ces tremblements anéantissent djes îles et des ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. ô7) l bancs de sal)le connus; quelquefois aussi ils en créent où il n y en avoit pas. Il y a des tremblements de terre qui s'étendent très loin, et toujours plus en longueur cju'en largeur : l'un des plus considérables est celui qui se lit ressen- tir au Canada en i665; il s'étendit surplus de deux cents lieues de longueur et cent lieues de largeur, c'est-à-dire sur plus de vingt mille lieues superficiel- les. Les effets du dernier tremblement de terre du Portugal se sont fait de nos jours ressentir encore plus loin : M. le chevalier de Saint-Sauveur, commandant pour le roi à Merueis, a dit à M. de Gensanne qu'en se promenant à la rive gauche de la Jouante, en Lan- guedoc, le ciel devint tout à coup fort noir, et qu'un moment après il aperçut au bas du coteau qui est à la rive droite de cette rivière, un globe de feu qui éclata d'une manière terrible. Il sortit de l'intérieur de la terre un tas de rochers considérables, et toute cette chaîne de montagnes se fendit depuis Merueis jusqu'à Florac, sur près de six lieues de longueur : cette fente a, dans certains endroits, plus de deux pieds de largeur, et elle est en partie comblée. Il y a d'autres tremble- ments de terre qui semblent se faire sans secousses et sans grande émotion. Kolbe rapporte que, le a/j septembre i 707, depuis huit heures du matin jusqu'à dix heures, la mer monta sur la contrée du cap de Bonne-Espérance, et en descendit sept fois de suite, et avec une telle vitesse, que d'un moment à l'autre la plage étoit alternativement couverte et découverte par les eaux. Je puis ajouter, au sujet des efl'ets des tremblements de terre et de l'éboulement des montagnes par l'af- JJ'2 THEOKIK DE LA TERRE. laisse 111 eut des cavernes, queiqiies faits assez récents et qui sont bien constatés. En iNorwége, un promon- toire appelé H ammers-fields j tomba tout à coup en entier. Une montagne fort élevée, et presque adja- cente à celle de Chimboraço, Tune des plus hautes des Cordillères, dans la province de Quito, s'écroula tout à coup. Le fait avec ses circonstances est rap- porté dans les Mémoires de MM. de La Condamine et Eouguer. Il arrive souvent de pareils éboulements et de grands affaissements dans les îles des Indes méri- dionales. A Gamma-amorej où les Hollandois ont un établissement, une haute montagne s'écroula tout à coup en i6"5, par un temps calme et fort beau; ce qui fut suivi d'un tremblement de terre qui renversa les villages d'alentour, où plusieurs milliers de per- sonnes périrent : le i i août 1772 , dans l'ile de Java, province de ClieriboUj l'une des plus riches posses- sions des Hollandois, une montagne d'environ trois lieues de circonférence s'abîma tout à coup, s'enfon- çant et se relevant alternativement comme les flots de la mer agitée : en môme temps elle laissoit échap- per une quantité prodigieuse de globes de feu qu'on apercevoit de très loin, et qui jetoient une lumière aussi vive que celle du Jour ; toutes les plantations et trente-neuf nègreries ont été engioulies, avec deux mille cent quarante habitants, sans compter les étran- gers. Nous pourrions recueillir plusieurs autres exem- ples de l'affaissement des terres et de l'écroulement des montagnes par la rupture des cavernes, par les secousses des tremblements de terre, et par l'action des volcans : mais nous en avons dit assez pour qu'on ne puisse contester les induclions et les conséquences. ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DK TEP.IIE. Jj.) générales que nous avons tirées de ces faits particu- iiers. ( Jdd. Buff. ) Des volcans. * Les anciens nous ont laissé quelques notices des volcans qui leur étoient connus, et particulièrement de l'Etna et du Vésuve. Plusieurs observateurs savants et curieux ont, de nos jours, examiné de plus près la forme et les effets de ces volcans : mais la première chose qui frappe en comparant ces descriptions, c'est qu'on doit renoncer à transmettre à la postérité !a topo- graphie exacte et constante de ces montagnes ardentes; leur forme s'altère et change, pour ainsi dire, chaque jour; leur surface s'élève ou s'abaisse en différents en- droits; chaque éruption produit de nouveaux gouffres ou des éminences nouvelles : s'attacher à décrire tous ces changements, c'est vouloir suivre et représenter les ruines d'un bâtiment incendié. Le Vésuve de Pline et l'Etna d'Empédocle présentoient une face et des aspects différents de ceux qui nous sont aujourd'hui si bien représentés par MM. Hamilton et Brydone; et, dans quelques siècles, ces descriptions récentes ne ressembleront plus à leur objet. Après la surface des mers, rien sur le globe n'est plus mobile et incon- stant que la surface des volcans : mais de cette incon- stance même et de cette variation de mouvements et de formes on peut tirer quelques conséquences gé- nérales en réunissant les observations particuhères, ( Jdd. Buff. ) ,>v).| TliEOÎlIE DE LA 'lEIlBE. Exemples des changements arrivés dans les volcans. * La base de l'Etna peut avoir soixante Jieiies de circonférence, et sa hauteur perpendiculaire est den- viion deux mille toises au dessus du niveau de la mer Méditerranée. On peut donc regarder cette énorme monta<2:ne comme un cône obtus, dont la superficie n'a 2;uère moins de trois cents lieues carrées : cette superficie conique est partagée en quatre zones pla- cées concentriquement les unes au dessus des autres. La première et la plus large s'étend à plus de six lieues, toujours en montant doucement, depuis le point le plus éloigné de la base de la montagne; et cette zone de six lieues de largeur est peuplée et cul- tivée presque partout. La ville de Catane et plusieurs villages se trouvent dans cette première enceinte, dont la superficie est de plus de deux cent vingt lieues car- rées. Tout le fond de ce vaste terrain n'est que de la lave ancienne et moderne, qni a coulé des diflérents endroits de la montagne où se sont faites les explo- sions des feux souterrains; et la surface de cette lave, mêlée avec les cendres rejetées par ces dillérentes bouches à feu, s'est convertie en une bonne terre ac- tuellement semée de grains et plantée de vignobles^ à l'exception de quelques endroits où la lave, encore trop récente, ne fait que commencer à changer de nature , et présente quelques espaces dénués de terre. Vers le haut de cette zone, on voit déjà plusieurs cratères ou coupes plus ou moins larges et profondes, d où sont sorties les matières qui ont formé les ter- rains au dessous. ART. XVÎ. VOLCAAS ET TRE-MCLEMEATS DE TEIir.E. JJ,> La seconde zone commence au dessus de six lieues (depuis le point le plus éloigné dans la circonférence de la montagne). Cette seconde zone a environ deux lieues de largeur en montant : la pente en est plus ra- pide partout que celle de la première zone ; et cette rapidité augmente à mesure qu'on s'élève et qu'on s'approche du sommet. Cette seconde zone, de deux lieues de largeur, peut avoir en superficie quarante ou quarante-cinq lieues carrées : de magnifiques forêts couvrent toute cette étendue, et semblent former un beau collier de verdure à la tête blanche et chenue de ce respectable mont. Le fond du terrain de ces belles forêts n'est néanmoins que de la lave et des cendres converties par le temps en terres excellentes; et ce qui est encore plus remarquable, c'est l'inégalité de la surface de cette zone : elle ne présente partout que des collines, ou plutôt des montagnes, toutes produi- tes par les différentes éruptions du sommet de l'Etna et des autres bouches à feu qui sont au dessous de ce sommet, et dont plusieurs ont autrefois agi dans cette zone, actuellement couverte de forêts. Avant d'arriver au sommet, et après avoir passé les belles forêts qui recouvrent la croupe de cette mon- tagne, on traverse une troisième zone, où il ne croît que de petits végétaux. Cette région est couverte de neige en hiver, qui fond pendant l'été; mais ensuite on trouve la ligne de neige permanente qui marque le commencement de la quatrième zone, et s'étend jusqu'au sommet de l'Etna. Ces neiges et ces glaces occupent environ deux lieues en hauteur, depuis la région des petits végétaux jusqu'au sommet, lequel est également couvert de neige et de glace : il est ,).}() THEORIE DE LA TERRE. exacteQicrit d'une figure conique, et l'on voit dans son intérieur le grand cratère du volcan, duquel l\ sort conlinuelle nient des tourbillons de fumée. L'in- térieur de ce cratère est en forme de cône renversé, s'élevant également de tous côtés : il n'est composé que de cendres et d'autres matières brûlées, sorties de la bouche du volcan, qui est au centre du cratère. L'extérieur de ce sommet est fort escarpé ; la neige y est couverte de cendres ; et il y fait un très grand froid. Sur le côté septentrional de cette région de neige, il y a plusieurs petits lacs qui ne dégèlent ja- mais. En général, le terrain de cette dernière zone est assez égal et d'une même pente, excepté dans quelques endroits; et ce n'est qu'au dessous de cette région de neige qu'il se trouve un grand nombre d'in- égalités, d'éminences, et de profondeurs produites par les éruptions, et que l'on voit les collines et les montagnes plus ou moins nouvellement formées, et composées de niatières rejetées par ces différentes bouches à feu. Le cratère du sommet de l'Etna, en 17^0, avoil, selon M. Brydone,plus d'une lieue de circonférence, et les auteurs anciens et modernes lui ont donné des dimensions très différentes : néanmoins tous ces au- teurs ont raison, parce que toutes les dimensions de cette bouche à feu ont changé ; et tout ce que l'on doit inférer de la comparaison des différentes des- criptions qu'on en a faites c'est que le cratère, avec ses bords, s'est éboulé quatre fois depuis six ou sept cents ans. Les matériaux dont il est formé retombent dans les entrailles de la montagne, d'où ils sont en- suite rejetés par de nouvelles éruptions qui formeul ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. vJ^J nn antre cratère, lequel s'augmente et s'élève par de- grés, jusqu'à ce qu'il retooibe de nouveau dans le même gouffre du volcan. Ce haut sommet de la montagne n'est pas le seul endroit où le feu souterrain ait fait éruption ; on voit, dans tout le terrain qui forme la croupe de l'Etna, et jusqu'à de très grandes distances du sommet, plu- sieurs autres cratères qui ont donné passage au feu, et qui sont environnés de morceaux de rochers qui en sont sortis dans différentes éruptions. On peut même compter plusieurs collines, toutes formées par l'érup- tion de ces petits volcans cjui environnent le grand; chacune de ces colhnes offre à son sommet une coupe on cratère, au milieu duquel on voit la bouche ou plutôt le gouffre profond de ces volcans particuliers. Chaque éruption de l'Etna a produit une nouvelle montagne; et peut-être, dit M. Brydone, que leur nombre serviroit mieux cjue toute autre méthode à déterminer celui des éruptions de ce fameux volcan. La ville de Catane, qui est au bas de la montagne, a souvent été ruinée par le torrent des laves qui sont sorties du pied de ces nouvelles montagnes, lors- qu'elles se sont formées. En montant de Catane à Ni- colosi, on parcourt douze milles de chemin dans un terrain formé d'anciennes laves, et dans lequel on voit des bouches de volcans éteints, qui sont à pré- sent des terres couvertes de blé, de vignobles, et de vergers. Les laves qui forment cette région provien- nent de l'éruption de ces petites montagnes qui sont répandues partout sur les flancs de l'Etna : elles sont toutes sans exception d'une figure régulière, soit hé- iiiisphéTique , soit C(^Hiique : chaque éruplion crée or- .ij'6 THÉORIE DE LA TERRE. dinairement une de ces montagnes. Ainsi l'action des feux souterrains ne s'élève pas toujours jusqu'au som- met de l'Etna; souvent ils ont éclaté sur la croupe, et, pour ainsi dire, jusqu'au pied de cette montagne ardente. Ordinairement chacune de ces éruptions du flanc de l'Etna produit une montagne nouvelle , com- posée des rochers , des pierres , et des cendres lancées par la force du feu; et le volume de ces montagnes nouvelles est plus ou moins énorme, à proportion du temps qu'a duré l'éruption : si elie se fait en peu de jours, elle ne produit qu'une colline d'environ une lieue de circonférence à la base, sur trois ou quatre cents pieds de hauteur perpendiculaire; mais si l'érup- tion a duré quelques mois, comme celle de ) 669, elle produit alors une montagne considérable de deux ou trois lieues de circonférence sur neuf cents ou mille pieds d'élévation ; et toutes ces collines enfantées par l'Etna, qui a douze mille pieds de hauteur, ne parois- sent être que de petites éminences faites pour accom- pagner la majesté de la mère-montagne. Dans le Vésuve, qui n'est qu'un très petit volcan en comparaison de l'Etna, les éruptions des flancs de la montagne sont rares, et les laves sortent ordinaire- ment du cratère qui est au sommet; au lieu que dans l'Etna les éruptions se sont faites bien plus souvent par les flancs de la montagne que par son sommet, et les laves sont sorties de chacune de ces montagnes for- mées par des éruptions sur les côtés de l'Etna. M. Bry- done dit, d'après M. Recupero, que les masses de pierres lancées par l'Etna s'élèvent si haut , qu'elles emploient vingt-une secondes de temps à descendre et icloînl^er à terre, tandis que celles du Yésuve tom- ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 0.)C) bent en neuf secondes ; ce qui donne douze cent quinze pieds pour la hauteur à laquelle s'élèvent les pierres lancées par le Vésuve, et six mille six cent quinze pieds pour la hauteur à laquelle montent celles qui sont lancées par l'Etna; d'où l'on pourroit con- clure, si les observations sont justes, que la force de l'Etna est à celle du Vésuve comme 441 sont à 81, c'est-à-dire cinq à six fois plus grande. Et ce qui prouve d'une manière démonstrative que le Vésuve n'est qu'un très foible volcan en comparaison de l'Etna, c'est que celui-ci paroît avoir enfanté d'autres volcans plus grands que le Vésuve. « Assez près de la caverne des Chèvres^ dit M. Brydone, on voit deux des plus belles montagnes qu'ait enfantées l'Etna; chacun des cratères de ces deux montagnes est beaucoup plus large que celui du Vésuve : ils sont à présent rem- plis par des forêts de chênes, et revêtus jusqu'à une grande profondeur d'un sol très fertile; le fond du sol est composé de laves daus cette région comme dans toutes les autres, depuis le pied de la montagne jusqu'au sommet. La montagne conique qui forme le sommet de l'Etna et contient son cratère a plus de trois lieues de circonférence; elle est extrêmement rapide, et couverte de neige et de glace en tout temps. Ce grand cratère a plus d'une lieue de circonférence en dedans, et il forme une excavation qui ressemble à un vaste amphithéâtre; il en sort des nuages de fu- mée qui ne s'élèvent point en l'air, mais roulent vers le bas de la montagne : le cratère est si chaud, qu'il est très dangereux d'y descendre. La grande bouche du volcan est près du centre du cratère; quelques uns des rochers hincés par le volcan hors de son cr.atère J[(} THEORIE DE LA TERIIE. sontd'une grandeur incroyable : leplus gros qu'ait vomi le Yi'suve est de forme ronde et a environ douze pieds de diamètre; ceux de l'Etna sont bien plus considé- rables, et proportionnés à la différence qui se trouve entre les deux volcans. » Comme toute la partie qui environne le sommet de l'Etna présente un terrain égal , sans collines ni vallées jusqu'à plus de deux lieues de distance en descendant , et qu'on y voit encore aujourd'bui les ruines de la tour du philosophe Empédocle, qui vivoit quatre cents ans avant l'ère chrétienne, il y a toute apparence que depuis ce temps le grand cratère du sommet de l'Etna n'a fait que peu ou point d'éruptions; la force du feu a donc diminué, puisqu'il n'agit plus avec violence au sommet et que toutes les éruptions modernes se sont faites dans les régions plus basses de la montagne. Cependant, de- puis quelques siècles, les dimensions de ce grand cra- tère du sommet de l'Etna ont souvent changé : on le voit par les mesures qu'en ont données les auteurs si- ciliens en différents temps. Quelquefois il s'est écroulé, ensuite il s'est reformé en s'élevant peu à peu jusqu'à ce qu'il s'écroulât de nouveau. Le premier de ces écrou- lements, bien constaté, est arrivé en i 167, un second en 1029, un troisième en i474' ^^ ^^ dernier en 1669. Mais je ne crois pas qu'on doive en conclure avec M. Brydone, que dans peu le cratère s'écroulera de nouveau; l'opinion que cet effet doit arriver tous les cent ans ne me paroît pas assez fondée, et je serois au contraire très porté à présumer que le feu n'agissant plus avec la même violence au sommet de ce volcan, ses forces ont diminué et continueront à s'affoiblir à ure que la mer s'éloignera davantage : il l'a déjà m< ART. XVI. VOLCAIN'S KT TaUMBLEMENl^ DE TERRE. v>4 • fait reculer de plusieurs milles par ses propres forces, il en a construit les clignes et les côtes par ses torrents Je laves; et d'ailleurs, on sait, par la diminution delà rapidité du Charybde et du Scylla, et par plusieurs autres indices, que la mer de Sicile a considérablement baissé depuis deux mille cinq cenfs ans : ainsi l'on ne peut guère douter qu'elle ne continue à s'abaisser, et que par conséquent l'action des volcans voisins ne se ralentisse, en sorte que le cratère de l'Etna pourra rester très long-temps dans son état actuel, et que, s'il vient à retomber dans ce gouflVe, ce sera peut- être pour la dernière fois. Je crois encore pouvoir pré- sumer que quoique l'Etna doive être regardé comme une des montagnes primitives du globe, à cause de sa hauteur et de son immense volume, et que très an- ciennement il ait commencé d'agir dans le temps de ia retraite générale des eaux, son action a néanmoins cessé après cette retraite, et qu'elle ne s'est renouvelée que dans des temps assez modernes, c'est-à-dire lorsque la mer Méditerranée, s'étant élevée par la rupture du Bosphore et de Gibraltar, a inondé les terres entre la Sicile et l'Italie, et s'est approchée de la base de l'Etna. Peut-être la première des éruptions nouvelles de ce fameux volcan est elle encore postérieure à cette épo- que de la nature. « 11 me paroît évident, dit M. Bry- done, que l'Etna ne brùloit pas au siècle d'Homère, ni même long-temps auparavant; autrement il seroit impossible que ce poète eût tant parlé de la Sicile sans faire mention d'un objet si remarquable. » Cette ré- flexion de M. Brydone est très juste ; ainsi ce n'est qu'a- près le siècle d'Homère qu'on doit dater les nouvel- les éruptions de l'Etna : mais on peut voir, par les lUFî-ON. JI. 22 v> -i 2 TU i'I O ï\ l E D i: h A 1 L l\ i\ V. . . ta])leai«x poétiques de l^iiuhue, de Viraile. et par les descriplioiis des auteurs anciens et modernes, com- bien en dix-huit ou dix-neiit cents ans la face entière de cette montagne et des contrées adjacentes a subi de changements et îFaltérahons par les tremblemenis de terre, pai' les éruptions, par les torrents de laves, et eniiu par la formation de !a plupart des collines et des gouffres produits par tous ces mouvements. Au leste, j'ai tiré les faits (pie je viens de rapporter de l'excellent ouvrage de M. Brydone, et j'estime assez l'auteur pour croire cru'i! ne trouvera pas mauvais que je ne sois pas de son avis sur la puissance de l'aspira- tion des volcans et sur quehjues autres conséquences qu'il acru devoir tirer des laits; personne, avant M. Brv- done . ne les avoit si bien ol)servés et si clairemeiU présentés, et tous les savants doivent se réunir pour donner à son ouvrage tous les éloges qu'il mérite. Les torrents de verre en fusion, auxquels on a donné le nom de laveSy ne sont pas, comme on pourroit le croire, le premier produit de l'éruption d'un volcan : ces éruptions s'annonc(nt ordinairement par un trem- blement de terre plus ou moins violent , premier efl'et de l'effort du fca qui cherche à sortir et à s'échapper au dehors; bientôt il s'échappe en effet, et s'ouvre une route dont il élargit l'issue, en projetant au de- hors les rochers et toutes les terres qui s'opposoient à son passage; ces matéiiaux, lancés à une grande dis- tance, retombent les uns sur les autres, et forment une éminence plus ou moins considérable, à proportion de la durée et de la violence de l'éruption, (^omme toutes les terres rejetées sont pénétrées de feu , et la plupart converties en cendres ardentes, l'éminence qiïi en est ART. XVI. V0L(:A^8 ET TUEMBLE-MENTS DE TERRE. o[\7y composée est une moatagne de feu solide, daus la- quelle s'achève la vitrification d'une grande partie de la matière par le fondant des cendres; dès lors cette matière fondue fait eflbrl pour s'écouler, et la lave éclate et jaillit ordinairement au pied de la nouvelle montagne qui vient de la produire : mais dans les pe- tits volcans, qui n'ont pas assez de force pour lancer au loiu les matières qu'ils rejettent, la lave sort du haut de la montagne. On voit cet effet dans les érup- tions du Vésuve : la lave semble s'élever jusque dans le cratère; le volcan vomil auparavant des pierres et des cendres qui, retombant à-plomb sur l'ancien cra- tère, ne font que l'augmenter; et c'est à travers cette matière additionnelle nouvellement tombée que la lave s'ouvre une issue. Ces deux effets, quoique diffé- rents en apparence, sont néanmoins les mêmes: car, dans un petit volcan qui, comme le Vésuve, n'a pas assez de puissance pour enfanter de nouvelles monta- gnes en projetant au loin les matières qu'il rejette, toutes tombent sur le sommet; elles en angmentent la hauteur, et c'est au pied de cette nouvelle couronne de matière que la lave s'ouvre un passage pour s'écou- ler. Ce dernier effort est ordinairement suivi du calme du volcan ; les secousses de la terre au dedans, les pro- jections au dehors, cessent dès que la lave coule :mais les torrents de ce verre en fusion produisent des effets encore plus étendus, plus désastreux, que ceux du mouvement de la montagne dans son éruption; ces fleuves de feu ravagent, détruisent, et même dénatu- rent la surface de la terre. Il est comme impossible de leur opposer une digue; les malheureux habitants de Catane en ont fait la triste expérience : comme leur 544 THÉOKIE DE LA TERRE. ville avoit souvent ét(' détruite en total ou en partie par les lorients de lave, ils ont construit de 1res fortes murailles de cinquanle-cinq pieds de hauteur; envi- ronnés de ces remparts, ils se croyoient en sûreté : les murailles résistèrent en effet au feu et au poids du torrent, mais cette résistance ne servit qu'à le gonfler; il s'éleva jusqu'au dessus de ces remparts, retomba sur la ville, et détruisit tout ce qui se trouva sur son passap;e. (^es torrents de lave ont souvent une demi-lieue et quelquefois jusqu'à deux lieues de largeui". « La dernière lave que nous avons traversée, dit M. ^ny- done, avant d'arriver à Catane, est d'une si vaste éten- due, que je croyois qu'elle ne finiroit jamais; elle n'a certainement pas moins de six ou sept mi!l(\s de îaige, et elle paroit être en plusieurs endroits d'tm profon- deur énorme : elle a chassé en arrière les eaux de la mer a plus d'un mille, et a formé un large promon- toire élevé et noir, devant lequel il y a beaucoup d'eau. Celte lave est stérile et n'est couverte que de très peu de terreau : cependant elle est ancienne; car au rap- port de Diodore de Sicile, cette même lave a été vo- mie par l'Etna au temps de la seconde guerre puni- que : lorsque Syracuse étoit assiégée par les Romains, les habitants de Taurominimi envoyèrent un détache- ment pour secourir les assiégés; les soldats furent ar- rêtés dans leur ujarche par ce torrent de lave qui avoit déjà gagné la mer avant leur arrivée au pied de la montagne; il leur coupa entièrement le passage. Ce fait, confirmé par d'autres auteurs et même par des inscriptions et des monuments, s'est passé il y a deux mille ans; et cependant cette lave n'est encore Ar>T. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TEiinE. 3zj'> couverte que de quelques végétuiix parsemés, et e!!e est absolument incapable de produire du blé et des vins; il y a seulement quelques gros arbres dans les crevasses qui sont remplies d'un bon terreau. La sur- face des laves devient avec le temps un sol très fertile. » En allant en Piémont , continue M. Brydone, nous passâmes sur un large pont construit entièremeut de lave. Près de là, la rivière se plonge à travers mie au- tre lave, qui est très remarquable et probablement une des plus anciennes qui soient sorties de l'Etna; le courant, qui est extrêmement rapide, l'a rongée en plusieurs endroits jusqu'à la profondeur de cinquante ou soixante pieds; et selon M. Recupero, son cours occupe une longueur d'environ quarante milles : elle est sortie d'une éminence très considérable sur la côte septentrionale de l'Etna; et comme elle a trouvé quel- ques vallées qui sont à l'est, elle a pris son cours de ce côté; elle interrompt la rivière d'Alcantara à diver- ses reprises, et enfin elle arrive à la mer près de l'em- bouchure de cette rivière. La ville de Jaci et toutes celles de cette côte sont fondées sur des rochers im- menses de laves, entassés les uns sur les autres, et qui sont en quelques endroits d'une hauteur surprenante; car il paroît que ces torrents enflammés se durcissent en rochers dès qu'ils sont arrivés à la mer... De Jaci à Catane on ne marche que sur la lave; elle a formé toute cette côte, et, en beaucoup d'endroits, les tor- rents de lave ont repoussé la iner à plusieurs milles en arrière de ses anciennes limites... A Catane, près d'une voûte qui est àprésent à trente pieds de profondeur, on voit un endroit escarpé où l'on distingue plusieurs cou- ches de lave, avec une de terre très épaisse sur la siu:- 546 TUÉOUIi': DE LA TKUUE. face de cliacime : s'il faut deux mille ans pour former sur la lave une légère couche de terre, il a du s'écou- ler un temps plus considérable entre chacune des éruptions qui ont donné naissance à ces couches. On a percé à travers sept laves séparées, placées les unes sur les autres, et dont la plupart sont couvertes d'un Ht épais de bon terreau ; ainsi la plus basse de ces couches paroît s'être formée il y a quatorze mille ans... En 1669, la lave forma un promontoire àCatane, dans un endroit où il y avoit plus de cinquante pieds de profondeur d'eau, et ce promontoire est élevé de cin- quante autres pieds au dessus du niveau actuel de la mer. Ce torrent de lave sortit au dessous deMontpe- lieri, vint frapper contre cette montagne, se partagea ensuite en deux branches, et ravagea tout le pays qui est entre Montpelieri et Catane, dont elle escalada les murailles, avant de se verser dans la mer; elle forma plusieurs collines où il y avoit autrefois des vallées, et combla un lac étendu et profond dont on n'aperçoit pas aujourd'hui le moindre vestige La côte de Ca- tane à Syracuse est partout éloignée de trente milles au moins du sommet de l'Etna; et néanmoins cette côte, dans une longueur de près de dix lieues, est formée des laves de ce volcan : la mer a été repoussée fort loin, en laissant des rochers élevés et des promontoires de laves qui défient la fureur des flots, et leur présentent des limites qu'ils ne peuvent franchir. Il y avoit , dans le siècle de Virgile, un beau port au pied de l'Etna; il n'en reste aucun vestige aujourd'hui : c'est proba- blement celui qu'on a appelé mal à propos le port d'U- lysse. On montre aujourd'hui le lieu de ce port à trois (iu quatre milles dans l'intérieur du pays : ainsi la lavi^ ART. XVI. VOICAINS ET TREMBLEMEN i.S DE TERUE. J^j? a "aiiiié loule celte éleiidue sur la nier, et a foriiié Ions ces nouveaux terrains... L'étendue de cette çon- lr»'e couverte de laves et d'autres matières brûlées est, selon M. Recupero, de ceilt quatre-vingt-trois milles en circonférence, et ce cercle augmente encore à cha- que grande éruption. » Voilà donc une terre d'environ trois cenls lieues siiperlicielles toute couverte ou l'ormée par les pro- jections des volcans, dans laquelle, indépendamment du pic de l'Etna, l'on trouve d'autres montagnes en grand nombre, qui toutes ont leurs cralères propres et nous démontrent autant de volcans particuliers : il ne faut donc pas regarder l'Etna comme un seul vol- can . mais comme un assemblage, une gerbe de vol- cans, dont la. plupart sont éteints ou brûlent d'un feu tranquille, et quelques autres, en petit nombre, agis- sent encore avec violence. Le haut sommet de l'Etna ne jette maintenant que des fumées, et, depuis très long-temps, il n'a fait aucune projection au loin , puis- qu'il est partout environné d'un terrain sans inégalités à plus de deux lieues de distance, et qu'au dessous de cette baute région couverte de neige on voit une large zone de grandes forèls, dont le sol estune bonne terre de plusieurs pieds d'épaisseur. Cette zone infé- rieure est, à la vérité, semée d'inégalités, et présente des éminences, des vallons, des collines, et même d'assez grosses montagnes : mais, comme presque tou- tes ces inégalités sont couvertes d'une grande épaisseur de terre, et qu'il faut une longue succession de temps pour que les matières volcanisées se convertissent en terre végétale, il me paroît qu'on peut regarder ie sommet de l'Etna et les autres bouches à feu qui l'eiir 3/|8 THÉORIIi DE L/V TEllKE. viionnoient jusqu'à quatre ou cinq lieues au dessous comme des volcans presque éteints, ou du moins as- soupis depuis nombre de siècles; car les éruptions dont on peut citer les dates depuis deux mille cinq cents ans se sont faites dans la région plus basse, c'est- à-dire à cinq, six, et sept lieues de distance du som- met. Il me paroît donc qu'il y a eu deux âges diffé- rents pour les volcans de la Sicile : le premier très ancien, où le sommet de l'Etna a commencé d'agir, lorsque la mer universelle a laissé ce sommet à décou- vert et s'est abaissée à quelques centaines de toises au dessous; c'est dès lors que se sont faites les pre- mières éruptions qui ont produit les laves du sommet et formé les collines cjui se trouvent au dessous dans la région des forêts : mais ensuite les eaux, ayant con- tinué de baisser, ont totalement abandonné cette mon- tagne, ainsi que toutes les terres de la Sicile et des continents adjacents; et, après cette entière retraite des eaux, la Méditerranée n'étoit qu'un lac d'assez médiocre étendue, et ses eaux étoient très éloignées de la Sicile et de toutes les contrées dont elle baigne aujourd'hui les côtes. Pendant tout ce temp.s, qui a duré plusieurs milliers d'années, la Sicile a été tran- quille, l'Etna et les autres anciens volcans qui envi- ronnent son sommet ont cessé d'agir; et ce n'est qu'a- près l'augmentation de la Méditerranée par les eaux de l'Océan et de la mer Noire, c'est-à-dire après la rup- ture de Gibraltar et du Bosphore, que les eaux sont venues attaquer de nouveau les montagnes de l'Etna par leur base , et qu'elles ont produit les éruptions modernes et récentes, depuis le siècle de Pindare jvîsqu'à ce jour; cnr ce poète est îe premier qui ait AIIT. \VI. VOLCA.NS ET TULMULLMEMS i)li TEIIRE. ^^4'.) parlé des éruptions des volcans de la Sicile. Il en est de même du Vésuve : il a fait long-lemps partie des volcans éteints de l'Italie, qui sont en très grand nom- bre ; et ce n'est qu'après l'augmentation de la mer Mé- diterranée que, les eaux s'en étant rapprochées, ses éruptions se sont renouvelées. La mémoire des pre- mières, et même de toutes celles qui avoient précédé le siècle de Pline, étoit entièrement oblitérée ; et l'an ne doit pas en être surpris, puisqu'il s'est passé peut- être plus de dix mille ans depuis la retraite entière des mers jusqu'à l'augmentation de la Méditerranée, et qu'il y a ce même intervalle de temps entre la pre- mière action du Vésuve et son renouvellement. Toutes ces considérations semblent prouver que les feux sou- terrains ne peuvent agir avec violence que quanti ils sont assez voisins des mers pour éprouver un choc contre un grand volume d'eau : quelques autres phéno- mènes particuliers paroissent encore démontrer cette vérité. On a vu quelquefois les volcans rejeter une grande quantité d'eau, et aussi des torrents de bilume. Le P. de La Torve^ très habile physicien, rapporte que, le lo mars i 766, il sortit du pied de la montagne de l'Etna un large torrent d'eau qui inonda les cam- pagnes d'alentour. Ce torrent rouloit une quantité de sable si considérable, qu'elle remplit une plaine très étendue. Ces eaux étoient fort chaudes. Les pierres et les sables laissés dans la campagne ne difteroient en rien des pierres et du sable qu'on trouve dans la mer. Ce torrent d'eau fut immédiatement suivi d'un torrent de matière enflammée, qui sortit de la même ouver- ture. Cette même éruption de 1 ^55 s'annonça, dit M. d'Ar- >;.)0 r il lî O R I !•: DE LtV TE II II E. tlienay, par un si grand embrasement, qu'ii éc!airoit plus de vingt-quatre milles de pays du côlo de Ca- tane; les explosions furent bientôt si fréquentes, que, dès le 5 mars, on apercevoit une nouvelle montai^ne au dessus du sommet de l'ancienne, de la même manière que nous l'avons vu au Yèsiive dans ces der- niers tenq^s. Enfin les jurats de Mascali ont mandé le 12, que le 9 du même mois les explosions devinrent terribles; que la fumée augmenta à tel point que tout le ciel en fut obscurci; qu'à l'entrée de la nuit il com- mença à pleuvoir un déluge de petites pierres, pesant jusqu'à trois onces, dont tous le pays et les canlons circonvoisins furent inondés; qu'à cette pluie affreuse, qui dura plus de cinq quarts d'heure, en succéda une autre de cendres noires, qui continua toute la nuit; que le lendemain, sur les huit heures du matin , le sommet de l'Etna vomit un fleuve d'eau comparable au iNil ; que les anciennes laves les plus impraticables parleurs montuosités, leurs coupures, et leurs poin- tes, furent en un clin d'œil converties par ce torrent en une vaste plaine de sable; que l'eau, qui heureuse- ment n'avoit coulé quependant un demi-quart d'heure, étoit très chaude ; que les pierres et les sables qu'elle avoit charriés avec elle ne différoient en rien des pier- res et du sable de la mer; qu'après l'inondation il étoit sorti de la même bouche un petit ruisseau de feu qui coula pendant vingt-quatre heures; que le 11, à un mille environ au dessous de cette bouche , il se fit une crevasse par où débouchaune lave qu i pouvoit avoir cent toises de largeur et deux milles d'étendue, et qu'elle continuoit son cours au travers de la campagne le jour même que M. d'Arthenay écrivoit cette relation. ART. XVI. VOLCANS ET TRE MBLEME?^TS DE TErj\E. v) J 1 Voici ce que dit M. Brydone, cUi sujet de cette éruptioQ : « Une partie des belles forets qui compo- sent la seconde région de l'Etna fut détruite en 1^57) par nn très singulier pjiénomène. Pendant une érup- tion du volcan, un immense torrent d'eau bouillante sortit, à ce qu'on unaglnc^ du grand cratère de !a montagne, en se répandant en un instant sur sa base, CQ renversant et détruisant tout ce qu'il rencontra dans sa course. Les traces de ce torrent étoient encore visibles (en ly^o). Le terrain commençoit à recou- vrer sa verdure et sa végétation, qui ont paru quelque temps avoir été anéanties. Le sillon que ce torrent d'eau a laissé semble avoir environ un mille et demi de largeur, et davantage en quelques endroits. Les gens éclairés du pays croient communément que le volcan a quelque communication avec la mer, et qu'il éleva cette eau par une force de succion. Mais, dit M. Brydone, l'absurdité de cette opinion est trop évi- dente pour avoir besoin d'être réfutée; la force de succion seule, même en supposant un vide parfait, ne pourroit jamais élever l'eau à plus de trente-trois ou trente-quatre pieds, ce qui est égal au poids d'une colonne d'air dans toute la hauteur de l'atmosphère. « Je dois observer que M. Brydone me par oit se trom- per ici , puisqu'il confond la force du poids de l'atmos- phère avec la force de succion produite par l'action du feu. Celle de l'air, lorsqu'on fait le vide, est en effet limitée à moins de trente-qualre pieds ; mais la force de succion ou d'aspiration du feu n'a point de bornes; elle est, dans tous les cas, proportionnelle à l'activité et à la quantité de la chaleur qui l'a produite, comme on le voit dans les fourneaux où Ton adapte des fuvaux v).)!2 TilEOniE DE LA TEUnE. aspiratoiros. Ainsi l'opinion des gens éclairés du paySj, loin d'être a])si]rde, me paroît bien fondée : il est né- cessaire que les cavités des volcans communiquent avec la mer; sans cela ils ne pourroient vomir ces im- menses torrents d'eau, ni même faire aucune érup- tion, puisque aucune puissance, à l'exception de l'eau choquée contre le feu, ne peut produire d'aussi vio- lents effets. Lé volcan Pacayita, nommé volcan de l'eau par les Espagnols, jette des torrents d'eau dans toutes ses éruptions; la dernière détruisit, en 1773, la ville de Guatimala, et les torrents d'eau et de laves descendi- rent jusqu'à la mer du Sud. On a observé sur le Yésuve, qu'il vient de la mer un vent qui pénètre dans la montagne : le bruit qui se fait entendre dans certaines cavités, comme s'il pas- soit quelque torrent par dessous, cesse aussitôt que les vents de terre soufflent; et on s'aperçoit en même tenqDs que les exhalaisons de la bouche du Vésuve de- viennent beaucoup moins considérables; au lieu que lorsque le vent vient de la mer, ce bruit semblable à un torrent recommence, ainsi que le^s exhalaisons de flamme et de fumée, les eaux de la mer s'insinuant aussi dans la montagne, tantôt en grande, tantôt en petite quantité ; et il est arrivé plusieurs fois à ce vol- can de rendre en même temps de la cendre et de l'eau. Un savant, qui a comparé l'état moderne du Vésuve avec son état actuel, rapporte que, pendant l'intervalle qui précéda l'éruption de i65i. l'espèce d'entonnoir (jue forme l'intérieur du Vésuve sV'toit revêtu d'arbrey. et de verdure; que la petite plaine qui le terminoi'., ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERF.E. J J>; rioit abondaiîle en excellents pâturages; qu'en partant (îu bord supérieur du gouffre, on avoit un mille à des- cendre pour arriver à cette plaine, et qu'elle avoit, vers son milieu , un autre gouffre dans lequel on descendoit é-ialement pendant un mille, par des chemins étroits et tortueux, qui conduisoient dans un espace plus vaste, entouré de cavernes, d'où il sortoit des vents si impétueux et si froids^ qu'il était impossible d'y résister. Suivant le même observateur, la sommité du Vésuve avoit alors cinq milles de circonférence. Après cela, on ne doit point être étonné que quelques physiciens aient avancé que ce qui sem])le former aujourd'hui deux montagnes n'en étoit qu'une autrefois; que le volcan étoit au centre ; mais que le coté méridional s'étant éboulé par l'effet de quelque éruption , il avoit formé ce vallon , qui sépare le Vésuve du mont Somma. M. Steller observe que les volcans de l'Asie septen- trionale sont presque toujours isolés, qu'ils ont à peu près la même croûte ou. surface, et qu'on trouve tou- jours des lacs sur le sommet et des eaux chaudes au pied des montagnes où les volcans se sont éteints. « C'est, dit-il , une nouvelle preuve de la correspon- dance que la nature a mise entre la mer, les monta- gnes , les volcans , et les eaux chaudes. On trouve nom- bre de ces eaux chaudes dans différents endroits de Ramtschatka. L'île de Sjanw, à quarante lieues de Ter- nate, a un volcan dont on voit souvent sortir de l'eau, des cendres, etc. Mais il est inutile d'accumuler ici des faits en plus grand nombre pour prouver la communica- tion des volcans avec la mer : la violence de leurs érup- tions seroit seule suffisante pour le faire présumer; et le fait général de la situation près de la mer de tous les voi- JJi THÉORIE DE LA TE RUE. cans acUiellement agissants achève de le démontrer. Cependant, comme qnelques physiciens ont nié la réa- lilé et même lapossibihté de cette communication des volcans à la mer, je ne dois pas laisser écliapper un fait que nous devons à feu M. de LaCondamine, homme aussi véridique qu'éclairé. 11 dit « qu'étant monté au sommet du Vésuve, le 4 juin i^ob, et même sur les bordsde l'entonnoir qui s'est formé autour delabouche du volcan depuis sa dernière explosion, il aperçut dans le gouffre, à environ quarante toises de profondeur , une grande cavité en voûte vers le nord de la montagne : il fit jeter de grosses pierres dans cette cavité, et il compta à sa montre douze secondes avant qu'on ces- sât de les entendre rouler; à la lin de leur chute, on crut entendre un bruit semblable à celui que feroit une j>ierre en tombant dans un bourbier; et quand on n'y jeîoit rien, on entendoit un bruit sembla])le à cehii des Ilots agités. » Si la chute de ces pierres jetées dans le gouffre s'étoit faite perpendiculairement etsansobs- tacles, on pourroit conclure des douze secondes de temps une profondeur de deux mille cent soixante pieds, ce qui donneroit au gouffre duYésuve plus de profondeur que le niveau de la mer; car, selon le P. de La TorrCjy cette montagne n'avoit, en 1755, que seize cent soixante-dix-sept pieds d'élévation au dessus de la surface de la mer; et cette élévation est encore di- minuée depuis ce temps. 11 parolt donc hors de doute que les cavernes de ce volcan descendent au dessous du niveau de la mer, et que par conséquent il peut avoir communication avec elle. J'ai reçu d'un témoin oculaire et bon observateur wnv nv>\c bien faite et détaillée sur l'état duYésuve, le ART. XVI. VOLCANS ET TREMr>LEMENTS DE TERIlE. .;,).) 1 . ) juillet de celte même année 1155 : je vais la rap- porter, comme pouvant servir à fixer les idées sur ce ([lie l'on doit présumer et craindre des effets de ce volcan, dont la puissance me paroît être bien affoiblie. « Rendu au pied du Vésuve, distant de jNaples de deux lieues, on monte pendant une lieure et demie sur des ânes, et l'on en emploie autant pour faire le reste du chemin à pied; c'en est la parlie la plus es- carpée et la plus fatigante ; on se tient à la ceinture de deux liommes qui précédent, et l'on marche dans les cendres et dans les pierres anciennement élancées. «Chemin faisant, on voit les laves des différentes éruptions : la plus ancienne qu'on trouve, dont l'âge est incertain, mais à qui la tradition donne deux cents ans, est de couleur gris de fer, et a toutes les appa- rences d'une pierre; elle s'emploie actuellement pour le pavé de Naples et pour certains ouvrages de ma- çonnerie. On en trouve d'autres, qu'on dit être de soixante, de quarante et de vingt ans; la dernière est de l'année 1^52... Ces différentes laves, à l'excepti^jn de la plus ancienne, ont de loin l'apparence d'une terre brune, noirâtre, raboteuse, plusou moins fraîche- ment labourée. Vue de près, c'est une matière absolu- ment semblable à celle qui reste du fer épuré dans les fonderies; elle est plus ou moins composée de terre et de minéral ferrugineux, et approche plus ou moins de la pierre. » Arrivé à la cime qui, avant les éruptions, étoit so- lide, on trouve un premier bassin, dont la circonfé- rence, dit-on, a deux milles d'Italie, et dont la pro- fondeur paroît avoir quarante pieds, entouré d'une croûte de terre de cette même hauteur, qui va en s'é- T) .") { ) T II É o n I F, n T' F. A T î: n n y, . paississant vers sa base, et dont le bord supérieur a deux pieds de largeur. Le fond de ce premier bassin est couvert d'une matière jaune, verdâtre, sulfureuse, durcie, et chaude, sans être ardente, qui , par diffé- rentes crevasses, laisse sortir de la fumée. » Dans le milieu de ce premier bassin, on en voit un second, qui a moitié de la circonférence du prenîier, et pareillement la moitié de sa profondeur; son fond est couvert d'une matière brune, noirâtre, telle que les laves les plus fraîches qui se trouvent sur la route. «Dans ce second bassin s'élève un monticule creux dans son intérieur, ouvert dans sa cime, et pareille- ment ouvert depuis sa cime jusqu'à sa base, vers le côté de la montagne où l'on monte. Cette ouvertiue latérale peut avoir à la cime vingt pieds, et à la base quatre pieds de largeur. La hauteur du monticule est environ de quarante pieds; le diamètre de sa base peut en avoir autant, et celui de l'ouverture de sa cime la moitié. )) Cette base, élevée au dessus du second bassin d'en viron vingt pieds, forme un troisième bassin actuclkv ment rempli d'une matière liquide et ardente, dont le coup d'œil est entièrement semblable au métal fondu qu'on voit dans les fourneaux d'une fonderie. Cette Hialière bouillonne continuellement avec violence ; son mouvement a l'apparence d'un lac médiocrementagité, et le bruit qu'il produit est semblable à celui des va- gues. » De minute en minute, il se fait de cette matière des élans comme ceux d'un gros jet d'eau ou de plu- sieurs jets d'eau réunis ensemble. Ces élans produi- sent une 2:('rbe ardenle qui s'élève à la baulcïir de ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. ■>J7 Irente à quarante pieds, et retombe en différents arcs, partie dans son propre bassin, partie dans le tond du second bassin couverl de la matière noire : c'est la lueur réfléchie de ces jets ardents, quelque- fois peut-être l'extrémité supérieure de ces jets mê- mes, qu'on voit depuis iXaples pendant la nuit. Le bruit que font ces élans dans leur élévation et dans leur chute, paroît composé de celui que fait un feu d'artifice en partant, et de celui que produisent les vagues poussées par un vent violent contre un rocher. » Ces bouillonnements entremêlés de ces élans pro- duisent un transvasement continuel de cette matière. Par l'ouverture de quatre pieds qui se trouve à la base du monticule, on voit couler, sans discontinuer, un ruisseau ardent de la largeur de l'ouverture, qui , dans un canal incliné et avec un mouvement moyen, descend dans le second bassin, couvert de matière Moire , s'y divise en plusieurs ruisselets encore ardents , s'y arrête, et s'y éteint, » Ce ruisseau ardent est actuellement une nouvelle lave, qui ne coule que depuis huit jours; et si elle continue et augmente , elle produira avec le temps un nouveau dégorgement dans la plaine, semblable à celui qui se fit il y a deux ans : le tout est accom- pagné d'une épaisse fumée qui n'a point l'odeur du soufre, mais celle précisément que répand un four- neau où l'on cuit des tuiles. » On peut, sans aucun danger, faire le tour de la cime sur le bord de la croûte , parce que le monticule creusé d'où partent les jets ardents est assez distant des bords pour ne laisser rien à craindre ; on peut pa- reillement sans danger descendre dans le premier bas™ lilFFOiN, II. 358 TIlÉoniE DE LA TERRE. sin; on pourroit même se tenir sur les bords du se- cond , si la réverbération de la matière ardente ne J'empêchoit. » Voilà l'état actuel du Vésuve, ce i5 juillet i'j^5 : il change sans cesse de forme et d'aspect ; il ne jette actuellement point de pierres, et l'on n'en voit sortir aucune flamme^. » Cette observation semble prouver évidemment que le siège de l'embrasement de ce volcan , et peut-être de tous les autres volcans , n'est pas à une *2;rande pro- fondeur dans l'intérieur de la montagne, et qu'il n'est pas nécessaire de supposer leur foyer au niveau de la mer ou plus bas, et de faire partir de là l'explosion dans le temps des éruptions; il suffit d'admettre des cavernes et des fentes perpendiculaires au dessous, ou plutôt à côté du foyer, lesquelles servent de tuyaux d'aspiration et de ventilateurs au fourneau du volcan. M. de La Condamine, qui a eu plus qu'aucun autre physicien les occasions d'observer un grand nombre de volcans dans les Cordilières, a aussi examiné le mont Vésuve et toutes les terres adjacentes. « Au mois de juin 1755, le sommet du Vésuve for- moit, dit-il, un entonnoir ouvert dans un amas de cendres, de pierres calcaires, et de soufre, quibrûloit encore de distance en distance , qui teignoit le sol de sa couleur, et qui s'exhaloit par diverses crevasses, dans lesquelles la chaleur étoit assez grande pour en- flammer en peu de temps un bâton enfoncé à quelques pieds dans ces fentes. » Les éruptions de ce volcan sont fréquentes depuis 1. Note communiquée h M. de Buffon, et envoyée de Naples, au mois de septembre 1755. ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 359 plusieurs années; et chaque fois qu'il lance des flam- mes et vomit des matières liquides, la forme extérieure de la montagne et sa hauteur reçoivent des change- ments considérables Dans une petite plaine à mi- côte, entre la montagne de cendres et de pierres sor- ties du volcan , est une enceinte demi-circulaire de rochers escarpés de deux cents pieds de haut, qui bordent cette petite plaine du côté du nord. On peut voir d'après les soupiraux récemment ouverts dans les flancs de la montagne, les endroits par où se sont échappés, dans le temps de sa dernière éruption , les torrents de lave dont tont ce vallon est rempli. » Ce spectacle présente l'apparence de flots métal- liques refroidis et congelés; on peut s'en former une idée imparfaite en imaginant une mer d'une matière épaisse et tenace dont les vagues commenceroient à se calmer. Celte mer avoit ses îles : ce sont des masses isolées, semblables à des rochers creux et spongieux, ouverts en arcades et en grottes bizarrement percées, sous lesquelles la matière ardente et liquide s'étoit fait des dépôts ou des réservoirs qui ressembloient à des fourneaux. Ces grottes, leurs voûtes, et leurs piliers — étoient charg's de scories suspendues en forme de grappes irrégulières de toutes les couleurs et de toutes les nuances. » Toutes les montagnes ou coteaux des environs de Naplesserontvisiblement reconnus à l'examen pour des amas de matières vomies par des volcans qui n'existent plus, et dont les éruptions antérieures aux histoires ont vraisemblablement formé les ports de Naples et Pouz zol. Ces mêmes matières se reconnoissent sur toute la routederSaplesàRome,etauxportesdeRomeLiême... ,)6o THEORIE DE LA TERRE. » Tout l'inlérienr de la montagne de Frascati la chaîne de collines qui s'étend de cet endroit à Grotta- Ferrata, à Castel Gandoifo, jusqu'au lac d'Albano, la montagne de Tivoli en grande partie, celle de Capra- rola, de Yiterbe, etc., sont composées de divers lits de pierres calcinées, de cendres pures, de scories, de matières semblables au mâcbefer, à la terre cuite, à la lave proprement dite, enfin toutes pareilles à celles dont est composé le sol de Portici, et à celles qui sont sorties des flancs du Vésuve sous tant de formes diffé- rentes Il faut donc nécessairement que toute cette partie de l'Italie ait été bouleversée par des vol- cans. » Le lac d'Albano, dont les bords sont semés de matières calcinées, n'est que la bouche d'un ancien volcan, etc La chaîne des volcans d'Italie s'étend jusqu'en Sicile , et offre encore un assez grand nombre de foyers visibles sous différentes formes. En Tos- cane, les exhalaisons de Firenzuola^ les eaux therma- les de Plse; dans l'Etat ecclésiastique, celles ele Vi- terbCj de Norcia„ de Nocera^ etc. ; dans le royaume de Naples, celles d\lsclila„ la Solfatardj le Vésuve; en Sicile et dans les îles voisines de l'Etna, les volcans jde Liparij StromboUj, etc. , d'autres volcans de la même chaîne éteints ou épuisés de temps immémorial, n'ont laissé que des résidus, qui, bien qu'ils ne frappent pas toujours au premier aspect, n'en sont pas moins reconnoissables aux yeux attentifs. » Il est vraisemblable, dit M. l'abbé Mecati, que, dans les siècles passés, le royaume de Naples avoit, outre le Vésuve, plusieurs autres volcans » Le mont Vésuve, dit le P. de La Torrc^ semble ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 56 1 une partie détachée de cette chaîne de montagnes qui. sous le nom d'Apennins^ divise toute l'Italie dans sa longueur Ce volcan est composé de trois monts différents : l'un est le Vésuve proprement dit; les deux autres sont les monts Somma et à'Otajano. Ces deux derniers, placée plus occidentalement, forment une espèce de demi-cercle autour du Vésuve , avec lequel ils ont des racines communes. » Cette montagne étoit autrefois entourée de cam- pagnes fertiles, et couverte elle-même d'arbres et de verdure, excepté sa cime, qui étoit plate et stérile, et où l'on voyoit plusieurs cavernes entr'ouvertes. Elle étoit environnée de quantité de rochers qui en ren- doient l'accès difficile, et dont les pointes, qui étoient fort hautes, cachoient le vallon élevé qui se trouve entre le Vésuve et les monts Somma et d'Otajano. La cime du Vésuve, qui s'est abaissée depuis considéra- blement, se faisant alors beaucoup plus re?narquer, il n'est pas étonnant que les anciens aient cru qu'il n'a- voit qu'un sommet )) La largeur du vallon est, dans toute son étendue , de deux mille deux cent vingt pieds de Paris, et sa longueur équivaut à peu près à sa largeur il en- toure la moitié du Vésuve et il est, ainsi que tous les côtés du Vésuve, rempli de sable brûlé et de peti- tes pierres ponces. Les rochers qui s'étendent des monts Somma et d'Otajano offrent tout au plus quel- ques brins d'herbes, tandis que ces monts sont exté- rieurement couverts d'arbres et de verdure. Ces ro- chers paroissent, au premier coup d'œil, des pierres brûlées; mais, en les observant attentivement, on voit qu'ils sont, ainsi que les rochers de ces autres 562 THÉOTIIE DE LA TEBRE. montagnes, composés de lits de pierres naturelles, de terre couleur de châtaigne, de craie et de pierres blanches qui ne paroissent nullement avoir été liqué- fiées par le feu » On voit tout autour du Vésuve les ouvertures qui s'y sont faites en différents temps, et par lesquelles sortent les laves, ces torrents de matières, qui sortent quelquefois des flancs, et qui tantôt courent sur la croupe de la montagne , se répandent dans les campa- gnes, et quelquefois jusqu'à la mer, et s'endurcissent comme une pierre lorsque la matière vient à se re- froidir » A la cime du Vésuve on ne voit qu'une espèce d'ourlet ou de rebord de quatre à cinq palmes de large, qui, prolongé autour de la cime, décrit une circonfé- rence de cinq mille six cent vingt-quatre pieds de Pa- ris. On peut marcher commodément sur ce rebord. Il est tout couvert d'un sable brûlé, qui est rouge en quelques endroits, et sous lequel on trouve des pier- res partie naturelles, partie calcinées On remar- que, dans deux élévations de ce rebord, des lits de pierres naturelles, arrangées comme dans toutes les montagnes ; ce qui détruit le sentiment de ceux qui regardent le Vésuve comme une montagne qui s'est élevée peu à peu au dessus du plan du vallon » La profondeur du gouffre où la matière bouillonne est de cinq cent quarante-trois pieds : pour la hau- teur de la montagne depuis sa cime jusqu'au niveau de la mer, elle est de seize cent soixante-dix-sept pieds, qui font le tiers d'un mille d'Italie. » Cette hauteur a vraisemblablement été plus consi- dérable. Les éruptions qui ont changé la forme exté- ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 565 rieure de la montagne en ont aussi diminué l'élévation par les parties qu'elles ont détachées du sommet, et qui ont roulé dans le gouffre. » D'après tous ces exemples, si nous considérons la forme extérieure que nous présentent la Sicile et les autres terres ravagées par le feu, nous reconnoîtrons évidemment qu'il n'existe aucun volcan simple et pu- rement isolé. La surface de ces contrées offre partout une suite et quelquefois une gerbe de volcans. On vient de le voir au sujet de l'Etna, et nous pouvons en donner un second exemple dans l'Hécla. L'Islande, comme la Sicile, n'est en grande partie qu'un groupe de volcans, et nous allons le prouver par les observations. L'Islande entière ne doit être regardée que comme une vaste montagne parsemée de cavités profondes, cachant dans son sein des amas de minéraux, de ma- tières vitrifiées et bitumineuses, et s'élevant de tous côtés du milieu de la mer qui la baigne, en forme d'un cône court et écrasé. Sa surface ne présente à l'œil que des sommets de montagnes blanchis par des nei- ges et des glaces, et plus bas l'image de la confusion et du bouleversement. C'est un énorme monceau de pierres et de rochers brisés, quelquefois poreux et à demi calcinés, effrayants parla noirceur et les traces de feu qui y sont empreintes. Les fentes et les creux de ces rochers ne sont remplis que d'un sable rouge, et quelquefois noir ou blanc; mais dans les vallées que les montagnes forment entre elles, on trouve des plaines agréables. La plupart des jokiitSj, qui sont des montagnes de médiocre hauteur, quoicjue couvertes de glaces, et qui sont dominées par d'autres montagnes plus éle- 364 THÉORIE DE LA TERRE. vées, sont des volcans qui, de temps à autre, jettent des flammes , et causent des tremblements de terre ; on en compte une vingtaine dans toute l'île. Les habi- tants des environs de ces montagnes ont appris, par leurs observations, que lorsque les glaces et la neige s'élèvent aune hauteur considérable, et qu'elles ont bouché les cavités par lesquelles il est anciennement sorti des flammes, on doit s'attendre à des tremble- ments de terre, qui sont suivis immanquablement d'é- ruptions de feu. C'est par cette raison qu'à présent les Hollandois craignent que les jokuts qui jetèrent des flammes, en 1728, dans le canton de Skatfield, ne s'enflamment bientôt, la glace et la neige s'étant accu- mulées sur leur sommet, et paroissant fermer les sou- piraux qui favorisent les exhalaisons de ces feux sou- terrains. En 1721, le jokut appelé Koëtlegarij, à cinq ou six lieues à l'ouest de la mer, auprès de la baie de Port- land, s'enflamma après plusieurs secousses de trem- blement de terre. Cet incendie fondit des morceaux de glace d'une grosseur énorme, d'où se formèrent des torrents impétueux qui portèrent fort loin l'in- ondation avec la terreur, et entraînèrent jusqu'à la mer des quantités prodigieuses de terre, de sable, et de pierres. Les masses solides de glace et l'immense quantité de terre, de pierres, et de sable qu'emporta cette inondation, comblèrent tellement la mer, qu'à un demi-mille des côtes il s'en forma une petite mon- tagne qui paroissoit encore au dessus de l'eau en 1 750. On peut juger combien cette inondation amena de matières à la mer, puisqu'elle la fit remonter ou plutôt recuk^r à douze milles au delà de ses anciennes côtes. ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 565 La durée entière de cette inondation fut de trois jours, et ce ne fut qu'après ce temps qu'on put passer au pied des montagaes comme auparavant L'Hécla, que l'on a toujours regardé comme un des plus fameux volcans de l'univers à cause de ses érup- tions terribles, est aujourd'hui un des moins dange- reux de l'Islande. Les monts de Koëtlegan dont on vient de parler, et le montKrafle, ont fait récemment autant de ravages que l'Hécla en faisoit autrefois. On remarque que ce dernier volcan n'a jeté des flammes que dix fois dans l'espace de huit cents ans; savoir, dans les années 1 104, ii57, 1222, i5oo, 10415 1062, 1089, 1^58, i656, et pour la dernière fois en 1695. Cette éruption commença le i5 février, et continua jusqu'au mois d'août suivant. Tous les autres incen- dies n'ont de même duré que quelques mois. 11 faut donc observer que l'Hécla ayant fait les plus grands ravages au quatorzième siècle, à quatre reprises dif- férentes, a été tout-à-fait tranquille pendant le quin- zième , et a cessé de jeter du feu pendant cent soixante ans. Depuis cette époque il n'a fait qu'une seule érup- tion au seizième siècle, et deux au dix-septième. Ac- tuellement on n'aperçoit sur ce volcan ni feu, ni fumée, ni exhalaisons; on y trouve seulement dans quelques petits creux , ainsi que dans beaucoup d'autres endroits de l'ile, de l'eau bouillante, des pierres, du sable, et des cendres. En 1726, après quelques secousses de tremble- ments de terre, qui ne furent sensibles que dans les cantons du nord, le mont Krafle commença à vomir, avec un fracas épouvantable , de la fumée, du feu, des cendres, et des pierres. (iCtte éruption continua pen- 7)66 THKORIK DE LA TERilE. daiif ilvux Crii trois ans, sans faire aucun dommage, parce que tout retomboit sur ce volcan ou autour de sa base. En 1728, le feu s étant communiqué à quelques montagnes situées près du ivrade, elles brûlèrent pen- dant plusieurs semaines. Lorsque les luatières niiné- rales qu'elles renfermoient furent fondues, il s'en forma un ruisseau de feu qui coula fort doucement vers le sud, dans les terrains qui sont au dessous de ces montagnes. Ce ruisseau brûlant s'alla jeter dans un lac, à trois lieues du mont Kraile, avec un grand bruit, et en formant un bouillonnement et un tour- billon d'écume horrible. La lave ne cessa de couler qu'en 1 729, parce qu'alors vraisemblablement la ma- tière qui la formoit étoit épuisée. Ce lac fut rempli d'une grande quantité de pierres calcinées, qui firent considérablement élever ses eaux : il a environ vingt lieues de circuit, et il est situé à une pareille distance de la mer. Ou ne parlera pas des autres volcans d'Is- lande ; il suffit d'avoir fait remarquer les plus consi- dérables. On voit, par cette description, que rien ne res- semble plus aux volcans secondaires de l'Etna que les jolvuts de l'Hécla ; que dans lous deux le haut som- met est tranquille; que celui du Vésuve s'est prodi- gieusement abaissé, et que probablement ceux de l'Etna et de l'Hécla étoient autrefois beaucoup plus élevés qu'ils ne le sont aujourd'hui. Quoique la topographie des volcans, dans les au- tres parties du monde , ne nous soit pas aussi bien connue que celle des volcans d'Europe , nous pouvons néanmoins juger, par analogie et par la conformité de ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 36; leurs effets, qu'ils se ressemblent à tous égards : tous sont situés dans les îles ou sur le bord des continents; presque tous sont environnés de volcans secondaires; les uns sont agissants, les autres éteints ou assoupis; et ceux-ci sont en bien plus grand nombre, même dans les Cordillères, qui paroissent être le domaine le plus ancien des volcans. Dans l'Asie méridionale, les îles de la Sonde, les Moluques, et les Philippines, ne retracent que destruction par le feu, et sont en- core pleines de volcans. Les îles du Japon en contien- nent de même un assez grand nombre : c'est le pays de l'univers qui est aussi le plus sujet aux tremblements de terre; il y a des fontaines chaudes en beaucoup d'endroits. La plupart des îles de l'Océan Lidien et de toutes les mers de ces régions orientales ne nous pré- sentent que des pics et des sommets isolés qui vomis- sent le feu, que des côtes et des rivages tranchés, restes d'anciens continents qui ne sont plus : il arrive même encore souvent aux navigateurs d'y rencontrer des parties qui s'affaissent journellement; et l'on y a vu des îles entières disparoître ou s'engloutir avec leurs volcans sous les eaux. Les mers de la Chine sont chau- des; preuve de la forte effervescence des bassins ma- ritimes en celte partie : les ouragans y sont affreux; on y remarque souvent des trombes; les tempêtes sont toujours annoncées par un bouillonnement gé- néral et sensible des eaux, et par divers météores et autres exhalaisons dont l'atmosphère se charge et se remplit. Le volcan de Ténériffe a été observé par le docteur Thomas Heberden, qui a résidé plusieurs années au bourg d'Oratava, situé au pied du pic; il trouva en y 7)6S THÉORIE DE LA TERRE. i«l!ant quelques grosses pierres dispersées de tous cô- tés à plusieurs lieues du sommet de cette montagne : les unes paroissent entières, d'autres semblent avoir été brûlées et jetées à cette distance par le volcan. En montant la montagne, il vit encore des rochers brû- lés qui étoient dispersés en assez grosses masses. « En avançant, dit-il, nous arrivâmes à la fameuse grotte de Zegds, qui est environnée de tous côtés par des masses énormes de rochers brûlés... « A un quart de lieue plus haut, nous trouvâmes une plaine sablonneuse, du milieu de laquelle s'élève une pyramide de sable ou de cendres jaunâtres, que l'on appelle le pain de sucre. Autour de sa base, on voit sans ces§e transpirer des vapeurs fuligineuses : de là jusqu'au sommet, il peut y avoir un demi-quart de lieue ; mais la montée en est très difficile par sa hau- teur escarpée et le peu d'assiette qu'on trouve dans tout ce terrain » Cependant nous parvînmes à ce que l'on appelle la Chaudière. Cette ouverture a douze ou quinze pieds de profondeur; ses côtés, se rétrécissant toujours jusqu'au fond, forment une concavité qui ressemble à un cône tronqué dont la base seroit renversée... La terre eu est fort chaude; et d'environ vingt soupiraux, comme d'autant de cheminées, s'exhale une fumée ou vapeur épaisse, dont l'odeur est très sulfureu>e. 11 semble que tout le sol soit mêlé ou poudré de soufre; ce qui lui donne une surface brillante et colorée... » On aperçoit une couleur verdâtre, mêlée d'un jaune brillant comme de l'or, presque sur toules les pierres qu'on trouve aux environs : une autre partie peu étendue de ce pain de sucre est blanche comme ABT. X\\. VOLCANS ET TREMBLEME.NTS DE TERRE. 7)6g la chaux ; et une autre , plus basse , ressemble à de Tar- gile rouge qui seroit couverte de sel. » Au milieu d'un autre rocher nous découvrîmes un trou qui n'avoit pas plus de deux pouces de dia- mètre, d'où procédoit un bruit pareil à celui d'un vo- lume considérable d'eau qui bouilliroit sur un grand feu. » Les Açores, les Canaries, les îles du cap Yert, l'île de l'Ascension, les Antilles, qui paroissent être les restes des anciens continents qui réunissoient nos con- trées à l'Amérique, ne nous offrent presque toutes que des pays brûlés ou qui brûlent encore. Les vol- cans anciennement submergés avec les contrées qui les portoient, excitent sous les eaux des tempêtes si terribles, que, dans une de ces tourmentes arrivées aux Açores, le suif des sondes se fondoit par la chaleur du fond de la mer. [Acld. Buff.) Des volcans éteints. * Le nombre des volcans éteints est sans comparai- son beaucoup plus grand que celui des volcans ac- tuellement agissants; on peut même assurer qu'il s'en trouve en très grande quantité dans presque toutes les parties de la terre. Je pourrois citer ceux que M. de La Condamine a remarqués dans les Cordilières, ceux que M. Fresnaye a observés à Saint-Domingue, dans le voisinage du Port-au-Prince, ceux du Japon et des autres îles orientales et méridionales de l'Asie , dont presque toutes les contrées habitées ont autrefois été ravagées par le feu; mais je me bornerai à donner pour exemple ceux de î'Ile-de-France et de l'île de J'-JO THEORIE DE LA TERRE. Bourbon, que quelques voyageurs instruits ont re- connus d'une manière évidente. « Le terrain de l'Ile-de-France est recouvert, dit M. l'abbé de La Caille, d'une quantité prodigieuse de pierres de toutes sortes de grosseurs, dont la couleur est cendrée noire ; une grande partie est criblée de trous : elles contiennent la plupart beaucoup de fer, et la surface de la terre est couverte de mines de ce métal; on y trouve aussi beaucoup de pierres ponces, surtout sur la côte nord de l'île , des laves ou espèces de laitier de fer, des grottes profondes, et d'autres vesti2:es manifestes de volcans éteints... » L'île de Bourbon, continue M. l'abbé de La Caille, quoique plus grande que l'Ile-de-France , n'est ce- pendant qu'une grosse montagne, qui est comme fen- due dans toute sa hauteur en trois endroits diflérents. Son sommet est couvert de bois et inhabité, et sa pente, qui s'étend jusqu'à la mer, est défrichée et cul- tivée dans les deux tiers de son contour ; le reste est recouvert de laves d'un volcan qui brûle lentement et sans bruit : il ne paroît môme un peu ardent que dans la saison des pluies... » L'île de l'Ascension est visiblement formée et brû- lée par un volcan ; elle est couverte d'une terre rouge semblable à de la brique pilée ou à de la glaise brû- lée... L'île est composée de plusieurs montagnes d'é- lévation moyenne, comme de cent à cent cinquante toises : il y en a une plus grosse qui est au sud-est de l'île, haute d'environ quatre cents toises... Son som- met est double et allongé ; mais toutes les autres sont terminées en cône assez parfait, et couvertes de terre rouge : la terre et une partie des montagnes sont jon- chées d une quantité prodigieuse de roches criblées d'une infinité de trous, de pierres calcaires et fort légifères, dont un sjrand nombre ressemble à du lai- tier; quelques unes sont recouvertes d'un vernis blanc sale , tirant sur le vert : il } a aussi beaucoup de pierres ponces. » Le célèbre Gook dit que, dans une excursion que l'on fit dans l'inlérieur de l'île d'Gtaïti, on trouva que les rocliers avoient été brûlés comme ceux de Ma- dère, et que toutes les pierres portoient des marques incQutestables du feu ; qu'on aperçoit aussi des traces de feu dans l'argile qui est sur les collines, et que l'on peut supposer qu'Otaiti et nombre d'îles voisines sont les débris d'un continent qui a été englouti par l'ex- plosion d'un feu souterrain. Philippe Carteret dit qu'une des îles de la Reine-Charlotte, située vers le 11" lo' de latitude sud, est d'une hauteur prodigieuse et d'une figure conique, et que son sommet a la forme d'un entonnoir, dont on voit sortir de la funaée, mais point de flammes; que sur le côté le plus méridional de la terre de la Nouvelle-Bretagne se trouvent trois montagnes, de l'une desquelles il sort une grosse co- lonne de fumée. L'on trouve des basaltes à l'île de Bourbon, où le volcan, quoique aÛbibli, est encore agissant; à l'Ile- de-France, où tous les feux sont éteints; à Madagas- car, où il y a des volcans agissants et d'autres éteints : mais pour ne parler que des basaltes qui se trouvent en Europe, on sait, à n'en pouvoir douter, qu'il y en a des masses considérables en Irlande, en Angleterre, en Auvergne, en Saxe sur les bords de l'Elbe, en Misnie sur la montagne de Cottener, à Marienboura:, 07 a THEOIUE DE LA TERRE. à Wcilbourg dans le comté de Nassau, à Lauterbach, à Bilstein, dans plusieurs endroits de la Hesse, dans la Lusace , dans la Bohême, etc. Ces basaltes sont les plus belles laves qu'aient produites les volcans qui sont actuellement éteints dans toutes ces contrées : mais nous nous contenterons de donner ici l'extrait des descriptions détaillées des volcans éteints qui se trouvent en France. «Les montagnes d'Auvergne, dit M. Guettard, qui ont été, à ce que je crois, autrefois des volcans sont celles de Volvic à deux lieues de Riom, du Puy- de-Dôme proche Clermont, et du mont d'Or. Le vol- can de Volvic a formé par ses laves différents lits po- sés les uns sur les autres, qui composent ainsi des masses énormes, dans lesquelles on a pratiqué des carrières qui fournissent de la pierre à plusieurs en- droits assez éloignés de Volvic. . . Ce fut à Moulins que je vis les laves pour la première fois... et étant à Vol- vic, je reconnus que la montagne n'étoit presque qu'un composé de différentes matières qui sont jetées dans les éruptions des volcans... » La figure de cette montagne est conique; sa base est formée par des rochers de granité gris blanc , ou d'une couleur de rose pâle... le reste de la montagne n'est qu'un amas de pierres ponces, noirâtres ou rou- geâtres, entassées les unes sur les autres sans ordre ni liaison Aux deux tiers de la montagne, on ren- contre des espèces de rochers irréguliers, hérissés de pointes informes contournées en tous sens, de cou- leur rouge obscur, ou d'un noir sale et mat, et d'une substance dure et solide, sans avoir de trous comme les pierres ponces Avant d'arriver au sommet, on ART. XVI. YDLCANS ET TRE.MSLE3IENTS DE TEIVRE. J'-.t trouve un trou large de quelques toises, d'une forme conique, et qui approche d'un entonnoir... La partie de la montagne qui est au nord et à l'est m'a paru n'être que de pierres ponces..- Les bancs de pierre de Yolvic suivent l'inclinaison de la montagne, et sem- blent se continuer sur cette montagne , et avoir com- jnunication avec ceux que les ravins mettent à décou- vert un peu au dessous du sommet... Ces pierres sont d'un gris de fer qui semble se charger d'une ïleuv blanche qu'on diroit en sortir comme une efïlores- cence : elles sont dures, quoique spongieuses el rem- plies de petits trous irréguliers. » La montagne du Puy-de-Dôme n'est qu'une masse de matière qui n'annonce que les effets les plus ter- ribles du feu le plus violent... Dans les endroits qui ne sont point couverts de plantes et d'arbres, on ne marche que parmi des pierres ponces, sur des quar- tiers de laves, et dans une espèce de gravier ou de sable formé par une sorte de mâchefer, et par de très petites pierres ponces mêlées de cendres... » Ces montagnes présentent plusieurs pics, qui ont tous une cavité moins large au fond qu'à l'ouverture. . . Un de ces pics, le chemin qui y conduit, et tout l'es- pace qui se trouve de là jusqu'au Puy-de-Dôme, ne .sont qu'un amas de pierres ponces; et il en est de même pour ce qui est des autres pics, qui sont au nombre de quinze ou seize, placés sur la mêine ligne du sud au nord, et qui ont tous des entonnoirs. » Le sommet du pic du mont d'Or est un rocher d'une pierre d'un blanc cendré tendre, semblable à celle du sommet des montagnes de cette terre volca- nisée ; elle est seulement un peu moins légète que Birio. II. 24 r>7 f THEORIE DE LA TERRE. celle du Puy-de-Dôme. Si je n'ai pas trouvé sur ce} le nionta<^ne des vestiges de volcan en aussi grande quan- lité qu'aux deux autres, cela vient en grande partie de ce que le mont d'Or est plus couvert, dans toute son étendue, de plantes et de bois que la montagne de Volvic et le Puy-de-Dôme... Cependant la partie sud- onest est entièrement découverte, et n'est remplie que de pierres et de rochers qui me paroissent avoir été exempts des effets du feu... » Mais la pointe du mont d'Or est un cône pareil à ceux de Volvic et du Puy-de-Dôme : à l'est de cette ]>oinle est ie pic du Capucin ^ qui affecte également la figure conique; mais la sienne n'est pas aussi régu- lière que celle des précédents : i! semble même que ce pic ait plus souffert dans sa composition ; tout y paroît plus irrégulier, plus rompu, plus brisé... îl y a encore plusieurs pics dont la base est appuyée sur le dos de la montagne ; ils sont tous dominés par le mont d'Or, dont la hauteur est de cinq cent neuf toises Le pic du mont d'Or est très roide; il finit en une pointe de quinze ou vingt pieds de large en tous sens... » Plusieurs montagnes entre Thiers et Saint-Cliau- mont ont une figure conique; ce qui me fait penser, dit M. Guettard, qu'elles pouvoient avoir brûlé Ouoique je n'aie pas été à Pontgibault, j'ai des preu- v(\s que les montagnes de ce canton sont des volcans éleints; j'en ai reçu des morceaux de laves qu'il éloit facile de reconnoître pour tels par les points jaunes et noirâtres d'une matière vitrifiée, qui est le carac- lère le plus certain d'une pierre de volcan. » Le même M. Guettard et M. Faujas ont trouvé sur la rive gauche du Rhône, et assez avant dans le pays, ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. O^ J (le très crros fraoments de basaltes en colonnes... En remontant dans le Vivarais, ils ont trouvé dans un torrent un amas prodigieux de matières de volcan, qu'ils ont suivi jusqu'à sa source : il lie leur a pas été ditïicile de reconnoître le volcan : c'est une montagne fort élevée, sur le sommet de laquelle ils ont trouvé la bouche d'environ quatre-vingts pieds de diamètre : la lave est partie visiblement du dessous de cette bou- che ; elle a coulé en grandes masses par les ravins l'espace de sept ou huit mille toises; la matière s'est amoncelée toute brûlante en certains endroits; ve- nant ensuiîe à s'y figer, elle s'est gercée et fendue dans toute sa hauteur, et a laissé toute la plaine cou- verte d'une quantité innombrable de colonnes, de- puis quinze jusqu'à trente pieds de hauteur, sur en- viron sept pouces de diamètre. «Ayant été me promener à Montferrier, dit M. Mon- tet, village éloigné de Montpellier d'une lieue... je trouvai quantité de pierres noires détachées les unes des autres, de différentes figures et grosseurs... et les ayant comparées avec d'autres qui sont certainement l'ouvrage des volcans je les trouvai de même na- ture que ces dernières : ainsi je ne doutai point que ces pierres de Montferrier ne fussent elles-mêmes une lave très dure ou une matière fondue par un vol- can éteint depuis un temps immémorial. Toute la mon- tagne de Montferrier est parsemée de ces pierres on laves; le village en est bâti en partie, et les rues en sont pavées... ('es pierres présentent, pour la plupart, à leurs surfaces, de petits trous ou de petites porosi- tés qui annoncent bien qu'elles sont formées d'une matière fondue par un volcan; on trouve cette lave o -; t) i H K o ]\ i K 1) ii 1. A r e ii w i: . répaïKiue dans loiiles les terres f|Mi avoisincnl Moiii-" terrier... » Du côté de Pézenas, Jes volcans éteints y sont en n^iand nombre... tonte la contrée en est remplie, priii- cipaiement depuis le cap d'Agde , qui est lui-meuKî i\n volcan éteint, jusqu'au pied de la masse des mon- tiignes qui commencent à cinq lieues au nord de celle côte, et sin- le penchant ou à peu de distance des- quelles sont situés les villages de Livran , Peret, Fon- tes, iSéfiez, Gabian, Faugères. On trouve, en allant du midi au nord, une espèce de cordon ou de cha- pelet fort remarquable, qui commence au cap d'Agde, et qui comprend les monts Saint-Thibery et le Causse (montagnes situées au milieu des plaines de Bressan ) ; le pic de la tour de Valros, dans le territoire de ce village ; le pic de Montredon au territoise de Tourbes, et celui de Sainte-Marthe auprès du prieuré royal de Cassan , dans le territoire de Gabian. il part encore du pied de la montagne, à la hauteur du village de Fontes, une longue et large masse qui finit au midi auprès de la grange des Prés et qui est terminée, dans la direction du levant au couchant, entre le vil- laoe de Caus et celui de ]\izas. .. Ce canton a cela de remarquable, qu'il n'est presque qu'une masse de lav-e, et qu'on observe au milieu une bouche ronde d'environ deux cents toises de diamètre, aussi recon- noissable qu'il soit possilile, qui a formé un étang qu'on a depuis desséché, au moyen d'une profonde saignée fuite entièrement dans une lave dure et for- mée par couches, ou plutôt par ondes immédiate- ment con ligués ') On Irouve, dans ces endroits, de la lave et des Ânr. XVI. voL(;A^'s et tremblements de teriie. o"--; pierres ponces ; presque toute la ville cie Pézeuas est pavée de lave ; le rocher d'Agde n'est que de la lave très dure , et toute cette ville est bâtie et pavée de cette lave, qui est très noire Presque tout le ter- ritoire de Gabian, où l'on voit la fameuse fontaine de pétrole, est parsemé de laves et de pierres ponces. ') On trouve aussi au Causse de Basan et de Saiut- riiibery une quantité considérable de basaltes qui sont ordinairement des prismes à six faces, de dix à quatorze pieds de long Ces basaltes se trouvent dans un endroit où les vestiges d'un ancien volcan sont on ne peut pas plus reconnoissables. » Les bains de Balaruc nous offrent partout les débris d'un volcan éteint ; les pierres qu'on y ren- contre ne sont que des pierres ponces de différentes » Dans tous les volcans que j'ai examinés, j'ai re- marqué que la matière ou les pierres qu'ils ont vo- mies sont sous différentes formes : les unes sont en niasse contigue , très dures et pesantes , comme le rocher d'Agde : d'autres, comme celles de Montfer- rier et la lave de Tourbes, ne sont point en masses ; ce sont des pierres détachées, d'une pesanteur et d'une dureté considérables. » ^ M. Yiilet, de l'académie de Marseille, m'a envoyé, pour le Cabinet du Roi, quelques échantillons de laves et d'autres matières trouvées dans les volcans éteints de Provence, et il m'écrit qu'à une lieue de Toulon on voit évidemment les vestiges d'un ancien volcan , et qu'étant descendu dans une ravine au pied de cet ancien volcan de la montagne d'Ollioules , il fut frappé , ■A l'aspect d'un rocher détaché du haut, de voir qu'il ô'jS THÉORIE DE LA TERRE. étoit calciné ; qu'après en avoir brisé quelques mor- ceaux , il trouva, dans l'intérieur, des parties sulfu- reuses si bien caractérisées, qu'il ne douta plus de l'ancienne existence de ces volcans éteints aujour- d'hui. M. Valmont de Bomare a observé , dans le terri- toire de Cologne , les vestiges de plusieurs volcans éteints. Je pourrois citer un très grand nombre d'autres exemples qui tous concourent à prouver que le nom- bre des volcans éteints est peut-être cent fois plus grand que celui des volcans actuellement agissants^ et l'on doit observer qu'entre ces deux états il y a , comme dans tous les autres effets de la nature, des états mitoyens, des degrés, et des nuances dont on ne peut saisir que les principaux points Par exemple, les solfatares ne sont ni des volcans agissants, ni des volcans éteints, et semblent participer des deux. Per- sonne ne les a mieux décrites qu'un de nos savants académiciens, M. Fougeroux de Bondaroy, et je vais rapporter ici ses principales observations. « La solfatare située à quatre milles de Naples à l'ouest, et à deux milles de la mer, est fermée par des montagnes qui l'entourent de tous côtés. Il faut monter pendant environ une demi-heure avant que d'y arriver. L'espace compris entre les montagnes forme un bassin d'environ douze cents pieds de longueur sur huit cents pieds de largeur. 11 est dans un fond par rapport à ces montagnes , sans cependant être aussi bas que le terrain qu'on a été obligé de traver- ser pour y arriver. La terre qui forme le fond de ce bassin est un sable très fin, uni, et battu; le terrain Ain. XVI. VOLCAiNS ET TR}iMBLEMIi:\T^ DE TEllUE. ,)79 est sec et aride, les plantes n'y croissent point; la couleur du sable est jaunâtre Le soufre qui s'y trouve en grande quantité , réuni avec ce sable , sert sans doute à le colorer. T) Les montagnes qui terminent la plus grande par- tie du bassin n'offrent que des rochers dépouillés de terre el de plantes ; les uns fendus , dont les parties sont bridées et calcinées, et qui tous n'offrent aucun arrangement et n'ont aucun ordre dans leur posi- tion Ils sont recouverts d'une plus ou moins grande quantité de soufre qui se sublime dans cette partie de la montagne, et dans celle du bassin qui en est proche. » Le côté opposé offre un meilleur terrain aussi n'y voit-on pas de fourneaux pareils à ceux dont nous allons parler, et qui se trouvent coniuiunéraent dans la partie que l'on vient de décrire. » Dans plusieurs endroits du fond du bassin on voii des ouvertures, des fenêtres, ou des bouches d'où il sort de la fumée accompagnée d'une chaleur qui brù- leroit vivement les mains, mais qui n'est pas assez grande pour allumer du papier )) Les endroits voisins donnent une chaleur qui se fait sentir à travers les souliers; et il s'en exhale une odeur de soufre désagréable Si l'on fait entrer dans le terrain un morceau de bois pointu , il sort aussitôt une vapeur, une fumée pareille à celle qu'exha- lent les fentes naturelles » Il se sublime, par les ouvertures, du soufre en petite quantité, et un sel connu sous le nom de sel ammoniac y et qui en a les caractères » On trouve sur plusieurs des pierres qui environ- 58o THÉORIE DE LA TERRE. neiit la solfatare, des filets d'alun qui y a fleuri riata- rellenjeiit Enfin on retire encore du soufre de (a solfatare Cette substance est contenue dans des pierres de couleur grisâtre, parsemées de parties bril- lantes, qui dénotent celles du soufre cristallisé entre celles de la pierre ; et ces pierres sont aussi quel- quefois chargées d'alun » En frappant du pied dans le milieu du bassin , on reconnoît aisément que le terrain en est creux en dessous. » Si l'on traverse le côté de la montagne le plus garni de fourneaux, et qu'on la descende, on trouve des laves , des pierres ponces , des écumes de vol- cans, etc. , enfin tout ce qui, par comparaison avec les matières que donne aujourd'hui le Vésuve, peut démontrer que la solfatare a formé la bouche d'un volcan » Le bassin de la solfatare a souvent changé de forme ; on peut conjecturer qu'il en prendra encore d'autres , différentes de celle qu'il offre aujourd'hui : ce terrain se mine et se creuse tous les jours; il forme maintenant une voûte qui couvre un abîme Si cette voûte venoit à s'affai^sser, il est probable que, se remplissant d'eau , elle produiroil un lac. » M. Fougeroux de Bondaroy a aussi fait plusieurs observations sur les solfatares de quelques autres en- droits de l'Italie. ft J'ai été, dit -il, jusqu'à la source d'un ruisseau que l'on passe enire Rome et Tivoli , et dont l'eau a une forte odeur de foie de soufre... elle forme deux petits lacs d'environ quarante toises dans leur pla? lïraiide étendue ART. XVI. VOLCANS Eï TllEMBLEMEMS DE TEI\UE. 38 i » L'un de ces lacs, suivant la corde que nous avons été obligés de filer , a en certains endroits jusqu'à soixante, soixante-dix, ou quatre-vingts brasses..... On voit sur ces eaux plusieurs petites îles flottantes , qui changent quelquefois de place elles sont pro- duites par des plantes réduites en une espèce de tourbe, sur lesquelles les eaux, quoique corrosives, n'ont plus de prise » J'ai trouvé la chaleur de ces eaux de 20 degrés, tandis que le thermomètre à l'air libre étoit à 18 de- grés; ainsi les observations que nous avons faites n'in- diquent qu'une très foible chaleur dans ces eaux elles exhalent une odeur fort désagréable... et celte vapeur change la couleur des végétaux et celle du cuivre. » La solfatare de Yiterbe, dit M. l'abbé Mazéas, n'a une embouchure que de trois à quatre pieds ; ses eaux bouillonnent et exhalent une odeur de foie de soufre, et pétrifient aussi leurs canaux, comme celle de Tivoli... Leur chaleur est au degré de l'eau bouil- lante , quelquefois au dessous... Des tourbillons de fumée qui s'en élèvent quelquefois, annoncent une chaleur plus grande; et néanmoins le fond du bassin est tapissé des mêmes plantes qui croissent au fond des lacs et des marais : ces eaux produisent du vitriol dans les terrains ferrugineux , etc. •) Dans plusieurs montagnes de l'Apennin , et prin- cipalement celles qui sont sur le chemin de Bologne à Florence , on trouve des feux ou simplement des vapeurs qui n'ont besoin que de l'approche d'une flamme pour brûler elles-mêmes » Les feux de la montagne Genida , proche Pielrcr- 7)Sti THÉORIE DE LA TERRE. mala , sont placés à difTérentes hauteurs de la mon- tagne , sur laquelle on compte quatre bouches à feu qui jettent des flammes Un de ces feux est dans un espace circulaue entouré de buttes La terre y piroît brûlée, et les pierres sont plus non-es que celles des environs ; il en sort çà et là une flamme bleue , vive , ardente , claire , qui s'élève à trois ou quatre pieds de hauteur Mais au delà de l'espace circulaire on ne voit aucun feu, quoiqu'à plus de soixante pieds du centre des flammes , on s'aperçoive encore de la chaleur que conserve le terrain » Le long d'une fente ou crevasse voisine du feu . on entend un bruit sourd comme seroit celui d'uu vent qui traverseroit un souterrain Près de ce lieu on trouve deux sources d'eau chaude Ce ter- rain , dans lec[uel le feu existe depuis du temps, n'est ni enfoncé ni relevé On ne voit près du foyer aucune pierre de volcan , ni rien qui puisse annon- cer que ce feu ait jeté ; cependant des monticules près de cet endroit rassemblent tout ce qui peut prouver qu'elles ont été anciennement formées ou au moins changées par les volcans En 1767, on ressentit même des secousses de tremblements de terre dans les environs, sans c|ue le feu changeât, ni qu'il donnât plus ou moins de fumée. » Environ à dix lieues de Modène , dans un endroit appelé Barigazzo j il y a encore cinq ou six bouches où paroissent des flammes dans certains temps, qui s'éteignent par un vent violent : il y a aussi des va- peurs qui demandent l'approche d'un corps enflammé pour prendre feu... Mais, malgré les restes non équi- voques d'anciens volcans éteints, qui subsistent dans ART. XVI. VOLCANS ET TREMBLEMENTS L>E TERRE. OÔ.> la plupart de ces montagnes, les feux qui s'y voient aujourd'hui ne sont point de nouveaux volcans qui s'y forment, puisque ces feux ne jettent aucune substance de volcans. » Les eaux thermales, ainsi que les fontaines de pé- trole , et des autres bitumes et huiles terrestres, doi- dent être regardées comme une autre nuance entre les volcans éteints et les volcans en action : lorsque les feux souterrains se trouvent voisins d'une mine de charbon , ils la mettent en distillation , et c'est là l'origine de la plupart des sources de bitume ; ils cau- sent de même la chaleur des eaux thermales qui cou- lent dans leur voisinage. Mais ces feux souterrains brijlent tranquillement aujourd'hui; on ne reconnoît leurs anciennes explosions que par les matières qu'ils ont autrefois re jetées : ils ont cessé d'agir lorsque les mers s'en sont éloignées ; et je ne crois pas , comme je l'ai dit , qu'on ait jamais à craindre le retour de ces funestes explosions, puisqu'il y a toute raison de penser que la mer se retirera de plus en plus. [Add. Bulf.) Des laves et basaltes. * A tout ce que nous venons d'exposer au sujet des volcans , nous ajouterons quelques considérations sur le mouvement des laves, sur le temps nécessaire à leur refroidissement, et sur celui qu'exige leur con- version en terre végétale. La lave qui s'écoule ou jaillit du pied des émi- nences formées par les matières que le volcan vient de rejeter, est un verre impur en liquéfaction, et dont v)Ô4 TIIEOÎUE DE LA TER I.E. la malière tenace et visqueuse n'a qu'une demi-dui- dite ; ainsi les torrents de cetle matière vitrifiée cou- lent lentement en couiparaison des torrents d'eau , et néanmoins ils arrivent souvent à d'assez grandes distances : mais il y a dans ces torrents de leu un mouvemenl de plus que dans les torrents d'eau; ce mouvement tend à soulever toute la masse qui coule, et il est produit par la force expansive de la chaleur dans l'intérieur du torrent embrasé ; la surface exté- rieure se refroidissant la première, le feu liquide coA- tinue à couler au dessous ; et coirime l'action de la chaleur se fait en tous sens, ce feu , qui cherclie à s'échapper, soulève les parties supérieures déjà con- solidées, et souvent les force à s'élever perpendicu- lairement : c'est de là que proviennent ces grosses masses de laves en forme de rochers qui se trouvent dans le cours de presque tous les torrents où la penle n'est pas rapide. Par l'effort de cette chaleur inté- rieure , la lave fait souvent des explosions , sa surface s'entr'ouvre , et la matière liquide jaillit de l'intérieur et forme ces masses élevées au dessus du niveau du torrent. Le P. de La Torre est, je crois, le premier qui ait remarqué ce mouvement intérieur dans les laves ardentes ; et ce mouvement est d'autant plus vio- lent qu'elles ont plus d'épaisseur et que la pente est plus douce : c'est un effet général et commun dans loutes les matières liquéfiées par le feu , et dont on peut donner des exemples que tout le monde est à portée de vérifier dans les forges^. Si l'on observe 1, La lave des fourneaux à fondre le fer subit les mêmes eflels, Ijorsquo celle malière vitreuse coule lonlemeul sur la dame, el qu'elle !i"accumule à sa base, ou voil se former des émincuces, qui soiil dc6^ AUT. XVI. VOLCANS ET TUE.MnLEMK.NTS DE TEIlRE. 585 l<\s gros lingots de fonte de ter qu'on appelle gueuses j, qui coulent dans un moule ou canal dont la pente est presque horizontale, on s'apercevra aisément qu'elles tendent à se couroer en eÛ'et d'autant plus qu'elles ont plus d'épaisseur^. ÎNous avons démontré , par les expé- riences rapportées dans les mémoires précédents, que les temps de la consolidation sont à 1res peu près pro- portionnels aux épaisseurs, et que la surface de ces lin- gots étant déjà consolidée, l'intérieur en est encore li- quide : c'est cetle chaleur intérieure qui soulève et fait bomber le lingot; et si son épaisseur étoit plus grande, il y auroit , comme dans les torrents de lave, des explosions , des ruptures à la surface , et des jets per- pendiculaires de matière métallique poussée au dehors par l'action du feu renfermé dans l'intérieur du lingot. Cette explication , tirée de la nature même de la chose ^ tnilk's de verre concaves, sous une forme hémisphérîqup. Ces bul!(>s crèvent, lorsque la force cxpansive est très nclive, et que la matière a moins de fluidité; alois il en sort avec bruit un jet rapide de flamme ; lorsque cette matière vitreuse est assez adhérente pour souffrir une grande dilatation, ces bulles, qui se lorment à sa surface, prennent un volume de huit à dis pouces 'de diamètre sans se crever, lorsque la vitrification en est moins achevée, et qu'elle a une consistance visqueuse et tenace; ces bulles occupent peu de volume, et la matière, en s'af- faissanl sur elle-même, forme des éminences concaves, que l'on nomme yeux de crapaud. Ce ([ui se passe ici en petit dans le laitier des four- neaux de forge, arrive eu grand dans les laves des volcans. 1. Je ne parle pas ici des autres causes particulières, qui souvent occasionent la courbure des lingots de fonte. Par exemple, lorsque la fonte n'est pas bien fluide, lorsque le moule est trop humide, ils se courbent beaucoup plus, parce que ces causes concourent h augmen- ter leftet de^la première : ainsi l'humidité de la terre sur laquelle coulent les torrents de la lave aide encore à la chaleur intérieure à en soulever ia masse, et à la faire éclater en plusieiirs endroits par des explosions suivies de ces jets de matière dont cous avons parlé. 7)S6 'JilKOiUE DE LA TE P. RE. lie laisse aucun doute sur l'origine de ces éminences qu'on trouve fréquemment dans les vallées et les plaines que les laves ont parcourues et couvertes. Mais, lorsqu'après avoir coulé de la montagne et traversé les campagnes, la lave toujours ardente arrive aux rivages de la mer, son cours se trouve tout à coup arrêté : le torrent de feu se jette comme un ennemi puissant , et fait d'abord reculer les flots ; mais l'eau , par son immensité , par sa froide résistance et par la puissance de saisir et d'éteindre le feu, consolide en peu d'instants la matière du torrent, qui dès lors ne peut aller plus loin , mais s'élève , se charge de nou- velles couches, et forme un mur à plomb, de la hau- teur duquel le torrent de lave tombe alors perpendi- culairement et s'applique contre le mur à-plomb qu'il vient de former : c'est par cette chute et par le sai- sissement de la matière ardente que se forment les prisaies de basalte^, et leurs colonnes articulées. Ces prismes sont ordinairement à cinq, six, ou sept faces, et quelquefois à quatre ou à trois, comme aussi à huit ou neuf faces : leurs colonnes sont formées par la chute perpendiculaire de la lave dans les flots de la mer, soit qu'elle tombe du haut des rochers de la côte , soit qu'elle forme elle-même le mur à-plouîb qui produit sa chute perpendiculaire : dans tous les cas , le froid et l'humidité de l'eau qui saisissent cette matière toute pénétrée de feu, en consolidant les sui- 1. Je n'exjimincrai point ici l'origine de ce nom basalte, que M. Des- niijrest, savant naturaliste de l'Académie des Sciences, croit avoir été donne par les anciens à deux pierres de nature différente ; et je ne parle ici que du baaaitc lave, qui est en forme de colonnes prisnia- iinin-s. ART. XVI. VOLCANS ET TREiIBLE;ilEMS DE TERUE. OO7 faces au moment même de sa chute, les faisceaux qui {ombent du torrent de lave dans la mer, s'appliquent les uns contre les autres; et comme la chaleur inté- rieure des faisceaux tend à les dilater, ils se font une résistance réciproque, et il arrive le même effet que dans le renflement des pois , ou plutôt des j^raines cylindriques, qui seroient pressées dans un vaisseau clos rempli d'eau qu'on feroit bouillir; chacune de ces graines deviendroit hexagone» par la compression réciproque; et de même chaque faisceau de lave de- vient à plusieurs faces par la dilatation et la résistance léciproques ; et lorsque la résistance des faisceaux en- vironnants est plus forte que la dilatation du faisceau environné, au lieu de devenir hexagone, il n'est que de trois, quatre, ou cinq faces; au contraire, si la dilatation du faisceau environné est plus forte que la résistance de la matière environnante, il prend sept , huit, ou neuf faces, toujours sur sa longueur, ou plutôt sur sa hauteur perpendiculaire. Les articulations transversales de ces colonnes pris- matiques sont produites par une cause encore plus simple : les faisceaux de lave ne tombent pas comme vuie gouttière régulière et continue, ni par masses égales : pour peu donc qu'il y ait d'intervalle dans la chute de la matière, la colonne à demi consolidée à sa surface supérieure s'affaisse en creux par le poids de la masse qui survient , et qui dès iors se moule en convexe dans la concavité de la première ; et c'est ce qui forme les espèces d'articulations qui se trouvent dans la plupart de ces colonnes prismatiques : mais lorsque la lave tombe dans l'eau par une chute égale et continue, alors la colonne de basalte est aussi cou- 588 TlIhORIK DE L^ TE RUE. tiriiïe dans toute sa hauteur, et l'on n'y voit point d'articulations. De même lorsque, par une explosion , il s'élance du torrent de lave quelques masses isolées, cette masse prend alors une figure globuleuse ou ellip- tique , ou même tortillée en forme de cable ; et l'on peut rappeler à cette explication simple toutes les for- mes sous lesauelles se présentent les basaltes et les Javes fiiinrées. C'est à la rencon^^e du torrent de lave avec les flots et à sa prompte consolidation, qu'on doit attribuer l'origine de ces côtes hardies qu'on voit dans toutes les mers qui sont au pied des volcans. Les anciens remparts de basalte, qu'on trouve aussi dans l'inté- rieur des continents, démontrent la présence de la mer et son voisinage des volcans dans le temps que leurs laves ont coulé : nouvelle preuve qu'on peut ajouter à toutes celles que nous avons données de l'ancien séjour des eaux sur toutes les terres actuelle- ment habitées. Les torrents de lave ont depuis cent jusqu'à deux et trois mille toises de largeur, et quelquefois cent cinquante et même deux cents pieds d'épaisseur; et comme nous avons trouvé par nos expériences cjue le temps du refroidissement du verre est à celui du re- froidissement du fer comme iô2 sont à 206^, et que les temps respectifs de leur consolidation sont à peu prés dans ce même rapport-, il est aisé d'en conclure que, pour consolider une épaisseur de dix pieds de verre ou de lave , il faut 201 -V59 minutes, puisqu'il faut 56o minutes pour la consolidation de dix pieds 1. Voyez le Mémoire sur te refroidissement de la Icrrc et des pianèles. •2. Vovez ihid. ART. XVI. TOLCANS ET TREMBLEMENTS DE TERRE. 089 d'épaisseur de fer; par conséquent il faut 4028 minutes, ou 67 heures 8 minutes, pour la consolidation de deux cents pieds d'épaisseur de lave : et, par la même règle , on trouvera qu'il faut environ onze fois plus de temps, c'est-à-dire 5o jours ^V94? ^^^ un mois, pour que la surface de cette lave de deux cents pieds d'épaisseur soit assez froide pour qu'on puisse la toucher : d'où il résulte qu'il faut un an pour refroidir une lave de deux cents pieds d'épaisseur assez pour qu'on puisse la tou- cher sans se brûler à un pied de profondeur, et qu'à dix pieds de profondeur elle sera encore assez chaude au bout de dix ans pour qu'on ne puisse la toucher, et cent ans pour être refroidie au même point jus- qu'au milieu de son épaisseur. M. Brydone rapporte qu'après plus de quatre ans la lave qui avoit coulé en 1 'j66 au pied de l'Etna n'étoit pas encore refroidie. Il dit aussi « avoir vu une couche de lave de quelques pieds, produite par l'éruption du Vésuve, qui resta rouge de chaleur au centre, long-teuips après que la surface fut refroidie , et qu'en plongeant un bâton dans ses crevasses il prenoit feu à l'instant, quoiqu'il n'y eût au dehors aucune apparence de chaleur. » Massa j, auteur sicilien , digne de foi , dit « qu'étant à Catane , huit ans après la grande éruption de 1 669 , il trouva qu'en plusieurs endroits la lave n'étoit pas en- core froide. » M. le chevalier Hamilton laissa tomber des mor- ceaux de bois sec dans une fente de lave du Vésuve , vers la fin d'avril 1771 ; ils furent enflammés dans l'instant : quoique cette lave fût sortie du volcan le 19 octobre 1767, elle n'avoit point de communicalion avec le foyer du volcan ; et l'endroit où il fit cette HUFFOJV. II. 2.5 )go iin:oKiK de la terre. expérience «''loil éloigné au moins de quatre milles de la bouche d'où cette lave avoit jailli. 11 est très persuadé qu'il faut bien des années avant qu'une lave de l'épaisseur de celle-ci (d'environ deux cents pieds) se refroidisse. Je n'ai pu faire des expériences sur la consolidation et îe refroidissement, qu'avec des boulets de quel- ques pouces de diamètre ; le seul moyen de faire ces expériences plus en grand seroit d'observer les laves, et de comparer les temps employés à leurs consoli- dation et refroidissement selon leurs différentes épais- seurs : je suis persuadé que ces observations confir- meroient la loi que j'ai établie pour le refroidissement depuis l'état de fusion jusqu'à la température actuelle ; et quoiqu'à la rigueur ces nouvelles observations ne soient pas nécessaires pour confirmer ma théorie , elles serviroierit à remplir le grand intervalle qui se trouve entre un boulet de canon et une planète. 11 nous reste à examiner la nature des laves et à dé- montrer qu'elles se convertissent, avec le temps, en une terre fertile ; ce qui nous rappelle l'idée de la pre- mière conversion des scories du verre primitif qui cou- vroient la surface entière du globe après sa consolida- tion. « On ne comprend pas sous le nom de laves, dit M. de La Condamine, toutes les matières sorties de labouche d'un volcan, telles que les cendres, les pier- res ponces, le gravier, le sable, mais seulement celles qui , réduites par l'action du feii dans un état de li- ([uidité, forment en se refroidissant des masses soli- des dont la dureté surpasse celle du marbre. Malgré celte restriction, on conçoit qu'il y aura encore bien AUX. XVI. VOLCAXS ET TREMBLEMENTS DE TE1U\E. .}gi des espèces de laves, selon le dififérent degré de fu- sion du mélange, selon qu'il participera plus ou moins du métal, et qu'il sera plus ou moins intimement uni avec diverses matières. J'en distingue surtout trois es- pèces, et il y en a bien d'intermédiaires. La lave la plus pure ressemble, quand elle est polie, aune pierre d'un i;ris sale, et obscur; elle est lisse, dure, pesante, parsemée de petits fragments semblables à du marbre noir, et de pointes blanchâtres; elle paroît contenir des parties métalliques; elle ressemble, au premier coup d'œil, à la serpentine, lorsque la couleur de la lave ne tire point sur le vert; elle reçoit un assez beau poli , plus ou moins vif dans ses différentes parties ; on en fait des tables, des chambranles de cheminée, etc. ))La lave la plus grossière est inégale et raboteuse; elle ressemble fort à des scories de forges ou écumes de fer. La lave la plus ordinaire tient un milieu entre ces deux extrêmes; c'est celle que l'on voit répandue en irrosses masses sur les flancs du Vésuve et dans les campagnes voisines. Elle y a coulé par torrents : elle a formé en se refroidissant des masses semblables à des rochers ferrugineux et rouilles, et souvent épais de plusieurs pieds. Ces masses sont interrompues et souvent recouvertes par des amas de cendres et de ma- tières calcinées C'est sous plusieurs lits alternatifs de laves, de cendres, et de terre, dont le total fait une croûte de soixante à quatre-vingts pieds d'épaisseur, qu'on a trouvé des temples, des portiques, des sta- tues, un théâtre, une ville entière, etc » « Presque toujours, dit M. Fougeroux de Bonda- roy, immédiatement après l'éruption d'une terre brû- lée ou d'une espèce de cendre le Vésuve jette la .)9^^ THEORIE DE LA TERRE. lave elle coule par les fentes qui sont faites à la montagne. . . » La matière minérale enflammée, fondue, et cou- lante, ou-lalave proprement dite, sort par les fentes ou crevasses avec plus ou moins d'impétuosité, et en plus ou moindre quantité, suivant la force de l'érup- tion; elle se répand à une distance plus ou moins grande, suivant son degré de fluidité, et suivant la pente de la montagne qu'elle suit, qui retarde plus ou moins son refroidissement... )) Celle qui garnit maintenant une partie du terrain dans le bas de la montagne, et qui descend quelque- fois jusqu'au pied de Portici... forme de grandes mas- ses, dures, pesantes, et hérissées de pointes sur leur surface supérieure ; la surface qui porte sur le terrain est plus plate : comme ces morceaux sont les uns sur les autres, ils ressemblent un peu aux flots de la mer; quand les morceaux sont plus grands et plus amonce- lés, ils prennent la figure des rochers... » En se refroidissant, la lave afî'ecte différentes for- mes. ..La plus commune est en tables plus ou moins grandes; quelques morceaux ont jusqu'à six, sept, ou huit pieds de dimension : elle s'est ainsi cassée et rompue en cessant d'être liquide et en se refroidis- sant; c'est cette espèce de lave dont la superficie est hérissée de pointes... » La seconde espèce ressemble à de gros cordages; elle se trouve toujours proche l'ouverture, paroît s'être figée promptement et avoir roulé avant de s'ê- tre durcie : elle est moins pesante que celle de la pre- mière espèce; elle est aussi plus fragile, moins dure et plus bitumineuse ; en la cassant, on voit que sa sub- ART. XVI. VOLCANS ET TBEMBLEME.MS DE TERRE. JQv) stance est moins serrée que dans la première » On trouve au haut de la montagne une troisième espèce de lave, qui est brillante, disposée en filets qui quelquefois se croisent; elle est lourde et d'un rouge violet Il y a des morceaux qui sont sonores et qui ont la figure de stalactites Enfin on trouve à cer- taines parties de la montagne, des laves qui alTectoient une forme sphérique, et qui paroissoient avoir roulé. On conçoit aisément comment la forme de ces laves peut varier suivant une infinité de circonstances, etc. » Il entre des matières de toute espèce dans la com- position des laves ; on a tiré du fer et un peu de cui- vre de celles du sommet du Vésuve ; il y en a même quelques unes d'assez métalliques pour conserver la flexibilité du métal : j'ai vu de grandes tables de la- ves de deux pouces d'épaisseur, travaillées et polies comme des tables de marbre, se courber par leur pro- pre poids; j'en ai vu d'autres qui plioient sous une forte charge, mais qui reprenoient le plan horizontal par leur élasticité. Toutes les laves, étant réduites en poudre, sont, comme le verre , susceptibles d'être converties, par l'intermède de l'eau, d'abord en argile, et peuvent devenir ensuite, parle mélange des poussières et des détriments de végétaux, d'excellents terrains. Ces faits sont démontrés par les belles et grandes forêts qui en- vironnent l'Etna, qui toutes sont sur un fond de lave recouvert d'une bonne terre de plusieurs pieds d'é- paisseur ; les cendres se convertissent encore plus vite en terre que les poudres de verre et de lave : on voit dans la cavité des cratères des anciens volcans actuels lement éteints, des terrains fertiles; on en trouve de 094 THÉOKIE DE LA TEÎIKE. même sur le cours de tous les anciens torrents de lave. Les dévastations causées par les volcans sont donc li- mitées par le temps; et comme la nature tend toujours plus à produire qu'à détruire, elle répare, dans l'es- pace de quelques siècles, les dévastations du feu sur la terre, et lui rend sa fécondité en se servant même des matériaux lancés pour la destruction. [Add, Buff.) ARTICLE XVIL Des îles nouvelles y des cavernes^ des fentes ferpendicula ires ^ etc. Les îles nouvelles se forment de deux façons, ou su- bitement par l'action des feux souterrains, ou lente- ment par le dépôt du limon des eaux. INous parlerons d'abord de celles qui doivent leur origine à la pre- mière de ces deux causes. Les anciens historiens et les voyageurs modernes rapportent à ce sujet des faits, de la vérité desquels on ne peut guère douter. Sénèque assure que de son temps l'île de Thérasie^ parut tout d'un coupa la vue des mariniers. Pline rapporte qu'au- trefois il y eut treize îles dans la mer Méditerranée qui sortirent en même temps du fond des eaux, et que Rhodes etDélos sont les principales de ces treize îles nouvelles; mais il paroît par ce qu'il en dit, et par ce qu'en disent aussi Amien Marceliin, Philon, etc., que ces treize îles n'ont pas été produites par un tremblement de terre , ni par une explosion souter- raine : elles étoient auparavant cachées sous les eaux; et la mer en s'abaissant a laissé, disent-ils, ces îles à 1. Aujourd'hui Sautorîn. ART. XVII. ILES ÏSOLiVELLES, CAVERiNES. JC)^} découvert; Délos avoit inêiue le nom de Pelagia, comme ayant autrefois appartenu à la mer. Nous ne savons donc pas si Ton doit attribuer l'origine de ces treize îles nouvelles à l'action des feux souterrains, ou à quelque autre cause qui auroit produit un abais- sement et une diminution des eaux dans la mer Médi- terranée; mais Pline rapporte que l'île d'Hiera près de Thérasie a été formée de masses ferrugineuses et de terres lancées du fond de la mer; et dans le cha- pitre 89, il parle de plusieurs autres îles formées de la même façon. Nous avons sur tout cela des faits plus certains et plus nouveaux. Le 23 mai 1707, au lever du soleil, on vit de cette même île de ïhérasie ou de Santorin, à deux ou trois milles en mer, comme un rocher flottant : quelques gens curieux y allèrent, et trouvèrent que cet écueil, qui étoit sorti du fond de la mer, augmentoit sous leurs pieds; et ils en rapportèrent de le pierre ponce et des huîtres que le rocher qui s'étoit élevé du fond de la mer teuoit encore attachées à sa surface. Il y avoit eu un petit tremblement de terre à Santorin deux jours avant la naissance de cet écueil. Cette nouvelle île augmenta considérablement jusqu'au i4 fuin, sans ac- cident, et^ elle avoit alors un demi-mille de tour, et vingt à Irente pieds de hauteur; la terre éloit blan- che, et tenoit un peu de l'argile : mais après cela la mer se troubla de plus en plus, il s'en éleva des va- peurs qui infectoient l'île de Santorin; et le 16 juillet on vit dix-sept ou dix-huit rochers sortir à la fois du fond de la mer; ils se réunirent. Tout cela se lit avec un bruit affreux qui continua plus de deux mois, et des flammes qui s'élevoient de la nouvelle île; ell<" 596 THÉORIE DE LA TERRE. augmentoit toujours en circuit et en hauteur, et les explosions lançoient toujours des rochers et des pier- res à plus de sept milles de distance. L'île de Santorin elle-même a passé chez les anciens pour une produc- tion nouvelle; et, en 726, 1427? et 1675, elle a reçu des accroissements, et il s'est formé de petites îles auprès de Santorin^. Le même volcan qui du temps de Sé- nèque a formé l'île de Santorin, a produit, du temps de Pline, celle d'Hiera ou de Yolcanelle, et de nos jours a formé l'écueil dont nous venons de parler. Le 10 octobre 1720, on vit auprès de l'île de Ter- cère un feu assez considérable s'élever de la mer ; des navigateurs s'en étant approchés par ordre du gouverneur, ils aperçurent, le 19 du même mois, une île qui n'étoit que feu et fumée, avec une prodigieuse quantité de cendres jetées au loin , comme par la force d'un volcan, avec un bruit pareil à celui du ton- nerre. Il se lit en même temps un tremblement de terre qui se fit sentir dans les lieux circonvoisins, et on remarqua sur la mer une grande quantité de pier- res ponces, surtout autour de la nouvelle île; ces pier- res ponces voyagent , et on en a quelquefois trouvé une grande quantité dans le milieu même des gran- des mers^. L'Histoire de l' Académie ^ année 1721, dit, à l'occasion de cet événement, qu'après un tremble- ment de terre dans l'île de Saint-Michel, l'une des Açores, il a paru à vingt-huit lieues au large, entre celte île et la Tercère, un torrent de feu qui a donné naissance à deux nouveaux écueils^. Dans le volume 1. Voyez V Histoire de C Académie, année 1708, pages 25 et suiv. 2. Voyez Trans. p/iil. abrig'd, vol. VI , part, 11, page i54. 5. Page 26. ART. XVII. ILES NOUVELLES, CAVERNES. 097 de Tannée suivante 1 722, on trouve le détail qui suit : « M. Delisle a fait savoir à l'Académie plusieurs par- ticularités de la nouvelle île entre les Açores, dont nous n'avions dit qu'un mot en 1721 ^ ; il les avoit ti- rées d'une lettre de M. de Montagnac, consul à Lis- bonne. » Un vaisseau où il étoit, mouilla, le 18 septembre 1721, devant la forteresse de la ville de Saint-Michel , qui est dans l'île du même nom, et voici ce qu'on ap- prit d'un pilote du port. » La nuit du 7 au 8 décembre 1720, il y eut un grand tremblement de terre dans la Tercère et dans Saint-Michel , distantes l'une de l'autre de vingt-huit lieues, et l'île neuve sortit; on remarqua en même temps que la pointe de l'île de Pic, qui en étoit à trente lieues, et qui auparavant jetoit du feu, s'étoit affaissée et n'en jetoit plus : mais l'île neuve jetoit continuellement une grosse fumée; et effectivement elle fut vue du vaisseau où étoit M. de Montagnac, tant qu'il en fut à portée. Le pilote assura qu'il avoit fait dans une chaloupe le tour de l'île, en l'approchant le plus qu'il avoit pu. Du côté du sud il jeta la sonde, et fila soixante brasses sans trouver fond : du côté de l'ouest il trouva les eaux fort changées ; elles étoient d'un blanc bleu et vert, qui sembloit du bas-fond, et qui s'étendoit à deux tiers de lieue; elles paroissoient vouloir bouillir : au nord-ouest, qui étoit l'endroit d'où sortoit la fumée, il trouva quinze brasses d'eau, fond de gros sable; il jeta une pierre à la mer, et il vit, à l'endroit où elle étoit tombée, l'eau bouillir et sau- ter en l'air avec impétuosité; le fond étoit si chaud» I. Voyez Trans. phiL. abrig'd, vol. VI , pari, ji, page 26 , OgS TIIÉORIK DE LA TERRE. qu'il fondil deux l'ois de suite le suif qui étoit au bout du plomb. Le pilote observa encore de ce côté là, que la fumée sortoit d'un petit lac borné d'une dune de sable. L'île est à peu près ronde, et assez haute pour être aperçue de sept à huit lieues dans un temps clair. » On a appris depuis par une lettre de M« Adrien , consul de la nation françoise dans l'île de Saint-Mi- chel, en date du mois de mars 1722, que l'île neuve avoit considérablement diminué, et qu'elle étoit pres- que à fleur d'eau, de sorte qu'il n'y avoit pas d'appa- rence qu'elle subsistât encore long-temps^. » On est donc assuré par ces faits et par un grand nombre d'autres semblables à ceux-ci, qu'au dessous même des eaux de la mer les matières inflammables renfermées dans le sein de la terre agissent et font des explosions violentes. Les lieux où cela arrive sont des espèces de volcans qu'on pourroit appeler sous-ma- rins, lesquels ne diflèrent des volcans ordinaires que par le peu de durée de leur action et le peu de fré- quence de leurs effets; car on conçoit bien que le feu s'étant une fois ouvert un passage, l'eau doit y péné- trer et l'éteindre. L'île nouvelle laisse nécessairement un vide que l'eau doit remplir ; et cette nouvelle terre qui n'est composée que des matières rejetées par le volcan marin, doit ressembler en tout aiuMoiite diCe- iiere^ et aux autres éminences que les volcans terres- tres ont formées en plusieurs endroits; or, dans le temps du déplacement causé par la violence de l'ex- plosion, et pendant ce mouvement, l'eau aura pénétré dans la plupart des endroits vides, elle aura éteint pour un temps ce feu souterrain. C'est apparemment i. Page 12. ART. XVII. ÎLES NOUVELLES, CAVERNES. OQQ par cette raison que ces volcans sous-marins agissent plus rarement que les volcans ordinaires, quoique les causes de tous les deux soient les mêmes, et que les matières qui produisent et nourrissent ces feux sou- terrains , puissent se trouver sous les terres couvertes par la mer, en aussi grande quantité que sous les ter- res qui sont à découvert. Ce sont ces mêmes feux souterrains ou sous-marins qui sont la cause de toutes ces ébiillitions des eaux de la mer, que les voyageurs ont remarquées en plu- sieurs endroits, et des trombes dont nous avons parlé : ils produisent aussi des orages et des tremblements qui ne sont pas moins sensibles sur la mer que sur la terre. Ces îles qui ont été formées par ces volcans sous-marins , sont ordinairement composées de pierres ponces et de rochers calcinés ; et ces volcans produi- sent, comme ceux de la terre, des tremblements et des commotions très violentes. On a aussi vu souvent des feux s'élever de la surface des eaux. Pline nous dit que le lac de Trasimène a paru enflammé sur toute sa surface. Agricola rapporte que lorsqu'on jette une pierre dans le lac de Denstad en Thuringe , il semble , lorsqu'elle descend dans l'eau, que ce soit un trait de feu. Enfin la quantité de pierres ponces que les voya- geurs nous assurent avoir rencontrées dans plusieurs endroits de l'Océan et de la i^Iéditerranée , prouve qu'il y a au fond de la mer des volcans semblables à ceux que nous connoissons, et qui ne diffèrent, ni par les matières qu'ils rejettent, ni par la violence des ex- plosions, mais seulement par la rareté et par le peu de continuité de leurs effets : tout, jusqu'aux volcans, se 400 THÉORIE DE LA TERRE. trouve au fond des mers, couime à la surface de la terre. Si même on y fait attention, on trouvera plusieurs rapports entre les volcans de terre et les volcans de mer; les uns et les autres ne se trouvent que dans les sommets des montagnes. Les îles des Açores et celles de l'Archipel ne sont que des pointes de montagnes, dont les unes s'élèvent au dessus de l'eau, et les au- tres sont au dessous. On voit par la relation de la nou- velle île des Açores, que l'endroit d'où sortoit la fumçe, n'étoit qu'à quinze brasses de profondeur sous l'eau ; ce qui, étant comparé avec les profondeurs ordinaires de l'Océan, prouve que cet endroit même est un sommet de montagne. On en peut dire tout autant du terrain de la nouvelle île auprès de Santorin : il n'étoit pas à une grande profondeur sous les eaux, puisqu'il y avoit des huîtres attachées aux rochers qui s'élevèrent. Il paroît aussi que ces volcans de mer ont quelquefois, comme ceux de terre, des communications souterrai- nes, puisque le sommet du volcan du pic de Saint- Oeorge, dans l'île de Pic, s'abaissa lorsque la nouvelle île des Açores s'éleva. On doit encore observer que ces nouvelles îles ne paroissent jamais qu'auprès des anciennes, et qu'on n'a point d'exemple qu'il s'en soit élevé de nouvelles dans les hautes mers : on doit donc regarder le terrain où elles sont comme une continua- tion de celui des îles voisines; et lorsque ces îles ont des volcans, il n'est pas étonnant que le terrain qui en est voisin contienne des matières propres à en for- mer, et que ces matières viennent à s'enflammer, soit par la seule fermentation, soit par l'action des vents souterrains. Au reste , les îles produites par l'action du feu et ART. XVII. ÎLES NOUVELLES, CAVERNES. 4^» 1 des tremblements de terre sont en petit nombre, et ces événements sont rares ; mais il y a un nombre infini d'îles nouvelles produites par les limons, les sa- bles, et les terres que les eaux des fleuves ou de la mer entraînent et transportent en différents endroits. A l'embouchure de toutes les rivières, il se forme des amas de terre et des bancs de sable, dont l'étendue devient souvent assez considérable pour former des îles d'une grandeur médiocre. La mer, en se retirant et en s'éloignant de certaines côtes, laisse à découvert les parties les plus élevées du fond , ce qui forme au- tant d'îles nouvelles ; et de même en s'étendant sur de certaines plages , elle en couvre les parties les plus basses , et laisse paroître les parties les plus élevées qu'elle n'a pu surmonter, ce qui fait encore autant d'îles ; et on remarque en conséquence qu'il y a fort peu d'îles dans le milieu des mers , et qu'elles sont presque toutes dans le voisinage des continents, où la mer les a formées, soit en s'éloignant, soit en s'ap- prochant de ces différentes contrées. L'eau et le feu , dont la nature est si différente et même si contraire, produisent donc des effets sem- blables, ou du moins qui nous paroissent être tels, indépendamment des productions particulières de ces deux éléments, dont quelques unes se ressemblent au point de s'y méprendre , comme le cristal et le verre , l'antimoine naturel et l'antimoine fondu , les pépites naturelles des mines, et celles qu'on fait arti- ficiellement par la fusion , etc. Il y a dans la nature une infinité de grands effets que l'eau et le feu pro- duisent, qui sont assez semblables pour qu'on ait de la peine à les distinguer. L'eau, comme on l'a vu, 402 THÉORIE DE LA TERRE. a produit les montagnes et formé la plupart des îles; le feu a élevé quelques collines et quelques îles : il en est de même des cavernes, des fentes, des ouver- tures, des gouffres, etc. ; les unes ont pour origine les feux souterrains, et les autres les eaux tant souterrai- nes que superficielles. Les cavernes se trouvent dans le montagnes, et peu ou point du tout dans les plaines; il y en a beaucoup dans les îles de l'Archipel et dans plusieurs autres îles , et cela parce que les îles ne sont en général que des dessus de montagnes. Les cavernes se forment , comme les précipices , par l'afiaissement des rochers , ou , comme les abîmes, par l'action du feu : car pour faire d'un précipice ou d'un abîme une caverne , il ne faut qu'imaginer des rochers contre-buttés et faisant voûte par dessus; ce qui doit arriver très souvent, lorsqu'ils viennent à être ébranlés et déracinés. Les cavernes peuvent être produites par les mêmes causes qui pro- duisent les ouvertures, les ébranlements, et les affais- sements des terres; et ces causes sont les explosions des volcans, l'action des vapeurs souterraines et les tremblements de terre ; car ils font des bouleverse- ments et des éboulements qui doivent nécessairement former des cavernes, des trous, des ouvertures, et des anfractuosités de toute espèce. La caverne de Saint-Patrice en Irlande n'est pas aussi considérable qu'elle est fameuse; il en est de même de la grotte du Chien en Italie, et de celle qui jette du feu dans la montagne de Beniguazeval au royaume de Fez. Dans la province de Derby en An- gleterre, il y a une grande caverne fort considérable, et beaucoup plus grande que la fameuse caverne de ART. XVtl. ILILS NOUVELLES, CAVERNES. 40^ Bauman auprès de la forêt Noire dans le pays de Bruns- wick. J'ai appris par une personne aussi respectable par son mérite que par son nom (milord comte de Morton) que cette grande caverne appelée Devll's^ hole présente d'abord une ouverture fort considérable, comme celle d'une très grande porte d'église ; que par cette ouverture il coule un gros ruisseau ; qu'en avan- çant, la voûte de la caverne se rabaisse si fort, qu'en un certain endroit on est obligé, pour continuer sa route, de se mettre sur l'eau du ruisseau dans des ba- quets fort plats, où on se couche pour passer sous la voûte de la caverne, qui est abaissée dans cet endroit au point que l'eau touche presque à la voûte : mais après avoir passé cet endroit, la voûte se relève, et on voyage encore sur la rivière, jusqu'à ce que la voûte se rabaisse de nouveau et touche à la superficie de l'eau, et c'est là le fond de la caverne et la source du ruisseau qui en sort ; il grossit considérablement dans de certains temps, et il amène et amoncelle beaucoup de sable dans un endroit de la caverne qui forme comme un cul-de-sac, dont la direction est différente de celle de la caverne principale. Dans la Garniole, il y a une caverne auprès de Pot- péchio, qui est fort spacieuse, et dans laquelle on trouve un grand lac souterrain. Près d'Adelsperg, il y a une caverne dans laquelle on peut faire deux milles d'Allemagne de chemin, et où l'on trouve des préci- pices très profonds. Il y a aussi de grandes cavernes et de belles grottes sous les montagnes de Mendipp en Galles; on trouve des mines de plomb auprès de ces cavernes, et des chênes enterrés à quinze brasses , de profondeur. Dans la province de Glocester, il y a 4o4 THÉORIE DE LA TERRE. une très grande caverne, qu'on appelle Penpark-hole^ au fond de laquelle on trouve de l'eau à trente-deux brasses de profondeur; on y trouve aussi des fdons de mine de plomb. On voit bien que la caverne de DevU's-hole et les autres, dont il sort de grosses fontaines ou des ruis- seaux, ont été creusées et formées par les eaux, qui ont apporté les sables et les matières divisées qu'on trouve entre les rochers et les pierres; et on auroit tort de rapporter l'origine de ces cavernes aux ébou- lements et aux tremblements de terre. Une des plus singulières et des plus grandes caver- nes que l'on connoisse , est celle d'Antiparos, dont M. de Tournefort nous a donné une ample descrip-* tion. On trouve d'abord une caverne rustique d'envi- ron trente pas de largeur, partagée par quelques pi- liers naturels : entre les deux piliers qui sont sur la droite, il y a un terrain en pente douce, et ensuite, jusqu'au fond de la même caverne , une pente plus rude d'environ vingt pas de longueur; c'est le passage pour aller à la grotte ou caverne intérieure, et ce pas- sage n'est qu'un trou fort obscur, par lequel on ne sauroit entrer qu'en se baissant, et au secours des flambeaux. On descend d'abord dans un précipice horrible à l'aide d'un câble que l'on prend la précau- tion d'attacher tout à l'entrée; on se coule dans un autre bien plus effroyable, dont les bords sont fort glissants, et qui répondent sur la gauche à des abîmes profonds. On place sur les bords de ces gouffres une échelle, au moyen de laquelle on franchit, en trem- blant un rocher tout-à-fait coupé à plomb; on conti- nue à glisser par des endroits im peu moins dangereux. ^ ART. XVII. ILES NOUVELLES, CAVERNES. ^o'S Mais dans le temps qu'on se croit en pays praticable, le pas le plus affreux vous arrête tout court, et on s'y casseroit la tête, si on n'étoit averti ou arrêté par ses guides : pour le franchir, il faut se couler sur le dos le long d'un gros rocher, et descendre une échelle qu'il faut y porter exprès; quand on est arrivé au bas de l'échelle, on se roule quelque temps encore sur des rochers, et enfin on arrive dans la grotte. On compte trois cents brasses de profondeur depuis la surface de la terre : la grotte paroît avoir quarante brasses de hau- teur sur cinquante de large ; elle est remplie de belles et grandes stalactites de différentes formes, tant au dessus de la voûte que sur le terrain d'en bas^. Dans la partie de la Grèce appelée Livadie [Acliala des anciens) il y a une grande caverne dans une montagne, qui étoit autrefois fort fameuse par les ora- cles de Trophonius, entre le lac de Livadia et la mer voisine , qui, dans l'endroit le plus près, en est à qua- tre milles : il y a quarante passages souterrains à tra- vers le rocher, sous une haute montagne, par où les eaux du lac s'écoulent^. Dans tous les volcans, dans tous les pays qui pro- duisent du soufre, dans toutes les contrées qui sont su- jettes aux tremblements de terre, il y a des cavernes : le terrain de la plupart des îles de l'Archipel est ca- verneux presque partout; celui des îles de l'Océan Indien, principalement celui des îles Moluques, ne paroît être soutenu que sur des voûtes et des conca- vités; celui des îles Açores, celui des îles Canaries, 1. Voyez le Voyage du Levant , pages 188 et suivantes. 2. Yoyei Géograp/ùe de Gordon, édition de Londres, lyôô, p. 179, BiFFOiv. II. 26 4o6 THEOUIi; DE LA TERRE. celui des îles du cap Vert, et en général le terrain de presque toutes les petites îles, est, à l'intérieur, creux et caverneux en plusieurs endroits, parce que ces îles ne sont, comme nous l'avons dit, que des pointes de montagnes, où il s'est fait des éboule ments considéra- bles, soit par l'action des volcans, soit par celle des eaux, des gelées, et des autres injures de l'air. Dans les Cordilières, où il a plusieurs volcans et où les tremblemenls de terre sont fréquents, il y a aussi un grand nombre de cavernes, de même que dans le vol- can de l'île de Banda, dans le mont Ararath, qui est un ancien volcan , etc. Le fameux labyrinthe de l'île de Candie n'est pas l'ouvrage de la nature toute seule ; M. de Tournefort assure que les hommes y ont beaucoup travaillé : et on doit croire que cette caverne n'est pas la seule que les hommes aient auij;mentée; ils en forment même tous les jours de nouvelles en fouillant les mines et les carrières; et lorqu'elles sont abandonnées pendant un très long espace de temps, il n'est pas fort aisé de reconnoître si ces excavations ont été produites par la nature, ou faites de la main des hommes. On con- iioît des carrières qui sont d'une étendue très consi- dérable, celle de Maestricht, par exemple, où l'on dit que cinquante mille personnes peuvent se réfugier, et qui est soutenue par plus de mille piliers, qui ont vingt ou vingt-quatre pieds de hauteur; l'épaisseur de terre et de rocher qui est au dessus est de plus de vingt-cinq brasses. Il y a, dans plusieurs endroits de cette carrière , de l'eau et de petits étangs où l'on peut abreuver du bétail, etc. Les mines de sel de Pologne forment des excavations encore plus grandes que ART. XVII. ILES NOUVELLES, CAVERNES. 407 celle-ci. 11 y a ordinairement de vastes carrières au- près de toutes les grandes villes ; mais nous n'en par- lerons pas ici en détail : d'ailleurs les ouvrages des hommes, quelque grands qu'ils puissent être, ne tien- dront jamais qu'une bien petite place dans l'histoire de la nature. Les volcans et les eaux, qui produisent les caver- nes à l'intérieur, forment aussi à l'extérieur des fen- tes, des précipices, et des abîmes. A Cajeta en Italie, il y a une montagne qui autrefois a été séparée par un tremblement de terre, de façon qu'il semble que la division en a été faite par la main des hommes. INous avons déjà parlé de l'ornière de l'île de Machiaa, de l'abîme du mont Ararath , de la porte des Cordilières et de celle des Thermopyles, etc.; nous pouvons y ajouter la porte de la montague des Troglodytes en Arabie, celle des Échelles en Savoie, que la nature n'avoit fait qu'ébaucher, et que Victor Amédée a fait achever. Les eaux produisent, aussi bien que les feux souterrains, des affaissements de terre considérables, des éboulements, des chutes de rochers, des ren- versements de montagnes, dont nous pouvons don- ner plusieurs exemples. «Au mois de juin 1714? une partie de la monta- gne de Diableret en Valais tomba subitement et tout à la fois entre deux et trois heures après midi, le ciel étant fort serein. Elle étoit de figure conique; elle renversa cinquante-cinq cabanes de paysans , écrasa quinze personnes, et plus de cent bœufs et vaches, et beaucoup plus de menu bétail, et couvrit de ses dé- bris une bonne lieue carrée ; il y eut une profonde obscurité causée par la poussière : les tas de pierres 4o8 THÉORIE DE LA TERRE. amassés en bas sont hauts de plus de trente perches^ qui sont apparemment des perches du Rhin de dix pieds ; ces amas ont arrêté des eaux qui forment de nouveaux lacs fort profonds. Il n'y a dans tout cela nul vestige de matière bitumineuse, ni de soufre, ni de chaux cuite, ni par conséquent de feu souterrain; apparemment la base de ce grand rocher s'étoit pour- rie d'elle-même et réduite en poussière. » On a un exemple remarquable de ces affaissements dans la province de Kent, auprès de Folkstone : les collines des environs ont baissé de distance en dis- tance par un mouvement insensible et sans aucun tremblement de terre; ces collines sont à l'intérieur des rochers de pierre et de craie. Par cet affaissement, elles ont jeté dans la mer des rochers et des terres- qui en étoient voisines. On peut voir la relation de ce îâhhien attesté dàns\esTransactio7is pliilosop/i.abrig'djs. vol. IV, page 260. En 1618, la ville de Pleurs enValteline fut enterrée sous les rochers au pied desquels elle étoit située. En 1678, il y eut une grande inondation en Gascogne, causée par l'affaissement de quelques morceaux de montagnes dans les Pyrénées, qui firent sortir les eaux qui étoient contenues dans les cavernes souterraines de ces montagnes. En 1680, il en arriva encore une plus grande en Irlande, qui avoit aussi pour cause l'affaissement d'une montagne dans des cavernes rem- plies d'eau. On peut concevoir aisément la cause de tous ces effets ; on sait qu'il y a des eaux souterraines en une infinité d'endroits : ces eaux entraînent peu à peu les sables et les terres à travers lesquels elles passent, et par conséqent elles peuvent détruire peu 'f09 à peu la couche de terre sur laquelle porte une mon- tagne ; et cette couche de terre qui lui sert de base venant à manquer plutôt d'un côté que de l'autre, il faut que la montagne se renverse ; ou si celte base manque à peu près également partout, la montagne s'affaisse sans se renverser. Après avoir parlé des affaissements, des éboule- ments, et de tout ce qui n'arrive, pour ainsi dire, que par accident dans la nature, nous ne devons pas pas- ser sous silence une chose qui est plus générale , plus ordinaire , et plus ancienne ; ce sont les fentes per- pendiculaires que l'on trouve dans toutes les couches de terre. Ces fentes sont sensibles et aisées à recon- noître, non seulement dans les rochers, dans les car- rières de marbre et de pierre, mais encore dans les argiles et dans les terres de toute espèce qui n'ont pas été remuées; et on peut les observer dans toutes les coupes un peu profondes des terrains, et dans toutes les cavernes et les excavations. Je les appelle fentes perpendiculaires, parce que ce n'est jamais que par accident lorsqu'elles sont obliques, comme les couches horizontales ne sont inclinées que par acci- dent. \Yoodward et Ray parlent de ces fentes, mais d'une manière confuse , et ils ne les appellent pas fentes perpendiculaires, parce qu'ils croient qu'elles peuvent être indifféremment obliques ou perpendi- culaires; et aucun auteur n'en a expliqué l'origine : cependant il est visible que ces fentes ont été pro- duites , comme nous l'avons dit dans le discours pré- cédent, par le dessèchement des matières qui compo- sent les couches horizontales. De quelque manière que ce dessèchement soit arrivé, il a dû produire des 4.10 THÉORIE DE LA TERRE. fentes perpendiculaires; les matières qui composent les couches n'ont pas pu diminuer de volume sans se fendre de distance en distance dans une direction perpendiculaire à ces mêmes couches. Je comprends cependant sous ce nom de fentes perpendiculaires toutes les séparations naturelles des rochers, soit qu'ils se trouvent dans leur position originaire, soit qu'ils aient un peu glissé sur leur base, et que par consé- quent ils se soient un peu éloignés les uns des autres. Lorsqu'il est arrivé quelque mouvement considérable à des masses de rochers, ces fentes se trouvent quel- quelquefois posées obliquement, mais c'est parce que la masse est elle-même oblique ; et avec un peu d'at- tention, il est toujours fort aisé de reconnoître que ces fentes sont en général perpendiculaires aux cou- ches horizontales, surtout dans les carrières de mar- bre, de pierre à chaux, et élans toutes les grandes chaînes de rocher. L'intérieur des montagnes est principalement com- posé de pierres et de rochers, dont les différents lits sont parallèles. On trouve souvent entre les lits hori- zontaux de petites couches d'une matière moins dure que la pierre, et les fentes perpendiculaires sont rem- plies de sable, de cristaux, de minéraux, de mé- taux, etc. Ces dernières matières sont d'une forma- tion plus nouvelle que celle des lits horizontaux dans lesquels on trouve des coquilles marines. Les pluies ont peu à peu détaché les sables et les terres du des- sus des montao^nes, et elles ont laissé à découvert les pierres et les autres matières solides, dans lesquelle:^ on distingue aisément les couches horizontales et les fentes perpendiculaires ; dans les plaines, au contraire, ART. XVII. ÎLES NOUVELLES, CAVERNES. L\ l l les eaux des pluies et les fleuves ayant amené une quantité considérable de terre , de sable , de gravier, et d'autres matières divisées, il s'en est formé des couches de tuf, de pierre molle et fondante, de sable, et de gravier arrondi, de terre mêlée de végétaux. Ces couches ne contiennent point de coquilles marines, ou du moins n'en contiennent que des fragments qui ont été détachés des montagnes avec les graviers et les terres. Il faut distinguer avec soin ces nouvelles couches des anciennes, où l'on trouve presque tou- jours un grand nombre de coquilles entières et po- sées dans leur situation naturelle. Si l'on veut observer l'ordre et la distribution inté- rieure des matières dans une montagne composée, par exemple, de pierres ordinaires ou de matières la- pidifiques calcinables, on trouve ordinairement sous la terre végétale une couche de gravier; ce gravier est de la nature et de la couleur de la pierre qui domine dans ce terrain ; et sous le gravier on trouve de lapierre. Lorsque la montagne est coupée par quelque tran- chée ou par quelque ravine profonde, on distingue aisément tous les bancs, toutes les couches dont elle est composée ; chaque couche horizontale est séparée par une espèce de joint qui est aussi horizontal ; et l'épaiseur de ces bancs ou de ces couches horizon- tales augmente ordinairement à proportion qu'elles sont plus basses, c'est-à-dire plus éloignées du som- met de la montagne : on reconnoît aussi que des fen- tes à peu près perpendiculaires divisent toutes ces couches et les coupent verticalement. Pour l'ordinaire, la première couche, le premier lit qui se trouve sous le gravier, et même le second, sont non seulemeni /jl2 THÉORIE DE LA TERRE. plus minces que les lits qui forment la base de la montagne, mais ils sont aussi divisés par des fentes perpendiculaires si fréquentes, qu'ils ne peuvent four- nir aucun morceau de longueur, mais seulement du moellon. Ces fentes perpendiculaires, qui sont en si grand nombre à la superficie, et qui ressemblent par- faitement aux gerçures d'une terre qui se seroit des- séchée, ne parviennent pas toutes, à beaucoup près. Jusqu'au pied de la montagne : la plupart disparois- sent insensiblement à mesure qu'elles descendent; et au bas il ne reste qu'un certain nombre de ces fentes perpendiculaires, qui coupent encore plus à plomb qu'à la superficie les bancs inférieurs, qui ont aussi plus d'épaisseur que les bancs supérieurs. Ces lits de pierre ont souvent, comme je l'ai dit, plusieurs lieues d'étendue sans interruption : on re- trouve aussi presque toujours la même nature de pierre dans la montagne opposée, quoiqu'elle en soit sépa- rée par une gorge ou par un vallon ; et les lits de pierre ne di'sparoissent entièrement que dans les lieux où la montagne s'abaisse et se met au niveau de quelque grande plaine. Quelquefois entre la première couche de terre végétale et celle de gravier, on en trouve une de marne qui communique sa couleur et ses autres caractères aux deux autres : alors les fentes perpen- diculaires des carrières qui sont au dessous sont rem- plies de cette marne, qui y acquiert une dureté pres- que égale en apparence à celle de la pierre, mais en l'exposant à l'air, elle se gerce, elle s'amollit, et elle devient grasse et ductile. Dans la plupart des carrières, les lits qui forment le dessus ou le sommet de la montagne sont de pierre ART. XVII. ÎLES NOUVELLES, CAVERNES, /p^ tendre , et ceux qui forment la base de la montagne sont de pierre dure; la première est ordinairement blanche, d'un grain si fin, qu'à peine il peut être aperçu : la pierre devient plus grenue et plus dure à mesure qu'on descend ; et la pierre des bancs les plus bas est non seulement plus dure que celle des lits su- périeurs, mais elle est aussi plus serrée, plus com- pacte et plus pesante; son grain est fin et brillant, et souvent elle est aigre , et se casse presque aussi net que le caillou. Le noyau d'une montagne est donc composé de différents lits de pierre, dont les supérieurs sont de pierre tendre, et les inférieurs de pierre dure. Le noyau pierreux est toujours plus large à la base, et plus pointu ou plus étroit au sommet : on peut en at- tribuer la cause à ces différents degrés de dureté que l'on trouve dans les lits de pierre ; car comme ils de- viennent d'autant plus durs qu'ils s'éloignent davan- tage du sommet de la montagne, on peut croire que les courants et les autres mouvements des eaux qui ont creusé les vallées et donné la figure aux contours des montagnes, auront usé latéralement les matières dont la montagne est composée, et les auront dégra- dées d'autant plus qu'elles auront été plus molles : en sorte que les couches supérieures, étant les plus ten- dres, auront souffert la plus grande diminution sur leur largeur, et auront été usées latéralement plus que les autres; les couches suivantes auront résisté un peu davantage; et celles de la base, étant plus anciennes, plus solides, et formées d'une matière plus compacte et plus dure, auront été plus en état que toutes les autres de se défendre contre l'action des causes exté- 4l4 THÉORIE DE LA TERRE. Heures, et elles n'auront soufl'ert que peu ou point de diminution latérale par le frottement des eaux. C'est là l'une des causes auxquelles on peut attribuer l'origine de la pente des montagnes; cette pente sera devenue encore plus douce, à mesure que les terres du sommet et les graviers auront coulé et auront été entraînés par les eaux des pluies : et c'est par ces deux raisons que toutes les collines et les montagnes qui ne sont composées que de pierres calcinables ou d'au- tres matières lapidiûques calcinables, ont une pente qui n'est jamais aussi rapide que celle des montagnes composées de roc vif et de caillou en grande masse, qui sont ordinairement coupées à plomb à des hau- teurs très considérables, parce que dans ces masses de matières vitrifiables les lits supérieurs, aussi bien que les lits inférieurs, sont d'une très grande dureté, et qu'ils ont tous également résisté à l'action des eaux, qui n'a pu les user qu'également de haut en bas, et leur donner par conséquent une pente perpendicu- laire ou presque perpendiculaire. Lorsque au dessus de certaines collines, dont le sommet est plat et d'une assez grande étendue, on trouve d'abord de la pierre dure sous la couche de terre végétale, on remarquera, si l'on observe les en- virons de ces collines, que ce qui paroît en être le sommet ne l'est pas en efl'et, et que ce dessus de col- lines n'est que la continuation de la pente insensible de quelque colline plus élevée; car après avoir tra- versé cet espace de terrain, on trouve d'autres émi- nences qui s'élèvent plus haut, et dont les couches supérieures sont de pierre tendre, et les inférieures de pierre dure : c'est le prolongement de ces derniè- ART. XVII. ÎLES NOUVELLES, CAVERNES. ^\S res couches qu'on retrouve au dessus de la première colline. Lorsqu'au contraire on trouve une carrière à peu près au sommet d'une montagne, et dans un terrain qui n'est surmonté d'aucune hauteur considérable, on n'en tire ordinairement que de la pierre tendre, et il faut fouiller très profondément pour trouver la pierre dure. Ce n'est jamais qu'entre ces lits de pierre dure que l'on trouve des bancs de marbres : ces mar- bres sont diversement colorés par les terres métalli- ques que les eaux pluviales introduisent dans les cou- ches par infdtration, après les avoir détachées des autres couches supérieures; et on peut croire que dans tous les pays où il y a de la pierre, on trouve- roit des marbres si l'on fouilloit assez profondément pour arriver aux bancs de pierre dure : c/iioto enim loco non suant niarmor invenilur? dit Pline. C'est en effet une pierre bien plus commune qu'on ne le croit, et qui ne diffère des autres pierres que par la finesse du grain, qui la rend plus compacte et susceptible d'un poli brillant; qualité qui lui est essentielle, et de laquelle elle a tiré sa dénomination chez les an- ciens. Les fentes perpendiculaires des carrières et les joints des lits de pierre sont souvent remplis ou in- crustés de certaines concrétions, qui sont tantôt trans- parentes comme le cristal , et d'une figure régulière, et tantôt opaques et terreuses; l'eau coule par les fen- tes perpendiculaires, et elle pénètre même le tissu serré de la pierre; les pierres qui sont poreuses s'im- bibent d'une si grande quantité d'eau, que la gelée les fait fendre et éclater. Les eaux pluviales, en cri- 4l6 THÉOIUE DE LA TERRE. Liant à travers les lits d'une carrière, et pendant le séjour qu'elles font dans les couches de marne, de pierre, de marbre, en détachent les molécules les moins adhérentes et les plus fines, et se chargent de toutes les matières qu'elles peuvent enlever ou dis- soudre. Ces eaux coulent d'abord le long des fentes perpendiculaires; elles pénètrent ensuite entre les lits de pierre; elles déposent entre les joints horizontaux, aussi bien que dans les fentes perpendiculaires, les matières qu'elles ont entraînées, et elles y forment des congellations différentes, suivant les différentes matières qu'elles déposent : par exemple , lorsque ces eaux gouttières criblent à travers la marne, la craie , ou la pierre tendre , la matière qu'elles déposent n'est aussi qu'une marne très pure et très fine qui se pelo- tonne ordinairement dans les fentes perpendiculaires des rochers sous la forme d'une substance poreuse, molle , ordinairement fort blanche et très légère, que les naturalistes ont appelée lac lunœ ou mcdidla saxl. Lorsque ces filets d'eau chargés de matière lapidi- fique s'écoulent par les joints horizontaux des lits de pierre tendre ou de craie, cette matière s'attache à la superficie des blocs de pierre, et elle y forme une croûte écailleuse , blanche, légère, et spongieuse. C'est cette espèce de matière que quelques auteurs ont noQimé agaric minéral j, par sa ressemblance avec l'agaric végétal. Mais si la matière des couches a un certain degré de dureté, c'est-à-dire si les lits de la carrière sont de pierre dure ordinaire, de pierre pro- pre à faire de la bonne chaux, le filtre étant alors plus serré , l'eau en sortira chargée d'une matière lapidi- fique plus pure, plus homogène, et dont les mole- ART. XVII. ÎLES NOUVELLES, CAVETINES. l[\'J Cilles pourront s'engrener plus exactement, s unir plus intimement; et alors il s'en formera des congélations qui auront à peu près la dureté de la pierre et un peu de transparence, et l'on trouvera dans ces carrières, sur la superficie des blocs, des incrustations pierreuses disposées en ondes, qui remplissent entièrement les joints horizontaux. Dans les grottes et dans les cavités des rochers, qu'on doit regarder comme les bassins et les égouts des fentes perpendiculaires, la direction diverse des filets d'eau qui charrient la matière lapidifique donne aux concrétions qui en résultent des formes différen- tes; ce sont ordinairement des culs-de-lampe et des cônes renversés qui sont attachés à la voûte , ou bien ce sont des cylindres creux et très blancs formés par des couches presque concentriques à l'axe du cylin- dre ; et ces congellatioas descendent quelquefois jus- qu'à terre , et forment dans ces lieux souterrains des » colonnes et mille autres figures aussi bizarres que les noms qu'il a plu aux naturalistes de leur donner : tels sont ceux de stalactites, stalagmites, ostéocolles, etc. Enfin, lorsque ces sucs concrets sortent immédia- tement d'une matière très dure, comme des marbres et des pierres dures, la matière lapidifique que l'eau charrie étant aussi homogène qu'elle peut l'être, et l'eau en ayant , pour ainsi dire, plutôt dissous que dé- taché les petites parties constituantes, elle prend, en s'unissant, une figure constante et régulière ; elle forme des colonnes à pans, terminées par une pointe trian- gulaire , qui sont transparentes, et composées de cou- ches obliques : c'est ce qu'on appelle sparr ou spalt. Ordinairement cette matière est transparente et sans 4l8 THÉORIE DE LA TERRE. couleur; mais quelquefois aussi elle est colorée lors- que la pierre dure, ou le marbre dont elle sort, con- tient des parties métalliques. Ce sparr a le degré de dureté de la pierre ; il se dissout, comme la pierre, par les esprits acides; il se calcine au même degré de cha- leur : ainsi on ne peut pas douter que ce ne soit de la vraie pierre, mais qui est devenue parfaitement homo- gène; on pourroit même dire que c'est de la pierre pure et élémentaire, de la pierre qui est sous sa forme propre et spécifique. Cependant la plupart des naturalistes regardent cette matière comme une substance distincte et exis- tante indépendamment de la pierre ; c'est leur suc lapidilique ou cristallin , qui , selon eux , lie non seu- lement les parties de la pierre ordinaire , mais même celles du caillou. Ce suc , disent-ils, augmente la den- sité des pierres par des infiltrations réitérées ; il les rend chaque jour plus pierres qu'elles n'étoient , et il les convertit enfin en véritable caillou ; et lorsque ce suc s'est fixé en sparr, il reçoit, par des infiltrations réitérées, de semblables sucs encore plus épurés, qui en augmentent la densité et la dureté , en sorte que cette matière ayant été successivement sparr, verre, ensuite cristal , elle devient diamant. Ainsi toutes les pierres, selon eux, tendent à devenir caillou, et toutes les matières transparentes à devenir diamant. Mais, si cela est, pourquoi voyons-nous que dans de très grands cantons, dans des provinces entières, ce suc cristallin ne forme que de la pierre , et que dans d'autres provinces il ne forme que du caillou ? Dira-t-on que ces deux terrains ne sont pas aussi an- ciens l'un que l'autre; que ce suc n'a pas eu le temps ART. XVII. ÎLES NOUVELLES, CAVERNES. 4^9 de circuler et d'agir aussi long- temps dans l'un que dans l'autre? cela n'est pas probable. D'ailleurs, d'où ce suc peut-il venir? s'il produit les pierres et les cail- loux , qu'est-ce qui peut le produire lui-même ? Il est aisé de voir qu'il n'existe pas indépendamment de ces matières, qui seules peuvent donner à l'eau qui les pénètre cette qualité pétrifiante toujours relativement à leur nature et à leur caractère spécifique, en sorte que dans les pierres elles forment du sparr, et dans les cailloux du cristal ; et il y a autant de différentes espèces de ce suc qu'il y a de matières différentes qui peuvent le produire et desquelles il peut sortir. L'expé- rience est parfaitement d'accord avec ce que nous di- sons; on trouvera toujours que les eaux gouttières des carrières de pierres ordinaires forment des concré- tions tendres et calcinables, comme ces pierres le sont ; qu'au contraire celles qui sortent du roc vif et du caillou forment des congélations dures et vitrifia- bles , et qui ont toutes les autres propriétés du caillou , comme les premières ont toutes celles de la pierre ; et les eaux qui ont pénétré des lits de matières minérales et métalliques, donnent lieu à la production des py- rites, des marcassites, et des grains métalliques. Nous avons dit qu'on pouvoit diviser toutes les ma- tières en deux grandes classes et par deux caractères généraux; les unes sont vitrifiables, les autres sont calcinables : l'argile et le caillou , la marne et la pierre , peuvent être regardés comme les deux extrêmes de chacune de ces classes, dont les intervalles sont rem- plis par la variété presque infinie des mixtes, qui ont toujours pour base l'une ou l'autre de ces matières. Les matières de la première classe ne peuvent ja- 4^0 THÉORIE DE LA TERRE. mais acquérir la nature et les propriétés de celles de l'autre : la pierre, quelqu'ancienne qu'on la suppose, sera toujours aussi éloignée de la nature du caillou que l'argile l'est de la marne ; aucun agent connu ne sera jamais capable de les faire sortir du cercle de combinaisons propre à leur nature. Les pays où il n'y a que des marbres et de la pierre n'auront jamais que des marbres et de la pierre, aussi certainement que ceux où il n'y a que du grès , du caillou , et du roc vif, n'auront jamais de la pierre ou du marbre. Si l'on veut observer l'ordre et la distribution des matières dans une colline composée de matières vi- trifiables , comme nous l'avons fait tout à l'heure dans une colline composée de matières calcinables , on trouvera ordinairement sous la première couche de terre végétale un lit de glaise ou d'argile , matière vi- trifiable et analogue au caillou, et qui n'est, comme je l'ai dit, que du sable vitrifiable décomposé; ou bien on trouve sous la terre végétale une couche de sable vitrifiable. Ce lit d'argile ou de sable répond au lit de gravier qu'on trouve dans les collines composées de matières calcinables. Après cette couche d'argile ou de sable , on trouve quelques lits de grès , qui le plus souvent n'ont pas plus d'un demi -pied d'épais- seur, et qui sont divisés en petits morceaux par une infinité de fentes perpendiculaires, comme le moellon du troisième lit de la colline composée de matières calcinables. Sous ce lit de grès on en trouve plusieurs autres de la même matière , et aussi des couches de sable vitrifiable ; et le grès devient plus dur et se trouve en plus gros blocs à mesure que l'on descend. Au des- sous de ces lits de grès, on trouve une matière très ART. XV II. ÎLES NOUVELLES, C AVER NE S. 4'^- * dure, que j'ai appelée du roc vif ou du caillou eu grande masse : c'est une matière très dure , très dense , qui résiste à la lime , au burin, à tous les esprits aci- des, beaucoup plus que n'y résiste le sable vitrifiable, et même le verre en poudre, sur lesquels l'eau-forle paroît avoir quelque prise. Cette matière, frappée avec un autre corps dur, jette des étincelles, et elle exhale une odeur de soufre très pénétrante. J'ai cru devoir appeler cette matière du caillou en grande masse : il est ordinairement stratifié sur d'autres lits d'argile, d'ardoise, de charbon de terre , et de sable vitrifiable. d'une très grande épaisseur; et ces lits de cailloux en grande masse répondent encore aux cou- ches de matières dures et aux marbres qui servent de base aux collines composées de matières calcinables. L'eau, en coulant par les fentes perpendiculaires , et en pénétrant les couches de ces sables vitrifiables, de ces grès, de ces argiles, de ces ardoises, se charge des parties les plus fines et les plus homogènes de ces matières, et elle en forme plusieurs concrétions différentes, telles que les talcs , les amiantes, et plu- sieurs autres matières qui ne sont que des produc- tions de ces stillations de matières vitrifiables, comme nous l'expliquerons dans notre discours sur les miné- raux. Le caillou , malgré son extrême dureté et sa grande densité, a aussi , comme le marbre ordinaire et comme la pierre dure , ses exsudations; d'où résultent des stalactites de différentes espèces , dont les variétés dans la transparence , les couleurs, et la configura- tion, sont relatives à la différente nature du caillou qui les produit , et participent aussi des différentes liHfVOS. II. '!-] 4'^2 tïîkoriï: de la tert.e. matières métalliques ou hétérogènes qu'il cou tient : le cristal de rocbe , toutes les pierres précieuses, blanches ou colorées, et même le diamant, peuvent être regardés comme des stalactites de cette espèce. Les cailloux en petites masses, dont les couches sont ordinairement concentriques, sont aussi des stalacti- tes et des pierres parasites du caillou en grande masse, et la plupart des pierres fines opaques ne sont que des espèces de caillou. Les matières du genre vitrifiable produisent, comme l'on voit, une aussi grande va- riété de concrétions que celles du genre calcinable ; et ces concrétions produites par les cailloux sont pres- que toutes des pierres précieuses, au lieu que celles de la pierre calcinable ne sont que des matières ten- dres et qui n'ont aucune valeur. On trouve les fentes perpendiculaires dans le roc et dans les lits de cailloux en grande masse , aussi bien que dans les lits de marbre et de pierre dure : souvent même elles y sont plus larges, ce qui prouve que cette matière, en prenant corps, s'est encore plus dessé- chée que la pierre. L'une et l'autre de ces collines dont nous avons observé les couches, celles de ma- tières calcinables, et celles de matières vitrifiables, sont soutenues tout au dessous sur l'argile ou sur le sable vitrifiable, c[ui sont les matières communes et générales dont le globe est composé , et que je re- garde comme les parties les plus légères, comme les scories de la matière vitrifiée dont il est rempli à l'in- térieur : ainsi toutes les montagnes et toutes les plai- nes ont pour base commune l'argile ou le sable. On voit par l'exemple du puits d'Amsterdam , par celui de Marly-la-Yille, qu'on trouve toujours au plus pro- à HT. XVII. ILES NOUVELLES, CAVi-Iir^ES. /yiT) fond (lu sable viuiiiahle : j'en rapporterai d'autres exemples dans mon discours sur les minéraux. On peut observer, dans la plupart des rochers dé- couverts, que les parois des fentes perpendiculaires se correspondent aussi exactement que celles d'un morceau de bois fendu; et cette correspondance se trouve aussi bien dans les fentes étroites qu« dans les plus lari^es. Dans les grandes carrières de l'Arabie , qui sont presque toutes de granité, ces fentes ou sépara- tions perpendiculaires sont très sensibles et très fré- quentes; et quoiqu'il y en ait qui aient jusqu'à vingt et trente aunes de large, cependant les côtés se rap- portent exactement, et laissent une profonde cavit<' entre les deux. Il est assez ordinaire de trouver dans les fentes perpendiculaires des coquilles rompues en deux, de manière que chaque morceau demeui^ atta- ché à la pierre de chaque côté de la fente ; ce qui fait voir que ces coquilles étoient placées dans le solide de la couche horizontale lorsqu'elle étoit continue, et avant que la fente s'y fût faite. Il y a de certaines matières dans lesquelles les fentes perpendiculaires sont fort larges, comme dans les car- rières que cite M. Shaw; c'est peut-être ce qui fait qu'elles y sont moins fréquentes. Dans les carrières de roc vif et de granité, les pierres peuvent se tirer en très grandes masses : nous en connoissonsdes mor- ceaux, comme les grands obélisques et les colonnes qu'on voit à Rome en tant d'endroits, qui ont plus de soixante, quatre-vingts, cent, et cent cinquante pieds de longueur sans aucune interruption ; ces énormes blocs sont tous d'une seule pierre continue. 11 paroit que ces masses de granité ont été travaillées dans k 4 2 4 TllKOÎlIE DE LA TE RUE. carrière même, et qu'on leur donnoit telle épaisseur que Ton vouloit, à peu près comme nous voyons que, dans les carrières de grès qui sont un peu profondes, on tire des blocs de telle épaisseur que l'on veut. Il y a d'autres matières où ces fentes perpendiculaires sont fort étroites : par exemple, elles sont fort étroites dans l'argile, dans la marne, dans la craie; elles sont, au contraire, plus larges dans les marbres et dans la plu- part des pierres dures. Il y en a qui sont impercepti- bles et qui sont remplies d'une matière à peu près semblable à celle de la masse où elles se trouvent, et qui cependant interrompent la continuité des pierres; c'est ce que les ouvriers appellent des poils : lorsqu'ils débitent un grand morceau de pierre , qu'ils le rédui- sent à une petite épaisseur, comme à un demi-pied y la piene se casse dans la direction de ce poil. J'ai sou- vent remarqué , dans le marbre et dans la pierre , que ces poils traversent le bloc tout entier : ainsi ils ne diffèrent des fentes perpendiculaires que parce qu'il n'y a pas solution totale de continuité. Ces espèces de fentes sont remplies d'une matière transparente, et qui est du vrai sparr. Il y a un grand nombre de fentes considérables entre les différents rochers qui compo- sent les carrières de grès ; cela vient de ce que ces ro- chers portent souvent sur des bases moins solides que celles des marbres ou des pierres calcinables, qui por- tent ordinairement sur des glaises, au lieu que les grès ne sont le plus souvent appuyés que sur du sable ex- trêmement fui : aussi y a-t-il beaucoup d'endroits où l'on ne trouve pas les grès en grande masse ; et, dans la plupart des carrières où l'on tire le bon grès, on peut remarquer qu'il est en cubes et en parallélipi- ART. XVII. ÎLES iNOLVELLES, CAVEK.XES. .|2,1 pèdes posés les uns sur les autres d'une manière assez irrégulière, comme dans les collines de Fontainebleau, qui de loin paroisse nt être des ruines de bâtiments. Cette disposition irrégulière vient de ce que la base de ces collines est de sable, et qi^e les masses de grès se sont éboulées, renversées, et affaissées les unes sur les autres, surtout dans les endroits où on a travaillé autrefois pour tirer du grès , ce qui a formé un grand nombre de fentes et d'intervalles entre les blocs; et si on y veut faire attention, on remarquera dans tous les pays de sable et de grès, qu'il y a des morceaux de rochers et de grosses pierres dans le milieu des val- lons et des plaines en très grande quantité, au lieu que, dans les pays de marbre et de pierre dure, ces morceaux dispersés et qui ont roulé du dessus des col- lines et du haut des montagnes, sont fort rares ; ce qui ne vient que de la différente solidité de la base sur laquelle portent ces pierres, et de l'étendue des bancs de marbre et de pierres calcinables, qui est plus con- sidérable que celle des grès. iSwr tes cavernes formées par le feu primitif. * Je n'ai parlé, dans ma Théorie de la terre, que de deux sortes de cavernes, les unes produites par le feu des volcans, et les autres par le niouvement des eaux souterraines : ces deux espèces de cavernes ne sont pas situées à de grandes profondeurs; elles sont même nouvelles, en comparaison des autres cavernes bien plus vastes et bien plus anciennes, qui ont du se for- mer dans le temps de la consolidation du globe ; car c'est dès lors que se sont faites les éminences et les profon- ■> •-: (S T II É O n 1 E D E L A T E î\ ÎV i: 4 dcuvsde sa superficie, et toutes lesboursouflures etca^. vîtes de son intérieur, surtout dans les parties voisines deiasurface. Plusieurs de cescavernes produitespar le feu primitif, après s'être soutenues pendant quelque temps se sont ensuite fendues par le refroidissement successif, qui diminue !e volume de toute matière ; bien- tôt elles se seront écroulées, et par leur affaissement elles out formé les bassins actuels delà mer, où les eaux , qui étoient autrefois très élevées au dessus de ce ni- veau, se sont écoulées et ont abandonné les terres qu'elles couvroient dans le commencement : il est plus que probable qu'il subsiste encore aujourd'hui dans l'intérieur du globe un certain nombre de ces ancien- nes cavernes, dont l'affaissement pourra produire de seml^lables effets, en abaissant quelques espaces du globe, qui deviendront dès lors de nouveaux récep- tacles pour les eaux; et dans ce cas, elles abandon- neront en partie le bassin qu'elles occupent aujour- d'hui, pour couler par leur pente naturelle dans ces endroits plus bas. Par exemple, on trouve des bancs de coquilles marines sur les Pyrénées jusqu'à quinze cents toises de hauteur au dessus du niveau de la mer actuel, il est donc bien certain que les eaux, dans le temps de la formation de ces coquilles, étoient de quinze cents toises plus élevées qu'elles ne le sont aujourd'hui; mais lorsqu'au bout d'un temps les ca- vernes c[ui soutenoient les terres de l'espace où gît actuellement l'Océan Atlantique se sont affaissées, les eaux, qui couvroient les Pyrénées et l'Europe entière, am^ont coulé avec rapidité pour remplir ces bassins, et auront par conséquent laissé à découvert toutes les terres de cette partie du monde. La même chose doit ART. XVII. ÎLES NOUVELLES, CAVERNES. Lyjr s'entendre de tous les antres pays; il paroît qu'il n'y a que les sommets des plus hautes montagnes aux- quels les eaux de la mer n'aient jamais atteint, parce qu'ils ne présentent aucuns débris des productions marines, et ne donnent pas des indices aussi évidents du séjour des mers : néanmoins comme quelques unes des matières dont ils sont composés, quoique toutes du genre vitrescible, semblent n'avoir pris leur soli- dité, leur consistance, et leur dureté que par l'inter- mède et le gluten de l'eau , et qu'elles paroissent s'être formées, comme nous l'avons dit, dans les masses de sable ou de poussière de verre qui é Soient autrefois aussi élevées que ces pics de montagnes, et que les eaux des pluies ont, par succession de temps, entraînées à leur pied, on ne doit pas prononcer af- firmativement que les eaux de la mer ne se soient ja- mais trouvées qu'au niveau où l'on trouve des coquil- les; elles ont pu être encore plus élevées, même avant le temps où leur température a permis aux coquilles d'exister. La plus grande hauteur à laquelle s'est trou- vée la mer universelle , ne nous est pas connue ; mais c'est en savoir assez que de pouvoir assurer que les eaux étoient élevées de quinze cents ou deux mille toises au dessus de leur niveau actuel, puisque les coquilles se trouvent à quinze cents toises dans les Pyrénées et à deux mille toises dans les Cordilières. Si tous les pics des montagnes étoient formés de verre solide ou d'autres matières produites immédia- tement par le feu, il ne seroit pas nécessaire de re- courir à l'autre cause , c'est-à-dire au séjour des eaux, pour concevoir comment elles ont pris leur consis- tiince; mais la plupart de ces pics ou pointes de mon- /j 9. 8 'i^ Il !■: o n 1 1': d i: l a -j- e r ti e . taojiies paroisseut être composés de matières qui, quoique vitrescibles, ont pris leur solidité et acquis leur nature par l'intermède de l'eau. On ne peut donc guère décider si le feu primitif seul a produit leur con- sistance actuelle, ou si l'intermède et le gluten de l'eau de la mer n'ont pas été nécessaires pour ache- ver l'ouvrage du feu, et donner à ces masses vitres- cibles la nature qu'elles nous présentent aujourd'hui. Au reste, cela n'empêche pas que le feu primitif, qui d'abord a produit les plus grandes inégalités sur la sur- face du globe, n'ait eu la plus grande part à l'établis- sement des cliaîoes de montagnes qui en traversent la surface, et que les noyaux de ces grandes monta- gnes ne soient tous des produits de l'action du feu, tandis que les contours de ces mêmes montagnes n'out été disposés et travaillés par les eaux que dans des temps subséquents; en sorîe que c'est sur ces mêmes contours et à de certaines hauteurs que l'on trouve des dépôts de coquilles et d'autres productions de la mer. Si l'on veut se former une idée nette des plus an- ciennes cavernes, c'est-à-dire de celles qui ont élé formées par le feu primitif, il faut se représenter le globe terrestre dépouillé de toutes ses eaux, et de toutes les matières qui en recouvrent la surface jus- qu'à la profondeur de mille ou douze cents pieds. En séparant par la pensée cette couche extérieure de terre et d'eau , le globe nous présentera la forme qu'il avoit à peu près dans les premiers temps de sa conso- lidation. La roche vitrescib!e , ou , si l'on veut , le verre fondu , en compose la masse entière ; et cette matière, en se consolidant et se refroidissant, a formé, comme toutes les autres matières fondues, des éminences, ART. XVll. ILJ-S AOLVELLES, CAVEUiNES. l\.2() (les profondeurs, des cavités, des boursouflures dans toute l'étendue de la surface du globe. Ces cavités in- térieures formées par le feu sont les cavernes primi- tives, et se trouvent en bien plus grand nombre vers les contrées du Midi que dans celles du JNord, parce que le mouvement de rotation qui a élevé ces parties de l'équateur avant la consolidation y a produit un plus grand déplacement de la matière, et, en retar- dant cette même consolidation, aura concouru avec l'action du feu pour produire un plus grand nombre de boursouflures et d'inégalités dans cette partie du globe que dans toute autre. Les eaux venant des pôles n'ont pu gagner ces contrées méridionales, encore brûlantes, que quand elles ont été refroidies; les cavernes qui les soutenoient s'étant successivement écroulées, la surface s'est abaissée et rompue en mille et mille endroils. Les plus grandes inégalités du globe se trouvent, par cette raison, dans les climats méridio- naux : les cavernes primitives y sont encore en plus grand nombre que partout ailleurs; elles y sont aussi situées plus profondément, c'est-à-dire peut-être jusqu'à cinq et six lieues de profondeur, parce que la matière du globe a été remuée jusqu'à cette profon- deur par le mouvement de rotation , dans le temps de sa liquéfaction. Mais les cavernes qui se trouvent dans les hautes montagnes ne doivent pas toutes leur ori- gine à cette même cause du feu primitif : celles qui gisent le plus profondément au dessous de ces mon- tagnes, sont les seules qu'on puisse attribuer à l'ac- tion de ce premier feu ; les autres, plus extérieures et plus élevées dans la montagne, ont été formées par des causes secondaires, comme nous l'avons exposé. Le iiun-O', H. 28 /j3o THÉORIE DE LA TERRE. giobe, dépouillé des eaux et des matières qu'elles oui transportées, offre donc à sa surface un sphéroïde bien plus irrégulier qu'il ne nous paroît le tre avec cette enve- loppe. Les grandes chaînes de montagnes, leurs pics, leurs cornes , ne nous présentent peut-être pas au- jourd'hui la moitié de leur hauteur réelle ; toutes sont attachées par leur base à la roche vitrescible qui fait le fond du globe, et sont de la même nature. Ainsi l'on doit compter trois espèces de cavernes produites par la nature; les premières, en vertu de la puissance du feu primitif; les secondes, par l'action des eaux; et les troisièmes, par la force des feux souterrains : et chacune de ces cavernes différentes par leur ori- gine, peuvent être distinguées et reconnues à l'inspec- tion des matières qu'elles contiennent ou qui les en- vironnent. [Add. Buff, ) FIN DU DEUXIEME VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS LE DEUXIÈME VOLUME. SUITE DES PREUVES DE LA THÉORIE DE LA TERRE. Article VIII. Sur les coquilles et autres productions de la mer qu'on trouve dans l'intérieur de la terre Page 7 Art. IX. Sur les inégalités de la surface de la terre 67 Art. X. Des fleuves 92 Art. XL Des mers et des lacs i34 Sur les parties septentrionales de la mer Atlantique. ... 191 Sur les lacs salés de l'Asie 201 Art. XII. Du flux et reflux 200 Art. XIII. Des inégalités du fond de la mer et des courants. 2i5 Art. XIV. Des vents réglés 235 Sur l'état de l'air au dessus des hautes montagnes 255 Sur quelques vents qui varient régulièrement 269 Sm* les lavanges 260 Art. XV. Des vents irréguliers, des ouragans, des trombes, et de quelques autres phénomènes causés par l'agitation de la mer et de l'air 263 Sur la violence des vents du midi dans quelques contrées septentrionales ' 285 Sur les trombes. 286 Art. XVI. Des volcans et des tremblements de terre 294 Sur les tremblcmenls de terre 02»? /jjy TABLE. Des volcans Pago 335 Exeuii)lc.s des cliangemenls arrivés dans les volc.ms. . . . 354 Des volcans éteints 5G(j Des laves et basaltes 5S3 AuT. XVII. Des îles nouvelles, des cavernes, des fentes j)ei- pendiculaires, eic 3()5 Sur les cavernes formées par ic l'eu primilii' /jaf) FIN DE LA TAR i i;\ii' i'Al.lH ^v>^^ ^n. 'n3