intnie LTITS ri Fer u ŒUVRES COMPLÈTES FRANCOIS ARAGO TOME TROISIÈME La propriété littéraire des divers ouvrages de FRANÇOIS ARAGO, étant soumise à des délais légaux différents, selon qu'ils sont ou non des œuvres posthumes, les éditeurs ont publié chaque ouvrage séparément, Ce titre collectif n’est donné ici que pour indiquer au relieur le meilleur classement à adopter. Par la mème raison, la réserve du droit de traduction est faite au titre et au verso du faux-titre de chaque ouvrage séparé. PARIS, — IMPRIMERIE DE 3, CLANE, RACE SAINT-BENOÏ, 7, A653% ŒUVRES COMPLÈTES .DE FRANÇOIS ARAGO SECRÉTAIRE #WERPÉTUEL DE L’'ACADÉMIE DES SCIENCES PUBLIÉES D'APRÈS SON ORDRE SOUS LA DIRECTION LE M. J.-A. BARRAL Aucien Elève de l'Ecole Polytechnique, ancien Répétiteur dans cet Établissement. TOME TROISIÈME PARIS | LEIPZIG GIDE Er J. BAUDRY, ÉDITEURS T. O0. WEIGEL, ÉDITEUR 5 Rue Bonaparte Konigs - Strasse Le droit de traduction est réservé au titre de chaque ouvrage sépare. 1855 GE RTE FR HAE EN DAICDAS AT T NOTICES BIOGRAPHIQUES TOME TROISIÈME Les deux fils de FRANÇOIS ARAGo, seuls héritiers de ses droits, ainsi qne les éditeurs-propriétaires de ses œuvres, se réservent le droit de faire traduire les NoTiCEs BIOGRAPHIQUES dans toutes les langues. Ils poursuivront, en vertu des lois, des décrets et des traités internationaux , toute contrefaçon ou toute traduction, même partielle, faite au mépris de leurs droits. Le dépôt légal de ce volume a été fait à Paris, au Ministère de l'Intérieur, à la fin de mars 1855, et simultanément à la Direction royale du Cercle de Leipzig. Les éditeurs ont rempli dans les autres pays toutes les formalités | prescrites par les lois nationales de chaque État, ou par les traités interna- tionaux. L unique traduction en langue allemande, autorisée par les deux fils de François ARAGo et les éditeurs, a été publiée simultanément à Leipzig, par Orro WiGanp, libraire-éditeur, et le dépôt légal eu a été fait partout où les lois l’exigent. PARIS. —— IMPRIMERTE DE 3, CLAYE, RUE SAIXT-BEXOÎT , 7 DE FRANCOIS ARAGO DE L’'ACADÉMIE DES SCIENCES PUBLIÉES D'APRÈS SON ORDRE SOUS LA DIRECTION DE M. J.-A. BARRAL NOTICES BIOGRAPHIQUES TOME TROISIÈME n "h F 2. =. | PARIS | LETPZIG GIDE er J. BAUDRY, ÉDITEURS T. O0. WEIGEL, ÉDITEUR 5 Rue Bonaparte | Konigs- Strasse Les propriétaires se réservent le droit de faire traduire ce volume, 1859 NOTICES BIOGRAPHIQUES GAY-LUSSAC BIOGRAPHIE LUE EN SÉANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES , LE 20 DÉCEMBRE 1852. INTRODUCTION. La biographie dont je vais donner lecture est d'une longueur inusitée, malgré les nombreuses coupures que j'y ai faites ce matin même. Je pourrais, pour m'excuser, dire que Gay-Lussac n’était pas un académicien ordi- naire , qu’il occupera une place très-éminente dans l his- toire scientifique de la première moitié du xix° siècle, que les titres seuls des importants Mémoires qu’il a pu- : bliés rempliraient un grand nombre de pages, etc., etc. ; mais j'aime mieux l'avouer sincèrement, je me suis aperçu trop tard que j'avais dépassé les limites générale- ment convenues , et lorsqu'il ne me restait plus le temps nécessaire pour donner une autre forme à mon travail. 1. OEuvre posthume. II [, cosa: III, 4 2 GAY-LUSSAC. Je me soumets donc sans réserve aux critiques qu’on pourra m'adresser à ce sujet. Je ferai seulement remar- quer à tous ceux qui, venant chercher ici un délassement, n'y trouveraient malheureusement que de la fatigue, qu’un vieillard se laissant entraîner à parler avec trop de développement des mérites divers d’un ami, a peut-être droit à quelque indulgence. ENFANCE DE GAY-LUSSAC. — SON ADMISSION A L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. Joseph-Louis Gay-Eussac, un des savants les plus illustres dont la France puisse se glorifier, naquit le 6 septembre 1778, à Saint-Léonard, petite ville de l’an- cien Limousin, située près des frontières de l'Auvergne, Son grand-père était médecin, et son père procureur du roi et juge au Pont de Noblac. Ceux qui ont eu l’occasion de remarquer la froide réserve qui caractérisait Gay-Lussac dans l’âge mür, s’étonneront sans doute de m’entendre dire que, dans son enfance, il était bruyant, turbulent et très-aventureux. Pour justifier mon appréciation, je citerai un fait entre mille, que j'ai recueilli de la bouche de Gay-Lussac lui- même et que m'ont aussi raconté ses plus proches pa- rents. Un vénérable curé, oncle de notre futur confrère, habitait une maison qui n’était séparée de celle occupée par la famille de Gay-Lussac que par une petite cour; il avait établi son fruitier dans une pièce sur laquelle plon- geaient les regards partant de la chambre où Gay-Lussac étudiait avec son frère, moins âgé d’un an. Le désir de GAY-LUSSAC. 8 goûter au fruit défendu s'empare de Gay-Lussac. Il pose momentanément, avec toutes les difficultés que chacun concevra, une perche entre la fenêtre de sa chambre et celle du bon curé, et armé d’un bâton, à l'extrémité duquel était fortement attachée une lame de couteau, il se place à califourchon sur le pont fragile; parvenu au terme de son excursion aérienne, il brise un carreau, pique avec son arme les plus beaux fruits, rentre triom- phant et sain et sauf dans son appartement. Cette ma- nœuvre, qui pouvait lui coûter la vie, fut répétée plusieurs fois à de courts intervalles; enfin, les parents de Gay- Lussac soupçonnèrent la vérité, et les deux frères furent conduits chez l’ecclésiastique pour lu faire des excuses, La première idée de l’enfant fut de nier, mais la dé- monstration de sa culpabilité devint évidente ; Gay- Lussac éprouva une telle humiliation d’être surpris en flagrant délit de mensonge, qu’il résolut de ne plus jamais trahir la vérité, engagement qu’il a religieusement rem- pli pendant le reste de sa vie. Les personnes qui aiment à saisir dans la première enfance des hommes supérieurs des indices du caractère qu’ils montreront plus tard, me pardonneront si j’interromps un moment l’ordre des dates pour raconter une anecdote que notre confrère se rap- pelait avec une satisfaction bien naturelle ; il y sera aussi question de pommes, Gay-Lussac étant venu à Paris, le directeur de la pen- sion dans laquelle il fut placé s’aperçut un jour qu’on avait entièrement dépouillé plusieurs pommiers de son jardin. Ee méfait ne pouvant, croyait-il, être attribué aux élèves, puisque pour aller de la cour au jardin il fal- i GAY-LUSSAC. lait franchir deux murs élevés, il résolut d’expulser les domestiques. Gay-Lussac l’apprend, sollicite une au- dience, l’obtient, et là il s’écrie : « Les domestiques sont innocents; ce sont les élèves qui ont pris vos fruits; je ne . vous dirai pas qui faisait partie de l’expédition, mais je suis. sûr du fait, car j'en étais! » Ajoutons que la fran- chise exceptionnelle du jeune Gay-Lussac n’eut pour lui en cette circonstance, aucune conséquence fàcheuse. Elle lui valut, au contraire, l'affection toute particulière du directeur de la pension et de sa femme, qui, à partir de cette époque, lui prodiguèrent des soins vraiment pater- nels. Gay-Lussac commença à s'occuper de la langue latine sous la direction d’un ecclésiastique qui résidait à Saint- Léonard, et pour lequel il a toujours montré le plus sincère attachement. Afin de concilier son goût pour les plaisirs bruyants de la jeunesse avec le désir qu’il avait d’accom- plir ses devoirs, après avoir joué toute la journée avec ses camarades, il consacrait à l'étude une partie de ses nuits. La Révolution de 89, si légitime dans son but, et qui commença avec tant de grandeur et de majesté, avait fini par se jeter dans de déplorables écarts. La loi des sus- pects atteignit le père de Gay-Lussac; la translation de cet excellent homme à Paris eût peut-être causé sa mort. Notre ami, fort inquiet, se rendait assidument au club qui se réunissait dans sa ville natale, pour y saisir les moindres indices qui pouvaient menacer son père adoré, La vue d’un jeune homme fort et vigoureux inspira aux meneurs de l’époque le projet de l’enrôler dans l’armée qui alors combattait les Vendéens; Gay-Lussac eût volon- GAY-LUSSAC. 5 tiers pris la capote militaire et le fusil, mais sa tendresse filiale l'emporta ; il prouva qu'aux termes de la loi (il n'avait encore que quinze ans), il était dispensé d'aller rejoindre les défenseurs de la République, et on le laissa en repos. Après le 9 thermidor, le père de Gay-Lussac, qui était heureusement resté dans les prisons de Saint-Léonard, recouvra la liberté. Le premier usage qu’il en fit fut de s'occuper de l'avenir du fils si bien doué qui lui avait donné pendant sa captivité les plus intelligentes preuves d'amour. Il l’envoya à Paris dans la pension de M. Sa- vouret 1, On était alors en 95; la disette, l’impossibilité de nourrir ses élèves, amenèrent M. Savouret à fermer son établissement, Gay-Lussac fut reçu bientôt après dans la pension de M. Sensier, laquelle, placée pendant quelque temps à Nanterre et ensuite à Passy, hors des murs d'enceinte de Paris, jouissait de quelques avantages dont les pensions de la capitale étaient alors privées. J'ai rencontré récemment dans nos assemblées de vieux camarades de collége de Gay-Lussac, et tous en ont conservé les meilleurs souvenirs. L'un d’entre eux, M. Darblay, représentant du peuple, me disait avec effu- sion : « Il était le modèle de ses condisciples; jamais nous ne le vimes, malgré sa vigueur exceptionnelle, se livrer contre aucun d’eux à un mouvement de vivacité ou d’im- patience ; quant à son travail, il était incessant. » L'élève que ses parents avaient conduit au spectacle, et à qui on 1. On voit que je regarde comme un devoir de conserver dans cette Biographie les noms de toutes les personnes qui ont eu des rapports avec notre ami pendant sa jeunesse. 6 GAY-LUSSAC. demandait à quelle heure il était rentré, répondait ordi- nairement : « Je l’ignore, mais il devait être très-tard, puisqu'il n’y avait plus de lumière dans la chambre de Gay-Lussac. » | Bientôt les difficultés sous lesquelles M. Savouret avait succombé, atteignirent M. Sensier lui-même. De tous ses élèves, 1l ne conserva que Gay-Lussac, dont les parents lui adressaient furtivement quelque peu de farine. Réduite à la plus cruelle extrémité, madame Sensier transportait toutes les nuits à Paris, pour le mettre en vente, le lait de deux vaches qu’elle nourrissait dans son jardin; mais les routes étant peu sûres, Gay-Lussac sollicita et obtint la faveur d’escorter quotidiennement sa bienfaitrice, armé d’un grand sabre pendant à un ceinturon. C’est durantle retour, qui se faisait de jour, que notre ami, couché sur la paille de la charrette que montait la laitiêre impro- visée, étudiait la géométrie et l’algèbre, «et se préparait ainsi aux examens de l’École polytechnique, qu’il devait bientôt subir. CR Le 6 nivôse an vx, après des épreuves brillantes, Gay- Lussac reçut le titre si -envié d’élève de l'École polytech- nique. Nous le voyons, dans cet établissement, toujours au courant des travaux exigés, et donnant, dans des heures de récréation, des leçons particulières à ‘des jeunes gens qui se destinaient aux services publics. C’est ainsi qu’il ajoutait de petites sommes aux trente francs que chaque élève de la première École polytechnique recevait pour ses appointements mensuels; c’est ainsi qu'il parvint à se maintenir à Paris sans imposer de nou- veaux sacrifices à sa famille, | -GAY-LUSSAC. 27 Gay-Lussac a été un des élèves les plus distingués de lÉcole polytechnique, comme il en fut plus tard un des “professeurs les plus illustres et les plus goûtés. - DÉBUTS DE GAY-LUSSAC ÆN (CHIMIE. — IL DEVIENT LE COLLA- . BORATEUR -DE BERTHOLLET ET LE RÉPÉTITEUR DU COURS DE FOURCROY. — VOYAGE AÉRONAUTIQUE EXÉCUTÉ AVEC M. BIOT. Berthollet, revenu d'Égypte en compagnie du général Bonaparte, demanda, en 4800, un élève de l'École poly- -technique -dont il voulait faire son aide dans les travaux -du laboratoire. Gay-Lussac fut cet élève privilégié. Ber- ithollet lui suggéra une recherche dont les résultats furent -diamétralement opposés à ceux qu'attendait l’illustre chi- miste. Je n’oserais affirmer que Berthollet ne fut pas un -peu contrarié de se voir ainsi trompé dans ses prévisions, mais iliest certain qu’à d’inverse de tant d’autres savants que je pourrais citer, après un premier mouvement d'humeur, da franchise du jeune expérimentateur ne fit .qu'augmenter l’estime que l’immortel auteur de la Sta- tique chimique avait déjà commencé à lui vouer. « Jeune homme, lui dit-il, votre destinée est de faire des décou- vertes, vous serez désormais mon commensal; je veux, c'est un titre dont je suis certain que j'aurai à me glorifer un jour, je veux être votre père en matière de science. » Quelque temps après, sans abandonner sa position “auprès de M. Berthollet, Gay-Lussac fut nommé répétiteur du cours de Fourcroy, et le remplaça souvent, ce qui lui procura de bonne heure la réputation, qui n’a fait-ensuite que grandir, d'un professeur très-distingué parmi les pro- fesseurs sihabiles que la capitale comptait à cette époque. 8 . GAY-LUSSAC. L'homme, à raison de son poids, de la faiblesse de la force musculaire dont il est doué, semblait condamné à ramper toujours sur la surface de la terre, à ne pouvoir étudier les propriétés physiques des régions élevées de notre atmosphère qu’en montant péniblement au som- met des montagnes; mais quelles sont les difficultés dont le génie allié à la persévérance ne parvienne à triom- pher ? Un savant, qui a été membre de cette Académie, Montgolfier, calcula qu’en raréfiant, à l’aide de la cha- leur, l’air contenu dans un ballon de papier d’une éten- due limitée, on lui donnerait une force ascensionnelle suffisante pour enlever des hommes, des animaux, des instruments de toute espèce. Cette idée fut partiellement réalisée en juin 1783, dans la ville d’Annonai. La popu- lation parisienne étonnée put voir, le 21 novembre de cette même année, des voyageurs intrépides, Pilatre de Roziers et d’Arlandes, se promener dans les airs, suspendus à une montgolfière. Un autre physicien que cette Académie a aussi compté parmi ses membres, Charles, montra la possibilité de faire des ballons avec une étoffe vernie, presque imperméable à l'hydrogène, le plus léger des gaz connus, qui remplacerait l’air chaud avec avantage, De son voyage, exécuté le 1° décembre 1783, en compagnie de l'artiste Robert, avec un ballon ainsi gonflé, datent des ascensions infiniment moins aven- tureuses et qui sont devenues de nos jours un passe-temps pour des désœuvrés, C’est à l’ancienne Académie des sciences qu’il faut également remonter, si l’on veut trouver un des pre- GAY-LUSSAC. 9 miers voyages scientifiquement utiles, qu’on ait entrepris avec des ballons à gaz hydrogène. Il paraissait résulter des expériences faites pendant une ascension exécutée par Robertson et Lhoest à Ham- bourg, le 18 juillet 1803, et renouvelée à Saint-Péters- bourg, sous les auspices de l’Académie impériale de cette ville, par le même Robertson et le physicien russe Saccharoff, le 30 juin 1804, que la force magnétique qui dirige l'aiguille aimantée à la surface de la terre, s’affaiblit considérablement à mesure qu’on s'élève dans Patmosphère. Ce. fait, qui venait confirmer la dimi- nution de cette même force que M. de Saussure avait cru reconnaître dans son célèbre voyage au Col du Géant, parut avec raison assez important aux principaux membres de l’Institut, pour justifier une expérience solennelle. Elle fut confiée à deux physiciens, MM. Biot et Gay-Lussac, jeunes, entreprenants et courageux. Ce dernier terme pourra sembler empreint d’un peu d’exa- gération à ceux qui de nos jours ont vu des femmes sin- geant par leurs costumes des papillons ailés, placées entièrement en dehors de la nacelle d’un aérostat, s’éle- ver de nos jardins publics, aux yeux de la foule ébahie. Mais on oublierait qu'aujourd'hui les ballons sont con- struits avec infiniment plus de soin, et que les moyens de sûreté se sont beaucoup accrus, Nos deux physiciens partirent du jardin du Conserva- toire des arts et métiers, le 24 août 1804, munis de tous les instruments de recherche nécessaires; mais les petites dimensions de leur ballon ne leur permirent pas de dé- passer la hauteur de 4,000 mètres. A cette hauteur ils 40 GAY-LUSSAC. essayèrent , à l’aide des oscillations d’une aiguille aiman- tée horizontale, de résoudre le problème qui savait été de but principal de leur voyage ; mais le mouvement de rota- tion du ballon présenta des obstacles imprévus-et:sérieux, Ts parvinrent toutefois à les surmonter en partie, et déterminèrent, dans ces régions aériennes, la durée de cinq oscillations de l'aiguille aimantée. On sait que. cette durée doit augmenter là où la force magnétique qui ramène l'aiguille à sa position naturelle a diminué , et que cette durée doit être plus courte, si la même force directrice à augmenté. C’est donc un cas tout à #faït analogue à celui du pendule oscillant, quoique les mou- vements de l’aiguille s’exécutent dans le sens horizontal. Les conséquences qu’on déduisit de leurs ‘expériences me paraissent sujettes à des difficultés que je signalerai après avoir rendu compte de l’ascension exécutée peu de jours après par Gay-Lussac seul. ASCENSION DE GAY-LUSSAC SEUL. — (CONSÉQUENCES DES OBSERVA- TIONS FAITES SUR LE MAGNÉTISME ET LA TEMPÉRATURE. — IMPORTANCE DES VOYAGES AÉRONAUTIQUES. Cette ascension eut lieu le 46 septembre 1804, à neuf heures quarante minutes du matin. Cette fois, Gay-Lus- sac s’éleva jusqu’à la hauteur de 7,046 mètres au-dessus de la mer, la plus grande bien constatée où les hommes fussent alors parvénus et qui, depuis cette époque, n’a été qu’à peine une fois dépassée par MM. Barral-et Bixio. Dans cette seconde ascension, la physique ‘s'enrichit de plusieurs importants résultats que j'essaierai de faire ressortir en peu de mots, GAY-LUSSAC. (x . Nous trouvons, par exemple, qu’au moment où le thermomètre de Gay-Lussac, à 7,046 mètres de hau- teur, marquait 9°.5 au-dessous de glace, celui de l'Ob- servatoire de Paris, à l’ombre et au nord, indiquait + 97.75. Ainsi 37° était l’étendue de l'échelle thérmo- _ métrique à laquelle Gay-Lussac s'était trouvé exposé dans d'intervalle de dix heures du matin à trois heures après midi. Il n’était donc plus possible d'attribuer les neiges perpétuelles qui existent au sommet des hautes montagnes, à une action spéciale que ces somimités rocheuses exerceraient sur les couches d'air environ- mantes, car aucune élévation notable n'existait dans les régions au-dessus desquelles le ballon de Gay-Lussac avait successivement passé. Ces énormes variations de température sont-elles liées, par une loi mathématique simple, aux changements de hauteur? | | | En prenant pour exactes les observations thermomé- triques sur lesquelles Gay-Lussac lui-même élève quel- ques doutes, à cause de la rapidité du mouvement ascensionnel du ballon , et du temps dont un thermomètre a besoin pour indiquer exactement les températures des milieux dans lesquels il est plongé, on arriverait à ce résultat curieux que la température varierait moins, pour un changement de hauteur donné, près de terre que dans des régions de l'atmosphère d’une élévation moyenne, Mais je dois remarquer que dans la manière ordinaire de discuter les observations aérostatiques, on fait un cercle vicieux. La formule analytique , à l’aide de laquelle on calcule les hauteurs successives du ballon, suppose 12 GAY-LUSSAC. implicitement, en effet, un égal abaissement de tempé- rature dans toutes les régions atmosphériques pour le même changement de hauteur. Les observations de 1804, et celles qui ont été faites postérieurement, ne donne- ront des résultats à l’abri de toute objection que lors- qu’elles seront discutées suivant la méthode profonde dont on est redevable à notre ingénieux et illustre confrère M. Biot. Les difficultés eussent été évitées si des observateurs, munis de théodolites et distribués à des distances conve- nables, avaient déterminé trigonométriquement, par leurs observations combinées, les hauteurs successives du ballon. Les savants et les Académies, qui voudraient tenter de nouveau d'étudier scientifiquement la constitu- tion physique de notre atmosphère, ne manqueront cer- tainement pas de prendre ma remarque en sérieuse consi- dération, | L'hygromètre de Saussure montra dans ses indications, pendant le voyage de Gay-Lussac, une marche irrégu- lière; mais en tenant compte à la fois des degrés indiqués par cet instrument et de la température des couches où il fut observé, notre confrère trouva que la quantité d'humidité contenue dans l’air allait en diminuant avec une extrême rapidité, On savait déjà, au moment de ce mémorable voyage, que l’air, sous toutes les latitudes et à peu de hauteur au-dessus du niveau de la mer, renferme à peu près les mêmes proportions d'oxygène et d'azote. Cela résultait avec évidence des expériences de Cavendish, de Macarty, de Berthollet et de Davy. On avait appris aussi par les GAY-LUSSAC. 13 analyses de Théodore de Saussure , exécutées sur de l'air pris au Col du Géant, qu’à la hauteur de cette montagne, l'air contient la même proportion d'oxygène que celui de la plaine. Les analyses eudiométriques de Gay-Lussac, faites avec le plus grand soin sur lair recueilli à 6,636 mètres de hauteur, établirent que l'air de ces hautes régions était non-seulement composé en oxygène et en azote comme celui qu’on aurait pris à la surface de la terre, mais encore qu’il ne renfermait pas un atome d'hydrogène. Il n’est pas nécessaire d’insister ici sur l'importance de ces résultats; ils montrèrent le vague des explications que donnaient alors les météorologistes, des étoiles filantes et autres phénomènes atmosphériques. Les lignes suivantes, extraites de la relation de Gay- Lussac, mettent sur la voie de l’explication véritable du malaise que les voyageurs les plus vigoureux éprouvent en gravissant des pics élevés tels que le Mont-Blanc. « Parvenu au point le plus haut de mon ascension, à 7,016 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer, dit le courageux physicien, ma respiration était sensi- blement gênée; mais j'étais encore bien loin d’éprouver un malaise assez désagréable pour m’engager à des- cendre. Mon pouls et ma respiration étaient très-accé- lérés : respirant très-fréquemment dans un air d’une extrême sécheresse, je ne-dois pas être surpris d’avoir eu le gosier si sec, qu’il m'était pénible d’avaler du pain. » Passons maintenant à l’expérience qui fut le motif principal des deux voyages aérostatiques entrepris sous les auspices de la première classe de l’Institut. Il s’agis- 14 GAY-LUSSAC. sait, ainsi que je lai dit précédemment, de s’assurer!si, comme on: l'avait annoncé, la force magnétique exercée. par le globe sur une aiguille aimantée, diminuait. très- rapidement avec la hauteur. Gay-Lussac réussit dans.ce second voyage à compter dans un temps-déterminé deux fois plus d’oscillations que dans le premier. Lesrésultats doivent donc offrir une plus grande exactitude. 11 trouva qu’une aiguille qui, à la surface de la terre, employait 49.2 pour faire dix oscillations, n’exéeuta le même nombre d’oscillations qu'en 42°.8 à la-hauteur.de h,808 mètres au-dessus de Paris, Le résultat fut, 42° 5 à 5,634 mètres, et 1°.7 à 6,884 mètres. Ces.nombres. n'offrent pas une marche très-régulière; il aurait fallu, d’ailleurs, ainsi que Gay-Lussac en fait. la, remarque, pour en déduire des conséquences rigoureuses, les com- biner avec des mesures correspondantes de l’inclinaison: qui ne purent être effectuées !, Comme M. Biot, d'après la discussion des nombres recueillis dans: le. premier voyage, notre ami tira de ses. observations la conclusion que la force magnétique est constante, à toutes. les hau- teurs accessibles. Cette conséquence. était logique, à une époque où l’on ne savait pas généralement qué, dansun lieu et dans des circonstances données, la durée des oscil- lations d’une aiguille magnétique est influencée par sa température, et que 37° d’abaissement du thermomètre doivent produire les changements les plus notables. On 1. Gay-Lussac ne réussit à observer l'aiguille d’inelinaison qu'à la hauteur de 4,000 mètres. Il trouva là en nombre rond 30°. Ce résultat, en le supposant exactement rapporté, différerait énormé- ment de l’inclinaison qui devait avoir lieu à terre. GAY-LUSSAC. 15 voit que dans l’état d’imperfection des instruments et de la science en 4804, il était impossible d'arriver à une solution exacte du problème qu’on avait en vue. Aussi, pourrait-on s'étonner d'entendre dire aujourd'hui que le problème est résolu. Desiconsidérations d’aucune nature n’autorisent à jeter un voile sur les lacunes de la science. Cette réflexion. concerne spécialement les travaux des hommes dont l’au- torité est incontestable et incontestée. Gay-Lussac, après avoir terminé toutes ses recherches avec la tranquillité et le sang-froid d’un physicien assis dans son cabinet, prit terre à trois heures quarante-cinq minutes entre Rouen et Dieppe, à quarante lieues de: Paris, près du hameau de Saint-Gourgon, dont les habi- tants exécutèrent avec beaucoup de bienveillance toutes les manœuvres que le voyageur aérien leur commanda pour que la nacelle n’éprouvât pas des secousses qui au raient mis les instruments en danger. La gravité de cette réunion et de ce récit ne doit pas m'empêcher, je crois, de rapporter une anecdote assez singulière dent je dois la connaissance à mon ami. Par- venu à 7,000 mètres, Gay-Lussac voulut essayer de monter plus haut encore, et se débarrassa de tous les objets dont il pouvait rigoureusement se passer. Au nombre de ces objets figurait une chaise en bois blanc que le hasard fit tomber sur un buisson tout près d’une jeune fille qui gardait des moutons. Quel ne fut pas l’étonnement de la bergère! comme eût dit Florian. Le ciel était pur, le ballon invisible. Que penser de la chaise, si ce n’est qu’elle provenait du Paradis? On ne Le 16 GAY-LUSSAC. pouvait opposer à cette conjecture que la grossièreté du travail; les ouvriers, disaient les incrédules, ne pouvaient là-haut être si inhabiles. La dispute en était là lorsque les journaux, en publiant toutes les particularités du voyage de Gay-Lussac, y mirent fin, et rangèrent parmi les effets naturels ce qui jusqu'alors avait paru un miracle. Les ascensions de M. Biot et de Gay-Lussac vivront dans le souvenir des hommes comme les premières qui aient été exécutées avec un succès marqué, pour la solu- tion de questions scientifiques. | Le phénomène météorologique si remarquable d’un abaissement du thermomètre à 40° au-dessous de zéro à une hauteur de 7,049 mètres, que M. Bixio et M. Barral ont constaté pendant l’ascension entreprise à leurs pro- pres frais, le 27 juillet 1850, a montré suffisamment que de belles découvertes attendent ceux qui marcheront sur leurs traces, pourvu qu’ils aient les connaissances néces- saires et soient munis, comme ces deux physiciens, d’une collection d'instruments exacts. Il est vraiment regret- table que les voyages exécutés toutes les semaines, avec des dispositions de plus en plus dangereuses, et qui, on peut le prévoir avec douleur, finiront par quelque terrible catastrophe, aient détourné les amis des sciences de leurs voyages projetés. Je conçois leurs scrupules, mais sans les partager. Les taches du Soleil, les montagnes de la Lune, l’anneau de Saturne et les bandes de Jupiter n’ont pas cessé d’être l’objet des investigations des astronomes, quoiqu’on les montre aujourd’hui pour dix centimes sur le terre-plein du Pont-Neuf, au pied de la colonne de la GAY-LUSSAC. 17 place Vendôme et en divers points de nos boulevarts. Le public, maintenant si judicieux, si éclairé, ne confon- drait pas ceux qui, dans un but de lucre, exposent jour- nellement leur vie, avec des physiciens courant les mêmes dangers pour arracher à la nature quelques-uns de ses secrets ! LIAISON DE GAY-LUSSAC AVEC M. DE HUMBOLDT. — TRAVAIL SUR L'EUDIOMÉTRIE. — VOYAGE EN ITALIE ET EN ALLEMAGNE. Pour peu qu’on soit au courant de l’histoire littéraire de la première moitié de ce siècle, on a entendu parler de la vive et profonde amitié que M. de Humboldt voua à Gay-Lussac, et de l'influence qu’elle exerça sur la car- rière scientifique de l’habile chimiste ; mais on ne sait pas aussi bien comment elle naquit et se développa. Ceci mérite peut-être d’être raconté. Avant de partir pour le mémorable voyage qui nous a fait connaître l'Amérique sous tant de rapports divers, M. de Humboldt s’y était préparé par des études assi- dues. L’une de ses recherches eut pour objet les moyens eudiométriques dont on faisait usage pour déterminer les principes constituants de l'air; ce travail, exécuté à la hâte et par des procédés imparfaits, était quelque peu inexact ; Gay-Lussac s’en aperçut et releva l’erreur avec une vivacité que j’oserais blâmer si la jeunesse de l’auteur ne l’eût pas rendu excusable, Je n’ai pas besoin de dire que Berthollet reçut M. de Humboldt à son retour avec la franche cordialité et la politesse de bon ton qui caractérisaient l’illustre chimiste, et dont le souvenir est gravé en traits ineffaçables dans LIL — nr. | 2 18. GAY-LUSSAC. l'esprit et dans le cœur de tous ceux qui eurent le bon heur de le connaître. ; Un jour, M. de Humboldt aperçut parmi les personnes réunies dans le salon de la maison de campagne d’Ar- cueil, un jeune homme à la taille élevée et au maintien modeste, mais ferme, « C'est Gay-Lussac, lui dit-on, le. physicien qui récemment n’a pas craint de s’élever dans l'atmosphère à la plus grande hauteur où les hommes soient parvenus, pour résoudre d'importantes questions scientifiques. — C’est, ajouta Humboldt dans un aparté, l’auteur de la critique acerbe de mon travail. eudiomé- trique. » Mais bientôt, surmontant le sentiment d'éloigne- ment que cette réflexion pouvait inspirer à un caractère: ardent, il s'approche de Gay-Lussac, et après quelques: paroles flatteuses sur son ascension, il lui tend la main et, lui offre affectueusement son amitié : c'était, sous toute. réserve, le soyons amis, Cinna! de la tragédie, mais sans les réflexions blessantes qui, selon ce que rapporte Voltaire, firent dire au maréchal de La Feuillade, lors- qu’il venait de les entendre pour la première fois : « Ah! Auguste, comme tu me gâtes le soyons amis, Cinna! » Tel fut le point de départ d’un attachement qui ne s’est jamais démenti, et qui porta bientôt d’heureux fruits, Nous voyons, en effet, immédiatement après, les deux nouveaux amis exécuter en commun un travail eudiomé- trique important. | | Ce travail, lu à l’Académie des sciences le 1° pluviôse an x, avait pour objet principal l'appréciation de l’exac- titude à laquelle on peut arriver dans l'analyse de l'air avec l’eudiomètre de Volta ; mais les auteurs touchèrent GAY-LUSSAC. : 49 en-même temps à une foule de questions de chimie et de physique du globe sur lesquelles ils répandirent de vives lumières ou des conjectures très-ingénieuses. C'est dans ce Mémoire que se trouve la remarque qui depuis reçut, dans les mains de Gay-Lussac, des développements si importants, que l'oxygène et l'hydrogène, considérés en volumes, s'unissent pour former de l’eau, dans la propor- tion définie de 100 d'oxygène et de 200 d'hydrogène. Nos annales scientifiques offrent un grand nombre de Mémoires publiés sous le nom de deux auteurs réunis. Ce genre d'association, beaucoup moins fréquent chez les étrangers, n’a pas été sans inconvénient. Si l’on excepte le cas fort rare, dont cependant je pourrais citer des exemples, où la part de chaque collaborateur a été nettement tracée, dans la rédaction commune, le public s’obstine à ne pas faire une part égale aux deux associés. Il casse souvent, au gré de ses caprices, les formules : Nous avons pensé, nous avons imaginé, en se fondant sur le prétexte assez plausible qu’une pensée n’a pas dû se présenter au même instant, à la même seconde, à l'esprit des deux associés. Il refuse à l’un d’eux toute ini- tiative intellectuelle et réduit son rôle à l'exécution maté- sielle des expériences. | Ces inconvénients des publications en commun, presque inhérents à la nature humaine, disparaissent lorsque, par exception, l’un des associés se résout à ne pas laisser le public se livrer à des conjectures préconçues, souvent malicieuses, else décide à répudier sans hésiter une part qui appartient à autrui. Il a été dans la destinée de Gay- Lussac de rencontrer un pareil collaborateur. Voici, en * 20 GAY-LUSSAC. effet, ce que je lis dans une Note de M. de Humboldt : « Insistons sur la remarque contenue dans ce Mémoire que 100 parties en volume d'oxygène exigent 200 par- ties de gaz hydrogène pour se saturer. Berzélius a déjà rappelé que ce phénomène est le germe de ce que plus tard on a découvert sur les proportions définies, mais le fait de la saturation complète est dû à la sagacité seule de Gay-Lussac. J'ai coopéré à cette partie des expériences, mais lui seul a entrevu l'importance du résultat pour la théorie. » Une déclaration si franche, si loyale, n’étonnera per- sonne de la part de l’illustre et vénérable académicien. Nous reviendrons plus loin sur cette partie si remar- quable des travaux de Gay-Lussac. Gay-Lussac, répétiteur du cours de Fourcroy, ob- tint, par l'amitié et l'entremise de Berthollet, un congé d’un an afin de pouvoir accompagner M. de Humboldt dans un voyage d'Italie et d'Allemagne. Les deux amis s'étaient munis, avant de quitter Paris, d'instruments météorologiques et surtout d'appareils propres à déter- miner l’inclinaison de l’aiguille magnétique et l'intensité de la force variable qui dirige les aiguilles aimantées sous différentes latitudes. Ils partirent de Paris le 12 mars 1805 ; ils mirent leurs instruments en expérience à Lyon, à Chambéry, à Saint-Jean de Maurienne, à Saint-Michel, à Lanslebourg et au Mont-Cenis, etc. Je reviendrai ail- leurs sur les résultats magnétiques du voyage, à l’occasion d’un Mémoire de notre confrère inséré dans la collection de la Société d’Arcueil. Gay-Lussac s'était nourri dans sa jeunesse des théories GAY-LUSSAC. 21 météorologiques de Deluc, et plusieurs d’entre elles l'avaient presque séduit, mais dans son passage des Alpes ses idées furent entièrement modifiées; il sentit, par exemple, le besoin de recourir à l’action de courants ascendants atmosphériques pour expliquer un grand nom- bre de phénomènes curieux. Rien n’éclaircit et n’étend plus les idées, quand il s’agit de phénomènes naturels, que les voyages à travers les montagnes, surtout quand on a le bonheur de jouir de la compagnie d’un observateur aussi éclairé, aussi ingé- nieux et aussi expérimenté que l’est M. de Humboldt. Gay-Lussac et son illustre compagnon de voyage, après avoir visité Gênes, se rendirent à Rome; ils y arrivèrent le 5 juillet 4805 et descendirent au palais Tommali alla Trinita di Monte, où demeurait Guillaume de Humboldt, chargé d’affaires de Prusse. En compagnie de celui qui les a si éloquemment dé- crites, les grandes scènes de la nature offertes par les régions alpines ne pouvaient manquer d’avoir excité dans l'âme de Gay-Lussac un véritable enthousiasme. La vue des monuments immortels de l'architecture, de la pein- ture et de la sculpture dont Rome abonde, jointe aux entretiens savants des Rauch, des Thorwaldsen, etc., habitués du palais Tommati, développèrent chez le jeune voyageur le goût éclairé des beaux-arts, qui jusque-là était resté chez lui sans écho. Enfin il eut l'avantage d’ad- mirer la fascination du talent, car madame de Staël tenait alors tous les salons de la ville éternelle sous le charme de ses conversations éloquentes et spirituelles. Le séjour de Gay-Lussac à Rome ne fut pas sans fruit 22 GAY-LUSSAC. pour les connaissances chimiques. Grâce à la complai- sance avec laquelle Morrichini mit un laboratoire de mie à la disposition du jeune voyageur, il put ann le 7 juillet, que l'acide fluorique existait à côté dedadide phosphorique dans les arêtes des poissons. Le 9 juillet, il avait terminé l’analyse de la pierre d’alun de la Polfa. Le 15 juillet 1805, MM. de Humboldt et Gayÿ-Lussac quittèrent Rome et prirent la route de Naples, en com- pagnie de M. Léopold de Buch, qui jeune encore s'était : déjà fait connaître par des recherches géologiques pleines: de mérite. Le Vésuve, assez tranquille à cette époque se livra brusquement à ses magnifiques et terribles évolu- tions (comme s’il eût voulu célébrer la bienvenue des trois observateurs illustres) : éruptions de poussière, tor- rents de lave, phénomènes électriques, rien n’y manqua. Enfin Gay-Lussac eut le bonheur (l'expression n’est pas de moi, je l’emprunte à l’un des compagnons de voyage du savant chimiste), il eut le bonheur d’être témoin d’un des plus effrayants tremblements de terre : que Naples eût jamais ressentis. é Gay-Lussac saisit avec empressement cette « occasion de se mesurer avec le problème qui, depuis Empédocle, a défié la sagacité des observateurs. Nous rendrons compte bientôt des résultats que notre ami recueillit dans les six ascensions du Vésuve qu'il fit presque coup sur Coup. Le temps que Gay-Lussac ne consacrait pas à l'étude du volcan enflammé, était employé à examiner les col- lections d'histoire naturelle et particulièrement d'érup- tions volcaniques anciennes qui existent à Naples en très- à Ex GAY-LUSSAC. 23 grand nombre ; nos voyageurs eurent beaucoup à se louer des rprévenances et de la politesse exquise du duc re et du colonel Poli; il n’en fut pas de même du docteur Thompson : lorsqu'ils se présentèrent, accom- pagnés d’un savant napolitain, pour étudier son musée, il leur adressa ces paroles outrageantes : « Partagez-vous, Messieurs, je peux avoir les yeux sur deux, mais non pas sur quatre. » On est tenté de se demander dans quelle société de lazzaroni M. Thompson avait puisé cette bas- sesse de sentiments et ce cynisme de langage ; mais tout s'explique simplement lorsqu'on sait que Thompson était le médecin, l'ami, l’homme de confiance du général Acton, le promoteur des assassinats politiques qui souil- lèrent Naples à la fin du siècle dernier. Dans ses voyages aux environs de Naples, par terre et par mer, M. Gay-Lussac rectifia des idées erronées, généralement adoptées alors. Il trouva, par exemple, que l’air contenu dans l’eau de mer renferme, au lieu de 21 parties d'oxygène, comme l’air ordinaire, au delà de 30 parties d’oxygène pour 400. Il visita avec M. de Buch le Monte-Nuovo et l’Epomeo. En voyant le Monte- Nuovo, Gay-Lussac se rangea entièrement à l'opinion que M, de Buch commençait déjà à répandre dans le monde savant, et suivant laquelle-des montagnes peuvent sortir subitement de terre par voie de soulèvement. L’Epomeo se présenta à eux avec le caractère d’un volcan avorté sans feu ni fumée, ni cratère d’aucune sorte. Après avoir terminé leurs travaux à Naples, nos voya- geurs reprirent la route de Rome, où ils séjournèrent peu de temps. 24 GAY-LUSSAC. Le 17 septembre 1805, MM. de Humboldt, de Buch et Gay-Lussac quittèrent Rome, pour se rendre à Flo- rence; ils prirent le chemin des montagnes, afin de visiter les bains célèbres de Nocera, auprès desquels les papes Clément XII et Benoît XIII firent construire de vrais palais, convenablement appropriés à tous les besoins des malades qui de juin à septembre répandent l’aisance dans ces contrées. Là, il se présenta un problème impor- tant. Morrichini avait trouvé, par l’analyse chimique, que l’air retiré de ces eaux devait renfermer 40 pour 100 d'oxygène, c’est-à-dire environ le double de la pro- portion du même gaz contenu dans l’air atmosphérique, ce qui paraissait incroyable. Gay-Lussac reconnut, en effet, que l’air retiré de l’eau des bains contenait 30 pour 100 d'oxygène, comme ordinairement toutes les eaux de source. L’eflet salutaire des eaux devait donc être re- cherché ailleurs, car elles se trouvaient remarquable- ment pures, aucun réactif ne les troublait. Est-ce cette pureté qui les rend si efficaces? Dans les siècles mythologiques, les héros que les poëtes grecs ont célébrés, parcouraient les contrées dé- sertes pour y combattre les brigands et les bêtes féroces qu’elles abritaient; nos voyageurs, comme on voit, sem- blaient à leur tour s'être donné la mission de détruire, chemin faisant, les erreurs et les préjugés, qui souvent ont fait plus de victimes que les monstres antiques exter- minés par les Hercule, les Thésée, les Pirithoüs, etc. Les trois savants arrivèrent à Florence le 22 septem- bre. Fabbroni, directeur des musées, les reçut avec la plus grande distinction, Il leur fit les honneurs des riches GAY-LUSSAC. 25 collections à la tête desquelles le gouvernement toscan l'avait placé, de manière à montrer combien il était digne de la confiance dont il jouissait. Gay-Lussac se plaisait fort dans sa compagnie; il admiraiït surtout le profond savoir et l’habileté que déployait Fabbroni quand il faisait ressortir le mérite des œuvres de Michel-Ange et des illustres peintres et sculpteurs, successeurs de ce grand homme. Il fut beaucoup moins charmé des paroles du savant directeur, lorsque lui ayant demandé la valeur de l’inclinaison de l’aiguille aimantée, Fabbroni répondit que les beaux instruments qui ornaient le cabinet de physique du grand-duc, n’avaient pas été mis en usage de peur d’en ternir le métal. Il ne goûta pas non plus les réunions où l’on voyait madame Fabbroni, célèbre par l'élégance et la beauté de ses poésies, placée au centre d’un cercle composé de ce que Florence renfermait de plus distingué, dirigeant successivement sur chaque point des traits d’esprit auxquels la personne interpellée était obligée de répondre immédiatement et de son mieux. Ces habitudes théâtrales ont heureusement disparu chez nos voisins, pour faire place à des entretiens où chacun prend librement la part qui convient à sa position et même à sa timidité. Dans le trajet de Florence à Bologne, où nos trois voyageurs arrivèrent le 28 septembre, ils s’arrêtèrent à Pietra-Mala pour y étudier les flammes perpétuelles déjà examinées antérieurement par Volta. À Bologne, Gay-Lussac rendit visite au comte Zam- beccari, qui avait perdu six doigts en se laissant glisser le long d’une corde, pour échapper à la catastrophe qui 26 GAY-LUSSAC. le menaçait, la montgolfière avec laquelle il s'était élevé dans les airs s'étant enflammée; ses souffrances ne l’em- pêchèrent pas d'entretenir Gay-Lussac d’un projet qu’il avait formé, et qui devait plus tard lui coûter la vie, celui de s'élever de nouveau, mais cette fois avec un ballon rempli de gaz hydrogène qu’il échaufferait plus où moïns avec un cercle de lampes à double courant d'air. On voit que l’infortuné voyageur aérien imaginait dans ses nou- veaux projets de substituer des chances d’explosion aux chances d'incendie de sa première tentative. Nos voyageurs s’arrétèrent peu de temps à Bologne, dont l’université était alors singulièrement déchue de son antique réputation. Le professeur de chimie de cette uni- versité, M. Pellegrini Savigny, avait laissé dans l’esprit de Gay-Lussac un souvenir peu favorable; notre confrère lui reprochait d’avoir dégradé la science, en insérant dans son Traité de chimie des moyens de son invention pour préparer de bons sorbets et de l'excellent bouillon pour tous les jours de l’année. | Notre ami ne se laissa-t-il pas aller à quelque exagéra- tion en rangeant les chapitres du traité de M. Pellegrini que je viens de citer, parmi ceux qu'un savant qui se respecte doit abandonner aux charlatans de profession ? J'oserai croire, malgré ma profonde déférence pour les opinions de Gay-Lussac, que celui qui parviendrait à réduire à des règles uniformes et précises la préparation de nos aliments, surtout de ceux qui sont destinés aux classes pauvres, résoudrait une importante question d’hy- giène. Jé me persuade qu’un jour la postérité manifestera quelque étonnement, en voyant qu’en plein x1x° siècle, le GAY-LUSSAC. 97 régime alimentaire du plus grand nombre était aban- donné à des empiriques des deux sexes, sans intelligence et sans instruction. | - Byron rapporte dans ses Mémoires, que pendant le séjour de sir Humphry Davy à Ravenne, une dame du _grand monde témoigna le désir que l’illustre chimiste lui procurât une pommade propre à noircir ses sourcils et à les faire pousser. | - Je me serais associé sans réserve au dédain méprisant avec lequel notre jeune ami eût certainement reçu une telle proposition. Mais il y a bien loin, ce me semble, de la pommade de la grande dame à des formules con- çues dans le dessein d'améliorer les aliments du plus grand nombre, et même ceux qui sont destinés à satisfaire la sensualité des riches. fé MM. de Humboldt, de Buch et Gay-Lussac arrivèrent à Milan le 4% octobre. Volta était alors dans cette ville, mais ils eurent beaucoup de peine à le découvrir. L'administration civile et militaire de Milan, qui n’au- rait certainement pas hésité un instant si on lui eût demandé l'adresse d’un simple sous-lieutenant de pan- dours ou de croates, d’un fournisseur ou d’un person- nage titré quelconque, n’avait pris aucun souci de Volta, de cet homme, la gloire de la Lombardie, dont le nom sera prononcé avec respect et admiration, lorsque le souffle du temps aura fait disparaître jusqu’au plus léger souvenir des générations ses contemporaines. Détournons les regards de ces anomalies sociales dont il nous serait facile de citer mille exemples, et reprenons notre récit. 28 GAY-LUSSAC. Nos trois jeunes voyageurs apprirent à Milan que le monde scientifique était en rumeur à l’occasion d’une pré- tendue découverte de M. Configliachi. Suivant le chimiste italien, l’eau eût été un composé d'acide muriatique et de soude, éléments que la pile séparait sans difficulté ; Volta, consulté par nos trois voyageurs sur le mérite de l'observation , répondit : J'ai vu l'expérience, mais jen'y crois pas; c’est en ces termes que l’immortel physicien exprimait la réserve qui doit accueillir les faits extraor- dinaires semblables au prétendu phénomène sur lequel son élève Configliachi espérait arriver à une grande renommée. La remarque s'applique surtout aux faits aperçus avec ces instruments d’une extrême délicatesse que l’observateur influence par sa présence, par sa respi- ration et par les émanations de son corps. Le dicton vol- taïque, je l'ai vu, mais je n’y crois pas, aurait pu être appliqué dans des occasions récentes; il eût épargné à la science quelques pas rétrogrades et à certains auteurs un inqualifiable ridicule. Les 14 et 15 octobre, nos trois voyageurs traversèrent le Saint-Gothard ; il ne fut pas donné à Gay-Lussac de jouir d’un spectacle dont il s'était promis beaucoup de plaisir et d'instruction. Un brouillard épais lui déroba pendant toute la journée la vue des objets les plus voisins. Gay-Lussac se dédommagea de ce contre-temps à Lucerne par une étude minutieuse du beau relief de la Suisse du général Pfiffer. À Gœttingue, le 4 novembre, le grand naturaliste Blumenbach, alors plein de vie et d'activité, fit avec empressement les honneurs de l’université à notre jeune compatriote, GAY-LUSSAC. 29 Le 16 du même mois, Gay-Lussac arriva à Berlin, où il séjourna tout l'hiver dans la maison de M, de Humboldt, affectueusement accueilli et apprécié par tout ce que la ville renfermait d'hommes distingués; il vivait particuliè- rement dans la société de Klaproth, le chimiste, et d'Er- man, le physicien. Gay-Lussac quitta Berlin au printemps de 1806. IT se détermina à partir précipitamment, lorsqu'il apprit que la mort de Brisson laissait une place vacante à l’Institut, et qu’il pourrait être appelé à remplacer le vieux physicien. En examinant aujourd'hui les travaux des contempo- rains de Gay-Lussac qui, en 1806, auraient été en mesure de lui disputer la place vacante à l’Académie des sciences, on pourrait être étonné que sa présence eût paru indis- pensable à la réussite de sa candidature; mais c’est qu'on oublierait qu’à la fin du xvurr° siècle et au commencement du x1x°, on n’était un vrai physicien qu’à la condition de posséder une riche collection d'instruments bien polis, bien vernis, et rangés en ordre dans des armoires vitrées. Ce ne fut pas sans peine que Gay-Lussac, qui ne possé- dait, lui, que quelques instruments de recherche, parvint à surmonter de tels préjugés. Conservons ces souvenirs pour la consolation de ceux qui ont éprouvé ou qui éprou- veraient à l’avenir des mécomptes dans les élections aca- démiques. RECHERCHES DE GAY-LUSSAC SUR LES DILATATIONS. Peu de temps avant que Gay-Lussac, devenu membre de l’Institut, commencçäât à appliquer son talent expéri- mental à l’étude des changements de la force élastique des 30 GAY-LUSSAC. gaz avec la température, à la formation et à la diffusion des vapeurs, le même champ de recherche était exploité en Angleterre par un homme également supérieur, Dalton, que l’Académie a compté parmi ses huit associés étran- gers. Dalton, quoique son génie ne fût méconnu d'aucun de ses compatriotes, occupait, dans la petite ville de Dumphries , la position très-humble et très-peu lucrative de professeur particulier de mathématiques, et ne pou- vait disposer dans ses expériences que d'instruments imparfaits. Il n’y aurait donc eu aucune inconvenance à soumettre ses résultats à des vérifications. soigneuses. Mais Gay-Lussac ne connaissait pas les travaux de l'illustre physicien anglais, car il n’en fait aucune men- tion dans l’historique très-développé et très-instructif des expériences faites par des physiciens qui l'avaient pré- cédé. Dalton avait trouvé que l'air se dilate de 0.392 dans l'intervalle compris entre 0 et 100° du thermomètre centigrade. Déjà antérieurement, comme je m'en suis assuré sur un document imprimé, Volta avait donné pour cette dilatation 0.38. Enfin, en 1807, Gay-Lussac trouva 0.375. Ce nombre a été généralement adopté. jusqu’à ces derniers temps, et employé par tous les physiciens de l'Europe. D’après les dernières déterminations de Rudberg, de MM. Magnus et Regnault, la valeur de la dilatation de l'air donnée par Gay-Lussac serait en erreur d'environ 1/36° ; notre confrère n’a jamais réclamé contre le nombre 0.3665 substitué par notre confrère, M. Regnault, au nombre 0.375 qu’il avait donné, Mais quelle pouvait être la cause réelle de cette différence? Gay-Lussac ne s’est ri GAY-LUSSAC. 31 pointrexpliqué publiquement sur ce désaccord. Ne pré- voyant pas la catastrophe prématurée qui nous l’a enlevé, _ j'ai commis la faute de ne pas l’interroger directement à ce sujet. Il n’est pas cependant sans intérêt de rechercher “Comment un physicien aussi soigneux a pu se laisser -mduire en erreur. | Un professeur allemand, célèbre par l'importance de ses découvertes en acoustique, M. Chladni, vint à Paris il y a quelques années. … Sous l'impression des difficultés qu’il avait rencontrées dans tous ses travaux, il disait avec un ton pénétré et des gestes de dépit que personne n’aura oubliés, car par leur exagération ils touchaient presque au ridicule : «Quand vous voulez soulever le plus petit coin du voile ‘dont la nature s’enveloppe, elle répond invariablement non ! non! non! » Chladni aurait pu ajouter qu’au moment où elle paraît céder, elle entoure l'observateur d’embü- ches dans lesquelles les plus habiles tombent sans s’en douter. Quelles ont pu être dans les expériences de Volta, de Dalton, de Gay-Lussac, les causes d’erreurs dont ces physiciens illustres ne se seraient pas aperçus? J’ai en- tendu dire que la goutte de mercure destinée à intercepter la communication du vase dans lequel l’air se dilatait et de l’atmosphère extérieure, laissant un peu de vide et “ayant donné passage à une portion de l'air dilaté, ne s'était pas déplacée autant qu’elle l'aurait fait sans cela ; mais cette cause eût évidemment donné un coefficient trop faible, et c’est en sens contraire que pécherait, d'après les observations récentes, le nombre auquel Gay- Lussac s'arrêta, Il est bien plus probable que les parois 32 GAY-LUSSAC. , intérieures du vase dans lequel le célèbre académie D opéra, ne furent pas suffisamment desséchées, que l'eau | hygrométrique attachée au verre, aux basses tempéra= tures, s’évapora lorsque l’appareil fut soumis à des tem- pératures élevées, qu’elle augmenta ainsi, sans qu’on eût aucun moyen de le reconnaître, le volume du fluide élas- tique sur lequel on croyait opérer. J’indique cette cause avec d’autant plus de confiance, qu’il est aujourd’hui constaté que les verres, selon leur composition et même selon leur degré de cuisson, sont diversement hygromé- triques ; en sorte que le degré de chaleur qui amènerait à une dessiccation complète un de ces verres, serait insuffi- sant quand on opérerait dans un autre appareil. Gay- Lussac avait parfaitement compris l'effet que devait pro- duire l’eau hygrométrique, et il attribuait à cette cause les erreurs de ses devanciers. Ainsi ce sera en suivant avec un peu plus de précaution la route tracée par notre ami, qu'on aura découvert ce 36° d’erreur qu’on lui attri- bue ; cette erreur ne pourra donc faire aucun tort réel à la juste, à la légitime réputation d’exactitude que ce savant physicien avait déià conquise et que des travaux ultérieurs ont si amplement justifiée. Lorsque Gay-Lussac s’occupait de la détermination numérique de la dilatation qu’éprouvent les fluides élas- tiques par la chaleur, nos plus habiles physiciens pen- saient que le coefficient n’est pas le même pour divers gaz. Témoin cette phrase de Monge que j'emprunte à son Mémoire sur la composition de l’eau : « Les fluides élastiques ne sont pas tous également dilatables par la chaleur. » Gay-Lussac trouva, dans Fe GAY-LUSSAC. 33 les limites où ses expériences restèrent renfermées, que C'était là une erreur. Depuis lors on est revenu à la pre- ière opinion. À vrai dire elle est presque une consé- quence du fait constaté par Davy et surtout par notre confrère M. Faraday, que les substances gazeuses sont liquéfiées sous des pressions accessibles et différentes pour chacune d'elles. SOCIÉTÉ D’ARCUEIL. — MÉMOIRES SUR LE MAGNÉTISME. — LOIS DES COMBINAISONS GAZEUSES. — CATHÉTOMÈTRE. En 1807, Berthollet forma une Société scientifique particulière, composée d’un très-petit nombre de per- sonnes, qu’on appela Société d’Arcueil, du nom de la commune, voisine de Paris, dans laquelle se trouvait la maison de campagne de l’illustre chimiste. Gay-Lussac, comme chacun peut le deviner, fut un des premiers mem- bres de la Société nouvelle. Avant d’aller plus loin, disons un mot des critiques auxquelles donna lieu, dans le temps, cette sorte de démembrement de la première classe de l’Institut. C'était, pour de jeunes débutants dans la science, une circon- stance éminemment flatteuse que d’avoir pour premiers juges et conseils dans leurs travaux, des hommes d’une célébrité européenne, tels que les Laplace, les Ber- thollet, les Humboldt, etc.; mais pourrait-on assurer que des idées préconçues, auxquelles les meilleurs esprits s’'abandonnent plus facilement dans une réunion pour ainsi dire intime, que devant un public nombreux, ne fussent pas de nature à arrêter la spontanéité du génie LIL, — rx, 5) 34 GAY-LUSSAC. et à courber ses recherches sous un niveau convenu? D’autre part, le désir de donner des preuves de fécon- dité, en présence des savants les: plus célèbres de leur époque, ne devait-il pas quelquefois amener des esprits enthousiastes à se jeter dans des théories hasardées? Quoi que Fon puisse penser de ces doutes que je men- tionne avec une extrême réserve, le jugement indépen- dant et sobre de Gay-Lussac l’aurait mis à l’abri des influences qui ne se fussent. exercées que sous: le. couvert d’un mérite éminent et des utopies de l'imagination. Ses publications dans les trois volumes des Mémoires de la Société d’Arcueil, méritent à tous égards par leur variété, leur nouveauté, et aussi par leur exactitude, de prendre la place la plus distinguée dans une histoire impartiale de la science. | Le premier volume du recueil publié par la Société d’'Arcueil, commence par un Mémoire dans lequel Gay- Lussac a réuni les résultats de toutes les observations magnétiques faites de concert avec M. de Humboldt, pendant le voyage de France, d'Italie et d'Allemagne, dont nous avons déjà longuement parlé. Cette branche de la science a notablement progressé depuis quelques années, et néanmoins on peut recommander avec con- fiance aux physiciens les pages dans lesquelles Gay-Lus- sac examine toutes les causes d'erreur qui peuvent aflecter les mesures d’inclinaison, d'intensité, et les précautions à prendre pour s’en affranchir, On sait aujourd’hui que la force horizontale qui dirige l'aiguille aimantée est sujette à une variation diurne qui dépend en partie, mais en partie seulement, d’une variation correspondante dans GAY-LUSSAC. 35 l’inclinaison. On a appris également que dans un lieu donné et à une époque donnée, la durée des oscillations d'une aiguille dépend de sa température; on aurait donc maintenant, si l'on entreprenait un voyage magnétique, à tenir compte de toutes ces causes perturbatrices; mais, disons-le-sans: flatterie, à l’époque, où il fut. publié, le tra- vail de, MM. de Humboldt et Gay-Lussac était un modèle. Si nous jetons les yeux sur le second volume des Mémoires d’'Arcueil, nous y trouvons, entre autres tra- vaux très-dignes d'intérêt, un Mémoire sur la combinaison des substances. gazeuses entre elles; ce Mémoire contient des résultats tellement remarquables, tellement impor- tants, qu’on a pris l'habitude de les appeler les lois de Gay-Lussac, Il me serait maintenant très-difficile de tracer un histo- rique détaillé et parfaitement exact de la théorie ato- mique. Get historique devrait, je crois, remonter à Hig- _gins, chimiste irlandais, dont l'ouvrage, publié en 1789, ne m'est connu que par de très-courtes citations de Hum- phry Davy. Viennent ensuite les recherches de Dalton, qui sont de 1802. Ce qu'il y a de certain, c’est que la loi des volumes fut démontrée expérimentalement par notre confrère en 1808, sans que notre ami eût rien appris des premiers essais plus ou moins systématiques de ses prédécesseurs. Les lois dont nous parlons peuvent être énoncées en ces termes : Les gaz, en agissant les uns sur les autres, se combi- nent en volume dans les rapports les plus simples ; tels sont ceux de 1 à 4, de 1 à 2, ou de 2 à à. 36 GAY-LUSSAC. Non-seulement ils ne se réunissent que dans ces pro- portions, mais encore la contraction apparente de volume qu’ils éprouvent quelquefois par la combinaison, a aussi un rapport simple avec le volume d’un des gaz combinés. Gay-Lussac a plus tard eu la hardiesse de déduire de ses lois la densité des vapeurs de plusieurs corps solides, tels que le carbone, le mercure, l'icde, parties intégrantes de certaines combinaisons gazeuses. Gette hardiesse, comme des expériences ultérieures l’ont prouvé, a été couronnée d’un plein succès. Récemment, on a cru pouvoir déduire de l’inégale dilatation des divers gaz par la chaleur, la preuve que la loi des volumes n’est pas mathématiquement exacte. Supposons, disent implicitement les savants critiques, que deux gaz se combinent à volume égal, à une tempéra- ture déterminée, à celle de 20 degrés centigrades, par exemple, et que la combinaison se fasse de molécule à molécule : portons à 40° la température des deux gaz. Si à 20° des volumes égaux renfermaient le même nombre de particules élémentaires, il n’en sera plus ainsi à 40°; ce seront donc des volumes inégaux qui entreront en combinaison, en supposant que l'union doive toujours s'effectuer de molécule à molécule. On voit que la critique implique la vérité absolue de la théorie atomique des combinaisons, laquelle, par parenthèse, peut paraître moins bien établie que la loi de Gay-Lussac. Ne serait-ce pas d’ailleurs un hasard bien singulier qui aurait conduit notre confrère à opérer précisément aux températures où la loi serait rigoureusement exacte? GAY-LUSSAC. 37 Remarquons, en point de fait, que, dans l'étude de la nature , il n’est presque jamais arrivé que l’expérience ait conduit, à travers quelques légères déviations, à des lois simples, sans que ces lois soient devenues les régulatrices définitives des phénomènes : le système du monde offre un exemple frappant de cette vérité. Les lois du mouvement elliptique des planètes ne sont exactes qu’en négligeant les inégalités connues sous le nom de perturbations, et qui placent chaque planète tantôt en avant, tantôt en arrière de la position que les immor- telles vues de Kepler lui assignent. Si jamais on établit par des expériences directes que les principes posés par Gay-Lussac ne se vérifient pas lorsque les températures viennent à varier, ce sera le cas de chercher s’il n’existe point une cause naturelle à laquelle ces perturbations puissent être altribuées. Dans le cadre restreint qui m’est tracé, je ne pouvais présenter sur la question délicate que j'ai osé aborder, que de simples doutes; en tous cas, l'assimilation dont ils m'ont donné la pensée me semble de nature à satis- faire les partisans les plus enthousiastes de la gloire scien- tifique de Gay-Lussac. Lorsque Laplace, envisageant sous un jour nouveau les phénomènes capillaires, désira comparer les résultats de ses savants calculs à ceux de l'observation; lorsqu'il voulut avoir à ce sujet le dernier mot de l’expérience, il s’adressa à Gay-Lussac. Celui-ci répondit complétement à la confiance de l’immortel géomètre. Je dois faire observer que l'instrument qu’il imagina est dans de petites dimensions, celui-là même qui sous le nom de cathéto- 38 GAY-LUSSAC. mètre est devenu d’un usage si général parmi les physi- ciens. Je laisse à ceux qui se croiront en droit de le faire, le soin de réclamer la priorité quant à l'emploi du mot. de cathétomètre, généralement adopté aujourd’hui; mais l'instrument, dans son principe et même dans sa forme, n'en restera pas moins une des précieuses inventions dont notre confrère a doté la science. cd TRAVAUX EXÉCUTÉS AVEC LA PILE DE L'ÉCOLE POLBYTECHNIQUE. Nous voici arrivés à l’époque où, en marchant dans la: voie si heureusement ouverte par Nicholson et Garlisle, et suivie par Berzelius et Hisinger, Humphry Davy parvint, à l’aide de la pile, à transformer la potasse et la soude en métaux qui se pétrissent sous les doigts, comme de la cire; qui flottent à la surface de l’eau, car ils sont plus légers qu’elle; qui s’allument spontanément dans ce liquide en répandant la plus vive lumière, L'annonce de cette brillante découverte, à la fin. de 4807, produisit une profonde émotion dans le monde scientifique. L'empereur Napoléon: s’y associa, et mit à la disposition de l’École polytechnique les fonds-néces- saires à l’exécution d’une pile colossale. Pendant qu’on construisait cet instrument puissant, MM. Gay-Lussac et Thénard, à qui il devait être confié, imaginant que l’affinité ordinaire bien dirigée suflirait à la production du potassium et du sodium, tentèrent des expériences variées, fort dangereuses, et réussirent au delà de leurs espérances. Leur découverte fut publiée le 7 mars 4808, Dès ce moment les deux métaux nouveaux qu'on n’obte- GAY-LUSSAC. 39 nait par da pile qu’en très-petite quantité, purent être produits en grande abondance, et devinrent ainsi un instrument usuel d'analyse chimique. ‘On devine facilement que nos deux célèbres compa- triotes ne laissèrent pas inactifs dans leurs mains les _ moyens d'investigation qu'ils venaient de préparer si heureusement. ls mirent le potassium et le sodium en contact avec presque toutes les substances chimiques connues, et remarquèrent, dans ces expériences, les réactions les plus fécondes en conséquences théoriques. Nous nous contenterons de citer ici la décomposition de l'acide autrefois nommé boracique, la découverte de son radical, que des auteurs appelèrent le bore. Nous devons mettre aussi à un rang très-élevé dans leurs recherches, les expériences aussi difficiles que variées à l’aide des- quelles ils déterminèrent les actions exercées par les deux nouveaux métaux sur l’ammoniaque, les résultats de leur travail sur l'acide fluorique , aujourd'hui appelé fluorhy- drique , et la découverte du gaz nouveau qu’ils nommè- rent fluoborique. Par l’enchaînement de leurs recherches, les deux illustres chimistes furent amenés à tenter l'analyse du corps qu'on appelait alors acide muriatique oxygéné ; ils firent connaître les résultats de leurs nombreuses expé- rences le 27 février 4809. Leur communication se ter- mnait par cette phrase que je transcris textuellement : «D’après les faits qui sont rapportés dans ce Mémoire, on pourrait supposer que ce gaz (le gaz acide muriatique oxygéné) est un corps simple. Les phénomènes qu'il pré- sente s'expliquent assez bien dans cette hypothèse; nous ne cherchons point cependant à la défendre, parce qu’il 40 GAY-LUSSAC. nous semble qu’ils s’expliquent encore mieux en regardant l'acide muriatique oxygéné comme un corps composé. » Ils faisaient par cette déclaration une large concession aux opinions dominantes dans la Société d’Arcueil, à celles qui étaient patronées avec une grande vivacité par Laplace et Berthollet. Humphry Davy, qui n’était nul- lement gêné par des considérations personnelles, sou- tint que la première interprétation était seule admissible; il regarda l’acide muriatique oxygéné comme un corps simple qu'Ampère proposa d’appeler le chlore; l'acide muriatique ordinaire devint alors la combinaison de ce radical avec l'hydrogène sous le nom d’acide hydrochlo- rique ou chlorhydrique. Cette manière d'interpréter les faits est aujourd’hui généralement adoptée. On voit par cet exemple qu’il est des cas où les | conseils du génie, quand ils prennent le caractère impé- rieux que des conseils ne devraient jamais avoir, peuvent quelquefois éloigner les esprits droits de la vérité. Lorsque la pile colossale construite avec les fonds alloués à l’École polytechnique par Napoléon eut été achevée, MM. Gay-Lussac et Thénard s’empressèrent d'étudier ses effets; mais ils furent moins énergiques qu’on ne s’y était attendu. Aussi, après divers essais sans résultats saillants, les deux illustres chimistes se bornè- rent-ils à poser des principes généraux sur le mode d'ac- tion de ces appareils lorsqu'ils dépassent les dimensions habituelles. On trouve dans leur ouvrage un chapitre où l’on exa- mine les causes diverses qui font varier l'énergie d’une batterie galvanique; où l’on donne les moyens de mesu- GAY-LUSSAC. 41 rer ses effets; où l’on étudie l'influence qu’exerce, sui- vant sa nature, le liquide contenu dans les auges, et les variations d'intensité qui peuvent dépendre du nombre et de la surface des plaques employées, etc. ANALYSE DES MATIÈRES ORGANIQUES. L'analyse des substances animales et végétales a pris depuis quelques années un développement immense, et a conduit aux résultats les plus importants, Ces progrès de la science sont principalement dus à la méthode ima- ginée par Gay-Lussac pour effectuer les analyses orga- niques, et que tous les chimistes ont adoptée. Notre confrère brülait la substance à analyser par le bioxyde de cuivre. Ce procédé était une grande amélio- ration de celui dont il s'était servi avec son associé et ami M. Thénard, dans lequel la combustion était opérée à l’aide du muriate suroxygéné de potasse, nommé aujour- d'hui chlorate de potasse. RECHERCHES SUR L’IODE. M. Courtois, salpétrier à Paris, découvrit, vers le milieu de 1811, dans les cendres des varechs, une sub- stance solide qui corrodait ses chaudières, et qui , depuis, F sur la proposition de Gay-Lussac, a été nommée ode, à cause de la couleur violette extrêmement remarquable que possède sa vapeur. M. Courtois remit des échantillons de cette substance, peu de temps après sa découverte, à MM. Desormes et Clément, qui en firent l’objet de leurs expériences, M. Clément ne rendit publique la découverte 42 GAY-LUSSAC. de M. Gourtois et les résultats qu’il avait obtenus en collaboration avec M. Desormes, que dans la séance de la première classe de l’Enstitut du 6 décembre 1843. Sir Humphry Davy qui, à cause de son génie scienti- fique, avait obtenu exceptionnellement de l’Empereur la permission de traverser la France, se trouvait alors à Paris. Il avait reçu de M. Clément, peu de temps après son arrivée, des échantillons nombreux de la substance mystérieuse. M. Gay-Lussac l’apprend, et juge d’un coup d’œil à combien de critiques blessantes pour l’hon- neur de nos expérimentateurs et de nos Académies, pourra donner lieu l’antériorité accordée ainsi par le hasard et un peu dé légèreté aux investigations du chimiste étranger, Il va aussitôt rue du Regard, chez le pauvre salpêtrier, en obtient une petite quantité de la matière découverte par lui, se met à l’œuvre et produit en peu de jours un travail également remarquable par la variété, l'importance et la nouveauté des résultats. L'iode devient, sous l’œil scrutateur de notre confrère, un corps simple, fournissant un acide particulier en se combinant avec l'hydrogène, et un second acide par son union avec l'oxygène. Le premier de ces acides montrait, par un exemple nouveau, que l'oxygène n’était pas le seul prin- “cipe acidifiant, comme on l'avait cru pendant longtemps... Ge travail de Gay-Lussac sur l’iode fut complété posté- rieurement, et l’on trouve dans un très-beau Mémoire fort étendu, lu le 4° août 1814 et imprimé parmi ceux de l’Académie, les résultats variés des investigations de notre confrère. Tous les chimistes qui ont lu ce travail y ont-admiré GAY-LUSSAC. 43 ét la fécondité de l’auteur pour varier les expériences et la sûreté de jugement qui le dirige toujours, quand il faut les interpréter et en tirer des conséquences générales. - Dans plusieurs chapitres de ce travail si remarquable, Pauteur insiste particulièrement sur l’analogie qu'il a éta- - blie entre le chlore, le soufre et l’iode, ce qui jette un grand jour sur plusieurs branches de la science, qui, alors, étaient enveloppées d’obscurité. DÉCOUVERTE DU CYANOGÈNE. Le bleu de Prusse, matière bien connue des manufac- - turiers et des peintres, avait été l’objet des recherches d’un grand nombre de savants, parmi lesquels nous citerons principalement l’académicien Macquer, Guyton de Morveau, Bergman, D Berthollet, Proust et M, Porrett. Gay-Lussac entra à son tour dans la lice; ses résultats sont consignés dans un Mémoire qui fut lu devant la pre- mière classe de l’Institut, le 48 septembre 1815. A par- tir de ce moment, tout ce qui était douteux acquit de la certitude ; la lumière succéda à l'obscurité. Ce Mémoire, un desplus-beaux dont la science puisse s’honorer, révéla une multitude de faits nouveaux d’un immense intérêt pour les théories chimiques. Geux qui le liront avec soin, verront au prix de ‘quelles fatigues, de quelles précau- tions, de quelle sobriété dans les déductions, de quelle rectitude dans le jugement, un‘observateur parvient à éviter les faux pas et à léguer à ses successeurs un tra- vail définitif; je veux dire:un travail que des recherches 4 GAY-LUSSAC. ultérieures, ce qui est si rare, ne modifieront pas d’une manière essentielle. Dans cet admirable Mémoire, l’auteur donne d’abord une analyse exacte de l'acide qui entre dans la composi- tion du bleu de Prusse et qui fut nommé par Guyton de Morveau de l'acide prussique, mais qu’on n’avait pas obteuu jusqu’au travail de notre ami à l’état de pureté, mais seulement mélangé à de l’eau. Il montre ensuite comment il est parvenu à isoler le radical de l’acide prussique , qui depuis a été nommé le cyanogène. Il établit que le cyanogène est un composé d’azote et de carbone, que l’acide prussique est formé définitive- ment d'hydrogène et de ce radical, et qu’il doit prendre le nom d’acide hydrocyanique auquel les chimistes substi- tuent souvent aujourd’hui celui d'acide cyanhydrique. Il indique avec le plus grand soin ses réactions sur un grand nombre de substances simples ou composées, solides ou gazeuses. Il fait connaître la combinaison du cyanogène avec le chlore, qui doit porter naturellement le nom d’a- cide chlorocyanique. En résumé, dans ce travail, Gay- Lussac comblait une lacune de la chimie, en montrant qu’il existe une combinaison d’azote et de carbone; il prouvait que le cyanogène, quoique composé, joue le rôle d’un corps simple dans ses combinaisons avec l’hy- drogène et avec les métaux, ce qui, à l’époque où notre confrère écrivait, était dans la science un exemple unique. J'ai dit que, pour établir de si magnifiques résultats, Gay-Lussac montra une constance infatigable. Si on en veut la preuve, je rappellerai, par exemple, qu'ayant voulu savoir quelle modification l'électricité pourrait pro- GAY-LUSSAC. 45 duire dans le mélange de deux gaz, il y fit passer jusqu’à cinquante-trois mille étincelles, On lit avec un vif regret, dans le Mémoire de notre confrère, la phrase que je vais transcrire : «Je m'étais flatté, en me livrant à ces recherches, de jeter quelque jour sur toutes les combinaisons de l’acide hydrocya- nique; mais les devoirs que j’ai à remplir m'ont forcé de les interrompre avant qu’elles eussent atteint le degré de perfection que je croyais pouvoir leur donner. » Quels étaient ces devoirs qui empêchèrent, en 1815, Gay-Lussac d'achever cette œuvre de génie? C'était, je le dis à re- gret, l'obligation de pourvoir à ses besoins et à ceux de sa famille, par des leçons publiques presque journalières, qui absorbaient un temps que notre ami eût désiré con- sacrer plus utilement à l'avancement de la science. Le cyanogène, ce corps, l’un des principes constituants du bleu de Prusse, fournit, en se combinant avec l’hydro- gène, un poison, tellement subtil qu'un célèbre physiolo- giste qui le premier s’en servit dans des expériences sur des animaux vivants, s’écria, en voyant ses effets : « Désormais on peut croire tout ce que l’antiquité a dit de Locuste. » Le même savant académicien a constaté par ses expériences qu'on ne voit chez les animaux empoi- sonnés aucune lésion dans les organes essentiels de la vie. Cette action du liquide obtenu pour la première fois par Gay-Lussac, paraîtra d'autant plus mystérieuse, qu’elle est produite par un corps composé d’azote, l’un des prin- cipes constituants de l’air atmosphérique, d'hydrogène, Pun des principes constituants de l’eau, et de charbon, dont l’innocuité est proverbiale. Une réflexion encore, et 46 GAY-LUSSAC, j'ai fini sur cet article. Les chimistes ne manquent jamais, lorsqu'ils trouvent un produit nouveau, de dire quel goût il possède. Qui ne songe avec effroi que, s’il ne se fût pas départi de l'habitude générale, que s’il eût placé une simple goutte de ce liquide sur sa langue, notre. ami fût tombé à l'instant comme frappé de la foudre! L’odeur d'amandes amères qu’exhalent, dit-on, les cadavres des animaux qui ont péri sous l’action de l'acide hydrocya- nique, n’eût mis.alors personne sur la voie pour faire connaître la cause de cette catastrophe nationale, BAROMÈTRE A SIPHON. — MODE DE SUSPENSION DES NUAGES. — NUAGES ORAGEUX. — DIFFUSION DES GAZ ET DES VAPEURS. — CHALEUR CENTRALE DU GLOBE. Gay-Lussäc publia, en 1816, la description d’un baro- mètre portatif à siphon qui s’est fort répandu, surtout depuis quelques améliorations que l'artiste Bunten lui a fait subir. Ce n’est pas le seul service que notre ami ait essayé de rendre à la météorologie, &" Dans une Note insérée, en 1822, au tome xx1- des Annales de chimie et de physique , il a fait connaître ses idées sur le mode de suspension des nuages, En voyant le mouvement ascensionnel que le courant ascendant atmosphérique donne aux bulles de savon, évidemment plus pesantes que l'air, il croit pouvoir attribuer à ce même courant la suspension des molécules vésiculaires aux élévations les plus considérables. Avant cette époque, en 1818, dans une lettre adressée à M. de Humboldt, Gay-Lussac avait cherché les causes GAY-LUSSAC. ” 47 de la formation des nuages orageux. Suivant lui, l’élec- tricité, habituellement répandue dans l'air, suffit pour rendre: compte des phénomènes présentés par ce genre de nuage. Lorsque les nuages orageux sont d’une grande densité ils jouissent des propriétés des corps solides, . l'électricité primordialement disséminée dans leur masse se porte à la surface et y possède une grande tension, en vertu de laquelle elle peut vaincre de temps en temps la pression de: l’air et s’élancer en longues étincelles, soit d'un nuage à l’autre, soit sur la surface de la terre. On voit combien ces idées sont différentes de celles de Volta, le maître à tous en matière d'électricité. Quel que soit le jugement que l’on veuille porter sur les théories rivales, on reconnaîtra que dans la discussion de ce que Gay-Lussac appelle ses conjectures, il s’est montré très- habile logicien et parfaitement au courant des pro- priétés les plus subtiles du fluide électrique. Parmi les recherches de notre ami, destinées à éclairer les points les plus délicats de la météorologie, nous de- vons citer aussi celles qui concernent la vaporisation et la dissémination des vapeurs, soit dans des espaces vides, soit dans des espaces renfermant des fluides aériformes. Je m'aperçois que, malgré un engagement formel, je pourrai à peine dire quelques mots des opinions de Gay- Lussac sur les phénomènes volcaniques. Ces opinions ont été publiées, en 1893, sous le titre de Réflexions, dans un Mémoire inséré au tome xx des Annales de chimie et de physique. L'auteur ne croit pas que la chaleur centrale de la terre, si cette chaleur existe, contribue en rien à la 48 | GAY-LUSSAC. production des phénomènes volcaniques. Ces phéno- mènes , suivant lui, sont dus à l’action de l’eau, proba- blement de l’eau de mer, sur des substances combustibles. : Dans cette hypothèse, les torrents de matières gazeuses qui sortent des bouches des volcans devraient renfermer beaucoup d'hydrogène et d’acide hydrochlorique; il faut voir dans le Mémoire original la manière dont l’auteur explique l'absence de l'hydrogène dans ces émanations aériformes , et les procédés qu’il indique aux Monticelli, aux Cavelli, et autres savants observateurs, convena- blement placés pour s'assurer de l’existence de l’acide hydrochlorique. | Je ne pense pas que ce Mémoire, malgré tout ce qu’il renferme d’ingénieux, ait résolu la question tant contro- versée des phénomènes volcaniques. Au reste, je ne fais en ceci qu'imiter la réserve de Gay-Lussac; il dit modes- tement en commençant son Mémoire : « Je n’ai pas (en géologie) l’étendue des connaissances qu’il faudrait pour traiter un tel sujet, je ne ferai que l’effleurer. » SERVICES RENDUS PAR GAY-LUSSAC À L’INDUSTRIE. — ALCOOMÈTRE. — ALCALIMÉTRIE. — FABRICATION DE L’ACIDE SULFURIQUE. — ESSAI DES MATIÈRES D'OR ET D'ARGENT. S'il fallait s’en rapporter aux conséquences logiques, inévitables, des paroles de certains biographes, dont je me plais d’ailleurs à reconnaître le grand mérite, le jeune homme qui se voue à la science, particulièrement quand d’éclatants succès ont marqué ses premiers pas, abdiquerait par cela même sa liberté. On a, en effet, examiné quelquefois non-seulement ce qu'ont fait ceux GAY-LUSSAC. 49 dont on écrit l’histoire, mais on a prétendu même pou- voir s'occuper de ce qu’ils auraient dû faire, à l’époque où, faute d'inspiration, ils ont senti, dans l'intérêt bien entendu de leur dignité et de leur gloire, le besoin de se reposer. Dans cet examen, on ne prend aucun souci, ni de la fatigue amenée par l’âge, ni des infirmités qui en sont la conséquence, ni des devoirs de famille, tout aussi sacrés pour l’homme adonné à l’étude que pour tous les autres citoyens. Gay-Lussac n’a pas échappé à cette façon quelque peu blämable d'envisager les choses; on s’est plu à signaler dans la carrière de notre illustre confrère deux phases distinctes : la première, consacrée à l’étude spéculative des phénomènes naturels; la seconde, vouée tout entière aux applications et devant amener des profits matériels. Dans cette seconde partie, qu'on a prétendu, sinon flétrir, du moins amoindrir beaucoup , comparativement à la première, Gay-Lussac, investi de la faveur du gou- vernement, fut successivement appelé à éclairer par ses conseils scientifiques la fabrication des poudres, à servir de guide à l'administration des octrois, à diriger le bureau de garantie, devenu vacant par la mort de Vau- quelin, etc., etc. L'invention de procédés nouveaux et marqués au coin de l'exactitude, de la simplicité et de l'élégance, prouve combien Gay-Lussac était esclave de ses devoirs; elle démontre que le gouvernement n’aurait pas pu mieux placer sa confiance. L'Académie, appelée à se prononcer sur le mérite des alcoomètres devenus usuels de notre confrère, adoptait, ILL, — rit, l 50 GAY-LUSSAC. le 3 juin 4822, un rapport terminé par les conclusions. suivantes : : | 3 TOY :« On voit, en résumé, que M. Gay-Lussac a traité la. question de l’aréométrie sous toutes ses faces et'avec son habileté accoutumée. Les tables qu’il a déduites d’un-tra-- vail pénible de plus de six mois, seront, pour l’industrie et pour la science, une précieuse acquisition; l'autorité. y trouvera aussi, suivant son vœu, les moyens d’amélio— rer et de simplifier la perception de l'impôt, et le guide le plus sûr qu’elle puisse suivre. » Aussi fécond dans l’invention des procédés industriels que dans la découverte de vérités scientifiques, coup sur. coup et comme par enchantement, Gay-Lussac crée la chlorométrie; invente des méthodes exactes pour déter- miner la richesse des alcalis du commerce ; imagine des. moyens ingénieux à l’aide desquels la fabrication-de l'acide sulfurique est devenue beaucoup plus économique, et n’a pas désormais besoin d’être transportée dans des lieux: déserts; il couronne cette série de travaux importants par la découverte d’un procédé qui a été substitué dans tous: les pays civilisés à la coupellation, méthode ancienne et. défectueuse d'analyser les alliages d'argent et de cuivre. : Vraiment, je me demande par quelles. spéculations: théoriques Gay-Lussac eût mieux rempli la seconde phase desa carrière, puisque phase il y a, qu’en produisant des travaux qui à leurs mérites scientifiques joignent l’avam- tage d’être susceptibles d'applications actuelles et multi- pliées, de servir de guide sûr aux commerçants ; aux: industriels, au public, et d'éclairer l'administration. : Ce serait, suivant moi. s’abandonner à l’idée la plus: GAY-LUSSAC. erronée , que de prétendre confiner les hommes de génie dans la voie des pures abstractions, et de leur interdire les découvertes qui peuvent être utiles à leurs semblables. Veut-on d’ailleurs savoir à quoi l’on s'expose, lorsqu'on juge d’après des idées préconçues, ce qu’un savant aurait pu, aurait dû faire? Gay-Lussac, suivant vous, jouissait d’une excellente santé, et eût pu, septuagénaire, montrer l’ardeur, Pacti- vité, la fécondité de sa jeunesse; et un événement cruel vous a prouvé qu’il portait dans son sein le germe de la maladie qui l’a enlevé si inopinément à l’Europe savante, Vous le croyiez entièrement absorbé dans la voie des affaires, et, au même moment, il construisait à grands frais, dans sa campagne de Lussac, un laboratoire, sur lequel feront bien de se modeler les chimistes qui, pour eux-mêmes ou pour le public, auront à diriger l'exécution d'établissements du même genre, On représente notre confrère comme exclusivement préoccupé des applications lucratives de la science, à l’époque où, se recueillant pour méditer sur des théories si nombreuses et si diverses, il écrivait les premiers chapitres d’un ouvrage qu’il n’a malheureusement pas achevé, intitulé : Philosophie chimique. | J'espère, après ce peu de mots, que les biographes dont les opinions ont rendu cette digression nécessaire, sentiront, dans l’occasion, le besoin de ne s’expliquer que sur les productions scientifiques qui ont été soumises au public, et de se taire sur celles dont selon leur appré- ciation le savant eut dû enrichir le monde. C’est presque prêcher l’ingratitude à la postérité ! 52 GAY-LUSSAC. Je dois ajouter que les savants illustres dont j'ai cru devoir combattre les opinions sur un point spécial, vou- draient aussi réduire ces biographies à des analyses pure- ment techniques ; ils en banniraient tout ce qui concerne les sentiments de l’homme et du citoyen. Ils prétendent que ces détails empruntés à la vie intime (ils les appel- lent des anecdotes, voulant ainsi les stigmatiser d’un blâme absolu), ne doivent pas être conservés dans nos archives académiques. Lorsque, sans prétendre établir, comme de raison, aucune comparaison entre les produc- tions des anciens secrétaires et mes humbles biographies, je rappelais à ces aristarques les peintures si intéressantes que renferment les admirables éloges de Fontenelle et de Condorcet, ils répondaient que chaque chose est bonne dans son temps, et que le progrès des lumières a rendu indispensable la modification qu’ils demandent. Je ne partage pas ces opinions, malgré le respect dû aux savants qui les préconisent. Je regarde comme une portion essentielle de la mis- sion que j’ai à remplir, de rechercher si les confrères que nous avons eu la douleur de perdre ont fait marcher du même pas le culte de la science et celui de l’honnêteté; s’ils ont, suivant l'expression du poëte, allié un beau ta- lent à un beau caractère. Au reste, en pareille matière, le public est seul juge compétent, j'attendrai qu’il ait fait connaître sa décision souveraine, et je m’y conformerai sans réserve, GAY-LUSSAC. 53 GAY-LUSSAC CONSIDÉRÉ COMME PROFESSEUR. — SON LABORATOIRE, — SES BLESSURES. — SIMPLICITÉ DE SES MOEURS. Je vais donc, sans autre explication, prendre la liberté de vous introduire dans ces amphithéâtres où notre confrère charmait par sa parole un nombreux et brillant auditoire. Nous pénétrerons ensuite dans son laboratoire ; je recueillerai même diverses anecdotes (on voit que je n’hésite pas à prononcer le mot), qui feront apprécier, sous un nouveau point de vue, toute l’étendue de la perte que l’Académie a faite. Dans la dispute à laquelle les érudits s’abandonnèrent, afin de décider si un Traité sur le monde était ou n’était pas d’Aristote, Daniel Heinsius se prononça pour la néga- tive. Voici son principal argument : « Le Traité en ques- tion n'offre nulle part cette majestueuse obscurité qui, dans les ouvrages d’Aristote, repousse les ignorants. » Gay-Lussac n’eût certainement pas obtenu les éloges du philologue hollandais, car il marchait toujours à son but par les voies les plus directes, les plus nettes, les plus exemptes d’emphase. Gay-Lussac témoignait à toute occasion sa profonde répugnance pour ces phrases ambitieuses auxquelles son premier professeur titulaire, malgré sa juste célébrité, se laissa si souvent entraîner, et où l’on voyait les mots les plus pompeux marcher côte à côte avec les expressions techniques d’ammoniaque, d’azote, de carbone. Son langage et son style étaient sobres, corrects, nerveux, toujours parfaitement adaptés au sujet et 54 GAY-LUSSAC. empreints de l'esprit mathématique dont il s'était pénétré dans sa jeunesse, à l’École polytechnique, Il aurait pu, comme un autre, exciter l’étonnement de son auditoire, en se présentant devant lui sans aucune note manuscrite à la main; mais il eût couru le risque de citer des chiffres erronés, et l'exactitude était le mérite qui le touchait le plus. | ; La connaissance que Gay-Lussac avait des langues étrangères, de l'italien, de l'anglais, de l’allemand, Jui permettait d'enrichir ses leçons d’une érudition de bon aloï et puisée aux sources originales. C’est par lui que Îles chimistes et les physiciens, nos compatriotes, ont été ini- tiés à plusieurs théories nées sur la rive droite du Rhin, et qu’il avait été chercher dans les brochures les plus obscures, les moins connues. Pour tout dire, en un mot, Gay-Lussac, qu'aucun chimiste contemporain na sur- passé pour l'importance, la nouveauté, l’éclat des décou- vertes, a aussi occupé incontestablement le premier rang parmi les professeurs de la capitale, chargés d’enseigner la science à l'École polytechnique. | En entrant dans le laboratoire de Gay-Lussac, on était frappé au premier coup d’œil de l’ordre intelligent qui régnait partout. Les machines et les divers ustensiles qu'on y voyait, préparés la plupart de ses propres mains, se distinguaient par la conception et l'exécution la plus soignée. Vous me pardonnerez, Messieurs, ces détails, Si Buffon a dit, le style c’est l’homme, on pourrait ajouter avec non moins de raison, le grand chimiste et le bon physicien se reconnaissent à la disposition des appa- reils dont ils font usage. Les imperfections des procédés . GAY-LUSSAC. 85 se reflètent toujours plus ou moins sur les résultats, Lorsque le chimiste opère sur des substances ou com- binaisons nouvelles à réactions inconnues, il est exposé à des dangers réels et presque inévitables. Gay-Lussac ne Péprouva que trop. Pendant ses longues et glorieuses campagnes scientifiques, il fut grièvement blessé dans plusieurs circonstances différentes. La première fois, le 3 juin 1808, par le potassium, préparé en grande quantité, suivant une méthode nouvelle. MM. de Hum- boldt et Thénard conduisirent notre ami, les yeux bandés, du laboratoire de l'École polytechnique, où l'accident était arrivé, à sa demeure de la rue des Poules que, par parenthèse, on devrait bien appeler rue Gay-Lussac, Malgré les soins les plus empressés de Dupuytren, il per- dit les points lacrymaux et se crut complétement aveugle pendant un mois. Cette perspective désespérante chez un homme de trente ans, fut envisagée par notre ami avec un calme, une sérénité, que les stoïciens de l’antiquité eussent admirée. « Durant près d’une année, dit madame Gay-Lussac, (dans une note qu’elle a eu la bonté de me remettre), les reflets d’une petite veilleuse devant laquelle je me plaçais pour lui faire quelques lectures, furent la seule lumière qu'il put supporter. Toute sa vie ses yeux restèrent rouges et faibles. » La dernière explosion dont Gay-Lussac fut la victime eut lieu à une époque de sa vie où des personnes mal informées le placent dans l’inaction. Notre ami s’occupait de l'étude des hydrogènes carburés provenant de la distil- lation des huiles, Le ballon en verre renfermant les gaz et 56 GAY-LUSSAC. qui était resté à l’écart pendant plusieurs Jours, fut pris par M. Larivière, jeune chimiste, pour être soumis à l’inspec- tion de Gay-Lussac. Pendant que notre confrère se livrait à l'examen minutieux qui devait donner aux expériences projetées toute la précision désirable, il se manifesta une épouvantable explosion, dont la cause, même aujourd’hui, n’est pas parfaitement connue, et qui fit voler le ballon en éclats. Telle fut la vitesse de tous les fragments de verre, qu'ils produisirent dans les vitres du laboratoire des ouvertures nettes sans aucune trace de fissures, ainsi que les auraient faites des projectiles lancés par des armes à feu. Les yeux de Gay-Lussac, qui n'étaient qu'à quel- ques centimètres du ballon, ne reçurent cette fois aucune atteinte ; mais il fut gravement blessé à la main, ce qui exigea un traitement long et douloureux. Quelques per- sonnes ont vu dans cette terrible blessure la première cause de la cruelle maladie à laquelle notre ami suc- comba quelques années après. Les membres de l’Académie qui allaient journellement le visiter sur son lit de douleur ne l’entendaient pas sans émotion se féliciter que les blessures de son jeune prépara- teur etami, M. Larivière, fussent insignifiantes,etque, dans cette occurrence, sa propre vie eût été seule menacée. On a vouiu voir dans ces accidents les conséquences de l’imprévoyance ou de l’étourderie ; dites plutôt, par une assimilation dont tous ceux qui connurent notre ami proclameront la justesse, que s’il fut souvent blessé, c’est qu’il alla souvent au feu, et qu’il n’hésita jamais à exa- miner les choses de très-près, lors même qu'il y avait un grand danger à le faire, GAY-LUSSAC. 57 On a pu croire que les succès de Gay-Lussac, dans ses recherches scientifiques, ne lui faisaient éprouver que cette satisfaction calme que doit naturellement produire la découverte de quelques vérités nouvelles; les apparences étaient trompeuses. Pour se soustraire à l'humidité des * laboratoires situés au rez-de-chaussée, Gay-Lussac met- tait ordinairement des sabots par-dessus ses souliers ; eh bien, Pelouze, un de ses élèves de prédilection, m’a raconté qu'après la réussite d’une expérience capitale, 1l l'avait vu souvent, par la porte entre-bâillée de son cabi- net, donner les marques de la joie la plus vive, et même danser malgré les inconvénients de sa chaussure. Ceci nous rappelle une anecdote que j’emprunterai à mon ami M. Brewster, ne fût-ce, je l’avouerai, que parce qu'elle me fournit une occasion de rapprocher le nom de Gay-Lussac de celui du savant immortel dont Voltaire a pu dire sans que personne ait erié à l’exagération : Confidents du Très-Haut, substances éternelles, Qui brûlez de ses feux, qui couvrez de vos ailes Le trône où votre maître est assis parmi vous, Parlez; du grand Newton n'’étiez-vous point jaloux? En 1682, le grand Newton, mettant à profit les dimen- sions de la terre obtenues par Picard, de cette Acadé- démie, recommença un calcul qu’il avait déjà tenté, mais sans succès, d’après les anciennes déterminations de Norwood. Son but était de s’assurer si la force qui retient la lune dans son orbite et l'empêche de s'échapper par la tangente, en vertu de la force centrifuge, ne serait pas la même que celle qui fait tomber les corps à la surface de la terre, diminuée seulement en raison du 58 GAY-LUSSAC. carré des distances mesurées à partir du centre de notre globe, Cette fois, le calcul numérique justifia les prévi- sions; le grand homme en éprouva une telle joie, cette coïncidence produisit chez lui une telle excitation ner- veuse, qu'il fut incapable de vérifier son calcul numé- rique, tout simple qu’il était, et se vit obligé pour cela de recourir à un ami, N'oublions jamais, lorsque l’occasion s’en présente, de montrer que les travaux calmes de la science procu- rent non-seulement des émotions plus durables que ‘celles qu’on va puiser au milieu des frivolités du monde, mais qu'elles en ont aussi assez souvent la vivacité. On voyait, dans le laboratoire de Gay-Lussac, à côté des fourneaux, des cornues, des appareils de tout genre, une petite table en bois blanc, sur laquelle notre ami consignait le résultat de ses expériences, au fur et à mesure de leurs progrès. C'était, qu’on me passe l’assi- milation, le bulletin exact, écrit pendant la bataille. C’est sur cette petite table que furent aussi tracés des articles concernant divers points de doctrine ou des ques- tions de priorité. Il était impossible qu’en racontant la vie d’un homme dont les principaux travaux remontent au commencement de ce siècle, époque de la rénovation entière de la chi- mie, nous n’eussions pas à signaler des discussions de ce genre. Cette polémique scientifique a particulièrement eu lieu entre Gay-Lussac, Dalton, Davy, Berzélius, etc. On voit. que notre ami eut affaire à de rudes jouteurs, à des adver- saires dignes de lui, | GAY-LUSSAC. | 59 Dans ces discussions, notre ancien confrère marchait droit devant lui, abstraction faite des personnes, avec la rigueur, disons plus, avec la sécheresse d’une démons- tration mathématique. Rarement on y trouve de ces phrases qui sont comme une sorte de baume jeté sur la blessure qu'on a faite. Mais comment n’a-t-on pas remarqué que Gay-Lussac se traitait lui-même avec un sans-façon au moins égal à celui dont il faisait preuve en parlant d'autrui? Les paroles suivantes sont tirées textuellement d’un de ses écrits : « Les résultats que j'ai donnés, dit-il, dans les Mémoires d'Arcueil, sur les diverses combinaisons de l’azote et de l'oxygène ne sont pas exacts, » Celui qui parle avec une telle franchise de ses propres travaux ne serait-il pas excusable de s’être exclusivement préoccupé, dans examen des travaux des autres, des intérêts de la vérité ? MARIAGE DE GAY-LUSSAC. — SON AMOUR POUR SON PAYS NATAL. — DÉVOUEMENT INALTÉRABLE ENVERS SES. AMIS. — SA NOMINA- TION A LA PAIRIE. Les personnes qui ne connurent Gay-Lussac que super- ficiellement, se persuadent qu’il ne dut y avoir dans sa vie privée rien de romanesque. Peut-être changeront-elles d'opinion après avoir entendu ce récit : Il y avait à Auxerre, au commencement de notre pre- mière révolution, un artiste musicien qui était attaché aux quatre grandes communautés et au collége de cette ville, La suppression de ces établissements, en 1794, 60 GAY-LUSSAC, apporta une grande gêne dans la situation pécuniaire de ce respectable père de famille. Cependant il ne perdit pas courage, et consacra la petite fortune de sa femme à l’éducation de ses trois filles, qu’il destinait aux honora- bles fonctions d’institutrices. Mais l’aînée de ces jeunes personnes, Joséphine, se rendant parfaitement compte du peu d’aisance de ses parents et des sacrifices qu’ils auraient à s'imposer avant d'atteindre leur but, voulut absolument être placée dans une maison de commerce à Paris, et attendre là que l’âge de ses sœurs et leur éduca- tion permissent de réaliser l'espoir que ses parents avaient conçu. C’est dans un magasin de lingerie, refuge ordinaire des femmes de toutes les conditions et de tous les âges, dont les révolutions ont ébranlé l'existence, où Joséphine s'était placée, que Gay-Lussac fit sa connaissance. Il vit avec curiosité une jeune personne de dix-sept ans, assise derrière le comptoir et tenant à la main un petit livre qui paraissait fixer vivement son attention. « Que lisez- vous, Mademoiselle? fit notre ami. — Un ouvrage, peut- être au-dessus de ma portée; en tout cas, 1l m'intéresse beaucoup : un traité de chimie. » Cette singularité piqua notre jeune ami; à partir de ce moment, les besoins inusités d’effets de lingerie le rappe- laient incessamment au magasin, où il liait de nouveau conversation avec la jeune lectrice du traité de chimie ; il l’aima, s’en fit aimer, et obtint une promesse de mariage. Notre illustre confrère plaça, par imputation sur le futur douaire, la jeune Joséphine dans une pension, pour compléter son éducation, surtout pour y apprendre l’an- GAY-LUSSAC. 61 glais et l'italien. Quelque temps après, elle devint sa compagne. Je n’oserais conseiller cette façon aventureuse de se choisir une femme, quoiqu’elle ait parfaitement réussi au célèbre chimiste. Belle , petillante d'esprit, brillant dans le monde, que du reste elle n’aimait guère, par la grâce et la distinction de ses manières, madame Gay-Lussac a fait, pendant plus de quarante années, le bonheur de son mari. Dès l’origine, ils prirent la douce habitude de faire, à la suite de petites concessions mutuelles, de leurs pen- sées, de leurs désirs, de leurs sentiments, une pensée, un désir et un sentiment communs. Cette identification en toute chose fut telle, qu’ils finirent par avoir la même écriture, en sorte qu’un amateur d’autographes peut croire de bonne foi qu’un Mémoire copié par madame Gay-Lussac a été tracé par la plume du célèbre acadé- micien, Trois jours avant sa mort, touché des soins infinis dont il était l’objet, Gay-Lussac disait à sa compagne : « Aimons-nous jusqu'au dernier moment; la sincérité des attachemerits est le seul bonheur. » Ces mots tendres, affectueux, ne dépareront pas le tableau que j'ai voulu tracer de la vie de notre confrère, Le maintien de Gay-Lussac était toujours très-grave ; il s’associait franchement aux élans de gaîté qu’une anec- dote bien choisie amenait dans les sociétés où il se trou- vait réuni à ses amis; mais il ne les provoquait jamais lui-même. Gay-Lussac porta l’amour de son pays natal jusqu’au | 62 GAY-LUSSAC. point de n’avoir jamais voulu assister à une représenta- tion de Pourceaugnac, que Molière avait fait naître à Limoges; aussi, sa joie ne connut pas de bornes lorsque parut, sous le nom du Nouveau Pourceaugnac, un vau- deville de M. Scribe, dans lequel le personnage prinei- pal, M. de Roufignac, également Limousin, au dieu d’être mystifié, rend tous les autres acteurs les jouets de ses spirituelles mystifications. On raconte que La Fontaine, a une certaine époque, abordait tous ses amis en leur disant ::« Avez-vous lu le Prophète Baruch? » Ainsi était Gay-Lussac; il:ne man- quait jamais, pour peu que la circonstance l’y autorisät, de demander avec une candeur égale à celle du fabu- liste : « Connaissez-vous le Nouveau Pourceaugnac ? c’est une pièce charmante; je vous engage à l’aller voir. » Et je dois dire que lui, si ménager de son temps, prêchait d'exemple. | Un seul fait suffira pour montrer que Gay-Lussac s’abandonnait avec ardeur aux inspirations honnêtes de son âme, lorsqu'il fallait, à ses risques et périls, déjouer une intrigue ou défendre un ami. Nous étions à la seconde restauration. On avait, dit-on, décidé en haut lieu d’éloigner de l’École polytechnique un professeur que ses sentiments libéraux avaient rendu suspect, Mais, com- ment opérer cette destitution sans soulever de nombreuses réclamations? Le professeur était plein de zèle, considéré, et même, je dois le dire, aimé de tous les élèves : le cas était embarrassant; lorsqu'on découvre que la personne 1. M. Arago. GAY-LUSSAC. 63 vouée aux ‘animosités du pouvoir , a, dans les cent jours, signé l'acte additionnel. Le professeur de litiérature (ce wétait pas, bien entendu, M. Andrieux, c'était son suc- cesseur), se charge d'exploiter cette découverte. Dans une réunion du Conseil d'instruction, il déclare que, _ suivañt lui, ceux qui ont donné leur appui à l’usurpa- teur, à l’ogre de Corse, quels qu’aient été leurs motifs, ne sont pas dignes de professer devant la jeunesse à laquelle sera confié l’avenir du pays, et qu’ils doivent se récuser eux-mêmes. Le membre du corps enseignant contre lequel était dirigée cette attaque avait demandé la parole pour s'expliquer , lorsque Gay-Lussac se lève avec impétuosité, interrompt son ami, et déclare d’une voix retentissante, que lui aussi à signé l’acte additionnel, qu’il n'hésitera pas dans l’avenir à soutenir le gouverne- ment, quel qu’il puisse être, même le gouvernement de Robespierre, lorsque des étrangers menaceront la fron- fière; que si les vues patriotiques qui l'ont dirigé sont un sujet de réprobation , il demande formellement que l’épu- ration qu'on projette commence par sa personne. M. le professeur de littérature vit alors que sa proposition aurait des conséquences qui iraient bien au delà des limites dans lesquelles il voulait la circonscrire, et tout fut dit. Berthollet mourut en 4822; on sut alors qu’il avait légué l'épée , partie intégrante de son costume de pair de France, à Gay-Lussac : cette disposition testamentaire excita beaucoup de surprise. Mais on la trouvera toute naturelle si on suit la filiation d’idées qui déterminèrent le vénérable académicien. Berthollet avait été sénateur sous JEmpire, pair de 64 GAY-LUSSAC. France pendant la Restauration, comme le plus illustre de nos chimistes. Doit-on s’étonner qu’il se fût persuadé qu’une science, source de gloire et de richesse pour notre pays, ne cesserait pas d’avoir un représentant dans les premiers corps de l’État? Près de sa fin, Berthollet exa- mina avec l'indépendance, le tact et l’esprit de justice qui sont l’apanage ordinaire d’un mourant, quel serait celui des chimistes vivants à qui devrait revenir cet hon- neur; son opinion fut décidément en faveur de son ami et confrère Gay-Lussac, et il la manifesta autant que sa réserve habituelle le lui permettait, en donnant à celui-ci une partie de son futur costume de pair. Voilà ce que signifiait ce cadeau; sans cette explication, on aurait de la peine à en assigner la cause. Berthollet avait entendu souvent parler, pendant son séjour en Égypte, du langage symbolique des fleurs, fréquemment employé chez les musulmans, langage qui a fait la gloire de plusieurs poëtes orientaux. L’anecdote que je viens de rapporter est, à vrai dire, une extension de ces coutumes poétiques. Le vénérable académicien exprimait par le don d’un objet si peu en harmonie avec les occupations ordinaires de Gay- Lussac, l'estime qu’il faisait de notre ami, et l’inviolable attachement qu’il lui avait voué. Toutefois, cet acte de justice éclairée ne se réalisa pas aussi promptement qu’on aurait pu l’espérer. « Pourquoi, disaient les amis de Gay-Lussac aux dispensateurs des faveurs royales, pourquoi lui faire si longtemps attendre une récompense à laquelle il faudra bien tôt ou tard arri- ver? Trouvez-vous son illustration insuffisante? — Vous nous faites injure, répondait-on. — Avez-vous quelque GAY-LUSSAC. 65 chose à redire à ses relations? — Nous n’ignorons pas qu’elles sont toutes honorables et de l’ordre le plus dis- tingué. — Serait-il par hasard question de fortune? — Nous savons que Gay-Lussac jouit d’une grande aisance, et qu’elle est le fruit de son travail. — Qu'est-ce qui peut donc vous arrêter? » Et alors on avouait doucement, tout doucement, en s’enveloppant de mystère, comme si on était honteux d’une semblable déclaration, que tous les matins, au bureau de garantie, le grand chimiste tra- vaillait de ses mains, ce qui paraissait incompatible avec la dignité de pair de France. Tel est le misérable motif qui, pendant plusieurs an- nées, empêcha l’ingénieux horoscope de Berthollet de s’accomplir. En vérité, j'ai peine à concevoir qu'un homme se dégrade lorsqu'il essaie de prouver, en faisant œuvre de ses mains, la réalité de ses conceptions théoriques. Est-ce que, par hasard, pour ne citer que des exem- ples étrangers, les découvertes de Huygens et de Newton perdirent rien de leur importance, de leur éclat, quand le premier se mit à fabriquer des lunettes et le second à exécuter des télescopes? Est-ce que les immortelles vues d’Herschel sur la constitution des cieux seraient amoin- dries pour avoir été obtenues avec des instruments façon- nés par l’illustre observateur lui-même? Est-ce que dans la chambre des lords, si fière de ses antiques priviléges, une seule voix a prétendu que lord Ross s'était récemment dégradé, en devenant successi- vement fondeur, forgeron et polisseur de métaux, lorsque, avec cette triple qualification, il a doté la science astrono- LIL — xx, 6] 66 GAY-LUSSAC. mique du colossal télescope qui forme maintenant: une des merveilles de l'Irlande ? - Ÿ aurait-il eu jamais une puérilité plus digne de épis que celle dont se serait rendu coupable celui qui, aw moment où Watt essayait, par des expériences minu- tieuses, de donner à la machine à vapeur les perfections qui ont fait la gloire de l'inventeur et la puissance-de sa patrie, aurait recherché, si les mains de l’illustre méca- nicien étaient couvertes de rouille ou de poussière de charbon? Quoi qu’il en soit, la raison finit par triompher de ridicules préjugés, et Gage entra à la SORT des pairs. | MORT DE GAY-LUSSAC. — SES DERNIÈRES PAROLES. — IL FAIT BRULER SON TRAITÉ INTITULÉ Philosophie chimique: Gay-Lussac vit approcher sa fin avec la résignation que doit inspirer une conscience pure; il envisagea. avec calme non-seulement la mort, mais encore le mourir, comme eût dit Montaigne. Lorsque arriva à Paris, comme un coup de foudre, la triste nouvelle que la santé de notre confrère inspirait de vives inquiétudes, un de ses amis s’empressa d’écrire à la famille désolée qui l’entourait, pour savoir la vérité, Gay-Lussac voulut répondre lui-même. Voici quelles furent les paroles du mourant : « Mon cher ami, « Mon fils vient de me parler de la lettre que vous lui avez adressée. Il n’est que trop vrai que j'ai un pied dans la tombe et que bientôt elle se fermera sur moi; mais je GAY-LUSSAC. 67 rassemble mes forces pour vous remercier de l'intérêt que vous prenez à mon état, pour vous dire que j'ai été très-heureux toute ma vie de attachement mutuel de nos deux familles, «Adieu, mon cher Arago. » Me serais-je trompé, Messieurs, en me persuadant que dans cette occasion solennelle, je pouvais me parer à vos veux d’un sentiment exprimé en termes si simples, si peu apprêtés, si exempts enfin de cette tendance à l'effet qui amena jadis madame de Sévigné à parler des amitiés. d’agorie? Une illusion, partant du cœur, me serait-en tout cas pardonnée. | Les sinistres pressentiments de Gay-lLussac, de sa famille et du public, firent place momentanément à des idées plus rassurantes. Notre confrère Magendie, qui s'était empressé d’apporter les-secours de sa science à son vieil ami, s’associa lui-même un moment à l'opinion commune. Gay-Lussac fut transporté à Paris, où son état parut pendant quelques jours s’améliorer, [1 nous parlait alors de-ses futurs travaux «et du regret qu'il éprouvait d’avoir, dans un moment où sa vie ne semblait pas devoir se pro- longer, donné l’ordre à son fils Louis de brüler un traité intitulé : Philosophie chimique, et dont les premiers cha- _pitres étaient entièrement achevés. Mais bientôt il fallut renoncer à toute espérance. L’hydropisie dont il avait été subitement atteint fit des progrès rapides, et notre ami expira sans forfanterie et sans faiblesse, le 9 mai 1850, à l'âge de soixante-dix ans, pouvant dire comme un 63 GAY-LUSSAC. ancien : « S’il m'était donné de recommencer ma vie, je ferais en toute circonstance ce que j'ai déjà fait une fois. » Les obsèques du savant académicien furent célébrées le 11 mai, au milieu d’un nombreux concours dans lequel on remarquait la presque totalité de ses anciens confrères de l’Académie des sciences et quelques membres les plus illustres des autres Académies ; l’Institut tout entier témoi- gnait ainsi qu'il n’eût pas pu faire alors une plus grande perte. D’anciens élèves de l’École polytechnique, la tota- lité des deux promotions présentes à l’École, des amis des sciences et beaucoup d’auditeurs reconnaissants des excellents cours de la Sorbonne et du Jardin des Plantes, se pressaient aussi autour du char funèbre, Les opinions diverses qui, malheureusement, divisent notre pays, se trouvaient confondues dans cette foule recueillie et morne. Et qui aurait pu dire, en effet, à laquelle de ces opinions Gay-Lussac appartenait? Quel parti pouvait se flatter d’avoir compté dans ses rangs le savant illustre? Les compatriotes de notre confrère lui confièrent une fois l'honneur de les représenter à la Chambre des députés. Plus tard, comme on l’a vu, Louis- Philippe le nomma pair de France; mais il n’aborda les tribunes de ces deux assemblées que fort rarement, et seulement pour y traiter des questions spéciales, objet de ses études favorites. Doit-on attribuer cette réserve à la timidité? Faut-il seulement l'expliquer par le désir qu'avait Gay-Lussac de ne pas troubler sa vie? Dans cette dernière supposition, il aurait parfaitement réussi. Jamais, la pire de toutes les calomnies, la calomnie poli- tique, ne s’exerça sur la carrière scientifique de notre GAY-LUSSAC. 69 confrère. Ses travaux ont échappé aux critiques quoti- diennes de ces écrivains à gages qui, avant de prendre la plume, se demandent, non pas ce que valent les Mémoires dont ils vont publier l'analyse, mais quelles sont les opi- nions présumées de leurs auteurs sur les questions si brü- lantes et surtout si obscures d'organisation sociale. Les découvertes de notre confrère ont été toujours appréciées en France à leur juste valeur, Ainsi on pourra dire de lui ce que Voltaire écrivait sous un portait de Leibnitz : Même dans son pays il vécut respecté. Dominé par le souvenir de l’attachement profond qui m’unit à Gay-Lussac pendant plus de quarante années, je me suis peut-être laissé entraîner à tracer sa biographie avec des détails trop minutieux. Quoi qu’il en soit, je pourrais résumer l’histoire de cette belle vie en ce peu de paroles : Gay-Lussac fut bon père de famille, excel- . lent citoyen, honnête homme dans toutes les circonstances de sa vie; physicien ingénieux, chimiste hors ligne. II honora la France par ses qualités morales, l’Académie par ses découvertes. Son nom sera prononcé avec admi- ration et respect dans tous les pays où l’on cultivera la science. L’académicien illustre vivra enfin éternellement dans le cœur et dans le souvenir de ceux qui eurent le bonheur de jouir de son amitié, APPENDICE SUR L'ANCIENNE ÉCOLE POLYTECHNIQUE Des raisons particulières sur lesquelles il serait inu- tile de s'étendre, m'ont décidé à publier séparément cette partie de la Biographie qui a été lue en séance publique. J’ai cru alors que les circonstances me com- mandaient une digression à propos d’un établissement qui nous fut si cher à Gay-Lussac et à moi. J'ai ajouté des développements à ceux que j'avais réunis pour la biographie de mon ami, et je laisse mon travail comme un. acte de reconnaissance envers une École qui a produit tant d'hommes distingués. Après avoir été amené par mon sujet à écrire si sou- vent dans un seul paragraphe les mots École polytechni- que, ces mots si doux aux oreilles de Gay-Lussac, j'ai cru entendre en songe la parole solennelle de l’illustre chi- miste : « Mon cher confrère, me disait-il, ne négligez pas de profiter de l’occasion unique qui vous est offerte pour vous livrer à un examen sérieux de l’état précaire dans lequel se trouve aujourd’hui notre brillante École, Je sais très-bien que, dans le cadre resserré qui vous est tracé d'avance, vous ne pourrez pas traiter la question complétement. Au reste, que l'intérêt général prime toute autre considération, Sacrifiez sans scrupule, pour attein- GAY-LUSSAC. TA dre le but que je vous indique, tous les détails relatifs à ma vie privée, et même, s’il le faut, les analyses de mes principaux Mémoires. » Je suivrai la route que Gay-Eussac a semblé me tra- cer, sans croire faire preuve de hardiesse. Le gouver- nement ne peut avoir au fond qu'un but : celui d’amé- liorer un établissement d’où sortent les ingénieurs des- tinés à diriger tous les travaux civils et militaires que l'État fait exécuter. Il doit conséquemment désirer que chacun lui apporte le tribut de ses lumières. Ce sera à lui de choisir dans sa sagesse entre les diverses opinions qui auront pu se produire. Les plus méticuleux remarqueront, d’ailleurs, qu’au- cune décision définitive ayant force de loi n’a été prise jusqu'à présent sur l’objet en question, et qu’en déposant ici l'expression sincère et désintéressée de mes convic- tions, je ne cours nullement le risque de porter atteinte au principe d'autorité, qu'il est si nécessaire de main- tenir intact, quelque opinion qu’on professe. Je suis, il est vrai, exposé à me heurter contre les systèmes d’un petit nombre de savants et d'ingénieurs auxquels le minis- tère a pu, pour un moment, confier ses pleins pouvoirs, mais sans leur donner le privilége de linfaillibilité, Ceci bien entendu, je vais pénétrer dans le cœur de la question. Le gouvernement, ayant prêté l'oreille aux critiques sans cesse renouvelées de personnes dont la compétence devait lui paraître évidente, choisit une Commission pour s'occuper des améliorations qu’on pourrait apporter sur- le-champ à l’organisation d’une École qui, dans l’inter- 72 GAY-LUSSAC. valle de plus de cinquante ans, avait déjà subi bien des transformations. Cette Commission, dans son entraînement, n’a-t-elle pas dépassé le but? Les changements radicaux qu’elle préconise, et dont plusieurs ont déjà été rejetés comme inapplicables, sont-ils tous conformes à l'intérêt public? Telle est, sans déguisement aucun, la question que j’ai à examiner, et que les opinions bien connues de Gay-Lussac m'aideront à résoudre. | Peut-être aura-t-on la bonté de remarquer que, pro- fesseur à l’École pendant près d’un quart de siècle, et ayant été amené par des circonstances de force majeure à y faire quatre ou cinq cours différents, je pouvais me croire autorisé à émettre une opinion sur le régime inté- rieur de l'établissement et sur les programmes. C’est à l’École polytechnique, où j'étais élève en 1803, que je suis redevable, suivant toute apparence, de l’hon- neur de porter la parole aujourd’hui devant vous; le sentiment de reconnaissance que ce souvenir m’inspire serait suffisant pour me faire pardonner quelques erreurs d'appréciation, s’il était vrai que j'en eusse commis. L'École polytechnique, successivement améliorée sous les inspirations des Lagrange, des Laplace, des Monge, des Berthollet, des Legendre, était aux yeux de Gay-Lussac, sous le point de vue de l'instruction, une des institutions les plus parfaites que les hommes eussent jamais créées, Sa conviction était si entière à ce sujet, qu’il ne voyait pas sans un très-vif regret que les jeunes gens destinés aux services publics profitassent seuls d’un cours d'étude si profond, si complet, si bien ordonné. Il aurait volon- GAY-LUSSAC. 73 tiers changé de fond en comble le régime intérieur de l’École, pour permettre à toute la jeunesse, sans distinc- tion, de profiter des trésors de science qui tous les jours étaient étalés devant des élèves privilégiés. Un ingénieur, directeur d’une grande usine, est depuis longtemps en possession d’un moteur qui y met tout en action. On lui propose de le remplacer par un méca- nisme différent. S'ilest sage, il se rappelle alors cet adage du fabuliste : Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, Pour ne pas se jeter étourdiment dans les aventures, il examine avec la plus scrupuleuse attention la nouvelle invention, et consulte sur les inconvénients vrais ou appa- rents de l’ancienne, ses contre-maîtres, ses ouvriers, et jusqu'aux simples manœuvres; c’est alors seulement qu’il prononce. Gette marche, si je ne me trompe, devrait être celle de tout gouvernement à qui l’on demande de substi- tuer une nouveauté, douée, suivant les inventeurs, de tous les avantages imaginables, à une organisation que l'expérience a déjà consacrée. De tels changements s’établissent sur des bases solides, alors seulement que l'opinion les avait déjà réclamés par toutes les voies de la publicité. En cette matière, arriver un peu tard ne saurait être un mal, car, dans des mouve- ments désordonnés, on a souvent, à son insu, marché à reculons au lieu de progresser. Je n’ignore pas que l’an- cienne École polytechnique a été critiquée par des délé- gués de quelques écoles d'application ; mais est-il bien certain que ces critiques, scrupuleusement examinées, ne 71 | GAY-LUSSAC. retombassent pas sur ces écoles elles-mêmes? Je me bor- nerai à cette seule remarque, car je ne veux pas voir dans ces réclamations un moyen stratégique fort en usage à la guerre, celui de détourner l'attention de l'ennemi des points faibles : on devient assaïllant afin de m'être pas attaqué soi-même dans les régions où l’on se serait mal défendu. La Commission chargée de réorganiser l’École poly- technique renferme des hommes éminents et d’un mérite universellement reconnu; plusieurs sont sortis de cette École dont l’avenir est aujourd’hui dans leurs mains ; ils doivent donc savoir que, dès le moment de la publication des nouveaux programmes, des professeurs et examina- teurs illustres, ne voulant pas concourir à leur exécution, soit dans l'intérêt de la science, soit dans celui de leur dignité, donnèrent leur démission; que d’autres mariïfes- tent hautement l'intention de suivre cet exemple lors- qu'ils en trouveront l’occasion. La presque unanimité des anciens élèves, occupant aujourd’hui dans la société les positions les plus variées et les plus éminentes, désap- prouvent les réformes préconisées, comme nuisibles aux services publics et surtout à l’enseignement mathéma- tique, l’une des gloires de la France. Dira-t-on que le pays réclamait ces réformes? Je ferai observer que le public a toujours couvert de son bienveillant patronage un établissement dont on a pu dire avec raison que c'était plus qu’une École, que c’était une Institution nationale. C'est à ce patronage vif et persistant que fut due la conservation de l’École à diverses époques, pendant les temps malheureux que nous avons traversés. L'opinion GAY-LUSSAC. 75 publique se fait jour à ce sujet dans toutes les circon- stances. Ainsi, on dit généralement, École de droit, École de médecine, École des arts et manufactures, École de marine, École d'État-major; mais quand il s’agit de la création de Monge, on se contente du mot générique d'École. Les locutions : Je suis élève de l’École, je suis sorti de l'École en telle année, sont parfaitement com- | prises de tout le monde; elles signifient implicitement : J'appartiens ou j'ai appartenu à la première École dont le pays puisse s’honorer. | Croyez-vous, Messieurs les réformateurs, que la ques- tion dont vous êtes saisis fût nouvelle? Vous seriez dans une grande erreur, - Des généraux, dont tout l’avancement s'était fait sur les champs de bataille, des généraux, très-braves canon- niers, mais nullement artilleurs, harcelaient sans cesse l'Empereur de leurs doléances sur ce qu’ils appelaient les tendances trop scientifiques des officiers sortis de l’École polytechnique. Napoléon avait dit que la répétition est la plus puis- sante des figures de rhétorique ; il éprouva lui-même en cette circonstance la vérité de son adage. Les plaintes des vieux canonniers, évidemment suggérées par un sen- timent de jalousie, avaient fini par faire quelque im- pression sur son esprit, et il témoigna plusieurs fois la velléité de réduire, du moins quant aux élèves qui se destinaient à lartillerie, le nombre et la rigueur des épreuves; mais il renonça à ce projet, qui l’aurait mis en désaceord avec l'opinion unanime de la pléiade de savants illustres, fondateurs des études polytechniques. D’ail- 76 GAY-LUSSAC. leurs, il eût suffi pour ébranler sa résolution, si jamais elle eût été sérieusement adoptée, du souvenir des ser- vices de tout genre que lui avaient rendus les élèves de l'École, particulièrement pendant l'expédition d'Égypte. Deux mots encore, et il sera ensuite impossible d’in- voquer l’imposante autorité à l'ombre de laquelle on sem- blait vouloir s’abriter. L'Empereur, parvenu au faîte de la gloire et de la puissance, choisissait pour ses princi- paux officiers d'ordonnance, d’anciens élèves de l’École, comme Gourgaud, Athalin, Paillou, Laplace, etc., et, dans le cercle de ses entreprises militaires, il prenait comme confidents de ses plus secrètes pensées et comme juges définitifs, lorsqu'il s'agissait des moyens de vaincre les difficultés qui pouvaient se présenter à lui, des géné- raux et des colonels de la même origine, les Bertrand, les Bernard, etc. Napoléon disait enfin à Sainte-Hélène, que l'Ecole polytechnique fut réorganisée par Monge après le 18 bru- maire, et que les changements opérés reçurent la sanc- tion de l’expérience ; il ajoutait (je cite textuellement) : « L'École polytechnique était devenue l’école la plus célè- bre du monde. » Il attribuait à l’influence exercée par ses élèves, la haute supériorité que l’industrie française avait acquise. Ainsi, Napoléon ne figurera plus dans le débat, si ce n’est comme un adversaire décidé des systèmes qu’on cherche à faire prévaloir. Ah! si le ciel eût accordé à Gay-Lussac une plus longue vie, nous l’eussions vu, sortant de sa réserve habi- tuelle, se présenter hardiment devant les commissaires chargés de réviser les programmes polytechniques. Là, GAY-LUSSAC. -7 il se serait écrié, avec l’autorité que donne toujours un grand savoir uni au plus noble caractère : « De quoi peut-on se plaindre? trouverait-on par hasard que l’École polytechnique n’a pas rendu d’éminents ser- vices aux sciences? Quelques noms propres et l’énumé- ration des plus brillantes découvertes réduiraient une telle imputation au néant. Je sais, eût ajouté notre confrère, qu'on a prétendu, oubliant sans doute que des écoles d'application existaient pour compléter l'instruction théo- rique commune, donnée aux futurs membres des corps savants ; je sais qu’on a affirmé que les cours polytech- niques étaient beaucoup trop théoriques ; eh bien, qu’on me cite un travail de pure pratique qui n’ait trouvé, pour l’exécuter admirablement, un de ces théoriciens qui n’étaient préparés, disait-on, que pour recruter les Académies, » | Gay-Lussac, sachant que des citations bien appropriées sont le meilleur moyen d’éclaircir les questions litigieuses, eût continué ainsi : « Messieurs de la Commission, pla- cez-vous en première ligne, comme je dois le supposer, les créations destinées à préserver la vie de nos sembla- bles? Écoutez ceci : de nombreux, de déplorables nau- frages avaient fait sentir à la marine le besoin impérieux d'éclairer nos côtes par des feux intenses et d’une grande portée. M. Augustin Fresnel conçoit la possibilité de sub- stituer des combinaisons catadioptriques aux réflecteurs paraboliques en métal dont on avait fait exclusivement usage jusque-là. Il imagine les moyens de construire, avec des morceaux de verre isolés, des lentilles des plus grandes dimensions, communique ses procédés aux artis- 78 GAY-LUSSAC. tes, les dirige lui-même, et, à la suite des immortels travaux de l’élève de l’ancienne École polytechnique, la France possède les plus beaux phares de l’univers. « Attachez-vous avec raison, messieurs de la: Commis- sion, un très-grand prix aux considérations budgétaires ? Désirez:vous qu’on exécute de grands travaux le plus économiquement possible, c’est-à-dire sans augmenter les impôts, sans priver le pauvre des derniers centimes acquis à la sueur de son front? Méditez. ces quelques lignes, et dites si, sur ce point particulier, l'École poly- technique a manqué à son mandat ? « En 1818, ils’opéra en France une révolution capitale dans l’art de bâtir, On connaissait très-anciennement quelques gîtes isolés de chaux hydrauliques, en d’autres termes, de chaux se solidifiant rapidement dans la terre humide et même dans l’eau. Nos pères avaient aussi reconnu les propriétés des pouzzolanes -t_de.divers : ci- ments; mais ces matières, dont le transport à..grande distance élevait considérablement le prix vénal, me pou- vaient être employées que dans un très-petit-nombre.de cas. Grâce aux travaux persévérants, je ne dis pas assez, grâce aux découvertes de M, Vicat, les chaux hydrauli- ques, les pouzzolanes, les ciments romains peuvent être préparésen tous lieux. Un document législatif qui n’a pas été contredit, qui ne pouvait pas l'être, portait à 200 millions l’économie qui, dans le court espace de vingt-six ans, avait été, pour les seuls travaux dépen- dants des ponts et chaussées, le fruit des inventions pra- tiques de l'élève de l’ancienne École polytechnique. Joi- gnez-y maintenant les travaux faits sous la direction de GAY-LUSSAC 79 l'État depuis 4844, les travaux exécutés par les particu- liers, tenez le compte le plus modéré des économies résul- tant. du temps et de la durée, et ce sera par des milliards qu'il faudra remplacer les 200 millions, évaluation con- tenue dans le rapport officiel fait à la Chambre des dé- _putés en 18/5. _ « Prisez-vous surtout, Messieurs les commissaires, la grandeur ét la magnificence, quand elles sont unies à l'utilité ? Eh bien, cherchez, et, dans le monde entier, vous ne trouverez pas un travail qui réunisse à un plus haut degré ces qualités, que celui dont on est redevable à un élève théoricien de notre ancienne École. Une ville du Midi était, de temps immémorial, privée de l’eau nécessaire à la consommation de ses habitants, à la salu- brité de ses places, de ses rues; sa campagne était brûlée par le soleil! Un homme conçoit la pensée hardie de conduire dans cette ville déshéritée, non plus de simples filets de liquide, mais une partie notable d’un fleuve qui, prenant sa source dans les Alpes, n’était connu jusque-là que par les ravages qu’il occasionnait dans son cours torrentiel. Mais, si Part moderne ne devait pas reculer devant l’exécution de cette idée, elle semblait au-dessus des nécessités du budget; il fallait, en effet, que le lit artificiel, devenant en quelque sorte aérien, traversât une large vallée, à la hauteur de 83 mètres, c’est-à-dire le double de la hauteur .de la colonne de la place Vendôme, Ce projet, d’une réalisation en apparence si difficile, est exécuté, grâce à l'audace et à l’habileté pratique de M. Montricher, L’aqueduc de Roquefavour, construit par les moyens les plus ingénieux, où l’on voit partout ce 80 GAY-LUSS AC. eo qui jadis eût été un obstacle, devenir un principe de réussite, laisse bien loin derrière lui les plus beaux ou- vrages exécutés par les Romains, même le célèbre pont du Gard; la Durance, enfin, à qui la nature avait semblé tracer son lit pour l'éternité, verse une grande partie de ses eaux dans la magnifique ville de Marseille, et, à la grande satisfaction de ses habitants, va porter la fraîcheur et la fécondité dans des campagnes qui semblaient vouées à une éternelle stérilité. «Enfin, se fût écrié notre ami, je ne veux laisser dans l'obscurité aucune face de la question; je sais que la difficulté vaincue est ce qui frappe particulièrement les hommes, et qu’on prétend réserver le privilége de ren- verser les obstacles imprévus à des ingénieurs purement praticiens ; faites avec moi une petite excursion à Alger, et vous y verrez d'anciens élèves de l'École, malgré les prétendues indigestions de mathématiques, de physique et de chimie auxquelles on les avait astreints dans leur jeunesse, réussir dans les plus difficiles des entreprises, dans les constructions à la mer. Tout nous porte à espérer que la régence d’Alger est définitivement réunie à la France et que cette côte inhospitalière ne verra plus des forbans, d’infâmes pirates, sortir furtivement de ses ports, de ses anses, de ses criques, et se précipiter comme des bêtes fauves sur les pacifiques navires du commerce qui sillonnent la Méditerranée. En tous cas, à l'exemple des peuples de l'antiquité, nous aurions laissé dans le nord de l'Afrique des monuments de notre puissance dignes de l'admiration des siècles. Citons en particulier le môle d'Alger, construit par 16 mètres de profondeur d’eau. Ce GAY-LUSSAC. 81 travail, le plus considérable qui ait jamais été exécuté à la mer, a toujours été dirigé par d’anciens élèves de l’École. Dans l'exécution de ce môle gigantesque, on fait usage de procédés dont nous pourrons ici revendiquer l'invention pour nos élèves théoriciens, s’il est vrai que la découverte d’une vérité perdue puisse être assimilée à la découverte d’une vérité nouvelle. Pour que le môle résistât aux coups furieux de la mer soulevée par les vents du nord, il fallait le former de roches du plus grand vo- lume. Mais de pareilles roches n’existent qu'à une grande distance d'Alger. Leur transport eût été très-dispendieux, et les finances de l’État n’y auraient pas suffi. C’est alors que l’ingénieur des ponts et chaussées à qui cette œuvre était confiée, M. Poirel, profitant des propriétés pré- cieuses que M. Vicat avait reconnues aux pouzzolanes, imagina de substituer des blocs artificiels aux blocs natu- rels auxquels on avait été forcé de renoncer. C’est à l’aide des blocs artificiels que le môle s’est tous les ans majes- tueusement avancé dans la mer. « Désormais, le colossal vaisseau de ligne, les navires à vapeur de toute grandeur, le bâtiment de commerce chargé des richesses de l’Europe et de l’Afrique, le frêle esquif, à l’abri de la montagne artificielle si merveilleu- sement sortie du sein des flots, et dont les éléments, chose admirable! ont été fabriqués sur place, défieront la mer furieuse qui jadis les eût brisés en éclats; leurs équipages témoigneront, par des acclamations enthou- siastes et reconnaissantes, des services rendus à la mère patrie, au commerce et à l'humanité, par ces magnifiques travaux. ILL — rt, 6 82 GAY-LUSSAC. « Les légions romaines ne manquaient jamais de consa- crer, par une inscription, le souvenir des œuvres d'art auxquelles elles avaient pris part. Espérons que le der- nier bloc artificiel déposé sur le môle d'Alger, arrivé à son termé, portera ces mots : École polytechnique. Ce sera, dans sa simplicité, une éloquente réponse aux dé- tracteurs aveugles de notre établissement national. » Mais je m'arrête; les exemples, que j'aurais encore à citer pour prouver que l'instruction théorique reçue à l'École avait pour unique effet de faire considérer les choses de plus haut, se présentent en foule devant moi; jesens, d'autre part, tout le danger qu’il y a à faire parler un homme supérieur, même lorsqu'on a la certitude d’in- terpréter fidèlement ses sentiments. J’accomplirai plus humblement ma mission en réunissant, dans une Note séparée, les nombreuses citations empruntées aux travaux des ingénieurs des ponts et chaussées, des constructions navales et des mines: aux ingénieurs militaires, aux officiers d'artillerie et aux ingénieurs civils de même ori- gine, qui prouveront que l'École polytechnique n’a été, dans aucun genre, au-dessous de sa réputation euro- péenne. : En coordonnant ces divers. documents, j'étais triste- ment préoccupé de l’idée qu'ils deviendraïent en quelque sorte l’oraison funèbre de notre grand établissement. Mais. une résolution récente a prouvé aux plus prévenus que le gouvernement n’entend pas se conformer en aveugle aux décisions de la majorité de la Commission. Tout nous fait donc espérer que l'École polytechnique sera prochaine- ment rétablie sur ses anciennes bases, et que peu de GAY-LUSSAC. 83 mois suffiront pour faire reconquérir le terrain que des vues systématiques avaient fait abandonner. Ce qui suit n’a pas été lu en séance publique de l’Aca- démie. Le besoin d’abréger m'avait forcé de supprimer l'indication de travaux dépendants des divers services publics, lesquels, ainsi qu’on va le voir, honorent au plus haut degré notre grande École. Je demande d'avance pardon aux élèves mes anciens camarades, des oublis que j'aurai certainement commis. J’ai surtout à solliciter l’in- dulgence des ingénieurs des ponts et chaussées à qui l’on est redevable du magnifique réseau de canaux qui sillon- nent la France en tous. sens. J’avais pris des mesures pour que ce glorieux inventaire de leurs travaux et de leurs services fût aussi complet que possible; mais le temps m'a manqué pour compléter mon travail, TRAVAUX DÉPENDANTS DES PONTS ET CHAUSSÉES. D’anciens monuments menaçaient ruine, soit parce que leurs fondations avaient été mal exécutées, soit qu’on eût employé de mauvais matériaux. Procéder à leur destruc- tion semblait donc une chose inévitable, lorsque M. Béri- gny (4794) ! imagina d’injecter entre les pierres désa- grégées, du béton liquide à l’aide d’une pompe foulante. Ce procédé a déjà donné les plus heureux résultats. 1. Les nombres qu'on verra entre paranthèses à côté des noms propres, indiqueront invariablement la date exacte de l’entrée à l’École polytechnique de l'ingénieur ou de l'officier que j'aurai l'oc- casion de citer. 84 GAY-LUSSAC. J'ai parlé précédemment des inventions à l’aide des- quelles Augustin Fresnel (1804) porta à un si haut degré de perfection l'appareil optique de nos phares. Ajoutons que les édifices sur lesquels ces appareils reposent sont généralement des modèles que l’on peut recommander aux architectes de tous les pays pour la solidité et l'élégance. Je citerai entre autres ici le phare de Barfleur, œuvre de M. Morice Larue (1819). Ce monument, exécuté tout en granit, est, je crois, le plus haut qu’on aït jamais construit : il n’a pas moins de 66 inètres de hauteur sous la corniche. Les Anglais ont publié avec un juste orgueil, dans les Transactions philosophiques, le Mémoire dans lequel le célèbre ingénieur Smeaton rend compte des difficultés qu'il eut à vaincre dans la construction du phare d’Eddy- stone. Espérons que l'administration des ponts et chaus- sées sentira le besoin d’initier le public aux difficultés non moins sérieuses qu'a eu à surmonter l'ingénieur Reynaud, de la promotion de 1821, auquel on doit les magnifiques phares de la Hougue, et surtout celui de Haut-de-Bréhat. Les témoignages de la gratitude natio- nale sont pour les hommes d'honneur la première des récompenses. Jadis les constructeurs de grands ponts, lorsque leur œuvre était achevée, devenaient l’objet de l'admiration universelle. Maintenant, passant d’un extrême à l’autre, le public ne leur accorde pas l’estime et la considération à laquelle ils ont droit. En examinant les circonstances particulières relatives à l'achèvement de ces constructions d'utilité publique, on en trouvera plusieurs qui ont dû GAY-LUSSAC. 85 exercer au plus haut degré l'esprit inventif et pratique des ingénieurs qui les ont dirigées. De ce nombre est le pont de Bordeaux, dont l'exécution a présenté des diffi- cultés très-graves, à cause surtout du fond de vase extrê- mement épais au-dessous duquel il fallut aller fonder les piles. À l’origine, si je ne me trompe, les piles de ce pont furent projetées et exécutées pour servir d'appui aux arches d’un pont en charpente. Plus tard, on voulut substituer le fer au bois. Enfin les piles étaient déjà ache- vées lorsqu'on imagina de faire le pont en maçonnerie. Les modifications qu’il a fallu apporter aux anciennes méthodes pour établir un pont en maçonnerie sur des piles originairement destinées à supporter de la char- pente , font le plus grand honneur aux ingénieurs qui les ont imaginées et mises en pratique , à l'ingénieur en chef Deschamps et à ses collaborateurs, anciens élèves de VÉcole polytechnique, parmi lesquels je me contenterai de citer M. Billaudel (1810). Le pont de Bordeaux est un véritable monument. Un monument non moins digne d’admiration, est le pont qu’on a jeté sur le Rhône devant Beaucaire, pour lier le chemin de fer de Marseille au chemin de la rive droite de ce fleuve, aboutissant à Nîmes, à Montpel- lier, etc. Ce pont fait le plus grand honneur à M. Tala- bot (1819) et à M. Émile Martin (1812), qui a exécuté dans ses vastes ateliers, près de Fourchambault, les immenses pièces de fonte qui ont assuré la réussite de ce magnifique travail. Je ne m'étendrai pas, comme je pourrais le faire, sur la multitude de ponts remarquables dont notre territoire 86 GAY-LUSSAC. est couvert, et qui ont été construits par des élèves de notre célèbre établissement. Je ne citerai que le pont d’'Iéna, qui frappe tous les yeux par son élégance. Ce pont, comme chacun sait, est l'œuvre de Lamandé (1794 ). | Puisqu’en poursuivant mon objet, j'ai été amené à m'occuper de ponts, je crois devoir inviter mes lecteurs à comparer le pont des Saints-Pères au pont des Arts, plus ancien d’une trentaine d'années. Ils verront du premier coup d'œil immense progrès qu’on a fait dans l’appli- cation du fer à ce genre de construction. Le pont des Saints-Pères est l’œuvre de M. Polonceau, élève de la promotion de 1796, Je commettrais un oubli impardonnable si, après avoir parlé de ponts en fer, j'oubliais de citer, et pour les dif- ficultés vaincues et pour la grandeur de l’entreprise, le fameux pont suspéndu de Cubsac, sous lequel les bàti- ments d’un assez fort tonnage passent à pleines voiles en remontant la Dordogne jusqu’à Libourne. Ge pont a été construit par M. Vergès (1811 ). MM. Lamé (1814) et Clapeyron (1816) ont donné des règles très-précieuses, que les praticiens se sont empressés d'adopter, sur la stabilité des voûtes, sur la construction des ponts biais, sur celles des combles des gares, etc., etc. Nous devons dire, sur tous ces sujets délicats, que les connaissances théoriques de l’ordre le plus élevé, que ces deux habiles ingénieurs avaient puisées à l'École poly- technique, ne les ont pas empêchés d’entrer avec le plus grand succès dans la voie des applications, mais encore . GAY-LUSSAC. 87 que les procédés dont ils ont doté l’art des constructions ont été la conséquence des théories mathématiques qui leur sont si familières. _ Les ingénieurs, les architectes , lorsqu'ils se décidèrent à substituer le fer forgé au bois dans les constructions de toute nature, eurent besoin dès l’origine de connaître la résistance du fer. Or, la personne à qui l’on dut les pre- mières données expérimentales à ce sujet, données sans lesquelles les constructions en fer couraient le risque de n’offrir aucune garantie de solidité, est M. Duleau (1807), le camarade et l'ami d’Augustin Fresnel. Lorsqu'on projeta le canal de Saint-Quentin, on sentit la nécessité de conduire les eaux le long d’un souterrain de près de 6,000 mètres. Tout le monde peut concevoir combien de difficultés surgirent dans l'exécution maté- rielle d'un pareïl travail. Brisson, de la promotion de 41794, quoique grand théoricien, les surmonta toutes, et amena à bon port cette entreprise, la plus considérable du même genre que les ingénieurs modernes aient osé entreprendre. Je visitais un jour la digue ou brise-lames de Cher- bourg avec un étranger illustre, mon ami, M. de Hum- boldt : « Ah! me dit-il, on ne se fait une juste idée de cette construction gigantesque qu'après l’avoir parcourue et examinée de près. » Cette réflexion est d’une grande justesse. - Ce qu’on doit admirer surtout, c’est le grand mur de près de 4,000 mètres de longueur, qui surmonte l’enro- Chement artificiel, auquel l'ingénieur Duparc (1795) et ses successeurs, tous anciens élèves de l'École , sont par- 88 GAY-LUSSAC. venus à donner une solidité qui défie les efforts des tem- pêtes les plus furieuses de la Manche, Pour peu qu’on soit initié aux difficultés que présente inévitablement l'exécution des chemins de fer, surtout lorsque ces chemins, d’une très-grande étendue, traver- sent des pays montueux, tels que la Bourgogne, on doit se faire une idée des connaissances pratiques dont ont dû faire preuve ceux qui ont réussi dans de semblables entre- prises. M. Jullien (1821), ingénieur en chef du chemin de fer de Paris à Lyon, ne s'est-il pas montré toujours très-digne de la confiance du gouvernement et de celle des compagnies, bien que, pendant son séjour à l’École polytechnique, il fût, au point de vue de la théorie, un des élèves les plus distingués de sa promotion ? _Le port d'Anvers, les trois routes du Simplon, du Mont-Cenis et de la Corniche, qui m’auraient amené à consigner ici les noms des ingénieurs Coïc (1778), Baduel (1797), Polonceau (1796) ; divers travaux exé- cutés en Égypte par MM. Mougel (1828) et Cerisy (1807) ; le canal qui réunit les parties inférieureet supé- rieure de la Néva, de M. Bazaine (1803), me fourni- raient des preuves authentiques et nombreuses de l’habi- leté pratique des élèves de l’ancienne École polytechnique: mais je dois, pour le moment, ne puiser mes exemples que dans les limites de la France actuelle. Le même motif m'empêchera, à mon très-grand regret, de citer en détail les travaux remarquables exécutés en Suisse, surtout dans le canton de Genève, sous la direction de notre ancien camarade le général Dufour (1807), si célèbre par sa campagne contre le Sonderbund. $ As GAY-LUSSAC. 89 TRAVAUX DES INGÉNIEURS DES MINES. Lorsque les besoins de l’industrie, bien plus encore que ceux de la science, firent ressortir la nécessité d’une carte géologique de la France, où eût-on trouvé, pour satisfaire à ce vœu, des ingénieurs plus zélés, plus savants, plus expérimentés, plus capables de conduire une si grande opération à son terme, que ne l’ont été, aux applaudissements de l’Europe entière, MM. Élie de Beaumont (1817) et Dufrénoy (1811). Les mines de mercure d’Idria avaient été données en dotation à la Légion d'honneur. Les comptes pécuniaires de cet ordre fourniraient au besoin la preuve de l’habileté pratique avec laquelle M. Gallois, de la promotion de 1794, dirigea l'exploitation. La fabrication du fer est la première de toutes les industries chez les nations qui veulent conserver leur indé- pendance et occuper un rang élevé dans la politique. Cette fabrication n’était exécutée dans nos usines qu’à l’aide de procédés très-coûteux, lorsque déjà nos voisins d’outre-Manche étaient parvenus à substituer aux an- ciennes méthodes un mode de fabrication à l’aide duquel la houille .remplaçait le bois. L'introduction de ces nou- veaux procédés chez nous, peut donc être considérée comme un service de premier ordre rendu au pays. Cette introduction de la fabrication du fer à la houille en France (on ne lui contestera pas, je l'espère, le caractère d’un fait pratique) est due à ce même M. Gallois que nous avons déjà cité, Remarquons cependant que M. de Bon- 90 GAY-LUSSAC. nard (1797) avait déjà, en 1804, signalé ce nouveau genre de fabrication à l'attention publique. | Tous les industriels savent à quel point M. Dufaud de Fourchambault (1794), et ensuite M. Cabrol de Deca- zeville (1810), contribuèrent à développer en France le nouveau mode de fabrication. Nous étions jadis tributaires de l'étranger pour presque tout l’acier dont la France avaït besoïn ; il faut remonter à une date assez ancienne , et principalement aux recher- ches de Monge, de Berthollet, de Clouet, pour ‘trouver l’origine de notre ‘affranchissement dans un genre de fabrication si essentielle. Notre infériorité , à ce sujet, ne serait plus dans l’avenir qu’une preuve d’incurie, et c’est aux préceptes formulés par M. Leplay (1825) à la suite d’un examen intelligent des procédés suivis dans toutes les parties de l’Europe, qu’on en sera principalement redevable. | Les hauts-fourneaux à l’aide desquels on transforme les minerais de fer en de volumineuses masses de fonte, existent de temps immémorial; mais quelles modifica- tions chimiques éprouvaient les couches successives de minerai et de charbon pendant leur mouvement descen- dant le long de colossales cheminées? On l’ignorait. I n’était donc possible de suggérer aucun perfectionnement dans cette grande opération chimique qui s’effectuait der- rière d’épais murs de brique , où les regards de la science eux-mêmes n'avaient pas pénétré. M. Ebelmen (1831) a complétement dévoilé ce qui, jusqu'ici, était resté obscur; une industrie capitale n’opérera plus en aveugle. Au nombre des titres de M. Ebelmen, très-digne de la GAY-LUSSAC. 2 reconnaissance de nos industriels, nous devons ranger les recherches de cet habile ingénieur sur la carbonisa- tion des bois en meules et sur la transformation de tous les combustibles, même les moins bons, en gaz pouvant servir à presque tous les usages minéralurgiques. 11 west peut-être pas d'opération métallurgique que les nombreux travaux de M. Berthier (1798) n’aient contribué à expliquer et à perfectionner. Son Traité des Essais par la voie sèche est le guide journalier pratique de tous les maîtres d'usine. La plupart des produits de nos manufactures s’obtien- nent à l’aide de la chaleur. La chaleur a pour origine le Charbon ordinaire ou la houille ; dans l’un et dans l’autre cas, on peut dire qu’elle à, en argent, une valeur élevée, et qu'il est très-utile, dans l'intérêt des consommateurs, d'empêcher qu'elle ne se perde. Le premier qui ait sys- tématiquement porté ses pensées vers cet objet, et qui ait indiqué divers moyens pratiques d'arriver au but, est M. Berthier. Cest à cet ingénieur qu'il faut faire remon- ter l’origme des méthodes à l’aide desquelles on tire aujourd’hui un parti si avantageux des gaz combustibles qui s’échappaient par le gueulard des hauts-fourneaux. En indiquant avec exactitude les causes de la chaleur obtenue, l’illustre ingénieur des mines a ouvert la voie à toutes les applications que l’on a faîtes des moyens de chauffage signalés par lui. On exploitait jadis nos bassins houillers en y traçant des galeries parallèles communiquant entre elles par des passages transversaux. La surface du sol était donc sou- tenue par des sortes de piliers inégalement espacés, sem- 92 GAY-LUSSAC. blables à ceux qui séparent les nefs de nos cathédrales, Ce mode d'exploitation avait de nombreux inconvénients, parmi lesquels je n’en citerai qu’un : celui de laisser en place et sans utilité des masses considérables de houille. On commence maintenant à tout exploiter sans exception, seulement on remblaie les cavités, à mesure qu’elles se produisent, avec des matières sans valeur, tirées de la surface. Ce procédé s’est répandu en France par les conseils et sous la direction de nos ingénieurs des mines, tous anciens élèves de l’École polytechnique. La topographie intérieure du bassin de Saint-Étienne n’était pas moins nécessaire à ceux qui voulaient tirer le meilleur parti possible des mines de charbon de terre anciennement exploitées, qu'aux capitalistes qui désiraient se lancer dans les entreprises nouvelles. Ce travail, dont personne n’osera nier le mérite pratique, puisqu'il tend à prévenir le gaspillage de la houille dans un des gîtes malheureusement peu nombreux que notre pays renferme, a été admirablement exécuté par de jeunes ingénieurs des mines, anciens élèves de l’École. Je pourrais citer ici des travaux analogues exécutés avec la même perfec- tion dans les bassins houillers de Vouvant, d'Épinal, de Graissessac dans l'Hérault, etc., etc. L'introduction en France de machines d’épuisement très-puissantes, analogues à celles du Cornwall, est due à M. Combes (1818). A l’époque où cette introduction eut lieu, les machines en question n'étaient pas décrites même en Angleterre. C’est M. Combes qui mit en com- plète évidence l’économie de combustible qu'elles pro- curent, GAY-LUSSAC. 93 L'indicateur portatif servant à relever la courbe des tensions de la vapeur correspondantes à toutes les posi- tions du piston, dans le cylindre des machines à vapeur dont on faisait usage chez nos voisins, a été importé en _ France et notablement perfectionné par M. Combes; il est actuellement employé dans la marine et les ateliers de construction. Tout ce que nous savons sur l’aérage des mines, ques- tion capitale, dont la solution intéresse la santé et même la vie des ouvriers mineurs, est dû presque entièrement à M. Combes. Dans cette étude, cet habile ingénieur a fait usage d’un anémomètre dont il a expérimentalement étudié les propriétés, et il a substitué, avec beaucoup d'avantage, comme aspirateur, un ventilateur à ailes courbes au ventilateur à force centrifuge à ailes droites dont on faisait précédemment usage, et qui aujourd'hui est totalement abandonné. | Ce que nous savons de plus exact sur la découverte et l'exploitation du sel gemme dans le département de la Meurthe, est dû à M. Levallois (1816). Cet ingénieur habile a dirigé avec beaucoup de distinction l'exploitation des mines de sel et les salines de Dieuze, pour le compte de la compagnie des salines de l'Est. Le voyage métallurgique exécuté en Angleterre, en 1823, par MM. Élie de Beaumont et Dufrénoy, renferme sur le gisement, l'exploitation et le traitement des mine- rais de fer, d’étain, de plomb, de cuivre et de zinc, une multitude d'indications précieuses qui servent aujourdhui de guide aux industriels. L'ouvrage sur la Richesse minérale, publié en 1803 94 GAY-LUSSAC. par Héron de Villefosse (1794), a initié nos compatriotes à tous les procédés d’exploitation qui étaient suivis sur la. rive droite du Rhin par nos voisins, alors beaucoup plus avancés que nous ne l’étions dans ce genre d'industrie. Les ingénieurs trouvent encore aujourd’hui dans la Richesse minérale un guide très-précieux. Les Mémoires dans lesquels M. Guenyveau (1800) a expliqué le traitement du cuivre pyriteux en usage aux mines de Chessy et Sainbel, et la désulfuration des mé- taux, sont restés classiques, quoique leur abat remonte à 1806. Le Traité de l'exploitation des mines de M. Combes. est un ouvrage de pratique pure où l’auteur invoque toujours à l’appui des préceptes et des règles empruntés à la théorie, des faits tirés d'expériences précises qui les appuient et les contrôlent. Le gouvernement français ne possédant pas de mines en propre, un bon nombre ‘d'ingénieurs ont quitté et quittent encore journellement le service de l’État pour. diriger des entreprises particulières. C’est en cette qua lité qu’ils ont surtout fait connaître leur mérite pratique: car les capitalistes appartenant à toutes les classes de la société n’auraient pas regardé des formules différen- tielles ou. intégrales comme l’équivalent d’un dividende sonnant. Ici les exemples se présentent en foule à ma mémoire, mais je n’en citerai cependant qu'un petit nombre: M. Coste (1823), qui, d’abord comme ingénieur des usines du Creusot, et, plus tard,, comme directeur du chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon, a donné des GAY-LUSSAC. 95 preuves de capacité qui ont été appréciées de tous les intéressés et ont fait ranger la mort prématurée de cet homme d'élite parmi les tristes événements dont un pays tout entier doit conserver douloureusement le souvenir ; M. Coste avait pour associé, dans ses travaux du Creusot _et dans ceux de Decazeville, un jeune ingénieur, devenu depuis un physicien illustre, M. de Senarmont (1826) ; M. Sauvage (1831), à qui l’on doit les conduites d’eau et les fontaines publiques de Charleville, actuellement ingénieur en chef du matériel du chemin de fer de Paris à Strasbourg ; M. Audibert (1837), ingénieur en chef du matériel du chemin de fer de Lyon à la Méditerranée ; M. Philips (1840), chargé des mêmes fonctions au chemin de fer de l'Ouest ; Et MM. Declerck (1831), Houpeurt (1840), Renouf (1838), etc. , attachés à l'exploitation des houillères et fonderies de Decazeville, des mines de houille de. la Loire, de celles de la Sarthe et de la Mayenne. TRAVAUX DES INGÉNIEURS MILITAIRES. Lorsque, pour ajouter à la force de nos places de. guerre, On eut reconnu la nécessité de soustraire aux coups de l'artillerie des assiégeants les flèches massives, à l’aide desquelles on soulevait les ponts-levis; lorsqu'on. voulut rendre la manœuvre de ces ponts tellement facile, qu'un seul homme püût Popérer, n’a-t-on pas vu les Ber- gère (4802), les Poncelet (1807), ete., etc., pourvoir à ce besoin avec une simplicité et une élégance dont 96 GAY-LUSS AC. l'arme du génie et l’École qui l’alimentait pourront tou- jours se glorifier ? On peut être divisé sur le mérite stratégique des for- üfications de Paris, particulièrement en ce qui concerne les forts détachés ; mais personne ne niera que ce travail colossal n’ait été exécuté avec une économie, une promp- titude et une habileté vraiment remarquables. À qui faut-il attribuer ce mérite? Chacun a répondu aux Vaillant (1807) actuellement maréchal de France, aux Dupau (1802), aux Noizet (1808), aux Daigre- mont (1809), aux Charon (1811), aux Allard (1815), aux Chabaud-Latour (1820), qui, à leur début, étaient élèves de notre École nationale, | TRAVAUX DE L’ARTILLERIE. Notre matériel a reçu depuis une trentaine d'années les modifications les plus importantes. Les pièces de cam- pagne, montées sur les avant-trains, se plient comme des serpents aux ondulations des terrains les plus accidentés, et les pièces tout attelées peuvent aller se mettre en bat- terie dans des stations où jadis elles ne seraient parvenues qu'avec beaucoup de lenteur et après des efforts inouïs. L’artillerie de montagne, de siége, de place et de côte a reçu des perfectionnements au moins aussi grands, par suite de l’adoption de dispositions nouvelles dues à M. Piobert (1813). Le public admire la perfection de ce matériel. Son étonnement ne fera qu’augmenter lors- que je lui apprendrai que cet immense travail a été exé- cuté dans les meilleures conditions de résistance, chose GAY-LUSSAC. 97 si importante en pareille matière, par d'anciens élèves de notre École polytechnique, et, il faut le dire, à l’aide des moyens souvent imparfaits qu'offraient nos arsenaux. Malgré les sérieuses études faites par l’immortel Vau- ban, la démolition des remparts d’une ville par l’assié- geant avait exigé jusqu'ici un nombre prodigieux de coups - de canon. Le général de division Piobert, que nous ve- nons de citer, conçut théoriquement la pensée qu’on pour- rait beaucoup réduire le nombre de coups nécessaire pour atteindre le but, et même pour rendre la brèche prati- cable, en dirigeant les projectiles, non plus au hasard comme on le faisait jadis, mais en suivant les côtés de parallélogrammes de dimensions déterminées. Des expé- riences, exécutées à Bapaume, ont montré la complète efficacité de l’idée de l’ancien élève de l’École polytech- nique. | Le tir des armes à balles forcées a acquis, de nos jours, une justesse inespérée. Un célèbre général d’artillerie, devenu maréchal de France, me disait à son retour d'Alger: ; « Le rôle de lartillerie dans les batailles me paraît fini, si l’on ne parvient pas à perfectionner le tir du canon, comme on a fait de celui de la carabine; avant que les canonniers soient arrivés à la distance où ils peu- vent se mettre utilement en batterie, ils seront tous atteints par les coups de la carabine meurtrière, » Le perfectionnement que le maréchal Valée regardait presque comme impossible est sur le point d’être réalisé, grâce à l’ingénieux procédé mis en pratique par M. Ta- misier (1828). Le boulet ira désormais frapper aussi LLL — 111, 7 98 GAY-LUSSAC. juste et d’aussi loin que les balles allongées cylindro- coniques. TRAVAUX DES INGÉNIEURS-CONSTRUCTEURS DE VAISSEAUX. La parfaite identité de forme est la première condition à laquelle doivent satisfaire les pièces mobiles qui entrent dans le gréement des navires. Pour cela, il -est nécessaire que les pièces en question ne soient pas le produit d’un travail manuel. On lira avec plaisir, dans un ancien Rap- port de M. Charles Dupin sur les mérites de son collègue, M. Hubert (1797), la description des machines variées inventées par cet ingénieur, et qui déjà alors fonction- naient avec succès dans l’arsenal de Rochefort. M. Reech (1823) et d’autres mgénieurs-constructeurs de vaisseaux sont entrés dans la même voie et y ont éga- lement réussi, INGÉNIEURS-HYDRO GRAPHES. L’exploration de nos côtes maritimes a fixé longtemps, et avec raison, l'attention publique; latlas qui en est résulté est un des plus grands services rendus à la nawi- gation et à l'humanité. Quels ont été les collaborateurs de M. Bautemps-Beaupré dans l'exécution de ce magnifique travail, si ce me sont les Bégat (1818), les Duperré (1818), les Tessant (1822), les Chazallon (4822 ) et les Darondeau (1824) ? Les nombreuses cartes nautiques exécutées pendant des voyages de circumnavigation par les Tessant, les Daron- deau, les Vincendon-Dumoulin (1831), etc., montre- GAY-LUSSAC. 99 ront aux plus prévenus que l'instruction théorique reçue à l'École polytechnique a eu pour résultat, dans ces cir- constances, le perfectionnement des méthodes dont on faisait anciennement usage. TRAVAUX DES INGÉNIEURS-GÉOGRAPHES. Les travaux relatifs à la carte géographique de la France sont rangés à bon droit parmi ceux qui feront le plus d'honneur à notre pays et à notre époque. Eh bien, examinez attentivement à qui sont dues les grandes trian- gulations reliant entre eux les points principaux et ci- conscrivant les erreurs possibles entre des limites très- restreintes. Vous trouverez à la tête de ces opérations les Cora- bœuf (1794), les Largeteau (1811), les Peytier (1811), les Hossard (1817), les Rozet (1818), etc., etc. TRAVAUX DE MÉCANIQUE PRATIQUE. Le jaugeage exact des eaux courantes, lorsqu'elles pas- sent par des orifices de grandes dimensions diversement conformés, est un des plus grands besoins de l’hydrau- lique pratique. C’est par une appréciation rigoureuse du débit liquide qu’on peut évaluer sans équivoque la puis- sance des moteurs employés dans une multitude d'usines. Les expériences commencées par MM. Poncelet (1807) et Lesbros (1808), et terminées par ce dernier, fourniront désormais aux ingénieurs les données dont ils avaient _ manqué jusqu'ici, 100 GAY-LUSSAC. Les industriels ne seront plus exposés à des procès rui- neux et interminables, et c’est à l’ancienne École poly- technique qu’ils en seront redevables. Les usines, les arsenaux de l’État ont été presque tous placés sur des cours d’eau. L’eau est devenue ainsi la force motrice principale des grands établissements indus- triels de la Guerre et de la Marine; on a senti, il y a quelques années, la nécessité de donner à cette force toute l'intensité que les circonstances comportaient. Le premier qui soit entré dans cette route est le même M. Poncelet (1807), dont le nom a déjà deux fois figuré dans cet inventaire. Personne n’ignore le parti qu’on a tiré de la machine hydraulique que la reconnaissance des industriels a appelée la roue Poncelet. Les machines à vapeur étalent tous les jours leur puis- sance aux yeux d’un public enthousiaste. Elles ont, il faut l'avouer, limconvénient d’être sujettes à des explosions dont les conséquences sont aussi effrayantes que déplo- rables. Lorsque le gouvernement, dans sa sage pré- voyance, a voulu prescrire aux constructeurs des moyens de sûreté, quels ont été les expérimentateurs qui lui ont fourni les données nécessaires? D'abord M. Dulong (41801 ), ensuite M. Regnault (1830). Ajoutons que, dans leurs essais, ces deux savants illustres s’exposaient à se faire sauter, dans la vue d’épargner un pareil malheur à leurs concitoyens. 4. M. Arago a été le collaborateur assidu de son confrère M. Du- long dans les recherches entreprises, par ordre de l’Académie des sciences, pour déterminer les forces élastiques de la vapeur d’eau à de hautes températures, dont il est ici question. GAY-LUSSAC. 104 Les praticiens savent quelles économies de combustible résultent, dans l’emploi des machines à vapeur des loco- motives, de ce qu’on appelle l'avance de la soupape. Les règles pratiques d’après lesquelles les constructeurs se dirigent aujourd’hui sont dues, en grande partie, aux travaux de M. Clapeyron. Une de nos principales mines métalliques, la mine de Huelgoat, dans le département du Finistère, était naguère menacée d’un abandon complet. Le niveau des eaux s’y élevait d'année en année; il fallait’sans retard opposer un remède efficace à ce progrès. La machine d’épuise- ment, construite par les soins de M. Juncker (1809), a atteint parfaitement le but. C’est un modèle de concep- tion et d'exécution. Il ne lui manque, pour occuper la place distinguée qu’elle mérite dans l’admiration du monde, que d’être dans une localité plus fréquemment visitée par les hommes compétents. Les machines dont on se sert pour draguer la vase qui est déposée incessamment dans les avant-ports en com- munication avec des rivières limoneuses, furent, à l’épo- que où on les imagina, une invention remarquable de M. Hubert (1797). Celui de nos établissements industriels que les prati- ciens voient avec le plus de satisfaction, est le vaste ate- lier situé à Paris, rue Stanislas, consacré à la fabrication des voitures de nos diligences publiques, et, plus tard, à celle des wagons des chemins de fer. Là, toutes les res- sources de la mécanique pratique sont mises en œuvre de la manière la plus intelligente; là, grâce aux moyens nouveaux qu'on y trouve réunis, tout marche ayec une 102 GAY-LUSSAC. régularité et une exactitude qui ont toujours fait l’admira- tion des connaisseurs. Le créateur de ce vaste établisse- ment est M. Arnoux, de la promotion de 1814, M. Arnoux, dont nous venons d'écrire le nom, sera toujours honorablement cité dans l’histoire des chemins de fer pour l’invention de ses trains articulés. A l’aide de cette invention très-ingénieuse, les locomotives et les wagons peuvent se prêter à la circulation dans les routes les plus sinueuses, comme on le voit dans le chemin de fer de Paris à Sceaux. Peut-être l'habitude prise et la routine ont-elles seules empêché jusqu'ici ce système de se géné- raliser; en tout cas, il restera comme un témoignage vivant du génie inventif de son auteur, S’il est une manufacture de machines qui puisse entrer sans désavantage en parallèle avec les plus grands éta- blissements du même genre dont s’enorgueillissent nos voisins d’Outre-Manche, c’est sans contredit l'usine d’'In- dret, située dans une île de la Loire, à quelque distance de Nantes. À Indret, le visiteur admire également et la puissance des moyens de travail, et la beauté des résul- tats obtenus, et la disposition intelligente qu’on a donnée à toutes les parties de ce vaste ensemble pour les faire concourir au même but. Eh bien, l’usine d’Indret a tou- jours vu à sa tête des élèves de l'École polytechnique choisis parmi ceux qui s'étaient montrés les plus forts en théorie. Pour peu qu’on ait jeté un coup d'œil sur le matériel roulant d’un chemin de fer, on a dû remarquer quel rôle essentiel y jouent les ressorts simples: ou multiples. Cette partie importante de l’art n’avait pas, jusqu’à ces der- GAY-LUSSAC. 103 niers: temps, appelé autant qu’elle le mérite l’attention des constructeurs. Les règles posées par M. Phillips (1840), à la suite d’un travail savant et minutieux, sont actuellement suivies dans tous les ateliers des usines con- sacrées aux nombreux objets que consomme l’industrie si développée des chemins de fer. M. Lechatellier (1834), chargé de la direction du matériel roulant de plusieurs chemins de fer, a signalé le premier la cause des perturbations qui résultent dans le mouvement,. de la masse des parties mobiles, et il a indi- qué les moyens de les détruire ow du moins de les atté- nuer beaucoup. L'ouvrage que cet ingénieur a publié en collaboration avec trois de: ses amis, intitulé : Guide du Mécanicien constructeur et conducteur de locomotives, est le manuel le plus parfait que puissent aujourd’hui con- sulter les praticiens. - Les personnes qui vont en AHemagne ou qui en vien- nent, feront bien de s'arrêter à Strasbourg pour y visiter la Manufacture des tabacs établie par les soins de M. Rol- land (1832). La vue de tant d’ingénieuses mécaniques leur prouvera que la pratique peut s’allier parfaitement aux comaissances théoriques les plus élevées. IL y aurait , dans ce tableau des services pratiques de tous genres rendus au pays par d'anciens élèves de l'École polytechnique, une lacune impardonnable, si je négligeais. de mentionner l'atelier d'instruments de préci- sion dirigé par M. Froment (1835). Là, le visiteur voit avec admiration les principes les plus subtils de la science transformés en procédés industriels d’une préci- sion extrême, soit lorsqu'il s’agit d'exécuter des instru- 104 GAY-LUSSAC. ments d'astronomie, de marine, de géodésie de toutes dimensions, soit lorsqu'il faut produire des appareils qu'on ne saurait tirer des fabriques où l’on exécute la grande mécanique. ARTS CHIMIQUES, Je ne fais pas aux lecteurs l’injure de supposer qu'ils ignorent le rôle important que joue l’acide sulfurique dans les travaux d’un grand nombre de manufactures; mais peut-être ne savent-ils pas aussi bien que les pro- cédés employés anciennement pour la fabrication de cet acide ont été perfectionnés d’une manière remarquable, par les soins du chimiste théoricien Gay-Lussac (1797). Ce savant illustre est parvenu à absorber les vapeurs malfaisantes qui se dégageaient jadis des appareils, et il a rendu ainsi la fabrication de l’acide beaucoup plus éco- nomique et possible en tout lieu. Pour analyser les alliages d’argent et de cuivre, on se servait anciennement du procédé long et coûteux connu sous le nom de coupellation. Ge procédé est maintenant remplacé avec avantage, dans tous les pays, par une méthode d’analyse infiniment plus exacte, plus rapide, moins dispendieuse, de l'invention de Gay-Lussac. Les connaissances théoriques de cet illustre chimiste ne l’empêchèrent pas de donner à l’administration pu- blique les moyens les plus précis que l’on connaisse de déterminer la quantité d’alcool absolu contenue dans les liquides soumis aux droits d'octroi à l'entrée des grandes villes, comme aussi d'inventer les procédés pra- GAY-LUSSAC. 105 tiques et élégants si utiles et si bien appréciés des indus- triels, qui constituent aujourd’hui l’alcalimétrie et la chlorométrie. M. Becquerel (1806) a substitué dans la fabrication _ du carbonate de soude, le sel gemme à celui qui est obtenu par l’évaporation de l’eau de mer. Son procédé est mis en usage, depuis sept ans, dans l’usine de Dieuze, avec un succès complet auquel des chimistes manufactu- riers très-habiles avaient refusé de croire. Déjà antérieu- rement, M. Becquerel avait fait connaître une méthode électrochimique pour le traitement des minerais d’argent, de cuivre et de plomb. Ce traitement, qui n’exige pas l'emploi du mercure, n’est point devenu usuel au Mexique, seulement à cause du prix élevé du sel dans l’intérieur de cette république. Tout fait espérer que l’industrie tirera un jour un parti avantageux de l’application de la malachite artificielle obtenue à l’aide des moyens décrits par le même phy- sicien célèbre. L’acide sulfurique particulier et fort employé dans la teinture, qu’on appelle l'acide sulfurique fumant ou de Nordhausen, n’était fabriqué qu’en Saxe. Grâce aux recherches de M. Bussy (1813), la composition de cet acide étant aujourd’hui parfaitement connue, nos manu- facturiers n’ont plus besoin de le faire venir de l'étranger ; ils peuvent se le procurer même dans la banlieue de Paris, à Montrouge par exemple, où il est fabriqué de toute pièce. Les propriétés décolorantes du charbon animal jouent un rôle important dans le raffinage du sucre ordinaire et 106 GAY-LUSSAC. du sucre de betterave. Le mode d’action de ce charbon spécial a pour la première fois été analysé en 4822, par M. Bussy, et il en a déduit ce résultat pratique d’une importance capitale, que le même charbon, à laide de préparations convenables, peut servir indéfiniment. Le travail de M. Bussy peut être considéré comme: le point de départ de toutes les. améliorations qui ont été intro- duites dans l’emploi du noir animal pour læ préparation des substances saccharines. A-t-on pu transporter’ aux portes de Parist la fabrica- tion de la céruse? On le doit à M. Roard (179#). Les teinturiers et les peintres sont-ils maintenant en possession d’un outremer qu’ils achetaïient jadis aw poids de l'or, et dont le prix est aujourd’hui très-modéré? C'est à M. Guimet (1813) qu'ils en sont redevables: La production artificielle des pierres fines était na- guère placée parmi lespures utopies. Les résultats-obtenus récemment par M. Ebelmen montrent qu'on aurait tort de s’abandonner à ces idées décourageantes. Des rubis ont été produits artificiellement sur d’assez grandes: di- mensions, et sont doués des mêmes propriétés que celles de ces pierres fines que la nature avait engendrées à l’aide de forces mystérieuses et du temps qui ne lui coûte rien. | Parmi les savants de notre époque, celui qui s’est occupé avec le plus de suite, de persévérance, de succès, de la partie spéculative des sciences mathématiques et physiques, est, sans contredit, l’illustre doyen de notre Académie, M. Biot, de la promotion de #79%. N'est-ce pas lui, cependant, qui a fait surgir de ses belles expé- GAY-LUSSAC. 107 riences sur la polarisation rotatoire [a première idée du saccharimètre et même les moyens pratiques de déter- miner d'un coup d'œil, jour par jour, et pour ainsi dire beure par heure, les résultats des traitements auxquels ôn soumet les personnes affectées de diabète? MÉDECINE. Tous les ans, par des motifs de santé ou des arrange- ments de famille, un certain nombre d'élèves quittent PÉcole polytechnique pour passer dans des carrières particulières, au lieu des services publics auxquels ils s'étaient primitivement destinés. Eh bien, j'ose affirmer que les connaissances théoriques acquises aux leçons des maîtres de læ science, ont toujours fourni aux déserteurs des carrières gouvernementales les moyens de se dis- tinguer et de faire marcher d’un pas égal leurs propres intérêts et ceux de la société. La ville de Lyon, entre au- tres, nous offrira un exemple remarquable de ces vérités. M. Pravaz (1813) sort de l’École polytechnique pour se vouer à la médecine. Qu'on aille maintenant examiner son établissement , et l’on verra si les études spéculatives auxquelles il s'était d’abord livré l’ont empêché d’en- richir l’art de guérir des procédés pratiques les plus ingénieux, les plus rationnels et les plus utiles. Tout ce qui tend à assurer le succès des ordonnances des médecins est d’une extrême importance; l'humanité commande donc de poursuivre à outrance les falsifica- tions que la cupidité fait subir aux drogues naturelles ou artificielles, Aussi nous n’hésiterons pas à ranger au nom- 108 GAY-LUSSAC. bre des services pratiques qui doivent figurer dans ce tableau, la réunion en un corps d'ouvrage dû à M. Bussy et à un de ses amis, de tous les procédés à l’aide des- quels on peut reconnaître la moindre falsification, lors même que les faussaires, pour arriver à leurs fins, ont fait preuve d’une habileté consommée. AGRICULTURE. Pour prouver que les études théoriques sont une pré- paration féconde, quelle que soit la carrière que l’on doive définitivement adopter, je dirai que la première de toutes nos industries, l’industrie agricole, a dû chez nous quelques-uns de ses progrès les plus incontestés, à l’inter- vention des élèves de notre École nationale, qui avaient renoncé aux services publics. Y a-t-il, par exemple, en France, et même en Europe, une personne qui ait plus contribué que M. Antoine Puvis (1797) à l'extension des marnages et des chau- lages à l’aide desquels on double souvent la valeur fon- cière des sols argileux ou siliceux? Ne doit-on pas au même agronome plusieurs méthodes pour la taille des arbres fruitiers, que suivent aujourd’hui nos plus habiles horticulteurs? Lorsque la question des engrais préoccupa naguère si vivement le public agricole, M. Barral, de la promotion de 1838, fut la personne qui discuta la question avec le plus de précision et de clarté. L'administration lui a publiquement rendu ce témoignage. Le même M. Barral a également fait voir comment le sel ingéré par le bétail GAY-LUSSAC. 109 favorisait la conservation des engrais, et il a donné des règles pratiques pour la consommation de ce condiment sur l’action duquel on était loin d’être d'accord. Parmi les agronomes qui ont le plus fait pour tirer nos diverses races de bestiaux, et particulièrement la race bovine, de l’abâtardissement dans lequel la routine les avait laissées tomber, nous devons citer M. Touret (1814). Personne ne nous démentira, lorsque nous ajouterons que les progrès qu’a faits l’agriculture dans le centre de la France, jadis si arriéré, sont dus en grande partie à cet ancien ministre dont le passage aux affaires a été mar- qué par les vues pratiques les plus utiles. S'il m'était permis de m'étendre davantage sur cet article, j'aurais à citer parmi nos agronomes M. Odart (1796), à qui l’on doit la publication d’un guide sûr pour le choix des meilleurs cépages ; M. du Moncel (1802) qui, depuis longtemps, charme ses loisirs en faisant adopter par tous ses voisins les procédés de culture les plus per- fectionnés, et particulièrement le drainage, etc., etc. INFLUENCE MORALE DES ÉTUDES POLYTECHNIQUES. On m'a parlé d’un reproche que l’on a quelquefois adressé à l'instruction polytechnique, et suivant lequel les études mathématiques, celles du calcul différentiel et du calcul intégral par exemple, auraient pour résultat de transformer ceux qui s’y livrent en socialistes de la plus mauvaise espèce. J'avoue que j’attendrai que cette impu- tation extraordinaire se soit fait jour par la voie de la presse pour la traiter ainsi qu’elle le mérite. Comment 110 GAY-LUSSAC. le promoteur d’un tel reproche n’a-t-il pas vu qu’il ne tendrait à rien moins qu’à ranger les Huygens, les New- ton, les Leibnitz, les Euler, les Lagrange, les Laplace parmi les socialistes démagogues les plus fougueux ? On est vraiment honteux d’être amené à faire de tels rapprocaements, | Pour ne pas sortir du cadre que j’ai dû me tracer, je ne rappellerai pas ici les services éminents .et désinté- ressés que d’anciens élèves de l’École polytechnique ont rendus à la classe ouvrière, en vulgarisant libéralement les notions pratiques des sciences qui pouvaient con- courir à améliorer sa position. Mais je ne saurais passer sous silence l’école dite de Lamartinière, qui, dirigée par M. Tabareau (1808), a répandue parmi les ouvriers lyonnais une instruction pratique dont personne ne sau- rait contester la haute utilité pour l’industrie-de la seconde cité française. L'École polytechnique, considérée comme une institu- tion préparatoire aux Écoles militaires, serait l’objet de reproches fondés, s’il était vrai que les études auxquelles les élèves sont astreints énervassent leurs qualités mili- taires innées. Un tel reproche, quoique souvent repro- duit, n’a certes aucune espèce de fondement; il faut cependant, en présence de la calomnie, se condamner à la combattre, Pour établir ma thèse d’une manière pé- remptoire, je ne citerai pas les services spéciaux et de l'ordre le plus élevé que rendent au pays les officiers d'artillerie et du génie, puisque ces services ne sont pas ordinairement appréciés du public à leur juste valeur; mais je prierai le lecteur de porter ses pensées sur lés GAY-LUSSAC. (LE officiers qui, ayant abandonné les armes :spéciales pour passer «dans l'infanterie, se sont le plus distingués dans nos guerres d'Afrique. I y trouvera .des noms comme ceux-ci: Lamoricière (1824), Cavaignac (1820), Marey- Monge (1814), Duvivier (4812), «et, puisque je ne puis citer tout le monde, le général Bouscaren (1823), qui, ily a quelques jours, payait de sa vie la prise de Laghouat, Puisqu’on a été jusqu’à prétendre que les études ma- thématiques faussaient l'esprit de ceux qui les cultivent _ avec trop de détail, et qu’elles en faisaient des partisans d’utopies qu’il est bien facile aujourd’hui de blämer dans leur ridicule exagération; puisque personne de raison- nable ne les défend, je remarquerai, moi, que ces études n’ont pas empêché la brillante jeunesse de notre École d'imaginer, pour venir au secours des élèves peu favo- risés de la fortune, des moyens dont la délicatesse sera appréciée de toutes les personnes ayant un cœur droit et bien placé. | La famille d'un élève ne peut-elle payer les quartiers de pension, elle le fait savoir à un seul de ces jeunes gens : une souscription est aussitôt ouverte pour y pour- voir. Afin que l'élève en faveur duquel tous ses camarades se sont cotisés n’en éprouve aucune gêne dans ses rela- tions habituelles avec eux, on ne le met pas dans le secret, et il souscrit lui-même. Le mystère n’est jamais dévoilé pendant le séjour à l’École de cet élève, boursier d’une nouvelle espèce. Des circonstances particulières m'ont fait connaître les noms de quelques-uns des jeunes gens qui ont été ainsi 112 GAY-LUSSAC. entretenus à l'École aux frais de leurs camarades. Si l’on me force à les faire connaître, on sera certainement sur- pris de voir figurer dans le nombre certain personnage qui présente aujourd’hui l’ancienne École polytechnique sous le jour le plus défavorable, MALUS BIOGRAPHIE PRÉPARÉE POUR LA SÉANCE PUBLIQUE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE L'ANNÉE 1854, ET LUE PAR DÉCISION SPÉCIALE DE CE CORPS SAVANT LE 8 JANVIER 1855. NAISSANCE DE MALUS. — SON ÉDUCATION LITTÉRAIRE. — SON ADMISSION A L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. Étienne-Louis Malus, dont une immortelle découverte fera retentir le nom tant que les sciences physiques seront en honneur parmi les hommes, naquit à Paris le 23 juillet 1775, d’Anne-Louis Malus du Mitry, trésorier de France, et de Louise-Charlotte Desboves. - Ses premières études furent principalement littéraires ; il acquit une connaissance très-approfondie des auteurs qui font la gloire des lettres grecques et latines. Jusqu'à ses derniers jours, il récitait, sans hésiter, de longs pas- sages de l’Iliade, d’Anacréon, d’Horace et de Virgile, Comme presque tous les écoliers doués de quelque facilité, il consacra étourdiment son jeune talent à des productions au-dessus de ses forces et dont un de nos grands poëtes caractérisait si énergiquement la difficulté en les appelant les Œuvres du Démon. Mais, à l'inverse de ce qui arrive ordinairement, il poussa ses tentatives 1. CEuvre posthume, IIL — III, 8 114 MALUS. jusqu’au bout. J'ai retrouvé dans les papiers de Malus, deux chants d’un poëme épique intitulé la Fondation de la France ou la Thémelie, et deux tragédies achevées; l’une, sur la prise d’Utique et la mort de Caton; l’autre, retraçant les horribles péripéties de la famille des Atrides et intitulée Électre. De beaux vers et quelques situations intéressantes ne m’empêcheraient pas d’avouer ici que le jeune adolescent n'avait point rencontré sa véritable vocation, si l'immense distance qui sépare dans l’œuvre de Racine les Frères ennemis d’Andromäaque ne montrait avec quelle réserve on doit s’abstenir de ces jugements prématurés. Malus avait fait marcher de front, avec un suecès marqué, les études littéraires et celles de l'algèbre et de la géométrie, Il subit l'examen pour l’École du génie de Mézières, en 1793, et il fut classé cette même année comme sous-lieutenant dans la promotion où le général Bertrand occupait le premier rang. Mais des désordres graves dont l’École de Mézières avait été le théâtre, ayant amené sa suppression, Malus ne put pas profiter de son brevet d'admission. Il s’enrôla comme volontaire au 45° bataillon de Paris et alla à Dunkerque où il prit part, la brouette à la main, comme simple terrassier, aux tra- vaux qu’exigeaient les fortifications de campagne dont on entourait cette place. M. Lepère, ingénieur des ponts et chaussées, qui diri- geait une partie de ces constructions, ayant remarqué des dispositions particulières et non prévues dans la manière dont les soldats exécutaient les déblais et les remblais, voulut en connaître Porigine. On lui désigna alors celui MALUS. 15 qui les avait indiquées comme devant conduire au but avec le moins de fatigue possible, Quelques moments de con- versation montrèrent à l'ingénieur qu’il venait de décou- wrir dans l’humble terrassier du 15° bataillon de Paris, un homme supérieur, et il envoya à l’École polytechnique qui venait d'être fondée. Malus fut donc un des premiers élèves de cette institu- tion célèbre. Il y conquit bientôt l'amitié de Monge, qui en était l'âme ; il ne fallut rien moins que cette amitié ardente et dévouée pour le sauver des destitutions qu’il avait encourues en se mêlant, contre le gouvernement établi, à plusieurs des mouvements politiques qui agitè- rent la capitale. En sortant de l’École polytechnique, Malus se rendit à Metz, où il fut reçu comme élève sous-lieutenant du génie, le 20 février 1796. Nommé capitaine du génie le 49 juin 1796, il fut envoyé l’année suivante à l’armée de Sambre et Meuse, où il prit une part active et distinguée aux com- bats que livra cette vaillante armée. On a trouvé récemment dans des papiers de famille un petit cahier relié dans lequel Malus, alors capitaine du génie, employé à l’armée d'Orient, traçait jour par jour une relation abrégée de tous les événements dont il avait été témoin ou auxquels il avait pris une part directe. Cet agenda, que j'ai lu avec le plus grand intérêt et dans lequel notre confrère figure principalement comme mili- taire, m’a semblé mériter une analyse détaillée. Je me suis décidé à vous la présenter, ne fût-ce que pour prouver une fois de plus qu’un savoir profond et le génie scientifique n’affaiblissent ni le zèle, ni la constance, 116 MALUS. ni le courage, ni l’esprit d'entreprise qui doivent distin- guer un officier d'élite. Après avoir lu les détails qui vont suivre, personne n’osera certainement mettre ses services au-dessus de ceux que, dans sa sphère, a rendus Malus /e Savant. CAMPAGNE D'ÉGYPTE. — EXTRAITS DE L'AGENDA DE MALUS, Les événements de la guerre avaient conduit le capi- taine du génie Malus sur la rive droite du Rhin. Il tenait depuis onze mois garnison dans la ville savante de Gies- sen; il était même au moment de contracter mariage avec la fille aînée du chancelier de l’Université, le pro- fesseur Koch, lorsque l’ordre lui arriva de se rendre sans retard à Toulon, où il devait servir sous Caffarelli dans l'aile gauche de l’armée expéditionnaire dont presque tout le monde ignorait la destination. Le 27 floréal, nous le voyons à Toulon, embarqué sur l'Aquilon, vaisseau de 74, commandé par Thévenard et faisant partie de l'avant-garde de l’escadre, Le 22 prai- rial (10 juin 1798) il prit part à l'attaque, de vive force, de la forteresse de Malte, dont les défenseurs, dit notre confrère, se rendirent après avoir fait beaucoup de bruit et peu de mal. Après un court séjour à Malte, Malus, sur la demande du général Desaix, commandant la division partie de Civita-Vecchia, passa sur le Courageux, monté par ce général, « J’eus, sous tous les rapports, ajoute notre confrère, à me féliciter de ce changement. » La flotte quitta Malte le 3 messidor et nous trouvons MALUS. 117 Malus, le 43 de ce mois, courant toute la nuit dans une chaloupe non pontée à la recherche du général en chef, afin de recevoir ses ordres concernant le point où devait débarquer la division Desaix. Le 17, Malus fut attaché à l'avant-garde de l’armée envahissante. Le 21 messidor au soir il campait sur la route de Rahmaniéh. À cette époque, le corps du génie n'avait ni matériel ni troupes ; aussi un officier de cette arme, isolé dans l’armée, était souvent dépourvu des objets les plus vulgaires. On en verra la preuve dans ces paroles que je tire textuellement de l'agenda : «Manquant de piquet pour attacher mon cheval, je le liai à ma jambe, je m’endormis et rêvai paisiblement aux plaisirs de l’'Eu- rope. » Le 25, il prit part au glorieux combat de Che- breys contre les Mameluks. Le 2 thermidor, à la bataille des Pyramides, il était dans un des bataillons carrés de l'aile droite, à côté du général Degaix. Le 4 au matin, le capitaine Malus passait avec un dé- tachement de carabiniers dans l’île de Raouda, reconnais- sait la rive droite du Nil au Mekias et faisait passer sur la rive gauche les bateaux dont l’armée avait besoin pour traverser le fleuve ; le soir du même jour il accompagnait le général Dupuis, chargé de régler les conditions de la capitulation du Caire. Le 15 thermidor, il partit avec l'avant-garde du corps d'armée qui marchait contre Ibra- him Bey, campé à Belbeys, et prit une part très-active aux combats sérieux qui signalèrent cette expédition où * plusieurs fautes militaires furent commises. Plus tard, nous trouvons Malus accompagnant le gé- néral Regnier dans une reconnaissance qui avait pour M8 MALUS. objet la détermination exacte de la distance de Salchiéh _ à la mer. À son retour, notre confrère découvrit les ruines assez remarquables de l’ancienne ville de San ou Thamis. C’est durant cette expédition qu’il apprit la destruction dé notre flotte dans la bataille navale d’Aboukir ; aussi lit-on sans étonnement dans l'agenda qu’il rentra au Cairé fa- tigué, malade et en proie à une profonde tristesse. Vers l’époque dont nous parlons le général Bonaparte créa l’Institut d'Égypte : Malus en fut un des premiers membres. Quelques jours après, Malus reçut l’ordre de joindre le général Desaix dans la Haute Égypte. De retour au Caire avec la division du Sultan juste, il fut chargé de faire les préparatifs de la fête du 1” vendémiaire sur la place Esbékiéh. « Ce fut, dit-il, une faible distraction au chagrin qui m’affligeait depuis quelque temps. » Le 30 et les jours suivants, Malus contribua puissamment à la répression de l’insurrection du Caire. Ayant arrêté de sa main, dans le feu de l’action, un des insurgés, il trouva en sa possession des objets qu’il savait appartenir au général Caffarelli, son chef immédiat et son ami; il le érut égorgé et ce ne fut que le lendemain qu’il apprit que Caffarelli avait quitté la maison avant que les Turcs révoltés la dévastassent, Après que la rébellion eut été vaincue, le capitaine Malus commença l'établissement d’un fort dans l’empla- cement d’où, pendant l'insurrection, on avait Canonné la grande mosquée; la construction de ce fort, qui reçut le nom de Dupuis, l’occupa longtemps. Ensuite il présida à la reconnaissance des communications du Nil avec le MALUS. 119 lac Menzaléh et avec Salchiéh, Dans cette expédition, le jeune officier fit des découvertes très-intéressantes au point de vue de la géographie ancienne de cette portion de l'Égypte et de l'archéologie. De retour au Caire, le capitaine Malus jouit de quel- ques moments de repos dont 1l profita pour examiner en détail le puits Joseph, qu’il appelle un chef-d'œuvre de patience et de construction. Il alla aussi visiter les colos- sales pyramides de Gizéh, en compagnie d’un homme qu’on aurait pu appeler le colosse de notre armée par la taille et par la bravoure, le général Kléber. Lorsque l’armée partit pour l'expédition de Syrie, Malus, qui était alors occupé de la reconnaissance du Delta, fut attaché à la division du général Kléber. Nous ne le suivrons pas dans la route diflicile que nos braves soldats eurent à parcourir presque sans provisions et sans eau potable ; les détails que nous trouverions à ce sujet dans lagenda n’inspireraient que de pénibles réflexions : disons toutefois que le jeune officier du génie contribua avec distinction au siége d'El-Harisch. Nous le voyons s'emparer de vive force et avec intrépidité d’un poste avancé situé à 80 mètres de la place, commander la tran- chée et pousser la sape jusqu’au pied de la brèche lorsque l'ennemi demande à capituler. Le jeune officier flétrit en termes énergiques le manque de foi dont nos généraux se rendaient coupables à l'égard des prisonniers, en les forçant à s’enrôler parmi nos soldats. Malus raconte la marche de l’armée se rendant en Syrie. Elle prit la peste dans la ville de Gaza, abandon- née par l'ennemi; ses divisions arrivèrent enfin devant 120 MALUS. Jaffa et investirent cette ville, dont on résolut le siége. Les opérations se faisaient sans qu’on se conformât aux règles de la science posées originairement par Vauban. Notre jeune officier raconte que la batterie de brèche appuyée par des places d'armes de trop petite dimension, fut sur- prise la nuit par une sortie des troupes de la ville. Les têtes de nos soldats, transportées dans Jaffa, y étaient payées au poids de l'or; la tête de Malus ne figura pas au nombre de ces trophées sanglants, par la seule rai- son qu'au moment de l’envahissement silencieux de la batterie par les Turcs, il était endormi dans une des anfractuosités du retranchement. La brèche ayant été ouverte et la garnison n'ayant pas répondu à la somma- tion qui lui fut faite, on monta à l'assaut au son de la musique de tous les régiments. Ici je n’extrais plus, je copie : | « L’ennemi fut culbuté, épouvanté, et se retira après une fusillade assez vive dans les maisons et les forts dela ville ; il se soutint dans plusieurs points et continua le feu: environ une heure. Pendant ce temps, les soldats répan- dus de toutes parts égorgeaient hommes, femmes, enfants, vieillards, chrétiens, turcs; tout ce qui avait figure humaine était victime de leur fureur. « Le tumulte du carnage, les portes brisées, les mai- sons ébranlées par le bruit du feu et des armes, les hur- lements des femmes, le père et l'enfant culbutés l’un sur l’autre, la fille violée sur le cadavre de sa mère, la fumée des morts grillés par leurs vêtements enflammés, l'odeur du sang, les gémissements des blessés, les cris des vain- queurs se disputant les dépouilles d’une proie expirante, MALUS. 121 des soldats furieux répondant aux cris de désespoir par des cris de rage et des coups redoublés ; enfin, des hommes rassasiés de sang et d’or tombant de lassitude sur des tas de cadavres, voilà le spectacle qu’offrit cette malheureuse ville jusqu’à la nuit. » Ce passage poignant du manuscrit de Malus, est la peinture fidèle de ce qui arrive dans toute ville prise d’as- saut, même lorsque les assaillants appartiennent à l’armée la plus civilisée et la plus humaine de l'univers. Quand les historiens sauront se placer dans une sphère élevée, s'affranchir de la routine et suivre dans leurs jugements les règles éternelles de la justice et de l'humanité, tout en louant le courage indomptable des soldats qui savent braver la mort pour obéir à la discipline, ils accorderont leur plus vive sympathie aux hommes qui, pour sauver leur nationalité, consentent à s’exposer aux scènes .de massacre et de sang dont la description de Malus a dé- voilé toutes les horreurs; leur flétrissure sera réservée aux provocateurs de ces guerres impies qui n’ont pour motif qu’une ambition personnelle et le désir d’une gloire vaine et mensongère. Lorsque l’armée partit pour aller attaquer la ville de Saint-Jean d’Acre, Malus reçut l’ordre de rester à Jaffa avec le général Grezieux. On ne lui laissa que cent cin- quante hommes valides; la ville renfermait en outre trois cents blessés et quatre cents pestiférés. Malus fut chargé des dispositions à faire dans le couvent grec afin de pou- voir y établir les pestiférés. Pendant dix jours il passa toutes ses matinées dans l’odeur infecte de ce cloaque. Ainsi, notre célèbre peintre Gros aurait pu légitimement 122 MALUS. placer l’image de notre ami dans l’admirable tableau dont l’art moderne lui est redevable, au lieu de quelques-unes de ces figures de convention qui ne pénétrèrent jamais dans des salles alors encombrées de morts et de mourants. Le onzième jour, Malus se sentit atteint lui-même de la terrible maladie qui décimait notre armée. A partir de ce moment, je laisserai parler notre ami lui-même ; la science pourra tirer quelque avantage des détails que je vais transcrire : « Une fièvre ardente et de violents maux de tête me forcèrent de rester en repos; une dyssenterie continue s'y joignit, et peu à peu, tous les symptômes de la peste se déclarèrent. Vers le même temps, le général Gre- zieux mourut; la moitié de la garnison avait déjà été frappée : trente soldats succombaient par jour; Brinquier, qui m'avait remplacé pour les constructions de l'hôpital, fut atteint le quatrième jour et mourut après quarante- huit heures. À cette époque, mon bubon se déclarait à l’aine droite; j'avais toujours espéré jusqu'alors que ma maladie n’était pas la peste, le nombre de jours que j’a- vais vécu depuis la première attaque semblait l'indiquer; mais dès que le bubon parut et que les maux de cœur redoublèrent, je ne pus plus concevoir aucun doute, et- je pris mon parti. J’envoyai alors à Francisqui, qui était près du général Damas blessé, les objets que je voulais laisser à mes proches et à mes amis. Je dois remarquer que Francisqui est le seul parmi mes camarades qui ne m’ait pas abandonné et qui, pour me tranquilliser, n'ait jamais hésité à s'approcher de moi; le jour de son dé- part il poussa le dévouement jusqu’à m’embrasser quoi- MALUS. 123 qu’il fût certain alors que j'étais un véritable pestiféré, « 1 n’échappait qu’un homme sur douze. « Saint-Simon, arrivant d'Égypte, vint me voir; il se trouvait en parfaite santé; le surlendemain il était mort, « Le siége d’Acre traînait en longueur, les malades refluaient sur Jaffa et nourrissaient le dépôt des mou- rants; du reste, la peste était dans toutes les maisons de la ville où il se trouvait encore des habitants. Les réfu- giés de Ramlé qui étaient venus à Jaffa se mettre sous notre protection périrent presque tous. Le couvent des Capucins, qui s'était mis en quarantaine, ne put éviter la contagion. La plupart des prêtres moururent. Toutes les familles franques périrent, hormis deux hommes et une femme. « Je ne connaissais plus personne parmi les individus qui étaient encore à Jaffa. J'avais perdu successivement mes amis, mes connaissances, mes domestiques ; il ne me restait plus que mon domestique français qui, dans le cours de ma maladie m'avait toujours soigné avec zèle. Le 24 germinal, il mourut près de moi... Je demeurai seul, sans force, sans secours, sans amis; j'étais tellement épuisé par la dyssenterie et les suppurations continuelles que ma tête était extraordinairement affaiblie ; la fièvre, qui redoublait la nuit, me donnait souvent le transport et m'’agitait cruellement. Deux sapeurs entreprirent de me soigner et périrent l’un après l’autre. « Enfin, le 2 floréal je fus embarqué sur l’Étoile, qui partait pour l'Égypte et dont le capitaine avait la peste ; il mourut le jour de notre arrivée à Damiette. L'air de la mer fit sur moi un effet subit : il me semblait que je 124 ; MALUS. sortais d’une suffocation; dès le premier jour, je sentis presque le désir de manger, j'étais néanmoins très-faible. Les vents contraires nous tinrent plusieurs jours en pleine mer; ce retard produisit sur ma santé une amélioration très-marquée ; mes forces renaissaient, la croûte de mon bubon tomba, l'appétit revint. « Le 7 floréal, nous vinmes mouiller devant le bogaz de Damiette; le 8, nous enlrâmes dans le Nil, le bâtiment fut mis en quarantaine. » Veut-on connaître ce que nos institutions, quand elles sont confiées à des personnes sans entrailles, ajoutent de douleurs à celles des fléaux naturels, transcrivons encore cette portion si poignante du récit de Malus : « Le 10 germinal, je fus débarqué et conduit au lazaret de Lesbiéh où étaient entassés les pestiférés de Damiette et ceux qui étaient arrivés de Syrie. On mit aussi avec moi plusieurs passagers qui n’avaient aucun symptôme de la maladie, mais qui la gagnèrent par la suite dans le la- zaret et périrent jusqu’au dernier. Ces nombreux décès reculaient le moment de mon élargissement. 11 était rare qu’on sortit de cette infernale prison quand on avait eu le malheur d'y entrer; à peine daignait-on secourir les malheureux qui venaient y passer leurs dernières heures. J'en voyais souvent mourir de rage en demandant de l’eau à des barbares qui feignaient de ne pas les enten- dre ou qui répondaient : Ce n’est pas la peine. Des fos- soyeurs avides dépouillaient les moribonds avant qu'ils eussent rendu le dernier soupir : ces indignes agents de la Commission sanitaire étaient les seuls médecins, les seuls gardes qu’on accordât aux malades; à peine leurs MALUS. 125 victimes cessaient-elles de remuer qu’ils les transpor- taient sur l’autre rive, où ils les abandonnaient aux chiens et aux oiseaux de proie. Quelquefois, ils les recouvraient d’un peu de sable, mais le vent avait bientôt mis les ca- davres à nu, et cette voirie présentait le spectacle hideux d’un champ de bataille. « Une malheureuse femme que je soignai, parce qu’elle était absolument abandonnée, me priait, la veille de sa mort, de donner une piastre aux fossoyeurs afin qu’elle ne devint pas la proie des chacals; j’ai exécuté ses désirs et l’ai fait enterrer dans un santon, au bout de la plaine des morts. « Il y avait déjà un mois que j'étais dans cet abomi- nable séjour lorsque Cazola obtint pour moi que je fusse is en quarantaine dans un logement séparé. Ma solitude me parut délicieuse, parce que je quittais pour elle la société des mourants. J’achevai de m'y rétablir, et dans les premiers jours de messidor je reçus définitivement une liberté qui suivit le sacrifice de tous mes effets. » Combien ne devons-nous pas nous féliciter que Malus ait échappé d’une manière si inespérée au terrible fléau qui moissonnait tant de victimes! S'il eût succombé, la belle branche de l’optique dont il planta le premier jalon après son retour en France ne fût peut-être pas née, et les admirables progrès de cette science ne compteraient pas parmi les plus beaux titres dont le xix° siècle pourra se glorifier devant la postérité. Quelque temps après, Malus reçut l’ordre de se rendre à Cathiéh où il s'établit; les délices de ce poste avancé que commandait le général Leclerc sont retracés con 126 MALUS. amore par celui qui venait d'échapper à la maladie et aux dangers non moins redoutables du lazaret de Les- biéh. — « Nous campions, dit-il, dans des huttes dont les murs et les toits étaient des feuilles de palmier entrela- cées; nous étions logés comme des Arabes; j'avais près de ma cabane une petite enceinte renfermant mes chevaux, mes chameaux, mes ânes ; une volière remplie de poules, d’oies, de canards; une cage pour mes deux moutons, une autre pour mon sanglier; des niches pour mes pi- geons; ma chèvre jouissait de sa liberté, C’est en partie dans cette société que je passai trois mois de mon séjour en Égypte qui m'ont été particulièrement agréables. Une tranquillité parfaite, des jouissances paisibles, l’at- tente d’un ennemi que nous comptions vaincre, nous empêchaient de désirer les commodités dont nous étions privés. » Malus ne dit pas tout ; il composa à Cathiéh un Mémoire sur la lumière, dont nous aurons occasion de parler plus loin. S’il arrivait, par hasard, qu’en analysant ce travail de notre futur confrère, nous y trouvassions des résultats qui pourraient, qui devraient être contestés, on remar- querait qu’il a un demi-siècle d'ancienneté, et que l’au- teur était dans une position vraiment exceptionnelle lors- qu’il l’exécuta, Je vois dans l’agenda que dans une reconnaissance qu'il fit avec un détachement de dromadaires dont on Jui avait donné le commandement, Malus rencontra une cara- vane, l’attaqua, la dispersa et s'empara d’un grand nombre de chameaux et de beaucoup de provisions, En quittant Cathiéh, Malus se rendit au Caire où il MALUS. 127 reçut de Kléber, le 21 octobre 14799, le brevet de chef de bataillon, juste récompense de tant d'activité et de courage déployés par le jeune capitaine depuis le débar- quement de l’armée française en Égypte. Le commandant Malus ayant appris au Caire qu’un débarquement de Turcs . se préparait près de Damiette, se hâta de s’y rendre; lorsque arriva le 8 brumaire, l’ennemi s’était déjà fortifié. Le surlendemain, après avoir été de tranchée le matin, notre ami se joignit comme simple fantassin aux troupes qui chargèrent les Osmanlis à la baïonnette et les préci- pitèrent dans la mer. Le 20 frimaire, Malus reçut le commandement de la place de Lesbiéh dont il avait détruit les murailles lorsque cette forteresse était dans les mains des Turcs et qu’il avail rétablies depuis qu’elle était en notre pouvoir. Le 22, la peste se déclara à Lesbiéh sur six endroits différents ; en homme expérimenté, le commandant Malus en empêcha le développement et la propagation. Elle fit cependant des victimes jusqu’au 28 pluviôse; le 29, la place de Lesbiéh fut remise aux Osmanlis en vertu de la convention d'El-Harisch. Malus était arrivé au Caire le 25 ventôse, le 28 on y apprit la rupture par lord Keïth de la capitulation d'El-Harisch. Ce même jour, à deux heures après midi, parut la proclamation de Kléber, qui se ter- minait par ces paroles célèbres et prophétiques : « L'armée répondra à ce procédé déloyal et à la proposition de mettre bas les armes, per de nouvelles victoires. » Elle se mit en effet en marche dès le lendemain pour com- battre l’armée du grand vizir ; Malus, attaché à la division du général Friant, prit personnellement part à l’immor- 128 MALUS, telle bataille d’'Héliopolis, où 11,000 hommes triom- phaient de plus de 60,000. | Le lendemain de la victoire, une circonstance parti- culière, que je trouve relatée dans l’agenda, eut des conséquences fâcheuses. « Le lendemain 30, à deux heures du matin, dit Malus, l’armée se mit en marche pour Belbeys où nous comptions trouver l’armée turque réunie. Je partis avec la division Friant. Après une heure de marche, je m’aperçus que nous nous égarions dans le désert; comme la nuit était fort obscure, on avait perdu les traces ordinaires. J’en rendis compte au gé- néral, qui m'écouta un moment; mais d’autres per- sonnes exposèrent leurs raisons avec tant d’assurance, qu'on continua la marche. Une heure et demie après nous nous dirigions précisément vers le lieu d’où nous étions partis, ce dont je m’aperçus à la position de l'étoile polaire que nous laissions derrière nous. Gette fois on m'écouta et je ramenai la division dans la vraie route. Cet égarement nous causa néanmoins beaucoup de retard, et les autres divisions furent obligées de nous attendre à une licue de Belbeys. » On voit à quoi tiennent les plus grands événements de la gucrre. Si l’on avait eu dans la division Friant une boussole de quelques millimètres de rayon semblable à celles qu’on voit généralement figurer parmi les breloques des montres les plus communes, ou bien si des officiers infatués de leur mérite n’avaient pas fait prévaloir leur -opinion sur celle de Malus, les divisions de notre armée eussent élé réunies beaucoup plus tôt et l’armée du grand vizir eût éprouvé près de Belbeys des pertes considérables, MALUS. 129 Malus, alors attaché à la division du général Regnier, fit partie de l’expédition qui rejeta, après plusieurs affaires sérieuses, l’armée ottomane au delà du désert; puis il revint au Caire révolté par les excitations des Mameluks qui, le jour de la bataille d'Héliopolis, s'étaient portés sur la grande ville. On devine quelle fut la mission d’un officier du génie dans une attaque telle que celle du Caire, où l’on était obligé pour prendre les barricades de les tourner par l'intérieur des maisons. Après la reddition complète du Caire Malus était établi à Gizéh, lorsque le 25 prairial le général Kléber fut assassiné dans son jardin du Caire par un Turc venu de Syrie. Nous terminerons ici ce long extrait de lagenda de Malus; il nous serait trop pénible de le suivre dans les critiques fondées, mais très-acerbes, qu'il dirige contre le général Menou. Un seul trait suffira pour faire connaître l’opinion de notre confrère sur le dernier com- mandant en chef de l’armée d'Orient : « Kléber, dit Malus, fut assassiné le 25 prairial; quelques jours après le général Menou, en attaquant l'honneur du général Kléber mort, l’a assassiné une seconde fois. » En parcourant l’agenda qui, en calculant les chances de la guerre, devait probablement tomber dans des mains indiscrètes , amies ou ennemies, j'ai remarqué que Malus indique très-exactement l’époque où il a reçu une lettre de son père, de sa sœur, de son oncle, etc. Quant aux lettres venant de Giessen, on devine bien quelles mains les avait tracées, mais aucune indication n’aurait mis sur la trace, Je signale cette exquise délicatesse pour l'in- struction des personnes mal informées ou malveillantes HI, —111. 9 130 MALUS. qui croient de tels sentiments incompatibles avec Îles études géométriques. MARIAGE DE MALUS. — SA CARRIÈRE MILITAIRE. pi Malus quitta l'Égypte, et fit la traversée sur le Castor, bâtiment de transport anglais, après l’arrangement conclu entre le général Menou, commandant en chef notre armée, et les généraux ennemis. Il arriva à Mar- seille le 14 octobre 1801 et fut mis immédiatement en quarantaine, Le pestiféré de Jaffa, de Damiette, de Lesbiéh, dut considérer comme un lieu de délices le lazaret dans lequel on l’enferma. Rendu à la liberté, il prit la route de Paris. Après une courte visite à ses parents, esclave de ses sentiments, plus encore que de sa parole, il partit pour Giessen, où il rejoignit mademoi- selle Wilhermine-Louise Koch, sa fiancée depuis quatre ans, et l’épousa. Cette union fit le bonheur de notre confrère; nous dirons bientôt quelle rare preuve de dévouement madame Malus donna à l'époux de son choix pendant la cruelle maladie qui l’enleva à son affection et aux sciences. La carrière militaire de Malus peut désormais être tracée en quelques lignes. En 1802-1803 il fut employé à Lille, Nous le voyons, en 1804, à Anvers, rédiger, d’après la demande de Napoléon, des projets pour compléter l'établissement naval de cette ville et agrandir son enceinte, Dans ce travail très-élaboré, qu’on conserve au dépôt MALUS. 131 des fortifications, et qui est accompagné de onze feuilles de dessins, l’auteur traite analytiquement, mais sans négli- ger les applications numériques, deux questions de mé- eanique qui, dans les circonstances et dans la localité, avaient une grande importance, savoir : 4° le parti qu’on peut tirer du poids des hommes marchant dans des tam- . bours pour faire mouvoir les chapelets inclinés, ou vis d’Archimède, servant aux épuisements; 2° l'emploi pour atteindre le même but de la force du vent agissant sur des moulins à ailes horizontales et disposés de manière -à tourner toujours dans le même sens. En 4805, Malus fut attaché à l’armée du Nord. En 4806, 1807 et 1808, il était sous-directeur des fortifications à Strasbourg. En cette qualité il présida à la reconstruction du fort de Kehl, fit des remarques très- judicieuses sur la forme des revêtements et applhiqua une analyse exacte à la détermination de leur épaisseur. | A dater de 4809, on l’appela à Paris. Il devint major du génie en 4840. Les archives du comité de l’arme prouvent que les inspecteurs géné- raux le consultaient souvent avec beaucoup de fruit sur le mérite des travaux qui leur étaient soumis. MÉMOIRE SUR LA LUMIÈRE, COMPOSÉ EN ÉGYPTE. Nous n’aurons désormais à nous occuper que du phy- sicien et. du membre de l’Académie. Sans sortir de ce cadre, je puis dire quelques mots du Mémoire. d'optique composé sous la cahute de Lesbiéh. L'auteur annonce nettement dans la première partie 132 MALUS. du Mémoire manuscrit que j'ai sous les yeux, le but qu’il se propose. Ce but est de prouver que la lumière n’est pas un corps simple, que ses principes constituants sont le calo- rique et l’oxygène dans un état particulier de combi- naison. Pour établir cette théorie, il cite des faits nom- breux empruntés à la chimie et qui prouvent qu’il était parfaitement initié, non-seulement aux principes géné- raux, mais encore aux détails de cette science. El faut le dire cependant, toutes les déductions de Malus, même les plus plausibles, seraient aujourd’hui renversées d’un mot ; il suffirait de citer à l’encontre de tous les phéno- mènes que notre futur confrère rapporte, la lumière qui s’engendre dans le vide à l’aide du courant voltaïque par- courant des substances simples, telles que le carbone, le platine, etc. Dans la seconde partie du Mémoire, Malus cherche à établir que les diverses natures de lumière ne diffèrent les unes des autres que par la proportion plus ou moins grande de calorique qu’elles renferment. Le rouge serait ainsi la lumière la plus chaude, le violet la plus froide, ce qui est conforme à l’expérience. Suivant une opinion singulière professée par l’auteur, tous les rayons doués d’une certaine intensité devraient produire la sensation du blanc. La troisième partie du travail de Malus est consacrée aux conséquences mécaniques qui se déduisent par l’ana- lyse, de la supposition développée dans les deux premières sections; il me suffira de dire que l’auteur trouve, comme tous les partisans du système de l'émission, que la vitesse MALUS. 133 de la lumière doit être plus grande dans l'eau que dans l'air; chacun comprendra donc qu’il serait superflu main- tenant de se livrer à ce sujet à une discussion de détails. Le Mémoire dont je viens de parler était destiné à l’Institut d'Égypte. Je trouve, en effet, dans une lettre de Malus à Lancret le passage que voici : « Je t'envoie, mon cher Lancret, le travail dont je t'ai déjà parlé; désigne-moi les choses qu’on pourrait appeler des redites et celles qui sont inutiles. Si, après cette épu- ration, il se réduit à zéro, nous le mettrons de côté et il n’en sera plus question. » Il est juste de remarquer après les critiques dont je n’ai pu m’abstenir en me rappelant que ma tâche était ici celle d’un biographe ami de la vérité et non celle d’un pané- gyriste, que la troisième partie du Mémoire fut écrite avant la publication du quatrième volume de la Méca- nique céleste, dans lequel le même sujet est traité avec le plus grand soin. J’ajouterai qu'aucune armée au monde n'avait compté auparavant dans ses rangs un officier s’oc- cupant, dans les loisirs des avant-postes, de recherches aussi complètes et aussi profondes. La vérité de cette re- marque n’est pas affaiblie par ceux qui, à cette occasion, m'ont rappelé l'expédition d'Alexandre. Des savants, sur la recommandation d’Aristote, devinrent, il est vrai, des compagnons du grand capitaine ; mais ils avaient seule- ment la mission de recueillir les conquêtes scientifiques des peuples vaincus, et non celle de faire avancer les sciences par leurs propres travaux. Cette différence, toute à l'avantage de l’armée française, méritait, je crois, d’être signalée ici, 134 MALUS, Je vois, dans une lettre de Lancret du 41/4 vendémiaire an 1x, que Malus s'était occupé théoriquement de la question météorologique la plus importante, de la distri- bution de la chaleur dans les divers climats. Je n’ai pu découvrir ce que ce travail est devenu. TRAITÉ D'OPTIQUE ANALYTIQUE. Le 20 avril 1807, Malus présenta à la première classe de l’Institut un Traité d'optique analytique, dans lequel il considérait la lumière sous trois dimensions. Le choix des académiciens à l’examen desquels ce tra- vail fut confié, indique assez la réputation que l’auteur avait déjà acquise. Ces commissaires étaient : Lagrange, Laplace, Monge et Lacroix. Le rapport de cette illustre commission présenté par Lacroix, porte la date du 19 oc- tobre 1807. L'auteur du Mémoire examine la nature et la position relative des surfaces formées par des droites se succé- dant les unes aux autres suivant des lois connues. Après avoir déduit de ses recherches des théorèmes généraux très-remarquables, il en fait l'application au mouvement de la lumière refléchie et réfractée. Il généralise, ainsi, la la théorie des caustiques planes anciennement ébauchée par Tschirnaüsen. Parmi les résultats curieux qu’il déduit de ses formules, nous ne citerons que le suivant : « La réflexion et la réfraction fournissent quelquefois des images qui sont droites pour une de leurs dimensions et renversées pour l’autre. » L Le rapport, auquel je n’aurai pas la hardiesse de sub- MALUS. 435 stituer une opinion personnelle, se termine en ces termes : « Appliquer ainsi, sans aucune restriction, le calcul aux phénomènes, déduire d’une seule considération très- générale toutes les solutions qu’on n’avait obtenues que par des considérations particulières, c’est vraiment écrire un traité d'optique analytique qui, concentrant la science sous un seul point de vue, ne fait que sapésibies à en étendre le domaine. » L'Académie, on sait que c’est le plus haut degré dans les approbations qu’elle accorde, décida que le Mémoire de Malus serait imprimé dans le Recueil des Savants étrangers. MÉMOIRE SUR LE POUVOIR RÉFRINGENT DES CORPS OPAQUES. Le 16 novembre 1807, Malus présenta à l’Académie un Mémoire dans lequel il touchait à un point d'optique d'une extrême importance ; il n’était question, en effet, de rien moins que de prendre une décision motivée entre les deux théories rivales de la lumière. Le célèbre physicien Wollaston , quelques années auparavant, avait proposé une méthode, à l’aide de laquelle on déduisait le pouvoir réfringent des substances diaphanes ou opaques. Cette méthode repose sur la con- naissance de l’angle sous lequel ces substances, appli- quées immédiatement sur l’une des faces d’un prisme de verre à travers lequel on les regarde, commencent à cesser d’être visibles. Mais, d’après la théorie de la réflexion exposée dans le x° livre de la Mécanique céleste et fondée sur l'hypothèse corpusculaire, les formules doivent être différentes pour les corps opaques et pour les corps dia- 136 MALUS. phanes. C’est en ce point, disait-on, que M. Wollaston s'était trompé, Le but que se proposait Malus dans son Mémoire, fut de soumettre le fait à une expérience déci- sive. Il choisit un corps, la cire d'abeille, dont la réfrin- gence peut être mesurée à l’état diaphane et à l’état opaque par la méthode de Wollaston. Il appliqua aux angles de disparition correspondants à ces deux états et assez différents l’un de l’autre, les formules de la Méca- nique céleste, et il trouva des pouvoirs réfringents parfai- tement identiques. Cette identité des pouvoirs réfringents de la cire opaque et de la cire diaphane, qui semblait de vérité nécessaire, parut à l’auteur, à M. Laplace, comme à tous les géomètres et physiciens émissionnistes de l’Eu- rope, la preuve mathématique de la vérité de la théorie newlonienne, C’est assurément une chose singulière que la parfaite identité des pouvoirs réfringents calculés d’a- près des angles de disparition différents et d’après des formules assez dissemblables entre elles. Mais quelle preuve avait-on que ces pouvoirs dussent être identiques ? Le passage de l’état solide d’un corps à l’état fluide doit-il donc être sans influence sur sa réfraction? Ne pourrait-on pas citer des cas où la chaleur modifie le pouvoir réfringent des corps indépendamment de leur densité ? La température de la cire et sa densité au moment de l'expérience telle que Malus avait été obligé de la faire étaient-elles bien connues? Qu'y aurait-il, d’ailleurs, d’é- trange à supposer que dans les limites où s’opère l’action des corps sur la lumière, il n’y a pas de substances vrai- ment opaques? MALUS. 137 Maintenant que le système de l'émission est renversé sans retour, je cherche à recueillir les circonstances qui ont pu tromper Malus. Mais il est une chose sur laquelle je. suis certain, moi, de ne pas me tromper, c’est en assu- rant que le Mémoire dont nous parlons offrait une preuve nouvelle de l'esprit mathématique et du talent des expé- riences que Malus possédait à un si haut degré. Nous devons seulement regretter que les conclusions du rap- port aient été si explicites, qu’elles aient présenté la théorie atomique de la lumière comme parfaitement éta- blie, et qu’une telle décision émanant de personnes aussi compétentes que Laplace, Haüy et Gay-Lussac, ait peut- être contribué à éloigner notre illustre confrère d’une voie expérimentale dont Fresnel, quelques années après, montra l’étonnante fécondité. MALUS “REMPORTE LE PRIX PROPOSÉ PAR L’ACADÉMIE POUR UNE THÉORIE MATHÉMATIQUE DE LA DOUBLE RÉFRACTION, Le 4 janvier 4808, l’Académie proposa pour sujet du prix de physique à décerner, en 1810, la question sui- vante : | « Donner de la double réfraction que subit la lumière en traversant diverses substances cristallisées, une théorie mathématique vérifiée par l'expérience. » Le Mémoire de Malus fut couronné, Craignant sans doute d’être devancé par quelqu'un des concurrents dans la découverte des propriétés singulières qu'il avait remarquées dans la lumière, l’illustre physi- cien communiqua les parties les plus essentielles de son 138 MALUS. travail à l’Académie, le 12 décembre 1808, sans attendre l'époque où, suivant le programme, le concours devait être fermé. C’est donc à la fin de l’année 1808 que se rapportent les observations immortelles dont je vous don- nerai dans un instant l’analyse. La commission chargée de juger les concurrents était composée de Lagrange, Haüy, Gay-Lussac et Biot; le rapport fut présenté par Lagrange, et rien ne manqua ainsi à la consécration de l’importante découverte faite par Malus. DÉCOUVERTE DE LA POLARISATION PAR RÉFLEXION. C'est à Érasme Bartholin qu'il faut remonter pour trouver les premières observations relatives à l'existence de la double réfraction dans le cristal d'Islande, appelé maintenant spath calcaire ou carbonate de chaux rhom- boïdal. Huygens s’occupa de ce phénomène eb indiqua une construction géométrique très-simple et très-élégante à l’aide de laquelle on trouvait dans toutes les directions et sous toutes les incidences la position du rayon extraor- dinaire, relativement au rayon dont la marche était déter- minée par la loi de Descartes, dite des sinus, raÿon qui prit, à juste titre, le nom de rayon ordinaire. Huygens parvint à la découverte de sa construction ellipsoïdale en se fondant sur des considérations emprun- tées à la théorie des ondes, et il en avertit ses lecteurs. Le rapporteur de l’Académie, sur le Mémoire de Malus du 12 décembre 1808, intitulé : Mémoire sur une pro- priété de la lumière réfléchie par les corps diaphanes ; ce rapporteur, qui n’était rien moins que Laplace , aurait MALUS. 139 voulu que Huygens se fût contenté de présenter sa loi comme le fruit de l'expérience. Mais, qu’on me permette de le dire, la haine des théories ne va-t-elle pas trop loin, lorsqu'elle conduit à conseiller la dissimulation ou le _ manque de sincérité. Newton voulut substituer à la loi de Huygens d’autres règles qui ne se sont pas trouvées conformes aux faits. Parmi les observateurs modernes, Wollaston est le premier qui ait établi la vérité des principes donnés par le savant hollandais ; il se servit, pour faire cette véri- fication, de la méthode ingénieuse à l’aide de laquelle il trouvait l'indice de réfraction par l'observation de la réflexion totale. Il paraît qu'en 1808, ces vérifications n'avaient pas semblé suflisantes aux physiciens de l’Aca- démie des Sciences, puisqu'ils proposèrent la question comme sujet de prix aux expérimentateurs. Quoi qu’il en soit, Malus traduisit en formules analytiques la con- struction de Huygens; il compara la déviation des rayons extraordinaires, déduite de cette formule, aux nombres résultant d'expériences très-précises , et l’accord fut tou- jours parfait. Ainsi, la conception géométrique de Huygens se trouva complétement établie, quoique originairement son auteur y eût été conduit par des vues théoriques. Un rayon de lumière se partage en deux rayons, qui sont exactement de même intensité quelle que soit la position du cristal d'Islande qu’il traverse, et dans lequel la division s’est effectuée; mais il n’en est pas de même du cas où les rayons sortant d’un premier cristal sont analysés avec un second cristal tout pareil. Si ce second cristal est situé, relativement au premier, de manière que 140 MALUS. les faces homologues soient parallèles, le rayon ordinaire n’éprouve en le traversant que la réfraction ordinaire, et le rayon extraordinaire y reste et en sort exclusivement un rayon extraordinaire. La lumière naturelle, en traversant le premier cristal, y a donc changé de nature. En effet, si, en se dédoublant, elle avait conservé ses propriétés primitives, le rayon ordinaire et le rayon extraordinaire se seraient, l’un et l’autre, partagés en deux faisceaux en traversant le second cristal. A la sortie de ce second cristal, on aurait eu quatre images au lieu de deux. La pre- mière idée qui vint à l’esprit fut que la lumière naturelle se composait de parties susceptibles, les unes d’éprouver la réfraction ordinaire, les autres, en nombre égal, la réfraction extraordinaire. Mais cette hypothèse fut radi- calement renversée par une expérience très-simple. En faisant faire au second cristal un quart de révolu- tion sur lui-même, sans qu’il cessât de rester parallèle au premier, le rayon ordinaire y devenait extraordinaire, et le rayon extraordinaire n’éprouvait plus cette fois que la réfraction ordinaire. Le rayon ordinaire et le rayon extraordinaire en sor- tant du premier cristal étaient donc tout pareils; il suffi- _sait, pour qu’ils ne pussent pas être distingués l’un de l’autre, de faire tourner de 90° l’un de ces rayons sur lui- même ou autour de sa ligne de propagation. Nous voilà donc amenés par des phénomènes de double réfraction à distinguer, dans des rayons lumineux, des côtés doués de propriétés différentes. Nous voilà conduits par l’observa- tion à reconnaître que le rayon extraordinaire sortant d’un cristal d'Islande a les propriétés du rayon ordinaire, alors MALUS. A4 seulement qu’on lui a fait faire un quart de tour sur lui- même. | Si l’on se rappelle que des rayons lumineux sont si déliés que des milliards peuvent passer par le trou d’une aiguille sans se troubler mutuellement, les esprits réflé- chis reconnaîtront tout ce qu’il y a d’admirable, presque d’incompréhensible dans le fait que nous venons de citer et dont la découverte est due à Huygens. Les deux fais- ceaux de rayons qui, après être sortis simultanément d’un cristal d'Islande, ont des côtés doués de propriétés différentes, s'appellent des rayons polarisés par opposi- tion aux rayons de lumière naturelle, lesquels ont la même propriété tout autour de leur circonférence, puis- qu’ils se partagent toujours en deux faisceaux de même intensité, quelle que soit l'orientation du cristal avec lequel on les analyse. J'ai dit quelle était la position -que devait avoir un second cristal pour que les rayons ordinaires et extraor- dinaires provenant d’un premier cristal y conservassent les mêmes dénominations ; dans les positions intermé- diaires de ce second cristal, les rayons soit ordinaires, soit extraordinaires, provenant du premier, se partagent généralement en deux, seulement les intensités des fais- ceaux sont ordinairement très-dissemblables, Tel était l’état de nos connaissances sur cette branche si délicate et si singulière de l'optique, lorsqu'un jour, dans sa maison de la rue d’Enfer, Malus se prit à exa- miner avec un cristal doué de la double réfraction, les rayons du Soleil réfléchis par les carreaux de vitre des fenêtres du Luxembourg. Au lieu de deux images intenses 142 MALUS. qu'il s'attendait à voir, il n’en aperçut qu’une seule, l'image ordinaire ou l’image extraordinaire, suivant la position qu'occupait le cristal devant son œil. Ce phé- nomène étrange frappa beaucoup notre ami ; il tenta de l'expliquer, à Paide de modifications particulières que la lumière solaire aurait pu recevoir en traversant l’atmo- sphère. Mais la nuit étant venue, il fit tomber la lumière d’une bougie sur la surface de l’eau sous l’angle de 36°, et il constata, en se servant d’un cristal doué de la double réfraction, que la lumière réfléchie était polarisée., comme si elle provenait d’un cristal d'Islande. Une expé- rience faite avec un miroir de verre sous l'angle. de 35° lui donna le même résultat. Dès ce moment, il fut prouvé que la double réfraction n’était pas le seul moyen de polariser la lumière, ou de lui faire perdre la propriété de se partager constamment en deux faisceaux, en tra- versant le cristal d'Islande. La réflexion sur les corps dia- phanes, phénomène de tous les instants et aussi ancien que le monde, avait la même propriété sans qu'aucun homme l’eût jamais soupçonné. Malus ne s’arrêta pas là; il fit tomber simultanément un rayon ordinaire et un rayon extraordinaire, provenant d’un cristal doué de Ja double réfraction, sur la surface de l’eau, et remarqua que si l’inclinaison était de 36°, ces deux rayons se compor- taient très-diversement, * dé Quand le rayon ordinaire éprouvait une réflexion par- tielle, le rayon extraordinaire ne se réfléchissait pas du tout, c’est-à-dire traversait le liquide en totalité. Si la position du cristal était telle, relativement au plan dans lequel la réflexion s’opérait, que le rayon extraordinaire MALUS. 143 se réfléchit partiellement , c’était le rayon ordinaire qui passait en totalité. Les phénomènes de réflexion devenaient ainsi un moyen de distinguer les uns des autres les rayons pola- risés en divers sens. Dans cette nuit, qui succéda à Fob- servation fortuite de la lumière solaire réfléchie par les fenêtres du Luxembourg, Malus créa l’une des branche# les plus remarquables de l'optique moderne et acquit des droits, que personne ne contestera, à une renommée immortelle, Je dépasserais les limites qui me sont tracées si j’ana- lysais ici toutes les observations que fit notre confrère, en. suivant la marche des rayons directs et réfléchis dans lesquels se développent des phénomènes de polarisation, Mais je ne puis me dispenser, pour préparer le lecteur à l'intelligence de faits très-curieux dont Malus enrichit la science, en 4811, de donner la définition d’un terme que je vais avoir l’occasion d'employer : celui de rayon par- tiellement polarisé. Un rayon de lumière naturelle donne toujours deux images de même intensité, quelle que soit, relativement à ce rayon, la position de la face du cristal qu’il traverse, Un rayon complétement polarisé ne donne qu’une image dans deux positions particulières de la face de ce cristal. Un rayon partiellement polarisé jouit en quelque sorte de propriétés intermédiaires entre celles du rayon naturel et du rayon complétement polarisé. Comme le rayon naturel, il donne toujours deux images ; comme avec le rayon polarisé, ces deux images ont des intensités variables avec la position du cristal analyseur, | 144 MALUS. Les rayons réfléchis sur l’eau, sur le verre, dans les angles qui précèdent ou qui suivent l’angle de polarisa- tion complète, sont partiellement polarisés, et d’autant plus que l’angle de leur inclinaison avec la surface réflé- chissante s’approche davantage de 35 ou de 36°. Malus avait trouvé que les rayons réfléchis par des métaux ne sont pas polarisés, même partiellement; mais c'était une légère erreur, qui a été plus tard rectifée. Après ses premières recherches, Malus croyait que la réflexion sur certaines substances diaphanes et opaques était, en dehors de la double réfraction, le seul moyen de polariser la lumière. À la fin de 1809, ses vues à ce sujet prirent une grande extension: il reconnut en effet, expérimentale- ment, que la lumière qui passe à travers une lame de verre offre, sous des inclinaisons convenables, des traces | évidentes d’une polarisation partielle, et que si l’on forme une pile de lames, le rayon naturel qui la traverse est complétement polarisé à sa sortie. Il ne manqua pas de remarquer que la polarisation du rayon était dans ce cas inverse de celle dont aurait été affecté, dans les mêmes circonstances, le rayon réfléchi; en sorte que, si celui-ci pouvait être identifié avec le rayon ordinaire provenant d’un cristal placé dans une certaine position, l’autre, ou le faisceau transmis par la pile de lames de verre, ressemblerait au rayon extraordi- naire de ce même cristal. Il ne peut entrer dans notre plan d'indiquer ni les conséquences détaillées et très-curieuses que. Malus dé- duisit de ses expériences, ni les perfectionnements qu'elles MALUS. 145 ont reçus. Je me contenterai de dire ici que si jamais on trouve une substance qui seule, sous l'angle de la polari- sation complète par voie de réflexion, réfléchisse la moitié de la lumière incidente, le rayon transmis au travers d’une seule lame sera aussi complétement polarisé au lieu de l'être partiellement. On n'aura plus besoin, pour obtenir cette polarisation complète par réfraction, de recourir à une pile de plaques de verre comme dans les expériences de Malus : une seule plaque suffira. Postérieurement aux expériences de Huygens, sur la double réfraction du cristal d'Islande et du cristal de roche, les minéralogistes reconnurent qu’il existe dans la nature un grand nombre de cristaux doués de la double réfraction ; mais, un cristal étant donné, on ne parvenaïit à savoir s’il devait être rangé dans la catégorie des cristaux que nous venons de citer, qu'après l'avoir taillé en prisme et essayé d’apercevoir au travers des deux faces artifi- cielles ou naturelles terminales, la double image d’un corps très-délié, telle que la pointe d’une aiguille. En 1811, un membre de cette Académie ! montra qu'il était possible de résoudre la question sans s’astreindre à l’é- preuve, quelquefois très-difficile, du dédoublement. Il constata ainsi l'existence de la double réfraction dans les lames les plus minces de mica, lesquelles, sous aucun rapport, n'auraient pu se prêter à l'application de la pre- mière méthode. Malus généralisa les résultats obtenus par son ami dans un Mémoire intitulé : Sur l'axe de réfraction des cristaux et des substances organisées, lu à l’Académie le 19 août 1811. 1. M. Arago. ILE, — rx, 10 146 MALUS. LETTRE DE YOUNG À MALUS. Le 22 mars 1811, M. Thomas Young écrivait à Malus, en termes d’une extrême bienveillance, que le Conseil de la Société royale de Londres lui avait nues la médaille fondée par M. de Rumford. Tel était le peu de progrès qu’on avaït fait en Angle- terre sur les théories nouvelles, que Young demandait à Malus de s'assurer si réellement un rayon polarisé par réflexion à la surface d’un miroir de verre, échappait à une seconde réflexion sur un second miroir demême ma- tière convenablement placé, comme notre vonèes l'avait annoncé. Suivant l’opinion du savant secrétaire de la Société royale, les rayons qui après une première réflexion ne se réfléchissaient pas dans une seconde, devaient être ab- sorbés ou rendus inertes. | On trouve également dans cette lettre : « Vos expé- riences démontrent l'insuffisance d’une théorie (celle des interférences) que j'avais adoptée, mais elles n’en prou- vent pas la fausseté. » Malus, partisan déclaré et inébranlable du système de l'émission, accueillit avec une grande joie la déclaration de Young sur l'insuffisance de la doctrine des interfé- rences. Il opposait toujours l’opinion du célèbre secrétaire de la Société royale, à ceux qui le conjuraient d'examiner, avec la supériorité de son génie, l'hypothèse en faveur de laquelle les Huygens, les Euler s'étaient ouvertement prononcés, MALUS. A7 Il ne remarquait pas qu’en reconnaissant, en 1811, l'insuffisance de sa théorie, Thomas Young avait eu le soin de dire que rien jusqu'alors, même après la décou- verte de la polarisation, n’en prouvait la fausseté. INVENTION DU GONIOMÈTRE RÉPÉTITEUR. Les théories physiques et les méthodes d’expérimenta- tion réagissent les unes sur lessautres. Les premières ne peuvent se perfectionner sans amener aussitôt une amé- lioration correspondante dans les secondes. À mesure que les idées cristallographiques de Haüy acquéraient plus de rigueur, on sentit la nécessité d'appliquer à la mesure des angles des cristaux, des procédés de plus en plus.exacts. Wollaston satisfit à ce besoin par l'invention du gonio- mètre à réflexion, qui porte son nom. Malus ajouta à la perfection de l'instrument anglais en le rendant répéti- teur. Il voulait pouvoir ainsi compenser les erreurs de pointé par des observations successives, et se rendre indé- pendant des inexactitudes que l'artiste avait pu commettre en divisant les cercles, Malheureusement les cristaux na- turels sur lesquels il est possible d'appliquer avec avan- tage le principe de la répétition, sont très-peu communs. Mais la méthode conserve toute sa valeur:théorique lors- qu'ilsagit, pour les usages de l'optique, de mesurer les angles de prisme formés par des plans bien dressés et exactement polis. | ès Il est toutefois juste de dire que l’idée d'employer la réflexion de la lumière pour les mesures des angles, appar- tient au célèbre physicien Lambert, 148 MALUS. CANDIDATURE DE MALUS À L’ACADÉMIE DES SCIENCES. == PLACES QU’IL A OCCUPÉES. — SA MORT. Les travaux hors ligre de Malus, dont je viens de donner une analyse rapide, lui valurent des témoignages sincères d'estime. et d’admiration des savants de tous les pays. Il fut nommé membre de la Société d’Arcueil qui se composait d’un petit nombre de savants réunis sous l'égide de Laplace et de Berthollet 1, Une place étant devenue vacante en 1810, dans la section de physique de l’Institut, par la mort de Montgol- fier, Malus se trouva naturellement au nombre des can- didats qui se présentèrent pour recueillir la succession de l'illustre physicien. Parmi ses concurrents, figurait un | ingénieur des ponts et chaussées qui avait fait aussi partie de l'expédition d'Égypte et dont les relations avec des académiciens étaient nombreuses et d’ancienne date. Tout le monde pouvait donc prévoir que la place serait vivement disputée. Le jour de l'élection, le 13 août 1810, étant arrivé, un des amis de Malus s’engagea à lui appor- ter la nouvelle du résultat aussitôt qu'il serait connu. Mais, par un concours malheureux de circonstances, le scrutin fut ouvert beaucoup plus tard qu’à l’ordinaire. Malus obtint 31 suffrages et son concurrent 22. L'ami de Malus, dont nous avons parlé, ne perdit pas un moment pour aller lui annoncer cet heureux résultat. 4. Les membres de la Société d’Arcueil furent : Laplace, C.-L. Berthollet, Biot, Gay-Lussac, Humboldt, Thénard, de Candolle, Collet-Descostils, A.-B, Berthollet, Malus, Arago, Bérard, Chaptal, Dulong , Poisson, MALUS. 149 Mais l'heure habituelle où la nouvelle aurait dû lui par- venir était beaucoup dépassée, l’illustre physicien crut à une défaite, et il s’abandonnait, malgré toutes les conso- _lations que sa femme lui prodiguait, au plus sombre désespoir. Ainsi, l’intrépide soldat de l’armée de Sambre- et-Meuse, celui qui avait vu la mort de si près au combat de Chebreys , à la bataille des Pyramides, le jour de la _ révolte du Caire , dans l’immortelle journée d’Héliopolis ; l'officier qui, à Jaffa et à Damiette, avait supporté les attaques de la peste avec tant de fermeté d'âme, s'était laissé abattre par l’insuccès supposé d’une élection aca- démique. Gonservons précieusement ces souvenirs! Qui oserait, en effet, soutenir l’inutilité des Académies, lors- qu'on voit l’auteur d’une des plus grandes découvertes des temps modernes, attacher tant de prix au titre d’aca- démicien ? Qui ne comprend aussi de quelle émulation de jeunes expérimentateurs doivent être animés, lorsque la réunion dans laquelle ils aspirent à prendre place, con- stamment appliquée à éloigner d’elle tout soupçon de coterie, s’est maintenue au premier rang dans l'estime publique en apportant le plus grand soin à se recruter toujours parmi les plus dignes. | Malus était devenu major, grade correspondant à celui de lieutenant-colonel, le 5 décembre 1810. Le gouver- nement lui avait souvent confié la mission d’aller classer, par ordre de mérite, les officiers d'artillerie et du génie à leur sortie de l'École d’application de Metz. Il était devenu ensuite examinateur des élèves de l'École poly- technique pour la géométrie descriptive et les sciences qui en dépendent, 150 MALUS. Le 14 vendémiaire an 1x, Malus écrivait de Benisouf, à son ami Lancret : « Je vis ici comme un ermite, je passe des journées entières sans proférer une seule pa- role, » Il paraît que notre confrère s’abandonnait assez souvent à son goût pour le mutisme. Les élèves de l'École polytechnique et de l’École d'application racon- taient qu’en parcourant leurs épures, il se contentait d'in- diquer du doigt la partie sur laquelle il désirait des explications et sans articuler un seul mot. Cette manière d'interroger, qui contrastait si complétement avec celle de quelques autres examinateurs, les contemporains de : notre confrère, les avait beaucoup étonnés. Mais ils n’en rendaient pas moins une complète justice à là patience éclairée , à l'intelligence et à la parfaite loyauté qui carac- térisaient tous les a portés par Malus à la suite de ses examens, Malus remplissait par intérim, en 1811, les fonctions de directeur des études de l’École polytechnique; on n’attendait plus que l’accomplissement de quelques for- malités réglementaires pour lui confier définitivement cet important emploi. La compagne de son choix, qw’il était allé chercher à Giessen après l'expédition d'Égypte, répandait sur son existence un ineffable bonheur. Les Académies les plus célèbres de l’Europe s’empressaient à l’envi de se l’associer. Il était aimé, honoré, estimé de tous ceux qui le con- naissaient, Il devait jouir d’avance des découvertes bril- lantes que lui promettait son génie. Il possédait enfin, après les labeurs guerriers de sa première jeunesse , tout ce qui doit attacher à la vie, Et c’est alors que, pour le MALUS. LELE malheur de ses proches, de ses amis, des sciences et de la gloire nationale, la vie lui manqua. Une phthisie, dont il éprouva les premiers symptômes vers le milieu de 1841, fit des progrès rapides et effrayants, peut-être à cause des germes que la peste avait laissés dans son corps débile. Notre confrère ne se croyait pas gravement atteint, car, l’avant-veille de sa mort, il exigea d’un de ses amis qu'il lui promit de l’accompagner dans la semaine à Montmorency , où il désirait se retirer momentanément pour respirer l'air de la campagne. Mais je citerai une preuve plus démonstrative encore, s’il est possible, de l'illusion qu’il se fit jusqu'au dernier moment. Revenu d'Égypte avec la persuasion que la phthisie est conta- gieuse, surtout lorsqu'elle succède à des attaques de peste, il laissait cependant madame Malus, la tête appuyée sur la sienne, épier ses moindres gestes, et s’abreuver sans cesse de l’air qu’il avait respiré. Du reste, cette femme admirable ne pouvait croire au malheur dont elle était menacée, et lorsque le savant illustre eut rendu le dernier soupir, il fallut presque em- ployer la violence pour l’arracher au corps inanimé de son époux. Elle ne lui survécut qu’un petit nombre de mois. Malus n'avait pas trente-sept ans lorsque l’Académie le perdit. CARACTÈRE DE MALUS. — MAXIMES ET PRÉCEPTES. — SUSCEPTI- BILITÉ DE MALUS DANS LES QUESTIONS DE PRIORITÉ SCIEN- TIFIQUE, Notre confrère était d’une taille et d’une corpualence moyennes; malgré ses manières réservées et froides, il 152 MALUS. # avait une âme aimante. Excellent fils, époux tendre et irréprochable, ami dévoué, il a laissé dans l'esprit de tous ceux qui le connurent la réputation, si digne d'envie, d’un homme de bien. Sa conduite, toujours à l’abri du reproche, même dans les conjonctures les plus difficiles, ne lui était pas seulement dictée par ses bons instincts ; il avait, dans ses loisirs des bivouacs en Égypte, tracé sur des feuilles volantes des pensées sur lesquelles il de- vait modeler sa conduite. J’en citerai plusieurs qui ne dépareraient pas, je le crois, les recueils célèbres publiés par quelques-uns de nos philosophes. « Toutes les actions de la vie doivent tendre à la per- fection de l’âme et à l'harmonie sociale, » | « L'espoir est une source de bonheur qu’il ne faut pas négliger, » « Je puiserai mes jouissances dans les affections du cœur, les rêves de l'imagination et le spectacle de la nature. » : | | « Il faut exercer la patience, vertu absolument néces- saire au bonheur dans l’existence morale. » « La médiocrité est un état désirable, puisqu'il exige peu de frais. » « Une partie de l'existence dépend souvent des circon- stances; ce sont des biens dont il faut profiter en passant comme on jouit du printemps de l’année, de l'éclat d’un beau jour, de la fraicheur d’une rose, » "#4 , | MALUS. 153 « Comme on ne peut donner aux enfants l’idée du bien, il faut leur en donner l'habitude. » même qu’on étouffe la raison, la conscience , comme un corps de réserve opposer une barrière éréglement. » te. Je n’aime pas les ROrHTNeR qui pèsent leurs bien- faits. » Je trouve dans les feuilles dont ce qui précède est un extrait très-abrégé, une pensée exprimée en ces termes : « C'est être l’esclave des premiers venus que de s’of- fenser et se chagriner de leurs injustices. » a e dernier précepte est plein de sagesse ; mais l’auteur sy est-il toujours strictement conformé? Sur des ques- tions touchant à la priorité scientifique, n’est-il pas, pour me servir de son expression, devenu l’esclave de ses adversaires? Voyez et jugez par vous-mêmes. Malus soupçonne un membre de l’Institut d'Égypte d’a- voir voulu empiéter sur ses droits, à l’occasion d’un calcul analytique communiqué à ce corps savant. Il s’en préoc- cupe à ce point que dans une lettre adressée à son con- frère, il ne met pas au-dessus de la signature : je suis avec considération votre très-humble serviteur. Le but de cette suppression d’une formule banale est indiqué en termes formels dans une lettre, que j'ai sous les yeux, de l'officier du génie à son ami Lancret. Un grand géomètre entrevoit le moyen de concilier le phénomène de la double réfraction avec les principes de 154 MALUS. la moindre action, et publie à ce sujet une note que tout le monde a pu lire dans nos recueils scientifiques. Malus se rappelle qu’il a, le premier, conçu la possi- bilité de ce rapprochement, et qu’il en a parlé publique- ment avant l'impression de la note. Il ne se contente pas de mettre au jour ses premières idées, sans faire mention de la note sortie d’une plume si justement célèbre; mal- gré sa réserve bien connue, il s'exprime à ce sujet, à toute occasion, avec une âpreté dont on ne l'aurait pas cru capable. Je citerai un troisième exemple : Un académicien croit être en droit de lui disputer la priorité relativement à une découverte importante concer- nant la polarisation. Malus était alors à Metz ; ses lettres témoignent, en des termes que je ne saurais reproduire , de son extrême irritation. Les prétentions de son adver- saire lui paraissent mal fondées en fait, et aussi parce que la décence commandait qu’on lui laissät un temps moral pour exploiter les premières couches d’une mine dont la découverte lui appartenait incontestablement, Je me demande maintenant si la susceptibilité de Malus pouvait être blämée. Ceux qui défendent avec tant de raison la propriété comme la pierre angulaire de la civi- lisation moderne , ne pourront pas s'étonner de voir notre confrère s'attacher avec tant d’ardeur à la défense de la première, de la plus incontestable des propriétés : les œuvres de l'intelligence. Est-il d’ailleurs bien certain qu’au moment où l’illustre physicien se montrait si cha- touilleux sur des fruits de ses labeurs et de son génie, il ne portait pas déjà son regard sur une de ces séances MALUS. 155 solennelles où les titres des savants au souvenir des hommes sont énumérés et appréciés devant un public éclairé, impartial, et juge en dernier ressort? Serait-il donc bien étrange que se voyant déjà par la pensée devant ces assises redoutables, il eût songé à y compa- . raître muni du plus grand nombre possible de découvertes incontestées et incontestables, et que, sous le poids de ces préoccupations , il eût oublié un instant un précepte abstrait de la philosophie? Quoi qu’il en soit, la droiture et la parfaite loyauté de Malus ne seront jamais mises en question. | Dans le recueil de pensées dont j'ai donné tout à l'heure un extrait, je lisais : . « Il y a bien peu d’hommes qui laissent en mourant des traces de leur existence! » Je m'’aventure peu en assurant que Malus figurera au nombre de ces hommes privilégiés, Son nom arrivera à la postérité la plus reculée par une de ces grandes décou- vertes qui, indépendamment de leur mérite propre, ont ouvert une vaste carrière aux investigations de la science. Le nom immortel de Malus restera désormais inséparable de celui de polarisation sous lequel viennent déjà se grouper les plus curieux, les plus féconds, les plus bril- lants phénomènes de l'optique moderne, FA PUR BIOGRAPHIES DES PRINCIPAUX ASTRONOMES HIPPARQUE Hipparque, que d’un commun accord le monde savant a salué du titre glorieux de plus grand astronome de l'antiquité, naquit à Nicée, en Bithynie, à une époque dont on ne sait pas exactement la date. On ne pourrait pas non plus fixer avec précision la date de sa mort. Nous savons seulement par Ptolémée que l’illustre astronome était plein de vie pendant les années 127 et 198 avant notre ère. Dans sa jeunesse, Hipparque observa dans sa ville natale. Plus tard il s'établit à l’île de Rhodes, où ses principaux travaux furent exécutés. Quelques historiens . de la science parlent de son séjour à Alexandrie, mais il n'est pas certain qu’il ait jamais visité cette ville et surtout qu'il s’y soit établi. Hipparque a écrit un grand nombre d'ouvrages, 1. OEuvre posthume, 158 HIPPARQUE. mais un seul, fruit de sa jeunesse, nous est parvenu : c’est le Commentaire sur le poëme d’Aratus. Toutes les autres productions de l'observateur de Rhodes ont été perdues, et ne nous sont connues que par ce qu'en disent Ptolémée et d’autres écrivains plus anciens. Hipparque procéda d’abord dans ses observations par voie d’ascension droite et de déclinaison. Il avait imaginé des méthodes pour transformer ces deux coordonnées des ° astres en longitude et latitude; c’est dire qu’on lui doit l'invention de la trigonométrie sphérique. Pour se sous- traire aux calculs excessivement laborieux que ces trans- formations exigeaient, il imagina un instrument, l’astro- labe, à l’aide duquel les longitudes et les latitudes des astres pouvaient être déterminées directement. C’est en comparant les longitudes et les latitudes des étoiles avec celles qui résultaient d'observations beaucoup plus an- ciennes d’Aristille et de Timocharis, qu’il fit la découverte qui immortalisera son nom. Il reconnut que léquinoxe n'était pas fixe, qu’il rétrogradait par un mouvement dirigé de l’orient à l'occident; que les étoiles restaient toujours à la même distance de l’écliptique, tandis que leur déclinaison, ou leur distance à l'équateur, était très- variable. Or, comme l'équateur, dans l'hypothèse de limmobilité de la Terre, devait être invariable aussi, on expliquait la précession des équinoæes en dotant la sphère étoilée d’un mouvement annuel parallèle à Técliptique, dirigé de l’occident à l’orient. Ptolémée déclare que ce mouvement de précession, d’après les observations d’Hipparque, est de plus de 36”; ceci est vrai, mais le chiffre donné se trouve pourtant HIPPARQUE. 159 fort éloigné de la vérité, puisque nous savons aujourd’hui que le déplacement des équinoxes «st de 50” par an. Je fais connaître ailleurs les découvertes importantes d'Hipparque sur les mouvements du Soleil, de la Lune et des planètes, | Je dois seulement, avant de terminer cette notice bio- graphique, consigner ici l’opinion fondée sur un passage de Pline, sur les motifs qui déterminèrent Hipparque à former son catalogue de 1096 étoiles. L’éloquent écrivain dit qu'Hipparque ayant aperçu une étoile qui s'était formée de son temps, voulut que la pos- térité pût constater si les étoiles naissent ou meurent, et dans cette vue entreprit le catalogue que Ptolémée nous a conservé et dans lequel figurent 1026 de ces astres, Mais on a conçu des doutes sur la réalité de cette anec- dote, s’appuyant particulièrement sur ce que Ptolémée n’en fait nullement mention. Voici les titres des ouvrages qu'Hipparque a com- posés, et qui sont irrévocablement perdus : Description du ciel étoilé; Des grandeurs et des distances du Soleil et de la Lune ; Des ascensions des douzes signes ; Du mou- vement de la Lune en latitude; Du mois lunaire; De la longueur de l’année ; De la réirogradation des points équi- noæiauæ et solsticiaux ; Critique de la Géographie d’'Éra- tosthène ; Représentation de la sphère sur un plan; Table des cordes du cercle en douze livres ; Traité des levers et des couchers des étoiles. 460 PTOLÉMÉE. PTOLÉMÉE On ne peut assigner avec certitude le lieu et la date de la naissance de Ptolémée, quoique pendant une longue suite de siècles il ait été considéré comme le plus grand astronome de l’antiquité, quoique ses nombreux admira- teurs eussent même attaché à son nom l’épithète de divin. Ce qu’on peut affirmer, c’est qu’il vivait sous les règnes d'Adrien et d’Antonin, qu’il florissait vers l’an 130 de notre ère, et que sa mort arriva à une époque inconnue, mais postérieure au 22 mars de l’an 141 de notre ère. Nous ne connaissons, du reste, aucune particularité de sa vie. Quelques écrivains, se fondant sur la similitude des noms, ont prétendu qu’il était de la race royale des Ptolémées, qu'il ne voulut se faire un nom que par ses recherches scientifiques, et que, suivant cette pensée, il vécut uniquement occupé de la contemplation du ciel dans les ptères ou ailes d’un temple égyptien à Canope; mais tout cela est dénué de preuves. Ptolémée avait modeste- ment intitulé son principal ouvrage, Composition ou syn- taxe mathématique. Entre les mains des traducteurs arabes cet ouvrage est devenu le très-grand (A/magesti), et le nom d’Almageste lui est resté. On donnera une juste idée de l’admiration des savants de l'Orient pour l’Almageste, en rapportant qu’une des conditions du traité de paix conclu par les califes vain- queurs avec les empereurs de Constantinople, fut le don d’une édition manuscrite de l'ouvrage de Ptolémée. L’Almageste renferme une exposition claire du système PTOLÉMÉE. 164 astronomique qui porte le nom de son auteur, et des ques- tions variées qui s’y rattachent; on y trouve aussi une description de tous les instruments qui, suivant Ptolémée, étaient nécessaires à l'observateur qui voulait perfection- ner la science. Lorsque des astronomes se livrèrent à une étude minu- tieuse de l’Almageste, non pour apprendre simplement quelle était l'étendue des connaissances des Grecs sur l'astronomie, mais pour y puiser les éléments de nouvelles discussions, la réputation de Ptolémée reçut les plus grandes atteintes. Kepler, qui le premier vit combien il était difficile de concilier plusieurs des résultats de Pto- lémée avec les observations modernes, ne voulut pas s'attaquer à la renommée jusque-là intacte de l’astronome d'Alexandrie. Il supposa qu’en quinze siècles il était arrivé dans le ciel de grandes perturbations. Mais Halley, Lemon- nier, Lalande, Delambre, n’usèrent pas d’un tel ména- gement ; ils accusèrent Ptolémée d’avoir falsifié les obser- vations anciennes d’Hipparque et quelquefois de se les être appropriées ; d’avoir dissimulé avec soin celles des observations qui ne s’accordaient pas avec ses théories. Quoi qu’il en soit de ce débat, durant lequel des opinions contradictoires ont été soutenues par des hommes du pre- mier mérite, il est certain qu’une de ses conséquences a été de faire descendre Ptolémée du rang que l'antiquité lui avait assigné et de donner la première place au vieux Hipparque. Les nombreux écrits de Ptolémée dont il nous resterait à parler, ne sont arrivés à la connaissance des modernes que par des traductions arabes, Nous ne mentionnerons ILL — y, 11 162 AL-MAMOUN. _ ici que son Optique, dont il existe des traductions latines: dans la grande bibliothèque de Paris, et à ce qu’il paraît dans une bibliothèque d'Italie. On trouve dans ce traité une table exacte des réfractions que la lumière éprouve: en passant de l’air dans l’eau et dans le verre. Nous ne pouvions nous dispenser de citer le seul ouvrage de phy- sique expérimentale que les anciens Grecs nous aient légué. Disons qu’on trouve dans ce traité, longtemps perdu, des notions justes, sinon des valeurs, de:la réfrac- tion atmosphérique, et cet énoncé parfaitement exact que cette réfraction va en augmentant depuis le zénith, où elle est nulle, jusqu’à l'horizon. AL-MAMOUN - Al-Mamoun, calife de la famille des Abbassides, fils d'Haroun al Reschid, naquit à Bagdad, au mois de sep- tembre 786 de notre ère ; il mourut le 40 août 833, à l’âge de quarante-sept ans. _ Al-Mamoun se montra animé d’une véritable passion pour les sciences. Il avait réuni à Bagdad des savants de toutes les croyances, qu’il traitait magnifiquement et avec: la plus complète tolérance. Al-Mamoun envoya même des émissaires dans la Grèce pour y recueillir les manuscrits les plus célèbres, et les fit traduire en arabe. On raconte que, vainqueur de l’empereur de Constantinople, il lui imposa comme condition de la paix la remise d’un exem- plaire manuscrit de l’Almageste. Al-Mamoun doit être cité pour avoir fait exécuter, dans ALBATEGNIUS. 163 les plaines de la Mésopotamie , deux opérations destinées à déterminer la valeur d’un degré terrestre, Il nous est aujourd’hui impossible d'apprécier Pexactitude de ce tra- vail, dans l'ignorance où nous sommes de la véritable grandeur de l’étalon auquel les longueurs mesurées ont été rapportées. Les astronomes d’Al-Mamoun trouvèrent que la plus grande équation du centre du Soleil était de 4° 59’. Ils fixèrent, la position de l'apogée de cet astre en 830 à 82 39’. La constance d’Al-Mamoun à persévérer dans l'étude de la vérité doit être d'autant plus remarquée, que pour avoir proclamé une vérité incontestable il devint l'objet de la haine et de l’animadversion de ses fanatiques coreligionnaires. Les malheurs de son règne tinrent, en effet, en grande partie à ce qu’il proclama que le Coran n'était point un livre éternel, mais qu’il avait été créé. ALBATEGNIUS Ce prince et astronome arabe, car dans les temps re- culés et chez les Mahométans ces deux titres n’étaient pas contradictoires, vivait vers l'an 880 de notre ère et mou- rut l’an 929, Il cultiva les sciences avec succès. On n’a de lui qu’un ouvrage sur les phénomènes célestes. Cet ouvrage ne nous est connu que par une traduction faite, a-t-on dit, par un homme qui ne savait ni le latin ni l'astronomie, Comme astronome praticien on cite d’Albategnius l’ob- servation de quatre éclipses; celle de l'obliquité de l’éclip- 164 ABOUL-WÉFA, tique qui, toute correction faite, se trouve être, d’après lui, de 23° 35 41’; l'observation d’un équinoxe d’où il a déduit une longueur de l’année trop courte de 2" 26;, et par-dessus tout, car ce résultat est une véritable décou- verte, la constatation du déplacement du périgée solaire. Ce déplacement, dont aucun astronome n’avait eu précé- demment l’idée, portera le nom d’Albategnius jusqu’à nos derniers neveux. Albategnius faisait la précession annuelle des équinoxes de 54’’, nombre évidemment trop fort. Albategnius observait à Aracte. ABOUL-WÉFA Aboul-Wéfà al Bouzdjani (Mohammed ben Mohammed ben lahia ben Ismaël ben Alabbas) est né en l’année 939 de l'ère chrétienne, dans la ville de Bouzdjan, située à une journée de marche de Nischabour, capitale du Kho- rasan, À l’âge de vingt ans, il se rendit à Bagdad, où il demeura jusqu’à sa mort arrivée en 998. Doué des plus heureuses dispositions pour les sciences mathématiques, il reçut des leçons des hommes les plus habiles de son temps, et dépassa bientôt ses maîtres; devenu professeur à son tour, il compta parmi ses élèves un grand nombre de savants distingués, et fit école. L'époque où il floris- sait était favorable pour les grands travaux ; les princes Bouides , après s'être emparés de la Perse, gouvernaient les États musulmans de l'Orient au nom des califes ABOUL-WÉFA. 165 Abbassides, réduits à l'autorité spirituelle et revêtus de la dignité d’emir al omrah (émir des émirs), que l’on peut comparer à celle de maire du palais, ils maintenaient . la paix dans l'empire et renouvelaient les prodiges du règne d’Al-Mamoun. L'un de ces princes, Adhad Eddau- lah, qui avait appris l'astronomie d’Ebn al Aalam et étudié le ciel étoilé avec Abdurrahman-Suphi, devait, pendant un règne de trente-trois ans, se montrer le protecteur éclairé des lettres, et transmettre à ses succes- seurs le désir de favoriser le progrès des sciences. Aboul- Wéfà trouva donc dans les chefs de l'État les encou- ragements nécessaires pour ses travaux, et tandis qu’il commentait Euclide et Diophante, qu’il écrivait un Traité d’arithmétique dont un volume se trouve à la Biblio- thèque de Leyde, qu’il traduisait un Traité d’algèbre d’un certain Hipparque, surnommé le Rafanien, il se livrait aux observations astronomiques, corrigeait les tables de ses devanciers et rédigeait un a/mageste tout à fait original, qui révèle dans l’auteur un esprit aussi profond que lucide et un mérite d'exposition bien rare chez les écrivains Arabes. Les premiers chapitres de cet almageste contiennent les formules des tangentes et des sécantes, des tables de tangentes et de cotangentes pour tout le quart de cercle. Aboul-Wéfä en fait le même usage qu'aujourd'hui dans les calculs trigonométriques; il change les formules des triangles; il en bannit ces expres- sions composées, si incommodes, où se trouvaient à la fois le sinus et le cosinus de l’inconnue. On en faisait sans aucun fondement honneur à Régiomontanus, et l’on n’en a joui en Europe que six cents ans après l'invention pre- 166 ABOUL-WÉFA, mière par les Arabes, dont malheureusement les ouvrages n'ont pas été assez répandus. Aboul-Wéfà, en comparant ses propres observations à celles des astronomes qui s'étaient succédé depuis Al- Mamoun, et aux tables de Ptolémée, avait été amené à signaler dans la théorie lunaire une correction impor- tante : il avait clairement indiqué la troisième inégalité, appeléevariation par Tycho-Brahé, et toutes lesobjections soulevées contre la découverte de l’auteur arabe n’ontpu détruire ce fait désormais acquis à la science, que tout homme ignorant l'existence de la variation et lisant Île passage d’Aboul-Wéfà aurait été conduit infailliblement à la détermination de la même inégalité que celle de Tycho 1, Non-seulement Aboul-Wéfà observait par lui-même, mais il prenait un intérêt extrême aux travaux de ses contemporains, Nous le voyons assister en 988 à deux observations de solstice et d’équinoxe, faites à Bagdad par l’astronome Alkuhi, et dont l'écrivain arabe Alzou- zeni nous a conservé tous les détails. Aboul- Wéfà entrete- naït en même temps avec ses amis une correspondance mathématique. À sa mort (998), l’école scientifique de Bagdad était à son déclin; l’Asie était déjà bouleversée par les Ghasnévides, et le Caire allait devenir le foyer d’un grand mouvement intellectuel qui devait rayonner sur toute l'Afrique occidentale et l'Espagne, 1. Voyez L.-Am. Sédillot, Matériaux pour servir à l'histoire des sciences mathématiques chez les Grecs et les Orientaux, t, I, EBN-JOUNIS. 167 EBN-JOUNIS Ebn-Jounis (Aboul Hassan Ali ben Abderrahman ben Ahmed ben Jounis ben Abdalaala ben Mousa ben Mai- sara ben Hafes ben Hyan), né en Égypte vers le milieu du x° siècle de notre ère, appartenait à une ancienne famille originaire de l’Yemen. Un de ses ancêtres, juris- consulte habile, s'était distingué dans la science des tra- ditions , partie si importante du droit civil et religieux des Musulmans; son père, Abou Saïd Abderrahman, avait écrit une histoire de l'Égypte; lui-même, enfin, avait reçu une éducation brillante, et montré qu’on pou- vait être à la fois musicien, poëte et mathématicien. Les fathimites venaient de s’emparer de l'Égypte, et Moez Ledinillah fondait le califat du Caire, au moment où l’empire des Arabes se trouvait exposé aux plus ter- ribles bouleversements; Ebn-Jounis, qui avait. voyagé dans l'Irak et puisé à l’école d’Aboul-Wéfà le goût de l'astronomie, trouva dans le calife Aziz, successeur de Moez Ledinillah (975-996), un protecteur bienveillant, qui lui fournit les moyens de faire de nombreuses obser- vations. Ges observations remplissent une période de trente ans, de 977 à 1007. Commencées sous Aziz, elles se continuèrent pendant les onze premières années du règne de Hakem, et portèrent sur des éclipses de Soleil et de Lune, sur des conjonctions de planètes et d'étoiles, etc. Ebn—Jounis observait dans le grand Cavafa, au-dessus d’une mosquée appelée pour cette raison la Mosquée de l'Observatoire ; plus tard Hakem, 168 EBN-JOUNIS. si connu par ses extravagances, mais heureusement très- zélé pour l'astronomie, fit construire un observatoire sur le mont Mocattam, à l’orient du Caire, et il s’y rendait souvent pour y étudier la sphère céleste : on sait que ce calife est le chef de la religion de Druses, Ebn-Jounis, qui avait entrepris la rédaction d’un Traité fort étendu, ne le termina que sous le règne de Hakem, et le lui dédia. Ce Traité, appelé Table Hakémite, formait quatre volumes ; nous n’en possé- dons que des fragments, mais on peut juger du mé- rite de l’ouvrage par les chapitres que MM. Deshaule- rayes, Caussin et Sédillot ont successivement traduits. Indépendamment de ses propres observations, Ebn- Jounis en donne plusieurs qui remontent au règne d’AI- Mamoun, et qui remplissent un intervalle de plus de cent cinquante ans. On trouve également dans son livre un grand nombre de pratiques et de règles qui rapprochent la trigonométrie arabe de celle des modernes, l'emploi des tangentes et des sécantes, déjà proposées par Aboul- Wéfà, comme moyens subsidiaires en certains cas com- pliqués; des artifices de calcul qui n’ont été imaginés en Europe que dans la première moitié du xvin° siècle. Nous devons aussi à Ebn-Jounis l'emploi du gnomon à trou et d'importantes corrections apportées aux Tables grec- ques. Aussi son Traité remplaça-t-il dans tout l'Orient l’Almageste de Ptolémée. On voit les Tables luni-solaires d’Ebn-Jounis reproduites : 1° chez les Persans, dans les Tables gélaléennes d’'Omer Keyam, qui déterminent la véritable longueur de l’année tropique en 1079; 2° chez les Grecs, dans la Syntaxe de Chrysococca ; 3° chez les ALPHONSE. 169 conquérants mongols, dans les Tables Ilkhaniennes de Nassir Eddin Thousi; 4° chez les Chinois, dans l’Astro- nomie de Co-Chéou-King. L'influence de l’école scienti- fique du Caire devait se répandre aussi du côté de l'Oc- cident et imprimer une activité nouvelle aux savants du _ Magreb et de l'Espagne. | Ebn-Jounis était fort distrait, et il amusait le calife Haækem par ses singularités. Sous un règne tyrannique, où une parole équivoque était souvent punie par un hor- rible supplice , il dut à une originalité de manières peut- être affectée, de pouvoir terminer un monument qui devait immortaliser sa mémoire. Le célèbre mathématicien Has- san ben Haïltrem (Alhazen), son contemporain, simulait de son côté la folie pour ne pas exciter la défiance ombra- geuse d’un maître inflexible. Ebn-Jounis mourut au Caire en 1008. ALPHONSE ROI D’ESPAGNE Alphonse X, dit l’Astronome, dit le Sage, roi de Cas- tille, naquit en 12926. Il succéda à son père Saint-Fer- dinand , à l’âge de trente-un ans. Son règne fut des plus malheureux ; il eut souvent à combattre ses propres sujets et même les membres de sa famille. Il mourut à Séville le 21 août 1284, après avoir été détrôné par son fils Don Sanche. Il avait eu le tort, quelque temps auparavant, de s’allier au roi de Maroc et de favoriser conséquemment les entreprises des Maures sur la Péninsule. 470 ALPHONSE. Le roi Alphonse ne prend place dans cette collection de biographies qu'à raison de son dévouement à l’astro- nomie. Il réunit à Tolède les astronomes les plus célèbres de son temps, chrétiens, juifs et maures, et les chargea de rectifier les tables astronomiques arabes, qui lui sem- blaient manquer d’exactitude. On a prétendu que le résultat de ce travail, connu sous le nom de Tables alphonsines, lai coûta 40,000 ducats. Les collaborateurs d’Alphonse ne se distinguèrent par aucune idée capitale ou digne de remarque; ils suivirent de point en point le système de Ptolémée. et leurs tables diffèrent seulement des précédentes par une amélioration sensible des mouvements du Soleil et de la longueur de l'année. On raconte que le roi Alphonse, fatigué de cette com- plication de cercles et d’épicycles qui figuraient dans les conceptions de Ptolémée, s’écria : « Si Dieu m’eût con- sulté au moment de la création, je lui eusse donné de bons avis. » Ces paroles, dans lesquelles on ne devait voir qu’une critique un peu vive de l’œuvre imaginaire de l’astronome grec, taxées d’impiété, ne furent peut-être pas sans influence sur les catastrophes qui marquèrent les dernières années de la vie d’Alphonse, Il paraît que malgré sa juste appréciation du système astronomique alors en vogue, Alphonse, à d’autres égards, était imbu des préjugés de son époque et qu’il. croyait fer- mement à l’astrologie judiciaire. L’historien commettrait une injustice s’il ne disait que non content d’avoir voulu fixer les principes auxquels les astres sont soumis dans leurs mouvements, Alphonse dota RÉGIOMONTANUS. 174 ses peuples d’un recueil cité encore de nos jours sous le nom de las Partidas, et renfermant l’ensemble des lois auxquelles on devait obéissance. Les Tables alphonsines parurent en 1252, le jour même où Alphonse succéda à son père. Elles furent imprimées pour la première fois à Venise, en 1483. RÉGIOMONTANUS Jean Régiomontanus, dont le véritable nom était Mul- ler, naquit le 6 juin 1436, dans le village d’Unfind, près de Kænigsberg, duché de Saxe-Hilburghausen, dépendant de la Franconie, Il mourut à Rome, le 6 juillet 4476, les uns disent de la peste ; suivant les autres, et cette opinion est la plus accréditée, il tomba victime d’un guet-apens que lui tendirent les enfants de Georges de Trébisonde pour avoir relevé les fautes que leur père avait faites-dans sa traduction de Ptolémée. L'histoire littéraire a enregistré les nombreuses criti- ques acerbes qui se sont élevées en divers temps entre des érudits ; le trait que l’on vient de citer est peut-être l'unique exemple d’un assassinat ayant pour cause des barbarismes ou des solécismes signalés dans une tra- duction. On doit à Régiomontanus un grand nombre d'ouvrages et d’opuscules dans lesquels il s'occupe des problèmes les plus variés de l’astronomie. L’indication des méthodes qu'il a mises en pratique n’aurait aujourd’hui aucun in- térêt. Ses observations sont peu nombreuses et ne condui- 172 RÉGIOMONTANUS. sent à aucune découverte. Si, comme on l’a prétendu, Régiomontanus fut le plus célèbre astronome de son temps, cela ne fait pas l'éloge de ses contemporains, Régiomontanus, non-seulement croyait à l'astrologie, mais il déclara sa croyance publiquement à Bologne dans un de ses ouvrages, et il n’hésitait pas à dire qu’il travail- lait pour les «amateurs de son art». Dans ses Éphémérides de 1499, on le voit rechercher quels sont les aspects de la Lune les plus favorables à la saignée, et sur quelles parties du corps humain les divers signes du zodiaque influent plus spécialement. Ces traits de crédulité sont un nouvel exemple de la lenteur avec laquelle l'esprit humain se débarrasse des plus absurdes préjugés. En astronomie proprement dite, on doit à Régiomon- tanus la remarque très-fondée que, si le système de Pto- lémée sur les parallaxes de la Lune était exact, le diamètre de cet astre serait quelquefois double de celui qu’on ob- serve. | Régiomontanus avait été appelé à Rome par Sixte IV, qui désirait déjà le consulter sur la réforme du calendrier. Il disait, dans un ouvrage qui n’a été publié qu'après sa mort : « Il est temps de nous mettre à l’abri des reproches et des plaisanteries des Juifs à l’occasion de l’anticipation des équinoxes et des désordres qui en résultent dans la célébration de la Pâque. » Ainsi la puissance des plaisan- teries était déjà reconnue vers la fin du xv° siècle par les plus graves personnages. COPERNIC. 173 COPERNIC Nicolas Copernic (Kopernik) naquit à Thorn, alors capitale de la Prusse polonaise, le 42 février 1473 ?, Parmi les biographes de l’illustre astronome, il en est qui le font descendre d’un Polonais appartenant à la noblesse. D’autres assurent que le père de Copernic était serf. Au temps où nous vivons, ces opinions contradic- toires méritent à peine d'être discutées : la noblesse, dans le sens philosophique de ce mot, est purement person- nelle ; aux yeux de la raison, tout homine, quelle que soit son extraction, est noble, s’il a de nobles sentiments, s’il se distingue par de nobles actions, s’il a des vertus et en fait un noble emploi. Les qualités de l'esprit ne suffisent pas pour conférer la noblesse : l’âme et le cœur décident toujours la question. 1. De vives discussions se sont élevées sur la question de savoir si Copernic doit être considéré comme Allemand ou comme Polo- nais. On ne sera pas fàché de trouver ici une note que le général Bem, illustré par la campagne de Hongrie, m'avait remise à ce sujet, lorsqu'il suivit mes Cours publics d'astronomie à l’Observa- toire de Paris : « Vers la fin du xvrr° siècle, lors du démembrement de la Polo- gne, Thorn et Frauenburg tombèrent avec toute la Prusse polonaise, dite royale, au pouvoir des margraves de Brandenburg, qui depuis 1525 tenaient de la couronne de Pologne, comme fief, une partie de la Prusse dite ducale, et qui finirent par prendre le titre de rois de Prusse. Ce passage de la Prusse, province polonaise, sous la domi- nation d’une maison allemande (de 1772 à 1795), fit croire à quel- ques écrivains modernes ignorants que Copernic était Allemand. » Voici ce que je trouve dans une biographie très-détaillée et très- intéressante de Copernic, publiée à Paris en 1847, par M. Jean Czinski, « En 1454, les provinces dites Prusse royale, ou Prusse polo- 17% COPERNIC. En point de fait, la filiation, jadis obscure de Copernic, est depuis quelque temps parfaitement éclaircie, Le grand-père de l’auteur des Révolutions célestes, né en Bohême, alla s'établir à Cracovie et y acquit le-droit de bourgeoisie; il faisait le commerce. Ses enfants-s’in- struisirent dans les écoles de cette ville. Un d’eux (ikavait pris l’état de boulanger) épousa à Thorn, depuis dix ans réincorporé à la Pologne (1464), Barbe Wasselrode, sœur de l’évêque de Warmie. Copernic futle seul fruit de, cette union. Copernic, encore enfant, apprit les langnatis anciennes dans la petite. école Saint-Jean à Thorn. A dix-huit ans, son oncle lenvoya à l’université de Cracovie. I s'y livra d’abord avec une ardeur extrême à l’étude de la philosophie.et de la médecine ; mais le hasard le condui- sit aux leçons d'Albert Brudzewski, professeur d’astro- nomie, et lui révéla sa véritable vocation, I1 cultiva à la même époque l’art de la peinture, dans lequel il fit des progrès remarquables. À vingt-trois ans naise, furent de nouveau réunies à la Pologne par un acte: authen- tique. » Plus loin M. Czinski proteste avec une grande vivacité contre la place qu’on à assignée à Copernic parmi les-illustrations allemandes dans le temple de Walhala, près de Munich. Il ajoute enfin, comme preuve décisive, que, pendant son séjour à Padoue, Copernic se fit inscrire lui-même sur la liste des étudiants polonais qui suivaient les cours de l’Université. Un fait par lequel je terminerai cette note, c’est que la tour de Frauenburg, actuellement en Prusse, qui servait d’observatoire à Copernic, est devenue une prison. Au point de vue du sentiment, cette circonstance pourrait être citée comme une preuve que le grand astronome n'était pas Allemand, mais cet argument paraîtra avoir moins de valeur si l’on se rappelle tous les hommes célèbres que leurs compatriotes eux-mêmes ont dédaignés et voués à l’oubli. COPERNIC. 175 ik se rendit à Padoue et à Bologne pour étudier la philo- sophie, la médecine et l'astronomie. En 4499, nous trouvons Copernic professant les mathématiques à Rome devant un auditoire nombreux et Deretour à Cracovie, en 1502, il se fit prêtre; il avait alors trente ans. Sur la recommandation de son oncle l’évêque de War- mie, ilfut nommé en +510 chanoine à Frauenburg, petite - ville située sur les bords de la Vistule. Là il partageait son temps entre les devoirs de sa nouvelle profession et, ses méditations sur les questions astronomiques. Il prodi- ouait aussi ses soins aux pauvres malades, mettant ainsi à profit les connaissances étendues en médecine qu'il avait acquises dans les universités d'Italie, À Pépoque dont nous parlons, des personnes intéres- sées n'avaient pas encore soutenu Fidée paradoxale que des études sérieuses rendent impropre à la discussion des affaires communes. Aussi les chanoines, collègues de Copernie, le chargèrent-ils de soutenir un procès contre les chevaliers de l’ordre teutonique, et il triompha de l'opposition de ces terribles adversaires. On a de lui éga- lement un projet de réforme monétaire qu’il développa à la diète de Grudzionz, en 1521. La ville de Frauenburg, située sur une hauteur, fut redevable au talent de Copernic de la machine hydrau- lique qui y distribuait l’eau dans toutes les habitations. L'ouvrage de Revolutionibus orbium cœlestium qui portera le nom de Copernic jusqu’à la postérité la plus reculée, fut le fruit de trente ans de méditations, 176 COPERNIC. Cet ouvrage avait été conservé en manuscrit par son auteur pendant vingt-sept années, mais les principaux résultats de l’illustre astronome étaient publiés. Ces résul- tats étaient trop contraires aux opinions reçues pour ne pas devenir, dans les mains des histrions (les histrions de tous les temps ont eu les mêmes passions), le sujet des plus ridicules, des plus ignobles parades. Vaincu enfin par les sollicitations de son ami l’évêque de Culm, Copernic se décida à livrer son livre à l’impres- sion. Rhéticus, son disciple, se chargea du soin de revoir les épreuves. C’est à Nurenberg que cette impression eut lieu, en 15/43. À la tête du livre se trouve une épître dédicatoire à Paul IIT, qui portait alors la tiare. Elle est d’un style ferme et digne. « Votre autorité, dit-il, me servira de bouclier contre les méchants, malgré le proverbe qui prononce qu’il n’y a pas de remède à opposer à la morsure d’un calomnia- téur. 25815407 BUS ONE EST SSINT: SMANAIONNRNS « Je suis certain que les savants et pestuis mathéma- ticiens applaudiront à mes recherches, si, comme il con- vient aux vrais philosophes, ils examinent à fond les preuves que j’apporte dans cet ouvrage. Si des hommes légers ou ignorants voulaient abuser de quelques passages de l’Écriture dont ils détournent le sens, je ne m’y arrê- terais pas. Je méprise d'avance leurs attaques téméraires. « Les vérités mathématiques ne doivent être jugées que par des mathématiciens. » Quelques historiens respectables de la science ont con- COPERNIC. 177 sidéré cette dédicace comme un acte de diplomatie. Mon hypothèse, fait-on dire à Copernic, n’est pas plus absurde que celle des anciens. Mais M. Czinski remarque avec rai- son que ces paroles ne sont pas contenues dans la dédi- cace au pape, et qu’elles figurent seulement dans un aver- tissement, non signé, d’Ossiander éditeur de l’ouvrage. Dans lavis de la Sacrée Congrégation, en date de 4620, on lit : « Attendu que Copernic ne se contente pas de poser hypothétiquement des principes sur la situation et le mouvement du globe terrestre, entièrement contraires à la sainte Écriture et à son interprétation véritable et catholique (ce qu'on ne peut tolérer dans un homme chrétien), mais qu'il ose les présenter comme très- vrais, etc. » Copernic mourut à Frauenburg le 23 mai 1543, et eut la satisfaction de tenir dans ses mains défaillantes le premier exemplaire de son ouvrage que Rhéticus venait de lui envoyer. Outre cette première édition, devenue très-rare, on en connaît deux autres, l’une de 1566 et l’autre de 1617. Leibnitz a rendu témoignage de son admiration pour le savoir et le caractère de Copernic, en l’appelant l’un des huit Sages de la terre. L'ouvrage de Copernic fut condamné par la Congré- gation de l'index, le 5 mars 1616, sous le pontificat de Paul V. L'arrêt est signé par le cardinal de Sainte-Cécile, évêque d’Albe, et par le frère François Madeleine Tête de Fer. On a fait remarquer que le pape n’apposa jamais son IUT. — mx, 12 178 COPERNIC. visa à cet acte d’intolérance, Aussi a-t-on peine à s’ex- pliquer la conduite que tint le clergé de Varsovie le 5 mai 1829, jour fixé pour l'inauguration de la statue de Copernic, exécutée par Thorwaldsen. Voici comment s'explique, à ce sujet, un écrivain très- religieux, M. Czinski, compatriote de Copernic: « La rue principale par laquelle devait passer la Société des Amis des sciences, ainsi que la place qu’occu- pait le monument, étaient encombrées par la foule. Hommes, femmes, vieillards, enfants, riches et pauvres, se pressaient avec une égale ardeur pour manifester leur joie et s’associer à la cérémonie, tribut payé au génie. Les fenêtres étaient garnies de spectateurs et de guir: fandes de fleurs. Varsovie tout entière, augmentée par la population des environs, était debout. La musique, des chants et les hymnes retentissaient. Le cortége de la Société se dirige vers l’église de Sainte-Croix, temple vaste et majestueux qui élève ses tours gothiques au-des- sus de la capitale. L'église est remplie de monde, maïs l'autel est désert. L'heure se passe, et pas un prêtre ne paraît pour célébrer le service divin. Bientôt-on apprit que des ecclésiastiques ignorants ne voulaient pas faire de prières poar un homme qui a publié une œuvre con- damnée par la Congrégation de l'index. La foule conster- née abandonna l’église. » | | _ L'acte du clergé de Varsovie, accompli en plein xrx°siè- cle, que nous venons de rapporter, ne pourra manquer d’éveiller les plus pénibles sentiments dans tous les cœurs honnêtes. Il est des hommes qui semblent prendre à tâche de marcher toujours à la remorque de leur siècle, ét de COPERNIC. 179 se montrer les partisans des superstitions dont l'espèce humaine a eu tant à souffrir. Hâtons de tous nos efforts la propagation des lumières; e’est le seul moyen de dimi- _muer le nombre des fanatiques, qui suivant l’expression du poète, sont _ Au char de la raison attelés par derrière. Rappelons-nous qu'il ne faudrait pas remonter bien haut pour trouver des écrivains appartenant aux castes lettrées, et qui étaient eux-mêmes imbus de ces préjugés, qu'on peut eroire morts et qui ne sont qu’assoupis; qu’en- fin, vers le milieu du xwr° siècle, le célèbre géomètre sici- lien, l'abbé Maurolycus, jugeait le système de Copernic si dépourvu de vérité et de raison, que suivant lui le vénérable chanoine de Thorn aurait mérité d’être publi- quement fustigé. L'empereur Napoléon, en passant par Thorn en 1807, désira recueillir personnellement tout ce que la tradition avait conservé concernant Nicolas Copernic. 1 apprit que la maison de l’illustre astronome était occupée par un tisserand, H s’y fit conduire. Cette habitation de très- mince apparence se composait d’un rez-de-chaussée et de deux étages. Tout y était conservé dans l’état primitif, Le portrait du grand astronome était suspendu au-dessus du lit dont les rideaux de serge noire dataient.du vivant de Copernic; sa table, son armoire, ses deux chaises, tout le mobilier du savant était là. L'empereur demanda au tisserand s’il voulait lui ven- dre le portrait du grand homme, qu'il aurait fait trans- porter dans le musée Napoléon au Louvre, mais l'artisan 180 COPERNIC. refusa, car il considérait ce portrait comme une sainte relique qui portait bonheur. L'empereur n’insista pas-et respecta cette touchante superstition. En quittant la maison de Copernic, Napoléon alla à l'église Saint-Jean visiter le tombeau de l’auteur de l'ouvrage sur les Révolutions célestes. Le temps l'avait endommagé, l’empereur ordonna les réparations néces- saires et le fit transporter à côté du maître autel, parce que là on pouvait le voir de tous les points de l’église. Ces travaux se firent aux frais de Napoléon. Fu Passons à une analyse très-abrégée, comme le cadre de cette notice le comporte, du traité des Révolutions célestes. Les cercles de la sphère céleste, le zodiaque par exemple, avaient été régulièrement partagés en douze parties de 30 degrés chacune, à l’aide des instruments divisés. Il était donc possible de fixer sur ces cercles des points diamétralement opposés. Or, Copernic remarquant que lorsqu'un de ces points était à l’horizon oriental, l’autre occupait à l'occident le point diamétralement opposé, en conclut que la ligne joignant les deux points à 180° de distance, était un diamètre de la sphère céleste et non une corde. Comme, suivant lui, dans la rigueur mathématique les vrais diamètres passaient par le centre de la Terre, il en concluait que les dimensions de notre globe sont insensibles relativement à la distance des étoiles. Cette conclusion est légitime, mais il faut remar- quer que l'observation sur laquelle elle se fonde n’était pas possible en point de fait, au temps de Copernic, à cause de l'ignorance où l’on était alors sur la réfraction COPERNIC. 181 qu'éprouvent les rayons lumineux en traversant l'atmos- phère, surtout près de l'horizon. En écrivant son traité des Révolutions célestes, Coper- nie s'empresse avec une loyauté qui lui fait le plus grand honneur, de rendre aux anciens qui l'avaient précédé dans la carrière la plus entière justice. C’est ainsi qu'il cite le passage de Cicéron dans lequel il est dit que Nicetas, de Syracuse, expliquait le mouvement diurne du ciel, dirigé en apparence de l’orient en occident, par un mouvement de la Terre tournant autour d’un certain axe de rotation de l'occident à l'orient. Philolaüs, philosophe pythagoricien si distingué, que Platon, pour le visiter, fit tout exprès le voyage d'Italie, avait prétendu que la Terre était une planète circulant autour du Soleil. Copernic examine dans son grand ou- vrage si cette opinion peut se concilier avec les phéno- mènes. Il trouve d’abord que le gros du mouvement appa- rent du Soleil, peut se représenter tout aussi bien avec l'hypothèse que la Terre est une planète circulant autour du Soleil immobile, et dans la supposition contraire qui ferait circuler le Soleil autour de la Terre en repos. Mais Copernic ajoute à ce résultat un examen comparatif des phénomènes de détails envisagés dans les deux hypo- thèses. Si la Terre est une planète, elle se transporte, dans l'intervalle de six mois, d’un point de l'orbite au point diamétralement opposé. On a ainsi une base propre à déterminer les distances des diverses planètes à la Terre. C’est de cette manière qu’il obtient par la mesure des angles situés aux deux extrémités de cette base, les distances des diverses planètes au Soleil, exprimées 182. COPERNIC, en parties des distances de la Terre à ce même astre, Connaissant les rayons comparatifs de l'orbite de la. Terre, de l'orbite de Mars, de l'orbite de Jupiter et de l'orbite de Saturne; connaissant de plus le temps que ces différentes planètes emploient à faire une révolution com- plète autour du Soleil, Copernic put calculer, non pas, bien entendu, la vitesse angulaire qui n’a rien à faire ici, mais la vitesse en lieues, ou en mesures itinéraires équi- valentes, avec laquelle ces planètes se meuvent, Le résultat de ce calcul fut que la Terre parcourt dans un temps donné plus d’espace que Mars; Mars plus d'espace que Jupiter, et Jupiter plus d'espace que Saturne. De Rà se déduisait la conséquence que si les espaces par courus par la Terre et par Mars sont parallèles comme aux époques des oppositions, Mars doit paraître rétro-. grader, ou se mouvoir sur la sphère des étoiles, en sens contraire du déplacement réel de la Terre; qu’il en est de même à plus forte raison de Jupiter et de Saturne. L’étendue de la rétrogradation et les moments des stations avant et après l'opposition se liaient à «cette: explication d’une manière admirable, et le phénomène qui avait, non sans raison, fort embarrassé l’antiquité se trouvait ainsi rangé parmi les simples apparences, résul< tat inévitable du mouvement de translation de la Terre. C'est, à mon avis, dans cette belle démonstration que réside principalement la découverte de Copernic, Dans le siècle de ce grand homme, les vraies idées de mécanique, surtout pour ce qui a rapport aux mouve- ments des corps, étaient très-peu avancées. Copernic: croyait à une liaison entre les mouvements de circulation COPERNIC. 183 et de rotation. Il assimilait le mouvement de translation de la Terre autour du Soleil à celui qui s’opérerait si la Terre était invariablement attachée à l'extrémité d’un rayon solide joignant le centre du Soleil et celui de notre globe. De là la conséquence qu’en vertu du mouvement annuel ou de translation, la Terre aurait toujours pré- senté la même face au Soleil, et que les divers diamètres de la Terre auraient été successivement dirigés vers dif- férents points de l’espace. Cependant on ne se rend compte du mouvement de révolution apparent du ciel, à l’aide du mouvement de rotation de la Terre autour d’un de ses axes, qu’en supposant que cet axe est tou- jours parallèle à lui-même, ou que prolongé il passe toujours par les mêmes étoiles. C’est pour satisfaire à cette condition, indispensable à l’explication des phéno- mènes du mouvement diurne et des phénomènes des sai- sons, que Copernic donnait à la Terre ce qu'il appelait un troisième mouvement en vertu duquel l’axe de rota- tion était ramené au parallélisme dont le mouvement de translation Pavait écarté; mais la dépendance que le grand astronome de Thorn établissait entre le mouve- ment de rotation et le mouvement de translation d’un corps était purement imaginaire comme Kepler et Galilée le montrèrent plus tard. | La Terre pouvait donc circuler autour du Soleil en restant toujours parallèle à elle-même, et le troisième mouvement inventé par Copernic, supposition qui com- pliquait considérablement son système, est devenu entiè- rement inutile. Il faut remarquer toutefois que ce mouvement condui-! 184 COPERNIC. sait à une explication très-simple de la précession des équinoxes, c’est-à-dire de ce mouvement général de 50°’ par an, auquel toutes les étoiles participent, et qui s’exé- cute parallèlement au plan de l’écliptique. On rendait compte de ce déplacement, en supposant que le troisième mouvement de l’axe ne rétablissait pas son parallélisme mathématiquement, et que, lorsqu'une année était révo- lue, il.s’en fallait de 50” que l'axe fût revenu à sa position primitive. 5" Copernic, qui dans son ouvrage avait la hardiesse de saper jusque dans leurs fondements les bases de l’astro- nomie des Hipparque et des Ptolémée, n’osait pas élever. le moindre doute sur l’exactitude de leurs observations. Ces observations, Ptolémée les avait expliquées par des excentriques et des épicycles; Copernic eut recours aux mêmes hypothèses pour rendre compte des mouvements irréguliers du Soleil, des planètes, comme aussi de cer- taines variations imaginaires dans la précession des équi- noxes et dans l’obliquité de l’écliptique. Tout cet écha= faudage n’a disparu qu’à la suite des travaux de Kepler.. C’est à dater de ce grand homme que le système de Copernic a été débarrassé des complications qui le dépa- raient encore, et qu’il est devenu l'expression simple, claire, géométrique, des lois de la nature. _ . On serait étonné de voir Copernic se rendre dans son ouvrage l'écho des opinions des anciens sur les perfec- tions des mouvements circulaires, si l’on n'avait pas remarqué avec quelle difficulté les hommes supérieurs eux-mêmes parviennent à se soustraire tout à fait aux préjugés sanctionnés par les âges. Copernic redevient COPERNIC. 185 lui-même, ou le créateur de l’astronomie moderne, lors- qu’il dit : « J’appelle gravité, un certain désir naturel appartenant à toutes les parties de la matière, en vertu duquel ces parties tendent à se réunir quel que soit le lieu qu’elles occupent. » _ Copernic fut le premier astronome de son siècle pour la profondeur des conceptions. On ne saurait lui assigner le même rang comme observateur, même en le compa- rant aux astronomes arabes ses prédécesseurs. Mais cela tenait évidemment à la grossièreté et à l’imperfection des moyens dont il pouvait disposer. Néanmoins nous consi- gnerons ici les résultats que donne l'observateur de Thorn sur le nombre de degrés dont le Soleil doit s'être abaissé au-dessous de l'horizon pour que les planètes et les diverses étoiles puissent être aperçues : Arc d’abaissement du Soleil. Étoiles de première grandeur....... 12° cm D ex dès Rs TE ET EX DEN de ide 80 6 ie bio 11° des caen dl à des oil 10° Dire so parapre de de soude ds sur cab 11° Ces nombres, comme on le devine sans doute, ne doivent être considérés que comme une sorte de moyenne. Il est évident, en effet, qu’une étoile de première gran- deur, voisine du point où le Soleil s’est couché, doit se montrer plus tard dans la soirée qu’une étoile également brillante située vers le point diamétralement opposé de l'horizon. 486 TYCHO-BRAHÉ. TYCHO-BRAHÉ Tycho-Brahé, que tous les astronomes ses succeessurs ont considéré justement comme le plus exact des obser- vateurs dont les travaux précédèrent l’invention des lunettes, naquit le 13 décembre 1546 dans la terre de Knudstorp, en Scanie, province alors soumise au Dane- mark; sa famille appartenait à la plus ancienne noblesse du royaume. _ Le père de Brahé !, suivant les ridicules idées de cette époque, refusait même de lui faire enseigner le latin. C’est par les soins d’un oncle maternel et à l’insu de sa famille que le jeune homme fut placé dans une école où son intelligence commença à se développer. Une éclipse de Soleil, celle de 1560, dont les princi- pales phases s’accordèrent presque exactement avec les annonces contenues dans les éphémérides, excita au plus haut degré son enthousiasme et contribua à décider sa vocation. À quatorze ans on l’envoya à Leipzig pour y recevoir la très-légère instruction qui, dans ces temps reculés, semblait rendre tout membre de la noblesse propre aux emplois publics. Là, à l’insu de son gouverneur, il se livra à l’étude des mathématiques et.de l'astronomie. IL consacrait à l’achat de livres et d'instruments tout l’ar- gent qu’on lui donnait pour ses plaisirs, De retour à Copenhague, en 1565, Brahé fut regardé par les hommes de sa caste comme un extravagant. Des 4. Tycho, ainsi que le rapporte Gassendi, était le prénom. TYCHO-BRAHÉ. 187 désagréments, suites de ses relations avec des individus qui ne pouvaient pas l’apprécier, l’engagèrent à repasser en Allemagne où vivaient alors plusieurs astronomes célè- bres, entre autres le lindgrave de Hesse-Cassel, Guil- laume IV, dont il devint l'ami. Il visita avec soin les principaux observatoires de l’Al- lemagne, et pendant son passage à Augsbourg dont les artistes avaient alors une grande réputation, il commanda plusieurs instruments nouveaux qui devaient lui servir à résoudre d'importantes questions relatives au mouve- ment du ciel étoilé. Tycho, de retour à Copenhague, vécut dans la re- traite. A l’occasion des observations qu'il fit sur l'étoile nou- velle de 4572, le chancelier Oxe se déclara son admi- rateur et inspira ce sentiment au roi Fréderic I, qui, peu de temps après, lui fit don de la petite île d'Hween, située dans le détroit du Sund entre Elseneur et Copen- hague, Le roi ajouta à ce cadeau une pension de 500 écus, un fief situé en Norvége, et un bénéfice de chanoïine dont les revenus, évalués à 2,000 écus, devaient servir à l’en- tretien d'un observatoire construit aux frais du roi. Grâce à cette rare munificence de Fréderic IT, on vit s'élever sur une éminence de la petite île d'Hween d’où le ciel était visible de tous côtés, un observatoire aujourd’hui détruit, qui sous le nom d’Uranibourg, vivra éternelle- ment dans la mémoire des astronomes. Quand le monumént de l'observatoire fut achevé, Tycho le meubla graduellement d'instruments construits par ses soins, et qui ne lui coûtaient pas moins de 100,000 188 TYCHO-BRAHÉ. thalers pris sur sa propre fortune. L’énormité de cette somme ne surprendra pas ceux qui liront dans l'ouvrage de Tycho, intitulé Astronomiæ instauratæ Mechanica, la description des machines variées et de dimensions colos- sales (5 à 6 coudées, 2" à 2*,5) dont il fit successive- ment usage. Tous ces nouveaux instruments avaient des limbes de cuivre et étaient divisés avec le plus grand soin. Les déboires qu’il éprouva souvent dans ces construc- tions délicates lui inspirèrent cette exclamation : « Un bon instrument est le phénix de l'Arabie! » Cependant Tycho croyait pouvoir arriver par tous les moyens qu’il rassem- blait à la précision de 1/3, 1/4 et même 1/6° de minute. La mesure du temps est ce qui avait fait le plus.ordi- nairement défaut aux anciens observateurs. Tycho essaya des clepsydres et des horloges. Dans les premiers de ces instruments, du mercure purifié et bien revivifié s’échappait par un petit orifice, en conservant toujours la même hauteur dans le vase co- nique qui le renfermait; le poids du mercure écoulé devait donner le temps. Il employa aussi le plomb purifié et réduit en poudre très-subtile; « mais pour confesser la vérité, dit-il, le rusé Mercure, qui est en possession de se moquer également des astronomes et des chimistes, s’est ri de mes efforts, et Saturne !, non moins trompeur, quoi- que d’ailleurs ami du travail, n’a pas mieux secondé celui que je m'étais imposé. » On voyait dans la collection des instruments réunis par Tycho, plusieurs horloges à secondes, bien entendu sans 1. Nom donné au plomb par les anciens chimistes, TYCHO-BRAHÉ. 189 régulateur pendulaire, et, en dehors de l’observatoire, une horloge de cuivre, marquant également les secondes, dont la roue principale avait deux coudées ou près d’un mètre de diamètre et 1,200 dents. Uranibourg avait été achevé en 1580. Tycho y travailla pendant dix-sept années consécutives. Il s'était marié à la fille d’un paysan, nommée Christine, d’une figure char- mante, qui lui donna huit enfants. Il ne fallut rien moins que l'intervention du roi pour qu’il pût contracter cette union, car la noblesse tout entière voulait y mettre ob- stacle sous le prétexte que Tycho allait déroger, À la mort de Frédéric IT, et pendant la minorité de Christian IV, les nobles, déjà fortement irrités contre Tycho, peut-être à cause de ses succès et de l’immense réputation dont il jouissait en Europe, le firent priver des pensions et des bénéfices sans lesquels un simple particu- lier ne pouvait évidemment pourvoir aux frais du vaste établissement qu’il avait créé. On raconte, en effet, que Tycho n'avait pas moins de vingt à trente collaborateurs, soit pour les observations, soit pour les calculs. Gette injustice fut principalement due au sénateur Walckendorp. Son nom, dit Laplace, comme celui de tous les hommes qui ont abusé de leur pouvoir pour arrêter le progrès de la raison, doit être livré au mépris de tous les âges. Nous devons dire que les sentiments haineux qui sépa- rèrent si malheureusement Walckendorp de Tycho, avaient tenu à une cause très-futile. Des écrivains danois rap- portent qu'étant à Uranibourg avec le jeune roi Chris- tian IV, le sénateur Walckendorp supportait impatiem- ment les aboiements de deux dogues anglais, offerts en 190 | TYCHO-BRAHÉ. présent à Tycho-Brahé par le roi Jacques VI, pendant la visite qu’il fit à Uranibourg. Walckendorp leur donna des coups de pied. Tycho prit le parti de ses chiens, ‘une dispute s’ensuivit, et de là l’inimitié qui a eu de si fatales conséquences pour l'astronomie. Uranibourg renfermait un laboratoire de chimie où Tycho préparait des médicaments qu’il distribuait gratui- tement aux pauvres. On dit que cette circonstance indis- posa les médecins de Copenhague, lesquels joïgnirent leur clameur à celles de la noblesse. Je désire, ‘pour l'honneur de l’art médical, que le fait soit controuvé. Le grand astronome quitta l’île d'Hween avec tous'ses instruments et les six enfants qui lui restaient ; il:se rendit en Danemark, où on ne lui permit pas de s'établir con- venablement. Bientôt après il passa en Allemagne. L’em- pereur Rodolphe IT lui fit une position brillante dont il] ne profita pas longtemps. 11 mourut d’une rétention d'urine, le 24 octobre 4604, dans sa cinquante-cinquième année. Tycho avait déjà res- senti de légères atteintes de cette infirmité quelque temps auparavant; on raconte qu’elle prit beaucoup de gravité un jour que, faisant une longue promenade avec Ÿ Empereur, il crut ne pas devoir, par respect, se séparer de la com- pagnie de son souverain. Si l’anecdote est vraie; Tycho- Brahé devra être rangé parmi les victimes de l'étiquette 1, 41. Voici une autre relation rapportée par les auteurs du temps : « Tycho. dînait le 13 octobre 1601 chez M. Rosenberg ; on but beau- coup ; Tycho sentait la tension de sa vessie ; mais il préféra, dit-on, la civilité à la santé. De retour chez lui j! ne put uriner. L’indispo- sition continua et lui causait des douleurs très-vives. De là les in- somnies, la fièvre, le délire. Les médecins ne purent obtenir de Jui TYCHO-BRAHÉ. 191 Dans les portraits qui ont été conservés de Tycho, on remarque quelque chose d’insolite. Pendant son second ‘voyage en Allemagne, il eut, à Rostock, une querelle avec un de ses compatriotes dans laquelle la forme l’emporta sur le fond, car il s'agissait d’un théorème de géométrie. Un duel s’ensuivit, Tycho perdit la majeure partie de son nez. Pour effacer autant que possible les traces de cet acci- dent, ils’ était fait un faux nez de cire, ou, selon d’autres, d’un amalgame d’or et d'argent dont les peintres et les graveurs ont cru devoir laisser des marques évidentes «en reproduisant les traits du grand astronome danois. Pourquoi faut-il, qu'au souvenir d’une vie si utilement employée pour le progrès des sciences, nous devions ajou- ter que Tycho, à l'égard de certaines questions, ne sut pas s'élever au-dessus des préjugés de son siècle, et qu'il crat à l'alchimie «et même à l'astrologie? On remarque avec étonnement, parexemple, qu’il attache de l'importance à noter que.son thème, en ce qui touche la planète Mars, lui annonçait une difformité dans le visage qui se réalisa après le duel dont nous avons parlé. L’argument principal sur lequel Tycho se fondait pour donner quelque vraisemblance aux horoscopes est très- singulier. « Le Soleil, la Lune «et les étoiles, dit-il, suffisaient qu'il ne mangeât pas. Il s’éteignit doucement le 24 asie au milieu des consolations, des prières et des larmes des siens. » On nota, les biographes n'ont pas dit si la remarque astrologique fut faite par Tycho lui-même ou par ses amis, qu'au commencement de sa maladie la Lune était en opposition avec Saturne, et que Mars occupait dans le Taureau la même place qu'au moment de sa naissance.—Voilà où on en était au commencement du xvrr' siècle, 192 TYCHO-BRAHÉ. pour nos usages; il était fort inutile d'y joindre les pla- nètes d’une marche si majestueuse et assujetties à de si belles lois, si ces planètes n’avaient une utilité propre et directe, qui est l’objet de l'astrologie. » Ailleurs il soutient que les comètes doivent avoir quel- que vertu, quelque influence, car la nature ne fait rien en vain. . On est vraiment affligé d’avoir à signaler, parmi les pensées de Tycho, cette idée bizarre que les étoiles ont la vertu de stimuler les forces des planètes. Nous trouvons que Tycho ne se débarrassa que peu à peu de ses préjugés nobiliaires; on voit même qu'il hési- tait à publier ses observations sur l'étoile de 1572, parce que, disait-il, il ne convenait pas à un homme de sa con- dition de rien faire imprimer. Nous ne terminerons pas cette notice sans disculper Tycho du soupçon que divers écrivains avaient élevé contre lui à l’occasion du système du monde qui porte son nom. Il fut conduit à cette création malheureuse, a-t-on dit, par un sentiment de jalousie que l'œuvre de Copernic lui avait inspirée. Tous les ouvrages de Tycho témoignent, au contraire, de l’admiration profonde qu’il portait à l’astronome de Thorn. Ayant reçu en présent les trois règles en bois dont Copernic se servait pour ses observations, Tycho les plaça dans le lieu le plus apparent de son observatoire et écrivit à ce sujet des vers latins empreints du plus légi- time enthousiasme, qu’il suspendit dans un cadre à côté de l'instrument qui avait appartenu à l’auteur du traité des Révolulions célestes. TYCHO-BRAHÉ. 193 « La terre, s’écriait-il, ne produit pas un pareil génie dans l’espace de plusieurs siècles. .. , 4. . . , . « Les géants de l'antiquité, voulant pénétrer dans les cieux, amassèrent les montagnes, placèrent Pélion sur Ossa. Mais, puissants par la force et faibles par l'esprit, _ ils ne purent atteindre les sphères célestes. Lui, confiant dans la puissance de son génie, faible de corps, avec ces minces morceaux de bois, il s’est élevé jusqu'aux plus grandes hauteurs de l’olympe. . . . ,. . . , « Les souvenirs d’un tel homme sont inappréciables, lors même qu'ils se composent de frêles pièces de bois. » | Les ouvrages imprimés de Tycho-Brahé sont les sui- vants : De Novä Stellä anni 1572 ; édité en 1573, reproduit plus tard dans les Progymnasmes. De mundi ætherei recentioribus phœænomenis ; 1588. Tychonis Brahæ, apologetica responsio ad cujusdum paletici in scolià dubia, sibi de parallaæi cometarum op- posita ; 1591. Tychonis Brahæ, Dani, epistolarum astronomicarum hibri; 1596, réimprimé en 1601. Astronomiæ inslauralæ mechanica; 1578, réimprimé en 1602, Progymnasmata; 1603, réimprimé en 1610. Tychonis Brahæ, de disciplinis mathematicis oratio, in quà simul astrologia defenditur et ab objectionibus dissen- lientium vindicatur ; 1621. Traduction du livre sur les comètes, avec la partie astrologique supprimée dans les Progymnasmes ; 1639, TEL, — 1, 13 194 TYCHO-BRAHÉ. \ Tychonis Brahæ opera omnia; 1648 : les lettres n’y sont pas comprises, . 9-8 M8 Collectanea Historiæ celestis ; 1657. Historia celestis; 1666 et 1667. | L'ouvrage le plus important dé l'illustre stone est celui des Progymnasmes; ïl est intitulé : Tychonis Brahæ, Dani, Astronomiæ instauratæ Progymnasmatæ; il contient ses recherches principales; nous 7 devoir en présenter une analyse critique. Parmi les travaux de Tycho, on doit mettre en pre- mière ligne la discussion à laquelle il se livra des obser- vations du Soleil, et les tables qu’il en déduisit. Dans cette discussion on voit pour la première fois la considé- ration des réfractions atmosphériques dont il trouva les valeurs par ses propres observations. Malgré tout ce qu’il y avait d’ingénieux dans les méthodes dontil fit usage, il se trompa à ce sujet, puisqu'il soutenait que la réfraction était nulle à 45° de hauteur. El ne se trompa pas moins sur la cause de ce phénomène, en prétendant que la réfraction était due aux vapeurs dont l’atmosphère.est ordinairement chargée et nullement aux substances gazeuses dont est essentiellement composée l’enveloppe aérienne de notre globe, depuis les couches voisines de l'horizon jusqu’au zénith. Une troisième erreur, dans laquelle ses instruments l'induisirent, fut de supposer que les rayons du Soleil et de la Lune éprouvent une réfraction différente de celle des rayons des étoiles. Néanmoïns, Tycho aura toujours la gloire incontestée d’avoir le premier, avec Rothmann, astronome collaborateur du landgrave de Hesse-Cassel, TYCHO-BRAHÉ. 195 introduit.la réfraction dans la discussion des observations astronomiques. En s’oecupant de la Lune, Tycho sert que la théo- rie de Ptolémée ne représentait pas les observations, il vit qu'il. y avait, dans le mouvement de cet astre autour de la Terre, une inégalité très-sensible surtout dans les octants, car elle s'élevait alors à environ 36/3; elle était additive dans le premier et le quatrième octant, soustrac- tive dans les deux autres. C’est l'inégalité qu'on a appelée variation, l’une des plus grandes découvertes de l'astronomie moderne :, Tycho porta une attention toute spéciale sur les varia. tions périodiques de l’inclinaison de l’orbe lunaire par rapport à l’écliptique, et en assigna jusqu’à un certain point les lois, On lui doit aussi des remarques précieuses sur les perturbations qu’éprouvent les nœuds de l’erbite lunaire. dans leur rétrogradation. générale, et mieux encore les. déterminations des parallaxes de notre satel- lite qui, bien qu’affectées encore d'assez graves erreurs, sont beaucoup plus exactes que toutes celles des prédé- cesseurs de l’astronome d’Uranibourg, Une place prééminente doit être réservée au travail de Tycho sur la détermination des ascensions droites et des déclinaisons des étoiles, en d’autres termes, aux eflorts qui amenèrent la construction de son célèbre catalogue, | 4. M. Sédillot a Cru récemment trouver dans un manuscrit que cette découverte doit être attribuée à Aboul-Wéfa. (Voyez dans les, comptes-rendus de l’Académie. des sciences, une analyse de la discussion qui s’est élevée à ce sujet entre M. Biot et le savant orientaliste. ) 196 TYCHO-BRAHÉ. La lumière du Soleil effaçant la lumière de toutes les étoiles, aucun de ces astres ne pouvait être, du temps de Tycho, pour un observateur dépourvu de télescopes, rapporté directement au Soleil. Vénus se voit quelquefois à l'œil nu, quoique le Soleil brille en même temps sur l'horizon. Dans ces circonstances, Vénus peut être com- parée au Soleil. Dès que la nuit est close, la planète peut être comparée aux étoiles. Les étoiles étant facilement comparables entre elles, on déduit la position de ces astres par rapport au Soleil ou par rapport aux équinoxes dont la position est connue par des observations antérieures de l’astre resplendissant. Le procédé était satisfaisant, pourvu que l’astronome qui devait l'appliquer sût combattre toutes les erreurs auxquelles cette méthode compliquée expose. Cardan, qui l’imagina le premier, en tira un détestable parti ; elle le conduisit à un catalogue dont les erreurs surpassent un degré 2/3, c’est-à-dire des erreurs plus grandes que celles qu’on a reprochées aux catalogues d’Alphonse et de Copernic. Sept années furent employées par Tycho à ces recher- ches. Dominé par des scrupules religieux résultant de fausses interprétations de la Bible, ou par le désir d’attacher son nom à un système de l’univers, différent de celui de Copernic, Tycho supposa la Terre immobile au centre du monde : toutes les planètes auraient eu le Soleil pour centre de leur mouvement, et le Soleil, suivi de ce cortége de planètes, aurait circulé autour de la Terre, Il ne faut pas croire qu’en proposant ce système, le célèbre astro- TYCHO-BRAHÉ, 197 nome danois se fût débarrassé des épicycles qui com- pliquaient d’une manière si peu heureuse le système de Ptolémée. On voit en effet dans ses ouvrages, que sui- vant lui, l'orbe de Saturne était concentrique au Soleil, mais que cet orbe portait deux épicycles, et que c'était sur le contour du second que la planète se mouvait. Tycho pensait que les étoiles étaient très-près de l'orbe de Saturne: il serait absurde, disait-il, de croire à des espaces vides d'étoiles et de planètes. Tycho-Brahé me paraît donc devoir être rangé parmi ces astronomes dont parlait Copernic, qui considéraient une certaine égalité dans la répartition de la matière comme une loi primor- diale de l’univers. Aristote supposait que les comètes étaient des météores engendrés dans notre atmosphère. Tycho prouva par les nombreuses observations qu'il fit de la comète de 1577, qu’elle n’avait pas de parallaxe diurne appréciable, et que dès lors cet astre était bien plus loin de la Terre que la Lune. Il trouva que d’autres comètes n’offraient pas de traces sensibles de parallaxes annuelles ; que par conséquent, dans le système de Copernic, elles devaient être beaucoup plus éloignées que la précédente. Ces astres se mouvant librement dans l’espace ne pouvaient rencontrer sur leur route les sphères solides dont on s'était servi longtemps pour expliquer les mouvements planétaires; ainsi c’est à Tycho que l’on doit d’avoir brisé pour jamais les fameuses sphères de cristal des anciens, ces sphères rétablies par Purbach avec quelques améliorations théoriques, Le catalogue de Tycho, son titre le plus réel à Ja re- 198 GUILLAUME IV. connaissance des savants de tous les âges, ne sé compose que de 777 étoiles. Maïs les 777 ascensions droites et dé- clinaisons qu’on y trouve ont été, il serait injuste de ne pas le remarquer, le résultat du travail immense ‘exécuté pendant un grand nombre d'années dans son observatoire à jamais célèbre d'Uranibourg. GUILLAUME IV LANDGRAVE DE HESSE Guillaume IV, landgrave de Hesse, contemporain ‘de Tycho, naquit le 24 juin 1532 et mourut le 95 août 1592 à l’âge de soixante ans. Le dandgrave fit bâtir, en 1561, un cinsbrlilie sur le château de Cassel et le pourvut d’une grande variété d'instruments en cuivre, exécutés avec toute l'exactitude que comportait l’état des arts au xvr° siècle, Ces instru- ments lui servirent pour la formation du catalogue ‘de neuf cents étoiles, dont la science lui est redevable, Dans les méthodes employées par le landgrave pour déterminer les ascensions droites et les déclinaisons , on remarque particulièrement celle où il faisait usage ‘de l'heure marquée par une horloge, c’est-à-dire du temps du passage de l’astre dans un azimut déterminé. Le landgrave connaissait l'existence de la réfraction atmosphérique , mais il n’en fit pas usage. Hévélius prétendait que le catalogue du landgrave était supérieur à €elui de Tycho. | Kepler disait que, dans tous ses travaux, qui ont duré KEPLER. 199 plus de trente ans, Guillaume IV avait montré un soin et un zèle fort au-dessus de ce qu’on pouvait attendre d’un prince. L'intervalle de plus de trente ans compris entre 4561 et 1592 doit être partagé en deux périodes : celle où le landgrave observa tout seul ; une seconde, dans laquelle tous les travaux furent exécutés avec le concours de Rothmann et de Juste Byrge, célèbre calculateur et artiste né en Suisse. Au nombre des principaux résultats obtenus par le landgrave de Hesse, on trouve que la parallaxe du Soleil était au-dessous des plus petites quantités dont l’astrono- mie pût répondre à la fin du xvi° siècle. Voici les obli- quités de l’écliptique qui se déduisent des observations faites à Cassel; en 1587, Rothmann trouvait pour cel élément 23° 29, 23° 30’ ou 23° 30’ 40”. Ajoutons, quand ce ne serait qu'à titre de contraste avec l’état de la Castille sous le règne d’Alphonse X; que Guillaume IV gouverna ses sujets avec prudence et dou- ceur et qu'il les maintint dans la paix. KEPLER ! Les immortelles lois de Kepler, fruits d’un des génies scientifiques les plus féconds des temps modernes et d'une indomptable persévérance, ne sont pas les seuls ser- 1. Je véritable nom est Keppler, mais les principaux ouvrages de l’illustre astronome ayant été écrits en latin, on est générale- ment convenu de l’appeler Jean Kepler. 200 KEPLER. vices que cet homme prodigieux ait rendus à l'astronomie, Partout on trouve des empreintes profondes de son in- comparable perspicacité ; les vues dont nous lui sommes redevables ont été en partie méconnues, parce qu’elles sont arrivées au public, mêlées à des idées systématiques. On en a pris occasion pour combattre à outrance l’em- ploi des hypothèses dans toutes les recherches sérieuses, comme s’il était possible d'imaginer des expériences de quelque valeur sans le secours des hypothèses. L'impor- tant est de ne regarder toute idée théorique comme parfaitement établie, qu'après qu’elle a été sanctionnée par l’observation et le calcul. Kepler s’est montré, autant que possible, fidèle à cette règle; il n’a jamais hésité à abandonner ses spéculations les plus chères, lorsque l'expérience venait à les ébranler. Kepler, réduit par ses besoins poignants et ceux de sa famille, à faire, à la demande des libraires, des publica- tions pour ainsi dire quotidiennes, avait pris l'habitude de penser tout haut et de mettre le public dans la confidence de toutes les idées qui traversaient son cerveau. En est-il beaucoup parmi ceux qu’on appelle les plus sages qui pourraient supporter une pareille épreuve ? Je ne prétends pas cependant que les nombreux ouvrages de Kepler ne renferment point des conceptions que les considérations précédentes ne sauraient excuser. Mais du moins une atténuation de leur excentricité se trouvera le plus sou- vent dans le genre de vie que les circonstances firent au grand astronome, et dans l'influence que des mal- heurs de famille sans exemple, avaient dû exercer sur son caractère, KEPLER. 201 La liaison que j'essaie d’établir ici entre les embarras de la vie privée de Kepler et ses ouvrages d'imagination, perdra le caractère paradoxal qu’on pourrait de prime abord vouloir lui attribuer, lorsqu'on aura lu la biogra- phie du restaurateur de l'astronomie moderne, fondée en partie sur un ouvrage où M. Breitschwert a analysé des manuscrits inédits découverts en 1831 1, Jean Kepler naquit le 27 décembre 1571, à Magstatt, village wurtembergeois, à une lieue de la ville impé- riale de Weil en Souabe. Il vint au monde à sept mois. Il était très-faible et avait la vue délicate. Son père, Henri Kepler, était fils d’un bourgmestre de la ville de Weil. Sa famille, très-pauvre, avait des prétentions à la .no- blesse, un des aïeux de Kepler ayant été fait chevalier à Rome par l’empereur Sigismond, Sa mère, Catherine Guldenmann , fille d’un aubergiste des environs de Weil, n'avait aucune culture intellectuelle ; elle ne savait même : ni lire niécrire; sa jeunesse s’était passée chez une tante, qui fut brûlée pour cause de sorcellerie. Le père de Kepler fit la guerre contre les Belges sous le duc d’Albe. Kepler fut atteint de la petite vérole à six ans. À peine était-il échappé à cette maladie, qu’on l’envoya à l’école de Leonberg , en 1577. Mais lorsque son père revint de l’armée, il se trouva totalement ruiné par la faillite d’un individu qui fit banqueroute, et en faveur duquel il avait imprudemment donné sa garantie. Il ouvrit alors un & 1. Je suis redevable des emprunts que j'ai pu faire à l'ouvrage de M. Breitschwert, à l'amitié de M. de Humboldt. Je lui en témoigne ici toute ma reconnaissance. 202 KEPLER. cabarèt à Elmerdingen, retira son fils de l’école où il ne pouvait plus l’entretenir, et lui confia le soin de servir ses pratiques, emploi dont il s’acquitta jusqu’à l’âge de douze ans. El | Aïnsi, celui qui devait tant illustrer son nom: et son pays, commenca par être garçon de cabaret. À treize ans le jeune Kepler fut atteint d’une violente maladie, à laquelle pendant quelques jours on €rut qu’il ne survivrait pas. Le père de Kepler, dont les affaires ne prospéraient pas, s’engagea dans l’armée autrichienne qui allait com- battre les Turcs, et depuis lors, on n’en a plus entendu parler, Sa mère, dure, d’un caractère tracassier et rusé, rendit l’enfant très-malheureux et dissipa les 4,000 florins que possédait la famille. Jean Kepler avait deux frères dont le caractère:sympa- thisait avec celui de leur mère : l’un était fondeur en étain, l’autre soldat; tous deux de véritables vauriens. Le jeune enfant ne trouvait de consolation, au milieu de sa famille, que dans la tendre amitié que lui prodiguait une sœur unique, nommée Marguerite, mariée à untpas- teur protestant; quant à ce dernier, il se nn ut aussi parmi les ennemis du futur astronome. Kepler fut d’abord employé aux travaux des champss mais le jeune homme, maigre et très-faible, ne pouvant supporter les fatigues du labourage, on le destina à la théologie, Il entra à dix-huit ans (1589) au séminaire de Tubingue, où il fut élevé aux frais de l'État. Dans l’exa- men qu'il dut subir à Tubingue pour le titre de bachelier, il n’obtint pas le premier rang. Cette distinction fut dé- KEPLER. 203 cernée à John-Hippolyte Brentius, dont le nom, à ce que je pense, n'est compris dans aucun dictionnaire histo- rique, malgré le peu de soin que mettent les auteurs de cés ouvrages à n’y mentionner que de véritables célé- brités. LEE _ Ce n’est pas la dernière fois que nous verrons dans ces notices les décisions des autorités universitaires cas- &ées impitoyablement par le jugement irrévocable du temps. Encore assis sur les bancs de l’école, Kepler prit une part active aux disputes de théologie protestante; mais comme ses brochures étaient contraires à l’orthodoxie wurtembergéoise, on le déclara indigne d'avancement dans l'Église. Heureusement Mæstlin, qui, en 1584, fut appelé comme professeur de mathématiques de Heidelberg à Tubingue, donna à l'esprit de Kepler une autre direction. Celui-ci abandonna la théologie, mais sans se débar- rasser tout à fait d’une tendance décidée au mysticisme, fruit de sa première éducation. De cette époque date la première connaissance qu’ait eue Kepler de l’onvrage de Copernic. « Dès que je pus apprécier les charmes de la philoso- phie, dit Kepler lui-même, j'en embrassai avec ardeur toutes les parties; mais je ne donnai pas une attention particulière à l'astronomie, quoique je réussisse aisé- ment à bien entendre tout ce qu'on nous enscignait à l'école sur cet objet. J'avais été élevé aux frais du duc de Wurtemberg, et lorsque je vis mes compagnons accepter dans le service du duc des positions pour les- 204 KEPLER. quelles ils n’avaient pas montre une aptitude particulière, je me décidai à accepter moi-même le premier emploi qu'on m'offrait. » Cet emploi se trouva être celui de professeur d’astro- nomie. En 1593, Kepler, âgé de vingt-deux ans, fut nommé professeur de mathématiques et de morale à Graetz, par les États de Styrie. Il débuta par la publication d’un calendrier calculé selon la réforme grégorienne. | En 1600, commencèrent les grandes persécutions reli- gieuses en Styrie; tous les professeurs protestants furent chassés du collége de Graetz, y compris Kepler, quoique celui-ci eût été en quelque sorte naturalisé en épousant, en 1597, une femme noble et très-belle, nommée Bar- bara Muller, qui déjà avait eu deux maris. Cette femme, en se mariant pour la troisième fois, avait exigé des preuves de noblesse que Kepler se vit forcé d’aller recueil- lir dans le Wurtemberg. Cette union fut peu heureuse. Dans la même année, Tycho appela Kepler à Prague en qualité d’aide ; mais celui-ci, à peine arrivé, écri- vait à ses amis : « Tout est incertain ici, Tycho est un homme avec lequel on ne peut pas vivre sans être sans cesse exposé à de cruelles insultes. La solde est brillante, mais les caisses sont vides, et on ne paie pas. » Madame Kepler était obligée d'aller demander l'argent à Tycho florin par florin. Cette humiliante dépendance ne dura pas longtemps, Tycho étant mort le 24 oc- tobre 1601, Kepler fut immédiatement nommé astronome de la cour avec 1500 florins de pension, que du reste on ne KEPLER. 205 payait pas : « Je perds mon temps, écrivait-il, à la porte des trésoriers de la couronne et à mendier. » Une circonstance consola Kepler de tous ces déboires, ce fut la libre disposition qu’il eut dès ce moment des observations originales de Tycho, et la possibilité d'y - chercher le secret des mouvements planétaires. Dans l’année 1611, Kepler perdit trois enfants, ainsi que sa femme devenue d’abord épileptique, puis folle. Au nombre des ennuis qu’il eut à endurer nous devons ran- ger les exigences de l’empereur et d’une foule d’autres princes fort avides d’horoscopes, et la demande qu'ils en faisaient à toutes occasions au célèbre astronome. Après la mort de l'Empereur Rodolphe, son succes- seur, l’empereur Mathias, appela Kepler, en 4613, à la diète de Ratisbonne, pour l’aider à régler la correction du calendrier que les protestants rejetaient en la quali- fiant d’odieuse , et, ce qui était bien pis à cette époque, de papale. Quoiqu'il se trouvât dans la suite du souverain, Kepler était obligé, pour vivre, de composer de petits calendriers renfermant des pronostics : les arrérages qui lui étaient dus à cette époque se montaient à 12,000 écus. Après avoir plaidé à la diète la cause de la réforme, Kepler se vit forcé d'accepter une chaire de mathéma- tiques au gymnase de Linz. Il y contracta un second mariage avec la belle Susanne Rettinger, dont il eut sept enfants. Son bonheur intérieur fut de peu de durée. Les prêtres catholiques de Linz et les prêtres protes- tants du Wurtemberg lancèrent simultanément contre lui 206 KEPLER, une accusation d’hérésie qu'il ne parvint à HRpAIAART qu'avec beaucoup de peine, En 1615, une lettre de la sœur de Kepler vint io rer l'appui de ce grand homme en faveur.de sa mère accusée de sorcellerie. Le procès dura plus de. cinq ans. Après avoir inutilement demandé par écrit l'intervention du duc de Wurtemberg pour faire cesser cette persécu- tion inouie, Kepler se rendit à cheval, en 4620,, de Linz à Stuttgard, afin d’essayer l'effet de ses sollicitations per- sonnelles. Là, il apprit que sa mère, alors âgée. de soixante-quinze ans, était accusée d’avoir été élevée et instruite dans l’art magique, par une tante brûlée. à Weil comme sorcière; d’avoir ensorcelé plusieurs personnes ; d’avoir de fréquents entretiens avec le diable; de ne pas savoir verser de larmes; de faire périr les cochons du voisinage sur lesquels elle faisait des proménades noc- turnes; enfin, de ne jamais regarder.en face les personnes auxquelles elle parlait, ce qui, disait-on, étais une Ryhet tude chez les sorcières. | On lui reprochaït encore d'avoir engagé le MO à lui fournir le crâne de son mari, dont elle voulait, après qu'ilsaurait été garni d’un cercle d'argent en forme de gobelet, faire cadeau à l’astronome Kepler. Celui-ci ne parvint, malgré sa haute renommée, qu’à faire-modifier la sentence qui devait frapper sa mère. Les juges déci- dèrent que le bourreau terriferait la vieille femme, en lui présentant pièce par pièce les instruments de la tortures il devait en même temps lui expliquer leur mode d'antion et l'accroissement progressif des douleurs, Cette épouvantable explication eut lieu : la vieille KEPLER. 207 femme résista à toutes les menaces ; elle termina par cette déclaration : « Je dirais au milieu des tourments, je suis unesorcière, que ce n’en serait pas moins un mensonge. » Tant de courage produisit de l'effet ; la mère de Kepler fut relâchée, et mourut en août 4622, Kepler retourna à Linz, mais ses ennemis l’insultèrent à tel point comme fils d’une sorcière, qu’il fut obligé de quitter l'Autriche. Enfin, il fut. compris, à l’instigation des jésuites, dit-on, dans le traité qui conférait le duché de Meklenbourg au général Wallenstein. Mais lillustre astronome n’encourageant pas suffisamment le goût décidé du célèbre général pour les prédictions puisées dans l’as- pect des astres, perdit ses faveurs, et fut remplacé par V'astrologue italien Zéno. Il essaya vainement, suivant les conditions du traité passé avec Wallenstein, de se faire payer les arrérages de ses appointements. | Dans les fréquents voyages à cheval qu’il fit entre Sagan et Ratisbonne pour obtenir qu’on lui rendit justice, sa santé s’altéra , et il mourut âgé de cinquante-neuf ans, le 15 novembre 1630. Kepler laissa à sa mort 22 écus, un habit, deux chemises, et pas d’autres livres que cin- quante-sept exemplaires de ses Éphémérides, et seize exemplaires de ses Tables rudolphines. : Il avait composé lui-même son épitaphe; on la lit dans Véglise de Saint-Pierre à Ratishbonne, En voici la tra- duction : | « J'ai mesuré les cieux, à présent je mesure les ombres de la terre. L'intelligence est céleste, ici ne repose que l'ombre des corps. » 208 KEPLER, Dalberg, le coadjuteur de Mayence, évêque de Ratis- bonne, fit élever à Kepler, dans un bosquet dépendant du Jardin botanique de Ratisbonne, un temple d'ordre dorique de dix mètres de haut. Le buste et les bas-reliefs sont d’un célèbre sculpteur de Stuttgard. Ceci rappelle ces vers de Voltaire : Quand dans la tombe un pauvre homme est inclus, Qu'importe un bruit, un nom qu’il n’entend plus? L'ombre de Pope avec les rois repose, Un peuple entier fait son apothéose Et son nom vole à l’immortalité : De son vivant il fut persécuté. Nous avons raconté tous les mauvais traitements que Kepler endura pendant sa vie, ajoutons qu’au moment de sa mort les princes qu’il servit même dans leurs ca- prices, lui devaient 29,000 florins. Les tristes détails qu’on vient de lire assigneraient à la biographie de Kepler une place à part dans le martyrologe de la science. Ils me permettront en tout cas d’abor- der avec moins d’embarras, les parties un peu obscures de la carrière de ce grand homme. Kepler, a-t-on prétendu, croyait aux horoscopes; on serait plus exact en disant qu’à la demande instante des souverains sous le gouvernement desquels sa vie se passa, il fit des prédictions; mais il ne s’expliqua jamais à ce sujet avec la clarté qu’il sut mettre dans ses autres publications. « Les hommes se trompent, dit-il, lorsqu'ils croient que c’est des astres que dérivent les choses d'ici-bas. Les astres ne nous envoient rien que de la lumière, mais, KEPLER. 209 selon que ces rayons de lumière sont configurés à la naissance de l’enfant, l'enfant recoit la vie dans telle ou telle forme. Si la configuration des rayons de lumière es harmonieuse, il se développe une belle forme de l'âme, et cette âme se construit une belle demeure. Ce- _ pendant les forts naissent toujours des forts, les bons naissent des bons !, » Je supprime, comme étant encore plus inintelligible, ce que dit l’auteur de l'influence des astres sur l’âme du monde pour arriver à l’aveu naïf qu’on va lire : « Les philosophes, tout en se vantant de leur sagesse, devraient ne pas blâmer avec tant d’amertume la fille de l'astronomie; c’est cette fille qui nourrit sa mère. Com- bien, en effet, serait petit le nombre des savants qui se dévoueraient à l'astronomie, si les homines n’avaient pas espéré lire les événements futurs dans le ciel! » À l’occasion du procès intenté à sa mère, Kepler écrivit un grand nombre de lettres, dans lesquelles il parle de la sorcellerie comme d’un phénomène dont l’exis- tence ne saurait être niée. On est peiné de lire de pa- reilles opinions dans des écrits sortis de la plume de Kepler; mais qui oserait assurer que ces déclarations ne lui furent point dictées par le désir de ne pas indisposer les juges qui devaient prononcer définitivement sur le sort de sa mère? Un peu de diplomatie serait bien excusable dans un fils plaidant pour sa mère menacée du bûcher. Kepler avait eu le projet, pour populariser le système 1. Le seul des enfants de Kepler qui lui ait survécu était docteur en médecine à Kænigsberg. Il publia un ouvrage posthume intitulé: Réve de Jean Kepler sur l'astronomie lunaire. ILE, — rx, 14 210 KEPLER. de Copernic, de faire construire, aux frais du grand- duc Frédéric de Wurtemberg, une sphère dans laquelle chaque corps céleste serait représenté par une boule renfermant une liqueur qui aurait rapport à son essence intime. Le Soleil aurait été rempli d’esprit-de-vin; Mer- cure, d’eau-de-vie commune; Vénus, de miel liquide; Mars, puisqu'il causait tant de chagrin aux astronomes, en ne voulant pas se plier à leurs calculs, d’absinthe; Jupiter, de vin ; Saturne, de bière. Tout cela est assurément très-puéril; mais ce qui ne l'est pas moins, c’est d’avoir pris la conception au sérieux et de s’en être fait un argument pour prouver le déver- gondage d'imagination auquel sabandonnait Kepler. Le caractère de Kepler était ferme et très-honorable. L'amour de la vérité sans faiblesse était un titre à som estime. « J'aime Copernic, écrivait-il, non -seulement comme une intelligence supérieure, mais encore comme un esprit libre. » | Lorsque, après le procès de sa mère, il fut obligé de quitter Linz et l’Autriche, Jules de Médicis le recom- manda à la république de Venise, qui l’appela comme professeur à Padoue, mais il répondit : « Je suis Alle- mand de naissance, de sentiment, et habitué comme tel à dire imprudemment partout la vérité. Je ne dois pas m'exposer à être jeté dans un bûcher comme Jordano Bruno. » A la suite de la condamnation fulminée contre l’ou- vrage de Copernic et la brochure du carme Foscarini, qui avait entrepris de prouver que les passages de P'Écri- ture ne doivent pas s'entendre dans le sens littéral qu'ils KEPLER. 211 semblent présenter, l'Epitome de l'astronomie coperni- cienne fut prohibé en Htalie et dans la Toscane par la congrégation de l’Index. C'était à l'époque même où Galilée se débattait vivement contre les inquisiteurs. La nouvelle de la condamnation de son livre jeta Kepler dans une grande perplexité. « Dois-je en conclure, écrivait-il à Remus son correspondant, que si j'allais en Italie on pourrait se saisir de ma personne ? » Toujours préoccupé des besoins matériels de sa famille, il Craignait que la vente des exemplaires de son livre lais- sés en dépôt chez les libraires autrichiens, ne fût défendue. « Faut-il, ajoutait Kepler, que je regarde la condam- nation de mon livre comme une invitation indirecte de cesser de professer cette astronomie avec les principes de laquelle. j'ai vieilli sans rencontrer jusqu'ici de contra- dicteurs ? Je quitterai plutôt l'Autriche que de consentir à laisser indûment resserrer les limites de la liberté philo- sophique. » Les malheurs de Kepler dépendirent en grande partie des circonstances cruelles au milieu desquelles sa vie s’écoula et aussi de la vivacité de son imagination. Cette imagination, certainement incandescente, fut pour lui quelquefois une source de jouissances d’amour-propre ; témoin ce qu’il raconte dans une de ses lettres des embü- ches que lui tendirent onze demoiselles, toutes amoureuses de sa personne, et qui voulaient Fépouser; témoin ces paroles prophétiques qu’il prononça après avoir décou- vert la troisième loi qui porte son nom : «Le sort en est jeté; j’écris mon livre. On le lira dans l'âge présent où dans la postérité, que m'importe? il 212 KEPLER. pourra attendre son lecteur : Dieu n’a-t-il pas attendu six mille ans un contemplateur de ses œuvres? » Une chose remarquable et qui prouve la force d'âme dont Kepler était doué, c’est qu’il exécuta les plus grands, les plus laborieux travaux dont la science lui sera éternel- lement redevable, dans un moment où ses malheurs per- sonnels et les calamités de sa patrie étaient arrivés à leur comble. | Je vais placer à la suite de cette notice biographique, une courte analyse des principaux ouvrages de Kepler, avec la date de leur publication. | 10. KEPLERI PRODROMUS DISSERTATIONUM COSMOGRAPHICARUM , CONTINENS MYSTERIUM COSMOGRAPHICUM DE ADMIRABILI PRO- PORTIONE ORBIUM CELESTIUM DEQUE CAUSIS COELORUM NUMERI, MAGNITUDINIS, MOTUUMQUE PERIODICORUM GENUINIS ET PROPRIIS, DEMONSTRATUM PER QUINQUE REGULARIA CORPORA GEOMETRICA. — Tubingue, 1596. Je viens de transcrire le titre du premier grand ouvrage sorti de la plume de Kepler. L'auteur y rend compte de ses travaux destinés à lier par des lois régulières tout ce que Copernic avait donné sur les distances et les mouve- ments des planètes. Kepler était persuadé de l’existence de ces lois en suivant cette pensée de Platon : que Dieu, en créant le monde, avait dû faire de la géométrie. Les investigations de Kepler sur ce sujet furent long- temps infructueuses; elles eurent cependant pour lui l'avantage, dit-il, de graver dans sa mémoire les dis- tances et les temps des révolutions célestes, de manière à lui permettre des combinaisons qui sans cela ne se seraient pas offertes à son esprit. KEPLER. ER Kepler chercha d’abord une loi qui enchaïnât les dis- tances considérées isolément ; il n’obtint aucun résultat satisfaisant. 11 voulut ensuite trouver une règle simple et uniforme par laquelle on pût passer du temps de la révo- lution d’une planète au temps de la révolution d’une autre planète quelconque. « Je m’abandonnai à ce sujet, dit-il lui-même, à une supposition d’une audace extraordinaire. J’admis qu’outre les planètes visibles, il y en avait deux autres qu'on n’a- percevait pas à cause de leur petitesse, l’une comprise entre Mercure et Vénus, l’autre entre Mars et Jupiter. Mais cela même ne me conduisait pas au but. Enfin, j'arrivai à concevoir que le système planétaire avait un rapport direct, quant au nombre des planètes et à leur distance, avec les corps réguliers dont les anciens géomètres s'étaient occupés. Ces corps sont au nombre de cinq. » On appelle, comme on sait, corps réguliers, des solides enfermant de toutes parts une portion déterminée de l’espace et composés de figures égales, formant entre elles des angles égaux. Ces corps solides, fort en usage en cristallographie, sont : 1° le tétraèdre ou pyramide triangulaire, composé de quatre triangles équilatéraux ; 2° l’hexaèdre ou le cube, formé de six carrés; 3° l’octaèdre, composé de huit triangles équilatéraux ; 4° le dodécaèdre, formé de douze pentagones réguliers : o° l’icosaèdre, composé de vingt triangles équilatéraux. Voici d’après Kepler la construction suivant laquelle le rayon d’une orbite peut conduire aux rayons de toutes les autres, A une sphère dont le rayon serait égal à celui de l’or- A4 KEPLER. à bite de Mercure, circonscrivez J'octaèdre; la sphère cir- conscrite à ce solide régulier aura un rayon égal à celui de l'orbite de Vénus, À cette seconde sphère circonscrivez un icosaèdre; la sphère circonscrite à ce solide aura un rayon égal à celui de l'orbite de la Terre. À cette troisième sphère circonscrivez un dodécaèdre ; la sphère circonserite à ce solide aura un rayon Son celui de l’orbite de Mars. À cette quatrième sphère circonscrivez un tétrabdre, k et la sphère circonscrite qui passera par tous les som- mets de ce solide aura pour rayon le rayon de l’orbite de Jupiter, À cette cinquième sphère circonscrivez afin un hexaèdre ou cube; la sphère qui passera par tous les sommets des angles de ce solide, c’est-à-dire la sphère circonscrite, donnera le rayon de l'orbite de Saturne, Kepler ne trouvait pas de mots pour exprimer le plai- sir que lui faisait une découverte dans laquelle il voyait non-seulement l’enchaînement régulier des planètes, mais encore la cause de leur nombre. Les distances obtenues suivant la progression des corps réguliers circonscrits, ne sont pas très-exactement celles que Copernic avait données dans son grand ou- vrage, mais les différences semblaient avec raison à Kepler pouvoir être expliquées par l'incertitude des anciennes déterminations. Le Prodromus fut envoyé à Tycho, qui répondit à l’auteur en termes qui l’auraient ravi, dit-il, si la réponse n’eût été suivie tout aussitôt d’une éclipse de soleil qui présageait bien des malheurs ! KEPLER. 215 Cas dernières paroles prouvent que Kepler n’était pas par- encore à se débarrasser des préjugés de son époque. )n trouve dans le Prodrome un chapitre où Kepler fait ressortir avec force la simplicité des mouvements célestes dans le système de Copernic, et leur inextricable complication dans les systèmes de Ptolémée et de Tycho. _ …— On voit qu'à cette époque (1596) 08 était déjà un m5 copernicien décidé, L'auteur ne s'était pas borné à déduire de la concep- E tion des corps réguliers les diverses distances des planètes | au Soleil, il avait cherché à lier ces distances aux temps … des révolutions par une loi mathématique, mais il ne réussit pas. C’est à l’occasion de cette recherche qu’il se posait cette question : Ÿ aurait-il dans le Soleil une âme motrice qui agirait avec plus de force sur les planètes voisines et avec moins de force sur les planètes éloignées? Le mouvement ne serait-il pas dispensé par le Soleil comme la lumière. C’est, comme on voit, le premier linéament des dé- couvertes ultérieures de Kepler quine s’accomplirent que bien des années après, Le caractère principal du génie de cet suite fut la persévérance. Ce n’est, disait-il lui-même, qu’en palpant tous les murs au milieu des ténèbres de l'ignorance, que je suis arrivé à la porte brillante de la vérité. Je n’ai pas besoin de faire remarquer que la concep- tion dont Kepler se montrait si fier, ne pourrait aujour- d'hui être soutenue, puisque de nouvelles planètes, Ura- nus et Neptune, existent au delà de Saturne, et qu’une foule d’astres mobiles très-petits ont été découverts entre 216 KEPLER. Mars et Jupiter ; puisque d’ailleurs les distances au Soleil des six planètes anciennement connues sont maintenant parfaitement déterminées, et qu’elles ne s'accordent pas avec celles qui résultent de la considération des cinq corps réguliers. C’est dans le Prodrome que se trouvent sous la forme de conseil adressé aux adversaires de Copernic, ces paroles remarquables : « Le tranchant d’une hache que l'on frappe sur le fer, ne peut plus même ensuite couper le bois. » AD VITELLIONEM PARALIPOMENA, QUIBUS ASTRONOMIÆ PARS OPTICA TRADITUR; POTISSIMUM DE ARTIFICIOSA OBSERVATIONE ET ÆSTI- MATIONE DIAMETRORUM, DELIQUIORUMQUE SOLIS ET LUNÆ. — Francfort, 1604. On trouve dans cet ouvrage, au milieu de beaucoup d’excentricités et d’idées empreintes de tous les préjugés de l’époque, plusieurs traits de génie. Dans l'extrait très- abrégé que nous allons en donnér, le lecteur saura bien lui-même faire la part du vrai et du faux. La lumière, suivant Kepler, consiste en un écoulement continu de la matière du corps lumineux; il supposait que sa vitesse était infinie. Elle traverse, dit-il, les corps denses et diaphanes avec plus de difficulté que le vide. L’opacité des corps est attribuée à la disposition irrégulière des interstices com- pris entre lès molécules matérielles. La chaleur est une propriété de la lumière, elle n’a rien de matériel. Cet ouvrage contient une explication de ce fait men- tionné par des auteurs beaucoup plus anciens, que dans une chambre obscure l’image du Soleil, reçue à une KEPLER. 217 certaine distance, paraît circulaire lors même que ses rayons y sont introduits par une ouverture triangulaire, et que pendant les éclipses de Soleil l’image se présente en forme de croissant. Une démonstration analogue avait déjà été donnée, je crois, par Maurolycus de Sicile. Kepler rapporte de nombreuses remarques qu’il avait faites en discutant les Tables de Vitellion sur la réfraction de la lumière passant de l'air dans l’eau. Il vit claire- ment que cette réfraction augmente dans un plus grand rapport que les angles d’incidence comptés à partir de la perpendiculaire; mais il ne découvrit pas la loi expéri- mentale de la constance du rapport des sinus d’incidence et de réfraction, attribuée par les uns à Descartes, qui la publia le premier, et par les autres au Hollandais Snellius. En appliquant ce qu’il avait aperçu et en s’occupant de la réfraction de l’eau, il prouva par des raisonnements ingénieux, mais passablement compliqués, comment devait s’opérer la réfraction des rayons lumineux qui pas- sent du vide dans les régions de notre atmosphère. Il reconnut ainsi que la réfraction ne cessait qu’au zénith, et non pas à {5° de hauteur comme Tycho l'avait imaginé, Il est remarquable que la Table empirique formée par Kepler ne diffère jamais de la réfraction véritable de plus de 9” depuis le zénith jusqu’à 70°. Kepler a prouvé dans son ouvrage, du moins dans les limites d’exactitude dont les observations étaient alors susceptibles, contre les opinions de Tycho et de Roth- mann, que la réfraction de tous les astres à hauteur égale, 218 KEPLER. est la même, et qu’elle ne dépend ni de la distance de ces astres à la Terre, ni de leur éclat. I soupçonna aussi que cette réfraction devait un peu varier avec l’état de l'air, Kepler déduisit de ses résultats numériques les den- sités comparatives de l’airet de l’eau, et trouva les nom- bres 4 et 1178; le véritable rapport est celui de 1 à 773. « Je devine, dit-il, qu’en faisant l’air pesant, je. vais soulever contre moi tous les physiciens qui le font léger, mais la contemplation de la nature m'a fait connaître que notre atmosphère est pesante. » On doit remarquer que ces paroles sont antérieures aux travaux de Torricelli sur cet objet. Torricelli ne naquit qu’en 1608. Kepler ajoute à l’observation de Vitellion, que les dimensions verticales du Soleil sont diminuées par la réfraction; et il en tire la conséquence, beaucoup plus cachée et beaucoup plus délicate à trouver, que le disque de cet astre doit paraître elliptique. On trouve dans le même ouvrage une discussion minu- tieuse et savante de l’observation de réfraction faite en 1596, près de la Nouvelle-Zemble , par des Hollandais. Kepler attribue la différence qu’on remarque entre le diamètre de la partie de la Lune éclairée par le Soleil et celui de la portion cendrée, c’est-à-dire le phénomène connu des modernes sous le nom d'irradiation, à une dila- tation produite sur la rétine. 11 cite à l'appui de cette explication la diminution apparente de diamètre qu’é- prouve, suivant lui, une règle opaque dans la portion de son image qui se projette sur la Lune. KEPLER. 249 Dans la seconde partie de son ouvrage, Kepler se livre à des conjectures sur des problèmes qu'on-ne pouvait pas résoudre alors. El croit, par exemple, que le Soleil est le corps le plus dense de la nature; ce qui a été compléte- ment démenti par les résultats des magnifiques combi- naisons newtonnienes. Kepler a été plus heureux en maintenant que la masse du Soleil est supérieure aux masses réunies de toutes les planètes. Il pensait que le Soleil doit être diaphane , et qu'on voit jusque dans son intérieur lorsqu'on ne croit apercevoir que la superficie. Il y avait dans cette conjec- ture-quelque vérité qu’apprécieront ceux qui connaissent les résultats auxquels les modernes sont arrivés sur la constitution physique du Soleil. Kepler croyait avoir remarqué que le bord de la Lune est plus lumineux que le centre. Galilée, comme on sait, s'est occupé postérieurement de cette même question. Kepler imagine que la Lune est de même nature que la Terre, et qu’elle pourrait avoir des habitants. Remarquons que ces conjectures sont de six ans antérieures aux obser- vations faites par Galilée avec une lunette. Kepler nous apprend que l'explication de la lumière cendrée de la Lune donnée par Moestlin, était contenue dans des thèses soutenues en 1596. Les observations et les conjectures de Kepler sur la scintillation des étoiles et des planètes sont citées dans la notice que j'ai consacrée à ce phénomène. Il n’est pas nécessaire de les rappeler ici. C’est dans l’Astronomiæ pars optica que se trouvent les opinions de Kepler sur là nature intime des comètes, et 220 KEPLER. sur les phénomènes optiques qui peuvent donner lieu aux apparences des queues droites ou courbes. Kepler trouve la cause de la lumière rougeâtre que la Lune nous réfléchit pendant les éclipses, dans les rayons réfractés par notre atmosphère, lesquels rayons dimi- nuent la longueur du cône d'ombre projeté par la Terre à l’opposite du Soleil. On a très-peu ajouté depuis Kepler à ce que cette théorie renferme de spécieux et de satis- faisant. | L'auteur, après avoir établi que pendant les éclipses totales du Soleil on voit autour de l’astre éclipsé une couronne de lumière, dit qu’on peut rendre compte de cette couronne, soit par l’atmosphère du Soleil, soit par l'atmosphère de la Lune. Il y a peu d'années, malgré tout le parti qu’on a pu tirer des lunettes, nous n’étions guère plus avancés au sujet de l’auréole que du temps de Kepler. « D’après des calculs, quelque peu incertains à cause de l’inexactitude des Tables, dit Kepler, Saturne dut être occulté par Jupiter en 1464. L'observation n’a pas été faite, mais les événements qui suivirent cette époque paraissent à l’auteur une preuve suffisante que l’occulta- tion a eu lieu. » Je n’ai sans doute pas besoin de dire dans laquelle des deux catégories signalées plus haut je range cette opinion de l’illustre astronome. Kepler a indiqué dans l'ouvrage que nous analysons les moyens de déduire la différence de longitude de deux lieux, des observations des éclipses solaires. Ce procédé est plus difficile mais beaucoup plus exact que celui qui résulte des éclipses de Lune. Les variations perpétuelles dans la parallaxe de la Lune KEPLER. 224 rendaient le calcul des éclipses de Soleil extrêmement minutieux et délicat. Kepler eut le premier la pensée _ d’assimiler les éclipses de Soleil aux éclipses de Lune, Il supposa l'observateur situé dans le Soleil, et calcula l'entrée des différentes régions de la Terre dans le cône d'ombre projeté par la Lune à l’opposite de l’astre radieux ; c'était, à proprement parler , calculer une éclipse de Terre. C’est en suivant cette conception ingénieuse que les géomètres sont parvenus à donner pour le calcul des éclipses de Soleil des formules presque aussi simples que les procédés relatifs aux calculs des éclipses de Lune proprement dites. Maurolycus avait cru impossible de considérer la rétine comme l'organe principal de la vision, parce que les images des objets extérieurs doivent y être renversés, et que la vision aurait eu les mêmes défauts. Kepler ne se laissa pas arrêter par une semblable difficulté, et montra que , nonobstant le renversement des images oculaires, nous devions voir les objets droits ; c’est donc à lui qu’est due la découverte de la vraie théorie de la vision, Kepler explique ensuite la confusion de la vision des myopes, en faisant remarquer que les rayons lumineux partant des divers points d’un objet, se réunissant alors avant la rétine, forment sur cet organe une image d’une certaine étendue, en sorte qu’un point est représenté par une surface. Il ajoute : « De là vient que ceux qui souf- frent de ce défaut de la vue; voient doubles ou triples des objets déliés et très-éloignés ; de là, quant à ce qui me concerne, résulte qu’au lieu d’une seule Lune, j'en vois dix ou même davantage, 222 KEPLER. Il paraît avoir senti, pour ce qui est des images mul- tiples, qu’il était nécessaire qu'il se formât dans l'œil des hiatus qu’il attribuait aux procès ciliaires. Kepler avait remarqué dans le même ouvrage, que la partie brillante du croissant de la Lune semblait avoir un plus grand diamètre que la portion cendrée, ou, comme on dit en Angleterre, que la nouvelle Lune em- brasse l'ancienne. El donna une explication plausible de _ cet effet. Kepler s’occupa le premier, à ce qu’il paraît, de la recherche du mécanisme à l’aide duquel l'œil peut s’a- dapter à la vision distincte d’objets diversement éloignés. Il crut trouver ce mécanisme dans l’action des procès ciliaires, par laquelle l'œil se serait allongé ou raccourci à volonté. Cette théorie, qui aujourd’hui même a conservé quelques partisans, est sujette à des difficultés anatomi- ques sur lesquelles nous ne saurions insister ici; nous ferons remarquer seulement qu’en posant le problème, qu’en indiquant une de ses solutions possibles, Kepler fit vraiment preuve de génie. | Les observations variées de Delaval prouvèrent, dans le siècle dernier, que la lumière que les corps colorés en- voient à notre œil n’est pas seulement réfléchie à la sur- face extérieure des molécules dont ces corps peuvent être censés formés comme le supposait Newton, mais que cette lumière a pénétré dans l’intérieur de ces corps d’où elle s’est réfléchie. Kepler avait déduit de ses expériences, faites plus d’un demi-siècle auparavant, une conséquence analogue, | Kepler a expliqué d’une manière satisfaisante pour- KEPLER. 223 quoi la Lune et le Soleil paraissent beaucoup plus grands à l'horizon qu’à une certaine hauteur au-dessus de ce plan. DE STELLA NOVA IN PEDE SERPENTARII, ET QUI SUB EJUS EXOR- TUM DE NOVO INIIT TRIGONO IGNEO, LIBELLUS ASTRONOMICIS, PHYSICIS, METAPHYSICIS ET ASTROLOGICIS DISPUTATIONIBUS EU- DOXIS ET PARADOXIS PLENUS. — ANNEXERUNT, 1° DE STELLA INCOGNITA CYGNI NARRATIO ASTRONOMICA ; 2° DE JESU CHRISTI SERVATORIS VERO ANNO NATALITIO CONSIDERATIO NOVISSIMÆ SENTENTIÆ LAURENTII SUSLYGÆ POLONI, QUATUOR ANNOS IN USI- TATA EPOCHA DESIDERANTIS. — Prague, 1606. Dans cet ouvrage, Kepler se montre copernicien ar- dent. En parlant des objections faites contre le système de l’astronome de Thorn, il s’écrie : « Comment les phi- losophes ne voient-ils pas qu’ils veulent ôter un fétu de l'œil de Copernic, et n’aperçoivent pas une poutre dans l'œil de Ptolémée? » Après un historique détaillé de la- découverte de l'étoile nouvelle du Serpentaire et des considérations théoriques sur sa scintillation, l’auteur discute les observations qui en avaient été faites en divers lieux, et prouve qu’elle n’était douée ni d’un mouvement propre ni d’une paral- laxe annuelle. Quoique Kepler affecte, en général, dans cet ouvrage de mépriser l'astrologie, après avoir réfuté longuement les critiques de Pic de la Mirandole, il y maintient la réalité de l'influence des planètes sur la Terre lorsqu'elles sont disposées les unes relativement aux autres de cer- taines manières. On y voit, entre autres, avec étonne- ment que Mercure a beaucoup de pouvoir pour amener les tempêtes, 224 KEPLER. Tycho soutenait que l'étoile de 1572 avait été formée de la matière de la Voie lactée. Quoique l’étoile de 4604 fût voisine de cette zone lumineuse, Kepler ne pensait pas qu’on dût lui donner la même origine, la Voie lactée n'ayant pas changé depuis le temps de Ptolémée. Mais qu’en pouvait-il savoir? Ce qu'il y a de certain, dit Kepler, . c'est que l’apparition de cette nouvelle étoile réduit au néant les idées d’Aristote sur l’incorruptibilité des cieux. Kepler examine si l'apparition de l'étoile nouvelle avait quelque rapport avec la conjonction des planètes qui eut lieu peu de temps auparavant dans son voisinage. Mais bientôt, renonçant à trouver des causes physiques propres à expliquer la formation de l’astre nouveau, il s’écrie : « Dieu qui se plaît à donner aux hommes des preuves de ses soins constants, a pu ordonner l’appari- tion de l’étoile dans un lieu et dans un temps où elle ne pouvait échapper aux recherches des astronomes. » En Allemagne avait cours la locution, nouvelle étoile nouveau rot; «il est étonnant, dit Kepler, qu'aucun ambi- tieux n’ait cherché à profiter du préjugé vulgaire. » Nous ne dirons rien de la dissertation de Kepler sur l'étoile nouvelle du Cygne, qui parut de son temps, si ce n’est que l’auteur y a réuni tout ce que l’érudition la plus vaste pouvait lui fournir pour démontrer que cette étoile était nouvelle et non pas seulement variable, Kepler cherche à prouver que l’année de la naissance de Jésus-Christ n’a pas été fixée avec précision, que le commencement de notre ère devait être reculé de quatre et peut-être de cinq ans, en sorte que l’année 1606 de- vrait prendre le millésime de 1610 ou de 1611, KEPLER. 225 ASTRONOMIA NOVA dumekdynros , SIVE PHYSICA COELESTIS, TRADITA . COMMENTARIIS DE MOTIBUS STELLÆ MARTIS EX OBSERVATIONI- BUS TYCHONIS-BRAHE. — Prague, 1609. Dans ses premières recherches pour perfectionner les Tables Rudolphines, Kepler n’avait pas encore eu la har- diesse de se séparer entièrement du système des excentri- ques et des épicycles longuement expliqué dans l’A/ma- geste, et adopté par Copernic et Tycho. Seulement, il avait maintenu par des raisons empruntées à la métaphysique ou, si on l’aime mieux, à la physique, que les conjonctions devaient être rapportées au Soleil vrai et non pas, comme on l’avait fait généralement avant lui, au Soleil moyen. Mais des calculs très-laborieux, et continués pendant un grand nombre d'années, ne le satisfirent pas : il restait désormais de 5 à 6 minutes dont il voulut se débarrasser. C’est à ces petites erreurs que fut due définitivement la découverte du vrai système du monde. Kepler osa alors rompre entièrement avec le vieux système des mouve- ments circulaires uniformes autour d’un point excentrique, idéal, vide de toute matière, et des mouvements qui se faisaient dans une épicycle. Il supposa que le Soleil était le centre des mouvements s’eflectuant le long de la cir- conférence d’une ellipse dont cet astre occupait un des foyers. Pour ôter à cette suposition son caractère hypo- thétique, il exécuta un nombre prodigieux de calculs, “avec une infatigable persévérance et une ténacité sans exemple, Il reconnut ainsi que sa théorie représentait l'ensemble ; 4. Qui rend raison. HEL — 111, 15 226 KEPLER. des observations de Mars faites par Tycho, avec une exactitude remarquable, Il lui suffit, pour cela, de supposer que le Soleil occu- pait le foyer de la courbe, et que la vitesse de la planète était telle dans les différents points de l'orbite, que les surfaces décrites par son rayon vecteur étaient les mêmes dans des temps égaux, ou, qu’à partir d’un rayon déter- miné, ces surfaces étaient proportionnelles au temps. Parmi les nombreuses observations d'Uranibourg dont il pouvait disposer, Kepler était obligé de faire un choix intelligent parmi celles qui pouvaient servir à résoudre les diverses questions liées au problème général qu'il s'était proposé, et d'inventer sans cesse de nouvelles méthodes pour les calculer. C’est ainsi qu’il trouva, par exemple, sans faire aucune hypothèse, que les lignes droites, intersections des orbites des planètes avec le plan de l’écliptique passaient toutes par le Soleil, et que les plans de ces orbites for- maient avec le plan de l'orbite terrestre, des angles à peu près constants ; il supprimait ainsi la fitubation à laquelle ses prédécesseurs avaient eu recours pour expliquer les changements de latitude. Les calculs exécutés par Kepler, comme nous le disions tout à l'heure, furent très-longs, très-fastidieux surtout, parce que de son temps les logarithmes n'étaient pas inventés. Voici en quels termes Bailly en parle dans le second volume, page 52, de son Histoire de l'astronomie : « Kepler fit des efforts incroyables. Les logarithmes n'étaient pas inventés; le calcul n’était pas alors si facile qu’il l’est aujourd’hui. Chacun des calculs qu'il entreprit occupe 40 pages in-folio; il les répéta jusqu'à 70 fois : KEPLER. 227 70 calculs font donc 700 pages. Les calculateurs savent combien on fait de fautes, combien-il faut recommencer, ete temps qu'exigent 700 pages de ‘calcul.’ Get homme était étonnant; son génie n’était point rebuté de ces recherches minutieuses et pesantes, et ces recherches n’usaient point son génie. » Au moment de commencer son travail, Kepler me se faisait pas illusion sur la grandeur de la tâche qu’il s’im- posait. Il raconte que Rhéticus, disciple distingué de Copernic, avait désiré de réformer l'astronomie; mais, qu'étonné du mouvement de Mars, il ne put jamais l’ex- pliquer. « Rhéticus, dit-il, invoqua son génie familier, qui apparemment fàché d’être interrompu, le saisit par les cheveux, l’éleva au plafond et le laissa retomber sur le plancher, en lui disant : Voila le mouvement de Mars. » ‘Cette vision, rapportée par l’auteur de l’ouvrage de Stella Martis, nous donne la mesure de la difficulté dont le problème qu’il entreprenait de résoudre lui paraissait entouré. Quant à la satisfaction que Kepler éprouva après avoir démontré que les planètes se meuvent dans des ellipses et suivant la loi des aires, je n’en veux pour preuve que le discours adressé à la mémoire du malheu- reux Ramus. Ce célèbre professeur du Collége de France, une des victimes du massacre de la Saint-Barthélemy, avait promis d'abandonner sa chaire et tous les avantages qui en dépendaient, à celui qui rendrait compte des mouvements célestes en dehors de toute hypothèse. «Vous avez bien fait, s’écrie Kepler, de quitter cette vie, car sans cela vous seriez aujourd’hui obligé de me -228 : KEPLER. céder votre chaire, les conditions que vous aviez impo- sées étant toutes remplies dans cet ouvrage. »- On trouve dans le traité que nous venons d’analyser, les idées que Kepler s’était formées sur les causes physi- ques des mouvements célestes. Si l’on se reporte à l’époque où l’ouvrage fut écrit, on reconnaîtra la profondeur et la rare perspicacité du génie de l’auteur. . Nous ne ferons que quelques citations, empruntées pour la plupart à un des historiens de l'astronomie. Toute sub- -stance corporelle, en tant que corporelle, resterait en repos en tout lieu où elle serait solitaire, c’est-à-dire hors de la sphère d’activité d’un autre corps. Le mouvement rectiligne est le seul naturel et non pas le mouvement circulaire, comme le prétendaient les astronomes. Ges deux propositions réunies constituent à peu près le prin- cipe de l’inertie adopté par tous les mécaniciens modernes. La gravité est une affection corporelle et réciproque entre deux corps de même espèce. Elle les porte à se réunir ; mais la Terre attire une pierre beaucoup plus que la pierre n’attire la Terre. Si la Lune et la Terre supposées de même densité n’é- taient pas retenues par une force animale ou autre force équipollente, chacune dans son propre circuit, la Terre monterait vers la Lune de la 54° partie de l'intervalle, la Lune descendrait vers la Terre des 53 parties restantes; et là, elles se réuniraient. Si la Terre cessait d'attirer ses eaux, toute la mer s’élèverait et se réunirait à la Lune. Si la sphère de force attractive de la Lune s'étend jusqu’à la Terre, à plus forte KEPLER. 229 raison la force attractive de la Terre doit s'étendre jusqu’à la Lune et au delà. En sorte que rien de ce qui est ana- logue à la nature de la Terre, ne peut échapper à cette force. . Rien de matériel n’est léger absolument; un corps ne peut l’être que comparativement, parce qu'il est plus rare. « J’appelle rare, dit Kepler, ce qui, sous un volume donné, renferme moins de matière, » Il ne faut pas s’imaginer que les corps légers montent et ne sont point attirés; ils sont moins attirés que les graves, et les graves les expulsent. La force motrice des planètes réside dans le Soleil et s’affaiblit avec la distance à cet astre. Dès qu’il supposait que le Soleil était la cause motrice des mouvements planétaires, Kepler devait donner à cet astre un mouvement de rotation dirigé dans le même sens que celui de circulation des planètes, et c’est, en effet, ce qu’il fit. Cette conjecture a été vérifiée depuis la décou- verte des taches ; mais Kepler l’accompagna de plusieurs circonstances, dont des observations ultérieures ont dé- montré l’inexactitude. DIOPTRICA , ET EXAMEN PRÆFATIONIS JO. PENÆ GALLI IN OPTICA EUCLIDIS; DE USU OPTICES IN PHILOSOPHIA, — Francfort, 1611 ; réimprimé à Londres en 1653. Il semble que, pour écrire un traité de dioptrique, il eût été nécessaire de connaître la loi suivant laquelle s'opère la réfraction de la lumière lorsqu'elle passe d’un milieu rare dans un milieu dense, ou d’un milieu dense : dans un milieu rare; loi qui, comme nous l’avons rappelé, 230 KEPLER. a été révélée, pour la première fois, au monde savant par Descartes, Cependant, comme pour de petites inci- dences rapportées à la perpendiculaire: l'angle de réfrac- tion est à peu près proportionnel à l’angle d'incidence, Kepler se sert de cette règle approximative pour: étudier les propriétés des lentilles plano-sphériques ou des lentilles. dont les deux surfaces appartiennent à. des sphères de même rayon. C’est à lui qu'on.doit les. formules, encore: en, usage aujourd’hui, pour calculer. les distances. des foyers de semblables lentilles. On trouve dans cet ouvrage qu’il a imaginé le. pre mier de: former. des: lunettes, à l’aide de l’accouplement de deux lentilles convexes, tandis.que Galilée. employa: toujours. une. lentille oculaire concave et. une lentille objective convexe. C’est. donc à Kepler qu'il faut faire: remonter la combinaison qui constitue aujourd'hui les. lunettes astronomiques, les seules qu’on: puisse appliquer avec avantage aux instruments gradués destinés: à me- surer des angles. Quant à la règle suivant: laquelle on. peut déterminer les grossissements de ces lunettes.et qui consiste à diviser la distance focale de l'objectif! par la. distance focale de l’oculaire, elle ne fut pas donnée par Kepler. Gette découverte était réservée. à. Huygens. Kepler, qui connaissait déjà la découverte faite par Galilée des satellites de Jupiter, au moment où il publiait sa Dioptrique, tire de la courte durée, des révolutions des satellites la conséquence un: peu aventureuse que la pla nète doit tourner sur elle-même: dans un temps très-court, . certainement, inférieur ,. dit-il, à vingt-quatre heures. Cette conjecture n’a.été vérifiée que longtemps après, KEPLER 234 NOVA STEREOMÉTRIA DOLIORUM. VINARIORUM. — Linz, 1615. C’est un ouvrage de pure géométrie, dans lequel l’au- teur examine particulièrement les solides produits par une ellipse tournant autour de ses divers axes. Ce traité contient aussi un procédé pour le jaugeage des tonneaux. HARMONICES. MUNDI LIBRI QUINQUE, GEOMETRICUS,. ARCHITECTONI- CUS, HARMONICUS, PSYCHOLOGICUS, ASTRONOMICUS,. CUM APPEN- DICE CONTINENS MYSTERIUM COSMOGRAPHICUM. — Linz, 1619. Tel est le titre de l'ouvrage dans lequel Kepler rend compte de la découverte de la troisième loi qui porte son nom : que les carrés des temps des révolutions sont entre eux comme les cubes des distances. 4H C'est le 18 mars 1618 qu’il lui vint la pensée de com- parer les temps des révolutions aux cubes des distances; mais il trouva, à la suite d’une erreur de calcul, que la loi ne se vérifiait pas. Le 15 mai, il recommença ce même calcul, et cette fois le résultat s’accorda avec les faits. Kepler rapporte qu'il crut un moment qu'une nouvelle erreur de calcul lui avait fait illusion; maïs, ajoute-t-il, toute vérification faite, la loi représente si bien les obser- vations de Tycho que la découverte est certaine. Cette découverte est malheureusement mêlée à des idées bizarres, et qui plus est, totalement inadmissibles. Les rapports qu’il avait trouvés entre les mouvements et les distances ramenaient son esprit vers les conceptions pythagoriciennes des harmonies. Dans la musique des corps célestes, dit-il, Saturne et 232 | KEPLER. Jupiter font la basse; Mars, le ténor ; la Terre et Vénus, la haute-contre, et Mercure, le fausset. Une autre chose qui dépare également un ouvrage à jamais immortel, dans lequel est énoncée la belle décou- verte de la troisième loi, c’est la confiance de l’auteur dans les rêveries astrologiques. On y voit par exemple cette assertion, que l'air est toujours troublé quand des planètes sont en conjonction, qu’il pleut quand elles sont à 60 degrés exactement, et autres rêveries pareilles. DE COMETIS LIBELLI TRES, ASTRONOMICUS, PHYSICUS, ASTROLOGI- CUS ET COMETARUM PHYSIOLOGIA NOVA ET PARADOXOS. — Aug- sbourg, 1619, Ce qui frappe d’étonnement en lisant les trois chapi- tres dont l'ouvrage se compose, c’est d’y voir que Kepler, l’auteur des lois du mouvement elliptique des planètes autour du Soleil, se soit obstiné à faire mouvoir les co- mètes en ligne droite. L'observation du cours de ces astres, disait-il, mérite peu de fixer l'attention, puisqu'ils ne reviennent pas. Et c’est à l’occasion de la comète de 1607, c’est-à-dire d’une comète qui était déjà revenue trois fois, et qui depuis est revenue deux autres fois, que le grand astronome débitait de pareilles assertions, si peu dignes de son génie. Toutefois, il déduisit de son sys- tème erroné des conséquences précieuses sur l'idameniees distance de la comète à la Terre. Dans la seconde partie de l'ouvrage, intitulée Physio- logie des comètes, on trouve ce passage qu'on ne croirait pas sorti de la plume d’un si grand homme : KEPLER. 233 « L'eau, et surtout l’eau salée, donne naissance aux poissons; l’éther la donne aux comètes. Le Créateur n’a pas voulu que l'immense étendue des mers fût dépourvue d'habitants; il a fait de même pour les espaces célestes. Le nombre des comètes doit être très-considérable; si nous en voyons si peu, c’est qu’elles ne s’approchent pas assez de la Terre; elles se dissipent facilement. » A côté de ces rêveries, fruit d’une imagination que rien n'arrête dans sa course vagabonde, se trouvent des idées qui ont eu cours dans la science parmi les plus habiles, celle par exemple que les rayons du Soleil en traversant les comètes, entraînent sans cesse des particules de leur substance et forment ainsi la queue. 2 Sénèque, d’après le témoignage d’Éphore, parlait d’une comète qui se partagea en deux portions, lesquelles suivirent des routes différentes. Le philosophe romain croyait cette observation mensongère. Il est, à ce sujet, traité par Kepler avec une extrême rigueur. Nous devons avouer que tous les astronomes étaient de l’avis de Sénè- que; mais voilà que, de nos jours, les observateurs armés de lunettes ont pu assister au partage d’une seule comète en deux astres distincts, et voir les deux moitiés s'engager dans des routes différentes. Les prévisions d’un homme de génie ne doivent jamais être entièrement dédaignées. L'ouvrage dont nous parlons, quoique de 1619, porte dans le dernier chapitre surtout, l'empreinte des opinions astrologiques de l’époque sur l'influence que les comètes exerceraient à distance sur les événements du monde sublunaire. Je dis à distance, car, lorsque l’auteur sou- tient que la peste peut être produite par les comètes dont 234 KEPLER. la queue enveloppe la Terre, il émet une idée dont on ne pourrait démontrer la fausseté, dans l'ignorance où nous sommes de la nature des matières dont les comètes sont formées. | EPITOME ASTRONOMIÆ COPERNICANÆ, IN SEPTEM LIBRIS CONSCRIPTA ; LIBRI TRES PRIORES DE DOCTRINA SPHÆRICA, IN QUA, PRÆTER PHYSICAM ACCURATAM, APPLICATIONEM MOTUS TERRÆ DIURNE, ORTUSQUE EX EO CIRCULORUM SPHÆRÆ, TOTA DOCTRINA SPHÆ- RICA NOVA ET CONCINNIORI METHODO AUCTIOR TRADITUR; ADDI- TIS EXEMPLIS OMNIS GENERIS COMPUTATIONUM ASTRONOMICARUM ET GEOGRAPHICARUM, QUÆ INTEGRARUM PRÆCEPTIONUM. VIM. SUNT COMPLEXA. Cet ouvrage se compose de deux volumes qui ont paru à Linz, à des époques différentes, 1618, 1624 et 1622, Nous allons citer en abrégé ce qu'il renferme de vues ou de découvertes astronomiques ayant étendu le domaine de la science. Le Soleil est une étoile fixe; il ne nous paraît plus grand que les autres étoiles qu’à raison de sa distance, qui est beaucoup moindre. On sait que le Soleil tourne sur lui-même (par l’obser- vation des taches), il doit en être de même de toutes les planètes. Les comètes sont formées d’une matière susceptible de dilatation et de condensation, d’une matière qui peut être transportée au loin par l’action des rayons solaires. Le rayon de la sphère des ‘étoiles est au moins égal à 2,000 fois la distance de Saturne. Les taches du Soleil sont ou des nuages, ou d'épaisses fumées qui s’élèvent de ses entrailles et se consument à sa surface, KEPLER. 235 : Le: Soleil tourne, et dans son mouvement sa faculté attractive se dirige vers les: différentes régions du ciel, comme: ferait celle d’un aimant qui tournerait. Lorsque, à laide de cette force, le Soleil a saisi une planète pour l’'attirer ou la repousser, il la fait tourner avee lui. Le’ centre du Soleil est le centre des mouvements:pla- nétaires.. On:sait que Copernic: plaçait le centre du mouvement hors de cet astre. | Kepler attribue la lumière dont la Lune est entourée pendant les éclipses: totales: de Soleil, à l'atmosphère de cé dernier astre. II dit que cette atmosphère est: visible quelquefois après le coucher du Soleil. On x cru voir dans cette remarque que: Kepler avait découvert le: pre- mier la lumière zodiacale; mais comme il ne dit rien de læ forme allongée qu’affecte cette lumière, il ne paraît pas possible de lui attribuer l'observation dont on prive- rait gratuitement, ce me semble , Childrey et Dominique Cassini. JO. KEPLERI TABULÆ RUDOLPHINÆ, QUIBUS ASTRONOMICÆ SCIEN- TIÆ, TEMPORUM LONGINQUITATE COBLAPSÆ , : RESTAURATIO:CON- TINETUR , . À. TYCHONI BRAHE, PRIMÜM. ANIMO. CONGEPTA. ET DES- TINATA ANNO CHRISTI 1964, EXINDE OBSERVATIONIBUS SIDERUM ACCURRATISSIMIS, POST ANNUM PRÆCIPUE 1572, SERIO AFFEC- TATA, TANDEM TRADUCTA IN GERMANIAM INQUE AULAM ET: NOMEN: RUDOLPHI .IMP. ANNO 1598. — Ulm, 1627. Ces tables avaient été commencées par Tycho; elles furent achevées par Kepler, qui y travailla vingt-six ans. Le nom qu’elles portent est celui de l’empereur Rodolphe, qui fut à la fois le protecteur des deux astronomes. On trouve dans cet ouvrage une histoire de læ décou- 236 KEPLER. verte des logarithmes qui, examinée sans préjugés natio- naux, nenlève rien absolument au mérite de Néper. Celui-ci est incontestablement le premier inventeur, puisque ses titres à la priorité reposent sur des docu- ments imprimés, Les explications jointes aux Tables Rudolphines ren- ferment les premières indications de la méthode des lon- : gitudes, fondée sur l'observation des distances de la Lune aux étoiles. Les Tables pruléniques, ainsi appelées parce qu’elles étaient dédiées à Albert de Brandebourg, duc de Prusse, furent publiées par Reinhold , en 1554. Elles avaient pour base les observations de Copernic et de Ptolémée. Lors- que Kepler publia les Tables Rudolphines, fondées sur les observations de Tycho et sur ses nouvelles théories, les tables de Reinhold présentaient des erreurs de plusieurs degrés. JO. KEPLERI SOMNIUM, SEU OPUS POSTHUMUM DE ASTRONOMIA LUNARI. — Sagan et Francfort, 1634. Dans cet ouvrage posthume de Kepler, publié en 1634 par son fils, on trouve une description des phénomènes astronomiques pour un observateur placé sur la Lune. Quelques auteurs de traités élémentaires écrits postérieu- rement se sont attachés à décrire de même les phéno- mènes du firmament pour des observateurs situés dans différentes planètes. C’est un exercice très-utile pour les commençants, mais il est juste de dire que la première idée de ces déplacements imaginaires appartient à Kepler. Les autres écrits de Kepler portent les titres sui- KEPLER. 237 vants ; la liste complète de ses œuvres que nous donnons, témoigne de la vie laborieuse et de l’indomptable persé- vérance de l’illustre astronome : Nova dissertatiuncula de fundamentis astrologiæ cer- _tioribus, ad cosmotheoriam spectans. — Prague, 1602. Epistola ad rerum cœlestium amatores universos , His- paniæ potissimum citerioris et Galliæ ulterioris, insularum que Corsicæ et Siciliæ incolas, de Solis deliquio mense octobri anni 1605. — Prague, 1605. Sylva chronologica. — Francfort, 1606. Histoire détaillée de la nouvelle comète de 1607 et de ses indications , avec un nouveau Discours bien fondé sur la nature et le mouvement des comètes et leurs signi- fications. — En allemand ; Halle en Saxe, 1608. Phœnomenon singulare, seu Mercurius in Sole; cum digressione de causis cur Dionysius abbas christianos minus justo a nativitate Christi Domini numerare docue- rit, De capite et anni ecclesiastici. — Leipsig, 1609. Dissertatio cum Nuncio sidereo nuper ad mortales misso à Galileo. — Prague, 1610 ; réimprimé la même année à Florence et à Francfort en 1611. Narratio de observatis à se quatuor Jovis satellitibus erronibus quos Galilæus medicea sidera nuncupavit. — Prague, 1610. Exhortation à quelques théologiens, médecins et philo- sophes, principalement à Philippe Feselius, de ne pas 238 KEPLER. jeter l'enfant avec le bain, pour qu’en rejetant les erreurs de l'astrologie, ils n’aillent contre leur intérêt; avec plu- sieurs Questions qui n’avaient jamais été proposées ni discutées par les vrais amateurs des secrets de la nature, par Jean Kepler, mathématicien de l’empereur. — En allemand ; Francfort, 4610. Jo. Kepleri strena, seu de nive sexangüulà. — Franc- fort, 1641. 20 Kepleri eclogæ chronicæ ex epistolis doctissimorum aliquot virorum et suis mutuis. — Francfort, 4615. Ephemerides novæ motuum cœlestium äbanno 1617, ex observationibus potissimum Tychonis Brahei, hypo- thesibus physicis et tabulis Rudolphinis, ad meridianum Uranopyrgicum in freto cimbrico, quem proxime.cir- cumstant Pragensis, Lincensis, Venetus, Romanus. Præ- mittitur : 1° Explicatio fundamentorum ephemeridis, ubi in motibus Lunæ a libro Progymnasmatum Brahei reces- sum, ubi respondetur ad crebras interpellationes Davidis Fabrici astronomi Frisii, ejusque opinionés circa umbram Terræ et alias jucundas materias examinantur; 2 In- structio super novà ephemeridis formà , et causæ mutatæ formæ consuetæ, ex. sanioribus astrologiæ fundamentis. Adjectæ sunt primæ ephemeridi anni 1617, observationes meteorologicæ ad dies singulos, et astronomicæ non nullæ, autore Joanne Keplero. — Linz, 1616. — Les éphémérides de Kepler ont paru pour les années suivantes jusqu’en 1628 , mais elles ne furent imprimées qu'après les années écoulées. Elles ont été continuées ensuite par Bartschius, gendre de Kepler. KEPLER. 239 Des ‘Annonces de malheurs pour les gouvernements et les églises, principalement de la comète et du tremble- ment de terre, en 1618 et 1619. — En allemand, ais 1619. _ Éclipses. des années 1620 et 1621. — En allemand, Ulm, 1621. Kepleri apologia pro suo opere Harmonices mundi, adversus Demonstrationem analyticam Roberti de fluc- tibus, medici oxoniensis. — Francfort, 1622, Discursus conjunctionis Saturni et Jovis in Leone. — Linz, 1623. Jo. Kepleri chilias logarithmorum. — Marpurg, 1624. Jo. Kepleri hyperaspistes Tychonis contra anti- Tychonem Scipionis Claramontii, quo libro doctrina _præstantissma de parallaxibus, deque novorum siderum in sublimi æthere discursionibus, repetitur, confirmatur, illustratur. — Francfort, 1625. Jo. Kepleri supplementum chiliadis logarithmorum. — Aspurg, 1625. Admonitio ad astronomos rerumque cœlestium .stu- diosos de miris rarisque anni 1631 phœnomenis, Veneris puta et Mercurii in Solem incursu. — Leipsig, 4629. Responsio ad epistolam Jac. Bartschii præfixam ephe- meridi anni 4629, de computatione et editione epheme- ridum. — Sagan, 1629, Sportula genethliacis missa de Tab. Rudolphi usu in 240 GALILÉE. computationibus astrologicis, cum modo dirigendi novo et naturali. — Sagan, 1529. Hansch a publié en 1718, sous les auspices de l’em- pereur Charles VI, un volume contenant une partie des manuscrits laissés par Keplers Hansch ne put obtenir les fonds nécessaires à l'impression d’un second volume qu'il avait promis de donner. Il reste encore dix-huit cahiers de manuscrits inédits; ils ont été acquis par l’Académie de Pétersbourg vers 1775. GALILÉE Galileo Galilei, un des plus grands philosophes des temps modernes, naquit à Pise le 18 février 1564 *. Le père de Galilée, Vicenzo Galileo, était originaire de Florence et d’une famille noble, mais sans fortune. C’est dans cette dernière ville que Galilée passa sa première jeunesse. L'enfant manifesta de bonne heure une grande prédilection pour la mécanique; il construisait de ses doigts des modèles de toutes sortes de machines. Son père le destinait d’abord au commerce; néanmoins, il lui fit apprendre le latin et le grec. Les progrès rapides du jeune Galilée dans ses premières études, la grande habileté qu’il montra en s’occupant à la même époque des arts du dessin et de la musique, changèrent les idées 1. On a prétendu qu'il était enfant naturel, mais un examen attentif des registres conservés à la paroisse où il vit le jour, ont prouvé que cette assertion était sans fondement. GALILÉE. 241 de ses parents; il fut décidé qu’il serait médecin, et, dans cette vue, on l’envoya à Pise à l’âge de dix-sept ans, pour suivre les cours de l’Université, où presque tous les pro- fesseurs étaient alors péripatéticiens. Son esprit observateur se révéla, dit-on, un jour que, - Étant à l’église, il vit une lampe, suspendue à la voûte, dont les oscillations lui parurent sensiblement de même durée, soit qu’elles fussent petites ou qu’elles eussent une grande amplitude. Ceux qui ont vu dans cette re- marque, vraie ou imaginaire, de Galilée, l’origine des découvertes que fit plus tard Huygens sur le pendule, ont prétendu que le jeune observateur se servit des batte- ments de son pouls pour constater cette égalité de durée des oscillations de diverses amplitudes. On sait, du reste, que rigoureusement parlant, une telle égalité n'existe pas *. L’aptitude de Galilée pour les mathématiques se déve- loppa bientôt après. Il se rendit maître en très-peu de 4. Dansles Dialogues, écrits et publiés si longtemps après (voyez les OEuvres de Galilée, édition de Milan, tome XII, page 328), Sal- viati, un des trois interlocuteurs, s'exprime ainsi : « Je dis que si nous écartons le pendule de la verticale de 1, de 2 ou de 3 degrés seulement; que si ensuite nous l’écartons de 70, de 80 et même d'un quart de cercle entier, il fera, quand on le lais- sera en liberté, des oscillations avec une égale fréquence dans les deux cas, j'entends quand ce pendule parcourt des ares de 2 à 4°, et lorsqu'il décrit des arcs de 160 et plus. On le verra manifeste- ment si, après avoir suspendu deux poids égaux à deux fils de même longueur, on les écarte de la verticale, l’un très-peu et l’autre beau- coup. Ces poids, abandonnés à eux-mêmes, iront et reviendront dans des temps égaux, celui-ci par de petites amplitudes, celui-là par des amplitudes très-grandes. » Ce moyen expérimental eût été très-exact si, dans l'état de repos ELLE, — rt, 16 242 GALILÉE. temps des vérités contenues dans les ouvrages d’Euclide et d'Archimède. Ce qu'on raconte à ce sujet de leçons données aux pages du grand-duc par le professeur Hosti- lius Ricci et écoutées de la porte de la salle où Galilée n'avait pas la permission d'entrer, pourrait bien n'être qu’un roman conçu à plaisir à l’époque où la réputation du philosophe toscan s'était répandue dans le monde en- tier. I} paraît, en tous cas, évident qu’un esprit si perspi- cace ne dut avoir nul besoin du secours du professeur Ricci pour comprendre la géométrie d’Euclide. Faute de ressources pécuniaires suffisantes, Galilée se vit forcé de quitter l'Université de Pise, où par la pro- tection du marquis del Monte ïl rentra quelque temps après, en 1589, à l’âge de vingt-cinq ans, comme pro- fesseur de mathématiques aux appointements de 60 écus, environ un franc par jour. Les leçons qu’il rédigea alors pour l'usage des élètes ont été perdues. On sait seulement que l'auteur y com- battait Aristote sur divers points. Les historiens de Gali- lée regardent cette circonstance comme une grande har- diesse, mais ils auraient dû se rappeler que des savants et vus de la place de l'observateur, les deux pendules se projetant Pun sur l’autre, on avait pu juger de leur arrivée simultanée ou non simultanée à la verticale, si la méthode moderne des coïnci- dences avait remplacé l'examen vague dont il est question dans le passage cité. Maïs alors, on doit le dire, Galilée se seraït aperçu que l'isochronisme des grandes et des petites oscillations circulaires n’existe point, et il n’auraît pas doté les mouvements de cette espèce de propriétés qui n’ont de réalité, comme Huygens l’a prouvé, que dans le cas où le fil de suspension ne conserve pas la même lon- gueur pendant toute la durée des oscillations et s’enroule sur des arcs cycloïdaux, GALILÉE. 243 antérieurs à l’immortel mathématicien de Florence, avaient déjà pris la même liberté , et que Tycho, entre autres, combattit par le raisonnement et par l'observation presque tout ce que. Pécole péripatéticienne offrait d’erroné en astronomie. C’est à l’époque de son premier professorat à Pise qu’on fait remonter les recherches de Galilée sur la chute des graves et la découverte des lois suivant lesquelles la pesanteur s'exerce sur tous les corps de la nature. A cette occasion on a cité les résultats auxquels Benedetti, de Venise, était arrivé antérieurement ! ; celui entre autres « que dans le vide tous les corps doivent tomber avec la même vitesse. » Mais comment a-t-on oublié de faire remarquer que cette opinion , car du temps de Benedetti ce n’était qu’une opinion , était déjà consignée dans des vers de Lucrèce dont voici la conclusion : « Ainsi tous les corps, quoique de poids inégaux, doi- vent marcher avec la même vitesse au travers du vide, et les atomes les plus lourds ne pourront jamais tomber sur les atomes les plus légers qui les précèdent. » (Lucrèce, livre 11.) Galilée confirma, dit-on, les résultats de ses brillantes spéculations par des expériences faites sur la tour pen- chée de Pise. A la suite d’un rapport sur une mauvaise machine à 1. Moleto, prédécesseur de Galilée à Padoue, avait déjà établi, contrairement à l'opinion d’Aristote, que des corps de même ma- tière et de poids différents se meuvent par l’action de la pesan- teur avec la même vitesse. (Voyez VENTURI, tome I, page 8} 244 GALILÉE. draguer, inventée par Jean de Médicis, enfant naturel de Côme I‘, et dans lequel il fit preuve de la plus noble indépendance , Galilée se vit au moment d’être renvoyé de Pise, Il céda à l'orage et obtint de la république de Venise, toujours par la protection du marquis del Monte, la place de professeur de mathématiques à l’Université de Padoue. Les auteurs italiens louent son enseignement de Padoue sans aucune restriction. Il est permis de croire qu’ils ont cédé au juste enthousiasme que les découvertes ultérieures de Galilée leur ont inspiré. A l’époque dont nous par- lons, l’illustre philosophe n’avait pas encore rompu tous les liens qui le rattachaient aux erreurs de l'antiquité. Galilée, anti-copernicien, professait le système de Ptolé- mée, si toutefois il est vrai que le Traité de la sphère publié sous son nom, dans l'édition de Padoue, soit son ouvrage, car le fait a été révoqué en doute. Mostlin, le fameux maître de Kepler, lequel, tout en professant l’immobilité de la Terre comme attaché à une université, avait au fond une opinion toute contraire, se vantait d’avoir converti Galilée aux idées coperniciennesf, On a conservé dans l’édition des OŒEuvres de Galilée, publiée à Padoue, le fragment d’une leçon faite en 1604 sur l'étoile nouvelle de cette année, et où l’on trouve énoncées, comme article de foi, les opinions les plus étranges, On y lit en eflet : « On pourrait croire que l'étoile a été formée par la 4. Ceci résulte d’une publication de Gerard Vossius, qui ne cite ‘aucune autorité. L'assertion de cet auteur a été jugée peu digne de confiance. GALILÉE. 245 rencontre de Jupiter et de Mars, et cela avec d’autant plus de raison qu’il semble que sa formation a eu lieu à peu près au même endroit où les planètes ont été en conjonction et à la même époque. » Ces citations, je le prévois, déplairont à certains bio- graphes et deviendront le texte de violentes récrimina- tions, mais je ne saurais qu'y faire. Mon amour pour la vérité me commande de prendre pour maxime : Fais ce que dois, advienne que pourra. C’est à l’époque du premier professorat à Padoue que certains historiens font remonter l'invention du ther- momètre qu'ils attribuent à Galilée. Ce point de la science ne peut malheureusement point être éclairci par des titres écrits, car il n’en est pas question dans les ou- vrages de Galilée. Ce qu’il y a de plus certain, c’est que le compas de proportion, invention si utile aux dessina- teurs, prit naissance vers le même temps dans cette vaste intelligence. Galilée était encore professeur à Padoue, lorsqu’en 1609, la nouvelle se répandit que l’on venait d'inventer en Hollande un instrument qui avait la propriété de faire voir les objets éloignés comme s'ils étaient près. Galilée le reproduisit, le dirigea vers le ciel, y fit des découvertes que nous mentionnerons bientôt et dont la science ne perdra jamais le souvenir. Des personnes incompétentes ont représenté ces découvertes comme le fruit d’une ardeur sans exemple, et elles s'émerveillent au sujet de la rapidité avec laquelle elles se succédèrent. Sans prétendre amoindrir les justes sentiments de surprise et d’admiration qwelles excitèrent, disons, pour rester dans les limites de 246 GALILÉE. la vérité, que cette rapidité n’avait rien d'étonnant: quel- ques heures auraient pu suflire à toutes les observations que fit Galilée dans les années 1610 et 1611. Le sénat de Venise, croyant qu'avec les ressources que fournirait l'instrument nouveau, ses marins pourraient toujours éviter ou surprendre les-ennemis, décida, en témoignage de reconnaissance pour Galilée, qui, d’après les règle- ments, n'avait été engagé que temporairement, qu'il conserverait sa chaire à Padoue, sa vie durant, avec les appointements de mille florins. | _Gette fois, le grand-duc de Toscane ne fut pas moins libéral envers celui qu'on proclamait l'inventeur des lu- nettes, Le 40 juillet 1610, Galilée fut nommé premier mathématicien et philosophe de son souverain. Séduit par ces prévenances, il eut la fatale pensée d'abandonner Padoue où il jouissait d’une grande liberté d’opmion, pour rentrer dans son pays natal qui subissait alors l’influence presque indéfinie des moines. Les savants de notre époque ne verront peut-être pas sans surprise, dans le diplôme grand-ducal de 1610, à la suite duquel Galilée se détermina à quitter Venise «et à rentrer à Florence, quelques expressions qui leur sem- bleront blesser la dignité de l’homme de lettres: celles par exemple dans lesquelles le grand-duc cite au nombre des titres qui l’engagèrent à conférer à Galilée de nou- velles faveurs, le vasselage et la servitude (vassallaggio .e servit) dont la philosophie, dit le diplôme, avait tou- jours fait profession. (Venturi, tome 1, page 158. ) = Nous devons dire que Galilée se plaignait du temps que lui faisaient perdre ses leçons de Padoue, et dans sa GALILÉE. 247 lettre au grand-duc avant de rentrer à Florence, il le suppliait par-dessus tout de lui donner un peu de loisir, afin qu'il pût travailler à l'achèvement des ouvrages qu’il avait déjà commencés. Peu de temps après son arrivée à Florence, il se rendit _ à Rome pour montrer à des personnages éminents, qui en avaient témoigné le désir, les remarquables nou- veautés qu’il avait observées dans le ciel. Ce voyage ajouta beaucoup à l’auréole de gloire dont le philosophe toscan était justement entouré, mais l’envie commença dès cette époque à s’agiter sourdement contre lui. - Peu de temps après son retour en Toscane et avant l'année 1612, Galilée inventa, dit-on, le microscope. Pour établir le fait, on cite le passage suivant d’un ou- vrage, publié à Venise en 1612, intitulé Ragguagli di Parnaso di Trajano Boccalini. . « Des occhiali sont faits avec une telle habileté que quelques-uns font paraître les puces comme des élé- phants, les pygmées comme des géants. Ils sont assidû- ment recherchés de plusieurs grands, qui les posant sur le nez de leurs courtisans, altèrent la vue de ces pauvres diables. » Ce passage est une véritable plaisanterie de l’auteur et ne prouve nullement ce qu’on a cru y trouver, que le microscope existait à la date de la publication de l’ou- vrage. Boccalini n’avait certainement pas vu de micro- scopes proprement dits, car ces instruments ne se posent pas sur le nez. Le microscope qui aurait servi à faire voir une puce 248 GALILÉE. grande comme un éléphant, appliqué à l'observation d’un pygmée, n’en eût montré dans l'étendue de son champ qu’une partie insignifiante, telle que l’image des cheveux d’une autre très-petite partie du corps. Boccalini sachant que les lunettes, que les occhiali augmentaient les dimen- sions apparentes des objets éloignés, a cru qu’ils pour- raient également servir à l’agrandissement des objets voisins, et s’est livré, à ce sujet, à des plaisanteries dont on ne peut rien déduire, car elles n’étaient certainement fondées que sur des analogies imaginaires et nullement sur l’observation d’un fait. | C’est vers l’époque où nous sommes arrivés que Galilée publia son ouvrage si remarquable sur les corps flottants. On trouve dans ce traité le principe des vitesses virtuelles, dont les géomètres, dont Lagrange surtout, ont tiré un si grand parti. L'auteur de la Mécanique analytique se pro- nonce sur l'invention de Galilée dans des termes si caté- goriques, si positifs, qu’ils ne laissent aucune place au doute. Les leçons dans lesquelles Galilée soutenait le système de Copernic donnèrent lieu à une vive polémique de la part des péripatéticiens, partisans du système de Ptolé- mée, et, ce qui était bien plus dangereux, de la part des théologiens qui prétendaient que la doctrine du chanoine de Thorn était contraire aux saintes Écritures. Les adversaires de Galilée, aussi ignorants que su- perstitieux, ne cessaient de répéter le Terra in æternum stat de l'Écriture, et le passage où il est dit que Josué commanda au Soleil de s'arrêter. En réponse à ses ennemis, Galilée écrivit, en 1615, GALILÉE. 219 une lettre à la grande duchesse Christine de Toscane, dans laquelle, prenant la question au point de vue théolo- gique, ils’efforçait de prouver que la Bible avait jusque- là été mal interprétée. Cette prétention d’un savant non engagé dans les ordres religieux à expliquer les saintes -Écritures, excita à Rome une grande rumeur, et fut considérée comme l’empiétement le plus dangereux sur les prérogatives de l’Église. Pour essayer de dissiper l'orage, Galilée se rendit une seconde fois dans la ville éternelle ; mais il y trouva des préventions beaucoup plus vives qu’il ne l’avait supposé. Les moines, ses antagonistes, avaient circonvenu tous les cardinaux. Les démonstrations savantes et lucides de Galilée n’eurent enfin pour résultat que la publication d’un décret du saint-office par lequel les ouvrages de Copernic et de Foscarini, religieux carme, furent cen- surés et prohibés, Quant à lui, s’il échappa à une censure explicite, c’est qu’il n’avait rien publié jusque-là à l'appui du double mouvement de la Terre. L’inquisition avait dans ses décrets établi une diffé- rence essentielle entre l'ouvrage de Copernic et celui de Foscarini ; ce dernier était totalement supprimé, l'ouvrage de Copernic devait être corrigé. Entre autres corrections, on devait effacer tous les passages dans lesquels la Terre est appelée Sidus (astre) 1, 1. La dissertation de Foscarini est de 1615 ; elle a été reproduite dans l'édition des CEuvres de Galilée qui parut à Milan en 1811. Le moine carme napolitain cherche à concilier le sens littéral de divers passages de l’Écriture avec le système de Copernic, en fai- sant remarquer que la Bible, que la Genèse ne sont pas des ouvrages de science, et que pour être compris il fallait bien se conformer en 250 GALILÉE. Le Saggiatore, qui parut en 1623, est un écrit de polémique scientifique publié par Galilée, contre le Père Grassi, jésuite, à l’occasion des trois comètes de 1618. | Dans l’année 1623, le cardinal Barberini fut élu pape sous le nom d’Urbain VIII; Galilée, qui l'avait connu auparavant, se rendit à Rome pour le féliciter. Le nouveau pontife le reçut avec de grandes démonstrations d'intérêt, Galilée profita de ce troisième voyage pour demander la permission d'imprimer des Dialogues dans lesquels trois interlocuteurs sous les noms de Salviati, Sagredo et Sim- plicius discutent les questions coperniciennes qui, dans ce temps, étaient à l’ordre du jour. La permission fut accor- dée, puis retirée. De retour à Florence, Galilée obtint des agents de l’inquisition en cette ville, qu’il n’instruisit pas de ce qui s'était passé à Rome, l'autorisation d'y imprimer ses Dialogues. Les censeurs florentins du saint-office, accordèrent la apparence aux idées et aux préjugés de la multitude. C’est ainsi que les astronomes nos contemporains disent que le Soleil se lève et se couche, quoique aucun d’eux ne doute que ces deux phénomènes tiennent au mouvement de rotation de la Terre sur son centre. Tout cela était très-raisonnable ; néanmoins, il est permis de douter que la dissertation de Foscarini, dont on ne peut méconnaître la prolixité, eût acquis une aussi grande célébrité si elle n'avait été l’objet de la sévérité dés inquisiteurs. Il est vrai que l’auteur se livre à diverses recherches quelque peu étrangères à son objet principal et relatives à la place qu’on doit donner à l’Empyrée, à la question de savoir si l’Enfer est au centre de la Terre; au rapport qu’il peut y avoir entre les diverses bran-. ches des chandeliers qui existaient dans le temple et le véritable système du monde, etc., etc. Tout cela est plein d'érudition, mais aujourd’hui très-peu digne d'intérêt, GALILÉE. 254 permission. désirée, trompés sans doute par l’avertisse- ment dont l’auteur avait fait précéder cet ouvrage , et qui est-conçuen ces termes : « On a promulgué à Rome, il y a quelques années, un édit salutaire, où pour obvier aux scandales dangereux -de notre sciècle, on imposait silence à l’opinion pythago- ricienne du mouvement de la Terre. Il y eut des gens qui avancèrent avec témérité que ce décret n'avait pas été le résultat d’un examen judicieux, mais d’une passion mal informée; et l’on a entendu dire que des conseillers tout à fait imexperts dans les observations astronomiques, ne devaient pas, par une prohibition précipitée, couper les ailes aux esprits spéculatifs. Mon zèle n’a pas pu se taire en entendant de telles plaintes; j’ai résolu, comme plei- nement instruit de cette prudente détermination, de paraître publiquement sur le théâtre du monde, pour rendre témoignage à la vérité. J'étais alors à Rome, où je fus entendu et même applaudi par les plus éminents prélats : ce décret ne parut pas sans que j'en fusse informé. Mon dessein, dans cet ouvrage, est de montrer aux nations étrangères que sur cette matière on en sait en Italie, et particulièrement à Rome, autant qu’il a été possible d'en imaginer ailleurs. En réunissant mes spécu- lations sur le système de Copernic, je veux faire savoir qu’elles étaient toutes connues avant la condamnation, et que l’on doit à cette contrée, non-seulement des dogmes pour le salut.de l’âme, mais encore des découvertes ingé- nieuses pour les délices de l'esprit. » L'ouvrage de Galilée fut recu avec des applaudisse- ments presque universels, ce qui irrita au dernier point 252 GALILÉE. les ennemis du grand philosophe, Ils le dénoncèrent à Rome, et Galilée, âgé alors de soixante-dix ans, malgré l'état très-précaire de sa santé, malgré une maladie con- tagieuse qui avait fait établir un cordon sanitaire sur les frontières de la Toscane, fut obligé de se rendre dans la capitale du monde chrétien. Il y arriva le 43 février 1633, et fut reçu chez Nicco- lini, l'ambassadeur du grand-duc de Toscane. Maïs, au mois d'avril, on le contraignit de se rendre pour quelques jours dans les prisons de l’Inquisition, après quoi on lui permit de rentrer chez l'ambassadeur Niccolini; enfin, la sentence définitive fut rendue le 20 juin suivant. On trouve dans la relation originale du procès, ces mots, que les juges, dans une des phases de l'instruction, eurent recours à un rigoureux examen. Un grand nombre de personnes ont conclu de cette formule que Galilée fut soumis à la torture : heureusement la vérité de cette interprétation n’est pas démontrée, en sorte que rien n'autorise à ajouter cette affreuse barbarie à la série d'actes injustifiables qui marquèrent ce scandaleux pro- cès !, La sentence des inquisiteurs portait que l’auteur des Dialogues était condamné à la détention dans les prisons du Saint-Office, suivant le bon plaisir du pape. On lui dicta aussi une formule d’abjuration qu’il fut 1. On s’est appuyé, pour soutenir l'opinion que Galilée fut mis à la torture, sur ce fait qu’au moment où il quitta définitivement Rome il était atteint d'une hernie, dont il ne se plaignait pas anté- rieurement. Je donne cet argument pour ce qu'il vaut, et sans y ajouter une foi absolue, GALILÉE. 253 tenu de prononcer à genoux, et qui était conçue en ces termes, que j'emprunte à l'Histoire de l’Astronomie de Delambre : « Moi, Galileo Galilei, fils de feu Vincent Galilée, Flo- rentin, âgé de soixante-dix ans, constitué personnelle- ment en jugement, et agenouillé devant vous, éminen- tissimes et révérendissimes cardinaux de la république universelle chrétienne, inquisiteurs généraux contre la malice hérétique, ayant devant les yeux les saints et sacrés Évangiles, que je touche de mes propres mains; je jure que j'ai toujours cru, que je crois maintenant, et que, Dieu aidant, je croirai à l’avenir tout ce que tient, prêche et enseigne la sainte Église catholique et aposto- lique romaine; mais parce que ce Saint-Office m'avait juridiquement enjoint d'abandonner entièrement la fausse opinion qui tient que le Soleil est le centre du monde, et qu’il est immobile; que la Terre n’est pas le centre, et qu’elle se meut; et parce que je ne pouvais la tenir, ni la défendre, ni l’enseigner d’une manière quelconque, de voix ou par écrit, et après qu’il m'avait été déclaré que la susdite doctrine était contraire à la sainte Écriture, j'ai écrit et fait imprimer un livre dans lequel je traite cette doctrine condamnée, et j'apporte des raisons d’une grande efficacité en faveur de cette doctrine, sans y joindre aucune solution ; c’est pourquoi j'ai été jugé véhé- mentement suspect d’hérésie pour avoir tenu et cru que le Soleil était le centre du monde et immobile, et que la Terre n’était pas le centre et qu’elle se mouvait. C’est pourquoi, voulant effacer des esprits de vos Éminences et de tout chrétien catholique cette suspicion véhémente 254 GALILÉE. conçue contre moi avec raison, d’un cœur sincère et d’une foi non feinte, j’abjure, maudis et déteste les susdites erreurs et hérésies, et généralement toute autre erreur quelconque et secte contraire à la susdite sainte Église: et je jure qu’à l'avenir je ne dirai ou aflirmerai de vive voix ou par écrit, rien qui puisse autoriser contre moi de. semblables soupçons; et si je connais quelque: hérétique ou suspect d’hérésie, je le dénoncerai à ce Saint-Oflice, ou. ‘ à l’inquisiteur, ou à l'ordinaire du lieu. dans lequel je serai. Je jure en outre, et je promets, que je remplirai et observerai pleinement toutes les pénitences qui me sont imposées où qui me seront imposées par ce Saint- Office; que s’il m'arrive d’aller contre quelques-unes de mes paroles, de mes promesses, protestations et serments, ce que Dieu veuille bien détourner, je me soumets à toutes peines et supplices qui, par les saints canons et autres constitutions générales et particulières, ont été statués et promulgués contre de tels délinquants. Ainsi, Dieu me soit en aide et ses saints Évangiles, que je touche de mes propres mains. « Moi, Galileo Galilei susdit, j'ai abjuré, juré, pro- mis, et me suis obligé comme ci-dessus, en foi de quoi, de ma propre main, j'ai souscrit le présent. chirographe de mon abjuration , et l’ai récité mot à mot à Rome, dans le couvent de Minerve, ce 22 juin 1633. « Moi, Galileo Galilei, j'ai abjuré comme dessus de ma propre main. » On raconte qu'après l’abjuration, Galilée, en se rele- vant, dit à demi-voix et en frappant la terre des pieds, e pur si muove (et cependant elle se meut); mais le fait GALILÉE. 255 n’est pas avéré, c’eût été de la part de l’illustre condamné une trop grande imprudence pour qu’on doive supposer que ces paroles sortirent de sa bouche. | Telle est, en abrégé, l’histoire de l’odieux procès qui marquera d’un stigmate indélébile le tribunal au nom . duquel la sentence fut rendue, et les juges qui y apposè- rent leurs noms 1. Conçoit-on rien de plus dégradant que abicitièn dans laquelle on plaça l’immortel vieillard de se parjurer et de déclarer avec les formes les plus respectables qu’on put trouver, qu’il tenait pour fausse une doctrine dont ses profondes études lui avaient démontré la vérité. Il n’est pas de torture physique plus cruelle que la torture morale qui fut infligée à Galilée; pas une âme honnête ne me démentira. Le souvenir de ces procédés barbares laisse à peine assez de liberté d'esprit pour examiner si le grand philosophe n’eut pas quelques reproches à se faire pen- dant les phases diverses de ce déplorable procès. Quoi qu’il m'en coûte, j’examinerai de quelle manière il se défendit, Pour expliquer comment, dans son Dialogue, les argu- mentsen faveur du mouvement de la Terre sont présentés avec plus de force que leurs réfutations, il dit : « qu’il a cédé à l’envie que chacun a de se montrer plus fin que le commun des hommes, en trouvant pour les propositions Hapsocs, d'ingénieux et de spécieux discours de proba- ne plus grande preuve que je n’ai point tenu et ne 4. Voici les noms des cardinaux qui ont signé la sentence : d’As- coli, Beutivoglio, de Cremone, Saint-Onufre, Gypsius, de pois = Ginetti. 256 GALILÉE. tiens point pour vraie l'opinion susdite du mouvement de la Terre et de la stabilité du Soleil, je suis prêt à en faire une plus grande démonstration. » Les examinateurs de l’Inquisition jugèrent que ses réponses manquaient de sincérité, et, cette fois, on peut convenir qu'ils avaient raison. | Si l’on ne devait faire une très-large part à l’âge, aux infirmités et à la situation dans laquelle on avait placé Galilée, on serait vraiment désolé de trouver dans l’acte d’abjuration qu’il souscrivit, la promesse de dénoncer au Saint-Office, à l’inquisiteur, ou à l’ordinaire du lieu de sa résidence, toute personne, qui, à sa connaissance serait suspecte d’hérésie. Jordano Bruno, quelques années auparavant, avait montré une bien plus grande fermeté, en s’écriant devant le bûcher qui devait le consumer : « La sentence que vous venez de me lire, prononcée au nom d’un Dieu de miséricorde, vous fait peut-être plus de peur qu’à moi-même, » Certains écrivains français ont fait remarquer avec une grande satisfaction que ces actes odieux d’une supersti- tieuse ignorance ne se sont pas accomplis dans notre 1. Jordano Bruno avait soutenu dans des livres qui ne contribuè- rent pas peu à sa condamnation par les inquisiteurs, que chaque étoile était un soleil autour duquel circulaient des planètes sem- blables à la Terre. | 11 émit la pensée qu’il y avait dans notre système plus de planètes que nous n’en voyons, et que, si nous ne les apercevions pas, cela tenait à leur excessive petitesse et à leur grand éloignement de la Terre, | GALILÉE. 2:57 pays, mais je les avertis qu'ils auraient tort de trop s’abandonner à cet honorable sentiment. Les parlements et la Sorbonne renfermaient à diverses époques des juges qui, sans appartenir à l’inquisition, n’en étaient pas moins passionnés et imbus de tous les préjugés de leur âge. J'ai dans les mains deux exemplaires d’un ouvrage, publié en 4634, par un homme très-pieux, le père Mer- senne, religieux minime, et intitulé : Les Questions théo- logiques, physiques, morales et mathématiques. Dans l’un de ces exemplaires se trouve une analyse du premier dialogue de Galilée; dans l’autre, on n’en voit pas de traces; tout ce qui était relatif au mouvement de la Terre, fut remplacé par une dissertation concernant la force de la voix. La suppression de l’analyse du premier dialogue de Ga- lilée etson remplacement, à l’aide de ce qu’on appelle en imprimerie un carton, par une dissertation sur la force de la voix, ne peut s'expliquer qu'en admettant que les au- torités ecclésiastiques ou judiciaires de l’époque exigèrent ce changement, et cependant le père Mersenne, auteur de l’ouvrage, avait publié à la suite de l’analyse du pre- mier dialogue, le jugement textuel de la congrégation de l'index. Il m'a paru utile de montrer ici par une preuve matérielle qu'au commencement du xvrr' siècle, on n’était ni plus éclairé, ni plus tolérant en France qu’en Italie. Le pape, quoiqu'il eût manifesté l’opinion que l’ou- vrage de Galilée était aussi pernicieux que les écrits de Calvin et de Luther, commua la peine stipulée dans la sentence en une relégation dans le jardin de la Trinità dei Monti. Bientôt après, on permit à Galilée de partir IL, — 1x. 17 938 GALILÉE. pour Sienne, où il logea pendant cinq mois chez un de ses anciens élèves , l’archevêque de cette ville. Ensuite if obtint la permission d’habiter non loin de Florence, à Arcetri, une maison de campagne qui lui fut assignée pour prison, et dans laquelle, je le dis avec douleur, on lui refusa pendant longtemps de recevoir ses amis. Ala fin, l’Inquisition s’était un peu relâchée de extrême rigueur qu’elle avait mise d’abord à surveiller la retraite d’Arcetri. Le grand-duc de Toscane et quelques amis allaient de temps à autre consoler illustre vieillard. Des étrangers eux-mêmes obtinrent la permission de le visi- ter; dans le nombre nous pouvons citer Milton. Oh! combien il eût été à souhaiter que des savants italiens ou anglais eussent pu nous racônter’en détail ce qui se passa dans cette entrevue! De courtes réflexions calmeront nos regrets; l’auteur des Dialogues était alors bien vieux et accablé d’infirmités, Les cruelles perséeu- tions dont il souffrait lui commandaient la plus grande réserve; Milton, très-jeune encore, ne dut paraître à Ja victime de l’Inquisition qu'un voyageur instruit et plein d'imagination, Ce ne fut que beaucoup plus tard que Pauteur du Paradis perdu conquit limmortalité, Galilée avait été doté par la nature d’un tempérament fort et vigoureux ; mais des études excessives! et quelques habiludes antihygiéniques altérèrent sa santé. On raconte entre autres qu'à Padoue, à l'âgé de trente ams, il se couchait pendant l'été , tous les après-midi, à côté d'une fenêtre ouverte par laquelle s’introduisait dans sa chambre de l’air artificiellement refroidi à l’aide d’une chute d’eau. De là résultèrent des douleurs très-vives dans les jambes, GALILÉE. 259 dans la poitrine, dans le dos, accompagnées de fréquentes hémorrhagies et de perte de sommeil et d’appétit. Il res- sentit toute sa vie, avec plus ou moins d'intensité, les fâcheux effets de son imprudence. … Lorsque la vue de l'illustre philosophe commença à s’affaiblir pendant son dernier séjour à Arcetri, les méde- cins espérèrent d’abord que c’était l'effet d’une cataracte naissante, à laquelle l’art chirurgical aurait apporté un prompt remède; mais bientôt il fut constaté que la mala- die provenait d’une opacité de. la cornée diaphane qui alla croissant avec une grande rapidité, en sorte que: les yeux privilégiés auxquels il avait été donné de faire de si nombreuses, de si brillantes découvertes, ne distinguaient plus le jour de l’obscurité. Ge, malheur arriva en 1637. + Galilée: mourut le: 8 janvier 1642, l’année. même de la naissance de Newton. Galilée était d’une taille au-dessus de la moyenne : il avait une, très-belle figure, ses yeux brillaient du plus vif éclat; mais ses cheveux étaient rouges. Galilée ne fut jamais marié; en 1638, il fit un testa- ment en. faveur de son, fils naturel, Vincent Galilée, et.de sa.fille Arcangela , religieuse dans un couvent d’Arcetri, Il demandait. aussi que son corps fût transporté à Flo- rence, et déposé dans une tombe de famille située dans l'église de Santa-Croce. .… Des fanatiques prétendirent que ces dispositions étaient entachées. de nullité comme émanant d’un homme qui dans le moment subissait une condamnation infligée par l’inquisition. Il: ne fallut rien moins qu'une consultation des légistes les plus célèbres de Florence en droit cano- 260 GALILÉE. nique pour que les volontés de Galilée fussent respectées. Dès que le corps de Galilée eut été déposé à Santa-Croce, cent quarante admirateurs de l’immortel physicien pro- posèrent de lui élever un monument à leurs frais, Mais Niccolini, ambassadeur du grand-duc de Toscane à Rome, conseilla d'attendre des temps meilleurs pour donner suite à ce projet. Ce n’est qu’en 1737, presque un siècle après, qu'on a exécuté dans un des lieux les plus apparents de l'église de Santa-Croce un beau monument en marbre, que les voyageurs de tous les pays ne manquent jamais d’aller visiter, et qui rappelle à la fois la gloire d’un des plus grands hommes que la Toscane ait produits, et les persécutions hideuses qui abreuvèrent ses derniers jours. Le pape Benoît XIV annula la sentence de l’inquisition qui condamnait les ouvrages de Galilée. La théorie du mouvement de la Terre est aujourd’hui enseignée partout, même à l’Observatoire romain que dirigent les jésuites. Voyez en preuve ces lignes, que j'extrais d’un Mé- moire du père Secchi, jésuite, sur les observations du pendule, publié à Rome, en 1851. « Le mouvement de rotation de la Terre autour de son axe, est une vérité qui de nos jours n’a pas besoin d’être démontrée; elle est, en effet, un corollaire de toute la science astronomique. » | Les Italiens, seuls bons juges en pareille matière, ran- gent Galilée parmi les premiers prosateurs dont leur pays puisse s’honorer; ils vont jusqu'à le mettre sur la ligne de Machiavel. Galilée était dans sa jeunesse un grand admirateur de l’Arioste; il savait tout le Roland furieux par cœur, GALILÉE. 261 Il prit une part active et quelque peu brutale à la dis- pute qui s’éleva de son temps en Italie sur le mérite com- paratif de l’Arioste et du Tasse. Il avait alors coutume de dire : « Lire le Tasse après l’Arioste, c’est manger du concombre après du melon. » Ses opinions à ce sujet se modifièrent avec l’âge, et l'on rapporte qu’il répondait à la fin de sa vie, à ceux qui lui demandaient son jugement définitif sur la Jérusalem délivrée et l'ouvrage de l’Arioste : « Le poëme du Tasse me paraît le plus beau, mais celui de l'Arioste me fait plus de plaisir, » Les persécutions dont Galilée fut l’objet à la fin de sa vie, ont laissé un souvenir si poignant, qu’au moment de la réaction en faveur de ce grand homme, ses compa- triotes en ont fait en quelque sorte un dieu. Cependant l'historien impartial a plus d’une observation critique à lui adresser. Pour ne pas laisser cette remarque à l’état de pure assertion, pour prouver que Galilée lui-même n’était pas infaillible, faisons quelques citations. Dans une lettre de 1612, Galilée donne son entier assentiment aux mouvements épicycloïdaux : « Non-seu- lement, dit-il, il y a beaucoup de mouvement dans des épicycles, mais encore il n’en existe pas d’autres. » Cepen- dant à cette époque, Kepler lui avait envoyé depuis trois ans sa théorie de Mars, | Kepler avait consacré son Prodrome, publié en 1596, aux développements du système de Copernic en faveur duquel ses propres recherches avaient fourni les plus puis- sans arguments. Galilée, par un sentiment indéfinis- sable, n’en a jamais parlé, pas plus qu’il ne mentionne 262 GALILÉE. les admirables lois auxquelles la postérité a donné si jus- ‘tement le nom du célèbre astronome allemand. sf Ona peine à comprendre les doutes que Galilée dont sur les observations de Tycho, destinées à fixer la région dans laquelle se meuvent les comètes, Les idées au sujet de ces astres, consignées dans le Saggiatore, sont une ombre dans la brillante carrière scientifique du grand philosophe italien. Nous pouvons dire la même chose de son hypothèse sur la formation de certaines étoiles nouvelles par l’in- fluence des planètes lorsquelles sont en conjonction. Les géomètres et les physiciens ne se sont pas associés aux anathèmes lancés par Galilée contre ceux qui ten- daient déjà de son temps à expliquer le phénomène des marées par l’action de la Lune. Galilée traite d’ineptie l'attraction de la Lune, et s'étonne que Kepler, qui venait de mourir, eût paru disposé à l’admettre, Les vues de Galilée sur ses propres travaux étaient quelquefois présentées avec une immense exagération, témoin ce passage d’une lettre à Kepler, où il déclare qu’il a dressé des tables exactes des satellites de Jupiter, « et qu’il en peut calculer les configurations passées «et futures à la précision d’une seconde, » Une pareille pré- tention serait à peine permise à celui qui pourrait se ser- vir de la totalité des observations modernes-et set guider, dans son travail, sur les perturbations données par la théorie. Ainsi, on doit recevoir avec quelque restriction l’asser- tion que Galilée était profondément modeste. Au reste, je n’admets pas et je ne pense pas qu'on GALILÉE, 263 puisse induire de l'exemple de Galilée que les hommes supérieurs, si bons juges quand ils sont appelés à appré- cier les découvertes des autres, manquent totalement d'intelligence lorsqu'ils doivent se prononcer sur le mérite réel de leurs propres travaux. Quoi qu’il en soit de ces . réflexions, voici comment dans l'intimité Galilée parlait de ses découvertes. Le passage que je vais citer est extrait d’une lettre à Diodati, en date du 2 janvier 1638 : «Ce ciel, ce monde, cet umivers que par mes obser- vations merveilleuses et mes évidentes démonstrations, j'avais agrandi cent et mille fois au delà de ce qu’avaient cru les savants de tous les siècles passés, sont maintenant devenus pour moi si restreints et si diminués, qu'ils ne s'étendent pas au delà de l’espace occupé par ma per- sonne. » (Venturi, tom. 11, page 233.) Nous pourrions, pour compléter nos appréciations, indi- quer ici l'insuffisance de quelques recherches géométri- ques de Galilée. Maisäl nous est beaucoup plus agréable d'interrompre cette énumération pour déclarer que, suivant nous, les taches que nous avons mentionnées dans ses OEuvres et celles que nous pourrions encore citer, n’empêchent pas que lon doive considérer Galilée comme un des plus grands génies qui aient honoré les sciences. Ses travaux immortels porteront jusqu’à nos derniers neveux le nom de la contrée qui l’a vu naïître, 264 GALILÉE. DATES DES PRINCIPALES PUBLICATIONS DE GALILÉE ET APPRÉCIATION DE LEUR CONTENU, En 1606, Galilée publia un ouvrage intitulé : Le Ope- raziont del compasso geometrico e militare. L'invention décrite dans cet ouvrage, qui a été réim- primé en 1612 et 1635, fut l’occasion du procès que l’auteur intenta à Balthasar Capra; celui-ci fut déclaré plagiaire par les tribunaux de l’époque. Simon Marius n'avait pas été étranger dans cette circonstance aux mauvais procédés de Capra envers Galilée. 1609 est le millésime de l’année dans laquelle Galilée construisit pour la première fois des lunettes d'approche, c'est-à-dire des instruments avec lesquels des objets éloi- gnés se voient comme s'ils étaient près. Galilée était alors professeur à Padoue. On remarque avec regret que dans la lettre qu’il écrivit au sénat de Venise pour lui annoncer sa découverte et les avantages que la république-en-reti- rerait, il ne fait aucune mention des travaux antérieurs des Hollandais, et qu’il annonce que si le sénat le désire, il ne construira aucun des instruments nouveaux que pour l'usage des marins et des armées de la république : le secret promis était évidemment inutile, puisque dès cette époque on fabriquait ces instruments en Hollande à des prix assez modérés 1, 1. Les lunettes hollandaises se vendaient publiquement chez les lunettiers de Paris, avant le mois de mai, date des premiers travaux de Galilée à ce sujet. Voici en effet ce qu’on lit dans le Journal de Pierre l’Estoile. J'emprunte cette citation au Magasin Pitloresque du mois de février 1853 : «Le jeudi 30 avril 1619, ayant passé à Paris sur le Pont-Mar- | à 6 Al & + 1 GALILÉE. 265 Galilée ne manque-t-il pas quelque peu de sincérité en présentant sa découverte, ce sont ses propres expressions, comme ayant été pour lui la conséquence des principes secrets. de la perspective ? | Les écrivains qui ne parlent de Galilée qu'avec enthou- siasme (ils ont été, ils sont et ils seront toujours très- nombreux) disent qu'il parvint en une seule nuit et par une application des principes les plus subtils de la réfrac- tion, à deviner les bases sur lesquelles devait reposer la lunette hollandaise ; mais tout cela manque de vérité ou est énormément éxagéré. Nous avons sur ce point des arguments décisifs, nous avons le récit fait par Galilée lui-même, longtemps après 1609, de la série de déductions à l’aide desquelles ce grand homme produisit ses premiers instruments. Voiciles paroles de Galilée; je les copie, en les tradui- sant, dans Nelli, l’auteur de la Vie de celui qu’il appelait l'homme divin : « Ma manière de procéder fut la suivante. L’instru- ment dont je voulais retrouver la construction est com- posé d’un ou de plusieurs verres. Ce ne peut pas être d’un seul, car la figure serait ou convexe, ou concave ou chand (depuis Pont-au-Change), je me suis arrêté chez un lunettier, qui montrait à plusieurs personnes des lunettes d’une nouvelle invention et usage. Ces lunettes sont composées d’un tuyau long d'environ un pied; à chaque bout il y a un verre, mais différents lun de l’autre : elles servent à voir distinctement les objets éloignés qu’on ne voit que très-confusément. On approche cette lunette d’un œil et on ferme l’autre, et regardant l’objet qu’on veut connaître, il paraît s'approcher et on le voit distinctement, en sorte qu'on reconnaît une personne de demi-lieue. On m'a dit qu'on en devait l'invention à un lunettier de Middelbourg, etc. » DEN ‘es 266 GALILÉE. plane, c’est-à-dire plus épaisse ou plus mince au centre que sur les bords, ou comprise entre deux surfaces parallèles. Mais cette dernière forme n’altère d'aucune manière les objets que l’on voit à travers; lé verre concave les diminue; le verre convexe les agrandit, mais les rend indistincts. Par conséquent, un de ces verres pris isolé- ment ne peut pas produire l'effet observé. Passant main- tenant à la combinaison de deux verres, et sachant que les verres à faces parallèles ne produisent aucune altéra- tion dans les objets, j’en conclus que l'effet ne pouvait pas provenir de l’accouplement de cette dernière espèce de verre avec l’un des deux autres. Je fus conduit à expé- rimenter ce qui résulterait de la combinaison de deux verres, l’un convexe, l’autre concave, et je vis que cet arrangement conduisait au but désiré. Tel fut le progrès de mes raisonnements, et le résultat me convainquit de leur vérité. » | Je demande maintenant au plus prévenu en quoi la théorie de la réfraction ou, comme le disait Galilée, en quoi les secrets de la perspective ont-ils joué un rôle dans ce que l’auteur nous raconte lui-même de la repro- duction de la lunette hollandaise. | Qui pourrait, d’après le récit qu’on vient de lire, nous dire quel était dans une lunette le rôle du verre convexe tourné du côté de l’objet, et qu’on appela depuis l'ob- jectif, et le rôle du verre concave placé à l’autre extrémité du tuyau, près de l'œil, et que, par cette raison, on à nommé invariablement l’oculaire ? | Ces rôles, j'en conviens, étaient très-dificiles à définir théoriquement à l’époque où Galilée construisit sa lunette. GALILÉE. 267 Chacun partagera sur ce point l'opinion de Huygens, lorsqu'il disait dans sa Dioptrique : « Je mettrais sans hé- siter au-dessus de tous les mortels, celui qui, par ses seules réflexions, celui qui, sans le concours du hasard, serait arrivé à l'invention des lunettes. » Quoi qu'il en soit, la lunette de Galilée produisit à Venise, malgré toutes ses imperfections, une sensation immense. Le cé- lèbre professeur nous raconte lui-même qu’il fut obligé pendant plus d’un mois, au prix d'immenses fatigues, de se tenir à côté de son instrument pour en montrer les effets à tous ceux qui étaient affamés d’en juger par eux- mêmes. On pourrait s'étonner en voyant que les Hollandais, les premiers inventeurs des lunettes, n’avaient pas eu la pensée de diriger un de ces instruments vers le ciel. Pour faire disparaître ce qu’un pareil fait avait d’extraor- dinaire, on a, après coup, publié une lettre dans laquelle on entendait évidemment insinuer que la première décou- verte des satellites de Jupiter avait eu lieu en Hollande ; mais on a rendu cette prétention improbable en faisant remarquer, par le rapprochement des dates, que l’auteur de la prétendue découverte n'avait que six ans à l’époque des premières observations de Galilée. À Galilée appartient incontestablement le mérite d’avoir fait servir les lunettes à l'avancement de l’astronomie, d'avoir découvert le premier les satellites de Jupiter. Je m'éloigne avec regret, à cette occasion, de l'opinion qu'un auteur célèbre a émise récemment à ce sujet, en faveur de son compatriote Simon Marius. On peut voir dans mon Astronomie populaire, dans le chapitre consa- 268 GALILÉE. cré à l’histoire de la découverte des satellites de Jupiter, que les prétentions de l’astronome allemand n’avaient pas de base réelle, et que Galilée, aux yeux de tout homme impartial qui saura se dégager des préjugés nationaux, doit être considéré comme l’unique auteur de cette découverte. Mars 1610. — SIDEREUS NUNCIUS, MAGNA LONGEQUE ADMIRABILIA SPECTACULA PANDENS SUSPICIENDAQUE PROPONENS UNICUIQUE, PRÆSERTIM VERO PHILOSOPHIS ATQUE ASTRONOMIS, QUÆ À GALILEO GALILEO, PATRICIO FLORENTINO, PATAVINI GYMNASII PUBLICO MATHEMATICO, PERSPICILLI NUPER À SE REPERTI BENE- FICIO SUNT OBSERVATA IN LUNÆ FACIE, FIXIS INNUMERIS, LAC- TEO CIRCULO, STELLIS NEBULOSIS, APPRIMÈ VERO IN QUATUOR PLANETIS CIRCÀ JOVIS STELLAM DISPARIBUS INTERVALLIS ATQUE PERIODIS CELERITATE MIRABILI CIRCUMVOLUTIS, QUOS NEMINI IN LEONE USQUE DIEM COGNITOS NOVISSIMÈ AUCTOR DEPREHEN- DIT PRIMUS ATQUE MEDICEA SIDERA NUNCUPANDOS DECREVIT. On trouve dans cet ouvrage des observations faites par l’auteur, avec une lunette qui grossissait environ trente fois : sur la constitution physique de la Lune, sur les nébuleuses, la Voie lactée et sur les quatre lunes de Jupiter. Galilée compare la Lune à la queue d’un paon, à cause de la quantité d’yeux ou de cavités rondes qu’on y remarque ; pour expliquer plusieurs phénomènes il a recours à une prétendue atmosphère de la Lune, Après avoir examiné diverses explications de Ja lumière cendrée, il s’arrête à celle qu’on a trouvée depuis consi- gnée dans un manuscrit du peintre célèbre Léonard de Vinci, | Il compte 80 étoiles dans le Baudrier d’Orion, où l'œil nu n’en discernait que 7. Les Pléiades, où l'antiquité GALILÉE. 269 s’était accordée à n’en voir que 6 à 7, lui en offrent 40, La Voie lactée et les nébuleuses lui paraissent des assem- blages d’une multitude d'étoiles que l'œil ne peut dis- cerner. Cet ouvrage renferme un historique détaillé de la dé- couverte des satellites de Jupiter. Le premier soupçon de Galilée sur l'existence de ces satellites remonte au 8 jan- vier 1610. Il explique les changements d'éclat que les satellites lui offrirent par l'influence d’une diaphanéité plus ou moins grande dans l'atmosphère de Jupiter ; ce qui, pour le dire en passant, eût donné à cette atmosphère des dimensions énormes et inadmissibles. L'ouvrage se termine par l’annonce d’une découverte qu’il désirait vérifier, et qu’il donne, pour prendre date, sous la forme de logogriphe. Il s'agissait de la figure singulière de Saturne. Voici l’ensemble des lettres dont se composait l’ana- gramme publié par Galilée : SMAISMRMILMEPOETALEVMIBVNENVGTTAVIRAS. Ces lettres, arrangées dans un ordre convenable, signifiaient : ALTISSIMVM PLANETAM TERGEMINVM OBSERVAYI. Kepler, qui n’était arrêté par aucun problème, quelque difficile qu’il fût, chercha avec opiniâtreté ce que pouvait renfermer l’anagramme de Galilée, et finit par en déduire un vers latin très-peu orthodoxe, grammaticalement par- 270 GALILÉE. lant, et qui annonçait une découverte faite sur: la PR Mars. ef À Le 11 décembre de la même asie 4610, Galilée publia un nouveau logogriphe relatif aux ou de Vénus. H Ce logogriphe était ainsi conçu : Haæc immatura à me jam frustra leguntur. ©. Ye: “4 Le #* janvier 1611, il en (ee \ l'explication sui- vante : | a Cynthiæ Jiguras æmulatur mater amorum. LI La: En 1612, parut l'ouvrage intitulé : Discorsointorno alle cose che stanno in su l'acqua e che in quellæ si muo- vono. ci Le but de cet ouvrage était principalement de venger Archimède des attaques des péripatéticiens ; maïs Galilée fut lui-même l'objet de Age ed acerbes et sans fonde- cenzo di Grazia. Le grand philosophe crut ne pas devoir dédaigner les élucubrations de Colombe et de Grazia, et renversa leurs arguments de fond en comble par, sa réponse; mais il eut le tort de lui donner une étendue supérieure à celle de l’ouvrage lui-même. Dans cet ouvrage, comme je l’ai déjà dit, se trouve pour la première fois le principe des vitesses virtuelles dont les géomèlres modernes ont fait de si nombreuses de si utiles ou de si belles applications. 13: janvier 1613, — Storia e dimostrazioni ‘intorno GALILÉE. 271 alle macchie solari e loro accidenti : si aggiungono nel fine le lettere e disquisizioni del finto Apelle. Dans cet ouvrage, publié à Rome, il n’est nullement faitmention des observations des taches faites par Fabri- cius, avant Galilée et Scheiner, ni des conséqences aux- quelles était arrivé l’astronome hollandais touchant le mouvement de rotation du Soleil. J'ai placé dans mon Astronomie populaire un chapitre intitulé : Quels ont été les premiers observateurs des taches solaires? Dans ce chapitre, j'ai fait voir, en ne m’ap- puyant que sur des ouvrages imprimés, que Fabricius est incontestablement l’auteur de la découverte des ta- ches noires du Soleil. J’ai ainsi tranché un débat ardent et confus qui a eu lieu à ce sujet, et sur lequel il n’est pas possible de ne pas revenir dans cette revue des OEuvres de l’immortel savant, Avant tout je dois m’expli- quer sur les principes qui doivent servir de règle aux historiens des sciences. Quelle plainte légitime pourrait faire entendre celui qui, amoureux de ses découvertes comme l’avare l’est de ses trésors, les enfouit, se garde même de les laisser soupconner, de peur que quelque autre expérimentateur ne les développe ou ne les féconde. Le public ne doit rien à qui ne lui a rendu aucun service. Oh! je vous entends! vous vouliez prendre le temps de compléter votre ouvrage, de le suivre dans toutes ses ramifications, d’en indiquer les applications utiles! Libre à vous, messieurs, libre à vous; mais c’est à vos risques et périls. D’ailleurs, vos craintes de spoliation sont exagérées, Où a-t-on vu, en effet, que le monde scientifique ait manqué de poursuivre de ses 272 GALILÉE. justes colères, de ses écrasants mépris, les personnages stériles qui, aux aguets des travaux de leurs contempo- rains, ne manquent jamais de se jeter sur un filon le en- demain même du jour où quelque heureux explorateur l’a découvert; qui se montrent sans cesse aux croisées, à tous les étages des édifices en construction, dans l’espé- rance qu'on les en croira les architectes ou les proprié- taires ? Le plus simple bon sens veut que pendant un temps limité, mais suffisamment étendu, une possession privi- légiée, absolue, soit accordée aux inventeurs ; cette stricte justice leur a-t-elle jamais été refusée? Si un homme déloyal va moissonner sur le champ qu’il n’a pas ense- mencé , la réprobation générale est là pour le punir. Non, non ! il ne faut pas s’y tromper : en matière de décou- vertes, comme en toute autre chose, l'intérêt public et l'intérêt privé bien entendu marchent toujours de com- pagnie. J’ai parlé de publication. J’appelle ainsi toute lecture académique, toute leçon faite devant un nombreux audi- toire, toute reproduction de la pensée par la presse. Les communications privées n’ont pas l’authenticité néces- saire. Les certificats d’amis sont sans valeur : l'amitié manque souvent de lumières et se laisse fasciner. En rappelant des principes dont l'historien des sciences ne saurait assez se pénétrer, je n'ai pas entendu, Dieu m'en garde! venir en aide à ces écouteurs aux portes qui chaque jour confient à la presse le secret dont ils sont parvenus à s'emparer la veille, Dérober une pensée, est à mes yeux un crime encore plus impardonnable que de dérober de l’argent ou de l'or. Un titre imprimé peut GALILÉE. 273 donc être soumis aux mêmes vérifications qu’un billet de banque. Il faut que les intéressés aient le droit de s’in- scrire en faux ; il faut que les dires contradictoires soient débattus avec une stricte justice, condition qui, sauf de très-rares exceptions, me paraît devoir entraîner le rejet . de toute réclamation posthume. _Je viens de dire que des lectures académiques, que des lecons orales professées devant un nombreux audi- toire, pouvaient quelquefois marcher de pair avec des publications véritables. Voyons si dans la question de la découverte des taches solaires il existe des titres, des documents de cette nature, qui doivent faire. modifier la conclusion que j'ai avancée sur l’attribution que l’on doit faire de cette découverte à Fabricius, et non pas à Galilée ou à Scheiner. De lecture académique, il n’y en eut point, Peut-être voudra-t-on assimiler à une leçon publique l’observation des taches solaires, faite à Rome, en 1611, devant des seigneurs italiens, dans le jardin du cardinal Bandini. L’indication de l’année ne suffit pas ici : il faut encore connaître le mois; or, deux attestations sont produites. L’archevêque Dini déclara, le 2 mai 1615, qu’il était au jardin Quirinal avec Galilée à l’époque de l'observation citée, mais sans dire quelle était cette époque; c’est l’édi- teur des œuvres de Galilée qui donne aux observations du jardin de Monte-Cavallo, la date d’avril ou de mai 1611. Monsignor Gucchia, de son côté, attesta, le 16 juin 1612 , que Galilée lui avait parlé (diede nolizia a bocca) de ces mêmes taches il y avait plus d’un an. A toute ILE, — 1x, 18 274 GALILÉE. rigueur, Gucchia ne nous ablige pas de remonter plus haut que le 45 juin 1611. Prenons la date de mai comme la véritable. La date de mai nous semble nécessairement postérieure à celle de l’observation de l’astronome hollan- dais. Fabricius, en effet, signait la dédidace de son livre le 43 juin 1611 ; or, dans ce livre il est question de taches qui, après avoir été observées sur le disque, disparurent à l'occident ; qui se montrèrent ensuite sur le bordopposé. Ce ne serait pas trop accorder, assurément, que de por- ter à deux ou trois mois le temps qui fut nécessaire pour faire de telles observations, pour les rattacher à une théorie plausible, pour composer l'ouvrage que nous connaissons, quelque peu volumineux qu’il soit, et pour l'imprimer. Cette hypothèse nous reporterait aux pre- miers jours de mars ou d'avril. Fabricius déclarait, au surplus, que ses observations dataient du commencement de 1611, à une époque où rien ne pouvait lui faire soup- çonner que sa découverte donnerait naissance à des ques- tions de priorité. | Scheiner fait remonter vaguement ses premières obser- vations des taches solaires, aux mois d'avril ou de mai 1611, mais aucune attestation précise n’est produite à l'appui de cette assertion. Ajoutons que, suivant Scheiner lui-même, l’apparition des taches, au commencement de 16114, fixa peu son attention, et qu’il ne s’en occupa sérieusement qu’en octobre 46114. À cette dernière date il cherchait encore à s’assurer que les taches métaient pas des ordures ou des défauts dans les verres; que pou- vaient donc être les prétendues observations de mai ? Dix-neuf ans après la discussion de priorité que je viens GALILÉE. 275 d'analyser, le 27 septembre 4631, le frère Fulgence Micanzio écrivait que Galilée vit à Venise les taches du Soleil, en se servant de sa première lunette, et qu’il les montra au padre Maestro Paolo (Sarpi) sur un carton blanc. D’après cette déclaration tardive, la découverte remonterait au mois d’août 1610. Malgré toute ma déférence pour le théologien de la séré- nissime république, je dois présenter ici quelques diffi- cultés.. | L'observation de Venise, dit le frère Fulgence, fut faite en jetant l’image solaire sur un carton. Si par l’image solaire il faut entendre celle que donnait l'objectif tout seul, je remarquerai qu’elle était évidemment trop petite (environ 9 millimètres de diamètre, valeur de 31 minutes sur un rayon d’un mètre), pour qu’on y vit des taches ordinaires. Si l’on a voulu parler de l’image produite par l’action simultanée de l'objectif et de l’oculaire, je deman- derai comment il se fait que plus tard Galilée ait lui- même parlé de Castelli comme étant l'inventeur de ce moyen d'observer le Soleil. Il m'en coûte de jeter du doute sur la sincérité de quelques admirateurs de l’immortel observateur italien; mais les faits parlent d'eux-mêmes. En tout cas, j’use d’un droit dont plusieurs historiens de Galilée ont abusé. Voyez Nelli, par exemple : ne rejette-t-il pas sans discus- sion et avec un dédain superbe les assertions à l’aide des- quelles Bianchi prétendait donner au prince Cesi la décou- verte du microscope (tome 1, page 190); si Grisellini croit pouvoir associer Sarpi à la reproduction de la lunette en Etalie, l'historien irascible hésite-t-il à appeler 276 GALILÉE. l’œuvre de Grisellini une imposture; enfin, Borel, l’au- teur d’un travail si souvent cité, intitulé : De vero Teles- cop inventore , n'est-il pas appelé par le même Nelli, cet impudent Français (questo impudente Francese, tome 1, page 174)? Galilée, Dieu me garde de l’en blâmer, était loin de se montrer indifférent sur le droit de propriété en fait de découvertes. Ses premières remarques sur la forme de Saturne furent communiquées au public dans un logo- griphe inextricable. Le 11 décembre 1610, il crut aussi devoir s’assurer la priorité de l’observation des phases de Vénus, en les enveloppant dans une anagrame devenue célèbre, Pourquoi, profitant de l’occasion, n’en aurait-il pas fait autant pour la découverte, autrement capitale, autrement inattendue, des taches du Soleil, si cette décou- verte eût remonté aux derniers temps du séjour de Galilée à Venise, c’est-à-dire au mois d'août 14610? Cette diffi- culté restera certainement sans réponse satisfaisante. Dans l'édition que l’Académie des Lincei donna en 1613 des Traités de Galilée sur les taches solaires (Sto- ria e dimostrazioni intorno alle macchie solari) se trouve une préface de M. Angelo de Filiis, bibliothécaire de la Société, Cette préface est destinée évidemment à faire valoir les droits de l’illustre astronome à la découverte des taches. M. Angelo rappelle les observations du jardin du cardinal Bandini, et désigne les personnes qui y assis- tèrent, savoir : le cardinal lui-même, Messeigneurs Cor- sini, Dini, Cavalcanti; le sieur Giulio Strozzi, etc. Il parle d'observations antérieures de Florence, sans citer personne ; enfin, il ne dit pas un mot, pas un seul mot GALILÉE, 271 des prétendues observations de Venise! M. Angelo avait eu cependant sur ce point des relations personnelles avec Galilée. Un Italien qui, récemment, a traité le même sujet, ne s’est pas contenté, lui, des observations certaines de Rome, des observations hypothétiques de Florence et de Venise. Il en a déterré, en 1841, de Padoue. Si on devait l'en croire, ce serait à Padoue que Galilée aurait découvert les taches solaires. Cet auteur renvoie, pour les preuves, à la vie de l’illustre savant écrite par Nelli, pages 326, 327. Les pages 326, 327 de l'ouvrage de Nelli ne font aucune mention d'observations de taches solaires faites à Padoue. Je vais donner une preuve éclatante du danger qu’il y aurait, en matières de découvertes, à se décider par des souvenirs; c’est Galilée lui-même (Galilée dont personne assurément ne contestera la bonne foi), qui me la four- nira. Dans sa première lettre à Velser, datée du 4 mai 1619, Galilée fait remonter ses premières observations des taches à dix-huit mois (da 18 mesi in qua). Cela nous reporte au 4 octobre 1610. Galilée quitta Venise en août 1610. La découverte n’était donc pas encore faite à Venise, Que penser alors de la déclaration du père Ful- gence Micanzio? Ce n’est pas tout : près de l'événement, comme on vient de le voir, au commencement de 1612, Galilée donnait lui-même à l’observation des taches une date postérieure à celle de son départ de Venise. Et voilà que vingt ans plus tard, dans les Dialogues, Salviati dit que l’académicien Linceo fit cette découverte pendant qu'il 278 | GALILÉE. professait encore les mathématiques à Padoue. Qui pour- rait en présence de ces contradictions, de ces confusions, ne pas proclamer de nouveau que l'historien des sciences doit se laisser guider seulement par des publications authentiques. Le meilleur moyen de trancher toute difficulté sur la date de la découverte des taches, eût été de rapporter de véritables observations. Qui aurait osé concevoir des doutes sur la sincérité d’une déclaration de Galilée conçue en ces termes : « Tel jour, en 1611, je vis une tache près du bord oriental du Soleil; tel autre jour elle était au centre du disque; à telle troisième date je fus témoin de la disparition de la tache derrière le bord occidental ? » On trouve des observations de ce genre dans les lettres que l’illustre physicien écrivit à Velser d’Ausbourg, mais elles sont toutes des mois d'avril et de mai 1612. A cette époque, l’ouvrage de Fabricius avait paru depuis près d’un an! Ne nous lassons pas de le répéter, la publication est la seule chose que l’historien des sciences soit tenu de consi- dérer, Si, cependant, il me fallait absolument rendre compte de l'impression qui m'est restée après l’exainen de tant de pièces contradictoires, voici comment je la résumerais : Vers le mois d’avril 41611, Galilée aperçut vaguement, confusément des taches sur le Soleil. Avant l’emploi des verres colorés, les observations solaires étaient d’une difficulté et d’un danger extrêmes, particulièrement sous le beau climat de l'Italie; Galilée n’avait donc encore fait que très-peu de ces observations; il ne s'était arrêté GALILÉE. 219 à rien de satisfaisant, à rien de plausible ni sur la nature des taches, ni sur la région du ciel qu’elles occupaient, ni sur les conséquences auxquelles leurs déplacements pouvaient conduire, lorsque la nouvelle arriva à Venise que ces recherches étaient suivies ailleurs avec assiduité et succès. À ce moment, le savant illustre vit avec déplai- sir qu’il était prévenu. Par une disposition d'esprit dont on pourrait citer plus d’un exemple éclatant, les admira- teurs de Galilée, et peut-être Galilée lui-même, arrivè- rent à considérer comme coupables de mauvais procédés, comme de vrais plagiaires, des astronomes qui, en sui- vant leurs propres inspirations, réalisaient des idées que les observateurs d’au delà des monts avaient sans doute _ conçues dans le silence du cabinet, mais sans leur prêter la sanction de l’expérience , sans même les soumettre à la discussion d’un cercle d'amis. De là, à considérer comme un titre valable aux yeux du publie, la date d’une pensée intime et sans notoriété aucune, il n’y avait qu’un pas, et ce pas fut fait. Ceux qui remarqueront dans la première lettre de Galilée à Velser en date du h mari 1612, ces paroles significatives au sujet des taches solaires : « Non ardisco quasi di aprir bocca per affermar cosa nessuna, » se rangeront certainement à mon avis. Avant de terminer cette longue discussion, je dois faire remarquer qu'en consentant à prendre pour point de départ historique des documents inédits, Galilée aurait, quant à la découverte des taches solaires, un compétiteur dont les titres seraient encore plus anciens que ceux de Scheiner et peut-être que ceux de Fabricius. M. de Zach dit, eneffet, avoir vu en Angleterre, dans des manuscrits 280 GALILÉE. d'Hariot, des observations de taches qui remontent au 8 décembre 1610, Galilée n’a pas non plus la moindre apparence de droit à la découverte du mouvement de rotation du Soleil. En effet, même en remontant jusqu’en 1631, jusqu’à la lettre du frère Fulgence Micanzio sur les prétendues observations et conversations de Venise, on n’y trouve pas un seul mot touchant la rotation du Soleil. Je dois en dire tout autant de l’attestation de monsignor Dini relative à la séance du jardin Bandini de Rome : on a vu les taches; aucune conséquence de cette observation n’est indiquée. Dans sa lettre déjà citée, Agucchia dit que Galilée lui communiqua verbalement la découverte des taches et la marche appa- rente de ces corps de l’est à l’ouest. Il ne fait pas mention du mouvement de rotation du Soleil. Rien n’est plus catégorique, plus positif pour qui sait lire avec attention, que la préface académique d’Angelo de Filiis. Après avoir rappelé la réunion du jardin Ban- dini, après avoir rendu un juste hommage au génie de Galilée, le bibliothécaire des Lincei ajoute : « On atten- dait avec un désir universel qu’il fit connaître son opinion sur les taches lorsque, enfin, MM. les académiciens Lincei apprirent que Galilée avait pleinement traité le sujet dans quelques lettres adressées en particulier au célèbre et savant Velser, etc., etc. » Au jardin Bandini, en avril ou mai 1611, le savant illustre n’avait donc rien dit de la rotation du Soleil. C’est par les lettres de Velser qu’on eut les premières nouvelles de cette vérité astronomique. La plus ancienne des lettres au duumvir d’Ausbourg est du 4 mai 1612, A cette date, l'ouvrage GALILÉE. 281 de Fabricius était dans les mains du public depuis plus de dix mois. J'ajoute que les réclamations de Galilée lui-même, celles dont j'ai précédemment rapporté les dates, concer- nent seulement l’observation des taches et nullement la conséquence qui en a été déduite : la rotation du Soleil sur son centre. Cette découverte appartient à Fabricius! Qu’y a-t-il de vrai maintenant dans cette assertion d’un auteur italien moderne : « Lors même que le grand astro- nome (de Florence) n’eût pas été le premier à observer ces taches (les taches solaires), il aurait surpassé tous ses rivauæ pour les conséquences importantes qu'il sut en Pb relativement à la constitution physique du Soleil E au mouvement de rotation de cel astre. » J’aperçois, dès les premiers pas, que cette prétendue supériorité de Galilée sur ses rivaux , touchant le mouve- ment de rotation et la constitution physique du Soleil , ne résistera pas au plus léger examen. Après avoir regardé les titres respectifs avec des yeux attentifs, aucun savant impartial, aucun amateur un tant soit peu au fait des observations astronomiques, n’acceptera l’assertion qu’on vient de lire. Je suis certain de n’avoir abordé cette dis- cussion que dans l'intérêt de la vérité historique; cepen- dant, afin de repousser d’avance les insinuations malveil- lantes dont ces pages pourraient être l’objet, je déclare solennellement que Galilée est à mes yeux un des quatre ou cinq plus grands génies scientifiques des temps mo- dernes. J’ajoute qu'aucune louange au monde ne me sem- blerait exagérée, en parlant de la sagacité dont le savant immortel fit preuve dans ses recherches sur les mouve- 282 GALILÉE. ments variés et la chute des corps. Qu’on veuille bien le remarquer , il ne sagit ici que d’un objet spécial et très- circonscrit, d’une question d'astronomie à l'égard de laquelle, suivant moi, Galilée fut moins bien inspiré que d'habitude. 8 juin 1619, — Discorso delle cometc di Mario Giu- ducci del 1618. L'auteur prétend à tort que la parallaxe.est un mauvais moyen de déterminer la distance d’une comète. 1623. — Il Saggiatore, nel quale si ponderano le cose contenule nella libra astronomica e filosofica di Lotario Sarsi, scrillo in forma di lettera, dal signor Galileo Galileï. C'est une dissertation dans laquelle Galilée essaie principalement de prouver, en réponse à un Traité du Père Sarsi, que les comètes pourraient être de simples illusions, telles que les parhélies, les halos, les arcs-en- ciel, etc. Ces suppositions, qui n’ont guère cours aujour- d’hui, montrent avec quelle difficulté la vérité se fait jour même dans les esprits les plus sagaces et les plus exempts de préjugés. Le Saggiatore est considéré par des juges compétents comme un chef-d'œuvre de style, de dialectique et de fines plaisanteries. Je m’incline avec respect devant une pareille décision, mais j'avoue qu'ayant pris en considé- ration le fond des choses beaucoup plus que la forme, le Saggiatore m’avait paru d’une prolixité fatigante, 1632. — Dialogo di Galileo Galilei sopra à due mas- simi sistemi del mondo, Tolemaico e Copernicano. GALILÉE. 283 Les Dialogues parurent à Florence en 1632. Traduits de: l'italien en latin, ils furent publiés à Strasbourg en 1635 avec le titre de Systema cosmicum, auctore Galileo Galilei, etc. Cet ouvrage est divisé en quatre dialogues où les trois ‘interlocuteurs sont : Salviati, noble florentin, qui soutient avec force le système de Copernic ; Sagredo, noble véni- tien, homme d’esprit, comme dit Delambre, mais plutôt homme du monde que savant. Ces deux personnages avaient été amis de Galilée et ils étaient morts depuis plusieurs années lorsque les Dialogues parurent. L'auteur appelle le troisième interlocuteur Simplicius, du nom d’un péripatéticien dont il nous reste un commentaire sur le Ciel d’Aristote. On est obligé de se faire violence quand on est amené - à se livrer aux critiques même les plus fondées d’un ou- vrage qui a été la cause des traitements inouïs infligés à son auteur; mais la vérité a des droits imprescriptibles. Je déposerai donc ici humblement les réflexions que m’a suggérées la lecture des Dialogues. Pourquoi Galilée a-t-il donné à son œuvre la forme de dialogues? N’eût-il pas mieux valu exposer les vérités qu’il contient dans un ouvrage didactique? Galilée a eu certainement de très-bonnes raisons, à l’époque où il écrivait, pour adopter la première forme; il voulait sans doute rendre son traité populaire, et il atteignit son but. | Je conviens que les réflexions qu’on va lire n’ont quel- que poids qu’en ne tenant pas compte du temps et des circonstances dont Galilée était meilleur juge que nous 284 GALILÉE. ne pouvons l’être aujourd'hui ; j'avoue, en outre, qu’elles ne tendraient à rien moins qu’à supprimer, ou à réduire à huit ou dix pages, un des plus élégants ouvrages de notre littérature, les Entretiens de Fontenelle sur la Pluralité des mondes. Quoi qu’il en soit, je vais entrer franchement en matière, mais en priant le lecteur de bien considérer que je présente mes observations, non comme bonnes, mais seulement comme miennes. Lalande invitait les astronomes à lire une fois chaque année l'ouvrage de Kepler sur l'orbite de Mars. Je ne saurais, en vérité, me faire l’écho d’une semblable recom- mandation en ce qui concerne les Dialogues. Je pourrais même, à toute rigueur, conseiller aux observateurs de ne pas perdre leur temps à cette lecture. Les choses les plus simples y sont exposées avec une prolixité qui, à notre époque, n'aurait pas d’excuses. Il faut y chercher les vérités dignes d’être retenues, et elles sont nombreuses, au milieu des fades compliments que s'adressent les inter- locuteurs, Salviati, Sagredo, Simplicius. J’engagerai ceux qui trouveront ce jugement trop sévère, à lire, s'ils en ont le courage, dans le troisième dialogue, la réfuta- tion des calculs exécutés par un auteur dont on ne cite pas le nom et qui étaient destinés à prouver que l'étoile de 1572 était un phénomène sublunaire et non une étoile proprement dite. Ce qui pouvait être expliqué en quatre pages, se trouve délayé sans utilité, et certainement sans profit pour la clarté, dans un espace dix fois plus étendu. Mais passons à ces vérités dont je parlais tout à l'heure. On trouve dans le troisième dialogue l'explication très- détaillée de la méthode à l’aide de laquelle Galilée enten- GALILÉE. 285 dait prouver le mouvement de translation de la Terre, par le déplacement relatif de deux étoiles très-voisines en _ apparence l’une de l’autre, mais inégalement éloignées de la Terre; méthode qui, depuis, a été présentée à tort comme neuve par William Herschel, et employée avec succès par Bessel dans ses observations de la parallaxe de la 61° Cygne. Le quatrième Dialogue renferme une explication du flux et du reflux de la mer, peu digne de l’auteur à qui sont dus les vrais principes de la mécanique moderne. Suivant Galilée, le phénomène consisterait dans la com- binaison du mouvement des eaux dépendant du mouve- ment de translation de la Terre autour du Soleil, et du mouvement en sens inverse de ce même liquide qui résul- terait toutes les vingt-quatre heures du mouvement de rotation de la Terre sur son axe. Le moindre inconvénient d’une pareille explication est de ne satisfaire à aucune des lois expérimentales du phé- nomène. 20 février 1637. — Lettre datée de la prison d’Arcetri. Galilée rend compte dans cette lettre de ses observa- tions sur la titubation (libration de la Lune). Les librations dont il est question ne sont relatives qu'aux changements de parallaxes résultant des diverses hauteurs de l’astre au-dessus de l'horizon et aux chan- gements de déclinaisons. Les écrivains qui ont vu dans les observations si intéressantes de Galilée, la découverte de la libration et les lois remarquables données par Cas- sini, n’ont prouvé que leur ignorance en astronomie, Les 286 GALILÉE. observations dont il est question dans cette publication, faites à Arcetri, furent interrompues par une fluxion dont furent atteints les yeux de illustre prisonnier, et qui bien- tôt fut suivie d’une cécité complète. On trouve dans la rédaction de ses observations, que l’âge n’avait affaibli ni l’art d'exposition, ni la tournure poétique qu'on remarque dans les productions de la jeu- nesse de Galilée. Ainsi, veut-il indiquer les changements qui résultent dans l’aspect de la Lune des variations de sa hauteur, il dira : « La Lune découvre et cache pour ainsi dire les cheveux de son front et la partie du menton qui est diamétralement opposée, ce qui peut s'appeler baisser et relever la face. » — Entend-il nous signaler les librations apparentes en ascension droite, il s’exprime en ces termes : « Nous pourrons dire que la Lune tourne la tête à droite ou à gauche en nous découvrant et en nous cachant alternativement l’une et l’autre oreille.» 1638, -— Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno _a due nuove scienze. Tel est le titre de l'ouvrage qui parut pour la première fois à Leyde en 1638, et sur lequel Lagrange, dans sa Mécanique analytique, S'exprime en ces termes : « La dynamique est la science des forces accélératrices ou retardatrices, et des mouvements variés qu’elles doi- vent produire. Cette science est due entièrement aux modernes , et Galilée est celui qui en a jeté les premiers fondements. « Avant lui on n’avait considéré les forces qui agissent sur les corps qu’à l’état d'équilibre ; et quoiqu’on ne püût GALILÉE, 287 attribuer l'accélération des corps pesants et le mouve- ment curviligne des projectiles qu’à l’action constante de la gravité, personne n’avait encore réussi à déterminer les lois de ces phénomènes journaliers, d’après une cause si simple. Galilée a fait le premier ce pas important , et . a ouvert par là une carrière nouvelle et immense à lavan- cement de la mécanique. Cette découverte ne procura pas à Galilée, de son vivant, autant de célébrité que celles qu’il avait faites dans le ciel; mais elle fait aujourd’hui la partie la plus solide et la plus réelle de la gloire de ce grand homme. « Les découvertes des satellites de Jupiter, des phases de Vénus, des taches du Soleil, etc., ne demandaient que des télescopes et de l’assiduité; mais il fallait un génie extraordinaire pour démêler les lois de la nature dans les phénomènes que l’on avait toujours eus sous les yeux, et dont l'explication avait néanmoins toujours échappé aux recherches des philosophes. » | Galilée était donc, comme on voit, suivant les appré- ciations de Lagrange, un génie extraordinaire. La posté- rité a confirmé ce jugement, qui n’a donné lieu à aucune réclamation. C’est le privilége des hommes supérieurs, lorsqu'ils portent un jugement équitable sur les travaux de leurs prédécesseurs. Génie eætraordinaire devrait être désormais la seule inscription à placer sous tous les portraits du grand phi- losophe de Florence. C’est aussi dans les Dialogues que se trouve la première indication des expériences à l’aide desquelles l’auteur croyait pouvoir arriver à la détermination de la vitesse 288 GALILÉE. de la lumière. Voici, en abrégé, comment il s'explique à ce sujet. | « Supposons que deux observateurs soient munis cha- cun d’une lumière qu’ils puissent couvrir et découvrir instantanément avec un écran; que, se tenant d’abord à la distance de quelques pas, ils s’exercent à découvrir la lumière dont ils sont porteurs, aussitôt que la lumière de l'observateur correspondant apparaît. Quand ils seront suffisamment exercés, ils s’éloigneront de deux ou trois milles, et répéteront l’expérience en notant l’intervalle écoulé entre l'instant où l’un, que j’appellerai le premier, aura découvert sa lumière, et celui où il aura aperçu celle du second observateur. Get intervalle sera évidemment égal au double du temps que la lumière emploie à aller de la première à la seconde station. Si deux ou trois milles ne donnent pas d'intervalle sensible, ils s’éloigneront à la distance de huit ou dix milles, et ils se serviront du télescope. » . Galilée rapporte qu'ayant fait l'expérience, lorsque les observateurs étaient à un mille de distance, il ne parvint pas à pouvoir apprécier le temps que la lumière employait à parcourir le double de cet intervalle, ou deux milles. Les expériences furent ensuite répétées par les membres de l’Académie del Cimento à des distances beaucoup plus considérables, mais toujours avec des résultats négatifs, ce qu'on peut facilement concevoir, à présent qu'il est établi que la lumière parcourt soixante-dix-sept mille lieues par seconde. Galilée explique dans le même ouvrage comment il se fait que le temps de la descente d’un corps pesant le long GALILÉE. 239 du diamètre vertical d’un cercle, est le même que le temps de la descente le long des cordes, pour courtes qu’elles soient, lorsqu'elles se terminent à l'extrémité du diamètre vertical. Il prouve aussi que la descente d’un corps le long d’un arc de cercle de moins de 90°, est plus court que le temps employé par ce même ccrps à parcourir la corde de cet arc. « Ge qui, dit-il, au premier coup d’œil doit sembler un paradoxe, l'arc étant plus long que la corde. » On trouve dans les Dialogues, dont nous donnons ici une analyse si abrégée, la première idée du procédé expérimental dont Chladni, Savart et Wheastone ont tiré un si grand parti dans leurs observations, et consis- tant dans l’examen des lignes nodales , suivant lesquelles les poussières se disposent sur la surface d’une plaque en vibration. On y voit aussi des idées très-justes sur le plaisir que donnent les résonnances musicales, et le déplai- sir qu’occasionnent les discordances. Nous ne pouvons oublier de parler ici de l’application du pendule comme régulateur des horloges, invention dont les auteurs italiens ont prétendu faire honneur à Galilée au détriment de Huygens, à qui cette découverte est plus généralement attribuée. Nos voisins se fondent, pour soutenir leur opinion, sur la déclaration de Viviani, géomètre célèbre et élève chéri de Galilée. Viviani écrivait en 1673 au comte Magalotti, une lettre destinée à prouver que Galilée, déjà aveugle, avait pensé, en 1641, à se servir d’un pendule pour rendre égales les oscillations d’une horloge ordinaire, et que le fils du savant immortel réalisa plus tard cette invention dans une horloge exécutée de ses mains. ILE, — rit, 19 290 GALILÉE. Mais, malgré tout le respect que l’on doit à des asser- tions portant pour signature le nom de Viviani, aux yeux de tout homme impartial ces assertions ne sauraient balancer lestitres publics qu’invoque en sa faveur l’illustre géomètre hollandais, Comment une invention de cette importance était-elle restée ignorée pendant huit années entières? Si l’on pré- tend que l’on en a fait mystère exprès, chacun compren- dra qu’une pareille argumentation pourrait être mil te par tous les plagiaires possibles. | La Bilancetla nella quale s’insegna aïtrovare la pro= portione del misto dei due metalli insieme, colla fabrice dell istesso strumento, est une œuvre posthume renfer- mant les principes de tous les instruments construits depuis sous le nom de Balances hydrostatiques ; mais nous n'en dirons pas davantage à ce sujet, ces balances n’ayant aucun rapport direct ou indirect avec l'astrono- mie proprement dite. | Nous n’en finirions pas si nous voulions citer toutes les lettres de l’immortel philosophe, dans lesquelles sont contenues des remarques fines et marquées au coin de la plus grande sagacité, sur diverses questions délicates d'astronomie, Les hommes d'étude regardent comme um malheur d’être obligés d'aller chercher ces vues toujours ingénieuses au milieu des détails aujourd’hui sans-aucun intérêt de correspondances privées et remplissant dix volumes. Pour épargner aux autres la peine que j'ai prise moi- même, Je réunirai ici quelques-uns de ces passages dans lesquels l’auteur immortel a d’un mot éclairei des ques- GALILÉE. 291 tions pendantes à son époque, ou bien, avec son regard d’aigle, plongé dans l'avenir de la science. Galilée espérait que les mouvements des étoiles mieux observés, ajouteraient aux preuves que l’on avait, de son temps, du mouvement de translation de la Terre; cette espérance a été réalisée par la découverte de l’aberration de Bradley, et par les observations de la parallaxe annuelle. On trouve dans Galilée la première idée de la méthode mise en pratique par M. d’Assas Mondardier, près da Vigan, pour la détermination de la parallaxe annuelle des étoiles. « L'espace compris entre Saturne et les étoiles, dit Galilée quelque part, est peut-être peuplé de planètes invisibles, » Les découvertes d'Uranus et de Neptune sont venues confirmer cette conjecture de l’illustre astronome italien. On a été étonné avec raison de ne trouver le nom de Kepler dans les divers écrits de Galilée qu’à l'occasion de l'explication du phénomène des marées, dans laquelle ce grand homme paraissait disposé à faire jouer un rôle à l’action de la Lune sur les eaux de l'Océan. Pour qu’on ne s’égare pas sur les causes de cet oubli, je dirai qu’en citant le Traité de Gilbert sur le magnétisme, Galilée en parlait avec le plus grand éloge, et qu’il disait de l’auteur : « Il est grand jusqu’à exciter l'envie, » On voit dans diverses lettres de Galilée, qu'il avait compris tout l'intérêt qu’il y aurait à comparer l'intensité de la lumière qui émane des bords et du centre du Soleil, Des expériences directes l'avaient conduit à admettre que ces intensités sont égales, 292 GALILÉE. C’est à Galilée qu’on est redevable de la découverte de la méthode ingénieuse, à l’aide de laquelle on par- vient à se débarrasser, du moins en très-grande partie, des rayons factices qui avaient jusqu'alors beaucoup aug- menté le diamètre des étoiles. Ses observations firent disparaître une des plus grandes difficultés qu’on eût élevées contre le système de Copernic. Je trouve dans une lettre en date de 1637 que le grand astronome italien avait observé une planète en plein jour. On sait que les premières observations de ce genre exécutées sur les étoiles par Morin sont de la fin du mois de mars 1635. Le 49 avril 1611, Galilée adressa catégoriquement aux jésuites du collége romain des questions, tendant à con- naître leur opinion sur ses découvertes astronomiques. Les pères jésuites répondirent qu'ils croyaient à l’exis- tence des satellites de Jupiter, à la forme irrégulière de Saturne, aux phases de Vénus, à la découverte de beau- coup d'étoiles dans les nébuleuses et dans la voie lactée; mais ils ne pensaient pas que la blancheur de cette zone tint uniquement à une agglomération d'étoiles. Quant aux observations de la Lune, ils restaient dans le doute. Cla- vius, disaient-ils, ne croit pas aux inégalités de hauteur ; il suppose seulement que les diverses parties de lastre ne réfléchissent pas la lumière avec la même intensité. Cette réponse est du 24 avril 1611. La lunette dont se servaient les pères jésuites devait être bien médiocre pour qu’ils pussent douter de l'existence d’aspérités et de ca- vités profondes sur le corps de notre satellite. Sur la question de savoir s’il y a dans les planètes GALILÉE. 293 des animaux et des végétaux semblables à ceux que nous voyons sur la Terre, Galilée s’est toujours tenu et pour cause sur la plus grande réserve. Ainsi, dans une lettre ‘au prince Cesi, datée du 25 janvier 16153, il dit : « Si l’on me pose la question, je ne répondrai ni oui, ni non. » Galilée rapporte dans une lettre sur la lumière cendrée, écrite au prince Léopold en mars 1640, qu'il avait vu la Lune disparaître complétement pendant une éclipse. Il invoquait déjà cette observation pour prouver, contre l'opinion de Liceti, que la Lune n’a pas de lumière propre. L’explication que Galilée donna de la lumière cendrée fut combattue par Liceti et d’autres, après la découverte de ce qu’on appelle le phosphore de Bologne, c’est-àdier- de cette substance minérale (sulfate de baryte) qui, avant été exposée à la lumière, brille longtemps dans l'obscurité ; on prétendit attribuer à un phénomène ana- logue cette lueur secondaire, qui nous fait voir la portion de la Lune non éclairée par le Soleil. Galilée réfuta lon- guement cette théorie, et surtout celle de Liceti, dans une lettre au prince Léopold que Venturi nous a conservée. Le cardinal del Monte, après le séjour de Galilée à Rome, écrivait au grand-duc, le 31 mai 1611, que les découvertes de Galilée avaient été appréciées et admi- rées des plus savants de cette capitale. « Si nous étions dans l’ancienne république romaine, ajoutait le cardinal, j'ai la certitude qu’on lui aurait élevé une statue au Campidoglio (Capitole) pour honorer ses travaux. » Le cardinal del Monte ne figurait pas parmi les juges de Galilée. 294 GALILÉE. La citation suivante, par laquelle nous terminerons, prouvera qu'un homme de génie est quelquefois un homme d’esprit dans le sens qu’on attache en France à ces expressions. Aristote recommandait à ses sectateurs de ne pas étudier les mathématiques, peut-être parce que Platon avait écrit sur le vestibule de son école:: « Que nul n’entre ici, s’il n’est géomètre. » Galilée trouve ce précepte d’Aris- tote fort sage, « car, dit-il, il n’y a rien de si fatal pour les théories du Stagyrite, que la géométrie; elle en .dé- couvre toutes les erreurs et les tromperies. » Je n’ai pas parlé .dans cette biographie des négocia- tions que Galilée établit effectivement ou chercha à. éta- blir avec la cour d’Espagne.et les États de Hollande pour la détermination des longitudes en mer. Ces négociations n’aboutirent pas. Les tables des satellites de Jupiter, même après les efforts de Renieri pour les perfectionner, étaient trop inexactes pour qu’on pût y trouver les moyens de calculer les longitudes. Ajoutons que, lors même que les tables eussent été parfaites, on n’aurait pas pu les faire servir à la détermination des longitudes en mer, puisque les observations des configurations ou des éclipses eussent exigé l'emploi de lunettes d’un pouvoir .amplifi= catif assez considérable, et que de tels instruments ne peuvent être employés sur un navire quand il est un peu agité. Pour donner à sa méthode l'exactitude à laquelle il aspirait, Galilée fit par lui-même et par ses élèves un nombre prodigieux d'observations. Renieri, religieux oli- vétain, en était le dépositaire. On a prétendu qu'à.sa mort des agents de l’Inquisition s’en emparèrent; mais il GALILÉE. 295 me faut calomnier personne, pas même les agents de l’Inquisition. Il résulte du récit de Nelli dans la Vie de Galilée, fondé sur une déclaration de parents de l’astronome italien, que la spoliation du cabinet de Renieri doit être imputée à un certain chevalier Joseph-Augustin Pisano, qui avait été présent à la mort de Renieri et dans les mains du- quel se trouvèrent l'horloge et le télescope du religieux olivétain. Quoi qu’il en soit de cette accusation, les manuscrits de Renieri rentrèrent, on ne sait trop quand ni comment, dans la Bibliothèque de Florence, dite Palatine, d’où ils ont été extraits et publiés, quant à leurs parties essen- tielles, par M. Alberi, après avoir donné lieu en Italie au débat le plus animé et le moins courtois. Il n’est pas de mince ingénieur ou de petit auteur de traité de physique qui ne nous raconte cette anecdote. Des fontainiers de Florence, surpris de voir l’eau ne jamais s'élever dans le vide au-dessus de 32 pieds, allè- rent consulter Galilée, qui leur répondit : « Ce qui vous étonne est très-simple ; la nature n’a horreur du vide-que jusqu’à la hauteur de 32 pieds, » Les véritables appréciateurs du génie de Galilée te- naient cette réponse pour une plaisanterie faite dans un moment de gaieté. Je crois qu’on peut aller plus loin et la déclarer apocryphe. On n’en voit, en effet, point trace dans les traités au- thentiques de Galilée. Le plus ancien auteur qui la men- mentionne est Pascal, dans la préface de son Traité de l'équilibre des liqueurs. Ce serait une autorité irrécusable 296 GALILÉE. si Pascal s'était rendu garant de l'exactitude du propos prêté à Galilée; mais il ne le cite que comme un on dit. Or, personne n’était plus intéressé que l’auteur des Let- tres provinciales à reconnaître que la biographie des hommes de génie ne doit pas se fonder sur des on dit. C'est du temps de sa réclusion à Arcetri que datent les plus profondes publications de Galilée. La perte de la vue semblait avoir augmenté la pénétration intellectuelle de ce génie immortel; mais la prudence lui commandait de ne point divulguer ce qu'il imaginait, pendant ses réflexions solitaires , sur le système de l'univers. Jaloux de transmettre ses travaux à la postérité, il prit les pré- cautions les plus minutieuses pour que le fruit de ses pénibles veilles ne fût pas totalement perdu. Il légua ses manuscrits à Viviani, son élève et presque son fils d’adop- tion : soins superflus, ces précieux manuscrits furent éga- rés à la suite des précautions maladroïtes que l’on prit pour en dérober la connaissance aux ennemis du grand homme. Tozzetti a raconté par quel hasard extraordinaire on retrouva quelques-unes de ces feuilles. Voici son récit : « Dans le printemps de l’année 1739 le célèbre docteur Lami et Nelli allèrent déjeuner dans une taverne, à Flo- rence, portant pour enseigne : Auberge du pont. Chemin faisant ils entrèrent chez un charcutier renommé et y achetèrent un saucisson de Bologne qui leur fut remis enveloppé dans un papier. Arrivés à l'auberge, Nelli remarqua que l’enveloppe du saucisson était une lettre de Galilée ; il la nettoya aussi bien qu’il le put avec sa ser- viette et la mit dans sa poche sans dire à Lami un seul mot de sa trouvaille. Rentré en ville, Nelli se rendit à DESCARTES. 297 la boutique du charcutier, lequel lui dit qu’il achetait souvent au poids des papiers semblables à la lettre, à un domestique qu’il ne connaissait pas. Nelli obtint tout ce que le marchand de saucissons avait de papiers, et ayant guetté pendant plusieurs jours l’arrivée du domestique inconnu, il fut mis en possession, au prix d’une certaine somme, de tout ce qui restait encore des précieux trésors que Viviani avait cachés quatre-vingt-dix ans aupara- van. » Ces manuscrits remplissaient une grande malle. Tous les gens d'étude apprendront par cette anecdote que le seul moyen certain de conserver leurs œuvres est la casse d’un imprimeur, DESCARTES René Descartes naquit à La Haye, en Touraine, le 31 mars 1596. Son père occupait à Rennes une place de conseiller au parlement. C’est dire qu’il possédait la noblesse de robe. Le jeune René avait une constitution très-débile et qui laissait peu d'espoir de le conserver. Lorsque sa santé se fut un peu fortifiée, son père l’envoya à La Flèche pour y faire ses études sous les jésuites. C’est là qu'il se lia avec le jeune Mersenne, élève aussi dans ce collége, d’une amitié qui ne s’est jamais démentie. : Descartes n'avait que dix-sept ans lorsque le conseiller de Rennes, confiant dans la maturité de son caractère et dans le goût passionné pour l'étude qu'il avait montré, 298 DESCARTES. lui permit de se rendre à Paris sans guide et'sansmen- tor. Les prévisions du magistrat ne se réalisèrent pas d’abord, et le jeune René, entrainé par quelques amis, s’abandonna à la passion du jeu. Mais bientôt, ayant ‘aperçu l’abîime qui s’ouvrait devant lui, il rompit toutes ses relations et se retira dans une maison isolée du fau- bourg Saint-Germain, où il se livra sans distractions à des études sérieuses. Si: Descartes fut longtemps incertain sur la, carrière qu'il devait adopter; celle d'auteur lui souriait assez, mais elle lui paraissait, chose extraordinaire, peu compati avec la noblesse de sa famille. L'indépendance lui sem- * blait le premier des biens, et c’est pour en jouir pleine- ment qu’il alla se fixer en Hollande. En 1617, il entra comme volontaire dans l’armée de Maurice de Nassau. Pendant qu'il tenait garnison à Breda, il se rapprocha un jour d’un groupe qui lisait une affiche en flamand, portant le défi de résoudre certain problème de géomé- trie. Parmi les personnes qui s'étaient groupées autour des affiches, se trouvait un professeur de mathématiques, M. Beckmann, qui, sur sa demande, lui‘fit connaître les termes du défi. Le lendemain, le jeune volontaire se pré- sentait chez le professeur et lui remettait la solution, Telle fut l’origine de la tendre amitié qui lia Descartes à Beckmann, et dont celui-ci, tant qu’il vécut, lui-donna des preuves multipliées. Des troupes de Hollande, Descartes passa dans celles de Bavière et parcourut ainsi une grande partie de l’Alle- magne. Il est incroyable que dans ses pérégrinations à travers cette contrée, Descartes n’ait pas cherché à voir DESCARTES. 299 Kepler, l’astronome le plus célèbre de l’époque et celui qu’il appelait justement son maître en optique. Dans l’oisiveté des garnisons, Descartes était sans cesse occupé d’un projet colossal : celui de refondre toute la philosophie. Cette continuelle contention d'esprit le . plongea dans une sorte d’hallucination ; il avait souvent des visions nocturnes, dont il donnait le lendemain des explications qui semblaient être la preuve d’un dérange- ment complet de son intelligence. C’est dans une de ces visions qu’il fit le vœu d’un pèlerinage à Notre-Dame _ de Lorette. La secte des Rose-Croix, qui promettait aux hommes une nouvelle science et la véritable sagesse, avait pris en Allemagne beaucoup plus de crédit que de tels thauma- turges ne semblaient le mériter. Descartes fit de nom- breuses démarches pour être affilié à cette secte. Le bruit se répandit à Paris qu’il avait réussi. Ses amis et particulièrement le père Mersenne s’en montrèrent très- inquiets, car les Rose-Croix, loin de jouir en France de la faveur publique, y étaient l’objet, même sur les tré- teaux de la foire, des plus sanglants quolibets. Descartes prit alors le parti de revenir à Paris pour rassurer les amis de ses principes philosophiques et ceux de sa per-- sonne. Pendant son séjour dans la capitale, il apprit qu’un de ses parents, qui remplissait un emploi dans l’adminis- tration de notre armée d’ltalie, venait de succomber. L'idée du pèlerinage à Notre-Dame de Lorette lui revint alors à l'esprit. Il sollicita la place que la mort de son parent avait laissée vacante et partit pour l'Italie. Il se rendit d’abord à Venise, accomplit le vœu qu'il avait 300 DESCARTES, formé en Hollande, et s’arrangea pour être à Rome au temps du Jubilé. Après avoir visité une partie de l'Italie, Descartes retourna en France en passant par la capitale de la Tos- cane. On pourrait être étonné que lui, qui s'était montré si actif à la recherche des Rose-Croix, n’eût fait aucune démarche pour être présenté à Galilée, si nous ne savions que, par une aberration inexplicable, Descartes témoi- ghait une grande indifférence pour les travaux et les admirables découvertes du philosophe italien; qu’il disait ne rien voir dans les écrits de Galilée qui lui fit envie et presque rien qu’il voulüt avouer digne d’examen. Descartes étudia la médecine; il disait avoir fait assez de progrès dans cette science pour être assuré de vivre cent ans. L'abbé Picot, qui était venu se joindre à lui, renchérissant sur les espérances de son maître, n’hésitait pas à se promettre une vie de quatre à cinq cents ans. En choisissant la Hollande pour lieu de sa résidence habituelle, Descartes avait espéré y trouver l’indépen- dance et la liberté, mais il fut grandement trompé dans son attente. Quelques théologiens de l’église réformée, et au premier rang Voet, professeur de théologie à l'Université d'Utrecht, suscitèrent à Descartes d’odieuses persécutions. Ils allèrent même jusqu’à diriger contre notre savant compatriote une accusation d’athéisme. Voet prit si bien ses mesures, qu'il avait obtenu des tribunaux d’'Utrecht des condamnations infamantes auxquelles Des- cartes n’échappa qu’en invoquant, par l'entremise de l'ambassadeur de France, les immunités attachées à sa qualité d’étranger. DESCARTES. 301 Descartes avait espéré que ses principes de philoso- phie, exposés avec clarté et la plus grande modération, seraient reçus du public avec des applaudissements universels. Loin de là, ils ont été pour lui le texte de calomnies hideuses et d’accusations imméritées, Ses dé- couvertes mathématiques recevaient un accueil plus favo- rables, mais le nombre de personnes capables de les apprécier était très-restreint, Ges circonstances réunies jetaient dans son esprit un peu de découragement, lors- qu'il reçut de M. Chanut, ambassadeur de France à Stockholm, des offres séduisantes de la part de la reine Christine ; il les accepta après quelques hésitations, et se rendit en Suède où la reine lui fit l'accueil le plus flat- teur. Elle voulut que Descartes vint tous les matins à cinq heures l’entretenir de l’objet de ses études; il ne put résister à cette obligation dans un climat aussi rude ; il fut saisi le 2 février 1650 d’une violente fluxion de poitrine et il mourut le 11 du même mois. La reine voulut lui faire accorder les honneurs réservés jusque là aux premières familles de la noblesse ; l’ambassa- deur de France réclama au nom de la gloire nationale, et le corps de l’illustre philosophe fut transporté à Paris -en 1666 et déposé dans l’église de Sainte-Geneviève. Le corps de Descartes avait librement traversé toute l’Alle- magne, mais les douaniers de Péronne exigèrent pour le laisser passer qu’on ouvrit le cercueil et se livrèrent à un examen odieux des restes du grand homme. Un décret de la Convention, rendu sur le rapport de Chénier, décida que le corps de Descartes serait trans- porté au Panthéon; ce décret ne reçut pas d'exécution 302 DESCARTES. sur l'opposition, qui le croirait? de Mercier, l’auteur du Tableau de Paris, devenu alors demi-newtonien. Pen- dant la Révolution, les restes du grand géomètre furent: transportés de Sainte- Geneviève au Musée des Monu- ments français; plus tard, en 1819, on les transféra solennellement dans l’église de Saint-Germain-des-Prés. Le cortége se composait simplement des autorités admi- nistratives de l'arrondissement et de quelques membres de l’Institut. | | Bien des personnes s’imaginent que Descartes n’allar se réfugier en Hollande qu’à cause des persécutions dont: il fut menacé dans son pays natal mais c’est là une grande erreur, Descartes n’eut à subir en France de per- sécution d'aucune espèce; il ne fut même jamais menacé, Tout au contraire, on lui offrit des positions avanta- seuses qu'il refusa constamment, « attachant, disait-il, un tel prix à sa liberté qu'aucun souverain n’était assez riche pour l'acheter. » Le cardinal Mazarin lui fit même accorder le brevet-d’une pension de mille éeus. | Ajoutons que la statue en marbre qui décore la salle: des séances publiques de l’Institut, fut élevée à Descartes sous l’ancien régime, c’est-à-dire avant la révolution: de 1789. L'esprit de Descartes se révolta dès ses premiers pas contre le joug de l'antiquité, sous lequel les écoles mo- dernes s'étaient courbées, et publia en 4637 son Dis- cours sur la méthode, dans lequel il donnait d'excellentes règles de logique auxquelles, malheureusement pour sa mémoire, il ne resta pas fidèle dans ses autres publica- tions, _ DESCARTES, 303 La Géométrie de Descartes parut en 1637; c’est incon- testablement la partie la plus solide de la gloire de ce grand homme. On trouve développés dans cet ouvrage pour la première fois les principes de cette branche des sciences mathématiques généralement connue aujour- d'huisous le nom d'application de l'algèbre à la géomé- trie. Descartes est le premier qui se soit fait une idée juste de la signification des racines négatives des équations. On lui doit la règle qui porte son nom, servant à décider, d’après la succession des signes d’une équation donnée, lorsque cette équation ne renferme que des racines réelles, et à déterminer combien de racines positives et de racines négatives elle contient. La Dioptrique parut en 1637. C’est dans ce traité que Descartes donna pour la première fois la loi de la con- stance du rapport des sinus d'incidence et de réfraction. Je vois avec une douloureuse surprise, surtout dans les ouvrages sortis de la plume des écrivains anglais les plus honorables, cette loi présentée comme la loi de Snellius. On se demande quel peut être le prétexte d’une pareille injustice. Descartes est évidemment le premier qui ait communiqué la loi des sinus au public. Mais, dit Huygens, elle était contenue dans un manuscrit inédit de Snellius que Descartes a pu voir pendant son séjour en Hollande. Huygens n’ose pas affirmer que Descartes ait vuwle manuscrit en question ; ainsi ceux qui veulent priver le philosophe français de l'honneur de l'invention qui lui revient comme publicateur, l’assimilent aux plus vils plagiaires, 304 DESCARTES. Des personnes passionnées ont prétendu que Descartes, qui d’après la direction de son esprit n’aimait pas à perdre son temps à faire des expériences, n’avait pas pu trouver la loi mentionnée. Mais comment les aristarques n’ont- ils pas remarqué que les valeurs des angles de réfraction correspondantes à tous les angles d'incidence compris entre 0 et 90°, sont rapportées par Vitellion, peut-être d’après Ptolémée, relativement aux rayons qui passent de l’air dans l’eau, et que la discussion de ces angles comparés conduit à fort peu près à la loi des sinus. C’est dans l’examen de ces angles que Descartes a probable- ment trouvé la loi qu’on lui conteste. N'est-ce pas ainsi, suivant toute apparence, que Snellius arriva au même résultat. Au surplus, Descartes ne repoussait pas en cette matière la voie expérimentale aussi complétement qu’on l'a prétendu. Ainsi, on le voit dans une lettre à Mer- senne déclarer que la réfraction, contre une opinion alors fort répandue, n’est pas proportionnelle à la densité des corps, et dire en termes formels que la réfraction de l'huile de térébenthine et celle de l'esprit de vin sont supérieures à celle de l’eau, malgré la moindre densité de ces deux premiers fluides. k Si je voulais fortifier la conjecture suivant laquelle Descartes aurait déduit la loi des sinus d’une étude mi- nutieuse des nombres renfermés dans la Table de Vitel- lion, je pourrais le faire en citant deux circonstances capi- tales et qui n’ont pas été assez remarquées. La première, c'est que Descartes se défiant peut-être de l'exactitude des observations sur lesquelles la Table de Vitellion était fondée, imagina un instrument dont il donna une des- DESCARTES. 305 cription détaillée pour vérifier la célèbre loi. La seconde, c’est qu'ayant calculé le foyer d’une lentille de verre sur la loi des sinus, il chercha si le foyer expérimental coïnci- dait avec celui que le calcul lui avait fourni. Au reste, ne cessons pas de le répéter, l’histoire des sciences, écrite en dehors des documents imprimés, ne serait souvent qu’un roman. Ce n’est que dans des cas très-rares que l'écrivain peut être autorisé à s’écarter de la règle, et la découverte de la loi des sinus ne saurait sous aucun rapport légitimer une telle exception. La Dioptrique de Descartes renferme un examen détaillé de ce qu’on a appelé l’aberration de sphéricité et les moyens de la faire disparaître; c’est là que le grand géomètre prouve que pour arriver au but il faudrait don- ner aux surfaces des lentilles et des miroirs la forme ou parabolique ou hyperbolique, et comme les procédés de travail ordinaire ne fournissent pas des courbures pa- reilles, Descartes décrit les machines à l’aide desquelles on pourrait obtenir de telles surfaces avec sûreté. On trouve aussi dans la Dioptrique beaucoup de recher- ches sur la vision naturelle ou à l’aide des besicles, et, entre autres, des considérations très-ingénieuses sur la vision simple à l’aide des deux yeux. La Dioptrique est suivie du Traité sur les météores, dans lequel on doit remarquer surtout l’explication de arc-en-ciel. De nombreuses tentatives avaient été faites par les physiciens de tous les âges, dans la vue de découvrir le secret de la formation des deux arcs-en-ciel. Les pre- mières vues exactes à ce sujet se trouvent dans un ouyrage LIL. — nt, 20 306 DESCARTES. d’Antonio de Dominis, archevêque de Spalatro en Dal- matie, qui parut en 1641, date de la mort de l’auteur dans les prisons de l’Inquisition; mais, à ce qu'on dit, l'ouvrage avait été composé longtemps auparavant. Ce prélat remarqua qu’en tenant à une certaine hauteur à lopposite du Soleil, dans un plan vertical passant par cet astre et l’œil de l'observateur, une boule de verre remplie d’eau, on voit émerger de la partie inférieure un trait de lumière qui présente toutes les couleurs du phé- nomène naturel. T1 reconnut que le rayon solaire ayant pénétré dans la boule au-dessus du centre, s’était réfléchi sur la partie postérieure de la boule de manière à revenir émerger par le bas, Il découvrit ainsi comment se formait l’arc-en-ciel dans sa partie la plus élevée. Une marche analogue du rayon dans des gouttes d’eau, situées hors de la verticale, devait rendre compte de la formation des parties latérales du phénomène, je veux dire des parties non contenues dans le plan vertical passant par le Soleil. Tout cela est exact, mais ne constitue pas, ce me semble, l'explication de l’arc-en-ciel ; il fallait, en effet, pour que la démonstration fût complète, montrer comment les boules d’eau situées plus haut ou plus bas que dans l'expérience de Dominis ne donnaient pas lieu à des cou- leurs pareilles. Il fallait, en un mot, trouver par la théo- rie des rayons efficaces, comme on les a appelés depuis Descartes, que les gouttes situées à une distance angu- laire déterminée de la ligne qui passe par le centre du Soleil et l'œil de l'observateur, sont les seules qui puis- sent contribuer à la formation du phénomène. Quant au second arc-en-ciel, Dominis n’eut pas une idée, même DESCARTES. 307 éloignée, de la marche des rayons qui lengendrent. Pour ce qui est des couleurs, Descartes calcula l'angle _ formé par le plan tangent à la goutte au point de son inci- .dence et par le plan tangent de cette même goutte au point d'émergence, et trouva, expérimentalement, que la séparation des couleurs était la même que celle qui se produisait dans un prisme d’eau où les faces étaient incli- nées d’une quantité égale à la valeur de l'angle formé par les deux plans tangents; ceci rendait l’explication contenue dans le Traité des météores complète et entière- ment satisfaisante. On voit ce qu’il faut penser de cette phrase plus ingénieuse qu’exacte : « Descartes dessina les deux arcs-en-ciel, mais ce fut Newton qui les colora. » Certains physiciens n'étaient pas dans le vrai lorsqu'ils prétendaïent que l’arc-en-ciel ne pouvait pas être expli- qué tant qu’on n'aurait pas découvert la cause de liné- gale réfrangibilité des rayons de différentes couleurs. Si cette assertion était exacte, l'explication resterait encore à trouver, attendu que dans la théorie de l’émission, du moins, les causes de l’inégale réfrangibilité des rayons diversement colorés ne sont pas parfaitement détermi nées , attendu qu'on ne sait pas si une différence possible dans les vitesses ordinaires entre ces divers rayons ne contribuerait point pour une certaine part à produire l'effet observé. Les Principes philosophiques parurent en 1644. Des- cartes crut avoir découvert dans cet ouvrage le méca- nisme de l’univers en le peuplant de tourbillons. En appli- quant cette théorie à notre système, nous trouverions un fluide tournant autour du Soleil, entraînant avee lui les 308 DESCARTES. planètes, et d’autres tourbillons de moindre dimension tournant autour des planètes et entraînant leurs satel- lites. Au premier aspect, une pareille idée a de la gran- deur , et il n’est pas étonnant que des hommes supérieurs tels que Fontenelle, Leïibnitz, Huygens, Bernoulli, Mairan, etc., l’aient adoptée en partie. En voyant des savants de ce mérite admettre, momentanément du moins, le système de Descartes, Maclaurin aurait dû, je crois, s'abstenir de le qualifier de rapsodie. Au reste, la véritable pierre de touche d’une conception théorique, est sa comparaison avec les observations; or, au moment où Descartes publia son célèbre système, les faits astronomiques étaient devenus très-nombreux et très-nets sous l'œil investigateur de Kepler. Eh bien, aucun de ces faits ne se rattachait à la théorie nouvelle. Qui ne comprend, par exemple, que dans l’idée pri- | mitive des tourbillons, les planètes devaient se mouvoir circulairement autour du Soleil. Il est vrai que pour répondre à cette difficulté, on supposera que le tourbillon de notre Soleil pouvait être influencé par d’autres tour- billons de manière à devenir elliptique. Mais qui ne voit qu’alors les périgées et les apogées de toutes les planètes seraient situés sur une même ligne droite, ce qu est démenti par les observations. Comment expliquer d’ailleurs, dans le système de Des- cartes, les mouvements des comètes, ces corps, éminem- ment entraïnables à cause de leur peu de densité, traver- sant l’espace dans toutes sortes de directions? Que serait, dans le même système, le phénomène de la précession des équinoxes? On n’a pas même essayé de HÉVÉLIUS. 309 le dire. Aussi cette théorie, qu’on ne croirait pas avoir été tracée par la plume à laquelle nous devons le Discours sur la méthode, est-elle aujourd’hui entièrement et juste- ment abandonnée. On a dit que les idées de Descartes sur le système de l'univers furent reçues en France avec un applaudisse- ment général; ceci n’est pas exact. Je n’en veux pour preuve que ce passage de Gassendi, où l’on ne remarque pas, tant s’en faut, la réserve et l’aménité ordinaires de son auteur : « Je ne vois personne qui ait le courage de lire les Principes jusqu’à la fin; rien n’est plus ennuyeux, il tue son lecteur, et l’on s'étonne que des fadaises aient tant coûté à celui qui les a inventées. On doit être surpris qu’un aussi excellent géomètre que lui ait osé débiter tant de songes et de chimères pour des démonstrations cer- taines. » HÉVÉLIUS Les villes de Thorn et de Frauenburg nous ont offert dans Copernic un philosophe qui découvrit le vrai SYS- tème du monde bien plus par la puissance de son génie que par le mérite de ses propres observations. Non loin de là, nous trouvons, cent quarante ans plus tard, dans la ville de Danzig, un observateur infatigable, qui porte ses investigations sur toutes les parties de la science, et qui aurait peut-être rattaché son nom aux plus brillantes découvertes, s’il avait consenti à se servir, dans la mesure des angles, des lunettes nouvellement découvertes ou, comme on disait alors, des pinnules télescopiques. 310 HÉVÉLIUS, Jean Hévélius, en allemand Hevel, naquit à Danzig, le 28 janvier 4611, de parents qui jouissaient d’une grande aisance. Kruger, son professeur de mathémati- ques, lui conseilla de se consacrer à l'astronomie, qui lui promettait de brillantes découvertes. Le jeune Hévélius se rangea à cet avis et se prépara à la carrière qu’il de- vait embrasser, en cultivant avec une ardeur exemplaire le dessin et la mécanique. Il voyagea dans divers pays de l’Éurope pour visiter les établissements scientifiques et les observateurs sur les traces desquels il désirait mar- cher. De retour dans’sa patrie, il prit, comme échevin ou comme consul, une part notable à l’administration des affaires publiques. Disons à l’honneur des hommes de science que ses jugements ne furent jamais réformés, Ces fonctions ne le détournèrent pas de sa véritable vocation. En 1641, il fit bâtir sur sa propre maison un observa- toire qui a été le théâtre de tous ses travaux; ajoutons que la compagne qu’il s'était donnée, madame Hévélius, le seconda très-utilement pour lobservation et dans ses calculs ; il lui rend à cet égard une complète justice. Le premier ouvrage d'Hévélius, publié en 1647, sous le nom de Sélénographie, renferme une description dé- taillée de la Lune. Ce traité, fruit d’un immense travail, et dont l’auteur, pour éviter toute inexactitude, grava lui- même les figures, répandit sa réputation dans le monde entier. Aussi, lorsque Louis XIV, sous les inspirations de Colbert, voulut donner des marques de sa bienveil- lance aux savants les plus célèbres de l’époque, Hévélius ne fut-il pas oublié. Il reçut une somme d'argent une fois donnée et une pension annuelle, HÉVÉLIUS. 344 Le second traité d’'Hévélius, la Cométographie, parut en 1668, en un volume in-folio de 900 pages. C’est un ouvrage plein d’érudition et dans lequel on trouve l'idée, tout à fait neuve, pour l’époque, que les comètes se meu- vent dans des paraboles. L'auteur ne disant pas quelle est la vraie place du Soleil dans l’intérieur de ces cour- bes, et suivant quelles lois les vitesses varient lorsque ces astres s’approchent des sommets, la découverte était imparfaite, mais il serait injuste de ne pas tenir compte de ce premier pas dans la route de la vérité. Du reste, Hévélius soutenait encore avec force que les comètes étaient des agglomérations momentanées de matières provenant des exhalaisons des planètes. Il sup- posait encore que ces agglomérations, au lieu d’être sphé- riques, affectaient les formes de disques très-peu épais; il croyait expliquer par là les apparitions subites de co- mètes qui d’abord s'étaient présentées à la Terre par la tranche. Hévélius cite, dans son traité, des comètes dans les- quelles il avait aperçu plusieurs noyaux. En 1673 et 1679, furent publiées les deux parties d'un ouvrage très-considérable, intitulé : Machina cœ- lestis, et dans lequel Hévélius décrit tous les instruments dont il a fait usage pendant sa longue carrière. Ces in- struments, généralement très-ingénieux, ont été exécutés à très-grands frais par l’auteur lui-même. On trouve dans cet ouvrage les motifs qui le déterminèrent, malgré les réclamations de l’Europe savante, à repousser les lunettes dans la mesure des angles et à continuer à se servir, comme Tycho, de pinnules auxquelles du reste il fit subir 312 HÉVÉLIUS. des modifications essentielles. On voit dans le même ouvrage qu'Hévélius était devenu très-expert dans la con- struction des objectifs. Il parle d’un de ses verres dont la distance focale était de 27 mètres. Le travail capital d'Hévélius est un catalogue d’étoiles qui ne fut publié qu’en 1690, trois ans après la mort de l’auteur. Ce catalogue renferme 1564 positions d'étoiles pour l’an 1660. Cet ouvrage était destiné à contenir, en outre, une grande variété d'observations du Soleil, des planètes et de la Lune. Mais un épouvantable incendie qui détruisit une partie de la ville de Danzig, le 26 sep- tembre 1679, réduisit en cendres la plupart des instru- ments d'Hévélius, sa bibliothèque et la plus grande partie de ses manuscrits. Le grand observateur, malgré son âge déjà avancé, supporta ce désastre avec une admirable résignation et chercha, dans l'intérêt de la science, à en atténuer les effets par tous les moyens possibles. _ Hévélius avait obtenu des rois de Pologne la permis- sion d’avoir une imprimerie et un atelier de gravure dans des salles dépendantes de l'Observatoire, de telle sorte que les observations étaient faites, calculées, imprimées et gravées à ses frais sans déplacement. Hévélius mourut le 28 janvier 1687, âgé de soixante- seize ans. Son nom sera conservé dans les fastes de la science comme celui d’un observateur plein de zèle et d’un désintéressement exemplaire, Un souvenir bienveil- lant sera toujours accordé à madame Hévélius, la pre- mière femme, à ma connaissance, qui n’ait pas craint d'affronter la fatigue des observations et des calculs astro- nomiques, L'ABBÉ PICARD. 313 En résumé on doit, comme on l’a vu tout à l'heure, aux travaux réunis du célèbre sénateur de Danzig et de sa compagne, outre un très-grand nombre d'observations détachées d’un moindre intérêt, un catalogue d'étoiles plus exact que celui de Tycho, la découverte d’une des causes de la libration de la Lune, et la remarque heureuse _ que les comètes se meuvent non suivant des cercles, non sur des lignes droites, mais dans des paraboles à l’intérieur desquelles le Soleil se trouve situé. Heureux ceux qui en quittant cette vie laissent dans la science de pareils souvenirs! L’'ABBÉ PICARD L'abbé Picard, un des premiers astronomes de l’Aca- démie des sciences de Paris, et un des plus exacts pour son époque, naquit à La Flèche le 21 juillet 1620. Nous ne savons rien de ses jeunes années; nous le trouvons pour la première fois observant avec Gassendi l’éclipse de Soleil du 25 août 1645; plus tard il remplaça ce même Gassendi comme professeur d'astronomie au Collége de France. Nous donnerons une liste abrégée de ses travaux. Il est le premier qui ait observé les étoiles en plein jour (1668). Il est aussi le premier qui ait appliqué utilement les lunettes aux instruments divisés (1668). On lui doit des méthodes sans lesquelles cette application aurait été sans utilité pour déterminer ce que l’on appelle en astronomie les erreurs de collimation, 314 L’ABBÉ PICARD. Personne avant Picard n’avait songé à faire servir l'heure du passage des astres au méridien à la détermi- nation des ascensions droites. Il est l’auteur de la première mesure de la Terre digne de quelque confiance. Il commença les opérations qui, après lui, prirent un si grand développement pour la formation de la carte de France. Nous dirons encore, sans entrer dans d’autres détails, qu’il contribua avec Auzout à l’invention du micromètre à fils. Picard mourut le 12 octobre 1682. Son nom ne rap- pelle aucune découverte capitale, mais il est plusieurs de ces découvertes auxquelles il a indirectement contribué. Picard fut un modèle de désintéressement scientifique. Pendant son voyage à Uranibourg-il connut un jeune Danois, Rœmer, chez lequel il découvrit un grand talent pour les observations. Picard le détermina à venir en France. Chaudement recommandé à Colbert, par son patron, Rœmer devint un des membres les plus distin- gués de l’Académie des sciences de Paris. C’est à une recommandation analogue de Picard que l'Observatoire de Paris fut redevable de Dominique Cassini. Se créer ainsi des rivaux dans une carrière où l’on avait toute raison d’aspirer au premier rang, c’est le sublime du désintéressement : l'amour des sciences ne se manifesta certainement jamais d’une manière plus éclatante. On est heureux d’avoir des traits si honorables à enregistrer dans les fastes de l’astronomie. CASSINI. 315 CASSINI _Jean-Dominique Cassini, le premier et le plus célèbre des quatre observateurs du même nom qui furent pendant près d’un siècle la personnification vivante de l'astronomie française, naquit à Perinaldo, dans le comté de Nice, le 8 juin 1625. Cassini fut élevé au collége des Jésuites de Gênes ; il y montra un grand talent pour la poésie. Plusieurs productions de son jeune âge ont été conservées par les bibliophiles. Le hasard ayant fait tomber dans ses mains un traité d’astrologie, il fit diverses prédictions. Bientôt il reconnut ce qu'avait de vain et d’arbitraire cette pré- tendue science; on dit même qu’il désabusale marquis Malvasia, sénateur de Bologne, grand amateur d’astro- logie et fort imbu alors de ses procédés. | À la mort de Cavalleri, en 1650, Cassini, alors âgé de vingt-cinq ans, fut nommé professeur d’astronomie à l'Université de Bologne. Peu de temps après il fit agréer, non sans beaucoup d'efforts, auprès du sénateur qui présidait à l’administration de l’église Sainte-Pétrone, le projet de substituer à la ligue tracée par Ignace Dante, une méridienne plus exactement orientée, à l’aide de laquelle il exécuta diverses observations utiles. Cassini prit ensuite une part active et intelligente à des négociations relatives au cours du Pô, et il fut nommé par le pape directeur des fortifications du fort d’Urbain. Il publia des Mémoires sur les comètes de 1652 et 1664, et dressa des tables et des éphémérides des 316 CASSINI. satellites de Jupiter. A l’aide des lunettes de Campani, il constata le mouvement de rotation de Jupiter sur son axe, et les mouvements de Vénus et de Mars. Grâce à ces nombreux travaux, Cassini jouissait d’une telle répu- tation que Louis XIV, à la recommandation de Picard, désira le faire venir en France et l’attacher, ne fût-ce que pour quelques années seulement, à l'Académie des sciences de Paris. Le grand roi entreprit à ce sujet, par ses ambassadeurs, une négociation en forme qui eut un plein succès. Cassini, à qui Colbert avait fait remettre 1,000 écus pour ses frais de voyage et assuré un traitement annuel de 9,000 livres, se mit en route le 25 février 1669. II arriva à Paris le 4 avril de la même année; il reçut de la famille royale l'accueil le plus flatteur. Son premier soin fut de présenter des observations critiques sur les plans adoptés pour l'Observatoire qui alors était en construc- tion; mais son crédit échoua devant celui de l'architecte. Cassini alla occuper à l'Observatoire le logement qui lui était destiné, le 44 septembre 1671. Là, muni des puissants moyens d'investigation que Colbert lui avait fournis , il étudia le ciel avec une assiduité remarquable et un très-grand succès pendant près de quarante années. En 1711 Cassini perdit totalement la vue; il mourut l'année suivante, le 44 septembre 1712, à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Voici l’indication de ses principales découvertes : 1665. — Rotation de Jupiter, rotation de Vénus et rotation de Mars par des observations faites en Italie, CASSINI. 317 1667. — Table des réfractions très-exacte pour l’épo- que, quoique fondée sur une constitution hypothétique de l'atmosphère, démentie par l’expérience. 1671-1672 -1684. — Découvertes de quatre satellites de Saturne, faites à l'Observatoire avec une lunette de Campani. Cet événement fut regardé comme assez remar- quable dans le règne de Louis XIV pour qu’on en con- statât la date par une médaille. 1683. — Observation de la lumière zodiacale. 1693. — Publication des premières tables des satellites de Jupiter dont il ait été possible de tirer quelque parti. 1693. — Découverte des lois de la libration de la Lune. Cassini avait été à certains égards précédé par Kepler et Hévélius. Il faut remarquer que ses recherches sur la libration devaient se fonder sur d'anciennes obser- vations faites en Italie, puisqu'il en est question dans le Journal des Savants de 1666. Après avoir donné l’indication des principales décou- vertes faites par les astronomes dont nous publions les biographies, nous avons cru toujours devoir placer en parallèle le récit de leurs erreurs. Ce chapitre, dans la biographie de Cassini, pourrait être assez étendu. En 1652, longtemps après la publication de l’ouvrage de Copernic et des immortelles découvertes de Kepler, … Cassini mettait encore la Terre au centre du monde. A l’occasion de la comète de la même année 1652, il soutenait qu'elle était d’une formation récente et com- posée d’émanations provenant de la Terre et des autres planètes, 318 CASSINI. Il plaçait, chose bizarre et incroyable, le centre des mouvements de la comète de 1664 dans l'étoile de pre- mière grandeur Sirius. 11 prétendait que la destination des astres cométaires était de raviver chez les hommes le goût de l’astronomie. Il eut le malheur de rejeter l'explication que Rœmer donna de certaines irrégularités dans les éclipses des . satellites de Jupiter, qui résultaient de la vitesse de la | propagation de la lumière, Cassini eut le tort de s’attribuer fort légèrement, nos neur d’avoir dirigé la mesure de la Terre, exécutée par Picard. Une telle mesure se fonde en théorie sur des opé- rations connues de toute antiquité, et le mérite appartient à celui qui, sur le terrain, a déterminé la longueur des bases, formé les triangulations et obtenu les latitudes des points extrêmes. Entraîné par l’aveugle désir d’attacher son nom à une découverte qui portât sa réputation à la postérité la plus reculée, il proposa inconsidérément de substituer aux orbites elliptiques de Kepler une courbe nouvelle, qui fut nommée la cassinoïde. Le sculpteur à qui l’on doit la belle statue qu'on admire dans l’amphithéâtre de l'Observa- toire, a eu la pensée malheureuse de tracer la cassinoïde sur le carton que Cassini tient à la main. Mais inter- rompons ces citations, car les erreurs de Cassini seront depuis longtemps tombées dans le plus profond oubli, lorsqu'on se rappellera encore la splendeur que ses tra- vaux répandirent sur les premières années de l Académie des sciences de Paris, HUYGENS. 319 HUYGENS Huygens fut un de ces hommes de génie auxquels la nature a accordé le rare privilége de faire marcher d’un pas égal et la théorie et les applications. Il naquit à La Haye le 14 avril 1629. Son père remplissait des fonc- tions importantes, à la cour des princes d'Orange. Dès son enfance, il annonça ce qu’il deviendrait un jour, Sans avoir négligé l’étude du latin et du grec, il savait à neuf ans l’arithmétique, la géographie et la musique. Son goût pour la mécanique se révéla dès l’âge de treize ans. On a conservé dans quelques collections hollandaises des modèles de machines exécutées à cette époque par le futur géomètre. Entre les années 1655 et 1663, Huygens fit plusieurs voyages en France et en Angleterre, On a remarqué que pendant son premier séjour en France , il fut reçu docteur en droit, à l’université d'Angers, la seule où les protes- tants pussent alors prendre des grades. Huygens est un des savants étrangers que les. libéra- lités de Louis XIV et le zèle intelligent de Colbert appe- lèrent à Paris: de l’année 1666 à l’année 1681 , il fut un des membres les plus zélés et les plus distingués de l’Aca- démie des sciences de Paris. Plus tard, à l’époque des édits contre les protestants, il refusa noblement de pro- fiter de l'exception qu’on lui proposait de faire en sa faveur , et il rentra dans sa patrie. Il n’est pas de notre sujet d’analyser ici les travaux qui, dès l’année 1657, placèrent Huygens parmi les 320 HUYGENS. premiers géomètres de l’Europe. Mais nous ne pouvons oublier de mentionner l’ouvrage publié en 1673, sous le titre d’Horologium oscillatorium , dans lequel se trouvent développés les principes qui ont donné une si grande régularité aux pendules astronomiques, et le germe des inventions auxquelles les chronomètres doivent leur per- fection actuelle; ni son Traité sur la lumière, publié en 1690, où se trouvent sa loi célèbre sur la double réfraction et les premiers traits de cette polarisation lumineuse, devenue aujourd’hui si féconde par les recherches de nos contemporains; ni son système sur Saturne (Systema Saturnium), publié en 1659, dont nous avons fait res- sortir le. mérite en parlant de cette planète dans notre Traité d'Astronomie populaire; ni surtout des découvertes relatives à la mesure de la force centrifuge. Huygens mourut le 5 juin 1695. On a attribué la défail- lance que son intelligence subit quelques mois avant ce terme fatal, à des chagrins de famille et à un excès de travail. Pendant son séjour en France, il avait éprouvé un malheur du même genre, et, chose singulière que les physiologistes expliqueront s’ils le peuvent, il se retrouva, lorsqu'il revint à la lucidité, en pleine possession des con- naissances qui s'étaient totalement effacées ap son esprit pendant sa maladie intellectuelle, Huygens eut à soutenir durant son séjour à Paris des discussions de priorité avec l’abbé Hautefeuille relative- ment à l'invention du ressort spiral dont il avait surmonté le balancier des montres ordinaires. On se rappelle encore la querelle que lui fit un de ses compatriotes Hartsoeker, qu’il avait lui-même amené à Paris, sur l'observation des HUYGENS. . 324 animaleules qu’on aperçoit dans certains liquides. On n’a pas oublié non plus qu’il se vengea noblement de son irascible adversaire, en avouant que dans une publication faite dans un journal, on avait eu tort de ne point nom- mer Hartsoeker, et de ne pas proclamer ses droits à la découverte qu il réclamait. Le Cosmotheoros, ouvrage dans le genre des Dialogues de Fontenelle, mais privé, tout le monde en conviendra , de la délicatesse de touche qui distingue tout ce qui sor- tait de la plume du premier secrétaire de l’Académie des sciences de Paris, offre plusieurs chapitres qui prêteraient à de justes critiques, ceux entre autres où Huygens nous parle des connaissances musicales des habitants des planètes. Nous dirons à regret, en terminant cette esquisse de la vie de Huygens, que dans un de ses voyages à Paris, il connut Ninon de Lenclos, et lui adressa des vers peu irréprochables sous le rapport de la pensée et de la forme. Voltaire a eu la malice de nous les conserver, et ils sont souvent cités par ceux qui prétendent établir l’incompa- tibilité du génie en matière de sciences et du talent poé- tique. Une telle conclusion, il faut l’avouer, est peu logique lorsqu'elle a pour base quatre mauvaises rimes mises en balance avec ce que l’esprit humain a produit de plus ingénieux. Voici l’indication des principales découvertes de Huy- gens avec leur date : | 1655. — Huygens découvre un satellite de Saturne, et ne cherche pas les autres parce qu'il était persuadé, opi- III. —JIL ; 21 322 La NEWTON. nion bizarre chez un si grand homme, que le nombre des satellites ne pouvait pas être supérieur au nombre des: planètes principales, et qu'après la découverte du nou- veau satellite le système solaire était complet, ou composé de six planètes et de six satellites. 1656. — Découverte de la nébuleuse d'Orion. 1657. — Application du pendule aux horloges. 4659. — Publication du Systema Saturnium. 1665. — Application du ressort spiral aux balanciers des montres. 1690. — Publication du Traité sur la lumière: Le Cosmothoeros (sive de terris cœlestibus earumque ornatu conjecturæ), publié en 1698, après la mort de son auteur, renferme une comparaison optique de l'éclat du Soleil à celui de Sirius. NEWTON! J'aborde cette biographie avec la plus complète liberté d'esprit. Je vais analyser les travaux astronomiques et optiques de l’homme dont je viens d'écrire le nom, comme si j'étais son égal. Si l’occasion de quelques remarques critiques se présente, je ne l’écarterai pas, convaincu que je suis de n’être guidé que par l'amour de la vérité 1. Cette notice est la. dernière qu'ait retouchée M. Arago: ik en a corrigé et dicté plusieurs passages, dans les premiers jours de septembre.1853, trois semaines avant sa mort, NEWTON. 323 et de la justice. Au reste, pour prévenir s’il est possible les colères dont une pareille liberté peut devenir l’objet, je. déclare d'avance très-franchement que je considère Newton comme le plus grand génie de tous les temps et de tous les pays, et dans ce jugement je n’ai pas fait abstraction de l’immortel Kepler. Ceci bien compris, j'entre en matière. Isaac Newton naquit à Woolsthorpe, petit hameau dans la paroisse de Colsterworth, comté de Lincoln, le 25 décembre 1642, jour de Noël. La mère de Newton, Henriette Ayscough, perdit son mari très-peu de temps après son mariage; l'enfant qui devait occuper une si grande place dans l’histoire de l'esprit humain vint au monde avant terme comme Kepler. Heureusement les tristes prévisions qu’avaient fait naître son excessive peti- tesse et la faiblesse de sa constitution ne se réalisèrent pas. Le revenu de la ferme où Isaac vit le jour, joint à celui d'une petite terre que possédait mistress Newton dans le comté de Leicester, s'élevait à 80 livres sterling ou 2,000 francs. La veuve s'étant remariée avec Barnabé Smith, rec- teur de North Witham, l'enfant, alors âgé de trois ans, fut confié à sa grand’mère, qui lui fit donner dans les écoles des villages les plus voisins de Woolsthorpe l’in- struction ordinaire. À douze ans, il fut placé dans l’école publique de Grantham et logé chez M. Clark, apothi- caire de cette ville. Newton, arrivé au faîte de la gloire, racontait lui-même qu'il était d’abord très-inattentif et un des derniers élèves de sa classe. Ayant reçu d’un de 224 NEWTON. ses condisciples plus avancé que lui un coup de poing dans l’estomac dont il souffrit beaucoup, il résolut, pour se venger, de lui enlever sa place; il travailla dès ce moment avec ardeur. Une fois entré dans cette voie, il devint en peu de temps le premier élève de l’école de Grantham. On raconte que le jeune Newton s’associait très-rare- ment aux jeux bruyants de ses camarades et qu’il préfé- rait consacrer les heures de récréation à exécuter, à l’aide d'outils qu’il s'était procurés sur ses économies et qu'il maniait avec une grande dextérité, les modèles de di- verses machines, parmi lesquelles on cite une horloge à eau, une voiture que mettait en mouvement l'individu placé sur le siége, et un moulin à vent. Dans ce dernier modèle, il avait, disent ses biographes anglais, placé une souris qu’il appelait le meunier, soit parce qu'elle opérait une certaine manœuvre dans la direction du moulin, soit, observation un peu épigrammatique, parce qu’elle mangeait une portion de la farme produite. On cite aussi un cerf-volant, auquel une lanterne était attachée, et qui plusieurs fois fit croire aux habitants des campagnes environnantes qu’une comète était apparue, Le besoin de faire d'avance le plan des machines qu'il se proposait d'exécuter, avait entrainé le jeune Newton à se familiariser avec l’art du dessin et celui de la pein- ture, dans lesquels il eut des succès marqués, Ce fut aussi vers les derniers temps de son séjour à Grantham, que se développa chez lui son talent pour la poésie. Plusieurs productions de cette époque ont été soigneusement conservées par les amateurs. NEWTON. 325 Si Newton s’éloignait de ses camarades lorsqu'ils s’abandonnaient à des jeux bruyants, ce n’était pas par un manque de sociabilité; il prenait le plus grand plaisir dans la compagnie de jeunes personnes qui demeuraient aussi chez le docteur Clark. Parmi elles, les biographes ont cité mademoiselle Storey, de deux ou trois ans plus jeune que lui. On a tout lieu de croire que leur attache- ment prit à la fin le caractère d’une véritable passion, à laquelle Newton ne céda point, à cause de l'insuffisance de sa fortune et de l'incertitude de son avenir, Mademoi- selle Storey fut ensuite mariée deux fois; son dernier nom était madame Vincent. À l’époque où il était en possession d’une réputation européenne et dans la posi- tion la plus brillante, Newton ne manquait jamais dans ses voyages dans le Lincolnshire de visiter madame Vin- cent; par ses libéralités il tira aussi la famille de cette dame de plusieurs embarras pécuniaires qui étaient venus compromettre son bonheur. Après les confidences de madame Vincent au docteur Stukely, il ne sera plus permis de citer le nom de Newton lorsqu'on voudra prouver qu'un poëte était trop absolu en écrivant sur le piédestal d’une statue de l'Amour, ces deux vers si souvent reproduits : Qui que tu sois, voici ton maître, Il l’est, le fut ou le doit être. Lorsque la mort de M. Smith l’eut rendue veuve pour la seconde fois, la mère de Newton se retira à Wools- thorpe avec les trois enfants de son second mariage. Newton avait alors quinze ans; ses progrès donnaient 326 NEWTON. les plus grandes espérances. Cependant, par des raisons d'économie, il fut rappelé de l’école de Grantham et destiné à gérer les affaires agricoles de son petit domaine. Pour lui donner quelque expérience à ce sujet, on l’en- voyait le samedi en compagnie d’un ancien serviteur au marché de Grantham, où il devait vendre les grains qui provenaient de la ferme et acheter tout ce qui était néces- saire aux besoins de sa famille. Maïs il laissait tout le soin de débattre les prix à son compagnon, pendant que lui il se livrait à l’étude d’un certain nombre de vieux livres que possédait l’apothicaire, son ancien patron. Souvent le jeune Newton ne prenait pas même la peine de pousser jusqu’à la ville, et livré à ses réflexions au pied d’une haïe ou à l'ombre de quelque grand arbre, il attendait ‘que son messager revint de Grantham. Madame Smith ne tarda pas à s’apercevoir que de telles habitudes ne feraient pas prospérer la ferme; ne voulant point contrarier plus longtemps la vocation de son fils, elle le renvoya à l’école de Grantham, d’où, après un séjour de quelques mois et par les conseils de son oncle maternel, il passa à Cambridge, au collége de la Trinité, le 5 juin 1660. Quand il s’agit d’un si grand homme, la précision des dates n’est pas un vain luxe. L’'attention de Newton fut d’abord dirigée vers les études mathématiques, et, chose singulière, par le désir qui le prit de s'assurer de la vérité ou de l’inexactitude des règles de l'astrologie judiciaire. Il se rendit maître en peu de temps de la géométrie de Descartes, c’est-à-dire plus exactement de l'application NEWTON. 327 de l’algèbre à la géométrie telle que ce grand homme l'avait créée. Pemberton, qui fut beaucoup plus tard l'ami, le confident et l'éditeur de Newton, racontait que l'auteur des Principes de la Philosophe naturelle regret- tait d’avoir donné dans sa jeunesse trop peu d’attention à la géométrie d’Euclide. J'avoue que je ne saurais com- prendre le fondement de ce regret si, comme on Pa prétendu, les propositions d’Euclide lui avaient paru si évidentes qu’il ne sentit jamais le besoin d’en lire les démonstrations. Dans l’année 1665, Newton concourut avec Uvedale pour une place d’agrégé de l’Université, de fellowship, Uvedale fut nommé. Cet individu n’a été arraché à l'oubli qu'à raison de la préférence qu’il obtint sur son compéti- teur. Sir David Brewster a tiré du jugement singulier porté en cette circonstance par le professeur Barrow lui- même, la juste conséquence que Newton n’avait encore fait à la date du concours (1665 ) aucune des brillantes découvertes qui illustrèrent son nom. Nous pourrions aussi, en nous autorisant du triomphe de Uvedale, con- tester la vérité du rapprochement ingénieux fait par Fon- tenelle entre la carrière de Newton et le cours du grand fleuve qui arrose l'Égypte, « qu’il ne fut pas donné’à l’homme de voir le Nil faible et naissant. » Après avoir obtenu divers grades universitaires dans les années 1666, 1667 et 1668, Newton fut nommé pro- fesseur de mathématiques à la place du docteur Barrow, | lorsque celui-ci résolut, en 1669, de se consacrer exclu- sivement à la théologie. C'est de l’époque où nous sommes maintenant arrivés 328 NEWTON. que datent les découvertes de cet homme immortel ; elles seront bientôt l’objet d’une mention détaillée ; nous nous attacherons alors à fixer avec précision l’époque des plus importantes. Pour le moment, nous continuerons la bio- graphie proprement dite, je veux parler du récit des évé- nements peu saillants qui signalèrent la vie de l’auteur des Principes de la philosophie naturelle. Newton s’acquitta des fonctions qui lui avaient été confiées de professeur de mathématiques à Cambridge, avec un zèle consciencieux bien propre à servir de mo- dèle. On rapporte que depuis 1669 jusqu'à 1695, je veux dire pendant les vingt-six ans que durèrent ses fonctions, il ne s’absenta jamais de Cambridge plus de trois ou quatre semaines par an, et cela à l’époque des vacances seulement. En 1671, Newton fut nommé membre de la Société royale sur la présentation de M. Seth Ward, évêque de Salisbury, et connu lui-même par quelques travaux astronomiques. Il témoigna sa reconnaissance en des termes qui paraîtront bien humbles à ceux qui ne remar- queront pas que Newton n'avait point encore fait, ou du moins n’avait point encore publié ses grandes décou- vertes. En 1675, le roi Charles II lui accorda les dispenses alors nécessaires, afin qu’il pût continuer de remplir les fonctions de fellow (agrégé) du collége de la Trinité sans entrer dans les Ordres. Ki è Peu de temps après, une circonstance imprévue le jeta dans une contestation qui se rattachait par plusieurs côtés à la politique, Le roi Jacques II, persistant dans le des- NEWTON. 329 sein de rendre la prééminence à l’église catholique, avait ordonné à l’université de Cambridge de conférer à un moine bénédictin, le père Francis, le grade de maître ès arts sans l’astreindre au serment d’allégeance et de supré- matie. L'université fit des représentations; le roi revint à la charge en accompagnant sa demande de force me- naces. L'université persista dans son refus. Newton s’é- tant montré très-ferme parmi les dissidents, fut chargé par ses collègues d'aller défendre les priviléges universi- taires devant la haute cour de justice. Le roi eut alors la prudence de laisser amortir l'affaire. Pour témoigner leur reconnaissance envers leur collègue, dont la réputation scientifique s'était déjà étendue sur toute l’Europe, les professeurs de Cambridge nommèrent Newton, mais, il faut le dire, à une faible majorité, qu les représenter au parlement, en 1688. | Pendant les années 1688 et 1689, il accomplit avec un grand zèle ses nouvelles fonctions. On s’est assuré, en compulsant les registres de présence de Cambridge que de 1690 à 1695, Newton, sans doute dégoûté des intri- gues des partis, se montra beaucoup moins assidu au parlement. Au reste, sa carrière parlementaire fut sans éclat. Pendant toute sa durée, il ne prit, dit-on, la pa- role qu’une seule fois, et ce fut pour inviter l'huissier de la chambre des communes à fermer une fenêtre d’où partait un courant d’air qui aurait pu enrhumer un ora- teur placé non loin de là. Vers cette époque arriva un événement qui, s’il faut en croire certains historiens, eut une influence notable sur la carrière intellectuelle de l’immortel géomètre. En 330 NEWTON. allant un soir à la chapelle pour faire ses dévotions, Newton laissa par mégarde une bougie allumée sur son bureau de travail. Pendant son absence, un chien favori, qu’il appelait Diamant, renversa la bougie ; de là un incendie, qui consuma une grande quantité de manuscrits et de notes. À son retour, il aperçut le désastre irréparable ; suivant les uns, il se contenta de dire : Ah! Diamant, Dia- mant, tu ne soupçonnes pas le mal que tu m’as fait. Selon d’autres, la perte de ses notes manuscristes produisit une impression si pénible sur Newton qu'il en tomba malade, et que son intelligence en fut pour su temps affaiblie. La question de l’éclipse momentanée des hautes facul- tés mentales de Newton, a été débattue avec une grande force de logique. M. Biot s’était prononcé pour l’affirma- tive en s’appuyant sur une note de Huygens extraite d’un registre manuscrit conservé à la Bibliothèque de Leyde. L'opinion contraire a été soutenue, non sans quelque vivacité, par sir David Brewster, d'Édinburgh. Comme il arrive souvent en pareille circonstance, on peut con- tester l'opinion absolue, transmise verbalement à Huy- gens par un compatriote de Newton; mais on doit con- venir, d’après la correspondance de cet homme illustre avec Locke, qu’il avait en 1693 perdu presque totalement la mémoire : «Je ne me ressouviens pas, disait l’auteur des Principes, de vous avoir écrit la lettre à laquelle vous répondez. » Cette lettre s’est retrouvée dans la collection d’autographes de lord Kink, un des descendants de Locke. Je vais en donner la traduction; le lecteur sera ainsi en mesure de décider, d’après ses propres lumières, si une NEWTON. 331 pareille lettre est de celles dont on peut avoir oublié le contenu dans un état normal : \ « Monsieur, « Ayant cru que vous vouliez m’embrouiller avec des femmes (embroil me with women) et par d’autres moyens, j'en fus tellement affecté que, lorsqu’on vint me dire que vous étiez malade et en grand danger, je répondis qu’il était désirable que vous mourussiez. Je souhaite que vous puissiez oublier ce vœu peu charitable, car je suis con- vaincu que ce que vous aviez fait était convenable; je vous demande pardon pour avoir eu à ce sujet de si dures pensées et pour vous avoir présenté comme déviant des voies de la morale dans votre ouvrage sur les idées et dans celui que vous vous proposez de publier, Je vous avais pris pour un hobbiste. # « Je vous demande aussi pardon pour avoir dit ou pensé qu’il était question de me vendre un office ou de m'embrouiller (embroil me). « Je suis votre très-humble et infortuné serviteur, « Isaac NEWTON. «46 septembre 4693. » | L'homme dont nous écrivons la biographie était l’or- gueil de l'Angleterre, et cependant, arrivé à l’âge de cinquante-trois ans, il n’avait reçu aucune marque de reconnaissance de sa nation et vivait confiné dans les murs du collége où sa carrière scientifique avait com- mencé. N’étant pas engagé dans les ordres, il n’avait pu recevoir aucun bénéfice ecclésiastique et se trouvaitréduit 332 NEWTON. aux très-médiocres appointements de professeur de ’Uni- versité. Aussi n’est-on pas étonné de le voir demander à la Société royale de Londres d’être dispensé de payer la cotisation très-minime imposée par les règlements à cha- cun de ses membres. Il ne fallut rien moins que l’arrivée aux affaires publiques d’un élève de l’Université de Cam- bridge, Charles Montague, qui malgré la différence de leurs âges s’était lié avec lui d’une étroite amitié, pour que Newton fût tiré de cet inconcevable oubli, M. Charles Montague, depuis lord Halifax, ayant été nommé chancelier de l’échiquier, fit donner en 1695 ;: à Newton, l'emploi de gardien de la Monnaie (warden of the mint), aux appointements de 145,000 francs par an. En 1699, l’auteur des Principes obtint par la même influence la place de directeur de la Monnaie (masterhip of the mint). Ayant alors un revenu d’environ 30,000 francs (1,200 livres sterling), il désigna M. Whiston pour le remplacer comme professeur à Cambridge, et lui laissa la totalité de ses appointements. Whiston ne fut nommé définitivement qu’en 1703. Newton avait une nièce, veuve du colonel Barton. Cette dame, jeune, belle et spirituelle (depuis madame Conduit), avait inspiré un vif attachement à lord Halifax. On ne connaît pas les circonstances qui l’empêchèrent de l’épouser : la malignité s’est emparée de ce fait pour attri- buer la justice rendue en dernier lieu à Newton, moins à ses propres mérites qu’à ceux de sa nièce; mais les témoi- gnages contemporains ne justifient pas une telle conjec- ture. On sait seulement qu’à sa mort lord Halifax légua une grande partie de sa fortune à mistress Barton et 100 NEWTON. 333 livres sterling de rente à Newton. Tout porte à croire, quoi qu’en ait dit Voltaire, que le calcul infinitésimal et la gravitation furent une sérieuse recommandation en faveur de l’immortel géomètre quand il fut nommé maître de la Monnaie. En 1704, Newton, sur la désignation de ses collègues de Cambridge , représenta une seconde fois l’Université à la chambre des communes, où du reste il joua encore un rôle purement négatif, En 1705, à la dissolution du parlement, il se présenta de nouveau, mais il fut re- poussé à une très-grande majorité. J’inscris ici les noms des personnages qui eurent la hardiesse de descendre dans l'arène pour entrer en lutte avec le grand Newton : MM. Arthur Annerley obtint. . . . . 182 voix. OO... . «0. 1/0 Newton n’eut que 117 suffrages; il est vrai que la reine Anne, peu de temps auparavant, l’avait créé chevalier, et cette circonstance nuisit peut-être beaucoup à l’homme illustre qui faisait à l'Université de Cambridge l'honneur de vouloir bien la représenter au parlement. En 1703, Newton avait été nommé président de la Société royale ; il fut réélu chaque année jusqu’à sa mort, Déjà antérieurement , c’est-à-dire en 1699, lorsque l’Aca- démie des sciences de Paris se trouva investie par ses nouveaux règlements du droit de s'associer un très-petit nombre de savants étrangers, une de ses premières nomi- nations fut celle de Newton. Tout ce qui regarde un si grand homme doit intéresser le public. Nous dirons donc que Newton était d’une taille 334 NEWTON. moyenne et qu’à la fin de sa vie son embonpoint.augmen- tait outre mesure. Ses cheveux, ordinairement couverts par sa perruque, avaient la teinte argentée la plus écla- tante. S’il faut en croire l’évêque d’Atterbury , ses. yeux étaient ternes, du moins dans les vingt dernières années, et rien n’aurait fait deviner en le voyant la sagacité extra- ordinaire qui distingue ses productions scientifiques. Dans le monde il se montrait silencieux ; on l'aurait pris pour un homme ordinaire. On peut supposer que. sa réserve tenait en partie à une grande timidité. Comme. exemple de cette disposition d'esprit, nous citerons:ce qui arriva lorsqu'il fut appelé en 4714 à déposer devant un. comité, de la chambre des communes, chargé de se. prononcer sur un bill relatif à la détermination des longitudes en mer. Newton donna son opinion par écrit. Quelques membres du comité présentèrent des objections auxquelles il ne répondait pas un mot; mais Whiston, placé derrière lui, s’écria : « Monsieur Newton. éprouve quelque répu- gnance à faire connaître son avis, mais je puis aflirmer qu’il est favorable au bill. » Newton, rompant le, silence. à: la suite des paroles peut-être inconvenantes de Whis-, ton, répéta ce que celui-ci venait de dire et.le bill fut adopté. Voici un autre passage emprunté à ce même M. Whis- ton, et qui, en le supposant véridique, donnerait une singulière idée des sentiments intimes de Newton : « Newton était du caractère le plus eraintif, le plus cau- teleux et le plus soupçonneux que j'aie jamais connu, et s’il eût été vivant quand j'écrivis contre sa chronologie , je n’eusse pas osé publier ma réfutation, car, d’après la NEWTON. 335 connaissance: que j'avais de ses habitudes, j'aurais dû craindre qu’il ne me tuât. » Voici un passage emprunté aux Mémoires de Flam- steed, et qui tendrait à confirmer, jusqu’à un certain point, le jugement porté par Whiston sur le caractère de son . prédécesseur à Cambridge : « Newton m'a toujours paru insidieux, ambitieux, excessivement avide de louanges, et supportant impatiemment la contradiction. » (Vie de Flamsteed, page 73.) Newton, a-t-on dit, était socinien; on peut assurer avec plus de certitude que dans son esprit une profonde piété s’alliait à une grande tolérance. Lorsque Halley, fort coutumier du fait, se permettait devant lui quelques plai- santeries sur la religion, il l’arrêtait tout court par cette remarque : «J'ai étudié ces choses-là, et vous ne l’avez point fait. » Ils n’en restaient pas moins bons amis après cela. J'ai appris de lord Brougham, que pendant la guerre des Cévennes, Newton s'était préparé à aller combattre dans les rangs de Camisards les dragons du maréchal de Villars, et qu'une circonstance fortuite l’empêcha seule de donner suite à ce dessein. Comment le timide Newton se fût-il conduit sur le champ de bataille, lui qui, de crainte de tomber, ne se promenait en voiture dans les rues de Londres que les bras étendus et les mains eram- ponnées aux deux portières. On concevra d’après ce seul fait que la question puisse être soulevée et devenir le sujet d’un doute, Cette biographie semblerait incomplète si je ne parlais pas de la modestie de Newton. J'avoue qu’à cet égard 336 NEWTON. mon opinion diffère quelque peu de celle des écrivains qui m'ont précédé. Il y a lieu d'établir, ce me semble, une distinction dont on ne s’est pas assez préoccupé. Newton avait un esprit trop pénétrant et trop profond pour ne pas avoir remarqué que les faits, que les décou- vertes nombreuses et importantes dont il avait enrichi la science, n'étaient qu'une très-petite partie de ce qui res- tait encore caché dans la majesté de la nature, suivant la belle expression de Pline. M. Brewster nous a conservé les termes dans lesquels il exprimait son sentiment à ce sujet : « Je ne sais pas, disait-il, ce que je parais au monde; pour moi, je me compare à un jeune enfant jouant sur le bord de la mer , ramassant çà et là un cail- lou plus ou moins lisse, ou une coquille d’une beauté peu ordinaire, pendant que le grand Océan de vérité reste complétement caché à mes yeux. » Quand il s'agissait de la comparaison de ses propres travaux et de ceux de ses émules, Newton ne se trompait pas; il en parlait alors avec une noble confiance, témoin ce passage d’une de ses lettres à Halley : « Hooke n’a rien fait, et cependant il s’est exprimé comme s’il savait tout, et qu’il eut tout approfondi, excepté ce qui exigeait l'ennuyeux tracas des observations et des calculs, s’excu- sant de ce travail sur d’autres occupations importantes. Le tour n’est-il pas admirable? De pauvres mathémati- ciens qui découvrent les vérités, qui les développent et les établissent, devront se contenter d’être considérés comme des calculateurs arides et de vrais manœuvres; tandis qu’un autre qui ne fait rien que former des pré- tentions sur toutes choses, et s'accroche à tout ce qui se NEWTON. 337 fait, s’attribuera exclusivement tout ce qui est invention, tant dans ceux qui le suivent que dans ceux qui l'ont précédé. » . Voici du reste en quels termes, dans son Traité d'op- tique, Newton parle des principes auxquels il a recours pour expliquer les phénomènes de la nature physique; le lecteur jugera si c’est ainsi que s’exprimerait un homme qui n’aurait pas une haute idée de ses découvertes : « Les corps, dit l’immortel inventeur de la théorie de la gravitation universelle, sont composés de particules mues par certains principes actifs, tel qu'est celui de la gravité et celui qui produit la fermentation et la cohésion des corps. Je ne considère pas ces principes comme des qua- lités occultes, qui soient supposées résulter de la forme spécifique des choses, mais comme des lois générales de la nature, par lesquelles les choses mêmes sont formées: la vérité de ces principes se montre à nous par les phé- nomènes, quoiqu'on n’en ait pas encore découvert les causes. Ces qualités sont manifestes, et il n’y a que les causes qui soient occultes. Les aristotéliciciens ont donné le nom de qualités occultes, non à des qualités manifestes mais à des qualités qu’ils supposaient être cachées dans les corps et être les causes inconnues d’effets manifestes, telles que seraient les causes de la pesanteur, des attrac- tions magnétiques et électriques, et des fermentations, si nous supposions que ces forces ou actions procédassent de qualités qui nous fussent inconnues, et qui ne pussent jamais être découvertes. Ces sortes de qualités occultes arrêtent le progrès de la philosophie naturelle, et c’est pour cela qu’elles ont été rejetées dans ces derniers ILE, — 111. 22 338 NEWTON. temps. Nous dire que chaque espèce de choses est douée d’une qualité occulte spécifique, par laquelle elle agit et produit des effets sensibles, c’est ne nous rien dire du tout; mais déduire des phénomènes de la nature deux ‘ou trois principes généraux de mouvement, et nous expli- _quer ensuite comment les propriétés et les actions de toutes les choses corporelles découlent de ces principes mani- festes, ce serait faire un progrès considérable dans la philosophie, quoique les causes de ces principes ne fus- sent point encore découvertes. Sur ce fondement, je ne fais pas difficulté de proposer les principes de mouve- ment mentionnés ci-dessus, puisqu'ils sont d’une étendue très-générale, » On a souvent cité, à l’occasion de la thèse que je discute ici, la publication tardive de plusieurs travaux de Newton; il craignait, a-t-on dit, les tracasseries que la gloire scientifique amène inévitablement à sa suite, et faisait sans regrets les plus grands sacrifices à son repos intérieur. J’ai cru remarquer qu’il supportait impatiem- ment la critique, et que le déplaisir qu'elle lui causait était beaucoup plus vif que cela n’eût été convenable à un homme d’un aussi grand génie. Ceux qui liront les polémiques que Newton :‘soutint contre Pardies, Lucas, Hooke, Huygens, Leibnitz, recon- naîtront, je pense, la vérité de mon appréciation; ils les trouveront empreintes d’une vivacité qui donne la clef de bien des circonstances sans cela inexplicables. Newton mourut de la pierre, le 20 mars 1727, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Son corps, après avoir été exposé dans la salle dite de Jérusalem, fut conduit à El NEWTON. 339 Westminster. Les cordons du poële étaient tenus par le grand chancelier et les lords duc de Roxburg, duc de Montrose, comte de Pembroke, comte de Sussex et comte de Maeclesfield. Un splendide monument en marbre lui a été élevé en 1731, dans une des parties les plus appa- rentes de l’abbaye où reposent les cendres de tant d'hommes célèbres. On y lit cette épitaphe : HIC SITUS EST ISAACUS NEWTON, EQUES AURATUS, QUI ANIMI VI PROPE DIVINA, PLANETARUM MOTUS, FIGURAS, COMETARUM SEMITAS, OCEANIQUE ÆSTUS, SUA MATHESI FACEM PRÆFERENTE, PRIMUS DEMONSTRAVIT. RADIORUM LUCIS DISSIMILITUDINES , COLORUMQUE INDE NASCENTIUM PROPRIETATES, QUAS NEMO ANTEA VEL SUSPICATUS ERAT, PERVERSTIGAVIT, NATURÆ, ANTIQUITIS, S. SCRIPTURÆ, SEDULUS, SAGAX, FIDUS INTERPRES, DEI OPT. MAX. MAJESTATEM PHILOSOPHIA ASSERUIT. EVANGELII SIMPLICITATEM MORIBUS EXPRESSIT. SIBI GRATULENTUR MORTALES, TALE TANTUMQUE EXTITISSE, HUMANI GENERIS DECUS. NATUS XXV. DECEMB. MDCXLII. OBIIT XX. MAR. MDCCXXVII. Le souvenir de ces honneurs est souvent rappelé comme un bläme contre les nations qui n’ont pas traité leurs grands hommes avec la même justice; mais ce sentiment d’orgueil est-il bien légitime? Les seigneurs qui s'étaient joints au cortége y figuraient comme membres de la Société royale et non comme représentants de la chambre des lords. Le monument de 1731 fut construit aux frais des héritiers de la famille de Newton, et non aux dépens du trésor national. Il n’est pas jusqu’à la statue en marbre 340 NEWTON. élevée devant la chapelle du collége de la Trinité à Cam- bridge, œuvre de Roubilliac, qui ne soit un hommage personnel; on la doit, en effet, à l'admiration profonde du docteur Robert Smith, auteur d'un Traité d'optique, pour celui qui l'avait dirigé dans la carrière. Sur le pié- destal de cette statue on lit cette inscription : QUI GENUS HUMANUM INGENIO SUPERAVIT. Disons-le hautement, puisque c’est la vérité, les hon- _neurs qu'on eût prodigués sans réserve à un homme de mer s’emparant des galions espagnols ou incendiant une capitale étrangère, ne furent accordés qu'avec la plus grande parcimonie à celui dont le nom survivra aux plus grandes réputations politiques et militaires du monde entier. Les ouvrages qui donnent à Newton le premier rang parmi les hommes de génie voués aux progrès des con- naissances humaines, sont relatifs à l’astronomie, à l'optique et aux mathématiques. Voici les titres de ces œuvres immortelles avec les dates de leurs publications : 1687. — Philosophiæ naturalis principia mathematica, auctore Is. Newton, Trinit. coll. cantab. socio, Matheseos professore Lucasiano, et Societatis regalis sodali. — Une traduction en français de ce Traité, le plus important de Newton, a été donné en 1756, par le marquis du Châtelet, et elle est suivie d’un commentaire dû à Clairaut. — Voltaire en a tiré ses Éléments de la philosophie, publiés en 1738. 1704. — Opticks or a Treatise on the Reflexions, NEWTON. 341 Refractions, Inflexions, and Colours of Light. — À ce Traité étaient joints deux opuscules écrits en latin et inti- tulés : Tractatus duo de speciebus et magnitudine figura- rum curvilinearum ; L° Tractalus de quadratura curvarum; X Enumeratio linearum tertii ordinis. Clarke a donné, en 1706, une édition latine du Traité d'optique, qui a été traduit en français par Coste, en 1720. 1707. — Arithmetica universalis, sive de compositione el resolutione arithmetica liber. — Ce livre a été édité par Whiston, malgré Newton lui-même. Il en existe une traduction française par Baudeux, parue en 1802. A7AA. — Analysis per equationes numero terminorum infinitas. 1711. — Methodus differentialis complectens doctrinam describendi curvas ex datis differentiis differenhiarum ordinatarum. 1728. — Optical Lectures read in publick schools of the university of Cambridge. Anno Domini 1669. Tous ces ouvrages ont eu de nombreuses éditions dans presque toutes les langues... En 1744, Castillon a publié à Lausanne et à Genève, un recueil des opuscules mathématiques, philosophiques et philologiques de Newton en 3 volumes in-4°, qui contiennent : TOME 1*, Arithmetica universalis, Analysis per equationes numero terminorum infinitas. Methodus fluxionum et serierum infinitarum (Opuscule traduit par Buffon en 1740). 342 NEWTON. De Quadraturà curvarum. Enumeratio linearum tertii ordinis. Methodus differentialis. Solutiones problematum quorumdam editæ in Transactionibus philosophicis. Excerpta ex epistolis Newtoni, editis in Commercio epistolari Collinsii et in Commercio epistolico, etc. TOME IT. De mundi systemate. Lectiones opticæ. Excerpta e Transactionibus, ex Harris Lexico technico. Scala graduum caloris et frigoris. TOME III. Brevis chronica, a prima rerum in Europà gestarum memorià, ad Persidem ab Alexandro Magno in potestatem redactam. Chronologia veterum regnorum emendata. Ad Danielis prophetæ vaticinia, nec non sancti Joannis Apoca- lypsin, observationes. On doit à Newton une édition de la géographie de Varenius qu’il a publiée en 4672. Le lecteur a sous les yeux les titres des écrits de at que importance dus à Newton. J’ajouterai que Horsley a donné, de 1779 à 1785, une très-belle édition de Newton en 5 volumes in 4°: il a eu la prétention de faire une édi- tion des OEuvres complètes, mais on lui reproche d’avoir laissé de côté un certain nombre de pièces qu’on doit aller rechercher dans le Commercium epistolicum, dans les Transactions philosophiques, la Catoptrique de Gre- gory, le Dictionnaire de Birch, et qui sont énumérées tout au long dans la Bibliographie britannique de Watt. Quoi qu’il en soit, nous mettrons encore ici la table NEWTON. 343 des matières de l'édition due à Horsley. Je le répète, quand il s’agit d’un si grand homme , les détails ne sau- raient être insignifiants. TOME I* (4779). EL, Arithmetica universalis. II. Tractatus de Rationibus primis ultimisque. I. Analysis per æquationes numero terminorum infinitas. IV. Excerpta quædam ex epistolis ad series fluxionesque perti- nentia. V. Tractatus de Quadraturà curvarum. VI. Geometria analytica sive specimina artis analyticæ. VIL Methodus differentialis. VIIL Enumeratio linearum tertii ordinis. TOME II (1779). Philosophiæ naturalis principia mathematica. — In hoc tomo continentur : Principiorum libri priores duo, de motu cor- porum. * TOME III (1782). L. Principiorum liber tertius, de systemate mundi. II. De mundi systemate.. HIL Theoria lunæ. IV. Lectiones opticæ. Annis 1669, 14670, 1671, in scholis publicis Cantabrigiensium ex cathedra Lucasiana habitæ. TOME IV (1782). L Opticks. II. Letters on various subjects in natural philosophy, published . from the originals in the archives of the Royal Society of London. | IL. Letter to M.' Boyle.on the cause of gravitation. IV. Tabulæ duæ, Calorum altera, altera Refractionum. V. De Problematibus Bernoullianis. 344 NEWTON. VI. Propositions for determining the motion of a Body urged by two central forces. VIL Four letters to D." Bentley. VIII. Commercium epistolicum de varia re mathematica inter cele- berrimos præsentis seculi mathematicos : Isaacum Newto- nem, Isaacum Barrow, Jacobum Gregorium, Johannem Wailisium, J. Keillium, J. Collinium, Gulielmum Leibni- tium, Henricum Oldenburgum, Franciscum Slusium et alios. Jussu Societatis regiæ in lucem editum et jam unà cum recensione premissà insignis confroversiæ inter Leib- nitium et Keïillium de primo inventore methodi fluxionum; et judicio primarii, ut ferebatur, mathematici subjuncto, iterum impressum. A. D. 1725. | : IX. Addimenta commercii epistolici ex historià fluxionum Ra- phsoni. TOME V (1785). . The chronology of antient kingdoms amended. II, A short chronicle from a MS. the property of the Rev. D." Ekins, Dean of Carlisle, III. Observations upon the Prophecies of Holy Writ: particularly tbe Prophecies of Daniel and the Apocalypse of S. John. IV. An historical account of two notable corruptions of Scrip- ture. In a letter to a friend. Le C’est certainement aux méthodes de calcul qu'il avait inventées que Newton doit d’avoir pu créer la théorie de la gravitation universelle. Cependant ses travaux en mathé- matiques ne seront jamais que son second titre à l’immor- talité; on dirait qu’il l’a pressenti en ne les publiant que longtemps après ses découvertes astronomiques. C’est par ces dernières que nous allons commencer la revue rapide des nouvelles connaissances que l'esprit humain doit à ce grand génie. En donnant, dans mon Traité d’Astronomie populaire, l'explication des causes qui maintiennent les diverses pla- NEWTON. 345 nètes dans leurs orbites, je n’ai pas manqué d'indiquer la part immense qui revient à Newton dans les brillantes découvertes dont cette branche de l'astronomie peut se glorifier à tant de titres. Ceci ne doit pas, je crois, me dispenser de présenter ici, sans autre explication, l'énoncé de toutes ses découvertes ; ce sera, à vrai dire, une sorte de table de matières du 1° livre des Principes mathématiques de la philosophie naturelle, limmortel ouvrage qui a fait la gloire de Newton. En voyant cette table, également remarquable par la grandeur des pro- blèmes que l’auteur s'était proposé de résoudre, et par la rigueur et l’imprévu des solutions, chacun s’associera aux sentiments que Voltaire exprimait dans ces vers enthou- siastes : Confidents du Très-Haut, substances éternelles Qui brûlez de ses feux, qui couvrez de vos ailes Le trône où votre maître est assis parmi vous, Parlez, du grand Newton n'étiez-vous point jaloux ? Chacun reconnaîtra aussi que le poëte anglais à qui l’on doit l'inscription que porte le piédestal du monument élevé à la mémoire de Newton dans l’église de Westmins- ter, n’a rien exagéré en s’écriant : « Les hommes doivent se féliciter qu’un aussi grand ornement de l'espèce hu- maine ait existé. » Le manuscrit des Principes mathématiques de la phi- losophie naturelle fut présenté à la Société royale le 28 avril 1686. La publication eut lieu au mois de mai 1687. Ce grand ouvrage est partagé en trois livres : les deux premiers traitent des principes généraux des lois du 346 NEWTON. mouvement, et le troisième en contient les non au système du monde, Dans la dissertation de Plutarque, intitulée : De la Face de la Lune, on voit que la pesanteur de notre satellite vers la Terre était admise par quelques anciens, puisque Plutarque examine pourquoi la Lune ne tonte pas ; je prends la traduction d’Amyot : ù « Et toutefois, il y a le mouvement de la Lune qui, en garde qu’elle ne tombe, et la violence de sa révolution, ne plus ne moins que les pierres et cailloux, et tout ce que l’on met dedans une fronde sont empeschés de tomber parce qu’on les. tourne violemment en rond. Car chaque corps se meut selon son mouvement naturel, s’il n’y a autre cause qui l’en détourne. C’est pourquoi la Lune ne se meut point selon le mouvement de sa pesan- teur, estant son inclination déboutée et empeschée par la violence de Ia révolution circulaire. » Newton était parvenu à démontrer qu’une force attrac- tive émanée d’un point et agissant réciproquement au carré des distances , fait nécessairement décrire au corps qu’elle sollicite, une ellipse ou, en général, une section conique dont le point d’où émane la force occupe un des foyers. Les mouvements produits par une telle force sont exactement pareils aux mouvements planétaires tant pour la vitesse de chaque point que pour la forme de lorbite, C’est là le secret du système du monde. Newton résolut de vérifier si notre satellite rentrait dans la loi générale. La Lune est retenue dans sa courbe mensuelle par une force d’attraction dirigée vers le centre de la Terre. Cette force est exactement égale à celle qui fait tomber les NEWTON. 347 corps à la surface du globe diminuée dans le rapport du carré des distances. Lorsque, d’après cette théorie, Newton voulut en 1665 et 1666 appliquer les mesures de la Terre, que l’on possédait alors, à la recherche de la grandeur de la force qui retient la Lune dans son orbite, il trouva une valeur plus grande du sixième que l’obser- vation ne l’assigne d’après le mouvement de circulation de notre satellite. En 1682, les résultats obtenus par Picard dans la mesure du méridien devinrent l’objet de conversations à la Société royale. Newton prit note de ces résultats, et recommença son calcul sur la quantité dont la Lune tombe vers la Terre en une seconde. Cette fois le calcul s’ac- corda parfaitement avec l’idée que la pesanteur diminuaït en raison du carré des distances au centre de la Terre, Cet accord mit le célèbre physicien dans une excitation nerveuse si intense qu'il ne put vérifier son calcul, et qu’il fut obligé de confier ce soin à un de ses amis. Newton avait imaginé un moyen de s'assurer par une expérience directe du mouvement de rotation de la Ferre, Dans une lettre écrite à la Société royale, en 1679, il faisait remarquer qu’un corps tombant du sommet d’une haute tour aboutirait au pied de la verticale si la Terre était en repos, et qu’il tomberait à l’est de ce même point si la Terre était en mouvement, Hooke, chargé par la Société de vérifier expérience, soutint que la déviation d’un corps tombant, au lieu d’être exactement dirigée vers l’est, serait dirigée vers le sud- est. On prétend que le résultat expérimental fut conforme à cette prévision, à laquelle Newton avait d’ailleurs adhéré. 348 NEWTON. La découverte qu'un projectile attiré par une force variant proportionnellement aux carrés de la distance, décrit une ellipse, est mentionnée pour la première fois dans une lettre à Halley de 1686. Parmi les découvertes de Newton, une des plus remar- quables fut celle de la cause de la précession des équi- noxes. Le grand géomètre montra que cette précession dépendait de l’aplatissement de la Terre, c’est-à-dire des actions du Soleil et de la Lune sur les molécules du menisque qui surmonte, surtout dans les régions équato- riales, la sphère dont le diamètre serait égal à l’axe des pôles. Kepler, dont l'imagination n’était jamais en dé- faut, avouait qu'il n’avait pu même entrevoir aucune cause à laquelle on pût attribuer le mouvement de pré- cession, À Newton prouva que les comètes, dans leur mouvement de circulation autour du Soleil, se meuvent dans des sec- tions coniques, et que conséquemment elles sont mainte- nues dans leurs orbites par la même force qui maîtrise les planètes. Jetons maintenant un coup d'œil sur les découvertes de Newton en optique, et nous les trouverons également dignes d’admiration. Dans le Traité d'optique du professeur Barrow, publié en 1669, avec les conseils de Newton, ainsi que Barrow le dit dans sa préface, on trouve cette singulière théorie des couleurs. « Les corps blancs sont ceux qui envoient une lumière également intense dans toutes les directions ; les corps noirs sont ceux qui n’envoient pas de lumière ou qui en envoient très-peu; les corps rouges sont ceux qui NEWTON. 319 émettent une lumière plus intense que d’ordinaire, mais interrompue par des interstices sombres; les corps bleus sont ceux qui envoient une lumière raréfiée, ou qui sont composés de molécules blanches et noires alternant les unes avec les autres; les corps verts ressemblent dans leur composition aux corps bleus ; le jaune est le mélange de beaucoup de blanc et d’un peu de rouge; le pourpre résulte d’une grande quantité de bleu mélangé d’une petite portion de rouge. La couleur bleue de la mer provient de la blancheur du sel qu’elle contient mélangée avec la noirceur de l’eau pure dans laquelle le sel est dissous. La couleur bleue des ombres des corps vus en même temps à l’aide d’une chandelle et de la lueur du crépuscule provient du mélange de la blancheur du papier avec la faible lumière crépusculaire, » Ce passage, que j’emprunte à la Vie de Newton par sir David Brewster, montre, comme nous le fait remar- quer cet illustre physicien, qu’en 1669, Newton n'était pas encore en possession de sa théorie des couleurs, car, dans le cas contraire, il eût été coupable de laisser son professeur et ami publier des conceptions si peu d’accord avec les vrais principes de la science. On trouve toutefois dans la théorie de Barrow, quelque ridicule qu’elle soit, plusieurs passages qui mérirent d’être remarqués au point de vue expérimental et historique : d’abord, la supposition que du mélange de deux couleurs résulte une couleur différente des deux premières; secon- dement, la première observation qui soit venue à ma connaissance des ombres colorées; troisièmement, les premiers rudiments de la supposition, depuis si longue- 350 NEWTON. ment développée par Gœthe, que le bleu est un mélange de blanc et de noir, Les connaissances des anciens sur la coloration de la lumière passant à travers les corps transparents étaient bien vagues, puisqu'elles se réduisent à peu près à cette expérience rapportée par Sénèque : « On fait des verges de verre cannelées ou péttnsées _ d’angles saillants comme une massue. Si le rayon so- _laire frappe une verge de cette espèce transversalement, il en résulte une coloration semblable à celle de l'iris. » (Questions naturelles, iv. 1.) Dans ses leçons d'optique données à Cambridge dans les années 1669, 1670 et 1671, Newton exposa sa théorie de l’inégale réfrangibilité des rayons de diverses couleurs contenues dans la lumière blanche. Les premières expériences de Newton sur la couleur des lames minces furent communiquées à la Sociéte 500 de Londres, à la fin de 1675. L'explication donnée par Newton de la couleur des corps exposés à la lumière blanche a été présentée à la’ Société royale au commencement de 1675. | Après avoir établi, à l’aide d’une expérience inexacte, qu'il ne serait pas possible de construire des lunettes achromatiques, Newton tourna ses vues d’un autre côté, et imagina de former, par voie de réflexion, les images que l’oculaire doit ensuite amplifier, 11 ne se borna pas à ce sujet à des vues théoriques, et exécuta de ses mains un télescope, qui est conservé, avec raison, à la Société royale comme une relique. Cet instrument porte, sur une étiquette, la date de 1671. | NEWTON. 3541 Je me demande maintenant si le mérite de ce travail aurait été diminué, dans la supposition où le grand phy- sicien aurait cité les propositions antérieures pour la construction d’un télescope à réflexion, l’une faite par Mersenme, en 4639; la seconde, par David Grégory, en 1663. Les observations de Newton sur l’inflexion de la lumière ne parurent qu’en 4704, avec la première édition de Optique, quoiqu’elles eussent été faites à une époque antérieure. Dans le premier livre de l’Optique, Newton donne la théorie de l’arc-en-ciel. Il attribue le fond de cette expli- cation à Antoine de Dominis. On peut voir dans la notice que j'ai consacrée à Descartes (page 306) ce qu’il faut penser de cette assertion ; mais ce qui est inconcevable, c'est que l’illustre auteur prétende que Dominis avait bien vu que le second arc-en-ciel était produit sur les gouttes de pluie par deux réfractions et deux réflexions des rayons provenant du Soleil. L’archevêque de Spalatro ne savait évidemment rien de la formation de l’arc extérieur. La part de Descartes est amoiïndrie ici sans motif et même sans aucun prétexte. L'auteur immortel du Traité d'op- tique avait été plus juste envers le grand philosophe français dans ses Leçons d'optique faites à Cambridge en 1669, 1670 et 1671. Le second livre de l'Optique est consacré à l’étude des couleurs des lames minces. Ces couleurs avaient déjà été examinées par Boyle et Hooke. Le travail de Newton est généralement considéré comme un modèle dans l’art de faire des expériences et 352 NEWTON. dans celui de les interpréter. Cette appréciation est bien méritée. Cependant le chapitre en question peut donner lieu à des critiques fondées. On est fâché, par exemple, au point de vue historique, de voir que Newton ne cite pas Hooke, comme ayant le premier fait naître des an- neaux entre deux lentilles superposées. Il eût été égale- ment désirable que lillustre auteur remarquàt que la théorie donnée par Hooke de la formation des anneaux conduisait nécessairement aux lois expérimentales obte- nues par lui sur la succession des épaisseurs de la lame d'air qui engendre les mêmes couleurs. Je ne parlerai pas de la fameuse théorie des accès de facile réflexion et de facile transmission, car, je l’avoue humblement, cette théorie ne m’a jamais paru que la reproduction des phénomènes en langue vulgaire, et elle n’expliquait rien dans le vrai sens du mot expliquer. Mais voici, en point de fait, ce qui est plus grave. L'auteur du Traité d'optique prétend que les couleurs d’une lame mince ne dépendent pas de la nature des milieux entre lesquels elle est renfermée. Des expériences ultérieures ont prouvé que les couleurs de cette lame dépendent si manifestement des réfringences particulières des milieux, entre lesquels elle se trouve contenue, que, noire dans un certain Cas, par exemple, la lame devient blanche dans un autre sans avoir nullement changé d'épaisseur ; que le rouge y remplace le vert dans les mêmes circon- stances, et ainsi de suite. | Quant à l'application que Newton a faite de ses belles expériences à l'explication des couleurs des corps natu- rels, on a démontré depuis longtemps qu’elle est de tout NEWTON. 353 point inadmissible. On peut voir à ce sujet les expériences déjà anciennes de Delaval, compatriote de Newton. Le chapitre où Newton s'occupe des couleurs engen- drées par des lames épaisses ne mérite que des éloges. On y a peu ajouté depuis. Quant au troisième livre, celui dans lequel il est ques- tion des phénomènes de la diffraction, on ne le croirait pas sorti de la plume de Newton. L'auteur y nie formelle- ment qu’il se forme des franges colorées dans l’intérieur de l'ombre des corps. Ces franges avaient cependant été indiquées antérieurement dans l’ouvrage de Grimaldi, qui n’était pas inconnu à l’illustre auteur du Traité d'op- tique, puisqu'il le cite. Pour ce qui est des franges extérieures, elles sont décrites et mesurées avec le plus grand soin; mais, lors- que, pour expliquer leur formation, Newton va jusqu’à supposer que les rayons qui passent près des corps éprou- vent un mouvement d’anguille, il ne remarque pas que cette supposition elle-même ne rendrait nullement compte de la position des franges à diverses distances du corps opaque, telles qu’elles résultent de ses propres expé- riences. | Sur la question de la double réfraction, Newton mé- . connut la vérité de la loi dont la découverte est due à Huygens, et voulut la remplacer par des règles de sa propre invention, mais qui, étant contraires aux faits les plus avérés, out été généralement rejetées par les phy- siciens, Newton tira de la mesure du pouvoir réfractif du dia- mant, la conséquence que cette pierre précieuse est un IL — qui, 23 354 NEWTON. corps combustible. Cette prédiction, que les expériences des chimistes ont depuis confirmée, a été souvent citée comme une des preuves les plus manifestes du génie de Newton. | Le génie de cet homme immortel étant hors de ques- tion, nous pouvons, sans irrévérence, faire remarquer qu'avant l’année 1704, date de la publication du Fraité d'optique, le diamant avait été brûlé dans une célèbre expérience faite sous les yeux du grand-duc de Toscane, par Averani et Targioni, membres de l’Académie del Cimento. Cette expérience, où le diamant se dissipe tout entier, sans laisser aucun vestige, quand on le place au foyer d’un miroir ardent, est de 4694. Aïnsi, on peut dire que la.remarque contenue dans l’Optique de Newton, était une prédiction faite après coup. Je donnai cette conclusion dans mon cours public d'astronomie ; un de mes auditeurs m’écrivit pour me reprocher vivement d’avoir osé la formuler. Je place ici la réponse que je rédigeai : | «La passion, sur des questions spéculatives, sur des questions du domaine de l’intelligence, est de nos jours une chose beaucoup trop rare pour que j'aie dû me formaliser de la vivacité de la réclamation. Elle aurait même été dictée en partie par une certaine susceptibilité nationale, que je n’y trouverais pas à redire. J'ajoute, afin d’être plus libre dans mes explications, que sil fal- -lait désigner l’homme des temps anciens et des temps modernes qui a fait faire le plus de progrès à l’astrono- mie, je n’hésiterais qu'entre Kepler et Newton. «Je n'ai pas besoin de chercher d’autres termes pour NEWTON. 305 exprimer jusqu'où vont mon respect et mon admiration pour le philosophe anglais. 11 est cependant une chose que je respecte encore davantage, c’est la justice, c’est la vérité, Tel est le sentiment auquel j'ai cédé en faisant la remarque contre laquelle on a réclamé. - «En 1694 et 1695, par ordre et sous les yeux du grand- duc de Toscane, on projeta sur des diamants le foyer d’une lentille de Tschirnhausen. « Les diamants finirent par disparaître entièrement, (Minéralogie d'Haüy, t. ut, p. 211, 1" édition. ) » « Voici le passage de l’Optique de Newton si souvent cité : « Le camphre, l'huile d'olive, l'esprit de térébenthine, l’ambre, corps sulfureux et onctueux; le diamant, qui est probablement une substance onctueuse coagulée, ont des puissances réfringentes proportionnelles à leurs densités respectives sans quelque déviation considérable. Mais les pouvoirs réfringents de ses substances onctueuses sont deux à trois fois plus considérables, eu égard à leurs densités, que les pouvoirs réfringents des autres corps, eu égard aussi à leurs densités. (Optique, liv. 11, p. 249, 2° édition anglaise, 1717. ) » « La première édition de l'Optique est de 1704. L’au- teur disait dans l'avertissement qu’une partie de l'ouvrage avait été écrite en 1675, envoyée aux secrétaires de la Société royale, et lue dans les séances; que le reste, le troisième livre excepté, avait été ajouté douze ans plus tard ou en 1687. Mais la publication n’eut lieu qu’en 1704, dix ans après l'expérience du grand-duc de Tos- cane, » Dans le cadre que nous nous sommes tracé pour la 356 NEWTON. rédaction des biographies des principaux astronomes, nous n’avons pas à insister sur les travaux mathématiques de Newton. Nous n’entrerons dans aucun détail sur la longue polémique qu’il soutint contre Leibnitz à propos de la découverte du calcul différentiel. Quoique la Société royale ait donné raison à Newton par une décision solen- nelle, nous ne pouvons partager une telle opinion, que n’a sanctionnée d’ailleurs aucun des grands géomètres modernes, Nous signalerons seulement les trois principaux ou- vrages mathématiques de l’illustre astronome. Analysis per equaliones numcro lerminorum infinitas (publié en 1711). Cet ouvrage, dans lequel on trouve plusieurs applications de la doctrine des fluxions décou- verte par l’auteur, longtemps auparavant, fournit une preuve du génie mathématique de Newton. Arithmetica universalis sive de compositione et resolu- tione arithmetica liber. Get ouvrage a paru en 1707; il est éminemment digne de l'attention des géomètres, qui y trouvent les plus habiles combinaisons des formules analytiques et les moyens d’obtenir les résultats de la simplicité la plus élégante, | Methodus differentialis. Cet ouvrage, publié en 1711, apprend à déterminer la courbe du genre parabolique qui peut passer par un nombre déterminé des points don- nés et fournit des méthodes très-utiles pour l'évaluation approchée des quadratures. Nous ne ferons pas mention ici des écrits théologiques ROEMER. 397 de Newton, ni de la controverse qui s’est élevée entre des auteurs d’un mérite supérieur concernant la véritable date de leur composition ; nous exprimons seulerñent nos ‘regrets de ce que l’immortel géomètre consacra à de telles recherches une partie considérable de son temps, qu'il aurait pu employer à perfectionner la philosophie naturelle, dont on pourrait dire, jusqu’à un certain point, qu’il était le créateur. Nos regrets seront certainement partagés par ceux qui apprendront que les écrits en question, encore inédits, écrits qu’il appelait lui-même, dans une lettre à Locke, des rêveries mystiques, formeraient plusieurs volumes, comme aussi par ceux qui se rappelleront l’insuccès uni- versellement reconnu du grand homme dans l’explication de l’Apocalypse. En général, en dehors des questions de mathématiques pures ou des applications de ces sciences à l'explication des phénomènes naturels, Newton ne montra pas cette incomparable sûreté de jugement, je dirai presque cette impassibilité, qu’on admirait en lui. On peut voir, comme preuve de ce que j'ose avancer, son système de chrono- logie si bien réfuté par Fréret, dès les premiers temps de sa publication. ROEMER Olaüs Rœmer naquit à Copenhague, le 25 sep- tembre 1644. Il fut amené en France par Picard, en 1672, et devint un des premiers membres de l’Académie 358 ROŒMER. des sciences de Paris nouvellement créée. On a de lui une grande découverte bien constatée, qui suffira pour immortaliser son nom. Des observations du premier satellite de Jupiter, faites par Rœmer et par Dominique Cassini, indiquèrent une inégalité que les deux savants astronomes crurent un moment pouvoir attribuer à la propagation successive de la lumière. Cassini rejeta bientôt cette idée si juste. Rœmer en maintint l'exactitude, et attacha ainsi son nom à une des plus grandes découvertes dont l'astronomie . moderne puisse se glorifier. | Roëmer quitta la France comme Huygens. à l’époque de la révocation de l’édit de Nantes, Frédéric IV le reçut avec une grande faveur, et lui conféra le titre de profes- seur royal. Plus tard, il fut nommé conseiller d'État et premier magistrat de Copenhague, emploi qu’il remplit pendant cinq années à la grande satisfaction du souve- rain et du public. Condorcet fait à cette-occasion les réflexions suivantes: «Frédéric IV était heureusement supérieur à ce pré- jugé si commun dans les cours, que les savants. sont incapables des places d'administration, comme si l’habi- tude de chercher la vérité ne pouvait pas tenir lieu de la routine qui s’acquiert dans les emplois subalternes. Si pourtant l’on prend l'esprit d’intrigue pour celui des affaires, et l'art de tromper ou d’opprimer les hommes pour celui de les gouverner, on a raison de croire que les savants n’y sont pas propres, et qu’une. âme qui s'est longtemps nourrie de l'amour de la vérité et de la gloire, ne peut guère sentir la nécessité ni prendre l’habitude ROEMER. 359 de ce mélange de fausseté et de bassesse qu’on décore du nom d'habileté. » Roœmer mourut de la pierre, le 19 septembre 1710, à soixante-six ans. On a fait remarquer avec raison, qu'après l’idée si heu- reuse: d'attribuer les différences qu'on observe entre les retours du premier satellite de Jupiter, aux limites du cône d'ombre pendant la première et pendant la seconde quadrature de la planète, et la propagation successive de la lumière, Rœmer, chose inexplicable, négligea de prouver qu’on trouverait, dans la même hypothèse, l’ex- plication des inégalités présentées par les trois autres satellites. On pourrait s’étonner avec autant de raison qu’il n’ait pas essayé d'évaluer plus exactement qu’il ne l’a fait la vitesse de la lumière. Horrebow, l'élève de prédilection de Rœmer et son admirateur sans réserve, fixe à 1/4" 40° au lieu de 8" 13 le temps que la lumière emploie à franchir l'intervalle qui sépare le Soleil de la Terre. Rœmer, qui avait été témoin à Paris des difficultés de faire mouvoir dans le plan du méridien la lunette d’un quart de cercle mural, c’est-à-dire une lunette pirouet- tant: sur un axe très-court et assujettie à s'appliquer sans cesse sur un limbe imparfaitement dressé, imagina et construisit la lunette méridienne. Cet instrument, qu’on voit aujourd’hui dans tous les observatoires, est donc de l'invention de l’astronome danois. On lui est aussi redevable d’un micromètre ingénieux dont on faisait souvent usage pour l'observation des 360 FLAMSTEED. éclipses vers la fin du xvn° siècle. Avec ce micromètre, on pouvait augmenter ou diminuer l’image du Soleil où celle de la Lune, de manière qu’elles fussent exactement renfermées entre deux fils situés près de l’oculaire. Ce fut Rœmer, qui, par son influence, obtint l’intro- duction du calendrier grégorien en Danemark, qui eut lieu en 1710. Les manuscrits de l’illustre astronome furent presque tous perdus dans l’horrible incendie qui dévora l’observa- toire de Copenhague, le 20 octobre 1728. FLAMSTEED Flamsteed naquit à Denby, à 5 milles de Derby, dans le Derbyshire, le 19 août 1646. Il vint au monde dans un tel état de faiblesse que sa famille désespérait de le conserver. Les tendres soins dont il fut l’objet firent dis- paraître ces appréhensions, mais Flamsteed resta tou- jours valétudinaire. Sans sortir des écoles du voisinage, il poussa son instruction littéraire assez loin. Ses auteurs favoris étaient Plutarque et Tacite. Plus tard il fut pris d’un goût irrésistible pour la lecture des romans, auquel succéda, chose singulière, un goût également vif pour la gnomonique. Ses journées se passaient alors à dresser des cadrans solaires. Il fit plus, il calcula des éphémé- rides dans lesquelles il fixait, pour sa station, le com- mencement et la fin des éclipses de Soleil des années 1666 et 1668; mais les observations de ces phénomènes FLAMSTEED. 361 n’ayant pas été faites avec des moyens suffisants, elles ne reçurent aucune publicité. En 4669, Flamsteed rédigea un excellent écrit sur l'équation du temps, qui a vu le jour avec les OEuvres posthumes d’Horroccius. Nous ne parlerons pas ici de toutes les pratiques aux- quelles le jeune Flamsteed se soumit pour essayer de se guérir d’une affection morbide qui se porta subitement sur ses genoux, car nous n’aurions à noter que l'ignorance des médecins de cette époque et la crédulité des malades, En 1670, le père de Flamsteed s'étant aperçu de la vocation de son fils pour l’astronomie, l’envoya à Cam- bridge où commencèrent ses premières relations avec Newton, qui alors était occupé de ses recherches optiques et du perfectionnement du télescope à réflexion. Dans les Mémoires qu’il a écrits sur sa vie, Flamsteed explique les doutes qui s’élevèrent dans son esprit sur la composi- tion de la lumière, entre autres sur cette proposition de la théorie newtonienne, que le blanc résulte de toutes les couleurs prismatiques. | De retour à Derby, Flamsteed s’occupa, autant que ses moyens le permettaient, d'observations astronomiques isolées qu'il communiquait de temps à autre à la Société royale et qu’Oldenburg faisait imprimer dans les Tran- sachons philosophiques. En 1675 il obtint, par la protec- tion de M. Jonas Moore, professeur de mathématiques du prince qui fut depuis Jacques IT, la place d’astronome royal avec 2,500 francs d’appointements annuels. Cette même année il entra dans les ordres sacrés. Une anecdote, racontée par Flamsteed lui-même, 362 FLAMSTEED. assigne une origine curieuse à l’établissement de l’'Obser- vatoire de Greenwich. 11 y avait à Londres, en 1675, un individu nommé M. de Saint-Pierre, protégé par une dame française fort en crédit à la cour. M. de Saint-Pierre croyait avoir trouvé une méthode pour la détermination des longitudes. Le roi la fit examiner par une commission dans laquelle on remarquait entre autres lord Browncker, sir Christophe Wren, sir Jonas Moore et M Hooke. La commission s’adjoignit Flamsteed, à qui fut confiée plus spécialement la discussion de la méthode nouvelle. Flam- steed fit voir clairement l’insuffisance des données: que M. de Saint-Pierre empruntait aux tables astronomiques de l’époque, et le projet fut abandonné. Mais Charles IT ayant compris ainsi le besoin de perfectionner les catalo- gues d'étoiles, décida qu’un observatoire, où l’on s’occu- perait spécialement de cet objet, serait immédiatement construit aux frais de l’État, et que Flamsteed en aurait la direction. On eut d’abord la pensée de l’établir à Chel- sea ou à Hyde-Park, mais sir Christophe Wren, le célèbre architecte de Saint-Paul, recommanda une: colline:située dans le parc de Greenwich. Son avis ayant été adopté, l’on se mit immédiatement à l’œuvre. L'observatoire ne fut guère muni à l’origine que d'instruments dont Flam- steed s'était servi à Derby et de quelques autres pour les- quels, dit-il, la mauvaise nature (ill nature) de M. Hooke et son caractère altier exercèrent la plus fâcheuse in- fluence. On lit avec tristesse dans les Mémoires que Flamsteed a laissés pour ses biographes, le récit des essais répétés et presque toujours infructueux que l’inhabileté des artistes FLAMSTEED. 363 de l’époque lui imposa. On admire en même temps sa constance et sa libéralité, car les essais dont nous parlons absorbèrent une bonne partie de son patrimoine. C’est de Flamsteed que date l'emploi, chez nos voi- sins, des instruments méridiens si vivement et si inutile- ment recommandés auparavant par Picard. En 1694 et 1695 prit naissance un différend qui ap- porta un grand trouble dans la vie de Flamsteed. Newton, naturellement désireux de comparer sa théorie de la Lune avec les positions observées, alla à Greenwich demander des observations de notre satellite. Flamsteed lui en four- nit 150, mais sous la condition expresse qu’on ne com- muniquerait à personne ni les observations elles-mêmes ni les conséquences qui s’en déduiraient, Flamsteed crut que la condition n’avait pas été observée, et se plaignit de ce qu’il appelait un manque de foi; de là un commence- ment de froideur entre lui et l’auteur des Principes mathé- matiques de la philosophie naturelle. Cette froideur dégé- néra en une véritable hostilité pendant les négociations. qui amenèrent l’impression des nombreuses observations faites à Greenwich. Les torts ne furent pas tout à fait du côté de Flamsteed, quoiqu'on doive les attribuer princi- palement à son extrême susceptibilité... Flamsteed, peu satisfait de ses instruments et par con- séquent des résultats qu’ils avaient pu lui fournir, ne se hâtait pas de publier ses observations. Les esprits soup- çonneux répandirent le bruit que le directeur de Green- wich ne publiait rien parce que ses registres étaient pres- que vides et qu’il passait son temps dans l’indolence. Les choses allèrent à ce point, qu'un commissaire royal fut 364 FLAMSTEED. nommé pour prendre connaissance des travaux de Flam- steed. On reconnut bientôt alors combien le soupçon de paresse était mal fondé, mais on n’en persista pas moins à chercher les moyens de faire jouir les astronomes des travaux exécutés avec tant de peine et, disait-on, aux frais de l’État. La commission, dans laquelle on comptait deux hommes très-compétents, Newton et Halley, et des amateurs tels que le médecin Arbuthnot, décida que lun de ses membres, Halley, ne tiendrait aucun compte des objections du directeur de Greenwich et procéderait à la publication des observations désirées. Le prince Georges de Danemark, mari de la reine Anne, pee aux ——— miers frais. C’est donc par une sorte de violence que les travaux exécutés à l'observatoire de Greenwich virent d’abord le jour. Mécontent de cette publication, dans laquelle il s'était glissé plus d’une erreur, Flamsteed entreprit à ses propres frais une édition nouvelle que la mort lempêcha de conduire à son terme, et que ses héritiers achevèrent en 1725. Flamsteed mourut à Greenwich le 31 décembre 1719, à l’âge de soixante-treize ans. Près de cinquante années de cette longue vie furent utilement consacrées à l’'astro- nomie pratique, à Derby, à Londres, et définitivement à Greenwich. L'ouvrage capital de Flamsteed, celui qui recommandera son nom à la postérité, est le Catalogue britannique contenant, défalcation faite des doubles em- plois, les positions de 2852 étoiles. On a de lui aussi des cartes célestes très-répandues, et dont on a publié diverses réductions, là mn 2 Le. $ æ à È %- =] L. ; HALLEY. 365 Flamsteed est auteur d’une méthode qu’on a fort vantée sur le calcul des éclipses de Soleil, quoiqu’elle ne soit qu'une méthode analogue à celle de Cassini, qu’une réminiscence et une extension de procédés déjà indiqués antérieurement par Kepler. PA ns Tr HALLEY Edmond Halley naquit à Londres, le 8 novembre 1656. Il ne nous est rien parvenu sur son enfance ; mais nous savons qu'à dix-sept ans il étudiait avec le plus grand succès, dans un des colléges d'Oxford, le latin, le grec, l’hébreu, l'arabe, l'algèbre et la géométrie. Bientôt l'astronomie eut toutes ses préférences. Persuadé dès ses premiers pas que les progrès de cette science dépen- daient de la formation d’un catalogue d'étoiles méridio- nales qui serait le complément de celui de Tycho, il ré- solut de se transporter dans l'hémisphère austral pour y exécuter ce travail. Muni des pressantes recommandations du roi Charles IT et des directeurs de la Compagnie des Indes, il s'embarqua au mois de novembre 1676 pour Sainte-Hélène, où il espérait trouver un climat très-propre aux observations astronomiques; mais il fut cruellement trompé : des brumes lui dérobaient presque continuelle- ment la vue du ciel. Découragé par ces contrariétés et par les tracasseries que lui suscitait sans cesse un em- ployé supérieur de l'administration dont le nom ne nous _ est pas parvenu, il quitta cette île maudite après y avoir fait un séjour d’environ une année, et retourna en Angle- 366 HALLEY. terre où il s’occupa sans relâche de la rédaction de son voyage et d’une foule d’autres recherches importantes. Le désir de lever les scrupules d'Hévélius sur les observations faites avec des instruments divisés, armés de pinnules télescopiques (lunettes) au lieu-de pinnules ordinaires, le conduisit à Danzig où il eut une confé- rence avec l’astronome polonais. Il avait alors vingt-trois ans. Il parcourut ensuite l'Allemagne, l'Italie, la France, laissant partout le souvenir d’un homme aimable et d’une rare intelligence. De retour en Angleterre, il repritavec ardeur le cours de ses travaux. Ilse maria-en 4682. Un Mémoire, qu’il avait publié sur la déclinaison.de l’ai- guille aimantée, fit naître le désir de soumettre la théorie nouvelle à l'épreuve d'expériences décisives. Le gouverne- ment lui confia le commandement d’un navire avec lequel il quitta les côtes d'Angleterre, le 3 novembre 41698. Mais quelques accidents de navigation et l’insubordina- tion du commandant en second, le forcèrent de rentrer au commencement dé juillet 1699, avant d’avoir accompli totalement sa mission. L'autorité cassa le lieutenant, et Halleÿy repartit au mois de septembre 1699. Al poussa ses investigations dans l'Atlantique jusqu'au moment où des barrières de glaces l’arrêtèrent au 52° degré de lati- tude australe. Son retour en Angleterre eut lieu le 48 sep- tembre 1700. On remarqua, avec une juste surprise, que pendant un voyage si long et dans des climats si divers, il n’avait pas perdu un seul homme de son équipage. Parmi les travaux du capitaine Halley (car il porta quelque temps cé nom), nous pourrions citer une carte des côtes de la Manche qu’il exécuta avec toute l’exac- HALLEY. 367 titude que comportaient les instruments de son époque. En 1703, il remplaça Wallis comme professeur de géométrie-à Oxford. En 1713, il fut nommé secrétaire de la Société royale de Londres. A la mort de Flamsteed, en 4720, Halley fut sidé à _ lui succéder dans la place de directeur de l’observatoire de Greenwich. Pendant l’année 1729, l'Académie des Sciences de Paris lui conféra le titre d’associé étranger. Il s’éteignit le 25 janvier 1742, à l’âge de quatre- vigt-six ans, des suites d’une paralysie dont il avait été atteint. quelques années auparavant. Nous allons indiquer successivement ses principales découvertes, Halley signala le premier les inégalités en sens con- traires qu’éprouvent Jupiter et Saturne dans leurs vitesses de circulation autour du Soleil. . Il montra le parti qu’on pouvait tirer des passages de Vénus pour déterminer la distance -du Soleil à la Terre. Il prouva que certaines comètes décrivent des ellipses, et indiqua un moyen très-simple de prédire leur retour. C'est à lui qu’on est redevable des premières idées qu'on ait eues sur le mouvement propre des étoiles. - On le voit par ce court résumé, Halley méritera de vivre dans la postérité comme un des savants qui ont le plus contribué aux progrès de l'astronomie. Son génie scientifique fut apprécié de bonne heure, parce qu’il était uni au plus noble caractère, Weidler, en commençant le récit de son voyage à 368 HALLEY. Sainte-Hélène, donne à l’auteur le titre d’incomparable. Flamsteed le proclamait le Tycho du Sud. Une chose certaine, c’est que dans les Notes ou Mé- moires que les Transactions philosophiques renferment, il allie partout la variété à la profondeur. Ajoutons qu’il rendit une pleine justice aux travaux de ses émules, et se montra exempt des préjugés nationaux auxquels tant d’esprits supérieurs n’ont pas su se soustraire, C’est ainsi, par exemple, qu’en combattant Descartes, il en parle toujours avec respect et admiration: Est-ce à dire qu’on ne trouverait pas dans les nombreuses questions traitées par Halley des parties faibles, et qu’il ne payât pas de tribut aux erreurs de son époque? Nullement : témoin, pour ne citer qu’un exemple, le passage de son célèbre Mémoire de 1714, dans lequel il se détermine pour le choix de la parallaxe du Soleil d’après la considération que l’harmonie du monde ne pouvait pas permettre que la Lune, planète secondaire, fût plus grande que Mer- cure, planète principale, et que Vénus, planète infé- rieure, dépourvue de satellite, surpassät en dimension notre Terre autour de laquelle circule un satellite remar- quable,. Halley fut l'ami de Newton, plus âgé que lui de qua- torze ans; ceci peut être cité comme un titre de gloire même pour un homme du mérite de Halley. Il arracha à son ami, en 1686, la Philosophie naturelle, que ce grand homme ne s’empressait pas de publier, et s’en rendit l'éditeur, Cette union de deux hommes célèbres ne fut obscurcie par aucun nuage. Ce fait est d’autant plus digne de remarque que Newton était profondément pieux, LL BRADLEY. 369 et que Halley, comme l’assurent tous ses contemporains, portait le scepticisme jusqu’à ses dernières limites. La tolérance dont ces hommes illustres se montrèrent ani- més, le respect que des opinions consciencieuses leur inspirèrent réciproquement, méritent d’être offerts dans tous les temps en exemple à des esprits qui voudraient imposer d'autorité leurs systèmes ou leurs croyances sans avoir les mêmes titres à la confiance publique. Halley cultiva la poésie latine avec succès, comme le prouvent les vers dans lesquels il célébra les décou- vertes admirables de Newton, et qui se trouvent en tête des Principes de la philosophie naturelle, édition de 1743. Ces vers ont été appréciés par tous les connaisseurs, et ils serviraient, s’il en était besoin, à prouver que les études mathématiques ne dessèchent ni l’âme ni l’ima- gination. BRADLEY Il est peu d'hommes qui aient marqué leur place dans la science d’une manière plus brillante que Bradley; il n'en est pas dont la vie ait été plus exempte des tracas- series, des embarras, des angoisses qui trop souvent ont signalé la carrière de ceux à qui la nature avait accordé le génie. James Bradley naquit en 1692, à Shireborn, en Angle- terre, dans le comté de Gloucester. Ses parents le des- tinèrent à l’état ecclésiastique. Après avoir achevé ses études à l’Université d'Oxford, il fut nommé ministre de ILE, — 111, 24 370 BRADLEY. Bridstow, et ensuite de Welfrie, dans le comté de Pem- broke; mais un penchant naturel le portait à s’occuper d'astronomie. Son oncle Pound, l’ami de Newton, l’en- couragea dans ce dessein, et lui donna des leçons de mathématiques, dont il profita si bien, qu’il remplaça Keill, en 1721, comme professeur d'astronomie au col- lége de Saville, à Oxford. | Antérieurement à cette époque, Bradley avait pré- senté à la Société royale de Londres divers Mémoires d'astronomie. On voit aussi dans le Recueil de la même Société, aux dates de 1724 et de 1726, des observations d’une comète et le calcul de différentes longitudes. Rien ne révélait jusque-là le grand astronome qui devait tant contribuer aux progrès de la science. Après avoir pris part aux observations que Molyneux avait commencées en 1725 à Kew, avec un secteur de ‘Graham de 7.30, et qui furent interrompues par la nomination de ce savant à la place d’un des lords de lamirauté, Bradley voulut les compléter, et dans cette vue il installa à Wansted un nouveau secteur de 3”.65, avec lequel il fit sa belle découverte de l’aberration. Cette découverte parut dans les Transactions philosophi- ques de 1728, avec l’ingénieuse indication de sa cause physique. En 1730, Bradley avait été nommé professeur:d’astro- nomie et de physique au muséum d'Oxford. En 4744, il remplaça Halley à PObservatoire de Greenwich. Ce fut huit ans après, en 1748, qu'il publia dans les Transac- tions philosophiques un Mémoire sur la nutation, com- plément de son immortelle découverte de l’aberration. à» ns BRADLEY. 371 Nous ne dirons rien ici de ses recherches empiriques sur les satellites de Jupiter, ni même de ses travaux sur les réfractions atmosphériques, qui, malgré tout l'intérêt quis’ y rattache, pâlissent à côté des deux grandes décou- vertes de l’aberration et de la nutation. Bradley consacra les vingt-deux années pendant lesquelles il fut à la tête de l'Observatoire de Greenwich, à l'amélioration, nous dirions presque à la refonte entière de cet établissement, Après la mort de Bradley, ses héritiers ayant considéré le recueil manuscrit des observations faites dans l’Obser- vatoire royal comme leur propriété, S'en emparèrent, La Commission royale des longitudes leur intenta un pro- cès; maïs afin de ne pas avoir le dessous dans la lutte judiciaire qu’ils avaient provoquée, les héritiers se déci- dèrent à faire présent des manuscrits, objets du litige, à l'Université d'Oxford. La publication de ces observations éprouva bien des retards : elles ne virent le jour qu’en 1798. Bessel les a discutées dans ses Fündamenta astro- nomiæ. Un trait suffira pour donner une idée du caractère de Bradley. On raconte que la reine d'Angleterre ayant été un jour à Greenwich , apprit combien la place de direc- teur était peu rétribuée, et manifesta l'intention de faire attacher à ses fonctions un traitement plus convenable : « Madame , lui dit Bradley , ne donnez pas suite à votre projet; le jour où la place de directeur vaudrait quelque chose, ce ne seraient plus les astronomes qui l’obtien- draient, » | | | Bradley fut nommé associé de l'Académie des sciences de Paris en 1748, et membre de la Société royale de 372 DOLLOND. Londres en 1752. Les biographes français ont déduit de la comparaison de ces deux dates la conséquence que le mérite éminent de l’illustre astronome a été reconnu chez nous plus tôt que dans sa propre patrie. Mais on a oublié qu'on peut devenir associé de l’Académie des sciences sans qu’on soit obligé de se mettre sur les rangs, tandis qu'on n'arrive à être un des cinq à six cents ellows of the royal Society, qu'après en avoir fait la demande expresse et s'être engagé à fournir une certaine cotisation annuelle. Il y a donc quelque chose à rabattre de la conséquence qu'on a tirée de la nomination tardive de Bradley à la place de fellow de la Société royale de Londres, L’illustre astronome mourut le 43 juillet 1762, DOLLOND John Dollond naquit à Spitalfields, le 10 juin 4706. Son père était un ouvrier en soie, lequel, à la suite de la révocation de l’édit de Nantes (1685), crut devoir quitter la Normandie, son pays, et se réfugier en Angleterre. John Dollond passa ses premières années à pousser la navette d’un métier de tisserand, Le goût de l’étude s’em- para de lui de bonne heure. Il dévora les traités de géo- métrie, d’algèbre et de mathématiques appliquées qui lui tombèrent sous la main, et s’initia même assez ww ment à la connaissance du latin et du grec. Dollond se maria fort jeune, et dirigea avec une atten- tion toute particulière l'éducation de ses enfants. Le fils aîné, Pierre, ayant montré de rares dispositions pour les DOLLOND. 373 travaux de précision, John Dollond l’engagea à quitter la fabrique de soierie, et lui créa un petit atelier d’opti- cien. Cet établissement prospéra. En 1752, John Dollond abandonna lui-même sa première profession, et prit la direction des ateliers de son fils. C’est donc à l’âge de quarante-six ans qu’il entra pour la première fois dans la science militante. Le premier Mémoire de John Dollond est de 1753. L'auteur y développe les propriétés, les avantages des oculaires multiples (vol. xzvm* des Transactions philoso- phiques). Bientôt après, il proposa de substituer, dans la con- struction de l’héliomètre de Bouguer (de Savery, disent les Anglais), les deux moitiés d’un même objectif, aux deux objectifs différents et de même foyer qu’em- ployaient les inventeurs de cet ingénieux instrument (xzvmm® vol. des Transactions philosophiques). John Dollond prit part, en 1757, à la polémique qu'Euler avait soulevée touchant la possibilité d'exécuter des lunettes sans couleur, des lunettes achromatiques, comme on a dit plus tard, Il soutenait que cette possibilité n'existait pas, si la dispersion des couleurs était proportionnelle à la réfrac- tion des rayons moyens, ainsi que cela résultait d’une expérience de Newton. En 1758, Dollond constata que l'expérience de Newton, sur laquelle roulait le débat, était entachée d’erreur. En opposantun prisme à angle variable et rempli d’eau à un prisme de verre ordinaire, le célèbre opticien montra que le rayon qui sortait sans coloration de l’ensemble des deux 374 DOLLOND. prismes s'était réfracté, et, d’autre part, que ce même rayon, quand il n’éprouvait pas de réfraction, quand il sortait de l'appareil parallèlement à sa distance initiale, formait un spectre coloré sensible, offrait, à ses deux bords surtout, des iris manifestes. Dès qu'il fut établi ainsi, que certaines combinaisons de prismes déviaient la lumière sans opérer la séparation des rayons de différentes couleurs , la possibilité de con- struire des lentilles, des objectifs achromatiques, ne pou vait plus soulever un doute, IL restait seulement à cher- cher des matières solides qui produisissent, aussi bien ou mieux , les effets obtenus par la combinaison de prismes de verre ordinaire et d’eau. Dollond ayant trouvé que les deux verres flint-glass. et crown-glass satisfaisaient aux conditions désirées, exécuta aussitôt d'excellentes lunettes achromatiques. Le Mémoire où Dollond consigna sa première décou- verte, fait partie du.L° volume des Transactions philoso- phiques. L’illustre opticien reçut, à cette occasion, la médaille de Copley. Le 30 novembre 1761, Dollond fut frappé d’apoplexie- pendant qu’il étudiait un savant Mémoire de Claïraut sur la théorie de la Lune, et mourut peu d'heures après. Dollond, fils de Français réfugié en Angleterre, doit-il être considéré comme Français. La question peut être controversée. Je ferai seulement remarquer que si l'on se règle pour établir la nationalité de Dollond sur le lieu de la naissance, il faudra, en appliquant le même principe, considérer Black comme Français, Black naquit, en eflet, à Bordeaux, en 1728. d’un LACAILLE. 375 père Irlandais, établi dans cette ville comme négociant en vins. Sa mère était Écossaise, Black passa les douze premières années de sa vie à Bordeaux. Il n’alla suivre les cours des écoles anglaises qu’en 4740, Il est permis de croire que Dollond se considérait lui- même comme Français. Je lis, en effet, dans une biogra- phie anglaise, que « lartiste et sa famille assistaient régulièrement au service public qui se faisait à l’église protestante française. » ( Philosophical magazine de Til- loch, vol. xvin', page A8.) LACAILLE Nicolas-Louis Lacaille naquit le 15 mars 1713 à j Rumigny , près de Reims. Son père avait servi dans les gendarmes et l'artillerie. Il mit son fils au collége de Lisieux à Paris, mais bientôt sa mort aurait laissé le jeune étudiant sans ressources si le duc de Bourbon, qui avait placé le père, n’était venu à son secours. Lacaille se destina à l’état ecclésiastique, et cultiva en même: temps les sciences. Fouchy, dans son éloge, lui rend ce témoignage, qu’à vingt-trois ans, lorsqu'il fit sa connais- sance, Lacaille était beaucoup plus instruit qu’on n’aurait dû l’espérer d’un jeune homme qui avait étudié sans le secours d'aucun maître, Lacaille, averti des désagréments qu'il aurait à endurer dans la carrière ecclésiastique, par les mauvais procédés qu’eut à son égard le président du jury qui l’examinait, prit le parti de se borner au dia- conat qui venait de lui être conféré, et de suivre*entiè- 376 LACAILLE. rement la carrière des sciences. Logé à l'Observatoire, sur la recommandation de ce même M. de Fouchy, secré- taire perpétuel de l’Académie, il gagna l’amitié de Gas- sini et de son neveu Maraldi. Il contribua aux mesures qui avaient pour objet la description des côtes occiden- tales de France. Par suite de l’habileté qu’il avait mon- trée dans ce premier travail, les Cassini lui confièrent la vérification de la grande méridienne de France, opéra- tion dont l’Académie s’occupait activement, et que Lacaille commença le 30 avril 1739. Son activité était si grande que, dans le courant d’une année, il avait ter- miné la chaîne de triangles comprise entre Paris et Per- pignan et mesuré trois bases. Ce fut à cette époque, pen- dant son absence que, sur sa réputation, il fut nommé professeur de mathématiques au collége Mazarin, emploi qu’il a rempli avec une assiduité remarquable, car il était encore en chaire quatre jours avant sa mort. Pendant ce laborieux professorat, Lacaille, pour être utile à ses élèves, publia des traités de mathématiques, de méca- nique, d'optique et d'astronomie, qui ont eu un grand nombre d'éditions. Pendant l’année 1740, Lacaille termina sa mesure de la méridienne de France dans la partie située au nord de Paris. En 1741 , il fut élu membre de l’Académie des sciences. Dès l’année 1746, Lacaille fut mis en possession d’un petit Observatoire établi au collége Mazarin. Les instru ments des passages n'étaient pas alors connus ou du moins convenablement appréciés en France. Lacaille, pen- dant quatorze ans, détermina les passages des astres au LACAILLE, 377 méridien par la méthode des hauteurs correspondantes à laquelle il sut donner toute la précision que ses instru- ments comportaient. En 1750, il avait fait agréer par l'Académie et le gouvernement le projet d’un voyage au cap de Bonne-Espérance. Son principal objet était d'y faire des observations qui, combinées avec celles d'Eu- rope, devaient donner exactement la parallaxe de la Lune. Il partit pour cette expédition en octobre 1750, et revint au mois de juin 1754, après avoir offert l'exemple d’une habileté et d’un zèle au-dessus de tout éloge. Lacaille, à sa rentrée en France, mit le plus grand soin à se dérober à la curiosité publique que tant d’autres à sa place auraient exploitée à leur profit. Il se renferma dans son observatoire, et reprit les travaux immenses d'observation et de calcul qu’il avait momentanément suspendus. Il passait des nuits sur les pierres de son observatoire, pour achever le catalogue de ses étoiles zodiacales. Cette imprudence eut pour résultat une maladie qui emporta le grand astronome le 21 mars 1762. Je vais donner l'indication de ses principaux travaux. Lacaille tira des calculs minutieux qu’il fit à l’occasion de sa méridienne vérifiée, la conséquence que les degrés de latitude dans l’étendue de la France vont en diminnant à mesure qu’on se rapproche de l’équateur, résultat dia- métralement contraire à celui que d’anciennes opérations avaient donné. 11 mesura un arc du méridien dans l’hé- misphère sud et la longueur du pendule, afin de décider si la Terre a la même forme au nord et au midi de l'équateur, 378 LACAILLE. Durant son voyage au Cap, il détermina les positions de 10,035 étoiles; Halley, pendant son voyage à Sainte- Hélène, n’en avait déterminé que 360. | Ses observations, comparées à celles de divers points de l’Europe, et particulièrement aux observations faites à Berlin par de. Lalande, àgé alors de dix-neuf ans, donnèrent, avec une exactitude inconnue à cette époque, la distance de la Lune à la Terre. Nous ne pouvons nous empêcher de mentionner ici les principaux éléments de l'orbite apparente du Soleil que Lacaille détermina par les combinaisons les plus va- riées, et qui n’ont reçu depuis que de très-légères. . modifications. L’astronomie est peut-être la branche des sciences dans laquelle un observateur se trouve dans la plus com- plète dépendance des artistes. Mettez, dans les mains de Lacaille, des instraments comparables à ceux dont les inécaniciens anglais pourvoyaient ses émules, aucune découverte importante n’échappera à sa constance et à sa perspicacité. Ce que Lacaille a légué à la postérité a.été le fruit de travaux exécutés avec des lunettes plus que médiocres, et à l’aide d’instruments divisés dont il avait sans cesse à combattre les erreurs. Entre autres qualités qui distinguaient Lacaille, om peut citer son désintéressement. Pour l'expédition au cap de Bonne-Espérance dont la durée fut de quatre ans, pour achat d'instruments, pour son entretien et celui d’un artiste qu’il emmena avec:lui, on lui avait alloué 10,000 francs; il ne dépensa que 9,145 francs, quoique dans l'intervalle il eût été chargé d’un travail imprévu au départ, de celui LACAILLE. 319 de la formation de la carte de l’île de France; au retour, il remboursa le restant au trésor. Il eut quelque peine à obtenir, tant la chose était inusitée, qu’on accueillit sa restitution. | En créant les constellations méridionales, en leur assi- gnant certains emblèmes, il eût pu se donner des protec- teurs parmi les puissants de l’époque, il n’en fit rien; toutes ses dénominations furent empruntées à des instru- ments qui avaient servi utilement aux arts et aux sciences, Lacaille avait une modestie sincère et profonde, Lors- que. pour obéir à l'usage il enflait son nom, suivant une ingénieuse expression de Fontenelle, des titres académi- ques que lui avaient valu ses travaux, lorsque par exemple il publiait ses Fondements astronomiques, en 1757, tout le monde était surpris, excepté lui-même, que notre as- tronome national ne fût pas membre de la Société royale. de Londres. Une pareille anomalie n'aurait certainement pas lieu dans le temps où nous vivons. En tous cas, ce fait est bon à citer pour la satisfaction de: ceux qui pour-. raient devenir l’objet d’un tel oubli ou d’une injustice. aussi peu pardonnable. Si quelques académies étrangères n’apprécièrent pas, comme elles l’auraient dû, le mérite éminent de Laeaille et les brillants services qu’il rendait journellement à la science, ceux qui le virent de près comme Bailly et de Lalande, ses élèves, manifestèrent au contraire leur admiration, leur reconnaissance, dans les termes les plus flatteurs 1, 1. Lacaïille était membre des académies de Berlin, de Saint-Péters- bourg, de Stockholm, de Gœttingue. 380 LACAILLE. Lalande a dit de lui « qu’il avait fait à lui seul, pendant la durée de sa vie, plus d'observations et de calculs que tous les astronomes ses contemporains réunis. » L’éloge n’a pas paru exagéré. Delambre, qui, par la nature de ses recherches, passa une partie de sa vie en commerce habituel avec les manuscrits du célèbre astronome, s'exprime ainsi : « Lacaille est le calculateur le plus courageux et l'ob- . servateur le plus zélé, le plus actif, le plus assidu qui ait jamais existé. » = Delambre, dit aussi « que jamais personne ne fut moins disposé que lui à s’attribuer le travail d’un autre. » Un tel éloge eût été bien venu dans tous les temps; à notre époque il est d’un prix inestimable, maïs je crains que beaucoup d’autres ne le considèrent comme une per- sonnalité. Nous ajouterons à l’esquisse que nous avons faite du portrait de Lacaille quelques traits empruntés à l'éloge plein de sensibilité que Bailly consacra à son maître. Le panégyriste nous apprend que le célèbre astronome pro- clamait la vérité à toute occasion et sans s'inquiéter de ceux qu’elle pouvait blesser. «Il ne consentait pas, dit-il, à mettre le vice à son aise. Si tous les hommes de bien, déployaient ainsi leur indignation, les méchants, mieux connus et démasqués, ne pourraient plus nuire, et la vertu serait plus respectée. » Pour qu'on ne se méprenne pas sur le caractère du grand astronome, plaçons à côté de ses principes de morale spartiate ce passage qu’on ne sera pas fâché de trouver ici textuellement : HERSCHEL. ; 381 « Lacaille, dit Bailly, était froid et réservé avec ceux qu’il connaissait peu, mais doux, simple, égal et familier dans le commerce de l’amitié. C’est là que, dépouillant l'extérieur grave qu’il avait en public, il se livrait à une joie paisible et honnête; alors son front brillait de la sérénité de son âme. » Ces détails intimes expliquent parfaitement cette phrase de Bailly : « Je n’ai jamais eu de jours plus doux que ceux que j'ai passés avec Lacaille. » Maraldi, l'ami et l’exécuteur testamentaire du célèbre académicien, reconnut d’abord avec surprise qu'il ne laissait pas de fortune, mais bientôt cette circonstance s’expliqua. Le grand astronome avait consacré le surplus de ses revenus sur ses dépenses, c’est-à-dire la presque totalité de ses revenus, à acquitter des dettes que son père avait laissées en mourant. Un pareil fait n’a pas besoin de commentaires. On voit que Lacaille savait pratiquer la vertu, et qu’elle n’était pas à ses yeux un vain mot, HERSCHEL William Herschel, un des plus grands astronomes de tous les temps et de tous les pays, naquit à Hanovre, le 15 novembre 1738. Le nom d’Herschel est devenu trop illustre pour qu’on ait négligé de rechercher, en remon- tant la chaîne des temps, dans quelle position sociale se trouvaient les familles qui l'ont porté. La juste curiosité que le monde savant avait montrée à ce sujet, n’a pu être 382 HERSCHEL entièrement satisfaite. On sait seulement qu'Abraham Herscheï, bisaïeul de l’astronome, demeurait à Mahren, d’où il fut expulsé à cause de son très-vif attachement à la foi protestante; que le fils d'Abraham, Isaac, était fer- mier dans les environs de Leipzig ; que le fils aîné d’Isaac, Jacob Herschel, résista au désir qu'avait son père de le voir se livrer à l’agriculture, qu’il embrassa l'état de musicien, et alla s'établir à Hanovre. Jacob Herschel, père de l’astronome William, était un artiste éminent; il ne se faisait pas moins remarquer par les qualités du cœur et de l'esprit. Une fortune très- bornée ne lui permit pas de donner à sa famille, composée de six garçonset de quatre filles, une éducation complète. Du moins, par ses soins, les dix enfants devinrent tous d'excellents musiciens. L’aîné, Jacob, acquit même une habileté rare, qui lui valut la charge de chef de musique dans un régiment hanovrien avec lequel il passa en Angle- terre. Le troisième fils, William, était resté sous de toit paternel. Sans négliger les beaux-arts, il prenait assidû- ment des leçons de français, et se livrait à l’étude de la métaphysique, pour laquelle il conserva un goût décidé jusqu’à la fin de ses jours. : En 1759, William Herschel, âgé alors de vingt et un ans, se rendit en Angleterre, non pas en compagnie ‘de son père, comme on l’a toujours imprimé par erreur, mais avec son frère Jacob, dont ses relations dans cepays semblaient devoir faciliter ses débuts. Cependant, ni Lon- dres, niles comtés, ne lui offrirent d’abord de ressources, et les deux ou trois premières années qui suivirent son expatriation furent marquées par des privations cruelles, HERSCHEL. 383 du reste très-noblement supportées. Un heureux hasard mit enfin le pauvre Hanovrien en meilleure position : lord Durham l’engagea comme instructeur du corps de mu- sique d’un régiment anglais qui était en garnison sur les frontières de l'Écosse. À partir de ce moment, le musicien Herschel acquit une réputation qui s’étendit de proche en proche, et, dans le courant de 1765, il fut nommé orga- niste à Halifax (Yorkshire). Les émoluments de cette place, des leçons particulières données en ville et à la campagne, procurèrent au jeune William une certaine aisance. 1 en profita pour refaire , ou plutôt pour achever sa première éducation. C’est alors qu’il apprit le latin et l'italien , sans autre secours qu’une grammaire et un dic- tionuaire ; c’est alors aussi qu’il se donna lui-même une légère teinture de grec. Tel était le besoïn de savoir dont Herschel était dévoré pendant son séjour à Halifax, qu’il trouva moyen de faire marcher de front avec ses pénibles exercices de linguistique une étude approfondie de l’ou- vrage savant, mais fort obscur, de R. Smith. sur la théorie mathématique de la musique. Cet ouvrage suppo- sait, soit explicitement, soit implicitement, des connais- sances d’algèbre et de géométrie qu’Herschel n’avait pas, et dont il se rendit complétement maître en très-peu de temps. En 1766, Herschel obtint l'emploi d’organiste de la chapelle octogone de Bath. C'était une place plus lacra- tive que celle d’Halifax, mais aussi de nouvelles obliga- tions vinrent fondre sur l’habile pianiste, HI avait à se faire entendre sans cesse dans les oratorios, dans les salons de réunion des baïgneurs, au théâtre, dans les concerts 384 HERSCHEL. publics. Au centre du monde le plus fashionable de l’An- gleterre, Herschel ne pouvait guère refuser les nombreux élèves qui voulaient s’instruire à son école. On conçoit à peine qu'au milieu de tant d’occupations, de tant de distractions de toute nature, Herschel soit parvenu à con- tinuer les études qui déjà, dans la ville d'Halifax, avaient exigé de sa part une volonté, une constance, une force d'intelligence peu communes. On l’a déjà vu, c’est par la musique qu'Herschel arriva aux mathématiques; les mathématiques à leur tour le conduisirent à l’optique, source première et féconde de sa grande illustration. L'heure sonna, enfin, où ses connaissances théoriques devaient guider le jeune musicien dans des travaux d’ap- plication complétement en dehors de ses habitudes, et dont l’éclatant succès, dont l’excessive hardiesse excite- ront un juste étonnement. _ Un télescope, un simple télescope de deux pieds anglais (0°.61) de long, tombe dans les mains d’Herschel pen- dant son séjour à Bath. Cet instrument, tout imparfait qu'il est, lui montre dans le ciel une multitude d'étoiles que l'œil nu n’y découvre pas; lui fait voir quelques-uns des astres anciens sous leurs véritables dimensions; lui révèle des formes que les plus riches imaginations de l'antiquité n'avaient pas même soupçonnées. Herschel est transporté d'enthousiasme. Il aura sans retard un instrument pareil, mais de plus grande dimension. La réponse de Londres se fait attendre quelques jours : ces quelques jours sont des siècles. Quand la réponse arrive, le prix que l’opti- cien demande se trouve fort au-dessus des ressources pécuniaires d’un simple organiste, Pour tout autre c’eût HERSCHEL, 385 été un coup de foudre. Gette difficulté inattendue inspire au contraire à Herschel une nouvelle énergie : il ne peut pas acheter de télescope, il en construira un de ses mains, Le musicien de la chapelle octogone se lance aussitôt dans une multitude d'essais, sur les alliages métalliques qui réfléchissent la lumière avec le plus d'intensité, sur les moyens de donner aux miroirs une figure parabolique, sur les causes qui, dans l’acte du polissage, altèrent la. régularité de la figure doucie, etc. Une si rare persévé- rance reçoit enfin son prix. En 1774, Herschel a le bonheur de pouvoir examiner le ciel avec un télescope newtonien de cinq pieds anglais de foyer (1".52), exécuté tout en- tier de sa main. Ce succès l’excite à tenter des entreprises encore plus difficiles. Des télescopes de sept, de huit, de dix et même de vingt pieds de distance focale, couronnent ses ardents efforts. Comme pour répondre d'avance à ceux qui n’eussent pas manqué de taxer de superfluité d’apparat, de luxe inutile, la grandeur des nouveaux instruments et les soins minutieux de leur exécution, la nature accorda au musicien astronome, le 13 mars 1781, l'honneur inouï de débuter dans la carrière de l’observa- tion, par la découverte d’une nouvelle planète, située aux confins de notre système solaire. À dater de ce moment, la réputation d'Herschel, non plus en sa qualité de mu- sicien, mais à titre de constructeur de télescopes et d’astronome, se répandit dans le monde entier. Le roi Georges IIT, grand amateur des sciences, fort enclin d’ailleurs à protéger les hommes et les choses d’origine hanovrienne, se fit présenter Herschel; il fut charmé de l'exposé simple, lucide, modeste, que celui-ci traça de ILL, — 111. | 25 386 HERSCHEL. ses longues tentatives ; il entrevit tout ce qu’un 6bserva- teur si persévérant pourrait jeter de gloire sur son règne, lui assura une pension viagère de 300 guinées, et, de plus, une habitation voisine du château de Windsor, d’abord à Clay-Hall et ensuite à Slough. Les prévisions de Georges FI se sont complétement réalisées, On peut dire hardiment du jardin et de la petite maison de Slough, que c’est le lieu du monde où il a été fait le plus de découvertes. Le nom de ce village ne périra pas: les sciences le transmettront religieusement à nos “derniers neveux. | | Je profiterai-de l’occasion pour rectifier une etéidoit l'ignorance et la paresse veulent se faire une arme victo- rieuse, ou qu’elles présentent tout au moins en leur faveur, comme une justification irrésistible, On ‘répète à satiété qu'au moment où il entra dans sa brillante carrière d’as- tronome, Herschel n’avaït pas de connaissances mathé- matiques. J'ai déjà dit, que pendant son séjour à Bath, l’organiste de la chapelle octogone s’était familiarisé avec les principes de la géométrie et de l'algèbre; mais voici qui est plus positif : une question difficile sur les vibra- tions des cordes chargées de petits poids, avait été mise au concours en 1779. Herschel entreprit de la résoudre, et sa dissertation fut insérée dans plusieurs recueils res tifiques de l’année 1780. La vie anecdotique d’Herschel est maïntenant terminée. Le grand astronome ne quittera plus guère son observa- toire que pour aller soumettre à la Société royale de Lon- dres les sublimes résultats de ses veilles laborieuses. Ces résultats sont contenus dans ses Mémoires; ils forment HERSCHEL,. 387 une des principales richesses de da collection célèbre connue sous le nom de Philosophical transactions. Herschel a appartenu aux principales académies de l'Europe, et il fut nommé, vers 1816, chevalier de l’ordre hanovrien des Guelfes. Suivant la mode anglaise, à partir de cette nomination, le sir William remplaça dans tous les Mémoires de l’illustre astronome le titre, déjà entouré de tant de célébrité, de docteur William. Herschel était devenu docteur de l'Université d'Oxford (docteur en droit) en 1786. (Cette dignité, par une faveur toute spé- ciale, lui fut conférée sans aucune des formalités sacra- mentelles d'examen, d’argumentation, de contribution pécuniaire en usage dans la savante corporation. Je blesserais les sentiments élevés dont Herschel fit profession toute sa vie, si je ne mentionnais pas ici deux collaborateurs infatigables, que l’illustre astronome trouva dans sa propre famille. L'un, Alexandre Herschel, doué d’un talent remarquable pour la mécanique, toujours aux ordres de son frère, le mit à même de réaliser sans retard les idées qu’il avait conçues ! ; l’autre, miss Caro- line Herschel, mérite une mention encore plus particu- lière, plus détaillée, | Mademoiselle Caroline-Lucrèce Herschel passa en Angleterre aussitôt que son frère fut devenu l’astronome particulier du roi, Elle y reçut le titre d’astronome assis- tant, avec de modestes appointements. Dès ce moment, 1. Lorsque l’âge et les infirmités forcèrent Alexandre Herschel à renoncer à sa profession de musicien, il quitta Bath et retourna dans le Hanovre, pourvu très-généreusement par le docteur William des moyens de passer dans l’aisance le reste de ses jours. 388 HERSCHEL. elle se dévoua sans réserve au service de William, heu- reuse de contribuer jour et nuit au mouvement ascendant et rapide de sa réputation scientifique. Mademoiselle Ca- roline partagea toutes les gardes de nuit (waiches) de son frère, constamment l'œil à la pendule et le crayon à la main; elle fit tous les calculs, sans exception; elle copia trois ou quatre fois toutes les observations dans des registres particuliers, les coordonna, les classa , les analysa. Si le monde scientifique vit avec étonnement, pendant tant d'années, les publications d’Herschel se suc- céder avec une rapidité sans exemple, on en fut particu- lièrement redevable à l’ardeur de mademoiselle Caroline. L’astronomie a été directement enrichie de plusieurs comètes, par cette excellente et respectable dame. Made- moiselle Caroline, après la mort de son illustre frère, se retira à Hanovre, chez Jean Dietrich Herschel, musicien de grande réputation, et le seul des frères survivants de l'astronome. | William Herschel mourut sans douleur, le 23 août 1829, âgé de quatre-vingt-trois ans. La fortune, la gloire, n’altérèrent jamais chez lui le fond de candeur enfantine, de bienveillance inépuisable, de douceur de caractère dont la nature l’avait doté. Il conserva jusqu'aux der- niers moments, toute sa lucidité d'esprit, toute sa vigueur d'intelligence. Depuis quelques années, Herschel jouis- sait avec délices des succès distingués de son fils unique, sir John Herschel, À l'heure suprême il s’endormit dans la douce pensée que ce fils bien-aimé, héritier d'un grand nom, ne le laisserait pas déchoir, qu’il l’entoure- rait d’un nouveau lustre, que de belles découvertes hono- HERSCHEL. 389 _reraient aussi sa carrière. Aucune prédiction de l’illustre astronome ne s’est plus complétement réalisée, Les journaux anglais ont rendu compte des disposi- tions que la famille de William Herschel a adoptées pour assurer la conservation des restes du grand télescope de 39 pieds anglais (12 mètres) construit par lillustre as- tronome. Le tube en bronze de l'instrument, portant à son extré- mité le miroir de 4 pieds 10 pouces (1".47) de diamètre récemment nettoyé, a été placé horizontalement, suivant la ligne méridienne, sur de solides piliers en maçonnerie, au milieu du cercle où jadis existait le mécanisme néces- saire à sa manœuvre. Le 1° janvier 1840, sir John Hers- chel, sa femme, leurs enfants, au nombre de sept, quelques anciens serviteurs de la famille, se réunirent à Slough. A midi précis, l’assemblée fit plusieurs fois processionnel- lement le tour du monument; ensuite elle s’introduisit dans le tube du télescope, se plaça sur des banquettes préparées d'avance pour la recevoir, et entonna un Requiem en vers anglais, composé par sir Jonh Herschel lui-même. Après sa sortie, l’illustre famille se rangea en cercle autour du tuyau, et l'ouverture fut scellée hermé- tiquement. La journée se termina par une fête intime. Je ne sais si les personnes qui veulent tout apprécier du point de vue particulier où les circonstances les ont placées, ne trouveront pas quelque chose d’étrange dans divers détails de la cérémonie dont je viens de rendre compte. J'affirme, du moins, que le monde entier ap- plaudira au sentiment pieux qui a dirigé sir John Herschel, Tous les amis des sciences le remercieront d’avoir con- 390 - HERSCHEL,. sacré par un monument plus expressif, dans sa simplicité, que des pyramides, que des statues, l’humble jardin où son père a exécuté tant d’immortels travaux. 1780. 1781. 1789. 1783. 1784, TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES MÉMOIRES DE WILLIAM HERSCHEL, Transactions philosophiques, t. LXX. — Observations astro- nomiques sur l'étoile périodique du cou de la Baleine, — Observations astronomiques relatives aux montagnes de la Lune. Trans. philos., t. LXXI. — Observations astronomiques sur les rotations des planètes autour, de leurs axés, faites dans la vue de décider si la rotation diurne de la Terre est tou- jours la même. — Sur la comète de 1781, appelée ensuite l’astre de Georges (Georgium sidus). Trans. philos., t. LXXIL — Sur la parallaxe des étoiles fixes. — Catalogue d'étoiles doubles. — Description d'un micro- mètre à lampe et des moyens d’en faire usage. — Réponse aux doutes qu’on pourrait élever sur les grands pouvoirs amplificatifs dont Herschel a fait usage. Trans. philos., t. LXXIIL. — Lettre à sir Joseph Banks, sur le nom à donner à la nouvelle planète. -- Sur le diamètre du Georgium sidus, suivi de la description d’un micro- mètre à disque lumineux ou obscur. — Sur le mouvement propre du système solaire et les divers changements qui ont eu lieu parmi les étoiles fixes depuis le temps de Flamsteed. Trans. philos., t. LXXIV. — Sur des apparences remarqua- bles dans les régions polaires de Mars, l’inclinaison de l'axe de cette planète, la position de ses pôles et sa forme sphé- roïdale ; quelques aperçus sur le diamètre réel de Mars et sur son atmosphère. — Analyse de quelques observations concernant la constitution des cieux. 1785. 1786. 1787. 1788. 1789. 1790. 1791. 4792. 1798. 1794. 4795. 1796. HERSCHEL. _394 Trans. philos., t. LXXV. — Catalogue d'étoiles doubles. — … Sur là constitution des cieux, Trans. philos., t. LXXVL — Catalogue d'un millier de nébu- leuses et amas d'étoiles. — Recherches sur la Cause d’un défaut de netteté de la vision, qui a été attribué à la min- ceur des pinceaux optiques. Trans. philos., t. LXXVII. — Remarques sur la nouvelle co- mète. — Découverte de deux satellites qui tournent autour de la planète de Georges. — Sur trois volcans de la Lune. Trans. philos.,t. LXXVILL —Sur la planète de Georges (Ura- nus) et ses satellites. Trans. philos., t. LXXIX. — Observations sur une comète, — Catalogue d'un second millier de nouvelles nébuleuses et amas d'étoiles; quelques remarques préliminaires sur la constitution des cieux. | Trans. philos., t LXXX. — Relation de la découverte du sixième et du septième satellite de Saturne; avec des remarques sur la constitution de l’anneau, sur la rotation de la planète autour d’un axe, sur sa forme sphéroïdale. et sur son atmosphère. — Sur les satellites de Saturne et la rotation de l’anneau autour d’un axe. Trans. philos., t. LXXXI. — Sur les étoiles nébuleuses et la convenance de. cette désignation. Trans: philos., t. LXXXII — Sur l'anneau de Saturne et la rotation autour d’un axe du cinquième satellite de la pla- nète, — Observations mélangées. Trans. philos., t. LXXXIII. — Observations sur la planète Vénus. Trans. philos., t. LXXXIV. — Observations. sur une bande quintuple de Saturne. — Sur quelques particularités obser- vées pendant la dernière éclipse de Soleil. — Sur la rota- tion de la planète Saturne autour d'un axe. Trans. philos., t LXXXV. — Sur la nature et la constitution physique du: Soleil et des étoiles. — Description d’un téles- cope réfléchissant de 40 pieds de long. Trans. philos., t. UXXXVI. — Méthode pour. observer les changements qui arrivent parmi les étoiles fixes; remar- ques sur la stabilité de la lumière de notre Soleil. — Cata- 392 HERSCHEL. logue d’intensités comparatives, pour reconnaître la per- manence de l'éclat des étoiles. — Sur l'étoile périodique « d’Hercule ; remarques tendant à établir que les étoiles tour- nent sur leurs axes. — Second catalogue des intensités comparatives des étoiles. 1797. Trans. philos., t. LXXXVIIL. — Troisième catalogue des inten- sités comparatives des étoiles; remarques sur un indice relatif aux observations des étoiles fixes contenues dans le second volume de l'Histoire céleste de Flamsteed ; consé- quences utiles déduites de cet indice. — Observations des changements d'intensité des satellites de Jupiter et de leurs variations de grandeur ; détermination du temps qu'ils em- ploient à tourner sur leurs axes; mesure du diamètre du second satellite et estime de la grandeur comparative du quatrième. 1798. Trans. philos., t. LXXXVIIT. — Découverte de quatre nou- veaux satellites de la planète de Georges; annonce des mouvements rétrogrades des anciens; explication de leur disparition à certaines distances de la planète. 1799. Trans. philos., t. LXXXIX. — Quatrième catalogue des inten- sités comparatives des étoiles. 4800. Trans. philos., t. XC. — Sur la puissance que les télescopes possèdent pour pénétrer à travers l’espace; étendue com- parative de cette puissance dans la vision naturelle, dans les télescopes de différentes grandeurs et de diverses constructions; éclaircissements tirés d'observations choi- sies. — Investigation de la faculté que possèdent les cou- leurs prismatiques d’échauffer et d’illuminer les objets, avec des remarques qui prouvent l’inégale réfrangibilité de la chaleur rayonnante. — Recherches sur la manière de voir le Soleil avantageusement avec des télescopes de larges ouvertures et de grands pouvoirs amplificatifs. — Expériences sur la réfrangibilité des rayons invisibles du Soleil. — Expériences sur les rayons solaires et terrestres qui produisent de la chaleur; vue comparative des lois aux- quelles la lumière et la chaleur obéissent. — Expériences sur les rayons de chaleur. 4804. Trans. philes., t. XCI, — Observations tendant à découvrir la nature du Soleil, les causes et les symptômes des émis- sions variables de chaleur et de lumière; remarques sur 1802. 1803. 1804. 1805. 1806. 1807. 1808. 1809. HERSCHEL 393 l'usage qu'on peut faire des observations du Soleil. — Obser- vations additionnelles au précédent Mémoire, avec des essais tendant à mettre de côté les verres obscurcissants, et à faire usage dans le même but de la transmission de la lumière solaire à travers des liquides. Trans. philos., t. XCIT. — Observations sur les deux corps célestes découverts dernièrement (Cérès et Pallas). — Cata- logue de cinq cents nouvelles nébuleuses et remarques sur la constitution des cieux. Trans. philos., t. XCIIL. — Observations du passage de Mer- cure sur le Soleil, avec des remarques sur l’action des miroirs. — Sur les changements qui ont eu lieu dans les positions relatives des étoiles doubles et sur les causes d’où ils proviennent. Trans. philos., t. XCIV. — Continuation des recherches rela- tives aux changements dans les positions relatives des étoiles doubles. Trans. philos., t. XCOV. — Expériences destinées à faire con- naître jusqu'à quel point les télescopes permettent de déterminer les très-petits angles et de distinguer les dia- mètres des objets; application des résultats à l’astre de Harding. — Sur la direction du mouvement du Soleil et du système solaire. — Observations sur la forme singulière de la planète Saturne. Trans. philos., t. XCVL — Sur la quantité et la vitesse du mouvement solaire. — Observations sur la figure, le climat et l'atmosphère de Saturne et de son anneau. Trans. philos., t. XCVIT. — Expériences tendant à découvrir la cause des anneaux colorés, découverts par sir Isaac New- ton, qui se forment entre deux lentilles superposées. — Observations sur la nature du nouveau corps céleste décou- vért par le docteur Olbers; observations sur la comète qu'on attendait en janvier 1807, à son retour du Soleil, Trans. philos., t. XCVIIT. — Observations d’une comète faites dans le but de déterminer sa grandeur et la nature de son illumination ; remarques sur une irrégularité aperçue dans la figure apparente de la planète Saturne. Trans. philos., t. XCIX. — Continuation des expériences des- 394 HERSCHEL. tinées à trouver la cause des anneaux colorés concentri- ques et de plusieurs autres apparences semblables. 1810. Trans. philos., t. C. — Supplément aux expériences sur les anneaux Colorés. 1811, Trans. philos., t. CI. — Observations astronomiques sur la constitution des cieux, qui paraissent jeter quelque lumière sur l’organisation des corps célestes. 1812. Trans. philos., t. CIL. — Observations d'une. comète, avec des remarques sur la constitution de ses différentes par- ties. — Observations d’une seconde comète, avec des remar- ques sur $a constitution. 1814. Trans. philos., t. CIV.— Observations astronomiques sur la partie sidérale des cieux et sa connexion avec. la partie nébuleuse. 1815. Trans. philos., t. CV. — Série d'observations des satéllites de la planète de George, avec des remarques sur les appa- reils télescopiques employés dans cette circonstance. 4817. Trans. philos., t. CVII. — Observations astronomiques ayant pour objet de déterminer les régions des corps célestes et l'étendue de la Voie lactée. 1818. Trans. philos., t. CNIIIL — Observations astronomiques tendant à déterminer les distances relatives des groupes d'étoiles et la puissance de nos télescopes. 1822, Mémoires de la Société astronomique de Londres. — Sur les positions des 145 nouvelles étoiles doubles, L'analyse chronologique et détaillée de: tant de travaux nous jetterait dans de nombreuses redites. L'ordre systé- matique sera préférable : il fixera plus nettement la place éminente qu’Herschel ne cessera d'occuper parmi le petit nombre d'hommes de génie nos contemporains, dont le nom retentira encore dans la postérité la plus reculée. La variété et l'éclat des travaux d'Herschel le disputent à l'étendue; mieux on les étudie, plus on les admire. Il en est des grands hommes comme des mouvements des HERSCHEL. 395 arts: on ne les connaît bien qu’après les avoir étudiés sous divers points de vue. Plaçons encore ici une réflexion générale. Les Mémoires d'Herschel sont, pour la plupart, des extraits purs et simples des inépuisables journaux d'observations de _Slough, accompagnés de quelques remarques. Un tel cadre ne comportait guère de détails historiques. Sous ce rapport, l'auteur a presque tout laissé à faire à ses bio- graphes. Ceux-ci doivent s'imposer la tâche d’assigner aux prédécesseurs du grand astronome la part qui lui revient légitimement dans les découvertes dont le public, il faut le dire, a pris à tort l'habitude de doter trop exclu- sivement Herschel. Un moment j'avais eu l’idée de joindre à l'analyse de chacun des Mémoires de l’illustre observateur, une note qui aurait contenu l'indication détaillée des perfectionne- ments ou des rectifications que la marche progressive de la science a amenés. Pour ne pas donner à cette biogra- phie une étendue exorbitante, j’ai dû renoncer à mon projet. Sur le plus grand nombre des points, je me conten- terai d'indiquer ce qui appartient à Herschel, et je ren- verrai à mon Traité d'astronomie populaire pour les détails historiques. La vie d'Herschel a eu le rare privilége de faire époque dans une branche étendue de l’astronomie ; il faudrait presque écrire un traité spécial d’astronomie pour montrer d’une manière complète l'importance de toutes les recherches qu’on lui doit. 396 HERSCHEL. PERFECTIONNEMENTS DES MOYENS D’'OBSERVATION. Les perfectionnements apportés par Herschel dans la construction et dans le maniement des télescopes ont contribué trop directement aux découvertes dont ce grand observateur a enrichi l'astronomie, pour que nous puis- sions hésiter à les placer en première ligne. Je lis le passage suivant dans un Mémoire de Lalande, imprimé en 1783, et faisant partie de la préface du tome vur des Éphémérides des mouvements célestes : « Chaque fois qu’Herschel entreprend de polir un miroir (de télescope), il en a pour dix, douze, quatorze heures d’un travail continu. Il ne quitte pas un instant son ate- lier, même pour manger, et reçoit de la main de sa sœur les aliments sans lesquels on ne pourrait supporter une si longue fatigue. Pour rien au monde Herschel n’aban- donnerait son travail; suivant lui, ce serait le gâter. » Les avantages qu'Herschel avait trouvés en 1783, 1784 et 1785, dans l'emploi de télescopes de vingt pieds (6*) à larges diamètres, lui firent désirer d'en construire de beaucoup plus grands encore. La dépense devait être considérable; le roi George III y pourvut. Le travail, commencé vers la fin de 1785, a été fini en août 1789. Cet instrument avait un tuyau cylindrique en fer, de trente- neuf pieds quatre pouces anglais de long (12 mètres), et de quatre pieds dix pouces de diamètre (1”,.47). De telles dimensions sont énormes, comparées à celles des télescopes exécutés jusque-là. Elles paraîtront cepen- dant bien mesquines aux personnes qui ont entendu par- HERSCHEL. 397 ler d’un prétendu bal donné dans le télescope de Slough. Les propagateurs de ce bruit populaire avaient confondu l'astronome Herschel avec le brasseur Meux, et un cy- lindre dans lequel l’homme de la plus petite taille pourrait à peine se tenir debout, avec certains tonneaux en bois, grands comme des maisons, où l’on fabrique, où l’on conserve la bière à Londres. Le télescope d'Herschel de trente-neuf pieds anglais (12 mètres) de long, permit de réaliser une idée dont les avantages seraient peu appréciés si je ne rappelais ici quelques faits. Dans toute lunette ou télescope, il y a deux parties principales : la partie qui engendre les images aériennes des objets éloignés, et la petite loupe à l’aide de laquelle on grossit ces images, tout comme si elles étaient de la matière rayonnante, Lorsque l’image est produite à l’aide d'un verre lenticulaire, le lieu qu’elle occupe se trouve situé sur le prolongement de la ligne qui va de l’objet au centre de la lentille. L’astronome, armé d’une loupe, qui désire examiner cette image, doit nécessairement se placer au dela du point où les rayons qui la forment se sont croisés : au delà, qu’on le remarque bien, veut dire plus loin de la lentille objective. La tête de l'observateur, son corps, ne peuvent donc nuire à la formation et à l'éclat de l’image, quelque petite que soit la distance à laquelle on doive l’étudier. Il n’en est plus ainsi de l’image formée par voie de réflexion. Cette image est alors située entre l’objet et le miroir réfléchissant ; l’astronome, quand il s’en approche pour l’examiner, intercepte inévitable- ment, sinon la totalité, du moins une très-notable partie 398 HERSCHEL. des rayons lumineux qui sans cela auraient contribué à lui donner un grand éclat, On comprendra maintenant pourquoi dans les instruments d'optique où les images des objets éleignés s’engendrent par la réflexion de la lumière, on s’est vu obligé de porter ces images, à l’aide d’une seconde réflexion, hors du tuyau qui contient et maintient le miroir principal. Quand: le petit miroir à la surface duquel cette seconde réflexion s'opère, est plan et incliné de 45° sur l'axe du télescope; quand l'image est rejetée latéralement dans une ouverture située.au. bord: du tuyau et portant la loupe oculaire ; quand.,-en un. mot, l’astronome wise définitivement suivant une direction per- pendiculaire à la ligne. qu’ont parcourue les rayons. lumi- neux venant. de Pobjet et aboutissant. au centre du grand miroir, le télescope est.dit newtonien. Dans le télescope grégorien, l'image formée par le miroir principal tombe sur un second miroir très-petit, légèrement courbe, paral- lèle au premier. Le petit miroir rejette la première image au delà du grand miroir, par une ouverture que l’artiste a pratiquée au milieu de ce miroir principal. Dans l’un et dans l’autre de ces télescopes, le.petit. miroir interposé entre l’objet et le grand miroir, forme pour ce dernier une sorte d'écran qui empêche: la totalité de sa surface.de contribuer à la formation de. l’ image. Le petit miroir joue encore, sous le rapport de l'intensité, un autre rôle très-fâcheux. Supposons, pour fixer les idées, que la matière dont les deux miroirs sont formés réfléchisse la moitié de la lumière incidente, Dans l’acte de la première réflexion, l'immense quantité de rayons que l'ouverture du télescope. HERSCHEL. 399 avait reçue, peut être considérée comme réduite à moi- tié. Sur le petitmiroir l’affaiblissement n’est pas moindre. Or, la moitié de la moitié, c’est le quart. Ainsi, l’instru- ment enverra à l’œil de l’observateur le quart seulement de la lumière incidente que son ouverture avait embras- _sée. Une lunette, ces deux causes d’affaiblissement n’y existant pas, donne aux images, à parité de dimensions, quatre fois plus d'éclat qu’un télescope newtonien ou gré- gorien, Dans son grand télescope, Herschel a supprimé le petit miroir, Le grand miroir n’est pas mathématiquement centré sur le tuyau qui le contient : il y est placé un peu obliquement. Cette légère obliquité est telle que les images vont se former, non plus dans l'axe du tuyau, mais très- près de sa circonférence, ou, si l’on veut, de sa bouche extérieure. L’observateur peut donc aller les y observer directément à l’aide d’un oculaire. Une petite portion de la tête de l’astronome empiète alors, il est vrai, sur le tuyaw; elle y forme écran , et arrête quelques rayons inci- dents. Mais dans un grand télescope, la perte n’est pas à beaucoup près de moitié, comme élle le serait mévitable- ment par l’eflet du petit miroir, Ces télescopes où l'observateur, placé à l'extrémité antérieure du tuyau, regarde directement dans le miroir en tournant le dos aux objets, Herschel les a appelés front-view telescopes (télescopes à vue de front, de face). Dans le zxxvi° volume des Transactions philosophiques, il dit que l’idée de cette construction se présenta à lui dès l’année 1776, et qu'il l'appliqua alors sans succès à un télescope de 20 pieds (3") ; que, pendant l’année 1784 , 400 HERSCHEL. il en fit un essai, également infructueux, sur un téles- cope de 20 pieds (6"). Je trouve cependant que, le 7 septembre 1784, un front-view lui servait à observer des nébuleuses et des groupes d'étoiles. Quoi qu’il en soit de ces diverses dates, on ne pourrait sans injustice se dispenser de remarquer, qu’un télescope front-view était déjà décrit en 1732, dans le vi° volume du recueil inti- tulé : Machines et inventions approuvées par l'Académie des sciences. L'auteur de cette innovation est Jacques Lemaire, qu’on a confondu à tort avec le jésuite anglais Christophe Maire, collaborateur de Boscowich dans la mesure de la méridienne comprise entre Rome et Rimini. Jacques Lemaire n’ayant en vue que des télescopes de dimensions modérées, était obligé, pour ne rien sacrifier de la lumière, de dévier le grand miroir de manière que l’image engendrée par sa surface tombât tout à fait en dehors du tuyau de l'instrument. Une si forte inclinaison aurait certainement déformé les objets. La construction front-view n'est admissible que pour de très- grands télescopes. Je trouve dans les Transactions de 1803, qu'Herschel employait quelquefois pour les observations du Soleil, des télescopes dont le grand miroir était en verre. C’est d’un télescope de cette espèce qu’il fit usage pour le passage de Mercure du 9 novembre 1802. Il avait 7 pieds anglais de long (2".13) et 6 pouces trois dixièmes (0",16) de diamètre. Les astronomes praticiens savent pour quelle large part les pieds des lunettes et des télescopss contribuent à l'exactitude des observations. La difficulté d’une installa- HERSCHEL. 404 tion solide et cépendant très-mobile augmente rapidement avec les dimensions et le poids des instruments. On peut done concevoir qu’'Herschel eut à surmonter bien des obstacles pour établir convenablement un télescope dont le seul miroir pesait plus de 1000 kilogrammes. Ce problème , il le résolut, à son entière satisfaction, à l’aide d'une combinaison de mâts, de poulies, de cordages dont on aura une idée exacte en se reportant à la figure que nous en donnons dans notre Traité d’ Astronomie po- pulaire (t. 1, p. 161). Ce grand appareil et les pieds d’un tout autre genre qu'Herschel imagina pour les téles- copes de moindres dimensions, assignent à cet illustre observateur une place distinguée parmi les plus ingénieux mécaniciens de notre temps. Les personnes du monde, je dirai même la plupart des astronomes, ne savent pas quel rôle le grand télescope de trente-neuf pieds a joué dans les travaux, dans les découvertes d'Herschel. On ne se trompe pas moins quand on imagine que l'observateur de Slough se servait sans cesse de ce télescope, qu'en soutenant, avec M, de Zach (voyez Monatliche Correspondenz, januar 1802), que l'instrument colossal n’a été d'aucune utilité, qu’il n’a pas servi à une seule découverte, qu’on doit le considérer comme un simple objet de curiosité, Ces assertions sont formellement contredites par les propres paroles d’Hers- chel. Dans le volume des Transactions philosophiques de l'année 1795 (page 350), je lis, par exemple : « Le 28 août 1789, ayant dirigé mon télescope (de 39 pieds) vers le ciel, je découvris le sixième satellite de Saturne, et j'aperçus les taches de cette planète, mieux que je LL, — rx, 26 402 HERSCHEL., n'avais pu le faire jusque-là. » ( Voir aussi, quant à ce sixième satellite, les Transactions philosophiques de 790, page 10.) Dans ce même volume de 1790, page #1 , je trouve : « La grande lumière de mon télescope de trente- neuf pieds était alors si utile, que le 47 septembre 1789, je remarquai le septième satellite, situé alors à sa plus grande élongation occidentale. » Le 10 octobre 1791, Herschel vit l’anneau de Saturne et le quatrième satellite en regardant à l’œil nw, sans oculaire d'aucune sorte, dans le miroir de:son télescope de trente-neuf pieds. Disons les vrais motifs qui détournaient Herschel de se: servir plus souvent de l’immense télescope de trente-neuf pieds. Malgré la perfection du mécanisme, la manœuvre de cet instrument exigeait le concours continuel de deux hommes de peine et celui d’une personne chargée de prendre l'heure à la pendule. Dans les nuits à change- ments de température un peu considérables, le télescope, à cause de sa grande masse, était toujours en retard ther- mométrique sur la variation que subissait l'atmosphère, ce qui nuisaïit beaucoup à la netteté des images. Herschel trouvait qu’en Angleterre il n’y a pas dans l’année plus de cent heures pendant lesquelles on puisse observer fructueusement le ciel avec un télescope de trente- neuf pieds (12") armé d’un grossissement de mille fois. Cette remarque conduisit le célèbre astronome à recon- naître, que pour faire avec som grand instrument une revue du ciel tellement combinée que le champ eût été dirigé un seul instant vers chaque point de l'espace, il ne faudrait pas moins de huit cents ans. HERSCHEL. 403 Herschel explique d’une manière fort naturelle Ja rareté des circonstances où il est possible de faire utile- ment usage d’un télescope de trente-neuf pieds à très- large ouverture. Un télescope ne grossit pas seulement les objets réels, il grossit aussi les irrégularités apparentes provenant des réfractions atmosphériques ; or, toutes choses égales, ces irrégularités de réfraction doivent être d’autant plus fortes, d'autant plus fréquentes, que la couche d’air à travers laquelle les rayons ont passé pour aller former Fimage a plus de largeur. Les astronomes éprouvèrent une surprise extrême, lorsqu'en 1782, il apprirent qu'Herschel avait appli- qué à un télescope à réflexion, de sept pieds anglais de longueur (2".1), des grossissements linéaires de mille, de mille deux cents, de deux mille deux cents, de deux mille six cents et même de six mille fois. Ce senti- ment, la Société royale de Londres l’éprouva, et Herschel reçut officiellement l'invitation de donner de la publicité aux moyens dont il avait fait usage pour reconnaître dans ses télescopes l’existence de pareils grossissements. Tel fut l’objet d’un Mémoire inséré dans le zxxn° tome des Transactions philosophiques, et qui dissipa tous les doutes. Personne ne s’étonnera qu’on ne voulût pas croire légè- rement à des grossissements qui semblaient devoir mon- trer les montagnes de la Lune, comme la chaîne du mont Blanc se voit de Mâcon, de Lyon et même de Genève. On ignorait qu'Herschel ne s’était guère servi avec succès des grossissements de trois mille et de six mille fois, qu’en observant de brillantes étoiles ; on n’avait pas songé que 404 HERSCHEL. la lumière réfléchie par les corps planétaires est trop faible pour supporter nettement les mêmes amplifications que la lumière propre des fixes. Les opticiens avaient renoncé, plutôt théoriquement qu’à la suite d'expériences précises, à engendrer de très- forts grossissements, même avec des télescopes à réflexion, Ils croyaient que l’image d’un petit cercle ne peut être nette, ne peut être tranchée sur ses bords, à moins que le pinceau de rayons à peu près parallèles provenant de cet objet, et qui, après avoir traversé l’oculaire d’un instrument d'optique pénètre dans l’œil, n’ait une largeur suffisante. Ceci une fois admis, on fut conduit à suppo- ser qu'une image cesse d’être bien définie quand elle n’ébranle pas sur la rétine, deux au moins des filaments nerveux dont cet organe est censé recouvert. Ces suppo- sitions gratuites, entées ainsi les unes sur les autres, s’évanouirent devant les observations d’'Ierschel. Après s'être mis en garde contre les effets de la diffraction, c’est-à-dire contre l’éparpillement que la lumière éprouve quand elle passe près des arêtes terminales des corps, l'illustre astronome prouva, en 1786, qu’on peut voir nettement un objet, à l’aide. de faisceaux dont le dia- mètre n’égale pas cinq dixièmes de millimètre, Herschel regardait comme un préjugé scientifique très- nuisible cette opinion, presque unanimement admise, que l’oculaire composé de deux lentilles est préférable à l'ocu- laire où figure une lentille seule. L'expérience, malgré toutes les déductions théoriques, lui prouva qu’à égalité de grossissement, les images, celles du moins des téles- copes (car la restriction n’est peut-être pas sans impor- DT I EP C7 HERSCHEL. 405 tance), avaient plus d'éclat et de netteté avec l’oculaire simple qu'avec l’oculaire double. Une fois, ce dernier oculaire ne lui montrait pas les bandes de Saturne, tandis qu’à l’aide d’une seule lentille on les voyait parfaitement. « L’oculaire double, dit Herschel, doit être laissé aux amateurs et à ceux qui, pour un objet particulier, ont besoin d’un large champ de vision. » (Transactions phalo- sophiques , 1782, pages 94, 95.) Ce n’est pas seulement à l'égard du mérite comparatif des oculaires simples ou composés qu’Herschel s'éloigne de l'opinion générale des opticiens; il croit, de plus, avoir constaté par des expériences décisives, qu’un ocu- laire concave (celui dont Galilée fit usage), prime de beaucoup l’oculaire convexe, sous le double rapport de la clarté et de la distinction. Herschel donne la date de 1776 aux expériences qu’il fit pour décider cette question. (Transactions philoso- phiques, année 1815, page 297.) Les lentilles plano- concaves ou doublement concaves produisaient les mêmes effets. En quoi ces lentilles différaient-elles des lentilles doublement convexes? En une chose seulement, les der- nières recevaient les rayons réfléchis par le grand miroir du télescope, après leur réunion au foyer, tandis que les lentilles concaves recevaient les mêmes rayons avant cette réunion. Quand l’observateur faisait usage d’une lentille convexe, les rayons qui allaient au fond de l'œil former sur la rétine l’image d’un astre, s'étaient auparavant croisés dans l'air; aucun croisement de cetté nature n’avait lieu lorsque l'observateur employait une lentille concave. En tenant pour parfaitement avéré le double avantage de 406 HERSCHEL. ce dernier genre de lentille sur l’autre, on seraït conduit, * comme Herschel, à admettre « qu’un certain effet méca- nique , nuisible à la clarté et à la distinction, accompa- gnerait l'acte du croisement focal des rayons de lu- mière 1, » Cette idée sur les effets du croisement des rayons, suggéra à l’ingénieux astronome une expérience dont le résultat mérite d’être signalé, Un télescope de dix pieds anglais (3*) fut dirigé sur une affiche couverte de très-petites lettres, et placée suffisam- ment loin. La lentille convexe de l’oculaire était portée, non par un tuyau proprement dit, mais par quatre fils métalliques minces, rigides, et situés à angle droit. Cette disposition laissait le foyer à nu dans presque tous les sens. On plaça alors un miroir concave de telle sorte qu’il projetait latéralement l’image très-condensée du Soleil sur l’endroit même où se formait l’image télesco- pique des lettres de l'affiche. Les rayons solaires, après s'être croisés, ne trouvant rien sur leur route, allaientse perdre dans l’espace. Un écran permettait d’ailleurs d’ar- rêter à volonté ces rayons avant qu'ils se réunissent. Cela fait, ayant placé l'œil à l’oculaire et porté toute son attention sur l’image télescopique de l'affiche, Hers- chel n’aperçut pas qu’en ôtant ou replaçant successive- ment l’écran, les lettres éprouvassent le moindre change- 4, En comparant les télescopes de Cassegrain, à petit miroir con- vexe, aux télescopes de Gregory, à petit miroir concave, M. Kater trouva que les premiers, dans lesquels les rayons lumineux ne se croisent pas avant de tomber sur le petit miroir, possèdent, quant à l'intensité, un avantage marqué sur les seconds où ce croisemen s'effectue. | HERSCHEL. 407 ment-d’éclat ou de netteté. Il était donc indifférent, sous - l'um-et sous l’autre rapport, qu’une immense quantité de rayons solaires se croisassent à l'endroit même où, dans une autre direction, allaient se réunir les rayons qui for- _maïent l'image des lettres. Je viens de marquer en ita- ques les mots qui montrent bien en quoi cette ‘curieuse expérience diffère des premières et me les contredit pas entièrement. Ici, les rayons d'origines diverses, les rayons wenant-de l'affiche et du Soleil, se croisaient respective- ment, dans des directions presque rectangulaires; pen- dant l'examen comparatif des astres avec des oculaires convexes-et concaves, les rayons qui semblaient s’influen- cer avaient une origine commune et s’entre-croisaient sous des angles très-aigus. La différence des résultats n'a donc rien, ce me semble, dont on puisse trop s'étonner. Herschel augmentaït le catalogue déjà si étendu des mystères de la vision, quand il expliquait de quelle manière on doit s’y prendre pour arriver à distinguer séparément les deux parties de certaines étoiles doubles très-voisines l’une de l’autre. Si vous voulez, disait-il, vous assurer que n de la Couronne est une étoile double, dirigez d’abord votre télescope vers « des Gémeaux , € du Verseau, # du Dragon, + d'Hercule, « des Poissons, « de la Lyre. Regardez ces étoiles pendant longtemps, afin d'acquérir l'habitude d’observer de pareils. objets. Ænsuite, passez à & de la Grande Ourse, où le rapproche- ment.des deux parties est plus grand. Dans un troisième essai, choisissez à. du Bouvier (marqué 44 dans Flamsteed et 4 dans les cartes d'Harris) , l'étoile qui précède « 408 HERSCHEL. d'Orion, n de la même constellation, et vous serez alors préparé à l'observation plus difficile de » de la Couronne. En effet, n de la Couronne est une sorte de miniature de i du Bouvier, qui lui-même peut être considéré comme la miniature de « des Gémeaux ( Trans. philos. 1782, page 100). Aussitôt que Piazzi, Olbers, Harding, eurent décou- vert trois des nombreuses planètes télescopiques aujour- d’hui connues, Herschel se proposa d’en déterminer les grandeurs réelles; mais les télescopes n’ayant point été encore appliqués à la mesure d’angles d’une excessive petitesse, il devint nécessaire, pour se garantir de toute illusion, de tenter quelques expériences propres à donner la mesure de la puissance de ces instruments. Tel est le travail de l’infatigable astronome de Slough, dont je vais donner une analyse très-abrégée. L'auteur rapporte d’abord qu’en 1774, il essaya de déterminer expérimentalement, à l’œil nu et à la dis- tance de la vision distincte, quel angle un cercle doit sous-tendre pour se distinguer, par sa forme, d’un carré de même dimension. L’angle ne fut jamais de moins de 2’ 17/'; ainsi dans son maximum il était environ le qua- torzième de l’angle que sous-tend le diamètre moyen de la Lune. Herschel n’a dit, ni de quelle nature étaient les cercles et carrés de papier dont il faisait usage, ni sur quel fond ils se projetaient. C’est une lacune regrettable, car dans ces phénomènes l'intensité de la lumière doit jouer un rôle essentiel. Quoi qu’il en soit, le scrupuleux observa- teur n’osant pas étendre à la vision télescopique ce qu’il Ag HERSCHEL. 409 avait trouvé pour la vision à l’œil nu, il entreprit de lever tous les doutes par des observations directes. En examinant avec un télescope de 3 mètres des têtes d’épingle placées au loin et en plein air, Herschel voyait aisément que ces corps étaient ronds, quand les angles sous-tendus devenaient, après leur grossissement, 2’ 19. C’est presque exactement le résultat obtenu à l'œil nu. Lorsque les globules étaient plus sombres; lorsqu'on employait, au lieu de têtes d’épingle, de petits globules de cire d’Espagne, la forme sphérique ne commençait à être nettement visible, qu’au moment où l’angle sous-tendu amplifié, qu’au moment où l'angle naturel multiplié par le grossissement, atteignait 5 minutes. Dans une dernière série d'expériences, des globules d'argent placés très-loin de l'observateur, laissèrent voir leur forme ronde, même quand l'angle amplifié restait au-dessous de 2 minutes. À égalité d’angle sous-tendu, la vision télescopique avec de forts grossissements, s’est donc montrée supérieure à la vision à l'œil nu. Ce résultat n’est pas sans importance. Si l’on tient compte des grossissements employés par Herschel dans ces laborieuses recherches , grossissements qui furent souvent plus de 500 fois, il demeurera établi que les télescopes dont les astronomes modernes dis- posent, peuvent servir à constater la forme de corps ronds éloignés , la forme des corps célestes, alors même que les diamètres de ces corps ne sous-tendent pas natu- rellement (à l'œil nu), des angles de plus de trois dixièmes de seconde : 500 multipliés par 3/10° de seconde donnent, en effet, 2’ 30/’, 410 HERSCHEL. Les lunettes n'étaient encore que des instruments in- compris, fruit du hasard, sans théorie certaine, qu’elles servaient déjà à dévoiler de brillants phénomènes astro- nomiques. Leur théorie, en tant qu’elle dépendait de la géométrie et de l'optique, fit des progrès rapides. Ces deux premières faces du problème laissent aujourd’hui peu à désirer ; il n’en est pas de même d’une troisième , jusqu'ici assez négligée, qui touche à la physiologie, au mode d’action de la lumière sur le système nerveux. Ainsi, l’on chercherait vainement dans les anciens traités d'optique et d'astronomie, une discussion sévère, com- plète, du rôle comparatif que la grandeur et l'intensité des images, que le grossissement et l’ouverture d'une lunette, d’un télescope peuvent jouer, de nuitt de jour, dans la visibilité des astres les plus faibles. Cette lacune, Herschel essaya de la remplir en 1799 ; tel fut le but du Mémoire intitulé : Sur la puissance que des iesgages pos- sèdent pour pénétrer dans l'espace. Ce Mémoire On the power of penetrating pur by telescopes, renferme d’excellentes choses ; il est loin cependant d’épuiser la matière. L'auteur, par. exemple, y laisse entièrement de côté les observations faites de jour. Je trouve, aussi, que la partie hypothétique. de la discussion n’est peut-être pas assez nettement séparée de la partie rigoureuse ; que des chiffres contestables, quoi- que donnés jusqu’à la précision des moindres décimales, figurent mal comme termes de comparaison de certains résultats qui, eux au contraire, sont appuyés sur des observations d’une évidence mathématique. Quoi qu'il en puisse être de ces remarques , l’astro- DE + HERSCHEL. 4m nome, le physicien qui voudront traiter de nouveau la question de la wisibilité à travers les lunettes , trouveront dans le Mémoire d’Herschel des faits importants et des observations ingénieuses très-propres à leur servir de guides. TRAVAUX D’ASTRONOMIE STELLAIRE. Le curieux phénomène des changements périodiques d'intensité de certaines étoiles excita vivement et de bonne heure l'attention d'Herschel. Le premier Mémoire de l'illastre observateur qui ait été présenté à la Société royale de Londres et inséré dans les Transactions philo- sophiques , traite précisément des changements d’intensité de l'étoile 0 du col de la Baleine, Ce Mémoire était encore daté de Bath, mai 4780. Onze ans après, dans le mois de décembre 1791, Herschel communiqua une seconde fois à la célèbre Société an- _glaise, les remarques qu’il avait faites en dirigeant quel- quefois ses télescopes vers l'étoile mystérieuse. Aux deux époques l'attention de l’observateur s'était principalement portée sur les valeurs absolues des maxima et des minima d'intensité, L'étoile changeante de la Baleine n’est pas la seule étoile périodique dont Herschel se soit occupé. Ses obser- vations de 1795:et de 1796 Jui prouvèrent que « d’Her- cule appartient aussi à la catégorie des étoiles variables, et que le temps nécessaire à l’accomplissement de tous les changements d'intensité et au retour de l'étoile à un état donné est de 60 jours un quart. Quand Herschel arriva à ce résultat, on connaissait déjà une dizame 412 HERSCHEL. d'étoiles changeantes; mais elles étaient toutes à très- longues ou à très-courtes périodes. L’illustre astronome estimait qu’en introduisant entre deux groupes à si courtes et à si longues périodes, une étoile dans des conditions en quelque sorte mitoyennes, une étoile qui emploie 69 jours à accomplir toutes ses variations d'intensité, il avait fait faire un pas essentiel à la théorie de ces phénomènes : à celle du moins qui consiste à tout attri- buer à un mouvement de rotation que les étoiles éprou- veraient autour de leurs centres. Les catalogues d'étoiles doubles de William Herschel offrent un bon nombre d'étoiles auxquelles il attribue des teintes bleues ou vertes prononcées. Dans les combinai- sons binaires, quand la petite étoile semble très-bleue ou très-verte, la grande est ordinairement jaune ou rouge. Il ne paraît pas que le grand astronome se soit suffisam- ment préoccupé de cette circonstance, Je ne trouve, en effet, nulle part que l’accouplement presque constant de deux couleurs complémentaires (du jaune et du bleu, du rouge et du vert), l’ait conduit à soupçonner qu’une de ces couleurs pouvait n’avoir rien de réel, n'être souvent qu’une illusion, qu’un résultat de contraste. Ce n'est qu’en 1825 que j'ai montré qu’il y avait des étoiles dont le contraste expliquait réellement la couleur apparente ; mais j'ai prouvé en outre que le bleu est incontestable- ment la couleur de certaines étoiles qui sont isolées, ou qui n’ont dans leur voisinage que des étoiles blanches ou bleues elles-mêmes. Le rouge est la seule couleur que les anciens aient jamais distinguée du blanc dans leurs cata- logues d'étoiles, HERSCHEL, 413 Herschel a encore essayé d'introduire des chiffres dans la classification des étoiles par ordre de grandeur; il s’est appliqué à déterminer en nombres le rapport entre l’in- tensité d’une étoile de première grandeur et l'intensité d'une étoile de seconde , de troisième, etc. _ On trouve dans un des premiers Mémoires d’Herschel la preuve que les diamètres apparents des étoiles sont en majeure partie factices, même. lorsqu'on fait usage des télescopes les mieux travaillés. Les diamètres évalués en secondes, c’est-à-dire réduits à raison du grossissement, diminuent quand ce grossissement augmente, Ces résul- tats ont la plus haute importance. En cherchant les parallaxes des étoiles sans pouvoir y parvenir, Herschel fit une découverte importante : celle du mouvement propre de notre système, Il fallait, pour faire jaillir, des déplacements de perspective des étoiles, la direction du mouvement du système solaire , non-seu- lement des connaissances mathématiques profondes , mais encore un tact particulier. Ce tact, Herschel le possédait à un degré éminent. Aussi, le résultat déduit du nombre très-restreint de mouvements propres qui étaient connus au commencement de 1783, s’est trouvé à peu près d’ac- cord avec celui que d’habiles astronomes ont obtenu récemment par l'application de formules analytiques sub- tiles à un nombre considérable d'observations précises. Les mouvements propres des étoiles sont reconnus, constatés depuis plus d’un siècle, et Fontenelle disait déjà, en 1738, que le Soleil peut-être se mouvait de même. L'idée d'attribuer en partie les déplacements des étoiles à un mouvement du Soleil , s'était offerte à Bradley 114 HER SCHEL. et à Mayer. Lambert surtout, avait été à cet égard d’une netteté remarquable. Jusque-là, cependant, on restait dans le domaine des conjectures, des simples probabi- lités. Herschel franchit ces limites. Il prouva, lui, que le Soleil se meut en eflet; que sous ce rapport aussi, cet astre éblouissant, immense, doit être rangé parmi les étoiles; que les irrégularités, en apparence inextricables de tant de mouvements propres stellaires, tiennent em grande partie au déplacement du système solaire; qu’en- fin le point de: l’espace vers lequel nous nous avançons chaque année est situé dans la constellation d’ Hercule. Ces résultats sont magnifiques. Ea découverte du mou vement propre de notre système comptera toujours parmi les plus beaux titres de gloire d'Herschel, même après la mention que mon devoir d’historien m’a conduit à faire, des conjectures antérieures de Fontenelle, de Bradley, de Mayer, de: Lambert, A côté de cette grande découverte, on doit em placer une autre qui semble avoir encore plus d'avenir. Les résultats qu'elle permet d'espérer seront d’une extrême importance, La découverte dont il s’agit a été annoncée au monde savant en 1803 : c’est celle de la dépendance réciproque dans, laquelle sont certaines étoiles qui sont liées les unes aux autres comme les diverses planètes de notre système et leurs satellites sont liés aw Soleil. Que l’on joigne maintenant à ces immortels travaux les idées si ingénieuses que l’on doit à Herschel sur les nébu- leuses, sur la constitution de la Voie lactée, sur l’ensemble de l’univers, idées qui constituent presque à elles seules l'histoire: actuelle de: la formation des mondes, et l’on ne » hd MR HERSCHEL. F5 pourra qu’avoir une profonde admiration pour ce génie puissant qui n’a presque pas failli, malgré une imagina- tion ardente. TRAVAUX RELATIFS AU SYSTÈME SOLAIRE, = Herschel s’est beaucoup occupé du Soleil, mais seule- _ ment sous le point de vue de sa constitution physique, Les observations que Fillustre astronome a faites à ce sujet, les conséquences qu’il en a déduites, marchent de pair avec les plus ingénieuses découvertes dont les sciences luï soient redevables. Dans son grand Mémoire de 4795, le grand astronome déclare être convaincu que la substance par l’intermé- diaire de laquelle le Soleil brille, ne saurait être ni un liquide ni un fluide élastique. Elle doit être analogue à nos nuages, et flotter dans l’atmosphère transparente de l’astre. Le Soleil a, selon lui, deux atmosphères douées de mouvements tout à fait mdépendants. Un fluide élastique d'une nature mconnue se forme incessamment à la sur- face du corps obscur du Soleil, et s’élevant, à cause de sa pesanteur spécifique , il vient former les pores dans la couche des nuages réfléchissants; puis, se combinant avec d’autres gaz, il produit les rides dans la région des nuages lumineux, Lorsque les courants ascendants sont énergiques, ils donnent naissance aux noyau, aux pé- nombres, aux facules. Si cette explication de la formation des taches solaires est fondée, il faut s'attendre à trouver que le Soleil n’émet pas constamment les mêmes quantités de chaleur et de lumière. Des observations modernes ont vérifié cette conséquence, Mais de grands noyaux, de 416 HERSCHEL. larges pénombres, des rides, des facules, indiquent-ils une abondante émission lumineuse et calorifique, comme le pensait Herschel; c’est là le résultat de son hypothèse sur l'existence des courants ascendants très-actifs, et l'expérience directe paraît le contredire. Voici comment un savant illustre, M. Brewster, appré- cie cette vue d’Herschel : « Il n’est pas concevable, dit- il, que des nuages lumineux, cédant aux plus légères impulsions et dans un état de changement. continuel, soient le foyer de la flamme dévorante, du Soleil et de la lumière éblouissante qu’il émel ; on ne peut pas admettre davantage que la faible barrière formée par des nuages planétaires garantirait les objets qu’elle recouvrirait des effets destructeurs des éléments supérieurs. ». M. Brewster imagine que les rayons de calorique non lumineux qui forment une partie constituante de la lumière solaire, sont émis par le noyau obscur du Soleil; tandis que les rayons visibles, colorés, proviennent de la matière lumineuse dont le noyau est entouré. « De là, dit-il, la raison pour laquelle la lumière et la chaleur parais- sent toujours être dans un état de combinaison :. l’une des émanations ne peut pas être obtenue sans l’autre. Dans cette hypothèse on expliquerait naturellement pour- quoi il ferait plus chaud quand il y a plus de taches, car la chaleur du noyau nous arriverait sans avoir été affaiblie par l’atmosphère qu’elle traverse ordinairement, » Mais le fait de l’excès de chaleur pendant l'apparition des taches est loin d’être certain; le phénomène inverse est peut- être la vérité. Herschel s’est occupé aussi de la constitution physique HERSCHEL. 447 de la Lune. En 1780, il a cherché à mesurer les hau- teurs des montagnes de notre satellite. Il a tiré de ses observations la conséquence qu'à un petit nombre d’ex- ceptions près, la hauteur des montagnes de la Lune ne dépasse pas 800 mètres. Les études sélénographiques les plus récentes sont contraires à cette conclusion. Il y a _ lieu de remarquer , à cette occasion, combien le résultat hasardé d’'Herschel est en désaccord avec la tendance à l'extraordinaire, au gigantesque, dont on a prétendu, bien légèrement, faire le trait caractéristique de cet illustre astronome, À la fin d'avril 1787, Herschel présenta à la Société royale de Londres un Mémoire dont le titre dut vivement frapper les imaginations. L'auteur y rapportait que, le 49 avril 4787, il avait aperçu dans la partie non éclairée, dans la partie obscure de la Lune, trois volcans en igni- tion. Deux de ces volcans semblaient sur leur déclin, l’autre paraissait en activité. Telle était alors la conviction d’'Herschel sur la réalité du phénomène, que le lendemain de sa première observation il écrivait : « Le volcan brûle avec une plus grande violence que la nuit dernière. » Le diamètre réel de la lumière volcanique était d’environ 5,000 mètres. Son intensité paraissait très-supérieure à celle du noyau d’une comète qui se montrait alors. L’ob- servateur ajoutait : Les objets situés près du cratère sont faiblement éclairés par la lumière qui en émane. « Enfin, disait Herschel, cette éruption ressemble beaucoup à celle dont je fus témoin le 4 mai 1783. » | Comment arrive-il, après des observations si pré- cises, que peu d’astronomes admettent aujourd’hui l’exis- EEL, — 111, 27 418 HERSCHEL. tence de volcans actifs dans la Lune? Voici, ent deux mots, l’explication de cette smgularité. #54) Les diverses parties de notre satellite ne sont pas également réfléchissantes. Ici, cela tient à la forme, ailleurs, à la nature de la matière. Ees personnes qui ont examiné la Lune avec des lunettes, savent combien les: différences d’éclat provenant des deux causes mention nées peuvent être considérables, combien un point de la: Lune est quelquefois plus lumineux que les:points voisins. Or, il est de toute évidence que les rapports d'intensité: entre les parties faibles et les parties brillantes, doivent se conserver quelle que soit l’origine de la lumière éclai- rante. Dans la portion du globe lunaire: illuminée par le: Soleil, il y &, tout le monde le sait, des points dont l'éclat est extraordinaire comparativement à ce qui les entoure ; ces mêmes points, quand ils se trouveront dans la partie de Ja Lune seulement éclairée par la Terre; dans la portion cendrée, domineront de même par leur inten- sité l'éclat des régions voisines. Voilà comment on peut expliquer les observations de l’astronome de Slough sans recourir à des volcans. Au moment où le grand observa- teur étudiait, dans la portion de la Lune non éclairée par le Soleil, le prétendu volcan du 20 avril 1787, son télescope de 3 mètres lui montrait, en effet, à l’aide des rayons secondaires provenant de la Terre, jusqu'aux taches les plus sombres. Herschel ne revint sur la question des prétendus vol- cans lunaires actuellement enflammés, qu’en 1791. Dans le volume des Transactions philosophiques de 4799, il rapporte qu’en dirigeant sur la Lune entièrement éclipsée, HER SCHEL. 419 le 2% octobre 1790, un télescope de 6 mètres grossissant 360: fois, on voyait sur toute la surface de l’astre environ: cent cinquante points rouges: et très-lumineux, L'auteur déclare vouloir rester sur la plus grande réserve, relati- vement à la similarité de tous ces points, à leur grand éclat et à leur remarquable couleur. . Cependant le rouge n’est-il pas toujours la couleur de: la Lune éclipsée quand il n’y a point de. disparition en- tière? Les rayons solaires arrivant à notre satellite par l'effet d’une réfraction et à la suite d’une: absorption. éprouvées dans les couches les plus basses de l’atmo- sphère terrestre, pourraient-ils avoir une autre teinte? Dans la Lune éclairée librement et de face par le Soleil, n'y a-t-il pas de cent à deux cents petits points remar- quables par la vivacité de leur lumière? Était-il possible que ces mêmes points ne se fissent pas aussi distinguer dans la Lune, quand elle recevait seulement la portion de la lumière solaire réfractée et colorée par notre: atmo- sphère, Herschel a été plus heureux dans ses remarques sur absence d’une atmosphère lunaire, Pendant l’éclipse solaire du 5 septembre 1793, l’illustre astronome porta particulièrement son attention sur la forme de la corne aiguë résultant de l'intersection des limbes de la Eune et du Soleil. EF conclut de son observation que s’il y avait eu vers la pointe de la corne une déviation d’une seule seconde, occasionnée par la réfraction de la lumière solaire dans l’atmosphère de la Lune, elle ne lui aurait pas échappé. | Les planètes ont été de la part d’Herschel l’objet de 420 HERSCHEL. nombreuses recherches. Mercure est celle dont il s’est le moins occupé; il a trouvé son disque parfaitement cir- culaire en l’observant pendant sa projection, c’est-à-dire, en langage astronomique, pendant son passage sur le Soleil le 9 novembre 1802. Il a cherché à déterminer le temps de la rotation de Vénus dès l’année 1777. Il a publié deux Mémoires relatifs à Mars, l’un en 4781, l’autre en 1784, et on lui doit la découverte de l’aplatis- sement de cette planète. Après la découverte des petites planètes, Cérès, Pallas, Junon et Vesta, par Piazzi, Olbers et Harding, Herschel s’appliqua à en mesurer le diamètre angulaire. Il conclut de ses recherches que ces quatre nouveaux astres ne méritaient pas de porter le nom de planètes, et il proposa de les appeler astéroïdes. Gette dénomination a été adoptée plus tard; mais elle fut criti- quée avec amertume par un historien de la Société royale de Londres , le docteur Thomson, qui alla jusqu’à sup- poser que le savant astronome « avait voulu enlever aux premiers observateurs de ces corps, toute idée de se pla- cer aussi haut que lui-même (Herschel) dans la liste des découvreurs astronomiques. » Je n’aurai vraiment besoin, pour réduire au néant une semblable imputation , que de la rapprocher du passage suivant, extrait d’un Mémoire du célèbre astronome, publié dans les Transactions phi- losophiques, année 1805 : « La différence spécifique qui existe entre les planètes et les astéroïdes est aujourd’hui pleinement établie, Cette circonstance, dans mon opinion, a plus ajouté à la beauté (ornament) de notre système, que la découverte d’une nouvelle planète n’aurait pu le faire. » BERSCHEL. 421 Quoique Herschel ne paraisse pas s’être occupé avec une grande suite de la constitution physique de Jupiter, l'astronomie lui est redevable de plusieurs résultats im- portants relativement à la durée de la rotation de cette planète. Il a fait aussi de nombreuses observations sur les intensités et les grandeurs comparatives de ses sa- tellites. L’aplatissement de Saturne, la durée de sa rotation, la constitution physique de cette planète et celle de son anneau , furent, de la part d’Herschel, l'objet de nom- breuses recherches qui ont beaucoup contribué aux pro- grès de l’astronomie planétaire. Mais sur ce sujet deux découvertes importantes vinrent surtout ajouter une nou- velle auréole à la gloire du grand astronome. Des cinq satellites de Saturne connus à la fin du xvn° siècle, Huygens avait découvert le quatrième; Cassini les autres. Le sujet semblait épuisé, lorsque des nouvelles de Slough apprirent combien on se trompait. Le 28 août 1789, le grand télescope de 12 mètres signala à Herschel un satellite plus voisin encore de l’an- neau que les cinq déjà observés. D’après les principes de la nomenclature généralement adoptée, le petit astre du 28 août aurait dû s’appeler le premier satellite de Saturne ; les chiffres indiquant le rang des cinq autres se seraient alors tous accrus d’une unité. La crainte d'introduire de la confusion dans la science par ces changements conti- nuels de dénomination, fit préférer d'appeler le nouveau satellite le sixième. Grâce à la puissance prodigieuse du télescope de 42 422 HERSCHEL. mètres, un dernier satellite, le septième, alla is’interposer, le A7 septembre 1789, éntre le sixième et l’anneau. Ce septième satellite est d’une faiblesse extrême. Hers- chel parvenait cependant à le distinguer quand les cir- constances étaient trèsfavorables, même à l’aide d’un télescope de. 6-mètres. La découverte de la planète hs la découverte de ses satellites, occuperont toujours une -des premières places parmi celles dont l'astronomie moderne:s’honore. Le 13 mars 1781, entre dix et onze heures du soir, Herschel examinait les petites étoiles voisines-de H des Gémeaux, avec un télescope-de 2°.13 delong, et à l’aide d’un grossissement de 227 fois. Une de ces étoiles Jui parut avoir un diamètre. inusité. Le célèbre astronome crut que c'était -une comète, C’est sous ce nom qu’il en-a d’abord.été question à la Société royale de Londres. Les recherches d’Herschel et de Laplace -1nontrèrent-plus tard que l'orbite du nouvel astre était presque circulaire , et Uranus fut élevé au rang de planète. L’immense éloignement d’Uranus, son petit diamètre angulaire, la faible intensité de sa lumière, ne‘permet- taient guère d'espérer que si cet astre avait des satellites dont les grandeurs fussent, relativement à (sa propre grandeur, ce que les satellites de Jupiter, de Saturne, sont par rapport À ces deux grosses planètes, aucun observateur parvint à les apercevoir de la Terre. Hers- chel n’était pas homme à s'arrêter devant ces conjectures décourageantes. De puissants télescopes dans leur con- struction ordinaire, c’est-à-dire avec -les deux miroirs conjugués, -ne lui ayant rien fait découvrir, il les rem- HERSCHEL. 423 plaça, au commencement de janvier 1787, par des télescopes front-view, par des télescopes qui donnent beaucoup plus d'éclat aux objets, car le petit miroir est alors supprimé et avec lui disparaît une des causes de déperdition de lumière. - Par des travaux patients, par des observations d’une rare persévérance, Herschel parvint, du 11 janvier 1787 au 28 février 179h, à découvrir les 6 satellites de sa planète et à compléter ainsi le monde d’un astre qui lui appartient tout ‘entier. Il existe plusieurs Mémoires d’Herschel sur les comètes. En les analysant , nous verrons que ce grand observateur me pouvait toucher aucun sujet sans y faire quelques découvertes. Herschel appliqua quelques-uns de ses beaux instru- ments à l'étude de la constitution physique d’une comète découverte par M. Pigott le 28 septembre 1807. Le noyau était rond et bien terminé. Des mesures faites le jour où ce novau ne sous-tendait qu’un angle d'une seule-seconde, donnaient, pour son diamètre réel, 6/100°: ‘du diamètre de la Terre. Herschel ne voyait pas de phase à une époque où les 7/10 du noyau seulement pouvaient être éclairés par le Soleil, Le noyau brillait donc d’une lumière propre. Cette conséquence:sera légitime aux yeux de tous ceux qui admettront, d’une part, que le noyau était un corps ‘solide ,-et de l’autre, qu'il eût:été possible d'observer une phase de 8/10" sur-un disque dont le diamètre apparent total me-s'élevait qu'à une ou deux secondes de degré. De très-petites étoiles paraissaient s’affaiblir beaucoup 424 HERSCHEL. quand on les voyait à travers la chevelure ou à travers la queue de la comète. Cet affaiblissement pouvait n’être qu’apparent, et dé- pendre de la circonstance que les étoiles se projetaient alors sur un fond lumineux. Telle est, en effet, l'explica- tion qu'Herschel adopte. Un milieu gazeux capable de réfléchir assez de lumière solaire pour effacer celle de quelques étoiles, lui semblerait devoir posséder dans chaque tranche une quantité sensible de matière, et être, à raison de cela, une cause d’affaiblissement réel des lumières transmises, cause dont rien ne révèle l'existence. Cet argument, présenté par Herschel en faveur du système qui transforme les comètes en astres lumineux par eux-mêmes, n’a pas, comme on voit, beaucoup de force. J’oserai dire la même chose de plusieurs autres remarques du grand observateur. La comète, nous dit-il, était très-visible dans le télescope, le 21 février 1808 ; or, ce jour-là, sa distance au Soleil s'élevait à 2.7 foisle rayon moyen de l'orbite de la Terre; son éloignement de lob- servateur était 2.9 : « Quelle probabilité y aurait-il que des rayons allant, à de telles distances, du Soleil à la comète, pussent, après leur réflexion, être vus par un œil près de trois fois plus éloigné de la comète que du Soleil? » Des appréciations numériques auraient seules donné de la valeur à une pareille argumentation. En se bornant à un raisonnement vague, Herschel ne s'est pas même aperçu qu’il commettait une grave erreur en ayant l'air de faire entrer la distance de la comète à l’observateur comme un élément de visibilité. Si la comète est lumi- SZ. HERSCHEL. 425 neuse par elle-même, son éclat intrinsèque (son éclat sur l'unité de surface) restera constant à toute distance, tant que l’angle sous-tendu sera sensible. Si l’astre brille d’une lumière empruntée, son éclat ne variera qu’à raison du changement de distance au Soleil; l'éloignement de l'ob- servateur n’apportera non plus aucune altération à la visi- bilité; toujours, bien entendu, avec la restriction que le diamètre apparent ne descende pas au-dessous de cer- taines limites. Herschel terminait ses observations d’une comète qui était visible en janvier 1807, par cette remarque : « Sur les seize comètes télescopiques que j'ai exami- nées, quatorze n’avaient aucun corps solide visible à leur centre; dans les deux autres il existait une lumière cen- trale, très-mal terminée, qu'on pouvait bien peut-être appeler un noyau, mais assurément cette lumière ne mé- ritait pas le nom de disque. » | La belle comète de 1811 devint l’objet d’un travail consciencieux du célèbre astronome. De grands télescopes lui montrèrent au milieu de la tête vaporeuse de l’astre un corps un peu rougeâtre, d'apparence planétaire, qui supportait de très-forts grossissements, et ne présentait aucune trace de phase. Herschel en conclut que ce corps était lumineux par lui-même. Quand on songe cependant que le corps planétaire dont il s’agit n’avait pas une seconde de diamètre, l’absence de phase paraît un argu- ment peu démonstratif. La lumière de la tête avait une teinte vert bleuâtre. Cette teinte était-elle réelle, ou bien le corps central rougeâtre colorait-il seulement par voie de contraste les #26 HERSCHEL. vapeurs environnantes? Herschel n'examina pas la ques- tion de ce point de vue, La tête de la comète semblaït enveloppée à aidés: du côté du Soleil, d’une zone brillante, étroite, embras- sant à peu près un demi-cercle, ét dont la couleur était fortement jaunâtre. Des deux extrémités du demi-cercle partaient, vers la région opposée au Soleil, deux longs sillons lumineux qui limitaient la queue. Entre le demi- anneau circulaire brillant et la tête, la matière cométaire semblait obscure, très-rare, très-diaphane. Le demi-anneau lumineux présenta toujours'les mêmes apparences dans toutes les positions de la comète: il n'était donc pas possible de lui attribuer en réalité la forme ‘annulaire, la forme de l'anneau de Saturne, par exemple. Herschel chercha si une demi-enveloppe sphé- rique de matière lumineuse, et cependant diaphane, ne conduirait pas à une explication naturelle du phénomène. Dans cette hypothèse, les rayons visuels qui, le 6 octobre 4811 , prenaient l’enveloppe par la tranche, ou presque tangentiellement, traversaient une épaisseur de matière de 399,000 kilomètres, tandis que les rayons visuéls voisins de la tête de la comète n’en rencontraient que 80,000 kilomètres. L’éclat devant être proportionnel à la quantité de matière traversée, il ne pouvait manquer d'y avoir en apparence, autour de l’astre , un demi-anneau cinq fois plus lumineux que les régions centrales. Ce demi-anneau était donc un effet de projection, et il nous _a dévoilé une circonstance vraiment remarquable-dans la constitution physique des comètes. Les traits lumineux qui dessinaient la queue à ses deux HERSCHEL. 427 limites, s'expliquent de la même manière : la queue n’était pas plate comme elle le paraissait; elle ‘avait la forme d’un conoïde, avec des parois d’une certaine épaisseur. Les lignes visuelles qui traversaient ces parois presque tangentiellement rencontraient évidemment beaucoup . plusde matière que les lignes visuelles passant au tra- vers. Ge maximumde matière ne pouvait manquer de se traduire en un maximum d'éclat. Le demi-anneau lumineux flottait; il semblait un jour suspendu ‘dans l'atmosphère diaphane dont la tête de la comète était entourée, à une distance du noyau de 518,000 kilomètres. Cette distance ne fut pas constante, La matière du demi-anneau enveloppe parut même se précipiter petit à petit à travers l’atmosphère diaphane; à la longue elle atteignit le noyau; les premières apparences s’évanoui- rent; la comète n’était plus qu’une nébuleuse globulaire, Pendant sa période de dissolution, l’anneau parut quelquefois avoir plusieurs branches. Les filets lumineux de la queue semblaient éprouver des variations de longueur fréquentes, considérables, rapides. Herschel y vit des indices d’un mouvement de rotation de la comète et de sa queue. Ce mouvement de , rotation transportait des filets inégaux du centre au bord et réciproquement. En regardant de ‘temps en temps la même région de la queue, le bord, ‘par exemple, on devait apercevoir des changements de longueursensibles, et qui cependant n’avaient rien de réel. Herschel croyait, comme je l'ai déjà dit, que la :bélle comète de 1811 et celle de 1807 étaient lumineuses par 428 HERSCHEL. elles-mêmes, La seconde comète de 1811 ne lui semblait briller que d’une lumière empruntée, Il faut l'avouer, ces conjectures ne reposaient sur rien de démonstratif, En comparant attentivement la comète de 1807 et la belle comète de 1811, sous Je point de vue des change- ments de distance au Soleil et des modifications qui en furent la conséquence, Herschel a mis hors de doute que ces modifications ont quelque chose d’individuel, de relatif à un état spécial de la matière nébuleuse. Sur tel astre, les changements de distance produisent d'énormes effets, sur tel autre les modifications sont insignifiantes. TRAVAUX D'OPTIQUE. Je dirai très-peu de mots des découvertes qu’'Herschel a faites en physique. Tout le monde, en effet, les connaît. Elles ont passé dans les traités spéciaux, dans les ouvrages élémentaires, dans l’enseignement; on doit les considérer comme le point de départ d’une multitude de travaux importants dont les sciences se sont enrichies depuis quel- ques années. La principale de ces découvertes est celle de la cha- leur rayonnante obscure qui se trouve mêlée à la lumière. En étudiant les phénomènes, non plus avec l'œil, comme Newton, mais avec un thermomètre, Herschel a découvert que le spectre solaire se prolonge, du côté du rouge , bien au delà des limites visibles. Le thermomètre montait plus, quelquefois, dans cette région obscure qu’au milieu des zones brillantes. La lumière du Soleil renferme donc, outre les rayons colorés si bien caracté- HERSCHEL. 429 risés par Newton, des rayons invisibles, moins réfran- gibles encore que le rouge, et dont le pouvoir échauffant est très-considérable. Un monde de découvertes est venu se grouper autour de ce premier fait. La chaleur obscure émanant des objets terrestres plus _ou moins échauffés, devint aussi l’objet des investigations d'Herschel. Son travail contenait les germes d’un bon nombre de très-belles expériences qui ont été faites de nos jours. En plaçant successivement les mêmes corps dans toutes les parties du spectre solaire, Herschel détermina les facultés éclairantes des divers rayons prismatiques. Le ré- sultat général de ces expériences peut être énoncé ainsi : La faculté illuminante des rayons rouges n’est pas très- grande; celle des rayons orangés la surpasse, et est sur- passée à son tour par la faculté des rayons jaunes. Le maximum d’éclairement est entre le jaune le plus vif et le vert le plus pâle. Le jaune et le vert jouissent de ces propriétés au même degré. Une semblable assimilation peut être établie entre le bleu et le rouge. Enfin, le pou- voir éclairant de l’indigo et surtout du violet sont très- faibles. Les Mémoires d’Herschel sur les anneaux colorés de Newton renferment une multitude d’expériences exactes, qui, toutefois, ont peu contribué à faire progresser la théorie de ces curieux phénomènes. J'apprends de bonne source que le grand astronome en portait le même juge- ment. C'était, disait-il, la seule fois qu'il dût regretter d’avoir, suivant sa constante méthode, publié des travaux au fur et à mesure de leur exécution. 430 BRINKLEY. BRINKLEY La vie scientifique-de Join Brinkley, correspondant de l’Académie des sciences de l'Institut de France, s’étant passée presque tout entière à Dublin, on croit générale- ment que ce grand astronome était Irlandais; maïs c’est une erreur : Brinkley naquit de parents anglais en 1763, à Woodbrige (Suflolk). Il fit ses études au Caïus college de Cambridge, où d’éclatants succès le signalèrent de bonne heure à l’attention des amis des sciences. Dans un concours pour la plus haute dignité universitaire qui puisse être accordée aux élèves, celle de senior wrangler, il lPemporta sur tous ses concurrents, au nombre desquels se trouvait Malthus, devenu depuis si célèbre par le grand ouvrage sur la population. Pourvu bientôt après d’un fellowship, Brinkley se livra avec ardeur à l’enseigne- ment, dans ce même Caïus college, dont il avait, comme élève, augmenté la renommée. En quittant Cambridge il alla occuper, à l’Université de Dublin, la chaire d'astronomie devenue vacante par la mort de Uscher. Les archives de l'Observatoire , les Mémoires de l’Académie d'Irlande, les Transactions de la Société royale de Londres, ont recueilli les fruits pré- cieux de son zèle infatigable, Dans chacun des écrits de Brinkley on trouve l’historien fidèle, l'ami sincère de la vérité, l’observateur exact, le profond mathématicien, Également fiers du savoir et du caractère d’un tel col- lègue, les académiciens irlandais le placèrent à leur tête, avec le titre de président perpétuel, Dans l’année 4827, BRINKLEY. 431 le gouvernement lui-même donna à Brinkley la plus haute marque de confiance : il le nomma évêque protestant de Cloyne: Ce siége épiscopal avait déjà été occupé par un homme célèbre, par le métaphysicien Berkeley, Ses revenus: sont très-considérabless On dut certainement regretter que Brinkley consentit à échanger contre des biens périssables attachés à la dignité ecclésiastique, les découvertes scientifiques qui attendaient dans sa pre- mière carrière; en tous cas, aucun de ceux qui le con- naïissaient ne lui fit l’injure de voir dans son acceptation autre chose qu’un acte de conscience, À partir du jour où il fuë revêtu de l’épiscopat, l’homme dont toute la vie avait été consacrée jusque-là à la contemplation du firma- ment et à la solution des questions sublimes que recèlent les mouvements des astres, divorça complétement avec ces douces, avec ces entraînantes occupations, pour se livrer sans partage aux devoirs de sa charge nouvelle. Afin d'échapper, je suppose, à la tentation, l’ex-directeur de PObservatoire royal d'Irlande, l’ex-andrew’s professor d'astronomie de l’Université n’avait pas même dans son palais la plus modeste lunette. On doit la révélation de ce fait presque incroyable, à l’indiscrétion d’une personne qui s'étant trouvée chez l’évêque de Cloyne un jour d’éclipse de Lune, eut le déplaisir, faute d'instruments, de ne pouvoir suivre la marche du phénomène qu'avec ses yeux. Brinkley est mort à Dublin, le 13 septembre 1835, à l’âge de soixante-douze ans. Ses restes inanimés ont été suivis avec le plus profond recueillement par toutes les personnes consacrées à l’étude que renferme la capi- 432 BRINKLEY. tale de l'Irlande ; on les a déposés dans la chapelle de l'Université. Le catalogue bibliographique suivant fera, je l’espère, suffisamment apprécier l’astronome, le pro- fesseur, le géomètre. Quant à l'homme moral, pourrais-je rien dire de plus significatif que ces simples paroles d’une lettre qui m'a été adressée par un de ses compatriotes : «Je ne pense pas que jamais personne ait été plus uni- versellement regretté. J’ose affirmer que Brinkley n’avait pas un seul ennemi! Brinkley habitait cependant cette malheureuse Irlande, foyer de tant de passions ardentes, de tant de haines implacables, de tant de cruelle smisères! » L'Académie des sciences de Paris avait voulu se l’atta- cher en le nommant correspondant en 1820. DÉMONSTRATION GÉNÉRALE DU THÉORÈME DE COTES, DÉDUITE DES SEULES PROPRIÉTÉS DU CERCLE. — (Lu à l’Académie d'Irlande le 4 novembre 1797; imprimé dans le VII volume des 7ran- sactions of the Royal Irish Academy.) Les démonstrations du théorème de Cotes données par Moivre, par Maclaurin, etc., reposaient sur les propriétés de l’hyperbole et sur l’emploi de quantités imaginaires. Brinkley, comme le titre de son Mémoire l'indique, a eru devoir essayer d’arriver au même théorème en ne faisant usage que des propriétés du cercle. Sa démonstration n'occupe que quatre pages. BRINKLEY. 433 MÉTHODE QUI CONDUIT, QUAND CELA EST POSSIBLE, À LA VALEUR D'UNE VARIABLE EN FONCTION DE PUISSANCES ENTIÈRES D’UNE SECONDE VARIABLE ET DE QUANTITÉS CONSTANTES, LES DEUX VARIABLES ÉTANT LIÉES ENTRE ELLES PAR DES ÉQUATIONS. DON- NÉES. — DOCTRINE GÉNÉRALE DU RETOUR DES SUITES, DE LA DÉTERMINATION APPROCHÉE DES RACINES DES ÉQUATIONS ORDI- NAIRES ET DE LA RÉSOLUTION EN SÉRIES DES ÉQUATIONS DIF- FÉRENTIELLES. — (Lu le 3 novembre 1798 à l’Académie de Dublin; imprimé dans le VII* volume des Transactions of the Royal Irish Academy.) Le but de l’auteur est précisément celui qu’Arbogast se proposa dans son Calcul des Dérivations. Les deux ouvrages ont été publiés à la même date; ainsi aucune discussion de priorité ne pourrait s'élever. Au surplus, si l’objet est le même, les procédés sont différents. Brinkley y attache une importance toute particulière aux théo- rèmes qu’il a trouvés pour déterminer les différentielles des divers ordres per saltum, c’est-à-dire sans passer par la série des différentielles des ordres moins élevés. Pour rendre les avantages de sa méthode évidents, il l’applique à un grand nombre de problèmes déjà traités par d’autres géomètres. SUR LES ORBITES QUE LES CORPS DÉCRIVENT QUAND ILS ÉPROU= VENT L'ACTION D'UNE FORCE CENTRIPÈTE DONT L’INTENSITÉ VARIE SUIVANT UNE PUISSANCE QUELCONQUE DE LA DISTANCE. — (Lu à l’Académie royale d’Irlande le 9 mars 1801 ; imprimé dans le tome VIII de ses Transactions.) Ce mémoire peut être considéré comme un très-bon commentaire des vin‘ et 1x° section du premier livre des Principes. Brinkley y signale les erreurs que Frisi et Wal- mesley avaient commises en traitant la question si délicate TEL, — int, 28 434 BRINKLEY. du mouvement des apsides. Il ne fait pas encore usage de la notation leibnitienne des différentielles. dm. | SUR LA DÉTERMINATION D'UN NOMBRE INDÉFINI DE PORTIONS DE SPHÈRE, DONT LES SUPERFICIES ET LES VOLUMES SONT EN MÊME TEMPS ASSIGNABLES ALGÉBRIQUEMENT. — (Lu le 2 novembre 1801 à l’Académie de Dublin; imprimé dans le vol. VII des Irish Transactions.) ‘ Le célèbre problème que Viviani proposa en 4692, avait pour objet la détermination d’une certaine portion de la surface de la sphère, ou si l’on veut d’une certaine étendue de. voûte à forme sphérique, dont la superficie devait être exactement assignable. Dans un Mémoire qui fait partie de la collection de Pétersbourg pour l’année 1769, Euler traita une seconde question, celle de la voûte cubable. Bossut remarqua plus tard (voyez Mémoires de l'Institut, t. 11) que la construction de Viviani pour la voûte hémisphérique quarrable, donne en même temps une solution du problème de la voûte hémisphériqué cubable. Dans le Mémoire dont on vient de lire le titre, Brinkley établit qu’on peut obtenir un nombre indéfini de portions de sphère qui soient à la fois quarrables ‘et cubables. Le théorème de Bossut est un cas particulier de la solution générale donnée par le géomètre de Dublin. EXAMEN DES DIFFÉRENTES SOLUTIONS QUI ONT ÉTÉ DONNÉES \DU PROBLÈME DE KEPLER; INDICATION D'UNE ÆRÈS-COURLE SOLU- TION PRATIQUE DU MÊME PROBLÈME. — (Lu à l’Académie d'Ir- lande le 4° novembre 14802 ; imprimé dans le IX° volume des Transactions of the Royal Irish Academy.) Le problème de Kepler a pour objet la détermination de la position elliptique d’une planète, d’après la con- BRINKLEY. L35 naissance de sa position moyenne et de l’excentricité de l'orbite. Ce problème n’est pas susceptible d’une solution rigoureuse. La solution approchée est contenue dans une série que les géoimètres ont poussée assez loin et qui se | déduit des équations fondamentales du mouvement ellip- tique. Avant que cette série n’eût été trouvée, on arrivait . au but par des méthodes indirectes, fort ingénieuses et plus ou moins exactes. Parmi ces méthodes, il faut distinguer d’abord celle de Kepler lui-même; ensuite les méthodes si célèbres de Seth Ward; de Boulliaud, de Mercator, lesquelles, à proprement parler, n'étaient pas des déductions de la loi des aires, mais se fondaient sur des hypothèses dont la fausseté ne fut bien établie que par la découverte de la cause physique des mouvements célestes, car elles répréséntaient les anciennes observa- tions des planètes, avec une précision vraiment remar- quable. En suivant l’ordre des dâtes, oh passe de Mercator aux deux procédés donnés par Newton dahs Vimmortel ouvrage des Principes mathématiques de phi- losophie naturelle, ét bientôt après à teux dé Jaëques Cassini, de Lacaillé, dé Thomas Simpson, de Mathiëw Stewart. Brinkley étudie ces diverses méthodes, les appro- fondit, les compare-entre elles, en apprécie l'exactitude. Un ouvrage d’astronomie, dans lequel l’auteur -parcout- rait toutes les questions importantes avec le même soin. aÿec la même clarté, serait véritablement sans prix. 436 BRINKLEY. THÉORÈME SERVANT A TROUVER LA SURFACE D'UN CYLINDRE OBLIQUE À BASE CIRCULAIRE, SUIVI DE SA DÉMONSTRATION GÉOMÉTRIQUE. (Lu à l’Académie de Dublin le 20 décembre 1802; imprimé dans le IX° volume des risk Transactions.) Le théorème élégant donné et démontré par Brinkley dans ce Mémoire, peut s’énoncer ainsi : La surface d’un cylindre oblique à base circulaire, est égale à celle d’un rectangle dont un côté serait le dia- mètre de cette base et l’autre côté la circonférence d’une ellipse ayant pour axes la hauteur verticale du cylindre et la longueur de ses arêtes, RECHERCHE DU TERME GÉNÉRAL D'UNE SÉRIE QUI EST TRÈS-IMPOR- TANTE DANS LA MÉTHODE INVERSE DES DIFFÉRENCES FINIES. — (Lu à la Société royale de Londres le 26 février 1807 et in- séré dans le volume des Transactions philosophiques de la même année.) L'auteur s'occupe des théorèmes sur les différences finies que Lagrange donna dans le volume de l’Académie de Berlin pour l’année 1772 et qui furent ensuite démon- trés par Laplace. Ce beau Mémoire n’est pas connu, ce me semble, des géomètres du continent autant qu’il le mérite, On en trouve cependant quelques extraits dans le le troisième volume du grand et excellent ouvrage de Lacroix. SUR LA SOLUTION QUE NEWTON À DONNÉE DU PROBLÈME QUI CON- SISTE À TROUVER QUELLE RELATION DOIT EXISTER ENTRE LA RÉSISTANCE ET LA GRAVITÉ POUR QU'UN CORPS DÉCRIVE UNE COURBE DONNÉE. — (Lu le 25 mai 1807, à l'Académie de Du- blin ; imprimé dans le XI° volume des /rish Transactions.) La solution de ce problème, publiée dans la première BRINKLEY. 437 édition des Principes, était certainement inexacte ; mais les plus grands géomètres, les Nicolas Bernoulli, les Lagrange, etc., ne se sont pas accordés quand il a fallu dire en quoi consistait véritablement l'erreur de Newton. Indiquer nettement, sans ambiguïté, la source de cette erreur, tel est le principal objet que Brinkley s’est pro- posé dans le Mémoire dont on vient de lire le titre. RECHERCHES RELATIVES AU PROBLÈME DANS LEQUEL ON SE PRO- POSE DE CORRIGER LES DISTANCES APPARENTES DE LA LUNE AU SOLEIL OU AUX ÉTOILES, DES EFFETS DE LA PARALLAXE ET DE LA RÉFRACTION. — SOLUTION FACILE ET CONCISE DE CETTE QUESTION. — (Lu le 7 mars 1808 à l’Académie de Dublin ; im- _ primé dans le XI° vol. des Zrish Transactions.) La recherche de la correction de la distance observée exige, suivant les cas, des attentions minutieuses dont les marins sont quelquefois embarrassés. Au contraire, le calcul direct de la distance réduite s’effectue toujours de la même manière. Par ce motif, c’est le calcul direct que Brinkley se propose. Sa méthode est simple et très-expéditive. MÉMOIRE CONCERNANT LA PARALLAXE ANNUELLE DE CERTAINES ÉTOILES. — (Lu le 6 mars 1813 à l’Académie de Dublin; im- primé dans le XIT° volume des Zrish Transactions.) Douze mois d'observation conduisent Brinkley aux parallaxes suivantes : « do lAigle. 5. as 3.0 de. rer nd Lo caca iyrer.: ir. LS a -du-Cygnesss ss. oc. 0,9 y du Dragon passe au méridien une demi-heure seule- 438 BRINKLEY, ment avant, la Lyre. La différence de hauteur de ces. deux étoiles n’est pas tout à fait de 13°. La cause, quelle qu'en fût la nature, qui rendrait les observations, de la Lyre inexactes et donnerait à cette étoile une apparence: de parallaxe, semblerait. devoir produire, le même effet sur y du, Dragon; or, les observations que, Brinkley a faites ne conduisent à aucune parallaxe appréciable. : RECHERCHES ANALYTIQUES SUR LES RÉFRACTIONS ASTRONOMIQUES; COMPARAISON DES TABLES QUI EN RÉSULTENT, AVEC LES. OBSER- | VATIONS DE QUELQUES ÉTOILES CIRCOMPOLAIRES, — (Lu le 9 mai 1814 à l’Académie de Dublin; imprimé dans le tome XII° des Transactions of the Royal 0m à Academy.) Brinkley obtient l'équation différentielle de la trajec- toire du rayon lumineux, telle que Laplace la donnée dans la Méeanique céleste, mais en partant seulement de. la-loi des sinus, et sans. recourir à la considération des attractions moléculaires. à petites. distances, Il-trouve à. cela, dit-il, l’avantage de ne rien: supposer sur la nature de la lumière. Cet avantage, en le supposant réel, n’est pas, ce me semble, de longue durée, car bientôt: l'au- teur introduit dans ses formules, une expression 4? —1 à laquelle la force réfractive de l'air doit être propor- tionnelle : or, cette expression n’a un sens que dans la théorie de l'émission ! L'intégrale de Brinkley a une forme commode. Des deux parties qui la composent, la première donnerait la valeur de la réfraction si la Terre était plane; la seconde fait connaître l’effet de la courbure. des couches atmo- A 0 On pe ainsi- mpcment que aus 74° du rt reves BRINKLEY. l’autre est indépendante de la loi de la densité de l’«1r. Les erreurs des tables de réfraction du Burezu de’ Longitudes, d’après les observations de la Lyre faces par Brinkley à 87° 42’ du zénith, varient entre + 187.2 et — 17/.h. SUR LES OBSERVATIONS FAITES AU COLLÉGE DE LA TRINITÉ À DUBLIN, AVEC UN CERCLE DE 2".40 DE DIAMÈTRE, ET QUI SEMBLENT INDIQUER UNE PARALLAXE ANNUELLE DANS CERTAINES ÉTOILES. — (Lu à l’Académie d'Irlande le 9 mai 1814; im- primé dans le XII° volume des Transactions of the Royal Irish Academy.) Brinkley trouve pour la parallaxe annuelle (en appe- Jant ainsi l'angle sous-tendu à chaque étoile par le rayon de lorbite terrestre) les résultats suivants : OO PAR... use cc 2 nr LANCE re er : ff a de la Lyre.….... Ai. 0x 4 1.0 a ou CEEDE... .... cor LR Ces résultats n’ont pas été généralement adoptés. On a supposé que les changements de température pouvaient occasionner quelque déformation dans l'instrument de Dublin. A cela ou à toute autre cause semblable, Brinkley fait une réponse qui semble démonstrative; il montre que les observations de la Chèvre, de & du Taureau, de la Polaire, du y du Dragon, de B,€,n, de la Grande- Ourse, faites avec le même cercle, ne donnent pas de parallaxe; or pourquoi la déformation, par exemple, n'aurait-elle agi que sur les observations. des quatre pre- mières étoiles ? 440 BRINKLEY. RECHERCHES D’ASTRONOMIE PHYSIQUE PRINCIPALEMENT RELATIVES A LA DÉTERMINATION DU MOYEN MOUVEMENT DU PÉRIGÉE LU- NAIRE. — (Lu le 21 avril 1817 ; imprimé dans le volume XII des Transactions of the Irish Academy.) En traitant séparément la question du déplacement des apsides de la Lune, l’auteur espère rendre ce phéno- mène plus facile à saisir qu’il ne l’est dans les théories générales qu’on a données du mouvement de notre satel- lite. Son but est aussi d'arriver au résultat, sans rien emprunter ni à la forme préconçue des intégrales, ni aux observations. Pour faire apprécier nettement sa pensée, Brinkley cite un passage du livre vu de la Mécanique céleste, dont il est bien loin de nier l’exactitude, maïs où il croit voir dans la forme une sorte de cercle vicieux. A l’occasion de ce Mémoire dans lequel, pour le dire en passant , la notation de Leïbnitz a entièrement remplacé celle des fluxions, Brinkley reçut de l’Académie royale d'Irlande la médaille de Conyngham. OBSERVATIONS RELATIVES À LA FORME DES QUANTITÉS CONSTANTES ARBITRAIRES QU'ON RENCONTRE DANS L'INTÉGRATION DE CER- TAINES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES, COMME AUSSI DANS L’IN- TÉGRATION DE CERTAINES ÉQUATIONS AUX DIFFÉRENCES FINIES. — (Lu le 23 juin 1817 à l’Académie de Dublin; imprimé dans le tome XILI° des Zrish Transactions.) Les cas exceptionnels qu’offrent diverses intégrales, quand on donne certaines valeurs particulières aux con- stantes qu’elles renferment, ont excité les méditations des géomètres. Brinkley traite à son tour ce sujet, en s'appuyant sur des considérations qui lui semblent plus rigoureuses que celles dont Lagrange avait fait usage. BRINKLEY. Au SUR LA PARALLAXE DE CERTAINES ÉTOILES. — (Lu à la Société royale de Londres, le 5 mars 1818; imprimé dans les Tran- sactions philosophiques de la même année. ) * Les observations faites à Greenwich, par M. Pond, _ avec le cercle mural de Troughton, n'ayant pas confirmé, quant à la parallaxe, les résultats déduits des observa- tions du grand cercle mobile de Dublin, Brinkley se livre, dans ce Mémoire, à un examen minutieux de toutes les erreurs auxquelles les cercles muraux exposent les astronomes. C’est pour le fond et pour la forme, un modèle de discussion. Le mémoire renferme, en outre, de nouvelles déterminations de parallaxes basées sur l'ensemble des observations faites à Dublin, de 1808 à 1818. Brinkley trouve : Pour « de la Lyre......... 0.66 Pour « du Cygne.......... 0.78 Pour « de l’Aigle.......... 2.53 Pour + du Dragon..... 4 .,10":00 (J’appelle toujours parallaxe, l’angle sous-tendu par le rayon de l'orbite terrestre, ) RÉSULTAT DES OBSERVATIONS FAITES A L'OBSERVATOIRE DU COL- LÉGE DE LA TRINITÉ, À DUBLIN, POUR DÉTERMINER L'OBLIQUITÉ DE L’ÉCLIPTIQUE ET LE MAXIMUM DE L'ABERRATION DE LA LU- MIÈRE. — (Lu à la Société royale de Londres, le 1% avril 14819; imprimé dans les Transactions philosophiques pour la même année. ) D’après 16 solstices d'été observés par MM. Oriani, Pond, Arago, Mathieu, et par lui-même, l’auteur trouve, pour lobliquité moyenne de l’écliptique, À la date du 4° janvier 1813..... 23° 27’ 50.45. 442 BRINKLEY. Les observations de Bradley, recalculées “gi M. Bessel, et pe 2 ni | | Au 1% janvier 4755, donnent... 23° 28° 15.49 Diminution en 58 ans.......... 25.04 Diminution ammuelle......,..... 0".43 | Les observations de distances zénithales faites en 1818, ont conduit Brinkley, pour le maximum d aberration , J aux valeurs suivantes : a de Cassiopée....... RE Ve à de TNT | 20.72 POPRTON des fosse dr EE eee Re On 1 Grand6-Dénsei ait Li. OJI01. 0. AOL L:). ON 14, in Venere ontears à Le mt 2 Een annanas viens gx vW4:e dis …… 21.20 Pa FRE EN, DU, SON BERIEERERR 20.15 El. .aihelt. éaaiol ARCS Va ent oer M.12 Moyenne..... 20.72 Les observations de Bradley, faites à Wandstead avec un secteur zénithal, donnèrent. ....... 20.00 Les observations de Bradley, faites à Green- wich, recalculées nouvellement, ont donné à M. Bessel........ oise dei dut «FREE 20.70 D’après la vitesse de la lumière déduite des sa- tellites de Jupiter, on adoptait généralement. 20.25, MÉTHODE SERVANT A CALCULER LES RÉFRACTIONS ASTRONOMIQUES: POUR DES OBJETS VOISINS DE L’HORIZON. — ( Lu à l’Académie de Dublin, le 47 janvier 4820 ; imprimé dans le XIH° volume des Zrish Transactions.) On admet généralement que la valeur de la réfraction astronomique qu'éprouve la lumière venant des: objets voisins de. l'horizon, est comprise entre la réfraction théorique calculée dans lhypothèse. d’une: température: constante des couches de l’atmosphère, et celle que l'on BRINKLEY. 443. obtient en partant de la supposition d’un décroissement uniforme de densité. En rejetant la constance de la tem- pérature, M. Bessel a cherché et trouvé la loi qu'il fallait lui substituer pour représenter les observations. Brinkley, à son tour, essaie d'arriver au même but par une modi- fication de la loi des densités. Les différences entre le calcul et les observations journalières sont trop grandes, trop irrégulières, pour qu’il puisse être question ici d'autre: chose que de résultats moyens. MÉTHODE SERVANT À CORRIGER LES PREMIERS ÉLÉMENTS APPRO- GHÉS. DE: L'ORBITE D'UNE COMÈRE, — APPLICATION DE GETTE MÉTHODE À LA COMÈTE DU MOIS DE JUILLET 1819. — (Lu à l’Académie d'Irlande, le 17 avril 1820; imprimé dans le vol. _XHe des Zrish Transactions.) La méthode de correction de Brinkley, est une modi- fication, ou, si on l’aime mieux , un perfectionnement de celle que Laplace a donnée dans la Mécanique céleste. DISCUSSION DES OBSERVATIONS FAITES À DUBLIN, DEPUIS LE COM- MENCEMENT DE 1818, DANS LA VUE DE DÉTERMINER LA PARAL- LAXE, DE CERTAINES ÉTOILES ET LA CONSTANTE, DB L’ABERRA- TION. — (Lu à la Société royale de Londres, le 21 juin 1821; imprimé dans les Phüosophical Transactions de la même. année.) L'auteur se montre si.vivement contrarié du.désaccord, d’ailleurs si petit, de ses observations avec celles de Greenwich, qu’il les multiplie, les groupe. et, les, discute de toutes les manières. possibles, avec l'espérance d'y trouver quelque erreur ; mais ses efforts ne font jamais disparaître les petites parallaxes. Voici les résultats nu- mériques de ce nouveau travail : 444 BRINKLEY. Constante de l’aberration. Parallaxe. Polaifes 120 ss 50.400 55 80" AS. PRIS 0708 B de la Grande-Ourse..... 20:16... 3,2 .. + 0.02 y — FOURS, à GNT. BEA SE + 0.39 € — PIRE 7: LEA | + 0.33 4 — soc DOS hi ni _ + 0.28 1 — dés dot M Vus + 0.13 ACTUS: 308 5 à 00 20 +0 ess 20 040368 + 0".60 B de la Petite-Ourse....... 20”.49...... — 0.13 a d'OphiuChus, . ... je. + 62 2 Ad: 2 + 17.57 y du DrAgON..........00. 19:86. : . — 0.08 a de la Lyre... SJSSAUX 7520786 .37. 4: + 17.21 Œ OO TAG ss ss ocscoveoce, ALORS CON ONE ose + 0.33 «N’est-il pas curieux, dit l’auteur, si mes parallaxes sont une illusion, qu’il ne s’en soit présenté aucune d’un peu grande avec le signe négatif; que les distances zéni- _thales, s’il y a erreur, aient toujours varié, comme l'exige le mouvement de translation de la Terre autour du Soleil. » LA ÉLÉMENTS DE LA COMÈTE DU CAPITAINE HALL. — (Lu à la Société royale de Londres, le 10 janvier 1822; imprimé dans les Transactions philosophiques de la même année.) On trouve dans ce Mémoire les éléments d’une comète observée à Valparaiso par le capitaine Basil Hall. Cet astre, avant son passage au périhélie, avait déjà été aperçu en Europe. DE LA NUTATION SOLAIRE, DÉDUITE DES OBSERVATIONS DES DIS- TANCES POLAIRES DES ÉTOILES. — DE CETTE DÉTERMINATION CONSIDÉRÉE COMME UNE CONFIRMATION DES VALEURS ASSIGNÉES AUX PARALLAXES DE CERTAINES ÉTOILES FIXES. — (Lu à l'ACa- démie de Dublin, le 1° avril 1822; imprimé dans le XIV° volume des /rish Transactions.) L'objet de ce Mémoire est clairement indiqué dans ces quelques lignes, que je me contente de traduire : BRINKLEY. 445 « La nutation solaire, déduite de la théorie, est depuis longtemps appliquée par les astronomes à la correction des observations des distances polaires. Sa valeur est connue dans d’étroites limites, et son maximum, pour les distances polaires de toutes les étoiles, est d’environ 0.5. C’est moins, comme on voit, que les quantités auxquelles je suis arrivé pour les parallaxes de certaines étoiles. Si donc je parviens à déterminer la nutation solaire, il en résultera que mes observations sont assez exactes pour être employées à la détermination des plus petites quantités. « La nutation solaire passe, par toutes ses valeurs, deux fois dans l'intervalle d’une année. Il semble donc impossible d'admettre qu’une cause d’erreur qui altére- rait mon instrument de manière à donner des appa- rences de parallaxes à des astres qui en seraient dépour- vus, puisse conduire à une détermination exacte de la nutation solaire. » Voici quelques-uns des résultats obtenus par Brinkley : Astres observés Nutation Constante solaire. de l’aberration. Parallaxe. a de la Lyre..... dés à 0.51 20.35 + 0.57 y du Dragon......... 0.42 19.74 — 0.03 n de la Grande-Ourse. 0.58 20.68 + 0.10 a du Cygne.......... 0.56 20.31 + 0.50 Arcturus. ..... ésoai 2120 586 19.81 + 0.44 a de l’Aigle.......... 0,96 21.19 + 41,73 Les valeurs inexactes de la nutation solaire et de la constante de l’aberration données par les observations de « de l’Aigle, déterminent Brinkley à ajourner toute conclusion sur la parallaxe de cette étoile, - 446 BRINKLEY. SUR LES DISTANCES POLAIRES DES PRINCIPALES ÉTOILES FIXES. us (Lu à la Société royale dé Londres, le 48 décembre 4893; imprimé dans les Transactions ghilosophiques de 482%:) M. Pond avait tiré de la comparaison de ses deux catalogues de 1813 et de 18923, la conséquence que toutes les étoiles ont, plus ôù moins, Un iniouvemert dirigé vers le sud. Brinkley ne croyait pas à ce mouve- ment, dans le Mémoire dont je viens de transorire lé titre; il combat les idées de M. Pond, ‘oit d'après ses propres observations, soit en employant celles des secteurs zénithaux de Wanstead (Bradley), de "Sthe: hallien (Maskelyne) , de Dunnose ane du ph rs ( Lambton ). REMARQUES SUR LÀ PARALLAXE DE & DE LA LYRE. — {tu à la Société royale de Londres, le 11 mars 18%; imprimé dans les Transactions philosophiques de la mêèmé année.) M. Pond avait déduit de la comparaison des 6bserva- tions de Greenwich avec celles de Dublin, la conséquence que les cerclés mobiles sont des instruments moins éxacts que les cercles muraux. Brinkley soutient l'opinion con- traire. RÉSULTATS DE L’APPLICATION QUI A ÉTÉ FAITE DU COLLIMATEUR FLÔTTANT DU CAPITAINE KATER, AU CERCLE ASTRONOMIQUE DE L'OBSÉRVATOIRE DE DUBLIN. — (Lü à la Société royale dé bon= dres, le 27 avril 4896; imprimé dans les 7ransactions phie losophiques de la même année. ) | Dans ce Mémoire, Brinkléy se propose de prouver que l'instrument du capitaine Kater est susceptible d’une beaucoup plus grande exactitude que les astrünomes et les artistes n’ont semblé disposés à le croire: . GAMBART. 447 ÉLÉMENTS D'ASTRONOMIE, 1 Vol. in:8° de 328 pages. — (La première édition est de 1813; la seconde est de 1819.) Ces éléments sont le résumé des lecons d'astronomie professées à l’Université de Dublin, où Brinkley occupa pendant de longues années la chaire fondée par Andrew. On comprendra aisément que l’auteur n’a pas pu avoir la prétention de donner un traité complet en 328 pages in-8°; qu’il a dû se borner à faire connaître l’esprit des méthodes; que beaucoup de questions ont été nécessai- rement négligées; mais tout ce que l’ouvrage renferme est remarquable par l'élégance et la clarté. À chaque ligne, on retrouve l’astronome également au fait des calculs et des observations. - Après avoir mentionné tant de travaux d’astronomie et de mathématiques pures, il eût été piquant d'ajouter à cette longue liste les titres de quelques Mémoires de botanique et de législation, Jai appris que Brinkley s'était livré à l'étude de ces deux sciences avec une pré- dilection toute particulière et de grands succès ; mais le temps ne m'a pas permis de rechercher s’il ‘existe dans les collections académiques quelque description de plante. ou quelque discussion de loi, sorties de la plume du célèbre astronome de Dublin. GAMBART Jean-Félix-Adolphe Gambart naquit à Cette (départe- ment de l'Hérault) én mai 1800, Son père, professeur 448 GAMBART. de navigation dans ce petit port de mer, avait eu, à peine ägé de treize ans, le bras gauche emporté par un boulet de canon, dans un des glorieux combats qui illustrè- rent le bailli de Suffren. Le jeune Adolphe n’en fut pas moins destiné au service de la marine. La Restauration le trouva, en 1814, sur l’escadre d'Anvers. Après le licenciement des équipages de vaisseaux , Gambart rejoi- nit son père au Havre. C’est là que, dans son zèle ardent pour l'avancement des sciences, Bouvard sut deviner ce qu’elles étaient en droit d'attendre d’une intelligence d'enfant peu commune, mais qu'aucune culture n’avait encore développée. Dès ce moment, notre confrère traita le jeune Gambart comme son propre fils; il Pappela à Paris, lui donna la table, le logement, et, ce qui était d’un prix inestimable , il l’initia, jour et nuit, aux calculs et aux observations astronomiques. Au bout de deux ans, Gambart était déjà un astronome consommé. En 1819, le Bureau des longitudes l’envoya à l'Observatoire de Marseille, avec le titre d’astronome-adjoint. Quatre ans après, il fut nommé directeur du même établissement, L'Observatoire de Marseille était à l’origine ( 1802) une dépendance du collége Sainte-Croix des Jésuites. En 1763, à la suppression de cet ordre religieux, il prit le nom d’Observatoire royal de la Marine. Maintenant il est sous la direction du Bureau des longitudes. Jusqu'à l’année 1821, cet établissement ne renfer- mait guère que des instruments médiocres; mais, plein de confiance dans le zèle et le savoir de Gambart, le Bureau des longitudes avait ajouté à l’ancienne collection une lunette méridienne de Gambey, un cercle répétiteur GAMBART. 449 du même artiste, une machine parallatique de Belet, une lunette achromatique de Lerebours, et tous les appareils désirables pour mesurer le temps. C’est avec ces puissants moyens que le nouveau directeur a pu faire les nombreuses et excellentes observations d’occul- tations d'étoiles ou d’éclipses de satellites de Jupiter qui ont été imprimées dans la Connaissance des Temps ou qui sont conservées aux archives du Bureau des Longitudes. La beauté du ciel méridional, les yeux pénétrants de M. Pons et surtout son zèle infatigable, avaient donné à l'Observatoire de Marseille une réputation européenne, Gambart comprit qu’il ne devait pas, même sous le point de vue spécial de la découverte des comètes, laisser déchoir l'établissement qui lui était confié. Lui aussi s’occupa donc de la recherche de ces astres probléma- tiques dont, comme tout le monde sait, aucun indice ne peut faire soupçonner l'apparition à l’avance, et qui par excessive faiblesse de leur lumière font souvent le dés- espoir des astronomes. Les efforts de Gambart dans cette branche si importante de la science, furent couronnés d’un tel succès, que de 1822 à 1834, il découvrit 13 co- mètes, savoir : En 1822, le 12 mai et le 16 juillet.......... 2 1824, le 6 janvier et le 97 juillet...,... 9 M: le: 29! mairie sur 1 1826, le 9 mars, le 16 août, le 28 octobre er 168 27 décémbre.......:...... l 1827, le 22 juin....... AT DE OMR f TE AL 2... 4 1832, le 19 juillet........... ECTS de 1 ii DU À 1, NEEDS IEEE SO ee - ILE, — y11, 29 450 GAMBART.,. _ Ces intéressantes découvertes ont été récompensées: à plusieurs reprises, par la médaille de Lalande, que l Aca- démie des sciences décerne ; par la médaille de la Société astronomique de Londres, et par celle dont la fondation récente est due au roi de Danemark. Quand il avait trouvé une comète, Gambart, quelles que fussent alors ses souffrances, ne se reposait sur personne du soin d’en étudier et d’en calculer la marche. Aussi le catalogue de ses découvertes est-il em même temps celui des orbites elliptiques ou paraboliques dont l'astronomie lui est redevable, Une grande facilité natu- relle et l'habitude, avaient amené le jeune correspondant de l’Académie des sciences à faire en quelques heures des calculs compliqués qui jadis eussent exigé plusieurs journées. Il était surtout devenu habile à reconnaître, sur un premier coup d'œil, si pendant son apparition tel ou tel astre se trouverait dans une de ces circonstances spéciales où les problèmes de position et de constitution physique se résolvent sans effort. C’est ainsi, par exemple, que sur la simple inspection des éléments de la comète découverte le 28 octobre 1826, il soupçonna qu’elle s’interposerait entre la Terre et le Soleil, Un calcul exact apprit ensuite que le passage sur le disque solaire s’opé- rerait, en effet, le 18 novembre, de 5 heures 26 minutes du matin, temps vrai, à 8 heures 38 minutes. Si des nuages privèrent malheureusement les astronomes du plaisir qu’ils auraient eu à faire une si curieuse observa- tion, si la science ne put enregistrer les importantes conséquences qu’on en aurait certainement déduites, notre reconnaissance n’en est pas moins acquise à celui GAMBART. 451 qui avait mis sur la voie d’une solution vainement atten- due depuis des siècles. Les observations minutieuses, recueillies par Gambart, sur la comète du 6 janvier 1824; sur l’époque de la for- mation d'une seconde queue de cet astre, laquelle parut constamment tournée du côté du Soleil; sur les légers changements de position que cette queue anomale éprouva relativement à la queue ordinaire; sur la loi de son affaiblissement, sur le temps de son entière disparition, doivent être précieusement conservées dans les archives de l’astronomie : ce seront, en effet, autant d'épreuves auxquelles il faudra soumettre les explications de ces étranges phénomènes, qui pourront être hasardées par des imaginations aventureuses, Toutefois, e’est dans les recherches de Gambart sur la troisième des comètes périodiques connues, sur celle dont la révolution s'opère en 6 ans 3/4, que nous trouverons le principal titre de cet astronome à la reconnaissance du monde savant, Sa part à la découverte de cette période est plus grande qu'on ne l’a reconnu jusqu'ici à l'étranger et même en France ; c’est du moins ce qui paraît résulter de la dis- cussion minutieuse à laquelle je vais me livrer, La comète dont il est question fut aperçue à Johan- : nisbérg, le 27 février 1826, par Biela, officier autri- chien; Gambart ne la vit à Marseille que dix jours après. La découverte de l’astre appartenait donc, sans contestation, à l'observateur allemand, Gambart calcula les éléments paraboliques de la comète d’après des observations qu’il avait faites lui-même entre le 9 et le 21 mars. Ces éléments, consignés dans une lettre 452 GAMBART. à Bouvard, en date du 22 mars, furent communiqués au Bureau des Longitudes le 29. La lettre de Gambart ren- fermait ce passage : | «Le rapport qui existe entre l'orbite à laquelle ces premières observations m'ont conduit et les orbites des comètes de 1772 et surtout de 1805, me paraît mériter l'attention des astronomes. Je considère comme à peu _ près certain que la comète de 1772 était la même. La révolution de 1805 à 1826 — 20 ans, ne satisfait point ; celle de dix ans n'irait point encore; mais avec trois révolutions de 1805 à 1826, vous satisfaites à l'intervalle de 4772 à 4805. Ce qu’il y a de bien remarquable en- core, c'est que M. Gauss, en 1805, trouvait une ellipse de 5 ans, et il prétendait que cette ellipse satisfaisait mieux qu'aucune parabole. L’ellipse que je demande est de 6,75. Voilà ce qui doit servir de base à mes recherches. » La lettre de Gambart, je l'ai déjà dit, est du 22 mars; _ sa communication au Bureau des Longitudes du 29. La communication à un corps académique a toujours été considérée comme une publication; ainsi, au 29 mars, Gambart avait publiquément établi, par des éléments paraboliques , que la comète de 1826 était très-probable- ment périodique, et que la durée de la période ne s'élevait pas même à 7 ans. J’ajoute que Gambart a signalé le premier ces deux importants résultats. Mon assertion ne sera pas contestée ; au besoin, je trouverais, d’ailleurs, dans les journaux de Marseille, le moyen de faire remonter au 23 mars la publication des éléments paraboliques calculés par le célèbre astronome, GAMBART. 453 Venons maintenant aux éléments elliptiques à l’aide desquels, quant à la durée de la révolution de l’astre, le calculateur passe d’une simple probabilité à une cer- titude complète. Les éléments elliptiques de la comète de 1826, déter- minés par Gambart, étaient contenus dans une lettre de Marseille en date du 29 mars. Cette lettre ne fut lue au Bureau des Longitudes qu'à la séance du 5 avril; mais l’auteur avait eu la précaution de faire insérer ses résul- tats dans les journaux de Marseille dès qu’il les eut obtenus. Au surplus, il est certain que M. Clausen, à qui lon doit aussi le calcul de la même orbite, n’acheva pas son travail avant Gambart, puisqu'il employa comme donnée une excellente observation faite par lui, à Altona, dans la nuit du 28 mars. La lettre par laquelle M. Schu- macher instruisit le monde savant des succès de son habile collaborateur, porte la Gate du 30 mars; elle ne fut lue à l'Académie des sciences que le 10 avril, Gambart, qui n'avait pas de compétiteur connu quant au calcul des éléments paraboliques de la comète de 1826 et aux conséquences qui en découlaient, a donc aussi lantériorité relativement à la détermination de la durée de la révolution de cet astre, et cela, soit que l’on veuille tenir compte de l’époque de l'achèvement du travail ou du moment de sa publication. L’antériorité n’est, il est vrai, que de quelques heures; mais c’est ainsi que se détermine la propriété littéraire. | L'usage s’est établi de désigner les comètes pério- diques par des noms d’homme. Cela peut exciter le zèle des astronomes , et dès lors il est bon de s’y tenir; une 454 GAMBART. condition, cependant, paraît indispensable : c’est que les noms Soient constamment choisis suivant des règles inva- riables, et abstraction faite de tout amour-propre, de tout préjugé national. S’est-on jusqu'ici conformé à ces principes d’une stricte justice ? Le lecteur va en juger. On connaît aujourd’hui trois comètes périodiques + la comète de 76 ans; la comète de 3 ans 3/10"; tet celle de 6 ans 3/4. La première porte le nom de Halleys la seconde le nom de Encke; la troisième celui de Biela. Ces trois désignations n’émanent pas évidemment de la même règle. À arr) Pour chaque comète périodique, il y a lieu, dès l’ori- gine, à distinguer : l’astronome qui l’aperçoit le premier ; l'astronome qui, le premier aussi, reconnaît, à l’aide des éléments paraboliques, qu’elle s'était précédemment montrée ; celui enfin qui, passant aux éléments elliptiques, calcule exactement la durée de la révolution. Chacun, suivant le cours de ses idées; peut donner la préférence au calcul ou à l’observation ; mais le choix une fois fait, il sérait injuste de ne pas s’y tenir. Eh bien, laissant Halley de côté, comme hors ligne, puisqu'il a été le premier qui se soit occupé des comètes périodiques, voyons à quel titre la comète découverte par Pons, le 26 novembre 1818, a pris généralement le nom de Encke? C’est incontestablement par la raison que Je célèbre astronome de Berlin en a calculé le premier les éléments elliptiques ; c’est que ce caleul a paru plus im- portant, plus difficile, plus digne de reconnaissance que la découverte de l’astre; mais si tout cela est vrai pour la comète de 1818, on ne saurait le dire faux quand il GAMBART. 455 s’agit de la comète de 1826 ; le découvreur de cette der- nière comète, quel que puisse être son rang dans le monde, me doit pas être plus favorisé que Pons, que le découvreur de la comète de 1818; il faut, en toute justice, qu’il cède la place au calculateur. Tant que la comète à courte période s’appellera la comète de Encke, et pour ma part je trouve cette désignation très-conve- nable, la comète de 6 ans 3/4 devra donc porter le nom de Gambart. Ceux qui persisteraient à l’appeler comète de Biela auraient évidemment deux poids et deux mesures, car, il faut bien le répéter, l’officier autrichien, exacte- ment comme Pons, a vu simplement sa comète avant tout autre observateur ; il en a suivi la marche à travers les constellations, mais sans en calculer l'orbite parabo- lique ni l'orbite elliptique. Gambart était né avec une complexion délicate, qui fut encore très-affaiblie par une croissance hâtive et extraordinaire. Les médecins avaient espéré que le soleil bienfaisant du Midi lui rendrait quelque vigueur; vaines illusions ! de vives attaques d’hémoptysie menaçaient sans cesse sa vie et interrompaient ses importants travaux! Gambart ne fut pas atteint personnellement pendant les deux invasions du éholéra dont la population de Marseille eut tant à souffrir; mais une nombreuse famille qui lui était tendrement dévouée, qu'il avait logée dans les bâtiments de l'Observatoire, dont il avait fait sa propre famille, fut cruellement frappée. Gambart n’eut pas le courage de supporter la solitude que le fléau avait créée autour de lui et il accourut à Paris chercher auprès de Bouvard les consolations d'une ancienne et constante 456 LAPLACE. amitié. À la fin de l’hiver de 1836, il se décida cependant à retourner à son poste; mais il avait trop présumé de ses forces ; le séjour de son observatoire lui était devenu odieux ; il ne put l’endurer que pendant quelques heures, et, sans tenir compte d'aucune fatigue, il revint à Paris, à notre très-grande surprise, avec la malle-poste qui l'avait transporté à Marseille. Il revint, hélas! pour s’ali- ter, souffrir cruellement, et s’éteindre dans cette même chambre où, dix-huit ans auparavant, il était entré avec tant de bonheur et d’espoir. | Gambart est mort de l’affreuse maladie qui, en peu d'années, avait déjà enlevé aux sciences et à la gloire nationale, Malus, Petit, Fresnel. Après avoir cité ici de pareils noms, tout ce que j'ajouterais ne serait plus que l'expression très-affaiblie de la haute opinion que j'avais conçue de la perspicacité du jeune correspondant de l'Académie des sciences de Paris et des services qu'il aurait pu rendre encore à l’astronomie, LAPLACE Rapporteur de la Commission de la Chambre des députés qui fut chargée, en 1842, d'examiner une pro- position faite par le ministre de l'instruction publique touchant l’impression, aux frais de: l'État, des OEuvres de Laplace, je crus devoir tracer l’analyse succincte des principales découvertes de notre illustre compatriote. Plusieurs personnes ayant manifesté, avec trop de bien- veillance peut-être, le vœu que cette analyse ne restât LAPLACE. 457 pas enfouie au milieu d’une multitude de documents légis- iatifs et qu’elle parût dans l’Annuaire du Bureau des _ Longitudes, j'en pris occasion de la développer, afin de la rendre moins indigne de l’attention du public. La partie scientifique du travail présenté à la Chambre des __ députés se retrouvera ici tout entière. Le reste a paru pouvoir être supprimé. Je conserverai seulement quelques lignes du Rapport, destinées à caractériser le but de la loi proposée, et à faire connaître les dispositions qui ont été adoptées par les trois pouvoirs de l’État. « Laplace a doté la France, l’Europe, le monde savant, de trois magnifiques compositions : le Traité de Méca- nique céleste, l'Exposition du système du Monde, la Théorie analytique des probabilités. Aujourd’hui (1842), il n'existe plus chez les libraires de Paris aucun exem- plaire de ce dernier ouvrage. L'édition de la Mécanique céleste elle-même sera bientôt épuisée. On voyait donc arriver avec peine le moment où les personnes vouées à l'étude des mathématiques transcendantes, auraient été forcées, à défaut de l'ouvrage original, de demander à Philadelphie, à New-York, à Boston, la traduction an- glaise que l’habile géomètre Bowditch a donnée du Traité capital de notre compatriote. Hâtons-nous de le dire, ces craintes n'étaient pas fondées. Réimprimer la Mécanique céleste, c'était pour la famille de l’illustre géomètre accomplir un devoir pieux ; aussi, madame de Laplace, si légitimement, si profondément attentive à tout ce qui peut rehausser l’éclat du nom qu’elle porte, n'avait nullement transigé avec des considérations finan- cières : un petit domaine, voisin de Pont-l Évêque, allait 458 LAPLACE. changer de mains, et la France lettrée n’eût pas été privée de la satisfaction qu’elle trouve à énumérer ses richesses astronomiques dans la langue nationale, ‘dl « La reproduction prochaine des OEuvres de anglais F reposait sur une garantie non moins assurée. Cédant à Ja fois à un sentiment filial, à un noble mouvement patrio- tique, à l’enthousiasme éclairé que les plus sérieuses études lui ont inspiré pour de brillantes découvertes, M. le général de Laplace s'était depuis longtemps préparé à devenir l’éditeur des sept volumes qui doivent immor- taliser son père. ! « Il est des gloires trop élevées, trop splendides, pour qu’elles puissent rester dans le domaine des choses pri- vées. Aux gouvernements revient le soin de les préserver de l'indifférence ou de l’oubli; de les offrir sans cesse aux regards, de les épancher par mille canaux, de les faire concourir, enfin, au bien général. «Sans aucun doute, le ministre de l’instraction publi- que était pénétré de ces idées, lorsqu’à l’occasion d'une édition, devenue nécessaire, des OEuvres de Laplace, àl vous a demandé de substituer la grande famille française à la famille personnelle de lillustre géomètre. Nous don- nons notre adhésion pleine et entière à cette proposition; elle émane d’un sentiment national qui ne trouvera pas de contradicteurs dans cette enceinte. » En réalité , la Chambre des députés n’avait à examiner et à résoudre que cette seule question : « Les ouvrages de Laplace ont-ils un mérite tellement transcendant, telle- ment exceptionnel, que leur réimpression dût être l’objet d’une délibération de grands pouvoirs de l'État?» On a LAPLACE. 459 pensé qu'il ne fallait pas s’en rapporter seulement à la notoriété publique, qu’il était nécessaire de faire des bril- lantes découvertes de Laplace une analyse exacte, afin de mieux montrer l'importance de la décision à prendre. Qui pourrait dans l’avenir proposer en pareille matière _ de prononcer sur parole, lorsqu'on a voulu, avant d’é- mettre un vote si honorable pour la mémoire d’un grand homme, sonder, mesurer, apprécier minutieusement et sous toutes les faces des monuments tels que la Mécanique céleste et l'Exposition du sysième du monde. J'ai pensé que le travail rédigé au nom d’une Commission -de l’un des grands pouvoirs de l’État, pourrait clore dignement cette série de biographies des principaux astronomes. Le marquis de Laplace, pair de France, l’un des qua- rante de l'Académie française, membre de l’Académie des sciences et du Bureau des Longitudes, associé de toutes les grandes académies ou sociétés scientifiques de l’Eu- rope, est né à Beaumont-en-Auge, d’un simple cultiva- teur, le 28 mars 4749 ; il est mort le 5 mars 1827. Les tomes x et 11 de la Mécanique céleste ont été publiés en 1799; le tome ut a paru en 18092, le tome 1v en 4805% pour le tome v, les livres xr et x1r, ont été publiés en 1823, les livres xrr, x1v et xv en 1896, et le livre xvrèn 1825. La Théorie des probabilités date de 1812. Nous allons présenter l’histoire des principales découvertes astronomiques que renferment ces immortels ouvrages. L’astronomie est la science dont l'esprit humain peut le plus justement se glorifier. Cette prééminence incon- testée, elle la doit à l'élévation de son but, à la grandeur 460 LAPLACE. de ses moyens d'investigation, à la certitude, à l'utilité, à la magnificence inouïe de ses résultats, Depuis l’origine des sociétés, l’étude du cours des —— _ astres a constamment attiré l’attention des gouvernements et des peuples. Plusieurs grands capitaines, des homines d'État illustres, des écrivains, des philosophes, des ora- teurs éminents de la Grèce et de Rome, en firent leurs délices; cependant, qu’il nous soit permis de le dire, l’astronomie vraiment digne de ce nom est une science toute moderne : elle ne date que du xvr' siècle. Trois grandes, trois brillantes phases ont marqué ses progrès. En 1543, Copernic brisa d’une main ferme et bardie la majeure partie de l’échafaudage antique et vénéré dont les illusions des sens et l’orgueil des générations avaient rempli l'univers. La Terre cessa d’être le centre, le pivot des mouvements célestes; elle alla modestement se ranger parmi les planètes; son importance matérielle, dans l’ensemble des corps qui composent notre système solaire, se trouva presque réduite à celle d’un grain de sable. Vingt-huit ans s'étaient écoulés depuis le jour où le chanoine de Thorn s’éteignait en tenant dans ses mains défaillantes le premier exemplaire de l'ouvrage qui devait répandre sur la Pologne une gloire si éclatante et si pure, lorsque Wittenberg vit naître un homme destiné à pro- duire dans la science une révolution non moins féconde et plus difficile encore. Cet homme était Kepler. Doué de deux qualités qui semblent s’exclure mutuellement, une imagination volcanique et une opiniàtreté que ne rebu- LAPLACE. 461 taient pas les calculs numériques les plus fastidieux, Kepler devina que les mouvements des astres devaient être liés les uns aux autres par des lois simples, ou, en nous servant de ses propres expressions, par des lois Aarmo- niques. Ges lois, il entreprit de les découvrir. Mille ten- _ tatives infructueuses, des erreurs de chiffres, inséparables d’un travail colossal, ne lempêchèrent pas un seul instant de marcher résolument vers le but qu’il avait cru entre- voir. Vingt-deux ans furent employés à cette recherche, sans qu'il faille s’en affliger ! Que sont, en vérité, vingt- deux ans de labeur, pour celui qui va devenir le législa- teur des mondes ; qui inscrira son nom en traits ineffaçables sur le frontispice d’un code immortel ; qui pourra s’écrier, en langage dithyrambique, et sans que personne s’avise _d'y trouver à redire : « Le sort en est jeté; j'écris mon livre ; on le lira dans l’âge présent ou dans la postérité, que m'importe; il pourra attendre son lecteur : Dieu n’a- t-il pas attendu six mille ans un contemplateur de ses œuvres ! » Rechercher une cause physique capable de faire par- courir aux planètes des courbes fermées; placer dans des forces le principe de conservation du monde, et non dans les appuis solides, dans les sphères de cristal que nos ancêtres avaient rêvées; étendre aux révolutions des astres les principes généraux de la mécanique des corps terrestres, telles étaient les questions qui restaient à résoudre après que Kepler eut publié ses découvertes. Des linéaments fort distincts de ces grands problèmes s’aperçoivent, çà et là, chez les anciens et chez les mo- dernes, depuis Lucrèce et Plutarque jusqu'à Kepler, 162 LAPLACE. Boulliaud et Borell. C’est à Newton, cependant, qu’il faut reporter le mérite de la solution. Ce grand homme, à l'exemple de plusieurs de ses prédécesseurs, introdui- sant entre les corps célestes une tendance au rapproche- ment, une attraction, fit surgir des lois de Kepler les _ caractères mathématiques de cette force, l’étendit à toutes les molécules matérielles du système solaire, et développa sa brillante découverte dans un ouvrage qui, encore au- jourd'hui, est la production. la plus éminente de l’intelli- gence humaine, 1% | Le cœur se serre, lorsqu’en étudiant l'histoire des sciences on voit un si magnifique mouvement intellectuel s’opérer sans le concours de la France. L’astronomie pratique, augmenta notre infériorité. Les moyens de recherches furent d’abord donnés inconsidérément à des étrangers, au détriment de nationaux pleins de savoir et de zèle, Ensuite, des intelligences supérieures luttèrent avec courage, mais inutilement, contre l’inhabileté de nos artistes. Pendant ce temps, Bradley, plus heureux de: l’autre côté du détroit, s’immortalisait par la découverte de l’aberration et de la nutation. Dans ces admirables révolutions de la science astrono- mique, le contingent de la France se composait, en 4740, de la détermination expérimentale de l’aplatissement de la Terre et de la découverte de la variation de la pesan- teur à la surface de notre planète. C’étaient deux grandes choses; notre pays, cependant, avait le droit de de- mander davantage : quand la France m'est pas sur le premier rang, elle a perdu sa place. Ce rang, momentanément perdu, fut reconquis bril- LAPLACE. 463 lamment, et l’on en fut redevable à quatre géomètres. Lorsque Newton, donnant à sa grande découverte une généralité que les lois de Kepler ne commandaient pas, imagina que les diverses planètes étaient non-seulement attirées par le Soleil, mais encore qu’elles s’attiraient r réciproquement, 1l plaça au milieu des espaces célestes, _ des causes qui devaient inévitablement tout troubler. Les astronomes purent voir alors du premier coup d'œil, que dans aucune région du monde, voisine ou éloignée , les courbes, les lois keplériennes ne suffiraient à la représentation exacte des phénomènes; que les mouve- ments simples, réguliers, dont les imaginations anciennes s'étaient complu à doter les astres, éprouveraient des per- turbations nombreuses, considérables, perpétuellement changeantes. Prévoir plusieurs de ces perturbations, en assigner le sens, et, dans quelques cas fort rares, la . valeur numérique, tel fut le but que Newton se proposa en écrivant ses Principes malhématiques de la Philosophie naturelle. Malgré l’incomparable sagacité de son auteur, le livre des Principes n'offre qu'une ébauche des perturbations planétaires. Si cette ébauche sublime ne devint pas un tableau complet, on ne doit nullement l’imputer à un manque d’ardeur ou d’opiniâtreté; les efforts du grand philosophe furent toujours surhumains, les questions qu'il ne résolut point n'étaient pas solubles à son époque. Quand les mathématiciens du continent entrèrent dans la ‘carrière, quand ils voulurent établir sur des bases inébranlables le système newtonien et perfectionner théoriquement les Tables astronomiques, ils trouvèrent 464 LAPLACE. réellement sur leur route des difficultés contre lesquelles le génie de Newton s'était brisé, Cinq géomètres, Clairaut, Euler, d’Alembert, La- grange, Laplace, se partagèrent le monde dont Newton avait révélé l'existence. Ils l’explorèrent dans tous les sens, pénétrèrent dans des régions qu'on pouvait croire inaccessibles, y signalèrent des phénomènes sans nombre que l’observation n’avait pas encore saisis; enfin, et c'est là leur gloire impérissable, ils rattachèrent à un seul principe, à une loi unique, ce que les mouvements célestes offraient de plus subtil, de plus mystérieux. La géométrie eut aussi la hardiesse de disposer de l'avenir ; les siècles, en se déroulant, viennent scrupuleusement ratifier les décisions de la science. Nous ne nous occuperons pas des magnifiques travaux d'Euler. Nous placerons ici, au contraire, l’analyse rapide des découvertes de ses quatre rivaux, nos compatriotes 1. Si un astre, la Lune par exemple, gravitait seulement vers le centre de la Terre, elle parcourrait mathémati- quement une ellipse; elle obéirait strictement aux lois de Kepler, ou, ce qui est la même chose, aux prineipes de mécanique développés par Newton dans les premiers chapitres de son immortel ouvrage. 4, On nous demandera peut-être pourquoi nous plaçons Lagrange parmi les géomètres français. Voici en deux mots notre réponse : Celui qui s'appelait Lagrange Tournier, les deux noms les plus français qu’il soit possible d'imaginer; celui qui avait pour aïeul maternel M. Gros, et pour bisaïeul paternel un officier français, né à Paris, celui qui n’écrivit jamais qu’en français, et fut revêtu dans notre pays de hautes dignités pendant pris de trente années, nous semble, quoique né à Turin, devoir être considéré comme Français. LAPLACE. 465 Mettons présentement en action une seconde force; tenons compte de l’attraction que le Soleil exerce sur la Lune; au lieu de deux corps enfin prenons-en trois, l'ellipse keplérienne ne donnera plus qu'une idée gros- sière du mouvement de notre satellite. Ici, l'attraction du Soleil tendra à augmenter les dimensions de la pre- _ mière orbite, et les augmentera réellement; là, au con- traire, elle les diminuera. En certains points, la force solaire agira dans le sens même où l’astre se déplace, et le mouvement deviendra plus rapide; ailleurs, l’effet sera inverse, En un mot, par l'introduction d’un troi- sième corps attractif, la plus grande complication, toutes les apparences du désordre succéderont à une marche simple, régulière, sur laquelle l'esprit se reposait avec complaisance. Si Newton donna une solution complète de la question des mouvements célestes dans le cas de deux astres qui s’attirent l’un l’autre, il n’aborda même pas analytique- ment le problème, infiniment plus difficile, des trois corps. Le problème des trois corps, c’est le nom sous lequel il est devenu célèbre, le problème de déterminer la marche d’un astre soumis à l’action attractive de deux autres astres, a été résolu, pour la première fois, par notre compatriote Clairaut. De cette solution datent les progrès importants que l’on fit déjà dans le siècle dernier, vers le perfectionnement des Tables de la Lune. La plus belle découverte astronomique de l'antiquité est celle de la précession des équinoxes. Hipparque, à qui l'honneur en revient, signala toutes les conséquences de ce mouvement avec une parfaite netteté. Dans le TTL. — 11. 30 166 LAPLACE. nombre de ces conséquences, deux ont eu plus particu- lièrement le privilége d’attirer l'attention du public. A cause de la précession des équinoxes, ce ne sont pas toujours les mêmes groupes étoilés, les mêmes constella- tions qu'on aperçoit au firmament pendant les nuîts de chaque saison. Dans la suite des siècles, les constellations actuelles d'hiver deviendront des constellations: d'été, et réciproquement. À cause de la précession des équinoxes, le pôle n’oc- cupe pas constamment la même place dans la sphère étoilée. L’astre assez brillant qu'on nomme aujourd’hui très-justement la Polaire, était fort éloigné du pôle au temps d'Hipparque; il s’en retrouvera de nouveau éloigné dans quelques siècles. La dénomination de Polaire a été et sera donnée successivement à des étoiles très-distantes - les unes des autres. Quand on a eu le malheur, en cherchant l'explication des phénomènes naturels, de s'engager dans une fausse route, chaque observation précise jette le théoricien dans de nouvelles complications. Sept sphères de cristal em- boîtées ne suffirent plus à la représentation des phéno- mènes, aussitôt que l’illustre astronome de Rhodes eut découvert la précession. [fallut alorsune huitième sphère pour rendre compte d’un mouvement auquel toutes: les étoiles participent à la fois. | Après avoir arraché la Ferre à sa prétendue des - lité, Copernic, au contraire, satisfit d’une manière très- simple aux circonstances les plus minutieuses de la pré- cession. F supposa que l'axe de rotation de la Ferre ne reste pas exactement parallèle x lui-même; qu'après LAPLACE. 467 chaque révolution entière de notre globe autour du Soleil cet axe s'est dévié d’une petite quantité; en un mot, au liewde faire marcher d’une certaine manière ensemble des étoiles circompolaires à la rencontre du pôle, il fit marcher le pôle à la rencontre des étoiles. Cette hypo- thèse débarrassa le mécanisme du monde de la plus grande complication que l’esprit de système y eût intro- duite. Un nouvel Alphonse aurait alors manqué de pré- texte pour adresser à son synode astronomique les paroles profondes, si mal interprétées, que l’histoire attribue au roi de Castille (voir la Notice que j'ai consacrée à Alphonse X, p. 470). Sila conception de Copernic, améliorée par Kepler, avait, comme on vient de le voir, notablement perfec- tionné le mécanisme des cieux, il restait encore à décou- wii la force motrice qui, modifiant chaque année la position de l'axe du monde, lui faisait décrire en 26,000 ans environ un cercle entier d’à peu près 50 degrés dé diamètre. Newton devina que cette force provenait de l’action du Soleil et de la Lune sur les matières qui, dans les régions équatoriales, s'élèvent au-dessus d’ure sphère dont le centre coïnciderait avec celui de la Terre, et auraït pour rayon la ligne menée de ce même centre à Pun des pôles : ainsi, il fit dépendre la précession des équinoxes de l’aplatissement du globe; il déclara que sur une planète sphérique aucune précession n’existerait. Tout cela était vrai, mais Newton ne parvint pas à Pétablir mathématiquement, Or, ce grand homme avait “introduit dans la philosophie cette règle sévère et juste : 468 LAPLACE. netenez pour certain que ce qui est démontré. La démons- tration des idées newtoniennes sur la précession des équinoxes fut donc une grande découverte, et c’est à d’Alembert qu’en revient la gloire. L’illustre géomètre a donné une explication complète du mouvement général en vertu duquel l’axe du globe terrestre revient aux mêmes étoiles en 26,000 ans environ. Il a rattaché aussi à l'attraction la perturbation de la précession, découverte par Bradley; l’oscillation remarquable que l’axe de la Terre éprouve sans cesse pendant son mouvement de pro- gression, et dont la période (environ 18 ans) est exac- tement égale au temps que l'intersection de l'orbite de la Lune et de l’écliptique emploie à parcourir les 360 degrés de la circonférence entière. Les géomètres, les astronomes se sont tout autant occupés, avec grande raison, de la forme , de la consti- tution physique que le globe terrestre pouvait avoir aux époques les plus reculées, que de la forme et de la consti- tution du globe actuel, Dès que notre compatriote Richer eut découvert qu’un même corps, quelle qu’en soit la nature, pèse d'autant moins qu’on le transporte plus près des régions équi- noxiales, tout le monde aperçut que la Terre, si elle fut originairement fluide, devait être renflée à l'équateur. Huygens et Newton firent davantage : ils calculèrent la différence du grand et du petit axe, l'excès du diamètre équatorial sur la ligne des pôles. Le calcul de Huygens se fondait sur des propriétés de la force attractive, hypothétiques et entièrement inadmis- sibles ; celui de Newton sur un théorème qu’il aurait LAPLACE. 469 fallu démontrer. La théorie de Newton avait un défaut plus grave encore : elle constituait la Terre primitive et fluide, à l’état d’entière homogénéité. Lorsqu’en cher- chant à résoudre de grands problèmes, on s’abandonne à de telles simplifications ; lorsque, pour éluder des diffi- . cultés de calcul, on s'éloigne si essentiellement des con- ditions naturelles et physiques, les résultats se rapportent à un monde idéal, ils ne sont vraiment que des jeux d'esprit. Pour appliquer l’analyse mathématique d’une manière utile à la détermination de la figure de la Terre, il fallait bannir toute hypothèse d’homogénéité, toute similitude obligée entre les formes des couches superposées et inéga- lement denses ; il fallait examiner aussi le cas d'un noyau central solide. Cette généralité décuplait les difficultés ; elles n’arrêtèrent pas cependant Clairaut et d’Alembert, Grâce aux efforts de ces deux puissants géomètres, grâce à quelques développements essentiels dus à leurs succes- seurs immédiats, et particulièrement à lillustre Legen- dre, la détermination théorique de la figure de la Terre a acquis toute la perfection désirable. Il règne maintenant le plus bel accord entre les résultats du calcul et ceux des mesures directes. La Terre a donc été originairement fluide, l'analyse nous a fait remonter jusqu'aux premiers âges de notre planète. Au siècle d'Alexandre, les comètes n'étaient, pour la plupart des philosophes grecs, que de simples météores engendrés dans notre atmosphère. Le moyen âge, sans beaucoup s'inquiéter de leur nature, en fit des pronostics, des signes avant-coureurs d'événements sinistres. Régio- 470 LAPLACE. montanus, Tycho-Brahé, les placèrent, par leurs obser- vations au delà de la Lune; Hévélius, Doërfel, etc., les firent circuler autour du Soleil; Newton établit qu’elles se meuvent sous l'influence immédiate de la puissance attractive de cet astre, qu’elles ne décrivent pas des/lignes droites, qu’elles obéissent aux lois de Kepler. Il fallait encore prouver que leurs orbites.sont des courbes fermées, ou que la Terre voit la même comète à plusieurs reprises. Cette découverte était réservée à Halley. En recueillant minutieusement dans les récits des historiens, des chro- niqueurs, et dans les annales astronomiques, les circon- stances des apparitions de toutes les comètes un peu: brillantes, ce savant ingénieux fit voir, par une discussion subtile et approfondie, que les comètes de 1682, de 1607 et de 1534, étaient au fond des apparitions successives d’un seul et même astre, - Cette identité entraînait une. conséquence devant, la- quelle plus d’un astronome recula ; il fallait accorder que le temps de la révolution entière de la comète variait beaucoup; que la variation pouvait aller jusqu'à 2 ans sur 76. | D’aussi grandes D Érinccs étaient-elles des perturba- tions occasionnées par l’action des planètes? La réponse à cette question devait faire entrer . les. comètes dans la catégorie des planètes ordinaires, ou les en tenir à jamais-écartées. Le calcul était difficile : Claiï- raut découvrit les moyens de l’effectuer. Le succès pouvait sembler incertain : Clairaut fit preuve de la plus grande hardiesse, car dans le courant de 1758 il entreprit de. déterminer l’époque de l’année suivante où reparaîtrait la LAPLACE. 47 comète de 1682 ; il désigna les constellations, les étoiles qu’elle rencontrerait dans sa marche. Ge n’était pas ici une de ces prédictions à long terme que les -astrologues ou autres devins combinaient jadis très-artistement avec les tables de mortalité, de manière _ à ne point recevoir de démenti de leur vivant : l'événe- ment allait.arriver ; il ne s'agissait de rien moins que de créer une ère nouvelle pour l'astronomie cométaire, ou de jeter sur la science une défaveur dont elle se serait longtemps ressentie, Clairaut trouva, par de savants, par de très-longs calculs, que les actions de Jupiter et de Saturne avaient -dû retarder la marche de la comète ; que la durée de sa révolutionentière, comparée à la précédente, s’en trou- verait augmentée de 548 jours par l'attraction de Jupiter, et de 100 par l'attraction de Saturne, formant un total de 618 jours, ou de plus d’un an et huit mois. | Jamais question astronomique n’excita une curiosité plus vive, plus légitime. Toutes les classes de la société attendaient avec un égal intérêt la réapparition annoncée, Un laboureur saxon, Palitszch, l’aperçut le premier. À partir de ce moment, d’une extrémité de l’Europe à l’autre, mille télescopes marquèrent chaque nuit des points de là route de l’astre à travers les constellations. La route fut toujours, dans les limites de la précision du calcul, celle que Clairaut avait assignée d'avance. La prédiction de l'illustre géomètre s'était accomplie à la fois dans le temps et dans l’espace; l'astronomie venait de faire une grande, une importante conquête, et de détruire du même coup, comme c’est l'ordinaire, un préjugé honteux, invé- 472 LAPLACE. téré. À partir da moment où il fut constaté que les retours des comètes pouvaient être prévus, calculés, ces astres perdirent définitivement leur ancien prestige. Les esprits _les plus timides s’en inquiétèrent tout aussi peu que des éclipses, également calculables, de Soleil et de Lune. Les travaux de Clairaut avaient eu enfin dans le public plus de succès encore que l'argumentation savante, ingé- nieuse et spirituelle de Bayle. Le firmament n'offre aux esprits réfléchis rien de plus curieux, de plus étrange que l'égalité des mouvements moyens angulaires de révolution et de rotation de notre satellite. À cause de cette égalité parfaite, la Lune pré- sente toujours le même côté à la Terre. L'hémisphère que nous voyons aujourd'hui est précisément celui que voyaient nos ancêtres aux époques les plus reculées; c’est exactement l'hémisphère qu’observeront nos arrière- neveux. Les causes finales dont certains philosophes ont usé avec si peu de réserve pour rendre compte d’un grand nombre de phénomènes naturels, étaient, dans ce cas particulier, sans application possible. Comment pré- tendre, en effet, que les hommes pourraient avoir un in- térêt quelconque à apercevoir sans cesse le même hémi- sphère de la Lune, à ne jamais entrevoir l’hémisphère opposé? D'autre part, une égalité parfaite, mathématique, entre des éléments sans liaison nécessaire, tels que le mouvement de translation et de rotation d’un corps cé- leste donné, ne choquait pas moins les idées de probabilité. Il y avait d’ailleurs deux autres coïncidences numériques tout aussi extraordinaires : une orientation identique, LAPLACE. 473 relativement aux étoiles, de l'équateur et de l'orbite de la Lune ; des mouvements de précession de ces deux plans, exactement égaux. Get ensemble de phénomènes singu- liers, découverts par J.-D, Cassini, constituait le code mathématique de ce qu’on a appelé la libration de la Lune. | La libration était encore une vaste et très-fächeuse lacune de l’astronomie physique, quand Lagrange la fit dépendre d’une circonstance, dans la figure de notre satellite, non observable de la Terre, quand il la rattacha complétement aux principes de l'attraction universelle. À l’époque où la Lune se solidifia, elle prit, sous l’ac- tion de la Terre, une forme moins régulière, moins simple que si aucun corps attractif étranger ne s'était trouvé à proximité. L'action de notre globe rendit elliptique un équateur qui, sans cela, aurait été circulaire. Cette action n’empêcha pas l'équateur lunaire d’être partout renflé, mais la proéminence du diamètre équatorial dirigé vers la Terre, devint quatre fois plus considérable que celle du diamètre que nous voyons perpendiculairement, La Lune s’offrirait donc à un observateur situé dans l'espace et qui pourrait l’examiner transversalement, comme un corps allongé vers la Terre, comme une sorte de pendule sans point de suspension. Quand un pendule est écarté de la verticale, l’action de la pesanteur l'y ramène; quand le grand axe de la Lune s’éloigne de sa direction habituelle, la Terre le force également à y revenir. Voilà donc l'étrange phénomène complétement expli- qué, sans recourir à une égalité, en quelque sorte mira- #74 LAPLACE. culeuse, entre deux mouvements de rotation et de transla- tion entièrement indépendants. Les hommes ne. verront jamais qu’une face de la Lune. Les observations nous l'avaient appris; maintenant, nous savons de plus que cela est dû à une cause physique calculable et visible seulement avec les veux de l'esprit; que cela est dû à l'allongement qu’un diamètre de la Lune éprouva, quand l’astre passa de l’état liquide à l’état solide, sous l’action attractive de la Terre. | | S'il avait.existé, à l’origine, une. petite différence entre les mouvements de rotation et de révolution de la. Lune, l'attraction .de la Terre aurait amené ces mouvements à une égalité rigoureuse. Cette attraction eût de même suffi pour faire disparaître un léger défaut de coïncidence entre les lignes résultant des intercessions de l'équateur et de l’orbite lunaire avec le plan de l’écliptique. Le travail où Lagrange rattacha avec tant de bonheur les lois de la libration aux principes de la pesanteur uni- verselle, si capital par le fond, n’est pas moins remar- quable par la forme. Après l'avoir lu, tout le monde comprend que le mot élégance ait été appliqué à des Mémoires de mathématiques. | Nous nous sommes contentés dans cette analyse, d’ef- fleurer les découvertes astronomiques de Clairaut, de d’Alembert, de Lagrange. Nous serons un peu moins concis en parlant des OEuvres de Laplace. Après avoir énuméré les forces, si multipliées, qui devaient résulter des actions mutuelles des planètes.et des satellites de notre système solaire, Newton, le grand Newton n’osa pas entreprendre de saisir l’ensemble de LAPLACE. 475 leurs.effets. Au milieu du dédale d’augmentations et de dimimutions de vitesse, de variations de forme dans les orbites, de changements de distances et d’inclinaisons que..ces forces devaient. évidemment produire, la plus savante géométrie elle-même ne serait pas parvenue à _ trouver: un fil conducteur solide et fidèle, Gette compli- cation extrême donna naissance à une pensée découra- geante. Des forces si nombreuses, si variables de position, si différentes d'intensité, ne semblaient pouvoir se main- ten perpétuellement en balance que par une sorte de miracle. Newton alla jusqu'à supposer que le système planétaire ne renfermait pas en lui-même .des éléments de conservation indéfinie ; il croyait qu’une main puis- sante devait intervenir de temps à autre pour réparer le désordre. Euler, quoique plus avancé que Newton dans la connaissance des perturbations planétaires, n’admettait pas non plus que le système solaire fût constitué de manière à durer éternellement. | Jamais plus grande question philosophique ne s'était offerte. à la curiosité des hommes. Laplace l’aborda avec hardiesse, constance et bonheur. Les recherches profondes etlongtemps continuées de l’illustre géomètre, établirent, avec une entière évidence, que les :ellipses planétaires sont perpétuellement variables ; que les extrémités de leurs grands diamètres parcourent le ciel; qu’indépen- damment d’un mouvement oscillatoire, les plans des orbites éprouvent un déplacement en vertu duquel leurs traces sur le plan de l'orbite terrestre sont chaque année dirigées vers des étoiles différentes. Au milieu de ce chaos apparent, il est une chose qui reste constante ou qui n’est 476 LAPLACE. sujette qu'à de petits changements périodiques : c’est le grand axe de chaque orbite, et conséquemment le temps _de la révolution de chaque planète; c’est la quantité qui aurait dû principalement varier, suivant les préoccupa- tions savantes de Newton et d’Euler. La pesanteur universelle suffit à la conservation du système solaire ; elle maintient les formes et les inclinai- sons des orbites dans un état moyen autour duquel les variations sont légères ; la variété n’entraîne pas le dés- ordre; le monde offre des harmonies, des perfections dont Newton lui-même doutait. Cela dépend de circon- stances que le calcul a dévoilées à Laplace, et qui, sur de vagues aperçus, ne sembleraient pas devoir exercer une si grande influence. À des planètes se mouvant toutes dans le même sens, dans des orbites d’une faible ellipti- cité, et dans des plans peu inclinés les uns aux autres, substituez des conditions différentes, et la stabilité du monde sera de nouveau mise en question, et, suivant toute probabilité, il en résultera un épouvantable chaos. Quoique, depuis le travail que nous venons de citer, l’'invariabilité des grands axes des orbites planétaires ait été encore mieux démontrée, c’est-à-dire à l’aide de plus d'extension dans les approximations analytiques{, elle n’en restera pas moins une des admirables découvertes de l’auteur de la Mécanique céleste. Les dates, sur de pareils sujets, ne sont pas un luxe d’érudition : le Mémoire où Laplace donna ses résultats sur l’invariabilité des moyens mouvements ou des grands axes, est de 1775; 1. On peut voir sur cet objet de très-beaux Mémoires de Lagrange et de Poisson. LAPLACE. 477 c’est en 1784 seulement, qu’il déduisit la stabilité des autres éléments du système, de la petite masse des pla- nètes, de la faible ellipticité des orbites, et de la simili- tude de direction dans les mouvements de circulation de ces astres autour du Soleil. La découverte dont je viens de rendre compte ne per- mettait plus, du moins dans notre système solaire, de considérer l'attraction newtonienne comme une cause de désordre; mais était-il impossible que d’autres forces se mêlassent à celle-là et produisissent les perturbations graduellement croissantes que Newton et Euler redou- taient? Des faits positifs semblaient justifier ces craintes. Les observations anciennes, comparées aux observations modernes, dévoilaient une accélération continuelle dans les mouvements de la Lune et de Jupiter, une diminution non moins manifeste dans le mouvement de Saturne, De ces variations résultaient les plus étranges conséquences. D’après les causes présumées de ces perturbations, dire d’un astre que sa vitesse augmentait de siècle en siècle, c'était déclarer en termes équivalents qu’il se rap- prochaït du centre de mouvement. L’astre, au contraire, s’éloignait de ce même centre, quand sa vitesse se ralen- tissait, Ainsi, chose singulière, notre système planétaire sem- blait destiné à perdre Saturne, son plus mystérieux ornement ; à voir cette planète, accompagnée de l’anneau et des sept satellites, s’enfoncer graduellement dans les régions inconnues où l’œil armé des plus puissants téles- copes n’a jamais pénétré. Jupiter, d’autre part, ce globe à côté duquel le nôtre est si peu de chose, serait allé, 478 LAPLACE. : par une marche inverse, s’engloutir dans la matièretin- candescente du Soleil; les hommes en) auraient hs Lune se précipiter sur la Terre. Rien de douteux, de systématique, mn entre dans ces prévisions sinistres. L’incertitude:ne pouvait rouler que: sur les dates précises des catastrophes. On-savait éepen- dant qu’elles seraient fort éloignées; aussi, ni.les disser- tations techniques , ni les descriptions animées de certains. poëtes, n’intéressèrent. le public. rer nté Il n’en fut pas ainsi des Sociétés:savantes. Là on. sesték avec douleur notre système planétaire marcher à sa ruine. : L'Académie des sciences appela sur ces menaçantes per- turbations, l'attention des géomètres de: tous les pays. Euler, Lagrange, descendirent dans l’arène. Jamais leur génie mathématique ne jeta un plus vif éclat; toutefois, la question resta indécise. L’inutilité de pareils eflorts: semblait ne laisser de place qu’à la résignation:, lorsque: de deux coins .obscurs, dédaignés des. théories analy- tiques, l’auteur du traité de la Mécanique céleste fit surgir! clairement les lois de ces grands phénomènes :. les-varia= tions de vitesse de Jupiter, de Saturne, de la Lune, eurent. alors des causes physiques évidentes et, rentrèrent dans la catégorie des perturbations communes, périodiques, : dépendantes de la pesanteur ;, les changements si redoutés dans les dimensions des orbites, devinrent une. simple: oscillation renfermée entre d’étroites limites; enfin, par la toute-puissance d’une formule mathématique, le monde matériel se trouva raffermi sur ses fondements. Je ne puis quitter ee sujet sans nommer au moins les ; éléments de notre: système solaire, desquels dépendent LAPLACE. #79 les variations de vitesse, si longtemps inexpliquées, de la Lune, de Jupiter et de Saturne. Le gros du mouvement de la Terre autour du Soleil, | s'opère dans une ellipse dont la forme, par l'effet de perturbations, n’est pas toujours la même. Ces change- ments de forme sont périodiques; tantôt la courbe, sans cesser d’être elliptique, se rapproche du cercle, et tantôt elle s'en écarte. Depuis les plus anciennes observations, Pexcentricité de l'orbite terrestre a diminué d’année en année; plus tard' elle augmentera dans les mêmes limites et suivant les mêmes lois. Or, Laplace a prouvé que la vitesse moyenne de cir- culation de la Lune autour de la Terre, est liée à la forme de l’ellipse que la Terre décrit autour du Soleil; qu'une diminution dans l’excentricité de l’ellipse, entraîne inévi- tablement une augmentation dans la vitesse de notre satellite, et réciproquement; enfin, qu’il suffit de cette “cause pour rendre compte numériquement de l’accélé- à ration que la Lune a offerte dans sa marche depuis les temps les plus reculés jusqu’à notre époque. L'origme des inégalités de vitesse de Jupiter et de Saturne sera, je l’espère, aussi facile à concevoir. L'analyse mathématique n’est par parvenue à repré- senter en termes finis la valeur des dérangements que chaque planète éprouve dans sa marche par l’action de toutes les autres, Cette valeur se présente, dans l’état actuel de la science, sous la forme d’une série indéfinie de termes, qui diminuent rapidement de grandeur à mesure qu'ils s’éloignent des premiers. Dans le calcul, on néglige ceux de ces termes qui, par leur rang, cor- 480 LAPLACE. respondent à des quantités au-dessous des erreurs d’ob- servation; mais il est des cas où le rang, dans la série, ne décide pas seul si un terme sera petit ou grand : certains rapports numériques entre les éléments primitifs des planètes troublantes et troublées, peuvent donner à des termes, ordinairement négligeables, des valeurs sensibles. Ce cas se rencontre dans les perturbations de Saturne provenant de Jupiter, et dans les perturbations de Jupiter provenant de Saturne. Il existe entre les moyennes vitesses de ces deux grosses planètes, des rapports commensu- rables simples : cinq fois la vitesse de Saturne égale, à très-peu près, deux fois la vitesse de Jupiter ; des termes qui , sans cette circonstance, eussent été fort petits, ac- quièrent des valeurs considérables. De là résultent, dans les mouvements des deux astres, des inégalités à longue période, des perturbations dont le développement complet exige plus de 900 ans, et qui représentent à merveille toutes les bizarreries dévoilées par les observateurs. N'’est-on pas étonné de trouver dans la commensura- bilité des mouvements de deux planètès, une cause de perturbation si influente ; de voir dépendre de cette ren- contre numérique : «cinq fois le mouvement de Saturne est à peu près égal à deux fois le mouvement de Jupiter », la solution définitive d’une difficulté immense dont le génie d’'Euler n’avait pas su triompher, et qui faisait douter que la pesanteur universelle suffit à l'explication des phénomènes du firmament? La finesse de la concep- tion et le résultat, sont ici également dignes d’admiration, Nous venons d’expliquer comment Laplace démontra que le système solaire ne peut éprouver que de petites ÉABLACES 481 oscillations périodiques autour d’un certain état moyen. Voyons maintenant de quelle manière il réussit à déter- miner les dimensions absolues des orbites. Quelle est la distance du Soleil à la Terre? Aucune question scientifique n’a plus occupé les hommes. Mathé- matiquement parlant, rien de plus simple; il suffit, comme dans les opérations d’arpentage, de mener des deux extrémités d’une base connue, des lignes visuelles à l’objet inaccessible; le reste est un calcul élémentaire, Malheureusement, dans le cas du Soleil, la distance est grande et les bases qu’on peut mesurer sur la Terre sont comparativement très-petites. En pareil cas les plus légères erreurs de visée exercent sur les résultats une influence énorme. | : Au commencement du siècle dernier, Halley remarqua que certaines interpositions de Vénus entre la Terre et le Soleil, ou, pour employer une expression consacrée, que les passages de la planète sur le disque solaire, fourni- raient dans chaque Observatoire un moyen indirect de fixer la position du rayon visuel, très-supérieur en exac- titude aux méthodes directes les plus parfaites. Telle fut l’occasion, en 1761 et en 1769, des voyages scientifiques où, sans parler des stations d'Europe, la France fut représentée à l’île Rodrigue par Pingré, à l’île Saint-Domingue par Fleurieu, en Californie par l'abbé Chappe, à Pondichéry par Legentil. Aux mêmes époques l'Angleterre envoyait Maskelyne à Sainte-Hélène, Walles à la baie d'Hudson, Mason au cap de Bonne- Espérance, le capitaine Cook à Taïti, etc. Les observations de l’hé- misphère sud , comparées à celles de l’Europe, et surtout ILE, — y11, 91 482 LAPLACE. aux observations qu’un ‘astronome autrichien , le père Hell, était allé faire à Wardhus en Laponie, donnèrent pour la distance du Soleil le résultat qui depuis a figuré dans tous les traités d'astronomie et de navigation. Aucun gouvernement n’hésita à fournir aux Académies les moyens, quelque dispendieux qu'ils fussent, d'établir convenablement leurs observateurs dans les régions les plus éloignées. Nous l’avons déjà remarqué, la détermi- nation de distance projetée, paraissait exiger impérieuse- ment une grande base ; de petites bases n’auraient point suffi. Eh bien, Laplace a résolu numériquement lepro- blème, sans base d'aucune sorte; ila déduit la distance du Soleil, d'observations de la Lune faites dans un seul et même lieu! Le Soleil est pour notre satellite la cause de perturba- tions qui, évidemment, dépendent de la distance de ” J'immense globe enflammé à la Terre. Qui nervoit que ces perturbations diminueraicent si la distance augmentait; qu’elles augmenteraient, au contraire, si la distance diminuait; que la distance enfin en règle la grandeur ? L'observation donne la valeur numérique de ces per- turbations; la théorie, d’autre part, dévoile la relation générale mathématique qui les lie à la distance solaire et à d’autres éléments connus. Quand on est parvenu à ce terme, la détermination du rayon moyen de l'orbite ter- restre devient ure des opérations les plus simples de lal- gèbre. Telle est la combinaison heureuse à l’aide de Jaquelle Laplace a résolu le grand, le célèbre problème de la parallaxez c’est aïnsi que l’mgénieux géomètre a trouvé pour la distance moyènne du Soleil à la Ferre, LAPLACE. 483 exprimée en rayons du globe terrestre, un nombre peu différent de celui qu’on avait déduit de tant de voyages pénibles, dispendieux. Suivant l’opinion de juges très- compétents, il pourrait même se faire que le résultat de la méthode indirecte méritàt la préférence. Les mouvements de la Lune ont été pour notre grand géomètre une mine féconde. Son regard pénétrant a su y découvrir des trésors inconnus. [1 les a dégagés de tout ce qui les cachait à des yeux vulgaires, avec une habi- leté et une constance également dignes d’admiration. Onmous pardonnera d’en citer un nouvel exemple. La Terre maîtrise la Lune dans sa course. La Terre estaplatie. Un corps aplati n’attire pas comme une sphère. Il doit donc y avoir dans le mouvement , nous avons pres- que ‘dit dans l’allure de la Lune, une sorte d’empreinte de l’aplatissement terrestre, Telle fut, dans son premier jet, la pensée de Laplace. Il restait encore à décider, là gisait surtout la diffi- culté, si les traits caractéristiques que l’aplatissement de la Terre devait donner au mouvement de notre satellite, étaient assez sensibles, assez apparents, pour ne pas se confondre avec les erreurs d'observation; il fallait aussi trouver la formule générale de ce genre de perturba- * tions, afin de pouvoir, comme dans le cas de la parallaxe solaire, dégager l’inconnue. L'ardeur et la puissance analytique de Laplace sur- montèrent tous les obstacles. À la suite d’un travail qui avait exigé des attentions infinies, le grand géomètre découvrit dans le mouvement lunaire, deux perturbations, nettes et caractéristiques, dépendantes l’une et l’autre de 484 LAPLACE. l’aplatissement terrestre. La première affectait la portion du mouvement de notre satellite qui se mesure surtout avec l’instrument connu dans les observatoires sous le nom de lunette méridienne; la seconde, s’effectuant à peu près dans la direction nord et sud, ne devait guère se manifester que par les observations d’un second instru- ment : le cercle mural. Ces deux inégalités de valeurs très-différentes, mesurées avec deux instruments entière- ment distincts, liées à la cause qui les produit par les combinaisons analytiques les plus diverses, ont cependant conduit l’une et l’autre au même aplatissement. L’apla- tissement , déduit ainsi des mouvements de la Lune, n’est pas, bien entendu, l’aplatissement particulier corres- pondant à telle ou telle contrée, l’aplatissement observé en France, en Angleterre, en Italie, en Laponie, dans l'Amérique du Nord, dans l'Inde, dans la région du cap de Bonne-Espérance ; car, la Terre ayant subi en divers temps et en divers lieux des soulèvements considérables, la régularité primitive de sa courbure en a été notable- blement troublée; la Lune, et c’est là ce qui rend le résultat inappréciable, devait donner et a donné effective- ment l’aplatissement général du globe, une sorte de moyenne entre les déterminations variées, obtenues avec d'énormes dépenses, un labeur infini, et à la suite de grands voyages exécutés par les astronomes de tous les pays de l'Europe. J'ajouterai de courtes remarques dont le fond est em- prunté à l’auteur de la Mécanique céleste; elles semblent très-propres à mettre en relief, en complète lumière, ce que les méthodes dont je viens d’esquisser les traits prin- LAPLACE. 485 cipaux, renferment de profond , d’inattendu , presque de paradoxal. : Quels sont les éléments qu’il a fallu mettre en parallèle, pour arriver à des résultats exprimés jusqu'à la précision des plus petites décimales? D'une part, des formules mathématiques déduites du principe de l'attraction universelle; de l’autre, certaines irrégularités observées dans les retours de la Lune au méridien. | Un géomètre observateur qui, depuis sa naissance , ne serait jamais sorti de son cabinet de travail, qui n’aurait jamais aperçu le ciel qu’à travers l’ouverture étroite et dirigée du nord au sud, dans le plan vertical de laquelle se meuvent les principaux instruments astronomiques ; à qui jamais rien n'aurait été révélé concernant les astres roulant au-dessus de sa tête; si ce n’est qu’ils s’attirent les uns les autres suivant la loi newtontenne, serait cependant arrivé, à force de science analytique, à découvrir que son humble, son étroite demeure appartenait à un globe aplati, ellipsoïdal, dont l'axe équatorial surpassait l'axe des pôles ou de rotation de un trois cent-sixième ; il aurait trouvé aussi, lui isolé, lui toujours immobile, sa véritable distance au Soleil, C’est à d’Alembert qu’il faut remonter, comme je l’ai rappelé au commencement de cette Notice, pour trouver une explication mathématique satisfaisante du phéno- mène de la précession des équinoxes; mais notre illustre compatriote, mais Euler, dont la solution vint après celle de d’Alembert, laissèrent entièrement de côté certaines circonstances physiques qui, cependant, ne semblaient 486 LAPLACE. pas pouvoir être négligées sans examen, Laplace a rempli cette lacune. Il a montré que la mer, malgré sa fluidité, que l’atmosphère, malgré ses courants , influent , l’une et l’autre, sur les mouvements de l’axe de la Terre ou de l'équateur, comme si elles formaient des masses solides adhérentes au sphéroïde terrestre. L'axe autour duquel notre globe fait un tour entier chaque vingt-quatre heures, perce-t-il constamment le sphéroïde terrestre aux mêmes points matériels? En d’au- tres termes, les pôles de rotation qui, d'année en année, correspondent à des étoiles différentes, se déplacent-ils aussi à la surface de la Terre? Dans le cas de laffirmative, l'équateur se promène comme les pôles; les latitudes terrestres sont variables ; aucune contrée, pendant la suite des siècles, ne jouira, même en moyenne, d’un climat constant; les régions les plus diverses pourront tour à tour devenir circompolaires, Adoptez la supposition contraire, et tout prend le carac- tère d’une permanence admirable, La question que je viens de soulever, une des plus capitales de l'astronomie, ne saurait être résolue d’après les seules observations, tant les anciennes latitudes ter- restres sont incertaines. Laplace y a suppléé par l'ana- lyse : le monde savant a appris du grand géomètre, qu'aucune cause liée à l’attraction universelle ne doit déplacer sensiblement, sur la surface du sphéroïde ter- restre, l’axe autour duquel le monde paraît tourner. La mer, loin d’être un obstacle à la constante rotation de notre globe autour d’un même axe, ramènerait au con- traire cet axe à un état permanent, à raison de la mobi- LAPLACE. 487 lité des eaux et des résistances que leurs oscillations éprouvent. Tout ce que je viens d'indiquer sur la position de l'axe du monde doit être étendu à la durée du mouvement de rotation de la Terre, qui est l’unité, le véritable étalon du temps. L'importance de cet élément a conduit Laplace jusqu’à rechercher numériquement s’il pourrait être altéré par des causes intérieures, telles que des tremblements de terre et des volcans. A peine ai-je besoin de dire que le résultat a été négatif. L’admirable travail de Lagrange sur la libration de la Lune, semblait avoir épuisé la matière. Il n’en était rien cependant. Le. mouvement de révolution de: notre satellite autour de la Terre est assujetti à des perturbations, à des inéga- lités, dites séculaires, qui étaient inconnues à Lagrange ou qu'il négligea. Ces inégalités, à la longue, placent l'astre, sans parler des circonférences entières, à une demi-circonférence, à une circonférence et demie, etc., de la position qu'il occuperait sans cela, Si le mouvement de rotation ne participait pas à de telles perturbations, la Lune dans la suite des temps nous présenterait. successi- vement toutes les parties de sa surface. Cet événement n’arrivera point; l'hémisphère de la Lune, actuellement invisible, restera invisible à tout jamais. Laplace a montré en effet que la Terre, par son attraction, introduit dans le mouvement de rotation du sphéroïde lunaire les inégalités séculaires qui existent dans le mouvement de révolution. De pareïlles recherches présentent la puissance de 488 LAPLACE. l'analyse mathématique dans tout son éclat. La synthèse aurait conduit bien difficilement à la découverte de vérités si profondément enveloppées dans les actions complexes d’une multitude de forces. Nous serions impardonnables si nous oubliions de mettre au premier rang des travaux de Laplace le perfec- tionnement des Tables de la Lune. Ce perfectionnement, en effet, avait pour but immédiat la rapidité des com- munications maritimes lointaines, et, ce qui primait de bien loin tout intérêt mercantile, la conservation de la vie des navigateurs. | Grâce à une sagacité sans pareille, à une persévérance sans limites, à une ardeur toujours juvénile et qui se communiqua à d’habiles collaborateurs, Laplace résolut le célèbre problème des longitudes, plus complétement qu’on n'avait océ l’espérer au point de vue scientifique, plus exactement que ne le demandait l’art nautique dans ses derniers raffinements. Le navire, jouet des vents et des tempêtes, n’a point à craindre aujourd’hui de s’éga- rer dans l’immensité de l'Océan. Un coup d’æil intelli- gent sur la sphère étoilée apprend au pilote, en tout lieu et toujours, quelle est sa distance au méridien de Paris. L’extrême perfection des Tables actuelles de la Lune, donne à Laplace le droit d’être rangé parmi les bienfai- teurs de l'humanité. Au commencement de l’année 1611, Galilée avait cru trouver dans les éclipses des satellites de Jupiter, une solution simple et rigoureuse du fameux problème nau- tique. Des négociations actives furent même commencées, dès lors, pour introduire la nouvelle méthode à bord des LAPLACE. 489 nombreux vaisseaux de l'Espagne et de la Hollande. Ces négociations échouèrent. De Ja discussion ressortit avec évidence que l'observation exacte des éclipses des satel- lites exigerait de puissantes lunettes; or, des lunettes pareilles ne sauraient être employées sur un navire bal- _lotté par les vagues. La méthode de Galilée semblait du moins devoir con- server tous ses avantages en terre ferme et promettre à la géographie d'immenses perfectionnements. Ces espé- rances se trouvèrent elles-mêmes prématurées. Les mou- vements des satellites de Jupiter ne sont pas, à beaucoup près, aussi simples que l’immortel inventeur de cette méthode des longitudes le supposait. 11 a fallu que trois générations d’astronomes et de géomètres travaillassent avec persistance à débrouiller leurs plus fortes perturba- tions. Il a fallu enfin, pour que les Tables de ces petits astres acquissent toute la précision désirable et nécessaire, que Laplace portât au milieu d’eux le flambeau de l’ana- lyse mathématique. Aujourd’hui, les éphémérides nautiques renferment cinq, dix ans à l’avance, l'indication de l'heure où les satellites de Jupiter doivent s’éclipser et reparaître. Le calcul ne le cède pas en exactitude à l’observation directe. Dans ce groupe de satellites, considéré à part, Laplace a retrouvé des perturbations analogues à celles que les planètes éprouvent. La promptitude des révolutions y révèle, en un espace de temps assez court, des change- ments que les siècles seuls développeront dans le système solaire. Quoique les satellites aient à peine un diamètre appré- Ie LAPLACE. ciable, même dans les meilleures lunettes, notre illustre compatriote a déterminé leurs masses, Il a découvert enfin, entre les mouvements, entre les positions relatives de ces petits astres, des rapports simples, extrêmement remarquables, qui ont été appelés les lois de Laplace. La postérité n’effacera pas cette désignations elle trouvera naturel que le nom d’an si grand astronome soit écrit dans le firmament à côté de celui de Kepler. Citons deux ou trois des lois de Laplace’: Si, après avoir ajouté à la longitude moyenne du pre- mier satellite le double de celle du troisième, owretranche de la somme le triple de la longitude moyenne du second, le résultat sera exactement égal à 180 degrés, ow à une demi-circonférence. Ne serait-il pas vraiment Mb les trois satellites eussent été placés originairement aux distances de Jupiter et dans les positions respectives qui devaient maintenir constamment et avec. rigueur les rapports pré- cités? Laplace a répondu à la question en montrant. que ce rapport n’a pas eu besoin d’être rigoureux à l’origine. L'action mutuelle: des satellites a dû l’amener à Fétat mathématique actuel, si une seule fois les distances et les positions ont satisfait à la loi d’une manière approxi- mative. Cette première loi est également vraie quand om em- ploie les éléments synodiques. Il résulte de là, avec évi- dence, que les trois premiers Satellites de Jupiter ne sauraient être éclipsés à la fois. On voit ce qu'il faut croire d’une observation récente tant célébrée, et durant laquelle certains astronomes ne virent momentanément LAPLACE. 49 aucun des quatre satellites autour de la planète. Cela n’autorisait nullement à les supposer éclipsés : un satellite disparaît quand il se projette sur la partie centrale du disque lumineux de Jupiter, et aussi lorsqu'il passe der- rière le corps opaque de la planète. Voici une seconde loi très-simple, à laquelle sont assu- jettis les mouvements moyens des mêmes satellites de Jupiter : Si l'on ajoute au mouvement moyen du premier satel- lite le double du mouvement moyen du troisième, la somme est exactement égale à trois. fois le mouvement moyen du second. Cette rencontre numérique, parfaitement exacte, serait un des plus mystérieux phénomènes du système du monde, si Laplace n’avait prouvé que la loi a pu n’être qu’appro- chée à l’origine , et qu’il a suffi de l’action mutuelle des satellites pour la rendre rigoureuse: L'illustre géomètre, poussant toujours ses recherches jusqu’à leurs dernières ramifications, arrive à ce résultat : L'action de Jupiter coordonne les mouvements de rota- tion des satellites, en telle sorte que, sans égard aux perturbations séculaires, la durée de la rotation du pre- mier satellite, plus deux fois la durée de la rotation du troisième, forme une somme constamment égale à trois fois la durée de la rotation du second. Par une déférence, une modestie, une timidité sans motifs plausibles, nos artistes, dans le siècle dernier, avaient livré aux Anglais le monopole de la construction des instruments d’astronomie. Aussi, avouons-le sans détour, à l’époque où Herschel, de l'autre côté de la 492 LAPLACE. Manche, faisait ses belles observations, il n’existait en France aucun moyen de les suivre, de les développer ; nous n’avions même pas de moyen de les vérifier. Heu- reusement pour l'honneur scientifique de notre pays, l'analyse mathématique est aussi un instrument puissant. Laplace le prouva si bien, dans une occasion solennelle, que du fond de son cabinet il prévit, il annonça minu- tieusement ce qu’allait apercevoir l’habile astronome de Windsor en se servant des plus grands télescopes qui soient jamais sortis de la main des hommes, Lorsque Galilée, au commencement de 1610, dirigea sur Saturne une très-faible lunette exécutée récemment de ses mains, il vit que cette planète n’était pas un globe ordinaire, sans pouvoir cependant se rendre un compte exact de la forme réelle. L'expression #ri-corps, par laquelle l’illustre physicien de Florence résuma ses ré- flexions, impliquait même une idée complétement erro- née, Notre compatriote Roberval fut beaucoup mieux inspiré; mais, faute d’avoir donné une comparaison dé- taillée de son hypothèse et des observations, il abandonna à Huygens l'honneur d’être considéré comme l’auteur de la vraie théorie des phénomènes que présente l’admirable planète, di Tout le monde sait aujourd’hui que Saturne se com- pose d’un globe 900 fois plus grand que la Terre, et d’un anneau. Get anneau ne touche le globe intérieur en aucun point; il en est partout éloigné de 32,000 kilomètres (8,000 lieues). Les observations portent la largeur de l’anneau à 48,000 kilomètres (12,000 lieues). L’épaisseur n’est certainement pas de 400 kilomètres (100 lieues). { L LAPLACE. 493 Sauf une raie obscure qui, régnant dans toute l’éten- due de l’anneau, le partage en deux parties d’'inégale largeur et d’éclats dissemblables, cet étrange pont colos- sal sans piles n’avait jamais offert aux regards des obser- vateurs les plus exercés, les plus habiles, ni tache, ni . protubérance propre à décider s’il était immobile ou doué d’un mouvement de rotation. Laplace considéra qu’il serait peu probable, si l'anneau était immobile, que ses parties constituantes résistassent par leur seule adhérence à l’action attractive et conti- nuelle de la planète, Un mouvement de rotation s’offrit à sa pensée comme le principe de conservation, et il en détermina la vitesse nécessaire ; la vitesse ainsi calculée est égale à celle qu’'Herschel déduisit plus tard d’observa- tions extrêmement délicates ! Les deux parties de l’anneau étant placées à des dis- tances différentes de la planète, ne pouvaient manquer d'éprouver, par l’action du Soleil, des mouvements de précession différents. Les plans des deux anneaux semblaient ainsi devoir être ordinairement inclinés Fun sur lautre, tandis que l’observation les montre sans cesse confondus. Il fallait donc qu’il existât une cause capable de neutraliser l’action solaire. Dans un Mémoire pablié en février 1789, Laplace trouva que cette cause devait être l’aplatissement de Saturne produit par un mouvement de rotation rapide de cette planète, mouvement dont Herschel annonça l’existence en no- vembre 1789, - On remarquera comment les yeux de lesprit peuvent suppléer, en certains cas, aux plus puissants télescopes, 494 LAPLACE. et conduire à des découvertes astronomiques du premier ordre, Descendons du ciel sur la Terre. Les découvertes de Laplace ne seront ni moins capitales ni moins dignes de son génie. Les marées, ce phénomène qu'un ancien appelait avec désespoir le tombeau de la curiosité humaine, ont été rattachées par Laplace à une théorie amalytique dans laquelle les conditions physiques de la question figurent pour la première fois. Aussi, les calculateurs, à l’immense avantage de la navigation sur nos côtes maritimes, se basardent-ils aujourd’hui à prédire plusieurs années d'avance les circonstances d'heure et de hauteur des grandes marées, sans plus d'inquiétude sur le résultat que s’il s'agissait des phases d’une éclipse. H existe entre les phénomènes divers du flux, du reflux, et les actions attractives que le Soleil.et la Lune exercent sur la nappe liquide qui recouvre les trois quarts du globe, une liaison intime, nécessaire, d’où Laplace, en s’aidant de vingt années d’observations de Brest, a fait surgir la valeur de la masse de notre satellite. La science sait aujourd’hui que 75 lunes seraientmécessaires pour former un poids équivalent à celui du globe terrestre, etelleen est redevable à l’étude attentive, minutieuse, -des oscil- lations de l'Océan. Nous ne connaissons qu’un moyen d'ajouter à l'admiration profonde que tous les esprits attentifs éprouveront sans doute pour des théories sus- ceptibles de pareilles conséquences. Une citation histo- rique nous le fournira : nous rappellerons qu’en 1631, dans ses célèbres Dialogues, l’illustre Galilée était telle- «0 Soit iles ssadil LAPLACE. 495 ment éloigné de prévoir les liaisons mathématiques d’où Laplace a déduit des résultats si beaux, si évidents, si utiles, qu'il taxait d’ineptie la vague pensée que Kepler avait eue, d'attribuer à l’attraction lunaire une certaine part dans les mouvements journaliers et périodiques des flots de la mer. Laplace ne se borna pas à étendre si largement, à perfectionner d’une manière si essentielle la théorie ma- thématique des marées; il envisagea , de plus, le phéno- mène-sous un jour entièrement nouveau; C’est lui qui, le premier, traita de la stabilité de l'équilibre des mers, Les-systèmes de corps solides ou liquides sont sujets à deux genres d'équilibre qu’il faut soigneusement distin- guer. Dans le premier , dans l'équilibre ferme ou stable, lessystème, légèrement écarté de sa position primitive, tend sans cesse à y revenir, Dans l'équilibre instable, au contraire, un ébranlement très-faible à l’origine, peut à la longue causer un déplacement énorme, Siléquilibre-des flots est de cette dernière espèce, les vagues engendrées par l’action des vents, par des trem- blements de terre , par des mouvements brusques du fond de la mer, ont pu s'élever dans le passé, elles pourront s'élever dans l'avenir jusqu’à la hauteur des plus hautes montagnes. Le géologue aura la satisfaction de puiser dans ces oscillations prodigieuses des explications ration- nelles d’un grand nombre de phénomènes, mais le monde se trouvera exposé à de nouveaux, à de terribles cata- clysmes. Les ‘hommes peuvent se rassurer : Laplace a prouvé que l'équilibre de l'Océan est stable, mais à la condition 496 LAPLACE. expresse, établie d’ailleurs par des faits constants, que la densité moyenne de la masse liquide soit inférieure à la densité moyenne de la Terre. A la mer actuelle, tout restant dans le même état, substituons un océan de mer- cure, et la stabilité aura disparu, et le liquide sortira fréquemment de ses limites pour aller ravager les conti- nents jusque dans les régions neigeuses qui se perdent au milieu des nuages. Ne remarque-t-on pas comment chaque recherche analytique de Laplace a fait ressortir dans l'univers et dans notre globe, des conditions d'ordre et de durée! Il était impossible que le grand géomètre qui avait si bien réussi dans l'étude des marées de l'Océan ne s’oc- cupât point des marées de l'atmosphère, qu'il ne soumiît pas aux épreuves délicates et définitives d’un calcul rigou- reux, les opinions, généralement répandues, touchant l'influence de la Lune sur la hauteur du baromètre et sur d’autres phénomènes météorologiques. Laplace, en eflet, a consacré un chapitre de son bel ouvrage à l’examen des fluctuations que la force attrac- tive de la Lune peut opérer dans notre atmosphère. Il résulte de ces recherches, qu’à Paris le flux lunaire, mesuré sur le baromètre, n’est nullement sensible. La valeur de ce flux obtenue par la discussion d’une longue série d'observations, n’a pas dépassé deux centièmes de millimètre, quantité inférieure à celles dont il est possible de répondre dans l’état actuel de la science météorolo- gique. Le calcul que je viens de rappeler pourra être invoqué à l'appui des considérations auxquelles j’eus recours lors- LAPLACE. 497 que je voulus établir que, si la Lune modifie plus ou moins, suivant ses diverses phases, la hauteur du baro- mètre, ce n’est point par voie d'attraction. Personne n’a été plus ingénieux que Laplace à saisir des rapports, des connexions intimes entre des phéno- _mènes en apparence très-disparates; personne ne s’est montré plus habile à tirer des conséquences importantes de ces rapprochements inattendus. A la fin de ses jours, par exemple, il renversa d’un trait de plume, à l’aide de certaines observations de la Lune, les théories cosmogoniques, si longtemps à la mode, de Buffon et de Bailly. | D’après ces théories, la Terre marchait à une congé- lation inévitable et prochaine. Laplace, qui jamais ne se contenta d’une expression vague, chercha à déterminer, en nombres, la grande vitesse de refroidissement de notre globe, que Buffon avait si éloquemment, mais si gratui- tement annoncée. Rien de plus simple, de mieux tissu, de plus démonstratif que l’enchaînement de déductions du célèbre géomètre. Un corps diminue de dimensions quand il se refroïdit. D’après les principes les plus élémentaires de la méca- nique, un corps rotatif qui se resserre doit inévitablement tourner de plus en plus vite. Le jour, à toutes les épo- ques, a eu pour durée le temps de la rotation de la Terre ; si la Terre se refroidit, le jour a sans cesse dû se rac- courcir, Or, il est un moyen de découvrir si la durée du jour a varié : c’est d’examiner, dans chaque siècle, quel a été l’arc de la sphère céleste que la Lune parcourait pendant le temps que les astronomes de l’époque appe- LIL — nr, 92 498 LAPLACE. laient un jour, pendant le temps que la Terre employaît à faire une révolution sur elle-même : la vitesse de la Lune, en effet, est indépendante de la durée du mouve- ment de rotation de notre globe. Maintenant, prenez avec Laplace, dans les Tables connues, les valeurs les plus faibles, si vous voulez, des dilatations ou contractions que les corps solides éprouvent par des changements de température; fouillez ensuite dans les annales de l’Astronomie grecque, arabe et mo- derne, pour y puiser la vitesse angulaire de la Lune, et le grand géomètre fera jaillir de ces données la preuve invincible qu’en 2,000 ans la température moyenne du globe n’a pas varié de la centième PE dun degré centigrade, Il n’est point de mouvement d’éloquence qui puisse résister à l’autorité d’une semblable argumentation, à la puissance de pareils chiffres. Les mathématiques ont été de tout temps les adversaires implacables des romans scientifiques. La chute des corps, si elle n’était. pas un phénomène de tous les instants, exciterait justement et au plus haut degré l’étonnement des hommes. Quoi de plus extraor- dinaire, en effet, que de voir une masse inerte, €’est-à- dire privée de volonté, une masse qui ne doit avoir aucune propension à marcher dans tel sens plutôt que dans tel autre, se précipiter vers la Terre dès qu’elle cesse d’être soutenue! La nature engendre la pesanteur des corps par des voies tellement cachées, tellement en dehors de la portée de nos sens et des ressources ordinaires de l'intelligence LAPLACÉ. _: 499 humaïne, que les philosophes qui, dans l'antiquité, croyaient pouvoir tout expliquer mécaniquement, d’après de simples évolutions d’atomes, en exceptèrent la pe- santeur. Descartes essaya ce que Leucippe, Démocrite, Épicure - et leurs écoles avaient cru impossible, T1 fit dépendre la chute des corps terrestres de l'action d’un tourbillon de matière très-subtile circulant autour de notre globe. Les perfectionnements réels que l’illustre Huygens apporta à l’ingénieuse conception de notre compatriote furent loin, cependant, de lui donner la netteté et la précision, ces attributs caractéristiques de la vérité. | Ceux -là apprécient bien mal le sens, la portée d’une des plus grandes questions dont les modernes se soient occupés, qui voient Newton sortir victorieux d’une lutte dans laquelle ses deux immortels prédécesseurs avaient échoué. Newton n’a pas plus découvert la cause de la gravité que ne l'avait fait Galilée. Deux corps en pré- sence se rapprochent. Newton ne chercha pas la nature de la force qui produit cet eflet. La force existe, il l’ap- pelle du mot d’attraction, mais en avertissant que le terme n'implique sous sa plume aucune idée arrêtée touchant le mode d’action physique suivant lequel la gra- vitation naît et s'exerce. La force attractive une fois admise en point de fait, Newton la suit et l’étudie dans les phénomènes terrestres, dans les révolutions de la Lune , des planètes, des satel- lites, des comètes, et, comme nous l'avons déjà dit, il fait jaillir de cette étude incomparable, les caractères 000 LAPLACE. mathématiques , simples, universels, des forces qui pré- sident aux mouvements de tous les astres dont se compose notre système solaire. Les vifs applaudissements du monde savant n’empé- chèrent pas l’immortel auteur des Principes mathéma- tiques de la Philosophie naturelle, d'entendre quelques voix isolées prononcer, à l’occasion de l'attraction uni- verselle, les mots de qualités occultes. Ce mot fit sortir Newton et ses disciples les plus dévoués, les plus enthou- siastes, de la réserve qu’ils croyaient devoir s'imposer. Alors on relégua dans la classe des ignorants ceux qui ont considéré l’attraction comme une propriété essentielle de la matière, comme l’indice mystérieux d’une sorte de charme; qui ont supposé que deux corps peuvent agir l’un sur l’autre sans l'intermédiaire d’un troisième corps : alors, cette puissance devint en chaque lieu, soit la résul- tante de l'effort que fait un certain fluide (l’éther) pour se porter des régions libres de l’espace où sa densité est au maximum, vers les corps planétaires autour des- quels il existe dans un plus grand état de raréfaction, soit la conséquence de l'impulsion d’un milieu fluide quelconque. Newton ne s’est jamais expliqué catégoriquement sur la manière dont pourrait naître une impulsion, cause physique de la puissance attractive de la matière, du moins dans notre système solaire. Mais nous avons au- jourd’hui de fortes raisons de supposer qu’en écrivant le mot impulsion, le grand géomètre songeait aux idées systématiques de Varignon et de Fatio de Duillier, retrou- vées plus tard et perfectionnées par Lesage : ces idées, LAPLACE. 501 en effet, lui avaient été communiquées avant toute publi- cation, D'après les idées de Lesage, il y aurait dans les régions de l’espace, des corpuscules se mouvant suivant toutes les directions possibles et avec une excessive rapidité. L'’au- teur donnait à ces corpuscules le nom de corpuscules ultra-mondains. Leur ensemble composait le fluide gra- vifique, si cependant la désignation de fluide pouvait être appliquée à un assemblage de particules n’ayant entre elles aucune liaison. | Un corps unique, placé au milieu d’un pareil océan de corpuscules mobiles, resterait en repos, puisqu'il serait également poussé dans tous les sens. Au contraire, deux corps devraient marcher l’un vers l’autre, car ils se feraient réciproquement écran; car leurs surfaces en regard ne seraient plus frappées dans la direction de la ligne qui les joindrait, par les corpuscules ultra -mon- dains ; car il existerait alors des courants dont l’effet ne serait plus détruit par des courants contraires. On voit d’ailleurs aisément que deux corps plongés dans le fluide gravifique tengraient à se rapprocher avec une intensité qui varierait en raison inverse du carré des distances. Si l'attraction est le résultat de l'impulsion d’un fluide, son action doit employer un temps fini à franchir les espaces immenses qui séparent les corps célestes. Le Soleil serait donc subitement anéanti, qu'après la cata- strophe, la Terre, mathématiquement parlant, ressenti- rait son attraction encore pendant quelque temps. Le contraire arriverait à la naissance subite d’une planète : : 502 LAPLACE. - un certain temps s’écoulerait avant que l’action attractive du nouvel astre se fit sentir sur notre globe, Plusieurs géomètres du dernier siècle croyaient que l'attraction ne se transmettait pas instantanément d’un corps à lcutre ; ils Pavaient même douée d’une vitesse de propagation assez faible. Daniel Bernoulli, par exemple, voulant expliquer comment la plus grande marée arrive sur nos côtes un jour et demi après les syzygies , c’est-à- dire un jour et demi après les époques où le Soleil et. la Lune se sont trouvés le plus favorablement situés pour la production de ce magnifique phénomène, admit, que l'ac- tion lunaire employait tout ce temps (un jour et demi) à se transmettre de la Lune à la mer. Une si faible vitesse ne pourrait pas se concilier avec l'explication mécanique de la pesanteur dont nous avons parlé. L’explication sup- pose en effet impérieusement, que la vitesse. propre.des corps célestes est insensible comparativement à celle du fluide gravifique. Avant d’avoir trouvé que la diminution actuelle d'excen- tricité de l'orbite terrestre est la cause réelle de Faccélé- ration observée dans le mouvement de la Lune, Laplace, de son côté, avait cherché si cette accélération mystérieuse ne dépendrait ps de la propagation successive de l'at- traction. | Le calcul, un moment, rendit la supposition plausible. Il montra que la propagation graduelle de l'attraction introduirait inévitablement dans le mouvement de notre satellite une perturbation proportionnelle au carré du temps écoulé à partir de toute époque ; que pour repré- senter numériquement les résultats des observations astro- LAPLACE. 503 nomiques, il ne serait nullement nécessaire d'attribuer à l'attraction de petites vitesses; qu’une propagation huit millions de fois plus rapide que celle de la lumière satis- ferait à tous les phénomènes. _ Quoique la vraie cause de l'accélération de la Lune soit actuellement bien connue, l’ingénieux calcul dont je viens de parler n’en conserve pas moins sa place dans la science, Au point de vue mathématique, la perturbation dépen- dante de la propagation successive de l'attraction que ce calcul signale, a une existence certaine. La liaison entre la vitesse et la perturbation est telle, qu’une des deux quantités conduit à la connaissance numérique de l’autre, Or, en donnant à la perturbation la valeur maximum que les observations comportent lorsqu'elles sont corrigées de l'accélération connue provenant du changement d’excen- tricité de l’orbe terrestre, on trouve pour la vitesse de la force attractivé : Cinquante millions de fois la vitesse de la lumière. En se rappelant que ce nombre est une limite en moins, et que la vitesse des rayons lumineux égale 77,000 lieues par seconde, les physiciens qui prétendent expliquer l'attraction par l'impulsion d’un fluide, verront à quelles prodigieuses vitesses ils doivent satisfaire. Le lecteur remarquera ici de nouveau, avec quelle sagacité Laplace savait saisir les phénomènes propres à jeter du jour sur les questions les plus ardues de la phy- sique céleste; avec quel bonheur il les explorait et en faisait jaillir des conséquences numériques devant les- quelles l'esprit reste confondu. L'auteur de la Mécanique céleste admettait, comme 504 LAPLACE. Newton, que la lumière se compose de molécules maté- rielles d’une excessive ténuité et douées, dans le vide, d’une vitesse de 77,000 lieues par seconde. Toutefois, on doit prévenir ceux qui voudraient se prévaloir de cette imposante autorité, que le principal argument de Laplace en faveur du système de l'émission, était la possibilité d’y tout soumettre à des calculs simples et rigoureux, tandis que la théorie des ondes présentait et qu’elle offre encore aujourd’hui aux analystes d'immenses difficultés, Il était naturel qu’un géomètre qui avait si élégamment rattaché les lois de la réfraction simple que la lumière subit dans l’atmosphère, les lois de la réfraction double qu’elle éprouve dans certains cristaux, à des forces attractives et répulsives, n’abandonnât pas cette voie avant d’avoir mathématiquement reconnu l'impossibilité d'arriver de la même manière à des explications plausibles des phéno- mènes de la diffraction et de la polarisatidn. Au reste, le soin que Laplace prit toujours de pousser autant que possible ses recherches jusqu'aux déductions numériques, permettra aux physiciens qui entreprendront une com- paraison complète des deux théories rivales de la lu- mière, de puiser dans la Mécanique céleste les données de plusieurs rapprochements pleins d'intérêt et très- piquants. | La lumière est-elle une émanation du Soleil ? cet astre lance-t-il à chaque instant et dans toutes les directions une partie de sa propre substance? diminue-t-il gra- duellement de volume et de masse? L’attraction solaire sur notre globe deviendra alors de moins en moins consi- dérable ; le rayon de l'orbite terrestre, au contraire, ne LAPLACE. 505 pourra manquer de s’accroître, et la longueur de l'année recevra une augmentation correspondante. Voilà ce qui, pour tout le monde , résulte d’un premier aperçu. En appliquant le calcul analytique à la question, en descendant ensuite aux applications numériques à l’aide . des résultats les plus précis de l’observation sur la durée de l’année dans les différents siècles, Laplace a prouvé . que 2,000 ans d’une émission constante de lumière n’ont pas diminué la masse du Soleil de la deux-millionième partie de sa valeur primitive. Notre illustre compatriote ne se propose jamais rien de vague, d’indécis. Son objet constant est l'explication de quelque grand phénomène naturel, d’après les règles inflexibles de l'analyse mathématique. Aucun physicien, aucun géomètre ne se tint plus soigneusement en garde contre l'esprit de système. Personne ne redouta davan- tage les erreurs scientifiques que. l'imagination enfante quand elle ne reste pas circonscrite dans les limites des faits, du calcul et de l’analogie. Une fois, une seule fois, Laplace s’élança, comme Kepler, comme Descartes, comme Leibnitz, comme Buffon, dans la région des con- jectures. Sa conception ne fut alors rien moins qu'une cosmogonie, Toutes les planètes circulent autour du Soleil, de l'oc- cident à lorient, et dans des plans qui forment entre eux des angles peu considérables. Les satellites se meuvent autour de leurs planètes res- pectives comme les planètes autour du Soleil, c’est-à-dire de l'occident à lorient. Les planètes et les satellites dont on a pu observer les 506 LAPLACE. mouvements de rotation, tournent également sur leurs centres de l'occident à lorient, Enfin, le mouvement de rotation du Soleil s'opère aussi de l’occident à lorient. Voilà donc un total de quarante-trois mouvements semblablement dirigés. Par le calcul des probabilités, il y a plus de quatre milliards à parier contre un quecette simil'tude dans la direction de tant de mouvements n’est pas l'effet du hasard. Buffon est, je crois, le premier qui ait essayé de rendre compte de cette singularité de notre système solaire. « Voulant s'abstenir d’avoir recours, dans l'explication des phénomènes, aux causes qui sont hors de la nature, » le célèbre académicien chercha une origine physique à ce qu’il y a de commun dans le mouvement de tant d’astres ; de tant d’astres différents par leurs grandeurs, par leurs formes, par leurs distances au centre principal d’attrac- tion. Cette origine, il crut la trouver en faisant cette triple supposition : une comète tomba obliquement sur le Soleil ; elle poussa devant elle un torrent de matière fluide ; cette matière, transportée, suivant ses divers degrés de légèreté, plus ou moins loin du Soleil, forma, par con- centration, toutes les planètes connues. L'hypothèse hardie de Buffon est sujette à d’insur- montables difficultés, Je vais indiquer en peu de mots le système cosmogonique que Laplace substitua à celui de l’illustre auteur de l'Histoire naturelle. Suivant Laplace, le Soleil était, à une époque soit; le noyau central d’une immense nébuleuse qui avait une température très-élevée et s’étendait bien au delà de la LAPLACE. 507 région où se meut aujourd'hui Uranus. Alors aucune planète n'existait encore. La nébuleuse solaire était douée d’un mouvement géné- ral de révolution dirigé de l'occident à l’orient, En se refroidissant, elle ne pouvait manquer d'éprouver une _ condensation graduelle et, dès lors, de tourner de plus en plus vite, Si la matière nébuleuse s’étendait originai- rement, dans la région équatoriale, jusqu'à la limite où la force centrifuge contre-balançait exactement l’action attractive du noyau, les molécules situées à cette limite durent, pendant la condensation, se séparer du reste de la matière atmosphérique et former une zone équatoriale, un anneau tournant séparément et avec sa vitesse primi- tive. On peut concevoir que des séparations analogues sopérèrent à diverses époques, c’est-à-dire à plusieurs distances du noyau, dans les couches supérieures de la nébuleuse, et qu’elles donnèrent lieu à une succession d'anneaux distinets, contenus à peu près dans le même plan et doués de vitesses différentes, Ceci une fois admis, on voit aisément que la conser- vation indéfinie des anneaux aurait exigé, sur toute leur circonférence, une régularité de composition très-peu probable. Chacun d’eux se rompit donc à son tour, en plusieurs masses qui furent douées, comme: il est facile de le comprendre, d’un mouvement de rotation dirigé dans le sens du mouvement commun de révolution, et qui prirent, à cause de leur fluidité, des formes sphé- roïdales. Si Pon veut maintenant qu’un des sphéroïdes ait pu s'emparer de tous ceux qui provenaient du même anneau, 508 LAPLACE. il suffira de lui attribuer une masse supérieure à celle de tous les autres, Dans chacune des planètes à l’état de vapeur dont nous venons de parler, l’esprit aperçoit un noyau central aug- mentant graduellement de masse, de grandeur, et une atmosphère qui offre à ses limites successives des phéno- mènes entièrement semblables à ceux que l'atmosphère solaire proprement dite nous avait présentés. Ici nous assistons à la naissance des satellites et à celle de l’an- neau de Saturne, | Le système dont je viens de donner un aperçu a pour but de montrer comment une nébuleuse douée d’un mou- vement général de rotation doit se transformer, à la longue, en un noyau central très-lumineux (un soleil), et en une série de planètes sphéroïdales distinctes, éloi- gnées les unes des autres, circulant toutes autour du soleil central dans la direction du mouvement primitif de la nébulosité ; comment ces planètes doivent aussi avoir autour de leurs centres des mouvements de rotation semblablement dirigés; comment, enfin, les satellites, quand il s’en est formé, ne peuvent manquer de tourner sur eux-mêmes et autour des planètes qui les entraînent, dans le sens de la rotation de ces planètes et de leur mouvement de circalation autour du Soleil. Nous venons de retrouver, conformément aux prin- cipes de la mécanique, les forces dont étaient primitive- ment douées les particules de la nébuleuse, dans les mouvements de rotation et de circulation des masses compactes et distinctes auxquelles ces particules donnent naissance en s’agglomérant, Mais on n’a fait ainsi qu'un . LAPLACE. 509 seul pas. Le mouvement de rotation primitif de la nébu- losité ne se trouve point rattaché à de simples attractions ; ce mouvement semble impliquer l’action d’une force im- pulsive primordiale. Laplace est loin de partager, à cet égard, l'opinion presque générale des philosophes et des géomètres. «Il ne croit pas que les attractions mutuelles de corps pri- mitivement immobiles, doivent, à la longue, réunir tous ces corps à l’état de repos, autour de leur centre com- mun de gravité. » Il maintient, au contraire, que trois corps sans mouvement, parmi lesquels deux auraient beaucoup plus de masse que le troisième, ne s’agglomé- reraient en une masse unique que dans des cas excep- tionnels. En général, les deux corps les plus gros se réuniraient entre eux, tandis que le troisième circulerait autour du centre commun de gravité. L’attraction serait ainsi devenue la cause d’un genre de mouvement auquel l'impulsion semblait seule pouvoir donner naissance. On pourrait croire, en vérité, qu’en exposant cette partie de son système, Laplace avait devant les yeux les paroles que Jean-Jacques a placées dans la bouche du vicaire savoyard , et qu’il voulait les réfuter : « Newton a trouvé la loi de l'attraction, dit l’auteur d'Émile, mais l'attraction seule réduirait bientôt l’uni- vers en une masse immobile : à cette loi il a fallu joindre une force projectile pour faire décrire des courbes aux corps célestes. Que Descartes nous dise quelle loi phy- sique a fait tourner ses tourbillons; que Newton nous montre la main qui lança les planètes sur la tangente de leurs orbites. » 540 LAPLACE. Suivant les idées cosmogoniques de Laplace, les co- mètes, à l’origine, n’ont point fait partie de notre système; elles ne se sont pas formées aux dépens de la matière de l'immense nébuleuse solaire ; il faut les considérer comme de petites nébuleuses errantes que la force attractive du Soleil a déviées de leur route primitive. Celles de ces comètes qui pénétrèrent dans la grande mébulosité à l’époque de sa condensation et de la formation des pla- nètes, tombèrent dans le Soleil en décrivant des spirales et durent, par leur action, écarter plus ou moins les plans des orbites planétaires du plan de l’équateur solaire avec lequel, sans cela, ils auraient coïncidé exactement. Quant à la lumière zodiacale, cette pierre d’achoppe- pement contre laquelle tant de rêveries ont été se briser, elle se compose des parties les plus volatiles de la nébu- leuse primitive. Ces molécules, ne s'étant pas unies aux zones équatoriales successivement abandonnées dans le plan de l'équateur solaire, continuent à circuler aux distances où elles étaient primordialement et avec leur vitesse originaire. L'existence de cette matière extrême- ment rare, dans la région qu’occupe la Terre et même seulement dans celle de Vénus, semblait inconciliable avec les lois de la Mécanique; mais c'était lorsque , en mettant, par la pensée, la matière zodiacale dans la dépendance immédiate et intime de la photosphère solaire proprement dite, on lui imprimait un mouvement angu- laire de rotation égal à celui de cette photosphère, un mouvement à l’aide duquel sa révolution entière n "exi- geait que vingt-cinq jours et demi. Laplace présenta ses conjectures sur la formation _ LAPLACE. 511 système solaire avec la défiance que doit inspirer tout ce qui m'est pas un résultat du calcul et de l'observation. Peut-être doit-on regretter qu’elles n’aient pas reçu de plus grands développements, surtout en ce qui concerne la division de la matière en anneaux distincts; peut-être . est-il fâcheux que l’illustre auteur ne se soit pas suffi- samment expliqué touchant l’état physique primitif, l'état moléculaire de la nébuleuse aux dépens de laquelle se seraient formés le Soleil, les planètes, les satellites de notre système ; peut-être doit-on déplorer, en particu- lier, que Laplace ait cru pouvoir passer légèrement sur la possibilité, suivant lui évidente, de mouvements de circulation résultant de l’action de simples forces attrac- tives , etc. | Nonobstant ces lacunes, les idées de l’auteur de la Mécanique céleste n’en sont pas moins les seules qui, par leur grandeur, leur cohérence, leur caractère mathéma- tique, puissent être vraiment considérées comme formant une cosmogonie physique ; les seules qui trouvent aujour- d'hui un puissant appui dans les résultats des études récentes des astronomes sur les nébulosités de toute gran- deur et de toute forme dont le firmament est parsemé. Dans cette analyse, nous avons cru devoir concentrer toute l'attention sur la Mécanique céleste. Le Système du monde et la Théorie analytique des Probabilités n’exige- raient pas moins de développements. L'Exposition du Système du monde est la Mécanique céleste , débarrassée de ce grand attirail de formules ana- lytiques par lequel doit indispensablement passer tout astronome qui, suivant l'expression de Platon, désire … LA 512 LAPLACE. savoir quels chiffres gouvernent l’univers matériel. C’est dans l'Exposition du Système du monde que les personnes étrangères aux mathématiques puiseront une idée exacte et suffisante de l’esprit des méthodes auxquelles l’astro- nomie physique est redevable de ses étonnants progrès. Cet ouvrage, écrit avec une noble simplicité, une exquise propriété d'expression, une correction scrupuleuse, est terminé par un abrégé de l’histoire de l'astronomie, classé aujourd’hui, d’un sentiment unanime, parmi les beaux monuments de la langue française. On a souvent exprimé le regret que César, dans ses immortels Commen- laires, se soit borné à raconter ses propres campagnes : les commentaires astronomiques de Laplace remontent jusqu’à l’origine des sociétés. Les travaux entrepris dans tous les âges pour arracher au firmament des vérités nouvelles, s’y trouvent analysés avec justesse, clarté et profondeur : c’est le génie se faisant l’appréciateur im- partial du génie. Laplace est toujours resté à la hauteur de cette grande mission; son ouvrage sera lu avec respect tant que le flambeau de la science jettera quelque lueur. Le calcul des probabilités, renfermé dans de justes bornes, doit intéresser à un égal degré le mathématicien, l'expérimentateur et l’homme d’État. Depuis l’époque, déjà fort ancienne, où Pascal et Fermat en posèrent les premiers principes, il a rendu et rend chaque jour d’émi- nents services. C’est le calcul des probabilités qui, après avoir réglé les meilleures dispositions des Tables de population et de mortalité, apprend à tirer de tous ces nombres ordinairement si mal interprétés, des consé- quences précises et utiles; c’est le calcul des probabilités LAPLACE. 513 qui, seul, peut régler équitablement le taux des primes d'assurances, les mises dans les tontines, les retenues pour les caisses de pensions, les annuités, les es- comptes, etc. ; c’est sous ses coups que la loterie et tant de piéges honteux, tendus avec astuce à la cupidité, à l'ignorance, ont définitivement disparu. Laplace a traité ces questions et d’autres beaucoup plus complexes, avec sa supériorité accoutumée. Pour tout dire en un seul mot, la Théorie analytique des Probabilités est digne de l'au- teur de la Mécanique céleste. Un philosophe dont le nom rappelle d’immortelles dé- couvertes, disait à des auditeurs qui se laissaient fasciner par des réputations antiques et consacrées : « Songez, Messieurs, songez bien qu’en matière de science, l’auto- rité de mille ne vaut pas le plus humble raisonnement d'un seul. » Deux siècles ont passé sur ces paroles de Galilée, sans en affaiblir la valeur, sans en voiler la vérité. Aussi, au lieu d’étaler une longue liste d’admira- teurs illustres des trois beaux ouvrages de Laplace, avons- nous préféré, pour ainsi parler, faire toucher du doigt quelques-unes des vérités grandioses que la géométrie y a déposées. Ne portons pas toutefois le rigorisme à l'extrême, et puisque le hasard a fait arriver dans nos mains quelques lettres inédites d’un de ces hommes de génie à qui la nature a donné la rare faculté de saisir du premier coup d'œil les points culminants des objets, qu'il nous soit permis d’en extraire deux ou trois appré- ciations brèves et caractéristiques, de la Mécanique céleste et du Traité des Probabilités. Le 27 vendémiaire an x, après avoir reçu un volume XL. — 1x, GE) 514 LAPLACE. de la Mécanique céleste, le général Bonaparte écrivait à Laplace : « Les premiers siæ mois dont je pourrai dis- poser, seront employés à lire votre bel ouvrage. »11 nous a paru que ces mots, les premiers siæ mois, enlèvent à la phrase le caractère d’un remercîment banal, et qu’ils renferment une juste PPS de l’importance et de la difficulté de la matière. Le 5 frimaire an xr, la lecture de quelques chapitres du volume que Laplace lui avait dédié, était pour le général «une occasion nouvelle de s’affliger que la force des circonstances l’eût dirigé dans une carrière qui l'éloi- gnait de celle des sciences. » « Au moins, ajoutait-il, je désire vivement que les générations futures, en lisant la Mécanique céleste, n’ou- blient pas l'estime et l’amitié que j'ai portées à son auteur, » Le 17 prairial an xnr, le général, devenu empereur, écrivait de Milan : « La Mécanique céleste me semble ap- pelée à donner un nouvel éclat au siècle où nous vivons. » Enfin, le 12 août 1812, Napoléon, à qui le Traité du calèul des Probabilités venait d'arriver, écrivait de Witepsk la lettre que nous transcrivons textuellement : «I fut un temps où j'aurais Iu avec intérêt votre Traité du calcul des Probabilités. Aujourd'hui je dois me borner à vous témoigner la satisfaction que j'éprouve, toutes les fois que je vous vois donner de nouveaux ou- - vrages qui perfectionnent et étendent la première des sciences et contribuent à l'illustration de la nation. L’avan- cement, le perfectionnement des mathématiques sont liés à la prospérité de l'État, » LAPLACE. 515 Me voici parvenu au terme de la tâche que je m'étais imposée, On me pardonnera d’avoir exposé avec tant de détails, les principales découvertes dont la philosophie, Vastronomie, la navigation, ont été redevables à nos géomètres. Il m’a paru qu’en retraçant ce passé glorieux , je mon- trais à nos contemporains toute l’étendue de leurs devoirs envers le pays. En effet, c’est aux nations surtout à se rappeler ce vieil adage : noblesse oblige ! Lee E'iolsbe = ait re ae pe Pire FERMAT Les œuvres de quelques hommes de génie, c’est tout ce qui reste d’une génération sur laquelle trois ou quatre siècles ont passé. Ces œuvres sont les vrais titres de noblesse des nations. Les reproduire lorsque leur rareté en a beaucoup élevé le prix et que l’action destruc- tive du temps menace de les faire entièrement dispa- raître ; en enrichir les bibliothèques publiques; les mettre à la portée des fortunes, ordinairement fort modestes, des membres du corps enseignant, tel est le devoir que les gouvernements éclairés s’empresseront toujours d’ac- complir : ces justes hommages rendus à l'intelligence humaine acquièrent un prix inestimable quand on les entoure d’une certaine solennité. Ces considérations avaient décidé le ministre de l’in- struction publique à demander aux Chambres législatives, en 1843, la réimpression des œuvres de Fermat. Je fus nommé rapporteur de la Commission de la Chambre des députés chargée d'examiner le projet de loi tendant à ouvrir dans ce but un crédit extraordinaire de 15,000 fr, Ce projet de loi fut voté. Par suite de diverses circon- stances sur lesquelles il est inutile de s’étendre ici, les fonds accordés par les Chambres sont rentrés au trésor, et la grande pensée de la publication par l'État des œuvres 518 FERMAT. rares ou inédites de nos plus célèbres géomètres a été abandonnée, On mettra peut-être un jour ce projet à exécution. J’ai donc pensé devoir reproduire ici tout ce . qui, dans mon Rapport, n’était pas de pure formalité. Appeler les trois pouvoirs de l’État à délibérer sur la réimpression de quelques pages, c’est accorder au génie la plus flatteuse des récompenses, c’est présenter à la jeunesse studieuse le plus noble des stimulants. Ces hon- neurs perdraient tout leur prestige s'ils étaient, par erreur ou par inadvertance, accordés, même une seule fois, à des auteurs médiocres, Il faut les réserver scrupuleu- sement pour les hommes d’élite dont les noms s'offrent sans effort à l'esprit de tout le monde, quand les peuples en viennent à se disputér la prééminence intellectuelle, Il existerait un moyen à peu près infaillible de dissiper à ce sujet les inquiétudes du législateur. Des rapports rédigés par nos grandes académies pourraient préparer le travail de ladministration, marquer le rang des hommes et caractériser le mérite des ouvrages. La popularité , dans la carrière des sciences, ne donne pas une mesure éxacte du mérite des inventeurs. Cer- taines questions n’ont été résolues que par des efforts de génie; à peine, cependant, les connaît-on hors de l’en- céinte des ‘académies : c’est qu’elles appartenaient au domaïne des abstractions. D'autres questions, moïns difficilés, mais liées à de grands phénomènes naturels et particulièrement aux mouvements célestes, sont deve- nues la soürce très-légitime d'une gloire immortelle et généralement reconnue. L'illuse Lagrange était sans doute frappé de ce rapprochement, lorsqu'il s’écriait FERMAT. 549 avec une tristesse naïve : « Newton était assurément l'homme de génie par-excelience, mais on doit convenir . qu'il fut aussi le plus heureux : on ne trouve qu’une fois le système du monde à établir. » Les travaux de Fermat appartiennent presque tous à cette catégorie de questions dont les géomètres de pro- fession ‘font leurs délices, et sur lesquelles le public, avide d'applications immédiates, jette à peine un regard dédai- gneux. | | Voltaire n’inscrivit pas le nom de Fermat dans la liste des notabilités qui illustrèrent le .siècle de Louis XIV; tout le monde peut avouer, sans réticence et sans honte, ne pas savoir, en matière d'histoire scientifique, ce que Voltaire ignora. Deux mots de biographie, et chaque chose sera mise à sa place. Fermat est né à Toulouseten 1595, et il est mort dans cette ville en 1665. Le xwr° et particulièrement le xvrr' siècle virent, dans tous les pays de l’Europe, d’illustres magistrats consacrer leurs loisirs à la culture des sciences et se distinguer par des découvertes. Le célèbre astronome Hévélius, fut sénateur de Danzig. Le grand pensionnaire Jean de Witt, était un profond géomètre. Hudde, bourgmestre d'Amsterdam, attacha son nom à de beaux théorèmes analytiques. Rœmer, devenu premier magistrat de Copen- hague après s’être déjà immortalisé par la détermination de la vitesse de la lumière, continua à enrichir la science des astres et l’art d'observer de ses précieuses inventions. Et, dans notre France, Viète, à qui l’algèbre dut une si féconde, une si puissante impulsion, se devait aux affaires 520 FERMAT. publiques par le titre de maître des requêtes. Beaune, que Descartes plaçait au premier rang des mathémati- ciens de son temps, était la lumière du présidial de Blois. Frenicle honoraïit, par un savoir immense, son titre de magistrat à la cour des monnaies. Étienne Pascal, le père de l’auteur des Provinciales, le premier président à la cour des aides de Clermont, fut un très-savant physicien. Fermat, enfin, le principal ornement de cette resplen- dissante pléiade, passait au parlement de Toulouse, où il était conseiller, pour un des plus profonds juris- consultes de l’époque, S'il fallait expliquer comment les magistrats parve- naient, il y a deux siècles, à faire marcher de front les études les plus ardues et les obligations de leurs charges, comment ils ne le peuvent plus aujourd’hui, nous dirions avec un écrivain célèbre qui honora à la fois la science et les lettres : « La gravité de leur état ne leur permettait ni les divertissements bruyants de la noblesse militaire, ni la société des femmes. Ils n'étaient point forcés à ces longues distractions qu’entraînent les petits devoirs im- posés aux gens qui vivent dans lé monde; ainsi, ceux des magistrats qui avaient trop d'activité pour que les dou- ceurs de la vie domestique pussent leur suffire, n’avaient alors d'autre délassement que l'étude, et ils osaient pu- blier le fruit de leurs travaux, sans craindre de paraître avoir des moments de loisir. » . Mais de pareilles investigations seraient hors de pro- pos. Contentons-nous d'affirmer, d’après des témoignages nombreux et authentiques, que le savant illustre dont les Chambres, sous le gouvernement de Juillet, décidèrent FERMAT. 521 qu'on réimprimerait les œuvres mathématiques, laissa la réputation d’un magistrat intègre et religieusement dé- voué à ses devoirs. ( Fermat ne publia lui-même qu’un petit nombre d’opus- cules détachés. Ce fut seulement en 1679, quinze années après la mort du célèbre géomètre, que Samuel Fermat réunit les principaux écrits de son père, connus ou iné- dits, et en composa un volume in-folio intitulé : Varia opera mathematica. La commission de la Chambre des députés, fidèle au programme qu’elle s'était tracé, et dont nous vous avons plus haut donné l'analyse, a examiné si les Opera varia renferment des découvertes d’un ordre tellement supé- rieur, qu’elles justifient la solennité que lon voulait apporter à leur réimpression. Nous avons dû nous de- mander encore si un livre publié il y a cent soixante-cinq ans sous les inspirations de la piété filiale, ne pourrait pas aujourd'hui, sans désavantage, subir quelques abré- viations, quelques retranchements. Voici, en peu de mots, les résultats de nos recherches. Il y a dans les Opera varia certains articles, ceux, par exemple, qui traitent des carrés magiques, qu’il - semblerait complétement inutile de reproduire. Des let- tres, en assez grand nombre, sans aucun intérêt histo- rique ou scientifique, pourraient également être suppri- mées. En revanche, il eût été bon de grouper autour des principaux Mémoires de Fermat, d’autres travaux con- temporains qui en forment le complément. | Le calcul différentiel est la plus grande découverte mathématique que les hommes aient faite, et si l’on con- 522 FERMAT. sidère l'importance et la variété de ses applications, c’est la plus féconde conception de l’esprit humain. À laide, du calcul différentiel, l’analyste saisit les questions ‘de toute nature dans leurs vrais éléments, dans leur-essence intime; il sonde ainsi, sans jamais laisser de lacune der- rière lui, les plus secrets replis des phénomènes naturéls. Le calcul différentiel fournit à de simples écoliers le moyen de résoudre, d’un trait de plume, des problèmes devant lesquels l’ancienne géométrie restait Impuissante, même dans les mains d’un Archimède. Il ne faut donc pas S’étonner que deux beaux génies, Leibnitz ét Newton, que deux grandes nations, l'Allemagne et l'Angleterre, se soient disputé avec ardeur, avec animosité, l'honneur de l'invention. Lorsqu’à la suite d’une profonde étude des pièces de ce mémorable procès, Laplace écrivit, il y a peu d’an- nées, dans l’Essai philosophique sur le calcul des Proba- bilités : « On doit regarder Fermat comme le véritable inventeur du calcul différentiel , » nos voisins se montrèrent vivement émus; ils soutinrent qu’une possession de plus d’un siècle de durée devait faire repousser toute préten- tion nouvelle, comme si en matière de science la pres- cription pouvait jamais être invoquée au détriment du droit et de la vérité. Les savants contradicteurs de l’auteur de la Mécanique céleste, ignoraient, sans doute, que déjà d'Alembert avait dit dans l'Encyclopédie : « On doit à Fermat la première application du calcul aux quantités différentielles pour ‘trouver les tangentes : la géométrie nouvelle n’est que cette dernière méthode généralisée. » On comprend plus difficilement que des mathématiciens FERMAT. 523 instruits n'aient pas su que Lagrange, dans ses Leçons sur le calcul des fonctions, avait traité ce point d'histoire scientifique avec sa netteté, sa profondeur habituelles , et que lui-aussi disait : «On peut regarder Fermat comme le premier inventeur des nouveaux calculs. » Les pages dans lesquelles l’illustre magistrat de Tou- Jouseexposa sa méthode différentielle, soit pour mener des tangentes aux courbes , soit pour résoudre des ques- tions de maxima et de minima , eussent ouvert noblement la nouvelle publication, et en eussent formé la partie principale. EH eût fallu y joindre les commentaires de d'Alembert, de Lagrange et de Laplace, dont nous avons seulement cité les conclusions. La découverte de notre compatriote ainsi présentée serait alors :plus claire, plus saisissable ; d’ailleurs elle se trouverait ainsi sous la sauvegarde d’une décision solen- nelle, portée ‘par les trois juges les plus compétents qu’il eût été possible de trouver en aucun pays du monde. Le calcul des Probabilités a pour premiers fondements les recherches de Fermat et de Pascal. Ceux qui attri- buent la priorité à Huygens oublient que cet illustre géo- mètre déclara nettement, en publiant son bel ouvrage, qu'il avait eu connaissance des investigations antérieures des géomètres français, et que la gloire de l’mvention leur revenait sans partage. Ce n’est pas une petite chose que d’avoir créé une branche féconde, de l'analyse. Si un ouvrage offrait un tableau chronologique exact des recherches presque con- temporaines de Pascal et de Fermat sur le calcul des probabilités, notre histoire scientifique posséderait un 524 FERMAT. chapitre que chacun, dans l’occasion, pourrait citer avec un juste sentiment d’orgueil. Fermat paraît devoir être associé à Viète et à De cartes, dans la conception admirable qui conduisit à l’application complète de l'algèbre à la géométrie. Les recherches de ces savants illustres, coordonnées avec une scrupuleuse attention et suivant l’ordre des dates, deviendraient pour les jeunes géomètres une ieues instructive et du plus haut intérêt. Les travaux arithmétiques de Fermat n’ont pas été surpassés. Ses théorèmes sur les propriétés des nombres occupent une grande place parmi les découvertes mathé- matiques modernes. Si on doutait de leur immense diffi- culté, nous citerions ces paroles de Pascal : « Cherchez ailleurs qui vous suive dans vos inventions numériques; pour moi je vous confesse que cela me passe de bien loin; je ne suis capable que de les admirer. » Nous rappellerions aussi les efforts que firent les Euler, les Lagrange, les Legendre, quand ils voulurent démontrer quelques-unes des propositions de Fermat, et l’inutilité de leurs tentatives, relativement à ce fameux théorème : « Au-dessus du carré, il n’y a aucune puissance entière qui soit décomposable en deux puissances entières du même degré. » Malheureusement les méthodes que Fermat imagina pour pénétrer aussi profondément dans les secrets des nombres, ne nous sont pas parvenues. Fermat avait enrichi son exemplaire des Questions de Diophante de notes marginales qui ont été insérées dans - une édition du mathématicien grec publiée en 4670. Ces notes, nous en avons fait le calcul, formeraient en somme FERMAT. 525 l'équivalent de dix à douze pages. Faudrait-il, à raison de quelques lignes de Fermat , réimprimer le Diophante tout entier? Nous ne le pensons pas. Voici nos objections: l'ouvrage est volumineux ; il en existe deux éditions bien suffisantes pour les érudits, d’ailleurs en très-petit nom- bre, qui désirent aller saisir dans les auteurs originaux les premiers rudiments de l'algèbre; à l’aide de quelques mots d'introduction, les courtes notes du célèbre géo- mètre de Toulouse pourraient être aisément et convena- blement conservées sans rien sacrifier de ce qu’elles offrent d’essentiel, d’important. Tranchons le mot : sans vouloir arracher personne à sa vocation, sans prétendre que des conceptions, aujourd’hui purement spéculatives, ne recevront pas tôt ou tard de belles applications, nous pensons, en thèse générale, que ce serait commettre une faute réelle que de tourner trop vivement l’attention du public vers l’analyse indéterminée, que d’exciter: les jeunes géomètres à porter leurs efforts sur la théorie des nombres. Le système du monde, les phénomènes de l’'acoustique, de la lumière, de l'électricité, du magné- tisme, offriront à leur ardeur un champ plus fécond et infiniment plus vaste. L'ouvrage de Diophante ne doit donc pas être réimprimé aujourd’hui avec les œuvres de Fermat. Il ne faudrait pas moins, pour modifier sur ce point notre opinion bien arrêtée, que la découverte d’un commentaire dont Lagrange avait semblé vouloir s’occu- per dans sa jeunesse, et qui, selon toute apparence, n’a jamais été composé. Dans l'exposé des motifs du projet de loi, le ministre de l'instruction publique avait parlé de la possibilité de 526 FERMAT. joindre au: texte des anciennes éditions de Fermat, d’autres écrits jusqu’à présent inédits, qui donneraient à la nouvelle publication une importance scientifique in- contestable. Voici ce que nous avons appris à ce sujet, Un érudit acheta, il y a peu d'années, chez un bou- quiniste de Metz, un cahier écrit de la main du géomètre Arbogast.. Dans ce cahier le député conventionnel du Bas- Rhin avait réuni des lettres inédites et quelques opuscules, mathématiques de Fermat. Le Journal des. Savants. du mois de septembre 1839, a donné la liste de ces pièces. Une lecture attentive de ce catalogue a. singulièrement, amoindri les espérances que nous avions conçues. Le manuscrit d'Arbogast ne fournirait, en tout cas, qu'un. petit nombre de pages. Les OEuvres mathématiques choisies de Pascal, de Roberval, se grouperaient très-utilement autour des immortels travaux contemporains de Fermat. Tout le monde verrait avec plaisir, réunies en un seul faisceau, les recherches si remarquables des géomètres français sur la cycloïde proprement dite,, et sur les cycloïdes rac- courcies ou allongées. La méthode des tangentes de Roberval serait placée avec fruit à côté de la méthode différentielle du géomètre de Toulouse. Enfin, à une époque. où la mécanique joue un si grand rôle dans l’in- dustrie, dans les chemins de fer et dans la marine à vapeur, il y aurait utilité à montrer comment Pascal savait traiter les questions qui s’y rapportent; comment il faisait surgir de la discussion du paradoxe hydrosta- tique, la pensée claire et précise de la presse hydrau- FERMAT. 527 lique, la plus singulière, la plus puissante machine qu’on ait imaginée. En suivant cette direction d'idées, les admirables pages où Papin a décrit ses conceptions de la machine et des bateaux à vapeur, devraient aussi trouver place. dans une publication faite. par l'État. Tous les savants illustres du xwrr° siècle fourniraient ainsi leur contingent pour le glo- rieux monument élevé à la mémoire de Fermat. Bacon inséra dans son testament ces singulières pa- roles : « Je lègue mon nom et ma mémoire aux nations étrangères. » On ne trouve, bien entendu, aucune dispo- sition semblable parmi les dernières volontés de Fermat, Ce magistrat austère, intègre, n’avait pas de motif pour se défier de ses compatriotes. Peut-être aussi imagina-t-il que personne après sa mort ne s’occuperait plus de la méthode des maxima et des minima, des propriétés des nombres et du calcul des probabilités. Celui qui, dans le _ feu de ses plus vives discussions scientifiques, écrivait au père Mersenne : « M. Descartes ne saurait m’estimer si peu que je ne m’estime encore moins, » devait être peu accessible à des mouvements de vanité. Mais nous aimons à croire que, dans notre pays, l’homme le plus modeste, s’il a du génie, peut compter que le jour d’une éclatante justice luira tôt ou tard sur ses productions. La réimpression des OEuvres mathématiques choisies de Fermat et de quelques fragments de Pascal, de Rober- val, de Papin, qui se rattachent plus ou moins directe- ment aux travaux de l’immortel. géomètre de Toulouse, serait en quelque sorte une prise de possession solennelle de six des plus grandes découvertes des temps modernes: 528 FERMAT. l'application de l’algèbre à la géométrie, le calcul des probabilités, le calcul différentiel, la presse hydraulique, la machine et les bateaux à vapeur. Lorsqu'au nom du bon droit et de la vérité, un grand pays arbore résolument son drapeau sur des conquêtes intellectuelles qui lui étaient disputées, il augmente beau- coup plus sa puissance morale, sa puissance réelle, qu’il ne le ferait par l'acquisition de quelques lambeaux de territoire, ABEL Un géomètre norvégien de beaucoup de mérite, Abel, vint à Paris vers le milieu de l’année 1896, et y séjourna quelques mois. Peu de temps avant de quitter la France, cet intéressant jeune homme présenta à l’Académie des sciences un Mémoire que l’assemblée renvoya à l’examen de deux commissaires, MM. Legendre et Cauchy. De retour dans son pays, Abel, dont la santé était très-faible, se livra au travail avec une ardeur immodérée. Il commit aussi l’imprudence d’entreprendre un voyage dans la région la plus montueuse de la Norvége, pendant l'hiver de 1828 à 1829. Bref, une maladie de poitrine se déclara et conduisit Abel au tombeau ; ce fut pour les sciences mathématiques une perte immense. Abel était un homme de génie. Nicolas-Henri Abel est né à Frindoe, en 18092; il est mort à l’âge de vingt-sept ans. Dans la Notice consacrée à Abel dans la Biographie universelle de Michaud, les circonstances du séjour du jeune géomètre à Paris, le récit de sa mort, sont accom- pagnés de faits imaginaires ou entièrement dénaturés, On comprendra que la presse se soit livrée à ce sujet à des déclamations ampoulées, en lisant ces quelques lignes de la biographie d’Abel : « Ici nous élèverons la voix pour IL, — qu, 3! 530 ABEL. demander compte à ces hommes égoïstes qui, par leur indifférence, ont contribué à abréger les jours d’Abel, pour leur demander compte, disons-nous, de toutes les découvertes que sa mortmous:a ravies, et dont quelques- unes, qu’il a énoncées sans démonstration, frappent d’étonnement tous ceux qui peuvent en comprendre l’im- portance. Était-ce bien le temps, au x1x° siècle, de renou- veler la mort du Camoëns?» Disculpons sans retard les membres les-plus distingués de l’Académie des sciences.de l’égoisme,-de-l’indifférence dont le biographe les accuse; montrons que l’odieuse. imputation d’avoir contribué à abréger les:jours. diAbel ne.saurait les atteindre. Le biographe déclare, avec le plus grand sérieux. du monde, que «personne ne devina (à Paris) le génie du jeune géomètre norvégien.» Je n’imagine pas que les mathématiciens français-aient jamais.cru posséder le don de la divination; ils passeront donc volontiers condamnation sur la sentence du bio- graphe. Seulement, comme la faute de n'avoir. pas soup- conné le mérite d’un homme serait d'autant plus.-grande qu’on aurait eu avec lui de plus longues relations, l-est bon de remarquer ici l’erreur involontaire-du.biographe.: On fixe à dix mois la durée du séjour d’Abel à Paris. Nous savons, nous, de science certaine, qu'arrivé dans la capitale en juillet 1826, le jeune géomètre la quitta en janvier 1827, ce qui donne un séjour de six mois, et-non pas de dix. Nous: savons aussi que, deux mois-environ avant son départ, Abel.écrivait à son ancien professeur Holmboe : «Cette capitale, la plus bruyante du continent, ABEL. 534 me ‘fait d’effst pour le moment d’un désert. Je ne connais presque personne ; c’est que tout le monde va s'établir à Jatcampagne pendant: la belle saison : ainsi ce monde n’est pas visible. Jusqu'à présent je n'ai fait connaissance qu'avec MM. Legenüre, Cauchy:et Hachette. M. Legendre est un homme fort complaisant ét prévenant, mais mal- heureusement fort vieux... M. Laplace n’écrit plus, je penses; son dernier ouvrage a été un supplément à sa Théorie des probabilités. Je l'ai souvent vu à l'Institut ; il est de moyenne stature, mais frais et vigoureux. M. La- croix est fort avancé en âge. Lundi prochain, 30 octobre 4826, M. Hachette va me présenter à plusieurs de ces messieurs. » | | Les géomètres français auraient donc eu, quant au temps, deux mois à peine pour deviner le génie de leur émule de Christiania. Quant aux travaux , ils pouvaient “connaître seulement ceux qu’Abel avait publiés en fran- çais ‘ou ‘en allemand. Ces travaux consistaient alors en une démonstration fort contestable de l’impossibilité de larrésolution algébrique des équations da cinquième de- gré , qu'on trouvait par extrait dans le Bulletin de F érus- sac, en plusieurs Mémoires édités à Berlin, à l'égard desquels Abel s’exprimait lui-même en ces termes, dans une lettreà M. Holmboe, datée de Paris, décembre 1826 : « Tu m’apprends que tu as lu les deux premiers cahiers du journal de M. Crelle. Les Mémoires que j'y ai fait insérer , à l'exception de celui des équations, ne valent pas grand” chose; mais cela viendra, je t'en assure. » Une démonstration hypothétique; des Mémoires ne valant pas grand’ chose, voilà sur quoi on aurait dû 532 ABEL,. deviner qu’Abel ferait un jour d’admirables découvertes analytiques! : Je passe à une accusation qui a, du moins en appa- rence, quelque chose de sérieux. Le biographe assure que, pendant son séjour à Patiès, Abel « demanda à présenter à l’Académie des sciences un Mémoire sur une classe particulière de fonctions transcen- dantes.. et que ce ne fut qu'après bien des sollicitations que Fourier se chargea de présenter le Mémoire à l’Aca- démie, » Comment ! Abel n’avait pas vu, en suivant nos shit qu'il était inutile, pour présenter un Mémoire, de récla- mer l'intervention des membres? Comment ! cette masse d’écrits de toute nature et de toute étendue , qui, chaque lundi, encombrait le bureau des secrétaires, après être venu directement de la main des auteurs, ou de celle des facteurs de la poste, dans la main des huissiers; cette masse, disons-nous, était passée un grand nombre de fois sous les yeux de l’illustre géomètre norvégien, sans lui apprendre qu'aucune société savante du monde n’a établi avec le public des relations plus libérales, plus exemptes d’entraves que celles dont l’Académie des «ciences se fait honneur? Comment! Fourier, rompant avec les habitudes bienveillantes de toute sa vie, rebuta, par ses refus, un jeune homme, un jeune étranger, un jeune géomètre? Comment! aucun autre académicien ne se substitua spontanément au secrétaire récalcitrant, pas même le complaisant et prévenant M. Legendre; pas même M. Hachette, qui s'était chargé de présenter Abel à tout le monde? ABEL. . 533 Ces questions me paraissaient difficiles à résoudre. Je me suis enfin rappelé qu'après avoir posé une longue suite de comment sans solution, le bon Plutarque, met- tant à l’écart une imposante autorité, s’avisa de recher-. cher si l’assertion qui soulevait tant de doutes dans son esprit était vraie ou fausse : l’assertion se trouva fausse, Eh bien, je suis arrivé à une solution toute semblable : Fourier ne fut pas soumis à bien des sollicitations avant de se décider à présenter le Mémoire d’Abel à l’Aca- démie. Il ne fut pas sollicité du tout : en voici la preuve mathématique. Le 24 octobre1826, Abel écrivait de Paris à M. Holmboe: : «Je viens de finir un grand Traité sur certaine classe de fonctions transcendantes pour le présenter à l’Institut, ce: qui aura lieu lundi. » J’ouvre le procès-verbal de la séance de l’Académie du lundi 30 octobre. On remarquera que l’Académie des sciences s’assemble seulement le lundi. Or, dans ce procès-verbal de la séance qui suivit le 24 octobre, je trouve : « On lit un Mémoire de M. Abel, Norvégien, sur une propriété générale d’une classe très-étendue de fonctions transcendantes, » Ainsi, le Mémoire qui venait d’être fini le 24 octobre, | non-seulement fut présenté à l’Académie six jours après, : mais le secrétaire perpétuel, Fourier, en lut en séance tout ce qui, dans un travail hérissé de formules, était de nature à être lu publiquement. Rien n'indique que le Mémoire ait été l’objet d’une présentation spéciale du secrétaire, Si une telle présentation avait eu lieu, Fourier 534. ABEL. aurait certainement figuré au nombre des commissaires. Dira-t-on que: j'ai pris l'expression, je viens de finir, dans un sens trop absolu; que, nonobstant ces termes. positifs, le Mémoire pouvait être fini depuis plusieurs semaines? Placera-t-on dans ces semaines hypothétiques;. les infructueuses sollicitations adressées à Fourier ? On n’y gagnerait rien, Dans sa lettre du 24 octobre, Abel déclarait positivement qu'il ne connaissait pas encore: Fourier. On ne prétendra pas, pour sortir d’embarras, que:læ demande de présenter un Mémoire à l’Académie, que læ requête adressée à Fourier et acceptée après bien des sollicitations, se rapportent à la visite que presque chaque auteur fait au secrétaire dans son cabinet, quelques minutes avant l’ouverture de la séance : en effet, um immense éclat de rire et une réfutation en forme feraient promptement justice de cette explication jésuitique: Je puis donc, sans me montrer trop'sévère, dire que sur le fait de la présentation du Mémoire de M. Abel, l'article de la Biographie universelle inculpe avec une impardonnable légèreté notre: illustre Académie et le digne secrétaire qu’elle s’était donné. Examinons ce que le Mémoire d’Abel devint, après avoir vaincu, pour arriver à la simple présentation, des difficultés jusque-là sans exemple, même pour les trai- tés sur la quadrature du cercle et le mouvement per- pétuel : « Par cette nonchalance des géomètres modernes, dont: chacun d’eux à son tour est devenu victime, et qui fait qu’en général on ne lit presque jamais les ouvrages des ABEL. 535 jeunes mathématiciens, le Mémoire d’Abel resta enfoui parmi les papiers des commissaires. Plus tard on le combla d'éloges, mais il n’était plus temps. » Voilà pourtant ce qu'un géomètre, né en pays étran- gér, et nommé très-jeune membre de l’Académie des sciences de Paris, osait imprimer du vivant de M. Poisson et xcôté de M. Liouville, ces deux géomètres également célèbres par le: talent d'invention et par l’érudition ! Mais passons outre. | «Le Mémoire d’Abel, affirme-t-on, resta longtemps enfoui dans les papiers des commissaires, » Personne ne s'était douté, jasqu’ici, que MM. Legendre et Cauchy se fussent accordés à confondre leurs papiers ! En fait, je tiens ce détail de Poisson, Legendre ne garda le Mémoire d'Abel que très-peu de jours : ses yeux de près de quatre-vingts ans ne parvinrent pas à suivre, à déchiffrer avee sûreté des formules écrites avec une encre très-blanche. Le Mémoire passa donc, presque immédia- tement, dans les mains de M. Cauchy. L'illustre géomètre ne se hâta pas de faire le Rapport. En veut-on Pexplication ? c’est qu’il se hâtait de complé- ter et d'imprimer ses propres découvertes; c’est qu’à l'époque: dont on parle, les cahiers des Exercices mathé- matiques se succédaient avec une rapidité dont le monde savant était étonné; c’est enfin, tranchons le mot, que l'Académie serait bientôt déserte, que ses membres les plus célèbres, les‘ plus laborieux, donneraient leur démis- sion, Si les règlements exigeaient qu'à jour nommé, chaque académicien abandonnât ses travaux pour discuter les idées de quiconque aurait jeté un chiffon de papier 536 ABEL. sur le bureau du président. Heureusement d'aussi ab- surdes règlements n’existent pas et n’ont jamais existé. Je lis dans la lettre d’Abel du 24 octobre, que j'ai si souvent citée : «M. Cauchy est celui des mathématiciens (français) qui sait le mieux comment les mathématiques, pour le moment, doivent être traitées. [ly a des choses excellentes, mais sa manière manque de clarté. Je ne le compris presque point d’abord, mais à présent je suis en train. » Faudrait-il s'étonner si M. Cauchy, à son tour, n’avait pas de prime abord facilement apprécié les idées entière- ment nouvelles d’Abel; s’il lui avait fallu aussi quelque temps pour se mettre en train. On doit remarquer qu’Abel était retourné en Norvége. Quand les matières sont ab- struses et neuves, les explications verbales des auteurs peuvent seules hâter les Rapports. : Après avoir quitté Paris en janvier 4827, Abel alla de nouveau visiter Berlin. De cette ville il se rendit à Copenhague. Son retour à Christiania eut lieu au mois de mai. La Biographie universelle nous le représente « sans aucune place... , sans aucun secours..., dénué de toute ressource... Le délaissement commence à miner sa santé... , il ne pouvait parvenir, à force de découvertes, à vaincre l'indifférence. ; c’est dans cet état d'abandon et de souffrance qu’il écrivit ses beaux Mémoires. Tant de travaux remarquables, après lui avoir mérité l'estime de l'Allemagne, forcèrent les géomètres français à s’oc- cuper de lui... Abel, après avoir langui encore plus de six mois dans le malheur, mourut le 6 avril 1829, aux ABEL. 531 mines de fer de Froland, en Norvége, où il était allé pour visiter ses parents, » Tel est, en substance, le récit lamentable que l’auteur de l’article de la Biographie universelle nous donne des dernières années de la vie d’Abel et de sa mort. Le mal- heureux jeune homme rappelle à son biographe le Camoëns et Galilée, la faim et la torture, pas moins que cela! Cette peinture, ces souvenirs étaient assurément très- propres à jeter de l’odieux sur les « hommes égoïstes qui, par leur indifférence, ont contribué à abréger les jours d’'Abel. » Les hommes que le biographe indiquait, Pois- son, entre autres, se montrèrent très-irrités de ces in- croyables imputations ; mais au lieu de mettre le public dans la confidence d’un si juste mécontentement, ils n’exhalèrent leurs plaintes qu’à demi-voix. Qu'importe, au reste, puisque l’heure de Lx réparation a sonné? En peu de lignes, je renverserai de fond en comble le lugubre échafaudage que le lecteur vient d'envisager. Le voyage d’Abel en Prusse, en Autriche, en Italie, en France, en Danemark, avait été exécuté aux frais du gouvernement norvégien, Ne suflirait-il pas de cette circonstance pour mettre au néant les vaines accusations de délaissement qu’on a fait retentir à nos oreilles? Abel, de retour dans son pays, désirait obtenir une chaire de mathématiques à l’Université de Christiania. Il en existait déjà deux, et elles étaient occupées. Le jeune géomètre demandait donc la création d’une troisième chaire. Le gouvernement ne crut pas devoir condes- cendre à ce vœu. Celui qui se rappelle le sans-façon que nos ministres ont mis, depuis quelques années, à créer 538 ABEL. des places pour leurs amis et pour leurs créatures, se: montre d’abord enclin à blämer-sévèrément les autorités: norvégiennes; mais cette première disposition change complétement, dès qu’il songe au peu de fruit que ces créations ont généralement donné. « Abel ne pouvait parvenir, à force: de découvertes, à vaincre l'indifférence... ; c'est dans cet état d'abandon: qu'il écrivit ses beaux Mémoires, » dit le biographe. Je rappellerai quelques dates qui, d’elles-mêmes, : montreront: que: le biographe à eu le gpnerrssé de ne jamais rencontrer la vérité : | Le 48 mai 4828, un an tout juste après le retour d’Abel à: Christiania, M. Crelle, dé Berlin, lui écrivait : « On commence à apprécier vos ouvrages de plus en plus. M. Fuss m’écrit de Saint-Pétersbourg qu'il en a été ravi. Voici ce que n’écrit M. Gauss, de Gættingue: … « M. Abel m’a prévenu... Il vient d’enfiler précisément la: «même route dont je: suis sorti en 1798. Ainsi, je ne «m'étonne nullement de ce que, pour la majeure partie, «il en soit venu: aux: mêmes résultats. Comme. d'ailleurs: «dans sa déduction. il a mis tant de sagacité, dépénétra- «tion et d'élégance, je me crois par cela même dispensé « de la rédaction: de mes: propres recherches. » Le 40 septembre 1828, M. Crelle transmettait à Abel une lettre où Legendre: s’exprimait en ces termes: e Ce que vous me dites du jeune Abel est absolument conforme à l’idée que: je m'étais formée de ses grands-talents, en: parcourant le: cahier! de votre Journal! où est inséré son charmant Traité sur les: fonctions elliptiques: Ces pro- ductions de deux jeunes savants (MM. Jacobi et Abel) ABEL. 339 qui m'étaient inconnus jusqu'alors, m'ont donné autant d’admiration que de satisfaction. Je vis par là que, sous différentsrapports, ils avaient, chacun de son côté, perfec- tionné cette théorie dont je m'occupais presque exclusive- ment depuis plusieurs années, et que les mathématiciens de mon pays avaient regardée avec indifférence. » Je dirai enfin pour dernière citation, qu'après 'impres- sion d’un Mémoire d’Abel dans le Journal de M. Schu- macher, M. Jacobi s'exprimait en ces termes : « La déduction est au-dessus de mes éloges, comme elle: est au-dessus de mes travaux. » Si l'on veut bien se rappeler ce qu'était, ce que devait être Abel pour le public, quand il quitta Paris au com- mencement de 1827 ; si l’on remarque, en outre, que ses principaux travaux ont été publiés à la fin de 1827 et pendant l’année 1828, il demeurera démontré. que peu de réputations scientifiques se sont établies aussi: promp- tement;: que dès l’origine de ses recherches, le jeune géomètre norvégien fut constamment encouragé par les suffrages les plus éclatants venant de l'étranger. Est-ce, en vérité, ma faute si cette conclusion est en opposition directe avec le roman que. l’on trouve dans la Biographie universelle ! J'ajoute un mot : dans une lettre à M. clients datée de Paris, décembre 1826, Abel s’exprimait ainsi : e J'ai écrit un grand Mémoire sur les Fonctions ellip- tiques... Entre autres choses, il traite de la division de Pare de la lemniscate. Ah! qu'il est magnifique! Tu verras. » Celui qui s'apprécie lui-même avec cette fermeté attend sans impatience le jugement de ses contemporains, 540 ABEL. Les satisfactions de l’esprit ne manquèrent donc pas. à Abel. Que faut-il maintenant penser de la pauvreté, du dénûment, dans lesquels on fait mourir l’illustre géo- mètre? Ce que les discussions précédentes permettent d'en penser, c’est que, là aussi, une fiction malheureuse aura été substituée à la vérité. On représente Abel réduit à une place tétssiséitäitre jusqu’à sa mort, qui arriva en 1829. J'ai déjà épuisé depuis longtemps toutes les formes de la dénégation. Je laisserai donc parler les faits eux-mêmes : « Dès que M. Hansteen partit pour la Sibérie en 1828, ses fonctions à l’Université de Norvége furent confiées à Abel. » En publiant les OEuvres du grand géomètre du Nord, M. Holmboe a déjà protesté, en 1839, contre la suppo- sition, entièrement gratuite, que son ami fût mort dans la misère. Si jajoute encore une remarque, il n’y aura pas dans la biographie d’Abel une seule assertion que je n’aie complétement réfutée. On dépeint Abel mourant « après avoir langui plus de six mois dans le malheur ! » A cette phrase lugubre sub- stituons la suivante, et nous serons dans la vérité : « Abel, dans l’aisance et plein de gloire, mourut au moment où il allait se marier. Malgré les représentations de ses amis, il voulut obstinément, au fort de l'hiver 1828, se rendre auprès de sa fiancée, mademoiselle Kemp. Peu de temps après son arrivée aux forges de Froland, Abel fut atteint d’une phthisie dont il mourut en avril 1829, après avoir été alité pendant trois mois. » Voilà, dans toute sa simplicité, l'événement qui, en- ABEL. 541 touré à plaisir de circonstances imaginaires, a seryi de texte à tant de diatribes contre l’Académie des sciences, J'avoue que la publication des OEuvres d’Abel en 1839, que la Notice historique rédigée par M. Holmboe, ont rendu très-facile la réfutation de l’article inséré dans le supplément du grand ouvrage de Michaud, PAS “int - Li 59 “in si sans ou e _. Eten ps Dies des “.: Re parts pit te Sibérie Wed BE rété de Mvire forent “ seb pat: Vos One. ur grerid: | M: Ftshoboo hé prot je 1540 | Here mail ss ' : ‘se fa Pots enr êna vase “ * ni AE SA ol une. seuls, se pAteuse 22 té. és Ant, gl arts hi. s supra wo ii mé AE ‘All “und lobes EL) pie 1: RL marie, ‘Hateet bre codes sé Vo st ft ” LISLET-GEOFFROY BIOGRAPHIE LUE. À L'ACADÉMIE DES SCIENCES, LE 27 JUILLET 1836. Jean-Baptiste Lislet-Geoffroy, mulâtre au premier degré, naquit à l’île de France le 23 août 1755. Des dispositions naturelles, une grande persévérance, le ca ractère le plus heureux, lui permirent de franchir les barrières que la cupidité des colons, leurs préjugés et l'empire de l'habitude, opposaient jadis sans relàche au développement moral et intellectuel des hommes de cou- leur. Lislet-Geoffroy ne quitta jamais l'archipel africain au milieu duquel il avait vu le jour. La juste réputation dont il jouissait déjà dès l’âge de trente ans, et qui, en traversant les mers, lui valut, en 1786, le titre si honorable .de correspondant de l’ancienne Académie .des sciences, Lislet l'avait donc conquise à l’aide des res- sources presque insignifiantes qu'avant la révolution de 1789 l’île de France pouvait offrir aux hommes d’étude. Lislet est, je crois, le premier de sa race à qui notre vieille Europe ait accordé des honneurs académiques. Cette circonstance n’est pourtant pas la seule qui mérite d'être signalée. Je remarque, en effet, que dans cette même séance du 23 août 1786 où le savant mulâtre fut nommé, l’Académie enrichit aussi ses listes des noms 544 LISLET-GEOFFROY. célèbres de Dubuat et de Spallanzani, et qu’elle désigna le vénérable duc de La Rochefoucauld pour le corres- pondant immédiat de Lislet. Il y aurait eu, dans cette association de noms, de quoi bouleverser complétement l'intelligence des planteurs, si la douceur, les vertus et le savoir généralement reconnus de Lislet -Geoffroy, ne lui avaient créé de bonne heure une position unique, et devant laquelle les préjugés les plus enracinés s’avouaient vaincus, | A l’époque de la destruction des Académies (en 1793), Lislet-Geoffroy perdit, ainsi que tous ses confrères, le titre dont il avait été si justement fier, Sa réintégration, comme correspondant de notre section actuelle de géo- graphie el navigation, ne date que du 7 mai 1821; mais, il faut le dire, dès que l'oubli lui eut été signalé, l’Académie , malgré les impérieuses prescriptions de ses règlements, n’attendit pas une vacance pour le réparer. J'ajouterai que si le nom de Lislet-Geoffroy n’a pas figuré parmi celui des correspondants de l’ancienne Académie que la classe des sciences mathématiques de l’Institut s’empressa de se rattacher, c’est uniquement parce que la difficulté des communications entre la métropole et lîle de France, pendant les guerres de la révolution, n'avait pas permis de savoir si l’habile géographe vivait encore quand l’Institut fut créé. Quoi qu’on en ait pu dire, il n’y aurait donc ici aucun motif de parler ni de préoccupa- tion du pouvoir, ni d'aristocrajie de la peau, ni de pré- jugés vraiment indignes de gens éclairés, Une vice, quelque longue qu’elle ait été, passée tout entière sur un petit îlot, au milieu de l'océan Austral, a LISLET-GEOFFROY. BE5 dû présenter bien peu d'événements dont le souvenir mé- rite d'être conservé. Au surplus, si quelque chose de pareil a marqué la carrière de Lislet, ses correspondants d'Europe n’en ont pas eu connaissance. Nous savons seulement qu'au moment où un navire arrivait à l’île de France, notre confrère s’arrachait sans effort à sa retraite, à ses occupations favorites, et qu'il devenait jour et nuit le guide de tous ceux qui manifestaient le moindre désir de s’éclairer de ses lumières. Déjà, en 17714, Lislet accompagnait Commerson dans son voyage à l’île Bourbon. En souvenir de cette excursion, M. Bory de Saint-Vincent a appelé Piton-Lislet une montagne volcanique de la même île, voisine d’une remarquable dépression circulaire du sol connue dans le pays sous le nom de Trou-Blanc. On pourrait extraire des relations de la plupart de nos voyageurs aux régions australes, des témoignages de considération qui ne seraient ni moins significatifs, ni moins honorables pour Hiohioobey que celui dont il vient d’être fait mention. Voici, je crois, les principaux titres de Lislet à la reconnaissance du monde savant : Carte des îles de France et de la Réunion, dressée sur les observations de Lacaille, et d’après une multitude de plans particuliers de l’auteur, publiée par ordre du ministre de la marine, en 1797 (an v). La même carte, seconde édition , rectifiée sur de nou- velles observations, publiée à Paris en 1802. Carte des Séchelles, d’après les observations faites par l’auteur, pendant plusieurs voyages au milieu de cet archipel dangereux, 546: LISLET-GEOFFROY. Carte de Madagascar. Cette dernière carte a été publiée par rondes du gouver- nement anglais, depuis que l’île de France ne figure plus parmi nos colonies, Sur la carte de lîle de France qui accompagre le Voyage de M..Bory de Saint - Vincent dans les quatre prin- cipales îles des mers d'Afrique, les montagnes ont été dessinées, comme le savant voyageur le déclare lui- même, d’après un plan de Lislet-Geoffroy. Péron a publié, dans son Voyage de découvertes aux terres australes, un tableau de la pesanteur et de la force relative de plusieurs espèces de bois de l’île de France, qui lui avait été communiqué par Lislet-Geoffroy. Le chêne d'Europe figure dans ce tableau comme un moyen d’en rattacher les résultats à ceux que divers phy- siciens ont obtenus en opérant sur les essences de l’an- cien continent, Il n’y occupe, au reste, que la dix-septième place quant à la pesanteur, ét que la dix-neuvième sous le rapport de la force! Les almanachs de l’île de France renferment divers articles scientifiques de Lislet, un entre autres sur la montagne dite Pitrebot, qui montrent toute la variété de connaissances de leur auteur. Le travail à l’aide duquel Lisiet prouva que lécueil connu sous le nom d’e-Plate était formé des débris d’un ancien cratère de volcan, a été justement apprécié par les géologues. La relation intéressante d’un voyage à Sainte-Luce (ile de Madagascar), fait en 1787, se trouve dans le tome 11 des Annales des Voyages de Malte-Brun. | Je dirai enfin que le travail le plus important de Lislet, + LISLET-GEOFFROY. 547 celui dont il n’a jamais cessé de s'occuper avec un soin scrupuleux durant sa longue carrière, et qui doit fixer d’une manière définitive les circonstances climatologiques de l’île de France, ne sera pas perdu pour la science. Je crois, en effet, me rappeler que M. de Freycinet, qui, en 1818, compara soigneusement les instruments météo- rologiques de l’Uranie à ceux de Lislet, obtint de ce physicien une suite de tableaux embrassant un intervalle de plus de trente années. Lorsque ces tableaux seront convenablement réduits et discutés, ils feront connaître avec toute la précision désirable : La température moyenne et les températures extrêmes de l’île de France; La hauteur du baromètre au bord de la mer par 20° # latitude sud; sa variation diurne et sa variation men- suelle ; | L’étendue des changements de pression atmosphérique qui annoncent ou -accompagnent les ouragans épouvan- tables dont les régions tropicales ont tant à souffrir ; La hauteur moyenne de la pluie annuelle et les énormes différences qui existent entre les années sèches «et les années humides, soit quant à la quantité totale d’eau recueillie, soit relativement au nombre de jours pluvieux ; Etc., etc. Une note qui m'arrive de l’îlede France m’apprend que Lislet a continué ses observations jusqu’à la fin de 1834: Son travail embrasse donc plus d’un demi-siècle. Cin- quante années d'observations faites par la même per- sonne, dans le même lieu et avec les mêmes instruments, ne pourront manquer de jeter beaucoup de lumière sur 548 LISLET-GEOFFROY. la question aujourd’hui tant débattue de l'influence clima- tologique du déboisement; dans ce long intervalle, en effet, la manie des défrichements n’a pas été moins vive dans les colonies qu’en Europe. Lislet- Geoffroy est mort le 8 février 1836, à l’âge de près de quatre-vingt-un ans, avec le titre d'ingénieur hydro- graphe de Maurice. Sous la domination française, il avait été promu pendant la guerre au grade de capitaine du génie. Nous croyons qu’on ne lira pas sans intérêt di détails que le savant mulâtre donne lui-même sur sa vie dans une lettre à M. de Zach, que m’a communiquée M. Wart- mann de Genève : | « Je suis né à l’île de Bourbon, le 23 août 1755, de Niama, négresse de Guinée, Elle était petite-fille de Tonca Niama, roi de Galam, qui fut pris dans une guerre et massacré avec tous les mâles de sa famille, selon un usage assez fréquent dans ces contrées. « Ma mère, alors âgée d’environ neuf ans, fut Br | en esclavage et vendue aux agents de la compagnie, qui l’envoyèrent à l’île de France vers 1730. M. Geoffroy l’obtint de M. David, gouverneur de cette colonie, pour lui rendre la liberté, Elle le suivit à Bourbon, où elle l’entoura de soins durant sa vieillesse. «M. Geoffroy voulut prendre soin de mon enfance et im’élever lui-même; il me donna les premiers principes de dessin et de mathématiques; il voulut aussi m’ap- prendre le latin, étude dans laquelle je fis peu de pro- grès. Comme je n'avais point de fortune, il me fit entrer au service dès ma quinzième année, et peu après je pas- LISLET-GEOFFROY. 549 sai à l'île de France, où M. le chevalier de Tromelin, ancien contre-amiral, croyant voir en moi des disposi- tions pour la marine, m'employa aux travaux du port neuf dont il était chargé. Là, ayant à ma disposition ses livres et ses instruments, je m’appliquai à l'étude des mathématiques et de l'astronomie. Ne pouvant me pro- curer des maîtres, M. de Tromelin voulut bien m’assister de ses conseils et me donner des encouragements. C’est à ce généreux protecteur que je dois le peu de talents que j'ai pu acquérir et mon avancement dans le service, Par reconnaissance, et plus encore par attachement, je m’embarquai avec lui au commencement de la guerre de 1778 comme aide-pilote. «J’obtins en 1780 un emploi de dessinateur au génie militaire de l’île de France, « Le 23 août 1786, je fus élu correspondant de l’Aca- démie royale des sciences de Paris; j'ai envoyé à cette société savante une suite de douze années. d’observations météorologiques et une série d'expériences sur la force et la pesanteur des bois de cette colonie, faites par M. Mala- vois, et que j'ai été chargé de continuer après son départ, « En 1787, je fus envoyé par le gouverneur général à la baie de Sainte-Luce, dans le sud de l’île de Mada- gascar ; je levai la carte de cette baie et celle du pays jusqu’à quinze lieues dans les terres, où j'ai visité les eaux thermales de la vallée d’Amboule; j'ai envoyé de ces eaux à M. le duc de La Rochefoucauld, à Paris. — Mon journal a été imprimé dans les Voyages modernes. « En 1788, je fus chargé de lever la carte d’une partie de l’île de France; ce travail a été envoyé au dépôt à 580 LISLET-GEOFFROY. Paris, et m'a valu ici la commission d'ingénieur - géo- graphe. Dans les temps difficiles de la Révolution, j'ai été assez heureux pour concourir à préserver cette colonie des malheurs et des désastres qui ont bouleversé nos colonies occidentales. Fidèle à mes principes, j'ai voulu mériter la confiance de mes chefs et celle des gens de couleur dont j'ai présidé constamment les assemblées, et nous avons évité les événements fàâcheux dont nous étions menacés en 1794. - «À cette époque, M. Geoffroy m ’adopta par un acte authentique, et je pris son nom; de là celui de Lisiet+ Geoffroy, que je porte. « Cette même année, les administrateurs généraux me chargèrent d’une mission pour les îles Séchelles; j'y fis des observations sur les diverses productions du pays et sur les baies, ports, îlots et dangers de cet archipel, A mon retour, le général Malartic me fit officier adjoint au génie militaire. «Le capitaine général Decaen, en prenant le com- mandement des colonies orientales en 1803, me confirma dans le grade de capitaine. A la prise de l’île de: France, il me nomma chef de la commission du génie pour la remise de la place; cette opération faite, la remise des fortifications et de tout ce qui dépendait du génie opérée, il ne me fut pas possible de me rendre en France, aux termes de la capitulation de cette île, étant alors âgé de cinquante-cinq ans, et ayant eu le malheur de perdre mon épouse en 1804, dont: j'avais eu deux enfants encore en bas âge, objets de tous mes soins et de toutes mes sollicitudes, LISLET-GEOFFROY. 551 «Sous le gouvernement anglais, M. Farquhar, gou- verneur de l’île de France, envoya une corvette visiter les côtes de la partie nord de Madagascar, et particu- lièrement la baie et le port Louiqui. Je fis partie de la commission qu’il nomma à cet effet, et je fus chargé de tout ce qui avait rapport à la géographie. Ce voyage m'a fourni l’occasion de faire de nouvelles observations très- importantes, et m'a mis à même d’apporter des correc- tions considérables à la carte de cette grande île, et de terminer celle de l'archipel du nord-est, à laquelle je travaille depuis longtemps. «On a fait graver en Angleterre, par ordre du quar- tier-maître général, une carte particulière de l’île de France que j'ai dressée avec beaucoup de soins, et dont je puis garantir l'exactitude. Je l’ai envoyée au dépôt, à Paris, mais, à ce qu'il paraît , elle a été prise en route, en 1808, » MOLIÈRE DISCOURS. PRONONCÉ LE 15 JANVIER 1844, LORS DE L'INAUGURATION DU MONUMENT ÉLEVÉ À MOLIÈRE PAR SOUSCRIPTION NATIONALE '. Messieurs, des paroles pleines de sens et de raison sortirent, il y aura bientôt six années, de l’enceinte de notre premier théâtre. Un comédien spirituel demandait si dans un siècle où le goût de la statuaire s’est prodi- gieusement étendu, si à une époque où presque chaque ville évoque le souvenir des enfants qui l’ont honorée, fait revivre leurs traits sous le ciseau des meilleurs sculp- teurs, et les expose, avec un juste orgueil, aux regards de la France et des étrangers, il n’était pas inexplicable que Molière, que l’immortel Molière fût oublié. _ Ces paroles ne pouvaient rester sans écho. De toutes parts on applaudit aux sentiments de l'artiste dramatique. Alors, quelques amis des lettres crurent devoir se réunir pour seconder, pour régulariser des efforts qui, cette fois, semblaient devoir conduire à un heureux résultat, En assignant un rôle, dans cette cérémonie nationale, à la Commission de souscription, on a placé ses services infiniment au-dessus de leur valeur réelle. Je ne l’oublie- L M. Arago était vice - président de la Commission de sou- scription, 554 MOLIÈRE. rai pas, Messieurs; mes paroles seront modestes comme la mission qui nous était échue ; toutefois, j'ai vu arriver ce moment avec quelque. inquiétude, car le temps m’a manqué pour consulter mes honorables collègues et m'éclairer de leurs lumières, Molière n’est pas une de ces célébrités équivoques que le temps, juge suprême des œuvres de: l'esprit, fera des- cendre tôt ou tard du piédestal où l'entraînement, la passion, le manége des coteries les ont placées. Près de quarante lustres ont déjà passé sur la cendre de l’auteur du Misanthrope, du Tartufe, des Femmes savantes, de l'Avare, et chaque jour a fortifié davantage les appré- ciations éclairées et profondes des littérateurs, des phi- losophes, des personnes de toute condition qui, dès l’origine, faisaient leurs délices de la lecture de ces ouvrages, | « Quel est, disait Louis XIV à Boileau, le plus grand écrivain de notre siècle? — Sire, c’est Molière, » repartit le poëte sans hésiter, | La Fontaine témoignait de son estime pour Molière en termes où la grâce s’unissait à la force, lorsque, très-peu de temps après la mort de son ami, il composait l’épi- taphe commençant par ces vers : Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence, Et cependant le seul Molière y gît. Voltaire faisait plus encore. Son enthousiasme pour l’auteur du Misanthrope lui donnait la hardiesse de dis- poser de l’avenir : «Molière ! s’écriait-il, Molière! je vous prédis que nous n’en aurons jamais, » | MOLIÈRE. 555 - La même idée, avec quelques modifications de forme, se retrouve dans les éloges du grand poëte, couronnés par l’Académie française, en 1769. L'Académie, tribunal littéraire grave et compétent, croyait donc elle-même à un «trône resté vacant; à une place réservée et désor- mais inaccessible ; à l’homme inimitable ! » Elle permettait qu’on regardàt le génie de Molière « comme le terme où l'esprit humain s'élève par degrés, et d’où il ne peut plus que descendre. » La Harpe (on ne l’accusa jamais de se émpléis dans le panégyrique), La Harpe, même après les transforma- tions singulières qui s’opérèrent dans son esprit à la suite de nos discordes civiles, La Harpe appelait Molière l'homme divin. Vous croyez, sans doute, qu’il serait impossible de rien ajouter aux témoignages admiratifs de Boileau, de La Fontaine, de Voltaire. Détrompez-vous, Messieurs ; ces trois grands écrivains ont été dépassés par un géomètre. Moivre, son illustration scientifique ne saurait être mise en doute, Moivre avait coutume de dire : « J'aimerais mieux être Molière que Newton! » | Et les étrangers? sous quel jour voient-ils noire com- patriote ? Vous savez avec quelle vivacité naturelle les peuples se disputent la prééminence intellectuelle. Citez Des- cartes, Pascal, Corneille, Racine, Bossuet, Voltaire, Montesquieu, d’Alembert, Buffon, Lagrange, Lavoisier, Laplace, etc., vous entendez aussitôt les noms retentis- sants de Bacon, de Galilée, de Newton, de Leibnitz, de Huygens, d’Euler, de Kepler, de Linné, de Dante, de 556 MOLIÈRE. Shakspeare, de Milton, de Tasse, de l’Arioste, de Priest- ley, de Volta, de Cavendish, etc. Molière, le seul Molière a le privilége d’être sans rival, sa supériorité est unanimement reconnue, hautement pro- clamée dans le monde civilisé. | Soyons donc sans scrupules, Messieurs; nos impres- sions n’ont pas été trompeuses. Nous inaugurons aujourd’hui la statue d’un grand homme ! | On est vraiment obligé de faire effort sur soi-même, pour ne pas céder au désir de jeter un coup d’œil sur les combinaisons profondes et hardies, sur les situations piquantes, sur les peintures chaudes et vraies dont les principales compositions du poëte philosophe présentent de si parfaits modèles. Mais, à quoi servirait ici l’analyse de pièces que le monde entier a vues et admirées, dont tous ceux qui m’entendent pourraient réciter de longs passages? Peut- être la vie du poëte a-t-elle été moins généralement appréciée; peut-être aussi n’a-t-on pas fait une énumé- ration suffisamment concentrée et fidèle des services que Molière a rendus aux mœurs publiques, des travers, des ridicules dont il a purgé la société. Voilà ce qui semble devoir être raconté en face de ce monument. N’encou- rageons personne à imaginer que la dignité dans le carac- tère, la régularité dans la conduite, l'honnêteté dans les actions, sont, chez l’homme de talent, de simples acces- soires. Proclamons bien haut que le génie lui-même ne mériterait pas ces hommages solennels, ces témoignages publics de vénération, si, au lieu de s'exercer sur des MOLIÈRE. 557 sujets qui élèvent l'âme, qui font vibrer le cœur, qui nous rendent meilleurs, il dépensait ses forces en vaines sub- tilités sans influence sur les progrès de l'esprit humain. Quelques mots seulement, et le côté par lequel le grand homme aimait surtout à être apprécié, se présen- tera dans tout son jour. Après avoir résisté à de nombreuses, à de pressantes sollicitations, Poquelin quitte, à quatorze ans, l'atelier et la boutique de son père. Vous le voyez aussitôt se livrant aux études les plus solides, et particulièrement à celle des sciences, sous le célèbre Gassendi. Poquelin ne pen- sait pas, avec la jeunesse présomptueuse de son époque, que les dons naturels pussent fructifier sans culture. En ce temps-là on croyait sérieusement dans le monde entier, qu'un comédien était un homme dégradé. Réciter en public, avec l'approbation et en présence des magis- trats, même ses propres ouvrages, paraissait un crime digne de damnation, Molière dédaigna cet absurde préjugé. 11 se fit comé- dien et auteur. De cette époque datent en France les principaux progrès de l’art théâtral, ce noble délasse- ment des esprits de toutes les conditions et de tous les âges. ; La conduite irréprochable de Molière après sa grave résolution, a plus contribué qu’on ne pense à faire tracer enfin une ligne de démarcation nette et précise entre l'honneur véritable et les honneurs de convention. Des relations de collége et un talent reconnu eussent fait aisément de Molière le secrétaire d’un prince du sang. Les avantages d’une si belle position ne tentèrent 558 MOLIÈRE. pas le jeune poëte : il préféra rester un homme de génie !- Molière consacra toujours à des aumônes, à des libé- ralités une large partie de ses revenus; aussi était-il adoré des malheureux et de ses camarades, Il fit plus (notre fragilité justifiera ces trois mots), il fit plus, car il rechercha avec empressement les jeunes gens dont le talent commençait à poindre, les jeunes auteurs qui pouvaient un jour devenir ses rivaux. Témoin Racine, dont Molière devint le protecteur, et, on doit l’avouer, à une époque où il fallait être Molière pour apercevoir l’immortel auteur de Britannicus, de Phèdre ; d'Athalie, dans les premiers essais d’un versifi- cateur-encore inexpérimenté. | | Lorsque Colbert envoya cent louis à Racine, au mom de Louis XIV, pour le remercier de lode si connue sur le mariage du monarque, le public remarqua malicieu- sement que la générosité du fastueux souverain d’un grand royaume n’avait pas surpassé celle qué le simple comédien venait d'exercer en faveur du jeune poëte. | Molière, dans toutes les circonstances de sa vie, mon- tra pour le vice cette‘haine vigoureuse, si bien dépeinte dans le Misanthrope, et qui a fait supposer qu'il s'était transporté lui-même sur la scène. . Molière, sorti du peuple, ambitionnait par-dessus tout ses suffrages, En butte à mille passions haïineuses , il eut besoin d’un appui solide, et pour le conquérir il composa plusieurs pièces dans le goût de celles que la multitude applaudissait au théâtre de Scaramouche. Mais qu’on y regarde de près, ces ouvrages secondaires, que des juges inattentifs qualifient d’une manière sévère et en termes MOLIÈRE. 559 qu'il ne n’est pas permis de répéter ici, renferment eux- mêmes des scènes admirables. C’est ainsi que l’immortel poëte préludait x la réforme qui lui permit plus tard de donner au même public les comédies irréprochables des Femmessavantes, de T Avare, du Tartufe et du Misanthrope. Si Molière aïma le peuple, le souvenir du peuple lui _ resta fidèle. En 1773, à l’occasion d’une représentation avortée, dont le produit devait servir à faire élever une statue au père de la bonne comédie, Lekaïin consignait dans ses Mémoires ces paroles bien remarquables : « La masse la plus pauvre et la plus sensible de la nation reçut Pannonce de la représentation avec le plus grand enthou- siasme ; mais les belles dames et les gens du bel air n’y firent pas la moindre attention. » Les hommes d'élite doivent compte à la patrie, à leurs contemporains, à la postérité, de l’usage qu’ils ont pu faire des qualités éminentes dont la nature les a dotés, La mémoire de Molière peut défier de telles investiga- tions. En quinze années l’incomparable poëte composa trente pièces. Molière n'avait que cinquante et un ans quand la France le perdit. Nous avons dépeint l’auteur; voyons rapidement dans ses OEuvres , je ne dis pas de quels plaisirs, l’énuméra- tion serait trop longue, mais de quels services, de quels bienfaits la société lui est redevable. Avant Molière, la comédie ne reproduisait guère chez nous que les ridicules des bouffons et des valets. Le grand homme transporta le premier sur la scène les personnages puissants et titrés. Eux aussi, dès ce moment, étalèrent aux yeux d’un public moqueur, impitoyable, leurs tra- 560 MOLIÈRE, vers et leurs vices. C’est de Molière que date l'égalité devant le parterre, À l’époque des débuts de Molière, le faux bel esprit achevait d’envahir la France. Un jargon presque inintel- ligible, une galanterie ampoulée, du phébus dans l’expres- sion de tous les sentiments, avaient usurpé, à Paris, comme dans la province, la place du naturel. Les Pré- cieuses ridicules parurent, et le naturel reprit son empire, et notre belle langue échappa à la ruine qui la menaçait. Buffon disait : « Le style, c’est l’homme, » D’un seul trait, le grand peintre établissait ainsi les vrais rapports de l’auteur et de l’œuvre. Il aurait pu-ajouter que dans un pays enclin à limitation, le mauvais style de quelques auteurs en renom, suffirait pour infecter les œuvres de tous et dénaturer le caractère national. Un petit acte de Molière préserva la France de ce malheur. On chercherait vainement un vice, disons mieux, un ridicule, un simple travers, dont les moralistes dogma- tiques aient réellement guéri les hommes. Molière a été plus heureux. Voulez-vous connaître le langage fade et alambiqué des ruelles, des salons de l’hôtel de Ram- bouillet? Lisez la comédie où Molière le balaya d’un revers de sa plume; la société n’en offre plus de traces. Molière a eu, dans les Femmes savantes, l'honneur d’anéantir le plus lourd, le plus insupportable des ridi- cules : l’abus de l’érudition. Il n’est pas d’esprit sincèrement, consciencieusement voué à l'étude, qui ne le remercie aussi d’avoir flagellé le savoir dégradé par le pédantisme, et la manie des lectures de société, MOLIÈRE. 561 Dans le xvu: siècle, les médecins affectaient de mar- cher en robe et en rabat. Afin, dit-on, de ne pas être compris des malades, ils écrivaient leurs consultations en latin. Grâce à Molière, la science est restée et le charlatanisme a disparu. Les critiques de l’immortel poëte contre les médecins du grand siècle, ont reçu la sanction des savants et spirituels docteurs de notre époque. Des membres de la Faculté et de l’Académie de médecine m’écoutent en sou- riant, Ces deux corps figurent noblement dans notre liste de souscription. Les sarcasmes acérés de Molière, ses ingénieuses plai- santeries ont contribué tout autant que les œuvres sé- rieuses de Bacon, de Galilée et de Descartes, à renverser de son piédestal le péripatétisme moderne. C’est Molière aussi qui donna le coup de mort aux galimatias des métaphysiciens de l’époque, à leurs nuageuses subtilités, Si ce travers venait à ressusciter, il suffirait d'appeler une seconde fois à notre aide Marphurius, Pancrace, et tout serait dit. Sous l'influence de deux pièces du grand comédien, un mode d'éducation sagement indulgent a remplacé, pour les jeunes filles, un ancien système follement sévère; l'ignorance et l’esclavage n’ont pas semblé les vrais ga- rants de la sagesse, La peinture si gaie, si grotesque de M. Jourdain n’a sans doute pas eu le privilége d’anéantir le penchant de la riche bourgeoisie à s’allier à la noblesse, mais on peut* affirmer qu’elle y a apporté de notables tempéraments, L'utilité, voilà toujours le but de l’auteur philosophe, JL. — 11e 36 562 MOLIÈRE. même dans celles de ses pièces où le sujet. paraît le plus frivole. L’amusement, la gaieté, le rire, ne marchent qu’en seconde ligne : ce.sont pour lui les moyens, Voyez les Amants magnifiques. Louis XIV veut qu’on représente deux princes se disputant le cœur d’une femme, en don- nant, à l’envi l’un de l’autre, des fêtes magnifiques et galantes. Molière. jette un devin parmi les acteurs.-de ce fade tournoi, et l'astrologie. judiciaire, encore vivace en 1670, tombe dans un ridicule auquel elle n’a point survécu, Une autre fois, Molière flétrit 'unsie en: traits mor- dants, ineffaçables. Les sentiments, les démarches., les préoccupations, le langage de l’avare ; tout est, reproduit sur la scène avec une admirable fidélité. Le spectateur atteint de ce vice, oublie que la pièce a plus de cent cinquante ans de: date; il s’imagine avoir posé devant le grand peintre; il lui arrive enfin de craindre qu’un: voisin clairvoyant ne s’écrie : Harpagon ! Harpagon! voici ton modèle. Philosophes, moralistes, législateurs, inclinez-vous devant. Molière ; les gais tableaux du comédien ont, je le répète, plus heureusement, plus profondément modifié la société civile, que n’avaient réussi à le faire et. vos ennuyeux sermons et: vos prescriptions impérieuses, Il n’est pas jusqu’à de simples travers dont Molière n’ait voulu préserver les hommes de bien : tel est le but réel! du Misanthrope, un des chefs-d’œuvre de l'esprit humain. L'auteur a réussi avec un art merveilleux , avec une finesse-de tact qui-étonne, à faire sourire aux dépens de son misanthrope, tout en le laissant le personnage:de MOLIÈRE. 563 la pièce auquel chaque spectateur honnête voudrait res- sembler de préférence. | Un œil vulgaire n’aperçoit, en général, dans les socié- tés modernes qu’une superficie commune, que des carac- tères d’une uniformité banale. Le contemplateur, c’est “ainsi que Boileau appelait Molière, avait trouvé le secret de découvrir les vices des hommes au milieu de leurs astucieusès métamorphoses. Il sut, dans l’occasion, écar- ter d’une main ferme les enveloppes d'emprunt, jeter au loin tout bagage de: convention, se saisir du fond même des caractères, et tracer des peintures qui seront éter- nellement vraies, car les modèles ont été pris dans la nature même. Molière réussit ainsi à démasquer les hypocrites, les faux dévots. Il eut le courage d’exposer ces personnages sur la scène dans toute leur laideur, et avec l’accom- pagnement de bassesse, de perfidie, d’ingratitude qui les caractérise. De ce moment, la vie du poëte fut un pénible combat. Les faux dévots tiraient de leurs odieuses menées, de trop gros avantages pour y renoncer sans lutte. A force d’astuce, d’habileté, de persévérance, ils intéressèrent à leur cause des personnes respectables, sincèrement pieuses, et se crurent certains du triomphe. Ils criaient dans. tous les lieux et sur tous les tons qu’un misérable comédien s'était scandaleusement arrogé le droit de juri- diction en matière sacrée. Le misérable comédien resta inébranlable. 11 opposa la fermeté de l’homme de bien. à d’infernales intrigues. Dans la pièce immortelle, le principal personnage veut 564 | MOLIÈRE. se tirer d’une position délicate à l’aide de l’exécrable maxime : Il est avec le ciel des accommodements. Aucun accommodement n’était possible avec Molière. Le philosophe avait peint d’après nature; il n’aurait ja- mais consenti à affadir ses couleurs, à gazer son tableau. Le chef-d'œuvre ira à la postérité tel que l’auteur l'avait composé. Molière a-t-il donc arraché à tout jamais les germes de la plus odieuse des hypocrisies ? Non, Messieurs, il n’a été donné à personne, pas même à Molière, de changer la nature humaine. Ce que Molière a fait avec un talent sans pareil, c’est de mettre sous les yeux du monde entier le vrai signale- ment de l’imposteur qui se couvre du masque de la reli- gion. Depuis ce jour, les hypocrites de cette pire espèce se cachent ; ils sont réduits à des manœuvres ténébreuses. Qui pourrait soutenir, Ô Molière, que ton génie, que ta vertueuse persévérance ont été sans résultat, lorsque, modifiant un vers contemporain, je puis m’écrier avec l’assentiment de tous : Et ton nom prononcé fait pâlir les tartufes! Partout où pénétraient leurs armées victorieuses, les anciens élevaient des monuments destinés à transmettre aux générations futures le souvenir de belles actions et de grands noms. De notre temps, les hommes ont trop de lumières pour mettre les conflits sanglants de la guerre au premier rang : le premier rang appartient au triomphe MOLIÈRE. 565 de l’intelligence et de la raison. Il est donc permis d’es- pérer que l’architecture, que la statuaire, sortant des voies étroites dans lesquelles on les forçait jusqu'ici de marcher, seront appelées à consacrer ces époques glo- rieuses où la France brisa une à une les entraves que la tyrannie et les préjugés, l’intolérance et le fanatisme avaient semées sous ses pas. Alors, Messieurs, le monu- ment de Molière, sans perdre le caractère qu'aujourd'hui vous lui imprimez, occupera une place éminente, qu’on me passe l’expression, parmi les chapitres de l’histoire nationale, en pierre, en marbre, en bronze, que le génie de nos artistes aura créée. L'objet, la date du monu- ment, et surtout le lieu qu’il occupe, arrêteront forte- ment l'attention. Remontez, Messieurs, par la pensée, au 21 février 1673. La foule se portait dans cette rue à flots préci- pités : ignorante, fanatisée, elle venait outrager la cendre à peine refroidie de l’auteur du Tartufe. Aujourd’hui, dans les spectateurs qui nous entourent, je n’aperçois que des admirateurs enthousiastes de l’immortel poëte. Le 21 février 14673, on obtenait difficilement, malgré la protection avouée de Louis XIV, le modeste coin de terre où Molière devait reposer en paix. En 1841, en. 1842, les pouvoirs de l’État, l'administration municipale de Paris, de grandes corporations, une multitude d’hono- rables citoyens ont voulu, à l’envi, concourir à l’acqui- sition du terrain où est venu s’élever le monument répa- rateur que vous saluez. | L'histoire a conservé les actes, moins odieux encore que ridicules, par lesquels un prélat, se soumettant de 566 MOLIÈRE. mauvaise:grâce à la volonté d’un grand monarque, per- mettait à peine d’ensevelir dans le cimetière commun de’ la paroïsse Saint-Joseph les restes inanimés d’un homme de génie. La permission était donnée à la condition (le mot condihon n’est pas de moi) qu'il n’y aurait mi pompe dans la translation, ni service dans aucune église de: Paris; que tout, enfin, se passerait de nuit. Voyez, Messieurs, le contraste : c’est en plein jour que les autorités municipales de la métropole, que les corporations savantes et littéraires, que les élèves des écoles publiques, que des citoyens de tous des âges.se pressent devant la maison de Molière; je puis même l’assurer hardiment, si un regret, si un seul regret.se mêle aux marques de sympathie dont vous êtes témoins, c’est que l’espace, la saison , n’aient pas permis de don- ner à cette cérémonie, plus de pompe et de grandeur. Combien il y a loin, Messieurs, de ce sentiment à celui qui, en 1673, cherchait à faire descendre les obsèques du vertueux philosophe au niveau de celles d’un vil mal- faiteur ! Quand la simple dalle que les amis de Molière eussent été si heureux d’obtenir d’une tolérance intelligente, . et qu'ils furent réduits à placer furtivement et de nuit, de- vient, cent soixante-onze ans après, un magnifique. monu- nent, dans le quartier le plus fréquenté de la capitale,;ton peut espérer que les esprits aveugles et rétifs sentiront le besoin d’être de leur siècle. Désormais, ces colonnes, ces statues, proclameront aux yeux de tous que les préjugés sont tôt ou tard vain- cus par la raison publique; -elles exciteront à regarder MOLIÈRE. 567 avec un dédaigneux sourire les pygmées qui, en raidis- sant leurs petits bras, espèrent arrêter la marche de l'esprit humain. Du haut de ce monument glorieux, Molière nous criera sans relâche, de ne point écouter la voix du découragement , de marcher au contraire, d’un pas ferme et persévérant, vers l’avenir que son génie avait aperçu, dont il déblaya les approches, et au sein duquel l'humanité trouvera dans un majestueux repos le prix de ses longues, de ses sanglantes luttes, le Æ “ar + | binair à ci ne tal DISCOURS FUNÉRAIRES = jo ——— M. Arago a composé des discours pour les funérailles de Delam- bre, Cuvier, Hachette, Dulong, Poisson, Prony, Puissant, Bouvard, Gambey, Gay-Lussac. Le discours prononcé sur la tombe de Poisson a été inséré comme Appendice à la suite de la Biographie de ce géomètre, t. IL des OEuvres et des Notices biographiques, p. 690. DELAMBRE! Permettez, Messieurs, que le Bureau des Longitudes, dans cette triste cérémonie, joigne aussi l’expression de sa vive douleur aux témoignages de la douleur publique. La perte qu’il vient de faire est irréparable : le savant illustre que nous pleurons était, en effet, le premier astro- nome de l’Europe. Dans une de ces solennités acadé- miques, destinées à tempérer l’amertume de nos regrets par le souvenir des services rendus aux sciences et à l'humanité, on déroulera à vos yeux le tableau de la bril- lante carrière que Delambre a parcourue. Vous le verrez d’abord, perfectionnant les méthodes du calcul astrono- mique, mériter par la variété et l'élégance de ses formules 1. Delambre est né à Amiens en 1749; il est mort à l’âge de soixante-treize ans; ses funérailles ont eu lieu le 21 août 1822, 570 DISCOURS FUNÉRAIRES. une place distinguée parmi les habiles géomètres dont la la France s’honore. Bientôt, et pendant nos discordes civiles, entouré de nombreux obstacles, en butte à mille dangers, il exécutera la vaste opération qui sert de base au nouveau système métrique et déposera ses précieux résultats dans un bel ouvrage, monument impérissable de son savoir, de son zèle et de sa véracité. Plus tard, en communauté de travaux avec l’auteur de la Mécanique céleste, il se livrera à une discussion scrupuleuse de Ja presque totalité des observations anciennes et modernes, pendant que le géomètre perfectionnera la théorie, et l'on verra sortir d’une telle association, que la France seule pouvait offrir, et qu'aucun nuage n’a jamais troublée, des tables astronomiques que toutes les nations de l’Eu- rope se sont empressées d'adopter. Le repos, chez Delambre, ne fut jamais qu’un chan- gement d'occupation, Ses dernières années ont été consa- crées à la composition de deux grands ouvrages : un Traité complet d'astronomie, et l'Histoire de la science depuis les temps les plus reculés jusqu’à notre époque. Le tableau de l'intervalle, si fécond en découvertes, qui nous sépare du siècle de Newton, est entièrement achevé, et le monde savant en jouira bientôt ; mais quelle douloureuse pensée s'y rattacherait si nous pouvions supposer que les pénibles efforts qu’il a nécessités ont abrégé une vie qu’embellis- saient tant de vertus! Une indulgence sans bornes fut le trait caractéristique de celui qui n’en eut jamais besoin pour lui-même. La jeunesse studieuse a constamment trouvé dans Delambre le protecteur le plus empressé. L’aimable gaîté de son esprit, les trésors d’une mémoire CUVIER. 571 inépuisable, nourrie de tous les bons modèles des temps anciens «et des temps modernes, donnaient à sa conversa- tion un charme tout particulier. La douceur et Pégalité de son caractère ne se sont pas un seul instant démenties ni dans le cours d’une longue carrière, ni durant la cruelle maladie qui l’a enlevé à l'Europe ; mais aussi de quels tendres soins n’a-t-il pas été l’objet? Quel dévouement, surtoût, pourrait être comparé à celui de madame Delam- bre? Voyez-la, pendant près de deux mois, épiant jour et nuit les moindres mouvements de celui dont elle eût désiré prolonger l'existence aux dépens de la sienne, et s'armer d’assez de courage pour cacher sous un front serein les terribles pressentiments dont son cœur était déchiré. Nous sommes sûrs de nous associer à la dernière pensée de -notre illustre confrère, en souhaitant qu’une douleur si juste et si profonde trouve quelques soulage- ments dans les regrets unanimes qu’excitent toujours le souvenir des travaux utiles et celui d’une réputation sans tache, CUVIER ! Messieurs, un illustre géomètre qui, par l'ancienneté, l'importance et la variété de ses travaux , marche de front avec les plus hautes notabilités scientifiques de l’Europe, n’apprit lundi l’immense perte que l’Académie venait de 1. Georges Cuvier est né à Montbéliard, en 1769; il est mort à Paris à l’âge de soixante-trois ans; ses funérailles ont eu lieu le 16 mai 1832. 572 DISCOURS FUNÉRAIRES. faire qu’en arrivant dans la salle de nos séances. « Voilà, s'écria-t-il aussitôt, un bien cruel événement : il nous rapetisse tous ! » Cette exclamation résume d’une manière fidèle et naïve les sentiments douloureux que chacun de nous éprouvait ; elle caractérise mieux que de longs discours le malheur que nous déplorons aujourd'hui. La Société royale de Londres, l’ancienne Académie des sciences de Paris, celles de Pétersbourg et de Stockholm furent frappées au cœur quand elles perdirent Newton, d’Alembert, Euler, Linné. Notre tour est venu, Messieurs : la classe de l’Institut, au nom de laquelle j'ai l'honneur de parler, a été frappée au cœur le 13 mai 1832. | Depuis quelques années, la mort, comme la foudre, s'attaque aux sommités : c’est ainsi, Messieurs, mon énu- mération sera malheureusement bien longue, c’est ainsi que Montgolfier, Fourcroy, Malus, Lagrange, Monge, Haüy, Delambre, Berthollet, Carnot, Lamark, Laplace, Fresnel, Fourier, Vauquelin, ont été coup sur coup enlevés aux sciences dont ils étendaient sans cesse le domaine, à la France qui s’honorait de leur renommée, à l’Académie qu’ils couvraient de leur gloire. Dans tout autre pays la disparition de cette double et brillante pléiade eût été irréparable; en France, terre féconde et privilégiée, d’illustres géomètres, de grands chimistes, d’ingénieux physiciens, de savants naturalistes ont promp- tement placé leur nom à côté des noms européens que je viens de rappeler. Aujourd’hui même, je l’affirme avec la certitude de n’être démenti nulle part, la seule ville de Paris compte encore dans son sein un plus grand nombre CUVIER. 573 de ces hommes privilégiés dont la postérité garde le souvenir, qu'aucune contrée du monde. Je serais beaucoup plus réservé s’il fallait me pronon- cersur des supériorités personnelles; la Suède citerait alors le chimiste dont elle est si fière; l'Allemagne son illustre voyageur, ses profonds géomètres, ses infatigables astro- nomes; l'Angleterre, un botaniste célèbre, d’habiles phy- siciens, d’éminents géologues. Un homme, un homme seul avait trouvé le secret de triompher des prétentions, ordinairement si exigeantes, de ceux qui parcouraient la même carrière que lui. Il avait vaincu jusqu'aux préjugés nationaux. De Dublin à Calcutta, d’Upsal au port Jackson Cuvier était unanimement proclamé le plus grand natu- raliste de notre siècle. Cuvier était au milieu de nous l’image vivante, incontestable et incontestée, de la préé- minence scientifique de la France : sa mort nous rapetisse tous. Il y a toujours dans les découvertes scientifiques, . même dans celles des plus grands génies, la part de quelque circonstance heureuse. C'était là, Messieurs, ce qu'éprouvait Lagrange, lorsqu'il comparait les efforts inouïs dont ses prodigieuses conceptions mathématiques avaient été le fruit, aux efforts infiniment moindres que des découvertes, peut-être plus importantes, semblaient avoir exigés; c'était là ce qu’il voulait dire, quand il s’écriait avec un vif sentiment d’amertume : « Combien Newton a été heureux que de son temps le système du mongle restât encore à découvrir! » Plus d’un naturaliste, dans la suite des siècles, répétera, sans doute, en son- geant à Cuvier, l’exclamation de l’immortel géomètre. 574 DISCOURS FUNÉRAIRES. Lorsque Cuvier hasarda ses premiers pas dans la route immense et non frayée que depuis il à parcourue avec tant d'éclat, deux hommes supérieurs, Saussure et Werner, venaient d'étudier, l’un sur les croupes neigeuses des Alpes, l’autre dans les profondeurs des mines de Saxe, la partie purement minérale du grand problème de la théorie de la Terre, et d’en marquer les traits les plus saillants. La question envisagée sous ce point de vue n'était plus-alors assez large pour le génie de Cuvier.. À la même époque, d’autres-observateurs recueillaient, par milliers, des débris fossiles des corps organisés. Ces objets, considérés comme de simples curiosités, allaient, à ce seul titre, s’enfouir dans les collections publiques et dans celles des amateurs. L’œil pénétrant de Guwvier aperçut de prime abord tout ce que leur étude dévoilerait de vérités nouvelles et la direction de ses recherches se trouva fixée. Les restes des animaux fossiles, les os des quadru- pèdes surtout se rencontrent rarement réunis. On les trouve jetés pêle-mêle, fracturés de mille manières, et le naturaliste est réduit à déterminer l’ordre; le genre, l'espèce et la taille des individus dont il a les débris sous les yeux, d’après l’inspection des plus petits fragments. De là, la nécessité d’une science dont, avant Cuwvier, il existait à peine de légers rudiments; delà, cette admi- rable anatomie comparée qui, établissant dans tous les êtres organisés une corrélation spéciale et intime entre les parties les plus éloignées et en apparence. les plus distinctes, permet de décider, d’après la forme d'un. os quelconque, d’un os du pied, par exemple, si l'animal CUVIER. 575 auquel cet os appartenait était carnivore ou s’il se nour- rissait de végétaux. Les immenses travaux de Cuvier sur les animaux fos- siles, ont été des applications continuelles des lois qu’il avait lui-même découvertes. Antiquaire d’une espèce nouvelle, pour me servir d’une de ses heureuses expres- sions, il eut toujours à reconstruire les monuments dont il voulait déterminer les âges relatifs. C’est ainsi qu'ont été établis de magnifiques rapports entre les espèces et les couches minérales, autour desquels sont venus depuis prendre place et se grouper des milliers d'observations recueillies par les naturalistes dans les quatre parties du monde ; c’est ainsi qu’ont été recréés ces quadrupèdes à dimensions colossales, ces reptiles à formes si bizarres que: des convulsions terrestres, que d’effroyables cata- clysmes ont. fait disparaître. à jamais de la surface du globe. L’anatomie comparée, les recherches sur les ani- maux fossiles, disons-le hardiment,, sont des monuments impérissables qui porteront le nom de Cuvier à la ROFÉ rité la plus reculée. Mais je m'aperçois, déjà bien: tard peut-être, que mon admiration profonde pour les découvertes géologi- ques de notre illustre confrère, m’entraîne dans des détails qui seront mieux placés ailleurs et dans une autre bouche. Je ne m’arracherai pas, néanmoins, au douloureux devoir que je remplis dans ce moment, sans jeter quelques pa- roles de souvenir sur l’homme et_sur le père de famille. C'eût été assurément, chez l’auteur de si grands tra- vaux, un sentiment bien légitime que la conscience de sa haute supériorité; toutefois ce sentiment, s’il existait, 576 DISCOURS FUNÉRAIRES. n'influait point sur la simplicité, je dirai plus, sur la naïveté des manières habituelles de Cuvier. Si des personnes qui ne le rencontraient guère que dans nos réunions académiques, ont cru pouvoir lui adresser le reproche, bien léger sans doute, de se dépouiller rarement d’une certaine nuance de raideur et de préoccupation, ceux qui le connurent dans l'intimité seraient coupables de ne pas dire ici à quel point il avait un caractère facile et conciliant. Son salon, voisin de ces immenses cabinets d’anatomie comparée que les naturalistes regardent comme l’une de ses plus importantes créations, était le rendez- vous des illustrations de notre France et des savants étrangers que le goût des voyages ou les tempêtes poli- tiques amenaïent sur notre sol hospitalier. Là, une égale bienveillance était acquise à tous. Pour moi, Messieurs, depuis que les suffrages de mes confrères, en m’imposant des devoirs difficiles, me rapprochèrent de Cuvier, j'eus chaque jour l’occasion d'admirer davantage le charme de sa conversation, l'immense variété de ses connaissances, la prodigieuse activité de son esprit, Cette activité ne l’a pas abandonné même dans ses derniers moments. Les circonstances qui ont accompagné la fin d’une si brillante vie, doivent être recueillies avec un soin religieux. Disons-les autant pour honorer le grand homme que pour montrer à tous la puissance de la vraie philosophie, Lorsqu’il ressentit les premières atteintes de la maladie à laquelle il a succombé, Cuvier ne put pas vaincre un sentiment pénible; mais ce besoin qu’il éprouvait de res- saisir une vie prête à lui échapper, était l’eflet de son CUVIER. 577 amour de la science. Il apercevait devant lui un long avenir d'utilité et de gloire; il croyait n’avoir point encore couronné le magnifique monument élevé de ses mains aux sciences naturelles. Ces regrets donnés à de futurs tra- vaux, à des découvertes qui germaient dans une inépui- sable intelligence, furent de courte durée. Après avoir pourvu par des arrangements particuliers à la publication : de ses ouvrages inachevés ; après avoir confié cette tâche importante et sacrée à deux de ses collaborateurs et amis, MM. Valenciennes et Laurillard ; après avoir donné à son frère, qui lui fut toujours si dévoué, à son jeune neveu, de précieuses marques de souvenir, il reporta toutes ses pensées sur la femme si bonne, si distinguée, si respec- table, à laquelle il avait uni son existence, et il dicta avec une admirable tranquillité d’esprit, des dispositions inspi- rées par la plus prévoyante tendresse. Espérons, Messieurs, que la veuve de l’homme de génie que nous pleurons trouvera, dans les regrets una- nimes de l’Europe savante, quelque adoucissement à sa trop légitime douleur ; espérons aussi que les préoccupa- tions politiques resteront muettes sur les bords d’une tombe qui va bientôt recouvrir une des gloires de la France. Cette gloire nous appartient, nous devons tous. en être jaloux. Il y a maintenant dix jours, pendant l'avant-dernière séance de l’Académie, à cette place où les regards des étrangers venaient contempler notre illustre secrétaire avec une si vive curiosité, il me parlait encore des amé- liorations dont lui seul, peut-être, croyait ses grands ouvrages susceptibles ; des additions nombreuses qui de- 578 DISCOURS FUNÉRAIRES. . vaient enrichir les nouvelles éditions qu'il préparait, «Voilà, me disait-il, pour cette année, mes travaux de prédilection; j'y consacrerai tout le temps des vacances. » Une semaine, hélas! ne s'était pas encore écoulée, et ces projets n'étaient plus qu’un vain rêve, et la mort nous avait enlevé l’une desplus vastes intelligences dont l'hu- manité puisse se glorifier, et notre grand naturaliste n'était plus que la froide dépouille à laquelle nous ren- dons les derniers devoirs! Puisse, Messieurs, cette bril- lante jeunesse qui, hier encore, au Collége de France, écoutait avec tant de recueillement les éloquentes paroles de Cuvier ; qui, aujourd’hui, pressée en foule autour ‘de son cercueil, fait éclater de: si honorables sentiments de douleur et de reconnaissance ; puisse-t-elle bientôt voir surgir de son sein un digne successeur de celui qu’on avait si justement nommé l’Aristote du xIx° siècle! Adieu, mon cher et illustre confrère! Adieu, Guvier, adieu! HACHETTE ! Messieurs, la mort, depuis quelques semaines , frappe l'Académiedes sciences avec une prédilection cruelle, Nous ne sortons plus guère maintenant d’une de ces tristes cérémonies, que pour nous préparer à celle du lendemain, L'âge peu avancé de Hachette; l'excellente santé dont il avait constamment joui; le bonheur qu'il trouvait au sein d’une famille dévouée et chérie; les 4, Hachette est né à Mézières en 1769; il est mort à l’âge de soixante-cinq ans ; ses funérailles ont eu lieu le 18 janvier 4834. HACHETTE. 579 douces occupations de professeur et d’académicien, lui présageaient encore de longs jours. Ces espérances ont été brusquement brisées. Peu d’instants, hélas! se sont écoulés entre l’apparition d’une douloureuse maladie et son terme fatal ! Vous n’attendez pas de moi, Messieurs, qu’en présence de cette tombe je vous parle longuement des travaux de Hachette. Ce devoir, je le remplirai dans une de nos solennités annuelles. Nous verrons alors notre confrère, sous les auspices de Monge, débuter dans la carrière de l'enseignement, presque au sortir de l'enfance. Peu de temps après, nous le trouverons honorablement associé aux efforts que faisaient tant d'hommes éminents pour imprimer à l’École polytechnique, l’ineffaçable caractère d'utilité et de grandeur qui a été la constante sauvegarde de cette institution nationale contre les passions intéres- sées de l'ignorance et du privilége, contre les mesquines préoccupations du pouvoir. Les premièrés années de l’École: polytechnique vous offriront aussi Hachette en communauté de recherches scientifiques et de succès avec les Monge, les Guyton-Morveau. les Clouet; avec MM. Thénard et Désormes. Deux grands ouvrages, l’un sur la géométrie descriptive, l’autre sur la science des machines, deviendront plus tard pour notre confrère, des titres incontestables à la reconnaissance du monde savant: Organe de l’Académie, j'aurai alors le pénible devoir de faire remarquer que l’époque même où Hachette associait , par cette double publication, l'Europe tout entière à l’enseignement de la stéréotomie, fut celle où un gouvernement réactionnaire l’arracha brutalement. d’une 580 DISCOURS FUNÉRAIRES. école dont il pouvait, à juste titre, se croire un des fondateurs. Mais je m’empresserai d’ajouter que notre honorable confrère ne se laissa point abattre par cette inexcusable persécution : les archives et les recueils de la Société d'encouragement, de la Société d'agriculture, deviendront les témoins irrécusables de son zèle, de son activité, de son ardent amour du bien public. Aujourd’hui, Messieurs, ce n’est pas du savant acadé- . micien que j’ai pu vouloir yous entretenir. Aujourd’hui, vous aimerez à concentrer toutes vos pensées sur les qua- lités de cœur du confrère que nous avons perdu; à vous rappeler son inépuisable bienveillance, sa douceur, sa constante affabilité; à proclamer combien il fut bon fils, bon époux, bon père de famille. Pendant la longue durée de son professorat, Hachette s’était donné pour mission de chercher dans la foule de ses élèves, ceux qui mon- traient un goût prononcé pour l'étude : il devenait aussi- tôt leur appui, leur guide, leur ami; il aplanissait devant eux les obstacles qui, trop souvent, obstruent l'entrée des carrières scientifiques; il jouissait de leurs succès avec une vivacité extrême et qui n’avait rien d’affecté, Si, pour mettre en relief ce trait caractéristique de la vie de notre confrère, des noms propres étaient nécessaires, ceux de Poisson, de Fresnel, de Petit, du lieutenant général d'artillerie Berye, viendraient aussitôt se placer dans ma bouche. Vous me permettriez d'ajouter (car tout senti- ment de modestie doit s’effacer devant celui de la recon- naissance) que je dois moi-même, en grande partie à Hachette, l'honneur d’être aujourd’hui l'interprète de vos profonds regrets, DULONG. 581 DULONG 1 Messieurs, la perte inattendue qui réunit en ce moment autour de cette tombe tant de douleurs sincères, tant de déchirants regrets, est irréparable. L'Académie ne pou- vait être plus cruellement frappée. Personne n’avait plus de savoir que Dulong; personne n’en a fait un plus brillant usage. Ses magnifiques travaux resteront comme des modèles de sagacité, de pénétration, de patience, d’exactitude. En les méditant, les jeunes physiciens, les jeunes chimistes, verront se dérouler devant eux la voie pénible, laborieuse, semée de mille obstacles, mais la seule voie cependant par laquelle on acquière dans les sciences une gloire que le temps, l'esprit de système, les caprices de la mode ne sauraient ébranler. Ils appren- dront aussi de notre confrère à ne point déduire de leurs travaux des conséquences exagérées , à rester dans les justes limites que l'expérience autorise, à être toujours vrais et sincères, à se défendre de ces promesses fan- tasques dont on berce si souvent la crédulité publique pour la misérable satisfaction d’un moment. Ces traits caractéristiques de l'esprit de Dulong, de ses ouvrages, de toute sa conduite, sont connus de cha- cun de vous; ils ont été justement appréciés du monde entier. Peut-être ne sait-on pas aussi généralement qu’a- vec des dehors froids, le savant illustre avait le cœur le plus affectueux, le plus aimant, Ceux qui vécurent dans 1. Dulong est né à Rouen en 1785; il est mort à l’âge de cinquante- trois ans; ses funérailles ont eu lieu le 20 juillet 1838. 582 DISCOURS FUNÉRAIRES. son intimité pourront dire s’ils ont connu un meilleur mari, un père plus tendre, un ami plus sûr, un citoyen plus vivement, plus étroitement identifié avec les grands intérêts du pays et de Phumanité, Jamais un sentiment de jalousie n’effleura la belle âme de Dulong. Les sciences étaient pour notre ami une véri- table passion; mais une passion noble, pure, dégagée de toute considération d’amour-propre, de toute vue in- téressée ou personnelle, Aussi la jeunesse lui montrait-elle une confiance sans bornes; aussi recourait-elle à ses con- seils avec un entier abandon. Dulong respecta toujours, jusqu’au scrupule, les droits des premiers occupants. Combien ne déplorait-il pas que le champ si fécond, si vaste de l'observation, devint souvent le théâtre de dé- bats irritants, sans même que la science en tirât quelque léger avantage ! Dulong naquit à Rouen au commencement de 1785. Son nom ira donc se placer parmi tant de moms célèbres dont s’enorgueillit, à si juste titre, l’ancienne province de Normandie ; la reconnaissance nationale l’inscrira à côté des noms de Corneille, de Poussin, de Fontenelle, de Laplace, de Fresnel. Dulong devint orphelin à l’âge de quatre ans. C’est sans aucun secours étranger que se développèrent en lui les germes de tant de belles qualités que la nature avait déposées dans son âme et dans son intelligence, C’est presque par ses seuls efforts qu'il conquit, à seize ans, le titre d'élève de l’École poly- techique. Une grave indisposition lobligea de quitter, avant la fin de la seconde année, cette école où il devait reparaître avec tant d'éclat, comme -examinateur de D ST Se ul A DULONG. 583 sortie, comme professeur et comme directeur des études, L'art de guérir absorba plus tard tous ses moments; il commença même à exercer la médecine dans un des quartiers les plus pauvres du douzième arrondissement. La clientèle s’augmentait à vue d'œil, mais la forme diminuait avec la même rapidité, car Dulong ne vit jamais un malheureux sans le secourir; car il s'était cru obligé d’avoir un compte ouvert chez le pharmacien, au profit des malades qui , sans cela, n’auraient pas pu faire usage de ses prescriptions. Les sciences parurent une carrière moins ruineuse, et Dulong quitta la médecine pour les cultiver. Il n’avait pas songé que là aussi surgi- raient de continuelles occasions de dépense. Nous savions tous combien notre confrère était désintéressé ; combien d'appareils et de machines délicates il faisait construire. Nous n’ignorions pas que dans la recherche d’une vérité utile , il se laissait tout aussi peu arrêter par des difficultés d'argent, que par les dangers d'explosion, et cela après même qu'il eut perdu un œil et deux doigts de la main droite au service de la science; mais nous étions loin de soupçonner toute l'étendue des ravages que tant d’admi- rables expériences avaient faits dans le patrimoine de Dulong ; nous ignorions que notre ami ne laisserait guère, pour toute fortune, à sa femme si prévenante, si dévouée, à ses enfants si bons, si respectueux, que le souvenir de ses glorieux travaux. ” C'est hier, seulement, que nos yeux se dessillèrent. Mais, hâtons-nous de le dire, car c’est un devoir pour nous et ce sera une satisfaction pour tout le monde : aussitôt que le ministre de l'instruction publique connut 584 DISCOURS FUNÉRAIRES. nos inquiétudes, il s’empressa d’acquitter, envers la veuve de Dulong, la dette de la science et du pays. Grâces lui soient rendues ! Puisqu’un fait consolant est venu se mêler à des sou- venirs qui devaient tant ajouter, Messieurs , à l’amertume de vos regrets, il me sera permis de dire aussi que l’espoir de construire, au moins en partie, le grand édi- fice dont le scrupuleux et infatigable académicien prépa- rait les matériaux depuis trois ou quatre ans, n’est pas entièrement perdu. Nous aurons les appareils de notre illustre confrère, un témoin de ses expériences, quel- ques chiffres isolés. C’est peu, sans doute ; mais, je ne sais pourquoi je me flatte que l'amitié réussira à combler bien des lacunes. Si c’est une illusion, mon cher Dulong, pardonnez-la- moi : il me serait si doux d’offrir en votre nom, à l’Europe savante, un nouveau travail comparable aux beaux Mémoires qu’elle a tant admirés et qui serviront encore de modèles chez nos derniers neveux. Adieu, mon cher ami, adieu! PRONY! Messieurs, le savant à qui nous venons dire un triste et dernier adieu, était parvenu aux limites de la vie humaine. On n’avait pas le droit d'espérer que M. de Prony, à quatre-vingt-quatre ans, tenterait de nouvelles 1, Les funérailles de Prony ont eu lieu le 3 août 1839. ie D PRONY. 589 recherches, qu'il prendrait une part active à nos dé- bats quotidiens, qu'il essaierait d’y jeter quelques reflets de sa longue et brillante expérience. Cependant, tout le monde l’a promptement senti, la perte que l’Acadé- mie, que le Bureau des Longitudes viennent de faire, est immense. Si les corps académiques exercent une influence utile sur les progrès de l'esprit humain, c’est à la condition de s'être placés par le mérite de leurs membres, dans une région de supériorité incontestable et incontestée. Or, vous le savez, l’opinion publique assignait à Prony un rang éminent parmi les hommes auxquels on succède et qu’on ne remplace pas; il était véritablement devenu en France la personnification de l’art de l’ingénieur. En interrogeant le passé, nous trouverions des époques où l'administration publique aurait cru encourir le blâme le plus sévère, si elle avait commencé des travaux de quelque importance avant d’avoir consulté le savant aca- démicien. Napoléon, par exemple, quand on discutait devant lui des projets du domaine de l’ingénieur civil, fai- - sait toujours entendre ces paroles sacramentelles : « Qu’en pense Prony? » S'il se propose, vers la fin de 1810, suivant en cela les traces de César, de Sixte V, de Léon X et de Pie VE, d’as- sainir le sol pontin, Prony sera à ses yeux le seul homme capable de diriger, d'exécuter personnellement les opéra- tions difficiles, pénibles, dangereuses, de la triangulation, du nivellement général de toute la contrée et du jaugeage de ses eaux. Quand l’empereur conçoit la pensée de rendre au port 586 DISCOURS FUNÉRAIRES. de Venise l’activité, la splendeur qu’il avait sous les an- ciens doges, Prony est chargé de préparer le travail par des recherches délicates sur l’envahissement de l'Adria- tique et des lagunes. Les événements politiques se pressent; ils semblent appeler à de grandes destinées Gênes, Ancône, Pola, la Spezzia? Cependant, tant que Prony n'aura paswisité ces ports, on n’y remuera ni une pelletée de terre, mi un moellon, À NS Le roi d'Italie songe‘t-il, enfin, à mettre-unterme à l’exhaussement graduel et très-rapide du Pà ; veut-il «em- pêcher que ce fleuve, déjà parvenu à la hauteur:du pre- mier étage des maisons de Ferrare, ne domine bientôt le faîte des églises, ne menace sans cesse tout le-pays d’un terrible cataclysme? Ce grand problème, personne ne songera à l’attaquer, avant que Prony passant une nouvelle fois les Alpes, ait étéen recueillir, en discuter, en apprécier tous les éléments, Cette confiance éclatante était une conquête du-mérite sur le dépit et la prévention, car Prony, retenu à Paris par des liens sacrés, refusa, en 1798, de-$’associer à l’a- ventureuse expédition d'Égypte, et l'empereur'avait hérité des rancunes du général en chef. Mais, aussi, Wétait-ce point Prony à qui Perronnét prophétisait dès 1779 «qu’il serait un jour le chef de l’École des Ponts-et‘Chaussées» ; n’était-ce point Prony qui, peu de temps après, appuyé sur une savante théorie, se declarait publiquement l’ad- versaire des ennemis nombreux, puissants de son-protec- teur, et opposait à leurs sinistres prédictions, ‘Passu- rance solennélle si bien justifiée par l'événement, que le PRONY. 587 décintrement du pont horizontal de Neuilly, loin d’en- traîner la ruine complète des arches, ne serait accom- pagné d’aucun tassement sensible? n’était-ce point Prony qui, sur la présentation de Perronnet et de Chezy, pré- sida à la construction des ponts de la Concorde et de Sainte-Maxence, dont tout le monde admire encore au- jourd’hui l'élégance et la légèreté? Les pensées de Napoléon n'étaient pas exclusivement tournées vers les combinaisons stratégiques d’où surgi- renttant d'incomparables victoires. Il attachait un égal prix aux triomphes obtenus par les ingénieurs civils, sur les obstacles de toute espèce que la nature semblait avoir placés comme des barrières infranchissables, entre diffé- rentes contrées ou entre les diverses parties d’un seul royaume, Cette disposition d'esprit lui faisait toujours apercevoir et apprécier le côté immédiatement utile des Mémoires scientifiques; aussi, Prony conquérait-il son suffrage, lorsqu'en mettant à profit des connaissances analytiques de l’ordre le plus élevé, il perfectionnait la théorie si difficile de la poussée des voûtes, la théorie non moins ardue de la poussée des terres et de l'épaisseur des murs de revêtement ; lorsque par des recherches suc- cessives et longtemps continuées, il dotait les ingénieurs praticiens, de règles généralement employées aujourd’hui dans toutes les questions relatives aux eaux courantes des rivières, des canaux, des tuyaux de conduite; lors- que, enfin, à une époque où la machine à vapeur était à peine connue de ce côté-ci du détroit, il en faisait des- siner minutieusement toutes les parties, les décrivait avec non moins de détails, et après avoir déterminé par de 588 DISCOURS FUNÉRAIRES. nouvelles expériences les relations de la force élastique de la vapeur d’eau et de la température, il enserrait ses nombreux résultats dans les liens d’une seule formule analytique ? Il y aurait, dans les travaux que je viens de citer, de quoi suffire à la réputation d’un ingénieur du premier ordre. Cependant ils ne forinent qu’une très-petite partie de ceux dont la science, dont les arts, dont le pays sont redevables à Prony. Je n’ai parlé, en effet, ni de son Architecture hydraulique; ni des leçons de l’École poly- technique publiées en plusieurs. volumes, et dans les- quelles on trouve sur les pendules à deux, à trois suspen- sions, des théorèmes intéressants, susceptibles de recevoir d’utiles applications; ni des expériences d’où jaillirent les véritables causes du léger tassement observé dans le Pan- théon, et qui vouèrent au ridicule l’autorité déjà presque décidée à procéder à la démolition de la coupole; ni d’une nouvelle méthode de nivellement publiée en 1823; ni d’un appareil à niveau constant, très-ingénieusement combiné pour faire, avec très-peu de liquide, de longues expériences sur les écoulements; ni de quelques inven- tions sur les moyens de régler les pendules astronomi- ques, de transformer les mesures linéaires à bout en mesures à trait; ni de divers mémoires d’acoustique où l’auteur éclaircit des points délicats que ses prédéces- seurs avaient laissés dans une profonde obscurité; ni de la traduction de plusieurs ouvrages étrangers sur la géo- désie, etc, Personne, Messieurs, ne sent plus vivement que moi, combien de pareilles énumérations sont arides en présence PRONY. 589 d’une tombe encore entr’ouverte ; et toutefois, je serais peu digne du tendre souvenir dont notre illustre confrère a bien voulu m’honorer la veille de sa mort; je manque- rais au dernier vœu que sa bouche ait exprimé, peut- être à la dernière pensée que son esprit ait conçue, si je n’ajoutais encore quelques mots : si parmi les inventions qui porteront le nom de notre confrère à la postérité, je n’allais chercher, pour lui assigner la première place, l'instrument ingénieux (le frein) auquel le public recon- naissant a déjà invariablement lié le nom de Prony. Cet instrument donne des bases loyales, exemptes de toute controverse raisonnable, aux transactions des construc- . teurs de machines et des acheteurs; il fournit les moyens d'étudier la force des plus grands moteurs, dans toutes les conditions possibles de vitesse ; il a déjà rendu de grands services à la mécanique pratique; il a satisfait enfin à un immense besoin de la science, Il me reste une autre importante lacune à remplir. Les nombreux travaux que j'ai déjà cités furent accomplis à la fin du règne de Louis XVI, sous le Consulat, l’Em- pire ou la Restauration. Que devint Prony à l’époque révolutionnaire ? Pendant cette période d’exaltation fiévreuse, tout prit dans notre pays des dimensions colossales : les projets généreux comme les actions criminelles, Prony, directeur du Cadastre, reçut l’ordre de com- poser de nouvelles tables trigonométriques. Le pouvoir d'alors voulait qu’elles ne laissassent rien à désirer quant à l'exactitude ; il ajoutait (rien ici ne pourrait remplacer les expressions textuelles) ; il ajoutait « qu’elles devaient 590: DISCOURS FUNÉRAIRES. former le monument le plus vaste, le plus imposant qui eût jamais été exécuté ou même conçu! ». Prony se trouva à la hauteur d’une mission. formulée dans des termes si inusités. Les dix-sept volumes grand in-folio qui renferment les tables encore manuscrites du: Cadastre, surpassent de beaucoup, comme le prescrivait le programme républicain, non-seulement tous les tra- vaux de ce genre que les hommes eussent.entrepris jus=. que-là, mais aussi ce que jamais ils avaient osé concevoir de plus étendu. Les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de. ces prodigieuses tables, des manœuvres qui pouvaient ne savoir, qui-ne savaient en eflet que l’addition et.la. sous- traction, les calculèrent d’après des méthodes nouvelles. Le centième restant était déduit de formules analytiques, . par des savants à qui Prony offrait ainsi un refuge assuré: contre la tempête : c'était faire à la fois un. travail très- utile et une bonne action. | - Quelques paroles encore, et j jen n’aurai.plus, Messieurs, qu'à vous remercier de votre bienveillante attention, Prony était le moins exigeant, le moins.impérieux des savants ‘et des ingénieurs. En toute circonstance: il disait, son opinion sans déguisement, avec une entière: fran- chise; mais il faisait, en général, peu d’efforts:pour con- quérir des approbateurs ou des adhérents, Au reste, . si, l'amour de la vérité, si l'amour du bien public peuvent s’allier.avec une grande réserve, l'esprit de prosélytisme n'est pas, d'autre part, un indice toujours certain de convictions profondes. Ceux-là courent aussi le risque de se tromper qui, s'arrêtant à la surface, jugent des qualités du cœur PRONY. 594 …. d’après de légères apparences, d'après de simples habi- _ tudes de société. Prony, dites-vous, semblait froid, indifférent, quelque peu personnel! Eh bien, pénétrez avec moi, à toutes les époques, dans l’intérieur de sa faille, et:voyez s'il y eut jamais un mari plus empressé, plus affectueux , plus tendre? Remarquezdonc aussi avec _ quelle exquise délicatesse il prodigue ses bienfaits aux nombreux parents qui l'entourent. Connaït-on enfin un seul collaborateur de notre confrère qui nesoit resté ou devenu son ami? un seul jeune homme honoré du titre d'élève de l’École polytechnique, du titre d'élève de l'École des ponts et chaussées, qui‘ait réclamé. en vain l'appui de Prony? Un souvenir emprunté à des relations personnelles, permettra que je m’écrie encore : Oui! celui-là avait le-cœur bien placé qui, en 1837, à quatre- vingt-deux ans, qui, près d’un demi-siècle après l’évé- nement, venait me supplier de ne pas oublier, en écrivant l'éloge de Carnot, que ce grand citoyen lui sauva la vie en 1793 ; oui !’celui-là avait le cœur chaud, qui ajoutait, les larmes aux yeux : «Quand j'aurai payé mon tribut à lanature, quand vous occuperez l’Académie de ma per- sonne et de mes travaux, je veux, entendez-vous, mon ami, je veux que vous disiez aussi qu’un autre de mes confrères me sauvait vraiment l'honneur quand il me fai- sait rentrer à l’École polytechnique, d’où une intrigue misérable, odieuse, m'avait écarté à la seconde Restau- ration. » Voilà, Messieurs, l’esquisse bien imparfaite qu’il m’a été possible de tracer la nuit dernière des travaux, de la vie et des qualités personnelles de notre illustre confrère. 592 DISCOURS FUNÉRAIRES. Un hommage plus complet, plus développé, lui sera solennellement rendu dans une de nos séances publiques. D'ici là, je me serai acquitté, mon cher Prony, de la mission que, de ton lit de mort, tu voulus bien me trans- mettre. Je suis fier de ta confiance : j’y répondrai avec zèle : heureux de montrer ainsi combien je suis recon- naissant de la tendre et constante amitié dont tu as bien voulu m’honorer pendant les trente années d’une confra- ternité sans nuages! | Gaspard-Clair-François-Marie-Riche de Prony naquit à Chamelet, département du Rhône, le 22 juillet 1755. Son père était membre de l’ancien parlement de Dombes. Prony fit ses études au collége de Toissey-en-Dombes, et entra, le 5 avril 1776, à l’École des ponts et chaus- sées. À tout ce qu’on a pu lire dans le discours précé- dent sur le cas que Napoléon faisait de Prony, nous ajouterons encore un trait. Un secrétaire d’État deman- dait un jour à l'Empereur s’il ne songeait pas à Prony à l’occasion de nouvelles dignités qu’il créait. « Non, répondit-il. Il ne faut pas mettre son rabot en dentelles, on ne pourrait plus s’en servir pour raboter. » PUISSANT. 593 PUISSANT ! Messieurs, l’excellent confrère dont nous entourons ici les restes inanimés, assistait à l’avant-dernière séance de l’Académie, En huit jours, une constitution athlé- tique, encore pleine de force et de vigueur, a été brisée; une maladie cruelle, qui d'ordinaire est le triste partage de la jeunesse et de l’âge mûr, s’est emparée du vieillard septuagénaire, et l’a précipité vers la tombe avec une rapidité presque sans exemple. Que cette mort inattendue nous serve de leçon : elle nous avertit de ne pas compter sur le lendemain; de consacrer tous nos instants à la culture, à l’avancement des sciences, à ces recherches laborieuses, au prix desquelles on obtient l’estime de ses contemporains, et, quelquefois aussi, un regard de la postérité. Je cherchais, Messieurs, des enseignements dans cette funèbre cérémonie, et je viens de tracer simplement le programme que notre confrère s’imposa de bonne heure, et qui a été sa règle de conduite invariable. L’historien de l’Académie verra Puissant, dans sa première jeunesse, faire marcher de front les devoirs rigoureux du professorat et la composition d’un utile ouvrage de géométrie analytique. Bientôt après , il le trouvera rattachant trigonométri- quement, en qualité d’ingénieur-géographe, les régions 1. Puissant est né au Châtelet (Seine-et-Marne) en 1769; il est mort à l’âge de soixante-quatorze ans; ses funérailles ont eu lieu le 12 janvier 18/43. LL — nr 38 594 DISCOURS FUNÉRAIRES. sauvages de la Corse et de l’île d'Elbe, Là, sous la tente, dans la cabane du pâtre, sur des:rochers battus de la tempête, les travaux pénibles de la journée n “empêche- ront pas le läborieux observateur de s’initier scrupuleu- sement à tout ce que la grande gd “offre de subtil, de délicat, de profond. Revenu à Paris, également ‘habile dans la pratique ét dans la théorie, l’ingénieur sera absorbé, ‘pendant toutes ses journées, par les discussions techniques, les calculs arides, mais éminemment utiles, que ‘les travaux du Dépôt de la guerre exigent ‘impérieusement. ‘Ses veilles, il les consacrera à la rédaction du célèbre Traîté de Géodésie, et du sise non moins capital, CRE ét de nivellement. Sans jamais cesser de prendre une part active à la discussion nunñérique, à la coordination minutieuse des documents recueillis par les officiers de nos: armées , Puissant, après la publication de ses deux grands ou- vrages, en répandra complétement les principes parmi les ingénieurs-géographes, et ce corps deviendra une des gloires de la France. * Le‘titre d’académicien redoublera encore pétabri de notre confrère, Chaque nouvélle édition de la Géodésie offrira des améliorations réelles, 1à même ‘où les plus habiles n’avaient pas soupçonné !la nécessité d’une modi- fication légère. * Enfin, l'heure de la rétraite légale sonnera pour le colonel d’état-major, et l'administration de la guerre sentira l'impossibilité de se séparer d’un colläborateur infatigable, devant lequel d’ailleurs toutestles prétentions PUISSANT. 1 595 iront respectueusement s’incliner; et Puissant restera l’'appréciateur scrupuleux, habile, consciencieux, de l’immense canevas de triangles qui servent de base à la mouvélle carte de France, une des opérations les plus “vastes, les plus utiles, dont les annales des peuples aient ‘conservé le souvenir. Quand ces aperçus auront été convenablement déve- “loppés, on ne s’étonnera pas que le nom de géodésie “réveille toujours dans la pensée de ceux qui le pro- noncent, le nom de notre confrère. Ce n’est pas une petite Chose, Messieurs, que d’être devenu ainsi, en Europe, la personnification d’une belle science! | Puissant ne laissera pas seulement parmi nous le sou- venir impérissable d’un académicien d'élite. Le jour viendra ‘de vous raconter aussi sa vie intérieure. Ceux qui ne le connurent point personnellement, apprendront alors tout ce qu’il y avait de dévouement dans l’époux, de tendresse dans le père, d'affabilité dans l’ami, d'indé- “pendance, de fermeté, de désintéressement dans l'offi- ‘cier. Si le sort me réserve l'honneur d'entretenir une seconde fois l’Académie de notre illustre et si regrettable confrère, je ne manquerai pas de montrer aussi en lui l'excellent citoyen; de dépeindre les joies ineffables qu’il éprouvait pendant les triomphes de la France; les poi- gnantes, les patriotiques douleurs qui bouillonnaient dans Son âme à l’époque de nos revers. La science, Messieurs, semble grandir en majesté, en puissance, quand elle s'allie à toutes les vertus publiques ét privées. Adieu, mon cher confrère ; adieu, Puissant, adieu, 596 DISCOURS FUNÉRAIRES, BOUVARD ! Messieurs, le vieillard vénérable dont la fin inattendue excite des regrets si profonds et si légitimes, était un des doyens de l’Académie des sciences, et le plus ancien membre du Bureau des Longitudes. Cinquante années de la vie de notre confrère ont été consacrées à des tra- vaux laborieux, difficiles ; j’ajouterai à des travaux émi- nemment utiles, car tel est le côté par lequel Bouvard désirait surtout qu’on les louât. J’aurai accompli, un vœu plus d’une fois exprimé en ma présence, si les paroles d'adieu que je vais tristement adresser à mon vieil ami, peuvent prendre elles-mêmes un caractère d'utilité, et servir d'encouragement à de jeunes astronomes, Bouvard naquit en 1767 dans un obscur village d’une vallée des Alpes peu éloignée de Saint-Gervais et de Chamouny, mais rarement visitée par les voyageurs. Ses parents étaient absolument sans fortune. À dix-huit ans, le jeune Bouvard n’avait guère devant lui pour toute per- spective, que le mancheron de la charrue, le cornet sonore qui ramène tous les soirs au chalet les troupeaux disper- sés sur les pentes des montagnes, et le fusil de simple soldat dans l’armée du roi de. Sardaigne. De secrets pressentiments lui persuadèrent de venir à Paris. Après quelques représentations dictées par l'affection et une légitime inquiétude, toute la famille se cotisa, et le futur astronome, un bâton de voyage à la main, le sac sur le dos, se mit en route pour la capitale. 1, Les funérailles de Bouvard ont eu lieu le 41 juin 1843. BOUVARD. 597 11 serait superflu de raconter ici combien fut d’abord cruel dans la grande ville, le désappointement d’un jeune homme sans protection, sans relations, sans vocation décidée, et dont les faibles ressources pécuniaires s’épui- sèrent rapidement, Contentons-nous de dire que si Bou- . vard n’avait pas le moyen de prendre chaque jour ses repas, il ne manquait jamais d’assister aux leçons pu- bliques et gratuites du collége de France. Pendant quel- ques mois, son esprit flotta incertain entre les mathé- matiques et la chirurgie. Les mathématiques l’'empor- tèrent; les progrès furent rapides, et bientôt l'auditeur assidu de Mauduit, de Cousin, eut lui-même des élèves particuliers, parmi lesquels il s’est toujours complu à citer M. de Saint-Aulaire, actuellement ambassadeur de France à Londres, et le général Demarçay. | Le hasard (son rôle dans les événements de la vie est beaucoup plus grand que notre vanité ne consent à l’a- vouer ) rendit Bouvard témoin des travaux de l'Observa- toire. Dès ce moment naquit chez lui une véritable pas- sion pour l'astronomie. Vous tous, Messieurs , qui avez vu notre confrère, constamment calme, réservé, vous trouverez peut-être que le mot de passion a ici quelque chose d’outré. Détrompez-vous : aux approches d’un phénomène céleste important, Bouvard était dans un état fébrile manifeste ; le nuage qui, dans le moment d’une éclipse d’étoile ou de satellite, menaçait de lui dérober la vue de la Lune ou de Jupiter, le plongeait dans le désespoir; à la fin de sa vie, il rapportait encore avec une douleur naïve les circonstances qui, quarante années auparavant, l’avaient empêché de faire certaines obser- 598 DISCOURS FUNÉRAIRES. vations, Otez la passion, et dans Bouvard, passant, la Table de logarithmes à la main, des journées, des se- maines, des mois entiers pour découvrir la faute de calcul que tel ou tel élève astronome avait commise en s'exerçant, vous ne trouverez plus qu’ un nu: sans cause, qu'une anomalie inexplicable, 1856 an: ‘ - L'événement culminant dans la carrière abñoie ‘Con- bière, c’est la connaissance qu’il fit en 4794 de M: de La- place. Le grand géomètre, retiré à la campagne près de Melun, composait alors la Mécanique célesté. I ne pouvait suffire seul à l’ensemble de calculs transcendants et de déductions numériques que cette’ immense entreprise exigeait, Bouvard se mit à sa disposition: avec un dé- vouement sans bornes, et qui ne subit jamais d’affaiblis- sement. Laplace; d'autre part, s’attacha à faire rendre jüstice au collaborateur ‘infatigable et modeste que Vin- trigue aurait: pu sapplanter. Par la double influence de titres incontestables, incontestés, et du crédit légitime d'un ami illustre, Bouvard devint, successivement, adjoint du. Bureau des Longitudes, membre du même corps savant et. de l’Académie des sciences. Ajoutons que la fortune de l’astronome ne s’en ressentit guère, les libéralités de Bouvard envers une famille pauvre et très- nombreuse ayant toujours augmenté presque aussi rapi- dement que les appointements réunis de ses diverses places. : C’est assurément un spectacle plein d'intérêt, que celui d’un jeune homme qui s'élève de la position la plus humble jusqu'aux premières dignités scientifiques ; mal- heureusement, on ne doit pas espérer qu’il se reproduira Sat; Le | Ar dr BOUV ARD. 599 souvent. Si, envisagée surtout de son point de départ, la carrière parcourue par Bouvard est immense, c’est que notre ami fut toujours animé d’une ardeur extraor- dinaire. pour le travail; c’est que le découragement ne l'atteignit jamais ; c’est que sa persistance à recommen- cer sans cesse la: même recherche pourrait servir de modèle aux plus opiniätres, Les distractions de notre société, Bouvard his connais sait à peine. Observateur exercé et habile, il passa, pen- dant de longues années, toutes les nuits sans nuages, à côté des grandsinstruments de l'Observatoire. La Table générale des comètes présente plusieurs de ces astres dont: læ découverte lui appartient. Sa spécialité, toute- fois, nous la trouverions dans les calculs numériques, dans les calculs fastidieux qu'un écrivain illustre a si bien ca- ractérisés par ces paroles : «Ils fatiguent l’attention sans la captiver. » Bouvard en:exécuta des masses effrayantes, soit-quand il s’occupa de la Théorie de la Lune, à l’occa- sion d’un prix proposé par la première classe de l’Institut, prix.qu'il partagea avec le célèbre Burg, de Vienne; soit en construisant des Tables nouvelles de Jupiter, de Saturne, d'Uranus; soit enfin, et principalement, lors- qu’il fallut fournir à Laplace le moyen d'insérer dans sa Mécanique céleste autre chose que des formules purement algébriques. | Combiner des nombresétait devenu pour notre confrère une: seconde nature. Sa main défaillante traçait encore des: chiffres l’'avant-veille du jour où nous l’avons perdu. Aussi, me serait-il permis d'emprunter à l’éloge d’Euler le trait. qui le termine, et.de m’écrier, sans aucune appa- 600 DISCOURS FUNÉRAIRES. rence de flatterie : « Le 7 juin 1843, Bouvard cessa de calculer et de vivre, » bi Déjà, Messieurs, il a été dans ma destinée d’accom- pagner jusqu’à ces champs de repos les restes inanimés de plus de cent membres de l’Académie des sciences. Au milieu de ces tristes devoirs, j'ai constamment recueilli avec scrupule les indices qui me mettaient sur la voie des dernières pensées, des dernières impressions de nos confrères. Je ne renoncerai pas aujourd’hui à cette vieille habitude, et je dirai : si une conduite sans reproche, si une vie utilement employée peuvent jeter quelque adou-- cissement sur le moment solennel qui nous sépare d’une famille chérie, d’amis dévoués , la fin de Bouvard a été calme et sereine. Aucun soupçon n’effleura jamais le caractère moral du savant astronome. Le cabinet de son appartement où il a expiré ne pouvait manquer d’éveiller en lui les plus flatteurs souvenirs : c’est le lieu même où, plusieurs fois la semaine, Laplace allait coordonner ses savantes formules avec les résultats numériques de l’infatigable calculateur. Le dernier regard de notre confrère a dû se porter sur un casier spécial où se trouvaient à part, dans la situation la plus apparente, l'Exposition du Système du monde, les cinq volumes de la Mécanique céleste à la publication desquels il avait concouru. Je ne sais si, dans sa profonde modestie, notre con- frère a jamais songé à un souvenir de la postérité; en tout cas, cette espérance ne sera point déçue : le nom de Bouvard a été inscrit par la reconnaissance et par l’amitié dans deux ouvrages immortels. Il était glorieux, Mes- GAMBEY. 601 sieurs, de laisser en mourant le droit de faire graver sur sa tombe : «Il fut le collaborateur et l’ami de Laplace, » Quel éloge ne pâlirait point à côté de ces paroles! Adieu, Bouvard, adieu. GAMBEY ! Permettez-moi, Messieurs, d'adresser de tristes paroles d'adieu au grand artiste dont la mort prématurée a si douloureusement impressionné la capitale, Des relations intimes qui datent de plus d’un tiers de siècle; une affection mutuelle qu'aucun dissentiment, qu'aucun nuage n’a jamais troublée, me donneront, j'espère, quelques droits à votre indulgente attention. Depuis l'époque où un heureux hasard fit sortir Gambey de l'isolement dans lequel les préjugés, la routine, l’igno- rance, le tenaient obstinément renfermé, chaque année de sa vie a été marquée par d’éclatants services rendus aux sciences et aux arts. Notre confrère avait acquis de bonne heure des connaissances étendues en géométrie, en méca- nique rationnelle, en physique, en chimie; l’art du des- sin graphique lui était aussi très-familier. De là cette sûreté de vue, cette netteté de conception, ces dispo- sitions intelligentes et judicieuses que les connaisseurs admiraient dans les instruments variés qui sortaient de ses mains, Tous portaient l'empreinte d’une imagination féconde, sagement maîtrisée par les règles inflexibles de 1, Les funérailles de Gambey ont eu lieu le 31 janvier 1847, 602 DISCOURS FUNÉRAIRES. la science: Telle était l’origine de la confiance illimitée et si flatteuse qu’il inspirait aux savants. ; Croyait-on entrevoir des difficultés idée insur— montables, dans les dispositions projetées des appareils délicats, nécessaires à la réalisation des magnifiques tra- vaux qui, depuis quelques années, ont jeté tant d'éclat sur notre Académie, on manquait rarement d’en référer à Gambey. Alors l'artiste éminent mettait, sans réserve, son esprit inventif au service de l’expérimentateurinquiet. La satisfaction d’avoir contribué au progrès:des connais- sances humaines.était, dans ces occasions, la-seule ré— compense à laquelle son cœur pût être sensible: Espérons que tous ceux qui ont dû ainsi leurs succès, dumoinsren partie, aux communications bienveillantes, modestes et. désintéressées de notre confrère, ne manqueront pas, quand l'heure de tracer sa biographie aura sonné, de s'acquitter envers lui, de remplir un devoir sacré. Qu'im- porterait, au reste, à la gloire de Gambey, um oublique je ne veux pas supposer possible! Les titres du grand- artiste, ses titres patents, publics, reconnus de tous, ne sont-ils. pas assez nombreux, assez resplendissants pour lui assurer un renom impérissable ? Écoutez, wevrr:2rodd cette énumération! imparfaite , et prononcez. : | L'industrie française est appelée, pendant: la Hosts ration, à une de ces grandes solennités qui portent: une ‘agitation fébrile dans, tous les ateliers du royaume; les étrangers accourent en foule. Ils rendent un loyal, un solennel hommage. aux principaux produits de nos ma- nufactures; mais pas un mot d’éloge ne sort de leurs bouches quand: ils s'arrêtent devant nos instruments de ST TT NT RES PES AE GAMBEY. 603. précision. Ce silence-est significatif. Quelques personnes s'en émeuvent. Elles cherchent Gambey,. découvrent sa très-modeste demeure dans la rue du Faubourg-Saint- Denis, et: le somment, au nom de la gloire nationale, -dentrer en lice. Encouragé par tout ce qui l'entoure, . Gambey met la main à l’œuvre, et, deux mois après, dans les. galeries du Louvre, un membre-de la Société royale de Londres des plus compétents, M: Kater, décla- rait que de l’autre côté du détroit, dans le pays de la mécanique, comme on disait à cette époque, personne m'aurait pu, sous le double rapport de l’élégance et de la précision, faire mieux que le jeune artiste, jusqu'alors ignoré, de la rue du Faubourg-Saint-Denis, | Peu de temps après, un théodolite portatif, sorti de la même main, l'aîné de cette nombreuse famille d’instru- ments qui a porté la réputation de Gambey dans toutes les régions du monde, permit à des membres: du Bureau des Longitudes de lutter, sans désavantage, sur les: côtes de France et d'Angleterre, avec des observateurs très- habiles disposant d’un instrument colossal, chef-d'œuvre du célèbre Ramsden, | Les théodolites de Gambey, si justement, si prompte- ment appréciés, prouvèrent aux plus incrédules que les astronomes français n’auraient plus besoin de traverser lé Rhin ou la Manche pour se pourvoir d'appareils de précision; ils firent plus : ces instruments révélèrent au pays un inventeur de premier ordre, Tandis que les pré- décesseurs de notre confrère ne réussissaient à tracer des graduations mathématiquement équidistantes qu’en recourant à des moyens de centrage d’une complication, 604 DISCOURS FUNÉRAIRES. d’une minutie extrêmes, Gambey jetait au hasard, sur sa plate-forme, les cercles qu’il voulait diviser, et par la toute- puissance d’un mécanisme, fruit de son génie, ils en sortaient dans un état de perfection presque idéale, Ces résultats, pendant de longues années, parurent aux plus habiles peu dignes de croyance; ils ont maintenant pris place dans ce que les arts ont de plus avéré. Une incursion de Gambey dans le domaine de la physique produisit bientôt les plus heureux fruits. Pour répondre à un besoin que Dulong et Petit lui signalè- rent, notre confrère construisit un excellent cathétomètre, instrument qui doit figurer aujourd’hui dans tous les labo- ratoires où l’on veut exécuter des mesures de précision. Fresnel, car les plus grands noms seront associés dans le souvenir des hommes au nom de Gambey, Fresnel désire apporter, dans les observations relatives à la dif- fraction de la lumière, une précision jusque-là sans exemple. | La solution des questions de physique les plus capi- tales sur la nature du fluide lumineux dépendra de la mesure de quantités très-petites. Pour de telles apprécia- tions, l'instrument célèbre de s’ Gravesande serait insuffi- sant. Gambey invente un héliostat entièrement différent ; l'artiste, une seconde fois, se place ainsi au niveau des besoins de la science et à la hauteur des immortels phy- siciens, dont il rend les travaux exécutables. Je n’apprendrai rien à personne en disant ici que les boussoles de Gambey l’emportent en précision sur tout ce qu'on avait exécuté avant lui, C’est principalement avec les instruments sortis des ateliers de la rue Pierre- GAMBEY. 605 Levée, que les mystérieux phénomènes du magnétisme terrestre sont étudiés aujourd’hui dans les régions polaires des deux hémisphères; à Pékin, en Sibérie, dans toute l’Europe, le long des côtes orientales et occidentales des deux Amériques. 3 Coulomb, ce physicien si plein de finesse et de saga- cité, avait construit des boussoles de déclinaison dont l'exactitude reposait principalement sur l'extrême délica- tesse de la suspension à fil, Mais la partie optique de ces appareils était imparfaite dans son principe; mais Cou- lomb n’essaya pas même de recourir à son ingénieuse suspension, pour la mesure si importante et si difficile des variations de l’inclinaison, Ce que Coulomb croyait impraticable a été réalisé avec succès par Gambey. De tels rapprochements sont plus significatifs que de longs discours. Dans ses grands travaux pour l'Observatoire de Paris, Gambey débuta par un équatoriat, Un mouvement d’hor- logerie y conduit la lunette. Le programme imposait à l'artiste l'obligation d'employer un pendule ordinaire, sans qu’il en résultàt d’intermittence dans le mouvement, Ces termes rigoureux pouvaient rendre la solution impos- sible ; mais le mot impossible ne figurait pas dans le vocabulaire de notre ami, et l'instrument a réussi, à l'entière satisfaction du Bureau des Longitudes, et il a déjà servi à enrichir la science de vérités astronomiques qui , suivant l’expression de Pline, étaient restées enve- loppées dans la majesté de la nature. L’équatorial de l'Observatoire renferme, en artifices qui ne dépendaient pas directement de l’art cultivé par ‘put 606 DISCOURS FUNÉRAIRES. Gambey, de :quoi défrayer la réputation-d’'un. RoNeges du premier ordre, Grâce à Gambey, sans faire la plus mince tpart aux préjugés nationaux, on a pu, dans l'Observatoire de Paris, substituer des instruments français à tous les grands in- struments méridiens de construction anglaise, La.lunette des passages de notre confrère occupe aujourd'hui la place d’une lunette analogue sortie des ateliers justement célèbres de Ramsden. Les amateurs y remarquent. avec intérêt des moyens de nivellation entièrement nouveaux, tout en témoignant leur surprise qu’il restât quelque.chose à faire sur un sujet dont tant de grands esprits, -dont Huygens, par ‘exemple, s'étaient longuement-ocecupés. L'œuvre la plus capitale de Gambey, c’est! le cercle mural méridien, -de deux mètres de diamètre, ‘achevé seulement depuis quelques années. Cet instrument,.d'une rare perfection, a été divisé par des ‘procédés entière- ment nouveaux, que notre confrère a négligé de publier, croyant avoir-encore devant lui de longues'années. : Heu- reusement l’appareil existe, presque complétement monté. Il est permis d'espérer qu’en réunissant les indications éparses que plusieurs personnes ont recueillies-de:la :bou- che même de Gambey, on parviendra à retrouver. dans ses. diverses parties une méthode, fruit.du' plus long la- beur, et dont lacperte : serait un malheur national. Un appel à tous les souvenirs, fait sur le bord. d’une-tombe et dans un intérêt public, ne saurait manquer d’être en- tendu. Je comprendrai:également dans ma prière, -ce-que notre confrère ra-pu laisser percer, des moyens qu'ilalait mettre en pratique dansda construction des plus grandes GAMBEY. 607 lunettes, dans la fabrication des verres Ipropres à l'op- tique, etc. Ah! combien de sciences, Messieurs, ont été rudement, cruellement frappées, par le coup inattendu qui nous a enlevé Gambey dans la force de l’âge-et du talent! Quoique je ne puisse tracer ici qu'une esquisse rapide et improvisée, je serais sans excuse, si je n’appelais votre attention sur un des plus beaux côtés de la noble figure de notre confrère, si je ne consacrais quelques paroles de sympathie à l’homme moral. “Gambey fut toute sa vie un modèle de droiture et de désintéressement. S'il est mort sans fortune, n’en cher- chez pas d'autre cause. Gambey sera toujours cité, par -ceux-qui l'ont connu personnellement, comme le fils le plus dévoué, l’époux le plus aimant, le père le plus ten- dre. Les larmes amères de sa femme, de:sa fille, témoi- gnent bien éloquemment, aujourd’hui, du bonheur qu’il savait répandre autour de lui. Et vous, ses concitoyens du sixième arrondissement de Paris, vous qui l’avez comblé de tant de précieuses marques d’estime, dites si, malgré une apparente froideur , vous rencontrâtes jamais un cœur plus sincèrement, plus vivement dévoué à son pays; dites si Gambey n'était pas remué jusque dans les entrailles, lorsque la France lui paraissait manquer à la noble mission que le sort lui a dévolue, lorsqu'elle semblait renoncer à préparer, à diriger, à assurer l’éman- cipation. du monde. . La perte cruelle qui nous réunit ici, Messieurs, ne sera pas de longtemps réparée. L'homme dont les restes inanimés. sont .déjà descendus dans cette tombe, n’était 608 DISCOURS FUNÉRAIRES. pas seulement le premier artiste de l'Europe; on trouvait encore en lui, suivant le vœu d’un poëte : L'accord d’un grand talent et d’un beau caractère! Adieu, mon cher Gambey, adieu. GAY-LUSSAC 1 [Le discours de M. Arago a été lu par M. Flourens. Avant de commencer cette lecture, M. Flourens s’est exprimé en ces termes : Messieurs, je vais avoir l'honneur de lire le discours de M. Arago, une émotion profonde l’empêchant de pou- voir prendre lui-même la parole en ce moment. | Messieurs, je ne puis résister au besoin de dire un dernier adieu à mon vieil ami. On voit mal les choses avec des yeux baignés de larmes. Je crois cependant pouvoir l’affirmer, sans crainte d’être contredit par personne : l’Institut, l’Académie des sciences, n’auraient pas pu faire une perte plus grande que celle qui nous réunit ici. Les qualités éminentes qui, chez Gay Te ont brillé d’un si vif éclat dans l’âge mûr, s’étaient révélées de très-bonne heure. Il était encore élève de l’École polytechnique, lorsque Berthollet l’apprécia , lui accorda son amitié, et en fit son collaborateur. Celui à qui revien- 1, Les funérailles de Gay-Lussac ont eu lieu le samedi 41 mai 1850. GAY-LUSSAC. 609 dra l'honneur d’analyser, dans une de nos réunions solennelles, la carrière scientifique de notre confrère ne manquera pas de vous signaler cette rectitude de juge- ment qui, dans chaque question, lui faisait saisir avec une sûreté merveilleuse le nœud de la difficulté ; vous le verrez alors étreindre dans ses mains puissantes toutes les données du problème qu’il se proposait de résoudre, _ et en faire jaillir ces lois simples qui, sous le nom de Lois de Gay-Lussac, répandaient des flots de lumière sur les parties les plus abstruses de la science, et exci- taient l'admiration du monde entier. Notre illustre confrère s’est montré toute sa vie, ce qui malheureusement devient de plus en plus rare, le juge impartial et bienveillant des travaux de ses émules; au- cune trace de jalousie n’effleura jamais sa belle âme; il applaudissait au succès des autres avec une joie sans mélange; il s’intéressait noblement aux progrès des sciences, abstraction faite de toute mesquine considéra- tion de nationalité. Ce n’est pas que Gay-Lussac, malgré son apparente froideur, n’appréciàt la gloire pure et bril- lante que des découvertes scientifiques peuvent répandre sur notre nation. Écoutez, en effet, cette anecdote; elle est caractéristique : Un humble salpêtrier découvre, dans les résidus de son travail, un corps simple qui depuis a reçu le nom d'iode. Ce corps est remis par M. Courtois à un chimiste qui, entraîné par des recherches industrielles, le con- serve dans son laboratoire sans l’examiner, Sir Humphry Davy, esprit créateur, savant d’une célébrité européenne, vient à Paris, et le bocal renfermant la mystérieuse sub- LCL, — xxx, 99 610. DISCOURS FUNÉRAIRES. stance lui est livré sans réserve. Gay -Lussac en est in- formé, et juge d’un coup d'œil à combien de critiques blessantes pour l'honneur de nos expérimentateurs et de nos académies, pourra donner lieu l’antériorité accordée ainsi par: le hasard et un peu de légèreté aux investiga- tions du chimiste étranger. Il se rend sans retard chez le fabricant de salpêtre, se procure de petites parcelles de la nouvelle substance, se met à l’œuvre; et en quel- ques semaines produit un des plus beaux Mémoires dont les annales de la science aient eu à faire mention. Le futur biographe appellera certainement l'attention publique sur cette série de méthodes exactes 'et d’instru- ments précieux dont on fut redevable à Gay-Lussac, et à l’aide desquels plusieurs branches de la physique et de la chimie acquirent la précision des sciences astrono- miques. Quant à moi, je n’aurai pas le courage, quelque‘inté- rêt qu’ils pussent exciter, d’entrer dans des développe- ments techniques devant cette tombe encore ouverte; mais je dirai en terminant, à ceux qui ne connurent pas personnellement Gay-Lussac, que notre si regrettable: confrère n’était pas moins distingué par ses qualités: morales que par son intelligence d'élite; qu'il fut ami dévoué, bon père, et le modèle des époux. Adieu, mon ami; ton nom restera gravé entraits inef- façables dans la mémoire et dans le cœur de ceux qui eurent le bonheur d'apprécier ton génie et de jouir de ton affection, DE L’UTILITÉ DES PENSIONS ACCORDÉES AUX SAVANTS, AUX LITTÉRATEURS, : AUX ARTISTES : Pendant la seconde Restauration, les savants, les hommes de lettres, les artistes furent tous menacés dans leur existence, Des députés, en tête desquels figurait le célèbre M. Cormenin, qu’on est tout étonné de rencon- trer dans cette croisade, voulaient, par les considérations budgétaires les plus mesquines, placer toutes les intelli- gences du pays sous le même miveau. [ls annoncèrent l'intention de faire décider qu’un savant n’occuperait jamais plus d’un emploi; c’était porter à 5,000 francs le maximum de fortune qu’il eût été possible d’attemüre, puisque les emplois les plus élevés dans l’ordre scienti- fique ne comportent que très-rarement une rétribution annuelle supérieure à ce chiffre. . Pour arriver à leur but, les ennemis de la science n'oublièrent pas de recourir à un moyen de succès pres- que infaillible dans notre pays, ils appelèrent d’un nom flétrissant les hommes laborieux qui, à l’aide d’un travail 1. Œuvre posthume, 612 DE L’UTILITÉ quotidien et à la sueur de leur front, arrivaient à l’aisance la plus modeste ; ils les appelèrent des cumulards. Bien- tôt on vit les zoïles à la suite, les envieux de toute espèce, faire imprimer les noms les plus honorables avec l’épithète de cumulards, dans des dictionnaires offerts à la curio- sité des passants, par les librairies les plus mal famnées. Il était important d'éclairer les députés qui n’avaient pas eu le temps d'étudier la question sous toutes ses faces, afin d'arrêter un débordement dont on eût trouvé l’origine dans des haïnes personnelles et dans les plus honteuses passions : je me chargeai de ce soin, et peu touché du reproche qu’eussent pu m'adresser ceux de qui j'étais peu connu, d'agir dans un intérêt privé plutôt que dans celui de la science, je me rendis successive- ment chez les orateurs les plus éminents de la Chambre ; j'eus le bonheur entre autres, d’intéresser à cette cause Benjamin Constant, qui me promit de stigmatiser comme il savait le faire ce projet d’irruption de la barbarie dans le domaine de l'intelligence. Loin de reculer devant les attaques dirigées contre les cumulards, j’écrivis alors un petit article que j'avais l'intention de lire dans une de nos séances publiques et dans lequel j'essayai de prouver que, par un retour vers une institution qui date de Colbert, l'État devait accorder des pensions aux hommes supérieurs sans leur imposer aucune fonction. Je reproduis cet écrit, dont des circonstances parti- culières, indépendantes de ma volonté, ont retardé la publication, comme une sorte de conclusion de mes études biographiques. Les mauvais penchants, comme les plantes nuisibles, DES PENSIONS. 613 sont très-difficiles à extirper complétement ; il ne serait donc pas impossible que quelques-uns des rapproche- ments historiques contenus dans cet écrit devinssent un jour utiles. Cette considération me servira d’excuse auprès de ceux qui seraient tentés de croire qu'au milieu du xix° siècle la science est suffisamment protégée, et que les savants sont trop heureux de travailler dans l'intérêt de la science au milieu d’une société qui veut bien ne plus les persécuter. Thomas, l’auteur de l’Essai sur les éloges, s'exprime ainsi : « Soit qu'en célébrant les grands hommes vous preniez pour modèle la gravité de Plutarque, ou la sagesse piquante de Fontenelle, n’oubliez pas que votre but est d’être utile, » Voilà assurément une pensée irréprochable ; oserait-on affirmer que les biographes de tous les temps en aient été suffisamment pénétrés. Depuis près de deux siècles, les sociétés savantes paient régulièrement un juste tribut de regrets à ceux de leurs membres qui viennent de dis- paraître de la scène du monde; ces éloges académiques offrent dans leur ensemble une statistique intellectuelle et _morale très-précieuse. Chacun peut y suivre les déve- loppements du cœur, de l'esprit et du caractère chez les hommes que la nature a comblés de ses dons. On y trouve souvent le génie aux prises avec l’infortune; on le voit ‘lutter rudement contre des institutions sociales qui l’ar- rêtent dans son essor, qui le découragent, qui souvent le font avorter. Un pareil tableau tracé, colorié par les maîtres de l’art, s'empare des imaginations, les remue, les passionne; mais est-ce bien là toute la tâche du bio- 614 DE L’UTILITÉ, graphe? Après avoir signalé le mal, ne devrait-il pas chercher le remède? Pourquoi s’en fier surce point à de prétendus législateurs, complétement étrangers à l’his- toire des douleurs, des misères, des angoisses poignantes qui ont été l’apanage de beaucoup d’esprits supérieurs? Saisissons toutes les occasions de montrer que l’homme de génie entravé dans sa marche par des institutions sociales vicieuses, n’accomplit pas sa destinée; qu’il descend dans la tombe avant d’avoir pu jeter sur les milliers de phénomènes dont nous sommes entourés ces clartés vives et fécondes qui deviennent pour tout un peuple d’immor- tels titres de gloire; qui manquent rarement aussi de contribuer au développement de la richesse publique. Quand on veut parler des savants dont les facultés ‘éminentes ont été mal appliquées, les noms viennent se placer en foule sous la plume, Un homme d’État, célèbre par ses spirituelles saillies, disait d’un de ses adversaires politiques : « Sa vocation est de ne pas être ministre des affaires étrangères. » Me serait-il difficile de citer, dans la carrière des sciences, des hommes dont la vocation était de ne point professer, de ne point inspecter, de ne point examiner, et qui, pendant une longue vie, ont été quotidiennement occupés à faire des leçons, à juger des professeurs et à examiner des élèves. Cet emploi inintelligent des plus hautes facultés a eu dans tous les temps les conséquences les plus fâcheuses. Je me propose d'établir dans cet écrit que les hommes dont je viens de parler, lorsque leur mérite est bien reconnu, devraient être abandonnés à leurs penchants naturels, que l’État ferait très-sagement en ds M C7 Là : DES PENSIONS, 645 de pourvoir libéralement à leur entretien, de les soustraire aux soins vulgaires que les préoccupations de chef de famille leur inspirent si justement, et qui trop souvent, hélas! arrêtent le génie dans son essor. J'entends les objections surgir en foule : le génie ne se mesure pas au mètre; il sera méconnu; dans ses luttes contre la médiocrité rampante, on le verra toujours suc- comber. Quelle règle appliquer aux productions litté- raires? N’a-t-on pas vu un moment les ouvrages des plus grands écrivains du siècle de Louis XIV honnis et bafoués ? N'a-t-on pas dit des historiens, par exemple, en croyant émettre un adage plein de sens : « Ils doivent être sans passions et sans pensions. » Rétribuer sur les fonds de FÉtat des hommes qui n’auraieut pas des fonctions pa- tentes, obligatoires, de tous les jours, ce serait offrir une prime à la paresse; ce serait faire revivre l’odieux abus des sinécures, des bénéfices, etc, Ces difficultés ont quelque chose de réel; elles ne paraissent pas insurmontables. L'institution que je pro- pose a déjà existé sous Louis XIV, sous la Régence, sous Louis XV, sans le contrôle redoutable d’une presse libre, et cependant les abus ne furent ni aussi grands ni aussi nombreux qu’on aurait pu, qu’on aurait dû le craindre. A peine l’Académie des sciences venait-elle de naître, que Colbert fit un fonds annuel de cent mille livres pour être distribuées aux hommes célèbres de France et de l’étran- ger. Le tableau des pensionnés n’est assurément pas à l'abri de toute critique. Chapelain, le mieux rétribué de tous, y figure «comme le plus grand poëte français qui ait jamais été ; » Leclerc, Boyer, sont qualifiés « d’excel- PÈE 616 DE L’UTILITÉ lents poëtes»; Desmarest est auteur «de la plus belle imagination qui soit au monde»; mais à côté de ces arrêts burlesques dont la postérité, fort coutumière du fait, n’a tenu aucun compte, on trouve dans les listes les noms de Corneille, de Racine, de Fléchier, de Quixiault ; dans les sciences, parmi les seuls étrangers : ce x de Viviani, d’'Heinsius, d'Hévélius, de Huygens. De pareils choix ne doivent-ils pas faire pardonner quelques erreurs, quelques bévues, imputables à des relations decour, à l’aveuglement de l’amitié, surtout à des sentiments de camaraderie? car si ce dernier mot est neuf, la chose qu'il désigne est bien ancienne. Pas plus qu'un autre, je ne voudrais accorder ma confiance à ceux qui acceptent les fonctions d’historio- graphes privés, ou la position de poëtes lauréats, Je sais, comme tout le monde, qu’ils sont chaque jour dans lal- ternative de perdre leur pension ou leur propre estime ; je sais qu’ils n’écrivent pas une seule ligne sans se deman- der si elle ne leur sera pas reprochée par les porte-clefs des cassettes princières, ou par les distributeurs de fonds secrets. J’ai parlé, moi, de rémunérations nationales; or, à moins de s’abandonner à la pensée cruelle, et de plus mensongère, que le talent et des sentiments de déli- catesse et d'honneur ne marchent jamais réunis, qui pourrait douter. que tous ceux dont le pays aurait pro- clamé la prééminence, sentissent se fortifier en eux l'amour du beau et du bien? Quant à moi, je crois qu'ils deviendraient les apôtres ardents de la vérité; les anta- gonistes décidés du mensonge. Ils seraient, dans le champ des sciences et de la littérature, les mandataires LL è DES PENSIONS. 617 du pays. Tout ce qui pourrait leur imprimer plus forte- ment ce noble caractère, me semblerait donc utile et dési- rable, Peut-être dans le choix des personnes faudrait-il exiger l'intervention des Chambres législatives. Une pré- sentation de candidats par les académies de l’Institut, deviendrait aussi une forte garantie. D’autres mesures, d’autres précautions ne manqueraient pas d'être sug- gérées. | Ici, j'ai dû me borner à l’idée première. Si j'en juge par le passé, cette idée ne pourrait manquer de devenir féconde en grands résultats. Lorsque, sur l'invitation de Colbert, Huygens, Cassini et Rœmer vinrent s'établir à Paris, ils n’eurent ni leçons à faire, ni colléges à inspecter. Les étudiants de l’époque se seraient peut-être étourdi- ment égayés aux dépens de la prononciation plus ou moins correcte du professeur hollandais, danois ou ita- lien. Les choses furent envisagées de plus haut. Par la bouche du grand ministre, la France dit aux illustres étrangers : « Je serai amplement récompensée de l’hospi- talité que je vous offre, si les travaux auxquels vous allez vous livrer dans le silence du cabinet éclairent des points encore obscurs de la science, s’ils font faire de nouveaux pas à l'esprit humain. » A ce noble langage répondirent les plus beaux travaux. Qui oserait regretter les pensions _de quelques milliers de francs accordées par nos ancêtres aux auteurs de la Théorie de la double Réfraction; de la Délermination de la vitesse de la Lumière ; de la Décou- verte des Satellites de Saturne, de celle de la Librahion de la Lune? Clairaut jouit durant sa vie, de pensions académiques 618 DE L’UTILITÉ et autres, qui n’imposaient en apparence aucun devoir, Dans les idées du jour, Clairaut serait un sinécuriste. Le sinécuriste Clairaut, abandonné au libre cours de ses idées, débarrassé des soins pénibles de l’enseignement, de l'influence amortissante des occupations à heure fixe, a légué à sa patrie, au monde savant, un ouvrage : la Théorie de la figure de la Terre, qui restera comme un modèle d'élégance et de profondeur; la première solu- tion du fameux problème des trois corps, ou dela déter- mination des orbites relatives de trois astres qui circulent dans l’espace en obéissant aux lois de la pesanteur; le premier calcul qui aît effacé définitivement les comètes de la liste des météores qu’on ne voit qu’une fois, pour en faire une catégorie à part de corps célestes, une classe de véritables planètes, mais parcourant des orbites extré- mement allongées. D’autres exemples semblent-ils nécessaires? N’est-il pas suffisamment établi qu’une fois tranquilles sur leur vie matérielle et les plus stricts devoirs de famille, les hommes d'élite se livrent aux investigations les plus ardues sans avoir besoin d’être ignominieusement assi- milés aux tâcherons des ateliers? Dois-je faire remarquer encore que le désir de soulever ou de déchirer le voile épais sous lequel les phénomènes naturels naissent et se développent, prend souvent le caractère d’une véritable passion; que des sentiments d'humanité, l'amour du pays, en deviennent les nobles stimulants? Envisageant la chose sous un aspect moins relevé, a-t-on enfin oublié cette définition de la nourrice de ‘d’Alembert : « Un philosophe! c’est un fou qui se tour- DES PENSIONS, 619 mente pendant sa vie, pour qu’on parle de lui lorsqu’il n’y sera plus? » Eh bien! les faits incontestés, éclatants, viendront à mon aide : D’Alembert ne remplit jamais de fonctions ni dans le professorat ni dans l’administration ; aucune obligation . quotidienne ne lui fut imposée durant sa vie; cependant, dans la seule branche des mathématiques, il a publié en ouvrages spéciaux et en mémoires séparés, l'équivalent de plus de dix volumes in-4°, dans lesquels la postérité remarquera la découverte d’un principe général de dyna- mique ; la découverte du calcul aux différences partielles; le perfectionnement de l’explication des plus importants phénomènes des mouvements célestes, la précession des équinoxes, et la nutation de l’axe de la Terre. Euler, dont Condorcet a caractérisé la carrière d’une manière sivraie et si concise en disant que le 7 sep- tembre 1780, à l’âge de soixante-seize ans, « il cessa de calculer et de vivre; » Euler, pensionné, mais non astreint à aucune occupation quotidienne, avait écrit plus de trente ouvrages séparés, et près de sept cents Mé- moires. Les prescriptions de l'autorité, les engagements d'honneur, pourraient à toute rigueur donner naissance à un travail si colossal; mais le seul génie, abandonné à lui-même, débarrassé de toute entrave, produisant, parce qu’il est dans sa nature de produire, pouvait allier l'originalité au nombre , marquer chaque écrit par des vues ingénieuses, de nouvelles méthodes ou par des découvertes du premier ordre. J'ai honte, enfin, d'aborder la supposition qu’il n’existe chez l'homme, d'activité d'esprit, de passion pour la 620 DE L’UTILITÉ vérité, de désir de s’illustrer par de bons ouvrages ou des découvertes, que sous l’aiguillon de la misère et de la faim. Cette supposition n’est pas moderne. « Un bon poète, disait Charles IX, en parlant de son auteur de prédilection (Ronsard), ne se doit non plus engraisser qu'un bon cheval : il suffit de l’entretenir, » La pensée contenue dans les paroles du fils de Cathe- rine de Médicis et l'assimilation ne sont pas seulement grossières, dégradantes, elles outragent encore la vérité, _ Boyle, un des expérimentateurs les plus assidus, les plus infatigables des temps modernes, avait de grandes richesses, Leibnitz, devenu millionnaire, ne fut ni moins ardent, ni moins encyclopédique dans ses projets et ses études que dans sa jeunesse. Quelqu'un prétendrait-il par hasard que Voltaire, devenu seigneur de Ferney, ne sentait plus le besoin de fatiguer la renommée aux cent bouches ? | L'auteur de l'Histoire des animauæ, si admirablement, mais si laborieusement écrite, était le comte de Buffon, propriétaire de forges, de bois, etc. | Les deux grands chimistes de la France et de l’Angle- terre, Lavoisier et Cavendish, figuraient en même temps parmi les plus opulents personnages des deux royaumes, Le chancelier du sénat, jouissant de plus de cent mille livres de rente, cherchait-il avec moins de passion que le simple académicien Laplace, à rattacher toutes les iné- galités, toutes les perturbations des mouvements des astres au principe de l'attraction universelle; à étendre le pouvoir de l’analyse aux phénomènes de la phy- sique terrestre; à enchaïîner par des formules jusqu’à DES PENSIONS. 621 ces résultats du monde moral, dont lé vulgaire donne tous les honneurs à une cause mystérieuse, au hasard ? : Connaître, découvrir, communiquer, telle est, au fond, notre honorable destinée. Sans doute, il existe des hommes de haute intelligence, chez qui ces nobles pas- sions sont primées par l’amour des richesses; mais ces mêmes hommes courraient-ils donc avec moins d’ardeur vers le bonheur imaginaire que la fortune promet, si le sort les avait mis aux prises avec la misère ? Le désintéressement se rencontre bien plus souvent qu’on ne croit parmi les savants. Ce n’est presque jamais pour en profiter personnellement qu’ils cherchent à amas- ser une modeste aisance. Mais n’ont-ils pas à songer eux aussi à leurs familles, aux êtres chéris qu’ils laissent en quittant ce monde? Faut-il les priver de cette douce satis- faction dont les derniers moments d’un de nos plus illus- tres géomètres m’ont rendu témoin? Legendre a vu arriver la mort avec le sang-froid le plus remarquable. Il a fait ses dernières dispositions; il s’est même occupé de tous les détails de son enterrement devant moi et devant la respectable madame Legendre avec une liberté d’esprit dont l'antiquité seule pourrait citer d’aussi beaux exem- ples. Je crus donc qu’au moment où tout espoir était perdu sans retour, je pouvais, sans inconvenance, entre- tenir la compagne de mon illustre ami, de son avenir; je crus pouvoir l’assurer que si elle restait sans fortune, le pays viendrait à son secours ; que l’Académie appuie- rait de toute son influence les démarches que je ferais avec empressement pour arriver à ce but. Cet entretien, transmis à Legendre, amena la réponse que je vais 622 DE L’UTILITÉ transcrire : « Ma femme, tu feras mes remerciements à M. Arago. Je n’attendais pas moins de son attachement; mais le plaisir que j'en éprouve n’est pas sans mélange. Il m'est pénible de penser que mon meilleur ami a pu croire que j'avais eu assez peu de prévoyance pour laisser ton sort, pour laisser tout ton avenir à la merci d’un caprice ministériel. J’ai été traité durant ma longue carrière comme je pouvais le désirer. Je ne veux pas qu'après ma mort personne puisse dire que la veuve de Legendre est à charge au pays. » Ces nobles paroles étaient adres- sées à une personne digne de les apprécier. La veuve de Legendre, malgré la modicité de sa fortune, ne chercha. à tirer aucun avantage des glorieux souvenirs attachés au nom illustre qu’elle portait. Si je suis arrivé, par cet ensemble de faits et de raison- nements, à dissiper les objections dont on conviendra, en tout cas, que je n’ai pas cherché à affaiblir la portée ; si j'ai prouvé que, dominés par l’opinion publique, les gou- vernements absolus eux-mêmes distribuaient avec assez d'intelligence et de justice les pensions, les encourage- ments destinés aux hommes de lettres; s’il est avéré que les principales découvertes scientifiques des temps mo- dernes, que la plupart des grands ouvrages de toute nature dont se glorifient les divers peuples, sont dus à des auteurs qu'aucune occupation quotidienne obligée n’allait distraire et épuiser; si personne ne saurait main- tenant soutenir que l’aisance et la tranquillité desprit qu'elle procure, que les plus grandes richesses n’empé- chent pas les esprits élevés de se vouer corps et âme au culte de la vérité, si je suis parvenu, enfin, à dissiper les DES PENSIONS, 623 nuages au milieu desquels devait d’abord se présenter le vœu que je soumets au public, je dois être sans inquié- tude sur l’accueil qui lui sera réservé. Tous les gouvernements regardent comme un de leurs devoirs de veiller au bon emploi des richesses nationales, Si un respect, peut-être superstitieux, pour le droit de propriété , les a jusqu'ici empêchés d’infliger des amendes à ceux qui laissent leurs terres en friche, voyez-les, du moins, stipuler soigneusement le droit de déchéance contre tout concessionnaire de mines qui ne les exploite pas, contre tout citoyen qui deux ans après qu'un brevet d'invention lui a été délivré, n’en a point fait usage, Naguère encore, peu confiante dans l'intelligence des propriétaires de bois, la loi investissait l'ingénieur de la marine du droit d'aller marquer du sceau de l'État les arbres dont la forme, le port oula vigueur, promettaient des sujets de prix. Elle ne voulait pas qu'une ignare cupi- dité arrêtât dans sa croissance, dans son développement, le chêne où le constructeur trouvera la membrure vigou- reuse qui dessine, qui maintient les flancs du colossal! vaisseau de ligne et se joue des efforts de la tempête ; le sapin dont la tige arrondie, dépouillée de ses branches, devient le mât droit, élancé, majestueux, destiné à sup- porter sans se rompre, et même sans plier, une immense voilure enflée par les vents les plus rapides. C’aurait été un crime à ses yeux de livrer les futurs géants des forêts à l'ignoble cognée qui en eût fait des bûches pour nos cheminées, des fagots pour nos fours; peut-être même de simples allumettes. Eh bien, dans le domaine de l’intelli- gence, il est aussi des organisations exceptionnelles qui, 624 DE L’UTILITÉ DES PENSIONS. faute d’air et de soleil, restent chétives, rabougries, qui étant soumises, s’il m'est permis de suivre la métaphore, à l’opération mercantile de la coupe réglée, n’arrivent pas à la taille que la nature leur destinait. Ces puissances intellectuelles, dès qu’elles commencent à se manifester, le pays devrait également les marquer de son cachet, les couvrir de sa protection tutélaire, présider à leur libre, à leur entier développement ; ne pas souffrir que sans néces- sité, sans profit réel, je dirai presque sans but, on les usât, on les disséminât sur les questions les plus vulgaires, et, en quelque sorte, du domaine commun. Des considé- rations budgétaires seraient presque sans importance dans la création que je propose, car il n’entrera dans la pensée de personne de multiplier en aucun temps, si l'expression m'est permise, les adoptions nationales au point d’en faire une nuée semblable à cette nuée d'employés qui tous les jours s'échappe des bureaux d’un seul ministère, Réduisant la question, si l’on veut, à ses termes les plus vulgaires, nous pourrons nous écrier : Celui qui n’est rétribué qu’à raison de son titre de professeur, a rempli son devoir par cela seul qu’il a fait sa leçon; celui, au contraire, qui ne recevrait de salaire que pour faire pro- gresser la science, serait le débiteur de l’État lorsque, dans l’année, il n’aurait pas attaché son nom à une décou- verte. Or, un homme d’honneur, et cette qualification, nous aimons à nous le persuader, appartient toujours en propre à l’homme de génie, tiendra scrupuleusement à payer ses dettes. FIN DU TOME TROISIÈME. TABLE DU TOME TROISIÈME Pages. ns dnddu ts du 6 LS PR ST EL OURE 1 Introduction. .......... us. sénoaenne emo se en ne Sp ss 1 Enfance de Gay-Lussac. — Son admission à l'École polytech- RSR EM STE PASS CEE EI CR Débuts de Gay-Lussac en chimie. — I1 devient le collabora- teur de Berthollet et le répétiteur du cours de Fourcroy. — Voyage aéronautique exécuté avec M. Biot............ 7e Ascension de Gay-Lussac seul. — Conséquences des observa- tions faites sur le magnétisme et la température. — Impor- tance des voyages aéronautiques... ....... SR 10 Liaison de Gay-Lussac avec M. de Humboldt. — Travail sur l'eudiométrie. — Voyage en Italie et en Allemagne, ..... 17 Recherches de Gay-Lussac sur les dilatations. ............ | Société d’Arcueil. — Mémoires sur le magnétisme. — Lois des combinaisons gazeuses, — Cathétomètre...... ss... 33 Travaux exécutés avec la pile de l'École polytechnique..... 38 Analyse des matières organiques. ........, “PRET RTE . LM non pa ai LA Découverte du cyanogène. ..... ee... ne ve 0.0 ns. 43 Baromètre à siphon. — Mode de suspension des nuages. — Nuages orageux. — Diffusion des gaz et des vapeurs. — Chaleur centrale du globe. ...... RTS Te EC 88 tard on 46 Services rendus par Gay - Lussac à l’industrie. — Alcoo- mètre. — Alcalimétrie, — Fabrication de l'acide sulfurique. — Essai des matières d’or et d’argent......... Mar À. .. 48 Gay-Lussac considéré comme professeur, — Son laboratoire. — Ses blessures, — Simplicité de ses mœurs,.,,,.,....., 53 IET, — nr, LQ 626 TABLE Mariage de Gay-Lussac. — Son amour pour son pays natal. — Dévouement inaltérable envers ses amis. — - Sa nomina- tion à la pairie........ ns ee d2 Ste RDS AS a di 59 Mort de Gay-Lussac. — Ses dernières paroles. — Il fait brûler son traité intitulé Philosophie chimique... ........ APPENDICE. — Sur l’ancienne École polytechnique. ........ Se à Travaux dépendants! des pônts et chaussées. 25... Se -80 Travaux des ingénieurs des mines..............,.. PPsvosve Travaux des ingénieurs militaires. .............. AIDES TS .. 95 Travaëx..de lantilemibsi:. 2. l:4,..2v0c0tà. SO ..6:196 Travaux des ingénieurs-constracteurs de vaisseaux... ... 98 Ingénieurs-hydrographes. rente sise nns sai Pepe 98 Travaux des ingénieurs-géogi aphes....... messe testé ocole au) 99 Travaux de mécanique pratique. ............e.e ÉD ati. 99 - Arts Chimiques.:.:....} 4, Eu LUE AT LT EU. ri Médecine: 41.6..4 aude US LEONE LA LÉLr0.49# use 0e 04H07 «Agriculture... Se EEE tt LS EEE. 408 Influence morale des études polytechniques. : …. “see sa 109 JELLETR © MALUS. :..: RTC CARE RCE PORROUESS 7 : . EL Naissance de Malus. — - Son éducation littéraire. —Son admis. ê sion à l’École polytechni QUE... esse... ; . 413 Campagne d'Égypte. — Extraits de l'Agenda de als. CE 116 Mariage de Malus. — Sa carrière militaire... «=? ÉCREEES .… 130 Mémoire sur la lumière, composé en Égypte... tersesrarss 131 Tr aité d'optique analytique. Var rl nee resemressess 134 Mémoire sur le pouvoir réfringent des cor ps opaques. «sd et 435 Malus remporte le prix proposé par l'Académie pour une io théorie mathématique de la double réfraction. soseeseeses 197 Découverte de la polarisation par réflexion. xs. _4138 Lettre de Young à Malus....,....... veterrsssesesssssesee 446 Invention du goniomètre répétiteur. . .... 4. PRET AT Candidature de Malus à l’Académie des Laver — Pipees qu'il a occupées. — Sa mort....... 26e MENT 148 Caractère de Malus. — Maximes et préceptes. — ss: lité de Malus dans les questions de priorité scientifique... 154 DU TOME TROISIÈME. 627 BIOGRAPHIES DES PRINCIPAUX ASTRONOMES. « sommes Lot ere ST > HIPPARQUE. . . NN RRRS RES re :.. é RES desde © PTrOLÉMÉE. .... PPT NET | | ARR PES 160 RM OR AP ER PE 162 A RE PE. de 7 DIN . 163 LT ER QT ORAN ER 164 nue DSSOM 5 DES + D EE ca et 1 207 PRIME. roi d'Espagne, 2... Ts oc ce she +: 269 SE 2) dé lé 171 ot ARTE EN EME MAL LL 4 ME A sn lors s'R20 Oo 2 10 RRNARAREARERRRERRRRER ER ES € SR RRE LU si Ve 200 SMGUILLAUME IV, landgrave de Hesse................ “ss. 198 ERP OR EE A I Re 1 HE À | 5 OR de nt en ot . 210 OR dl ie à Je + se da PURE MAT ONREAE ES «+ 297 SENBREUS. ee eee 11 15 SRE ARS SRE +. 909 CHPABBÉ PICARD...,....... LAN ANS CUT ES A Ne LOU V4 +. 918 man ce en 0 ed oran eu one à 9315 à HUYGENS...... 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