m* §^a^ MSZi OEUVRES C. (> M P L h T !: s DE BUFFON TOME V. ÉPOQUES DE LA NATURE. \:i aniERtr: o ad PTKST EAMil li(j - N OEUVRES COMPLETES DE BUFFON v i g m e n t î- :: PAR M. F. CUVIER, MEMBRE DE L'iNSTITUT, (Académie des Sciences) DE DEUX VOLUMES supplémentaire OFFRANT LA DESCRIPTION DES MAMMIFÈRES ET DES OISEAUX LES PLUS REMARQUABLES DÉCOUVERTS JUSQU'A CE JOUR, T i CC. O SPICXEE! I» UA BEAU PORTRAIT DE BUFFON, ET DE 9 00 GKAVUKES E I\ TAU. LE -DOUCE. EXECUTEES TOUR CETTE EDITION PAU LES MEILLEURS A R T I S T E S . A PARIS, CHEZ F. D. PILLOT, EDITEUR RUE LE SEIA'E-SAINT-GERMAIIS, N° [\ 9 : SALMON, LIBRAIRE, QUAI DES AUGUSTJÎVS, N° 19. l829. 3x/7 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. BUM'ON. V. »\V\WWWVV\VW\V% KWW»VVVV\W»\\VV\\VVVVVV\VVVVW'\V«AHVWM/aV\W\VWlll\\U\\VVkVW DES ÉPOQUES DE LA NATURE. v^omme , dans l'histoire civile, on consulte les titres , on recherche les médailles , on déchiffre les inscrip- tions antiques, pour déterminer les époques des ré- volutions humaines, et constater les dates des événe- ments moraux; de même, dans l'histoire naturelle, il faut fouiller les archives du monde, tirer des en- trailles de la terre les vieux monuments, recueillir leurs débris, et rassembler en un corps de preuves tous les indices des changements physiques qui peu- vent nous faire remonter aux différents âges de la na- ture. C'est le seul moyen de fixer quelques points dans l'immensité de l'espace, et de placer un certain nombre de pierres numéraires sur la route éternelle du temps. Le passé est comme la distance ; notre vue y décroît, et s'y perdroit de même, si l'histoire et la chronologie n'eussent placé des fanaux, des flambeaux, aux poiuts les plus obscurs : mais, malgré ces lumières de la tradition écrite , si l'on remonte à quelques siè- cles, que d'incertitudes dans les faits! que d'erreurs sur les causes des événements! et quelle obscurité profonde n'environne pas les temps antérieurs à cette tradition! D'ailleurs elle ne nous a transmis que les 8 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. gestes de quelques nations, c'est-à-dire les actes d'une très petite partie du genre humain; tout le reste des hommes est demeuré nul pour nous , nul pour la pos- térité ; ils ne sont sortis de leur néant que pour passer comme des ombres qui ne laissent point de traces : et plût au ciel que le nombre de tous ces prétendus héros dont on a célébré les crimes ou la gloire san- guinaire fût également enseveli dans la nuit de l'oubli! Ainsi l'histoire civile, bornée d'un côté par les té- nèbres d'un temps assez voisin du nôtre, ne s'étend de l'autre qu'aux petites portions de terre qu'ont oc- cupées successivement les peuples soigneux de leur mémoire; au lieu que l'histoire naturelle embrasse également tous les espaces, tous les temps, et n'a d'au- tres limites que celles de l'univers. La nature étant contemporaine de la matière, de l'espace, et du temps, son histoire est celle de toutes les substances, de tous les lieux, de tous les âges; et quoiqu'il paroisse à la première vue que ses grands ouvrages ne s'altèrent ni ne changent, et que dans ses productions, même les plus fragiles et les plus passagères, elle se montre toujours et constamment la même, puisqu a chaque instant ses premiers modèles reparoissent à nos yeux sous de nouvelles représenta- tions, cependant, en l'observant de près, on s'aperce- vra que son cours n'est pas absolument uniforme : on reconnoîtra qu'elle admet des variations sensibles, qu'elle reçoit des altérations successives, qu'elle se prête même à des combinaisons nouvelles, à des mu- tations de matière et de forme; qu'enfin autant elle parojt fixe dans son tout, autant elle est variable dans chacune de ses parties ; et si nous l'embrassons dans DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 9 toute son étendue, nous ne pourrons douter qu'elle ne soit aujourd'hui très différente de ce qu'elle étoit au commencement et de ce qu'elle est devenue dans la succession des temps: ce sont ces changements di- vers que nous appelons ses époques. La nature s'est trouvée dans différents états; la surface de la terre a pris successivement des formes différentes ; les cieux mêmes ont varié, et toutes les choses de l'univers phy- sique sont, comme celles du monde moral, dans un mouvement continuel de variations successives. Par exemple, l'état dans lequel nous voyons aujourd'hui la nature est autant notre ouvrage que le sien ; nous avons su la tempérer, la modifier, la plier à nos be- soins, à nos désirs ; nous avons sondé, cultivé, fécondé la terre : l'aspect sous lequel elle se présente est donc bien différent de celui des temps antérieurs à l'inven- tion des arts. L'âge d'or de la morale , ou plutôt de la fable, n'étoit que l'âge de fer de la physique et de la vérité. L'homme de ce temps, encore à demi sauvage, dispersé, peu nombreux, ne sentoit pas sa puissance. ne connoissoit pas sa vraie richesse ; le trésor de ses lumières étoit enfoui ; il ignoroit la force des volon- tés unies, et ne se doutoit pas que , par la société et par des travaux suivis et concertés, il viendroit à bout d'imprimer ses idées sur la surface entière de l'univers. Aussi faut-il aller chercher et voir la nature dans ces régions nouvellement découvertes^ dans ces con- trées de tout temps inhabitées, pour se former une idée de son état ancien; et cet ancien état est encore bien moderne en comparaison de celui où nos continents terrestres étoient couverts par les eaux, où les pois- sons habitoient sur nos plaines, où nos montagnes 10 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. form oient les écueils des mers : combien de change- ments et de différents états ont dû se succéder depuis ces temps antiques (qui cependant n'étoient pas les premiers) jusqu'aux âges de l'histoire ! que de choses ensevelies! combien d'événements entièrement ou- bliés! que de révolutions antérieures à la mémoire des hommes! Il a fallu une très' longue- suite d'observa- tions, il a fallu trente siècles de culture à l'esprit bu- main, seulement pour reconnoître l'état présent des choses. La terre n'est pas encore entièrement décou- verte; ce n'est que depuis peu qu'on a déterminé sa figure ; ce n'est que de nos jours qu'on s'est élevé à la théorie de sa forme intérieure , et qu'on a démon- tré l'ordre et la disposition des matières dont elle est composée : ce n'est donc que de cet instant où l'on peut commencer à comparer la nature avec elle-même, et remonter de son état actuel et connu à quelques époques d'un état plus ancien. Mais comme il s'agit ici de percer la nuit des temps, de reconnoître par l'inspection des choses actuelles l'ancienne existence des choses anéanties, et de re- monter par la seule force des faits subsistants à la vé- rité historique des faits ensevelis; comme il s'agit, en un mot, de juger non seulement le passé moderne, mais le passé le plus ancien, par le seul présent, et que, pour nous élever jusqu'à ce point de vue, nous avons besoin de toutes nos forces réunies, nous em- ploierons trois grands moyens : i° les faits qui peu- vent nous rapprocher de l'origine de la nature ; 2° les monuments qu'on doit regarder comme les témoins de ses premiers âges; 5° les traditions qui peuvent nous donner quelque idée des âges subséquents : après DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 1 i quoi nous tâcherons de lier le tout par des analogies, et de former une chaîne qui, du sommet de l'échelle du temps, descendra jusqu'à nous. PREMIER FAIT. La terrée est élevée sur l'éqûateur et abaissée sous les pôles, dans la proportion qu'exigent les lois de la pesanteur et de la force centrifuge. SECOND FAIT. Le globe terrestre a une chaleur intérieure qui lui est propre, et qui est indépendante de celle que les rayons du soleil peuvent lui communiquer. TROISIÈME FAIT. La chaleur que le soleil envoie à la terre est assez pe- tite en comparaison de .la chaleur propre du globe ter- restre; et cette chaleur envoyée par le soleil ne seroit pas seule suffisante pour maintenir la nature vivante. QUATRIÈME FAIT. Les matières gui composent le globe de la terre sont en général de la nature du verre, et peuvent être toutes réduites en verre. CINQUIÈME FAIT. On trouve sur toute la surface de la terre, et même 12 DES EPOQUES DE LA NATURE. sur les montagnes, jusqu'à quinze cents et deux mille toises de hauteur, une immense "quantité de coquilles et d'autres débris des productions de la mer. Examinons d'abord si, dans ces faits que je veux employer, il n'y a rien qu'on puisse raisonnablement contester. Voyons si tous sont prouvés, o^ du moins peuvent l'être; après quoi nous passerons aux induc- tions que l'on doit en tirer. Le premier fait du renflement de la terre à l'équa- teur et de son aplatissement aux pôles, est mathéma- tiquement démontré et physiquement prouvé par la théorie de la gravitation et par les expériences du pendule. Le globe terrestre a précisément la figure que prendroit un globe fluide qui tourneroit sur lui- même avec la vitesse que nous connoissons au globe de la terre. Ainsi la première conséquence qui sort de ce fait incontestable c'est que la matière dont no- tre terre est composée étoit dans un état de fluidité au moment qu'elle a pris sa forme, et ce moment est celui où elle a commencé à tourner sur elle-même : car si la terre n'eût pas été fluide, et qu'elle eût eu la même consistance que nous lui voyons aujourd'hui, il est évident que cette matière consistante et solide n'auroit pas obéi à la loi de la force centrifuge, et que par conséquent, malgré la rapidité de son mou- vement de rotation, la terre, au lieu d'être un sphé- roïde renflé sur l'équateur et aplati sous les pôles, seroit au contraire une sphère exacte, et qu'elle n'au- roit jamais pu prendre d'autre figure que celle d'un globe parfait, en vertu de l'attraction mutuelle de tou- tes les parties de la matière dont elle est composée. DES EPOQUES DE LA NATURE. )J Or, quoiqu'en général toute fluidité ait la chaleur pour cause , puisque l'eau même, sans la chaleur, ne formeroit qu'une substance solide, nous avons deux manières différentes de concevoir la possibilité de cet état primitif de fluidité dans le globe terrestre, parce qu'il semble d'abord que la nature ait deux moyens pour l'opérer. Le premier est la dissolution ou môme le délaiement des matières terrestres dans l'eau; et le second, leur liquéfaction par le feu. Mais l'on sait que le plus grand nombre des matières solides qui composent le globe terrestre ne sont pas dissolubles dans l'eau; et en même temps l'on voit que la quan- tité d'eau est si petite en comparaison de celle de la matière aride, qu'il n'est pas possible que l'une ait jamais été délayée dans l'autre. Ainsi, cet état de flui- dité dans lequel s'est trouvée la masse entière de la terre n'ayant pu s'opérer ni par la dissolution ni par le délaiement dans l'eau, il est nécessaire que cette flui- dité ait été une liquéfaction causée par le feu. Cette juste conséquence, déjà très vraisemblable par elle-même, prend un nouveau degré de proba- bilité par le second fait, et devient une certitude par le troisième fait. La chaleur intérieure du globe, en- core actuellement subsistante, et beaucoup plus grande que celle qui nous vient du soleil , nous démontre que cet ancien feu qu'a éprouvé le globe , n'est pas encore, à beaucoup près, entièrement dissipé : la sur- face de la terre est plus refroidie que son intérieur. Des expériences certaines et réitérées nous assurent que la masse entière du globe a une chaleur propre et tout-à-fait indépendante de celle du soleil : cette chaleur nous est démontrée par la comparaison de l4 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. nos hivers à nos étés1; et on la reeonnoît d'une ma- nière encore plus palpable dès qu'on pénètre au de- dans de la terre ; elle est constante en tous lieux pour chaque profondeur, et elle paroît augmenter à me- sure que l'on descend2. Mais que sont nos travaux en comparaison de ceux qu'il faudroit faire pour recon- noître les degrés successifs de cette chaleur intérieure dans les profondeurs du globe? Nous avons fouillé les montagnes à quelques centaines de toises pour en tirer les métaux; nous avons fait dans les plaines des puits de quelques centaines de pieds; ce sont là nos plus grandes excavations, ou plutôt nos fouilles les plus profondes; elles effleurent à peine la première écorce du globe , et néanmoins la chaleur intérieure y est déjà plus sensible qu'à la surface : on doit donc présumer que si l'on pénétroit plus avant, cette cha- leur seroit plus grande, et que les parties voisines du centre de la terre sont plus chaudes que celles qui en sont éloignées, comme l'on voit dans un boulet rougi au feu l'incandescence se conserver dans les par- ties voisines du centre long-temps après que la sur- face a perdu cet état d'incandescence et de rougeur. Ce feu ou plutôt cette chaleur intérieure de la terre est encore indiquée par les effets de l'électricité , qui convertit en éclairs lumineux cette chaleur obscure ; elle nous est démontrée par la température de l'eau de la mer, laquelle, aux mêmes profondeurs, est à peu près égale à celle de l'intérieur de la terre 3. i . Voyez, dans cet ouvrage , l'article qui a pour titre : DesÉléments, et particulièrement les deux mémoires sur la température des planètes. 2. Voyez les Additions de Buffon, page 44- 3. « Ayant plongé un thermomètre dans la mer en différents lieuv DES EPOQUES DE LA NATURE. l5 D'ailleurs il est aisé de prouver que la liquidité des eaux de la mer en général ne doit point être attri- buée à la puissance des rayons solaires, puisqu'il est démontré, par l'expérience, que la lumière du soleil ne pénètre qu'à six cents pieds à travers l'eau la plus limpide1, et que par conséquent sa chaleur n'arrive peut-être pas au quart de cette épaisseur, c'est-à-dire à cent cinquante pieds2. Ainsi toutes les eaux qui sont au dessous de cette profondeur seroient glacées sans la chaleur intérieure de la terre, qui seule peut en- tretenir leur liquidité. Et de môme il est encore prouvé, par l'expérience, que la chaleur des rayons solaires ne pénètre pas à quinze ou vingt pieds dans la terre , puisque la glace se conserve à cette profon- deur pendant les étés les plus chauds. Donc il est démontré qu'il y a au dessous du bassin de la mer, comme dans les premières couches de la terre, une émanation continuelle de chaleur qui entretient la li- quidité des eaux, et produit la température de la terre; donc il existe dans son intérieur une chaleur et en différents temps, il s'est trouvé que la température à 10, 20, 3o, et 120 brasses, éloit également de 10 degrés ou 10 degrés %fk. » Voyez Y Histoire physique de la mer, par Marsigli, page 16.... M. de Mairan fait à ce sujet une remarque très judicieuse, c'est que «les eaux les plus chaudes, qui sont à la plus grande profondeur, doivent , comme plus légères, continuellement monter au dessus de celles qui le sont le moins ; ce qui donnera à cette grande couche liquide du globe terrestre une température à peu près égale , conformément aux observations de Marsigli , excepté vers la superficie actuellement ex- posée aux impressions de l'air et où l'eau se gèle quelquefois avant que d'avoir eu le temps de descendre par son poids et son refroidisse- ment. » (Dissertation sur la glace, page 60. ) 1. \ oyez les Additions deBuffon, page l\o. 2. Voyez les Additions de Buffon, page l\S. l6 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. qui lui appartient en propre , et qui est tout-à-fait in- dépendante de celle que le soleil peut lui commu- niquer. Nous pouvons encore confirmer ce fait général par un grand nombre de faits particuliers. Tout le inonde a remarqué, dans le temps des frimas, que la neige se fond dans tous les endroits où les vapeurs de l'in- térieur de la terre ont une libre isssue, comme sur les puits, les aqueducs recouverts, les voûtes, les ci- ternes, etc. , tandis que sur tout le reste de l'espace où la terre resserrée par la gelée intercepte ces va- peurs, la neige subsiste et se gèle au lieu de fondre. Cela seul suffiroit pour démontrer que ces émanations de l'intérieur de la terre ont un degré de chaleur très réel et sensible. Mais il est inutile de vouloir accumu- ler ici de nouvelles preuves d'un fait constaté par l'ex- périence et par les observations; il nous suffit qu'on ne puisse désormais le révoquer en doute,' et qu'on reconnoisse cette chaleur intérieure de la terre comme un fait réel et général, duquel, comme des arftres faits généraux de la nature, on doit déduire les effets particuliers. Il en est de même du quatrième fait: on ne peut pas douter, d'après les preuves démonstratives que nous en avons données dans plusieurs articles de no- tre Théorie de la terre, que les matières dont le globe est composé ne soient de la nature du verre1: le fond des minéraux, des végétaux, et des animaux, n'est qu'une matière vitrescible ; car tous leurs résidus , 1. Cette vérité générale, que nous pouvons démontrer par l'expé- rience, a été soupçonnée par Leibnitz, philosophe dont le nom fera toujours grand honneur à l'Allemagne. « Sane plerisque creditum et à DES EPOQUES DE LA NATURE. 17 tous leurs détriments ultérieurs, peuvent se réduire en verre. Les matières que les chimistes ont appelées rèfractaireSy celles qu'ils regardent comme infusibles, parce qu'elles résistent au feu de leurs fourneaux sans se réduire en verre, peuvent néanmoins s'y réduire par l'action d'un feu plus violent. Ainsi toutes les ma- tières qui composent le globe de la terre, du moins toutes celles qui nous sont connues, ont le verre pour base de leur substance; et nous pouvons, en leur faisant subir la grande action du feu , les réduire tou- tes ultérieurement à leur premier état1. La liquéfaction primitive de la masse entière de la terre par le feu est donc prouvée dans toute la ri- » sacris etiam scriptoribus insinua tum est conditos in abdito telluris » ignis thesauros Adjuvant vultus, nain oranis ex fusîone scorie » vitri est genus Talem vero esse globi nostri superficiem ( neque » enim ultra peuetrare nobis datum) reipsâ experimur; omnes enim » terras et lapides igné vitrum reddunt nobis satis est admoto igné » omnia terrestria in vitro funiri. Ipsa magna telluris ossa uudaeque » illae rupes atque iinmortales silices cùm Iota fere in vîtrûrfi abeant, » quid nisi concrela sunt ex fusis olini corporibus et prima illa ma- » gnaque vi quam in facilem adbuc materiam exercuit ignis naturae.... » cùm igitur omnia quas non avolent in auras, tandein fundantur, et, r. speculorum imprimis urentium ope, vitri naturam sumant, bine l'a à cile intelliges vitrum esse velut terr;e basiiv, et naturam ejus caetero- » rum plerumque corporum larvis latere. » ( G. G. Leibnitii Protogœa: Goettingae, 1749? pages 4 et 5. ) ( Add. Buff. ) 1. J'avoue qu'il y a quelques matières que* le l'eu de nos fourneaux ne peut réduire en verre; mais au moyeu d'un bon miroir ardent ces mêmes matières s'y réduiront : ce n'est point ici le lieu de rapporter les expériences faites avec les miroirs de mon invention, dont la cha- leur est assez grande pour volatiliser ou vitrifier toutes les matière? exposées à leur foyer. Mais il est vrai que jusqu'à ce jour l'on n'a pas encore eu des miroirs assez puissants pour réduire en verre certaines matières du genre vilrescible, telles que le cristal de roche, le silex ou la pierre à fusil; ce n'est donc pas que ces matières ne soient par ]8 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. gueur qu'exige la plus stricte logique : d'abord à priori, par le premier fait de son élévation sur l'é- quateur et de son abaissement sous les pôles; 2° ab acttij par le second et le troisième fait de la chaleur intérieure de la terre encore subsistante ; 5° à poste- riori; parle quatrième fait, qui nous démontre le pro- duit de cette action du feu, c'est-à-dire le verre, dans toutes les substances terrestres. Mais quoique les matières qui composent le globe de la terre aient été primitivement de la nature du verre, et qu'on puisse aussi les y réduire ultérieure- ment, on doit cependant les distinguer et les séparer relativement aux différents états où elles se trouvent avant ce retour à leur première nature, c'est-à-dire avant leur réduction en verre par le moyen du feu. Cette considération est d'autant plus nécessaire ici, que seule elle peut nous indiquer en quoi diffère la formation de ces matières : on doit donc les diviser d'abord en matières vitrescibles et en matières calci- nables ; les premières n'éprouvant aucune action de la part du feu, à moins qu'il ne soit porté à un degré de force capable de le convertir en verre; les autres, au contraire, éprouvant à un degré bien inférieur une action qui les réduit en chaux. La quantité des sub- stances calcaires, quoique fort considérable sur la terre, est néanmoins très petite en comparaison de la quantité des matières vitrescibles. Le cinquième fait, que nous avons mis en avant, prouve que leur formation est aussi d'un autre temps et d'un autre élément ; et l'on voit évidemment que toutes les ma- leur nature réductibles en verre comme le? autres , mais seulement quelles exigent un feu plus violent. {Add. Buff. ) DES ÉPOQUES DE LA NATURE. I () lières qui n'ont pas été produites immédiatement par l'action du feu primitif ont été formées par l'inter- mède de l'eau, parce que toutes sont composées de coquilles et d'autres débris des productions de la mer. Nous mettons dans la classe des matières vitrescibles le roc vif, les quartz, les sables, les grès et granités, les ardoises, les schistes, les argiles, les métaux et minéraux métalliques : ces matières, prises ensem- ble , forment le vrai fonds du globe , et en composent la principale et très grande partie ; toutes ont origi- nairement été produites par le feu primitif. Le sable n'est que du verre en poudre ; les argiles, des sables pourris dans l'eau; les- ardoises et les schistes, des argiles desséchées et durcies ; le roc vif, les grès, le granité, ne sont que des masses vitreuses ou des sa- bles vitrescibles sous une forme concrète ; les cail- loux, les cristaux, les métaux et la plupart des autres minéraux, ne sont que les stillations, les exsudations, ou les sublimations de ces premières matières , qui toutes nous décèlent leur origine primitive et leur na- ture commune par leur aptitude à se réduire immé- diatement en verre. Mais les sables et graviers calcaires , les craies , la pierre de taille, le moellon, les marbres, les albâ- tres, les spaths calcaires, opaques, et transparents, toutes les matières, en un mot, qui se convertissent en chaux, ne présentent pas d'abord leur première nature : quoiqu'originairement de verre comme tou- tes les autres, ces matières calcaires ont passé par des fdières qui les ont dénaturées; elles ont été formées dans l'eau ; toutes sont entièrement composées de madrépores, de coquilles, et de détriments des dé- 20 DES EPOQUES DE LA NATURE. pouilles de ces animaux vraiment aquatiques , qui seuls savent convertir le liquide en solide, et trans- former l'eau de la mer en pierre ** Les marbres com- muns et les autres pierres calcaires sont composées de coquilles entières et de morceaux de coquilles , de madrépores, d'astroïtes , etc. , dont toutes les par- ties sont encore évidentes ou très reconnoissables : les graviers ne sont que les débris des marbres et des pierres calcaires que l'action de l'air et des gelées détache des rochers, et l'on peut faire de la chaux avec ces graviers, comme l'on en fait avec le marbre ou la pierre ; on peut en faire aussi avec les coquilles mêmes, et avec la craie et les tufs, lesquels ne sont encore que des débris, ou plutôt des détriments de ces mêmes matières. Les albâtres, et les marbres qu'on doit leur comparer lorsqu'ils contiennent de l'albâtre, peuvent être regardés comme de grandes stalactites qui se forment aux dépens des autres mar- bres et des pierres communes : les spaths calcaires se forment de même par l'exsudation ou la stillation dans les matières calcaires, comme le cristal de ro- che se forme dans les matières vitrescibles. Tout cela peut se prouver par l'examen attentif des monuments de la nature. PREMIERS MONUMENTS. On trouve à la surface et à l'intérieur de la terre des coquilles et autres productions de la mer; et toutes les matières qu'on appelle calcaires sont com- posées de leurs détriments. i . On peut se former une idée nette de cette conversion. L'eau de la mer tient on dissolution de? particules de terre qui . combinées avec la ï) £ S É P O Q 0 E S D'E L 1 N AT URE. 2 l SECONDS MONUMENTS. En examinant ces coquilles et autres productions maritimes que l'on tire de la terre en France, en Angle- terre, en Allemagne, et daus le reste de l'Europe, on reconnaît qu'une grande partie des espèces d'animaux auxquels ces dépouilles ont appartenu ne se trouvent pas dans les mers adjacentes, et que ces espèces ou ne subsistent plus , ou ne se trouvent que dans les mers méridionales : de même on voit dans les ardoises et dans d'autres matières, à de grandes profondeurs , •des impressions de poissons et de plantes dont au- cune espèce n'appartient à notre climat 9 et lesquelles n'existent plus, ou ne se trouvent subsistantes que dans les climats méridionaux.. TROISIÈMES MONUMENTS- On trouve en Sibérie et dans les autres contrées septentrionales de l'Europe et de l'Asie des squelet- tes, des défenses, des ossements d'éléphant, d'hippo- potame , et de rhinocéros, en assez, grande quantité pour être assuré que les espèces de ces animaux, qui ne peuvent se propager aujourd'hui que dans les ter- res du midi, existoient et se propageoient autrefois dans les terres du nord ; et l'on -a observé que ces dé- pouilles d'éléphant et d'autres animaux terrestres se matière animale, concourent à former les coquilles par le mécanisme de la digestion de ces animaux teslacés ; comme la soie est le produit ces terres septentrionales , cherche à rendre raison du fait en supposant que de grandes inondations surve- nues dans les terres méridionales ont chassé les élé- phants vers les contrées du nord, où ils auront tous péri à la fois pa»r la rigueur du climat. Mais cette cause supposée n'est pas proportionnelle à l'effet : on a peut- être déjà tiré du nord plus d'ivoire que tous les élé- phanls des Indes actuellement vivants n'enpourroient fournir; on en tirera bien davantage avec le temps, lorsque ces vastes déserts du nord, qui sont à peine reconnus, seront peuplés, et que les terres en seront remuées et fouillées par les mains de l'homme. D'ail- leurs, il seroit bien étrange que ces animaux eussent pris la route ^jui convenoit le moins à leur nature , puisque, en les supposant poussés par des inondations du midi , il leur resloit deux fuites naturelles vers l'o- rient et vers l'occident. Et pourquoi fuir jusqu'au soixantième degré du nord, lorsqu'ils pouvoient s'ar- rêter en chemin, ou s'écarter à côté, dans des terres plus heureuses? Et comment concevoir que, par une inondation des mers méridionales, ils aient été chas- sés à mille lieues dans notre continent et à plus de trois mille lieues dans l'autre? Il est impossible qu'un débordement de la mer des grandes Indes ait envoyé des éléphants en Canada ni même en Sibérie, et il est également impossible qu'ils y soient arrivés en nombre aussi grand que l'indiquent leurs dépouilles. Étant peu satisfait de cette explication, j'ai pensé qu'on pouvoit en donner une autre plus plausible et qui s'accorde parfaitement avec ma théorie de la terre. Mais, avant de la présenter, j'observerai , pour préve- nir toutes difficultés, i° que l'ivoire qu'on trouve en ti6 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Sibérie et en Canada est certainement de l'ivoire d'é- léphant, et non pas de l'ivoire de morse on vache ma- rine, comme quelques voyageurs l'ont prétendu : on trouve aussi dans les terres septentrionales de l'ivoire fossile de morse; mais il est différent de celui de l'é- léphant , et il est facile de les distinguer par la compa- raison de leur texture intérieure. Les défenses, les dents mâchelières, les omoplates, les fémurs, et les autres ossements trouvés dans les terres du nord , sont certainement des os d'éléphant; nous les avons com- parés aux différentes parties respectives du squelette entier de l'éléphant, et l'on ne peut douter de leur identité d'espèce. Les grosses dents carrées trouvées dans ces mêmes terres du nord, dont l^face qui broie est en forme de trèfle , ont tous les caractères des dents molaires de l'hippopotame ; et ces autres énor- mes dents dont la face qui broie est composée de grosses pointes mousses, ont appartenu à une espèce détruite aujourd'hui sur la terre, comme les grandes volutes appelées cornes d'Ammon sont actuellement détruites dans la mer. 2° Les os et les défenses de ces anciens éléphants sont au moins aussi grands et aussi gros que ceux des éléphants actuels1, auxquels nous les avons compa- rés; ce qui prouve que ces animaux n'habitoient pas les terres du nord par force , mais qu'ils y existoient dans leur état de nature et de pleine liberté, puis- qu'ils y avoient acquis leurs plus hautes dimensions et pris leur entier accroissement. Ainsi l'on ne peut pas supposer qu'ils y aient été transportés par les hom- 1. Voyez les Additions de Dn/fon . page -V-t DES ÉrOQUES DE LA NATURE. 27 mes; le seul état de captivité, indépendamment de la rigueur du climat, les auroit réduits au cpiart ou au tiers de la grandeur que nous montrent leurs dé- pouilles 1. 5° La grande quantité que Ton en a déjà trouvée4 par hasard dans ces terres presque désertes où per- sonne ne cherche suffit pour démontrer que ce n'est ni par un seul ou plusieurs accidents ni dans un seul et même temps que quelques individus de cette es- pèce se sont trouvés dfins ces contrées du nord, mais qu'il est de nécessité absolue que l'espèce môme y ait autrefois existé, subsisté, et multiplié, comme elle existe, subsiste, et se multiplie aujourd'hui dans les contrées du midi. *i Cela posé, il me semble que la question se réduit à savoir, ou plutôt consiste à chercher s'il y a ou s'il y a eu une cause qui ait pu changer la température dans les différentes parties du globe, au point que les terres du nord, aujourd'hui très froides, aient autre- fois éprouvé le degré de chaleur des terres du midi. Quelques physiciens pourroient penser que cet ef- fet a été produit par Je changement de l'obliquité de l'écliptique, parce qu'à la première vue ce change- ment semble indiquer que l'inclinaison de l'axe du 1. Cela nous est démontré par la comparaison que nous avons faite du squelette entier d'un éléphant qui est au Cabinet du Roi, et qui avoit vécu seize ans dans la ménagerie de Versailles/, avec les défenses des autres éléphants dans leur pays natal; ce squelette et ces défenses, quoique considérables par la grandeur, sont certainement de moitié plus petits pour le volume que ne le sont les défenses et les squelettes de ceux qui vivent en liberté , soit dans l'Asie, soit en Afrique, et en même temps ils sont au moins clé deux tiers plus petits que les osse- ments de ces mêmes animaux trouvés en Sibérie. ( Add. Buff. ) 28 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. globe n'étant pas constante, la terre a pu tourner au- trefois sur un axe assez éloigné de celui sur lequel elle tourne aujourd'hui , pour que la Sibérie se fût alors trouvée sous l'équateur. Les astronomes ont observé que le changement de l'obliquité de l'écliptique est d'environ 45 secondes par siècle : donc \ en supposant cette augmentation successive et constante , il ne faut que soixante siècles pour produire une différence de 45 minutes, et trois mille six cents siècles pour don- ner celle de 45 degrés; ce qui ramèneroit Je 60e de- gré de latitude au i5e, c'est-à-dire les terres de la Si- bérie, où les éléphants ont autrefois existé, aux terres de l'Inde où ils vivent aujourd'hui. Or il ne s'agit, dira-t-o», que d'admettre dans le passé cette longue période de temps pour rendre raison du séjour des éléphants en Sibérie : il y a trois«cent soixante mille ans que la terre tournoit sur un axe éloigné de 45 de- grés de celui sur lequel elle tourne aujourd'hui ; le i 5e degré de latitude actuelle étoit alors le 60% etc. A cela je réponds que cette idée et le moyen d'ex- plication qui en résulte ne peuvent pas se soutenir lorsqu'on vient à les examiner : le changement de l'o- bliquité de l'écliptique n'est pas une diminution ou une augmentation successive et constante; ce n'est au contraire qu'une variation limitée, et qui se fait tantôt en un sens et tantôt en un autre, laquelle par consé- quent n'a jamais pu produire en aucun sens ni pour aucun climat cette différence de 45 degrés d'inclinai- son; car la variation de l'obliquité de l'axe de la terre est causée par l'action des planètes, qui déplacent l'é- cliptique sans affecter l'équateur. En prenant la plus puissante de ces attractions, qui .est celle de Vénus. \\ DES ÉPOQUES DE L\ NATURE. 20, faudroit douze cent soixante mille ans pour qu'elle pût faire changer de 180 degrés la situation de l'éclip- tique sur l'orbite de Vénus, et par conséquent pro- duire un changement de 6 degrés 4; minutes dans l'obliquité réelle de l'axe de la terre, puisque 6 de- grés 47 minutes sont le double de l'inclinaison de l'orbite de Vénus. De même l'action de Jupiter ne peut, dans un espace de neuf cent trente-six mille ans, changer l'obliquité de l'écliptique que de 2 de- grés 38 minutes, et encore cet effet est-il en partie compensé par le précédent; en sorle qu'il n'est pas possible que ce changement de l'obliquité de l'axe de la terre aille jamais à 6 degrés, à moins de supposer que toutes les orbites des planètes changeront elles- mêmes , supposition que nous ne pouvons ni ne de- vons admettre, puisqu'il n'y a aucune cause qui puisse produire cet effet. Et, comme on ne peut juger du passé que par l'inspection du présent et par la vue de l'avenir, il n'est pas possible, quelque loin qu'on veuille reculer les limites du temps, de supposer que la variation de l'écliptique ait jamais pu produire une différence de plus de 6 degrés dans les climats de la terre : ainsi cette cause est tout-à-fait insuffisante, et l'explication qu'on voudroit en tirer doit être rejetée. Mais je puis donner cette explication si difficile, et la déduire d'une cause immédiate. Nous venons de voir que le globe terrestre, lorsqu'il a pris sa forme, étoit dans un état de fluidité; et il est démontré que l'eau n'ayant pu produire la dfssolution des matières terres- tres, cette fluidité étoit une liquéfaction causée par le feu. Or, pour passer de ce premier état d'embrasement et de liquéfaction a celui d'une chaleur douce et tèni- 3o DES ÉPOQUES DE LA NATURE. pérée, il a fallu du temps : le globe n'a pu se refroidir tout à coup au point où il est aujourd'hui. Ainsi, dans les premiers temps après sa formation, la chaleur pro- pre de la terre étoit infiniment plus grande que celle qu'elle reçoit du soleil , puisqu'elle est encore beau- coup plus grande aujourd'hui; ensuite, ce grand feu s'étant dissipé peu à peu, le climat du pôle a éprouvé, comme dans tous les autres climats, des degrés suc- cessifs de moindre chaleur et de refroidissement. Il y a donc eu un temps et même une longue suite de temps pendant laquelle les terres du nord , après avoir brûlé comme toutes les autres, ont joui de la même chaleur dont jouissent aujourd'hui les terres du midi : par con- séquent ces terres septentrionales ont pu et dû être habitées par les animaux qui habitent actuellement les terres méridionales, et auxquels cette chaleur est nécessaire. Dès lors le fait, loin d'être extraordinaire, se lie parfaitement avec les autres faits, et n'en est qu'une simple conséquence : au lieu de s'opposer à la théorie de la terre que nous'avons établie, ce même fait en devient au contraire une preuve accessoire qui ne peut que la confirmer dans le point le plus obscur, c'est-à-dire lorsqu'on commence à tombef dans cette profondeur du temps où la lumière du génie semble s'éteindre, et où, faute d'observations, elle paroît ne pouvoir nous guider pour aller plus loin. Une sixième époque, postérieure aux cinq autres, est celle de la séparation des deux continents. Il est sûr qu'ils n'étoient pas sépares dans les temps que les éléphants vivoient également dans les terres du nord de l'Amérique, de l'Europe, et de l'Asie : je dis éga- lement. car on trouve de même leurs ossements en DES EPOQUES J)E LA NATURE. 3 1 Sibérie, en Russie, et au Canada. La séparation des continents ne s'est donc faite que dans des temps pos- térieurs à ceux du séjour des animaux dans les terres septentrionales : mais comme Ton trouve aussi des défenses d'éléphant en Pologne, en Allemagne, eu France, en Italie1, on doit en conclure qu'à mesure que les terres septentrionales se refroidissoient, ces ani- maux se retiroient vers les contrées des zones tempé- rées où la chaleur du soleil et la plus grande épaisseur du globe compensoient la perte de la chaleur inté- rieure de la terre; et qu'enfin ces zones s'étant aussi trop refroidies avec le temps, ils ont successivement gagné les climats de la zone torride, qui sont ceux où la chaleur intérieure s'est conservée le plus long-temps par la plus grande épaisseur du sphéroïde de la terre, et les seuls où cette chaleur, réunie avec celle du so- leil , soit encore assez forte aujourd'hui pour mainte- nir leur nature et soutenir leur propagation. De même on trouve en France et dans toutes les autres parties de l'Europe, des coquilles, des sque- lettes, et des vertèbres d'animaux marins qui ne peu- vent subsister que dans les mers les plus méridionales. Il est donc arrivé , pour les climats de la mer. le môme changement de température que pour ceux de la terre; et ce second fait, s'expli quant, comme le premier, par la même cause, paroît confirmer le tout au point de la démonstration. Lorsque l'on compare ces anciens monuments du premier âge de la nature vivante avec ses productions actuelles, on voit évidemment que la forme constitu- tive de chaque animal s'est conservée la même et sans i. Voyez les Additions de Buff'o» . page 52. 32 DES EPOQUES DE LA NATURE. al te ration dans ses principales parties : le type de cha- que espèce n'a point changé ; le moule intérieur a con- servé sa forme et n'a point varié. Quelque longue qu'on voulut imaginer la succession des temps, quelque nom- bre de générations qu'on admette ou qu'on suppose, les individus de chaque genre représentent aujourd'hui les formes de ceux des deux premiers siècles, surtout dans les espèces majeures, dont l'empreinte es! plus ferme et la nature plus fixe; car les espèces inférieu- res ont, comme nous l'avons dit, éprouvé d'une ma- nière sensible tous les effets des différentes causes de dégénération : seulement il est à remarquer au sujet de ces espèces majeures, telles que l'éléphant et l'hip- popotame, qu'en comparant leurs dépouilles antiques avec celles de notre temps, on voit qu'en général ces animaux étoient alors plus grands qu'ils ne le sont au- jourd'hui; la nature étoit dans sa première vigueur; la chaleur intérieure de la terre donnoit à ses produc- tions toute la force et tonte l'étendue dont elles étoient susceptibles. 11 y a eu, dans ce premier âge, des géants en tous genres ; les nains et les pygmées sont arrivés depuis, c'est-à-dire après le refroidissement; et si (comme d'autres monuments semblent le démontrer) il y a eu des espèces perdues, c'est-à-dire des ani- maux qui aient autrefois existé et qui n'existent plus, ce ne peuvent être que ceux dont la nature exigeoit une chaleur plus grande que la chaleur actuelle de la zone torride. Ces énormes dents molaires presque carrées et à grosses pointes mousses, ces grandes vo- lutes pétrifiées dont quelques unes ont plusieurs pieds de diamètre1, plusieurs autres poissons et coquilla- i. Voyez les Additions de Buffon, page 65 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 55 ges fossiles dont on ne retrouve nulle part les analo- gues vivants, n'ont existé que dans les premiers temps où la terre et la mer encore chaudes dévoient nour- rir des animaux auxquels ce degré de chaleur étoit nécessaire, et qui ne subsistent plus aujourd'hui, parce que probablement ils ont péri par le refroidis- sement. Voilà donc l'ordre des temps indiqués par les faits et par les monuments; voilà six époques dans la suc- cession des premiers âges de la nature , six espaces de durée dont les limites, quoique indéterminées, n'en sont pas moins réelles; car ces époques ne sont pas, comme celles! de l'histoire civile, marquées par des points fixes, ou limitées par des siècles et d'autres portions du temps que nous puissions compter et me- surer exactement : néanmoins nous pouvons les com- parer entre elles, en évaluer la durée relative, et rap- peler à chacune de ces périodes de durée d'autres monuments et d'autres faits qui nous indiqueront des dates contemporaines, et peut-être aussi quelques époques intermédiaires et subséquentes. Mais avant d'aller plus loin hâtons-nous de prévenir une objection grave, qui pourroit même dégénérer en imputation. Comment accordez-vous, dira-t-on, cette haute ancienneté que vous donnez à la matière avec les*traditions sacrées, qui ne donnent au monde que six ou huit mille ans? Quelque fortes que soient vos preuves, quelque fondés que soient vos raisonne- ments, quelque évidents que soient vos faits , ceux qui sont rapportés dans le livre sacré ne sont-ils pas en- core plus certains? Les contredire, n'est-ce pas man- quer à Dieu, qui a eu la bonté de nous les révéler? r>4 DES ÉroOUES DE LA NATURE. Je suis affligé toutes les fois qu'on abuse de ce grand , de ce saint nom de Dieu; je suis blessé toutes les fois que l'homme le profane, et qu'il prostitue l'idée du premier Être en la substituant à celle du fantôme de ses opinions. Plus j'ai pénétré dans le sein de la na- ture, plus j'ai admiré et profondément respecté son auteur : mais un respect aveugle seroit superstition ; la vraie religion suppose au contraire un respect éclairé. Voyons donc, tachons d'entendre sainement les pre- miers faits que l'interprète divin nous a transmis au sujet de la création; recueillons avec soin ces rayons échappés de la lumière céleste : loin d'offusquer la vérité, ils ne peuvent qu'y ajouter un nouveau degré de splendeur. « ÀU COMMENCEMENT DlEL CREA LE CIEL ET LA TERRE. » Gela -ne veut pas dire qu'au commencement Dieu créa le ciel et la terre tels qu'ils sont 3 puisqu'il est dit, immédiatement après, que la ferre ctoit informe, et que le soleil, la lune, et les étoiles, ne furent placés dans le ciel qu'au quatrième jour de la création. On rendroit donc le texte contradictoire à lui-même, si l'on vouloit soutenir qu'^w. commencement Dieu créa le ciel et la terre tels qu'ils sont. Ce fut dans un temps sub- séquent qu'il les rendit en effet tels qu'ils ïont^ en donnant la forme à la matière , et en plaçant le solei! , la lune, et les étoiles, dans le ciel. Ainsi, pour en- tendre sainement ces premières paroles, il faut né- cessairement suppléer un mot qui concilie le tout, et lire : Au commencement Dieu créa la matière du ciel et de la terri. DES EPOQUES DE LA NATURE. v);> Et ce commencement, ce premier temps, le plus ancien de tons, pendant lequel la matière du ciel et de la terre existait sans forme déterminée; paroît avoir eu une longue durée ; car écoutons ail eut iveiu.cn t la parole de l'interprète divin. «la terre étoit informe et toute nue, les tene- bres couvroient la face de l abime i et l'esprit de Dieu étoit porté sur les eaux. » La terre ètoit^es ténèbres couvraient > l'esprit deDieu étoit. Ces expressions par l'imparfait du verbe n'indi- quent-elles pas que c'est pendant un lon bava, que l'on traduit ici par créer, se traduit dans tous les autres passages de l'Ecriture par former ou faire. BLFFOiN. v. 5 38 DES ÉPOQUES DE LA NATURE, il n'est plus possible et par conséquent plus permis de supposer de nouvelles créations de matière, puisque alors toute matière n'aurait pas été créée dès le com- mencement. Par conséquent l'ouvrage des six jours ne peut s'entendre que comme une formation , une production de formes tirées de la matière créée pré- cédemment , et non pas comme d'autres créations de matières nouvelles tirées immédiatement du néant; et en effet, lorsqu'il est question de la lumière, qui est la première de ces formations ou productions tirées du sein de la matière, il est dit seulement Que la lumière soit faite , et non pas Que la lumière soit créée. Tout concourt donc à prouver que la matière ayant été créée in principio, ce ne fut que dans des temps subséquents qu'il plut au souverain Être de lui donner la forme, et qu'au lieu de tout créer et tout former dans le même instant . comme il l'auroit pu faire s'il eût voulu déployer toute l'étendue de sa toute-puissance, il n'a voulu au contraire qu'agir avec le temps, prodkiire successivement, et mettre même des repos, des intervalles considérables, entre cha- cun de ses ouvrages. Que pouvons-nous entendre par les six jours que l'écrivain sacré nous désigne si pré- cisément en les comptant les uns après les autres, sinon six espaces de temps, six intervalles de durée? Et ces espaces de temps indiqués par le nom de jours, faute d'autres expressions, ne peuvent avoir aucun rapport avec, nos jours actuels, puisqu'il s'est passé successivement trois de ces jours avant que le soleil ait été placé dans le ciel. Il n'est donc pas possible que ces jours fussent semblables aux nôtres; et l'interprète de Dieu semble l'indiquer assez en les comptant tou- DES EPOQUES DE LA NATURE. Oé) jours du soir au matin , au lieu que les jours solaires doivent se compter du matin au soir. Ces six jours n'étoient donc pas des jours solaires semblables aux nôtres, ni même des jours de lumière, puisqu'ils com- mençaient par le soir et fmissoient au matin : ces jours n'étoient pas même égaux, car ils n'auroient pas été proportionnés à l'ouvrage. Ce ne sont donc que six espaces de temps : l'historien sacré ne détermine pas la durée de chacun; mais le sens de la narration semble la rendre assez longue pour que nous puissions l'éten- dre autant que l'exigent les vérités physiques que nous avons à démontrer. Pourquoi donc se récrier si fort sur cet emprunt du temps que nous ne faisons qu'au- tant que nous y sommes forcés par la connoissance démonstrative des phénomènes de la nature ? Pour- quoi vouloir nous refuser ce temps, puisque Dieu nous le donne par sa propre parole , et qu'elle seroit con- tradictoire on inintelligible si nous n'admettions pas l'existence de ces premiers temps antérieurs à la for- mation du monde tel qu'il est? A la bonne heure, que l'on dise, que l'on sou- tienne, même rigoureusement, que depuis le dernier terme, depuis la lin des ouvrages de Dieu, c'est-à- dire depuis la création de l'homme , il ne s'est écoulé que six ou huit mille ans , parce que les différentes généalogies du genre humain depuis Adam n'en indi- quent pas davantage; nous devons, cette foi, cette marque de soumission et de respect, à la plus an- cienne , à la plus sacrée de toutes les traditions ; nous lui devons même plus, c'est de ne jamais nous per- mettre de nous écarter de la lettre de cette sainte tradi- tion que quand la lettre tue* c'est-à-dire quand elle pa- /jO DES ÉPOQUES DE LA NATURE. roît directement opposée à la saine raison et à la vérité des faits de la nature : car toute raison, toute vérité, venant également de Dieu, il n'y a de différence entre les vérités qu'il nous a révélées et celles qu'il nous a permis de découvrir par nos observations et nos re- cherches; il n'y a, dis-jc , d'autre différence que celle d'une première faveur faite gratuitement, à une se- conde grâce qu'il a voulu différer et nous faire méri- ter par nos travaux ; et c'est par cette raison que son interprète n'aparlé aux premiers hommes, encore très ignorants, que dans le sens vulgaire, et qu'il ne s'est pas élevé au dessus de leurs connoissances, qui, bien loin d'atteindre au vrai système du monde, ne s'é- tendoient pas même au delà des notions communes, fondées sur le simple rapport des sens; parce qu'en effet c'étoit au peuple qu'il falloit parler, et que la parole eût été vaine et inintelligible si elle eût été telle qu'on pourroit la prononcer' aujourd'hui, puis- que aujourd'hui même il n'y a qu'un petit nombre d'hommes auxquels les vérités astronomiques et phy- siques soient assez connues pour n'en pouvoir douter, et qui puissent en entendre le langage. Voyons donc ce qu'étoit la physique dans ces pre- miers âges du monde, et ce qu'elle seroit encore si l'homme n'eût jamais étudié la nature. On voit le ciel comme une voûte d'azur dans laquelle le soleil et la lune paroissent être les astres les plus considérables, dont le premier produit toujours la lumière du jour, et le second fait souvent celle de la nuit ; on le voit paroître ou se lever d'un côté, et disparoître ou se coucher de l'autre, après avoir fourni leur course et donné leur lumière pendant un certain espace de DES EPOQUES DE LA NATURE. 41 temps. On voit que la mer est de la même couleur que la voûte azurée, et qu'elle paroît toucher au ciel lorsqu'on la regarde au loin. Toutes les idées du peu- ple sur le système du monde ne portent que sur ces trois ou quatre notions; et quelque fausses qu'elles soient, il falloit s'y conformer pour se faire entendre. En conséquence de ce que la mer paroît dans le lointain se réunir au ciel , il étoit naturel d'imaginer qu'il existe en effet des eaux supérieures et des eaux inférieures, dont les unes remplissent le ciel et les autres la mer, et que, pour soutenir les eaux supé- rieures, il falloit un firmament, c'est-à-dire un appui, une voûte solide et transparente, au travers de la- quelle on aperçût l'azur des eaux supérieures; aussi est-il dit : Que le firmament soit fait au milieu des eaiiXj, et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux. Et Dieu fit le firmament j, et sépara les eaux qui étaient sous le firmament , de celles qui étaient au dessus du firmament 3 et Dieu donna au firmament le nom de ciel..., et à toutes les eaux rassemblées sous le firmament le nom de mer. C'est à ces mômes idées que se rapportent les cata- ractes du ciel, c'est-à-dire les portes ou les fenêtres de ce firmament solide qui s'ouvrirent lorsqu'il fallut laisser tomber les eaux supérieures pour noyer la terre. C'est encore d'après ces mêmes idées qu'il est dit que les poissons et les oiseaux on t eu une origine commune. Les poissons auront été produits par les eaux infé- rieures, et les oiseaux par les eaux supérieures, parce qu'ils s'approchent par leur vol de la voûle azurée, que le vulgaire n'imagine pas être beaucoup plus éle- vée que les nuages. De même le peuple a toujours cru que les étoiles sont attachées comme des clous à ^2 DES ÉrOQIES DE LA NATURE. cette voûte solide, qu'elles sont plus petites que la lune, et infiniment plus petites que le soleil : il ne distingue pas même les planètes des étoiles fixes; et c'est par cette raison qu'il n'est fait aucune mention des planètes dans tout le récit de la création; c'est par la même raison que la lune y est regardée comme le second astre, quoique ce ne soit en effet que le plus petit de tous les corps célestes, etc. , etc., etc. Tout, dans le récit de Moïse, est mis à la portée de l'intelligence du peuple ; tout y est représenté re- lativement à l'homme vulgaire, auquel il ne s'agissoit pas de démontrer le vrai système du monde, mais qu'il suffisoit d'instruire de ce qu'il devoit au Créa- teur, en lui montrant les effets de sa toute- puissance comme autant de bienfaits : les vérités de la nature ne dévoient paroître qu'avec le temps, et le souverain Être se les réservoit comme le plus sûr moyen de rap- peler l'homme à lui, lorsque sa foi, déclinant dans la suite des siècles, seroit devenue chancelante; lors- que éloigné de son origine, il pourroit l'oublier ; lors- qu'enfin trop accoutumé au spectacle de la nature, il n'en seroit plus touché et viendroit à en méconnoî- tre l'auteur. Il étoit donc nécessaire de raffermir de temps en temps et même d'agrandir l'idée de Dieu dans l'esprit et dans le cœur de l'homme. Or, chaque découverte produit ce grand effet ; chaque nouveau pas que nous faisons dans la nature nous rapproche du Créateur. Une vérité nouvelle est une espèce de miracle, l'effet en est le même, et elle ne diffère du vrai miracle qu'en ce que celui-ci est un coup d'éclat que Dieu frappe immédiatement et rarement, au lieu qu'il se sert de l'homme pour découvrir et manifes- DES ÉPOQUES DE IA NATURE. 45 ter les merveilles dont il a rempli le sein de la na- ture ; et que, comme ces merveilles s'opèrent à tout instant, qu'elles sont exposées de tout temps et pour tous les temps à sa contemplation, Dieu le rappelle incessamment à lui non seulement par le spectacle actuel , mais encore par le développement successif de ses œuvres. Au reste, je ne me suis permis cette interprétation des premiers versets de la Genèse que dans la vue d'opérer un grand bien ; ce seroit de concilier à ja- mais la science de la nature avec celle de la théolo- gie : elles ne peuvent, selon moi, être en contradic- tion qu'en apparence , et mon explication semble le démontrer. Mais si cette explication, quoique simple et très claire, paroît insuffisante et même hors de propos à quelques esprits trop strictement attachés à la lettre, je les prie de me juger par l'intention, et de considérer que mon système sur les époques de la na- ture étant purement hypothétique, il ne peut nuire aux vérités révélées, qui sont autant d'axiomes im- muables, indépendants de toute hypothèse, et aux- quels j'ai soumis et je soumets mes pensées. 44 DES ÉPOQUES DE LA ÏSATLRE. ADDITIONS DE BUFFON- ( Sur la page i/j- ) « Il ne îcAil pas creuser bien avant pour trouver d'abord une chaleur constante et qui ne varie plus, quelle que soit la température de l'air à la surface de la terre. On sait que la liqueur du thermomètre se soutient toujours sensiblement pendant toute l'an- née à la même hauteur dans les caves de l'Observa- toire , qui n'ont pourtant que 84 pieds ou 14 toises de profondeur depuis le rez-de-chaussée. C'est pour- quoi l'on fixe à ce point la hauteur moyenne ou tem- pérée de notre climat. Cette chaleur se soutient en- core ordinairement et à peu de chose près la môme depuis une semblable profondeur de 1 4 ou 1 5 toises jusqu'à 6o, 8o, ou i oo toises et au delà , plus ou moins, selon les circonstances, comme on l'éprouve dans les mines; après quoi elle augmente et devient quelque- fois si grande, que les ouvriers ne sauroient y tenir et y vivre, si on ne leur procuroit pas quelques ra- fraîchissements et un nouvel air, soit par des puits de respiration j soit par des chutes d'eau M. de Gen- sanne a éprouvé dans les mines de Giromagny, à trois lieues de Béfort , que le thermomètre étant porté à 52 toises de profondeur verticale, se soutint à 10 de- grés, comme dans les caves de l'Observatoire; qu'à 106 tuîses de profondeur il étoit à 10 degrés l/2 , qu'à i5S toises il monta à i5 degrés 1/5 , et qu'à 222 toises de profondeur il s'éleva à 18 degrés Ve- w [Dissertation DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 4 5 sur la glace,, par M. de Mairan; Paris, 1749? in-12, pages 60 et suiv. ) « Plus on descend à de grandes profondeurs dans l'intérieur de la terre, dit ailleurs M. de Gensanne, plus on éprouve une chaleur sensible qui va toujours en augmentant à mesure qu'on descend plus bas : cela est au point qu'à 1800 pieds de profondeur au dessous du sol du Rhin, pris à Huningue en Alsace, j'ai trouvé que la chaleur est déjà assez forte pour causer à l'eau une évaporation sensible. On peut voir le détail de mes expériences à ce sujet dans la dernière édition de l'excellent Traité de la glace de feu mon illustre ami M. Dortous de Mairan. » {Histoire naturelle du Lan- guedoc _, t. I, p. 2l\. ) « Tous les filons riches des mines de toute espèce, dit M. Eller, sont dans les fentes perpendiculaires de la terre , et l'on ne sauroit déterminer la profon- deur de ces fentes : il y en a en Allemagne où l'on descend au delà de 600 perches (lac/ttcrs) â; à mesure que les mineurs descendent, ils rencontrent une tem- pérature d'air toujours plus chaude. » [Mémoire sur la génération des métaux. Académie de Berlin , an- née 17ÛO. ) ( Sur la ptfge 1 5 . ) Feu M. Bouguer, savant astronome de l'Académie royale des Sciences, a observé qu'avec seize mor- ceaux de verre ordinaire dont on fait les vitres, ap- pliqués les uns contre les autres, et faisant en tout i. On assure que le lac hier est une mesure à peu près égale à la lu-asse de 5 pieds de longueur; ce qui donne oooo pieds de profon- deur à ces mines. 46 DES EPOQUES DE LA NATURE. une épaisseur de 9 lignes y2 , la lumière passant au travers de ces seize morceaux de verre diminuoit deux cent quarante-sept fois, c'est-à-dire qu'elle étoit deux cent quarante- sept fois plus foible qu'avant d'avoir traversé ces seize morceaux de verre ; ensuite il a placé soixante-quatorze morceaux de ce même verre à quel- que distance les uns des autres dans un tuyau, pour diminuer la lumière du soleil jusqu'à extinction : cet astre étoit à 5o degrés de hauteur sur l'horizon lors- qu'il fit cette expérience; et les soixante-quatorze morceaux de verre ne l'empêchoient pas de voir en- core quelque apparence de son disque. Plusieurs per- sonnes qui étoient avec lui voyoient aussi une foible lueur, qu'ils ne distinguoient qu'avec peine, et qui s'évanouissoit aussitôt que leurs yeux n'étoient pas tout-à-fait dans l'obscurité; mais lorsqu'on eut ajouté trois morceaux de verre aux soixante - quatorze pre- miers, aucun des assistants ne vit plus la moindre lu- mière ; en sorte qu'en supposant quatre-vingts mor- ceaux de ce même verre on a l'épaisseur de verre nécessaire pour qu'il n'y ait plus aucune transparence par rapport aux vues mêmes les plus délicates ; et M. Bouguer trouve, par un calcul assez facile, que la lumière du soleil est alors rendue 900 milliards de fois plus foible : aussi toute matière transparente qui, par sa grande épaisseur, fera diminuer la lumière du soleil 900 milliards de fois perdra dès lors toute sa transparence. En appliquant cette règle à l'eau de la mer, qui de toutes les eaux est la plus limpide, M. Bouguer a trouvé que, pour perdre toutesa transparence, il faut 256 pieds d'épaisseur, attendu que, par une autre DES EPOQUES DE LA NATURE. 4? expérience, la lumière d'un flambeau avoit diminué dans le rapport de i4 à 5, en traversant 1 i5 pouces d'épaisseur d'eau de mer contenue dans un canal de 9 pieds 7 pouces de longueur, et que, par un calcul qu'on ne peut contester, elle doit perdre toute trans- parence à 256 pieds. Ainsi, selon M. Bouguer, il ne doit passer aucune lumière sensible au delà de 256 pieds dans la profondeur de l'eau. [Essai d'optique sur la gradation de la lumière; Paris, 1729, in-12, page 85. ) Cependant il me semble que ce résultat de M. Bou- guer s'éloigne encore beaucoup de la réalité : il seroit à désirer qu'il eût fait ses expériences avec des masses de verre de différente épaisseur, et non pas avec des morceaux de verre mis les uns sur les autres; je suis persuadé que la lumière du soleil auroit percé une plus grande épaisseur que celle de ces quatre-vingts morceaux, qui, tous ensemble, ne forment que 47 lignes V2 5 c'est-à-dire à peu près 4 pouces : or, quoi- que ces morceaux dont il s'est servi fussent de verre commun, il est certain qu'une masse solide de quatre pouces d'épaisseur de ce même verre n'auroit pas en- tièrement intercepté la lumière du soleil , d'autant que je me suis assuré, par ma propre expérience, qu'une épaisseur de 6 pouces de verre blanc la laisse passer encore assez vivement, comme on le verra dans la note suivante. Je crois donc qu'on doit plus que doubler les épaisseurs données par M. Boiïguer, et que la lumière du soleil pénètre au moins à 600 pieds à travers l'eau de la mer : car il y a une seconde inattention dans les expériences de ce savant physi- cien ; c'est de n'avoir pas fait passer la lumière du so- j8 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. leil à travers son tuyau rempli d'eau de mer, de p pieds 7 pouces de longueur; il s'est ,conleiité d'y faire passer la lumière d'un flambeau , et il en a conclu la diminution dans le rapport de i4 à 5 : or je suis persuadé que cette diminution n'auroit pas été si grande sur la lumière du soleil , d'autant que celle du flambeau ne pouvoit passer qu'obliquement, au lieu que celle du soleil passant directement auroit été plus pénétrante par la seule incidence, indépendamment de sa pureté et de son intensité. Ainsi, tout bien con- sidéré, il me paroît que , pour approcher le plus près qu'il est possible de la vérité, on doit supposer que la lumière du soleil pénètre dans le sein de la mer jusqu'à 100 toises ou 600 pieds de profondeur, et la chaleur jusqu'à i5o pieds. Ce n'est pas à dire pour cela qu'il ne passe encore au delà quelques atomes de lumière et de chaleur, mais seulement que leur effet seroit absolument insensible, et ne pourroit être reconnu par aucun de nos sens. ( Sar la page i5. ) Je crois être assuré de cetle vérité par une analo- gie tirée d'une expérience qui me paroît décisive : avec une loupe de verre massif de 27 pouces de dia- mètre sur 6 pouces d'épaisseur à son centre je me suis aperçu , en couvrant la partie du milieu , que cette loupe ne brûloit , pour ainsi dire, que par les bords jusqu'à 4 pouces d'épaisseur, et que toute la partie plus épaisse ne produisoit presque point de chaleur; ensuite ayant couvert toute cette loupe, à l'exception d'un pouce d'ouverture sur son centre , j'ai reconnu DES ÉPOQUES DE LA. NATURE. ^9 que la lumière du soleil étoit si fort affaiblie, après avoir traverse cette épaisseur de 6 pouces de verre, quelle ne produisoit aucun effet sur le thermomètre. Je suis donc bien fondé à présumer que cette même lumière , affoiblie par 1 5o pieds d'épaisseur d'eau , ne donneroit pas un degré de chaleur sensible. La lumière que la lune réfléchit à nos yeux est cer- tainement la lumière réfléchie du soleil; cependant cette lumière n'a point de chaleur sensible, et même, lorsqu'on la concentre au foyer d'un miroir ardent , qui augmente prodigieusement la chaleur du soleil,- cette lumière réfléchie par la lune n'a point encore de chaleur sensible ; et celle du soleil n'aura pas plus de chaleur, dès qu'en traversant une certaine épais- seur d'eau, elle deviendra aussi foible que celle de la lune. Je suis donc persuadé qu'en laissant passer les rayons du soleil dans un large tuyau rempli d'eau, de 5o pieds de longueur seulement, ce qui n'est que le tiers de l'épaisseur que j'ai supposée, cette lumière affoiblie ne produiroit sur un thermomètre aucun effet, en supposant même la liqueur du thermomètre au degré de congélation; d'où j'ai cru pouvoir conclure que, quoique la lumière du soleil perce jusqu'à 600 pieds dans le sein de la mer, sa chaleur ne pénètre pas au quart de cette profondeur. ( Sur la page 26.) On peut s'en assurer parles descriptions et les di- mensions qu'en adonnées M. Daubenton; mais, de- puis ce temps, on m'a envoyé une défense enlière et T)0 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. quelques autres morceaux d'ivoire fossile dont les di- mensions excèdent de beaucoup la longueur et la grosseur ordinaires des défenses de l'éléphant : j'ai même fait chercher chez tous les marchands de Paris qui vendent de l'ivoire , on n'a trouvé aucune défense comparable à celle-ci, et il ne s'en est trouvé qu'une seule, sur un très grand nombre, égale à celles qui nous sont venues de Sibérie , dont la circonférence est de 19 pouces à la base. Les marchands appellent ivoire cru celui qui n'a pas été dans la terre, et que l'on prend sur les éléphants vivarfts, ou qu'on trouve dans les forêts avec les squelettes récents de ces ani- maux; et ils donnent le nom d'ivoire cuit à celui qu'on tire de la terre, et dont la qualité se dénature plus ou moins par un plus ou moins long séjour, ou par la qualité plus ou moins active des terres où il a été ren- fermé. La plupart des défenses qui nous sont venues du nord sont encore d'un ivoire très solide, dont on pourroit faire de beaux ouvrages : les plus grosses nous ont été envoyées par M. de l'Isle, astronome, de l'Académie royale des Sciences; il les a recueillies dans son voyage en Sibérie. 11 n'y avoit dans tous les magasins de Paris qu'une seule défense d'ivoire cru qui eut 19 pouces de circonférence; toutes les autres étoient plus menues : cette grosse défense avoit 6 pieds 1 pouce de longueur, et il paroît que celles qui sont au Cabinet du Roi, et qui ont été trouvées en Sibérie, avoient plus de 6 pieds i/2 lorsqu'elles étoient entières; mais, comme les extrémités en sont tron- quées, on ne peut en juger qu'à peu près. Et si l'on compare les os fémurs trouvés de même DES EPOQUES DE LA NATURE. 5l dans les terres du nord, on s'assurera qu'ils sont au moins aussi longs et considérablement plus épais que ceux des éléphants actuels. Au reste, nous avons, comme je l'ai dit, comparé exactement les os et les défenses qui nous sont venus de Sibérie aux os et aux défenses d'un squelette d'élé- phant, et nous avons reconnu évidemment que tous ces ossements sont des dépouilles de ces animaux. Les défenses venues de Sibérie ont non seulement la fi- gure, mais aussi la vraie structure de l'ivoire de l'élé- phant, dont M. Daubenton donne la description dans les termes suivants : « Lorsqu'une défense d'éléphant est coupée trans- versalement, on voit au centre, ou à peu près au centre, un point noir qui est appelé le cœur ; mais si la défense a été coupée à l'endroit de sa cavité, il n'y a au centre qu'un trou rond ou ovale : on aperçoit des lignes courbes qui s'étendent en sens contraire, de- puis le centre à la circonférence, et qui se croisant forment de petites losanges; il y a ordinairement à la circonférence une bande étroite et circulaire : les lignes courbes se ramifient à mesure qu'elles s'éloi- gnent du centre; et le nombre de ces lignes est d'au- tant plus grand , qu'elles approchent plus de la cir- conférence : ainsi la grandeur des losanges est presque partout à peu près la même. Leurs côtés, ou au moins leurs angles, ont une couleur plus vive que l'aire, sans doute parce que leur substance est plus com- pacte : la bande de la circonférence est quelquefois composée de fibres droites et transversales, qui abou- tiroient au centre si elles étoient prolongées; c'est l'apparence de ces lignes et de ces points que l'on re- 52 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. garde comme le grain de l'ivoire : on l'aperçoit dans tous les ivoires, mais il est plus ou moins sensible dans les différentes défenses; et parmi les ivoires dont le grain est assez apparent pour qu'on leur donne le nom d'ivoire grenu 9 il y en a que l'on appelle ivoire à gros grains ., pour le distinguer de l'ivoire dont le grain est fin. » Voyez, dans cette Histoire naturelle, l'article de YElépkantj, et les Mémoires de l'Académie des Sciences ; année 1762. ( Sur la page 3 1 . ) Indépendamment de tous les morceaux qui nous ont été envoyés de Russie et de Sibérie, et que nous conservons au Cabinet du Roi , il y en a plusieurs au- tres dans les cabinets des particuliers de Paris; il y en a un grand nombre dans le Muséum de Pétersbourg, comme on peut le voir dans le catalogue qui en a été imprimé dès l'année i;42; il y en a de même dans le Muséum de Londres, dans celui de Copenhague, et dans ^quelques autres collections, en Angleterre, en Allemagne, en Italie : on-a même fait plusieurs ou- vrages de tour avec cet ivoire trouvé dans les terres du nord; ainsi l'on ne peut douler de la grande quan- tité de ces dépouilles d'éléphant en Sibérie et en Russie. M. Pallas, savant naturaliste, a trouvé dans son voyage en Sibérie, ces années dernières, une grande quantité d'ossements d'éléphant, et un squelette en- tier de rhinocéros, qui n'étoit enfoui qu'à quelques pieds de profondeur. « On vient de découvrir des os monstrueux d'élé- DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 53 phant à Swijatoki , à dix-sept verstes de Pétersbourg; on les a tires d'un terrain inondé depuis long-temps. On ne peut donc plus douter de la prodigieuse révo- lution qui a changé le climat, les productions, et les animaux de toutes les contrées de la terre. Ces mé- dailles naturelles prouvent que les pays dévastés au- jourd'hui par la rigueur du froid ont eu auérefois tous les avantages du midi. » [Journal de politique et de lit- tèrature^ 5 janvier 1776; article de Pétersbourg.) La découverte des squelettes et des défenses d'élé- phauts dans le Canada est assez récente, et j'en ai été informé des premiers par une lettre de feu M. Collin- son , membre de la Société royale de Londres ; voici la traduction de cette lettre. « M. Georges Croghan nous a assurés que, dans le cours de ses voyages en 1760 et 1766, dans les con- trées voisines de la rivière d'O/iio,, environ à /j milles sud-est de cette rivière, éloignée de 6^0 milles du fort de Quesne (que nous appelons maintenant Pits- burgh), il a vu, aux environs d'un grand marais salé, où les animaux sauvages s'assemblent en certains temps de l'année, de grands os et de grosses dents, et qu'ayant examiné cette place avec soin, il a découvert, sur un banc élevé du côté du marais, un nombre prodigieux d'os de très grands animaux, et que par la longueur et la forme de ces os et de ces défenses on doit con- clure que ce sont des os d'éléphants. » Mfûs les grosses dents que je vous erwoie, mon- sieur, ont été trouvées avec ces défenses; d'autres en- core plus grandes que celles-ci paroissent indiquer et même démontrer qu'elles n'appartiennent pas à des éléphants. Comment concilier ce paradoxe? Ne pour- uuffon. V. 5/t DES ÉPOQUES DE LA NATURE. roit-on pas supposer qu il a existé autrefois un grand animal qui avoit les défenses de l'éléphant et les mâ- choires de l'hippopotame? car ces grosses dents mâ- chelières sont très différentes de celles de l'éléphant. M. Crogb an pense, d'après la grande quantité de ces différentes sortes de dents, c'est-à-dire des défenses et des deitts molaires qu'il a observées dans cet en- droit, qu'il y avoit au moins trente de ces animaux. Cependant les éléphants n'étoient point connus en Amérique , et probablement ils n'ont pu y être ap- portés d'Asie : l'impossibilité qu'ils ont à vivre dans ces contrées, à cause de la rigueur des hivers, et où cependant on trouve une si grande quantité de leurs os, fait encore un paradoxe que votre éminente saga- cité doit déterminer. » M. Croghan a envoyé à Londres, au mois de fé- vrier 1767, les os et les dents qu'il avoit rassemblés dans les années 1 765 et 1 766 : » 1° A mylord Shelburne, deux grandes défenses, dont une étoit bien entière et avoit près de 7 pieds de long (-6 pieds 7 pouces de France); l'épaisseur étoit comme celle d'une défense ordinaire d'un éléphant qui auroit cette longueur. » 20 Une mâchoire avec deux dents mâchelières qui y tenoient , et outre cela plusieurs très grosses dents mâchelières séparées. » Au docteur Franklin , 1 ° trois défenses d'éléphant , dont une, d'environ 6 pieds de long, étoit casfée par la moitié, gâtée ou rongée au centre, et semblable à de la craie ; les autres étoient très saines , le bout de l'une des deux étoit aiguisé en pointe et d'un très bel ivoire. DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 55 » 2° Une petite défense d'environ 5 pieds de long, grosse comme le bras, avec les alvéoles qui reçoivent les muscles et les tendons, qui étoient d'une couleur marron luisante, laquelle avoit l'air aussi frais que si on venoit de les tirer de la tête de l'animal. » 5° Quatre mâchelières, dont l'une des plus grandes avoit plus de largeur et un rang de pointes de plus que celles que je vous ai envoyées. Vous pouvez être assuré que toutes celles qui ont été envoyées à mylord Shel- burne et à M. Franklin étoient de la même forme et avoient le même émail que celles que je mets sous vos yeux. » Le docteur Franklin a dîné dernièrement avec un officier qui a rapporté de cette même place, voisine de la rivière d'Ohio, une défense plus blanche, plus luisante, plus unie que toutes les autres, et une mâ- chelière encore plus grande que toutes celles dont je viens de faire mention. » (Lettre de M. Gollinson à M. de Buûbn, datée de Mill-hill, près de Londres, le 5 juillet 1767. ) Extrait du Journal du voyage de M. Croghan, fait sur la rivière d'Ohio, et envoyé à M. Franklin au mois de mai 1766. « INous avons passé la grande rivière de Miame, et. le soir, nous sommes arrivés à l'endroit où l'on a trouvé des os d'éléphants; il peut y avoir 640 milles de dis- tance du fort Pitt. Dans la matinée , j'allai voir la grande place marécageuse où les animaux sauvages se rendent dans de certains temps de l'année; nous ar- rivâmes à cet endroit par une route battue par les 56 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. bœufs sauvages [bisons), éloigné d'environ 4 milles au sud-est du fleuve Ohio. Nous vîmes de nos yeux qu'il se trouve dans ces lieux une grande quantité d'ossements, les uns épars, les autres enterrés à cinq ou six pieds sous terre , que nous vîmes dans l'épais- seur du banc de terre qui borde cette espèce de route. Nous trouvâmes là deux défenses de 6 pieds de lon- gueur, que nous transportâmes à notre bord, avec d'autres os et des dents; et, l'année suivante, nous retournâmes au même endroit prendre encore un plus grand nombre d'autres défenses et d'autres dents, o » Si M. de Buffon avoit des doutes et des questions à faire sur cela, je le prie, dit M. Collinson, de me les envoyer; je ferois passer sa lettre à M. Crogban, homme très honnête et éclairé, qui seroit charmé de satisfaire à ses questions. » Ce petit Mémoire étoit joint à la lettre que je viens de citer, et à laquelle je vais ajouter l'extrait de ce que M. Collinson m 'avoit écrit auparavant au sujet de ces mêmes ossements trouvés en Amérique. « Il y avoit à environ un mille et demi de la rivière d'Ohio six squelettes monstrueux enterrés debout, portant des défenses de 5 à 6 pieds de long , qui étoient de la forme et de la substance des défen- ses d'éléphants; elles avoient 5o pouces de circonfé- rence à la racine; elles alloient en s'amincissant jus- qu'à la pointe : mais on ne pent pas bien connoître comment elles étoient jointes à la mâchoire, parce qu'elles étoient brisées en pièces. Un fémur de ces mêmes animaux fut trouvé bien entier; il pespit cent livres, et avoit 4 pieds V* de long. Ces défenses et ces os de la cuisse font voir que l'animal étoit d'une pro- DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 5^ digieuse grandeur. Ces faits ont été confirmés par M. Greenwood, qui, ayant été sur les lieux, a vu les six squelettes dans le marais salé ; il a de plus trouvé, dans le même lieu, de grosses dents mâchelières qui ne paroissent pas appartenir à l'éléphant, mais plutôt à l'hippopotame; et il a rapporté quelques unes de ces dents à Londres, deux entre autres qui pesoient ensemble 9 livres Va- U dit que l'os de la mâchoire avoit près de 5 pieds de longueur, et qu'il étoit trop lourd pour être porté par deux hommes :»il avoit me- suré l'intervalle entre l'orbite des deux yeux, qui étoit de 18 pouces. Une Angloise , faite prisonnière parles sauvages et conduite à ce marais salé , pour leur ap- prendre à faire du sel en faisant évaporer l'eau, a dé- claré se souvenir, par une circonstance singulière, d'avoir vu ces ossements énormes; elle racontoit que trois François qui cassoient des noix étoient tous trois assis sur un seul de ces grands os de la cuisse. » Quelque temps après m'avoir écrit ces lettres, M. Collinson lut à la Société royale de Londres deux petits Mémoires sur ce même sujet, et dans lesquels j'ai trouvé quelques faits de plus que je vais rapporter, en y joignant un mot d'explication sur les choses qui en ont besoin. « Le marais salé où l'on a trouvé des os d'éléphants , n'est qu'à L\ milles de distance des bords de la rivière d'Ohio; mais il est éloigné de plus de 700 milles de la plus prochaine cote de la mer. Il y avoit un chemin frayé par les bœufs sauvages (bisons), assez large pour deux chariots de front, qui menoit droit à la place de ce grand marais salé , où ces animaux se rendent , aussi bien que toutes les espèces de cerfs et de che- 58 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. vreuils, dans une certaine saison de l'année, pour lé- cher la terre et boire de l'eau salée.... Les ossements d'éléphants se trouvent sous une espèce de levée , ou plutôt sous la rive qui entoure et surmonte le marais à 5 ou 6 pieds de hauteur; on y voit un très grand nombre d'os et de dents qui ont appartenu à quel- ques animaux d'une grosseur prodigieuse; il y a des défenses qui ont près de 7 pieds de longueur, et qui sont d'un très bel ivoire : on ne peut donc guère dou- ter qu'elles 'n'aient appartenu à des éléphants. Mais ce qu'il y a de singulier, c'est que jusqu'ici l'on n'a trouvé parmi ces défenses aucune dent molaire ou mâchelière d'éléphant , mais seulement un grand nom- bre de grosses dents, dont chacune porte cinq ou six pointes mousses, lesquelles ne peuvent avoir appar- tenu qu'à quelque animal d'une énorme grandeur; et ces grosses dents carrées n'ont point de ressem- blance aux mâchelières de l'éléphant, qui sont aplaties et quatre ou cinq fois aussi larges qu'épaisses; en sorte que ces grosses dents molaires ne ressemblent aux dents d'aucun animal connu. » Ce que dit ici M. Collinson est très vrai : ces grosses dents molaires diffèrent absolument des dents mâche- lières de l'éléphant; et en les comparant à celles de l'hippopotame, auxquelles ces grosses dents ressem- blent par leur forme carrée, on verra qu'elles en dif- fèrent aussi par leur grosseur, étant deux, trois, et quatre fois plus volumineuses que les grosses dents des anciens hippopotames trouvées de même en Si- bérie et au Canada, quoique ces dents soient elles- mêmes trois ou quatre fois plus grosses que celles des hippopotames actuellement existants. Toutes les dents DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 5o, que j'ai observées dans quatre têtes de ces animaux qui sont au Cabinet du Roi ont la face qui broie creu- sée en forme de trèfle, et celles qui ont été trouvées au Canada et en Sibérie ont ce même caractère , et n'en diffèrent que parla grandeur; mais ces énormes dents à grosses pointes mousses diffèrent de celles de l'hippopotame creusées en trèfle, ont toujours quatre et quelquefois cinq rangs, au lieu que les plus grosses dents de l'hippopotame n'en ont que trois, comme on peut le voir en comparant les figures 4? 5, et 6 avec celles des figures 7 et 8, pi. 1. Il paroît donc cer- tain que ces grosses dents n'ont jamais appartenu à l'éléphant ni à l'hippopotame : la différence de gran- deur, quoique énorme , ne m'empêcheroit pas de les regarder comme appartenant à cette dernière espèce, si tous les caractères de la forme étoient semblables, puisque nous connoissons, comme je viens de le dire, d'autres dents carrées, trois ou quatre fois plus gros- ses que celles de nos hippopotames actuels, et qui néanmoins ayant les mêmes caractères pour la forme , et particulièrement les creux en trèfle sur la face qui broie , sont certainement des dents d'hippopotames trois fois plus grands que ceux dont nous avons les têtes; et c'est de ces grosses dents, fig. 7, qui sont vraiment des dents d'hippopotames, que j'ai parlé lorsque j'ai dit qu'il s'en trouvoit également clans les deux continents, aussi bien que des défenses d'élé- phants : mais ce qu'il y a de très remarquable, c'est que non seulement on a trouvé de vraies défenses d'é- léphants et de vraies dents de gros hippopotames en Sibérie et au Canada, *nais qu'on y a trouvé de même ces dents beaucoup plus énormes à grosses pointes 60 DES ÉPOQUES ]) E LA NATURE. mousses et à quatre rangs; je crois clone pouvoir pro- noncer avec fondement que cette très grande espèce d'animal est perdue. M. le comte de Vergcnnes, ministre et secrétaire d'état, a eu la bonté de me donner, en 1770, la plus grosse de toutes ces dents, laquelle est représentée planche 1, fig. 1 et 2 ; elle pèse 11 livres 4 onces. Cette énorme dent molaire a été trouvée dans la pe- tite Tartarie , en faisant un fossé. Il y avoit d'autres os qu'on n'a pas recueillis, et, entre autres, un os fémur dont il ne restoit que la moitié bien entière, et la ca- vité de cette moitié contenoit quinze pintes de Paris. M. l'abbé Chappe, de l'Académie des Sciences, nous a rapporté de Sibérie une autre dent toute pareille, mais moins grosse, et qui ne pèse que 5 livres 12 onces f/* , fig. 4 et 5. Enfin la plus grosse de celles que ]\î. Collinson m'avoit envoyées, et qui est représentée fig. 6, a été trouvée, avec plusieurs autres semblables, eu Amérique, près de la rivière d'Oliio; et d'autres qui nous sont venues de Canada leur ressemblent par- faitement. L'on ne peut donc pas douter qu'indépen- damment de l'éléphant et de l'hippopotame, dont on trouve également les dépouilles dans les deux conti- nents, il n'y eût encore un autre animal commun aux deux continents, d'une grandeur supérieure à celle même des plus grands éléphants; caria forme carrée de ces énormes dents mâchelières prouve qu'elles étoient en nombre dans la mâchoire de l'animal; et quand on n'y en supposeroit que six. ou même quatre de chaque coté, on peut juger de l'énormité d'une tête qui auroit au moins seizedents mâchelières, pe- sant chacune dix ou onze livres. L'éléphant n'en a DES ÉPOQUES DE Là NATURE. 6l que quatre, deux de chaque coté; elles sont aplaties, elles occupent tout l'espace de la mâchoire; et ces deux dents molaires de l'éléphant fort aplaties ne sur- passent que de deux pouces la largeur de la plus grosse dent carrée de l'animal inconnu, qui est du douhle plus épaisse que celles de l'éléphant. Ainsi tout nous porte à croire que cette ancienne espèce, qu'on doit regarder comme la première et la plus grande de tous les animaux terrestres, n'a subsisté que dans les pre- miers temps, et n'est pas parvenue jusqu'à nous; car un animal dont l'espèce seroit plus grande que celle de l'éléphant, ne pourroit se cacher nulle part sur la terre au point de demeurer inconnu; et d'ailleurs il est évident par la forme môme de ces dents, par leur émail, et par la disposition de leurs racines, qu'elles n'ont aucun rapport aux dents des cachalots ou au- tres cétacés, et qu'elles ont réellement appartenu à un animal terrestre dont l'espèce étoit plus voisine de celle de l'hippopotame que d'aucune autre. Dans la suite du Mémoire que j'ai cité ci-dessus, M. Collinson dit que plusieurs personnes de la Société royale connoissent, aussi bien que lui, les défenses d'éléphants que l'on trouve tous les ans en Sibérie sur les bords du fleuve Obi et des autres rivières de cette contrée. Quel système établira-t-on , ajoute-t-il, avec quelque degré de probabilité pour rendre raison de ces dépôts d'ossements d'éléphants en Sibérie et en Amérique? Il finit par donner l'énumération, les di- mensions , et le poids de toutes ces dents trouvées dans le marais salé de la rivière d'Ohio, dont la plus grosse dent carrée appartenoit au capitaine Ourry, ci pesoit 6 livres i/t). 62 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Dans le second petit Mémoire de M. ColJinson , lu à la Société royale de Londres, le 10 décembre 1767, il dit que, s 'étant aperçu qu'une des défenses trou- vées dans le marais salé avoit des stries près du gros bout , il avoit eu quelques doutes si ces stries étoient particulières ou non à l'espèce de l'éléphant; que, pour se satisfaire, il alla visiter le magasin d'un mar- chand qui fait commerce de dents de toute espèce, et qu'après les avoir bien examinées, il trouva qu'il y avoit autant de défenses striées au gros bout que d'u- nies, et que par conséquent il ne faisoit plus aucune difficulté de prononcer que ces défenses trouvées en Amérique ne fussent semblables, à tous égards, aux défenses d'éléphants d'Afrique et d'Asie : mais, comme les grosses dents carrées trouvées dans le même lieu n'ont aucun rapport avec les dents molaires de l'élé- phant , il pense que ce sont les restes de quelque ani- mal énorme qui avoit les défenses de l'éléphant avec des dents molaires particulières à son espèce, laquelle est d'une grandeur et d'une forme différente de celle d'aucun animal connu. Voyez les Transactions philoso- phiques de l'année 1767. Dès l'année 1748? M. Fabri , qui avoit fait de gran- des courses dans le nord de la Louisiane et dans le sud du Canada, m'avoit informé qu'il avoit vu des têtes et des squelettes d'un animal quadrupède d'une grandeur énorme, que les sauvages appeloient le père- aux-bœufsj, et que les os fémurs de ces animaux avoient 5 et jusqu'à 6 pieds de hauteur. Peu de temps après, et avant l'année 1767, quelques personnes à Paris avoient déjà reçu quelques unes des grosses dents de ranimai inconnu, d'autres d'hippopotames , et aussi DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 65 des ossements d'éléphants trouvés en Canada : le nombre en est trop considérable, pour qu'on puisse douter que ces animaux n'aient pas autrefois existé dans les terres septentrionales de l'Amérique, comme dans celles de l'Asie et de l'Europe. Mais les éléphants ont aussi existé dans toutes les contrées tempérées de notre continent : j'ai fait men- tion des défenses trouvées en Languedoc près de Si- more, et de celles trouvées à Cominges en Gasco- gne; je dois y ajouter la plus belle et la plus grande de toute, qui nous a été donnée en dernier lieu pour le Cabinet du Roi, par M. le duc de La Rochefou- cauld, dont le zèle pour le progrès des sciences est fondé sur les grandes connoissances qu'il a acquises dans tous les genres. Il a trouvé ce beau morceau en visitant, avec M. Desmarest, de l'Académie des Scien- ces, les campagnes aux environs de Rome. Cette dé- fense étoit divisée en cinq fragments, que M. le duc de La Rochefoucauld fit recueillir : l'un de ces frag- ments fut soustrait par le crocheteur qui en étoit chargé, et il n'en est resté que quatre, lesquels ont environ 8 pouces de diamètre; en les rapprochant, ils forment une longueur de 7 pieds ; et nous savons, par M. Desmarest, que le cinquième fragment, qui a été perdu, avoit près de 5 pieds : ainsi l'on peut as- surer que la défense entière devoit avoir environ 10 pieds de longueur. En examinant les cassures, nous y avons reconnu tous les caractères de l'ivoire de l'é- léphant ; seulement cet ivoire, altéré par un long sé- jour dans la terre, est devenu léger et friable comme les autres ivoires fossiles. M. Tozzctti , savant naturaliste d'Italie, rapporte 6/}. DES ÉPOQUES DE LA NATURE. qu'on a trouve . dans les vallées de l'Arno, des os d élé- phants et d'autres animaux terrestres en grande quan- tité, et épars ça et là dans les couches de la terre, et il dit qu'on peut conjecturer que les éléphants étoient anciennement des animaux indigènes à l'Europe, et surtout à la Toscane. ( Extrait d'une lettre du docteur Tozzetti. Journal étranger j mois de décembre 1755.) « On trouva, dit M. Coltellini, vers la fin du mois de novembre 1759. dans un bien de campagne appar- tenant au marquis de Petrella, et situé à Fusigliano dans le territoire de Cortone, un morceau d'os d'élé- phant incrusté, en grande partie, d'une matière pier- reuse Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on a trouvé de pareils os fossiles dans nos environs. » Dans le cabinet de M. Galeotto Corrazzi, ii y a un autre grand morceau de défense d'éléphant pétri- fié , et trouvé , ces dernières années, dans les environs de Cortone, au lieu appelé la Selva Ayant com- paré ces fragments d'os avec un morceau de défense d'éléphant venu depuis peu d'Asie, on a trouvé qu'il y avoit entre eux une ressemblance parfaite. » M. l'abbé Mearini m'apporta, au mois d'avril der- nier, une mâchoire entière d'éléphant qu'il avoit trou- vée dans le district de Farneta, village de ce diocèse. Cette mâchoire est pétrifiée en grande partie, et sur- tout des deux côtés, où l'incrustation pierreuse s'élève à la hauteur d'un pouce et a toute la dureté de la pierre. » Je dois enfin à M. Muzio Angelieri Alticozzi, gen- tilhomme de cette ville, un fémur presque entier d'é- léphant, qu'il a découvert lui-même dans un de ses biens de campagne appelé la Rota, situé dans le ter- DES ÉPOQUES DE LA NATURE. 65 ritoire de Cortone. Cet os, qui est long d'une brasse de Florence, est aussi pétrifié, surtout dans l'extré- mité supérieure qu'on appelle la tête... » (Lettre de M. Louis Coltellini , de Cortone. Journal étranger > mois de juillet 1761. ) {Sur la page 02. ) La connoissance de toutes les pétrifications dont on ne trouve plus les analogues vivants, supposeroit une étude longue et une comparaison réfléchie de toutes les espèces de pétrifications qu'on a trouvées jusqu'à présent dans le sein de la terre, et cette science n'est pas fort avancée ; cependant nous som- mes assurés qu'il y a plusieurs de ces espèces, telles que les cornes d'ammon, les orthocératites, les pierres lenticulaires ou numismales, les bélemnites, les pier- res judaïques, les anthropomorphites, etc., qu'on ne peut rapporter à aucune espèce actuellement sub- sistante. Nous avons vu des cornes d'ammonfpétrifiées de deux et trois pieds de diamètre, et nous avons été assurés, par des témoins dignes de foi, qu'on en a trouvé une en Champagne plus grande qu'une meule de moulin, puisqu'elle avoit 8 pieds de diamètre sur un pied d'épaisseur : on m'a même offert dans le temps de me l'envoyer; mais l'énormité de poids de cette masse, qui est d'environ huit milliers, et la grande distance de Paris, m'ont empêché d'accepter cette offre. On ne connoît pas plus les espèces d'animaux auxquels ont appartenu les dépouilles dont nous ve- nons d'indiquer les noms; mais ces exemples, et plu- sieurs autres que je pourrois citer, suffisent pour prou- 66 DES ÉPOQUES DE LA. NATURE. ver qu'il existoit autrefois dans la mer plusieurs espèces de coquillages et de crustacés qui ne subsistent plus. Il en de même de quelques poissons à écailles : la plupart de ceux qu'on trouve dans les ardoises et dans certains schistes , ne ressemblent pas assez aux pois- sons qui nous sont connus, pour qu'on puisse dire qu'ils sont de telle ou telle espèce ; ceux qui sont au Cabinet du Roi, parfaitement conservés dans des mas- ses de pierre , ne peuvent de même se rapporter pré- cisément à nos espèces connues : il paroît donc que , dans tous les genres, la mer a autrefois nourri des animaux dont les espèces n'existent plus. Mais, comme nous l'avons dit, nous n'avons jusqu'à présent qu'un seul exemple d'une espèce perdue dans les animaux terrestres, et il paroît que c'étoit la plus grande de toutes, sans même en excepter l'éléphant. Et puisque les exemples des espèces perdues dans les animaux terrestres sont bien plus rares que dans les animaux marins, cela ne semble-t-il pas prouver en- core que Ja formation des premiers est postérieure à celle des derniers? PREMIÈRE ÉPOQUE. PREMIÈRE ÉPOQUE. Lorsque [a terre et les planètes ont pris leur fi orme. Dans ce premier temps où la terre en fusion, tour- nant sur elle-même , a pris sa forme et s'est élevée sur l'équateur en s'abaissant sous les pôles, les autres planètes étoient dans le même état de liquéfaction , puisqu'en tournant sur elles-mêmes, elles ont pris, comme la terre, une forme renflée sur leur équateur et aplatie sous leurs pôles, et que ce renflement et cette dépression sont proportionnels à la vitesse de leur rotation. Le globe de Jupiter nous en fournit la preuve : comme il tourne beaucoup plus vite que ce- lui de la terre, il est en conséquence bien plus élevé sur son équateur, et plus abaissé sous ses pôles; car les observations nous démontrent que les deux dia- mètres de cette planète diffèrent de plus d'un trei- zième, tandis que ceux de la terre ne diffèrent que d'une deux cent trentième partie : elles nous mon- trent aussi que dans Mars, qui tourne près d'une fois moins vite que la terre, cette différence entre les deux diamètres n'est pas assez sensible pour être mesurée par les astronomes, et que dans la lune, dont le mouvement de rotation est encore bien plus lent, les deux diamètres paroissent égaux. La vitesse de la ro- tation des planètes est donc la seule cause de leur s'être formées aux dépens de la masse du soleil. Ainsi ~<> DES EPOQUES DE LA NATURE. renflement sur l'équateur ; et ce renflement, qui s'est fait en même temps que leur aplatissement sous les pôles, suppose une fluidité entière dans toute la masse de ces globes, c'est-à-dire un état de liquéfaction causé par le feu *. D'ailleurs toutes les planètes circulant autour du soleil dans le même sens et presque dans le même plan, elles paroissent avoir été mises en mouvement par une impulsion commune et dans un même temps; leur mouvement de circulation et leur mouvement de rotation sont contemporains, aussi bien que leur état de fusion ou de liquéfaction par le feu, et ces mouvements ont nécessairement été précédés par l'impulsion qui les a produits. Dans celles des planètes dont la masse a été frap- pée le plus obliquement, le mouvement de rotation a été le plus rapide, et, par cette rapidité de rota- lion, les premiers effets de la force centrifuge ont excédé ceux de la pesanteur : en conséquence il s'est fait dans ces masses liquides une séparation et une projection de parties à leur équateur, où cette force centrifuge est la plus grande , lesquelles parties sépa- rées et chassées par cette force ont formé des mass ,s concomitantes, et sont devenues des satellites qui ont dû circuler et qui circulent en effet tous dans le plan de l'équateur de la planète dont ils ont été séparés par cette cause. Les satellites des planètes se sont donc formés aux dépens de la matière de leur planète prin- cipale, comme les planètes elles-mêmes paroissenl i. Voyez la Théorie de la terre . article de la Formation des pla- nètes. PREMIÈRE ÉPOQUE. ;l le temps de la formation des satellites est le même que celui du commencement de la rotation des pla- nètes : c'est le moment où la matière qui les com- pose venoit de se rassembler, et ne formoit encore que des globes liquides, état dans lequel cette ma- tière en liquéfaction pouvoit en être séparée et pro- jetée fort aisément; car, dès que la surface de ces globes eut commencé à prendre un peu de consis- tance et de rigidité par le refroidissement, la matière, quoiqu'animée de la même force centrifuge, étant re- tenue par celle de la cohésion , ne pouvoit plus être séparée ni projetée hors de la planète par ce même mouvement de rotation. Comme nous ne connoissons dans la nature aucune cause de chaleur, aucun feu que celui du soleil, qui ait pu fondre ou tenir en liquéfaction la matière de la terre et des planètes, il me paroît qu'en se refu- sant à croire que les planètes sont issues et sorties du soleil on seroit au moins forcé de supposer qu'elles ont été exposées de très près aux ardeurs de cet astre de feu pour pouvoir être liquéfiées. Mais cette sup- position ne seroit pas encore suffisante pour expli- quer l'effet, et tomberoit d'elle-même par une cir- constance nécessaire, c'est qu'il faut du temps pour que le feu, quelque violent qu'il soit, pénètre les ma- tières solides qui lui sont exposées, et un très long temps pour les liquéfier. On a vu, par les expérien- ces qui précèdent, que pour échauffer un corps jus- qu'au degré de fusion il faut au moins la quinzième partie du temps qu'il faut pour le refroidir, et qu'at- teudu les grands volumes de la terre et des autres planètes il seroit de toute nécessité qu'elles eussent ~p, DES ÉPOQUES DE LA NATURE. été pendant plusieurs milliers d'années stationnaires auprès du soleil pour recevoir le degré de chaleur né- cessaire à la liquéfaction : or il est sans exemple dans l'univers qu'aucun corps, aucune planète, aucune co- mète , demeure stationnaire auprès du soleil, même pour un instant ; au contraire , plus les comètes en approchent, et plus leur mouvement est rapide : le temps de leur périhélie est extrêmement court, et le feu de cet astre, en brûlant la surface, n'a pas le temps de pénétrer la masse des comètes qui s'en approchent le plus. Ainsi tout concourt à prouver qu'il n'a pas suffi que la terre et les planètes aient passé, comme certaines comètes, dans le voisinage du soleil, pour que leur liquéfaction ait pu s'y opérer ; nous devons donc pré- sumer que cette matière des planètes a autrefois ap- partenu au corps même du soleil, et en a été séparée, comme nous l'avons dit , par une seule et même im- pulsion : car les comètes qui approchent le plus du soleil ne nous présentent que le premier degré des grands effets de la chaleur ; elles paroissent précédées d'une vapeur enflammée lorsqu'elles s'approchent, et suivies d'une semblable vapeur lorsqu'elles s'éloignent de cet astre. Ainsi une partie de la matière superfi- cielle de la comète s'étend autour d'elle , et se pré- sente à nos yeux en forme de vapeurs lumineuses qui se trouvent dans un état d'expansion et de volatilité causé par le feu du soleil : mais le noyau, c'est-à-dire le corps même de la comète, ne paroît pas être pro- fondément pénétré par le feu, puisqu'il n'est pas lu- mineux par lui-même, comme le seroit néanmoins toute masse de fer, de verre, ou d'autre matière so- PREMIÈRE ÉPOQUE. *JD lide intimement pénétrée par cet élément; par con- séquent il paroît nécessaire que la matière de la terre et des planètes, qui a été dans un état de liquéfac- tion , appartienne au corps même du soleil , et qu'elle fasse partie des matières en fusion qui constituent la masse de cet astre de feu. Les planètes ont reçu leur mouvement par une seule et même impulsion, puisqu'elles circulent tou- tes dans le même sens et presque dans le même plan ; les comètes, au contraire, qui circulent comme les planètes autour du soleil, mais dans des sens et des plans différents, paroissent avoir été mises en mouve- ment par des impulsions différentes. On doit donc rapporter à une seule époque le mouvement des pla- nètes, au lieu que celui des comètes pourroit avoir été donné en différents temps. Ainsi rien ne peut nous éclairer sur l'ori°ine du mouvement des comè- tes ; mais nous pouvons raisonner sur celui des planè- tes, parce qu'elles ont entre elles des rapports com- muns qui indiquent assez clairement qu'elles ont été mises en mouvement par une seule et même impul- sion. Il est donc permis de chercher dans la nature la cause qui a pu produire cette grande impulsion , au lieu que nous ne pouvons guère former de raison- nements ni même faire des recherches sur les causes du mouvement d'impulsion des comètes. Rassemblant seulement les rapports fugitifs et les légers indices qui peuvent fournir quelques conjec- tures, on pourroit imaginer, pour satisfaire, quoique très imparfaitement, à la curiosité de l'esprit, que les comètes de notre système solaire ont été formées par l'explosion d'une étoile fixe ou d'un soleil voisin y4 DES ÉPOQUES DE LA NATUBE. du nôtre, dont toutes les parties dispersées, n'ayant plus de centre ou de loyer commun, auront été for- cées d'obéir à la force attractive de notre soleil , qui dès lors sera devenu le pivot et le foyer de toutes nos comè- tes. Nous et nos neveux n'en dirons pas davantage jus- qu'à ce que, par des observations ultérieures, on par- vienne à reconnoître quelque rapport commun dans le mouvement d'impulsion des comètes; car, comme nous ne connoîssons rien que par comparaison, dès que tout rapport nous manque, et qu'aucune analogie ne se présente, toute lumière fuit, et non seulement notre raison , mais même notre imagination, se trou- vent en défaut. Aussi, m'étant abstenu ci-devant de former des conjectures sur la cause du mouvement d'impulsion des comètes, j'ai cru devoir raisonner sur celle de l'impulsion des planètes ; et j'ai mis en avant , non pas comme un fait réel et certain, mais seulement comme une chose possible, que la matière des pla- nètes a été projetée hors du soleil par le choc d'une comète. Cette hypothèse est fondée sur ce qu'il n'y a dans la nature aucun corps en mouvement, sinon les comètes, qui puisse ou ait pu communiquer un aussi grand mouvement à d'aussi grandes masses, et en même temps sur ce que les comètes approchent quelquefois de si près du soleil, qu'il est pour ainsi dire nécessaire que quelques unes y tombent obli- quement et en sillonnent la surface, en chassant de- vant elles les matières mises en mouvement par leur choc. 11 en est de même de la cause qui a pu produire la chaleur du soleil : il m'a paru qu'on peut la déduire des effets naturels, c'est-à-dire la trouver dans la con- PREMIÈRE ÉPOQUE. ^5 stitutiou du système du monde ; car le soleil ayant à supporter tout le poids, toute l'action de la force pé- nétrante des vastes corps qui circulent autour de lui . et ayant à souffrir en même temps l'action rapide de cette espèce de frottement intérieur dans toutes les parties de sa masse, la matière qui le compose doit être dans l'état de la plus grande division ; elle a dû devenir et demeurer fluide, lumineuse, et brûlante, en raison de cette pression et de ce frottement inté- rieur toujours également subsistant. Les mouvements irréguliers des taches du soleil, aussi bien que leur apparition spontanée et leur disparition, démontrent assez que cet astre est liquide, et qu'il s'élève de temps en temps à sa surface des espèces de scories ou d'écumes, dont les unes nagent irrégulièrement sur cette matière en fusion, et dont quelques autres sont fixes pour un temps, et disparoissent, comme les premières, lorsque l'action du feu les a de nou- veau divisées. On sait que c'est par le moyen de quel- ques unes de ces taches fixes qu'on a déterminé la durée de la rotation du soleil en vingt-cinq jours et demi. Or chaque comète et chaque planète forment une roue, dont les raies sont les rayons de la force attrac- tive; le soleil est l'essieu ou le pivot commun de toutes ces différentes roues; la comète ou la planète en est la jante mobile, et chacune contribue de tout son poids et de toute sa vitesse à l'embrasement de ce foyer général , dont le feu durera par conséquent aussi long-temps que le mouvement et la pression des vastes corps qui le produisent. De là ne doit-on pas présumer que si l'on ne voil y6 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. pas des planètes autour des étoiles fixes, ce n'est qn a cause de leur immense éloignement? Notre vue est trop bornée, nos instruments trop peu puissants, pour apercevoir ces astres obscurs, puisque ceux mêmes qui sont lumineux échappent à nos yeux, et que, dans le nombre infini de ces étoiles, nous ne connoî- trons jamais que celles dont nos instruments de lon- gue vue pourront nous rapprocher : mais l'analogie nous indique qu'étant fixes et lumineuses comme le soleil, les étoiles ont dû s'échauffer, se liquéfier, et brûler par la même* cause, c'est-à-dire par la pres- sion active des corps opaques, solides, et obscurs, qui circulent autour d'elles. Cela seul peut expliquer pourquoi il n'y a que les astres fixes qui soient lumi- neux, et pourquoi dans l'univers solaire tous les as- tres errants sont obscurs. El la chaleur produite par cette cause devanl être en raison du nombre, de la vitesse, et de la masse des corps qui circulent autour du foyer, le feu du so- leil doit être d'une ardeur ou plutôt d'une violence extrême,* non seulement parce que les corps qui cir- culent autour de lui sont tous vastes, solides, et mus rapidement, mais encore parce qu'ils sont en grand nombre : car, indépendamment des six planètes, de leurs dix satellites, et lie l'anneau de Saturne, qui tous pèsent sur le soleil et forment un volume de matière deux mille fois plus grand que celui de la terre, le nombre des comètes est plus considérable qu'on ne le croit vulgairement : elles seules ont pu suffire pour allumer le feu du soleil avant la projec- tion des planètes, et suffiroient encore pour l'entre- tenir aujourd'hui. L'homme ne parviendra peut-être PREMIERE EPOQUE. 77 jamais à reconnoître les planètes qui circulent autour des étoiles fixes; mais, avec le temps, il pourra sa- voir au juste quel est le nombre des comètes dans le système solaire. Je regarde cette grande connois- sance comme réservée à la postérité. En attendant, voici une espèce d'évaluation qui , quoique bien éloi- gnée d'être précise , ne laissera pas de fixer les idées sur le nombre de ces corps circulant autour du soleil. En consultant les Recueils d'observations, on voit que depuis l'an 1101 jusqu'en 1766, c'est-à-dire en six cent soixante-cinq années, il y a eu deux cent vingt-huit apparitions de comètes. Mais le nombre de ces astres errants qui ont été remarqués n'est pas aussi grand que celui des apparitions, puisque la plu-? part, pour ne pas dire tous, font leur révolution en moins de six cent soixante-cinq ans. Prenons donc les deux comètes desquelles seules les révolutions nous sont parfaitement connues ; savoir, la comète de 1680, dont la période est d'environ cinq cent soixante- quinze ans, et celle de 1769, dont la période est de soixante-seize ans. On peut croire, en attendant mieux, qu'en prenant le terme moyen , trois cent vingt-six ans, entre ces deux périodes de révolution, il y a autant de comètes dont la période excède trois cent vingt- six ans, qu'il y en a dont la période est moindre. Ainsi, en les réduisant toutes à trois cent vingt-six ans, chaque comète auroit paru çleux fois en six cent cinquante-deux ans, et l'on auroit par conséquent à peu près cent quinze comètes pour deux cent vingt- huit apparitions eu six cent soixante-cinq ans. Maintenant, si l'on considère que vraisemblable- ment i! y a plus de comètes hors de la portée de notre r-S DES ÉPOQUES DE LA. NATURE. vue, ou échappées à l'œil des observateurs, qu'il n'y en a eu de remarquées, ce nombre croîtra peut-être de plus du triple ; en sorte qu'on peut raisonnable- ment penser qu'il existe dans le système solaire qua- tre ou cinq cents comètes. Et s'il en est des comètes comme des planètes, si les plus grosses sont les plus éloignées du soleil, si les plus petites sont les seules qui en approchent d'assez près pour que nous puis- sions les apercevoir, quel volume immense de ma- tière ! quelle charge énorme sur le corps de cet astre ! quelle pression, c'est-à-dire quel frottement inté- rieur dans toutes les parties de sa masse , et par con- séquent quelle chaleur et quel feu produit par ce frotte ment ! Car, dans notre hypothèse, le soleil étoit une masse de matière en fusion, même avant la projection des planètes ; par conséquent ce feu n'avoit alors pour cause que la pression de ce grand nombre de comètes qui circuloient précédemment et circulent encore aujourd'hui autour de ce foyer commun. Si la masse ancienne du soleil a été diminuée d'un six cent cin- quantième par la projection de la matière des pla- nètes lors de leur formation, la quantité totale de la cause de son feu , c'est-à-dire de la pression totale , a été augmentée dans la proportion de la pression en- tière des planètes, réunie à la première pression de toutes les comètes, à l'exception de celle qui a pro- duit l'effet de la projection, et dont la matière s'est mêlée à celle des planètes pour sortir du soleil, le- quel par conséquent, après cette perte, n'en est de- venu que plus brillant, plus actif, et plus propre à éclairer, échauffer, et féconder son univers. PREMIÈRE EPOQUE. 79 En poussant ces inductions encore plus loin, on se persuadera aisément que les satellites qui circulent autour de leur planète principale, et qui pèsent sur elle comme les planètes pèsent sur le soleil ; que ces satellites, dis -je, doivent communiquer un certain degré de chaleur à la planète autour de laquelle ils circulent : la pression et le mouvement de la lune doi- vent donner à la terre un degré de chaleur qui seroit plus grand si la vitesse du mouvement de circulation de la lune étoit plus grande; Jupiter, qui a quatre satellites, et Saturne, qui en a cinq, avec un grand anneau, doivent, par cette seule raison, être animés d'un certain degré de chaleur. Si ces planètes très éloignées du soleil n'étoient pas douées comme la terre d'une chaleur intérieure, elles seroient plus que gelées , et le froid extrême que Jupiter et Sa- turne auroient à supporter, à cause de leur éloigne- ment du soleil, ne pourroit être tempéré que par Fac- tion de leurs satellites. Plus les corps circulants se- ront nombreux, grands, et rapides, plus le corps qui leur sert d'essieu ou de pivot s'échauffera par le frot- tement intime qu'ils feront subir à toutes les parties de sa masse. Ces idées se lient parfaitement avec celles qui ser- vent de fondement à mon hypothèse sur la formation des planètes; elles en sont des conséquences simples et naturelles : mais j'ai la preuve ^ue peu de gens ont saisi les rapports et l'ensemble de ce grand système. Néanmoins y a-t-il un sujet plus élevé, plus digne d'exercer la force du génie? On m'a critiqué sans m'entendre; que puis-je répondre? sinon que tout parle à des yeux attentifs, tout est indice pour ceux 80 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. qui savent voir; mais que rien n'est sensible, rien n'est clair pour le vulgaire, et même pour ce vulgaire savant qu'aveugle le préjugé. Tâchons néanmoins de rendre la vérité plus palpable; augmentons le nom- bre des probabilités; rendons la vraisemblance plus grande; ajoutons lumières sur lumières, en réunissant les faits, en accumulant les preuves, et laissons-nous juger ensuite sans inquiétude et sans appel : car j'ai toujours pensé qu'un homme qui écrit doit s'occuper uniquement de son sujet, et nullement de soi; qu'il est contre la bienséance de vouloir en occuper les au- tres, et que par conséquent les critiques personnelles doivent demeurer sans réponse. Je conviens que les idées de ce système peuvent paraître hypothétiques, étranges, et même chiméri- ques, à tous ceux qui, ne jugeant les choses que par le rapport de leurs sens, n'ont jamais conçu com- ment on sait que la terre n'est qu'une petite planète, renflée sur l'équateur et abaissée sous les pôles ; à ceux qui ignorent comment on s'est assuré que tous les corps célestes pèsent, agissent, et réagissent les uns sur les autres; comment on a pu mesurer leur grandeur, leur distance, leurs mouvements, leur pe- santeur, etc. : mais je suis persuadé que ces mêmes idées paroîtront simples, naturelles, et même grandes, au petit nombre de ceux qui , par des observations et des réflexions suivies, sont parvenus à connoître les lois de l'univers, et qui, jugeant des choses par leurs propres lumières, les voient sans préjugé, telles qu'elles sont, ou telles qu'elles pourroient être; car ces deux points de vue sont à peu près les mêmes; et celui qui regardant une horloge pour la première PREMIÈRE ÉPOQUE. 8l l'ois, diroit que le principe de tous ses mouvements est un ressort, quoique ce fût un poids, ne se trom- peroit que pour le vulgaire, et auroit, aux yeux du philosophe, expliqué la machine. Ce n'est donc pas que j'aie affirmé ni môme posi- tivement prétendu que notre terre et les planètes aient été formées nécessairement et réellement par le choc d'une comète qui a projeté hors du soleil la six cent cinquantième partie de sa masse : mais ce que j'ai voulu faire entendre, et ce que je maintiens encore comme hypothèse très probable , c'est qu'une comète qui, dans son périhélie, approcheroit assez près du soleil pour en effleurer et sillonner la surface pourroit produire de pareils effets, et qu'il n'est pas impossible qu'il se forme quelque jour, de cette même manière , des planètes nouvelles, qui toutes circuleroient ensemble comme les planètes actuelles, dans le même sens, et presque dans un môme plan autour du soleil; des planètes qui tourneroient sur elles-mêmes, et dont la matière étant, au sortir du so- leil, dans un état de liquéfaction, obéiroit à la force centrifuge, et s'éleveroit à l'équateur en s'abaissant sous les pôles; des planètes qui pourroient de même avoir des satellites en plus ou moins grand nombre, circulant autour d'elles dans !e plan de leurs équa- teurs, et dont les mouvements seroient semblables à ceux des satellites de nos planètes : en sorte que tous les phénomènes de ces planètes possibles et idéales seroient, je ne dis pas les mêmes, mais dans le même ordre, et dans des rapports semblables à ceux des phénomènes des planètes réelles. Et , pour preuve , je demande seulement que l'on considère si le mou- S'2 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. vement de toutes les planètes, dans le même sens, et presque dans le même plan, ne suppose pas une im- pulsion commune; je demande s'il y a dans l'univers quelques corps, excepté les comètes, qui aient pu communiquer ce mouvement d'impulsion ; je de- mande s'il n'est pas probable qu'il tombe de temps à autre des comètes dans le soleil, puisque celle de 1 680 en a pour ainsi dire rasé la surface, et si par consé- quent une telle comète, en sillonnant cette surface du soleil, ne communiqueroit pas son mouvement d'impulsion à une certaine quantité de matière qu'elle sépareroit du corps du soleil, en la projetant au de- hors: je demande si, dans ce torrent de matière pro- jetée, il ne se formeroit pas des globes par l'attraction mutuelle des parties, et si ces globes ne se trouve- roient pas à des distances différentes . suivant la dif- férente densité des matières, et si les plus légères ne seroient pas poussées plus loin que les plus denses par la même impulsion; je demande si la situation de tous ces globes presque dans le même plan n'indique pas assez que le torrent projeté n'étoit pas d'une largeur considérable, et qu'il n'avoit pour cause qu'une seule impulsion , puisque toutes les parties de la matière dont il étoit composé ne sont éloignées que très peu de la direction commune ; je demande comment et où la matière de la terre et des planètes auroit pu se liquéfier, si elle n'eût pas résidé dans le corps même du soleil, et si l'on peut trouver une cause de cette chaleur et de cet embrasement du soleil, autre que celle de sa charge et du frottement intérieur produit par l'action de tous ces vastes corps qui circulent au- tour de lui; enfin je demande qu'on examine tous les PREMIÈRE ÉPOQUE. 87) rapports, que Ton suive toutes les vues, que l'on com- pare toutes les analogies sur lesquelles j'ai fondé mes raisonnements, et qu'on se contente de conclure avec moi' que, si Dieu l'eût permis, il se pourroit, par les seules lois de la nature , que la terre et les planètes eussent été formées de cette même manière. Suivons donc notre objet, et, de ce temps qui a précédé les temps et s'est soustrait à notre vue, pas- sons au premier âge de notre univers, où la terre et les planètes, ayant reçu leur forme, ont pris de la consistance, et de liquides sont devenues solides. Ce changement d'état s'est fait naturellement et par le seul effet de la diminution de la chaleur : la matière qui compose le globe terrestre et les autres globes planétaires étoît en fusion lorsqu'ils ont commencé à tourner sur eux-mêmes; ils ont donc obéi, comme toute aulre matière fluide, aux lois de la force cen- trifuge : les parties voisines de l'équateur, qui subis- sent le plus grand mouvement dans la rotation , se sont le plus élevées; celles qui sont voisines des pôles, où ce mouvement est moindre ou nul, se sont abais- sées dans la proportion juste et précise qu'exigent les lois de la pesanteur, combinées avec celles de la force centrifuge 1, et cette forme de la terre et des planètes i. J'ai supposé dans mou Traité de la formation des planètes, voJ. I, que la différence des diamètres de la terre étoit dans le rapport de 174 à 175, d'après la détermination faite par nos mathématiciens envoyés en Laponie et au Pérou ; mais, comme ils ont supposé une courbe ré- gulière à la terre, j'ai averti que cette supposition étoit hypothétique, et par conséquent je ne me suis point arrêté à cette détermination. Je pense donc qu'on doit préférer le rapport de 229 à 23o, tel qu'il a été déterminé par Newton, d'après sa théorie et les expériences du pendule, qui me paroissent être bien plus sûres que les mesures. C'est 84 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. s'est conservée jusqu'à ce jour, et se conservera per- pétuellement, quand même l'on voudroit supposer que le mouvement de rotation viendroit à s'accélérer, parce que, la matière ayant passé de l'état de flui- dité à celui de solidité, la cohésion des parties suffit seule pour maintenir la forme primordiale, et qu'il faudroit pour la changer que le mouvement de rota- tion prît une rapidité presque infinie, c'est-à-dire assez grande pour que l'effet de la force centrifuge devînt plus grand que celui de la force de Incohé- rence. Or le refroidissement de la terre et des planètes, comme celui de tous les corps chauds, a commencé par la surface : les matières en fusion s'y sont conso- lidées dans un temps' assez court. Dès que le grand feu dont elles étoient pénétrées s'est échappé, les par- ties de la matière, qu'il tenoit divisées, se sont rap- prochées et réunies de plus près par leur attraction mutuelle : celles qui avoient assez de fixité pour sou- tenir la violence du feu ont formé des masses solides ; mais celles qui, comme l'air et l'eau, se raréfient ou par cette raison que , dans les mémoires de la partie hypothétique, j'ai toujours supposé que le rapport des deux diamètres du sphéroïde terrestre étoit de 229 à 23o. M. le docteur Irving , qui a accompagné M. Phipps dans son voyage au nord en 1773, a fait des expériences très exactes sur l'accélération du pendule au 79e degré 5o minutes, et il a trouvé que cette accélération étoit de 72 «à 73 secondes en 24 heu- res, d'où il conclut que le diamètre à l'équateur est à Taxe de la terre comme 212 à 211. Ce savant voyageur ajoute, avec raison, que son résultat approche de celui de Newton beaucoup plus que celui de M. de Maupertuis, qui donne le rapport de 178 à 179 , et plus aussi que ce- lui de M. Bradley, qui, d'après les observations de M. Campbell, donne le rapport de 200 à 201 pour la différence des deux diamètres de la terre. {Add.Buff. ) PREMIÈRE ÉPOQUE. 85 se volatilisent par le feu ne pouvoient taire corps avec les autres; elles en ont été séparées dans les premiers temps du refroidissement. Tous les éléments pou- vant se transmuer et se convertir, l'instant de la con- solidation des matières fixes fut aussi celui de la plus grande conversion des éléments et de la production des matières volatiles : elles étoient réduites en va- peurs et dispersées au loin, formant autour des pla- nètes une espèce d'atmosphère semblable à celle du soleil ; car on sait que le corps de cet astre de feu est environné d'une sphère de vapeurs qui s'étend à des distances immenses, et peut-être jusqu'à l'orbe de la terre. L'existence réelle de cette atmosphère solaire est démontrée par un phénomène qui accom- pagne les éclipses totales du soleil. La lune en cou- vre alors à nos yeux le disque tout entier; et néan- moins l'on voit encore un limbe ou grand cercle de vapeurs, dont la lumière est assez vive pour nous éclairer à peu près autant que celle de la lune : sans cela le globe terrestre seroit plongé dans l'obscurité la plus profonde pendant la durée de l'éclipsé totale. On a observé que cette atmosphère solaire est plus dense dans ses parties voisines du soleil, et qu'elle de- vient d'autant plus rare et plus transparente qu'elle s'étend et s'éloigne davantage du corps de cet astre de feu : l'on ne peut donc pas douter que le soleil ne soit environné d'une sphère de matières aqueuses, aériennes, et volatiles, que sa violente chaleur tient suspendues et reléguées à des distances immenses, et que, dans le moment de la projection des planè- tes, le torrent des matières fixes sorties du corps du soleil, n'ait, en traversant son atmosphère, entraîné 15UFFON, V. 0 86 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. une grande quantité de ces matières volatiles dont elle est composée ; et ce sont ces mêmes matières vo- latiles, aqueuses, et aériennes, qui ont ensuite formé «es atmosphères des planètes, lesquelles étoient sem- blables à l'atmosphère du soleil, tant que les planè- tes ont été, comme lui , dans un état de fusion ou de et que c'est là le premier moment de la naissance pos- sible de la nature vivante. Jusqu'alors les éléments de l'air et de 1 eau étoient encore confondus, et ne pou- voient se séparer ni s'appuyer sur la surface brûlante de la terre, qui les dissipoit en vapeurs; mais, dès que cette ardeur se fut attiédie, une chaleur bénigne et féconde succéda par degrés au feu dévorant qui s'opposoit à toute production, et même à l'établisse- ment des éléments. Celui du feu, dans ce premier temps, s'étoit pour ainsi dire emparé des trois autres, aucun n'existoit à part : la terre, l'air, et l'eau, pétris de feu et confondus ensemble, n'offroient, au lieu de leurs formes distinctes, qu'une masse brûlante en- vironnée de vapeurs enflammées. Ce n'est donc qu'a- près trente-sept mille ans que les gens de la terre doi- vent dater les actes de leur monde , et compter les faits de la nature organisée. Il faut rapporter à celte première époque ce que j'ai écrit de l'état du ciel, dans mes mémoires sur la température des planètes. Toutes, au commencement, étoient brillantes et lumineuses; chacune formoitun PREMIÈRE ÉPOQUE. C)5 petit soleil1, dont la chaleur et la lumière ont diminué peu à peu et se sont dissipées successivement dans le rapport des temps, que j'ai ci-devant indiqué, d'après mes expériences sur le refroidissement des corps en général, dont la durée est toujours à très peu près proportionnelle à leurs diamètres et à leur densité 2. Les planètes, ainsi que leurs satellites, se sont donc refroidies les unes plus tôt et les autres plus tard, et, en perdant partie de leur chaleur, elles ont perdu toute leur lumière propre. Le soleil seul s'est main- tenu dans sa splendeur, parce qu'il est le seul autour duquel circulent un assez grand nombre de corps pour en entretenir la lumière, la chaleur, et le feu. Mais sans insister plus long-temps sur ces objets, qui paroissent si loin de notre vue, rabaissons-la sur le seul globe de la terre. Passons à la seconde épo- que, c'est-à-dire au temps où la matière qui le com- pose, s'étant consolidée, a formé les grandes masses de matières vitrescibles. Je dois seulement répondre à une espèce d'objec- tion que l'on m'a déjà faite sur la très longue durée des temps. Pourquoi nous jeter, m'a-t-on dit, dans un espace aussi vague qu'une durée de cent soixante- huit mille ans? car, à la vue de votre tableau, la lerre est âgée de soixante-quinze mille ans, et la nature vivante doit subsister encore pendant quatre-vingt- treize mille ans : est-il aisé, est-il môme possible i. Jupiter, lorsqu'il est le plus près de la terre, nous paroît sous un angle de 54 DES É P O Q U E S DE E. A N AT U R E . jusqu'à deux mille toises de hauteur. La surface de la terre en général étoit donc beaucoup plus élevée qu'elle ne Test aujourd'hui; et, pendant une longue suite de temps, les mers l'ont recouverte en entier, à l'exception peut-être de quelques terres très éle- vées et des sommets des hautes montagnes , qui seuls surmontoient cette mer universelle , dont l'élévation étoit au moins à cette hauteur où l'on cesse de trou- ver des coquilles : d'où l'on doit inférer que les ani- maux auxquels ces dépouilles ont appartenu peuvent être regardés comme les premiers habitants du globe ; et cette population étoit innombrable, à en juger par l'immense quantité de leurs dépouilles et de leurs dé- triments, puisque c'est de ces mêmes dépouilles et de leurs détriments qu'ont été formées toutes les cou- ches des pierres calcaires, des marbres, des craies, et des tufs qui composent nos collines, et qui s'étendent sur de grandes contrées dans toutes les parties de la terre. Or, dans les commencements de ce séjour des eaux sur la surface du globe, n'avoient-elles pas un degré de chaleur que nos poissons et nos coquillages actuel- lement existants n'auroient pu supporter? et ne de- vons-nous pas présumer que les premières productions d'une mer encore bouillante étoient différentes de celles qu'elle nous offre aujourd'hui? Cette grande cha- leur ne pouvoit convenir qu'à d'autres natures de co- quillages et de poissons; et par conséquent c'est aux premiers temps de cette époque, c'est-à-dire depuis trente jusqu'à quarante mille ans de la formation de la terre, que l'on doit rapporter l'existence des espèces perdues dont on ne trouve nulle part les analogues TROISIÈME ÉPOQUE. 1 55 vivants. Ces premières espèces, maintenant anéanties, ont subsisté pendant les dix on quinze mille ans qui ont suivi le temps auquel les eaux venoient de s établir. Et l'on ne doit point être étonné de ce que j'avance ici, qu'il y a eu des poissons et d'autres animaux aquatiques capables de supporter un degré de chaleur beaucoup plus grand que celui de la température ac- tuelle de nos mers méridionales, puisqu'encore au- jourd'hui nous connoissons des espèces de poissons et de plantes qui vivent et végètent dans des eaux presque bouillantes, ou du moins chaudes jusqu'à 5o ou 60 degrés du thermomètre1. Mais , pour ne pas perdre le fil des grands et nom- breux phénomènes que nous avons à exposer, repre- nons ces temps antérieurs où les eaux, jusqu'alors réduites en vapeurs , se sont condensées, et ont com- mencé de tomber sur la terre brûlante , aride , dessé- chée, crevassée par le feu. Tâchons de nous représen- ter 4es prodigieux effets qui ont accompagné et suivi cette chute précipitée des matières volatiles, toutes séparées, combinées, sublimées, dans le temps de la consolidation , et pendant le progrès du premier re- froidissement. La séparation de l'élément de l'air et de l'élément de l'eau , le choc des vents et des flots qui tomboient en tourbillons sur une terre fumante; la dépuration de l'atmosphère qu'auparavant les rayons du soleil ne pouvoient pénétrer; cette même atmo- sphère obscurcie de nouveau par les nuages d'une épaisse fumée ; la cohobation mille foi« répétée , et le bouillonnement continuel des eaux tombées et re- 1. Voyez les Additions de Bu ffon, pngé i(>8. lT)6 DES EPOQUES DE LA NATURE. jetées alternativement; enfin la lessive de l'air, par l'abandon des matières volatiles précédemment subli- mées, qui toutes s'en séparèrent et descendirent avec plus ou moins de précipitation : quels mouvements, quelles tempêtes ont dû précéder, accompagner, et suivre, l'établissement local de chacun de ces élé- ments! et ne devons-nous pas rapporter à ces premiers moments de choc et d'agitation les bouleversements, les premières dégradations, les irruptions, et les chan- gements qui ont donné une seconde forme à la plus grande partie de la surface de la terre? Il est aisé de sentir que les eaux qui la couvroiejit alors presque tout entière, étant continuellement agitées par la ra- pidité de leur chute, par l'action de la lune sur l'at- mosphère et sur les eaux déjà tombées, parla violence des vents, etc., auront obéi à toutes ces impulsions, et que, dans leurs mouvements; elles auront com- mencé par sillonner plts à fond les vallées de la terre, par renverser les éminences les moins solides, rabais- ser les crêtes des montagnes, percer leurs chaînes dans les points les plus foibles; et qu'après leur établisse- ment ces mêmes eaux se sont ouvert des routes sou- terraines, qu'elles ont miné les voûtes des cavernes, les ont fait écrouler, et que par conséquent ces mêmes eaux se sont abaissées successivement pour remplir les nouvelles profondeurs qu'elles venoient de former. Les cavernes éioient l'ouvrage du feu : l'eau, dès son arrivée, a commencé parles attaquer; elle les a dé- truites, et continue de les détruire encore. Nous de- vons donc attribuer l'abaissement des eaux à l'affais- sement des cavernes, comme la seule cause qui nous soit démontrée par les faits. T R O 1 S I È M E li P O Q LE. l'r Voilà les premiers effets produits par la niasse, par le poids, et par le volume de l'eau; mais elle en a produit d'autre.s par sa seule qualité : elle a saisi tou- tes les matières qu'elle pou voit délayer et dissoudre; elle s'est combinée avec l'air, la terre, et le feu, pour former les acides, les sels, etc.; elle a converti les scories et les poudres du verre primitif en argiles; en- suite elle a , par son mouvement, transporté de place en place ces mêmes scories et toutes les matières qui se trouvoient réduites en petits volumes. Il s'est donc fait dans cette seconde période , depuis trente-cinq jusqu'à cinquante mille ans, un si grand changement à là surface du globe, que la mer universelle, d'abord très élevée, s'est successivement abaissée pour rem- plir les profondeurs occasionées par l'affaissement des cavernes, dont les voûtes naturelles, sapées o-s percées par l'action et le feu de ce nouvel élément, ne pou voient plus soutenir le poids cumulé des terres et des eaux dont elles étoient chargées. A mesure qu'il se faisoit quelque grand affaissement par la rup- ture d'une ou de plusieurs cavernes, la surface delà terre se déprimant. en ces endroits, l'eau arrivoit de toutes parts pour remplir cette nouvelle profondeur, et par conséquent la hauteur générale des mers di- minuoit d'autant; en sorte qu'étant d'abord à deux mille toises d'élévation la mer a successivement baissé jusqu'au niveau où nous la voyons aujourd'hui. On doit présumer que les coquilles et les autres productions marines, que Ton trouve à de grandes hauteurs au dessus du niveau actuel des mers, sont les espèces les plus anciennes de la nature ; et il seroit 1 38 J) iiS EPOQUES DE LA NATURE. important pour l'histoire naturelle de recueillir un assez grand nombre de ces productions de la mer, qui se trouvent à cette plus grande hauteur,, et de les com- parer avec celles qui sont dans les terrains plus bas. Nous sommes assurés que les coquilles dont nos colli- nes sont composées appartiennent en partie à des es- pèces inconnues, c'est-à-dire à des espèces dont aucune mer fréquentée ne nous offre les analogues vivants. Si jamais on fait un recueil de ces pétrifications prises à la plus grande élévation dans les montagnes, on sera peut-être en état de prononcer sur l'ancienneté plus ou moins grande des espèces relativement aux autres. Tout ce que nous pouvons en dire aujourd'hui c'est que quelques uns des monuments qui nous démon- trent l'existence de certains animaux terrestres et ma- rins dont nous ne connoissons pas les analogues vi- vants nous montrent en même temps que ces animaux étoient beaucoup plus grands qu'aucune espèce du même genre actuellement subsistante. Ces grosses dents molaires à pointes mousses, du poids de onze ou douze livres; ces cornes d'ammon, de sept à huit pieds de diamètre sur un pied d'épaisseur, dont on trouve les moules pétrifiés, sont certainement des êtres gigantesques dans le genre fies animaux quadru- pèdes et dans celui des coquillages. La nature étoit alors dans sa première force, et travailloit la matière organique et vivante avec une puissance plus active dans une température plus chaude : cette matière or- ganique étoit plus divisée, moins combinée avec d'au- tres matières, et pouvoit se réunir et se combiner avec elle-même en plus grandes masses, pour se dé- TROISIEME E POOL E. 1J() velopper en plus grandes dimensions. Cette eause est suffisante pour rendre raison de tontes les productions gigantesques qui paroissent avoir été fréquentes dans ces premiers âges du monde1. En fécondant les mers, la nature répandoit aussi les principes de vie sur toutes les terres que l'eau n'avoit pu surmonter, ou qu'elle avoit promptement aban- données; et ces terres, comme les mers, nepouvoient être peuplées que d'animaux et de végétaux capables de supporter une chaleur plus grande que celle qui convient aujourd'hui à la nature vivante. Nous avons des monuments tirés du sein de la terre , et particu- lièrement du fond des minières de charbon et d'ar- doise, qui nous démontrent que quelques uns des poissons et des végétaux que ces matières contiennent ne sont pas des espèces actuellement existantes2. On peut donc croire que la population de la mer en ani- maux n'est pas plus ancienne que celle de la terre en végétaux : les monuments et les témoins sont plus nombreux, plus évidents pour la mer; mais ceux qui déposent pour la terre sont aussi certains, et semblent nous démontrer que ces espèces anciennes dans les animaux marins et dans les végétaux terrestres se sont anéanties, ou plutôt ont cessé de se multiplier, dès que la terre et la mer ont perdu la grande chaleur né- cessaire à l'effet de leur propagation. Les coquillages ainsi que les végétaux de ce pre- mier temps s'étant prodigieusement multipliés pen- dant ce long espace de vingt mille ans, et la durée de leur vie n'étant que de peu d'années , les animaux i . Voyez les Additions de Buffon , page 1 70. •2. Voyez les Additions de Buffon, page 176. l4o DES ÉPOQUES DE LA NATURE. à coquilles, les polypes des coraux, des madrépores , des astroïtes, et tous les petits animaux qui convertis- sent l'eau de la mer en pierre, ont, à mesure qu'ils périssoient, abandonné leurs dépouilles et leurs ou- vrages aux caprices des eaux : elles auront transporté , brisé, et déposé ces dépouilles en mille et mille en- droits; car c'est dans ce même temps que les mouve- ments des marées et des vents réglés ont commencé de former les couches horizontales de la surface de la terre par les sédiments et le dépôt des eaux; ensuite- les courants ont donné à toutes les collines et à toutes les montagnes de ^médiocre hauteur des directions correspondantes; en sorte que leurs angles saillants sont toujours opposés à des angles rentrants. Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons dit à ce sujet dans notre Théorie de la terre > et nous nous conten- terons d'assurer que cette disposition générale de la surface du globe par angles correspondants , ainsi que sa composition par couches horizontales, ou égale- ment et parallèlement inclinées, démontrent évi- demment que la structure et la forme de la surface actuelle de la terre ont été disposées par les eaux, et produites par leurs sédiments. Il n'y a eu que les crê- tes et les pics des plus hautes montagnes qui peut-être se sont trouvés hors d'atteinte aux eaux, ou n'en ont été surmontés que pendant un petit temps, et sur les- quels par conséquent la mer n'a point laissé d'em- preintes : mais, ne pouvant les attaquer par leur som- met, elle les a prises par la base; elle a recouvert ou miné les parties inférieures de ces montagnes primiti- ves; elle les a environnées de nouvelles matières, ou bien elle a percé les voûtes qui les soutenoient; sou- TROISIÈME ÉPOQUE. 1 l\ 1 vent elle les a fait pencher; enfin elle a transporté dans leurs cavités intérieures les matières combusti- bles provenant du détriment des végétaux, ainsi que les matières pyriteuses, bitumineuses, et minérales, pures ou mêlées de terres et de sédiments de toute es- pèce. La production des argiles paroît avoir précédé celle des coquiliages ; car la première opération de l'eau a été de transformer les scories et les poudres de verre en argiles : aussi les lits d'argiles se sont formés quel- que temps avant les bancs de pierres calcaires; et l'on voit que ces dépôts de matières argileuses ont précédé ceux des matières calcaires, car presque partout les rochers calcaires sont posés sur des glaises qui leur servent de base. Je n'avance rien ici qui ne soit dé- montré par l'expérience, ou confirmé par les obser- vations; tout le monde pourra s'assurer par des pro- cédés aisés à répéter, que le verre et le grès en poudre se convertissent en peu de temps en argile, seule- ment en séjournant dans l'eau1; c'est d'après cette connoissance que j'ai dit, dans ma Théorie de la terre y que les argiles n etoient que des sables vitrescibles décomposés et pourris. J'ajoute ici que c'est proba- blement à cette décomposition du sable vitrescible dans l'eau qu'on doit attribuer l'origine de l'acide; car le principe acide qui se trouve dans l'argile peut être regardé comme une combinaison de terre vitrescible avec le feu. l'air, et l'eau; et c'est ce même principe acide qui est la première cause de la ductilité de l'ar- gile et de toutes les autres matières, sans même en i . Voyez les Additions de Buffon, page i85. l[2- DES EPOQUES DE LA NATURE. excepter les bitumes, les huiles, et les graisses, qui ne sont ductiles et ne communiquent de la ductilité aux autres matières que parce qu'elles contiennent des acides. Après la chute et l'établissement des eaux bouillan- tes sur la surface du globe, la plus grande partie des scories de verre qui la couvroient en entier ont donc été converties en assez peu de temps en argiles : tous les mouvements de la mer ont contribué à la prompte formation de ces mêmes argiles, en remuant et trans- portant les scories et les poudres de verre, et les for- çant de se présenter à l'action de l'eau dans tous les sens; et, peu de temps après, les argiles formées par l'intermède et l'impression de l'eau ont successive- ment été transportées et déposées au dessus de la roche primitive du globe, c'est-à-dire au dessus de la masse solide de matières vitrescibles qui en fait le fond, et qui, par sa ferme consistance et sa dureté, avoit résisté à cette même action des eaux. La décomposition des poudres et des sables vitres- cibles, et la production des argiles, se sont faites en d'autant moins de temps que l'eau étoit plus chaude : cette décomposition a continué de se faire et se fait encore tous les jours, mais plus lentement et en bien moindre quantité; car, quoique les argiles se présen- tent presque partout comme enveloppant le globe, quoique souvent ces couches d'argiles aient cent et deux cents pieds d'épaisseur, quoique les rochers de pierres calcaires et toutes les collines composées de ces pierres soient ordinairement appuyés sur des couches argileuses, on trouve quelquefois au dessous de ces mêmes couches des sables vitrescibles qui n'ont pas TROISIÈME ÉPOQUE. 1 4^> été convertis et qui conservent le caractère de leur première origine. Il y a aussi des sables vitrescibles à la superficie de la terre et sur celle du fond des mers : mais la formation de ces sables vitrescibles qui se pré- sentent à l'extérieur est d'un temps bien postérieur à la formation des autres sables de même nature qui se trouvent à de grandes profondeurs sous les argiles; car ces sables qui se présentent à la superficie de la terre ne sont que les détriments des granités, des grès, et de la roche vitreuse , dont les masses forment les noyaux et les sommets des montagnes, desquelles les pluies, la gelée, et les autres agents extérieurs, ont détaché et détachent encore tous les jours de pe- tites parties, qui sont ensuite entraînées et déposées par les eaux courantes sur la surface de la terre : on doit donc regarder comme très récente , en compa- raison de l'autre, cette production des sables vitres- cibles qui se présentent sur le fond de la mer ou à la superficie de la terre. Ainsi les argiles et l'acide qu'elles contiennent ont été produits très peu de temps après l'établissement des eaux, et peu de temps avant la naissance des co- quillages; car nous trouvons dans ces mêmes argiles une infinité de bélemnites, de pierres lenticulaires, de cornes d'ammon, et d'autres échantillons de ces espèces perdues dont on ne trouve nulle part les ana- logues vivants. J'ai trouvé moi-nreme dans une fouille que j'ai fait creuser à cinquante pieds de profondeur, au plus bas d'un petit vallon1 tout composé d'argile , et dont les collines voisines étoient aussi d'argile jus- i. Ce petit vallon csl touf voisin de la ville de Montbard, au midi. l44 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. qu'à quatre-vingts pieds de hauteur; j'ai trouvé, dis- je, des béleinnites qui avoient huit pouces de long sur près d'un pouce de diamètre , et dont quelques unes étoient attachées à une partie plate et mince comme l'est le têt des crustacés. J'y ai trouvé de même un grand nombre de cornes d'ammon pyriteuses et bronzées, et des milliers de pierres lenticulaires. Ces anciennes dépouilles étoient, comme l'on voit, en- fouies dans l'argile à cent trente pieds de profondeur; car, quoiqu'on n'eût creusé qu'à cinquante pieds dans cette argile au milieu du vallon, il est certain que l'é- paisseur de cette argile étoit originairement de cent trente pieds, puisque les couchçs en sont élevées des deux côtés à quatre-vingts pieds de hauteur au dessus : cela me fut démontré par la correspondance de ces couches et par celle des bancs de pierres calcaires qui les surmontent de chaque côté du vallon. Ces bancs calcaires ont cinquante-quatre pieds d'épais- seur, et leurs différents lits se trouvent correspon- dants et posés horizontalement à la même hauteur au dessus de la couche immense d'argile qui leur sert de base et s'étend sous les collines calcaires de toute cette contrée. Le temps de la formation des argiles a donc immé- diatement suivi celui de l'établissement des eaux ; le temps de la formation des premiers coquillages doit être placé quelques siècles après ; et le temps du trans- port de leurs dépouilles a suivi presque immédiate- ment : il n'y a eu d'intervalle qu'autant que la nature en a mis entre la naissance et la mort de ces animaux à coquilles. Comme l'impression de l'eau convertis- soit chaque jour les sables vitrescibles en argiles, et T 11 O I S I E M E E P O Q l I S . I [\ 5 que son mouvement les transportait de place en place, elle entraînoit en même temps les coquilles et les autres dépouilles et débris des productions ma- rines , et déposant le tout comme des sédiments, elle a formé dès lors les couches d'argile où nous trouvons aujourd'hui ces monuments, les plus anciens de la nature organisée, dont les modèles ne subsistent plus. Ce n'est pas qu'il n'y ait aussi dans les argiles des co- quilles dont l'origine est moins ancienne, et même quelques espèces que l'on peut comparer avec celles de nos mers, et mieux encore avec celles des mers méridionales; mais cela n'ajoute aucune difficulté à nos explications, car l'eau n'a pas cessé de convertir en argiles toutes les scories de verre et tous les sables vitrescibles qui se sont présentés à son action : elle a donc formé des argiles en grande quantité dès qu'elle s'est emparée de la surface de la terre : elle a conti- nué et continue encore de produire le même effet; car la mer transporte aujourd'hui ces vases avec les dé- pouilles des coquillages actuellement vivants, comme elle a autrefois transporté ces même vases avec les dépouilles des coquillages alors existants. La formation des schistes, des ardoises, des char- bons de terre, et des matières bitumineuses, date à peu près du même temps : ces matières se trouvent ordinairement dans les argiles à d'assez grandes pro- fondeurs; elles paroissent même avoir précédé l'éta- blissement local des dernières couches d'argile, car au dessous de cent trente pieds d'argile dont les lits contenoient des bélemnites, des cornes d'ammon, et d'autres débris des plus anciennes coquilles, j'ai trouvé des matières charbonneuses et inflammables: l/|6 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. et l'on sait que la plupart des mines de charbon de terre sont plus ou moins surmontées par des couches de terres argileuses. Je crois même pouvoir avancer que c'est dans ces terres qu'il faut chercher les veines de charbon , desquelles la formation est un peu plus an- cienne que celle des couches extérieures des terres ar- gileuses qui les surmontent : ce qui le prouve, c'est que les veines de ces charbons de terre sont presque toujours inclinées, tandis que celles des argiles, ainsi que toutes les antres couches extérieures du globe, sont ordinairement horizontales. Ces dernières ont donc été formées par le sédiment des eaux qui s'est déposé de niveau sur une base horizontale, tandis que les autres, puisqu'elles sont inclinées, semblent avoir été amenées par un courant sur un terrain en pente. Ces veines de charbon, qui toutes sont compo- sées de végétaux mêlés tîe plus ou moins de bitume , doivent leur origine aux premiers végétaux que la terre a formés : toutes les parties du globe qui se trou- voient élevées au dessus des eaux produisirent, dès les premiers temps, une infinité de plantes et d'ar- bres de toute espèce, lesquels bientôt tombant de vétusté furent entraînés par les eaux, et formèrent des dépôts de matières végétales en une infinité d'en- droits; et comme les bitumes et les autres huiles ter- restres paroissent provenir des substances végétales et animales, qu'en même temps l'acide provient de la décomposition du sable vitrescible par le feu, l'air, et l'eau, et qu'enfin il entre de l'acide dans la com- position des bitumes, puisqu'avec une huile végétale et de l'acide on peut faire du bitume, il paroît que les eaux se sont dès lors mêlées avec ces bitumes et TROISIEME EPOQUE. 1 Zf" s'en sont imprégnées pour toujours; et comme elles transportoient incessamment les arbres et les autres matières végétales descendues des hauteurs de la terre, ces matières végétales ont continué de se mê- ler avec les bitumes déjà formés des résidus des pre- miers végétaux ; et la mer, par son mouvement et par ses courants, les a remuées, transportées et déposées sur les éminences d'argile qu'elle avoit formées pré- cédemment. Les couches d'ardoises, qui contiennent aussi des végétaux et même des poissons, ont été formées de la même manière, et l'on peut en donner des exem- ples qui sont, pour ainsi dire, sous nos yeux. Ainsi les ardoisières et les mines de charbon ont ensuite été recouvertes par d'autres couches de terres argileuses que la mer a déposées dans des temps postérieurs : il y a même eu des intervalles considérables et des alternatives de mouvement entre l'établissement des différentes couches de charbon dans le même terrain; car on trouve souvent au dessous de la première cou- che de charbon une veine d'argile ou d'autre terre qui suit la même inclinaison, et ensuite on trouve assez communément une seconde couche de charbon incli- née comme la première, et souvent une troisième, également séparées l'une de l'autre par des veines de terre , et quelquefois même par des bancs de pierre calcaires , comme dans les mines de charbon du Hai- naut L'on ne peut donc pas douter que les couches les plus basses de charbon n'aient été produites, les premières, par le transport des matières végétales amenées par les eaux ; et lorsque le premier dépôt d'où la mer enlevoit ces matières végétales se trou voit l48 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. épuisé, Je mouvement des eaux continuoit de trans- porter au môme lieu les terres ou les autres matières qui environnoient ce dépôt : ce sont ces terres qui forment aujourd'hui la veine intermédiaire entre les deux couches de charbon ; ce qui suppose que l'eau amenoit ensuite, de quelqu'autre dépôt, des matiè- res végétales pour former la seconde couche de char- bon. J'entends ici par couches la veine entière de charbon prise dans toute son épaisseur, et non pas les petites couches ou feuillets dont la substance même du charbon est composée, et qui souvent sont extrê- mement minces : ce sont ces mêmes feuillets, tou- jours parallèles entre eux, qui démontrent que ces masses de charbon ont été formées et déposées par le sédiment et même par la stillation des eaux impré- gnées de bitume ; et cette même forme de feuillets se trouve dans les nouveaux charbons dont les couches se forment par stillation, aux dépens des couches les plus anciennes. Ainsi les feuillets du charbon de terre ont pris leur forme par deux causes combinées : la première est le dépôt toujours horizontal de l'eau ; et la seconde, la disposition des matières végétales, qui tendent à faire des feuillets1. Au surplus, ce sont les morceaux de bois, souvent entiers, et les détriments très reconnoissables d'autres végétaux, qui prouvent évidemment que la substance de ces charbons de terre n'est qu'un assemblage de débris de végétaux liés ensemble par des bitumes. La seule chose qui pourroit être difficile à conce- voir, c'est l'immense quantité de débris de végétaux i. Voyez l'expérience de M. de Morveau sur une concrétion blanche qui esl devenue du charbon de terre noir et feuilleté. TROISIÈME ÉPOQUE. 1 |C) que la composition de ces mines de charbon suppose; car elles sont très épaisses, très étendues, et se trou vent en une infinité d'endroits : mais si l'on fait at- tention à la production peut-être encore plus im- mense de végétaux qui s'est faite pendant vingt ou vingt-cinq mille ans , et si l'on pense en même temps que l'homme n'étant pas encore créé, il n'y avoit au- cune destruction des végétaux parle feu, on sentira qu'ils ne pouvoient manquer d'être emportés par les eaux, et de former en mille endroits différents des couches très étendues de matière végétale. On peut se faire une idée en petit de ce qui est alors arrivé en grand : quelle énorme quantité de gros arbres cer- tains fleuves, comme le Mississipi, n'entraînent -ils pas dans la mer! le nombre de ces arbres est si pro- digieux, qu'il empêche; dans certaines saisons, la na- vigation de ce large fleuve : il en est de même sur la rivière des Amazones, et sur la plupart des grands fleuves des continents déserts ou mal peuplés. On peut donc penser, par cette comparaison, que toutes les terres élevées au dessus des eaux étant dans le commencement couvertes d'arbres et d'autres végé- taux que rien ne détruisoit que leur vétusté, il s'est fait, dans cette longue période de temps, des trans- ports successifs de tous ces végétaux et de leurs dé- triments, entraînés par les eaux courantes du haut, des montagnes jusqu'aux mers. Les mêmes contrées inhabitées de l'Amérique nous en fournissent un exemple frappant : on voit à la Guiane des forêts de palmiers lataniers de plusieurs lieues d'étendue, qui croissent dans les espèces de marais qu'on appelle des savanes noyées, qui ne sont que des appendices UIFL'ON. V. l50 DES EPOQUES DE LA NATURE. de la mer ; ces arbres, après avoir vécu leur âge , tom- bent de vétusté, et sont emportés par le mouvement des eaux. Les forets plus éloignées de la mer et qui couvrent toutes les hauteurs de l'intérieur du pays, sont moins peuplées d'arbres sains et vigoureux que jonchées d'arbres décrépits et à demi pourris. Les voyageurs qui sont obligés de passer la nuit dans ces bois ont soin d'examiner le lieu qu'ils choisissent pour gîte, afin de reconnoître s'il n'est environné que d'ar- bres solides, et s'ils ne courent pas risque d'être écra- sés pendant leur sommeil par la chute de quelques arbres pourris sur pied; et la chute de' ces arbres en grand nombre est très fréquente : un seul coup de vent fait souvent un abattis si considérable qu'on en entend le bruit à de très grandes distances. Ces ar- bres, roulant du haut des montagnes, en renversent quantité d'autres, et ils arrivent ensemble dans les lieux les plus bas, où ils achèvent de pourrir, pour former de nouvelles couches de terre végétale ; ou bien ils sont entraînés par les eau* courantes dans les mers voisines, pour aller former au loin de nouvelles couches de charbon fossile. Les détriments des substances végétales sont done le premier fonds des mines de charbon ; ce sont des trésors que la nature semble avoir accumulés d'avance pour les besoins à venir des grandes populations. Plus les hommes se multiplieront, plus les forêts diminue- ront: les bois ne pouvant plus suffire à leur consom- mation, ils auront recours à ces immenses dépôts de matières combustibles, dont l'usage leur deviendra d'autant plus nécessaire que le globe se refroidira da- vantage ; néanmoins ils ne les épuiseront jamais, car TROISIEME EPOQUE. 1 ,") 1 une seule de ces mines de charbon contient peut- être plus de matière combustible que tontes les fo- rêts d'une vaste contrée. L'ardoise, qu'on doit regarder comme une argile durcie, est formée par couches qui contiennent de même du bitume et des végétaux, mais en bien plus petite quantité ; et en même temps elles renferment souvent des coquilles, des crustacés, et des poissons. qu'on ne peut rapporter à aucune espèce connue. Ainsi l'origine des charbons et des ardoises date du même temps ; la seule différence qu'il y ait entre ces deux sortes de matières, c'est que les végétaux com- posent la majeure partie de la substance des charbons de terre, au lieu que le fonds de la substance de l'ar- doise est le même que celui de l'argile, et que les végétaux, ainsi que les poissons, ne paroissent s'y trouver qu'accidentellement et en assez petit nom- bre : mais toutes deux contiennent du bitume, et sont formées par feuillets ou par couches très minces, toujours parallèles entre elles; ce qui démontre clai- rement qu'elles ont également été produites par les sédiments successifs d'une eau tranquille, et dont les oscillations étoient parfaitement réglées, telles que sont celles de nos marées ordinaires ou des courants constants des eaux. Reprenant donc pour un instant toift ce que je viens d'exposer, la masse du globe terrestre, compo- sée de verre en fusion, ne présentait d'abord que les boursouflures et les cavités irrégulières qui se for- ment à la superficie de toute matière liquéfiée par le feu et dont le refroidissement resserre les parties. Pendant ce temps et dans le progrès du refroidisse- l52 DES EPOQUES DE LA NATURE. ment, les éléments se sont séparés, les Iiquations ei les sublimations des substances métalliques et miné- rales se sont faites, elles ont occupé les cavités des terres élevées et les fentes perpendiculaires des mon- tagnes ; car ces pointes avancées au dessus de la sur- face du globe s 'étant refroidies les premières , elles ont aussi présenté aux éléments extérieurs les pre- mières fentes produites par le resserrement de la ma- tière cfui se refroidissoit. Les métaux et les minéraux ont été poussés par la sublimation, ou déposés par les eaux, dans toutes ces fentes; et c'est par cette raison qu'on les trouve presque tous dans les hautes montagnes, et qu'on ne rencontre dans les terres plus basses que des mines de nouvelle formation : peu de temps après, les argiles se sont formées, les pre- miers coquillages et les premiers végétaux ont pris naissance ; et , à mesure qu'ils ont péri, leurs dépouil- les et leurs détriments ont fait les pierres calcaires, et ceux des végétaux ont produit les bitumes et les char- bons ; et en même temps les eaux, par leur mouve- ment et par leurs sédiments , ont composé l'organisa- tion de la surface de la terre par couches horizontales ; ensuite les courants de ces mêmes eaux lui ont donné sa forme extérieure par angles saillants et rentrants; et ce n'est pas trop étendre le temps nécessaire pour toutes ces ifrandcs opérations et ces immenses con- structions de la nature, que de compter vingt mille ans depuis la naissance des premiers coquillages et des premiers végétaux : ils éloienl déjà très multi- pliés, très nombreux, à la date de quarante-cinq mille ans de la formation de la terre ; et comme les eaux, qui d'abord étoient si prodigieusement élevées, s'a- TROISIÈME ÉPOQUE. l 55 baissèrent successivement et abandonnèrent les (erres qu'elles surmontoient auparavant, ces terres présen- tèrent dès lors une surface toute jonchée de produc- tions marines. La durée du temps pendant lequel les eaux cou- vroient nos continents a été très longue ; l'on n'en peut pas douter en considérant l'immense quantité de productions marines qui se trouvent jusqu'à d'as- sez grandes profondeurs et à de très grandes hauteurs dans toutes les parties de la terre : et combien ne devons-nous pas encore 'ajouter de durée à ce temps déjà si long, pour que ces mêmes productions mari- nes aient été brisées, réduites en poudre, et trans- portées par le mouvement des eaux, pour former en- suite les marbres, les pierres calcaires, et les craies! Cette longue suite de siècles, cette durée de vingt mille ans, me paroît encore trop courte pour la suc- cession des effets que tous ces monuments nous dé- montrent. Car il faut se représenter ici la marche de la na- ture, et même se rappeler l'idée de ses moyens. Les molécules organiques vivantes ont existé dès que les éléments d'une chaleur douce ont pu s'incorporer avec les substances qui composent les corps organi- sés ; elles ont produit sur les parties élevées du globe une infinité de végétaux, et dans les eaux un nombre immense de coquillages, de crustac.es, et de poissons, qui se sont bientôt multipliés par la voie de la géné- ration. Cette multiplication des végétaux et des co- quillages, quelque rapide qu'on puisse la supposer, n'a pu se faire que dans un grand nombre de siècles. puisqu'elle a produit des volumes aussi prodigieux 1 5/f. DES ÉPOQUES DE LA NATURE. que le sont ceux de leurs détriments. En effet, pour juger de ce qui s'est passé, il faut considérer ce qui se passe : or ne faut-il pas bien des années pour que des huîtres qui s'amoncèlent dans quelques endroits de la mer s'y multiplient en assez grande quantité pour former une espèce de rocher? Et combien n'a- t-il pas fallu de siècles pour que toute la matière cal- caire de la surface du globe ait été produite? Et n'est- on pas forcé d'admettre non seulement des siècles , mais des siècles de siècles, pour que ces productions marines aient été non seulement réduites en poudre, mais transportées et déposées par les eaux, de ma- nière à pouvoir former les craies, les marnes, les marbres, et les pierres calcaires? Et combien de siè- cles encore ne faut-il pasvadmettre pour que ces mê- mes matières calcaires, nouvellement déposées par les eaux, se soient purgées de leur humidité super- flue, puis séchées et durcies au point qu'elles le sont aujourd'hui et depuis si long-temps? Comme le globe terrestre n'est pas une sphère par- faite, qu'il est plus épais sous l'équateur que sous les pôles, et que l'action du soleil est aussi bien plus grande dans les climats méridionaux, il en résulte que les contrées polaires ont été refroidies plus tôt que celles de l'équateur. Ces parties polaires de la terre ont donc reçu les premières les eaux et les ma- tières volatiles qui sont tombées de l'atmosphère: le reste de ces eaux a dû tomber ensuite sur les climats que nous appelons tempérés , et ceux de l'équateur auront été les derniers abreuvés. Il s'est passé bien des siècles avant que les parties de l'équateur aient été assez attiédies pour admettre les eaux ; l'équilibre TROISIEME EPOQUE. 1 5.1 et même l'occupation des mers a donc été long-temps à se former et à^s établir , et Jes premières inondations ont dû venir des deux pôles. Mais nous avons remar- qué 1 que tous les continents terrestres Unissent en pointe vers les régions australes : ainsi les eaux sont venues en plus grande quantité du pôle austral que du pôle boréal, d'où elles ne pouvoient que refluer et non pas arriver, du moins avec autant de force; sans quoi les continents auroient pris une forme toute différente de celle qu'ils nous présentent; ils se se- roient élargis vers les plages australes, au lieu de se rétrécir. En effet, les contrées du pôle austral ont dû se refroidir plus vite que celles du pôle boréal, et par conséquent recevoir plus tôt les eaux de l'asmo- sphère, parce que le soleil fait un peu moins de sé- jour sur cet émisphère austral que sur le boréal ; et cette cause me paroît suffisante pour avoir déterminé le premier mouvement des eaux, et le perpétuer en- suite assez long-temps pour avoir aiguisé les pointes de tous les continents terrestres. D'ailleurs il est certain que les deux continents n'étoient pas encore séparés vers notre nord, et que même leur séparation ne s'est faite que long-temps après l'établissement de la nature vivante dans nos climats septentrionaux, puisque les éléphants ont en même temps existé en Sibérie et au Canada ; ce qui prouve invinciblement la continuité de l'Asie ou de l'Europe avec l'Amérique, tandis qu'au contraire il paroît également certain que l'Afrique étoit, dès les premiers temps, séparée de l'Amérique méridionale , puisqu'on n'a pas trouvé dans cette partie du Nouveau- i. Voyez tome I , Théorie de la terre , article G&agrap lue. 100 DES EPOQUES DE LA NATURE. Monde un seul des animaux de l'ancien continent, ni aucune dépouille qui puisse indiquer qu'ils y aient autrefois existé. Il paroît que les éléphants dont on trouve les ossements dans l'Amérique septentrionale y sont demeurés confinés; qu'ils n'ont pu franchir les hautes montagnes qui sont au sud de l'isthme de Panama, et qu'ils n'ont jamais pénétré dans les vastes contrées de l'Amérique méridionale : mais il est en- core plus certain que les mers qui séparent l'Afrique et l'Amérique existoient avant la naissance des élé- phants en Afrique ; car si ces deux continents eussent été contigus, les animaux de Guinée se trouveroient au Brésil, et l'on eût trouvé des dépouilles de ces ani- maux dans l'Amérique méridionale, comme l'on en trouve dans les terres de l'Amérique septentrionale. Ainsi , dès l'origine et dans le commencement de la nature vivante, les terres les plus élevées du "globe et les parties de notre nord ont été les premières peu- plées par les espèces d'animaux terrestres auxquels la grande chaleur convient le mieux : les régions de l'équateur sont demeurées long-temps désertes, et même arides et sans mers. Les terres élevées de la Sibérie, de la ïartarie, et de plusieurs autres endroits de l'Asie, toutes celles de l'Europe qui forment la chaîne des montagnes de Galice, des Pyrénées, de l'Auvergne, des Alpes, des Apennins, de Sicile, de la Grèce, et de la Macédoine, ainsi que les monts Ri- phées, Rymniques, etc., ont été \es premières con- trées habitées, même pendant plusieurs siècles, tan- dis que toutes les terres moins élevées étoient encore couvertes par les eaux. Pendant ce long espace de durée que la mer a se- TROISIEME EPOQUE. 1 DJ journé sur nos terres, les sédiments et les dépots des eaux ont formé les couches horizontales de la terre, les inférieures d'argiles, et les supérieures de pierres calcaires. C'est dans la mer même que s'est opérée la pétrification des marbres et des pierres : d'abord ces matières étoient molles, ayant été successivement déposées les unes sur les autres, à mesure que les eaux les amenoient et les laissoient tomber en forme de sédiment ; ensuite elles se sont peu à peu durcies par la force de l'affinité de leurs parties constituantes, et enfin elles ont formé toutes les masses des rochers calcaires, qui sont composées de couches horizon- tales ou également inclinées, comme le sont toutes les autres matières déposées par les eaux. C'est dès les premiers temps de cette même période de durée que se sont déposées les argiles où se trou- vent les débris des anciens coquillages; et ces ani- maux à coquilles n'étoient pas les seuls alors existants dans la mer; car, indépendamment des coquilles, on trouve des débris de crustacés, des pointes d'oursins, des vertèbres d'étoiles, dans ces mêmes argiles; et dans les ardoises, qui ne sont que des argiles durcies et mêlées d'un peu de bitume, on trouve, ainsi que dans les schistes, des impressions entières et très bien conservées de plantes, de crustacés, et de poissons de différentes grandeurs : enfin, dans les minières de charbon de terre, la masse entière. de charbon ne pa- roît composée que de débris de végétaux. Ce sont là les plus anciens monuments de la nature vivante, et les premières productions organisées tant de la met que de la terre. Les régions septentrionales, et les parlies les plus 1 38 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. élevées du globe, et surtout les sommets des monta- gnes dont nous avons l'ait rénumération , et qui, pour la plupart, ne présentent aujourd'hui que des faces sèches et des sommets stériles, ont donc autrefois été des terres fécondes, et les premières où la nature se soit manifestée, parce que ces parties du globe ayant été bien plus tôt refroidies que les terres plus basses ou plus voisines de l'équateur, elles auront les pre- mières reçu les eaux de l'atmosphère et toutes les autres matières qui pouvoient contribuer à la fécon- dation. Ainsi l'on peut présumer qu'avant l'établisse- ment fixe des mers toutes les parties de la terre qui se trouvoient supérieures aux eaux ont été fécondées, et qu'elles ont dû , dès lors et dans ce temps , produire les plantes dont nous retrouvons aujourd'hui les im- pressions dans les ardoises, et toutes les substances végétales qui composent les charbons de terre. Dans ce même temps où nos terres étoient couver- tes par la mer, et tandis que les bancs calcaires de nos collines se forinoient des détriments de ses produc- tions, plusieurs monuments nous indiquent qu'il se détachoit du sommet des montagnes primitives, et des autres parties découvertes du globe , une grande quan- tité de substances vitrescibles, lesquelles sont venues par alluvion , c'est-à-dire par le transport des eaux , remplir les fentes et les autres intervalles que les mas- ses calcaires laissoient entre elles. Ces fentes perpen- diculaires, ou légèrement inclinées dans les bancs calcaires, se sont formées par le resserrement de ces matières calcaires, lorsqu'elles se sont séchées et en- durcies, de la même manière que s'étoient faites pré- cédemment les premières fentes perpendiculaires dans TROISIÈME EPOQLE. 1 .")() ies montagnes vitrescibles produites par le feu, lors- que ces matières se sont resserrées par leur consolida- tion. Les pluies, les vents, et les antres agents exté- rieurs, avoient déjà détaché de ces masses vitrescibles une grande quantité de petits fragments que ies eaux transportaient en différents endroits. En cherchant des mines de fer dans des collines de pierres calcaires, j'ai trouvé plusieurs fentes et cavités remplies de mi- nes de fer en grains, mêlées de sable vitrescible et de petits cailloux arrondis. Ces sacs ou nids de mine de fer ne s'étendent pas horizontalement, mais descen- dent presque perpendiculairement, et ils sont tous situés sur la crête la plus élevée des collines calcaires1. J'ai reconnu plus d'une centaine de ces sacs, et j'en ai trouvé huit principaux et très considérables dans la seule étendue de terrain qui avoisine mes forges, à une ou deux lieues de distance : toutes ces mines étoient en grains assez menus, et plus ou moins mé- langées de sable vitrescible et de petits cailloux. J'ai fait exploiter cinq de ces mines pour l'usage de mes fourneaux: on a fouillé les unes à cinquante ou soixante pieds, et les autres jusqu'à cent soixante-quinze pieds de profondeur : elles sont toutes également situées dans les fentes des rochers calcaires; et il n'y a dans celte contrée ni roc vitrescible, ni quartz, ni grès, ni cailloux, ni granités; en sorte que ces mines de fer, qui sont en grains plus ou moins. gros, et qui sont toutes plus ou moins mélangées de sable vitrescible i. Je puis encore citer ici les mines de 1er en pierre qui se trouvent on Champagne , et qui sont ensachées entre les rochers calcaires, clans des directions et des inclinaisons différentes , perpendiculaires ou obliques. l(JO DES EPOQUES DE LA NATURE. et de petits cailloux, n'ont pu se former dans les ma- tières calcaires où elles sont renfermées de tous côtés comme entre deux murailles, et par conséquent elles y ont été amenées de loin par le mouvement des eaux, qui les y auront déposées en même temps qu'elles déposoient ailleurs des glaises et d'autres sédiments; car ces sacs de mine de fer en grains sont tous sur- montés ou latéralement accompagnés d'une espèce de terre limoneuse rougeâtre, plus pélrissable, plus pure, et plus fine que l'argile commune. Il paroît même que cette terre limoneuse, plus ou moins colo- rée de la teinture rouge que le fer donne à la terre, est l'ancienne matrice de ces mines de fer, et que c'est dans cette même terre que les grains métalliques ont dû se former avant leur transport. Ces mines, quoi- que situées dans des collines entièrement lalcaires, ne contiennent aucun gravier de cette même nature; il se trouve seulement, à mesure qu'on descend, quel- ques masses isolées de pierres calcaires, autour des- quelles tournent les veines de la mine, toujours accom- pagnées de la terre rouge, qui souvent traverse les vei- nes delà mine, ou bien est appliquée contre les parois desrochers calcaires qui la renferment. Etce qui prouve d'une manière évidente que ces dépôts de mines se sont faits par le mouvement des eaux, c'est qu'après avoir vidé les fentes et cavités qui les contiennent, on voit, à ne pouvoir s'y tromper, que les parois de ces fentes ont été usées et même polies par l'eau, et que, par con- séquent, elle les a remplies et baignées pendant un assez long temps , avant d'y avoir déposé la mine de fer, les petits cailloux, le sable vitrescible , et la terre limoneuse dont ces fentes sont actuellement remplies : T R O I S I ï: ME É P O Q II E. 1 G 1 et l'on ne peut pas se prêter à croire que les grains de ter se soient formés clans cette terre limoneuse de- puis qu'elle a été déposée dans ces fentes de rochers ; car une chose tout aussi évidente que la première s'oppose à cette idée , c'est que la quantité de mines de 1er paroît surpasser de beaucoup celle de la terre limoneuse. Les grains de cette substance métallique ont, à la vérité, tous été formés dans cette même terre, qui n'a elle-même été produite que par le ré- sidu des matières animales et végétales, dans lequel nous démontrerons la production du fer en grains; mais cela s'est fait avant leur transport et leur dépôt dans les fentes des rochers. La terre limoneuse, les grains de fer, le sable vitrescible et les petits cailloux , ont été transportés et déposés ensemble ; et si depuis il s'est formé dans cette même terre des grains de fer, ce ne peut être qu'en petite quantité. J'ai tiré de cha- cune de ces mines plusieurs milliers de tonneaux; et, sans avoir mesuré exactement la quantité de terre li- moneuse qu'on a laissée dans ces mêmes cavités, j'ai vu qu'elle étoit bien moins considérable que la quan- tité de mine de fer dans chacune. Mais ce qui prouve encore que ces mines de fer en grains ont été toutes amenées parle mouvement des eaux, c'est que, dans ce même canton, à trois lieues de distance, il y a une assez grande étendue de ter- rain formant une espèce de petite plaine au dessus des collines calcaires, et aussi élevée que celles don! je viens de parler, et qu'on trouve dans ce terrain une grande quantité de mine de fer en grains qui esl très différemment mélangée et autrement située : car. au lieu d'occuper les fentes perpendiculaires el les envi- l6'2 DES ÉrOQUES DE LA NATURE. tés intérieures des rochers calcaires, au lieu de former un ou plusieurs sacs perpendiculaires, cette mine de fer est au contraire déposée en nappe* c'est-à-dire par couches horizontales, comme tous les autres sédi- ments des eaux; au lieu de descendre profondément comme les premières, elle s'étend presque à la sur- face du terrain sur une épaisseur de quelques pieds; au lieu d'être mélangée de cailloux et de sable vitres- cible, elle n'est, au contraire, mêlée partout que de graviers et de sables calcaires. Elle présente de plus un phénomène remarquable : c'est un nombre pro- digieux de cornes d'amraon et d'autres anciens coquil- lages, en sorte qu'il semble que la mine entière en soit composée, tandis que, dans les huit autres mines dont j'ai parlé ci-dessus, il n'existe pas le moindre vestige de coquilles, ni même aucun fragment, aucun indice du genre calcaire, quoiqu'elles soient enfer- mées entre des masses de pierres entièrement calcai- res. Cette autre mine, qui contient un nombre si pro- digieux de débris de coquilles marines, même des plus anciennes, aura donc été transportée avec tous ces débris de coquilles par le mouvement des eaux, et déposée en forme de sédiment par couches hori- zontales; et les grains de fer qu'elle contient, et qui sont encore bien plus petits que ceux des premières mines, mêlées de cailloux, auront été amenés avec les coquilles mêmes. Ainsi le transport de toutes ces ma- tières et le dépôt de toutes ces mines de fer en grains se sont faits par alluvion à peu près dans le même temps, c'est-à-dire lorsque les merscouvroient encore nos collines calcaires. Et le sommet de toutes ces collines, ni les collines TROISIÈME ÉPOQUE. 1 63 elles-mêmes, ne nous représentent plus à beaucoup près !e môme aspect qu'elles avoient lorsque les eaux les ont abandonnées. A peine leur forme primitive s'est-elle maintenue; leurs angles saillants et rentrants sont devenus plus obtus, leurs pentes moins rapides, leurs sommets moins élevés et plus chenus; les pluies en ont détaché et entraîné les terres : les collines se sont donc rabaissées peu à peu, et les vallons se sont en même temps remplis de ces terres entraînées par les eaux pluviales ou courantes. Qu'on se figure ce que devoit être autrefois la forme du terrain à Paris et aux environs : d'une part sur les collines de Vau- girard jusqu'à Sèvre, on voit des carrières de pierres calcaires remplies de coquilles pétrifiées; de l'autre roté, vers Montmartre, des collines de plâtre et de matières argileuses; et ces collines, à peu près égale- ment élevées au dessus de la Seine, ne sont aujour- d'hui que d'une hauteur très médiocre; mais au fond des puits que l'on a fait à Bicêtre et à l'Ecole militaire on a trouvé des bois travaillés de main d'homme à soixante -quinze pieds de profondeur. Ainsi l'on ne peut douter que cette vallée de la Seine ne se soit remplie de plus de soixante quinze pieds, seulement depuis que les hommes existent : et qui sait de com- bien les collines adjacentes ont diminué dans le même temps par l'effet des pluies, et quelle étoit l'épaisseur de terre dont elles étoient autrefois revêtues? Il en est de même de toutes les autres collines et de toutes les autres vallées;, elles étoient peut-être du double plus élevées et du tlouble plus profondes dans le temps que les eaux de l'a mer les ont laissées à dé- couvert. On est même assuré que les montagnes s'a- l64 I>ES ÉPOQUES DE LA NATURE. baissent encore tons les jours, et que les vallées se remplissent à peu près dans la même proportion ; seulement cette diminution de la hauteur des mon- tagnes, qui ne se fait aujourd'hui que d'une manière presque insensible, s'est faite beaucoup plus vite dans les premiers temps, en raison de la plus grande rapi- dité de leur pente, et il faudra maintenant plusieurs milliers d'années pour que les inégalités de la surface de la terre se réduisent encore autant qu'elles l'ont fait en peu de siècles dans les premiers âges. Mais revenons à cette époque antérieure où les eaux, après être arrivées des régions polaires, ont ga- gmé celles de l'équateur. C'est dans ces terres de îa zone torride où se sont faits les plus grands boule- versements : pour en être convaincu il ne faut que jeter les yeux sur un globe géographique; on recon- noîtra que presque tout l'espace compris entre les cercles de cette zone ne présente que les débris de continents bouleversés et d'une terre ruinée. L'im- mense quantité d'îles, de détroits, de hauts et de bas fonds, de bras de mer et de terre entrecoupés, prouve les nombreux affaissements qui se sont faits dans cette vaste partie du monde. Les montagnes y sont plus éle- vées, les mers plus profondes, que dans tout le reste de la terre; et c'est sans doute lorsque ces grands affaissements se sont faits dans les contrées de l'équa- teur que les eaux qui couvroient nos continents se sont abaissées et retirées en coulant à grands flots vers ces terres du midi, dont elles ont rempli les pro- fondeurs, en laissant à découvert d'abord les parties les plus élevées des terres. 'ensuite toute la surface de nos continents. TROISIÈME ÉPOQUE. lbT) Qu'on se représente l'immense quantité des ma- tières de toute espèce quj ont alors été transportées par les eaux : combien de sédiments de différente na- ture n'ont-elles pas déposés les uns sur les autres, et combien, par conséquent, la première face de la terre n'a-t-elle pas changé par ces révolutions ! D'une part, le flux et le reflux donnaient aux eaux un mouvement constant d'orient en occident; d'autre part, les allu- vions venant des pôles croisoient ce mouvement, et déterminoient les efforts de la mer autant et peut- être plus vers l'équateur que vers l'occident. Combien d'irruptions particulières se sont faites alors de tous côtés 1 A mesure que quelque grand affaissement pré- sentoit une nouvelle profondeur, la mer s'abaissoit et les eaux couroient pour la remplir; et quoiqu'il pa- roisse aujourd'hui que l'équilibre des mers soit à peu près établi, et que toute leur action se réduise à ga- gner quelque terrain vers l'occident et en laisser à dé- couvert vers l'orient, il est néanmoins très certain qu'en général les mers baissent tous les jours de plus en plus, et qu'elles baisseront encore à mesure qu'il se fera quelque nouvel affaissement, soit par l'effet des volcans et des tremblements de terre, soit par des causes plus constantes et plus simples : car toutes les parties caverneuses de l'intérieur du globe ne sont pas encore affaissées; les volcans et les secousses des trem- blements de terre en sont une preuve démonstrative. Les eaux mineront peu à peu les voûtes et les remparts de ces cavernes souterraines; et lorsqu'il s'en écrou- lera quelques unes, la surface de la terre, se dépri- mant dans ces endroits, formera de nouvelles vallées dont la mer viendra s'emparer. Néanmoins, comme ces BLFFOTV. Y. lG() DES ÉPOQUES DE LA NATURE. événements, qui, dans les commencements* dévoient être très fréquents, sont actuellement assez rares, on peut croire que la terre est à peu près parvenue à un état assez tranquille pour que ses habitants n'aient plus à redouter les désastreux effets de ces grandes convulsions. L'établissement de toutes les matières métalliques et minérales a suivi d'assez près l'établissement des eaux; celui des matières argileuses et calcaires a pré- cédé leur retraite; la formation, la situation, la posi- tion de toutes ces dernières matières, datent du temps où la mer couvroit les continents. Mais nous devons observer que le mouvement général des mers ayant commencé de se faire alors comme il se fait encore aujourd'hui d'orient en occident, elles ont travaillé la surface de la terre dans ce sens d'orient en occi- dent autant et peut-être plus qu'elles ne l'avoient fait précédemment dans le sens du midi au nord. L'on n'en doutera pas si l'on fait attention à un fait très général et très vrai : c'est que, dans tous les conti- nents du monde, la pente des terres, à la prendre du sommet des montagnes, est toujours beaucoup plus rapide du côté de l'occiderrt que du côté de l'orient1; cela est évident dans le continent entier de l'Amé- rique, où les sommets de la chaîne des Cordilières sont très voisins partout des mers de l'ouest, et sont très éloignés de la mer de l'est. La chaîne qui sépare l'Afrique dans sa longueur, et qui s'étend depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu'aux monts de la Lune, est aussi plus voisine des mers à l'ouest qu'à l'est. Il i. Voyez les Additions de Buffon, page 186. TROISIEME EPOQUE. 1 67 en est de môme des montagnes qui s'çtendent depuis le cap Comorin dans la presqu'île de l'Inde ; elles sont bien plus près de la mer à l'orient qu'à l'occident ; et si nous considérons les presqu'îles, les promontoires, les îles, et toutes les terres environnées de la mer, nous reconnoîtrons partout que les pentes sont coulâ- tes et rapides ve'rs l'occident, et qu'elles sont douces et longues vers l'orient : les revers de toutes les mon- tagnes sont de même plus escarpés à l'ouest qu'à l'est, parce que le mouvement général des mers s'est tou- jours fait d'orient en occident, et qu'à mesure que les eaux se sont abaissées elles ont détruit les terres et dépouillé les revers des montagnes dans le sens de leur chute , comme l'on voit dans une cataracte les rochers dépouillés et les terres creusées par la chute continuelle de leau. Ainsi tous les continents terres- tres ont été d'abord aiguisés en pointe vers le midi par les eaux qui sont venues du pôle austral plus abon- damment que du pôle boréal ; et ensuite ils ont été tous escarpés en pente plus rapide à l'occident qu'à l'orient, dans le temps subséquent où ces mêmes eaux ont obéi au seul mouvement général qui les porte constamment d'orient en occident. i GS DES ÉPOQUES DE LA NATURE. ADDITIONS DE BUFFON. (Sur la page i55. ) • On voit plusieurs exemples de plantes qui crois- sent dans les eaux thermales les plus chaudes, et M. Sonnerat a trouvé des poissons dans une eau dont la chaleur étoit si active, qu'il ne pouvoit y plonger la maiu. Voici l'extrait de sa relation à ce sujet. « Je trou- vai , dit-il , à deux lieues de Calamba , dans l'île de Lu- çon, près du village de Bally, un ruisseau dont l'eau étoit chaude au point que le thermomètre, division de Réaumur, plongé dans ce ruisseau, à une lieue de sa source, marquoit encore 69 degrés. J'imaginois, en voyant un pareil degré de chaleur, que toutes les productions de la nature dévoient être éteintes sur les bords du ruisseau, et je fus très surpris de voir trois arbrisseaux très vigoureux dont les racines trempoient dans cette eau bouillante, et dont les brandies étoient environnées de sa vapeur ; elle étoit si considérable , que les hirondelles qui osoient traverser ce ruisseau à la hauteur de sept ou huit pieds y tomboient sans mouvement. L'un de ces trois arbrisseaux étoit un agnus castuSj et les deux autres des aspalatkus. Pen- dant mon séjour dans ce village , je ne bus d'autre eau que celle de ce ruisseau, que je faisois refroidir : son goût me parut terreux et ferrugineux. On a construit différents bains sur ce ruisseau, dont les degrés de chaleur sont proportionnés à la distance de la source. Ma surprise redoubla lorsque je vis le premier bain : TROISIÈME ÉPOQUE. 1 G() des poissons nageoient dans cette eau où je ne pou- vois plonger la main. Je fis tout ce qu'il me fut possi- ble pour me procurer quelques uns de ces poissons; mais leur agilité et la maladresse des gens du pays ne me permirent pas d'en prendre un seul. Je les exami- nai nageant ; mais la vapeur de l'eau ne me permit pas de les distinguer assez bien pour les rapprocher de quelque genre : je les reconnus cependant pour de^ poissons à écailles brunes ; la longueur des plus grands étoit de quatre ponces. J'ignore comment ces pois- sons sont parvenus dans ces bains. » M. Sonnerat appuie son récit du témoignage de M. Prévost , commissaire de la marine, qui a parcouru avec lui l'intérieur de l'île de Luçon. Voici comment est conçu ce temoiimaçe « Vous avez eu raison, monsieur, de faire part à M. de Buffon des observations que vous avez rassem- blées dans le voyage que nous avons fait ensemble. Vous désirez que je confirme par écrit celle qui nous a si fort surpris dans le village de Bally, situé sur le bord de la lagune de Manille, à Los-Bagnos : je suis fâché de n'avoir point ici la note de nos observations faites avec le thermomètre de M. de Piéaumur; mais je me rappelle très bien que l'eau du petit ruisseau qui passe dans ce village pour se jeter dans le lac fit monter le mercure à 66 ou 67 degrés, quoiqu'il n'eût été plongé qu'à une lieue de sa source : les bords de ce ruisseau soat garnis d'un gazon toujours vert. Vous n'aurez sûrement pas oublié cet ag?ius castus que nous avons vu en fleurs, dont les racines étoient mouillées de l'eau de ce ruisseau , et la tige continuellement en- veloppée de la fumée qui en sortoit. Le père (rancis- 1^0 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. cain, curé de la paroisse de ce village, m'a aussi assuré avoir vu des poissons dans ce même ruisseau : quant à moi, je ne puis le certifier; mais j'en ai vu dans l'un des bains dont la chaleur faisoit monter le mercure à 48 et 5o degrés. Voilà ce que vous pouvez certifier avec assurance. Signé Prévost. » [Voyage à la Nou- velle-Guinée^ par M. Sonnerat, correspondant de l'A- cadémie des Sciences et du Cabinet du Roi; Paris, 1776; pages 38 et suiv. ) Je ne sache pas qu'on ait trouvé des poissons dans nos eaux thermales; mais il est certain que, dans cel- les mômes qui sont les plus chaudes, le fond du ter- rain est tapissé de plantes. M. l'abbé Mazéas dit ex- pressément que dans l'eau presque bouillante de la solfatare de Viterbe le fond du bassin est couvert des mêmes plantes qui croissent au fond des lacs et des marais. [Mémoires des savants étrangers > tome V, page 325. ) ( Sur la page i3g. ) Les grosses dents à pointes mousses dont nous avons parlé indiquent une espèce gigantesque, relativement aux autres espèces, et même à celle de l'éléphant; mais cette espèce gigantesque n'existe plus. D'autres grosses dents, dont la face qui broie est figurée en trèfle, comme celle des hippopotames, et qui néan- moins sont quatre fois plus grosses que celles des hippopotames actuellement subsistants, démontrent qu'il y a eu des individus très gigantesques dans l'es- pèce de l'hippopotame. D'énormes fémurs, plus grands et beaucoup plus épais* que ceux de nos éléphants, TROISIEME ÉPOQUE. 171 démontrent la même chose pour les éléphants; et nous pouvons citer encore quelques exemples qui vont à l'appui de notre opinion sur les animaux gigan- tesques. Oo a trouvé auprès de Rome, en 1772, une tête de bœuf pétrifiée , dont le P. Jacquier a donné la des- cription. « La longueur du front, comprise entre les deux cornes, est, dit-il, de 2 pieds 5 pouces; la dis- tance entre les orbites des yeux, de i/j. pouces; celle depuis la portion supérieure du front jusqu'à l'orbite de l'œil, de 1 pied 6 pouces; la circonférence d'une corne mesurée dans le bourrelet inférieur, de 1 pied 6 pouces; la longueur d'une corne mesurée dans toute sa courbure, de 4 pieds ; la distance des sommets des cornes, de 3 pieds; l'intérieur est d'une pétrification très dure : cette tête a été trouvée dans un fonds de pouzzolane, à la profondeur de plus de 20 pieds. » « On voyoit, en 1768, dans la cathédrale de Stras- bourg, une très grosse corne de bœuf, suspendue par une chaîne contre un pilier près du chœur; elle m'a paru excéder trois fois la grandeur ordinaire de celles des plus grands bœufs : comme elle est fort élevée, je n'ai pu en prendre les dimensions; mais je l'ai ju- gée d'environ 4 pieds Ife de longueur sur 7 à 8 pou- ces de diamètre au gros bout*. » Lionel W aller rapporte qu'il a vu , au Mexique , des ossements et des dents d'une prodigieuse grandeur; entre autres une dent de 5 pouces de large sur 4 pou- ces de longueur, et que les plus habiles gens du pays ayant été consultés jugèrent que la tête ne pouvoit >, Nota communiquée h M. de Buffon, par M. Grignoh . le lit ê 1 777. , 1^/2 DES ÉPOQUES DE IA NATURE. pas avoir moi us dune aune de largeur. (Waffer, Voyage en Amcriquey page 067. ) C'est peut-être Fa même dent dont parle le P. Aeosta. « J'ai vu, dit-il, une dent molaire qui m'étonna beau- coup par son énorme grandeur, car elle étoit aussi grosse que le poing d'un homme. » Le P. Torque- mado, franciscain, dit aussi qu'il a eu en son pouvoir une dent molaire deux fois aussi grosse que le poing, et qui pesoit plus de deux livres : il ajoute que, dans cette même ville de Mexico, au couvent de Saint- Au- gustin , il avoit vu un os fémur si grand, que l'individu auquel cet os avoit appartenu devoit avoir été haut de 1 1 à 12 coudées, c'est-à-dire 17 ou 18 pieds, et que la tête dont la dent avoit été tirée étoit aussi grosse qu'une de ces grandes cruches dont on se sert en Castille pour mettre le vin. Philippe Hernandez rapporte qu'on trouve à Tez- caco et à Tosuca plusieurs os de. grandeur extraordi- naire, et que, parmi ces os, il y a des dents molaires larges de 5 pouces et hautes de 10; d'où l'on doit conjecturer que la grosseur de la tête à laquelle elles appartenoient étoit si énorme , que deux hommes au- roient à peine pu l'embrasser. Don Lorenzo Boturini Benaduci dit aussi que, dans la Nouvelle-Espagne, surtout dans les hauteurs de Santa-Fé et dans le ter- ritoire de la Puebla et de ïlascallan , on trouve des os énormes et des dents molaires, dont une qu'il con- servoit dans son cabinet est cent fois plus grosse que les plus grosses dents humaines. [Gigantologie espa- gnole , par le P. Torrubia, Journal étranger, novem- bre 1760. ) L'auteur de cette Gigantologie espagnole attribue TROISIÈME ÉPOQUE. IJ$ ces dents énormes et ces grands os à des géants de l'espèce humaine. Mais est-il croyable qu'il y ait ja- mais eu des hommes dont la tête ait eu 8 à 10 pieds de circonférence? ]N 'est-il pas même assez étonnant que, dans l'espèce de l'hippopotame ou de l'éléphant, il y en ait eu de cette grandeur? Nous pensons donc que ces énormes dents sont de la même espèce que celles qui ont été trouvées nouvellement en Canada sur la rivière d'Ohio, que nous avons dit appartenir à un animal inconnu dont l'espèce étoit autrefois exis- tante en Tartarie , en Sibérie, au Canada, et s'est étendue depuis les Illinois jusqu'au Mexique. Et comme ces auteurs espagnols ne disent pas que l'on ait trouvé, dans la Nouvelle-Espagne, des défenses d'éléphants mêlées avec ces grosses dents molaires, cela nous fait présumer qu'il y avoit en effet une es- pèce différente de celle de l'éléphant, à laquelle ces grosses dents molaires appartenoient, laquelle est par- venue jusqu'au Mexique. Au reste, les grosses dents d'hippopotame paroissent avoir été anciennement con- nues; car saint Augustin dit avoir vu une dent molaire si grosse, qu'en la divisant elle auroit fait cent dents molaires d'un homme ordinaire 1. Fulgose dit aussi qu'on a trouvé en Sicile des dents dont chacune pe- soit 5 livres 2. M. John Sommer rapporte avoir trouvé à Chatham7 près de Cantorbery, à 17 pieds de profondeur, quel- ques os étrangers et monstrueux, les uns entiers, les autres rompus, et quatre dents saines et parfaites pe- sant chacune un peu plus d'une demi-livre, grosse à 1. De Civitate Del } lib. XV, cap. ix. 2. Lib. I , cap. vi. 1^4 DES EPOQUES DE LA NATURE. peu près comme le poing d'un homme ; toutes quatre étoient des dents molaires ressemblant assez aux dents molaires de l'homme, si ee n'est par la grosseur. Il dit que Louis Vives parle d'une dent encore plus grosse1 qui lui fut montrée pour une dent de saint Christophe. Il dit aussi qu'Acosta rapporte avoir vu dans les Indes une dent semblable qui avoit été tirée de terre avec plusieurs autres os, lesquels rassemblés et arrangés représentoient un homme d'une structure prodigieuse, ou plutôt monstrueuse 2. Nous aurions pu, dit judi- cieusement M. Sommer, juger de même des dents qu'on a tirées de la terre auprès de Cantorbery, si l'on n'eût pas trouvé avec ces mêmes dents des os qui ne pouvoient être des os d'homme; quelques per- sonnes qui les ont vues ont jugé que les os et les dents étoient d'un hippopotame. Deux de ces dents sont gra- vées dans une planche qui est à la tête du n° 272 des Transactions philosophiques > fi g. 9. On peut conclure de ces faits que la plupart des «rands os trouvés dans le sein de la terre sont des os d'éléphants et d'hippopotames; mais il me paroît cer- tain , par la comparaison immédiate des énormes dents à pointes mousses avec les dents de l'éléphant et de l'hippopotame, qu'elles ont appartenu à un animal beaucoup plus gros que l'un et l'autre, et que l'es- pèce de ce prodigieux animal ne subsiste plus aujour- d'hui. • Dans les éléphants actuellement existants, il es! extrêmement rare d'en trouver dont les défenses aienl six pieds de longueur. Les plus grandes sont couimu- 1. Dois moliwis pugno major. 2. Defovmed higkness or ^rentncss. TROISIÈME ÉPOQUE. 1 ~ 5 nément de cinq pieds à cinq pieds et demi, et par conséquent l'ancien éléphant auquel a appartenu la défense de dix pieds de longueur, dont nous avons les fragments, étoitun géant dans cette espèce* aussi bien que celui dont nous avons un fémur d'un tiers plus gros et plus grand, que les fémurs des éléphants ordinaires. Il en est de môme dans l'espèce de l'hippopotame; j'ai fait arracher les deux plus grosses dents molaires de la plus grande tête d 'hippopotame que nous ayons au Cabinet du Roi : l'une de ces dents pèse 10 onces, et l'autre 9 onces 1/2. J'ai pesé ensuite deux dents, l'une trouvée en Sibérie, et l'autre au Canada ; la pre- mière pèse 2 livres 12 onces, et la seconde 2 livres 2 onces. Ces anciens hippopotames étoient, comme l'on voit, bien gigantesques en comparaison de ceux qui existent aujourd'hui. L'exemple que nous avons cité de l'énorme tête de bœuf pétrifiée trouvée aux environs de Rome prouve aussi qu'il y a eu de prodigieux géants dans cette es- pèce, et nous pouvons le démontrer par plusieurs autres monuments. Nous avons au Cabinet du Roi : ia Une corne d'une belle couleur verchUre , très lisse et bien contournée, qui est évidemment une corne de bœuf: elle porte 2 5 pouces de circonférence à la base, et sa longueur est de f\2 pouces; sa cavité con- tient 1 1 pintes i/à de Paris. 20 Un ps de l'intérieur de la corne d'un bœuf, du poids de 7 livres; tandis que le plus grand os de nos bœufs , qui soutient la corne, ne pèse qu'une livre. Cet os a été donné pour le Ca- binet du Roi par M. le comte de Tressan , qui joint au goût et aux talents beaucoup de connoissances en }~6 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. histoire naturelle. 5° Deux os de l'intérieur des cornes d'un bœuf réunis par un morceau du crâne, qui ont été trouvés à s5 pieds de profondeur dans les cou- ches de tourbe, entre Amiens et Abbeville, et qui m'ont été envoyés pour le Cabinet du Roi : ce mor- ceau pèse 17 livres; ainsi chaque os de la corne, étant séparé de la portion du crâne, pèse au moins 7 li- vres l/2. J'ai comparé les dimensions comme les poids de ces différents os : celui du plus gros bœuf qu'on a pu trouver à la boucherie de Paris n'avoit que i5 pouces de longueur sur 7 pouces de circonférence à la base, tandis que des deux autres tirés du sein de la terre, l'un a 2^ pouces de longueur sur 12 pouces de circonférence à la base, et l'autre 27 pouces de longueur sur i5 de circonférence. En voilà plus qu'il n'en faut pour démontrer que, dans l'espèce du bœuf, comme dans celles de l'hippopotame et de l'éléphant, il y a eu de prodigieux géants. {Sur la page 109. ) • Sur cela nous observerons, avec M. Lehman , qu'on ne trouve guère des empreintes de plantes dans les mines d'ardoise, à l'exception de celles qui accompa- gnent les mines de charbon de terre ; et qu'au con- traire on ne trouve ordinairement les empreintes de poissons que dans les ardoises cuivreuses. On a remarqué que les bancs d'ardoise chargés de poissons pétrifiés, dans le comté de Mansfeld, sont surmontés d'un banc de pierres appelées puantes; c'est une espèce d'ardoise grise , qui a tiré son origine d'une eau croupissante, dans laquelle les poissons av oient TROISIEME EPOQUE. l'J'J pourri avant de se pétrifier. (Leeberoth, Journal éco- nomique, juillet 1753. ) M. HoQman, en parlant des ardoises, dit que non seulement les poissons que l'on y trouve pétrifiés ont été des créatures vivantes, mais que les couches d'ar- doises n'ont été que le dépôt d'une eau fangeuse, qui, après avoir fermenté et s'être pétrifiée, s'étoit préci- pitée par couches très minces. « Les ardoises d'Angers, dit M. Guettard, présen- tent quelquefois des empreintes de plantes et de pois- sons qui méritent d'autant plus d'attention, que les plantes auxquelles ces empreintes sont dues étoient des fucus de mer, et que celles des poissons repré- sentent différents crustacés ou animaux de la classe des écrevisses, dont les empreintes sont plus rares que celles des poissons et des coquillages. Il ajoute qu'après avoir consulté plusieurs auteurs qui ont écrit sur les poissons, les écrevisses, et les crabes, il n'a rien trouvé de ressemblant aux empreintes en ques- tion , si ce n'est le pou de mer, qui y a quelques rap- ports ,, mais qui en diffère néanmoins par le nombre de ses anneaux, qui sont au nombre de treize; au lieu que les anneaux ne sont qu'au nombre de sept ou huit dans les empreintes de l'ardoise : les emprein- tes de poissons se trouvent communément parsemées de matière pyriteuse et blanchâtre. Une singularité, qui ne regarde pas plus les ardoises d'Angers que celles des autres pays, tombe sur la fréquence des empreintes de poissons et la rareté des coquillages dans les ardoises, tandis qu'elles sont si communes dans les pierres à chaux ordinaires. » ( Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1707, page 5a.) IJ& » DES ÉPOQUES DE LÀ NATURE. On peut donner des preuves démonstratives que tous les charbons de terre ne sont composés que de débris de végétaux, mêlés avec du bitume et du sou- fre, ou plutôt de l'acide vitriolique, qui se fait sentir dans la combustion : on reconnoît les végétaux sou- vent en grand volume dans les couches supérieures des veines de charbon de terre; et, à.mesure que l'on descend, on voit les nuances de la décomposi- tion de ces mêmes végétaux. Il y a des espèces de charbon de terre qui ne sont que des bois fossiles : celui qui se trouve à Sainte-Agnès, près Lons-le-Sau- nier, ressemble parfaitement à des bûches ou tron- çons de sapins ; on y remarque très distinptement les veines de chaque crue annuelle , ainsi que le cœur : ces tronçons ne diffèrent des sapins ordinaires qu'en ce qu'ils sont ovales sur la longueur, et que leurs veines forment autant d'ellipses concentriques. Ces bû- ches n'ont guère qu'environ un pied de tour, et leur écorce est très épaisse et fort crevassée , comme celle des vieux sapins; au lieu que les sapins ordinaires de pareille grosseur ont toujours une écorce assez lisse. « J'ai trouvé , dit M. de Gensanne , plusieurs filons de ce même charbon dans le diocèse de Montpellier : ici les tronçons sont très gros , leur tissu est très sem- blable à celui des châtaigniers de trois à quatre pieds de tour. Ces sortes de fossiles ne donnent au feu qu'une légère odeur d'asphalte ; ils brûlent, donnent de la flamme et de la braise comme le bois; c'est ce qu'on appelle communément en France de la houille; elle se trouve fort près de la surface du terrain : ces houilles annoncent, pour l'ordinaire, du véritable charbon de terre à de plus grandes profondeurs. (His- T R O [ s J t M Ë É P O Q U E. I 7 () toire naturelle du Languedoc 3 par M. de Gensanne , tome I, page 20. ) Ces charbons ligneux doivent être regardés comme des bois déposés dans une terre bitumineuse à laquelle est due leur qualité de charbons fossiles : on ne les trouve jamais que dans ces sortes de terres, et tou- jours assez près de la surface du terrain ; il n'est pas môme rare qu'ils forment la tête des veines d'un vé- ritable charbon; il y en a qui, n'ayant reçu que peu de substance bitumineuse , ont conservé leurs nuances de couleur de bois. « J'en ai trouvé de cette espèce, dit M. de Gensanne, aux Cazarets, près de Saint- Jean-de-Cucul, à quatre lieues de Montpellier ; mais pour l'ordinaire la fracture de ce fossile présente une surface lisse , entièrement semblable à celle du jayet. Il y a dans le même canton, près d'Aseras, du bois fossile qui est en partie changé en une vraie pyrite blanche ferrugineuse. La matière minérale y occupe le cœur du bois , et on y remarque très distinctement la substance ligneuse, rongée en quelque sorte et dissoute par l'acide minéraliseur. » [Histoire naturelle du Languedoc , tome I, page 54-) J'avoue que je suis surpris de voir qu'après de pa- reilles preuves rapportées par M. de Gensanne lui- même, qui d'ailleurs est bon minéralogiste, il attri- bue néanmoins l'origine du charbon de terre à l'argile plus ou moins imprégnée de bitume : non seulement les faits que je viens de citer d'après lui dénrenteni cette opinion , mais on verra , par ceux que je vais rapporter, qu'on ne doit attribuer qu'aux détriments des végétaux mêlés de bitumes la masse entière de toutes les espèces de charbons de terre. l8(> DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Je sens bien que M, de Gensanne ne regarde pas ces bois fossiles, non plus que la tourbe et môme la houille, comme de véritables charbons de terre en- tièrement formés; et en cela je suis de son avis. Celui qu'on trouve auprès de Lons-le-Saunier a été examiné nouvellement par M. le président de Ruffey, savant académicien de Dijon. Il dit que ce bois fossile s'ap- proche beaucoup de la nature des charbons de terre, mais qu'on le trouve à deux ou trois pieds de la sur- face de la terre dans une étendue de deux lieues sur trois à quatre pieds d'épaisseur, et que l'on reconnoît encore facilement les espèces de bois de chêne , charme, hêtre, tremble; qu'il y a du bois de corde et du fagotage ; que l'écorce des bûches est bien con- servée, qu'on y distingue les cercles des sèves et les coups de hache, et qu'à différentes distances on voit des amas de copeaux; qu'au reste ce charbon dans lequel le bois s'est changé est excellent pour souder le fer; que néanmoins il répand, lorsqu'on le brûle, une odeur fétide, et qu'on en a extrait de l'alun. (Mémoires de l'Académie de Dijon , tome I, page [\rj.) « Près du village nommé Bcichlitz, à une lieue en- viron de la ville de Halle, on exploite deux couches composées d'une terre bitumineuse et de bois fossile (il y a plusieurs mines de cette espèce dans le pays de Hesse) , et celui-ci est semblable à celui que l'on trouve dans le village de Sainte-Agnès en Franche-Comté, à deux lieues de Lons-le-Saunier. Cette mine est dans le terrain de Saxe ; la première couche est à trois toises et demie de profondeur perpendiculaire, et de 8 à 9 pieds d'épaisseur : pour y parvenir on tra- verse un sable blanc, ensuite une argile blanche et TROISIÈME ÉPOQUE. I 8 I grise qui sert de toit , et qui a trois pieds d'épaisseur ; ou rencontre encore au dessous une bonne épaisseur tant de sable que d'argile qui recouvre la seconde couche, épaisse seulement de 3 */2 à 4 pieds : on a sondé beaucoup plus bas sans en trouver d'autres. » Ces couches sont horizontales; mais elles plon- gent ou remontent à peu près comme les autres cou- ches connues. Elles consistent en une terre brune, bitumineuse, qui est friable lorsqu'elle est sèche, et ressemble à du bois pourri. Il s'y trouve des pièces de bois de toute grosseur, qu'il faut couper à coups de hache, lorsqu'on les retire de la mine où elles sont encore mouillées. Ce bois étant sec se casse très faci- lement. 11 est luisant dans sa cassure comme le bi- tume ; niais on y reconnoît toute l'organisation du bois. Il est moins abondant que la terre; les ouvriers le mettent à part pour leur usage. » Un boisseau ou deux quintaux de terre bitumi- neuse se vend dix-huit à vingt sous de France. Il y a des pyrites dans ces couches; la matière en est vitrio- lique; elle refleurit et blanchit à l'air : mais la matière bitumineuse n'est pas d'un grand débit, elle ne donne qu'une chaleur foible. » [Voyages métallurgiques de M. Jars, pages 5so et suivantes.) Tout ceci prouveroit qu'en effet cette espèce de mine de bois fossile , qui se trouve si près de la sur- face de la terre, seroit bien plus nouvelle que les mines de charbon de terre ordinaire, qui presque toutes s'enfoncent profondément : mais cela n'empê- che pas que les anciennes mines de charbon n'aient été formées des débris des végétaux, puisque, dans Jesplus profondes, on reconnoît la substance ligneuse Bl^FFOA. Y. 1$2 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. et plusieurs autres caractères qui n'appartiennent qu'aux végétaux; 'd'ailleurs on a quelques exemples de bois fossiles trouvés en grandes masses et en lits fort étendus sous des bancs de grès et sous des ro- chers calcaires. Voyez ce que j'en ai dit à l'article des Additions sur les bois souterrains. Il n'y a donc d'autre différence entre le vrai charbon de terre et ces bois cbarbonifiés, que le plus ou moins de décomposi- tion , et aussi le plus ou moins d'imprégnation par les bitumes; mais le fonds de leur substance est le même, et tous doivent également leur origine aux détriments des végétaux. M. Le Monnier, premier médecin ordinaire du roi , et savant botaniste , a trouvé dans le schiste ou fausse ardoise qui traverse une masse de charbon de terre en Auvergne les impressions de plusieurs espèces de fougères qui lui étoient presque toutes inconnues ; il croit seulement avoir remarqué l'impression des feuil- les de i'osmonde royale, dont il dit n'avoir jamais vu qu'un seul pied dans toute l'Auvergne. (Observations d'kistoire naturelle par M. Le Monnier; Paris, 17^9, page 190.) Il seroit à désirer que nos botanistes fissent des observations exactes sur les impressions des plantes qui se trouvent dans les charbons de terre, dans les ardoises, et dans les schistes : il faudroit même des- siner et graver ces impressions de plantes aussi bien que celles des crustacés, des coquilles, et des pois- sons, que ces mines renferment; car ce ne sera qu'a- près ce travail qu'on pourra prononcer sur l'existence actuelle ou passée de toutes ces espèces, et même sur leur ancienneté relative. Tout ce que nous en savons T R O I s [ È M R ÉPOQUE. «8 5 aujourd'hui c'est qu'il y en a plus d'inconnues que d'autres, et que, dans celles qu'on a voulu rapporter à des espèces bien connues , l'on a toujours trouvé des différences assez grandes pour n'être pas pleinement satisfait de la comparaison. ( Sur la page 1/41. ) « J'ai mis dans un vaisseau de faïence deux livres de grès en poudre, dit M. jNadault ; j'ai rempli le vais- seau d'eau de fontaine distillée, de façon qu'elle sur- nageoit le grès d'environ trois ou quatre doigts de hau- teur; j'ai ensuite agité ce grès pendant l'espace de quelques minutes, et j'ai exposé le vaisseau en plein air. Quelques jours après, je me suis aperçu qu'il s'é- toit formé sur ce grès une couche de plus d'un quart de pouce d'épaisseur d'une terre jaunâtre très fine, très grasse, et très ductile : j'ai versé alors par incli- naison l'eau qui surnageait, dans un autre vaisseau, et cette terre, plus légère que le grès, s'en est sépa- rée sans qu'il s'y soit mêlé. La quantité que j'en ai retirée par cette première lotion étoit trop considéra- ble pour pouvoir penser que , dans un espace de temps aussi court, il eût pu se faire une assez grande décom- position de grès pour avoir produit autant de terre : j'ai donc jugé qu'il falloit que cette terre fut déjà dans Je grès dans le même état que je l'en avois retirée, et qu'il se faisoit peut-être ainsi continuellement une décomposition du grès dans sa propre mine. J'ai rem- pli ensuite le vaisseau de nouvelle eau distillée; j'ai agité le grès pendant quelques instants, et, trois jours après, j'ai encore trouvé sur ce grès une couche de 1C>4 DES ÉPOQUES DE L'A NATURE. terre de la même qualité que la première, mais plus mince de moitié. Ayant mis à part ces espèces de sé- crétions, j'ai continué, pendant le cours de plus d'une année, celte même opération et ces expériences que j'avois commencées dans le mois d'avril; et la quan- tité de terre que m'a produite ce grès a diminué peu à peu, jusqu'à ce qu'au bout de deux mois, en trans- vidant l'eau du vaisseau qui le contenoit, je ne trouvai plus sur le grès qu'une pellicule terreuse qui n'avoit pas une ligne d'épaisseur; mais aussi pendant tout le reste de l'année, et tant que le grès a été dans l'eau, cette pellicule n'a jamais manqué de se former dans l'espace de deux ou trois jours, sans augmenter ni di- minuer en épaisseur, à l'exception du temps où j'ai été obligé, par rapport à la gelée, de mettre le vais- seau à couvert, qu'il m'a paru que la décomposition du grès se faisoit un peu plus lentement. Quelque temps après avoir mis ce grès dans l'eau , j'y ai aperçu une grande quantité de paillettes brillantes et argen- tées, comme le sont celles du talc, qui n'y étoient pas auparavant , et j'ai jugé que c'étoit là son premier état de décomposition; que ses molécules, formées de plusieurs petites couches, s'exfolioient, comme j'ai observé qu'il arrivoit au verre dans certaines circon- stances, et que ces paillettes s'atténuoient ensuite peu à peu dans l'eau, jusqu'à ce que, devenues si petites qu'elles n'avoient plus assez de surface pour réfléchir la lumière , elles acquiéroient la forme et les proprié- tés d'une véritable terre : j'ai donc amassé et mis à part toutes les sécrétions terreuses que les deux livres de grès m'ont produites pendant le cours de plus d'une année; et lorsque cette terre a été bien sèche, elle T 11 O I S 1 1> M E ÉPOQUE. 1 8 5 pesoit environ cinq onces. J'ai aussi pesé le grès après l'avoir fait sécher, et i! avoit diminué en pesanteur dans la même proportion, de sorte qu'il s'en étoit dé- composé un peu plus de la sixième partie. Toute cette terre étoit au reste de la même qualité, et les derniè- res sécrétions étoient aussi grasses, aussi ductiles, que les premières, et toujours d'un jaune tirant sur l'o- rangé : mais comme j'y apercevois encore quelques paillettes brillantes, quelques molécules de grès qui n'étoient pas entièrement décomposées, j'ai remis cette terre avec de l'eau dans un vaisseau de verre , et je l'ai laissée exposée à l'air, sans la remuer, pendant tout un été, ajoutant de temps en temps de nouvelle eau à mesure qu'elle s'évaporoit; un mois après, cette eau a commencé à se corrompre, et elle est devenue ver- dâtre et de mauvaise odeur : la terre paroissoit être aussi dans un état de fermentation et de putréfaction, car il s'en élevoit une grande quantité de bulles d'air ; et quoiqu'elle eût conservé à sa superficie sa couleur jaunâtre, ceile qui étoit au fond du vaisseau étoit brune, et cette couleur s'étendoit de jour en jour, et paroissoit plus foncée, de sorte qu'à la fin de l'été cette terre étoit devenue absolument noire. J'ai laissé évaporer l'eau sans en remettre de nouvelle dans le vaisseau ; et en ayant tiré la terre, qui ressembloit assez à de l'argile grise lorsqu'elle est humectée, je l'ai fait sécher à la chaleur du feu ; et lorsqu'elle a été échauf- fée , il m'a paru qu'elle exhaloit une odeur sulfureuse : mais ce qui m'a surpris davantage, c'est qu'à propor- tion qu'elle s'est desséchée la couleur noire s'est un peu effacée, et elle est devenue aussi blanche que l'ar- gile la plus blanche; d'où on peu! conjecturer que 1 86 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. e'étoit par conséquent une matière volatile qui lui coniiimniquoit cette couleur brune : les esprits aci- des n'ont fait aucune impression sur cette terre; et lui ayant fait éprouver un degré de chaleur assez vio- lent, elle n'a point rougi comme l'argile grise, mais elle a conservé sa blancheur; de sorte qu'il me paroît évident que cette matière que m'a produite le grès, en s'atténuant et en se décomposant dans l'eau , est une véritable argile blanche. » (Note communiquée à M. de BufFon par M. Nadault, correspondant de l'A- cadémie des Sciences, ancien avocat-général de la chambre des comptes de Dijon. ) {Sur la page 166. ) Cela est évident dans le continent de l'Amérique, dont les pentes sont extrêmement rapides vers les mers de l'ouest, et dont toutes les terres s'étendent en pente douce et aboutissent presque toutes à de grandes plaines du côté de la mer à l'orient. En Eu- rope, la ligne du sommet de la Grande-Bretagne, qui s'étend du nord au sud, est bien plus proche du bord occidental que de l'oriental de l'Océan; et par la même raison, les mers qui sont à l'occident de l'Ir- lande et de l'Angleterre sont plus profondes que la mer qui sépare l'Angleterre et la Hollande. La ligne du sommet de la INorwège est bien plus proche de l'Océan que de la mer Baltique. Les montagnes du sommet général de l'Europe sont bien plus hautes vers l'occident que vers l'orient; et si l'on prend une partie de ce sommet depuis la Suisse jusqu'en Sibé- rie , il est bien plus près de la mer Baltique et de la TROISIÈME ÉPOQUE. lS^ mer Blanche qu'il ne Test de la mer Noire et de la mer Caspienne. Les Alpes et l'Apennin régnent bien plus près de la Méditerranée que de la mer Adria- tique. La chaîne de montagnes qui sort du ïyrol, et qui s'étend en Dalmatie et jusqu'à la pointe de la Mo- rée, côtoie', pour ainsi dire, la mer Adriatique, tan- dis que les côtes orientales qui leur sont opposées sont plus basses. Si l'on suit en Asie la chaîne qui s'étend depuis les Dardanelles jusqu'au détroit de Babel-Man- del, on trouve que les sommets du mont Taurus, du Liban, et de toute l'Arabie, côtoient la Méditerranée et la nier Rouge, et qu'à l'orient ce sont dévastes continents où coulent des fleuves d'un long cours, qui vont se jeter dans le golfe Persique. Le sommet des fameuses montagnes de Gattes s'approche plus des mers occidentales que des mers orientales. Le sommet qui s'étend depuis les frontières occidentales de !a Chine jusqu'à la pointe de Malaca est encore plus près de la mer d'Occident que de la mer d'O- rient. En Afrique, la chaîne du mont Atlas envoie dans la mer d^s Canaries des fleuves moins longs que ceux qu'elle envoie dans l'intérieur du continent, et qui vont se perdre au loin dans des lacs et de grands marais. Les hautes montagnes qui sont à l'occident vers le cap Vert et dans toute la Guinée, lesquelles, après avoir tourné autour de Congo, vont gagner les monts de la Lune, et s'allongent jusqu'au cap de Bonne-Espérance, occupent assez régulièrement le milieu de l'Afrique. On reconnoîtra néanmoins, en considérant la mer à l'orient et à l'occident, que celk' à l'orient est peu profonde, avec un grand nombre d'îles, tandis qu'à l'occident elle a plus de profondeur 1 88 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. et très peu d'îles; en sorte que l'endroit le plus pro- fond de la nier occidentale esl bien plus près de cette chaîne que le plus profond des mers orientales et des Indes. On voit donc généralement, dans tous les conti- nents, que les points de partage sont toujours beau- coup plus près des mers de l'ouest que des mers de l'est ; que les revers de ces continents sont tous allon- gés vers l'est, et toujours raccourcis à l'ouest, que les mers des rives occidentales sont plus profondes et bien moins semées d'îles que les orientales ; et même Ton reconnoîtra que, dans toutes ces mers, les côtes des îles sont toujours plus hautes et les mers qui les baignent plus profondes à l'orient qu'à l'occi- dent. QUATRIÈME ÉPOQUE QUATRIÈME ÉPOQUE. Lorsque les eaux se sont retirées, et que les volcans ont commencé d'agir. On vient de voir que les éléments de l'air et de l'eau se sont établis par le refroidissement, et que les eaux, d'abord reléguées dans l'atmosphère par la force expansive de la chaleur, sont ensuite tombées sur les parties du globe qui étoient assez attiédies pour ne les pas rejeter en vapeurs; et ces parties sont les régions polaires et toutes ies montagnes. Il y a donc eu, à l'époque de trente-cinq mille ans, une vaste mer aux environs de chaque pôle, et quelques lacs ou grandes mares sur les montagnes et les terres élevées qui , se trouvant refroidies au même degré que celles des pôles, pouvoient également recevoir et conserver les eaux ; ensuite, à mesure que le globe se refroidissoit, les mers des pôles, toujours alimen- tées et fournies parla chute des eaux de l'atmosphère, se répandoient plus loin ; et les lacs ou grandes ma- res , également fournis par cette pluie continuelle d'autant plus abondante que l'attiédissementétoit plus grand, s'étendoienten tous sens, et formoieut des bas- sins et de petites mers intérieures dans les parties du globe auxquelles les grandes mers des deux pôles n'a- voient point encore atteint : ensuite les eaux conti- nuant à tomber toujours avec plus d'abondance jus- \Ç)2 Ï>ES EPOQUES DE L\ NATURE. qu'à l'entière dépuration de l'atmosphère, elles ont gagné successivement du terrain, et sont arrivées aux contrées de 1 équateur ; et enfin elles ont couvert toute la surface du globe à deux mille toises de hauteur au dessus du niveau de nos mers actuelles. La terre en- tière étoit alors sous l'empire de la mer, à l'exception peut-être du sommet des montagnes primitives, qui n'ont été pour ainsi dire que lavées et baignées pen- dant le premier temps de la chute des eaux, lesquelles se sont écoulées de ces lieux élevés pour occuper les terrains inférieurs dès qu'ils se sont trouas assez re- froidis pour les admettre sans les rejeter en vapeurs. Il s'est donc formé successivement une mer uni- verselle , qui n'étoit interrompue et surmontée que par les sommets des montagnes d'où les premières eauxs'étoient déjà retirées en s'écoulant dans les lieux plus bas. Ces terres élevées, ayant été travaillées les premières par le séjour et le mouvement des eaux, auront aussi été fécondées les premières; et tandis que toute la surface du globe n'étoit pour ainsi dire qu'un archipel général, la nature organisée s'établis- soit sur ces montagnes : elle s'y déployoit même avec une grande énergie; car la chaleur et l'humidité, ces deux principes de toute fécondation, s'y trouvoient réunis et combines à un plus haut degré qu'ils ne le sont aujourd'hui dans aucun climat de la terre. Or, dans ce même temps, où les terres élevées au dessus des eaux se couvroient de grands arbres et de végétaux de toute espèce , la mer générale se peuploit partout de poissons et de coquillages; elle étoit aussi le réceptacle universel de tout ce qui se détachoit des terres qui la surmontoient. tes scories du verre QUATRIEME EPOQUE. 1 (),> primitif et les matières végétales ont été entraînées des éminences de la terre dans les profondeurs de la mer, sur le fond de laquelle elles ont formé les pre- mières couches de sable vitrescible , d'argile , de schiste, et d'ardoise, ainsi que les minières de char- bon, de sel, et de bitumes, qui dès lors ont impré- gné toute la masse des mers. La quantité de végétaux produits et détruits dans ces premières terres est trop immense pour qu'on puisse se la représenter; car, quand nous réduirions la superficie de toutes les ter- res élevées alors au dessus des eaux à la centième on même à la deux centième partie de la surface du globe, c'est-à-dire à cent trente mille lieues car- rées, il est aisé de sentir combien ce vaste terrain de cent trente mille lieues superficielles a produit d'ar- bres et de plantes pendant quelques milliers d'an- nées, combien leurs détriments se sont accumulés, et dans quelle énorme quantité ils ont été entraînés et déposés sous les eaux, où ils ont formé le fonds du volume tout aussi grand des mines de charbon qui se trouvent en tant de lieux. Il en est de même des mines de sel, de celles de fer en grains, de pyri- tes, et de toutes les autres substances dans la com- position desquelles il entre des acides, et dont la pre- mière formation n'a pu s'opérer qu'après la chute des eaux : ces matières auront été entraînées et dé- posées dans les lieux bas et dans les fentes de la ro- che du globe , où trouvant déjà les substances miné- rales sublimées par la grande chaleur de la terre, elles auront formé le premier fonds de l'aliment des vol- cans à venir : je dis à venir, car il n'existoit aucun vol- can en action avant l'établissement des eaux, et ils 10,4 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. n'ont commencé d'agir, ou plutôt ils n'ont pu pren- dre une action permanente, qu'après leur abaisse- ment : car l'on doit distinguer les volcans terrestres des volcans marins; ceux-ci ne peuvent faire que des explosions, pour ainsi dire, momentanées, parce qu'à l'instant que leur feu s'allume par l'effervescence des matières pyriteuses et combustibles, il est immédia- tement éteint par l'eau qui les couvre et se précipite à flots jusque dans leur foyer par toutes les routes que le feu s'ouvre pour en sortir. Les volcans de la terre ont au contraire une action durable et proportionnée à la quantité de matières qu'ils contiennent: ces ma- tières ont besoin d'une certaine quantité d'eau pour entrer en effervescence; et ce n'est ensuite que par le choc d'un grand volume de feu contre un grand volume d'eau, que peuvent se produire leurs violen- tes éruptions; et de même qu'un volcan sous-marin ne peut agir que par instants, un volcan terrestre ne peut durer qu'autant qu'il est voisin des eaux. C'est par cette raison que tous les volcans actuellement agissants sont dans les îles ou près des côtes de la mer, et qu'on pourroit en compter cent fois plus d'é- teints que d'agissants; car à mesure que les eaux, en se retirant, se sont trop éloignées du pied de ces vol- cans, leurs éruptions ont diminué par degrés, et enfin ont entièrement cessé, et les légères effervescences que l'eau pluviale aura pu causer dans leur ancien foyer n'auront produit d'effet sensible que par des cir- constances particulières et très rares. Les observations confirment parfaitement ce que je dis ici de l'action des volcans : tous ceux qui sont maintenant en travail sont situés près des mers; tous QUATRIÈME ÉPOQUE. 1C)5 ceux qui sont éteints, et dont le nombre est bien plus grand, sont placés dans le milieu des terres, ou tout au moins à quelque distance de la mer; et, quoi- que la plupart des volcans qui subsistent paroissent appartenir aux plus hautes montagnes, il en a existé beaucoup d'autres dans les éminences de médiocre hauteur. La date de lage des volcans n'est donc pas partout la même : d'abord il est sûr que les premiers, c'est-à-dire les plus anciens, n'ont pu acquérir une action permanente qu'après l'abaissement des eaux qui couvroient leur sommet; et ensuite il paroît qu'ils ont cessé d'agir dès que ces mêmes eaux se sont trop éloignées de leur voisinage : car, je le répète, nulle puissance, à l'exception de celle d'une grande masse d'eau choquée contre un grand volume de feu, ne peut produire des mouvements aussi prodigieux que ceux de l'éruption des volcans. Il est vrai que nous ne voyons pas d'assez près la composition intérieure de ces terribles bouches à feu, pour pouvoir prononcer sur leurs effets en parfaite connoissance de cause; nous savons seulement que souvent il y a des communications souterraines de volcan à volcan; nous savons aussi que, quoique le foyer de leur embrasement ne soit peut-être pas à une grande distance de leur sommet, il y a néanmoins des cavités qui descendent beaucoup plus bas, et que ces cavités, dont la profondeur et l'étendue nous sont inconnues, peuvent être, en tout ou en partie, rem- plies des mêmes matières que celles qui sont actuelle- ment embrasées. D'autre part, l'électricité me paroît jouer un très grand rôle dans les tremblements de terre et dans 196 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. les éruptions des volcans; je me suis convaincu par des raisons très solides, et par la comparaison que j'ai faite des expériences sur l'électricité, que le fonds de la matière électrique est la chaleur propre du globe ter- restre : les énianations continuelles de cette chaleur, quoique sensibles, ne sont pas visibles, et restent sous la forme de chaleur obscure, tant qu'elles ont leur mouvement libre et direct; mais elles produisent un feu très vif et de fortes explosions , dès qu'elles sont détournées de leur direction, ou bien accumulées par le frottement des corps. Les cavités intérieures de la terre contenant du feu, de l'air, et de l'eau, l'ac- tion de ce premier élément doit y produire des vents impétueux, des orages bruyants, et des tonnerres sou- terrains, dont les effets peuvent être comparés à ceux de la foudre des airs : ces effets doivent même être plus violents et plus durables par la forte résistance que la solidité de la terre oppose de tous côtés à la force électrique de ces tonnerres souterrains. Le res- sort d'un air mêlé de vapeurs denses et enflammées par l'électricité , l'effort de l'eau réduite en vapeurs élastiques par le feu, toutes les autres impulsions de cette puissance électrique, soulèvent, entr'ouvrent la surface de la terre , ou du moins l'agitent par des tremblements, dont les secousses ne durent pas plus long-temps que le coup de la foudre intérieure qui les produit ; et ces secousses se renouvellent jusqu'à ce que les vapeurs expansives se soient fait une issue par quelque ouverture à la surface de la terre ou dans le sein des mers. Aussi les éruptions des volcans et les tremblements de terre sont précédés et accom- pagnés d'un bruit sourd et roulant, qui ne diffère de QUATRIEME EPOQUE. 1 97 celui du tonnerre que par le ton sépulcral et profond que le son prend nécessairement en traversant une grande épaisseur de matière solide, lorsqu'il s'y trouve renfermé. Cette électricité souterraine , combinée comme cause générale avec les causes particulières de feux allumés par l'effervescence des matières pyriteuses et combustibles que la terre récèle en tant d'endroits, suffit à l'explication des principaux phénomènes de l'action des volcans : par exemple, leur foyer paroît être assez voisin de leur sommet; mais l'orage est au dessous. Un volcan n'est qu'un vaste fourneau, dont les soufflets, ou plutôt les ventilateurs, sont placés dans les cavités inférieures, à côté et au dessous du loyer. Ce sont ces mêmes cavités, lorsqu'elles s'éten- dent jusqu'à la mer, qui servent de tuyaux d'inspira- tion pour porter en haut non seulement les vapeurs, mais les masses mêmes de l'eau et de l'air; c'est dans ce transport que se produit la foudre souterraine, qui s'annonce par des mugissements, et n'éclate que par l'affreux vomissement des matières qu'elle a frappées, brûlées et calcinées : des tourbillons épais d'une noire fumée ou d'une flamme lugubre, des nuages massifs de cendres et de pierres, des torrents bouillonnants de lave en fusion, roulants au loin leurs flots brûlants et destructeurs, manifestent au dehors le mouvement convulsif des entrailles de la terre. Ces tempêtes intestines sont d'autant plus violen- tes qu'elles sont plus voisines des montagnes à volcan et des eaux de la mer, dont le sel et les huiles grasses augmentent encore l'activité du feu; les terres situées entre le volcan et la mer ne peuvent manquer d'é- ! ! i'i ON. V. 1Ç)8 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. prouver des secousses fréquentes : mais pourquoi n'y a-t~il aucun endroit du monde où l'on n'ait ressenti, même de mémoire d'homme, quelques tremblements, quelque trépidation, causés par ces mouvements inté- rieurs de la terre? Ils sont, à la vérité, moins violents et bien plus rares dans le milieu des continents éloi- gnés des volcans et des mers; mais ne sont-ils pas des effets dépendants des mêmes causes? Pourquoi donc se font-ils ressentir où ces causes n'existent pas, c'est- à-dire dans les lieux où il n'y a ni mer ni volcans? La réponse est aisée : c'est qu'il y a eu des mers partout et des volcans presque partout, et que, quoique leurs éruptions aient cessé lorsque les mers s'en sont éloi- gnées, leur feu subsiste, et nous est démontré par les sources des huiles terrestres, par les fontaines chau des et sulfureuses qui se trouvent fréquemment au pied des montagnes, jusque dans le milieu des plus grands continents. Ces feux des anciens volcans, de- venus plus tranquilles depuis la retraite des eaux, suf- fisent néanmoins pour exciter de temps en temps des mouvements intérieurs , et produire de légères se- cousses dont les oscillations sont dirigées dans le sens des cavités de la terre, et peut-être dans la direction des eaux ou des veines des métaux, comme conduc- teurs de cette électricité souterraine. On pourra me demander encore pourquoi tous îe^ volcans sont situés dans les montagnes? Pourquoi pa- roissent-ils être d'autant plus ardents que les mon- tagnes sont plus hautes? quelle est la cause qui a pu disposer ces énormes cheminées dans l'intérieur des murs les plus solides et les plus élevés du globe? Si l'on a bien compris ce que j'ai dit au sujet des inéga- Q L AT il IliME E P O Q l 1. . ) 99 lités produites par le premier refroidissement, lorsque les matières en fusion se sont consolidées, on sen- tira que les chaînes des hautes montagnes nous re- présentent les plus grandes boursouflures qui se sont faites à la surface du globe dans le temps qu'il a pris sa consistance. La plupart des montagnes sont donc si- tuées sur des cavités, auxquelles aboutissent les fentes perpendiculaires qui les tranchent du haut en bas : ces cavernes et ces fentes contiennent des matières qui s'enflamment par la seule effervescence, ou qui sont allumées par les étincelles électriques de la cha- leur intérieure du globe. Dès que le feu commence à se faire sentir, l'air attiré par la raréfaction en aug- mente la force et produit bientôt un grand incendie, dont l'effet est de produire à son tour les mouve- ments et les orales intestins, les tonnerres sou ter- rains, et toutes les impulsions, les bruits et les se- cousses qui précèdent et accompagnent l'éruption des volcans. On doit donc cesser d'être étonné que les volcans soient tous situés dans les hautes montagnes, puisque ce sont les seuls anciens endroits de la terre où les cavités intérieures se soient maintenues, les seuls où ces cavités communiquent de bas en haut par des fentes qui ne sont pas encore comblées, et enfin les seuls où l'espace vide étoit assez vaste pour contenir la très grande quantité de matières qui ser- vent d'aliment au feu des volcans permanents et en- core subsistants. Au reste, ils s'éteindront comme les autres dans la suite des siècles; leurs éruptions cesse- ront: oserai-je même dire que les hommes pourroient y contribuer? En coûtero»t-il autant pour couper la communication d'un volcan avec la mer voisine qu'il 200 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. en a coûté pour construire les pyramides d'Egypte? Ces monuments inutiles d'une gloire fausse et vaine nous apprennent au moins qu'en employant les mê- mes forces pour des monuments de sagesse, nous pourrions faire de très grandes choses, et peut-être maîtriser la nature au point de faire cesser, ou du moins de diriger les ravages du feu, comme nous sa- vons déjà, par notre art, diriger et rompre les efforts de l'eau. Jusqu'au temps de l'action des volcans il n'existoil sur le globe que trois sortes de matières : i° les vi- trescibles produites parle feu primitif; 2° les calcaires formées par l'intermède de l'eau; 5° toutes les sub- stances produites parle détriment des animaux et des végétaux : mais le feu des volcans a donné naissance à des matières d'une quatrième sorte, qui souvent participent de la nature des trois autres. La première classe renferme non seulement les matières premiè- res solides et vitrescibles dont la nature n'a point été altérée, et qui forment le fond du globe, ainsi que le noyau de toutes les montagnes primordiales, mais encore les sables, les schistes les ardoises, les argiles, et toutes les matières vitrescibles décomposées et transportées par les eaux. La seconde classe con- tient toutes les matières calcaires, c'est-à-dire toutes les substances produites par les coquillages et autres animaux de la mer : elles s'étendent sur des provin- ces entières, et couvrent même d'assez vastes con- trées; elles se trouvent aussi à des profondeurs assez considérables, et elles environnent les bases des mon- tagnes les plus élevées jusqu'à une très grande hau- teur, La troisième classe comprend! toutes les sub- QUATRIEME EPOQUE. SOI stances qui doivent leur origine aux matières animales et- végétales, et ces substances sont en très grand nom- bre ; leur quantité paroît immense , car elles recouvrent toute la superficie de la terre. Enfin la quatrième classe est celle des matières soulevées et rejetées parles vol- cans, dont quelques unes paroissent être un mélange des premières, et d'autres, pures de tout mélange, ont subi une seconde action du feu qui leur a donné un nouveau caractère. Nous rapportons à ces quatre classes toutes les substances minérales, parce qu'en les examinant on peut toujours reconnoître à laquelle de ces classes elles appartiennent, et par conséquent prononcer sur leur origine : ce qui suffit pour nous indiquer à peu près le temps de leur formation; car, comme nous venons de l'exposer, il paroît clairement que toutes les matières vitrescibles solides, et qui n'ont pas changé de nature ni de situation, ont été produites par le feu primitif, et que leur formation appartient au temps de notre seconde époque, tandis que la formation des matières calcaires , ainsi que celle des argiles, des charbons, etc., n'a eu lieu que dans des temps subséquents, et doit être rapportée à notre troisième époque. Et comme dans les matières rejetées par les volcans on trouve quelquefois des substances calcaires, et souvent des soufres et des bitumes, on ne peut guère douter que la formation de ces substances rejetées par les volcans ne soit en- core postérieure à la formation de toutes ces matiè- res, et n'appartienne à notre quatrième époque. Quoique la quantité des matières rejetées par les volcans soit très petite en comparaison de la quantité de matières calcaires, elles ne laissent pas d'occuper 202 DES EPOQUES DE LA NATURE. d'assez grands espaces sur la surface des terres situées aux environs de ces montagnes ardentes et de celles dont les fenx sont éteints et assoupis. Par leurs érup- tions réitérées elles ont comblé les vallées, couvert les plaines, et même produit d'autres montagnes. Ensuite, lorsque les éruptions ont cessé , la plupart des vol- cans ont continué de brûler, mais d'un feu paisible et qui ne produit aucune explosion violente, parce qu'étant éloigné des mers il n'y a plus de choc de l'eau contre le feu : les matières en effervescence et les substances combustibles anciennement enflam- mées continuent de brûler; et c'est ce qui fait aujour- d'hui la chaleur de toutes nos eaux thermales : elles passent sur les foyers de ce feu souterrain, et sor- tent très chaudes du sein de la terre. Il y a aussi quel- ques exemples de mines de charbon qui brûlent de temps immémorial, et qui se sont allumées par la foudre souterraine ou par le feu tranquille d'un vol- can dont les éruptions ont cessé. Ces eaux thermales et ces mines allumées se trouvent souvent, comme les volcans éteints, dans les terres éloignées de la mer. La surface de la terre nous présente en mille en- droits les vestiges et les preuves de l'existence de ces volcans éteints : dans la France seule nous connois- sons les vieux volcans de l'Auvergne, du Velay, du Yivarais, de la Provence, et du Languedoc. En Italie presque toute la terre est formée de débris de ma- tières volcanisées, et il en est de même de plusieurs autres contrées. Mais pour réunir les objets sous un point de vue général, et concevoir nettement l'ordre des bouleversements que les volcans ont produits à QUATRIÈME EPOQUE. 20.1 la surface du globe, il faut reprendre notre troisième époque à cette date où la mer étoit universelle et couvroit toute la surface du globe, à l'exception des lieux élevés sur lesquels s'étoit fait le premier mé- lange des scories vitrées de la masse terrestre avec les eaux : c'est à cette même date que les végétaux ont pris naissance et qu'ils se sont multipliés sur les terres que la mer venoit d'abandonner. Les volcans n'existoient pas encore; car les matières qui servent d'aliment à leur feu, c'est-à-dire les bitumes, les cliarbons de terre, les pyrites, et même les acides, ne pouvoient s'être formés précédemment, puisque leur composition suppose l'intermède de l'eau et la destruction des végétaux. Ainsi les premiers volcans ont existé dans les terres élevées du milieu des continents; et à mesure que les mers, en s'abaissant, se sont éloignées de leur pied, leurs feux se sont assoupis et ont cessé de produire ces éruptions violentes qui ne peuvent s'opérer que par le conflit d'une grande masse d'eau contre un grand volume de feu. Or il a failu vingt mille ans pour cet abaissement successif des mers, et pour la forma- tion de toutes nos collines calcaires; et comme les amas des matières combustibles et minérales qui ser- vent d'aliment aux volcans n'ont pu se déposer que successivement, et qu'il a du s'écouler beaucoup de temps avant qu'elles se soient mises en action, ce n'est guère que sur la fin de cette période, c'est-à-dire à cinquante mille- ans de la formation du globe, que les volcans ont commencé à ravager la terre. Comme les environs de tous les lieux découverts étoient en- core baignés des eaux, il y a eu des volcans presque i2C>4 1>ES ÉPOQUES DE LA NATURE. partout, et il s'est fait de fréquentes et prodigieuses éruptions qui n'ont cessé qu'après la retraite des mers; mais cette retraite ne pouvant se faire que par l'affais- sement des boursouflures du globe, il est souvent ar- rivé que l'eau venant à flots remplir la profondeur de ces terres affaissées, elle a mis en action les volcans sous-marins, qui , par leur explosion , ont soulevé une partie de ces terres nouvellement affaissées, et les ont quelquefois poussées au dessus du niveau de la mer, où elles ont formé des îles nouvelles, comme nous l'avons vu dans la petite île formée auprès de celle de Santorin : néanmoins ces effets sont rares, et l'action des volcans sous-marins n'est ni permanente ni assez puissante pour élever un grand espace de terre au des- sus de la surface des mers. Les volcans terrestres, par la continuité de leurs éruptions, ont au contraire cou- vert de leurs déblais tous les terrains qui les environ- noient; ils ont, pa/ le dépôt successif de leurs laves, formé de nouvelles couches ; ces laves devenues fécon- des avec le temps sont une preuve invincible que la surface primitive de la terre, d'abord en fusion, puiscon- solidée, a pu de même devenir féconde : enfin les vol- cans ont aussi produit ces mornes ou tertres qui se voient dans toutes les montagnes à volcan, et ils ont élevé ces remparts de basalte qui servent de côtes aux mers dont ils sont voisins. Ainsi après que l'eau, par des mouvements uniformes et constants, eut achevé la construction horizontale des couches de la terre, le feu des volcans, par des explosfous subites, a bou- leversé, tranché, et couvert plusieurs de ces couches; et l'on ne doit pas être étonné de voir sortir du sein des volcans des matières de toute espèce , des cendres, QUATRIEME ÉPOQUE. 20Ù des pierres calcinées, des terres brûlées, ni de trouver ces matières mélangées des substances calcaires et vl- trescibles dont ces mêmes couches sont composées. Les tremblements de terre ont dû se faire sentir long-temps avant l'éruption des volcans : dès les pre- miers moments de l'affaissement des cavernes il s'est fait de violentes secousses qui ont produit des effets tout aussi violents et bien plus étendus que ceux des volcans. Pour s'en former l'idée, supposons qu'une caverne soutenant un terrain de cent lieues carrées, ce qui ne feroit qu'une des petites boursouflures du globe, se soit tout à coup écroulée : cet écroulement n'aura-t-il pas été nécessairement suivi d'une commo- tion qui se sera communiquée et fait sentir très loin par un tremblement plus ou moins violent? Quoique cent lieues carrées ne fassent que la deux cent soixante millième partie de la surface de la terre, la chute de cette masse n'a pu manquer d'ébranler toutes les ter- res adjacentes, et de faire peut-être écrouler en même temps les cavernes voisines : il ne s'est donc fait au- cun affaissement un peu considérable qui n'ait été accompagné de violentes secousses de tremblement de terre, dont le mouvement s'est communiqué par la force du ressort dont toute matière est douée, et qui a dû se propager quelquefois très loin^par les routes que peuvent offrir l£s vides de la terre dans lesquels les vents souterrains, excités par ces com- motions, auront peut-être allumé les feux des vol- cans; en sorte que d'une seule cause, c'est-à-dire de l'affaissement d'une caverne, il a pu résulter plusieurs effets, tous grands et la plupart terribles : d'abord rabaissement de la nier, forcée de courir à grands 2o6 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. flots pour remplir cette nouvelle profondeur, et lais- ser par conséquent à découvert de nouveaux terrains; 2° l'ébranlement des terres voisines par la commotion de la chute des matières solides qui formoient les voûtes de la caverne, et cet ébranlement fait pencher les montagnes, les fend vers le sommet, et en déta- che des masses qui roulent jusqu'à leur base; 3° le même mouvement produit par la commotion, et pro- pagé par les vents et les feux souterrains, soulève au loin la terre et les eaux, élève des tertres et des mornes, forme des gouffres et des crevasses, change le cours des rivières, tarit les anciennes sources, en produit de nouvelles, et ravage en moins de temps que je ne puis le dire tout ce qui se trouve dans sa direction. Nous devons donc cesser d'être surpris de voir en tant de lieux l'uniformité de l'ouvrage hori- zontal des eaux détruite et tranchée par des fentes inclinées, deséboulements irréguliers, et souvent ca- chés par des déblais informes accumulés sans ordre, non plus que de trouver de si grandes contrées tou- tes recouvertes de matières rejetées par les volcans : ce désordre, causé parles tremblements de terre, ne fait néanmoins que masquer la nature aux yeux de ceux qui ne la voient qu'en petit, et qui, d'un effet accidentel et particulier, font une cause générale et constante. C'est l'eau stule qui, comme cause géné- rale et subséquente à celle du feu primitif, a achevé de construire et de figurer la surface actuelle de la terre; et ce qui manque à l'uniformité de cette con- struction universelle n'est que l'effet particulier de la cause accidentelle des tremblements de terre et de l'action des volcans. QUATRIÈME EPOQUE. 20 ~ Or, dans cette construction île la surface de la terre par le mouvement et le sédiment des eaux, il faut distinguer deux périodes de temps. La première a commencé après rétablissement de la mer universelle, c'est-à-dire après la dépuration parfaite de l'atmo- sphère par la chute des eaux et de toutes les matières volatiles que l'ardeur du globe y tenoit reléguées : cette période a duré autant qu'il étoit nécessaire pour multiplier les coquillages au point de remplir de leurs dépouilles toutes nos collines calcaires, autant qu'il étoit nécessaire pour multiplier les végétaux, et pour former de leurs débris toutes nos mines de charbon, enfin autant qu'il étoit nécessaire pour convertir les scories du verre primitif en argiles, et former les aci- des, les sels, les pyrites, etc. Tous ces premiers et grands effets ont été produits ensemble dans les temps qui se sont écoulés depuis l'établissement des efux jusqu'à leur abaissement. Ensuite a commencé la se- conde période. Cette retraite des eaux ne s'est pas faite tout à coup, mais par une longue succession de temps, dans laquelle il faut encore saisir des points différents. Les montagnes composées de pierres cal- caires ont certainement été construites dans cette mer ancienne, dont les différents courants les ont tout aussi certainement figurées par angles correspondants. Or l'inspection attentive des côtes de nos vallées nous dé- montre que le travail particulier des courants a été pos- térieur à l'ouvrage général de la mer. Ce fait, qu'on n'a pas même soupçonné, est trop important pour ne le pas appuyer de tout ce qui peut le rendre sensible à tous les yeux. Prenons pour exemple la plus haute montagne 208 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. calcaire de la France, celle de Langres, qui s'élève au dessus de toutes les terres de la Champagne, s'é- tend en Bourgogne jusqu'à Montbard, et même jus- qu'à Tonnerre, et qui, dans la direction opposée, domine de même sur les terres de la Lorraine et de la Franche-Comté1. Ce cordon continu de la montagne de Langres, qui, depuis les sources de la Seine jus- qu'à celles de la Saône, a plus de quarante lieues en longueur, est entièrement calcaire, c'est-à-dire en- tièrement composé des productions de la mer; et c'est par cette raison que je l'ai choisi pour nous ser- vir d'exemple. Le point le plus élevé de cette chaîne de montagnes est très voisin de la ville de Langres, et l'on voit que, d'un côté, cette même chaîne verse ses eaux dans l'Océan par la Meuse, la Marne, la Seine, etc., et que, de l'autre côté, elle les verse dans la^Vléditerranée par les rivières qui aboutissent à la Saône. Le point où est situé Langres se trouve à peu près au milieu de cette longueur de quarante lieues, et les collines vont en s'abaissant à peu près également vers les sources de la Seine et vers celles de la Saône. Enfin ces collines, qui forment les extrémités de cette chaîne de montagnes calcaires, aboutissent également à des contrées de matières vitrescibîes; savoir, au delà de FArmanson , près de Semur, d'une part; et au delà des sources de la Saône et de la petite rivière du Cô- ney, de l'autre part. En considérant les vallons voisins de ces monta- gnes, nous reconnoîtrons que le point de Langres étant le plus élevé , il a été découvert le premier, dans le temps que les eaux se sont abaissées : aupa- i. Voyez la carie ci-jointe. C !//'/(' (h / parce qu'elles se forment en effet aux dépens des premières. [Notre globe, pendant trente-cinq mille ans, n'a donc été qu'une masse de chaleur et de feu , dont aucun être sensible ne pouvoit approcher; ensuite, pendant quinze ou vingt mille ans, sa surface n'étoit qu'une mer universelle : il a fallu cette longue succession de siècles pour le refroidissement de la terre et pour la retraite des eaux, et ce n'est qu'à la fin de cette se- conde période que la surface de nos continents a été figurée. Mais ces derniers effets de l'action des courants de la mer ont été précédés de quelques autres effets en- core plus généraux, lesquels ont influé sur quelques traits de la face entière de la terre. Nous avons dit que 220 DES EPOQUES DE LA NATURE. les eaux, venant en plus grande quantité du pôle aus- tral, avoient aiguisé toutes les pointes des continents; mais après la chute complète des eaux, lorsque la mer universelle eut pris son équilibre , le mouvement du midi au nord cessa, et la mer n'eut plus à obéir qu'à la puissance constante de la lune, qui, se combinant avec celle du soleil , produisit les marées et le mou- vement constant d'orient en occident. Les eaux, dans leur premier ayènement, avoient d'abord été dirigées des pôles vers l'équateur, parce que les parties po- laires, plus refroidies que le reste du globe , les avoient reçues les premières; ensuite elles ont gagné succes- sivement les régions de l'équateur; et lorsque ces ré- gions ont été couvertes comme toutes les autres par les eaux, le mouvement d'orient en occident s'est dès lors établi pour jamais; car non seulement il s'est main- tenu pendant cette longue période de la retraite des mers, mais il se maintient encore aujourd'hui. Or ce mouvement général de la mer d'orient en occident a produit sur la surface de la masse terrestre un effet tout aussi général; c'est d'avoir escarpé toutes les cô- tes occidentales des continents terrestres, et d'avoir en môme temps laissé tous les terrains en pente douce du côté de l'orient. À mesure que les merss'abaissoient et découvroient les pointes les plus élevées des continents, ces sommets, comme autant de soupiraux qu'on viendroit de débou- cher, commencèrent à laisser exhaler les nouveaux feux produits dans l'intérieur de la terre par l'effer- vescence des matières qui servent d'aliment aux vol- cans. Le domaine de la terre, sur la fin de cette se- QUATRIÈME EPOQUE. 221 conde période de vingt mille ans, étoit partage* entre le feu et l'eau; également déchirée et dévorée par la fureur de ces deux éléments, il n'y avoit nulle part ni sûreté ni repos : mais heureusement ces anciennes scènes, les plus épouvantables de la nature, n'ont point eu de spectateurs, et ce n'est qu'après cette se- conde période entièrement révolue que l'on peut da- ter la naissance des animaux terrestres ; les eaux étoient alors retirées, puisque les deux grands continents étoient unis vers le nord, et également peuplés d'élé- phants; le nombre des volcans étoit aussi beaucoup diminué , parce que leurs éruptions ne pouvant s'o- pérer que par le conflit de l'eau et clu feu , elles avoient cessé dès que la mer, en s'abaissant, s'en étoit éloi- gnée. Qu'on se représente encore l'aspect qu'offroit la terre immédiatement après cette seconde période, c'est-à-dire à cinquante-cinq ou soixante mille ans de sa formation : dans toutes les parties basses, des ma- res profondes, des courants rapides, et des tournoie- ments d'eau ; des tremblements de terre presque con- tinuels , produits par l'affaissement des cavernes et par les fréquentes explosions des volcans, tant sous mer que sur terre; des orages généraux et particuliers; des tourbillons de fumée et des tempêtes excitées par les violentes secousses de la terre, et de la mer; des inondations, des débordements, des déluges occasio- nés par ces mêmes commotions; des fleuves de verre fondu , de bitume, et de soufre, ravageant les mon- tagnes et venant dans la plaine empoisonner les eaux; le soleil même presque toujours offusqué non seule- ment par des nuages aqueux, mais par des masses 2'2'2 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. épaisses de cendres et de pierres poussées par les vol- cans; et nous remercierons le Créateur de n'avoir pas rendu l'homme témoin de ces scènes effrayantes et terribles, qui ont précédé et pour ainsi dire annoncé la naissance de la nature intelligente et sensible. CINQUIÈME ÉPOQUE CINQUIÈME ÉPOQUE. Lorsque les éléphants et les autres animaux du midi ont habité les terres du nord. Tout ce qui existe aujourd'hui dans la nature vi- vante a pu exister de même dès que la température de la terre s'est trouvée la même. Or les montrées septentrionales du globe ont joui pendant long-temps du même degré de chaleur dont jouissent aujourd'hui les terres méridionales ; et dans le temps où ces con- trées du nord jouissoiént de cette température, les terres avancées vers le midi étoient encore brûlantes et sont demeurées désertes pendant un long espace de temps. Il semble même que la mémoire s'en soit conservée par la tradition; car les anciens étoient persuadés que les terres de la zone torride étoient in- habitées : elles étoient en effet encore inhabitables long-temps après la population des terres du nord ; car en supposant trente-cinq mille ans pour le temps nécessaire au refroidissement de la terre sous les pôles seulement au point d'en pouvoir toucher la surface sans se brider, et vingt ou vingt-cinq mille ans de plus, tant pour la retraite des mers que pour l'attié— dissement nécessaire à l'existence des êtres aussi sen- sibles que le sont les animaux terrestres, on sentira bien, qu'il faut compter quelques milliers d'années de plus pour le refroidissement du globe à l'équateur. 226 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. tant à cause de la plus grande épaisseur de la terre que de l'accession de la chaleur solaire, qui est consi- dérable sous l'équateur et presque nulle sous le pôle. Et quand même ces deux causes réunies ne seroient pas suffisantes pour produire une si grande différence de temps entre ces deux populations, l'on doit con- sidérer que l'équateur a reçu les eaux de l'atmosphère bien plus tard que les pôles, et que par conséquent cette cause secondaire du refroidissement agissant plus promptement et plus puissamment que les deux premières causes , la chaleur des terres du nord se sera considérablement attiédie par la chute des eaux, tandis que la chaleur des terres méridionales se main- tenoit et ne pouvoit diminuer que par sa propre dé- perdition. Et quand même on m'objecteroit que la chute des eaux, soit sur l'équateur, soit sur les pô- les, n'étant que la suite du refroidissement à un cer- tain degré de chacune de ces deux parties du globe , elle n'a eu lieu dans l'une et dans l'autre que quand la température de la terre et celle des eaux tombantes ont été respectivement les mômes, et que par consé- quent cette chute d'eau n'a pas autant contribué que je le dis à accélérer le refroidissement sous le pôle plus que sous l'équateur, on sera forcé de convenir que les vapeurs, et par conséquent les eaux tombant sur l'équateur, avoient plus de chaleur à cause de l'action du soleil, et que, par cette raison, elles ont refroidi plus lentement les terres de la zone torride , en sorte que j'admettrois an moins neuf à dix mille ans entre le temps de la naissance des éléphants dans les contrées septentrionales et le temps où ils se sont retirés jusqu'aux contrées les plus méridionales: car CINQUIEME EPOQUE. •J'A'J le froid ne venoit et ne vient encore que d'en haut; les pluies continuelles qui tomboiçnt sur les parties polaires du globe en accéléroient incessamment le re- froidissement, tandis qu'aucune cause extérieure ne contribuoit à celui des parties de 1 equateur. Or, cette cause qui nous paroît si sensible par les neiges de nos hivers et les grêles de notre été , ce froid qui des hau- tes régions de l'air nous arrive par intervalles, tomboit à-plomb et sans interruption sur les terres septen- trionales, et les a refroidies bien plus promptement que n'ont pu se refroidir les terres de l'équateur, sur lesquelles ces ministres du froid, l'eau, la neige, et la grêle, ne pouvoient agir ni tomber. D'ailleurs nous devons faire entrer ici une considération très impor- tante sur les limites qui bornent la durée de la nature vivante : nous en avons établi le premier terme pos- sible à trente-cinq mille ans de la formation du globe terrestre, et le dernier terme à quatre-vingt-treize mille ans à dater de ce jour ; ce qui fait cent trente- deux mille ans pour la durée absolue de cette belle nature1. Voilà les limites les plus éloignées et la plus grande étendue de durée que nous ayons données , d'après nos hypothèses, à la vie de la nature sensible : cette vie aura pu commencer à trente-cinq ou trente- six mille ans, parce qu'alors le globe étoit assez re- froidi à ses parties polaires pour qu'on pût le toucher sans se brûler, et elle pourra ne finir que dans qua- tre-vingt-treize mille ans, lorsque le globe sera plus froid que la glace. Mais , entre ces deux limites si éloignées, il faut en admettre d'autres plus rappro- i . Voyez les tableaux dans le volume de eelte Histoire naturelle. '2%8 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. c liées. Les eaux et toutes les matières qui sont tom- bées de l'atmosphère n'ont cessé d'être dans un état d'ébullition qu'au moment où l'on pouvoit les toucher sans se brûler : ce n'est donc que long-temps après cette période de trente-six mille ans que les êtres doués d'une sensibilité pareille à celle que nous leur connoissons ont pu naître et subsister; car si la terre, l'air, et l'eau, prenoient tout à coup ce degré de chaleur qui ne nous permettroit de pouvoir les tou- cher sans en être vivement offensés, y auroit-il un seul des êtres actuels capable de résister à cette cha- leur mortelle, puisqu'elle excéderoit de beaucoup la chaleur vitale de leur corps? Il a pu exister alors des végétaux, des coquillages, et des poissons d'une na- ture moins sensible à la chaleur, dont les espèces ont été anéanties par le refroidissement dans les âges sub- séquents, et ce sont ceux dont nous trouvons les dé- pouilles et les détriments dans les mines de charbon, dans les ardoises, dans les schistes, et dans les cou- ches d'argile , aussi bien que dans les bancs de mar- bre et des autres matières calcaires; mais toutes les espèces plus sensibles, et particulièrement les ani- maux terrestres, n'ont pu naître et se multiplier que dans les temps postérieurs et plus voisins du nôtre. Et dans quelle contrée du nord les premiers ani- maux terrestres auront-ils pris naissance? n'est-il pas probable que c'est dans les terres les plus élevées, puisqu'elles ont été refroidies avant les autres? et n'est-il pas également probable que les éléphants et les autres animaux actuellement habitant les terres du midi sont nés les premiers de tous, et qu'ils ont occupé ces terres du nord pendant quelques milliers CINQUIEME EPOQUE. '2'2g d'années, et long-temps avant la naissance des rennes qui habitent aujourd'hui ces mêmes terres du nord? Dans ce temps, qui n'est guère éloigné du nôtre que de quinze mille ans, les éléphants, les rhinocé- ros, les hippopotames, et probablement toutes les espèces qui ne peuvent se multiplier actuellement que sous la zone torride , vivoient donc et se multi- plioient dans les terres du nord, dont la chaleur étoit au même degré, et par conséquent tout aussi conve- nable à leur nature ; ils y étoient en grand nombre ; ils y ont séjourné long-temps ; la quantité d'ivoire et de leurs autres dépouilles que l'on a découvertes et que l'on découvre tous les jou-rs dans ces contrées sep- tentrionales nous démontre évidemment qu'elles ont été leur patrie, leur pays natal, et certainement la première terre qu'ils aient occupée : mais, de plus, ils ont existé en même temps dans les contrées sep- tentrionales de l'Europe, de l'Asie, et de l'Amérique; ce qui nous fait connoître que les deux continents étoient alors contigus, et qu'ils n'ont été séparés que dans des temps subséquents. J'ai dit que nous avions au Cabinet du Roi des défenses d'éléphants trouvées en Russie et en Sibérie, et d'autres qui ont été trou- vées au Canada, près de la rivière d'Ohio. Les grosses dents molaires de l'hippopotame et de l'énorme ani- mal dont l'espèce est perdue nous sont arrivées du Canada, et d'autres toutes semblables sont venues de Tartarie et de Sibérie. On ne peut donc pas douter que ces animaux, qui n'habitent aujourd'hui que les terres du midi de notre continent, n'existassent aussi dans les terres septentrionales de l'autre, et dans le uaênje temps, car la terre étoit également chaude ou BUFPOIV. Y. H?}0 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. refroidie au même degré dans tous deux. Et ce n'est pas seulement dans les terres du nord qu'on a trouvé ces dépouilles d'animaux du midi, mais elles se trou- vent encore dans tous les pays tempérés, en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, etc. Nous avons sur cela des monuments authentiques ; c'est-à- dire des défenses d'éléphants et d'autres ossements de ces animaux trouvés dans plusieurs provinces de l'Europe. Dans les temps précédents, ces mêmes terres sep- tentrionales étoient recouvertes par les eaux de la mer, lesquelles, par leur mouvement, y ont produit les mêmes effets que partout ailleurs : elles en ont figuré les collines, elles les ont composées de cou- ches horizontales, elles ont déposé les argiles et les matières calcaires en forme de sédiment; car on trouve dans ces terres du nord, comme dans nos contrées, les coquillages et les débris des autres pro- ductions marines enfouis à d'assez grandes profon- deurs dans l'intérieur de la terre , tandis que ce n'est pour ainsi dire qu'à sa superficie , c'est-à-dire à quel- ques pieds de profondeur, que l'on trouve les sque- lettes d'éléphants, de rhinocéros, et les autres dé- pouilles des animaux terrestres. 11 paroîtmême que ces premiers animaux terrestres étoient, comme les premiers animaux marins, plus grands qu'ils ne le sont aujourd'hui. Nous avons parlé de ces énormes dents carrées à pointes mousses qui ont appartenu à un animal plus grand que l'éléphant, et dont l'espèce ne subsiste plus : nous avons indiqué ces coquillages en volutes qui ont jusqu'à huit pieds de cfiarnètre sur un pied d'épaisseur; et nous avons 'CINQUIÈME EPOQUE. 201 vu de même des défenses, des dents, des omopla- tes, des fémurs d'éléphants d'une taille supérieure à celle des éléphants actuellement existants. Nous avons reconnu, par la comparaison immédiate des dents mâchelières des hippopotames d'aujourd'hui avec les grosses dents qui nous sont venues de la Sibérie et du Canada, que les anciens hippopotames auxquels ces grosses dents ont autrefois appartenu étoient au moins quatre fois plus volumineux que ne le sont les hippopotames actuellement existants. Ces grands os- sements et ces énormes dents sont des témoins sub- sistants de la grande force de la nature dans ces pre- miers âges. Mais, pour ne pas perdre de vue notre objet principal , suivons nos éléphants dans leur mar- che progressive du nord au midi. Nous ne pouvons douter qu'après avoir occupé les parties septentrionales de la Russie et de la Sibérie jusqu'au 60e degré1, où l'on a trouvé leurs dépouilles en grande quantité, ils n'aient ensuite gagné les ter- res moins septentrionales , puisqu'on trouve encore de ces mêmes dépouilles en Moscovie, en Pologne, en Allemagne, en Angleterre, en France, en Italie; en sorte qu'à mesure que les terres du nord se re- froidissoient ces animaux cherchoient des terres plus chaudes; et il est clair que tous les climats, depuis le nord jusqu'à l'équateur, ont successivement joui du degré de chaleur convenable à leur nature. Ainsi, quoique de mémoire d'homme l'espèce de l'éléphant ne paroisse avoir occupé que les climats actuellement 1. On a trouvé cette année même ( 1776) des défenses et des osse- ments d'éléphants près de Saint- Pêtersbourg, qui, comme l'on sait. -*! ;i très peu près sous celte latitude de 60 degrés. 27)2 DES EPOQUES DE LA NATURE. les plus chauds dans notre continent, c'est-à-dire ies terres qui s'étendent à peu près à 20 degrés des deux côtés de l'équateur, et qu'ils y paroissent confinés depuis plusieurs siècles, les monuments de leurs dé- pouilles trouvées, dans toutes les parties tempérées de ce même continent démontrent qu'ils ont aussi ha- bité pendant autant de siècles les différents climats de ce même continent; d'abord du 60e au 5oe degré, puis du 5oe au 4°% ensuite du 4oe au 5oe, et du 5oe au 20e, enfin du 20e à l'équateur et au delà à la même distance. On pourroit même présumer qu'en faisant des recherches en Laponie, dans les terres de l'Eu- rope et de l'Asie qui sont au delà du 60e degré, on pourroit y trouver de même des défenses et des osse- ments d'éléphants, ainsi que des autres animaux du midi, à moins qu'on ne veuille supposer (ce qui n'est pas sans vraisemblance) que, la surface de la terre étant réellement encore plus élevée en Sibérie que dans toutes les provinces qui l'avoisinent du côté du nord, ces mêmes terres de la Sibérie ont été les pre- mières abandonnées par les eaux, et par conséquent les premières où les animaux terrestres aient pu s'é- tablir. Quoi qu'il en soit, il est certain que les élé- phants ont vécu, produit, multiplié pendant plusieurs siècles dans cette même Sibérie et dans le nord de la Russie ; qu'ensuite ils ont gagné les terres du 5oe au 4oe degré, et qu'ils y ont subsisté plus long-temps que dans leur terre natale, et encore plus long-temps dans les contrées du 4°e au 3oe degré, etc., parce que le refroidissement successif du globe a toujours été plus lent, à mesure que les climats se sont trouvés plus voisins de l'équateur, tant par la plus forte épais- CINQUIÈME EPOQUE. 235 seur du globe que parla plus grande chaleur du soleil. Nous avons fixé, d'après nos hypothèses, le pre- mier instant possible du commencement de la nature vivante, à trente*cinq ou trente-six mille ans, à dater de la formation du globe, parce que ce n'est qua cet instant qu'on auroit pu commencer à le toucher sans se brûler : en donnant vingt-cinq mille ans de plus pour achever l'ouvrage immense de la construction de nos montagnes calcaires, pour leur figuration par angles saillants et rentrants, pour l'abaissement des mers, pour les ravages des volcans et pour le dessè- chement de la surface de la terre, nous ne compte- rons qu'environ quinze mille ans depuis le temps où la terre, après avoir essuyé, éprouvé tant de boule- versements et de changements, s'est enfin trouvée dans un état plus calme et assez fixe pour que les causes de destruction ne fussent pas plus puissantes et plus générales que celles de la production. Don- nant donc quinze mille ans d'ancienneté à la nature vivante, telle qu'elle nous est parvenue, c'est-à-dire quinze mille ans d'ancienneté aux espèces d'animaux terrestres nées dans les terres du nord et actuelle- ment existantes dans celles du midi , nous pourrons supposer qu'il y a peut-être cinq mille ans que les élé- phants sont confinés dans la zone torride, et qu'ils ont séjourné tout autant de temps dans les climats qui for- ment aujourd'hui les zones tempérées, et peut-être au- tant dans les climats du nord, où ils ont pris naissance. Mais cette marche régulière qu'ont suivie les plus grands, les premiers animaux de notre continent pa- roi t avoir souffert des obstacles dans l'autre. Il est très certain qu'on a trouvé, et il est très probable qu'où 5:34 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. trouvera encore , des défenses et des ossements d'é- léphants en Canada, dans le pays des Illinois, au Mexique, et dans quelques autres endroits de l'Amé- rique septentrionale; mais nous n'avons aucune ob- servation, aucun monument, qui nous indiquent le môme fait pour les terres de l'Amérique méridionale. D'ailleurs l'espèce môme de l'éléphant qui s'est con- servée dans l'ancien continent ne subsiste plus dans l'autre : non seulement cette espèce ni aucune autre de toutes celles des animaux terrestres qui occupent actuellement les terres méridionales de notre conti- nent ne se sont trouvées dans les terres méridionales du .Nouveau-Monde , mais même il paroîl qu'ils n'ont existé que dans les contrées septentrionales de ce nou- veau continent ; et cela dans le même temps qu'ils existoient dans celle de notre continent. Ce fait ne démontre-t-il pas que l'ancien et le nouveau conti- nent n'étoient pas alors séparés vers le nord, et que leur séparation ne s'est faite que postérieurement au temps/le l'existence des éléphants dans l'Amérique septentrionale , où leur espèce s'est probablement éteinte par le refroidissement, et à peu près dans le temps de cette séparation des continents, parce que ees animaux n'auront pu gagner les régions de l'équa- teur dans ce nouveau continent comme ils l'ont fait dans l'ancien, tant en Asie qu'en Afrique? En effet, si l'on considère la surface de ce nouveau conti- nent, on voit que les parties méridionales voisines de l'isthme de Panama sont occupées par de très hau- tes montagnes : les éléphants n'ont pu franchir ces barrières invincibles pour eux, à cause du trop grand froid qui se fait sentir sur ces hauteurs ; ils i?.'auront CINQUIÈME EPOQUfl. »«>5 donc pas été au delà des terres de l'isthme, et n'au- ront subsisté dans l'Amérique septentrionale li S ÉPOQUES DE LA NATURE. détruites , et il ne reste aujourd'hui dans les mers fré- quentées par nos pêcheurs que celles qui n'ont pas encore atteint toutes leurs dimensions : car, comme nous l'avons dit ailleurs, une baleine peut bien vivre mille ans, puisqu'une carpe en vit plus de deux cents. La permanence du séjour de ces grands animaux dans les mers boréales semble fournir une nouvelle preuve de la continuité des continents vers les régions de notre nord, et nous indiquer que cet état de con- tinuité a subsisté long-temps ; car si ces animaux ma- rins, que nous supposerons pour un moment nés en même temps crue les éléphants, eussent trouvé la route ouverte, ils auroient gagné les mers du midi, pour peu que le refroidissement des eaux leur eût été contraire; et cela seroil arrivé s'ils eussent pris nais- sance dans le temps que la mer étoit encore chaude. On doit donc présumer que leur existence est posté- rieure à celle des éléphants et des autres animaux qui ne peuvent subsister que dans les climats du midi. Cependant il se pourroit aussi que la différence de température fût, pour ainsi dire, indifférente ou beau- coup moins sensible aux animaux aquatiques qu'aux animaux terrestres. Le froid- et le chaud sur la sur- face de la terre et de la mer suivent à la vérité l'or- dre des climats, et la chaleur de l'intérieur du globe est la même dans le sein de la mer et dans celui de la terre à la même profondeur; mais les variations de température, qui sont si grandes à la surface de la terre, sont beaucoup moindres, et presque nulles, à quelques toises de profondeur sous les eaux. Les in- jures de l'air ne s'y font pas sentir, et ces grands cé- tacés ne les éprouvent pas, ou du moins peuvent s'en CINQUIÈME ÉPOQUE. l!\ 1 garantir : d'ailleurs, par la nature même de leur orga- nisation , ils paroissent être plutôt munis contre le froid que contre la grande chaleur; car. quoique leur sang soit à peu près aussi chaud que celui des ani- maux quadrupèdes, l'énorme quantité de lard et d'huile qui recouvre leur corps, en les privant du sen- timent vif qu'ont les autres animaux, les défend en môme temps de toutes les impressions extérieures : et il est à présumer qu'ils restent où ils sont parce qu'ils n'ont pas même le sentiment qui pourroit les conduire vers une température plus douce , ni l'idée de se trouver mieux ailleurs; car il faut de l'instinct pour.se mettre à son aise, il en faut pour se déter- miner à changer de demeure, et il y a des animaux, et même des hommes, si bruts, qu'ils préfèrent de languir dans leur ingrate terre natale , à la peine qu'il faudrait prendre pour se gîter plus commodément ailleurs1. Iî est donc très probable que ces cachalots que nous voyons de temps en temps arriver des mers septentrionales sur nos côtes ne se décident pas à faire ce voyage pour jouir d'une température plus douce, mais qu'ils y sont délerminés par les colonnes i. Je puis en citer un exemple frappant : les Maillés, petile nation sauvage de la Guiane, à peu rie distance de L'embouchure de la ri- vière Ouassa, n'ont pas d'autre domicile que les arbres, au dessus desquels ils se tiennent toute l'année, parce que leur terrain est tou- jours plus ou inoins couvert d'eau ; ils ne descendent de ces arbres que pour aller en canots chercher leur subsistance. Voilà un singulier exemple du stupide attachement à la terre natale: car iî ne tiendroit qu'à ces sauvages d'aller comme les autres habiter sur la terre, en s'éloignant de quelques lieues des savanes noyées où ils ont pris nais- sance et où ils veulent mourir. Ge fait, cité par quelques voyageurs, m'a été confirmé par plusieurs témoins, qui ont vu récemment cette 2^2 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. de harengs, de maquereaux, et d'autres petits pois- sons, qu'ils suivent et avalent par milliers1. Toutes ces considérations nous font présumer que les régions de notre nord, soit de la mer, soit de la terre, ont non seulement été les premières fécon- dées, mais que c'est encore dans ces mêmes régions que la nature vivante s'est élevée à ses plus grandes dimensions. Et comment expliquer cette supériorité de force et cette supériorité de formation donnée à cette région du nord exclusivement à toutes les autres parties de la terre? car nous voyons par l'exemple de l'Amérique méridionale , dans les terres de laquelle il ne se trouve «jue de petits animaux, et dans les* mers le seul lamantin, qui est aussi petit en comparaison de la baleine que le tapir l'est en comparaison de l'é- léphant; nous voyons, dis-je , par cet exemple frap- pant, que la nature n'a jamais produit dans les terres du .midi des animaux comparables en grandeur aux animaux du nord; et nous voyons de même, par un second exemple tiré des monuments, que, dans les terres méridionales de notre continent , les plus grands petite nation , composée de trois ou quatre cents sauvages : ils se tien- nent en effet sur les arbres an dessus de l'eau, ils y demeurent toute l'année : leur terrain est une grande nappe d'eau pendant les huit ou neuf mois de pluie; et^ pendant les quatre mois d'été, la terre n'est qu'une boue fangeuse, sur laquelle il se forme une petite croûte de cinq ou six pouces d'épaisseur, composée dherbes plutôt que de terre, et sous lesquelles on trouve une grande épaisseur d'eau croupissante et fort infecte. {Add. Buff.) 1. Nous n'ignorons pas qu'en général les cétacés ne se tiennent point au delà du 78 ou 79e degré, et nous sayons qu'ils descendent en hiver à quelques degrés au dessous; mais ils ne viennent jamais cr nombre dans les mers tempérées ou chaudes. CINQUIÈME ÉPOQUE. 2^3 animaux sont ceux qui sont venus du nord, et que, s'îl s'en est produit dans ces terres de notre midi, ce ne sont que des espèces très inférieures aux premières en grandeur et en force. On doit même croire qu'il ne s'en est produit aucune dans les terres méridionales de l'ancien continent, quoiqu'il s'en soit formé dans celles du nouveau; et voici les motifs de cette pré- somption. Toute production , toute génération, et même tout accroissement, tout développement, supposent le concours et la réunion d'une grande quantité de mo- lécules organiques vivantes; ces molécules, qui ani- ment tous les corps organisés, sont successivement employées à la nutrition et à la génération de tous les êtres. Si tout à coup la plus grande partie de ces êtres étoit supprimée, on verroit paroître des espèces nouvelles, parce que ces molécules organiques, qui sont indestructibles et toujours actives, se réuniroient pour composer d'autres corps organisés; mais étant entièrement absorbées par les moules intérieurs des êtres existants, il ne peut se former d'espèces nouvel- les, du moins dans les premières classes de la nature, telles que celles des grands animaux. Or ces grands animaux sont arrivés du nord sur les terres du midi; ils s'v sont nourris, reproduits, multipliés, et ont par conséquent absorbé les molécules vivantes, en sorte qu'ils n'en ont point laissé de superflues qui auroient pu former des espèces nouvelles; tandis qu'au con- traire dans les terres de l'Amérique méridionale , où les grands animaux du nord n'ont pu pénétrer, les mo- lécules organiques vivantes ne se trouvant absorbées par aucun moule animal déjà subsistant, elles isesé- f 2/j4 1)CS ÉPOQUES DE LA NATURE. ront réunies pour former des espèces qui ne ressem- blent point aux autres, et qui toutes sont inférieures, tant par la force que par la grandeur, à celles des ani- maux venus du nord. Ces deux formations, quoique d'un temps diffé- rent, se sont faites de la môme manière et par les mêmes moyens ; et si les premières sont supérieures à tous égards aux dernières, c'est que la fécondité de la terre, c'est-à-dire la quantité de la matière organi- que vivante, étoit moins abondante dans ces climats méridionaux que dans celui du nord. On peut en don- ner la raison, sans la chercher ailleurs que dans notre hypothèse ; car toutes les parties aqueuses, huileuses, et ductiles, qui dévoient entrer dans la composition des êtres organisés, sont tombées avec les eaux sur les parties septentrionales du globe bien plus tôt et en bien plus grande quantité que sur les parties méri- dionales. C'est dans ces matières aqueuses et ductiles que les molécules organiques vivantes ont commencé à exercer leur puissance pour modeler et développer les corps organisés; et comme les molécules organi- ques ne sont produites que par la chaleur sur les ma- tières ductiles, elles étoient aussi plus abondantes dans les terres du nord qu'elles n'ont pu l'être dans les terres du midi, où ces mêmes matières étoient en moindre quantité : il n'est pas étonnant que les pre- mières, les plus fortes, et les plus grandes produc- tions de la nature vivante se soient faites dans ces mêmes terres du nord; tandis que dans celles de 1 e- qualeur, et particulièrement dans celles de l'Amérique méridionale, où la quantité de ces mêmes matières duAiJes étoit bien moindre, il ne s'est formé que des CINQUIÈME ÉPOQWE. 245 espèces inférieures plus petites et plus foibles ({ue celles des terres du nord. Mais revenons à l'objet principal de noire époque. Dans ce même temps où les éléphants habitaient nos terres septentrionales, les arbres et les plantes qui cou- vrent actuellement nos contrées méridionales exis- taient aussi dans ces mêmes terres du nord. Les monuments semblent le démontrer; car toutes les impressions bien avérées des plantes qu'on a trou- vées dans nos ardoises et nos charbons présentent la figure de plantes qui n'existent actuellement que dans les grandes Indes ou dans les autres parties du midi. On pourra m objecter, malgré la certitude du fait par l'évidence de ces preuves, que les arbres et les plan- tes n'ont pu voyager comme les animaux, ni par con- séquent se transporter du nord au midi> A cela je ré- ponds, i° que ce transport ne s'est pas fait tout à coup, mais, successivement : les espèces de végétaux se sont semées de proche en proche dans les ter- res dont la température leur devenoit convenable ; et ensuite ces mêmes espèces, après avoir gagné jus- qu'aux contrées de Téquateur, auront péri dans celles du nord, dont elles ne pouvoient plus supporter le froid. 2° Ce transport ou plutôt ces accrues successives de bois ne sont pas môme nécessaires pour rendre raison de l'existence de ces végétaux dans les pays méridionaux; car en général la même température, c'est-à-dire le même degré de chaleur, produit par- tout les mêmes plantes sans qu'elles y aient été trans- portées. La population des terres méridionales par les végétaux est donc encore plus simple que par les animaux. >4t> DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Il reste celle de lïiomme : a-t-elle été contempo- raine à celle des animaux? Des motifs majeurs et des raisons très solides se joignent* ici pour prouver qu'elle s'est faite postérieurement à toutes nos épo- ques, et que l'homme est en effet le grand et dernier œuvre de la création. On ne manquera pas de nous dire que l'analogie semble démontrer que l'espèce humaine a suivi la même marche et qu'elle date du môme temps que les autres espèces ; qu'elle s'est même plus universellement répandue, et que, si l'époque de sa création est postérieure à celle des animaux , rien ne prouve que l'homme n'ait pas au moins subi les mêmes lois de la nature, les mêmes altérations, les mêmes changements. Nous conviendrons que l'es- pèce humaine ne diffère pas essentiellement des au- tres espèces par ses facultés corporelles, et qu'à cet égard son sort eût été le même à peu près que celui des autres espèces : mais pouvons-nous douter que nous ne différions prodigieusement des animaux par le rayon divin qu'il a plu au souverain Être de nous départir? Ne voyons-nous pas que dans l'homme la matière est conduite par l'esprit? 11 a donc pu modi- fier les effets de la nature ; il a trouvé le moyen de résister aux intempéries des climats; il a créé de la chaleur, lorsque le froid l'a détruite : la découverte et les usages de l'élément du feu, dus à sa seule in- telligence , l'ont rendu plus fort et plus robuste qu'aucun des animaux, et l'ont mis en état de braver les tristes effets du refroidissement. D'autres arts, c'est-à-dire d'autres traits de son intelligence, lui ont fourni des vêtements, des armes, et bientôt il s'est trouvé le maître du domaine de la lerre : ces mêmes CINQUIÈME ÉPOQUE. 2^J arts lui ont donné les moyens d'en parcourir toute la surface et de s'habituer partout, parce qu'avec plus ou moins de précautions tous les climats lui sont de- venus pour ainsi dire égaux. Il n'est donc pas éton- nant que, quoiqu'il n'existe aucun des animaux du midi de notre continent dans l'autre, l'homme seul, c'est-à-dire son espèce, se trouve également dans cette terre isolée de l'Amérique méridionale qui paroît n'avoir eu aucune part aux premières formations des animaux, et aussi dans toutes les parties froides ou chaudes de la surface de la terre : car quelque part et quelque loin que l'on ait pénétré depuis la perfec» tion de l'art de la navigation, l'homme a trouvé par- tout des hommes; les terres les plus disgraciées, les îles les plus isolées, les plus éloignées des continents, se sont presque toutes trouvées peuplées; et l'on ne peut pas dire que ces hommes, tels que ceux des îles Marianes, ou ceux d'Otahiti, et des autres petites îles situées dans le milieu des mers à de si grandes distances de toutes terres habitées, ne soient néan- moins des hommes de notre espèce, puisqu'ils peu- vent produire avec nous, et que les petites différences qu'on remarque dans leur nature ne sont que de lé- gères variétés causées par l'influence du climat et de la nourriture. Néanmoins, si l'on considère que l'homme, qui peut se munir aisément contre le froid, ne peut au contraire se défendre par aucun moyen contre la cha- leur trop grande, que même il souffre beaucoup dans les climats que les animaux du midi cherchent de préférence, on aura une raison de plus pour croire que la création de l'homme a été postérieure à celle 2i\S DES ÉPOQUES DE LA NATURE. de ces grands animaux. Le souverain Etre n'a pas ré- pandu le souffle de vie dans le même instant sur toute la surface de la terre; il a commencé par féconder les mers, et ensuite les terres les plus élevées ; et il a voulu donner tout le temps nécessaire à la terre pour se con- solider, se refroidir, se découvrir, se sécher, et arriver enfin à l'état de repos et de tranquillité où l'homme pouvoit être le témoin intelligent, l'admirateur paisible du grand spectacle de la nature et des merveilles de la création. Ainsi nous sommes persuadés, indépen- damment de l'autorité des livres sacrés, que l'homme a été créé le dernier, et qu'il n'est venu prendre le sceptre de la terre que quand elle s'est trouvée digne de son empire. Il paroît néanmoins que son premier séjour a d'abord été, comme celui des animaux ter- restres, dans les hautes terres de l'Asie; que c'est dans ces mêmes terres où sont nés les arts de pre- mière nécessité, et bientôt après les sciences, éga- lement nécessaires à l'exercice de la puissance de l'homme, et sans lesquelles il n'auroit pu former de société, ni comptée sa vie, ni commander aux ani- maux, ni se servir autrement des végétaux que pour les brouter. Mais nous nous réservons d'exposer dans notre dernière époque les principaux faits qui ont rapport à l'histoire des premiers hommes. SIXIÈME ÉPOQUE. SIXIÈME ÉPOQUE. Lorsque s'est faite la séparation des continents. Le temps de la séparation des continents est cer- tainement postérieur au temps où les éléphants ha- bitoient les terres du nord, puisqu'alors leur espèce étoit également subsistante en Amérique», en Europe , et en. Asie. Cela nous est démontré par les monu- ments, qui sont les dépouilles de ces animaux trou- vées dans les parties septentrionales du nouveau con- tinent, comme dans celles de l'ancien. Mais comment est-il arrivé que cette séparation des continents pa- roisse s'être faite en deux endroits par deux bandes de mer qui s'étendent depuis les contrées septen- trionales, toujours en s'élargissant, jusqu'aux contrées les plus méridionales? Pourquoi ces bandes de mer ne se trouvent-elles pas, au contraire, presque pa- rallèles à l'équateur, puisque le mouvement général des mers se fait d'orient en occident? N'est-ce pas une nouvelle preuve que les eaux sont primitivement venues des pôles, et qu'elles n'ont gagné les parties de l'équateur que successivement? Tant qu'a duré la chute des eaux, et jusqu'à l'entière épuration de l'at- mosphère, leur mouvement général a été dirigé des pôles à l'équateur; et comme elles venoient en plus grande quantité du pôle austral, elles ont formé de vastes mers dans cet hémisphère, lesquelles vont en 232 DES ÉPOQUES DE IA NATURE. se rétrécissant de plus en plus dans l'hémisphère bo- réal, jusque sous le cercle polaire; et c'est par ce mouvement dirigé du sud au nord que les eaux ont aiguisé toutes les pointes des continents : mais après leur entier établissement sur la surface de la terre , qu'elles surmontoient partout de deux mille toises, leur mouvement des pôles à l'équateur ne se sera-t-il pas combiné, avant de cesser, avec le mouvement d'orient en occident? et, lorsqu'il a cessé tout-à-fait, les eaux entraînées par le seul mouvement d'orient en occident n'ont-elles pas escarpé tous les revers occidentaux nies continents terrestres, quand elles se sont successivement abaissées? et enfin n'est-ce pas après leur retraite que tous les continents ont paru, et que leurs contours ont pris leur dernière forme? Nous observerons d'abord que l'étendue des terres dans l'hémisphère boréal, en le prenant du cercle polaire à l'équateur, est si grande en comparaison de l'étendue des terres prises de même dans l'hémis- phère austral , qu'on pourroit regarder le premier comme l'hémisphère terrestre, et le second comme l'hémisphère maritime. D'ailleurs il y a si peu de dis- tance entre les deux continents vers les régions de notre pôle, qu'on ne peut guère douter qu'ils ne fussent continus dans les temps qui ont succédé à la retraite des eaux. Si l'Europe est aujourd'hui séparée du Groenland , c'est probablement parce qu'il s'est fait un affaissement considérable entre les terres du Groenland et celles de Norwège et de la pointe de l'Ecosse, dont les Orcades, l'île de Schetland, celles de Feroé , de l'Islande, et de Hola, ne nous montrent plus que les sommets des terrains submergés; et si Je SIXIÈME ÉPOQUE. 253 continent de l'Asie n'est plus contigu à celui Je l'A- mérique vers le nord, c'est sans doute en consé- quence d'un effet tout semblable. Ce premier affais- sement que les volcans de l'Islande paroissent nous indiquer a non seulement été postérieur aux affaisse- ments des contrées de l'équateur et à la retraite des mers, mais postérieur encore de quelques siècles à la naissance des grands animaux terrestres dans les contrées septentrionales; et l'on ne peut douter que la séparation des continents vers le nord ne soit d'un temps assez moderne en comparaison de la division de ces mêmes continents vers lès parties de l'équa- teur. Nous présumons encore que non seulement le Groen- land a été joint à la Norwège et à l'Ecosse, mais aussi que le Canada pouvoit l'être à l'Espagne par les bancs de Terre-Neuve, les Açores et les autres îles et hauts- fonds qui se trouvent dans cet intervalle de mer; ils semblent nous présenter aujourd'hui les sommets les plus élevés de ces terres affaissées sous les eaux. La submersion en est peut-être encore plus moderne que celle du continent de l'Islande, puisque la tra- dition paroit s'en être conservée : l'histoire de l'île Atlantide, rapportée par Diodore et Platon, ne peut s'appliquer qu'à une très grande terre qui s étendoit fort au loin à l'occident de l'Espagne; cette terre At- lantide étoit très peuplée ,• gouvernée par des rois puissants qui commandoient à plusieurs milliers de combattants, et cela nous indique assez positivement le voisinage de l'Amérique avec ces terres Atlantiques situées entre ces deux continents. Nous avouerons néanmoins que la seule chose qui soit ici démontrée 254 l)Es MOQUES DE LA NATURE. par le lait, c'est que les deux continents étoient réuuis dans le temps de l'existence des éléphants dans les contrées septentrionales de l'un et de l'autre, et il y a, selon moi, beaucoup plus de probabilité pour cette continuité de l'Amérique avec l'Asie qu'avec l'Europe. Voici les faits et les observations sur lesquels je fonde cette opinion. i° Quoiqu'il soit probable que les terres du Groen- land tiennent à celles de l'Amérique, l'on n'en est pas assuré ; car cette terre du Groenland en est séparée d'abord par le détroit de Davis, qui ne laisse pas d'ê- tre fort large, et ensuite par la baie de Baffin, qui l'est encore plus; et cette baie s'étend jusqu'au 78e degré, en sorte que ce n'est qu'au delà de ce terme que le Groenland et l'Amérique peuvent être contigus. 20 Le Spitzberg paroît être une continuité des ter- res de la côte orientale du Groenland, et il y a un assez grand intervalle de mer entre cette côte du Groenland et celle de la Laponie : ainsi l'on ne peut guère imaginer que les éléphants de Sibérie ou de Russie aient pu passer au Groenland. Il en est de même de leur passage par la bande de terre que l'on peut supposer entre la Norwège, l'Ecosse, l'Islande, et le Groenland : car cet intervalle nous présente des mers d'une largeur assez considérable ; et d'ailleurs ces terres, ainsi que celles du Groenland, sont plus septentrionales que celtes où l'on trouve les osse- ments d'éléphants, tant au Canada qu'en Sibérie : il n'est donc pas vraisemblable que ce soit par ce che- min, actuellement détruit de fond en comble, que ces animaux aient communiqué d'un continent à l'autre. SIXIÈME ÉPOQUE. 2^5 5° Quoique la distance de l'Espagne au Canada soit beaucoup plus grande que celle de l'Ecosse au Groen- land, cette route me paroîtroit la plus naturelle de toutes, si nous étions forcés d'admettre le passage des éléphants d'Europe en Amérique : car ce grand in- tervalle de mer entre l'Espagne et les terres voisines du Canada est prodigieusement raccourci par les bancs et les îles dont il est semé ; et ce qui pourroit donner quelque probabilité de plus à cette présomption, c'est la tradition de la submersio'n de l'Atlantide. 4° L'on voit que de ces trois chemins, les deux pre- miers paroissent impraticables, et le dernier si long, qu'il y a peu de vraisemblance que les éléphants aient pu passer d'Europe en Amérique. En même temps il y a des raisons très fortes qui me portent à croire que cette communication des éléphants d'un conti- nent à l'autre a dû se faire par les contrées septen- trionales de l'Asie, voisines de l'Amérique. Nous avons observé qu'en général toutes les côtes, toutes les pen- tes des terres, sont plus rapides vers les mers à l'occi- dent, lesquelles, par cette raison, sont ordinaire- ment plus profondes que les mers à l'orient. Nous avons vu qu'au contraire tous les continents s'éten- dent en longues pentes douces vers ces mers de l'o- rient. On peut donc présumer avec fondement que les mers orientales au delà et au dessus de Kamts- chatka n'ont que peu de profondeur; et l'on a déjà reconnu qu'elles sont semées d'une très grande quan- tité d'îles, dont quelques unes forment des terrains d'une vaste étendue ; c'est un archipel qui s'étend de puis Kamtschatka jusqu'à moitié de la distance de l'A- sie à l'Amérique, sous le 60e degré, et qui semble \ 2'56 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Loucher sous le cercle polaire par les îles d'Anadîr et par la pointe du continent de l'Asie. D'ailleurs les voyageurs qui ont également fréquenté les côtes occidentales du nord de l'Amérique et les terres orientales depuis Kamtschatka jusqu'au nord de cette partie de l'Asie conviennent que les naturels de ces deux contrées d'Amérique et d'Asie se res- semblent si fort, qu'on ne peut guère douter qu'ils ne soient issus les uns des autres : non seulement ils se ressemblent par la taille, par la forme des traits, la couleur des cheveux, et la conformation du corps et. des membres, mais encore par les mœurs et même par le langage. Il y a donc une très grande probabi- lité que c'est de ces terres de l'Asie que l'Amérique a reçu ses premiers habitants de toute espèce, à moins qu'on ne voulût prétendre que les éléphants et tous les autres animaux, ainsi que les végétaux, ont été créés en grand nombre dans tous les climats où la température pouvoit leur convenir; supposition har- die et plus que gratuite , puisqu'il suffit de deux in- dividus ou môme d'un seul , c'est-à-dire d'un ou deux moules une fois donnés, et doués de la faculté de se reproduire, pour qu'en un certain nombre de siècles la terre se soit peuplée de tous les êtres organisés dont la reproduction suppose ou non le concours des sexes. En réfléchissant sur la tradition de la submersion de i'Atlantide, il m'a paru que les anciens Egyptiens, qui nous l'ont transmise, avoient des communications de commerce par le Nil et la Méditerranée jusqu'en Es- pagne et en Mauritanie, et que c'est par cette com- munication qu'ils auront été informés de ce fait, qui, SIXIEME ÉPOQUE. 257 quelque grand et quelque mémorable qu'il soit, ne seroit pas parvenu à leur connoissance s'ils n'étoient pas sortis de leur pays, fort éloigné du lieu de l'évé- nement. 11 sembleroit donc que la Méditerranée et môme le détroit qui la joint à l'Océan existoient avant la submersion de l'Atlantide : néanmoins l'ouverture du détroit pourroit bien être de la même date. Les 'causes qui ont produit l 'affaissement subit de cette vaste terre ont dû s'étendre aux environs; la même commotion qui l'a détruite a pu faire écrouler la pe- tite portion de montagnes qui fermoit autrefois le détroit; les tremblements de terre qui, même de nos jours, se font encore sentir si violemment aux envi- rons de Lisbonne, nous indiquent assez qu'ils ne sont que les derniers effets d'une ancienne et plus puissante cause , à laquelle on peut attribuer l'affais- sement de cette portion de montagnes. Mais qu etoit la Méditerranée avant la rupture de cette barrière du côté de l'Océan, et de celle qui fermoit le Bosphore à son autre extrémité vers la mer Noire? Pour répondre à cette question d'une manière sa- tisfaisante, il faut réunir sous un même coup d'œil l'Asie, l'Europe, et l'Afrique, ne les regarder que comme un seul continent, et se représenter la forme en relief de la surface de tout ce continent, avec le cours de ses fleuves : il est certain que ceux qui tom- bent dans le lac Aral et dans la iner Caspienne ne fournissent qu'autant d'eau que ces lacs en perdent par l'évaporation ; il est encore certain que la mer INoire reçoit, en proportion de son étendue, beau- coup plus d'eau par les fleuves que n'en reçoit la Mé~ 258 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. diterranée : aussi la mer Noire se décharge-t-elle par le Bosphore de ce quelle a de trop, tandis qu'au contraire la Méditerranée, qui ne reçoit qu'une pe- tite quantité d'eau par les fleuves, en tire de l'Océan et de la mer Noire. Ainsi, malgré cette communica- tion avec l'Océan , la mer Méditerranée et ces autres mers intérieures ne doivent être regardées que comme des lacs dont l'étendue a varié, et qui ne sont pas au- jourd'hui tels qu'ils étoient autrefois. La mer Cas- pienne devoit être beaucoup plus grande et la Médi- terranée plus petite avant l'ouverture des détroits du Bosphore et de Gibraltar; le lac Aral et la Caspienne ne faisoient qu'un seul grand lac, qui étoit le récep- tacle commun du Wolga, du Jaïk, du Sirderoias, de l'Oxus, et de toutes les autres eaux qui ne pouvoient arriver à l'Océan : ces fleuves ont amené successive- ment les limons et les sables qui séparent aujourd'hui la Caspienne de l'Aral ; le volume d'eau a diminué dans ces fleuves à mesure que les montagnes dont ils entraînent les terres ont diminué de hauteur : il est donc très probable que ce grand lac, qui est au cen- tre de l'Asie, étoit anciennement encore plus grand, et qu'il communiquoit avec la mer Noire avant la rup- ture du Bosphore ; car dans cette supposition , qui me paroît bien fondée 1, la mer Noire, qui reçoit au- jourd'hui plus d'eau qu'elle ne pourroit en perdre par i. En parcourant, dit M. Pallas , les immenses déserls qui s'éten- dent entre le Wolga , le Jaïk , la mer Caspienne , et le Don , j'ai remar- que que ces steppes, ou déserts sablonneux , sont de toutes parts en- vironnés d'une côte élevée, qui embrasse une grande partie du lit du Jaïk , du Wolga , et du Don , et que ces rivières, très profondes avant que d'avoir pénétré dans cette enceinte, sont remplies d'îles et de bas- SIXIÈME ÉPOQUE. 9 59 l'évaporation , étant alors jointe avec la Caspienne, qui n'en reçoit qu'autant qu'elle en perd , la surface de ces deux mers réunies étoit assez étendue pour que toutes les eaux amenées par les fleuves fussent enle- vées par l'évaporation. D'ailleurs le Don et le Wolga sont si voisins l'un de l'autre au nord de ces deux mers, qu'on ne peut guère douter qu'elles ne fussent réunies dans le temps où le Bosphore encore fermé ne donnoit à leurs eaux aucune issue vers la Méditerranée : ainsi celles de la mer Noire et de ses dépendances étoient alors ré- pandues sur toutes les terres basses qui avoisinent le Don, le Donjec, etc. , et celles de la mer Caspienne couvroient les terres voisines du Wolga, ce qui f or- moi t un lac plus long que large qui réunissoit ces deux mers. Si l'on compare l'étendue actuelle du lac Aral, de la mer Caspienne, et de la mer Noire, avec l'étendue que nous leur supposons dans le temps de leur continuité, c'est-à-dire avant l'ouverture du Bos- phore, on sera convaincu, que, la surface de ces eaux étant alors plus que double de ce qu'elle est au- fonds dès qu'elles commencent à tomber dans les steppes, où là grande rivière de Kuman va se perdre elle-même dans les sables. De ces observations réunies , je conclus que la mer Caspienne a couvert autrefois tous ces déserts; qu'elle n'a eu anciennement d'autres bords que ces mêmes côtes élevées qui les environnent de toutes parts , et quelle a communiqué, au moyen du Don, avec la merJNoire, sup- posé même que cette mer, ainsi que celle d'Azoff, n'en ait pas fait partie. » M. Pallas est sans contredit l'un de nos plus savants naturalistes ; et c'est avec la plus grande satisfaction que je le vois ici entièrement de mon avis sur l'ancienne étendue de la mer Caspienne, et sur la probabilité bien fondée qu'elle eommuniquoit autrefois avec la mev Noire, {A Ad. Buff.) par l'effet continuel du mouvement général des mers, qui, constamment dirigées d'orient en occident, ont gagné une grande étendue de terrain sur les côtes an- ciennes de l'Asie, et ont formé les petites mers inté- rieures du Kamtschatka, de la Corée, de la Chine, etc. Il paroît même qu'elles ont aussi noyé toutes les terres basses qui étoient à l'orient de ce continent ; car si l'on tire une ligne depuis l'extrémité septen- trionale de l'Asie , en passant par la pointe du Kamts- chatka, jusqu'à la Nouvelle-Guinée, c'est-à-dire de- i. V oy ez les Additions de Buffon, page 280. SIXIÈME ÉPOQUE. 267 puis le cercle polaire jusqu'à l'équateur, on verra que les îles Marianes et celles des Callanos, qui se trou- vent dans la direction de cette ligne sur une longueur de plus de deux cent cinquante lieues, sont les restes ou plutôt les anciennes côtes de ces vastes terres en- vahies par la mer : ensuite si l'on considère les terres, depuis celles du Japon à Formose , de Formose aux Philippines, des Philippines à la Nouvelle-Guinée, on sera porté à croire que le continent de l'Asie étoit autrefois contigu avec celui de la Nouvelle-Hollande, lequel s'aiguise et aboutit en pointe vers le midi , comme tous les autres grands continents. Ces bouleversements si multipliés et si évidents dans les mers méridionales, l'envahissement tout aussi évi- dent des anciennes terres orientales par les eaux de ce môme Océan, nous indiquent assez les prodigieux changements qui sont arrivés dans cette vaste partie du monde, surtout dans les contrées voisines de l'é- quateur : cependant ni l'une ni l'autre de ces grandes causes n'a pu produire la séparation de l'Asie et de l'Amérique vers le nord; il sembleroit au contraire que si ces continents eussent été séparés au lieu d'être continus, les affaissements vers le midi, et l'irruption des eaux dans les terres de l'orient, auroient dû atti- rer celles du nord, et par conséquent découvrir la terre de cette région entre l'Asie et l'Amérique. Cette considération confirme les raisons que j'ai données ci-devant pour la continuité réelle des deux continents vers le nord en Asie. Après la séparation de l'Europe et de l'Amérique, après la rupture des détroits, les eaux ont cessé d'en- vahir de grands espaces; et dans la suite la terre a 268 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. plus gagné sur la mer qu'elle n'a perdu : car, indé- pendamment des terrains de l'intérieur de l'Asie nou- vellement abandonnés par les eaux, tels que ceux qui environnent la Caspienne et l'Aral, indépendamment de toutes les côtes en pente douce que cette dernière retraite des eaux laissoit à découvert, les grands fleu- ves ont presque tous formé des îles et de nouvelles contrées près de leurs embouchures. On sait que le Delta de l'Egypte, dont l'étendue ne laisse pas d'être considérable, n'est qu'un atterrissement produit par les dépôts du Nil. Il en est de même de la grande île à l'entrée du fleuve Amour, dans la mer orientale de la Tartarie chinoise. En Amérique, la partie méridio- nale de la Louisiane, près du fleuve Mississipi, et la partie orientale située à l'embouchure de la rivière des Amazones, sont des terres nouvellement formées par le dépôt de ces grands fleuves. Mais nous ne pou- vons choisir un exemple plus grand d'une contrée ré- cente que celui des vastes terres de la Guiane ; leur as- pect nous rappellera l'idée de la nature brute, et nous présentera le tableau nuancé de la formation succes- sive d'une terre nouvelle. Dans une étendue de plus de cent vingt lieues, de- puis l'embouchure de la rivière de Cayenne jusqu'à celle des Amazones, la mer, de niveau avec la terre, n'a d'autre fond que de la vase, et d'autres côtes qu'une couronne de bois aquatiques, de mangles ou palétuviers^ dont les racines, les tiges, et les bran- ches courbées, trempent également dans l'eau salée, et ne présentent que des halliers aqueux qu'on ne peut pénétrer qu'en canot et la hache à la main. Ce fond de vase s'étend en pente douce à plusieurs lieues SIXIÈME ÉPOQUE. 269 sous les eaux de la nier. Du côté de la terre, au delà de cette large lisière de palétuviers, dont les bran- ches, plus inclinées vers l'eau qu'élevées vers le ciel , forment un fort qui sert de repaire aux animaux im- mondes, s'étendent encore des savanes noyées, plan- tées de palmierss lataniers, et jonchées de leurs dé- bris : ces lataniers sont de grands arbres, dont, à la vérité, le pied est encore dans l'eau, mais dont la tête et les branches élevées et garnies de fruits invitent les oiseaux à s'y percher. Au delà des palétuviers et des lataniers l'on ne trouve encore que des bois mous, des cornons, des pineaux, qui ne croissent pas dans l'eau, mais dans les terrains bourbeux auxquels aboutissent les savanes noyées; ensuite commencent des forêts d'une autre essence : les terres s'élèvent en pente douce, et marquent pour ainsi dire leur élévation par la solidité et la dureté des bois qu'elles produisent. Enfin, après quelques lieues de chemin en ligne di- recte depuis la mer, on trouve des collines dont les co- teaux, quoique rapides, et même les sommets, sont éga- lement garnis d'une grande épaisseur de bonne terre, plantée partout d'arbres de tout âge si pressés; si serrés les uns contre les autres, que leurs cimes entrelacées laissent à peine passer la lumière du soleil , et sous leur ombre épaisse entretiennent une humidité si froide que le voyageur est obligé d'allumer du feu pour y passer la nuit; tandis qu'à quelque distance de ces sombres forêts, dans les lieux défrichés, la chaleur excessive pendant le jour est encore trop grande pen- dant la nuit. Cette vaste terre des côtes et de l'inté- rieur de la Guiane n'est donc qu'une forêt tout aussi vaste, dans laquelle des sauvages, en petit nombre, 270 DES EPOQUES DE LA NATURE. ont fait quelques clairières et de petits abattis pour pouvoir s'y domicilier sans perdre la jouissance de la chaleur de la terre et de la lumière du jour. La grande épaisseur de terre végétale qui se trouve jusque sur le sommet des collines démontre la forma- tion récente de toute la contrée; elle l'est en effet au point qu'au dessus de l'une de ces collines, nommée la Gabrielle, on voit un petit lac peuplé de crocodiles caïmans que la mer y a laissés à cinq ou six lieues de distance et à six ou sept cents pieds de hauteur au dessus de son niveau. Nulle part on ne trouve de la pierre calcaire, car on transporte de France la chaux nécessaire pour bâtir à Cayenne : ce qu'on appelle pierre à ravets n'est point une pierre, mais une lave de volcan , trouée comme les scories des forges; cette lave se présente en blocs épars ou en monceaux ir- réguliers dans quelques montagnes où l'on voit les bouches des anciens volcans qui sont actuellement éteints, parce que la mer s'est retirée et éloignée du pied de ces montagnes. Tout concourt donc à prou- ver qu'il n'y a pas long-temps que les eaux ont aban- donné ces collines, et encore moins de temps qu'elles ont laissé paroître les plaines et les terres basses : car celles-ci ont été presque entièrement formées par le dépôt des eaux courantes. Les fleuves, les rivières, les ruisseaux, sont si voisins les uns des autres, et en même temps si larges, si gonflés, si rapides dans la saison des pluies , qu'ils entraînent incessamment des limons immenses, lesquels se déposent sur toutes les terres basses et sur le fond de la mer en sédiments vaseux. Ainsi cette terre nouvelle s'accroîtra de siècle en siècle tant qu'elle ne sera pas peuplée; car on doit SIXIÈME ÉPOQUE. 271 compter pour rien le petit nombre d'hommes qu'on y rencontre : ils sont encore, tant au moral qu'au physique, dans l'état de pure nature; ni vêtements, ni religion, ni société, qu'entre quelques familles dispersées à de grandes dislances, peut-être au nom- bre de trois ou quatre cents carbets, dans une terre dont l'étendue est quatre fois plus grande que celle de la France. Ces hommes, ainsi que la terre qu'ils habitent, paroissent être les plus nouveaux de l'univers : ils y sont arrivés des pays plus élevés et dans des temps postérieurs à l'établissement de l'espèce humaine dans les hautes contrées du Mexique, du Pérou, et du Chili ; car, en supposant les premiers hommes en Asie, ils auront passé par la même route que les éléphants, et se seront, en arrivant, répandus dans les terres de l'Amérique septentrionale et du Mexique; ils auront ensuite aisément franchi les hautes terres au delà de l'isthme, et se seront établis dans celles du Pérou, et enfin ils auront pénétré jusque dans les contrées les plus reculées de l'Amérique méridionale. Mais n est-il pas singulier que ce soit dans quelques unes de ces dernières contrées qu'existent encore de nos jours les géants de l'espèce humaine , tandis qu'on n'y voit que des pygmées dans le genre des animaux? car on ne peut douter qu'on n'ait rencontré dans l'Amérique méridionale des hommes en grand nombre, tous plus grands, plus carrés, plus épais, et plus forts, que ne le sont tous les autres hommes de la terre. Les races de géants autrefois si communes en Asie, n'y subsis- tent plus. Pourquoi se trouvent-elles en Amérique aujourd'hui? ne pouvons-nous pas croire que quel- 2^2 DES EPOQUES DE LA NATURE. ques géants, ainsi que les éléphants, ont passé de l'Asie en Amérique, où, s étant trouvés pour ainsi dire seuls , leur race s'est conservée dans ce continent désert , tandis qu'elle a été entièrement détruite par le nombre des autres hommes dans les contrées peu- plées? Une circonstance me paroît avoir concouru au maintien de cette ancienne race de géants dans le continent du Nouveau -Monde; ce sont les hautes montagnes qui le partagent dans toute sa longueur et sous tous les climats. Or on sait qu'en général les ha- bitants des montagnes sont plus grands et plus forts que ceux des vallées ou des plaines. Supposant donc quelques couples de géants passés en Amérique, où ils auront trouvé la liberté, la tranquillité , la paix, ou d'autres avantages que peut-être ils n'avoient pas chez eux, n'auront-ils pas choisi dans les terres de leur nouveau domaine celles qui leur convenoient le mieux, tant pour la chaleur que pour la salubrité de l'air et des eaux? Ils auront fixé leur domicile à une hauteur médiocre dans les montagnes; ils se seront arrêtés sous le climat le plus favorable à leur multi- plication; et comme ils avoient peu d'occasions de se mésallier, puisque toutes les terres voisines étoient désertes, ou du moins tout aussi nouvellement peu- plées par un petit nombre d'hommes bien inférieurs en force, leur race gigantesque s'est propagée sans obstacle et presque sans mélange : elle a duré et sub- sisté jusqu'à ce jour, tandis qu'il y a nombre de siè- cles qu'elle a été détruite dans les lieux de son origine en Asie, par la très grande et plus ancienne popula- tion de cette partie du monde1. i. Voyez les Additions de Buffon , page 286. SIXlÈxME ÉPOQUE. 27J Mais autant les hommes se sont multipliés dans les terres qui sont actuellement chaudes et tempérées, autant leur nombre a diminué dans celles qui sont devenues trop froides. Le nord du Groenland, de la Laponie, du Spitzberg, de la Nouvelle-Zemble, de la terre des Samoïèdes, aussi bien qu'une partie de celles qui avoisinent la mer Glaciale jusqu'à l'extré- mité de l'Asie au nord de Kamtschatka, sont actuel- lement désertes, ou plutôt dépeuplées depuis un temps assez moderne. On voit même, par les cartes russes, que depuis les embouchures des fleuves Ole- nek, Lena, et Jana, sous les 70 et ^5° degrés, la route, tout le long des côtes de cette mer Glaciale jusqu'à la terre des Tschutschis, étoit autrefois fort fréquentée, et qu'actuellement elle est impraticable, ou tout au moins si difficile, qu'elle est abandonnée. Ces mêmes cartes nous montrent que des trois vais- seaux partis en 1648 de l'embouchure commune des fleuves de Kolima et Olomon, sous le 72e degré, un seul a doublé le cap de la terre des Tschutschis sous le 75e degré, et seul est arrivé, disent les mômes car- tes, aux îles d'Anadir, voisines de l'Amérique sous le cercle polaire. Mais autant je suis persuadé de la vérité de ces premiers faits, autant je doute de celle du dernier; car cette même carte, qui présente par une suite de points la route de ce vaisseau russe autour de la terre des Tschutschis, porte en même temps en toutes lettres qu'on ne connoît pas retendue de cette terre : or, quand même on auroit, en 1648, par- couru cette mer et fait le tour de cette pointe de l'Asie, il est sûr que depuis ce temps les Russes, quoique très intéressés à celte navigation pour arriver à Kamts- 374 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. chatka, et de là au Japon et à la Chine, l'ont entière- ment abandonnée; mais peut être aussi se sont-ils réservé pour eux seuls la connoissance de cette route autour de cette terre des Tschutschis, qui forme l'ex- trémité la plus septentrionale et la plus avancée du continent de l'Asie. Quoi qu'il en soit, toutes les régions septentriona- les au delà du 76e degré , depuis le nord de la Norwége jusqu'à l'extrémité de l'Asie, sont actuellement dé- nuées d'habitants, à l'exception de quelques malheu- reux que les Danois et les Russes ont établis pour la pêche, et qui seuls entretiennent un reste de popu- lation et de commerce dans ce climat glacé. Les terres du nord, autrefois assez chaudes pour faire multiplier les éléphants et les hippopotames, s'étant déjà refroi- dies au point de ne pouvoir nourrir que des ours blancs et des rennes, seront, dans quelques milliers d'années, entièrement dénuées et désertes par les seuls effets du refroidissement. Il y a même de très fortes raisons qui me portent à croire que la région de notre pôle qui n'a pas été reconnue ne le sera jamais : car ce refroidissement glacial me paroît s'être emparé du pôle jusqu'à la distance de sept ou huit degrés, et il est plus probable que toute cette plage polaire, autrefois terre ou mer, n'est aujourd'hui que glace; et si cette présomption est fondée , le circuit et l'é- tendue de ces glaces, loin de diminuer, ne pourra qu'augmenter avec !e refroidissement de la terre. Or, si nous considérons ce qui se passe sur les hau- tes montagnes, même dans nos climats, nous y trou- verons une nouvelle preuve démonstrative de la réa- lité de ce refroidissement , et nous en tirerons en SIXIÈME ÉPOQUE. ^5 même temps une comparaison qui me paroît frap- pante. On trouve au dessus des Alpes, dans une lon- gueur de plus de soixante lieues sur vingt et même trente de largeur en certains endroits, depuis les montagnes de la Savoie et du canton de Berne jus- qu'à celles du Tyrol, une étendue immense et pres- que continue de vallées, de plaines, et d'éniinences de glaces l , la plupart sans mélange d'aucune autre matière, et presque toutes permanentes, et qui ne fondent jamais en entier. Ces grandes plages de glace, loin de diminuer dans leur circuit, augmentent et s'é- tendent de plus en plus; elles gagnent de l'espace sur les terres voisines et plus basses : ce fait est dé- montré par les cimes des grands arbres , et même par une pointe de clocher, qui sont enveloppés dans ces masses de glaces, et qui ne paroissent que dans cer- tains étés très chauds, pendant lesquels ces glaces di- minuent de quelques pieds de hauteur; mais la masse intérieure, qui, dans certains endroits, est épaisse de cent toises, ne s'est pas fondue de mémoire d'homme. Il est donc évident que ces forêts et ce clocher en- fouis dans ces glaces épaisses et permanentes étoient ci-devant situés dans des terres découvertes, habi- tées, et par conséquent moins refroidies qu'elles ne le sont aujourd'hui; il est de même très certain que cette augmenta lion successive de glace ne peut être attribuée à l'augmentation de la quantité de vapeurs aqueuses, puisque tous les sommets des montagnes qui surmontent ces glacières ne se sont point élevés, et se sont au contraire abaissés avec le temps et par ht chute d'une infinité de rochers et de masses en i. Voyez les Additions de Buffon, page 296. 2^6 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. débris qui ont roulé soit au fond des glacières, soit dans les vallées inférieures. Dès lors, l'agrandissement de ces contrées de glace est déjà, et sera dans la suite la preuve la plus palpable du refroidissement succes- sif de la terre, duquel il est plus aisé de saisir les de- grés dans ces pointes avancées du globe que partout ailleurs : si l'on continue donc d'observer les progrès de ces glacières permanentes des Alpes, on saura, dans quelques siècles, combien il faut d'années pour que le froid glacial s'empare d'une terre actuellement habitée, et de là on pourra conclure si j'ai compté trop ou trop peu de temps pour le refroidissement du globe. Maintenant , si nous transportons cette idée sur la région du pôle, nous nous persuaderons aisément que non seulement elle est entièrement glacée, mais même que le circuit et l'étendue de ces glaces aug- mente de siècle en siècle, et continuera d'augmenter avec le refroidissement du globe. Les terres du Spitz- berg, quoique à 10 degrés du pôle, sont presque en- tièrement glacées, même en été : et parles nouvelles tentatives que l'on a faites pour approcher du pôle de plus près, il paroît qu'on n'a trouvé que des glaces, que je regarde comme les appendices de la grande glacière qui couvre cette région tout entière depuis le pôle jusqu'à 7 ou 8 degrés de distance. Les glaces immenses reconnues par le capitaine Phipps à 80 et 81 degrés, et qui partout l'ont empêché d'avancer plus loin, semblent prouver la vérité de ce fait impor- tant; car l'on ne doit pas présumer qu'il y ait sous le pôle des sources et des fleuves d'eau douce qui puis- sent produire et amener ces glaces, puisqu'en toutes SIXIÈME ÉPOOUE. 21n saisons ces fleuves seroient glacés. Il paroît donc que les glaces qui ont empêché ce navigateur intrépide de pénétrer au delà du 82e degré , sur une longueur de plus de ^4 degrés en longitude; il paroît, dis-je, que ces glaces continues forment une partie de la circon- férence de l'immense glacière de notre pôle , produite par le refroidissement successif du globe ; et si l'on veut supputer la surface de cette zone glacée depuis le pôle jusqu'au 820 degré de latitude, on verra qu'elle est de plus de cent trente mille lieues carrées, et que par conséquent voilà déjà la deux centième partie du globe envahie parle refroidissement et anéantie pour la nature vivante; et comme le froid est plus grand dans les régions du pôle austral, l'on doit présumer que l'envahissement des glaces y est aussi plus grand , puisqu'on en rencontre dans quelques unes de ces plages australes dès le 4;e degré. Mais pour ne consi- dérer ici que notre hémisphère boréal , dont nous pré- sumons que la glace a déjà envahi la centième partie, c'est-à-dire toute la surface de la portion de sphère qui s'étend depuis le pôle jusqu'à 8 degrés ou deux cents lieues de distance , Ton sent bien que s'il étoit possible de déterminer le temps où ces glaces ont commencé de s'établir sur le point du pôle, et ensuite le temps de la progression successive de leur envahis- sement jusqu'à deux cents lieues, on pourroit en dé- duire celui de leur progression à venir, et connoître d'avance quelle sera la durée de la nature vivante dans tous les climats jusqu'à celui de l'équateur. Par exem- ple , si nous supposons qu'il y ait mille ans que la glace permanente a commencé de s'établir sous le point même du pôle , et que , dans la succession de UUFFCW. V. l8 2J$ DES ÉVOQUES DE LA NATURE. ce miliier d'années, les glaces se soient étendues au- tour de ce point jusqu'à deux cents lieues, ce qui t'ait la centième partie de la surface de l'hémisphère de- puis le pôle à l'équateur, on peut présumer qu'il s'écoulera encore quatre-vingt-dix-neuf mille ans avant qu'elles puissent l'envahir dans toute son étendue, en supposant uniforme la progression du froid glacial , comme l'est celle du refroidissement du globe; et ceci s'accorde assez avec la durée de quatre-vingt- treize mille ans que nous avons donnée à la nature vivante, à dater de ce jour, et que nous avons dé- duite de la seule loi du refroidissement. Quoi qu'il en soit, il est certain que le^ glaces se présentent de tous côtés, à 8 degrés du pôle, comme des barrières et des obstacles insurmontables, car le capitaine Phipps a parcouru plus de la quinzième partie de cette circonférence vers le nord-est ; et avant lui , Baffin et. Smith en avoient reconnu tout autant vers le nord-ouest 9 et partout ils n'ont trouvé que glace. Je suis donc persuadé que si quelques autres navigateurs aussi courageux entreprennent de reconnoître le reste de cette circonférence, ils la trouveront de même bornée partout par des glaces qu'ils ne pourront pé- nétrer ni franchir, et que par conséquent cette région du pôle est entièrement et à jamais perdue pour nous. La brume continuelle qui couvre ces climats, et qui n'est que de la neige giacée dans l'air, s'arrêtant ainsi que toutes les autres vapeurs contre les parois de ces côtes de glace, elle y forme de nouvelles couches et d'autres, glaces, qui augmentent incessamment et s'é- tendront toujours de plus en plus, à mesure que le globe se refroidira davantage. SIXIEME EPOQUE. 2JÇ) Au reste, la surface de l'hémisphère boréal présen- tant beaucoup plus de terre que celle de l'hémisphère austral, cette différence suffit, indépendamment des awtres causes ci-devant indiquées, pour que ce der- nier hémisphère soit plus froid que le premier : aussi trouve-t-on des glaces dès le 4 7 ou 5oc degré dans les mers australes, au lieu qu'on n'en rencontre qu'à 20 degrés plus loin dans l'hémisphère boréal. On voit d'ailleurs que, sous notre cercle polaire, il y a moi- tié plus de terre que d'eau, tandis que tout est mer sous le cercle antarctique : l'on voit qu'entre notre cercle polaire et le tropique du Cancer il y a plus de deux tiers de terre sur un tiers de mer ; au lieu qu'entre le cercle polaire antarctique et le tropique du Capricorne il y a peut-être quinze fois plus de mer que de terre. Cet hémisphère austral a donc été de tout temps, comme il l'est encore aujourd'hui, beaucoup plus aqueux et plus froid que le nôtre ; et il n'y a pas d'apparence que passé le 5oc degré l'on y trouve jamais des terres heureuses et tempérées. ïi est donc presque certain que les glaces ont envahi une plus grande étendue sous le pôle antarctique, et que leur circonférence s'étend peut-être beaucoup plus loin que celle des glaces du pôle arctique. Ces immenses glacières des deux pôles, produites par le refroidissement, iront comme les glacières des Alpes toujours en augmentant. La postérité ne tardera pas à le savoir, et nous nous croyons fondés à le pré- sumer d'après notre théorie, et d'après le#s faits que nous venons d'exposer, auxquels nous devons ajou- ter celui des glaces permanentes qui se.sont formées depuis quelques siècles contre la côte orientale du 2&0 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Groenland; on peut encore y joindre l'augmentation des glaces près de la Nouvelle-Zemble, dans le dé- troit de Waigats , dont le passage est devenu plus dif- ficile et presque impraticable ; et enfin l'impossibi- lité où l'on est de parcourir la mer Glaciale au nord de l'Asie; car .malgré ce qu'en ont dit les Russes, il est très douteux que les côtes de cette mer les plus avancées vers le nord aient été reconnues, et qu'ils aient fait le tour de la pointe septentrionale de l'Asie1. Nous voilà , comme je me le suis proposé, descendus du sommet de l'échelle du temps jusqu'à des siècles assez voisins du nôtre ; nous avons passé du chaos à la lumière, de l'incandescence du globe à son pre- mier refroidissement, et cette période de temps a été de vingt-cinq mille ans. Le second degré de refroi- dissement a permis la chute des eaux, et a produit la dépuration de l'atmosphère, depuis vingt- cinq à trente-cinq mille ans. Dans la troisième époque s'est fait l'établissement de la mer universelle , la produc- tion des premiers coquillages et des premiers végé- taux, la construction de la surface de la terre par lits horizontaux, ouvrage de quinze ou vingt autres mil- liers d'années. Sur la fin de la troisième époque et au commencement de la quatrième s'est faite la retraite des eaux; les courants de la mer ont creusé nos val- lons, et les feux souterrains ont commencé de rava- ger la terre par leurs explosions. Tous ces derniers mouvements ont duré dix mille ans de plus; et en somme totale ces grands événements, ces opérations, et ces constructions supposent au moins une succès i. Voyez les Additions de Buffon, page 5oA. SIXIÈME ÉPOQUE. . 2&1 sion de soixante mille aimées, après quoi la nature, dans son premier moment de repos, a donné ses pro- ductions les plus nobles; la cinquième époque nous présente la naissance des animaux terrestres. Il est vrai que ce repos n etoit pas absolu ; la terre n'étoit pas encore tout-à-fait tranquille , puisque ce n'est qu'après la naissance des premiers animaux terrestres que s'est faite la séparation des continents, et que sont arrivés les grands changements que je viens d'ex- poser dans cette sixième époque. Au reste, j'ai fait ce que j'ai pu pour proportion- ner dans chacune de ces périodes la durée du temps à la grandeur des ouvrages; j'ai tâché, d'après mes hypothèses, de tracer le tableau successif des grandes révolutions de la nature , sans uéanmoins avoir pré- tendu la saisir à son origine, et encore moins l'avoir embrassée dans toute son étendue ; et mes hypothè- ses fussent-elles contestées, et mon tableau ne fût-il qu'une esquisse très, imparfaite de celui de la nature, je suis convaincu que tous ceux qui de bonne foi vou- dront examiner cette esquisse et la comparer avec le modèle trouveront assez de ressemblance pour pou- voir au moins satisfaire leurs yeux e± fixer leurs idées sur les plus grands objets de la philosophie naturelle. 2S'2 DES ÉPOQUES DE LA NATELIE. ADDITIONS DE BUFFON. ( Sui' la page 266. ) La plus ancienne tradition qui reste de ces affaisse- ments dans les terres du midi est celle de la perte de la Taprobane, dont on croit que les Maldives et les Laquedives ont fait autrefois partie. Ces îles, ainsi que les écueils et les bancs qui régnent depuis Ma- dagascar jusqu'à la pointe de l'Inde, semblent indi- quer les sommets des terres qui réunissoient l'Afrique avec l'Asie; car ces îles ont presque toutes, du côté du nord, des terres et des lianes qui se prolongent très loin sous les eaux. Il paroît aussi que les îles de Madagascar et de Ceylan étoient autrefois unies aux continents qui les avoisinent. Ces séparations et ces grands bouleverse- ments dans les mers du midi oW la plupart été pro- duits par l'affaissement des cavernes, par les tremble- ments de terre, et par l'explosion des feux souterrains; mais il y a eu aussi beaucoup de terres envahies par le mouvement lapt et successif de la mer d'orient en occident. Les endroits du monde où cet effet est le plus sensible sont les régions du Japon, de la Chine, et de toutes les parties orientales de l'Asie. Ces mers situées à l'occident de la Chine et du Japon ne sont pour ainsi dire qu'accidentelles, et peut-être encore plus récentes que notre Méditerranée. Les îles de la Sonde, les Moluques, et les Philip- pines, ne présentent que des terres bouleversées, et sont encore pleines de volcans : il#y en a beaucoup SIXIÈME ÉPOQUE. aussi dans les îles du Japon , et l'on prétend que c'esl l'endroit de l'univers le plus sujet aux tremblements de terre; on y trouve quantité de fontaines d'eau chaude. La plupart des autres îles de l'Océan indien ne nous offrent aussi que des pics ou des sommets de montagnes Lisolées qui vomissent le feu. I^'Ile-de- IVance et l'île de Bourbon paroissent deux de ces sommets presque entièrement couverts de matières rejetées par les volcans : ces deux îles étoient inha- bitées lorsqu'on en a fait la découverte. Les cotes de la Guiane française sont si basses, que ce sont plutôt des grèves toutes couvertes de vase en pente très douce , qui commence dans les terres et s'étend sur le fond de la mer à une très grande dis- tance. Les gros navires ne peuvent approcher de la rivière de Cayenne sans loucher, et les vaisseaux de guerre sont obligés de rester à deux ou trois lieues en mer. Ces vases en pente douce s'étendent , tout le îon^ des rivages, depuis Cayenne jusqu'à la rivière des Amazones; l'on ne trouve dans cette grande étendue que de la vase et point de sable, et tous les bords de la mer sont couverts de palétuviers : mais à sept ou huit lieues au dessus de Cayenne, du côté du nord- ouest , jusqu'au fleuve Marony, on trouve quelques anses dont le fond est de sable et de rochers qui for- ment des brisants; la vase cependant Ses recouvre pour la plupart, aussi bien que les couches de sable, et cette vase a d'autant plus d'épaisseur qu'elle s'éloi- gne davantage du bord de la mer : les petits rochers n'empêchent pas que ce terrain ne soit en pente très douce à plusieurs lieues d'étendue dans les terres. Cette partie de la Guiane qui est an nord-ouesi de 28'4 DES EPOQUES DE LA NATURE. Cayenne est une contrée plus élevée que celles qui sont au sud-est : on en a une preuve démonstrative ; car tout Je long des bords de la mer on trouve de gran- des savanes noyées qui bordent la côte, et dont la plupart sont desséchées dans la partie du nord-ouest, tandis qu'elles sont toutes couvertes des eaux de la mer dans la partie sud-est. Outre ces terrains noyés actuellement par la mer, il y en a d'autres plus éloi- gnés, et qui de même étoient noyés autrefois. On trouve aussi en quelques endroits des savanes d'eau douce; mais c*elles-ci ne produisent point de palétu- viers, et seulement beaucoup de palmiers lataniers. On ne trouve pas une seule pierre sur toutes ces côtes basses : la marée ne laisse pas d'y monter de sept ou huit pieds de hauteur, quoique les courants lui soient opposés; car ils sont tous dirigés vers les îles Antilles. La marée est fort sensible lorsque les eaux des fleuves sont basses, et on s'en aperçoit alors jusqu'à quarante et même cinquante lieues dans ces fleuves; mais en hiver, c'est-à-dire dans la saison des pluies, lorsque les fleuves sont gonflés, la marée y est à peine sensible à une ou deux lieues, tant le courant de ces fleuves est rapide, et il devient de la plus grande im- pétuosité à l'heure du reflux. Les grosses tortues de mer viennent déposer leurs oeufs sur le fond de ces anses de sable, et on ne les voit jamais fréquenter les terrains vaseux; en sorte que, depuis Cayenne jusqu'à la rivière des Amazones, il n'y a point de tortues, et on va les pêcher depuis la rivière Gourou jusqu'au fleuve Marony. Il semble que la vase gagne tous les jours du terrain sur les sables, et qu'avec le temps cette côte nord-ouest de SIXIEME EPOQUE. èS5 Cayenne en sera recouverte comme la côte sud-est ; car les tortues, qui ne veulent que du sable pour y déposer leurs œufs, s'éloignent peu à peu de la ri- vière Gourou , et depuis quelques années on est obligé de les aller chercher plus loin du côté du fleuve Ma- rony, dont les sables ne sont pas encore couverts. Au delà des savanes, dont les unes sont sèches et les autres noyées, s'étend un cordon de collines, qui sont toutes couvertes d'une grande épaisseur de terre plantée partout de vieilles forêts : communément ces collines ont 55o ou 4oo pieds d'élévation , mais en s'éloignant davantage, on en trouve de plus élevées, et peut-être de plus du double, en s'avançant dans les terres jusqu'à dix ou douze lieues. La plupart de ces montagnes sont évidemment d'anciens volcans éteints. Il y en a pourtant une , appelée la Gabrlelle^ au sommet de laquelle on trouve une grande mare ou petit lac, qui nourrit des caïmans en assez grand nom- bre, dont apparemment l'espèce s'y est conservée de- puis le temps où la mer couvroit cette colline. Au delà de cette montagne Gabrielle, on ne trouve que de petits vallons, des terres, des mornes, et des matières volcanisées qui ne sont point en grandes masses, mais qui sont brisées par petits blocs. La pierre la plus commune, et dont les eaux ont entraîné des blocs jusqu'à Cayenne, est celle que l'on appelle la pierre à ravets, qui , comme nous l'avons dit, n'est point une pierre, mais une lave de volcan : on l'a nommée pierre à ravetSj parce qu'elle est trouée, et que les insectes appelés ravets se logent dans les trou de cette lave. 286 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. ( Sur la page 272. ) On ne peut pas douter qu'il n'y ait eu des indivi- dus géants dans tous les climats de la terre, puisque de nos jours on en voit encore naître en tout pays, et que récemment on en a vu un qui étoit né sur les confins de la Laponie, du côté de la Finlande. Mais on n'est pas également sûr qu'il y ait eu des races constantes et moins encore des peuples entiers de géants : cependant le témoignage de plusieurs auteurs anciens, et ceux de l'Ecriture-Sainte, qui est encore plus ancienne, me paroissent indiquer assez claire- ment qu'il y a eu des races de géants en Asie ; et nous croyons devoir présenter ici les passages les plus posi- tifs à ce sujet. Il est dit, Nombres , cliap. XIII, ver- set 54 : « Nous avons vu les géants de la race d'Ha- » nak, aux yeux desquels nous ne devions paroître » pas plus grands que des cigales. » Et par une autre version il est dit : « Nous avons vu des monstres de » la race d'Énac, auprès desquels nous n'étions pas » plus grands que des sauterelles. » Quoique ceci ait l'air d'une exagération, assez ordinaire dans le style oriental, cela prouve néanmoins que ces géants étoient très grands. Dans le second livre des Rois„ chapitre XXI, ver- set 20, il est parlé d'un homme très grand « de la » race d'Arapha, qui avoit six doigts aux pieds et aux » mains ; » et l'on voit par le verset 18 que cette race d'Arapha étoit de génère gigantun\, On trouve encore dans le Deuteronome plusieurs passages qui prouvent l'existence des géants et leur SIXIÈME ÉPOQUE. 287 destruction. « Un peuple nombreux, est -il dit, et » d'une grande hauteur, comme ceux d'Enacim, que » le Seigneur a détruits ( chapitre II, verset 21 ). » Et il est dit, versets 19 et 20 : « Le pays d'Ammou » est réputé pour un pays de géants, dans lequel ont » autrefois habité les géants que les Ammonites ap- » pellent Zomzommim. » Dans Josué; chapitre XI, verset 22, il est dit : « Les seuls géants de la race d'Enacim qui soient res- » tés parmi les enfants d'Israël étoient dans les villes «•de Gaza, de Geth et d'Azot; tous les autres géants » de cette race ont été détruits. » Philon, saint Cyrille, et plusieurs autres auteurs, semblent croire que le mot de géants n'indique que des hommes superbes et impies, et non pas des hom- mes d'une grandeur de corps extraordinaire; mais ce sentiment ne peut pas se soutenir, puisque souvent il est question de la hauteur et de la force de corps de ces mômes hommes. Dans le prophète Amos, il est dit que le peuple des Amorrhéens étoit si haut, qu'on les a comparés aux cèdres, sans donner d'autres mesures à leur grande hauteur. Og-, roi de Bazan, avoit la hauteur de neuf cou- dées, et Goliath, de dix coudées et un palme. Le lii d'Og avoit neuf coudées de longueur, c'est-à-dire treize pieds et demi, et de largeur quatre coudées, qui font six pieds. Le corselet de Goliath pesoit 208 livres 4 onces, et le fer de sa lance pesoit 25 livres. Ces témoignages nie paroissent suffisants pour qu'on puisse croire avec quelque fondement qu'il a autre- 288 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. fois existé dans le continent de l'Asie non seulement des individus, mais des races de géants, qui ont été détruits, et dont les derniers subsistoient encore du temps de David. Et quelquefois la nature, qui ne perd jamais ses droits, semble remonter à ce même point de force de production et de développement; car, dans presque tous les climats de la terre, il paroît de temps en temps des hommes d'une grandeur extra- ordinaire, c'est-à-dire de sept pieds et demi, huit, et même neuf pieds : car, indépendamment des géants bien avérés, et dont nous avons déjà fait mention, nous pourrions citer un nombre infini d'autres exem- ples, rapportés par les auteurs anciens et modernes, des géants de dix, douze, quinze, dix-huit pieds de hauteur, et mêihe encore au delà ; mais je suis bien persuadé qu'il faut beaucoup rabattre de ces derniè- res mesures : on a souvent pris des os d'éléphant pour des os humains; et d'ailleurs la nature, telle qu'elle nous est connue, ne nous offre dans aucune espèce des disproportions aussi grandes, excepté peut-être dans l'espèce de l'hippopotame, dont les dents trou- vées dans le sein de la terre sont au moins quatre fois plus grosses que les dents des hippopotames ac- tuels. Les os du prétendu roi Theutobochus, trouvés en Dauphiné , ont fait le sujet d'une dispute entre Habi- cot, chirurgien de Paris, et Riolan, docteur en mé- decine, célèbre anatomiste. Habicot a écrit, dans un petit ouvrage qui a pour titre Gigantostéologie s que ces os étoient dans un sépulcre de brique à 18 pieds en terre, entouré de sablon : il ne donne ni la des- cription exacte, ni les dimensions, ni le nombre de SIXIÈME ÉPOQUE. .'>iS<) ces os; il prétend que ces os étoient vraiment des os humains, d'autant, dit-il, qu'aucun animal n'en pos- sède de tels. Il ajoute que ce sont des maçons qui, travaillant chez le seigneur de Langon, gentilhomme du Dauphiné, trouvèrent, le i 1 janvier 161 3, ce tom- beau , proche les masures du château de Chaumont; que ce tombeau était de brique; qu'il avoit 5o pieds de longueur, 12 de largeur, et S de profondeur, en comptant le chapiteau, au milieu duquel était une pierre grise sur laquelle étoit gravé Tlieutobochus rex; que ce tombeau ayant été ouvert, on vit un squelette humain de 25 pieds i/.2 de longueur, iode largeur à l'endroit des épaules, et 5 pieds d'épaisseur; qu'avant de toucher ces os, on mesura la tête, qui avoit 5 pieds de longueur et 10 en rondeur. ( Je dois observer que la proportion de la longueur de la tête humaine avec celle du corps n'est pas d'un cinquième, mais d'un, septième et demi; en sorte que cette tête de 5 pieds supposeront un corps humain de 3^ pieds 1/2 de hau- teur. ) Enfin il dit que la mâchoire inférieure avoit 6 pieds de tour, les orbites des yeux 7 pouces de tour, chaque clavicule 4 pieds de long, et que la plupart de ces ossements se mirent en poudre après avoir été frappés de l'air. Le docteur Riolan publia, la même année l6i5, un écrit, sous le nom de Giganiomachie •_, dans lequel il dit que le chirurgien Habicot a donné, dans sa Gi- gantostèologie , des mesures fausses de la grandeur du corps et des os du prétendu géant Theutobo- chus ; que lui Riolan a mesuré l'os de la cuisse, celui de la jambe, avec l'astragale joint au calcanéum, et 'igo DES EPOQUES DE LA NATURE. qu'il ne leur a trouvé que 6 1/2 pieds, y compris l'os pubis, ce qui ne feroit que i3 pieds au lieu de 2 5 pour la hauteur du géant. Il donne ensuite les raisons qui lui font douter que ces os soient des os humains ; et il conclut en disant que ces os présentés par Habicot ne sont pas des os humains, mais des os d'éléphant. Un an ou deux après la publication de la Gigantos- téologie d'Habicot , et de îa Gigantomackie de Riolan , il parut une brochure sous le titre de ï Imposture clé- couverte des os humains supposés , et faussement attri- bués au roi Tlieutoboclius ., dans laquelle on ne trouve autre chose sinon que ces os ne sont pas des os hu- mains, mais des os fossiles engendrés par la vertu de la terre ; et encore un autre livret, sans nom d'auteur, dans lequel il est dit qu'à la vérité il y a parmi ces os des os humains, mais il y en avoit d'autres qui n'é- ioient pas humains. Ensuite, en 1618, Riolan publia un écrit, sous le ne>m de Gigantologie, où il prétend non seulement que les os en question ne sont pas des os humains, mais encore que les hommes en général n'ont jamais été plus grands qu'ils ne le sont aujourd'hui. Habicot répondit à Riolan dans la même année 1618 ; et il dit qu'il a offert au roi Louis XIII sa Gi- gantostèologie, et qu'en 1610, sur la fin de juillet, on exposa aux yeux du public les os énoncés dans cet ouvrage, et que ce sont vraiment des os humains : il cite un grand nombre d'exemples, tirés des auteurs anciens et modernes, pour prouver qu'il y a eu des hommes d'une grandeur excessive. Il persiste à dire SIXIEME EPOQ#£. :>9 1 que les os calcanéum , tibia, et fémur, du géant Theutobochus, étant joints les uns avec les autres, portoient plus de 1 1 pieds de hauteur. Il donne ensuite les lettres qui lui ont été écrites dans le temps de la découverte de ces os, et qui sem- blent confirmer la réalité du fait du tombeau et des os du géant Theutobochus. Il paroît par la lettre du seigneur de Langon, datée de Saint-Marceliin en Dau- phiné, et par une autre du sieur Mazurier, chirur- gien à Beaurepaireg qu'on avoit trouvé des monnoies d'argent avec les os. La première lettre est conçue dans les termes suivants : « Comme sa majesté désire d'avoir le reste des os du roi Theutobochus, avec la monnoie d'argent qui s'y est trouvée, je puis vous dire d'avance que vos par- ties adverses sont très mal fondées, et que s'ils sa- voient leur métier, il ne douteroient pas que ces os ne soient véritablement des os humains. Les docteurs en médecine de Montpellier se sont transportés ici, et auroient bien voulu avoir ces os pour de l'argent. M. le maréchal de Lesdiguières les a fait porter à Gre- noble pour les voir, et les médecins et chirurgiens de Grenoble les ont reconnus pour des os humains; de sorte qu'il n'y a que les ignorants qui puissent nier cette vérité, etc. » Signe j Langon. » Au reste, dans cette dispute, lliolah et Habicot, l'un médecin et l'autre chirurgien, se sont dit plus d'inju- res qu'ils n'ont écrit de faits et de raisons : ni l'un ni l'autre n'ont eu assez de sens pour décrire exacte- 2Ç)2 DES EPOQUES DE LA NATURE ment les os dont il est question ; mais tous deux , emportés par l'esprit de corps et de parti, ont écrit d'une manière à ôter toute confiance. Il est donc très difficile de prononcer affirmativement sur l'espèce de ces os : mais s'ils ont été en effet trouvés dans un tombeau de brique, avec un couvercle de pierre, sur lequel étoit l'inscription T lie ut ob oc km rex ; s'il s'est trouvé des monnoies dans ce tombeau , s'il ne conte - noit qu'un seul cadavre de 2^ ou 20 pieds de lon- gueur, si la lettre du seigneur 4e Langon contient vérité, on ne pourroit guère douter du fait essentiel, c'est-à-dire de l'existence d'un géant de i[\ pieds de hauteur, à moins de supposer un concours fort extra- ordinaire de circonstances mensongères ; mais aussi le fait n'est pas prouvé d'une manière assez positive, pour qu'on ne doive pas en douter beaucoup. Il est vrai que plusieurs auteurs, d'ailleurs dignes de foi, ont parlé de géants aussi grands et encore plus grands. Pline rapporte que, par un tremblement de terre en Crète, une montagne s'étant entr'ouverte, on y trouva un corps de 16 coudées, que les uns ont dit être Je corps d'Otus, et d'autres celui d'Orion. Les 16 cou- dées donnent 2^ pieds de longueur, c'est-à-dire la même que celle du roi Theutobochus. Q11 trouve dans un mémoire de M. Le Cat, aca- démicien de Rouen, une énumération de plusieurs géants d'une grandeur excessive ; savoir, deux géants dont les squelettes furent trouvés par les Athéniens près de leur ville, l'un de 36 et l'autre de 34 pieds de hauteur ; un autre de 3o pieds, trouvé en Sicile, près de Païenne, en i54§; un autre de 33 pieds, trouvé SIXIEME ÉPOQUE. 2Ç)5 de même eu Sicile en i55o; encore un autre trouvé de même en Sicile près de Mazarino, qui avoit 3o pieds de hauteur. Malgré tous ces témoignages, je crois qu'on aura bien de la peine à se persuader qu'il ait jamais existé des hommes de 5o ou 5(3 pieds de hauteur; ce seroit déjà bien trop que de ne*pas se refuser à croire qu'il y en a eu de 2^ : cependant les témoignages se mul- tiplient, deviennent plus positifs, et vont pour ainsi dire par nuances d'accroissement à mesure que l'on descend. M. Le Cat rapporte que l'on trouva en 1706 près des bords de la rivière Morderi, au pied de la montagne de Crussol, le squelette d'un géant de 22 pieds V2 de hauteur, et que les dominicains de Va- lence ont une partie de sa jambe avec l'articulation du genou. Platerus, médecin célèbre, atteste qu'il a vu à Lu- cerne le squelette d'un homme de 19 pieds au moins de hauteur. Le géant Ferragus, tué par Roland, neveu de Char- lemagne , avoit 18 pieds de hauteur. Dans les cavernes sépulcrales de l'île de Ténérïffe , on a trouvé le squelette d'un guanche qui avoit i5 pieds de hauteur, et dont la tête avoit 80 dénis. Ces trois faits sont rapportés, comme les précédents, dans le Mémoire de M. Le Cat sur les géants. 11 cite en- core un squelette , trouvé dans un fossé près du cou- vent des Dominicains de Rouen, dont le crâne tenoit un boisseau de blé, et dont l'os de la jambe avoit environ 4 pieds de longueur; ce qui donne pour la hauteur du corps entier 17 à 18 pieds. Sur la tombe de ce géant étoit une inscription gravée, où on lisoit : BUFFON. V. If) '2Ç)\ DES ÉPOQUES DE LÀ NATURE. Ci-git noble et puissant seigneur le chevalier Ricon de V aimant et ses os. On trouve dans le Journal littéraire de l'abbé Na- zari que, dans la haute Calabre, au mois de juin i665, on déterra dans les jardins du seigneur de Ti- violo un squelette de 18 pieds romains de longueur; que la tête avoit 2 pieds ^>; que chaque dent mo- laire pesoit environ une once et un tiers , et les autres dents trois quarts d'once, et que ce squelette étoit couché sur une masse de bitume. Hector Boetius, dans son Histoire de t 'Ecosse \, livre VII, rapporte que l'on conserve encore quelques os d'un homme, nommé par contre-vérité le Petit-Jean 3 qu'on croit avoir eu 1 4 pieds de hauteur, c'est-à-dire 10 pieds 2 pouces 6 lignes de France. On I rouve dans le Journal des S avants ^ année 1 692 , une lettre du P. Gentil, prêtre de l'Oratoire, profes- seur de philosophie à Angers, où il dit qu'ayant eu avis de la découverte qui s'étoit faite d'un cadavre gi- gantesque dans le bourg de Lassé, à neuf lieues de cette ville, il fut lui-même sur les lieux pour s'infor- mer du fait. Il apprit que le curé du lieu ayant fait creuser dans son jardin , on avoit trouvé un sépulcre qui renfermoit un corps de 17 pieds 2 pouces de long, qui n'avoit plus de peau. Ce cadavre avoit d'au- tres corps entre ses bras et ses jambes, qui pouvoient être ses enfants. On trouva dans le même lieu qua- torze ou quinze autres sépulcres, les uns de 10 pieds, les autres de 12, et d autres même de \l\ pieds, qui renfermoient des corps de même longueur. Le sé- pulcre de ce géant resta exposé à l'air pendant plus d'un an; mais comme cela altiroit trop de visites au SIXIÈME EPOQl E. ^95 curé , il l'a fait recouvrir de terre , et planter trois ar- bres sur la place. Ces sépulcres sont dune pierre semblable à la craie. Thomas Molineux a vu, aux écoles de médecine deLeyde, un os frontal humain prodigieux : sa hau- teur prise depuis sa jonction aux os du nez, jusqu'à la suture sagittale, étoit de 9 4/i2 pouces, sa largeur de 12 4/40 pouces, son épaisseur d'un demi-pouce; c'est-à-dire que chacune de ces dimensions étoit double de la dimension correspondante à l'os frontal , tel qu'il est dans les hommes de taille ordinaire ; en sorte que l'homme à qui cet os gigantesque a ap- partenu étoit probablement une fois plus grand que les hommes ordinaires, c'est-à-dire qu'il avoit 11 pieds de haut. Cet os étoit très certainement un os frontal humain; et il ne paroît pas qu'il eût acquis ce volume par un vice rnorbifique, car son épaisseur étoit proportionnée à ses autres dimensions, ce qui n'a pas lieu dans les os viciés. Dans le cabinet de M. Witreu à Amsterdam, M. Klein dit avoir vu un os frontal d'après lequel il lui parut que l'homme auquel il avoit appartenu avoit i3 pieds 4 pouces de hauteur, c'est-à-dire environ 12 pieds 4/2 de France. D'après tous les faits que je viens d'exposer, et ceux que j'ai discutés ci-devant au sujet des Pata- gons, je laisse à mes lecteurs le même embarras où je suis, pour pouvoir prononcer sur l'existence réelle de ces géants de 2l\ pieds : je ne puis me persuader qu'en aucun temps et par aucun moyen , aucune cir- constance, le corps humain ait pu s'élever à des di- mensions aussi démesurées; mais je crois en même 2g6 DES EPOQUES DE LA NATURE. temps qu'on ne peut guère douter qu'il n'y ait eu des géants de 10, 12, et peut-être de i5 pieds de hau- teur, et qu'il est presque certain que, dans les pre- miers âges de la nature vivante, il a existé non seule- ment des individus gigantesques en grand nombre, mais même quelques races constantes et successives de géants, dont celle des Patagons est la seule qui se soit conservée. ( Sur la page 2j5. ) Yoici ce que M. Grouner et quelques autres bons observateurs et témoins oculaires rapportent à ce sujet. Dans les plus hautes régions des Alpes, les eaux provenant annuellement de la fonte des neiges se gè- lent dans tous les aspects et à tous les points de ces montagnes, depuis leur base jusqu'à leur sommet, surtout dans les vallons et sur le penchant de celles qui sont groupées ; en sorte que les eaux ont dans ces vallées formé des montagnes qui ont des roches pour noyau, et d'autres montagnes qui sont entière- ment de glace, lesquelles ont six, sept à huit lieues d'étendue en longueur, sur une lieue de largeur, et souvent mille à douze cents toises de hauteur : elles rejoignent les autres montagnes par leur sommet. Ces énormes amas de glace gagnent de l'étendue en se prolongeant dans les vallées; en sorte qu'il est dé- montré que toutes les glacières s'accroissent succes- sivement, quoique, dans les années chaudes et plu- vieuses, non seulement leur progression soit arrêtée, mais même leur masse immense diminuée — . SIXIÈME ÉPOQUE. '2Ç)-J La hauteur de la congélation fixée à ^44° toises sous l'équateur, pour les hautes montagnes isolées, n'est point une régie pour les groupes de montagnes gelées depuis leur base jusqu'à leur sommet; elles ne dégèlent jamais. Dans les Alpes, la hauteur du de- gré de congélation pour les montagnes isolées est fixée à i5oo toises d'élévation , et toute la partie au dessous de cette hauteur se dégèle entièrement; tandis que celles qui sont entassées gèlent à une moindre hau- teur, et ne dégèlent jamais dans aucun point de leur élévation depuis leur base, tant le degré de froid est augmenté par la masse de matières congelées réunies dans un même espace Toutes les montagnes glaciales de la Suisse, réu- nies , occupent une étendue de 66 lieues du levant au couchant, mesurée en ligne droite , depuis les bornes occidentales du canton de Vallis, vers la Savoie, jus- qu'aux bornes orientales du canton de Bendner, vers le Tyrol; ce qui forme une chaîne interrompue, dont plusieurs bras s'étendent du midi au nord sur une lon- gueur d'environ 56 lieues. Le grand Gothard, le Fourk, et le Grimsel , sont les montagnes les plus éle- vées de cette partie : elles occupent le centre de ces chaînes qui divisent la Suisse en deux parties; elles sont toujours couvertes de neige et de glace, ce qui leur a fait donner le nom générique de glacières. L'on divise les glacières en montagnes glacées, val- lons de glace, champs de glace ou mers glaciales, et en gletchers ou amas de glaçons. Les montagnes glacées sont ces grosses masses de rochers qui s'élèvent jusqu'aux nues, et qui sont tou- jours couvertes de neige et de glace. 298 DES ÉPOQUES DE LÀ NATURE. Les vallons de glace sont des enfoncements qui sont beaucoup plus élevés entre les montagnes que les vallons inférieurs; ils sont toujours remplis de neige qui s'y accumule et forme des monceaux de glace qui ont plusieurs lieues d'étendue, et qui re- joignent les hautes montagnes. Les champs de glace, ou mers glaciales, sont des terrains en pente douce, qui sont dans le circuit des montagnes; ils ne peuvent être appelés vallons, parce qu'ils n'ont pas assez de profondeur : ils sont couverts d'une neige épaisse. Ces champs reçoivent l'eau de la fonte des neiges qui descendent des montagnes et qui regèlent : la surface de ces glaces fond et gèle alter- nativement, et tous ces endroits sont couverts de cou- ches épaisses de neige et de glace. Les gletckers sont des amas de glaçons formés par les glaces et les neiges qui sont précipitées des mon- tagnes : ces neiges se regèlent et s'entassent en diffé- rentes manières; ce qui fait qu'on divise les gletckers en monts, en revêtements et en murs de glace. Les monts de glace s'élèvent entre les sommets des hautes montagnes; ils ont eux-mêmes la forme de montagnes; mais il n'entre point de rochers dans leur structure : ils sont composés entièrement de pure glace, qui a quelquefois plusieurs lieues en longueur, une lieue de largeur, et une demi-lieue d'épaisseur. Les revêtements de glaçons sont formés dans les vallées supérieures et sur les côtés des montagnes, qui sont recouvertes comme des draperies de glaces tail- lées en pointes; elles versent leurs eaux superflues dans les vallées inférieures. Les murs de glace sont des revêtements escarpés SIXIÈME ÉPOQUE. 399 qui terminent les vallées de glace qui ç*it une forme aplatie, et qui paroissent de loin comme des mers agitées, dont les flots ont été saisis et glacés dans le moment de leur agitation. Ces murs ne sont point hérissés de pointes de glace ; souvent ils forment des colonnes, des pyramides, et des tours énormes par leur hauteur et leur grosseur, taillées à plusieurs fa- ces, quelquefois hexagones, et de couleur bleue ou vert céladon. Il se forme aussi sur les côtés et au pied des mon- tagnes des amas de neige qui sont ensuite arrosés par l'eau des neiges fondues et recouvertes de nouvelles neiges. L'on voit aussi des glaçons qui s'accumulent en tas, qui ne tiennent ni aux valions ni aux monts de glace; leur position est ou horizontale ou inclinée : teus ces amas détachés se nomment lits ou couches de glaces La chaleur intérieure de la terre mine plusieurs de ces montagnes de glace par dessous, et y entretient des courants d'eau qui fondent leurs surfaces inférieu- res ; alors les masses s'affaissent insensiblement par leur propre poids, et leur hauteur est réparée par les eaux, les neiges, et les glaces qui viennent successivement les recouvrir : ces affaissements occasionent souvent des craquements horribles; les crevasses qui s'ou- vrent dans l'épaisseur des glaces forment des précipi- ces aussi fâcheux qu'ils sont multipliés. Ces abîmes sont d'autant plus perfides etfunesles, qu'ils sont or- dinairement recouverts de neige : les voyageurs, les curieux, et les chasseurs qui courent les daims, les chamois, les bouquetins, ou qui font la recherche des mines de cristal, sont souvent engloutis dans les 3oO DES ÉPOQUES DE LA NATURE. gouffres, et rejetés sur la surface par les Ilots qui s'é- lèvent du fond de ces abîmes. Les pluies douces fondent promptement les neiges: mais toutes les eaux qui en proviennent ne se préci- pitent pas dans les abîmes inférieurs par les crevasses; une grande partie se regèle, et, tombant sur la sur- face des glaces, en augmente le volume. Les vents chauds du midi, qui régnent ordinaire- ment dans le mois de mai, sont les agents les plus puissants qui détruisent les neiges et les glaces; alors leur fonte annoncée par le bruissement des lacs gla- cés, et par le fracas épouvantable du choc des pierres et des glaces qui se précipitent confusément du haut des montagnes, porte de toutes parts dans les vallées inférieures les eau* des torrents, qui tombent du haut des rochers de plus de 1 200 pieds de hauteur. Le soleil n'a que peu de prise sur les neiges et sur les glaces pour en opérer la fonte. L'expérience a prouvé que ces glaces formées pendant un laps de temps très long, sous des fardeaux énormes , dans un degré de froid si multiplié et d'eau si pure; que ces glaces, dis-je, étoient d'une matière si dense et si purgée d'air, que de petits glaçons exposés au soleil le plus ardent dans la plaine pendant un jour entier s'y fondoient à peine. Quoique la masse de ces glacières fonde en partie tous les ans dans les trois mois de l'été ; que les pluies, les vents, et la chaleur, plus actifs dans certaines an- nées, détruisent les progrès que les glaces ont faits pendant plusieurs autres années, cependant il est prouvé que ces glacières prennent un accroissement constant j et qu'elles s'étendent : les annales du pavs le SIXIÈME EPOQUE. 3oi prouvent; des actes authentiques le démontrent, la tradition est invariable sur ce sujet. Indépendamment de ces autorités et des observations journalières, cette progression des glacières est prouvée par des forêts de mélèzes qui ont été absorbées par les glaces ^ et dont la cime de quelques uns de ces arbres surpasse encore la surface des glacières; ce sont des témoins irréprocha- bles qui attestent le progrès des glacières, ainsi que le haut des clochers d'un village qui a été englouti sous les neiges, et que l'on aperçoit lorsqu'il se fait des fontes extraordinaires. Cette progression des glacières ne peut avoir d'autre cause que l'augmentation de l'in- tensité du froid, qui s'accroît dans les montagnes gla- cées en raison des masses de glaces; et il est prouvé que, dans les glacières de Suisse, le froid est aujour- d'hui plus vif, mais moins long que dans l'Islande , dont les glacières, ainsi que celles de Norwège, ont beaucoup de rapport avec celles de la Suisse. Le massif des montagnes glacées de la Suisse est composé comme celui de toutes les hautes montagnes : le noyau est une roche vitreuse qui s'étend jusqu'à leur sommet; la partie au dessous, à commencer du point où elles ont été couvertes des eaux de la mer, est composée en revêtement de pierre calcaire, ainsi que tout le massif des montagnes d'un ordre inférieur qui sont groupées sur la base des montagnes primitives de ces glacières; enfin ces masses calcaires ont pour base des schistes produits par le dépôt du limon des eaux. Les masses vitreuses sont des rocs vifs, des granités, des quartz; leurs fentes sont remplies de métaux, de demi-métaux, de substances minérales, et de cristaux. <- Ô02 DES EPOQUES DE LA NATURE. Les masses calcinables sont des pierres à chaux, des marbres de toutes les espèces en couleurs et varié- tés, des craies, des gypses, des spaths, et des albâ- tres, etc. Les masses schisteuses sont des ardoises de diffé- rentes qualités et couleurs, qui contiennent des plantes et des poissons, et qui sont souvent posées à des hau- teurs assez considérables : leur lit n'est pas toujours horizontal; il est souvent incliné, même sinueux, et perpendiculaire en quelques endroits. L'on ne peut révoquer en doute l'ancien séjour des eaux de la mer sur les montagnes qui forment aujour- d'hui ces glacières; l'immense quantité de coquilles qu'on y trouve l'atteste, ainsi que les ardoises et les autres pierres de ce genre. Les coquilles y sont distri- buées par familles ou bien elles sont mêlées les unes avec les autres, et l'on y en trouve à de très grandes hauteurs. Il y a lieu de penser que ces montagnes n'ont pas formé des glacières continues dans la haute antiquité, pas même depuis que les eaux de la mer les ont aban- données, quoiqu'il paroisse par leur très grand éloi- gnement des mers, qui est de près de cent lieues, et par leur excessive hauteur, qu'elles ont été les pre- mières qui sont sorties des eaux sur le continent de l'Europe. Elles ont eu anciennement leurs volcans; il paroît que le dernier qui s'est éteint étoit celui de la montagne de Myssenberg, dans le canton de Schwitz : ces deux principaux sommets, qui sont très hauts et isolés, sont terminés coniquement, comme toutes les bouches de volcan ; et l'on voit encore le cratère de SIXIÈME ÉPOQUE. 3o3 l'un de ces cônes qui est creusé à une grande profon- deur. M. Bourrit, qui eut le courage de faire un grand nombre de courses dans les glacières de Savoie, dit « qu'on ne peut douter de l'accroissement de toutes les glacières des Alpes; que la quantité de neige qui y est tombée pendant les hivers l'a emporté sur la quantité fondue pendant les étés; que non seulement la même cause subsiste, mais que ces amas de glace déjà formés doivent l'augmenter toujours plus, puis- qu'il en résulte et plus de neige et une moindre fonte Ainsi il n'y a pas de doute que les glacières n'aillent en augmentant, et môme dans une progres- sion croissante. » Cet observateur infatigable a fait un grand nombre de courses dans les glacières; et en parlant de celle du Glatckers ou glacières des Bossons > il dit « qu'il pa- roît s'augmenter tous les jours; que le sol qu'il occupe présentement étoit, il y a quelques années, un champ cultivé, et que les glaces augmentent encore tous les jours. Il rapporte que l'accroissement des glaces pa- roît démontré non seulement dans cet endroit , mais dans plusieurs autres; que l'on a encore le souvenir d'une communication qu'il y avoit autrefois de Cha- mounis à la Val-d'Aost, et que les glaces l'ont absolu- ment fermée; que les glaces en général doivent s'être accrues en s'étendant d'abord de sommité en som- mité , et ensuite de vallée en vallée , et cpie c'est ainsi que s'est faite la communication des glaces du Mont- Blanc avec celles des autres montagnes et glacières du Vallais et de la Suisse. Il paroît, dit-il ailleurs, que tous ces pays de montagnes n'étoient pas anciennement 3c>4 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. aussi remplis de neiges et de glaces qu'ils le sont au- jourd'hui... L'on ne date que depuis quelques siècles les désastres arrivés par l'accroissement des neiges et des glaces, par leur accumulation dans plusieurs val- lées, par la chute des montagnes elles-mêmes et des rochers : ce sont ces accidents presque continuels, et cette augmentation annuelle des glaces, qui peu- vent seuls rendre raison de ce que l'on sait de l'his- toire de ce pays touchant le peuple qui l'habitoit an- ciennement. » ( Sur la page 280. ) M. Engel, qui regarde comme impossible le pas- sage au nord-ouest par les baies d'Hudson et de Baf- fin , paroît au contraire persuadé qu'on trouvera un passage plus court et plus sûr par le nord-est ; et il ajoute, aux raisons assez foibles qu'il en donne, un passage de M. Gmelin , qui, parlant des tentatives fai- tes par les Russes pour trouver ce passage au nord-est, dit que « la manière dont on a procédé à ces déeou- » vertes fera en son temps le sujet du plus grand éton- » ncment de tout le monde, lorsqu'on en aura la re- » lation authentique; ce qui dépend uniquement, » ajoute-t-il , de la haute volonté de l'impératrice.» «Quel sera donc, dit M. Engel, ce sujet d'étonne- ment, si ce n'est d'apprendre que le passage regardé jusqu'à présent comme impossible est très praticable? Voilà le seul fait, ajoute-t-il, qui puisse surprendre ceux qu'on a tâché d'effrayer par des relations pu- bliées à dessein de rebuter les navigateurs, etc. » Je remarque d'abord qu'il faudroit être bien assuré SIXIÈME ÉPOQUE. 3o5 dos choses avant de faire à la nation russe cette im- putation. En second lieu , elle me paroît mal fondée, et les paroles de M. Gmelin pourroient bien signifier tout le contraire de l'interprétation que leur donne M. Engel , c'est-à-dire qu'on sera fort étonné lorsque l'on saura qu'il n'existe point de passage praticable au nord-est; et ce qui me confirme dans cette opi- nion, indépendamment des raisons générales que j'en ai données, c'est que les Paisses eux-mêmes n'ont nou- vellement tenté des découvertes qu'en remontant de Kamtsclialka, et point du tout en descendant de la pointe de l'Asie. Les capitaines Behring etTschirikow ont, en 1 7 4 l ■> reconnu des parties de cotes de l'Amé- rique jusqu'au 5qc degré ; et ni l'un ni l'autre ne sont venus par la mer du Nord le long des côtes de l'Asie: cela prouve assez que le passage n'est pas aussi pra- ticable que le suppose M. Engel; ou, pour mieux dire , cela prouve que les Russes savent qu'il n'est pas praticable, sans quoi ils eussent préféré d'en- voyer leurs navigateurs par cette route, plutôt que de les faire partir de Ivamlscliatka pour faire la décou- verte de l'Amérique occidentale. M. Muller, envoyé avec M. Gmelin par l'impéra- trice en Sibérie, est d'un avis bien différent de M. En- gel : après avoir comparé toutes les relations, M. Mul- ler conclut par dire qu'il n'y a qu'une très petite séparation entre l'Asie et l'Amérique, et que ce dé- troit offre une ou plusieurs îles qui servent de route ou de stations communes aux habitants des deux continents. Je crois cette opinion bien fondée , et M. Tvjuller rassemble un grand nombre de faits pour l'appuyer. Dans les demeures souterraines des habi- 3o6 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. tanls de l'île Karaga, on voit des poutres faites de grands arbres de sapin, que cette île ne produit point, non plus que les terres tle Kamtschatka, dont elle est très voisine : les habitants disent que ce bois leur vient par un vent d'est qui Faniène sur leurs côtes. Celles de Kamtschatka reçoivent, du même côte, des glaces que la mer orientale y pousse en hiver deux à trois jours de suite : on y voit en certains temps des vols d'oiseaux, qui, après un séjour de quelques mois, retournent à i'est, d'où ils étoient arrivés. Le conti- nent opposé à celui de l'Asie vers le nord descend donc jusqu'à la latitude de Kamtschatka : ce continent doit être celui de l'Amérique occidentale. M. Muller, après avoir donné le précis de cinq ou six voyages tentés par la mer du Nord pour doubler la pointe sep- tentrionale de l'Asie, finit par dire que tout annonce l'impossibilité de cette navigation ; et il le prouve par les raisons suivantes : Cette navigation devroit se faire dans un été; or l'intervalle depuis Archangel à l'Oby, et de ce fleuve au Jéniséik, demande une belle saison tout entière. Le passage du Waigats a coûté des pei- nes infinies aux Anglois et aux Hollandois : au sortir de ce détroit glacial, on rencontre des îles qui fer- ment le chemin; ensuite le continent qui forme un cap entre les fleuves Piaslda et Cliatanga^ s'avançant au delà du 76e degré de latitude, est de même bordé d'une chaîne d'îles qui laissent difficilement un pas- sage à la navigation. Si l'on veut s'éloigner des côtes et gagner la haute mer vers le pôle , les montagnes de glaces presque immobiles qu'on trouve au Groenland et au Spitzberg n'annoncent-elles pas une continuité de glaces jusqu'au pôle? Si l'on veut longer les côtes» SIXIEME EPOQUE. .M>; celte navigation est moins aisée quelle ne l'e'loit il y a cent ans; Veau de l'Océan y a diminué insensiblement: on voit encore loin des bords que baigne la mer Gla- ciale les bois qu'elle a jetés sur des terres qui jadis lui servoient de rivage; ces bords y sont si peu pro- fonds, qu'on ne pourroit y employer que des bateaux très plats, qui, trop foibles pour résister aux glaces, ne sauroient fournir une longue navigation , ni se charger des provisions qu'elle exige. Quoique les Rus- ses aient des ressources et des moyens que n'ont pas la plupart des autres nations européennes pour fré- quenter ces mers froides, on voit que les voyages ten- tés sur la mer Glaciale n'ont pas encore ouvert une route de l'Europe et de l'Asie à l'Amérique.; et ce n'est qu'en partant de Kamtschatka, ou d'un autre point de l'Asie la plus orientale, qu'on a découvert quelques côtes de l'Amérique occidentale. Le capitaine Behring partit du port d'Awatscha en kamtschatka le 4 juin 1 741 • Après avoir couru au sud-est et remonté au nord-est, il aperçut, le 18 du mois suivant, le continent de l'Amérique à 58 degrés 28 de latitude ; deux jours après, il mouilla près d'une île enfoncée dans une baie; de là, voyant deux caps, il appela l'un à l'orient Saint-EUc , et l'autre au cou- chant Saint-Hermogene ; ensuite il dépêcha Chitrou, l'un de ses officiers, pour reconnoître et visiter le golfe où il venoit d'entrer. On le trouva coupé ou parsemé d'îles : une entre autres offrit des cabanes désertes; elles étoient de planches bien unies et même échancrées. On conjectura que cette île pouvoit avoir été habitée par quelques peuples du continent de l'Amérique. M. Steller, envoyé pour faire des ob- 5o8 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. servations sur ces terres nouvellement découvertes, trouva une cave où l'on avoit mis une provision de saumon fumé, et laissé des cordes, des meubles, et des ustensiles: plus loin, il vit fuir des Américains à son aspect. Bientôt on aperçut du feu sur une colline assez éloignée : les sauvages sans doute s'y étoient re- tirés; un rocher escarpé y couvroit leur retraite. D'après l'exposé de ces faits, il est aisé de juger que ce ne sera jamais qu'en partant de Kamtschatka que les Russes pourront faire le commerce de la Chine et du Japon, et qu'il leur est aussi difficile, pour ne pas dire impossible, qu'aux autres nations de l'Europe de passer par les mers du nord-est, dont la plus grande partie est entièrement glacée : je ne crains donc pas de répéter que le seul passage possible est par le nord- ouest , au fond de la baie d'Hudson, et que c'est l'en- droit auquel les navigateurs doivent s'attacher pour trouver ce passage si désiré et si évidemment utile. Comme j'avois déjà livré à l'impression toutes les feuilles précédentes de ce volume, j'ai reçu de la part de M. le comte de SchouvalofT, ce grand homme d'état que toute l'Europe estime et respecte ; j'ai reçu, dis-je , en date du 29 octobre 1777, un excellent Mé- moire composé par M. de DomaschenefT, président de la société impériale de Pétersbourg, et auquel l'im- pératrice a confié, à juste titre, le département de tout ce qui a rapport aux sciences et aux arts. Cet il- lustre savant m'a en même temps envoyé une copie faite à la main de la carte du pilote Olcheredin, dans laquelle sont représentées les routes et les décou- vertes qu'il a faites, en 1770 et 1773, entre Kamts- chalka et le continent de l'Amérique. M. de Domas- SIXIÈME ÉPOQUE. OO9 cheneff observe dans son Mémoire que cette carte du pilote Otcheredin est la plus exacte de toutes, et que celle qui a été donnée en 1773 par l'Académie de Pé- tersbourg doit être réformée en plusieurs points, et notamment sur la position des îles et le prétendu ar- chipel qu'on y a représenté entre les îles Aleutes ou Alooutes et celles d'Anadir, autrement appelées îles d'Andrien. La carte du pilote Otcheredin semble dé- montrer en effet que ces deux groupes des îles Aleutes et des îles Andrien sont séparés par une mer libre de plus de cent lieues d'étendue, M. de Domascheneff as- sure que la grande carte générale de l'empire deRussie, qu'on vient de publier cette année 1777, représente exactement les côtes de toute l'extrémité septentrio- nale de l'Asie habitée par les Tschutschis. Il dit que cette carte a été dressée d'après les connoissances les plus récentes acquises par la dernière expédition du major Pawluzki contre ce peuple. « Cette côte , dit M. de Domascheneff, termine la grande chaîne de montagnes, laquelle sépare toute la Sibérie de l'Asie méridionale, et finit en se partageant entre la chaîne qui parcourt Kamtschatka et celles qui remplissent toutes les terres entre les fleuves qui coulent à l'est du Lena. Les îles reconnues entre les côtes de Kamts- chatka et celles de l'Amérique sont montagneuses, ainsi que les côtes de Kamtschatka et celles du con- tinent de l'Amérique : il y a donc une continuation bien marquée entre les chaînes de montagnes et ces deux continents, dont les interruptions, jadis peut- être moins considérables, peuvent avoir été élargies par le dépérissement de la roche, par les courants continuels qui entrent de la mer Glaciale vers la BUFFOIV. V. 20 5lO DES ET0QUES DE LA NATURE. grande mer du Sud, et par les catastrophes du globe. » Mais cette chaîne sous-marine qui joint les terres de Kamtschatka avec celles de l'Amérique est plus méridionale de 7 ou 8 degrés que celle des îles Ana- dir ou Andrien , qui de temps immémorial ont servi de passage aux ïschutschis pour aller en Amérique. M. de DomaschenefT dit qu'il est certain que cette traversée de la pointe de l'Asie au continent de l'A- mérique se fait à la rame, et que ces peuples y vont trafiquer des ferrailles russes avec les Américains; que les îles qui sont sur ce passage sont si fréquentes, qu'on peut coucher toutes les nuits à terre, et que le continent de l'Amérique où les Tschutschis com- mercent est montagneux et couvert de forêts peu- plées de renards, de martres, et de zibelines, dont ils rapportent des fourrures de qualités et de couleurs toutes différentes de celles de Sibérie. Ces îles sep- tentrionales situées entre les deux continents ne sont guère connues que des Tschutschis : elles forment une chaîne entre la pointe la plus orientale de l'Asie et le continent de l'Amérique , sous le 64e degré ; et cette chaîne est séparée par une mer ouverte de la se- conde chaîne plus méridionale dont nous venons de parler, située sous le 56e degré entre Kamtschatka et l'Amérique : ce sont les îles de cette seconde chaîne que les Pvusses et les habitants de Kamtschatka fré- quentent pour la chasse des loutres marines et des renards noirs, dont les fourrures sont très précieuses. On avoit connoissance de ces îles, même des plus orientales dans cette dernière chaîne, avant l'année i^5o : l'une de ces îles porte le nom du commandeur Behring ^ une autre assez voisine s'appelle Vile Mede- SIXIEME EPOQUE. JI ! tioi; ensuite on trouve les quatre îles Àleutes ou Aleoutes, les deux premières situées un peu au des- sus et les dernières un peu au dessous du 55e degré ; ensuite on trouve environ au 56e degré les îles At- khou et Âmlaïgh, qui sont les premières de la chaîne des îles .aux Renards, laquelle s'étend vers le nord- est jusqu'au 61e degré de latitude : le nom de ces îles est venu du nombre prodigieux de renards qu'on y a trouvés. Les deux îles du commandeur Behring et de Madenoi étoient inhabitées lorsqu'on en fit la dé- couverte : mais on a trouvé dans les îles Aleutes, quoique plus avancées vers l'orient, plus d'une soixan- taine de familles dont la langue ne se rapporte ni à celle de Kamtschatka ni à aucune de celles de l'Asie orientale, et n'est qu'un dialecte de la langue que l'on parle dans les autres îles voisines de l'Amérique; ce qui sembleroit indiquer qu'elles ont été peuplées par les Américains, et non par les Asiatiques. Les îles nommées par l'équipage de Behring Vile Saint-Julien * Saint-Théodore , Saint-Abraham* sont les mêmes que celles qu'on appelle aujourd'hui les iles Aleutes ; et de même l'île de Chommaghin, de Saint-Dolmat, indiquées par ce navigateur, font par- tie de celles qu'on appelle îles aux Renards. «La grande distance, dit M. de Domascheneff, et la mer ouverte et profonde qui se trouve entre les îles Aleutes et les îles aux Renards, jointes au gise- ment différent de ces dernières, peuvent faire présu- mer que ces îles ne forment pas une chaîne marine continue ; mais que les premières, avec celles de Me- denoi et de Behring, font une chaîne marine qui vient de Kamtschatka, et que les îles aux Renards en re~ 3l^ DES ÉPOQUES DE LA NATURE. présentent une autre issue de l'Amérique ; que lune et l'autre de ces chaînes vont généralement se perdre dans la profondeur de la grande mer, et sont des promontoires des deux continents. La suite des îles aux Renards, dont quelques unes sont d'une grande étendue, est entremêlée d'écueils et de brisants, et se continue sans interruption jusqu'au continent de l'Amérique ; mais celles qui sont les plus voisines de ce continent sont très peu fréquentées par les bar- ques des chasseurs russes, parce qu'elles sont fort peu- plées, et qu'il seroit dangereux d'y séjourner. Il y a plusieurs de ces îles voisines de la terre-ferme de l'A- mérique , qui ne sont pas encore bien reconnues. Quelques navires ont cependant pénétré jusqu'à l'île de Kadjak, qui est très voisine du continent de l'Amé- rique ; l'on en est assuré tant sur le rapport des insu- laires que par d'autres raisons : une de ces raisons est qu'au lieu que toutes les îles plus occidentales ne pro- duisent que des arbrisseaux rabougris et rampants, que les vents de pleine mer empêchent de s'élever, l'île de Kadjak, au contraire, et les petites îles voisines, pro- duisent des bosquets d'aunes, qui semblent indiquer qu'elles se trouvent moins à découvert, et qu'elles sont garanties au nord et à l'est par un continent voi- sin. De plus, on y a trouvé des loutres d'eau douce, qui ne se voient point aux autres îles, de même qu'une petite espèce de marmotte , qui paroît être la mar- motte du Canada ; enfin l'on y a remarqué des traces d'ours et de loups, et les habitants sont vêtus de peaux de rennes, qui leur viennent du continent de l'Amé- rique, dont ils sont très voisins. » On voit, par la relation d'un voyage poussé jus- SIXIÈME ÉPOQUE. 5 1 5 qu'à l'île Je Kadjak , sous la conduite d'un certain Geottof, que les insulaires nomment Alaktkan le con- tinent de l'Amérique : ils disent que cette grande terre est montagneuse et toute couverte de forets; ils placent cette grande terre au nord de leur île, et nom- ment l'embouchure d'un grand fleuve, Alaghschak, qui s'y trouve... D'autre part, l'on ne sauroit douter que Behring, aussi bien que Tschirikow, n'ait effec- tivement touché à ce grand continent, puisqu'au cap hlie, où sa frégate mouilla, l'on vit des bords de la mer le terrain s'élever en montagne continue et toute revêtue d'épaisses forêts : le terrain y étoit d'une na- ture toute différente de celui de Kamtschatka ; nombre de plantes américaines y furent recueillies par Steller. » M. de Domascheneff observe de plus que toutes les îles aux Renards, ainsi que les îles Aîeutes, et celle de Behring, sont montagneuses ; que leurs côtes sont, pour la plupart, hérissées de rochers, coupées par des précipices, et environnées d'écueils jusqu'à une assez grande distance ; que le terrain s'élève depuis les cô- tes jusqu'au milieu de ces îles en montagnes fort roi- des, qui forment de petites chaînes dans le sens de la longueur de chaque île : au reste , il y a eu et il y a encore des volcans dans plusieurs de ces îles, et cel- les où ces volcans sont éteints ont des sources d'eau chaude. On ne trouve point de métaux dans ces îles à volcans, mais seulement des calcédoines et quelques autres pierres colorées, de peu de valeur. On n'a d'au- tre bois dans ces îles que les tiges ou branches d'ar- bres flottées par la mer, et qui n'y arrivent pas en grande quantité ; il s'en trouve plus sur l'île Behring et sur les Aleutes : il paroît que ces bois flottés vien- 5l4 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. nent, pour la plupart, des plages méridionales; car on y a observé le bois de camphre du Japon. Les habitants de ces îles sont assez nombreux; mais, comme ils mènent une vie errante, se transpor- tant d'une île à l'autre , il n'est pas possible de fixer leur nombre. On a généralement observé que plus les îles sont grandes, plus elles sont voisines de l'Améri- que , et plus elles sont peuplées. Il paroît aussi que tous les insulaires des îles aux Renards sont d'une même nation , à laquelle les habitants des Aleutes et des îles d'Andrien peuvent aussi se rapporter, quoi- qu'ils en diffèrent par quelques coutumes. Tout ce peuple a une très grande ressemblance pour les mœurs, la façon de vivre et de se nourrir, avec les Esquimaux et les Groenlandois. Le nom de Kanaghist _, dont ces insulaires s'appellent dans leur langue, peut-être cor- rompu par les marins, est encore très ressemblant à celui de Karalitj dont les Esquimaux et leurs frères les Groenlandois se nomment. On n'a trouvé aux ha- bitants de toutes ces îles, entre l'Asie et l'Amérique, d'autres outils que des haches de pierre, des cailloux taillés en scalpel, et des omoplates d'animaux aigui- sées pour couper l'herbe; ils ont aussi des dards, qu'ils lancent de la main à l'aide d'une palette , et desquels la pointe est armée d'un caillou pointu et artistement taillé : aujourd'hui ils ont beaucoup de ferrailles volées ou enlevées aux Russes. Ils font des canots et des espèces de pirogues comme les Esqui- maux : il y en a d'assez grandes pour contenir vingt personnes; la charpente en est de bois léger, recou- vert partout de peaux de phoques et d'autres animaux marins. 3i5 Il paroît, par tous ces faits, que de temps immé- morial les Tschutschis qui habitent la pointe îa plus orientale de l'Asie, entre le 55e et le 70e degré, ont eu commerce avec les Américains, et que ce com- merce étoit d'autant plus facile pour ces peuples ac- coutumés à la rigueur du froid, que l'on peut faire le voyage, qui n'est peut-être pas de cent lieues, en se reposant tous les jours d'île en l'île, et dans de sim- ples canots, conduits à la rame en été, et peut-être sur la glace en hiver. L'Amérique a donc pu être peu- plée par l'Asie sous ce parallèle; et tout semble indi- quer que, quoiqu'il y ait aujourd'hui des interruptions de mer entre les terres de ces îles , elles ne faisoient au- trefois qu'un même continent , par lequel l'Amérique étoit jointe à l'Asie : cela semble indiquer aussi qu'au delà de ces îles Anadir ou Andrien, c'est-à-dire entre le 70e et le 75e degré , les deux continents sont abso- lument réunis par un terrain où il ne se trouve plus de mer, mais qui est peut-être entièrement couvert de glace. La reconnoissance de ces plages au delà du 70e degré est une entreprise digne de l'attention de îa grande souveraine des Russies, et il faudroit la con- fier à un navigateur aussi courageux que M. Phipps. Je suis bien persuadé qu'on trouveroit les deux conti- nents réunis; et s'il en est autrement, et qu'il y ait une mer ouverte au delà des îles Andrien , il me pa- roît certain qu'on trouveroit les appendices de la grande glacière du pôle à 81 ou 82 degrés, comme M. Phipps les a trouvés à la même hauteur entre le Spitzberg et le Groenland. SEPTIÈME ÉPOQUE •...C^S.Xt .m'-j (S SEPTIÈME ÉPOQUE. Lorsque la puissance de V homme a secondé celle de la nature. Les premiers hommes témoins des mouvements convulsifs de la terre, encore récents et très fré- quents, n'ayant que les montagnes pour asiles contre les inondations, chassés souvent de ces mêmes asiles par le feu des volcans, ambiants sur une terre qui trembloit sous leurs pieds, nus d'esprit et de corps, exposés aux injures de tous les éléments, victimes de la fureur des animaux féroces, dont ils ne pou- voient éviter de devenir la proie ; tous également pé- nétrés du sentiment commun d'une terreur funeste, tous également pressés par la nécessité, n'ont-ils pas très promptement cherché à se réunir, d'abord pour se défendre par le nombre, ensuite pour s'aider et travailler de concert à se faire un domicile et des ar- mes? Ils ont commencé par aiguiser en forme de ha- ches ces cailloux durs, ces jades, ces pierres de foudre^ que l'on a crues tombées des nues et formées par le tonnerre , et qui néanmoins ne sont que les premiers monuments de l'art de l'homme dans l'état de pure na- ture : il aura bientôt tiré du feu de ces mêmes cailloux en les frappant les uns contre les autres; il aura saisi la flamme des volcans , ou profité du feu des laves brû- lantes pour le communiquer, pour se faire jour dans Ô20 DES EPOQUES DE LA NATURE. les forets, les broussailles ; car, avec le secours de ce puissant élément, il a nettoyé, assaini, purifié les terrains qu'il vouloit habiter ; avec la hache de pierre, il a tranché, coupé les arbres, menuisé le bois, fa- çonné ses armes et les instruments de première né- cessité. Et après setre munis de massues et d'autres armes pesantes et défensives, ces premiers hommes n'ont-ils pas trouvé le moyen d'en faire d'offensives plus légères, pour atteindre de loin? un nerf, un ten- don d'animal , des fils d'aloès, ou l'écorce souple d'une plante ligneuse, leur ont servi de corde pour réunir les deux extrémités d'une branche élastique dont ils ont fait leur arc ; ils ont aiguisé d'autres petits cailloux pour en armer la flèche. B^btôt ils auront eu des fi- lets, des radeaux, des canots, et s'en sont tenus là tant qu'ils n'ont formé que de petites nations compo- sées de quelques familles, ou plutôt de parents issus d'une môme famille, comme nous le voyons encore aujourd'hui chez les sauvages, qui veulent demeurer sauvages, et qui le peuvent, dans les lieux où l'espace libre ne leur manque pas plus que le gibier, le pois- son, et les fruits. Mais dans tous ceux où l'espace s'est trouvé confiné par les eaux, ou resserré par les hau- tes montagnes, ces petites nations , devenues trop nom- breuses, ont été forcées de partager leur terrain entre elles ; et c'est de ce moment que la terre est devenue le domaine de l'homme : il en a pris possession par ses travaux de culture, et l'attachement à la patrie a suivi de très près les premiers actes de sa propriété. L'intérêt particulier faisant partie de l'intérêt natio- nal, l'ordre, la police, et les lois ont dû succéder, et la société prendre de la consistance et des forces. SEPTIÈME ÉPOQUE. 32 1 iNéan moins ces hommes, profondément affectés des calamités de leur premier état, et ayant encore sous leurs yeux les ravages des inondations , les incendies des volcans, les gouffres ouverts parles secousses de la terre , ont conservé un souvenir durable et presque éternel de ces malheurs du monde : l'idée qu'il doit périr par un déluge universel , ou par un embrasement général; le respect pour certaines montagnes1 sur les- quelles ils s'étoient sauvés des inondations; l'horreur pour ces autres montagnes qui lançoient des feux plus terribles que ceux du tonnerre ; la vue de ces com- bats de la terre contre le ciel, fondement de la fable des titans et de leurs assauts contre les dieux; l'opi- nion de l'existence réelle d'un être malfaisant, la crainte et la superstition qui en sont le premier pro- duit; tous ces sentiments fondés sur la terreur se sont dès lors emparés à jamais du cœur et de l'esprit de l'homme : à peine est-il encore aujourd'hui rassuré par l'expérience des temps, par le calme qui a suc- cédé à ces siècles d'orages, enfin par la connoissancc des effets et des opérations de la nature; connoissance i. Les montagnes en vénération dans l'Orient sont le mont Carmei et quelques endroits du Caucase; le mont Pirpangel au nord de l'In- dostan; la montagne Pora dans la province d'Aracan ; celle de Chaq- Pechan à la source du fleuve Sangari, chez les Tartares Mantcheoux, d'où les Chinois croient qu'est venu Fo-hi ; le mont Altay à l'orient des sources du Selinga en Tartarie ; le mont Pécha au nord-oust de la Chine, etc. Celles qui étoient en horreur étoient les montagnes à volcan , parmi lesquelles on peut citer le mont Ararath , dont le nom même signifie montagne de malheur, parce qu'en effet cette montagne étoil un des plus grands volcans de l'Asie, comme cela se reconnoîl encore aujourd'hui par sa forme et par les matières qui environnent son sommet, où l'on voit les cratères et les autres signes de ses an- ciennes éruptions. (Add. Buff.) 522 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. qui n'a pu s'acquérir qu'après rétablissement de quel- que grande société dans des terres paisibles. Ce n'est point en Afrique , ni dans les terres de l'Asie les plus avancées vers le midi, que les grandes sociétés ont pu d'abord se former ; ces contrées étoient encore brûlantes et désertes : ce n'est point en Amé- rique , qui n'est évidemment , à l'exception de ses cbaî- nes de montagnes, qu'une terre nouvelle; ce n'est pas même en Europe , qui n'a reçu que fort tard les lumières de l'Orient, que se sont établis les premiers hommes civilisés, puisqu'avant la fondation de Rome les contrées les plus heureuses de cette partie du monde, telles que l'Italie, la France, et l'Allema- gne , n'étoient encore peuplées que d'hommes plus qu'à demi sauvages. Lisez Tacite , sur les mœurs des Germains ; c'est le tableau de celles des Hurons , ou plutôt des habitudes de l'espèce humaine entière sor- tant de l'état de nature. C'est donc dans les contrées septentrionales de l'Asie que s'est élevée la tige des connoissances de l'homme, et c'est sur ce tronc de l'arbre de la science que s'est élevé le tronc de sa puissance : plus il a su , plus il a pu; mais aussi moins il a fait, moins il a su. Tout cela suppose les hommes actifs dans un climat heureux, sous un ciel pur pour l'observer, sur une terre féconde pour la cultiver, dans une contrée privilégiée, à l'abri des inondations, éloignée des volcans, plus élevée et par conséquent plus anciennement tempérée que les autres. Or toutes ces conditions, toutes ces circon- stances, se sont trouvées réunies dans le centre du continent de l'Asie, depuis le 4°e degré de latitude jusqu'au 55e. Les fleuves qui portent les eaux dans la SEPTIÈME ÉPOQUE. 020 mer du nord, dans l'Océan oriental, dans les mers du midi et dans la Caspienne, partent également de cette région élevée qui fait aujourd'hui partie de la Sibérie méridionale et de la Tartarie. C'est dans cette terre plus élevée , plus solide que les autres , puis- qu'elle leur sert de centre , et qu'elle est éloignée de près de cinq cents lieues de tous les océans; c'est dans cette contrée privilégiée que s'est formé le pre- mier peuple digne de porter ce nom, digne de tous nos respects, comme créateur des sciences, des arts, et de toutes les institutions utiles. Cette vérité nous est également démontrée par les monuments de l'his- toire naturelle et par les progrès presque inconceva- bles de l'ancienne astronomie. Comment des hom- mes si nouveaux ont-ils pu trouver la période lunisolairé de six cents ans1? Je me borne à ce seul fait, quoi- qu'on puisse en citer beaucoup d'autres tout aussi merveilleux, et tout aussi constants. Ils savoient donc autant d'astronomie qu'en savoit de nos jours Domi- que Cassini, qui le premier a démontré la réalité et l'exactitude de cette période de six cents ans ; con- noissance à laquelle ni les Chaldéens, ni les Egyp- tiens, ni les Grecs, ne sont pas arrivés; connoissance qui suppose celle des mouvements précis de la lune et de la terre, et qui exige une grande perfection dans les instruments nécessaires aux observations; connoissance qui ne peut s'acquérir qu'après avoir tout acquis, laquelle n'étant fondée que sur une longue suite de recherches, d'études, et de travaux astrono- miques, suppose au moins deux ou trois mille ans de culture à l'esprit humain pour y parvenir. i. V oyez, les Additions de Buffon, page 346. 5^4 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Ce premier peuple a été très heureux, puisqu'il est devenu très savant; il a joui, pendant plusieurs siè- cles, de la paix, du repos, du loisir nécessaire à cette culture de l'esprit , de laquelle dépend le fruit de tou- tes les autres cultures. Pour se douter de la période de six cents ans, il falloit au moins douze cents ans d'observations; pour l'assurer comme fait certain, il en a fallu plus du double : voilà donc déjà trois mille ans d'études astronomiques; et nous n'en serons pas étonnés, puisqu'il a fallu ce même temps aux astro-* nomes, en les comptant depuis les Chaldéens jusqu'à nous, pour reconnoître cette période ; et ces premiers trois mille ans d'observations astronomiques n'ont-ils pas été nécessairement précédés de quelques siècles où la science n'étoit pas née? six mille ans, à compter de ce jour, sont-ils suffisants pour remonter à l'épo- que la plus noble de l'histoire de l'homme, et même pour le suivre dans les premiers progrès qu'il a faits dans les arts et dans les sciences? Mais malheureusement elles ont été perdues, ces hautes et belles sciences ; elles ne nous sont parvenues que par débris trop informes pour nous servir autre- ment qu'à reconnoître leur existence passée. L'inven- tion de la formule d'après laquelle les brames calcu- lent les éclipses suppose autant de science que la construction de nos éphémérides, et cependant ces mêmes brames n'ont pas la moindre idée de la compo- sition de l'univers; ils n'en ont que de fausses sur le mouvement, la grandeur, et la position des planètes; ils calculent les éclipses sans en connoître la théorie, guidés comme des machines par une gamme fondée sur des formules savantes qu'ils ne comprennent pas, 5s5 et que probablement leurs ancêtres n'ont point inven- tées, puisqu'ils n'ont rien perfectionné, et qu'ils n'ont pas transmis le moindre rayon de la science à leurs descendants : ces formules ne sont entre leurs mains que des méthodes de pratique; mais elles supposent des connoissances profondes dont ils n'ont pas les éléments, dont ils n'ont pas même conservé les moin- dres vestiges, et qui par conséquent ne leur ont ja- mais appartenu. Ces méthodes ne peuvent donc venir que de cet ancien peuple savant qui avoit réduit en formules les mouvements des astres, et qui, par une longue suite d'observations, étoit parvenu non seule- ment à la prédiction des éclipses, mais à la connois- sance bien plus difficile de la période de six cents ans, et de tous les faits astronomiques que cette connois- sance exigé et suppose nécessairement. Je crois être fondé à dire que les brames n'ont pas imaginé ces formules savantes, puisque toutes leurs idées physiques sont contraires à la théorie dont ces formules dépendent, et que s'ils eussent com- pris cette théorie même dans le temps qu'ils en ont reçu les réultats, ils eussent conservé la science, et ne se trouveroient pas réduits aujourd'hui à la plus grande ignorance, et livrés aux préjugés les plus ri- dicules sur le système du monde : car ils croient que la terre est immobile, et appuyée sur la cime d'une montagne d'or; ils pensent que la lune est éclipsée par des dragons aériens, que les planètes sont plus petites que la lune , etc. Il est donc évident qu'ils n'ont jamais eu les premiers éléments de la théorie astrono- mique, ni même la moindre connoissance des princi- pes que supposent les méthodes dont ils se servent. liUFFON. V. Ô26 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Mais je dois renvoyer ici à l'excellent ouvrage que M. Bailly vient de publier sur l'ancienne astronomie, dans lequel il discute à fond tout ce qui est relatif à l'ori- gine et au progrès de cette science : on verra que ses idées s'accordent avec les miennes; et d'ailleurs il a traité ce sujet important avec une sagacité de génie et une profondeur d'érudition qui méritent des éloges de tous ceux qui s'intéressent au progrès des sciences. Les Chinois , un peu plus éclairés que les brames, calculent assez grossièrement les éclipses , et les cal- culent toujours de même depuis deux ou trois mille ans : puisqu'ils ne perfectionnent rien, ils n'ont jamais rien inventé ; la science n'est donc pas plus née à la Chine qu'aux Indes. Quoique aussi voisins que les In- diens du premier peuple savant, les Chinois ne pa- roissent en avoir rien tiré; ils n'ont pas môme ces for- mules astronomiques dont les brames ont conservé l'usage, et qui sont néanmoins les premiers et grands monuments du savoir et du bonheur de l'homme. Il ne paroît pas non plus que les Chaldéens, les Perses, les Egyptiens , et les Grecs, aient rien reçu de ce premier peuple éclairé; car, dans ces contrées du Levant, la nouvelle astronomie n'est due qu'à l'opiniâtre assiduité des observateurs chaldéens, et ensuite aux travaux des Grecs1, qu'on ne doit dater que du temps de la fondation de l'école d'Alexandrie. Néanmoins cette science étoit encore bien imparfaite après deux mille ansde nouvelle culture, et même jusqu'à nos derniers siècles. Il me paroît donc certain que ce premier peu- ple, qui avoit inventé et cultivé si heureusement et si long-temps l'astronomie, n'en a laissé que des débris et i. Voyez les Additions de Buffuit , page 348. SEPTIÈME ÉPOQUE. 7)21 quelques résultats qu'on pouvoit retenir de mémoire, comme celui de la période de six cents ans, que l'his- torien Josèphe nous a transmise sans la comprendre. La perte des sciences, cette première plaie faite à l'humanité par la hache de la barbarie, fut sans doute l'effet d'une malheureuse révolution qui aura détruit peut-être en peu d'années l'ouvrage et les travaux de plusieurs siècles; car nous ne pouvons douter que ce premier peuple, aussi puissant d'abord que savant, ne se soit long-temps maintenu dans sa splendeur, puisqu'il a fait de si grands progrès dans les sciences, et par conséquent dans tous les arts qu'exige leur étude. Mais il y a toute apparence que quand les terres situées au nord de cette heureuse contrée ont été trop refroidies, les hommes qui les habitoient, encore ignorants, farouches, et barbares, auront reflué vers cette même contrée riche, abondante, et cultivée par les arts; il est même assez étonnant qu'ils s'en soient emparés, et qu'ils y aient détruit non seulement les germes, mais même la mémoire de toute science; en sorte que trente siècles d'ignorance ont peut-être suivi les trente siècles de lumières qui les avoient pré- cédés. De tous ces beaux et premiers fruits de l'esprit humain il n'est resté que le marc ; la métaphysique religieuse, ne pouvant être comprise, n'avoit pas be- soin d'étude, et ne devoit ni s'altérer ni se perdre que faute de mémoire, laquelle ne manque jamais quand elle est frappée du merveilleux. Aussi cette métaphy- sique s'est-elle répandue de ce premier centre des sciences à toutes les parties du monde; les idoles de Calicut se sont trouvées les mêmes que celles de Sé- iéginskoi. Les pèlerinages vers le grand Lama, établis 528 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. à plus de deux mille lieues de distance ; l'idée de la métempsycose portée encore pi us loin, adoptée com me article de foi par les Indiens, les Éthiopiens, les Atlan- tes; ces mêmes idées défigurées, reçues par les Chi- nois, les Perses, les Grecs, et parvenues jusqu'à nous; tout semble nous démontrer que la première souche et la tige commune des connoissances humaines ap- partient à cette terre de la haute Asie 1, et que les ra- meaux stériles ou dégénérés des nobles branches de cette ancienne souche se sont étendus dans toutes les parties de la terre chez les peuples civilisés. Et que pouvons-nous dire de ces siècles de barba- rie qui se sont écoulés en pure perte pour nous? ils sont ensevelis pour jamais dans une nuit profonde; l'homme d'alors, replongé dans les ténèbres de l'igno- rance, a pour ainsi dire cessé d'être homme : car la grossièreté, suivie de l'oubli des devoirs, commence par relâcher les liens de la société , la barbarie achève de les rompre; les lois méprisées ou proscrites, les mœurs dégénérées en habitudes farouches; l'amour de l'humanité, quoique gravé en caractères sacrés, effacé dans les cœurs; l'homme enfin sans éducation, sans morale, réduit à mener une vie solitaire et sau- vage, n'offre, au lieu de sa haute nature, que celle d'un être dégradé au dessous de l'animal. Néanmoins, après la perte des sciences, les arls i. Les cultures, les arts, les bourgs épars dans cette région ( clit le savant naturaliste M. Pallas), sont les restes encore vivants d'un em- pire ou d'une société florissante, dont l'histoire même est ensevelie avec ses cités, ses temples, ses armes, et ses monuments , dont on déterre à chaque pas d'énormes débris; ces peuplades sont les mem- bres d'une énorme nation , à laquelle il manque une tête. SEPTIEME EPOQUE. Ô'2Ç) utiles auxquels elles avoient donné naissance se sont conservés : la culture de la terre devenue plus néces- saire à mesure que les hommes se trouvoient plus nombreux, plus serrés; toutes les pratiques qu'exige cette même culture , tous les arts que supposent la construction des édifices, la fabrication des idoles et des armes, la texture des étoffes, etc. , ont survécu à la science ; ils se sont répandus de proche en proche, perfectionnés de loin en loin; ils ont suivi le cours des grandes populations : l'ancien empire de la Chine s'est élevé le premier, et presque en môme temps ce- lui des Atlantes en Afrique; ceux du continent de l'Asie, celui de l'Egypte, d'Ethiopie, se sont succes- sivement établis, et enfin celui de Rome, auquel no- tre Europe doit son existence civile. Ce n'est donc que depuis environ trente siècles que la puissance de l'homme s'est réunie à celle de la nature et s'est éten- due sur la plus grande partie de la terre : les trésors de sa fécondité jusqu'alors étoient enfouis, l'homme les a mis au grand jour; ses autres richesses, encore plus profondément enterrées, n'ont pu se dérober à ses recherches, et sont devenues le prix de ses tra- vaux. Partout, lorsqu'il s'est conduit avec sagesse, il a suivi les lois de la nature, profité de ses exemples, employé ses moyens, et choisi dans son immensité tous les objets qui pouvoient lui servir ou lui plaire. Par son intelligence les animaux ont été apprivoisés, subjugués, domptés, réduits à lui obéir à jamais; par ses travaux les marais ont été desséchés, les fleuves contenus, leurs cataractes effacées, les forets éclair- cies, les landes cultivées; par sa réflexion les temps ont été comptés, les espaces mesurés, les mouve- <» 330 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. ments célestes reconnus, combinés, représentés, ie ciel et la terre comparés, l'univers agrandi , et le Créa- teur dignement adoré ; par son art émaué de la science les mers ont été traversées, les montagnes franchies, les peuples rapprochés, un nouveau inonde décou- vert, mille autres terres isolées sont devenues son do- maine; enfin la face entière de la terre porte aujour- d'hui l'empreinte de la puissance de l'homme, laquelle, quoique subordonnée à celle de la nature, souvent a fait plus qu'elle, ou du moins l'a si merveilleusement secondée , que c'est à l'aide de nos mains qu'elle s'est développée dans toute son étendue, et qu'elle est arrivée par degrés au point de perfection et de ma- gnificence où nous la voyons aujourd'hui. Comparez en effet la nature brute à la nature cul- tivée1; comparez les petites nations sauvages de l'A- mérique avec nos grands peuples civilisés ; comparez même celles de l'Afrique, qui ne le sont qu'à demi; voyez en môme temps l'état des terres que ces nations habitent, vous jugerez aisément du peu de valeur de ces hommes par le peu d'impression que leurs mains ont faite sur leur sol. Soit stupidité, soit paresse, ces hommes à demi bruts, ces nations non policées, grandes ou petites, ne font que peser sur le globe sans soulager la terre, l'affamer sans la féconder, dé- truire sans édifier, tout user sans rien renouveler. Néanmoins la condition la plus méprisable de l'espèce humaine n'est pas celle du sauvage, mais celle de ces nations au quart policées qui de tout temps ont été les vrais fléaux de la nature humaine, et que les peu- i. Voyez le discours qui a pour titre de lu Nature? première Vue. SEPTIÈME ÉPOQUE. 33l pies civilisés ont encore peine à contenir aujourd'hui : ils ont , comme nous l'avons dit , ravagé la première terre heureuse , ils en ont arraché les germes du bon- heur et détruit les fruits de la science. Et de combien d'autres invasions cette première irruption des bar- bares n'a-t-elle pas été suivie ! C'est de ces mêmes contrées du nord , où se trouvoient autrefois tous les biens de l'espèce humaine, qu'ensuite sont venus tous ses maux. Combien n'a-t-on pas vu de ces déborde- ments d'animaux à face humaine , toujours venant du nord , ravager les terres du midi ! Jetez les yeux sur les annales de tous les peuples, vous y compterez vingt siècles de désolation pour quelques années de paix et de repos. Il a fallu six cents siècles à la nature pour construire ses grands ouvrages, pour attiédir la terre, pour en façonner la surface, et arriver à un état tranquille: combien n'en faudra-t-il pas pour que les hommes arrivent au même point et cessent de s'inquiéter, de s'agiter, et de s'entre-détruire? Quand reconnoîtront- ils que la jouissance paisible des terres de leur patrie suffit à leur bonheur? Quand seront-ils assez sages pour rabattre de leurs prétentions, pour renoncer à des dominations imaginaires, à des possessions éloi- gnées, souvent ruineuses, ou du moins plus à charge qu'utiles? L'empire de l'Espagne, aussi étendu que celui de la France en Europe, et dix fois plus grand en Amérique, est-il dix fois plus puissant? l'est-il même autant que si cette fière et grande nation se fût bornée à tirer de son heureuse terre tous les biens qu'elle pouvoit fournir? Les Anglois, ce peuple si sensé, si profondément pensant, n'ont-ils pas fait une ÔÔ2 DES ÉPOQUES DE LA NâTURE. grande faute en étendant trop loin les limites de leurs colonies? Les anciens me paroissent avoir eu des idées plus saines de ces établissements; ils ne projetoient des émigrations que quand leur population les surchar- geoit , et que leurs terres et leur commerce ne sufïi- soient plus à leurs besoins. Les invasions des barba- res, qu'on regarde avec horreur, n'ont-elles pas en des causes encore plus pressantes lorsqu'ils se sont trouvés trop serrés dans des terres ingrates, froides, et dénuées, et en même temps voisines d'autres ter- res cultivées, fécondes, et couvertes de tous les biens qui leur manquoient? Mais aussi que de sang ont coûté ces funestes conquêtes! que de malheurs, que de pertes les ont accompagnées et suivies ! Ne nous arrêtons pas plus long-temps sur le triste spectacle de ces révolutions de mort et de dévasta- tion , toutes produites par l'ignorance ; espérons que l'équilibre, quoique imparfait, qui se trouve actuel- lement entre les puissances des peuples civilisés se maintiendra, et pourra même devenir plus stable à mesure que les hommes sentiront mieux leurs vérita- bles intérêts, qu'ils reconnoîtront le prix de la paix et du bonheur tranquille, qu'ils en feront le seul objet de leur ambition, que les princes dédaigneront la fausse gloire des conquérants, et mépriseront la petite vanité de ceux qui, pour jouer un rôle, les excitent à de grands mouvements. Supposons donc le monde en paix, et voyons de plus près combien la puissance de l'homme pourroit influer sur celle de la nature. Puen ne paroît plus dif- ficile , pour ne pas dire impossible , que de s'opposer au refroidissement successif de la terre, et de réchauf- SEPTIÈME ÉPOQUE. 333 fer la température d'un climat; cependant l'homme le peut faire et la fait. Paris et Québec sont à peu près sous la môme latitude et à la môme élévation sur le globe : Paris seroit donc aussi froid que Québec si la France et toutes les contrées quil'avoisinent étoient aussi dépourvues d'hommes, aussi couvertes de bois , aussi baignées par les eaux, que le sont les terres voi- sines du Canada. Assainir, défricher, et peupler un pays c'est lui rendre de la chaleur pour plusieurs milliers d'années; et ceci prévient la seule objection raisonnable que Ton puisse faire contre mon opinion, ou , pour mieux dire, contre le fait réel du refroidis- sement de la terre. Selon votre système, me dira-t-on, toute la terre doit être plus froide aujourd'hui qu'elle ne l'étoit il y a deux mille ans; or la tradition semble nous prou- ver le contraire. Les Gaules et la Germanie nourris- soient des élans , des lonps-cerviers , des ours , et d'au- tres animaux qui se sont retirés depuis dans les pays septentrionaux : cette progression est bien différente de celle que vous leur supposez du nord au midi. D'ailleurs l'histoire nous apprend que tous les ans la rivière de Seine étoit ordinairement glacée pendant une partie de l'hiver : ces faits ne paroissent-ilspas être directement opposés au prétendu refroidissement suc- cessif du globe? Ils le seroient, je l'avoue , si la France et l'Allemagne d'aujourd'hui étoient semblables à la Gaule et la Germanie ; si l'on n'eût pas abattu les forêts, desséché les marais, contenu les torrents, dirigé les fleuves, et défriché toutes les terres trop couvertes et surchargées des débris mêmes de leurs productions. Mais ne doit-on pas considérer que la déperdition de la 334 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. chaleur du globe se fait d'une manière insensible ; qu'il a fallu soixante-seize mille ans pour l'attiédir au point de la température actuelle , et que , dans soixante- seize autres mille ans, il ne sera pas encore assez re- froidi pour que la chaleur particulière de la nature vivante y soit anéantie? Ne faut-il pas comparer en- suite à ce refroidissement si lent le froid prompt et subit qui nous arrive des régions de l'air, se rappeler qu'il n'y a néanmoins qu'un trente-deuxième de dif- férence entre le plus grand chaud de nos étés et le plus grand froid de nos hivers, et Ton sentira déjà que les causes extérieures influent beaucoup plus que la cause intérieure sur la température de chaque cli- mat, et que, dans tous ceux où le froid de la région supérieure de l'air est attiré par l'humidité ou poussé par des vents qui le rabattent vers la surface de la terre, les effets de ces causes particulières l'empor- tent de beaucoup sur le produit de la cause géné- rale? Nous pouvons en donner un exemple qui ne laissera aucun doute sur ce sujet, et qui prévient en même temps toute objection de cette espèce. Dans l'immense étendue des terres de la Guiane, qui ne sont que des forêts épaisses où le soleil peut à peine pénétrer, où les eaux répandues occupent de grands espaces, où les fleuves, très voisins les uns des autres, ne sont ni contenus ni dirigés, où il pleut continuellement pendant huit mois de l'année , l'on a commencé seulement depuis un siècle à défricher au- tour de Cayenne un très petit canton de ces vastes forêts ; et déjà la différence de température , dans cette petite étendue de terrain défriché, est si sen- sible, qu'on y éprouve trop de chaleur, même pen- SEPTIÈME ÉPOQUE. 555 danl Ja nuit, tandis que , dans toutes les autres terres couvertes de bois, il fait assez froid la nuit pour qu'on soit forcé d'allumer du feu. 11 en est de même de la quantité et de la continuité des pluies : elles cessent plus tôt et commencent plus tard à Cayenne que dans l'intérieur des terres ; elles sont aussi moins abondan- tes et moins continues. Il y a quatre mois de séche- resse absolue à Cayenne, au lieu que, dans l'intérieur du pays, la saison sèche ne dure que trois mois, et encore y pleut-il tons les jours par un orage assez vio- lent qu'on appelle le grain de midij, parce que c'est vers le milieu du jour que cet orage se forme : de plus, il ne tonne presque jamais à Cayenne , tandis que les tonneares sont violents et très fréquents dans l'intérieur du pays, où les nuages sont noirs, épais, et très bas. Ces faits, qui sont certains, ne démon- trent-ils pas qu'on feroit cesser ces pluies continuelles de huit mois, et qu'on augmenteroit prodigieusement la chaleur dans toute cette contrée si l'on détruisoit les forêts qui la couvrent, si l'on y resserroit les eaux en dirigeant les fleuves, et si la culture de la terre, qui suppcfse le mouvement et le grand nombre des animaux et des hommes, chassoit l'humidité froide et superflue que le nombre infiniment trop grand des végétaux attire, entretient, et répand? Comme tout mouvement, toute action, produit de la chaleur, et que tous les êtres doués du mouvement progressif sont eux-mêmes autant de petits foyers de chaleur, c'est de la proportion du nombre des hom- mes et des animaux à celui des végétaux que dépend (toutes choses égales d'ailleurs) la température locale de chaque terre en particulier; les premiers répan- 336 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. dent de la chaleur, les seconds ne produisent que de l'humidité. L'usage habituel que l'homme fait du feu ajoute beaucoup à cette température artificielle dans tous les lieux où il habite en nombre. A Paris, dans les grands froids, les thermomètres au faubourg Saint- Honoré marquent 2 ou 3 degrés de froid de plus qu'au faubourg Saint-Marceau, parce que le vent du nord se tempère en passant sur les cheminées de cette grande ville. Une seule forêt de plus ou de moins dans un pays suffit pour en changer la tempé- rature : tant que les arbres sont sur pied, ils attirent le froid, ils diminuent par leur ombrage la chaleur du soleil ; ils produisent des vapeurs humides qui for- ment des nuages et retombent en p!ui$ d'autant plus froide qu'elle descend de plus haut : et si ces forêts sont abandonnées à la seule nature, ces mêmes ar- bres, tombés de vétusté, pourrissent froidement sur la terre, tandis qu'entre les mains de l'homme ils servent d'aliment à l'élément du feu , et deviennent les causes secondaires de toute chaleur particulière. Dans les pays de prairie , avant la récolte des herbes, on a toujours des rosées abondantes , et très souvent de petites pluies qui cessent dès que ces herbes sont le- vées. Ces petites pluies deviendroient donc plus abon- dantes, et ne cesseroient pas, si nos prairies , comme les savanes de l'Amérique , étoient toujours couvertes d'une même quantité d'herbes, qui, loin de dimi- nuer, ne peut qu'augmenter par l'engrais de toutes celles qui se dessèchent et pourrissent sur la terre. Je donnerois aisément plusieurs autres exemples qui tous concourent à démontrer que l'homme peut modifier les influences du climat qu'il habite, et en SEPTIÈME ÉPOQUE. 55}' fixer, pour ainsi dire, la température au point qui lui convient. Et ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il lui seroit plus difficile de refroidir la terre que de la ré- chauffer : maître de l'élément du feu , qu'il peut aug- menter et propager à son gré, il ne l'est pas de l'élé- ment du froid, qu'il ne peut saisir ni comuiuniquer. Le principe du froid n'est pas même une substance réelle, mais une simple privation, ou plutôt une di- minution de chaleur, diminution qui doit être très grande dans les hautes régions de l'air, et qui l'est assez à une lieue de distance de la terre pour y con- vertir en grêle et en neige les vapeurs aqueuses; car les émanations de la chaleur propre du globe suivent la même loi que toutes les autres quantités ou quali- tés physiques qui partent d'un centre commun ; et leur intensité décroissant en raison inverse du carré de la distance, il paroît certain qu'il fait quatre fois plus froid à deux lieues qu'à une* lieue de hauteur dans notre atmosphère, en prenant chaque point de la surface de la terre pour centre. D'autre part, la chaleur intérieure du globe est constante, dans toutes les saisons, à 10 degrés au dessus de la congélation; ainsi tout froid plus grand, ou plutôt toute chaleur moindre de 10 degrés, ne peut arriver sur la terre que parla chute des matières refroidies dans la région supérieure de l'air, où les effets de cette chaleur propre du globe diminuent d'autant plus qu'on s'élève plus haut. Or la puissance de l'homme ne s'étend pas si loin ; il ne peut faire descendre le froid comme il fait monter le chaud; il n'a d'autre moyen pour se garantir de la trop grande ardeur du soleil que de créer de l'om- bre : mais il est bien plus aisé d'abattre des forets à la 558 DES ÉPOQUES DE l\ NATURE. Gnianc pour en réchauffer la terre humide que d'en planter en Arabie pour en rafraîchir les sables arides ; cependant une seule forêt dans le milieu de ces déserts brûlants suffiroit pour les tempérer, pour y ramener les eaux du ciel , pour rendre à la terre tous les principes de sa fécondité, et par conséquent pour y faire jouir l'homme de toutes les douceurs d'un climat tempéré. C'est de la différence de température que dépend la plus ou moins grande énergie de la nature ; l'ac- croissement, le développement, et la production même de tous les êtres organisés, ne sont que des ef- fets particuliers de cette cause générale : ainsi l'homme en la modifiant peut en même temps détruire ce qui lui nuit, et faire éclore tout ce qui lui convient. Heu- reuses les contrées où tous les éléments de la tem- pérature se trouvent balancés, et assez avantageuse- ment combinés pour n'opérer que de bons effets ! Mais en est-il aucune qui, dès son origine, ait eu ce privilège? aucune où la puissance de l'homme n'ait pas secondé celie de la nature, soit en attirant ou dé- tournant les eaux, soit en détruisant les herbes inuti- les et les végétaux nuisibles ou superflus, soit en se conciliant les animaux utiles et les multipliant? Sur trois cents espèces d'animaux quadrupèdes et quinze cents espèces d'oiseaux qui peuplent la surface de la terre, l'homme en a choisi dix-neuf ou vingt1 ; et ces vingt espèces figurent seules plus grandement dans la nature, et font plus de bien sur la terre, que toutes i . L'éléphant, le chameau . le cheval , l'âne , le bœuf, la brebis, la chèvre . le cochon , le chien . le chat, le lama . la vigogne , le buffle. Les poules, les oies , les dindon? , les canards , les paons , les faisans , les pigeons. SEPTIÈME ÉPOQUE. 55û, les autres espèces réunies. Elles ngufent plus grande- ment, parce qu'elles sont dirigées par l'homme, et qu'il les a prodigieusement multipliées : elles opèrent de concert avec lui tout le bien qu'on peut attendre d'une sage administration de forces et de puissance pour la culture de la terre, pour le transport et le commerce de ses productions, pour l'augmentation des subsistances; en un mot, pour tous les besoins, et même pour les plaisirs d'un seul maître qui puisse payer leurs services par ses soins. Et dans ce petit nombre d'espèces d'animaux dont l'homme a fait choix, .celles de la poule et du cochon, qui sont les plus fécondes, sont aussi les plus généra- lement répandues, comme si l'aptitude à la plus grande multiplication éloit accompagnée de cette vi- gueur de tempérament qui brave tous les inconvé- nients. On a trouvé la poule et le cochon dans les par- ties les moins fréquentées de la terre, à Otahiti, et dans les autres îles de tout temps inconnues et les plus éloignées des continents : il semble que ces es- pèces aient suivi celle de l'homme dans toutes ses mi- grations. Dans le continent isolé de l'Amérique mé- ridionale, où nul de nos animaux n'a pu pénétrer, on a trouvé le pécari et la poule sauvage, qui, quoi- que plus petits et un peu différents du cochon et de la poule de notre continent, doivent néanmoins être regardés comme espèces très voisines, qu'on pourroit de môme réduire en domesticité : jnais l'homme sau- vage n'ayant point d'idée de la société n'a pas même cherché celle des animaux. Dans toutes les terres de l'Amérique méridionale, les sauvages n'ont point d'a- nimaux domestiques; ils détruisent indifféremment 540 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. les bonnes espèces comme les mauvaises ; ils ne font choix d'aucune pour les élever et les multiplier, tan- dis qu'une seule espèce féconde, comme celle du hocco1, qu'ils ont sous la main, leur fourniroit sans peine, et seulement avec un peu de soin, plus de sub- sistances qu'ils ne peuvent s'en procurer par leurs chasses pénibles. Aussi le premier trait de l'homme qui commence à se civiliser est l'empire qu'il sait prendre sur les animaux; et ce premier trait de son intelligence de- vient ensuite le plus grand caractère de sa puissance sur la nature : car ce n'est qu'après se les être soumis qu'il a, par leur secours, changé la face de la terre, converti les déserts en guère ts et les bruyères en épis. En multipliant les espèces utiles d'animaux, l'homme augmente sur la terre la quantité de mou- vement et de vie ; il ennoblit en même temps la suite entière des êtres, et s'ennoblit lui-même , en transfor- mant le végétal en animal, et tous deux en sa propre substance, qui se répand ensuite par une nombreuse multiplication : partout il produit l'abondance, tou- jours suivie de la grande population ; des millions d'hommes existent dans le même espace qu'occu- poient autrefois deux ou trois cents sauvages, des milliers d'animaux où il y avoit à peine quelques in- dividus ; par lui et pour lui les germes précieux sont les seuls développés, les productions de la classe la plus noble les seules cultivées ; sur l'arbre immense de la fécondité les branches à fruit seules subsistan- tes et toutes perfectionnées. i . Gros oiseau très fécond , et dont la chair est aussi bonne que celle du faisan. SEPTIÈME ÉPOQUE. 34 1 Le grain dont l'homme fait son pain n'est point un don de la nature, mais le grand, l'utile fruit de ses recherches et de son intelligence dans le premier des arts; nulle part sur la terre on n'a trouvé du blé sau- vage, et c'est^évidemment une herbe perfectionnée par ses soins : il a donc fallu reconnoître et choisir entre mille et mille autres cette herbe précieuse ; il a fallu la semer, la recueillir nombre de fois pour s'a- percevoir de sa multiplication, toujours proportion- née à la culture et à l'engrais des terres. Et cette pro- priété, pour ainsi dire unique, qu'a le froment do résister, dans son premier âge, au froid de nos hi- vers, quoique soumis, comme toutes les plantes an- nuelles, à périr après avoir donné sa graine; et la qualité merveilleuse de cette graine, qui convient à tous les hommes, à tous les animaux, à presque tous les climats, qui d'ailleurs se conserve long-temps sans altération, sans perdre la puissance de se reproduire ; tout nous démontre que c'est la plus heureuse dé- couverte que l'homme ait jamais faite, et que, quel- que ancienne qu'on veuille la supposer, elle a néan- moins été précédée de l'art de l'agriculture, fondé sur la science et perfectionné par l'observation. Si l'on veut des exemples plus modernes et même récents de la puissance de l'homme sur la nature des végétaux, il n'y a qu'à comparer nos légumes, nos fleurs, et nos fruits, avec les mêmes espèces telles qu'elles étoient il y a cent cinquante ans : cette com- paraison peut se faire immédiatement et très précisé- ment en parcourant des yeux la grande collection de dessins coloriés , commencée dès le temps de Gaston d'Orléans, et qui se continue encore aujourd'hui au BCFFON. Y 7)[±'2 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. Jardin du Roi : on y verra peut-être avec surprise que les plus belles fleurs de ce temps, renoncules, œillets, tulipes, oreilles-d'ours, etc., seroient re je- tées aujourd'hui, je ne dis pas par nos fleuristes, mais par les jardiniers de village. Ces fleurs, quoique déjà cultivées alors, n'étoient pas encore bien loin de leur état de nature : un simple rang de pétales, de longs pistils, et des couleurs dures ou fausses , sans velouté, sans variété, sans nuances, tous caractères agrestes de la nature sauvage. Dans les plantes potagères , une seule espèce de chicorée et deux sortes de laitues, toutes deux assez mauvaises ; tandis qu'aujourd'hui nous pouvons compter plus de cinquante laitues et chicorées, toutes très bonnes au goût. INous pouvons de même donner la date très moderne de nos meil- leurs fruits à pépin et à noyau , tous différents de ceux des anciens, auxquels ils ne ressemblent que de nom. D'ordinaire les choses restent, et les noms changent avec le temps ; ici c'est le contraire, les noms sont demeurés et les choses ont changé : nos pêches, nos abricots, nos poires, sont des productions nouvelles auxquelles on a conservé les vieux noms des produc- tions antérieures. Pour n'en pas douter, il ne faut que comparer nos fleurs et nos fruits avec les des- criptions ou plutôt les notices que les auteurs grecs et latins nous en ont laissées; toutes leurs fleurs étoient simples, et tous leurs arbres fruitiers n'étoient que des sauvageons assez mal choisis dans chaque genre, dont les petits fruits, âpres ou secs, n'avoient ni la saveur ni la beauté des nôtres. Ce n'est pas ^u 'il y ait aucune de ces bonnes et nouvelles espèces qui ne soit originairement issue SEPTIÈME ÉPOQUE. 345 d un sauvageon ; mais combien de fois n'a-t-il pas fallu que l'homme ait tenté la nature pour en obtenir ces espèces excellentes ! combien de milliers de germes n'a-t-il pas été obligé de confier à la terre pour qu'elle les ait enfin produits ! ce n'est qu'en semant, éfevant, cultivant, et mettant à fruit un nombre presque in- fini de végétaux de la même espèce, qu'il a pu re- connoître quelques individus portant des fruits plus doux et meilleurs que les autres : et cette première découverte, qui suppose déjà tant de soins, seroit encore demeurée stérile à jamais s'il n'en eût fait une seconde, qui suppose autant de génie que la pre- mière exigeoit de patience ; c'est d'avoir trouvé le moyen de multiplier par la greffe ces individus pré- cieux qui malheureusement ne peuvent faire une li- gnée aussi noble qu'eux, ni propager par eux-mêmes leurs excellentes qualités : et cela seul prouve que ce ne sont en effet que des qualités purement indivi- duelles, et non des propriétés spécifiques ; car les pé- pins ou noyaux de ces excellents fruits ne produisent, comme les autres, que de simples sauvageons, et par conséquent ris ne forment pas des espèces qui en soient essentiellement différentes : mais, au moyen de la greffe, l'homme a, pour ainsi dire, créé des, espèces secondaires qu'il peut propager et multiplier à son gré. Le bouton ou la petite branche qu'il joint au sauvageon renferme cette qualité individuelle qui ne peut se transmettre par la graine, et qui n'a be- soin que de se développer pour produire les mêmes fruits que l'individu dont on les a séparés pour les unir au sauvageon, lequel ne leur communique au- cune de ces mauvaises qualités, parce qu'il n'a pas 344 DES EPOQUES DE LA NATURE. contribué à leur formation, qu'il n est pas une mère, mais une simple nourrice qui ne sert qua leur déve- loppement par la nutrition. Dans les animaux, la plupart des qualités qui pa- roisserft individuelles ne laissent pas de se transmettre et de se propager par la même voie que les propriétés spécifiques : il étoit donc plus facile à l'homme d'in- fluer surJa nature des animaux que sur celle des vé- gétaux. Les races, dans chaque espèce d'animal, ne sont que des variétés constantes, qui se perpétuent par la génération, au lieu que, dans les espèces vé- gétales, il n'y a point de races, point de variétés assez constantes pour être perpétuées parla reproduction. Dans les seules espèces de la poule et du pigeon, l'on a fait naître très récemment de nouvelles races en grand nombre, qui toutes peuvent se propager d'elles- mêmes : tous les jours, dans les autres espèces, on relève, on ennoblit les races en les croisant; de temps en temps on acclimate , on civilise quelques espèces étrangères ou sauvages. Tous ces exemples modernes et récents prouvent que l'homme n'a connu que tard l'étendue de sa puissance , et que même il ne la con- noît pas encore assez; elle dépend en entier de l'exer- cice de son intelligence : ainsi plus il observera, plus il cultivera la nature, plus il aura de moyens pour se la soumettre, et de facilités pour tirer de son sein des richesses nouvelles, sans diminuer les trésors de son inépuisable fécondité. Et que ne pourroit-il pas sur lui-même, je veux dire sur sa propre espèce, si la volonté étoit toujours dirigée par l'intelligence ! Qui sait jusqu'à cruel point l'homme pourroit perfectionner sa nafurc, soit au SEPTIÈME ÉPOQUE. 345 moral, soit au physique? Y a-t-ii une seule nation qui puisse se vanter d'être arrivée au meilleur gou- vernement possible, qui seroit de rendre tous les hommes non pas également heureux, mais moins in- également malheureux, en veillant à leur conserva- tion , à l'épargne de leurs sueurs et de leur sang par la paix, par l'abondance des subsistances, par les ai- sances de la vie, et les facilités pour leur propagation? Voilà le but moral de toute société qui cherche à s'a- méliorer. Et, pour le physique, la médecine et les autres arts dont l'objet est de nous conserver sont-ils aussi avancés , aussi connus , que les arts destructeurs enfantés par la guerre? Tl semble que de tout temps l'homme ait fait moins de réflexions sur le bien que de recherches pour le mal : toute société est mêlée de l'un et de l'autre; et comme de tous les sentiments qui affectent la multitude, la crainte est le plus puis- sant, les grands talents dans l'art de faire du mal ont été les premiers qui aient frappé l'esprit de l'homme ; ensuite ceux qui l'ont amusé ont occupé son cœur; et ce n'est qu'après un trop long usage de ces deux moyens de faux honneur et de plaisir stérile qu'enfin il a reconnu que sa vraie gloire est la science, et la paix son vrai bonheur. 346 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. ADDITIONS DE BUFFON. ( Sur la page 323. ) La période de six cents ans dont Josèphe dit que se servoient les anciens patriarches avant le déluge est une des plus belles et des plus exactes que l'on ait jamais inventées. Il est de fait que, prenant le mois lunaire de 29 jours 1 2 heures 44 minutes 3 secondes , on trouve que 2 1 9 mille 1 46 jours V2 font 7 mille [±2 1 mois lunaires ; et ce même nombre de 2 1 9 mille 1 46 jours V2 donne 600 années solaires ., chacune de 365 jours 5 heu- res 5 1 minutes 36 secondes, d'où résulte le mois lunaire à une seconde près, tel que les astronomes modernes Font déterminé, et l'année solaire plus juste qu'Hip- parque et Ptolémée ne l'ont donnée plus de deux mille ans après le déluge. Josèphe a cité, comme ses ga- rants, Manéthon, Bérose, et plusieurs autres anciens auteurs dont les écrits sont perdus il y a long-temps... Quel que soit le fondement sur lequel Josèphe a parlé de cette période, il faut qu'il y ait eu réellement et de temps immémorial une telle période ou grande année, qu'on avoit oubliée depuis plusieurs siècles, puisque les astronomes qui sont venus après cet his- torien s'en seroient servis préférablement à d'autres hypothèses moins exactes pour la détermination de l'année solaire et du mois lunaire, s'ils l'avoient con- nue, ou s'en seroient fait honneur, s'ils l'avoient ima- ginée. « Il est constant, dit le savant astronome Domi- nique Cassini, que dès le premier fige du monde, les SEPTIÈME ÉPOQUE. 34; hommes avoient déjà fait de grands progrès dans la science du mouvement des astres : on pourroit même avancer qu'ils en avoient beaucoup plus de connois- sances que l'on n'en a eu long-temps depuis le déluge, s'il est bien vrai que l'année dont les anciens patriar- ches se servoient fût de la grandeur de celles qui com- posent ia grande période de six cents ans dont il est fait mention dans les antiquités des Juifs, écrites par Josèphe. Nous ne trouvons dans les monuments qui nous restent de toutes les autres nations aucun vestige de cette période de six cents ans, qui est une des plus belles que l'on ait encore inventées. » M. Cassini s'en rapporte, comme on voit, à Josè- phe, et Josèphe avoit pour garants les historiographes égyptiens, babyloniens, phéniciens, et grecs; Mané- thon, Bérose , Mochus, Hestiéus, Jérôme l'Égyptien , Hésiode, Hécatée, etc., dont les écrits pouvoient sub- sister et subsistoient vraisemblablement de son temps. Or, cela posé, et quoi qu'on puisse opposer au témoignage de ces auteurs, M. de Mairan dit, avec raison, que l'incompétence des juges ou des témoins ne sauroit avoir lieu ici. Le fait dépose par lui-même son authenticité : il suffit qu'une semblable période ait été nommée, il suffit qu'elle ait existé, pour qu'on soit en droit d'en conclure qu'il aura donc aussi existé des siècles d'observations et en grand nombre, qui l'ont précédée; que l'oubli dont. elle fut suivie est aussi bien ancien, car on doit regarder comme temps d'oubli tout celui où l'on a ignoré la justesse de cette période, et où l'on a dédaigné d'en approfondir les éléments et de s'en servir pour rectifier la théorie des mouvements célestes, et où l'on s'est avisé d'yen substi- 54$ DES ÉPOQUES DE LA NATUlîE. tuer de moins exactes. Donc, si Hipparque, Méton, Pythagore, Thaïes, et tous les anciens astronomes de la Grèce, ont ignoré la période de six cents ans, on est fondé à dire qu'elle étoit oubliée non seule- ment chez les Grecs , mais aussi en Egypte , dans la Phénicie , et dans la Chaldée, où les Grecs avoient tous été puiser leur grand savoir en astronomie. ( Sur la page 026. ) Les astronomes et les philosophes grecs avoient puisé en Egypte et aux Indes la plus grande partie de leurs connoissances. Les Grecs étoient donc des gens très nouveaux en astronomie en comparaison des In- diens, des Chinois, et des Atlantes habitants de l'A- frique occidentale; Uranus et Atlas chez ces derniers peuples, Fo-hi à la Chine, Mercure en Egypte, Zo- roastre en Perse , etc. Les Atlantes, chez qui régnoit Atlas, paroissent être les plus anciens peuples de l'Afrique, et beaucoup plus anciens que les Egyptiens. La théogonie des Atlantes, rapportée par Diodore de Sicile, s'est pro- bablement introduite en Egypte, en Ethiopie, et en Phénicie, dans le temps de cette grande éruption dont il est parlé dans le Timëeàe Platon, d'un peuple in- nombrable qui sortit de l'île Atlantide et se jeta sur une grande partie de l'Europe, de l'Asie, et de l'A- frique. Dans l'occident de l'Asie, dans l'Europe, dans l'A- frique, tout est fondé sur les connoissances des Atlan- tes, tandis que les peuples orientaux, chaldéens. indiens , et chinois, n'ont été instruits que plus tard, SEPTIÈME ÉPOQUE. 5/|9 et ont toujours formé des peuples qui n'ont pas eu de relation avec les Atlantes, dont l'irruption est plus ancienne que la première date d'aucun de ces der- niers peuples. Allas, fils d'Uranus et frère de Saturne, vivoit, se- lon Manéthon et Dicéarque , 5 mille 900 ans environ avant l'ère chrétienne. Quoique Diogène-Laërce , Hérodote, Diodore de Sicile, Pomponius Mêla, etc., donnent à l'âge d'Ura- nus, les uns 4^ mille 860 ans, les autres 20 mille ans, etc., cela n'empêche pas qu'en réduisant ces an- nées à la vraie mesure du temps dont on se servoit dans différents siècles chez ces peuples , ces mesures ne reviennent au même, c'est-à-dire à 5 mille 890 ans avant l'ère chrétienne. Le temps du déluge, selon les Septante, a été 2 mille 256 ans après la création. L'astronomie a été cultivée en Egypte plus de trois mille ans avant l'ère chrétienne ; on peut le démontrer par ce que rapporte Ptolémée sur le lever héliaque de Sirius : ce lever de Sirius étoit très important chez les Egyptiens, parce qu'il annonçoit le débordement du Nil. Les Chaldéens paroissent plus nouveaux dans la carrière astronomique que les Egyptiens. Les Egyptiens connoissoient le mouvement du so- leil plus de 5 mille ans avant Jésus-Christ, et les Chal- déens plus de 2 mille 473ans. Il y avoit chez les Phrygiens un temple dédié à Hercule qui paroît avoir été fondé 2 mille 800 ans avant l'ère chrétienne, et l'on sait qu'Hercule a été dans l'antiquité l'emblème du soleil. !55o DES ÉPOQUES DE LA NATURE. On peut aussi dater les connoissances astronomi- ques chez les anciens Perses plus de 3 mille 200 ans avant Jésus-Christ. L'astronomie chez les Indiens est tout aussi an- cienne; ils admettent quatre âges, et c'est au com- mencement du quatrième qu'est liée leur première époque astronomique : cet âge duroit en 1762 depuis 4 mille 865 ans, ce qui remonte à l'année 5 102 avant Jésus-Christ. Ce dernier âge des Indiens est réelle- ment composé d'années solaires : mais les trois au- tres, dont le premier est de 1 million 728 mille an- nées, Je second de 1 million 296 mille, et le troisième de 864 mille années , sont évidemment composés d'années ou plutôt de révolutions de temps beaucoup plus courtes que les années solaires. Il est aussi démontré par les époques astronomi- ques que les Chinois avoient cultivé l'astronomie plus de 5 mille ans avant Jésus-Christ , et dès le temps de Fo-hi. Il y a donc une espèce de niveau entre ces peuples égyptiens, chaldéens ou perses, indiens, chinois, et tartares. Ils ne s'élèvent pas plus les uns que les autres dans l'antiquité, et cette époque remarquable de trois mille ans d'ancienneté pour l'astronomie est à peu près la même partout. ■« Ceux qui résident depuis long-temps dans la Pen- sylvanie et dans les colonies voisines ont observé, dit M. Hugues Williarnson, que leur climat a considéra- blement changé depuis quarante ou cinquante ans, et que les hivers ne sont point aussi froids » La température de l'air dans la Pensylvanie est dillérenle de celle des contrées de l'Europe situées SEPTIÈME ÉPOQUE. 55 1 sous le même parallèle. Pour juger de la chaleur d'un pays, il faut non seulement avoir égard à sa latitude , mais encore à sa situation et aux vents qui ont cou- tume d'y régner, puisque ceux-ci ne sauroient chan- ger sans que le climat change aussi. La face d'un pays peut être entièrement métamorphosée par la culture; et l'on se convaincra, en examinant la cause des vents, que leur cou rs peut pareillement prendre de nouvelles directions , » Depuis l'établissement de nos colonies, continue M. Williamson , nous sommes parvenus non seule- ment à donner plus de chaleur au terrain des cantons habités, mais encore à changer en partie la direction des vents. Les marins, qui sont les plus intéressés à cette affaire, nous ont dit qu?il leur falloit autrefois quatre ou cinq semaines pour aborder sur nos côtes, tandis qu'aujourd'hui ils y abordent avec la moitié moins de temps. On convient encore que le froid est moins rude, la neige moins abondante et moins con- tinue qu'elle ne l'a jamais été, depuis que nous som- mes établis dans cette province » Il y a plusieurs autres causes qui peuvent aug- menter et diminuer la chaleur de l'air ; mais on ne sauroit m'alléguer cependant un seul exemple du changement de climat, qu'on ne puisse attribuer au défrichement du pays où il a lieu. On m'objectera celui qui est arrivé depuis dix-sept cents ans dans l'Italie et dans quelques contrées de l'Orient, comme une exception à cette règle générale. On nous dit que l'Italie étoit mieux cultivée du temps d'Auguste qu'elle ne l'est aujourd'hui, et que cependant le cli- mat y est beaucoup plus tempéré.... Il est vrai que 552 DES ÉPOQUES DE LA NATURE. l'hiver étoit plus rude en Italie il y a dix-sept cents ans qu'il ne Test aujourd'hui — mais on peut en attri- buer la cause aux vastes forêts dont l'Allemagne, qui est au nord de Rome, étoit couverte dans ces temps là Il s'élevoit de ces déserts incultes des vents du nord perçants, qui se répandoient comme un torrent dans l'Italie, et y causoient un froid excessif... et l'air étoit autrefois si froid dans ces régions incultes, qu'il devoit détruire la balance dans l'atmosphère de l'Ita- lie, ce qui n'est plus de nos jours » On peut donc raisonnablement conclure que dans quelques années d'ici, et lorsque nos descendants au- ront défriché la partie intérieure de ce pays, ils ne seront presque plus sujets à la gelée ni à la neige, et que leurs hivers seront extrêmement tempérés. » Ces vues de M. "Williamson sont très justes, et je ne doute pas que notre postérité ne les voie confirmées par l'expérience. EXPLICATION DE LA CARTE GÉOGRAPHIQUE. ***»**8>»*»»« EXPLICATION DE LA CARTE GÉOGRAPHIQUE. Cette carte représente les deux parties polaires du globe depuis le 45e degré de latitude : on y a marqué les glaces tant flottantes que fixes , aux points où elles ont été reconnues par les navigateurs. Dans celle du pôle arctique, on voit les glaces flot- tantes trouvées par Barents à 70 degrés de latitude , près du détroit de Waigats , et les glaces immobiles qu'il trouva à 77 et 78 degrés de latitude à l'ouest de ce détroit, qui est aujourd'hui entièrement obstrué par les glaces. On a aussi indiqué le grand banc de glaces immobiles reconnues par Wood, entre le Spitz- berg et la Nouvelle-Zemble, et celui qui se trouve entre le Spitzberg et le Groenland, que les vaisseaux de la pêche de la baleine rencontrent constamment à la hauteur de 77 ou 78 degrés, et qu'ils nomment le banc de l'Ouest, en le voyant s'étendre sans bornes de ce côté, et vraisemblablement jusqu'aux côtes du vieux Groenland _, qu'on sait être aujourd'hui perdues dans les glaces. La route du capitaine Phipps est mar- quée sur cette carte avec la continuité des glaces qui l'ont arrêté au nord et à l'ouest du Spitzberg. On a aussi tracé sur cette carte les glaces flottantes rencontrées par Ellis dès le 58 ou 5ç)e degré, à l'est du cap Farewell; celles que Forbisher trouva dans 556 EXPLICATION son détroit, qui est actuellement obstrué, et celles qu'il vit à 62 degrés vers la côte de Labrador; celles que rencontra Bafïin dans la baie de son nom par les 72 et ^5e degrés, et celles qui se trouvent dans la baie d'Hudson dès le 65e degré, selon Ellis, et dont le Welcome est quelquefois couvert; celles de la baie de Repuise,, qui en est remplie , selon Middlelton. On y voit aussi celles dont presque en tout temps le dé- troit de Davis est obstrué, et celles qui souvent assiè- gent celui d'Hudson, quoique plus méridional de 6 ou 7 degrés. L'île Baïreu, ou île aux Ours> qui est au dessous du Spitzberg à 74 degrés, se voit ici au mi- lieu des glaces flottantes. L'île de Jean de Mayen^ si- tuée près du vieux Groenland , à 70 degrés % , est enga- gée dans les glaces par ses côtes occidentales. On a aussi désigné sur cette carte les glaces flottantes le long des côtes de la Sibérie et aux embouchures de toutes les grandes rivières qui arrivent à cette mer glaciale, depuis Ylrtisch joint à VOby^ jusqu'au fleuve Kolima : ces glaces flottantes incommodent la navi- gation, et dans quelques endroits la rendent impra- ticable. Le banc de la glace solide du pôle descend déjà à 76 degrés sur le cap Piasida^ et engage cette pointe de terre, qui n'a pu être doublée ni par l'ouest du côté de l'Oby, ni par l'est du côté de la Lenay dont les bouches sont semées de glaces flottantes; d'autres glaces immobiles au nord-est de l'embou- chure de la Jana ne laissent aucun passage ni à l'est ni au nord. Les glaces flottantes devant YOlenek et le Chatanga descendent jusqu'aux 74 et 75e degrés : on les trouve à la même hauteur devant l'indigirka et vers les embouchures du Kolima, qui paroît être le DE LA CARTE GEOGRAPHIQUE. 557 dernier terme où aient atteint les Russes parées na- vigations coupées sans cesse par les glaces. C'est d'a- près leurs expéditions que ces glaces ont été tracées sur notre carte : il est plus que probable que des gla- ces permanentes ont engagé le cap Szala^inski, et peut-être aussi la côte nord-est de la terre des Tschuts- chis; car ces dernières côtes n'ont pas été découver- tes par la navigation, mais par des expéditions sur terre, d'après lesquelles on les a figurées. Les navi- gations qu'on prétend s'être faites autrefois autour de ce cap et de la terre des Tschutschis ont toujours été suspectes, et vraisemblablement sont impraticables aujourd'hui ; sans cela les Russes, dans leurs tentatives pour la découverte des terres de l'Amérique, seroient partis des fleuves de la Sibérie, et n'auroient pas pris la peine de faire par terre la traversée immense de ce vaste pays pour s'embarquer à Kamtschatka , où il est extrêmement difficile de construire des vaisseaux, faute de bois, de fer, et de presque tout ce qui est nécessaire pour l'équipement d'un navire. Ces glaces qui viennent gagner les côtes du nord de l'Asie; celles qui ont déjà envahi les parages de la Zemble, du Spitzberg, et du vieux Groenland; celles qui couvrent en partie les baies de BafFm, d'Hudson, et leurs détroits, ne sont que comme les bords ou les appendices de la glacière de ce pôle, qui en occupe toutes les régions adjacentes jusqu'au 80 ou 8i° de- gré, comme nous l'avons représenté en jetant une ombre sur celte portion de la terre à jamais perdue pour nous. La carte du pôle antarctique présente la reconnois- sance des glaces faite par plusieurs navigateurs, et fVlFFON. V. 558 EXPLICATION particulièrement par le célèbre capitaine Cook dans ses deux voyages, le premier en i 769 et en 1 770, et le second en 1773, 1774? et l77^- La relation de ce se- cond voyage n'a été publiée en françois que cette an- née 1 778, et je n'en ai eu connoissance qu'au mois de juin, après l'impression de ce volume entièrement achevée; mais j'ai vu avec la plus grande satisfaction mes conjectures confirmées par les faits. On vient de lire, dans plusieurs endroits de ce même volume, les raisons que j'ai données du froid plus grand dans les régions australes que dans les boréales; j'ai dit et ré- pété que la portion de sphère depuis le pôle arctique jusqu'à 9 degrés de distance n'est qu'une région glacée, une calotte de glace solide et continue , et que, selon toutes les analogies , la portion glacée de même dans les régions australes est bien plus considérable , et s'étend à 18 ou 20 degrés. Cette présomption étoit donc bien fondée , puisque M. Cook , le plus grand de tous les na- vigateurs, ayant fait le tour presque entier de cette zone australe, a trouvé partout des glaces, et n'a pu pénétrer nulle part au delà du 71e degré, et cela dans un seul pointau nord-ouest de l'extrémité de l'Amérique. Les appendices de cette immense glacière du pôle antarc- tique s'étendent même jusqu'au 60e degré en plusieurs lieux , et les énormes glaçons qui s'en détachent voya- gent jusqu'au 5o% et même jusqu'au /|8edegré de lati- tude en certains endroits. On verra que les glaces les plus avancées vers 1 equateur se trouvent vis-à-vis les mers les plus étendues et les terres les plus éloignées du pôle : on en trouve aux 48, 49? 5o, et 5ic degrés, sur une étendue de 10 degrés en longitude à l'ouest, et de 56 de longitude à l'est , et tout l'espace entre le 5oe et le DE LA CARTE GEOGRAPHIQUE. .">')() 60e degré de latitude est rempli de glaces brisées , dont quelques unes forment des îles dune grandeur con- sidérable. On voit que sous ces mêmes longitudes les glaces deviennent encore plus fréquentes et presque continues aux 60 et 61e degrés de latitude, et enfin que tout passage est fermé par la continuité de la glace aux 66 et 67e degrés, où M. Cook a fait une autre pointe, et s'est trouvé forcé de retourner pour ainsi dire sur ses pas; en sorte que la masse conti- nue de cette glace solide et permanente qui couvre le pôle austral et toute la zone adjacente -s étend dans ces parages jusqu'au delà du 66e degré de latitude. On trouve de même des îles et des plaines de gla- ces dès le 49e degré de latitude , à 60 degrés de lon- gitude est1, et en plus grand nombre à 80 et 90 de- grés de longitude sous la latitude de 58 degrés, et encore en plus grand nombre sous le 60 et le 61e de- gré de latitude, dans tout l'espace compris depuis le 90e jusqu'au i45e degré de longitude est. De l'autre côté, c'est-à-dire à 5o degrés environ de longitude ouest, M. Cook a fait la découverte de la terre Sandwich à 59 degrés de latitude, et de l'île Géorgie, sous le 55e, et il a reconnu des glaces au 59e degré de latitude, dans une étendue de 10 ou 12 degrés de longitude ouest, avant d'arriver à la terre Sandwich, qu'on peut regarder comme le Spitz- berg des régions australes, c'est-à-dire comme la terre la plus avancée vers le pôle antarctique : il a trouvé 1. Ces positions données par le capitaine Cook sur le méridien de Londres sont réduites sur la carte à celui de Paris , et doivent s'y rap- porter, par le changement facile de deux degrés et demi en moins du côté de l'est, et en plus du côté de l'ouest. 56o EXPLICATION de pareilles glaces en beaucoup plus grand nombre aux 60 et 61e degrés de latitude, depuis le 29e degré de longitude ouest jusqu'au 5ie; et le capitaine Fur- neaux en a trouvé sous le 65e degré, à 65 et 70 de- grés de longitude ouest. On a aussi marqué les glaces immobiles que Davis a vues sous les 65 et 66e degrés de latitude vis-à-vis du cap Horn, et celles dans lesquelles le capitaine Cook a fait une pointe jusqu'au 71e degré de lati- tude : ces glaces s'étendent depuis le 1 1 oc degré de longitude ouest jusqu'au 120e. Ensuite on voit les glaces flottantes depuis le i3oe degré de longitude ouest jusqu'au 170e sous les latitudes de 60 à 70 de- grés; en sorte que, dans toute l'étendue de la cir- conférence de cette grande zone polaire antarctique , il n'y a qu'environ ^o ou 45 degrés en longitude dont l'espace n'ait pas été reconnu, ce qui ne fait pas la huitième partie de cette immense calotte de glace : tout le reste de ce circuit a été vu et bien reconnu par M. Cook, dont nous ne pourrons jamais louer assez la sagesse, l'intelligence, et le courage; car le succès d'une pareille entreprise suppose toutes ces qualités réunies. On vient d'observer que les glaces les plus avan- cées du côté de l'équateur dans ces régions australes se trouvent sur les mers les plus éloignées des ter- res, comme dans les mers des Grandes-Indes et vis-à- vis le cap de Bonne-Espérance, et qu'au contraire les glaces les moi'ns avancées se trouvent dans le voisi- nage des terres, comme à la pointe de l'Amérique, et des deux côtés de cette pointe, tant dans la mer Atlantique que dans la mer Pacifique. Ainsi la partie DE LA CARTE GEOGRAPHIQUE. 36l la moins froide de cette grande zone antarctique est vis-à-vis l'extrémité de l'Amérique, qui s'étend jus- qu'au 56e degré de latitude, tandis que la partie la plus froide de cette même zone est vis-à-vis de la pointe de l'Afrique, qui ne s'avance qu'au 54° degré, et vers la mer de l'Inde, où il n'y a point de terre : or, s'il en est de môme du côté du pôle arctique, la région la moins froide seroit celle du Spitzberg et du Groenland, dont les terres s'étendent à peu près jus- qu'au 80e degré, et la région la plus froide seroit celle de la partie de mer entre l'Asie et l'Amérique, en supposant que cette région soit en effet une mer. De toutes les reconnoissances faites par M. Cook, on doit inférer que la portion du globe envahie par les glaces depuis le pôle antarctique jusqu'à la cir- conférence de ces régions glacées est, en superficie, au moins cinq ou six fois plus étendue que l'espace envahi par les glaces autour du pôle arctique; ce qui provient de deux causes assez évidentes : la première est le séjour du soleil, plus court de sept jours trois quarts par an dans l'hémisphère austral que dans le boréal ; la seconde et plus puissante cause est la quan- tité de terres infiniment plus grande dans cette portion de l'hémisphère boréal que dans la portion égale et correspondante de l'hémisphère austral ; car les con- tinents de l'Europe , de l'Asie, et de l'Amérique, s'é- tendent jusqu'au 70e degré et au delà vers le pôle arc- tique, tandis que dans les régions australes il n'existe aucune terre depuis le 5oe ou même le 45e degré que celle de la pointe de l'Amérique, qui ne s'étend qu'au 56e avec les îles Falkland, la petite île Géorgie, et celle de Sandwich, qui est moitié terre et moitié 562 EXPLICATION glace ; en sorte que cette grande zone australe étant entièrement maritime et aqueuse, et la boréale pres- que entièrement terrestre, il n'est pas étonnant que le froid soit beaucoup plus grand et que les glaces oc- cupent une bien plus vaste étendue dans ces régions australes que dans les boréales. Et comme ces glaces ne feront qu'augmenter par le refroidissement successif de la terre, il sera doré- navant plus inutile et plus téméraire qu'il ne l'étoit ci-devant de chercher à faire des découvertes au delà du 80e degré vers le pôle boréal , et au delà du 55e vers le pôle austral. La Nouvelle-Zélande, la pointe de la Nouvelle-Hollande, et celles des terres Magel- laniques, doivent être regardées comme les seules et dernières terres habitables danscet hémisphère austral. J'ai fait représenter toutes les îles et plaines de glaces reconnues par les différents navigateurs, et notamment par les capitaines Cook et Furneaux, en suivant les points de longitude et de latitude indiqués dans leurs cartes de navigation. Toutes ces reconnois- sances des mers australes ont été faites dans les mois de novembre, décembre, janvier, et février, c'est-à- dire dans la saison d'été de cet hémisphère austral; car quoique ces glaces ne soient pas toutes perma- nentes, et qu'elles voyagent selon qu'elles sont en- traînées par les courants ou poussées par les vents, il est néanmoins presque certain que comme elles ont été vues dans cette saison d'été elles s'y trouve- roient de même et en bien plus grande quantité dans les autres saisons, et que par conséquent on doit les regarder comme permanentes, quoiqu'elles ne soient pas stationn aires aux même points. DE LA CARTE GEOGK APHIQUE. 565 Au reste, il est indiffèrent qu'il y ait des terres ou non dans cette vaste région australe, puiqu'elle est entièrement couverte de glaces, depuis le 60e degré de latitude jusqu'au pôle ; et l'on peut concevoir aisé- ment que toutes les vapeurs aqueuses qui forment les brumes et les neiges se convertissant en glaces, elles se gèlent et s'accumulent sur la surface de la mer comme sur celle de la terre. Rien ne peut donc s'op- poser à la formation ni même à l'augmentation suc- cessive de ces glacières polaires, et au contraire tout s'oppose à l'idée qu'on avoit ci-devant de pouvoir ar- river à l'un ou à l'autre pôle par une mer ouverte ou par des terres praticables. Toute la partie des côtes du pôle boréal a été ré- duite et figurée d'après les cartes les plus étendues, les plus nouvelles, et les plus estimées. Le nord de l'Asie, depuis la Nouvelle-Zemble et Archangel au cap Szalaginski, la côte des Tschutschis et du Kamts- chatka, ainsi que les îles Aleutes, ont été réduites sur la grande carte de l'empire de Puissie, publiée l'an- née dernière 1777. Les îles aux Renards1 ont été rele- 1. Il est aussi fait mention de ces îles aux Renards dans un voyage fait en 1776 par les Russes, sous la conduite de M. Solowiew : il nomme Unalaschka Tune de ces îles, et dit qu'elle est à dix-huit cents wersts de Kamischatka , et qu'elle est longue d'environ deux cents wersts : la seconde de ces îles s'appelle Umnack; elle est longue d'en- viron cent cinquante wersts : une troisième , Akaten, a environ quatre- vingts wersts de longueur ; enfin une quatrième , qui s'appelle Rad- jack ou Kadjak, est la plus voisine de l'Amérique. Ces quatre îles sont accompagnées de quatre autres îles plus petites : ce voyageur dit aussi qu'elles sont toutes assez peuplées . et il décrit les habitudes naturelles de ces insulaires, qui vivent sous terre la plus grande partie de l'année. On a donné ic nom d'îles aux Renards à ces îles, parce qu'on y trouve beaucoup de renards noirs , bruns , et roux. 564 EXPLICATION vées sur la carte manuscrite de l'expédition du pilote Otcheredin en 1774? qui m'a été envoyée par M. de Domascheneff, président de l'académie de Saint-Pé- tersbourg ; celles à! A nadir * ainsi que la Staclita ni- tada_, grande terre à l'est, où les Tschutschis com- mercent , et* les pointes des côtes de l'Amérique reconnues par Tschirikow et Behring, qui ne sont pas représentées dans la grande carte de l'empire de Russie, le sont ici d'après celle que l'académie de Pé- tersbourg a publiée en 1 775 : mais il faut avouer que la longitude de ces points est encore incertaine, et que cette côte occidentale de l'Amérique est bien peu connue au delà du cap Blanc, qui gît environ sous le 4->e degré de latitude. La position de Kamts- chatka est aujourd'hui bien déterminée dans la carte russe de 1777 : mais celle des terres de l'Amérique vis-à-vis Ramtschatka n'est pas aussi certaine ; cepen- dant on ne peut guère douter que la grande terre désignée sous le nom de Stackta nitadas et les terres découvertes par Behring et Tschirikow, ne soient des portions du continent de l'Amérique. On assure que le roi d'Espagne a envoyé nouvellement quelques personnes pour reconnoître cette côte occidentale de l'Amérique depuis le cap Mendocin jusqu'au 56e degré de latitude : ce projet me paroît bien conçu ; car c'est depuis le 45e au 56e degré qu'il est à présu- mer qu'on trouvera une communication de la mer Pacifique avec la baie d'Hudson. La position et la figure du Spitzberg sont tracées sur notre carte d'après celle du capitaine Phipps ; le Groenland, les baies de Baffin et d'Hudson, et les grands lacs de l'Amérique, le sont d'après les meil- DE LA CARTE GEOGRAPHIQUE. 565 ïeures cartes des différents voyageurs qui ont décou- vert ou fréquenté ces parages. Par cette réunion, on aura sous les yeux les gisements relatifs de toutes les parties des continents polaires et des passages tentés pour tourner par le nord et à Test de l'Asie : on y verra les nouvelles découvertes qui se sont faites dans cette partie de mer, entre l'Asie et l'Amérique jus- qu'au cercle polaire; et l'on remarquera que la terre avancée de Szalaginski s'étendant jusqu'au 70 ou 7/4* degré de latitude, il n'y a nulle apparence qu'on puisse doubler ce cap, et qu'on le tenteroit sans succès soit en venant par la mer Glaciale le long des côtes sep- tentrionales de l'Asie , soit en remontant de Ramts- chatka et tournant autour de la terre des ïschutschis; de sorte qu'il est plus que probable que toute cette région au delà du "7/^ desré est actuellement glacée et inabordable. D'ailleurs tout nous porte à croire que les deux continents de l'Amérique et de l'Asie peuvent être contigus à cette bauteur, puisqu'ils sont voisins aux environs du cercle polaire, n'étant sépa- rés que par des bras de mer, entre les îles qui se trouvent dans cet espace, et dont l'une paroît être d'une très grande étendue. J'observerai encore qu'on ne voit pas sur la nou- velle carte de l'empire de Russie la navigation faite en 1646 par trois vaisseaux russes dont on prétend que l'un est arrivé à Ramtschatka par la mer Glaciale : la route de ce vaisseau est même tracée par des points dans la carte publiée par l'académie de Pétersbourg en 1775. J'ai donné ci-devant les raisons qui me fai- soient regarder comme très suspecte cette navigation; et aujourd'bui ces mêmes raisons me paroissent bien 366 EXPLICATION confirmées, puisque, dans la nouvelle carte russe faite en 1777, on a supprimé la route de ce vaisseau, quoi- que donnée dans la carte de i 775; et quand même, contre toute apparence, ce vaisseau unique auroit fait cette route en 1646, l'augmentation des glaces depuis cent trente- deux ans pourroit bien la rendre impraticable aujourd'hui, puisque, dans le même es- pace de temps, le détroit de Waigats s'est entière- ment glacé, et que la navigation de la mer du nord de l'Asie, à commencer de l'embouchure de l'Oby jusqu'à celle du Koliina, est devenue bien plus diffi- cile qu'elle ne l'étoit alors, au point que les Russes l'ont pour ainsi dire abandonnée, et que ce n'est qu'en partant de Kamtschatka qu'ils ont tenté des découvertes sur les côtes occidentales de l'Amérique : ainsi nous présumons que si l'on a pu passer autre- fois de la mer Glaciale dans celle de Kamtschatka, ce passage doit être aujourd'hui fermé par les glaces. On assure que M. Cook a entrepris un troisième voyage, et que ce passage est l'un des objets de ses recher- ches : nous attendons avec impatience le résultat de ses découvertes, quoique je sois persuadé d'avance qu'il ne reviendra pas en Europe par la mer Glaciale de l'Asie ; mais ce grand homme de mer fera peut- être la découverte du passage au nord-ouest depuis la mer Pacifique à la baie d'Hudson. Nous avons ci-devant exposé les raisons qui sem- blent prouver que les eaux de la baie d'Hudson com- muniquent avec cette mer; les grandes marées venant de l'ouest dans cette baie suffisent pour le démontrer: ii ne s'agit donc que de trouver l'ouverture de cette baie vers l'ouest. Mais on a jusqu'à ce jour vainement DE LA CARTE GÉOGRAPHIQUE. 367 tenté cette découverte , par les obstacles que les gla- ces opposent à la navigation dans le détroit d'Hudson et dans la baie même ; je suis donc persuadé que M. Cook ne la tentera pas de ce côté là , mais qu'il se portera au dessus de la côte de Californie, et qu'il trouvera le passage sur cette côte au delà du 45e de- gré. Dès l'année i5o,2, Juan deFuca_, pilote espagnol, trouva une grande ouverture sur cette côte sous les 47 et 4$e degrés, et y pénétra si loin qu'il crut être arrivé dans la mer du Nord. En 1602, d'Agui- lar trouva cette côte ouverte sous le 43e degré ; mais il ne pénétra pas bien avant dans ce détroit. Enfin on voit, par une relation publiée en anglois, qu'en 1640 l'amiral de Fonte, Espagnol, trouva sous le 54e degré un détroit ou large rivière, et qu'en la remon- tant il arriva à un grand archipel, et ensuite à un lac de cent soixante lieues de longueur sur soixante de largeur, aboutissant à un détroit de deux ou trois lieues de largeur, où la marée portant à Test étoit très violente, et où il rencontra un vaisseau venant de Boston : quoique l'on ait regardé cette relation comme très suspecte, nous ne la rejetterons pas en entier, et nous avons cru devoir présenter ici ces reconnoissances d'après la carte de M. de l'Isle, sans prétendre les garantir ; mais en réunissant la probabi- lité de ces découvertes de de Fonte avec celles de d'A- guilar et de Juan de Fuca, il en résulte que la côte occidentale de l'Amérique septentrionale au dessus du cap Blanc est ouverte par plusieurs détroits ou bras de mer, depuis le 45e degré jusqu'au 54 ou 55e, et que c'est dans cet intervalle où il est presque certain que M. Cook trouvera la communication avec la baie 568 EXPLICATION DE LA CARTE GÉOGRAPHIQUE. d'Hudson ; et cette découverte acheveroit de le com- bler de sloire. Ma présomption à ce sujet est non seulement fon- dée sur les reconnoissances faites par d'Aguilar, Juan de Fuca, et de Fonte, mais encore sur une analogie physique qui ne se dément dans aucune partie du globe : c'est que toutes les grandes côtes des conti- nents sont, pour ainsi dire, hachées et entamées du midi au nord , et qu'ils finissent tous en pointe vers le midi. La côte nord-ouest de l'Amérique présente une de ces hachures, et c'est la mer Vermeille; mais au dessus de la Californie nos cartes ne nous offrent sur une étendue de quatre cents lieues qu'une terre continue sans rivières et sans autres coupures que les trois ouvertures reconnues par d'Aguilar, Fuca, et de Fonte : or cette continuité des côtes, sans anfractuo- sités, ni baies, ni rivières, est contraire à la nature; et cela seul suffit pour démontrer que ces côtes n'ont été tracées qu'au hasard sur toutes nos cartes, sans avoir été reconnues, et que quand elles le seront, on y trouvera plusieurs golfes et bras de mer par les- quels on arrivera à la baie d'Hudson ou dans les mers inférieures qui la précèdent du côté de l'ouest. FIN DU CINQUIEME VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS LE CINQUIEME VOLUME Des Époques de la Nature Page 7 Additions de Buffon sur les époques de la nature. , . . 44 Première époque. Lorsque la terre et les planètes ont pris leur forme 69 Seconde époque. Lorsque la matière, s'étant consolidée, a formé la roche intérieure cfu globe, ainsi que les grandes masses vitrescibles qui sont à sa surface 99 Additions de Buffon sur la seconde époque 119 Troisième époque. Lorsque les eaux ont couvert nos continents. i35 Additions de Buffon sur la troisième époque 168 Quatrième époque. Lorsque les eaux se sont retirées, et que les volcans ont commencé d'agir 191 Cinquième époque. Lorsque les éléphants et les autres animaux du midi ont habité les terres du nord 226 Sixième époque. Lorsque s'est faite la séparation des continents. 25 1 Additions de Buffon sur la sixième époque 282 Septième époque. Lorsque la puissance de l'homme a secondé celle de la nature 5 19 Additions de Buffon sur la septième époque 34(* Explication de la Carte géographique 355 FIN DE LA TABLE. ■r^ TVi& ^^VAMlI! ,^tém.