^-^^ !>-> ^i_^ \^y\WJ^. ^ ^ ^ 5^^ Ça ^ C5 X 1 i OEUVRES C O ISI r I, K T F. s DE BUFFON. TOME XL ANIMAUX. il. PAIU5. -• rAM'Fiï V ERlft i>'a!J. MOESSAHir. i.UjE Dfi FÎWSl EA! HKKG . a" S lUS- OEUVRES COMPLETES DE BUFFON AL GMENTEES PAR M. F. GUVIER, MEMB/tE DE l'iNSTITUT, i Académie des Sciences) DE DEUX VOLUMES OFFRANT LA DESCRIPTION DES MAMMIFÈRES ET DES OISEAUX LES PLUS REMARQUABLES DÉCOUVERTS JUSQU'a CE JOUR, i >I H i G X E R ! n U\ BEAU PORTRAIT DE EUFFOiN, ET DE '2 6 O GK AVOUES E^ TAILLE -nOUCE, EXÉCUTÉES POUR CETTE EDITION PAR LES MEILLEURS ARTISTES. A PARIS, CHEZ F. D. PILLOT, EDITEUR, RUE DE SEI^E-SAI.^T■GERMAI^, N° 49 • SALMON, LIBRAIRE, RUE CHRISTIINE, ^'' 5, PRES CELLE DAUPHIA'E. 85o. VWVWWVVWWWWWVWVWWVA^VWW WWWW -WVl WWWVVWVVVWA XVtVVWVV'WVXA'VV ■< VVlWi^ HISTOIRE DES ANIMAUX. CHAPITRE VI. Expériences au sujet de la génération, ,Je réflécbissois souvent sur les systèmes que je viens* d'exposer, et je me confirmois tous les jours de plus en plus dans l'opinion que ma théorie étoitintiniment plus vraisemblable qu'aucun de ces systèmes. Je commençai dès lors à soupçonner que je pourrois peut-être parvenir à reconnoître les parties organi- ques vivantes, dont je pensois que tous les animaux et les végétaux tiroient leur origine. Mon premier soupçon fut que les animaux spermatiques qu'on voyoit dans la semence de tous les mâles pouvoient bien n'être que ces parties organiques, et voici com- ment je raisonnois. Si tous les animaux et les végé- taux contiennent une infinité de parties organiques vivantes, on doit trouver ces mêmes parties organi- ques dans leur semence, et on doit les y trouver en bien plus grande quantité que dans aucune autre sub- 8 ANIMA i;x. slance, soit onîmale, soit végétale, parce que la se- mence n étant que l'extrait de tout ce qu'il y a déplus analogue à l'individu et de plus organique, elle doit contenir un très «rand nombre de molécules or^a- niques; et les animalcules qu'on voit dans la semence des mâles ne sont peut-être que ces mêmes molécu- les organiques vivantes, ou du moins ils ne sont que la première réunion ou le |;remier assemblage de ces molécules : mais si cela est. la semence de la femelle doit contenir, comme celle du mâle, des molécules organiques vivantes, et à peu près semblables à celles du mâle, et l'on doit par conséquent y trouver, comme dans celle du mâle, des corps en mouvement, des animaux spermatiques; et de même, puisque les par- ties organiques vivantes sont communes aux animaux et aux végétaux, on doit aussi les trouver dans les semences des plantes, dans le nectareum , dans les étamines, qui sont les parties les plus substantielles de la plante, et qui contiennent les molécules orga- niques nécessaires à la reproduction. Je songeai donc sérieusement à examiner au microscope les liqueurs séminales des mâles et des femelles , et les sfermes des plantes, et je fis sur cela un plan d'expériences; je pensai en même temps que le réservoir de la semence des femelles pouvoit bien être la cavité du corps glan- duleux, dans laquelle Yallisnieri et les autres avoient inutilement cherché l'œuf. Après avoir réiléchi sur ces idées pendant plus d'un an, il me parut qu'elles étoient assez fondées pour mériter d'être suivies. En- fin je me déterminai à entreprendre une suite d'obser- vations et d'expérieuces qui demandoient beaucoup de temps. J'avois fait connoissance avec M. Needham, EXPÉRIENCES SLR LA GENERATIOX. 9 forl connu de tons les naturalistes par les excellentes observations microscopiques qu'il a fait imprimer en 1745. Cet habile homme, si recomniandable par son mérite, m'avoit été recommandé par M. Folkes, pré- sident de la Société royale de Londres. M étant lié d'amitié avec lui, je crus que je ne pouvois mieux faire que de lui communiquer mes idées; et comme il avoit un excellent microscope 5 plus commode et meilleur qu'aucun des miens, je le priai de me le prêter pour faire mes expériences. Je lui lus toute la partie de mon ouvrage qu'on vient de voir, et en même temps je lui dis que je croyois avoir trouvé le vrai réservoir de la semence dans les femelles, et que je ne doutois pas que la liqueur contenue dans la cavité du corps glanduleux ne fut la vraie liqueur sé- minale des femelles; que j'étois persuadé qu'on trou- veroit dans cette liqueur, en l'observant au micros- cope, des animaux spermatiques , comme dans la semence des mâles, et que j'étois très fort porté à croire qu'on trouveroit aussi des corps en mouve- ment dans les parties les plus substantielles des végé- taux, comme dans tous les germes des amandes des fruits, dans le nectareum, etc. , et qu'il y avoit grande apparence que ces animaux spermatiques qu'on avoit découverts dans les liqueurs séminales du mâle , n'é- toient que le premier assemblage des parties organi- ques qui dévoient être en bien plus grand nombre dans cette liqueur que dans toutes les autres sub- stances qui composent le corps animal. M. Needham me parut faire cas de ces idées , et il eut la bonté de me prêter son microscope; il voulut même être présent à quelques unes de mes observations. Je lO ANIMAUX. communiquai en î)iôme tenips à MM. Dan])pntoii , Guerieau, et Dalibard, mon système et mou projet d'expériences; et quoique je sois fort exercé à faire des observations et des expériences d'optique, et que je sache bien distinguer ce qu'il y a de réel ou d'apparent dans ce que l'on voit au microscope, je crus que je ne devois pas m'en fier à mes yeux seuls, et j'engageai M. Daubenton à m'aider : je le priai de voir avec moi. Je ne puis trop publier combien je dois à son amitié, d'avoir bien voulu quitter ses occu- pations ordinaires pour suivre avec moi, pendant plu- sieurs mois 5 les expériences dont je vais rendre compte : il m'a fait remarquer un grand nombre de choses qui m'auroient peut-être échappé. Dans des matières aussi délicates, où il est si aisé de se trom- per, on est fort heureux de trouver quelqu'un qui veuille bien non seulement vous juger, mais encore vous aider. M. Needham, M. Dalibard, et M. Gue- neau, ont vu une partie des choses que je vais rappor- ter, et M. Daubenton les a toutes vues aussi bien que moi. Les personnes qui ne sont pas fort habituées à se servir du microscope trouveront bon que je mette ici quelques remarques qui leur seront utiles lorsqu'elles voudront répéter ces expériences ou en faire de nou- velles. On doit préférer les microscopes doubles dans lesquels on regarde les objets du haut en bas, aux microscopes simples et doubles dans lesquels on re- garde l'objet contre le jour et horizontalement. Ces microscopes doubles ont un miroir plan ou concave qui éclaire les objets par dessous. On doit se servir par préféi-ence du miroir concave lorsqu'on observe avec EXPÉRIENCES SUR LA GÉNÉRATION. Il Q la plus forte lentille. Leeuwenhoeck, qui, sans con- tredit, a été le plus grand et le plus infatigable de tous les observateurs au microscope , ne s'est cepen- dant servi, à ce qu'il paroît, que de microscopes sim- ples, avec lesquels il regardoit les objets contre le jour ou contre la lumière d'une chandelle. Si cela est, comme l'estampe qui est à la tête de son livre paroît l'indiquer, il a fallu une assiduité et une patience in^ concevables pour se tromper aussi peu qu'il l'a fait sur la quantité presque infinie de choses qu'il a ob- servées d'une manière si désavantageuse. 11 a légué à la Société de Londres tous ses microscopes : M. Need- ham m'a assuré que le meilleur ne fait pas autant d'efl'et que la plus forte lentille de celui dont je me suis servi, el avec laquelle j'ai fait toutes mes obser- vations. Si cela est , il est nécessaire de faire remar- quer que la plupart des gravures que Leeuwenhoeck a données des objets microscopiques, surtout celles des animaux spermatiques, les représentent beau- coup plus gros et plus longs qu'il ne les a vus réelle- ment, ce qui doit induire en erreur, et que ces pré- tendus animaux de l'homme , du chien , du lapin , du coq, etc. , qu'on trouve gravés dans les Transactions philosophiques^ n° i4i , et dans Leeuwenhoeck, tome I , page 161 , et qui ont ensuite été copiés par Yallisnieri, par M. Baker, etc., paroissent au microscope beau- coup plus petits qu'ils ne le sont dans les gravures qui les représentent. Ce qui rend les microscopes dont nous parlons préférables à ceux avec lesquels on est obhgé de regarder les objets contre le jour, c'est qu'ils sont plus stables que ceux-ci, le mouve- ment de la main avec laquelle on tient le microscope, ] 2 A N I M A U X. c produisant un petit tremblement qui fait que l'objet paroît vacillant, et ne présente jamais qu'un instant la même partie. Outre cela, il y a toujours dans les liqueurs un mouvement causé par l'agitation de l'air extérieur, soit qu'on les observe à l'un ou à l'antre de ces microscopes, à moins qu'on ne tnelte la liqueur entre deux plaques de verre ou de talc très minces; ce qui ne laisse pas de diminuer un peu la transpa- rence, et d'allonger beaucoup le travail manuel de l'observation : mais le microscope qu'on tient hori- zontalement , et dont les porte-objets sont verticaux , a un inconvénient de plus; c'est que les parties les plus pesantes de la liqueur qu'on observe descen- dent au bas de la goutte par leur poids : par consé- quent, il y a trois mouvements, celui du tremble- ment de la main, C(lui de l'agitation du fluide par l'action de l'air, et encore celui des parties de la li- que!U' qui descendent en bas; et il peut résulter une infinité de méprises de la combinaison de ces trois mouvements, dont la plus grande et la plus ordinaire est de croire que de certains petits globules qu'on voit dans ces liqueurs se meuvent par un mouvement qui leur est propre, et par leurs propres forces, tan- dis qu'ils ne font qu'obéir à la force composée de quelques unes des trois causes dont nous venons de parler. Lorsqu'on vient de mettre une goutte de liqueur sur le porte-objet du microscope double dont je me suis servi , quoique ce porte-objet soit posé horizon- talement, et par conséquent dans la situation la plus avantageuse, on ne laisse pas de voir dans la liqueur un mouvement commun qui entraîne du même côté EXPÉRIENCES SUR LA GENERATION. IJ tout ce qu'elle contient : il faut attendre que le fluide soit en équilibre et sans monvement pour observer; car i! arrive souvent que comme ce mouvement du fluide entraîne plusieurs globules, et qu'il forme une espèce de courant dirigé d'un certain côté, il se fait ou d'un côté ou de l'autre de ce courant, et quelque- fois de tous les deux , une espèce de remous qui ren- voie quelques uns de ces globules dans une direction très différente de celle des autres; l'œil de l'observa- teur se fixe alors sur ce globule qu'il voit suivre seul une route différente de celle des autres, et il croit voir un animal, ou du moins un corps qui se meut de soi-même, tandis qu'il ne doit son mouvement qu'à celui du fluide; et comme lesliqueurs sont sujettes à se dessécher et à s'épaissir par la circonférence de la goutte , il faut tâcher de mettre la lentille au dessus du centre de la goutte, et il faut que la goutte soit assez grosse et qu'il y ait une aussi grande quantité de liqueur qu'il se pourra, jusqu'à ce qu'on s'aper- çoive que si on en prenoit davantage il n'y auroit plus assez de transparence pour bien voir ce qui y est. Avant que de compter absolument sur les obser- vations qu'on fait, et même avant que d'en faire, il faut bien connoître son microscope ; il n'y en a au- cun dans les verres desquels il n'y ait quelques ta- ches, quelques bulles, quelques fils, et d'autres dé- fectuosités qu'il fautreconnoître exactement, afin que ces apparences ne se présentent pas comme si c'é- toient des objets réels et inconnus; il faut aussi ap- prendre à connoître l'effet que fait la poussière im- perceptible qui s'attache aux verres du microscope : on s'assurera du produit de ces deux causes en ob-^ l4 ANIMAUX. servant son microscope à vide un grand nond)re de fois. Pour bien observer il faut que le point de vue ou le foyer du microscope ne tombe pas précisément sur la surface de la liqueur, mais un peu au dessous. On ne doit pas compter autant sur ce que Ton voit se passer à la surface que sur ce que Ton voit à l'in- térieur de la liqueur; il y a souvent des bulles à la surface qui ont des mouvements irréguliers qui sont produits par le contact de Tair. On voit beaucoup mieux à la lumière d'une ou de deux bougies basses qu'au plus grand et au plus beau jour, pourvu que cette lumière ne soit point agitée ; et pour éviter cette agitation, il faut mettre une es- pèce de petit paravent sur la table, qui enferme de trois côtés les lumières et le microscope. On voit souvent des corps qui paroissent noirs et opaques devenir transparents, etmème se peindre de différentes couleurs , ou former des anneaux concen- triques et colorés, ou des iris sur leur surface, et d'au- tres corps qu'on a d'abord vus transparents ou colorés devenir noirs et obscurs: ces changements ne sont pas réels, et ces apparences ne dépendent que de l'o- bliquité sous laquelle la lumière tombe sur ces corps, et de la hauteur du plan dans lequel ils se trouvent. Lorsqu'il y a dans une liqueur des corps qui se meuvent avec une grande vitesse , surtout lorsque ces corps sont à la surface, ils forment par leur mouve- ment une espèce de sillon dans la liqueur, qui paroît suivre le corps en mouvement, et qu'on seroit porté à prendre pour une queue : cette apparence m'a trompé quelquefois dans les commencements, et j'ai PI. o Patup-et se EXPÉRIENCES SUR LA GENERATION. 1 O reconnu bien clairement mon erreur, lorsque ces j);'- tits corps venoient à en rencontrer d'autres qui les ar- rètoient ; car a!ors il n'y avoit plus aucune apparence de queue. Ce sont là les petites remarques que j'ai faites, et que j'ai cru devoir communiquer à ceux qui voudront faire usage du microscope sur les liqueurs. PREMIÈRE EXPÉRIENCE. J'ai fait tirer des vésicules séminales d'un homme mort de mort violente, dont le cadavre étoit récent et encore chaud, toute la liqueur qui y étoit conte- nue; et l'ayant fait mettre dans un cristal de montre couvert , j'en ai pris une goutte assez grosse ai^ec un cure-dent, et je l'ai mise sur le porte-objet d'un très bon microscope double, sans y avoir ajouté de l'eau et sans aucun mélange. La première chose qui s'est présentée étoient des vapeurs qui montoient de la li- queur vers la lentille , et qui l'obscurcissoient. Ces va- peurs s'élevoient de la liqueur séminale qui étoit en- core chaude, et il fallut essuyer trois ou quatre fois la lentille avant que de pouvoir rien distinguer. Ces vapeurs étant dissipées, je vis d'abord [planche 1''% fig. 1 ) des filaments assez gros qui, dans de certains endroits, se ramifioient et paroissoient s'étendre en difterentes branches, et dans d'autres endroits ils se pelotonnoient et s'entremêloient. Ces filaments me parurent très clairement agités intérieurement d'un mouvement d'ondulation, et ils paroissoient être des tuyaux creux qui contenoient quelque chose de mou- vant. Je vis très distinctement [fig. 2) deux de ces filaments qui étoient joints suivant leur longueur, se 1 6 ANIMAUX. séparer dans leur milieu et agir l'un à 1 égard de l'au- tre par un mouvement d'ondulation ou de vibration , à peu près comme celui de deux cordes tendues qui seroient attachées et jointes ensemble par les deux extrémités, et qu'on tireroit par leur milieu l'une à gauche et l'autre adroite, et qui feroient des vibra- tions par lesquelles cette partie du milieu se rappro- cheroit et s'éloigneroit alternativement; ces fdaments étoient composés de globules qui se touchoient et ressemi.loient à des chapelets. Je vis ensuite [fig. 5) des filaments qui se boursoufloient et se gonlîoient dans de certains endroits , et je leconnus qu'à côté de ces endroits gonflés il sortoit des globules et de petits ovales^qui avoient [fig. l\) un mouvement distinct d'oscillation, comme celui d'un pendule qui seroit horizontal : ces petits corps étoient en effet attachés au filament par un petit filet qui s'allongeoit peu à peu à mesure que le petit corps se mou voit , et enfin je vis ces petits corps se détacher entièrement du gros filament, et emporter après eux le petit filet par le- quel ils étoient attachés. Comme cette liqueur étoit fort épaisse, et que les filaments étoient trop près les uns des autres pour que je pusse les distinguer aussi clairement que je le désirois, je délayai avec de Feau de pluie pure, et dans laquelle je m'étois assuré qu'il n'y avoit point d'animaux, une autre goutte de la li- queur séminale. Je vis alors [fig. 5) les filaments bien séparés, et je reconnus très distinctement le mouvement des petits corps dont je viens de parler; il se faisoit plus librement; ils paroissoient nager avec plus de vitesse, et traînoient leur filet plus légère- ment; et si je ne les avois pas vus se séparer des fila- E XPERIExNCES SLIl LA GENERATION. I7 ments et en tirer leur filet, j'aurois pris dans cette seconde observation le corps mouvant pour un ani- mal, et le filet pour la queue de l'animal. J'observai donc avec grande attention un des filaments d'où ces petits corps mouvants sortoient; il étoit plus de trois fois plus gros que ces petits corps; j'eus la satisfaction de voir deux de ces petits corps qui se détachoient avec peine, et qui entraînoient cbacun un filet fort délié et fort long qui empechoit leur mouvement , comme je le dirai dans la suite. Cette liqueur séminale étoit d'abord fort épaisse, mais elle prit peu à peu de la fluidité ; en moins d'une heure elle devint assez fluide pour être presque trans- parente. A mesure que cette fluidité augmentoit, les phénomènes changeoient, comme je vais le dire. DEUXIÈME EXPÉRIENCE. Lorsque la liqueur séminale est devenue plus fluide on ne voit plus les filaments dont j'ai parlé; mais les petits corps qui se meuvent paroissent en grand nom- bre {fig. 6) : ils ont, pour la plupart, un mouvement d'oscillation, comme celui d'un pendule; ils tirent après eux un long filet, on voit clairement qu'ils font effort pour s'en débarrasser; leur mouvement de pro- gression en avant est fort lent , ils font des oscillations à droite et à gauche. Le mouvement d'un bateau re- tenu sur une rivière rapide par un câble attaché à un point fixe représente assez bien le mouvement de ces petits corps, à l'exception que les oscillations du ba- teau se font toujours dans le même endroit, au lieu que les petits corps avancent peu à peu au moven de l8 ANIMAUX. ces oscillations; mais ils ne se tiennent pas toujours sur le même plan, ou, pour parler plus clairement, ils n'ont pas, comme un bateau, une base large et plate, qui fait que les mêmes parties sont toujours à peu près dans le môme plan : on les voit au contraire, à chaque oscillation, prendre un mouvement de rou- lis très considérable, en sorte que, outre leur mouve- ment d'oscillation horizontal qui est bien marqué, ils en ont un de balancement vertical , ou de roulis , qui est aussi très sensible; ce qui prouve que ces petits corps sont de figure globuleuse, ou du moins que leur partie inférieure n'a pas une base plate assez éten- due pour les maintenir dans la môme position. TROISIÈME EXPÉRIENCE. Au bout de deux ou trois heures, lorsque la liqueur est encore devenue plus fluide, on voit [fig* 7 ) une plus grande quantité de ces petits corps qui se meu- vent, ils paroissent ôtre plus libres; les filets qu'ils traînent après eux sont devenus plus courts qu'ils ne l'étoient auparavant : aussi leur mouvement progressif commence-t-il à être plus direct, et leur mouvement d'oscillation horizontal est fort diminué; car plus les filets qu'ils traînent sont longs , plus grand est l'angle de leur oscillation, c'est-à-dire qu'ils font d'autant plus de chemin de droite à gauche, et d'autant moins de chemin en avant, que les filets qui les retiennent et qui les empêchent d'avancer sont plus longs; et à me- sure que ces filets diminuent de longueur, le mouve- nienl d'oscillation diminue, et le mouvemeiit progres- sif augmente ; celui du balancement vertical subsiste et E'xPÉRIEiNCES SUR LA GENERATION. 1 C) se reconnoît toujours, tant que celui de progression ne se fait pas avec une grande vitesse : or jusqu'ici , pour l'ordinaire, ce mouvement de progression est encore assez lent, et celui de balancement est fœt sensible. QUATRIÈME EXPERIENCE. Dans l'espace de cinq ou six heures la liqueur ac- ([uiert presque toute la fluidité qu'elle peut avoir sans se décomposer : on voit alors [fig. 8 ) la plupart de ces petits corps mouvants entièrement dégagés du filet qu'ils traînoient; ils sont de figure ovale, et se meu- vent progressivement avec une assez grande vitesse; ils ressemblent alors plus que jamais à des animaux qui ont des mouvements en avant, en arrière, et en tous sens. Ceux qui ont encore des queues, ou plutôt qui traînent encore leur filet, paroissent être beau- coup moins vifs que les autres, et parmi ces derniers qui n'ont plus de filet, il y en a qui paroissent chan- ger de figure et de grandeur : les uns sont ronds, la plupart ovales ; quelques autres ont les deux extrémi- tés plus grosses que le milieu , et on remarque encore à tous un mouvement de balancement et de roulis. CINQUIÈME EXPÉRIENCE. Au bout de douze heures la liqueur avoit déposé au bas, dans le cristal démontre, une espèce de matière gélatineuse blanchâtre , ou plutôt couleur de cendre, qui avoit de la consistance, et la liqueur qui suniageoit étoit presque aussi claire que de l'eau ; seulement elle avoit une teinte bleuâtre, et ressembloit très bien à 'AO AINIMA^JX. de l'eau claire, dans laquelle on auroit mêlé un peu de savon : cependant elle conservoit. toujours de la viscosité, et elle fdoit lorsqu'on en prenoit une goutte et qu'on la vouloit détacher du reste de la liqueur. Les petits corps mouvants sont alors dans une grande activité; ils sont tous débarrassés de leur filet; la plu- part sont ovales, il y en a de ronds; ils se meuvent en tous sens, et plusieurs tournent sur leur centre. J'en ai vu changer de figure sous mes yeux, et d'ova- les devenir globuleux ; j'en ai vu se diviser, se parta- ger, et d'un seul ovale ou d'un globule en former deux ; ils avoient d'autant plus d'activité et de mouvement qu'ils étoient plus petits. SIXIÈME EXPÉllIENCE. Vingt-quatre heures après, la liqueur séminale avoit encore déposé une plus grande quantité de matière gélatineuse : je voulus délayer cette matière avec de l'eau pour l'observer; mais elle ne se mêla pas aisé- ment, et il faut un temps considérable pour qu'elle se ramollisse et se divise dans l'eau. Les petites parties que j'en séparai paroissoient opaques et composées d'une infinité de tuyaux, qui formoient une espèce de lacis où l'on ne remarquoit aucune disposition régu- lière et pas !e moindre mouvement; mais il y en avoit encore dans la liqueur claire : on y voyoit quelques corps en mouvement ; ils étoient à la vérité en moindre quantité. Le lendemain il y en avoit encore quelques uns; mais après cela je ne vis plus dans cette liqueur que des globules, sans aucune apparence de mouve- ment. EXPEP.IEACES SUR LA GENERATION. 2 1 Je puis assurer que chacune de ces observations a été répétée un très grand nombre de fois et suivie avec toute l'exactitude possible, et je suis persuadé que ces filets que ces corps en mouvement traînent après eux ne sont pas une queue ou un membre qui leur appartienne et qui fasse partie de leur individu : car ces queues n'ont aucune proportion avec le reste du corps; elles sont de longueur et de grosseur fort différentes; quoique les corps mouvants soient à peu près de la même grosseur dans le même temps : les unes de ces queues occupent une étendue très consi- dérable dansle champ du microscope, et d'autres sont fort courtes. Le globule est embarrassé dans son mou- vement, d'autant plus que cette queue est plus lon- gue ; quelquefois même il ne peut avancer ni sortir de sa place , et il n'a qu'un mouvement d'oscillation de droite à gauche ou de gauche à droite lorsque cette queue est fort longue : on voit clairement qu'ils parois- sent faire des efforts pour s'en débarrasser. SEPTIÈME EXPÉRIENCE. Ayant pris de la liqueur séminale dans un autre ca- davre humain , récent et encore chaud , elle ne parois- soit d'abord être à l'œil simple qu'une matière muci- lagineuse presque coagulée et très visqueuse; je ne voulus cependant pas y mêler de l'eau; et en ayant mis une goutte assez grosse sur le porte-objet du mi- croscope, elle se liquéGa d'elle-même et sous mes yeux : elle étoit d'abord comme condensée, et elle paroissoit former un tissu assez serré , composé de filaments ( jig. 9 ) d'une longueur et d'une grosseur liUFro-N. XI. 2 2 2 ANIMAUX. considérables, qui paroissoieiit naître de la partie la plus épaisse de la liqueur. Ces filaments se séparoient à mesure que la liqueur devenoit plus fluide , et enfin ils se divisoient en globules qui avoient de l'action et qui paroissoient d'abord n'avoir que très peu de force pour se mettre en mouvement, mais dont les forces sembloient augmenter à mesure qu'ils s'éloignoient dli filament, dont il paroissoit qu'ils faisoient beau- coup d'efforts pour se débarrasser et pour se dégager, et auquel ils étoient attacliés par un filet qu'ils en tiroient, et qui t( noit à leur partie postérieure; ils se formoient ainsi lentement chacun des queues de dif- férentes longueurs, dont quelques unes étoient si minces et si longues, qu'elles n'avoient aucune pro- portion avec le corps de ces globules : ils étoient tous d'autant plus embarrassés, que ces filets ou ces queues étoient plus longues ; l'angle de leur mouvement d'os- cillation de gauche à droite et de droite à gauche étoit aussi toujours d'autant plus grand que la longueur de ces filets étoit aussi plus grande ; et leur mouvement de progression d'autant plus sensible que ces espèces de queues étoient plus courtes. HUITIÈME EXPÉRIENCE. Ayant suivi ces observations pendant quatorze heu- res, presque sans interruption, je reconnus que ces filets ou ces espèces de queues alloient toujours en diminuant de longueur, et devenoient si minces et si déliées, qu'elles cessoient d'être visibles à leurs extré- mités successivement, en sorte que ces queues dimi- nuanl peu à peu parleurs extrémités, disparoissoient EXPÉniENCES SUR LA G É N É R AT I O N. .*>.) enfin entièrement : c'étoit alors que les globules ces- soient a])soIument d'avoir un mouvement d'oscillation horizontal, et que leur mouvement progressif éloit direct , quoiqu'ils eussent toujours un mouvement de balancement vertical , comme le roulis d'un vaisseau ; cependant ils se mouvoient progressivement, à peu près en ligne droite , et il n'y en avoit aucun qui eût une queue : ils étoient alors ovales, transparents, et tout-à-fait seniblables aux prétendus animaux qu'on voit dans l'eau d'huître au six ou septième jour, et en- core plus à ceux qu'on voit dans la gelée de veau rôti au bout du quatrième jour, comme nous le dirons dans la suite en parlant des expériences que M. Need- ham a bien voulu faire en conséquence de mon sys- tème, et qu'il a poussées aussi loin que je pouvois l'at- tendre de la sagacité de son esprit et de son habileté dans l'art d'observer au microscope. ^'EUVIÈME EXPÉRIENCE. Entre la dixième et onzième heure de ces observa- tions, la liqueur étant alors fort fluide, tous ces glo- bules me paroissoient ( fig. lo ) venir du même côté et en foule; ils traversoient le champ du microscope en moins de quatre secondes de temps; ils étoient ran- gés les uns contre lesautres; ils marchoient sur une ligne de sept ou huit de front, et se succédoient sans interrup- tion , comme des troupes qui défilent. J'observai ce spectacle singulier pendant plus de cinq minutes; el comme ce courant d'animaux ne finissoit point, j'eîi voulus chercher la source, et ayant remué légère- ment mon microscope, je reconnus que tous ces glo- !^4 ANIMAUX. billes mouvatils sortoicnt d'une espèce de mucilage {fig.- 1 1 ) ou de lacis de (ilaments qui les produisoient contiuuelleiiienl sans itïlerruplion , et beaucoup plus abondaniment el plus vile que ne les avoient produits les filaments dix heures auparavant. Il y avoit encore une difTérence remarquable entre ces espèces de corps mouvants produits dans la liqueur épaisse et ceux-ci qui étoient produits dans la même liqueur, mais de- venue fluide; c'est que ces derniers ne tiroient point de filets après eux, qu'ils n'avoient point de queue, que leur mouvement étoit plus prompt, et qu'ils al- loienten troupeau commedes moutons qui se suivent. J'observai long -temps le mucilage d'où ils sortoient et où ils prenoient naissance, et je le vis diminuer sous mes yeux et se convertir successivement en glo- bules mouvants, jusqu'à diminution de plus de moi- tié de son volume; après quoi la liqueur s'étant trop desséchée, ce mucilage devint obscur dans son mi- lieu, et tous les environs étoient marqués et divisés par de petits filets qui formoient ( fig. i 2 ) des inter- valles carrés à peu près comme un parquet, et ces petits filets paroissoient être formés des corps ou des cadavres de ces globules mouvants qui s'étoient réunis par le dessèchement, non pas en une seule masse, mais en filets longs, disposés régulièrement, dont les intervalles étoient quadrangulaires: ces filets faisoient un réseau assez semblable à une toile d'araignée sur laquelle la rosée se seroit attachée en une infinité ^ ceho. His animaîculis minora adhuc animalcula, » quibiis non nisi globidi figuram attribuere possiim, » perniisla eranl. » Memini me ante très aiit quatuor annos, rogatu » domini Oldenburg B. M. , semen virile observasse, » et prœdicata animaliapro globulishabuisse ; sedquia » fastidiebam ab uîteriori inquisitione, et magis qui- » dem a descriptione , tune temporis eam omisi. Jam » quoad partes ipsas ex quibus crassam seminis mate- « riam , quoad majore m sui partem , consistere stepius » cuni admiratioiic observavi , ea sunt tam varia ac » muita vasa, imo in tanta multitudine bgec vasa vidi, « ulcredam me in iinica seminis gutta plura obser- )) vasse quam anatomico per integruni diem subjec- » tum aliquod secanli occurrunfc. Quibus visis , firini- » ter credebam nulla in corpore bumano jam formato » esse vasa, qnoe in semine virili bene constitue non » reperiantur. Cum materiabîecpermonienta quœdam » aeri fuisset cxposita, pra^clicta vasorum multitude in » aquosam magnis oleaginosis gîobulis permistam raa- » teriam mutabatur, etc. « Le secrétaire de la Société royale répondit à celte lettre de i\I. Leeuwenboeck qu'il seroit bon de faire des observations semblables svu' la semence des ani- maux, comme sur celle des cbiens, des chevaux, et. d'autres, non seulement pour mieux juger de la pre- mière découverte , mais aussi pour reconnoître les différences qui pourroient se trouver, tant dans le nombre que dans la figure de ces animalcules; et, par rapport aux vaisseaux de la partie la plus épaisse de la liqueur séminale , il lui marquoit qu'on doutoit beaucoup de ce qu'il en avoit dit , que ce n'étoit peut- être que des fdaments : « Quœ tihi videbatur vasoruni » congeries, fortassis seminis sunt quaedani filamerita, » haud organice constructa, sed, dum permearunl » vasa generationi inservientia , in istius modi iiguram » elongata; non dissimili modo ac saepius notatus sum » salivam crassiorem ex glandularum faucium fora- » minibus editam , quasi e convolutis fibrillis constan- « te m '^. » Leeuwenhoeck répondit le 18 mars 1678, en ces termes : «Si, quando canes coeunt, marem a femina » statim seponas, materia quaedam tenuis et aquosa » (lympha scilicet spermatica) e pêne solet paulatiai » exstillare; hanc materiam numerosissimis animal- » culis repletam aliquoties vidi, eorum magnitudine » qu^e in semine virili conspiciiintnr , quibus parti- » cuî^e gîobulares aliquot quinquagies majores per- » miscebantur. » Quod ad vasorum in crassiori seminis virilis por- » tione spectabiiiiim observationem attinet , denuo » non semel iteratam, saltem mihimetipsi compro- » basse videor; meque omnino persuasum habeo, cu- » niculi, canis, felis, arterias venasve fuisse a peritis- » simo anatomico haud unquam magis perspicue » observatas, quam mibi vasa in semine virili, ope » perspicilli, in conspectuni venere. » Cum mihi prœdicta vasa primum innotuere , sta- )) tim etiam pituitam, tum et salivam perspicillo appli- » cavi; verum hic minijne existentia animalia frustra » qu^esivi. 1. ^ oyez la réponse du secrétaiie de la Société à la leUre de Leeii- nvcuhocck, dans les Transactions plidosoplnques , ii" 1/41, pageio43. 74 ANIMAUX. » A curiiculorum coi tu lympha3 spermalicae guttu- » lam unam etalteram , e femelia extillantem , examini » subjeci, ubianimaliapraedictorumsimilia , sed longe » pauciora, comparuere. Gîobuli item qnam pliirimi , » plerique magnitudine animalium iisdem permisti » sunt. » Horuui animalium aliquot etiam delineationes » transmisi. Figura 4 [planclie 5) exprimit eorum aîi- » quot vivum (in semine cunicuJi arbitror) eaque » forma qua videbatur, dum aspicientem me versus » tendit. ABC, capitulum cum trunco indicant ; C D, » ejusdem caudam, quam pariter ut suam anguilla » inter natandum vibrât. Horum millena millia, quan- » tum conjectare est, arenuîse majoris molem vix su- » perant. [Planclie 3, figures 5, 6, et 7J, sunt ejus- » dem generis animalia, sed jam emortua. » [Planclie 5, figure 8) delineatur vivum animal- » culum, quemadmodum in semine canino sese ali- » quoties mihi attentius intuenti exhibuit. E F G, ca- » put cum trunco indigitant; G H, ejusdem caudam. » [Planche 3, figures 9, 10, 11) alia sunt in semine » canino quae motu et vita privantur, qualium etiam » vivorum numerum adeo ingenlem vidi , ut Judica- » rem portionem lympliae spermaticae arenulae medio- » cri respondentem, eorum ut minimum decena mil- » lia continere. » Par une autre lettre écrite à la Société royale le 3i mai 1678, Leeuwenhoeck ajoute ce qui suit : « Se- » minis canini tantiîium microscopio applicalum ite- » rum contemplatus sum , in eoqiie antea descripta » animalia numerosissima conspexi. Aquapluvialis pari » quantilate adjecta, iisdem contestim mortem accer- OBSERVATIONS DE M. LEE U WENHOECK. 76 » sit. Ejusdem seminis canini portiuncula in vitreo » tnbiilo uncise partem duodeciDialem crasso servata, » sex et trigintahorarum spatio contenta animaliavita » destituta pleraquo, reîiqiia moribunda videbantur. » Qiio de vasorum in semine genitali existentia ma- » gisconstaret, delineationem eorum aliqualemmitto, » ut in figura AB C D E [planche 3, figure 12), quibus » litteiis circumscriptum spatium arenulam medio- » crem vix superat. » J'ai cru devoir rapporter tout au long ce que Leeu- wenhoeck écrivit d'abord dans les premiers temps de la découverte des animaux spermatiques; je l'ai copié dans les Transactions plillosopliiqaes^ parce que dans le recueil entier des ouvrages de Leeuwenkoeck en quatre volumes in-quarto il se trouve quelque diffé- rence que je ferai remarquer, et que, dans des ma- tières de cette espèce, les premières observations que l'on a faites sans aucune vue de système sont toujours celles qui sont décrites le plus fidèlement, et sur lesquelles par conséquent on doit le plus compter. On verra qu'aussitôt que cet habile observateur se fut formé un système au sujet des animaux spermatiques il commença à varier, même dans les choses essen- tielles. Il est aisé de voir, par les dates que nous venons de citer, que Hartsoeker n'est pas le premier qui ait publié la découverte des animaux spermatiques ; il n'est pas sûr qu'il soit en effet le premier auteur de cette découverte, comme plusieurs écrivains l'ont as- suré. On trouve dans le Journal des Savants du i5 août 1678, page 33 1, l'extrait d'une letlredeM. Huy- gens au sujet d'une nouvelle espèce de microscope fait 76 ANIMAUX. d'une seule petite boule de verre, avec lequel il dit avoir vu des animaux dans l'eau où on avoit fait trem- per du poivre pendant deux ou trois jours , comme Leeuwenhoeck Tavoit observé auparavant avec de sem- blables microscopes, mais dont les boules ou lentilles n'étoient pas si petites. Huygens ajoute que ce qu'il a observé de particulier dans cette eau de poivre est que toute sorte de poivre ne donne pas une même espèce d'animaux, ceux de certains poivres étant beaucoup plus gros que ceux des autres , soit que cela vienne de la vieillesse du poivre ou de quelque autre cause qu'on pourra découvrir avec le temps. Il y a encore d'autres graines qui engendrent de semblables animaux, corn me la coriandre. J'ai vu, continue-t-il^ la même chose dans la sève de bouleau après l'avoir gardée cinq ou six jours. Il y en a qui en ont observé dans l'eau où l'on a fait tremper des noix muscades et de la cannelle , et apparemment on en découvrira en bien d'autres ma- tières. On pourroit dire que ces animaux s'engendrent par quelque corruption ou fermentation : mais il y en a, ajoute~t-il, d'une autre sorte qui doivent avoir un autre principe , comme sont ceux qu'on découvre avec ce microscope dans la semence des animaux, lesquels semblent être nés avec elle , et qui sont en si grande quantité qu'il semble qu'elle en est presque toute composée ; ils sont tous d'une matière transpa- rente ; ils ont un mouvement fort vite, et leur figure est semblable à celle qu'ont les grenouilles avant que leurs pieds soient formés. Cette dernière découverte, qui a été faite en Hollande pour la première fois, me paroît fort importante, etc. M. Huygens ne nomme pas, comme l'on voit, dans OBSERVATIONS DM M. LE E UV/E N II OE G K. 77 cette lettre, l'auteur de la découverte; et il ny est question ni de Leeuwenhoeck ni de Hartsoeker par rapport à cette découverte : mais on trouve dans le journal du 29 août de la même année l'extrait d'une lettre de M. Hartsoeker, dans laquelle il donne la ma- nière d'arrondir à la lampe ces petites boules de verre, et l'auteur du journal dit : « De cette manière, outre les observations dont nous avons déjà parlé, il a découvert encore nouvellement que dans l'urine qu'on garde quelques jours il s'y engendre de petits animaux qui sont encore beaucoup plus petits que ceux qu'on voit dans l'eau de poivre, et qui ont la figure de petites anguilles. Il en a trouvé dans la se- mence du coq , qui ont paru à peu près de cette même figure, qui est fort différente, comme l'on voit, de celle qu'ont ces petits animaux dans la se- mence des autres, qui ressemblent, comme nous l'avons remarqué , à des grenouilles naissantes. » Voilà tout ce qu'on trouve dans le Journal des Sa- vants au sujet de cette découverte ; l'auteur paroît l'attribuer à Hartsoeker : mais si l'on fait réflexion sur la manière incertaine dont elle y est présentée , sur la manière assurée et détaillée dont Leeuwen- hoeck la donne dans sa lettre écrite et publiée près d'un an auparavant, on ne pourra pas douter qu'il ne soit en effet le premier qui ait fait cette observation ; il la revendique aussi, comme un bien qui lui appar- tient, dans une lettre qu'il écrivit à l'occasion des Essais de dioptrique de Hartsoeker , qui parurent vingt ans après. Ce dernier s'attribue, dans ce livre, la première découverte de ces animaux. Leeuwen- hoeck s'en plaint hautement, et il fait entendre que 78 ANIMAUX. Hartsoeker a voulu lui enlever la gloire de cette dé- couverte, dont il avoit fait part en 1677, non seule- ment à milord Brouncker et à la Société royale de Londres, mais même à M. Constantin Huygens, père du fameux Huygens que nous venons de citer. Ce- pendant Hartsoeker soutint toujours qu'il avoit fait cette découverte en 1 674 , à l'âge de dix-huit ans : il dit qu'il n'avoit pas osé la communiquer d'abord, mais qu'en 1676 il en fit part à son maître de mathémati- ques et à un autre ami; de sorte que la contestation n'a jamais été bien décidée. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas ôter à Leeiiwenhoeck la première inven- tion de cette espèce de microscope , dont les lentil- les sont des boules de verre faites à la lampe ; on ne peut pas nier que Hartsoeker n'eut appris cette ma- nière de faire des nrcroscop^s de Leeuwenhoeck même, chez lequel il alla pour le voir observer; enfin il paroît que si Leeuwenhoeck n'a pas été le premier qui ait fait cette découverte, il est celui qui l'a suivie le plus loin et qui l'a le plus accréditée. Mais reve- nons à ses observations. Je remarquerai, i'' que ce qu'il dit du nombre et du mouvement de ces prétendus animalcule- est vrai, mais que la figure de leur corps , ou de cette partie qu'il regarde comme la tête et le tronc du corps, n'est pas toujours telle qu'il la décrit : quelquefois cette partie qui précède la queue est toute ronde ou glo- buleuse , d'autres fois elle est allongée, souvent elle paroît aplatie , quelquefois elle paroît plus large que longue , etc. ; et à l'égard de la queue , elle est aussi très souvent beaucoup plus grosse ou plus petite qu'il ne le dit : le mouvement de flexion ou de vibration OBSERVATIONS DE M. LEE U WENII OECK. '^Ç) ( motus serpentlnus ) qu'il donne à cette queue, et au moyen duquel il prétend que l'animalcule nage et avance progressivement dans ce fluide, ne m'a jamais paru tel qu'il le décrit. J'ai vu plusieurs de ces corps mouvants faire huit ou dix oscillations de droite à gauche, ou de gauche à droite, avant que d'avancer en eÛet de l'épaisseur d'un cheveu; et même je leur en ai vu faire un beaucoup plus grand nombre sans avancer du tout, parce que cette queue , au lieu de les aider à na^-er, est au contraire un filet en^ajïé dans les filaments ou dans le mucilage, ou même dans la matière épaisse de la liqueur : ce filet retient le corps mouvant, comme un fil accroché à un clou retient la balle d'un pendule ; et il m'a paru que quand cette queue ou ce filet auroit quelque mou- vement, ce n'étoit que comme un fil qui se plie ou se courbe un peu à la fin d'une oscillation. J'ai vu ces filets ou ces queues tenir aux filaments que Leeu- wenhoeck appelle des vaisseaux ( vasa ) ; je les ai vus s'en séparer après plusieurs efforts réitérés du corps en mouvement; je les ai vus s'allonger d'abord, en- suite diminuer, et enfin disparoître totalement : ainsi je crois être fondé à regarder ces queues comme des parties accidentelles, comme une espèce d'enve- loppe au corps mouvant, et non pas comme une par- tie essentielle, une espj ce de membre du corps de ces prétendus animaux. Mais ce qu'il y a de plus re- marquable ici, c'est que Leeuwenhoeck dit précisé- ment dans celte lettre à milord Brouncker , qu'outre ces animaux qui avoient des queues, il y avoit aussi dans cette liqueur des animaux plus petits qui n'a- voient pas d'autre figure que celle d'un globule : 8o ANIMAUX. v( His aniinalculis ( caiidatis scilicet ) minora adliuc » animalcula , quibus non nisi globuli iigura.m attri- j) buere possiun, permista erant. » C'est la vérité : cependant, après que Leeuwenhoeck eut avancé que ces animaux étoient le seul principe efficient de la génération , et qu'ils dévoient se transformer en hommes, après qu'il eut fait son système, il n'a re- gardé comme des animaux que ceux qui avoient des queues ; et comme il ne convenoit pas à ses vues que des animaux qui doivent se métamorphoser en hommes n'eussent pas une forme constante et une imité d'espèce, il ne fait plus mention , dans la suite, de ces globules mouvants, de ces plus petits animaux qui n'ont point de queues; et j'ai été fort surpris lors- que j'ai comparé la copie de cette même lettre qu'il a publiée plus de vingt ans après, et qui est dans son troisième volume, page 58 ; car, au lieu des mots que nous venons de citer, on trouve ceux-ci, page 62 : « Animalculis hisce permistae jacebant ahae minutio- » res particulse, quibus non aliam quam globulorum » seuspbaericam iiguram assignare queo;» ce qui est, comme l'on voit, fort différent. Une particule de ma- tière à laquelle il n'attribue pas de mouvement est fort différente d'un animalcule; et il est étonnant que Leeuwenhoeck, en se copiant lui-même, ait changé cet article essentiel. Ce qu'il ajoute immé- diatement après mérite aussi attention. Il dit qu'il s'est souvenu qu'à la prière de M. Oldenburg il avoit observé cette liqueur trois ou quatre ans auparavant , et qu'alors il avoit pris ces animalcules pour des glo- bules : c'est qu'en effet il y a des temps où ces pré- tendus animalcules ne sont que des globules, des OBSERVATIONS DE M. LEE L WENII OECK. S\ temps où ce ne sont que des globules sans presque aucun mouvement sensible , d'autres temps où ce sont des globules en grand mouvement , des temps où ils ont des queues, d'autres où ils n'en ont point. 11 dit, en parlant en général des animaux spermati- ques ( t. III, p. 071 ) : « Ex hisce meis observationi- » bus cogitare cœpi, quamvis antehac, de animalculis » in seminibus masculinis agens, scripserim me in il- » lis caudas non detexisse , fieri tamen posse ut illa » animalcula seque candis fuerint instructa ac nunc » comperi de animalculis in gallorum gallinaceoruni « semine masculiiio. » Autre preuve qu'il a vu souvent les prétendus animaux spermatiques de toute espèce sans queues. On doit remarquer, en second lieu, que les fda- ments dont nous avons parlé, et que l'on voit dans la liqueur séminale avant qu'elle soit liquéfiée , avoient été reconnus par Leeuwenhoeck, et que dans le temps de ses premières observations, lorsqu'il n'a- voit point encore fait d'bypothèses sur les animaux spermatiques, ces filaments lui parurent des veines , des nerfs, et des artères ; qu'il croyoit fermement que toutes ces parties et tous les vaisseaux du corps bumain se voyoient dans la liqueur séminale aussi clairement qu'un anatomiste les voit en faisant la dis- section d'un corps , et qu'il persistoit dans ce senti- ment, malgré les représentations qu'Oldenburg lui faisoit à ce sujet de la part de la Société royale : mais dès qu'il eut songé à transformer en hommes ces pré- tendus animaux spermatiques, il ne parla plus des vaisseaux qu'il avoit observés; et au lieu de les re- i^arder comme les nerfs, les artères, et les veines du S'I ANIMAUX. corps humain, déjà tout formés clans la semence , il ne leur attribue pas même la fonction qu'ils ont réel- lement, qui est de produire ces corps mouvants, et il dit (tom. 1 , pag. 7 ) : « Quid fiet de omnibus illis par- » ticulisseu corpusculis proeter illa animalcula semini » virili hominum inhaerentibus? Olim et priusquam » haec scriberem, in ea sententia fui praedictas strias » vel vasa ex testiculis principium secum ducere, etc.» Et dans un autre il dit que s'il a écrit autrefois quel- que chose au sujet de ces vaisseaux qu'on trouve dans la semence, il ne faut y faire aucune attention ; en sorte que ces vaisseaux, qu'il regardoit dans le temps de sa découverte comme les nerfs, les veines , et les artères du corps qui dcvoit être formé , ne lui paru- rent dans la sulîe que des fdaraents inutiies et aux- quels il n'attribue aucun usage, auxquels même il ne veut pas qu'on fasse attention. Nous observerons , en troisième lieu , que si l'on compare les figures 4? 5, 6, 7, 8, 9, 10, et 1 1 (plan- che 3 ), que nous avons fait ici représenter comme elles le sont dans \e?> Transaction s pliilosopklcfues, avec celles que Leeuwenboeck fit graver plusieurs années après, on y trouve une différence aussi grande qu'elle peut l'être dans des corps aussi peu organisés, sur- tout les figures i5, i4j et i5, des animaux morts du lapin. Il en est de même de ceux du chien; je lésai fait représenter, afin qu'on puisse en juger aisément. De tout cela nous pouvons conclure que Leeuwen- boeck n'a pas toujours vu les mêmes choses; que les corps mouvants qu'il regardoit comme des animaux lui ont paru sous des formes différentes, et qu'il n'a varié dans ce qu'il en dit que dans la vue d'en faire OBSERVATIONS DE M. LEE L WENII OEC K. 83 des espèces constantes d'hommes ou d'animaux. Non seulement il a varié dans le fond de l'observation, mais même sur la manière de la faire; car il dit ex- pressément que toutes les fois qu'il a voulu bien voir les animaux spermatiques, il a toujours délayé cette liqueur avec de l'eau , afin de séparer et diviser da- vantage la liqueur, et de donner plus de mouvement à ces animalcules : et cependant il dit, dans sa pre- mière lettre à milord Brouncker, qu'ayant mêlé de l'eau de pluie en quantité égale avec de la liqueur sé- minale d'un chien, dans laquelle, lorsqu ilTexaminoit sans mélange, il venoit de voir une infinité d'animal- cules vivants, cette eau qu'il mêla leur causa la mort. Ainsi les premières observations de Leeuwenhoeck ont été faites, comme Ibs miennes, sans mélange, et il paroît qu'il ne s'est avisé de mêler l'eau avec la liqueur que long-temps après , puisqu'il croyoit avoir reconnu, par le premier essai qu'il en avoit fait, que cette eau faisoit périr les animalcules; ce qui cepen- dant n'est point vrai : je crois seulement que le mé- lange de l'eau dissout les filaments trèspromptement; car je n'ai vu que fort peu de ces filaments dans toutes les observations que j'ai faites lorsque j'avois mêlé de l'eau avec la liqueur. Lorsque Leeuwenhoeck se fut une fois persuadé que les animaux spermatiques se transformoient en hommes ou en animaux, il crut remarquer dans les liqueurs séminales de chaque espèce d'animal deux sortes d'animaux spermatiques, les uns mâles et les autres femelles, et cette différence de sexe servoit, selon lui, non seulement à la génération de ces ani- maux entre eux, mais aussi à la production des mâles 84 ANIMAUX. et des femelles qui doivent venir au monde ; ce qu'il étoit assez difficile de concevoir par la simple trans- formation , si ces animaux spermatiques n'avoîent pas eu auparavant différents sexes. Il parle de ces animalcules maies et femelles dans sa lettre imprimée dans les Transactions philosop/iic/ues^ n" i45, et dans plusieurs autres endroits^; mais nulle part il ne donne la description ou les différences de ces animaux mâles et femelles, lesquels n'ont en effet jamais existé que dans son imagination. Le fameux Boerliaave ayant demandé à Leeuwen- hoeck s'il n'avoit pas observé dans les animaux sper- matiques différents degrés d'accroissement et de grandeur, Leeuwen hoeck lui répond qu'ayant fait disséquer un lapin , il a pris la liqueur qui étoit dans les épididymes, et qu'il a vu et fait voir à deux autres personnes une infinité d'animaux vivants. « Incredi- » bilem , dit-il ^ viventium animalculorum numeruni » conspexerunt, cum hgec animalcula scyplio imposita » vitreo et illac emortua, in rariores ordines disparas- )) sem , et per continuos aliquot dies saepius visu exa- )) minassem, quaedam ad justam magnitudinem non- )i dum excrevisseadverti. Ad haec, quasdam observavi » particulas perexiles et oblongas, alias aliis majores, » et quantum oculis apparcbat, cauda destitutas; quas » quidem particulas non nisi animalcula esse credidi , » quae ad justam magnitudinem non excre vissent. » Voilà donc des animaux de plusieurs grandeurs diffé- rentes; voilà des animaux avec des queues, et des ani- maux sans queues; ce qui s'accorde beaucoup mieux 1. Voyez tome I, page i65 , et lome ÎII, page ici du recueil de ses oavi-agrs. OBSERVATIONS DE M. LEE U WE N H CE C k. 85 avec nos observations qu'avec le propre système de Leeuwenhoeck. Nous différons seulement sur cet ar- ticle, en ce qu'il dit que ces particules oblongues et sans queues étoient de jeunes animalcules qui n'a- voient pas encore pris leur juste accroissement, et qu'au contraire j'ai vu ces prétendus animaux naître avec des queues ou des filets, et ensuite les perdre peu à peu. Dans la même lettre à Boherhaave, il dit ( tome IV, page 28) qu'ayant fait apporter chez lui les testicules encore chauds d'un bélier qui venoit d'être tué , il vit dans la liqueur qu'il en tira les animalcules aller en troupeau comme vont les moutons. « A tribus circiter » annis testes arietis, adhuc calentes, ad aîdes meas » deferri curaveram ; cum igitur materiam ex epidi- » dymibus eductam , ope microscopii contemplarer , )) non sine ingeuti voluptate advertebam animal- )) cula omnia, quotquot innatabant semini masculino, » eumdem natando cursum tenere , ita nimirum ut » quo itinere priora praenatarent, eodem posteriora » subsequerentur, adeo ut hisce animalculis quasi sit » ingenitum quod oves factitare videmus, scilicet ut .) praecedentium vestigiis grex univefsus incedat. » Cette observation que Leeuwenhoeck a faite en i - 1 5, car sa lettre est de 1716, qu'il regarde comme'une chose singulière et nouvelle, me prouve qu'il n'avoit jamais examiné les liqueurs séminales des animaux avec attention et assez long-temps de suite pour nous donner des résultats bien exacts. Leeuwenhoeck avoit soixante-onze ans en 1713; il y avoit plus de quarante-cinq ans qu'il observoit au microscope; il y en avoit trente-six qu'il avoit publié la découverte des BliFFOA. XI. . g SÔ ANIMAL X. animaux spermatiques, et cependant il voyoit pour ia première fois dans la liqueur séminale du bélier ce qu'on voit dans toutes les liqueurs séminales, et ce que j'ai vu plusieurs fois et que j'ai rapporté dans le sixième chapitre , article IX , de la semence de l'homme; article XII, de celle du chien, et article XXIX, au sujet de la semence de la chienne. Il n'est pas nécessaire de recourir au naturel des moutons , et de transporter leur instinct aux animaux spermati- ques du bélier, pour expliquer le mouvement de ces animalcules qui vont en troupeau , puisque ceux de l'homme , ceux du chien, et ceux de la chienne vont de même, et que ce mouvement dépend uniquement de quelques circonstances particulières, dont la prin- cipale est que toute la matière fluide de la semence soit d'un côté, tandis que la partie épaisse est de l'autre ; car alors tous les corps en mouvement se dé";aoent du mucilage du môme côté, et suivent la même route dans la partie la plus fluide de la li- queur. Daiis une autre lettre écrite la même annéeàBoer- haave ^, il rapporte d'autres observations qu'il a faites sur les béliers , et il dit qu'il a vu, dans la liqueur prise dans les vaisseaux déférents, des troupeaux d'a- nimalcules qui alloient tous d'un côté, et d'autres troupeaux qui revenoient d'un autre côté et en sens contraire ; que dans celle des épididymes il avoit vu une prodigieuse quantité de ces animaux vivants ; qu'ajant coupé les testicules en deux , il n'avoit point trouvé d'animaux dans la liqueur qui en suintoit ; 1. Voyez lome IV, pages 4o5 el suiv. OBSERVATIONS DE M. LEEL WENHOECK. 8^ mais que ceux des épididymes etoient en si grand nombre, et tellement amoncelés, qu'il avoit peine à en distinguer le corps et la queue ; et il ajoute : « iNeque illud in unica epididymuni parle, sed et in » aliis qnas prseciderani partihus, observavi. Ad haec , » in quadain parastatarum resecta portione complura » vidi animalcula quae necdum in jostam magnitudi- » neni adoleverant, nam et corpuscula illis exiliora et ■n caudaî tripîo breviores erant quam adaltis. Ad haec, » caudas non Iiabebant desinentesiii mucronem, qua- » les tamen adultis esse passim comperio. Praeterea in » quamdam parastatarum portioneni incidi , animal- )) culis, quantum discernere potoi, destitutam ; tan- » tum illi quaedam perexiguseinerantparticulaepartim » iongiores, partim breviores, sed altéra sui extre- » mitate crassiuncuiae; istas particulas in animalcula » transi turas esse non dubitabam. » Il est aisé de voir, par ce passage, que Leeuwenhoeck a vu en eflet dans cette liqueur séminale ce que j'ai vu dans toutes, c'est-à-dire des corps mouvants de différentes gros- seurs , de figures différentes, dont les mouvements étoient aussi différents , et d'en conclure que tout cela convient beaucoup mieux à des particules orga- niques en mouvement qu'à des animaux. Il paroît donc que les observations de Leeuwen- hoeck ne sont nullement contraires aux miennes; et quoiqu'il en ait tiré des conséquences très différentes de celles que j'ai cru devoir tirer des miennes, il n'y a que peu d'opposition dans les faits , et je suis per- suadé que, si des personnes attentives se donnent la peine de faire de pareilles observations , elles n'au- ront pas de peine à reconnoître d'où proviennent S8 ANIMAUX. ces difl'éreiiccs , et qu'elles verront en îiieme temps que je n'ai rien avancé qui ne soit entièrement con- forme à la vérit('. Pour les mettre plus en état de dé- cider, j'ajouterai quelques remarques que j'ai faites, et qui pourront leur être utiles. On ne voit pas toujours dans la liqueur séminale de l'homme les filaments dont j'ai parlé ; il faut pour cela l'examiner dans le moment qu'elle vient d'être tirée du corps ; et encore arrivera-t-il que de trois ou quatre fois il n'y en aura qu'une où l'on verra de ces filaments. Quelquefois la liqueur séminale ne présente, surtout lorsqu'elle est fort épaisse, que de gros glo- bules, qu'on peut même distinguer avec une loupe ordinaire : en les regardant ensuite au microscope , on les voit gros comme de petites oranges, et ils sont fort opaques; un seul tient souvent le champ entier du microscope. La première fois que je vis ces globules, je crus d'abord que c'étoient quelques corps étrangers qui étoient tombés dans la liqueur séminale; mais en ayant pris différentes gouttes et ayant toujours vu la môme chose, les mêmes globules, et ayant consid'ré cette liqueur entière avec une loupe, je reconnus qu'elle étoit toute composée de ces gros globules. J'en cherchai au microscope un des pi us ronds et d'une telle grosseur, que son centre étant dans le milieu du champ du microscope, je pouvoisen même temps en voir la circonférence entière, et je l'observai ensuite fort long-temps : d'abord il étoit absolument opaque; peu de temps après je vis se former sur sa surface, à environ la moitié de la dis- tance du centre à la circonférence, un bel ajineau lumineux et coloré , qui dura plus d'une demi-heure, Or.SEîlVATiOAS DE M. LEE IJ WEN H OE CK. 89 et qui ensuite approcha du centre du «lobe par de- grés , et alors le centre du gloLule ëtoit éclairé et co- loré, tandis que tout le reste étoit opaque. Cette lumière qui éciairoit le centre du globule resseinbloit alors à celle que l'on voit dans les grosses bulles d'air qui se trouvent assez ordinairement dans toutes les liqueurs. Le gros globule que j'observois j)rit un peu d'aplatissement, et en même temps un petit degré de transparence ; et l'ayant examiné pendant plus de trois heures de suite. Je n'y vis aucun autre change- ment, aucune apparence de mouvement ni intérieur ni extérieur. Je crus qu'en mêlant cette liqueur avec de l'eau , ces globules pourroient changer : ils chan- gèrent en effet; mais ils ne me présentèrent qu'une liqueur transparente et comme homogène, où il n'y avoit rien de remarquable. Je laissai la liqueur sémi- nale se liquéfier d'elle-même; et l'ayant examinée au bout de six heures, de douze heures, et de plus de vingt-quatre heures, je ne vis plus qu'une li(jueur fluide, transparente, homogène, dans laquelle il n'y avoit aucun mouvement ni aucun corjis sensible. Je ne rapporte cette observation que comme une espèce d'avertissement, et pour qu'on sache qu'il y a des temps où on ne voit rien dans la liqueur séminale de ce qu'on y voit dans d'autres temps. Quelquefois tous les corps mouvants paroissent avoir des queues, surtout dans la liqueur de l'homme et du chien ; leur mouvement alors n'est point du tout rapide, et il paroît toujours se faire avec effort. Si on laisse dessécher la liqueur, on voit cette queue ou ce filet s'attacher le premier, et l'extrémité anté- rieure continue , pendant quehjue temps, à faire des 90 ANIMAUX. oscillations, après cpoi le iriOuvenienl cesse partout, et on peut conserver ces corps dans cet état de des- sèchement pendant long-temps ; ensuite , si on y mêle une petite goutte d'eau , leur figure change , et ils se réduisent en plusieurs petits globules qui m'ont paru quelquefois avoir de petits mouvements, tant d'ap- proximation entre eux que de trépidation et de tour- noiement sur eux-mêmes autour de lein^s centres. Ces corps mouvants de la liqueur séminale de l'homme, ceux de la liqueur séminale du chien, et encore ceux de la chienne, se ressemblent au point de s'y méprendre, surtout lorsqu'on les examine dans le moment que la liqueur vient de sortir du corps de l'animai. Ceux du lapin m'ont paru plus petits et plus agiles : mais ces différences ou ressemblances vien- nent autant des états différents ou semblables dans lesquels la liqueur se trouve au moment de l'observa- tion que de la nature même de la liqueur, qui doit être en effet différente dans les différentes espèces d'animaux. Par exemple, dans celle de l'homme J'ai Yu des stries ou de gros filaments qui se trouvoient comme on le voit dans la planche i'% figure 5, etc. ; et j'ai vu les corps mouvants se séparer de ces fila- ments, où il m'a paru qu'ils prenoient naissance: mais je n'ai rien vu de semblable dans celle du chien; au lieu de filaments ou de stries séparées, c'est or- dinairement un mucilage dont le tissu est plus serré , et dans lequel on ne distingue qu'avec peine quel- ques parties filamenteuses , et ce mucilage donne naissance aux corps en mouvement, qui sont cepen- dant semblables à ceux de l'homme. Le mouvement de ces corps dure plus long-temps l OBSERVATIONS DE M. LEEU WEN HOECK. 91 dans la liqueur du chien que dans celle de l'homine , et il est aussi plus aisé de s'assurer, sur celle du chien, du changement de forme dont nous avons parlé. Dans le moment que cette liqueur sort du corps de l'ani- mal , on verra que les corps en mouvement ont pour la plupart des queues : douze heures, ou vingt-quatre heures, ou trente-six heures après, on trouvera que tous ces corps en mouvement, ou presque tous, ont perdu leurs queues; ce ne sont plus alors que des glo- bules un peu allongés, des ovales en mouvement; et ce mouvement est souvent plus rapide que dans le premier temps. Les corps mouvants ne sont pas immédiatement à la surface de la liqueur; ils y sont plongés. On voit ordinairement à la surface quelques grosses bulles d'air transparentes, et qui sont sans aucun mouve- ment : quelquefois, à la vérité, ces bulles se remuent et paroissent avoir un mouvement de progression ou de circonvolution; mais ce mouvement leur est com- muniqué par celui de la liqueur que l'air extérieur agite, et qui d'elle-même, en se liquéfiant , a un mou- vement général, quelquefois d'un côté, quelquefois de l'autre , et souvent de tous côtés. Si l'on approche la lentille un peu plus qu'il ne faut, les corps en mou- vement paroissent plus gros qu'auparavant; au con- traire, ils paroissent plus petits si on éloigne le verre, et ce n'est que par l'expérience qu'on peut apprendre à bien juger du point de vue, et à saisir toujours le même. Au dessous des corps en mouvement on en voit souvent d'autres beaucoup plus petits qui sont plongés plus profondément dans la liqueur, et qui ne paroissent être que comme des globules, dont sou- C}'2 ANIMAUX. vent Je plus grand nombre est en mouvement; et j'ai remarqué généralement cfue . dans le nombre infini de globules qu'on voit dans toutes ces liqueurs, ceux qui sont fort petits et qui sont en mouvement sont ordinairement noirs, ou plus obscurs que les autres, et que ceux qui sont extrêmement petits et transpa- rents n'ont que peu ou point de mouvement : il semble aussi qu'ils pèsent spécifiquement plus que ]es autres; car ils sont toujours au dessous, soit des autres globules, soit des corps en mouvement dans la liqueur. REFLEX. SUR LES EXPER. PRECEDENTES. 90 CHAPITRE VIII. Réflexions sur les expériences précédentes. J'ÉTOis donc assuré , par les expériences que je viens de rapporter, que les femelles ont, comme les mfdes, une liqueur séminale qui contient des corps en mou- vement; Je m'étois confirmé de plus en plus dans l'o- pinion que ces corps en mouvement ne sont pas de vrais animaux, mais seulement des parties organiques vivantes; je m'étois convaincu que ces parties existent non seulement dans les liqueurs séminales des deux sexes, mais dans la chair même des animaux et dans les germes des végétaux : et pour reconnoître si toutes les parties des animaux et tous les germes des végé- taux contenoient aussi des parties organiques vivantes, je fis faire des infusions de la chair de différents ani- maux , et de plus de vingt espèces de graines de dif- férentes plantes ; je mis cette chair et ces graines dans de petites bouteilles exactement bouchées, dans les- quelles je mettois assez d'eau pour recouvrir d'un demi-pouce environ les chairs et les graines ; et les ayant ensuite observées quatre ou cinq jours après les avoir mises en infusion, j'eus la satisfaction de trou- ver, dans toutes, ces mêmes parties organiques en mouvement : les unes paroissoient plus tôt, les autres plus tard : quelques unes conservoient leur mouve- ment pendant des mois entiers; d'autres cessoient 94 ANIMAUX. j^lus lot : les unes produisoient d'abord de gros gîo-- bules en mouvement, qu'on auroit pris pour des ani- maux, et qui changeoient de figure , se séparoient et devenoient successivement plus petits; les autres ne produisoient que de petits globules fort actifs, et dont les mouvements étoient très rapides ; les autres pro- duisoient desfdaments qui s'alîongeoient et sembloîent A'égéter, et qui ensuite se gonfloient et laissoient sortir des milliers de globules en mouvement. Mais il est inutile de grossir ce livre du détail de mes observa- tions sur les infusions des plantes, parce que M. Need- ham les a suivies avec beaucoup plus de soin que je n'aurois pu le faire moi-même, et que cet babile naturaliste doit donner incessamment au public le re- cueil des découvertes qu'il a faites sur cette matière. Je lui avois lu le traité précédent, et j'avois très sou- vent raisonné avec lui sur cette matière, et en par- ticulier sur la vraisemblance qu'il y avoit que nous trouverions dans les germes des amandes des fruits, et dans les autres parties les pius substantielles des végétaux, des corps en mouvement , des parties orga- niques vivantes , comme dans la semence des animaux maies et femelles. Cet excellent observateur trouva que ces vues étoient assez fondées et assez grandes pour mériter d'être suivies : il commença à faire des observations sur toutes les parties des végétaux; et je dois avouer que les idées que je lui ai données sur ce sujet ont plus fructifié entre ses mains qu'elles n'au- roient fait entre les miennes. Je pourrois en citer d'avance plusieurs exemples ; mais je me bornerai à un seul, parce que j'ai ci-devant indiqué le fait dont il est question et que je vais rapporter. RÉFLEX. SUR LES EXPER. PRECEDENTES. gTf Pour s'assurer si les corps mouvants qu'on voit dans les infusions de la chair des animaux étoient de véri- tables animaux, ou si c'éloient seulement, comme je le prétendois, des parties organiques mouvantes, M. Needbam pensa qu'il n'y avoit qu'à examiner le résidu de la viande rôtie, parce que le feu devoit dé- truire les animaux, et qu'au contraire si ces corps mouvants n'étoient pas des animaux, on devoit les y retrouver comme on les trouve dans la viande crue. Ayant donc pris de la gelée de veau et d'autres vian- des grillées et rôties , il les examina au microscope après les avoir laissé infuser pendant quelques jours dans de l'eau qui étoit contenue dans de petites bou- teilles bouchées avec grand soin, et il trouva dans toutes des corps mouvants en grande quantité ; il me fit voir plusieurs fois quelques unes de ces infusions, et entre autres celle de gelée de veau, dans laquelle il y avoit des espèces de corps en mouvement, si par- faitement semblables à ceux qu'on voit dans les li- queurs séminales de l'homme, du chien, et de la chienne, dans le temps qu'ils n'ont plus de filets ou de queues, que je ne pouvois me lasser de les regarder: on les auroit pris pour de vrais animaux; et quoique nous les vissions s'allonger, changer de figure et se décomposer, leur mouvement ressembloit si fort au mouvement d'un animal qui nage , que quiconque les verroit pour la première fois, et sans savoir ce qui a été dit précédemment, les prendroit pour des ani- maux. Je n'ajouterai qu'un mot à ce sujet : c'est que M. INeedham s'est assuré, par une infinité d'observa- tions, que toutes les parties des végétaux contiennent des parties organiques mouvantes; ce qui confirme ce Ç)6 ANIMAUX. que j'ai dit, et étend encore Ja théorie que j'ai établie au sujet de la couiposition des êtres organisés, et au sujet de leur reproduction. Tous les animaux, mâles ou femelles, tous ceux qui sont pourvus des deux sexes ou qui en sont privés, tous les végétaux , de quelques espèces qu'ils soient , tous les corps, en un mot, vivants ou végétants, sont donc composés de parties organiques vivantes qu'on peut démontrer aux yeux de tout le monde. Ces parties organiques sont en plus grande quantité dans les li- queui^ séminales des animaux , dans les germes des amandes des fruits, dans les graines, dans les parties les plus substantielles de l'animal ou du végétal; et c'est de la réunion de ces parties organiques, ren- voyées de toutes les parties du corps de l'animal ou du végétal, que se fait la reproduction, toujours sem- blable à l'animal ou au végétal dans lequel elle s'opère, parce que la réunion de ces parties organiques ne peut se faire qu'au moyen du moule intérieur, c'est-à-dire dans l'ordre que produit la forme du corps de l'animal ou du végétal , et c'est en quoi consiste l'essence de l'unité et de la continuité des espèces , qui dès lors ne doivent jamais s'épuiser, et qui d'elles-mêmes du- reront autant qu'il plaira à celui qui les a créées de les laisser subsister. Mais , avant que de tirer des conséquences générales du système que je viens d'établir, je dois satisfaire à plusieurs choses particulières qu'on pourroit me de- mander, et en même temps en rapporter d'autres qui serviront à mettre cette matière dans un plus grand jour. On me demandera, sans doute, pourquoi je ne RÉFLEX. SUR LES EXPER. PRECEDENTES. 97 veux pas que ces corps mouvants qu'on trouve dans les liqueurs séminales soient des animaux, pnisque tous ceux qui les ont observés les ont regardés comme tels, et que Leeuwenhoeck et les autres observateurs s'accordent à les appeler animaux; qu'il ne paroîtpas même qu'ils aient eu le moindre doute, le moindre scrupule sur cela. On pourra me dire aussi qu'on ne conçoit pas trop ce que c'est que des parties organi- ques vivantes, à moinsque de les regarder comme des animalcules, et que, de supposer qu'un animal est composé de petits animaux, est à peu près la même chose que de dire qu'un être organisé est composé de parties organiques vivantes. Je vais tâcher de répon- dre à ces questions d'une manière satisfaisante. Il est vrai que presque tous les observateurs se sont accordés à regarder comme des animaux les corps mouvants des liqueurs séminales, et qu'il n'y a guère que ceux qui, comme Verrlieyen , ne les avoientpas observés avec de bons microscopes , qui ont cru que le mouvement qu'on voyoit dans ces liqueurs pouvoit provenir des esprits de la semence, qu'ils supposoient être en grande agitation ; mais il n'est pas moins cer- tain , tant par mes observations que par celles de M.Needham sur la semence du calmar, que ces corps en mouvement des liqueurs séminales sont des êtres plus simples et moins organisés que les animaux. Le mot animal j dans l'acception où nous le prenons ordinairement , représente une idée générale formée des idées particulières qu'on s'est faites de quelques animaux particuliers : toutes les idées générales ren- ferment des idées différentes, qui approchent ou dif- fèrent phis ou moins les unes des autres, etparcon- 98 ANIMAUX. séquent aucune idée générale ne peut être exacte ni précise ; l'idée générale que nous nous sommes formée de l'animal sera, si vous le voulez, prise principale- ment de l'idée particulière du chien , du cheval , et d'autres Î3étes qui nous paroissent avoir de l'intelli- gence, de la volonté , qui semblent se déterminer et se mouvoir suivant cette volonté, et qui de plus sont composées de chair et de sang, qui cherchent et prennent leur nourriture, qui ont des sens, des sexes, et la faculté de se reproduire. Nous joignons donc en- semble une grande quantité d'idées particulières lors- que nous nous formons l'idée générale que nous ex- primons par le mot animal; et l'on doit observer que, dans le grand nombre de ces idées particulières, il n'y en a pas une qui constitue l'essence de Tidée gé- nérale : car il y a , de l'aveu de tout le monde , des animaux qui paroissent n'avoir aucune intelligence , aucune volonté, aucun mouvement progressif; il y en a qui n'ont ni chair ni sang, et qui ne paroissent être qu'une glaire congelée ; il y en a qui ne peuvent chercher leur nourriture, et qui ne la reçoivent que de l'élément qu'ils habitent; enfm il y en a qui n'ont point de sens, pas même celui du toucher, au moins à un degré qui nous soit sensible ; il y en a qui n'ont point de sexes , ou qui les ont tous deux, et il ne reste de général à l'animal que ce qui lui est com- mun avec le végétal, c'est-à-dire la faculté de se re- produire. C'est donc du tout ensemble qu'est com- posée l'idée générale; et ce tout étant composé de parties différentes, il y a nécessairement entre ces parties des degrés et des nuances : un insecte , dans ce sens, est quelque chose de moins animal qu'un RliFLEX. SUIl LES EXl'Ell. 1»RE CEDENTES. 99 chien ; une huître est encore moins animal qu'un in- secte ; une ortie de mer, ou un polype d'eau douce, l'est encore rjoins qu'une huître ; et comme la nature va par nuances insensibles, nous devons trouver des êtres qui sont encore moins animaux qu'une ortie de mer ou un polype. Nos idées générales ne sont que des méthodes artificielles que nous nous sommes for- mées pour rassembler une grande quantité d'objets dans le même point de vue; et elles ont, comme les méthodes artificielles dont nous avons parlé ^, le dé- faut de ne pouvoir jamais tout comprendre : elles sont de même opposées à la marche de la nature , qui se fait uniformément, insensiblement, et toujours particulièrement ; ensorteque c'est pourvouloir com- prendre un trop grand nombre d'idées particulières dans un seul mot, que nous n'avons plus une idée claire de ce que ce mot signifie, parce que, ce mot élant reçu , on s'imagine cjue ce mot est une ligne qu'on peut tirer entre les productions de la nature, que tout ce qui est au dessus de cette ligne est en effet animal j et que tout ce qui est au dessous ne peut être que végétal^ autre mot aussi général que le premier, qu'on emploie de même comme une ligne de sépa- rationentre les corps organisés elles corps bruts. Mais, comme nous l'avons déjà dit plus d'une fois , ces lignes de séparation n'existent point dans la nature; il y a des êtres qui ne sont ni animaux, ni végétaux, ni minéraux, et qu'on tenteroit vainement de rappor- ter aux uns ou aux autres : par exemple , lorsque M. Treuibley, cet auteur célèbre de la découverte des j. Sosvi louiv ï tic celle Hisioirc nainveilc, pieiuior Discours. 100 ANIMAUX. animaux qui se multiplient par chacune de leurs par- lies détachées, coupées, ou séparées, observa pour la première fois le polype de la lentille d'eau , com- bien employa-t-il de temps pour reconnoître si ce polype étoit un animal ou une plante! et combien n'eut-il pas sur cela de doutes et d'incertitudes! C'est qu'en effet le polype de la lentille n'est peut- être ni l'un ni l'autre , et que tout ce qu'on peut en dire , c'est qu'il approche un peu plus de l'animal que du végétal ; et comme on veut absolument que tout être vivant soit un animal ou une plante, on croiroit n'avoir pas bien connu un être organisé, si on ne le rapportoit pas à l'un ou à l'autre de ces noms géné- raux , tandis qu'il doit y avoir et qu'en effet il y a une grande quantité d'êtres organisés qui ne sont ni l'un ni l'autre. Les corps mouvants que l'on trouve dans les liqueurs séminales, dans la chair infusée des ani- maux, et dans les graines et les autres parties infusées des plantes, sont de cette espèce : on ne peut pas dire que ce soient des animaux, on ne peut pas dire que ce soient des végétaux, et assurément on dira encore moins que ce sont des minéraux. On peut donc assurer, sans crainte de trop avan- cer, que la grande division des productions de la na- ture, en animaux^ végétaux et mlnérauXj, ne contient pas tous les êtres matériels; il existe, comme on vient de le voir, des corps organisés qui ne sont pas com- pris dans cette division. Nous avons dit que la mar- che de la nature se fait par des degrés nuancés et souvent imperceptibles ; aussi passc-t-elle par des nuances insensibles de l'animal au végétal : mais du végétal au minéral le passage est brusque, et cette loi KEFLEX. SUR LES EXPER. PRECEDENTES. 101 de n'aller que par degrés nuancés paroît se démentir. Cela m'a fait soupçonner qu'en examinant de près la nature, on vlendroit à découvrir des êtres intermé- diaires, des corps organisés qui, sans avoir, par exemple , la puissance de se reproduire comme les animaux et les végétaux, auroient cependant une es- pèce de vie et de mouvement; d'autres êtres qui, sans être des animaux ou des végétaux , ponrroient bien entrer dans la constitution des uns et des autres; et enfin d'autres êtres qui ne seroient que le premier assemblage des molécules organiques dont j'ai parlé dans les chapitres précédents. Je mettrois volontiers dans la première classe de ces espèces d'êtres les œufs, comme en étant le genre le plus apparent. Ceux des poules et des autres oiseaux femelles tiennent, comme on sait, à un pé- dicule commun , et ils tirent leur origine et leur pre- mier accroissement du corps de l'animal : mais dans ce temps qu'ils sont attachés à l'ovaire, ce ne sont pas encore de vrais œufs , ce ne sont que des globes jaunes qui se séparent de l'ovaire dès qu'ils sont par- venus à un certain degré d'accroissement; lorsqu'ils viennent à se séparer, ce ne sont encore que des glo- bes jaunes, mais des globes dont l'organisation inté- rieure est telle qu'ils tirent de la nourriture, qu'ils la tournent en leur substance, et qu'ils s'approprient la lymphe dont la matrice de la poule est baignée , et qu'en s'appropriant cette liqueur ils forment le blanc, les membranes , et enfin la coquille. L'œuf, comme l'on voit, a une espèce de vie et d'organisation, un accroissement , un développement, et une forme qu'il prend de lui-même et par ses propres forces : il ne BUFFON. Xr. 102 ANIMAUX. \it pas comme l'animal, il ne végète pas comme Ja plante, il ne se reproduit pas comme l'un et l'autre; cependant il croît, il agit à l'extérieur, et il s'organise, ÎNe doit-on pas dès lors regarder l'œuf comme un être qui fait une classe à part , et qui ne doit se rapporter ni aux animaux ni au minéraux? car si l'on prétend que l'œuf n'est qu'une production animale destinée pour la nourriture du poulet, et si l'on veut le regarder comme une partie de la poule, une partie d'animal, je répondrai que les œufs , soit qu'ils soient fécondés ou non, soit qu'ils contiennent ou non des poulets, s'organisent toujours de la même façon, que même la fécondation n'y change qu'une partie presque in- visible, que dans tout le reste l'organisation de l'œuf est toujours la même , qu'il arrive à sa perfection et à l'accomplissement de sa forme , tant extérieure qu'in- térieure, soit qu'il contienne le poulet ou non , et que par conséquent, c'est un être qu'on peut bien consi- dérer à part et en lui-même. Ce que je viens de dire paroîtra bien plus clair, si on considère la fermentation et l'accroissement des œufs de poisson. Lorsque la femelle les répand dans l'eau, ce ne sont encore, pour ainsi dire, que des ébauches d'œufs; ces ébauches, séparées totalement du corps de l'animal et flottant dans l'eau, attirent à elles et s'approprient les parties qui leur conviennent, et croissent ainsi par intus-susception. De la même façon que l'œuf de la poule acquiert des membranes et du blanc dans la matrice où il flotte, de même les œufs de poisson acquièrent d'eux-mêmes des mem- branes et du blanc dans l'eau où ils sont plongés; et soit que le mâle vienne les féconder en répandant dessus !a liqueur de sa laite , ou qu'ils demeurent ia- féconds faute d'avoir été arrosés de cette liqueur, ils n'arrivent pas moins, dans l'un et l'autre cas, à leur entière perfection. Il me semble donc qu'on doit re- garder les œufs en général comme des corps orga- nisés qui, n'étant ni animaux ni végétaux, font un genre à part. Un second genre d'êtres de la même espèce sont les corps organisés qu'on trouve dans la semence de tous les animaux, et qui, comme ceux de la laite du calmar, sont plutôt des machines naturelles que des animaux. Ces êtres sont proprement le premier assem- blage qui résulte des molécules organi€[ues dont nous avons tant parlé ; ils sont peut-être même les parties organiques qui constituent les corps organisés des ani- maux. On les a trouvés dans la semence de tous les ani- maux, parce que la semence n'e>t en effet que le ré- sidu de toutes les molécules organiques que l'animal prend avec les aliments; c'est, comme nous l'avons dit, ce qu'il y a de plus analogue à l'animal même, ce qu'il y a de plus organique dans la nourriture, qui fait la matière de la semence, et par conséquent on ne doit pas être étonné d'y trouver des corps or- ganisés. Pour reconnoître clairement que ces corps orga- nisés ne sont pas de vrais animaux, il n'y a qu'à réllé- clîir sur ce que nous présentent les expériences pré- cédentes. Les corps mouvants que j'ai observés dans les liqueurs séminales ont été pris pour des animaux , parce qu'ils ont un mouvement progressif, et qu'on a cru leur remarquer une queue : mais si on fait atten- tion d'un côté à la nature de ce mouvement î)ro- o4 A N I M AUX. gressif , qui , quand il est une fois commencé, finit tout à coup sans jamais se renouveler, et de l'autre à la nature de ces queues, qui ne sont que des filets que le corps en mouvement tire après lui , on commen- ceraàdouter; car un animal va quelquefois lentement, quelquefois vite; il s'arrête et se repose quelquefois dans son mouvement : ces corps mouvants au con- traire vont toujours de même, dans le même temps; je ne les ai jamais vus s'arrêter et se remettre en mou- vement ; ils continuent d'aller et de se mouvoir pro- gressivement sans jamais se reposer ; et lorsqu'ils s'ar- rêtent une fois, c'est pour toujours. Je demande si cette espèce de mouvement continu et sans aucun repos est un mouvement ordinaire aux animaux , et si cela ne doit pas nous faire douter que ces corps en mouvement soient de vrais animaux. De môme, il pa- roît qu'un animal, quel qu'il soit , doit avoir une forme constante et des membres distincts : ces corps mou- vants au contraire changent de forme à tout instant; ils n'ont aucun membre distinct, et leur queue ne paroît être qu'une partie étrangère à leur individu : dès lors doit-on croire que ces corps mouvants soient en effet des animaux? On voit dans ces liqueurs des filaments qui s'allongent et qui semblent végéter, et ils se gonflent ensuite et produisent des corps mou- vants. Ces filaments seront , si l'on veut, des espèces de végétaux : mais les corps mouvants qui en sortent ne seront pas des animaux; car jamais Ton n'a vu de vi'gétal produire un animal. Ces corps mouvants se trouvent aussi bien dans les germes des plantes que dans la liqueur séminale des animaux; on les trouve dans toute les substances végétales ou animales : ces REFLEX. SUR LES EXPER. PRÉCÉDENTES. lOf) corps mouvants ne sont donc pas des aniuiaux ; ils ne se produisent pas par les voies de Ja génération; ils n'ont pas d'espèce constante; ils ne peuvent donc être ni des animaux ni des végétaux. Que seront-ils donc ? On les trouve partout, dans la chair des animaux, dans la substance des végétaux; on les trouve en plus grand nombre dans les semences des uns et des au- tres : n'est-il pas naturel de les regarder comme des par- ties organiques vivantes qui composent l'animal ou le végétal, comme des parties qui, ayant du mouvement et une espèce de vie , doivent produire par leur réu- nion des êtres mouvants et vivants , et former les ani- maux et les vésfétaux ? Mais, pour laisser sur cela le moins de doute que nous pourrons, examinons les observations des autres. Peut-on dire que les machines actives que M. Need- ham a trouvées dans la laite du calmar soient des ani- maux.^ pourroit-on croire que les œufs qui sont des machines actives d'une autre espèce , soient aussi des animaux? et si nous jetons les yeux sur la représen- tation de presque tous les corps en mouvement que Leeuwenhoeck a vus au microscope dans une infinité de différentes matières, ne reconnoîtrons-nous pas , même à la première inspection, que ces corps ne sont pas des animaux, puisqu'aucun d'eux n'a de membres, et qu'ils sont tous ou des globules ou des ovales plus ou moins allongés, plus ou moins aplatis? Si nous examinons ensuite ce que dit ce célèbre observateur lorsqu'il décrit le mouvement de ces prétendus ani- maux , nous ne pourrons plus douter qu'il n'ait eu tort de les regarder comme tels; et nous nous confirme- rons de plus en plus dans notre opinion, que ce sont lo6 ANIMAUX. seulement des parties organicpies en niouvenient : nous en rapporterons ici plusieurs exemples. Leeu- wenhoeck donne la figure des corps mouvants qu'il a observés dans la liqueur des testicules dune grenouille mâle. Cette figure ne représente rien qu'un corps menu, long, et pointu par l'une des extrémités; et voici ce q^'il en dit : « Uno tempore caput [c'est ainsi » qu'il appelle l' extrémité la plus grosse de ce corps )) mouvant) crassius mihi apparebat alio; plerumque » agnoscebam animalculum liaud ulterius quam a ca- » pite ad médium corpus, ob caudae teiiuitatem ; et » cum idem animalculum paulo vehementius move- » retur ( quod tamen tarde fiebat) , quasi voîumine » quodam circa caput ferebatur. Corpus fere carebat » motu; cauda tamen in très quatuorve flexus volve- » batur. » Yoilà le changement de forme que j'ai dit avoir observé; voilà le mucilage dont le corps mou- vant fait effort pour se dégager ; voilà une lenteur dans le mouvement lorsque ces corps ne sont pas dégagés de leur mucilage; et enfin voilà un animal, selon Leeuwenlioeck, dont une partie se meut et l'autre de- meure en repos, tlont l'une estvivanteetl'autre morte; car il dit plus bas : « Movebant posteriorem solum )) partem; quaeultima, morti vicinam essejudicabam. » Tout cela, comme l'on voit, ne convient guère à un animal, et s'accorde avec ce que j'ai dit, à l'excep- tion que je n'ai jamais vu la queue ouïe filet se mou- voir que par l'agitation du corps qui le tire , ou bien par un mouvement intérieur que j'ai vu dans les fila- ments lorsqu'ils se gonflent pour produire des corps en mouvement. Il dit ensuite, page 52 , en parlant de la liqueur séminale du cabillaud : « Non est putandum RIÎFLEX. SUR LES EXPER. PRECEDENTES. IO7 1» omnia animalcula in semine aselli contentauno eo- » deniqae teiiipore vivere , sed illa potius tantiira vi- » vere quas exitui seu partni viciniora sunt, qiioe et » copiosioii hnmido innatantprae reliquis vita caren- » tibus, adhnc in crassa materia quam humor eorum » efficit, jacenlibus. » Si ce sont des animaux, pour- quoi n'ont-ils pas tous vie? Pourquoi ceux qui sont dans la partie la plus liquide sont-ils vivants, tandis que ceux qui sont dans la partie la plus épaisse de la liqueur ne le sont pas? Leeuwenhoeck n'a pas remar- que que cette matière épaisse, dont il attribue l'ori- gine à l'humeur de ces animalcules, n'est au contraire autre chose qu'une matière mucilagineuse qui les pro- duit. En délayant avec de l'eau celte matière mucila- gineuse , il auroit fait vivre tous ces animalcules, qui cependant, selon lui , ne doivent vivre que long-temps après. Souvent même ce mucilage n'est qu'un amas de ces corps qui doivent se mettre en mouvement dès qu'ils peuvent se séparer ; et par conséquent cette matière épaisse , au lieu d'être une humeur que ces animaux produisent, n'est au contraire que les ani- maux eux-mêmes, ou plutôt c'est, comme nous ve- nons de le dire, la matière qui contient et qui produit les parties organiques qui doivent se mettre en mou- vement. En parlant de la semence du coq, Leeu- wenhoeck dit, page 5 de sa lettre écrite à Grew : « Contemplandomateriam (seminalem ), animadverti » ibidem tanlam abundantiam viventium animalium , » ut ea stuperem ; forma seu externa figura sua nos- » trates ansfuillas fluviatiles referebant ; vehementis- » sima agitatione movebantur ; quibus tamen substrati % videbantur multi et admodum exiles globuli, item 1 o8 A N I M A.U X. » multae plan-ovales figura?, quibus etîam vita posset at- » tribui, et quidem propter earumdem commotiones: » sed existimabam omnes hasce commotiones et agi- » tationes provenire ab animalculis, sicque etiam res » se habebat ; attamen ego non opinione solum , sed » etiara ad veritatem mihi persuadeo bas particulas » planam et ovalem figuram habentes, esse qiiaedam » animalcula inter se ordine suo disposita et mixta , » vitaque adhuc carentia. » Voilà donc dans la même liqueur séminale des animalcules de dififérentes for- mes ; et je suis convaincu par mes propres observa- tions, que si Leeuwenhoeck eût observé exactement ]es mouvements de ces ovales , il auroit reconnu qu'ils se remuoient par leur propre force , et que par con- séquent ils étoient vivants aussi bien que les autres. Il est visible que ceci s'accorde parfaitement avec ce que nous avons dit. Ces corps mouvants sont des parties organiques qui prennent différentes formes; et ce ne sont pas des espèces constantes d'animaux : car, dans le cas présent, si les corps qui ont la figure d'une an- guille sont les vrais animaux spermatiques dont cliacun est destiné à devenir un coq, ce qui suppose une or- ganisation bien parfaite et une forme bien constante, que seront les autres qui ont une figure ovale, et à quoi serviront-ils.^ Il dit un peu plus bas qu'on pour- roit concevoir que ces ovales seroient les mêmes ani- maux que les anguilles, en supposant que le corps de ces anguilles fût tortillé et rassemblé en spirale : mais alors comment concevra-t-on qu'un animal dont le corps est ainsi contraint puisse se mouvoir sans s'é- tendre? Je crois donc que ces ovales n'étoient autre cbose que les parties organiques séparées de leur filet, RÉFLEX. SUR LES EXPÉR. PRECEDENTES. 1 09 et que les anguilles étoient ces mêmes parties qui traînoient leur filet , comme je l'ai vu plusieurs fois dans d'autres liqueurs séminales. Au reste , Leeuwenhoeck, qui croyoit que tous ces corps mouvants étoient des animaux, qui avoit établi sur cela un système, qui prétendoit que ces animaux spermatiques dévoient devenir des hommes et des animaux, n'avoit garde de soupçonner que ces corps mouvants ne fussent en effet que des machines natu- relles, des parties organiques en mouvement; car il ne doutoit pas que ces animaux spermatiques ne con- tinssent en petit le grand animal, et il dit : « Proge- » neratio animalis ex animalculo in seminibus mascu- » linis omni exceptione major est; nam etiamsi in » animalculo ex semine masculo, unde ortum est, fi- » guram animalis conspicere nequeamus, attamen sa- » tis superque certi esse possumus figuram animalis » ex qua animal ortum est , in animalculo quod in se- » mine masculo reperitur, conclusam jacere sive esse : » et quanquam mihi saepius, conspectis animalculis in » semine masculo animalis, imaginatus fuerim me » posse dicere, en ibi caputj, en ibi Immeros ^ en ibi » femora; attamen, cum ne minima quidem certitu- » dine de iis judicium ferre potuerim, hue usque certi » quid statuere supersedeo, donec taie animal, cujus » semina mascula tam magna erunt, ut in iis figuram » creaturse ex qua provenit, agnoscere queam, inve- » nire secunda nobis concédât fortuna. » Ce hasard heureux que Leeuwenhoeck désiroit, et n'a pas eu, s'est offert à M. Needham. Les animaux spermatiques du calmar ont trois ou quatre lignes de longueur à l'œil simple ; il est extrêmement aisé d'en voir toute î 1 O A N I M A i: X. Forganisalion et toutes les parties : mais ce ne sonl pas de petits calmars, comme l'auroit voulu Leeuwen- hoeck; ce ne sont pas même des aniraanx, quoiqu'ils aient du mouvement; ce ne sont, comme nous l'a- vons dit , que des machines qu'on doit regarder comme le premier produit de la réunion des parties organiques en mouvement. Quoique Leeuweahoeck n'ait pas eu l'avantage de se détromper de cette façon , il avoit cependant ob- servé d'autres phénomènes qui auroient du l'éclairer : par exemple, il avoit remarqué que les animaux sper- matiques du chien changeoient souvent de figure, surtout lorsque la liqueur dans laquelle ils nageoient ëtoit sur le point de s'évaporer entièrement; il avoit observé que ces prétendus animaux avoient une ou- verture à la tête lorsqu'ils étoient morts, et que cette ouverture n'existoit point pendant leur vie; il avoit vu que la partie qu'il regardoit comme la tête de l'a- nimal étoit pleine et arrondie lorsqu'il étoit vivant, et qu'au contraire eile étoit affaissée et aph^itie après la mort. Tout cela devoit le conduire à douter que ces corps mouvants fussent de vrais animaux; et en efl'et, cela convient mieux à une espèce de machine qui se vide, comme celle du calmar, qu'à un animal qui se meut. J'ai dit que ces corps mouvants , ces parties orga- niques, ne se meuvent pas comme se mouvroient des aniniaux, qu'il n'y a jamais aucun intervalle de repos dans leur mouvement. Leeuv/enhoeck l'a observé tout de même, et il le remarque précisément tome I, page 168. « Quotiescumque, dit-ilj, animalcula in se- » mine masculo animalium fuerim contemplatus, atta- REFLEX. SUR LES EXPER. PRECEDENTES. 111 » men illa se iinquam ad qiiietem contiilisse me nun- » qnam vidisse mihi dicendum est, si modo sat fluidae » superesset materiae in quai sese commode moverc » polerant : at eadein in continuo manent motu ; et >» tempore quo ipsis morienduni appropinqiiarite , » motus magis magisqiie déficit, usque dum nullus » prorsus motns in illis agnoscendtis sit. » Il me pa- roît qu'il est difficile de concevoir qu'il puisse exister des animaux qui, dès le moment de leur naissance jusqu'à celui de leur mort, soient dans un mouvement continuel et très rapide, sans le plus petit intervalle de repos; et comment imaginer que ces prétendus animaux du chien, par exemple, que Leeuwenhoeck a vus , après le septième jour, en mouvement aussi ra- pide qu'ils l'étoient au sortir du corps de l'animal, aient conservé pendant ce temps un mouvement dont la vitesse e^t si grande, qu'il n'y a point d'animaux sur la terre qui aient assez de force pour se mouvoir ainsi pendant une heure, surtout si l'on fait aUention à la résistance qui provient tant de la densité que de la ténacité de la liqueur dans laquelle ces prétendus animaux se meuvent? Cette espèce de mouvement continu convient au contraire à des parties organiques qui, comme des machines artificielles, produisent dans un temps leur effet d'une manière continue, et qui s'arrêtent ensuite lorsque cet effet est produit. Dans le grand nondjre d'observations que Leeu- wenhoeck a faites , il a sans doute vu souvent ces pré- tendus animaux sans queues; il le dit même en quel- ques endroits, et il tache d'expliquer ce phénomène par quelque supposition; par exemple, il dit, en par- lant de la semence du merlus ; « IJbi vero ad lactium 112 ANIMAUX. )> accederem observationem, in iis partibus quas ani- » malcula esse censebam,neqae vitam neqiie caudam î) dignoscere potui; eu jus rei rationem esse existima- )) bain , quod quandiu animalcula natando loca sua » perfecte mutai e non possunt, tamdiu etiain cauda » concinne circa corpus maneat ordinata, quodque » idée singula animalcula rotundum repraesentent cor- » pusculum. » Il me paroît qu'il eût été plus simple de dire, comme cela est en effet, que les animaux spermatiques de ce poisson ont des queues dans un temps et n'en ont point dans d'autres, que de suppo- ser que cette queue est tortillée si exactement autour de leur corps que cela leur donne la figure d'un glo- bule. Ceci ne doit-il pas nous porter à croire que Leeuwenhoeck n'a fixé ses yeux que sur les corps mouvants auxquels il voyoit des queues; qu'il ne nous a donné la description que des corps mouvants qu'il a vus dans cet état ; qu'il a négligé de nous les dé- crire lorsqu'ils étoient sans queue, parce qu'alors, quoiqu'ils fussent en mouvement, il ne les regardoit pas comme des animaux? et c'est ce qui fait que pres- que tous les animaux spermatiques qu'il a dépeints se ressemblent, et qu'ils ont tous des queues, parce qu'il ne les a pris pour de vrais animaux que lorsqu'ils sont en effet dans cet état, et que quand il les a vus sous d'autres formes il a cru qu'ils étoient encore im- parfaits, ou bien qu'ils étoient près de mourir, ou même qu'ils étoient morts. Au reste, il paroît, par mes observations, que, bien loin que le prétendu animalcule déploie sa queue, d'autant plus qu'il est plus en état de nager, comme le dit ici Leeuwenhoeck, il perd au contraire successivement les parties extre- REFLEX. SUR LES EXPER. PRECEDENTES. 1 1 5 mes de sa queue à mesure qu'il nage plus prompte- ment, et qu'enfin cette queue, qui n'est qu'un corps étranger, un filet que le corps en mouvement traîne , disparoît entièrement au bout d'un certain temps. Dans un autre endroit (tom. III, pag. go) Leeu- wenhoeck, en parlant des animaux spermatiques de l'homme, dit : « Aliquando etiam animadverti inter » animalcula particulas quasdam minores et subrotun- ') das : cum vero se ea aliquoties eo modo oculis meis » exhibuerint , ut mihi ima"inarer eas exi^uis instruc- » tas esse caudis, cogitare cœpi an non baec forte par- » ticulae forent animalcula recens nata ; certum enim » mihi est ea etiam animalcula per ge'nerationem pro- » venire, vel ex mole minuscula ad adultam procedere » quanlitatem : et quis scit an non ea animalcula , ubi )) moriuntur, aliorum animalculorum nutritioni atque » augmini inserviant! » Il paroît, parce passage, que Leeuwenhoeck a vu dans la liqueur séminale de l'homme des animaux sans queues, aussi bien que des animaux avec des queues, et qu'il est obligé de supposer que ces animaux qui n'avoient point de queues étoient nouvellement nés et n'étoient point encore adultes. J'ai observé tout le contraire ; car les corps en mouvement ne sont jamais plus gros que lorsqu'ils se séparent du filament, c'est-à-dire lors- qu'ils commencent à se mouvoir; et lorsqu'ils sont entièrement débarrassés de leur enveloppe, ou, si l'on veut, du mucilage qui les environne, ils sont plus petits, et d'autant plus petits qu'ils demeurent plus long-temps en mouvement. A l'égard de la géné- ration de ces animaux, de laquelle Leeuwenhoeck dit dans cet endroit qu'il est certain, je suis persuadé jlsixa:: x. j: 8£ hàtc ■ est «flsuis est nnlkint^db ^" -<^ p à ce ^ne îîsB piarit «gepvHsr «çi»- te an», aira» fiD^anr Ib" irie«ir— b cwwirirmi, Ba Baie «AIsmiii^iis^" Fimma-ft^^ui r pigiAire; Bb» aMiHuim - iwiEflii iiii* ciBBBfiinfiaDKitf «tt ifi^^anoâl - «fl Cilla generari observavimus. » Ceci est , comme Ton voit, une nouvelle supposition qui ne satisfait pas plus que les précédentes : car on n'entend pas mieux par cette comparaison de la génération de ces animalcules avec celle du puceron, comment ils ne se trouvent dans la liqueur séminale de l'homme que lorsqu'il est parvenu à l'âge de quatorze ou quinze ans; on n'en sait pas plus d'où ils viennent; on n'en conçoit pas mieux comment ils se renouvellent tous les ans dans les poissons, etc. ; il me paroît que, quelques efforts que Leeuwenhoeck ait faits pour établir la génération de ces prétendus animaux spermatiques sur quelque chose de probable , cette matière est demeurée dans une entière obscurité , et y seroit peut-être demeurée perpétuelleaient, si les expériences précédentes ne nous avoient appris que ces animaux spermatiques ne sont pas îles animaux , mais des parties organi- ques mouvantes qui sont contenues dans la nourriture que l'animai prend, et qui se trouvent en grande abondance dans la liqueur séminale, qui est l'ex- trait le plus pur et le plus organique de cette nour- riture. Leeuwenhoeck avoue en quelques endroits qu'il n'a pas toujours trouvé des animaux dans les liqueurs séminales des mâles : par exemple, dans celle du coq , qu'il a observée très souvent , il n'a vu des animaux spermatiques en forme d'anguilles qu'une seule fois , et plusieurs années après il ne les vit plus sous la forme d'une anguille , mais avec une grosse tête et une queue que son dessinateur ne pouvoit pas voir. 11 dit aussi qu'une année il ne put trouver, dans la liqueur sé- minale tirée de la laite d'un cabillaud, des animaux bi;tto>-. XI. ^ Il8 ANIMAUX. vivants. Tout cela veiioit de ce qu'il vouloit trouver des queues à ces animaux, et que, quand il voyoit de petits corps en mouvement et qui n'avoient que la forme de petits globules, il ne le^ regardoit pas comme des animaux. C'est cependant sous cette forme qu'on les voit le plus généralement, et qu'ils se trou- vent le plus souvent dans les substances animales ou végétales. Il dit, dans le même endroit, qu'ayant pris toutes les précautions possibles pour faire voir à un dessinateur les animaux spermatiques du cabillaud, qoHl avoit lui-même vus si distinctement tant de fois , il ne put jamais en venir à bout r « iXon solum , dit-il^ » ob eximiam eorum exilitatem, sed etiam quod eo- » rum corpora a-deo essent fragilia, ut corpuscula pas- » sim dirumperentur; unde factum fuit ut non nisi » raro, nec sine attentissima observatione , animad- » verterem particulas planas atque ovorum in moiem » longas, in quibus ex parte caudas dignoscere lice- » bat; particulas bas oviformes existimavi animalcula » esse dirupta, quod particulae hae diruptae quadruplo » fere viderentur majores corporibus animalculorum I) vivorum. » Lorsqu'un animal , de quelque espèce qu'il soit, cesse de vivre, il ne change pas, comme ceux-ci , subitement de forme ; de long comme un fil, il ne devient pas rond comme une boule; il ne de- vient pas non plus quatre fois plus gros après sa mort qu'il ne l'étoit pendant sa vie. Rien de ce que dit ici Leeuwenhoeck ne convient à des animaux; tant con- vient au contraire à des espèces de machines qui, comme celles du calmar, se vident après avoir fait leurs fonctions. Mais suivons encore cette observa- tion. Il dit qu'il a vu ces animaux spermatiques du REFLEX. SUR LES EXPER. PRÉCÉDENTES. II9 cabillaud sous des formes différeates : « Multa appa- » rehaut animalciila spliaeram pelJucidam repraesen- » laiilia. » Il les a vus de différenles grosseurs ; « Haec >) aniîîialcula iiiinori videbaiitur mole quam ubi eadem » antehac in lubo vitreo rotundo examinaveram. » Il n'en faut pas davantage pour l'aire voir qu'il n'y a point ici d'espèce ni de l'orme constante, et que par conséquent il n'y a point d'animaux, mais seulement des parties organiques en mouvement, qui prennent en effet, par leurs différentes combinaisons, des for- mes et des grandeurs différentes. Ces parties organi- ques mouvantes se trouvent en grande quantité dans l'extrait et dans les résidus de la nourriture. La ma- tière qui s'attache aux deDîs, et qui, dans les person- nes saines, a la même odeur que la liqueur séminale , doit être regardée comme un résidu de la nourriture : aussi y trouve-t-on une grande quantité de ces pré- tendus animaux, dont quelques uns ont des queues et ressemblent à ceux de la liqueur séminale. M. Ba- ker en a fait graver quatre espèces différentes, dont aucune n'a de membres, et qui toutes sont des espè- ces de cylindres, d'ovales, ou de globules sans queues, ou de globules avec des queues. Pour moi, Je suis persuadé, après les avoir examinées, qu'aucune de ces espèces ne sont de vrais animaux, et que ce ne sont, comme dans la semence, que les parties orga- niques et vivantes de la nourriture , qui se présentent sous des formes différentes. Leeuwenhoeck , qui ne savoit à quoi attribuer l'origine de ces prétendue ani- maux de cette matière qui s'attache aux dents , sup- pose qu'ils viennent de certaines nourritures où il y en a, comme du fromage : mais on les trouve égale- '20 ANIMAUX. ment dans ceux qui mangent du fromage et dans ceux qui n'en mangent point; et d'ailleurs ils ne ressem- blent en aucune façon aux mites, non plus qu'aux autres petites bêtes qu'on voit dans le fromage cor- rompu. Dans un autre endroit, il dit que ces animaux des deots peuvent venir de l'eau de citerne que l'on boit, parce qu'il a observé des animaux semblables dans l'eau du ciel, surtout dans celle qui a séjourné sur des toits couverts ou bordés de plomb, où l'on trouve un grand nombre d'espèces d'animaux diffé- rents : mais nous ferons voir, lorsque nous donnerons riiistoire des animaux microscopiques, que la plupart de ces animaux qu'on trouve dans l'eau de pluie ne sont que des parties organiques mouvantes qui se di- visent, qui se rassemblent, qui changent de forme et de grandeur, et qu'on peut enfm faire mouvoir et rester en repos, ou vivre et mourir aussi souvent qu'on le veut. La plupart des liqueurs séminales se délaient d'elles-mêmes, et deviennent plus liquides à l'air et au froid qu'elles ne le sont au sortir du corps de l'a- nimal : au contraire, elles s'épaississent lorsqu'on les approche du feu et qu'on leur communique un de- gré même médiocre de chaleur. J'ai exposé quelques unes de ces liqueurs à un froid assez violent, en sorte qu'au toucher elles étoient aussi froides que de l'eau prête à se glacer; ce froid n'a fait aucun mal aux pré- tendus animaux; ils continuoient à se mouvoir avec la même vitesse et aussi long-temps que ceux qui n'y avoient pas été exposés : ceux au contraire qui avoient souffert un peu de chaleur cessoient de se mouvoir, parce que la liqueur s'épaississoit. Si ces RÉFLEX. SLR LES EXPÉR. PRECEDENTES. 121 corps en mouvement éloientdes animaux, ils seroient donc d'une complexion et d'un tempérament tout difl'érent de tous les autres animaux, dans lesquels uQe chaleur douce et modérée ne fait qu'entretenir la vie et augmenter les forces et le mouvement, que le froid arrête et détruit. Mais voilà peut-être trop de preuves contre la réalité de ces prétendus animaux, et on pourra trou- ver que nous nous sommes trop étendus sur ce sujet. Je ne puis cependant m'empêcher de faire une re- marque dont on peut tirer quelques conséquences utiles : c'est que ces prétendus animaux spermati- ques , qui ne sont en effet que les parties organiques vivantes de la nourriture , existent non seulement dans les liqueurs séminales des deux sexes et dans le ré- sidu de la nourriture qui s'attache aux dents, mais qu'on les trouve aussi dans le chyle et dans les excré- ments. Leeuwenhoeck, les ayant rencontrés dans les excréments des grenouilles et de plusieurs autres ani- maux qu'il disséquoit, en fut d'abord fort surpris; et ne pouvant concevoir d'où venoient ces animaux qui étoient entièrement semblables à ceux des liqueurs sé- minales qu'il venoit d'observer, il s'accuse lui-même de maladresse, et dit qu'apparemment en disséquant l'a- nimal il aura ouvert avec le scalpel les vaisseaux qui contenoient la semence, et qu'elle se sera sans doute mêlée avec les excréments : mais ensuite les ayant trou- vés dans les excréments de quelques autres animaux, et même dans les siens, il ne sait plus quelle origine leur attribuer. J'observerai que Leuwenhoeck ne les a jamais trouvés dans ses excréments que quand ils étoient liquides : toutes les fois que son estomac ne l'2 2 ANIMAUX. faisoit pas ses fonctions eî qu'il étoil dévoyé , il y trouvoitde ces animaux; mais lorsque la coctionde la nourriture se faisoit bien , et que les excréments étoientdurs, il n'y en avoit aucun, quoiqu'il les dé- layât avec de l'eau; ce qui semble s'accorder parfai- tement avec tout ce que nous avons dit ci-devant: car il est aisé de comprendre que, lorsque l'estomac et les intestins font bien leurs fonctions, les excré- ments ne sont que le marc de la nourriture, et €{ue tout ce qu'il y avoit de vraiment nourrissant et d'or- ganique est entré dans les vaisseaux qui servent à nourrir l'animal ; que par conséquent on ne doit point trouver alors de ces molécules organiques dans ce marc, qui est principalement composé des parties brutes de la nourriture et des excréments du corps, qui ne sont aussi que des parties brutes ; au lieu que si l'estomac et les intestins laissent passer la nourri- ture sans la digérer assez pour que les vaisseaux qui doivent recevoir ces molécules organiques puissent les admettre, ou bien, ce qui est encore plus proba- ble, s'il y a trop de relâchement ou de tension dans les parties solides de ces vaisseaux, et qu'ils ne soient pas dans l'état où il faut qu'ils soient pour pomper la nourriture, alors elle passe avec les parties brutes, et on trouve les molécules organiques vivantes dans les excréments : d'où l'on peut conclure que les gens qui sont souvent dévoyés doivent avoir moins de li- queur séminale que les autres, et que ceux au con- traire dont les excréments sont moulés et qui vont rarement à la garde-robe sont les plus vigoureux et les plus propres à la génération. Dans tout ce que j'ai dit jusqu'ici, j'ai toujours RÉFLEX. SUn LES EXPÉR. P UÉ ÇÉDE xNTES. î2.) supposé que la femelle fournissoit, aussi bien que le mâle , une liqueur séminale, et que cette liqueur séminale étoit aussi nécessaire à l'œuvre de la géné- ration que celle du mâle. J'ai tâché d'établir [c/iap. I) que tout corps organisé doit contenir des parties or- ganiques vivantes. J'ai prouvé [cliap, II et III) que la nutrition et la reproduction s'opèrent par une seule et même cause; que la nutrition se fait parla pénétration intime de ces parties organiques dans chaque partie du corps, et que la reproduction s'o- père par le surperflu de ces mêmes parties organi- ques rassemblées dans quelque endroit où elles sont renvoyées de toutes les parties du corps. J'ai expliqué [cfiap. lY) comment on doit entendre cette théorie dans la génération de l'homme et des animaux qui ont des sexes. Les femelles étant donc des êtres or- ganisés comme les mâles, elles doivent aussi, comme Je l'ai établi, avoir quelques réservoirs où le superflu des parties organiques soit renvoyé de toutes les parties de leur corps : ce superflu ne peut pas y ar- river sous une autre forme que sous celle d'une li- queur, puisque c'est un extrait de toutes les parties du corps; et cette liqueur est ce que j'ai toujours ap- pelé la semence de la femelle. Cette liqueur n'est pas, comme le prétend Aris- tote, une matière inféconde par elle-même, et qui n'entre ni comme matière, ni comme forme, dans l'ouvrage de la génération ; c'est au contraire une matière prolifique, et aussi essentiellement prolifi- que que celle du mâle , qui contient les parties ca- ractéristiques du sexe féminin, que la femelle seule peut produire, comme celle du mâle contient les 1 24 ANIMAUX. parties qui doivent former les organes masculins; ci chacune de ces Ii€|ueurs contient en même temps toutes les autres parties organiques cpi'on peut regar- der comme communes aux deux sexes ; ce qui fait que , par leur mélange, la fdle peut ressembler à son père , et le fds à sa mère. Cette licjueur n'est pas composée, comme le dit Hippocrate , de deux li- queurs, l'une forte, qui doit servir à produire les mâles, et l'autre foible , qui doit former les femeiles: cette supposition est gratuite ; et d'ailleurs je ne vois pas comment on peut concevoir que, dans une li- queur qui est l'extrait de toutes les parties du corps de la femelle, il y ait des parties qui puissent pro- duire des organes que la femelle n'a pas, c'est-à-dire les organes du mâle. Cette liqueur doit arriver par quelque voie dans la matrice des animaux qui portent et nourrissent leur fœtus au dedans de leur corps, ou bien elle doit se répandre sur d'autres parties dans les animaux qui n'ont point de vraie matrice ; ces parties sont les œufs, qu'on peut regarder comme des matrices portatives , et que l'animal jette au debors. Ces matrices contiennent chacune une petite goutte de cette liqueur prolifique de la femelle dans l'endroit qu'on appelle ta cicatri- cule. Lorsqu'il n'y a pas eu de communication avec le mâle , cette goutte de hqueur prolifique se rassem- ble sous la figure d'une petite mole, comme l'a ob- servé Malpighi; et quand cette liqueur prolifique de la femelle, contenue dans la cicatricule , a été péné- trée par celle du mâle, elle produit un fœtus qui tire sa nourriture des sucs de cette matrice dans laquelle il est contenu. KEFLEX. SUR LES EXPEll. PRECEDENTES. \ '2D Les œufs , au lieu d'être des parties qui se trouvent ijjénéralejuent dans toutes les femelles, ne sont donc au contraire que des parties que la nature a employées pour remplacer la matrice dans les femelles qui sont privées de cet organe; au lieu d'être les parties acti- ves et essentielles à la première fécondation , les œufs ne servent que comme parties passives et acciden- telles à la nutrition du fœtus déjà formé par le mé- lange des liqueurs des deux sexes dans un endroit de cette matrice, comme le sont les fœtus dans quel- que endroit de la matrice des vivipares ; au lieu d'être des êtres existants de tout temps, renfermés à l'infini les uns dans les autres, et contenant des millions de millions de fœtus mâles et femelles, les œufs sont au contraire des corps qui se forment du superflu d'une nourriture plus grossière et moins organique que celle qui produit la liqueur séminale et prolifique : c'est, dans les femelles ovipares, quelque chose d'équivalent , non seulement à la matrice , mais même aux menstrues des vivipares. Ce qui doit achever de nous convaincre que les œufs doivent être regardés comme des parties desti- nées par la nature à remplacer la matrice dans les animaux qui sont privés de ce viscère, c'est que ces femelles produisent des œufs indépendamment du mâle. De la même façon que la matrice existe dans les vivipares, comme partie appartenante au sexe féminin, les poules qui n'ont point de matrice, ont des œufs qui la remplacent; ce sont plusieurs matri- ces qui se produisent successivement, et qui existent dans ces femelles nécessairement et indépendamment de l'acte de la génération et de la communication 1 '26 ANïMArx. avec le mâle. Prétendre que le fœtus est préexistant dans CCS œufs, et que ces œufs sont contenus à l'in- fini les uns dans les autres , c'est à peu près comme si l'on prétendoit que le fœtus est préexistant dans la matrice, et que toutes les matrices étoient ren- fermées les unes dans les autres, et toutes dans la matrice de la première femelle. Les anatomistes ont pris le mot œuf dans des ac- ceptions diverses, et ont entendu des choses différen- t{ s piir ce nom. Lorsque Harvev a pris pour devise, omnia ex oro ^ il entendoit par l'œuf des vivipares le sac qui renferme le fœtus et tous ses appendices; il croyoit avoir vu former cet œuf ou ce sac sous ses yeux après la copulation du mâle et de la femelle : cet œuf ne venoit pas de l'ovaire ou du testicule de la femelle; il a même soutenu qu'il n'avoit pas remar- qué la moindre altération à ce testicule, etc. On voit bien qu'il n'y a rien ici qui soit semblable à ce que l'on entend ordinairement par le mot çVœufy si ce n'est que la figure d'un sac peut être celle d'un œuf, comme celle d'uu œuf peut être celle d'un sac. Har- vey, qui a disséqué tant de femelles vivipares, n'a , dit-il, jamais aperçu d'altération aux testicules; il les regarde même comme de petites glandes qui sont tout-à-fait inutiles à la génération , tandis que ces tes- ticules sont des parties fort considérables dans la , plupart des femelles, et qu'il y arrive des change- ments et des altérations très marqués , puisqu'on peut voir, dans les vaches, croître le corps glandu- leux depuis la grosseur d'un grain de millet jusqu'à celle d'une grosse cerise. Ce qui a trompé ce grand anatomiste , c'est que ce changement n'est pas à REFLEX. SUR LES EXPER. PRECEDENTES. 1:2^ beaucoup près si marqué dans les biches et dans les daines. (À)ni'ad Peyer, qui a fait plusieurs observa- tions sur les testicules des daines, dit: « Exigui qui- » dem sunt damarum tesliculi; sedpost coitum fecun- » dum in allerutro , eorum papilla, sive tuberculum » fibrosum semper succrescit : scrofîs autem pra?gnan- » tibus tanta accidit testiculoruni mutatio , ut medio- » crem quoque attentionem fugere nequeat'^. « Cet auteur croit , avec quelque raison , que la petitesse des testicules des daines et des biches est cause de ce que Harvey n'y a pas remarqué de changement ; mais il est lui-même dans Terreur, en ce qu'il dit que ces changements qu'il v a remarqués, et qui avoient échappé à Harvey, n'arrivent qu'après une copulation féconde. Il paroît d'ailleurs que Harvey s'est trompé sur plusieurs autres choses essentielles : il assure que la semence du mâle n'entre pas dans la matrice de la femelle, et même qu'elle ne peut pas y entrer; et cependant Verrheyen a trouvé une grande quantité de semence du mâle dans la matrice d'une vache dis- séquée seize heures après l'accouplement. Le célè- bre Ruysch assure avoir disséqué la matrice d'une femme qui, ayant été surprise en adultère, fut assas- sinée sur-le-champ, et avoir trouvé, non seulement dans la cavité de la matrice, mais aussi dans les deux trompes, une bonne quantité de la liqueur séminale du mâle 2. Vallisnieri assure que Fallope et d'autres anatomistes ont aussi trouvé, comme Ruysch, de la semence du mâle dans la matrice de plusieurs femmes. 1. Voyez Conradi Peyri Merycologia. 2. Voyez Ruysch. Thés, anœl., pag. 90, tab. VI, fig. 1. 128 ANIMAUX. On ne peut donc guère douter, après le témoignage positif de ces grands anatomistes , que Harvey ne se soit trompé sur ce point important , surtout si l'on ajoute à ces témoignages celui de Leeuwenhoeck, qui assure avoir trouvé de la semence du mâle dans la matrice d'un très grand nombre de femelles de toute espèce , qu'il a disséquées après l'accouplement. Une autre erreur de fait est ce que dit Harvey ( cap. XVI, n'' 7) au sujet d'une fausse couche du se- cond mois , dont la masse étoit grosse comme un œuf de pigeon, mais encore sans aucun fœtus formé , tandis qu'on est assuré , par le témoignage de Ruysch et de plusieurs autres anatomistes , que le fœtus est toujours reconnoissable, même à l'œil simple, dans Je premier mois. L'histoire de l'Académie fait men- tion d'un fœtus de vingt-un jours, et nous apprend qu'il étoit cependant formé entier, et qu'on en dis- tinguoit aisément toutes les parties. Si l'on ajoute à ces autorités celle de Malpighi , qui a reconnu le poulet dans la cicatricule, immédiatement après que l'œuf fut sorti du corps de la poule , et avant qu'il eût été couvé, on ne pourra pas douter que le fœtus ne soit formé et n'existe dès le premier jour et immédia- tement après la copulation; et par conséquent on ne doit donner aucune croyance à ce que Harvey dit au sujet des parties qui viennent s'ajuster les unes auprès des autres par juxta-position , puisqu'au contraire elles sont toutes existantes d'abord , et qu'elles ne font que se développer successivement. Graaf a pris le mot à'œuf à^ns une acception toute différente de Harvey ; il a prétendu que les testicules des femmes étoient de vraies ovaires qui conlenoient REFLEX. SUR LES EXPEîî. PRECEDENTES. 1 !>() des œiits semblables à ceux que contiennent !es ovai- res des femelles ovipares , mais seulement que ces œufs étoient beaucoup plus petits, et qu'ils ne tom- boient pas au dehors , qu'ils ne se détachoient jamais que quand ils étoient fécondés, et qu'alors ils des- cendoient de l'ovaire dans les cornes de la matrice , où ils grossissoient. Les expériences de Graaf sont celles qui ont le plus contribué à faire croire l'exis- tence de ces prétendus œufs, qui cependant n*est point du tout fondée ; car ce fameux anatomiste se trompe , i° en ce qu'il prend les vésicules de l'ovaire pour des œufs, tandis que ce ne sont que des parties inséparables du testicule de la femelle , qui même en forment la substance, et que ces mêmes vésicules sont remplies d'une espèce de lymphe. Il se seroit moins trompé s'il n'eût regardé ces vésicules que comme de simples réservoirs, et la lymphe qu'elles contiennent, comme la liqueur séminale de la fe- melle , au lieu de prendre cette liqueur pour du blanc d'œuf. 2" Il se trompe encore en ce qu'il as- sure que le follicule ou le corps glanduleux est l'en- veloppe de ces œufs ou de ces vésicules : car il est certain, par les observations de Malpighi , de Vallis- nieri , et par mes propres expériences , que ce corps glanduleux n'enveloppe point ces vésicules et n'en contient aucune. 5° Il se trompe encore davantage lorsqu'il assure que ce follicule ou corps glanduleux ne se forme jamais qu'après la fécondation, tandis qu'au contraire on trouve ces corps glanduleux for- més dans toutes les femelles qui ont atteint la pu- berté. 4° 11 se trompe lorsqu'il dit que les globules qu'il a vus dans la matrice, et qui contenoient le fœ- lv)0 ANIMAUX. tUvS , ctoient ces mômes vésicuies oa œiils de l'ovaire qui y étoiént desceadus , et qui , dit-i! , y étoient devenus dix fois plus petits qu'ils ne l 'étoient dans l'ovaire : cette seule remarque de les avoir trouvés dix fois plus petits dans la matrice qu'ils ne l'étoient dans l'ovaire au moment de la fécondation, ou même avant et après cet instant, n'auroit-elle pas du lui faire ouvrir les yeux, et lui faire reconiioitre que ce qu'il voyoit dans la matrice n'étoit pas ce qu'il avoil vu dans les testicules? 5" Il se trompe en disant que les corps glanduleux du testicule ne sont que l'en- veloppe de l'œuf fécond, et que le nombre de ces enveloppes ou follicules vides répond toujours au nombre des fœtus : cette assertion est tout-à-fait con- traire à la vérité; car on trouve toujours sur les testi- cules de toutes les femelles un plus grand nombre de corps glanduleux ou de cicatrices qu'il n'y a eu de productions de fœtus, et on en trouve dans celles qui n'ont pas produit du tout. Ajoutez à tout cela qu'il n'a jamais vu l'œuf dans sa prétendue enveloppe ou dans son follicule, et que ni lui, ni Yerrbeyen, ni les autres qui ont fait les mêmes expériences n'ont vu cet œuf sur lequel ils ont cependant établi leur système. Malpigbi, qui a reconnu l'accroissement du corps glanduleux dans le testicule de la femelle, s'est trompé lorsqu'il a cru voir une fois ou deux l'œuf dans la ca- vité de ce corps glanduleux, puisque cette cavité ne contient que de la liqueur, et qu'après un nombre infini d'observations on n'y a jamais trouvé rien de semblable à un œuf, comme le prouvent les expé- riences de Vallisnieri. REFLEX. SUR LES EXPÉU. P IlÉCÉDEMTES. l5l Vallisnieri , qui ne s'est point trompé sur les faits , eii a tiré une fausse conséquence ; savoir, que quoi- qu'il n'ait jamais, ni lui, ni aucun anatomiste en qui il eût confiance, pu trouver l'œuf dans la cavité du corps glanduleux, il falloit bien cependant qu'il y fût. Voyons donc ce qui nous reste de réel dans les découvertes de ces observateurs, et sur quoi nous puissions compter. Graaf a reconnu ie premier qu'il y avoit des altérations aux testicules des femelles , et il a eu raison d'assurer que ces testicules étoient des parties essentielles et nécessaires à la génération. Malpighi a démontré ce que c'étoit que ces altéra- tions aux testicules des femelles, et il a fait voir que c'étoient des corps glanduleux qui croissoient jusqu'à une entière maturité, après quoi ils s'afTaissoient, s'oblitéroient , et ne laissoient qu'une très légère ci- catrice. Vailisnieri a mis cette découverte dans un très grand jour : il a fait voir que ces corps glandu- leux se trouvoient sur les testicules de toutes les femelles, qu'ils prenoient un accroissement considé- rable dans la saison de leurs amours, qu'ils s'augmen- toient et croissoient aux dépens des vésicules lym- phatiques du testicule , et qu'ils contenoient toujours, dans le temps de leur maturité, une cavité remplie de liqueur. Yoilà à quoi se réduit au vrai tout ce qu'on a trouvé au sujet des prétendus ovaires et des œufs des vivipares. Qu'en doit -on conclure.^ Deux choses qui me paroissenl évidentes : l'une qu'il n'existe point d'œufs dans les testicules des femelles, puisqu'on n'a pu yen trouver; l'autre, qu'il existe de la liqueur, et dans les vésicules du testicule , et dans la cavité du corps glanduleux , puisqu'on y en a ton- lJ-3 ANIMAUX. jours trouvé; et nous avons démontré par les expé- riences précédentes, que cette dernière liqueur esr la vraie semence de la femelle , puisqu'elle con- tient, comme celle du mâle, des animaux sperma- tiques, ou plutôt des parties organiques en mouve- ment. Nous sommes donc assurés maintenant que les femelles ont , comme les mfdes, une liqueur sémi- nale. Nous ne pouvons guère douter, après tout ce que nous avons dit, que la liqueur séminale en géné- ral ne soit le superflu de la nourriture organique , qui est renvoyée de toutes les parties du corps dans les tes- ticules et les vésicules séminales des mâles, et dans les testicules et la cavité des corps glanduleux des femel- les : cette liqueur qui sort par le mamelon des corps glanduleux arrose continuellement les cornes de la matrice de la femelle, et peut aisément y pénétrer, soit par la succion du tissu mêtne de ces cornes, qui, quoique membraneux , ne laisse pas d'être spongieux, soit par la petite ouverture qui est à l'extrémité su- périeure des cornes; et il n'y a aucune difllculté à concevoir comment cette liqueur peut entrer dans la matrice, au lieu que dans la supposition que les vési- cules de l'ovaire étoient des œufs qui se détachoient de l'ovaire , on n'a jamais pu comprendre comment ces prétendus œufs, qui étoient dix ou vingt fois plus gros que l'ouverture des cornes de la matrice n'éloit large, pouvoient y entrer. On a vu que Graaf, auteur de ce système des œufs, étoit obligé de supposer, ou plutôt d'avouer, que, quand ils étoient descendus dans la matrice, ils étoient devenus dix fois plus petits qu'ils ne le sont dans l'ovaire. REFLEX. SLR LES EXPEll. PRÉCÉDENTES. j55 La liqueur que les femmes répandent lorsqu'elles sont excitées, et qui sort, selon Graaf, des lacunes qui sont autour du col de la matrice et autour de lorifice extérieur de l'urètre , pourroit bien être une portion surabondante de la liqueur séminale qui dis- tille continuellement des corps glanduleux du testi- cule sur les trompes de la matrice , et qui peut y en- trer directement toutes les fois que le pavillon se relève et s'approche du testicule ; mais peut-être aussi cette liqueur est-elle une sécrétion d'un autre genre et tout-à-fait inutile à la génération. Il auroit fallu, pour décider cette question, faire des observations au mi- croscope sur cette liqueur ; mais toutes les expé- riences ne sont pas permises, même aux philosophes : tout ce que je puis dire, c'est que je suis fort porté à croire qu'on y trouveroitles mêmes corps en mou- vement, les mêmes animaux spermatiques, que l'on trouve dans la liqueur du corps glanduleux; et je puis citer à ce sujet un docteur italien, qui s'est per- mis défaire avec attention cette espèce d'observation, que \allisnieri rapporte en ces termes ( tojne II, page i56, col. i ) : « Aggi Ligne il lodato sig. Bono » d'avergli anco veduti ( animali spermatici ) in questa » linfa o slero , diro cosi voluttuoso, che nel tempo » deir amoroza zufTa scappa dalle femine libidinose , » senza che si potesse sospettare che fossero di que' » del maschio, etc. » Si le fait est vrai, comme je n'en doute pas, il est certain que cette liqueur que les femmes répandent est la même que celle qui se trouve dans la cavité des corps glanduleux de leurs testicules , et que par conséquent c'est de la li- queur vraiment séminale ; et , quoique les anato- 9 BUFFO?.-. xr. l34 ANIMAUX. mistes n'aient pas découvert de communication en- tre les lacunes de Graaf et les testicules , cela n'empêche pas que la liqueur séminale des testicules étant une fois dans la matrice, où elle peut entrer, comme je l'ai dit ci-dessus, elle ne puisse en sortir par ces petites ouvertures ou lacunes qui en envi- ronnent le col, et que, par la seule action du tissu spongieux de toutes ces parties, elle ne puisse par- venir aussi aux lacunes qui sont autour de l'orifice extérieur de l'urètre , surtout si le mouvement de cette liqueur est aidé par les ébranlements et la tension que l'acte de la génération occasione dans toutes ces parties. De là on doit conclure que les femmes qui ont beaucoup de tempérament sont peu fécondes, sur- tout si elles font un usage immodéré des hommes, parce qu'elles répandent au dehors la liqueur sémi- nale qui doit rester dans la matrice pour la formation du fœtus. Aussi voyons-nous que les femmes publi- ques ne font point d'enfants, ou du moins qu'elles en font bien pi us rarement que les autres ; et dans les pays chauds, où elles ont toutes beaucoup plus de tempéra- ment que dans les pays froids, elles sont aussi beau- coup moins fécondes. Mais nous aurons occasion de parler de ceci dans la suite. Il est naturel de penser que la liqueur séminale, soit du mâle, soit de la femelle , ne doit être féconde que quand elle contient des corps en mouvement; cependant c'est encore une question, et je serois as- sez porté à croire que, comme ces corps sont sujets à des changements de forme et de mouvement, que ce ne sont que des parties organiques qui se mettent RÉFLKX. SUR LES EXPÉR. PRÉCÉDENTES. 1 55 en Dioiivement selon difleren tes circonstances, qu'ils se développent, qu'ils se décomposent, ou qu'ils se composent suivant les différents rapports qu'ils ont entre eux, ii y a une infinité de différents états de cette liqueur , et que l'état où elle est lorsqu'on y voit ces parties organiques eu mouvement n'est peut-être pas absolument nécessaire pour que la génération puisse s'opérer. Le même docteur italien que nous avons cité dit qu'ayant observé, plusieurs années de suite, sa liqueur séminale, il n'y avoit jamais vu d'a- nimaux spermatiques pendant toute sa jeunesse; que cependant il avoit lieu de croire que cette liqueur étoit féconde , puisqu'il étoit devenu pendant ce temps le père de plusieurs enfants, et qu'il n'avoit commencé à voir des animaux spermatiques dans cette liqueur que quand il eut atteint le moyen âge, l'âge auquel on est obligé de prendre des lunettes; qu'il avoit eu des enfants dans ce dernier temps aussi bien que dans le premier : et ii ajoute qu'ayant comparé les animaux spermatiques de sa liqueur séminale avec ceux de quelques autres, il avoit toujours trouvé les siens plus petits que ceux des autres. Il semble que cette observation pourroit faire croire que la liqueur séminale peut être féconde, quoiqu'elle ne soit pas actuellement dans l'état où il faut qu'elle soit pour qu'on y trouve les parties organiques en mouvement : peut-être ces parties ne prennent-elles du mouvement dans ce cas que quand la liqueur est dans le corps de la femelle, peut-être le mouvement jqui y existe est- il insensible , parce que les molécules organiques sont trop petites. On peut regarder ces corps organiques qui se meu- l56 ANIMAUX. vent, ces animaux spermatiques, comme le premier assemblage de ces molécules organiques qui provien- nent de toutes les parties du corps : lorsqu'il s'en ras- semble une assez grande quantité, elles forment un corps qui se meut, et qu'on peut apercevoir au mi- croscope; mais, si elles ne se rassemblent qu'en pe- tite quantité, le corps qu'elles formeront sera trop petit pour être aperçu, et dans ce cas on ne pourra rien distinguer de mouvant dans la liqueur séminale. C'est aussi ce que j'ai remarqué très souvent; il y a des temps où cette liqueur ne contient rien d'animé, et il faudroit une très longue suite d'observations pour déterminer quelles peuvent être les causes de toutes les différences qu'on remarque dans les états de cette liqueur. Ce que je puis assurer pour l'avoir éprouvé souvent, c'est qu'en mettant infuser avec de l'eau les liqueurs séminales des animaux dans de petites bouteilles bien bouchées , on trouve , au bout de trois ou quatre jours, et souvent plus tôt, dans la liqueur de ces infusions, une multitude infinie de corps en mouvement. Les liqueurs séminales dans lesquelles il n'y a aucun mou- vement, aucune partie organique mouvante au sortir du corps de l'animal , en produisent tout autant que celles où il y en a une grande quantité ; le sang , le chyle, la chair, et même l'urine, contiennent aussi des parties organiques qui se mettent en mouvement au bout de quelques jours d'infusion dans de l'eau pure ; les germes des amandes de fruits, les graines, lenectareum , le miel, etmême les bois, les écorces, et les autres parties des plantes ^ en produisent aussi de la même façon. On ne peut donc pas douter de IIKFLEX. SLR LES EXPER. PRECEDENTES. 10^ l'existence de ces parties organiques vivantes dans toutes les substances animales ou végétales. Dans les liqueurs séminales, il paroît que cesparties organiques vivantes sont toutes en action ; il semble qu'elles cherchent à se développer, puisqu'on les voit sortir des filaments, et qu'elles se forment aux yeux mêmes de l'observateur. Au reste , ces petits corps des liqueurs séminales ne sont cependant pas doués d'une force qui leur soit particulière; car ceux que l'on voit dans toutes les autres substances animales ou végé- taies décomposées à un certain point sont doués de la même force; ils agissent et se meuvent à peu près de la même façon, et pendant un temps assez considé- rable : ils changent de forme successivement pendant plusieurs heures, et même pendant plusieurs jours. Si l'on vouloit absolument que ces corps fussent des animaux, il faudroit donc avouer que ce sont des ani- maux si imparfaits , qu'on ne doit tout au plus les re- garder que comme des ébauches d'animal, ou bien comme des corps simplement composés des parties les plus essentielles à un animal; car des machines naturelles, des pompes telles que sont celles qu'on trouve en si grande quantité dans la laite du calmar, qui d'elles-mêmes se mettent en action dans un cer- tain temps , et qui ne finissent d'agir et de se mouvoir qu'au bout d'un autre teuips et après avoir jeté toute leur substance , ne sont certainement pas des ani- maux, quoique ce soient des êtres organisés, agissants et pour ainsi dire vivants : mais leur organisation est plus simple que celle d'un animal ; et si ces machines naturelles, au lieu de n'agir que pendant trente se- condes ou pendant une minute tout au plus, agissoient l58 AWIMAUX. pendant un temps beaucoup pfifslong, par exemple, pendant un mois ou un an, je ne sais si on ne seroit pas obligé de leur donner le nom d'animaux, quoi- qu'elles ne parussent pas avoir d'autre mouvement que celui d'une pompe qui agit pai- elle-même , et que leur organisation fût aussi simple en apparence que celle de cette machine artificieile : car combien n'y a-t-il pas d'animaux dans lesquels nous ne distinguons aucun mouvement produit par la volonté? et n'en connoissons-nouspas d'autres dont l'organisation nous paroît si simple que tout leur corps est transparent comme du cristal , sans aucun membre et presque sans aucune organisation apparente? Si l'on convient une fois que l'ordre des produc- tions de la nature se suit uniformément, et se fait par degrés et par nuances, on n'aura pas de peine à con- cevoir qu'il existe des corps organiques qui ne sont ni animaux, ni végétaux, ni minéraux : ces êtres inter- médiaires auront eux-mêmes des nuances dans les espèces qui les constituent, et des degrés différents de perfection et d'imperfection dans leur organisation. Les machines de ia laite du calmar sont peut-être plus organisées, plus parfaites, que les autres animaux spermatiques ; peut-être aussi le sont-elles moins; les œufs le sont peut-être encore moins que les uns et les autres : mais nous n'avons sur cela pas même de quoi fonder des conjectures raisonnables. Ce qu'il y a de certain, c'est que tous les animaux et tous les végétaux, et toutes les parties des animaux et des végétaux, contiennent une infinité de molécules organiques vivantes qu'on peut exposer aux yeux de tout le monde, comme nous l'avons fait par les expé-> REFLEX. SI 11 LES EXPER. PRECEDENTES, 1 Of) riences précédentes. Ces molécules organiques pren- nent successivement des formes différentes et des degrés différents de mouvement et d'activité, suivant les différentes circonstances : elles sont en beaucoup plus grand nombre dans les liqueurs séminales des deux sexes et dans les germes des plantes que dans les autres parties de l'animal ou du végétal ; elles y sont au moins plus apparentes et plus développées, ou, si l'on veut, elles y sont accumulées sous la forme de ces petits corps en mouvement. Il existe donc dans les végétaux et dans les animaux une substance vi- vante qui leur est commune ; c'est cette substance vi- vante et organique qui est la matière nécessaire à la nutrition. L'animal se nourrit de l'animal ou du vé- gétal , comme le végétal peut aussi se nourrir de l'a- nimal ou du végétal décomposé. Cette substance nutritive, commune à l'un et à l'autre , est toujours vi- vante, toujours active; elle produit l'animal ou le végétal, lorsqu'elle trouve un moule intérieur, une matrice convenable et analogue à l'un et à l'autre, comme nous l'avons expliqué dans les premiers cha- pitres ; mais lorsque cette substance active se trouve rassemblée en grande abondance dans les endroits où elle peut s'unir, elle forme dans le corps animal d'au- tres animaux, tels que le taenia, les ascarides, les vers, qu'on trouve quelquefois dans les veines, dans les sinus du cerveau, dans le foie, etc. Ces espèces d'animaux ne doivent pas leur existence à d'autres animaux de même espèce qu'eux; leur génération ne se fait pas comme celle des autres animaux : on peut donc croire qu'ils sont produits par cette matière or- ganique, lorsqu'elle est extravasée, ou lorsqu'elle 1 4o A N I M A U X. n'est pas pompée par les vaisseaux qui servent à la nutrition du corps de l'animal. Il est assez probable qu'alors cette substance productive , qui est toujours active, et qui tend à s'organiser, produit des vers et de petits corps organisés de différente espèce , sui- vant les différents lieux, les différentes matrices où elle se trouve rassemblée. Nous aurons dans la suite occasion d'examiner plus en détail la nature de ces vers et de plusieurs autres animaux qui se forment de la même façon, et de faire voir que leur produc- tion est très différente de ce que l'on a pensé jus- qu'ici. Lorsque cette matière organique , qu'on peut re- garder comme une semence universelle, est rassem- blée en assez grande quantité , comme elle l'est dans les liqueurs séminales et dans la partie mucilagineuse de l'infusion des plantes, son premier effet est de vé- géter ou plutôt de produire des êtres végétants. Ces espèces de zoophytes se gonflent, se boursouflent, s'étendent, se ramifient, et produisent ensuite des globules, des ovales et d'autres petits corps de diffé- rente figure, qui ont tous une espèce de vie animale, nn mouvement progressif, souvent très rapide, et d'autres fois plus lent. Ces globules eux-mêmes se décomposent, changent défigure, et deviennent plus petits; et à mesure qu'ils diminuent de grosseur, la rapidité de leur mouvement augmente : lorsque le mouvement de ces petits corps est fort rapide, et qu'ils sont eux-mêmes en très grand nombre dans la liqueur, elle s'échauffe à un point même très sensible; ce qui m'a fait penser que le mouvement et l'action de ces parties organiques des végétaux et des animaux RÉFLEX. SUR LES EXPÉR. PRECEDENTES, l/j.! pourroient bien être la cause de ce que l'on appelle fermentation. J'ai cru qu'on pouvoit présumer aussi que le venin de la vipère et les autres poisons actifs, même celui de la morsure d'un animal enragé, pourroient bien être cette matière active trop exaltée : mais je n'ai pas encore eu le temps de faire les expériences que j'ai projetées sur ce sujet, aussi bien que sur les dro- gues qu'on emploie dans la médecine; tout ce que je puis assurer aujourd'hui , c'est que toutes les infu- sions des drogues les plus actives fourmillent de corps en mouvement, et que ces corps s'y forment en beaucoup moins de temps que dans les autres sub- stances. Presque tous les animaux microscopiques sont de la même nature que les corps organisés qui se meu- vent dans les liqueurs sémiaales . et dans les infusions des végétaux et de la chair des animaux ; les anguilles de la farine, celles du blé ergoté, celles du vinaigre, celles de l'eau qui a séjourné sur des gouttières de plomb, etc., sont des êtres de la même nature que les premiers, et qui ont une origine semblable : mais nous réservons pour l'histoire particulière des ani- maux microscopiques les preuves que nous pourrions en donner ici. ADDITION AU CHAPITRE PRECEDENT. Comme plusieurs physiciens et même quelques ana- tomistes paroissent encore douter de l'existence des \L['2 AM-MAIX. corps glanduleux dans les ovaires, ou, pour mieux dire, dans les testicules des femelles, et particuliè- lement dans les testicules des femmes, malgré les observations de Vallisnieri , confirmées par mes expé- liences et par la découverte que j'ai faite du réservoir réel de la liqueur séminale des femelles , qui est filtrée par ces corps glanduleux, et contenue dans leur cavité intérieure, je crois devoir rapporter ici le témoignage d'un très habile anatomiste, M. Ambroise Beilrandi, de Turin, qui m'a écrit dans les termes suivants, au sujet de ces corps glanduleux. « In puellis a decimo quarto ad vigesimum an- » num, quas non minus transacta? vitae genus , quam » partium genitalium intemerata integritas , virgines » decessisseindicabat, ovaria levia, globosa atquetur- » gidula reperiebam ; in aliquibus porro luteas quas- » dam papillas detegebam quse corporum luteorum » rudimenta referrent. In aliis vero adeo perfecta et » turgentia vidi , ut totam amplitudinem suam acqui- » sivisse viderentur. Imo in robusta et succi plena » puella quae furore uterino, diutino et vehementi , » tandem occubuerat , bujusmodicorpusinveni, quod » cerasi magnitudinem excederat , cujus vero papilia » gangrîena erat correpta, idque totum atro sanguine » oppletum. Corpus hoc luteum apud amicum asser- » vatur. » Ovaria in adolescentibus intusintertextavidentur » confertissimis vasculorum fasciculis, quae arteriae » spermaticae propagines sunt. Tniis, quibus mammae » sororiari incipiunt et menstrua fluunt, admodum » rubella apparent ; nonnullae ipsorum tenuissimae » propagines circam vesiculas quas ova nominant . IIÉFLEX. SUR LES EXPÉR. 1»RÉ C ÉDEATES. i4-) n perducuntur. Yernm e profundo ovarii villos non- » inillos îiiteos terminantes vidimus, qui, ^raminis » ad instar, ut ait Maipighius, vesiculis in arcum du- » cebantur. Luteas hujusmodi propagines e sangui- » neis vasculis spermaticis elongari ex eo suspicabar, » quod injiciens per arteriam spermaticam tenuissi- » niam gumnai solutionem in alcool , corporis liitei » nianiillas pervadisse viderini. » Très porcellas Indicas a matre subduxi, atqiie a » masculis separalas per quindecim mensesasservavi ; » fineenecatis in duoruni tnrgidulisovariis corpuscula » lutea inveni, succi plena, atque perfectae plenitu- » dinis. Inpecubus quae qnideni a masciiio compressai » fueranl, nunquam veroconceperant , lutea corpora » saepissime observavi. » Egregius anatomicns Santorinus htec scripsit de )) corporibns hiteis » [Observationam anatomlcarumj cap. XI). § XTV. « In connubiis maturis , ubi eorum corpora M procreationi apta sunt... corpus kiteum perpetuo » reperitur. » § XV, « Graafius. .. corpora lutea cognovit postcoi- » tum duntaxat, antea niinquam sibi visa dicit... Nos » ea tamen in intemeratis virginibus plurimis saepe » commonstrataluculenter vidimus, atque adeoneqiie » exviri initu tum prinium excitari , neqiie ad matn- » ritatem perduci, sed iisdem conclusum ovuluui so~ » lunimodo fecundari dicendum est. »... Levia virginum ovaria quibus etiam maturum » corpus inerat, nuUo pertusa osculo, alba valida cir- » ciimsepta membrana vidimus. Vidimus aliquando et » nostris copiam lecimus in matura intemerataque l44 ANIMAUX. » modici habitus virgine, dirissimi ventris cruciatii » brevi perenipta, non sic se alterum ex ovariis ha- » bere ; quod quam molle ac totum fere succulentum, » in altero tauien extremo îuteum corpus, niinoris » ceiasi fere magnitudine, paulnlum prominens exhi- » bebat quod non mole duntaxat, sed et habitu et » colore se conspiciendum dabat. » Il est donc démontré, non seulement par mes pro- pres observations , mais encore par celles des meilleurs auteurs qui onttravaillé sur ce sujet, qu'il croît sur les ovaires, ou pour mieux dire, sur les testicules de toutes les femelles, des corps glanduleux dans l'âge de leur puberté , et peu de temps avant qu'elles n'en- trent en chaleur; que, dans la femme, où toutes les saisons sont à peu près égales à cet égard, ces corps glanduleux commencent à paroître lorsque le sein commence à s'élever, et que ces corps glanduleux , dont on peut comparer l'accroissement à celui des fruits par la végétation, augmentent en effet en gros- seur et en couleur jusqu'à leur parfaite maturité. Chaque corps glanduleux est ordinairement isolé ; il se présente d'abord comme un petit tubercule , for- mant une légère protubérance sous la peau lisse et unie du testicule ; peu à peu il soulève cette peau fine, et enfin il la perce. Lorsqu'il parvient à sa maturité, il est d'abord d'un blanc jaunâtre , qui bientôt se change en jaune foncé , ensuite en rouge rose , et enfin en rouge couleur de sang. Ce corps glanduleux contient, comme les fruits, sa semence au dedans ; mais 5 au lieu d'une graine solide , ce n'est qu'une li- queur, qui est la vraie semence de la femelle. Dès que le corps glanduleux est mûr, il s'entr'ouvre par RÉFLEX. SUR LES EXPÉR. PRÉCÉDENTES. l45 son extrémité supérieure, et la liqueur séminale con- tenue dans sa cavité intérieure s'écoule par cette ou- verture, tombe goutte à goutte dans les cornes de la matrice, et se répand dans toute la capacité de ce viscère , où elle doit rencontrer la liqueur du mâle , et former l'embryon par leur mélange intime, ou plutôt par leur pénétration. La mécanique par laquelle se filtre la liqueur sé- minale du mâle dans les testicules , pour arriver et se conserver ensuite dans les vésicules séminales, a été si bien saisie et décrite dans un si grand détail par les anatomistes, que je ne dois pas m'en occuper ici; mais ces corps glanduleux, ces espèces de fruits que porte la femelle, et auxquels nous devons en partie notre propre génération , n'avoient été que très lé- gèrement observés, et personne, avant moi, n'en avoit soupçonné l'usage, ni connu les véritables fonc- tions, qui sont de filtrer la liqueur séminale , et de la contenir dans leur cavité intérieure , comme les vésicules séminales contiennent celle du mâle. Les ovaires ou testicules des femelles sont donc dans un travail continuel depuis la puberté jusqu'à l'âge de stérilité. Dans les espèces où la femelle n'en- tre en chaleur qu'une seule fois par an , il ne croît ordinairement qu'un ou deux corps glanduleux sur chaque testicule, et quelquefois sur un seul; ils se trouvent en pleine maturité dans le temps de la cha- leur, dont ils paroissent être la cause occasionelle : c'est aussi pendant ce temps qu'ils laissent échapper la liqueur contenue dans leur cavité, et, dès que ce réservoir est épuisé , et que le testicule ne lui fournit ll\G ANIiMAUX. pins de liqueur, la chaleur cesse, et la femelle ne se soucie plus de recevoir le mâle ; les corps [glanduleux , qui ont fait alors toutes leurs fonctions, commencent à se flétrir; ils s'affaissent, se dessèchent peu à peu , et finissent par s'oblitérer, en ne laissant qu'une petite cicatrice sur la peau du testicule. L'année suivante , avant le temps de la chaleur, on voit germer de nou- veaux corps glanduleux sur les testicules, mais jamais dans le même endroit où étoient les précédents. Ainsi les testicules de ces femelles qui n'entrent en chaleur qu'une fois par ao n'ont de travail que pendant deux ou trois îiiois, au lieu que ceux de la femme, qui peut concevoir en toute saison, et dont la chaleur, sans être bien marquée, ne laisse pas d'être durable <^t même continuelle, sont aussi dans un travail con- tinuel ; les corps glanduleux y germent en tout temps; il y en a toujours quelques uns d'entièrement mûrs , d'autres approchant de la maturité, et d'autres, eu plus grand nombre, qui sont oblitérés et qui ne lais- sent que leur cicatrice à la surface du testicule. On voit , par l'observation de M. Ambroise Ber- trandi , citée ci-dessus, que quand ces corps glandu- leux prennent une végétation trop forte, ils causent dans toutes les parties sexuelles une ardeur si violente, qu'on l'a appelée fureur utérine. Si quelque chose peut la calmer, c'est l'évacuation de la surabondance de cette liqueur séminale fdtrée en trop grande quan- tité par ces corps glanduleux trop puissants : la conti- nence produit, dans ce cas, les plus funestes effets; car si cette évacuation n'est pas favorisée par l'usage du mâle et par la conception qui doit en résulter, REFLEX. SUR LES EXPÉlJ. 1> l\ É CE I) K X lE S. l jj toul: le système sexuel tombe eu irritation , et arrive à iiQ tel érétisme, que quelquefois la mort s'ensuit, et souvent la démence. C'est à ce travail continuel des testicult's de la femme, travail causé par la germination et l'oblitéra- tion presque continuelle de ces corps glanduleux , qu'on doit attribuer la cause d'un grand nombre de maladies du sexe. Les observations recueillies par les médecins anatomistes, sous le nom de maladies des ovaires j, sont peut-être en plus grand nombre que celles des maladies de toute autre partie du corps; et cela ne doit pas nous surprendre, puiscjue l'on sait que ces parties ont, de plus que les autres, et indé- pendamment de leur nutrition, un travail particulier presque continuel, qui ne peut s'opérer qu'à leurs dépens , qui doit leur faire des blessures, et finir par les charger de cicatrices. Les vésicules qui composent presque toute la sub- stance des testicules des femelles, et qu'on croyoil, jusqu'à nos jours, être des œufs de vivipares, ne sont rien autre chose que les réservoirs d'une lymphe épurée, qui fait la première base de la liqueur sémi- nale. Cette lymphe, qui remplit les vésicules, ne contientencore aucune molécule animée, aucun atome vivant ou se mouvant : mais dès qu'elle a passé par le filtre du corps glanduleux, et qu'elle est déposée dans sa cavité, elle change de nature; car dès lors elle paroît composée, comme la liqueur séminale du mâle , d'un nombre infini de particules organiques vi- vantes et toutes semblables à celles que l'on observe dans la liqueur évacuée par le mâle , ou tirée de ses vésicules séminales. C'éloit donc par une illusion bien iZJS ANIMAUX. grossière que les analomistes modernes, prévenus du système des œufs, prenoient ces vésicules qui composent la substance et forment l'organisation des testicules, pour les œufs de femelles vivipares; et c'étoit non seulement par une fausse analogie qu'on avoit transporté le mode de la génération des ovi- pares aux vivipares, mais encore par une grande erreur qu'on attribuoit à l'œuf presque toute la puis- sance et l'effet de la génération. Dans tous les genres, l'œuf selon ces physiciens anatomistes , contenoit le dépôt sacré des germes préexistants , qui n'avoient besoin , poui' se développer, que d'être excités par l'esprit séminal [aura seminaUs) du mâle : les œufs de la première femelle contenoient non seulement les germes des enfants qu'elle de voit ou pou voit pro- duire, mais ils renfermoient encore tous les germes de sa postérité, quelque nombreuse et quelque éloi- gnée qu'elle pût être. Rien de plus faux que toutes ces idées : mes expériences ont clairement démontré qu'il n'existe point d'œuf dans les femelles vivipares; qu'elles ont, comme le mâle , leur liqueur séminale ; que cette liqueur réside dans la cavité des corps glan- duleux ; qu'elle contient, comme celle des mâles, une infinité de molécules organiques vivantes. Ces mêmes expériences démontrent de plus que les fe- melles ovipares ont, comme les vivipares, leur li- queur séminale, toute semblable à celle du mâle; que cette semence de la femelle est contenue dans une très petite partie de l'œuf, qu'on appelle la cica- tricule; que l'on doit comparer cette cicatricule de l'œuf des femelles ovipares, aux corps glanduleux des testicules des vivipares, puisque c'est dans cette cica- RÉFLEX. SUR LES EXPÉR. PRECEDENTES. 1 49 tricule que se filtre et se conserve la semence de la femelle ovipare, comme la semence de la femelle vi- vipare se filtre et se conserve de même dans les corps glanduleux ; que c'est à cette même cicatricule que la liqueur du mâle arrive pour pénétrer celle de la fe- melle, et y former l'embryon; que toutes les autres parties de l'œuf ne servent qu'à sa nutrition et à son développement; qu'enfin l'œuf lui-même n'est qu'une vraie matrice, une espèce de viscère portatif, qui remplace, dans les femelles ovipares, la matrice qui leur manque : la seule différence qu'il y ait entre ces deux viscères, c'est que l'œuf doit se séparer du corps de l'animal, au lieu que la matrice y est fixement adhérente; que chaque femelle vivipare n'a qu'une matrice qui fait partie constituante de son corps, et qui doit servir à porter tous les individus qu'elle pro- duira, au lieu que, dans la femelle ovipare, il se forme autant d'œufs , c'est-à-dire autant de matrices qu'elle doit produire d'embryons, en la supposant fécondée par le mâle. Cette production d'œufs ou de matrices se fait successivement et en fort grand nom- bre ; elle se fait indépendamment de la communica- tion du mâle ; et lorsque l'œuf ou matrice n'est pas imprégné dans sa primeur, et que la semence de la femelle , contenue dans la cicatricule de cet œuf naissant, n'est pas fécondée, c'est-à-dire pénétrée de la semence du mâle , alors cette matrice, quoique parfaitement formée à tous autres égards, perd sa fonction principale , qui est de nourrir l'embryon , qui ne coûimence à s'y développer que par la chaleur de l'incubation. Lorsque la femelle pond , elle n'accouche donc lil'FrON. XI. 1<30 AMMADX. pas d'un fœtus, mais d'une matrice entièrement for- mée; et lorsque cette matrice a été précédemment fécondée par le mâle, elle contient dans sa cicatricule le petit embryon dans un état de repos ou de non-vie^ duquel il ne peut sortir qu a l'aide d'une chaleur ad- ditionnelle, soit par l'incubation, soit par d'autres moyens équivalents; et si la cicatricule qui contient la semence de la femelle n'a pas été arrosée de celle du maie, l'œuf demeure infécond, mais il n'en arrive pas moins à son état de perfection : comme il a en propre, et indépendamment de l'embryon, une vie végétative, il croît, se développe, et grossit jusqu'à sa pleine maturité ; c'est alors qu'il se sépare de la grappe à laquelle il tenoit par son pédicule, pour se revêtir ensuite de sa coque. Dans les vivipares, la matrice a aussi une vie végé- tative; mais cette vie est intermittente, et n'est même excitée que par la présence de l'embryon. A mesure que le fœtus croît , la matrice croît aussi ; et ce n'est pas une simple extension en surface, ce qui ne sup- poseroit pas une vie végétative ; mais c'est un accrois- sement réel, une augmentation de substance et d'é- tendue dans toutes les dimensions, en sorte que la matrice devient, pendant la grossesse, plus épaisse, plus large, et plus longue; et cette espèce de vie vé- gétative de la matrice, qui n'a commencé qu'au même moment que celle du fœtus, finit et cesse avec son exclusion; car, après l'accouchement, la matrice éprouve un mouvement rétrograde dans toutes ses dimensions : au lieu d'un accroissement, c'est un af- faissement; elle devient plus mince, plus étroite, plus courte, et reprend en assez peu de temps ses RÉFLEX. SUP. LES EXPÉR. PRÉCÉDENTES. l5l dimensions ordinaires, jusqu'à ce que la présence d'un nouvel embryon lui rende une nouvelle vie. La vie de l'œuf étant au contraire tout-à-fait indé- pendante de celle de l'embryon, n'est point inter- mittente, mais continue, depuis le premier instant qu'il commence de végéter sur la grappe à laquelle il est attaché jusqu'au moment de son exclusion par la ponte; et lorsque l'embryon, excité par la chaleur de l'incubation, commence à se développer, l'œuf, qui n'a plus de vie végétative, n'est dès lors qu'un être passif qui doit fournir à l'embryon la nourriture dont il a besoin pour son accroissement et son déve- loppement entier : l'embryon convertit en sa propre substance la majeure partie des différentes liqueurs contenues dans l'œuf, qui est sa vraie matrice, et qui ne diffère des autres matrices que parce qu'il est sé- paré du corps de lanière; et lorsque l'embryon a pris dans cette matrice assez d'accroissement et de force pour briser sa coque, il emporte avec lui le reste des substances qui y étoient renfermées. Cette mécanique de la génération des ovipares , qutDiqu'en apparence plus compliquée que celle de la génération des vivipares, est néanmoins la plus facile pour la nature, puisqu'elle est la plus ordinaire et la plus commune; car si l'on compare le nombre des espèces vivipares à celui des espèces ovipares , on trouvera que les animaux quadrupèdes et cétacés , qui seuls sont vivipares, ne font pas la centième par- tie du nombre des oiseaux, des poissons, etdesinsec- tes, qui tous sont ovipares; et comme cette génération parles œufs a toujours été celle qui s'est présentée le plus généralement et le plus fréquemment, il n'est l;)^ ANIMAIX. pas étonnant qu'on ait voulu ramener à cette géné- ration par les œufs celle des vivipares, tant qu'on n'a pas connu la vraie nature de l'œul, et qu'on ignoroit encore si la femelle avoit, comme le m«ile , une li- queur séminale. L'on prenoit donc les testicules des femelles pour des ovaires, les vésicules lymphatiques de ces testicules pour des œufs , et on s'éloignoit de la vérité d'autant plus qu'on rapprochoit de plus près les prétendues analogies fondées sur le faux principe £>mnJiL ejn ovOj que toute génération venoit d'un œuf. VARIÉTÉS DANS L\ T. K N É n ATI O i\. 15! ^»»«e.»<>»9^o.»<>»8»a<»a.»~»tv9oe»4'>a'-ftt»8»»»»»»»a»»(>« CHAPITRE IX. Variétés dans la génération des animaux. La matière qui sert à la nutrition et à la reproduc- tion des animaux et des végétaux est donc la même : c'est une substance productive et universelle compo- sée de molécules organiques toujours existantes, tou- jours actives, dont la réunion produit les corps orga- nisés. La nature travaille donc toujours sur le même fonds, et ce fonds est inépuisable : mais les moyens qu'elle emploie pour le mettre en valeur sont dififérents les uns des autres , et les différences ou les convenances générales méritent que nous y fassions attention, d'au- tant plus que c'est de là que nous devons tirer les rai- sons des exceptions et des variétés particulières. On peut dire en général que les grands animaux sont moins féconds que les petits. La baleine , l'élé- phant, le rhinocéros, le chameau, le bœuf, le che- val, l'homme, etc., ne produisent qu'un fœtus et très rarement deux, tandis que les petits animaux, comme les rats, les harengs, les insectes, produisent un grand nombre de petits. Cette différence ne vien- droit-elle pas de ce qu'il faut beaucoup plus de nour- riture pour entretenir un grand corps que pour en nourrir un petit, et que, proportion gardée, il y a dans les grands animaux beaucoup moins de nourri- ture superflue qui puisse devenir semence, qu'il n'y 1 54 A N I M A U X. en a dans les petits animaux? Il est certain que les pe- tits animaux mangent plus à proportion que les grands; mais il semble aussi que la multiplication prodi- gieuse des plus petits animaux, comme des abeilles, des mouches et des autres insectes, pourroit être at- tribuée à ce que ces petits animaux étant doués d'or- ganes très fins et démembres très déliés, ils sont plus en état que les autres de choisir ce qu'il y a de plus substantiel et de plus organique dans les matiè- res végétales ou animales dont ils tirent leur nourri- ture. Une abeille qui ne vit que de la substance la plus pure des fleurs reçoit certainement par celte nourriture beaucoup plus de molécules organiques, proportion gardée, qu'un cheval ne peut en recevoir par les parties grossières des végétaux, le foin et la paille , qui lui servent d'aliment : aussi le cheval ne produit-il qu'un fœtus, tandis que l'abeille en produit trente raille. Les animaux ovipares sont en général plus petits que les vivipares; ils produisent aussi beaucoup plus. Le séjour que les fœtus font dans la matrice des vivi- pares s'oppose encore à la multiplication : tandis que ce viscère est rempli et cju'il travaille à la nutrition du fœtus , il ne peut y avoir aucune nouvelle géné- ration, au lieu que les ovipares , qui produisent en même temps les matrices et les fœtus, et qui les lais- sent tomber au dehors, sont presque toujours en état de produire; et l'on sait qu'en empêchant une poule de couver, et en la nourrissant largement, on augmente considérablement le produit de sa ponte. Si les poules cessent de pondre lorsqu'elles couvent, c'est parce qu'elles ont cessé de manger, et que la VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. 1 55 crainte où elles paroissent être de laisser refroidir leurs œufs fait qu'elles ne les quittent qu'une fois par jour, et pour un très petit tenq)s, pendant lequel elles prennent un peu de nourriture, qui peut-être ne va pas à Ja dixième partie de ce qu'elles en prennent dans les autres temps. Les animaux qui ne produisent qu'un petit nombre de fœtus prennent la plus grande partie de leur ac- croissement, et même leuraccroissement tout entier, avant que d'être en état d'engendrer, au lieu que les animaux qui multiplient beaucoup engendrent avant même que leur corps ait pris la moitié ou même le quart de son accroissement. L'homme, le cheval , le bœuf, l'âne, le bouc, le bélier, ne sont capables d'engendrer que quand ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement. Il en est de même des pigeons et des autres oiseaux qui ne produisent qu'un petit nombre d'œufs: mais ceux qui en produi- sent un grand nombre, comme les coqs et les poules, les poissons, etc., engendrent bien plus tôt. Un coq est capable d'engendrer à l'âge de trois mois, et il n'a pas alors pris plus du tiers de son accroissement. Un poisson qui doit, au bout de vingt ans, peser trente livres, engendre dès la première ou seconde année, et cependant il ne pèse peut-être pas alors une demi- livre. Mais il y auroit des observations particulières à faire sur l'accroissement et la durée de la vie des poissons. On peut reconnoître à peu près leur âge, en examinant avec une loupe ou un microscope les couches annuelles dont sont composées leurs écailles; mais on ignore jusqu'où il peut s'étendre. J'ai vu des carpes chez M. le comte de Maurepas , l56 ANIMAUX. dans les fossés de son château de Pontchartraîn , qui ont au moins cent cinquante ans bien avérés; et elles m'ont paru aussi agiles et aussi vives que des carpes ordinaires. Je ne dirai pas, avec Leeuwenhoeck , que les poissons sont immortels, ou du moins qu'ils ne peuvent mourir de vieillesse : tout, ce me semble, doit périr avec le temps; tout ce qui a eu une ori- gine, une naissance, un commencement, doit arri- ver à un but, à une mort, à une fm : mais il est vrai que les poissons vivant dans un élément uniforme, et étant à l'abri des grandes vicissitudes et de toutes les injures de l'air, doivent se conserver plus long- temps dans le môme état que les autres animaux; et si ces vicissitudes de l'air sont , comme le prétend un grand philosophe^, les principales causes de la des- truction des êtres vivants, il est certain que les pois- sons étant de tous les animaux ceux qui y sont le moins exposés, ils doivent durer beaucoup plus long- temps que les autres. Mais ce qui doit contribuer en- core plus à la longue durée de leur vie, c'est que leurs os sont d'une substance plus molle que ceux des autres animaux, et qu'ils ne se durcissent pas et ne changent presque point du tout avec l'âge : les arêtes des poissons s'allongent , grossissent, et pren- nent de l'accroissement sans prendre plus de solidité, du moins sensiblement, au lieu que les os des autres animaux, aussi bien que toutes les parties solides de ]eur corps, prennent toujours plus de dureté et de solidité ; et enfin, lorsqu'elles sont absolument rem- plies et obstruées, le mouvement cesse et la mort suit. Dans les arêtes, au contraire, cette augmentation 1. Le cliancelier Bacon. VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. l^^ de' solidité , cette réplétioii , cette obstruction qui est la cause de la mort naturelle, ne se trouve pas, ou du moins ne se fait que par degrés beaucoup plus lents et plus insensibles, et il faut peut-être beaucoup de temps pour que les poissons arrivent à lavieillesse. Tous les animaux quadrupèdes et qui sont couverts de poil sont vivipares; tous ceux qui sont couverts d'écaillés sont ovipares. Les vivipares sont, comme nous l'avons dit, moins féconds que les ovipares. Ne pourroit-on pas croire que dans les quadrupèdes ovi- pares il se fait une bien moindre déperdition de substance par la transpiration, que le tissu serré des écailles la retient, au lieu que, dans les animaux cou- verts de poil , cette transpiration est plus libre et plus abondante.^ et n'est-ce pas en partie par cette surabondance de nourriture, qui ne peut être em- portée par la transpiration, que ces animaux multi- plient davantage, et qu'ils peuvent aussi se passer plus long-temps d'aliments que les autres? Tous les oiseaux et tous les insectes qui volent sont ovipares , à l'exception de quelques espèces de mouches qui produisent d'autres petites mouches vivantes : ces mouches n'ont pas d'ailes au moment de leur nais- sance ; on voit ces ailes pousser et grandir peu à peu à mesure que la mouche grossit ; et elle ne commence à s'en servir que quand elle a pris son accroissement. Les poissons couverts d'écaillés sont aussi tous ovipa- res. Les reptiles qui n'ont point de pieds , comme les couleuvres et les différentes espèces de serpents, sont aussi ovipares ; ils changent de peau , et cette peau est composée de petites écailles. La vipère ne fait qu'une légère exception à la règle générale, car l58 ANIMAUX. elle n'est pas vraiment vivipare ; elle produit d'abord des œufs, et les petits sortent de ces œufs : mais il est vrai que tout cela s'opère dans le corps de la mère, et qu'au lieu de jeter ses œufs au dehors, comme les autres animaux ovipares, elle les garde et les fait èclore en dedans. Les salamandres, dans les- quelles on trouve des œufs, et en même temps des petits déjà formés, comme l'a observé M. de J\lauper- tuis, feront une exception de la même espèce dans les aninjaux quadiupèdes ovipares. La plus grande partie des animaux se perpétue par la copulation : cependant , parmi les anisnaux qui ont des sexes, il y en a beaucoup qui ne se joignent pas par une vraie copulation ; il semble que la plupart des oiseaux ne fassent que comprimer fortement la femelle, comme le coq, dont la verge, quoique dou- ble, est fort coiu'te ; les moineaux, les pigeons, etc. D'autres, à la vérité, comme l'autruche, le canard, l'oie, etc., ont un membre d'une grosseur considéra- ble , et l'intromission n'est pas équivoque dans ces espèces. Les poissons maies s'approchent de la fe- melle dans le temps du frai ; il semble même qu'ils se frottent ventre contre ventre, car le mâle se re- tourne quelquefois sur le dos pour rencontrer le ventre de la femelle : mais avec cela il n'y a aucune copulation ; le membre nécessaire à cet acte n'existe pas ; et lorsque les poissons mâles s'approchent de si près de la femelle , ce n'est que pour répan- dre la liqueur contenue dans leurs laites sur les œufs que la femelle laisse couler alors. Il semble que ce soient les œufs qui les attirent plutôt que la fe- melle; car si elle cesse de jeter des œufs, le mâle VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. 169 l'abandonne et suit avec ardeur les œufs, que le courant emporte ou que le vent disperse : on le voit passer et repasser cent fois dans tous les endroits où il y a des œufs. Ce n'est sûrement pas pour l'amour de la mère qu'il se donne tous ces mouvemenls : il n'est pas à présumer qu'il la connoisse toujours; car on le voit répandre sa liqueur sur tous les œufs qu'il rencontre, et souvent avant que d'avoir rencontré la femelle. Il y a donc des animaux qui ont des sexes et des parties propres à la copulation ; d'autres qui ont des sexes et qui manquent des parties nécessaires à la co- pulation ; d'autres, comme les limaçons, ont des parties propres à la copulation, et ont en même temps les deux sexes ; d'autres , comme les puce- rons, n'ont point de sexe, sont également pères ou mères, et engendrent d'eux-mêmes et sans copula- tion, quoiqu'ils s'accouplent aussi quand il leur plaît, sans qu'on puisse savoir trop pourquoi, ou, pour mieux dire, sans qu'on puisse savoir si cet accou- plement est une conjonction de sexes, puisqu'ils en paroissent tous également privés ou également pour- vus; à moins qu'on ne veuille supposer que la nature a voulu renfermer dans l'individu de cette petite bête plus de facultés pour la génération que dans aucune autre espèce d'animal, et qu'elle lui aura accordé non seulement la puissance de se reproduire tout seul, mais encore le moyen de pouvoir aussi se multiplier par la communication d'un autre individu. Mais de quelque façon que la génération s'opère dans les différentes espèces d'animaux , il paroît que la nature la prépare par une nouvelle production dans le corps de l'animal : soit que cette production se l6o ANIMAUX. manifeste au dehors, soit qu'elle reste cachée dans l'intérieur, elle précède toujours la génération; car si Ton examine les ovaires des ovipares et les testicules des femelles vivipares , on reconnoîtra qu'avant l'im- prégnation des unes et la fécondation des autres, il arrive un changement considérable à ces parties, et qu'il se forme des productions nouvelles dans tous les animaux lorsqu'ils arrivent au temps où ils doi- vent se multiplier. Les ovipares produisent des œufs qui d'abord sont attachés à l'ovaire, qui peu à peu grossissent et s'en détachent pour se revêtir ensuite, dans le canal qui les contient, du blanc de leurs mem- branes et de la coquille. Cette production est une marque non équivoque de la fécondité de la femelle, marque qui la précède toujours, et sans laquelle la génération ne peut être opérée. De même, dans les femelles vivipares il y a sur les testicules un ou plu- sieurs corps glanduleux qui croissent peu à peu au dessous de la membrane qui enveloppe le testicule ; ces corps glanduleux grossissent, s'élèvent, percent, ou plutôt poussent et soulèvent la membrane qui leur est commune avec le testicule; ils sortent à l'extérieur; et lorsqu'ils sont entièrement formés et que leur maturité est parfaite, il se fait à leur extré- mité extérieure une petite fente ou plusieurs petites ouvertures par où ils laissent échapper la liqueur sé- minale, qui tombe ensuite dans la matrice. Ces corps glanduleux sont, comme l'on voit, une nouvelle pro- duction qui précède la génération, et sans laquelle il n'y en au roi t aucune. Dans les mâles, il y a aussi une espèce de produc- tion nouvelle qui précède toujours la génération : VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. l6l car dans les mâles des ovipares il se forme peu à peu une grande quantité de liqueur qui remplit un réser- voir très considérable; et quelquefois le réservoir même se forme tous les ans. Dans les poissons, la laite se forme de nouveau tous les ans, comme dans le calmar; ou bien, d'une membrane sèche et ridée quelle étoit auparavant, elle devient une membrane épaisse et qui contient une liqueur abondante. Dans les oiseaux, les testicules se gonflent extraordinaire- ment dans le temps qui précède celui de leurs amours, en sorte que leur grosseur devient pour ainsi dire monstrueuse, si on la compare à celle qu'ils ont ordinairement. Dans les mâles des vivipares, les testi- cules se gonflent aussi assez considérablement dans les espèces qui ont un temps de rut marqué ; et en gé- néral , dans toutes les espèces , il y a de plus un gon- flement et une extension du membre génital, qui, quoiqu'elle soit passagère et extérieure au corps de l'animal, doit cependant être regardée comme une production nouvelle qui précède nécessairement toute génération. Dans le corps de chaque animal, soit mâle, soit femelle , il se forme donc de nouvelles productions qui précèdent la génération : ces productions nou- velles sont ordinairement des parties particulières, comme les œufs, les corps glanduleux, les laites, etc. ; et quand il n'y a pas de production réelle, il y a toujours un gonflement et une extension très consi- dérables dans quelques unes des parties qui servent à la génération : mais dans d'autres espèces, non seulement cette production nouvelle se manifeste dans quelques parties du corps, mais même il semble 102 ANIMAUX. que le corps entier se reproduise de nouveau avant que la génération puisse s'opérer, je veux parler des insectes et de leurs métamorphoses. Il me paroît que ce changement, cette espèce de transformation qui leur arrive , n'est qu'une production nouvelle qui leur donne la puissance d'engendrer: c'est au moyen de cette production que les organes de la génération se développent et se mettent en état de pouvoir agir; car l'accroissement de l'animal est pris en entier avant qu'il se transforme ; il cesse alors de prendre de la nourriture; et le corps sous cette première forme n'a aucun organe pour la génération , aucun moyen de transformer cette nourriture dont ces ani- maux ont une quantité fort surabondante, en œufs et en liqueur séminale ; et dès lors cette quantité surabondante de nourriture, qui est plus grande dans les insectes que dans aucune autre espèce d'a- nimal, se moule et se réunit tout entière, d'abord sous une forme qui dépend beaucoup de celle de l'animai même, et qui y ressemble en partie. La che- nille devient papillon, parce que, n'ayant aucun or- gane, aucun viscère capable de contenir le superflu de la nourriture, et ne pouvant par conséquent pro- duire de petits être organisés semblables au grand, cette nourriture organique, toujours active , prend une autre forme en se joignant en total selon les combinaisons qui résultent de la figure de la che- nille , et elle forme un papillon dont la figure répond en partie, et même pour la constitution essentielle, à celle de la chenille , mais dans lequel les organes de la génération sont développés , et peuvent rece- voir et transmettre les parties organiques de la nour- VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. 1 63 riture qui forme les œufs et les individus de l'espèce, qui doivent en effet opérer la génération; et les in- dividus qui proviennent du papillon ne doivent pas être des papillons, mais des chenilles, parce qu'en effet c'est la chenille qui a pris la nourriture, et que les parties organiques de celte nourriture se sont as- similées à la forme de la chenille, et non pas à celle du papillon, qui n'est qu'une production accidentelle de cette même nourriture surahondante qui précède la production réelle des animaux de cette espèce, et qui n'est qu'un moyen que la nature emploie pour y arriver, comme lorsqu'elle produit des corps glandu- leux ou les laites dans les autres espèces d'animaux. Mais cette idée au sujet de la métamorphose des in- sectes sera développée avec avantage, et soutenue de plusieurs preuves, dans notre histoire des insectes. Lorsque la quantité surabondante de la nourriture organique n'est pas grande, comme dans l'homme et dans la plupart des gros animaux, la génération ne se fait que quand l'accroissement du corps de J'animai est pris, et cette génération se borne à la production d'un petit nombre d'individus; lorsque cette quan- tité est plus abondante , comme dans l'espèce des coqs, dans plusieurs autres espèces d'oiseaux, et dans celles de tous les poissons ovipares, la généra- tion se fait avant que le corps de l'animal ait pris son accroissement, et la production de cette génération s'étend à un grand nombre d'individus; lorsque cette quantité de nourrilure organique est encore plus surabondante, comme dans les insectes , elle produit d'abord un grand corps organisé qui retient la con- stitution intérieure et essentielle de l'animal , mais l64 ANIMAUX. qui en diffère par plusieurs parties, comme le pa- pillon diffère de la chenille; et ensuite, après avoir produit d'abord cette nouvelle forme de corps, et développé sous cette forme les organes de la géné- ration , cette génération se fait en très peu de temps, et sa production est un nombre prodigieux d'indivi- dus semblables à l'animal qui le premier a préparé cette nourriture organique dont sont composés les petits individus naissants ; enfin , lorsque la surabon- dance de la nourriture est encore plus grande , et qu'en même temps l'animal a les organes nécessaires à la génération , comme dans l'espèce des pucerons , elle produit d'abord une génération dans tous les in- dividus, et ensuite une transformation, c'est-à-dire un "randcorps organisé, comme dans les autres insectes: le puceron devient mouche ; mais ce dernier corps organisé ne produit rien, parce qu'il n'est en effet que le superflu , ou plutôt le reste de la nourriture organique qui n'avoit pas été employée à la produc- tion des petits pucerons. Presque tous les animaux, à l'exception de l'homme, ont, chaque année, des temps marqués pour la gé- nération : le printemps est pour les oiseaux la saison de leurs amours ; celle du frai des carpes et de plu- sieurs autres espèces de poissons est le temps de la plus grande chaleur de l'année, comme aux mois de juin et d'août; celle du frai des brochets, des bar- beaux, et d'autres espèces de poissons, est au prin- temps : les chats se cherchent au mois de janvier, au mois de mai, et au mois de septembre ; les chevreuils au mois de décembre; les loups et les renards en janvier; les chevaux en été; les cerfs aux mois de VAIIIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. i65 septembre et d'octobre : presfjne tous les insectes ne se joignent qu'en iuitoinrie, etc. Les uns, comme ces derniers , semblent s'épuiser totalement par l'acte de la génération; et en effet, ils meurent peu de temps après, comme l'on voit mourir au bout de quelques jours ies papillons qui produisent les vers à soie : d'autres ne s'épuisent pas jusqu'à l'extinction de la vie; mais ils deviennent, comme les cerfs d'une maigreur extrême et d'une grande foiblesse et il leur faut un temps considérable pour réparer la perte qu'ils ont faite de leur substance organique: d'autres s'épuisent encore moins, et sont en état d'engendrer plus souvent : d'autres enfin, comme rbomme, ne s'épuisent point du tout, ou du moins sont en état de réparer promptement la perte qu'ils ont faite, et ils sont aussi en tout temps en état d'en- gendrer; cela dépend uniquement de la constitution particulière des organes de ces animaux : les grandes limites que la nature a mises dans la manière d'exister se trouvent tout aussi étendues dans la manière de prendre et de digérer la nourriture, dans les moyens de la rendre ou de la garder, dans ceux de la séparer et d'en tirer les molécules organiques nécessaires à la production ; et partout nous trouverons toujours que tout ce qui peut être, est. On doit dire la même chose du temps de la gesta- tion des femelles : les unes, comme les juments, por- tent le fœtus pendant onze à douze mois; d'autres, comme les femmes, les vaches, les biches, pendant neuf mois; d'autres, comme les renards, les louves, pendant cinq mois; les chiennes pendant neuf semai- nes ; les chattes pendant six; les lapins trente-un BL"FFO>'. ÏI. I l66 AAi.MALX. jours : la plupart des oiseaux sortent de l'œu! aabout de vingt-un jours; quelques uns, comme les serins, ëclosent au bout de treize ou quatorze jours , etc. La variété est ici tout aussi grande qu'en toute autre chose; seulement il paroit que ks plus gros animaux qui ne produisent qu'un petit nombre de fœtus sont ceux qu-i portent le plus long-temps : ce qui confirme encore ce que nous avons dit , que la quantité de nourriture organique est à proportion moindre dans les gros que dans les petits animaux; car c'est du su- perflu de la nourriture de la mère que le fœtus tire celle qui est nécessaire à son accroissement et au dé- veloppement de toutes ses parties; et puisque ce dé- veloppement demande beaucoup plus de temps dans les gros animaux que dans les petits, c'est une preuve que la quantité de malière qui y contribue n'est pas aussi abondante dans les premiers que dans les derniers. Il y a donc une variété infinie dans les animaux pour le temps et la manière de porter, de s'accou- pler, et de produire , et cette même variété se trouve dans les causes moines delà génération : car, quoique le principe général de toute production soit cette matière organique qui est commune à tout ce qui vit ou végète, la manière dont s'en fait la réunion doit avoir des combinaisons à l'infini , qui toutes peuvent devenir des sources de productions nouvelles. Mes expériences démontrent assez clairement qu'il n'y a point de germes préexistants, et en même temps elles prouvent que la génération des animaux et des végétaux n'est pas univoque : il y a peut-être autant d'êtres, soit vivants, soit végétants, qui se produi- sent par l'assemblage fortuit des molécules organi- VAlllÉTES DANS LA GENERATION. 167 ques, qu'il y ad animaux ou de végétaux qui peuvent se reproduire par une succession constante de géné- rations ; c'est à la production de ces espèces d'êtres qu'on doit appliquer l'axiome des anciens : Corruptlo luiiuSj generatio alterius. La corruption, la décom- position des animaux et des végétaux , produit une infinité de corps organisés vivants et végétants : quel- ques uns, comme ceux de la laite du calmar, ne sont que des espèces de machines, mais des machines qui, quoique très simples, sont actives par elles-mêmes; d'autres , comme les animaux spermatiques , sont des corps qui, par leur mouvement, semblent iîuiter les animaux; d'autres imitent les végétaux par leur ma- nière de croître et de s'étendre : il y en a d'autres , comme ceux du blé ergoté j, qu'on peut alternative- ment faire vivre et mourir aussi souvent que Ton veut, et l'on ne sait à quoi les comparer; il y en a d'autres, même en grande quantité, qui sont d'a- bord des espèces de végétaux, qui ensuite deviennent des espèces d'animaux, lesquels redeviennent à leur tour des végétaux, etc. H y a grande apparence que plus on observera ce nouveau genre d'êtres organisés, et plus on y trouvera de variétés, toujours d'autant plus singuHères pour nous , qu'elles sont plus éloi- gnées de nos yeux et de l'espèce des autres variétés que nous présente la nature. Par exemple , l'ergot ou le blé ergoté, qui est pro- duit par une espèce d'altération ou de décomposition de la substance organique du grain, est composé d'une infinité de filets ou de petits corps organisés sembla- bles par la figure à des anguilles. Pour les observer au microscope, il n'y a qu'à faire infuser le grain pen- l68 ANIMAUX. liant dix à doiize heures dans de l'eau, et séparer les fdets cjui en composent la substance , on verra qu'ils ont un inoiîvemeiit de flexion et de tortillement très marqué, et qu'ils ont en même temps un léger mou- vement'de progression qui imite en perfection celui d'une anguille qui se tortille : lorsque l'eau vient à leur manquer, ils cessent de ::e mouvoir; en y ajou- tant de la nouvelle eau, leur mouveaient recommence; et si on garde cette matièie pendant plusieurs jours, pendant plusieurs mois, et môme pendant plusieurs années, dans quelque temps qu'on la prenne pour l'observer, on y verra les mêmes petites anguilles dès qu'on la mêlera avec de l'eau, les mêmes fdets en mouvement qu'on y aura vus la première fois; en sorte qu'on peut faire agir ces petites machines aussi souvent et aussi long-temps qu'on le veut, sans les détruire et sans qu'elles perdent rien de leur force ou de leur activité. Ces petits corps seront, si l'on veut, des espèces de machines qui se mettent en mouvement dès qu'elles sont plongées dans un fluide. Ces filets s'ouvrent quelquefois comme les filaments de la se- mence , et produisent des globules mouvants; on pour- roit donc croire qu'ils sont de la même nature, et qu'ils sont seulement plus fixes et plus solides que ces filaments. Les anguilles qui se forment dans la colle faite avec de la farine n'ont pas d'autre origine que la réunion des molécules organiques de la partie la plus substan- tielle du grain : les premières anguilles qui paroissent ne sont certainement pas produites par d'autres an- guilles; cependant, quoiqu'elles n'aient pas été engen drées, elles ne laissent pas d'engendrer elles-mêmes VARIÉTÉS DANS LA GENERATION. 169 d'autres anguilles vivantes : on peut, en les coupant avec la pointe d'une lancette, voir les petites anguilles sortir de leur corps, et même en très grand nombre ; il semble que le corps de l'animal ne soit qu'un four- reau ou un sac qui contient une multitude d'autres petits animaux, qui ne sont peut-être eux-mêmes que des fourreaux de la même espèce, dans lesquels, à mesure qu'ils grossissent, la matière organique s'assi- mile et prend la même forme d'anguilles. Il faudroit un plus grand nombre d'observations que je n'en ai, pour établir des classes et des genres entre ces êtres si singuliers, et jusqu'à présent si peu connus : il y en a qu'on pourroit regarder comme de vrais zoophytes qui végètent, et qui en même temps paroissent se tortiller, et qui meuvent quelques unes de leurs parties comme les animaux les remuent; il y en a qui paroissent d'abord être des animaux, et qui se joignent ensuite pour former des espèces de végétaux. Qu'on suive seulement avec un peu d'at- tention la décomposition d'un grain de froment dans l'eau on y verra une partie de ce que je viens de dire. Je pourrois joindre d'autres exemples à ceux-ci; mais je ne les ai rapportés que pour faire remarquer la variété qui se trouve dans la génération prise généra- lement : il y a certainement des êtres organisés que nous regardons comme des animaux, et qui cepen- dant ne sont pas engendrés par des animaux de même espèce qu'eux; il y en a qui ne sont que des espèces de machines; il y a de ces machines dont l'action est limitée à un certain effet, et qui ne peuvent agir qu'une fois pendant un certain temps, comme les vaisseaux .laiteux du calmar; il y en a d'autres qu'on peut faire l'JO ANIMAUX. agir aussi long-temps et aussi souvent qu'on Je veut^ comme celles du blé ergoté. Il y a des êtres végétants qui produisent des corps animés, comme les fdaments de la semence humaine, d'où sortent des globules actifs, et qui se meuvent par leurs propres forces. Il y a dans la classe de ces êtres organisés qui ne sont produits que par la corruption , la fermentation ou plutôt la décomposition des substances animales ou végétales; il y a, dis-je, dans cette classe, des corps organisés qui sont de vrais animaux, qui peuvent produire leurs semblables, quoiqu'ils n'aient pas été produits eux-mêmes de cette façon. Les limites de ces variétés sont peut-être encore plus grandes que nous ne pouvons l'imaginer : nous avons beau gé- néraliser nos idées, et faire des eiforts pour réduire les effets de la nature à certains points, et ses pro- ductions à de certaines classes, il nous échappera tou- jours une infinité de nuances, et même de degrés, qui cependant existent dans l'ordre naturel des choses. ADDITION AU CHAPITRE PRÉCÉDENT. Mes recherches et mes expériences sur les molécu- les organiques démontrent qu'il n'y a point de germes préexistants, et en même temps elles prouvent que la génération des animaux et des végétaux n'est pas univoque ; qu'il y a peut-être autant d'êtres, soit vi- vants, soit végétants, qui se reproduisent par l'assem- blage fortuit des molécules organiques , qu'il v a VAniJ-TÉS DANS LA GÉXÉilATîOX. IJl d'animaux ou de végétaux qui peuvent se reproduire par une succession constante de générations : elles prouvent que la corruption, la décomposition des animaux et des végétaux, produisent une infinité de corps organisés vivants et végétants; que quelques uns, comme ceux de la laite du calmar, ne sont que des espèces de machines, mais des machines qui, quoique très simples, sont actives par elles-mêmes; que d'autres, comme les animaux spermatiques , sont des corps qui , par leur mouvement, semblent imiter les animaux; que d'autres ressemblent aux végétaux par leur manière de croître et de s'étendre dans tou- tes leurs dimensions; qu'il y en a d'autres, comme ceux du blé ergoté j, qu'on peut faire vivre et mourir aussi souvent que l'on veut; que l'ergot ou le bîé er- goté, qui est produit par une espèce d'altération ou de décomposition de la substance organique du grain, est composé d'une infinité de filets ou de corps orga- nisés, semblables, pour la figure, à des anguilles; que, pour les observer au microscope, il n'y a qu'à faire infuser le grain ergoté pendant dix à douze heu- res dans l'eau, et séparer les filets qui en composent la substance, qu'on verra qu'ils ont un mouvement de flexion et de tortillement très marqué, et qu'ils ont en même temps un léger mouvement de progres- sion qui imite en perfection celui d'une anguille qui se tortille ; que quand l'eau vient à leur manquer, ils cessent de se mouvoir; mais qu'en ajoutant de la nouvelle eau, leur mouvement se renouvelle, et que, si on garde cette matière pendant plusieurs jours, pen- dant plusieurs mois, et même pendant plusieurs an- nées, dans quelque temps qu'on la prenne pourl'obser- 1^2 ANIMAUX. ver, on y verra les mêmes petites anguilles dès qu'on la mêlera avec de l'eau, les mômes iilets en mouvement qu'on y aura vus la première fois; en sorte qu'on peut faire agir ces petits corps aussi souvent et aussi long- temps qu'on le veut, sans les détruire et sans qu'ils per- dent rien de leur force ou de leur activité. Ces petits corps seront, si l'on veut, des espèces de macliines qui se mettent en mouvement dès qu'elles sont plongées dans un fluide. Ce sont des espèces de filets ou iilaments qui s'ouvrent quelquefois comme les fdaraents de la semence des animaux, et produisent des globules mou- vants : on pourroit donc croire qu'ils sont de la môme nature , et qu'ils sont seulement plus fixes et plus soli- des que ces filaments de la liqueur séminale. Yoilà ce que j'ai dit au sujet de la décomposition du blé ergoté^. Cela me paroît assez précis, et même tout-à-fait assez détaillé : cependant je viens de re- cevoir une lettre de M. l'abbé Luc Magnanima, datée de Livourne, le 5o mai 1775, par laquelle il m'an- nonce, comme une grande et nouvelle découverte de M. l'abbé Fontana, ce qu'on vient de lire, et ce que j'ai publié il y a plus de trente ans. Yoici les termes de cette lettre : « 11 sig. abbate Fontana, fisico di » S. A. R. , ha fatto stampare, poche settimane sono, » una lettera nella quaîe egli pubblica due scoperte » che debbon sorprendere cbiunqoe. La prima versa » interno a quella malattia del grano che i Francesi » chiamano ergots, e noi grano cornuto... Ha trovato » colla prima scoperta, il sig. Fontana, che si ascon- » dono in quella malattia del grano alcune anguillette 1. Vovez duns ce volume , page 167. VAKIKTES DAINS LA GE .\ E 11 Aïl Oi\. 170 )) o serpentelH, i qiuiii, morti clie sieno, po son tor- » nare a vivere mille e mille voîte, e non con altro » mezzo che cou una simplice goccia d'acqiia. Si dira » che non eran forse morti qiiando si è preteso che » torniono in vila : quesk) si è pensato d'ail' osserva- » tore stesso ; e per accerlarsi che eran inorli di fatto, » colla pnnta di un' ago ei gli ha tentali, e gli ha ve- » duli andarsene in cenere. » Il faut que jMM. les abbés Magnanima et Fonlana n'aient pas lu ce que j'ai écrit à ce sujet, ou qu'ils ne se soient pas souvenus de ce petit fait, puisqu'ils don - nent cette découverte comme nouvelle : j'ai donc tout droit de la revendiquer, et je vais y ajouter quel- ques réflexions. C'est travailler pour l'avancement des sciences , que d'épargner du temps à ceux qui les cultivent : je crois dooc devoir dire à ces observateurs qu'il ne suffit pas d'avoir un bon microscope pour faire des observations qui méritent le noirx de découvertes. Maintenant qu'il est bien reconnu que toute substance organisée con- tient une infinité de molécules organiques vivantes, et présente encore, après sa décomposition, les mê- mes particules vivantes; maintenant que l'on sait que ces molécules organiques ne sont pas de vrais ani- maux, et qu'il y a dans ce genre d'êtres microscopi- ques autant de variétés et de nuances que la nature en a mis dans toutes ses autres productions, les dé- couvertes qu'on peut faire au microscope se réduisent à bien peu de chose; car on voit de l'œil de l'esprit, et sans miscroscope, l'existence réelle de tous ces petits êtres, dont il est inutile de s'occuper séparé- ment : tous ont une origine commune et aussi ancienne 174 AWIMAUX. que la nature, ils en constituent la vie, et passent de moule en moule pour la perpétuer. Ces molécules organiques, toujours actives, toujours subsistantes, appartiennent également à tous les êtres organisés, aux végétaux comme aux animaux; elles pénètrent la matière brute, la travaillent, la remuent dans tou- tes ses dimensions, et la font servir de base au tissu de l'organisation, de laquelle ces molécules vivantes sont les seuls principe ^ et les seuls instruments : elles ne sont soumises qu'à une seule puissance, qui, quoique passive, dirige leur mouvement et fixe leur position. Cette puissance est le moule intérieur du corps orga- nisé : les molécules vivantes que l'animal ou le végétal tire des aliments ou de la sève s'assimilent à toutes les parties du moule intérieur de leur corps; elles le pé- nètrent dans toutes ses dimensions, elles y portent la végétation et la vie, elles rendent ce moule vivant et croissant dans toutes ses parties; la forme intérieure du moule détermine seulement leur mouvement et leur position pour la nutrition et le développement dans tous les êtres organisés. Et lorsque ces molécules organiques vivantes ne sont plus contraintes par la puissance du moule inté- rieur, lorsque la mort fait cesser le jeu de l'organi- sation, c'est-à-dire la puissance de ce moule , la décom- position du corps suit, et les molécules organiques, qui toutes survivent, se retrouvant en liberté dans la dissolution et la putréfaction des corps, passent dans d'autres corps aussitôt qu'elles sont pompées par la puissance de quelque autre moule, en sorte qu'elles peuvent passer de l'animal au végétal, et du végétal à l'animal, sans altération, et avec la propriété per- VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. \n^ manente et constanle de leur porter la niUritioii et la vie; seulement il arrive une infinité de générations spontanées dans cet intermède, où la puissance du moule est sans action , c'est-à-dire dans cet intervalle de temps pendant lequel les molécules organiques se trouvent en liberté dans la matière des corps morts et décomposés, dès qu'elles ne sont point absorbées par le moule intérieur des êtref organisés qui com- posent les espèces ordinaires de la nature vivante ou végétante. Ces molécules, toujours actives, travaillent à remuer la matière putréfiée; elles s'en approprient quelques particules brutes, etforment , par leur réu- nion, une multitude de petits corps organisés, dont lesuns, commelesversde terre, leschampignons,etc., paroissent être des animaux ou des végétaux assez grands ; mais dont les autres, en nombre presque in- fini, ne se voient qu'au microscope. Tous ces corps n'existent que par une génération spontanée, et ils remplissent l'intervalle que la nature a mis entre la simple molécule organique vivante et l'animal ou le végétal : aussi trouve-t-on tous les degrés, toutes les nuances imaginables, dans cette suite, dans cette chaîne d'êtres qui descend de l'animal le mieux or- ganisé à la molécule simplement organique. Prise seule, cette molécule est fort éloignée de la nature de l'animal ; prises plusieurs ensemble, ces molécules vivantes en seroient encore tout aussi loin, si elles ne s'approprioient pas des particules brutes, et si elles ne les disposoient pas dans une certaine forme approchante de celle du moule intérieur des animaux ou des végétaux; et comme cette disposition déforme doit varier à l'infini , tant pour le nombre que par la 1;6 ANIMAUX. différente action des molécules vivantes contre la matière brute, il doit en résulter, et il en résulte en effet, des êtres de tous degrés d'animalité. Et cette génération spontanée à laquelle tous ces êtres doi- vent également leur existence s'exerce et se mani- feste toutes les fois que les êtres organisés se décom- posent; elle s'exerce constamment et universellement après la mort, et quelquefois aussi pendant leur vie, lorsqu'il y a quelque défaut dans l'organisation du corps qui empêche le moule intérieur d'absorber et de s'assimiler toutes les molécules organiques conte- nues dans les aliments. Cesmolécuies surabondantes, qui De peuvent pénétrer le moule intérieur de l'ani- mal pour sa nutrition, cherchent à se réunir avec quelques particules de la matière brute des aliments, et forment, comme dans la putréfaction, des corps organisés : c'est là l'origine des taenias, des ascarides, des douves, et de tous les autres vers qui naissent dans le foie, dans l'estomac, les intestins, et jusque dans le sinus des veines de plusieurs animaux; c'est aussi l'origine de tous les vers qui leur percent la peau; c'est la même cause qui produit les maladies pédiculaires; et je ne finirois pas si je voulois rappeler ici tous les genres d'êtres qui ne doivent leur exis- tence qu'à la génération spontanée. Je me contente- rai d'observer que le plus grand nombre de ces êtres n'ont^'pas la puissance de produire leur semblable, quoiqu'ils aient un moule intérieur, puisqu'ils ont à l'extérieur et à l'intérieur une forme déterminée, qui prend de l'extension dans toutes ses dimensions, et que ce moule exerce sa puissance pour leur nutri- tion ; il manque néanmoins à leur organisation la puis- VARIETES DANS LA (iENEUATION. 1 "7 sance de renvoyer les molécules organiques dans un réservoir cominim, pour y former de nouveaux êtres semblables à eux. Le moule intérieur suffit donc ici à la nutrition de ces corps organisés : son action est li- mitée à cette opération ; mais sa puissance ne s'étend pas jusqu'à la reproduction. Presque tons ces êtres engendrés dans la corruption y périssent en entier; comme ils sont nés sans parents, ils meurent sans postérité : cependant quelques uns, tels que les an- guilles du mucilage de la farine, semblent contenir des germes de postérité. Nous avons vu sortir, même en assez grand nombre, de petites anguilles de cette espèce d'une anguille plus grosse; néanmoins cette mère anguille n'avoit point eu de mère, et ne devoit son existence qu'à une génération spontanée. Il paroît donc, par cet exemple, et par plusieurs autres, tels que la production de la vermine dans les maladies pédiculaires, que, dans de certains cas, cette géné- ration spontanée a la même puissance que la géné- ration ordinaire, puisqu'elle produit des êtres qui ont la faculté de se reproduire. A la vérité, nous ne sommes pas assurés que ces petites anguilles de la farine, produites par la mère anguille, aient elles- mêmes la faculté de se reproduire par la voie ordi- naire de la génération, mais nous devons le présumer, puisque, dans plusieurs autres espèces telles que celles des poux, qui tout à coup sont produits en si grand nombre, par une génération spontanée, dans les maladies pédiculaires, ces mêmes poux, qui n'ont ni père ni mère, ne laissent pas de se perpétuer, comme les autres, par une génération ordinaire et successive. 1^5 ANIMAUX. Au resle, j'ai donné, dans mon Traité de la Gêné- raliorij, un grand nombre d'exemples qui prouvent la réalité de plusieurs générations spontanées. J'ai dit ci-après ( chapitre de la Récapitulation ) que les mo- lécules organiques vivantes, contenues dans les êtres vivants ou végétants, sont toujours actives, et que quand elles ne sont pas absorbées en entier par les animaux ou par les végétaux pour leur nutrition, elles produisent d'autres êtres organisés. J'ai dit que quand cette matière organique et productive se trouve 3'asçemblée en grande quantité dans quelques parties de l'animal où eWe est obligée de séjourner, sans pouvoir être repompée , elle y forme des êtres vivants; que le taenia, les ascarides, tous les vers qu'on trouve dans le foie, dans les veines, etc., ceux qu'on tire des plaies, la plupart de ceux qui se forment dans les chairs corrompues, dans le pus, n'ont pas d'autre origine, et que les anguilles de la colle de farine, celles du vinaigre, tous les prétendus animaux mi- croscopiques, ne sont que des formes différentes que prend d'elle-même, et suivant les circonstances, cette matière toujours active, et qui ne tend qu'à l'or- ganisation. Il y a des circonstances où cette même matière or- ganique non seulement produit des corps organisés, comme ceux que je viens de citer, mais encore des êtres dont la forme participe de celles des premières substances nutritives qui contenoient les molécules organiques. J'ai donné ^ l'exemple d'un peuple des déserts de l'Ethiopie, qui est souvent réduit à vivre 1. Voyez ci-après, dans l'histoire de l'homme, l'article qui a pour lilre j Variétés dans l'espèce limnaine. V.UllETES DAMS LA GÉNEUATIOX. 1 -;9 de sauterelles : cette mauvaise nourriture fait qu'il s'engendre dans leur chair des iusectes ailés qui se multiplient en si grand nombre, qu'en très peu de temps leur corps en fourmille; en sorte que ces hommes qui ne se nourrissent que d'insectes sont à leur tour mangés par ces insectes. Quoique ce fait m'ait toujours paru dans l'ordre de la nature, il se- roit incroyable pour bien des gens, si nous n'avions pas d'autres faits analogues, et même encore plus positifs. Un très habile physicien et médecin de Montpellier, M. Moublet, a bien voulu me communiquer, avec ses réflexions, le méuioire suivant, que j'ai cru devoir copier en entier. « Une personne âgée de quarante-six ans, dominée depuis long-temps par la passion immodérée du vin, mourut d'une hydropisie ascite, au commencement de mai i ^5o. Son corps resta environ un mois et demi enseveli dans la fovSse où il fut déposé , et couvert de cinq à six pieds de terre. Après ce temps , on l'en tira pour en faire la translation dans un caveau neuf, préparé dans un endroit de l'église éloigné de la fosse. Le cadavre n'exhaloit aucune mauvaise odeur; mais quel fut l'étonnement des assistants quand l'intérieur du cercueil et le linge dans lequel il étoit enveloppé parurent absolument noirs, et qu'il en sortit, par la secousse et le mouvement qu'on y avoit excité, un essaim ou une nuée de petits insectes ailés, d'une cou- leur noire, qui se répandirent au dehors! Cependant on le transporta dans le caveau , qui fut scellé d'une large pierre qui s'ajustoit parfaitement. Le surlende- l8() ANIMAUX. main on vit une foule de ces mômes animalcules qui erroiciît et voltigeoient autour des rainures et sur les petites fentes de la pierre, où ils étoient particulière- ment attroupés. Pendant les trente à quarante jours qui suivirent rexhumation , leur nombre y fut prodi- gieux, quoiqu'on en écrasât une partie en marchant continuellement dessus. Leur quantité considérable ne diminua ensuite q.-'avec le temps, et trois mois s'é- loient déjà écoulés tju'il en existoit encore beaucoup. » Ces insectes funèbres avoient le corps noirâtre; ils avoient, pour la figure et pour la forme, une con- formité exacte avec les moucherons qui sucent la lie du vin; ils étoient plus petits, et paroissoient entre eux d'une grosseur égale. Leurs ailes étoient tissues et dessinées dans leur proportion en petits réseaux, comme celles des mouches ordinaires : ils en faisoient peu d'usage, rampoient presque toujours, et, malgré leur multitude, ils n'excitoient aucun bourdonne- ment. » Vus au microscope, ils étoient hérissés sous le ventre d'un duvet fin, légèrement sillonné et nuancé en iris, de différentes couleurs, ainsi que quelques vers apodes qu'on trouve dans des plantes vivaces. Ces rayons colorés étoient dus à de petites plumes squammeuses, dont leur corselet étoit inférieure- ment couvert, et dont on auroit pu facilement les dépouiller en se servant de la méthode que Swam- merdam employoit pour en déparer le papillon de jardin. » Leurs yeux étoient lustrés comme ceux de la musca clirysophis de Goëdaert. Ils n'étoient armés ni d'antennes, ni de trompes, ni d'aiguillons; ils por- VARIETES DANS LA GÉNÉRATION. ]8l toient seulement des barbillons à la tête, et leurs pieds ëtoient garnis de petits maillets ou de papilles extrêmement légères, qui setendoient jusqu'à leurs extrémités. » Je ne les ai considérés que dans l'état que je décris. Quelque soin que j'aie apporté dans mes re- cherches, je n'ai pu reconnoitre aucun indice qui me fît présumer qu'ils aient passé par celui de larve et de nymphe; peut-être plusieurs raisons de convenance et de probabilité donnent lieu de conjecturer qu'ils ont été des vers microscopiques d'une espèce par- ticulière avant de devenir ce qu'ils m'ont paru. En les anatomisant, je n'ai découvert aucune sorte d'en- veloppe dont ils pussent se dégager, ni aperçu sur le tombeau aucune dépouille qui ait pu leur appartenir. Pouréclairciret approfondir leur origine, il auroit été nécessaire, et il n'a pas été possible, de faire infuser de la chair du cadavre dans l'eau, ou d'observer sur lui-même, dans leur principe, les petits corps mou- vants qui en sont issus. » D'après les traits dont je viens de les dépeindre, je crois qu'on peut les rapporter au premier ordre de Swammerdam. Ceux que j'ai écrasés n'ont point ex- halé de mauvaise odeur sensible ; leur couleur n'éta- blit point une dijQférence t la qualité de l'endroit où ils étoient resserrés, les impressions diverses qu'ils ont reçues, et d'autres conditions étrangères, peu- vent être les causes occasionelles de la configura tion variable de leurs pores extérieurs, et des couleurs dont ils étoient revêtus. On sait que les vers de terre, après après avoir été submergés et avoir resté quelque temps dans l'eau, deviennent d'un blanc de lis qui KIFFOX. XI. l8'^ ANIMAUX. s'elFace et se ternit quand oq les a retirés, et qu'ifs reprennent peu à peu leur première couleur. Le nom- bre de ces insectes ailés a été inconcevable; cela me persuade que leur propagation a conté peu à la nature, et que leurs transformations, s'ils en ont essuyé, ont dû être rapides et bien subites. » Il est à remarquer qu'aucune mouche ni aucune autre espèce d'insectes ne s'en sont jamais appro- chées. Ces animalcules éphémères, retirés de des- sus la tombe, dont ils ne s'éloignoient point, pé- rissoient une heure après, sans doute pour avoir seulement changé d'élément et de pâture , et je n'ai pu parvenir, par aucun moyen, à les conserver en vie. y> J'ai cru devoir tirer de la nuit du tombeau et de l'oubli des temps qui les a annihilés, cette observa- tion particulière et si surprenante. Les objets qui frappent le moins les yeux du vulgaire , et que la plu- part des hommes foulent aux pieds, sont quelquefois ceux qui méritent le plus d'exercer l'esprit des phi- losophes; car comment ont été produits ces insectes dans un lieu où l'air extérieur n'avoit ni communi- cation ni aucune issue? pourquoi leur génération s'est-elle opérée si facilement.*^ pourquoi leur propa- gation a-t-elle été si grande .^^ quelle est l'origine de ceux qui, attachés sur le bord des fentes de la pierre qui couvroit le caveau, ne tenoient à la vie qu'en humant l'air que le cadavre exhaloit? d'où viennent enfin leur analogie et leur similitude avec les mou- cherons qui naissent dans le marc du vin ? Il semble que plus on s'efforce de rassembler les lumières et les découvertes d'un plus grand nombre d'auteurs VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. 1 85 pour répandre un certain jour sur toutes ces ques- tions, plus leurs jugements partagés et combattus les replongent dans l'obscurité où la nature les tient cachées. » Les anciens ont reconnu qu'il naît constamment et régulièrement une foule d'insectes ailés de la pous- sière humide des cavernes souterraines^. Ces obser- vations, et l'exemple que je rapporte, établissent évi- demment que telle est la structure de ces animalcules, que l'air n est point nécessaire à leur vie ni à leur génération, et on a lieu de présumer qu'elle n'est accélérée, et que la multitude de ceux qui étoient renfermés dans le cercueil n'a été si grande, que parce que les substances animales qui sont concentrées pro- fondément dans le scinde la terre, soustraites à l'action de l'air, ne souffrent presque point de déperdition , et que les opérations de la nature n'y sont troublées par aucun dérangement étranger. » D'ailleurs nous connoissons des animaux qui ne sont point nécessités de respirer notre air; il y en a qui vivent dans la machine pneumatique. Enfin Tliéo- phraste et Aristote ont cru que certaines plantes et quelques animaux s'engendrent d'eux-mêmes, sans germe, sans semence, sans la médiation d'aucun agent extérieur; car on ne peut pas dire, selon la supposition de Gassendi et de Lister, que les insectes du cadavre de notre hydropique aient été fournis par les animalcules qui circulent dans l'air, ni par les œufs qui peuvent se trouver dans les aliments, ou par des germes préexistants qui se sont introduits dans sou i. Plin., Hlst. nnt., lib. XII. l84 ANIMAUX. corps pendant la vie, et qui ont éclos et se sont multi- pliés après sa mort. » Sans nous arrêter , pour rendre raison de ce phé- nomène, à tant de systèmes incomplets de ces philo- sophes, étayons nos idées de réflexions physiques d'un savant naturaliste qui a porté , dans ce siècle, le flambeau de la science dans le chaos de la nature. Les éléments de notre corps sont composés de par- ticules similaires et organiques, qui sont tout à la fois nutritives et productives; elles ont une existence hors de nous, une vertu intrinsèque inaltérable : en chan- geant de position , de combinaison , et de forme , leur tissu ni leur masse ne dépérissent point, leurs pro- priétés originelles ne peuvent s'altérer : ce sont de petits ressorts doués d'one force active , en qui rési- dent les principes du mouvement et de la vitalité, qui ont des rapports infinis avec toutes les choses créées, qui sont susceptibles d'autant de changements et de résultats divers qu'ils peuvent être mis en jeu par des causes diÛerentes. Notre corps n'a d'adhé- rence à la vie qu'autant que ces molécules organi- ques conservent dans leur intégrité leurs qualités virtuelles et leurs facultés génératives, qu'elles se tiennent articulées ensemble dans une proportion exacte, et que leurs actions rassemblées concourent également au mécanisme général; car chaque par- tie de nous-mêmes est un tout parfait , qui a un cen- tre où son organisation se rapporte, et d'où son mou- vement progressif et simultané se développe , se multiplie, et se propage dans tous les points de la substance. >) Nous pouvons donc dire que ces molécules orga- VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. 1 85 niques, telles que nous les représentons, sont les germes communs, les semences universelles de tous les règnes, et qu'elles circulent et sont déterminées en tout lieu : nous les trouvons dans les aliments que nous prenons; nous les humons à chaque instant avec l'air que nous respirons : elles s'ingèrent et s'incorpo- rent en nous; elles réparent par leur étahlissement local, lorsqu'elles sont dans une quantité suffisante, les déperditions de notre corps; et en conjuguant leur action et leur vie particulière, elles se convertis- sent en notre propre nature , et nous prêtent une nouvelle vie et des forces nouvelles. » Mais si leur intus-susception et leur abondance sont telles, que leur quantité excède de beaucoup celle qui est nécessaire à l'entretien et à l'accroisse- ment du corps, les particules organiques qui ne peu- vent être absorbées pour ses besoins refluent aux extrémités des vaisseaux, rencontrent des canaux oblitérés, se ramassent dans quelque réservoir in- térieur, et, selon le moule qui les reçoit, elles s'as- similent, dirigées par les lois d'une affinité naturelle et réciproque , et mettent au jour des espèces nou- velles, des êtres animés et vivants, et qui n'ont peut- être point eu de modèles, et qui n'existeront jamais plus. » Et quand en efl'et sont-elles plus abondantes, plus ramassées, que lorsque la nature accomplit la destruction spontanée et parfaite d'un corps organisé? Dès l'instant que la vie est éteinte, toutes les molé- cules organiques qui composent la substance vitale de notre corps lui deviennent excédantes et super- flues; la mort anéantit leur harmonie et leur rapport, L l86 ANIMAUX. détruit leur combinaison, rompt les liens qui les en- chaînent et qui les unissent ensemble; elle en fait l'entière dissection et la vraie analyse. La matière vivante se sépare peu à peu de la matière morte; il se fait une division réelle des particules organiques et des particules brutes; celles-ci, qui ne sont qu'ac- cessoires, et qui ne servent que de base et d'appui aux premières, tombent en lambeaux et se perdent dans la poussière, tandis que les autres se dégageant d'elles-mêmes, affranchies de tout ce qui les captivoit dans leur arrangement et leur situation particulière, livrées à leur mouvement intestin, jouissent d'une liberté illimitée et d'une anarchie entière, et cepen- dant disciplinée, parce que la puissance et les lois de la nature survivent à ses propres ouvrages; elles s'a- moncellent encore, s'anastomosent et s'articulent, forment de petites masses et de petits embryons qui se développent, et produisent, selon leur assemblage et les matrices où elles sont recelées, des corps mou- vants, des êtres animés et vivants. La nature, d'une manière également facile, régulière, et spontanée, opère, par la même mécanique, la décomposition d'un corps et la génération d'un autre. » Si cette substance organique n'étoit effective- ment douée de cette faculté générative qui se mani- feste d'une façon si authentique dans tout l'univers, comment pourroient éclore ces animalcules qu'on découvre dans nos viscères les plus cachés, dans les vaisseaux les plus petits? comment, dans des corps insensibles, sur des cendres inanimées, au centre de la pourriture et de la mort, dans le sein des cadavres qui reposent dans une nuit et un silenqe imperturba- VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉK ATION. 187 Lies , naîtroit en si peu de temps une si grande multi- tude d'insectes si dissemblables à eux-mêmes, qui n'ont rien de commun que leur origine, et que Leeiiwen- hoeck et M. de Réaumur ont toujours trouvés d'une figure plus étrange, et d'une forme plus différente et plus extraordinaire? » Il y a des quadrupèdes qui sont remplis de len- tes. Le P. Kircher ^ a aperçu, à l'aide d'un microscope, dans des feuilles de sauge , une espèce de réseau tissu comme une toile d'araignée, dont toutes les mailles montroient un nombre infini de petits animalcules. Swammerdam a vu le cadavre d'un animal qui foar- milloit d'un million de vers; leur quantité étoit si prodigieuse qu'il n'étoit pas possible d'en découvrir les chairs qui ne poavoient suffire pour les nourrir : il sembloit à cet auteur qu'elles se transformoient toutes en vers. » Mais si ces molécules organiques sont communes à tous les êtres, si leur essence et leur action sont indestructibles, ces petits animaux devroient tou- jours être d'un même genre et d'une même forme; ou si elle dépend de leur combinaison, d'où vient qu'ils ne varient pas à l'infini dans le même corps? pourquoi enfin ceux de notre cadavre ressembloient- ils aux moucherons qui sortent du marc du vin? » S'il est vrai que l'action perpétuelle et unanime des organes vitaux détache et dissipe à chaque in- stant les parties les plus subtiles et les plus épurées de notre substance ; s'il est nécessaire que nous répa- rions journellement les déperditions immenses qu'elle 1. Scnit. pert., «cet. I, cap. 7, experim. 5; et Mand. subtcrran.^ îil). XII. l88 ANIMAUX. souffre par les émanalions extérieures et par loutes les voies excrétoires; s'il faut enfin que les parties nutri- tives des aliments, après avoir reçu les coctions et toutes les élaborations que l'énergie de nos viscères leur fair subir, se modifient, s'assimilent, s'affermis- sent , et inhèren t aux extrémités des tuyaux capillaires, jusqu'à ce qu'elles en soient chassées et remplacées à leur tour par d'autres qui sont encore amovibles , nous sommes induits à croire que la partie substan- tielle et vivante de notre corps doit acquérir le carac- tère des aliments que nous prenons, et doit tenir et emprunter d'eux les qualités foncières et plastiques qu'elles possèdent. « La qualité, la quantité de la chair, dit M. de Buf- fon^ , varient suivant les différentes nourritures. Cette matière organique que l'animal assimile à son corps par la nutrition n'est pas absolument indifférente à recevoir telle ou telle modification ; elle retient quel- ques caractères de l'empreinte de son premier état, et agit par sa propre forme sur celle du corps orga- nisé qu'elle nourrit — L'on peut donc présumer que des animaux auxquels on ne donneroit jamais que la même espèce de nourriture prendroient en assez peu de temps une teinture des qualités de cette nourri- ture. . . Ce ne seroit plus la nourriture qui s'assimileroit en entier à la forme de l'animal, mais l'animal qui s'assimileroit en partie à la forme de la nourriture. » » En effet, puisque les molécules nutritives et or- ganiques ourdissent la trame des fibresde notre corps, puisqu'elles fournissent la source des esprits, du sang, i. Histoire naturelle du cerf, tome XIV. VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. 189 et des humeurs, et qu'elles se régénèrent chaque jour, il est plausible de penser qu'il doit acquérir le niême tempérament qui résulte d'elles-mêmes. Ainsi, à la rigueur, et dans un certain sens, le tempérament d'un individu doit souvent changer, être tantôt énervé, tantôt fortifié par la qualité et le mélange varié des aliments dont il se nourrit. Ces inductions conséquen- tes sont relatives à la doctrine d'Hippocrate, qui, pour corriger l'excès du tempérament, ordonne l'u- sa2:e continu d'une nourriture contraire à sa consti- tution. » Le corps d'un homme qui mange habituellement d'un mixte quelconque contracte donc insensible- ment les propriétés de ce mixte, et, pénétré des mê- mes principes, devient susceptible des mêmes dépra- vations et de tous les changements auxquels il est sujet. Redi , ayant ouvert un meunier peu de temps après sa mort, trouva l'estomac, le colon, le cœcum, et toutes les entrailles, remplis d'une quantité prodi^ gieuse de vers extrêmement petits, qui avoient la tête ronde et la queue aiguë, parfaitement ressemblants à ceux qu'on observe dans les infusions de farine et d'é- pis de blé. xiinsi nous pouvons dire d'une personne qui fait un usage immodéré du vin, que les particules nutritives qui deviennent la masse organique de son corps sont d'une nature vineuse, qu'il s'assimile peu à peu et se transforme en elles, et que rien n'empêche, en se décomposant, qu'elles ne produisent les mêmes phénomènes qui arrivent au marc du vin. » On a lieu de conjecturer qu'après que le cadavre a été inhumé dans le caveau. Ja quantité des insectes qu'il a produits a diminué, parce que ceux qui étoient igo ANIMAUX. places au dehors sur les fentes de la pierre savouroient les particules organiques qui s'exhaloient en vapeurs, et dont ils se repaissoient, puisqu'ils ont péri dès qu'ils en ont été sevrés. Si le cadavre eût resté ense- veli dans la fosse, où il n'eût souflert aucune émana- tion ni aucune perte, celles qui se sont dissipées par les ouvertures, et celles qui ont été absorbées pour l'entretien et pour la vie des animalcules fugilifs qui y étcient arrêtés, auroient servi à la génération d'un plus grand nombre; car il est évident que lorsqu'une substance organique se démonte, et que les parties qui la composent se séparent et semblent se décou- dre, de quelque manière que leur dépérissement se fasse, abandonnées à leur action naturelle, elles sont nécessitées à produire des animalcules particuliers à elles-mêmes. Ces faits sont vérifiés par une suite d'ob- servations exactes. Il est certain qu'ordinairement les corps des animaux herbivores et frugivores, dont l'in- stinct détermine la pâture et règle l'appétit, sont cou- verts, après la mort, des mômes insectes qu'on voit voltiger et abonder sur les plantes et les fruits pourris dont ils se nourrissent; ce qui est d'autant plus digne de recherche et facile à remarquer, qu'un grand nom- bre d'entre eux ne vivent que d'une seule plante ou des fruits d'un même genre. D'habiles naturalistes se sont servis de cette voie d'analogie pour découvrir les vertus des plantes, et Fabius Columna a cru devoir attribuer les mêmes propriétés et le même caractère à toutes celles qui servent d'asile et de pâture à la même espèce d'insecte, et les a rangées dans la même classe. -» Le P. Bonnani, qui défend la génération sponta- VARIETES DANS L S. GENERATION. I9I née, soutient que toute fleur particulière, toute ma- tière diverse , produit par la j)utrèfaction constamment et nécessairement une certaine espèce de vers. En effet , tous les corps organisés qui ne dégénèrent point , qui ne se dénaturent par aucun moyen , et qui vivent toujours d'une manière régulière et uniforme, ont une façon d'être qui leur est particulière, et des attributs immuables qui les caractérisent. Les molécules nu- tritives qu'ils puisent en tout temps dans une même source conservent une similitude, une analogie, ime forme, et des dimensions qui leur sont communes; parfaitement semblables à celles qui constituent leur substance organique , elles se trouvent toujours chez eux sans alliage, sans aucun mélange hétérogène. La même force distributive les porte, les assortit, les ap- plique, les adapte, et les contient dans toutes les par- ties avec une exactitude égale et une justesse symé- trique ; elles subissent peu de changements et de préparations ; leur disposition , leur arrangement, leur énergie, leurcontexture, et leurs facultés intrinsèques, ne sont altérées que le moins qu'il est possible, tant elles approchent du tempérament et de la nature du corps qu'elles maintiennent et qu'elles reprodui- sent; et lorsque Tâge et les injures du temps, quel- que état forcé ou un accident imprévu et extraordi- naire , viennent à saper et à détruire leur assemblage, elles jouissent encore, en se désunissant, de leur sim- plicité, de leur homogénéité , de leur rapport essen- tiel, de leur action univoque ; elles conservent une propension égale, une aptitude naturelle, une affinité puissante qui leur est générale, et qui les rejoint, les conjugue, et les identifie ensemble de la même ma- 19^^ ANIMAUX. ntère, et suscite et forme une couihinaisoii détermi- née, pu un être organisé dont la structure, les quali- tés, la durée, et la vie, sont relatives à l'harmonie primitive qui les distingue, et au mouvement génératif qui les anime et les revivifie. Tous les individus de la même espèce, qui reconnoissent la même origine, qui sont gouvernés par les mêmes principes, formés selon les mêmes lois, éprouvent les mêmes changements et s'assimilent avec la même régularité. » Ces productions effectives , surprenantes , et inva- riables , sont de l'essence même des êtres. On pour- roit, après une analyse exacte et par une méthode sûre, ranger des classes, prévoir et fixer les généra- tions microscopiques futures, tous les êtres animés invisibles , dont la naissance et la vie sont spontanées, en démêlant le caractère générique et particulier des particules intégrantes qui composent les substances organisées dont elles émanent, si le mélan2:e et l'abus que nous faisons des choses créées n'avoient bouleversé l'ordre primitif du globe que nous habitons; si nous n'avions perverti, aliéné, fait avorter les productions naturelles. Mais l'art et l'industrie des hommes, pres- que toujours funestes aux arrangements médités par îa nature, à force d'allier des substances hétérogènes, disparates, et incompatibles, ont épuisé les premiè- res espèces qui en sont issues, et ont varié à l'infini, par la succession des temps, les combinaisons irrégu- lières des masses organiques et la suite des générations qui en dépendent. )) C'est ainsi que telle est la chaîne qui lie tous les êtres et les événements naturels, qu'en portant le dés- ordre dans les substances existantes, nous détério- VARIETES DANS LA GENERATION. igj roris, nous défigurons, nous changeons encore celles qui en naîtront à l'avenir; car la façon d'être actuelle ne comprend pas tous les états possibles. Toutes les fois que la santé du corps et que l'intégrité de ses fonctions s'altèrent vivement, parce que la masse du sang est atteinte de quelque qualité vicieuse, ou que les humeurs sont perverties par un mélange ou un le- vain corrupteur, on ne doit imputer ces accidents fu- nestes qu'à la dégénérescence des molécules organi- ques ; leur relation, leur équilibre, leur juxta-position , leur assemblage, et leur action, ne se dérangent qu'au- tant qu'elles sont affectées d'une détérioration particu- lière , qu'elles prennent une modification différente, qu'elles sont agitées par des mouvements désordonnés, irréguliers, et extraordinaires; car la maladie ébranle leur arrangement, infirme leur tissu, émousse leur activité, amortit leurs dispositions salubres, et exalte les principes hétérogènes et destructeurs qui les inû- cient. » On comprend par là combien il est dangereux de manger de la chair des animaux morls de maladie : une petite quantité d'une substance viciée et conta- gieuse parvient à pénétrer, à corrompre, et à dénatu- rer toute la niasse vitale de notre corps, trouble son mécanisme et ses sensations , et change son existence, ses proportions, et ses rapports. » Les mutations diverses qu'elle éprouve souvent se manifestent sensiblement pendant la vie : tant de sortes de vers qui s'engendrent dans nos viscères, et la maladie pédiculaire, ne sont-ils pas des preuves démonstratives de ces transformations et de ces aliéna- lions fréquentes? Dans les épidémies ne regardons- 1^)4 ANIMAl'X. nous pas les vers qui sortent avec les matières excré- mentielles comme un symptôme essentiel qui désigne le degré émioent de dépravation où sont portées les particules intégrantes substantielles et spiritueuses des humeurs? Et qu'est-ce que c'est que ces particules, si ce n'est les molécules organiques qui, différemment modifiées, affmées, et foulées par la force systaltîque des vaisseaux, nagent dans un véhicule qui les en- traîne dans le torrent de la circulation? » Ces dépravations malignes que contractent nos humeurs, ou les particules intégrantes et essentielles qui les constituent, s'atlachent et inhérent tellement en elles , qu'elles persévèrent et se perpétuent au delà du trépas. Il semble que la vie ne soit qu'un mode du corps : sa dissolution ne paroi t être qu'un chan- Sfement d'état, ou une suite et une continuité des mômes révolutions et des dérangements qu'il a souf- ferts, et qui ont commencé de s'opérer pendant la maladie, qui s'achèvent et se consomment après la mort. Ces modifications spontanées des molécules or- ganiques et ces productions vermineuscs ne parois- sent le plus souvent qu'alors : rarement, et ce n'est que dans les maladies violentes et les plus envenimées où leur dégénérescence est accélérée, elles se déve- loppent plus tôt en nous. Nos plus vives misères sont donc cachées dans les horreurs du tombeau , et nos plus grands maux ne se réalisent, ne s'effectuent, et ne parviennent à leur comble, que lorsque nous ne les sentons plus. » J'ai vu depuis peu un cadavre qui se couvrit, bientôt après la mort, de petits vers blancs, ainsi qu'il est remarqué dans l'observation citée ci-dessus. VARIETES DANS LA GENERATION. IQj J'ai eu lieu d'observer, en plusieurs circonstauces , que la couleur, la figure, la forme de ces animal- cules, varient suivant l'intensité et le genre des ma- ladies. » C'est ainsi que les substances organisées se trans- forment et ont différentes manières d'être, et que cette multitude infinie d'insectes concentrés dans l'intérieur de la terre et dans les endroits les plus in- fects et les plus ténébreux sont évoqués, naissent et continuent à se repaître des débris et des dépouilles de l'humanité. L'univers vit de lui-même, et tous les êtres, en périssant, ne font que rendre à la nature les parties organiques et nutritives qu'elle leur a prê- tées pour exister : tandis que notre âiue, du centre de la corruption, s'élance au sein de la Divinité, notre corps porte encore après la mort l'empreinte et les marques de ses vices et de ses dépravations; et pour finir enfin par concilier la saine philosophie avec la religion , nous pouvons dire que jusqu'aux plus subli- mes découvertes de la physique tout nous ramène à notre néant. » ■ Je ne puis qu'approuver ces raisonnements de M. Moublet, pleins de discernement et de sagacité; il a très bien saisi les principaux points de mon sys- tème sur la reproduction, et je regarde son observa- tion comme une des plus curieuses qui aient été faites sur la génération spontanée^. Plus on observera la 1. Oa peut voir plusieurs exemples de la génération spontanée do f[uel(p-ics insectes dans différentes parties du corps humain, en con- sultant les ouvrages do M. Andry , et de quelques autres observateurs qui se sont elforcés sans succès de les rapporter à des espèces cou- 196 ANIMAUX. naturede près, etplus on reconnoîtra qu'il se reproduit en petit beaucoup plus d'êtres de cette façon que de nues, et qui tàchoient d'expliquer leur génération , en supposant que les œufs de ces insectes avoient été respires ou avalés par les per- sonnes dans lesquelles ils se sont trouvés : mais cette opinion , (ondée sur le préjugé que tout êlre vivant ne peut venir que d'un œuf, se trouve démentie par les faits mêmes que rapportent ces observateurs. Il est impossible f{ue des œufs d'insectes , lespirés ou avalés , arrivent dans le foie , dans les veines , dans les sinus . etc. ; et d'ailleurs plu- sieurs de ces insectes trouvés dans l'iatérieur du corps de l'homme et des animaux n'ont que peu ou point de rapport avec les autres in- sectes, et doivent, sans contredit, leur origine et leur naissance à une génération spontanée. Nous citerons ici deux exemples récents ; le premier de M. le président H , qui a rendu par les urines un pelit crustacé assez semblable à une crevette ou chevrette de mer , mais qui n'avoit que trois lignes ou trois lignes et demie de longueur. M. sou fils a eu la bonté de me faire voir cet insecte . qui n'éloit pas le seul de cette espèce que M. son père avoit rendu par les urines , et précédem- ment il avoit rendu par le nez , dans un violent éternument, une es- pèce de chenille qu'on n'a pas conservée, et que je n'ai pu voir. Un autre exemple est celui d'une demoiselle du Mans, dont M. Vé- tillard , médecin de cette ville, m'a envoyé le détail par sa lettre du 6 juillet 1771 , dont voici l'extrait : « Mademoiselle Cabaret, demeurant au Mans, paroisse Notre-Dame- de-la-Gouture , âgée de trente et quelques années, étoit malade de- puis environ trois ans, et au troisième degré, d'une phthisie pul- monaire, pour laquelle je lui avois fait prendre le lait d'ânesse le printemps et l'automne 1759. Je l'ai gouvernée en conséquence depuis ce temps. » Le 8 juin dernier, sur les onze heuies du soir, la malade, après de violents efforts occasionés ( disoit-elle) par un chatouillement vif et extraordinaire au creux de l'estomac , rejeta une partie de rôtie au vin et au sucre qu'elle avoit prise dims l'après-dînée. Quatre personnes présentes alors avec plusieurs lumières pour secourir la malade, qui croyoit êlre à sa dernière heure, aperçurent (juelque chose remuer autour d'une parcelle de pain sortant de la bouche de la malade : c'étoit un insecte qui, par le moyen d'un grand nombre de pattes, cherchoit à se détacher du petit morceau de pain qu'il entouroit eu forme de cercle. Dans l'instant les efforts cessèrent, et la malade se VARIETES DANS LA GENERATION. 197 toute autre. On s'assurera de même que cette ma- nière de génération est non seulement la plus fré- trouva soulagée ; eUe réunit son attenliou à la curiosité et à l'élonne- ment îles quatre spectatrices qui reconnoissoient à cet insecte la figure d'une chenille ; elles la ramassèrent clans un cornet de papier qu'elles laissèrent dans la cbamlire de la malade. Le lendemain , à cinq heures du matin , elles me firent avertir de ce phénomène , que j'allai aussitôt examiner. L'on me présenta une chenille , qui d'abord me parut morte; mais l'ayant réchauffée avec mon haleine, elle reprit vigueur, et se mit à courir sur le papier. » Après beaucoup de questions et d'objections faites à la malade et aux lémoins, je me déterminai à tenter quelques expériences, et à ne point mépriser, dans une affaire de physique , le témoignage de cinq personnes, qui toutes m'assuroient un même fait et avec les mêmes circonslances. » L'histoire d'un ver-chenille rendu par un grand-vicaire d'Alais, que je me rappelai avoir lue dans l'ouvrage de M. Andry , contribua à me faire regarder la chose comme possible — » J'emportai la chenille chez moi dans une boite de bols, que je garnis d'étoffe et que je perçai en différents endroits; je mis dans la boîte des feuilles de différentes plantes légumineuses que je choisis bien entières, afin de m'apercevoir auxquelles elle se seroit attachée : j'y regardai plusieurs fois dans la journée; voyant qu'aucune ne pa- roissoit de son goût, j'y substituai des feuiffes d'arbres et d'arbris- seaux que cet insecte n'accueillit pas mieux. Je retirai toutes ces ^feuilles intactes, et je trouvai à chaque fois le petit animal monté au ccuvercle de la boîte, comme pour éviter la verdure que je lui avois présentée. » Le 9 au soir, sur les six heures, ma chenille étoit encore à jeun depuis onze heures du soir la veille, qu'elle étoit sortie de l'cslomac : je tentai alors de lui donner les mêmes aliments que ceux dont nous nous nourrissons; je commençai par lui présenter le pain en rotic avec le vin , l'eau , et le sucre, tel que celui autour duquel on lavoit trouvée attachée; elle fuyoit à toutes jambes. Le pain sec, différentes espèces de laitage, différentes viandes crues, différents fruits, elle passoit par dessus sans s'en embarrasser et sans y toucher. Le bœuf et le veau cuits , un peu chauds, elle s'y arrêta, mais sans en manger. Voyant mes tentatives inutiles, je pensai que si l'insecte étoit élevd dans l'estomac, les aliments ne passoient dans ce viscère qu'après bUl'ï0>'. XI. i3 igS ANIMAUX. quente et la plus générale, mais encore la plus an- cienne , c'est-à-dire la première et la plus universelle : avoir été préparés par la mastication, et coiiséqueniment étant em- preints des sucs salivaires; qu'ils étoient de goût différent, et qu'il .falloit lui offrir des aliments mâchés, comme plus analogues à sa nourriture ordinaire : après plusieurs expériences de ce genre faites ^ et répétées sans succès, je mâchai du bœuf et le lui présentai; l'insecte sy attacha, l'assujetît avec ses pattes antérieures, et j'eus , avec beau- coup d'autres témoins , la satisfaction de le voir manger pendant deux minutes, après lesquelles il abandonna cet aliment, et se remit à courir. Je lui en donnai de nouveau maintes et maintes fois sans suc- cès. Je mâchai du veau, l'iusecte affamé me donna à peine le temps de le lui présenter; il accourut à cet aliment, s'y attacha, et ne cessa de manger pendant une demi-heure. Il étoit environ huit heures du soir; et cette expéi'ieuce se fît en présence de huit à dix personnes dans la maison de la malade, chez laquelle je l'avois reporté. U est bon de faire observer que les viandes blanches faisoieut partie du régiuie que j'avols prescrit à cette demoiselle, et qu'elles étoient sa nourriture or- dinaire : aussi le poulet mâché s'est-il également trouvé du goût de ma chenille. » Je l'ai nourrie de cette manière depuis le 8 juin jusqu'au 27, qu'elle périt par accident, quelqu'un l'ayant laissé tomber par terre , à mon grand regret; j'aurois été fort curieux de savoir si cette che- nille se seroit métamorphosée, et comment. Malgré mes soins et mon attention à la noui'rir selon son goût, loin de proliter pendant les dix- neuf jours que je l'ai conservée, elle a dépéri de deux lignes en lon- gueur et d'une demi-ligue en largeur .: je la conserve dans l'esprit- de-vin. » Depuis le 17 juin jusqu'au 22, elle fut paresseuse, languissante; ce n'étoit qu'en la réchauffant avec mon haleine que je la faisois re- muer; elle ne faisoit que deux ou trois petits repas dans la journée, quoique je lui présentasse de la nourriture bien plus souvent. Cette langueur me ht espérer delà voir changer de peau , mais inutilement : vers le 22, sa vigueur et sou appétit revinrent sans qu'elle eût quitté sa dépouille. » Plus de deux cents personnes de. toutes conditions ont assisté à ses repas , qu'elle recommenooit dix à douze fois le jour, pourvu qu'on jui donnât des mets selon son goût et récemment mâchés ; car sitôt qu'elle avoit abandonné un morceau, elle n'y revenoit plus. Tant VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. 199 car, supposons pour un instant qu'il plût au souverain Être de supprimer la vie de tous les individus actuel- lement existants, que tous fussent frappés de mort qu'elle a vécu , j'ai conlinué tous les jours de mettre dans sa boîte dif- férentes espèces de feuilles sans qu'elle en ait accueilli aucune et il est de fait incontestable que cet insecte ne s'est nourri que de viande depuis le 9 juin jusqu'au 27. » Je ne crois pas que jusqu'à présenties naturalistes aient remarqué que les chenilles ordinaires vivent de viande; j'ai fait cliercher et j'ai cherché moi-même des chenilles de toutes les espèces, je les ai fait jeûner plusieurs jours, et n'en ai trouvé aucune qui ait pris goût à la viande crue, cuite, ou mâchée... » Notre chenille a donc quelque chose de singulier, et qui méri- teroit d'être observé , ne seroit-ce que son goût pour la viande; encore falloil-il (ju'elle fût récemment mâchée, aulre singularité Vivant dans l'estomac , elle étoit accoutumée à un grand degré de chaleur, et je ne doute pas que le degré de chaleur moindre de l'air où elle se trouva lorsqu'elle fut rejetée , ne soit la cause de cei engourdissement où je la trouvai le matin, et qui me la fit croire morte; je ne la tirai de cet état qu'en l'échauffant avec mon haleine, moyeu dont je me suis toujours servi quand elle m'a paru avoir moins de vigueur. Peut- être aussi le manque de chaleur a-t-il été la cause qu'elle n'a point changé de peau, qu'elle a sensiblement dépéri pendant le temps que je l'ai conservée... » Cette chenille étoit brunâtre , avec des bandes longitudinales plus noires; elle avolt seize jambes, et marchoit comme les autres che- nilles; elle avoit de petites aigrettes de poil, principalement sur les anneaux de son corps la tète noire, brillante, écailleuse , divisée par un sillon en deux parties égales ; ce qui pourroit faire prendre ces deux parties pour les deux yeux.. Cette tête est attachée au premier anneau. Quand la chenille s'allonge, on aperçoit entre la tête et le premier anneau un intervalle membraneux d un blanc sale, que je croirois être le cou, si , entre les autres anneaux , je n'eusse pas égale- ment distingué cet intervalle , qui est surtout sensible entre le pre- mier et le second , et le devient moins à proportion de i'cloignement Ide la tête. » Dans le devant de la tête on aperçoit un espace triangulaire blau- châlro, a;i bas duquel est une partie noire écailleuse, comme celle qui 200 ANIMAUX. au même instant, les molécules organiques ne laisse- roientpas de survivre à cette mort universelle ; le nom- bre de ces molécules étant toujours le même, et leur essence indestructible aussi permanente que celle de la matière brute que rien n'auroit anéantie, la na- ture posséderoit toujours la même quantité de vie, et l'on verroit bientôt paroître des espèces nouvelles qui remplaceroient les anciennes; car les molécules organiques vivantes se trouvant toutes en liberté, et n'étant ni pompées ni absorbées par aucun moule sub- sistant, elles pourroient trayailler la matière brute en grand, produire d'abord une infinité d'êtres organisés, dont les uns n'auroient que la faculté de croître et de se nourrir, et d'autres plus parfaits qui seroient doués de la faculté de se reproduire. Ceci nous paroît clai- rement indiqué par le travail que ces molécules font en petit dans la putréfaction et dans les maladies pé- diculaires, où s'engendrent des êtres qui ont la puis- sance de se reproduire; la nature ne pourroit manquer de faire alors en grand ce qu'elle ne fait aujourd'hui qu'en petit, parce que la puissance de ces molécules organiques étant proportionnelle à leur nombre et à leur liberté, elles formeroient de nouveaux moules intérieurs , auxquels elles donneroient d'autant plus d'extension qu'elles se trouveroient concourir en plus grande quantité à la formation de ces moules, lesquels forme les deux angles supérieurs. Ou pourroit regarder celle-ci comme une espèce de museau... » Fait au IMans , le 6 juillet 1761. Cette relation est appuyée d'un certificat sigué de la malade , de sou médtcin , et de quatre autres témoins. VARIETES DANS lA GENERATION. 201 présenteroient dès lors une nouvelle nature vivante, peut-être assez semblable à celle que nous connois- sons. Ce remplacement de la nature vivante ne seroit d'a- bord que très incomplet; mais avec le temps tous les êtres qui n'auroient pas la puissance de se reproduire disparoîtroient; tons les corps imparfaitement orga- nisés, toutes les espèces défectueuses, s'évanouiroient , et il ne resteroit, comme il ne reste aujourd'hui, que les moules les plus puissants, les plus complets, soit dans les animaux, soit dans les végétaux; et ces nou- veaux êtres seroient, en quelque sorte, semblables aux anciens, parce que la matière brute et la malière vivante étant toujours la même, il en résuheroit le même plan général d'organisation, et les mêmes va- riétés dans les formes particulières. On doit seulement présumer, d'après notre hypothèse, que cette nou- velle nature seroit rapetissée, parce que la chaleur du globe est une puissance qui influe sur l'étendue des moules; et cette chaleur du globe n'étant plus aussi forte aujourd'hui qu'elle l'étoit au commen- cement de notre nature vivante, les plus grandes es- pèces pourroient bien ne pas naître, ou ne pas arriver à leurs dimensions. Nous en avons presque un exemple dans les ani- maux de l'Amérique méridionale : ce continent, qui ne tient au reste de la terre que par la chaîne étroite et montueuse de l'isthme de Panama, et auquel man- quent tous les grands animaux nés dans les premiers temps de la forte chaleur de la terre, ne nous présente qu'une nature moderne dont tous les moules sont plus - 202 ANIMAUX. petits que ceux de la nature plus ancienne dans l'antre continent; au lieu de l'élëphant, du rhinocéros, de l'hippopotame, de la girafe, et du chameau, qui sont les espèces insignes de la nature dans le vieux conti- nent, on ne trouve dans le nouveau, sous la môme Jatitude, que le tapir, le cabiai, le lama, la vigogne, qu'on peut regarder comme leurs représentants dé- générés, défigurés, rapetisses, parce qu'ils sont nés plus tard, dans un temps où la chaleur du globe étoit déjà diminuée. Et aujourd'hui que nous nous trouvons dans le commencement de l'arrière-saison de la cha- leur du globe , si, par quelque grande catastrophe, la nature vivante se trouvoit dans la nécessité de rem- placer les formes actuellement existantes, elle ne pourroit le faire que d'une manière encore plus im- parfaite qu'elle l'a fait en Amérique ; ses productions n'étant aidées, dans leur développement, que de la foible chaleur de la température actuelle du globe, seroient encore plus petites que celles du nouveau continent. Tout philosophe sans préjugés, tout homme de bon esprit qui voudra lire avec attention ce que j'ai écrit dansplusieurs autres endroitsde ce volume, au sujet de la nutrition, de la génération, de la reproduction, et qui aura médité sur la puissance des moules intérieurs, adoptera sans peine cette possibilité d'une nouvelle • nature dont je n'ai fait l'exposition que dans l'hypo- thèse de la destruction générale et subite de tous les êtres subsistants; leur organisation déhuile, leur vie éteinte, leurs corps décomposés, ne seroient pour la nature que des formes anéanties, qui seroient bien- VARIÉTÉS DANS LA GÉNÉRATION. '2o7) lot remplacées par d'autres formes, puisque les mas- ses générales de la matière vivante et de la matière brute sont et seront toujours les mêmes, puisque cette matière organique vivante survit à toute mort, et ne perd jamais son mouvement, son activité, ni sa puis- sance de modeler la matière brute et d'en former des moules intérieurs, c'est-à-dire des formes d'organisa- tion capables de croître, de se développer, et de se reproduire. Seulement on pourroit croire avec assez de fondement que la quantité de la matière brute, qui a toujours été immensément plus grande que celle de la matière vivante, augmente avec le temps, tan- dis qu'au contraire la quantité de la matière vivante diminue et diminuera toujours de plus en plus , à me- sure que la terre perdra, parle refroidissement, les trésors de sa chaleur, qui sont en même temps ceux de sa fécondité et de toute vitalité. Car d'où peuvent venir primitivement ces molécu- les organiques vivantes? Nous ne connoissons dans la nature qu'un seul élément actif; les trois autres sont purementpassifs,et ne prennent de mouvement qu'au- tant que le premier leur en donne. Chaque atome de lumière ou de feu suffit pour agiter et pénétrer un ou plusieurs autres atomes d'air, de terre, ou d'eau ; et comme il se joint à la force impulsive de ces atomes de chaleur une force attractive, réciproque, et com- mune à toutes les parties de la matière, il est aisé de concevoir que chaque atome brut et passif devient actif et vivant au moment qu'il est pénétré dans toutes ses dimensions par l'élément vivifiant. Le nombre des molécules vivantes est donc en même raison que 2o4 ANIMA.UX. celui des émanations de cette chaleur douce, qu'on doit regarder comme l'élément primitif de la vie. Nous n'ajouterons rien à ces réflexions; elles ont besoin d'une profonde connoissance de la nature , et d'un dépouillement entier de tous préjugés , pour être adoptées, même pour être senties : ainsi un plus grand développement ne sujQ&roit pas encore à la plu- part de mes lecteurs, et seroit superflu pour ceux qui peuvent m'entendre. FORMATION DU FOETUS. 20.) CHAPITRE X. De la formation du fœtus. Il paroît certain, par les observations de Yerrheyen , qui a trouvé de la semence de taureau dans la ma- trice de la vache; par celles de Ruysch, de Fallope, et des autres anatomistes, qui ont trouvé de celle de riiomme dans la matrice de plusieurs femmes; par celles de Leeuwenhoeck, qui en a trouvé dans la ma- trice d'une grande quantité de femelles, toutes dis- séquées immédiatement après l'accouplement; il pa- roît, dis-je, très certain que la liqueur séminale du mâle entre da^'^ la matrice de la femelle, soit qu'elle y arrive en substance par l'orifice interne qui paroît être l'ouverture naturelle par où elle doit passer, soit qu'elle se fasse un passage en pénétrant à travers le tissu du col et des autres parties inférieures de la ma- trice qui aboutissent au vagin. Il est très probable que dans le temps de la copulation , l'orifice de la matrice s'ouvre pour recevoir la liqueur séminale , et qu'elle y entre en effet par cette ouverture, qui doit la poui- per : mais on peut croire aussi que cette liqueur, ou plutôt la substance active et prolifique de cette li- queur, peut pénétrer à travers le tissu même des membranes de la matrice; car la liqueur séminale étant, comme nous l'avons prouvé, presque toute composée de molécules organiques qui sont en grand 2o6 ANIMAUX, mouvement, et qui sont en même temps d'une peti- tesse extrême, je conçois que ces parties actives de la semence peuvent passer à travers le tissu des mem- branes les plus serrées, et qu elles peuvent pénétrer celles de la matrice avec une grande facilité. Ce qui prouve que li partie active de cette liqueur peut non seulement passer par les pores de la ma- trice, mais même qu'elle en pénètre la substance, c'est le changement prompt, et pour ainsi dire subit, qui arrive à ce viscère dès les premiers temps de la 2frossesse : les règles et mêmes les vidan2fes d'un ac- coucliement qui vient de précéder sont d'abord sup- primées; la matrice devient plus mollasse, elle se gonfle, elle paroît enflée à l'intérieur, et, pour me servir de la comparaison de Harvey, cette enflure res- semble à celle que produit la piqûre d'une abeille sur les lèvres des enfants. Toutes ces altérations ne peu- vent arriver que par l'action d'une c jse extérieure, c'est-à-dire par la pénétration de quelque partie de la liqueur séminale du mâle dans la substance même de la matrice. Cette pénétration n'est point un effet superficiel qui s'opère uniquement à la surface, soit extérieure, soit intérieure, des vaisseaux qui consti- tuent la matrice, et de toutes les autres parties dont ce viscère est composé; mais c'est une pénétration intime, semblable à celle de la nutrition et du dé- veloppement; c'est une pénétration dans toutes les parties du moule intérieur de la matrice, opérée par des forces semblables à celles qui contraignent la nourriture à pénétrer le moule intérieur du corps, et qui en produisent le développement sans en chan- ger la forme. FOllMATION DU FŒTUS. 20" On se persuadera facilement que cela est ainsi, lors- que l'on fera réflexion que la matrice , dans le temps de la grossesse, non seulement augmente en volume, mais encore en masse , et qu'elle a une espèce de vie, ou, si l'on veut, une végétation ou un développe- ment , qui dure et va toujours en augmentant jusqu'au temps de l'accouchement; car si la matrice n'étoit qu'un sac, un récipient destiné à recevoir la semence et à contenir le fœtus, on verroit cette espèce de sac s'étendre et s'amincir à mesure que le fœtus augmen- teroit en grosseur, et alors il n'y auroit qu'une exten- sion pour ainsi dire superficielle des membranes qui composent ce viscère : mais l'accroissement de la ma- trice n'est pas une simple extension ou une dilatation à l'ordinaire; non seulement la matrice s'étend à me- sure que le fœtus augmente , mais elle prend en même temps de la solidité, de l'épaisseur; elle acquiert, en un mot, du volume et de la masse en même temps. Cette espèce d'augmentation est un vrai développe- ment, un accroissement semblable à celui de toutes les autres parties du corps lorsqu'elles se dévelop- pent, qui dès lors ne peut être produit que par la pénétration intime des molécules organiques analo- gues à la substance de cette partie; et comme ce dé- veloppement de la matrice n'arrive jamais que dans le temps de l'imprégnation, et que cette imprégna- tion suppose nécessairement l'action de la liqueur du mâle, ou tout au moins cju'elle en est l'effet, on ne peut pas douter que ce ne soit la liqueur du maie qui produise cette altération à la matrice, et que cette liqueur ne soit la première cause de ce développe- L liOS ANIMAUX. ment, de celte espèce de végétation et d'accroisse- ment que ce viscère prend avant que le fœtus soit assez gros et qu'il ait assez de volume pour le forcer à se dilater. Il paroît de même tout aussi certain, par mes expé- riences, que la femelle a une liqueur séminale qui com- mence à se former dans les testicules, et qui achève de se perfectionner dans les corps glanduleux. Cette liqueur coule et distille continuellement par les pe- tites ouvertures qui sont à l'extrémité de ces corps glanduleux, et cette liqueur séminale de la femelle peut, comme celle du mâle, entrer dans la matrice de deux façons différentes, soit parles ouvertures qui sont aux extrémités des cornes de la matrice , qui pa- roissent être les passages les plus naturels, soit à tra- vers le tissu membraneux de ces cornes, que cette liqueur humecte et arrose continuellement. Ces liqueurs séminales sont toutes deux un extrait de toutes les parties du corps de l'animal : celle du mâle est un extrait de toutes les parties du corps du mâle; celle de la femelle est un extrait de toutes les parties du corps de la femelle. Ainsi, dans le mélange qui se fait de ces deux liqueurs, il y a tout ce qui est nécessaire pour former un certain nombre de mâles et de femelles; plus la quantité de liqueur fournie par l'un ou par l'autre est grande, ou, pour mieux dire, plus cette liqueur est abondante en molécules organiques analogues à toutes les parties du corps de l'animal dont elles sont l'extrait, et plus le nombre des fœtus est grand, comme on le remarque dans les pe- tits animaux; et, au contraire, moins ces liqueurs FOKxMATlON DU FOETUS. 20C) sont abondantes en molécules organiques, et plus le nombre de fœtus est petit, comme il arrive dans les espèces des grands animaux. ^îais, pour suivre noire sujet avec plus d'attention, nous n'examinerons ici que la formation particulière du fœtus humain, sauf à revenir ensuite à l'examen de la formation du fœtus dans les autres espèces d'ani- maux, soit vivipares, soit ovipares. Dans l'espèce humaine, comme dans celle des gros animaux, les li- queurs séminales du mâle et de la femelle ne con- tiennent pas une grande abondance de molécules or- ganiques analogues aux individus dont elles sont extraites, et l'homme ne produit ordinairement qu'un et rarement deux fœtus. Ce fœtus est mâle si le nom- bre des molécules organiques du mâle prédomine dans le mélange des deux liqueurs, il est femelle si le nom- bre des parties organiques de la femelle est le plus grand; et l'enfant ressemble au père ou à la mère, ou à tous deux, selon les combinaisons différentes de ces molécules organiques, c'est-à-dire suivant qu'elles se trouvent en telle ou telle quantité dans le mélange des deux liqueurs. Je conçois donc que la liqueur séminale du mâle, répandue dans le vagin , et celle de la femelle, répan- due dans la matrice, sont deux matières également actives, également chargées de molécules organiques propres à la' génération ; et cette supposition me pa- roît assez prouvée par mes expériences, puisque j'ai trouvé les mêmes corps en mouvement dans la liqueur de la femelle et dans celle du mâle. Je vois que la li- queur du mâle entre dans la matrice, où elle rencon- tre celle de la femelle^ ces deux liqueurs ont entre L>AO ANIMAUX. elles une analogie parfaite, puisqu'elles sont compo- sées toutes les deux de parties non seulement simi- laires par leur forme, mais encore absolument sem- blables dans leurs mouvements et dans leur action, comme nous l'avons dit chap. Vï. Je conçois donc que, par ce mélange des deux liqueurs séminales, cette activité des molécules organiques de chacune des li- queurs soit comme fixée par l'action contre-balancée de l'une et de l'autre, en sorte que chaque molécule organique venant à cesser de se mouvoir, reste à la place qui lui convient, et cette place ne peut être que celle de la partie qu'elle occupoit auparavant dans l'animal, ou plutôt dont elle a été renvoyée dans le corps de l'animal. Ainsi toutes les molécules qui au- ront été renvoyées de la tête de l'animal se fixeront etse disposeront dans un ordre semblable à celui dans lequel elles ont en tfl'et été renvoyées ; celles qui au- ront été renvoyées de l'épine du dos se fixeront de même dans un ordre convenable, tant à la structure qu'à la position des vertèbres, et il en sera de même de toutes les autres parties du corps : les molécules or- ganiques qui ont été renvoyées de chacune des par- ties du corps de l'animal prendront naturellement la même position et se disposeront dans le même ordre qu'elles avoient lorsqu'elles ont été renvoyées de ces parties; par conséquent ces molécules formeront né- cessairement un petit être organisé , semblable en tout à l'animal dont elles sont l'extrait. On doit observer que ce mélange des molécules organiques des deux individus contient des parties semblables et des parties différentes ; les parties sem- blables sont les molécules qui ont été extraites de FORMATION DU FŒTUS. 211 toutes les parties communes aux deux sexes; les par- ties différentes ne sont que celles qui ont été extrai- tes des parties par lesquelles le mâle diffère de la femelle. Ainsi il y a dans ce mélange le double des molécules organiques pour former, par exemple, la lete ou le cœur, ou telle autre partie commune aux deux individus, au lieu qu'il n'y a que ce qu'il faut poiu- former les parties du sexe. Or les parties sem- blables, comme le sont les molécules organiques des parties communes aux deux individus, peuvent agir les unes sur les autres sans se déranger, et se rassembler comme si elles avoient été extraites du même corps : mais les parties dissemblables, comme le sont les molécules organiques des parties sexuelles, ne peuvent agir les unes sur les autres, ni se mêler intimement, parce qu'elles ne sont pas semblables; dès lors ces parties seules conserveront leur nature sans mélange, et se fixeront d'elles-mêmes les pre- mières, sans avoir besoin d'être pénétrées par les au- tres. Ainsi les molécules organiques qui proviennent des parties sexuelles seront les premières fixées, et toutes les autres qui sont communes aux deux indivi- dus se fixeront ensuite indifféremment et indistincte- ment, soit celles du mâle, soit celles de la femelle; ce qui formera un être organisé qui ressemblera par- faitement à son père si c'est un mâle, et à sa mère si c'est une femelle, par ces parties sexuelles, mais qui pourra ressembler à l'un ou à l'autre, ou à tous les deux, par toutes les autres parties du corps. Il me semble que cela étant bien entendu , nous pouvons en tirer l'explication d'une très grande ques- tion , dont nous avons dit quelque chose au chap, V, V !i I 2 ANIMAUX. dans l'cadroit où nous avons rapporté le sentiment d'Aristote au sujet de la génération; cette question est de savoir pourquoi chaque individu, mâle ou fe- melle, ne produit pas tout seul son semblable. Il faut avouer, comuie je l'ai déjà dit, que, pour quiconque approfondira la matière de la génération , et se don- nera la peine de lire avec attention tout ce que nous en avons dit jusqu'ici, il ne restera d'obscurité qu'à l'égard de cette question , surtout lorsqu'on aura bien compris la théorie que j'établis; et quoique cette es- pèce de dilTiculté ne soit pas réelle ni particulière à mon système, et qu'elle soit générale pour toutes les autres explications qu'on a voulu ou qu'on vou- droit encore donner de la génération, cependant je n'ai pas cru devoir la dissimuler, d'autant plus que, dans la recherche de la vérité, la première règle de conduite est d'être de bonne foi avec soi-même. Je dois donc dire qu'ayant réfléchi sur ce sujet aussi long- temps et aussi mûrement qu'il l'exige, j'ai cru avoir trouvé une réponse à celte question, que je vais tâ- cher d'expliquer, sans prétendre cependant la faire entendre parfaitement à tout le monde. Il est clair pour quiconque entendra bien le sys- tème que nous avons établi dans les quatre premiers chapitres, et que nous avons prouvé par des expé- riences dans les chapitres suivants, que la reproduc- tion se fait par la réunion de molécules organiques renvoyées de chaque partie du corps de l'animal ou du végétal dans un ou plusieurs réservoirs communs; que les mômes molécules qui servent à la nutrition et au développement du corps servent ensuite à la re- production ; que l'une et l'autre s'opèrent par la même FORMATION DU FŒTUS. 2l5 luatière et par les mêmes lois. Il me semble que j'ai prouve cette vérité par tant de raisons et de^laits qui! n'est guère possible d'en douter; je n'en doute pas moi-même, et j'avoue qu'il ne me reste aucun scru- • pule sur le fonds de cette théorie, dont j'ai examiné très rigoureusement les principes, et dont j'ai com- biné très scrupuleusement les conséquences et les détails : mais il est vrai qu'on pourroit bien avoir quel- que raison de me demander pourquoi chaque ani- mal, chaque végétal, chaque être organisé, ne pro- duit pas tout seul son semblable, puisque chaque individu renvoie de toutes les parties de son corps, dans un réservoir commun, toutes les molécules or- ganiques nécessaires à la formation du pelit être or- ganisé. Pourquoi donc cet être organisé ne s'y forme- t-il pas, et que, dans presque tous les animaux, il faut que la liqueur qui contient ces molécules orga- niques soit mêlée avec celle de l'autre sexe pour produire un animal? Si je me contente de répondre que, dans presque tous les végétaux, dans toutes les espèces d'animaux qui se produisent par la division de leur corps, et dans celle des pucerons qui se re- produisent d'eux-mêmes, la nature suit en effet la règle qui nous paroît la plus naturelle, que tous ces individus produisent d'eux-mêmes d'autres petits in- dividus semblables, et qu'on doit regarder comme une exception à cette règle l'emploi qu'elle fait des sexes dans les autres espèces d'animaux, on aura raison de me dire que l'exception est plus grande et plus uni- verselle que la règle; et c'est en effet là le point de la difficulté, difficulté qu'on n'affoiblit que très peu lors- j^ qu'on dira que chaque individu prodniroit peut-être L 2l4 AJNIMAr, X. son semblable, s'il avoit des organes convenables, et s'il contenoit la matière nécessaire à la nourriture de l'embryon; car alors on demandera pourquoi les fe- melles qui ont cette matière et en même temps les organes convenables ne produisent pas d'elles-mêmes d'autres femelles, puisque, dans cette hypothèse, on veut que ce ne soit que faute de matrice ou de ma- tière propre à l'accroissement et au développement du fœtus, que le mâle ne peut pas produire de lui- même. Cette réponse ne lève donc pas la difficulté en entier; car, quoique nous voyons que les femelles des ovipares produisent d'elles-mêmes des œufs qui sont des corps organisés, cependant jamais les fe- melles, de quelque espèce qu'elles soient, n'ont seu- les produit des animaux femelles, quoiqu'elles soient douées de tout ce qui paroît nécessaire à la nutrition et au développement du fœtus. Il faut, au contraire, pour que la production de presque toutes les espèces d'animaux s'accomplisse , que le mâle et la femelle concourent, que les deux liqueurs séminales se mê- lent et se pénètrent; sans quoi il n'y a aucune géné- ration d'animal. Si nous disons que l'établissement local des molé- cules organiques et de toutes les parties qui doivent former un fœtus ne peut pas se faire de soi-même dans l'individu qui fournit ces molécules; que, par exem- ple > dans les testicules et les vésicules séminales de l'homme, qui contiennent toutes les molécules néces- saires pour former un mâle, l'établissement local, l'arrangement de ces molécules, ne peut se faire, parce que ces molécules qui y sont renvoyées sont aussi continuellement repompées, et qu'il y a une espèce FORMATION DU FŒTUS. 2 1 T) de circulation de la semence, ou plutôt un repompe- ment continuel de cette liqueur dans le corps de l'a- oimal, et que, comme ces molécules ont une très grande analogie avec le corps de l'animal qui les a produites, il est fort naturel de concevoir que tant qu'elles sont dans le corps de ce même individu , la force qui pourroit les réunir et en former un fœtu« doit céder à cette force plus puissante par laquelle elles sont repompées dans le corps de l'animal, ou du moins que l'efTet de cette réunion est empêché par l'action continuelle des nouvelles molécules orga- niques qui arrivent dans ce réservoir, et de celles qui en sont repompées et qui retournent dans les vais- sceaux du corps de l'animal ; si nous disons de même que les femmes, dont les corps glanduleux des tes- ticules contiennent la liqueur séminale , laquelle dis- tille continuellement sur la matrice, ne produisent pas d'elles-mêmes des femelles, parce que cette li- queur, qui a, comme celle durmâle, avec le corps de l'individu qui la produit, une très grande analogie, est repompée par les parties du corps de la femelle , et que, comme cette liqueur est en mouvement, et, pour ainsi dire, en circulation continuelle, il ne peut se faire aucune réunion, aucun établissement local des parties qui doivent former une femelle, parce que la force qui doit opérer cette réunion n'est pas aussi grande que celle qu'exerce le corps de l'animal pour repomper et s'assimiler ces molécules qui en ont été extraites, mais qu'au contraire lorsque les li- queurs séminales sont mêlées, elles::ont entre elles plus d'analogie qu'elles n'en ont avec les parties du corps de la femelle où se fait ce niélange, et que c'est 2 10 ANIMAUX, par celte raison que la réunion ne s'opère qu'au moyen de ce mélange, nous pourrons, par cette réponse, avoir satisfait à une partie de la question. Mais, en admettant cette explication, on pourra me demander encore pourquoi la manière ordinaire de génération dans les animaux n'est-elle pas celle qui s'accorde le mieux avec cette supposition? car il faudroit alors que chaque individu produisît comme produisent les limaçons, que chacun donnât quelque chose à l'autre également et mutuellement, et que chaque individu, remportant les molécules organiques que l'autre lui auroit fournie^, la réunion s'en fît d'elle-même et par la seule force d'affinité de ces molécules entre elles, qui, dans ce cas, ne seroit plus détruite par d'autres forces , comme elle i'étoit dans le corps de l'autre indi- vidu. J'avoue que, si c'étoit par cette seule raison que les molécules organiques ne se réunissent pas dans chaque uidividu, il seroit naturel d'en conclure que le moyen le plus court pour opérer la reproduction des animaux seroit celui de leur donner les deux sexes en même temps , et que par conséquent nous devrions trouver beaucoup plus d'animaux doués des deux sexes, comme sont les limaçons, que d'autres animaux qui n'auroient qu'un seul sexe; mais c'est tout le contraire : cette manière de génération est particu- lière aux limaçons et à un petit nombre d'autres es- pèces d'animaux; l'autre; où la communication n'est pas mutuelle, où l'un des individus ne reçoit rien de l'autre individu, et où il n'y a qu'un individu qui reçoit et qui produit, est au contraire la manière la phis générale et celle que la nature emploie le plus souvent. Ainsi cette réponse ne peut satisfaire pleine- FOI\3IATION DU FOETUS. 2\^ j ment à la question qu'en supposant que c'est unique- ment faute d'organes que le mâle ne produit rien ; que, ne pouvant rien recevoir de la femelle, et que n'ayant d'ailleurs aucun viscère propre à contenir et à nourrir le fœtus, il est impossible qu'il produise comme la femelle qui est douée de ces organes. On peut encore supposer que , dans la liqueur de chaque individu, l'activité des molécules organiques qui proviennent de cet individu a besoin d'être con- tre-balancée par l'activité ou la force des molécules d'un autre individu, pour qu'elles puissent se fixer; qu'elles ne peuvent perdre cette activité que par la résistance ou le mouvement contraire d'autres molé- cules semblables et qui proviennent d'un autre in- dividu, et que, sans cette espèce d'équilibre entre Fac- tion de ces molécules de deux individus différents, il ne peut résulter l'état de repos, ou plutôt l'établisse- ment local des parties organiques qui est nécessaire pour la formation de l'animal; que, quand il arrive dans le réservoir séminal d'un individu des molécu- les organiques semblables à toutes les parties de cet individu dont elles sont renvoyées, ces molécules ne peuvent se fixer, parce que leur mouvement n'est point contre-balancé, et qu'il ne peut l'être que par l'action et le mouvement contraires d'autant d'autres molécules qui doivent provenir d'un autre individu, ou de parties différentes dans le même individu ; que, par exemple, dans les arbres, chaque bouton qui peut devenir un petit arbre a d'abord été comme le réservoir des molécules organiques renvoyées de cer- taines parties de l'arbre, mais que l'activité de ces molécules n'a été fixée qu'après le renvoi dans le I 2î8 ANIMAUX. même lieu de plusieurs autres molécules provenani d'autres parties, et qu'on peut regarder sous ce point de vue les unes comme venant des parties maies, et les autres comme provenant des parties femelles ; en sorte que , dans ce sens, tous les êtres vivants ou vé- gétants doivent tous avoir les deux sexes conjointe- ment ou séparément, pour pouvoir produire leur semblable. Mais cette réponse est trop générale pour ne pas laisser encore beaucoup d'obscurité ; cepen- dant, si l'on fait attention à tous lès phénomènes, il me paroît qu'on peut l'éclaircir davantage. Le résul- tat du mélange des deux liqueurs, masculine et fémi- nine , produit non seulement un fœtus mâle ou fe^ melle, mais encore d'autres corps organisés, et qui d'eux-mêmes ont une espèce de végétation et un ac- croissement réel; le placenta, les membranes, etc., sont produits en môme temps que le fœtus, et cette production paroît même se développer la première. Il y a donc dans la liqueur séminale, soit du mâle, soit de la femelle, ou da.ns le mélange de toutes deux, non seulement les molécules organiques né- cessaires à la production du fœtus, mais aussi celles qui doivent former le placenta et les enveloppes, et Ton ne sait pas d'où ces molécules organiques peu- vent venir, puisqu'il n'y a aucune partie dans le corps, soit du mâle, soit de la femelle , dont ces mo- léc!iles aient pu être renvoyées, et que par consé- quenton ne voit pas qu'il y ait une origine primitive de la forme qu'elles prennent lorsqu'elles forment ces espèces de corps organisés, différents du corps de l'animal. Dès lors il me semble qu'on ne peut pas se dispenser d'admettre que les molécules des li- FORMATION DU FCETtS. 2lÇi qiieurs séminales de chaque individu mâle et l'emelle, étant également organiques et actives, forment tou- jours des corps organisés toutes les fois qu'elles peu- vent se fixer en agissant mutuellement les unes sur les autres; que les parties employées à former un mâle seront d'abord celles du sexe masculin, qui se fixe- ront les premières et formeront les parties sexuelles, et qu'ensuite celles qui sont communes aux deux in- dividus pourront se fixer indifféremment pour former le reste du corps, et que le placenta et les enveloppes sont formés de l'excédant des molécules organiques qui n'ont pas été employées à former le fœtus. Si, comme nous le supposons, le fœtus est mâle , alors il reste, pour former le placenta et les enveloppes, toutes les molécules organiques des parties du sexe féminin qui n'ont pas été employées, et aussi toutes celles de l'un ou de l'autre des individus qui ne se- ront pas entrées dans la composition du fœtus, qui ne peut en admettre que la moitié; et de même, si le fœtus est femelle, il reste, pour former le placenta, toutes les molécules organiques des parties du sexe masculin et celles des autres parties du corps, tant du mâle que de la femelle , qui ne sont pas entrées dans la composition du fœtus, ou qui en ont été exclues par la présence des autres molécules semblables qui se sont réunies les premières. Mais, dira-t-on, les enveloppes et le placenta de-- vroient alors être un autre fœtus qui seroit femelle si le premier étoit mâle, et qui seroit mâle si le pre- mier étoit femelle ; car le premier n'ayant consommé pour se former que les molécules organiques des par- ties sexuelles de l'un des individus, et autant d'autres L 220 AMMATJX. molécules organiques de l'un et de l'autre des indi- vidus qu'il en falîoit pour sa composition entière, il reste toutes les molécules des parties sexuelles de l'autre individu, et de plus la moitié des autres molé- cules communes aux deux individus. A cela on peut répondre que la première réunion, le premier éta- blissement local des molécules organiques, empê- che que la seconde réunion se fasse, ou du moins se fasse sous la même forme; que le fœtus étant formé le premier, il exerce une force à l'extérieur qui dé- range l'établissement des autres molécules organi- ques, et qui leur donne l'arrangement qui est né- cessaire pour former le placenta et les enveloppes; que c'est par cette même force qu'il s'approprie les molécules nécessaires à son premier accroissement , ce qui cause nécessairement un dérangement qui empêche d'abord la formation d'un second fœtus , et qui produit ensuite un arrangement dont résulte la forme du placenta et des membranes. Nous sommes assurés par ce qui a été dit ci-devant , et par les expériences et les observations que nous avons faites, que tous les êtres vivants contiennent une grande quantité de molécules vivantes et actives ; la vie de l'animal ou du végétal ne paroît être que le résultat de toutes les actions, de toutes les petites vies particulières (s'il m'est permis de m'exprimer ainsi) de chacune de ces molécules actives dont !a vie est primitive et paroît ne pouvoir être détruite : nous avons trouvé ces molécules vivantes dans tous les êtres vivants ou vésrétants; nous sommes assurés que toutes ces molécules organiques sont également propres à la nutrition , et par conséquent à la repro- FORMATION DU FŒTUS. 22 1 diiction des animaux ou des véi^^élaux. 11 n'est donc pas difficile de concevoir que , quand un certain nom- bre de ces molécules sont réunies , elles forment un être vivant; la vie étant dans chacune des parties, elle peut se retrouver dans un tout, dans un assem- blage quelconque de ces parties. Ainsi les molécules organiques et vivantes étant communes à tous les êtres vivants, elles peuvent également former tel ou tel animal ou tel ou tel végétal , selon qu'elles seront ar- rangées de telle ou telle façon : or cette disposition des parties organiques, cet arrangement dépend ab- solument de la forme des individus qui fournissent ces molécules; si c'est un animal qui fournit ces molécu- les organiques, comme en effet il les fournit dans sa liqueur séminale, elles pourront s'arranger sous la forme d'un individu semblable à cet animal; elles s'arrangeront en petit , comme elles s'étoient arran- gées en grand lorsqu'elles servoient au développement du corps de l'animal : mais ne peut-on pas supposer que cet arrangement ne peut se faire dans de cer- taines espèces d'animaux, et même de végétaux, qu'au moyen d'un point d'appui ou d'une espèce de base autour de laquelle les molécules puissent se réunir, et que sans cela elles ne peuvent se fixer ni se rassembler, parce qu'il n'v a rien qui puisse arrêter leur activité? Or c'est cette base quej'ournit l'indi- vidu de l'autre sexe ; je m'explique. Tant que ces molécules organiques sont seules de leur espèce , comme elles le sont dans la liqueur sé- minale de chaque individu . leur action ne produit aucun eflet, parce qu'elle est sans réaction ; ces mo- lécules sont en mouvement continuel les unes à l'é- 2^2 ANIMAUX. gard des antres; et il n'y a rien qui puisse fixer leur activité, puisqu'elles sont toutes également animées, également actives : ainsi il ne se peut faire aucune réunion de ces molécules qui soit semblable à l'ani- mal .♦ni dans l'une ni dans l'autre des liqueurs sémi- nales des deux sexes, parce qu'il n'y a, ni dans Tune ni dans l'autre, aucune partie dissemblable, aucune partie qui puisse servir d'appui ou de base à l'action, de ces molécules en mouvement. Mais lorsque ces li- queiîrs sont mêlées, alors il y a des parties dissem- blables, et ces parties sont les molécules qui provien- nent des parties sexuelles ; ce sont celles-là qui ser- vent de base et de point d'appui aux autres molécules , et qui en fixent l'activité : ces parties étant les seules qui soient difterentes des autres , i! n'y a qu'elles seules qui puissent avoir un eifet différent, réagir contre les autres, et arrêter leur mouvement. Dans cette supposition , les molécules organiques qui , dans le mélange des liqueurs séminales des deux individus, représentent les parties sexuelles du mâle , seront les seules qui pourront servir de base ou de point d'appui aux molécules organiques qui provien- nent de toutes les parties du corps de la femelle; et de même les molécules organiques qui, dans ce mé- lange , représentent les parties sexuelles de la femelle , seront les seules qui serviront de point d'appui aux molécules organiques qui proviennent de toutes les parties du corps du mâle, et cela, parce que ce sont les seules qui soient en effet différentes des autres. De là on pourroit conclure que l'enfant mâle est formé des molécules organiques du père, pour les parties sexuelles, et des molécules organiques de la FORMATION J)L' FOiiTlJS. 2 23 mère pour le reste du corps, et qu'au contraire la femelle ne tire de sa mère que le sexe, et qu'elle prend tout le reste de son père : les garçons devroient donc, à l'exception des parties du sexe, ressembler davantage à leur mère qu'à leur père , et les filles plus au père qu'à la mère : cette conséquence, qui suit nécessairement notre supposition, n'est peut-être pas assez conforme à l'expérience. En considérant sous ce point de vue la génération par les sexes, nous en conclurons que ce doit être la manière de reproduction la plus ordinaire, comme elle l'est en eifet. Les individus dont l'organisation est la plus complète, comme celle des animaux dont le corps fait un tout qui ne peut être ni séparé ni di- visé , dont toutes les puissances se rapportent à un seul point et se combinent exactement, ne pourront se reproduire que par cette voie, parce qu'ils ne con- tiennent en effet que des parties qui sont toutes sem- blables entre elles, dont la réunion ne peut se faire qu'au moyen de quelques autres parties différentes , fournies par un autre individu. Ceux dont l'organisa- tion est moins parfaite, comme l'est celle des végé- taux, dont le corps fait un tout qui peut être divisé et séparé sans être détruit , pourront se reproduire par d'autres voies, i** parce qu'ils contiennent des parties dissemblables; 2° parce que ces êtres n'ayant pas une forme aussi déterminée et aussi fixe que celle de l'a- nimal, les parties peuvent suppléer les unes aux autres, et se changer selon les circonstances, comme l'on voit les racines devenir des branches et pousser des feuil- les lorsqu'on les expose à l'air, ce qui fait que la po- sition et l'établissement du local des molécules qui 22l\ ANIMAUX. doivent former le petit individu se peuvent faire de plusieurs manières. Il en sera de même des animaux dont l'organisation ne fait pas un tout bien déterminé, comme les po- lypes d'eau douce , et les autres qui peuvent se repro- duire par la division : ces êtres organisés sont moins un seul animal que plusieurs corps organisés sembla- bles, réunis sous une enveloppe commune, comme les arbres sont aussi composés de petits arbres sem- blables (voyez cliap. II). Les pucerons, qui engen- drent seuls, contiennent aussi des parties dissembla- bles, puisqu'après avoir produit d'autres pucerons ils se cliangent en mouches qui ne produisent rien. Les limaçons se commuDif[uent mutuellement ces parties dissemblables, et ensuite ils produisent tous les deux. Ainsi , dans toutes les matières connues dont la géné- ration s'opère, nous voyons que la réunion des mo- lécules organiques qui doivent former la nouvelle production ne peut se faire que par le moyen de quel- ques autres parties différentes qui servent de point d'appui à ces molécules, et qui, par leur réaction, soient capables de fixer le mouvement de ces molé- cules actives. Si l'on donne à l'idée du mot sexe toute l'étendue que nous lui supposons ici , on pourra dire que les sexes se trouvent partout dans la nature ; car alors le sexe ne sera que la partie qui doit fournir les molé- cules organiques différentes des autres, et qui doivent servir de point d'appui pour leur réunion. Mais c'est assez raisonner sur une question que je pouvois me dispenser de mettre en avant , que je pouvois aussi résoudre tout d'un coup, en disant que Dieu avant FORMATION DU FCETLS. 220 créé les sexes il est nécessaire que les animaux se re-^ produisent par leurmoyen. En ejffet , nous ne sommes pas faits, comme je l'ai dit, pour rendre raison du pourquoi des choses; nous ne sommes pas en état d'expliquer pourquoi la nature emploie presque tou- jours les sexes pour la reproduction des animaux; nous ne saurons jamais, je crois , pourquoi ces sexes existent, et nous devons nous contenter de raisonner sur ce qui est, sur les choses telles qu'elles sont, puisque nous ne pouvons remonter au delà qu'en fai- sant des suppositions qui s'éloignent peut-être autant de la vérité que nous nous éloignons nous-mêmes de la sphère où nous devons nous contenir, et à la- quelle se borne la petite étendue de nos connois- sances. En partant donc du point dont il faut partir, c'est- à-dire en se fondant sur lesfaitset sur les observations, je vois que la reproduction des êtres se fait, à la vé- rité, de plusieurs manières différentes; mais en même temps, je conçois clairement que c'est par la réunion des molécules organiques renvoyées de toutes les parties de l'individu , que se fait la reproduction des végétaux et des animaux. Je suis assuré de l'existence de ces molécules organiques et actives dans la semence des animaux mâles et femelles, et dans celle des vé- gétaux; et je ne puis pas douter que toutes les géné- rations, de quelque manière qu'elles se fassent, ne s'opèrent par le moyen de la réunion de ces molé- cules organiques renvoyées de toutes les parties du corps des individus; je ne puis pas douter non plus que dans la génération des animaux, et en particulier dans celle de l'homme, ces molécules organiques 226 ANlMAliX. fournies par chaque individu mâle et femelle ne se mêlent dans le temps de la formation du fœtus, puis- que nous voyons des enfants qui ressemblent en même temps à leur père et à leur mère; et ce qui pourroit confirmer ce que j'ai dit ci-dessus, c'est que toutes les parties communes aux deux sexes se mêlent, au lieu que les molécules qui représentent les parties sexuelles ne se mêlent jamais, car on voit tous les jours des enfants avoir, par exemple , les yeux du père , et le front ou la bouche de la mère ; mais on ne voit jamais qu'il y ait un semblable mélange des parties sexuelles, et il n'arrive pas qu'ils aient, par exemple, les testicules du père et le vagin de la mère. Je dis que cela n'arrive pas, parce que l'on n'a aucun fait avéré au sujet des hermaphrodites, et que la plu- part des sujets qu'on a crus être dans ce cas n'étoient que des femmes dans lesquelles certaine partie avoit pris trop d'accroissement. Il est vrai qu'en réfléchissant sur la structure des parties de la génération de l'un ou de l'autre sexe dans l'espèce humaine , on y trouve tant de ressemblance et une conformité si singulière qu'on seroit assez porté à croire que ces parties qui nous paroissent si différentes à l'extérieur ne sont au fond que les mêmes organes, mais plus ou moins développés. Ce senti- ment, qui étoit celui des anciens, n'est pas tout-à- fait sans fondement; et j'ai fait connoître ailleurs les itlées que M. Daubenton a eues sur ce sujet ^ : elles m'ont paru très ingénieuses; et d'ailleurs elles sont fondées sur des observations nouvelles qui probable- 1. Voyez le tome V cio î'(^clilion en trenle-un volumes , page 26 1. FORMATION DU FOETL.S. 22" ment n'avoient pas été faites par les anciens, et qui poiirroient confirmer leur opinion sur ce sujet. La formation du fœtus se fait donc par la réunion des molécules organiques contenues dans le mélange qui vient de se faire des liqueurs séminales des deux individus : cette réunion produit l'état local des par- ties , parce qu'elle se fait selon les lois d'affinité qui sont entre ces différentes parties, et qui déterminent les molécules à se placer comme elles l'étoient dans les individus qui les ont fournies; en sorte que les molécules qui proviennent de la tête, et qui doivent la former, ne peuvent, en vertu de ces lois, se placer ailleurs qu'auprès de celles qui doivent former le cou, et qu'elles n'iront pas se placer auprès de celles qui doivent former les jambes. Toutes ces molécules doi-^ vent être en mouvement lorsqu'elles se réunissent, et dans un mouvement qui doit les faire tendre à une espèce de centre autour duquel se fait la réunion. On peut croire que ce centre ou ce point d'appui qui est nécessaire à la réunion des molécules, et qui, par sa réaction et son inertie, en fixe l'activité et en détruit le mouvement, est une partie différente de toutes les autres, et c'est probablement le premier assemblage des molécules qui provienneni des parties sexuelles, qui, dans ce mélange, sont les seules qui ne soient pas absolument communes aux deux individus. Je conçois donc que , dans ce mélange des deux liqueurs, les molécules organiques qui proviennent des parties sexuelles du mâle se fixent d'elles-mêmes les premières, et sans pouvoir se mêler avec les mo- lécules qui proviennent des parties sexuelles de la fe- melle , parce qu'en effet elles en sont différentes, et 2^8 ANIMAUX. que cD4 ANIMAUX. ment nous seroit-ii possible de juger du développe- ment composé du corps d'un animal dans lequel la position relative des parties change aussi bien que le volume et la masse de ces mêmes parties? Nous ne pouvons donc raisonner sur cela qu'en tirant quelques inductions de l'examen de la chose même dans les différents temps du développement, et en nous aidant, des observations qu'on a faites sur le poulet dans l'œuf, et sur les fœtus nouvellement formés, que les accidents et les fausses couches ont souvent donné lieu d'observer. On voit, à la vérité, le poulet dans l'œuf avant qu'il ait été couvé ; il est dans une liqueur transpa- rente qui est contenue dans une petite bourse formée par une membrane très fine au centre de la cicatri- cule : mais ce poulet n'est encore qu'un point de ma- tière inanimée, dans lequel on ne distingue aucune organisation sensible, aucune figure bien déterminée; on Juge seulement par la forme extérieure que l'une des extrémités est la tête, et que le reste est l'épine du dos : le tout n'est qu'une gelée transparente qui n'a presque point de consistance. Il paroît que c'est là le premier pToduit de la fécondation, et que cette forme est le premier résultat du mélange qui s'est fait dans la cicatricule de la semence du mâle et de celle de la femelle ; cependant , avant que de l'assurer, il y a plu- sieurs choses auxquelles il faut faire attention. Lors- que la poule a habité pendant quelques Jours avec le coq et qu'on l'en sépare ensuite , les œufs qu'elle produit après cette séparation ne laissent pas d'être féconds comme ceux qu'elle a produits dans le temps de son habitation avec le maie. L'œuf que la poule DEVELOPP. DU FOETUS, DE l' ACCOUCHEMENT. 2 55 pond vingt jours après avoir été séparée du coq pro- duit un poulet comme celui qu'elle aura pondu vingt jours auparavant ; peut-être même que ce terme est beaucoup plus long, et que cette fécondité commu- niquée aux œufs de la poule par le coq s'étend à ceux qu'elle ne doit pondre qu'au bout d'un mois ou da- vantage : les o^ufs qui ne sortent qu'après ce terme de vingt jours ou d'un mois, et qui sont féconds comme les premiers, se développent dans le même temps, il ne faut que vingt-un jours de chaleur aux uns comme aux autres pour faire éclore le poulet : ces derniers œufs sont donc composés comme les premiers, et l'embryon y est aussi avancé, aussi formé. Dès lors on pourroit penser que cette forme sous la- quelle nous paroît le poulet dans la cicatricule de l'œuf avant qu'il ait été couvé n'est pas la forme qui résulte immédiatement du mélange desdeuxliqueurs, et il y auroit quelque fondement à soupçonner qu'elle a été précédée d'autres formes pendant le temps que l'œuf a séjourné dans le corps de la mère ; car lorsque l'embryon a la forme que nous lui voyons dans l'œuf qui n'a pas encore été couvé , il ne lui faut plus que de la chaleur pour le développer et le faire éclore : or, s'il avoit eu cette forme vingt jours ou un mois auparavant , lorsqu'il a été fécondé , pourquoi la cha- leur de l'intérieur du corps de la poule , qui est certai- nement assez grande pour le développer, ne l'a-t-elle pas développé en effet? et pourquoi ne trouve-t-on pas le poulet tout formé et prêt à éclore dans ces œufs qui ont été fécondés vingt-un jours auparavant, et que la poule ne pond qu'au bout de ce temps? Cette difficulté n'est cependant pas aussi grande 2 56 ANIMAUX. qu'elle le paroît : car on doit concevoir que , dans le temps de l'incubation du coq avec la poule, chaque œuf reçoit dans sa cicalricule une petite portion delà semence du mâle ; cette cicatricule contenoit déjà celle de la femelle. L'œuf attaché à l'ovaire est dans les femelles ovipares ce qu'est le corps glanduleux dans les testicules des femelles vivipares. La cicatricule de Tœuf sera, si l'on veut, la cavité de ce corps glandu- leux dans lequel réside la licjueur séminale de la fe- melle ; celle du mâle vient s'y mêler et la pénétrer. Il doit donc résulter de ce mélange un embryon qui se forme dans l'instant môme de la pénétration des deux liqueurs : aussi le premier œuf que la poule pond immédiatement après la communication qu'elle vient d'avoir avec le coq se trouve fécondé et produit un poulet. Ceux qu'elle pond dans la suite ont été fécondés de la même façon et dans le môme instant; mais comme il manque encore à ces œufs des parties essentielles don»t la production est indépendante de la semence du mâle , qu'ils n'ont encore ni blanc , ni membranes, ni coquille, le petit embryon contenu dans la cicatricule ne peut se développer dans cet œuf imparfait, quoiqu'il y soit contenu réellement, et que son développement soit aidé de la chaleur de l'intérieur du corps de la mère. Il demeure donc dans la cicatricule dans l'état où il a été formé , jusqu'à ce que l'œuf ait acquis par son accroissement toutes les parties qui sont nécessaires à l'action et au dévelop- pement du poulet ; et ce n'est que quand l'œuf est arrivé à sa perfection que cet embryon peut commen- cer à naître et à se développer. Ce développement se fait au dehors par l'incubation , mais il est certain qu'il DÉVELOPP. DU FŒTUS, DE l'aCCOUCHEMENT. 267 pourroitse faire au dedans ; et peut-être qu'enserrant ou cousant l'orifice de la poule pour l'empêcher de pondre et pour retenir l'œuf dans l'intérieur de son corps, il pourroit arriver que le poulet s'y développe- roit comme il se développe au dehors, et que si la poule pouvoit vivre vingt-un jours après cette opéra- tion , on lui verroit produire le poulet vivant , à moins que la trop grande chaleur de l'intérieur du corps de l'animal ne fît corrompre l'œuf : car on sait que les limites du degré de chaleur nécessaire pour faire éclore des poulets ne sont pas étendues, et que le défaut ou l'excès de chaleur au delà de ces limites est également nuisible à leur développement. Les derniers œufs que la poule pond, et dans lesquels l'état de l'embryon est le même que dans lespremiers, ne prouvent donc rien autre chose , sinon qu'il est nécessaire que l'œuf ait acquis toute sa perfection pour que l'embryon puisse se développer, et que , quoi- qu'il ait été formé dans ces œufs long-temps aupara- vant, il est demeuré dans le même état où il étoit au moment de la fécondation, par le défaut de blanc et des autres parties nécessaires à son développement , qui n'étoient pas encore formées, comme il reste aussi dans le môme état dans les œufs parfaits, par le défaut de la chaleur nécessaire à ce même développe- ment, puisqu'on garde souvent des œufs pendant un temps considérable avant que de les faire couver; ce qui n'empêche point du tout le développement du poulet qu'ils contiennent. Il paroît donc que l'état dans lequel est l'embryon dans i'œuf lorsqu'il sort de la poule est le premiei état qui succède immédiatement à la fécondation ; I 2 58 AN 131 AUX. que la forme sous laquelle nous le voyons est la pre- mière forme résultant du mélange intime et de la pé- nétration des deux liqueurs séminales ; qu'il n'y a pas eu d'autres formes intermédiaires , d'autres dévelop- pements antérieurs à celui qui va s'exécuter, et que par conséquent en suivant, comme l'a fait Malpighi , ce développement heure par heure, on en saura tout ce qu'il est possible d'en savoir, à moins que de trou- ver quelque moyen qui pût nous mettre à portée de remonter encore plus haut, et de voir les deux liqueurs se mêler sous nos yeux , pour reconnoître comment se fait le premier arrangement des parties qui pro- duisent la forme que nous voyons à l'embryon dans l'œuf avant qu'il ait été couvé. Si l'on réfléchit sur cette fécondation qui se fait dans le même moment, de ces œufs qui ne doivent cependant paroître que successivement et long-temps les uns après les autres, on en tirera un nouvel ar- gument contre l'existence des œufs dans les vivipares; car si les femelles des animaux vivipares, si les femmes contiennent des œufs comme les poules , pourquoi n'y en a-t-il pas plusieurs de fécondés en même temps, dont les uns produiroient des fœtus au bout de neuf mois, et les autres quelque temps après? Et lorsque les femmes font deux ou trois enfants, pourquoi viennent-ils au monde tous dans le même temps? Si ces fœtus se produisoient au moyen des œufs, ne viendroient-ils pas successivement les uns après les autres, selon qu'ils auroient été formés ou excités par la semence du mâle dans des œufs plus ou moins avancés , ou plus ou moins parfaits? et les superféta- tions ne seroient-elles pas aussi fréquentes qu'elles DÉVELOPP. DU FCETLS, DE l'aCCOUCIIEMENT. 2;)9 sont rares, aussi naturelles qu'elles paroissent être accidentelles? On ne peut pas suivre le développement du fœtus humain dans la matrice comme on suit celui du poulet dans l'œuf, les occasions d'observer sont rares, et nous ne pouvons en savoir que ce que les anato- mistes, les chirurgiens, et les accoucheurs en ont écrit. C'est en rassemblant toutes les observations par- ticulières qu'ils ont faites, et en comparant leurs re- marques et leurs descriptions, que nous allons faire l'histoire abrégée du fœtus humain. Il y a grande apparence qu'immédiatement après le mélange des deux liqueurs séminales, tout l'ouvrage de la génération est dans la matrice sous la forme d'un petit globe, puisque l'on «ait, par les observa- tions des anatomistes, que , trois ou quatre jours après la conception, il y a dans la matrice une bulle ovale qui a au moins six lignes sur son grand diamètre , et quatre lignes sur le petit ; cette bulle est formée par une membrane extrêmement fine qui renferme une liqueur limpide et assez semblable à du blanc d'œuf : on peut déjà apercevoir dans cette liqueur quelques petites fibres réunies qui sont les premières ébauches du fœtus. On voit ramper sur la surface de la bulle un lacis de petites fibres, qui occupe la moitié de la superficie de cet ovoïde depuis l'une des extrémités du grand axe jusqu'au milieu, c'est-à-dire jusqu'au cercle formé par la révolution du petit axe : ce sont les premiers vestiges du placenta. Sept jours après la conception , l'on peut distin- guer à l'œil simple les premiers linéaments du fœtus ; cependant ils sont encore informes : on voit seule- L aGo ANIxMALX. ment au bout de cessept jours ce qu'on voit dans l'œuf au bout de vingt-quatre heures , une masse d'une gelée presque transparente qui a déjà quelque soli- dité, et dans laquelle on reconnoît la tête et le tronc, parce que cette masse est d'une forme allongée, que la partie supérieure qui représente le tronc est plus déliée et plus lon-gue ; on voit aussi quelques petites fibres en forme d'aigrette qui sortent du milieu du corps du fœtus, et qui aboutissent à la membrane dans laquelle il est renfermé , aussi bien que la li- queur qui l'environne. Ces fibres doivent former dans la suite le cordon ombilical. Quinze jours après la conception, l'on commence à bien distinguer la tête, et à reconnoître les traits les plus apparents du visage ; le nez n'est encore qu'un petit filet proéminent et perpendiculaire à une ligne qui indique la séparation des lèvres; on voit deux petits points noirs à la place des yeux, et deux petits trous à celles des oreilles. Le corps du fœtus a aussi pris de l'accroissement; on voit au deux côtés de Ja partie supérieure du tronc, et au bas de la partie in- férieure , de petites protubérances qui sont les pre- mières ébauches des bras et des jambes : la longueur du corps entier est alors à peu près de cinq lignes. Huit jours après, c'est-à-dire au bout de trois se- maines, le corps du fœtus n'a augmenté que d'envi-- ron une ligne ; mais les bras et les jambes, les mains et les pieds sont apparents. L'accroissement des bras est plus prompt que celui des jambes, et les doigts des mains se séparent plus tôt que ceux des pieds. Dans ce même temps l'organisation intérieure du fœtus commence à être sensible : les os sont marqués par DEVELOPP. DU FŒTUS, DE L ACCOUCHEMENT. 26 1 de petits filets aussi fins que des cheveux : on re- connoît les côtes; elles ne sont encore que des filets disposés régulièrement des deux côtés de l'épine : les bras, les jambes, et les doigts des pieds et des m9ins, sont aussi représentés par de pareils filets. A un mois le fœtus a plus d'un pouce de longueur; il est un peu courbé dans la situation cju'il prend na- turellement au milieu de la liqueur qui l'environne : les membranes qui contiennent le tout se sont aug- mentées en étendue et en épaisseur. Toute la masse est toujours de figure ovoïde, et elle est alors d'en- viron un pouce et demi sur le grand diamètre, et d'un pouce et un quart sur le petit diamètre. La figure hu- maine n'est plus équivoque dans le fœtus , toutes les parties de la face sont déjà reconnoissabies ; le corps est dessiné; les hanches et le ventre sont élevés; les membres sont formés; les doigts des pieds et des mains sont séparés les uns des autres; la peau est ex- trêmement mince et transparente ; les viscères sont déjà marqués par des fibres pelotonnées; les vaisseaux sont menus comme des fils, et les membranes extrê- mement déliées ; les os sont encore mous, et ce n'est qu'en quelques endroits qu'ils commencent à prendre un peu de solidité ; les vaisseaux qui doivent composer le cordon ombilical sont encore en ligne droite les uns à côté des autres. Le placenta n'occupe plus que le tiers de la masse totale, au lieu que dans les pre- miers jours il en occupoit la moitié : il paroît donc que son accroissement en étendue superficielle n'a pas été aussi grand que celui du fœtus et du reste de la masse; mais il a beaucoup augmenté en solidité : son épais- seur est devenue plus grande à proportion de celle BiiFFoiv. xr. 17 262 ANIMAUX. de l'enveloppe du fœtus, et on peut déjà distinguer les deux membranes dont cette enveloppe est com- posée. Selon Hippocrate , le fœtus mâle se développe plus promptement que le fœtus femelle ; il prétend qu'au hout de trente jours toutes les parties du corps du mâle sont apparentes , et que celles du fœtus femelle ne le sont qu'au bout de quarante-deux jours. A six semaines , le fœtus a près de deux pouces de longueur; la figure humaine commence à se perfec- tionner; la tête est seulement beaucoup plus grosse à proportion que les autres parties du corps. On aper- çoit le mouvement du cœur à peu près dans ce temps-: on l'a vu battre dans un fœtus de cinquante jours, et même continuer de battre assez long-temps après que le fœtus fut tiré hors du sein de la mère. A deux mois , le fœtus a plus de deux pouces de longueur; l'ossification est sensible au milieu du bras, de l'avant-bras, de la cuisse et de la jambe, et dans la pointe de la mâchoire inférieure , qui est alors fort avancée au delà de la mâchoire supérieure; ce ne sont encore , pour ainsi dire , que des points osseux : mais, par l'effet d'un développement plus prompt, les cla- vicules sont déjà ossifiées en entier; le cordon ombi- lical est formé ; les vaisseaux qui le composent com- mencent à se tourner et à se tordre à peu près comme les fils qui composent une corde : mais ce cordon est encore fort court en comparaison de ce qu'il doit être dans la suite. A trois mois, le fœtus a près de trois pouces; il pèse environ trois onces. Hippocrate dit que c'est dans ce temps que les mouvements du fœtus mâle DÉVELOrP. DU FŒTUS, DE L ACCOUCHEMENT. 265 commencent à être sensibles pour la mère, et il as- sure que le fœtus femelle ne se fait sentir ordinaire- ment qu'après le quatrième mois ; cependant il y a des femmes qui disent avoir senti , dès le commencement du second mois, le mouvement de leur enfant. 11 est assez difficile d'avoir sur cela quelque chose de certain; la sensation que les mouvements du fœtus excitent dépendant peut-être plus dans ces commen- cements de la sensibilité de la mère que de la force du fœtus. Quatre mois et demi après la conception, la lon- gueur du fœtus est de six à sept pouces ; toutes les parties de son corps sont si fort augmentées, qu'on les distingue parfaitement les unes des autres; les ongles même paroissent aux doigts des pieds et des mains. Les testicules des mâles sont enfermés dans le ventre , au dessus des reins; l'estomac est rempli d'une humeur un peu épaisse et assez semblable à celle que renferme l'amnios. On trouve dans les petits boyaux une matière laiteuse, et dans les gros une matière noire et liquide ; il y a un peu de bile dans la vési- cule du fiel , et un peu d'urine dans la vessie. Comme le fœtus flotte librement dans le liquide qui l'envi- ronne, il y a toujours de l'espace entre son corps et les membranes qui l'enveloppent. Ces enveloppes croissent d'abord plus que le fœtus : mais après un certain temps c'est tout le contraire, le fœtus croît à proportion plus que ces enveloppes ; il peut y toucher par les extrémités de son corps, et on croiroit qu'il est obligé de les plier. Avant la fin du troisième mois la tête est courbée en avant; le menton pose sur la poitrine; les genoux sont relevés, les jambes repliées k 264 ANIMAUX. en arrière; souvent elles sont croisées, et la pointe fîu pied est tournée en haut et appliquée contre la cuisse , de sorte que les deux talons sont fort près l'un de l'autre; quelquefois les genoux s'élèvent si haut, qu'ils touchent presque aux joues ; les jambes sont pliées sous les cuisses, et la plante du pied est tou- jours en arrière ; les bras sont abaissés et repliés sur la poitrine; l'une des mains, souvent toutes les deux, touchent le visage; quelquefois elles sont fermées, quelquefois aussi les bras sont pendants à coté du corps. Le fœtus prend ensuite des situations diffé- rentes de celle-ci; lorsqu'il est prêt à sortir de la ma- trice; et même long-temps auparavant, il a ordinai- rement la tête en bas et la face tournée en arrière, et il est naturel d'imaginer qu'il peut changer de si- tuation à chaque instant : des personnes expérimen- tées dans l'art des accouchements ont prétendu s'être assurées qu'il en chaogeoit en eOet beaucoup plus souvent qu'on ne le croit vulgairement; on peut le prouver par plusieurs observations, i** On trouve sou- vent le cordon ombilical tortillé et passé autour du corps et des membres de l'enfant d'une manière qui suppose nécessairement que le fœtus ait fait des mou- vements dans tous les sens , et qu'il ait pris des posi- tions successives très différentes entre elles. 2° Les mères sentent les mouvements du fœtus, tantôt d'un côté de la matrice , et tantôt d'un autre côté : il frappe également en plusieurs endroits différents; ce qui sup- pose qu'il prend des situations différentes. 5^ Comme il nage dans un liquide qui l'environne de tons côtés,, il peut très aisément se tourner, s'étendre, se plier par ses propres forces, et il doit aussi prendre des DÉVELOPP. DU F«ETUS, DE l'aCCOUGHEMENT. 265 situations différentes, suivant les différentes attitudes du corps de la mère; par exemple, lorsqu'elle est couchée, le fœtus doit être dans une autre situation que quand elle est debout. La plupart des anatomistes ont dit que le fœtus est contraint de courber son corps et déplier ses membres, parce qu'il est trop gêné dans son enveloppe : mais cette opinion ne me paroît pas fondée; car il y a, surtout dans les cinq ou six premiers mois de la gros- sesse , beaucoup plus d'espace qu'il n'en faut pour que le fœtus puisse s'étendre; et cependant il est, dans ce temps même , courbé et replié. On voit aussi que le poulet est courbé dans la liqueur que contient l'amnios , dans le temps même que cette membrane est assez étendue, et cette liqueur assez abondante pour contenir un corps cinq ou six fois plus gros que le poulet. Ainsi on peut croire que cette forme cour- bée et repliée que prend le corps du fœtus est natu- relle, et point du tout forcée. Je serois volontiers de l'avis de Harvey, qui prétend que le fœtus ne prend cette attitude que parce qu'elle est la plus favorable au repos et au sommeil ; car tous les animaux mettent leur corps dans cette position pour se reposer et pour dormir ; et comme le fœtus dort presque toujours dans le sein de la mère, il prend naturellement la si- tuation la plus avantageuse. « Certe , dit ce fameux » anatomlste _, animalia omnia, dum quiescunt et dor- » miunt, membra sua ut plurimum adducunt et com- » plicant , figuramque ovalem ac conglobatam quae- »runt; ita pariter embryones , qui aetatem suam » maxime somno Iransigunt , membra sua positione ea » qua plasmantur, (tanquam naturalissima ac maxime 266 AMMALX. » indolenti quielique aptissima) coniporiunt. » [Vide Harvey, D^ ^^H80 ANIMAUX. do ce même lait supposé comme vrai , lorsqu'on en ignore les circonstances, il me paroît cependant qu'on peut répondre d'une manière satisfaisante à cette es- pèce de question, de laquelle on n'est pas en droit d'exiger une solution directe. Les choses les plus ex- traordinaires et qui arrivent le plus rarement, arrivent cependant aussi nécessairement que les choses ordi- naires et qui arrivent très souvent : dans le nombre infini des combinaisons que peut prendre la matière, les arrangements les plus extraordinaires doivent se trouver, et se trouvent en effet, mais beaucoup plus rarement que les autres; dès lors on peut parier, et peut-être avec avantage, que sur un million, ou, si Ton veut, mille millions d'enfants qui viennent au monde, il en naîtra un avec deux têtes, ou avec quatre jambes, ou avec des membres rompus, ou avec telle difformité ou monstruosité particulière qu'on voudra supposer. Il se peut donc naturellement, et sans que l'imagination de la mère y ait eu part* qu'il soit né un enfant dont les membres étoient rompus; il se peut même que cela soit arrivé plus d'une fois, et il se peut enfin encore plus naturellement qu'une femme qui devoit accoucher de cet enfant ait été au spectacle de la roue, et qu'on ait attribué à ce qu'elle y avcit vu, et à son imagination frappée, le défaut de conforma- tion de son enfant. Mais indépendamhient de cette réponse générale qui ne satisfera guère que certaines gens, ne peut-on pas en donner une particulière , et qui aille plus directement à l'explication de ce fait .^ Le fœtus n'a, comme nous l'avons dit, rien de com- mun avec la mère; ses fonctions en sont indépen- dantes; il a .«^es organes, son sang, ses mouvements 3, DÉVIîLOPP. DU FŒTL'S, DE LACCOL'CIIEMENT. 28 t ot tout cela lui est propre en particulier : la seule chose qu'il tire de sa mère est cette liqueur ou lym- phe nourricière que filtre la matrice; si cette lymphe est altérée, si elle est envenimée du virus vénérien, l'enfant devient malade de la même maladie ; et on peut penser que toutes les maladies qui viennent du vice ou de l'altération des humeurs peuvent se communiquer de la mère au fœtus. On sait en particulier que la vérole se communique ; et l'on n'a que trop d'exemples d'en- fants qui sont, même en naissant, les victimes de la débauche de leurs parents. Le virus vénérien attaque les parties les plus solides des os, et il paroît même agir avec plus de force et se déterminer plus abondamment vers ces parties les plus solides, qui sont toujours celles du milieu de la longueur des os ; car on sait que l'ossi- fication commence par cette partie du milieu, qui se durcit la première et s'ossifie long-temps avant les ex- trémités de l'os. Je conçois donc que si l'enfant dont il est question a été , comme il est très possible , attaqué de cette maladie dans le sein de sa mère , il a pu se faire très naturellement qu'il soit venu au monde avec les os rompus dans leur milieu, parce qu'ils l'auront en effet été dans cette partie par le virus vénérien. Le rachitisme peut aussi produire le même effet. Il y a au Cabinet du Roi un squelette d'enfant rachi- tique, dont les os des bras et des jambes ont tous des calus dans le milieu de leur longueur : à l'inspection de ce squelette, on ne peut guère douter que cet en- fant n'ait eu les os des quatre membres rompus dans le temps que la mère le portoit; ensuite les os se sont réunis et ont formé ces calus. Mais c'est assez nous arrêter sur un fait que la seule 282 ANIMAUX. crédulité a rendu merveilleux : malgré toutes nos rai- sons et malgré la philosophie, ce fait, comme beau- coup d'autres, restera vrai pour bien des gens: le pré- jugé , surtout celui qui est fondé sur le merveilleux , triomphera toujours de la raison ; et l'on seroit bien peu philosophe si Ton s'en étonnoit. Comme il est souvent question, dans le monde, de ces marques des enfants, et que dans le monde les raisons générales et philosophiques font moins d'effet qu'une historiette, il ne faut pas compter qu'on puisse jamais persuader aux femmes que les marques de leurs enfants n'ont aucun rapport avec les envies qu'elles n'ont pu satis- faire : cependant ne pourroit-on pas leur demander, avant la naissance de l'enfant, quelles ont été les en- vies qu'elles n'ont pu satisfaire, et quelles seront par conséquent les marques que leur enfant portera? J'ai fait quelquefois cette question, et j'ai fâché les gens sans les avoir convaincus. La durée de la grossesse est, pour l'ordinaire, d'en- viron neuf mois, c'est-à-dire de deux cent soixante- quatorze ou deux cent soixante-quinze jours. Ce temps est cependant quelquefois plus long, et très souvent bien plus court : on sait qu'il naît beaucoup d'enfants à sept et à huit mois; on sait aussi qu'il en naît quel- ques uns beaucoup plus tard qu'au neuvième mois; mais en général les accouchements qui précèdent le terme de neuf mois sont plus communs que ceux qui le passent. Aussi on peut avancer que le plus grand nombre des accouchements qui n'arrivent pas entre le deux ceat soixante-dixième jour et le deux cent quatre-vingtième arrivent du deux cent soixantième au deux cent soixante-dixième ; et ceux qui disent DÉVELOPr. DU FCETUS, DE l'ACCOUCIIEMENT. 2^3 que ces accouchements ne doivent pas être regardés comme prématurés paroissent bien fondés. Selon ce calcul , les temps ordinaires de l'accouchement natu- rel s'étendent à vingt jours, c'est-à-dire depuis huit mois et quatorze jours jusqu'à neuf mois et quatre jours. On a fait une observation qui paroît prouver l'é- tendue de cette variation dans la durée des grossesses en général, et donner en même temps le moyen de la réduire à un terme fixe dans telle ou telle grossesse particulière. Quelques personnes prétendent avoir remarqué que l'accouchement arrivoit après dix mois lunaires de vingt-sept jours chacun, ou neuf mois solaires de trente jours, au premier ou au second jour qui répondoient aux deux premiers jours aux- quels l'écoulement périodique arrivoit à la mère avant sa grossesse. Avec un peu d'attention l'on verrra que le nombre de dix périodes de l'écoulement des rè- gles peut en effet fixer le temps de l'accouchement à la fin du neuvième mois ou au commencement dii dixième ^. Il naît beaucoup d'enfants avant le deux cent soixan- tième jour; et quoique ces accouchements précèdent le terme ordinaire, ce ne sont pas de fausses couches, parce que ces enfants vivent pour la plupart. On dit ordinairement qu'ils sont nés à sept mois ou à huit 1. » Ad hanc normam matronae prucleuliores calcules suos subcîu- » centes (dura singulis mensibus solitum menstrui fluxus diern in fasfos » referuut) spe raro excidunt : verum Iransactis decem lunac cunicolis, )> eodem die quo ( absque prapgnalionc foret) mensli ua iis profluereal, )) parlum experiunlur ventrisque fruckim colliguilt. » (Harvey. De gê- nerai.j pag. 262. ) I i284 ANIMAUX. mois : mais il ne faut pas croire qu'ils naissent en effet précisément à sept mois ou à huit mois accomplis; c'est indifféremment dans le courant du sixième, du sep- tième, du huitième, et même dans le commencement du neuvième mois. Hippocrate dit clairement que les enfants de sept mois naissent dès le cent quatre-vingt- deuxième jour; ce qui fait précisément la moitié de l'année solaire. On croit communément que les enfants qui nais- sent à huit mois ne peuvent pas vivre, ou du moins qu'il en périt beaucoup plus de ceux-là que de ceux qui naissent à sept mois. Pour peu qu'on réfléchisse sur cette opinion, elle paroît n'être qu'un paradoxe ; et je ne sais si, en consultant l'expérience, on n^^ trou- vera pas que c'est une erreur. L'enfant qui vient à huit mois est plus formé, et par conséquent plus vi- goureux, plus fait pour vivre que celui qui n'a que sept mois; cependant cette opinion, que les enfants de huit mois périssent plutôt que ceux de sept, est as- sez communément reçue, et elle est fondée sur l'au- torité d'Aristote, qui dit ; « Cseteris animantibus fe- » rendi uteri unum est tempus, homini vero plura » sunt ; quippe et septimo mense et decimo nascitur, » atque etiam inter septimum et decimum positis; qui » enhn mense octavo nascunlur, et si minus j^ tamen » vivere possunt. » (V. De générât, anim. ^ îib. ÏV, cap. ult. ) Le commencement du septième mois est donc le premier terme de l'accouchement : si le fœtus est rejeté plus tôt , il meurt , pour ainsi dire , sans être né; c'est un fruit avorté qui ne prend point de nour- riture, et, pour l'ordinaire, il périt subitement dans la fausse couche, ïl v a^ comme l'on voiî , de grandes DÉVELOPr. DU FCETUS, DE l'aCCOUCHEMENT. 2 85 limites poui les termes de raccoiicheraent, puisqu'elles s'étendent depuis le septième jusqu'au neuvième et dixième mois, etpeut-être jusqu'au onzième. Il naît, à la vérité, beaucoup moins d'enfants au dixième mois qu'il n'en naît dans le huitième, quoiqu'il en naisse beau- coup au septième; mais, en général, les limites du temps de l'accouchement sont au moins de trois mois, c'est-à-dire depuis le s-eptième jusqu'au dixième. Les femmes qui ont fait plusieurs enfants assurent presque toutes que les femelles naissent plus tard que les mâles : si cela est, on ne devroit pas être surpris de voir naître des enfants à dix mois, surtout des fe- melles. Lorsque les enfants viennent avant neuf mois, ils ne sont pas aussi gros ni aussi formés que les au- tres : ceux, au contraire, qui ne viennent qu'à dix mois ou phis tard ont le corps sensiblement plus gros et mieux formé que ne l'est ordinairement celui des nouveau-nés ; les cheveux sont plus longs ; l'accrois- sement des dents , quoique cachées sous les gencives, est plus avancé; le son de la voix est plus net, et le ton en est plus grave qu'aux enfants de neuf mois. On pourroit reconnoître, à l'inspection du nouveau- né, de combien sa naissance auroit été retardée, si les proportions du corps de tous les enfants de neuf mois étoient semblables, et si les progrès de leur ac- croissement étoient réglés : mais le volume du corps et son accroissement varient selon le tempérament de la mère et celui de l'enfant ; ainsi tel enfant pourra naître à dix ou onze mois, qui ne sera pas plus avancé qu'un autre qui sera né à neuf mois. Il y a beaucoup d'incertitude sur les causes occa- ionelles de l'accouchement, et l'on ne sait pas trop 286 ANIMAUX. ce qui peut obliger le fœtus à sortir de la matrice. Les uns pensent que le fœtus ayant acquis une cer- taine grosseur, la capacité de la matrice se trouve trop étroite pour qu'il puisse y demeurer, et que la contrainte où il se trouve l'oblige à faire des efforts pour sortir de sa prison; d'autres disent, et cela re- vient à peu près au même, que c'est le poids du fœ- tus qui devient si fort, que la matrice s'en trouve surchargée , et qu'elle est forcée de s'ouvrir pour s'en délivrer. Ces raisons ne me paroissent pas satisfai- santes : la matrice a toujours plus de capacité et de résistance qu'il n'en faut pour contenir un fœtus de neuf mois et pour en soutenir le poids, puisque sou- vent elle en contient deux, et qu'il est certain que le poids et la grandeur de deux jumeaux de huit mois, par exemple, sont plus considérables que le poids et la grandeur d'un seul enfant de neuf mois : d'ailleurs il arrive souvent que l'enfant de neuf mois qui vient au monde est plus petit que le fœtus de huit mois qui ce- pendant reste dans la matrice. Galien a prétendu que le fœtus demeuroit dans la matrice jusqu'à ce qu'il fût assez formé pour pouvoir prendre sa nourriture par la bouche, et qu'il ne sor- toit que par le besoin de nourriture , auquel il ne pouvoit satisfaire. D'autres ont dit que le fœtus se nourrissoit par la bouche de la liqueur même de l'amnios, et que cette liqueur, qui dans le commen- cement est une lymphe nourricière, peut s'altérer sur la fin de la grossesse par le mélange de la transpi- ration ou de l'urine du fœtus, et que, quand elle est altérée à un certain point, le fœtus s'en dégoûte et jie peut plus s'en nourrir; ce qui l'oblige à faire des DÉVELOPP. DU FfETUS, DE l'aCCOUCHEMENT. 287 efforts pour sortir de son enveloppe et de la matrice. Ces raisons ne me paroissent pas meilleures que les premières; car il s'ensuivroit de là que les fœtus les plus foibles et les plus petits resteroient nécessaire- ment dans le sein de la mère plus long-temps que les fœtus plus forts et plus gros, ce qui cependant n'ar- rive pas. D'ailleurs ce n'est pas la nourriture que le fœtus cherche dès qu'il est né; il peut s'en passer ai- sément pendant quelque temps; il semble, au con- traire, que la chose la plus pressée est de se débar- rasser du superflu de la nourriture qu'il a prise dans le sein de la mère, et de rendre le meconlum; aussi a-t-il paru plus vraisemblable à d'autres anatomistes ^ de croire que le fœtus ne sort de la matrice que pour être en état de rendre ses excréments; ils ont ima- giné que ces excréments accumulés dans les boyaux du fœtus lui donnent des coliques douloureuses qui lui font faire des mouvements et des efforts si grands que la matrice est enfin obligée de céder et de s'ouvrir pour le laisser sortir. J'avoue que je ne suis guère plus satisfait de cette explication que des autres. Pour- quoi le fœtus ne pourroit-il pas rendre ses excréments dans l'amnios même, s'il étoit en effet pressé de les rendre? or cela n'est jamais arrivé; il paroît au con- traire que cette nécessité de rendre le meconlum ne se fait sentir qu'après la naissance, et que le mouve- ment du diaphragme , occasioné par celui du poumon, comprime les intestins et cause cette évacuation qui ne se feroit pas sans cela , puisque l'on n'a point trouvé de meconium dans l'amnios des fœtus de dix et onze 1. Drelincourt est, je croîs, l'auleur de cette opinion. 288 ANIMAUX. mois , qui n'ont pas respiré, et qu'au contraire un en- fant à six ou sept mois rend ce meconlum peu de temps après qu'il a respiré. D'autres anatomistes. et entre autres Fabrice d'A- cpiapendente, ont cru que le fœtus ne sortoit de la matrice que par le besoin où ii se trouvoit de se pro- curer du rafraîchissement au moyen de la respiration. Celte cause me paroît encore plus éloignée qu'aucune des autres. Le fœtus a-t-il une idée de la respiration sans avoir jamais respiré? Sait-il si la respiration le rafraîchira? Est-il môme bien vrai qu'elle rafraîchisse? Il paroît au contraire qu'elle donne un grand mouve- ment au sang, et que par conséquent elle augmente la chaleur intérieure, comme l'air chassé par un souf- flet augmente l'ardeur du feu. Après avoir pesé toutes ces explications et toutes les raisons d'en douter, j'ai soupçonné que la sortie du fœtus devoit dépendre d'une cause toute différente. L'écoulement des menstrues se fait, comme l'on sait, périodiquement et à des intervalles déterminés. Quoi- que la grossesse supprime cette apparence, elle n'en détruit cependant pas la cause; et quoique le sang ne paroisse pas au terme accoutumé, il doit se faire dans ce même temps une espèce de révolution semblable à celle qui se faisoit avant la grossesse : aussi y a-t-il plusieurs femmes dont les menstrues ne sont pas ab- solument supprimées dans les premiers mois de la grossesse. J'imagine donc que lorsqu'une femme a conçu, la révolution périodique se fait comme aupa- ravant; mais que comme la matrice est gonflée, et qu'elle a pris de la masse et de l'accroissement, les canaux excrétoires, étant plus serrés et plus pressés DÉVELOPP. DU F€ETUS, DE l'aCGOUCFIEMENT. 289 qu'ils ne l'étoient auparavant, ne peuyent s'ouvrir ni donner d'issue au sang, à moins qu'il n'arrive avec tant de force ou en si grande quantité, qu'il puisse se faire passage malgré la résistance qui lui est opposée : dans ce cas il paroîtra du sang ; et s'il coule en grande quantité, l'avortement suivra; la matrice reprendra la forme qu'elle avoit auparavant, parce que le sang ayant rouvert tous les canaux qui s'étoient fermés, ils reviendront au même état qu'ils étoient. Si le sang ne force qu'une partie de ces canaux , l'œuvre de la gé- nération ne sera pas détruite, quoiqu'il paroisse du sang, parce que la plus grande partie de la matrice se trouve encore dans l'état qui est nécessaire pour qu'elle puisse s'exécuter : dans ce cas il paroîtra du sang, et l'avortement ne suivra pas; ce sang sera seulement en moindre quantité que dans les évacuations ordi- naires. Lorsqu'il n'en paroît point du tout, comme c'est le cas le plus ordinaire, la première révolution périodi- que ne laisse pas de se marquer et de se faire sentir par les mêmes douleurs, les mômes symptômes. Il se fait donc , dès le temps de la première suppression, une violente action sur la matrice ; et, pour peu que cette action fût augmentée, elle détruiroit l'ouvrage de la génération. On peut même croire avec assez de fondement que de toutes les conceptions qui se font dans les derniers jours qui précèdent l'arrivée des menstrues, i»l en réussit fort peu, et que l'action du sang détruit aisément les foibles racines d'un germe si tendre et si délicat. Les conceptions au contraire qui se font dans les jours qui suivent l'écoulement pério- dique sont celles qui tiennent et qui réussissent le 2gQ ANIMAUX. mieux, parce que le produit de la conception a plus de temps pour croître, pour se fortifier, et pour résis- tera l'action du sang et à la révolution qui doit arriver au terme de l'écoulement. Le fœtus ayant subi cette première épreuve , et y ayant résisté, prend plus de force et d'accroisse- ment, et est plus en état de souffrir la seconde ré- volution qui arrive un mois après la première : aussi les avortements causés par la seconde période sont- ils moins fréquents que ceux qui sont causés par la première. A la troisième période le danger est encore moins grand, et moins encore à la quatrième et à la cinquième ; mais il y en a toujours. Il peut arriver, et il arrive en effet de fausses couches dans les temps de toutes ces révolutions périodiques ; seulement on a observé qu'elles sont plus rares dans le milieu de la grossesse, et plus fréquentes au commencement et à la fin. On entend bien, par ce que nous venons de dire, pourquoi elles sont plus fréquentes au commen- cement; il nous reste à expliquer pourquoi elles sont aussi plus fréquentes vers la fin que vers le milieu de la grossesse. Le fœtus vient ordinairement au monde dans le temps de la dixième révolution l lorsqu'il naît à la neuvième ou à la huitième, il ne laisse pas de vivre , et ces accouchements précoces ne sont pas regardés comme de fausses couches, parce que l'enfant, quoique moins formé, ne laisse pas de l'être assez pour pouvoir vivre. On a même prétendu avoir des exemples d'enfants nés à la septième et même à la sixième révolution, c'est-à-dire à cinq ou six mois, qui n'ont pas laissé de vivre. Il n'y a donc de diffé- DÉVELOPP. DU FOETUS, DE L ACCOUCHEMENT. 29 1 rence entre raccouchement et la fausse couche que relativement à la vie du nouveau-né : et en considé- rant la chose généralement, le nombre des fausses couches du premier, du second, et du troisième mois, est très considérable par les raisons que nous avons dites, et le nombre des accouchements préco- ces du septième et du huitième mois est aussi assez grand en comparaison de celui des fausses couches des quatrième, cinquième, et sixième mois, parce que , dans ce temps du milieu de la grossesse , l'ou- vrage de la génération a pris plus de solidité et plus de force; qu'ayant eu celle de résister à l'action des quatre premières révolutions périodiques, il en fau- droit une beaucoup plus violente que les précédentes pour le détruire. La même raison subsiste pour le cinquième et le sixième mois , et même avec avan- tage ; car l'ouvrage de la génération est encore plus solide à cinq mois qu'à quatre, et à six mois qu'à cinq; mais lorsqu'on est arrivé à ce terme, le fœtus, qui jusqu'alors est foible , et ne peut agir que foible- ment par ses propres forces, commence à devenir fort et à s'agiter avec plus de vigueur ; et lorsque le temps de la huitième période arrive, et que la ma- trice en éprouve l'action, le fœtus, qui l'éprouve aussi , fait des efforts qui, se réunissant avec ceux de la matrice, faciUte son exclusion , et il peut venir au monde dès le septième mois, toutes les fois qu'il est à cet âge plus vigoureux ou pi us avancé que les au- tres, et dans ce cas il pourra vivre : au contraire, s'il ne venoit au monde que par la foiblesse de la ma- trice , qui n'auroit pu résister au coup de sang dans cette huitième révolution , l'accouchement seroit re- t '2L)2 ANIMAUX. garde comme une fausse couche, et l'enfant ne vivroit pas. Mais ces cas sont rares ; car, si le fœtus a résisté aux sept premières révolutions, il n'y a que des ac- cidents particuliers qui puissent faire qu'il ne résiste pas à la huitième, en supposant qu'il n'ait pas acquis plus de force et de vigueur qu'il n'en a ordinairement dans ce temps. Les fœtus qui n'auront acquis qu'un peu plus tard ce même degré de force et de vigueur plus grande viendront au monde dans le temps de la neuvième période ; et ceux auxquels il faudra le temps de neuf mois pour avoir cette inême force viendront à la dixième période , ce qui est le terme le plus com- mun et le plus général : mais lorsque le fœtus n'aura pas acquis dans ce temps de neuf mois ce même de- gré de perfection et de force , il pourra rester dans la matrice jusqu'à la onzième et même jusqu'à la dou- zième période, c'est-à-dire ne naître qu'à dix ou onze mois , comme on en a des exemples. Cette opinion, que ce sont les menstrues qui sont la cause occasionelle de l'accouchement en diffé- rents temps, peut être confirmée par plusieurs autres raisons que je vais exposer. Les femelles de tous les animaux qui n'ont point oie raenjstrues mettent bas toujours au môme terme à très peu près; il n'y a ja- mais qu'une très légère variation dans la durée de la gestation : on peut donc soupçonner que cette va- riiation qui dans les femmes est si grande vient de l'action du sang qui se fait sentir à toutes les pé- riodes. Nous avons dit que le placenta ne tient à la matrice que par quelques mamelons; qu'il n'y a de sang ni dans ces mamelons ni dans les lacunes où ils sont ni- DÉVELOPP. DU FŒTUS, DE L ACCOUCHEMENT. 2^0 chés, et que quand on les en sépare, ce qui se fait aisément et sans effort, il ne sort de ces mamelons et de ces lacunes qu'une liqueur laiteuse : or comment se fait-il donc que l'accouchement soit toujours suivi d'une hémorrhagie, même considérable, d'abord de sang assez pur, ensuite de sang mêlé de sérosités, etc.? Ce sang ne vient point de la séparation du placenta; les mamelons sont tirés hors des lacunes sans aucune effusion de sang, puisque ni les uns ni les autres n'en contiennent. L'accouchement, qui consiste pré- cisément dans cette séparation, ne doit donc pas pro- duire du sang. iSe peut-on pas croire que c'est au contraire l'action du sang qui produit l'accouche- ment? et ce sang est celui des menstrues qui force les vaisseaux dès que la matrice est vide , et qui commence à couler immédiatement après l'enfante- ment, comme il couloit avant la conception. On sait que dans les premiers temps de la gros- sesse, le sac qui contient l'œuvre de la génération n'est point du tout adhérent à la matrice; on a vu, par les expériences de Graaf, qu'on peut, en souf- flant dessus la petite bulle, la faire changer de lieu : l'adhérence n'est même jamais bien forte dans la matrice des femmes, et à peine le placenta tient-il à la membrane intérieure de ce viscère dans les pre- miers temps ; il n'y est que contigu et joint par une matière mucilagineuse qui n'a presque aucune adhé- sion : dès lors pourquoi arrive-t-il que , dans les fausses couches du premier et du second mois, cette bulle, qui ne tient à rien, ne sort cependant jamais qu'avec grande effusion de sang.^ Ce n'est certai- nement pas la sortie de la bulle qui occasione cette BIFFON. XI. 19 294 ANIxMAUX. effusion, puisqu'elle ne tenoit point du tout à la ma- trice ; c'est au contraire l'action de ce sang qui oblige la bulle à sortir : et ne doit-on pas croire que ce sang est celui des menstrues , qui, en forçant les ca- naux par lesquels il avait coutume de passer avant la conception, en détruit !e produit en reprenant sa route ordinaire? Les douleurs de l'enfantement sont occasionées principalement par cette action du sang ; car on sait qu'elles sont tout au moins aussi violentes dans les fausses couches de deux ou trois mois que dans les accouchements ordinaires, et qu'il y a bien des femmes qui ont, dans tous les temps, et sans avoir conçu , des douleurs très vives lorsque l'écoulement périodique est sur le point de paroître , et ces dou- leurs sont de la même espèce que celle de la fausse couche ou de l'accouchement : dès lors ne doit-on pas soupçonner qu'elles viennent de la même cause? Il paroît donc que la révolution périodique du sang menstruel peut influer beaucoup sur l'accou- chement, et qu'elle est la cause de la variation des termes de raccouchement dans les femmes, d'autant plus que toutes les autres femelles qui ne sont pas sujettes à cet écoulement périodique mettent bas toujours au même terme : mais il paroît aussi que cette révolution occasionée par l'action du sang menstruel n'est pas la cause unique de l'accouche- ment, et que l'action propre du fœtus ne laisse pas d'y contribuer, puisqu'on a vu des enfants qui se sont fait jour et sont sortis de la rjiatrice après la mort de la mère; ce qui suppose nécessairement dans le fœtus une action propre et particulière, par la- DÊVELOrr. DL' F0ETLS, DE L ACCOUCHEMENT. 29^ quelle il doit toujours faciliter sou exclusion , et même se la procurer en entier dans de certains cas. Les fœtus des animaux, comme des vaches, des brebis, etc., n'ont qu'un terme pour naître; le temps de leur séjour dans le ventre de la mère est toujours le même, et l'accouchement est sans hémorragie: n'en doit-on pas conclure que le sang que les fem- mes rendent après l'accouchement est le sang des menstrues, et que si le fœtus humain naît à des ter- mes si différents, ce ne peut être que par l'action de ce sang qui se fait sentir sur la matrice à toutes les révolutions périodiques.^ Il est naturel d'imaginer que si les femelles des animaux vivipares avoient des menstrues comme les femmes, leurs accouchements seroient suivis d'effusions de sang, et qu'ils arrive- roient à différents termes. Les fœtus des animaux viennent au monde revêtus de leurs enveloppes ; et il arrive rarement que les eaux s'écoulent, et que les membranes qui les contiennent se déchirent dans l'accouchement, au lieu qu'il est très rare de voir sor- tir ainsi le sac tout entier dans les accouchements des femmes : cela semble prouver que le fœtus humain fait plus d'efforts que les autres pour sortir de sa pri- son, ou bien que la matrice de la femme ne se prête pas aussi naturellement au passage du fœtus que celle des animaux; car c'est le fœtus qui déchire sa mem- brane par les efforts qu'il fait pour sortir de la ma- trice, et ce déchirement n'arrive qu'à cause de la grande résistance que fait l'orifice de ce viscère avant que de se dilater assez pour laisser passer l'en- fant. 296 ANIMAUX. ADDITION AU CHAPITRE PRÉCÉDENT. I. Observation sur l'embryon^ qu'on peut joindre à celles que j'ai déjà citées. M. Roume de Saint -Laurent, dans Tiie de la Gre- nade , a eu occasion d'observer la fausse couche d'une négresse qu'on lui avoit apportée. Il se trouvoit, dans une quantité de sang caillé, un sac de la gros- seur d'un œuf de poule : l'enveloppe paroissoit fort épaisse, et avoit adhéré, par sa surface extérieure, à la matrice , de sorte qu'il se pourroit qu'alors toute l'enveloppe ne fût qu'une espèce de placenta. « Ayant ouvert le sac , dit M. Roume, je l'ai trouvé rempli d'une matière épaisse comme du blanc d'oeuf, d'une couleur tirant sur le jaune : l'embryon avoit un peu moins de six lignes de longueur; il tenoit à l'en- veloppe par un cordon ombilical fort large et très courte n'ayant qu'environ deux lignes de longueur. La tête, presque informe, se distinguoit néanmoins du reste du corps : on ne distinguoit point la bou- che, le nez, ni les oreilles; mais les yeux parois- soient par deux très petits cercles d'un bleu foncé. Le cœur étoit fort gros , et paroissoit dilater par son volume la capacité de la poitrine. Quoique j'eusse mis cet embryon dans un plat d'eau pour le laver , cela n'empêcha point que le cœur ne battît très fort, et environ trois fois dans l'espace de deux secondes pendant quatre ou cinq minutes; ensuite les batte- DÊVELOPP. DU FtETLS, DE L ACCOUCHEMENT. 29- Dients diminuèrent de force et de vitesse, et cessè- rent environ quatre minuies après. Le coccyx étoil allongé d'environ une ligne et demie; ce qui auroit fait prendre, à la première vue, cet embryon pour celui d'un singe à queue : on ne distinguoit point les OS; mais on voyoit cependant, au travers de la peau du derrière de la tète, une tache en losange, dont les angles étoient émoussès , qui paroissoit l'endroit où les pariétaux coronaux et occipitaux dévoient se joindre dans la suite, de sorte qu'ils étoient déjà car- tilagineux à la base. La peau étoit une pellicule très déliée; le cœur étoit bien visible au travers de la peau, et d'un rouge pâle encore, mais bien décidé. On distinguoit aussi à la base du cœur de petits allon- gements, qui étoient vraisemblablement les commen- cements des artères, et peut-être des veines; il n'y en avoit que deux qui fussent bien distincts. Je n'ai remarqué ni foie, ni aucune autre glande^. » Cette observation de M. Roume s'accorde avec celles que j'ai rapportées sur la forme extérieure et intérieure du fœtus dans les premiers jours après la conception, et il seroit à désirer qu'on en rassemblât sur ce sujet un plus grand nombre que je n'ai pu le faire; carie développement du fœtus, dans les pre- miers temps après sa formation , n'est pas encore assez connu, ni assez nettement présenté par les anato- mistes. Le plus beau travail qui se soit fait en ce genre est celui de Malpighi et de Vallisnieri sur le développement du poulet dans l'œuf; mais nous n'a- vons rien d'aussi précis ni d'aussi bien suivi sur le dé- 1. Journal de Plijsique, par M. l'abbé Rozier ; juillet 1776 , pages 5a et 55. 2C)S ANIMAUX. veloppement de l'embryon dans les animaux vivipa- res, ni du fœtus dans l'espèce humaine, et cependant les premiers instants, ou, si l'on veut, les premières heures qui suivent le moment de la conception, sont les plus précieux, les plus dignes de la curiosité des physiciens et des anatomistes. On pourroit aisément faire une suite d'expériences sur des animaux quadru- pèdes, qu'on ouvriroit quelques heures et quelques jours après la copulation, et du résultat de ces ob- servations on concluroit pour le développement du fœ^ tus humain, parce que l'analogie seroitplus grande et les rapports plus voisins que ceux qu'on peut tirer du développement du poulet dans l'œuf : mais en at- tendant, nous ne pouvons mieux faire que de re- cueillir, rassembler, et ensuite comparer toutes les observations que le hasard ou les accidents peuvent présenter sur les conceptions des femmes dans les premiers jours ; et c'est par cette raison que j'ai cru devoir publier l'observation précédente. IL Observations sur une naissance tardive. J'ai dit (pag. 285 et suiv. de ce vol. ) qu'on avoit des exemples de grossesse de dix, onze, douze, et même treize mois. J'en vais rapporter une ici que les personnes intéressées m'ont permis de citer; Je ne ferai que copier le mémoire qu'ils ont eu la bonté de m envoyer. M. de La Motte, ancien aide -major des gardes -françoises, a trouvé, dans les papiers de feu M. de La Motte son père, la relation suivante , certi- DEVELOPP. DU FfETUS, DE l'aCCOUCHEMENT. 299 fiée véritable de lui , d'un médecin, d'un chirurgien, d'un accoucheur, d'une sage-femme, et de madame de La Motte son épouse. Cette dame a eu neuf enfants ; savoir, trois filles et six garçons, du nombre desquels deux filles et un garçon sont morts en naissant, deux autres garçons sont morts au service du roi , où les cinq garçons res- tants avoient été placés à l'âge de quinze ans. Ces cinq garçons, et la fille qui a vécu, étoient tous bien faits, d'une jolie figure, ainsi que le père et la mère, et nés, comme eux, avec beaucoup d'in- telligence, excepté le neuvième enfant, garçon, nommé au baptême Augustin - Paul , dernier enfant que la mère ait eu, lequel, sans être absolument con- trefait, est petit, a de grosses jambes, une grosse tête, et moins d'esprit que les autres. Il vint au monde le 10 juillet 1735, avec des dents et des cheveux, après treize mois de grossesse, rem- plis de plusieurs accidents surprenants dont sa mère fut très incommodée. Elle eut une perte considérable en juillet 1 704, mie jaunisse dans le même temps, qui rentra et disparut par une saignée qu'on se crut obligé de lui faire, et après laquelle la grossesse parut entièrement évanouie. Au mois de septembre un mouvement de l'enfant se fit sentir pendant cinq jours, et, cessant tout d'un coup, la mère commença bientôt à épaissii" considé- rablement et visiblement dans le même mois; et, au lieu du mouvement de l'enfant, il parut une petite boule , comme de la grosseur d'un œuf, qui chan- geoit de côté et se trou voit lantôt bas, tantôt haut, par des mouvemenls très sensibles. 3oO ANIMAUX. La mère fut en travail d'enfant vers le lo d'octo- bre; on la tint couchée tout ce mois, pour lui faire atteindre le cinquième mois de sa grossesse, ne ju- geant pas qu'elle pût porter son fruit plus» loin , à cause de la grande dilatation qui fut remarquée dans la matrice. La boule en question augmenta peu à peu avec les mêmes changements, jusqu'au 2 février i755; mais à la fin de ce mois Ou environ, l'un des porteurs de chaise de la mère (qui habitoit alors une ville de province) ayant glissé et laissé tomber la chaise, le fœtus fit de très grands mouvements pendant trois ou quatre heures, par la frayeur qu'eut la mère; ensuite il r^evint dans la môme disposition qu'au passé. La nuit qui suivit ledit jour 2 février, la mère avoit été en travail d'enfant pendant cinq heures; c'étoit le neuvième mois de la grossesse, et l'accoucheur, ainsi que la sage-femme, avoient assuré que l'accouche- ment viendroit la nuit suivante. Cependant il a été différé jusqu'en juillet, malgré les dispositions pro- chaines d'accoucher où se trouva la mère depuis ledit jour 2 février, et cela très fréquemment. Depuis ce moment le fœtus a toujours été en mou- vement, et si violent pendant les deux derniers mois, qu'il sembloit quelquefois qu'il alloit déchirer sa mère, à laquelle il causoit de vives douleurs. Au mois de juillet elle fut trente-six heures en tra- vail; les douleurs étoient supportables dans les com- mencements, et le travail se fit lentement, à l'excep- tion des deux dernières heures, sur la fin desquelles l'envie qu'elle avoit d'être délivrée de son ennuyeux fardeau, et de la situation gênante dans laquelle on fut obligé de la mettre, à cause du cordon qui vint à DÉVELOPP. DU FfETLS, DE l'ACCOUCHEMENT. 3o 1 sortir avant que l'enfant parût , lui fit trouver tant de forces qu'elle enlevoit trois personnes : elle accoucha plus par les efforts qu'elle fit que par les secours du travail ordinaire. On la crut long-temps grosse de deux enfants, ou d'un enfant et d'une môle. Cet événement fit tant de bruit dans le pays, que M. de La Motte, père de l'enfant, écrivit la présente relation pour la conserver. III. Observation sur une naissance très précoce. J'ai dit ( pag. 290 et suiv. de ce vol. ) qu'on a vu des enfants nés à la septième et même à la sixième révolution, c'est-à-dire à cinq ou six mois, qui n'ont pas laissé de vivre. Cela est très vrai, du moins pour six mois; j'en ai eu récemment un exemple sous mes yeux. Par des circonstances particulières j'ai été as- suré qu'un accouchement arrivé six mois onze jours après la conception, ayant produit une petite fille très délicate, qu'on a élevée avec des soins et des précautions extraordinaires, cet enfant n'a pas laissé de vivre, et vit encore âgé de onze ans : mais le dé- veloppement de son corps et de son esprit a été éga- lement retardé par la foiblesse de sa nature. Cet en- fant est encore d'une très petite taille, a peu d'esprit et de vivacité; cependant sa santé, quoique foible , est assez bonne. Ô02 ANIMAUX. CHAPITRE XII. Récapitulation sur la génération. ïots les animaux se nourrissent de végétaux ou d'autres animaux, qui se nourrissent eux-mêmes de végétaux. Il y a donc dans la nature une matière com- mune aux uns et aux autres qui sert à la nutrition et au développement de tout ce qui vit ou végète : cette matière ne peut opérer la nutrition et le développe- ment qu'en s'assimilant à chaque partie du corps de l'animal ou du végétal, et en pénétrant intimement la forme de ces parties, que j'ai appelée le moule inté- rieur. Lorsque cette matière nutritive est plus abon- dante qu'il ne faut pour nourrir et développer le corps animal ou végétal, elle est renvoyée de toutes les par- ties du corps dans un ou dans plusieurs réservoirs sous la forme d'une liqueur : cette liqueur contient toutes les molécules analogues au corps de l'animal, et par conséquent tout ce qui est nécessaire à la re- production d'un petit être entièrement semblable au premier. Ordinairement cette matière nutritive ne devient surabondante, dans le plus grand nombre des espèces d'animaux, que quand le corps pris la plus grande partie de son accroissement ; et c'est par cette raison que les animaux ne sont en état d'engendrer que dans ce temps. Il ÉCAPITL'LATION SUR LA GENERATION. OOJ Lorsque cette matière nutritive et productive, qui est universellement répandue, a passé par le moule intérieur de l'animal ou du végétal, et qu'elle trouve une matrice convenable, elle produit un animal ou un végétal de même espèce; mais lorsqu'elle ne se trouve pas dans une matrice convenable, elle produit des êtres organisés différents des animaux et des vé- gétaux, comme les corps mouvants et végétants que l'on voit dans les liqueurs séminales des animaux , dans les infusions des germes des plantes, etc. Cette matière productive est composée de particu- les organiques toujours actives, dont le mouvement et l'action sont fixés par les parties brutes de la ma- tière en général, et particulièrement par les particu- les huileuses et salines; mais, dès qu'on les dégage de cette matière étrangère, elles reprennent leur ac- tion et produisent différentes espèces de végétations et d'autres êtres animés qui se meuvent progressive- ment. On peut voir au microscope les effets de cette ma- tière productive dans les liqueurs séminales des ani- maux de l'un et de l'autre sexe : la semence des fe- melles vivipares est filtrée par les corps glanduleux qui croissent sur leurs testicules, et ces corps glan- duleux contiennent une assez bonne quantité de cette semence dans leur cavité intérieure; les femelles ovi- pares ont, aussi bien que les femelles vivipares, une liqueur séminale, et cette liqueur séminale des fe- melles ovipares est encore plus active que celle des femelles vivipares, comme je l'expliquerai dans l'his- toire des oiseaux. Cette semence de la femelle est en général semblable à celle du mâle, lorsqu'elles sont 3o4 ANIMAUX. toutes deux dans l'état nature!; elles se décomposent de la môme façon, elles contiennent des corps orga- niques semblables, et elles offrent également tous les mêmes phénomènes. Toutes les substances animales ou végétales ren- ferment une grande quantité de cette matière organi- que et productive; il ne faut, pour le reconnoître , que séparer les parties brutes dans lesquelles les particules actives de cette matière sont engagées, et cela se fait en mettant ces substances animales ou vé- gétales infuser dans de l'eau; les sels se fondent, les huiles se séparent, et les parties organiques se mon- trent en se mettant en mouvement. Elles sont en plus grande abondance dans les liqueurs séminales que dans toutes les autres substances animales, ou plutôt elles y sont dans leur état de développement et d'é- vidence, au lieu que dans la chair elles sont engagées et retenues par les parties brutes, et il faut les en sé- parer p r l'infusion. Dans les premiers temps de cette infusion , lorsque la chair n'est encore que légèrement dissoute , on voit cette matière organique sous la forme de corps mouvants qui sont presque aussi gros que ceux des liqueurs séminales : mais, à mesure que la dé- composition augmente, ces parties organiques dimi- nuent de grosseur et augmentent en mouvement; et quand la chair est entièrement décomposée ou cor- rompue par une longue infusion dans l'eau, ces mê- mes parties organiques Gont d'une petitesse extrême , et dans un mouvement d'une rapidité infinie : c'est alors que cette matière peut devenir un poison , comme celui de la dent de la vipère, où M. Mead a vu une infinité de petits corps pointus qu'il a pris RÉCAPITULATION SLR LA GENERATION. 5o5 pour des sels, et qui ne sont que ces mêmes parties organiques dans une très grande activité. Le pus qui sort des plaies en fourmille, et il peut arriver très na- turellement que le pus prenne un tel degré de cor- ruption qu'il devienne un poison des plus subtils; car toutes les fois que cette matière active sera exaltée à un certain point , ce qu'on pourra toujours reconnoî- tre à la rapidité et à la petitesse des corps mouvants qu'elle contient, elle deviendra une espèce de poi- son. Il doit en être de même des poisons des végé- taux. La même matière qui sert à nous nourrir lors- qu'elle est dans son état naturel, doit nous détruire lorsqu'elle est corrompue : on le voit par la compa- raison du bon blé et du blé ergoté qui fait tomber en gangrène les membres des animaux et des hommes qui veulent s'en nourrir; on le voit par la comparai- son de cette matière qui s'attache à nos dents, et qui n'est qu'un résidu de nourriture qui n'est pas cor- rompue ,• et de celle de la dent de la vipère, ou du chien enragé, qui n'est que cette même matière trop exaltée et corrompue au dernier degré. Lorsque cette matière organique et productive se trouve rassemblée en grande quantité dans quelques parties de l'animal, où elle est obligée de séjourner, elle y forme des êtres vivants que nous avons toujours regardés comme des animaux : le taenia, les ascarides, tous les vers qu'on trouve dans les veines, dans le foie, etc. , tous ceux qu'on tire des plaies, la plupart de ceux qui se forment dans les chairs corrompues, dans le pus, n'ont pas d'autre origine; \ec anguilles de la colle de farine, celles du vinaigre , tous les pré- tendus animaux microscopiques, ne sont que des for- 5o6 , ANIMAUX. mes différentes que prend d'elle-même, et suivant les circonstances, cette matière toujours active et qui ne tend qu'à l'organisation. Dans toutes les substances animales ou végétales décomposées par l'infusion, cette matière productive se manifeste d'abord sous la forme d'une végétation; on la voit former des filaments qui croissent et s'é- lendent comme une plante qui végète; ensuite les ex- trémités et les nœuds de ces végétations se gonflent, se boursouflent, et crèvent bientôt pour donner pas- sage à une multitude de corps en mouvement qui paroissent être des animaux, en sorte qu'il semble qu'en tout la nature commence par un mouvement de végétation : on le voit par ces productions micros- copiques; on le voit aussi par le développement de l'animal, car le fœtus dans les premiers temps ne fait que végéter. Les matières saines et qui sont propres à nous nour- rir ne fournissent des molécules en mouvement qu'a- près un temps assez considérable; il faut quelques jours d'infusion dans l'eau pour que la chair fraîche, les graines, les amandes des fruits, etc. , offrent aux yeux des corps en mouvement : mais plus les matières sont corrompues, décomposées, ou exaltées, comme le pus, le blé ergoté, le miel, les liqueurs séuiina- les, etc. , plus ces corps en mouvement se manifes- tent promptement; ils sont tous développés dans les liqueurs séminales; il ne fïiut que quelques heures d'infusion pour les voir dans le pus, dans le blé ergoté, dans le miel, etc. 11 en est de même des droi^ues de médecine : l'eau où on les met à infuser en fourmille au bout d'un très petit temps. RECAPITULATION SUR LA GENERATION. 00^ Il existe donc une malière organique animée, uni- versellement répandue dans toutes les substances ani- males ou végétales, qui sert également à leur nutri- tion, à leur développement, et à leur reproduction : la nutrition s'opère par la pénétratioQ intime de cette matière dans toutes les parties du corps de l'animal ou du végétal; le développement n'est qu'une espèce de nutrition plus étendue, qui se fait et s'opère tant que les parties ont assez de ductilité pour se gonfler et s'étendre, et la reproduction ne se fait que par la même matière devenue surabondante au corps de l'a- nimal ou du végétal : chaque partie du corp3 de l'un ou de l'autre renvoie les molécules organiques qu'elle ne peut plus admettre; ces molécules sont absolument analogues à chaque partie dont elles sont renvoyées, puisqu'elles étoient destinées à nourrir cette partie; dès lors, quand toutes les molécules renvoyées de tous les corps viennent à se rassembler, elles doivent former un petit corps semblable au premier, puisque chaque molécule est semblable à la partie dont elle a été renvoyée. C'est ainsi que se fait la reproduction dans toutes les espèces, comme les arbres, les plan- tes, les polypes, les pucerons, etc. , où l'individu tout seul reproduit son semblable, et c'est aussi le premier moyen que la nature emploie pour la reproduction des animaux qui ont besoin de la communication d'un autre individu pour se reproduire; car les liqueurs séminales des deux sexes contiennent toutes les mo- lécules nécessaires à la reproduction : mais il faut quelque chose de plus pour que cette reproduction se fasse en effet; c'est le mélange de ces deux li- queurs dans un lieu convenable au développement de ?)oS ANIMAUX. ce qui doit en résulter, et ce lieu est la matrice de la femelle. Il n'y a donc point de germes préexistants, point de germes contenus à l'infini les uns dans les autres ; mais il y a une matière organique toujours active, • toujours prête à se mouler, à s'assimiler et à pro- dure des êtres semblables à ceux qui la reçoivent. Les espèces d'animaux ou de végétaux ne peuvent donc jamais s'épuiser d'elles-mêmes : tant qu'il subsistera des individus, l'espèce sera toujours toute neuve; elle l'est autant aujourd'hui qu'elle Tétoit il y a trois mille ans; toutes subsisteront d'elles-mêmes tant qu'elles ne seront pas anéanties par la volonté du Créateur. Au Jardiu du Roi, le 27 mai ij^S. l\VM'V\Vk(VVV>'VVV\\VV'l'VV\XXA\>'\\\\'\\\\(VVV>aV\\-/\XVVV\V1k'V\\A'\VV'\'\VV\. DE L ENFANCE. 001 vient de naître n'est pas bien exprimée : toutes les par- ties sont trop arrondies; elles paroissent même gon- ilées lorsque l'enfant se porte bien et qu'il ne manque pas d'embonpoinl. Au bout de trois jours il survient ordinairement une Jaunisse, et dans ce môme temps il y a du lait dans les mamelles de l'enfant, qu'on ex- prime avec les doigts ; la surabondance des sucs et le gonflement de toutes les parties du corps diminuent ensuite peu à peu à mesure que l'enfant prend de l'accroissement. On voit palpiter, dans quelques enfants nouveau- nés , le sommet de la tête à l'endroit de la fontanelle , et dans tous on y peut sentir le battement des sinus ou des artères du cerveau , si on y porte la main. 11 se forme au dessus de cette ouverture une espèce de croûte ou de gale, quelquefois fort épaisse, et qu'on est obligé de frotter avec des brosses pour la faire tomber à mesure qu'elle sèche : il semble que cette production qui se fait au dessus de l'ouverture du crâne ait quelque analogie avec celle des cornes des animaux, qui tirent aussi leur origine d'une ouverture du crâne et de la substance du cerveau. ÎNous ferons voir dans la suite que toutes les extrémités des nerfs deviennent solides lorsqu'elles sont exposées à l'air, et que c'est cette substance nerveuse qui produit les ongles, les ergots, les cornes, etc. La liqueur Contenue dans l'amnios laisse sur l'en- fant une humeur visqueuse blanchâtre, et quelquefois assez tenace pour qu'on soit obligé de la détremper ' avec quelque liqueur douce afin de la pouvoir enle- ver. On a toujours dans ce pays-ci la sage précaution de ne laver l'enfant qu'avec des liqueurs liédes : ce- 552 DE L HOMME. pendant des nations entières, celles mêmes qui habi- tent les climats froids, sont dans l'usage de plonger leurs enfants dans l'eau froide aussitôt qu'ils sont nés, sans qu'il leur en arrive aucun mal; on dit même que les Lapones laissent leurs enfants dans la neige jusqu'à ce que le froid les ait saisis au point d'arrêter la respira- tion, et qu'alors elles les plongent dans un bain d'eau chaude; ils n'en sont pas même quittes pour être la- vés avec si peu de ménagement au moment de leur naissance, on les lave encore de la même façon trois fois chaque jour pendant la première année de leur vie, et dans les suivantes on les baigne trois fois par semaine dans l'eau froide. Les peuples du JNord sont persuadés que les bains froids rendent les hommes plus forts et plus robustes, et c'est par cette raison qu'ils les forcent de bonne heure à en contracter l'ha- bitude. Ce qu'il y a de vrai, c'est que nous ne con- noissons pas assez jusqu'où peuvent s'étendre les li- mites de ce que notre corps est capable de souiTrir,. d'acquérir, ou de perdre par l'habitude : par exem- ple, les Indiens de l'isthme de l'Amérique se plongent impunément dans l'eau froide pour se rafraîchir lors- qu'ils sont en sueur; leurs femmes les y jettent quand ils sont ivres, pour faire passer leur ivresse plus promptement; les mères se baignent avec leurs en- fants dans l'eau froide un instant après leur accouche- ment ; avec cet usage, que nous regarderions comme fort dangereux, ces femmes périssent très rarement par les suites des couches, au lieu que, malgré tous nos soins, nous en voyons périr un grand nombre parmi nous. Quelques instants après sa naissance, l'enfant urine : DE L ENFANCE. 00:> c'est ordinairement lorsqu'il sent la chaleur du l'eu ; quelquefois il rend en même temps le meconium ou les excréments qui- se sont formés dans les intestins pendant le temps de son séjour dans la matrice. Cette évacuation ne se fait pas toujours aussi promplement ; souvent elle est retardée : mais si elle n'arrivoit pas dans l'espace du premier jour, il seroit à craindre que l'enfant ne s'en trouvât incommodé , et qu'il ne res- sentît des douleurs de colique ; dans ce cas on tâche de faciliter cette évacuation par quelques moyens. Le meconium est de couleur noire : on connoît que l'entant en est absolument débarrassé lorsque les ex- créments qui succèdent ont une autre couleur; ils de- viennent blanchâtres. Ce changement arrive ordinai- rement le deuxième ou le troisième jour : alors leur odeur est beaucoup plus mauvaise que n'est celle du meconium^ ce qui prouve que la bile et les sucs amers du corps commencent à s'y mêler. Cette remarque paroît confirmer ce que nous avons dit ci-devant dans le chapitre du développement du fœtus, au sujet de la manière dont il se nourrit : nous avons insinué que ce devoit être par intus-susception , et qu'il ne prenoit aucune nourriture par la bouche; ceci semble prouver que l'estomac et les intestins ne font aucune fonction dans le fœtus, du moins aucune fonction semblable à celles qui s'opèrent dans la suite , lorsque la respiration a commencé à donner du mou- vement au diaphragme et à toutes les parties intérieu- res sur lesquelles il peut agir, puisque ce n'est qu'a- lors que se fait la digestion et le mélange de la bile et du suc pancréatique avec la nourriture que l'estomac laisse passer aux intestins. Ainsi, quoique la sécrétion i 354 ^1^ l'iioMxME. de la bile et du suc du pancréas se fasse dans le fœtus, ces liqueurs demeurent alors dans leurs réservoirs et ne passent point dans les intestins, parce qu'ils sont, aussi bien que l'estomac , sans mouvement et sans ac- tion, par rapport à la nourriture ou aux excréments qu'ils peuvent contenir. On ne fait point téter l'enfant aussitôt qu'il est né ; on lui donne auparavant le temps de rendre la liqueur et les glaires qui sont dans son estomac, et le meco- nium qui est dans ses intestins : ces matières pour- roient faire aigrir le lait et produire un mauvais effet. Ainsi on commence par lui faire ava!er un peu de vin sucré pour fortifier son estomac et procurer les évacua- tions qui doivent le disposer à recevoir la nourriture et à la digérer : ce n'est que dix ou douze heures après la naissance qu'il doit téter pour la première fois. A peine l'enfant est-il sorti du sein de sa mère, à peine jouit-il de la libei^té de mouvoir, et d'étendre ses membres, qu'on lui donne de nouveaux liens: on l'emmaillotte, on le couche la tête fixe et les jam- bes allongées , les bras pendants à côté du corps ; il est entouré de linges et de bandages de toute espèce qui ne lui permettent pas de changer de situation; heureux si on ne l'a point serré au point de l'empê- cher de respirer, et si on a eu la précaution de le cou- cher sur le côté , afin que les eaux qu'il doit rendre par la bouche puissent tomber d'elles-mêmes, car il n'auroit pas la liberté de tourner la tête sur le côté pour en faciliter l'écoulement ! Les peuples qui se contentent de couvrir ou de vêtir leurs enfants sans les mettre au maillot ne font-ils pas mieux que nous ? Les Siamois ;, les Japonois, les Indiens, les INèû^res^ DE L ENFAxNCE. 555 les sauvages du Canada, ceux de la Virginie, du Bré- sil, et la plupart des peuples de la partie méridionale de l'Amérique, couchent les enfants nus sur des lits de coton suspendus, ou les mettent dans des espèces de berceaux couverts et garnis de pelleteries. Je crois que ces usages ne sont pas sujets à autant d'inconvé- nients que le nôtre : on ne peut pas éviter, en em- maillottant les enfants, de les gêner au point de leur faire ressentir de la douleur; les efforts qu'ils font pour se débarrasser sont plus capables de corrompre l'assemblage de leur corps, que les mauvaises situa- tions où ils pourroient se mettre eux-mêmes s'ils étoienl en liberté. Les bandages du maillot peuvent être comparés aux corps que l'on fait porter aux filles dans leur jeunesse : celte espèce de cuirasse, ce vête- ment incommode, qu'on a imaginé pour soutenir la taille et l'empêcher de se déformer, cause cependant plus d'incommodités et de difformités qu'il n'en pré- vient. Si le mouvement que les enfants veulent se donner dans le maillot peut leur être funeste, l'inaction dans laquelle cet état les retient peut aussi leur être nuisi- ble : le défaut d'exercice est capable de relarder l'ac- croissement des membres, et de diminuer les forces du corps. Ainsi les enfants qui ont la liberté de mou- voir leurs membres à leur gré doivent être plus forts que ceux qui sont emmailîottés : c'étoit pour cette raison que les anciens Péruviens laissoient les bras libres aux enfants dans un maillot fort large ; lorsqu'ils les en tiroient, ils les mettoient en liberté dans un trou fait en terre et garni de linges, dans lequel ils les descendoient jusqu'à la moitié du corps : de celte 356 DE l'homme. façon, ils avoient Jes bras libres, et ils pouvoîent mouvoir leur tète et fléchir leur corps à leur gré, sans tomber et sans se blesser; dès qu'ils pouvoient faire un pas, on leur présentoit la mamelle d'un peu loin coumie un appât pour les obliger à marcher. Les petits nègres sont quelquefois dans une situation bien phis fatigante pour téter : ils embrassent l'une des hanches de la mère avec leurs genoux et leurs pieds, et ils la serrent si bien, qu'ils peuvent s'y soutenir sans le secours des bras de la mère; ils s'attachent à la mamelle avec leurs mains , et ils la sucent constam- ment sans se déranger et sans tomber, malgré les difterents mouvements de la mère, qui, pendant ce temps, travaille à son ordinaire. Ces enfants com- mencent à marcher dès le second mois, ou plutôt à se traîner sur les genoux et sur les mains : cet exer- cice leur donne pour la suite la facilité de courir dans cette situation presque aussi vite que s'ils étoient sur leurs pieds. Les enfants nouveau-nés dorment beaucoup; mais leur sommeil est souvent interrompu : ils ont aussi besoin de prendre souvent de la nourriture; on les fait téter pendant la journée , de deux heures en deux heures, et pendant la nuit , à chaque fois qu'ils se ré- veillent. Ils dorjnent pendant la plus grande partie du jour et de la nuit dans les premiers temps de leur vie ; ils semblent même n'être éveillés que par la dou- leur ou par la faim : aussi les plaintes et les cris suc- cèdent presque toujours à leur sommeil. Comme ils sont obligés de demeurer dans la même situation dans le berceau, etqu'ilssont toujours contraints par les en- traves du maillot, cette situation devient fatigante et DE L ENFANCE. JOJ douloureuse après un certain temps; ils sont mouillés et souvent refroidis par leurs excréments, dont lacreté offense la peau, qui est fine et délicate, et par con- séquent très sensible. Dans cet état, les enfants ne fop.t que des efforts impuissants; ils n'ont, dans leur foi]jlesse, que l'expression des gémissements pour de- mander du soulagement. On doit avoir la plus grande attc:;llon à les secourir, ou plutôt il faut prévenir tous ces inconvénients en changeant une partie de leurs vêtements au moins deux ou trois fois par jour, et même dans la nuit; ce soin est si nécessaire, que les sauvages mêmes y sont attentifs, quoique le linge manque aux sauvages, et qu'il ne leur soit pas possi- ble de changer aussi souvent de pelleterie que nous pouvons changer de linge. Ils suppléent à ce défaut en mettant dans les endroits convenables quelque ma- tière assez commune pour qu'ils ne soient pas dans la nécessité de l'épargner. Dans la partie septentrionale de l'Amérique, on met au fond des berceaux une bonne quantité de cette poudre que l'on tire du bois qui a été rongé des vers, et que l'on appelle commu- nément vermoulu; les enfants sont couchés sur cette poudre, et recouverts de pelleteries. On prétend que cette sorte de lit est aussi douce et aussi molle que la plume : mais ce n'est pas pour flatter la délicatesse des enfants que cet usage est introduit; c'est seulement pour les tenir propres : en effet , cette poudre pompe l'humidité , et après un certain temps on la renou- velle. En Yirginie , on atlache les enfants nus sur une planche garnie de coton, qui est percée pour l'écoulement des excréments. Le froid de ce pays de- vroit contrarier cette pratique , qui csi presque gé- 558 DE l'homme. nérale en Orient et surtout en Turquie. Au reste, cette précaution supprime toute sorte de soins; c'est toujours le moyen le plus sur de prévenir les effets de la négligence ordinaire des nourrices. Il n'y a que la tendresse maternelle qui soit capable de cette vi- gilance continuelle, de ces petites attentions si né- cessaires : peut-on l'espérer des nourrices mercenaires et grossières? Les unes abandonnent leurs enfants pendant plu- sieurs heures sans avoir la moindre inquiétude sur leur état; d'autres sont assez cruelles pour n'être pas touchées de leurs gémissements : alors ces petits in- fortunés entrent dans une sorte de désespoir; ils font^ tous les efforts dont ils sont capables; ils poussent des cris qui durent autant que leurs forces; enfin ces excès leur causent des maladies, ou au moins les met- tent dans un état de fatigue et d'abattement qui dé- range leur tempérament, et qui peut même influer sur leur caractère. Il est un usage dont les nourrices nonchalantes et paresseuses abusent souvent : au lieu d'employer des moyens efficaces pour soulager l'en- fant, elles se contentent d'agiter le berceau en le faisant balancer sur les côtés; ce mouveçient lui donne une sorte de distraction qui apaise ses cris. En continuant le même mouvement, on l'étourdit, et à la fin on l'en- dort; mais ce sommeil forcé n'est qu'un palliatif qui ne détruit pas la cause du mal présent : au contraire , on pourroit causer du mal réel aux enfants en les ber- çant pendant un trop long temps, on les feroit vomir; peut-être aussi que cette agitation est capable de leur ébranler la tête et d'y causer du dérangement. Avant que de bercer les enfants, il faut être sûr DE L ENFANCE. 559 qu'il ne leur manque rien , et on ne doit jamais les agiter au point de les étourdir; si on aperçoit qu'iis ne dorment pas assez, il suffit d'un mouvement lent et égal pour les assoupir. On ne doit donc les bercer que rarement; car si on les y accoutume, ils ne peu- vent plus dormir autrement. Pour que leur santé soit bonne, il faut que leur sommeil soit naturel et lonJ attention, l'enfant avale sa langue à force de sucer le sang qui coule de la petite plaie qu'on lui a faite. II. Sur l'usage du maillot et des corps. J'ai dit (ci-devant, page 555) que les bandages du maillot , ainsi que les corps qu'on fait porter aux enfants, et aux filles dans leur jeunesse, peuvent cor- rompre l'assemblage du corps, et produire p!us de difformités qu'ils n'en préviennent. On commence heureusement à revenir un peu de cet usage préjudi- ciable, et l'on ne saurait trop répéter ce qui a été dit à ce sujet par les plus savants anatomistes. M. Winslow a observé, dans plusieurs femmes et filles de con- dition, que les côtes inférieures se trouvoient plus basses , et que les portions cartilagineuses de ces côtes étoient plus courbées que dans les filles du bas peuple : il jugea que cette différence ne pouvoit venir que de l'usage habituel des corps : ils sont d'ordinaire extrê- mement serrés par en-bas. Il explique et démontre, par de très bonnes raisons, tous les inconvénients qui en résultent : la respiration , gênée par le serrement des côtes inférieures et par la voûte forcée du dia- phragme , trouble la circulation , occasione des palpi- tations, des vertiges, des maladies pulmonaires , etc. ; la compression forcée de l'estomac , du foie , et de la rate, peut aussi produire des accidents plus ou moins fâcheux par rapport aux nerfs, comme des foiblesses, des suffocations , des tremblements, etc. Mais ces maux intérieurs ne sont pas les seuls que l'usage des corps occasione : bien loin de redresser 556 DE l'homme. les tailles défectueuses, ils ne fout qu'en augmenter les défauts, et toutes les personnes sensées devroient proscrire, dans leurs familles, l'usage du maillot pour leurs enfants , et plus sévèrement encore l'usage des corps pour leurs filles , surtout avant qu'elles aient atteint leur accroissement en entier. III. Sur C accroissement successif des enfants. Voici la table de l'accroissement successif d'un jeune homme de la plus belle venue, né le 1 1 avril 1 759, et qui avoit, pieds, pouc. lig. Au moment de sa naissance 1 7 n A six mois , c'est à-dire le 1 1 octobre suivant, il avoit. 2 » » Ainsi son accroissement, depuis la naissance dans les premiers six mois , a été de cinq pouces. A un an, c'est-à-dire le 11 avril 1760 , il avoit. ... 2 5 » Ainsi son accroissement , pendant ce second se- mestre, a été de trois pouces. A dix-huit mois, c'est-à-dire le 11 octobre 1760, il avoit 2 6 Ainsi il avoit augmenté dans le troisième trimestre de trois pouces. A deux ans ,' c'est-à-dire le 1 1 avril 1761, il avoit. . . 2 9 3 Et par conséquent il a augmenté dans le quatrième semestre de trois pouces trois lignes. A deux ans et demi , c'est-à-dire le 1 1 octobre 1 76 1 , il avoit 2 10 3 Yj Ainsi il n'a augmenté dans ce cinquième semestre que d'un pouce et d'une demi-ligne. A trois ans, c'est-à-dire le n avril 1762,1! avoit. . 5 » 6 Il avoit par conséquent augmenté dans ce sixième semestre de deux pouces deux lignes et demie. A trois ans et demi, c'est-à-dire le 11 octobre 1762 , DE l'enfance. 357 pieds, pouc. Ijg. il avoit 3 1 1 Et par conséquent il n'avoit augmenté dans ce septième semestre que de sept lignes. A quatre ans, c'est-à-dire le 11 avril lyGS, il avoit. Sa 10 V Il avoit donc augmenté dans ce huitième semes- tre d'un pouce neuf lignes et demie. A quatre ans sept mois, c'est-à-dire le 1 1 novembre 1760, il avoit 5 ^ 5 y^ Et avoit augmenté dans ces sept mois d'un pouce sept lignes. A cinq ans, c'esl-à-dire le 11 avril 1764, il avoit. .553 Il avoit donc augmenté dans ces cinq mois de neuf lignes et demie. A cinq ans sept mois, c'est-à-dire le n novembre 1764, il avoit 3 q 8 Il avoit donc augmenté dans ces sept mois d'un pouce cinq lignes. A six ans, c'est-à-dire le 11 avril 1766, il avoit. . . 3 7 6 V. Il a augmenté dans ces cinq mois de dix lignes et demie. A six ans six mois dix-neuf jours, c'est-à-dire le 3o octobre 17Ô5, il avoit 3 ^ 5 Et par conséquent il avoit grandi dans ces six mois dix-neuf jours d'un pouce dix lignes et demie. A sept ans, c'est-à-dire le 11 avril 1766, il avoit. . . 5 Q ii 11 n'avoit par conséquent grandi dans ces cinq mois onze jours que de six lignes. A sept ans trois mois, c'est-à-dire le 11 juillet 1766, il avoit 5 Ainsi dans ces trois mois il a grandi d'un pouce. A sept ans et demi , c'est-à-dire le 1 1 octobre 1766 , il avoit 3 Ainsi dans ces trois mois il a grandi de huit lignes. A huit ans, c'est-à-dire le ii avril 1767, il avoit.. . 4 » 4 Et par conséquent il n'a grandi dans ces six mois que de neuf lignes. A huit ans et demi, c'est-à-dire le 11 octobre 1767, il avoit ^ Et par conséquent il avoit grandi dans ces six mois d'un pouce trois lignes et demie. BUFFON. XI. 2^ 10 IJ 7 7% 358 DE l'homme. pieds, poiic. lig. A neuf ans , c'est-à-dire le ii avril 1768 , il avoil. .4 2 7 V2 Et par conséquent dans ces six mois il a grandi d'un pouce. A neuf ans sept mois douze jours , c'est-à-dire le 23 novembre 1768, il avoit 4 5 9 V2 Et par conséquent il avoit augmenté dans ces sept mois douze jours d'un pouce deux lignes. A dix ans, c'est-à-dire le 1 1 avril 1769 , il avoit, . . 4 ^ ^ V2 Il avoit donc grandi dans ces quatre mois dix- huit jours de huit lignes. A onze ans et demi, c'est-à-dire le 11 octobre 1770 , il avoit 4 6 11 Et par conséquent il a grandi dans dix-huit mois de deux pouces cinq lignes et demie. A douze ans, c'est-à-dire le 11 avril 1771 , il avoit. . 4 7 5 Et par conséquent il n'a grandi dans ces six mois que de six lignes. A douze ans huit mois, c'est-à-dii'e le 1 1 décembre 1771, il avoit 4 8 n Et par conséquent il a grandi dans ces huit mois d'un pouce six lignes. A treire ans, c'est-à-dire le 11 avril 1772, il avoit. .4 9 4 V2 Ainsi dans ces quatre mois il a grandi de cinq lignes et demie. A treize ans et demi , c'est-à-dire le 1 1 octobre 1772 , il avoit 4 10 7 Il avoit donc grandi dans ces six mois d'un pouce deux lignes et demie. A quatorze ans, c'est-à-dire le 11 avril 1773, il avoit. 5 » 2 Il avoit donc grandi dans ces six mois d'un pouce sept lignes. A quatorze ans six mois dix jours, c'est-à-dire le 21 octobre 1773, il avoit 5 2 6 Et par conséquent il a grandi dans ces six mois dix jours de deux pouces quatre lignes. A quinze ans deux jours, c'est-à-dire le 10 avril 1774» il avoit. 5 4 ^ Il a donc grandi dans ces cinq mois dix-huit jours de deux pouces deux lignes. A quinze ans six mois huit jours, c'est-à-dire le 19 DE L ENFANCE. 359 pieds, pouc. lig. octobre 1774. il avoit 5 5 7 Il n'a donc grandi dans ces six mois six jours que de onze lignes. A seize ans trois mois Luit jours, c"est-à-dire le 19 juillet 1775, il avoit 5 7 » Va Il a donc grandi dans ces neuf mois d'un pouce cinq lignes et demie. A seize ans six mois six jours, c'est-à-dire le 17 oc- tobre 1776 , il avoit 5 7 9 Il a donc grandi dans ces deux mois vingt-huit jours de huit lignes et demie. A dix-sept ans deux jours, c'est-à-dire le i5 avril 1776, il avoit 5 8 2 Il n'avoit donc grandi dans ces six mois deux jours que de cinq lignes. A dix-sept ans un mois neuf jours, c'est-à-dire le 20 mai 1776, il avoit 5 8 5 y^ Il avoit donc grandi dans un mois sept jours de trois lignes trois quarts. A dix-sept ans cinq mois cinq jours, c'est-à-dire le 16 septembre 1776, il avoit 5 8 10 Il avoit donc grandi dans ces trois mois vingt- six jours de quatre lignes un quart. A dix-sept ans sept mois et quatre jours, c'est-à-dire le 11 novembre 1776, il avoit 5 9 » Toujours mesuré pieds nus et de la même manière, et il n'a par con- séquent grandi dans ces deux derniers mois que d'une ligne et demie. Depuis ce temps, c'est-à-dire depuis quatre mois et demi, la taille de ce grand jeune homme est, pour ainsi dire , stationnaire , et M. son père a remarqué que, pour peu qu'il ait voyagé, couru, dansé la veille du jour où l'on prend sa mesure , il est au des- sous de neuf pouces le lendemain matin : cette me- sure se prend toujours avec la même toise, la même 56o DE l'homme. équerre, et par la oiême personne. Le 5o janvier dernier, après avoir passé toute la nuit au bal , il avoit perdu dix-huit bonnes lignes; il n'avoit dans ce mo- ment que cinq pieds sept pouces six lignes foibles, di- minution bien considérable, que néanmoins vingt- quatre heures de repos ont rétablie. Il paroît, en comparant l'accroissement pendant les semestres d'été à celui des semestres d'hiver, que, jusqu'à l'âge de cinq ans, la somme moyenne de l'ac- croissement pendant l'hiver est égale à la somme de l'accroissement pendant l'été. Mais, en comparant l'accroissement pendant les semestres d'été à l'accroissement des semestres d'hi- ver, depuis l'âge de cinq ans jusqu'à dix , on trouve une très grande différence; car la somme moyenne des accroissements pendant l'été est de sept pouces une ligne, tandis que la somme des acci'oissements pendant l'hiver n'est que de quatre pouces une ligne et demie. Et lorsque l'on compare , dans les années suivantes , l'accroissement pendant l'hiver à celui de l'été, la différence devient moins grande; mais il me semble néanmoins qu'on peut conclure de celte observation que l'accroissement du corps est bien plus prompt en été qu'en hiver, et que la chaleur, qui agit généra- lement sur le développement de tous les êtres orga- nisés, influe considérablement sur l'accroissement du corps humain. Il seroit à désirer que plusieurs per- sonnes prissent la peine de faire une table pareille à celle-ci sur l'accroissement de quelques uns de leurs enfants. On en pourroit déduire des conséquences DE l'enfance. 36l que je ne crois pas devoir hasarder d'après ce seul exemple : il m'a été fourni par M. Gueneau de Mont- beillard, qui s'est donné le plaisir de prendre toutes ces mesures sur son fils. On a vu des exemples d'un accroissement très prompt dans quelques individus; VHlstoirede l'Aca- démie fait mention d'un enfant des environs de Falaise en Normandie, qui, n'étant pas plus gros ni plus grand qu'un enfant ordinaire en naissant , avoit grandi d'un demi-pied chaque année , jusqu'à Tage de quatre ans, où il étoit parvenu à trois pieds et demi de hau- teur, et, dans les trois années suivantes, il avoit en- core grandi de quatorze pouces quatre lignes; en sorte qu'il avoit, à l'âge de sept ans, quatre pieds huit pouces quatre lignes , étant sans souliers. Mais cet accroissement, si prompt dans le premier âge de cet enfant, s'est ensuite ralenti; ear dans les trois années suivantes il n'a crû que de trois pouces deux lignes; en sorte qu'à l'âge de dix ans il n'avoit que quatre pieds onze pouces six lignes ; et dans les deux années suivantes il n'a crii que d'un pouce de pkis, en sorte qu'à dou.^e ans il avoit en tout cinq pieds six lignes. Mais, comme ce grand enfant étoit en même temps d'une force extraordinaire , et qu'il avoit des signes de puberté dès l'âge de cinq à six ans, on pour- roit présumer qu'ayant abusé des forces prématurées de son tempérament, son accroissement s'étoit ra- lenti par cette cause. Un autre exemple d'un très prompt accroissement est celui d'un enfant né en Angleterre, et dont il est parlé dans les Transactions philosophiqueSj, n^^/^ yS, art. 2. 362 DE l'homme. Cet enfant, âgé de deux ans et dix mois, avoit trois pieds huit pouces et demi. A trois» ans un mois, c'est-à-dire trois mois après, il avoit trois pieds onze pouces. Il pesoit alors quatre stones, c'est-à-dire cinquante- six livres. Le père et la mère ètoient de taille commune, et l'enfant, quand il vint au monde, n'avoit rien d'ex- traordinaire; seulement les parties de la génération étoient d'une grandeur remarquable. A trois ans , la verge en repos avoit trois pouces de longueur, et en action, quatre pouces trois dixièmes, et toutes les parties de la génération étoient accompagnées d'un poil épais et frisé. A cet âge de trois ans il avoit la voix mâle , l'intel- ligence d'un enfant de cinq à six ans, et il battoit et terrassoit ceux de neuf ou dix ans. Il eût été à désirer qu'on eût suivi plus loin l'ac- croissement de cet enfant si précoce ; mais je n'ai rien trouvé de plus à ce sujet dans les Transactions philo- sophiques. Pline parle d'un enfant de deux ans qui avoit trois coudées, c'est-à-dire quatre pieds et demi. Cet enfant marchoit lentement; il étoit encore sans raison, quoi- qu'il fût déjà pubère, avec une voix mâle et forte. Il mourut tout à coup, à l'âge de trois ans, par une contraction convulsive de tous ses membres. Pline ajoute avoir vu lui-même un accroissement à peup-rès pareil dans le fils de Corneille Tacite , chevalier ro- main, à l'exception de la puberté qui lui manquoit; et il semble que ces individus précoces fussent plus DE L*ENFANCE. 363 communs autrefois qu'ils ne le sont aujourd'hui ; car Pline dit expressément que les Grecs les appeloient ectrapelosj mais qu'ils n'ont point de nom dans la langue latine^. P t'»t>»ty»o««x&««^««t«&«'&«'60'Q«9^.a»&OiB«'*0'9«&»««^Ot»»&«&0'»«<3«^«.^«,fyoff»^t'^e^ 8<»o»9K L HOMME. ]estown dans ia Caroline rtiéridionale accoucha, en i"i4? de deux jumeaux qui vinrent au monde tout de suite l'un après l'autre ; il se trouva que l'un étoit un enfant nègre, et l'autre un enfant blanc, ce qui surprit beaucoup les assistants. Ce témoignage évi- dent de l'infidélité de cette femme à l'égard de son mari la força d'avouer qu'un nègre qui la servoit étoit entré dans sa chambre un jour que son mari venoit de la quitter et de la laisser dans son lit; et elle ajouta, pour s'excuser, que ce nègre l'avoit menacée de la tuer, et qu'elle avoit été contrainte de le satisfaire^. Ce fait ne prouve-t-il pas aussi que la conception de deux ou de plusieurs jumeaux ne se fait pas toujours dans le même temps? et ne paroît-il pas favoriser beau- coup mon opinion sur la pénétration de la liqueur séminale au travers du tissu de la matrice ? La grossesse a encore un grand nombre de symp- tômes équivoques, auxquels on prétend communé- ment la reconnoître dans les premiers mois; savoir, une douleur légère dans la région de la matrice et dans les lombes, un engourdissement dans tout le corps, et un assoupissement continuel, une mélancolie qui rend les femmes tristes et capricieuses, des douleurs de dents, le mal de tète , des vertiges qui offusquent la vue, le rétrécissement des prunelles, les yeux jau- nes et injectés, les paupières affaissées, la pâleur et les taches du visage, le goût dépravé, ledégoijt, les vomissements, les crachements, les symptômes hys- tériques, les fleurs blanches, la cessation de l'^cou- lement périodique ou son changement en hémorra- t. Voyez Lectures on muscular motion, bj M. Farsons; London^ 1745, page 79. DE LA PUBERTE. OgÇ) gie, la sécrétion du lait dans les mamelles, etc. iNous pourrions encore rapporter plusieurs autres symptô- mes qui ont été indiqués comme des signes de la grossesse, mais qui ne sont souvent que des effets de quelques maladies. Mais laissons aux médecins cet examen à faire; nous nous écarterions trop de notre sujet si nous voulions considérer chacune de ces choses en particulier : pourrions-nous même le faire d une manière avanta- geuse , puisqu'il n'y en a pas une qui ne demandât une longue suite d'observations bien faites ? Il en est ici comme d'une infinité dautres sujets de physiologie et d'économie animale : à l'exception d'un petit nom- bre d'hommes rares ^ qui ont répandu de la lumière sur quelques points particuliers de ces sciences, la plupart des auteurs qui en ont écrit les ont traitées d'une manière si vague, et les ont expliquées par des rapports si éloignés et par des hypothèses si fausses, qu'il auroit mieux valu n'en rien dire du tout. 11 n'y a aucune matière sur laquelle on ait plus raisonné, sur laquelle on ait rassemblé plus de faits et d'obser- vations; mais ces raisonnements, ces faits, et ces observations sont ordinairement si mal digérés, et entassés avec si peu de connoissance , qu'il n'est pas surprenant qu'on n'en puisse tirer aucune lumière, aucune utilité. 1. Je mets de ce nombre l'auteur de YAnatomie d'Heister. De lous les ouvrages que j'ai lus sur la physiologie, je u'enai point trouvé qui m'ait iDaru mieux lait et plus d'accord avec la bonne physique. 400 DE l'homme. ADDITION A L'ARTICLE PRÉCÉDENT. Dans l'histoire de la nature entière rien ne nous touche de plus près que l'histoire de l'homme; et dans cette histoire physique de l'homme rien n'est plus agréable et plus piquant que le tableau fidèle de ces premiers moments où l'homme se peut dire homme. L'âge de la première et de la seconde enfance d'abord ne nous présente qu'un état de misère qui demande toute espèce de secours, et ensuite un état de foi- blesse qu'il faut soutenir par des soins continuels. Tant pour l'esprit que pour le corps, l'enfant n'est rien, ou n'est que peu de chose , jusqu'à l'âge de pu- berté : mais cet âge est l'aurore de nos premiers beaux jours; c'est le moment où toutes les facultés, tant corporelles qu'intellectuelles, commencent à entrer en plein exercice , où les organes ayant acquis tout leur développement, le sentiment s'épanouit comme une belle fleur, qui bientôt doit produire le fruit pré- cieux de la raison. En ne considérant ici que le corps et les sens, l'existence de l'homme ne nous paroîtra complète que quand il pourra la communiquer; jus- qu'alors sa vie n'est pour ainsi dire qu'une végétation; il n'a que ce qu'il faut pour être et pour croître; tou- tes les puissances intérieures de son corps se réduisent à sa nutrition et à son développement; les principes de vie qui consistent dans les molécules organiques vivantes qu'il tire des aliments ne sont employés qu'à maintenir la nutrition, et sont tous absorbés par l'ac- croissement dji moule, qui s'étend dans toutes ses dimensions : mais lorsque cet accroissement du corps DE LA PUBERTÉ. 4^^^ est à peu près à son point, ces mêmes molécules or- ganiques vivantes, qui ne sont plus employées à l'ex- tension du moule, forment une surabondance de vie qui doit se répandre au dehors pour se communiquer. Le vœu de la nature n'est pas de renfermer notre existence en nous-mêmes : par la même loi qu'elle a soumis tous les êtres à la mort, elle les a consolés par la faculté de se reproduire; elle veut donc que cette surabondance de matière vivante se répande et soit employée à de nouvelles vies; et quand on s'obstine à contrarier la nature, il en arrive souvent de fu- nestes effets, dont il est bon de donner quelques exemples. Extrait d'un mémoire adressé à M. de Blffon par M. ***, le 1^" octobre 1774. « Je naquis de parents jeunes et robustes ; je pas- sai du sein de ma mère entre ses bras pour y être nourri de son lait; mes organes et mes membres se développèrent rapidement; je n'éprouvai aucune des maladies de l'enfance. J'avois de la facilité pour ap- prendre , et beaucoup d'acquis pour mon âge. A peine avois-je onze ans, que la force et la maturité précoce de mon tempérament me firent sentir vivement les aiguillons d'une passion qui communément ne se dé- clare que plus tard. Sans doute je me serois livré dès lors au plaisir qui m'entraînoit ; mais, prémuni par les leçons de mes parents, qui me destinoient à l'état ecclésiastique , envisageant ces plaisirs comme des crimes, je me contins rigoureusement, en avouant néanmoins à mon père que l'état ecclésiastique n'é- /j02 DE l'homme. toit point ma vocation : mais il fut sourd à mes repré- sentations, et il forlitia ses vues par Je choix d'un di- recteur dont l'unique occupation étoit de former de jeunes ecclésiastiques; il nie remit entre ses mains. Je ne lui laissai pas ignorer l'opposition que je me sentois pour la continence; il me persuada que je n'en aurois que plus de mérite, et je fis de bonne foi le vœu de n'y jamais manquer. Je m'efforçai de chasser les idées contraires et d'étouffer mes désirs ; je ne me permettois aucun mouvement qui eût trait à l'incli- nation de la nature : je captivai mes regards , et ne les portai jamais sur une personne du sexe ; j'imposai la même loi à mes autres sens. Cependant le besoin de la nature se faisoit sentir si vivement, que je faisois des efforts incroyables pour y résister; de cette oppo- sition, de ce combat intérieur, il en résultoit une stupeur, une espèce d'agonie, qui me rendoit sem- blable à un automate , et m'ôtoit jusqu'à la faculté de penser. La nature, autrefois si riante âmes yeux, ne m'offroit phis que des objets tristes et lugubres. Cette tristesse dans laquelle je vivois éteignit en moi le dé- sir de m'instruire, et je parvins stupidement à l'âge auquel il fut question de me décider pour la prêtrise : cet état n'exigeant pas de moi une pratique de la continence plus parfaite que celle que j'avois déjà ob- servée, je me rendis au pied des autels avec cette pe- santeur qui accompagnoit toutes mes actions. Après mon vœu , je me crus néanmoins lié plus étroitement à celui de chasteté, et à l'observance de ce vœu, au- (juel je n'avois ci-devant été obligé que comme sim- ple chrétien. Il y avoit une chose qui m'avoit fait tou- jours beaucoup de peine : l'attention avec laquelle je DE LA PUBERTli;. |0.) veillois sur moi pendant le jour empêchoit les images obscènes de faire sur mon imagination une impres- sion assez vive et assez longue pour émouvoir les or- ganes de la génération, au point de procurer l'éva- cuation de l'humeur séminale : mais pendant le sommeil la nature obtenoil son soulagement; ce qui me paroissoit un désordre qui m'aflligeoit vivement, parce que je craignois qu'il n'y eût de ma faute , en sorte que je diminuai considérablement ma nourri- ture ; je redoublai surtout mon attention et ma vigi- lance sur moi-même, au point que, pendant le som- meil , la moindre disposition qui tendoit à ce désordre m'éveilloit sur-le-champ, et je l'évitois en me levant en sursaut. Il y avoit un mois que je vivois dans ce re- doublement d'attention, et j'étois dans la trente- deuxième année de mon âge , lorsque tout à coup cette continence forcée porta dans tous mes sens une sensibilité, on philôt une irritation que je n'avois ja- mais éprouvée. Etant allé dans une maison, je portai mes regards sur deux personnes du sexe , qui firent sur mes yeux, et de là dans mon imagination, une si forte impression, qu'elles me parurent vivement en- luminées, et resplendissantes d'un feu semblable à des étincelles électriques : une troisième femme , qui étoit auprès des deux autres, ne me fit aucun effet, et j'en dirai ci-après la raison ; je la voyois telle qu'elle étoit, c'est-à-dire sans apparence d'étincelles ni de feu. Je me retirai brusquement, croyant que cette apparence étoit un prestige du démon. Dans le reste de la journée, mes regards ayant rencontré quelques autres personnes du sexe, j'eus les mêmes illusions. Le lendemain, je vis dans la campagne des femmes /jo/f Î>E L HOMME. qui me causèrent les mêmes impressions; et lorsque je fus arrivé à la ville, voulant me rafraîchir à l'auberge, le vin, le pain, et tous les autres objets me paroissoient troubles, et même dans une situation renversée. Le jour suivant, environ une demi-heure après le repas, je sentis tout à coup dans tous mes membres une contraction et une tension violentes , accompagnées d'un mouvement affreux et convulsif , semblable à ce- lui dont sont suivies les attaques d'épilepsie les plus violentes. A cet état convulsif succéda le délire. La saignée ne m'apporta aucun changement; les bains froids ne me calmèrent que pour un instant ; dès que la chaleur fut revenue, mon imagination fut assaillie par une foule d'images obscènes que lui suggéroit le besoin de la nature. Cet état de délire convulsif dura plusieurs jours, et mon imagination fut toujours oc- cupée de ces mêmes objets, auxquels se mêlèrent des chimères de toute espèce, et surtout des fureurs guerrières, dans lesquelles je pris les quatre colonnes de mon lit, dont je ne fis qu'un paquet, et en lançai une avec tant de force contre la porte de ma cham- bre , que je la fis sortir des gonds ; mes parents m'en- chaînèrent les mains et me lièrent le corps. La vue de mes chaînes , qui étoient de fer , fit une impres- sion si forte sur mon imagination, que je restai plus de quinze jours sans pouvoir fixer mes regards sur aucune pièce de fer sans une extrême horreur. Au bout de quinze jours, comme je paroissois plus tran- quille , on me délivra de mes chaînes, et j'eus ensuite un sommeil assez calme, mais qui fut suivi d'un ac- cès de délire aussi violent que les précédents. Je sor- tis de mon lit brusquement, et j'avois déjà traversé DE LA PUBERTÉ. /(05 les cours et le jardin , lorsque des gens accourus vin- rent me saisir; je me laissai ramener sans grande ré- sistance. Mon imagination étoit , dans ce moment et les jours suivants, si fort exaltée, que je dessinoîs des plans et des com{3arliments sur le sol de ma chambre ; j'avois le coup d'œil si juste et la main si as- surée, que , sans aucun instrument, je les traçois avec une justesse étonnante. Mes parents, et d'autres gens simples, étonnés de me voir un talent que je n'avois jamais cultivé, et d'ailleurs ayant vu beaucoup d'au- tres singularités dans le cours de ma maladie, s'ima- ginèrent qu'il y avoit en tout cela du sortilège, et en conséquence ils firent venir des charlatans de toute espèce pour me guérir : mais je les reçus fort mal ; car quoiqu'il y eût toujours chez moi de l'aliénation , mon esprit et mon caractère avoient déjà pris une tournure différente de celle que m'avoit donnée ma triste éducation. Je n'étois plus d'humeur à croire les fadaises dont j'avois été infatué ; je tombai donc im- pétueusement sur ces guérisseurs de sorciers, et je les mis en fuite. J'eus en conséquence plusieurs accès de fureur guerrière , dans lesquels j'iraiJginai être successivement Achille, César, et Henri IV. J'expri- mois par mes paroles et par mes gestes leurs caractè- res, leur maintien, et leurs principales opérations de guerre , au point que tous les gens qui m'environ- noient en étoient stupéfaits. » Peu de temps après, je déclarai que je voulois me marier : il me sembloit voir devant moi des fem- mes de toutes les nations et de toutes les couleurs; des blanches, des rouges, des jaunes, des vertes, des basanées, etc., quoique je n'eusse jamais su qu'il y BTFFO^. XI. 26 /|0G DK L HOMME. eut des femmes d'autres couleurs que des blanches et des noires : mais j'ai depuis reconnu , à ce trait et à plusieurs autres, que, par le genre de maladie que j'avois, mes esprits exaltés au suprême degré, il se faisoit une secrète transmutation d'eux aux corps qui étoient dans la nature, ou de ceux-ci à moi, qui sem- bloit me faire deviner ce qu'elle avoit de secret; ou peut-être que mon imagination, dans son extrême ac- tivité, ne laissant aucune image à parcourir, devoit rencontrer tout ce qu'il y a dans la nature, et c'est ce qui, je pense, aura fait attribuer aux fous le don de la divination. Quoi qu'il en soit, le besoin de la nature pressant, et n'étant plus, comme auparavant, combattu par mon opinion, je fus obligé d'opter en- tre toutes ces femmes : j'en choisis d'abord quelques unes qui répondoient au nombre des différentes na- tions que j'imaginois avoir vaincues dans mes accès de fureur guerrière; il me sembloit devoir épouser chacune de ces femmes selon les lois et les coutumes de sa nation. Il y en avoit une que je regardois comme la reine de toutes les autres : c'étoit une jeune demoi- selle que j'avois vue quatre jours avant le commence- ment de ma maladie; j'en étois dans ce moment éper- dument amoureux ; j'exprimois mes désirs tout haut, de la manière la plus vive et la plus énergique. Je n'a- vois cependant jamais lu aucun roman d'amour; de ma vie je n'avois fait aucune caresse ni même donné un baiser à une femme. Je parlois néanmoins très in- décemment de mon amour à tout le monde, sans songer à mon état de prêtre ; j 'étois fort surpris de ce que mes parents blâmoient mes propos et condam- noient mon inclination. Un sommeil assez tranquille I DE LA PUBKRTE. 4O7 suivit cet état de crise amoureuse, pendant laquelle je n'avois senti que du plaisir; et, après ce sommeil, revinrent le sens et la raison. Réfléchissant alors sur la cause de ma maladie , je vis clairement qu'elle avoit été G^msée par la surabondance et la rétention forcée de l'humeur séminale; et voici les réflexions que je fis sur le changement subit de mon caractère et de toutes mes pensées. n 1** Une bonne nature et un excellent tempéra- ment, toujours contredits dans leurs inclinations, et refusés à leurs besoins, durent s'aigrir- et s'indispo- ser : d'où il arriva que mon caractère, naturellement porté à la joie et à la gaieté, se tourna au chagrin et à la tristesse, qui couvrirent mon âme d'épaisses té- nèbres, et engourdissant toutes ses facultés d'un froid mortel , étouffèrent les germes des talents que j'avois sentis pointer dans ma première jeunesse, dont j'ai dû depuis retrouver les traces, mais, hélas! presque, effacées faute de culture. )> 2° J'aurois eu bien plus tôt la maladie différée à l'âge de trente-deux ans , si la nature et mon tempé- rament n'eussent été souvent et comme périodique- ment soulagés par l'évacuation de l'humeur séminale , procurée par l'illusion et les songes de la nuit : en effet, ces sortes d'évacuations étoient toujours pré- cédées d'une pesanteur de corps et d'esprit, d'une tristesse et d'un abattement, qui m'inspiroient ime espèce de fureur qui approchoit du désespoir d'Ori- gène. Car j'avois été tenté mille fois de me faire la même opération. » 5° Ayant redoublé mes soins et ma vigilance pour éviter l'unique soulagement que se procuroit furtive- 4o8 DE L HOMME. ment Ja nature, l'humeur séminale dut augmenter et s'échauffer, et, d'après cette abondance et efferves- cence, se porter aux yeux, qui sont le siège et les in- terprètes des passions, surtout de l'amour, comme on le voit dans les animaux, dont les yeux dans l'acte deviennent étincelants. L'humeur séminale dut pro- duire le même effet dans les miens ; et les parties de feu dont elle étoit pleine, portant vivement contre la vitre de mes yeux, durent y exciter un mouvement violent et rapide, semblable à celui qu'excite la ma- chine électrique : d'où il dut résulter le même effet, et les objets me paroître enflammés, non pas tous indifféremment, mais ceux qui avoient rapport avec mes dispositions particulières, ceux de qui émanoient certains corpuscules, qui, formant une continuité entre eux et moi, nous mettoient dans une espèce de contact : d'où il arriva que des trois premières femmes que je vis toutes trois ensemble , il n'y en eut que deux qui firent sur moi cette impression singu- lière; et c'est parce que la troisième étoit enceinte, qu'elle ne me donna point de désirs, et que je ne la vis que telle qu'elle étoit. » 4° L'humeur devenant de jour en jour plus abon- dante, et ne trouvant point d'issue, par la résolution constante où j'étois de garder la continence, porta tout d'un coup à la tête, et y causa le délire suivi de convulsions. » On comprendra aisément que cette humeur trop abondante, jointe à une excellente organisation, de- voit exalter mon imagination : toute ma vie n'avoit été qu'un effort vers la vertu de la chasteté; la passion de l'amour, qui, d'après mes dispositions naturelles. DE LA PUBERTÉ. 4^9 auroit dû se faire sentir la première, fut la dernière à me conquérir. Ce n'est pas qu'elle n'eût formé la première de violentes attaques contre mon âme : mais mon état, toujours présent à ma mémoire, faisoitque je la regardois avec horreur; et ce ne fut que quand j'eus entièrement oublié mon état, et au bout de six mois que dura ma maladie, que je me livrai à cette passion, et que je ne repoussai pas les images quîpou- voient la satisfaire. » Au reste, je ne me flatte pas d'avoir donné une idée juste ni un détail exact de l'excès et de la multi- plicité des maux et des douleurs qu'a soufferts en moi la nature dans le cours de ma malheureuse jeunesse, ni même dans cette dernière crise : j'en ai rapporté fidèlement les traits principaux; et, après cette éton- nante maladie, me considérant moi-même, je ne vis qu'un triste et infortuné mortel, honteux et confus de son état, mis entre le marteau et l'enclume, en opposition avec les devoirs de religion et la nécessité de nature; menacé de maladie s'il refusoit celle-ci, de honte et d'ignominie s'il abandonnoit celle-là : af- freuse alternative! aussi fus-je tenté de maudire le jour qui m'avoit rendu la lumière; plus d'une fois je m'é- criai avec Job : Lux eu?' data misero? » Je termine ici l'extrait de ce mémoire de M. ***, qui m'est venu voir de fort loin pour m'en certifier les faits : c'est un homme bien fait, très vigoureux de corps, et en même temps spirituel, honnête, et très religieux; je ne puis donc douter de sa véracité. J'ai vu, sous mes yeux, l'exemple d'un autre ecclésiasti- que qui, désespéré de manquer trop souvent au de- /|ÏO DE è' HOMME. voir de son état, s'est fait lui-même l'opération d'Ori- gène. La rétention trop longue de la liqueur sémi- nale peut donc causer de grands maux d'esprit et de corps, la démence et l'épilepsie; car la maladie de M. *** n'étoit qu'un délire épileptique qui a duré six mois. La plupart des animaux entrent en fureur dans le temps du rut, ou tombent en convulsion lorsqu'ils ne peuvent satisfaire ce besoin de nature : les perro- quets, les serins, les bouvreuils, et plusieurs autres oiseaux, éprouvent tous les eifets d'une véritable épi- lepsie lorsqu'ils sont privés de leurs femelles. On a souvent remarqué dans les serins que c'est au mo- ment qu'ils chantent le plus fort. Or, comme je l'ai dit*, le chant est dans les oiseaux l'expression vive du sentiment d'amour. Un serin séparé de sa femelle, qui la voit sans pouvoir l'approcher, ne cesse de chan- ter, et tombe enfin tout à coup, faute de jouissance, ou plutôt de l'émission de cette liqueur de vie dont la nature ne veut pas qu'on renferme la surabondance, et qu'au contraire elle a destinée à se répandre au dehors et à passer de corps en corps. Mais ce n'est que dans la force de l'âge et pour les hommes vigoureux que cette évacuation est absolu- ment nécessaire; elle n'est même salutaire qu'aux hommes qui savent se modérer : pour peu qu'on se trompe en prenant ses désirs pour des besoins, il ré- sulte plus de mal de la jouissance que de la privation; on a peut-être mille exemples de gens perdus par les excès, pour un seul malade de continence. Dans le commun des hommes, dès que l'on a passé cinqu«inte- 1. Voyez le Discours sur la nature des oiseaux. I DE LA PUBERTÉ. 4* * cinq ou soixante ans, on peut garder en conscience et sans grand tourment cette liqueur, qui, quoique aussi abondante, est bien moins provoquante que dans la jeunesse; c'est même un baume pour l'âge avancé. Nous finissons à tous égards comme nous avons commencé. L'on sait que dans l'enfance, et jusqu'à la pleine puberté , il y a de l'érection sans au- cune émission : la même chose se trouve dans la vieillesse ; l'érection se fait encore sentir assez long- temps après que le besoin de l'évacuation a cessé, et rien ne fait plus de mal aux vieillards que de se lais- ser tromper par ce premier signe , qui ne devroit pas leur en imposer, car il n'est jamais aussi plein ni aussi parfait que dans la jeunesse; il ne dure que peu de minutes; il n'est point accompagné de ces aiguillons de la chair qui seuls nous font sentir le vrai besoin de nature dans la vigueur de l'âge. Ce n'est ni le tou- cher, ni la vue, qu'on est le plus pressé de satisfaire ; c'est un sens différent, un sens intérieur et particu- lier, bien éloigné du siège des autres sens, par lequel la chair se sent vivante, non seulement dans les par- ties de la génération, mais dans toutes celles qui les avoisinent : dès que ce sentiment n'existe plus, la chair est morte au plaisir, et la continence est plus salutaire que nuisible. DE l'âge viril. /{\0 lier, qui est le point de perfection pour la forme : aussi le corps de la femme est ordinairement à vingt ans aussi parfaitement forme que celui de l'homme l'est à trente. Le corps d'un homme bien fait doit être carré, les muscles doivent être durement exprimés, le contour des membres fortement dessiné, les traits du visage bien marqués. Dans la femme tout est plus arrondi ; les formes sont plus adoucies, les traits plus fins. L'homme a la force et la majesté; les grâces et la beauté sont l'apanage de l'autre sexe. Tout annonce dans tous deux les maîtres de la terre, tout marque dans l'homme, même à l'extérieur, sa supériorité sur tous les êtres vivants : il se soutient droit et élevé; son attitude est celle du commande- ment; sa tête regarde le ciel, et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité; l'image de l'âme y est peinte par la physio- nomie; Texcellence de sa nature perce à travers les organes matériels, et anime d'un feu divin les traits de son visage; son port majestueux, sa démarche ferme et hardie, annoncent sa noblesse et son rang; il ne touche à la terre que par ses extrémités les plus éloignées; il ne la voit que de loin, et semble la dé- daigner. Les bras ne lui sont pas donnés pour servir de piliers d'appui à la masse de son corps; sa main ne doit pas fouler la terre, et perdre par des frotte- ments réitérés la finesse du toucher dont elle est le principal organe; le bras et la main sont faits pour servir à des usages plus nobles, pour exécuter les or- dres de la volonté , pour saisir les choses éloignées, pour écarter les obstacles, pour prévenir les rencon- /ji/f i^E l'homme. très et le choc de ce qui pourroit nuire, pour embras- ser et retenir ce qui peut plaire, pour le mettre à portée des autres sens. Lorsque l'âme est tranquille, toutes les parties du visage sont dans un état de repos; leur proportion, leur union, leur ensemble, marquent encore assez la douce harmonie des pensées, et répondent au calme de l'intérieur : mais lorsque lame est agitée, la face humaine devient un tableau vivant, où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie, où chaque mouvement de l'âme est ex- primé par un trait, chaque action par un caractère, dont l'impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle, et rend au dehors, par des signes pa- thétiques, les images de nos secrètes agitations. C'est surtout dans les yeux qu'elles se peignent et qu'on peut les reconnoître : l'œil appartient à l'âme plus qu'aucun autre organe; il semble y toucher et participer à tous ses mouvements; il en exprime les passions les plus vives et les émotions les plus tumul- tueuses, comme les mouvements les plus doux et les sentiments les plus délicats; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu'ils vien- nent de naître; il les transmet par des traits rapides qui portent dans une autre âme le feu', l'action, l'i- mage de celle dont ils partent. L'œil reçoit et réflé- chit en même temps la lumière de la pensée et la chaîeur du sentiment; c'est le sens de l'esprit et la langue de l'intelligence. Les personnes qui ont la vue courte, ou qui sont louches, ont beaucoup moins de cette âme extérieure qui réside principalement dans les yeux; ces défauts DE L A.GE VIRIL. 4l5 détruisent la physionomie et rendent désagréables ou difformes les plus beaux visages : comme l'on n'y peut reconnoître que les passions fortes et qui mettent en jeu les autres parties, et cou:ime l'expression de l'es- prit et de la finesse du sentiment ne peut s'y montrer, on juge ces personnes défavorablement lorsqu'on ne les connoît pas; et quand on les connoît, quelque spirituelles qu'elles puissent être, on a encore de la peine à revenir du premier jugement qu'on a porté contre elles. INous sommes si fort accoutumés à ne voir les cho- ses que par l'extérieur, que nous ne pouvons plus reconnoître combien cet extérieur influe sur nos ju- gements, môme les plus graves et les plus réfléchis; nous prenons l'idée d'un homme, et nous la prenons par sa physionomie qui ne dit rien; nous jugeons dès lors qu'il ne pense rien. Il n'y a pas jusqu'aux habits et à la coiffure qui n'influent sur notre jugement : un homme sensé doit regarder ses vêtements comme faisant partie de lui-même, puisqu'ils en font en effet partie aux yeux des autres, et qu'ils entrent pour quel- que chose dans l'idée totale qu'on se forme de celui qui les porte. La vivacité ou la langueur du mouvement des yeux fait un des principaux caractères de la physionomie, et leur couleur contribue à rendre ce caractère plus marqué. Les différentes couleurs des yeux sont l'o- rangé foncé, le jaune, le vert, le bleu, le gris, et le gris mêlé de blanc ; la substance de l'iris est veloutée et disposée par filets et par flocons; les filets sont di- rigés vers le milieu de la prunelle comme des rayons qui tendent à un centre ; les flocons remplissent les 4l6 DE l'hOjVIME. intervalles qui sont entre les filets; et quelquefois les uns et les autres sont disposés d'une manière si ré- gulière, que le hasard a fait trouver dans les yeux de quelques personnes des figures qui serabloient avoir été copiées sur des modèles connus. Ces Ciels et ces flocons tiennent les uns aux autres par des ramifica- tions très fines et très déliées : aussi la couleur n'est pas si sensible dans ces ramifications que dans le corps des filets et dés flocons, qui paroissent toujours être d'une teinte plus foncée. Les couleurs les plus ordinaires dans les yeux sont l'orangé et le bleu , et le plus souvent ces couleurs se trouvent dans le môme œil. Les yeux que l'on croit être noirs ne sont que d'un jaune brun ou d'orangé foncé : il ne faut, pour s'en assurer, que les regarder de près; car, lorsqu'on les voit à quelque distance, ou qu'ils sont tournés à contre-jour, ils paroissent noirs , parce que la couleur jaune brun tranche si fort sur le blanc de l'œil qu'on la juge noire par l'opposi- tion du blanc. Les yeux qui sont aussi d'un jaune moins brun passent aussi pour des yeux noirs; mais on ne les trouve pas si beaux que les autres, parce que cette couleur tranche moins sur le blanc. Il y a aussi des yeux jaunes et jaune clair : ceux-ci ne pa- roissent pas noirs, parce que ces couleurs ne sont pas assez foncées pour disparoîire dans l'ombre. On voit très communément dans le même œil des nuances d'orangé, de jaune, de gris, et de bleu. Dès qu'il y a du bleu, quelque léger qu'il soit, il devient la cou- leur dominante; cette couleur paroît par filets dans toute l'étendue de l'iris, et l'orangé est par flocons autour et à quelque petite distance de la prunelle; le DE i/aGE VI 11 il. 4*7 bleu efface si fort cette couleur que l'œil paroît tout bleu, et on ne s'aperçoit du ijiélange de l'orangé qu'en le regardant de près. Les plus beaux yeux sont ceux qui paroissent noirs ou bleus. La vivacité et le feu, qui font le principal caractère des yeux, éclatent davantage dans les couleurs foncées que dans les demi- teintes de couleur : les yeux noirs ont donc plus de force d'expression et de vivacité; mais il y a plus de douceur et peut-être plus de finesse dans les yeux bleus. On voit dans les premiers un feu qui brille uniformément, parce que le fond qui nous paroît de couleur uniforme renvoie partout les mêmes re- flets; mais on distingue des modifications dans la lu- mière qui anime les yeux bleus, parce qu'il y a plu- sieurs teintes de couleurs qui produisent des reflets différents. 11 y a des yeux qui se font remarquer sans avoir pour ainsi dire de couleur; ils paroissent être compo- sés difïeremment des autres : l'iris n'a que des nuances de bleu ou de gris si foibles qu'elles sont presque blanches dans quelques endroits; les nuances d'o- rangé qui s'y rencontrent sont si légères qu'on les distingue à peine du gris et du blanc, malgré le con- traste de ces couleurs; le noir de la prunelle est alors trop marqué, parce que la couleur de l'iris n'est pas assez foncée; on ne voit pour ainsi dire que la pru- nelle isolée au milieu de l'œil. Ces yeux ne disent rien, et le regard en paroît fixe ou effaré. Il y a aussi des yeux dont la couleur de l'iris tire sur le vert : cette couleur est plus rare que le bleu, le gris, le jaune, et le jaune brun; il se trouve aussi des personnes dont les deux yeux ne sont pas de la même /j l8 DE L HOMME. couleur. Cette variété qui se trouve dans la couleur des yeux est particulière à l'espèce humaine, à celle du cheval , etc. Dans la plupart des autres espèces d'ani- maux la couleur des yeux de tous les individus est la même : les yeux des bœufs sont bruns ; ceux des mou- tons sont couleur d'eau; ceux des chèvres sont gris, etc. Aristote, qui fait cette remarque, prétend que dans les hommes les yeux gris sont les nieilleurs ; que les bleus sont les plus foibles; que ceux qui sont avancés hors de l'orbite ne voient pas d'aussi loin que ceux qui y sont enfoncés; que ies yeux bruns ne voient pas si bien que les autres dans l'obscurité. Quoique l'œil paroisse se mouvoir comme s'il étoit tiré de différents côtés, il n'a cependant qu'un mou- vement de rotation autour de son centre, par lequel la prunelle paroît s'approcher ou s'éloigner des angles de l'œil, et s'élever ou s'abaisser. Les deux yeux sont plus près l'un de l'autre dans l'homme que dans tous les autres animaux; cet intervalle est même si consi- dérable dans la plupart des espèces d'animaux, qu'il n'est pas possible qu'ils voient le même objet des deux yeux à la fois, à moins que cet objet ne soit à une grande distance. Après les yeux, les parties du visage qui contribuent le plus à marquer la physionomie sont les sourcils; comme ils sont d'une nature différente des autres par- ties , ils sont plus apparents par ce contraste et frap- pent plus qu'aucun autre trait; les sourcils sont une ombre dans le tableau, qui en relève les couleurs et les formes. Les cils des paupières font aussi leur effet : lorsqu'ils sont longs et garnis les yeux en paroissent plus beaux et le regard plus doux. Il n'y a que l'homme DE l'âge viril. 4*9 et le singe qui aient des cils aux deux paupières, les autres animaux n'en ont point à la paupière inférieure; et dans l'homme même il y en a beaucoup moins à la paupière inférieure qu'à la supérieure. Le poil des sourcils devient quelquefois si long dans la vieillesse, qu'on est obligé de le couper. Les sourcils n'ont que deux mouvements qui dépendent des muscles du front, l'un par lequel on les élève, et l'autre par lequel on les fronce et on les abaisse en les approchant l'un de l'autre. Les paupières servent à garantir les yeux et à em- pêcher la cornée de se dessécher : la paupière supé- rieure se relève et s'abaisse , l'inférieure n'a que peu de mouvement ; et quoique le mouvement des pau- pières dépende de la volonté, cependant Ton n'est pas maître de les tenir élevées lorsque le sommeil presse , ou lorsque les yeux sont fatigués. Il arrive aussi très souvent à cette partie des mouvements con- vulsifs et d'autres mouvements involontaires desquels on ne s'aperçoit en aucune façon ; dans les oiseaux et les quadrupèdes amphibies la paupière inférieure est celle qui a du mouvement, et les poissons n'ont de paupières ni en haut ni en bas. Le front est une des grandes parties de la face , et l'une de celles qui contribuent le plus à la beauté de sa forme : il faut qu'il soit d'une juste proportion , qu'il ne soit ni trop rond, ni trop plat, ni trop élroit . ni trop court , et qu'il soit régulièrement garni de cheveux au dessus et aux côtés. Tout le monde sait combien les cheveux font à la physionomie; c'est un défaut que d'être chauve. L'usage de porter des che- veux étrangers, qui est devenu si général, auroit dû 420 ' DE l'homme. se borner à cacher les lêtes chauves ; car cette espèce de coiffure empruntée altère la vérité de la physio- nomie, et donne au visage un air différent de celui qu'il doit avoir naturellement: on jugeroit beaucoup mieux les visages si chacun portoit ses cheveux et les laissoit flotter librement. La partie la plus élevée de la tète est celle qui devient chauve la première, aussi bien que celle qui est au dessus des tempes : il est rare que les cheveux qui accompagnent le bas des tempes tombent en entier, non plus que ceux de la partie inférieure du derrière de la tête. Au reste, il n'y a que les hommes qui deviennent chauves en avan- çant en âge : les femmes conservent toujours leurs cheveux; et quoiqu'ils deviennentblancs comme ceux des hommes lorsqu'elles approchent de la vieillesse , ils tombent beaucoup moins. Les enfants et les eu- nuques ne sont pas plus sujets à être chauves que les femmes : aussi les cheveux sont-ils plus grands et plus abondants dans la jeunesse qu'ils ne le sont à tout autre âge. Les plus longs cheveux tombent peu à peu ; à mesure qu'on avance en âge ils diminuent et se dessèchent ; ils commencent à blanchir par la pointe; dès qu'ils sont devenus blancs ils sont moins forts et cassent plus aisément. On a des exemples de jeunes gens dont les clieveux , devenus blancs par l'effet d'une grande maladie, ont ensuite repris leur cou- leur naturelle peu à peu lorsque leur santé a été par- faitement rétablie. Aristote et Pline disent qu'aucun homme ne devient chauve avant d'avoir fait usage des femmes, à l'exception de ceux qui sont chauves dès leur naissance. Les anciens écrivains ont appelé les habitants de l'île de Mycone têtes chauves, on DE l'âge viril. 4^1 prétend que c'étoit un défaut naturel à ces insulaires, et comme une maladie endémique avec laquelle ils venoient presque tous au monde ^. Le nez est la partie la plus avancée et le trait le plus apparent du visage ; mais comme il n'a que très peu de mouvement, et qu'il n'en prend ordinaire- ment que dans les plus fortes passions , il fait plus à la beauté qu'à la physionomie ; et à moins qu'il ne soit fort disproportionné ou très difforme , on ne le remarque pas autant que les autres parties qui ont du mouvement , comme la bouche ou les yeux. La forme du nez et sa position plus avancée que celle de toutes les autres parties de la face, sont particulières à l'espèce humaine; car la plupart des animaux ont des narines ou naseaux avec la cloison qui les sépare : mais dans aucun le nez ne fait un trait élevé et avancé ; les singes mêmes n'ont pour ainsi dire que des nari- nes ; ou du moins leur nez, qui est posé comme celui de l'homme , est si plat et si court , qu'on ne doit pas le regarder comme une partie semblable. C'est par cet organe que l'homme et la plupart des animaux respirent et sentent les odeurs. Les oiseaux n'ont point de narines ; ils ont seulement deux trous ou deux conduits pour la respiration et l'odorat , au lieu que les animaux quadrupèdes ont des naseaux , ou des narines cartilagineuses comme les nôtres. La bouche et les lèvres sont après les yeux les par- ties du visage qui ont le plus de mouvement et d'ex- pression ; les passions influent sur ces mouvements; 1 . Voyez la Description des îles de L'Archipel , par Dapper , page 354. Voyez aussi le secontl volume de l'édition de Pline , par le P. Hardouiu j page 541. BUFFON. XI. 27 4^2 DE l'homme. Ja bouche en marque les différents caractères par les différentes formes qu'elle prend. L'organe de la voix anime encore cette partie et la rend plus vivante que toutes les autres. La couleur vermeille des lèvres, la blancheur de l'émail des dents , tranchent avec tant d'avantage sur les autres couleurs du visage , qu'elles paroissent en faire le point de vue principal : on fixe en effet les yeux sur la bouche d'un homme qui parle, et on les y arrête plus long-temps que sur toutes les autres parties ; chaque mot , chaque articulation , chaque son, produisent des mouvements différents dans les lèvres. Qaielque variés et quelque rapides que soient ces mouvements, on pourroit les distin- guer tous les uns des autres : on a vu des sourds en connoitre si parfaitement les différences et les nuan- ces successives , qu'ils entendoient parfaitement ce qu'on disoit en voyant comme on le disoit. La mâchoire inférieure est la seule qui ait du mouvement dans l'homme et dans tous les animaux^ sans en excepter même le crocodile. Quoique Aristote assure en plusieurs endroits que la mâchoire supé- rieure de cet animal est la seule qui ait du mouve- ment, et que la mâchoire inférieure, à laquelle, dit-il , la langue du crocodile est attachée , soit ab- solument immobile. J'ai voulu vérifier ce fait, et j'ai trouvé, en examinant le squelette d'un crocodile, que c'est au contraire la seule mâchoire inférieure qui est mobile , et que la supérieure est , comme dans tous les autres animaux, jointe aux autres os de la tête , sans qu'il y ait aucune articulation qui puisse la rendre mobile. Dans le fœtus humain la mâchoire inférieure est, comme dans le singe, beaucoup plus DE l'âge viril. 4^5 avancée que la mâchoire supérieure. Dans l'adulte il seroit également difforme qu'elle fût trop avancée ou trop reculée ; elle doit être à peu près de niveau avec la mâchoire supérieure. Dans les instants les plus vifs des passions, la mâchoire a souvent un mouvement involontaire, comme dans les mouvements où l'âme n'est affectée de rien: la douleur, le plaisir, l'ennui, font également bâiller ; mais il est vrai qu'on bâille vivement, et que cette espèce de convulsion est très prompte dans la douleur et le plaisir, au lieu que le feâillement de l'ennui en porte le caractère par la lenteur avec laquelle il se fait. Lorsqu'on vient à penser tout à coup à quelque chose qu'on désire ardemment ou qu'on regrette vivement, on ressent un tressaillement ou un serre- ment intérieur ; ce mouvement du diaphragme agit sur les pouînons , les élève , et occasione une inspira- tion vive et prompte qui forme le soupir; et lorsque l'âme a réfléchi sur la cause de son émotion , et qu'elle ne voit aucun moyen de remplir son désir ou de faire cesser ses regrets, les soupirs se répètent; la tris- tesse , qui est la douleur de l'âme , succède à ces pre- miers mouvements; et, lorsque cette douleur de l'âme est profonde et subite , elle fait couler les lar- mes, et l'air entre dans la poitrine par secousses; il se fait plusieurs inspirations réitérées par une espèce de secousse involontaire; chaque inspiration fait un bruit plus fort que celui du soupir, c'est ce qu'on appelle sangloter; les sanglots se succèdent plus rapi- dement que les soupirs, et le son de la voix se fait entendre un peu dans le sanglot ; les accents en sont -encore plus marqués dans le gémissement : c'est une /|24 r>E l' HO 31 ME. espèce de sanglot continué, dont le son lent se fait entendre dans l'inspiration et dans l'expiration; son expression consiste dans la continuation et la durée d'un ton plaintif formé par des sons inarticulés ; ces sons du gémissement sont plus ou moins longs , sui- vant le degré de tristesse, d'affliction, et d'abatte- ment, qui les cause ; mais ils sont toujours répétés plusieurs fois ; le temps de l'inspiration est celui de l'intervalle de silence qui est entre les gémissements, et ordinairement ces intervalles sont égaux pour la durée et pour la distance. Le cri plaintif est un gé- missement exprimé avec force et à haute voix ; quel- quefois ce cri se soutient dans toute son étendue sur le même ton, c'est surtout lorsqu'il est fort élevé et très aigu ; quelquefois aussi il finit par un ton plus bas , c'est ordinairement lorsque la force du cri est modérée. Le ris est un son entrecoupé subitement et à plu- sieurs reprises par une sorte de trémoussement qui est marqué à l'extérieur par le mouvement du ventre, qui s'élève et s'abaisse précipitamment ; quelquefois, pour faciliter ce mouvement , on penche la poitrine et la tête en avant; la poitrine se resserre et reste immobile ; les coins de la bouche s'éloignent du côté des joues, qui se trouvent resserrées et gonflées; l'air, à chaque fois que îe ventre s'abaisse , sort de la bou- che avec bruit, et l'on entend un éclat de la voix qui se répète plusieurs fois de suite, quelquefois sur le même ton , d'autres fois sur des tons diff'érents qui vont en diminuant à chaque répétition. Dans le ris immodéré et dans presque toutes les passions violentes les lèvres sont fort ouvertes : mais DE l'âge viril. 425 dans des mouvements de l'âme plus doux et plus tran- quilles les coins de la bouche s'éloignent sans qu'elle s'ouvre , les joues se gonflent, et dans quelques per- sonnes il se forme sur chaque joue , à une petite dis- tance des coins de la bouche , un léger enfoncement que l'on appelle la fossette; c'est un agrément qui se joint aux grâces dont le souris est ordinairement ac- compagné. Le souris est une marque de bienveillance, d'applaudissement, et de satisfaction intérieure : c'est aussi une façon d'exprimer le mépris et la moquerie; mais dans ce souris malin on serre davantaije les lèvres l'une contre l'autre par un mouvement de la lèvi'e in- férieure. Les joues sont des parties uniformes qui n'ont par elles-mêmes aucun mouvement, aucune expression, si ce n'est par la rougeur ou la pâleur qui les couvre involontairement dans des passions différentes ; ces parties forment le contour de la face et l'union des traits; elles contribuent plus à la beauté du visage qu'à l'expression des passions. Il en est de même du menton, des oreilles, et des tempes. On rougit dans la honte, la colère, l'orgueil, la joie ; on pâlit dans la crainte, l'effroi, et la tristesse. Cette altération de la couleur du visage est absolu- ment involontaire , elle manifeste l'état de l'âme sans son consentement; c'est un effet du sentiment, sur lequel la volonté n'a aucun empire : elle peut com- mander à tout le reste , car un instant de réflexion suffit pour qu'on puisse arrêter les mouvements mus- culaires du visage dans les passions , et même pour les changer; mais il n'est pas possible d'empêcher le changement de couleur, parce qu'il dépend d'un mou- 426 DE l'homme. veDient du sang occasioné par l'action du diaphragme 5 qui est le principal organe du sentiment intérieur. La tète en entier prend , dans les passions , des positions , et des mouvements différents : elle est abaissée en avant dans l'humilité, la honte, la tris- tesse ; penchée à côté dans la langueur, la pitié ; éle- vée dans l'arrogance ; droite et fixe dans l'opiniâtreté; la tête fait un mouvement en arrière dans l'étonné- ment, et plusieurs mouvements réitérés de côté et d'autre dans le mépris , la moquerie , la colère , et l'indignation. Dans l'affliction, la joie, l'amour, la honte, la compassion, les yeux se gonflent tout à coup, une humeur surabondante les couvre et les obscurcit, il en coule des larmes. L'effusion des larmes est tou- jours accompagnée d'une tension des muscles du vi- sage , qui fait ouvrir la bouche ; l'humeur qui se forme naturellement dans le nez devient plus abondante ; les larmes s'y joignent par des conduits intérieurs, elles ne coulent pas uniformément , et elles semblent s'arrêter par intervalles. Dans la tristesse , les deux coins de la bouche s'a- baissent, la lèvre inférieure remonte, la paupière est abaissée à demi, la prunelle de l'œil est élevée et à moitié cachée par la paupière, les autres muscles de la face sont relâchés, de sorte que l'intervalle qui est entre la bouche et les yeux est plus grand qu'à l'ordinaire, et par conséquent le visage paroît allongé. Dans la peur, la terreur, l'effroi, et l'horreur, le front se ride, les sourcils s'élèvent, la paupière s'ou- vre autant qu'il est possible; elle surmonte la pru- nelle^3^ et laisse paroître une partie du blanc de l'œil DE l'âge viril. 4^7 au dessus de la prunelle , qui est abaissée et un peu cachée par la paupière inférieure ; la bouche est en même temps fort ouverte , les lèvres se retirent et laissent paroître les dents en haut et en bas. Dans le mépris et la dérision , la lèvre supérieure se relève d'un côté et laisse paroître les dents , tandis que de l'autre côté elle a un petit mouvement comme pour sourire ; le nez se fronce du même côté que la lèvre s'est élevée , et le coin de la bouche recule ; l'œil du même côté est presque fermé , tandis que l'autre est ouvert à l'ordinaire; mais les deux pru- nelles sont abaissées comme lorsqu'on regarde du haut en bas. Dans la jalousie , l'envie , la malice , les sourcils descendent et se froncent, les paupières s'élèvent et les prunelles s'abaissent*, la lèvre supérieure s'élève de chaque côté , tandis que les coins de la bouche s'abaissent un peu , et que le milieu de la lèvre infé- rieure se relève pour joindre le milieu de la lèvre supérieure. Dans le ris , les deux coins de la bouche reculent et s'élèvent un peu , la partie supérieure des joues se relève, les yeux se ferment plus ou moins, la lèvre supérieure s'élève , l'inférieure s'abaisse, la bouche s'ouvre et la peau du nez se fronce dans les ris im- modérés. Les bras, les mains , et tout le corps, entrent aussi dans l'expression des passions ; les gestes concourent avec les mouvements du visage pour exprimer les différents mouvements de l'âme. Dans la joie , par exemple , les yeux, la tête, les bras, et tout le corps, sont agités par des mouvements prompts et variés ; 428 tui l'homme. dans la langueur et la tristesse , les yeux sont baissés, la tête est penchée sur le côté , les bras sont pen- dants, et tout le corps est immobile ; dans l'admira- tion , la surprise , l'étonnement , tout mouvement est suspendu, on reste dans une même attitude. Cette première expression des passions est indépendante de la volonté ; mais il y a une autre sorte d'expres- sion qui semble être produite par une réflexion de l'esprit et par le commandement de la volonté , qui fait agir les yeux, la tête, les bras, et tout le corps: ces mouvements paroissent être autant d'efforts que fait l'âme pour défendre le corps ; ce sont au moins autant de signes secondaires qui répètent les passions, et qui pourroient seuls les exprimer. Par exemple , dans l'amour, dans le désir, dans l'espérance , on lève la tête et les yeux vers le ciel , comme pour deman- der le bien que l'on souhaite ; on porte la tête et le corps en avant, comme pour avancer, en s'appro- cliant, la possession de l'objet désiré; on étend les bras, on ouvre les mains pour l'embrasser et le saisir : au contraire , dans la crainte , dans la haine , dans l'horreur, nous avançons les bras avec précipitation , comme pour repousser ce qui fait l'objet de notre aversion ; nous détournons les yeux et la tête ; nous reculons pour l'éviter; nous fuyons pour nous en éloigner. Ces mouvements sont si prompts , qu'ils paroissent involontaires : mais c'est un effet de l'ha- bitude qui nous trompe ; car ces mouvements dé- pendent de la réflexion , et marquent seulement la perfection des ressorts du corps humain, par la promptitude avec laquelle tous les membres obéis- sent aux ordres de la volonté. DE l'âge viril. 4^9 Comme toutes les passions sont des mouvements tle lame, la plupart relatifs aux impressions des sens , elles peuvent être exprimées par les mouvements du corps , et surtout par ceux du visage ; on peut juger de ce qui se passe à l'intérieur par l'action extérieure , et connoître à l'inspection des changements du visage la situation de l'âme : mais comme l'âme n'a point de forme qui puisse être relative à aucune forme maté- rielle, on ne peut pas la juger par la figure du corps ou par la forme du visage; un corps mal fait peut renfermer une fort belle âme , et l'on ne doit pas ju- ger du bon ou du mauvais naturel d'une personne par les traits de son visage, car ces traits n'ont aucun rapport avec la nature de l'âme , aucune analogie sur laquelle on puisse fonder des conjectures raisonna- bles. Les anciens étoient cependant fort attachés à cette espèce de préjugé , et dans tous les temps il y a eu des hommes qui ont voulu faire une science divina- toire de leurs prétendues connoissances en physio- nomie ; mais il est bien évident qu'elles ne peuvent s'étendre qu'à deviner les mouvements de l'âme par ceux des yeux, du visage, et du corps; et que la forme du nez, de la bouche , et des autres traits , ne fait pas plus à la forme de l'âme , au naturel de la personne, que la grandeur ou la grosseur des mem- bres fait à la pensée. Un homme en sera-t-il plus spi- rituel parce qu'il aura le nez bien fait? en sera-t-il moins sage parce qu'il aura les yeux petits et la bou- che grande? Il faut donc avouer que tout ce que nous ont dit les physionomistes est destitué de tout fonde- ment, que rien n'est plus chimérique que les indue- 450 DE l'homme. tions qu'ils ont voulu tirer de leurs prétendues obser- vations mytoposcopiques. Les parties de la tête qui font le moins à la phy- sionomie et à l'air du visage sont les oreilles : elles sont placées à côté et cachées par les cheveux. Cette partie , qui est si petite et si peu apparente dans l'homme , est fort remarquable dans la plupart des animaux quadrupèdes ; elle fait beaucoup à l'air de la tête de l'animal , elle indique même son état de vi- gueur ou d'abattement ; elle a des mouvements mus- culaires qui dénotent le sentiment et répondent à l'action intérieure de l'animal. Les oreilles de l'homme n'ont ordinairement aucun mouvement volontaire ou involontaire, quoiqu'il y ait des muscles qui y abou- tissent. Les plus petites oreilles sont, à ce qu'on pré- tend, les plus jolies; mais les plus grandes, et qui sont en môme temps bien bordées, sont celles qui entendent le mieux. Il y a des peuples qui en agran- dissent prodigieusement le lobe , en le perçant et en y mettant des morceaux de bois ou de métal , qu'ils remplacent successivement par d'autres morceaux plus gros; ce qui fait, avec le temps, un trou énorme dans le lobe de l'oreille , qui croît toujours à propor- tion que le trou s'élargit. J'ai vu de ces morceaux de bois qui avoient plus d'un pouce et demi de diamètre, qui venoient des Indiens de l'Amérique méridionale; ils ressemblent à des dames de trictrac. On ne sait sur quoi peut être fondée cette coutume singulière de s'agrandir si prodigieusement les oreilles : il est vrai qu'on ne sait guère mieux d'où peut venir l'u- sage presque général dans toutes les nations de per- cer les oreilles et quelquefois les narines, pour por-^ DE l'âge viril. /(5i ter des boucles, des anneaux, etc., à moins que d'en attribuer l'origine aux peuples encore sauvages et nus, qui ont cherché à porter de la manière la moins in- commode les choses qui leur ont paru les plus pré- cieuses , en les attachant à cette partie. La bizarrerie et la variété des usages paroissent en- core plus dans la manière différente dont les hommes ont arrangé les cheveux et la barbe : les uns , comme les Turcs, coupent leurs cheveux et laissent croître leur barbe ; d'autres , comme la plupart des Euro- péens, portent leurs cheveux ou des cheveux em- pruntés, et rasent leur barbe; les sauvages se l'arra- chent et conservent soigneusement leurs cheveux; les nègres se rasent la tête par figures, tantôt en étoiles, tantôt à la façon des religieux, et plus communément encore par bandes alternatives, en laissant autant de plein que de rasé, et ils font la même chose à leurs petits garçons; les Taîapoins de Siam font raser la tête et les sourcils aux enfants dont on leur confie l'é- ducation. Chaque peuple a sur cela des usages diffé- rents : les uns font plus de cas de la barbe de la lèvre supérieure que de celle du menton; d'autre préfèrent celle des joues et celle du dessous du visage; les uns la frisent, les autres la portent lisse. Il n'y a pas bien long-temps que nous portions les cheveux du der- rière de la tête épars et flottants; aujourd'hui nous les portons dans un sac. Nos habillements sont diffé- rents de ceux de nos pères; la variété dans la manière de se vêtir est aussi grande que la diversité des na- tions; et ce qu'il y a de singulier, c'est que, de tou- tes les espèces'de vêtements , nous avons choisi l'une dt3S plus incommodes, et que notre manière, quoi que P2 DEL HOMME. i»énëralement imitée par tous les peuples de l'Europe, est en même temps, de toutes les manières de se vê- tir, celle qui demande le plus de temps, celle qui me paroît être le moins assortie à la nature. Quoique les modes semblent n'avoir d'autre ori- gijie que le caprice et la fantaisie, les caprices adop- tés et les fantaisies générales méritent d'être exa- minés : les hommes ont toujours fait et feront toujours cas de tout ce qui peut fixer les yeux des autres hom- mes , et leur donner en même temps des idées avan- tageuses de richesses, de puissance, de grandeur, etc. La valeur de ces pierres brillantes , qui de tout temps ont été regardées comme des ornements précieux, n'est fondée que sur leur rareté et sur leur éclat éblouissant; il en est de même de ces méi^^aux écla- tants, dont le poids nous paroît si léger lorsqu'il est réparti sur tous les plis de nos vêtements pour en faire la parure : ces pierres, ces métaux, sont moins des ornements pour nou^ que des signes pour les au- tres auxquels ils doivent nous remarquer et recon- noître nos richesses; nous tâchons de leur en donner une plus grande idée en agrandissant la surface de ces métaux, nous voulons fixer leurs yeux, ou plutôt les éblouir : combien peu y en a-t-il en effet qui soient capales de séparer la personne de son vêtement , et de juger sans mélange l'homme et le métal ! Tout ce qui est rare et brillant sera donc toujours de mode, tant que les hommes tireront plus d'avan- tage de l'opulence que de la vertu, tant que les .moyens de paroître considérable seront si différents de ce qui mérite seul d'être considéré. L'éclat exté- rieur dépend beaucoup de la manière de se vêtir; DE l'âge viril. /^ô3 cette manière prend des formes différentes , selon les différents points de vue sous lesquels nous voulons être regardés : l'homme modeste, ou qui veut le paroître, veut en môme temps marquer cette vertu par la simplicité de son habillement; l'homme glo- rieux ne néglige rien de ce qui peut étayer son or- gueil ou flatter sa vanité ; on le reconnoît à la richesse ou à la recherche de ses ajustements. Un autre point de vue que les hommes ont assez généralement est de rendre leur corps plus grand , plus étendu : peu contents du petit espace dans le- quel est circonscrit notre être, nous voulons tenir plus de place en ce monde que la nature ne peut nous en donner; nous cherchons à agrandir notre fi- gure par des chaussures élevées, par des vêtements renflés. Quelque amples qu'ils puissent être, la va- nité qu'ils couvrent n'est-elle pas encore plus grande? Pourquoi la tête d'un docteur est-elle environnée d'une quantité énorme de cheveux empruntés, et que celle d'un homme du bel air en est si légèrement garnie? L'un veut qu'on juge de l'étendue de la science par la capacité physique de cette tête dont il grossit le volume apparent , et l'autre ne cherche à le diminuer que pour donner une idée Je la légèreté de son esprit. Il y a des modes dont l'origine est plus raison- nable : ce sont celles où on a pour but de cacher des défauts et de rendre la nature moins désagréable. A prendre les hommes en général, il y a beaucoup plus de figures défectueuses et de laids visages que de per- sonnes belles et bien faites : les modes, qui ne sont que l'usage du plus grand nombre, usage auquel le 454 DE l'homme. reste se soumet, ont donc été introduites, établies par ce grand nombre de personnes intéressées à ren- dre leurs défauts plus supportables. Les femmes ont coloré leur visage lorsque les roses de leur teint se sont flétries, et lorsqu'une pâleur naturelle les ren- doit moins agréables que les autres : cet usage est presque universellement répandu chez tous les peu- ples de la terre ; celui de se blanchir les cheveux avec de la poudre , et de les enfler par la frisure , quoique beaucoup moins général et bien plus nouveau, pa- roît avoir été imaginé pour faire sortir davantage les couleurs du visage, et en accompagner plus avanta- geusement la forme. Mais laissons les choses accessoires et extérieures ; et sans nous occuper plus long-temps des ornements et de la draperie du tableau, revenons à la figure. La tête de l'homme est à l'extérieur et à l'intérieur d'une forme différente de celle de la tête de tous les autres animaux, à l'exception du singe, dans lequel cette partie est assez semblable; il y a cependant beaucoup moins de cerveau et plusieurs autres différences dont nous parlerons dans la suite. Le corps de presque tous les animaux quadrupèdes vivipares est en entier couvert de poils; le derrière de la tête de l'homme est, jusqu'à l'âge de puberté, la seule partie de sou corps qui en soit couverte, et elle en est plus abon- damment garnie que la tête d'aucun animal. Le singe ressemble encore à l'homme par les oreilles , par les narines, par les dents. H y a une très grande diver- sité dans la grandeur, la position, et le nombre des dents des différents animaux : les uns en ont en haut et en bas, d'autres n'en ont qu'à la mâchoire infé^ DE LAGE VIRIL. 4^^ rieiire ; dans les uns les dents sont séparées les unes des autres, dans d'autres elles sont continues et réu- nies; le palais de certains poissons n'est qu'une es- pèce de masse osseuse très dure et garnie d'un très grand nombre de pointes qui font l'office de dents ^. Dans presque tous les animaux la partie par la- quelle ils prennent la nourriture est ordinairement so- lide ou armée de quelques corps durs; dans l'homme, les quadrupèdes, et les poissons, les dents; le bec dans les oiseaux; les pinces, les scies, etc., dans les insectes, sont des instruments d'une matière dure et solide , avec lesquels tous ces animaux saisissent et broient leurs aliments ; toutes ces parties dures ti- rent leur origine des nerfs, comme les ongles, les cornes, etc. Nous avons dit que la substance ner- veuse prend de la solidité et une grande dureté dès qu'elle se trouve exposée à l'air; la bouche est une partie divisée , une ouverture dans le corps de l'ani- mal ; il est donc naturel d'imaginer que les nerfs qui y aboutissent doivent prendre à leurs extrémités de la durée et de la solidité, et produire par conséquent 1. On trouve dans le Journal des Savants , année 1676, un ex-, trait àaVIstoria anatomica deW ossa del corpo liumano, di Bernardino Genga, etc. , par lequel il paroît que cet auteur prétend qu'il s'est trouvé plusieurs personnes qui n'avoient qu'une seule dent qui occupoit toute la mâchoire, sur laquelle on vojoit de petites lignes distinctes , par le moyen desquelles il sembloit qu'il y en eût eu plusieurs. Il dit avoir trouvé dans le cimetière de l'hôpital du Saint-Esprit de Rome une tête qui n'avoit point de mâchoire inférieure , et que dans la supérieure il n'y avoit que trois dents; savoir, deux molaires, dont chacune étoit divisée en cinq avec les racines séparées, et l'autre formoit les quatre^ dents incisives et les deux qu'on appelle canines. 456 DE l'homme. les dents, les palais osseux, les becs, les pinces, et toutes les autres parties dures que nous trouvons dans tous les animaux, comme ils produisent aux autres extrcjuitcs du corps auxquelles ils aboutissent, les ongles, les cornes, les ergots, et même à la surface les poils, les plumes, les écailles, etc. Le cou soutient la tête et la réunit avec le corps; cette partie est bien plus considérable dans la plu- part des animaux quadrupèdes qu'elle ne l'est dans l'homme : les poissons et les autres animaux qui n'ont point de poumons semblables aux nôtres n'ont point €le cou. Les oiseaux sont en général les animaux dont le cou est le plus long : dans les espèces d'oiseaux qui ont les pattes courtes, le cou est aussi assez court; et dans celles où les pattes sont fort longues, le cou est aussi d'une très grande longueur. Aristote dit que les oiseaux de proie qui ont des serres ont tous le cou court. La poitrine de l'homme est à l'extérieur conformée différemment de celle des autres animaux; elle est plus large à proportion du corps , et il n'y a que l'homme et le singe dans lesquels on trouve ces os qui sont immédiatement au dessous du cou et que l'on appelle les clavicules. Les deux mamelles sont posées sur la poitrine : celles des femmes sont plus grosses et plus érainentes que celles des hommes; cependant elles paroissent être à peu près de la même consistance, et leur organisation est assez semblable, car les mamelles des hommes peuvent former du lait comme celles des femmes : on a plusieurs exemples de ce fait , et c'est surtout à 1 âge de puberté que DEL AGE VIRIL. ^07 cela arrive; j'ai vu uq jeune houime de quinze ans faire sortir d'une de ses mamelles plus d une cuillerée dune liqueur laiteuse, ou plutôt de véritable lait, li y a dans les animaux une grande variété dans la si- tuation et dans le nombre des mamelles : les uns, comme le singe, l'éléphant, n'en ont que deux qui sont posées sur le devant de la poitrine ou èi côté; d'autres en ont quatre, comme l'ours; d'autres, comme les brebis, n'en ont que deux placées entre les cuisses; d'autres ne les ont ni sur la poitrine ni entre les cuisses, mais sur le ventre, comme les chiennes, les truies, etc., qui en ont un grand nom- bre; les oiseaux n'ont point de mamelles, non plus que tous les autres animaux ovipares : les poissons vivipares, comme la baleine, le dauphin, le laman- tin, etc., ont aussi des mamelles et du lait. La forme des mamelles varie dans les différentes espèces d'a- nimaux , et dans la même espèce suivant les différents â^es. On prétend que les femmes dont les mamelles ne sont pas bien rondes, mais en forme de poire, sont les meilleures nourrices, parce que les enfants peuvent alors prendre dans leur bouche non seule- ment le mamelon, mais encore une partie môme de l'extrémité de la mamelle. Au reste, pour que les mamelles des femmes soient bien placées, il faut qu'il y ait autant d'espace de l'un des mamelons à l'autre qu'il y en a depuis le mamelon jusqu'au milieu de la fossette des clavicules, en sorte que ces trois points fassent un triangle équilatéral. Au dessous de la poitrine est le ventre , sur lequel l'ombilic ou le nombril est apparent et bien marqué , au lieu que dans la plupart des espèces d'animaux ii /|58 DE l'homme. est presque insensible , et souvent même entièrement oblitéré; les singes mômes n'ont qu'une espèce de callosité ou de dureté à la place du nombril. Les bras de l'homme ne ressemblent point du tout aux jambes de devant des quadrupèdes, non plus qu'aux ailes des oiseaux : îe singe est le seul de tous les animaux qui ait des bras et des mains; mais ces bras sont plus grossièrement formés et dans des pro- portions moins exactes que le bras et la main de l'homme. Les épaules sont aussi beaucoup plus larges et d'une forme très difîerente dans l'homme de ce qu'elles sont dans tous les autres animaux; le haut des épaules est la partie du corps sur laquelle l'homme peut porter les plus grands fardeaux. La forme du dos n'est pas fort diflerente dans l'homme de ce qu'elle est dans plusieurs animaux quadrupèdes; la partie des reins est seulement plus musculeuse et plus forte ; mais les fesses, qui sont les parties les plus inférieures du tronc, n'appartiennent qu'à l'espèce humaine; aucun des animaux quadru- pèdes n'a de fesses, ce que l'on prend pour cette par- tie sont leurs cuisses. L'homme est le seul qui se sou- tienne dans une situation droite et perpendiculaire; c'est à cette position des parties inférieures qu'est relatif ce renflement au haut des cuisses qui forme les fesses. Le pied de l'homme est aussi très différent de ce- lui de quelque animal que ce soit, et njôme de celui du singe. Le pied du singe est plutôt une main qu'un pied; les doigts en sont longs et disposés comme ceux de la main; celui du milieu est plus grand que les autres, comme dans la main; ce pied du singe n'a DE l'âge viniL. 4^9 d'ailleurs point de talon semblable à celui de l'homme. L'assiette du pied est aussi plus grande dans l'homme que dans tous les animaux quadrupèdes, et les doigts du pied servent beaucoup à maintenir l'équilibre du corps et à assurer ses mouvements dans la démarche, la course , la danse, etc. Les ongles sont plus petits dans l'homme que dans tous les autres animaux; s'ils excédoient beaucoup les extrémités des doigts, ils nuiroient à l'usage de la main. Les sauvages qui les laissent croître s'en ser- vent pour déchirer la peau des animaux : mais, quoi- que leurs ongles soient plus forts et plus grands que les nôtres , ils ne le sont point assez pour qu'on puisse les comparer en aucune façon à la corne et aux er- gots du pied des animaux. On n'a rien observé de parfaitement exact dans le détail des proportions du corps humain ^ non seule- ment les mêmes parties du corps n'ont pas les mêmes dimensions proportionnelles dans deux personnes dif- férentes, mais souvent dans la môme personne une partie n'est pas exactement semblable à la partie cor- respondante; par exemple, souvent le bras ou la jambe du côté droit n'a pas exactement les mêmes dimensions que le bras ou la jambe du côté gau- che , etc. Il a donc fallu des observations répétées pendant long-temps pour trouver un milieu entre ces différences, afin d'établir au juste les dimensions des parties du corps humain, et de donner une idée des proportions qui font ce que l'on appelle fa belle na- ture. Ce n'est pas par la comparaison du corps d'un homme avec celui d'un autre homme, ou par des me- surv's actuellement prises sur un grand nombre de 44o DE l'hOMxME. sujets, qu'on a pu acquérir cette connoissance ; c'est, par les efforts qu'on a faits pour imiter et copier exac- tement la nature : c'est à l'art du dessin qu'on doit tout ce que l'on peut savoir en ce genre; le sentiment et le goût ont fait ce que !a mécr^nique ne pouvoit faire; on a quitlé la règle et le compas pour s'en tenir au coup d'œil ; on a réalisé sur le marbre toutes les for- mes, tous les contours de toutes les parties du corps humain, et on a mieux connu la nature par la repré- sentation que par la nature même. Dès qu'il y a eu des statues , on a mieux jugé de leur perfection en les voyant qu'en les mesurant. C'est par un grand exer- cice de l'art du dessin et par un sentiment exquis que les grands statuaires sont parvenus à faire sentir aux autres hommes les justes proportions des ouvrages de la nature. Les anciens ont fait de si belles statues, que, d'un commun accord, on les a regardées comme la représentation exacte du corps humain le plus par- fait. Ces statues, qui n'étoient que des copies de l'homme, sont devenues des originaux, parce que ces copies n'étoient pas faites d'après un seul indi- vidu, mais d'après l'espèce humaine entière bien ob- servée, et si bien vue, qu'on n'a pu trouver aucun homme dont le corps fut aussi bien proportionné que ces statues. C'est donc sur ces modèles que l'on a pris les mesures du corps humain : nous les rapporterons ici comme les dessinateurs les ont données. On divise ordinairement la hauteur au corps en dix parties éga- les, que l'on appelle faces en termes d'art, parce que la face de l'homme a été le premier modèle de ces mesures. On distingue aussi trois parties égales dans chaque face, c'est-à-dire dans chaque dixièjne partie DE l'âge viril. 44 ï de la hauteur du corps; cette seconde division vient de celle que Ton a faite de la face humaine en trois parties égales. La première commence au dessus du front à la naissance des cheveux, et finit à la racine du nez ; le nez fait ki seconde partie de la face ; et Ja troisième , en commençant au dessous du nez , va jusqu'au dessous du menton. Dans les mesures du reste du corps, on désigne quelquefois la troisième partie dune face, ou une trentième partie de toute la hauteur, par le mot de neZj ou de longueur de nez. La première face dont nous venons de parler, qui est toute la face de l'homme, ne commence qu'à la naissance des cheveux, qui est au dessus du front; depuis ce point jusqu'au sommet de la tête , il y a encore un tiers de face de hauteur, ou ce qui est la môme chose, une hauteur égale à celle du nez : ainsi, depuis le sommet de la tête jusqu'au bas du men- ton, c'est-à-dire dans la hauteur de la tête, il y a une face et un tiers de face; entre le bas du menton et la fossette des clavicules, qui est au dessus de la poi- trine, il y a deux tiers de face : ainsi la hauteur de- puis le dessus de la poitrine jusqu'au sommet de la tête fait deux fois la longueur de la face , ce qui est la cinquième partie de toute la hauteur du corps; depuis la fossette des clavicules jusqu'au br^s des ma- melles, on compte une face ; au dessous des mamelles commence la quatrième face, qui finit au nombril; et la cinquième va à l'endroit où se fait la bifur- cation du tronc, ce qui fait en tout la moitié de la hauteur du corps. On compte deux faces dans la lon- gueur de la cuisse jusqu'au genou; le genou fait une demi-face, qui est la moitié de la huitième : il y a /|42 DE L HOMiME. deux faces dans la longueur de la jambe, depuis le bas du genou jusqu'au coude-pied , ce qui fait en tout neuf faces et demie; et depuis le coude-pied jusqu'à la plante du pied il y a une demi-face, qui complète les dix faces dans lesquelles on a divisé toute la hau- teur du corps. Cette division a éîé faile pour le com- mun des hommes : mais pour ceux qui sont d'une taille haute et fort au dessus du commun, il se trouve environ une demi-face de plus dans la partie du corps qui est entre les mamelles et la lifurcation du tronc : c'est donc cette hauteur de surplus dans cet endroit du corps qui fait la belle taille; alors la naissance de la bifurcation du tronc ne se rencontre pas précisé- ment au milieu de la hauteur du corps, mais un peu au dessous. Lorsqu'on étend les bras de façon qu'ils soient tous deux sur une même ligne droite et hori- zontale, la distance qui se trouve entre les extrémi- tés des grands doigts des mains est égale à la hauteur du corps. Depuis la fossette qui est entre les clavicu- les jusqu'à l'emboîture de l'os de l'épaule avec celui du bras il y a une face : lorsque le bras est appliqué contre le corps et plié en avant, on y compte quatre faces, savoir, deux entre l'emboîture de l'épaule et l'extrémité du coude, et deux autres depuis le coude jusqu'à la première naissance du petit doigt, ce qui fait cinq faces, et cinq pour le côté de l'autre bras; c'est en tout dix faces, c'est-à-dire une longueur égale à toute la hauteur du corps. li reste cependant à l'extrémité de chaque main la longueur des doigts, qui est d'environ une demi-face : mais il faut faire at- tention que cette demi-face se perd dans les emboî- tures du coude et de l'épaule , lorsque les bras sont DE l'âge viril. 44^ tUendus. La main a une face de longueur; le pouce a un tiers de face ou une longueur de nez , de même que le plus long doigt du pied; la longueur du des- sous du pied est égale à une sixième partie de la hau- teur du corps en entier. Si l'on vouloit vérifier ces mesures de longueur sur un seul homme, on les trou- veroit fautives à plusieurs égards, par les raisons que nous en avons données. Il seroit encore bien plus dif- ficile de déterminer les mesures de la grosseur des différentes parties du corps ; l'embonpoint ou la mai- greur changent si fort ces dimensions, et le mouve- ment des muscles les fait varier dans un si grand nombre de positions, qu'il est presque impossible de donner là dessus des résultats sur lesquels on puisse compter. Dans l'enfance, les parties supérieures du corps sont plus grandes que les parties inférieures : les cuis- ses et les jambes ne font pas, à beaucoup près, la moitié de la hauteur du corps : à mesure que l'enfant avance en âge , ces parties inférieures prennent plus d'accroissement que les parties supérieures; et lors- que l'accroissement de tout le corps est entièrement achevé, les cuisses et les jambes font à peu près la moitié de la hauteur du corps. Dans les femmes la partie antérieure tie la poitrine est plus élevée que dans les hommes, en sorte qu'or- dinairement la capacité de la poitrine formée par les côtes a plus d'épaisseur dans les femmes et plus de largeur dans les hommes, proportionnellement au reste du corps : les hanches des femmes sont aussi beaucoup plus grosses, parce que les os des hanches, et ceux qui y sont joints et qui composent ensemble 444 I>1^ I^ UOM-\JE. cette capacité qu'on appelle îe bassin j, sont plus larges qu'ils ne le sont dans les hommes- Cette différence dans la conformation de la poitrine et du bassin est assez sensible pour être reconnue fort aisément, et elle suiïit pour faire distinguer îe squelette dune femme de celui d'un homme. La hauteur totale du corps huvnain varie assez con- sidérablement : la grande taille pour les hommes est depuis cinq pieds quatre ou cinq pouces jusqu'à cinq pieds huit ou neuf pouces; la taille médiocre est de- puis cinq pieds ou cinq pieds un pouce jusqu'à cinq pieds quaSre pouces; et la petite taille est au dessous de cinq pieds. Les femmes ont en général trois ou quatre pouces de moins que les hommes. Nous par- lerons ailleurs des géants et des nains. Quoique le corps de l'homme soit à l'extérieur plus délicat que celui d'aucun des animaux, il est cepen- dant très nerveux, et peut-être plus fort, par rapport à son volume, que celui des animaux les plus forts : car, si nous voulons comparer la force du lion à celle de l'homme, nous devons considérer que cet animal étant armé de griffes et de dents, l'emploi qu'il fait de ses forces nous en donne une fausse idée; nous attribuons à sa force ce qui n'appartient qu'à ses ar- mes ; celles que l'homme a reçues de la nature ne sont point offensives; heureux si l'art ne lui en eût pas mis à la main de plus terribles que les ongles du lion! Mais il y a une meilleure manière de comparer la force de l'homme avec celle des animaux, c'est par le poids qu'il peut porter. On assure que les porte- faix ou crocheteurs de Constantinople portent des DE LAGE VIRIL. 44^ fardeaux de neuf cents livres pesant. Je ine souviens d'avoir lu une expérience de M. DesaguiJliers au sujet de la force de l'homme : il fit faire une espèce de barnois par le moyen duquel il distrihuoit sur toutes les parties du corps d'un homme debout un certain nombre de poids , en sorte que chaque partie du corps supportoit tout ce qu'elle pouvoit supporter re- lativement aux autres, et qu'il n'y avoit aucune par- tie qui ne fut chargée comme elle devoit l'être; on portoit, au moyen de cette machine, sans êlre fort surchargé , un poids de deux milliers. Si on compare cette charge avec celle que , volume pour volume, un cheval doit porter, on trouvera que, comme le corps de cet animal a au moins six ou sept fois plus de vo- lume que celui d'un homme , on pourroit donc char- ger un cheval de douze à quatorze milliers; ce qui est un poids énorme en comparaison des fardeaux cjue nous faisons porter à cet animal , même en distri- buant le poids du fardeau aussi avantageusement qu'il nous est possible. On peut encore juger de la force par la continuité de l'exercice et par la légèreté des mouvements. Les hommes qui sont exercés à la course devancent des chevaux, ou du moins soutiennent ce mouvement bien plus long-temps; et même, dans un exercice plus modéré, un homme accoutumé à marcher fera cha- que jour plus de chemin qu'un cheval, et s'il ne fait que le même chemin, lorsqu'il aura marché autant de jours qu'il sera nécessaire pour que le cheval soit rendu, l'homme sera encore en état de continuer sa route sans en être incommodé .Les cliaters d'Ispahan, qui sont des coureurs de profession, font trente-six 440 r>E L HOMME. lieues en quatorze ou quinze heures. Les voyageurs assurent que les lîottentots devancent les lions à la course; que les sauvages qui vont à la chasse de l'o- rignal pousuivent ces animaux, qui sont aussi légers que des cerfs, avec tant de vitesse qu'ils les lassent et les attrapent. On raconte mille autres choses pro- digieuses de la légèreté des sauvages à la course, et des longs voyages qu'il entreprennent et qu'ils achè- vent à pied dans les montagnes les plus escarpées, dans les pays les plus difficiles, où il n'y a aucun che- min battu, aucun sentier tracé; ces hommes font, dit-on, des voyages de mille et douze cents lieues en moins de six semaines ou deux mois. Y a-t-il aucun animal, à l'exception des oiseaux, qui ont en eflet les muscles plus forts à proportion que tous les autres animaux; y a-t-il, dis-je, aucun animal qui pût sou- tenir cette longue fatiijue? L'homme civilisé ne con- noît pas ses forces; il ne sait pas combien il en perd par la mollesse, et combien il pourroit en acquérir par l'habitude d'un fort exercice. lise trouve cependant quelquefois parmi nous des hommes d'une force extraordinaire : mais ce don de la nature, qui leur seroit précieux s'ils étoient dans le cas de l'employer pour leur défense ou pour des travaux utiles , est un très petit avantage dans une so- ciété policée , où l'esprit fait plus que le corps, et où le travail de la main ne peut être que celui des hom- mes du dernier ordre. Les femmes ne sont pas, à beaucoup près, aussi fortes que les hommes; et le plus grand usage ou le plus grand abus que l'homme ait fait de sa force, c'est d'avoir asservi et traité souvent d'une manière tyran- DE l'âge viril. 44; nique celle moitié du genre humain , liûle pour par- tager avec lui les plaisirs et les peines de la vie. Les sauva";es oblii^enl leurs femmes à travailler continuel- lement : ce sont elles qui cultivent la terre, qui font l'ouvrage pénible, tandis que le mari reste noncha- lamment couché dans son hamac , dont il ne sort que pour aller à la chasse ou à la pêche, ou pour se tenir debout dans la même attitude pendant des heures en- tières; car les sauvages ne savent ce que c'est que de se promener, et rien ne les étonne plus dans nos manières que de nous voir aller en droite ligne et re- venir ensuite sur nos pas plusieurs fois de suite ; ils n'imaginent pas qu'on puisse prendre cette peine sans aucune nécessité, et se donner ainsi du mouvement qui n'aboutit à rien. Tous les hommes tendent à la paresse; mais les sauvages des pays chauds sont les plus paresseux de tous les hommes, et les plus tyran- niques à l'égard de leurs femmes par les services qu'ils en exigent avec une dureté vraiment sauvage. Chez les peuples policés les hommes, comme les plus forts , ont dicté des lois où les femmes sont toujours plus lésées à proportion de la grossièreté des mœurs; et ce n'est que parmi les nations civilisées jusqu'à la politesse que les femmes ont obtenu cette égalité de condition, qui cependant est si naturelle et si né- cessaire à la douceur de la société : aussi cette po- litesse dans les mœurs est-elle leur ouvrage ; elles ont opposé à la force des armes victorieuses, lorsque par leur modestie elles nous ont appris à reconnoître l'em- pire de la beauté 5 avantage naturel plus grand que celui de la force, mais qui suppose l'art de le faire valoir : car les idées que les différents peuples ont 448 DE l'homme. (le la beauté sont, si singulières et si opposées qu'il y a tout lieu de croire que les femmes ont plus gagné par l'art Goliath^ de Getk_, altitudinls sex cubltorum et palml. ( I. Reg. y ch. 17, V. 4- ) En donnant à la coudée dix- huit pouces de hauteur, le géant Goliath avoit neuf pieds quatre pouces de grandeur. , « Solus quippe Og rex Basan restiterat de stirpe » gigantum : monstratur lectus ejus ferreus qui es » in Rabbath novem cubitos habens longitudinis » et quatuor latitudinis ad mensaram cubiti virilis ma- » nus. » [Deuteron.j, cap. III, v. 11. ) M. Le Cat, dans un mémoire lu à l'Académie de Rouen, fait mention des géants cités dans l'Écriture- Sainte et par les auteurs profanes. Il dit avoir vu lui- même plusieurs géantç de sept pieds, et quelques uns de huit; entre autres le géant qui se faisoit voir à Rouen en 1705, qui avoit huit pieds quelques pou- ces. Il cite la fille géante vue par Goropius^ qui avoit dix pieds de hauteur; le corps d'Oreste, qui, selon les Grecs, avoit onze pieds et demi. ( Pline dit sept coudées, c'est-à-dire dix pieds et demi. ) Le géant Gabara presque contemporain de Pline, qui avoit plus de dix pieds, aussi bien que le squelette de Secondilla et de PiisiOj conservés dans les jardins de Salluste. M. Le Cat cite aussi ÏÈcossois Fu?î?îa7n _, qui avoit onze pieds et demi. Il fait ensuite mention des tombeaux où l'on a trouvé des os de géants de quinze, dix-huit, vingt, trente, et trente-deux pieds de hauteur : mais il paroît certain que ces grands os- sements ne sont pas des os humains, et qu'ils appar- tiennent à de grands animaux, tels que l'éléphant, la girafe, le cheval; car il y a eu des temps où l'on en- terroit les guerriers avec leur cheval, peut-être avec leur éléphant de guerre. laFi'OA. XI. ' 29 454 i>i' l'homme. NAINS. III. Exemples au sujet des nains. Le nommé Bébé du roi de Pologne { Stanislas ) avoit trente-trois pouces de Paris, la taille droite et bien proportionnée, jusqu'à l'âge de quinze ou seize ans qu'elle commença à devenir contrefaite ; il marquoit peu de raison. Il mourut l'an 1764, à l'âge de vingt- trois ans. Un autre, qu'on a vu à Paris en 1760 ; c'étoit un gentilhomme polonois, qui, à l'âge de vingt-deux ans, n'avoit que la hauteur de vingt-huit pouces de Paris ^ mais le corps bien fait et l'esprit vif; et il possédoit même plusieurs langues. Il avoit un frère aîné qui n'a- voit que trente-quatre pouces de hauteur. Un autre à Bristol, qui, en lySi , à 1 âge de quinze ans, n'avoit que trente-un pouces anglois : il étoit accablé de tous les accidents de la vieillesse; et de dix- neuf livres qu'il avoit pesé dans sa septième année, il n'en pesoit plus que treize. Un paysan de Frise, qui, en 1761 , se fit voir pour de l'argent à Amsterdam : il n'avoit, à l'âge de vingt- six ans, que la hauteur de vingt-neuf pouces d'Ams- terdam. Un nain de Norfolk, qui se fit voir dans la même année à Londres, avoit, à l'âge de vingt-deux ans, Irente-huit pouces anglois, et pesoit vingt-sept livres et demie. [Transactions philosophiques ^ n" 49^- ) DE l'âge viril. 4^^ On a des exemples de nains qui n'avoient que deux pieds, vingt-un, et dix-huit pouces, et même d'un qui, à l'âge de trente-sept ans, n'avoit que seize pouces. Dans les Transactions philosophiques j n° l^G'j , art. lo, il est parlé d'un nain âgé de vingt-deux ans, qui ne pesoit que trente-quatre livres étant tout habillé, et qui n'avoit que trente-huit pouces de hauteur avec ses souliers et sa perruque. «Marcum Maximum et MarcumTullium, équités ro- » manos , binum cubitorum fuisse auctor est M. Varro , » etipsividimusinloculisasservatos. » (Plin., lib. VII, cap. lô. j Dans tout ordre de productions la nature nous of- fre les mêmes rapports en plus et en moins; les nains doivent avoir avec l'homme ordinaire les mêmes pro- portions en diminution que les géants en augmenta- tion. Un homme de quatre pieds et demi de hauteur ne doit peser que quatre-vingt-dix ou quatre-vingt- quinze livres; un homme de quatre pieds, soixante- cinq, ou tout au plus soixante-dix livres; un nain de trois pieds et demi, quarante-cinq livres; un de trois pieds, vingt-huit ou trente livres, si leur corps et leurs membres sont bien proportionnés, ce qui est tout aussi rare en petit qu'en grand; car il arrive presque toujours que les géants sont trop minces, et les nains trop épais; ils ont surtout la tête beaucoup trop grosse, les cuisses et les jambes trop courtes, au lieu que les géants ont communément la tête petite, les cuisses et les jambes trop longues. Le géant dissé- qué en Prusse avoit une vertèbre de plus que les au- tre s hommes, et il y a quelque apparence que, dans 456 I>E L HOMME. les géants bien faits, le nombre des vertèbres est plus grand que dans les autres hommes. Il seroit à désirer qu'on fît la même recherche sur les nains, qui peut- être ont quelques vertèbres de moins. En prenant cinq pieds pour la mesure commune de la taille des hommes, sept pieds pour celle des géants, et trois pieds pour celle des nains, on trou- vera encore des géants plus grands et des nains plus petits. J'ai vu moi-même des géants de sept pieds et demi et de sept pieds huit pouces; j'ai vu des nains quin'avoient que vingt-huit et trente pouces de haut : il paroi t donc qu'on doit fixer les limites de la nature actuelle, pour la giandeur du corps humain, depuis deux pieds et demi jusqu'à huit pieds de hauteur; et quoique cetintervalle soitbien considérable, et que la difîérence paroisse énorme, elle est cependant encore plus grande dans quelques espèces d'animaux, tels que les chiens; un enfant qui vient de naître est plus grand relativement à un géant qu'un bichon de Malte adulte ne l'est en comparaison du chien d'illbanie ou d'Irlande. IV. Nourriture de l'homme dans les différents climats. En Europe , et dans la plupart des climats tempérés de l'un et de l'autre continent, le pain, la viande, le lait, les œufs , les légumes , et les fruits, sont les ali- ments ordinaires de l'homme; et le vin , le cidre , et la bière sa boisson ; car l'eau pure ne suffnoit pas aux hommes de travail pour maintenir leurs forces. DE LAGE VIRIL. 4^7 Dans les climats plus chauds le sagou , qui est la moelle d'un arbre, sert de pain, et les fruits des pal- miers suppléent au défaut de tous les autres fruits ; on mange aussi beaucoup de dattes en Egypte, en Mauritanie , en Perse , et le sagou est d'un usage commun dans les Indes méridionales, à Sumatra, Malaca , etc. Les figues sont l'aliment le plus com- mun en Grèce , en Morée et dans les îles de l'Archi- pel , comme les châtaignes dans quelques provinces de France et d'Italie. Dans la plus grande partie de l'Asie , en Perse , en Arabie, en Egypte, et de là jusqu'à la Chine, le riz fait la principale nourriture. Dans les parties les plus chaudes de l'Afrique, le grand et le petit millet sont la nourriture des Nègres. Le maïs, dans les contrées tempérées de l'Amé- rique ; Dans les îles de la mer du Sud , le fruit d'un arbre appelé V arbre de pain; A Californie, le fruit appelé pitaliaïa; La cassave dans toute l'Amérique méridionale , ainsi que tes pommes de terre, les ignames, et les patates ; Dans les pays du INord, la bistorte . surtout chez les Samoïèdes et les Jakutes ; La saranne , au Kamtschatka. En Islande et dans les pays encore plus voisins du Nord, on fait bouillir des mousses et du varech. Les Nègres mangent volontiers de l'éléphant et des chiens. Les Tartares de l'Asie et les Patagons de l'Améri- que vivent également de la chair de leurs chevaux. 458 DE l'homme. Tous les peuples voisins des mers du Nord man- gent la chair des phoques , des morses , et des ours. Les Africains mangent aussi la chair des panthères et des lions. Dans tous les pays chauds de Tun et de l'autre con- tinent on mange de presque toutes les espèces de singes. Tous les habitants des côtes de la mer, soit dans les pays chauds, soit dans les climats froids, man- gent plus de poisson que de chair ; les habitants des îles Orcades, les Islandois, les Lapons, les Groenlan- dois ne vivent , pour ainsi dire, que de poisson. Le lait sert de boisson à quantité de peuples ; les femmes tartares ne boivent que du lait de jument ; le petit lait, tiré du lait de vache , est la boisson ordi- naire en Islande. Il seroit à désirer qu'on rassemblât un plus grand nombre d'observations exactes sur la différence des nourritures de l'homme dans les climats divers, et qu'on put faire la comparaison du régime ordinaire des différents peuples : il en résulteroit de nouvelles lumières sur la cause des maladies particulières, et, pour ainsi dire , indigènes dans chaque climat. FIN DU ONZIEME VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS LE ONZIÈME VOLUME. SUITE DE L'HISTOIRE DES ANIMAUX. Chapitre VL Expériences au sujet de la génération Page 7 Chap. VJL Comparaison de mes observations avec celles de M. Leeuwenhoeck 69 Chap. VIIL Réflexions sur les expériences précédentes 9^ Chap. IX. Variétés dans la génération des animaux i55 Chap. X. De la formation du fœtus 2o5 Chap. XI. Du développement et de l'accroissement du fœtus, de l'accouchement , etc. 2l\G Chap. XII. Récapitulation sur la génération Soa HISTOIRE DE L'HOMME. De la nature de l'homme 309 De l'enfance SaS De la puberté 363 De l'âge viril ^\2^ FIN DE LA TABLE. /ria ^"^ ~^^ fy^ o '^ ^ r^'r^r\ K\r:i;MAMr Ï^ÎIm ^^^