AP LCL ER CCE IR PO CORAN NS, Fe et } + . Î "AR d vi K E e 4 ; . * RER w:= di ÿ » L F sn ” ï , L 22 ' LS] ù k 1 À LS Fa & + Mrs Ua ni % 4 + bu « “ LA mn , à We 24 | { ï E ë < | je 4 ÿ LOT il | . 114 \E : 7 à . (3; F Er v & : | gt EE LE = toire ka ; 3 ” ’ + + & À “+ Fe M. * r Ë dé res M2, TE J " “:: ‘ * K VE TE Ad LE DES $ = £ L Fus sis 35 | HAS AE È *) 4 n mr, ‘2 F à , st Me. 7 : v pe + £ e 4 us (a F è pire re » A dE : ARS ARE Si 7 1% | 3 L 2 he! La propriété littéraire des divers ouvrages de FRANÇOIS ARAGO étant soumise à des délais légaux différents, selon qu’ils sont ou non des œuvres posthumes, l'éditeur a publié chaqne onvrage séparément. Ce titre collectif n’est donné i ici que pour indiquer aû relieur le meilleur classement à adopter, : Par la même raison, la réserve du droit de traduction est faite au titre. et au verso du faux titre de chaque ouvrage séparé. PARIS, — IMPAIMERIE DE J. €LAYR, RUE SAINT -BENCIT, ; 6553 ŒUVRES COMPLÈTES DE FRANCOIS ARAGO SECRETAIRE PERPETUEL DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES PUBLIÉES D'APRÈS SON ORDRE SOUS LA DIRECTION DE M. J.-A. BARRAL Ancien Élève de l’École Polytechnique , ancien Képétiteur dans cet Établissement. TOME DOUZIEME PARIS | LETPZIG GIDE, ÉDITEUR | T. 0. WEIGEL, ÉDITEUR | 5 rue Bonaparte Küônigs-Sirasse Le droit de traduction est réservé au titre de chaque ouvragéséparé. 1859 a RSS LA à 2. EÉCRETAFRE de de me 2 ml mc opt à 08m 0 Ÿ sl ana! egrg vos an! aded EÉguoi sont . ; Re | F4 enpade sb oeestten alét $ esmeal ne naionbent supiest M or 2eg ; ginqiel & tmspchaust Rarned es duc hronter hope AT BE, AN NG ES ee ts À =" "LEP AG Les deux fils de FraÇors ARAGo, seuls héritiers de ses droits, ainsi que l'éditeur- propriétaire de ses œuvres, se réservent le droit de faire traduire . les MÉLANGES dans toutes les langues. Ils poursuivront, en vertu des lois, des décrets et des traités internationaux, toute contrefaçon ou toute tra- duction, même partielle, faite au mépris de leurs droits. Le dépôt légal de ce tas a été fait à Paris, au Ministère de l'Intérieur, en juillet 1859, et simultanément à la Direction royale du Cercle de Leipzig. L'éditeur a rempli dans les autres pays toutes les formalités prescrites par les lois nationales de chaque État , ou par les traités internationaux. L’unique traduction en langue allemande, autorisée, a été publiée simul- tanément à Leipzig, par Orto WiGanD, Lisa et le dépôt légal eu a été fait partout où les lois l’exigent. PARIS. — IMPRIMERIE DE J. CLAYE, RUE SAINT - BENOIT, 7 ŒUVRES DE FRANÇOIS ARAGO SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’'ACADÉMIE DES SCIENCES PUBLIÉES D'APRÈS SON ORDRE SOUS LA DIREGTION DE M. J.-A. BARRAL MÉLANGES d.— PARIS LEIPZIG GIDE, ÉDITEUR | T. 0. WEIGEL, ÉDITEUR 5 rue Bonaparte i Kônigs-Strasse Le droit de traduction est réservé. 1859 dr ; ; EN DA # ai DOTE Ne : situ ave4a ' _ AÏfA | hi Jar te. PTITR Te tr LL ie + HA ESAÈ TE Se 4 doémihent 1" shth LT ! : — | MÉLANGES LETTRE #. A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT# . É 4 Mon cher et illustre ami, ». à Je suis heureux et fier des inquiétudes que tu as res- senties à l’occasion des attaques dirigées depuis quelque. temps contre le secrétaire de l’Académie des sciences, Quoique les journaux d’une certaine couleur reviennent sans cesse à la charge, je dois t’en avertir, examinées _ - au fond, ces attaques n’ont pas la moindre gravité. Sur ce point, l'amitié a mis en défaut ta pénétration habi- tuelle. Ici, chacun a, du premier coup d’œil, percé le voile transparent derrière lequel se cache la main qui dirige cette misérable intrigue; chacun a reconnu que les assaillants n’ont pas le moindre souci des intérêts sacrés de la science; que le trait décoché en apparence contre l’académicien est destiné au député de l'opposition. C’eût été de ma part une grande duperie d'accepter cette - 4 Cette lettre a été publiée en 1840. XI 1 9 LETTRE guerre de ricochets. Mes antagonistes, au surplus, ont trop compté sur les célèbres paroles de Basile. Plein de confiance dans le bon sens, dans la droiture du public, je dirai, moi, en les retournant : Calomniez, calomniez toujours, il n’en restera rien. Je te le demande, ne commettrais-je pas une énorme faute si, en matière de science, Je me reconnaissais jus- ticiable du premier venu; si je m’abaissais à examiner des sentences non motivées? Le droit de discussion appartient à tout le monde. Au contraire, la prétention de prononcer magistralement sur la valeur, sur l’impor- tance, sur l'originalité de travaux scientifiques, serait à peine tolérable chez les hommes privilégiés et toujours très-peu nombreux qui, comme toi, honorent leur siècle et leur pays. Aussi, lorsque le bruit public m'apprit qu'un article inqualifiable venait de paraître dans le journal la Presse, j'attendis que les démarches de mes amis m'en fissent connaître l’auteur. Ces démarches n'ayant amené aucun résultat certain, j’abandonnaï la diatribe à l’appréciation des honnêtes gens, et je m’abs- tins de la lire. J’en dirai tout autant de la lettre insérée dans la Revue des deux Mondes. Malgré mes instantes prières, l’auteur qui l’a écrite a refusé obstinément de livrer son nom à la publicité. En vérité, quel cas pou- vais-je faire d’une œuvre qu’on n’osait pas avouer? Et le Journal des Débats? vat-on dire. Dans ce journal la critique marche tête levée et à découvert. La difficulté est peu embarrassante : je tiens les articles des Débats pour complétement anonymes, quoiqu'ils portent, dit-on, la signature de M. Donné. A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. 3 Garde-toi donc de te préoccuper des prétendues co- lères que le journaliste microscopique s’imagine exciter en moi, quand il critique le plan, les détails de mes éloges. académiques, ou les communications que je fais dans nos séances hebdomadaires. M. Donné ne s’est pas moins trompé, si, comme on me l’assure, il a, de temps à autre, annoncé que par ses remontrances il était par- venu à modifier jusqu’au timbre de ma voix; s’il prétend avoir attiédi l’antipathie que la médiocrité vaniteuse et le: charlatanisme m'inspirent. Il y a une très-bonne raison pour que de telles choses ne soient point arrivées : depuis plus de deux ans je n’ai pas seulement aperçu de loin un article de journal signé Donné , les nombreuses occupations qui m'accablent m'imposant le devoir de borner mes lectures aux écrits où j’ai quelque chance de trouver soit le mérite du fond, soit le mérite de la forme. J'avoue que je viens d’enfreindre cette règle, à l'occasion d’une lettre de M. Gustave de Pontécoulant. Mais, en descendant dans l'arène, ou du moins en abaissant sa visière, cet écrivain se présentait avec deux palmes aca- démiques; mais les titres de Membre de la Société royale de Londres, de Membre de l'Académie de Berlin, lui donnaient une sorte de position officielle qui devait éblouir des lecteurs inattentifs; mais des personnes de bonne foi pouvaient, se laisser prendre au ton d’autorité que M. de Pontécoulant s’arroge. Je vais donc répondre à l’appel qu’il a eu l’imprudence de me faire; je vais, pièces en main, tracer sa biographie scientifique; chacun jugera ensuite si mon silence serait, comme il l’insinue, de l'impuissance ou bien de la longanimité,. & LETTRE Comme je ne veux, à aucun prix, encourir le reproche d'avoir été l’agresseur dans une discussion qui, scientifi- quement parlant, placera M. de Pontécoulant sous un jour très-peu favorable, tu me permettras d'indiquer ici, avec quelques détails, l’origine ostensible du débat. En publiant son ouvrage intitulé Précis d’Astronomie, M. de Pontécoulant a fait une comparaison des observa- toires de Paris et de Greenwich, dont je devais être blessé, surtout dans l'intérêt des jeunes astronomes que le Bureau des longitudes a mis sous ma direction. Il a insinué aussi, en termes fort clairs, qu’il pourrait bien y avoir de grosses erreurs dans la mesure de l’arc du méri- dien compris entre Barcelone et: Formentera. J'ai fait, sur ces deux points, la réclamation la plus modérée, dans les Comptes rendus des séances de l’Académiet. Voilà 4. [Cette réclamation est mentionnée, dans les termes suivants, au compte-rendu de la séance de l’Académie du lundi 30 mars 18/40. (4, X des Comptes rendus, page 536) | : 8 M. Arago a réfuté verbalement deux passages du Précis d’Astro- nomie que M. de Pontécoulant adressa à l’Académie lundi dernier. Dans le premier de ces passages, l’auteur avance que : « M. Puis- sant a signalé dans la mesure de l’arc compris entre Mont-Jouy et Formentera une erreur qui ne s’élèverait pas à moins de 68 toises.» M. Arago n’a pas eu de peine à prouver qu’il n’est jamais entré dans la pensée de M. Puissant de signaler une prétendue erreur - dans la mesure de l’arc du méridien compris entre Mont-Jouy et Formentera. L’exactitude de la partie géodésique de l’opération frappe, en effet, tous les yeux à la simple inspection des triangles : il suffit de voir la manière dont ils se ferment. La latitude de For- mentera, déterminée en 1808, a été vérifiée pendant un voyage - postérieur de M. Biot. 11 n‘y a dans tout cela rien d’incertain, rien d’équivoque. M. Puissant, dont l’autorité est si imposante en pu- reille matière, croit qu'il s’est glissé une erreur dans le caleul de la longueur de l'arc géodésique que trois commissaires du Bureau des longitudes déduisirent des triangles empruntés à MM. Méchain, A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. ré 5 cependant la cause, disons mieux, voilà le prétexte de l'incroyable lettre que tu auras lue dans le Journal des Débats. Qu'’a-t-on dit à Berlin de ce prétendu règlement, sorti du cerveau de M. de Pontécoulant, qui interdirait aux membres de l’Académie toute observation relative à un ouvrage imprimé en français? Ne vois-tu pas ces pauvres Biot et Arago. C'est en partant des mêmes données que M. Puissant trouve une longueur différente. La discordance est actuellement soumise à une nouvelle vérification. Quel qu’en soit, au reste, le résultat, il ne saurait infirmer les mesures, les opérations faites sur le terrain : le seul moyen de contrôler ces mesures, ces opérations, serait d’aller les recommencer. (M. Puissant prononce, de sa place, quelques paroles desquelles il résulte que M. Arago a très-exactement interprété sa pensée.) Le second passage dont M. Arago a cru devoir se plaindre est conçu ainsi : « Sans doute le nombre et la beauté des instruments {de l'Observatoire de Greenwich) est ce qui m’a frappé d’abord; mais ce qui m’ä-étonné et charmé davantage, car nulle part je n'avais rien vu de pareil, c’est la régularité avec laquelle se font les observations. » .« Voilà, a dit M. Arago, une accusation en forme contre l’Obser- vatoire de Paris, car M. de Pontécoulant a été admis à le visiter tant qu’il l’a voulu. Le directeur pourrait, à toute rigueur, dédai- gner cette attaque; mais je manquerais à mon devoir en ne saisis- sant pas l’occasion qui m’est offerte de rendre pleine justice au zèle, à la persévérance des astronomes adjoints placés sous mes ordres. « Peu de mots suffiront. Voilà les feuilles imprimées des obser- vations de Paris pour 1837. Je mets en regard les observations cor- respondantes de Greenwich, et je trouve : « Que les six astronomes-adjoints de Greenwich pourvus d’une lunette méridienne et de deux cercles muraux, ont fait 7680 obser- vations ; « Et qu’à Paris, trois astronomes-adjoints, aidés momentanément de M. Plantamour, de Genève, et n’ayant encore à leur disposition qu’une lunette méridienne et un cercle, ont fait, dans le même espace de temps, 11700 observations. « Après avoir cité ces chiffres, je n’ai plus rien à ajouter. » 6 LETTRE académiciens, critiqués, pillés, caricaturés dans des livres qui, du bureau du président, iraïent tous les lundis s’éta- ler sur les tablettes de la bibliothèque de l’Institut, sans que les malheureuses victimes se fussent réservé le droit de se défendre, de dévoiler la mauvaise foi, de dénoncer le plagiat et de confondre la calomnie ! Comment le correspondant du Journal des Débats a-t-il pu trouver toutes ces belles choses, dans la suppression, que je provoquai du reste moi-même, de concert avec M. Double, des rapports verbaux officiels, des rapports verbaux faits par ordre de l’Académie, et qui absorbaient un temps précieux? Comment, depuis la suppression de ces rapports officiels, n’a-t-il pas vu, cent fois pour une, de longues discussions rouler sur des livres i imprimés ; des Commissions appelées à examiner la critique d’une théo- rie, d'une démonstration, d’une formule contenues soit dans des ouvrages d’académiciens, soit dans des traités dus à des étrangers? Au nombre de ces traités, faut-il donc que je cite le 1° vol, de la Théorie analytique du Système du monde, de M. de Pontécoulant, publié en 1834, où M. Le Verrier a trouvé des erreurs signalées par lui à l'Académie dans un Mémoire sur lequel il vient d'être fait un rapport? à En vérité, je n'aurais jamais cru que l'amour-propre blessé pût, d’un seul et même coup, obscurcir à ce degré le bon sens, la mémoire et la logique. M. de Pontécoulant assure, dans sa lettre au rédacteur du Journal des Débats, «qu ‘il n’a jamais établi aucune espèce de comparaison entre cet Observatoire ( Obser- vatoire de Greenwich) et celui de Paris. » Moi, j'avais lu 1 À M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. dans l'introduction du Précis d'Astronomie, page xxv1: « Ce qui m’a à la fois étonné et charmé davantage (à Greenwich}, car nulle part je n’avais rien vu de pareil, c'est la régularité avec laquelle se font les observations, etc. » ; et à la page suivante, à la page xxvu : «Si, dans le coup d'œil que nous venons de jeter sur les progrès récents des sciences astronomiques, la France paraît un moment descendue du haut rang qu’elle avait occupé aux deux siècles précédents dans l'astronomie pratique, d'un autre côté, etc. » Je m'étais naïvement imaginé que M. de Pontécoulant, qui maintes fois visita l'Observatoire de Paris, faisait une comparaison, quand il déclarait, n'avoir rien vu de pareil à ce que lui offrait l'Observatoire de Greenwich. J'avais aperçu la même intention dans la phrase de la page xxvu. Je consens à reconnaître mon erreur, pourvu qu'on m’accorde que, sous la plume de M. de Ponté- coulant, les mots de la langue française perdent leur acception ordinaire. M. de Pontécoulant accepte actuellement comme exactes les opérations fondamentales (Journal des Débats) que nous fimes jadis en Espagne, M. Biot et moi, pour la mesure d’un are du méridien. Voici ce qu’il disait dans l'introduction du Précis, page xxur : « M. Puissant a signalé, dans la mesure de l’arc compris entre Mont-Jouy et Formentera, une erreur qui ne s’élèverait pas à moins de 68 toises : me serait-il pas à désirer qu’un fait aussi important pour la figure de la Terre et pour l'exactitude des opérations qui ont servi de base à notre système mé- trique fût désormais mis hors de doute? » 8 LETTRE Ce passage a un sens très-clair; celui-là même que je lui avais attribué. Avec ce sens il prouverait, M. de Pontécoulant le dit lui-même, que l’auteur du Précis était complétement étranger aux procédés employés par les astronomes pour la détermination de la figure de la Terre (paroles tirées de la lettre au rédacteur des Débats). M. de Pontécoulant ne veut absolument pas admettre que j’aie pu le supposer coupable d’une pareille . ignorance. Je me suis toujours piqué d’une grande sincérité ; je n'ai donc nul besoin de repousser la conclusion de M. de Pontécoulant. Je dirai seulement que le mot calcul, dont il s’est servi dans une phrase de son Précis entièrement différente du passage que j'avais cité, ne _ saurait atténuer la force de ma plainte. Ne vient-on pas de lire : mesures, eæwactitude d'opérations, et non pas calculs? a | En thèse générale, on ne peut pas, on ne doit point admettre le mode de justification dont M. de Pontécou- lant paraît vouloir faire usage à son profit. Si vous signalez quelque part dans ce qu’il a écrit une erreur bien nette, bien claire, bien explicite, attendez-vous à le voir arriver avec tel ou tel autre passage, antérieur ou postérieur, dans lequel l'erreur sera peut-être moins forte, moins apparente. Il irait bientôt, si on ne l’arrê- tait, jusqu’à argumenter de sa correspondance particu- lière ou de manuscrits qui n’ont jamais vu le jour. N’hé- sitons pas à le dire : par la nature même de leurs travaux, certains compilateurs ne peuvent éviter d’être tour à tour dans le vrai, dans le faux ou dans l’entre-deux. *, + FT RATE A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. 40 Quelquefois, enis avoir choisi un bon guide, ils se __ contentent de copier ; alors leur mérite est, ni plus ni __ moins, celui de l'ouvrage rais à contribution. Lorsque | pour dissimuler, pour masquer de fréquents emprunts, ils se décident à opérer des intercalations nombreuses et de leur propre fonds, les erreurs, les bévues, les non-sens surgissent à chaque pas. Aux interpolations moins étendues, moins significatives, correspondent ces états intermédiaires dans lesquels on voit bien qu'un auteur n’entend à peu près rien à la matière qu'il traite, sans qu’on sé siois le prouver Mr au milieu, il n’a ira s de route nettement tracée. us l’espace de quelques lignes, vingt directions différentes paraissent le tenter : on le dirait atteint d’une sorte de tournis intellectuel. J'arrête là, et mes réflexions générales sur le caractère spécial des écrits de M. de Pontécoulant , et les éclair- _ cissements destinés à montrer que si je vais grêler sur le persil, comme disait un illustre académicien , c’est que, détachées par une bouffée de vent, des feuilles de la plante potagère son venues se jeter dans mes yeux, et m’incommoder tout autant, bien entendu, qu’un tourbil- lon de feuilles de persil puisse le faire. J'arrive maintenant, mon cher Humboldt, à la bio- graphie que je t’ai annoncée. dé M. Doulcet de Pontécoulant entra à l’École polytech- nique en 1814. J'avais alors l'honneur d’y être profes- 10 LETTRE seur. Je puis donc me rappeler que son numéro d'admission était le 123*, et qu’en passant de la seconde à la première division, il ne put pas s'élever au-dessus du 103° rang. Aussi quand un officier dont les débuts avaient été si faibles se fut jeté dans les hauts calculs de la Mécanique céleste, ses camarades en témoignèrent Je plus vif étonnement. J’éprouvais bien, pour ma part, quelque chose qui ressemblait aussi à de la surprise, mais je remarquai que les formules du néophyte étaient une œuvre de pure patience, qu’elles ne ‘supposaient aucun esprit d'invention, et, qu'en tout cas il n’est pas absolument impossible que, chez certaines personnes, l'intelligence se développe très-tard. Francaleu ne dit-il pas : Dans ma tête un beau jour ce talent se trouva, Et j'avais cinquante ans quand cela m’arriva. Les encouragements que plusieurs académies accor- dèrent au zèle et à la persévérance tournèrent la tête du jeune calculateur; il se crut un mathématicien, Dès ce moment on le vit attaquer tour à tour les plus habiles géomètres, les Poisson, les Poinsot, les Plana, etc.; arriver, chose singulière, par des défaites répétées à l'opinion que la première place d’académicien, dans les sections d’analyse ou d’astronomie, ne saurait, sans injustice, lui être refusée. Pendant que M. de Pontécou- lant s’abandonnait ainsi à ses rêves dorés, j'étais l’objet de toutes ses prédilections. M. Duchâtel, ministre du commerce, irrité, spontanément ou par ordre, de l'effet qu'avaient produit mes lettres sur les forts détachés1, 4. Voir t. VI des OŒEuvres, t. I des Notices scient., p. 218 à 257. A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. EL cffaçait-il, en 1834, mon nom de la liste des membres du jury pour les produits de l’industrie, M. de Ponté- coulant s’écriait, avec une indignation que j'étais loin de ressentir au même degré : « Depuis que le monde est . sorti des ténèbres de la barbarie, on ne trouverait peut- être qu’un trait de brutalité comparable à l'exemple que nous venons de rappeler! : c’est celui de M. de Corbière dépouillant, le même jour, M. de la Rochefoucauld- Liancourt des quatorze emplois gratuits que remplissait ce bienfaiteur de l'humanité. » ( Notice sur la Comète de Halley.) Sans s'arrêter à ce qu’il y avait d’étrange à insérer de telles choses dans la préface d’une dissertation astronomique, M. de Pontécoulant racontait à la France, car pour mon compte je m'étais bien gardé d’en faire 4. Au moment où j'allais envoyer ces lignes à l'imprimerie, on m'’apprend que M. de Pontécoulant est un des auteurs de l’article en neuf colonnes que le journal /a Presse, du 10 avril 4840, a publié de nouveau contre moi. Dans cet article, M. Duchâtel est presque déifié pour m'avoir écarté du jury de l'exposition; on y vante sur- tout le courage et l'intelligence dont il fit preuve. Va pour le cou- rage. Quant à l’inte!ligence, le jury lui en expédiait un brevet en bonne forme, lorsqu'il décidait, le 17 juin, que je serais prié de venir à son aide. Voici la lettre que M. Thenard m'écrivait, en m'adressant, comme président, la délibération de ses collègues : « Mon cher ami, « Vous le voyez, nous avons besoin de vos lumières. Nous ne pouvons prononcer sans vous sur le mérite des chronomètres et des lunettes. Ayez donc la bonté, je vous prie, de nous donner les renseignements qui nous sont nécessaires. Le jury s’en rapportera à votre déclaration : c’est vous qui serez juge, vous seul pouvez l'être. « Adieu, mon cher ami, | « Tout à vous, a Signé THENARD. » 12 LETTRE parade, que deux villes anglaises avaient voulu me dédommager de la brutalité ministérielle; qu’à cette même époque les villes d'Edinburgh et de Glasgow « s’honoraient de conférer les droits de citoyen à notre savant astronome, » ({bid.) L'auteur allait jusqu’à rap- porter, ce qui assurément n'intéressait personne, que l’empereur Nicolas avait confirmé ma nomination comme membre de l’université de Moscou. En ce temps-là M. de Pontécoulant n’avait garde de citer la plus humble de mes productions sans la qualifier d’excellente. Par une réminiscence de son ancien métier de vaudevilliste, il essayait même de me consacrer des madrigaux ; témoin ces paroles placées en tête d’une citation et qui désignent le rédacteur des Notices de l'Annuaire comme « celui de nos savants qui sans doute a le moins à se plaindre de l'indifférence des gens du monde pour les connaissances scientifiques. » (Ibid.) Témoin encore cette ligne de la page 35 du Précis : « M. Arago a proposé dernièrement à l’Académie une série d'expériences très- délicates qui, si elles sont faites comme ce savant sait les exécuter, etc. » Comment en un plomb vil l'or pur s’est-il changé ? Comment?... Eh! mon Dieu, la transformation s’est faite brusquement, sans aucune transition, par la seule influence de cinq voyelles et de quatre consonnes : je suis tombé du faîte aux derniers rangs le jour où, ap- pelé à voter dans un scrutin académique, j'ai écrit sur mon bulletin, au milieu d’un carré de papier de quatre Li ALEXANDRE DE HUMBOLDT. _n M. de ntécouti Lu reconnaît pas de vérités abso- lues. Pour lui, les dates, les chiffres changent compléte- ment de valeur, suivant qu’ils concernent ses amis, ses admirateurs, ou ceux qui ont le malheur de n’appartenir ni à l’une ni à l’autre de ces catégories. Le traité élé- mentaire de Physique céleste ou Précis d’Astronomie, qu'il vient de publier, offre cent exemples d’une si étrange disposition d’esprit. Rapproche, mon cher ami, dans ce livre ; dont l’impression a duré très-longtemps, les chapitres antérieurs à la nomination de M. Liouville, dés chapitres écrits postérieurement, et tu trouveras, par exemple, page 374 : « Ce fut en 1819 que, sur la vue ‘des éléments paraboliques d’une comète qu’on observait en ce moment, M. Arago reconnut leur analogie avec . ceux d’une comète qui avait paru en 1805 ; » tandis que dans l'introduction imprimée après que l’Académie eut donné la préférence à M. Liouville sur M. de Pontécou- Jant, on lit, page 1x : « M. Encke reconnut le premier la périodicité du nouvel astre. » Pages 294 et 305, les aplatissements de Jupiter et de Saturne auxquels l’auteur donne la préférence sont ceux dont M. Arago a déterminé la valeur, puisqu'il n’en cite pas d’autres. M. Liouville devient académicien au lieu de M. de Pontécoulant, et cette préférence n’est plus méritée, et dans l’introduc- tion de son livre, à l’occasion des mêmes éléments, M. de Pontécoulant remplace le nom de M. Arago par ceux de MM. Struve et Bessel. Avant le vote académique, c'eût été la plus criante injustice, c’eût été même un 14 LETTRE manque scandaleux de patriotisme que de ne pas citer, au sujet des étoiles doubles, un Mémoire très-élégant de M. Savary ; les méthodes simples que l’auteur y a données pour déterminer les éléments de l'orbite ellip- tique que dans les groupes binaires la petite étoile décrit autour de la grande; la première application numérique qui ait été faite des lois de l'attraction au déplacement relatif de ces étoiles multiples; la première preuve, enfin, dont la science ait été en possession, que l’attrac- tion en raison inverse du carré des distances régit les mouvements célestes au delà de notre système solaire; que l'attraction que nos pères avaient prématurément appelée universelle, mérite complétement cette qualifi- cation. Aussi, le nom de M. Savary se lit-il à la page 87 du Précis d’Astronomie. Je sais bien que l’auteur met, sur ce point, « M. Encke en première ligne », quoique le travail de notre ingénieux compatriote ait précédé le Mémoire du célèbre observateur allemand, et que, dans sa loyauté, celui-ci en ait fait une mention expresse et des plus honorables; mais, enfin, il y avait citation, et avec un astronome tel que M. de Pontécoulant, il ne serait pas juste de se montrer trop difficile. Disons main- tenant que dans l'introduction du Précis la citation a complétement disparu ;. qu'aucun savant français ne pa- raît plus avoir apporté son contingent à la branche nouvelle de l’astronomie qui traite des étoiles doubles. M. Savary est véhémentement soupçonné d’avoir préféré M. Liouville à M. de Pontécoulant; dès ce moment, n’est-il pas naturel que ses travaux aient perdu tout leur mérite ? le méfait du scrutin ne devait-il pas rendre les à M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. 15 formules, ll néthodes de M. Savary inexactes, suran- nées? Au fond, il doit se féliciter qu’on ne l'ait puni que par le silence. . Je veux être juste, même envers ceux qui le sont si peu je reconnais donc, sans hésiter, que M. de Ponté- coulant est de bonne foi quand il se pose comme un habile: géomètre; qu'il se croit bien réellement supérieur à M. Liouville ; qu'aujourd'hui encore, nous qui ne par- tageàmes pas ses illusions, nous sommes à ses yeux des prévaricateurs. Eh bien, qu’il sache donc ce qui nous a détournés de lui accorder notre suffrage; qu’en ce qui me concerne, les révélations consciencieuses du comité secret académique reçoivent une entière publicité. - L'auteur se présentait tenant à la main sa Théorie analytique. du syslème du monde. Le premier livre de cette théorie n’est rien autre chose qu’un traité de sta- tique et de dynamique. En pareille matière, la route avait été tracée par des mains si habiles, si fermes, si illustres, qu’il semblait impossible de s’égarer. Des ouvrages juste- ment célèbres offraient tous les éléments d’une excellente compilation ; mais, l'expérience le prouve, ne compile pas qui veut avec intelligence : alors même que dans sette opération les ciseaux remplissent le principal rôle, À faut bien, çà et là, intercaler des mots, des phrases, ües formules:s'il s'agit d’algèbre, qui fassent disparaître, -ou-du moins qui dissimulent les solutions de continuité produites dans l'œuvre primitive par les mouvements répétés des deux lames de l'instrument acéré. Quoique le public n’ait que ces quelques mots, que ces quelques formules de remplissage, pour juger si le livre qu'on lui 46 LETTRE présente est l’œuvre d’un copiste inhabile ou celle d’un homme instruit, il ne lui arrive guère de rester flottant entre les deux hypothèses. M. de Pontécoulant a subi la loi commune. Ce qui dans la Théorie analytique vient de son propre fonds a un caractère tout spécial : personne certainement ne pourra confondre cette partie avec les pages empruntées, presque textuellement, aux ouvrages classiques dans lesqueis l’auteur a puisé à pleines mains. Donne-t-il, par exemple, les conditions d'équilibre d’un corps solide, p. 27 et suivantes, M. de Pontécoulant ne voit pas, p. 80, ligne 5, que trois forces situées dans trois plans coordonnés rectangulaires peuvent être contenues dans un quatrième plan et de telle manière qu’une de ces forces soit égale et directement opposée à la résultante des deux autres, Combien de candidats à l’École poly- technique ont été rejetés pour des fautes plus légères ! Depuis les ouvrages de M. Poinsot, les couples jouent en mécanique un rôle important. L’examen spécial des cas où les forces se réduisent à des couples ne saurait aujourd’hui être négligé; le seul M. de Pontécoulant s’affranchit de cette obligation. Il a décidé, lui, que des forces situées dans un même plan ont nécessairement une résultante unique (p. 30). | Qu'on en dise ce qu’on voudra, il y a certainement quelque chose d’antique à se poser ainsi, seul, absolument seul, contre l’autorité de tous les géomètres passés, pré- sents, j'allais dire futurs, et, qui plus est, contre un véri- table axiome. De la statique passons à la dynamique; de la page 30 allons à la page 63, et nous verrons l’auteur user de la 2% A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. LL même indépendance, de la même fierté de caractère. Pour trouver la pression qu’un point soumis à des forces accélératrices quelconques exerce sur la courbe le long de laquelle il se meut, l’auteur ajoute la pression prove- nant de ces forces à l'expression de la force centrifuge. S'il avait dit que la pression totale est la résultante des deux, M. de Pontécoulant se fût trouvé d'accord avec tout le monde, mais aussi personne n’eût remarqué sà phrase. En se traçant une route particulière, il a donné, au contraire, à la page 63 une véritable célébrité. La page 88 n’a pas moins de titres à cette célébrité d’un nouveau genre, dont M. de Pontécoulant se montre si avide. Les mécaniciens y verront avec une admiration pro- fonde, que six équations doivent suffire pour déterminer toutes les circonstances du mouvement de cent points, par exemple, liés entre eux d’une manière quelconque, de - cent points ne formant pas un corps solide. Jusqu'à la publication du Traité analytique, on avait cru, d’après les règles vulgaires du sens commun, d’accord en cela avec l’analyse, que la détermination, en fonction du temps, des 300 coordonnées de cent points, exigerait 300 équations. M. de Pontécoulant réduit ce nombre à 6. Quel géomè re au monde opéra jamais une si immense simplification ? Qu'on le remarque bien : les Euler, les d’Alembert, les Lagrange, les Laplace avaient passé par là ; c’est dans leurs ouvrages que M. de Pontécoulant a fauché des nuées d'équations parasites, superflues ; avec six équations, ni plus ni moins, il vous déterminera, lui, les orbites des millions d'étoiles dont le firmament est XIE. 2 18 LETTRE parsemé ! Au reste, cette page 88, comparée à quelques autres où l’auteur semble conduit par des principes diffé- rents, est précisément ce qui m'a donné l’idée du tournis intellectuel, En allant ainsi de plus fort en plus fort, M. de Ponté- coulant est arrivé dans des régions extraordinaires. Quand le calcul différentiel naquit, divers géomètres, d’ailleurs fort habiles, ne se prêtèrent pas sans répu- gnance à introduire dans l'analyse les: changements qu'une quantité éprouve en conséquence des variations infiniment petites des éléments dont elle dépend. Qu'’au- raient-ils dit si l’on avait osé leur annoncer qu’au milieu du xix° siècle un géomètre ferait entrer dans ses for- mules les variations qu’une quantité V doit subir à raison des changements d’un élément x dont V ne dépend ni explicitement ni implicitement? C’est pourtant là le phé- nomène que réservait à leurs descendants la page 186 de la Théorie analytique du système du monde. L'auteur de cet ouvrage laisse bien loin derrière lui ce qu’on appelait jadis les mystères de l’algèbre et de la géométrie. Nous venons de quitter la page 186; franchissons vingt-une nouvelles pages, et nous verrons M, de Ponté- coulant, sans doute pour ne pas laisser en repos l’éton- nement de son lecteur, déduire de la seule équation des forces vives les équations générales du mouvement d’un système ; enfin, comme s’il avait pris en pitié le pauvre critique à qui manquaient les moyens de mettre de pa- reilles découvertes à la portée des personnes étrangères aux mathématiques, l’auteur donne, à la page 287, une théorie dont le monde tout entier pourra être juge. Là, A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. ne M. de Pontécoulant déduit de ses formules la conséquence qu’un corps dont la vitesse initiale, ou bien, car c’est la même chose, dont la vitesse à une époque quelconque de son mouvement, est perpendiculaire à la ligne menée de ce corps au centre d'attraction, décrit ensuite une orbite circulaire ; or les arcs d’ellipse situés aux deux extrémités du grand axe sont perpendiculaires aux lignes qui les joignent au foyer : ainsi, lorsque chaque planète arrive à ces deux points de son orbite, elle se trouve dans les conditions qui, d’après M. de Pontécoulant, doivent l'amener à décrire un cercle. Cela arrive, respectivement, à Mercure, à Vénus, à la Terre, deux fois tous les 88 jours, — deux fois tous les 225 jours, — deux fois tous les 366 jours. Si donc ces trois planètes continuent à cir- culer dans des ellipses autour du Soleil, c’est que vrai- ment elles y ont mis de la mauvaise volonté. Tôt ou tard il faudra bien qu’elles se décident à décrire les cercles que M. de Pontécoulant leur assigne. La même chose arrivera à Jupiter, à Saturne, à Uranus, et alors, grâce à la mécanique pontécoulanienne, le mot excentricité devra être rayé de nos Tables, et toutes les complications qui, depuis l’origine des sciences, résultent de l'influence de cet élément auront disparu ; ce sera enfin l’âge d’or de l'astronomie, et quand nos neveux en jouiront, ils ne manqueront pas de se rappeler, grâce à mes remarques, que cet âge fortuné avait été prédit par M. de Ponté- coulant. Parlons sérieusement, et, pour ne laisser aucune ob- jection sans réponse, examinons si, dans l'intervalle de la publication du premier à la publication du second 20 LETTRE volume de la Théorie analylique du système du monde, les connaissances mathématiques de M. de Pontécoulant grandirent; si l’écolier devint rapidement un maître. J'ouvre le second volume de la Théorie, et je lis à la page 395, qu’une masse fluide homogène douée d’un mouvement de rotation, doit nécessairement prendre la forme d’un ellipsoïde de révolution. M. de Pontécoulant s’imagine avoir démontré que l’équilibre ne saurait exis- ter si les trois axes de l’ellipsoïde étaient inégaux. Eh bien , il a démontré (pourquoi ménager les termes ? ils ne changeraient rien au fait) ; il a démontré une chose absolument fausse. M. Jacobi, le célèbre géomètre de Kœnigsberg, n’a laissé sur ce point aucune place au doute. Pauvre analyse, dirigée par les mains des Euler, des Clairaut, des d’Alembert, des Lagrange, des Laplace, tu explorais jadis, sans jamais t’égarer, les plus secrets re- plis des phénomènes naturels, et te voilà employée à échafauder l'erreur! Cette dégradation, au surplus, n’est qu'apparente : serait-il juste d’imputer au diamant la fausse manœuvre de l’ouvrier inexpérimenté qui, voulant le polir, le brise en mille éclats ? Les sciences, comme les arts, ont besoin de manœuvres laborieux, patients, scrupuleux, qui viennent en aide aux créateurs. Ces qualités appartiennent-elles à M. de Pon- técoulant ? Je le croyais jadis; j'avais pleine confiance dans l’exactitude des calculs, sinon difficites, du moins - très-longs, très-fastidieux, qu’exigea la vérification du résultat de M. Damoiseau sur le retour de la comète de 1759, J'acceptai même sans répugnance les fonctions de à A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. . A rapporteur de la Commission académique qui fit décerner un prix à ce pénible travail. Depuis tantôt un an, je l’avouerai, j'ai plus d’une raison de supposer que nous fûmes trop confiants; qu’en mon particulier, cet invin- cible besoin que j'ai puisé à ton école, d’encourager le zèle, la bonne volonté, m’entraîna au delà des justes bornes ; que nous eussions fait sagement, imitant en cela l’Académie de Berlin, de remettre la question au concours aussitôt après avoir couronné la pièce volumineuse qui faisait passer tant de chiffres sous nos yeux sans vérifi- cations possibles. Ce serait un acte coupable de dire de pareilles choses en les laissant dans le vague. Lis donc, mon cher ami, et prononce ensuite toi-même. M. de Pontécoulant a donné dans le rm° volume de sa Théorie analytique du système du monde, des formules d’après lesquelles on devait, suivant lui, pouvoir déter- miner les éléments des orbites des planètes à toutes les époques. Les mêmes symboles auraïent ainsi renfermé les secrets du passé, du présent et de l’avenir. Il eût suffi d'y changer les valeurs d’une quantité £ représentant le temps. M. Le Verrier, jeune et habile géomètre, attaché comme répétiteur à l'École polytechnique, contesta l'exactitude de ces formules. Sa critique savante convain- quit à peu près tout le monde. M. de Pontécoulant, en ne cédant pas lui-même de bonne grâce, s’attira une de ces réponses écrasantes qui restent à jamais gravées dans la mémoire des académiciens. Vous prétendez, repartit M. Le Verrier, que vos formules sont générales et exactes; eh bien , je laisserai de côté le passé et l’avenir, sur les- quels il y aurait peut-être matière à controverse; je me 22 LETTRE montrerai beaucoup moins difficile : je supposerai fe temps nul dans vos formules, et je verrai ce qu’elles disent de l’époque actuelle. Quel fut le résultat de l'épreuve? Pour les excentri- cités de Vénus, de la Terre, de Mars, de Jupiter, de Saturne, d’Uranus, la formule donna successivement : 1016 au lieu de 69; 775 au lieu de 168 ; 81 au lieu de 93; 56 au lieu de 48; 34 au lieu de 56 ; 57 au lieu de 47 ! Quant aux longitudes des périhélies des mêmes pla- nètes, la formule disait 214° au lieu de 129°; 214° au lieu de 99°; 79 au lieu de 332°; 33° au lieu de 41°; 23° au lieu de 89°, et 175° au lieu de 168°! La révélation de ces énormes, de ces incroyables erreurs dans des formules que l’auteur voulut défendre jusqu’au dernier moment, produisit à l’Académie une sensation profonde. Les juges du concours où M. de Pontécoulant avait figuré se faisaient naturellement cette question : Le calculateur, si inhabile, des inégalités sécu- laires n’a-t-il pas pu, j'allais écrire n’a-t-il pas dû se tromper de la même manière dans la détermination des perturbations de la comète de Halley? D’autres, interro- geant leurs souvenirs avec inquiétude, cherchaient s’il ne leur serait pas arrivé, comme au respectable M. Legendre, d'écrire à la hâte, par simple politesse, avec la légèreté de nos mœurs faciles, une de ces lettres de félicitation qui pèsent ensuite sur la conscience comme un remords. Au reste, dans ce pêle-mêle de regrets, de préoccupations que la foudroyante communication de M. Le Verrier venait de soulever, M. de Pontécoulant eût pu faire en- À M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. 23 tendre une plainte légitime. Si, en s'adressant à tous ceux qui soutenaient que ses formules ne servaient abso- lument à rien, il avait parlé ainsi : Mes formules sont fausses; donc les conséquences qu’on en déduira seront toujours contraires à la vérité ; donc elles auront l'utilité d’un renseignement négatif ; donc elles serviront comme ces donneurs d'adresses qui vous disent, sinon où demeure la personne que vous cherchez, du moins où elle ne de- meure pas ; donc, vous exagérez en réduisant absolument à rien le fruit de mes travaux. Je le demande, qu’aurait-on opposé à cette vigoureuse argumentation ? Je viens d’analyser les mérites du candidat. Passons à un ouvrage publié après la nomination académique, au livre qui vient de paraître sous le titre de Précis d’astro- nomie théorique et pratique. N'y avait-il pas là, pour l’auteur, une occasion admirable de faire le procès à tous ceux qui lui refusèrent leur suffrage? Au contraire, M. de Pontécoulant semble avoir pris à tâche de les justifier. Dans cette sorte de plaidoyer en faveur de ses adver- saires, il a développé un tel luxe de preuves, le Précis renferme un si grand nombre de non-sens, d’erreurs étonnantes, de colossales bévues, que, n’osant en croire ses yeux, le lecteur éprouve incessamment le besoin de revenir au titre, afin de s’assurer qu’il lit réellement l’ou- vrage d’un membre de la Société royale de Londres et de l’Académie des sciences de Berlin. J'ouvre ce livre sans pareil. Le hasard m’amène à la page 47, et j'y trouve : « On a découvert de nos jours un mélange de deux espèces de verres, le flint-glass et le crown-glass, qui a la propriété de réfracter également ne FA 24 * LETTRE les rayons solaires, » Eh bien, que dis-tu de ce verre, mélange de flint et de crown, auquel, par un acte de sa toute-puissance, M, de Pontécoulant donne la propriété de réfracter également les rayons de diverses couleurs dont la lumière se compose ? Que penses-tu d’un astro- nome qu’il faut renvoyer à une simple lorgnette d’Opéra, pour lui apprendre que l'objectif achromatique est formé, non d’une seule lentille d’un prétendu verre résultant du mélange de flint et de crown, mais de deux lentilles su- perposées, faites, chacune séparément, avec l’une des deux natures de verre citées? Se serait-on imaginé que les deux verres des lorgnettes sur lesquels les gants jaunes de nos élégants se promènent délicatement - au spectacle, lorsque la vapeur ou la poussière les a ternis, pouvaient être un secret pour l’auteur d’un Traité d’as- tronomie? Si, entraîné par ton indulgence naturelle, tu voulais ne voir dans le mot mélange qu’une expression grammati- calement impropre, tu serais aussitôt arrêté dans cette bienveillante explication par la phrase suivante : « Des lunettes de cinq pieds dont les lentilles sont faites de pareil verre (au singulier) remplacent, etc. »; et, plus bas, tu trouverais que Newton avait lui-même pro- pagé l'erreur commune, sur l’inutilité de chercher des lunettes achromatiques, en soutenant dans son Optique : « l'impossibilité de construire une lentille, de quelque substance que ce fût et quelque forme qu’on voulût lui donner, qui réfractât également tous les rayons solaires. » Il faut s'y résigner! Les lunettes achromatiques à objectif simple, formé d’un verre mélangé, ont pris rang A M ALEXANDRE DE uvuo ET. _?5 parmi les stigmates indélébiles réservés comme Jaste pu- nition à tous ceux qui veulent entretenir le public de Et choses qu’ils ignorent. M. de Pontécoulant aura beau s'écrier qu’il a pris sa ! théorie de l’achromatisme dans la brochure ou plutôt dans la mystification qui parut il ya quelques années sur les habitants de la Lune; on lui ré- pondra par une modification légère d’un proverbe connu : « Dis-moi qui te dirige, et je te dirai qui tu es. » Veux-tu savoir, mon cher Humboldt, pourquoi, dans les systèmes pontécoulaniens, les lunettes ont un champ très-restreint ; pourquoi, par exemple, celles dont on se sert dans les observatoires ne nous font pas voir la totalité du Soleil ou de la Lune? Tu l’apprendras à la page A4. « L'espace du ciel, dit l’auteur, que l’on découvre en se plaçant à l’oculaire, se nomme le champ de la lunette. Tout objet dont l’image, au foyer, dépasse le diamètre du tube, ne peut être vu tout entier dans la lunette : c’est ce qui explique pourquoi l’on n’aperçoit qu’en partie le Soleil et la Lune dans les lunettes méridiennes..... » De quel tube l’auteur entend-il parler? Est-ce du grand tuyau à l'extrémité duquel se trouve l'objectif ? est-ce du tuyau, ordinairement moins large, et portant une plaque où est enchâssé l’oculaire? Qu'importe, d’ailleurs, puisqu'on avait cru jusqu’à présent que les tuyaux proprement dits ne jouent en tout ceci aucun rôle; que l'effet dépendait de la portion découverte, de la por- tion à nu de la lentille oculaire ; que cette portion allait toujours en diminuant avec la puissance amplificative. Vive Dieu ! Que de belles choses nous allons faire par une simple opération de chaudronnerie; quand nous 26 LETTRE substituerons dans nos lunettes, aux tuyaux coniques en métal ordinairement évasés vers l'objectif, des cônes qui s’élargiront du côté opposé : au lieu d'observer les étoiles une à une, comme nos pères, nous verrons, nous, les heureux contemporains de M. de Pontécoulant, des con- stellations entières. Je prévois bien quelques objections, mais je réponds d'avance qu’elles ne me regardent pas; il faut s'adresser à M. de Pontécoulant. Dès qu'on me promet de me montrer la Lune tout entière, avec le gros- sissement d’un millier de fois, moi qui jusqu'à présent n'ai réussi à la voir distinctement dans nos meilleurs in- struments que par très-petites portions, que tache à tache, pour ainsi dire, je n’écoute plus rien, je m’abandonne aux douces espérances que le réformateur de l'optique fait naître dans mon esprit. Si je me suis montré de si bonne composition au sujet du champ des lunettes; si j'ai admis, sans trop y regarder, la théorie nouvelle de M. de Pontécoulant, si j'ai consenti à ranger les fabricants de tuyaux, les chau- dronniers, parmi les artistes dont l’astronomie et l'optique peuvent attendre les plus grands progrès, je me vois maintenant forcé de rentrer dans mon rôle de critique. À la page 37 l'auteur nous dit : « La pupille fait pour l'œil l’effet d’une lentille; les rayons de lumière qui la frappent obliquement éprouvent des réfractions diffé- rentes, etc., etc.» Non, Monsieur, la pupille ne fait absolument rien de ce que vous dites. La pupille est la porte de l'œil; une porte circulaire située au milieu de l'humeur aqueuse, au milieu d’un fluide homogène, Dans une ouverture À M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. 27 semblablement placée, il ne saurait y avoir de réfraction. Prenez garde qu’on n’aille malicieusement vous deman- der quelle est la distance focale de la porte de l’arc-de- triomphe des Champs-Élysées, en quel point se réunissent les rayons lumineux qui la traversent? Je ne sais ce que M. de Pontécoulant veut dire lors- que, à la septième ligne de cette même page 37, il écrit : « Si ce point de concours (des rayons partant d’un point donné) était placé en deçà ou au delà (de la rétine), la rétine coupant le faisceau lumineux avant ou après leur point de jonction, il s’ensuivrait que l'œil, recevant à la fois l'impression des divers rayons émanés d’un même point, n’en percevrait plus qu’une idée con- fuse. » Pourquoi la réunion des rayons sur un seul point de la rétine empêche-t-elle que l'œil en reçoive à la fois l’im- pression? On s’y perd. M. de Pontécoulant passe, dit-on, dans un certain monde, pour un oracle. Il me sera donc permis de faire remarquer que les oracles anciens pro- nonçaient toujours des paroles à double ‘sens, et que mettre en circulation des pages, même des chapitres, qui n'ont aucun sens quelconque, c’est s'éloigner par trop des usages de l’anliquité. Je trouve, page 40 : « Le but d’une lunette eit d'éclairer et d’amplifier les objets : ces avantages résultent de sa construction. En effet, les rayons reçus sur la sur- face de l'objectif sont réunis au foyer dans un espace moins étendu : l’objet en paraît donc mieux éclairé cet plus facile à distinguer. » Est-il possible! l’auteur ne songe seulement pas que 28 LETTRE les rayons concentrés au foyer de la lunette, sont observés avec la lentille à court foyer de l’oculaire; que la dila- tation de l’image qui se forme ainsi sur la rétine, peut dépasser de beaucoup l'effet résultant de la largeur de l’objectif; que par cette raison, dans les lunettes à très- forts grossissements, l’objet paraît considérablement moins éclairé qu’à l’œil nu. En parcourant, au coin du feu, le premier chapitre du Précis d'astronomie, je faisais une corne à chaque feuillet où je voyais une ou plusieurs grosses erreurs; ne voilè- til pas que tous les feuillets, sans exception, portent deux cornes : l’une pour le recto, l’autre pour le verso! Il faut donc que je m’arrête, sauf à reprendre cet inépui- sable sujet si les circonstances l’exigent. Je dirai, cepen- dant, que M. de Pontécoulant m’a mis dans la pénible obligation d'infliger la corne réprobatrice même à ses planches : en particulier à la première. Dans cette pre- mière planche, qui arrachera, j'en suis sûr, de vives exclamations de surprise à tous les honnêtes marchands, jeunes ou vieux, du quai des Lunettes, on voit, fig. 18, un large objet placé en face d’une lentille. Les rayons lumineux la traversent de telle manière que ceux qui partent du haut, du bas, du centre de l’objet, se réunissent en un point, en un foyer unique. C’est pourtant à l’aide de cette fabuleuse figure, que M. de Pontécoulant prétend expliquer pourquoi les lunettes à deux verres convexes présentent les objets renversés! Eh, grand Dieu! com- ment ne s'est-il pas rappelé que dans le daguerréotype, les objets vont se peindre sur diverses parties de la couche d’iode qui couvre la plaque située au foyer de la A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. -29 lentille; qu’il se forme à ce foyer une miniature générale; que, dans cette miniature, l’image réduite de chaque objet a une place distincte? Si les rayons lumineux suivaient les routes que M. de Pontécoulant leur assigne; si ceux qui proviennent des régions les plus distantes entre elles se réunissaient en un seul point, en un foyer unique, il n’y aurait plus dans le monde ni lunettes, ni microscopes, ni chambres noires, ni daguerréotype, etc. Il serait difficile de grouper, autour d’une page de raisonnements et d’une figure, autant de conséquences en opposition directe avec des faits constants, élémentaires, vulgaires. Il était aisé de prévoir que l’homme qui écrivait ainsi à tort et à travers sur l'optique ne se montrerait guère plus fort en astronomie. Au reste, la prévision s’est-elle réalisée? Quelques citations te mettront à même de pro- noncer : À la page 249 l’auteur nous dit qu’une planète est en conjonction avec le Soleil, quand elle se trouve du même côté que cet astre par rapport à la Terre et sur le même grand cercle passant par les pôles de l’écliptique, ce qui est vrai. Il ajoute plus bas : « Dans les conjonctions, les longitudes de la planète et du Soleil sont les mêmes, mais les latitudes peuvent être très-différentes..…. » Ceci est encore exact. De ces prémisses il tire enfin la conclusion que, dans les conjonctions (avec des latitudes qui peuvent être très-différentes), « la planète et le Soleil passent alors en même temps au méridien; ils ont même lever et même coucher. » Ah! monsieur de Pontécoulant! ma conscience m'empêcha naguère de vous donner mon Lies Par 30 LETTRE suffrage pour l’Académie : après ce que je viens de citer, il n’est pas de comité d'instruction primaire qui pût loya- lement vous confier l’enseignement de la cosmographie dans la plus humble école de village. Comment! vous en êtes à savoir que la latitude a une grande influence sur les passages au méridien, comme la déclinaison sur les moments du lever et du coucher des astres; que des éloiles, ayant même longitude que le Soleil, non-seule- ment ne se couchent pas à Paris en même temps que cet astre, mais ne se couchent pas du tout! Page 175. « Si l’on imagine au disque lunaire deux tangentes menées parallèlement à la droite qui joint les centres de la Lune et du Soleil, la partie du disque com- prise entre elles sera la partie éclairée! » Il n’y a pas dans nos écoles primaires supérieures! un seul écolier à qui on n’apprenne que, pour déterminer la portion éclairée de la Lune, il faut recourir à un ensemble de lignes, tangentes à la fois à la surface de cet astre et à celle du Soleïi, et non à des tangentes au disque lunaire parallèles à la ligne qui joint les centres de la Lune et du Soleil. Recommande de ma part à notre ami M. Guillaume Beer, un passage du nouveau Précis d'astronomie relatif aux montagnes de la Lune. 11 y verra, malgré les belles recherches sur la sélénographie dont la science lui est redevable; il y verra un de ses collègues à l’Académie de Berlin, formant les triangles rectangles d’où les hau- 1. La ville de Paris a déjà fondé deux écoles primaires supé- rieures : l’une dans l'institution de M. Goubaux; l’autre dans le quartier du Temple : on y est reçu à tout âge. FÉ A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. 31 teurs des montagnes sont déduites, sans remarquer que, les jours du premier et du dernier quartier exceptés, les mesures micrométriques donnent les projections d’un des côtés de ces triangles, et non pas, comme l’auteur le sup- pose, ces côtés eux-mêmes. Une pareille erreur est assurément étonnante. Je ne sais si l'on jugera que l’auteur l’a suffisamment rachetée en nous assurant (p. 195) que la moins considérable des principales montagnes de la Lune, serait au moins de 3000 mètres de hauteur! Ne trouves-tu pas, en tout cas, que c’est une manière assez originale de dire : dans le nombre incalculable de montagnes lunaires, dont les hauteurs se trouvent comprises entre L mètre et 8000 mètres, celles qui n’ont pas 3000 mètres cessent d’être principales? L'auteur s'est-il réellement aperçu que sa phrase n’a pas un autre sens ? Le fou rire est quelquefois dangereux. Je puis donc te recommander de lire avec précaution la page 95 du Précis d'astronomie. Vois ce que l’auteur nous y ra- conte : « L’instrument employé à cette détermination (la dé- termination des parallaxes du Soleil, de la Lune et des planètes) est l’équatorial dont nous avons donné plus haut la déscription, et qui a été nommé par cette raison machine parallactique. » Y at-il en astronomie pratique rien de plus étrange que de transformer simultanément en équatorial, les trois règles parallactiques de Ptolémée et les grands quarts de cercle dont Lacaille et Lalande se servaient dans leurs observations simultanées du cap de Bonne-Espérance 32 LETTRE et de Berlin? Apprenez donc, Monsieur de Pontécoulant, : je vous en conjure, que la machine parallactique ou paral- latique des observateurs modernes s’appelle ainsi, parce qu’elle est destinée à suivre les astres dans leurs parallèles diurnes; apprenez que nul astronome ne songerait à l'employer à la détermination de la parallaxe du Soleil. Page 270. « Quelquefois, dans l'intervalle qui s’écoule entre la disparition et la réapparition de cette planète (Mercure), on aperçoit sur le disque du Soleil une tache qui est formée par l'ombre qu’elle y projette! » Nous avions cru jusqu'ici que la tache noire en ques- tion était la portion du Soleil dont Mercure, interposé entre cet astre et la Terre, nous dérobait la vue; mainte- nant la petite planète projette une ombre, non à l’oppo- site de l’astre resplendissant dont la lumière l’éclaire, non à l’opposite du Soleil, mais vers le Soleil lui-même ! Voilà pourtant jusqu'où va M. de Pontécoulant quand il n’a pas de guide, quand il est abandonné à lui-même ! Page 301, M. de Pontécoulant nous dit que « les dia- mètres des satellites sont insensibles, même dans les meilleures lunettes », et, à la page suivante, Maraldi se trouve avoir observé le retour d’une tache sur un de ces mêmes disques insensibles. En descendant à la page 306, on y lit : « Il faut d'excellents instruments pouf parvenir seulement à reconnaître les satellites de Saturne ; cepen- dant on a cru apercevoir des taches à la surface de Fun d’eux ! » Observer, apercevoir des taches sur des satel- lites dont le diamètre est insensible! M. de Pontécoulant ne veut réellement nous laisser aucune de nos anciennes croyances : tout à l’heure il jetait l'ombre d’un globe A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. 33 opaque du côté du corps éclairant; et voilà que, ne com- prenant pas l'énorme différence qu’il faut établir entre des conséquences déduites de mesures d'intensité et des ob- servations immédiates, il rend la partie plus visible que le tout; il se met en o;position radicale avec cet axiome aussi ancien que le monde : Le tout est plus grand que la partie. Malgré tout ce qui précède, tu auras de la peine à croire que M. de Pontécoulant se soit complétement fourvoyé, en s’occupant d’une question si capitale, si nette, si souvent traitée que celle de la vitesse de la lumière, dans ses effets sur la position apparente des astres. Eh bien , lis ces deux passages : « Lorsque nous apercevons un astre éloigné, nous ne le voyons jamais à la place qu’il occupe réellement à l'instant où sa lumière nous arrive; mais dans la position qu’il avait à l'instant qui a précédé celui-ci de l'intervalle de temps employé par la lumière à venir depuis l’astre jusqu'à nous. » ( P. 236.) « Nous ne voyons jamais le Soleil qu’à la place qu’il occupait 8° 13° avant l'instant où nous l’observons, et lorsque nous l’apercevons, à l'horizon, il y a déjà 8" 43° qu'il est levé ou qu’il a disparu. Une remarque semblable s'applique à tous les autres astres. » (P. 351.) Appliquons, comme le prescrit M. de Pontécoulant, sa remarque sur la nécessité de tenir compte du temps de la transmission de la lumière, quand il s’agit de fixer la position des astres relativement à l'horizon, quand il faut déterminer les moments de leurs levers, et nous trouve- rons de singuliers résultats. Le Soleil, dit M. de Pontécoulant, est réellement levé XIL 6) 34 LETTRE depuis 8” 13° quand on commence à l’apercevoir à l’ho= rizon, Pour Jupiter qui, en opposition, est 4.2 fois plus loin de la Terre que le Soleil, l’intervalle compris entre le lever réel et le lever apparent, sera donc de près de 35"; pour Saturne de près de 70°; enfin, pour Uranus, avec le multiplicateur 48.2 on trouvera plus de 149", Ainsi, cette planète est déjà levée depuis près de 2 heures et demie lorsqu’elle commence à poindre à l'horizon ! En appliquant ces mêmes raisonnements, ces mêmes calculs aux étoiles, nous n’aurons pas besoin de les transporter beaucoup au delà d’'Uranus pour en trouver qui paraîtront se lever à l'instant même de leur coucher réel; pour re- connaître que suivant leurs distances à Ja Terre, des astres pourront sembler en contact, quoiqu’ils occupent les régions de l’espace les plus éloignées, pour voir enfin que le groupe, si concentré des Pléiades, est peut-être composé d’étoiles uniformément distribuées tout autour du zodiaque ! Tu vois qu’en l’an de grâce 1840, trois siècles après la publication de l’immortel ouvrage de Copernic, trois siècles après la démonstration du mouvement de transla- tion et de rotation de la Terre, M. de Pontécoulant donne pour des réalités les objections qu’Aristote opposait il y a 2000 ans au système d'Empédocle sur la lumière, mais dans l'hypothèse de l’immobilité de notre globe! Ah ! mon cher ami, M. de Pontécoulant vient de nous ôter le droit de parler jamais de la diffusion des connais- sances à notre époque. Certain rimailleur à qui l’on montrait des vers faux dans un poème qu’il venait de publier, se justifiait de la A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. 35 façon la plus singulière : « Vous croyez, disait-il, me prendre au dépourvu : pure illusion ! aux vers trop courts de cette page, de cette tirade, correspondent plus loin des vers trop longs, et, tout compte fait, la compensation est exacte. » M. de Pontécoulant appartient à l’école du prétendu poëte. Le prétendu astronome s’est aussi réservé le moyen d'offrir, en compensation des mille et mille erreurs dont son ouvrage fourmille, certaines proposi- tions d’une si immense vérité, qu’on les croirait emprun- tées à des refrains populaires très-connus. Vois ces cinq lignes de la page 89, et dis ensuite si j'exagère : « Nous avons vu dans le premier chapitre que les étoiles, dans les plus forts télescopes, ne présentaient aucun disque appréciable... Les diamètres apparents des étoiles doivent donc être extrêmement petits ! » Tout à l’heure nous verrons M. de Pontécoulant (cette citation en vaudra bien une autre) opérer sur «un gaz incandescent, chauffé au point d’être lumineux ! » 11 faut, de toute nécessité, que je te donne quelques échantillons du savoir de M. de Pontécoulant en matière de physique du globe et de constitution des corps célestes. Une étoile filante est pour l’auteur du Précis : « une lumière très-vive qui traverse l’espace avec rapidité et vient s’éteindre en touchant l'horizon (p. 41).» Oh! combien la condition de s’éteindre à l'horizon va détrôner de millions d'étoiles filantes. Ce que c’est, cependant, qu’une bonne définition ! En lisant M. de Pontécoulant, on va de surprise en surprise, Sais-tu « pourquoi les plus grandes chaleurs de 36 LETTRE l'été n’ont lieu qu'un mois après que le Soleil a atteint ses plus grandes hauteurs solsticiales (p. 113) ? » Je dois m’empresser de te le dire, car après dix ans de ré- flexion tu ne l'aurais pas encore deviné; c’est que «la surface de la Terre graduellement échauffée à mesure que le Soleil s’est avancé de l’équateur vers le pôle boréal, est alors disposée à éprouver toute l’action de ses rayons ». Que penses-tu de cette aimable disposition des corps à s'imprégner de chaleur avec d’autant plus d’énergie qu’ils sont déjà plus échauflés ? C’est un principe entière- ment nouveau, et dont les conséquences paraissent devoir être immenses. La Lune, par exemple, ne produit sur la Terre aucun effet thermométrique appréciable; mais d’après la disposition absorbante des corps échauflés, découverte par M. de Pontécoulant, les faibles rayons de cet astre peuvent réagir sur le Soleil, de manière à deve- nir une des principales causes de son immense tempéra- ture. Je suis certain que pendant tes expériences sur la marche d’un thermomètre exposé au Soleil, tu as vu la liqueur monter très-vite dans les premières dix secondes ; moins vite dans les dix secondes suivantes, et ainsi tou- jours de même en décroissant, jusqu’au moment où elle devenait stationnaire. J’en suis désolé pour toi : M. de Pontécoulant vient de montrer implicitement que tu au- rais dû trouver précisément l'inverse. Comme il n’est pas dans mes intentions de diminuer tes regrets, auxquels du reste, tu le penses bien, je m’associe de grand cœur, je dirai avec franchise que le principe nouveau me semble pouvoir être breveté; qu’il donnera lieu dans les arts à de grandes économies de combustible ; que désormais, il A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. _37 suffira de porter au soleil une masse de fer quelque peu échauffée pour qu’elle passe au rouge-blanc et s’y main- tienne. N’admires-tu pas qu’une si grande chose ait été dédaigneusement jetée dans un obscur chapitre sur les températures terrestres ? Te souvient-il de nos fréquents entretiens sur les causes physiques de la coloration des astres à leur cou- cher ; de l’inutilité de nos efforts pour expliquer dans tous ses détails ce brillant et magnifique phénomène ? Rougis de dépit et de honte : en un trait de plume M. de Pontécoulant a résolu le problème. Si le disque du Soleil et celui de la Lune paraissent rouges à l’horizon, cela « indique que l’atmosphère terrestre réfracte moins les rayons rouges que ceux de toutes les autres couleurs. » {P. 427.) Examinons de près la solution. Le Soleil et la Lune, quand ils paraissent à l'horizon, sont réellement couchés. C’est la déviation, la réfraction que leurs rayons éprouvent dans l’atmosphère qui nous les fait voir. Plus cette réfraction aura d’intensité et plus le soir, par exemple, la durée de l’apparition de l’astre sera prolongée. Si la lumière blanche se compose de rayons inégalement réfrangibles, les plus réfrangibles de ces rayons disparaîtront évidemment les derniers; c’est avec la couleur de ces rayons les plus réfrangibles (l’auteur ne manque pas de dire : les moins réfrangibles et de nommer, en eflet, les rayons rouges), c’est, je le répète, avec la teinte des rayons les plus réfrangibles que le Soleil devra disparaître, à moins que d’autres circon- stances ne viennent masquer l'effet de cette première _ cause, Voilà comment jadis on aurait raisonné; mais 38 LETTRE M. de Pontécoulant a changé tout cela. Il fait mainte- nant de la physique d’une méthode toute nouvelle; c’est le Sganarelle de l'optique et de l’astronomie, Remarque bien que, pour ne pas entrer dans une dis- cussion numérique, qui, suivant toute apparence, aurait été hors de la portée de M. de Pontécoulant, je me suis abstenu de parler du pouvoir dispersif de l'atmosphère, et, aussi, du pouvoir absorbant, Permets-moi, cher ami, de reporter un moment tes souvenirs sur des expériences de polarisation auxquelles tu voulus bien jadis accorder un vif intérêt et qui, je crois, n’en étaient pas tout à fait indignes. Tu verras ensuite ce qu'elles sont devenues en passant par les mains de M. de Pontécoulant. Un rayon lumineux, quel que soit le corps d’où il est sorti, éprouve des modifications physiques singulières quand il se réfléchit sous un angle suffisamment ouvert, ou lorsqu'il subit une forte réfraction en passant d’un milieu dans un autre milieu; il acquiert ainsi en se réflé- chissant ou en se réfractant, des propriétés qui le distin- guent de la lumière naturelle. Ces propriétés constituent ce qu'on appelle la polarisation. L’existence de la pola- risation se constate par divers instruments nommés pola- riscopes. À l’aide d’un polariscope de mon invention, je reconnus, il y a plus de vingt ans, que la lumière de tous les corps terrestres incandescents, solides ou liquides, est de la lumière naturelle, tant qu’elle émane du corps sous des incidences perpendiculaires, Celle, au contraire, qui 4. Voir Astronomie populaire, t, IT, p. 101. A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. 39 sort de la surface incandescente sous un angle aigu, offre des marques manifestes de polarisation, Je ne m’arrête pas à rappeler ici comment je déduisis de ce fait la consé- quence curieuse que la lumière ne s’engendre pas seule- ment à la surface des corps; qu’une portion naît dans leur substance même, cette substance fût-elle du platine. J'ai seulement besoin de dire qu’en répétant la même série d'épreuves et avec les mêmes instruments sur la lumière que lance une substance gazeuse enflammée, on ne lui trouve, sous quelque inclinaison que ce soit, aucun des caractères de la lumière polarisée?; que la lumière des gaz, prise à sa sortie de la surface enflammée, est de la lumière naturelle, ce qui n'empêche pas qu’elle ne se polarise ensuite complétement si on la soumet à des réflexions ou à des réfractions convenables, De là une méthode très-simple pour découvrir à 40 millions de lieues de distance, la nature du Soleil. La lumière prove- nant du bord de cet astre, la lumière émanéeé de la matière solaire sous un angle aigu, et nous arrivant sans avoir éprouvé en route des réflexions ou des réfractions sensibles, offre-t-elle des traces de polarisation, le Soleil est un corps solide ou liquide. S'il n’y a, au contraire, aucun indice de polarisation dans la lumière du bord, la partie incandescente du Soleil est gazeuse. C’est par cet enchaînement méthodique d'observations que je montrai comment on pouvait arriver à des notions exactes sur la constitution physique du Soleil. Fourier, à qui j'avais expliqué ma méthode, me fit l'honneur de la citer, avec 4. Voir t. VII des Œuvres, t. IV des Notices scientifiques, p. 403. 2. Voirt, X des Œuvres, t, 1 des Mémoires scientifiques, p. 245. 40 LETTRE clarté, avec exactitude, en 1824, dans l’éloge de William Herschel!, C’est là, probablement, que M. de Pontécou- lant l’a prise, mais après en avoir fait ce qu’on va voir : « Fourier, nous dit-il, avait remarqué que la lumière qui émane d’un gaz incandescent, chauffé au point d’être lumineux (sic), ne se polarise pas, tandis que la lumière qui émane d'un corps solide jouit complétement de la propriété de se polariser. Or, M. Arago a vérifié que la lumière solaire n’est point susceptible de polarisation, etc. » (P149.7 Il y aura vraiment quelque mérite à contenir son dépit, sa colère, en réfutant un pareil passage. M. Fourier, dit 1. Fourier s’est exprimé en ces termes : « Les nouveaux progrès de l'optique viennent d'offrir un moyen très-inattendu de recon- naître s’il est vrai, comme le croit Herschel, que la lumière solaire ne sort pas d’une masse solide ou liquide incandescente. En effet, lorsqu'un tel corps, élevé à une très-haute température, devient lu- mineux, les rayons qu’il envoie dans toutes les directions ne pro- viennent pas seulement de l’extrême superficie, ils sont émis comme ceux de la chaleur par une infinité de points matériels au-dessous de la surface jusqu’à une certaine profondeur, extrêmement petite à la vérité, mais subsistante. Or ceux de ces rayons qui traversent obliquement l’enveloppe de la masse échauffée, acquièrent et con- servent une propriété spéciale que les expériences peuvent rendre sensible ; ils sont polarisés. Mais si la même masse, au lieu d’être rendue lumineuse par sa propre température, est seulement recou- verte d’une flamme étendue qui est la source de sa lumière, les rayons n’ont point cette même propriété. « On pouvait donc soumettre à cette épreuve singulière la lumière que le Soleil nous envoie. M. Arago, auteur de cette belle expé- rience, et dont les travaux ont souvent enrichi la physique et l’as- tronomie, a reconnu en effet que les rayons solaires, même oblique- ment transmis, ne sont point polarisés. On voit donc que sur ce point de la question l’opinion proposée par Herschel se déduirait immédiatement des propriétés de la lumière les plus récemment découvertes. » A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. [4] M. de Pontécoulant, avait remarqué... M. Fourier, d’abord, n'avait rien remarqué en fait de polarisation : jamais il ne mit l’œil à un polariscope. Ce que l’auteur lui attribue est de plus une immense erreur. Je ne con- naïis, dans le vaste domaine de la physique, que l'erreur dont M. de Pontécoulant me gratifie à mon tour, quel- ques lignes plus bas, qui soit de même taille, « M. Arago a vérifié que la lumière solaire n’est point susceptible de polarisation! » M. Arago a donc oublié que la polarisation fut d’abord découverte par Malus, à l’aide de la lumière solaire accidentellement réfléchie sous l’inclinaison convenable, à la surface des vitres des fenêtres du Luxembourg; il ne se ressouvient donc pas de ses propres travaux sur les lois de la polarisation que la lumière solaire éprouve en se réfléchissant sur les molécules atmosphériques; sa mémoire ne lui rappelle plus les expériences qu’il fit jadis, avec son illustre ami Fresnel, sur les interférences de la lumière solaire diversement polarisée; il est enfin devenu complétement étranger aux méthodes d’enseigne- ment; il ignore que dans les cours publics d’optique, la lurnière solaire, introduite dans l’amphithéâtre avec un héliostat, sert à toutes les démonstrations concernant la polarisation ordinaire et la polarisation chromatique. Tranchons le mot : M. de Pontécoulant n’a rien compris aux quelques lignes, d’ailleurs parfaitement lucides, que Fourier a consacrées à l'explication de mes expériences. Il s'agissait là des propriétés qu’acquièrent les rayons lumineux au moment où ils sortent, sous des inclinaisons obliques, de la surface des corps incandescents solides, # 42 LETTRE liquides ou gazeux, propriétés qui se conservent tant que des réflexions ou des réfractions ultérieures ne viennent pas les modifier. Eh bien, l’auteur supprime d’abord toute mention de l’inclinaison, ce qui suffisait amplement pour rendre le reste inintelligible. 11 fait plus cependant : il prend les qualités des rayons sortants pour des pro- priétés immuables ; il prive ainsi la lumière solaire de la faculté de polarisation, et condamne, en mon nom, le monde entier à ne faire des expériences de ce genre que fa nuit, avec des lumières artificielles émanées de solides ou de liquides. En vérité ceci, monsieur de Pontécoulant, passe toutes les bornes ; c’est bien réellement de la diffamation scien- tifique. Appelez-moi de nouveau juge bilieux, incivil, de mauvaise compagnie; assaisonnez ces aménités littéraires et de si bon ton, d’une grosse dénonciation politique, je m'y résigne. Malgré les avantages que me donneraient, monsieur l'officier, certains renseignements venus de ‘bonne source, sur le système d’intimidation dont vous pa- raissez vouloir faire usage contre ceux qui ont le malheur de trouver vos formules inexactes, je ne vous suivrai point dans cette arène; mais en revanche et pour prix de mes concessions, veuillez, je vous en supplie, veuillez vous abstenir de parler jamais en mon nom; faites-moi la grâce de ne plus me prêter vos idées; sans cela, je le dis en toute humilité, je suis un homme perdu; je ne me sens pas de force à résister à de pareilles attaques. En grand artiste, pour tout placer sur un même ni- veau, M. de Pontécoulant n’a eu garde d’être exact dans la partie historique de son ouvrage. Cite-t-il Roœmer? ji A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. - #3 ne manque pas d’ajouter « astronome français » (pages 236 et 351). Personne, l’auteur du Précis excepté, n'ignore cependant que Rœmer était danois, et qu'il naquit à Copenhague en 1644. Si M. de Pontécoulant est conduit à nous parler des taches de la Lune, ‘pour se donner un certain vernis d’érudition, il nous dira (page 195) : Ces taches « ont été observées et décrites avec soin, d’abord par Domi- nique Cassini, ensuite par La Hire et un grand nombre d’autres astronomes. » Érudition de mauvais aloi! Dans l'observation et la représentation du globe lunaire, Gas- sendi, Langrenus, Hévélius, Grimaldi et Riccioli précé- dèrent d’un demi-siècle les astronomes que cite l’auteur. J'ajoute que Cassini avait adopté la nomenclature de convention de Grimaldi et de Riccioli, Si M. de Ponté- coulant persistait, il serait obligé de dire que les auteurs de l’Almageste moderne dessinaient, nommaient les taches de la Lune avant de les avoir vues. Ce serait assurément bizarre; mais le Précis d'astronomie ne nous a-t-il pas habitués à des choses encore plus extraordi- naires? Lorsqu’en sa qualité d’ami de la science et de la gloire de son pays, comme il se qualifie lui-même, M. de Pon- técoulant tente de rabaisser les travaux qu’exécutent, sous ma direction, plusieurs jeunes gens pleins de zèle, d'instruction et d'intelligence, il reporte avec douleur ses regards sur un obsérvatoire qu'ont illustré jadis les Cas- _sini, les Lalande, les Delambre, etc. M. de Pontécoulant peut, en vérité, conserver ses jérémiades, ses larmes pour une meilleure occasion : Lalande et Delambre ne 44 LETTRE firent jamais une seule observation à l'Observatoire de Paris. Au surplus, on a choisi pour décrier cet établissement, précisément l’époque où, grâce à la munificence du pays, il est sorti de ses ruines, s’est enrichi de beaux instru- ments français, a vu le personnel des jeunes astronomes s'accroître de manière à pouvoir satisfaire à toutes les fatigues d’un cours non interrompu d’observations va- riées et aux exigences de publications annuelles. En vérité, on ne pouvait pas être plus mal inspiré M. de Pontécoulant a-t-il l’occasion de citer la Syntaxe mathématique de Ptolémée, l’ouvrage que dans leur admiration les Arabes désignèrent par le mot composé Almageste (le très-grand), vite une note (p. 63) nous apprend que « almageste vient du mot grec mégistè, qui veut dire collection. » Jusqu'ici nous avions cru que mégistè signifiait très- grande, ce qui assurément n’est pas synonyme de collection : il faut cependant se résigner. Ne vois-tu pas toutefois l’étonnement des linguistes, des antiquaires qui nous parlaient sans cesse du Mercure trismégiste des Grecs, comme du Mercure trois fois grand? À combien de systèmes va donner lieu la traduction nouvelle? Com- ment expliquera-t-on le Mercure trois fois collection? On avait bien raison de dire que 1840 nous réservait de difficiles problèmes! Je m'arrête. Je montrerai une autre fois, si l’on m’y force, que dans cette lettre j'ai relevé seulement une partie très-minime des erreurs de l'inconcevable ouvrage de M. de Pontécoulant. Le titre annonçait des notions A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. - 45 exactes sur la constitution de l’univers. L'auteur n’a cer- tainement tenu aucun compte de cette promesse. Je puis même le déclarer en toute assurance, si au lieu de m’en prendre aux erreurs j'avais cité les vérités, ma tâche eût été accomplie en bien peu de lignes. Parvenu au terme d’un examen que M. de Pontécoulant lui-même avait rendu indispensable, j'ai cherché s’il ne serait pas pos- sible de tempérer, par quelques paroles bienveillantes, les inflexibles arrêts de la logique. Il m’a semblé un moment que j'en avais trouvé le moyen. Malgré des termes proverbialement consacrés, Duclos ne disait jamais c’est le dernier des hommes, mais bien «c’est l’avant-dernier », et cela pour ne décourager personne. Moi aussi j'aurais voulu pouvoir dire de l’ouvrage de M. de Pontécoulant, c’est l’avant-dernier des traités d'astronomie. Définitivement une si large concession répugne à ma conscience et serait contraire à la vérité. I ne m'était jamais arrivé, dans les trente années de ma vie d’académicien, de ne pas découvrir le motif, le sti- mulant qui avaient porté les auteurs les plus médiocres à se commettre avec le public. Ceux-ci, étrangers aux premières notions de la science, espéraient, du moins, racheter la pauvreté du fond à l’aide d’un style lucide et élégant ; ceux-là croyant qu’avoir beaucoup lu c’est être érudit, ne s'étaient pas aperçus que l’histoire des progrès de l'esprit humain ne saurait consister dans un pêle- mêle indigeste de citations, d’étymologies bonnes ou mauvaises. Quant à M. de Pontécoulant, il a mis ma longue expérience en défaut ; je n’aperçois pas même un léger prétexte qui puisse expliquer, justifier, excuser sa 46 LETTRE A M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT. nouvelle publication : tout bien examiné, le Précis d’as- tronomie est un effet sans cause ! Adieu, mon cher ami, Je t'embrasse de tout mon cœur. F, ArAGo, M. LE BARON DE ZACH ET SA CORRESPONDANCE ASTRONOMIQUE ‘ M. le baron de Zach publie à Gênes, depuis plus de trois ans, un journal intitulé Correspondance astronomique, hydrographique et statistique. J'ignore ce que la science a gagné à la publication de cette nouvelle correspondance, mais à coup sûr M. de Zach y aura beaucoup perdu. Les travaux les plus utiles, les réputations les mieux éta- blies, les caractères les plus honorables sont journelle- ment attaqués par cet écrivain, dans des termes qui peuvent bien convenir à l’envie, mais que l'amour de la vérité n’emploie jamais. Je m'étais abstenu jusqu'ici de répondre à M. de Zach, persuadé que ses diatribes ne devaient et ne pouvaient nuire qu’à sa propre réputation ; je me trompais cependant. Les articles de la Correspon- dance, malgré la passion qui s’y montre à chaque ligne, ont produit quelque effet. Tout en blâämant la virulence, je puis même ajouter la grossièreté ? des expressions dont 1. Article inséré dans le cahier des 4nnales de chimie et de phy- sique de novembre 1821 (2° série, t. XVIII, p. 304). 2. Quelques citations suffiront pour faire connaître le ton qui règne en général dans la Correspondance de M. de Zach. Tout le monde sait que le père Liesganig exécuta, dans le der- 48 _M. LE BARON DE ZACH M. le baron a l’habitude de se servir, on accueille jusqu’à un certain point ses critiques. Comment ne pas croire, en effet, et presque sur parole, me disait ces jours derniers un lecteur assidu de la Correspondance, Y'ancien et célèbre directeur de l'Observatoire de Gotha, l’auteur de tant de Tables estimées, le membre de tant de sociétés sa- vantes? etc. , etc. Vous pouvez aisément, ajouta-t-il, montrer au public que M. de Zach viole dans ses écrits nier siècle, une mesure de degré du méridien en Autriche et en Hongrie, M. de Zach a publié, il y a quelques années, dans les tomes VIII et XXIII de sa Correspondance allemande, un Mémoire destiné à prouver que cette opération ne mérite aucune confiance et que le Père jésuite prit, par exemple, une étoile de la constel- lation d’Hercule pour une étoile du Dragon. A l’article de son grand ouvrage où il est question du degré de Hongrie, M. Delambre parle de l’opération en ces termes : « Dans un journal fort répandu on a élevé quelques doutes sur la bonté des observations et même sur la véracité de l’observateur. » On s’imagine que M. de Zach va ré- pondre : M. Delambre se trompe; j'ai fait plus que d'élever des doutes, j'ai démontré que l’opération de Liesganig doit être consi- dérée comme non avenue sous le double rapport de l’astronomie et de la géodésie. Mais ces locutions auraient été beaucoup trop polies. La phrase accompagnée de guillemets que nous venons de rapporter est suivie, dans la Correspondance de M. de Zach (2° ca- hier, p. 135) de ces deux mots : « Cela est faux! » M. le baron ajoute plus bas : « Il ne faut pas de grandes connaissances ni en astronomie ni en analyse, ni un grand étalage d’un fatras de for- mules, pour examiner si ce que j'ai dit est vrai... » Qui ne croirait que M. de Zach a atteint ici le dernier terme de l’inconvenance ? Mais non, il trouvera encore le moyen de dire, dans la même page, à celui des astronomes vivants qui a le plus contribué au perfec- tionnement des méthodes de calcul actuellement en usage, qu'il s’est « approprié des formules ». J’ignore si dans le grand nombre de formules utiles et élégantes que l’auteur du Traité d'astronomie a publiées, il en est quelques-unes que d’autres géomètres pour- raient réclamer; mais, en tout cas, il faudrait ne point connaître le caractère de M. Delambre pour imaginer qu'il ait jamais voulu s'approprier le travail d'autrui, lui qui a souffert, sans se plaindre, ET SA CORRESPONDANCE ASTRONOMIQUE. 49 toutes les convenances ; mais jamais vous ne parviendrez à affaiblir la confiance qu’il doit naturellement accorder à l’un des plus célèbres astronomes de l’Europe. Cet arrêt, tout sévère qu’il est, ne m’a point découragé. Il me semble nécessaire, puisque les critiques de M. de Zach obtiennent du crédit, de les soumettre, tant dans l'intérêt des sciences que de ceux qui les cultivent, à une discussion approfondie. Les lecteurs impartiaux trouve- ront, je crois, dans l’examen que je leur présenterai de qu’un astronome allemand de Gotha, à qui le manuscrit de ses tables du Soleil avait été communiqué, donnât ces mêmes tables comme son propre ouvrage. (Voyez les tables du Soleil, publiées à Gotha en 1804, par M. le baron de Zach.) Autre citation : « Il y à certains génies qui n’aiment point l'ob- servation (ils ont apparemment leurs raisons); ils préfèrent de découvrir tout à priori, par des coups de tête ou de plume, même les rotations des anneaux de Saturne, lesquels, comme on sait, ne tournent pas ; mais c’est égal, ils devraient tourner. » Le lecteur aura certainement besoin d’être averti qu’une telle phrase s'adresse à l’auteur de la Mécanique céleste. Dois-je aussi me flatter qu'on voudra m'en croire sur parole, si je dis qu’il existe dans Ia Cor- respondance des pages où Bouguer est traité de charlatan; les expressions : erreur grossière, scandaleuse, justification pitoyable, pauvres d'esprit, etc., etc., coulent toujours comme de source sous la plume de M. de Zach. Les rédacteurs de la Connaissance des temps, c'est-à-dire les membres du Bureau des lonzitudes de France en corps « sont des hommes qui se font un jeu de l'honneur, de la loyauté, de la bonne foi et de leurs devoirs » (IV° vol., p. 69). Un de nos plus habiles ingénieurs publie-t-il un article purement scientifique sur des différences qui existent entre les résultats de la nouvelle triangulation de la Toscane et d’anciennes opérations des ingénieurs de la guerre, M. de Zach, à qui cette discussion pa- raît déplaire, qualifiera sur-le-champ le Mémoire de notre compa- triote « d'exemple honteux qui pourra servir de leçon en pareil cas à l'avenir. » Quant à moi, il me paraît fort à désirer, je l'avoue, pour l'honneur des sciences, que personne ne suive les leçons que M. de Zach nous donne et que ses exemples ne trouvent point d’imitateurs. XIL. 4 50 M. LE BARON DE ZACH quelques articles de la Correspondance, que le rédac- teur n’est pas toujours au niveau de sa réputation, Du reste, par un sentiment de justice dont M. de Zach me saura gré, j'en suissûr, je m’empresse de déclarer que la majeure partie des erréurs que j'aurai à signaler tient plutôt à un défaut d'instruction qu’à un manque de bonne foi. M. de Zach a beaucoup d’érudition et possède, dit-on, parfaitement la plupart des langues vivantes. Il a une grande habitude du sextant à réflexion et manie avec adresse le cercle répétiteur. Quant aux autres instruments astronomiques (la lunette méridienne, par exemple), il paraît les connaître très-peu, si du moins j'en juge par l’inexactitude des résultats qu’il a publiés. Quoique la nullité des connaissances mathématiques de M. le baron perce de toutes parts, on s’étonnera peut-être de m’en- tendre soutenir qu’il ne comprend pas la trigonométrie sphérique ; mais j'en fournirai plus tard la preuve si on l'exige. Aujourd’hui, dans cet article, je me contenterai de démontrer, à l’aide de passages tirés textuellement des ouvrages de M. de Zach, qu’il est totalement étranger aux notions les plus élémentaires de l'astronomie physique. M. de Zach reproche souvent à ses antagonistes d’enve- lopper leur pensée dans des phrases obscures et de man- quer de franchise. 11 me rendra, j'espère, la justice de reconnaître que, dans ce qui précède, j'ai cherché à éviter ces défauts. Ma proposition étant clairement énoncée, je passe maintenant à la démonstration. Je vais commencer par le journal publié à Gotha sous le titre Monatliche Correspondenz (1804, Februar, p. 105, 106 et 107). ET SA CORRESPONDANCE ASTRONOMIQUE. 54 L'article dont je donnerai un extrait est un Mémoire présenté au duc régnant de Saxe-Gotha, pour demander la mesure de quelques degrés de latitude et de longitude, à l'effet de déterminer la véritable figure de la Terre, L'auteur du Mémoire, qui est aussi l’auteur du journal (M. de Zach), trace le plan qu’il imagine pour rendre son opération plus exacte qu'aucune de celles qu’on a exécutées. Il détaille tous les instruments qui lui seront nécessaires; il demande particulièrement deux excellents cercles de Borda pour mesurer l'amplitude de l'arc, et de plus un grand secteur de Troughton. En parlant du premier de ces instruments, il dit, pages 105 et 106 : Allemand. Obgleich dieses Werkzeug ganz vorzüglich zu diesem Behuf ge- eignet zu seyn scheint, haupt- sächlich schon deswegen, weil es das Senkbley durchaus ent- bebrt, und folglich die Einwir- kung der Gebirgs-Attractionen auf dasselbe ganz wegfallt; so wage ich, etc. Traduction. Cet instrument a, par-dessus tous les autres, un avantage qui ‘le rend propre à ces opérations ; c'est que, n'ayant pas de fil à plomb, l'effet de l'attraction des montagnes est nul par cela même et disparaît entièrement. En con- séquence, etc. Parlant ensuite du zénith-secteur, il dit au bas de la page 106 : Bey der Gradmessung würde dieses Werkzeug von einem neuen Nutzen seyn, weil man damit, in Verbindung mit dem Bordaischen Multiplications- Kreise, die unmittelbaren At- tractionen der Thüringer- und. der Harz-Gebirge, welche in das Gebiet dieser Vermessung fal- len, auf eine Weise und mit ei- Dans la mesure des degrés, cet instrument sera d’une uti- lité nouvelle, par la raison qu'en l’'employant conjointement avec le cercle multiplicateur de Bor- da, on pourra observer directe- ment les attractions des mon- tagnes de la Thuringe et du Harz, qui sont situées dans le territoire qu'il faudra mesurer, 52 ner Sicherheit ausmitteln kônn- te, wie man solche bisher noch nicht angewandt und erreicht hat. Enfin, page 107, on lit : Der Himmelsbogen des See- berger Mittagskreises wird dem- nach mit diesen doppelten Werk- zeugen mit einer Schärfe und Genauigkeit bestimmt. werden kôünnen, die jede Unsicherheit M. LE BARON DE ZACH et que, par ce moyen, cette at- traction sera déterminée d’une manière non employée jusqu'ici et avec une exactitude qu’on n’a pu obtenir encore. Et au moyen de ce double in- strument, l’arc céleste du méri- dien de Seeberg sera déterminé avec une rigueur et une exacti- tude qui banniront toute espèce de doute ou d'incertitude sur la und a!len Zweifel über die wahre Grüsse dieses Bogens ausschlies- sen würde, véritable figure de la Terre. 11 serait sans doute fort curieux de savoir bien précisé- ment quelles étaient les idées de M. de Zach quand il écrivait les inconcevables paragraphes que je viens de rapporter. Malheureusement il ne m'est possible d'offrir, à cet égard, que de simples conjectures. Deux hypothèses seulement me paraissent pouvoir servir à expliquer ces passages : l’une consiste à admettre que M. le baron ignorait entièrement en 1804 les principes si simples de la construction des niveaux; l’autre qu’au mois de février de la même année, quand le numéro du Monatlliche Correspondenz, d'où nous avons extrait ce qui précède, fut rédigé, M. de Zach était malade. Cette der- nière supposition, toute naturelle qu’elle puisse paraître, est cependant insoutenable puisque les mêmes idées ont été reproduites en 1806, et précisément dans les mêmes termes à la page 42 d’un ouvrage intitulé : Nachrichten von der Kænigl. Preussischen trigonometrischen und as- tronomischen Aufnahme von Thüringen und dem Eichs- ET SA CORRESPONDANCE ASTRONOMIQUE. . 53 felde, ete., vom Freyherrn von Zach. Je ne me dissimule pas, d’un autre côté, tout ce qu’il y a d'étrange à suppo- ser, en adoptant la première hypothèse, que le directeur d’un Observatoire célèbre, l’auteur d’un catalogue d'étoiles et de tant de Mémoires, s’était servi, pendant de longues années, du niveau comme d’un instrument mystérieux, | composé de fluides auxquels il aurait attribué, par cela seul qu'un tube de verre les renfermait, la propriété d'échapper à l'attraction des corps extérieurs. Il faut donc attendre que M. de Zach lui-même veuille bien nous tirer de l’alternative embarrassante dans laquelle il nous a placés. Il est juste de faire remarquer, avant de quitter ce cha- pitre, que si M. de Zach n’a jamais publiquement désa- . voué les bizarres idées qu'il avait en 1804, 1805 et 1806 sur les fils à plomb et sur les niveaux, il a du moins im- plicitement fait amende honorable à cet égard dans quelques ouvrages postérieurs. On a vu qu’en 1804, le célèbre astronome allemand soutenait que les niveaux ne peuvent point être dérangés par des attractions locales. En 1810, il essayait, à l’aide d’un instrument à niveau (le cercle répétiteur), de déterminer l’action du mont Mimet, petite montagne des environs de Marseille, et trouvait un peu moins de 2” pour la valeur de cette ac- tion. Suivant toute probabilité, une aussi petite quantité dépendait des erreurs d'observation ; M. de Zach l’a pré- sentée, au contraire, avec assurance, comme le résultat immédiat de l’attraction latérale exercée par la montagne sur le niveau. Cette conclusion avait beaucoup étonné les astronomes praticiens; mais ils ignoraient alors que 54 M. LE BARON DE ZACH M. de Zach avait anciennement calomnié les niveaux, et qu’en admettant, un peu légèrement sans doute, que ces instruments s'étaient mus de 2” dans le voisinage du mont Mimet, il leur faisait en quelque sorte une répara- tion d'honneur. On vient de voir quelle était, en 1804, la portée de l'éditeur du Monatliche Correspondenz ; une seule citation suffira pour montrer que le rédacteur de la Correspon- dance française en est précisément au même point. Je prendrai cette citation dans le premier volume du nouveau journal, pages 47 et 48. « Au reste, on sait bien, dit M. de Zach, que, quelle que soit la figure de la Terre, sphérique, aplatie, ou oblongue, les directions des poids doivent toujours être perpendiculaires à sa surface, d’où il suit que le lieu de concours de toutes ces directions ne saurait être un point ou un centre unique (que) dans la sphère, et que dans un sphéroïde aplati (remarquez bien ce théorème de M. de Zach), ce lieu sera un plan circulaire autour du centre qui se confond avec le plan de l'équateur. On sait aussi que la force centrifuge, ou la vitesse de rotation de notre Terre, toujours. plus grande sous l'équateur que sous aucun autre parallèle, agit sans cesse avec des forces iné- gales contre l’action de la pesanteur, d'où pourrait en- core résuller une légère différence qui affecterait les observations astronomiques différemment dans différentes latitudes ! » Je ne ferai ici aucune remarque. Quel est, en effet, le commentaire. qui ne pâlirait pas à côté de la citation pure et simple des deux passages que j’ai soulignés ? ET SA CORRESPONDANCE ASTRONOMIQUE. 55 Après avoir ainsi dépouillé le nom de M. de Zach du prestige dont il était environné, l’examen critique des numéros successifs de la Correspondance astronomique deviendra une chose fort aisée ; je m'engage donc à y consacrer, de temps à autre, quelques pages de ce journal. M. de Zach se vante d’être le dépositaire des Mémoires secrets de deux des savants les plus célèbres et les plus illustres de l’Institut de France. « Ces Mémoires renfer- ment, ajoute-t-il, des choses qui ne feront ni honneur ni plaisir. » Il était décidé à «ensevelir ces scandales dans un oubli éternel ;» mais il révélera si on l'attaque... (tome 1v, p. 74.) M. le baron a pu voir, dans ce qui pré- cède, que ses menaces ne nous ont point effrayé. Or, comme je tiendrais à honneur d’être le premier objet de ses révélations, je le préviens que l’auteur de cet article est celui des deux rédacteurs des Annales dont le nom est inscrit le second sur la couverture !, a ADDITIONS À L'ARTICLE PRÉCÉDENT SUR LA CORRESPONDANCE ASTRONOMIQUE DE M. LE BARON DE ZACH ? J'étais absent de Paris lorsqu’on inséra, dans le cahier de novembre, un article relatif à la Correspondance astro- nomique de M. de Zach. Je me suis aperçu, à mon retour de Metz, que la personne qui s'était chargée de corriger l'épreuve avait laissé échapper quelques fautes. Heureu- 4. Ce recueil portait alors pour titre : 4nnales de chimie et de physique, par MM. Gay-Lussac et Arago. 2. Ces additions ont été imprimées dans le cahier de décembre 1821 des Annales de chimie et de physique, t. XVII, p. 429. 56 M. LE BARON DE ZACH sement elles sont peu importantes, en général, et le lec- teur y aura suppléé. Il en est une, toutefois, que je désire signaler moi-même, parce qu’elle se trouve dans une citation. On a imprimé (voir ci-dessus p. 54) : « D'où il suit que le lieu de concours de toutes ces directions (les directions des poids) ne saurait être un point ou un centre unique dans la sphère, » tandis qu'il faut dire : «ne saurait être un point ou un centre unique que dans la sphère. » Ce passage, ainsi rectifié, prouve que M. de Zach, et je me plais à lui rendre cette justice, n’ignore pas que les rayons d’une sphère sont perpendiculaires à sa surface, Les passages suivants, ceux que j'avais souli- gnés et sur lesquels, d’après ma déclaration expresse, portait exclusivement la critique, montrent, au contraire, avec une entière évidence, que M. le baron, en cela bien inférieur aux élèves de nos lycées, ne s’est pas élevé dans ses études jusqu’à l’ellipsoïde de révolution. Voilà tout ce que j'avais l'intention de prouver : or je doute que per- sonne conteste l'exactitude de ma démonstration, bien que le fait, en lui-même, doive paraître très-singulier à ceux surtout qui se rappelleront que la presque totalité des mesures de la Terre, anciennes et modernes, a passé sous la férule du critique allemand. J’ai reçu, depuis la publication de mon article, une lettre que les bornes de ce journal ne nous permettent pas d'imprimer. Je désire que l’anonyme qui l’a écrite trouve, dans les remarques suivantes, une preuve de tout le cas que je fais de ses avis. On me reproche d’avoir annoncé, sans en fournir la preuve, que M. de Zach avait eu, avant 1804, commu- ET SA CORRESPONDANCE ASTRONOMIQUE. 57 nication des Tables du Soleil de M. Delambre. Ce fait est de notoriété publique; presque tous les astronemes de Paris l'ont entendu répéter mille fois à feu M. de Lalande, qui s'était chargé lui-même d’adresser le paquet à Gotha; mais, pour lever tous les doutes, je transcrirai ici quel- ques passages d’une lettre de M. de Zach : «Ne pourrai-je pas avoir une copie ou les épreuves des Tables du Soleil de Delambre ? Elles me seraient bien né- cessaires à présent que j'emploïe beaucoup le Soleil pour més lâtitudes : cela me dispenserait de chercher toujours les erreurs des Tables; ce qui est impraticable lorsque je suis absent du Seeberg. se « Delambre ne serait-il pas porté à faire ce sacrifice à la science? car, comme il publie ces Tables, un mois de plus ou de moins ne lui fait rien, mais à moi cela fait beaucoup, il me fait gagner du temps et des avantages. Parlez au compère de la duchesse. Peut-être fera-t-il par parenté ce qu’il ne ferait pas par amitié. | « Signé DE ZACH. » Cétte lettre, qui était adressée à M. de Lalande, porte pour date : 47 novembre 1803. Les nouvelles Tables de M. de Zach ont paru le 4 mai 1804! J'aurai plus de peine à me justifier, je l'avoue, sur le reproche que m’adresse l’auteur anonyme de la lettre au sujet du jésuite allemand Liesganig. Je suis même déjà assez disposé à reconnaître qu’il y a de grandes exagéra- tions dans le Mémoire que M. de Zach a publié sur le degré de Hongrie. Je m'engage, du reste, à examiner avec la plus scrupuleuse attention les remarques qui me sont 58 M. LE BARON DE ZACH adressées et les critiques de l’astronome de Gotha, et à convenir franchement, si le cas l'exige, que les assertions de M, le baron ne doivent pas être accueillies sans exa- men, alors même qu’elles attaquent le savoir et la probité de ses propres compatriotes, L L'auteur anonyme me permettra-t-il, à mon tour, de lui dire qu’il se trompe lorsqu'il insinue qu’en parlant en termes qui lui paraissent exagérés de la prétendue répu- tation dont jouit M. de Zach dans le monde savant, je m'étais seulement proposé de rendre plus frappant le contraste qui existe entre le mérite supposé et le mérite réel des ouvrages de cet observateur. Une ou deux cita- tions suffront, en effet, à ma justification. Dans une notice sur Piazzi insérée en janvier 1810, dans le Monatliche Correspondenz, on trouve ce passage : Allemand. Was in des vergangenen Jahr- hunderts erster Hälfte Bradley und Mayer, jetzt Maskelyne und Zach, für England und Deutsch- Jand sind, das ist Piazzi für Ita- lien. Traduction. Ce que, dans la première moi- tié du siècle passé, Bradley et Mayer ont été, ce que sont main- tenant Maskelyne et Zach pour l’Angleterreet l’Allemagne, Piazzi l’est aujourd’hui pour l'Italie. “ Et plus bas, page 72, on lit : Als mehrere der berühmtesten Astronomen, Olbers, Zach, Oria- ni. ‘ Comme la plupart des astro- nomes les plus célèbres, Olbers, Zach , Oriani. Je conviendrai volontiers avec mon critique : Qu'on ne s'attendait guère À voir de Zach en cette affaire. Mais il n’en demeurera pas moins évident que je n’ai rien ET SA CORRESPONDANCE ASTRONOMIQUE. 59 exagéré en disant qu’on regardait dans le public M. de Zach comme un des plus célèbres astronomes de l'Eu- rope. Il est cependant une difficulté que je ne veux pas . dissimuler, malgré tout le désir que j'aurais de me justi- fier complétement sur ce point; c’est que l’article d'où j'ai extrait les passages ci-dessus, ayant paru sans signa- ture dans un journal dont M. de Zach était propriétaire, on pourrait à toute rigueur supposer que M. de Zach en était l’auteur. Au point où nous en sommes, cet astro- nome et moi, je serais trop difficile si je repoussais une telle explication; je consens donc, dès à présent, à de- meurer atteint et convaincu d’avoir inconsidérément ac- colé le nom de M. le baron à de trop brillantes épithètes, pourvu qu’on accorde que lui-même m'en avait, le pre- mier, donné l'exemple, SUR LA PRISE DE POSSESSION DES DÉCOUVERTES SCIENTIFIQUES Il n’y a qu’une manière rationnelle et juste d'écrire l'histoire dés sciences : c'est de s'appuyer exclusivement sur des publications ayant date certaine ; hors de là tout est confusion et obscurité. | Quelle plainte légitime pourrait faire entendre celui qui, amoureux de ses découvertes comme l’avare l’est de ses trésors, les enfouit, se garde même de les laisser soupçonner, de peur que quelque autre expérimentateur les développe ou les féconde. Le public ne doit rien à qui ne lui a rendu aucun service. Oh! je vous entends; vous vouliez prendre le temps de compléter votre ouvrage, de le suivre dans toutes ses ramifications, d’en indiquer les applications utiles! Libre à vous, messieurs, libre à vous; mais c’est à vos risques et périls. D’ailleurs, vos craintes de spoliation étaient exagérées. Où a-t-on vu, en effet, que le monde scientifique ait manqué de poursuivre de ses poignants sarcasmes, de ses justes colères, de ses écrasants mépris, les personnages stériles qui, aux aguets DE LA PRIORITÉ DES DÉCOUVERTES. 61 des travaux de leurs contemporains, ne manquent jamais de se jeter sur un filon, le lendemain même du jour où quelque heureux explorateur l’a découvert ; qui se mon- trent sans cesse aux croisées, à tous les étages des édifices en construction, dans l'espérance qu’on les en croira les architectes ou les propriétaires ? Le plus simple bon sens veut que pendant un temps limité, mais suffisamment étendu, une possession privilégiée, absolue, soit accordée aux inventeurs ; cette stricte justice leur at-elle jamais été refusée? Si un homme déloyal va moissonner sur le champ qu’il n’a pas ensemencé, la réprobation générale est là pour le punir. Non, non! il ne faut pas s’y trom- per : en matière de découvertes, comme en toute autre chose, l'intérêt public et l’intérêt privé bien entendu marchent toujours de compagnie. J'ai parlé de publications. J’appelle ainsi toute lecture académique, toute leçon faite devant un nombreux audi- toire, toute reproduction de la pensée par la presse. Les communications privées n’ont pas l'authenticité néces- saire. Les certificats d'amis sont sans valeur . l’amitié manque souvent de lumières et se laisse fasciner. En rappelant des principes dont l'historien des sciences ne saurait assez se pénétrer, je n’ai pas entendu, Dieu m'en garde! venir en aide à ces écouteurs aux portes qui, chaque jour, confient à la presse le secret dont ils sont parvenus à se saisir, à s'emparer la veille. Dérober une pensée est à mes yeux un crime encore plus impar- donnable que de dérober de l’argent ou de l'or. Un titre imprimé peut donc être soumis aux mêmes vérifications qu'un billet de banque. Il faut que les intéressés aient le 62 DE LA PRIORITÉ DES DÉCOUVERTES. droit de s'inscrire en faux ; il faut que les dires contradic- toires soient débattus avec une stricte justice, condition qui, sauf de très-rares exceptions, me paraît devoir entraîner de rejet de toute réclamation posthume. G Depuis quelques années les paquets cachetés, comme prétendu moyen de prise de possession des découvertes scientifiques, ont acquis tant de faveur que les archives de l'Académie des sciences menacent d’en être encombrées. Je dois faire remarquer qu’en thèse générale la priorité appartient incontestablement à celui qui le premier a livré ses observations au public. C’est à ce principe que se rallient tous ceux qui font autorité en matière de sciences. Un paquet cacheté ne peut servir qu’à conserver à celui qui le prend le droit de s’occuper d’un travail lors même qu’un autre viendrait publier des recherches sur le même sujet. Ne voit-on pas le danger qu’il y aurait sans cela à transformer en découvertes achevées quelques vagues aperçus donnés sous forme d’aphorismes et sans démon- stration, lorsque la démonstration constitue souvent le vrai mérite d’un travail? Il importe, dans l'intérêt des sciences, de ne pas décourager les esprits laborieux et sévères qui ne négligent rien pour imprimer à leurs œuvres le cachet de la certitude. Lorsque deux ou même un plus grand nombre de per- sonnes s'occupent, soit ensemble, soit successivement de la solution d’un problème d’un grand intérêt scientifique, il est souvent difficile à l'historien des sciences de dire à qui revient l’honneur de la découverte qui enrichit les connaissances humaines d’une vérité nouvelle. Quelques physiciens, en thèse générale, considèrent comme inven- DE LA PRIORITÉ DES DÉCOUVERTES. 63 teurs, sans plus ample examen, ceux qui, les premiers, appelant l'expérience à leur aide, ont constaté l'existence d’un fait. D’autres ne voient qu’un mérite secondaire dans le travail, suivant eux presque matériel, que les expé- riences nécessitent ; ils réservent leur estime pour ceux . qui les: ont projetées. Ces principes sont l’un et l’autre trop exclusifs: On doit faire la part, chose toujours déli- cate, il est vrai, de l'importance de l’idée et de celle de l'invention. Quoi qu’il en soit, il est certain que dans les travaux faits en commun, il est bien difficile, maints exemples le prouvent, de déterminer le mérite ou la gloire qui revient à chaque collaborateur, J’ai dit que les titres de propriété intellectuelle vrai- ment valables sont les titres publiés. Je dois insister aussi pour blàämer la négligence de ceux qui, ayant fait de véritables découvertes, ne prennent pas le soin d’en enrichir le domaine public par la voie de l'impression. Et _quels contrastes frappants rencontre souvent l'historien des sciences ! Tel auteur, dans les séances hebdomadaires - de l’Académie des sciences, demande à cor et à cri, à communiquer la petite remarque, la petite réflexion, la petite note conçue et rédigée la veille ; il maudit la des- tinée, lorsque les prescriptions du règlement, lorsque l’ordre d'inscription de quelque autre plus matinal, font renvoyer sa lecture à huitaine, en lui laissant toutefois pour garantie, pendant cette cruelle semaine, le dépôt dans les archives académiques du paquet cacheté. D’un autre côté, tel inventeur d’une admirable machine mourra à la peine en subissant, sans murmurer, les rigueurs du sort, et songera à peine à consigner dans quelque écrit le 64 DE LA PRIORITÉ DES DÉCOUVERTES. produit de ses veilles laborieuses, une œuvre de génie . Si nous trouvons le premier ridicule, n’admirons pas outre mesure la philosophie du second. La société pour- suit d’une réprobation sévère ceux de ses membres qui dérobent à la circulation l’or entassé dans leurs coffres- forts ! Serait-on moins coupable en privant sa patrie, ses concitoyens, son siècle, des trésors mille fois plus précieux qu’enfante la pensée; en gardant pour soi seul des créa- tions immortelles, source des plus nobles, des plus pures jouissances de l'esprit; en ne dotant pas les travailleurs de combinaisons mécaniques qui multiplieraient à l'infini les produits de l’industrie, qui affaibliraient, au profit de la civilisation, de l'humanité, l'effet de l'inégalité des . conditions, et qui permettraient un jour de parcourir les plus rudes ateliers sans y trouver nulle part le déchirant spectacle de pères de famille, de malheureux enfants des deux sexes assimilés à des brutes et marchant à pas pré- cipités vers la tombe? On dit quelquefois, avec raison, que certaines découvertes étaient dans l'air, qu’elles ne. pouvaient pas ne pas être.faites ; que leur auteur a été heureux d'arriver le premier ; que sans lui un autre serait venu pour enfanter l’œuvre dont l'heure était sonnée. Mais l’histoire des sciences présente, pour contredire heureusement ce que cette doctrine a d’injuste, plus d’un problème important dont la solution, trouvée jadis par un homme de génie, a été perdue pour la postérité par le manque d’une publicité suffisante : les siècles se passent, et la vérité, quoique le voile en ait été un moment soulevé, demeure cachée dans les ténèbres de l'inconnu. SUR LES CHRONOMÈTRES ET LES PENDULES' Un savant étranger, M. le baron de Zach, a inséré en 1819, dans le cinquième numéro de la Nouvelle Correspondance astronomique et géographique publiée à Gènes, un article détaillé sur les montres que les naviga- teurs désignent indistinctement par les noms de chrono- mètres, garde-temps, ou montres marines. Cet article ne se ferait remarquer que par son extrême médiocrité si l'affectation avec laquelle l’auteur a évité de placer un seul nom français dans la liste des horlogers auxquels la géographie a des obligations, n’excitait, sous d’autres rapports, l’attention des lecteurs. Je souscris très-volon- tiers aux éloges mérités qu’on accorde à MM. Harri- son, Kendal, Mudge, Emery, Arnold et Earnshaw ; je sais combien ces habiles artistes ont été utiles, et quoi- qu’il m'eût semblé très-naturel de joindre à leurs noms 'ceux de Le Roy, de Ferdinand et Louis Berthoud, et de MM. Breguet père et fils, je n’aurais pas eu la pensée de faire remarquer cet oubli, si le but évident de M. de Zach n’avait été de déprécier les travaux de nos compa- 1. La première partie de cette Note a paru dans les {nnales de chimie et de physique, t. X, p. 107 (1819): la seconde partie a été insérée dans l'Annuaire du Bureau des longitudes pour 1824. XII. : 5 66 SUR LES CHRONOMÈTRES triotes, « M, Earnshaw, dit-il, est actuellement le plus habile constructeur de chronomètres. » Mais les témoi- gnages respectables dont M. le baron s’étaie sont-ils aussi positifs qu’il le dit? Le Bureau des longitudes de Londres avait été chargé de comparer les garde-temps d’Earns- haw avec ceux d'Emery, d’Arnold et de Mudge. Les pre- miers lui semblèrent les plus parfaits, et à cette occasion Earnshaw reçut du Parlement un encouragement de 3,000 livres sterling (près de 80,000 fr. ); mais remar- quons que les horlogers du continent ne faisaient point partie du concours, et que dès lors la décision prise par l’amirauté et par les astronomes de Greenwich, d'Oxford et de Cambridge ne pouvait pas les concerner. L’exten- sion que M. de Zach a donnée à l’assertion ci-dessus lui appartient donc entièrement et ne repose que sur sa seule autorité. Si maintenant il veut bien me le permettre, je vais lui montrer, par des preuves authentiques, que MM. Breguet père et fils construisent à Paris des garde- temps dont la marche est plus régulière encore que celle des deux chronomètres qui valurent à Earnshaw une ré- compense nationale. Les lecteurs qui s'intéressent aux progrès de la navigation et des arts, j'ajouterai même à la gloire de la France, me pardonneront sans doute les détails dans lesquels je vais entrer. La première des tables suivantes est la copie fidèle d’une note qui m’a été remise par le général anglais sir Thomas Brisbane ; je ne prévoyais pas que j'aurais l’oc- casion d’en faire usage. La montre a été soumise à de rudes épreuves; car on l’a transportée plusieurs fois en poste de Valenciennes à Paris et à Cambrai, et sur plu- ET LES PENDULES., . -67 sieurs points de la frontière septentrionale de la France. Ceux qui connaissent M. le général Brisbane ne deman- deront pas si l’on doit compter sur l’exactitude des obser- vations qui ont servi à déterminer le temps absolu : on pourra, dans tous les cas, recourir à l’intéressant Mémoire qu’il a inséré dans les Transactions de la Société royale d'Edinburgh, et après cela on ne conservera certainement à ce sujetaucune espèce de doute. L'état de l'atmosphère, les fréquents voyages de M. Brisbane et ses occupations multipliées ne lui ont pas permis d’observer le Soleil chaque jour : la seconde colonne de la Table fera con- naître par quels intervalles les retards du chronomètre en vingt-quatre heures ont été calculés. Marche d’un chronomètre de poche, à tourbillon, construit par MM. Breguet et Fc au général sir Thomes Brisbane. | pis Nombre Retard de jours. journalier. Du 1“ juin 1817 au. 7 _. 6::,,,.:109.77 7 46 9 —41 .08 46 21 HI 1 2h 21 26 715 —1 ,55 26 7 juillet 11 —1 .12 7 juillet 20 43 —1 .72 20 27 7 —1 .18 2 5 août 9 —1 .67 5 août 17 22 —0 .90 17 26 9 —0 .84 26... 7 septembre “c 48 —0 .83 7 septembre 19 12 —0 .75 19 3 octobre 1% —0 .29 3 octobre 9 6 —0 .54 9 7 novembre 29 —0 .04 7 novembre 22 15 —0 .16 22 5 décembre 13 —0 .71 5 décembre 17 42 —0 .16 68 SUR LES CHRONOMÈTRES du 17 décembre au 25 8 —0°.83 25 2 janv. 1818 8 —0 .76 2 janvier 1818 18 16 —0 .13 18 46 février 29 —0 08 16 février 28 mars 40 —0 .58 28 mars 5 avril 8 —0 .84 5 avril 44 9 —0 .67 14 29 45 —0 .69 29 8 mai 9 —0 .67 8 mai 20 12 —0 .91 20 26 6 —0 .56 26 42 juin 17 —0 .55 12 21 9 —0 .68 21 Lk août Ll —0 .89 L août 492 8 —1 .37 42 , 31 19 —1 .46 31 11 septembre 41 —1 10 41 septembre 20 9 —1 .34 20 6 octobre 16 —1 .16 6 octobre ‘45 9 —1 .54 Je n’ai pas besoin de faire remarquer que, pour juger de la bonté d’un chronomètre, il suffit d'examiner si sa marche est toujours la même, quelle que soit d’ailleurs la quantité de l’avance ou du retard diurnes. Ainsi, un chronomètre qui avancerait régulièrement de 10 secondes en vingt-quatre heures serait préférable, par exemple, à celui qui, d'accord avec le temps moyen à une certaine époque, en différerait ensuite d’une demi-seconde par jour, en plus ou en moins. Le premier de ces chrono- mètres avancerait précisément de 5 minutes en un mois, de 10 minutes en deux mois et ainsi de suite, et donne- rait exactement le temps absolu à l’aide d’une correction facile à calculer. L'heure indiquée par le second serait plus rapprochée de l’heure véritabie ; mais, après un in- tervalle de deux mois, la différence, sans qu’on en fût ET LES PENDULES. 69 averti, pourrait s'élever jusqu’à 4 demi-minute. Or, c’est précisément cette incertitude qu’il importe d'éviter dans les observations de longitude. On voit par la Table précédente qu’en seize mois le retard diurne de la montre de MM. Breguet n’a guère varié que de 14° 1/2, et qu’à partir du mois de mars 1818 jusqu’en octobre de la même année, c’est-à-dire dans une période de huit mois consécutifs, ce retard s’est maintenu entre 0°.55 et 1°.54. On remarquera encore que les mois les plus chauds ont correspondu aux plus forts retards ; en sorte que les variations que nous venons de noter, toutes légères qu’elles sont, ne tiennent qu’à un petit défaut dans la compensation. En calculant d’une manière analogue les observations de la marche du chronomètre d’Emery que M. le comte de Bruhl a publiées, nous trouverons plus de 4 seconde d'avance journalière moyenne en janvier et environ 1° 1/2 de retard en juin; ce qui donne dans la marche, en six mois, une variation totale de 2,5. Dans les premières épreuves avec ce même chronomètre, le retard qui en mars n’était guère que de 2°,5, s'était déjà EU en juillet à plus de 7 secondes. Passons maintenant aux chronomètres d’Earnshaw et ne tenons même compte que de l'épreuve troisième et dé- finitive sur laquelle on s’est fondé pour accorder à l’ar- tiste une récompense nationale. Nous trouvons alors que le n° 4 retardait en septembre d’environ 2.5 ; tandis que, dans le mois de janvier suivant, sa marche moyenne était de plus de 4 seconde d’avance par jour. Le n° 2 nous offrirait des variations plus fortes. L’un et l’autre avaient 70 SUR LES CHRONOMÈTRES donc une marche moins régulière que le chronomètre du général Brisbane, quoique celui-ci ait été porté et que les deux chronomètres d’Earnshaw soient constamment restés à l'Observatoire de Greenwich. M. de Zach trouvera-t-il, je ne dis pas des garde- temps, mais même des pendules astronomiques dont la marche soit plus régulière que celle du chronomètre n° 1656 de MM. Breguet? Je le prie de remarquer que la Table suivante embrasse une période de quinze mois con- sécutifs. La montre marine n° 1656 de MM. Breguet ayant été comparée au temps moyen par des observations faites à bord de /a Pallas, en rade de l’île d’Aix et au mouillage des Bris, depuis le 45 septembre 1810 jusqu’au 12 dé- cembre 1811, M. le capitaine de vaisseau Bigot en a déduit la marche qui suit : Avance diurne. Du 15 septembre 1810 au 22 + 8.0 22 L novembre + 2.8 4 novembre _ 45 + 3.0 13 20 #2.:7 20 22 + 2 .6 29 : 26 +28 26 4 décembre + 2,5 1 décembre li +2 .4 L ‘417 + 2 .6 47 23 + 2.8 23 28 + 2,:7 28 5 janvier 1811 + 2.5 5 janvier 1811 9 + 2 4 ÿ. : €. 19 14 9.8 12 18 + 2.5 48 : 26 + 2.8 26 E A février + 2.6 L février 27 + 2.7 ET LES PENDULES. SE du 27 février 1811 au 12 mars + 25.8 12 23 + 2 .6 23 6 avril + 2.3 : 6 avril 20 + 2.5 20 9 mai +2. 9 mai 25 "+ 2 6 25 ; 7 juin +23 7 juin 12 +13 12 23 + 2.4 23 44 juillet + 2.3 14 juillet 2 septembre + 2.5 2 8 +23 8 19147 + 2 4 17 4 octobre + 2.2 L octobre 25 + 2.5 25 12 novembre + 2.5 12 novembre 24 -h 2.3 24 412 décembre + 2.6 Par le bill relatif à la détermination des longitudes en mer, le parlement d'Angleterre promettait une récom- pense de 10,000 livres sterling (250,000 fr. ) à l'artiste qui exécuterait des chronomètres assez parfaits pour donner la longitude au bout de six mois, sans une erreur de 2 minutes de temps. Or, il est facile de voir que les conditions de ce prix sont parfaitement remplies par le chronomètre dont nous venons de transcrire la marche, et que, dans les combinaisons les plus défavorables, l’âvance diurne moyenne d’un mois ne produirait guère, au bout de six mois, qu'une erreur d'une seule minute, Pour donner une idée exacte du degré de perfection auquel l'horlogerie française est parvenue, je vais tran- 4. Voir sur les divers prix proposés pour la solution du problème des longitudes, t, V des Œuvres, t, IL des Notices scientifiques , p. 666, 72 SUR LES CHRONOMÈTRES scrire le tableau de la marche de deux pendules construites : par MM. Breguet, et qui sont maintenant à Altona!, L’une appartient à M. Kessels, l’autre à M. Schumacher. Ce der- nier a observé lui-même les passages d'étoiles au méri- dien d’où l’on a déduit le mouvement diurne de chaque pendule. Je me félicite d’avoir à présenter le nom d’un astronome aussi habile comme garantie de l’exactitude des résultats. J’espère d’ailleurs qu’on ne se méprendra pas sur les motifs qui m'ont déterminé à emprunter à un étranger des observations destinées à faire apprécier le mérite de nos artistes. Dans la Table suivante le signe — marque encore un retard de la pendule sur le temps moyen; le signe + une avance. Les dates indiquent les jours où les circonstances atmosphériques ont permis d’observer les astres; les nombres en regard des dates, sur la seconde colonne, ex- priment les avances ou les retards diurnes moyens, dans les intervalles compris entre chacune de ces dates et la précédente, 4. C'est Huygens qui, en 1656, a appliqué le pendule aux hor- loges. — Gette application doit une partie de ses avantages à la suspension à ressorts. Dans la suspension du pendule à deux res- sorts on peut disposer de la force et de la longueur de ceux-ci de manière que les grandes et les petites oscillations soient isochrones. On conçoit, en effet, qu’à mesure que les oscillations deviendront plus étendues, les deux ressorts seront plus fortement bandés et acquerront une puissance de réaction plus grande, qui atténuera la durée des oscillations. Le centre de mouvement descendra aussi un peu plus bas, ce qui équivaut à une diminution de longueur du pendule. Ces deux causes d'accélération pour les grands arcs peu- vent donc compenser le retard que ces grands arcs auraient occa- sionnés dans la marche d’un pendule simpie. (Berthoud, Histoire de la mesure du temps, t. I, p. 215.) ET LES PENDULES. 4er octobre 1892. ........,.... ; rap ao PE ES ap TELE +0 novembre. :. 5 side ns ++ APN RÉ RLoN ar ÉRet QRs me LT ÉÉONRR P E Sites é iGénibre A 0 pe A te A La € me rs Rae RME NT POTTE és M roc ocsccsanecarévésseiee 7 janvier 1893. Rnrcrerséeess sée M SAUT di denrées te és. 13 février...... PAR RERES À AGE ss 8 AAA ae A 2 4 POSER dre US Vovtgse DT. ns convcedeve des dures . D... osu vec Or PRET M rsiieee ass te seeseue dense . Auris: La Rs des ns énde ee RNEN GRÉES Suéss a cer sind ré eee Are h'mai.....; MÉt les rdv das e 2 PE D ce ere dl: to LE ; . Re SUCRE d Kiné SR : AT ete ruirare PRE re pre : juin; 5e és «te sons Ts cd EPP RAI RAR ARS : * À° POSER Rica RAS é M ana sms er uvre ; ONE... rieur: PPNPCPEES : + SPORE TR M Givde ess ss es eh pose Une circonstance remarquable que ++ ++++ 000060000602 002222222%0S090SSS©Se e ” E io io be ln à ho bo Go &o 9 9 © &, de (9 +» A eo : 7 OC, pv CD MED 0 Che © LE à NO N © © © PF bd Pl D D © De je ne dois pas négliger de noter, c’est qu’en janvier 1823, c’est-à- dire à l’époque même où cette admirable marche de Ja pendule se maintenait si bien, le thermomètre de Réaumur, dans la boîte, marqua pendant plusieurs jours de suite de 10° à 44° (12°.5 à 13°.8 centigrades) au - dessous de zéro. Pour qu’on ne croie pas, au reste, que cette régularité presque idéale est l'effet du 74 SUR LES*CHRONOMÈTRES hasard, je transcrirai encore la marche de la pendule de M. Kessels : 22 forrier 2822, ro ere 0°,0 PSS ox 5e do Dr . — 0 .1 DAV nt lo RAIN 0.0 D'AINi niNSSuosdseS cNE 0.0 ch RE PP ARR ER — 0 .1 OR ee + 0.2 RU an NOUS NUE + 0 9 à PRES RER MP NT SE — 0 A RSS den nb av ; 0 ,0 Ce DD PSE EU ae + 0.1 PE Pen mer ER TL PR "1 0.0 FA SEPIOMTO:. es cs 0 .0 Ain mena iele dun Cho de ei à — 0 .i 2 DOVOMOTB EE cn ren aUs — 0 .3 Dont PR RS CNET ARRETE — 0 .2 Les précédentes expériences sont de Hambourg ; à Altona le même régulateur donna : Enf décembre 1892... uses 0°,6 23 jahyier 808 5560506: 0 — 0. D: 15 NAT Etes tontiioncinuss — 0 .5 DTMAONTION sa ssvcssonsessceorte — 0.5 TDOTS.. use no ranene san e arrete — 0 20e ce STE Er Pers aniRle — 0 .3 DO lavsnrais en spé RE — 0.2 Aa RP RE LES — 0 .2 ds. o6. Qu. LS 13166196. 2 — 0 .2 AA 0 15 one ere h — 0.1 "+ Por ie as AA TAN dames 0 .0 (25, AR SON. EU HE 0 ,0 2 HI pt 0 See Leucre bic 0,3 LE PP. | HRONMRAENNEE 0 .3 Pere red der ON Be Ts — 0 4 4 juiel. 4 GR: SEE. — 01 BE este tenir ls ae ace à — 0 1 On vient de voir à quel degré de précision on arrive, ET LES PENDULES, 75 dans la mesure du temps, avec une horloge bien con- struite 4, Cette étonnante exactitude est due en grande partie à l'emploi d’un lourd pendule comme régulateur ; mais on a peine à concevoir que les chronomètres, où ce moyen n’est pas applicable, et dans lesquels le balancier qui remplace le pendule fait toutes les vingt-quatre heures des oscillations d’amplitudes si diverses, puissent présenter une marche presque aussi régulière. C’est ce- pendant ce que les artistes ont obtenu en ajoutant au balancier un ressort spiral ? qu’il est toujours possible de rendre isochrone à l’aide d’une modification convenable dans sa longueur, l'épaisseur restant constante, ou par une modification dans cette épaisseur, si on ne touche pas à la longueur primitive. Voici, en effet, entre autres exemples que je pourrais citer, la marche du chronomètre de MM. Breguet portant le numéro d’ordre 3056. Ce chronomètre appartient aussi à M. Schumacher et a été suivi par lui. Retard diurne ) moyen. Du 30 septembre au 1°“ avril 1820 — 8° 4 4® avril 6 — 8 .8 6 11 — 8 .8 1 46 — 8 16 21 — 8.8 24 26 : … — 8 .9. 4. Les horloges étaient employées pour mesurer le temps dans lies observations astronomiques en 1484 (Waltherus, de Nurenberg). — C’est Mæsilin qui le premier, en 1577, fit usage des battements d’une horloge pour mesurer des intervalles célestes. Il essaya de déterminer ainsi le diamètre du Soleil. (Bailly, t. 1, p. 725.) 2. Le ressort spiral, moteur des montres portatives, fut inventé vers le commencement du xvi' siècle. (Berthoud, Histoire de la me- sure du temps, t.1, p. 76.) Voir Astronomie populaire, t.1, p. 55. 76 SUR LES CHRONOMÈTRES du 26 avril au 1°" mai 1820 — 95.0 4 mai 6 — 9 .3 6 41 — 9 4 11 16 — 8 .7 267 DE — 8 .7 > + i 26 — 8.7 26 31 — 8 .. 31 5 juin — 8.5 5 juin 10 — 8.5 10 15 — 8 .6 15 20 — 8 .8 20 25 — 8 .8 25 30 — 8 9 30 5 juillet — 8.9. 5 juillet 10 — 8 .8 10 45 — 8 .7 415 20 — 8 .7 20 25 — 9 .1 2 30 — 9 4 30 4 août — 9 4 août 9 — 9. 9 14 — 9.2 4 19 — 9 3 19 24 — 9,1 24 29 — 9 .1 29 3 septembre — 9.1 3 septembre 8 — 9.3 8 13 — 9 .4 413 18 — 9,0 18 septembre 23 — 8 .9 23 28 — 9.2 28 à octobre — 9.0 L’horlogerie n'aurait plus rien à faire pour la sûreté des navigateurs si l’on parvenait à construire à coup sûr des chronomètres aussi parfaits que celui dont nous venons de parler ; si l’on pouvait surtout assurer la régularité de leur marche pour un temps déterminé plus ou moins long. Il arrive en effet trop souvent qu'un chronomètre qui, durant plusieurs mois de suite, a donné presque exacte- ET LES PENDULES. ++ ment la même avance ou le même retard diurnes, se dérange tout à coup sans aucune cause apparente ou que le navigateur ait pu prévoir. Un chronomètre en repos dans un observatoire marche mieux ou du moins tout ‘autrement que celui qui est exposé aux mouvements brusques d’une voiture ou d’un bâtiment : aussi pourrait- on critiquer la méthode, assez généralement suivie, de placer ces instruments à terre pour les faire régler dans les observatoires de la marine, avant le départ des navires. M. Fisher trouva, par exemple, au Spitzberg qu’un chronomètre qui à terre battait exactement 86,400 se- condes-en vingt-quatre heures, avançait de 8 secondes dans le même espace de temps lorsqu'il était placé sur un bâtiment. - Pour une autre montre marine d’Arnold la différence entre la marche à terre et sur le bâtiment, près de Ma- dère, était de 5°.3 dans le même sens. M. Fisher attribuait ces différences à l’action que les masses de fer répandues dans le bâtiment pouvaient exercer sur les balanciers des chronomètres., dans la sup- position que ces balanciers, formés en grande partie d'acier, avaient acquis des pôles pendant qu’on les fabri- quait. On s’est assuré que cette vue de M. Fisher était _ juste ; il faut seulement substituer dans l'explication l’ac- tion magnétique du globe à celle du fer du bâtiment qui, dans nos latitudes du moins et pour les places qu’oc- -cupent en général les chronomètres, est beaucoup plus petite. Les erreurs qui dépendent de cette cause doivent changer avec l'orientation de la montre, et, quand le ba- Ft 78 SUR LES CHRONOMÈTRES lancier est. fortement magnétisé, elles peuvent acquérir. de très-grandes valeurs. M. Varley, par exemple, ayant placé sur une table une montre qui était dans ce cas-là, de manière que le pôle nord du balancier fût tourné vers le nord, trouva qu’elle avançait de 5" 35° en vingt-quatre heures, Après avoir fait faire un demi-tour à la table, ce pôle nord étant tourné au sud, la montre retardait de 6” 48° dans le même espace de temps. Quoiqu’on ne doive pas craindre, en général, des er- reurs de cet ordre, puisqu'il est toujours facile de recon- naître et de détruire un magnétisme aussi fort que celui qui existait dans la montre de M. Varley, cependant il . paraît bien désirable qu'à l'avenir les horlogers s’abs- tiennent d'employer l'acier dans la fabrication des balan- ciers : le platine pur, ou allié à d’autres métaux, pourra probablement le remplacer utilement, À la suite d’un article où le nom de M. Breguet a été prononcé si souvent, qu’il me soit permis de dire que ce célèbre artiste a laissé en mourant, à la tête de ses ate- liers, un fils du plus rare mérite, depuis longtemps associé à ses travaux, à toutes ses découvertes, et dont l'esprit inventif s’est exercé avec succès sur les diverses branches de la mécanique et de la physique qui intéressent les pro- grès de l’horlogerie. Sous la direction d’un homme aussi distingué la grande et juste réputation des ateliers de M. Breguet ne pourra que s’accroître. Les chronomètres avec lesquels les jeunes Berthoud se sont présentés à la dernière exposition (1823), prouvent aussi qu'ils ont parfaitement profité des excellentes leçons de leur père, ET LES PENDULES. 79 et qu’ils méritent toute la confiance des marins. A ces noms déjà célèbres, nous pouvons en ajouter un troisième qui le deviendra certainement, celui de M. Duchemin. Les chronomètres de cet artiste ont excité l’attention des connaisseurs par plusieurs ingénieux artifices sur le mérite desquels il me paraît évident que l’expérience prononcera favorablement. RAPPORT SUR UN MÉMOIRE DE M. DAUBUISSON, RELATIF A LA MESURE DES HAUTEURS PAR LE BAROMÈTRE ! M. Daubuisson, ingénieur des mines, ayant présenté à la Classe un Mémoire sur la mesure des hauteurs à l’aide du baromètre, nous avons été chargés, MM. Laplace, Biot et moi, de lui en rendre compte. Ce Mémoire est divisé en trois sections. Dans la première, M. Daubuisson donne d’abord l’aperçu historique des perfectionnements successifs que les physiciens et les géomètres ont apportés à la méthode qui sert à calculer la hauteur des montagnes d’après les observations barométriques depuis la pre- mière application qu'Halley fit de la règle de Mariotte à la solution de ce problème jusqu’à la formule du qua- trième volume de la Mécanique céieste, dans laquelle on a eu égard aux variations de la pesanteur dépendantes des changements de latitude et de hauteur. M. Daubuisson donne ensuite une démonstration fort détaillée de cette formule dont le coefficient principal peut être déterminé par deux méthodes distinctes. Dans la première, qui est plus directe, et dont Halley fit usage, on déduit ce coefficient du rapport du poids de l'air à celui du mer- cure. La seconde, que Bouguer employa le premier, con- siste à égaler l'expression analytique d’une hauteur don- 4. Rapport inédit lu à la Classe des sciences mathématiques et physiques de l’Institut, le 21 mai 1810. MESURE DES HAUTEURS PAR LE BAROMÈTRE. 84 née par la formule à cette même hauteur mesurée géo- métriquement, et à tirer de cette équation la valeur du coefficient indéterminé. C’est par cette méthode que Deluc, Shuckburgh et Roi trouvèrent les coefficients dans leurs diverses formules, et c’est. d’un semblable moyen, appliqué aux observations du Pic du Midi, que M. Ramond a déduit, dans ces derniers temps, le coefficient que l’au- teur de la Mécanique céleste a adopté et dont la valeur diffère très-peu de celle que donnent les expériences les plus récentes sur les pesanteurs spécifiques du mercure ét de l’air. M. Daubuisson a profité, pendant son voyage dans les Alpes, de la situation avantageuse du mont Gre- gorio pour soumettre ce coefficient à une nouvelle épreuve dont les résultats sont consignés dans la seconde partie de son Mémoire. L'auteur y donne d’abord. le détail de son opération géodésique. Les angles et les distances au zénith furent pris avec le cercle de Borda et une base de 670 mètres détendue mesurée par un moyen qui nous semble fort exact. La règle de 5 mètres qu’il employa avait été pré- cédemment comparée aux mètres étalons que la Commis- sion des poids et mesures remit dans le temps aux dépu- tés du Piémont. Enfin, M. Daubuisson nous a mis à portée de juger du degré d’exactitude de son opération et de ses calculs, en publiant ses observations originales qui nous paraissent: mériter toute confiance. Le calcul trigonomé- trique, en corrigeant la distance au zénith de l’eflet de la réfraction terrestre par: une des formules du dixième livre de la Mécanique céleste, lui a donné pour la hauteur du mont Gregorio au-dessus de l’extrémité orientale de XIL. ” eh 82 MESURE DES HAUTEURS sa base 1709°.09. On déduit d’un calcul semblable, appli- qué aux observations de l’autre extrémité, une hauteur qui ne diffère que de 0.15 de celle qu'avait fournie le nivellement de la base entière. L'auteur fixe, d’après ces calculs, à 0.5 le maximum d'incertitude dont peut être affecté son résultat et passe ensuite à la description des instruments qui servirent à la mesure barométrique qu'il fit, aussi bien que la précédente, de concert: avec M. Mallet, ingénieur des ponts et chaussées. Les observations que M. Daubuisson se proposait de calculer étaient celles de midi; mais on prenait également note de l’état des instruments à onze heures, onze heures et demie, midi et demi et une heure, tant afin d'éviter les erreurs qui peuvent aisément se glisser dans une observation isolée, que pour s’assurer que les instruments avaient marché d’une manière régulière. L'auteur a réuni dans un mêine tableau les observations de midi de dix jours, ét donné ensuite les hauteurs qu'il a trouvées par la formule de la Mécanique céleste, en adoptant pour coefficient principal celui qui résulte des pesanteurs spé- cifiques du mercure et de l'air, et faisant de plus au coefficient, qui multiplie la différence des logarithmes, une légère” correction dépendante de la dilatation de l'échelle du baromètre et dont on n'avait pas tenu compte jusqu’à présent. La plus grande différence de ses résul- tats partiels avec la moyenne est de 5°.6, et en ne tenant compte que des observations faites dans les circonstances les plus favorables, les discordances ne sont plus que de 1 mètre. La hauteur moyenne est de 1709.73. Cette même hauteur déterminée trigonométriquement était de PAR LE BAROMÈTRE. | 83 1708.40, et par conséquent plus faible que la première de 4",33. M. Daubuisson diminue par suite le coefficient qu’il a employé de sa 8/10,000° partie. Loin de voir dans les observations de l’auteur la nécessité de cette correc- tion, il nous semble qu’on devrait plutôt conclure, de leur grand accord, que les petites erreurs dont peuvent encore être affectés les coeflicients de la formule sont au-dessous de celles que les modifications atmosphéri- ques, dont on ne sait pas calculer l'influence, appor- tent dans les résultats des observations même les plus précises. Cette seconde section est terminée par une comparaison intéressante des formules des divers auteurs. Dans la troisième et dernière partie de son Mémoire, M. Daubuisson cherche à déterminer : 1° les erreurs que l'on peut commettre en mesurant plusieurs fois, à diffé- rents jours, mais à la même heure, une même hauleur ; 2 l'influence des diverses heures; 3° enfin celle de la distance horizontale entre les deux stations. Pour résoudre cette dernière question, M, Daubuisson a comparé les observations du Saint-Bernard et du mont Gregorio à celles de Paris ; il a trouvé des erreurs qui se sont élevées à 0.03 et même 0.05 de la différence totale de niveau; en sorte que les variations du baromètre, à d’aussi grandes distances, sont bien dans le même sens, aux mêmes jours, mais ne sont plus proportionnelles et ne doivent par conséquent pas être comparées. Quant à l'influence des heures, M. Daubuisson a trouvé, comme M. Ramond, qui depuis longtemps s'était occupé des mêmes questions, que les heures du matin et du soir 84 MESURE DES HAUTEURS donnent en général des hauteurs plus faibles que celles du milieu du jour. Pour déterminer ensuite les différences qu’on peut trouver dans les résultats déduits d'observations faites aux mêmes heures, M. Daubuisson compare ensemble deux séries correspondantes de 52 observations faites à midi pendant les mois de juillet, d’août et de septembre au Saint-Bernard et à Turin. Mais doit-on espérer qu’il y aura déjà, à la distance qui sépare ces deux observations, une parfaite correspondance entre les variations baromé- triques, et n’obtiendrait-on pas plus d'accord si les baro- mètres étaient moins éloignés ? Quoi qu’il en soit, le tableau dans lequel M. Daubuisson a réuni les observations dont il s’agit ici présente plusieurs résultats curieux. On trouve, par exemple, en comparant les hauteurs partielles avec la hauteur moyenne, que les discordances sont sinon proportionnelles, du moins assez souvent en rapport avec la différence entre la température du jour et la température moyenne de toute la série. Aïnsi, le ther- momètre ayant baissé au-dessous du terme moyen de 9°, 8°, 7, 6°, 5°, les hauteurs respectives des mêmes jours ont été plus petites de 47, 41, 28, 24 et 17 mètres. Le thermomètre ayant haussé à d’autres jours de 4°.5, h°, 3.5, 3, les hauteurs correspondantes ont surpassé la moyenne des hauteurs de 22, 20, 19 et 17 mètres. Les observations de 8 heures du matin et de 4 heures du soir, comparées respectivement entre elles, donnent, à quelques “exceptions près, des résultats analogues, quoiqu'il y ait un peu moins de régularité que dans les observations de midi. L'auteur conclut de là que toute variation notable PAR LE BAROMÈTRE, 85 en plus ou en moins dans l’indication du thermomètre, produit aussi une erreur en plus ou en moins dans la mesure barométrique correspondante, et que cette erreur, est d'autant plus grande que ce changement a élé plus subit. C’est donc au facteur de la température que M. Daubuisson attribue principalement les discordances que présentent quelquefois les résultats des observations barométriques. Le développement de cette idée est l'ob- jet d’une note fort étendue, dans laquelle M. Daubuisson cite à l'appui de cette opinion ses expériences et celles de quelques autres observateurs. Les vapeurs aqueuses répandues dans l’atmosphère diminuent sa densité; mais comme on ignore suivant quelle loï se fait ce décroissement dans les couches diver- sement élevées, on est réduit à ne faire qu’une correction moyenne. Les vapeurs étant d'autant plus abondantes que la chaleur est plus considérable, il suffit pour cela d'augmenter le coefficient de la dilatation et de le porter, ainsi que dans la formule de la Mécanique céleste, de 0.00375, que M. Gay-Lussac a trouvé par expérience, à 0.004. M. Daubuisson détermine dans une note à la fin de son Mémoire les plus fortes erreurs qui, dans les cas extrêmes, peuvent dépendre de ce mode approximatif de correction, et trouve qu’elles ne s’élèvent que très-rarement à deux ou trois millièmes de la hauteur totale, Telles sont les principales questions relatives à la me- sure des hauteurs à l’aide du baromètre que M. Daubuis- son a discutées dans son Mémoire et auxquelles il a joint plusieurs remarques météorologiques sur le décroisse- 86 MESURE DES HAUTEURS PAR LE BAROMÈTRE. ment de la chaleur à mesure que l’on s'élève, sur la quantité de vapeur aqueuse répandue dans l'atmosphère aux diflérents degrés du thermomètre et de l'hygromètre, ainsi que sur la période diurne barométrique, L'auteur altribue à cette dernière circonstance une partie des dis- cordances qu’offrent les observations faites aux diverses heures, et pense que la marche périodique du baromètre devrait être, sur une grande hauteur, en sens inverse de celle que présenterait un baromètre placé dans une plaine inférieure et adjacente. Mais nous devons remarquer à cet égard que c’est à Quito, dont l’élévation au-dessus de la mer est consi- dérable, que Godin reconnut le premier la période dont il s’agit, et que les heures maximum et minimum qu’il dé- termina sont les mêmes que celles qui résultent des nom- breuses observations que M. de Humboldt a faites au niveau de l'Océan à Cumana, sur le sommet du Pichin- cha et à Mexico. Ces réflexions, qui sans doute. n’auront pas échappé à l’auteur du Mémoire, le portent naturelle- ment à examiner si les périodes diurnes, en sens inverse, qu'il dit avoir trouvées sur quelques montagnes, n’ont pas tenu à des circonstances locales. Nous pensons, en outre, que la Classe doit engager M. Daubuisson à profiter des voyages qu'il fait dans les Alpes, comme ingénieur des mines, pour continuer ses intéressantes recherches et sou- mettre à l'épreuve de nouvelles expériences ceux de ses résultats sur lesquels il pourrait rester encore quelques doutes à cause des circonstances un peu défavorables dans lesquelles les observations ont été faites. Le Mémoire de M. Daubuisson, très-important par son BAROMETRE DE BUNTEN. . 81 objet, par le grand nombre de remarques judicieuses qu’il renferme, et surtout à cause du nouveau terme de comparaison que l’auteur y présente entre les mesures trigonométriques et barométriques d’une même montagne, nous paraît mériter d’être inséré dans les volumes des Savants étrangers. a RAPPORT SUR LE BAROMÈTRE DE BUNTEN Au point où la météorologie et la physique du globe sont actuellement parvenues, ces deux branches si inté- ressantes des connaissances humaines ne peuvent espérer de progrès réels que de la discussion d'observations simultanées faites dans un grand nombre de lieux à la fois, d’après un plan uniforme et avec des instru- ments parfaitement comparables. Les constructeurs qui, sans rien sacrifier de l'exactitude dont on se pique aujour- d'hui avec tant de raison, simplifient les instruments météorologiques, les rendent moins fragiles, moins chers et d’un emploi plus commode, méritent donc bien de Ja science. > 222 M. Bunten se plaça, il y a quelques années, dans cett : catégorie d'artistes uliles, lorsqu'il présenta à l’Acadc- mie un baromètre à siphon, très-léger, très-portatif et te 4. Rapport lu à l’Académie des sciences le 21 octobre 1839 au nom d’une Commission composée de MM. Cordier, Savary, et Arago rapporteur. | 88 BAROMÈTRE DE BUNTEN. dont les voyageurs de toutes les nations ont fait depuis un grand usage. Au nombre des avantages des baromè- tres à siphon sur les baromètres à cuvette, on avait placé l'absence de capillarité. D’après les idées généralement reçues, la dépression du mercure devant être la même dans les deux branches de l'instrument , la distance ver- ticale des sommets des deux colonnes ne semblait pou- voir exiger aucune correction. L'expérience a prouvé qu'il n’en est pas ainsi, et tout compte fait, mieux vaut une forte correction dont on sache calculer exactement la valeur, qu’une compensation seulement approximative et variable. D’ailleurs, la disposition nécessaire des ver- niers, dans les baromètres à siphon, a souvent donné liéu, chez les personnes peu familiarisées avec les instruments divisés, à de graves erreurs qui ne sont pas possibles quand on se sert d’un baromètre à cuvette. - Il était donc désirable, dans l'intérêt de beaucoup de voyageurs, que les baromètres à cuvette pussent être rendus aussi légers, aussi portatifs que les baromètres à siphon; qu’on eût le moyen d’en nettoyer facilement le mercure; que leur prix fût notablement abaissé. Telles sont les diverses conditions auxquelles M. Bunten s’est proposé de satisfaire. Le nouveau baromètre de cet artiste étant sous les yeux de l'Académie, nous pourrons nous contenter de dire que le fourreau en cuivre gradué qui enveloppe ordi- nairement le tube est supprimé; que les divisions sont tracées sur le verre même, comme dans les anciens baro- mètres à siphon de M. Gay-Lussac; qu’une pièce mobile portant le voyant et le vernier permet de viser et de lire TRAITÉ DE GÉODÉSIE DE M. PUISSANT. 89 avec toute la précision désirable; que la cuvette est en fer forgé; qu’elle est mastiquée et assujettie au verre par d'excellents procédés ; que le niveau constant s'obtient très-simplement, non à l’aide d’une poche de peau, comme dans les baromètres de Fortin, mais en vissant ou en dévissant la cuvette; que le mercure peut se nettoyer sans difficulté et très-rapidement ; que le baromètre pro- prement dit, tel qu'on l’emploiïera dans les cabinets de physique et les laboratoires de chimie, ne coûtera que L0 francs; qu’en ajoutant à cette somme 30 francs pour le pied, le prix total de l'instrument de voyage ne sera que de 70 francs, ce qui n’est pas même les deux tiers de la valeur des anciens baromètres à siphon. Ges courtes explications auront suffi pour faire ressor- tir tout le mérite du baromètre de M. Bunten. Vos com- missaires pensent que cet instrument est digne de l’ap- probation de l’Académie. RAPPORT SUR LE TRAITÉ DE GÉODÉSIE DE M. PUISSANT ! M. Puissant, chef de bataillon dans le corps des in- génieurs géographes, ayant présenté à l’Académie l’ex- trait encore manuscrit de la seconde édition de son Traité de géodésie, nous avons été chargés, M. de Prony et moi, de l’examiner. 1. Rapport inédit lu à l’Académie des sciences le 22 juin 1818. 90 TRAITÉ DE GÉODÉSIE DE M. PUISSANT. Cet ouvrage, dont la première édition a été prompte- ment épuisée, est principalement destiné à l'instruction des jeunes officiers du Dépôt de la guerre. L'auteur an- nonce qu’il y exposera avec détail les méthodes d’obser- vations et de calcul dont on se sert depuis les opérations de simple arpentage jusqu’à celles qui ont pour objet la détermination de la figure du globe. : Quant au manuscrit qui a été soumis à notre examen, il se compose de dix chapitres. | Le premier est un traité fort élégant et fort clair de tri- gonométrie sphérique. Le second est relatif aux mesures des bases. On trouve dans le troisième la démonstration des méthodes que MM. Legendre et Delambre ont données pour le calcul des triangles dont se compose un canevas trigonométrique. Les formules qui expriment différentes lignes prises sur l’ellipsoïde, en fonction des latitudes, font l’objet du quatrième chapitre. Les cinquième et sixième sont consacrés aux calculs des longitudes, lati- tudes et azimuts des objets terrestres, Enfin, dans le septième chapitre, le dernier de la section purement géodésique, l’auteur donne, d’après M. Legendre, les propriétés des triangles sphéroïdiques. Dans la partie astronomique proprement dite, nous avons remarqué une démonstration détaillée de la formule de réfraction dont on est redevable à M. Laplace, le chapitre où M. Puissant fait connaître les formules de parallaxe et de précession et par-dessus tout celui où il explique les moyens de calculer, soit directement, soit à l’aide de quelques tables auxiliaires, ies valeurs de l’aber- ration et de la nutation pour une époque quelconque. La DÉTERMINATION DES LONGITUDES. 94 Base du système métrique, la Mécanique céleste et les Mémoires de M. Legendre sont des mines fécondes où l’auteur a souvent puisé ; mais on aurait tort de supposer que, même alors, il s’est réduit au rôle de simple copiste. Les démonstrations nouvelles et élégantes qu’il donne des formules déjà connues ; l’enchaînement qu’il a su établir entre des théories qui souvent n'avaient été présentées que séparément et par différents géomètres, montrent qu'avant de prendre la plume M. Puissant avait fait l'étude la plus approfondie des méthodes de la haute géo- désie. Vos commissaires pensent que le nouvel ouvrage de cet habile ingénieur est digne, à tous égards, de l’ap- probation de l’Académie. RAPPORT SUR UN. MÉMOIRE DE M. DAUSSY, RELATIF A LA DÉTERMINATION DES LONGITUDES GÉOGRAPHIQUES DE MALTE, DE MILO ET DE CORFOU ! Le Mémoire de M, Daussy, dont l’Académie nous a chargés, M. de Rossel et moi, de lui rendre compte, con- tient de nouvelles déterminations des longitudes géogra- phiques de Malte, de Milo et de Corfou. Si l’on se rappelle que Malte possédait jadis un observatoire, que son direc- teur, M. Dangos, jouissait de l'estime des astronomes, on s’étonnera peut-être qu’il restât encore des doutes sur 4. Rapport inédit lu à l’Académie des sciences le 10 novembre 1328. 92 dd DÉTERMINATION la longitude de cette île; mais il faut remarquer que l'observatoire a duré peu d’années, et que l'incendie qui le ruina en 1789 détruisit en même temps tous les re- gistres d'observations. Aussi, les documents sur lesquels M. Daussy a fondé son travail ne sont-ils pas très-nom- breux. Ils se composent cependant, en négligeant même quelques observations évidemment défectueuses, de éclipse de Soleil du 5 mai 1818, observée à la fois à Malte, à Paris et à Greenwich; des immersions de Ô? et de d3 du Bélier, dont l’auteur trouve les correspondantes à Florence ; enfin de onze immersions ou émersions de pe- tites étoiles qui n’ont pas été observées en Europe. Toutes les observations de Malte sont de M. Rumker. d Les deux phases de l’éclipse du Soleil ne s’accordent pas. La longitude donnée par le commencement diffère de plus d’une minute de temps de celle que fournit la fin. Pour la première phase, la longitude déduite de l’obser- vation de Paris surpasse de plus de 26° de temps celle qu’on obtient par l'observation de Greenwich. La diffé- rence est moins grande quand on calcule la fin de l’é- clipse. Elle s'élève toutefois à 40° de temps. M. Daussy rejette les résultats du premier contact et n’admet que les observations de l’émersion de la Lune. Peut-être serait-il plus convenable de regarder l’observalion tout entière comme non avenue. Ces calculs, en tout cas, prouve- raient, au besoin, que les éclipses de Soleil ne donnent pas avec certitude les longitudes géTraphiques à quel- ques secondes près, lors même qu’elles ont été observées dans les circonstances les plus favorables et à l’aide des meilleurs instruments. DES LONGITUDES GÉOGRAPHIQUES. ne Les occultations de d° et de 9% du Bélier sous le limbe obscur. de la Lune, comparées aux observations corres- pondantes de Florence, ont conduit l’auteur à deux longi- tudes dont le désaccord s’élève à 14°.5 de temps. Quant aux immersions ou -émersions, au nombre de onze, M. Daussy les a calculées en les comparant aux tables de la Lune corrigées préalablement, pour chaque époque, d’après les passages de cet astre aux instruments méri- _diens de Paris et de Greenwich. Le tableau de ses résul- tats présente une différence de 63° de temps. En négli- geant trois observations du boraä éclairé de la Lune, la discordance extrême serait réduite à 25°. A côté de ces résultats purement astronomiques, M. Daussy rapporie les déierminations chronométriques obtenues par le capitaine Gauttier pendant qu’il se ren- -dait de Malte à Toulon ou réciproquement en 1817; après 18 jours de traversée, la différence de longitude entre ces deux ports, par trois chronomètres, se trouva être du 220, 2 Gi rcaia nt de er ri ir 34" 20°.9 . En 1819, après 45 jours, trois caronomètres. 34 18 .4 Enfin en 1820, après 14 jours seulement, ŒEUX CRTODOMETES.. - ss cooreosmmsemees 34 18 .1 Dans aucun de ces cas les résultats extrêmes ne dif- fèrent de la moyenne de plus de 5°.5. Peut-être ne sera-t-il pas inutile de remarquer que les chronomètres furent changés à chaque voyage. En 1818, l’habile navigateur que nous venons de citer se rendit en sept jours de Formentera à Malte et déter- mina avec non moins de précision, par trois Chrono- mètres, la différence de longitude de ces deux îles. Or, 04 DÉTERMINATION Formentera est liée à Paris par une chaîne continue de triangles. M. Daussy a donc pu déduire la longitude absolue de Malte de l’ensemble de ces nouvelles observa- tions. Si nous groupons tous les résultats obtenus par l’auteur du Mémoire, nous trouverons pour la longitude de Malte : D’après 2 occultations et une éclipse de Soleil. 48" 46.8 D’après 8 occultations comparées aux tables.. 48 47 .7 D'après 8 montres marines rapportées à Tou- lon, QU Li A et. do. OLA. E se 48 “M1:,6 D'après 3 montres marines rapportées à For- mentera........ PT Nero re Sansa 48 42.1 Soit qu’on adopte la moyenne de tous ces résultats, soit qu’on se borne, comme nous le croirions préférable, aux seules déterminations chronométriques, il paraît évi- dent que la longitude de Malte se trouve déterminée par le travail de M. Daussy avec la précision de 2 ou 3° de temps. Milo, dont nous allons maintenant nous occuper, n’a pas moins d'importance, puisque c’est un des sommets du réseau de triangles mesuré au cercle répétiteur sur lequel se trouve établie la précieuse carte de l’Archipel que le Dépôt de la marine publie maintenant. Le capitaine Gauttier et les officiers sous ses ordres observèrent à Milo la belle éclipse annulaire de Soleil du 7 septembre 1820. M. Daussy n’a d’abord discuté que les observations relatives à la formation et à la rupture de l'anneau. En prenant exclusivement ses termes de comparaison dans les lieux où ce phénomène fut visible, il a trouvé les longitudes suivantes : Par Mannheim...:::......:..... 4 .28".,.25° .1 Par Fiame.,...........:....... 1 28 30.3 .. d . 7 fée: pod TT DT Par Florence....... id. 5 STE 4 28 22 8 … Par Naples... ... dhéé ai res, ales DE A EN La moyenne est....... 1° 28" 27: .0 Les autres phases de l’éclipse ne s'accordent pas aussi bien ; elles donnent cependant un résultat moyen qui ne surpasse le précédent que de 5‘. La longitude déduite des observations de l'anneau est confirmée par les déter- minations chronométriques du capitaine Gauttier, soit qu’on les rapporte immédiatement à Toulon, soit qu’on adopte Malte comme point de départ. Dans le premier cas, la longitude de Milo een UT Lau 1° 28" 275.0 Dans le second........ Lai 2 él: à 4 .98; 98 .1 Corfou est le troisième point dont M. Daussy ait cher- ché la longitude. Ici, il a manqué d’observations astrono- miques directes ; mais les montres marines ont donné des résultats trop concordants pour ne pas dissiper tous les doutes. En 1816, M. Gauttier se rendit de Palerme à Corfou en 18 jours ; en 1818, il fit la traversée d’Iviza à Corfou en 13 jours. Enfin, la même année, il alla de Corfou à Milo en 7 jours. Par le premier voyage quatre chronomètres donnent pour la longitude de Corfou.... 4" 10" 23° .6 Dans le second on obtient par trois chrono- SPP PP OR 40 2t.h Dans le troisième.......... PR PAR RER 1 1) 9 La moyenne est.......... se À 1022.35 Elle se rapporte à très-peu près au milieu de l’île Vido. = 96 DÉTERMINATION DES LONGITUDES. Nous venons d'analyser les importants résultats que M. Daussy a obtenus. Les longs calculs qu’ils ont nécessités nous paraissent faits avec le plus grand soin, avec les attentions les plus minutieuses. Un travail de ce genre qui embrasserait un certain nombre de positions conve- nablement choisies sur la surface du globe, aurait le plus grand intérêt. C’est par là qu’il faudrait commencer la réforme, devenue maintenant indispensable , des cata- logues de longitudes et de latitudes les mieux accrédités. L'auteur du Mémoire est plus en état que personne de rendre à la géographie cet éminent service. Jeune, plein de zèle, calculateur infatigable, familiarisé avec les meil- leures méthodes de réduction, astronome praticien, et dès lors très-bon juge du mérite relatif des différents moyens d'observation, M. Daussy joint à tous ces avantages celui d’être attaché au Dépôt de la.marine en qualité d’ingé- nieur hydrographe, et de pouvoir puiser librement dans la riche collection de documents inédits que ce bel éta- blissement possède. Il nous semble, d’après toutes les considérations qui précèdent, qu’en accordant son approbation la plus en- tière au travail que M. Daussy lui avait soumis, l’Aca- démie doit l’inviter à parcourir avec persévérance la route pénible, mais féconde en utiles résultats, dans laquelle il vient d’entrer. RAPPORT SUR DES MIROIRS CONSTRUITS PAR MM. RICHER FILS { La Classe nous a chargés, M. Bouvard et moi, d’exa- miner les verres plans et parallèles qui lui ont été pré- sentés par MM. Richer fils. Ces verres, d’un travail très- difficile, sont employés, comme on sait, dans la construc- tion des instruments à réflexion ; dans celle des horizons artificiels étamés qui remplacent avec avantage l'horizon de la mer dans les observations qu’on fait à terre et dans la formation des abris qui servent à garantir les couches liquides à l’aide desquelles on se procure aussi quelque- fois les images réfléchies des astres, des agitations que le moindre filet de vent leur fait éprouver. MM. Richer, qui viennent de donner une grande extension à leurs ate- liers, ont pensé que s'ils parvenaient à construire eux- mêmes les miroirs parallèles, et à s'affranchir du tribut que presque tous les artistes de l’Europe payaient aux opticiens anglais, ils pourraient faire une diminution sen- sible sur le prix des instruments à réflexion, et que par là ils contribueraient à en répandre l'usage : quelque étrangère que cette recherche parût être à leurs travaux habituels, ils s’en sont occupés avec zèle et persévérance, et nous pouvons affirmer que leurs efforts n’ont pas été infructueux. Les miroirs qui nous ont été remis ont en général d'assez grandes dimensions, 11 centimètres (4 pouces). 1. Rapport inédit lu à l’Académie des sciences le 11 mars 1816. XL. 7 958 MIROIRS CONSTRUITS PAR MM. RICHER FILS En les plaçant devant l'objectif de la lunette méridienne de l'Observatoire, ou même en regardant avec une lunette grossissant beaucoup l’image d’un objet éloigné, réflé- chie sur leur surface, nous avons pu reconnaître qu’ils n’altèrent pas le foyer d’une manière sensible, ce qui, au demeurant, semble la condition la plus facile à remplir. Restait à mesurer l’inclinaison mutuelle des: faces oppo- sées. Or, telle est sous ce point de vue la perfection du travail de MM. Richer, que rarement nous avons reconnu des déviations de 3”. Un miroir anglais, dont M. Cauchois avait fait l'acquisition à Londres, placé dans les mêmes circonstances, a donné des écarts sensiblement plus grands. 11 nous semble toutefois utile d'engager ces ar- tistes à choisir dorénavant pour leurs miroirs des verres d’une certaine épaisseur; ceux de 2 millimètres parais- sent avoir éprouvé, dans quelques points, des flexions irrégulières qui altéraient la netteté des images; nous pensons aussi qu’il serait toujours convenable de travailler les verres dans des dimensions plus grandes que celles qu’ils doivent conserver, et de sacrifier ensuite les bords. Après ces. attentions dont, au reste, MM. Richer eux- mêmes ont reconnu l'utilité, leurs miroirs plans pourront soutenir la concurrence avec tout ce qui a été exécuté de plus parfait dans ce genre, tant.chez nous qu’à l'étranger. Les astronomes.et. les physiciens ont eu maintes occa- sions d'apprécier le mérite de M. Richer père. Ils con- naissent l'ingénieux instrument que cet artiste a imaginé pour réduire par une opération, mécanique les distances apparentes de la Lune aux étoiles en distances vraies, les travaux qu’il a faits pour perfectionner les hygromètres à LUNETTES DE SPECTACLE DE M. LEREBOURS. 99 cheveu; ses micromètres sur verre, dont les naturalistes, pourraient se servir pour mesurer les plus petits objets ; car telle est la finesse et la pureté des divisions, que 500 ne remplissent pas un millimètre, etc., etc. Nous pensons que:la Classe n’apprendra pas sans intérêt que MM. Ri- ‘her fils ont profité des utiles leçons qu’ils ont dû recevoir & une-aussi bonne école et qu’elle accordera son suffrage à leur zèle et aux succès qu’ils viennent d'obtenir. RAPPORT SUR LES LUNETTES DE SPECTACLE DE M. LEREBOURS ! _ Nous avons été chargés, MM. Bouvard, Biot et moi, d'examiner un grand nombre de lorgnettes achroma- tiques qui ont été présentées à l’Académie par un de nos plus célèbres.artistes, M. Lerebours. Dans le courant de l’année dernière, M. Cauchois, dont on connaît aussi l'habileté, avait dirigé ses recherches vers cet objet et était parvenu, par un choix convenable de courbures, à atténuer beaucoup plus qu’on ne l'avait fait jusqu'alors les aberrations de sphéricité et de réfrangibilité des lu- nettes de spectacle et à leur faire supporter des grossis- sements assez considérables sans augmenter leur longueur. Les commissaires qui en rendirent compte à l’Académie les jugèrent très-supérieures à tout ce qu’on avait exécuté 4. Rapport inédit lu à l’Académie des sciences le 23 décembre 1816. 100 . LUNETTES DE SPECTACLE dans ce genre tant en France qu’à l'étranger. Aussi les avons-nous prises pour terme de comparaison dans les épreuves que nous avons fait subir à celles de M. Lere- bours. Cet examen était du reste beaucoup plus difficile qu’on ne voudrait d’abord le supposer. Nous avions à prononcer sur de légères nuances. L’eculaire double concave, dont les lunettes de spectacle sont armées, a une grande courbure, et dès lors le moindre déplacement de l’œil relativement à l’axe commun des deux verres fait naître des franges colorées qu'un observateur inattentif pourrait attribuer à un défaut d’achromatisme de la lentille objective. Le champ de la vision enfin dépend de l’ouverture de la pu- pille, d’où résulte la nécessité de se garantir toujours éga- lement bien de toute lumière étrangère. Quoi qu’il en soit, en réunissant sous un même point de vue les résultats des expériences nombreuses et variées que nous avons faites, nous croyons pouvoir nous arrêter à cette conclusion : qu’à parité de circonstances les lunettes de M. Lerebours terminent en général un peu mieux que les lunettes de M. Cauchois, et que celles-ci, à leur tour, sont légère-" ment supérieures aux autres en lumière. M. Cauchois introduit, entre les verres dont ses objectifs se composent, une substance suffisamment réfringente qui détruit toute réflexion intermédiaire et augmente leur clarté. Cet artifice atténue beaucoup les effets des irrégu- larités de travail qui peuvent rester dans les surfaces col- lées; mais ne doit-on pas craindre qu’à la longue la couche interposée n’éprouve, du moins en partie, ces tiraillements partiels qui ont fait renoncer à l’usage du DE M. LEREBOURS. . “40! mastic en larmes ? Dans les objectifs de M. Lerebours, les lentilles de flint et de crown sont seulement super- posées ; c’est un avantage dont le temps peut seul déter- miner l'importance. L'Académie a déjà eu, à plusieurs reprises, l’occasion de s'occuper des importants travaux de M. Lerebours. C’est à lui que les astronomes de Paris doivent le plaisir de pouvoir placer une lunette française en tête des meil- leurs instruments de l'Observatoire royal. Un nouvel objectif de 48 centimètres ( 6 pouces 3/4) dont on étudie _ maintenant les effets, prouve que cet artiste cherche, avec le zèle le plus louable et le plus désintéressé, à vaincre des difficultés qu'ont rencontrées jusqu'ici les opticiens qui se. sont occupés de ces grands instruments. Nous dé- sirons vivement que M. Lerebours puisse trouver dans le débit des excellentes lorgnettes qu’il vient de construire, les moyens de continuer ses utiles et laborieuses re- cherches. En général, il nous semble que l’Académie doit voir avec plaisir et encourager par son approbation les travaux des deux artistes qui, pour la construction des instruments d'optique, sont parvenus à nous rendre tout à fait indé- pendants de l’étranger. Nous ne serions pas même éloi- gnés de penser que leurs ateliers renferment dans ce moment un plus grand nombre d'excellentes lunettes as- tronomiques, à larges ouvertures, qu’il ne s’en trouverait chez tous les opticiens de Londres réunis, RAPPORT SUR UN HÉLIOSTAT , UN APPAREIL À NIVEAU ET UNE BOUSSOLE DE DÉCLINAISON, CONSTRUITS PAR M. GAMBEY ! Nous avons été chargés, MM. de Humboldt, Gay- Lussac et moi, d'examiner un appareil que M. Gambey a présenté dans la dernière séance et qui est destiné à véri- fier l'horizontalité de l'axe des lunettes méridiennes. Plus anciennement le même artiste avait également soumis au jugement de l’Académie une boussole et un héliostal de son invention. Vos commissaires ont pensé qu’il leur serait permis de réunir ces trois objets dans un seul et même rapport. Nous commencerons par la description de lap- pareil à niveau. | L'annonce d’un perfectionnement notable dans un in- strument qui a exercé la sagacité des Ramsden, des Troughton, des Reichenbach, et qu’emploient depuis plus de cent ans les plus célèbres astronomes de l’Europe, ne devait pas être reçue sans quelque défiance, même par ceux à qui toute l’habileté de M. Gaïmbey est connue. Ce n’est donc qu'après le plus scrupuleux examen que votre Commission se permettra de prononcer sur le mé- rite dés nouveaux moyens de vérification que cet artiste propose. L'appareil destiné à reconnaître l’horizontalité de l'axe d'une lunette méridienne avait été composé jusqu'ici d’un niveau à bulle d’air posé sur une règle de cuivre, 4, Rapport inédit lu à l’Académie des sciences le 3 novembre 1824. APPAREIL A NIVEAU DE M. GAMBEY. 103 aux extrémités de laquelle étaient deux tringles verticales terminées par des crochets qui s’adaptaient soit aux tou- rillons.de-la lunette, soit aux parties cylindriques ayant même axe que ces tourillons et plus voisines du centre. On rectifiait le niveau et la position de l'axe par des retournements, à la manière ordinaire. Ce-procédé paraît simple, direct ; et cependant, sans crainte d’être démentis par les observateurs qui l’ont soumis à l'épreuve de l’ex- périence, nous dirons qu'on n'arrive jamais ainsi à une rectification complète, à moins que la. bulle aériforme ne soit un peu mobile ; ce qui revient à reconnaître que la méthode. manque d’exactitude. On peut remarquer de plus qu’il est impossible de suspendre l'appareil dont nous venons de parler à la lunette méridienne quand elle fait avec l'horizon un certain angle, en sorte que les véri- fications s'effectuent en général dans les positions les moins importantes, dans celles où l’on n’observe presque pas. Des tourillons elliptiques ou irréguliers pourraient, par exemple , occasionner un défaut de verticalité très- sensible dans l’axe optique, quand il est très-voisin du zénith, sans que l'observateur eût aucun moyen de le reconnaître, Les astronomes décideront jusqu’à quel point les discordances des divers catalogues d'étoiles ont pu dépendre d’erreurs de cette espèce. Quant. à l'appareil. de M. Gambey, il s'attache d’une manière invariable sur la partie cubique de l'instrument ; il est au-dessus quand la lunette pointe au midi; il passe sous l'axe quand on observe du côté du nord. Si la sur- face intérieure du tube de verre qui. renferme le liquide était exactement de révolution, l'observation de la bulle, 104 APPAREIL A NIVEAU DE M. GAMBEY. après le retournement de la lunette, suffirait évidemment pour apprendre si son axe est horizontal ; mais dans l’im- possibilité de donner au tube cette forme régulière, M. Gambey y supplée en adossant deux niveaux ordi- naires dont il rend les axes parfaitement parallèles par un procédé sûr et très-simple. La bulle du premier niveau sert de repère quand l’objectif est tourné vers le midi; c’est la bulle du second qu’il faut observer dans la po- sition contraire. On substitue ainsi le mouvement de révolution de la lunette aux déplacements et renverse- ments de l’ancien niveau et de sa monture dont nous avons déjà signalé les inconvénients. Nous aurions, du reste, oublié la plus précieuse propriété de l'appareil de M. Gambey, si nous n’ajoutions encore que ses deux niveaux sont montés sur un axe qu’on rend facilement parallèle à celui des deux tourillons de la lunette, ce qui permet de la vérifier à toutes les hauteurs. En résumé, l’ancien appareil, celui dont on se sert encore dans tous les observatoires, peut éprouver de petites flexions quand on l’enlève pour le placer dans une position renversée. L'appareil de M. Gambey, «au con- traire, étant fixé à demeure sur le cube de la lunette, se retrouve toujours dans des circonstances parfaitement semblables. L'ancien appareil ne se prête aux vérifications qu'entre des limites d’inclinaison fort resserrées ; l’autre peut ser- vir depuis l'horizon jusqu’au zénith. Le premier s'adapte momentanément à l'instrument et seulement de loin en loin, quand les discordances des observations avertissent qu’il est survenu quelque dérangement notable ; le second BOUSSOLE DE M. GAMBEY. 405 restera perpétuellement sous les yeux de l’astronome, comme le niveau d’un cercle répétiteur, et accusera les moindres variations au moment même où elles se mani- festeront. Ces avantages du nouvel appareil nous semblent évi- dents et nous ne doutons pas que lorsqu'il sera générale- ment appliqué aux lunettes méridiennes, les observations d’ascensions droites n’acquièrent un nouveau degré d’exactitude. Nous passerons maintenant à l’examen de la boussole de déclinaison. Les obstacles que l’on rencontre, quand on veut déter- miner jusqu’à la précision des secondes de degré l’angle que les méridiens magnétique et terrestre d’un lieu donné forment entre eux, dépendent de quatre causes princi- pales, savoir : d’un défaut de coïncidence entre l'axe magnétique et l’axe de figure de l’aiguille aimantée ; d’un défaut de coïncidence entre la ligne de foi du cercle gradué qui fait toujours partie de l’instrument et la ligne visuelle dont on se sert pour l’orienter; de la difficulté de centrer l'aiguille; de son peu de mobilité. - On détruit cette dernière cause d’erreur en substituant aux chapes anciennement employées, cette suspension à fils de soie non tordus qui, dans la main de Coulomb, a été un moyen de découverte si sûr et si fécond. Ce célèbre physicien avait indiqué lui-même cette application de la suspension à fil dans un Mémoire publié en 1785 parmi ceux de l’Académie des sciences. Du reste, la boussole dont ce Mémoire renferme la description n’était pas exempte des trois autres causes d'incertitude. Coulomb, 106 BOUSSOLE DE M. GAMBEY. il est vrai, parvenait à lire les arcs parcourus par l'ai- guille jusqu’à la précision des secondes, en se servant pour cela de deux forts microscopes; mais cette exactitude était illusoire, puisque, dans une autre partie de l’opéra- tion, l'orientation dé l’instrument, on pouvait facilement commettre, en tendant les fils qui servaient de repères, des erreurs de plusieurs minutes. Le besoin d’un procédé où l’on ne mêlât pas ainsi, pour arriver au but, des opé- rations d’exactitude aussi dissemblable, a donné nais- sance à la nouvelle boussole que l’Académie a sous les yeux. Le moindre mérite de ce bel instrument est.sa parfaite exécution. Toutes les causes d'erreurs ont été prévues; toutes peuvent être évitées par des moyens simples et directs. L’aiguille est supportée par un fil, comme dans la boussole de Coulomb; mais ici une suspension com- mode permet de la retourner quand on veut et n’oblige pas d'admettre gratuitement la coïncidence des axes magnétique et de figure. On s’étonnera peut-être de ne pas apercevoir dans cet instrument les deux microscopes diamétralement opposés du célèbre académicien. Mais nous nous hâterons d’avertir qu'ils s’y trouvent implici- tement; qu'ils existent dans le petit appareil dont les co- lonnes sont surmontées et qui devient en un instant, à volonté, lunette ou microscope. Dans le premier cas, il sert à l'observation de la marque méridienne ou d’un _astre dont on calcule ensuite l’azimut ; dans le second, on le dirige sur la croisée de fils métalliques tendus sur des cercles évidés aux deux extrémités de l'aiguille. Gette transformation de la lunette en microscope et du mi- HÉLIOSTAT DE M. GAMBEY. 107 croscope en lunette s'effectue par la simple substitu- tion d’un Couvercle de cuivre d’une certaine forme à un couvercle autrement découpé. On trouverait peut- être dés exemples d’un semblable artifice dans d’an- ciens inStruments:; mais ce qui est tout à fait neuf, à notre avis, c'est la disposition héureuse que M. Gam- bey a adoptée pour son objectif complexe; ce sont sur- tout les moyens ingénieux qu’il a imaginés pour amener à une exacte coïncidence les axes optiques de la lunette et du microscope ; pour rattacher enfin, sans incertitude, les observations des extrémités de l'aiguille à celles des mirés terrestres ou célestes. Nous nous dispenserons, puisque la boussole est sous les yeux de l'Académie, de citer une foule d’autres détails de construction qui por- tent également le cachet d’un artiste du premier ordre. Le troisième et dernier instrument de M. Gambey dont l’Académie nous à chargés de lui rendre compte est un héliostat. On appelle de ce nom, comme tout le monde sait, un appareil qui permet de donner, malgré le mou- vement diurne, une direction constante aux rayons du Soleil réfléchis par un miroir. S'Gravesande chercha le premier la solution de ce pro- blème. Deux membres de l’Académie, MM. Charles et Malus, apportèrent ‘successivement quelques améliora- tions à l’héliostat du physicien anglais qui n'avait guère été jusque-là qu'un instrument de démonstration dans les cours publics ; les phénomènes de diffraction, les phéno- _mènes non moins délicats, non moins variés produits par les interférences des rayons, ont fait sentir depuis le besoin de nouveaux perfectionnements. Il était, par 108 HÉLIOSTAT DE M. GAMBEY. exemple, très-désirable que le régulateur d’un appareil destiné par sa nature à être placé en plein air, hors d’une fenêtre, ne fût pas un pendule, que le vent peut si aisément déranger, M. Gambey l’a, en effet, supprimé. Le moteur qu’il emploie est renfermé dans une montre. On se tromperait, toutefois, si l’on croyait que c’est par là seulement que le nouvel héliostat se distingue de ceux de S’Gravesande, de Charles, de Malus. La solution de M. Gambey est plus simple, plus élégante que celle de ses prédécesseurs. Son instrument porte en lui-même tous les moyens de vérification. Il s’oriente, non pas par des procédés graphiques, mais à l’aide d’une petite lunette qu’on dirige sur une mire méridienne. Trois cercles gra- dués permettent de l’ajuster en un instant d’après la déclinaison du Soleil, l’heure de la journée et la latitude du lieu. On peut enfin porter les rayons réfléchis dans tous les azimuts et à toutes les hauteurs. L’assentiment des observateurs a déjà marqué la place de ce nouvel héliostat et nous ne doutons pas que, sous peu d'années, il ne remplace avantageusement dans tous les cabinets de physique ceux de S’Gravesande, de Charles et de Malus. Tels sont les instruments que l’Académie avait renvoyés à notre examen. Nous regrettons vivement que M. Gam- bey n’ait pas pu lui présenter aussi le magnifique équato- rial qu’on voyait naguère dans une des salles du Louvre et que les artistes de la capitale et des provinces se sont presque unanimement empressés de proclamer le plus bel instrument de l'Exposition (1819). Nous aurions eu alors à vous faire remarquer un système de rouages si ingénieu- ÉQUATORIAL DE M. GAMBEY. -109 sement disposé par M. Gambey, que la lunette qu’il dirige se meut, comme les étoiles, de l’orient à l’occident, d’un mouvement continu et tellement uniforme que l'emploi d’un puissant microscope n’y faisait pas découvrir d’iné- galité sensible. Passant du mécanisme, qui suffirait pour faire la réputation d’un horloger, à l’équatorial lui-même, nous y eussions signalé une combinaison de contre-poids toute nouvelle; une graduation plus exacte qu’une ma- chine ne semblerait pouvoir la faire, si on ne connaissait pas maintenant comment on se garantit des défauts de centrage; une perfection de travail dont on n'avait pas de modèle en France, si ce n’est dans quelques instru- ments de M. Fortin; nous eussions enfin essayé de mon- trer à nos jeunes artistes que M. Gambey ne s’est ainsi placé de bonne heure au rang que personne ne lui con- teste, sur la ligne des Ramsden, des Troughton, des Rei- chenbach, qu’en alliant comme eux à un talent naturel d'exécution qui ne se donne point, des connaissances variées de mathématiques et de physique. Nous espé- rons, du reste, que les détails dans lesquels nous sommes entrés sur les trois instruments dont il nous était permis de vous entretenir, justifieront suffisamment la proposi- tion que nous avons l'honneur de vous soumettre, de leur accorder votre approbation et de décider que leur des- cription accompagnée des élégants dessins faits par M. Gambey lui-même, qui les représentent, sera impri- mée dans le recueil des Savants étrangers. SUR LES HYGROMÈTRES I. — LETTRE ADRESSÉE AUX RÉDACTEURS DES Annales de chimie et de physique, AU SUJET D'UN PASSAGE QUI A ÉTÉ INSÉRÉ DANS LE NUMÉRO DE JUILLET 4818 DE LA rs uni- verselle de Genève‘, Messieurs, Dans le compte que MM. les rédacteurs de la Biblio- thèque universelle de Genève ont rendu de l’ouvrage de Luke Howard sur le climat de Londres, ils rappellent une méthode que les physiciens ont, à mon avis, trop négligée et qui peut être employée avec avantage pour connaître le degré d'humidité de l'air. Cette méthode consiste à déterminer quelle température doit avoir un liquide contenu dans un vase de verre pour que la va- peur atmosphérique vienne se précipiter sur les parois extérieures et les ternir. J'avais pensé jusqu'ici que la première idée de cette méthode appartenait à Le Roy; mais dans la Bibliothèque universelle on l’attribue main- 4. Cette lettre a été insérée dans le tome VII des 4nnales de chimie et de physique (2° série, 1818). Les Annales étant alors diri- gées par MM. Gay-Lussac et Arago, l’illustre savant crut devoir donner à sa réclamation contre l’article de la Bibliothèque de Ge- nève la forme d’une isttre adressée par un simple abonné. SUR LES HYGROMÈTRES. AH tenant, sans hésiter, à M. Dalton, de Manchester. J'ai donc été curieux de relire dans le recueil de l’Académie des sciences pour 4751 le Mémoire du physicien de Montpel- lier et d'y chercher les causes de ma méprise; car je n'ai garde de supposer que MM. les rédacteurs de Genève aient voulu dépouiller notre compatriote. N’étant pas parvenu toutefois à me satisfaire sur ce point, je vous adresse le passage qui a donné lieu à cette lettre et celui que j'ai extrait du Mémoire de Le Roy, avec prière de les insérer dans vos Annales, dans l'espérance que quelqu'un parviendra à concilier l’opinion que j'avais adoptée d’abord, avec la décision imposante des rédacteurs de la Bibliothèque universelle: | | « C’est M. Dalton qui a le premier proposé et mis en pratique ce procédé hygrométrique pour reconnaître le degré d'humidité de l'air. On remplit un vase de verre d’eau. assez froide (naturellement. ou artificiellement ) - pour que la vapeur aqueuse contenue dans l'air se con- 4 dense en rosée sur sa surface. On met dans l’eau du vase un thermomètre très-sensible. À mesure que l’eau se ré- chauffe par l'effet de la température de l'air, on essuie la rosée avec un linge. Au moment où elle cesse de se déposer, on observe le degré indiqué par le thermomètre dans l'eau : c’est le terme le plus bas ou la température la plus froide dans laquelle la vapeur aqueuse puisse exis- ter dans l'air sans se précipiter, » (Bibliothèque univer- selle, juillet 4818, p. 220.) Voici maintenant ce qu’on lit dans le Mémoire de Le Roy (Mémoires de l'Académie des sciences pour 1751, p. 490 et 491 ) : 412 SUR LES HYGROMÈTRES, « Nous avons démontré plus haut que l'air peut dis- soudre d'autant plus d’eau qu’il est plus chaud. Cela posé, on conçoit aisément qu’il y a, en tout temps, un certain degré de froid auquel l'air est prêt à lâcher une partie de l’eau qu’il tient en dissolution : j'appelle ce degré degré de saturation de l'air: Supposons, pour me rendre.plus clair, que le 28 août l’air de l'atmosphère tienne en dissolution une quantité d’eau telle que le dixième degré soit le point de saturation, ce jour-là l’air pourrait être refroidi jusqu’à ce degré sans qu’il se pré- cipitât aucune partie de l’eau qu’il tient en dissolution : refroidi à ce degré, il ne pourrait dissoudre de nouvelle eau; refroidi au-dessous, il làächerait nécessairement une partie de celle qu’il tenait en dissclution, et il en laisserait précipiter une quantité d'autant plus grande que le froid serait plus fort. Dans ce cas, le dixième degré sera appelé le degré de saturation de l'air. N est clair que plus le degré du thermomètre où se trouve celui de la saturation de l’air est élevé, plus l’air tient d’eau en dissolution, € vice versä. D'où il suit qu’en observant chaque jour les variations du degré de saturation de l'air et en examinant en même temps les circonstances du temps, on peut aisé- ment parvenir à la connaissance des causes qui font varier la quantité d’eau que l’air tient en dissolution. Voici l'expérience facile à faire dont je me sers pour déterminer le degré de saturation de l’air, supposé que le degré soit au-dessus du terme de la glace. « Je prends de l’eau refroidie au point de faire précipiter sensiblement l’eau que l’air tient en dissolution sur les parois extérieures du vaisseau dans lequel elle est conte- SUR LES HYGROMÈTRES. F NTÉ nue. Je mets de cette eau dans un grand gobelet de cristal bien sec par dehors, y plongeant la boule d’un thermomètre, afin d'observer son degré de chaleur; je la laisse échauffer d’un demi-degré, après quoi je la transporte dans un autre gobelet. Si, à ce nouveau degré, l'eau dissoute dans l'air se précipite encore sur les parois extérieures du gobelet, je continue de laisser échauffer l’eau de demi-degré en demi-degré, jusqu’à ce que j'aie saisi le degré au-dessus duquel il ne se précipite plus rien. Ce degré est le degré de saturation de l’air. Par exemple, le soir du 5 octobre 1752, la chaleur de l’air étant au 13° degré, l’eau qu’il tenait en dissolution commençait à se précipiter sur le verre refroidi au 5° degré et demi. Au-dessus de ce degré, la surface extérieure du verre restait sèche; au-dessous, l’eau qui se précipitait de l'air sur le verre était d’autant plus considérable que le verre était plus froid. Il est clair que ce jour-là le degré de saturation de l’air était un peu au-dessous du 5° degré et . demi, puisque ce fluide, refroidi à ce degré, laissait pré- cipiter une partie de l’eau qu’il tenait en dissolution. On peut donc, au moyen de cette expérience, déterminer en différents temps le degré de saturation de l’air et recon- naître les causes qui font varier la quantité d’eau qu'il tient en dissolution. » J’ai l'honneur d’être, etc. Ün de vos abonnés. IL. — DESCRIPTION D'UN HYGROMÈTRE INVENTÉ PAR M. SAVARY L'hygromètre de M. Savary, suivant l’idée émise jadis par Le Roy de Montpellier, et appliquée depuis à la XIL. 248 114 SUR LES HYGROMÈTRES. construction de divers instruments, conduit à la connais- sance de l’état hygrométrique de l'air, en faisant con- naître à quel degré la température de cet air doit être abaissée pour que la vapeur se précipite. Le nouvel instrument inventé par M. Savary 1 consiste principalement en un thermomètre métallique roulé en spirale. Les éléments inégaiement dilatables de cette courbe sont des lames de platine et d’or soudées en- semble. Le tout est renfermé dans une très-mince boîte circulaire en platine, ayant sur le contour de sa face supérieure un petit rebord qui fait de cétte face-un godet susceptible de recevoir quelques gouttes de liquide.: L’ai- guille destinée à marquer la température est placée’sous la boîte et réçoit son mouvement d’un axe qui-traverse le fond inférieur par son centre. Cette aiguille est double et l’une des deux moitiés s’ar- rête subitement quand on touché certaine détente. Ajou- tons, pour compléter la description, qu’une très-petite: ouverture pratiquée sur le. contour cylindrique de la boîte en platine permet de voir à nu une des parties de la sur- face extérieure du thermomètre métallique, C'est à la surface de cette partié. mise à nu que se précipite l’humidité de l'air, lorsque. l’évaporation. de quelques gouttes d’éther, déposées sur le couvercle de la mince boîte de platine, a. suffisamment refroidi cêtte boîte et conséquemment le thermomètre qu’elle renferme, 1. Cet hygromètre a été légué à M. Laugier par M. Savary, mort à Estagel { Pyrénées-Orientales), le 15 juillet 1841 ; M. Arago en a inséré la description dans le Compte rendu de la séance de l'Aca- démie des sciences du 23 août suivant (t. XIIL, p. 450) et dans les Anneles de chimie et de physique (3° série, t. I, p. 531). SUR LES NYGROMÈTRES. 18 D’après la disposition adoptée par M. Savary, toutes les parties de son thermomètre métallique doivent avoir à très-peu près la même température. Ainsi s'évanouit la seule objection , quelque peu fondée, "qui ait été faite contre-les divers moyens à l’aide desquels les physiciens ont essayé de réaliser la pensée de Le Roy. 11 n’est sans doute pas besoin de dire que l’hygromètre de M. Savary se prête avec une égale facilité à l’obser- vation de la précipitation de l’humidité_ atmosphérique sur la paroi en or du thermomètre se de 58 et à celle de sa vaporisation. UL — OBSERVATIONS Rs FAITES A L ’OBSERVATOIRE DE PARIS De 1816 à 4830, j'ai suivi attentivement les observa- tions hygrométriques faites à l'Observatoire de Paris. L'hygromètre de Saussure employé a été construit par Richer; il était composé de huit cheveux disposés de manière à faire parcourir à l'aiguille du cadran une espèce de moyenne entre tous les arcs qu'on aurait ob- servés si chaque cheveu avait agi séparément. L'instru- ment était placé à ombre ét au nord; on l’observait à quatre. époques distinctes de:-la journée. Nous n'avons rapporté dans les tableaux suivants que les observations de 3 heures après midi : cette époque est chaque jour, sinon exactement, du moins à très-peu près, et abstrac- tion faite des circonstances accidentelles , celle de la plus grande sécheresse. | L'hygromètre étant placé en plein air, a besoin d’être renouvelé tous les ans. Les observations d'une même 146 SUR LES HYGROMÈTRES. année sont comparables entre elles, mais il serait très- possible que, d’une année à l’autre, on trouvât dans les moyennes des différences de 4° ou 5° dépendantes uni- quement des défauts inévitables de la graduation. ÉTAT MOYEN DE L'HYGROMÈTRE DE SAUSSURE À 3 H. APRÈS MIDI. Mois. 4816 1817 1818 4819 4820 1821 1822 1823 Janvier..... ” 84970 "779 ;": 70°" 8 PRE Février. .... 72 472 80 73 74 65 61 87 MAPS. 5 69 65 73 65 55 66 50 77 Vs: Pb Dé 55 53 65 55 47 51 42 69 Mai 5 73.6 65 59 62 54 53 53 69 68 Jin: 63 56 57 56 24 50 70 69 Juillet. 67 60 58 55 55 50 69 71 MS ss 64 6 56 57 53 49 69 … 68 Septembre... 71 67 63 59 53 58 73 70 Octobre. ... 74 69 66 69 65 61 81 85 Novembre... 81 80 80 83 70 74 89- 90 Décembre... 83 75 82 86 78 71 86 93 mt nt | mt Dent mg, Sens es Moyennes... 70 67 72 66 61 61 69 78 ÉTAT MOYEN DE L’'HYGROMÈTRE DE SAUSSURE À 3 H. APRÈS MIDI. Mois. 1824 1825 41826 1827 1828 1829 1830 me 15 ann, 89°", .85"..:89: 4". 62 ’ 80 78 75 76 ’ 73 65 58 66 ” 67 62 61 58 ’ ” Janvier. .... 94° 90° ” Février..... 87 81 ” Matsier 5. 78 65 ” AVTIL. sd 71 58 ’ RE à 77 62 66° 64 55 56 62 SUR À. ve 75 57 61 64 57 59 61 Juillet. ,.... 69 50 63 ” 67 65 56 61 AOÛÉ.. se» 73 67 62 64 66 64 55 62 Septembre. . 75 68 71 68 64 70 64 66 Octobre. ... 81 65 73 73 65 74 59 71 Novembre... 87 89 8. 82 80 74 75- 81 Décembre... 92 90 96 86 85 79 7-0 Moyennes... 80 72 ” s-, 12 + 60 :66. 08 On voit par cette série de 15 années d'observation: que SUR LES HYGROMÈTRES. - 417 le mois qui en moyenne présente à Paris l’air le plus hu- mide à 3 heures de l’après midi est celui de décembre et que le mois le plus sec est celui d’avril. En recourant aux tableaux détaillés que j'ai publiés dans les Annales de chimie et de physique, on remarquera avec étonnement que, dans l’année 1816 si pluvieuse 1, lhygromètre est néanmoins descendu en avril jusqu’à 34°, le terme de la saturation étant de 100°. Ramond nous apprend, dans son ouvrage, qu'il n’a vu, même sur les Pyrénées, l’hygromètre au-dessous de 39° que dans des circonstances rares. 1. Voir dans la Notice sur l’État thermométrique du globe ter- restre, tome V des Notices scientifiques, t. VIII des Œuvres, p. 486, le résumé météorologique de l’année 1816. # RAPPORT SUR UN MÉMOIRE DE M. SANCHES, SUR UNE PRÉTENDUE GÉOMÉTRIE SIMPLIFIÉE ! M. Sanches a présenté à la Classe un Mémoire ayant pour titre : « Exposé sommaire de la géométrie. simplifiée pour lout ce qui concerne la mesure des angles, distances el surfaces accessibles el inaccessibles, célestes elterrestres, par M. Marc-Antoine-César-Auguste Sanches, ex-profes- seur doctrinaire aux colléges de Bordeaux et autres villés. » Ce Mémoire a été renvoyé à l'examen d’une Commission composée de M. Burckhardt et de moi. Le titre que nous venons de transcrire indiquant avec assez de détail l’objet que l’auteur s’est proposé dans son Mémoire, nous nous contenterons, pour donner à la Classe une idée de la méthode de M. Sanches, de rapporter quelle est son opinion sur la mesure des distances. L'auteur propose d’abord de substituer des construc- tions graphiques aux méthodes de calcul dont se servent les astronomes, et annonce, entre autres résultats tout aussi curieux, qu'une base de trois lieues suffit pour mesurer une distance de 2,880,000,000 de lieues. On croirait, d’après cela, que M. Sanches a trouvé des moyens d'observation plus précis que ceux dont on s’est servi jusqu’à présent. Mais on ne tarde pas à être désa- 4. Rapport inédit lu à la Classe des sciences mathématiques et physiques de l’Institut, le 2 septembre 1811. PRÉTENDUE GÉOMÉTRIE SIMPLIFIÉE. 419 busé:en lisant son Mémoire ; car en parlant de la mesure des angles,;-il se contente de dire qu’il faut placer les pionules dans la direction des mires, en visant avec soin. Cependant, une base de trois lieues. à la distance de 2,880,000,090de lieues ne sous-tend qu'un angle d'en- viron 0”.0003. Si l’on se trompe de cette quantité sur la mesure d’un des angles à la base, on pourra trouver, sui- vant le signe de l'erreur, ou que l’objet est à une distance infinie, ou qu'il est une fois plus près de nous que sa distance réelle. Il suffirait même d’une incertitude de 0”.0004 de seconde pour qu’on fût trompé sur la direc- tion dans laquelle l’objet est placé.. Au reste, les sin- guliers -résultats auxquels l’auteur. arrive proviennent de ce qu’il a supposéque les angles, ne sont affectés d'aucune erreur ; mais alors il n’est pas nécessaire d’avoir recours à une base de trois lieues,. car une étendue d’un millimètre suffirait tout aussi bien pour mesurer toutes les distances imaginables. M. Sanches s'occupe aussi dans son Mémoire de la dé- termination du diamètre de la Terre, et comme, dans sa manière de raisonner, il croit arriver à une très-grande exactitude, il regrette beaucoup qu'on. ne connaisse pas la.quadrature du cercle, parce qu’il lui semble impossible -sans,cela de trouver avec précision la valeur de la circon- férence du globe, sa solidité, etc., ete..Le paragraphe de M. Sanches qui est relatif à cette question est d’ailleurs assez curieux pour que nous croyons devoir le rapporter en entier : « Par une singulière bizarrerie, une inconce- vable fatalité, on n’a point pu encore découvrir le secret de cette quadrature. Cependant le cercle est la plus 120 SUR UN MÉMOIRE DE M. WRONSKI. simple, la plus parfaite, la plus facile à faire et la plus spacieuse à périmètre égal de toutes les figures géomé- triques ; en outre, il est dans la nature, et le carré n’y est pas ; tous les corps célestes sont circulaires, aucun corps terrestre n’est de lui-même parfaitement carré, au point qu’on fouillerait jusqu'aux entrailles de la Terre sans en trouver un seul qui le fût; on a néanmoins la mesure pré- cise du carré, on ne saurait avoir celle du cercle! D'où cela vient-il? Peut-être de ce que l’un est Sn oi de Phomme et l’autre celui de Dieu. » Afin de ne pas abuser plus longtemps des moments de la Classe, nous ne multiplierons pas davantage les cita- tions. Vos commissaires pensent que le Mémoire’ de M. Sanches ne mérite aucune attention. RAPPORT SUR UN MÉMOIRE DE M WRONSKI La première partie du Mémoire dont nous allons rendre compte à la Classe est destinée à l'exposition des for- mules auxquelles l’auteur est arrivé sur le développement des fonctions en séries. On remarque d’abord que M. Wronski veut créer une langue nouvelle; il change le nom d’analyse en celui 4. Rapport inédit lu à la Classe des sciences mathématiques et physiques de l’Institut le 11 novembre 1811, au nom d’une com- mission composée de MM. Legendre et Arago. SUR UN MÉMOIRE DE M. WRONSKL 124 d’algorithmie; il distingue la technie de l'algorithmie de la théorie de l'algorithmie. 11 développe une fonction suivant les facultés progressives d’une autre fonction, sans donner la définition de ces termes, quoiqu'ils n’aient été em- ployés jusqu'à présent dans aucun ouvrage qui puisse faire autorité, Ici, la fonction par rapport à laquelle une autre fonction est développée est sa mesure algoriüh- mique. Là, les fonctions dérivées sont qualifiées de fonc- tions aveugles, ou, par une condescendance à laquelle l'auteur paraît même se prêter de mauvaise grâce, de fonctions cyclopés, parce que, dit-il, elles n’ont qu'un nom et point de signification, etc., etc. M. Wronski rapporte dans son Mémoire plusieurs for- mules de développement; mais au lieu de les démontrer d’une manière claire et précise, il se borne, pour toutes preuves, à dire qu’elles conduisent dans un cas particu- lier à une formule connue. L'un de vos commissaires (M. Legendre) a dans ses papiers des formules qui sont une extension de celles de M. Lagrange sur le retour des suites : il est possible que d’autres géomètres, en s’occupant de la même question, aient découvert des formules analogues ; peut - être que les résultats de M. Wronski doivent être rangés dans cette classe. Mais pour les faire adopter, s'ils sont vrais, il faudrait qu’il les présentât en termes intelligibles. On a peine à deviner les raisons qui peuvent déterminer M. Wronski à ne donner toujours ses formules que comme des espèces d’énigmes dont il invite les géomètres à chercher la solution. N’aurait- on pas quelque sujet de penser qu’à force de généraliser les formules de développement, l’auteur n’est plus en état 122 SUR UN MÉMOIRE DE M. WRONSKI. de les démontrer ? Il ne sera peut-être pas inutile. de re- marquer ici que ces formules, quelque générales qu’elles soient, n’ont qu'une utilité bornée : elles ne peuvent servir que dans des cas très-simples, etil est fort douteux qu’on tire jamais parti, pour la solution de quelque problème important, des formules prolixes que quelques géomètres allemands ont publiées sur les développements des fonc- tions qui dépendent d’autres fonctions suivant des lois données. Le-secret de la science ne se trouve pas dans ces développements, et il y a beaucoup plus de mérite à les éviter qu’à les effectuer. Ainsi, les formules de M. Wronski, en les supposant vraies, loint-de. renfermer en elles toute la science, comme l’auteur voudrait le faire croire, n’en-offriraient qu’une petite partie et la partie la moins usuelle, Venons maintenant à la question qui, d’après le titre même du Mémoire de M. Wronski, semble avoir été son objet principal, c’est-à-dire à la prétendue réfutation de la Théorie des fonctions analytiques de M. Lagrange. Cette réfutation a été présentée à S. M. l’empereur et roi, Un semblable examen de la Mécanique céleste de M. Laplace doit bientôt suivre. Ces deux ouvrages avaient été désignés par la Classe pour les deux premiers prix décennaux. Tel paraît être le motif qui a déterminé M. Wronski à les attaquer, Qui ne croirait qu’un auteur qui annonce, en débu- tant, qu’il va montrer que les Fonctions analytiques et la Mécanique céleste reposent sur des principes entièrement faux, n’ait d’imposantes preuves à apporter en faveur de son opinion? Avant de montrer à la Classe combien peu SUR UN MÉMOIRE DE M. WRONSKL. 123 les objections de M. Wronski pourraient motiver ses pré- tentions fastueuses, il sera peut-être bon de donner un petit échantillon du style mathématique de l’auteur du Mémoire. Voici ce que dit M. Wronski, à la page 20 de son Mé- moire, des principes sur lesquels repose la théorie des fonctions de M. Lagrange : «Nous avons déjà indiqué dans notre ENT ox des mathématiques l’origine de cette étrange erreur qui bou- leverse tous les principes de l’algorithmie. On a vu qu’elle provient d’une espèce d’antinomie qu’impliquent les pro- cédés du calcul différentiel et de la direction matérialiste qui, de nos jours, s’est glissée jusque dans les sciences mathématiques, dans ces sciences éminemment intellec- tuelles,. qui,. avant cette misérable époque de philoso- phisme, n’avaient pas encore subi une pareille dégra- dation,. etc., etc. » ; Voyons cependant les objections que fait M. Wronski contre la théorie des fonctions. Il avance d’abord que cette théorie repose sur deux principes qui ne sont pas démontrés, savoir, sur les équations (7) et (8) : (D f(æ+i) =f(x) + AÏi+ Bi + Ci ete. (8) f(x+i)=f (x) +6P. Mais de ces deux équations, la seconde est un moyen dont se sert M. Lagrange pour trouver la première. I] _ suppose que P ne devient pas infini lorsque i — 0 ; dès lors on peut supposer P—B + iQ, B étant une fonction de æ seule : de même on fera Q — G + :R etc. ; alors 124 SUR UN MÉMOIRE DE M. WRONSKI. l'équation (7) devient une conséquence de l’équation (8). Il n'y a donc pas deux principes dans les équations citées, il n’y en a réellement qu’un. Ce principe renferme, à la vérité, une supposition sur la nature de la fonction P, supposition qui est liée essen- tiellement avec l'équation (7) ou avec la propriété qu’a la fonction f (x + à) de ne contenir dans son développe- ment que des puissances entières de #, tant que æ a une valeur indéterminée. M. Lagrange a cherché à démontrer rigoureusement cette proposition. Voici l’objection que M. Wronski fait à son raisonnement. « Ce géomètre, dit-il, prétend que dans la généralité de la fonction /(x) aucun terme du déve- loppement (7) ne peut contenir de puissances fraction- naires de ?, parce que, vu la pluralité des racines, la série aurait plusieurs valeurs, ce qui serait absurde; mais ne se pourrait-il pas que, dans cette série indéfinie, les va- leurs différentes des radicaux se compensassent de manière à donner toujours la même valeur pour f (æ + à) etc.?» Voilà donc la difficulté dans laquelle réside toute la force du Mémoire de M. Wronski, « ne se pourrait-il pas, etc. » ; mais la réponse est toute simple. Si les radicaux dont il s’agit se compensent exacte- ment, c’est-à-dire se détruisent pour toute valeur de ? qu’on peut supposer très-petite, afin que les séries soient convergentes, il ne restera donc que des puissances en- tières de : dans le développement, et alors la formule (7) est exacte. Le seul doute auquel puisse donner lieu le raisonne- ment de M. Lagrange tient à ce qu'on pourrait déman- SUR UN MÉMOIRE DE M. WRONSKI. 425 der si les radicaux de : du développement ne doivent pas être tellement liés aux radicaux de æ contenus dans la fonction proposée, que, pour chaque valeur de ceux-ci, on ne puisse également employer qu’une valeur particulière de chaque radical de à dans la série. Cette difficulté est fort peu importante et a été d’ailleurs levée depuis long- temps par des moyens très-rigoureux. On n’a, par exemple, qu’à supposer que f (x +i)— f (x) + Ai” + Bit — etc. Car alors on prouvera, à l’aide d’une simple substitution, que m—1. On sait d’ailleurs que la considération des autres termes de la série est entièrement inutile pour expliquer les principes fondamentaux du calcul différentiel. I n’y a donc rien de solide dans les objections de M. Wronski ; car celle que nous avons rapportée il y a un instant est la seule que l’on trouve au milieu d’une foule d’allégations vagues et insignifiantes; ses raisonnements contre les fonctions dérivées et, en général, contre toutes les théories des dérivations se réduisent à dire qu'être coeflicient de tel ou tel autre terme d’une série, cela ne signifie rien, etc., etc. Ainsi, en résumé, vos commissaires ne peuvent avoir aucune opinion sur les formules de développement que renferme le Mémoire dont nous venons de rendre compte, parce que l’auteur ne les a pas démontrées, et que, de plus, il les a présentées en termes inintelligibles. Quant à la prétendue réfutation de la Théorie des fonctions analy- tiques de M. Lagrange, nous en avons assez dit pour montrer qu’elle ne mérite aucune attention. RAPPORT SUR UN PLANÉTAIRE INVENTÉ ET EXÉCUTÉ PAR M. JAMBON ! Depuis longtemps les avis des professeurs sont partagés sur l’utilité des machines dans l’enseignement. Les uns les rejettent tout à fait en soutenant que l'exercice des facultés de l’âme est le but principal de toute instruction. Les autres croient, au contraire, que l’avantage d’ap- prendre vite doit l'emporter sur tout autre: On sent que la vérité est entre ces deux extrêmes. Un professeur sage n’emploiera les machines que pour les élèves qui n’au- raient pu comprendre une vérité sans ce secours, ét il essaiera ensuite de leur faire suivre les mêmes raisonne- ments à l’aide d’une simple figure. La machine de M. Jambon représente la rotation du Soleil, le mouvement de la Terre autour du Soleil, celui de la Lune autour de la Terre, et le mouvement rétro- grade des nœuds de l'orbite lunaire. Le globe qui repré- sente la Terre est d’une grandeur suffisante pour qu’on puisse y reconnaître les principales divisions de la sur- face terrestre. Les rouages qui procurent ces différents mouvements sont calculés avec une exactitude plus’ que suffisante relativement au but que l’auteur se proposait d’atteindre par sa machine. Il y a plusieurs roues de renvoi qui ne sont pas néces- 1. Rapport inédit lu à la Classe des sciences mathématiques et physiques de l’Institut, le 9 novembre 1812, au nom d’une com- mission composée de MM. Burckhardt et Arago. SUR UN PLANÉTAIRE. #27 saires pour l'effet de la machine, maïs que l’auteur a em- ployées pour lui donner un meilleur coup d’æil. Du reste ilnous a montré un dessin où il y a beaucoup moins de roues ;.chacun pourra donc choisir selon son goût. M. Jambon a profité de la base qui supporte le rouage pour y tracer une figure complète de notre er pla- nétaire avec une courte explication. L'auteur emploie ses loisirs pour exécuter ces machines. .. Ne connaissant pas les livres qui auraient pu le guider = dans ses recherches, il n’a trouvé les nombres de ces rouages que par un tâtonnement long et pénible : sa per- sévérance et son intelligence pere ie d'autant plus ii: À à RAPPORT . SUR UN OUVRAGE D’ARITHMÉTIQUE DE M. THORIN ! La Classe nous ayant chargés, M. Lacroix et moi, d'examiner un ouvrage manuscrit de M. Thorin, qui a pour titre : Éléments de calcul, nous allons lui en rendre compte. L'auteur s’est sl de fournir aux personnes peu exercées dans les opérations de l’arithmétiqué les moyens de trouver, soit le produit qui résulte de la multiplication de deux, nombres donnés, soit le quotient et le reste de leur division, Il existe plusieurs ouvrages imprimés qui 1. Rapport inédit lu à Ja Classe des sciences mathématiques êt physiques de l'Institut, le 10 mai 1813. 128 THÉORIE DES LIGNES ont le même objet et qui sont recommandables à cause des dispositions plus ou moins ingénieuses dont les auteurs se sont servis pour rendre l'usage des Tables général, sans augmenter cependant leur volume. L'ouvrage de M. Thorin ne nous a offert rien de semblable. L'auteur s’est contenté de placer les multiplicandes, les multipli- cateurs et les produits dans trois colonnes verticales qui se correspondent. Les tableaux qui doivent servir à effectuer la division se composent de tous les nombres compris entre le produit de deux nombres donnés de la première colonne et le produit immédiatement supérieur. Ainsi, le produit de 8 par 8 est accompagné de tous les nombres compris entre 64 et 72, à côté desquels M. Thorin écrit leur excès sur 64, etc. On conçoit, sans de plus amples développements, dans quelles longueurs cet arrangement entraînerait si l’on tentait de pousser les Tables un peu loin. Vos commissaires pensent que l'ouvrage de M. Thorin ne mérite pas l’attention de la Classe. RAPPORT SUR L'OUVRAGE DE M. HACHETTE, RELATIF À LA THÉORIE DES LIGNES ET DES SURFACES COURBES Le Mémoire que l’Académie a renvoyé à notre exa- men peut être considéré comme le complément du Traité 4. Rapport inédit lu à l’Académie des sciences le 2 décembre 1816, au nom d'une commission composée de MM. Legendre et Arago. ET DES SURFACES COURBES. 129 de géométrie descriptive de M. Monge. Ce bel ouvrage dont M. Hachette a donné lui-même, il y a quelques années, une nouvelle édition enrichie de notes, renferme les principes généraux de la méthode des projections et les applications qu’on en fait à la détermination des plans tangents et à la recherche des intersections des surfaces. Les questions qui se rapportent aux courbes à double courbure n’y sont qu’effleurées ; l’auteur les avait traitées par l’analyse avec beaucoup de soin et de détail dans un ouvrage non moins original, qui servait aussi à l’ensei- gnement de l’École polytechnique. M. Hachette se pro- pose aujourd’hui de rendre ces mêmes théories acces- sibles à ceux qui seraient totalement étrangers aux calculs différentiel et intégral. | Après avoir rappelé quelques principes généraux dont il doit se servir dans la suite de son Mémoire, M. Ha- chette s’occupe des surfaces gauches, auxquelles il pro- pose de donner le nom plus expressif de surfaces réglées, et en particulier de celle qui est connue des géomètres sous la dénomination d’hyperboloïde à une nappe. Cette surface est éngendrée par une droite mobile qui s’appuie sur trois droites fixes et elle jouit de cette propriété re- marquable qu’on peut également la produire en prenant pour directrices trois quelconques des premièrés généra- ne Les démonstrations que donne M. Hachette de ce | double mode de génération ne supposent que la connais- sance des propriétés des triangles semblables; lorsque les génératrices de l’hyperboloïde sont toutes parallèles à un même plan, cette surface prend le nom de plan gauche. M. Hachette en discute les principales propriétés; XIL. 9 130 THÉORIE DES LIGNES il passe de là à la recherche du plan tangent à une sur- face réglée et arrive enfin au chapitre qui est consacré aux courbes à double courbure. Les développées envisa- gées de la manière la plus générale, les plans normaux, | les surfaces que ces plans déterminent par leurs ren- contres successives et que l’auteur appelle des surfaces polaires, etc., deviennent les sujets d'autant de. dis- cussions intéressantes. Ces considérations conduisent l’auteur à une démonstration synthétique du beau théo- rème de Meunier qui consiste, comme. on sait, en ceci, « que les cercles osculateurs de toutes les sections d’une surface, dont les plans passent par une tangente à cette. surface, sont sur une sphère dont le rayon est égal .au rayon de courbure de la section normale qui passe par la même tangente. » M. Hachette en déduit une construc- tion géométrique pour déterminer la tangente, le centre de courbure et le plan osculateur d’une courbe donnée. On pourra se former une idée assez précise de sa ma- nière de procéder, d’après ce que nous allons rapporter d’une des questions les plus générales qu’il ait traitées. Une courbe plane ou à double courbure est donnée par son contour, Sa nature est inconnue et l’on propose néan- moins de lui mener une tangente. Pour résoudre ce problème, M. Hachette place dans l’espace deux lignes droites quelconques. Ces lignes et la courbe proposée. deviennent les trois directrices d’une surface réglée qui, dès lors, se trouve déterminée de forme et de position. Par celle des génératrices rectilignes qui aboutit au point donné sur la courbe on fait passer un plan qui sera tangent quelque part en un point dont ET DES SURFACES COURBES. 431 une construction assez simple fera connaître la place et par lequel on mènera une droite quelconque. Les deux premières droites arbitraires et celle-ci deviendront les trois directrices d’un hyperboloïde à une nappe qui sera tangent à la première surface réglée le long de la géné- ratrice commune. Le plan tangent à l’hyperboloïde au point où cette droite rencontre la courbe, contiendra la tangente cherchée. Cette construction suflira si la courbe est plane. Dans tout autre cas il faudra construire une seconde surface gauche et un nouvel hyperboloïde à une nappe dont le plan tangent au point donné coupera le précédent suivant la tangente demandée. Le Mémoire de M. Hachette est écrit avec méthode et clarté et nous semble très-propre à remplir l’objet que l’auteur s’est proposé. Nous pensons que l’Académie doit lui donner son approbation. RAPPORT SUR LE TRAITÉ DE GÉOMÉTRIE DESCRIPTIVE DE M. VALLÉE La géométrie descriptive, dans l’accéption qu'on a donnée à ce mot depuis l'établissement de l’École poly- technique, enseigne à représenter sur une surface plane les objets qui ont trois dimensions et à résoudre par le 1. Rapport inédit lu à l’Académie des sciences le 18 mai 1818, au nom d’une Commission composée de MM. de Prony, Fourier et Arago. 432 TRAITÉ DE GÉOMÉTRIE DESCRIPTIVE seul secours de la règle et du compas, en partant des données d’un dessin géométral, des questions qui, de prime abord, sembleraient exiger des moyens beaucoup plus compliqués. L'expérience avait conduit de bonne heure aux procédés d’après lesquels les architectes, les tailleurs de pierre et les charpentiers construisent leurs ‘épures; mais ces méthodes n’ont été réunies en corps de doctrine et débarrassées de tout empirisme, que de nos jours. C’est à M. Monge qu’on en est redevable. Les Leçons de géométrie descriptive de ce savant illustre ren- ferment une exposition des principes de la science qui sera toujours citée comme un modèle parfait de clarté. On regrette toutefois que cet ouvrage ne soit pas plus étendu; car les artistes qui n’ont pas fait une étude spéciale des mathématiques ne peuvent se rendre les méthodes de projection familières qu’en variant les données des ques- tions et en s’exerçant: sur un grand nombre d'exemples. Déjà, en 1812, M. Hachette avait rempli en partie cette lacune par un supplément faisant suite aux leçons de M. Monge et auquel l’Académie accorda son approbation (voir p. 198). C’est en suivant les traces des deux sa- vants que nous venons de nommer, ses anciens profes- ‘seurs à l’École polytechnique, que M. Vailée a rédigé le traité complet dont l’Académie nous a chargés de lui rendre compte. | Cet ouvrage, composé de plus de 500 pages in-4°, est divisé en six livres. Le premier renferme les notions fondamentales de la géométrie descriptive et la solution d’un grand nombre de problèmes relatifs au point, à la ligne droite et au plan. DE M. VALLÉE. 433 Le second est consacré au mode de représentation des surfaces courbes et à l'indication des propriétés dont jouissent celles de ces surfaces qui sont le plus Lu ur ment employées dans les arts. La détermination des plans tangents à une ou plusieur. surfaces passant par un point ou par une ligne donnés forine l’objet du troisième livre. Le quatrième livre traite des intersections des surfaces courbes. On trouve dans le cinquième la solution de plusieurs questions importantes el qui nécessitent une connaissance approfondie de tout ce qui précède. Enfin, dans un supplément formant le sixième livre, l’auteur a présenté avec détail la théorie des surfaces gauches, celle des enveloppes, de leurs arêtes de re- broussement, et tout ce qui se rapporte aux courbures des lignes et des surfaces. Il a rejeté dans des notes à la fin de l'ouvrage les démonstrations analytiques des pro- positions les plus usuelles de la géométrie descriptive. L'ouvrage de M. Vallée est trop étendu pour que vos commissaires aient pu s'imposer l'obligation de le lire en entier ; ils se sont contentés d'examiner avec attention les parties les plus difficiles et se plaisent à reconnaître qu’elles sont rédigées avec beaucoup de méthode et de clarté. Les 59 planches qui accompagnent le texte sont parfaitement dessinées. Chaque épure offre dans les plus petits détails toutes les constructions qu’il faut exécuter pour arriver à la solution du problème, et néanmoins on n'y remarque aucune confusion; en un mot, il nous a paru que le nouveau traité de M. Vallée est digne, sous 134 TRAITÉ DE LA SCIENCE DU DESSIN tous les rapports, de l'approbation de l’Académie. II est à désirer que cet habile ingénieur puisse trouver dans les encouragements du gouvernement lés moyens de livrer son ouvrage à l'impression, et qu’il achève les traités dont il s’est déjà occupé et qui doivent contenir les appli- cations de la géométrie descriptive à l’art du charpentier et à celui du tailleur de pierre. RAPPORT SUR LE TRAITÉ DE LA SCIENCE DU DESSIN DE M. VALLÉE ! Cet ouvrage, de près de 500 pages in-/°, est divisé en quatre livres. Le premier contient les procédés relatifs à la détermination des lignes de séparation d'ombre et de lumière pour toutes les formes et pour toutes les positions possibles du corps éclairant et du corps éclairé. Le deuxième traite de la perspective linéaire. La théorie des images d'optique est exposée avec beaucoup de détail dans le troisième livre. Le quatrième enfin renferme les principes généraux de la perspective aérienne et leurs applications au lavis. | Ces deux derniers chapitres se lient à des idées par- ticulières sur la manière dont se fait la vision, que M. Vallée avait exposées dans un supplément à son ou- vrage, mais qu’il a depuis présentées séparément à l’Aca- 4. Rapport lu à l’Académie des sciences le 19 mars 1821, au nom d'une Commission composée de MM.de Prony, Fourier et Arago. PAR M. VALLÉE. 135 démie après y avoir fait d'assez grandes modifications. Une seconde Commission ayant été chargée de l'examen de cette nouvelle théorie, nous devons nous borner aujour- d’hui, dans notre rapport, aux seuls chapitres qui traitent des ombres et de la perspective linéaire. Il serait, du reste, aussi long qu'inutile de présenter ici une analyse détaillée des moyens de solution plus ou moins nouveaux que l’auteur a employés. Nous nous con- tenterons de dire que dans les parties qu’il nous a été possible d'examiner, les méthodes nous ont paru bien choisies et conformes aux vrais principes de la géométrie descriptive; que des exemples nombreux et variés en font ressortir tous les avantages et offriront aux artistes des exercices fort instructifs; que les démonstrations sont mé- thodiques et très-clairement rédigées. Le recueil des planches qui accompagne l'ouvrage a été fait par M. Vallée lui-même et sera un véritable modèle de travail gra- - phique. Des données heureusement choisies, des solutions curieuses et inattendues; les constructions quelquefois assez compliquées qui les ont fournies se groupent tou- jours sans confusion dans des espaces fort resserrés. Vos commissaires espèrent que M. Vallée sera assez encou- ragé dans son utile entreprise pour que la précieuse col- lection des épures soit confiée à un graveur capable d’en faire ressortir tout le mérite. L'ouvrage nous paraît d’ailleurs devoir être très-utile aux ingénieurs civils et militaires, aux architectes, aux peintres, et en général a! toutes les personnes qui cultivent les arts. Nous propo- sons conséquemment à l’Académie de lui donner son approbation, RAPPORT SUR LES PÈSE-LIQUEURS PROPOSÉS PAR MM. GAY-LUSSAC, BENOIST ET FRANCOEUR ! Sur la demande expresse du ministre de l’intérieur, l'Académie a chargé une Commission composée de MM. Berthollet, Chaptal, Thenard, Charles et moi, de lui rendre compte : 1° D'une brochure de M. Benoist intitulée Théorie générale des pèse-liqueurs ; 2 D'un Mémoire manuscrit de M. Francœur, ayant pour titre Théorie générale des poids spécifiques, et prin- cipalement des aréomètres ; 3° D’un travail du même genre que, d’après l’invita- tion du gouvernement, M. Gay-Lussac avait depuis long- temps entrepris. M. Benoist, ancien élève de l’École polytechnique, est maintenant professeur très-distingué de l’École d'état- major. M. Francœur est bien connu de l’Académie, comme auteur de plusieurs ouvrages estimés sur les mathémati- ques pures et appliquées. On sait enfin qu’il est peu de branches de la physique et de la chimie auxquelles M. Gay- Lussac n’ait attaché son nom, soit par des découvertes brillantes, soit par des travaux marqués au coin de la plus scrupuleuse exactitude. 1! était donc bien facile de prévoir que les Mémoires adressés à l’Académie seraient tous recommandables et dignes de ses éloges. Mais le 4. Rapport inédit lu à l’Académie des sciences le 3 juin 1822. Îau RAPPORT SUR LES ARÉOMÈTRES. 4377 Ministre ne demande pas seulement un jugement absolu. Il désire (nous rapportons ses propres expressions) “qu’elle se prononce sur la supériorité relative des trois méthodes, en ayant soin surtout de prendre en considé- ration le degré d'utilité que peut en obtenir le service auquel elles sont destinées. Le but que se propose le gouvernèment, ajoute Son Excellence, c’est d'améliorer et de simplifier la perception de l’impôt, seul intérêt qui doive déterminer son choix. Son désir est qu’on ait dé- couvert de nouveaux procédés propres à évaluer plus convenablement le titre des eaux-de-vie et esprits en centièmes de pur. » Le devoir de la Commission est donc de présenter une analyse assez détaillée des trois Mémoires soumis à son examen, pour que chaque membre de l’Académie puisse se prononcer avec connaissance de cause sur leur mérite relatif, en se plaçant dans le point de vue que le gouver- nement nous a assigné. La brochure de M. Benoist a été publiée en 1821. Elle se compose de 92 pages de texte, de quatre tables et d’une planche lithographiée. Dans le premier chapitre, l'auteur expose la théorie et la construction des pèse- liqueurs. Dans le second, il examine les pèse-liqueurs de Baumé et de Cartier, qui sont en usage dans le com- merce, et donne les moyens de les rendre comparables. Le troisième chapitre est consacré à l'explication des divers usages des aréomètres. Dans le quatrième enfin, M. Benoist propose de graduer ces instruments de ma- nière qu'ils donnent immédiatement le titre en fraction assignée du poids et du volume total du mélange. Des 138 RAPPORT SUR LES ARÉOMÈTRES. quatre tables qui terminent le Mémoire, deux sont relatives au passage d’une échelle de graduation à l’autre. La table troisième fait connaître le titre au volume des eaux- de-vie. Elle se fonde: sur des données puisées dans l’En- cyclopédie méthodique. La quatrième enfin:donne le titre au poids des acides sulfuriques. | Le Mémoire de M. Benoist, trèe-clai ein rédigé, peut être considéré comme un excellent chapitre d’un traité de physique ; mais on a pu voir que l’auteur ne s’est aucunement occupé de la partie expérimentale de la question. 9! Le Mémoire manuscrit de M. Fra RER est parvenu à l’Académie le 4° avril. L'auteur nous prévient qu'il l’a composé en 1816, mais que la rédaction définitive ne remonte qu’à 1819, Ce travail est fort étendu. M. Fran- cœur débute par des notions générales sur les pesanteurs spécifiques et explique les divers moyens qu’ont employés les physiciens pour les déterminer. Il fait, à cette occa- sion, l’histoire détaillée et fort intéressante de tous les aréomètres connus, nationaux et étrangers. Il en signale les défauts, expose ensuite avec soin les moyens de con- struire, à l’aide de pesées, des aréomètres centigrades comparables et, termine par le calcul des corrections de température. Cette première partie du Mémoire ne ren- ferme aucun calcul algébrique. Dans le second, M. Fran- cœur met en équation les divers problèmes que présente l'aréométrie, en donne des solutions générales et com- pare entre elles les graduations adoptées par différents constructeurs. Ses résultats, sur ce dernier point, ne s'accordent pas parfaitement avec ceux de M. Benoist. RAPPORT SUR LES ARÉOMÈTRES. 139 Dans le recueil de tables par lequel se termine le Mé- moire de M. Francœur, nous en avons remarqué quatre qui sont relatives à la concordance de diverses échelles de graduation. Les autres se fondent sur les expériences de Gilpin et donnent, dans une certaine étendue de l'é- chelle thermométrique, les proportions d’eau et d’alcool contenues dans des eaux-de-vie de différentes densités. Le Mémoire dont nous venons de présenter l’analyse se fait remarquer, comme celui de M. Benoist, par une grande netteté de rédaction. Quant à la partie expéri- mentale, elle a été puisée presque tout entière dans les Tables de Gilpin. Lorsque sur l’invitation plusieurs fois renouvelée du ministère, M. Gay-Lussac entreprit les expériences dont nous avons encore à rendre compte, il pensa que les Tables de la quantité d’alcool pur renfermé dans des eaux-de-vie à différentes densités étaient ce qu’il impor- tait le plus de vérifier. Le travail exécuté par Gilpin, en 1790, par ordre du gouvernement anglais, sous l’in- spection immédiate de plusieurs membres de la Société royale et qui sert exclusivement de base à la perception des droits chez nos voisins, semblait, il est vrai, très- digne de confiance. Mais on doit remarquer que l’alcoo!l dont Gilpin s'était servi comme alcoo! absolu, était mêlé, au contraire, à une proportion sensible d’eau, ainsi que le prouve sa pesanteur spécifique. En conséquence, les nombres donnés par ce physicien ne font pas rigoureuse- ment connaître le degré de pur alcool ou la quantité de matière imposable que les différentes eaux-de-vie contien- nent. Du reste, indépendamment de ces considérations, 140 RAPPORT SUR LES ARÉOMÈTRES. il était fort naturel, il nous semble, que l’administration française désirât asseoir le tarif des droits sur des tables construites pour ainsi dire sous ses yeux et aussi exactes que le permet l’état actuel de la science. Voyons mainte- nant jusqu’à quel point M. Gay-Lussac a rempli les vues du gouvernement. Son premier soin a été de préparer chimiquement cet alcool que les physiciens appellent absolu. Lowitz se ser- vait pour cela du muriate de chaux. M. Gay-Lussac a trouvé que la chaux pure et la baryte conduisent égale- ment bien au résultat. Cet alcool est un liquide déterminé et qu'on peut obtenir identiquement le même dans tous les temps et dans tous les lieux : condition à laquelle doit indispensablement satisfaire un corps destiné à servir d’étalon de poids ou de mesure. Sa pesanteur spécifique à + 15° centigrades est 0.7947, l’eau au même degré du thermomètre étant 1. Jamais les chimistes n’ont ob- tenu un alcool plus léger ni par conséquent plus pur, ce qui suffirait pour motiver, à parité de circonstances, la préférence qu’on accorderait au travail de M. Gay-Lussac. Toutefois ce n’est pas une question sans importance que d'examiner si l'alcool à 0.7947 de pesanteur spécifique est totalement privé d’eau. Or, voici les argumenis sur lesquels on pourrait s'appuyer pour le soutenir. L'eau et l’alcool ont des volatilités peu différentes ; et cependant, par des distillations successives, on amène ce dernier liquide à ne retenir que les quatre centièmes de l’eau avec laquelle il peut se trouver mêlé. La chaux et surtout la baryte ont avec l’eau la plus grande affinité, puisque la chaux la retient jusqu’à 300°, et la baryte jus- RAPPORT SUR LES ARÉOMÈTRES. LEE. qu’à la chaleur rouge. Il est donc naturel d'admettre qu’une distillation conduite sous l'influence de si puissants principes de fixité doit priver l'alcool de ces dernières particules d’eau qu’il conserve dans les distillations ordi- naires. L'expérience a prouvé, en outre, qu’un séjour de six mois sur la chaux pure n’altère point la densité de l'alcool absolu ; à quoi nous ajouterons, comme un argu- ment plus convaincant encore, que les éléments de ce liquide, le carbone, l'oxygène et l'hydrogène, y existent en proportions définies. Ceci n’aurait évidemment pas lieu si l’alcool retenait de l’eau à l’état de simple mélange. Pour la détermination des densités correspondantes aux mélanges en diverses proportions d’eau pure et d’alcool absolu, M. Gay-Lussac a procédé ainsi qu’il suit: Un flacon de la capacité d'environ 300 grammes et bien pesé était placé dans l’un des bassins d’une excel- lente balance de Fortin. On y versait d’abord une cer- taine quantité d’eau distillée dont on déterminait immé- diatement le poids. Ensuite on y ajoutait tel ou tel autre poids bien déterminé d’alcool absolu. Le mélange con- venablement agité devenait uniforme et formait ainsi l’un de ces alcools à différents titres dont il fallait trouver la pesanteur spécifique. Nous pouvons donner ici, par un seul exemple, l’idée des scrupuleuses précautions que M. Gay-Lussac a ap- portées dans toutes les parties de son travail. On vient de voir que dans la formation des eaux-de- vie plus ou moins affaiblies par l’eau, on versait d’abord dans le flacon ce dernier liquide? Palcool ne venait L ’après. Or, ce n’est point sans raison que cet ordre 142 RAPPORT SUR LES ARÉOMÈTRES. avait été adopté. Supposons, en effet, qu’on eût versé l'alcool le premier; l’eau ajoutée ensuite aurait occupé dans le vase un espace que remplissait, durant la première pesée, de l’air saturé de vapeur d’alcool et par conséquent très-lourd. La différence était évidemment plus légère.en opérant dans l’ordre inverse, puisque l'air expulsé par l'alcool était seulement saturé d’eau. | Pour déterminer les densités des différents mélanges, M. Gay -Lussac a employé un matras de la capacité d'environ 200 grammes, terminé par un tube capillaire surmonté à son tour par un tube plus large faisant fonc- tion de réservoir. Cet appareil, dont le poids avait été préalablement déterminé, était rempli du mélange liquide par des procédés qu’il serait inutile de décrire ici. Plongé dans une grande masse d’eau, le matras en prenait à la longue la température. On enlevait alors avec du papier le liquide contenu dans le réservoir jusqu’à l’origine du tube capillaire, et l’on pesait : le poids du liquide comparé à celui de l’eau distillée donnait le nombre cherché. Le tube supérieur que nous avons nommé le réservoir avait pour objet de fournir du liquide au matras pendant son refroidissement dans le bain, et de recevoir celui qui se serait échappé durant les pesées, lorsque la tempéra- ture de l’air se trouvait plus élevée que celle du liquide intérieur. Pour éviter même une très-petite perte de va- peur, le réservoir était couvert d’une cloche de verre. Nous n’avons pas besoin de faire remarquer combien ces procédés sont supérieurs à tous ceux dont les physiciens s'étaient servis jusqu'ici. Les moindres erreurs de température en produiraient RAPPORT SUR LES ARÉOMÈTRES. 4143 de considérables dans les résultats des pesées d’un liquide. La Commission n'aurait donc rempli qu’impar- faitement les vues de l’Académie, si elle n’avait point scrupuleusement examiné les thermomètres dont M. Gay- Lussac s’est servi. Nous croyons pouvoir affirmer à cet égard que l'incertitude ne s’est jamais élevée au-dessus de 1/20° de degré. Le nombre total des mélanges compris entre l’eau pure et l’alcool absolu sur lesquels M. Gay- Lussac a opéré est de 21. Les densités de chaque mélange ont été direc- tement déterminées de 5° en 5° du thermomètre centési- mal depuis 0 jusqu’à 30°. Les autres nombres dans la table sont les résultats d’interpolations. Malgré toute la confiance qu’inspiraient à la Commission les procédés que nous venons de décrire, elle n’a pas cru pouvoir se dis- penser de comparer la table de M. Gay-Lussac aux tables analogues de MM. Gilpin et Tralles. L'alcool dé Gilpin à 45° de température avait 0.8254 de pesanteur spécifique et contenait moins de 93 pour 100 d’alcool absolu. L'alcool de Tralles différait peu de celui que M. Gay- Lussac a employé. En appliquant à tous . ces résul- tats les corrections nécessaires pour les réduire à un même étalon, nous avons trouvé qu’aux températures de départ, la plus grande différence de pesanteur spécifique entre Gilpin et M. Gay-Lussac n’est que de 24/100,000:; mais la nouvelle table s’écarte de celle du physicien de Berlin sur quelques points de 3/10,000“ en plus et dans d’autres de 3/10,000en moins. Il ne se présentait qu’un moyen de découvrir l’erreur et nous lavons employé. C'était de refaire nous-mêmes avec le plus grand soin les 144 RAPPORT SUR LES ARÉOMÈTRES. pesées et les calculs pour l’un des nombres les plus dis- cordants. Le résultat de notre expérience n’a différé de celui de M. Gay-Lussac que de 2/100,000:, Après avoir “exécuté un aussi pénible travail sur les densités des mé- langes d’eau et d'alcool, il était impossible que M. Gay- Lussac ne s’occupât pas aussi des instruments qui servent à les-mesurer. Déjà depuis longtemps il avait proposé au directeur des contributions indirectes de diviser les aréomètres en 100 parties et de manière qu’à une température normale de 15°, peu éloignée de celle des caves du Midi, chaque division indiquât les centièmes d’alcool pur, en volume, renfermés dans le mélange. Ainsi, suivant ce système, que M: Gay- Lussac reproduit aujourd’hui, si l'instrument à 45° du thermomètre marque 75 degrés, l’expérimentateur saura par cela même que dans un litre de l’alcool éprouvé il y a 75/100° de pur. Pour les autres températures, des tables peu étendues, parce qu’elles sont bien ordonnées, font connaître à vue combien on doit ajouter aux indications de l’aréomètre, ou combien il faut en retrancher, pour les ramener à ce qu’elles auraient été à la température de + 15°. Comme dans le commerce on tient rarement compte des quantités au-dessous d’un quart de degré, M. Gay-Lussac a construit aussi une table peu volumi- neuse qui donne immédiatement et sans calcul, pour tous les degrés du thermomètre, la quantité d'alcool absolu renfermée dans le liquide essayé. | Les nombreuses expériences d’où M. Gay-Lussac a déduit les corrections de température sont d’autant plus précieuses que MM. Gilpin et Tralles ne semblent pas # re ss RAPPORT SUR LES ARÉOMÈTRES. 145 avoir apporté, dans cette partie de leur travail, l’exacti- tude qu’on remarque dans les tables correspondantes aux températures normales. Nous n’avons plus qu'un mot à ajouter sur la con- struction des instruments. Plusieurs physiciens s'étaient déjà occupés depuis longtemps des moyens de rendre les aréomètres comparables. Le problème n’offrait point de difficulté et on l'avait complétement résolu. Les mé- thodes proposées aujourd’hui par MM. Benoist et Fran- cœur sont exactes, mais elles diffèrent peu de ce qui était pratiqué avant eux. Cette remarque s’appliquerait aussi aux procédés de M. Gay-Lussac, si ce physicien n’avait créé des moyens d'exécution qui, par leur simpli- cité, rendent la régularité et l'exactitude du travail tout à fait indépendantes de l’habileté de l’artiste. Ceux-là seront sensibles à ce genre de mérite qui ont eu l’occa- sion de remarquer qu'il n’existe point dans le commerce ‘de thermomètre sur lequel on puisse compter, quoique les moyens de construire ces instruments avec précision aient été longuement expliqués dans tous les ouvrages de physique et de chimie. On voit, en résumé, que M. Gay-Lussac a traité la question de l’aréométrie sous toutes ses faces et avec son habileté accoutumée. Les tables qu’il a déduites d’un travail pénible de plus de six mois seront pour l’industrie et pour la science une précieuse acquisition. L’adminis- tration y trouvera aussi, suivant son vœu, «les moyens d'améliorer et de simplifier la perception de l’impôt, » et le guide le plus sûr qu’elle puisse suivre, X:1. 10 RAPPORT SUR UN MÉMOIRE DE M. LE DOCTEUR ROUZÉ, INTITULÉ : Décou- verte du départ anatomique ou Explication du fameux problème de l'électricité générale * L'Académie nous a chargés, MM. Magendie, Fresnel et moi, de lui rendre compte d’un Mémoire du D' Rouzé intitulé : Découverte du départ anatomique ou Explication du fameux problème de l'électricité générale. Nous avons lu avec la plus scrupuleuse attention le Mémoire du D' Rouzé ; mais il nous a été impossible de comprendre, nous dirons même de soupçonner quel est le but que ce médecin s’est proposé. : SUR UN GALACTOSCOPE [Dans la séance de l’Académie des sciences du 25 sep- tembre 4843, il a été donné lecture d’un rapport sur un Mémoire de M. Donné contenant la description d’un instrument dit lactoscope où mieux galactoscope, propre à indiquer la proportion de crème contènue dans le lait, M. Arago a combattu ce rapport. Les objections qu'il a présentées ont été résumées dans les termes suivants, publiés dans le Compte rendu de la séance académique. ] _Il faut, d’abord, bien s'entendre sur le but de l’in- 4, Rapport lu à l’Académie des sciences le 13 février 1826. SUR UN GALACTOSCOPE. 187 strument proposé. Le but est la mesure de la diaphanéité du lait à l’aide d’une expérience d'optique. Cette expé- rience, en la supposant exacte, dira jusqu’à quel degré le lait manque de transparence, mais elle n’apprendra rien, absolument rien sur la nature de la substance, naturelle ou artificielle, tenue en suspension et qui produira une opacité partielle plus ou moins prononcée. Dans le lait naturel l'opacité provient, en majeure partie, de globules blanchâtres de diverses grosseurs, flottant dans un liquide. Je viens d'entendre, avec beaucoup d’étonnement, attri- buer la découverte de cette composition du lait à M. Donné. Sans avoir eu l’occasion de recourir aux auteurs ori- ginaux, j'afirme que l'existence dans le lait de glo- bules de différentes grosseurs, de globules qui sont la cause de la blancheur du liquide, est déjà mentionnée dans Leewenhoeck. Je me rappelle parfaitement que la décou- verte est citée dans l'Histoire de la Société royale de Londres par Birch. | - M. Donné mesure la diaphanéité (mais non la pureté) du lait en cherchant quelle épaisseur de ce liquide éteint la lumière d’une chandelle. Y a-t-il là une idée nouvelle? Nullement. Quand les filtreurs veulent juger du degré comparatif de limpidité de deux liquides, ils en remplis- sent deux verres coniques semblables et: cherchent les hauteurs, à partir des deux pointes, où la lumière du jour cesse de traverser. | A ce moyen grossier M. Donné, dira-t-on, a eu le mérite de substituer un instrument. S’il n’a pas imaginé le principe; on lui doit au moins un mode d'observation susceptible d’exactitude. 148 SUR UN GALACTOSCOPE. Le mode d’observation présenté par M. Donné ne lui appartient pas. Il l’a emprunté à M. Dien, sans le citer. Cet habile géographe a déposé depuis longtemps dans mes mains l'instrument que je mets sous les yeux de l’Académie. M. Dien affirme que M. Donné l’a vu chez lui et en a fait usage. | L'instrument de M. Dien, comme celui de M. Donné, consiste essentiellement en un tube rempli de liquide et de longueur variable à volonté. Mais les moyens de juger des changements de longueur sont beaucoup plus précis et plus ingénieux dans l’appareil du géographe que dans celui du médecin. M. Donné a emprunté, mais il n’a pas perfectionné. | M. Dien mettait dans son tube un liquide imparfaite- ment diaphane et cherchait expérimentalement quelle longueur il fallait lui donner pour éteindre les étoiles de diverses grandeurs. Employé ainsi, c'était un photo- mètre. En cherchant sous quelles longueurs différentes une même étoile disparaîtrait en employant divers liquides, il serait devenu un diaphanomètre. Un des commissaires vient de demander pourquoi la réclamation de M. Dien n’a pas été consignée dans le Compte rendu, pourquoi je ne l’ai pas communiquée à la Commission. Ma réponse est toute simple : l’instrument du laborieux géographe est depuis plusieurs mois sur la table de mon cabinet; tout le monde a pu l'y voir. Je l'ai montré à MM. Boussingault et Regnault, membres de la Commission. Si je ne l’ai pas présenté à l’Académie, c’est qu'il me semblait peu probable que nous dussions en- tendre parler de nouveau du prétendu lactoscope de SUR UN GALACTOSCOPE. 149 M. Donné et que, dans ce cas, la réclamation devenait inutile. M. Dien lui-même en avait jugé ainsi. L'instrument soumis à l'appréciation de l’Académie n’est pas évidemment un lactoscope. Est-il du moins un bon diaphanomètre ? On n’a qu’à jeter un coup d’œil sur l'ouvrage capital du créateur de la photométrie, sur l’Optique de Bouguer, et l’on verra si cet observateur illustre hésitait à con- damner les photomètres par extinction. Quand Bouguer veut déterminer la diaphanéité de l’eau de mer, par exemple, il cherche l'épaisseur de ce liquide qui réduit au tiers ou au quart la lumière incidente et non pas l'épaisseur qui éteindrait cette lumière entièrement. La première observation est indépendante de l'intensité de la lumière employée et de la sensibilité de l'œil de l’expé- rimentateur ; elle n’exige, comme tous les physiciens le savent, qu'un jugement à porter sur l'égalité de deux images que l’œil aperçoit simultanément. Le résultat de la seconde méthode varie avec l'intensité de la lumière employée, avec la fatigue et la délicatesse des organes de - la vision. M. Donné se sert, comme point de mire, de la flamme d’une chandelle. Il ignorait donc qu’une chandelle plus ou moins bien mouchée donne une flamme dont l’inten- sité varie, comme Rumford l’a prouvé, dans le rapport de 100 à 16. Une bougie varie moins : le changement va de 100 à 60. Irait-on jusqu’à prétendre qu’une lu- mière forte et une lumière faible cessent d’être visibles au même moment? On ne conserverait pas longtemps une semblable opinion. Il suflirait de considérer que le 150 SUR UN GALACTOSCOPE. corps de la chandelle disparaît beaucoup plus tôt que la flamme et le bas de la flamme sensiblement plus tôt que son milieu. Les commissaires admettent la justesse de mes criti- ques, seulement ils prétendent qu’elles ne sont pas appli- cables dans la circonstance actuelle, attendu qu’il s’agit d’un appareil industriel et non d’un instrument de pré- cision. Le diaphanomètre construit sur les vrais principes de la photométrie ne saurait être employé, dit-on, que par des physiciens expérimentés; le diaphanomètre par extinction serait, au contraire, à la portée de toutes les intelligences. 3 Ces assertions ne me paraissent pas soutenables, Le vrai diaphanomètre exige seulement que l’on juge de l'égalité de deux lumières ; or tout le monde est à peu près également apte à prononcer sur cette égalité. Nous l'avons éprouvé soit en faisant jadis de nombreuses re- cherches sur les lampes de nos phares, soit en essayant naguère les pouvoirs éclairants de diverses natures de gaz ; les hommes de service jugeaient tout aussi bien que nous. Je citerai une autre expérience également démons- trative, faite journellement, depuis 1825, dans un grand nombre d’ateliers, avec le décolorimètre de notre confrère M. Payen. Dans cet utile instrument le point d’arrêt est celui de la similitude des deux teintes engendrées par la transmission de la lumière à travers deux liquides renfermés dans deux tubes contigus et de longueurs inégales. Cette phase de l'observation n’a jamais offert de difficulté. Le décolorimètre, pour le dire en passant, est, à quelques particularités près, la forme qu'il fau- SUR UN GALACTOSCOPE. 451 drait donner au diaphanomètre lactoscope, si la diapha- néité pouvait devenir la mesure de la qualité du lait. Quant à l'instrument de M. Dien, reproduit par M. Donné, il exige une foule d’attentions délicates, minu- tieuses , dont ce médecin ne semble pas s’être douté. Il faut d’abord avoir égard, dans le placement de la flamme, à la portée de la vue de l’observateur; il faut soigneu- sement éviter que l’image de l'œil éclairé n’aille se peindre sur le premier verre de l'instrument; toute lu- mière qui en parvenant latéralement au liquide, qui en l'éclairant, donnerait naissance à sa couleur blanche natu- relle, troublerait considérablement les résultats. La mé- thode scientifique , la méthode précise aurait donc ici, même sous le rapport de la facilité, de la commodité, un avantage marqué sur la méthode vicieuse. Les extinctions de lumière peuvent servir utilement pour résoudre quelques questions spéciales de photomé- trie; mais elles sont totalement vicieuses dans l’instru- ment que M. Douné a emprunté à M. Dien. J'en ai dit assez pour montrer en quel sens le rapport me semblerait devoir être modifié. Il résulte de la discus- sion que ces modifications, au point de vue scientifique, paraîtraient motivées à la plupart des commissaires. Je reconnais, avec celui de nos confrères qui vient d’en faire la remarque, que le rapport restera l’œuvre exclusive de la Commission ; que l’Académie doit se prononcer seule- ment sur les conclusions, J’admets encore, comme on le dit, que ces conclusions sont très-peu laudatives, qu’elles se réduisent au fond à une simple formule de politesse, qu'envisagées ainsi elles seront sans conséquence nui- 152 SUR UN GALACTOSCOPE. sible. Tout ceci reconnu, j'adhère moi-même aux conclu- sions proposées, puisqu'elles me laisseront, sans restriction aucune, la liberté de combattre le prétendu lactoscope s’il fait son apparition dans une autre enceinte, [Dans la séance du 16 octobre 1843, M. Donné: adressé à l’Académie la lettre suivante : . « J'ai eu l’honneur de présenter à l’Académie un instrument q: a été examiné et jugé par une Commission. « Une réclamation a été adressée à ce sujet, non aux commis- saires, comme cela devait être, mais à un membre de l’Académie qui ne l’a pas fait connaître. « Il résulte de la discussion qui s'est élevée à cette occasion que je suis accusé de plagiat ; mais j'ai le droit de demander que cette question soit renvoyée aux juges naturels en pareille matière et que l'instrument que l’on m'oppose soit soumis, comme le mien, à l'appréciation d’une Commission. L’instrument de M. Dien a-t-il en effet un rapport réel avec le mien? l’un peut-il être considéré comme la copie de l’autre? c’est ce que j'ignore; mais, dans tous les cas, ce point ne peut être décidé que par une Commission. « Je demande donc que cette question soit de nouveau soumise à la Commission qui a examiné mon travail ou à une nouvelle. » Après le renvoi de cette lettre à la Commission qui avait fait le rapport sur le travail de M. Donné, M. Arago a pris la parole dans les termes suivants : ] Je ne peux pas m'empêcher de remarquer que la lettre dont on vient de donner lecture commence par une erreur de fait évidente. La réclamation de M. Dien était adressée à l’Académie et non à un de ses membres. Puisqu’on m’'impose de nouveau l'obligation d’expliquer comment la communication de la Note de M. Dien a eu lieu seule- ment le jour du rapport de la Commission, je dirai, je répéterai à satiété que le laborieux géographe, recon- naissant lui-même les défauts de son instrument, n’enten- SUR UN GALACTOSCOPE. 153 dait en occuper l’Académie que dans le cas où M. Donné, son copiste, parviendrait à obtenir un rapport. Pour me conformer à ce désir de M. Dien, je faisais, toutes les séances, déposer le photomètre par extinction sur le bu- reau du président. Chacun a pu l'y voir. Je l’ai expliqué aux académiciens et aux autres personnes qui m'ont questionné. Cependant, je l’avouerai, je croyais que le prétendu lactoscope irait prendre place à côté de certain instrument qui nous fut présenté comme une invention et dans lequel on voyait simplement un microscope ordi- naire, une lanterne ordinaire et la langue d’une grenouille fermement attachés à une latte. S'il en a été autrement, c’est, suivant moi, une preuve de l'extrême indulgence des commissaires. Les auteurs ont toujours le droit de réclamer un plus ample informé. Je ne m’oppose donc pas au renvoi à la Commission de la lettre de M. Donné. Je ferai seulement remarquer que ce médecin veut transporter aujourd’hui le débat sur un nouveau terrain. Il ne s’agit plus de savoir si le lactoscope est ou n’est pas une copie du pho- tomètre de M. Dien; cela a été complétement discuté. La polémique a soulevé une question d'honneur : celle de savoir si, nonobstant ses dénégations les plus formelles, M. Donné avait vu et manié l'instrument de M. Dien, chez M. Dien, dans le mois de novembre ou de décembre 18/42. [Dans la séance du 8 avril 1844, il a été donné lec- ture, au nom de la Commission académique, de la décla- ration suivante : « M. Dien ayant revendiqué la découverte du photomètre dont M. Donné s'était servi dans ses expériences sur le lait et M. Donné 154 SUR UN GALACTOSCOPE, ayant demandé que son photomètre et celui de M. Dien fussent soumis à l’examen de la Commission à laquelle ses Mémoires avaient été renvoyés, la Commission s’est réunie, et, après avoir entendu MM. Dien et Donné, elle a reconnu que les deux photomètres étaient fondés sur le même principe que celui de M. Quetelet qui se trouve décrit dans le Traité de M. Herschel sur la lumière, et qu'ils n’en différaient que par de très-légers changements pro- pres à chaque instrument. « M. Dien se proposait d'appliquer son photomètre à Ja mesure de l'intensité de la lumière des étoiles ; M. Donné a appliqué le sien à mesurer les qualités du lait. « C’est donc dans ces applications que peut consister le mérite des observations qu’ils auraient faites. » Aussitôt après cette lecture M. Arago a pris de nou- veau la parole en ces termes :] Je rappellerai que les dires contradictoires de MM. Dien et Donné avaient soulevé une question de véracité, Je comprends très-bien que la Commission n’ait pas voulu l’aborder ; mais je dois avertir l’Académie que M. Dien a adressé une lettre dans laquelle les sentiments de ce laborieux géographe sont exprimés en termes catégori- ques. On y lit, en effet, les passages suivants : « Ne devinant point le sujet sur lequel porteront les conclusions du rapport, je crois devoir faire connaître à l'Académie des sciences qu’il ne s’agit pas pour moi d’amour-propre ou d'intérêt, mais bien d’une question d'honneur. «Je viens, en conséquence, offrir de prouver à la Com- mission que M. Donné a vu mon photomètre et qu'il en a fait usage avec moi. » SUR L'EMPLOI DE LA GÉLATINE COMME ALIMENT Pendant mon dernier séjour à Metz je reçus une lettre par laquelle M. Darcet m’invitait à visiter l’hospice Saint- Nicolas, où l’on fait usage de gélatine, et à vouloir bien, à mon retour, rendre compte à l’Académie de ce que j'aurais observé. Je souscrivis au désir de mon confrère, tout en craignant de subir dans l’examen des faits l’in- fluence des préventions qu’on m'avait anciennement don- nées contre le régime alimentaire, objet d’un débat si vif et si prolongé. L’hospice Saint-Nicolas, à Metz, renferme plus de cinq cents personnes, hommes, femmes et enfants. Les hom- mes et les femmes sont tous d’un âge très-avancé. Chaque individu reçoit deux fois par jour et cinq jours par se- maine une soupe dans laquelle il entre un quart de litre d’un bouillon qui, pour 4,000 rations, est préparé avec la gélatine provenant de 25 kilogrammes d'os et avec 10 kilogrammes de viande. Après la soupe du matin chaque personne reçoit une ration de légumes, secs ou frais, cuits au lard. 1. Communicaton faite à l’Académie des sciences le 24 dé- cembre 1838. 156 SUR L'EMPLOI DE LA GÉLATINE Après la soupe du soir on distribue le lard qui a servi à la cuisson des léguines consommés le matin. Les rations de légumes frais, tels que pommes de terre, choux, carottes, navets, pèsent 37%.5. Les rations de légumes cuits, tels que haricots, pois, lentilles, 12%-,5. Les rations de riz et de millet, 58.0. Les os d’où l’on extrait la gélatine proviennent de l'hôpital militaire, du collége, du séminaire. Toutes les opérations relatives à cette extraction s’exécutent dans une pièce qui n’est séparée de la salle où se tiennent les vieillards que par une grille de bois. Avant l'introduction de la gélatine le régime de Saint- Nicolas était exactement celui d'aujourd'hui; seulement le bouillon de la soupe se préparait avec du saindoux, du sel et des épices. : La règle nouvelle, il faut bien le remarquer, n’a pas été introduite dans des vues d'économie : le désir d’amé- liorer la soupe des pauvres a seul dirigé les administra- teurs. Chaque quart de litre de bouillon au saindoux revenait à O°%t-,92 ; chaque quart de litre de bouillon à la gélatine animalisé coûte 1,25. Les détails qui précèdent montrent suisagment que les observations recueillies à l’hospice Saint-Nicolas de Metz ne sauraient décider si la gélatine pure est nutri- tive; mais elles peuvent servir à apprécier l'influence que cette substance exerce sur l’économie animale quand elle est mêlée à du pain, à des légumes et à un très-léger bouillon de viande. Le bouillon de gélatine animalisé est en usage à l’hos- COMME ALIMENT. 157 pice Saint-Nicolas de Metz depuis plus de quatre ans. Depuis quatre ans, d’après le témoignage unanime des honorables administrateurs de cet établissement, l’état sanitaire des cinq cents individus qu’il renferme a reçu la plus évidente amélioration. L'augmentation de dé- pense dont il était question tout à l’heure s’est trouvée plus que compensée par la moindre dépense afférente à l'infirmerie. J'ai reçu ces renseignements de la bouche de M. Pi- dancet, conseiller à la Cour royale ; de la bouche de M. Prost, colonel du génie en retraite, jadis directeur des fortifications de Metz, commandant en second de l’École d'application, etc., et de celle de M. Frécot, ancien em- ployé supérieur aux armées. Les déclarations que j'ai recueillies en parcourant les diverses salles de l’hospice ont entièrement confirmé le dire des administrateurs. Sauf deux ou trois exceptions appartenant à la section des vieilles femmes, partout on s’est félicité du nouveau régime; partout on l’a déclaré très-supérieur à l’ancien sous le rapport de l’agrément et de la salubrité; partout on a exprimé la crainte qu’il ne fût abandonné. L'hôpital militaire de Metz renfermait naguère, pour les employés, un appareil à la gélatine qui ne sert pas maintenant. Je me suis assuré, auprès de M. le docteur Scoutetten, que des circonstances particulières, totale- ment indépendantes de la valeur que peut avoir le pro- cédé de M. Darcet, en ont seules amené la suspension momentanée. Les employés se trouvaient très-bien de l'emploi du bouillon de gélatine animalisé. Ils seraient heureux de le voir rétablir. 158 SUR L'EMPLOI DE LA GÉLATINE. Je ne présente point de conclusions; je me contente de rapporter un fait. L'expérience de Metz, envisagée sinon physiologiquement, du moins sous le point de vue écono- mique, me semble capitale. Je doute qu’en ce genre la Commission nommée par l’Académie ‘ait eu les moyens de rien entreprendre d'aussi vaste, soit par rapport à la durée, soit relativement au nombre et à la diversité des personnes qui se trouvaient soumises au régime de la gélatine. En publiant cette Note j'ai d’ailleurs voulu donner satisfaction à M. Darcet, lequel depuis sépt ans attend qu'on le tire de la plus pénible position. J'ajoute que je n’hésiterai jamais, dans les limites du droit, de la justice et de la vérité, à rendre à mes confrères tous les services qui pourront dépendre de moi. | Jamais il n’a pu entrer dans ma pensée de blâämer la Commission de l’Académie, puisque les travaux qu’elle a faits me sont totalement inconnus. En disant que la position de M. Darcet est pénible, j'ai articulé un fait que personne ne contestera, si l’on se rappelle le contenu de divers Mémoires lus dans nos séances et sur lesquels la Commission aura à prononcer; j'ai transcrit à peu près mot à mot une des phrases de la lettre que mon hono- rable confrère m’a écrite à Metz, et je terminerai en rap- pelant que la création de la Commission de la gélatine remonte à sept ans. | SUR LA FORMATION DES DOLOMIES” La plupart des géologues croient, avec M. de Buch, que les dolomies étaient jadis de simples carbonates calcaires ; que ces carbonates, pendant les soulèvements de cer- taines roches plus anciennes, se sont imprégnés de ma- gnésie à divers degrés. Reste toujours à rechercher d'où cette magnésie est venue et par quelle voie elle a pu aller s’introduire dans toutes les fissures du calcaire supérieur. M. de Buch admet, dit-on, qu’elle s’est vaporisée. Une telle supposition, il faut l'avouer, a paru bien hardie; des doutes se sont élevés de toutes parts. Dans cet état _ de la question, j'ai pensé devoir communiquer à l’Aca- _ démie le passage suivant, que j'ai trouvé dans une ana- lyse abrégée des dernières séances de l'Association bri- tannique réunie à Dublin. « M. Daubeny, professeur de géologie à Oxford, dit que, suivant l'opinion de M. de Buch, le carbonate de magnésie a pu, dans beaucoup de cas, subir une subli- mation par l’action volcanique. Cette opinion, ajoute M. Daubeny, ne s'accorde pas avec les résultats de la chimie, Un fait curieux qu’il a observé en Italie est venu cependant fortifier l'opinion du géologue prussien, En parcourant certaines localités, M. le colonel Robinson a 1. Conmunication faite à l’Académie des sciences le 12 octobre 1835. 460 SUR LA FORMATION DES DOLOMIES. rencontré de grandes quantités de carbonate de magnésie dans des cavités de la strate supérieure des laves. M. Dau- beny en trouva aussi une couche sur toute la surface su- périeure de ces mêmes laves. M. Dalton remarque qu’il ne peut y avoir aucun doute sur la sublimation du carbonate de magnésie : le D' Henry l’a informé qu’une certaine quantité de ce sel était emportée (a quantity of this salt was always driven off) quand on élevait la chaleur au delà d’un certain degré. » Je regarde cette expérience comme très-digne d’inté- rêt, à cause de sa liaison avec un des plus importants problèmes de la géologie. Je crois qu’elle mérite d’être répétée. Je sais que le carbonate de magnésie se décom- pose vers la chaleur rouge; mais je dois faire observer que M. Dalton n’a pas indiqué la chaleur à laquelle s'opère le driven off, ou la sublimation (car il faut remarquer que le mot vaporisation ne se trouve pas dans le passage cité). Je considère donc comme très-important le sujet de re- cherches que l'observation de M. Daubeny et l’assertion de M. Dalton viennent de faire surgir. Mon savant confrère, M. Cordier, croit devoir élever des doutes sur la portée qu’il faut attribuer aux remarques de M. Daubeny. Selon lui, il y a loin de ces remarques à des preuves suffisantes pour commencer à justifier l'hy- pothèse qui a été imaginée relativement à l’origine des roches de dolomie, qui sont plus ou moins voisines des roches pyrogènes d’épanchement. Une telle justification lui paraît bien difficile, car l'hypothèse dont il s’agit est en opposition avec des principes de chimie et de phy- sique parfaitement avérés, et surtout avec les lois de la MASSE DE CUIVRE NATIF. 464 propagation de la chaleur. Il ne faut pas déplacer la question. Mon but n’a pas été d'engager une discussion sur les modifications générales que les roches pyrogènes ont fait subir aux couches géologiques supérieures en les traversant, mais d’appeler l’attention sur un fait parti- culier qui me paraît très-digne d'attention, SUR UNE GRANDE MASSE DE CUIVRE NATIF‘ Les considérations de quantité étant de nature à jouer un rôle important dans l’examen général des systèmes géologiques, et en particulier dans la théorie de la for- mation des filons, je crois devoir appeler l'attention des naturalistes sur le fait suivant. Une masse de cuivre natif, de 38 centimètres de long, de 38 de large, de 30 dans sa moindre épaisseur, et du poids de 62 kilogrammes, a été trouvée près de la rivière On-ta-naw-gaw, un des affluents du lac Supérieur. Elle fait maintenant partie de la collection de Yale-College. Sa couleur est parfaite ; sa forme générale est plano-con- vexe ; çà et là elle présente des incrustations de carbo- nate de cuivre, les surfaces triangulaires de rudiments de cristaux de cuivre pur et des indices manifestes de la gangue dans laquelle la masse fut jadis enchâssée. 4. Conmunication faite à l’Académie des sciences dans la séance du 45 février 1836. À XII. 11 162 SUR UNE INCRUSTATION CALCAIRE Des voyageurs assurent avoir vu une masse de même nature, mais beaucoup plus grande que celle du collége de Yale, une masse dont ils évaluent le poids à .une tonne (500 kilogrammes) dans le litimême de la rivière On-ta-naw-gaw. | À l’époque: de la publication de la Minéralogie de Haüy, la plus grande masse connue de cuivre natif ne pesait que 5 kilogrammes ; elle faisait partie du cabinet du collége des mines à Freiberg. SUR UNE INCRUSTATION CALCAIRE : | D'APPARENCE NACRÉE M. Horner, de la Société royale de Londres, m'a adressé une substance qu’à sa disposition lamelleuse, son poli et ses couleurs irisées, on prendrait aisément pour un fragment de coquille. Son origine d’ailleurs est toute différente, et ce n’est autre chose qu’une incrustation formée à la surface interne et externe d’un cylindre creux employé au lavage des toiles après qu’elles ont été bouil- lies dans l’eau de chaux. Ce cylindre, qu'on nomme dash-wheel (roue-battoir), a 2°.13 environ de diamètre ; il est divisé intérieurement en quatre compartiments au ‘moyen de deux cloisons planes qui passent par l’axe et 1. Communication faite à l’Académie des sciences dans la séance du 9 mai 1856. D'APPARENCE NACRÉE. 163 se coupent à angle droit ; il exécute vingt-deux révolu- tions par minute. Les toiles sont introduites avec de l’eau pure dans un des compartiments, et la roue en tournant les fait battre successivement contre les trois parois; l'opération est terminée en dix minutes. : Le cylindre, lorsque M. Horner l’a vu pour la première fois, servait depuis dix ans; l’incrustation s'était faite d’une manière très-lente et son épaisseur sur la paroi interne n’était guère de plus de 2"1-,25 ; elle était .un peu plus considérable près de l'ouverture par laquelle on introduit les toiles. Cette couche intérieure avait le lustre et la couleur du cuivre poli; elle n’avait commencé à apparaître qu'après la deuxième année; celle de l'exté- rieur s'était montrée six mois plus tôt. Cette substance se divise aisément en feuillets minces ; exposée à la flamme d’une bougie, elle noircit et répand l'odeur propre aux substances animales que l’on brûle ; les feuilles, par l’action de la chaleur, se détachent et se recoquillent comme feraient des rognures de corne. Essayée au chalumeau, elle se divise en lames encore plus minces qui blanchissent et se vitrifient. Dans cet état, quelques parcelles mouillées et appliquées sur la main y produisent la même sensation de chaleur qu'un fragment de chaux vive également mouillé. L’enduit intérieur ne diffère de l'extérieur qu’en ce qu’il contient une plus grande proportion de matière animale et se divise en lames encore plus minces ; sous le rapport de l'aspect général il offre aussi un plus beau poli. D’après ce qui a été dit plus haut, on voit aisément d'où vient le carbonate calcaire qui forme l'élément prin- 164 SUR UNE INCRUSTATION CALCAIRE. cipal de cette incrustation. Quant à la matière animale d’où dépendent et la couleur fauve de l’enduit eten partie sa structure, la source n’en était pas aussi évidente. M. Horner a reconnu qu’elle provient de l’encollage des toiles: en effet, toutes les toiles employées dans cette manufacture sont des toiles faites à la mécanique et dans la trame desquelles on emploie un mélange à parties égales de colle forte et de colle de farine. En examinant sous le point de vue optique la curieuse substance découverte par M. Horner, M. Brewster a trouvé qu’elle est transparente; qu’elle possède la double réfraction à la manière de l’agate, de la nacre de perle, etc., c’est-à-dire qu’une des images se montre parfaitement distincte, tandis que l’autre est accompa- gnée d’une grande quantité de lumière diffuse ; qu’elle n’a qu'un seul axe de double réfraction; que la double réfraction y est négative et très-grande ; que les filaments d’où proviennent les beaux reflets irisés qu’elle lance dans tous les sens sont d’une nature toute particulière. La pesanteur spécifique de la nouvelle substance est 2.hh. Elle raie le sulfate de chaux et est rayée par le spath d'Islande. Sa forme cristalline appartient au sys- tème rhomboïdal. SUR LA FORMATION DE L'ILE JULIA Dans la séance du 45 mai 4837 j'ai fait un rapport verbal, dont l’Académie des sciences m'avait chargé, sur un Mémoire de M. Capocci concernant les changements relatifs de niveau que la mer et la côte paraissent avoir éprouvés dans les environs de Pouzzoles. J'ai donné dans Astronomie populaire (liv. xx, t. m1, p. 131) la sub- stance de ce rapport, et j'ai fait voir comment il résulte de l'examen attentif du phénomène connu de l'érosion des colonnes du temple de Sérapis à Pouzzoles que, à l'époque de la formation du Monte-Nuovo, il y eut un exhaussement considérable de tout le terrain environnant. A la suite de mon rapport et comme complément j'ai pré- senté à l’Académie les considérations. qui m'ont conduit à penser, contre l'opinion générale des géologues, que, dans la partie immergée du moins, l’île nouvelle qui se forma en juillet 1831 dans la Méditerranée, et qui a été tour à tour appelée Ferdinandea, Hotham, Graham, Nerita et Julia, fut le résultat du soulèvement du fond solide et rocheux de la mer. Je vais reproduire ici 4 mes arguments, ainsi que la réfutation des objections qui m'ont été opposées. Les considérations sur lesquelles je m’appuyai sont de deux espèces. Je les analyserai successivement. 4. Voir aussi l’ Astronomie populaire, t. IE, p. 124. 166 SUR LA FORMATION DE L'ILE JULIA. En parcourant le journal nautique de M. Lapierre, commandant du brick la Flèche, j'y ai trouvé un grand - nombre d'observations de sondages faites le 29 sep- tembre 1831, tout autour de l’île nouvelle, D’après les observations, j'ai pu calculer l’inclinaison moyenne, par rapport à lhorizon, de la portion immergée de l’île comprise entre le rivage et le point correspondant où la sonde s'était arrêtée. J'ai trouvé que les pentes étaient d'autant moins fortes qu'on s’éloignait plus du rivage et qu’elles avaient une valeur telle qu’il était impossible d'admettre que des terrains meubles, des cendres, de petites pierres se seraient maintenus avec de si grandes inclinaisons sous l’action des flots de la mer qui les bat- taient incessamment, À l’époque où M, Constant Prevost rendit compte de son intéressante exploration entreprise dans ces parages sous les auspices de l’Académie, je recueillis de sa bouche qu’à 10 ou 13 mètres du rivage on avait trouvé, en un certain point, une profondeur de 66 mètres. Les deux nombres 13 et 66 correspondraient à une inclinaison de 78° 1/3; 10 et 66 donneraient 81° 4/2. Or les inclinaisons de talus stables ne sont pas supé- rieures à 50°. Voici maintenant d’autres considérations que je crois non moins Convaincantes. L'île Julia devint. visible du 28 juin 1831 au 8 juillet suivant : l'incertitude n’est pas plus grande. En effet, à la première de ces dates, le capitaine anglais Swinburne iraversait de jour la place comprise entre Sciacca, sur la côte de Sicile, et l’île Pantelaria, où depuis le nouvel îlot a surgi, et cela sans rien apercevoir d’extraordinaire.; le SUR LA FORMATION DE L'ILE JULIA. 167 8 juillet, au contraire, le capitaine napolitain Juan Cor- rao voyait dans les mêmes parages des traces manifestes de l'éruption. M. Prevost recueillit dans son | voyage cette circon- stance remarquable que dès les premiers jours de l'appa- rition, le 40 et le 11 juillet par exemple, il s'élevait du centre de. l’île une colonne qui brillait d’une manière continue et vive. Plus tard, en août, cette même colonne répandait encore une lumière très-visible. Mais la pous- sière entraînée par les vents n’était pas chaude, et il ré- sulte des expériences thermométriques de sir John Davy et de M. Lapierre que le fond de la mer n’avait aucune chaleur propre. Ces faits ne peuvent être expliqués qu’en admettant que l’île se forma par voie de soulèvement, que les flancs de sa partie immergée étaient le fond de la mer-tout simplement relevé. M: Prevost a cru cependant pouvoir protester contre cette conclusion par une lettre insérée dans le Compte rendu de la séance de l’Académie du 29 mai 1837. Je n'ai pas eu à changer d'opinion. En effet, M. Prevost a annoncé qu'aucune opération de sondage n’a été faite sans sa participation et hors de sa présence. Je n’ai eu aucun motif de contester cette assertion. Il m'avait semblé naturel de penser qu’à bord d'une chaloupe où se trouvaient des officiers de la Fièche, ceux-ci s'étaient exclusivement chargés d’une opération qui leur est si familière. Mon erreur, puisque erreur il y a, était d'autant plus excusable que le tableau des sondes (écrit de la main même de M. le commandant Lapierre) dans lequel j'ai puisé les éléments de mes calculs, ne fait 168 SUR LA FORMATION DE L'ILE JULIA. aucune mention de la participation de M. Prevost aux opérations. Les sondes, suivant M. Prevost, ont été fournies (au commandant) en grande partie de mémoire et par lui- même. M. Lapierre connaissait trop bien ses devoirs pour porter dans le journal du bord des nombres qu’on lui aurait communiqués de mémoire. L’officier qui, après avoir sondé, aurait négligé d'inscrire au crayon le résul- tat sur son calepin, se serait exposé à la plus sévère ré- primande; de pareilles négligences M. Prevost, simple passager, pouvait se les permettre ; mais elles eussent été sans excuse de la part du plus jeune élève de la marine. « Dans aucune des opérations, dit M. Prevost, la pro- fondeur et la distance à la côte ne furent estimées autre- ment que d’une manière approximative et à l'œil. » Des profondeurs estimées à l’œil quand on a une ligne de sonde à la main; des profondeurs estimées à l’œil jus- qu’à la précision de 1 à 2 brasses sur 50, voilà ce qui ne s’est vu dans aucun temps et dans aucun pays! N’est-il pas, au surplus, remarquable, en supposant que l'estime à l’œil ait exclusivement porté sur les distances des cha- loupes à la côte, qu’on se soit constamment trompé dans le même sens et de manière à donner toujours de trop fortes inclinaisons ? | Pour corroborer les inclinaisons calculées d’après les observations qui m’avaient été communiquées par M. La- pierre, j'ai rapporté des inclinaisons plus considérables encore, déduites de quelques nombres empruntés à M. Prevost lui-même. L’argument était direct et pres- sant, Quelle est la réponse du savant géologue? II a 4 SUR LA FORMATION DE L'ILE JULIA. 169 répondu que ces nombres il les avait donnés sans consé- quence, qu’il avait peut-être exagéré en les répétant de mémoire, d’après ses premières impressions. Des nom- . bres donnés d’après des impressions! et ces nombres, il faut bien le dire, ce n’est pas seulement par voie de . conversation qu’on les a connus : on les trouve dans le Mémoire de M. Prevost, dans un Mémoire présenté au monde savant avec un certain et juste appareil, dans un Mémoire rédigé à la suite d’une mission de confiance donnée par l'Académie! Non, non, M. Prevost a trop déprécié les sondages faits avec son concours sur les canots du brick la Flèche; si ces observations avaient aussi peu de valeur qu’on l’a dit plus tard d’après de fugitifs souvenirs, on se serait empressé d’en prévenir officiellement l’Académie : c’eût été un devoir et personne n’y eût certainement manqué. Je ne comprends pas le passage de la lettre de M. Pre- vost dans lequel cet habile géologue parle de cendres, de scories projetées, « qui auraient masqué la véritable pente du sol primitif (soulevé).» Je n’ai cherché à déterminer les inclinaisons des pentes que pour savoir si elles ne dépasseraient pas les inclinaisons des talus naturels des matières incohérentes; qu’importerait pour cela que ces matières, en les supposant un peu abon- dantes, reposassent sur elles-mêmes ou sur des roches inclinées provenant du fond de la mer soulevé? M. Prevost se trompe en insinuant que des sondes mul- tipliées prises autour de l’île nouvelle n’auraient pas eu autant d'intérêt que les observations qu’on espérait tenter sur la partie émergée. On n’a qu’à comparer les sondes 170 SUR LA FORMATION DE L'ILE JULIA. de septembre avec les sondes si différentes d'août, rap- portées dans les Transactions philosophiques, et l’on trou- vera, quelque large part qu'on veuille faire aux. erreurs d'observation, que la clé de ces curieux phénomènes élait principalement sous l’eau; qu'un ingénieur hydrographe aurait probablement plus fait, pour la solution de la ques- tion, qu’un physicien et qu’un géologue expérimentés. La température, à différentes profondeurs, n’a pu être prise, suivant M. Prevost, qu’à bord du brick, loin de l’île nouvelle. Mais j'ai conservé la note de M. Lapierre et l'observation y figure comme ayant été faite très-près du rivage. s On s’est servi de thermomètres ordinaires et non de thermomètres à minima. — La remarque tourne contre M. Prevost, car il en résulte que la différence entre la température du fond et celle de la surface était plus grande que l’expérience ne l’a donnée. « Nous avons fait, dit M. Prevost, tout ce que nous devions faire, il n'eût été permis à aucun autre de faire plus ou mieux. » Je me serais rangé avec bonheur à cette opinion, même après tout ce que j'ai été obligé de remarquer sur les opérations de sondage, si M. Prevost avait extrait de ses registres et publié plusieurs suites d'observations de la température de la mer, faites à l’aller et au retour, à toutes les distances possibles de l’île nouvelle, SUR LES CARTES DE TÉNÉRIFFE ‘ Deux grandes cartes de l’île de Ténériffe ont été pu- bliées il y a quelques années ; la première en date par M. Léopold de Buch; l’autre est due à MM. Webb et Berthelot. Les deux cartes placent le pic de Ténériffe ou de Teyde au milieu d’un cirque plus ou moins régulier, plus ou moins ébréché ; mais là cesse la ressemblance. Sur la carte de-M. Berthelot le cirque a notablement plus d'amplitude , il est plus éloigné de la base du pic, il est beaucoup plus rapproché du rivage de l’île que dans celle de M. de Buch. Ces deux tracés donnèrent lieu dans le sein de l’Académie à un vif débat, qui s’est re- nouvelé à l’occasion d’une lettre de M. Pentland, que nous allons reproduire. Voici, en substance, un des arguments sur lesquels s’appuyaient les personnes qui critiquaient la carte de M. Berthelot, , Suivant cet observateur le pic de Teyde a 3,712 mètres de hauteur, tandis que les crêtes du cirque, près &u défilé appelé Degollada de Ucanca, ne s'élèvent qu’à 3,021 mètres. Les distances horizontales de tous les points sont données par la carte; on peut donc déterminer l'in- 4. Communication faite à l'Académie des sciences dans la séance du 29 mai 1837, 172 SUR LES CARTES DE TÉNÉRIFFE. clinaison à l'horizon de la ligne visuelle qui passerait à la fois par le pic et par les crêtes. Le calcul prouve que cette ligne irait toucher la mer à 18 lieues de 20 au degré (54 milles nautiques ou 100 kilomètres) de la verticale du! pic, ou à 12 lieues (36 milles nautiques ou 67 kilomètres)! en dehors des points les plus saillants de la côte dans cette direction. Les points du cirque situés de part et d’autre de la Degollada de Uranca jusqu’à une assez grande dis- tance conduiraient à des conséquences analogues. De là il résulterait qu’en venant du sud au nord les navigateurs ne verraient jamais le pic au-dessus des crêtes du cirque sur une hauteur de plus de 150 mètres; que cette hauteur ne sous-tendrait au maximum qu’un angle de 4 à 5 minutes ; que parvenu à 54 milles du centre de l’île ou à 54 milles de la côte, le pic commencerait à disparaître comme derrière un immense paravent ; que plus près enfin on n’en verrait aucune trace, en sorte que Ténériffe se présenterait alors comme un vaste plateau. Ces conséquences de la carte de M. Berthelot sem- blaient radicalement opposées aux récits authentiques de divers voyageurs ; il était cependant désirable qu’elles fussent vérifiées par une personne au fait de toutes les circonstances de la question. Voilà ce qui donne du prix à la Lettre suivante que M. Pentland m’a adressée. « A bord du vaisseau /e S/ag, le 14 mars 4837, au sud de Ténériffe. « Vous vous rappellerez une des principales objections présen- tées contre la carte de M. de Buch. On disait que la chaîne semi- circulaire des Canadas, qui entoure le pic au sud, et qui forme les bords de cet énorme cratère de soulèvement au milieu duquel le pic de Teyde s’est élevé, était trop rapprochée du volcan central. SUR LES CARTES DE TÉNÉRIFFE. 473 « Vous n’aurez pas non plus oublié l’argument que vous tirâtes, pour démontrer l'erreur de cette critique, de la visibilité du pic dans la direction du sud. Je vois que cet argument n’a pas per- suadé MM. Webb et Berthelot; je vois qu’ils nient la visibilité du pic dans cette direction. Permettez-moi de citer leur ouvrage : «.….. Oui, l’interposition des montagnes de la Bande méridionale empêche d’'apercevoir le pic, non-seulement de tous les points du littoral, depuis le môle de Santa-Cruz jusqu’au port de San-lago, mais encore plusieurs lieues en mer, suivant la position de l’obser- vateur. Les navigateurs qui partent de Ténériffe en se dirigeant au sud ne voient le pic que lorsqu'ils sont déjà à une assez grande dis- tance de la côte. » (Pages 64 et 68:) Eh bien, je le regrette pour MM. Webb et Berthelot, rien n’est moins fondé que leur assertion. Le pic est visible et très-visible par-dessus les montagnes du Sud et à une distance peu considérable en mer; depuis un mille au large du môle de Santa-Cruz jusqu’à une pointe située à 16 milles au S.-S.E. de la Punta Roxa, nous n’avons pas perdu le pic de vue; il dominait la chaîne des Canadas. Je vous envoie quelques vues de son sommet, prises de différents endroits de notre trajet, en par- tant de Santa-Cruz. J'ai relevé soigneusement le pic au compas, au moins une douzaine de fois; j'ai fait plus, j’ai déterminé son gise- ment exact par rapport à notre navire, par des azimuts du Soleil et par une amplitude de cet astre au moment de son coucher ; avec ces données, et en adoptant pour la hauteur du pic 3,713 mètres, j'ai calculé notre distance à chaque relèvement, depuis le pic lui- même et depuis la côte voisine. Voici quelques-uns de ces résultats : Distances Le pic était visible : de . en milles nautiques Au nord du navire par 58° à l’ouest....... ssicusis 21 Id. 45 Id. 28.75 Id. 47 (par l’ampl. du Soleil) 30 ST 38 30.8 Id. 29 _ 32 « Le pic était encore visible dans le crépuscule un quart d'heure après le dernier relèvement. Alors son gisement ne différait pas . beaucoup du N.-N.-O. vrai. « Je répète que depuis 2 heures jusqu’à 6 heures du soir, en longeant le bord méridional de Ténériffe, dans la direction du S. un quart O., nous n’avons pas perdu le pic de vue; j’ajouterai que notre consul m'a assuré qu’il le voyait aussi dans tout le trajet de 174 SUR LE DÉGAGEMENT DU GRISOU. cette île à Canarie et le long des côtes occidentales de cette der- nière île. | « J'ai pris souvent la hauteur angulaire du pic au-dessus de la partie correspondante des Canadas; uve fois j'ai trouvé 34° 15”. « Maintenant, puisque Dalrymple a vu le pic gisant au nord; puisque je ne l’ai pas perdu de vue depuis N. 20° O. jusqu’à son relèvement au large de Santa-Cruz ; puisque le rayon visuel au- dessus de la partie de la chaîne des Canadas où je l’ai observé traverse les points les plus élevés de cette chaîne, comme les Adulejos, el Paso de Guaxara et Angostura, on peut conclure que le pic est visible tout le long de la côte méridionale de Ténériffe, à une distance de 2 à 15 milles du rivage. » Cette Lettre de M. Pentland n’a pas complétement convaincu les géographes qui avaient pris parti dans la question; je crois cependant qu'il est désormais impos- sible de ne pas admettre l'exactitude de la description de l'illustre géologue que l’on peut regarder comme l’un des _ fondateurs de la géologie. SUR LE DÉGAGEMENT DU GRISOU ‘ Les Transactions de la Société d’histoire naturelle de Northumberland, Durham et Newcastle-sur-Tyne, reçues par l’Académie des sciences le 24 mai 4836 renferment un Mémoire dans lequel M. John Buddle rend compte d’une observation. à laquelle, dans des vues d'humanité, nous croyons devoir donner une prompte publicité. Sui- 1. Résumé de communications faites à l’Académie des sciences les 28 mars et 23 mai 1836. LT se SUR LE DÉGAGEMENT DU GRISOU. 175 vant le célèbre ingénieur anglais, les chances de trouver des atmosphères explosibles dans les galeries des mines de charbon de terre sujettes au dégagement du grisou ou hydrogène carboné, sont: fort grandes quand le baro- mètre est bas. Ces atmosphères offrent, dit-il, au con- traire, des traces à peine perceptibles de gaz inflam- mable, lorsque le mercure, dans le même instrument, est très-haut. « La cause de cette fluctuation dans le dé- gagement du gaz est évidente, dit M. Buddle. Quand la pression de l'atmosphère est égale à la force élastique du gaz carboné contenu dans les pores et dans les fissures du charbon, les deux fluides élastiques se balancent l’un l’autre. Mais si la densité de l'atmosphère diminue, l'équilibre est détruit; la force élastique du gaz prend le déssus et il se dégage. Je ferai observer, cependant, que l'accroissement dans l'émission du gaz précède géné- ralément de quelques instants la chute du baromètre, sans doute à cause de la délicatesse de la balance, » L'explosion qui; le 24 octobre 1821, fit cinquante- deux victimes dans la mine de Walls-end, arriva quand le baromètre marquait seulement 28P-.8 anglais (0".731). Nous n’avons pas l'intention de discuter ici la théori: des dégagements intermittents du gaz hydrogène qu’a dopte M. Buddle; ainsi nous sommes dispensés de re. chercher si la pression atmosphérique peut également apporter quelques modifications dans l’activité de la ven- tilation des galeries souterraines. Notre but a seulement été de signaler à l’attention des propriétaires de mines une opinion à laquelle la longue expérience de M. Buddle donne une importance réelle. Cette opinion, en suppo- 476 SUR LE DÉGAGEMENT DU GRISOU. sant'que des observations ultérieures la confirment, fera connaître aux maîtres mineurs les jours où ils devront ‘ soumettre à une surveillance plus active les malheureux ouvriers qui s’obstinent à ne pas faire usage de la lampe de Davy. 4 Me serai-je beaucoup écarté de l’objet de cette Note si je rappelle que, sur les côtes du royaume de Naples, les mariniers prétendent trouver des indices presque assurés des changements de temps dans la hauteur et dans la vivacité des exhalaisons enflammées des îles Lipari ? Voici du reste des observations qui complètent les précédentes. La pression sous laquelle l'écoulement du gaz com- mence à avoir lieu n’est pas la même pour toutes les mines, et dans quelques-unes cette pression peut surpas- ser deux atmosphères. C’est ce que prouve l'observation suivante faite par M. Combes dans une houillère du dé- partement de la Loire. « En 1830, dit je savant ingénieur, je fis vider l’eau d’un puits creusé sur la couche de houille de Latour près de Firmini. La mine était abandonnée depuis plusieurs années, parce que l’abondance extrême du gaz inflam- mable dans les galeries souterraines avait déjà donné lieu à plusieurs accidents désastreux et que l’exploitation ne pouvait se continuer qu'avec un danger imminent. Ce puits avait 75 mètres de profondeur au moins jusqu’au faîte des galeries* exécutées dans la couche; il était plein d’eau jusqu’à 21 mètres au-dessous du sol; la partie libre ne contenait que de l’air ordinaire et pas une trace d'hydrogène carboné. Quand l’eau fut vidée jus- SUR LE DÉGAGEMENT DU GRISOU. 177 qu’à une profondeur de 63 mètres du jour, le faîte des galeries étant encore recouvert de 12 mètres d’eau, le gaz se dégagea à travers la colonne d’eau restant dans le puits, avec un bruit ressemblant à celui qu'aurait fait une source abondante tombant de la partie supérieure du puits. L’air remplissant le puits demeura dès lors constamment explosif au plus haut degré. Deux ouvriers y étant descendus avec une lampe ordinaire pour recon- naître la source que l’on supposait venir de la partie supérieure des parois, lorsqu'ils furent à 14 ou 15 mètres de profondeur leur lampe mit le feu au gaz; heureuse- ment la couche supérieure seule s’alluma et le feu ne se communiqua point à la masse d’air inférieure. Cepen- dant l’un des ouvriers fut brûlé grièvement aux mains et à la figure, quoiqu'il ne fût resté que quelques secondes dans la flamme. L’autre n’eut point de blessures, parce qu’il eut la présence d'esprit de s’accroupir au fond de la tonne, dans laquelle la flamme ne pénétra pas. Lors- qu'ils furent remontés au jour, quelques brins de paille allumés jetés dans le puits donnèrent lieu à une très- forte explosion. Ainsi dans cette mine, le gaz inflammable se dégageait sous une pression de plus de deux atmo- sphères, ou même probablement très-supériecre à cette limite. Le puits était en effet creusé au point le plus élevé de l'exploitation, et toutes les galeries partant de ce puits descendaient rapidement suivant l’inclinaison de la cou- che, qui est au moins de 18 à 20 degrés. L’écoulement du gaz hydrogène carboné à travers cette hauteur d’eau continua sans interruption avec la même intensité pendant plusieurs mois. J’ajouterai qu'après que j’eus fait con- XII. 12 178 SUR LE DÉGAGEMENT DU GRISOU. struire au fond du puits un serrement ou plafond horizon- tal, eh solives de sapin, recouvert de 2 mètres de glaise fortement tassée, le gaz filtra à travers les fissures de la roche schisteuse qui recouvre la couche de houille, en quantité beaucoup moïndre qu'avant la construction du serrement, mais cependant très-notable encore. » M. Buddle, dans son Mémoire sur l'explosion qui eut lieu le à août 1830 dans la mine de houille de Jarrow, signale deux autres causes qui donnent lieu à des explo- sions dans les houillères du nord de l'Angleterre, savoir : 1° des fissures nombreuses et étendues dans'!la roche en- caissante, formant ainsi des cavités remplies de gaz qui en sort en plus ou moins grande abondance ‘suivant que la pression atmosphérique est moins où plus élevée ; 2 des cavités sans issue dans la couche de houille même ou dans la roche encaissante, d’où le gaz s'échappe su- bitement quand les galeries les atteignent. Cette der- nière cause est la plus fréquente et de beaucoup la plus dangereuse, parce que. le dégagement de gaz est subit et extrêmement abondant. Les mineurs anglais donnent à ces cavités le nom de bag of foulness, littéralement sac d’impureté. Suivant M. Buddle, quand les cavités sont dans la couche même de houille, on les rencontre surtout aux points où celle-ci est coupée par une petite faille, par un res- serrement ou par la rencontre d’une grande faille ou dyke. « L'explosion survenue dans la houillère de Jarrow, dit M. Buddle, fut occasionnée par le gaz qui sortit tout à coup d’une cavité semblable voisine d’une faille. En effet l’aérage était excellent et le courant fort peu chargé SUR'LE DÉGAGEMENT DU GRISOU. 179 d'hydrogène carboné peu de temps avant l'accident, Après l'explosion, dont le foyer était situé dans la partie orientale des travaux, on reconnut à l'extrémité d’une galerie de 0".94 de large sur 1".52 de hauteur, qu'un bloc de houille occupant la largeur et la hauteur en- tières.de la galerie avait été détaché et repoussé en avant, Comme il aurait pu l'être par l’explosion de la poudre dans un trou de mine. Ce bloc laissait un vide de 23 à 30 centimètres entre sa face supérieure et le faite de la galerie, ainsi qu’entre l’une de ses faces parallèles et la paroi contiguë. Sa dimension dans le sens de la galerie était de 1°.99, de sorte.que son volume total était de plus de 5 mètres cubes. En arrière du bloc se trouvait sur une longueur de 2*.29, un espace rempli de houille désagré- gée ressemblant à de la suie et après cela une petite faille ou fissure qui rejetait la couche de 1°.06 vers le bas. Nul doute que cette cavité, qui se retrouva sur d’autres points : le long. de la même faille, quoique avec une moindre étendue, ne contint du gaz sous une forte tension, qui, après avoir repoussé le bloc de houille, s’écoula subite- ment et prit feu sur la première lumière qu’il rencontra, après s’être mêlé avec la quantité d’air atmosphérique suffisante pour la combustion. » st M. Combes a été conduit par ses propres observations à reconnaître, comme l’a fait de son côté M. Buddle, que dans les mines sujettes au grisou, au voisinage des points où la couche perd de sa régularité, soit par un resserre- ment, soit par une faille, la houille devient généralement plus tendre et laisse dégager du gaz en quantité beau- coup plus considérable qu’à l'ordinaire. Il arrive même 180 SUR LE DÉGAGEMENT DU GRISOU. fréquemment qu’une couche où la présence du gaz inflammable n’a jamais été remarquée, en laisse dégager quand on arrive près d’une faille. Au reste, ajoute M. Combes, quoique le dégagement plus abondant de gaz concourant avec le changement dans la dureté de la houille aux approches d’un accident soit un fait presque général, il est très-rare de trouver dans ce cas des cavi- tés proprement dites, terminées comme celle qui fut observée dans la houillère de Jarrow. Le meilleur moyen de prévenir le danger, dans des cas semblables, consiste à percer dans la houille, dès que l’on s’aperçoit qu’elle change de nature, plusieurs trous de sonde de quelques mètres de profondeur. Le gaz s’écoule ainsi par ces trous et est emporté par le courant d'air. On peut même l’al- lumer au sortir du trou quand la ventilation est suffisam- ment active. Ce moyen de précaution, dont M. Combes a eu occa- sion de faire usage, en exploitant une partie de la couche de Latour, est aussi celui qu’indique M. Buddle. M. Combes cite comme un exemple remarquable de l'abondance du gaz inflammable dans le voisinage des accidents qui interrompent la régularité des couches, l'explosion qui arriva, le 10 avril 1824, à la houil- lère de Bonchamps (Haute-Saône), explosion qui coûta ‘la vie à vingt ouvriers mineurs et en blessa seize griève- ‘ment. Suivant le rapport des ingénieurs des mines, le gaz inflammable ne s'était encore rencontré que très-rare- ment et en fort petite quantité dans cette mine; cepen- dant, un faible dégagement avait eu lieu peu avant l’ac- cident dans un ouvrage de reconnaissance commencé au SUR DES RECHERCHES DE FOSSILES. 181 bas du puits Saint-Louis et c'était tout justement près d’une faille. SUR DES RECHERCHES DE FOSSILES DANS LE DÉPARTEMENT DU GERS L'Académie a entendu dans sa séance dernière (16 jan- vier 1837) avec un vif intérêt, le compte qui lui fut rendu des découvertes que M. Lartet vient de faire dans le territoire de Sansan, département du Gers. Cet intérêt a dû s’accroître par une lecture attentive de la lettre du savant naturaliste. M. Lartet n’a pu consacrer à | at DROITS FRRAAETE 4 janvier. 1° mars. 2, 1819 | Do de | 770.90 ä soir. : BE 738.00 32.90 9 janvier... | ( 24 mars... 1820 9% matin. :. À 772.61 | où soir À 726.32 46.29 6 février.... | (24 décembre } > 1821 g* matin... | 780.82 | .la nuit... 713.12 67.70 $ LA | SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 369 1899 tes ES 771.38 vi gt es 734.68 36.70. 1825 | ec ge À FAST RER | 722.35 49.88 en [702 are 72866 d58 1895 | amet | 776.35 re nm; 796.82 49.53 1826 + ea | 77:79 re RTE. 731.53 43.26 1897 gras 773.18 pére ‘ | 733.60 39.98 1828 ss ape 77140 ris pes | 730.54 10.56 1899 gén ne | 77347 ss = | 734.68 38.79 1830 be PTE | 724.90 ee 729.42 42.48 Moyennes....... 773.43 728.90 44.53 Il résulte de ce tableau, qui aurait toutefois besoin d'être continué pour une série d’années plus considé- rable, que l'écart moyen annuel des oscillations baromé- triques est de 44"”.5 environ. On voit aussi qu’une élé- vation au-dessus de 774 millimètres ou un abaissement au-dessous de 728 millimètres, réduction faite à la tem- pérature de 0°, doivent être considérés comme des faits exceptionnels. j Si, au lieu d’envisager les écarts extrêmes, on consi- | dère seulement les observations mensuelles moyennes maxima ou minima, on obtient le tableau suivant pour la période qui s'étend de 1816 à 1852 : XIT. 2, 370 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. Moyenne ménsüelle Moyenne mensuelle plus basse. . la plus baute, Différences, mill. mill, mi Janvier..:... 4899 750.64 «4895 765.97 14.63. Février. ..... 1843 745.82 1849 766:18 20 36 Mars... 41848 748.77 1834 764.21:,.. 45.44 AVHL Vi 1849 747.33 1817 76265... 15.32 Mal: à 1817 750.88 1833 759.58 8.70 Juin......:.. 4859. 751.80 "4826 761.39 9.59 uiflet: 1816 750.67 1827 760.75 10.08 Aoûtas rsvet 1852 753.13 1851 758.34 5.21 Septembre... 1839 751.19 1832 761.36 10.17 Octobre..... 1841. 748.82 1830 763.65 : 14.83 Novembre... 1838: 746.36 1893, 761.68 :.. 45.32 Décembre.... 1830 747.49 1843 768.56 24.07 On voit que l'écart moyen le plus faible s’est produit en août et le plus considérable en décembre. J’ai parlé plus haut (p. 366) de l’abaissement remar- quable du baromètre qui s’est produit pendant la tempête du 12 janvier 1843, et j'ai rappelé qu’un tel phénomène n’était pas sans exemple à Paris. Je dois placer ici les observations barométriques qui ont été faites, à diffé- rentes heures, quelques jours avant et après le 12 jan- vier, à la Société royale de. Londres. La cuvette du baro- mètre de la Société est placée à 30 mètres au-dessus du niveau de la mer. Je mets en regard le tableau des observations faites à l'Observatoire de Paris dont la cu- vette est élevée de 65”.8. Observations faites à la Société royale de Londres. Heures Baromètre Baromètre Thermo Dates. e de flint-glass de crown-glass mètre l'observation. réduit à 00, réduit à 00. centigiade mill. œil, à k 12 janvier 3*du soir..:.. 735.5 735.3 3°.6. 143 — 9 du matin... 749.7 719.5 8 .9 midi 15 min... 716.7 716.5 AS SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 374 13 janvier 1° du soir... 715.6 745.5 5 .2 2 du soir..... 716.8 746.7 5 .6 # du soir. .... 718.6 718.4 5 .6 19 — 9 du matin... 775.0 774.8 5 .4 Observations faites à l'Observatoire de Paris. Heures Baromètre Thermomètre - Dates de 3 réduit centisrade l'observation. à Go. extérieur. mill. 40 janvier 9"du matin... 734.7 8°. midi... ..n. , 736.6 5 4 8" du soir..... 739.6 6 .6 9 du soir..... 741.0 k 3 11 — 9 du matin... 739.1 5 .4 ML Side 738.5 6 .7 3" du soir..... 736.8 7 .0 9 du soir..... 730.7 7 .l 42 — L du matin... 726.2 5 .6 9 du matin... 727.8 6 2 sand. .Æ15 24 728.7 -6 .9 3" du soir..... 730.2 6 .8 9 du soir..... 738.8 8 4 A3 — 9 du matin... 730.8 k midi... :< Ÿe 729.4 8 .8 3" du soir... 729.5 7 3 9 du soir..... 734.14 L .6 49: — 9 du matin... 770.9 : CA On voit que le plus grand abaissement qui s’est pro- duit à Paris le 12, à 4 heures du matin, a-eu lieu à Londres le 13 à 1 heure de l'après-midi, et qu'il a été bien plus marqué dans cette dernière ville. Nous avons vu précédemment, page 368, que la plus grande hauteur du baromètre que j'aie notée sur une série d'années comprises de 1817 à 1830, est de 780"i., 89, Je trouve dans les Transactions philosophiques pour 1724, iome xxx1, page 222, que, d’après une observation de 372 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. Graham, le baromètre s’est élevé à Londres, le 21 dé- cembre 1721, à 783 millimètres. IV INFLUENCE DU VENT SUR LA PRESSION BAROMÉTRIQUE Je commencerai ce chapitre en reproduisant quel- ques réflexions que je publiai en 1830 en analysant un travail que m'avait remis M. Alphonse Blanc. Depuis longtemps on a reconnu que les vents qui agitent l'atmosphère avaient leur cause, le plus souvent, si ce n’est toujours, dans des dilatations ou des conden- sations produites dans l’air par les variations de chaleur. En effet, on voit quelquefois, lorsque le temps est beau et tranquille, le vent s’élever le matin à l’est, tour- ner au sud à midi et souffler de l’ouest le soir. On peut, avec une grande apparence de raison, attribuer cet effet à la dilatation de l’air par le Soleil successivement dans les pays situés à l’est, au sud et à l’ouest de celui où se font les observations. On a constaté, par des observations, que quelquefois le vent souffle dans une région avant qu’on le sente dans une autre région placée sous le vent de la première; que, par exemple, un vent du sud pourrait être senti à Paris avant de l’être à Marseille. On en a conclu que, dans ce cas, le vent était causé par quelque grande conden- sation de l’air dans les régions sous le vent de celles où il est ressenti. Le baromètre doit-il être affecté d’une manière diffé- SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 373 rente suivant la nature de la cause du vent? Supposons qu’une condensation ait lieu dans les environs du pôle, l’air de tous les lieux environnants affluera vers celui où se fait cette condensation. Il se produira dans ces lieux un vide partiel, et le baromètre baissera. Le vent du midi commencera à se faire sentir dans les lieux les plus voi- sins du pôle. Plus tard la pression augmentant chassera l'air vers l'équateur, et le vent arrivera successivement dans les lieux les plus éloignés de son origine. Le baro- mètre devra donc monter dans tous ces lieux. Ces effets seront d’autant plus grands que l’air chassé du nord au midi se dilate encore en arrivant dans des pays plus chauds et augmente la pression ; le contraire a lieu quand le vent va du midi au nord. Les effets seront moins grands si les changements de tension se mani- festent dans le midi, parce que l’air chassé par une dila- tation se condense en arrivant dans une région plus froide, et que l’air appelé par une condensation se dilate en arri- vant dans une région plus chaude. La colonne barométrique devrait en général se raccour- cir par les vents du midi et s’allonger par les vents du nord. Tel est en effet le résultat qu’on observe ordinaire- ment. Quoique le vent du midi, en arrivant dans des lieux plus septentrionaux, se refroidisse et laisse les vapeurs dont il est chargé se condenser d’abord en nuages et ensuite en pluie, ce n’est pas à cette vapeur qu’il faut attribuer le mouvement descendant du baromètre. Si la vapeur était la cause de cet effet, il aurait lieu constam- ment par les vents qui apportent la pluie, ce qui n’est 374 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. pas. On conçoit fort bien que, quand même le vent du midi serait causé le plus ordinairement par une conden- sation de l’air dans le nord et ferait descendre le baro- mètre, on conçoit, dis-je, qu’il peut être produit quelque- fois par une dilatation dans le sud et le faire monter. Quoiqu'il en soit de ces conjectures, voici pour Paris les effets de l'influence des différents vents sur la hauteur moyenne du baromètre. On a vu plus haut (page 254) “que dans le résumé météorologique publié pour 4826 dans les Annales de chimie et de physique, j'avais annoncé ce travail resté inédit. État moyen du baromètre à Paris et à midi pour chaque rumb de vent, de 1816 à 4825. 1816 1817 1818 Re. SO RS. RS. Re. Nombre Hauteur Nombre Hanteur Nombre Hantenr Vents, de moyenne de moyenne de moyenne jours, du barom. jours. du barom. jours. du barom. mill. mill, mill, N. 44 758.59 36 759.18 Al 759 96 NNO. 0 “ L 752.04 9 756.10 NO. 36 757.03 32 758.01 27 758.25 ONO. 45 752.87 6 756.38 5 757.14 +: 10 65 752.64 54 754.80 55° ‘756.62 050. 14 752.91 44 756.51 9: 755.21 SO. 67 751.00 71 753.60 5! 752.32 SSO. y / 751.07 45 754.15 13 751.91 S. 7 46 750.87 16 754.85 48 753.13 SSE, 6 756.53 6 753.54 5 753.41 SE. 49 752.45 18 755.39 40 753.97 ESE. 3 754.22 2 739.04 3 755.62 E. 21 755.25 11 75899 °; 26 757.84 ENE. 8 755.54 5 756.45 9 758.10 NE. LL 759.91 L0 760.94 45 759.66 NNE. L 757.30 3 758.41 ‘8 755.45 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 375 1819 1820 1821 Re. Re Rs. OC CR Nombre Hautecr Nombre Hauteur Nombre Hauteur Vents. de moyenne de moyenne de moyenne jours. du barom. jours. du barom. jours. du barom. mill, BA” re mill. N. 84 757.76 . 88 758.55 82 763.05 NNO,. 10 756.69 3 752.18 6 760.66 DE 0 2 : 755.20 93 756.37 25 758.65 ONO. #12 756.60 “40 756.38 44h 754.08 -1O. 61 755.26 56 755.10 70: 755.03 0S0. 9 750.93 13 756.76 23 753.15 SO. 64 754 37 57 1752.49 66 752.45 SSO. 14 752.05 8 752.74 8 755.35 S. 36 750.84 37 752.149 . 43 751.73 SSE. 11 756.68 3 756.99 2 755.60 SE. 19 751.91 81 755.05 : 24 753.30 ESE. 41 752.92 8 752.70 7 762.08 E. 415 753.37 25 758 07 18 758.77 ENE. un 764.60 10 751.09 h 757.64 NE. 33 757.56 89 758.70 148 761.70 NNE. 40: 754. 22 k 761.82 5 752.50 1822 1823 1824 1825 Nombre Hauteur Nombre Hauteur Nomvre Hauteur Nomuvre Hauteur Yents de moyenne moyenne de moyenne de moyenne jours. du barom. jours. du barom. jours. du barom, jours. du barom. mill. mill. mill. mill, N. 21 75943 21 75983 38 759.35- 57 763.98 NNO. 5 758.92 8 755.20 8 761.36 8 758.92 NO. Ah 76340 29 757.39 27 755.92 AA 758.51 ONO. 419 758.43 A4 756.73 13 75745 8 759.74 0. 58 7957.47 52 753.82 2 756.42 HO 755.89 OS0. 20 756.23 22 75394 23 755.88 410 756.11 SO. 60 755.01 62 751.88 70 754.87 61 754.89 SSL. 14 70009 24 70229 8 “7010f* 160 75197 S. 53 (757.45 39 752.43 49 750.78 A 754.34 SSE. 8 755.22 7 748.55 8 753.54 Lk.._ 755.35 r SE 49 . 755:66 16 753.90 922 754.74 42 - 753.43 'ESE. O3 76049 O9 75188 © h 754.75 5750.73 IE. 43. 757.62. 414 755.95 44 - 758.35 42, 757.21 ENE.. 41, 758.98 A4 758.99 5 75719 43 757.67 NE. 37 75879 925 759.48 49 768.27 27 ‘761.00 NNE. 10 759.92 42 760.58 9: 761.23 : 40: 761.70 376 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. Il résulte de l’examen du tableau précédent que les nombres de jours où chaque vent souffle annuellement ‘présentent une limite d'écartement très-restreinte d’une brisée à l’autre; on voit aussi que la direction du vent a, comme on l’a dit plus haut, une influence très-nette sur la pression atmosphérique. La moyenne de ces 10 années d'observations va d’ailleurs nous fournir des notions plus précises sur la nature du phénomène : Influence de la direction du vent sur la pression barométrique par une moyenne de 10 années d'observations faites à l'Obser- valoire de Paris (1816-1825). Nombre moyen Hauteur Rumbs de jours moyenne de vents. où chaqne vent du a soufflé. baromètre. $ mill. N. 30.2 759.97 NNO. 6.1 756.89 NO. 27.7 758.17 ONO. a27 756.55 O. 55.3 755.31 OS. 15.7 754.76 50. 63.2 753 29 SSO. 13.4 752.49 S. 43.8 752.89 SSE,. 6.0 754.54 SE. 22.0 753.98 ESE. 5.5 753.41 Ki: 16.9 757.14 ENE. 8.3 757.63 NE. 32.4 759.60 NNE. 7.0 758.81 Il résulte de ces moyennes dont la marche est d’une régularité frappante que le baromètre est à Paris d’au- tant plus élevé que le vent est au nord ou plus près du nord en passant par l’est, et d'autant moins élevé qu'il SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 377 est plus près du sud en passant par les rumbs de l’ouest. Pendant la même période les hauteurs barométriques à midi comparées aux demi-sommes des hauteurs de 9 heures et de 3 heures ont donné les résultats suivants : Hanteurs Demi-sommes Années. moyennes des hauteurs moyennes à midi. de 9h.et de3h. mill, oi 1816 753.94 753.79 1817 756.16 756.08 1818 755.81 755.66 1819 754.85 - 754.74 1820 755.85 755.73 1821 755.83 755.70 1822 757.17 757.07 1823 754.78 754.67 1824 | 755.54 755.414 1825 757.46 757.34 Moyennes. 755.74 755.62 L'influence de l'intensité du vent paraît bien moins forte que celle de sa direction. C’est ce que j'ai eu l’oc- casion d’exprimer en ces termes dans la séance de l’Aca- démie du 30 octobre 1836 à propos d’une Note de M. Maille sur ce sujet : « M. Maille examine quels doivent être sur le baro- mètre les effets des vents en tant que, d’après la direc- tion suivant laquelle ils soufflent et la position des fenêtres de l'Observatoire, ils peuvent condenser ou raréfier l’at- mosphère qui pèse sur l'instrument. M. Maille a cru trou- ver, en comparant ses observations avec celles de Paris, qu’à l'Observatoire l'influence du vent est très-sensible, Qu'il y ait une influence, c’est ce qu'on ne saurait nier; toutefois, en suivant attentivement de l’œil la colonne 378 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. mercurielle depuis les moments de calme compris entre deux fortes bouffées jusqu'aux époques où le vent avait le plus d'intensité, on n’a jamais eu à noter que des variations négligeables. Pendant ces expériences, les fenêtres étaient fermées ; il reste donc à les répéter en disposant les ouvertures libres des appartements de ma- nière que les effets soient à leur maximum. » V SUR LA VARIATION DE LA PÉRIODE DIURNE BAROMÉTRIQUE , AVEC LES LIEUX J'ai reconnu vers l’année 1824 que l’oscillation diurne descendante du baromètre entre 9 heures du ma- tin et 3 heures du soir est complétement nulle au Saint- Bernard. J’ai trouvé aussi que la valeur de cette oscil- lation n’est pas uniquement réglée pour la latitude dans des stations voisines de la mer, comme La Chapelle près de Dieppe et Marseille. | Voici les résultats 6btenus à l'Observatoire de Dorpat sur la période diurne barométrique. Ils m’ont été trans- mis en 18/41 par M. Mædlier. Je les présente ici réduits en millimètres et ramenés à la température de 0°: 9 heures 3 heures du matin. du soir. mill, mil. Novembre 1840....... 754.668 754.646 DÉCEMETÉ. re dece ce 761.658 761.591 Janvier 4844.:... 4... é 752.987 753.454 Février... saute 760.992 760.669 . MAIS oo loue es 755.240 755.060 Avr. PR URSS AE 756.153 755.936 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 379 Dans le compte rendu de la séance de l’Académie des sciences du 20 septembre 4841, j'ai inséré la Note sui- vante relative à la variation diurne : « M. Arago a trouvé, dans les observations de M. le capitaine Lamarche, la confirmation d’une remarque qu’il avait faite depuis longtemps sur la propriété qu’a la mer, dans nos climats! d’affaiblir, par son voisinage, l'amplitude de la période diurne barométrique descen- dante qui se manifeste de 9 heures du matin à 3 heures du”soir. Rien de plus propre à rendre cette influence évidente que la comparaison des observations de Tou- louse à celles'de Marseille. A Toulouse, par 43? 36’ de latitudé, on trouve, entre le matin et l'après-midi, 17.2 de descente de la colonne mercurielle ; à Marseille, par h3 17, ce mouvement ne dépasse pas 0*",7. D’après l'ensemble des observations de Paris, on a, pour la valeur de cette même période, 01..8. Les trois années d'observations dé M. Lamarche n’ont donné à M. Arago que Oil: 4: Déjà les observations de M. Nell de Bréauté faites à La Chapelle près de Dieppe (par 49° 55’ de lati- tude) conduisaient à 0"*:-.36 seulement. Mais ici on pou- vait craindre que le phénomène ne fût modifié par quel- que influence dépendante de la hauteur de la station au-dessus de la mer.» Voici maintenant d'autres remarques tout à fait déci- sives : és À 4 4 GATI OA 2 } ” «Si l’on ‘compare «entre elles, m'écrivait M. Charles Martins en mars 4844, la variation diurne du baromètre et l’oscillation mensuelle moyenne, on trouve un anta- gonisme complet :entre les lois qui les régissent. Ainsi, 380 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 1° l'amplitude de la variation diurne va en diminuant de l’équateur vers le pôle ; elle est de 11:16 à Tou- louse et seulement de O"il:,80 à Strasbourg. L’amplitude de l’oscillation mensuelle moyenne va au contraire en augmentant de l'équateur au pôle ; ainsi, à Alais elle est de 17:95, à Strasbourg, de 22%i:,81, 2 l’ampli- tude de la variation diurne diminue à mesure quon s’ap- proche de l'Océan, ainsi que vous l’avez fait voir le premier, » M. Martins faisait allusion dans ce passage à la Note que je viens de reproduire. Le savant météo- rologiste ajoutait encore : « L’amplitude de l’oscillation mensuelle moyenne est au contraire plus grande sur les côtes que dans l’intérieur des terres. Get antagonisme entre la variation diurne et l’oscillation mensuelle se maintient, si l’on compare en France les oscillations du baromètre avec les oscillations correspondantes du ther- momètre. Ainsi, la variation diurne de la pression se lie à la variation diurne de la température, et l’amplitude de l’une et de l’autre diminue à mesure qu’on se rap- proche des côtes ; mais il n’existe aucun rapport entre les oscillations mensuelles du baromètre et les oscilla- tions correspondantes du thermomètre, » VI VARIATIONS DU BAROMÈTRE A LA HAVANE Dans la Connaissance des temps pour 1817 j'ai inséré la Note suivante relative aux observations barométriques faites, à la Havane, pendant les années 1810, 1811 et 4812, par don Jose Joaquin de Ferrer : SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 381 Hauteur moyenne Mois. du baromètre. i mill. een ns joins 768.09 PONTIGR. «Vi ve css 6 : 763.01 MR hr opens eo o 764.28 2 FRAPPE AT 763.01 Re nie 761.99 M essor enities 764.53 hi "., SAT CORRE 7 764.53 AOÛE, à ds ie ae Lo 761.23 DODIPMIDFS. : se. 5 0 0 0 « 760.98 Ocbbrd sise a 761.74 MOMIE: is créée ün 764.53 DOUMER -sccccre cos 766.56 Moyenne......... 763.71 La plus petite hauteur du baromètre, pendant ces trois années, eut lieu le 25 octobre 1810, et était égale à 744mi.,79 ; on observa la plus grande hauteur le 20 février 1811, et elle fut de 775"11-,45 ; la différence de ces deux nombres ou 30"1-.73 est la plus grande variation barométrique qu’on ait jamais observée dans cette île. Le 25 octobre 1810, à l’époque du plus grand abaissement du baromètre, le thermomètre marquait 25°. Le vent souffla du sud-sud-ouest pendant vingt- quatre heures sans interruption, avec uné extrême vio- lence. Cet ouragan fit échouer beaucoup de navires dans le port même de la Havane, bouleversa entièrement la campagne, depuis Jaruco jusqu’à Bahia-Honda, et dé- truisit un grand nombre de caféries et de plantations de cannes à sucre. 382 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. VII SUR LA HAUTEUR MOYENNE DU BAROMÈTRE RÉDUITE AU NIVEAU DE LA MER PAR DIFFÉRENTES LATITUDES Pour comparer la valeur de la pression. de l’atmo- sphère par les différentes latitudes, il faut supposer que toutes les observations sont réduites à ce qu’elles seraient au niveau de la mer ; on fait ainsi disparaître les diffé- rences provenant des variations de l’altitude, et on a la véritable mesure de la hauteur moyenne barométrique en divers lieux !, | M. de Humboldt m’a adressé en juin 1836, et j’ai com- muniqué à l’Académie des sciences les résultats qu’il a obtenus pour la hauteur moyenne du baromètre. Dans son exploration de l'Amérique, cette hauteur. avait paru au célèbre voyageur moindre de 2 millimètres environ entre les tropiques que dans la zone tempérée, ce. qu’il attribuait au courant ascendant équatorial dans l'atmos- phère. (Essai sur la géographie des plantes, 1807, p. 90. ) Son baromètre était comparé à celui de l'Observatoire de Paris. Depuis, et par des observations plus exactes, avec deux baromètres comparés et marchant d’une ma- nière parfaitement semblable, M. Boussingault trouve à la Guayra 3368.98 (760.17), c’est-à-dire 1-10 de moins qu’à Paris, si l’on adopte le nombre 755.856 que j'ai donné plus haut (p. 365), ou Las 2h, si l’on adopte, avec M. Bouvard, la valeur moyenne 755.99, , 4. Voir Astronomie populuire, t. 1I, p. 185. SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 383 et si l’on ramène les nombres à ce qu’ils seraient au niveau de la mer. La différence est dans le même sens, seulement moins forte que par les observations de M. de Humboldt. Depuis encore, à Christiansborg (côte de Gui- née, par 5° 24’ de latitude nord) MM. Trentepohl et Chenon, avec d'excellents baromètres bien comparés et par une moyenne de 22 mois d'observations, trou- vent (1829 et 1830) pour hauteur moyenne 3365.95 (7601.07), comme M. Boussingault. Enfin, dans son voyage au Cap, sir John Herschel, pendant une courte traversée et par une mer extra- ordinairement calme, a trouvé la hauteur barométrique équatoriale moindre de 0.2 de pouce anglais (5 milli- mètres) que la hauteur à 20 degrés de latitude australe “et boréale; moindre de 0.3 de pouce (7 millimètres et demi} que la hauteur à 35 degrés. Ce résultat se trouve entièrement confirmé par des observations de M. Ryan dans une traversée de Calcutta au Cap et par M. Mac Hardy dans son dernier voyage en Angle- terre. M. Ryan trouve même des différences un peu plus * fortes. | | A l’occasion de ces observations faites en mer, M. de Humboldt s’est rappelé qu’en 1803, se trouvant au Cal- lo, il y rencontra une frégate espagnole, la Santa Rafina, venue de Cadix en quatre mois (du 19 février au 21 juin) et commandée par le capitaine Quevedo. Il y avait à bord un excellent baromètre anglais de Gabory, et le journal des observations, dont un extrait est joint à cette lettre, montre clairement la diminution de hauteur dans le grand sillon de l’océan Atlantique. À la prière de 384 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. M. Humboldt le capitaine Quevedo continua soigneu- sement ces observations à son retour en Europe. La Santa Rafina ne mit alors que vingt-sept jours à pas- ser de 35° 7’ latitude sud à l’équateur et vingt-trois jours de l’équateur à 34° 59° latitude nord. On peut, aussi bien que le fait Herschel, regarder les observations comme simultanées. Voici les résultats réduits à 0° de température : Latitudes. sn mr 58 6 OJ'N, & TON... 759.96 7 09 -N:° 0:76 2991575 752.3h 6 MSA 85 7Siul. a. Hxs 753.66 différence totale dans la zone nord 0.3 de pouce an- glais, ou 318,38 de Paris ou 71,62, Dans la tra- versée de Cadix au Callao la différence avait été 0.31 de pouce ou 318.49 ou 71,87. Dans les deux voyages, l'aller et le retour, la dépression au delà du cap Horn a été très-sensible. On la reconnaît aussi dans les obser- vations de l’amiral Krusenstern, qui paraît l'avoir remar- quée le premier , dans celles du capitaine Beechey et du docteur Meyen. La dépression équatoriale se voit encore dans les observations de Trentepohl, qui a traversé quatre fois la ligne en 14826 et 1827, dans celles du capitaine Spencer et du D' Lund. Elle s’élève à 4 lignes entières (91:02) d'après Trentepohl, ce qui n’est sans doute pas la la moyenne annuelle; Erman l’a remarqué. Les observa- tions de Krusenstern (novembre et décembre 1803, t. 11, pages 318 à 322) donnent : SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 385 Latitudes. Lis de 27°48°N. à A43°51'N...... De 5 du 756.66 DUR. A 1246 5,,.,......:56e 752.3! 2408. à 2558 S.......cc.res 753.86 différence 0.17 pouce anglais (4"1-,32) au nord; seule- ment 0P.41 (21:80) au sud. Le même navigateur, en mai et juin 1806, trouve pour différences correspondantes . 0r:,19 (4"il:,82) au nord; au sud 0?-.02 (0.5). Voici enfin les moyennes du capitaine Beechey dé- duites de six observations par jour : Latitude. en millimètres. TA Vlad à 762.55 NUE ACTES Cr 762.12 a: A SR. sine: 760.82 RE - 760.17 4 ie à. tree dr 759.32 ob sp uruiZ si à 759.91 NE à PME 761.25 NS Re re 762.32 DS 26 SEAL HT 762.93 MED ES den - te 763.00 La marche est, comme on voit, parfaitement régulière ; les différences extrêmes sont 0.11 (2“:,64) et 0,13 (3"1:.09). La dépression dans les latitudes boréales élevées, comme en Norvége, comme au Groenland occidental, est bien connue. On peut consulter à ce sujet Krusen- stern, Lütke et Erman, et enfin la discussion de Schouw (Annales de chimie et de physique, 1833, t. Lux, p. 113). Dans une Note qui accompagne la lettre que M. de Humboldt m'a adressée, M. Poggendorf remarque que, XII. 25 386 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. dans la recherche de la pression au niveau de la mer, on a négligé à tort jusqu'ici d'appliquer aux hauteurs obser- vées du baromètre la correction qui dépend de la varia- tion de la pesanteur à différentes latitudes. M. Poggen- dorf calcule une petite table de cette correction d’après la formule : b— D, (1 — 0.0025935 cos 2), où b représente la hauteur du baromètre à la latitude ? et b,; la hauteur correspondant à 45°. Cette formule fait voir que la correction est soustractive de 45° à l'équa- teur, additive de 45° au pôle. Loin de faire disparaître la dépression équatoriale indiquée par les observations non corrigées, la correction l’augmente donc; mais elle atté- nue, sans toutefois l'expliquer entièrement, les dépres- polaires : la correction maximum en allant du pôle à l'équateur serait 1"il-,83, Dans une atmosphère en repos la pression au niveau de la mer serait partout égale. Les différences que la correction ne détruit pas ne peuvent donc être attribuées qu’à l’état de mouvement. M. Poggendorf donne en terminant sa Note le tableau des hauteurs barométriques réunies par M. Schouw, réduites à zéro et au niveau de la mer, avec et sans la correction de pesanteur. Cette table la voici réduite en millimètres : SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 387 — Hauteur du baromètre au niveau de la mer, à 0° Noms des lieux. Latitude. mm È non Corriseée corrigée de la pesauteur. de la pessnteur. . mill, mill. Re dl icnicôs, 33° 55° S. 63.01 762.20 Rio-de-Janeiro. . ..... 22 54 764.03 762.65 Christiansborg....... 5 30 N. 760.10 758.16 La Guayra.......... é 10 37 760.16 758.32 Saint-Thomas. ...... ‘ 18 20 760.51 758.95 Macao... FRS ANS RATE 22 11 762.99 761.61 Ténériffe......,..... 28 30 764.21 763.10 DD nc denvacrse « 32 38 765.18 764.34 D ee di due 32 53 767.41 766.60 Palerme........ Fret 38 7 762.94 762.47 Mnnhoz.::h. sir 40 51 762.34 762.06 oo SPP 43 147 761.93 761.82 Avignon............ . 43 57 762.02 761.95 Bologne........... #7 L4 30 762 17 762.13 Re nn tnt « 45 24 762.17 762.17 7 ÉSFRNMETA ER 48 50 761.41 761.68 Londres. ...... CRUE US 51 31 760.96 761.41 NET 53 33 760.12 761.00 FOREST 54 21 760.10 760.76 Kænigsberg.......... 54 43 760.49 761.14 Apenrade............ 55 3 759.58 760.71 Edinburgh... ......... 55 57 758.25 759.00 HORPISUANIA. : ::...:..2 59 54 758.64 759.63 Hardanger........... 60 0 756.94 757.94 Re. à di roie ._. 60 2% 757.01 758.00 POIKIAUVR. uno tee 64 8 752.00 753.20 Godthaab. ........... 64 0 751.93 753.13 Eyafjord....... RTE 65 10 753.58. 754.89 CORAN... .....2e 69 14 753.53 755.16 Upenavig........ veut C'10 0 755.18 756.11 Ile Melville.......... 74 47 757.08 758.74 Spitzberg...…........ 75 30 756.36 758.18 L'étude de la variation de la pression atmosphérique moyenne au niveau de la mer a fait des progrès depuis la communication que je viens de reproduire. Après les beaux Mémoires de Schouw et de mon illustre ami M. de 388 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. Humboldt, cette question a reçu de nouvelles lumières à la suite des voyages scientifiques de M. Erman. Ce savant physicien a adressé, en août 1849, à l’Aca- démie des sciences une Note qui contient le résumé des recherches qu’il a faites sur la pression moyenne à la sur- face des mers pendant son voyage autour du monde. J'en extrais le passage suivant : « Examinons d’abord l'influence de la latitude. A partir du 60° degré de latitude sud, par exemple, et en suivant le même méridien, les moyennes pressions vont en aug- mentant sensiblement jusqu’à la limite des. vents alizés, c’est-à-dire jusqu’au 25° degré de latitude sud environ. Depuis ce parallèle elles décroissent régulièrement jusqu’à l'équateur, où elles atteignent un minimum relatif, puis elles croissent de nouveau jusqu'a la limite boréale des vents alizés, et, dans notre hémisphère, les choses se re- produisent d’une manière symétrique comme dans l’hémi- sphère opposé. La différence de pression aux limites des vents alizés, d’une part, et à l'équateur, de l’autre, est de A"il:,06, d’après nos huit passages à travers l’une et l’autre zone des vents alizés. Ce résultat a été confirmé depuis par les observations que sir John Herschel a faites durant son voyage au cap de Bonne-Espérance. À partir du maximum de pression qu’on trouve vers le 25° degré de latitude et en se dirigent vers le pôle, la diminution de la pression est beaucoup plus rapide que dans la zone des vents alizés. Elle est telle que la différence entre les pressions moyennes aux côtes du Kamtschatka et au cap Horn sont respectivement de 12"1-.86 et de 121.18 inférieures à la pression maximum du grand Océan, Des SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE. 389 séries d’observations faites sur les côtes d'Islande con- firment pleinement ce résultat. « La pression moyenne de l'atmosphère est en second lieu dépendante de la longitude. A latitude égale, elle est de 31.5 plus forte sur l'océan Atlantique que dans la mer Pacifique. Ce résultat a été obtenu par la com- paraison des observations faites sous vingt-quatre paral- lèles différents, en tenant compte de l'influence des sai- sons, et sur ces vingt-quatre comparaisons, aucune n'a affecté un résultat individuel d’un signe contraire à celui de leur moyenne. « L'inégalité de pression sur divers points du globe et dans une même couche de niveau étant démontrée, il restait à savoir si la même inégalité subsisterait pour les gaz permanents de l’atmosphère, et d’autant plus que, lors de la première annonce de ces résultats, quelques météorologistes ont, en effet, pensé que les différences observées dépendaient uniquement de l’inégale tension de la vapeur aqueuse. Mais je me suis assuré positivement que les mêmes relations subsistent pour l’air sec comme pour la totalité de l'atmosphère. Seulement, la pression maximum dans chaque hémisphère est un peu reculée vers les pôles, et la différence entre ce maximum et le le minimum équatorial est bien plus forte, puisqu'elle s'élève à 11"%1,96. Par contre, la diminution de pres- sion vers les pôles est bien moins rapide pour l'air sec que pour l’atmosphère totale. Quant à la longitude, il suffit d'ajouter que la différence que nous avons trouvée entre les deux Océans tient à la fois à la pression de l’air sec et à la tension de la vapeur d’eau. » : SUR LA PLUIE La vaste étendue d’eau qui recouvre près des trois quarts de notre planète donne incessamment naissance à une énorme quantité de vapeurs qui, partant de la surface de la Terre, s’élèvent vers les régions supérieures de l’at- mosphère dont notre globe est entouré. Parvenus à des hauteurs variables avec les lieux, avec la température, avec les courants d’air, ces vapeurs se condensent, for- ment les nuages, puis se résolvent en gouttes de pluie qui, obéissant aux lois de la pesanteur, retombent sur la Terre, Quand la température s’abaisse à celle de la congélation de l’eau où au-dessous, il tombe des flocons de neige. Ce phénomène est un des plus beaux et des plus féconds en résultats, de ceux qu’il est donné à l’homme d’étudier dans ses phases diverses et d'approfondir dans ses causes et dans ses effets. J’y ai consacré une partie du temps qu'il m’a été permis de donner à la météorologie. J'ai dû aussi l’examiner au point de vue des intérêts de l’agri- culture et de l’aménagement des rivières. Je vais réunir ici les diverses opinions que j'ai pu émettre soit dans les Annales de chimie et de physique et dans l'Annuaire du Bureau des longitudes, soit dans des communications faites à l’Académie des sciences, soit enfin dans des discours prononcés au sein de la Chambre des députés. Je n'ai SUR LA PLUIE. 391 d'autre prétention que d’avoir posé les termes de plu- sieurs questions dignes, selon moi, des préoccupations des hommes de science et des hommes d'Etat, et relatives aux diverses circonstances qui influent sur la vie des végé- taux et des animaux qui peuplent notre globe. I SUR. LA COMPOSITION DES. MATIÈRES CONTENUES DANS LES EAUX DE PLUIE ‘ Les propriétés de l’enveloppe gazeuse au milieu de laquelle nous vivons ont de tout temps fixé l'attention des savants et même des hommes du monde. Les anciens avaient pour la plupart rangé cette en- veloppe atmosphérique parmi le petit nombre d'éléments dont ils supposaient tous les corps composés. C’était une grave erreur ; elle n’a été rectifiée qu'à la fin du xvrr° siècle et dans le commencement du xvin°. À cette époque les expériences de Van Helmont, de Hales, de Mayow, de Bergman, de Scheele et de Lavoisier conduisirent peu à peu à soupçonner, à reconnaître et à constater que l'air atmosphérique n’est pas un être simple, qu’il se compose principalement du mélange de deux gaz qu’on a appelés oxygène et azote. ” Depuis, les travaux des chimistes ont eu, pour la plu- 4. Rapport lu à l’Académie des sciences, le 31 mai 4852, sur u trayail de M. Barral intitulé : Premier Mémoire sur les eaux de pluie recueillies à l'Observatoire de Paris, au nom d’une Commis- sion composée de MM. Dumas, Boussingault, de Gasparin, Regnault, Arago rapporteur, 392 SUR LA PLUIE. part, exclusivement pour but de déterminer la proportion de ces deux principes constituants avec une exactitude supérieure à celle qu’avaient pu obtenir les expérimen- tateurs du siècle dernier. [ci viendraient se placer, si nous écrivions une histoire de la science, d’abord les noms de Cavendish, de Davy, de Marty, de Berthollet, comme ayant établi que les proportions d’oxygène et d’azote sont les mêmes à la surface de la Terre dans tous les climats ; le nom de Gay-Lussac, qui, étant allé recueillir de l'air dans un ballon aux régions où jamais les hommes fussent parvenus jusqu'alors, y trouva les mêmes proportions d'oxygène et d'azote qu’à la surface de la Terre, puis une seconde fois le nom de ce même académicien célèbre, lequel, en collaboration avec son illustre ami M. de Hum- boldt, ajouta notablement à la précision des détermi- nations de Lavoisier ; puis le nom de M. Despretz qui exécuta en 1822 de nombreuses analyses de l’air et arriva à des résultats très-concordants; puis enfin, ceux de MM. Dumas, Boussingault et Regnault, lesquels sont parvenus, en opérant sur une plus grande échelle et avec des précautions infinies, à dépasser, ce qui semblait très- difficile, l'exactitude obtenue par leurs prédécesseurs immédiats. À ce point de vue, la question de la compo- sition de l'atmosphère terrestre semble arrivée à son terme; la postérité aura seulement à rechercher, en pre- nant pour guide les méthodes que lui auront léguées nos contemporains, si dans la suite des siècles la composition de l'atmosphère reste constante, si les causes qui font gra- duellement disparaître une portion de l'oxygène, telles que la combustion, la respiration, etc., sont exactement SUR LA PLUIE. 393 compensées par les causes contraires bien connues qui versent journellement ce gaz dans notre atmosphère en quantité plus ou moins considérable. L’atmosphère ne renferme pas seulement de l'oxygène et de l'azote; elle contient aussi, outre de l'humidité, c’est-à-dire de la vapeur d’eau, une petite proportion va- riable d’acide carbonique. Nous ne savons à qui l’on doit faire remonter la découverte de ce dernier fait. On peut affirmer seulement que cette découverte importante suivit de très-près celle de l'acide carbonique par Black; car un Mémoire de cet ingénieux chimiste renferme déjà l'observation que la légère croûte qui se forme sur l’eau de chaux exposée en plein air est due à la fixation de l'acide carbonique atmosphérique. Nous n'avons rien à dire ici de la présence de l'hydrogène isolé comme prin- cipe constituant nécessaire de l'atmosphère, ce gaz n'ayant été transporté théoriquement dans les hautes régions de l'air que pour expliquer par son inflammation spontanée les traînées lumineuses qu’on appelle des étoiles filantes : phénomène dû, comme on le sait aujourd’hui, à des causes cosmiques 1, Tout ce que nous venons de dire est relatif à l’atmo- sphère en son état de pureté; mais les vents, les oura- gans, les trombes, qui agitent si violemment ses couches dans tous les climats; mais le courant ascendant, effet des inégalités de température, qui transporte journelle- ment dans les plus hautes régions l’air qui primitivement était en contact avec le sol, altèrent souvent cette compo- 1. Astronomie populaire, t. IV, p. 315. 394 SUR LA PLUIE. sition normale et mêlent accidentellement à l'oxygène, à l'azote, à l'acide carbonique, des poussières, des molé- cules aqueuses, plus ou moins chargées de principes salins, enlevées à l’écume qui se forme près des récifs et des rivages et qu’on pourrait presque appeler la pous- sière de l'Océan. C’est là, et non ailleurs, qu’il faut cher- cher, par exemple, l’origine de ces pluies rougeâtres dont les savants du xvu° siècle, les Vendelin, les Descartes, les Peiresc, les Gassendi, s’occupèrent si minutieusement. Ce n'est que vers le milieu du siècle dernier que l'on commença à sentir la nécessité d'étudier, à l’aide d’ob- servations régulières et suivies, ces variations acciden- telles dans l’état de l’atmosphère, On eut d’abord pour but principal de décider jusqu’à quelle distance des points où ces perturbations ont pris leur origine elles peuvent se propager. L'examen de la pluie, qui, en traversant toutes les couches atmosphériques comprises entre le nuage d’où elle se détache et le sol, doit s’imprégner d’une portion au moins des matières qu’elle rencontre ou les entraîner, qu’on nous passe l'expression, à la manière d’un balai, fut le moyen d’investigation qui s’offrit le pre- mier à l'esprit des observateurs. L'auteur du Mémoire que l’Académie a renvoyé à notre examen donne une analyse détaillée et très-bien faite des travaux entrepris par ses prédécesseurs, dans le sens et à l’aide du moyen que nous venons d'indiquer et rend à chacun d’eux une loyale et complète justice. Le premier nom que nous voyons figurer dans cette introduction historique est celui du célèbre chimiste sué- dois Bergman, lequel eut le mérite de constater dans SUR LA PLUIE. 395 l’eau de pluie des traces d’acide nitrique ou d'acide azo- tique, comme on est convenu d'appeler actuellement ce composé. Puis viennent les noms connus de Brandes, de Zimmermann, de Liebig, et enfin celui de M. Jones, emprunté au dernier volume des Transactions philoso- phiques. Le résultat le plus capital, et nous devons le dire, le plus inattendu, du travail de M. Barral, étant la consta- tation dans les eaux de pluie de tous les mois de l’année, de proportions d’acide nitrique et d'ammoniaque suscep- tibles d’être parfaitement dosées, nous allons concentrer sur ce point important l'attention de l’Académie. Ce n’est pas que les remarques de l’auteur sur les proportions des chlorures et autres sels que l’on peut supposer dérivés de l'eau de mer ne soient très-dignes d'intérêt ; mais, à cet égard, il avait été précédé par les bons travaux de Brandes, de Berzélius, de Liebig et de MM. Chatin, Meyrac, etc., au nombre desquels nous devons citer, d’une manière toute spéciale, le Mémoire de chimie agri- cole publié par M. Isidore Pierre, professeur à la faculté de Caen. Bergman, comme nous l’avons dit, avait trouvé dans l'eau de pluie des traces, mais seulement des traces, d'acide azotique. Brandes entreprit, en 1825, de déter- miner, mois par mois, la dose des substances chimiques contenues dans l’eau de pluie tombée près de la saline de Salzufeln, en Allemagne. 11 se servait pour cela de l’ac- tion de onze réactifs qu’il serait superflu de citer et à l'aide desquels il crut avoir démontré la présence, dans l’eau de pluie, de chlorure de magnésium, de sulfate de 396 SUR LA PLUIE. magnésie, de carbonate de magnésie, de chlorure de so- dium, de sulfate de chaux, de carbonate de chaux, de carbonate de potasse, d'oxyde de fer, d'oxyde de manga- nèse, de matières végéto-animales et de traces de sels ammoniacaux, peut-être des nitrates. Ajoutons que M. Liebig a révoqué en doute l’exactitude du résultat annoncé par Brandes en ce qui concerne la potasse, l’oxyde de fer et l’oxyde de manganèse. Ce chi- miste éminent, en analysant soixante-dix-sept échantillons d’eau, constata la présence, dans dix-sept de ces échan- tillons provenant de pluie d'orage, de quantités plus où moins appréciables d’acide azotique ; sur les autres échan- tillons, au nombre de soixante, il n’en trouva que deux qui renfermassent des traces de cet acide. Plus tard M. Liebig, laissant de côté tout ce qui concernait l'acide azotique, dirigea plus spécialement son attention sur la présence de l’ammoniaque dans les eaux pluviales et sur le rôle qu’on pourrait avoir à lui assigner dans les phéno- mènes agricoles. Celui de l'acide azotique devait être, suivant le célèbre chimiste allemand, entièrement secon- daire et même insignifiant. Voici, en effet, comment il s'exprime : « Il est impossible de doser l'acide azotique contenu dans les eaux de pluie, même dans celles qui viennent des orages, » M. Henri Ben-Jones, et ce sera notre dernière cita- tion, dit à la fin de son Mémoire, inséré dans les Transac- tions philosophiques pour 1851, que des pluies recueillies à Londres, à Kingston dans le Surrey, à Melbury dans le Dorsetshire et près de Clonaketly dans le comté de Cork, loin de toute ville, renfermaient une quantité d'acide SUR LA PLUIE. 397 azotique dont l'existence pouvait être rendue évidente par le réactif à l’'amidon dans un litre d’eau ; mais aucune indication relative à la proportion en poids ou en volume de l’acide en question ne se trouve dans le Mémoire. Les choses en étaient à ce point lorsque M. Barral présenta à l’Académie les résultats de son travail com- mencé dans le mois de juillet 1851 sur les pluies re- cueillies tant sur la plate-forme que dans la cour de l'Ob- servatoire de Paris. Le premier soin dont ce chimiste scrupuleux dut se préoccuper, fut d’instituer un procédé analytique à l’aide duquel il pût avoir la certitude de ne rien perdre de tout ce que renfermaient les eaux dont il voulait déterminer la composition; c’était surtout contre lévaporation des sels ammoniacaux et de l’acide azotique qu’il fallait se mettre en garde. Nous avons examiné avec le plus grand soin les pro- cédés analytiques suivis par M. Barral, et nous devons déclarer qu’ils nous paraissent à l’abri de toute objection. Au reste, M. Barral a soumis sa méthode, nouvelle à plu- sieurs égards, à une épreuve décisive : il a mêlé à de l’eau distillée des proportions connues d’azotate d’ammo- niaque, et les a retrouvées presque mathématiquement, en appliquant à ce mélange artificiel le procédé dont il s’est toujours servi pour analyser les eaux de pluie. Nous ajouterons que M. Barral s’est assuré que les réactifs, qui jouent un rôle essentiel dans ses moyens d’expérimen- tation, étaient d’une parfaite pureté et ne pouvaient intro- duire dans les résultats rien d’étranger, et particulière- ment aucune trace d’azotate d'ammonriaque. Le procédé suivi par M. Barral paraîtra peut-être la- 398 SUR LA PLUIE. borieux à ceux qui l’examineront superficiellement ; mais ce n’est pas dans cette enceinte qu'on pourrait trouver là un sujet de reproches fondés. La science ne peut s’en- richir de travaux utiles et durables qu’au prix des pré- cautions les plus minutieuses et sans rien marchander ni sur le temps ni sur la dépense. Nous transcrivons ici le tableau dans lequel M. Barral a consigné, mois par mois, le résultat de ses analyses. Il résulte à la simple vue que l’eau est inégalement chargée de matières azotées dans les divers mois de l’année et que ces matières amenées par la pluie sur un hectare ne sont pas exactement proportionnelles aux quantités d’eau tombées. D’après des appréciations qui pourront être rectifiées dans la suite, l’auteur fixe à 34 kilogrammes le minimum d'azote que les eaux pluviales qui traversent l'atmosphère de Paris ont dû répandre en un an sur un hectare de terrain. Ce nombre paraîtra sans doute très- considérable ; mais il nous semble parfaitement établi par la discussion détaillée à laquelle l’auteur du Mémoire s’est livré. Moyennes des matières dosées chaque mois dans les eaux de pluie recueillies dans Les deux udomètres de l'Observatoire de Paris, pendant le deuxième semestre de 1851, rapportées au mètre cube d’eau de pluie tombée. Acide Mois. Azote. asbtique. Ammoniaque, Chlore. Chaux, Magnésie, Totaux, 8?- gr. gr 8r. &r. gr Juillet. ..... 4.67 6.04 3.77 3.88 9.02 , 24.80 Août. ...... 9.44 20.20 4.42 2.59 8.68 ” 38.31 Septembre... 441.95 36.33 3.04 2.39 7.16 0 51 04 Octobre..... 4.46 5.82 1.08 4.84 2.43 " 43.29 Novembre... 4.64 9.99 2.50 2.64 4.26 a 21.51 Décembre... 45.01 36.21 6.85 0.00 7.36 ” 52.54 Moyennes... 8.36 19.09 3.61 2.27 6.48 2.12 33.57 SUR LA PLUIE. 399 Moyennes des matières dosées chaque mois dans les eaux de pluie recueillies dans les deux udomètres de l'Obsercatoire de Paris pendant le deuxième semestre de 1851, rapportées à l'hectare. ‘Mois, Auote. ar 25 2 Ammoniaque, Chlore. Chaux. Magnésie, Totaux. kil. kil. kil. kil. kil. kil kil. Juillet... … ee 3.90 5.03 3.45 3.24 7.54 ” 49.71 AUS: 57 218 4.59 1.04 0.69 2.12 0 949 Septembre... 294 8.89 0.77 0.59 1.81 * 42.82 Octobre ...... 2.% 2.41 [IX 0.88 4.15 ” 6.13 Novembre... 1.93 4.26 1.01 1.10 1.78 4 8.91 Décembre..... 2 50 5.95 1.17 0.090 1.23 ” 9.11 Totaux pour six mois ....... 43.71 - 381.83 7.67 6.50 15.63 4.54 66.17 M. Barral examine, dans un chapitre à part, quelles sont les proportions relatives de l'azote provenant de l’acide azotique et de l’ammoniaque. Son résultat est que, sur 1 kilogrammes fournis en un an à un hectare de terrain, 9 proviennent de l’ammoniaque et 22 de l’acide azotique. Pour abréger nous n’analyserons pas plus lon- guement cette partie du Mémoire; nous nous contente- rons de dire que, pour la séparation de l'ammoniaque et de l'acide azotique, l’auteur s’est servi d’un procédé très- ingénieux dont la découverte est due à M. Peligot. Avant d’arriver aux conclusions qui doivent terminer ce rapport, jetons un rapide coup d'œil sur les observa- tions et sur les réclamations de priorité dont les recher- ches de M. Barral ont été l’objet. Huit jours après la com- munication du Mémoire de M. Barral, M. Chatin écrivit à l'Académie pour lui demander d’ouvrir un paquet ca- cheté déposé par lui le 46 février 1852. Il ne sera pas superflu de faire remarquer, au mo- ment où les paquets cachetés ont pris tant de faveur que nos archives en seront bientôt encombrées, que ce moyen 400 SUR LA PLUIE. de s'assurer la priorité au sujet d’une découverte n’est nullement satisfaisant, qu’en thèse généralé la priorité appartient incontestablement à celui qui le premier a livré ses observations au public. C’est un principe qu’ad- mettent tous ceux qui font autorité en matière de sciences, comme l’a prouvé une discussion récente provoquée par l’illustre doyen de notre Académie. Ne voit-on pas le danger qu’il y aurait sans cela à transformer en décou- vertes achevées quelques vagues aperçus donnés sous forme d’aphorismes et sans démonstration, lorsque la démonstration constitue souvent le vrai mérite d’un tra- vail? Il importe, dans l'intérêt des sciences, de ne pas décourager les esprits laborieux et sévères qui ne négli- gent rien pour imprimer à leurs œuvres le cachet de la certitude. ; Mais revenons à M. Chatin, et remarquons que le fait principal contenu dans le Mémoire de M. Barral, celui sur lequel il a désiré fixer plus particulièrement l'attention de l’Académie, consiste dans la présence d’une quantité no- table et dosable d’acide nitrique dans les eaux de pluie tombées dans tous les mois de l’année à l'Observatoire de Paris. M. Chatin consignait, dans son paquet cacheté dé- posé au milieu de février 1852, le nom de toutes les substances qu'il avait découvertes dans les eaux plu- viales; dans le nombre aucune citation n’est relative à l'acide azotique. La seule observation de ce chimiste qui ait un rapport éloigné avec celles de M. Barral est rédi- gée en ces termes dans son pli cacheté : « Les eaux pluviales se distinguent surtout en ce SUR LA PLUIE. 404 qu’elles renferment jusqu’à un demi décigramme par litre d'une matière organique azotée qui peut se représenter dans sa composition par un mélange d’ulmate d’am- moniaque et d’acide ulmique. Cette même matière se trouve abondamment dans les couches inférieures de l'atmosphère. » En laissant à cette observation le mérite qui peut lui appartenir, on conçoit que nous n’ayons pas à nous en occuper plus longtemps ici. Le 8 mars 1852, une quinzaine de jours après Fa pré- sentation du Mémoire de M. Barral, M. Bineau écrivit que, depuis le mois de novembre 1851, il s’était livré à l'examen des eaux pluviales recueillies sur l'Observatoire de la ville de Lyon et dans les environs. Les résultats communiqués à l'Académie par cet estimable chimiste sont relatifs aux eaux tombées pendant les mois de jan- vier.et février 1852. On y remarque une beaucoup plus grande quantité d’ammoniaque que celle qui résulte de l’ensemble d’une demi-année qu'embrasse le travail de M. Barral. Cette différence n’est pas la seule que l’on trouve entre l'observateur de Lyon et celui de Paris. M. Bineau n’a jamais reconnu dans les eaux de pluie qu'il a soumises à l'analyse chimique, la présence de l’acide azotique, tandis que, suivant M. Barral, la pro- portion d’azote qui provient de cet acide surpasse celle de l'ammoniaque. Ainsi, à ce point de vue, les résultats sont si dissemblables, que la lettre de M. Bineau, dont la - date est d’ailleurs postérieure à celle de la présentation du travail de M. Barral, ne saurait être regardée comme une réclamation de priorité, Il y aura seulement lieu à recher- XII. 26 402 SUR LA PLUIE. cher à quelle cause, dépendante peut-être du procédé d'analyse employé par M. Bineau, il faudra attribuer l’absence d’acide azotique dans les eaux pluviales recueils lies au centre de la ville de Lyon. | Venons maintenant à la lettre de M. Marchand, reçue le 12 avril 1852, c’est-à-dire sept semaines après la com munication faite par M. Barral à l'Académie. Cette lettre est uné réclamation en forme ; l’auteur y donne les résultats numériques des analyses qu’il a faites à Fécamp, des eaux pluviales et des eaux provenant de la fonte.des neiges pendant les mois de mars et août 1850, Parmi ces résultats on trouve des proportions notables d’azôtates, M. Marchand, sentant bien que des analyses publiées sept semaines après celles qui avaient été communiquées à l’Académie par M. Barral ne pouvaient constituer en sa faveur un titre de propriété, cite une Note lue, le 13 janvier 1854, à l'Académie dé Médecine et mentionnée dans le Bulletin de cette société savante. Mais que ren- ferme la Note citée? La phrase que voici : «Les eaux de pluié, celles des neiges, contiennent gé- néralement des traces appréciables de tous'les agents minéralisateurs de l'Océan. » En bonne logique nous ne saurions voir dans une asser- tion aussi vague la preuve que l’auteur avait déjà, à cette époque, constaté par ses expériences que la pro- portion d’acide azotique contenue dans l'atmosphère était dosable et supérieure en azote à celle de l’ammo- niaque. « La réclamation de M. Marchand ne nous semble donc pas pouvoir être admise. HT SUR LA PLUIE. 408 . La lettre que M. Thenard a remise à l'Académie au nom de M. -Meyrac, le 17 mai, et le paquet cacheté dé: posé par.cet habile pharmacien, le.17 décembre 1849, contiennent des recherches pleines d'intérêt sur les pro- portions variables, suivant la direction du vent, du chlorure.de sodium que renferment les eaux pluviales re- cueillies à Dax. Mais il n’y est fait aucune mention ni de la présence de l’ammoniaque, ni de celle de l'acide azo- tique; l’auteur signale seulement une petite proportion de matières organiques dans les eaux qu’il a analysées. L'examen des deux communications du chimiste de Dax n’est donc pas de notre ressort ; il sera fait plus convena- blement. par les commissaires qui ont été chargés de rendre compte des divers travaux de M. Chatin. Ainsi, c’est un fait bien établi : M. Barral a prouvé le premier que la pluie, du moins dans la partie méridio- nale de Paris, contient une proportion parfaitement do- sable d’acide nitrique correspondante à 22 kilogrammes d'azote par hectare. Nous disons a prouvé, car l’auteur a toujours marché dans ses recherches en s’entourant de toutes les précautions que les procédés le plus délicats de la chimie pouvaient lui fournir. Nous devons ajouter que les expériences ont été discutées avec une extrême ré- serve; que M. Barral ne s’est jamais laissé entraîner au delà des limites que les expériences ne permettaient pas de franchir; qu’en présence d’un résultat tout à fait inattendu, il s’est soigneusement abstenu de frapper les imaginations par des généralisations intempestives, sur lesquelles des travaux ultérieurs serviront à prononcer définitivement ; qu’enfin le Mémoire soumis à notre exa- 404 SUR LA PLUIE. men porte sur un sujet très-digne d'intérêt, au point de vue de l'hygiène, de la météorologie, de la physique du globe, de la physique générale ; qu’il a été exécuté dans un très-bon esprit et de manière à faire beaucoup d’hon- neur à son auteur. Nous proposons en conséquence à l’Académie de dé- cider que ce Mémoire sera imprimé dans le Recueil des savants étrangers. Notre tâche n’est pas finie; vos commissaires ont en- core à émettre le vœu que le travail si heureusement commencé par M. Barral soit continué, développé et per- fectionné, s’il est possible. Les perfectionnements pourront résulter d’un changement, sinon dans les méthodes, du moins dans la nature des instruments d’analyse. Il faudra aussi substituer aux udomètres actuels des appareils ana- logues de plus grande dimension et dans lesquels le fer, le zinc, etc., seront remplacés par du platine et de la porcelaine. Les expériences ont porté jusqu'ici sur de la pluie tombée au sud de Paris; il faudra essayer si de la pluie recueillie simultanément au nord ou au centre de la ca- pitale offrira la même composition. Des problèmes d’hy- giène de la plus grande importance se rattachent, comme l’auteur du Mémoire l’a fait remarquer, à la solution de cette question. | On devra également se demander quelle est la com- position de l’eau pluviale tombée en rase campagne, loin de toute ville populeuse et de toute manufacture? Quand ce problème sera résolu, on pourra décider si l'acide azo- tique et l’ammoniaque jouent un rôle essentiel et général SUR LA PLUIE. 405 dans les phénomènes agricoles ; si la production de ces composés azotés s'opère dans toutes les régions de l’at- mosphère, ou si elle est bornée à des localités particu- lières. Alors, mais seulement alors, on saura, comme le remarque M. Barral, si dans l’acide azotique atmosphé- rique réside l’explication des jachères et de ces mots mys- térieux si en vogue parmi les cultivateurs : « Il faut que la Terre se repose quelquefois. » Alors, mais seulement alors, on trouvera peut-être la cause des nitrifications spontanées et annuelles qu’on observe daïis certains ter- rains et qu’on n’a rattachées jusqu'ici à aucune théorie satisfaisante. Quel rôle joue l'électricité dans la production de l'acide azotique atmosphérique? On ne pourra répondre à cette question qu’après avoir analysé séparément la pluie tombée pendant un orage et celle qu’on recueillera dans la même saison et dans une saison différente lorsque l’at- mosphère n’offrira aucune trace visible de décharges élec- triques. Cette comparaison servira aussi à décider si l’ammoniaque, dont la production serait alors antérieure, ne favoriserait pas par sa présence le jeu des affinités des deux principes constituants de l’air atmosphérique ou la production de l’acide azotique par sa propre com- bustion. On voit, par ces considérations, qui pourraient être beaucoup étendues, que le travail commencé et analysé avec une si sagé réserve par son auteur, doit conduire, comme nous l'avons déjà dit, à d’importantes consé- quences au point de vue de l'hygiène, de l’art agricole, de la météorologie et même de la physique générale; car 406 SUR LA PLUIE. l'atmosphère peut être considérée comme un vaste labo- ratoire dans lequél s’opèrent à la longue des réactions que les savants reproduiraient très-difficilement dans leurs cabinets d’études. : Nous venons de donner en abrégé le programme-des recherches qu’il faudra faire pour compléter ‘et éclaircir les résultats contenus dans le Mémoire soumis à. notre examën. Mais peut-on espérer que de semblables travaux seront exécutés par quelque: chimiste: isolé,-et cela -pen- -dant plusieurs années consécutives, avec l’exactitude..et ‘la régularité sans lesquelles les expériences et les con- clusions, dans le cas actuel, perdraient presque tout leur prix? Nous ne le pensons pas.’ Des distillations :en vases clos, renouvelées presque tous les jours de l’année sous la surveillance continuelle de l'opérateur, des pesées sans “nombre, faites avec la plus scrupuleuse exactitude, les - dépenses considérables que ces diverses opérations. en- traîneraient, finiraient par fatiguer le chimiste leplus zélé, s’il n’était assuré par avance d’encouragements pro- venant d’un corps, toute modestie mise de côté, aussi jus- tement renommé que l’est l’Académie des sciences. Nous proposons donc à nos confrères de, vouloir bien prendre - sous leur puissant patronage la suite du travail.dont nous lui avons signalé l'importance, : Une petite partie -des reliquats de compte: provenant des prix Montyon non distribués pourrait être. affectée à cet objet, qui, sans aucun doute, -est. virtuellement. con- tenu dans les dispositions testamentaires du savant phi- lanthrope à qui nous devons tant de moyens d'encourager la science, SUR LA PLUIE. | 407 Pour prévenir jusqu’au plus léger soupçon d’un abus, toute allocation de fonds, pour minime qu’elle dût être, ne se ferait, avec l'autorisation du ministre compétent, que sur l'avis de la commission administrative de l’Aca- démie et d’une commission de trois membres nommés tous les ans à cet effet. Cette commission mixte déciderait aussi quand le travail pourrait être considéré comme arrivé à son terme, toute intervention de l'Académie de- want alors césser. Telle est la proposition sur laquelle la Commission, à l’unaninité, a l'honneur d'appeler le vote éclairé de l'Académie, En vous la présentant, vos com- ‘missaires ont pensé que l’Académie ne saurait, en ce mo- ment faire un meilleur usage d’une partie des ressources dont elle dispose, et que sa mission est non-seulement d'accorder son suffrage, toujours si envié, aux Mémoires qui renferment des découvertes et des vérités utiles, mais encore de provoquer et de faciliter des travaux qui, par le temps, la dépense ou la difficulté, dépasseraient Jles forces et les ressources d’un expérimentateur isolé. I SUR LES QUANTITÉS DE PLUIE QUI TOMBENT À DIVERSES HAUTEURS AU-DESSUS DU SOL On a beaucoup débattu la question de savoir si les déboisements, si les changements dans les cultures, si les travaux des hommes, enfin, peuvent modifier sensible- ment les climats : augmenter ou diminuer, par exemple, la quantité de pluie qui tombe annuellement dans un lieu donné. Les uns ont réponda positivement; d’autres se 408 SUR LA PLUIE. sont prononcés pour la négative. Ces opinions contra- dictoires ont peut-être tenu, en partie, à ce que les réci- pients employés par divers observateurs pour recueillir les quantités de pluie tombées n’étaient pas constamment placés à la même hauteur au-dessus du sol. Les résultats que je vais rapporter montreront combien cette considé- ration serait importante si l’on voulait arriver, dans cette recherche, à des conclusions exactes. Depuis 1817 il existe à l'Observatoire de Paris deux récipients parfaitement semblables, situés, l’un sur le sommet de l'édifice, l’autre dans la cour, et à l’aide des- quels cn détermine journellement la quantité de pluie qui est tombée en vingt-quatre heures, c’est-à-dire la hauteur de liquide dont le sol serait recouvert s’il n’y avait ni infiltration, ni évaporation. La somme de ces résultats partiels donne la pluie annuelle. Quoique la différence de niveau entre ces récipients ne soit que de 28".76, les quantités de liquide qu'on y recueille ne sont jamais égales; le récipient inférieur en renferme plus que l’autre, comme on peut le voir par cette table : Pluie dans la cour. Pluie sur la terrasse. Années TK oh en millimètres. en millimètres. LÀ 1 + PS PPRTE de dos diese 565.52 595.72 AR roue se see 0e 517.59 1131.97 ARE ne Sato irons ati ee 689.19 615.24 LÀ + | OBS ANR NS QE à 425.42 381.28 AO. ro Re 645.67 584.33 2802... he mneemie 477.50 423.19 2028: asser sue here 518.17 156.79 A9 ÈES inerte actes 656.81 572.02 bi, hatonche 518.73 168.82 OR... moe 472.09 409.55 ||: j BONNE ANR TE 575.85 500.98 SUR LA PLUIE. MUR EN PU CP, 630.15 MM er Enix dis 588.45 —. cs. 635.45 os VOTRE A nu si ox 524.66 . 580.40 RE 462.27 ne iii 49.73 1 ÉRREMNERT 742.96 RE . 632.93 D gr D 596.25 Ms oui ié. 2e 663.81 167.78 ..…. 635.143 MR. OUI 404.02 de 617.15 a . 684.89 MMS ULUE «672.53 abs de. 654.42 . . 4199-08 Rés 1 AA 631.81 ae di. roacb. val: 666.38 nd a 639.30 ES dci 515.04 COR TP 650.43 521.20 Moyenne des 37 années. 579.80 587.40 563.65 567.25 531.00 451.14 487.09 420.89 440.45 611.41 552.02 514.05 579.50 410.97 556.82 342.19 552.29 570.52 581.36 564.35 430.04 574.99 597.46 562.93 4168.76 597.06 154.40 ——— 511.34 409 Une différence de niveau de 28".76 occasionne donc à Paris une augmentation d’un septième à un huitième dans la quantité de pluie que reçoit le récipient inférieur. On a attribué ce singulier phénomène à certaines direc- tions particulières que le vent pourrait donner aux filets liquides; mais la même différence s’observe quelquefois dans les pluies qui tombent pendant un calme parfait, D’autres ont supposé que les nuages ne fournissent pas seuls les gouttes de pluie, et qu’il s’en détache aussi de toute la couche d'air qui les sépare du sol ; ou, si l’on veut, que 410 SUR LA PLUIE. dans leur trajet à travers cette couche, les gouttes s’em- parent d’une partie de l'humidité qui lui est propre, et augmentent de diamètre. Dans cette dernière hypothèse, le récipient ‘inférieur recevrait évidemment ou plus de gouttes d’eau, ou des gouttes plus grosses que le récipient supérieur; mais il est également clair qu’il devrait y avoir alors entre les deux résultats une différence d'autant plus grande que l'hygromètre, dans lès couches inférieures, marquerait un degré plus voisin de l'humidité extrême, conséquence qui n’est point conforme aux observations. Quoiqu'il en soit, au reste, de l'explication que l’on peut donner des faits, nous voyons par un grand nombre d'expériences que, si l’on veut, à deux époques quelcon- ques, comparer avec.exactitude les quantités de pluie qui tombent annuellément dans un lieu donné, il faudra que les récipients y aient été placés à la même hauteur au- dessus du sol. Ce sont quelques expériences faites en Angleterre, et d’où il résultait que la quantité de pluie paraissait d’au- tant moins considérable que la jauge dans laquelle on la recevait. était plus élevée au-dessus, du sol, qui m'ont suggéré l’idée d'établir deux udomètres à deux niveaux différents à l'Observatoire de Paris, | Dans le résumé météorologique que je. rédigeai, pour l’année. 1817, dans les Annales de chimie et de physique (t. vi, p. 4h), je donnai le tableau suivant pour la quantité de pluie tombée, tant sur la plate-forme, à 30 mètres du sol, que dans une auge semblable placée dans la cour 28".76 plus bas. SUR LA PLUIE. 4 Pluie Pluie Nombre Noms.des mois. sur la dans de jours Î | plate-forme. la cour. de pluie. mill. PRE -° 38.25 non observée 415 rhéthiensi Tue. 20e 20.65 non observée 47 ses 43.50 5240 41 be ‘rot Eee D 1.96 5 D -%00097. 27 677 68.70 :: 15 REX nb dersrad ‘D 108178 104.02 15 _Juillet............... 58.73 63.00 15 PRE. EN, SSL S “58.54 1h «Septembre... der - 9: 64.25 67.53 r 43 Opiobre, sx 52,43 62.30 13 Novembre........... 47.22 21.27 15 "Décembre. ..:./... 4) 1255.58 66:13 :: ‘40 Somme pour l’année. 564.62 PTE X 158 Somme, pour les dix __ derniers mois... 505.72 565.52 J'ajoutai les remarques suivantes : « Il résulte, comme on voit, de ce tableau que, lorsqu'il existe une différence de niveau de 28 mètres éntre deux récipients d’ailleurs parfaitement pareils, ils reçoivent des quantités de pluie sensiblement inégales. Sur les dix derniers mois de 1817 la différence s’est élevée x 59%1..81, c’est-à-dire à environ la neuvième partie du total. | «! Le rhois d'avril, Si remarquablement sec, est néan- moins celuï dans lequel l'inégale hauteur des récipients a eu le plus d'influence. La pluie, sur l'Observatoire, n’a été que de 1"%,28; dans la cour, il en est tombé 11.96 : la différence entre ces deux nombres est de Owil:/68 et surpasse, par conséquent, la moitié du pre- mier. En juin, par les pluies les plus abondantes, on n’a trouvé, entre les deux récipients, et sur la totalité du 12 SUR LA PLUIE. mois, qu’une différence de 2.29%; ce qui ne forme guère que la quarante-cinquième partie de l’eau qu’on a recueillie sur la plate-forme. « Dans l'ignorance où ncus sommes sur les véritables causes de la pluie, on ne peut guère espérer d’arriver à une explication satisfaisante et compiète du phéno- mène en question qu’à l’aide d’observations nombreuses et répétées sous des circonstances variées. Les remar- ques suivantes prouvent déjà, ce me semble, qu’on se trompe également, soit lorsqu'on suppose que la vapeur, dont les gouttes d’eau se saisissent en traversant les couches inférieures de l'atmosphère, est l'unique cause de la différence qui existe entre la pluie reçue par deux auges inégalement élevées, soit lorsqu'on fait dépendre exclusivement cette différence des vents et des inclinai- sons diverses qu’ils donnent aux filets ‘iquides. « Le 11 février, par un léger brouillard, le vent souf- flant du S.-O. avec peu de force, et la pluie tombant doucement et par petites gouttelettes, on trouva dans les deux garde-pluie les quantités d’eau que voici : dans la cour, 0%:,65 ; sur la terrasse, 1"il-.00 (hygrom. 94°, therm. + 7°). « Le lendemain, les circonstances étant à peu près pareilles, quelques averses fournirent un résultat tout contraire, savoir : dans la cour, 3"l.10; sur l’Obser- vatoire, 2il.,85. « Le 13, par un temps très-brumeux, vent S.-O. faible, on recueillit, comme le 11, plus de pluie en haut qu’en bas. Elle était tombée par gouttelettes très-fines : cour, Owil.,50 ; terrasse, O"il-,60 (hygrom. 94°, therm. + 7°). SUR LA PLUIE. ee « Le 23: cour, 0"1-.55; terrasse, 0,55 (hygrom. 8%, therm. + 7°). « On pourrait citer d’autres jours encore où la pluie sur la terrasse n’a pas été inférieure à celle de la cour. « Le 1° mai, par exemple, petite pluie, vent N. : cour, Omil.,80; terrasse, 0%1:,85 (hygrom. 80°, therm. + 10°). « Le 19 mai, vent S., pluie abondante par intervalle : cour, 13.50; terrasse, 131.50 (hygrom. 90°, therm. + 18°). « Le 5 juillet, temps parfaitement calme : cour, 4,75 ; terrasse, 4"Ÿ-.90 (hygrom. 70°, therm. + 17°). « Le 13 août, vent O. fort: cour, 4"l:-,h40 ; terrasse, -.40 (hygrom. 80°, therm. + 16°). « Le 27 août, temps calme, forte averse: cour, 2"i1.,68; terrasse, 2%1-,77 (hygrom. 80°, therm. + 14°). « 11 sera maintenant facile de choisir, dans diverses saisons, des exemples qui nous montreront beaucoup plus d’eau dans la cour que sur l'Observatoire. « Le 3 mars, vent S.-O. très-fort, pluie par averses : cour, 40.90; terrasse, 7%..50 (hygrom. 90°, therm. + 8°). « Le 9 mars, vent O.: cour, 2":l-.90; terrasse, Oil 80 (hygrom. 85°, therm. + 4°). _« Le 26 mai, vent S., pluie par intervalle : cour, 2ail. 60 ; terrasse, 21.00 (hygrom. 75°, therm. + 14°). « Le 23 juin, vent N.-0. très-fort, la pluie est tombée par torrents pendant une heure et un quart, tonnerre : cour, 381.30; terrasse, 31"il-.60 erenonr 90°, therm. + 25°). « Le 25 juin, vent S,-0, très-faible, pluie extrême- 414 SUR LA PLUIE. ment abondante, de 6 heures et demie -à:7 heures et demie de l'après-midi, tonnerre : cour, kQ0"il.,454% terz rasse, 39%11-,85 (hygrom. 94°, therm. + 24°). « Nous ajouterons, en terminant, que la neige, aussi bien que la pluie, paraît tomber en d’autant moindres quan- tités qu’on la reçoit plus haut. Le 11 décembre, l’eau provenant de la neige fondue s'élevait, dans le garde- pluie de la terrasse, à 7"l.,96; dans la cour on en re- cueillit 9mill.,99, » Pour l’année 1818, je donnai le tableau résumé qui suit ? Pluie : Pluie Nombre Noms des mois. sur dans de jours la plate-forme. la cour. de pluie. mill, mill. Janvier......... 45.52 52.32 17 Février. ....5:.. 932.70 53.93 7 MAR Sans 64.45 81.52 20 ANPENS SE esse 66.18 70.60 18 Mai hs ses is 6.00 49.08 : 4 Juin isvaséci 22.10 23.56 7 JUL, nes : 16.15 47.71 A V4 : AE METAL DS 25.50 28.70 6 Septembre.....… 55.21 . 58.87. 16 OCHObrE ESS 44.05 16.25 9 Novembre.. .... 31.70 39.95 9 Décembre...... 42.11 45.40 & SOMMES, . « + » vo. 432.97 517:59 : 499 Je fis suivre ce tableau des remarques suivantes « La table précédente montre que deux récipients, par- faitement semblables et placés dans le même lieu, re- çcoivent des quantités de pluie fort inégales dès qu’ils ne sont pas sur la même ligne de niveau. En 1818, la diflé- rence s’est élevée à 8511.62, quoique la distance ver- SUR LA PLUIE. 415 ticale des deux vases ne fut que de 28 mètres. Cette quantité est environ la sixième partie de l'eau recueillie dans le récipient inférieur. « En examinant attentivement, et un à un, Jés nom- bres dont nous venons de donner les moyennes, on voit qu’en général leur différence est d'autant plus grande que le vent a été plus fort. Toutefois, cette règle n’est pas sans exception, et des causes autres que le vent pa- raissent aussi concourir à l'effet observé. Voici quelques exemples : Terrasse. Cour. : Vents. 6 janv. 7.20 9.65 pluiefine, brouillardépais. 0. 10 janv. 0.50 0.40 pluie fine, brouillard... S. 11 janv. 4.30 5.05 pluie par intervalles... 0. 14 janv. 0.20 0.30 petite pluie............. S.-0. 17 janv. 2.96 3.02 petite pluie....... sesson : Nr TUE 18 janv. 0.50 0.50 petite pluie............ À O.-S -0. 4 fév... 2.50 5.90, eau de neige........... S.-E. 7 16vV-: h.h5 5.85 eau de neige..:.:....... E. 22 fév. 7.50 41160 pluie par intervalles. .... S.-0. très - fort. .6 mars 5.10 8.30 pluie par intervalles... S.-0. très -fort. 42 mars 0.95 1.10 pluie par intervalles. .... O. fort. 926 mars 6.10 8.50 pluie par averses........ O. très-fort. 30 avril 20.60 2060 pluie abondante......... 0. 18 juin 41.85 12.05 forte averse......... ends 0.-S.-0. 22 sept. 17.00 17.15 pluie abondante........: calme. 25 sept. 9.20 9.20 pluie et brouillard... .... calme. oct. 25.45: 5/75! :àverse.ss..:l..e is shos 18,10, fort 17 oct. 0.00 0.80 eau de brouillard....... S.-E. 6 nov. 0.35 0.85 petite pluie et brouillard. S. 22 nov. 0.98 4.46 eau de brouillard....... « E. très faible. 19 déc. 0.45 0.80 . eau de brouillard. ....... N.E. En 1819, je m’exprimai ainsi : « Quoiqu'il soit tombé cette année beaucoup plus de pluie, la différence entre les quantités qu’on a recueillies H6 SUR LA PLUIE. dans les deux récipients a été sensiblement moindre qu’en 1818. Un examen attentif des observations partielles montre que la différence en question ne peut être attri- buée ni à la seule influence du vent, ni, en totalité, à l'état plus ou moins hygrométrique de l'air. » Enfin, en 1826, j'ajoutai les remarques suivantes : « La différence entre les quantités d’eau recueillies dans les récipients de la terrasse et de la cour n’a pas été moins grande en 1826 qu’on ne l’avait trouvée dans les années antérieures. Ce phénomène n’a point encore été expliqué d’une manière satisfaisante. Les physiciens se sont évidemment trompés, par exemple, quand ils ont admis que le récipient inférieur recevait une plus grande quantité d’eau, par la seule raison qu’étant peu exposé au vent, les filets liquides lui arrivaient dans des direc- tions parallèles moins éloignées de la verticale. L'idée que les gouttes d’eau grossissent, en s’appropriant une partie de l’humidité disséminée dans les couches atmosphériques qu'elles traversent entre le niveau du premier et le niveau du second récipient, est spécieuse; mais on avait ob- jecté que la différence en question se manifeste également | quand l’hygromètre, pendant la pluie, ne marque pas 100° : M. Boisgiraud aîné, professeur à Poitiers, m'écrit qu'il a levé cette difficulté en constatant, par expérience, que la pluie est généralement assez froide, relativement à l’atmosphère, pour qu'il y ait précipitation de vapeur à la surface de chaque goutte, alors même que l’hygro- mètre est fort éloigné du terme de la saturation ; c’est par là qu’il expliquerait aussi comment il arrive quelque- fois que l’air ne soit pas saturé, même après une ayerse SUR LA PLUIE. 57 d’assez longue durée. Il y aura donc, à l’avenir, quelque importance à ajouter aux indications de la quantité de pluie celle de la température. » Depuis le mois de mars 1817 jusqu’en 1853, c’est-à- dire sur 442 mois d'observations consécutives, il ne s’est présenté que six cas où l’eau totale d’un mois tombée sur la terrasse a été égale ou supérieure à celle tombée dans la cour, savoir : février 1830 et septembre 1834, égale; janvier 1829, mars 1843 et mars 1845, supérieure. Des observations faites à York, en Angleterre, sur l’in- vitation de l’Association britannique, par MM. W. Gray et J. Phillips, de 1832 à 1834, ont donné les résultats suivants : Hauteurs Hauteurs au-dessus de la annuelles rivière Ouse. d’eau tombée. ; mêt. Cbdrae.,......171i 73.8 99%.75 Faîte du Muséum....... 221 k44.72 rise sous ca 9.7 545.25 D’après des observations faites à Besançon par M. Per- son, de 1846 à 1849, à la Faculté des sciences et au fort Brégille , points ayant une différence de hauteur de 196 mètres, mais aussi une distance horizontale de 1360 mètres, on a les chiffres suivants : : Hauteurs annuelles d’eau tombée. Fort Brégille. ..... Ratios 605.6 Faculté des sciences.......... 1132.83 Des observations faites en Amérique pendant les mois d'août, de septembre, d'octobre, de novembre et de décembre 1808, en quatre points diversement élevés XIL , 27 418 SUR LA PLUIE. au-dessus du niveau de la mer, à Cartagena de Indias, à Alegria (Principio de valle de Cali), à Popayan et à Santa-Fé de Bogota, avaient donné les nombres sui- vants : Quantité de pluie tombée en cinq mois. Cartagena, au niveau de la mer.......,.,...,.. 1,542 Alegria, à la hauteur de 1,020 mètres.......... 1,880 Popayan, à la hauteur de 1,809 mètres,........ 1,190 Santa-Fé, à la hauteur de 2,660 mètres........ 520 M. Caldas, en rapportant ce tabieau, en conclut que la quantité de pluie diminue avec l'élévation ; il explique pourquoi Cartagena, au niveau de la mer, ne correspond pas au minimum, par la remarque que la saison des pluies ne commence pas dans les mêmes mois sur la côte et dans l’intérieur des terres. IT SUR LA QUANTITÉ DE PLUIE QUI TOMBE ANNUELLEMENT À PARIS Les premières observations régulières qu’on ait faites à Paris sur la quantité de pluie qui y tombe annuellement remontent à l’année 1689. A cette époque, on plaça, par ordre de l’Académie des sciences, un récipient adapté à cet usage au niveau de la grande salle de la méridienne de : l'Observatoire, dans la tour orientale qui était alors dé- couverte, 17 mètres plus bas que le récipient actuel de la terrasse. La Hire se chargea des observations:et les: con- tinua jusqu’en 1719. Maraldi qui lui succéda, se servit des SUR LA PLUIE. 419 mêmes instruments, et fut remplacé en 1744 par M. de Fouchy. A partir de 1755, on cessa de faire ces observa- tions, où du moins de les publier. Elles n’ont été re- prises qu'en 1805. Voici le tableau des résultats moyens exprimés en millimètres, pour chaque période de dix ans à partir de 1689. | Pluie moyenne annuelle. mill. De 1689 à 1698... 4..n.ssscs. 597 De 1699 à 4708. ............ 185 De 1709 à 1748. .:.......... 193 D617494:4728.155153.55. 358 De-41729 84788... dons 389 De 1739 à 1748. ............ L24 De 1749 à 1754. ............ 514 De 1805 à 1844, .sseuse.ese 483 De 1815 à 1894 ............. 196 De 1895 à 1834. ....:....... 499 DU 1008 À LA: 5. 0 513 De 1845 à 1853............. 537 Afin de remplir, autant que possible, la sacune qu’on remarque dans ce tableau entre 1754 et 1805, je vais rapporter la moyenne des observations faites par Mes- sier à l'hôtel de Cluny, rue des Mathurins-Saint-Jacques, depuis l’année 1773 jusqu’à l’année 1785 inclusivement : De 1773 à 1785............. 544 Pour rendre ces résultats comparables, il faut, comme “on l’arvu précédemment (p. 408), tenir compte des in- égales hauteurs des divers récipients au-dessus du sol. En admettant, ainsi qu’il paraît naturel de le faire, que les différences entre les quantités de pluie soient propor- 420 SUR LA PLUIE. tionnelles aux différences de ces hauteurs, nous trouve- rions que pour réduire les anciennes observations, celles de 1689 à 1754, aux observations qui se font maintenant sur la terrasse de l'Observatoire, il faudrait retrancher à la moyenne 40 millimètres. La diminution à appliquer aux observations de Mes- sier aurait à peu près la même valeur, Ces corrections sont légères et ne changeront rien à la conséquence qu’on peut déduire de la simple inspection du tableau précédent, savoir : qu’il n’existe aucune rai- son de supposer que le climat de Paris soit maintenant plus ou moins pluvieux qu’il ne l’était il y a 150 ans. La petite augmentation que les nombres présentent dans les derniers groupes, ne surpasse pas, en effet, les écarts qu’on remarque dans les périodes antérieures. 4 DU NOMBRE MOYEN DE JOURS DE PLUIE PAR ANNÉE À PARIS La répartition des pluies entre un nombre plus ou moins grand de jours est une question qui n’est pas moins intéressante que celle de la mesure de la quantité absolue d’eau tombée, 0 On doit donc se proposer aussi de déterminer si, dans un lieu donné, le nombre moyen annuel de jours plu- vieux augmente ou diminue. La Hire et Fouchy ne nous ont pas laissé les observations de ce genre qu'ils avaient faites à Paris. Je ne pourrai donc remonter qu’à celles de Messier, et j'y ajouterai les résultats des observations SUR LA PLUIE. 521 modernes. Les jours de pluie renferment ceux de neige qui contribuent à la mesure des quantités d’eau tombées dans les récipients, Nombre moyen par an EE de jours de pluie. de jours de neige. De 1773 à 1785........ 140 ” De 41786 à 1795...... Ÿs 152 126: De 1796 à 1805........ 124 14 De 1806 à 1815........ 134 15 De 1816 à 1825......., 153 9 De 1826 à 1835..... “re: 149 6 De 1836 à 1845........ 164 17 Moyennes.......es.e 147 12 De 1689 à 1845, il est arrivé trois fois qu'un mois entier s’est écoulé sans pluie mesurable. Ces mois sont : le mois de janvier 1691, le mois de février 1725, et celui de janvier 1810. Cette table n’indique pas plus que celle donnée dans le chapitre précédent une détérioration dans le climat de Paris. Y SUR LES VARIATIONS QU'ÉPROUVENT LES QUANTITÉS DE PLUIE TOMBÉES EN QUELQUES LIEUX 1° Observations faites à Viviers. Au midi de la France, suivant quelques météorolo- gistes , la quantité de pluie va en augmentant dans cer- taines localités d’année en année. Les observations sur lesquelles ils appuient plus particulièrement cette opi- nion sont celles que Flaugergues a faites à Viviers 422 SUR LA PLUIE. (latit, h4°29’) pendant 40 ans. Je les ai groupées dans le tableau suivant, par dizaines d'années : Pluie | ru Nombres moyens : en mill, de jours de pluie. 4778.2.21281.... ns 8/42 83 4788 à:4707.. sig is cs 899 94 1698 à 1807..... …... 926 106 1808 à 1817..... eo sisloe 1,012 108 Il paraît douteux que ces résultats, malgré leur régu- larité, soient suffisamment nombreux pour motiver la conclusion trop générale qu’on en a déduite. Si l’on n’a- vait eu à Paris que les observations comprises entre les années 1719 et 1785, on aurait pu également supposer que la pluie moyenne annuelle augmentait rapidement ; et cependant cela est à la fois démenti et par les obser- vations antérieures et par celles qui suivent. Une augmen- tation dans la pluie annuelle à Viviers ne serait, au de- meurant, guère favorable à l’opinion que les pays boisés sont ceux dans lesquels il pleut davantage; attendu, dit Flaugergues, que, depuis le commencement des observa- tions et principalement dans les dix dernières années, on n’a cessé de détruire les forêts, tant sur le territoire de Viviers que dans tout le département de l’Ardèche, où il ne reste plus aujourd’hui aucun bois considérable, 2 Observations faites à Joyeuse CEE Les causes qui déterminent la AB et la chute rh la pluie, l'influence que les vents, la position géogra- phique, l'élévation au-dessus de la mer et d’autres cir- constances locales exercent sur ce phénomène, sont ou SUR LA PLUIE. 423 peu connues ou mal appréciées; il est donc convenable de recueillir les observations qui, comme celles de M. Tardy de la Brossy, maréchal de camp d'artillerie en retraité, semblent faites avec exactitude, surtout lors- qu’elles embrassent un assez grand nombre d’années pour qu’on puisse supposer que l'effet des variations acciden- telles disparaîtra dans la moyenne. La ville de Joyeuse est par 44° 32’ de latitude nord, % de longitude ouest, à 147 mètres de hauteur au-dessus de la mer. Une montagne de 1400 à 1600 mètres (le Tanarque) est située au nord, à la distance de 10 à 12 kilomètres, et se présente comme un mur taillé à pic dans la direction de l’est à l’ouest. Voici d’abord le tableau des nombres de jours de pluie observés et des quantités d’eau recueillies pendant une période de 23 années par M. Tardy de la Brossy : un M mill, M tés. 104 1,006.8 CT SRE PE 117 1,206.4 7 Sen e 83 1,160.8 22 Mgr pat VA 102 1,426.3 L amodiioius GOS.E. 113 4,154.8 RS à 107 1,596.0 PR ER 113 1,729.8 dhatEEUN 98 1,352.3 ABS uiéimiliies CLR 105 1,195.1 7 Votre Fo pres pf 1122 1,243.0 5 à Pt dep 22:23 4er et tn 92 1,083.0 4816... .:..1498 à 5 ; 106 _4,385.8 Re . 73 947.4 1818..... Ten 6 9 108 1,169.9 AO QUES “x 400 1,580.9 MMS. is0e Join es 1,001.6 424 SUR LA PLUIE. ARE LEE TE EL A 87 1,123.6 P.. SU LON 88 1,107.4 RO. ss téoréis 103 1,237.5 5° PARC Snsssiose 83 1,118.9 2020115. IE 88 893.0 ABOU, omef aura me Ge 83 1,764.4 BOAT oran denses 96 2,197.1 Tableau du nombre moyen des jours pluvieux, et de La quantité moyenne de pluie de chaque mois sur les vingt-trois années observées. Mois. Jours Quantité pluvieux. d’eau tombée. mill, Jan is de 5 de d 8.3 96.3 Ji. a. AO PES D DIET ES 7.7 78.0 Le AS eva aus 7.0 62.7 DURE da ee se 0) > 8.5 96.3 nie ee al sente 10.6 139.4 Join. LR DS EU es Re 77 65.4 guilet. 554.6 : 6.4 69.2 HOME SAS al cab. route 5.3 73.5 Septembfe, ;. 65,3. 7.6 151.6 Deer site ts 9.8 212.5 Novembre............. 9.2 157.2 DOcObre. 5%. 50 60 9.4 87.0 Les 12 mois........ 97.5 1,290.0 On voit que la quantité moyenne de pluie tombée annuellement à Joyeuse est de 1,290 millimètres, c’est- à-dire plus que le double de celle mesurée à Paris dans la cour de l'Observatoire (580 millimètres, p. 409). On en a recueilli, en 14828, 2197 millimètres ; l’année 1825, la moins abondante de toutes sous ce rapport, a fourni seulement 893 millimètres d’eau. Les mois de mai, d'octobre et de novembre sont, comme on voit, ceux où l’on recueille le plus de pluie, ceux de mars, de juin et de juillet sont les plus secs. SUR LA PLUIE. 425 Le nombre moyen de jours dé pluie ou de neige est de 97.5 par an. Les extrêmes, en 23 années, ont été 117 et 75. | En 1807, le 9 août, M. Tardy recueillit 250 milli- mètres d’eau en un seul jour, c’est-à-dire environ la moitié de ce qu’il en tombe dans une année commune à Paris. Les habitants des contrées septentrionales se font à peine une idée de l’abondance avec laquelle la pluie tombe par moment dans le Midi, En octobre 1812, M. Tardy a observé des averses qui donnaient 2":,25 d’eau en moins de 2 minutes, ou 81 millimètres à l’heure. Sans les intermittences dont ces fortes pluies sont habi- tuellement accompagnées , elles pourraient fournir en un seul jour 1°.95 d’eau, ou quatre fois autant qu’on en recueille à Paris dans une année entière, Le résultat que donnent les observations de M. Tardy de la Brossy est évidemment supérieur à la pluie moyenne sous le 45° degré de latitude. Il faut donc qu'il y ait à Joyeuse des circonstances locales qui modifient les lois * générales. Voici, suivant M. de la Brossy, la cause de l'anomalie dont on lui doit la découverte, Lorsque des nuages peu élevés trouvent une montagne sur leur route, ils sont arrêtés ou, tout au moins, leur vitesse est considérablement ralentie. Ces nuages seraient peut-être passés sans pluie ; l'obstacle qui les arrête les force donc de déposer une grande partie de l’eau dont ils sont chargés dans une localité où il aurait plu à peine. À Joyeuse, les pluies les plus fréquentes et les plus abon- dantes arrivent par le vent du sud; une montagne située au nord de la ville, et dirigée de l’est à l’ouest, serait 426 SUR LA PLUIE. donc très-propre à y accumuler les nuages peu élevés que les vents méridionaux y amènent ; or, une telle mon- tagne existe : c’est le Tanargue, dont la hauteur est de 1,400 à 1,600 mètres, et qui, à 42 kilomètres seulement au nord de Joyeuse, forme comme un mur presque ver- tical, Partout où de telles circonstances de position se trouveront réunies, il faudra s’attendre à recueillir plus de pluie que le climat ne semblerait le devoir faire sup- poser. | Viviers, par exemple, où observait Flaugergues, n’est distant de Joyeuse que de 8 lieues à l’est, et se trouve presque sous la même latitude. Néanmoins, la quan- tité annuelle de pluie y est moindre de 395 millimè- tres. À Viviers, les nuages qui viennent du sud pour- suivent sans obstacle leur course par la vallée du Rhône ; à Joyeuse, ils sont arrêtés par la barrière que le Ta- nargue forme au nord. « Or, dit M. Tardy, puisque les pluies les plus abondantes et les plus fréquentes dans le Vivarais arrivent précisément par les vents du sud, on concevra pourquoi, lorsqu’à Joyeuse j'avais, en 1814, recueilli 1°.730 d’eau, M, Flaugergues n’en avait dans son observatoire que 1".015. » 3° Observations faites à La Rochelle. Dans l’état actuel de la science, une observation mé- téorologique isolée a généralement très-peu d'intérêt ; mais il n’en est pas ainsi des résultats moyens qui, fondés sur des observations répétées un grand nombre d'années, peuvent être considérés comme caractérisant SUR LA PLUIE. 427 tel ou tel climat, Ces résultats doivent être recueillis avec soin dans les journaux de science, puisqu'ils servi- ront un jour à établir avec certitude les lois qui régissent la distribution de la chaleur et celle de la pluie à la sur- face du globe. Tel est du moins le motif qui m’a déter- miné à insérer ici le résumé de plusieurs tableaux dont j'ai eu connaissance. Je suis redevable des observations de La Rochelle à la complaisance de M. Fleuriau de Bellevue, correspondant de l’Académie des sciences et membre de la Chambre des députés. Pluie à la Rochelle, de 1777 à 1793 inclusivement. Quantités extrêmes Nombres Nombres extrêmes Noms Pluie de pluie. moyens de jours de pluie. des mois. moyenne. de jours : maxima, minima. depluie. maxima. minima. mil. mil. mill. Janvier... 65.0 162. 90 14 23" ‘3 Février... 48.0 104 4.5 11 23 L Mars....... 43.1 84 11.5 12 19 5 FPE 40.6 77 2.3 11 19 5 Mal. ..5.. 06.07 : 433: :::.2.3 12 26 2 D save 00.0 101 4.5 12 22 1 Juillet. .... 45.1 108 9.0 12 21 l DO. rs. 04.1 88 0.0 9 19 2 Septembre... 61.4 117 2.3 12 22 . Octobre.... 82.8 169 411.3 43 23 3 Novembre. 80.1 153 9.0 14 20 5 Décembre.. 71.4 133 2.3 14 24 6 Dans ces premières dix-sept années, la pauie moyenne annuelle a été de 656 millimètres. Les extrêmes ont été 1,010 et 498 millimètres. Le nombre moyen annuel des jours de pluie est de 46; et les extrêmes sont 168 et 88. Cette série d'observations a été faite par M. Seignette à 4 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer. 428 SUR LA PLUIE, 4° Observations faites à La Vallerie. La Vallerie est située à 5 lieues au nord-est de La Rochelle; voici les observations qui ont été recueillies, de 1810 à 1827, Quantités extrêmes Nombres Nombres extrêmes Noms Pluie de pluie. moyens de jours de pluie. des mois. MOYENNE. mm" mm“ 6 JOUTS maxima, minima, de pluie. maxima, minima, mill. mill. mill. ! Janvier..... 46.4 90 h.5 22 20 6) Février... 50.5 50 9.0 13 22 L Mars....... 39.9 90 0.0 11 21 li EN + 44.0 86 0.0 11 18 0 Mai.sssso.., 1049 106 43.5 13 18 5 Juin. 33.8 88 6.8 11 17 3 Juillet..... 46,9 124 0.0 11 27 ui AG. 55: 87.2 53 6.8 9 17 6) Septembre.. 54.3 95 927.1 11 18 6 Octobre... 91.5 4192 316 15 28 " 10 Novembre.. 68.1 180 6.8 14 24 6 Décembre.. 78.7 149 6.8 15 21 2 La pluie moyenne, dans l'intervalle des 18 années qui se sont écoulées de 1810 à 1827, a été de 650 milli- mètres. Les extrêmes sont 812 et 493 millimètres. Le nombre moyen de jours de pluie est de 146, et les extrêmes sont 194 et 112. À La Vallerie, comme à La Rochelle, le récipient était à 8 mètres au-dessus du niveau de la mer, Les observa- tions de La Vallerie sont de M. de Monroy; M. Fleuriau de Bellevue les a recueillies et calculées. ” La comparaison des deux tableaux précédents n’auto- riserait pas, comme on peut voir, la conséquence que le déboisement ait diminué la auantité de pluie annuelle ; LÉ SUR LA PLUIE. 429 mais il faut remarquer que cette cause, quelque influence qu’on veuille lui attribuer en général, serait presque sans importance sur nos côtes où la pluie est principalement amenée par des vents d'ouest qui se sont saturés d’humi- dité en traversant l'Océan. 5° Observations faites à Lille. La quantité de pluie tombée annuellement à Lille, d’après des observations faites dans la citadelle par ordre de Vauban, de 1685 à 1694, a été trouvée de 23 pouces 3 lignes ou 627 millimètres. Des observations faites un siècle plus tard, de 1777 à 1784, ont donné 572 milli- mètres. Ces nombres n “indiquent aucun changement dans le climat. = 6° Observations faites dans les Bouches-du-Rhône. On a vu plus haut (p. 420) qu’en discutant un grana nombre d'observations relatives à la quantité de pluie qui tombe annuellement à Paris, j ai reconnu qu'à cet égard, du moins, le climat de la capitale et des environs n’a pas varié depuis cent-cinquante ans d’une manière sensible. Flaugergues a trouvé (p.422), au contraire, que la quan- tité de pluie a augmenté à Viviers, quoique, depuis qu'il a commencé. ses observations, en 1778, on ait détruit la plus grande partie des forêts qui couvraient le départe- ment de l’Ardèche. 11 m’a semblé qu’il était convenable de rechercher si d’autres lieux situés au midi de la France n'offriraient pas des variations analogues, Voici ce que j'ai pu recueillir de plus certain, 430 SUR LA PLUIE. Les chiffres suivants sont relatifs à Marseille : Pluie moyenne Nombre de en millimètres. jours de pluie. De 1772 à 1782...... PRET 590 , 57 Da 1795 à 4805... 0.2 530 54 De'1806 À 1815...,....5, 380 55 De 1815 à 1820........ . 370 “ De 1823 à 1832.....,...: 152 52 De 1833 à 1842......... : 571 67 Moyennes. ....., 182 57 En comparant ce tableau avec celui de Flaugergues, on remarquera que la quantité annuelle de pluie diminuait à Marseille pendant qu’elleaugmentait à Viviers, quoique la distance de ces deux villes ne soit pas très-grande. Il semble donc que ces variations doivent être considérées comme accidentelles. Elles disparaîtront sans doute quand les moyennes seront déduites d’un plus grand nombre d'années ; mais on voit, en attendant, qu’il n’y aurait aucune raison de ne pas étendre à la France’en- tière les conséquences que nous avons tirées précédem- ment de la discussion des seules observations de Paris. Le département des Bouches-du-Rhône offre un exem- ple remarquable de l'influence que les localités, même dans une étendue très-limitée de terrain, exercent sur les phénomènes météorologiques. On vient de voir qu'il pleut, terme moyen : À Marsoille. . 4 4 , 62 fe 6u.0à 6 4 sossorésos: 57 :JOUFS/PAT an, A Arles, on trouve seulement........... 45 — AIX. Je. détecte DÉE Pabetre SU £ 5 40 _ Et dans la région de la Durance........ 38 — Ces derniers résultats ont été empruntés à la Statis= SUR LA PLUIE. 431 tique des Bouches-du-Rhône , de M. le comte de Ville- neuve. 7 Observations faites à Milan. Quantité moyenne de pluie De 1764 à 4790...........0...e 910 millimètres. De 1791 à 1817........ 2.0, 1010 — M. de Césaris, à qui l’on doit ces observations, les a présentées comme la preuve incontestable que le climat de Milan a changé. Il attribue cet effet aux nombreux canaux d'irrigation qu’on a creusés d’année en année dans les plaines de la Lombardie, ce qui, dit-il, a dû rendre l'évaporation annuelle plus grande à présent que par le passé. Sans nier tout à fait l'influence qu'a pu avoir la cause qu'indique le savant astronome milanaïs, il me semble qu'avant d'admettre qu’elle a seule occasionné la différence de près de onze centimètres qu’on trouve entre les deux moyennes de la table, il faudrait avoir démon- tré qu’une période de vingt-sept ans est suffisante pour donner un résultat général dégagé des variations acci- dentelles. Or, je ne doute pas qu’on ne conserve quelque scrupule à ce sujet, après avoir vu que les nombres partiels d’où ces deux moyennes ont été conclues pré- sentent de grandes discordances. En effet, de 1764 à 1790 la pluie annuelle, à Milan, a varié depuis 700 jusqu'à 1,280 millimètres ; et dans la nouvelle pé- riode de vingt-sept ans, commençant avec l’année 4791 et finissant en 1817, les extrêmes annuelles opt été 670 et 1,490 millimètres. Les observations de Milan, considérées seules, ne 432 SUR LA PLUIE. ne prouvent donc pas jusqu'ici que les travaux des hommes puissent amener des modifications sensibles dans les climats, au moins en ce qui concerne la pluie, VI DE L’iNFLUENCE DU DÉBOISEMENT SUR LES CLIMATS [Dans la séance de la Chambre des députés, du 27 février 1836, à l’occasion de la discussion d’une pro- position de M. Anisson-Duperron, relative à la liberté du défrichement des forêts, M. Passy, ministre du commerce et des travaux publics, prononça les paroles suivantes : « Je ne contesterai nullement les avantages de la liberté des dé- frichements sous le point de vue économique. S'il le fallait, je pourrais présenter de nouvelles raisons à l’appai de celles qu’à fait valoir l'honorable M. Jaubert; mais il est une question d’une tout autre nature, et sur laquelle j’appellerai l’attention de la chambre, c’est la question météorologique. Celle-là n’est nullement décidée; les opinions sont diverses, et je citerai quelques exemples qui feront concevoir qu’on puisse attacher beaucoup d’importance à autoriser ou à ne pas autoriser le défrichement des bois en grande masse. Il est constant que, pour quelques climats chauds, le déboisement a changé la constitution atmosphérique. Les pluies ont diminué, et beaucoup de sources se sont taries. Voici quel- ques faits constatés sur divers points du globe. On a fait récem- ment des plantations nombreuses en Égypte, et les pluies ont re- paru dans ce pays. Dans quelques-unes des Antilles, au contraire, le déboisement d’une partie du sol a diminué la quantité des pluies, et les cours d’eau.-ont perdu de leur abondance. Dans une de ces îles, à Porto Rico, on a agi différemment. Une ordonnance du roi d’Espagne a prescrit que toutes les fois qu’on abattrait un arbre on en replanterait trois, et ce pays est resté d’une haute fertilité; la bonté du sol, l'abondance des eaux y ont laissé les terres plus pro- ductives que dans les îles voisines. En Espagne même, le plateau de Castille, par suite d’une opinion de ses habitants qui redoutent create dé de fade Gheniestl ben nés dede él nd dos je SUR LA PLUIE. 433 que les bois n’appellent les orages, a été complétement déboisé, et les terres y ont perdu une partie de leur fécondité. « Sous les climats chauds, l’inconvénient est évident. Mais au nord, la question n’est même pas encore résolue, et l’on ne sait pas! encore à quoi s’en tenir sur les effets météorologiques des déboise- ments en masse. L'année dernière, dans la Limagne, j'ai vu un ruisseau qui n'avait pas l’eau nécessaire pour faire mouvoir les moulins, et l’on m'a affirmé que c'était le M qui avait affaibli les sources. « J'avoue que je ne suis pas compétent pour résoudre la diffi- culté; mais il me semble qu’il serait très-imprudent de la trancher dès à présent. Ce n’est pas que je croie que le défrichement des bois doive en France être très-grand; je crois plutôt qu’il n’y aurait, en définitive qu’un déplacement dans la situation des bois; mais les déplacements mêmes peuvent influer sur la constitution atmosphé- rique, sur l'abondance des pluies dans certaines localités. A mon -avis, il serait plus prudent d’ajourner la discussion des articles et de former une commission qui serait composée d'hommes à même de juger la question. Cette commission examinerait jusqu’à quel point, au degré de latitude où nous sommes, la disposition des bois pourrait influer sur des pluies et la constitution atmosphérique. Nous aurions peut-être à regretter, sans cela, qu’une conclusion précipitée amenât des inconvénients, et il serait trop tard ensuite pour réparer le dommage. Ainsi, le gouvernement propose la sus- peusion de la discussion, et ce n’est pas, comme on pourrait le croire, dans l'intérêt des bois de l’État; car, si les particuliers dé- frichaient de grandes masses de bois, les forêts de l’État rapporte- raient davantage; mais uniquement pour éclairer la question. » M. Jaubert, ayant répondu au ministre qu'appuyer une demande d’ajournement sur des considérations météréo- logiques, c'était invoquer le motif le plus vague qu'il fût possible d'imaginer, M. Arago demanda la parole, et s’exprima en ces termes : | Messieurs, je viens appuyer l’ajournement proposé par M. le ministre du commerce, car je le crois fondé sur de très-bons motifs. L’honorable M. Jaubert a parlé avec trop de dédain des enquêtes; il est des enquêtes XLL 28 434 SUR LA PLUIE. qui peuvent donner de très-bons résultats. Et si M. le ministre du commerce en demande une aujourd’hui sur le problème météorologique qui domine la question qui vous est soumise, c’est parce que cette enquête n’a pas été faite par la commission chargée de l'examen de la proposition de M. Duperron. Je ne lui en fais pas un reproché. Cette enquête est difficile, il faudra consulter beaucoup de documents. Les défrichements peuvent avoir des influences de plus d’une espèce. On a parlé du déboisement sous le rapport de la conservation des sources, mais il peut modifier le climat d'une foule d’autres manières. Je demande par- don à la chambre d'entrer ici dans des détails scienti- fiques Pour une même température moyenne, dans un lieu donné, il peut y avoir une répartition très-inégale des températures mensuelles. C’est de là qu'était venue à Buffon l’idée de distinguer les climats tempérés des cli- mats excessifs. | : L'Amérique du Nord a maintenant un climat excessif. L'Europe, avant le déboisement, devait être classée dans la même catégorie. Avant le déboisement, les hivers étaient beaucoup plus rudes et les étés plus chauds. Vous serez peut-être étonnés d’entendre que, dans les environs de Paris, il y a quelques siècles, il faisait beau- coup plus chaud qu'aujourd'hui. Une foule de documents historiques le prouve cependant ; ainsi nous voyons dans une charte que les vignerons des environs d'Amiens se présentèrent au concours lorsqu'il fallut examiner quel canton de France fournirait le vin de la table de Phi- SUR LA PLUIE. 435 lippe-Auguste. De nos jours, les vignerons d'Amiens ne se présenteraient plus au concours pour fournir le vin de la table de qui ce soit 1. Il y a eu une modification notable dans le climat de cette région de la France , et cette modification a été la conséquence nécessaire du déboisement. Peut-être doit- on la considérer comme une amélioration ; mais il faut éviter les extrêmes en cela comme en toutes choses; or, je crois que, si vous accordez le déboisement tel que le demande la commission, il pourrait en résulter, je ne dis pas, remarquez-le bien, il en résulterait, mais il pourrait en résulter un inconvénient que vous déploreriez un jour. Vous savez, Messieurs, qu’il y a très-peu d’années on proposa , et le projet a été réalisé on proposa, dis-je, de se garantir de la grêle en plantant en terre des lon- gues perches. Ce moyen, je l’ai attaqué moi-même. Mais il n’en est pas moins vrai que les forêts exercent une grande influence sur les phénomènes électriques ; et quoi- qu'on ne connaisse pas très-bien la théorie de la grêle, il est cependant démontré que l'électricité joue un rôle très-important dans sa formation. En déboisant les montagnes, vous augmenteriez peut- être les chances de grêle d’une manière déplorable pour les cantons environnants. Je ne dis pas que cela soit, mais je dis que cela est possible, et qu’il est utile de se livrer à cet égard à un examen sérieux. Messieurs, il y a aussi une autre circonstance fort importante dont il faudra tenir note. Dans les pays dé- 1. Voir la Notice sur l’état thermométrique du globe terrestre, it. VII des Œuvres, t. V des Notices scientifiques, p. 233. 436 SUR LA PLUIE. _boisés, toutes les rivières ont ce qu'on appelle le régime torrentiel, c’est-à-dire que, pendant un temps fort court, _elles débitent des quantités d’eau très-considérables, et qu'ensuite, pendant tout le reste de l’année, elles sont à sec. Ce régime de torrent, vous le trouverez dans toutes les localités où les montagnes ont été déboisées. Or, qui peut douter de l'utilité d’avoir de l’eau toute l’année, pour la navigation, pour les arrosements? J’ajoute une autre considération : les rivières torrentueuses entraînent avec elles des quantités considérables de terres des mon- tagnes ; leur lit s’exhausse avec une grande rapidité, et produit à l'embouchure des bancs qui nuisent à la navi- gation. En Italie, depuis qu’on a déboisé les Alpes, les rivières entraînent une quantité de limon beaucoup plus grande que par le passé. Je m’appuierai à cet égard de l'opinion de M. de Prony. Ainsi le lit du Pô s’est exhaussé de telle manière qu’il est, je crois, fort supérieur au niveau de la plupart des rues de Ferrare. Un inconvénient de cette nature est à redouter en tout pays. Je n’entends pas, je le répète, prononcer d’une manière définitive, mais je dis qu’il y a matière à examen. Vous trouverez dans les archives de la science de quoi éclairer la discussion. J’ap- puie donc la proposition d'enquête présentée par le mi- nistre du commerce, parce que l’examen dont je viens de parler n’a pas été fait. Si la commission avait pu sy livrer, nous serions en mesure de discuter la question. Il y a, sous le rapport de la météorologie, une foule de documents qui auront besoin d’être dépouillés; les résul- tats de la science sont numériques ; et je puis assurer que SUR LA PLUIE. 437 les inconvénients que signale M. Jaubert pour repousser les commissions d'enquête ne se manifesteront pas. _ J'ai parlé de la grande quantité de terres que les rivières entraînent avec elles depuis que les montagnes sont déboisées en Italie; cette quantité est si considé- rable, que, dans un canton de la Toscane, dans le val de China, on a pu s’en servir pour combler d'immenses lacs et pour faire de ce pays, autrefois mal sain, un des plus fertiles de l'Italie. C’est à M. Fossombroni que ce travail est dû. J'appuie, Messieurs, de toutes mes forces l’examen proposé par M. le ministre du commerce, { Après une réplique de M. Jaubert, M. Arago a ajouté les paroles suivantes : ] M. le comte Jaubert vient de dire que nous avions le projet de demander un ajournement indéfini. M. le comte Jaubert se trompe. M. le comte Jaubert doit savoir que si on renvoie cette question à une commission , il n’y aura pas les délais qui accompagnent une enquête ordinaire ; car dans une enquête ordinaire on fait comparaître des per- sonnes qui viennent ou qui ne viennent pas, tandis qu'ici il s'agira seulement de compulser des documents scien- tifiques. M. le comte Jaubert dit qu’il a du regret de voir que - la chambre renvoie l’examen d’une question législative à l'Institut. Je n’ai pas parlé de l’Institut. A l'affectation avec laquelle M. le comte Jaubert, quant à lui, en a parlé, je pourrais supposer qu’il craint de n'être pas membre de la commission. J'avoue, pour mon compte, 438 SUR LA PLUIE. ‘que, si j'étais destiné à en faire partie, je demanderais avec instance que M. le comte Joubert en fût aussi; car il verrait alors que la commission actuelle de la chambre, de laquelle il disait qu’elle n’a rien inventé, n’a pas exa- miné la question principale qui domine tout entière le problème du déboisement du pays. [L’ajournement appuyé par M. Arago ayant été adopté par la chambre, la discussion et la proposition de M." Anisson-Duperron revint dans la séance du samedi et du lundi, 3 et 5 mars 1838. Dans la seconde séance, M. Arago prononça le discours suivant : ] Messieurs, j'étais absent samedi, lorsque M. Jaubert vous rendit compte des travaux d’une commission dont nous avions Phonneur de faire partie lui et moi. Notre honorable collègue m’a donné dans cette commission un rôle que je ne puis pas, que je ne dois pas accepter. Je demande à la chambre la permission de lui dire exacte- ment, complétement, sans réticence aucune, comment les choses se sont passées. Tout le monde comprendra en- suite que si la commission, créée en quelque sorte à votre instigation, n’a pas terminé le travail qu’on lui avail confié, ce n’est nullement sa faute; chacun verra que la négligence du gouvernement a tout fait avorter. M. Anisson-Duperron présenta, il y a deux ans, une proposition semblable, quant au fond, sinon quant à la forme, à celle que vous discutez aujourd’hui. M. Passy était alors ministre du commerce. En passant devant mon banc pour aller à la tribune, où, par parenthèse, il déve- loppa d'excellentes considérations, M. Passy me dit : SUR LA PLUIE. 439 Voilà une question de météorologie; cela est de votre compétence : ne nous ferez-vous pas connaître votre opi- nion? Je crus devoir répondre à ces paroles bienveil- lantes. Je pris donc part au débat, mais je me contentai d'émettre des doutes, de simples doutes, sur l'influence que le déboisement des plaines pourrait avoir sur le climat. Je n’occupai pas la tribune plus de dix minutes; et voilà, cependant, à quelle occasion M. Jaubert s’est cru autorisé à vous entretenir de ma prétendue assurance, à vous parler du bruit que j'aurais fait ou voulu faire à la tribune. Sur ce point, la mémoire a bien mal servi notre honorable collègue. La chambre n’admit pas la proposition de M. Anisson- Duperron ; elle désira que la question fût examinée à fond et dans tous ses détails. Le ministère se rendit à ce vœu; il nomma une commission dont nous faisions partie, MM. Duperron, Lanyer, Jaubert et moi. Dans l’une de ses premières séances, la commission reconnut, comme M. Jaubert l'avoue lui-même aujour- d'hui, que dans la climatologie gisait la question impor- tante, disons mieux, la question capitale. Cette remarque me valut l'honneur d’être nommé rapporteur. Des ren- seignements me parurent indispensables; je les fis deman- der. Ceux que je possédais moi-même m'’avaient déjà servi à publier, sous le titre.modeste de Motice sur l’an- cien état thermométrique du globe! une dissertation assez étendue dans laquelle j'avais mis en regard, dans leur 4. Voir t. VIII des Œurres, t. V des Notices scientifiques, p. 184 à 616, cette Notice revue et augmentée, 440 SUR LA PLUIE. F vrai jour, un certain nombre de faits et les conséquences qui en découlaient. C’était un pas de quelque intérêt peut- être, mais nullement la solution définitive du problème. Cette solution pouvait résulter de quelques nouvelles don- nées. À ma prière, la commission en fit la demande. Les questions étaient claires et précises; les préfets et les sociétés d'agriculture, auxquels on devait les adresser, auraient pu répondre par un simple chiffre, par un oui ou par un non. Quelques mois s'étant écoulés sans que rien nous eût été remis, je priai l'honorable M. Lanyer, secrétaire de la commission, de s’enquérir du nombre et de la teneur des réponses qu’on avait reçues; rien n'était encore arrivé. Après un nouveau délai, nous répétämes la dé- marche. Elle n’eut pas un meilleur résultat. Je dois le dire, ce silence de tant de préfets, de tant de sociétés savantes, à l’occasion d’un problème dont tout le monde connaissait l'importance, nous étonna extrêmement, Nous résolûmes alors d’aller au fond des choses : eh bien! que trouvâämes-nous? nous trouvâmes que notre programme avait été soigneusement enfoui dans les cartons; personne n’y avait répondu, parce que personne ne l'avait reçu. R La commission, Messieurs, était arrivée au terme de son existence; elle devait faire un rapport, quel qu’il fût; je voulus, par un dernier effort, suppléer aux docu- ments qu’on n’avait pas obtenus (je me trompe, qu’on n'avait pas demandés) à l’aide des dossiers d’une en- quête qui remontait au temps de la Restauration. Ces dossiers, je les demandai par l'intermédiaire de l'hono- nuls à Shan ci dt site Fun dE SUR LA PLUIE. 41 rable M. Lanyer; il eut la bonté d’aller au ministère du commerce, au ministère de l’intérieur. Les chefs de bureau, les chefs de division, messieurs les secrétaires- généraux furent mis en action; et cependant, de ces docu- ments qui auraient fait la charge d’un homme, en n’en trouva aucune trace! J’avoue que je n’ai pas poussé mes investigations plus loin, que je n’ai pas cru devoir cher- cher jusque chez les épiciers. C'était peut-être là qu’on aurait enfin découvert quelque chose. Mais je me suis arrrêté aux seules démarches que les circonstances pussent autoriser, Vous le voyez, Messieurs, tous les documents que la science possédait, je les ai examinés, j'en ai publié les résultats. Si M. Jaubert n’a pas eu mon mémoire, je lui demanderai la permission de lui en faire hommage. Des doutes me restaient : pour les éclaircir, je sollicite de nouveaux renseignements; mon programme reste dans les cartons ministériels. Je réclame au moins les anciens dossiers ; ils avaient disparu ; il n’en restait aucune trace ni au ministère du commerce, ni au ministère de l’inté- rieur. D’après cet exposé, la chambre serait en mesure d'adresser le blàme à qui l’a mérité. M. Jaubert rappelle qu'il a fait deux rapports; ces rapports, je n’en doute pas, sont excellents sous les points de vue administratifs et statistiques; mais quant à la partie scientifique, que notre honorable collègue me per- mette de le jui dire, je n’y ai rien trouvé, absolument rien, qui fût de nature à convaincre l'esprit le moins rétif. M. Jaubert ne veut pas qu’on coupe des bois de mon- tagnes; quant au déboisement des plaines, il en fait, au 442 SUR LA PLUIE. contraire, très-bon marché. Je crois que M. Jaubert est dans l'erreur sur ce dernier point. La question a été débattue par les météorologistes les plus habiles ; presque tous croient à une influence climatologique considérable des bois situés dans les plaines. Je citerais, si c'était ici le lieu, les anciennes cultures de la Grande-Bretagne, de la Picardie, de la Normandie, sur lesquelles notre honorable collégue M. Prévost m’a donné les renseignements les plus curieux, | M. Jaubert a donné au sujet des déboisements ‘une théorie qui lui paraît incontestable, qu'il dit adoptée par tout le monde. Je le prie de me retrancher de ce tout le monde dont il parle; je ne crois pas, moi, à une théorie dans laquelle l’action des arbres est assimilée à celle des alambics. Peut-être M. Jaubert s’associera:t-il lui-même à mes scrupules, si je le transporte dans une des con- trées de la France qui a été la plus déboisée, dans l’Ar- dèche, dans l’ancien Vivarais. Il trouvera là que les pluies sont devenues d'autant plus abondantes que le déboisement a fait plus de progrès. La question, quoi qu’en dise M. Jaubert, peut ici se transformer en chiffres, puisque nous possédons les observations de M. Flau- gergues faites d’année en année, et comparées par pé- riodes de dix ans, depuis 1778 jusqu’en 1847 1, Ces chiffres prouveront à tout le monde que « pour ce qui est de la pluie annuelle », on a pu sans dommage détruire les alambics inventés par M. le comte Jaubert. À l'égard de certaines autres faces de la question, j'étais et je suis encore dans le doute. Il faut achever 4. Voir précédemment, p. 422. SUR LA PLUIE, 483 ce que la commission avait commencé; il faut arracher aux départements les précieux documents que leurs archives renferment, et toute obscurité disparaîtra bientôt. | Vous voudrez bien le remarquer, Messieurs, sur tout ce qui était douteux je suis resté dans le doute. MM. Jau- bert et Anisson ont été plus hardis : libre à eux. Je désire que l’on veuille bien comprendre que ma timi- dité n’est pas seulement de circonstance, qu’elle est la conséquence inévitable de la nature de mes études. Je n’ajoute plus qu’un mot, et mon idée sera parfaitement comprise. Vers le milieu du siècle dernier, un homme de cour, s'adressant à un de mes prédécesseurs dans la charge de secrétaire perpétuel de l’Académie, lui de- manda, avec l’impertinente curiosité qui était alors à la mode : Que sont les taches solaires? — Je ne sais pas, répond Mairan. — Que signifient les bandes de Jupiter? — Je ne sais pas. — Qu'est-ce que la lumière zodia- cale? — Je ne sais pas. — Ah! Monsicur! à quoi sert-il donc d’être académicien ? — Cela sert à dire, quand il le faut, je ne sais pas. _[L'ajournement de la discussion de la proposition de M. Anisson-Duperron a été de nouveau prononcé par la chambre. | VII DE LA RÉPARTITION DES PLUIES PAR SAISONS À PARIS En tenant compte seulement des quantités de pluie recueillies à Paris de 14818 à 1853, sur la terrasse de 444 SUR LA PLUIE. l'Observatoire, et en les divisant suivant les saisons, on obtient une table intéressante. Il faut ici entendre, comme pour les températures, par hiver météorologique, les mois de décembre de l’année précédente, puis les mois de janvier et de février de l’année courante; par prin- temps, les mois de mars, avril et mai; par été, les mois de juin, juillet et août; et enfin par automne, les mois de septembre, octobre et novembre. L'année météorolo- gique ainsi envisagée commence le 1° décembre et finit le 30 novembre suivant; cette remarque expliquera pourquoi les chiffres de la dernière colonne du tableau suivant ne sont pas identiques à ceux donnés précédem- ment (p. 408 ) pour les années civiles. Années. Hiver. Printemps. Été. Automne. éraphat 2 mill, mill, mil, mill, mill, 1818 440 177 64 104 182 1819 91 125 202 139 557 1820 421 12/4 92 92 1429 1821 73 183 146 149 551 1822 82 67 160 141 450 1823 112 114 115 81 122 182! 122 153 135 194 601 41825 72 133 55 203 163 41826 108 79 95 115 397 4827 78 203 83 124 488 1828 4160 185 208 68 621 41829 80 119 220 159 578 1830 23 179 4199 497 528 1831 97 439 127 173 536 1822 89 112 119 134 457 1833 126 105 108 104 43 1834 2007 82 209 42 1199 1835 60 118 73 188 139 1836 85 116 160 213 574 1837 160 451 142 136 589 1858 63 104 142 190 499 SUR LA PLUIE. . 445 1839 119 82 162 196 559 1840 110 A5 85 213 453 1841 69 109 169 147 49% 1842 112 69 65 153 399 1843 132 Se 158 139 549 1844 92 104 179 183 548 1845 94 188 163 157 609 1846 150 141 133 156 580 1847 120 76 166 79 451 1848 95 164 212 97 568 1849 99 142 183 170 594 1850 112 119 209 123 563 1851 94 165 121 114 494 1852 88 122 151 202 563 1853 126 1433 146 8. 189 Moyennes. 4100 125 145 135 505 Les rapports entre les pluies des diverses saisons ont donc été à Paris pour cette période de 36 ans : { 1, HAE BUREAU 19.8 PFMOMDS:: 52541. 62 és 24.7 ei. Hide cer de 28.7 Han. 7.590500 e 26.8 Année entière....... 100.0 Il y a un excédant marqué des pluies estivales sur celles des autres saisons Les observations des quantités de pluie tombées dans la cour de l'Observatoire conduisent aux mêmes résultats. fr VIII RÉPARTITION DES PLUIES EN EUROPE ENTRE LES DIFFÉRENTES SAISONS On vient de voir, par les tableaux détaillés des chapitres précédents, que les quantités annuelles de pluie tombées 446 : SUR LA PLUIE. en un même lieu, à Paris, par exemple, peuvent varier du simple au double en passant d’uné époque à une autre. Il en résulte qu’il faut un nombre d’années d’ob- servations assez considérable pour pouvoir établir une moyenne qui représente le phénomène de la pluie en un lieu donné d’une manière suffisamment approchée. Les comperaisons entre les différentes parties d’un même pays pourraient cependant se faire sur un nombre d’an- nées restreint, si les observations y étaient simultanées. Mais i! est impossible, quant à présent, de réunir beau- coup d'observations recueillies en même temps. : Ces remarques nous conduisent à admettre qu’on ne doit pas, dans un tableau comparatif digne de prendre place dans la science, rapprocher les unes des autres des observations qui ne portent pas au moins sur dix ans; ce chiffre seul permet de faire disparaître en partie les influences accidentelles ; mais il ne saurait cependant donner la véritable moyenne de chaque localité, avec une approximation plus grande que le dixième du résultat ; par conséquent on ne peut dire dans l’état actuel de la science si des influences encore ignorées ne font pas varier d’une époque à une autre la quantité de pluie moyenne annuelle, surtout dans le cas où la perturbation se pro- duirait dans une proportion moindre que 10 pour 100 des résultats constatés par les séries décennales d’obser- vations effectuées. Les saisons doivent encore être envisagées dans la table suivante au point de vue météorologique et non pas astronomiquement,. Li po :z SUR LA PLUIE. 447 Nom- QUANTITES MOYENNES Quantités bre DE PLUIE Longi- d'an- TOMBÉES PAR SAISONS. bc érie es Qille .escrccococes 23m S0039/N. OOŒWE. 42 136 434 220 195 685 Cambrai... ....... dt 58 ::50 41 0 54 47 64 100 157 135 456 Rouen: . . ..... 33. 49 26 145 40 216 195 233 220 ‘864 MEL. 28. it. 482 49 7 3 50 40 444 161 491 193 689 Montmorency . ..... 443 49 O O0 20. 45 4114 155 228 198 691 Gærsdorff (Bas-Rhin) 228 48 57 226E. 14 210 218 267 213 908 Chälons-sur-Marne.. 82 48 57 aa A3 1435 138 1457 1155 595 Paris (cour de l'Obs.). 65 48 50 Cc © 36 416 444 472 135 564 Strasbourg... ...-... 144 4835 5% 26 109 4152 246 174 Brest............. 40 4824 63500. 31 295 213 4174 2938 977 Denainvilliers (Loiret) 120 4810 O0 4 31 105 99 4153 124 481 Mulhouse. .......... 229 4749 5 OE. 41 4146 191 220 197 754 Pouilly- (Côte-d'Or)... . " 20 186 180 191 236 793 Monibard (Côte-d'Or) 2153 47 38 059 0. 20 443 162 185 214 704 Dijon .............. 246 4719 242E. 47 433, 150 473 231 687 7 AOPNÈIRE 40 4713 3530. 25 293 227 9220 314 1051 Bourges... .. 156 47 5 O0 4E. 49 93 93 162 169 517 Saint-Jean de-Losne (Côte-d'Or)... 480 47 O 315. 20 458 161 206 257 782 Poiners…......... #18 4635 2 00. 4 487 134 125 475. 58 St-Maurice-le-Girard. 4 4630 4158 10 208 68 123 227 6% de Mäcon). ..… .…. 358 4618 230€. 49 4165 207 2410 233 845 Di... 28 4612 253 24 204 276 298 320 1098 La Rochelle......... 25 46 9 39200. 50 175 132 126 223 656 TS 195 4546 2929E. 47 130 187 228 235 780 Le Puy (Haute-Loire) 760 45 3 4133 145 91 475 243 28 727 Bordeaux. 18 4450 2550. 36 200 470 480 225. 775 Joyeuse (Ardèche)... 447 44 30 2 OËE. 25 284 303 209 522 4318 Wiviers ( id. }.. 57 4429 2921 53 476 21 180 356 "SPF ÉRERS vo 60 HAL. 048: 10% 28 162 25 1013 EN ARPCE 42 44 8 2928 39 HA 198 419 346 904 Mie «+ dei c.. 439 44 T 444 36 230 244 439 387 997 Ds Serie 2: … ” 4356 3 4 0 108 4172 4108 208 596 Das ii... 47 4351 2 1 18 4144 #4168 87 268 663 Toulouse .. . ..…...... 198 4337 0520. 20 415 477 443 147 582 Montpellier......... 30 4337 132E. 34 487 203 4102 317 809 CT oréprrrere 500 4319 0430. 43 315 379 248 324 1266 Marseillé.….. .... + 29 4318 3 2E. 31 128 417 52 212 509 Moyennes... 467.8 178.4 178.5 239.8 768.8 IT. Iles britanniques. Kinfauns-Castle ..... 44m 5Co24/N. 50390. 41 160 153 158 165 638 Edinburgh. ..... …. 88 5557 53H 47 4148 126 469 4179 622 448 Localités, CIASEOW.: 04e Dumfries.... Eancastre.. és à. Manchester ......... Liverpool. ..... Duilin..... nl Chattsworth.... .... bniresse...25t... Hackney-Hill.....,., Gicenwich....... .... Moyennes... Franecker..…... Le Helder......... Birecht... 25e. Rotterdam. .....s.. Nimègue...........e CAN assises Maestricht... Bruxelles"... 5... .2 Moyennes... Bergen... ee o Lund. Copenhague........e Moyennes... Sagan. ..... Coblentz...ssss..ese Manhéime.:......e.e Stutigart : eee + . Œubingens. 55... Moyennes... Musee [MOTTE CPP se EME PPT Eh e à o 5 SUR LA PLUIE. Nom- QUANTITÉS MOYENNES A bre DE PLUIE Le a Ali- F Longi- d’an- TOMBÉES PAR SAISONS. x tudes Latiutdes. tudes. nées __— 7 0 se d’obser- EFrin- Au— 4 Core Hiver ieuspé. Eté, rABaTRE année, mil, mill, mill, mill. mill, ” 55 52 6 36 18 435 96 460 154 545 " 55 0 6 0 16 230 174 239 9286 926 "“ 54 53 5 8 20 264 162 285 296 4007 46 53 29 4 35 33 221 179 250 268 918 u 53 25 5 20 30 188 157 242 9289 876 ” 53 23 8 40 40 461 127 4144 183 615 “ 53 20 4 1 46 163 140 196 203 702 CRUE (| 2 28 56 121 4145 4151 467 554 u 51 30 2 20 10 133 150 4143 490 616 “ 51 29 2 20 25 160 430 461 487 638 473.7 442.3 191.5 213.9 721.4 III. Hollande et Belgique. “ 53029'N. 3042'E. 43 169 410 223 249 751 “ 53 © 23 44 129 419 4175 228 651 43 52 5 2 47 40 184 4144 2014 209 732 u St 55 2 9 44 207 466 87 250 710 u 51 51 3 32 40 124 120 496 152 592 ” 513 4 93 43 167 156 246 206 775 49m 50 51 3 21 44 153 155 225 172 705 59 50 51 2 1 47 166 450 207 192 715 461.7 139.8 194.9 207.2 703.6 IV. Danemark, Suède et Norvége. “ 60024’ N. 2058/E. 10 597 400 472 781 2250 ” 58 27 4 16 21 83 82 162 157 489 0 55 41 10 44 47 89 72 4176 431 468 258.0 184.6 270 356.4 1069.0 V. Confédération germanique. 419m 51040'N.12059'E. 42 90 79 458 101 428 80 50 22 5 16 11 91 1435. 197 130 553 91 49 29 6 8 42 104 4138 185 4145 572 247 48 46 6 50 40: 429 ::497 95.471 642 331 48 31 6 43 10 95 138 . 258 4156 647 101.8 123.4 202.6 429.0 556.8 VI. Italie et Suisse. ” 46040/N. 4040/E. 41 463 451 300 249 863 407m 46 12 3 49 90 454 160 219 25 758 109 46 4 10 54 46 311 378 482 501 1702 ; bre DE PLUIE na Aki- Longi- d’ TOMBÉES SAISONS. N mens tudes, Vatitades. jé nées pc ù gen d’obser- Prio= - Au £ é vations ” temps. Eté. toinne, e FR soso ce . 87m 45039 44026 42° 9% 210 SE 32 1067 Viceeeif.:.5:e.. PTS EC 45 33 9 43 47 235 244 261 266 1106 | re 447 45 3 6 51 68 205 230 233 298 966 Vas ie 65 45 % 8 39 36 4172 212 271 295 950 Camajore...... FRONT 43 55 8 © 40 . 387 298 4193 500 1378 Florence........... 64 43 47 8 55 49 245 9295 135 310 u5 Pire réns ss . #3 43 8 4 12 267 244 454 580 4245 [7 TERREN SAN # 43 19 9 0 10 497 254 180 318 9419 Donb:556.23..0: 29 MEE 10 7 40 236 4185 86 277 784 NET Ter es. 456 4051 11 55 #5 7 1 D 7 753 Palere:s. 551. 5h 387 H 02 31 224 4139 33 206 602 Nicolosi.......... «… 705 37 35 12 46 27 9179 19%9 15 25 708 Moyennes... 238.8 222.2 192.7 329.3 983.0 VII. Espagne. Gibraltar ........... » 360 G'N. 7041/E. 25 318 465 25 216 724 En résumant les chiffres précédents on trouve que les pluies se répartissent par saisons dans les diverses par- ties de l'Europe de la manière suivante, si l’on représente par 100 la quantité de pluie annuelle : Hiver. Printemps. Été. Automne. France... ... oi e nina SR 23.2 26.3 28.7 CO NE 23.2 19.6 26.7 30.5 Hollande et Belgique........ 22.7 49.9 27.7 29.7 Danemark, Suède et Norvége. 24.1 17.3 25.3 33.3 Allemagne. ............. Lors RD 21.2 33.9 25.6 Italie et Suisse............. 24.3 22.6 19.6 33.5 Moyennes pour l’Europe... 22.6 20.4 26.6 30.4 D’après ce tableau dans lequel l’effet des circonstances trop locales est effacé par un nombre suffisamment grand d'observations, on voit qu’en Europe les pluies d’été et d'automne surpassent dans une forte proportion les pluies XIL. 29 Li 450 SUR LA PLUIE. d’hiver et de printemps. La répartition des jours pluvieux paraît être en sens inverse; il y a partout en Europe plus de. jours pluvieux en hiver qu’en été. Relativement aux rapports qui existent entre les pluies d'été et d'automne, rapports qui varient d’une région à l'autre, comme le montrent les chiffres précédents, je. dois dire que mon savant confrère, M. de Gasparin, a le premier mis en évidence, dans un Mémoire inséré en 1828 dans la Bibliothèque universelle de Genève, la prédo- minance des pluies d'automne sur les pluies d’été, pour les régions situées sur les bords de la Méditerranée et à l’ouest du continent, jusqu’à la hauteur de l’Angleterre; au nord et à l’ouest de cette bande le maximum des pluies tombe en été. «Ainsi, ajoute l’illustre agronome, dans la bande des pays à pluies d'automne se trouvent l’Angle- terre entière, les côtes de l’ouest du continent jusqu’en Normandie, la France méridionale , l'Italie, la Grèce, l'Asie Mineure, la Syrie, l'Égypte, la Barbarie, Madère. La bande des pays à pluie d’été comprend la France septentrionale, l'Allemagne, les côtes de l'Océan à partir de la hauteur de l’Angleterre, l’interposition de cette île entre la direction des vents pluvieux et les Pays-Bas les transformant en pays continentaux. On voit, en -consé- quence, que toutes les contrées qui se trouvent au nord du plateau central de l’Europe prolongé des Alpes vers les monts Carpathes, en laissant au midi la vallée du Da- nube au-dessous de Vienne, constituent une région tout à fait distincte de la première. » A parité de circonstances, il tombe plus de pluie dans. les montagnes que dans les plaines; le long du golfe dE ic le is débits 2 SUR LA PLUIE 451 Adriatique, par exemple, la quantité annuelle de pluie est d'environ 700 millimètres, tandis que dans les montagnes du Frioul, à Feltre, à Toluezzo et dans la Carfagnana elle surpasse souvent 2,700 millimètres. Ainsi-encore, à Glasgow, à l'observatoire de Macfarlane, il ne tombe annuellement que 545 millimètres d’eau; à Corbeth, à 20 kilomètres au nord-ouest de Glasgow, à 425 mètres plus haut au-dessus de la Clyde que l'observatoire de Macfarlane, il tombe 1060 millimètres en moyenne. IX DE LA VARIATION DES PLUIES AVEC LA LATITUDE En réunissant dans chaque zone parallèle à l'équateur un grand nombre d'observations, afin de faire disparaître | l'effet des circonstances locales qui ont sur ce phénomène la plus grande influence, comme on peut le voir par le tableau qui a été donné précédemment (p. 447 à 449), on trouve que la quantité annuelle moyenne de pluie augmente à mesure qu'on se rapproche de l'équateur, en sorte qu’elle suit les progrès de la température des zones. Ainsi, de l'équateur au 25° degré de latitude il tombe annuellement, en moyenne, 2,000 millimètres d’eau; la quantité de pluie est comprise entre ce dernier nombre et 1,000 millimètres du 25° au 40° degré; elle se trouve généralement renfermée entre 500 et 1,000 millimètres du 40° au 50° degré ; elle descend au-dessous de 500 mil- limètres entre 50 et 60° de latitude nord. Le nombre moyen des jours pluvieux suit une marche inverse de la précédente ainsi, entre le 42° et le 43° 452 SUR LA PLUIE. degré de latitude nord, ce nombre n’est que de 78; il est de 105 entre le 43° et le 46° degré ; de 147 à la latitude de Paris, et s’élève à 161 dans la zone comprise entre le 51° et le 60° degré. X RÉPARTITION DE LA PLUIE ENTRE LA NUIT ET LE JOUR Si l’on partage en deux parties les quantités de pluie qui tombent journellement, et qu’on considère comme étant de | jour les pluies recueillies de 6 heures du matin à 6 heures du soir, et comme appartenant à la nuit celles tombées au contraire de 6 heures du soir à 6 heures du matin, on trouve en général qu’il pleut plus la nuit que le jour, mais qu’inversement il pleut plus souvent de jour que de nuit. Tels sont, par exemple, les résultats conclus de 35 ans d'observations faites à Alais (Gard), dé 1802 à 1836, par M. d'Hombres-Firmas. Voici les nombres moyens qui ont été obtenus par ce savant météorologiste : Quantité moyenne Nombre de fois Mois. de pluie tombée qu'il a plu. de jour, de nuit, totale, de jour, de nuit. mill, © mil, mill, d Janvier: she 85.65 51.26 86.91 5.5 6.5 Février........ 26.01 35.38 61.39 4.5 4.9 MAS Rs see .. 25.75 35.52 61.27 L.3 3. AVR LC ce 39.78 Lh.53 84.31 5.7 4.7 Malte ds dr MR L1.46 90.16 6.2 A4.5 JU sssscse 22.62 22.81 45.43 h.7 94 dome. Sie 31.06 21.16 52.22 L.0 2.4 ADOBE, 65, ces . 20.96 23.08 L4.04 26: 2.1 Septembre..... 71.60 60.75 132.35 5.0 4.3 Octobre. ..... 68.38 72.07 140.45 6.4 6.6 Novembre..... 54.10 57.34 411.44 6.0 6.. Décembre..... 31.60 49.50 81.10 6.5 6.3 Année entière. 476.25 514.92 991.07 60.5 55.1 SUR LA PLUIE. 153 Dans les environs de Marmato ( Al Rodeo), près de l’'Équateur, M. Boussingault a mesuré pendant trois mois, et séparément, la pluie qui est tombée le jour et celle qui est tombée la nuit ; il a obtenu les résultats suivants : Année 1847. Le jour. La nuit. Pluie totale. mill, mil. mill, ; Octobre ......... b) 151 185 Novembre........ 18 208 226 Décembre........ 2 159 161 On voit que sous l'Équateur il pleut aussi en plus grande quantité la nuit que le jour. Les observations météorologiques faites à Versailles par MM. Haeghens et Bérigny donnent la même solu- tion que celles d’Alais et de Marmato à la question traitée dans ce chapitre ; en voici le résumé : Quantité de pluie tombée Nombre de jours Années. ———, de pluie de jour. de nuit. totale, et de neige. mill. mill. mill. 1847 278.86 280.36 559.22 97 1848 245.12 366.76 611.88 136 1849 280.80 278.74 559.54 125 1850 236.37 317.24 553.61 114 1851 ” “ 437.73 102 1852 321.71 306.49 628.20 110 1853 ” ” 522.89 126 1854 ” ” 620.00 127 1855 216.59 218.81 465.10 122 1856 310.62 326.65 637.27 208 Moyennes. 270.01 303.58 559.57 126 J'écrivais en 1827 dans les Annales de chimie et de physique : « C’est une opinion fort accréditée qu’il pleut à Versailles beaucoup plus qu’à Paris, quoique ces deux villes soient si voisines. Avant de rechercher si les causes 454 SUR LA PLUIE. auxquelles on a généralement attribué la différence doivent être admises, je pense qu’il faut d’abord savoir si elle existe. » Je ne pus à cette époque donner que les deux chiffres suivants dont je fus redevable à M. Demon- ferrand : Je concluais en 4827 que l’on s’était trompé. En com- parant les chiffres ci-dessus à ceux des pages 408, 419, kh5 et 447, on reconnaîtra qu’effectivement on était dans l'erreur. Il faut remarquer, toutefois, que l’udomètre de la cour de l'Observatoire de Paris n’est qu’à 65" au- dessus du niveau de la mer, et que celui de Versailles est à 140" environ. Les résultats précédents sont en opposition avec l’opi- nion vulgaire ; mais la contradiction s’explique si l’on fait attention que le public ne tenant aucun compte des quantités de pluie suppute seulement le nombre de fois qu’il pleut. Or il résulte des chiffres d’Alais qu’il pleut en effet plus souvent le jour que la nuit, quoique la quantité de pluie de la nuit soit plus grande que celle du jour. XI PLUIES DES TROPIQUES Personne n’ignore qu’il tombe une plus grande quan- tité de pluie près de l'équateur que dans nos climats; mais la valeur absolue des pluies des tropiques n’était pas, jusqu'ici, bien connue. Ce serait une erreur de croire SUR LA PLUIE. 455 qu’une seule année d'observations suffit, dans les régions équinoxiales, à la détermination de la pluie moyenne. Les - différences entre les diverses années n’y étant pas pro- portionnellement moins grandes qu'en Europe, on ne peut arriver à une évaluation précise qu’en groupant en- semble, comme nous l’avons fait pour Paris, un certain nombre de résultats partiels. Voici quatorze années d'observations de ce genre faites à Bombay, par 18° 56’ de latitude nord et 70° 34’ de lon- gitude est, et qui me paraissent mériter toute confiance : Années. millimètres. Din become ee 2,290 IR EN. FT SEE 2,920 CLR |. CR SSP 2,630 1848.22... sus 2,060 DOTE TE EI 1,960 OM ses die 1,960 4828.59... sisi 2,410 1022.38. lo sise 2,860 AOF. EN, cretédss 4,551 AO D nan ssijts 872 1026. Ps sscsirés ss 1,835 2826.75 53e 4,977 1821.87. sue e sd ee 2,058 1828... sos 3,098 Moyenne......... 2,370 On se rappellera, comme terme de comparaison, qu’à Paris, la pluie moyenne annuelle s'élève à 564 milli- mètres (p. 447). À Bombay, presque toute la pluie tombe en juin, juillet, août et septembre. On en recueille quelquefois 80 à 400 millimètres dans le mois d'octobre: durant le reste de l’année, il en tombe à peine 20 millimètres. 456 SUR LA PLUIE. Dans un seul jour (le 24 juillet 1819) il est tombé à Bombay 160 millimètres : c’est environ le tiers de la pluie moyenne annuelle de Paris. Du 20 octobre au 20 novembre 1817, on recueillit à la Grenade 430 millimètres d’eau, c’est-à-dire presque autant qu’il en tombe à Paris durant toute l’année. Voici des observations que M. Boussingault a rappor- tées, et qui méritent aussi toute l’attention. Par 5° 27’ de latitude nord et 5° 11’ de longitude ouest de Paris, à une hauteur au-dessus de la mer de 1,426 mètres, les officiers des mines de Marmato ont trouvé : 1833 1834 mill. mill, SPORE : 5e Sonmaune 81 18 POUR . ose colo cie 122 54 MaPRo nt. se 221 55 ANT. ee seed ac ee 4102 179 Male. HE PR e 279 224 Joli Lover tissus 236 334 JOPR Ldroner aus 0 78 AO TN TES de asnance 0 25 Septembre........... 51 132 OCR at 94 257 Novembre............ 333 178 Décembre... ......... 25 178 TORRES use 41,544 4,742 M. Boussingault pense que, sous les Tropiques, beau- coup de faits tendent à démontrer que les défrichements diminuent la quantité de pluie. « Ainsi, dit-il, dans la vallée du Cauca, il est constant que tel terrain, dont le sol et la température moyenne conviennent à la culture du cacaotier, ne donne néanmoins aucun résultat favo- SUR LA PLUIE. 457 rable s’il est placé trop près des forêts. Vient-on à défri- cher et à transformer ces forêts en champs de yucca, de canne à sucre, de maïs, le cacao prospère alors d’une manière remarquable. Voici un fait que je tiens de don Sébastien Marisausena , habitant de Cartago. Ayant obtenu le titre de capitan poblador pour fonder un vil- lage à la Balsà, au pied de la chaîne du Quindiu, il com- mença -par établir un immense cacaotier (cacagual). Pendant les dix premières années les récoltes furent à peu près nulles, les pluies étant trop fréquentes. L’ha- cienda ne commença à devenir productif que lorsque les habitants de la Balsà furent assez nombreux pour que le défrichement prit une extension considérable ; le soleil pouvait alors mürir le cacao. Vers 1816, les cir- constances politiques firent émigrer la majeure partie des habitants ; il ne restait plus que les nègres de l'hacienda. Six ans après, les champs environnants étaient déjà transformés en forêts; la récolte du cacao diminua de plus en plus; enfin, en 1827, lorsque je passai à la Balsà, il y avait trois ans qu'on ne recueillait plus de cacao. » Malgré la grandeur des chiffres que je viens déjà de citer pour les pluies tropicales, je dois encore en faire connaître d’autres qui paraîtront énormes, tant pour l'hémisphère boréal que pour l'hémisphère austral. A Saint-Denis de l’Ile Bourbon, par 20° 52’ de lati- tude sud et 53° 10’ de longitude est, la pluie moyenne | annuelle est de 1,700 millimètres. Voici des nombres beaucoup plus considérables observés à Saint-Benoît, à huit lieues de Saint-Denis : 458 SUR LA PLUIE. Quantités de pluie tombées durant EHESS — Années. ; F l'hiver. Re: pete été. l'automne. ; abnée temps. entière. mill, mil}, mill, mill. mill, 1843... 1,153.5 . 1,448.9 283.6 218.0 3,104.0 484hh... 2,194.5 1,364.1 539.8 639.4 4,667.8 1845... 2,616.3 1,575.4 516.4 274.9 4,982.7 41846... 1,411.4 4,000.2 1,025.9 305.0 : 3,742.5 Moyennes. 1,826.4 1,347.1 591.4 359.3 . 4,124.2 À Saint-Joseph de la même île, on a mesuré : mill, En 4847 docs, cute) 2,124.2 4848... soc tt sé 1,539.7 LOAT, ous e » S….s 2,056. 1850%.. hist. ès 2.534. A Cayenne, par 4° 56’ de latitude nord et 54° 39/ de longitude ouest, six années d’observations faites de 1847 à 4853 ont donné en moyenne : mill, Printemps:1/.13..60415 1,123.8 À 2e PAR ARRET OS Sr de 1,652.1 AUTOIRNE renmedase 2e 609.0 HiFOr IE, SL SUT a es 128.5 Totar.r. Hi 5% 3,913.4 Des observations faites aux Antilles par M. Courlet de Vrégille, officier d’artillerie et ancien élève de l’École polytechnique, ne conduisent pas à des ré$ultats moins curieux. La quantité de pluie tombée à la Basse-Terre de la Gusdeloupe, par 15° 59’ de latitude nord et 66° 4' de longitude ouest, a été trouvée : mill, AOÛt-4827.. ra storstioue 180 Septembre........4i... è 370 OCLODLÉ Se se es césereesese 490 SUR LA PLUIE. 459 Movombte: Lili. 04 5% 450 Décembre:.:........ PARTS 220 CE. Rem ete 478 Février. ..... ice HR 245 om ve - ce clio ir 54 PAS. SE ns 5. du Rte 117 RL SU. nets a rpn 290 Dr idnt. oh... 0612.52 1423 te 6 dé ads, 514 À l’établissement de Matouba, dans la même île, on a mesuré : . mill. Août 1827 (du 9 au 1° septembre)... 541 Ré de déserts case de 51 RS 575 os Us PP OPA RE 543 DOCOMDPrE. .........socoscocsosoo cs ee 460 aVier 2828; 0. 53. SU VIE. Sais 1,004 PR LE fe onde one!) mc +8 710 se PÉTER Er 259 SD RACONTER Por 334 Maliiliaen. Go avis hu Vas ble + 5 841 Re pr ER pe PE PET 613 Juillet {et les 9 premiers jours d'août). 1,094 Total pour une année. .... 7,425 Ainsi, sous le même climat, dans deux stations peu éloignées l’une de l’autre, dans le même temps, la quan- tité de pluie peut varier du simple au double. La Basse-Terre, comme le nom l'indique, est presque au niveau de l'océan; le Matouba, au contraire, est assez élevé. La Basse-Terre est au bord de la mer, la contrée voisine a peu de relief; le Matouba, situé dans les terres touche presque à des montagnes couvertes de forêts vierges. Pour quelle part la situation intérieure du 460 SUR LA PLUIE. Matouba, sa hauteur son voisinage des forêts entrent-ils dans l'énorme quantité de pluie qui tombe dans cette station? C’est ce que je n’essaierai pas de résoudre. Chacun comprendra, cependant, combien la question est importante. D’après le chiffre que M. de Vrégille m’a fourni et d’après tous les résultats que j'ai pu connaître, le Matouba est, parmi tous les lieux du globe où l’on a fait des observations météorologiques, celui dans lequel il tombe le plus de pluie. : | XII DE LA PLUIE EN ÉGYPTE L'opinion vulgaire étant que la pluie se trouvait jadis presque inconnue au Caire et dans la Haute Égypte, et M. le duc de Raguse ayant observé au Caire 30 ou hO jours de pluie, il crut pouvoir en conclure en 1836 que les plantations faites dans la vallée du Nil avaient amené un changement complet dans le climat de la Haute Égypte. Mais ce raisonnement est contraire aux faits; il pleuvait, en effet, autrefois en Égypte. Les citations que je vais faire ne laissent aucun doute à cet égard. Ainsi je trouve dans la description de l'Égypte par M. de Maillet : « Pour moi, j'y ai vu pleuvoir aux an- nées 1692, 1693 et 1694, cinq à six soirs, depuis novembre jusqu’en avril, l’espace d’un quart d'heure ou d’une demie-heure chaque fois. » | Ainsi encore je trouve dans sets (t. r*), qu'en 1761 il y eut au Caire : SUR LA PLUIE. 461 Une pluie très-forte dans la nuit du 13 au 14 novembre. Qu’en décembre 1761, Il y eut une petite pluie à midi......... se le 7 Une petite pluie.............., PRE FE le 21 Une pluie de 2* le matin, une pluie de 6* consécutives le Soir. ... se sole 2e. scie aie « le 22 DIN... om co pue o le 27. Une pluie abondante dans la soirée........ le 28 Une pluie extrêmement forte, de 10 minutes NOUS... Jonaompoes ns cpir opnne Sat E le 31 Qu'en janvier 1762, I plut depuis le grand matin jusqu’à 10°... le 1° Il y eut une grosse pluie................. le 7 ne petite pluio......... à... sécu spoen side le 8 Et qu’en février, 4.0. à. emnibé eh er le 1*- men cas Mb Eds ages ses ee le 6 Je trouve encore dans Niebubr (t. nr, p. 3 et 4) que dans les montagnes de l’Yemen il tombe de la pluie de la mi-juin jusqu’à la fin de septembre, mais que rare- ment, même pendant la saison des pluies, le ciel est couvert pendant 24 heures. « Nons avions souvent, dit l’au- teur, dans le Tchâma des jours entiers où le ciel était serein, pendant qu’il pleuvait presque journellement dans les montagnes voisines. » À Mascate et dans les mon- tagnes orientales de l'Arabie, la pluie a été observée par Niebubr du 21 novembre au 18 février. Les observations du colonel Coutelle me donnent pour le Caire, en 1799, 2 jours de pluie en janvier, 4 jours en avril, À jour en mai, 462 SUR LA PLUIE. M. Pockocke (t. 11) rapporte qu’il pleut souvent beau-- coup du côté de la mer depuis le mois de novembre jusqu’à celui de mars. «Vers le Caire, dit-il, il ne pleut d'ordinaire que dans les mois de décembre, janvier et février. Ces pluies sont fort légères et ne durent tout au plus qu’un quart d'heure ou une demi-heure. » = M. Jomard a observé une très-forte pluie dans la Haute Égypte, à Girgeh. Pendant six mois de l'an vn (du 18 novembre 1798 au 20 mai 1799), il a vu au Caire dix-sept jours de pluie, et dix jours pendant quatre. mois de l’an vint (du 28 octobre 1799 au 5 février 1800). De ces 27 pluies cinq ont été très-abondantes; déux ont duré toute la journée, une est tombée le matin et le soir, une autre a été abondante et prolongée; enfin, trois de ces pluies ont produit, dans les rues du Caire, une boue intolérable pour les piétons. A la fin du xvin° siècle, selon M. Jomard, il pleuvait régulièrement au Caire au moins 15 à 16 jours par année, et les mois pluvieux comptés pour quatre années consécutives étaient au nombre de 8, savoir : Nombre de jours de pluie. Octobre..... ue 2 ae VAT Novembre. 250,52 .91 Décembre. shine se mec sl JANVIER, Ne elodie D FONCÉ nt cette mue où ox EE ©Q1r EE Pb Oo PF O2 Les observations de mesures de quantités faites au xix° siècle donnent pour une moyenne de dix ans : Fr. 4 SUR LA PLUIE. 463 will. mr 16.5 Printemps..........sivi.. 9.7 ue 0.0 mo oosee 7.0 Année entière... 33.2 Ces nombres indiquent certainement que le Caire est un des lieux de la terre où il pleut le moins. Comme en météorologie il est dangereux de s’en rap- porter à des on dit, et que les faits bien observés sont indispensables pour faire disparaître toutes les incerti- tudes, il est bien désirable que des observatoires puissent être établies au Caire ou à Alexandrie, ou que des registres météorologiques soient tenus par les chancel- leries des consulats de l'Égypte. XIII PLUIES MÊLÉES DE CORPS ÉTRANGERS ) ; re: I. — Le 14 mars 1815, par un vent d’est qui soufflait depuis deux jours, les habitants de Gerace aperçurent une nuée dense qui s’avançait de la mer sur le continent, À deux heures après-midi le vent se calma; mais la nuée couvrait déjà les montagnes voisines et commen- çait à intercepter la lumière du Soleil; sa couleur, d’abord d’un rouge pâle, devint ensuite d’un rouge de feu. La ville fut alors plongée dans des ténèbres si épaisses que, vers les quatre heures, on fut obligé d’allu- mer des chandelles dans l’intérieur des maisons. Le peuple effrayé et par l'obscurité et par la couleur de la 464 SUR LA PLUIE. nuée, courut en foule dans la cathédrale faire des prières publiques. L’obscurité alla toujours en augmen- tant et tout le ciel parut de la couleur du fer rouge : le tonnerre se mit à gronder, et la mer, quoique éloignée de 11 kilomètres de la ville, augmentait l’épouvante par ses mugissements. Alors commencèrent à tomber de grosses gouttes de pluie rougeâtre que quelques-uns re- gardaient comme des gouttes de sang et d’autres comme des gouttes de feu. Enfin, aux approches de la nuit, le ciel finit par s’éclaircir, la foudre cessa de gronder, le peuple rentra dans sa tranquillité ordinaire. Sans commotion populaire et avec quelques différences en plus ou en moins, le même phénomène d’une pluie de poussière rouge eut lieu non-seulement dans les deux Calabres, mais encore à l'extrémité opposée des Abruzzes. La poussière recueillie avait une couleur d’un jaune de cannelle, présentait une saveur terreuse peu marquée, était onctueuse au toucher, d’une grande ténuité, quoi- qu’on y découvrit à la loupe de petits corps durs ressem- blant au pyroxène et qui provenaient peut-être du terrain sur lequel on l’avait ramassée. Par l’action de la chaleur elle devint brune, puis noire et enfin rouge; après la calcination elle laissait apercevoir, même à l’œil nu, une multitude de petites lames brillantes de mica jaune; elle avait alors perdu un dixième de son poids, et elle ne fai- sait plus effervescence avec les acides. Privée de corps durs, sa densité était de 2.07. M. Luigi Sementini l’a trouvée composée ainsi qu’il suit : + F + % . SUR LA PLUIE. 465 | rs pahatene 33.0 # SE TS 45.5 ml. son cd rés - 11.5 Oxyde de chrôme............. 1.0 LL CN CÉCRSETIN TT 14.5 Acide carbonique............. 9.0 Substance résineuse jaune. .... 15.5 TES... shout 100.0 La substance résineuse pouvait se séparer en traitant la poussière par l’alcool et en faisant ensuite évaporer la liqueur à siccité. IE — Dans la nuit du 27 au 98 octobre 4814, à Cuneto, dans la vallée d'Oneglia, le docteur Lavagna a constaté une chute de terre dont la couleur ressemblait à celle de la brique en poudre, et qui recouvrait les arbres, les gazons, les tcits des maisons. Le jour suivant il tomba une pluie très- fine qui, emportant peu à peu la partie la plus soluble et la moins colorée, accumula l’autre partie dans les concavités des feuilles des arbres, de manière à produire l’effet de taches de sang. Cette terre était argileuse, et le docteur Lavagna suppose qu’elle avait été apportée par les vents du sud qui souf- flaient précisément la nuit pendant laquelle a eu lieu le phénomène. N'est-ce pas là un exemple de ces pré- tendues pluies de sang, de si fatal augure dans l’anti- quité ? IL. — Le 2 novembre 1819, vers 2° 30" de l’après- midi, le vent étant à l’ouest, le ciel couvert, le temps calme et pluvieux, il esi tombé à Blankenberge, pendant environ un quart d'heure, une pluie abondante, d’un rouge foncé, qui, reprenant peu à peu sa couleur ordi- XIL 30 466 SUR LA PLUIE. naire, a continué le restant de la journée. Une partie de cette pluie, ayant été soumise à l’analyse par MM. de Meyer et de Stoop, chimistes à Bruges, ces savants y constatèrent la présence réellement extraordinaire de chlorure de cobalt. IV. —— Le 9 novembre 1819, la ville de Montréal, au Canada, se trouva tout à coup enveloppée dans la plus profonde obscurité, et il tomba en abondance une pluie noire comme de l’encre. M. Martyn-Plaine recueillit une bouteille de cette eau de pluie, qui fut envoyée au lycée de New-York; l’analyse chimique montra que la seule substance étrangère qu’elle contenait était de la suie ou du charbon. On s’est généralement accordé, dans le pays, à supposer que ces matières provenaient du foyer des. vastes incendies qui s'étaient déclarés, pendant la séche- resse, dans les forêts situées au sud de l'Ohio, et qu’elles avaient été transportées par le vent jusque dans le Bas- Canada. V. — Durant la nuit du 16 novembre 1819, il tomba. à Broughton (Amérique du Nord) une grande quantité de poudre noire qui se répandit sur la neige dont la terre était couverte. VI. — Une lettre de M. Laîné, consul de France à Fernambouc, datée du 1% novembre 1829, contient ce passage : «LT est tombé, dans le commencement d’oc- tobre, une pluie d’une espèce de soie dont beaucoup de personnes ont ramassé des échantillons. Cette pluie s'est étendue à 80 lieues dans les terres ct à peu près autant dans les mers. Un bâtiment français arrivé ici en a été couvert. Ce phénomène, dont on n’avait pas encore eu hand ur de dat à ‘tés ÉR SUR LA PLUIE. 467 d'exemple, excite une grande curiosité dans ce pays. » La vue des échantillons envoyés par M. Laîné m'a fait naître l’idée que la substance recueillie à Fernambouc pourrait avoir quelque analogie avec ces filaments soyeux qui, dans les environs de Paris et à certaines époques de l’année, sont transportés par les vents dans toutes sortes de directions. | VII. — Le 1° du mois d'octobre 18929, il avait beau- coup plu à la blanchisserie de cire de M. Germon, au sud d'Orléans. En relevant ses pains, ce fabricant aperçut qu’il yen avait un grand nombre de tachés. Les taches étaient d’une couleur uniforme, rougeâtre ou brunâtre, elles occupaient toutes le fond de petites cavités situées à la surface des pains; il est naturel de croire, d’après cela, qu’elles provenaient d’un peu d’eau colorée qui avait séjourné dans les cavités en question, et plusieurs d’entre elles, en effet, renfermaient encore de l’eau, dont la couleur ne différait pas de celle des taches. Le 2 du même mois, de nouveaux pains furent exposés sur le pré. Dans la nuit, il plat quelques instants, vers les deux heures du matin, par un temps presque tout à fait calme. M. Germon, en se levant, trouva de nouveau ses pains extrêmement tachés. Les taches. étaient plus nombreuses, plus marquées que celles de la veille, mais de la même couleur. M. Germon apprit que M. Brehamel, son voisin, que M. Baulu et M. le baron Boidron, dont les établissements étaient au nord de la ville, à plus d’une lieue du Loiret, et, ce qui paraîtra plus étonnant, que les blanchisseurs de Versailles aperçurent tous ce singulier phénomène le même jour. La matière colorante des pains 468 SUR LA PLUIE, de cire de M. Germon, séparée de ces pains à l’aide d’un simple lavage à l’eau froide, a été soumise à l'analyse chimique par M. Fougeron, qui l’a trouvée composée d'oxyde de fer, de silice, d’alumine, de chaux et d'acide carbonique. C’est en vain qu’on y a cherché la présence du chrome et du nickel. M. Fougeron s’est demandé si la matière colorante ne serait pas de la poussière des roches creuses de Vierzon, qu’un tourbillon de vent aurait transportée dans les hautes régions de l’atmosphère ; mais alors, dit-il, comment le même phénomène s'est-il renouvelé deux jours de suite et à d'aussi grandes distances ? | M. de Tristan a trouvé, dans son journal météorologi- que, que le 4“ octobre il y avait, près d'Orléans, un vent de terre venant du nord-est, et un vent supérieur qui transportait des vapeurs épaisses du sud ou du sud-est au nord. Le 2, le vent était du sud. VIIL. — Le 46 mai 1830, à 7 heures du soir, il tomba à Sienne (Toscane) et dans la campagne environnante une pluie qui tächait en rouge tous les objets qu’elle touchait. Le même phénomène se renouvela vers minuit. Depuis le 44, le temps était calme; mais il y avait dans l’atmo- sphère un brouillard dense et rougeûtre. La matière terreuse colorée, recueillie au Jardin botanique sur les feuilles d’un grand nombre de plantes, a été soumise à l’analyse chimique par M. Giuli, profes- seur d'histoire naturelle. Ce savant y a constaté la présence d’une matière organique végétale, du carbonate de fer, du manganèse, du carbonate de chaux, de l’alu- mine, de la silice. néniénns d LisL, n D cd SUR LA PLUIE. 169 IX. — Le 10 mai 1836, M. Hufty de La Jonquière a vu dans la vallée d’Aspe (Basses-Pyrénées) le sol cou- vert d’une couche de poudre jaunâtre, que des gens peu éclairés ont prise pour du soufre et qui n’était que le pollen des sapins en fleurs de deux forêts voisines situées dans la direction d’où venait le vent. X. — Le 49 avril 1839, un officier du génie, M. Ré- mond, a recueilli à Philippeville (province de Constantine, Algérie), sur la plaque en marbre d’un cadran solaire horizontal, une poudre qui était tombée en même temps qu'une pluie légère sur le pays : cette pluie fut appelée par lessoldats pluie de boue ou de sable, Il régnait un vent du nord-nord-est, tandis que les jours précédents on éprou- vait un vent constant du désert-{le vent siroco d’après les marins de la Méditerranée, le vent chili suivant la dénomination arabe). XI. — Une pluie boueuse rouge est tombée les 17, 18 et 49 février 1844, par un temps calme et de brouillard, à Gênes et dans les environs, jusqu’à Zornosco, près le lac Majeur, à l’est de Bagnone, dans la Conigniana, au pied de la chaîne de l'Apennin. Cette eau laissait dé- poser au bout de quelques heures une poussière rouge que MM. Cannobio et Colla trouvèrent composée d’un mélange de talc, de quartz, de chaux carbonatée, de dé- tritus de serpentine, de matières bitumineuses et de ma- tières organiques contenant quelques débris de semences de différentes plantes. Chose remarquable, il est tombé à la même date, le 27 février 1841, au Vernet ( Pyrénées- Orientales), pendant une pluie d’orage, une substance pulvérulente d’un jaune rougeâtre clair, Un échan- 470 SUR LA PLUIE. tillon de cette substance, que recueillit M. le comman- dant Coudert, ayant été analysé par M. Dufrénoy, cet éminent minéralogiste y constata un mélange de quartz hyalin, de peroxyde de fer, de calcaire et de feldspath. XII. — Durant une commotion atmosphérique vio- lente, accompagnée de dépressions extraordinaires du baromètre, il est tombé à Parme, dans l'après-midi du 27 obtobre 1841 et dans la matinée du 29 une pluie orageuse colorée par une poussière impalpable. XIII. — Dans la nuit du 24 au 25 mars 1849, il est tombé sur presque tout le Péloponèse, sur la Phocide, sur une partie de l’Ætolie, en Achaïe; sur les communes de Patras, de Vostilsa et de Parès; sur toute la surface des départements de Messénie, de Laconie, de Lacédé- mone, de Mantinée et de Cynouzie; sur les rivages du golfe de Salonique; sur l’Argolide ,. une pluie lente et douce, tenant en suspension une matière terreuse rou- geâtre très-fine. Les toits des maisons et les feuilles des arbres étaient recouverts d’une couche mince de limon terreux. M. le docteur Bouros a envoyé à l’Académie des sciences de Paris un échantillon de cette substance recueilli aux environs d’Amphissa. Notre confrère M. Du- frénoy soumit la matière à l'analyse chimique et constata qu’elle contenait approximativement : Carbonate de chaux............ 24 parties. Hydrate de peroxyde de fer..... 31 — Sables granitiques............. 45 — Total...... 100 — Elle était donc exactement composée comme le serait SUR LA PLUIE. 471 une poussière formée par le mélange des détritus de roches anciennes et de roches calcaires, analogues à celles qui composent le sol de la Grèce. XIV. — Le 16 et le 17 octobre 1846, une pluie mé- langée de matière terreuse, laissant sur les objets qui la recevaient des taches rougeâtres, est tombée dans un grand nombre de lieux. D’après les observations re- cueillies par MM. Bravais, Ehrenberg, Decaisne, Four- net, Dupasquier, Léwy, Gallois, Seignobos, etc., le phé- nomène a commencé à la Guyane, s’est étendu sur l'État de New-York, s’est retrouvé aux Açores, est arrivé dans la France centrale et orientale, sur les départements dela Drôme, de l'Isère, du Rhône, de l'Ain, a traversé les Alpes du côté du Mont-Cenis, pour aller s’effacer gra- duellement en Italie. Le résidu laissé par la pluie présen- tait l'aspect d’une terre jaunâtre, et donnait une teinte rouge à l’eau dans laquelle on le délayait. Cette sub- stance recueillie en divers endroits s’est partout trouvée avoir à peu près la même composition, elle renfermait de la silice, de l’alumine, du peroxyde de fer, du carbonate de chaux, du carbonate de magnésie, des corpuscules organisés d’origine végétale et quelques infusoires. — Tous les faits que je viens de rapporter démontrent que les pluies colorées sont un simple mélange de l'eau météorique et de diverses poussières arrachées à la terre par les vents et transportées au loin dans l'atmosphère. J'ai cité ailleurs des exemples de ces transports de pous- sières à de grandes distances. (Voir p. 293, 294 et 394). à À 472 | SUR LA PLUIE. XIV SUR LES NEIGES ROUGES La neige rouge que le capitaine Ross a recueillie dans. la baie de Baffin ayant fixé l’attention des physiciens et des naturalistes, il en est résulté une étude attentive des phénomènes de ce genre ; nous allons faire connaître, dans ce chapitre, les principaux résultats auxquels on est arrivé. ” Nous ferons d’abord remarquer que le phénomène en question n’est pas aussi rare que l’ont imaginé les offi- ciers de l’expédition anglaise. Saussure en fait déjà men- tion dans son excellent Voyage dans les Alpes : « Lorsque je montai pour la première fois sur le Breven, en 1760, dit ce savant physicien, ses pentes étaient couvertes de neige en différents endroits. Je fus très-étonné de voir leur surface teinte par places d’un rouge extrêmement vif, Cette couleur avait la plus grande vivacité dans le milieu de certains espaces dont le centre était plus abaissé que les bords, ou au concours de divers plans inclinés couverts de neige. Quand j’examinais de près cette neige rouge, je voyais que sa couleur dépendait d’une poudre fine mélan- gée avec elle, et qui pénétrait jusqu’à deux ou trois pouces de profondeur, mais pas plus avant. Cette poudre ne paraissait point être descenäue ou coulée du haut de la montagne, puisqu'on en trouvait dans des endroits séparés, et même éloignés des rochers : elle ne semblait pas non plus avoir été jetée par les vents, puisqu'on ne + SUR LA PLUIE. 473 la voyait pas même semée par jets : on aurait dit qu’elle était une production de la neige même, un résidu de sa fonte qui restait attaché à sa surface, comme sur un tamis, lorsque les eaux produites par sa liquéfaction la péné- traient et descendaient plus bas; et ce qui suggérait d’a- bord cette cpinion, c’est que l’on voyait cette couleur, extrêmement faible sur les bords des espaces concaves, devenir par gradation plus vive en approchant des fonds où l’écoulement des eaux avait entraîné une plus grande quantité de résidu. | « Ce n’est pas sur le Breven seul que j'ai vu cette neige rouge, j'en ai trouvé sur toutes les hautes mon- tagnes, au moins dans la même saison et dans des posi- tions semblables". Il y en avait beaucoup sur le Saint- _ Bernard, lorsque j'y fus en 1778... » Saussure dit ailleurs, tome 1v, page 205, édition in-4°, que « la neige rouge ne se voit nulle part à une hauteur supérieure à 2820 mètres au-dessus du niveau de la mer. » La poudre qui colorait la neige en rouge avait une pesanteur spécifique supérieure à celle de l’eau; essayée au chalumeau, elle s’y enflammait en répandant une odeur d'herbe brûlée : quelques autres essais conduisirent .le savant voyageur de Genève à penser que cette poudre est une matière végétale et vraisemblablement une pous- sière d’étamines. « IL est vrai, ajoute-t-il, que je ne con- nais aucune plante de la Suisse dont les fleurs donnent une poussière rouge, et qui soit assez abondante pour correspondre à l’universalité de cette poussière sur les 1. Ramond en a trouvé également sur les Pyrénées. 474 SUR LA PLUIE. neiges des Hautes-Alpes, surtout si l’on considère la quantité qui doit s’en perdre avant d’y parvenir. » La neige rouge que le capitaine Ross a rapportée en Angleterre fut recueillie le 47 août 1818, par 76° 23! de latitude nord, et 67° 20’ de longitude ouest, près de la mer, sur la pente d’une colline haute d'environ 200 mè- tres, et qui s’étendait parallèlement au rivage dans un espace de près de 14 kilomètres. La partie la plus élevée de cette colline, entièrement dépouillée de neïge, se faisait remarquer par une végétation dans laqüelle on crut aper- cevoir des teintes de vert tirant sur le jaune et le brun rougeâtre ; dans le lointain, on voyait de hautes mon- tagnes; mais les neiges dont celles-ci étaient recou- vertes n’offraient aucune trace de couleur. Ajoutons cependant que, dans quelques parties, on aperçut de la neige rouge à plus de 10 kilomètres du rivage de la mer, et que la substance colorante, au dire du capitaine Ross, avait pénétré jusqu’à la profondeur de 3.25 à 4 mètres. Une certaine quantité de cette neige ayant été enfer- mée, sur les lieux, dans des bouteilles, le D' Wollaston a pu, au retour de l'expédition, examiner attentivement la matière colorante. Ce qui suit est la traduction littérale de la Note que ce savant chimiste a remise au capitaine Ross. « Je crains qu’il ne nous soit pas possible d’avoir une opinion bien arrêtée sur la véritable origine de la sub- stance à laquelle la neige doit sa teinte rouge, faute d’une connaissance suffisante des productions naturelles des ré- gions où cette neige se trouve; mais en pesant toutes les SUR LA PLUIE. 475 circonstances, je suis fortement porté à penser que la substance en question est végétale. La matière rouge se compose de petits globules dont les diamètres sont com- pris entre en et me de pouce ; je crois que les enveloppes des globules n’ont aucune couleur propre, et que la sub- stance qu’elles renferment est seule rouge : celle-ci paraît être d’une nature huileuse, et ne point se dissoudre dans l’eau; elle est, au contraire, soluble dans lesprit de vin rectifié. Ces globules, examinés avec un pouvoir ampli- fiant considérable, et dans une lumière suffisamment vive, présentent, dans leur intérieur, huit ou neuf comparti- ment ou cellules; séchés à la chaleur de l’eau bouillante, ils ne perdent point leur couleur. Par distillation destruc- tive (by destructive distillation) , ils cèdent une huile fé- tide et de l’ammoniaque; ce qui pourrait faire croire qu’ils sont d’une nature animale ; mais cette conclusion serait hasardée, puisque les graines de diverses plantes fournissent le même produit, et que les feuilles des fucus donnent aussi de l’ammoniaque pendant leur distillation. J ai trouvé, avec la matière colorante, une petite portion d’une substance cellulaire à la surface de laquelle les globules adhéraient, et qui même en renfermait dans son intérieur. Cette substance, qui doit avoir la même origine que les globules, paraît, d’après la manière dont elle brûle, être décidément de nature végétale; car je ne connais aucune substance animale qui se consume aussi rapidement et fournisse des cendres blanches, lorsqu’elle est seulement chauffée jusqu’au rouge. « La première idée qui me vint à l’esprit relativement à la nature des globules fut qu’ils pouvaient être des 476 SUR LA PLUIE, œufs d’une très-petite espèce de shrimp', fort abondant, comme Gn le sait, dans ces mers. Je supposais que ces œufs étaient dévorés par les myriades d'oiseaux de mer qu'on rencontre dans les mêmes parages, et évacués ensuite avec leurs excréments. Mais, s’il en était ainsi, les œufs ne se trouveraient pas seulement accompagnés de substances végétales ou renfermés dans leur intérieur, ils seraient quelquefois mêlés, sans aucun doute, avec les matières dont se composent les excréments des oi- seaux. « Si les globules venaient de la mer, il n’y aurait aucune limite à la quantité qu’un vent violent et continu pourrait en transporter sur la terre; aucune limite non plus aux périodes pendant lesquelles ils auraient pu s’ac- cumuler, puisqu'ils se seraient toujours conservés d’année en année, sans éprouver aucune diminution ni par l’éva- poration ni par la fonte des neiges. «Je regrette, dit le D' Wollaston en terminant sa Note, que le petit nombre de renseignements que nous avons pu nous procurer ne permette pas d’arriver à des conclu- sions certaines; il faut espérer que d’autres navigateurs trouveront l’occasion de recueillir de. nouveaux maté- riaux, et qu’on achèvera d’éclaircir ainsi ce curieux phénomène. » ë Depuis la publication de l'ouvrage du capitaine Ross, M. De Candolle a présenté à l’Académie des sciences un échantillon de l’eau provenant de la fonte de la neige rouge recueillie dans les régions polaires. Voici la Note 1. Les dictionnaires que j'ai consultés définissent ainsi le mot shrimp : un très-petit poisson crustacé, crangon, crevette. SUR LA PLUIE. #71 de M: De Candolle qui accompagnait cette présentation : « Cette eau, ainsi que la neige, est colorée en rouge foncé par une matière qui a été jugée organique par tous ceux qui l’ont observée ; mais les physiciens et les natu- ralistes, quoique d’accord sur ce point, ont été fort incer- tains sur la nature spéciale de cette matière. Est-elle ani- male ou végétale ? Dans le premier cas, est-elle composée d'œufs de quelque espèce à déterminer, ou est-elle elle- même un amas d’animalcules? Dans le second cas, appar- tient-elle à la famille des champignons ou à celle des algues ? « La matière de la neige rouge des pôles est composée de globules parfaitement sphériques, qui n’ont souffert aucune: altération sensible depuis onze mois qu’ils sont enfermés dans de l’eau non salée et à une température fort supérieure à celle de leur station naturelle. Ces glo- bulesisont inégaux en dimensions; ils ont à peu près, d’après le D' Wollaston, de —. à ne de pouce de dia- mètre; les plus gros sont toujours rouges ; parmi les petits on en observe de rouges et de blancs; ces derniers sont généralement les plus petits de tous, et se présentent souvent collés avec les gros globules, de manière à imiter un pédicelle ; on aperçoit çà et là des lambeaux irréguliers d’une espèce de membrane qui semblerait n’être qu’un amas de petits globules blancs. Le D' Wollaston a observé que, lorsau’on écrase entre deux verres plans les globules rouges, et qu’on les observe sous le microscope, la ma- tière rouge sort, par la compression, hors de la vessie, sous la forme d’une espèce d’huile non miscible à l’eau et de consistance un peu tenace; la vessie reste décolorée 478 SUR LA PLUIE, et paraît être d’une seule loge; les globules, dans leur intégrité, présentent un point lumineux que quelques-uns prennent pour une bulle d'air, mais qui paraît un simple effet d'optique. « L'hypothèse qui regarde ces globules comme des animalcules est renversée, soit par la permanence extra- ordinaire de cette matière, comparée à la fugacité des animaux infusoires, soit par la parfaite sphéricité des globules. | « L'opinion de ceux qui les prennent pour des œufs est fort affaiblie par la circonstance de l'inégalité de grosseur et de couleur des globules, circonstance qui prouve qu’ils ont un véritable accroissement. « Ceux qui ont considéré ces globules comme des champignons les ont regardés comme analogues aux uredos et aux trichias; mais dans cette hypothèse il faut considérer la membrane comme permanente et de nature fibreuse, et les globules comme pédicellés, ce qui paraît peu conforme à l’observation; de plus, les globules ne sont jamais remplis de matière pulvérulente comme dans les genres précités. Enfin, la localité où l’on trouve cette matière et sa permanence dans l’eau écarte encore l'idée de la rapporter à la famille des champignons. » M. De Candolle pense que l'opinion la plus vraisem- blable est de considérer cette matière comme un amas de petites plantes appartenant à la famille des algues. Gette opinion a élé proposée avec doute par M. Robert Brown dans l’appendice placé à la fin du Voyage du capitaine Ross; elle se fonde non-seulement sur les objections faites aux autres hypothèses, mais encore sur lanalogie: SUR LA PLUIE. 179 de la forme de ces globules avec plusieurs algues ran- gées aujourd'hui parmi les ulva et les rostochs ; sur l’a- nalogie de station de cette matière qui vit sur ou dans la neige, comme les algues sur ou dans l’eau; enfin sur la permanence de la constitution de cette substance, phénomène fréquent dans la famille des algues. « Il sera curieux d'observer de nouveau, a ajouté avec raison M. De Candolle, la neige rouge des montagnes européennes, et de voir si elle présente quelque chose d’analogue à celle des pôies, ou si peut-être plusieurs causes diverses ne concourent pas, dans différentes loca- lités, à colorer en rouge les amas de neige permanente. » Après avoir entendu les observations précédentes de M. De Candolle, M. Thenard a rapporté celles qui ont été faites dans son laboratoire par M. Grouvelle, sur une matière provenant de la fonte de la neige rouge des pôles, et qui avait été remise à M. Biot par M. Babbage, de la part du capitaine Sabine. « Cette matière, a dit M. Thenard, renfermée dans un petit flacon bouché avec du liége, avait la consistance molle du miel. Sa couleur était d’un brun rouge, et son odeur désagréable, analogue à celle de certaines sub- stances qui commencent à se putréfier. L'eau froide ou chaude ne la dissolvait pas sensiblement ; l'alcool bouil- lant en opérait, au contraire, la dissolution presque en totalité ; il se colorait en rouge foncé, et laissait par l’éva- poration un résidu de même couleur et de nature grasse. « Enfin, soumise à l’action du feu dansune petite cor- nue de verre, la matière s’est décomposée; il en est résulté beaucoup d’huile brune sans trace sensible d'am- 480° SUR LA PLUIE. x moniaque, de gaz, etc., et un charbon spongieux qui contenait une petite quantité de cendres. « Faute de matière, les essais n’ont pas pu être plus nombreux : l’on peut cependant en conclure que.la ma- tière colorante est très-probablement de nature végétale et en même temps de nature grasse. » M. Francis Bauer, le célèbre botaniste de Kew, a pu- blié aussi de son côté, dans le Journal de l'institution royale, une série d'observations microscopiques dont nous allons donner la traduction. « Après que la bouteille (qui renfermait l’eau prove- nant de la fonte de la neige rouge) eut été laissée en repos pendant dix-huit heures, je trouvai que son contenu était de l’eau parfaitement limpide, et qu’il s'était déposé au fond un sédiment dont l'épaisseur n’égalait pas tout à fait Gmil.,75, et composé en apparence d’une poudre extrêmement fine avec une teinte rouge sombre. « Ayant débouché soigneusement la bouteille, de ma- nière à ne pas l’agiter, je plongeai dans l’eau claire un petit instrument d'ivoire, et je déposai une goutte de ce liquide qui couvrait à peine les trois quarts d’un centimètre carré, sur un verre plan. En l’examinant ensuite avec un microscope, je vis que la goutte était d’eau pure, et qu’il flottait seulement à sa surface quinze ou vingt globules sphériques de différentes grandeurs, incolores et tout à fait transparents. L'expérience, recommencée à plusieurs reprises, offrit constamment les mêmes apparences. « J’agitai alors la bouteille, afin de mêler le sédiment avec le liquide; le mélange ne tarda pas à”se faire, et l’eau acquit une teinte légèrement rougeâtre. J'en plaçai ‘ET # une petite goutte.sur le verre plan ; le microscope m'y fit apercevoir quelques centaines de globules de diverses grandeurs; la plupart, presque entièrement épaques, avaient une belle teinte de rouge obscur, et tombaient bientôt. au fond; les globules transparents et incolores se maintenaient constamment à la surface de l’eau. « Ces globules ne me paraissaient pouvoir être com- parés qu’au pollen de certaines plantes; ou aux petits champignons du genre uredo. « Frappé de cette idée, j’examinai les objets avec plus d'attention ; j'employai de plus forts grossissements, et je découvris bientôt divers individus adhérant encore à leurs pédicelles, comme je l'ai trouvé dans un grand nombre d'espèces d’uredo : ce qui distingue ces petits champi- gnons du pollen de certaines plantes. -« Pendant que l’eau déposée sur le verre s’évaporait, j'observai aussi cette substance glutineuse qui sort tou- jours des champignons quand ils müûrissent, et qui, à ce que je pense, contient leurs graines. Après l’évaporation complète du liquide, les giobules étant eux-mêmes secs, s’attachèrent ensemble, précisément comme le font di- verses espèces d’uredo, et, dans cet état, il-aurait été à peine possible de les distinguer, tant par leur forme que par leur couleur, de l’uredo fœtida. « Ayant séché une quantité suffisante de ces globules, je les plaçai sur un fer chaud, et l'odeur de leur fumée prouva aussi qu’ils sont une matière végétale « Je répétai les expériences précédentes avec une quan- tité suffisante d’uredo fœtida, et les résultats furent abso- lument les mêmes : les champignons mûrs et colorés XIL 31 SUR LA PLUIE. | 484 482 SUR LA PLUIE. tombaient au fond du verre ou de la bouteille, et for- maient le même genre de sédiment; les champignons encore verts et incolores flottaient à la surface ; les uns et les autres, séchés et placés ensuite sur le fer chaud, don- naient une fumée dont l’odeur était parfaitement ana- logue à celle de la fumée provenant des globules rouges de la neige. « Parvenu à ce point dans mes recherches, j’énonçai l'opinion que la substance qui colore la neige en rouge n’est pas d’une nature animale, mais bien un champignon du genre uwredo. Ceci eut lieu plusieurs semaines avant la publication de l’ouvrage du capitaine Ross, et sans qu’il fût venu à ma connaissance que d’autres personnes s'étaient occupées de cette recherche; je ne l’ai même appris depuis que par les mémoires qui ont paru sur cet objet; mais alors j'avais poussé mon travail beaucoup plus loin et découvert plusieurs nouveaux faits qui, du reste, tendent tous à confirmer ma première opinion. Dans l’origine, les champignons m’avaient paru détachés les uns des autres; mais ayant puisé de nouveau dans la bouteille une certaine quantité de liquide, j'observai divers flocons d’une substance blanche, analogue à de la gelée, et à laquelle des champignons rouges, complé- tement développés, paraissaient être adhérents. En por- tant cette substance sous le microscope, je la reconnus pour des racines cellulaires ou articulées, ou, si l’on veut, pour la semence qui accompagne si communément la plupart des espèces du genre uredo. « Le surlendemain de lexpérience précédente, je puisai dans la bouteille une quantité considérable d’eau Ex ie FE Sr ORDRE MRC ETES" Lo SUR LA PLUIE. 483 colorée, et je la versai dans un verre conique, afin d'obtenir plus de sédiment que dans les ‘expériences précédentes. Après que le verre eut été en repos pen- dant vingt-quatre heures, je trouvai que, quoiqu'il se fût déposé une quantité considérable de sédiment, les parois intérieures du verre, dans toute la portion mouillée par l’eau, n'étaient recouvertes que d’une simple couche de champignons rouges. Ceci se maintint sans chan- gement jusqu’au quatrième jour; mais ensuite les cham- pignons perdirent graduellement leur couleur, et divers flocons de la substance semblable à de la gelée se montrèrent çà et là sur la surface intérieure du verre. Enfin, sept jours après le commencement de l'expérience, je trouvai que les champignons avaient tout à fait perdu leur couleur, et que la graine nouvellement formée s'était considérablement accrue. En portant une petite portion de cette substance sous le microscope, je vis que le flo- con de graine blanche avait précisément la même appa- rence que ceux que j'avais primitivement trouvés dans la bouteille, et qu'un grand nombre de très-petits champi- : gnons incolores étaient adhérents à sa surface. & Quand une deuxième semaine se fut écoulée, j'exa- minai une autre portion de mon verre; je trouvai que la quantité de graine blanche avait encore beaucoup aug- menté, et, de plus, que la place que j'avais raclée pour enlever la partie dont je m'étais servi dans les expé- riences précédentes, était déjà recouverte par la graine récemment formée. Les nouveaux champignons avaient déjà atteint la grosseur des champignons mûrs, mais ils étaient tout à fait sans couleur. 484 - SUR LA PLUIE. « Ayant examiné depuis, à différentes reprises, tout ce que mon verre renfermait, je n’y ai remarqué aucun changement notable. La multiplication des nouveaux champignons avait donc lieu durant environ trois semaines; car, après ce temps, les places d’où j’enlevais une partie de la substance blanche ne se recouvraient pas comme cela avait lieu à l’origine, et demeuraient toujours visibles; les champignons, se réunissant en groupes plus considérables, se détachaient eux-mêmes du verre et tombaient au fond; mais ils n'étaient pas rouges, quoiqu’ils eussent été exposés à l’air libre pen- dant dix jours et dix nuits. Il paraît donc évident que les nouveaux champignons n’arrivaient pas à une parfaite maturité, et que leur multiplication ne cessait qu’aussitôt que la graine provenant de la plante primitive était épuisée. | « Les premiers champignons rouges, aussi bien que les champignons incolores nouvellement produits, de- viennent d’une couleur gris sombre lorsqu'ils sont dessé-. chés ; mais si on écrase des champignons rouges sur la peau de la main ou sur celle de la figure, pendant qu'ils sont encore frais, ils lui communiquent la couleur du plus beau vermillon ou rouge de plomb; cette couleur ne change ni de jour ni de nuit, jusqu’à ce qu'on la lave avec une dissolution de savon dans l’eau. « Les résultats de l'analyse chimique du docteur Wol- laston, tels qu’ils ont été insérés dans l'ouvrage du capi- taine Ross, coïncident, pour les points essentiels, avec ceux obtenus par M. Tessier, dans les expériences qu'il a faites sur l’uredo fœtida et l'uredo segetum. (Voy. Traité L! SUR LA PLUIE. 485 des maladies des graines, p. 225-235.) Il me semble, d’après tous ces faits, que je puis dire sans la moindre hésitation, que la substance qui colore la reïge en rouge est une nouvelle espèce d’uredo, qui ser*, je pense, convenablement désignée par le nom de ntralis. « On ne peut pas douter que la nouvelle espèce d’uredo végétait sur la neige quand on l’a découverte : il paraît, en effet, impossible de supposer que la substance a été transportée par le vent ou de toute autre manière, surtout quand on songe que les collines dont les revers étaient colorés en rouge avaient, au rapport Gu capitaine Ross, 200 mètres d’élévation et environ 4 lieues d’éten- due. Ceux qui allèrent à terre, ajoute le capitaine, trou- vèrent en plusieurs endroits que la substance colorante pénétrait la neige jusqu’au roc, sur une profondeur de 3".25 à 4 mètres, et que les choses paraissaient avoir été dans cet état depuis longtemps; mais on ne dit pas en combien de points on a ainsi sondé la neige jusqu’à la profondeur de 3*.25 à 4 mètres. « Dans un journal du même voyage, publié par un officier de l’Alexander, on trouve, p. 63, au sujet de la neige rouge, le passage suivant : « Cette substance, quelle qu'elle soit, est très-abondante sur cette côte; la neige en est couverte çà et là dans une grande étendue. Elle est soluble dans l’eau et lui donne une couleur rouge foncée; mais après quelques instants de repos elle tombe au fond du vase et laisse le liquide absolument sans cou- leur. Il est digne de remarque que cette matière, quelle qu'en puisse être la nature, ne pénètre jamais dans la neige, si ce n’est à la profondeur de 3 à 5 centimètres. » 486 SUR LA PLUIE. Ceci est certainement très-probable, mais il convient de laisser aux officiers, dont les relations offrent ces diffé- rences, le soin de les expliquer. | «M. Brown, dans une Note très-succincte placée à la suite de l'ouvrage du capitaine Ross, énonce l’opinion que la plante, à laquelle la neige doit sa couleur rouge est un tremella, et cite le tremella cruenta de la Botanique an- glaise. Je n’ai pas eu l’occasion d’observer cette plante dans la nature; mais si j'en juge par la figure et la description, je suis persuadé qu’elle est, non pas un tremella, mais un uredo. Les auteurs de la Botanique anglaise s’énoncent ainsi au sujet de cette plante : « Quand on l’examine avec le microscope, on reconnaît qu’elle est un amas de grains très-petits, transparents et de même diamètre. » La description se termine par ces mots : «Nous ne doutons pas, en attendant que de nou- velles observations aient été faites à ce sujet, que la plante ne doive prendre son rang comme un fre- mella. » « Il est vrai que toutes les espèces d’uredo que j'ai jusqu’à présent examinées, et que toutes celles dont Per- soon a donné la description, sont des plantes parasites et qui vivent sur d’autres végétaux ; mais il n’est pas dé- montré, je crois, qu'elles ne peuvent pas vivre autre- ment. J'ai du moins un exemple qui prouve que ces mêmes plantes parasites croissent et se propagent quel- quefois sur d’autres corps que des plantes vivantes. En effet, en 1807, pendant mes recherches sur les mala- dies du blé, je mis quelques épis d'orge et d'avoine in- fectés de smut ( qui est l’uredo segetum) dans du papier | LL SUR LA PLUIE. 487 gris, comme échantillons. En les examinant trois ou quatre mois après, je trouvai que les champignons avaient non-seulement dévorés en totalité quelques épis, mais que, de plus, ils avaient continué à croître et à se propager sur le papier et qu’ils formaient des rayons continus et distincts, de 5 à 8 centimètres de longueur et aboutissant aux. diverses proéminences des épis. La quantité des champignons ainsi produits sur le papier était au moins trois fois plus considérabie que celle que les épis pou- vaient originairement en contenir : ces échantillons sont encore en ma possession. Je ne doute point que l’uredo segetum, aussi bien que l’uredo fœtida, ne végètent et ne se propagent de la même manière sur le sol. On sait, en eflet, que le blé le plus pur, quand il est semé dans un champ qui plusieurs années auparavant était sujet à cette maladie, la gagne, alors même que dans l'intervalle on n’y a cultivé ni froment ni orge, Il n’est pas probable que ces champignons et leurs graines soient restés inactifs dans le sol pendant plusieurs années; il est plutôt présu- mable que leur extrème petitesse et leur couleur sombre empêchaient de les apercevoir sur la terre. Des observa- tions ultérieures permettront peut-être de lever compléte- ment ces doutes. » M. Bauer rapporte encore quelques mesures micromé- triques. Le diamètre de l’uredo nivalis, après son entier développement, est égal, suivant lui, à 0”.000016, d'où il résulte que 43,000 champignons de cette espèce pour- raient être contenus dans À centimètre carré. Les dia- mètres que M. Wollaston a donnés sont encore plus petits; mais si l'opinion de M. Bauer est fondée, il ne: 488 SUR LA PLUIE. faut s'étonner de ces discordances, puisqu'il est possible que les mesures n’aient pas élé faites sur des individus du même âge. D’après les détails que nous venons de recueillir, on voit que les neiges colorées des Alpes et des régions bo- réales ne peuvent être assimilées aux pluies rouges dont nous avons pu citer précédemment (p. 463 à 471) un grand nombre d'exemples. En général, les pluies rouges tirent leur coloration des matières minérales qui y sont en suspension, et au contraire les neiges des Alpes et des régions polaires doivent leur teinte remarquable à la présence d’un nombre presque incalculable de corpus- cules organiques, et particulièrement de champignons microscopiques, XV PLUIES PAR UN TEMPS SEREIN ? Je vais réunir ici la description de quelques obser- vations relatives à la chute de gouttes de pluie par un ciel parfaitement serein, afin de corroborer ce que j'ai dit ailleurs de ce phénomène. M. Wartmann, de Genève, m'a adressé en 4837 la lettre suivante : « À 9 heures du soir, le 9 août, il y avait au ciel, sur tout le tour de l’horizon, de gros nuages noirs non contigus et fortement agités. Le zénith était pur et les étoiles y 4. Voir sur le même sujet, Instructions, Rapports et Notices sur les Voyages scientifiques, t. 1x des œuvres, p. 22 et 278. SUR LA PLUIE. 439 brillaient de leur éclat ordinaire, en même temps qu’une pluie, formée de larges gouttes d’eau tiède, tombait sur différents points de la ville. Cet étrange phénomène surprit, à 9° 15", les nombreux promeneurs qui se trou- vaient dans l’île de Rousseau et sur le pont des Bergues, et les obligea de fuir précipitamment pour chercher un abri contre la pluie si inattendue qui tombait par un ciel. serein. L’ondée cessa au bout d’une ou deux minutes, mais elle se reproduisit plusieurs fois dans l’intervalle d’une heure. » Le 31 mai 1838, à 7° 2° du soir, M. Wartmann vit encore tomber, à Genève, une pluie qui a duré six mi- nutes ; le ciel était parfaitement clair au zénith et aucun nuage ne s’apercevait dans le voisinage de cette région du ciel. Cette pluie, dont la température était tiède, tombait verticalement en gouttes d’abord assez grosses _ et'assez serrées, maïs qui devinrent de plus en plus fines jusqu’à la fin. Un thermomètre centigrade, placé au- dessus du sol, marquait dans ce moment + 18°.15. La journée avait présenté de fréquentes Pere de pluie et de soleil. Le 6 octobre 1840, à midi 20”, à Constantine, par 36° 22’ de latitude, M. de Neveu a aussi été témoin d’une chute de pluie qui dura 10 minutes par un ciel très-pur au zénith. Il n'éxistait que quelques petits nuages blancs à l'horizon. Le thermomètre centigrade marquait à l'ombre + 24° 8, l’hygromètre 78° et le baromètre 614%1..5. Les gouttes étaient de if Lorent grosseur et fort espacées. À Paris, le 21 avril 1844, M. de Noirfontaine, capi- 490 SUR LA PLUIE taine du génie, a été témoin, par un ciel parfaitement serein, d’un phénomène analogue au milieu de là journée. Voici comment l'observation est racontée dans la lettre que m'a écrite cet officier : « Le 21 avril, vers 2 heures 1/2 du soir, me trouvant sur le glacis de l’enceinte, à la gauche de la route de Flandre, seul et loin de toute habitation, je ressentis à plusieurs reprises sur le visage et sur les mains l’im- pression de quelques gouttes d’eau très-fines, mais qui paraissaient lancées avec force. Plusieurs sapeurs à. qui je fis part de ce fait me dirent qu’il pleuvait ainsi depuis plusieurs heures. Les gouttes n'étaient ni assez grosses, ni assez abondantes pour pouvoir être remarquées sur le sol. Il n’y avait pas dans le ciel la moindre trace de nuages ni de.vapeurs. Le vent soufflait avec assez de force du N.-N.-E. La température, qui avait été assez basse jusque-là, commençait à s’adoucir. Les jours sui- vants, elle s’est en effet considérablement élevée, et le vent a tourné au S. par l'E. | « Le lendemain, 22 avril 1844, me trouvant à peu près au même point et à la même heure que la veille, j’éprou- vai encore une fois le même effet, mais le ciel était moins pur que lors de l’observation précédente. On remarquait ‘quelques nuages blancs très-petits, à contours incertains et très-éloignés les uns des autres. Mais leur position re- lativement à la direction du vent et la hauteur. à laquelle ils paraissaient se trouver étaient telles qu’il n'est pas probable que les rares gouttes d’eau reçue pussent en provenir. » M. Babinet a fait une observation semblable le 2 mai, SUR LA PLUIE. 491 vers neuf heures du soir, à Paris. Le ciel était très-pur, d’une teinte de bleu foncé, l’air calme, l'horizon au couchant entièrement dépourvu de vapeurs. Le phéno- mène a duré environ dix minutes; mais la pluie n’était pas assez abondante pour laisser des traces sur le sol. Si l’on joint ce fait aux observations du 21 et du 22 avril précédent, on aura trois exemples du même phénomène à Paris en l’espace de dix jours. à Le 11 mai de la même année, à 10 aid du matin et à 3 heures de l’après-midi, à Genève, M.. Wartmann et M. Bruderer constatèrent, le ciel étant bleu et très-pur, la chute de gouttes de pluie très-larges et tièdes qui mouil- laient le pavé, et qui se reproduisirent plusieurs fois en quelques minutes. L’air était alors parfaitement calme. Il sera nécessaire, dans les observations de ce genre, de noter avec soin si les gouttes tombent verticalement ou si elles ont une direction inclinée par rapport à la verticale, et d'indiquer les circonstances météorologiques qui auront précédé l'apparition du phénomène. On sait, en effet, qu’il y a de nombreux transports de matières diverses par les vents à de très-grandes distances, et nous avons eu l’occasion d’en enregistrer des exemples (Voir p.293 et 463). Nous ajouterons à ceux qui sont rapportés dans le chapitre x de cekte Notice l’obser- vation que fit Dalton d'untransport d’eau salée en Angle- terre jusqu’à plus de vingt lieues de la mer. Les météorologistes devront donc être attentifs à noter exactement toutes les circonstances du phénomène que nous venons de décrire quand ils auront l’occasion de l'observer, £92 SUR LA PLUIE, XVI SUR LES PRÉTENDUES PLUIES DE CRAPAUDS L'Académie des sciences a reçu en maintes occasions des relations de prétendues pluies de crapauds que des voyageurs ont pensé avoir vus tomber du ciel. Voici le récit le plus complet qui m’ait été communiqué ; je le dois à M. Pontus, professeur à Cahors : « Au mois d’août 1804, j'étais dans la diligence d'Albi à Toulouse, m’a écrit ce professeur ; le ciel était beau et sans nuages. Vers L heures après-midi, la diligence s’arrêta pendant quelques minutés à La Conseillère (3 lieues de Toulouse), pour changer de chevaux. Au moment où nous remon- tions en voiture, un nuage très-épais couvrit subitement l'horizon, et le tonnerre se fit entendre avec éclat. Le nuage devait se trouver à une grande élévation, car les gouttes d’eau qu'il laissa tomber sur nous étaient très- grosses. Ce nuage creva sur la route à 120 mètres environ du point où nous étions. Deux cavaliers qui revenaient de Toulouse, où nous allions, et qui se trouvèrent exposés à l'orage, furent obligés de mettre leurs manteaux pour s'en garantir; mais ils furent bien surpris et même effrayés, lorsqu'ils se virent assaiilis par une pluie de crapauds ! Ils hâtèrent leur marche et s’empressèrent, dès qu’ils eurent rencontré la diligence, de nous raconter ce qui venait de leur arriver. Je vis encore sur leurs manteaux de petits crapauds qu'ils firent tomber en les secouant. La diligence eut bientôt atteint le lieu où le k SUR LA PLUIE. 493 nuage avait crevé, et c’est là que nous fûmes témoins d'un phénomène bien rare et bien extraordinaire. La grande route et tous les champs qui la longeaient à droite. et à gauche, étaient jonchés de crapauds, dont le plus petit avait au moins le volume de 20 centimètres cubes, et le plus grand près du double, ce qui me fit conjec- turer que tous ces crapauds avaient dépassé l’âge d’un ou deux mois. J'en vis jusqu’à trois ou quatre couches superposées les unes sur les autres. Les pieds des chevaux et les roues de la voiture en écrasèrent plusieurs milliers. Certains voyageurs voulaient fermer les stores, afin de les empêcher d'entrer dans la voiture : leurs bonds de- vaient le faire craindre : je m'y opposai et ne discon- tinuai pas de les observer. Nous voyageàmes sur ce pavé vivant pendant un quart d'heure au moins ; les chevaux allaient au trot. » Malgré la croyance des spectateurs qui se figurent -avoir vu tomber des pluies de crapauds, ne peut-on pas plutôt admettre que ces animaux sont tout à coup sortis du sol lorsque la pluie a éte assez abondante pour les en chasser. C'était 322 ans avant Jésus-Christ, l'opinion de Théophraste qui s'exprime ainsi : « Ces petites grenouilles ne tombent pas avec la pluie, comme beaucoup le pen- sent, mais elles paraissent seulement alors, parce qu’étant précédemment enfouies sous la terre, il a fallu que l’eau se fit un chemin pour arriver dans leurs trous. » C’est aussi l'opinion de mon savant confrère, M. Duméril, qui a discuté la question en 1834 avec beaucoup de sagacité. On n’a jamais vu ces batraciens tomber sur des lieux élevés, comme des toits de maisons; leurs sauts expli- 494 SUR LA PLUIE, quent qu’ils aient pu S’attacher à des vêtements de voya- geurs. Quoi qu’il en soit de l’explication, c’est un phéno- mène qu’on devra étudier avec soin quand l’occasion s’en présentera; aucun fait naturel ne doit être négligé, XVII PLUIES D’UNE ABONDANCE EXTRAGRDINAIRE Cayenne, comme on l’a vu précédemment (p. 458), paraît être un des lieux du globe où il pleut le plus. M. le capitaine de vaisseau Roussin y a vu tomber dans le court intervalle du 14 février 1820 à 8 heures du soir au lendemain 6 heures du matin, 280 millimètres d’eau, c’est-à-dire plus de la moitié de ce qu’on en recueille à Paris dans l’année entière. Il assure que, dans ce même mois de février, du 1° au 24, il tomba 4,070 millimètres d’eau, ou huit fois autant que dans les douze mois à Paris. De ces énormes pluies, qui ont concourü avec une grande marée, il est résulté une inondation dont beaucoup de plantations ont souffert ; les anciens créoles ont assuré à M. Roussin que de mémoire d'homme on n’avait rien vu de semblable. Le 21 octobre 1817, il lomba à l’Ée de Grenada 200 millimètres d’eau dans le court espace de 21 heures. Les rivières s’élevèrent de 9 mètres au-dessus de leur niveau ordinaire. (Philosophical Magazine, 1818, p. 236.) On ne connaissait pas dans nos climats de semblables averses, lorsqu’à la fin de 1822 les journaux annoncèrent qu’il était tombé à Gênes, dans un seul jour (le 25 oc- ’ SUR LA PLUIE. 495 tobre), 810 millimètres d’eau. Ce résultat inout inspira des doutes à {ous les météorologistes; on soupçonnait une erreur d'impression ; mais M. Pagano, observateur exact, a écrit aux rédacteurs de la Bibliothèque universelle de Genève une lettre qui met le fait hors de toute contesta- tion. Il rapporte, par exemple, que deux seaux de bois, _ presque cylindriques, l’un de 64 et l’autre de 70 cen- timètres de hauteur, et qui étaient restés vides dans son jardin à la suite de quelques expériences sur la vendange, se trouvèrent remplis assez longtemps avant que la pluie du 25 octobre eût cessé. Du reste, ce météore, cette espèce de trombe, n’embrassa point une très-grande étendue de terrain. Les inondations ont occasionné, en 1824, de grands malheurs dans les environs de Strasbourg, en Lorraine et en Allemagne. La fin du mois d'octobre avait été très- pluvieuse ; plus tard, de violents orages s’étendirent du Haut-Rhin jusqu’au Palatinat, et durent répandre en peu de temps sur le sol les immenses nappes d’eau qui ont fait déborder presque toutes les rivières. Les habitants des contrées que le fléau a ravagées n’ont pas adopté cette explication. Ils se sont généralement persuadés que des commotions et des eaux souterraines y ont eu une plus grande part. Aussi a-t-on lu, coup sur coup, dans les journaux des départements, le récit d'événements fort extraordinaires que la crédulité et l’exagération ont sans doute altérés. Ici, un cultivateur (à Miederweiler) a vu ses bœufs, qui marchaient à quelques pas devant lui, disparaître en un clin d'œil sous la terre: un ruisseau nouvellement formé coulait rapidement au fond de 496 SUR LA PLUIE. l'espèce d’abîime qui venait de s’entr’ouvrir. Ailleurs, des collines très-hautes se sont subitement En à de plu- sieurs pieds, etc., etc. La quantité de pluie recueillie cette année, à Paris, surpasse la valeur moyenne d'environ un cinquième du total. En octobre 1823, il était tombé, dans le récipient de la cour de l'Observatoire, 49 millimètres d’eau; en 1824, on en a recueilli 110 millimètres. L’eau maximum de la Seine s’éleva, en novembre 1823, sur l'échelle du pont de la Tournelle, à 0.44. Dans le même mois, en 1824, elle est montée jusqu’à 4”.41, c’est-à-dire k wètres plus haut. La hauteur d’eau moyenne de la Seine, en 1893, a été de 1",09; elle a été, en 1894, de 1".62. Terme moyen, il y a, à Paris, par année, 447 jours de pluie; en 1823, on en avait compté 175; ce nombre, en 1824, s’est élevé à 192. Ainsi, à Paris et dans toute la région dont les cours d’eau alimentent la Seine, l’année 1824 a dû être consi- dérée comme très-pluvieuse, quoiqu’on n’ait pas eu à y déplorer des désastres semblables à ceux qui ont ruiné un si grand nombre d'habitants du D à du Bas- Rhin. Le 19 novembre 1824, le vent du N.-O. soufflant avec une grande violence dans la direction du cours de la Néva, empêcha, d’une part, l’eau du fleuve de s’écouler, et, de l’autre, éleva tellement le niveau de la Baltique sur toute sa côte orientale, qu’il en résulta. d’épouvantables inondations. À Cronstadt, ce changement de niveau, entre 10 heures du matin et 3 heures de l’après-midi, fut de 3.70; une grande portion des remparts a été détruite, PES Te dr us L SUR LA PLUIE. 49i A Pétersbourg, l’eau s’éleva à la hauteur de 1".60 dans les rues les plus reculées de la ville. Un quartier, peuplé avant l'événement par plus de 40,000 personnes, devint un vaste désert. Quelques relations particulières portent à 8,000 ou 10,000 le nombre des individus dont cette catastrophe a occasionné la mort. D'après le rapport officiel du Ministre de l’intérieur, il ne se serait noyé que 500 personnes. Déjà, le 18 novembre, le même ouragan avait déraciné 3,000 pieds d’arbres dans un des domaines de la couronne de Suède, près de Stockholm ; 15,000 à Leufstadt, chez le comte de Geer, et 40,000 dans les bois de la commune d’Orebro. Quelques personnes ne paraissent pas croire que l’action du vent ait pu scule accumuler la grande masse d’eau qui a occasionné l’inondation de Pétersbourg , mais ce doute ne viendra pas à l'esprit de ceux qui, sur les rivages de l'Océan, ont eu l’occasion de remarquer com- bien la marée calculée diffère, en plus ou en moins, de la marée observée, suivant que le vent a soufflé de la mer vers la côte ou dans une direction opposée. J’ajouterai, comme exemple relatif aux mers où il ny a pas de marée, que sur la côte sud de l’Asie Mineure le niveau des eaux, quand le vent du nord souffle, est de 4° à 4".30 plus bas que par un vent du sud. Les inondations ont causé, en 1827, de nombreux désastres dans le midi de la France. Je vais rapporter la mesure de la quantité de pluie qu’on a recueillie dans diverses villes. Je ne crois pas que les annales de la météorologie aient rien offert jusqu’à cette époque d'aussi XII. 32 498 SUR LA PLUIE. extraordinaire ni en France, ni dans aucun autre pays d'Europe. | ; Le 20 mai, il est tombé à Genève, dans le court inter- valle de trois heures, 162 millimètres d’eau. Dans la même année 18927, il est tombé à Montpellier, en cinq jours, du 23 au 27 septembre inclusivement, k54 millimètres d’eau. Du 24 au 26, en deux fois 24 heures, la pluie recueillie près de la même ville, à la manufacturé de produits chimiques de M. Bérard, s’est élevée à 320 millimètres. | À Joyeuse (département de l'Ardèche), d’après les registres de M. Tardy de La Brossy, le mavimum de l’eau recueillie en un jour, dans le cours de vingt-trois ans, avait été observé le 9 août 1807, et s'était élevé à l'énorme quantité de 250 millimètres. Le 9 octobre 1827, dans l'intervalle de vingt-deux heures, il est tombé dans la même ville de Joyeuse 792 millimètres (sept cent quatre-vingt douze). J'écris le résultat en toutes lettres afin qu’on ne croie pas à une faute d'impression. Onze jours de ce mois d’octobre, suivant le même obser- vateur, ont donné 974 millimètres d’eau, c’est-à-dire environ le double de ce qu’il en tombe à Paris dans une année !, Pendant l’épouvantable averse du 9, le baro- 4. Les journaux anglais ont publié comme une circonstance extraordinaire qui a donné lieu aux inondations les plus graves, qu’en 1826 il est tombé à Bombay, dans les douze premiers jours de la saison des pluies, 32 pouces anglais d’eau ( 812 millimètres ). C’est à peu près ce qu’on a recueilli à Joyeuse en un seul jour. M. Valz a observé à Marseille, le 21 septembre 1839, un violent orage qui occasionna la plus forte pluie qu'on y eût encore vue; il tomba 40 millimètres d’eau en 25 minutes. La Cannebière, cette rue de 30 mètres de large avec une pente de 13 millimètres par SUR LA PLUIE. 499 mètre était presque stationnaire et de 5 ou 6 millimètres seulement au-dessous de sa hauteur moyenne. De grands coups de tonnerre se succédaient sans interruption. M. Quetelet m'a écrit que la pluie, en quelque sorte diluviale, qui tomba dans une grande partie.de la Bel- gique le 4 juin 1839, et qui occasionna la ruine presque - complète du village de Burght, près de Vilvorde, donna à Bruxelles, sur la terrasse de l'Observatoire, 11211, 78 d’eau en, 24 heures, c'est-à-dire environ le sixième de l’eau qui tombe annuellement. Ce dernier résultat paraîtra d’autant he considérable que l'orage du. 4 juin 1839 ne fournit réellement de grandes quantités d’eau que pendant 3 heures (de 9 heures du soir à minuit). De 1833 à +838 inclusivement on n'avait jamais recueilli à Bruxelles plus de .50%!:,3 de pluie en 24 heures. mètre, fut entièrement submergée pendant 5 minutes, L'eau s’y était élevée de 0.45 au-dessus du trottoir. Il y passait de 30 à 35 mètres cubes d’eau par seconde. Immédiatement avant les inondations qui, au commencement de 1844, ont ravagé toutes les contrées que le Rhône et la Saône traversent, il est tombé à Cuiseaux, petite ville du Jura, 270 milli- mètres d’eau en 68 heures. A Oulins, près de Lyon, la pluie, dans le mème intervalle n’a été que de 150 millimètres. 11 paraîtrait qu’il tombe toujours plus de pluie à Cuiseaux que dans aucun autre point du bassin de la Saône. Une pluie torrentielle qui a duré douze heures, le 20 septembre 1846, a éclaté à Privas (Ardèche) et dans les environs, sur une assez grande étendue; ilest tombé 254 millimètres d’eau. Toutes les rivières débordèrert, firent de grands ravages et interceptèrent les communications sur plusieurs points. 500 SUR LA PLUIE. XVIII DE LA PLUIE EN PLEINE MER On a prétendu, je ne sais trop sur quel fondement, qu’il pleut beaucoup moins en pleine mer qu’à terre. J’ai trouvé dans le journal du capitaine Tuckey une observa- tion qui ne viendrait pas à l’appui de cette opinion. Le 12 mai 1816, par 2° 30’ de latitude nord et 4° de longi- tude occidentale, il tomba 90 millimètres d’eau sur le bâtiment commendé par cet officier, dans le court inter- valle de trois heures. A terre, ainsi qu’on vient de le voir dans le chapitre précédent, les exemples d’une aussi abondante pluie sont fort rares, même dans les régions équinoxiales. 4 XIX DES CRUES DE LA SEINE, DU NIVEAU DE CE FLEUVE DEPUIS 4732 ET DES INONDATIONS CONSTATÉES À PARIS Lorsque je m’occupai de la rédaction des résumés météorologiques de chaque année pour les Annales de chimie et de physique, il me sembla qu’il pourrait être utile et curieux de comparer annuellement l’état de la Seine à la quantité d’eau reçuè dans les pluviomètres. De 1819 à 1830, je donnai les chiffres mensuellement constatés à Paris. J’ai chargé M. Barral de réunir et de calculer toutes les observations qu’il serait possible de recueillir sur ce sujet en remontant aussi loin qu’il serait possible de le faire dans le passé et en continuant le SUR LA PLUIE. 501 même travail jusqu’à ce jour. Les inondations, les sé- cheresses extrêmes, l’état moyen de l’eau dans le lit du fleuve, tels sont les éléments intéressants à conserver. La plupart des renseignements qui sont contenus dans ce chapitre n’ont encore été publiés nulle part; M. Bar- ral a pu former la coilection la plus complète qu’on ait encore réunie des numéros du Journal manuscrit des crues et diminutions de la Seine observées au pont de la Tournelle, journal tenu pendant plus d’un siècle et quart avec exactitude par l'inspection de la navigation de la rivière. Cette collection remonte à 1732; on n’a pas pu savoir s’il y a eu des numéros antérieurs. M. Barral a traduit les anciennes mesures de pieds, pouces et lignes en mesures mArquese et il a établi le tabléau qui va suivre. La plus ancienne Note qui ait été publiée sur ce sujet dans les collections scientifiques est insérée dans l’histoire de l'Académie des sciences pour 1720 (p. 10); elle est ainsi conçue : « Il y a dans Paris, sur la rivière de Seine, diffé- rents endroits où l’on a marqué jusqu’à quel point elle était montée dans les débordements considérables, et les temps où ils étaient arrivés. L'année 1719, où la quantité de pluie ne fut que de 9 pouces 4 lignes (2521.65), au lieu de 19 pouces (514"".,33) qui en font la quantité moyenne, ayant été extrêmement sèche, et par conséquent la rivière fort basse, M. De l'Isle le cadet eut la curiosité de mesurer de combien elle était au-dessous des marques de ses débordements. Il trouva qu’elle était 27 : ; pieds (8*.93) au-dessous d’une marque où elle était arrivée le 502 SUR LA PLUIE. A1 juillet 1615; 26 ? pieds (8.73) au-dessous d’une autre de février 1658 ; et 21 © pieds (6.90) au-dessous du 26 février 14679; au même point au-dessous de l’été 1690 qu’au-dessous de celui de 1615; 22 + pieds (7".32) au- dessous du 4° juillet 4697; 24 pieds (7".80) au-dessous de la fin de février et du commencement de mars 1741. « Selon toutes les apparences, la rivière a été la plus basse qu’elle puisse être dans l’été de 1749, et son plus grand débordement ne peut guère être plus grand que celui de 1615, d’où résulteraient 27 ? pieds (8".93) pour sa plus grande différence de hauteur, et en effet ce sera là une prodigieuse quantité d’eau. Si l’on avait un nombre suffisant de ces sortes d'observations, on déterminerait assez juste les bornes des hauteurs des rivières, et l’on se réglerait là-dessus en plusieurs occasions importantes. » L’étiage des plus basses eaux de 1719 a été pris pour le zéro de l’échelle qui a été gravée sur la culée du pont de la Tournelle, du côté de l'Orient, à l’épaulement d’amont du côté de l’île Saint-Louis. Il y avait en cette année 1719, « pour la navigation, dit la première feuille du Journal des crues (1732), 1 pied A pouces (0".43) d’eau en rivière, au pays haut, et 2 pieds 5 pouces (0.78), au pays bas. Le 23 octobre 1731, les eaux étaient plus basses de 5 pouces 6 lignes (0.149) qu’en 1719. » Dans quelques feuilles du Journal des crues le point zéro de l'échelle est indiqué comme étant à 0.4/4 au-dessus du sol de la rivière ; dans d’autres feuilles, il est donné comme étant à 0.37. « Les nombres de l'échelle du pont des Tuileries, ajoute le Journal des crues, marquent 0.80 (en quelques endroits on dit SUR LA PLUIE. 503 0".84) de plus, parce qu’ils partent du fond de la rivière, à l'endroit où il y a le moins d’eau, vis-à-vis d’Auteuil. » . | On voit que, pour avoir la hauteur vraie de l’eau au- dessus du sol jusqu’à la surface supérieure, il faut ajouter 0".4h pour la partie de la rivière en amont et 0*.8/ pour la partie de la rivière en aval du pont de la Tour- nelle, aux nombres contenus dans le tableau suivant. Les hauteurs moyennes proviennent, pour chaque année, de la moyenne générale des hauteurs observées chaque jour. PLUS BASSES EAUX. PLUS HAUTES EAUX. nenlpÿrs ADËES, Te — moyennes Hauteurs. Dates, Hauteurs. Dates, de l'eau. mèt. « mèt. mèt, 48, 19, 20 août et 46, 47, 18, “EE J 4732 0.03 19 et 20 se 1x 216 2 janvier. 0.82 4733 0.05 5,6 et 7 octobre. 2.90 6 avril. 0.89 4734 0.43 21 au 30 sept, 1er et 2 oct. 3.71 31 décembre. 41.08 4735 0.35 49, 20, 21 et 22 septembre. 5.57 2 février. 4.59 26 sept. au 2 octobre, et 4 au 4736 0.09 { us } 260 22 mars. 0.75 4737 0.43 6 juin. 3.14 10 janvier. 1.23 23 sept. au 2 octobre, et 40, MA UE Éopacediieres | 3.44 3 mars. 147 4739 0.13 27 seplembre. 3.73 : 22 janvier. 4.21 4740 0.46 4et 5 aoûl. 7.90 26 décembre. 4.74 26, 27, 29, 30, 34 août et RE. 4741 0.03 | 4er septembre. 6.71 Aer janvier. 443 4742! —0.08 7 au 144 septembre. 3.36 26et 27 novembre. 0.80 4743 0.01 142, 13 et 44 octobre. 3.44 95 avril: 0.99 4744 0.08 5 et 6 octobre. 4.38 28 mars. 4.:0 4745 0.32 14, 12, 13, 14,15, 16 octobre. 3.08 4er janvier. 4.1 29 et 30 sept, 4, 4, 5,6, 7, } 4746 0.16 8, 9, 10 et 44 octobre. 3.41 7 mars. 119 4747 0.19 145, 16, 17, 18 septembre. 5.55 4er mars. 1,33 1748 0.114 24, 25, 26 octobre. 4.57 21 mars. 0.98 4749 0.22 21 au 25 septembre. 5.66 17 février. 1.35 4750 0.19 48, 49, 20 septembre. 8.17 : 49 et 20 décembre. 0.87 ’ 45, 16, 17, 48, 19, 22, 23, 24, V5 0.19 À D mbbiee. } 6.67 23 mars. 2.00 4. Le signe moins (—) indique que le niveau des eaux est descendu au-d zéro ou du plus bas étiage de 4719. Per SUR LA PLUIE. PLUS BASSES EAUX. en 504 hnnées, Hauteurs, mèêt. 4752 0.19 1753 —0.03 4754 0.00 4755 0.11 4756 0.86 4757 0.13 1758 U.27 1759 0.11 4760 0.05 1761 0.00 1762 0.03 1763 0.35 1764 0.11 4765 —0.03 1766 —0.05 1767 —0.08 1768 0.30 1769 0.46 4770 0.30 1771 0.43 1772 0.24 4773 0.19 4774 0.38 4775 0.13 47761 “ 4777 0.14 1778 —0.08 1779 0.21 1780 0.16 1781 0.08 4732 0.24 41783 0.16 1784 0.00 1785 0.00 1786 0.27 1787 0.22 1788 0.C0 4789 0.32 1790 0.11 4791 0.05 1792 0.54 1793 0.00 Dates. 5 au 40 décembre. 28, 29, 30, sept. et 4er oct. 7 octobre. 26 juillet. 31 décembre. 5 et 6 octobre. 2, 3 et 4 juillet. 2 et 3 octobre. 49 septembre. 5, 6, 7, 8 el 9 octobre, 3, 6,7 et 8 août. 2, 3, 4 février et 44 juin. 28, 29 sept., 4 et 2 octobre. 28 et 29 septembre. 31 décembre. 4er janvier. 2 et 3 septembre. 43 et 44 août. 45 octobre. 42 et 13 août. 4, 5, 6 et 7 septembre. 80 sept., 4er et 2 octobre. 48, 22, 23 et 24 août. 23 au 26 août. du 22 sept. au 13 octobre. 5, 6 et 42 septembre. 41, 42, 43, 44, 46, 17, 48, 19, 21, 27, 28, 29, 20, 31 oct., 4er au 12 septembre. 8 et 9 août. 47 et 18 août, 46 et 18 septembre. 8, 9, 40, 11 novembre. 45, 46, 47, 18 octobre. 29, 30, 34 août. 45, 45, 16 août. 45 et 16 septembre. 8 et 9 décembre. 4er janvier. 16 et 47 octobre. 23, 24, 27, 30 novembre, 4, 5, 6 octobre. 26 et 27 août. 29 août au 3 septembre, 47 et 48 septembre. — PLUS HAUTES EAUX. Hauteurs — moyenues Hauteurs, Dates, de l’eau. mèt. mèt. 3.22 7 janvier. 1.08 3.84 23 et 24 février. 143 AA 24 février. 4.09 5.09 5 décembre. 4.0! 5.30 20 janvier. 4.30 ‘ A.71 29 janvier. 4.21 5.03 21 février. 4.37 3.35 24 mars. ‘ 41.00 5.85 5 février. 1.62 3.13 925 et 26 février. 0.92 3.00 23 mars. 0.95 3.33 29 décembre. 1.01 6.90 9 février. 1.58 3.08 44 et 42 janvier. 1.02 2.11 20 juillet. 0.64 2.35 7 mars. 0.95 5.36 15 janvier. 1.09 5.63 31 décembre. 4.55 5.68 4er janvier. 4.97 4.38 7 janvier. 1.55 5.44 19 janvier. 1.57 4.33 4er février. 1.12 5.52 4 mars. 4.74 2.90 18 février. 1.01 “ LA LA 3.95 28 janvier. 4.03 3.90 26 janv., fer fév. 4.25 4.60 17 mai. 1.09 3.90 6 avril. 1.1 4.39 926 janvier. 0.99 4.27 22 mai. 441 5.55 10 mars. 1.23 6.66 3 et 4 mars. 1.22 2.81 6 decembre. 0.74 3.60 15 février. 1.31 4.08 235 décembre. 4.70 4.71 9 janvier. 4.05 4.38 5 avril. 41.60 419 926 décembre. 0.95 | 4.95 ‘47 janvier. 4.25 4A0 31 décembre. 4.70 } 4.38 47 janvier. 4.06 4. La feuille du Journal des crues manque pour cette année. fi STE TS OS | 0.00 À 0.58 | SUR LA PLUIE. PLUS BASSES EAUX. Dates. 41 septembre. . 30 sept., 4er et 5 octobre. 23, 24 sept, 7 octobre. 44, 44, 15, 16, 17, 18 oct. 5, 6, 7 septembre. 43 septembre. 47, 18, 19 août. 23 septembre. 5sept., 7, 8, 10, 44, 42, 47 et 48 octobre. 47 et 49 septembre. 28 et 30 juin, 4, 2, 49 juil, 4er et 6 octobre. 42 octobre. 20 et 24 octobre. 49 et 23 novembre. 9 et 46 octobre. 241 et 23 septembre. 28 et 30 sept., 2 et 12 oct. 22 septembre et 2 octobre. 8, 44, 43, 18 ociobre. 19 septembre. 20, 21 et 34 octobre. 22 septembre. 7 et 8 septembre. 48 octobre. 49 eï 22 août. 30 et 34 août. 21 et 23 septembre. 24 septembre. 10, 13 et 14 août. 3, 4 et 8 août. 26 et 27 août. 27 et 30 octobre. 7 et 10 juillet. 26 et 27 juin. 22 et 26 octobre. 31 octobre, 4, 4, 5 novemb. 27 et 30 septembre. 3 août. 416, 17 août, 8 octobre. 40 août. 6 et 43 août. 25 octobre. 7 septembre. 26 auût. 4er janvier. 6 décembre. 2 février. 31 décembre. 9 décembre. 3 janvier. 48 février. 30 janvier. 3 et 4 mars. 16 et 17 janvier. 3 mars. 7 décembre. 43 et 14 janvier. 3 janvier. 20 février. 20 février. 23 novembre. 24 janvier. 25 et 26 mars. 22 décembre. 13 mars. 45 mars. 28 décembre. 20 et 22 janvier. 48 janvier. 8 janvier. 5 fevrier. 9 novembre. 40 décembre. 40 décembre. 24 mars. 44 janvier. 4er février. 26 jauvier. 4 mars. 46 jcnvier. 31 décembre. 4er janvier. 7 décembre. 8 mai. 46 et 47 décemb. 46 février. 23, 24, 25 mars. 9 et 10 février. 506 SUR LA PLUIE, PLUS BASSES EAUX. PLUS HAUTES EAUX. Hauteurs Années, —— — — moyennes ; Hauteurs. Dates. Hauteurs. Dates. de l'eau, mèt. mèt, mêt. 4840 —0.03 21 octobre. 4.90 4et 5 février. 143 4841 0.30 49, 20, 21, 23 septembre. 4.88 46 jinvier. 4.67 4832 —0.20 31 août. 3.30 3 et 4 avril. _ 0.80 4843 0.00. 1er, 3 et 4 octobre. 4.65 49 janvier. 41.21 4844 0.25 43 et 44 septembre. 5.97 5 mars. 1.25 4845 0.30 13 septembre. 5.45 27 décembre. 4.54 iu6 0.10 | RER D A0 LS ete séniors AR septembre. 4847 0.15 4, 46, 19 octobre. 5.20 148 février. 4148 4843 —0.15 44 octobre. 5.65 26 avril 4.26 4849 —0.10 22, 23 et 24 septembre. : 4.20 20 et 21 janvier. 1.10 4850 0.10 17 septembre. 6.05 8 février. 1.2 4851 0.30 20, 25, 26 septembre. 3.95 6 et 7 avril, .. 4.2 4852 0.20 25 mai. 4.35 29 novembre. 4.28 4853 0.35 5, 7, 8 août et 28 décembre. 5.25 235 janvier. 4.57 41854 0.10 45, 16 et 17 octobre. 5.00 29 décembre. © 1.48 1855 0.10 7 et 8 octobre. 4.85 3 mars. 4.60 1856 0.20 18 août et 10 septembre. 4.00 47 mai 4.59 4857 —0.10 27 juillet. 445 14 janvier. 0.86 4858 —0.35 16 et 22 octobre. 2.85 34 décembre. 0.34 1 Ce tableau conduit à quelques conséquences dignes d'intérêt et permet de résoudre ou de poser plusieurs questions météorologiques importantes. La moyenne générale de la hauteur de la Seine au- dessus du zéro du pont de la Tournelle est de 4",295 pour 4126 années, de 1732 à 1858 (non compris l’année 1776 qui n’a rien présenté d’extraordinaire, mais pour laquelle on n’a pu retrouver d'observations ) ; de Lalande avait obtenu 1",24 pour la moyenne des années com- prises entre 1777 et 1795. Il y a, en général, une relation entre les hauteurs moyennes de pluie tombées à Paris et le niveau moyen de la Seine; mais diverses circonstances doivent influer sur 4. Cette hauteur est la plus faible qu’on ait observée jusqu’à ce jour ; elle ne serait même que de Om.21 si le pont Notre-Dame n'avait pas été barré du 27 juin au 30 juillet, et da 4er août au 20 décembre. — Le tableau a été completé depuis la mort de M. Arago jusqu'au moment de la publication de ce volume. SUR LA PLUIE. 507 ce phénomène, ainsi qu’il résulte du tableau suivant dans lequel se trouvent réunies, aulant que possible par äixaires d'années, les observations simultanées qui ont pu être recueillies. rit | Pluie moyenne Hauteur moyenne Périodes d'observation. dry sem de De pre l'Observatoire de Paris. de la Seine. | mill. êtres, 1739 à 1748..... 424 1.18 4749 à 1754..... 514 4.24 lu04778 à 4785..... 544 4.19 1805 à 1814..... L83 1.19 1815 à 1824... 496 1.27 4825 à 1834. .... 199 41.09 41835 à 1844..... 513 1.33 4845 à 1853..... : 537 1.32 Une année sèche, dans le bassin-de Paris, doit présen- ter à la fois des minima pour les basses eaux, pour les hautes eaux et pour les eaux moyennes. Depuis 1817 jusqu'à ce jour cet ensemble de circonstances ne s’est rencontrée que cinq fois, en 4822, 1832, 1835, 1842 et 1858; pendant ces années les plus basses eaux sont descendues au-dessous de l'étiage de 17149, les plus hautes eaux ne se sont pas élevées à plus de 3 mètres, et le niveau moyen est resté au-dessous de 0".80. Quant aux quantités de pluie recueillies à la hauteur de la cour de l'Observatoire de Paris, elles ont été : mill, Te Be ee ME 477.5 memes 524.7 LOT RO EnUPE QU roi js 494.7 11 gts dt off MSN: 401.0 US - 543.5 On a vu (p. 409) que la quantité moyenne annuelle de 508 SUR LA PLUIE. pluie a été, pour cette partie du xix° siècle, de 579mill.,8 dans la cour de l'Observatoire. Les plus basses eaux de la Seine ne correspondent donc pas toujours avec les quan- tités de pluie minima recueillies à Paris, ce qui prouve que la séchéresse d’une année ne peut être appréciée par les seules observations pluviométriques faites à une dis- tance aussi faible de la mer que celle de Paris aux côtes de l'Océan. Les hautes eaux extraordinaires qui causent des inondations ne sont pas moins rares que les sécheresses extrêmes; ce sont des phénomènes qui paraissent se pré- senter huit à dix fois par siècle. D’après les témoignages historiques, les inondations de la Seine ont eu lieu de la manière suivante { : 583. Au mois de février, les eaux de la Seine et de la Marne grossirent au delà de la coutume et beaucoup de bateaux périrent entre la cité et la basilique Saint-Laurent. (Grégoire de Tours.) 820 et 821. Éginhard (Collection Guizot) mentionne la Seine parmi les rivières qui débordèrent à cette époque. 834. ‘y eut un grand débordement de la Seine qui arrêta sur ses bords Pepin, roi d'Aquitaine. | 4nnales de Saint-Bertin.) On attribue le retrait des eaux à une procession de la châsse de Sainte- Geneviève. 841. Inondation de la Seine qui arrête Charles le Chauve mar- chant contre son frère Lothaire. (Histoire des fils de Louis le Débon- naire, par Nitharc.) 886. En février et en mars des inondations prêtent leurs secours . aux Parisiens pour se défendre contre les Normands. (Poëte Abbon.) 4119. Les demeures et les moissons sont enlevées durant l'hiver 1. Les Notes laissées par M. Arago ont été complétées ou rectifiées d’après l'ouvrage de M. Maurice Champion intitulé les inondations en France depuis le VX siècle jusqu'a nos jours. SUR LA PLUIE. 509 par la Seine débordée. (Histoire de Normandie, par Orderic Vital.) 1175. Il y eut au mois de novembre une inondation extraordi- naire qui renversa les métairies et engloutit les semences (Guil- laume de Nangis.) 4197. Au mois de mars, il y eut une inondation et des déborde ments qui submergèrent, dans plusieurs endroits, des villages en tiers avec leurs habitants, et rompirent les ponts de la Seine (Rigord, Collection Guizot.) 1206. Au mois de décembre, la Seine, à Paris, brisa trois arches du Petit-Pont, renversa en cette ville un grand nombre de mai- sons, et causa ailleurs beaucoup de dommages. (Guillaume de . Nangis.) 1220. Pendant tout le mois d’avril et jusqu’au milieu du mois de mai, les eaux couvrirent les prés, les bourgs, les vignes, les mois- sons. À Paris le Petit-Pont refusait le passage aux voyageurs. (Guillaume le Breton, Collection Guizot. -) 1221. Au mois de février, une inondation fit crouler des ponts et un grand nombre de maisons. (Guillaume ie Breton.) 1232-1233. La Seine déborde depuis la veille de Noël jusqu’après le jour des Rois. On a recours à la procession de la châsse de sainte Geneviève pour obtenir que les eaux se retirent. (Histoire de sainte Genevière.) 1236. Paris est inondé au-delà du Grand-Pont (Pont-au-Change) quelques jours avant Noël. FA 1242. On promène encore à Paris la châsse de Sainte-Geneviève pour conjurer les effets d’un débordement. 1291. La Seine déborda teilement de son lit qu’elle rompit les deux principales arches du Grand-Pont de Paris, et une arche du Petit-Pont. {Guillaume de Nangis.) 1296. « La veille de Saint-Thomas l’apôtre (20 décembre), le fleuve de la Seine s’accrut de telle façon qu’on ne se souvient pas et qu'on ne trouve écrit nulle part qu’il ÿ ait jamais eu à Paris une si forte inondation, car toute la ville fut remplie et entourée d'eau; en sorte qu’on ne pouvait y entrer d'aucun côté, ni passer dans presque aucune rue sans le secours d’un bateau. La masse des eaux et la rapidité du fleuve firent crouler entièrement deux ponts de pierre, des moulins et des maisons bâties dessus, et le Châtelet HO SUR LA PLUIE. du Petit-Pont. Il fallut pendant près de huit jours fournir les habi- tants de vivres apportés du dehors au moyen de barques et de ba- teaux. » (Guillaume de Nangis.) : 1307. Une grande inondation survient avec une très-forte débâcle de glace. (Guillaume de Nangis.) 1325. Un débordement eu lieu lors de la débâcle des glaces de la Seine qui fut prise deux fois. (Voir t. VIII des Œuvres, t. V des Notices scientifiques, p. 247.) 1373. « Le fleuve de Seine creut et se desborda en telle manière desmésurée, que par l'espace de deux mois, on al!ait à Paris par basteaux, en la rue Saint-Denys, et de la rue Saint-Antoine jusques à Saint-Antoine des Champs, et de la porte Saint-Honoré jusques au port de Neuilly. On attachait les basteaux à la Croix-Hesnon, au- dessus de la place Maubert. » (Corrozet, les Antiquitez, elc., de Paris.) 1400. « La Seine inonda les campagnes depuis la quatrième se- maine de mars jusqu’au milieu d’avril, et pourrit presque toutes les semences. » (Félibien, moine de Saint-Denis.) 1408. À la suite de la débâcle des glaces (voir le Tableau des grands hivers, t. VIII des Œuvres, p. 248), le 31 janvier, la Seine eut une très-forte crue, et l’eau envahit les rues de Paris en même temps que le Petit-Pont et le pont Saint-Michel furent emportés. Un grand nombre de moulins furent détruits. 4h15. Tous les environs de Paris furent couverts d’eau au mois d'avril. (Journal d'un bourgeois de Paris.) 1421. Une inondation eut lieu à Paris au mois de décembre ; la Grève fut presque couverte par les eaux durant huit jours. (Sauval.) 1426. Les marais de Paris furent inondés en juin et en juillet. (Journal d'un bourgeois de Paris.) 1427. « En ce l’an, fut la rivière de Saine si très-grande : car à la Pentecoste, qui fut le huitiesme jour de juing, estoit ladite rivière à la Croix de Grève, et ce tint en ce point jusques au bout des festes, et le jeudy ensuivant crut tant l’eau, que l’isle Nostre-Dame fut couverte, et, devant l’isle, aux Ourmetiaux, estoit tant crue que on y eust mené batteaulx ou nacelles, et toutes les maisons d’entour, qui basses estoient, comme le celier et le premier estage, estoient pleines. » (Journal d'un bourgeuis de Paris.) SUR LA PLUIE. 514 1h39. « Le mars furent les eaux si grandes, car en Grève à Paris “elles estoient devant l’ostel de la ville, en la place Maubert, jusques à la moitié du marché au pain, et tous les marays depuis la porte Saint-Martin jusques à myvoie de Saint-Antoine, tous real jusques à huit jours du moys d'avril. » (Zdem.) 1435. « Au mois de janvier fut Seine si grande qu’elle entourait la croix de Grève. » (/dem.) 41442. « Au moys d'avril après Pasques, furent les eaux si grandes qu’elles venoient jusques devant l’ostel de ville en la pe de Grève et plus. » (/dem.) 4460. La Seine déborde et cause de grands dégâts. (Sauval.) 1480. La débâcle de la Seine (voir t. VIII des Œuvres, p. 218 et 272, ) est suivie d’une grande inondation. 1484. Au mois de janvier l’eau monte Je? la Croix de Grève. (Sauval.) 1497. La Seine arriva le 7 janvier à la Grève jusqu'au Saint- Esprit à la Croix des Carmes, sur la place Maubert, dans la rue -Saint-André-des-Arcs. Le 12 janvier il y eut procession de la châsse de Sdinte-Geneviève pour faire retirer les eaux. (Sauval, Corrozet.) 1502. De grandes inondations ont lieu à Paris. (Sauval.) 1505. Les eaux ‘nvanirent à peu près les mêmes points qu’en 1497. (Idem.) 1531. Le 10 janvier, la Seine déborde. (1dem.) 1547. Le 10 décembre des bateaux amarrés au petit Châtelet sont enlevés par les hautes eaux, et viennent frapper le pont Saint- Michel qui s'écroule en partie avec dix-sept maisons. (/dem.) 4565. La Seine déborde le 4° mars à la suite de la débâcle des glaces d’un long et dur hiver. (Voir t. VIIL des Œuvres, p. 275.) 1570. Au mois de décembre, Paris et les environs sont submergés. (Sauval. ) 1571. En février, on va en bateau à la place Maubert et dans les principales rues de Paris. (1dem.) 1573. « Adviendrent de grandes inondations d’eaues par la France et surtout à Paris, la Seine se desbordant de telle sorte que de mé- moire d'homme on n’avoit veu un pareil desbord, tellement qu’en plusieurs endroits de la Ville et l'Université, on étoit contraint d'aller sur des batteaux par les rues. » {Belleforest, Ænnales.) 512 SUR LA PLUIE. 1582-1583. De novembre 1582 au mois de mars 14583, des inon- dations de la Seine causèrent.de grands désastres. (Pierre de l'Estoile. ) 1595. Le 14 mars, la crue des eaux menace d'entraîner les ponts, et une ordonnance de police enjoint aux habitants de quitter les maisons qui s’y trouvent construites. ( Sauval, Félibien.) 1610. La Seine déborde pendant le mois de janvier. (Pierre de l’Estoile.) 1613. La Seine couvre la grève au mois de juillet. ( Sauval.) 1615. La Seine déborde et arrive le 41 juillet à 8.93 au-dessus des basses eaux de 1719. (Mémoires de l'Académie des Sciences pour 1720.) 1616. La débâcle des glaces est suivie d’un débordement. (Voir t. VIII des CEuvres, p. 278.) 1641. Il y eut un débordement de la Seine. (4ctes du Parlement.) 1649. Les eaux de la Seine envahissent plusieurs quartiers de la ville, font tomber un grand nombre de maisons, produisent la chute d’une partie du pont des Tuileries. (Courrier français de février 1649.) 1651. Au mois de janvier la Seine déborde, et la moitié du pont de la Tournelle est emportée. ({ Gazelte de Paris.) 1658. Au mois de février, une inondation causée par la débâcle des glaces produisit de grands désastres. (Voir t. VIII des OEurres, p. 280); on alla en bateau dans les rues des faubourgs Saint-Marcel, Saint-Victor, Saint-Antoine, Saint-Honoré. (Deparieux, Mémoires de l’Académie des Sciences pour 1764.) La Seine monta à 8.73 au- dessus des basses eaux de 1719. ( Mémoires de l’Académie des Sciences pour 1720.) 1665. La Seine déborde à la fin du mois de février. (Mémorial de Chronologie.) 4671. Les inondations de la Seine durent depuis le mcis de février jusqu’au commencement d’avril. (Trailé de la police.) 4677. La Seine monte jusqu'au Saint-Esprit en Grève. (Idem.) 1684. La débâcle des glaces amène des débordements; le pont des Tuileries est emporté. (Idem.) 1690. L'eau pénètre dans le cloître Notre-Dame et s’élève, dit-on, presque à la même hauteur qu’en 14615. (idem.) SUR LA PLUIE. 513 1693. La Seine s'élève, à la fin du mois de juin, vers la Saint- Jean, de 6.50 au-dessus de son niveau habituel. (Dulaure, Histoire de Paris.) 1697. La Seine atteint une hauteur de 7.32 au-dessus des basses eaux de 14749. ( Mémoires de l Académie des Sciences pour 1720.) 1701. La Seine déborde à la suite d’un hiver extrêmement humide. (Traité de la police.) : 1709. A la suite de l’hiver mémorable de cette année {t. VIII des OEuvres, p. 282), les eaux et les glaces emportent le pont de bois qui communiquait de l’île du Palais à l’île Notre-Dame. ( Traité de la police.) 1711. Une inondation considérable a lieu au mois de mars; les eaux s'élèvent à 7.80 au-dessus des basses eaux de 1719. (Mémoires de l’Académie des Sciences pour 1720.) 1726. « Au mois de février, la Seine s’étendit dans la campagne beaucoup plus loin que dans ses autres débordements, mais elle ne causa aucun dommage considérable dans Paris. » (Traité de la police.) - 1740-1741. La Seine commença à croître considérablement à Paris le 7 décembre 1740 ; le 44 l’eau entrait dans la place de Grève, jusqu'au milieu de l’arcade de l’Hôtel-de-Ville ; le 24 le faubourg Saint-Antoine est inondé; le 25, l’île Louviers est presque entière- ment couverte. L’inondation s’étendit au loin sur la rive gauche et monta au palais Bourbon jusqu’au cordon du mur de la terrasse qui règne le long de la rivière. Le Journal des crues porte à 7=.90 la hauteur maximum des eaux atteint le 26 décembre à l'échelle du pont de la Tournelle. Le 1° janvier 1741 les eaux étaient encore à 6°.71. (Journal des crues.) 1751. L'inondation eut lieu au printemps; l’eau s’éleva à 6°.67 au pont de la Tournelle. « On va en bateau dans la rue de Bièvre et jusqu’à la fontaine de la place Maubert. Dans la Grève on n'entre qu'en bateau dans l’Hôtel-de-Ville ; sur le quai des Augustins, vis-à- vis la rue Gil-le-Cœur, sur le quai du Louvre, vis-à-vis les deux premiers guichets, tout le chemin de Versailles, le Cours et les Champs-Élysées sont remplis d'eau. » { journal de Barbier.) 1764. La hauteur maximum de l’eau marquée à l'échelle du pont de la Tournelle a été de 6".90 le 9 février. La crue commença le 28 janvier. « Toute la plaine d’Ivry a été inondée jusque au pied de la colline. Le Port à l’Anglois était au milieu des eaux qui, d'un XIL 33 514 SUR LA PLUIE. côté, noyaient les jardins de. Conflans et de Bercy, couvraient tout le port et les chantiers de la Rapée, et avaient reflué par les fossés. de lArsenal, jusque au-delà du pont aux Choux ; de l’autre côté les eaux battoient les murs de l’Hôpital-Général. L'île Louviers a été presque toute couverte. Le bastion du pavillon de l’Arsenal était entouré d’eau qui couvrait aussi l’estacade., L'eau a couvert tout le port au Blé, depuis l’extrémité de la place aux Veaux, où elle s’a- vançait, jusque à l'entrée de la rue Geoffroy-l’Anier. On allait en bateau dans la place de Grève, et l’eau s’y est avancée jusqu’à la chapelle du Saint-Esprit. Tout le pont Saint-Nicolas a été couvert, l'eau battait les rues du Louvre et s’est avancée par le premier gui- chet, dans la rue Froidmanteau, presque jusqu’au passage de Saint- Thomas du Louvre. L'eau couvrait aussi les extrémités des rues de la Huchette, de la Vieille-Boucherie, de Saint-André-des-Arcs , le quai d'Orsai, la moitié de l’Esplanade des Inyalides. » (Journal de Ferdun.) 1784. Les eaux atteignirent 6,66 à l'échelle du pont de la Tour- nelle les 3 et 4 mars. L’inondation fut rendue formidable par la débâcle des glaces formées durant un long hiver. (T. VIIL des OEvres, p. 295.) 1799. La débâcle des glaces fut accompagnée d’une grande crue des eaux de la Seine qui s’élevèrent jusqu’à 6.97 le 2 février. « On ne peut passer qu’en bateau sur plus de la moitié du quai du Louvre, sur le port au Blé, dans la place de Grève, sur le quai de la Vallée, dans la rue Saint-Florentin et celle Saint-Honoré. La route de Versailles est interrompue; l’eau est montée par-dessus les parapets et s’est répandue dans les Champs-Élysées. » (Moniteur du 17 pluviose, an vir.) 1801-1802. Le 1° décembre 1801, les eaux de la Seine étaient à L%,82 au-dessus du zéro de l'échelle du pont de la Tournelle; le 9, elles avaient atteint 5.22 et couvraient la route de Versailles ; elles interceptaient le passage sur les quais d'Orsay et du Louvre, sur les ports de le Rapée, de l'Hôpital, de Saint-Bernard et la Grève. Bientôt l’île Louviers fut couverte. Après une légère diminution, les eaux reprirent leur mouvement ascensionnel; elles s’élevèrent à 7%,32 le 3 janvier 1802, et alors la rivière charriait fortement. L'île Saint-Louis fut presque tout entière envahie, les eaux parvinrent jusqu’aux rues de Charenton et Saint-Antoine; couvrirent les quais de Grève, de la Mégisserie, de l’École; se portèrent à l'entrée des rues Saint-Victor, de la Montagne Sainte-Geneviève, des Noyers, Saint-André-des-Arcs ; se répandirent sur l’esplanade des Invalides SUR LA PLUIE: | 513 jusqu’à la hauteur de la rue Saint-Dominique. (Rapport de M. Bralle, inséré au Moniteur de juillet 1804.) 1806. Le niveau de la Seine s’éleva au maximum à 5.89 à l’é- chelle du-pont de la Tournelle, les 16 et 17 janvier. L'eau couvrit le port au Blé et une partie du quai du Louvre. 1807. L'inondation commença à la fin de février. td 3 mars, l'eau atteignit au pont de la Tournelle sa hauteur maximum (6".70.) « Plusieurs quartiers de la ville étaient inondés, savoir : « Sur la rive droite : le boulevard extérieur jusqu’à la barrière de Bercy; tout le quai de la Rapée et la rue Traversière ; la rue du Chemin-Vert, dans laquelle les eaux avaient remonté par l’égout des fossés de l’Arsenal ; le quai Saint-Paul; le port au Blé, la rue de la Mortellerie et la place de Grève jusque devant la rue de l’Épine; le quai de l'École, devant la rue des Poulies ; le port Saint-Nicolas et le guichet Froidmanteau, la rue Saint-Florentin, où les eaux avaient reflué par l'égout de la place de la Concorde ; le quai de la Conférence et partie des Champs-Élysées ; les rues du Faubourg-du- Roule, de VArcade, de la Pépinière et la rue Verte, devant celle de la Ville-l'Évêque : les eaux y avaient remonté par le grand égout. « Sur la rive gauche : le quai de l’Hôpital-de-la-Salpétrière; le quai Saint-Bernard et partie de la rue de Seine ; le port aux Tuiles, là rue des Grands-Degrés et la place Maubert; partie du quai des Augustins; la rue de Seine (faubourg Saint-Germain) où les eaux avaient remonté par l'égout ; les rues de Poitiers, de Belle-Chasse et de Bourgogne; l’esplanade des Invalides et la rue de l’Université, devant l'administration des ponts et chaussées; le Gros-Caillou, le champ de Mars et les marais de Grenelle. « ( Égault, Mémoire sur les inondations de ?aris.) 1811. Le 20 février les eaux montent à 5.34 au pont de la Tour- nelle. Elles pénètrent dans les rez-de-chaussée des maisons du port au Blé. (Journal de l'Empire.) 1816. Le 22 décembre, la Seine s'élève à 5".48 au pont de la Tournelle. Les eaux submergent quelques points de la place de _ Grève. (Journal des Débats.) “ 1817. La Seine monte à 6.30 au pont de la Tournelle; elle _ envahit les quartiers de l’Hôtel-de-Ville et du Louvre, plusieurs points du faubourgs Saint-Germain, de l'Esplanade des Invalides, des Champs-Élysées et du quartier de la Pépinière. (Journal des Débats.) 1818. La plus grande hauteur de l’eau ne fut que de 5”.20 au 516 SUR LA PLUIE. pont de la Tournelle. Les jardins situés au bas des deux terrasses des Tuileries sont inondés ; les eaux commencent à déborder sur la route de Versailles. (Journal des Débats.) , 4819-1820. À la fin de 1819, le 28 décembre, les eaux s'élèvent à 5",69, et au commencement de 4820, le 20 et le 22 janvier, à 5,50. La débâcle des glaces (voir t. VIII des OEuvres, p. 309,) rend le débordement redoutable. Les eaux couvrent une partie de de la place de Grève, les quais de Grève et des Ormes; les maisons du port au Blé en sont remplies. (Journal des Débats.) 1830. La débâcle des glaces après le long hiver de 1829-1830 (voir t. VIII des Œuvres, p. 317 à 328), a causé un débordement suivi d’un grand nombre d'accidents. L'eau s’est élevée à 5.70 au pont de la Tournelle, et a envahi les quais en plusieurs en- droits. 1836. Deux débordements de la Seine ont eu lieu en 1836, le pre- mier au mois de mai, le second au mois de décembre. Le 8 mai, les eaux atteignirent 5.62 à l'échelle du pont de la Tournelle. Les maisons bordant les quais et la Grève furent envahies depuis la place de l’Hôtel-de-Ville jusqu’au dessus du pont Louis- Philippe ; l’eau venait jusqu’à l’entrée de la rue de la Mortellerie. La crue du mois de décembre fut plus forte; l’eau monta à 6.40 à l'échelle du pont de la Tournelle ; elle envahit le quai d'Orsay, les rues de Poitiers et de Bellechasse, la place de l’Hôtel-de-Ville, les quais Saint-Bernard, de la Rapée et d’Austerlitz. (Journal des Débats.) 1844. La Seine s'élève à 5.97 le 5 mars, à l’échelle du pont de la Tournelle. Les quais de la Gare, de Bercy, de la Tournelle, Saint- Paul furent envahis. Les eaux étant parvenues dans les conduits, le gaz s'éteignit dans la grande avenue des Champ-Élysées et le Cours- la-Reine. (Le Siècle.) 4845. Une forte crue eut lieu au mois de décembre; le niveau de l'eau monta à 5".45 au pont de la Tournelle. Le débordement resta circonscrit dans Paris aux points voisins des quais. Au-dessus et au- dessous de Paris, les plaines furent couvertes par l’eau. 1848. L'eau atteint 5",65 à l'échelle du pont de la Tournelle, 1 26 avril, sans causer de dégâts et en envahissart seulement le: abords des quais. . 1850. Les caves des quartiers voisins de la Seine sont inondées; les eaux refluent par les bouches des égouts, notamment aux abords SUR LA PLUIE. 517 du palais de l’Assemblée nationale. Le niveau de l’eau atteint, le 8 février, son maximum (6°.05) à l'échelle du pont de la Tournelle. Les crues de la Seine qui présentent des inondations importantes, doivent, comme on le voit d’après cette table, présenter au moins 5°.70 d’élévation à l'échelle Cu pont de la Tournelle. On ne doit pas oublier que, pour obtenir les hauteurs de l’eau aux échelles du pont Royal et du pont de la Concorde, il faut ajouter 0".80 à 0.90 aux nombres observés au pont de la Tournelle. En résumé, les plus hautes crues de la Seine ont été les suivantes : Hauteurs marquées à l'échelle de Le ah mèt. AZ Juillet 1615...55 ui istoe-s5s 8.93 février 1658...... PRO ‘ 8.73 BP AONIOr 20700. ET, EPA 6.90 Été de 1690.......... pas Ki 8.93 Te devons ee oo ' - 7.32 0 #4: RRNORENER ALT DT 7.80 26 décembre 41740.............. 7.90 le jante Ses 6.71 28 mars 4761.::::.. She à 6.67 5 février 1760.......... sésaits 5.85 9 février 1764...... sédésesssee 6.90 8 et 4 mars 1784......... FA 6.66 Si: œ PSP 6.97 RUE RER RE 7.32 16 et 17 janvier 1806........... 5.89 S mars 4007 LL Lie 6.70 13 mars 1817...... nok.e 46e di 6.30 26 janvier 1830........ soooocsse 5.70 16 et 17 décembre 1836......... 6.10 5 mars 1844.............. A 5.97 8 février 1850........ A Su 6.05 Dans leurs débordements, les eaux des rivières et des 548 SUR LA PLUIE. fleuves abandonnent une grande partie du limon qu’elles ont entraîné, et enrichissent ainsi les plaines sur lesquelles elles se répandent. Voici quelques chiffres relatifs: aux quantités de matières tenues en suspension par les eaux. Pendant une de ces crues de ia Garonne qu’on appelle à Bordeaux une souberne, laquelle eut lieu le.4”. avril 1828, et qui du reste fut très-peu considérable, on constata que la matière terreuse tenue me suspension dans to du fleuve, était en poids les du «3 = ss de Seine contient en dissolution —— du total — x.) F2: l’eau de la Garonne, souillée artificiellement avec de vase, en contenait encore, après trois jours de 100,000es 862e repos, DE du poids total de l’eau. À la surface du grand vase où l’eau se clarifiait, on trouva : 116 100,000es RE 100,000es 20 après 48 heures. ...... fais à 15 après 72 heures....... 700,000 13 après 96 heures....... TS. TT de vase, après 24 heures....... Pendant les premières heures la clarification est ra- pide, ensuite elle marche très-lentement. Après 28 jours de repos, l’eau ci-dessus, salie artifi- ms de vase, n’était pas encore devenue parfaitement limpide. * ciellement de SUR LA GRÉLE La grêle a été depuis peu l’objet de tant de Mémoires; les moyens de s’en garantir proposés par quelques per- sonnes ont amené de si vives discussions, qu'il m’a semblé utile d’insérer dans l'Annuaire un exposé impar- tial des observations et des théories auxquelles ce mé- téore a donné lieu. Le lecteur verra ensuite lui-même ce qu’il est raisonnable d'attendre de l'emploi des prétendus paragrêles dont un si grand nombre de propriétés ru- rales sont maintenant couvertes. L. — OBSERVATIONS SUR LA FORME ET LES DIMENSIONS DE LA GRÊLE; SUR LES CIRCONSTANCES ATMOSPHÉRIQUES QUI ACCOM- PAGNENT CE MÉTÉORE, ETC. Au midi de la France, en Italie, en Espagne, etc., c'est dans le printemps et l'été, aux heures les plus chaudes de la journée, que la grêle se forme le plus abondamment. En Europe, elle tombe presque constam- ment de jour. Je dis presque, car il n’est pas aussi rare qu’on l’a supposé d’en voir tomber la nuit. Celle qui, en août 1787, ravagea les environs du lac de Côme, dans une étendue superficielle de 14 lieues de-longueur sur 4. Notice publiée dans l’#nnuaire du Bureau des longitudes pour 1828. — Voir sur le même sujet : t. IV des Œuvres, t. I® des Notices scientifiques, p. 156 et 345; t. IX des Œuvres (rapports sur les voyages), p. 356. Voir aussi p. 435 de ce volume. 520 SUR LA GRÊLE. 9 de largeur, commença précisément à minuit. Je pour- rais encore, sans quitter l’Italie, citer la grêle non moins désastreuse du mois d’août 1778, car elle tomba à la même heure, et celle du mois du juillet 1806, qui ne commença qu’au point du jour. La grêle précède ordinairement les pluies d'orage ; elle les accompagne quelquefois; jamais ou presque jamais elle ne les suit, surtout quand ces 4 ss ont eu quelque durée. | Les nuages chargés de grêle semblent avoir beaucoup de profondeur, et se distinguent des autres nuages ora- geux par une nuance cendrée très-remarquable. Leurs bords offrent des déchirures multipliées; leur surface présente çà et là d'immenses protubérances irrégulières : elle semble gonflée. Ces nuages sont généralement très-peu élevés : pour le prouver, nous remarquerons qu’il grèle rarement sans tonnerre; il est donc naturel d’admettre que ces deux météores se forment à la même distance de la terre : or, durant des orages accompagnés de grêle, il ne s'écoule souvent qu'une ou deux secondes entre l'apparition de l'éclair et l’arrivée du bruit, ce qui suppose, d’après la vitesse connue du son, une distance de 300 à 700 mètres. Ajoutons d’ailleurs, pour trancher toute difficulté, qu’on a vu plus d’une fois des nuages, d’où la grêle devait quelques minutes plus tard s'échapper par torrents, cou- vrir comme un voile épais toute l'étendue d’un vallon, pendant que les collines voisines jouissaient à la fois d’un ciel pur et d’une douce température. Il suffit de suivre quelques instants la marche d’un SUR LA GRÊLE. 524 électromètre atmosphérique aux approches de la grêle, pour reconnaître que l’électricité change alors très- fréquemment, non-seulement d'intensité, mais encore _ de nature : il n’est pas rare dans ces circonstances de voir les passages du positif au négatif et du négatif au positif se répéter jusqu’à dix ou douze fois par minute. On entend quelquefois, avant la chute de la grêle, un bruit, un craquement particulier qu’il serait difficile de mieux définir qu’en le comparant à celui que produit un sac de noix qu’on vide. La plupart des météorologistes croient que les grêlons poussés par les vents s’entrecho- quent continuellement dans les nuages qui les portent, et c’est là, suivant eux, l’origine du mugissement dont la chute du météore est précédée. D’autres supposent que les grêlons sont fortement et diversement électrisés, et regardent dès lors le craquement en question comme le résultat des petites décharges électriques mille et mille fois répétées. La grêle prend des formes assez variées; mais tous les grêlons d’une même averse présentent à peu près des figures semblables. Les observateurs ont remarqué de bonne heure qu’il y a presque toujours au centre des grêlons un petit flo- con de neige spongieux. Cette partie, assez ordinaire- ment, est la seule opaque; les couches concentriques dont elle se trouve entourée ont toute la diaphanéité de la glace ordinaire. Il est donc permis de supposer, et cette remarque a beaucoup d'importance, que le noyau et l'extérieur des grêlons ne se forment pas de la même manière, 522 SUR LA GRÈLE. Il tombe quelquefois de gros grêlons à centre. nei- geux, qui sont formés de couches concentriques alterna- tivement diaphanes et opaques. La grêle menue, peu consistante, qu’on recueille dans certaines saisons et dont la surface paraît comme sau- poudrée de farine, porte le nom de grésil. C’est une espèce d’intermédiaire entre la grêle proprement dite et la neige. Le grésil ne se montre que pendant les orages passagers et très-peu intenses; il n’en tombe jamais en été, du moins dans les pays méridionaux. Il existe une troisième espèce de grêle, qui n’offre au- cune trace du flocon neigeux central; ses grains sont toujours assez petits, comme ceux du grésil; mais ils en diffèrent par leur diaphanéité, Les physiciens ont admis que cette grêle, d’un genre tout particulier, est produite par des gouttes de pluie qui, tombant d’un nuage, se gèlent en traversant un nuage plus bas et néanmoins sensible- ment plus froid. La rareté des circonstances-qui peuvent amener une distribution aussi anomale des températures dans les nuages diversement élevés, explique. pourquoi cette espèce de grêle a été si peu observée. Pour prononcer sur la valeur des explications qu’on a données de la formation de la grêle, il importe extrême- ment de déterminer quels sont les plus grands poids qu’elle puisse jamais acquérir. Dans le catalogue qui suit, je me suis abstenu de citer les observations dont l'exactitude n’était pas garantie par un physicien connu ; j'ai en outre transformé toutes les mesures en mesures décimales métriques. Le 29 avril 1697, il tomba dans le Flintshire, au rap- SUR LA GRÊLE. | 823 port de Halley, des grêlons qui pesaient 150 grammes. Le A mai de la même année, Robert Taylor en avait mesuré à Hitchin, dans le Hartfordshire, dont le contour était de 35 centimètres, ce qui re un diamètre de plus de 10 centimètres. Parent, de l’Académie des Sciences, Re qu'il tomba le 45 mai 1703, dans le Perche, dela bee grosse comme le poing. Le 41 juillet 1753, M. Montignot ramassa à Toul des grêlons qui avaient la forme de polyèdres irréguliers de près de 8 centimètres de diamètre en tous sens. Ces gros grêlons étaient un assemblage de grêlons plus petits, qui s’étaiént collés entre eux, avant de tomber à terre. ; Pendant un orage qui fondit sur Paris le 7 juillet 1769, à 6 heures du soir, par un vent d'ouest, M. Adamson ramassa, dans la première demi-heure, des grêlons pyra- midaux à six pans, très-obtus, de 13 millimètres de lon- gueur sur 7 de largeur. Ensuite, le vent étant passé au nord-est, les grêlons prirent la forme de ménisques de 20 millimètres de diamètre, plans d’un côté et convexes de l’autre. Ils étaient si transparents et si réguliers qu'ils grossissaient les objets sans les défigurer. Durant l'orage déjà cité qui éclata sur la ville de Côme et ses environs, dans la nuit du 19 au 20 août 1787, il tomba des grêlons gros comme des œufs de poule. On en ramassa un grand nombre qui pesaient plus de 280 grammes; c’est à Volta lui- né que j'emprunte ces nombres. M. Delcros, ingénieur -géographe, rapporte qu’il a 524 SUR LA GRÊLE. souvent observé des grêlons pyramidaux “ayonnés du centre à la circonférence, terminés par une portion de surface courbe, et qui paraissaient devoir être des frag- ments de grêlons sphériques. Le 4 juillet 1819, pendant un orage de nuit qui désola une grande portion de l’ouest de la France, M. Delcros ramassa, pour la première fois, plusieurs de ces grêlons entiers dans lesquels on re- marquait un premier noyau sphérique d’un blanc assez opaque, offrant des traces de couches concentriques ; une enveloppe de glace compacte, rayonnée du centre à la cir- conférence, et terminée extérieurement par douze grandes pyramides entre lesquelles des pyramides moindres étaient intercalées. Le tout formait une masse sphérique de près de 9 centimètres de diamètre. Je ne pense pas qu’il y ait jamais eu dans aucun pays une chute de grêle, ni plus affreuse dans ses résultats, ni plus remarquable par ses circonstances, que celle dont M. Tessier publia la relation en 1790. L'orage commença au midi de la France dans la ma- tinée du 43 juillet 1788, traversa en peu d'heures toute la longueur du royaume, et s’étendit ensuite dans les Pays-Bas et en Hollande. Tous les terrains grêlés se trouvèrent situés sur deux bandes parallèles dirigées du sud-ouest au nord-est : l’une de ces bandes avait 175 lieues de longueur, l’autre environ 200. | On reconnut que la largeur. moyenne de la bande grêlée la plus occidentale était de 4 lieues; celle de l’autre de 2 lieues seulement. L’intervalle compris entre ces deux bandes ne fût pas grêlé; il reçut une pluie SUR LA GRÊLE. 525 très-abondante; sa largeur moyenne était de 5 lieues. Il tomba beaucoup d'eau, soit à l’orient de la bande grêlée de l’est, soit à l’ouest de la bande occidentale ; partout la chute du météore fut précédée d’une obscurité profonde qui s’étendit bien loin des pays grêlés. En comparant les heures de la grêle dans les différents lieux, on trouve que l'orage parcourait du midi au nord - 46 lieues et demie à l'heure, et que la vitesse était préci- sément la même sur les deux bandes : Sur celle de l’ouest, il grêlait en Touraine, près de Loches, à 6 heures et demie du matin; auprès de Char- tres, à 7 heures et demie; à Rambouillet, à 8 heures; à Pontoise, à 8 heures et demie; à Clermont en Beauvoisis, à 9 heures; à Douai, à 11 heures; à Courtray, à midi et demie; à Flessingue, à 1 heure et demie. Dans la bande de l’est, l'orage atteignit Artenay, près d'Orléans, à 7. heures et demie du matin; Andonville en Beauce, à 8 heures; le faubourg Saint-Antoine de Paris, à 8 heures et demie; Crespy en Valois, à 9 heures et demie; Câteau-Cambrésis, à 11 heures, et Utrecht, à 2 heures et demie. Dans chaque lieu, la grêle ne tomba que pendant 7 à 8 minutes. Les grêlons n'avaient pas tous la même forme : les uns étaient ronds, les autres longs et armés de pointes; les plus gros pesaient 250 grammes 1, 4. Pour fournir aux météorologistes les moyens d'évaluer ap- proximativement le poids des grêlons en partant de la manière habituelle de désigner leur grosseur, M. Tessier façonna quelques morceaux de glace qui lui parurent avoir la consistance de la grèle, 526 SUR LA GRÊLE. Les dégâts occasionnés en France dans les mille trente- neuf paroisses que la grêle du 13 juillet frappa, se mon- tèrent, d’après une enquête officielle, à 24,962,000 francs. II. — THÉORIE DE LA GRÊLE Le physicien qui veut expliquer le phénomène de la grêle doit examiner comment est produit le froid qui donne naissance aux premiers noyaux; par quél artifice les grêlons augmentent de volume; quelle est la force qui soutient en l'air, pendant des heures entières, tant de masses de glace du poids de 50, de 100 et même de 250 grammes; pourquoi l'électricité atmosphérique est si intense; pourquoi elle passe si souvent du positif au négatif, et réciproquement, quand le ciel est couvert de nuages chargés de grêle, etc., etc. Telle est la série de problèmes que lillustre Volta s'est proposé de résoudre dans la théorie dont je vais essayer de reproduire ici les traits principaux. JII. — FORMATION DES NOYAUX On a déjà vu que c’est dans l’été, et même aux heures les plus chaudes de la journée, que la grêle tombe ordi- nairement. Les nuages d’où elle s'échappe flottent tou- jours, à cette époque, bien au-dessous de la hauteur, variable avec les climats et les saisons, à partir de la- de manière à leur donner la grosseur d’un œuf de pigeon, d’un œuf de poule, d’un œuf de dindon : le premier pesait 11 grammes, le second 53 grammes, le troisième 69 grammes. SUR LA GRÊLE. 527 quelle il règne dans l’atmosphère une température au- dessous de zéro. Pour que ces nuages se soient gelés, ils ont dû se trouver soumis à une cause particulière de refroidissement. Guyton-Morveau, Volta, etc., ont pensé qu’il fallait chercher cette cause dans l’évaporation. Une couche liquide ne peut passer à l’état de vapeur sans emprunter aux corps dont elle est entourée une por- tion de leur chaleur, c’est-à-dire sans les refroidir. Plus l'évaporation est considérable, et plus aussi le froid qu’elle occasionne est intense. Les nuages sont composés de vésicules creuses très- petites, dont l'enveloppe extérieure est liquide. Les my- riades de ces enyeloppes qui forment la face supérieure d'un nuage doivent éprouver. vers midi, au milieu de l'été, une forte évaporation, 1° parce que les rayons so- laires qui les frappent ont beaucoup d'intensité, 2° parce qu’elles nagent dans des couches d'air très-sèches. D’au- tres causes, d’après Volta, contribuent aussi à rendre lévaporation des nuages intense et rapide : suivant lui, les molécules vésiculaires peuvent être considérées comme un acheminement vers la formation des vapeurs élas- tiques, et, dans un temps donné, la masse de vapeurs de cette espèce, que les rayons solaires développeront en frappant un nuage, devra toujours surpassér ce qu'aurait produit la même quantité de calorique dirigée sur une surface liquide proprement dite. Ajoutons, enfin, que l'électricité ne peut manquer de jouer ici un rôle impor- tant, car tous les nuages en sont chargés, et les expé- riences répétées des physiciens ont montré qu’à parité de circonstances, l’évaporation d’un liquide électrisé est 528 SUR LA GRÊLE. plus abondante que celle d’un liquide à l’état neutre, Telles sont les considérations d’après lesquelles Volta pense avoir éclairci un des principaux paradoxes de la météorologie, savoir : la formation de petits glaçons, au mois d'août, aux heures, les plus chaudes de la journée, et au milieu de couches atmosphériques d’une tempéra- ture bien supérieure à zéro. Ces embryons, qui deviennent les noyaux des grêlons proprement dits, résulteraient ainsi d’une abondante évaporation, provoquée par la grande intensité des rayons solaires, par l'extrême sé- cheresse des régions où le phénomène s'opère, et par l’état fortement électrique des vapeurs vésiculaires. IV. — DE LA FORMATION DÉFINITIVE DES GRÊLONS Après avoir admis que les premiers embryons de la grêle sont une conséquence du froid qu’éprouvent les nuages lorsque leurs couches supérieures s’évaporent rapidement sous l’action des rayons brûlants dé la ca- nicule, il reste à trouver leur mode de grossissement. Jusqu'à la publication des Mémoires de Volta, les physiciens s'étaient contentés de supposer que les noyaux des grêlons, en tombant à travers l’atmosphère, gelaient toutes les particules d’eau qu'ils touchaient, et que les couches concentriques qu’ils s’appropriaient ainsi gra- duelement suffisaient pour les amener aux énormes di- mensions dont j'ai cité plus haut quelques exemples; mais les nuages orageux sont presque toujours très-bas, et certainement la grêle qui s’en détache n’emploie pas plus d’une minute pour arriver au sol : or, il est impos- # SUR LA GRÈLE. | 529 sible d'admettre qu'en aussi peu de temps, quelle que soit d’ailleurs humidité de l'air, le noyau primitif, que je süpposerai, si l’on veut, de la grosseur d’un grain de blé, puisse se revêtir d’assez d’enveloppes pour acquérir le volume d’un œuf de poule. Volta a donc cru néces- saire de supposer que la grêle déjà formée reste sus- pendue dans l’espace, non pas seulement cinq, dix, quinze minutes, mais peut-être même des heures entières. C’est en cela que consiste la partie la plus nouvelle et la plus ingénieuse de sa théorie. Il reconnaît au reste, lui-même, qu’elle lui a été suggérée par une expérience citée dans les vieux traités de physique, sous le nom de danse des pantins, et dont voici la description : Deux disques métalliques sont placés horizontalement l'un au-dessus de l’autre. Le disque supérieur est sus: pendu par un crochet au conducteur d’une machine élec- trique ; le disque inférieur est en communication avec le sol, soit immédiatement, soit à l’aide d’une chaîne. Le dernier disque porte un certain nombre de balles de moelle de sureau. Aussitôt que, pour commencer l’expé- rience, on fait tourner le plateau de la machine, on voit toutes les balles s’élancer du disque inférieur jusqu’au disque supérieur , redescendre ensuite rapidement, pour remonter bientôt après. Le mouvement continue tant que le plateau supérieur demeure sensiblement électrisé. La cause de ces oscillations n’est pas difficile à trouver. ” Aussitôt que le conducteur de la machine est chargé, son électricité se communique au disque supérieur, par l'intérmédiaire du crochet. Tout corps électrisé attire, comme On Sait, les corps qui ne le sont pas : les balles XIL 34 530 SUR LA GRÊLE. légères de sureau se trouvent. dans ce dernier cas ;_elles doivent donc. être soulevées par l'attraction du disque supérieur, quand son électricité est suffisamment forte, et aller le toucher. Dès que le contact a lieu, le disque communique aux balles une partie de son électricité ; mais, puisque deux corps électrisés de la même manière se repoussent, les balles ne peuvent rester attachées au disque supérieur qu’un instant; la répulsion de ce disque et leur propre poids doivent bientôt les faire descendre. Parvenues au disque. inférieur, elles se déchargent de l'électricité qu’elles avaient acquise à l'extrémité de l’os- cillation ascendante, se retrouvent dans l'état primitif, et doivent présenter aussitôt les mêmes phénomènes. Si le disque inférieur, au lieu d’être en communica- tion avec le réservoir commun, se trouvait aussi élec- trisé, mais en sens contraire du disque supérieur, le mouvement oscillatoire des balles aurait également lieu; il serait même plus rapide : d’abord, parce que, dans le mouvement ascendant, la répulsion du disque inférieur sur la balle électrisée qui viendrait de le quitter s’ajou- terait à l’attraction de l’autre disque, et ensuite parce que celle-ci aurait plus d'intensité. Qu'on dépose sur un disque métallique isolé des corps très-légers, tels que des brins de soie ou de coton, des plumes, des feuilles d’or battu, de petites balles de moelle de sureau, etc. ; qu’on communique ensuite au disque. ‘une forte électricité, aussitôt tous ces corps se soulève- ront dans l’air jusqu’à une certaine distance et s’y main- tiendront longtemps comme suspendus, mais en éprou- vant toutefois un mouvement oscillatoire sensible. SUR LA GRÊLE. d 531 Substituons aux disques des trois expériences. précé- dentes ces noirs nuages orageux dont l'immense charge élec trique est si bien indiquée par ia vivacité des éclairs qui jaillissent incessamment de tous leurs points, il n°y aura alors rien d’étrange à supposer que des grains de grêle, soumis à cette puissante influence, présenteront exactement tous les phénomènes que les balles de sureau nous avaient offerts. S'il n’y a qu'un seul nuage électrisé, il maintiendra les grêlons à une certaine distance de sa surface; s’il y en a deux, le plus élevé électrisé, le plus bas à l’état neutre, les grêlons éprouveront entre l’un et l’autre un mouvement d’oscillation qui ne cessera qu’au moment où le poids graduellement croissant des grêlons. amènera leur chute. Le même mouvement oscillatoire, plus rapide ‘seulement, se communiquera aussi aux grêlons dès qu’ils se trouveront compris entre deux nuages électrisés en sens contraire. Ce dernier mode de suspension des gré- lons est, suivant Volta, celui que la nature emploie : c’est en oscillant entre deux nuages chargés d’électricités dissemblables que les embryons de neige sont recouverts d’une première enveloppe de glace diaphane ; c’est pen- dant ce mouvement longtemps continué que les cou- ches se superposent en nombre suffisant pour donner aux grêlons les dimensions énormes qui font si souvent | Je désespoir du cultivateur. L'existence simultanée de deux couches. de nuages . (TE élevées ne peut donner lieu à aucune diffi- culté contre cette théorie : on voit souvent, en effet, de telles couches poussées par des vents différents se mou- 532 “SUR LA GRÊLE. “voir dans des directions diverses et même diamétralement opposées. D’autres phénomènes non moins remarquables annoncent aussi, assez fréquemment, la présence de plu- sieurs strates de nuées. Qui n’a observé, par exemple, quand un orage se prépare, de petits nuages grisâtre, isolés qui tantôt sont immobiles et tantôt paraissent fort agités sous des nuages d'une nuance différente et beau- coup plus étendus. On ne peut pas douter davantage que, dans une même masse de nuées orageuses, il ne se trouve souvent des parties douées d’électricités contraires ; car à l’aide d’un électromètre atmosphérique, Volta lui-même a observé jusqu’à quatorze changements du positif ‘au négatif, et réciproquement, en une seule minute de temps. Mais l’illustre physicien italien ne s’est pas arrêté là ; après avoir recueilli les données de l’observation, il à essayé de montrer, de plus, comment naissent les diverses couches de nuages, comment elles se constituent dans des ‘états électriques contraires. Voici son explication : © Quand les rayons solaires tombent sur un nuage déjà formé, ils produisent, aux dépens de sa surface supé- rieure, ainsi que nous l'avons déjà dit, une grande quan- tité de vapeurs élastiques ; ces vapeurs saturent d’abord l'air primitivement très-sec dont le nuage était entouré ; ‘ensuite, dans leur mouvement ascensionnel, elles ren- contrent tôt ou tard des couches d’air assez froides pour occasionner leur retour à l’état de vapeurs vésiculaires , c’est-à-dire pour les transformer en un nouveau nuage semblable au premier, ou qui n’en différera que par la nature de son électricité. Le plus élevé de ces deux nuages, formé par voie de condensation, aura l'élec- SUR LA GRÊLE. 533 tricité positive, car c’est celle-là qui se développe con- stamment, dans les expériences de nv ra, pendant la précipitation des vapeurs. L'autre nuage devait aussi, à l’origine, être fortement positif ; mais l'évaporation, qui a dû s’effectuer à sa sur- face, apu changer cet état, car les vapeurs naissantes, étant toujours électrisées positivement, laisseront par cela même, sur le corps au dépens duquel elles se for- _ ment, une certaine quantité d'électricité négative déve- loppée. Cette quantité sera ou égale à l'électricité positive primordiale du nuage, ou plus grande, ou plus petite : dans le premier cas, le nuage se trouvera à l’état neutre après avoir subi l’évaporation; dans le second, il deviendra négatif; dans le troisième enfin, l'électricité ne changera pas de nature : elle restera positive, la seule intensité variera. Telle est, en résumé, la fameuse théorie de la grêle de Volta. L’évaporation d’un nuage formé primitivement par une cause quelconque détermine la congélation d’une portion des molécules aqueuses dont il est composé et le constitue souvent dans un état électrique négatif. Les vapeurs élastiques résultant de cette évaporation ren- contrent, en s’élevant, des couches froïdes, redeviennent un nuage, mais un nuage positif; c’est entre ces deux couches de nuages plus ou moins distantes qu’oscillent grand nombre de fois les premiers embryons de la grèle, et qu'ils se revêtissent graduellement d’enveloppes de glace compacte et diaphane, jusqu’à l’instant où leur poids surmonte les forces électriques qui les avaient sou- tenus jusque-là, | 534 SUR LA GRÈLE, V. — DES PARAGRÈLES Les arguments sur lesquels les partisans des para- grêles s'appuient sont tous puisés dans la théorie dont je viens d'exposer les principaux traits d'après Volta ; mais ne conviendra-t-il point de remarquer que cette explication, quelque ingénieuse qu’elle puissé paraître, n'a pas reçu l’assentiment général des physiciens; qu'elle a été combattue, même en Italie, par les propres élèves de son illustre auteur, entre autres, par M. Bellani ; enfin, que plusieurs des objections qu’on lui oppose paraissent insolubles. Indiquer ici ces objections, sera faire un pas vers le but que je me propose d'atteindre dans cette Notice. | La première congélation des nuages résulle, dit Volta, de l’évaporation qu’éprouve leur surface supérieure sous l'action des rayons solaires. Si cette évaporation avait quelque analogie avec celle que le vent détermine sur la terre, un certain degré de froid en serait là consé- quence nécessaire ; mais il semble bien difficile d'admettre que la lumière solaire ou tout autre cause calorifique , puisse hâter l’évaporation d’un liquide quelconque, sans amener son échauffement. Chauffer un corps ne saurait jamais être un moyen de le refroidir, de quelque ma- nière qu’on fasse intervenir l’évaporation. L'expérience dont on a essayé d’étayer les idées de Volta, dans plu- sieurs traités de physique moderne, n’est pas exacte, Il est très-vrai que, si, après avoir entouré de linges mouillés deux thermomètres parfaitement semblables, on Dani dé Hi dr créés on de ns SUR LA GRÈLE. 535 les expose à l’air libre, l’un à l'ombre et l’autre au soleil, on apercevra une évaporation beaucoup plus prompte sur ce dernier ; mais loin qu'elle soit accompagée, comme on l’a dit, d’un refroidissement, le mouvement de la co- lonne mercurielle indiquera, au contraire, une augmen- tation sensible de température. Volta ayant supposé que la formation des premiers rudiments de la grêle ne pouvait pas avoir lieu sans l’ac- tion des rayons solaires, se trouvait amené à admettre qu'un grêlon qui tombait, par exemple, à 3 ou 4 heures du matin, avait oscillé au moins pendant 40 ou 42 heures consécutives entre les deux couches de nuages diverse- ment électrisées. Je pourrais montrer ici à quél point - cétte conséquence est inadmissible; en faisant remarquer que, dans un $i long espace de temps, és décharges électriques qui s’opérent de nuagé à nuage auraient dû altérer mille fois l’état d'équilibre nécéssaire à la sus- pension du grêlon; mais ‘jé trouverai, avec M. Bellani, une preuve plus directe de l'insuffisance de la théorie, dans un orage du mois de juillet 1806 ;'qui commença avant le lever du soleil, et durant lequel une quantité - prodigieuse de grêle tomba. Il suffira de dire, én eflet, que la veille, M. Bellani n'avait apérçu aucun indice d'orage dans toute l'étendue de l’horizon visible. La théorie pêche donc par sa base : les noyaux nei- geux des grélons ne résultent pas de l’évaporation des nuages, excitée par lés rayons solaires. Supposons’ maintenant les embryons de grêle formés d’une manière quelconque, et voyons s'ils «NF ES comme Volta l’imagine, qui 536 SUR LA GRÊLE. L'expérience de la danse des pantins, sur laquelle ce célèbre physicien insiste tant, fournit des arguments plus spécieux que solides. Les plaques métalliques électrisées entre lesquelles oscillent: les balles de sureau ne peuvent ni se déplacer ni se diviser. Les particules qui forment les nuages, au contraire, sont douées, soit en masse , soit individuellement, d’une extrême mobilité, ne faut-il pas alors se demander comment elles seules restent im- mobiles, comment elles échappent à ces forces électriques qui communiquent un mouvement oscillatoire à une aussi grande quantité de grêlons interposés? Ces forces ne devraient-elles pas amener plutôt la prompte réunion des deux couches de nuages en une seule masse? Il est ei vrai que l'expérience des pantins exige qu’une des deux plaques électrisées au moins soit solide, qu'en substituant seulement une nappe d’eau à la plaque mé- tallique inférieure, comme l’a fait M. Bellani, la danse n’a plus lieu : les balles, à la fin de leur première oscilla- tion descendarte, pénètrent un peu dans le liquide et ne se relèvent plus. Les nuages présenteraient évidem- ment le même phénomène; ils ne repousseraient les gré- lons qu'après que ceux-ci seraient venus les toucher. Pour peu qu’en vertu de la vitesse acquise, du choc d’autres grêlons, etc., il y eût pénétration dans l’amas vésiculaire, toute répulsion cesserait. Les grêlons enfoncés ainsi accidentellement dansla couche inférieure de nuages, tomberaient à terre de temps en temps, l’un après l’autre, pendant des heures entières, tandis qu’au contraire les chutes de grêle arrivent subitement et ne durent jamais longtemps. ne SUR LA GRÊLE. 537 Ne faudrait-il pas s’étonner, si le mouvement oscilla- toire dont Volta doue les grêlons existait, que personne ne l’eût jamais aperçu? Les voyageurs, en effet, ont dû se trouver maintes fois sur les montagnes à la, hauteur de l'intervalle vide où ce mouvement pourrait avoir lieu. Remarquons, d’ailleurs, que l’oscillation ascendante des grêlons les porterait souvent dans des lieux où leur course descendante ne peut jamais les amener, tels que le des- sous des toits des cabanes, le dessous de quelque rocher très-proéminent, etc., etc.; or, aucune observation n'est venue jusqu'ici éveiller à ce sujet l'attention des physi- ciens. Parmi les conséquences qu’on pourrait déduire de la théorie de Volta, en la supposant fondée, il en est encore une que M. Bellani a signalée et qui me paraît mériter d’être consignée ici, ne fût-ce qu’à raison de sa singula- rité. Si les nuages orageux possédaient, quand ils sont ac- couplés, une force attractive suffisante pour faire osciller durant des heures entières des masses de glace du poids de 250 à 300 grammes, il devrait arriver fréquemment que, l’action électrique s’exerçant entre un seul de ces nuages et la terre, des poussières, des graviers, des pierres d’un assez gros volume, seraient soulevés, même dans un temps calme, rendraient l'atmosphère à peine respirable, et produiraient dans la campague des dégâts bien plus redoutables encore que ceux dont la grêle est la cause. Je me trompe fort si toutes ces remarques ne démon- trent pas qu’une explication satisfaisante du phénomène. de la grêle est encore à trouver. Sur quoi se sont fondés, ; 538 SUR LA GRÊLE. cependant, ceux qui ont tant préconisé l'emploi des para- grêles? Sur cette même théorie dont je viens de montrer l'insuffisance. Au reste, en suivant le système de Volta jusque dans ses dernières conséquences, ne trouverait-on pas que les paragrèles sont plutôt nuisibles qu'utiles? Lorsqu’ un orage déjà formé dans les montagnes est entraîné par les vents vers la plaine, n’est-ce pas au- dessus des paragrêles, si ces appareils ont quelque ac- tion, que pourront s’opérer des modifications notables dans l’intensité des forces électriques qui, imprimant aux grêlons des mouvements d’oscillation verticaux, les avaient soutenus jusque-là dans l’atmosphère? N'est-ce donc pas sur ces appareils-que la grêle devra tomber plus particu- lièrement ? Ces réflexions n’ont point été accueillies : nos vignes, celles de la Savoie, du canton de Vaud, d’une portion de l’Italie, des jardins situés dans l'enceinte même de Paris, se couvrent de longues perches verticales éta- blies à grands frais. Les plus habiles placent une pointe aiguë de cuivre au sommet de la perche et un fil métal- lique qui la lie au sol humide; d’autres conservent la pointe et suppriment le conducteur; ailleurs, par éco- nomie, on emploie la perche toute nue. Malgré ces diffé- rences essentielles, l'appareil réussit en tout lieu égale- mént; jamais, assure-t-0n, un champ armé de ces moyens préservatifs n’a été grêlé. Dites aux partisans des perches | sans armure, qu'un arbre doit être plus efficace qu’une perche, puisqu'il s'élève davantage dans l'atmosphère, et qu’il grêle cependant sur les pays les mieux boisés: faites remarquer aux autres qu’une pointe de cuivre ne donne aucune propriété particulière à la perche qu’elle SUR LA GRÊLE. 539 termine, quand il n’y a pas de chaîne métallique pour la lier au sol humide ; adressez-vous enfin à ceux qui construisent l’appareil avec le plus de soin; expliquez- leur que, si l’on pouvait croire à l'efficacité des paragrêles, ce serait à la Seule condition qu’ils couvriraient une grande étendue de pays; qu'il y aurait de l’absurdité à prétendre garantir un champ, une vigne, avec quelques perches, quand les vigneset les champs voisins n’en ren- fermeraient pas; que l'expérience à d’ailleurs prononcé; qu’il grêle fréquemment dans l’intérieur des villes, au milieu des paratonnerres, sur ces appareils eux-mêmes : tous ces raisonnements seront comme non avenus, tant on est disposé à croire ce qu’on désire vivement. Quelques Sociétés d'agriculture sant elles-mêmes des- cendues récemment dans la lice, pour demander qu’on fit simultanément les essais des paragrêles sur un grand nombre de communes contiguës. L'autorité n’a pas accueilli ce vœu; les espérances de réussite qu’on pou- vait concevoir en se fondant sur le petit nombre de données que la science possède ont paru trop - faibles pour justifier la dépense qu’eût entraînée l'établissement des‘appareils. Une expérience de cette nature, d’ailleurs, pour être démonstrative, devrait durer un grand nombre d’années; encore faudrait-il qu’on la suivit sans préven- tion. Or, telle n’est pas certainement la disposition d’es- prit de la plupart des personnes qui s’occupent de cette question : dans tel canton qu’on pourrait citer, un pro- priétaire n’ose avouer que, malgré les perches, la grêle a détruit sa: récolte, qu'après s'être assuré qu’on ne le nommera pas. Une aussi absurde prévention ne saurait 540 SUR LA GRÈLE. durer longtemps. Quand elle se sera dissipée, quand les faits favorables ou contraires aux paragrêles seront re- cueillis avec le même soin, la science de la météorologie tirera peut-être quelque fruit des expériences dispen- dieuses auxquelles on se livre aujourd’hui. Quant aux agriculteurs, ils sont presque désintéressés dans la ques- tion; car ils trouveront toujours, soit dans les assurances mutuelles, soit dans les assurances à prime convenable- ment graduées suivant les contrées, un préservatif assuré contre les ravages de la grêle, et beaucoup plus écono- mique que la multitude des perches dont ils devraient couvrir leurs propriétés. Les Sociétés d'agriculture acquer- ront de nouveaux droits à la confiance publique, lors- qu’elles favoriseront d'aussi utiles établissements ; elies manqueront, au contraire, leur but en préconisant des moyens préservatifs dont aucune expérience authentique n’a montré jusqu'ici l'efficacité, moyens qu’on a seule- ment déduits théoriquement d’une explication du phéno- mène de la grêle à peu près inadmissible, et sur l’inutilité desquels l’auteur de cette explication lui-même s’est pro- poncé de la manière la plus positive. Voici, en effet, ce que je lis dans la 5° lettre de Volta, concernant la météorologie électrique : « Les enthousiastes ne se sont pas cittiatis d’an- noncer que désormais les édifices armés de paraton- nerres et les maisons voisines ne seraient plus frappés de la foudre; ils ont été beaucoup plus loin : ils croient, ou du moins veulent faire croire aux autres, qu’en multi- pliant ces appareils dans les villes et les campagnes; on parviendra, sinon à dissiper entièrement les orages; SUR LA COMPOSITION DE L'EAU. 54 du moins à les affaiblir à tel point qu’ils ne produiront plus de fâächeux effets, et que la grêle, entre autres, ne pourra plus se former; parmi les fauteurs d'une opinion aussi extraordinaire, je ne nommerai que M. Beértho- lon; ete... Voilà jusqu'où peut conduire un désir intem- pérant de généralisation. » SUR LA DÉCOUVERTE DE LA COMPOSITION DE L’EAU * _ En présentant à l’Académie, de la part de M. Muirhead, une traduction anglaise de son Eloge historique de Watt, M: Arago a pensé que, sans préjudice d’une réfutation plus étendue, il ne pouvait pas, vu la circonstance, s’em- pêclier d’opposer verbalement quelques remarques au discours que prononça l’année dernière, à Brimingham, le fils de l'archevêque d'York, le révérend Vernon-Har- court, président de l'Association britannique. M. Arago examinera en temps et lieu ce qu'il y avait d’insolite, de tronqué, d’inexact, dans le langage de M. Harcourt. Devant l'Académie il se contentera de relever les deux . principales objections du chanoine d’York. ne! 14: Note insérée dans le compte rendu de la séance de l’Académie = :f4 du 20 janvier 1840. — Voir la Notice biographique de t. [°° des OEuvres et des Notices sp Viques, P. 453 à 465 et p. 495 à 510. 542 SUR LA DÉCOUVERTE En écrivant l’histoire de la découverte de la compo- sition de l’eau, M. Arago avait attribué à Priestley cette observation capitale, portant la date du mois d’avril 4783 : « Le poids de l’eau qui se dépose sur les parois d’un vase fermé, au moment de la détonation de l'oxygène et de l'hydrogène est la somme des poids de ces deux gaz. » M. Harcourt déclare positivement que Priestley n’a jamais trouvé le poids de l’eau égal à la somme des poids des deux gaz. À cette inconcevable assertion, M. Arago oppose textuellement le passage suivant du Mémoire que publia Priestley dans la 11° partie des Transactions philo- sophiques de 1783 : : « In order:to judge more accurately of the .quantity of water so deposited, and to compare it with the weight of the air decomposed, 7 carefully .weighed a piece of filtering paper, and then, having wiped with it all the inside of the glass-vessel in which the air had been decom- posed, weighed it again, and always found, as nearly as I could judge, the weight of the decomposed air in the moisture acquired by the paper. » (Transactions philoso- phiques, volume Lxx1, page 427; Mémoire daté du 26 juin 1783.) La balance de Priestley, nous dit M. Harpouct n'était pas suffisamment exacte. « Ai-je donc prétendu, dit M. Arago, que l'expérience du chimiste de Birmingham ne méritait pas d’être répétée?» — « Je trouvai toujours, déclare Priestley, autant qu'il m’a été possible d’en juger, que le poids des airs combinés était égal à celui de l’humidité absorbée par le papier. » La pesée plus parfaite de Cavendish ne saurait effacer DE LA COMPOSITION DE L'EAU. 543 ces paroles. M. Arago les a citées avec raison, et il aurait manqué à son devoir en les laissant de côté, Quant aux incertitudes, ou même, si l’on veut, aux ter- giversations que l’on trouve dans les travaux de Priestley postérieurs de sept années au Mémoire de 1783, « je n’avais pas à m'en occuper, remarque, M. Arago. En vérité, quand j'écrivais l’histoire d’une. découverte dont ‘la date la plus récente est l’année 1784, pouvais-je aller chercher les titres des compétiteurs dans des Mémoires de 1786, de 1788, etc.? M. Harcourt, je suis peiné d’être forcé de l’en avertir, a raisonné dans cette circon- stance comme fit jadis un de ses compatriotes qui, vou- lant me prouver que Papin n’avait pas eu l’idée de la machine à vapeur atmosphérique, au lieu de discuter les passages clairs, catégoriques, dont je m'étayais, citait toujours une machine différente à laquelle l’illustre et malheureux physicien de Blois avait aussi songé beau- coup plus tard! » En traduisant un passage du Mémoire de Watt, M. Arago avait remplacé les mots air déphlogistiqué et phlogistique par les termes oxygène et hydrogène. de la nomenclature moderne. Aux yeux de M. Harcourt, c’est une faute impardonnable, M. Arago répond par un seul mot : le changement en question a été également fait dans les citations du Mémoire de Cavendish, car l’illustre chimiste se servait, lui aussi, de l’ancien langage. Il n’y a donc nul moyen de supposer que le changement tant critiqué était suggéré, à M. Arago par la pensée mes- quine de favoriser. Watt aux dépens de Cavendish. En tout cas, le passage suivant, tiré d’une Note de M. Arago 544 SUR LA DÉCOUVERTE que M. Vernon-Harcourt a dû lire, réduit la question à ses véritables termes : « En 1784, on savait préparer deux gaz d aHaMelé et très-dissemblables, Ces deux gaz, les uns les appe- laient air pur et air inflammable; d’autres, air déphlo- gistiqué et phlogistique; d’autres enfin oxygène et hydrogène. Par la combinaison de Pair déphlogistiqué et du phlogistique, on engendra de l’eau ayant un poids égal à celui des deux gaz. L'eau, dès lors, ne fut plus un corps simple : elle se composa d'air déphlogistiqué et de phlogistique. Le chimiste qui tira cette conséquence pouvait avoir de fausses idées sur la nature intime du phlogistique, sans que cela jetât aucune incertitude sur le mérite de sa première découverte. Aujourd’hui même a-t-on mathématiquement démontré que l’hydro- gène (ou le phlogistique) est un corps élémentaire; qu’il n’est pas, comme Watt et Cavendish le crurent un mo- ment, la combinaison d’un radical et d’un peu d’eau?» M. Arago n’a susbtitué le mot hydrogène au mot phlo- gistique que pour se rendre plus intelligible à ceux qui connaissent seulement la nomenclature chimique mo- derne. Afin de montrer, au surplus, qu’en écrivant l'éloge de Watt, il avait parfaitement le droit d'opérer cette substitution, M. Arago a mis sous les yeuxde l'Aca- démie une lettre autographe de Priestley à Lavoisier, en date du 10 juillet 1789; une lettre antérieure aux Mé- moires en discussion, et dans laquelle le célèbre chimiste de Birmingham s'exprime ainsi : « I gave D° Franklin an account of some experiments which I have made with inflammable air, which he probably had shown you, : DE LA COMPOSITION DE L'EAU. 545 that seem to prove that it is the same thing has that been called phlogiston. » (J'ai communiqué au D° Franklin la relation de quelques expériences que j'ai faites avec l’air inflammable (l'hydrogène), dont il vous aura pro- bablement donné connaissance, et qui paraissent prouver que cet air est la même chose que ce qu’on a appelé le phlogistique.) ui. M. Dumas ajoute à la communication verbale dont nous venons de rendre compte, qu'après avoir examiné attentivement l'argumentation de son confrère, qu'après avoir fait aussi à Aston-Hall, près de Birmingham, chez M. Wat fils, une étude scrupuleuse de la correspondance de l’illustre ingénieur , il adopte complétement, et dans toutes ses parties, l’histoire que M. Arago a écrite de la découverte de la composition de l’eau. « Mes opinions sur ce point sont tellement arrêtées, dit M. Dumas, que je désire voir ma déclaration consignée dans le compte rendu de cette séance. » SUR LES LAGUNES‘ Pour assurer la perception de l’impôt sur le sel, on a adopté dans quelques localités, dans le Midi surtout, des mesures qui compromettent au dernier point la santé des habitants. Il y a dans le Midi de la France des lagunes alimentées par l'eau de la mer. Ces lagunes, dans quel- 1. Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés du 18 avril 1833. XE. 35 546 SUR LES LAGUNES ques circonstances extrêmes, se dessèchent. Alors le sol est couvert de sel. Les personnes qui passent en empor- tent en plus ou moins grande quantité. 11 devint néces- saire d’entourer ces lagunes de douaniers; il en résulta des conflits, des querelles, des discussions qui ont amené l'administration àides mesures que je vais signaler comme fatales à la santé des habitants. Quand des ruisseaux existent dans le voisinage des lagunes, on les détourne de leur lit naturel, on les jette dans ces lagunes afin qu’elles ne se dessèchent pas tout à fait. Je regarde comme un devoir de prévenir ladmi- nistration que ce mélange d’eau de rivière et-d’eau salée produit des effets désastreux. L Lea Assurément, la personne qui a imaginé cette opération n’a cru faire qu’une sorte d’espiéglerie. Eh bien, je n'hésite pas à le dire, elle a amené des résultats aussi fâcheux que si elle avait transporté le choléra dans les malheu- reuses localités dont je prends la défense. On deman- dera peut-être comment le mélange de l’eau douce et de l’eau salée peut produire d’aussi cruels effets, je l’ignore ; mais le fait n’est pas moins certain. Je citerai des loca- lités dans lesquelles le pays a été radicalement assaini en empêchant ce mélange. Il y a dans la principauté de Lucques, aux environs de Viareggio, un lac d’eau douce qui se répand peu à peu dans la mer, par ‘un canal artificiel qu’on appelle la Burlamacca. On sait que la Méditerranée n’a pas de marée; mais quand le vent souffle avec beaucoup de force, le niveau s'élève sur les côtes. Ainsi, par exemple, à Marseille, quand le vent du sud souffle avec violence SUR LES LAGUNES. 547 pendant plusieurs jours, le niveau de la mer s'élève d’une manière notable; au contraire, il baisse quand le vent souffle du nord. Sur la côte de Lucques, le niveau de la mer s'élève beaucoup quand le vent souffle de l’ouest, alors ses eaux se répandent dans le lac par le canal. Ce pays, il y a quelques années, était tellement insalubre qu’on ne pouvait pas y demeurer quelques heures sans y tomber malade, sans y gagner des maladies presque incurables. Aussi les environs étaient complétement dé- peuplés. Qu’a-t-on fait pour remédier à ce mal? On proposa d’intercepter la communication entre la mer et le canal de la Burlamacca, de manière que la mer ne pût venir dans le lac. Cette idée n’eut pas-d’abord grand crédit; cependant, en présence de l’impérieuse nécessité d’as- sainir le pays, on construisit une écluse dont les ventelles jouaient comme une soupape, de manière que, lorsque l'eau du lac était au-dessus du niveau de la mer, l’écou- lement se faisait par la venteile. Au contraire, lorsque le niveau de la mer était plus haut, la soupape se fermait, et empêchait l’eau salée de se mêler à celle du lac. De- puis ce moment, le pays s’est complétement assaini. La ville de Viareggio, qui n’était peuplée que de quelques pê- cheurs, a maintenant 5,000 âmes de population. C’est là que les habitants de Lucques ont bâti depuis un grand nombre de maisons de campagne. On pourrait imaginer que cet assainissement par l'écluse est un phénomène accidentel qui a pu dépendre d’une autre cause. Voici des circonstances qui ne per- mettent pas de douter que l’écluse-n’ait été la cause de 548 SUR LES LAGUNES. cet assainissement : en 1765, on ne répara pas la porte de l’écluse, l’eau de la mer pénétra de nouveau dans le lac et le pays se dépeupla. Plus tard, en 1784, on négli- gea une seconde fois d’entretenir les portelles, et le pays éprouva une mortalité énorme. Cette expérience suffit amplement pour prouver que c’est le mélange de l’eau douce et de l’eau de mer qui produit le mal. Je pourrais citer d’autres faits empruntés au même pays et qui ne seraient pas moins concluants. Eh bien, c’est l'inverse de tout ceci qu’on a fait dans le Midi de la France: on jette l’eau douce dans les lagunes d’eau salée, et on pestifère le pays. La sollicitude du fisc pour la rentrée des impôts ne doit pas l’autoriser à tuer les contribuables, à les tuer surtout à la mamelle. SUR LA COLONISATION DE L'ALGÉRIE ! Je crois que le gouvernement est, relativement à la colonisation de l’Algérie, dans de mauvaises voies. J'ai habité quelque temps ce pays; j'ai vécu parmi les Kabyles. J'ai traversé la Méditerranée sur des corsaires algériens, où je remplissais les fonctions d’interprète ; je connais les Arabes. Je demande à la Chambre des députés la permission 1. Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés _ du 19 avril 1833. SUR LA COLONISATION DE L’ALGERIE. 549 de donner quelques renseignements personnels qui seront peut-être de nature à engager le gouvernement à entrer dans une voie où il trouvera les moyens d'accroître les revenus de la colonie et de diminuer ses dépenses. Je crois qu'il est possible de tirer parti des Arabes pour opérer la civilisation de l’Algérie, et surtout pour s'assurer la possession du pays. On s’imagine que ce peuple a des défauts insurmontables. Je sais, pour lavoir éprouvé moi-même, qu’il est susceptible des plus nobles sentiments. J'étais en Espagne en 1808, occupé d’une opération scientifique, de la mesure du méridien. Vous savez qu’à cette époque, dans un moment d’exaltation, les Espa- gnols massacraient presque tous-les Français. Je fus obligé de me sauver, et, quoique cela puisse paraître extraordinaire, c’est la ville d’Alger, qui devint mon refuge. Peu de temps après mon arrivée en Afrique, je m’embarquai sur un bâtiment armé en corsaire qui allait à Marseille. Les voyages de mer étaient alors très-péril- leux pour les Français. Le consul d'Autriche me donna un passeport sous un nom supposé. J'étais censé de Swecut en Hongrie. Nous partîmes; mais le bâtiment fut pris près des côtes de Provence par un corsaire espa- gnol. On transporta tout l’équipage dans la: ville de Rosas, dont les Français vinrent faire le siége peu de temps après. Le bâtiment sur lequel j'étais avait été arrêté contre le droit des gens ; mais les Espagnols, pour s’em- parer de la cargaison, argumentant de la facilité avec laquelle je parlais leur langue, soutinrent que le bati- ment m’appartenait, que j'étais un Espagnol transfuge. 550 SUR LA COLONISATION Les Arabes, qui, au nombre de trente, formaient l’équi- page du corsaire, n’avaient qu’un mot à dire pour être tirés de l’affreux cachot dans lequel on nous tenait en- fermés : ils n'avaient qu’à déclarer que j'étais Français, et à l'instant ils auraient été libres de gagner avec leur bâtiment Alger ou Marseille. Eh bien, ces trente Arabes furent tous interrogés plusieurs fois; on les fit jurer sur l’Alcoran pour savoir s'ils me connaissaient; aucun ne consentit à me perdre, aucun ne voulut me trahir, et cependant je ne leur avais rendu que de très - petits services. Plus tard le même bâtiment fut jeté par une tempête sur les côtes d'Afrique, près de Bougie. Ce pays, habité par les Kabyles, avait été très-rarement parcouru par des voyageurs européens. J’y ai traversé un grand nombre de villages gouvernés par des marabous fanatiques. Une fois je fus reconnu, et, je m’empresse de le décla- rer, si mes compagnons d’infortune ne m’avaient à l’envi caché, averti, guidé, j'aurais été sacrifié. Dans toutes les occasions difficiles, j’ai trouvé des défenseurs dans des hommes auxquels je n'avais rendu que des services insignifiants. Je me rappelle une circonstance.où je fus obligé de me prêter à une histoire que, dans une très- bonne intention, avait imaginée un de mes compagnons de voyage. Cette histoire me mit dans l'obligation de faire publiquement et à haute voix la prière mahométane. En arrivant à Alger, si j'avais été dénoncé, on m'aurait enrôlé de force dans la milice. Mais, dans toute la cara- vane, il ne se trouva pas un Arabe qui consentit à me trahir. DE L'ALGÉRIE 561 Vous voyez, Messieurs, que les Kabyles eux-mêmes sont susceptibles des plus nobles actions, et que c’est à tort qu’on les présente comme intolérants. Quelle. con- clusion, me dira-t-on, tirez-vous de là? La conclusion toute simple qu'il est possible de faire contribuer les, Afri- cains à la colonisation d'Alger. Sous le gouvernement du dey, il n’y avait dans toute la régence que 6,000 Turcs, et ils étaient maîtres absolus de 200 lieues de pays. Comment atteignaient-ils ce but? Ils avaient imaginé, permettez-moi ce mot, une garde nationale mobile ; ils l’avaient formée avec des Arabes auxquels on donnait le titre de spahis, et qui se trouvaient ainsi dans la dépen- dance du dey ; la nature.de cette dépendance était d’ail- leurs assez légère, les spahis ne payaient aucun impôt pour les terres qu'ils cultivaient. On leur allouait une très-faible solde, et avec cela. ils se pourvoyaient eux- mêmes du cheval, de l’équipement et des armes. Quand on les appelait ils venaient se joindre aux Turcs. Mes- sieurs, ces Arabes, au nombre de 30,000, demandent à cor et à cris qu’on les organise comme auparavant en spahis; leur demande jusqu'ici n’a pas été accueillie. On croira peut-être que l'esprit inquiet, dont on les doue quelquefois bien à la légère, ne leur permettrait pas de rester dans notre dépendance. Messieurs, nous avons à Alger un régiment d’Arabes; on n’y compte pas plus de déserteurs que dans les régiments français. Je vais citer un fait qui montrera à quel point les Kabyles sont susceptibles de s'identifier avec nos mœurs. On avait assassiné trois Français à quelques jours d’inter- valle; ces meurtres étaient commis par un Arabe fana- 6: 552 SUR LA COLONISATION tique qui avait juré de tuer un nombre de Français égal à celui des personnes de sa famille qui périrent à la suite de la bataille de Staoüelli : ce nombre s'élevait à six. Un Arabe, à notre service, résolut de débarrasser le pays de cet assassin, et comme il craignait que, s’il le tuait, on ne voulût pas croire qu’il était l’auteur de cette belle action, il prit le coupable vivant et le conduisit à Alger. Pour récompenser ce trait de bravoure, le duc de Rovigo offrit au jeune Arabe, qui était maréchal-des- logis, le grade de sous-lieutenant. On fut étonné de voir qu’il était peu flatté de cette promotion. Que voulez- vous donc? lui dit-on. — Je désire, répondit-il, la croix de la Légion d'Honneur! Le général ne pouvait pas la lui promettre d’une manière définitive, tandis que la con- firmation du grade ne semblait pas douteuse. Eh bien, l’Arabe préféra attendre trois mois la croix d’honneur que de recevoir une sous-lieutenance sur-le-champ. La croix d'honneur, il est vrai, ne lui fut pas donnée ; mais vous voyez qu'elle était à ses yeux une récompense plus noble, plus élevée qu’un grade. Il est assurément pos- sible de tirer parti d’une population qui a de tels sen- timents,. Messieurs, je me borne à énoncer ces idées. Je ne puis pas entrer aujourd’hui dans plus de développements, l'heure trop avancée s’y oppose; mais il me sera permis de répéter en terminant à quel point je suis convaincu, par la connaissance personnelle que j'ai du caractère des Arabes, pour avoir vécu, pour avoir été en prison avec eux, qu’il est possible de tirer un excellent parti de leurs bonnes qualités, et cela sans de grandes dépenses. DE L'ALGÉRIE. 533 Un officier de mes amis, qui est attaché à notre régiment d s, m'écrivait dernièrement : « Comment se fait-il gouvernement français s’obstine à laisser les _ Arabes dans l'opposition, tandis qu’ils ont la plus grande envie de devenir ministériels. » Et cependant, vous le savez, Messieurs, en Afrique, l’opposition se formule, non pas en discours, comme ici, mais en coups de fusil, de lance et de yatagan. DISCOURS SUR L'OBSERVATOIRE DE PARIS ! Je demande à la Chambre la permission de lui lire huit ou dix lignes du rapport qui lui a été fait par la commission des finances : _ «Cest à la direction du Bureau des Longitudes et à l'initiative de la Chambre dernière que sont dues les améliorations qui ont fait du monument élevé à l’astro- nomie par la munificence de Louis XIV le premier Observatoire de l’univers. Ceux qui le visitent peuvent reconnaître les changements que le perfectionnement des instruments, qui avait déjà tant fait pour les progrès de l'astronomie, a amenés dans la construction des observa- 4: Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés du 4° juin 4835. — Voir sur le même sujet t. VI des OEuvres, t. Iii des Notices scientifiques, p. 564 à 595 ; voir aussi Astronomie z0- pulaire, t. IV, p. 778. 554 DISCOURS toires; ils admireront ces toits mobiles qui, pour la pre- mière fois, garantissent entièrement l'observateur -et ses instruments de toutes les intempéries atmosphériques. La Chambre doit savoir que ces toits mobiles ne sont point encore payés, et qu’on ignore par quel ministère le paie- ment en sera supporté, parce qu’on n’a pas décidé si c'est là un ouvrage d’architecte, ou un travail de con- structeur d’instruments. MM. les ministres se hâteront sans doute de faire cesser ce conflit, et de demander aux Chembres le crédit nécessaire pour acquitter la dé- pense. » à Il est peut-être nécessaire que je dise à la Chambre quelle a été l’origine de cet excédant de dépense. En 1832, le Bureau des Longitudes demanda à l'administration de vouloir bien faire reconstruire, non pas l’Observa- toire proprement dit, mais ses murs d’enceinte et ses toits qui menaçaient ruine. Les prévisions du Bureau des Longitudes n'étaient que trop réelles, car lorsque l’on mit le marteau à la bâtisse, on trouva les poutres dans un tel état de pourriture que c'était presque un miracle que tout ne fût pas déjà éboulé. Dans le peu de mots que je prononçaï à la tribune, pour appuyer la demande de l’administration, la Chambre aperçut que la somme portée au budget était trop res- treinte; le Bureau des Longitudes, cédant aux exigences de l’époque, s'était borné, quoique à regret, à demander une simple réparation. La Chambre se décida elle-même à faire mieux; elle voulut d’abord que les travaux fussent exécutés, non en cinq années comme on le proposait, mais en une seule SUR L'OBSERVATOIRE DE PARIS. 555 campagne; voyant ensuite que le cadre pouvait être utilement étendu, elle vota une allocation fort supérieure à celle que le ministère avait proposée. Les obligations du Bureau des Longitudes s'étaient ainsi bien agrandies; au lieu d’une simple réparation, ce fut à une reconstruction complète qu’il, dut pourvoir. Ainsi on ne s’est pas contenté de modifier l’enceinte, le toit, les trapes; on a tout renouvelé, et maintenant, Messieurs, notre Observatoire pourra marcher de pair, pour la commodité et la facilité des observations, avec les établissements de ce genre les plus renommés, si même il ne mérite de marcher à leur tête. Voulez-vous savoir en quoi consistent ces améliora- tions? Le voici : il y a, dans notre Observatoire, divers murs sur lesquels les instruments reposent et dont la soli- dité doit être extrême. Le moindre tassement rendrait toutes les mesures inexactes. Eh bien, l’un de ces murs, construit en 1777, était en porte à faux, sans qu’on eût pu le deviner; il fallut donc le reprendre en sous-œuvre ; je dis : il fallut, car un Observatoire qui ne marche pas à l’égal du plus parfait qui existe dans le monde est un établissement sans valeur. Il importe peu, en effet, que les observations astronomiques soient faites dans une localité ou dans une autre, On a trouvé en Angleterre, à Greenwich, qu'il y a quelques avantages à observer de deux manières, direc- tement et par réflexion, l’astre dont on veut déterminer là hauteur angulaire. L'un des deux instruments néces- saires, nous le possédions ; l’autre nous manquait. Sous peine de rester en arrière de l'Observatoire national de 556 DISCOURS nes voisins, il fallut donc construire dans l'enceinte du nouvel édifice un pilier très-massif qui n’entrait pas dans les premières prévisions, car je l’ai déjà expliqué, les allocations ministérielles du budget avaient été calculées sur une réparation et non sur une reconstruction radicale du bâtiment. Ce pilier a été exécuté de la manière la plus satisfaisante. L'Observatoire de Paris possède l’un dés plus beaux instruments qui soient jamais sortis de la main des hommes; je veux parler de son équatorial; cet instru- ment était établi au milieu d’une tourelle si étroite que, dans certaines positions, l'observateur avait quelque peine à placer sa tête entre le mur d'enceinte et la lunette. Je puis, en deux mots, et sans abuser de l’atten- tion de la Chambre, lui donner une idée des propriétés caractéristiques de cet équatorial. Les lunettes destinées aux observations astronomiques ont un double mouvement qui S’opère avec des mani- velles. L’un sert à parer aux changements perpétuels de hauteur des astres ; l’autre à la partie du mouvement diurne qui est dirigée de l’est à l’ouest. L’astronome a donc les deux mains occupées; aussi ne parvient-il qu'avec beaucoup de peine à opérer des mesures micro- métriques exactes. Ces difficultés n’existent pas dans la lunette de notre équatorial; c’est une pendule qui la con- duit; c’est un mouvement d’horlogerie qui la maïntient toujours dans la direction de l’astre qu’on veut ebserver, et cela sans aucune oscillation sensible, quel que soit le grossissement. Les bonnes dispositions que la Chambre avait montrées fr NT EN ARRET ST7% L'OBSERVATOIRE DE PARIS. 557 pour l'Observatoire ne permettaient pas au Bureau des Longitudes de laisser ce bel instrument dans l'enceinte étroite et incommode qui le renfermait. Il a donc fait construire, en sus des travaux prévus, une nouvelle tou- relle avec un toit mobile dont l'ouverture peut être diri- gée à volonté vers tous les points du ciel. Les astronomes ne sont pas aussi complétement à la belle étoile qu’on l’imagine dans le monde; leurs me- sures n’auraient aucune exactitude s'ils n'étaient pas à l'abri; si leurs instruments, surtout, ne pouvaient pas être soustraits aux intempéries de l'air. Les toits d’un Observatoire doivent pouvoir tourner à volonté et par petites partiesy mais ce problème n'avait pas encore été résolu d’une manière entièrement satisfaisante. Lorsque le Bureau des Longitudes fit construire un nouvel Observatoire, il envoya demander en Allemagne, en Danemark, en Angleterre, des plans et des modèles de ce qui existait dans ces pays de plus parfait; rien ne se trouva applicable à nos constructions; rien ne satisfai- sait à toutes les conditions exigées. Un artiste de Paris, M. Picard, a résolu la question d'une manière vraiment remarquable. Les membres de la Chambre qui voudront venir visiter l'Observatoire (et je les y invite fortement) pourront s’en assurer par eux- mêmes. Cette seule portion du travail a exigé une dépense de plus de 37,000 fr. Trouve-t-on la somme un peu forte? Je dirai qu’en Angleterre, dans le pays de la mécanique, à l'Observatoire de Cambridge, l’établissement de deux toits a coûté plus de 3,000 livres sterling, plus de 558 DISCOURS 75,000 fr. En résumé, je n’hésite pas à dire, et je sais que les paroles prononcées à cette tribune ont du reten- tissement en pays étranger, je n’hésite pas à affirmer que notre Observatoire, qui naguère était le dernier peut-être, est maintenant au premier rang. Ce que je dis ici, je l’ai déclaré dernièrement en Angleterre, en visitant le magnifique Observatoire de Cambridge. Il ne nous reste donc plus qu’à sortir du déficit que j'ai signalé. M. le ministre de l'instruction publique, qui a toujours montré sous ce rapport beaucoup de bienveil- lance, écrivait le 19 mars dernier au président du Bureau des Longitudes la lettre dont je vais donner lecture à la Chambre, si M. Guizot n’y voit aucun inconvénient. (M. le ministre fait un geste négatif.) M. le président, j'ai reçu le compte des dépenses que les reconstructions de l'Observatoire royal ont nécessi- tées, ainsi que les pièces justificatives qui l’accompa- gnaient. J’ai transmis ce compte à M. le ministre de l’in- térieur , en lui faisant remarquer que la plus sévère économie avait présidé à ces dépenses , et que la somme de 61,698 fr. 80 cent., à laquelle elles se sont élevées, n’a rien d’exagéré comparativement à l'importance des travaux et des améliorations qui en sont le résultat. «Enfin, j'ai prié M. le ministre de l’intérieur de donner ses ordres pour que le montant de ces dépenses püût être ordonnancé le plus tôt possible. » Ainsi, Messieurs, je vous ai prouvé que la dépense était nécessaire; M. le ministre proclame lui-même qu’elle LL ptit till HE tuth jme. ‘hésite. MS SUR L'OBSERVATOIRE DE PARIS. 559 a été bien faite. Il est vraiment fâcheux qu’on ne l'ait pas payée; l'artiste à qui nous devons nos toits mobiles, et dont j'ai parlé tout à heure, débutait dans la carrière de l’industrie ; il a été obligé d'emprunter; depuis deux ans il attend la juste rénumération de son travail, mais ilne la recevra qu'après qu’on aura décidé si c’est à M. le ministre de l'instruction publique ou à M. le ministre de l'intérieur qu’appartient ce soin. Une semblable incer- titude nuit à un artiste plein de mérite et extrêmement recommandable. J'ajoute qu’elle entrave 11 marche de la science ; le Bureau des Longitudes, en effet, ne peut dis- poser tous les ans que d’une petite somme pour améliorer ses instruments existants ou pour en faire construire de nouveaux. = Or, en présence d’un déficit qu’il ne pourrait pas com- bler en vingt ans, ne vous étonnez pas que le Bureau des Longitudes n’ose pas s’engager dans les améliorations qu’il a conçues. Ainsi, j'ai parlé tout à l’heure d’un se- cond cercle mural qui nous est indispensable ; nous avons la certitude qu’un de nos artistes l’exécutera à merveille, mais nous attendrons pour provoquer, ce travail que la Chambre ou le ministère aient avisé aux moyens de sol- der l’arriéré. _ Je n’ajoute plus qu’un mot, Messieurs, pour montrer que la Chambre, première origine des travaux dont je … réclame la solde, est arrivée à des résultats remarquables avec une somme comparativement modique. Voyez ce qu'on a fait récemment en pays étranger pour l’astro- nomie! | Le 3 avril 1834, l'empereur Nicolas a mis à la dispo- E 560 DISCOURS SUR L'OBSERVATOIRE DE PARIS. sition de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, pour la construction et l’ameublement de l'Observatoire de Poulkova, à Zarskoje-Selo, une somme d'environ o millions de francs. | L'empereur a assuré pour l’entretien de ce nouvel Observatoire un revenu annuel d'environ 218,000 fr. Le gouvernement russe a de plus fait construire en quelques années de beaux établissements du même genre à Dor- pat, à Abo, à Nicolaiew, à Moscou, à Kasan et à Kiev. Ce sont là, Messieurs, des dépenses énormes ; eh bien, j'ose le dire, nous n’aurons rien à envier aux étrangers lorsqu'une délibération de la Chambre aura tiré l'Obser- vatoire de Paris de la position difficile dont je viens de rendre compte. LETTRE SUR L'OBSERVATOIRE DE TOULOUSE : Monsieur le maire, ; Il m'est impossible de me ranger aux idées de mon excellent ami Daubuisson au sujet de l'Observatoire de Toulouse. Le célèbre ingénieur est trop modeste : la ville savante du Midi a raison de vouloir posséder un véritable Observatoire, je veux dire un bâtiment solide, peu élevé au-dessus du sol, meublé de bons instruments et suscep- tible alors de rivaliser, pour un grand nombre de re- 4. Adressée en 1839 au maire de Toulouse. LETTRE SUR L'OBSERVATOIRE DE TOULOUSE. 561 cherches dont je serais heureux de vous adresser le pro- gramme, avec les Observatoires des capitales. M. Petit est d’ailleurs bien capable, sous tous les rapports, de donner un vif relief à votre nouvel et utile établissement. J'ai examiné avec une attention scrupuleuse le plan de l'architecte de la ville. Ce plan, sous le rapport scienti- fique, pourrait être amélioré, ce me semble, en éloignant un peu plus les salles d'observation des bâtiments que les astronomes habiteront. À moins d'obstacles insurmon- tables il serait, je crois, impardonnable de s'établir sur le penchant d’une colline. Un point culminant vaudrait beaucoup mieux, dût-on aller le chercher plus loin de Toulouse. Ce plus grand éloignement, loin d’être un in- convénient, serait à mes yeux un avantage : l'Observatoire n'aurait pas alors.à redouter les visites quotidiennes de ces nuées de désœuvrés qui abondent dans toutes les villes populeuses et deviennent la terreur de quiconque sait faire un bon emploi &e son temps. Jesuis certain, monsieur le maire, de ne rien dire de trop en vous assurant que le Bureau des Longitudes s’attachera à rivaliser avec le conseil municipal de Toulouse dans tout ce qui pourra contribuer à améliorer l'Observatoire. Quant à moi, mon dévouement absolu vous est depuis longtemps acquis. Je n’ai jamais pu oublier que j'étais 1 … embrigadé à l'École polytechnique parmi les élèves tou- |. … lousains. Permettez-moi d'ajouter que la confiance dont le conseil municipal, par votre organe, a bien voulu m’ho- norer, m’attache désormais à lui par un lien indissoluble, celui de la reconnaissance. | XL, 36 LETTRE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE, BOLIVIA, RELATIVE À LA MESURE D'UN ARC DU MÉRIDIEN DE SANTA-CRUZ Monsieur le Président, Sous le gouvernement ferme, éclairé, libéral de Votre Excellence, la république de Bolivia s’est élevée à un grand degré de prospérité matérielle. Un pareil résultat aurait probablement satisfait un esprit vulgaire; Votre Excel- lence, au contraire, a senti qu’elle devait aussi travailler aux progrès intellectuels de ses compatriotes. Déjà sous ses auspices, de jeunes Boliviens fréquentent nos écoles et s’y font distinguer par une persévérance, un zèle et une intelligence dont l’ancienne patrie des Incas recueil- lera certainement d’heureux fruits. J’ai donc pu penser que j'entrerais dans les vues de Votre Excellence en ap- pelant son altention sur une magnifique opération scien- tifique qui aujourd’hui ne saurait guère être exécutée avec fruit que dans le territoire de Bolivia, qui fixerait sur cette région de la Cordillère l’attention du ‘monde tout entier, qui assurerait enfin au nom de Santa-Cruz une gloire immortelle. L'opération dont je veux parler serait la mesure d’un arc du méridien terrestre devant servir à la détermination de la figure de la Terre. Les rives du lac de Titicaca et la vallée du Desaguadero se prêteraient admirablement à cette opération. Les instruments nécessaires pour l’exécuter ne seraient ni nombreux ni bien coûteux.-Bolivia trouverait d’ailleurs, ARC DU MÉRIDIEN DE SANTA-CRUZ. 563 dans les côtés de la chaîne principale de triangles de l’arc du méridien, les éléments d’une carte qu’elle fera tôt ou tard exécuteret qui, appuyée sur de semblables bases, rivaliserait avec les meilleurs travaux des ingénieurs eu- ropéens. Dans un sentiment très-juste de gloire nationale, Votre Excellence désirerait sans doute que l'opération projetée fût faite par des Boliviens ou du moins avec leur concours. Veuillez donc croire que je m'empresserais de fournir aux personnes que Votre Excellence aurait choisies tous les moyens de justifier sa confiance, et: que l'Observatoire de Paris leur serait ouvert nuit et jour. En tout cas, pour ne rien aventurer, un ou deux de mes adjoints iraient au besoin seconder vos jeunes compatriotes. Je ne fais, au surplus, qu’effleurer ces divers objets. M. Pentland, mon ami, qui se charge de cette lettre, donnera à Votre Excel- lence tous les détails qu’elle pourra désirer, SUR © LA CONSTRUCTION DE L'ÉGLISE DE LA MADELEINE ! Messieurs , l'honorable M. Jacqueminot nous parlait hier de l'unanimité avec laquelle le projet du ministre des travaux publics avait été accueilli à l'époque de,sa pré- . sentation. Nous ne contesterons pas que cette unanimité TL Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés 3 du 14 mai 1836. 564 SUR LA CONSTRUCTION ait existé, mais à une condition : à la condition expresse de se rappeler que nous avons demandé la présentation de plans, de devis détaillés et que nous avons indiqué une trop grande précipitation dans l'exécution des tra- vaux comme une cause de mal-façon, comme une cause de dépenses très-considérables. Dans le monument de la Madeleine, nous remarquons que l’on s’est occupé avec activité de travaux intérieurs qui, j'ose l’affirmer, n’ont pas l’approbation de la majo- rité du public, pour négliger des travaux extérieurs qui seront achevés nous ne savons plus quand. Parmi les tra- vaux extérieurs qu’on nous avait promis, qu’on $’était engagé à terminer, je citerai au premier rang , sur le fronton du nord, des bas-reliefs auxquels on ne travaille pas et qui exigeront plus tard l'exécution d’un échafau- dage fort dispendieux. Je citerai aussi les statues qui devaient être placées sur les murs d’échiffre des escaliers de la principale façade ; au lieu de cela on travaille sans relâche à l’intérieur et d’après un système, je le répète, qui n’a pas l'approbation du public. Je parlais tout à l'heure des difficultés qu’une exécu- tion précipitée amène nécessairement dans les travaux. J’en trouverai un exemple dans la Madeleine elle-même. Le hasard me mit, il y a quelques temps, dans l’obli- gation de me prononcer sur une question d’art, que les travaux de cette église avaient fait surgir. Ces jours der- niers, voulant prendre une part éclairée, autant du moins que cela pouvait dépendre de moi, à la discussion de la loi des douanes, je cherchais, non pas quel était le prix marchand du fer, mais quel était ce prix avec les réduc- | Ë DE L'ÉGLISE DE LA MADELEINE. 565 tions que consentent les entrepreneurs. Ma position, comme membre du conseil municipal de la Seine, me permettait d'obtenir ces évaluations avec exactitude. En rapprochant ces documents de la question qui m'avait été présentée jadis, et à laquelle je viens de faire allu- sion, il s’est élevé dans mon esprit un doute qui, j'es- père, sera éclairci par les renseignements que nous four- nira M. le ministre. Mon doute, voici en quoi il consiste : Vous savez qu’une loi récente, une loi postérieure à la révolution de Juillet, met l'administration dans l’obliga- tion impérieuse, pour certaines natures de travaux, de recourir à une adjudication; un comble en fer est dans cette catégorie. Je reconnais que, pour le comble de la Madeleine, l’adjudication a eu lieu; mais il importe de rechercher à quelles conditions. Le cahier des charges, réd'sé par l'administration, prescrivait l'emploi exclusif du fer de Berry ou de roche, c’est-à-dire d’un fer d’un prix très-élevé, et qui, à l’époque de l’adjudication, coûtait, je crois, 56 fr. Des maisons considérables de la ville se présentèrent au concours ; elles ne firent que des réductions minimes sur les évaluations de l'administration ; un entrepreneur, au contraire, consentit un rabais énorme; un rabais que ne semblait pas comporter le soin que l'administration doit mettre à étudier les prix réels des matières qu’elle peut employer; la réduction fut de 28 pour 100. Je viens de dire, Messieurs, que, par son cahier des charges, l’administration imposait aux soumissionraires Ë Je devoir impérieux de n’employer que du fer de Berry ou de roche. Eh bien, est-ce de ce fer-là qu’on s’est 566 SUR LA CONSTRUCTION DE LA MADELEINE. servi? Nullement, le comble a été construit avec du fer de Châtillon, avec du fer qui, à l’époque de l’adjudica- tion, au lieu de 56 fr., valeur du fer de Berry, ne coû- tait, je crois, que 36 fr. C'était une différence de 20 fr. par chaque 100 kilogrammes. Il importe maintenant d'examiner comment la ouide- tion s’est faite, de quel prix on est parti, puisqu’au lieu d'employer du fer de roche ou du fer de Berry, lentre- preneur s’est servi de fer d’une qualité très-inférieure. Ne vous semble-t-il pas naturel qu’on l'ait payé sur le prix de cette dernière espèce de fer? QE: Eh bien, Messieurs, je crois être exactement informé, quand j'affirme que le comble a été soldé sur le prix de l’adjudication primitive, et lorsque cette adjudication, je le répète, avait porté sur une matière d’un prix très- élevé, sur du fer de Berry ou de roche, et non sur du fer de Châtillon. La question que je viens de soulever m’avait été indi- quée par M. le ministre lui-même. Le comble de la Ma- deleine a été cité par lui au nombre des objets qui ont amené un surcroît considérable de dépenses. Suivant moi, et d’après des circonstances que vous connaissez maintenant, il aurait dû être la cause d’une diminution sensible. Je demande ce que deviendront les prescrip- tions de la loi, si, à côté d’un cahier des charges très- explicite, vous laissez à l'administration le droit de les annuler, | PUF NET Æ DE. 2 < a: F TS a es LETTRE AU PRÉFET DES PYRÉNÉES ORIENTALES, RELATIVE À L'AMÉLIO- RATION DU PORT-VENDRES Monsieur le Préfet, Nos dissidences d'opinion sur la politique ne doivent pas, je crois, m'empêcher de m'adresser à vous, quand vous seul pouvez provoquer une détermination de laquelle dépend l’avenir du Port-Vendres. Voici, sans autre préam- bule, les réflexions que je dois vous soumettre. * Quand le travail de M. Rabourdin sur le Port-Vendres arriva à Paris, M. Legrand voulut bien me mettre en communication directe avec M. l'inspecteur général des ponts et chaussées qui devait l’examiner. Le temps pres- sait; il fallut donc, sur plusieurs points-importants, prendre des déterminations que nous eussions désiré mûrir de concert avec les autorités et les personnes no- tables du département. Je demandai, par exemple, que tout ce qui exigerait le concours nécessairement peu ra- pide du génie militaire, que la question de l'emplacement du Lazaret, par exemple, fût ajournée. Nous parvinmes ainsi à faire comprendre le Port-Vendres dans la loi des ports, à assurer la construction du nouveau bassin, à obtenir 4,600,000 fr. M. Legrand, je le répète, se prêta 4. Voir t. V des Œuvres, t. H des Notices scientifiques, p. 619 et 628. 568 SUR L’AMELIORATION DU PORT-VENDRES. à tous ces arrangements avec une bonté qui ne m’étonna pas de la part d’un de mes anciens élèves de l’École poly- ‘technique et dont toutefois je lui conserverai une vive re- connaissance. Aujourd’hui il importe de revenir sur ce qui n’a pas pu être décidé. Le génie militaire aura à s’ex- pliquer sur les fortifications, sur les moyens de défense qu’il a sans doute le projet de créer au Port-Vendres; il importe que ses projets soient connus le plus promptement possible ; l'emplacement de la nouvelle ville doit être marqué sans équivoque; il ne faut pas qu’en bâtissant, personne soit exposé à se trouver un jour en conflit avec le génie. Il vous appartient, monsieur le Préfet, de saisir M. le ministre de la guerre de cette question capitale. Dès qu’elle sera officiellement posée par vous, j'en solliciterai la solution avec l’activité ei la persistance que m’inspire- ront toujours les intérêts d’un pays auquel je me fais gloire d’appartenir et dont j'ai reçu tant de précieuses marques de bienveillance. SUR UN EMBRANCHEMENT DE CHEMIN DE FER [ Dans la séance de la Chambre des députés du 97 avril 1846, à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer de Bordeaux à Cette, trois députés du département des Pyrénées-Orientales, ayant présenté un , + Mrs midi à À SUR UN EMBRANCHEMENT DE CHEMIN DE FER. 569 amendement ainsi conçu : « Le ministre des travaux publics est autorisé à concéder directement un embran- chement de Narbonne à Perpignan et Port-Vendres jus- qu’à la frontière d’Espagne », M. Arago prit la parole en ces termes :] Messieurs, l'amendement qu’on vous propose est dans l'intérêt tout spécial, tout particulier de l’arrondissement que j'ai l'honneur de représenter. Un grand nombre de mes amis se sont étonnés de ne pas voir mon nom parmi les signataires; ils en tiraient la conséquence que l'amendement renfermait quelque difficulté latente, mysté- rieuse, qui m'avait empêché de l’adopter. Messieurs, les affaires de ce bas monde sont ordinaire- ment beaucoup plus simples qu’elles ne le paraissent au premier aspect. Mon nom n’est pas au bas de l’amende- ment par une raison toute décisive, c’est que je n’ai pas su qu’on le proposait. Si on me l’avait communiqué, je l’aurais examiné dans sa forme primitive et dans celle qu’il a prise en dernier lieu; mais tout s’est fait à mon insu. Je prie donc les membres qui m’avaient fait part de leurs scrupules d'examiner l’amendement sérieusement et à fond, et de le voter s’il le trouvent bon. Quant à moi, je ne suis pas grand partisan des con- cessions directes. Cependant, comme il s’agit ici d’un embranchement, j'avoue que je serais très-disposé à faire fléchir les principes. J'adopterai l’amendement, s’il ré- sulte des explications que M. le ministre ne manquera pas de donner qu’en le votant nous gagnerons, ne fût- ce qu'une seule semaine, sur l’époque de la concession 570 SUR UN EMBRANCHEMENT DE CHEMIN DE FER. du chemin de fer de Perpignan. Je ne prends aucun souci des combinaisons électorales que cet amendement pourrait favoriser ; je le voterai, alors même que j'aurais personnellement à en souffrir aux prochaines élections. Je ne dois et ne veux penser qu'aux intérêts du pays. Or, l'intérêt du pays demande que les départements frontières des Pyrénées ne soient pas privés pendant plus longtemps de la locomotion à vapeur ; l'intérêt. du pays exige impérieusement que nous ayons des communications faciles avec l'Espagne, surtout avec la Catalogne, pro- vince très-riche et qui a pour la France de vives sympa- thies. Je prie donc instamment ceux de mes amis chez qui étaient nés des scrupules d’examiner la question sé- rieusement, et de voter l'amendement quoi qu’il puisse d’ailleurs en résulter pour moi au point de vue électoral, PROJET DE. NOUVELLE ORGANISATION MILITAIRE DE LA FRANCE Ù Un ministère, quel qu'il puisse être, celui-là même dont les vues politiques seraient dans le plus complet désaccord avec celles qui nous dirigent, peut compter 4. Extrait inédit et entièrement écrit de la main de M. Arago, d’un projet de déclaration de l'opposition destinée à être publiée. avant la session des Chambres de 1832. sida art le it ds ORGANISATION MILITAIRE DE LA FRANCE. 571 sur notre concours lorsqu'il proposera des mesures desti- nées à mettre la nationalité française à l’abri de toute atteinte. Ces sentiments ne sauraient, toutefois, nous dispenser de rechercher les moyens les plus économiques d'arriver au même but. La nation succombe sous le poids des impôts; elle ne pourrait supporter bien longtemps encore un budget d’un milliard et demi. Un seul mi- nistère, celui de la guerre, absorbe improductivement chaque année 300 ou 400 millions; et, cependant, cha- que jour on assure que la paix européenne ne sera pas troublée; que les nations voisines protestent à toute occa- sion de leurs dispositions amicales! Ces dispositions se- raient sans doute plus assurées si la France avait su con- server la puissante influence morale dont l’immortelle révolution de juillet la dota ; si, après nous être placés à la tête de la civilisation en proclamant le principe de non intervention, des ministres pusillanimes n'avaient pas honteusement souscrit à l’anéantissement de la nationalité polonaise, à l’envahissement de l'Italie, à l'oppression de tous les États constitutionnels de l'Allemagne. Ces fautes sont immenses, irréparables ; elles ont brisé de bien vives sympathies ; elles ont rendu impossibles, peut-être pour des siècles, de précieuses alliances sur lesquelles nous devions compter ; elles amèneront tôt ou tard, nous le craignons du moins, sur le même champ de bataille, d’un côté les enfants de la France constitutionnelle, de l’autre les sujets des souverains absolus coalisés. Si le combat s'engage, ce n’est certainement pas nous qui douterons du succès. Mais il faut que la France ne soit pas prise au dépourvu, il faut qu’elle possède de longue main une 572 ORGANISATION MILITAIRE DE LA FRANCE. forte organisation militaire, qui, sans épuiser les trésors de l’État; qui, sans imposer à la jeunesse de trop lourds sacrifices ; qui, sans entraver les développements de notre industrie, permette de lancer la population presque tout entière sur le point où se présenteraient les ennemis de nos libertés. La garde nationale sédentaire, la garde na- tionale mobile seront, suivant nous, les éléments tout trouvés de cette armée citoyenne, lorsque l’autorité, répu- diant d’injustes défiances, aura consenti à donner à ces deux grandes institutions une organisation plus large et plus vivace. Au surplus, ce remaniement complet des gardes nationales, nous le demanderons nous-mêmes avec persistance, car il y va de l’avenir du pays; car, après son adoption, l’armée pourrait être presque réduite aux armes spéciales et aux cadres des régiments; car alors le budget de la guerre ramené à 150 ou 200 mil- lions, permettrait ou de dégréver les contribuables d’une pareille somme, ou de la consacrer à ces grands travaux qui vivifient le pays et répandent l’aisance parmi les classes laborieuses. Espérons aussi, qu’en nous voyant proposer une orga- nisation militaire, toute-puissante pour la défense du ter- ritoire et très-peu propre à des expéditions lointaines, on comprendra enfin, si toutefois nous n’avons déjà été par- faitement compris, que ce que l’opposition désire, que ce qu’elle réclame, que ce qu’elle veut à tout priæ, ce n’est pas la guerre, mais bien l’indépendance, la dignité et l'honneur de la France. EURE ; RECHERCHES SUR LA FABRICATION DES ESSIEUX DE L'ARTILLERIE * Sur la demande qui lui avait été adressée par M. le fieutenant général Allix, Son Excellence le ministre de la guerre ordonna, le 19 mars dernier, qu'il serait fait dans les forges du département du Cher, des expériences destinées à résoudre la question suivante : Des essieux formés de mises entremêlées de fer et d’acier ont-ils, sous le rapport de la ténacité et de l’élasticité, une supé- riôrité marquée sur des essieux de fer pur? Dans le cas d’une solution aflirmative de cette première question, on devait aussi chercher à quelles proportions de fer et d’acier il conviendrait d'accorder la préférence. Son Excellence, par une décision en date du 1“ juillet, a renvoyé le procès-verbal des expériences exécutées dans les forges royales de Guérigny à la Commission des affûts et voitures, pour qu’elle décide : premièrement, s’il y a lieu de faire les nouvelles épreuves que les officiers d'artillerie employés dans les forges du Cher croient nécessaires; deuxièmement, pour qu'elle indique com- ment ces nouvelles épreuves devraient être dirigées. La Commission des forges royales de Guérigny a 4. Rapport inédit fait le 23 août 1825 par M. Arago à la Commis- sion des affûts et voitures de la direction générale de l'artillerie. 574 RECHERCHES SUR LA FABRICATION opéré sur quatre espèces de barreaux, d'environ un pouce (0*.027) d'équarrissage : La première était de fer pur du Berry ; La seconde renfermait un quart d’acier et trois quaris de fer; La troisième un tiers d’acier et deux tiers de fer; Il y avait enfin, dans la quatrième, moitié acier et moitié fer. : Pour évaluer la ténacité de ces divers barreaux, on les étirait dans le sens longitudinal, à l’aide d’une forte presse hydraulique, jusqu’à ce que la rupture s’ensuivit. On trouve la description de l’appareil qui a servi à la mesure de l’élasticité dans l’ouvrage de M. Duleau, sur la résistance du fer forgé. | Les officiers de la sous-inspection des forges du Cher, qui ont dirigé le travail dont la Commission m’a chargé de lui rendre compte, sont parfaitement au courant des dernières expériences des physiciens sur la ténacité des métaux. Leurs épreuves paraissent avoir été exécutées avec beaucoup de soin; mais, comme ils le remarquent eux-mêmes, elles n’ont point été assez variées. En effet, je trouve bien, par exemple, sur les tableaux de la Com- mission de Nevers, que les étolfes ont, en général, une ténacité assez supérieure à celle du fer; mais dans les résultats partiels, j’aperçois qu’une barre dé fer pur ne s'est rompue que sous une traction de 35"!-.3 par mil- limètre carré, tandis qu’une autre barre de dimensions semblables, composée de un tiers d’acier et de deux tiers de fer, s'était déjà rompue à 35 kilogrammes. Quelques précautions qu'on adopte, quelques soins DES. ESSIEUX DE L’ARTILLERIE. 575 qu’on apporte dans la fabrication des barreaux, des expé- riences de traction analogues à celles que la sous-inspec- - tion. des forges du Cher a exécutées, offriront toujours des discordances sensibles; les conclusions n’auront dès lors aucune certitude, si elles ne se fondent pas sur un nombre suffisamment grand d'observations. J'aurais des remarques semblables à présenter sur les expériences d’élasticité. 11 me paraîtrait donc fort utile que tout ce travail fût recommencé, non plus en se bornant, comme on l’a fait, à deux barreaux seulement de chaque espèce, mais en opérant successivement sur dix. Les résultats moyens montreraient alors avec certitude si la ténacité s'accroît indéfiniment à mesure que la proportion d’acier dans les barreaux devient plus grande, ou s’il existe des limites qu'il ne faudrait pas dépasser. Si la Commission juge convenable de donner its à la proposition que j'ai l'honneur de lui présenter, elle devra, je pense, recommander d’une manière toute par- ticulière que les nouvelles expériences d’élasticité soient faites sur des barreaux neufs et non pas, ainsi qu’on l’a pratiqué, probablement dans des vues d'économie, sur des barreaux dont les fibres pouvaient avoir été alté- rées par. les fortes tractions auxquelles. ils savaient: été précédemment soumis. Les essieux de l'artillerie devant fréquemment éprouver des chocs brusques, les officiers de la sous-inspection du Cher donneraient un nouveau > prix à leur travail s'ils essayaient aussi les divers bar- reaux sous ce point de vue. L'emploi de la presse hy- draulique, comme moyen de traction, n’a point d’incon- vénient dans des essais comparatifs; mais l'évaluation 576 FABRICATION DES ESSIEUX DE L’ARTILLERIE. absolue de la résistance des divers métaux ayant aussi un grand intérêt, la Commission pourrait être invitée à faire connaître, dans son nouveau procès-verbal, par quelle voie expérimentale (car le calcul n’aurait pas ici une exactitude suffisante) elle se serait assurée que la presse hydraulique employée produisait tel ou tel autre effort. Je n’ai plus qu’un mot à ajouter : Le rap- port de M. le chef de bataillon Fabert nous apprend que la Commission qu’il présidait était dépourvue des moyens de mesurer les fièches de courbure des barreaux jusqu'aux dixièmes de millimètre. Si vous êtes d’avis de demander au Ministre que le travail soit recommencé, il me semble qu’il sera indispensable de prier Son Excellence de faire remettre à M. Fabert le petit appareil qui lui manque, EXPOSÉ SOMMAIRE D'UN MODE DE FIGURER SUR LES CARTES LE RELIEF DU TERRAIN [La Note suivante, entièrement écrite de la main de M. Arago, se rattache aux études que lillustre savant a faites pour apprécier le meilleur mode de figurer le relief du terrain, alors qu’il faisait partie de la Commission nommée par le Ministre de la guerre pour établir de l’uniformité dans la rédaction des cartes topographiques. ] Les projections des sections horizontales seront d'au- LE RELIEF DU TERRAIN. | 577 tant plus rapprochées, elles formeront sur le dessin des teintes. d'autant plus foncées, que la pente du terrain sera plus roide. La première inspection des teintes fera donc connaître où se trouvent les pentes les moins acces- sibles. … La distance qui sépare sur le dessin les projections de deux courbes horizontales est la cotangente de l'inclinai- son du terrain dans l'intervalle qu’elles renferment, léqui- distance étant prise pour unité. Quand cette inclinaison est de 45°, l’écartement des courbes sera égal à l’équi- distance. Pour des inclinaisons de moins en moins grandes, l’écartement ira en augmentant très-rapide- ment ; si la pente du terrain est, par exemple, de 2°, la distance Ges courbes horizontales s’élèvera à près de 29 fois l’équidistance. Supposons que, sur le dessin, les projections des sec- tions horizontales correspondantes à une pente de 45° soient distantes l’une de l’autre de la cinquième partie d’un millimètre (on ne pourrait guère pratiquement les rapprocher davantage), cette distance pour l'inclinaison de 2%, devant être 29 fois plus grande, se trouvera de près de 6 millimètres; des lignes fines aussi fortement espacées ne forment pas des teintes appréciables. - L'emploi des sections horizontales ne suffit donc pas pour peindre à l'œil le relief du terrain dans les pays accidentés ou qui présentent des pentes très-dissem- blables. On renforce ces teintes, dans les dessins topographi- ques, en traçant les projections des lignes de plus grande pente entre les projections des sections horizontales, et XIE 37 578 RELIEF DU TERRAIN SUR LES CARTES. l’on conserve leurs rapports primitifs d'intensité en espa- çant les hachures proportionnellement à leurs longueurs, c’est-à-dire proportionnellement à l’espacement des courbes horizontales. Ce procédé lui-même ne peut pas fournir les teintes qu’on désire obtenir pour exprimer toutes les pentes com- prises entre 1° et 45°. Supposons, en effet, que pour cette dernière limite l’espacement des lignes de plus grande pente soit de 1/4 de millimètre; arrivées à la pente de 2°, ces mêmes lignes seront à 7 millimètres de dis- tance et elles ne formeront pas une teinte suffisante. Comme il paraît impossible, d’après les considérations précédentes, de comprendre toutes les pentes du sol naturel dans un mode uniforme de dessin, on s’est dé- cidé à les partager en deux classes. Dans la première classe sont renfermées sous le nom de pentes douces toutes les pentes accessibles aux voitures d'artillerie ou dont la base surpasse cinq fois la hauteur ; toutes celles, en un mot, qui en projection sont représentées par des sections horizontales distantes de 5 millimètres et plus. Dans la seconde figurent les pentes ‘dont la hauteur sur- passe le cinquième de la base. On représente les premières en traçant, entre les sec- tions horizontales, des lignes de plus grande pente espacées au dixième, au douzième ou au séizième de leurs longueurs. D ice D'EPN ELE OÉTEERES OBSERVATIONS SUR DIVERS PROCÉDÉS SUIVIS POUR FIGURER LE RELIEF DU TERRAIN SUR LES CARTES TOPOGRAPHIQUES Quelques membres de la Commission admettent qu’à toutes les échelles, il suffirait, pour représenter convena- blement le terrain, de le supposer coupé par une série de plans horizontaux équidistants, et de projeter les sec- tions sur le plan de la carte, Cette opinion a.,été com- battue dans divers Mémoires auxquels je me suis engagé à répondre : je vais donc parcourir toutes les objections qu'on. nous oppose, mais sans m'astreindre, toutefois, à l’ordre dans lequel on les a présentées. L'auteur d’un des Mémoires distingue deux genres de topographie : la première, qu’il appelle régulière, ne met en œuvre que des matériaux géométriquement exacts. « La topographie est irrégulière, dit-il, quand. il ya irrégularité et par conséquent doute sur la position 4. Observations écrites présentées par M. Arago, le 24 mars 1827, à la Commission chargée par le Ministre de la guerre d'établir de l'uniformité dans le mode de figurer le relief du terrain, et trans- crites en entier dans les procès-verbaux de la Commission conservés au ministère de la guerre (Archives administratives, bureau des lois et des archives). La Commission était composée de MM. le général Dode, président; général Despretz, général Cotty, général Dela- châsse de Vérigny. général de Durfort; Arago, examinateur du génie ; Val!ot, ingénieur des ponts et chaussées; Héron de Villefosse, ingénieur des mines ; le général Pailhou, le chevalier de Rossel, Chrestien de la Croix ; général de Tholosé, secrétaire. 580 RELIEF DU TERRAIN comme sur la forme des objets à représenter... Celle- ci, ajoute-t-on, avec moins d’exactitude offre plus de ressources et peut s’étendre aux opérations d'ensemble. » Cette classification des deux topographies me semble inadmissible. Il n’y a pas, en effet, de résultat obtenu par les hommes à laide d'instruments qui ne soit une simple approximation. Le levé le plus parfait est affecté d’un grand nombre d’erreurs; comment trouver, dès lors, la limite qui séparera la topographie régulière de l'irrégulière? Le doute qui, d’après la définition citée, indique où commence cette dernière, devra-t-il porter sur des centimètres, sur des dizaines où sur des cen- taines de mètres? Au reste, cette question serait résolue, la distinction proposée aurait été généralement admise, qu’on n’en pourrait pas conclure que les deux genres de topographie doivent employer des moyens graphiques différents. Les plan, coupe et élévation, à l’aide desquels les architectes, les mécaniciens déposent sur le papier leurs premières idées sur la forme d’un édifice où d’une ma- chine, ne diffèrent pas, quant äu mode de dessins, des plans soignés et cotés qui, plus tard, dirigeront le con- structeur. Le peintre exécute un portrait de souvenir, comme celui dont le modèle est devant lui; ajouter l’ob- scurité de l’expression à celle de la pensée, c’est, ainsi que l’a si bien dit le général Fleury, ne montrer un brouillard qu'au travers d’un autre brouillard. Si je ne craignais d'abuser des moments de la Com- mission, je demanderais dans quel sens on a avancé que la topographie irrégulière est celle qui offre le plus de nn nb de te ste ur Dlllie Là hu à indique RS RS dé ESS SUR LES CARTES TOPOGRAPHIQUES. 584 ressources; mais j’abandonne ces petits détails pour pas- sér à des objets plus dignes d'attention. Dans le système que je défends, le dessinateur met en œuvre les résultats immédiats des opérations exécutées sur le terrain: ce sont, en effet, suivant nous, les sections horizontales que lèvent les ingénieurs ; on l'avait contesté, mais il ne peut maintenant rester aucun doute à cet égard ; l’un détermine les cotes de hauteur d’un certain nombre de points du mamelon qu’il parcourt par des angles de dépression; l’autre détermine le relief du mon- ticule autour duquel il tourne par des angles de hauteur; un troisième forme dans le terrain des coupes diverse- ment orientées et passant sur des points plus ou moins exactement nivelés. Les espaces compris entre les repères géométriques sont remplis ici par des courbes horizon- tales tracées à vue; là, à l’aide de hachures dont l’orien- tation, la longueur et l'intensité indiquent la direction, l'étendue et l’inclinaison de la pente du terrain; ailleurs, par les lignes de plus grande pente estimées à vue. J'au- rais peut-être quelque droit de m’étonner qu'en expli- quant ces diverses méthodes, on n’ait pas prononcé une seule fois ni le nom de baromètre, ni celui de plusieurs autres instruments géodésiques très-commodes, et qu’au- cune méthode uniforme n’ait été jusqu'ici prescrite aux officiers qu'emploie le Dépôt de la guerre; maïs il suffit à mon but que l’uniformité existe dans la rédaction des travaux exécutés sur le terrain :ici, plus de divergence, tous les ingénieurs, M. Lapie excepté, discutent les ma- tériaux rassemblés dans les campagnes d’été, pour en déduire les sections horizontales équidistantes. Ce n’est 0 582 RELIEF DU TERRAIN qu'après ce premier travail que l’on procède au tracé des lignes de pente; celles-ci sont une déduction, une simple conséquence des courbes horizontales. Si, contre mon attente, cet important résultat de l'examen auquel la Commission a soumis divers officiers était contesté, je citerais la feuille inachevée des environs de Lunéville; tout le monde se rappellerait alors que les courbes hori- zontales non-seulement existaient, mais qu’elles existaient seules dans toutes les parties que le dessinateur n’avait pas encore couvertes de hachures. Je produirais enfin, au besoin, dix passages du traité qui sert de guide aux élèves ingénieurs géographes, et dans lesquels les sec- tions horizontales équidistantes sont indiquées comme les directrices des hachures, comme le moyen de déter- miner leur direction et leur longueur, comme le seul procédé à l’aide duquel on pourra éviter les eontre:sens (je copie textuellement) qu’il n’est pas rare de commettre en suivant les autres méthodes. | | Après avoir établi qu'aujourd'hui même, dans le sein du Dépôt, le tracé des sections horizontales précède con- stamment celui des hachures, nous combattrons aisément les difficultés qu’on nous oppose : « Un levé, disent MM. les chefs d’escadron, ne pour- rait pas être exécuté rapidement en employant exclusive- ment les courbes horizontales... » Je réponds qu’on ne réclame aucune modification aux méthodes que les ingé- nieurs emploient à présent sur le terrain, qu’il n’y a pas de raison pour en changer; qu’ils peuvent exécuter leurs levés comme par le passé et dans le même nombre de secondes, ni plus ni moins. Tout ce que nous désirerions, “RÉ SUN abri SUR LES CARTES TOPOGRAPHIQUES. 583 c’est qu'après avoir tracé sur les feuilles, précisément comme ils le font aujourd’hui, les courbes horizontales, ils se dispensassent d’intercaler entre elles les lignes de plus grande pente. En campagne, on aurait exactement le même travail; dans le cabinet, il serait plus court de moilié. « Un officier général, dit-on, séduit par l'apparence de figures géométriques, prétendrait d’après elles juger de la nature des pentes du terrain pour l'attaque d’une posi- tion, etc. » Je croyais que c'était là le but ou du moins une des propriétés de la carte; en tout cas, si c’est un inconvénient, qu’on renonce à l'emploi des hachures, car elles ne forment pas des figures moins géométriques que les. sections horizontales; ces deux espèces de lignes sont dans une dépendance immédiate; on passe, en effet, des hachures aux courbes tout aussi aisément que des courbes aux hachures. J'abandonne à regret cet article sans avoir répondu à deux paragraphes dont il m’est impossible d'apprécier l’importance, puisque je ne suis pas parvenu à en devi- ner le sens. L'un fait partie de la Note de MM. les chefs d’escadron; il est ainsi conçu : « Le système qu’on admet maintenant pour l'exécution de la carte de France doit être préféré, comme permettant d'obtenir des résultats calculés, ce qu’il serait impos- sible de prétendre en employant toute autre méthode. » Dans le second, l’auteur présente « l'emploi (le con- cours) des lignes de plus grande pente comme un moyen de régler d’une manière plus exacte l’espacement des courbes ‘horizontales. » S’il est question des tra- 584 RELIEF DU TERRAIN vaux exécutés sur le terrain, l’objection ne nous regarde pas, puisque nous n’avons entendu ni proscrire ni recom- mander aucun moyen particulier d'observation; si le passage est relatif au tracé de la carte, nous n’en saisis- sons pas la signification. Je n’ai pas compris davantage comment les lignes de plus grande pente pourront ôter aux sections horizontales le caractère que leur prêtent les figures géométriques. Si cela était vrai, ces lignes n'auraient bientôt plus de défenseurs; il faudrait les proscrire sans retour. Voici une objection plus spécieuse : Sur les plans to- pographiques dessinés à l’aide des sections horizontales équidistantes, les accidents du terrain compris entre deux de ces sections ne sont pas représentés; les hachures, au contraire, donnent les moyens de figurer dans le même intervalle des berges, des ressauts, qu’il peut être impor- tant de connaître; ce moyen consisterait dans un gros- sissement brusque des hachures. Une feuille de la Carte de France, celle des environs de Lunéville, a été mise sous les yeux de la Commission; cette carte représente une grande étendue de pays ; je l'ai examinée avec scrupule et surtout sans prévention; or, j'ose affirmer qu’on n’y remarque nulle part le gros- sissement des hachures dont il est ici question. La dif- ficulté qu'on nous oppose est donc de pure théorie. Remarquons toutefois que des courbes horizontales inter- rompues ou ponctuées, intercalées entre quelques-unes des sections équidistantes, fourniraient un moyen également bon de signaler tout accident, tout changement brusque de pente, dont il pourrait paraître convenable de conser- SUR LES CARTES TOPOGRAPHIQUES. 583 ver la trace. L'auteur du Mémoire auquel je réponds rejette cette faculté d’intercaler des courbes discontinues; elle ne lui semble pas pouvoir être admise ; et cependant, dans les cours professés sous ses yeux aux élèves de l'École royale des ingénieurs géographes, cette possibi- lité est parfaitement reconnue. On enseigne, en effet, à ces jeunes officiers (je copie textuellement ) « que les courbes de niveau fondamentales se tracent pleines, à l'encre de Chine... et que les tranches ou courbes de ni- veau accessoires, qui achèvent de caractériser le terrain et qui ne font pas partie du système général d’équidi- stance, doivent être ponctuées. » J'arrive enfin à la principale objection, à celle qui, dans la discussion, a été le plus souvent reproduite : Les plans dessinés d’après la méthode des lignes de pente parlent aux yeux; le relief du terrain s’y fait sen- tir au premier aspect; les personnes les plus étrangères aux études topographiques les comprennent ; les degrés dé pente sont indiqués, j'ai presque dit mesurés, par l'intensité de la teinte que donnent les hachures. Je ne saurais accorder que les lignes de pente fassent sentir, de prime abord, le relief; cette propriété ne peut évidemment appartenir à une simple projection. L’opé- ration de l'esprit à l’aide de laquelle on parvient, pour ainsi dire, à modeler le terrain d’après l'inspection des sections horizontales équidistantes est très-facile; les lignes de pente, mathématiquement parlant, conduisent au même but, mais d’une manière incontestablement moins simple. Je ne nie pas qu’on ne puisse placer sur la projection 586 RELIEF DU TERRAIN horizontale d’un monticule certaines teintes de conven- tion, de manière à y exprimer tous les degrés de pente possibles; mais ce résultat, on ne l’obtient pas: par la méthode suivie au Dépôt; les lignes de plus grande pente qu'on intercale entre. les sections horizontales donnent fréquemment des teintes fausses. MM. les chefs d’escadron l’accordent; ils croient seu- lement que cela est rare : « On s’en convaincra, ajoutent- ils, en examinant les dessins numéros 4 et 2 annexés au Mémoire. » Je n’ai pas conçu, en thèse générale, Comment des dessins pourraient prouver que certaine forme de terrain se présente rarement sur le globe; mais, dans tous les cas, il suffit de jeter les yeux sur une carte quel- conque exécutée au Dépôt, pour trouver. à chaque pas, quand on compare les pentes aux teintes, le désaccord signalé par M. le général Despretz. Ce défaut, sur lequel nous avons beaucoup insisté, puisqu'il montre à quelles. fausses notions s’expose celui qui dans l’étude des cartes veut se borner au premier coup d'œil, n’a conduit l’auteur d'un des Mémoires qu’à cette conséquence : «c’est qu'un levé irrégulier ne comporte pas l'emploi de lignes assu- jetties au principe rigoureux de la projection horizontale. » Je dois faire remarquer qu’il n’était question ici ni de la régularité ni de l’irrégularité du levé; que, de plus, les principes rigoureux de la projection, horizontale sont toujours applicables ; que, dans les cartes où figurent les lignes de plus grande pente, ces principes sont rigou- reusement appliqués; qu’enfin, tout ce que nous préten- dions montrer, c’est que les cartes actuelles ou ne parlent pas aux yeux ou parlent souvent un langage faux. . & 4 SUR LES CARTES TOPOGRAPHIQUES. 587 . Dans la discussion, les partisans du système que j’es- saie de réfuter ont paru disposés à renoncer à l'emploi des lignes de plus grande pente, telles du moins qu'on les trace aujourd'hui; les hachures ne seraient plus dé- sormais, soit par leur rapprochement, soit par leur épais seur, que les moyens de produire une teinte d'autant plus foncée que la pente aurait plus de roideur; on re- tomberait enfin à peu près dans l’ingénieuse méthode que M. le général Haxo a proposée et d’après laquelle il a fait exécuter divers modèles. Si telles étaient, en effet, aujourd'hui les idées du Dépôt général de la guerre, la discussion devrait recom- mencer sur de nouvelles bases ; il faudrait examiner si la rapidité des pentes est bien le seutélément qu’on veuille déduire de l’examen d’une carte; si les différences d’éléva- tion n’ont pas tout autant d'importance; si, comme le propose M. le général Haxo, l’équidistance des sections doit être abandonnée, etc., etc. Il me suffit qu’on ait présenté ce système comme un perfectionnement de ce qui se pratique aujourd'hui, pour qu’il ne soit pas inutile de rappeler ce qu'en pensaient naguère des officiers qui se disaient les organes de la très-grande majorité des ingé- nieurs géographes : | « Des teintes plus ou moins fortes, qu’on n’est presque jamais sûr d'appliquer convenablement, quand on les destine spécialement à l’expression des pentes, n’offrent pas entre elles des rapports susceptibles d’être appréciés avec la moindre exactitude; et d’ailleurs, leur infinie va- riété rendrait une carte interminable, si, pour en régler les nuances avec quelque justesse, on voulait les assu- 588 RELIEF DU TERRAIN jettir à un diapason. » (Traité de topographie, p. 237.) Je lis ailleurs que ces teintes occasionnent de grandes méprises, qu’eiles nuisent aux détails et aux écritures, tandis que pour exprimer les inclinaisons du terrain on a le moyen plus simple des courbes de niveau. (Puissant, Observations, p. 13.) D'autre part, on refuse au système jusqu’à la propriété de représenter en général des pentes égales par la même teinte, puisque « la surface du terrain sera couverte de détails en certains endroits et qu’elle sera nue ailleurs. » (Topographie, p. 237.) M. Chrestien de La Croix n’est pas moins positif. Sui- vant lui, avec le système des teintes, emprunté des Alle- mands, « on n’a encore rien produit de satisfaisant » (p.10). « La méthode s’oppose d’autant plus à l'expression du relief de la nature que l'échelle des cartes topographiques est plus petite » (p. 12). 11 ajoute plus bas : «Les courbes de niveau peuvent seules faire connaître exactement , quel que soit le système de distribution de la lumière, les rapports des pentes entre elles » (p.15). Enfin, après avoir reproduit l’objection tirée des terrains nus et couverts, M. Chrestien ajoute (p. 23) : « 11 est donc absurde de chercher dans les teintes la mesure exacte où même ap- prochée des ondulations du terrain. » , Je prie la Commission de vouloir bien remarquer que je n’adopte pas ces opinions dans toute leur étendue; je les ai citées d’abord comme des autorités d’un grand poids propres à contre-balancer les opinions contraires qui ont été développées devant elle ; secondement, afin de mon- trer tout ce qu’il faut rabattre des prétendues perfections dont ons’était plu à doter les cartes couvertes de hachures. La né nine à cn on Lu 2 dune à is à 6-dd nt dis D DR ES SES SUR LES CARTES TOPOGRAPHIQUES. 589 Ce n’est en effet ni dans le rapprochement, ni dans la grosseur. de ces hachures, ni dans la teinte générale qu’elles produisent, que MM. Puissant et Chrestien trou- vent la mesure de la pente : c’est uniquement dans l’es- pacement des sections horizontales; mais alors, qu'on nous dise bien réellement à quoi les hachures peuvent être utiles; quant à moi, je sais seulement qu’elles dou- blent le prix des cartes, et c’est à mes yeux un immense inconvénient. DISCOURS SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE ! Messieurs, si je voulais obéir à ce qu’on appelle les règles de la tactique parlementaire, je ne laisserais percer mon opinion que peu à peu; les conclusions auxquelles je veux arriver termineraient mon discours. J'aime mieux être franc dès le début : je déclare donc que je vais sou- tenir les pétitions les plus larges. Je sais que l’opinion à laquelle je me range a très-peu de partisans sur ces bancs, même parmi mes anciens amis politiques; il me semble que c’est une raison de plus pour que je compte sur l’aitention de la Chambre. Ne fût-ce que par curio- sité, on voudra sans doute savoir quelle série de raisonne- ments, quelle série de sophismes, si vous voulez, m'a 1. Prononcé dans la séance de la Chambre des députés du 16 mai 4840, à l’occasion de pétitions demandant la réforme de la loi du cens électoral. 590 DISCOURS conduit à regarder comme utile, comme nécessaire une chose que tant de personnes croiraient fatale. Il y a dans toutes les institutions, grandes ou petites, un principe fondamental dont on ne doit pas s’écarter, sous peine de les énerver. Mélez aux conséquences légi- times du principe des choses qui n’en découlent pas et, à plus forte raison, des choses qui le contrarient, et l’in- stitution périra inévitablement. Voyons donc quel est le principe fondamental de notre gouvernement? Avant la révolution de juillet c'était la légitimité : ce principe a disparu, moins dans les trois grandes journées qu’au moment de l’embarquement de Charles X, du duc d'Angoulême et du duc de Bordeaux. Je sais bien que le principe de la souvéraineté popu- Jaire a semblé pouvoir devenir quelque peu dangereux, quelque peu embarrassant, quelque peu difficile à une fraction de cette chambre connue par sa perspicacité et par la persistance de ses vues politiques ; je sais qu’elle a tenté de substituer au principe de la souveraineté natio- nale le principe de la souveraineté de la raison. Je deviendrai grand partisan du principe de la souve- raineté de la raison, si l’on me fait voir à quel signe cer- tain on reconnaîtra la raison, à quel caractère on saura là distinguer de l'erreur. Les députés qui voulaient substituer au principe de la souverainelé nationale le principe de la souveraineté de la raison ne se rappelaiént pas, sans doute, les paroles d’un homme dont la raison supérieure sera citée avec admiration dans tous les siècles : « On ne voit presque rien de juste ou d’injuste qui ne - SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 594. change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité, ou peu d’annéesde la posses- sion; le droit a ses époques. Plaisante justice qu’une ri- vière ou une montagne borne! Vérité en deçà des Pyré- nées, erreur au delà ! » Le principe de la nouvelle souveraineté ne saurait se séparer du moyen de reconnaître la raison; que ceux-là se nomment à qui il a été donné de trouver un talisman que Pascal n’avait pas découvert. ‘ Revenons donc franchement au principe de la souve- rainelé nationale, au principe de notre gouvernement; il est inscrit dans la Charte, il est inscrit depuis dix ans dans tous nos actes, il est inscrit dans vingt discours des ministres. Les Annales de Tacite, les Capitulaires de Charlemagne vous le montreront plein de vigueur chez nos ancêtres: vous en trouverez, enfin, la reconnaissance positive, bien qu'à l’état de simple formalité, dans la cérémonie du sacre des rois de France. Quel autre sens, en effet, attri- buer à l’usage antique en conformité duquel l’archevêque de Rheims demandait au peuple, pendant la cérémonie, s’il voulait pour son roi du personnage qui était, sous ses yeux, à genoux en face de l'autel. La formule fut supprimée au sacre de Louis XVI par un caprice de Parchevêque de Rheims, qui souleva ‘beaucoup de murmures. l Platon disait : le monde est gouverné par les chiffres. Gœthe était plus dans le vrai quand il$’écriait : c’est par les chiffres qu'on apprend si le monde est bien gouverné, 592 DISCOURS Descendons aux chiffres, examinons de quelle manière les droits politiques sont répartis dans la nation, et nous reconnaîtrons si le principe de la souveraineté nationale est un vain assemblage de paroles sonores, ou s’il est en action dans le pays. | La population de la France se compose de 4 millions d’âmes. Sur 34 millions d’âmes, il y a 47 miliions d'hommes ; sur 17 millions d'hommes, d’après les tables de mortalité les plus exactes, il y a 8 millions d'hommes de vingt-cinq ans et au-dessus. Vous savez pourquoi je prends la limite de vingt-cinq ans : elle est indiquée dans la Charte, s Combien avez-vous d’électeurs, sur 8 millions d'hommes de vingt-cinq ans et au-dessus? À peu près 200,000. II y à, par conséquent, un électeur sur quarante hommes ayant vingt-cinq ans et au-dessus. Je soutiens, moi, que le principe de la souveraineté po- pulaire n’est qu’un vain mot dans tout pays où, sur qua- rante hommes, on ne compte qu’un électeur. : Après la question du chiffre, examinons celle des con- tributions. On compte 9 millions de cotes foncières, parmi les- quelles il ÿ en a certainement 8 millions qui appartiennent à une classe de la population qui est privée du droit élec- toral. J'ajoute que des contributions telles que les octrois, telles que la contribution sur le sel, telles que la loi du recrutement, qui est la contribution du sang, comme on l'a si justement appelée, pèsent presque exclusivement sur la classe de la population que la loi prive de toute SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 593 intervention dans les choix... (Dénégations. Interrup- tion.) Je ne devine pas, Messieurs, ce qui peut vous avoir choqué dans ce que je viens de dire. Je cite des faits, j'en déduis la conséquence. Je maintiens que la partie de la population qui est privée de toute espèce de droits politiques est non-seule- ment la plus nombreuse, mais encore qu’elle paie la part de beaucoup la plus considérable dans les contributions de l’État. Le corps électoral actuel est une imperceptible mino- rité par le nombre et par la nature de toutes les charges. Les pétitionnaires s'adressent à la Chambre au nom du droit. Le droit est inprescriptible, le droit ne périt pas pour avoir sommeillé pendant un grand nombre d’années. Le mot droit signifie ici justice : qui réclame au nom de la justice, réclame au nom d’une autorité invincible. Ce n’est pas la force, la violence, qui peuvent primer le droit. Si vous voulez passer à l’ordre du jour, il faut que vous prouviez que les pétitionnaires ne sont pas dans leur droit. Je sais bien que certains publicistes établissent une distinction entre les droits naturels et les droits politiques; mais je défie de tracer nettement la ligne de démarcation qui sépare les uns des autres. Le droit de locomotion, le droit de se déplacer, de se transporter où l’on veut, est évidemment un droit naturel. Eh bien, vos lois sur les passe-ports re peuvent-ils pas l'anéantir pour une partie considérable de la population ? Il est donc utile, il est donc juste que les classes qui XII. 38 594 DISCOURS actuellement sont privées des droits politiques viennent les réclamer. On vous dit que les espritsles plus ardents n’ont jamais conçu des réformes aussi étendues que celle dont il est question. Messieurs, c’est oublier l’histoire. Le corps électoral, pour les députés du tiers aux États Généraux en 1614, se cemposait de tous les hommes ma- jeurs, domiciliés et inscrits au rôle des contributions. Les éligibles ne furent pas astreints à d’autres conditions. L'Assemblée des notables, en 1788, avait recommandé le mode d'élection de 1614. Enfin, ceux qui disent qu’on n’a rien proposé de pareil dans aucun autre pays, oublient qu’en 1780 le äuc de Richemond porta un bill à la Chambre des lords, en Angleterre, dans lequel un droit aussi étendu que celui que réclament les pétitionnaires était hautement reconnu. Je citerai encore un nomillustre, un nom dont la grande réputation dans le monde politique ne sera niée par personne, le nom de Fox. Dans la même année 4780, Fox présidait à Westminster des meetings où la question de réforme était envisagée avec autant de largeur que par les pétitionnaires les plus exigeants. Si nous nous trompons, c’est donc en très-bonne compagnie. J'arrive à la grande difficulté. On a dit que les citoyens en faveur desquels nous demandons le droit de suffrage, : n’ont pas la capacité suffisante pour l’exercer. De quelle capacité entend-on parler? Est-ce qu’on nous fait subir un examen? Est-ce qu’on nous questionne sur Vattel, sur Puffendorf, sur Grotius, sur Montesquieu ? Permettez-moi de le remarquer, dans cette hypothèse les examinateurs SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 595 ne seraient pas seuls insuffisants. La capacité qu’un élec- teur doit posséder, c’est celle de distinguer l’honnête homme du fripon, le bon citoyen de l’égoiste, l’homme désintéressé de l’ambitieux. Je maintiens, Messieurs, que cette capacité appartient tout aussi bien à la classe actuellement privée de droits politiques, qu’à la classe des censitaires à 200 fr. Écoutez, sur ce point, les paroles de Montesquieu : « Le peuple est admirable (ce sont ses propres termes), le peuple est ad- mirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelques parties de son autorité; il n’a à se déterminer (veuillez bien remarquer ces paroles), il n’a à se déterminer que par des choses qu’il ne peut ignorer, et des faits qui tombent sous les sens; il n’y a, pour s’en convaincre, qu'à jeter les yeux sur cette suite continuelle de choix éton- nants que firent les Athéniens et les Romains. » Pour moi, il me paraît évident que le Code civil ré- serve à nos concitoyens non censitaires des droits qui, pour être exercés, demandent cent fois plus de capacité que les fonctions électorales n’en exigent : le droit, par exemple, de gérer une tutelle, de choisir l’état qu’embras- seront des enfants, etc. En tout cas, je ne saurais me ré- signer à voir ce qu’il y a dans l’homme de plus noble, de plus élevé ; à voir l'intelligence tarifiée ; à voir les Béran- ger, les Chateaubriand, les Lamennais déclarés sans ca- pacité par-un bulletin du percepteur; à voir un collége royal célèbre (le collége de Caen) où les professeurs d’his- toire, de philosophie, de mathématiques, de littérature, sont privés par la loi des droits politiques dont elle investit le portier. 596 DISCOURS En Espagne on est capable avec 50 fr. de contribu- tions. En France il en faut 200. Qu'un autre se charge de tirer de ce rapprochement la conséquence qui en dé- coule : moi, j'en serais honteux pour mon pays, pour mes concitoyens. On a prétendu que le peuple, si on l’appelait à com- poser la Chambre, nommerait toujours des hommes illet- trés; on a même été jusqu’à dire quels cris il ferait en- tendre dans les colléges électoraux. Aïnsi j'ai lu dans la brochure d’un publiciste, que, si on admettait la réforme telle que les pétitionnaires la réclament, l'élection se ferait aux cris de : À bas les habits, vivent les vestes ! J'ai lu ce que je viens de rapporter dans les écrits d’un des vôtres, Messieurs. Eh bien, l’histoire dément cette prévision, elle montre que le peuple n’est pas exclusif, elle montre que le peuple sait aller chercher le mérite là où il se trouve. À Rome, le peuple sollicite le droit, pour les plébéiens, d’être élu aux fonctions curules; il l’obtient après une lutte ardente, et continue, pendant une longue suite d’années, à ne confier ces magistratures qu’à des patri- ciens. Une de nos assemblées a été nommée par la généralité du peuple : c’est la Convention. (Ah! ah! Murmures.) J'avoue, Messieurs, que je ne comprends pas le sens de cette improbation. Sous le règne de la Convention il s’est passé dans le pays des choses déplorables, des choses contre lesquelles je ne trouverai jamais assez de malé- dictions, ni dans mon cœur ni dans ma bouche. Mais, ne l’oublions pas, la Convention a sauvé le pays, le terri- SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 597 toire, notre nationalité. Elle n’a pas laissé, elle, les ar- mées étrangères, les armées ennemies arriver jusqu’à la capitale ; elle a porté nos frontières jusqu'aux limites naturelles de la France ; elle a créé la plupart des belles institutions qui, depuis près d’un demi-siècle, font la gloire de notre patrie. Je m’étonnerais, en vérité, qu'on ne pôt pas citer ici la Convention pour ce qu’elle a fait de grand, de patriotique, d’immortel. La Convention fut nommée par la généralité des citoyens ; la Convention me servira à prouver que la popu- lation, quand on l’appelle à exercer le droit électoral, n’est pas exclusive; qu’elle choisit dans toutes les classes de la société ; qu’elle va chercher le mérite là où le mérite lui apparaît. Une voix. Dans les cabarets. (On rit.) M. Ar4co. L'interrupteur va voir si c’est dans les ca- barets qu’on prit les membres de la Convention. Il y avait dans cette assemblée quatorze évêques, six ministres pro- testants.… (Hilarité générale.) Riez, Messieurs, riez, mais décidez ensuite, si c’est dans les cabarets qu’on a été chercher ces personnages, (Nouvelle interruption.) M. LE PRÉSIDENT. Je ferai observer à la Chambre qu'avec ces \interruptions la discussion devient impossible. ! M. Araco. Je me suis proposé de prouver que le peuple sait trouver le mérite et qu’il le choisit toujours là où il croit l'apercevoir. | Eh! grand Dieu, les électeurs actuels nomment aussi d’après les seules apparences; il votent pour ce qui leur semble le mérite. Je crois qu’ils se trompent quelquefois; j'affirme même que cela leur est arrivé. 598 DISCOURS Je reviens à mon sujet. Il y avait à la Convention 1h évêques, 6 ministres protestants, 13 hommes de lettres, 22 médecins, 15 magistrats, 39 avocats, 7 notaires. Vous le voyez, toutes les classes de la socicté fournirent leur contingent. La désapprobation qui s’est manifestée dans la Chambre quand j’ai prononcé le nom de la Con- vention semblait émaner d’un sentiment qui n’est point vrai, qui n’est pas juste. La Convention a laissé com- mettre des crimes: je les ai flétris dans les termes les plus énergiques que j'ai pu trouver; mais la Convention, je dois le répéter, a rendu aussi d’immenses services à la France. C’est une idée vraiment bizarre que celle qui porte certaines personnes à imaginer que tous les Con- ventionnels élaient des hommes vomis par l'enfer. Exa- minez ce qu’ils devinrent quand la Convention fut dis- soute ; j’en ai fait le récensement ce matin. (A la question! à la question!) Je crois être parfaitement dans la question quand je disculpe nos pères, quand je disculpe le peuple français d’une accusation sans fondement. La Convention a fourni aux gouvernements qui l’ont suivie, 41 ministres, 12 sénateurs, 4 conseillers-d’ État, 27 préiets, 14 ambassadeurs ou agents diplomatiques, 90 magistrats, 145 hauts fonctionnaires des finances et 12 membres de l’Institut. (Interruption. ) Je voudrais bien répondre aux interruptions, mais elle se croisent en si grand nombre qu'il ne m'est pas pos- sible de les saisir. é M. LE PRÉSIDENT. Il n’est pas possible de continuer la discussion au milieu de ces interruptions. J’invite la Chambre au silence. SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 599 M. Araco. J'avais espéré que plus mes opinions étaient en désaccord avec celles de la majorité de la Chambre, et plus je devais compter sur son attention. Je vois que je me suis trompé. Pour prouver que le peuple ne ferait pas les nomina- tions dans des vues exclusives, je tirerai ma troisième dénégation historique d’une assemblée que peut-être on ne me permettra pas non plus de citer : de l’Assemblée constituante. Celle-là, on ne le niera pas, renfermait de grandes notabilités, de grandes illustrations dans tous les genres; cependant, ses membres avaient pu être choisis sans aucune condition d'éligibilité. Vous voyez que le peuple a précisément le genre de perspicacité que lui reconnaissait l’illustre Montesquieu. (Bruit.) Vous me répondrez si vous le pouvez. On assure que la nation exerce ses droits politiques avec indifférence ; que par conséquent il n’y a pas lieu de s'occuper d’une réforme électorale. Ainsi, de ce que, dans quelques localités, on a de la peine à réunir les électeurs censitaires, on tire la conséquence que le peuple ne désire pas de réforme. Qu'on élève cette objection contre les électeurs actuels, je le conçois; mais qu’on veuille la faire peser sur des citoyens qui maintenant n’ont pas le droit de-voter, cela me paraîl très-peu logique. Lenombre très-considérable de pétitionnaires, 240,000, semble comme non-avenu. On prétend que les signatures ont été arrachées. M. le rapporteur a parlé avec éclat d’un maire, de quelques conseillers municipaux qui se sont rétractés. Le petit nombre de rétractations, puisque rétractations 609 DISCOURS il y a, prouve que les autres signatures étaient sincères. Je puis dire, moi, que les membres du comité de la réforme n’ont nullement excité à signer la pétition. (Dé- négations. ) La dénégation ne m’atteint pas personnellement. Je déclare de nouveau solennellement que tout s’est réduit de la part du comité aux deux lettres qui ont été publiées. D'ailleurs, Messieurs, désirez-vous mettre la question sur ce terrain? Je ne refuse pas de vous y suivre. J’oc- cupe dans le pays une place peu importante; j'ai une notabilité assurément peu élevée (Réclamations); eh-bien, je m’engagerai, si vous voulez, à vous apporter, l’année prochaine un million de signatures. Il est des personnes qui ne veulent pas que la réforme soit une question du moment: on la relègue dans un avenir éloigné. Je-ne suis pas de cet avis; je crois, moi, que la question est très-urgente. Je serais fâché d’exciter les murmures de la Chambre, mais je n’en développerai pas moins ma pensée en toute liberté; j’avertis, au sur- plus, que, si on m’arrête, on pourra se méprendre sur le point de vue où je veux me placer, Une voix. Nous verrons! M. AraGo. Vous verrez! Il y a, Messieurs, dans notre pays une partie notable de la population qui souffre beau- coup. Elle souffre à tel point qu’elle est minée, torturée par la misère et par la faim. (Vive interruption.) Vous voyez, Messieurs, que j'avais deviné juste en parlant d’avance de vos interruptions. Je ne fais pas grand cas de certaines statistiques. On a souvent le droit d'appliquer aux statisticiens le mot de hdi Jr natt Cf = alé fées he SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 604 Cicéron sur les augures, et de se demander comment deux statisticiens peuvent se regarder sans rire. Il y a cepen- dant des documents de statistique officiels d’une vérité incontestable; dans le nombre figurent au premier rang les tableaux du recrutement, de la conscription, pour me servir d’un terme ancien. Examinez ces tableaux, ils vous navreront le cœur. Vous y verrez que, si les denrées sont très-chères dans une année, vingt ans après, la liste de la conscription porte de 40,000 à 50,000 hommes de moins sur 300,000. (Mouvement et marques de dénégation. ) Vous vous récriez, Messieurs; j'ai les chiffres en main. On ne conjure pas le danger en fermant les yeux; il vaut mieux les ouvrir et cicatriser les plaies sociales d’une main prudente et ferme. Je prends l’année 1814, c'était une année d’abon- dance ; vingt ans après, je trouve 326,000 jeunes gens de vingt ans. L'année 1812 était une année de disette. Quel a été. (Interruption. — Une voix. La population a été décimée par Napoléon). En vérité, Messieurs, ayez ‘un peu meil- leure opinion sur des questions de fait, des-paroles des députés qui abordent cette tribune. J’ai pris 1812 comme exemple; j'en citerai d’autres, si vous voulez. L'année 1812 était une année de disette; vingt années après, combien avez-vous eu de conscrits? 277,000; c’est une diminution de 49,000. (Nouvelle interruption.) Ces in- terruptions continuelles me paraissent singulières; mes résultats vous blessent et n’en sont pas moins vrais pour cela. Je les ai empruntés à un statisticien digne de toute confiance. 602 DISCOURS De pareils résultats sont très-fâcheux, très-pénibles, ils doivent provoquer des mesures, et c’est pour cela que je les fais connaître à la Chambre. Je vais citer d’autres exemples. Trois années d’abon- dance ont donné 315,000 ; 320,000 ; 326,000 conscrits. Dans trois années de disette, vingt ans après, on n’en a eu que 260,000 ; 277,000 ; 288,000; vous sn jamais le chiffre de 300,000. La somme des deux classes de 1834 et de 1836, cor- respondantes aux bonnes années de 1814 et de 1846, est de 637,000 jeunes gens de vingt ans. La somme des deux classes de 1837 et 1838, correspondantes aux années de cherté de 4817 et de 1818, est de 584,000. Il y a donc une différence en moins de 53,000. Quelle est la conséquence de ces déplorables résultats ? Examinez les naissances... (Murmures.. Interruption) Il m'arrive des objections de tant de côtés différents, qu’il m’est v'aiment impossible de répondre à toutes. M. LE PRÉSIDENT. Il faut que l’orateur ait le droit d'exprimer son opinion sans être interrompu à chaque instant. Une voix. Ce n’est pas la faim! M. Aro. On dit que ce n’était pas la faim, c'était pis que la faim! Les pères de famille, dans ces temps de disette, non- seulement souffrent eux-mêmes, non-seulement accrois- sent par leur propre mortalité la mortalité générale du pays, mais ils communiquent une vie débile, maladive, misérable, une vie sans vigueur aux enfants qui naissent d'eux. Remarquez, en effet, que le mal dont je viens de par- SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 603 ler ne se borne pas à la différence de chiffres que j’ai fait retentir à vos oreilles ; remarquez que, dans ces années où le nombre des conscrits est très-faible, on est obligé d'atteindre les dergiers numéros pour avoir les 80,000 soldats que le recrutement exige du pays. Tlya, Messieurs, il y a dans le pays, je l'ai prouvé par des chiffres, une partie de la population en proie à des souffrances cruelles : cette partie de la population est plus -particulièrement la population manufacturière. Eh bien, le mal ira tous les jours en empirant. Les petits capitaux, dans l’industrie, ne pourront pas lutter longtemps encore contre les grands capitaux; l’industrie qui s'exerce avec des machines l’emportera sur l’industrie qui n’emploie que les forces naturelles de l'homme ; l'industrie qui met en œuvre des machines puissantes, primera toujours celle qui s'exerce avec de petites ma- chines. D'ici à peu d’années, la population ouvrière tout en- tière se trouvera à la merci d’un très-petit nombre de capitalistes. Sans sortir du présent, j’affirme qu’un grand pays tel que la France, un pays qui paie douze cent millions d’im- pôts, un pays qui se couvre sans relâche de monuments somptueux, n’est pas encore arrivé à son état normal, lorsque dans certains temps on y rencontre partout des milliers d'ouvriers honnêtes, valides, laborieux, deman- dant à cor et à cris du travail, et qui, n’en trouvant point, éprouvent des mois entiers, eux et leurs familles, les mor- telles tortures de la faim. Messieurs, je viens de faire toucher au doigt un mal 604 DISCOURS réel, un mal qui ne s’est pas montré à moi seul, un mal menaçant auquel il est nécessaire d’opposer une digue. Je vais soulever des murmures, si je tire de tous ces faits la conséquence qui en découle logiquement, et si je proclame qu’il y a nécessité d’organiser le travail, de modifier en quelques points essentiels les règlements actuels de l’in- dustrie. Se récrie-t-on sur ce qu’il y a en apparence d’exor- bitant dans une semblable idée, je dirai que vous êtes déjà entrés dans cette voie le jour où l’on vous a saisis d’une loi qui a pour objet de régler le travail des enfants dans les manufactures. Il ne faut pas s’effrayer de l’organisation du travail. Cela n’est pas nouveau, Messieurs ; nos pères organisaient le travail par l'établissement des maîtrises et des jurandes. Les maîtrises et les jurandes furent justement, légitime- ment renversées par l’illustre Turgot. A cette époque, le principe du laisser-faire et du laisser-passer était un pro- grès. Ce principe a fait son temps; les machines colos- sales que l'intelligence de l’homme a créées l’ont rendu inefficace, insuffisant. Si vous ne modifiez pas ce principe, il y aura dans notre pays de grandes misères, de grands malheurs. Examinez combien la poudre à canon a apporté de modifications dans l’organisation des sociétés modernes. Plusieurs voix. A la question de la réforme! M. Ar4Go. Attendez, et vous verrez en quoi ce que je dis a rapport à la réforme. L'invention des machines amènera dans l’industrie quelque chose d’analogue à ce que la poudre a produit dans l’organisation des sociétés modernes. Ce quelque chose, il y a des sectes qui pré- SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 605 tendent l'avoir découvert; il y a des fouriéristes, des saint-simoniens, des babouvistes (exclamations diverses) qui croient avoir trouvé la solution de ce grand problème social. Moi j'ai aperçu dans ces solutions tant vantées, au milieu de quelques bonnes idées, des projets qui doi- vent être repoussés par la parole et par l’action, des pro- jets qui sont contraires à tous les bons sentiments que la nature a déposés dans le cœur humain; il n’en est pas moins vrai qu’en présence de notre apathie, les idées des saint-simoniens, des fouriéristes, des babouvistes ont fait de grands progrès dans la classe ouvrière. Je voudrais que la Chambre des députés, par sa com- position, par sa marche, par ses actions, se substituât à des empiriques audacieux qui emporteront le malade avec le mal; je voudrais que la Chambre des députés in- spirât une confiance entière à des classes intéressantes de la société qu’on trouble, qu’on trompe, qu’on aveugle. Voyez-vous maintenant comment les idées que je met- tais en avant sur la nécessité de modifier l’organisation du travail, de toucher aux règlements de l’industrie se rattachent à la réforme? Tant que la réforme n’aura pas été introduite dans le pays, tant qu’on pourra appeler cette Chambre, à tort ou à raison, une Chambre de mo- nopole, les classes ouvrières qui souffrent (je vous ai prouvé qu’elles souffrent, qu’elles souffrent violemment, qu’elles sont souvent torturées par la faim...) (Exclama- tions.) Les chiffres vous l'ont prouvé. (Mais non! du tout!) Non! non! cela est très-facile à dire! mais il n’est: donné à personne, surtout quand on n’a rien examiné, d'anéantir des raisonnements par des murmures. 606 DISCOURS Une voix. Vous n’avez examiné que l’année 1812. Cela ne prouve rien. M. Ar4aco. J'ai cité aussi d’autres années ; ce sont des résultats évidents : si vous aviez lu le Moniteur, vous y auriez vu naguère la substance de ce que j'ai rapporté. M. Le PRÉSIDENT. J’invite la Chambre au silence; les interrup- tions ne sont pas permises. M. Araco. Oui, sans doute, Monsieur le président; mais cela ne les empêche pas de se multiplier avec une vivacité sans exemple. Je viens d'entendre dire que la réforme ne serait pas un remède. Messieurs, elle serait le médecin, et un méde- cin agréé, un médecin de confiance. Une voix. Un médecin qui tuera le malade. M. Araco. Je sais bien que les idées que je développe ici ne sont pas les vôtres; je les présente comme miennes, et en usant d’un droit incontestable. Vous pourrez les combattre si je suis dans l'erreur. On prétend que les élections, si elles devaient être faites par de grandes masses de citoyens, deviendraient impossibles. J'avoue, moi, en thèse générale, que le mot impos- sible est français, quoi qu’on en ait pu dire à une époque où toutes les exagérations semblaient permises. Mais lorsqu'on voudra porter la question sur ce terrain,.nous répondrons, et l’idée d’'impossibilité, appliquée même au vote universel, disparaîtra à jamais du débat. J'ai entendu de la bouche de l’orateur qui m’a précédé que les élections, auxquelles devrait participer une partie de la population plus étendue que celle qui jouit mainte- SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 607 nabt du droit électoral, seraient factieuses fécondes en désordres et peut-être. même ensanglantées. On a évo- qué à cette occasion tous les événements funestes dont l’histoire a pris note. Examinez attentivement ces catastrophes, et vous ver- rez qu’elles n’ont presque jamais élé l’œuvre des classes populaires. (Ah! ah!) Presque jamais! J’en ai fait l'exa- men attentif, et j’accepterai le débat avec qui voudra le soutenir. Le peuple s’est montré grand, généreux, plein de cœur, de patriotisme, plein &’entrailles toutes les fois qu'il a été consulté en masse. Prétendrait-on, par exemple, lui imputer la Saint-Barthélemi, la Ligue, la Fronde? J'ap- pelle de tous mes vœux une interpellation sur des événe- ments plus récents : sur les massacres de septembre, sur le sac de l’Archevêché, etc.; je ferai alors à chacun une part impartiale, et l’on verra si la renommée du peuple perdra à cette discussion. Faut-il vous citer des circonstances où l'intervention du peuple a empêché les corps constitués de commettre des actes déshonorants? Eh bien! remontez même jus- qu’au temps du roi Jean. (Exclamations.) Je m'étonne que l’honneur de vos ancêtres ne vous tienne pas plus à cœur !.…. Dans le xrv° siècle, lorsque les Anglais proposèrent un traité honteux pour la délivrance du roi Jean, les trois ordres des États le firent lire au peuple assemblé, par Guillaume de Dormans, avocat-général. Ce peuple ne se composait pas seulement de censitaires, et cependant, d’une voix unanime, il s’écria que ledit traité « n’était 608 DISCOURS point passable ni faisable, et que toute la nation était résolue de faire bonne guerre au roi anglais. » La population de Paris s’est montrée à nu, telle qu’elle est, pendant la révolution de juillet. Vit-on jamais des combattants plus modérés, une population plus géné- reuse, plus amie de l’ordre? Permettez-moi de vous citer une autre circonstance. Les fautes d’un roi ou plutôt les fautes de ses courtisans, avaient mis sa tête en danger. Quelle fut la voie de salut qui s’offrit à ses amis les plus dévoués? L'appel au peuple. ; Les inconvénients qu’on vous a signalés, comme atta- chés à une extension du cadre électoral, seraient vrais, que le droit n’en resterait pas moins là pour les primer. D'ailleurs, n’y a-t-il pas aussi des inconvénients attachés à un corps électoral composé exclusivement par des cen- sitaires à 200 fr.? Écoutez les paroles d’un homme que vous avez souvent applaudi à cette tribune, les paroles de M. Guizot; écoutez ce qu’il disait des classes moyennes. « Les bourgeois n’ont pas le goût des grandes entre- prises; quand le sort les y jette, ils en sont inquiets, embarrassés ; la responsabilité les trouble, ils se sentent hors de leur sphère; ils aspirent à y rentrer, ils traiteront à bon marché. » Messieurs, les paroles que vous venez d’entendre sont la condamnation du mode électoral actuel. Je le dis hardiment, je le répète avec confiance, la France ne peut pas, ne doit point vouloir confier indéfi- niment ses destinées à qui traitera à bon marché. Que les bourgeois timides aillent tempérer l’ardeur de ceux SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 609 qui se complaisent dans le danger : c’est une chose juste et'utile; mais livrer exclusivement une nation, la nation française, à qui se sent troublé, inquiet, embarrassé de- ‘vant les grandes entreprises, ce serait un acte en com- plète désharmonie avec le caractère national; ce serait jouer l'honneur, la gloire, la sécurité du pays sur un coup de dé. Ne pourrait-on pas encore remarquer combien les hommes de notre temps sont enclins à chercher les ri- chesses, même par des moyens qu’une stricte délicatesse réprouve, et conclure de là qu’une loi qui excite cette passion, en faisant de l’argent un élément indispensable pour arriver à l'illustration politique, pour être appelé à gouverner son pays, a dans ses conséquences immé- diates quelque chose dont la morale peut s'inquiéter à bon droit? J'ajoute encore un mot en réponse à une objection qui s’est souvent reproduite. Je dis que celui qui vit de son travail journalier est plus intéressé encore que les pro- priétaires, que les capitalistes, à la tranquillité du pays. Les troubles, les bouleversements le plongent dans la plus profonde misère. Ceux qui l’occupaient sont atteints dans leur superflu ; l’ouvrier perd le plus strict nécessaire. Voyez pourtant où on est arrivé, en voulant obstiné- ment rattacher l'intelligence à deux centaines de francs de contributions; on est arrivé jusqu’à vous dire : « Gelui qui, dans sa vie, n’a pas pu arriver à payer 200 fr. d'impôt ne sait pas faire ses affaires : ce serait donc à tort qu’on l’appellerait à gérer les affaires du pays. » Messieurs, faire ses affaires est une expression vague; XIL. 39 610 É DISCOURS elle peut être entendue de bien des manières. Pour moi, Kepler faisait ses affaires lorsque, sans songer s’il man-. querait de nourriture le lendemain, il cherchait les admi- rables lois qui ont conduit à la découverte du vrai sys- tème du monde. Je crois que Corneille faisait aussi ses affaires, quand il écrivait les magnifiques ouvrages qui seront l'admiration de nos derniers neveux. C’est une immense faute de rejeter ainsi loin de soi ceux qui gou- vernent le monde des idées. Si le mode d'élection actuel a reçu, pour qui veut y réfléchir, une attaque sérieuse, une attaque sévère par la bouche de M. Guizot, un ministre appartenant à la der- nière administration l’a critiqué d’une manière encore plus vive, quand il a dit que la Chambre des députés était une fiction, une fiction très-faible, et que c'était par cette circonstance même qu'elle lui plaisait; que, plus forte, c’est-à-dire appuyée sur un corps électoral plus nombreux, elle pourrait avoir de grands dangers : que la Chambre des députés primerait alors beaucoup trop la Chambre des pairs. Hé! Messieurs, c’est, suivant moi, bien mal entendre les intérêts du pays que de vouloir maintenir ses institu- tions dans un misérable état de débilité. Il peut se pré- senter des circonstances difficiles où notre salut dépendra de la force que l’assentiment populaire aura imprimée à la machine gouvernementale. Les classes ouvrières se sentent humiliées de l’espèce d'ilotisme politique dans lequel le mode actuel des élec- tions les place. En portant leurs regards sur la France et sur le monde, elles ont vu rayonner de toutes parts leurs SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 611 titres à la reconnaissance et à l’admiration. Lorsqu'un de ces citoyens non censitaires, s’arrêtant sur une de nos places publiques, voit au sommet des édifices nationaux l'appareil qui les préserve de la foudre, ne se dit-il pas avec un juste sentiment d'orgueil : C’est un de nous qui Va imaginé! (Bruit.) Une voix. Franklin n’était pas un prolétaire. M. Ar4Go. — Franklin, je suis bien aise de vous l’ap- prendre, fils d’un pauvre artisan, était dans sa jeunesse ouvrier dans une fabrique de chandelies, plus tard ouvrier coutelier et ensuite ouvrier imprimeur. Quand un prolétaire voit dans une manufacture les mains artificielles et les rouages qui cardent, qui filent, qui tissent les étoffes avec une finesse extrême et une rapidité plus admirsble encore, il se dit aussi, c’est l'œuvre de mes pareils. Et ces combinaisons employées dans la fabrique de Lyon, qui le disputent à la géométrie par la régularité des formes, à la peinture par la dégra- dation des couleurs, ne sont-elles pas nées aussi dans un atelier? Une voix. Jacquart était électeur. M. Araco. — Et ces colossales machines à vapeur à l’aide desquelles on concentre dans le plus petit espace la force de 8 à 10 mille hommes agissant simultanément nuit et jour; et les machines du même genre qui per- mettent actuellement aux navires de se jouer des cou- rants, jadis si redoutables, des vents contraires, de la tempête ; qui rendent les traversées maritimes presque aussi sûres, presque aussi régulières que les voyages de nos malles-postes ; et ces locomotives, enfin, dont quel- 612 DISCOURS ques-unes ont récemment franchi des espaces de vingt- cinq lieues à l'heure, pense-t-on que la classe ouvrière fasse bon marché de la large part qu’elle a eue à la créa- tion de toutes ces merveilles? Les montres, celles parti- culièrement dont les marins font un si utile emploi (les chronomètres), peuvent être placées, avec les lunettes d'approche, grandes ou petites, au premier rang des in- ventions qui honorent le plus l'esprit humain. Eh bien, étudiez l’histoire de l’optique, celle de l'horlogerie, et, là aussi, vous trouverez de simples artisans s’emparant avec une rare habileté des combinaisons que le hasard leur avait fournies, ou parvenant à force de persévérance et de génie, à vaincre des causes d’irrégularité qui sem- blaient inhérentes à la nature, à l’essence même des ma- tières employées. + La classe des artisans n’a-t-elle pas donné aux belles- lettres et aux sciences, Fléchier, les deux Rousseau, Quinault, le géomètre Lambert, le géomètre Fourier, etc., enfin, Molière, la personnification de notre supériorité littéraire. Si l’énumération des mérites des classes pauvres ne doit pas être écoutée, si elle vous fatigue, je demanderai, du moins, la permission de citer quelques-uns des actes héroïques qui les ont illustrées pendant les guerres de la révolution. En 1793, l'Alsace était envahie; un général de vingt- quatre ans (Hoche) expulsa Wurmser et son armée du territoire de la France. D’où venait ce jeune général? Son père était gardien d’un chenil, et lui, peu de temps au- paravant, palefrenier surnuméraire. SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. 6143 - Une des plus brillantes batailles dont notre nation puisse se glorifier, est incontestablement la bataille d’Hé- liopolis. Les Français y triomphèrent un contre dix; huit mille de nos compatriotes mirent en déroute qaatre-vingt mille Turcs. Qui commandait l’armée? C'était Kléber, le fils d’un terrassier, Jamais la France ne fut plus menacée que lorsque les armées russes victorieuses envahirent la Suisse. Qu'était le général qui, descendant comme une ava- lanche des hauteurs de l’Albis, battit complètement à Zurich Korsakoff et ses Russes? Le fils d’un simple cabaretier. Une voix. Masséna est devenu prince et pair de France. M. Araco. Ne sont-ce pas là de beaux titres, de glo- rieux parchemins ? Un membre. Gela prouve qu’on reconnaît le mérite. | M. Araco. Cela prouve qu’on le reconnaissait alors, et non pas qu’on le reconnaît aujourd’hui. Si je soutiens la réforme avec persistance, c’est que je suis ami du progrès et du progrès modéré. Entendons-nous bien : je ne parie pas d’un progrès qui s’arrête en deçà du droit; j'ai voulu dire que je ne désire pas le progrès qui se fait au milieu de la tempête, car, si la marche est alors rapide, on ne sait pas avec certitude où l’on va; car le pilote n’a pas tout son sang- froid ; car les passagers sont très-souvent enlevés par les vagues; car le navire n'arrive au port que tout ébranlé ; je veux le progrès constant, régulier, sans secousses, sans violences. Ce progrès, le pays l’obtiendra par la ré- forme électorale. Tant que le peuple ne concourra pas 644 DISCOURS SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE. au choix des députés, tant qu’on pourra nous appeler Chambre de monopole, une certaine partie de la société se figurera que nous ne nous préoccupons pas assez de ses souffrances, de ses douleurs. Les lois que nous ferons en sa faveur ne lui sembleront que des palliatifs; elle n’admettra jamais que nous ayons atteint les limites du possible. Associez, au contraire, le peuple au mouvement électoral, et dès ce moment, tout prend à ses yeux un autre aspect; et il se résigne à ne voir chaque année sa position changer que dans la mesure des décisions législa- tives; et en tous cas, il espère qu’une nouvelle Chambre, dont le personnel, le caractère et les tendances pour- ront être modifiés par ses votes, lui fera complète jus- tice; et jamais il ne s’associera à aucune idée de violence. Ce résultat est-il donc tant à dédaigner ? Si j'en juge par certains symptômes, le peuple, actuel- lement persuadé que sa participation au mouvement poli- tique du pays hâterait les améliorations qu’il espère, ne ce désistera pas aisément de ses légitimes prétentions. Ge serait, je crois, une immense faute que de lui ôter jus- qu’à l’espérance. En présence de la tension extrême des ressorts sociaux, la réforme m’apparaît, à moi, comme une soupape de sûreté. La révolution de 1830 a été faite par le peuple. En accueillant les pétitions, fermons la bouche à teux qui disent qu'elle n’a pas été faite pour le peuple, DE L'ORGANISATION DES ÉCOLES MILITAIRES * On vient de parler à cette tribune de plusieurs des écoles qui sont sous la dépendance de M. le ministre de la guerre; je pense qu’il pourra vous être agréable de recueillir à ce sujet des détails précis d’une personne à laquelle on ne pourra du moins refuser quelque expé- rience. wi Il y a quatre écoles sous la dépendance de M. le mi- nistre de la guerre, l'École d'artillerie et de génie de Metz, l’École de Saint-Cyr, l'Écoie d'état-major et l'École polytechnique. Je commencerai par dire quelques mots sur l’École de Metz. Cette école est excellente, le cours de fortification qu’on y fait est au-dessus de toute éloge. La théorie et la pratique sont si heureusement associées dans le cours de mécanique qu’on peut exiger des élèves d'aller visiter, pendant leur campagne d'été, les usines les plus compli- quées du département de la Moselle, et de rédiger, sur ce qu’ils ont vu, des Mémoires où sont évalués en nombres les moteurs employés, les pertes de force qui s’opèrent dans les différentes parties du mécanisme et le produit 1. Discours prononcé dans la séance de la Chambre des députés du 31 avril 1834. 616 DE L'ORGANISATION final. Il n’est pas sans exemple que ces Mémoires ren- ferment des vues d'amélioration d’un intérêt réel. Le cours d'artillerie, récemment réorganisé, et qui renferme des questions si difficiles sur les effets de la poudre, sur la meilleure forme des armes de toute espèce, sur celle des affûts et des voitures militaires, etc., etc., a commencé aussi de la manière la plus brillante. Encore quelques efforts pour donner à certaines leçons une direction moins spéculative, moins éloignée des applications usuelles, et l’École de Metz, sous le rapport des études, laissera bien loin derrière elle tous les établissements du même genre qui aient existé dans quelque pays et à quelque époque que ce soit. Il y a cependant une amélioration que cette école ré- clame impérieusement. Les salles d’études sont placées à l'extrémité de la ville, la caserne est à l’autre extrémité; les élèves sont obligés de parcourir plusieurs fois par jour une demi-lieue de distance ; la caserne, d’ailleurs, est malheu- reusement placée dans le quartier le plus crapuleux de la ville. De là résultent des inconvénients très-fâcheux, que M. le ministre de la guerre s’empressera, j’espère, de faire disparaître promptement. (M. le ministre de la guerre fait un geste de la main qui indique qu’il lui manque pour cela de l'argent.) M. le maréchal, je comprends votre geste; mais n’avez vous pas besoin de casernes à Metz. Vous demandez de l'argent pour cet objet : eh bien, consacrez le pavillon qu’occupent les sous-liectenants de l’École d'application, au service des troupes, et faites faire, dans un local qui existe auprès de Saint-Arnould, un pavillon d'officiers qui dd Lis # DES ÉCOLES MILITAIRES. 617 dispensera les élèves de parcourir de grandes distances, au détriment de la discipline et de leur santé. L'École de Metz, dont je ne saurais trop faire l'éloge, donne de très-bons résultats pour les têtes de promotions ; ils n’en est pas de même des élèves qui sont placés à la fin de la liste. : Ï1 me semble nécessaire que M. le ministre de la guerre arme le jury de moyens de répression suffisants. Remar- quez que les élèves de l'École d'application y entrent après trois années d’études préparatoires et deux années d’École polytechnique. Ils sortent de l’école après deux nouvelles années laborieuses. Cela fait sept ans en tout. Peut-on exiger du jury d'examen qu’il renvoie dans leurs familles, sans emploi, des jeunes gens qui ont été soumis à des épreuves si difficiles? Non, assurément! | Je demanderai pourquoi les élèves de l'École poly- technique n'auraient pas, comme ceux de Saint-Cyr, le grade définitif de sous-lieutenant d'infanterie dès leur sortie de cette école; pour obtenir une sous-lieutenance d'artillerie et du génie, ils auraient à subir de nouvelles épreuves ; mais quel qu’en fût le résultat, le premier grade de sous-lieutenant d'infanterie leur serait acquis. Avec cette modification dans les règlements, après la construction de la nouvelle caserne, l’École de Metz ne laissera vraiment rien à désirer. Je voudrais pouvoir en dire autant de l’École de Saint- Cyr. Je ne la connais pas personnellement, mais j'ose affirmer que les études y sont extrêmement faibles. M. le ministre aura beaucoup d'améliorations à faire sous ce rapport. 618 _ DE L'ORGANISATION C’est peut-être ici l’occasion de prévenir M: le ministre de la guerre que les personnes chargées de rédiger le programme d’admission de l'École de Saint-Cyr ÿ ont introduit des questions qui ne devraient pas y figurer. Je prie la Chambre de me pardonner si j’emploie des termes techniques, mais je ne puis pas m'empêcher de faire remarquer qu’il est vraiment déraisonnable de de- mander à des jeunes gens, dont les études se sont arrêtées aux équations du premier degré, l'extraction de la racine cubique d’un polynôme. Voulez-vous comprendre, Mes- sieurs, ce que c’est qu’une pareille question? En voici le moyen : Je demandais ces jours derniers à un des plus habiles géomètres de l’Europe s’il avait eu dans:sa vie occasion d'extraire la racine cubique d’un. polynôme; sa réponse a été négative : et voilà cependant ce que doivent savoir les candidats de l’École de Saint-Cyr. Vous le voyez, Messieurs, les programmes de Saint-Cyr sont rédigés avec trop peu de soin. Je demandai, l’an dernier, pourquoi on exigeait 4,500 fr. des élèves de l’École de Saint-Cyr, tandis qu’à l’École polytechnique le taux annuel de la-pension n’est que de 1,000 fr. : je n’ai pas entendu de réponse, ou bien je ne lai pas comprise. Aurait-on voulu, par hasard, éta- blir qu’il faut être plus riche dans l'infanterie: que dans les armes savantes du génie et de l'artillerie? L'École d'état-major est destinée à fournir à l’armée des officiers qui occupent des postes forts recherchés, Je crois que ces places seraient demandées par les élèves les plus distingués de l'École polytechnique. Ils y trouveraient, en effet, l'agrément d’être placés auprès d'un DES ÉCOLES MILITAIRES. 619 officier général, de rencontrer des occasions fréquentes de se distinguer ; l’avantage enfin de séjourner presque tou- jours dans les grandes villes, et souvent même à Paris. Quels motifs a-t-on donnés pour conserver cette école comme dépendance, comme suite de l'École militaire? Ce motif, c'est celui d'offrir une prime, une récompense aux élèves les plus studieux, les plus assidus, les plus zélés de l'École de Saint-Cyr. Je suis peiné d’être forcé de dire que, depuis la tévülu- tion de Juillet, on a introduit dans l'École d'état-major des élèves pris tout-à-fait à la fin des listes par ordre de . mérite. Si on devait continuer à suivre les mêmes erre- ments, je n’hésiterais pas à dire qu’il faut se hâter de faire entrer l’École d'état-major parmi celles que l’École polytechnique doit alimenter. J'arrive à la question de l'École polytechnique. Cette question est complexe. On a demandé si l’École polytechnique devrait être décasernée ; Si on devrait y admettre plus d’élèves qu’on n’en peut placer; Si on doit l’enlever aux attributions du ministre de la guerre. La question de décasernement de l’École polytechnique s’est présentée bien souvent depuis 1814. Elle a toujours élé résolue négativement par les conseils d'instruction et de perfectionnement. Je dirai pius : les élèves, quand on les a consultés, l'ont résolue dans le même sens. Croyez- moi, Messieurs, ce serait commettre une immense faute que de jeter, au milieu d’une population agitée par tant 620 DE L'ORGANISATION de passions politiques, les élèves de l’École polytechnique: Aujourd’hui ils vivent entre eux en très-bonne intelli- gence. Faites que chaque soir ces élèves puissent entendre débattre, dans un sens et dans un autre, les questions politiques qui divisent le pays, et dites-moi si le lende- main ils ne rapporteront pas dans les salles des germes de discorde et de division. Dites-moi s'ils auront l'esprit assez libre pour se livrer utilement au travail. Est-il vrai, d’ailleurs, que le casernement ait produit de fâcheux effets? ce serait une erreur complète que de le prétendre. L'instruction moyenne à l’École polytechnique est aujourd’hui beaucoup supérieure à ce qu’elle était jadis dans l’école décasernée. Je dois dire aussi que les avan- tages spéciaux qu’on a prétendu attribuer à l’école déca- sernée, quant aux hommes d'élite, ne lui ont pas appar- tenu exclusivement. Il est sorti de l’école depuis le casernement un aussi grand nombre d'hommes distingués dont la postérité gardera Île souvenir, que de l’école dé- casernée. _ Doit-on admettre à l'École polytechnique plus d'élèves que le Gouvernement n’en peut placer? | M. le ministre de la guerre, dans son dernier pro- gramme, a résolu la question administrativement ; je crois que c’est un malheur, je crois que c’est une faute, et que ‘Tinstruction en souffrira. : Permettez-moi de vous lire à cette occasion les articles ides considérants de l’ordonnance qui fut rendue en 4830 sur une nouvelle organisation de l’École FE Ces considérants n’ont pas été publiés. «L'art, 24 de l’ordonnance de 1816 permettait d’ad- DES ÉCOLES MILITAIRES. 6 mettre des candidats qui ne demandaient aucun service. En 1816, il en entra six ; en 1817, seulement trois; en 1818, il y en eut un. Dans les années 1819, 1820, 1821, 1822 et 1827, il ne s’en présenta pas. En 1893, en 1824, 1825, 1826 et 1829, on en reçut un; sur les contrôles de 1828 on en trouve trois. Parmi ces dix-huit élèves reçus ainsi sans destination, dans l’espace de quatorze ans, il y avait trois Suisses. Dans les quinze autres, neuf ont profité de l’article de l’ordonnance qui leur accordait la faculté de concourir pour les services publics, sous la condition de passer à l’école une troisième année; trois se sont retirés avant la fin de la deuxième année d’études ; un seul, quoique admissible, est entré dans le commerce de la librairie; deux ne sont pas encore sortis. Ces chiffres parlent plus haut que tous les raisonnements ; ils montrent que si l'École polytechnique est le point de mire de tant de familles, c’est uniquement, nous ne saurions trop le répéter, parce qu’elle offre des débouchés honorables et surtout immédiats. Ajoutons que, si l’on augmentait beau- coup le nombre de sujets entre lesquels se trouvent main- tenant répartis les moyens d'instruction et de surveillance qu’on a pu réunir dans l’école, on nuirait de la manière la plus grave au corps des ponts et chaussées et des mines, à ceux de l'artillerie et du génie, et cela sans aucun avantage qu’on puisse citer. puisque toutes les personnes studieuses trouvent gratuitement au Collége de France ou à la Faculté des sciences de Paris une instruction qui est presque identique avec celle de. l'École polytechnique, non-seulement quant à l’objet des études, mais même quant au personnel des professeurs. » 622 DE L'ORGANISATION Croyez-moi, Messieurs, admettre à l’École polytech- nique plus d'élèves qu’on n’en peut placer, c’est intro- duire dans les salles d’études des causes de trouble. Les élèves qui ne travaillent pas dérangent leurs camarades, et toute la promotion s’en ressent. Voilà ce qu’on n'avait jamais perdu de vue dans toutes les modifications que le régime de l’école a subies. M. le ministre de la guerre, cependant, annonce dans le programme qui a paru ces jours-ci dans le Moniteur qu’en 1836 il n’y aura que 130 places disponibles et que cette année on recevra 150 élèves. C’est une disposition qui amènera de grands inconvénients ; on ne saurait trop la blâmer. Il est encore, dans l’état actuel des choses, une consi- .dération sur laquelle je demande à la Chambre la permis- sion d'appeler son attention. La pension des élèves a été fixée à 1,000 fr. La somme totale des pensions n'est plus versée, comme jadis, dans la caisse de l’École poly- technique : elle est portée au Trésor. Eh bien, supposez que cette année les prévisions du budget de 1835 aient été calculées sur 120 élèves, 120,000 fr., ni plus ni moins, seront la somme que le ministre des finances accordera, et cependant le ministre de la guerre pourra recevoir 150 élèves. Get état de choses est intolérable ; il est indispensable d’y porter remède. Je m'aperçois, Messieurs, qu’en traitant la question du décasernement, j'ai oublié un fait qui doit frapper vos esprits : c'est le chiffre de la mortalité parmi les élèves. Ce chiffre, pendant les onze années antérieures au caser- nement a été de un élève sur soixante-treize ; pendant les onze années suivantes on a trouvé un sur cent dix-neuf, DES ÉCOLES MILITAIRES. 623 pendant les années de 1817 à 4827 un sur deux cent vingt. Ainsi l’école casernée compte une mortalité trois fois plus faible que l’école libre. Un pareil résultat ne doit pas être indifférent à des pères de famille. J’arrive-enfin, Messieurs, à la question de savoir si l'École polytechnique doit être laissée au ministère de la guerre ou au ministère de l’intérieur. Je ne pense pas que la Chambre soit appelée à délibérer en ce moment sur un objet qui ne lui est pas soumis, mais quelle que soit la valeur des considérations qui ont déterminé en 1830 le Gouvernement a faire passer l’École polytechnique dans les attributions du ministère de la guerre, ces con- sidérations, je dois le dire, n’existent plus maintenant. Le but qu’on s'était proposé était de fournir à des élèves qui seraient sortis sans place des débouchés assurés dans l'infanterie et dans la cavalerie. Pour cela il fallait, d’après la loi Saint-Cyr, que l'École polytechnique devint ou acquit du moins le titre d’École militaire. Maintenant qu’une loi spéciale a prononcé sur les prérogatives de l’école, la question n’a plus le même intérêt; vous n’êtes plus liés par les copsidérations qui guidèrent la commis- sion de 1830. Je le dis avec regret, Messieurs, on peut reprocher au ministère de la guerre plusieurs actes arbitraires qui me feraient incliner à lui enlever l’école. Il y a eu, par exemple, dans les proÿrammes des modifications qui jadis ne se faisaient qu'avec l’assentiment du conseil de perfectionnement. C’est le bon plaisir de M. lé maréchal qui décide ; l'inconvénient, j'en conviens, est très-grave, ais c’est à vous à voir si vous croyez qu'un autre mi- 624 DE L'ORGANISATION nistre se conformerait plus religieusement aux lois, aux règlements, aux usages; pour moi, je n’oserais pas l’as- surer. En résumé, Messieurs, ce serait, je crois, une grande _ faute de décaserner l’École polytechnqiue. Ne vous pré- occupez pas des difficultés qu’on a élevées contre le ca- sernement. L'École polytechnique casernée, je le dis avec une conviction profonde, est meilleure, est plus utile que l’ancienne école libre. Si même vous ne voulez songer qu'à l'instruction hors ligne de quelques jeunes gens spéciaux, vous trouverez qu’il en est tout autant sorti de l’école nouvelle que de l’ancienne. Je prie instamment M. le ministre de vouloir bien réfléchir aux inconvénients qui surgiront en foule de la disposition de son nouveau programme que j'ai critiquée. Si l'on se contentait de demander que des externes fussent admis dans les amphithéâtres de l’école et non dans les salles d'étude, l'inconvénient n’existerait pas. Mais si vous mêlez à des élèves destinés à avoir des emplois un grand nombre d’autres élèves qui sauront qu'ils n’en ont aucun à attendre, l'instruction générale en souffrira beaucoup. D'ailleurs, Messieurs, je le répète en terminant, il y a au dehors de l’école des cours tout aussi bons que ceux de l’école elle-même, car ces cours sont faits par les mêmes professeurs. [Après quelques observations présentées par MM. de Tracy et le général Pelet, M. Arago a ajouté : ] M. le général Pelet s’est trompé. Je n'ai pas parlé DES ÉCOLES MILITAIRES. 625 contre l’état-major; j'ai dit qu'il y avait deux systèmes pour alimenter son école, l’un d’y envoyer des élèves de l'École de Saint-Cyr, l’autre d'y faire entrer des élèves de l’École polytechnique. J'ai même déclaré qu’on pou- vait alléguer une bonne raison en faveur de Saint-Cyr; qu’on pouvait désirer d’avoir un stimulant, une récom- pense pour les élèves les plus laborieux de cet établisse- ment ; mais j'ai ajouté que, s’il arrivait, et la chose est en effet arrivée, qu’on introduisit dans l'état-major des élèves qui ne fussent pas en tête de la liste des promo- tions, on n’aurait plus aucune bonne raison pour soutenir ce système, et qu'il faudrait ouvrir ce nouveau débouché - à l'École polytechnique. Je prie M. le général Pelet de me dispenser de citer des noms propres dans cette dis- cussion ; j'ai dit, j'en suis certain, et j'affirme de nouveau qu'on a désigné au ministère pour l’École d'état-major des élèves qui, loin d’être à la tête des promotions, se trouvaient tout à fait à la fin. L'honorable général Pelet a soulevé une question qui pourrait donner lieu à des réflexions sévères; il a parlé avec de grands éloges de l'instruction qu'on reçoit à l'École d'état-major. Je n’ai pas le dessein de le suivre sur ce terrain, et cependant, qui m'empêcherait de dire, par exemple, que, dans le cours de géodésie et de topo- graphie, figure la démonstration de la formule du binôme. C’est en vérité, Messieurs, comme si l’on ensei- gnait la table de Pythagore dans un cours de théo- logie. Je regrette qu’en essayant de me réfuter, l’hono- rable M. de Tracy ait passé constamment sous silence XIL. 40 626 DE L'ORGANISATION cette assertion, du reste parfaitement certaine, qu’en dehors de l’école il existe des cours aussi savants, aussi “utiles que les cours de l'École polytechnique, et où tout le monde est admis sans distinction et gratuitement. Si donc il est vrai, comme je l’ai dit et comme je le . maintiens, que l'introduction à l'École polytechnique d’un trop grand nombre d'élèves nuise à l’instruction moyenne, je pourrais affirmer que, sans faire tort à la diffusion gé- nérale des connaissances dont M. de Tracy s’est fait avec raison l’avocat, on doit, dans l'intérêt des services publics, ne pas accueillir sa demande. Et d’ailleurs, Messieurs, avant de recevoir tous les admissibles, il faudrait résoudre un autre problème; ce serait de rendre admissibles tous les élèves qui sont admis; qui ignore, en effet, que, chaque année, dix, douze, quinze élèves sont renvoyés de l'École polytechnique, parce qu’ils n’avaient pas eu une instruc- tion suffisante pour suivre tous les cours? [ Dans la séance du 17 juillet 1839, M. Arago a encore prononcé le discours suivant sur les Écoles de Metz et de Saint-Cyr : ] Je demande à la Chambre la permission de lui pré- senter quelques observations sur les deux écoles mili- taires qui dépendent du ministre de la guerre. ‘ Jadis, chaque candidat à l'École de Saint-Cyr et à l'École polytechnique n’était examiné qu’une seule fois ; son avenir, l'avenir d'une famille, était ainsi Joué d’un coup de dé; le hasard, en effet, joue toujours un grand rôle dans un examen isolé. Il y a trois ans, on pensa qu’il serait convenable de DES ÉCOLES MILITAIRES. 627 faire examiner les candidats deux fois, et de telle sorte _ qu'il pût y avoir appel d’un premier jugement. Deux examinateurs se rendent aujourd'hui dans les mêmes villes. À un premier examen en succède un second, subi devant un examinateur qui n’a aucune notion du résultat de la première épreuve ; le bon élève qui a été intimidé, qui à échoué à son début, se relève souvent dans son second examen, | Des élèves timides, mais qui avaient un mérite réel, un mérite profond, échouaient souvent dans des examens oraux. On leur a ouvert une chance, en joignant aux deux examens dont 1l vient d’être question une composition écrite sur un sujet donné. Vous voyez, Messieurs, qu’en définitive chaque élève est examiné aujourd'hui trois fois. La Chambre comprendra combien il serait difficile que pendant ces trois épreuves un élève d’un mérite réel ne se fit pas connaître. Ce nouveau mode d'examen a été accueilli favorable- ment par les personnes qui se livrent à l’éducation de la jeunesse avec indépendance, avec désintéressement, avec loyauté. Les bons élèves ont applaudi comme leurs maîtres, les élèves médiocres seuls ont vu disparaître avec regret les chances de réussite que l’ancien mode leur offrait. Ce nouveau mode, j'eus l'honneur de le proposer, il y a trois ans, au conseil d'instruction de l’École polytech- nique, et au conseil de perfectionnement ; j'eus la joie de le voir adopter par l’administration, Toutefois, j'ai chaque année des luttes à subir avec les personnes qui, bien contre mon gré, ont eu à souffrir sous le rapport 628 DE L'ORGANISATION pécuniaire de l’introduction des examens multiples. Cette circonstance me mit dans l'obligation de demander com- munication des procès-verbaux d'examens, afin de porter remède aux défauts de la méthode qui viendraient à se révéler. Mon investigation m’a fait découvrir une chose que je ne cherchais pas; j'ai vu que la dernière partie de la liste d'admission à l’École polytechnique et surtout à l'École de Saint-Cyr, est excessivement faible ; j'ai trouvé dans les examens et les compositions des choses tellement risibles, que la gravité de cette tribune ne me permettrait pas de les citer. L'École de Saint-Cyr jouit de priviléges immenses. Elle donne à ceux qui y entrent des droits dont la généra- lité des citoyens sont privés; par cette voie on devient sous-lieutenant au bout de deux ans. Si ces avantages n’ont donné lieu à aucune réclamation, c’est qu’ils n'étaient obtenus qu’à la condition d’un mérite réel; eh bien! je le déclare, un grand nombre de jeunes gens à qui l’État accorde aujourd’hui de si’ grands priviléges ne le mé- ritent pas; ce sont de véritables nullités, ce sont des can- didats sans intelligence, sans instruction et sans avenir; comment corriger cela ? I! faut étendre le cadre de la candidature. Ce cadre est actuellement trop restreint, parce que le prix de la pension est à Saint-Cyr de 1,500 fr. et à l'École polytechnique de 4,000 fr.; parce qu'il y a beau- coup de familles qui ne peuvent pas faire une aussi grande dépense pendant deux ans; parce qu’elle est encore augmentée par le trousseau ; parce que d’aussi énormes rt Cine: DES ÉCOLES MILITAIRES. 629 sacrifices ont été précédés de ceux qu'ont exigés les études préparatoires. * Un pareil état de choses exige que le Gouvernement s’en occupe sérieusement. Il y a deux remèdes : l’un se- rait de supprimer complétement la pension, l'autre la création d’un plus grand nombre de bourses. Je serais tenté de conseiller cette seconde solution, si je n’avais pas eu occasion de voir que les bourses ne vont pas toujours aux personnes qui en ont besoin. Pendant la Restaura- tion, lorsque j'étais professeur à l'École polytechnique, je voyais souvent, de mes yeux, les parents des boursiers venir les visiter en brillants équipages. Ce sera donc à la suppression de la pension qu’il faudra s’arrêter, | Je parlais tout à l'heure d’un mode d'examen qui, je le crois, a fait disparaître les principales difficultés que pré- sentait la méthode ancienne ; mais ce mode ne dispense pas de choisir des examinateurs très-capables, J'ajoute que rien n’est plus dificile que de juger un candidet dans un court espace de temps, surtout lors- qu’on est obligé de faire entrer en ligne la timidité qu’un jeune homme éprouve inévitablement au moment où l’on décide de sa destinée. Ils étaient bien pénétrés de cette vérité, ceux qui jadis ne nomimaient pour examinateurs dans les écoles mili- taires que des hommes de première ligne, des hommes d’une réputation incontestée, qui s’étaient illustrés par de brillants travaux. Dans la liste des anciens examinateurs vous trou- verez Bossut, Bezout, Monge, Legendre, Laplace, Bict, Poinsot. 630 DE L'ORGANISATION Il est nécessaire que les examinateurs soient au-dessus de tout soupçon de partialité. Il faut, dès lors, qu’ils ne tiennent à des écoles préparatoires par aucun lien. Si de tels liens existent, l'indépendance, le caractère le plus honorable, ne seront pas, aux yeux des familles, une garantie suffisante ; il faut qu’à tout prix les examinateurs soient à l'abri du soupçon. | Une condition a aussi son importance : c’est que les examinateurs soient, par leur savoir, par leur position, au-dessus des professeurs dont ils examinent les élèves; sans cela l’examinateur est en quelque sorte examiné lui même fort sévèrement. Dans de telles conjonctures, ilest trop indulgent par timidité, ou trop sévère par dépit. J'en demande pardon à M. le ministre de la guerre, il ne me paraît pas s'être conformé à ces principes dans les dernières nominations d’examinateurs qu’il a faites pour Saint-Cyr. Ces examinateurs sont sans doute des hommes loyaux, mais ils tiennent presque tous d’une manière plus ou moins directe à des établissements où l’on pré- pare des élèves pour l’École militaire. Les élus de M. le ministre sortiront avec succès, je le crois fermement, de la position difficile où ils se trouvent, mais je me trompe- rais fort si cette position ne devenait pas la source de mille plaintes, de mille embarras. | Ces quatre examinateurs qui viennent d’être nommés sont peut-être des hommes de beaucoup de mérite ; mais ce mérite ne s’est pas révélé jusqu'ici; il est resté caché dans l'enceinte de quelque pension; il ne s’est ma- nifesté par aucun ouvrage ; il est tout à fait inconnu dans le monde scientifique. DES ÉCOLES MILITAIRES. 631 C'est une grande faute que de confier le difficile tra- vail des examens d'admission à des hommes qui n’ont pas une réputation faite, à des personnes qui, je le répète, subissent elles-mêmes, dans leurs tournées, les examens les plus rigoureux. ” J'arrive maintenant, Messieurs, à l’École de Metz. Là, je trouve matière aussi à plus d’une critique. L'École de Metz, est, comme vous le savez, l'École d'application de l'artillerie et du génie. L'École de Metz fut, pendant longtemps, d’une médiocrité désolante, Après bien des efforts, un corps enseignant tout militaire en avait fait l’école modèle, non seulement de la France mais de l Europe entière. L'École de Metz, Messieurs, est menacée de perdre cette haute position. Les professeurs, j'ai déjà eu l’occasion de le dire à cette tribune, les pro- fesseurs de l'École de Metz se livrent à des travaux pé- nibles, difficiles, qui ne sont pas assez appréciés par les corps militaires dont ces professeurs dépendent. Aussi, avons-nous déjà eu la douleur de voir plusieurs profes- seurs demander à se retirer. Déjà, l'École d'application a perdu M. Poncelet, M. Morin et M. Piobert. D’autres pertes nous menacent. Si ces messieurs étaient restés dans les régiments, s’ils avaient été des instructeurs de soldats, on n’aurait pas manqué de les avancer; on les a négli- gés, il faut bien le aire, quelque bizarre que cela pa- raisse, on les a négligés parce qu'ils étaient des instruc- teurs d'officiers. Je sais bien qu’on prétend que ces officiers sont des théoriciens; des théoriciens! mais Vauban était un théo- ricien ! mais Darçon était un théoricien ! mais le général 632 DE L'ORGANISATION Meunier, qui est mort si glorieusement à Mayence, et dont vous suivez de point en point toutes les méthodes dans le défilement des fortifications, était un théoricien! mais je ne sache pas que personne ait nié que Carnot, qui, pratiquement, dirigea si bien nos armées, était un théoricien. Ne pourrais-je pas citer aussi le théoricien Borda, qui a eu une si grande influence sur les progrès de l’art nautique; mais les citations précédentes suffisent, je pense, pour réhabiliter le titre de théoricien. Les théoriciens que l’École de Metz a perdus, au grand détriment de la science militaire, avaient attaché-leurs noms à tous les progrès dont nous avons été récemment témoins. M. Piobert, par exemple, avait calculé et créé le nouveau matériel de l'artillerie, et cependant on le dé- daignait tant qu’il restait attaché à l’École d'application. Il a dû quitter l’école et aller à Constantine pour obte- nir l’épaulette de chef d’escadron. Encore un mot et l’on verra si les théoriciens se signalent. Il y avait naguère dans l’artillerie une cause de ruine que très-peu de personnes connaissent. Combien croyez-vous qu’un canon de 24 puisse tirer de coups sans être mis hors de service? Vous serez étonné de m’entendre dire que, terme moyen, ce nombre de coups ne dépasse pas deux cents! (Dénégations.) J'entends des dénégations. Voici les résultats des expé- riences de 1786, faites à Douai sur des canons fondus tout exprès, avec tous les soins, avec toutes les précau- tions possibles. L’Hercule, de 24 (vous savez qu’on don- nait des noms aux canons), fut inis hors de service après soixante-quinze coups ; le Jupiter, après trente-sept coups; DES ÉCOLES MILITAIRES. 633 le Fameux, après trente-sept coups, et le Rayonnant après cent-vingt coups. Aussi Gassendi disait-il, dans son Mémorial, qu’il n'y avait pas dans l’artillerie française un seul canon de 24 qui pôt tirer plus de deux cents coups. Assurément c'était là un défaut matériel très-grave. Vous imaginez- vous qu’elles dépenses énormes un siége devait entraîner, lorsqu'un canon de 24, après trente à quarante coups, avait besoin d’être remplacé par un autre canon? Aussi, dans tous les temps, chercha-t-on à rendre les canons plus résistants. Les tentatives ont été très-variées, on a fait l’âme en fer fondu, en fer forgé, en acier, et tout cela sans succès. Savez-vous qui a réussi? c’est le théoricien Piobert. Ici le mot de théoricien est d’autant mieux applicable, que c’est la théorie qui l’a guidé, que c’est par la théorie que cet habile officier a été conduit à un mode de chargement qui donne aux canons une durée immense, sans diminuer la vitesse initiale. Ce mode théorique, le comité d’artil- lerie, au reste, vient de l’adopter. Avec le mode de chargement imaginé par M. Piobert, des canons de 24 ont tiré non pas quarante, cinquante ou cent coups, mais trois mille sept cent soixante et un coups sans être encore hors de service. Vous pouvez mainte- : nant, Messieurs, apprécier l'immense service que M. Pio- bert vient de rendre à l'artillerie. Que M. le ministre de la guerre ferme l'oreille à ces qualifications de théoricien, par lesquelles on le détourne d'accorder de l’avancement aux officiers pleins de mérite qui se dévouent aux progrès de l'art, à l'instruction 634 SUR L'ORGANISATION d'élèves qui doivent eux-mêmes rendre un jour de si grands services au pays. Nous avons dans notre France de grands, de magni- fiques établissements que l’État dote richement. Par la faute des hommes qui les dirigent, ils deviennent mesquins, improductifs. Si M. le ministre de la guerre ne prend pas en considération les observations que jé viens de présenter au sujet de l École de Metz, cette école, au- jourd’huïi si brillante, tombera au niveau où elle était jadis, et ce serait un grand malheur pour les armes du génie et de l’artillerie et pour le pays. SUR L'ORGANISATION L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE : Îl a paru dans le Constitutionnel du 21 août 1844 un article sur l'École polytechnique, qui contraste ouverte- ment, et par le fond et par la forme, avec les habitudes constantes de ce journal : aussi personne n’a eu la pen- sée de l’attribuer à ses collaborateurs ordinaires. On croit même avoir aperçu, à travers le voile de l'anonyme, la main d’un étranger que la France a comblé de faveurs. 4. Réponse aux articles insérés en 1844 din le Constitutionnel et la Revue de Paris, à l’occasion du licenciement de l’École as technique. DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 635 Pour moi, je reste encore dans le doute; il me paraît en vérité impossible qu’un article si outrageant pour deux institutions nationales et pour une foule d’acadéini- ciens soit sorti de la plume qu’on soupçonne l’avoir écrit. Les arguments qu’on invoque sont très-spécieux; je leur opposerai des considérations morales. Le public appréciera. Si l'inconcevable article r’avait attaqué que moi, j’au- rais cru, tout amour-propre mis de côté, être en droit de le couvrir de mon plus profond dédain; mais pour qui sait réfléchir c’est un ballon d’essai, on a voulu pressen- tir l’opinion publique ; certains personnages cherchent à découvrir si la France s’accommoderait d’une École polytechnique dépouillée des éléments de force et de grandeur dont ses illustres fondateurs la dotèrent. Déjà des médiocrités ridicules s’agitent ; elles rêvent des épu- rations, et vont, par la pensée, s’asseoir dans les chaires occupées par les premiers savants de l Europe. Se taire en pareille circonstance serait un acte coupable. J’accompli- rai un devoir en montrant que, dans l’article auquel le Constitutionnel a donné place, il n’y a pas une seule assertion essentielle qui ne soit contraire à la vérité, pas un argument qui, auprès des personnes bien informées, puisse soutenir quelques secondes d'examen, DE L'ORDONNANCE DU 6 AOUT 1830 « Les élèves, dit l’auteur anonyme, auraient eu be- soin (après les combats de juillet) d'entendre avec calme des conseils de prudence et de modération pour reprendre, 636 SUR L'ORGANISATION après une telle secousse, le cours de leurs travaux. Aü lieu de cela on s’appliqua à les flatter, à les exciter, et, pour les récompenser d’avoir si brillamment combattu aux barricades, on les exempta des examens de sortie et on les fit entrer de plain pied dans les services publics. Jamais il n’avait été porté un coup plus funeste aux études ! » J'ai cru vraiment rêver en lisant ces paroles. Cher- chons quel est cet on mystérieux qui se rendit si cou- pable. La question mérite assurément d'être éclaircie. Constitutionnellement parlant, on désignerait dés mi- nistres responsables. Ce serait donc M. Guizot, ministre de l’intérieur, chargé, à ce titre, de l'École polytechnique en août 1830 ; ce serait M. le maréchal Gérard, ministre de la guerre et signataire de l’ordonnance où figuraient les deux dispositions critiquées, qui auraient porté le coup le plus funeste aux études et à la discipline. Je n'ai ni le droit ni le dessein de m’immiscer dans les affaires des deux graves personnages que je viens de citer. C’est à eux de voir s'ils peuvent accepter, sans mot dire, le re- proche brutal qu’on leur adresse. Seulement, s’il arrivait que le public eût deviné juste, si, définitivement, on trou- vait l'écrivain d’au delà des Alpes derrière larticle du Constitutionnel, je prendrais la liberté d’en rire sans me croire coupable d’irrévérence. Cet écrivain tombant, par ‘méprise, à bras raccourci sur le ministre qui l’admet, dit-on, dans son intimité, qui l’a toujours entouré, qui l'entoure encore aujourd'hui d’une protection si vive, con- stituerait, en effet, un spectacle passablement burlesque. Veut-on laisser de côté la fiction gouvernementale? » DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 637 veut-on chercher le véritable auteur des deux mesures désorganisatrices? J’y consens, mais j'avertis que l’at- taque acquerra beaucoup plus de gravité; elle portera sur le malheureux duc d'Orléans! Tout le monde le sait, tous les journaux de l’époque le proclamèrent à l’envi, ce fut ce prince qui, plein d’un enthousiasme assurément fort naturel pour la conduite exemplaire des élèves de l’École polytechnique, demanda qu’on leur accordât immédiatement des lieutenances. Ses instances juvéniles amenèrent la signature de l’ordon- nance du 6 août. Cette ordonnance soulevait quelques difficultés que je signalerai moi-même, puisqu'on m’y force; mais il y a de l’absurdité à prétendre qu’elle ne pouvait manquer d'exercer dans l'avenir de l'influence sur la discipline et sur les études. Cependant, voilà le moindre défaut de la critique enregistrée dans le Consti- tutionnel ; ce qui la caractérise, c’est d’avoir jeté avec défaveur, au milieu d’une polémique de coterie, les cen- dres à peine refroidies du jeune duc d'Orléans. Les honnêtes gens de tous les partis se réuniront pour flétrir cet odieux oubli des convenances les plus vulgaires. Oh! je vous entends : Le prince ne prit pas l’initia- tive de la mesure ; il céda aux suggestions de M. Arago. Voilà votre seule justification ; je vous défie d’en trouver une autre. Quelques mots, et elle sera renversée de fond en comble. Le projet de nommer tous les élèves de l'École poly- technique à des lieutenances, pour les récompenser de leur brillante conduite pendant les trois journées, partait d'un très-noble sentiment. Examiné sous ses diverses 638 SUR L'ORGANISATION faces, il avait des inconvénients; celui, par exemple, de mettre sur la même ligne des services, des mérites fort dissemblables; l'inconvénient d'attribuer des capacités égales à des élèves de première année, et à ceux qui, après deux ans laborieusement employés, allaient pa lièrement sortir de l'École, etc., etc. Ces objections, dès que l'ordonnance parut, j'allai les soumettre à M. Guizot et à M. le général Gérard. Les deux ministres me déclarèrent que l’ordonnance avait été rendue sur les instances du duc d'Orléans, et qu'aucune modification n’y serait apportée sans l'assentiment très- explicite de ce jeune prince. Peu de jours après arriva la nouvelle que les élèves sous-lieutenants d'artillerie et du génie de l’École d'application étaient décidés à rece- voir, non pas à bras ouverts, comme à l'ordinaire, mais l'épée à la main, des camarades qui, par une faveur sans exemple, allaient les faire rétrograder de deux cents rangs sur les contrôles de l’armée. Les sous-lieutenants de Metz trouvaient juste et tout naturel que les combat- tants de juillet fussent récompensés ; que, par exemple, on leur accordat des décorations, mais ils demandaient, au nom des principes inflexibles de la justice, le respect des droits acquis. J'aurais manqué d’entrailles si je ne m'étais pas ému de cette situation délicate, quoique je n’eusse point con- tribué à la faire naître; si je n’avais pas cherché à préve- nir un conflit qui semblait être devenu inévitable et pou- voir amener de très-grands malheurs. Le duc d'Orléans appréciait toutes mes craintes, il n’entrevoyait pas seule- ment la possibilité de retirer l'ordonnance. Songez, me DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 639 disait-il, que c’est mon premier acte politique ; dans vos démarches, épargnez-moi ! Pour le dire en passant, des inquiétudes exprimées avec cette délicatesse naïve agissaient sur moi infiniment plus que des phrases déclamatoires ou prétentieuses n’au- raient pu le faire. Les nouveaux lieutenants, pleins de modestie et de modération, auraient renoncé volontiers aux brevets dont le gouvernement ies gratifiait ; mais les quelques menaces parties de Metz avaient changé leurs dispositions. La situation semblait inextricable (l’expression n’est pas de moi). Cependant, je ne perdis pas courage; je consentis à devenir l’intermédiaire entre les élèves et l'autorité su- périeure. La très-difficile négociation dont j'allais me charger devant faire peser sur moi une grave respon- sabilité, je demandai au prince et aux deux ministres intéressés, afin de me mettre en règle vis-à-vis d’un grand nombre de familles inquiètes et vis-à-vis du pays, que les limites de mon mandat fussent tracées par écrit. Ces instructions je les ai conservées ; elles sont de la main de M. le général Baudrand et de celle de M. Boismilon. Si le besoin s’en fait sentir je les produirai. La presque totalité des élèves devenus lieutenants étaient dans leurs familles ; il fallut entrer en correspon- dance avec chacun d’eux ; il fallut, plus tard, leur adres- ser une circulaire que j'avais rédigée et sous laquelle M. Guizot voulut bien apposer sa signature, Quelques élèves, qui étaient restés à Paris par exception, me don- naient leur concours empressé et amical. Je me rappelle encore la satisfaction qu'on manifesta au Palais-Royal, 640 SUR L'ORGANISATION la joie qui se repandit parmi tous les fonctionnaires de l’École le jour ou deux de ces élèves, MM. Edm. Lebœuf et Baduel, chargés du dépouillement de la correspon- dance, me remirent ce bulletin : « Nous avons examiné 84 réponses; dans 81 on de- mande que l’ordonnance soit annulée, » Les résultats ultérieurs n’altérèrent pas cette propor- tion. | Bref, l’ordonnance fut rapportée. Je me suis longuement étendu sur cette grosse affaire des lieutenances, parce que le public ne l’avait guère con- nue, parce qu’on la lui présentait aujourd’hui sous le jour le plus faux. Ainsi, l’auteur de l’article a trahi la vérité en disant qu’on fit entrer les élèves de plain pied dans les services publics. Les élèves de la première division entrè- rent dans les Écoles d'application comme leurs devanciers; ils obtinrent de même leurs grades, les grades ordinaires, après deux ans d’études et à la suite d’examens sérieux. Seulement, comme les cours furent complétement inter- rompus à l’École polytechnique par la révolution de juillet, et que les élèves avaient été renvoyés dans leurs familles, la classification, à la sortie de cette école, s'opéra d’après les notes obtenues dans le courant de l’année. Pour ce qui concerne les élèves de la seconde division, écrivain anonyme du Constitutionnel n’aura pas même la ressource, en équivoquant sur les mots, de dire qu'aux Écoles d'application on est dans un service public. Ces élèves, en effet, revinrent à l’École polytechnique après avoir été trois ou quatre mois en congé chez leurs pa- DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 641 rents; ils passèrent à la première division d’après les notes recueillies depuis le commencement de l’année sco- laire jusqu’au 27 juillet 1830, suivirent rigoureusement la seconde année d’études, subirent les examens de sortie comme d'habitude, et entrèrent dans les écoles d’appli- cation sans aucun avantage particulier. En résumé, si l’auteur de l'article du 21 août savait comment et en quel lieu fut préparée l'ordonnance sur les lieutenances, à qui doit être attribuée la mesure pro- jetée que le Constitutionnel appelle le coup le plus fu- neste qu'on ait jamais porté aux études et à la discipline de l'École polytechnique, en réveillant ces souvenirs dans les circonstances présentes , en les critiquant sans mesure et dans l'ignorance la plus complète des faits, il a outra- geusement blessé la morale publique. | Est-ce moi que l'écrivain anonyme a voulu atteindre? En ce cas chacun pourra l'appeler désormais le plus malencontreux des hommes. Son intention est de me blesser, et il me fournit l’occasion que, sans lui, je n’eusse point trouvée , que, du reste, je n’aurais jamais cherchée, de répudier toute participation à un acte dont on pouvait naturellement me croire au moins solidaire. Maintenant, grâce à son article inconsidéré, tout le monde saura que, si le coup le plus funeste ne fut pas porté à l’École polytechnique, c’est à mon intervention que le pays en a été redevable. Ce n’est pas, au reste, la première fois que des jour- nalistes, aveuglés par la haine, ont blessé leurs amis en croyant diriger sur moi des traits empoisonnés. Parmi les nombreux exemples de ces singulières méprises, il en 642 SUR L'ORGANISATION est un, récent et particulièrement, remarquable; On le. trouve dans le journal le-Globe du 4° août dernier : « Nous serions bien: aise, dit ce journal, qu'on nous donnât. des nouvelles des; fonds que M. Arago a. fait voter, pendant l'avant dernière, session à la Chambre des députés, pour la publication de lettres inédites de Fermat.. H paraît certain que ces prétendues lettres, de Fermat sont un mythe. comme, les. mathématiques, nationales de M, Arago, et que l’illustre savant en aura rêvé une nuit qu'il, dormait en lorgnant, les étoiles, etc. », Me voilà dûment, accusé d’avoir fait voter des, fonds pour la publication, de prétendues lettres inédites, de: Fer- mat, de lettres qui sont un mythe, de lettres qui n’ont eu d'existence que dans mes rêves. Après avoir protesté contre les expressions fait voter, car elles seraient dépla- eées même, dans la bouche des députés les plus influents, je. ferai succéder la vérité au récit du Globe. Je demande d'avance pardon au lecteur si je suis obligé, pour accom- plir ma tâche, de le conduire jusqu’à l’antipode. Dans la séance de l’Académie des sciences du 16, sep- tembre 1839, un, membre annonça. qu'il, avait découvert et. fait, acheter à Metz des manuscrits inédits, de Fermat, En, 1843, M. le ministre de l'instruction publique demanda à. la: Chambre des députés un crédit de 15,000 francs pour. être appliqué à la publication des. œuyres scienti- fiques de Fermat. Je fus nommé membre de,la Commis- sion et mes honorables; collègues me chargèrent de faire le, rapport. Je le présentai dans la séance du, 7 juin, Qui- conque prendra la peine de parcourir ce, document ! y A. Voir t. Ill des Œuvres et des Notices biographiques, p. 517. DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 643 verra, en termes mon équivoquées, que le projet de loi n'avait été suggéré à M. Villemain, ni par l'Académie des sciences, ni. par moi. Dans son exposé des motifs, M. le, ministre: de Fin- struction publique parlait de la possibilité: de: joindre au texte des anciennes éditions de Fermat d’autres, écrits jusqu’à présent inédits qui donneraient à la nouvelle pu- blication, une importance scientifique incontestable, « Voici, disait le rapporteur de la Commission, ce: sr nous avons, appris à ce sujet : « Un érudit acheta, il Y a peu d'années, chez un bouquiniste: de Metz, un cahier écrit de: la main du géomètre. Arbogast. : Dans ce cahier le député conven- tionnel. du Bas-Rhin. avait. réuni des lettres inédites et. quelques. opuscules mathématiques de Fermat. Le Journal. des Savants du mois de septembre 1839 a donné la liste de ces pièces. Une, lecture attentive de- cé catalogue (le. catalogue est du même érudit qui avait fait la découverte) a singulièrement amoindri les espérances que nous avions conçues. Le manuscrit d’Arbogast ne fournirait,. en, tout cas, à l'édition projetée qu'un petit nombre de pages. » Ainsi, l'initiative touchant une réimpression de: Fermat, appartient à M. le ministre de l'instruction publique. C’est aussi M. Villemain qui, accordant trop de confiance aux réclames d’un érudit, annonçait que: des écrits jus- qu'à présent inédits du grand géomètre de Toulouse donneraient une importance. scientifique incontestable. à la, nouvelle édition projetée ; c’est l’érudit enfin, qui avait parlé de lettres inédites en sa possession. 644 SUR L'ORGANISATION Quant à moi, le 7 juin 1843, je disais à la Chambre comme on la vu : La lecture attentive du catalogue a amoindri singulièrement les espérances que la première annonce de la découverte des manuscrits de Fermat avait pu faire concevoir. Cependant, le 1° août dernier, un journaliste, intervertissant les rôles, m’imputait précisé- ment les actes, les paroles de ses patrons et de ses amis! Le Globe pourrait maintenant reconnaître que, pour avoir des nouvelles de son mythe, ce n’est pas à moi que l'on devra s'adresser; et que, si l’on veut savoir quelle part, dans les transactions relatives à la réimpression des œuvres de Fermat, peut être attribuée à des rêves, il faudra questionner exclusivement M. le ministre de lin- struction publique et un certain érudit. Le journal n’en fera rien, je le parierais. J’ai signalé sa lourde et irrépa- rable bévue; ce sera pour lui le texte d’un nouveau dé- bordement d’injures. Au reste, la prédiction se vérifiant, je me rappellerai cette parole de Bossuet : « Il est des blämes qui glorifient. » | DISCUSSION DE L'ORDONNANCE DE RÉORGANISATION DU 13 NOVEMBRE 1830 Les abonnés du Constitutionnel ont pu lire, dans le numéro du 21 4&oût, cet étrange passage : «Les changements radicaux qui eurent lieu alors à l'école (après la révolution de juillet), méritent un exa- men approfondi, car c’est surtout à dater de cette épo- que que se sont développées certaines tendances qui, en dernière analyse, ont conduit nécessairement à la situation actuelle. » DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 645 L'auteur du fameux article nous conduit, lui, de surprise en surprise! Une ordonnance de réorganisation portant la date du 13 novembre 1830 ; une ordonnance qui fut révoquée au bout d’un an; une ordonnance à laquelle M. le maréchal Soult en substitua successive- ment deux autres, l’une en date du 25 novembre 1831 : la seconde, celle qui, le 46 août dernier, régissait encore l’école; une ordonnance, morte depuis treize années, est tout à coup exhumée des cartons ministériels où elle reposait en paix, et devient, dans les colonnes du Constitutionnel, la cause implicite, la cause nécessaire du licenciement actuel des élèves. Encore sous le coup du profond étonnement qu’une pareille découverte suscite, le lecteur du journal est presque tenté de se demander si cette même ordonnance maudite de 1830 né séra pas demain, rétrospectivement, la cause du licenciement de 1816. Pour l'édification des hommes de bonne foi, faisons en deux lignes l’histoire fidèle de l'ordonnance de 1830. Un mois après la révolution de juillet, le 31 août 1830, le Gouvernement institua une Coramission pour « exa- miner la situation de l'École polytechnique et proposer les moyens qui lui paraîtraient utiles et convenables pour améliorer, soit l’organisation, soit les études. » Quel fut le signataire de l'ordonnance du 34 août 1830? Comment s'appelait le ministre à qui vint la pensée que les règlements de l’école pouvaient recevoir des modifications utiles, ou qui, du moins, voulut que la question fût examinée ? Ce ministre s'appelait M. Guizot. La Commission se composait de six membres : M. le 646 SUR L'ORGANISATION général d’Anthouard y représentait l'artillerie :M. le général Haxo le génie; M. de Prony les services civils des: ponts et chaussées et des mines; MM. Gay-Lussac et Dulong les sciences. Je ne ferai pas acte ‘de fausse. F modestie, :si je montre quelque embarras en disant que j'étais le sixième merabre de la Commission. Les commissaires commencèrent leur travail dès des premiers jours de septembre. Is le continuèrent, sans: relâche, souvent avec beaucoup d’amimation, et me réus- sirent cependant à le conduire à son terme que :dams les premiers jours de novembre. L’ordonnance de réor- ganisation parut au Moniteur du 415 movembre, avec la. date du 13; ellé avait été approuvée et signée par M: de Montalivet, alors ministre de l’intérieur et ancien élève de l’École tpolytechnique. Ah ! sile public ne se méprenait pas; s’il avait vrai- ment découvert l'auteur de l’article du Constitutionnel, comme il serait instructif de voir cet écrivaiñ rendre une Commission nommé par M. Guizot, son protecteur avoué, responsable des événements pénibles et récents dont tous les honnêtes gens ont gémi ; comme äl serait plaisant de saisir l’érudit italien, attribuant les désordres: de l’école à des règlements approuvés et promulgués par M. de Montalivet qui, dit-on, l’admet aussi dans (son intimité. L'auteur, quel qu’il puisse être, de l’article du Con- stitutionnel impute à l'ordonnance du 413 movembre 1830 le développement de certrines tendances! Révé- rend père Brisacier, te voilà dépassé de mille lieues! Ta appelais, il est vrai, très-rudement, tes adversaires portes DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 647 d'énfer, mais cette qualification ne leur enlevait pas, d’urie manière absolue, les moyens de se défendre : à la rigueur, il semble, en éffet, possible de démontrer qu'on n’est ‘pas une porte d'enfer. Qu'opposer, au contraire, à l'impuütation du Constitutionnel? Comment prouver qu’on n'a poïñt concouru au développement de certaines tendances? Certaines tendances Sont l'indéfini au su- pérlatif. Sous ‘ces deux mots pourquoi ne trouverait-On päs, au besoin, fous les délits, tous les crimes spécifiés dans notre volumineux Code pénal? Pourquoi l'imagi- nation n'irait-elle même pas au delà? J'ose néanmoins le prédire : l’odieuse formule n’aura point d’éffet. Le bon sens du public, une fois éveillé, sera plus fort que les combinaisons astucieuses dans lesquelles on semble avoir voulu l'enlacer. À cet égard, ia conviction est entière ét profonde; aussi, pour toute répoñise ‘au reproche d’avoir contribué à faire naître de certaines tendances, j’analyserai simplement les modi fications introduites à l'école en 1830; j'indiquerai les prétendus changements radicaux qui portaient, dit-on, dans leurs flancs le licenciement de 1844. L'ordonnance du 13 novembre 1830 plaça l'École polytechnique dans les attributions du ministère de la guerre. Tel fut dans le temps, tel est encore aujour- d’hui le reproche principal adressé à la Commission de six membres nommés, le 30 août 1830, par M. Guizot. Les événements, je dois l'avouer, sont venus, du moins en apparence , donner gain de Cause à ceux qui eussent désiré voir l’école réstèr au ministère de l’intérieur. Les tentatives du ministère de la guerre pour faire entrer en 648 SUR L'ORGANISATION ligne de compte de prétendues notes de conduite dans le classement des élèves, pour exiger des candidats le baccalauréat ès lettres, pour s'emparer, au profit des commis, de la nomination des professeurs et des exami- nateurs, etc., ne sauraient être approuvées de ceux qui portent à notre grande institution nationale un intérêt sincère et éclairé; mais personne n’ignore aujourd’hui que la principale de ces mesures ne naquit point au ministère de la guerre. Ne sait-on pas que, si l'Univer- sité demandait le baccalauréat à cor et à cris, c'était seulement comme un moyen de placer l’école dans sa dépendance; que, dans cette occasion, loin de prendre l'initiative, les bureaux de la guerre étaient à la remor- que des hauts et puissants seigneurs de Finstruction pubiique; que le vote si explicite et si sage de la Cham- bre des députés occasionna bien plus d’humeur et de désappointement dans les bureaux de la rue de Grenelle qu'au ministère de la rue Saint-Dominique ? Que l’on cesse donc de se leurrer de cette pensée que, pour conduire les affaires de notre grande école à la satis- faction générale, il suffirait de substituer un ministre en frac à un ministre revêtu d’un uniforme militaire. On s’est obstiné à considérer le passage de l’École polytechnique dans les attributions du ministère de la guerre comme le résultat de démarches, de sollicita- tions très-actives de la part des deux généraux illustres qui représentaient l'artillerie et le génie dans la Com- mission de réorganisation. C'était une erreur complète, Je la réfutai à Ja tribune de la Chambre des députés, dans la séance du 18 mai 1835. Puisque l’assertion a DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 649 été récemment exhumée, je reproduirai ma réponse. Il me suffira pour cela de recourir au Moniteur. « On a dit que, dans le sein de la Commission, les généraux d'Anthouard et Haxo avaient tenu vivement à faire passer l’école dans les attibutions du ministre de la guerre. «Je dois rendre à ces officiers généraux la justice de reconnaître qu'ils n’insistèrent aucunement pour ce chan- gement. » Le Constitutionnel continue ainsi ses attaques : « On fut étrangement surpris lorsque, après la révolution de juillet, l'École polytechnique ayant été réorganisée de nouveau, on vit ce conseil (le conseil de perfectionnement) dépouillé d’un droit (le droit de présentation pour les places d’examinateur et de professeur) qu’il avait toujours exercé avec tant de justice et d’impartialité. » Le conseil de perfectionnement, dites-vous, avait tou- jours opéré, avant 1830, avec justice et impartialité ! De quel conseil voulez-vous donc parler ? Ignoreriez- vous, par hasard, que sa composition a changé plusieurs fois, quoique le titre soit toujours resté le même? Igno- rez-vous aussi que les attributions ont varié ? Qui! vous ignorez tout cela, M. le pamphlétaire anonyme. Je vais donc suppléer à votre insuffisance. Dans l'organisation primitive du 7 vendémiaire an mx (28 septembre 1794), il n°y avait point de conseil de perfectionnement. L'école était dirigée par un conseil composé des professeurs et de leurs adjoints. Après le 18 brumaire, M. Laplace étant ministre de l'intérieur, une loi rendue le 25 frimaire an vu (16 dé- 650 SUR L'ORGANISATION cembré 1799) plaça un nouveau conseil, le conseil dé perfectionnement, au-dessus du conseil des professeurs, qui, depuis cette époque, fut appelé conseil d'instruction. L'institution du conseil de perfectionnement figurait déjà dans le projet de l’année précédente, préparé par des professeurs de l’école, et une Commission du Conseil dés Cinq-Cents. La loi nouvelle donnait au conseil de pèr- fectionnement la composition suivante : Le directeur de l’école; Quatre professeurs de mathématiques, de géométrie descriptive, de physique et de chimie (nommés par le conseil d'instruction); Les deux examinateurs permanents de sortie, pour les mathé- matiques; A, j Les deux examinateurs temporaires de sortie, pour la géométrie descriptive, pour la physique et la chimie; Trois membres de l'Institut ; | Deux officiers généraux, l’un d'artillerie de terre, l’autre d’artil- lerie de marine; Un officier général du génie; Un ingénieur des ponts et chaussées ; Un ingénieur des mines, ou du corps des ingénieurs &éographes. Les officiers généraux ou délégués des services pu- blics, membres du conseil de perfectionnement, devaient avoir été présents aux examens de sortie. : L'organisation du 27 messidor an vnr (16 juillet 1804), (l'organisation d’où résulta le casernement des élèves) maintenait, disait-élle, le conseil dé perfec- itionnement dans sa composition et dans ses attributions. Seulement, elle plaçait ce conseil sous la présidence du gouverneur de l’école, fonctionnaire nouveau à la no- mination de l’empereur; seulement elle investissait ce DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 651 gouverneur du droit de révoquer les examinateurs et les “professeurs, (S *'est-à-dire plus de la moitié des mem- bres du conseil ; Seulement ,il avait voix prépondérante, eù cas de partage. Pendant la courte durée de la première Restauration, les choses réstèrent réglées comme sous l'empire. Le conseil de perfectionnement était composé ainsi que. l'organisation du 16 juillet 1804 le prescrivait. L'ordonnance du 4 septembre 1816, l'ordonnance qui suivit Je premier licenciement de l’école, maïnténait un conseil de perfectionnement ; mais en conservant le ñom, elle supprimait la chose. Je vais donner la compo- sition de ce conseil; chacun pourra juger ainsi par lui-même cette œuvre merveilleuse, devant laquellé le Constitutionnel paraît être en extase. Trois pairs dé France (nommés par le roi); _ Trois académiciens (nommés par le ministre de l’intérieur }; Un ‘ivspecteur général ou divisionnaire des ponts et chaussées, un inspecteur général ou divisionnaire des mines ( nommés par le ministre de l’intérieur ) ; Un officier général ou supérieur d'artillerie de terre, un officier général ou supérieur du génie {mommés par de ministre de dà guerre) ; Un inspecteur général des constructions navales, un inspecteur général de l'artillerie de marine (nommés par le ministre de la marine )$ . Les deux examinateurs permanents de ‘sortie pour les mathé- matiqugs. . Le lecteur a sans doute remarqué que, dans l’orga- nisation de 4816, ni le commandant de l’école, ni l'inspectgur des études, ni aucun des professeurs, ne 652 SUR L'ORGANISATION faisaient partie du conseil de perfectionnement, L’in- tervention ancienne et si naturelle de ces fonctionnaires dans tout ce qui concernait l'instruction était remplacée par celle de trois pairs de France!!! Les trois premiers pairs nommés pour diriger l’école furent : le duc de Doudeauville, MM. de Nicolaï et Lamartillère. L’ordonnance du 20 octobre 1822 supprima les trois pairs, présidents nés du conseil de perfectionnement, Ils furent remplacés par un gouverneur, un sous-gouverneur et l'inspecteur des études. Quant au corps enseignant, on continua à le traiter en paria, sa position fut même très-aggravée : le gouverneur de l’école se trouvait investi, par l'ordonnance de 1822, du droit de suspendre les professeurs. Si, en pareille matière, la gravité n’était pas un devoir, je terminerais mon résumé par une allusion au couteau proverbial dont parlait l’arlequin de la foire, à ce fameux couteau qui, tout en changeant. dix fois de manche et de lame, n’en était pas moins resté constam- ment le couteau de Jeannot. Je prendrai la chose plus au sérieux. Pour le moment, je prierai seulement le lecteur de vouloir bien se rappeler la composition étrange du conseil de perfectionnement qui était en exercice, qui gouvernait l’école au moment où s’assembla, en 1830, la Commission de réorganisation nommée par M. Guizot. Quelles furent à l’origine, c’est-à-dire, suivant la loi rendue sous le ministère de Laplace, les attributidhs du conseil de perfectionnement. « IL avait à s'occuper des moyens de perfectionner l'instruction ; des rectifications à opérer dans les, Pro DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 653 grammes d'enseignement et d'examen... Il devait faire, “chaque année, un rapport sur la situation de l’école et sur les résultats qu’elle avait donnés pour l’ulilité publique. » Ce conseil avait encore le droit de présentation pour les places d’examinateur de mathématiques et pour celles de professeurs. Malgré tout le prestige dont le conseil de perfection- nement de l’École polytechnique fut presque constam- ment entouré, j'ose aflirmer que l’institution n’était point nécessaire, qu'elle n’a fait aucun bien, qu'elle n’a empêché aucun mal. Pour des yeux attentifs et non fascinés, ce conseil a toujours été un rouage superflu, composé d'éléments hétérogènes sans Cohérence et sans force. Dire de telles choses, c’est s'engager à les prouver. Le conseil de perfectionnement avait à présenter des candidats pour les places de professeurs et d’examina- teurs. Toute présentation de ce genre suppose une con- naissance approfondie des mérites de diverses natures que possèdent les concurrents; le caractère, les titres scientifiques, l’élocution, voire même le physique, tout devrait être mis en balance. Eh bien, je l’affirme pour les conseils passés, je le dis avec plus de réserve, et cependant sans hésiter, pour le conseil actuellement en exercice (1844), beaucoup de délégués des services publics ont souvent inscrit, en votant, sur leurs bulle- tins, des noms de mathématiciens, de chimistes, de physiciens très-estimables qui, la veille, leur étaient complétement inconnus ! Ceci restera à l’état de simple assertion, à moins que 654 SUR, L'ORGANISATION l'on; ne. m'oblige à faire une. sorte. de: revue: du person- nel des divers conseils de perfectionnement qui se.sont succédé depuis 1799. S'il le fallait, je. -suflirais à cette tâche ; je suis assez vieux pour avoir connu presque:tous les personnages dont j'aurais à parler. Les fondateurs du. conseil de perfectionnement avaient parfaitement senti tout ce qu’il y aurait eu d’étrange, de ridicule à exiger d’un général ayant passé-sa. vie à l'armée, des idées arrêtées sur les programmes d’ensei- gnement et d'examen; sur les. moyens, de perfectionner l'instruction de l’École polytechnique, ete. Aussi. était-il nettement stipulé dans la loi que des délégués. des. ser- vices publics assisteraient aux. examens. L'arrêté, d'or- ganisation de vendémiaire an, xx appelle ces officiers généraux et supérieurs des, armes.savantes, des membres externes du jury. Les seuls officiers ayant suivi assidû- ment les examens pouvaient être membres du, conseil de perfectionnement. Ces, prescriptions si sages, si nécessaires de; la. loi n’ont pas été. exéculées; de temps. à.autre, on.a hien vu,, par hasard, un, officier. délégué, du, ministre de la guerre, assister à tel où tel examen isolé, de, mathémas tiques ou de physique. Quant à des membres.externes du jury. destinés: à. devenir des membres. du conseil, de perfectionnement, ils: n’ont, eu. d'existence: que.-sur. le papier. Le. jugement des hommes et des. choses, était livré aux caprices du sort, si . Le,conseil de: perfectionnement avait. la mission. diffi- cile de coordonner les études de. l’École: polytechnique, avec les travaux des Écoles d'application, .aveciles besoins DE L'ÉCOLE, POLYTECHNIQUE. 653 des..armes et des, professions savantes. Pour arriver à ce but spécial, le concours de. généraux et d'ingénieurs était indispensable. Les rédacteurs. de l'ordonnance du 43 novembre ne l’oublièrent pas; mais ils.se souvinrent aussi que mul ne, doit être. appelé à prononcer sur des questions qu'il.n’a pas étudiées ; que. là où manquent les lumières, le bon droit est toujours en danger. Voici de quelle manière l'ordonnance. du 13 novembre 1830 pour- voyait à toutes les exigences : I: n’y avait plus qu’un seul conseil : le. sabot de l'école. Ce conseil de l’école. se, composait (ordinaire- ment). du commandant président, du commandant en second, du directeur des, études et. de tous les pro- fesseurs. = À l’époque de la révision. PE des, programmes, les examinateurs, de sortie de l’année précédente: faisaient partie du: conseil, de l’école; à cette: époque, faisaient aussi partie de ce conseil, un membre de chacun des comités, de l'artillerie et du, génie, un délégué. du dépar- tement de la marine et un délégué. du département, de l'intérieur, pour les services, des ponts et chaussées et des mines. Ces délégués, avaient voix délibérative sur à tant ce qui se rapportait aux programmes, aux moyens de les coordonner avec les:travaux des Écoles d'application, Un: article de la nouvelle ordonnance, le 29°, réglait en quatre lignes tout ce qui concernait les. nominations. Les proïesseurs des sciences mathématiques et physiques «étaient nommés par le ministre de ia guerre, sur la présentation. de l’Académie des sciences et du conseil, de 656 SUR L'ORGANISATION l’école. » Le même mode de présentation était exigé pour la nomination des examinateurs permanents de mathé- matiques, et pour les examinateurs d'admission. L’Aca- démie des sciences de l’Institut intervenait ainsi, pour la première fois, d’une manière digne d’elle, dans la désignation des membres du corps enseignant ; l’incom- pétence était détrônée. Ce grand bienfait était dû principalement aux nobles sentiments, à la haute intelligence, à la liberté d'esprit des deux généraux illustres qui faisaient partie de la Commission de réorganisation nommée en 1830. Lorsque d’Anthouard et Haxo déclaraient eux-mêmes que les officiers de l’armée ne pourraient, en général, faute de connaissances spéciales, prendre une part éclai- rée et utile aux nominations de professeurs et d’exami- nateurs de l’École polytechnique, on devait supposer que tout le monde s’inclinerait devant leur décision. Cette espérance ne s’est pas réalisée. Les incompétents sont nombreux ; ils savent agir avec ensemble et par des voies souterraines ; aussi leurs efforts ont été couronnés de succès. Désormais ils pourront faire irruption dans le conseil de perfectionnement. Le conseil d'instruction vient d’être dépouillé de ses précieusés prérogatives. L'obligation imposée à l’Académie et au nouveau conseil de perfectionnement de présenter deux candidats pour . chaque place, est une prime offerte à la médiocrité. Elle suppléera, à l’aide de sourdes intrigues, à tout ce qui lui manquera en savoir et en expérience. Je le prédis avec douleur, d’ici à quelques années, l’enseignement de notre grande école sera livré à des doublures, à des DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 657 notabilités d’antichambre. Je renverrai ceux qui taxe- raient mes craintes de chimériques, à certaines nomi- nations vraiment déplorables, faites en 1843, par les bureaux du ministère de la guerre. J'espère qu’on n’exi- gera pas une plus ample explication. Avec des professeurs nommés par préférence en vue d'opinions politiques, il serait impossible que les études ne déclinassent pas. Cette conséquence logique, l’ano- nyme du Constitutionnel l’enregistre en ces termes comme un fait avéré : « Aussi la presse a-t-elle signalé avec re- gret, dans une des dernières années, l’augmentation du nombre des fruits secs à l'École polytechnique. » L'augmentation du nombre de fruits secs dans une des dernières années a tenu tout simplement, à ce qu’on avait fait recevoir, contre le vœu des conseils compé- tents, contre le vœu des examinateurs, un trop grand nombre de jeunes gens; à ce que, berçant ainsi les fa- milles d’un espoir mensonger, on admit beaucoup d’inad- missibles. Le fait rapporté prouve que la classe peu nombreuse de la population française parmi laquelle se recrute au- jourd’hui, presque exclusivement, l'École polytechnique, ne peut pas chaque année fournir deux cents candidats capables. Logiquement, on n’en saurait déduire d’autres conséquences. Le remède à un pareil état de choses est facile à indi- quer : les colléges devraient changer la direction géné- rale des études ; il faudrait les rendre accessibles à ceux qui ne peuvent pas payer un millier de francs de pension annuelle ; il faudrait que le séjour d’un élève à l’École XII. 42 658 SUR L'ORGANISATION polytechnique n’imposât #4 à sa famille une dépense de trois mille francs. En 1799, c’est-à-dire à une époque où es élève touchait la solde de sergent d’artillerie, l'administration fit dresser le tableau, par catégories, que je vais tran- scrire ; il servira à rectifier de fausses idées : L'école renfermait 274 élèves. Dans ce nombre il y avait 116 fils d'artisans ou de cultivateurs ; 45 jeunes sol- dats ; 13 fils de militaires en activité de service ou retirés; 67 fils d'artistes, d'employés, d'hommes de loi et d’offi- ciers de santé, etc. , etc. Suivant une autre classification, l'école renfermait : 160 élèves dont les parents étaient absolument sans for- tune ; 75 élèves dont les parents étaient présumés dans l’aisance ; 39 élèves ayant des parents présumés riches. Les élèves sans aucune fortune figurent-ils de nos jours dans l’école pour plus de moitié ? Assurément non. Le prix élevé de la pension et celui du trousseau éloi- gnent aujourd’hui de notre établissement national une foule de jeunes gens qui ‘en faisaient jadis l’ornement. L'École polytechnique a perdu le caractère démocratique que ses fondateurs lui avaient imprimé. Les études, comme tant de personnes le prétendent, se sont-elles affaiblies depuis le casernement ? Logiquement, il semblerait indispensable, pour ré soudre le problème, d’avoir été en position de comparer les deux régimes. J’ai au moins l'avantage, sur la plupart de mes contradicteurs, de satisfaire à cette condition. Élève de l’école libre et professeur pendant plus de vingt ans consécutifs à l’école casernée , les occasions de DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 659 mettre en balance les résultats obtenus au palais Bourbon et à l’ancien collége de Navarre se sont offertes à moi en maintes et maintes circonstances. J’ai déjà exposé mon avis, sur cette question capitale, à la tribune de la Chambre des députés. Pourrais-je hésiter à le reproduire ici, quand je n’ai plus en face qu'un adversaire qui, évi- demment, n’a jamais appartenu d'aucune manière à notre grande école ; qui ne l’a connue ni sous la Convention, ni sous le Directoire, ni sous l’Empire, ni sous la Restaura- tion ; qui n’a pas la plus légère idée des programmes, du mode d’études, des examens hebdomadaires, des examens de fin de cours, de passage d’une division à l’autre et de sortie, de toutes ces épreuves à l’aide desquelles les élèves sont toujours maintenus en haleine ; qui, enfin, se montre le plus mal informé des mille et mille écrivailleurs français ou étrangers dont la plume a essayé de barbouiller les règlements de notre institution nationale, SUR LES PRÉTENDUES PRÉOCCUPATIONS POLITIQUES DES ÉLÈVES DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE Citons textuellement le passage de l’article du Consti- tutionnel qui a trait à de prétendues préoccupations poli- tiques des élèves. Certaines parties de ce libelle sont écrites avec une astuce, avec une perfidie qui n’admettraient pas d'analyse. L'auteur en aurait remontré à Escobar. On trouve les accusations les plus graves dans les phrases où il a jésuitiquement introduit les moyens de s’écrier, en cas de réclamation : je n’ai pas été compris, on a été au delà de ma pensée. Avec un pareil adversaire il faut 660 SUR L'ORGANISATION recourir souvent aux guillemets; ;je serai même ici obligé de me répéter : « En voyant des hommes tels que MM. Dulong, etc., remplacés par des savants très-estimables, sans doute, mais par des hommes qu’à tort ou à raison le parti radi- cal réclame tous les jours à grands cris, on a pu craindre, non sans quelque fondement, (même quand le parti ra- dical réclamerait à tort? quelle logique!) que les opi- nions politiques ne fussent un motif de préférence, et que l’école tout entière ne finit un jour par partager les pré- occupations et les tendances des gens (l’urbanité, comme on voit, est une des qualités de l’auteur) qui cherchaient à la mener. Or, à notre avis, rien n’est plus funeste aux études que les idées politiques, de quelque nature qu’elles soient, qui s’infiltrent dans des cœurs de 18 ans. Ce n’est pas pour les conséquences qu’elles peuvent avoir dans la suite que nous repoussons ces préoccupations précoces; c'est surtout à cause de l’affaiblissement inévitable des études qu’elles doivent produire. Aussi la presse at-elle signalé avec regret, dans une des dernières années, l'augmentation du nombre des fruits secs à l’École poly- technique. « Ces faits, (quels faits?) que le gouvernement con- naissait, et qu’il 'a eu le tort grave de négliger pendant longtemps, des symptômes d’insubordination renouvelés à plusieurs reprises, quelques manifestations d’une nature toute particulière, et dont les journaux ont parlé, portè- rent enfin le ministère à vouloir soustraire l’école au joug qui paraissait l’opprimer ! » Malgré le positif et le conditionnel, si singulièrement DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 661 entremélés dans ce passage, il est évident que le rédacteur momentané du Constitutionnel a voulu amener le public et l'administration à admettre sans réserve que les élèves de l’école sont actuellement en proie à de vives passions politiques. Je n’auraiïs eu, personnellement, il y a peu de jours, aucun moyen d'appuyer ou d’infirmer cette opinion. Il y a près de quatorze ans que je quittai l’école. Depuis 1830, je n’ai pas mis le pied une seule fois dans les cours de l’ancien collége de Navarre, dans la bibliothèque, les laboratoires, les cabinets de physique ou de machines. Aucune relation ni directe, ni indirecte, ne s’est établie entre les élèves de treize promotions successives et moi. Enfin, je n’ai assisté que très-rarement aux très-rares séances du conseil de perfectionnement. Si donc l’auteur de l’article du Constitutionnel s'était montré véridique sur ce que je savais, je me serais incliné, faute d’informa- tions particulières devant son assertion. Mais, il y aurait eu de ma part plus que de la duperie à prendre au mot un écrivain qui semble s’être imposé la tâche de se tenir constamment à côté de la vérité. Je ne pouvais pas hésiter. Voulant aller directement au but, j'ai questionné quelques élèves, sans dissimuler l'usage que j’entendais faire de leurs réponses. En voici le résumé, je le publie avec une entière confiance : ce n’est pas en vain que j'aurai invoqué l'honneur et la loyauté de jeunes gens pleins de cœur et de nobles sentiments. La très-grande majorité des élèves de l'École poly- technique paraît ne prendre aujourd’hui aucun intérêt aux systèmes et aux opinions politiques que les journaux 662 SUR L'ORGANISATION quotidiens diseutent sans relâche, Dans la minorité, on trouverait des opinions arrêtées de toutes les nuances. Ges opinions, fruit de l'éducation, de l’étude plus ou moins attentive de certains ouvrages, des habitudes, des influences de famille, de telle ou telle disposition spon- tanée dans l’organisation physique ou intellectuelle de chacun, restent en général ce quelles étaient au moment de l'entrée des élèves à l’école. Les sentiments politiques ne se modifient guère que par la controverse, le combat, la persécution. Or, tout cela a disparu dans notre éta- blissement national. On n’y découvrirait pas la plus mince coterie fondée sur des similitudes de vues gouver- nementales. Les liaisons d'intimité se forment indistincte- ment entre les élèves, sans égard aux idées légitimistes, conservatrices on radicales, Ni les uns ni les autres ne cherchent à établir derelations directes avec les coryphées des partis dans les Ghambres. Telle fut, au début, la substance des explications que me donnèrent des élèves distingués qui avaient bien voulu répondre à mon appel. La question ne me sem- blait pas épuisée; je fis des objections; celles-ci, par exemple : Comment concilier tout ce que je viens d’entendre avec la visite si nombreuse des élèves au cimetière du Père Lachaise, le dimanche qui suivit les obsèques de M. Laf- fite? Comment expliquer surtout votre souscription, à peu près unanime, pour l’épée de l'amiral Du Petit Thouars? La réponse ne se fit pas attendre : « Nous avions de- mandé une place dans le cortége; on nous la refusa. Nous voulûmes prouver que tout ce qui émeut la France DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 663 et la capitale ne trouvera jamais les élèves de l'École polytechnique indifférents. La souscription pour l’épée de M. Du Petit Thouaïs s’offrit à la pensée de chacun de nous, abstraction faite de tout esprit de parti, comme un acte de dignité nationale, comme une protestation contre l’insolence inqualifiable de l'Anglais! Si cette juste susceptibilité déplaît, on fera bien de détruire l’école. Les promotions nombreuses ou réduites, riches ou pau- vres, laborieuses ou entachées de paresse, pourront être, suivant les circonstances, radicales, conservalrices ou neutres; jamais on ne les rendra insensibles à ce qui semblerait effleurer l'honneur de notre glorieux pays. » SUR LE LICENCIEMENT DE L'ÉCOLE EN 1844 Je n'hésite pas à placer parmi les attaques aux- quelles je dois répondre celles que la Revue de Paris a publiées dans ses numéros des 20 et 22 août. Il paraît, en effet, certain qu’en cette circonstance la Revue et le Constitutionnel ont puisé à la même source ; qu’un seul stylet a tracé les calomnies dont ces deux journaux se sont faits les propagateurs, le premier, dit-on, à la suite d’une surprise, le second de propos délibéré. Voici comment s'exprime la Revue du 20 : « Si les faits qui nous ont été rapportés sont exacts, et nous ne pouvons guère en douter, il s'agissait de savoir si, dans la direc- tion de l’école, l'autorité de l’État l’emporterait sur une influence personnelle en général peu favorable au gouvernement. On raconte à ce sujet que, vendredi soir, les élèves, réunis dans un lieu pu- blic, étaient à peu près disposés à rentrer, lorsqu'un membre de l’Académie des sciences, vers lequel ils avaient envoyé une dépu- | 664 SUR L'ORGANISATION tation, leur conseilla d'attendre jusqu’à lundi, ajoutant que, ce jour-là, l’Académie se réunirait en comité secret pour délibérer sur la ques- tion qui les intéressait. Le gouvernement, informé de ce fait, s’est peut-être vu forcé d'agir plus tôt qu’il ne l’aurait voulu. » Dans la Revue du 22 on lisait : « Nous annoncions, dans notre numéro d’avant hier, que vendredi dernier un membre de l’Académie des sciences avait, fort mal à propos, engagé les élèves de l’École polytechnique à ne pas rentrer immédiatement à l'école et à attendre la délibération que devait prendre à ce sujet l’Académie. En effet, une tentative, fort timide à la vérité, a été faite lundi dernier ; mais elle a échoué compléte- ment devant le bon sens de l’Institut. D’après des renseignements que nous croyons fort exacts, il paraît que, dans un comité secret, M. Arago aurait déclaré que, comme plusieurs journaux avaient avancé que les élèves s'étaient révoltés par suite d’une délibération précédente de l’Académie, il tenait à prouver par les faits que ce corps n’était nullement engagé dans la question. » Quand on rapproche ces deux articles l’un de l’autre, il est évident que le rédacteur a voulu me désigner, soit comme l'influence personnelle qu’il fallait abattre, ce qui assurément me touche peu, soit encore comme l’aca- démicien qui conseilla aux élèves de ne pas rentrer à l'école le vendredi. Oh! cette fois, l’indignation que j’éprouve ne laisse de place à aucun autre sentiment. J’apostropherais l'écrivain du mentiris impudentissime que Pascal jetait à la face du fameux père Brisacier et de sa séquelle, que je resterais encore de cent coudées au-dessous de ce que mérite sa misérable imputation. : J'avais eu un moment la pensée de demander répara- tion de l’injure devant les tribunaux ; mais quel adversaire aurais-je rencontré? Le gérant du journal ? M. Bon- DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 665 naire? D'abord, M. Bonnaire existe-t-il? Bonnaire, n’est- ce pas un pseudonyme ? En tout cas, sans vanité aucune, que peut-il y avoir de commun entre M. Bonnaire et moi? En supposant que je fusse parvenu à percer le voile dont mon accusateur se couvre, qu'aurais-je trouvé? Peut-être un de ces noms auxquels tout homme qui se respecte ne voudrait pas voir accoler son propre nom, même en qualité de plaignant dans une assignation judi- ciaire. Je renonce donc à déranger les magistrats. Je n'aurai pas besoin de recourir à leur haute intervention pour que le public me rende justice ; il me suflira d’expo- ser les faits avec sincérité. La sortie des élèves le vendredi 16 août devait faire craindre le licenciement des deux promotions, c’est-à- dire une de ces mesures acerbes qui plongent deux à trois cents familles dans la plus douloureuse perplexité. Les licenciements amènent ordinairement à leur suite des actes de rigueurs irréfléchis. Des jeunes gens pleins de mérite perdent, par un trait de plume arraché dans un mouvement de colère à tel ou tel ministre incompétent, le fruit de cinq à six années d’études laborieuses. Ils étaient à la veille d’entrer dans des carrières de leur choix, d'appliquer des connaissances théoriques pénible- ment acquises, de devenir des citoyens utiles, d'acquérir un peu de gloire, et voilà que, sans pitié pour des fautes légères, si même toujours faute il y a, on leur signifie que le Gouvernement, quel que puisse être d’ailleurs le mérite dont ils ont fait preuve, est irrévocablement décidé à ne les employer jamais, ni comme ingénieurs des ponts 666 SUR L'ORGANISATION et chaussées ou des mines, ni comme officiers d’artillerie ou du génie, ni comme constructeurs de vaisseaux ou officiers de notre flotte nationale. Renoncez, leur dit-on, renoncez de bonne grâce aux espérances que vous aviez conçues. Après avoir entendu cette sentence fatale, les malheu reux jeunes gens promènent autour d’eux des regards scrutateurs, des regards inquiets. Il vont frapper à la porte de mille et mille établissements où l’industrie fait subir tant de transformations merveilleuses aux matières premières; ils assiégent, soir et matin, les usines appar- tenant à des compagnies ou à de simples particuliers; ils demandent partout, à cor et à cris, des travaux qui puissent lés occuper honorablement. Hélas! les plus mo- destes positions sont prises ; à notre époque le monde est encombré de producteurs intelligents. Ghaque élève, le découragement dans l’âme, s’achemine alors tristement vers sa ville natale. Des parents affectueux l’y attendent, mais le bonheur inséparable d’une réception cordiale n’est pas de longue durée. Bientôt, en eflet, le pauvre licencié découvre que, pour lui donner un état, on s’était cotisé; que le prix de la pension dans les colléges et à l'école, que le prix des trousseaux avaient épuisé les dernières ressources de sa famille; qu'un père âgé, qu'une mère infirme avaient même un peu compté sur les secours du futur officier ou du futur ingénieur pour soutenir leurs vieux jours. Tel était le sombre tableau qui, le vendredi 16 août, se déroulait rapidement à mes yeux au moment où une députation des élèves prenait place dans mon cabinet, DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 667 et. avant que nous eussions, eux ou moi, articulé une seule parole. C’est donc sous d'aussi tristes impressions _ que j'aurais eu la cruauté de détourner ces jeunes gens de _ rentrer à l’école. Oh ! je ne ménagerai pas les termes, si j'avais fait ce que m'impute la Revue de Paris, je méri- terais d’être maudit par tant d’honorables familles qui, tous les matins, depuis près d’un mois, ouvrent le Honi- teur en tremblant; si, redoutant les dispositions du mi- nistère, si, de plus, ne courant aucun risque moi-même, j'avais précipité un seul élève de l’école dans une voie tellement périlleuse que sa carrière pouvait y être entiè- rement brisée, je serais coupable d’une lächeté! Non, non! messieurs de la Revue de Paris, il ne s’agirait pas ici, seulement, comme vous le dites, d’un conseil donné fort mal à propos! Vous ne compreniez pas toute la gra- vité de votre accusation, puisque vous la résumiez en de pareils termes. Ah! Milord Shaftesbury, quand vous donniez un sens moral à l’homme, pourquoi n’ajoutiez- vous pas que ce sens moral peut n’exister qu’à l’état rudi- mentaire, qu’il peut s’atrophier et ne point fonctionner. Venons maintenant aux relations que j'ai eues. avec les élèves de l’École polytechnique depuis la malheureuse affaire dont le public s’est tant occupé. Le mardi 13 août je quittais Paris de bonne heure par le chemin de fer de Corbeil. Sur les six heures j’arrivais au château du Bignon, entre Nemours et Montargis, chez mon honorable et illustre ami le lieutenant général Con- dorcet O’Connor. Je repartis du Bignon pour revenir à Paris, le vendredi 16, au matin, vers huit heures. J’ar- xivai à l'Observatoire sur les six heures du soir. 668 SUR L'ORGANISATION En regard de ces dates, plaçons ce qui concerne les élèves. | Ces jeunes gens n’apprirent, m’a-t-on dit, que le mercredi 14 la nomination de l’examinateur, cause du licenciement. C’est le vendredi matin, seulement, si je suis bien informé, que la seconde division se décida à ne pas accepter l’examen de M. Duhamel, en se fondant sur l’incompatibilité des fonctions de directeur des études et de celles d’examinateur. Je crois, pour ma part, cette incompatibilité radicale ; mais je n’avais jamais eu loc- casion de communiquer mon opinion à personne; car personne, il faut bien le dire, ne s’était avisé jusqu'ici de poser la question d’un pareil cumul. Il semble bien difficile, en présence de tous ces faits, que des personnes de bonne foi prétendent m'immiscer dans les actes des élèves de la matinée du 16 août. En effet, un télégraphe électrique n’aurait pas été de trop pour me permettre de transmettre mes impressions de minute en minute à ces jeunes gens, tantôt du Bignon, tantôt de Nemours, de Fontainebleau, de Corbeil, etc. ; mais j'ai supposé des personnes de bonne foi, et ce n’était pas là, certainement, la qualité dominante de Ceux qui déjà ont essayé de faire peser sur moi la responsabilité des déterminations prises par les élèves et par les auto- rités. Lorsque, dans ce genre incroyable d'attaque, l’écri- ture ou l’impression succéderont à des paroles cauteleuses, j'aviserai. Me voici donc revenu à Paris, le vendredi 16 août, à six heures du soir. C’est alors seulement que des amis m’apprennent la sortie forcée des élèves. Peu de minutes DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 669 après, on m’annonce une députation de ces jeunes gens. Pourquoi, a-t-on dit, les élèves envoyèrent-ils des | commissaires auprès d’une personne qui ne tient plus à l’école par aucun lien? Ce n’est pas à moi que la question s'adresse; ce n’est donc pas à moi d’y répondre. Je dirai seulement que, si, dans une circonstance aussi délicate, de pauvres jeunes gens voulurent se rapprocher de tous ceux qui leur portent un très-vif intérêt, qui savent les appré- cier, qui dans toutes les circonstances ne négligeront rien pour leur être utiles, ils auraient certainement eu tort de m'oublier. Quoi qu'il en soit, à ma prière, la députation raconta avec beaucoup de détail ce qui s’était passé le matin à l'école. Je fus heureux d'apprendre, J'ai hâte de le dire, que le vote unanime de l’Académie des sciences, lors de la présentation d’un candidat pour la place d’examina- teur, n’avait exercé aucune influence sur les détermina- tions des élèves ; qu'un grand nombre d'entre eux ne le connaissaient même pas; que personne ne s'était avisé de demander impérieusement le candidat désigné par les membres de l’Institut; qu'il avait été, au contraire, catégoriquement exposé au commandant supérieur, à M. le général Boilleau, que la seconde division accepte- rait sans hésiter, pour examinateur, un professeur, un répétiteur quelconque de la première division, ou une personne étrangère à l’école; que la résistance des élèves se fondait sur un motif unique, mais très-puissant ; qu'ils se croyaient en droit de n'être point jugés, dans l'examen de fin d'année, dans l’examen destiné à constater les con- naissances acquises, par le fonctionnaire de l’école qui 670 SUR L'ORGANISATION déjà les avait classés à d’autres titres; qui ne pouvait manquer, dès lors, d’avoir des idées préconçues sur le mérite de chacun; de ces idées à l'influence desquelles on désirait si vivement soustraire les examinateurs que les chefs de promotion, que les sergents ne se rendaient plus à l’examen, depuis quelques années, sans s’être dé- pouillés de leurs galons. Ces détails et ceux qui me furent donnés sur la ma- nière vraiment inconcevable dont s’opéra la sortie non- volontaire des élèves, sur la conduite exemplaire que tous avaient tenue au milieu de ce désordre, me parurent enlever aux événements une partie très-notable de leur apparente gravité. J’encourageai ces jeunes gens à per- sister dans la ligne de modération qu’ils s'étaient tracée, car elle me semblait devoir conduire à une solution favo- rable et prochaine. On ne manquera pas, ajoutai-je, de rattacher, bien ou mal, les résolutions que vous avez prises à l'acte par lequel, il y a quelques semaines, une des Académies de l’Institut croyait défendre sa dignité, en ne présentant qu’un candidat, au lieu des trois qu’on lui dé- mandait; mais lundi prochain est un jour de séance, j'exposerai nettement l’état des choses; et, j'en suis con- vaincu, ceux de mes confrères qui, par leur position, peuvent agir utilement auprès des ministres, vous prête- ront leur intervention avec autant plus d’empressement qu’il sera mieux établi que votre affaire n’a aucune con- nexion avec le scrutin récent et unanime de l'Académie des sciences. Quant à des démarches de Académie en corps, il ne faudrait pas y Compter : elles ne seraient ni dans nos usages ni dans nos droits. DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 671 La conversation dont je viens de donner la substance _eut lieu le vendredi soir devant deux membres de l'Aca- démie des sciences qui, au besoin, diraient si ma mémoire a été fidèle et ma plume scrupuleuse. Le dimanche matin j'envisageai la question, sous le même aspect, avec une seconde députation d'élèves. Je ne connaissais aucun de ces jeunes gens, ni de nom ni de vue. Aussi, lorsqu’après avoir lu les deux indignes articles de la Revue de Paris, j'éprouvai le besoin d'interroger les membres de la pre- mière députation, je me trouvai dans une grande per- plexité : je ne savais où m’adresser, ni qui demander. Le sort m'a servi mieux que je l’espérais. Grâce aux re- cherches de quelques amis et à l’empressement de divers élèves revêtus de leur uniforme, qu’on avait questionnés au hasard dans la rue, j'ai reçu la visite du membre de la députation qui, le vendredi soir, porta le plus sou- vent la parole au nom de ses camarades. Notre entre- tien, quoique très-bref, ne pourrait prêter à aucune équivoque. — Moi. Connaissez-vous, Monsieur, deux articles de la Revue de Paris relatifs à la visite que vous me fites le vendredi 16? — L'élève. J'en ai entendu parler, mais je ne les ai pas lus. — Moi. Les voici: (nous les lisons). — L'élève. Ces articles renferment une infdme calomnie. Voulez-vous que je lécrive au gérant du journal; aimez- vous mieux que je vous l’écrive à vous-même. Il est cer- taïn que la question de rentrer à l’école ne fut ni débattue ni posée, dans la réunion du vendredi, à l'issue de laquelle des députations se rendirent chez diverses personnes dont nous voulions éclairer la religion. Ces députations ne 672 SUR L'ORGANISATION purent, sous aucun prétexte parler d’un projet qui n’exis- tait point. La déclaration : c’est une infâme calomnie, paraît ici sans la signature de celui qui l’a faite d’abord spontané- ment, et sans l’attestation de plusieurs autres élèves dont j'ai cru devoir refuser les offres. J’en dirai franchement le motif : je ne veux pas exposer des jeunes gens pleins de cœur et de loyauté aux persécutions d’un anonyme qui, peut-être, trouverait dans ses relations des moyens de nuire assez puissants. Je croyais en avoir fini avec ces odieux articles de la Revue de Paris; mais je me ravise, j'ai une question à poser. Comment l’auteur de ces articles a-t-il su que les éléves s'étaient réunis le vendredi pour se concerter entre eux? Comment a-t-il appris qu’on avait résolu de m’en- voyer une députation? Qui lui a dit que la députation se présenta en effet chez moi ce même jour sur les six heures et demie du soir? à Les élèves assurent que, depuis leur sortie de Pécole, ils ont été très-scrupuleusement suivis et surveillés. Cette surveillance pouvait être exercée dans leur propre intérêt; je ne veux donc pas la blâmer. Ma remarque tend seule- ment à établir que, dans la circonstance, des agents d’une certaine espèce ont été mis en action. | | Quoique j'aie de vifs sujets de plainte contre la Revue de Paris, mon juste mécontentement ne m’entraînera pas au delà des limites marquées par la bonne foi et la sin- cérité. Je ne ferai donc pas aux directeurs de ce journal l'injure de supposer qu'aucun des agents dont il vient DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 673 d’être question ait coopéré directement à la rédaction de l'article calomnieux que je ne pouvais, en conscience, laisser passer sans réfutation. Les renseignements leur sont arrivés de la seconde main. Ainsi, l’anecdote que je vais rapporter aura pour but unique de prouver à la Revue de Paris qu'il est bon quelquefois de se tenir sur ses gardes. Pendant la Restauration, Paris comptait parmi ses ha- bitants un Anglais excessivement riche et de coutumes très-excentriques : c'était M. Eggerton, le frère et l’héri- tier du duc de Bridgewater. M. Eggerton donnait souvent de splendides repas où il s’attachait à réunir les prinei- pales notabilités nationales et étrangères que renfermait la capitale. Un jour, mon illustre ami, M. de Humboldt, était parmi les convives. Dès qu’il entra au salon, M. Eg- gerton l’accosta d'un air mystérieux, l’entraîna dans une embrasure de fenêtre et lui dit à l'oreille : « L’observateur est changé. Celui qui dinera avec nous est honnête. Vous pouvez parler aujourd'hui en toute liberté. Vos paroles seront rapportées fidèlement; on n’y changera pas une syllabe. » . Le personnage auquel la Revue de Paris s'est fiée n'appartenait certainement pas à la catégorie d’observa- teurs que M. Eggerton vantait à M. de Humboldt. SUR MON PROFESSORAT Dans la guerre de plume comme dans la grande guerre, on est obligé de poursuivre son ennemi jusqu’au milieu des terrains les plus fangeux. Je faisais cette triste XII. 43 674 SUR L'ORGANISATION remarque en lisant dans l’article du Constitutionnel : «M: Arago (commandant par intérim de l’école après les journées de juillet 1830) fut un jour sifflé à outrance dans un amphithéâtre. » J'oppose à cette assertion men- songère la dénégation la plus catégorique. Tous ceux qui me connaissent savent si j’endurerais, seulement pendant deux secondes, une avanie quelconque de cette espèce; si mà démission ne la suivrait pas immé- diatement. Un professeur, homme de cœur, se démet de sa placé et quand ses auditeurs ne le respectent pas et quand il n’a pas d’auditeurs. Pour moi, dans ma longue carrière, j'ai eu le bonheur de ne jamais me trouver dans aucune de ces positions critiques. Je sais que tout lé monde n’en pourrait pas dire autant. L'écrivain anonyme du Constitutionnel sera sans doute humilié en apprenant que les sifflets, qu’il a tirés à grand effort de son imagination, ne constituent pas une inven- tion nouvelle. Certain journal breton peut lui disputer la priorité. L’an dernier, l’Armoricain, je crois, annonçait à ses lecteurs qu’à l'ouverture du cours d'astronomie de l'Observatoire, les auditeurs, au nombre de huit à neuf cents, me reçurent par une bordée à peu près unanime de sifflets. Dans sa conscience timorée, le scrupuleux journaliste déclarait qu’il ne pouvait dire si ces bruits aigus s’adressaient au professeur ou au député. Il y aurait ici d’autres questions à résoudre, et puisque le collabo- rateur du Constitutionnel est forcé de renoncer au mérite de la découverte principale, 1 serait digne de lui de se rejeter sur les détails. Ainsi, des membres de l’Institut DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 675 assistaient quelquefois à mes lecoüs; cés membres : MM. Dumas, Élie de Beaumont, Boussingault, Dufrénoy; Milne Edwards, Roux, Payen, Pariset, Laugier, Mau- vais, étc., figuraient-ils au nombre dés siffleurs? Devra- t-on rahger dans la même catégorie M. Dumon, ministre des travaux publics et sa famille; M. lé premier pré- sident Séguier; des littérateurs des deux sexes, des députés, des médecins ; bon nombre de militaires retirés ou en acti- vité de service; des ministres de toutes les religions ; plus de cent dames, etc.? On pourrait aussi examiner comment, à cette rigueur extrême que signalait le journaliste de Brest, succéda une telle bienveillance que la masse des audi- teurs de l'Observatoire fit frapper une très-belle médaille ; qu’elle m’en offrit des exemplaires en or, en argent ét en bronze, pour témoigner au moins combien on était s4- tisfait du zèle que le professeur mettait à s'acquitter d’une tâche pénible et qu’à la rigueur, il aurait pu laisser à d'autres. Voilà des questions vraiment nouvelles sur les- quelles le colloborateur anonyme du Constifutionnel aura la faculté de s'exercer. Quoique la solution ne m'importe guère, j'engagerai charitablement mon adversaire à se bien pénétrer à l'avenir d’une vérité qu’il ignore : c’est que les élèves de l'École polytechnique, c’est que les auditeurs du cours de l'Observatoire, je pourrais sans risque étendre ma remarque à tous les cours de la capi- tale où se porte la foule, souffrent impatiemment qu'on leur prête des manières d’estaminet, Je consignerai en- core ici un trait emprunté à l’histoire tittéraire du der- niër Siècle, et dans lequel, malgré son ancienneté, il ne serait pas impossible que le rédacteur momentané du 676 SUR L'ORGANISATION Constilutionnel se reconnut : « Le professeur Lange qui gelait de froid (à Halle) dans la solitude de son école, tandis que Wolf avait cinq cents auditeurs, s’en vengea en dénonçant Wolf comme un athée » en 1723, et réussit à le faire expulser de l’université. A part la réus- site, 1723 et 1844 ont bien des points de ressemblance. Je vois d’ici les insulteurs quotidiens qui, assure-t-on, m'’attaquent avec tant de persistance et d’acharnement crier à la vanité, à l’orgueil et dire sur tous les tons que je me suis loué moi-même à outrance. Je réponds d’a- vance en toute sincérité que, si j'ai pu me mériter les témoignages infinis de bienveillance dont les auditeurs du cours d’astronomie ont bien voulu me combler, je crois en être exclusivement redevable au zèle ardent qui m’anime pour la diffusion des lumières. En tout cas, je trouverais mon excuse dans cette sentence d’un ancien : « On se peult louer soy-mesme sans reprehension, si on le fait en respondant à une calomnie et imputation qui aurait esté mise sus. » (Plutarque, tome x1v, p. 399.) DU CORPS ENSEIGNANT DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE Il faut, en vérité, que le colloborateur anonyme du Constitutionnel ait supposé qu’on mépriserait assez son article pour n’y pas répondre. Sans cela se serait-il hasardé à imprimer ces odieuses billevesées : _ « En voyant successivement les maîtres de la science s'éloigner de cette école ; en voyant des hommes tels que MM. Dulong, Poisson, de Prony, Thenard, Gay-Lussac, Dumas, Pouillet et plusieurs autres, remplacés par des savants, très-estimables sans doute, mais par des hommes qu’à tort ou à raison, le parti radical réclame tous les jours De ER | DOS Dé Se Se ns de pe = DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 677 à grands cris, on a pu craindre, non sans quelque fondement, que les opinions politiques ne fussent un motif de préférence, et que l’école entière ne finit un jour par partager les préoccupations et les tendances des gens qui cherchaient à la mener. » Le journal m’est tombé des mains quand j'y ai lu ce que je viens de rapporter. Quelques mots et le public éprouvera un égal sentiment de dégoût. On vient de voir la liste des maîtres de la science qui successivement se sont éloignés de l’école; eh bien, qu’on le sache : M. Dulong est décédé, en 1838, directeur des études, il est décédé dans les bâtiments de l’école ; la mort seule l’a éloigné de l'établissement. M. Poisson est décedé en 18/0. F était encore en pleine possession de la place d’examinateur de sortie. M. de Prony, octogénaire et malade, fut mis à la re- traite en 1838. Le respectable vieillard accabla le géné- ral Bernard, alors ministre de la guerre, de sollicitations, afin qu'on ne lui enlevât pas le titre d’examinateur de sortie. M. Prony porta ses réclamations jusqu’à Neuilly. Je liens de lui-même qu’il dit au roi: « La pensée de m’é- loigner sans retour d’une école à la création de laquelle j'ai contribué m'est insupportable. » Les témoins de ces réclamations sont pleins de vie; ils parleront au besoin. M. Prony, repoussé quant à la place active, demanda au moins qu’on ne le rayât pas des contrôles. Il est mort membre honoraire du conseil de perfectionnement. M. Gay-Lussac a quitté sa chaire de l'École polytech- nique dans le courant de l’année 4840. On doit en con- venir, le savant illustre aurait manqué de sa perspicacité 678 SUR L'ORGANISATION ordinaire, s’il lui avait fallu dix ans pour découvrir leg prétendus éléments de désordre qui, depuis 1830, de- vraient, suivant le Constitutionnel, amener les maîtres de la science à s'éloigner de notre établissement national. M. Gay-Lussac demanda à être remplacé à l’école, comme il le demanda plus tard à la faculté des sciences, parce qu’à son âge on à besoin de repos. Tout ce que je viens de dire de M. Gay-Lussac s’ap- plique de point en point au second professeur de chimie : M. Thenard abandonna sa chaire de l’école en 1836, et, plus tard, celle de la faculté des sciences, parce qué sa santé et de nombreux devoirs lui commandaient ce double sacrifice. - Il faut bien, enfin, que je me décide à nommer les sa- vants, réclamés tous les jours à grands cris par le parti radical, qui reçurent la mission d'enseigner la chimie aux élèves de l'École polytechnique, à la place de MM. The- nard et Gay-Lussac : M. Dumas succéda à M. Thenard ; M. Regnault succéda à M. Gay-Lussac ! Voilà donc deux de ces savants, que l'écrivain anonyme, du haut de son outrequidance, appelle mesquinement très-estimables. Le parti radical les place, lui, parmi les hommes dont les découvertes honorent le plus notre pays; mais, où a-t-on vu qu'il les ait jamais réclamés à grands cris, au point de vue politique? Tout le monde sait parfaitement que rien de pareil n’a été fait et n'aurait pu loyalement se faire. | J'ai dû, d'après les termes formels du Constituhonnel, placer M. Dumas, qui remplaça M. Thenard, en 1886, parmi les savants très-estimables que le parti radical ré- DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 679 clame tous les jours à grands cris. Mais voici un em- barras : le pamphlétaire ignorait (il ignore tout), que - M. Dumas eût été un des professeurs nommés depuis 4830, que M. Dumas fut le successeur, le remplaçant de M. Thenard; il le croyait seulement un des professeurs remplacés depuis l'ère de perdition, et le classait dès lors parmi les maîtres de la science qui pensèrent devoir s'éloigner de l’école. | . Je n’essaierai certainement pas de mettre un peu de logique et de bon sens dans tout ce fatras; mais je dirai qu'ayant fait part à M. Dumas des insinuations du Constitutionnel, touchant sa retraite, il en a levé les épaules et s’est écrié : on n’a qu'à comparer la date de ma sortie de l'École polytechnique avec celle de mon entrée à l'École de médecine comme professeur, et tout sera clair : j'ai quitté l'École polytechnique parce que je ne pouyais pas occuper trois chaires à la fois, parce que le cumul indéfini serait un déplorable abus, parce que le professeur qui ne cherche pas à faire avancer la science manque à son devoir et se prive d’un moyen de succès infaillible auprès des élèves de notre époque. Le successeur de M. Dumas à l'École polytechnique fut M. Pelouze. Si le pamphlétaire connaît un plus honnête homme, un meilleur professeur, un chimiste plus labo- rieux, plus habile, qu’il le nomme | Je ne veux pas laisser mon énumération incomplète; je dois parler de M. Pouillet : M. Pouillet devint professeur de physique en 1830 et quitta en 1834. J'ai pris la liberté de lui demander le motif de sa retraite, et de poser même cette question: 680 SUR L'ORGANISATION Avant d'abandonner l’école y aviez-vous aperçu des ten- dances fâcheuses? Voici la réponse textuelle : « Si j'avais aperçu les tendances dont vous parlez, je serais certaine- ment resté. Je me retirai parce que le cours me fati- guait. » Que restera-t-il, définitivement, de la fantasmagorie que je viens de démasquer, qui nous montrait les hommes eminents se retirant à l’envi de l’École polytechnique et faisant place à des médiocrités, recommandées prin- cipalement par des passions politiques ? Il restera établi que, dans sa fureur de nuire à notre grande école et à ses professeurs illustres, anonyme du Constitutionnel était devenu assez aveugle pour avoir in- scrit deux personnages (MM. Dulong et Poisson), morts en fonctions, parmi ceux que, suivant lui, le décourage- ment ou le dégoût avaient déterminés à se retirer ; pour avoir oublié que Prony, à quatre-vingt-un ans, avait fait les démarches les plus actives, afin qu’on ne le mit pas à la retraite ; pour avoir classé M. Dumas parmi les estimables ou parmi les éminents, suivant qu'il devenait le remplaçant de M. Thenard ou qu'il était remplacé par M. Pelouze; pour avoir implicitement signalé MM. Re- gnault et Dumas à l’autorité comme affiliés au parti radical; pour avoir jeté du mystère sur des démissions dont les causes toutes naturelles ne sont pas moins évi- dentes que la lumière du soleil; pour avoir jeté, enfin, sur le point en discussion autant d'erreurs qu’il était possible d’en imaginer. Si l’on s’en rapportait à l’article du éhhristiets M. Coriolis, ancien directeur des études, disait à ses DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 681 amis « qu’il avait détruit sa santé en essayant de lutter contre des exigences sans bornes. » De quelle nature étaient donc ces exigences? Placer ce mot vague immé- diatement à la suite d’un paragraphe consacré à signaler les prétendues préoccupations radicales des professeurs et des élèves, c'était faire supposer que M. Coriolis mourut en combattant des passions politiques. Je n’hésite pas à le dire, la calomnie ouverte est moins odieuse encore que la calomnie par insinuation. Celle-ci a quelque parenté avec les restrictions mentales, si vigou- reusement flagellées dans les Provinciales. L'écrivain ano- nyme qui, dit-on, écrit force brochures contre les jésuites modernes , n'aurait garde de s'approprier les pratiques de leurs aînés ; il doit fuir les routes frayées par les adver- .saires de Pascal. Je puis donc supposer que ce n’est pas à cet écrivain que je réponds, lorsque j’affirme catégorique- ment qu'aucun débat ayant trait à la politique ne s’est jamais élevé entre M. Coriolis et les professeurs de l’école. M. Coriolis croyait à la nécessité de modifier le programme d'admission. 11 voulait exiger des candidats les calculs différentiel et intégral, la dynamique d’un point maté- riel, etc. Les théories qu’on aurait ainsi reportées sur les études des colléges forment aujourd’hui à l’École polytech- nique l’objet de soixante-douze leçons. A tort ou à raison, ce système né prévalut pas. M. Coriolis, déjà atteint d’une maladie incurable, s’affecta de cet échec beaucoup plus, peut-être, que le sujet ne le comportait; mais il a certai- nement fallu ou la plus complète ignorance des faits, ou une noire méchanceté, pour essayer de transformer un pareil débat en querelle de parti. 682 SUR L'ORGANISATION L'écrivain qui, dans un journal, blesse toujours la vérité au maximum, si l’expression est permise, doit, ce me semble, avoir peu de respect pour le publie. Oh! le public, j'en ai la pleine confiance, le lui rendra bien. Le collaborateur mystérieux du Constitutionnel devient très-divertissant dans les moments, du reste fort rares, où il ne calomnie pas. Rien de plus curieux, alors, que son imperturbable assurance. On le voit trancher, déci- der, prononcer des oracles sur des questions dont il ne possède pas les premiers rudiments; il donne pour des faits avérés les rêves de son imagination malade, les met en regard et Lire, de la comparaison établie ainsi entre ces fantômes, des conséquences qui excitent à la fois le rire et la pitié. Presque au début de son inqualifiable article, le Con-. stitutionnel nous dit : « Dans les premiers temps (de l'école), tout se passait en famille, et l'administration d’un établissement qui n’admettait que des externes, ne présentait aucune difficulté sérieuse. » Autant d'erreurs que de mots. Dans les premiers temps, le conseil de l’école était journellement aux prises avec les autorités de la capitale. Ces débats avaient pour ori- gine habituelle la part active que les élèves prenaient aux mouvements politiques, et même aux insurrections à main armée. Plusieurs fois le même conseil se trouve entraîné, par exemple, après le 13 vendémiaire, à renvoyer bon nombre de ces jeunes gens, pour cause d'incivisme:; et vous osez dire, M. le rédacteur du Constitutionnel, que l'administration ne présentait alors aucune difficulté sérieuse! Vous ne savez donc pas non DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 683 plus,-qu'en 4798, peu de semaines après l'ouverture des cours; le ministre de l’intérieur fit faire une épuration _ générale des élèves, etc. Il est assurément permis d’igno- rer toutes ces choses, mais à la condition de n’en point parler avec suffisance, et mieux encore, à la condition de n’en pas parler du tout. Pendant cet âge d’or de l École polytechnique, dont le Constitutionnel nous a fait une peinture si touchante, les élèves prenaient la liberté grande d’être très-peu assidus aux leçons. Le gouvernement accordait à chacun de ces jeunes gens le vêtement et la nourriture. Le conseil de l’école imagina (en 1796) qu’il vaincrait leur paresse en décidant que ceux qui s’absenteraient plus d’une fois par décade, perdraient autant de rations de vivres qu'ils au- raient manqué de leçons. Ce : plus d’une fois par décade, était une concession assez significative ; eh bien! peu de mois après, le conseil fit afficher dans l’école l'arrêté dont voici la teneur : « Vu le grand nombre des élèves qui ont manqué aux leçons, l'administrateur est autorisé à ne faire exercer la retenue des rations qu'à ceux d’entre eux qui ont manqué six fois et plus pendant le mois. » re Ici, comme partout ailleurs, pour être dans le yrai, il faut prendre précisément la contrepartie de ce que le Constitutionnel avance. Dans les premiers temps de l’école, l'administration eut à vaincre les difficultés les plus sérieuses, tant dans ses rapports avec Padministra- tion publique que dans ses rapports avec les élèves. « Depuis 1830, dit l’article du Constitutionnel, les élec- tions se faisait à l’École polytechnique, au moins autant 684 SUR L'ORGANISATION dans un but politique que dans un but scientifique.» Voilà une dénonciation en forme, tendant évidemment à provoquer des destitutions. La juste réprobation qui, en France, frappe toujours de pareils actes s’augmen- tera encore dans la circonstance présente, à la veille d’une réorganisation de l’école, quand on songera que, suivant toute apparence, le délateur espère hériter de ses victimes. Héritez, grand Dieu! héritez! mais ne calom- niez pas. Pour mettre ici la calomnie dans tout son jour, il suffira de donner la liste complète des hauts fonction- naires du corps enseignant nommés à l’École depuis 1830. Directeurs des études : MM. Dulong, Coriolis, Duhamel. { Ce der- nier, déjà examinateur de sortie, a été nommé sur la demande du duc de Nemours. ) Examinateurs de sortie : MM. Mathieu {il était déjà professeur }, Duhamel (il était déjà professeur), Chevreul (il avait.déjà rempli ces fonctions), Demonferrand {il avait déjà rempli ces fonctions ), Babinet. Professeurs d'analyse : MM. Navier, Duhamel {il était déjà répé- titeur), Liouville (il était déjà répétiteur), Sturm. Professeurs de géodésie : MM. Savary (il était déjà répétiteur ), Chasles. Professeurs de physique : MM. Pouillet, Despretz (il était déjà répétiteur de chimie), Lamé. Professeurs de chimie : MM. Dumas (il était répétiteur), Pelouze (il était déjà répétiteur ), Regnault (il était déjà répétiteur). Professeurs d'architecture : MM. Gauthier ; Reynaud, ingénieur des ponts et chaussées. Professeurs de littérature et de langues : MM. Arnault, de l’Aca- démie française ; Dubois, du conseil royal de l’Université; Hase, de l’Institut. Professeurs de dessin : MM. Couder, Steuben, Charlet. DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 685 On a maintenant sous les yeux la liste de toutes les nominations qui furent faites, assure-t-on, plutôt en vue _de la politique qu'en vue de la science. Le public jugera ; je souscris d'avance à sa décision. Pour prouver que, dans les nominations aux chaires de notre grande école, les titres scientifiques jouaient, depuis 4830, un rôle secondaire, il aurait fallu montrer à côté de chaque professeur élu un candidat plus méri- tant et cependant repoussé. Malgré toute son audace, l'auteur de l'article que je réfute, s’est bien gardé d’en- trer dans cette voie. Dès ses premiers pas, il aurait re- connu que tous les savants, qualifiés de mathématiciens sur les registres de l'Académie, appartiennent ou ont appartenu à notre établissement natronal ; je me trompe, il y a une exception, une seule. Serait-ce, par hasard, en sa faveur qu’on soulèverait tout ce scandale? Eh bien , je le demande, existe-t-il dans le monde un seul géomètre qui osât mettre en parallèle le petit nombre décrits sur les mathématiques sortis de la plume de l’homme auquel je fais allusion avec les belles décou- vertes des Sturm, des Liouville, des Lamé et des Chasles? Je pose la question hardiment, avec la certitude que per- sonne n’y répondra d’une manière affirmative. Me croit-on irrité contre l’érudit Italien? Récuse-t-on les mathématiciens français et même les élèves de toutes nos écoles publiques? Eh bien! les plus illustres géo- mètres étrangers sont là; nous les ferons parler au be- soin ; nos mains sont pleines de documents très-explicites et foudroyantes. Cessez donc d'attaquer des professeurs célèbres , la gloire de notre pays. La porte de l’École 686 SUR L'ORGANISATION polytechnique a toujours été ouverte au mérite, abstrac- tion faite de tout sentiment politique. Les médiocrités éconduites ont seules intérêt à soutenir le contraire. J'ai du montrer, en point de fait, puisque la chose était contestée, que les nominations à l’École polytechnique n'ont Jamais eu lieu depuis 1830 sous l'empire de consi- dérations empruntées à la politique: J'ajoute maintenant que les opinions des professeurs ne sauraient exercer absolument aucune influence sur celle des élèves. Les professeurs de sciences de l’École polytechniqué n’ont point aujourd’hui de relations personnelles, de re- lations directes avec les élèves. Chaque professeur arrive le jour de la semaine fixé et à l’héure dite; il trouve les banquettes de son amphithéâtre occupées, fait sa leçon et se retire. Geci se renouvelle quarante, cinquante , soixante fois l’année, suivant que les programmes l'ont déterminé, sans que le professeur ait jamais l’occasion de parler individuellement à un seul de ses auditeurs. Lorsque le cours est fini, les élèves sont répartis par le sort entre les professeurs et les répétiteurs, qui les examinent ; un à un, pendant quelques minutes et leur donnent des notes de mérite. Les professeurs, les répétiteurs eux- mêmes, pourraient si peu répondre de l'identité de l'élève qui se présente el de l'élève appelé, qu’on la constate par un émargement, par une signature. Je demandais ees jours-ci à l’un des deux professeurs de chimie de me dire à combien d'élèves il avait eu l’oc- casion de parler pendant son dernier cours: La réponse a été courte : à aucun. La Restauration tolérait ce qu’on appelait alors en : DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 687 termes convenus des absorptions. Après la lecon, les élèves S’élançaient de leurs places, entouraient le pro- _fesseur et dirigeaient sur lui un feu roulant de questions, touchant ordinairement les nouvelles scientifiques de toute nature annoncées dans les journaux. Ces entretiens, con- stamment renfermés dans les limites de la plus stricte convenance, avaient, suivant moi, une utilité réelle. Quand j'interroge, cependant, mes souvenirs, quand je reporte mes pensées sur les centaines d’absorptions où je jouai le rôle principal, je conviens qu’un professeur membre d’une des deux Chambres, qu’un professeur ayant pris un caractère politique, serait quelquefois placé dans l’em- barras par la spirituelle malice de ses absorbants; qu'il y aurait souvent, pour lui, d'assez grandes difficultés à tra- cer une ligne de démarcation bien nette entre les ques- tions purement scientifiques qui exigeraient une réponse péremptoire, et les questions plus ou moins mélangées des diflicultés de l’époque qu’il faudrait décliner. Quoi- qu'il en soit, l'absorption a cessé d'exister ; les élèves, comme je l’ai expliqué, n’ont plus de rapports directs avec les professeurs; les opinions politiques des premiers ne sauraient se rattacher par aucun lien à celles des se- conds; le corps enseignant est entièrement étranger à la discipline ; les insinuations contraires du colloborateur du Constitutionnel sont ou le fruit de la mauvaise foi, où telui de l'ignorance, ou bien encore le fruit de la mau- vaise foi et de l'ignorance réunies. En finissant, j'adresserai quelques lignes d'explication à des savants que je chéris autant que je les vénère, Ils auraient désiré que je ne répondisse pas un seul 688 SUR L'ORGANISATION mot aux articles du Constitutionnel et de la Revue de Paris. Je les remercie du plus profond de mon âme de l’opi- nion flatteuse qu’ils ont conçue de mon caractère et de la place qu’ils m’assignent dans l'estime des honnêtes gens de tous les partis. Je sais, comme eux, que des individus bien connus spéculent sur le scandale; que, ne pouvant attirer un regard du public, ni par le nombre, ni par l’im- portance, ni par la nouveauté de leurs travaux, ils déchirent, semblables à des harpies, quiconque reçoit un regard bienveillant du monde scientifique ; je reconnais aussi que cette basse jalousie est méprisable; maïs a-t-on démontré que le mépris ne doive se manifester que par le silence ? C’est là toute la question. Aux faits que mes amis ont cités, pour établir qu’en se taisant, l’homme calomnié fait preuve de sagesse, j'oppo- serai d’autres faits non moins éclatants. Ils produisent des noms illustres; ce sera sur des noms également illustres que je m’appuierai. La thèse devenant ici générale, 1l n’y aura nulle inconvenance à invoquer les plus hautes auto- rités dans les sciences, les lettres et la philosophie. Voltaire appelait la calomnie : « la peste de la répu- blique des lettres. » Je n’ai jamais ouï dire qu'on man- quât de prudence en essayant d’extirper la peste. Après avoir reconnu amplement les droits de la critique littéraire, l’auteur de Mérope s'écriait, en s’adressant à des folliculaires connus : « Mais, si vous imprimez et réimprimez des mensonges, soit par la noble envie qui ronge votre belle âme, soit pour tirer dix écus d’un libraire (lisez de la caisse d’un journal), je tiens qu’alors il faut éclaircir les faits. » tie ni odhcete si éme S.à DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 689 Voltaire recommandait seulement de ne combattre les libelles « que papiers justificatifs en main. » C'est papiers justificatifs en main, que j'ai caractérisé les prétendus faits allégués dans le Constitutionnel et dans la Revue de Paris, que j'ai réduit au néant des men- songes imprimés et réimprimés , que j'ai dévoilé la noble envie qui ronge de belles âmes. Je puis donc me placer hardiment, en cette occasion, sous le patronage de Vol- taire. J.-J. Rousseau caractérise en deux mots, dans sa Lettre à l'archevéque de Paris, la critique légitime et celle que les honnêtes gens n’emploient qu’à titre de représailles : « Si vous n’eussiez attaqué que mon livre je vous aurais laissé dire; mais vous attaquez aussi ma personne... Il ne m'est pas permis de me taire quand vous voulez me déshonorer. »...« Je croirai vous avoir bien répondu si je prouve que... partout où vous m'avez insulté vous m'avez calomnié. » À ces prémisses succède le plus beau morceau de dia- lectique éloquente qui existe dans aucune langue. Jean- Jacques ne saurait donc être classé, malgré quelques expressions d’une lettre postérieure, parmi ceux qui re- commandent de laisser le champ libre aux calomniateurs. L'auteur d'Émile veut qu'on les poursuive, fussent-ils archevêques de Paris. En pareille circonstance des ména- gements de style ne lui semblaient même pas de saison : témoins cette épigraphe de la lettre à Christophe de Beau- mont : « Pardonne-moi si j'ai écrit un peu trop librement, non pour ton déshonneur, mais pour ma défense. » Le passage est de saint Augustin. XII. k4 690 SUR L'ORGANISATION Pascal, s’abandonnant à la pente de ses idées, avait fortifié le sentiment d’aversion profonde que les calom- niateurs lui inspiraient, en faisant une sorte d’énuméra- tion des décisions de l’Église contre cette hideuse vermine. On y voit, entre autres choses, que le pape Adrien con- damnait à être fouettés « les auteurs d’un libelle diffa- matoire qui ne peuvent prouver ce qu’ils ont ayancé. » Appuyé sur cette décision, l’illustre géomètre écrivit l'ouvrage si connu, véritable chef-d'œuvre de style, de fine plaisanterie et d’éloquence : ces dix-huit provinciales qui porteront les faits et gestes de quelques libellistes diffamateurs jusqu’à la postérité la plus reculée. Il y avait ide je savoues: un nee de Paoition qué n'entral- par la décision papale. En résumé, Pascal était loin d’admettre que les calom- niateurs fussent suffisamment punis par le mépris silen- cieux. 11 a joint, sur ce point, le plus illustre exemple au précepte. | Je pourrais aisément étayer mon opinion sur une mul- titude d’autres autorités. Je n’en citerai plus qu'une seule : c’est Plutarque qui me la fournira ; elle occupera le pre- mier rang à raison de son ancienneté, et surtout, à cause de l'énergie des expressions. À tout événement je rap- pellerai que les plus grands philosophes de la Grèce ré- pondirent « aux blasmes que l’on leur donnoit et aux injures qu’ on leur disoit, ayant estimé que se taire en telles choses estoit infasme. » Qu’oppose-t-on à des décisions si élevées, si catégo- riques ? DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. 694. Buffon ne répondit pas aux détracteurs de ses ou- vrages. Eh! grand Dieu, qui a parlé d'ouvrages? Il ne _ s’agit, dans cette discussion, que d’imputations calom- nieuses pouvant porter atteinte à l'honneur ou à la di- gnité des personnes. Au reste, Buffon aurait peut-être beaucoup mieux fait d'examiner sérieusement les criti- ques de Haller, de Bonnet, de l'abbé de Condillac, que de s’envelopper d’un silence équivoque, N’avait-il pas lui-même, dans une autre circonstance, soutenu une très- vive polémique contre Clairaut, à l’occasion de la loi de l'attraction universelle, L'exemple cité de Fontenelle -est encore moins con- clyant. Fontenelle ne repoussa point les injures et les calomnies que le jésuite Balthus répandit à pleines mains contre l’auteur de l’histoire des oracles; mais est-il done nécessaire de le rappeler ? Fontenelle se tut même sur une accusation d’athéisme, si dangereuse de son temps, par la seule raison que les révérends pères Lallemand et Doucin, dignes acolytes de Balthus, et tout-puissants à la cour, le firent prévenir que, s'il répondait un seul mot, on le mettrait à la Bastille. Après avoir envisagé la question d’un point de vue général, dois-je encore aborder des considérations par- ticulières et personnelles ? | | Pourquoi, dit-on, attirer l'attention sur un libelle si évidemment condamnable par le fond, si vulgaire par la forme ? Qu'on le dédaigne et personne ne le lira. Les auteurs de la remarque oublient que le dernier li- cenciement de l’École polytechnique est la cause appa- rente du débat. Ce nom illustre, l'intérêt qui s'attache à 692 DISCOURS la première école scientifique du monde, quelques paroles jésuitiques sur les élèves pourraient faire prendre le pamphlet au sérieux par un grand nombre de personnes inintelligentes. Dans la description que Lucien nous a laissée d’un tableau allégorique d’Apelle, le peintre le plus célèbre de l’antiquité, la Calomnie n’a pas seulement pour conducteur l’Envie, au regard sombre et fixe, elle reçoit encore les encouragements et l'assistance d’un « homme portant de longues oreilles, à peu près sem- blables à celles de Midas. » Que m'importe, au surplus, qu’on lise et relise les libelles du Constitutionnel et de la Revue de Paris, si la réfutation est à côté. Il ne faut pas craindre le triomphe de l'erreur, lorsque les choses sont examinées au fond. A l’aide d’une discussion éclairée et libre, la raison finit toujours par avoir raison. DISCOURS SUR L'ENSEIGNEMENT [Dans la séance de la Chambre des députés du 93 mars 1837, à l’occasion de la discussion d’un projet : de loi sur l'instruction secondaire, M. Arago a prononcé le discours suivant : |. Malgré l’invitation bienveillante de M. le ministre de l'instruction publique, je n’avais pas le projet de me mêler à ces débats. Je l’avouerai, je me sens peu pro- : SUR L'ENSEIGNEMENT. 693 pre à discuter et même à apprécier la série des disposi- tions règlementaires dont se compose la loi actuelle, Si, prenant la question de plus haut, M. le ministre avait soumis à la Chambre un plan général d'instruction pour les colléges royaux, j'aurais alors, moi aussi, apporté à _cette tribune le faible tribut de mon expérience; j'aurais surtout essayé de montrer que, dans ces institutions, plusieurs branches importantes des connaissances humai- nes sont enseignées sans ordre, sans méthode et à fort peu près sans aucun fruit ; mais il faut se renfermer dans le cercle de discussion beaucoup plus restreint que le projet de loi a tracé autour de nous. Je me propose, toutefois, d'examiner une question vitale; une question de liberté; je repousserai ensuite des accusations hasar- dées, légères, j'oserai presque dire imprudentes, dont les études scientifiques ont été l’objet dans l'exposé des motifs, dans le rapport de la Commission et dans les discours de plusieurs de nos honorables collègues. La loi autorise la création d’écoles secondaires commu- nales; elle en admet de deux sortes; elle règle l’enseigne- ment de chacune d’elles. | J’admets de grand cœur l'autorisation donnée aux com- munes de créer des écoles; mais je repousse la division en deux classes établie dans la loi ; je repousse avec une conviction plus profonde encore le programme impératif à l’aide duquel on y règle le mode d’enseignement. Vous avez déjà accordé la liberté d'enseignement aux colléges particuliers; vous avez exigé seulement de chaque chef d'institution qu’il présentât son programme au mi- nistre de l'instruction publique; aucune sanction n’est 694 DISCOURS nécessaire. Mainténant je ne comprends pds, jé l’avoué, pourquôi l'on n’accordérait pas uné libérté aussi natu- réllé, aussi grande, aussi räisonnäblé aüx colléges com- fünaux. Comment naccordérait-on pas Au zèle, à la capacilé, à l'intelligeñcé des Conseils municipaux, ce qu’on à accordé sans difficulté à un simple individu? Messieurs, nous avons beducoup trop de tendance à croiré que toutes les capacités sont réunies À Paris: c’ést une erreur manifeste contre laquelle je proteste de toute Ja paissänce dé mes convictions. Conduit par mon goût, et souvent aussi par dés iis- sions, à pärcoürir là plüs grande pâttie de la France, je ne mé suis jamais arrêté dans üne ville de 10,000 où 12,000 âmes, sans ÿ rencontrer des personnes instruités, capablés, zélées, et même quelquefois des hommes émi- nénts, des hommes de génie, qüi étaient totalement incon- nus à Paris. Ces bons citoyens, ces citoyens ütiles, vivaient dans la reträite, däns leur cabinet, par la raison toute simple que l’adiministration n'avait pas confiance en eux, parce qu’elle ne leur aurait pas donné des occupä- tions dignes de leur capacité ét dé feür patriotisme. Employéz, réumissez en faisceau ces hautes intélligénces aujourd'hui délaissées, et vous eh verrez PURET d'im- mensés, de magnifiques résultats. J'entends déjà retentir cete objection foudroyante ? ce que vous proposez porteräit une alteinte grave à la éentra- lisätion. L’objection est fondée, je ne saurais le nier; voyons toutefois dans quélles limites. Je veux là centra- lisation, moi, jé là désiré, jé la demande, je la regarde ébimimé nôtré ancré dé salut, pour lé maniement dé foutés SUR L'ENSEIGNEMENT. 695 les forces qui peuvent servir à la défense du pays, qui peuvént faire réspécter la France ét la rendre térriblé à éeux qui voudraient l’attaquer ; mais pour les affaires d’une autfé nature, d’une moindre importance, pour dés affaires d'instruction secondaire, la centralisation est-elle vérita- blément utile? est-il nécessaire de la porter jusqu’à ces dernières limites? est-il raisonnable de pousser un bon prinicipe jusqu'à une exagération intolérablé? Yôÿez l'Angleterre, et ici je n’entends pas pätler du geñre de centralisation dont je maintiens la nécessité : voyéz l'Angleterre, ét sous le rapport de l'administration intérièute, vous y trouverez les affaires ên fort bon ordre, sans aucune trace de cette centralisation dont nous Sommes ä fiers. Pérmettez-moi, Messieurs, de vous rendrè compté, eñ quelques mots, d’une circonstance toute personnelle et qui à HHissé dans mon esprit üné trace ineffaçable. Lorsque le gouvèrnement anglais voulut, il y à quelques années, réformer le système des poids et mesures, il désira; dans des vues toutés libérales; avoir dés étalons dès mesures métriques. Je me Chargeai de suivre là on- étruction du mètre; je le portai à Londres: ét de crainte qu'il ne füt faussé, je poussai le scrupule jusqu'à vouloir lé déposer moi-même au ministère de l’intériéur. Pour un Français, le ministère de l’intérieur, ce devait être un palais, des montagnes de cartons, une armée de commis. Je trouvai, au contraire, une maison de là plus modeste apparence ; deux où trois bureaux , et dans ces bureaux , {rois ou quatre personnes. Je n’én éroyais pas mes yeux ; je craignais de m'être trompé d'adresse. | 696 DISCOURS Naguère, en racontant mon aventure à un ami qui a occupé un poste important dans le ministère anglais, je fus conduit à lui demander quel était annuellement le nombre d’affaires que le ministère de l’intérieur avait à traiter avec les différents comtés. Je soupçonne, me dit- il, que vous avez le projet de faire usage de ce renseigne- ment. (Vous voyez, Messieurs, qu'il n'avait pas tort.) Il faut donc que je vous réponde d’une manière certaine. Le ministre de l'intérieur correspond avec l'Angleterre, le pays de Galles, l’Écosse et l'Irlande; ses communica- tions avec l’Angleterre peuvent donner lieu tous les ans à quarante lettres, avec l'Écosse à vingt, avec l'Irlande ily , en a peut-être une trentaine : calculez le total. Voilà admirable simplicité de l'administration anglaise ; je n’attends pas, je n’espère pas un pareil résultat en France ; mais il faut du moins tendre à diminuer notre centralisation exagérée , excessive, et quelle meilleure occasion que les affaires de la nature de celles dont nous nous occupons aujourd’hui. Mais, dira-t-on, ne voyez-vous pas qu’en livrant l’or- ganisation des colléges communaux au libre arbitre des conseillérs municipaux, il arrivera pour quelques-uns de ces colléges qu’on y supprimera le grec et le latin, ou que, dans tous les cas, ces deux langues y seront très- négligées. Messieurs, ce serait peut-être un malheur; mais je m'y résignerais sans un très-grand chagrin. Trente ans d’une vie académique m'ont mis en rapport avec la plu- part des notabilités scientifiques et littéraires de notre temps. J’ai vécu avec beaucoup d’entre elles dans l'inti- sd SUR L'ENSEIGNEMENT. 53 mité; eh bien, je le dis sans hésiter, plusieurs de ces per- sonnages célèbres, quoiqu’ils eussent attaché leurs noms _à des découvertes importantes, avaient quelque chose d’in- complet, d’inachevé, parce qu’ils ne s'étaient pas livrés à des études littéraires. Je ne m’arrêterai pas, au reste, à la question de fait; le fait, je l’expliquerai, j'en donnerai la raison. Un sculpteur ne sait guère qu’elle sera la valeur du groupe qu'il a rêvé, qu'après l’avoir modelé. Un peintre ne connaît ce qu’il y aurait de défectueux dans le tableau qu’il va produire, qu'après eñ avoir tracé l’ébauche. Eh bien, je dis aussi qu’on ne voit le côté faible, le côté vulnérable de la pensée, qu'après l'avoir rédigée, qu'après lui avoir fait prendre une forme, c’est alors, et alors seulement, qu’on l’améliore, qu’on lui donne toute la généralité qu’elle est susceptible de recevoir, qu’on la revêt des couleurs qui doivent la rendre populaire. Cette habi- tude, cette habileté de rédaction, je la regarde comme nécessaire à tout homme d’étude, comme indispensable, mais je maintiens qu’on peut l’acquérir sans passer néces- sairement par le grec et par le latin. Vous voyez que je prends les études littéraires un peu plus au sérieux que certaine notabilité universitaire qui, je m’empresse de le dire, ne siége pas dans cette enceinte, et qui s’exprimait ainsi : « La poésie et les lettres donnent plus de grâce à la galanterie, et plus de délicatesse au plaisir. » Les lettres se présentent à mon esprit d’une manière plus noble, plus grande, plus digne. Je réclame des études classiques, je les demande, je les regarde comme indispensables; mais je ne pense pas 698 DISCOURS qu’elles doivent être nécessairement grécqties et latiniés. Je désire que, dans les écoles communäles, ét jé ñe parlé que dé celles-Ià, ces études soïent remplacées, du 8ré des conseils municipaux, pat l'étude dé notre propre langue, par l'étude approfondie du français ; jé veux qué, dans châque collége, 6h puisse substituer au gtec et au latin l'étude d’une langue vivante ; je demande même que cètté langue puissé changer Suivant les localités; qu’à Perpignan et à Bayonne ce soit, par exémple, l'espagnol; aù Havre, l'anglais: à Besançon, l’allétnand. Jé m'en rapporterais, en un mof, Sur fout céla; aù libre arbitre des conseils municipaux ; j'ai éonfianicé en éux, ét j'ai la certitude que cette confiance ne Serait pas trompée. Hi 5 maintenant que je parcoure la Serie dè émet éyStème de liberté que je ne déserterais pas, alors Has qu’on le gratifierait de système de liberté indéfinie. & Les études classiques, nous dit-on, les lettres grec- ques et latines doivent être le principal, car c’est là là vraie culturé de l'esprit et de l’âme. » Qu'est-ce à dire? Pascal, Fénelon, Bossuet, Montes- quieu, Rousseau, Voltäire, Corneille, Racine, Molière, l'incomparable Molière, seraient privés du privilége Si libéralement accordé aux anciens auteurs, d'éclairer, de développer l'esprit, d'émouvoir le cœur, de faire vibrer lé$ ressorts de l'âme! Dieu me garde de vous faire Piné 1 juré de réfuter en détail une pareille hérésie. « Sans latin et sans grec, aucune intelligénce né sè développe. » Messiéurs, au milieu dés passions politiques les plus . SUR L'ENSEIGNEMENT. 699 exaltées, il est un point sur lequel aucune dissidence d’opi- _ nion ne s’est jarhais montrée ; jé veux parler de la force de tête, de l'intelligence incomparable du grand homrie qui ést mort à Sainte-Hélène; éh bien, ce grand hoïime, Napoléon 1 ne savait pas le latin ! | Remarquez bien, Messieurs, que cette citation n’ést pas contraire à mon système, car Napoléon avait fait dés études profondes de la litférature française ; car il con- naissait tous nos auteurs; car il les admirait et lès citait à propos; car il avait passé sa vie avéc Plutarque, nôn pas dans l'original, mais dans la traduction d’Amyot. « Sans latin et sans grec on est un médiocre écrivain. » La France a le bonheur d’avoir en ce moment un poëte éminent; un poëte qui offre l'union si rare d’un grand falent et du plus noble caractère ; un poëte dont l'impri- merie a vainement essayé de reproduire les œuvres au gré de l'impatience publiqué; un poëte enfin dont tout lé monde sait les vers par cœur (prenez garde, Messieurs, ce n’est pas M. de Lamartine que j'entends signalér; si je h’en avertissais pas, la méprise serait naturelle); je parle de Béranger, du chansonnier que le public à salué du nom si flafteur et si juste de poëté national. Eh bien, Béranger ne sait pas le latin. Jé ne commets pas une indiscrétion, car le poëte le dit à qui veut l'entendre. Dans le siècle de Louis XIV, je pourrais citer, je crois, comme s'étant trouvés dans lé même cas, Vauvenargues et Quinault? Les pays étrangers eux-mêmes ne me laisseraient pas désarmé. Shakespeare, le plus grand poëte de l’Angle- térre par là hardiésse, la profondeur, la naïveté de ses 700 DISCOURS conceptions, et aussi, dans beaucoup de passages, par la force, l'élégance et la grâce de son style, ne savait ni grec ni latin. Remarquez, Messieurs, il est bon que je le répète, que je ne prétends point que le latin et le grec ne forment pas le goût, ne sont pas un moyen de succès; ma thèse se réduit à dire qu'ils ne sont pas indispensables. On prétend, je cite toujours des opinions universitaires, qu’on ne sait jamais sa langue quand on n’a pas appris une langue étrangère. Si l’assertion était vraie, je répondrais, quant à moi, que je ne proscris pas l’enseignement des langues étran- gères; que d’après mes idées, au contraire, on enseigne- rait les langues vivantes partout, qu'ici ce serait l'italien : là, l'allemand ailleurs l'anglais, parce que je ne vois pas l'utilité de colléges communaux taillés exactement sur le même patron. Mais la proposition, vue en elle- même, me paraît très-contestable. Qu'on me dise, en effet, quelle langue étrangère Ho- mère, Euripide, Aristote, Platon, avaient apprise; ils étaient devenus d’immortels écrivains en apprenant sim- plement le grec. Je ne suppose pas en vérité qu’on vienne parler d’égyptien, car toutes les merveilles qu’on ferait émaner de l'antique patrie des Pharaon sont sin- gulièrement déchues depuis qu’on est parvenu à déchif- frer quelques hiéroglyphes. Ne croyez pas que le latin suffise aux notabilités uni- versitaires ! il leur faudra du grec, n’en fût-il pas au monde! Écoutez, plutôt : « Je ne puis comprendre un professeur de sixième, SUR L'ENSEIGNEMENT. 704 qui ferait expliquer les fables de Phèdre, sans être en _ état de citer perpétuellement les fables d’Ésope. » _ En géométrie, nous employons souvent une méthode imaginée par les anciens, et qu’on appelle la méthode de la réduction à l'absurde. Lorsque la fausseté d’une pro- . position n’est pas évidente, nous la prenons un moment pour vraie; nous en lirons des conséquences successives, et il est rare que, dans cette série indéfinie de déductions logiques, il ne s’en rencontre pas quelqu’une dont l'ab- surdité saute aux yeux. Lei la première suffira : il résul- terait, en effet, de la prétention du dignitaire de l'Uni- versité, cette conséquence burlesque que La Fontaine, que cet inimitable La Fontaine de qui Fontenelle disait : « C’est par bêtise qu’il se croit inférieur à Phèdre! » qu’un poëte qui fait le charme, les délices des lecteurs de tous les âges, n’aurait pas été admis à professer la sixième, à expliquer le fabutiste latin, car La Fontaine n’avait pas lu Ésope dans l'original, car La Fontaine ne savait pas le grec. | Mais, m'a-t-on dit (car j'ai abordé cette discussion loyalement, car j'en ai parlé à ceux-là même qui vont me répondre tout à l'heure), mais que voulez-vous faire du latin et du grec? Si on nous avait soumis la question, j'aurais répondu ; mais elle ne nous est pas soumise. Le moment viendra, sans doute plus tard, de nous en occuper, lorsqu'il s’agira de l’enseignement des colléges royaux et des écoles supérieures. Je dirai néanmoins, dès à présent, ce que, dans mon opinion, doivent devenir le latin et le grec. Ils doivent être cultivés et cultivés à fond, cultivés avec de grands développements dans les 702 DISCOURS : écoles supérieures; mais je ne sens pas la nécessité de ces études dans les écoles communales; je ne m'oppose pas à ce qu'on les y enseigne, mais je ne sens pas la né- cessité indispensable de les y introduire. J'ajoute qu’il serait peut-être bon que l’Université s’occupât d'enseigner le latin et le grec par des moyens plus abrégés que ceux dont on fait usage aujourd’hui. Il faut huit ou neuf ans pour étudier le latin comme on l'enseigne dans les colléges; je dis que c’est beaucoup trop, et vous allez le concevoir. Un élève n’a fini sa philosophie dans les colléges royaux qu’à dix-huit ans. Je suppose que cet élève veuille entrer à l'école polytechnique; il y a maintenant pour cette École une immense concurrence : deux années d’é- tude ne sont pas trop pour y entrer; l'élève est admis dans sa vingtième année. Après avoir passé deux ans à l’École polytechnique, il est obligé d'aller à l'École d’ap- plication d'artillerie ou du génie à Metz, à l'École des mines ou à l’École des ponts et chaussées. Le noviciat à l’École de Metz est de deux ans, ét dans l'École des ponts et chaussées, de trois. Les élèves en sortent donc avec le grade de sous-lieutenant ou le grade fort minime d’ingénieur ordinaire des ponts et chaussées, à l’âge de vingt-quatre ou vingt-cinq ans. Ils sont déses- pérés de se voir à cet âge aussi peu avancés dans leur carrière. Vous savez que les soldats, enga gés pour cinq ans dans un régiment, disent, au bout de cinq jours, qu'ils ont encore quatre ans et 360 jours à faire. Il en est à peu près de même des élèves sortant des Écoles d'application : SUR L'ENSEIGNEMENT. 703 ils ne regardent leur entrée dans les armes spéciales que comme pis-aller, et ne songent qu'à en sortir pour entrer dans un établissement particulier ; ils n°y restent souvent qu'à contre-cœur. Cela tient à la lenteur des premières études. On de- vrait enseigner le latin et le grec comme on enseigne l'allemand. L’allemand est une langue compliquée qui n'a pas beaucoup d’analogie avec la nôtre. IL n’est pour- tant pas d'intelligence, toute simple qu'elle soit, qui n’apprenne l'allemand en deux années d'une manière satisfaisante. Pour le latin et le grec ce devrait être la même chose. Il faut absolument que l'Université cherche avec zèle les moyens de sortir de ses vieilles routines. On dit que l'étude des langues anciennes est mieux ap- propriée aux facultés de l'enfant que les études scienti- ques et que celle des langues vivantes. Si on a youlu parler de la faculté qu'ont les enfants d’apprendte les ‘langues en se mêlant aux personnes qui les parlent, on a cent mille fois raison. Mais si on veut parler de l'étude des langues par principes, on a tort. On est très-effrayé dans le monde, quand on n’a jamais étudié ni la géomé- trie, ni l'algèbre, de ces grands mots, on s’en fait un monstre; mais cette étude est beaucoup plus facile que celle de la grammaire. Les règles de la grammaire sont cent fois plus difficiles à saisir et beaucoup plus subtiles. Prenez garde, nous dit-on ; et ici se place l’objection de mon honorable ami, M. de Sade; c’est ayec ce sys- tème d'instruction qu'ont été créés et que se sont formés les hommes qui ont honoré leur siècle et leur pays : il faut respecter un arbre qui a donné de si beaux fruits. 704 DISCOURS Ce mode d'instruction a donné des fruits sans contre- dit; mais pour savoir s’il faut respecter l'arbre, il faut en examiner tous les fruits. Or, vous verrez qu'à côté des bons fruits, il en est de mauvais et de médiocres ; vous trouverez que les deux dernières classes abondent, et qu’elles abondent nécessairement. Cette méthode d'instruction qu’on veut maintenir dans les colléges du royaume avait été nécessaire, indispen- sable, à une époque où le but qu’on se proposait était de former des magistrats, des ecclésiastiques et des méde- cins, à une époque où notre littérature était insignifiante, à une époque où tous les trésors de la littérature ancienne n'étaient pas traduits, n’avaient pas été transportés dans notre langue. Mais ce qui était bon à une époque peut n'être plus indispensable à l’époque actuelle. « Mais, nous dit-on, vous nous proposez de substituer à une méthode d'instruction éprouvée une méthode dont il est impossible de prévoir les résultats. » Remarquez que je ne propose rien, je demande qu’on laisse la liberté anx conseils municipaux; que le conseil municipal de Bayonne, par exemple, examine si l’instruc- tion de Bayonne doit être la même que celle du Havre. Et, dans tous les cas, il n’est pas vrai que le mode d’in- struction que je présente n’ait pas été éprouvé, 1l est éprouvé tous les jours. Voyez les pensions de demoiselles : croyez-vous qu’on sorte de ces pensions sans savoir le français? On le sait très-bien, quelquefois mieux que quand on sort des cours de rhétorique des colléges royaux. Croyez-vous que, si nous voulons faire des catégories, donner des numéros aux poëtes qui sont l'honneur de SUR L'ENSEIGNEMENT. 705 notre littérature, comme tout à l'heure on proposait de . donner des numéros de mérite aux professeurs d'institu- tions particulières; croyez-vous que , dans les premiers numéros, nous ne trouverions pas des noms de femme ? Croyez-vous que, si j'avais à proclamer les cinq pre- miers prosateurs de notre époque, un nom de femme ne viendrait pas se placer dans la liste? Et vous savez que, dans les institutions de femmes, on n’apprend ni le grec ni le latin. Vous voyez donc que la méthode que je pro- pose a produit de bons résultats. Voici un passage qui se compose d’une phrase que j'emprunte à l’un des membres de la Commission : « Les méthodes qu’on a voulu substituer aux méthodes usuelles ont échoué. » A cette occasion, M. le ministre de l’instruc- tion publique a cité les écoles centrales. Messieurs, les écoles centrales, ces grands, ces magnifiques établisse- ments, ne doivent pas être jugées avec légèreté; je ne chercherai pas à les défendre ici, parce que vous ne vou- driez pas m'en accorder le temps; mais je soutiens qu’on se trompe quand on dit que les écoles centrales n’avaient pas donné d'excellents fruits. L'École polytechnique a été, à son origine, alimentée par les élèves des écoles centrales, et ces élèves se sont distingués dans l’école et dans le monde; c’est par eux que la gloire de l'École polytechnique a commencé. Les écoles centrales n’ont pas pu se maintenir, dit-on. Est-ce que, dans les oscillations continuelles de notre ré- volution, on n’a jamais réformé que ce qui méritait de l'être ? Mais vous avez devant vous un exemple du con- traire. M. le ministre du commerce et des travaux publics XIL. h5 706 DISCOURS vient de vous proposer de revenir au système métrique des poids et mesures, tel que l’avait conçu la Convention, tel qu’il a été créé par l’Académie des sciences. Ainsi, vous voyez que le système avait été faussé par les préju- gés ; oui, les écoles centrales ont disparu sous le coup des préjugés de l’empereur. Je suis fâché dé rencontrer souvent sur le chemin de ma réfutation mon honorable ami, M. de Sade. Il nous a dit, dans une dés dernières séances, et avec la sincérité qu'il apporte dans toutes $es opinions, dans tous ses discours, il nous a dit : « que les études scientifiques trop précoces, trop approfondies, faussent et rétrécissent l'ésprit. » On à ajouté qu’elles dessèchent le cœur, qu’elles énervent l’imagination. Faussent l'esprit ! J'avoue que l’assertion me paraît singulière. Jusqu'ici javais bien entendu parler d’une manière dé- favorable des études scientifiques, mais je n'avais jamais entendu dire qu’elles faussassent l’esprit, car on les con- sidère généralement comme des cours de logique, &èche, aride, si l’on veut, mais comme des cours de logique. Je né sais pas comment, en habituant l’esprit à raisonner, on arriverait à fausser le jugement. L'étude de la géomé- trie est évidemment un cours de logique. Dans tous les cas, je demande si le besoin de l'administration n’est pas plutôt de créer des hommes de sens, utiles au pays, que , des hommes d'imagination. Oh! ces imaginations qui peuvent ennoblir de grandes pensées, qui peuvent con- courir à la gloire nationale, sauront bien se faire jour. Mais votre but est de créer des hommes utiles à eux- SUR L'ENSEIGNEMENT. 707 mêmes et au pays, et malheureusement il n°y en a pas . beaucoup qui se trouvent dans cette catégorie. En tous cas, je n’admets pas que les études scienti- fiques faussent l'esprit, qu’elles dessèchent le cœur et énervent les ressorts de l’âme. Je n’aurais qu’à citer les noms propres pour faire tomber ces reproches et en prouver la fausseté. Pascal, quelle a été sa vie? Comment a-t-il été élevé? Dans une académie des sciences, dans la compagnie de Mercenne Roberval, de Carcavi, etc., qui ne lui parlaient que de sciences. On me dira que c’est une exception. Je citerai Des- cartes. Il n’est personne qui ait rendu plus de services à la langue française que Descartes;-et dont le style soit plus net, plus serré ; pourtant, il a passé toute sa vie dans des occupations scientifiques. Et Buffon! direz-vous que son Style a été énervé, que son imagination a été flétrie par les nombreuses expériences dont la science lui est : redevable? Si je passe à l’étranger, Haller, Galilée, dont les écrits font la gloire de leur pays, ne se sont-ils pas formés dans les recherches scientifiques ? J'ajoute une autre citation moins connue. Il y a dans nôtre littérature un homme dont la supériorité est incon- testable, et qui plus est, incontestée : c’est Molière. Mo- lière a très-peu étudié dans les livres; mais pendant le très-petit nombre d'années qu’il a consacrées à l'étude, c’est par les études scientifiques qu'il a éssayé de dévelop- per son esprit; c’est sous la direction de Gassendi; et telle était l'influence de ses études que son premier ou- vrage est la traduction de Lucrèce, c’est-à-dire la tra- 708 DISCOURS duction du tableau poétique des connaissances scienti- fiques que les anciens avaient recueillies du temps de Lucrèce. Enfin, si je devais citer encore un exemple, je dirais que l’homme qui a fait les calculs les plus arides, les plus abstraits, qui toute sa vie s’est livré à l’étude des loga- rithmes, non pas d’après des tables de logarithmes, puisqu'il n’en existait pas, mais par des moyens équiva- lents, Kepler, dont le nom est attaché aux plus grandes découvertes, a passé dix-huit ans de sa vie à chercher les lois d’après lesquelles le monde est organisé. « Les études scientifiques n’ont rien qui puisse émouvoir les ressorts de l'âme ! » . Je suis étonné de ne pas voir arriver à la suite de cet aphorisme une certaine anecdote qui court tous les re- cueils d’ana. On prétend qu’un géomètre de l’Académie des sciences, qui assistait à la représentation d’une pièce de Racine, s’écria : « Qu’est-ce que cela prouve? » Ce prétendu géomètre avait grand tort, car les tragé- dies de Racine prouvent toutes quelque chose. C’est un mérite que l’on reconnaît aux tragédies de Racine, et à toutes les parties de ses tragédies. Dans tous les cas, j’au- rais pu répondre à l’anecdote par des anecdotes qui ne sont peut-être pas plus vraies, et qui concernent certains grammairiens qui ont commencé leur entrée dans le monde par vouloir y porter l'étude de la grammaire. Mais je dis que le fait n’est pas vrai, et qu’il a été at- tribué à une personne plus littérateur que géomètre, à Lagny, géomètre assez peu connu, mais très-remar- quable par des succès précoces dans l’étude des lettres. SUR L'ENSEIGNEMENT. 709 Fontenelle raconte même que, quand on lui dictait un thème, il ne fournissait pas la copie : c’était le thème en Jatin fait à la suite de la dictée qu’il remettait. Vous voyez que, s’il était arrivé à la malheureuse conclusion dont on a essayé de tirer une si singulière conséquence, ce ne serait pas par la géometrie, ce serait plutôt par la gram- maire. Au surplus, je ne concevrais pas comment on pourrait prétendre, en présence des grandes découvertes qui ont honoré la science , que les sciences dessèchent le cœur, énervent l'esprit ! Quoi! vous voudriez m'astreindre à étudier avec zèle, avec plaisir, je dirai même avec enthousiasme , l’histoire de quelques nations inconnues qui ont joué sur la scène du monde un rôle assez insignifiant ; vous voudriez me faire suivre, jusque dans les moindres actions, le passage sur le globe de nations inconnues, dont d’Alembert, quoi- que géomètre, disait avec beaucoup d'esprit qu’elles nous avaient tout appris, excepté leur nom et celui des lieux qu’elles habitaient ; vous voudriez que je m’occupasse de ces recherches avec intérêt, avec enthousiasme, et je res- terais sec, sans émotion, à la vue de Cuvier indiquant toutes les révolutions que la Terre a subies, exhumant des entrailles de la Terre des générations qui ne ressemblent en rien aux générations actuellement existantes ! Et vous croyez que dans un cours de géologie l’audi- toire reste impassible lorsqu'on lui raconte comment les chaînes des montagnes ont surgi de l’intérieur de notre globe, lorsqu'on lui apprend l’âge de ces différentes chaînes! Permettez-moi de vous rapporter un fait qui montrera 710 __ DISCOURS quelle distance il y a entre le vrai et la fable. Je demande pardon à la Chambre de lui parler d'objets de cette na- ture. Euler, le grand Euler était très-pieux ; un de ses amis, ministre dans une église de Berlin, vint lui dire un jour : « La religion est perdue, la foi n’a plus de base, le cœur ne se laisse plus émouvoir même par le spectacle des beautés, des merveilles de la création. Le croiriez-vous ? j'ai représenté cette création dans tout ce qu’elle a de “plus beau, de plus poétique et de plus merveilleux; j'ai cité les anciens philosophes et la Bible elle-même : la moitié de l'auditoire ne m'a pas écouté, l’autre moitié a dormi ou a quitté le temple. » Faites l’expérience que je vais vous indiquer, repartit Euler : « Au lieu de prendre la description du monde dans les philosophes grecs ou dans la Bible, prenez le monde des astronomes; dévoilez le monde tel que les recherches astronomiques l’ont constitué. Dans le sermon qui a été si peu écouté, vous avez probablement, en suivant Anaxagoras, fait du Soleil une masse égale au Péloponèse. Eh bien, dites à votre auditoire que, suivant des mesures exactes, incontéstables, notre Soleil est douze cent mille fois plus grand que la Terre. « Vous avez sans doute parlé de cieux de cristal emboï- tés, dites qu’ils n'existent pas, que les comètes les brise- raient. Les planètes, dans vos explications, ne se sont dis- tinguées des étoiles que par le mouvement; avertissez que ce sont des mondes; que Jupiter est 1400 plus grand que la Terre, et Saturne 900 fois; décrivez les merveilles de l’anneau; parlez des lunes multiples de ces SUR L'ENSEIGNEMENT. 711 mondes éloignés. En arrivant aux étoiles, à leurs dis- tances, ne citeéz pas des lieues : les nombres seraient trop _ grands, on ne les apprécierait pas; prenez pour échelle la vitesse de la lumière ; dites qu’elle parcourt quatre- vingt mille lieues par seconde ; ajoutez ensuite qu'il n'existe aucune étoile dont la lumière nous vienne en moins de trois ans; qu'il en est quelques-unes à l'égard desquelles on a pu employer un moyen d'observation particulier, et dont la lumière ne nous vient pas en moins de trente ans. «En passant des résultats certains à ceux qui n’ont qu'une grande probabilité, montrez que, suivant toute apparence, certaines étoiles pourraient être visibles plu- sieurs millions d’années après avoir été anéanties ; car la lumière qui en émane emploie plusieurs millions d'années à franchir l’espace qui les sépare de la Terre. » Tel fut, Messieurs, en raccourci, et seulement avec quel- ques modifications dans les chiffres, le conseil que don- nait Euler. Le conseil fut suivi : au lieu du monde de la fable, le ministre découvrit le monde de la science. Euler attendait son ami avec impatience. Il arrive, enfin, l'œil terne et dans une tenue qui paraissait indiquer le déses- poir, Le géomètre, fort étonné, s’écrie : Qu'est-il donc arrivé ; « Ah! Monsieur Euler, répondit le ministre, je suis bien malheureux; ils ont oublié le respect qu’ils de- vaient au saint temple, ils m'ont applaudi. » : Vous le voyez, Messieurs, le monde de la science était de cent coudées plus grand que le monde qu’avaient rêvé les imaginations les plus ardentes. Il y avait mille fois plus de poésie dans la réalité que dans la fable, 712 DISCOURS Telle était aussi, sans doute, la pensée de Mallebran- che, quand il s’écriait qu’un insecte était beaucoup plus intéressant que l’histoire grecque et l’histoire romaine. Peut-être trouverez-vous, Messieurs, que la défense n’a pas été proportionnée à l'attaque, que j'ai pris trop au sérieux quelques paroles hasardées, irréfléchies ; maïs, je l’avouerai avec franchise, c’est que j'ai répondu non seulement à ce qui s’est dit ici, mais à ce qui se dit ailleurs. Il y a, je ne désigne personne, il y a chez un grand nombre d’autorités universitaires peu de goût, peu de penchant, peu de bienveillance pour les études scientifi- ques : il a été dit, non pas ici, mais dans une autre en- ceinte très-peu éloignée, à l’occasion de cette loi, que les études scientifiques étaient un métier de manœuvre. En parlant d’une école que le monde entier nous envie, dont on copie le nom, quand on ne peut pas limiter par le fonds, il a été dit qu’on n’en faisait aucun Cas. C’est en présence de ces critiques que j'ai pensé de- voir vous soumettre quelques réflexions : je n’entends en aucune manière nuire aux études littéraires; mais ce serait, je crois, un grand malheur qu'on parvint à établir un divorce entre deux rameaux qui sont destinés à se fortifier mutuellement. La plus large concession qu’on veuille faire aux sciences, c’est qu’elles servent les inté- rêts matériels. La concession ne me touche pas : elle était forcée ; ce n’est pas, en effet, avec de belles pa- roles qu’on fait du sucre de betterave; ce n’est pas avec des alexandrins qu’on extrait la soude du gel marin. Il n’est point vrai, au surplus, que les études scienti- SUR L'ENSEIGNEMENT. 3 fiques ne servent que les intérêts matériels. C’est devant leur flambeau que se sont évanouis la plupart des pré- _ jugés sur lesquels les populations vivaient courbées ; c’est par les sciences que les préjugés sont tombés à jamais. Eh, mon Dieu! si l’astronomie que j'ai tant citée, dont peut-être vous me permettrez de parler par prédilection, n'avait pas fait d'immenses progrès, vous verriez dans trois mois toute la population de Paris, comme autrefois la population de Rome, s’en aller à la porte Catularia pour immoler un chien roux à la canicule, afin d’apaiser ses maléfices ; et, dans trois semaines, vous entendriez la population jeter des cris de toute la force de ses poumons pour faire revenir la Lune éclipsée de son évanouissement; et, il y a deux ans, nous aurions vu notre population ef- frayée par le retour de la comète de Halley. N'ai-je pas même vu des personnes qui, malgré les progrès de la science, étaient fort préoccupées des effets que l’astre vagabond ne pouvait manquer de produire ? et cependant ces personnes (en France on ne trahit pas l’incognito par les paroles que je vais prononcer), et cependant ces per- sonnes avaient affronté sans sourciller les boulets et la mitraille. Je termine par une remarque qui touchera surtout les membres des commissions des finances ; je suis convaincu que, si les études scientifiques n’avaient pas été encou- ragées, si elles n’avaient pas fait les progrès qui seront l'éternel honneur du siècle dernier, vous verriez figurer encore sur votre budget déjà si chargé un astrologue parmi les fonctionnaires salariés. Au surplus, qu’on réduise, si Fon veut, l’utilité des 74 DISCOURS sciences aux besoins matériels, et elles n’en seront pas moins cultivées avec zèle et persévérance. Les applaudis- sements, la reconnaissance du public sont acquis d’a- vance à ceux qui leur feront faire des progrès réels. Aussi, du haut de cette tribune, je conjure la jeunesse de marcher hardiment dans la route glorieuse où élle est entrée. Que la minéralogie continue à classer les diverses na- tures de terrains dont l’écorce du globe sé compose, et à indiquer aux capitalistes dans quelles localités leurs re- cherches peuvent conduire à la découverte de telle ou telle autre nature de minéraux ; Que la chimie enrichisse la médecine de médicaments simples, toujours semblables à eux-mêmes et qui doivent donner à l’art de guérir une marche plus assurée; Qu'elle manipule les produits de notre industrie agri- cole pour les transformer en substances alimentaires ou manufacturières qui ont été refusées à nos climats; Que la physique essaie de puiser dans l'étude des forces électriques, sans cesse en jeu dans les entrailles de la Terre, les divers perfectionnements dont les arts métallurgiques ont un si puissant besoin ; Qu'elle suive avec attention les phénomènes météoro- logiques pour apprendre à les prévoir ou seulement pour atténuer les ravages qu’ils occasionnent ; Qu'elle essaie de trouver dans l'examen dés mysté- rieuses variations du magnétisme terrestre des moyens de diriger avec certitude le navigateur quand un ciel nébu- leux lui dérobe la vue des astres ; Que l'optique perfectionnée, appliquée à la construc- SUR L'ENSEIGNEMENT. 75 tion des phares, serve aussi à prévenir de nombreux, de cruels naufrages ; Que l’astronomie pénètre jusque dans les dernières ré- gions de l’espace, non pas, si l’on veut, pour arriver à la formation de nouveaux mondes, non pas pour découvrir si les conditions de notre système solaire en assurent la durée indéfinie, mais afin de donner, s’il est possible, une nouvelle perfection à l’art nautique ; Que la mécanique tire chaque jour un nouveau, un meilleur parti des forces naturelles, et arrache ainsi des millions de nos semblables à des travaux pénibles qui les assimilent à des brutes, détruisent leur santé, et les con- duisent inévitablement à une mort prématurée; qu’elle travaille sans cesse à améliorer, à simplifier, à alléger la machine à vapeur, l’une des plus belles, des plus éton- nantes créations de l'esprit humain. Dé quand toutes ces améliorations seront réalisées, la science aura bien mérité du pays; car, suivant la belle pensée de Bacon, « Knowledge is Power, le savoir, c’est de la force, de la puissance: » et elle aura augmenté le bien- être de la population, non pas en appauvrissant les ‘riches, mais en enrichissant les pauvres ; et elle aura ré- pandu ses bienfaits sur ceux-là même qui l’outrageaient ; et en contemplant ces beaux résultats, un poëte (car les études scientifiques n’empècheront. pas qu'il n’y ait tou- jours des poëtes), un poëte pourra s’écrier, sans être taxé d’exagération : Le dieu, poursuivant sa carrière, Versait des torrents de lumière Sur ses nombreux blasphémateurs ! 716 DISCOURS [Dans la discussion ouverte sur l’article 26 du pro- jet de loi ainsi conçu : « L'État continuera à entretenir les bourses dans les colléges royaux. Les départements, lés communes et les particuliers pourront être autorisés à en fonder et à en entretenir, soit dans les colléges royaux, soit dans les colléges communaux », M. Arago a repris la parole (séance du 27 mars 1837) dans les termes suivants : | Messieurs, je ne viens ni approuver, ni combattre l’art. 26. Je demande seulement à M, le ministre de l’in- struction publique la permission de lui adresser certaines questions qui ont beaucoup d'importance pour plusieurs grandes villes, et en particulier pour Paris. L'art. 26 porte que les départements, les communes et les particuliers pourront être autorisés à fonder et à entre- tenir des bourses soit dans les colléges royaux, soit dans les colléges communaux. Il faut que vous sachiez, Mes- sieurs, que les colléges royaux sont entretenus d’abord par la rétribution universitaire, par des bourses que le gouvernement a fondées, et par des bourses que paient plusieurs grandes villes. Ces dernières bourses ont été fon- dées par des décrets de l’empereur. Les colléges royaux ne paraissant pas vouloir, à l’origine, prospérer par leurs propres moyens, Napoléon décida que plusieurs grandes villes, qui, par parenthèse, n'avaient pas été consultées, entretiendraient un certain nombre de boursiers à tel ou tel collége. Ainsi, la ville de Paris payait des bourses à Orléans, à Reims, à Versailles, et je crois même à Bayonne ou SUR L'ENSEIGNEMENT. , 717 dans un autre collége du Midi. Après bien des démarches, _ Ja ville de Paris a obtenu de l'administration de ne plus payer des boursiers hors de ses murs. Je crois cependant qu’il y en a encore huit ou dix qu’on supprimera par extinc- tion. Malgré cette réduction, le nombre de bourses, de trois quarts de bourse, de demi-bourses auxquelles Paris est tenu de fournir est encore de 196. La ville avait désiré faire un meilleur empioi, je n’hésite pas, Messieurs, à me servir de cette expression, un meilleur emploi de la somme qu’on exige d’elle actuellement ; elle avait voulu la consacrer principalement au paiement d’ap- prentissages. Les jeunes gens qui, aujourd’hui, sollicitent les 196 bourses de la ville sont tous très-jeunes. Il est donc impossible de prévoir quelle sera leur capacité. Pour se décider, il faut recourir aux titres des parents. Eh bien, je le dis sans hésiter, membre du conseil municipal de Paris depuis près de trois ans, il ne m’a presque jamais été possible de voter dans la question des bourses avec la certitude de faire un bon choix. Les titres qui doivent nous déterminer sont si fugitifs, si difficiles à apprécier, si insignifiants! « Je suis commis depuis vingt ans dans telle ou telle autre administration ; j'ai bien fait mon ser- vice dans la garde nationale, etc. » Voilà les seuls rensei- gnements que nous ayons pour décider si un enfant sera élevé aux frais du pays. Aussi qu’en résulte-t-il? C’est que nous plaçons dans nos colléges cent quatre-vingt seize personnes qui, bourrées plus ou moins de grec et de latin et de quelques notions scientifiques imparfaites, croiraient ensuite déroger en entrant dans une carrière industrielle. 718 DISCOURS Je dis quelle difficulté le conseil municipal a à vaincre, lorsqu'il est appelé à choisir des boursiers. Aujourd’hui du moins, ces faveurs ne s'accordent qu'à une per- sonne dépourvue de fortune. Jadis il n’en était pas ainsi. Si vous parcouriez les anciennes listes, vous seriez sans doute étonnés d’y voir figurer des fils de lieutenants gé- néraux, de pairs de France, de gens très-riches ; c'était véritablement intolérable. | La ville de Paris, au surplus, n’avait jamais eu le pro- jet d'employer les sommes qu’elle dépense maintenant en bourses à des travaux de luxe, à des monuments; elle avait pensé qu’on pouvait choisir dans les écoles primaires les enfants qui se seraient le plus distingués, ceux qui auraient fait prévoir qu’ils uniraient à de l'intelligence une certaine habileté manuelle. Ces enfants auraient pu être placés en apprentissage : dispensés du service pénible qu’on impose aux élèves ordinaires, leurs succès eussent été rapides. Les arrangements avec les chefs d’établisse- ments leur auraient permis de suivre des cours. Ces en- fants seraient ainsi devenus l'honneur de l’industrie fran- çaise, d'excellents chefs d'atelier, d’habiles contre maîtres. Un pareil service eût été moins équivoque, moins problé- matique et certainement plus municipal que celui auquel on est forcé de pourvoir maintenant. Ce n’est pas que la ville de Paris ait pu vouloir renoncer d’une manière absolue à donner des bourses, soit comme récompense de grands services, soit pour encourager de grands talents. Qu’on lui montre un J.-B. Rousseau en perspective dans la boutique d’un cordonnier, un Qui- pault auprès du four d’un boulanger, un Lambert (comme SUR L'ENSEIGNEMENT. 719 le grand géomètre de Mulhouse) sur l’établi d’un tailleur, un Molière dans l'atelier d’un tapissier, et la ville de _ Paris les adoptera et elle les suivra dans toutes les phases de leur carrière, et elle leur rendra les études supérieures commodes, faciles, fructueuses. Quant à l'obligation d’en- tretenir sans cesse les 196 bourses, qu’il se présente ou qu’il ne se présente pas de candidats dignes de cette fa- veur, elle est, à mon avis, montrueuse, Lorsque nous avons porté nos réclamations au ministre de l'instruction publique, il nous a répondu que la ques- tion était grave, qu'elle lui semblait mériter un examen attentif; toujours il nous a renvoyé à l’époque où l’on diseuterait la loi sur l’instruction secondaire. Gette époque est arrivée ; je demande donc à M. le ministre s’il entend que. les bourses créées par décrets de l’empereur seront encore obligatoires, ou s’il consent à laisser aux conseils municipaux le droit de donner des bourses suivant les circonstances et suivant le mérite des candidats. Je de- mande enfin, quant à Paris, si l’on entendrait empêcher le conseil municipal de consacrer en solde d’apprentis- sages des sommes dont, à mon sens, il fait aujourd’hui le plus inutile emploi. J'entends dire d'ici que cette question est sans impor- tance : la ville de Paris est si riche ! elle a les revenus d’un royaume | Il est très-vrai, Messieurs, que Paris a un revenu con- sidérable; mais se rend-on exactement compte de ses charges ? Sans sortir de la question, je dirai d’abord que la ville a le devoir et l'intention de créer un nouveau colége, 720 DISCOURS - Remarquez à quel point les colléges ont été mal distri- bués; dans le quartier latin ils se touchent; ailleurs il n’y en a pas. Ces quartiers oubliés se plaignent avec rai- son. Laissez à la ville les moyens de faire droit à leurs justes réclamations. Au surplus, examinons au fond cette immense richesse dont on parle tant : | Le revenu présumé de cette année a été porté à 42 mil- lions. Cela est énorme, Messieurs ; mais veuillez bien en distraire avec moi les dépenses obligatoires : Au profit du Trésor, 40° des produits nets de l’octroi... 1,691,190 — Dixième du produit de la caisse de Poissy...... us à 105,280 — Sur le produit du bail des jeux.............,..... . 5,500,000 — En représentation de la contribution mobilière.,.... 3,200,000 — Indemnité pour exemption de logements militaires... 132.000 Pour les arrérages et l'amortissement de la dette arriérée. 4,997,362 Pour frais de perception de l'octroi, des autres revenus municipaux et pour non-valeurs............. …... 2,861,171 Subvention annuelle en faveur des hospices...,...,... 5,388,299 Pour les dépenses obligées de la préfecture de police.. 7,240,191 Additionnez toutes ces sommes, et vous trouverez..... 31,115,493 Les services ordinaires de l’administration municipale, y compris les dépenses de la garde municipale et de l’in- struction primaire, dépassent 5 millions et demi. 11 ne reste donc plus, dans les temps les plus prospères, que 5 millions environ pour des travaux nouveaux. Jugez maintenant si la ville de Paris elle-même n’est pas intéressée à repousser les dépenses inutiles. I faut, au demeurant, que je le répète : il ne serait pas question d'économiser la somme que les cent quatre-vingt-seize bourses absorbent, mais bien de l'appliquer en paiement % SUR L'ENSEIGNEMENT. 721 d’apprentissages, dans l'intérêt bien entendu des classes ouvrières et de l’industrie française. Je demanderai encore à la Chambre la permission de lui faire remarquer que les bourses dont il est question et qui ont été fondées par un décret de l’empereur l’ont été pour venir au secours des colléges qui ne pouvaient pas se soutenir eux-mêmes. Eh bien, les colléges de Paris, ceux dans lesquels la ville de Paris est obligée d’entre- tenir des bourses, sont dans un état de prospérité incon- testable. Ces colléges ont fait des bénéfices considérables, il y en a deux d’entre eux dont je n’exagérerai pas la prospérité en disant qu'ils ont de 25 à 30 mille livres de rente. Eh bien, comment se fait-il que, dans cet état de choses, la ville de Paris, contre sa volonté, soit tenue de payer des bourses ? Si M. le ministre de l'instruction publique, « en se ren— dant à mon avis, entend toutefois que les personnes qui ont actuellement des bourses n’en seront pas privées, je suis de son avis; la transition ne doit pas se faire en ce sens. Ceux à qui il a été donné des bourses, cette année, auront le droit d’en jouir tout le temps pour lequel elles leur ont été accordées. Ainsi, quant à cette transi- tion elle-même, je la trouve nécessaire, je la trouve juste. Mais, quant au reste, il n°y a aucune nécessité, aucun avantage à ne pas introduire, relativement au passé, la faculté que vous accordez aujourd’hui aux com- munes par une disposition spéciale. Que la Chambre me permette d'ajouter que l'opinion que je soutiens ici est celle de sa Commission elle-même. XII. h6 LETTRE RELATIVE A UNE PRÉTENDUE CANDIDATURE À L/ACADÉMIE FRANÇAISE * Monsieur le rédacteur, Les journaux qui soccupèrent, il y a quelques semaines, du remplacement du vénérable M. de Tracy à PAcadémie française, me firent l'honneur de me dési- gner comme un des candidats. Maintenant on s'étonne de voir la liste officielle réduite à un seul nom; de là mille vaines conjectures dans lesquelles voici, dit-on, ma part : j'ai fait preuve d’une prudence consommée en v’affrontant pas la plus redoutable concurrence; une condescendance d'aussi bon goût recevra tôt ou tard son prix; je me présenterai indubitablement quand une nouvelle place viendra à vaquer ; alors je serai accueilli, soutenu par ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, portent M. Guizot avec le plus d’ardeur ; des engagements for- mels ne me permettent pas d'en douter! Deux mots d’explication, et ces suppositions bien- veillantes seront réduites à leur juste valeur. I est vrai que plusieurs membres de l’Académie française qui m’honorent de leur amitié, voulant faire revivre un ancien usage, avaient songé à remplacer M. de Tracy, non sans doute par M. Arago, mais par le A. Adressée au National le 26 avril 1836. REFUS DE CANDIDATURE A L’ACADÉMIE FRANÇAISE. 723 secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences; il est _ vrai que, pour vaincre une hésitation qu'ils devaient _ prévoir, mes amis avaient eu la bonté de ne m'offrir la candidature qu'après avoir aperçu de grandes chances de réussite, qu'après s'être assurés, disaient-ils, de dix- neuf suffrages. Eh bien, dès le premier moment j'ai déclaré qu’à moins de consentir à augmenter d’un nou- veau nom la liste déjà longue de ceux qui changent d'avis au gré de leurs intérêts, je ne pouvais aspirer au fauteuil de M. de Tracy ; dès le premier moment j'ai exhumé moi-même de l'éloge encore inédit de Fourier un passage qui rendait ma candidature impossible 1. Ce passage le voici : «A la mort de Lemontey, l’Académie française où Laplace et Cuvier représentaient déjà les sciences, appela encore Fourier dans son sein. Les titres littéraires de notre confrère étaient incontestables; ils étaient même incontestés, et cependant sa nomination souleva dans les jourpaux de violents débats qui l’affligèrent profondé- ment. Mais aussi n’était-ce pas une question, que celle de savoir si ces doubles nominations sont utiles? Ne pouyait-on pas soutenir, sans se rendre coupable d’un paradoxe, qu'elles éteignent chez la jeunesse une émula- tion que tout nous impose le devoir d'encourager? Que deviendrait d’ailleurs, à la longue, avec des académiciens doubles, triples , quadruples, cette unité si justement vantée de l’ancien Institut? Le publie finirait par ne plus la trouver que dans l’unité de costume ! » 1. Voir t. I‘ des OEuvres et des Notices biographiques, p. 362. 724 DÉCOUVERTE DE MM. NIEPCE ET DAGUERRE. Vous le voyez, Monsieur, ma position est bien nette : je ne me suis jamais présenté, je ne me présenterai jamais. LETTRE SUR LA DÉCOUVERTE DE MM. NIEPCE ET DAGUERRE ‘ Monsieur le ministre, Après quinze années de recherches assidues; délicates, dispendieuses, MM. Niepce et Daguerre sont parvenus à fixer les images de la chambre obscure, à se servir des rayons solaires eux-mêmes pour dessiner, pour engen- drer en quatre ou cinq minutes des tableaux où les objets conservent mathématiquement leurs formes jusque dans les plus petits détails, où les effets de la perspective linéaire, où les changements de ton provenant de la per- spective aérienne se trouvent accusés avec une délica- tesse inconnue jusqu'ici. Je n’exagérerai pas en disant que la méthode à laquelle M. Daguerre s’est définitivement arrêté donne des résultats admirables. Malheureusement pour la for- tune de l’habile artiste, cette méthode ne saurait devenir l’objet d’un brevet. Dès qu’elle sera connue, tout le monde pourra s’en servir, le plus maladroit prendra alors des vues aussi exactement qu’un dessinateur exercé. 4. Adressée en 1839 au ministre de l’intérieur. — Voir la Notice sur le daguerréotype, t. VII des OEuvres, t. IV des Notices scienti- Jiques, p. 459. ie. pénis 0 À DÉCOUVERTE DE MM. NIEPCE ET DAGUERRE. 725 L'auteur d’une découverte si belle, si inattendue, d’une utilité si générale, a certainement honoré son pays, et le pays seul peut le récompenser. Il est à ma connaissance personnelle que M. Daguerre a refusé des offres séduisantes qui lui ont été faites à diverses reprises au nom de plusieurs souverains puis- “sants. Cette circonstance ne peut manquer d'ajouter à l'intérêt que chacun lui porte. Elle augmentera, dans les Chambres, le nombre déja si grand de personnes qui n’attendent qu’une occasion de montrer leurs sympathies pour l'inventeur actuellement si malheureux des procé- dés photogéniques et du diorama. Je prends, M. le ministre, la liberté de vous demander si, comme le bruit en a couru, vous avez l'intention de solliciter des Chambres une récompense nationale en faveur de M. Daguerre. - Je désire bien vivement recevoir une réponse affirma- tive; en ce cas je me mettrai entièrement à votre dispo- sition et pour les stipulations préliminaires et pour la discussion que la proposition pourrait soulever. Dans la supposition où, contre mon attente et mes vœux, vous ne penseriez pas que le gouvernement dut prendre l'initiative, vous ne trouveriez pas mauvais, je l'espère, que, cédant à un désir qui se fait jour sur tous les bancs de la Chambre des députés, j’essayasse moi-même, par une proposition formelle, de l’occuper de la découverte de notre ingénieux compatriote. LCR EUSÈBE SALVERTE ! Je ne suis jamais venu dans ce champ de repos avec un plus profond sentiment de tristesse; mais aussi jamais la patrie, la liberté, n’ont eu à déplorer une plus grande perte. Pourquoi faut-il, Messieurs, que le défant de témps doive me faire craindre de ne m'être pas élevé à la hauteur de la mission dont vous m'avez honoré? Salverte naquit à Paris en 4771. Son père, qui oceu- pait une position élevée dans l’administration des finances, le deslina à la magistrature. Déjà à 18 ans, après des études brillantes au collége de Juilly, il entrait au Chà- telet de Paris comme avocat du roi. A eette même époque la France sortait d’un long et profond engour- dissement. Elle réclamait de toutes parts, avec le calme qui est toujours le vrai caractère de la force, mais aussi avec l'énergie que ne peut manquer d'inspirer le bon droit, l'abolition du gouvernement absolu. La voix retentis- sante du peuple proclamait que les distinctions de caste blessent au même degré la dignité humaine et le sens commun ; que tous les hommes doivent peser du même poids dans la balance de la justice; que le sentiment religieux ne saurait sans crime être l’objet des investiga- tions de l'autorité politique. Salverte avait trop de pénétration pour ne pas entre- 4. Discours prononcé le 30 octobre 1839 aux funérailles de M. Salverte, au nom de la Chambre des députés. EUSÈBE SALVERTE. 721 voir la vaste étendue des réformés que ceS grands prin= cipes amènéraient à leur suité, pour fé pas pressentir que là brillante carrièré où il venait d'entrer, Se fermé- rait peut-être à jamais devant lui. Voilà donc lé jéuné avocat du roi, dès son début dans la vie, obligé de meéttré en baläncé les sentiments du citoyen et l'intérêt privé. Mille exemples pourraient faire croire qu’en pareille o€- currence l'épreuve est toujours rudé ét le Succès disputé ; hâtons=hoûs donc de déclarer qué le patriôtismé dé Sat: verte l'emporta dé haute lutte; qüe fotré collègue #’héz sitæ pas un seul instant à se ranger parmi les partisans les plus vifs, les plus consciencieux dé notré gloriéuse régénération politique. Loïsque, plus tard, des résistances coupables, lorsquè Finsolente intervention de l’étrangér, eurent jeté lé pays dans de sanglants désordres, Salvérté, avec tous les gens de bien, s’en affligea profondément. Il préssentit l'avan- tage qu'en tireraient, tôt ou tard, les énnémis de là liberté des peuples ; mais sa juste douleur ñé le détachà pas dé la cause du progrès. On le déstitué des fonctions qu'il remplit au ministère des affaires étrangères : il ré porid à cette brutalité imméritée par là démande d’exa- en pour un emploi d'officier du génie et une missiôn düt armées. Les préoccupations du temps font rejeter du servicé militaire le fils d’un férmiér général. Salverte, sans se décourager, sollicité au moins la faveur d’être ütilé à son pays dans les carrières civiles : l'École dés ponts ét chaussées lé compte alors parmi ses élèves, ét, bientôt après, parmi ses répétiteurs lés plus zélés. Notrè ami subit, péndänt cës temps dé grändeufs 728 EUSÈBE SALVERTE. immortelles et d’égarements déplorables, jusqu'à lé- preuve d’une condamnation à mort prononcée sur le motif le plus futile, sans être ébranlé dans ses convictions généreuses, sans avoir un moment la pensée d’aller de- mander un refuge aux contrées d’où il aurait vu s’élancer ces hordes innombrables qui croyaient marcher à la curée de la France. Salverte était trop bon Français pour rester insensible aux gloires de l’empire; il était, d’autre part, trop ami de la liberté pour ne pas apercevoir les fers pesants et fortement rivés que couvraient d’abondantes moissons de lauriers. Aussi, jamais un mot d’éloge sorti de sa bouche ou de sa plume n’alla s'ajouter aux torrents d’adulation qui égarèrent si tôt le héros de Castiglione et de Rivoli. Notre collègue consacra toute l’époque de l’empire à la retraite et à l'étude. C’est alors que, par des travaux persévérants, il devint dans les langues, dans l’érudition, dans l’économie politique, un des plus savants hommes de notre temps. Salverte ne s’abusa point sur les mesures réaction- naires dans lesquelles la seconde Restauration serait iné- vitablement conduite à se précipiter. Il crut que, malgré le texte formel de la capitulation de Paris, la foudre des passions politiques tomberait sur plusieurs de nos som- mités militaires; il devina que ces actes sanguinaires seraient excités ou du moins encouragés par les généraux alliés; il prévit que le midi verrait renaître ces odieuses dragonnades que l’histoire a rangées parmi les plus dé- plorables taches du règne de Louis XIV. Salverte sentit son cœur se serrer en présence d’un avenir si lugubre. 11 LA EUSÈBE SALVERTE. 729 résolut, surtout, de se soustraire au spectacle humiliant de l’occupation militaire de la France, et partit pour Genève. : J Madame Salverte, cette femme si éminemment distin- guée, si capable de comprendre notre ami, de s’associer à ses nobles sentiments, et dont la destinée avait été de s'unir à deux hommes qui, dans deux genres différents, ont également honoré la France, accompagna son mari dans cet exil volontaire qui dura cinq ans. La vie publique, politique, militante de Salverte ne commença, à proprement parler, qu’en 1828. C’est en 1828 qu'un arrondissement électoral, composé des 3° et 5° arrondissements municipaux de Paris, confia à notre ami | honneur de le représenter à la Chambre des dé- putés. Cet honneur, sauf quelques semaines d’interrup- tion, lui a depuis été toujours continué par un arrondis- sement, le 5°, où le patriotisme constant, inébranlable des électeurs a su comprendre et mettre en action l’adage bien ancien, mais si plein de vérité : « L'union fait la force.» Pendant ses onze années de carrière législative, Salverte a été un modèle de fermeté, d'indépendance, de zèle et d'assiduité. Si quelquefois les procès-verbaux de nos séances ont été lus en présence d’un seul député, ce député était M. Salverte. Je ne sache pas que jamais il lui soit non plus arrivé de quitter la séance avant d’avoir entendu sortir de la bouche du président les pa- roles sacramentelles : « La séance est levée. » Notre siècle est devenu éminemment paperassier. Bien des personnes ont mis en doute la nécessité des innombrables distribu- tions officielles de discours, de rapports, de tableaux, de 730 EUSÈBE SALVERTE:- statistiques de toute nature qui journellémént envahissent nos demeures. On a été jusqu'à Soutenir que pas uñ député n’a eu jusqu'ici le temps et le courage de lire Ià totalité de ces imprimés : je ne trompe, Messieuré, 6h a fait une exception, une seule, et c’est M. Salverté qué le publie a cité. IF n’est personne qui, mettant de côté tout esprit de parti, ne se soit empressé de rendre hommage à la loyauté du député du 5° arrondissement de Paris: Peut- être n’a-t-on pas été aussi juste à d’autrés égards. Ne vous étonnéz donc pas que je regarde comine un devoir de repousser ici, en présence de cette tombe; lès repro- ches d’ainbition, d’étroitesse de vues en mâtières dé finances, de froideur, qui ont été bien légèrement adressés à notre excellent ami. L’ambitieux Salverte, puisque jé suis condamné à rap+ procher deux mots si peu faits pour se trouver ensemble; l'ambitieux Salverte n’a même jamais accepté ducün de ces colifichets, qui, sous le nom de décorations, de croix, de cordons, sont si étrangement recherchés de toutes les classés de la société. L’ambitieux Salverté, après les trois immiortelles journées, refusa la placé importante dé directeur-général des postes. Plus tard, l’ambitieux Salverte répondit à l'offre d’un ministère par des condi- tions si nettes, si précises, si libérales qu’ellés étaient dans $a pénsée, et qu’elles furent, én effet, considéréès comme l'équivalent d’un rejet formel. Quand où se rappelle l’excessive facilité des votes législatifs éñ matière d'impôt, la réservé, la rigueur de Salvérte, loin d'être un texte de reproche, me sémble un EUSEBE SÂLVERTE. 731 dés traits les plus honoräbles dé s4 carfièté parlémen- täiré. D'ailleurs, Messieurs, dans les questions où l'hoñ- feur, la dignité, les libertés de là Frañicé étaient eñ pro- blèné, totiles lés fois qu'il fallut stipuler des Secours é faveur des victimes de l’absolutisme, j'allais äjouter dés Vicliniés dé nôtre faiblesse, de fotre pusillanimité, l& vote äpprobalif de notre collègue fut-il jamais incértain ? Quänt À ceux qui, se laissänt abüsér par céftaiñés âpparñencés, 8 Sont trompés au point de préndré l’austé- rité dé Salverté pour de la froideur, pour de là séchérésse d'âme, jé leur démandérai S'ils ne l'ont pas vu boñdir &ür $6h siégé pendant la discussion des lois dé séptémbré; s'ils ont oublié là vigüeur, là vivé pérsistänce dé Sés âttaqués Contre la lotérié, cét impôt immoal, injustifiable, que l’administration prélevait naguère Sur l'ignorance ét la sottisé. N'est-ce pas, en très-Brandé partie, à l'indighation pré- fondé, aux répugnanées passionniéés qué touté institution côhtrairé aux strictes règlés de la morale éxcitait dafis le étuf n6bIé et élèvé dé nofre ami, qué là ville dé Paris est rédevablé de la SupprésSioti dé ces Maisons privilé- biées, peuplées d’agénts dé l'administrätion pabliqué, ét Qui n’en étaient pas moïns dé hideux tripots où là foftüne ét l'honrieür dés fainilles alläiéht chaque jour s'énéloutir. Sälverté, ditès-votis, était un homie froid, cofipassé ? Vous avez donc oublié, grand Dieu! les éolèrès juvénilés auxquelles il $’äbandonnait, quand le journal dû matin lai appoôñtait là nouvellé d’un de ces revirernients subits eg d'une dé ces capitulätions de coñsciericé qui, Si fréquéminient, hélas! depuis 1830, sont veñüs afligér 732 EUSÈBE SALVERTE. les âmes honnêtes? Vous ne voyez donc plus de quels flots de mépris il accablait ces êtres, rebut de l'espèce hu- maine, parasites de tous les partis, de toutes les opinions, et dont le métier est de chercher à arriver aux dignités par l’avilissement? | Oui, Messieurs, celui-là avait le cœur chaud, qui brisé par une année de cruelles souffrances, qui vivant parmi les morts et mort parmi les vivants, suivant la belle expression d’un savant illustre, rassemblait, il y a cinq jours encore, les derniers restes de ses forces, pour s’asso- cier à l’œuvre de progrès que ses amis politiques vien- nent d'entreprendre; qui nous prêtait l'appui de son nom vénéré; qui nous permettait d’invoquer au besoin l’autorité, toujours si respectable, des vœux et des pa- roles d’un mourant. Adieu, mon cher Salverte. Repose en paix dans cette tombe que tu avais toi-même choisie, à côté de la com- pagne dont la mort prématurée a si tristement contribué à abréger tes jours. Ta mémoire n’a rien à redouter des atteintes empestées de la calomnie. Elle est sous une quadruple égide : les larmes d’une famille adorée, les bénédictions d’une population rurale parmi laquelle tu répandais tes bienfaits avec tant de discernement, la profonde vénération de tous tes collègues, la confiance illimitée d’un des arrondissements de la capitale les plus populeux et les plus éclairés. Vois ces électeurs à qui tu avais voué une si profonde affection; ils se pressent en foule autour de tes restes inanimés; ils viennent rendre hommage au député fidèle, incorruptible, persévérant, à l’homme qui ne croyait pas combiner de vaines paroles, EUSÈBE SALVERTE. 733 lorsqu’en 1813, dans une épitre à la liberté, il écrivait cet alexandrin, devenu depuis son invariable devise : Le mensonge et la peur sont des vices d'esclaves. Ton souvenir, mon cher Salverte, est gravé dans le cœur de ces excellents citoyens en traits profonds; il sera durable comme le bronze de la médaille qu’ils t’offrirent en 1834, pour te dédommager du court moment d’oubli d’un très-petit nombre d’entre eux. Adieu, Salverte ! adieu ! CL FIN DU TOME DOUZIÈME DES OEUVRES TABLE DES MATIÈRES DU TOME DOUZIÈME LeTTRE À M. ALEXANDRE DE HUMBOLDT . ....... spas 2e M. LE BARON DE ZACH ET SA CORRESPONDANCE ASTRONOMIQUE. Sur LA PRISE DE POSSESSION DES DÉCOUVERTES SCIENTIFIQUES . SUR LES GHRONOMÈTRES ET LES PENDULES. SA RUE HOUR USE Rapporr sur un Mémoire de M. Daubuisson, relatif à la me- sure des hauteurs par le baromètre. ................. Rarrorr sur le baromètre de Bunten..,................... -RarrortT sur le Traité de géodésie de M. Puissant, .......... Raprorr sur un Mémoire de M. Daussy relatif à la détermi- nation des longitudes géographiques de Malte, de Milo et ARR. nn ste eme octo toonane ee RP ns ess os à Rar»porr sur des miroirs Construits par MM. Richer fils RaPporT sur les lunettes de spectacle de M. Lerebours...... Rarpogr sur un héliostat, un appareil à niveau et une bous- sole de déclinaison construits par M. Gambey. DUR Les: HYGROMÈTRES... 20010000: JE SENS Se NE. I. Lettre adressée aux rédacteurs des Annales de chimie et de physique, au sujet d’un passage qui a été inséré dans le numéro de juillet 14818 de la Bibliothèque universelle dééenèub sl 25985: . 25040 deu: pitsGs . IH. Description d’un hygromètre inventé par M. Savary... III. Observations hygrométriques faites à FObservatoire de 110 110 113 736 TABLE DES MATIÈRES. Rapport sur un Mémoire de M. Sanches, sur une prétendue Hi géométrie simplifiée................ Pets: RÉ hétd s ve 118 Rapport sur un Mémoire de M. Wronski....,.............. 120 Rapport sur un planétaire de M. Jambon.................. 196 RAPPORT sur un Ouvrage d’arithmétique de M. Thorin........ 197 RapporT sur l'ouvrage de M. Hachette, relatif à la théorie des lignes et des surfaces courbe /..........; ds. 128 Rapporr sur le Traité de géométrie descriptive de M. Vallée.. 134 RapporT sur le Traité de la science du dessin de M. Vallée... 134 RaPporT sur Jes pèse-liqueurs proposés par MM. Gay-Lussac, Benoist et Francœur;::7:3 7 #6 RS NS 136 RaPporT sur un Mémoire de M. le docteur Rouzé, intitulé : Découverte du départ anatomique, ou Explication du fameux problème de l'électricité générale. .......,:..: 146 Sur un galactoscopezsscismstuxx de Ès Road ee SU à 146 Sur l'emploi de la gélatine comme aliment.......... CAC a 155 Sur la formation des dolomies....:..,..::......: sOato #34 1409 Sur une grande masse de cuivre natif.............ss4%.ise 164 Sur une incrustation calcaire d'apparence nacrée........ id, 202 Sur la formation de l’île Julia. ........... se V0, DH . 165 Sur les cartes de Ténériffe............,... HER AT EAN Sur le dégagement du grisou...,.......,.:.,........ sta 88 Sur des recherches de fossiles dans le département du Gers.. 181 Sur le retour de M. Melloni dans sa patrie...,.............. 182 Sur Sir. HumBphry DAY... cs vor 0e an 183 Rapport sur un Mémoire de M. J.-N. Legrand, relatif à des variations qui ont été signalées dans la température de diverses sources thériiales. :. 02 SSSR. 185 Table des pressions et des températures auxquelles diverses substances gazeuses se liquéfient.....,...,.......:.... 189 Sur la dilatabilité de différentes natures de pierres et de ma- tériaux de construction.........,..........serssee 190 Sur les travaux inédits de M. Dulong, relatifs aux chaleurs spécifiques et aux chaleurs dégagées dans les combinai- sons chimiques..,......... Lhgrse e »-6 "wh:itS cl Pnoedt - é 192 Relation entre le degré de l’ébullition de l’eau et la pression.. 198 Sur le pont suspendu de Fribourg........... PP à PRES «+. 200 TABLE DES MATIÈRES. 737 Pages Sur la préservation des métaux. ............sr....... rar 200 Sur l'explosion. de la poudrière de Grenelle en 1794. mis. 205 Sur des éboulements qui ont eu lieu en mars 1818 dans st com- mune de Norroy, située à trois quarts de lieue au Res 1 LL LL. Cote tr 207 Sur les temblements de terre et les éruptions volcaniques En immune volet ea do qu 209 Sur les observations nétééribiques Pa dans la Biblio- thèque universelle de Genève... .... bis a Sr 266 SUR LES VENTS, LES OURAGANS ET LES TROMBES..... Der Ni L Sur un phénomène de météorologie, relatif à la direc- tion dans laquelle se propagent quelquefois les oura- SANS Le vom oo ee ce coin sie “hantass cons he 274 =. IL Sur la direction et la théorie des grands ouragans. Re : NL. Sur le contre-courant des vents alizés..…......... p-.s. 287 IV. Sur l'ouragan qui a dévasté la Guadeloupe le 26 juillet APS ee 9 RO A VS 291 V. Sur le transport des poussières à de grandes distances DU VONT 1. Has SU ae dB se SUR CES 1 293 … VI. Sur quelques trombes de terre..................... 295 vu Sur les trombes de méf.,1..24,%3 24430. 18 .. 324 VIII. Note historique sur les vents qui accompagnent les pluies d'orage 1.5 -0E0IR ER RUN: OR EURE TT 336 SUR LA PRESSION ATMOSPHÉRIQUE... dt Qt » 44 343 L_ Résultats des observations météorologiques faites. à Clermont-Ferrand, depuis le mois de juin 1806 jusqu’à la fin de 1813, par Ramond.— Comparaison avec les résultats des observations faites à la même époque à VAris OK N'OUASDONEN.. ....... ca ne. - 344 FH. Observations du baromètre faites pendant 37 ans à l'Observatoire de Paris, de 1816 à 1852, et résumé de Ces OS TAUONISe 2. ITR RR es vue + pe 349 UT. Sur les plus grands écarts du baromètre à Paris....... 366 IV. Influence du vent sur la pression barométrique..,.... 372 XIL. 47 738 _ TABLE DES MATIÈRES. Pages. V. Sur la variation de la période diurne barométrique avèc j les lieux? 5e09 DH Gp LESC VI. Variations du baromètre à la Havane ................ _ 380 VII. Sur la hauteur moyenne du baromètre réduite au niveau de la mer par différentes latitudes. ........ +=: D SUR LA PLUIE....,.....44:.. ae st Re er 390 I. Sur la composition des matières contenues dans les CMIX DO. 5 NS CE dd de 391 - II. Sur les quantités de pluie qui tombent à diverses hau- teurs au-dessus du S0!..,...:....12224.60...: 0 III. Sur la quantité de pluie qui tombe annuellement à Paris, -,..:,... 4e tnetemtescoe 418 IV. Du nombre moyen de jours de pluié par année à Pr nus ne Puce te Verve the SUIS UT 420 V. Sur les variations qu'éprouvent les quantités de pluie tombées en quelques lieux.:.............:.1,... : 424 4° Observations faites à Viviers.................... 421 2' Observations faites à Joyeuse......... ed a AUS 422 3° Observations faites à La Rochelle...... Neue 426 &° Observations faites à La Vallerie............,... 1428 5° Observations faites à Lille............2....:... 429 6° Observations faites dans les Bouches-du-Rhône... 429 7° Observations faites à Milan..........,...,,1:... 431 VI. De l'influence du déboisement sur les climats. ...... 432 VII. De la répartition des pluies par saisons à Paris... UE) VII. Répartition des pluies en Europe entre les différentes. saisons: «ii oh ion of siuquk DNS TON. 445 IX. De la variation des pluies avec la latitude. ......... 451 X. Répartition dé la pluie entre la nuit et le jour... 452 XL :Pluies des tropiques... .…...... #05 454 XII. De la pluie en Égypte................ RUES Pts XIII. Pluies mélées de corps étrangers. .... ...ese..e. 163 XIV. Sur les neiges rouges: .:.........:...,/200nu2,. 472 XV. Pluies par un temps serein ........:..:........... 488 XVI. Sur les prétendues pluies de crapands. ............ 492 TABLE DES MATIÈRES. 739 Pages XVIL. Pluies d’une abondance extraordinaire. ........... non XVIII. De la pluie en pleine mer.......... .......... ÉRRRES XIX. Des crues de la Seine, du niveau déc ce fleuve ti éaputs 1732, et des inondations constatées à Paris........ 500 SUR LA GRÊLE.......................... RAS Teese Le 519 I. Observations sur la forme et les dimensions de la grêle; sur les circonstances atmosphériques qui accompa- Or... ind sos see 519 ie degree ocioce. 526 UL. Formation des ROYAUX. ...:.2- PE ee PP Le ee 526 IV. De la formation définitive des grêlons................ 528 M rties 2.1 1 vtr. 504 Sur la découverte de la composition de l’eau............... 41 CR PR PER Re 545 Sur la colonisation de l'Algérie... .... PRE PPT 548 Discours sur l'Observatoire US ee eg tes DRE D va OA 553 Lettre sur l'Observatoire de Toulouse...................... 560 Lettre au président de la république de Bolivia, relative à la mesure d’un arc du méridien de Santa-Cruz........... 562 Sur la construction de l’église de la Madeleine. ............. 563 Lettre au préfet des Pyrénées orientales, relative à l’amélio- Ru Port Vondres... 5 5. Lt Se 567 Sur un embranchement de chemin de fer.............,.... 568 Projet de nouvelle organisation militaire de la France....... - 570 Recherches sur la fabrication des essieux de l'artillerie... 573 Exposé sommaire d’un mode de figurer sur les cartes le relief MT 42 TER re CO DE or PRES QT e - ee 576 Observations sur divers procédés suivis pour figurer le relief du terrain sur les cartes topographiques.............. 579 Discours sur la réforme électorale. ........................ 589 De l'organisation des écoles militaires. ........... ........ 615 SUR L'ORGANISATION DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. ......:..... 634 De l'ordonnance du 6 août 1830............... Pise: 635 Discussion de l’ordonnance de réorganisation du 13 no- vombre 1800285. .. He NS. sac Lo SR 644 740 TABLE DES MATIÈRES. Pages. Sur les prétendues préoccupations tique des élèves de l’École polytechnique... ... ‘4 murale 2y 3069 Sur le licenciement de l’École en 4814.........::4u..1/: 663 Sur mon professorat............ 180. léi ROSE... 673 Du corps enseignant de l’École polytechnique... ....... 676 DISCOURS SUR L'ENSEIGNEMENT... ccoese.con 692 LerrRe relative à une prétendue candidature à l’Académie franbaises. CPE ee QU RE ER Ea Le 70 LETTRE sur la découverte de MM. Niepce et Daguerre...….. pre, 728 EUSÈRE SALVERTE.., does 0e à etes «9 * 2000 (es ARR Tr: F F ne 11726 FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES DU TOME DOUZIÈME Q Arago, Dominique François 113 Jean A7 Oeuvres complètes 1854 t.12 Physical & Aprled Seb PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY EUR EN