i^i^u y^M, WJW -7/ ^■w Wk W U ŒUVRES G O M P L E ï E 6 DE BUFFON TOME XIX. .a^.é>e*i«.*«.â OISEAUX. I. r» IMPKIMF.RIE O A. BKKAUU . r.LE Dl. FOÎN-SAl^T JAC.OinS , >" f). OEUVRES COMPLETES DE BUFFON A L G 51 E N T E E s PAR M. F. CUVIER, MEMBRE DE l'iNSTITLT, i Ac;ulcr.iie di's Sciiiices) DE DEUX VOLUMES s u^ priment et ire s OFFRANT LA DESCRIPTION DES MAMMIFERES ET DES OISEAUX LES PLUS REMARQUABLES DÉCOUVERTS JUSOu'a CE JOUR, ET A t C O 11 P A G X U E S ])'u^ BEAU PORTRAIT DE BUFFOIV, ET DE 260 GRAVUKES E .\ TAILLE-DOUCE, EXÉCUTÉES POUR CETTE ÉDITIO?! PAR LES MEJLLEURS ARTISTES. A PARIS. CHEZ F. D. PILLOT, EDITEUl^, RUE DU FOUARRE , a" I9, PRES LA PLACE HIAUBERT : SALMON, LIBRAIRE, QUAI DES Aî;GUSTI\S; ^" IQ. 1829. ^x ^1 OISEAUX. I. f:i;FrON. XÎÂ. PLAN DE L'OUVRAGE SUR LES OISEAUX. JM ous n'entreprenons pas de donner ici une histoire des oiseaux, aussi complète, aussi détaillée que l'est celle des animaux quadrupèdes : cette première tâche , quoique longue et difficile à remplir, n etoit pas im- possible, parce que le nombre des quadrupèdes n'é- tant guère que de deux cents espèces, dont plus du tiers se trouve dans nos contrées ou dans les climats voisins, il étoit possible d'abord de donner l'histoire de ceux-ci d'après nos propres observations; que, dans le nombre des quadrupèdes étrangers, il y en a plusieurs de bien connus des voyageurs d'après les- quels nous pouvions écrire ; qu'enfin nous devions es- pérer, avec des soins et du temps, de nous les pro- curer presque tous pour les examiner; et l'on voit que nos espérances ont été remplies, puisqu'il l'exception d'un très petit nombre d'animaux qui nous sont arri- vés depuis, et que nous donnerons par supplément, nous avons fait l'histoire et la description de tous les quadrupèdes. Cet ouvrage est le fruit de près de vingt ans d'étude et de recherches ; et quoique pendant ce même temps nous n'ayons rien négligé pour nous in- struire sur les oiseaux et pour nous en procurer toutes les espèces rares, que nous ayons même réussi de ren- dre cette partie du Cabinet du roi plus nombreuse el plus complète qu'aucune autre collection du même 8 PLAN DE l'ouvrage genre qui soit en Europe, nous devons cependant convenir qu'il nous en manque encore un assez grand nombre. A la vérité, la plupart des espèces qui nous manquent manquent également partout ailleurs; mais ce qui nous prouve que nous sommes encore bien loin d'être complets, quoique nous ayons rassemblé plus de sept ou huit cents espèces, c'est que souvent il nous arrive de nouveaux oiseaux qui ne sont décrits nulle part, et que , d'un autre côté, il y en a plusieurs qui ont été indiqués par nos ornithologistes moder- nes, qui nous manquent encore, et que nous n'avons pu nous procurer. Il existe peut-être quinze cents, peut-être deux mille espèces d'oiseaux. Pouvons-nous espérer de les rassembler toutes? et cela n'est encore que l'une des moindres difficultés, que l'on pourra le- ver avec le temps; il y a plusieurs autres obstacles, dont nous avons surmonté quelques uns, et dont les autres nous paroissent invincibles. Il faut qu'on me permette d'entrer ici dans le détail de toutes ces diffi- cultés : cette exposition est d'autant plus nécessaire, que sans elle on ne concevroit pas les raisons du plan et de la forme de mon ouvrage. Les espèces dans les oiseaux sont non seulement en beaucoup plus grand nombre que dans les animaux quadrupèdes, .mais elles sont aussi sujettes à beaucoup plus de variétés ; c'est une suite nécessaire de la loi des combinaisons, où le nombre des résultats aug- mente en bien plus grande raison que celui des élé- ments : c'est aussi une règle que la nature semble s'être prescrite à mesure qu'elle se multiplie; car les grands animaux, qui ne produisent que rarement et en petit nombre , n'ont que peu d'espèces voisines SLR LES OISEALX. - Q €L point (le variétés, tandis que les petits tiennent à un grand nombre d'autres familles, et sont sujets, dans chaque espèce , à varier beaucoup, et les oiseaux paroissent varier encore beaucoup plus que les petits animaux quadrupèdes, parce qu'en général les oi- seaux sont plus nombreux, plus petits, et qu'ils pro- duisent en plus grand nombre. Indépendamment de cette cause générale, il y en a de particulières pour les variétés dans plusieurs espèces d'oiseaux. Le mâle et la femelle n'ont, dans les quadrupèdes, que des différences assez légères; elles sont bien plus grandes et bien plus apparentes dans les oiseaux : souvent la femelle est si différente du mâle par la grandeur et les couleurs, qu'on les croiroit chacun d'une espèce diverse. Plusieurs de nos naturalistes, même des plus habiles, s'y sont mépris, et ont donné le mâle et la femelle d'une même espèce comme deux espèces dis- tinctes et séparées : aussi le premier trait de la de- scription d'un oiseau doit être l'indication de la res- semblance ou de la différence du mâle et de la femelle. Ainsi, pour connoître exactement tous les oiseaux, un seul individu de chaque espèce ne suffit pas; il en faut deux, un mâle et une femelle; il en faudroit même trois ou quatre, car les jeunes oiseaux sont en- core très différents tles adultes et des vieux. Qu'on se représente donc que, s'il existe deux mille espèces d'oiseaux, il faudroit en rassembler huit mille individus pour les bien connoître, et l'on jugera facilement de l'impossibilité de faire une telle collection, qui aug- menteroit encore de plus du double, si l'on vouîoit la rendre complète, en y ajoutant les variétés de cha- que espèce, dont quelques unes, comme celle diL 10 PLAN DE LOUVllAGE coq OU du pigeon, se sont si fort multipliées, qu'il esl même difficile d'en faire l'entière énumération. Le grand nombre des espèces, le nombre encore plus grand des variétés, les différences de forme, de grandeur, de couleur, entre les mâles et les femelles, entre les jeunes, les adultes, et les vieux ; les diversi- tés qui résultent de l'influence du climat et de la nour- riture; celle que produit la domesticité, la captivité, le transport, les migrations naturelles et forcées; tou- tes les causes, en un mot, de changement, d'altéra- tion, de dégénération, en se réunissant ici et se mul- tipliant, multiplient les obstacles et les difficultés de l'ornithologie, à ne la considérer même que du côté de la nomenclature , c'est-à-dire de la simple connois- sance des objets : et combien ces difficultés n'augmen- tent-elles pas encore dès qu'il s'agit d'en donner la description et l'histoire! Ces deux parties, bien plus essentielles que la nomenclature, et que l'on ne doit jamais séparer en histoire naturelle, se trouvent ici très difficiles à réunir, et chacune a de plus des diffi- cultés particulières que nous n'avons que trop senties, par le désir que nous avions de les surmonter. L'une des principales est de donner par le discours une idée des couleurs ; car malheureusement les différences les plus apparentes entre les oiseaux portent sur les cou- leurs encore plus que sur les formes. Dans les ani- maux quadrupèdes, un bon dessin rendu par une gravure noire suffit pour la connoissance distincte de chacun, parce que les couleurs des quadrupèdes n'é- tant qu'en petit nombre et assez uniformes, on peut aisément les dénommer et les indiquer par le discours ; mais cela seroit impossible . ou du moins supposeroit SUR LES OISEAUX. 1 i une imuiensité de paroles , et de paroles très ennuyeu- ses, pour la description des couleurs dans les oiseaux; il n'y a pas même de termes en aucune langue pour en exprimer les nuances, les teintes, les reflets, et les mélanges ; et néanmoins les couleurs sont ici des caractères essentiels, et souvent les seuls par lesquels on puisse reconnoître un oiseau et le distinguer de tous les autres. J'ai donc pris le parti de faire non seulement graver , mais peindre les oiseaux à mesure que j'ai pu me les procurer vivants; et ces portraits d'oiseaux, représentés avec leurs couleurs, les font connoître mieux d'un coup d'œil que ne pourroit le faire une longue description aussi fastidieuse que difr- ficile, et toujours très imparfaite et très obscure. Nous aurons donc, au moyen de ces gravures co- loriées , la représentation exacte d'un très grand nom- bre d'oiseaux, leur grandeur, leur grosseur réelle et relative; nous aurons, au moyen des couleurs, une description aux yeux plus parfaite et plus agréable qu'il ne seroit possible de la faire par le discours, et nous renverrons souvent, dans tout le cours de cet ouvrage , à ces figures coloriées , dès qu'il s'agira de description, de variétés, et de différences de gran- deur, de couleur, etc. Dans le vrai, les planches en- luminées sont faites pour cet ouvrage , et l'ouvrage pour ces planches; mais comme il n'est pas possible d'en multiplier assez les exemplaires, que leur nom- bre ne suffit pas à beaucoup près à ceux qui se sont procuré les volumes de cette histoire naturelle , nous avons pensé que ce plus grand nombre, qui fait pro- prement le public, nous sauroit gré de faire aussi gra- ver d'autres planches noires, qui pourront se multi- ly PLAN DE L OUVRAGE plier autant qu'il sera nécessaire; et nous avons choisi pour cela un ou deux oiseaux de chaque genre, afin de donner une idée de leur forme et de leurs prin- cipales différences. Nous avons fait faire, autant qu'il a été possible , les dessins de ces gravures d'après les oiseaux vivants, et ce sont les mêmes que ceux des planches enluminées ; nous sommes persuadés que le public verra avec plaisir qu'on a mis autant de soin à ces dernières qu'aux premières. Par ces moyens et ces attentions, nous avons sur- monté les premières difficultés de la description des oiseaux : nous ne comptons pas donner absolument tous ceux qui nous sont connus, parce que le nombre de nos planches enluminées eût été trop considérable ; nous avons même supprimé à dessein quelques varié- tés; sans cela ce recueil deviendroit immense. Nous avons pensé qu'il falloit se borner à cent vingt ou cent trente planches, qvii contiendroient près de trois à quatre cents espèces d'oiseaux différents : ce n'est pas avoir tout fait, mais c'est déjà beaucoup; d'autres, dans d'autres temps, pourront nous compléter, ou faire encore plus et peut-être mieux. Après les difficultés que nous venons d'exposer sur la nomenclature et sur la description des oiseaux, il s'en présente d'autres encore plus grandes sur leur histoire. Nous avons donné celle de chaque espèce d'animal quadrupède dans tout le détail que le sujet exige : il ne nous est pas possible de faire ici de même ; car, quoiqu'on ait avant nous beaucoup plus écrit sur les oiseaux que sur les animaux quadrupèdes, leur histoire n'en est pas plus avancée. La plus grande partie des ouvrages de nos ornithologues ne contien- SUR LES OISEAUX. 1 ,> lient que des descriptions, et souvent se rétluisenl à une simple nomenclature; et, dans le très petit nom- bre de ceux qui ont joint quelques faits historiques à leur description , on ne trouve guère que des choses communes, aisées à observer sur les oiseaux de chasse et de basse-cour. Nous ne connoissons que très impar- faitement les habitudes naturelles des autres oiseaux de notre pays, et point du tout celles des oiseaux étrangers. A force d'étude et de comparaisons, nous avons au moins trouvé dans les animaux quadnipèdes des faits généraux et des points fixes, sur lesquels nous nous sommes fondés pour faire leur histoire particu- lière : la division des animaux naturels et propres à chaque continent a souvent été notre boussole dans cette mer d'obscurité , qui sembloit environner cette belle et première partie de l'histoire naturelle ; ensuite les climats dans chaque continent que les animaux quadrupèdes affectent de préférence ou de nécessité , et les lieux où ils paroissent constamment attachés, nous ont fourni des moyens d'être mieux informés, et des renseignements pour être plus instruits. Tout cela nous manque dans les oiseaux : ils voyagent avec tant de facilité de provinces en provinces, et se trans- portent en si peu de temps de climats en climats, qu'à l'exception de quelques espèces d'oiseaux pesants ou sédentaires il est à croire que les autres peuvent passer d'un continent à l'autre ; de sorte qu'il est bien difficile , pour ne pas dire impossible , de reconnoître les oiseaux propres et naturels à chaque continent, et que la plu- part doivent se trouver également dans tous deux, ao lieu qu'il n'existe aucun quadrupède des parties mé- ridionales d'un continent dans l'autre. Le quadrupède l4 PL AIN DE l'oIjVRAGE est force de subir les lois du climat sous lequel il est né : l'oiseau s'y soustrait et en devient indépendant par la faculté de pouvoir parcourir en peu de temps des espaces très grands; il n'obéit qu'à la saison; et cette saison qui lui convient, se retrouvant successi- vement la même dans les différents climats, il les par- court aussi successivement; en sorte que, pour savoir leur histoire entière, il faudroit les suivre partout, et commencer par s'assurer des principales circonstances de leurs voyages; connoître les routes qu'ils prati- quent, les lieux de repos où ils gîtent, leur séjour dans chaque climat, et les observer dans tous ces en- droits éloignés. Ce n'est donc qu'avec le temps, et je puis dire dans la suite des siècles, que l'on pourra donner l'histoire des oiseaux aussi complètement que nous avons donné celle des animaux c[uadrupè- des. Pour le prouver, prenons un seul oiseau, par exemple, l'hirondelle, celle que tout le monde con- noît, qui paroît au printemps, disparoît en automne, et fait son nid avec de la terre contre les fenêtres ou dans les cheminées : nous pourrons, en les observant, rench-e un compte fidèle et assez exact de leurs mœurs, de leurs habitudes naturelles, et de tout ce qu'elles font pendant les cinq ou six mois de leur séjour dans notre pays; mais on ignore tout ce qui leur arrive pendant leur absence; on ne sait ni où elles vont, ni d'où elles viennent : il y a des témoignages pour et contre au sujet de leurs migrations; les uns assurent qu'elles voyagent et se transportent dans les pays chauds pour y passer le temps de notre hiver; les au- tres prétendent qu'elles se jettent dans les marais, et qu'elles v demeurent engourdies juscpi'au retour du SUR LES OISEAUX. 1 :> printemps : et ces faits, quoique directement oppo- sés, paroissent néanmoins également appuyés par des obsei'vations réitérées. Comment tirer la vérité du sein de ces contradictions? comment la trouver au milieu de ces incertitudes? J'ai fait ce que j'ai pu pour la démêler; et l'on jugera, par les soins qu'il faudroit se donner et les recherches qu'il faudroit faire pour éclaircir ce seul fait, combien il seroit difficile d'ac- quérir tous ceux dont on auroit besoin pour faire l'histoire complète d'un seul oiseau de passage, et à plus forte raison l'histoire générale des voyages de lous. Comme j'ai trouvé que, dans les quadrupèdes, il y a des espèces dont le sang se refroidit et prend à peu près le degré de la température de l'air, et que c'est ce refroidissement de leur sang qui cause l'état de torpeur et d'engourdissement où ils tombent et demeurent pendant l'biver, je n'ai pas eu de peine à me persuader qu'il clevoit aussi se trouver parmi les oiseaux quelques espèces sujettes à ce même état d'en- gourdissement causé par le froid ; il me paroissoit seu- lement que cela devoit être plus rare parmi les oiseaux , parce qu'en général le degré de la chaleur de leur corps est un peu plus grand que celui du corps de l'homme et des animaux quadrupèdes. J'ai donc fait des recherches pour connoître quelles peuvent être ces espèces sujettes à l'engourdissement, et, pour sa- voir si l'hirondelle étoit du nombre , j'en ai fait enfer- mer quelques unes dans une glacière où je les ai tenues plus ou moins de temps : elles ne s'y sont point engourdies, la plupart y sont mortes, et aucune n'a repris de mouvement aux rayons du soleil ; les autres. l6 VLm DE l'oLVRAGE qui ii'avoienl souffert le froid de la glacière que pen- dant peu de temps, ont conservé leur mouvement, et en sont sorties Ijien vivantes. J'ai cru devoir conclure de ces expériences que celte espèce d'hirondelle n'est point sujette à l'état de torpeur ou d'engourdisse- ment, que suppose néanmoins et très nécessairement le fait de leur séjour au fond de l'eau pendant l'hiver. D'ailleurs, m'étant informé auprès de cpieîques voya- geurs dignes de foi , je les ai trouvés d'accord sur le passage des hirondelles au delà de la Méditerranée ; et M. Adanson m'a positivement assuré que, pendant le séjour assez long qu'il a fait au Sénégal, il avoit vu constamment les hirondelles à longue queue, c'est- à-dire nos hirondelles de cheminée dont il est ici question , arriver au Sénégal dans la saison même où elles partent de France , et quitter les terres du Séné- gal au printemps. On ne peut donc guère douter que cette espèce d'hirondelle ne passe en effet d'Europe en Afrique en automne, et d'Afrique en Europe au printemps : par conséquent elle ne s'engourdit pas, ni ne se cache dans des trous, ni ne se jette tlans l'eau à l'approche de l'hiver; d'autant qu'il y a un autre fait , dont je me suis assuré , qui vient à l'appui des précé- dents, et prouve encore que cette hirondelle n'est point sujette à l'engourdissement par le froid, et qu'elle en peut supporter la rigueur jusqu'à un certain degré , au delà duquel elle périt ; car si l'on ohserve ces oiseaux quelque temps avant leur départ, on les voit d'ahord vers la fui de la helle saison voler en fa- mille, le père, la mère et les petits; ensuite plusieurs familles se réunir et former successivement des troupes d'autant plus nombreuses que le temps du dépari est SLR LES OISEALX. 1" j plus prochain, partir enfin presque toutes ensemble en trois ou quatre jours à la fin de septembre ou au commencement d'octobre : mais il en reste quelques unes, qui ne partent que huit jours, quinze jours, trois semaines après les autres, et quelques unes en- core qui ne partent point et meurent aux premiers grands froids ; ces hirondelles qui retardent leur voyage sont celles dont les petits ne sont pas encore assez forts pour les suivre. Celles dont on a détruit plusieurs fois les nids après la ponte , et qui ont perdu du temps à les reconstruire et à pondre une seconde ou troisième fois, demeurent par amour pour leurs petits, et aiment mieux souffrir l'intempérie de la saison que de les abandonner : ainsi elles ne partent qu'après les autres, ne pouvant emmener plus tôt leurs petits; ou même elles restent au pays pour y moLirir avec eux. Il paroît donc bien démontré par ces faits que les hirondelles de cheminée passent successivement et alternativement de notre climat dans un climat plus chaud; dans celui-ci pour y demeurer pendant l'été, et dans l'autre pour y passer l'hiver; et que par consé- quent elles ne s'engourdissent pas. Mais, d'un autre côté, que peut-on opposer aux témoignages assez pré- cis des gens qui ont vu des hirondelles s'attrouper et se jeter dans les eaiix à l'approche de l'hiver, qui non seulement les ont vues s'y jeter, mais en ont vu tirer de l'eau, et même de dessous la «lace avec des filets? que répondre à ceux qui les ont vues dans cet état de torpeur reprendre peu à peu le mouvement et la vie en les mettant dans un lieu chaud, et en les appro- chant du feu avec précaiJlion? Je ne trouve qu'un l8 PLAN DE l'ouvrage moyen de concilier ces faits; c'est de dire que l'hi- rondelle qui s'engourdit n'est pas la même que celle qui voyage , que ce sont deux espèces différentes que l'on n'a pas distinguées faute de les avoir soigneuse- ment comparées. Si les rats et les loirs étoient des animaux aussi fugitifs et aussi difficiles à observer que les hirondelles, et que, faute de les avoir regardés d'assez près, l'on prît les loirs poiu' des rats, il se trouveroit la même contradiction entre ceux qui assu- reroient que les rats s'engourdissent, et ceux qui soutiendroient qu'ils ne s'engourdissent pas. Cette erreur est assez naturelle , et doit être d'autant plus fréquente que les choses sont moins connues, plus éloignées, plus difficiles à observer. Je présume donc qu'il V a en effet une espèce d'oiseau voisine de celle de l'hirondelle, et peut-être aussi ressemblante à l'hi- rondelle que le loir l'est au rat, qui s'engourdit en effet ; et c'est vraisemblablement le petit martinet , ou peut-être l'hirondelle de rivage. Il faudroit donc faire sur ces espèces, pour reconnoître si leur sang se re- froidit , les mêmes expériences que j'ai faites sur l'hi- rondelle de cheminée. Ces recherches ne demandent, à la vérité, que des soins et du temps; mais malheu- reusement le temps est de toutes les choses celle cjui nous appartient le moins et nous manque le plus. Quelqu'un qui s'appliqueroit uniquement à observer les oiseaux, et qui se dévoueroit même à ne faire que l'histoire d'un seul genre , seroit forcé d'employer plu- sieurs années à cette espèce de travail dont le résultat ne seroit encore qu'une très petite partie de l'his- toire générale des oiseaux : car, pour ne pas perdre de vue l'exemple que nous venons de donner, sup- SUR LES OISEAUX. \g posons qu'il soit bien certain que l'hirondelle voya- geuse passe d'Europe en Afrique , et posons en même temps que nous ayons bien observé tout ce qu'elle l'ait pendant son séjour dans notre climat, que nous en ayons bien rédigé les faits; il nous manquera en- core tous ceux qui se passent dans le climat éloigné : nous ignorons si ces oiseaux y nichent et pondent comme en Europe ; nous ne savons pas s'ils arrivent en plus ou moins grand nombre qu'ils en sont partis; nous ne connoissons pas quels sont les insectes sur lesquels ils vivent dans cette terre étrangère; les autres circonstances de leur voyage, de leur repos en route, de leur séjour, sont également ignorées; en sorte que l'histoire naturelle des oiseaux, donnée avec autant de détail que nous avons donné l'histoire des animaux quadrupèdes, ne peut être l'ouvrage d'un seul homme, ni même celui de plusieurs hommes dans le môjne temps, parce que non seulement le nombre des choses qu'on ignore est bien plus grand que celui des choses que l'on sait, mais encore parce que ces mêmes choses qu'on ignore sont presque impossibles ou du moins très dilFiciles à savoir, et que d'ailleurs, comme la plupart sont petites, inutiles, ou de peu de consé- quence, les bons esprits ne peuvent manquer de les dédaigner, et cherchent à s'occuper d'objets plus grands ou plus utiles. C'est par toutes ces considérations que j'ai cru de- voir me former un plan différent , pour l'histoire des oiseaux , de celui que je me suis proposé et que j'ai tâché de remplir pour l'histoire des quadrupèdes. Au lieu de traiter les oiseaux un à un, c'est-à-dire par es- pèces distinctes et séparées , je les réunirai plusieurs •^O PLAN DE L OUVRAGE ensoniblo sous im mcnic genre, sans cependant les confondre el: renoncer à les distinguer lorsqu'elles pourront letre ; parce moyen j'ai beaucoup abrégé, et j'ai réduit à une assez petite étendue cette histoire des oiseaux , qui seroit devenue trop volumineuse , si d'un côté j'eusse traité de chaque espèce en particu- lier, en me livrant aux discussions de la nomencla- ture , et que d'autre côté je n'eusse pas supprimé , par le moyen des couleurs , la plus grande partie du long discours qui eût été nécessaire pour chaque descrip- tion. Il n'y aura donc guère que les oiseaux domesti- ques et quelques espèces majeures , ou particuliè- rement remarquables , que je traiterai par articles séparés. Tous les autres oiseaux , surtout les plus petits , seront réunis avec les espèces voisines, et présentés ensemble , comme étant à peu près du même naturel et de la même famille ; le nombre des affinités, comme celui des variétés , est toujours d'autant plus grand que les espèces sont plus petites. Un moineau, une fauvette , ont peut-être chacun vingt fois plus de pa- rents que n'en ont l'autruche ou le dindon : j'entends par le nombre de parents le nombre des espèces voi- sines et assez ressemblantes pour pouvoir être regar- dées comme des branches collatérales d'une même lige, ou d'une tige si voisine d'une autre qu'on peut lenr supposer une souche commune, et présumer que toutes sont originairement issues de cette même sou- che à laquelle elles tiennent encore par ce grand nom- bre de ressemblances communes entre elles; et ces espèces voisines ne se sont probablement séparées les unes des autres que par les influences du climat , de la nom^riture, et par la succession du temps, qui SUR LES OISEAUX. 2 1 amène toutes les combinaisons possibles , et met au jour tous les moyens de variété, de perfection, d'al- tération, et de dégénération. Ce n'est pas que nous prétendions que chacun de nos articles ne contiendra réellement et exclusive- ment que les espèces qui ont en effet le degré de pa- renté dont nous parlons : il faudroit être plus instruit que nous ne le sommes et que nous ne pouvons l'être , sur les effets du mélange des espèces et sur leur pro- duit dans les oiseaux ; car, indépendamment des va- riétés naturelles et accidentelles qui, comme nous l'avons dit, sont plus nombreuses, plus multipliées dans les oiseaux que dans les quadrupèdes , il y a en- core une autre cause qui concourt avec ces variétés pour augmenter, en apparence, la quantité des es- pèces. Les oiseaux sont, en général, plus chauds et plus prolifiques que les animaux quadrupèdes ; ils s'u- nissent plus fréquemment ; et , lorsqu'ils manquent de femelles de leurs espèces, ils se mêlent plus volon- tiers que les quadrupèdes avec les espèces voisines, et produisent ordinairement des métis féconds, et non pas des mulets stériles : on le voit par les exemples du chardonneret, du tarin, et du serin; les métis qu'ils produisent peuvent, en s'unissant, produire d'autres in- tlivitlus semblables à eux, et former par conséquent de nouvelles espèces intermédiaires, et plus ou moins res- semblantes à celles dont elles tirent leur origine. Or tout ce que nous faisons par art peut se faire, et s'est fait mille et mille fois par la nature : il est donc sou- vent arrivé des mélan2;es fortuits et volontaires entre les animaux, et surtout parmi les oiseaux, qui souvent, iaiitc de leur femelle , se servent du premier mâle qu'ils i:;irFo>'. xîx. -2 ^2 PLAN DE L OUVRAGE rencontrent, ou du premier oiseau qui se présente: le besoin de s'unir est chez eux d'une nécessité si pres- sante, que la plupart sont malades et meurent quand on les empêche d'y satisfaire. On voit souvent dans les basses-cours un coq sevré de poules se servir tl'un autre coq, d'un chapon, d'un dindon, d'un canard; on voit le faisan se servir de la poule ; on voit dans les volières le serin, le linot rouge et la linotte commune , se cher- cher pour s'unir : et qui sait tout ce qui se passe en amour au fond des bois ? qui peut nombrer les Jouis- sances illégitimes entre gens d'espèces différentes? qui pourra jamais séparer toutes les branches bâtardes des tiges légitimes, assigner le temps de leur première origine, déterminer, en un mot, tous les effets des puissances de la nature pour la multiplication, toutes ses ressources dans le besoin, tousles suppléments qui en résultent , et qu'elle sait employer pour augmen- ter le nombre des espèces , en remplissant les inter- valles qui semblent les séparer? Notre ouvrage contiendra à peu près tout ce qu'on sait des oiseaux , et néanmoins ce ne sera, comme l'on voit, qu'un sommaire, ou plutôt une esquisse de leur histoire : seulement cette esquisse sera la première qu'on ait faite en ce genre ; car les ouvrages anciens et nouveaux auxquels on a donné le titre d'Histoire des 0/s^rtt/a; ne contiennent presque rien d'historique. Tout imparfaite que sera notre histoire, elle pourra servir à la postérité pour en faire une plus complète et meil- leure ; je dis à la postérité , car je vois clairement qu'il se passera bien des années avant que nous soyons aussi instruits sur les oiseaux que nous le sommes aujour- d'hui sur les quadinipèdes. Le seul snoyen d'avancer SUR LES OISEAUX. '27> l'ornithologie historique seroit de faire l'histoire par- ticulière des oiseaux de chaque pays; d'abord de ceux d'une seule province, ensuite de ceux d'une province voisine, puis de ceux d'une autre plus éloignée; réu- nir après cela ces histoires particulières pour composer celle de tous les oiseaux d'un même climat; faire la même chose dans tous les pays et dans tous les diffé- rents climats; comparer ensuite ces histoires particu- lières, les combiner pour en tirer les faits et former un corps entier de toutes ces parties séparées. Or qui ne voit que cet ouvrage ne peut être que le produit du temps? Quand y aura-t-il des observateurs qui nous rendront compte de ce que font nos hirondelles au Sé- négal et nos cailles en Barbarie? qui seront ceux qui nous informeront des mœurs des oiseaux de la Chine ou du Monomotapa? et, comme je l'ai déjà fait sentir, cela est-il assez important, assez utile, pour que bien des gens s'en inquiètent ou s'en occupent? Ce que nous donnons ici servira donc long-temps comme une base ou comme un point de ralliement auquel on pourra rapporter les faits nouveaux que le temps amè- nera. Si l'on continue d'étudier et de cultiver l'histoire naturelle, les faits se multiplieront, les connoissances augmenteront; notre esquisse historique, dont nous n'avons pu tracer que les premiers traits, se remplira peu à peu, et prendra plus de corps : c'est tout ce que nous pouvons attendre du produit de notre travail, et c'est peut-être trop espérer encore , et en môme temps trop nous étendre sur son peu de valeur. iv\vv\\\v\\\v\\v\ v^\v\\\v\\^v^^\vv^w^\\x•\\^xv\vv\\\v\\\v^\\\ \\\vv\\v\\\\AV\v\\\v\\\> DISCOURS SUR LA NATURE DES OISEAUX. J_iE mot nature a dans noire langue, et dans la plu- part des autres idiomes anciens et modernes, deux acceptions très différentes : l'une suppose un sens actif et général ; lorsqu'on nomme la nature purement et simplement , on en fait une espèce d'être idéal auquel on a coutume de rapporter, comme cause, tous les effets constants , tous les phénomènes de l'univers : l'autre acception ne présente qu'un sens passif et par- ticulier, en sorte que lorsqu'on parle de la nature de l'homme, de celle des animaux, tle celle des oiseaux, ce mot signifie, ou plutôt indique et comprend dans sa signification , la quantité totale , la somme des qua- lités dont la nature, prise dans la première acception, a doué l'homme, les animaux, les oiseaux, etc. Ainsi la nature active, en produisant les êtres, leur imprime un caractère particulier qui fait leur nature propre et passive, de laquelle dérive ce qu'on appelle leur na- turel j, leur instinct^ et toutes leurs autres habitudes et facultés naturelles. Nous avons déjà traité de la nature de l'homme et de celle des animaux quadrupèdes : la nature des oiseaux demande des considérations parti- culières; et quoique, à certains égards, elle nous soit moins connue que celle des quadrupèdes, nous tache- rons néanmoins d'en saisir les principaux attrihuls. el SLR LA SATIRE DES OISEALX. 2;> de la présenter SOUS son véritable aspect, c'est-à-dire avec les traits caractéristiques et généraux qui la con- stituent. Le sentiment ou plutôt la faculté de sentir, l'in- stinct qui n'est que le résultat de cette faculté, et le naturel qui n'est que l'exercice habituel de l'instinct guidé et même produit par le sentiment, ne sont pas, à beaucoup près, les mêmes dans les différents êtres : ces qualités intérieures dépendent de l'organisation en général , et en particulier de celle des sens; et elles sont relatives, non seulement à leur plus ou moins {Trand degré de perfection, mais encore à l'ordre de supériorité que met entre les sens ce degré de perfec- tion ou d'imperfection. Dans l'homme, où tout doit être jugement et raison, le sens du toucher est plus parfait que dans l'animal , où il y a moins de jugement que de sentiment; et au contraire l'odorat est plusparfait dans l'animal que dans l'homme , parée que le toucher est le sens de la connoissance , et que l'odorat ne peut être (|ue celui de sentiment. Mais comme peu de gens dis- tinguent nettement les nuances qui séparent les idées et les sensations, la connoissance et le sentiment, la raison et l'instinct, nous mettrons àpart ce que nous ap- pelons chez nous raisonnement ^ discernement ^ j^'^S^' mentj, et nous nous bornerons à comparer les différents produits du simple sentiment et à rechercher les causes de la diversité de l'instinct, qui, quoique varié à Tin- fini dans le nombre immense des espèces d'animaux qui tous en sont pourvus, paroit néanmoins être plus constant, plus uniforme, plus régulier, moins capri- cieux, moins sujet à l'erreur, que ne l'est la raison dans la seule espèce qui croit la ])osséder. !^6 DISGOLllS En comparant les sens, qui sont les premières puis- sances motrices de l'instinct dans tous les animaux, nous trouverons d'a])ord que le sens de la vue est plus étendu, plus vif , plus net, et plus distinct dans les oiseaux en général que dans les quadrupèdes : je dis en général, parce qu'il paroît y avoir des excep- tions des oiseaux qui , comme les hiboux , voient moins qu'aucun des quadrupèdes; mais c'est un effet par- ticulier que nous examinerons à part; d'autant que si ces oiseaux voient mal pendant le jour, ils voient très bien pendant la nuit, et que ce n'est que par un excès de sensibilité dans l'organe qu'ils cessent devoir aune grande lumière. Cela môme vient à l'appui de notre assertion : car la perfection d'un sens dépend princi- palement du degré de Sa sensibilité ; et ce qui prouve qu'en effet l'œil est plus parfait dans l'oiseau, c'est que la nature l'a travaillé davantage. Il y a, comme l'on sait, deux membranes de plus, l'une extérieure et Tatitre intérieure, dans les yeux de tous les oiseaux, qui ne se trouvent pas dans l'homme : la première ^, c'est-à-dire la plus extérieure de ces membranes, est placée dans le grand angle de l'œil ; c'est une seconde paupière plus transparente que la première , dont les mouvements obéissent également à la volonté, dont l'usage est de nettoyer et polir la cornée , et qui leur sert aussi à tempérer l'excès de la lumière , et ménager par conséquent la grande sensibilité de leurs yeux : la seconde est située au fond de l'œil , et paroît être un épanouissement du nerf optique, qui, recevant plus 1. Cette paupière interne se trouve dans plusieurs animaux c[ua- drupèdes: mais dans la plupart elle n'est pas mobile comme dans les oiseaux. su 11 LA NATURE DES OISEAUX. 'l-J immédiatement les impressions de la lumière, doit dès lors être plus aisément ébranlé , plus sensible qu'il ne l'est dans les autres animaux; et c'est cette grande sensibilité qui rend la vue des oiseaux bien plus par- faite et beaucoup plus étendue. Un épervier voit d'en baut et de vingt fois plus loin une alouette sur une motte de terre , qu'un homme ou un chien ne peuvent l'apercevoir. Un milan, qui s'élève à une hauteur si grande que nous le perdons de vue, voit de là les petits lézards, les mulots, les oiseaux, et choisit ceux sur lesquels il veut fondre ; et cette plus grande éten- due dans le sens de la vue est accompagnée d'une netteté , d'une précision tout aussi grande , parce que l'organe étant en même temps très souple et très sen- sible, l'œil se renfle ou s'aplatit, se couvre ou se dé- couvre , se rétrécit ou s'élargit , et prend aisément , promptement et alternativement toutes les formes nécessaires pour agir et voir parfaitement à toutes les lumières et à toutes les distances. D'ailleurs le sens de la vue étant le seul qui produise les idées du mouvement , le seul par lequel on puisse comparer immédiatement les espaces parcourus, et les oiseaux étant de tous les animaux les plus habiles, les plus propres au mouvement , il n'est pas étonnant qu'ils aient en même temps le sens qui le guide plus parfait et plus sûr; ils peuvent parcourir dans un très petit temps un grand espace, il faut donc qu'ils en voient l'étendue et même les limites. Si la nature , en leur donnant la rapidité du vol, les eût rendus myo- pes, ces deux qualités eussent été contraires; l'oiseau n'auroit jamais osé se servir de sa légèreté, ni prendre un essor rapide; il n'auroit fait que voltiger lentement. 2S DISCOURS dans la crainte des chocs et des résistances impré- vues. La seule vitesse avec laquelle on voit voler un oiseau peut indiquer la portée de sa vue ; je ne dis pas la portée absolue, mais relative : un oiseau dont le vol est très vif, direct, et soutenu, voit certainement plus loin qu'un autre de même forme, qui néanmoins se meut plus lentement et plus obliquement ; et si jamais la nature a produit des oiseaux à vue courte et à vol très rapide , ces espèces auront péri par cette contra- riété de qualité, dont l'une non seulement empêche l'exercice de l'autre , mais expose l'individu à des ris- ques sans nombre : d'où l'on doit présumer que les oiseaux dont le vol est le plus court et le plus lent sont ceux aussi dont la vue est la moins étendue ; comme l'on voit , dans les quadrupèdes , ceux qu'on nomme paresseux ( l'unau et l'aï ) , qui ne se meuvent que lentement , avoir les yeux couverts et la vue basse. L'idée du mouvement et toutes les autres idées qui l'accompagnent ou qui en dérivent, telles que celles des vitesses relatives, de la grandeur des espaces, de la proportion des hauteurs, des profondeurs, et des inégalités des surfaces , sont donc plus nettes et tien- nent plus de place dans la tête de l'oiseau que dans celle du quadrupède : et il semble que la nature ait voulu nous indiquer cette vérité par la proportion qu'elle a mise entre la grandeur de l'œil et celle de la tête; car, dans les oiseaux, les yeux sont proportion- nellement beaucoup plus grands que dans l'homme et dans les animaux quadrupèdes : ils sont plus grands, plus organisés , puisqu'il y a deux membranes de plus ; ils sont donc plus sensibles ; et dès lors ce sens de la SUR LA NATURE DES OISEAUX. 'JL) vue plus étendu, plus distinct, et plus vif dans l'oi- seau que dans le quadrupède, doit influer en même proportion sur l'organe intérieur du sentiment, en sorte que rinstinct des oiseaux sera, par cette pre- mière cause , modifié diÛéremment de celui des qua- drupèdes. Une seconde cause qui vient à l'appui de la pre- mière , et qui doit rendre l'instinct de l'oiseau diffé- rent de celui du quadrupède , c'est l'élément qu'il habite et qu'il peut parcourir sans toucher à la terre. L'oiseau connoît peut-être mieux que l'homme tous les degrés de la résistance de l'air, de sa température à difïerentes hauteurs, de sa pesanteur relative, etc. Il prévoit plus que nous, il indiqueroit mieux que nos baromètres et nos thermomètres les variations, les changements qui arrivent à cet élément mobile; mille et mille fois il a éprouvé ses forces contre celles du vent, et plus souvent encore il s'en est aidé pour voler plus vite et plus loin. L'aigle, en s'élevant au dessus des nuages ^, peut passer tout à coup de l'orage dans le calme, jouir d'un ciel serein et d'une lumière pure * 1. On peut démontrer que l'aigle et les autres oiseaux de haut vol s'élèvent à une hauteur supérieure à celle des nuages en parlant même du milieu d'une plaine, et sans supposer qu'ils gagnent les montagnes qui pourroient leur servir d'échelons; car on les voit s'élever si haut, qu'ils disparoissent à notre vue. Or l'on sait qu'un objet éclairé par la lumière du jour ne disparoît à nos yeux qu'à la distance de trois mille quatre cent trente-six fois son diamètre, et que par conséquent, si l'on suppose l'oiseau placé perpendiculairement au dessus de l'homme qui le regarde, et que le diamètre du vol ou l'envergure de cet oiseau soit de cinq pieds, il ne peut disparoUre qu'à la distance de dix-sept mille cent quatre-vingts pieds ou deux mille liuit cent soixante-trois toises; ce qui fait une hauteur bien plus grande que celle des nuages, surtout de ceux qui produisent les orages. .)0 DISCOL'KS îaadis que les autres animaux dans l'ombre sont battus de la tempête ; il peut en vingt-quatre heures changer de climat, et, planant au dessus tles différentes con- trées , s'en former un tableau dont l'homme ne peut avoir d'idée. ]\os plans à vue d'oiseau , qui sont si longs, si difficiles à faire avec exactitude, ne nous donnent encore que des notions imparfaites de l'inégalité re- lative des surfaces qu'ils représentent : l'oiseau, qui a la puissance de se placer dans les vrais points de vue et de les parcourir promptement et successivement en tous sens, en voit plus d'un coup d'œil que nous ne pouvons en estimer, en juger par nos raisonnements, même aponyés de toutes les combinaisons de notre art; et le quadrupède, borné, pour ainsi dire, à la motte de terre sur laquelle il est né, ne connoît que sa vallée, sa montagne , ou sa plaine; il n'a nulle idée de l'ensemble des surfaces, nulle notion des grandes distances, nul désir de les parcourir; et c'est par cette raison que les grands voyages et les migrations sont aussi rares parmi les quadrupèdes qu'elles sont fré- quentes dans les oiseaux; c'est ce désir, fondé sur la connoissance des lieux éloignés, sur la puissance qu'ils se sentent de s'y rendre en peu de temps, sur la no- tion anticipée des changements de l'almosphère et de l'arrivée des saisons, qui les détermine à partir ensem- ble et d'un commun accord : des que les vivres com- mencent à leur manquer, dès que le froid ou le chaud les incommodent, ils méditent leur retraite; d'abord ils semblent se rassembler de concert pour entraîner leurs petits, et leur communiquer ce même désir de changer de climat, que ceux-ci ne peuvent encore avoir acquis par aucune notion , aucune connoissance » SUR LA NATURE DES OISEAUX. 5l aucune expérience précédente. Les pères et mères rassemblent leur famille pour la guider pendant la traversée, et toutes les familles se réunissent, non seulement parce que tous les chefs sont animés du même désir, mais parce qu'en augmentant les trou- pes ils se trouvent en force pour résister à leurs en- n émis. Et ce désir de changer de climat, qui communé- ment se renouvelle deux fois par an, c'est-à-dire en automne et au printemps, est une espèce de besoin si pressant, qu'il se manifeste dans les oiseaux captifs par les inquiétudes les plus vives. Nous donnerons, à l'article de la caille, un détail d'observations à ce su- jet, par lesquelles on verra que ce désir est Tune des affections les plus fortes de l'instinct de l'oiseau ; qu'il n'y a rien qu'il ne tente dans ces deux temps de l'an- née pour se mettre en liberté , et que souvent il se donne la mort par les efforts qu'il fait pour sortir de sa captivité ; au lieu que dans tous les autres temps il paroît la supporter tranquillement, et même chérir sa prison, s'il s'y trouve renfermé avec sa femelle dans la saison des amours : lorsque celle de la migration approche, on voit les oiseaux libres, non seulement se rassembler en famille, se réunir en troupes, mais encore s'exercer à faire de longs vols, de grandes tournées, avant que d'entreprendre leur plus grand voyage. Au reste, les circonstances de ces migrations varient dans les différentes espèces; tous les oiseaux voyageurs ne se réunissent pas en troupes, il y en a qui partent seuls, d'autres avec leurs femelles et leur famille, d'autres qui marchent par petits détache- ments, etc. Mais, avant d'entrer dans le détail que ce su- .)ii DISCOURS jet exige*^ continuons nos recherches sur les causes qui constituent l'instinct et modifient la nature des oiseaux. L'homme, supérieur à tous les êtres organisés, a le sens du toucher, et peut-être celui du goût, plus parfait qu'aucun des animaux; mais il est inférieur à la plupart d'entre eux par les trois autres sens : et, en ne comparant que les animaux entre eux, il paroît que la plupart des quadrupèdes ont l'odorat plus vif, plus étendu, que ne l'ont les oiseaux; car, quoi qu'on dise de l'odorat du corbeau, du vautour, etc., il est fort inférieur à celui du chien, du renard, etc. On peut d'abord en juger par la conformation même de l'or- gane : il y a un grand nombre d'oiseaux qui n'ont point de narines, c'est-à-dire point de conduits ouverts au dessus du bec, en sorte qu'ils ne peuvent recevoir les odeurs que par la fente intérieure qui est dans la bouche ; et dans ceux qui ont des conduits ouverts au dessus du bec , et qui ont plus d'odorat que les autres, les nerfs olfactifs sont néanmoins bien plus petits pro- portionnellement, et moins nombreux, moins éten- dus, que dans les quadrupèdes : aussi l'odorat ne pro- duit dans l'oiseau que quelques eftets assez rares , assez peu remarquables, au lieu que dans le chien et dans plusieurs autres quadrupèdes ce sens paroît être la source et la cause principale de leurs déterminations eK de leurs mouvements. Ainsi le toucher dans l'homme, l'odorat dans le quadrupède, et l'œil dans l'oiseau, sont les premiers sens, c'est-à-dire ceux qui sont les plus parfaits, ceux qui donnent à ces différents êtres les sensations dominantes. 1. JNous donnerons clans un autre discours les faits qui ont rapports Il la migration des oiseaux. SUR LA NATURE DES OISEAUX. 37) Après la vue, l'ouïe me paroît être le second sens de loiseau, c'est-à-dire le second pour la perCection. L'ouïe est non seulement plus parfaite que l'odorat, le c;oùt, et le toucher dans l'oiseau, mais même plus parfaite que l'ouïe des quadrupèdes; on le voit par la facilité avec laquelle la plupart des oiseaux retiennent et répètent des sons et des suites de sons, et même la parole ; on le voit par le plaisir qu'ils trouvent à chan- ter continuellement, à gazouiller sans cesse, surtout lorsqu'ils sont le plus heureux, c'est-à-dire dans le temps de leurs amours : ils ont les organes de l'oreille et de la voix plus souples et plus puissants; ils s'en ser- vent aussi beaucoup plus que les animaux quadrupè- des. La plupart de ceux-ci sont fort silencieux ; et leur voix, qu'ils ne font entendre que rarement, est presque toujours désagréable et rude : dans celle des oiseaux on trouve de la douceur, de l'agrément, de la mélodie. Il v a quelques espèces dont, à la vérité, la voix paroît insupportable, surtout en la comparant à celle des autres : mais ces espèces sont en assez pe- tit nombre, et ce sont les plus gros oiseaux que la nature semble avoir traités comme les quadrupèdes, en ne leur donnant pour voix qu'un seul ou plusieurs cris qui paroissent d'autant plus rauques, plus per- çants et plus forts, qu'ils ont moins de proportion avec la grandeur de l'animal ; un paon, qui n'a pas la cen- tième partie du volume d'un bœuf, se fait entendre de plus loin; un rossignol peut remplir de ses sons tout autant d'espace qu'une grande voix humaine. Cette prodigieuse étendue , cette force de leur voix dépend en entier de leur conformation, tandis que la continuité de leur cliant ou de leur silence ne dé- 54 DISCOURS pend que de leurs affections intérieures ; ce sont deux choses qu'il faut considérer à part. L'oiseau a d'abord les muscles pectoraux beaucoup plus charnus et plus forts que l'homme ou que tout autre animal, et c'est par cette raison qu'il fait agir ses ailes avec beaucoup plus de vitesse et de force que l'homme ne peut remuer ses bras; et en même temps que les puissances qui font mouvoir les ailes sont plus grandes, le volume des ailes est aussi plus étendu, et la masse plus légère, relativement à la grandeur et au poids du corps de l'oiseau : de petits os vides et minces, peu de chair, des tendons fer- mes et des plumes avec une étendue souvent double, triple ou quadruple de celle du diamètre du corps, forment l'aile de l'oiseau, qui n'a besoin que de la réaction de l'air pour soulever le corps, et de légers mouvements pour le soutenir élevé. La plus ou moins grande facilité du vol, ses différents degrés de rapi- dité, sa direction même de bas en haut et de haut en bas, dépendent de la combinaison de tous les ré- sultats de cette conformation. Les oiseaux dont l'aile et la queue sont plus longues et le corps plus petit, sont ceux qui volent le plus vite et le plus long-temps ; ceux, au contraire, qui, comme l'outarde, le casoar ou l'autruche, ont les ailes et la queue courtes, avec un grand volume de corps, ne s'élèvent qu'avec peine, ou môme ne peuvent quitter la terre. La force des muscles, la conformation des ailes, l'arrangement des plumes et la légèreté des os, sont les causes physiques de l'effet du vol, qui paroît fa- liguer si peu la poitrine de l'oiseau, que c'est souveni dans ce temps mémo du vol qu'il fail le plus relenlir SUR LA NATURE DES OISEAUX. O.) sa voix par tles cris continus : c'est que , dans 1 oiseau ^ le thorax, avec toutes les parties qui en dépendent ou qu'il contient, est plus fort ou plus étendu à l'in- térieur et à l'extérieur qu'il ne l'est dans les autres animaux; de même que les muscles pectoraux placés à l'extérieur sont plus gros, la trachée-artère est plus grande et plus forte; elle se termine ordinairement au dessous en une large cavité qui multiplie le volume du son. Les poumons, plus grands, plus étendus que ceux des quadrupèdes, ont plusieurs appendices qui forment des poches, des espèces de réservoirs d'air qui rendent encore le corps de l'oiseau plus léger, en même temps qu'ils fournissent aisément et abondam- ment la substance aérienne qui sert d'aliment à la voix. On a vu, dans l'histoire de l'ouarine , qu'une assez légère différence, une extension de plus dans les parties solides de l'organe, donne à ce quadru- pède , qui n'est que d'une grandeur médiocre , une voix si facile et si forte, qu'il la fait retentir, presque continuellement, à plus d'une lieue de distance, quoi- que les poumons soient conformés comme ceux des autres animaux quadrupèdes; à plus grande raison, ce môme effet se trouve dans l'oiseau, où il y a un grand appareil dans les organes qui doivent produire les sons, et où toutes les parties de la poitrine parois- sent être formées pour concourir à la force et à la du- rée de la voix. Il me semble qu'on peut démontrer, par des faits combinés, que la voix des oiseaux est non seulement plus forte que celle des quadrupèdes, relativement au volume de leur corps, mais même absolument, et sans y faire entrer ce rappoi-t de grandeur : commune- 56 DISCOURS ment les cris de nos quadrupèdes domestiques ou sauvages ne se font pas entendre au delà d'un quart ou d'un tiers de lieue, et ce cri se fait dans la partie de ratmosphère la plus dense, c'est-à-dire la plus propre à propager le son ; au lieu que la voix des oi- seaux, qui nous parvient du haut des airs, se fait dans un milieu plus rare , et où il faut une plus grande force pour produire le même eifet. On sait, par des expé- riences faites avec la machine pneumatique, que le son diminue à mesure que l'air devient plus rare, et j'ai reconnu, par une observation que je crois nouvelle, combien la différence de cette raréfaction influe en plein air. J'ai souvent passé des jours entiers dans les fo- rets, où l'on est obligé de s'appeler de loin, et d'écouter avec attention pour entendre le son du cor et la voix des chiens ou des hommes; j'ai remarqué que, dans le temps de la plus grande chaleur du jour, c'est-à-dire depuis dix heures jusqu'à quatre, on ne peut entendre que d'assez près les mêmes voix, les mêmes sons que l'on entend de loin le matin, le soir et surtout la nuit, dont le silence ne fait rien ici, parce que, à l'exception des cris de quelques reptiles ou de quelques oiseaux nocturnes, il n'y avoit pas le moindre bruit dans ces forêts; j'ai de plus observé qu'à toutes les heures du jour et de la nuit, on entendoit plus loin en hiver par la gelée, que par le plus beau temps de toute autre saison. Tout le monde peut s'assurer de la vérité de cette observation, qui ne demande, pour être bien faite, que la simple attention de choisir les jours se- reins et cahnes, pour que le vent ne puisse déranger le rapport que nous venons d'indiquer dans la pro- pagation du son. Il uj'a souvent paru que je ne pou- SUR LA NATURE DES Ol.SEALX. 07 vois entendre à midi que de six cents pas de distance la même voix que j'entendois de douze ou quinze cents à six heures du matin ou du soir, sans pouvoir attribuer cette grande différence à d'autre cause qu'à la raréfaction de l'air plus grande à midi, et moindre le soir ou le matin; et puisque ce degré de raréfac- tion fait une différence de plus de moitié sur la dis- tance à laquelle peut s'étendre le son à la surface de la terre, c'est-à-dire dans la partie la plus basse et la plus dense de l'atmosphère, qu'on juge de combien doit être la perte du son dans les parties supérieures, où l'air devient plus rare à mesure qu'on s'élève, et dans une proportion bien plus grande que celle de la raréfaction causée par la chaleur du jour. Les oi- seaux dont nous entendons la voix d'en haut, et sou- vent sans les apercevoir, sont alors élevés à une hau- teur égale à trois mille quatre cent trente-six fois leur diamètre, puisque ce n'est qu'à cette distance que l'œil humain cesse de voir les objets. Supposons donc que l'oiseau avec ses ailes étendues fasse un objet de quatre pieds de diamètre, il ne disparoîtra qu'à la hauteur de treize mille sept cent quarante -quatre pieds, ou de plus de deux mille toises; et si nous supposons une troupe de trois ou quatre cents gros oiseaux, tels que des cigognes, des oies, des canards, dont quelquefois nous entendons la voix avant de les apercevoir, l'on ne pourra nier que la hauteur à la- quelle ils s'élèvent ne soit encore plus grande , puis- que la troupe, pour peu qu'elle soit serrée, forme un objet dont le diamètre est bien plus grand. Ainsi l'oi- seau, en se faisant entendre d'une lieue du haut df'S airs, et produisant des sons dans un milieu ([ui en lilKFOA. XIX. 38 DISCOURS diminue l'intensité et en raccourcit de plus de moitié !a propagation, a par conséquent la voix quatre fois plus forte que l'homme ou le quadrupède, qui ne peut se faire entendre à une demi-lieue sur la surface de la terre : et cette estimation est peut-être plus foi- ble que trop forte; car, indépendamment de ce que nous venons d'exposer, il y a encore une considéra- tion qui vient à l'appui de nos conclusions, c'est que le son rendu dans le milieu des airs doit, en se pro- pageant, remplir une sphère dont l'oiseau est le cen- tre, tandis que le son produit à la surface de la terre ne remplit qu'une demi-sphère, et que la partie du son qui se réfléchit contre la terre aide et sert à la propagation de celui qui s'étend en haut et à côté : c'est par cette raison qu'on dit que la voix monte , et que, de deux personnes qui se parlent du haut d'une tour en bas, celui qui est au dessus est forcé de crier beaucoup plus haut que l'autre, s'il veut s'en faire également entendre. Et à l'égard de la douceur de la voix et de l'agré- ment du chant des oiseaux , nous observerons que c'est une qualité en partie naturelle et en partie ac- quise ; la grande facilité qu'ils ont à retenir et répéter les sons , fait que non seulement ils en empruntent les uns des autres , mais que souvent ils copient les inflexions, les tons de la voix humaine et de nos in- struments. ]N 'est-il pas singulier que dans tous les pays peuplés et policés la plupart des oiseaux aient la voix charmante et le chant mélodieux , tandis que dans l'immense étendue des déserts de l'Afrique et de l'A- mérique , où l'on n'a trouvé que des hommes sauvages, il n'existe aussi que des oiseaux criards, et qu'à peine SUR LA NATURE DES OISEAUX. 39 on puisse citer quelques espèces dont la voix soit douce et le chant agréable? Doit-on attribuer cette différence à la seule influence du climat? L'excès du chaud et du froid produit à la vérité des qualités ex- cessives dans la nature des animaux , et se marque souvent à l'extérieur par des caractères durs et par des couleurs fortes. Les quadrupèdes dont la robe est variée et empreinte de couleurs opposées, semée de taches rondes, ou rayée de bandes longues, tels que les panthères, les léopards, les zèbres, les ci- vettes, sont tous des animaux des climats les plus chauds; presque tous les oiseaux de ces mômes climats brillent à nos yeux des plus vives couleurs , au lieu que dans les pays tempérés ks teintes sont plus foi- bles, plus nuancées, plus douces : sur trois cents espè- ces d'oiseaux que nous pouvons compter dans notre climat, le paon, le coq, le loriot, le martin-pècheur, le chardonneret, sont presque les seuls que l'on puisse citer pour la variété des couleurs, tandis que la nature semble avoir épuisé ses pinceaux sur le plu- mage des oiseaux de l'Amérique , de l'Afrique, et de l'Inde. Ces quadrupèdes dont la robe est si belle, ces oiseaux dont le plumage éclate des plus vives cou- leurs, ont en même temps la voix dure et sans in- flexions, les sons rauques et discordants, le cri dés- agréable et même effrayant. On ne peut douter que l'influence du climat ne soit la cause principale de ces effets; mais ne doit-on pas y joindre, comme cause secondaire, l'influence de l'homme? Dans tous les animaux retenus en domesticité ou détenus en capti- vité, les couleurs naturelles et primitives ne s'exaltent jamais , et paroissent ne varier que pour se dégrader, 40 DISCOURS se nuancer, et se radoucir : on en a vu nombre d'exem- ples dans les quadrupèdes, il en est de même dans les oiseaux domestiques ; les coqs et les pigeons ont encore plus varié pour les couleurs que les chiens ou les che- vaux. L'influence de l'homme sur la nature s'étend bien au delà de ce qu'on imagine : il influe directe- ment et presque immédiatement sur le naturel, sur la grandeur et la couleur des animaux qu'il propage et qu'il s'est soumis; il influe niédiatement et de plus loin sur tous les autres, qui, quoique libres, habitent le même climat. L'homme a changé , pour sa plus grande utilité , dans chaque pays, la surface de la terre : les animaux qui y sont attachés, et qui sont forcés d'y chercher leur subsistance , qui vivent en un mot sous ce même climat et sur cette même terre dont l'homme a changé la nature, ont dû changer aussi et se modi- fier ; ils ont pris par nécessité plusieurs habitudes qui paroissent faire partie de leur nature ; ils en ont pris d'autres par crainte , qui ont altéré , dégradé leurs mœurs; ils en ont pris par imitation; enfin ils en ont reçu par l'éducation, à mesure qu'ils en étoient plus ou moins susceptibles ; le chien s'est prodigieu- sement perfectionné par le commerce de l'homme; sa férocité naturelle s'est tempérée , et a cédé à la douceur de la reconnoissance et de l'attachement, dès qu'en lui donnant sa subsistance l'homme a satisfait à ses besoins. Dans cet animal, les appétits les plus véhéments dérivent de l'odorat et du goût, deux sens qu'on pourroit réunir en un seul , qui produit les sensations dominantes du chien et des autres animaux carnassiers, desquels il ne diff"ère que par un point de sensibilité que nous avons augmenté : une SLR LA NATLRE DES OISEALX. 4^ nature moins forte, moins fière, moins féroce que celle du tigre , du léopard ou du lion : un naturel dès îors plus flexible, quoique avec des appétits tout aussi véhéments, s'est néanmoins modifié, ramolli par les impressions douces du commerce des hommes, dont l'influence n'est pas aussi grande sur les autres ani- maux , parce que les uns ont une nature reveclie, im- pénétrable aux afl'ections douces ; que les autres sont durs, insensibles, ou trop défiants, ou trop timides ; que tous, jaloux de leur liberté , fuient l'homme , et ne le voient que coQime leur tyran ou leur destructeur. L'homme a moins d'influence sur les oiseaux cjue sur les quadrupèdes, parce que leur nature est plus éloignée, et qu'ils sont moins susceptibles des senti- ments d'attachement et d'obéissance. Les oiseaux que nous appelons domestiques ne sont que prisonniers ; ils ne nous rendent aucun service pendant leur vie , ils ne nous sont utiles que par leur propagation, c'est- à-dire par leur mort ; ce sont des victimes que nous multiplions sans peine, et que nous immolons sans re2;ret et avec fruit. Comme leur instinct dilfère de ce- lui des quadrupèdes, et n'a nul rapport avec le nôtre, nous ne pouvons leur rien inspirer directement, ni même leur communiquer indirectement aucun senti- ment relatif; nous ne pouvons influer que sur la ma- chine, et eux aussi ne peuvent nous rendre que ma- chinalement ce qu'ils ont reçu de nous. Un oiseau dont l'oreille est assez délicate, assez précise, pour saisir et retenir une suite de sons et même de paroles, et dont la voix est assez flexible pour les répéter dis- tinctement , reçoit ces paroles sans les entendre , et les rend comme il les a reçues; quoiqu'il articule des 4^ DISCOURS mots, il ne parle pas, parce que cette articulation de mots n'émane pas du principe de la parole, et n'en est qu'une imitation qui n'exprime rien de ce qui se passe à l'intérieur de l'animal , et ne représente aucune de ses affections. L'homme a donc modifié dans les oi- seaux quelques puissances physiques , quelques qua- lités extérieures, telles que celles de l'oreille et de la voix; mais il a moins influé sur les qualités intérieures. On en instruit quelques uns à chasser et même à rap- porter leur gibier; on en apprivoise quelques autres assez pour les rendre familiers ; à force d'habitude , on les amène au point de les attacher à leur prison , de reconnoître aussi la personne qui les soigne : mais tous ces sentiments sont bien légers, bien peu pro- fonds , en comparaison de ceux que nous transmettons aux animaux quadrupèdes, et que nous leur commu- niquons avec plus de succès en moins de temps et en plus grande quantité. Quelle comparaison y a-t-il entre l'attachement d'un chien et la familiarité d'un serin ; entre l'intelligence d'un éléphant et celle de l'autru- che, qui néanmoins paroît être le plus grave, le plus réfléchi des oiseaux , soit parce que l'autruche est en effet l'éléphant des oiseaux par la taille , et que le pri- vilège de l'air sensé est, dans les oiseaux, attaché à la grandeur, soit qu'étant moins oiseau qu'aucun autre, et ne pouvant quitter la terre , elle tienne en effet de la nature des quadrupèdes? Maintenant si l'on considère la voix des oiseaux, indépendamment de l'influence de l'homme ; que l'on sépare dans le perroquet, le serin, le sansonnet, le merle, les sons qu'ils ont acquis de ceux qui leur sont nalurels; que surtout on observe les oiseaux libres et SUR LA NATURE DES G! SE A IX. /|5 solitaires, on reconnoîtra que non seulement leur voix se modifie suivant leurs affections, mais même qu elle s'étend, se fortifie, s*altère, se change , s'éteint , ou se renouvelle selon les circonstances et le temps. Comme la voix est de toutes leurs facultés l'une des jjIus fa- ciles, et dont l'exercice leur coûte le moins, ils s'en servent au point de paroître en abuser, et ce ne sont pas les femelles qui (comme on pourroit le croire) abusent le plus de cet organe ; elles sont dans les oiseaux bien plus silencieuses que les mâles : elles jet- tent comme eux des cris de douleur ou de crainte ; elles ont des expressions ou des murmures d'inquié- tude ou de sollicitude , surtout pour leurs petits ; mais le chant paroît être interdit à la plupart d'entre elles , tandis que dans le mâle c'est l'une des qualités qui fait le plus de sensation. Le chant est le produit na- turel d'une douce émotion; c'est l'expression agréable d'un désir tendre qui n'est qu'à demi satisfait : le serin dans sa volière, le verdier dans les plaines, le loriot dans les bois , chantent également leurs amours à voix éclatante, à laquelle la femelle ne répond que par quelques petits sons de pur consentement. Dans quel- ques espèces, la femelle applaudit au chant du mâle par un semblai)le chant , mais toujours moins fort et moins plein. Le rossignol, en arrivant avec les pre- miers jours du printemps, ne chante point encore ; il garde le silence jusqu'à ce qu'il soit apparié : son chant est d'abord assez court, incertain, peu fré- quent, comme s'il n'étoit pas encore sûr de sa con- quête , et sa voix ne devient pleine , éclatante , et sou- tenue jour et nuit , que quand il voit déjà sa femelle, chargée du fruit de ses amours, s'occuper d'avance 44 JHSCOLUS des soins maternels : il s'empresse à les partager , il l'aide à construire le nid; jamais il ne chante avec plus de force et de continuité que quand il la voit travail- lée des douleurs de la ponte, et ennuyée d'une longue et continuelle incubation : non seulement il pourvoit à sa subsistance pendant tout ce temps, mais il cher- che à le rendre plus court en multipliant ses caresses, en redoublant ses accents amoureux; et ce qui prouve que le chant dépend en effet et en entier des amours c'est qu'il cesse avec elles. Dès que la femelle couve, elle ne chante plus, et vers la fui de juin le mâle se tait aussi , ou ne se fait entendre que par quelques sons rauques, semblables au coassement d'un rep- tile, et si différents des premiers, qu'on a de la peine à se persuader que ces sons viennent du rossignol, ni même d'un autre oiseau. Ce chant qui cesse et se renouvelle tous les ans, et qui ne dure que deux ou trois mois; cette voix dont les beaux sons n'éclatent que dans la saison de l'amour, qui s'altère ensuite et s'éteint comme la flamme de ce feu satisfait, indique un rapport physique entre les organes de la génération et ceux de la voix, rapport qui paroît avoir une correspondance plus précise et des effets encore plus étendus dans l'oiseau. On sait que dans l'homme la voix ne devient pleine qu'après la puberté ; que dans les quadrupèdes elle se renforce et devient effrayante dans le temps du rut : la réplé- tion des vaisseaux spermatiques, la surabondance de la nourriture organique , excitent une grande irrita- tion dans les parties de la génération; celles de la gorge et de la voix paroissent se ressentir plus ou moins de cette chaleur irritante; la croissance de la SUR LA NATLRE DES OISEAUX. 4'> barbe, la force de la voix, l'extension de la partie gé- nitale dans le mâle, raccroissement des mamelles, le développement des corps glanduleux dans la femelle, qui tous arrivent en même temps, indiquent assez la correspondance des parties de la génération avec celles de la gorge et de la voix. Dans les oiseaux, les chan- gements sont encore plus grands; non seulement ces parties sont irritées, altérées, ou changées par ces mêmes causes, mais elles paroissent même se détruire enentier pour se renouveler : les testicules, qui, dans l'homme et dans la plupart des quadrupèdes, sont à peu près les mêmes en tout temps, se flétrissent dans les oiseaux, et se trouvent, pour ainsi dire, réduits à rien après la saison des amours, au retour de la- quelle ils renaissent, prennent une vie végétative, et grossissent au delà de ce que semble permettre la proportion du corps. Le chant, qui cesse et renaît, dans les mêmes temps, nous indique des altérations relatives dans le gosier de l'oiseau; et il seroit bon d'observer s'il ne se fait pas alors dans les organes de sa voix quelque production nouvelle , quelque exten- sion considérable , qui ne dure qu'autant que le gon- flement des parties de la génération. Au reste l'homme paroît encore avoir influé sur ce sentiment d'amour le plus profond de la nature; il semble au moins qu'il en ait étendu la durée et multi- plié les effets dans les animaux quadrupèdes et dans les oiseaux qu'il retient en domesticité. Les oiseaux de basse-cour et les quadrupèdes domestiques ne sont pas bornés, comme ceux qui sont libres, à une seule saison, à un seul temps de rut; le coq, le pigeon, le canard, peuvent, comme le cheval , le bélier, et le 46 DISCOURS chien , s'unir et produire presque en toute saison ; au lieu que les quadrupèdes et les oiseaux sauvages, qui n'ont reçu que la seule influence de la nature , sont bornés à une ou deux saisons , et ne cherchent à s'u- nir que dans ces seuls temps de l'année. Nous venons d'exposer quelques unes des princi- pales qualités dont la nature a doué les oiseaux; nous avons tâché de reconnoître les influences de l'homme sur leurs facultés : nous avons vu qu'ils l'emportent sur lui et sur tous les animaux quadrupèdes par l'é- tendue et la vivacité du sens de la vue , par la préci- sion , la sensibilité de celui de l'oreille, par la faci- lité et la force de la voix, et nous verrons bientôt qu'ils l'emportent encore de beaucoup par les puis- sances de la génération, et par l'aptitude au mouve- ment, qui paroît leur être plus naturel que le repos : il y en a , comme les oiseaux de paradis, les mouettes, les martins-pC'cheurs, etc., qui semblent être toujours en mouvement, et ne se reposer que par instants; plusieurs se joignent, se choquent, semblent s'unir dans l'air; tous saisissent leur proie en volant , sans se détourner, sans s'arrêter; au lieu que le quadrupède est forcé de prendre des points d'appui , des moments de repos, pour se joindre, et que l'instant où il atteint sa proie est la fin de sa course. L'oiseau peut faire ^ dans l'état de mouvement, plusieurs choses, qui, dans le quadrupède, exigent l'état de repos; il peut aussi faire beaucoup plus en moins de temps, parce qu'il se meut avec plus de vitesse, plus de continuité, plus de durée. Toutes ces causes réunies influent sur les habitudes naturelles de l'oiseau, et rendent encore son instinct diiïérent de celui du quadrupède. SUR LA NATURE DES OISEAUX. 47 Pour donner quelque idée de la durée et de la continuité du mouvement des oiseaux, et aussi de la proportion du temps et des espaces qu'ils ont cou- tume de parcourir dans leurs voyages, nous compa- rerons leur vitesse avec celle des quadrupèdes dans leurs plus grandes courses naturelles ou forcées. Le cerf, le renne et l'élan peuvent faire quarante lieues en un jour : le renne, attelé à un traîneau, en fait trente, et peut soutenir ce même mouvement plu- sieurs jours de suite : le chameau peut faire trois cents lieues en huit jours : le cheval, élevé pour la course, et choisi parmi les plus légers et les plus vigoureux,, pourra faire une lieue en six ou sept minutes; mais bientôt sa vitesse se ralentit, et il seroit incapable de fournir une carrière un peu longue qu'il auroit en- tamée avec cette rapidité. Nous avons cité l'exemple de la course d'un Anglois qui fit, en onze heures trente-deux minutes, soixante-douze lieues, en chan- geant vingt-une fois de cheval. Ainsi les meilleurs chevaux ne peuvent pas faire quatre lieues dans une heure, ni plus de trente lieues dans un jour. Or la vitesse des oiseaux est bien plus grande; car, en moins de trois minutes , on perd de vue un gros oi- seau, un milan qui s'éloigne, un aigle qui s'élève et qui présente une étendue dont le diamètre est de plus de quatre pieds : d'où l'on doit inférer que l'oiseau parcourt plus de sept cent cinquante toises par mi- nute , et qu'il peut se transporter à vingt lieues dans une heure ; il pourra donc aisément parcourir deux cents lieues, tous les jours, en dix heures de vol , ce qui suppose plusieurs intervalles dans le jour et la nuit entière de repos. Nos hirondelles et nos autres /|8 DISCOURS oiseaux voyageurs peuvent donc se rendre de notre climat sous la Ligne en moins de sept ou huit jours, M. Adanson a vu et tenu à la côte du Sénégal des hi- rondelles arrivées le 9 octobre, c'est-à-dire huit ou neuf jours après leur départ d'Europe. Pietro délia Yalle dit qu'en Perse le pigeon messager fait en un jour plus de chemin qu'un homme de pied ne peut en faire en six. On connoît l'histoire du faucon de Henri II, qui, s'étant emporté après une canepetière à Fontainebleau, fut pris le lendemain à Malte, et reconnu à l'anneau qu'il portoit ; celle du faucon des Canaries, envoyé au duc de Lerme, qui revint d'An- dalousie à File de TénérifTe en seize heures, ce qui fait un trajet de deux cent cinquante lieues. Hans Sloane assure qu'à la Barbade les mouettes vont se promener en troupes à deux cents milles de distance, et qu'elles reviennent le même jour. Une promenade de plus de cent trente lieues indique assez la possibi- lité d'un voyage de deux cents; et je crois qu'on peut conclure de la combinaison de tous ces faits qu'un oiseau de haut vol peut parcourir chaque jour quatre ou cinq fois plus de chemin que le quadrupède le plus agile. Tout contribue à cette facilité de mouvement dans l'oiseau : d'abord les plumes , dont la substance est très légère, la surface très grande , et dont les tuyaux sont creux; ensuite l'arrangement de ces mêmes plu- mes, la forme des ailes convexe en dessus et concave en dessous, leur fermeté, leur grande étendue, et la force des muscles qui les font mouvoir; enfin la lé- gèreté même du corps, dont les parties les plus mas- sives, telles que les os, sont beaucoup plus légères SUR LA NATURE DES OISEAUX. i]g que celles des quadrupèdes : car les cavités dans les os des oiseaux sont proportionnellement beaucoup plus grantles que dans les quadrupèdes, et les os plats qui n'ont point de cavités sont plus minces et ont moins de poids. «Le squelette de l'onocrotale, disent les anatomistes de l'académie, est extrêmement lé- ger; il ne pesoit que vingt-trois onces, quoiqu'il soit très grand. » Cette légèreté des os diminue considé- rablement le poids du corps de l'oiseau, et l'on re- connoîtra, en pesant à la balance hydrostatique le squelette d'un quadrupède et celui d'un oiseau, que le premier est spécifiquement bien plus pesant que l'autre. Un second effet très remarquable, et que l'on doit rapporter à la nature des os, est la durée de la vie des oiseaux, qui, en général, est plus longue et ne suit pas les mêmes règles, les mêmes proportions, que dans les animaux quadrupèdes. JNous avons vu que dans l'homme et dans ces animaux la durée de la vie est toujours proportionnelle au temps employé à l'ac- croissement du corps, et en même temps nous avons observé qu'en général ils ne sont en état d'engendrer que lorsqu'ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement. Dans les oiseaux, l'accroissement est plus prompt, et la reproduction plus précoce : un jeune oiseau peut se servir de ses pieds en sortant de la coque, et de ses ailes peu de temps après; il peut marcher en naissant, et voler un mois ou cinq se- maines après sa naissance : un coq est en état d'en- gendrer à l'âge de quatre mois, et ne prend son entier accroissement qu'en un an; les oiseaux plus petits le prennent en quatre ou cinq mois : ils croissent donc 1)0 DISCOURS ■ plus vite et produisent bien plus tôt que les animaux quadrupèdes, et néanmoins ils vivent bien plus long- temps proportionnellement ; caria durée totale de la vie étant, dans l'homme et dans les quadrupèdes, six ou sept fois plus grande que celle de leur entier ac- croissement, il s'ensuivroit que le coq ou le perro- quet, qui ne sont qu'un an à croître, ne devroient vivre que six ou sept ans, au lieu que j'ai vu grand nombre d'exemples bien différents; des linottes pri- sonnières et néanmoins âgées de quatorze ou quinze ans, des coqs de vingt ans, et des perroquets âgés de plus de trente. Je suis même porté à croire que leur vie pourroit s'étendre bien au delà des termes que je viens d'indiquer ^, et je suis persuadé qu'on ne peut attribuer cette longue durée de la vie dans des êtres aussi délicats, et que les moindres maladies font pé- rir, qu'à la texture de leurs os, dont la substance moins solide, plus légère que celle des os des qua- drupèdes, reste plus long-temps poreuse; en sorte que l'os ne se durcit, ne se remplit, ne s'obstrue pas aussi vite, à beaucoup près, que dans lès quadrupè- des. Cet endurcissement de la substance des os est , comme nous l'avons dit, la cause générale de la mort naturelle; le terme en est d'autant plus éloigné, que 1. Un lîomme cligne ue foi m'a assuré qu'un perroquet âgé d'environ quarante ans avoit pondu sans le concours d'aucun mâle, au moins de son espèce. — On a dit qu'un cygne avoit vécu trois cents ans; une oie, quatre-vingts; un onocrotale autant. L'aigle et le corbeau pas- sent pour vivre très long-temps. ( Encyclopédie, à l'article Oiseau. ) — Aldovrande rapporte qu'un pigeon avoit vécu vingt-deux ans, et qu'il n'avoit cessé d'engendrer que les six dernières années de sa vie. Willuglîby dit que les linottes vivent quatorze ans, et les cliardonue- rels vingt-trois, etc. SUR LA NATURE DES OISEAUX. 5l les OS sont moins solides : c'est par cette raison qu'il y a plus de femmes que d'hommes qui arrivent à une vieillesse extrême; c'est par cette même raison que les oiseaux vivent plus long-temps que les quadrupèdes, et les poissons plus long-temps que les oiseaux, parce que les os des poissons sont d'une substance encore plus légère, et qui conserve sa ductilité plus long- temps que celle des os des oiseaux. Si nous voulons maintenant comparer un peu plus en détail les oiseaux avec les animaux quadrupèdes, nous y trouverons plusieurs rapports particuliers qui nous rappelleront l'uniformité du plan général ele la nature. H y a dans les oiseaux, comme dans les qua- drupèdes, des espèces carnassières, et d'autres aux- quelles les fruits, les grains, les plantes, suffisent pour se nourrir. La même cause physique qui produit dans l'homme et dans les animaux la nécessité de vivre de chair et d'aliments très substantiels se retrouve dans les oiseaux. Ceux qui sont carnassiers n'ont qu'un es- tomac et des intestins moins étendus que ceux qui se nourrissent de grains ou de fruits^ : le jabot dans ceux-ci, et qui manque ordinairement aux premiers, correspond à la panse des animaux ruminants ; ils peuvent vivre d'aliments légers et maigres, parce qu'ils peuvent en prendre un grand volume en rem- plissant leur jabot, et compenser ainsi la qualité par la quantité : ils ont deux cœcmn et un gésier, qui est un estomac très musculeux, très ferme, qui leur sert 1. En général, aux oiseaux qui se nourrissent de chair, les intestins sont courts, et ils n'ont que très peu de cœcuni. Dans les oiseaux gra- nivores , les intestins sont beaucoup plus étendus , et ils forment de longs replis ; il y a aussi souvent plusieurs cœcum. (l'2 DISCOURS à triturer les parties dures des grains qu'ils avalent; au lieu que les oiseaux de proie ont les intestins bien moins étendus, et n'ont ordinairement ni gésier, ni jabot, ni double cœcum. Le naturel et les mœurs dépendent beaucoup des appétits. En comparant donc à cet égard les oiseaux aux quadrupèdes, il me paroît que l'aigle , noble et généreux, est le lion; que le vautour, cruel, insatia- ble, est le tigre ; le milan, la buse, le corbeau, qui ne cherchent que les vidanges et les chairs corrompues, sont les hyènes, les loups, et les chacals; les faucons, les éperviers, les autours et les autres oiseaux chas- seurs, sont les chiens, les renards, les onces et les lynx; les chouettes, qui ne voient et ne chassent C[ue la nuit , seront les chats ; les hérons, les cormorans, qui vivent de poissons, seront les castors et les lou- tres; les pics seront les fourmiliers, puisqu'ils se nour- rissent de même, en tirant également la langue pour la charger de fourmis; les paons, les coqs, les din- dons, tous les oiseaux à jabot, représentent les bœufs, les brebis, les chèvres, et les autres animaux rumi- nants : de manière qu'en établissant une échelle des appétits, et présentant le tableau des différentes fa- çons de vivre, on retrouvera dans les oiseaux les mô- mes rapports et les mêmes différences que nous avons observés dans les quadrupèdes, et même les nuances en seront peut-être plus variées : par exemple, les oi- seaux paroisseat avoir un fond particulier de subsis- tance ; la nature leur a livré pour nourriture tous les insectes, que les quadrupèdes dédaignent; la chair, le poisson, les amphibies, les reptiles, les insectes, les fruits, les crains, les semences, les racines, les her- SUR LA NATURE DES OISEAUX. 55 bes, tout ce qui vit et végète devient leur pâlure; et nous verrons qu'ils sont assez indifférents sur le choix, et que souvent ils suppléent à l'une des nourritures par une autre. Le sens du goût dans la plupart des oiseaux est presque nui, ou du moins fort inférieur à celui des quadrupèdes : ceux-ci, dont le palais et la langue sont, à la vérité, moins délicats que dans l'homme, ont cependant ces organes plus sensibles et moins durs que les oiseaux, dont la langue est presque cartilagineuse; car, de tous les oiseaux, il n'y a guère que ceux qui se nourrissent de chair dont la langue soit molle et assez semblable, pour la substance, à celle des quadrupèdes. Ces oiseaux auront donc le sens du goût meilleur que les autres, d'autant qu'ils paroissent aussi avoir plus d'odorat, et que la finesse de l'odorat supplée à la grossièreté du goût : mais, comme l'odorat est plus foible et le tact du goût plus obtus dans tous les oiseaux que daiM^s quadrupèdes, ils ne peuvent guère juger des saveWs ; aussi voit-on que la plupart ne font qu'avaler, sans jamais savou- rer; la mastication, qui fait une grande partie de la jouissance de ce sens, leur manque : ils sont, par toutes ces raisons , si peu délicats sur les aliments , que quelquefois ils s'empoisonnent en voulant se nourrir ^. C'est donc sans connoissance et sans réflexion que quelques naturalistes ont divisé les genres des oiseaux par leur manière de vivre : cette idée eût été plus 1. Le persil, le café, les amandes amères, etc.. sont un poison pour les poules, les perroquets, et plusieurs autres oiseaux, qui néan- moins les mangent avec autant d'avidité que les autres nourritures quon leur offre. BLFFON. XIX. 4 54 DISCOURS applicable aux quadrupèdes, parce que leur goût étant plus vif et plus sensible , leurs appétits sont plus dé- cidés, quoique l'on puisse dire avec raison des qua- drupèdes cojnme des oiseaux que la plupart de ceux qui se nourrissent de plantes ou d'autres aliments maigres pourroient aussi manger de la chair. Nous voyons les poules, les dindons, et autres oiseaux qu'on appelle granivores :, rechercher les vers, les in- sectes, les parcelles de viande, encore plus soigneu- sement qu'ils ne cherchent les graines : on nourrit avec de la chair hachée le rossignol, qui ne vit que d'insectes ; les chouettes, qui sont naturellement car- nassières, mais qui ne peuvent attraper la nuit que des chauve-souris, se rabattent sur les papillons-pha- lènes, qui volent aussi dans l'obscurité. Le bec cro- chu n'est pas, comme le disent les gens amoureux des causes finales, un indice, un signe certain d'un appétit décidé UTOi* la chair, ni un instrument fait exprès pour la oechirer, puisque les perroquets et plusieurs autres oiseaux dont le bec est crochu sem- blent préférer les fruits et les graines à la chair. Ceux qui sont les plus voraces, les plus carnassiers, man- gent du poisson, des crapauds, des reptiles, lorsque la chair leur manque. Presque tous les oiseaux qui paroissent ne vivre que de graines ont néanmoins été nourris dans le premier âge par leurs pères et mères avec des insectes. Ainsi rien n'est plus gratuit et moins fondé que cette division des oiseaux, tirée de leur manière de vivre, ou de la différence de leur nourri- ture : jamais on ne déterminera la nature d'un être par un seul caractère ou par une seule habitude na- turelle ; il faut au moins en réunir plusieurs, car plus SUR LA NATURE DES OISEAUX. 55 les caractères seront nombreux, et moins la méthode aura d'imperfection : mais, comme nous l'avons tant dit et répété, rien ne peut la rendre complète que l'histoire et la description de chaque espèce en par- ticulier. Comme la mastication manque aux oiseaux, que le bec ne représente qu'à certains égards la mâchoire des quadrupèdes, que même il ne peut suppléer que très imparfaitement à l'office des dents ^, qu'ils sont forcés d'avaler les graines entières ou à demi concas- sées, et qu'ils ne peuvent les broyer avec le bec, ils n'auroient pu les digérer, ni par conséquent se nour- rir, si leur estomac eût été conformé comme celui des animaux qui ont des dents. Les oiseaux granivores ont des gésiers, c'est-à-dire des estomacs d'une substance assez ferme et assez solide pour broyer les aliments, à l'aide de quelques petits cailloux qu'ils avalent : c'est comme s'ils portoient et plaçoient à chaque fois des dents dans leur estomac , où l'action du broiement et la trituration par le frottement est bien plus grande que dans les quadrupèdes , et même dans les animaux carnassiers qui n'ont point de gésier, mais un esto- mac souple et assez semblable à celui des autres ani- maux. On a observé que ce seul frottement dans le gésier avoit rayé profondément et usé presque aux trois quarts plusieurs pièces de monnoie qu'on avoit fait avaler à une autruche. De la même manière que la nature a donné aux i. Dans les perroquets et dans beaucoup d'auires oiseaux, la partie supérieure du bec est mobile comme l'inférieure; au lieu que dans les animaux quadrupèdes i! n y a que la màclioire inférieure qui soit mobile. 56 DISCOURS quadrupèdes qui fréquentent les eaux, ou qui liabi- lenl {es pays froids, une double fourrure et des poils plus seinx^s, plus épais, de même tous les oiseaux aquatiques et ceux des terres du nord sont pourvus d'une grande quantité de plumes et d'un duvet très fin ; en sorte qu'on peut juger par cet indice de leur pays natal, et de l'élément auquel ils donnent la pré- férence> Dans tous les climats, les oiseaux d'eau sont à peu près également garnis de plumes, et ils ont près tie la queue de grosses glandes, des espèces de réser- voirs d'une matière huileuse, dont ils se servent pour lustrer et vernir leurs plumes; ce qui, joint à leur épaisseur, les rend impénétrables à l'eau, qui ne peut que glisser sur leur surface. Les oiseaux de terre man- quent de ces glandes, ou les ont beaucoup plus pe- tites. Les oiseaux presque nus, tels que l'autruche, le casoar , le dronte , ne se trouvent que dans les pays chauds ; tous ceux des pays froids sont bien fourrés et bien couverts. Les oiseaux du haut vol ont besoin de toutes leurs plumes pour résister au froid de la moyenne région de l'air. Lorsqu'on veut empêcher un aigle de monter trop haut et de se perdre à nos yeux, il ne faut que lui dégarnir le ventre ; il devient dès lors trop sensible au froid pour s'élever à cette grande hauteur. Tous les oiseaux en général sont sujets à la mue comme les quadrupèdes ; la plus grande partie de leurs plumes tombent et se renouvellent tous les ans , et même les effets de ce changement sont bien plus sensibles que dans les quadrupèdes. La plupart des ^^iseaux sont souffrants et malades dans la mue ; quel- SLR LA NATURE DES OISE Al X. i>7 ques uns en meurent, aucun ne produit dans ce temps ; la poule la mieux nourrie cesse alors de pondre : la nourriture organique, qui auparavant étoit employée à la reproduction, se trouve consommée, absorbée et au delà par la nutrition de ces plumes nouvelles, et cette même nourriture organique ne redevient sur- abondante que quand elles ont pris leur entière crois- sance. Communément c'est vers la fin de l'été et en au- tomne que les oiseaux muent ^; les plumes renaissent en même temps : la nourriture abondante qu'ils trou- vent dans cette saison est en grande partie consom- mée par la croissance de ces plumes nouvelles ; et ce n'est que quand elles ont pris leur entier accroisse- ment, c'est-à-dire à l'arrivée du printemps, que la surabondance de la nourriture, aidée de la douceur de la saison, les porte à l'amour : alors toutes les plan- tes renaissent, les insectes engourdis se réveillent ou sortent de leur nymphe, la terre semble fourmiller de vie; cette chair nouvelle, qui ne paroît préparée que pour eux, leur donne une nouvelle vigueur, un^ surcroît de vie, qui se répand par l'amour, et se réa- lise par la reproduction. On croiroit, qu'il est aussi essentiel à l'oiseau d« vo^ 1er qu'au poisson de nager, et au quadrupède de mar- 1. Les oiseaux domestiques, comme les poules, muent ordinairo- ment en automne; et c'est avant la fin de lelé que les faisans et les perdrix entrent dans ta mue : ceux qu'on gardé en parquet dans les faisanderies muent immédiatement après leur ponle faite. Dans la cam- pagne , c'est vers la fin de juillet que les perdrix et les faisans subissent ce changement; seulement les femelles qui ont des petits entrent dans la mue quelques jours plus tard. Les canards sauvages muent aussi avant la fin de juillet. ( Ces remarques m'ont été données par M. -Le Roy, lieulcnaiit des chasses à Versailles. ) 58 DISCOURS cher ; cependant il y a dans tous ces genres des excep- tions à ce fait général : et de même que dans les quadrupèdes il y en a, comme les roussettes , les rou- gettes, et les chauve-souris, qui volent et ne mar- chent pas; d'autres qui, comme les phoques, les morses, et les lamantins, ne peuvent que nager, ou qui , comme les castors et les loutres, marchent plus difficilement qu'ils ne nagent; d'autres enfin qui, comme le paresseux, peuvent à peine se traîner : de même, dans les oiseaux, on trouve l'autruche, le ca- soar , le dronte , le touyou , etc. , qui ne peuvent voler, et sont réduits à marcher; d'autres, comme les pin- goins, les perroquets de mer, etc., qui volent et na- gent, mais ne peuvent marcher; d'autres qui, comme les oiseaux de paradis, ne marchent ni ne nagent, et ne peuvent prendre de mouvement qu'envolant : seu- lement il paroît que l'élément de l'eau appartient plus aux oiseaux qu'aux quadrupèdes; car, à l'exception d'un petit nombre d'espèces, tous les animaux ter- restres fuient l'eau, et ne nagent que quand ils y sont forcés par la crainte ou par le besoin de nourriture ; au lieu que dans les oiseaux il y a une grande tribu d'espèces qui ne se plaisent que sur l'eau , et semblent n'aller à terre que par nécessité et pour des besoins particuliers, comme celui de déposer leurs œufs hors de l'atteinte des eaux, etc.; et ce qui démontre que l'élément de l'eau appartient plus aux oiseaux qu'aux animaux terrestres c'est qu'il n'y a que trois ou quatre quadrupèdes qui aient des membranes entre les doigts des pieds; au lieu qu'on peut compter plus de trois cents oiseaux pourvus de ces membranes qui leur donnent la facilité de nager. D'ailleurs la légèreté de SUR LA NATURlî DES OISEAUX. 69 leurs plumes et de leurs os, la forme même de leur corps, contribuent prodigieusement à cette plus grande facilité. L'homme est peut-être de tous les êtres celui qui fait le plus d'efforts en nageant, parce que la forme de son corps est absolument opposée à cette espèce de mouvement. Dans les quadrupèdes, ceux qui ont plusieurs estomacs ou de gros et longs intestins nagent, comme plus légers, plus aisément que les autres, parce que ces grandes cavités inté- rieures rendent leur corps spécifiquement uioins pe- sant. Les oiseaux dont les pieds sont des espèces de rames, dont la forme du corps est oblongue, arrondie comme celle d'un navire, et dont le volume est si lé- ger, qu'il n'enfonce qu'autant qu'il faut pour se sou- tenir, sont, par toutes ces causes, presque aussi propres à nager qu'à voler ; et même cette faculté de nager se développe la première, car on voit les petits canards s'exercer sur les eaux long-temps avant que de prendre leur essor dans les airs. Dans les quadrupèdes, surtout dans ceux qui ne peuvent rien saisir avec leurs doigts, qui n'ont que des cornes aux pieds ou des ongles durs, le sens du toucher paroît être réuni avec celui du goût dans la gueule. Comme c'est la seule partie qui soit divisée , et par laquelle ils puissent saisir les corps et en con- noîlre la forme, en appliquant à leur surface la lan- gue, le palais, et les dents, cette partie est le prin- cipal siège de leur toucher, ainsi que de leur goût. Dans les oiseaux, le toucher de cette partie est donc au moins aussi imparfait que dans les quadrupèdes, parce que leur langue et leur palais sont moins sensi- bles : mais il paroît qu'ils l'emportent sur ceux-ci par 6o DISCOURS le toucher des doigts, et que le principal siège de ce sens y réside ; car en général ils se servent de leurs doigts beaucoup plus que les quadrupèdes, soit pour saisir^, soit pour palper les corps. Néanmoins l'inté- rieur des doigts étant dans les oiseaux toujours revêtu d une peau dure et calleuse , le tact ne peut en être délicat, et les sensations qu'il produit doivent être assez peu distinctes. Yoici donc l'ordre des sens, tel que la nature paroît l'avoir établi pour les dififérents êtres que nous consi- dérons. Dans l'homme, le toucher est le premier, c'est-à-dire le plus parfait , le goût est le second , la vue le troisième, l'ouïe le quatrième, et l'odorat le dernier des sens. Dans le quadrupède , l'odorat est le premier, le goût le second, ou plutôt ces deux sens n'en font qu'un ; la vue le troisième , l'ouïe le qua- trième, et le toucher le dernier. Dans l'oiseau, la vue est le premier, l'ouïe est le second, le toucher est le troisième, le goût et l'odorat les derniers. Les sensa- tions dominantes dans chacun de ces êtres suivront le même ordre ; l'homme sera plus ému par les im- pressions du toucher, le quadrupède par celles de l'odorat, et l'oiseau par celles de la vue. La plus grande partie de leurs jugements, de leurs détermi- nations, dépendront de ces sensations dominantes; 1. Nous avons vu , dans VFIistoire des animaux quadrupèdes, qu'il n'y en a pas un tiers qui se servent de leurs pieds de devant pour por- ter à leur gueule, au lieu que la plupart des oiseaux se servent d'une de leurs pattes pour porter à leur bec, quoique cet acte doive leur coû- ter plus qu'aux quadrupèdes, puisque , n'ayant que deux pieds, ils sont obligés de se soutenir avec effort sur un seul, pendant que l'autre agit; au lieu que le quadrupède est alors appuyé sur les trois autres pieds, ou assis sur les parties postérieures de son corps. SUR LA NATURE DES OISEAUX. Gl celles des autres sens^ ëtant moins fortes et moins nombreuses, seront subordonnées aux premières, et n'influeront qu'en second sur la nature de l'être : l'homme sera aussi réfléchi que le sens du toucher paroit grave et profond, le quadrupède aura des ap- pétits plus véhéments que ceux de l'homme, et l'oi^ seau des sensations plus légères et aussi étendues que l'est le sens de la vue. Mais il y a un sixième sens qui, quoique intermit- tent, semble, lorsqu'il agit, commander à tous les autres , et produire alors les sensations dominantes , les mouvements les plus violents, et les affections les plus intimes; c'est le sens de l'amour : rien n'égale la force de ses impressions dans les animaux quadrupè- des, rien n'est plus pressant que leurs besoins, rien de plus fougueux que leurs désirs ; ils se recherchent avec l'empressement le plus vif, et s'unissent avec une espèce de fureur. Dans les oiseaux il y a plus de ten- dresse, plus d'attachement, plus de moral en amour, quoique le fonds physique en soit peut-être encore plus grand que dans les quadrupèdes : à peine peut- on citer dans ceux-ci quelques exemples de chasteté conjugale, et encore moins du soin des pères pour leur progéniture; au lieu que dans les oiseaux ce sont les exemples contraires qui sont rares, puisqu'à l'ex- ception de ceux de nos basses-cours et de quelques autres espèces, tous paroissent s'unir par un pacte constant, et qui dure au moins aussi long-temps que l'éducation de leurs petits. C'est qu'indépendamment du besoin de s'unir, tout mariage suppose une nécessité d'arrangement pour ?îoi-même et pour ce qui doit en résulter : îcs oiseaux 62 DISCOURS qui sont forces, pour déposer leurs œufs, de construire un nid que Ja femelle commence par nécessité , et au- quel le mâle amoureux travaille par complaisance, s'occupant ensemble de cet ouvrage, prennent de l'at- tachement l'un pour l'autre : les soins multipliés, les secours mutuels, les inquiétudes communes, forti- fient ce sentiment qui augmente encore et qui de- vient plus durable par une seconde nécessité ; c'est de ne pas laisser refroidir les œufs , ni perdre le fruit de leurs amours, pour lequel ils ont déjà pris tant de soins : la femelle ne pouvant les quitter, le mâle va chercher et lui apporte sa subsistance ; quelquefois même il la remplace, ou se réunit avec elle, pour augmenter la chaleur du nid et partager les ennuis de sa situation. L'attachement qui vient de succéder à l'amour subsiste dans toute sa force pendant le temps de l'incubation, et il paroît s'accroître encore et s'é- panouir davantage à la naissance des petits : c'est une autre jouissance, mais en même temps ce sont de nouveaux liens ; leur éducation est un uouvel ouvrage auquel le père et la mère doivent travailler de concert. Les oiseaux nous représentent donc tout ce qui se passe dans un ménage honnête , de l'amour suivi d'un attachement sans partage, et qui ne se répand ensuite que sur la famille. Tout cela tient, comme l'on voit, à la nécessité de s'occuper ensemble de soins indis- pensables et de travaux communs : et ne voit-on pas aussi que cette nécessité de travail ne se trouvant chez nous que dans la seconde classe, les hommes de la pre- mière pouvant s'en dispenser, l'indifférence et l'infidé- lité n'ont pu manquer de gagner les conditions élevées.^ Dans les animaux quadrupèdes il n'y a que de l'a- SUR LA NATURE DES OISEAUX. 65 niour physique et point d'attachement, c'est-à-dire nul sentiment durable entre le mâle et la femelle, parce que leur union ne suppose aucun arrangement précédent, et n'exige ni travaux communs ni soins subséquents ; dès lors point de mariage. Le mâle , dès qu'il a joui , se sépare de la femelle , soit pour passer à d'autres, soit pour se refaire ; il n'est ni mari ni père de famille, car il méconnoît et sa femme et ses en- fants : elle-même, s'étant livrée à plusieurs, n'attend de soins ni de secours d'aucun ; elle reste seule char- gée du poids de sa progéniture et des peines de l'édu- cation ; elle n'a d'attachement que pour ses petits, et ce sentiment dure souvent plus long-temps que dans l'oiseau. Comme il paroît dépendre du besoin que les petits ont de leur mère, qu'elle les nourrit de sa propre substance, et que ses secours sont plus long- temps nécessaires dans la plupart des quadrupèdes , qui croissent plus lentement que les oiseaux, l'atta- chement dure aussi plus long-temps ; il y a même plu- sieurs espèces d'animaux quadrupèdes où ce senti- ment n'est pas détruit par de nouvelles amours , et où l'on voit la mère conduire également et soigner ses petits de deux ou trois portées. Il y a aussi quelques espèces de quadrupèdes dans lesquelles la société du mâle et de la femelle dure et subsiste pendant le temps de l'éducation des petits : on le voit dans les loups et les renards : le chevreuil surtout peut être regardé comme le modèle de la fidélité conjugale. Il y a, au contraire, quelques espèces d'oiseaux dont la pariade ne dure pas plus long-temps que les besoins de l'amour^; 1. Dès que la perdrix rouge romclie couve, le mâle l'abaïKlonue j, tl la laisse chargée seule de l'éducalioa des potil?. Les raàles qui ont ^^4 DISCOURS mais ces exceptions n'empêchent pas qu'en général la nature n'ait donné plus de constance en amour aux oiseaux qu'aux quadrupèdes. Et ce qui prouve encore que ce mariage et ce mo- ral d'amour n'est produit dans les oiseaux que par la nécessité d'un travail commun, c'est que ceux qui ne font point de nid ne se marient point, et se mêlent indifféremment : on le voit par l'exemple familier de nos oiseaux de basse-cour; le mâle paroît seulement avoir quelques attentions de plus pour ses femelles que n'en ont les quadrupèdes, parce qu'ici la saisoa des amours n'est pas limitée, qu'il peut se servir plus long-temps de la même femelle, que le temps des pontes est plus long, qu'elles sont plus fréquentes; qu'en fm, comme on enlève les œufs, les temps d'in- cubation sont moins pressés, et que les femelles ne demandent à couver que quand leurs puissances pour la génération se trauvent amorties et presque épui- sées. Ajoutez à toutes ces causes le peu de besoin que ces oiseaux domestiques ont de construi.-e un nid pour se mettre en sûreté et se soustraire aux yeux, l'abon- dance dans laquelle ils vivent, la facilité de recevoir leur nourriture ou de la trouver toujours au même lieu, toutes les autres comaiodités que l'homme leur fournit, qui dispensent ces oiseaux des travaux, des soins et des inquiétudes que les autres ressentent et partagent en commun, et vous retrouverez chez eux les premiers effets du luxe et les maux de l'apulence , libertinage et jmresse. servi leurs femelles se rassemblent en compagnie, et ne prennent plus aucun intérêt à leur progéniture. ( Celle remarque m'a été donnée pur V,, Le Roy, liculinant ck's ciiaeses à Versailles. ) SUR LA NATIRE DES OISEAUX. 65 Au reste , dans ces oiseaux dont nous avons gâté les mœurs en les servant, comme dans ceux qui les ont conservées, parce qu'ils sont forcés de travailler ensemble et de se servir eux-mêmes, le fonds d^ l'a- mour physique (c'est-à-dire l'étoffe, la substance qui produit cette sensation et en réalise les efl'ets) est bien plus grand que dans les animaux quadrupèdes. Un coq suffit aisément à douze ou quinze poules, et fé- conde par un seul acte tous les œufs que chacune peut produire en vingt jours ; il pourroit €lonc, absolument parlant, devenir chaque jour père de trois cents en- fants. Une bonne poule peut produire cent œufs dans une seule saison, depuis le printemps jusqu'en au- tomne. Quelle différence de cette grande multiplica- tion au petit produit de nos quadrupèdes les plus féconds ! Il semble que toute la nourriture qu'on four- nit abondamment à ces oiseaux, se convertissant en liqueur séminale , ne serve qu'à leurs plaisirs, et tourne tout entière au profit de la propagation ; ce sont des espèces de machines que nous montons, que nous arrangeons nous-mêmes pour la multiplication; nous en augmentons prodigieusement le nombre en les te- nant ensemble, en les nourrissant largement, et en les dispensant de tout travail , de tout soin , de toute inquiétude pour les besoins de la vie : car le coq et la poule sauvages ne produisent dans l'état naturel qu'au- tant que nos perdrix et nos cailles; et quoique de tous les oiseaux les gallinacés soient les plus féconds, leur produit se réduit à dix-huit ou vingt œufs, et Jeurs amours à une seule saison, lorsqu'ils sont dans l'état de nature. A la vérité il pourroit y avoir deux saisons et deux pontes dans des climats plus heureux, ^6 DISCOURS comme Ton voit dans celui-ci plusieurs espèces d'oi- seaux pondre deux et même trois fois dans un été; mais aussi le nombre des œufs est moins grand dans toutes ces espèces, et le temps de l'incubation est plus court dans quelques unes. Ainsi, quoique les oi- seaux soient en puissance bien plus prolifiques que les quadrupèdes, ils ne le sont pas beaucoup plus par r effet. Les pigeons, les tourterelles, etc., ne pondent que deux œufs ; les grands oiseaux de proie n'en pon- dent que trois ou quatre ; la plupart des autres oi- seaux cinq ou six; et il n'y a que les poules et les autres gallinacés, tels que le paon, le dindon, le fai- san, les perdrix et les cailles, qui produisent en grand nombre. La disette, les soins, les inquiétudes, le travail forcé , diminuent dans tous les êtres les puissances et les effets de la génération. Nous l'avons vu dans les animaux quadrupèdes, et on le voit encore plus évi- demment dans les oiseaux; ils produisent d'autant plus qu'ils sont mieux nourris, plus choyés, mieux servis : et si nous ne considérons que ceux qui sont livrés à eux-mêmes , et exposés à tous les inconvénients qui accompagnent l'entière indépendance, nous trou- verons qu'étant continuellement travaillés de besoins, d'inquiétudes, et de craintes, ils n'usent pas, à beau- coup près, autant qu'il se pourroit, de toutes leurs puissances pour la génération; ils semblent même en ménager les effets, et les proportionner aux circon- stances de leur situation. Un oiseau, après avoir con- struit son nid et fait sa ponte , que je suppose de cinq œufs, cesse de pondre, et ne s'occupe que de leur conservation; tout îe reste de la saison sera employé SUR LA NATURE DES OISEAUX. 67 à l'incubation et à l'éducation des petits, et il n'y aura point d'autres pontes : mais si par hasard on brise les œufs, on renverse le nid, il en construit bientôt un autre, et pond encore trois ou quatre œufs; et si on détruit ce second ouvrage comme le premier, l'oi- seau travaillera de nouveau et pondra encore deux ou trois œufs. Cette seconde et cette troisième ponte dé- pendent donc en quelque sorte de la volonté de l'oi- seau. Lorsque la première réussit, et tant qu'elle sub- siste , il ne se livre pas aux émotions d'amour et aux affections intérieures qui peuvent donner à de nou- veaux œufs la vie végétative nécessaire à leur accrois- sement et à leur exclusion au dehors; mais si la mort a moissonné sa famille naissante ou prête à naître , il se livre bientôt à ces affections, et démontre par un nouveau produit que ses puissances pour la généra- tion n'étoient que suspendues et point épuisées, et qu'il ne se privoit des plaisirs qui la précèdent que pour satisfaire au devoir naturel du soin de sa famille. Le devoir l'emporte donc encore ici sur la passion , et l'attachement sur l'amour. L'oiseau paroît comman- der à ce dernier sentiment bien plus qu'au premier, auquel du moins il obéit toujours de préférence : ce n'est que par la force qu'il se départ de l'attachement pour ses petits, et c'est volontairement qu'il renonce aux plaisirs de l'amour, quoique très en état d'en jouir. De la même manière que, dans les oiseaux, les mœurs sont plus pures en amour, de même aussi les moyens d'y satisfaire sont plus simples que dans les f[uadrupèdes : ils n'ont qu'une seule façon de s'accou- pler, au lieu que nous avons vu dans les quadrupèdes 6S DISCOURS des exemples de toutes les situations : seulement il y a des espèces, comme celle de la poule, où la femelle s'abaisse en pliant les jambes, et d'autres, comme celle du moineau, où elle ne change rien à sa position ordinaire, et demeure droite sur ses pieds. Dans tous, le temps de l'accouplement est très court, et plus court encore dans ceux qui se tiennent debout que dans ceux qui s'abaissent. La forme extérieure ^ et la structure intérieure des parties de la génération sont fort différentes de celles des quadrupèdes, et la gran- deur, la position, le nombre, l'action, et le mouve- ment de ces parties varient même beaucoup dans les diverses espèces d'oiseaux. Aussi paroît-il qu'il y a in- tromission réelle dans les uns, et qu'il ne peut y avoir dans les autres qu'une forte compression, ou même un simple attouchement. Mais nous réservons ces dé- tails, ainsi que plusieurs autres, pour l'histoire parti- culière de chaque genre d'oiseau. En rassemblant sous un seul point de vue les idées et les faits que nous venons d'exposer, nous trouve- rons que le sens intérieur, le sensoruun de l'oiseau, est principalement rempli d'images produites par le sens de la vue; que ces images sont superficielles, mais très étendues, et la plupart relatives au mouve- ment, aux distances, aux espaces; que, voyant une 1. La plupart des oiseaux ont deux verges ou une verge fourchue, et c'est par l'anus que sort cette double verge pour s'étendre au dehors. Dans quelques espèces, cette partie est d'une grandeur très remarqua- ble , et dans d'autres elle est à peine sensible. La femelle n'a pas , comme dans les quadrupèdes, l'orifice de la vulve au dessous de l'anus ; elle le porte au dessus. Elle n'a point de matrice comme les quadrupèdes, mais desimpies ovaires. SDR LX NATURE DES OISEAUX. 6q province entière aussi aisément que nous voyons notre liorizon, il porte dans son cerveau une carte géogra- jDliique des lieux qu'il a vus; que la facilité qu'il a de les parcourir de nouveau est l'une des causes déter- minantes de ses fréquentes promenades et de ses mi- grations. Nous reconnoîtrons qu'étant très susceptible d'être ébranlé par le sens de l'ouïe, les bruits soudains doivent le remuer violemment , lui donner de la crainte et le faire fuir, tandis qu'on peut le faire approcher par des sons doux, et le leurrer par des appeaux; que les organes de la voix étant très forts et très flexibles, l'oiseau ne peut manquer de s'en servir pour exprimer ses sensations, transmettre ses affections, et se faire entendre de très loin ; qu'il peut aussi se mieux expri- mer que le quadrupède, puisqu'il a plus de signes, c'est-à-dire plus d'inflexions dans la voix; que, pou- vant recevoir facilement et conserver long-temps les impressions des sons, l'organe de ce sens se monte comme un instrument qu'il se plaît à faire résonner : mais que ces sons communiqués, et qu'il répète mé- caniquement, n'ont aucun rapport avec ses affections intérieures; que le sens du toucher ne lui donnant que des sensations imparfaites, il n'a que des notions peu distinctes de la forme des corps, quoiqu'il en voie très clairement la surface; que c'est par le sens de la vue, et non par celui de l'odorat, qu'il est averti de loin de la présence des choses qui peuvent lui servir de nourriture; qu'il a plus de besoin que d'appétit, plus de voracité que de sensualité ou de délicatesse? de goût. Nous verrons que , pouvant aisément se sous- traire à la main de l'homme , et se mettre même hors de îa portée de sa vue, les oiseaux ont dû conserver UO-l-ON. \I\. 70 DISCOURS SUR LA NATURE DES OISEAUX. un naturel sauvage, et trop d'indépendance pour être réduits en vraie domesticité; qu'étant plus libres, plus éloignés que les quadrupèdes, plus indépendants de l'empire de l'homme, ils sont moins troublés dans le cours de leurs habitudes naturelles ; que c'est par cette raison qu'ils se rassemblent plus volontiers ; et que la plupart ont un instinct décidé pour la société ; qu'étant forcés de s'occuper en commun des soins de leur famille , et même de travailler d'avance à la con- struction de leur nid, ils prennent un fort attache- ment l'un pour l'autre, qui devient leur affection do- minante, et se répand ensuite sur leurs petits; que ce sentiment doux tempère les passions violentes, modère même celles de l'amour, et fait la chasteté, la pureté de leurs mœurs, et la douceur de leur na- turel; que, quoique plus riches en fonds d'amour qu'aucun des animaux, ils dépensent à proportion beaucoup moins, ne s'excèdent jamais, et savent sub- ordonner leurs plaisirs à leurs devoirs; qu'enfin cette classe d'êtres légers, que la nature paroît avoir pro- duits dans sa gaieté, peut néanmoins être regardée comme un peuple sérieux, honnête, dont on a eu raison de tirer des fables morales et d'emprunter des exemples utiles. kV\'^\•w\'VV\\\\^wv^vvv\\\w\%■w'vvvv\vv^.\'v\•^*vvw'Vvx'v^v».'vvvv\'\vv^^■v\^\'vv'v^^/VvWl^^.v\.\^*( SUR LES OISEAUX DE PROIE. On pouiToil dire, absolument parlant, que presque tous les oiseaux vivent de proie, puisque presque tous recherchent et prennent les insectes, les vers, et les autres petits animaux vivants : mais je n'entends ici par oiseaux de proie que ceux qui se nourrissent de chair, et font la guerre aux autres oiseaux; et, en les comparant aux quadrupèdes carnassiers, je trouve qu'il y en a proportionnellement beaucoup moins. La tribu des lions, des tigres, des panthères, onces, léo- pards, guépards, jaguars, couguars, ocelots, servals, margais, chats sauvages ou domestiques; celle des chiens, des chacals, loups, renards, isatis; celle des hyènes, civettes, zibets, genettes et fossanes; les tri- bus plus nombreuses encore de fouines, martes, pu- tois, mouffettes, furets, vansires, hermines, belettes, zibelines, mangoustes, surikates, gloutons, pékans, visons, sousliques; et des sarigues, marmoses, cayo- polHns, tarsiers, phalangers; celle des roussettes, rou- gettes, chauve-souris, à laquelle on peut encore ajou- ter toute la famille des rats, qui, trop foibles pour attaquer les autres, se dévorent eux-mêmes ; tout cela forme un nombre bien plus considérable que ce- lui des aigles, des vautours, éperviers, faucons, ger- fauts, milans, buses, crécerelles, émerillons, ducs, hi- boux, chouettes, pies-grièches, et corbeaux, qui sont tes seuls oiseaux dont l'appétit pour la chair soit bien 79 SUR LES OISEAUX DE PROIE. décidé; et encore y en a-t-il plusieurs, tels que les milans, les buses, et les corbeaux, qui se nourrissent plus volontiers de cadavres que d'animaux vivants ; en sorte qu'il n'y a pas une quinzième partie du nom- bre total des oiseaux qui soient carnassiers, tandis que dans les quadrupèdes il y en a plus du tiers. Les oiseaux de proie, étant moins puissants, moins forts, et beaucoup moins nombreux que les quadru- pèdes carnassiers, font aussi beaucoup moins de dé- gât sur la terre; mais en revanche, comme si la ty- rannie ne perdoit jamais ses droits, il existe une grande tribu d'oiseaux qui font une prodigieuse déprédation sur les eaux. Il n'y a guère parmi les quadrupèdes que les castors, les loutres, les phoques, et les morses, qui vivent de poisson, au lieu qu'on peut compter un très grand nombre d'oiseaux qui n'ont pas d'autre subsistance. Nous séparerons ici ces tyrans de l'eau des tyrans de l'air, et ne parlerons pas, dans cet ar- ticle, de ces oiseaux qui ne sont que pêcheurs et pis- civores; ils sont, pour la plupart, d'une forme très différente , et d'une nature assez éloignée des oiseaux carnassiers : ceux-ci saisissent leur proie avec les ser- res ; ils ont tous le bec court et crochu , les doigts bien séparés et dénués de membranes, les jambes fortes et ordinairement recouvertes par les plumes des cuisses, les ongles grands et crochus, tandis que les autres prennent le poisson avec le bec, qu'ils ont droit et pointu, et qu'ils ont aussi les doigts réunis par des membranes, les ongles foibles, et les jambes tour- nées en arrière. En ne comptant pour oiseaux de proie que ceux que nous venons d'indiquer, et séparant encore pour SUR LliS OISEALX Dli PROIE. -^5 Vin instant les oiseaux de nuit des oiseaux de jour, nous Jes présenterons dans l'ordre qui nous a paru le plus naturel : nous commencerons par les aigles, les vau- tours, les milans, les buses; nous continuerons par les éperviers, les gerfauts, les faucons; et nous fini- rons par les émerillons et les pies-grièches. Plusieurs de ces articles contiennent un assez grand nombre d'espèces et de races constantes, produites par l'in- fluence du climat; et nous Joindrons à chacun les oiseaux étrangers qui ont rapport à ceux de notre cli- mat. Par cette méthode, nous donnerons non seule- ment tous les oiseaux du pays, mais encore tous les oiseaux étrangers dont parlent les auteurs , et toutes les espèces nouvelles que nos correspondances nous ont procurées, et qui ne laissent pas d'être en assez grand nombre. Tous les oiseaux de proie sont remarquables par une singularité dont il est difficile de donner la rai- son; c'est que les mâles sont d'environ un tiers moins grands et moins forts que les femelles, tandis que, dans les quadrupèdes et dans les autres oiseaux, ce sont, comme l'on sait, les mâles qui ont le plus de grandeur et de force. A la vérité, dans les insectes, et môme dans les poissons, les femelles sont un peu plus grosses que les mâles , et l'on en voit clairement la raison ; c'est la prodigieuse quantité d'oeufs qu'elles contiennent qui renfle leur corps ; ce sont les organes destinés à cette immense production qui en augmen- tent le volume apparent : mais cela ne peut en aucune façon s'appliquer aux oiseaux, d'autant qu'il paroît par le fait que c'est tout le contraire ; car, dans ceux qui produisent des œufs en grand nombre, les fe- 74 SUR LES OISEAUX DE PROIE. melles ne sont pas plus grandes que les mâles ; les poules, les canes, les dindes, les poules-faisanes, les perdrix, les cailles femelles, qui produisent dix-huit ou vingt œufs,^sont plus petites que leur mâle, tandis que les femelles des aigles, des vautours, des éper- viers, des milans, et des buses, qui n'en produisent que trois ou quatre, sont d'un tiers plus grosses que les mâles : c'est par cette raison qu'on appelle tierce- let le mâle de toutes les espèces d'oiseaux de proie. Ce mot est un nom générique, et non pas spécifique, comme quelques auteurs l'ont écrit; et ce nom géné- rique indique seulement que le mâle ou tiercelet est d'un tiers environ plus petit que la femelle. Ces oiseaux ont tous pour habitude naturelle et commune le goût de la chasse et l'appétit de la proie, le vol très élevé, l'aile et la jambe fortes, la vue très perçante, la têle grosse, la langue charnue, l'estomac simple et membraneux, les intestins moins amples et plus courts que les autres oiseaux. Ils habitent de préférence les lieux solitaires, les montagnes déser- tes, et font communément leur nid dans les trous des rochers ou sur les plus hauts arbres : l'on en trouve plusieurs espèces dans les deux continents, quelques uns même ne paroissent pas avoir de cli- mat fixe et bien déterminé. Enfin ils ont encore pour caractères généraux et communs le bec crochu, les quatre doigts à chaque pied, tous quatre bien sépa- rés : mais on distinguera toujours un aigle d'un vau- tour par un caractère évident ; l'aigle a la tête cou- verte de plumes, au lieu que le vautour l'a nue et garnie d'un simple duvet; et on les distinguera tous deux des éperviers, buses, milans, et faucons, par un SUR LES OISEAUX DE PROIE. ^3 autre caractère qui n'est pas difficile à saisir; c'est que le bec de ces derniers oiseaux commence à se courber dès son insertion , tandis que le bec des ai- gles et des vautours commence par une partie droite, et ne prend de la courbure qu'à quelque distance de son origine. Les oiseaux de proie ne sont pas aussi féconds que les autres oiseaux; la plupart ne pondent qu'un pe- tit nombre d'œufs : mais je trouve que M. Linnasus a eu tort d'affirmer qu'en général tous ces oiseaux pro- duisoient environ quatre œufs. Il y en a qui, comme le grand aigle et l'orfraie, ne donnent que deux œufs, et d'autres, comme la crécerelle et l'émerilloQ, qui en font jusqu'à sept. Il en est, à cet égard, des oi- seaux comme des quadrupèdes : le nombre de la mul- tiplication par la génération est en raison inverse de leur grandeur; les grands oiseaux produisent moins que les petits; et en raison de ce qu'ils sont plus pe- tits, ils produisent davantage. Cette loi me paroît gé- néralement établie dans tous les ordres de la nature vivante ; cependant on pourroit m'opposer ici les exem- ples des pigeons, qui, quoique petits, c'est-à-dire d'une grandeur médiocre, ne produisent que deux œufs, et des plus petits oiseaux qui n'en produisent ordinairement que cinq : mais il faut considérer le produit absolu d'une année, et ne pas oublier que le pigeon, qui ne pond que deux et quelquefois trois œufs pour une seule couvée, fait souvent deux, trois, et quatre pontes du printemps à l'automne; et que, dans les plus petits oiseaux , il y en a aussi plusieurs qui pondent plusieurs fois pendant le temps de ces mêmes saisons; de manière qu'à tout prendre et tout •^6 SUR LES OISEAUX DE PROIE. considérer, il est toujours vrai de dire que ^ toutes choses égales d'ailleurs, le nombre dans le produit de la génération est proportionnel à la petitesse de ranimai, dans les oiseaux comme dans les quadru- pèdes. Tous les oiseaux de proie ont plus de dureté dans le naturel et plus de férocité que les autres oiseaux; non seulement ils sont les plus difficiles de tous à priver, mais ils ont encore presque tous , plus ou moins, l'habitude dénaturée de chasser leurs petits hors du nid bien plus tôt que les autres, et dans le temps qu'ils leur devroient encore des soins et des secours pour leur subsistance. Cette cruauté, comme toutes les autres duretés naturelles , n'est produite que par un sentiment encore plus dur, qui est le be- soin pour soi-même et la nécessité. Tous les animaux qui, par la conformation, de leur estomac et de leurs intestins, sont forcés de se nourrir de chair et de vi- vre de proie, quand même ils seroient nés doux, de- viennent bientôt offensifs et méchants par le seul usage de leurs armes, et prennent ensuite de la féro- cité dans l'habitude des combats : comme ce n'est qu'en détruisant les autres qu'ils peuvent satisfaire à leurs besoins, et qu'ils ne peuvent les détruire qu'en leur faisant continuellement la guerre, ils portent une âme de colère qui influe sur toutes leurs actions, dé- truit tous les sentiments doux, et affoiblit même la tendresse maternelle. Trop pressé de son propre be- soin, l'oiseau de proie n'entend qu'impatiemment et sans pitié les cris de ses petits, d'autant plus affamés qu'ils deviennent plus grands : si la chasse se trouve difficile, et que la proie vienne à manquer, il les ex- SUR LES OISEAUX DE PROIE. 77 ])iilse, les frappe, et quelquefois les tue dans un accès de fureur causée par la misère. Un autre effet de cette dureté naturelle et acquise est Imsociabilité. Les oiseaux de proie, ainsi que les quadrupèdes carnassiers, ne se réunissent jamais les uns avec les autres; ils mènent, comme les voleurs, une vie errante et solitaire : le besoin de l'amour, ap- paremment le plus puissant de tous après celui de la nécessité de subsister, réunit le mâle et la femelle ; et comme tous deux sont en état de se pourvoir, et qu'ils peuvent même s'aider à la guerre qu'ils font aux autres animaux, ils ne se quittent guère, et ne se sépa- rent pas même après la saison des amours. On trouve presque toujours une paire de ces oiseaux dans le même lieu , mais presque jamais on ne les voit s'at- trouper ni même se réunir en famille; et ceux qui, comme les aigles, sont les plus grands, et ont, par cette raison, besoin de plus de subsistance, ne souf- frent pas même que leurs petits, devenus leurs ri- vaux , viennent occuper les lieux voisins de ceux qu'ils habitent; tandis que tous les oiseaux et tous les qua- drupèdes qui n'ont besoin pour se nourrir que des fruits de la terre vivent en famille, cherchant la so- ciété de leurs semblables, et se mettent en bandes et en troupes nombreuses, et n'ont d'autre querelle, d'autre cause de guerre, que celles de l'amour ou de l'attachement pour leurs petits; car, dans presque tous les animaux, même les plus doux, les mâles de- viennent furieux dans le rut, et les femelles prennent de la férocité pour la défense de leurs petits. Avant d'entrer dans les détails historiques qui ont rapport à chaque espèce d'oiseaux de proie, nous ne yS SUR LES OISEAUX DE PROIE. pouvons nous dispenser de faire quelques remarques sur les méthodes qu'on a employées pour reconnoître ces espèces, et les distinguer les unes des autres. Les couleurs, leur distribution , leurs nuances, les taches, les bandes, les raies, les lignes, servent de fondement dans ces méthodes à la distinction des espèces, et un méthodiste ne croit avoir fait une bonne description que quand il a, d'après un plan donné et toujours uni- forme, fait rénumération de toutes les couleurs du plumage, et de toutes les taches, bandes, ou autres variétés qui s'y trouvent : lorsque ces variétés sont grandes, ou seulement assez sensibles pour être aisé- ment remarquées, il en conclut , sans hésiter, que ce sont des indices certains de la différence des espèces; et en conséquence on constitue autant d'espèces d'oiseaux qu'on remarque de différence dans les cou- leurs. Cependant rien n'est plus fautif et plus incer- tain : nous pourrions faire d'avance une longue énu- mération des doubles et triples emplois d'espèces faites par nos nomenclateurs d'après cette méthode de la différence des couleurs; mais il nous suffira de faire sentir ici les raisons sur lesquelles nous fondons cette critique, et de remonter en même temps à la source qui produit ces erreurs. Tous les oiseaux en général muent dans la première année de leur âge, et les couleurs de leur plumage sont presque toujours, après cette première mue , très différentes de ce qu'elles étoient auparavant : ce chan- gement de couleur, après le premier âge, est assez général dans la nature, et s'étend jusqu'aux quadru- pèdes, qui portent alors ce qu'on appelle la livrée^ et qui perdent cette livrée, c'est-à-dire les premières SUR LES OISEAUX DE PROIE. 79 couleurs de leur pelage, à la première mue. Dans les oiseaux de proie , l'effet de cette première mue change si fort les couleurs, leur distribution, leur position, qu'il n'est pas étonnant que nos nomenclateurs, qui presque tous ont négligé l'histoire des oiseaux, aient donné comme des espèces diverses le même oiseau , dans ces deux états différents dont l'un a précédé et l'autre suivi la mue. Après ce premier changement, il s'en fait un second assez considérable à la seconde et souvent encore à la troisième mue : en sorte que , par cette seule première cause, l'oiseau de six mois, ce- lui de dix-huit mois, et celui de deux ans et demi, quoique le même, paroît être trois oiseaux différents, surtout à ceux qui n'ont pas étudié leur histoire , et qui n'ont d'autre guide, d'autre moyen de les con- noître, que les méthodes fondées sur les couleurs. Cependant ces couleurs changent souvent du tout au tout, non seulement par la cause générale de la mue, mais encore par un grand nombre d'autres cau- ses particulières : la différence des sexes est souvent accompagnée d'une grande différence dans la cou- leur; il y a d'ailleurs des espèces qui, dans le même climat, varient même indépendamment de l'âge et du sexe; il y en a, et en beaucoup plus grand nom- bre, dont les couleurs changent absolument par l'in- fluence des différents climats. Rien n'est donc plus incertain que la connoissance des oiseaux, et surtout de ceux de proie dont il est ici question, par les cou- leurs et leurs distributions ; rien de plus fautif que la distinction de leurs espèces fondée sur des canictères aussi inconstants qu'accidentels. 8o OISEALX DE PROIE. LES AIGLES. Il y a plusieurs oiseaux auxquels on donne le nom d'aigles : nos nomenclateurs en comptent onze espèces en Europe, indépendamment de quatre autres espè- ces, dont deux sont du Brésil, une d'Afrique, et la dernière des grandes Indes. Ces onze espèces sont , 1** l'aigle commun, 2** l'aigle à tête blanche, 5° l'aigle blanc, 4** l'aigle tacheté , 5° l'aigle à queue blanche, 6° le petit aigle à queue blanche, 7° l'aigle doré, 8° l'aigle noir, 9° le grand aigle de mer, 10° l'aigle de mer, 1 1° le Jean-le-blanc : mais, comme nous l'avons déjà dit, nos nomenclateurs modernes paroissent s'être beaucoup moins souciés de restreindre et réduire au juste le nombre des espèces, ce qui néanmoins est le vrai but du travail d'un naturaliste, que de les multi- plier, chose bien moins difficile, et par laquelle on brille à peu de frais aux yeux des ignorants; car la réduction des espèces suppose beaucoup de connois- sances, de réflexions , et de comparaisons ; au lieu qu'il n'y a rien de si aisé que d'en augmenter la quantité : il suffit pour cela de parcourir les livres et les cabi- nets d'histoire naturelle, et d'admettre, comme ca- ractères spécifiques, toutes les différences, soit dans la grandeur, dans la forme, ou la couleur, et de cha- cune de ces différences, quelque légère qu'elle soit, faire une espèce nouvelle et séparée de toutes les au- tres. Mais malheureusement, en augmentant ainsi très gratuitement le nombre nominal des espèces, on n'a LES AIGLES. Si- fait qu'augmenter en même temps les dilïicultés de l'histoire naturelle , dont l'obscurité ne vient que de ces nuages répandus par une nomenclature arbitraire, souvent fausse, toujours particulière, et qui ne saisit jamais lensemble des caractères; tandis que c'est de la réunion de tous ces caractères, et surtout de la différence ou de la ressemblance de la forme, de la grandeur, de la couleur, et aussi de celle du naturel et des mœurs, qu'on doit conclure la diversité ou l'u- nité des espèces. Mettant donc d'abord à part les quatre espèces d'aigles étrangers dont nous nous réservons de parler dans la suite, et rejetant de la liste l'oiseau qu'on ap- pelle Jean-le-blanc j, qui est si différent des aigles, qu'on ne lui en a jamais donné le nom , il me paroît qu'on doit réduire à six les onze espèces d'aigles d'Eu- rope mentionnées ci-dessus, et que, dans ces six es- pèces, il n'y en a que trois qui doivent conserver le nom d'aigles, les trois autres étant des oiseaux assez différents des aigles pour exiger un autre nom. Ces trois espèces d'aigles sont, i** l'aigle doré, que j'ap- pellerai le grand aigle ; 2" l'aigle commun ou moyen; 5" l'aigle tacheté, que j'appellerai le petit aigle : les trois autres sont l'aigle à queue blanche , que j'appel- lerai pygarguej, de son nom ancien , pour le distin- guer des aigles des trois premières espèces , dont il commence à s'éloigner par quelques caractères; l'aigle de mer, que j'appellerai balbuzardj, de son nom an- glois, parce que ce n'est point un véritable aigle ; et enfin le grand aigle de mer, qui s'éloigne encore plus^ de l'espèce, et que, par cette raison, j'appellerai or- fraie, de son vieux nom francois. 89 OISEAUX DE PROIE. Le grand et le petit aigle sont chacun d'une espèce isolée ; mais l'aigle commun el le pygargue sont sujets à varier. L'espèce de l'aigle commun est composée de deux variétés, savoir, l'aigle brun et l'aigle noir; et l'espèce du pygargue en contient trois, savoir, le grand aigle à queue blanche, le petit aigle à queue blanche, et l'aigle à tête blanche. Je n'ajouterai pas à ces espèces celle de l'aigle blanc , car je ne pense pas que ce soit une espèce particulière , ni même une race constante et qui appartienne à une espèce dé- terminée : ce n'est, à mon avis, qu'une variété acci- dentelle, produite par le froid du climat, et plus sou- vent encore par la vieillesse de l'animal. On verra dans l'histoire particulière des oiseaux que plusieurs d'entre eux, et les aigles surtout, blanchissent par la vieil- lesse, et même par les maladies, ou parla trop longue diète. On verra de même que Faigle noir n'est qu'une variété dans l'espèce de l'aigle brun ou aigle commun ; que l'aigle à tête blanche, et le petit aigle à queue blanche, ne sont aussi que des variétés dans l'espèce du pygargue, ou grand aigle à queue blanche, et que l'aigle blanc n'est qu'une variété accidentelle ou indi- viduelle qui peut appartenir à toutes les espèces. Ainsi des onze prétendues espèces d'aigles il ne nous en reste plus que trois, qui sont le grand aigle, l'aigle moyen, et le petit aigle ; les quatre autres, savoir, le pygargue , le balbuzard, l'orfraie , et le Jean-le-blanc, étant des oiseaux assez différents des aigles pour être considérés chacun séparément, et porter par consé- quent un nom particulier. Je me suis déterminé à cette réduction d'espèces avec d'autant plus de fon- LES AIGLES. 85 dément et de raison, qu'il étoit connu, dès le temps des anciens , que les aigles de races différentes se mê- lent volontiers et produisent ensemble, et que d'ail- leurs cette division ne s'éloigne pas beaucoup de celle d'Aristote, qui me paroît avoir mieux connu qu'aucun de nos nomenclateurs les vrais caractères et les diffé- rences réelles qui séparent les espèces. Il dit qu'il y en a six dans le genre des aigles; mais dans ces six espèces il comprend un oiseau qu'il avoue lui-même être du genre des vautours, et qu'il faut par consé- quent en séparer, puisque c'est en effet celui que l'on connoît sous le nom de vautour des Alpes. Ainsi reste à cinq espèces, qui correspondent d'abord aux trois espèces d'aigles que Je viens d'établir, et ensuite à la quatrième et à la cinquième , qui sont le pygargue et l'aigle de mer, ou balbuzard. J'ai cru, malgré l'auto- rité de ce grand philosophe , devoir séparer des aigles proprement dits ces deux derniers oiseaux : et c'est en cela seul que ma réduction diffère de la sienne : car du reste je me trouve entièrement d'accord avec ses idées; et je pense comme lui que l'orfraie [ossi- fraga ) , ou grand aigle de mer, ne doit pas être compté parmi les aigles, non plus que l'oiseau appelé Jecm-le- blanc j duquel il ne fait pas mention, et qu'il est si différent des aigles , qu'on ne lui en a jamais donné le nom. Tout sera développé avec avantage et pkrs de clarté pour le lecteur dans les articles suivants, où l'on va voir en détail les différences de chacune des espèces que nous venons d'indiquer. 84 OISEAUX DE PROIE. LE GRAND AIGLES Falco chrysœtos. L. La première espèce est le grand aigle, que Belon, après Athénée, a nommé V aigle royale ou le roi des oi- seaux : c'est en effet l'aigle d'espèce franche et de race noble, appelé par celte raison aetos gnésios_, par Aris- tote, et connu de nos nomenclateurs sous le nom d'aigle doré. C'est le plus grand de tous les aigles; la femelle a jusqu'à trois pieds et demi de longueur de- puis le bout du bec jusqu'à l'extrémité des pieds , et plus de huit pieds et demi de vol ou d'envergure : elle pèse seize et même dix-huit livres ^. Le mâle est 1. Eu latin, aqu'da fuiva; en espagnol, aquila coronada; en alle- mand, adeler quasi adel , aar ; en anglois, golden eagie; en François, le grand aigle, Vaigle royal, ["aigle noble, ïaigle doré, Vaigle roux , Vaigle fauve. 2. Voici ce que m'a écrit un de mes amis ( M. Hébert, receveur gé- néral à Dijon, (jui a fait de très bonnes observations sur les oiseaux, qu'il m'a communiquées, et que j'aurai quelquefois occasion de citer avec reconnoissance) : J'ai vu , dit-il, dans le pays de Bugey, de deux espèces d'aigles : le premier fut pris au château de Dorîau, dans un filet à l'appât d'un pigeon vivant ; il pesoit dix-huit livres; ilétoit de couleur fauve (c'est le grand aigle, le même qui est représenté dans la Zoologie britannique, planche A); il étoit très fort et très méchant, et blessa cruellement au sein une femme qui avoit soin de la faisanderie : l'autre étoit presque noir. J'ai encore vu l'une et l'autre espèces de ces aigles à Genève, où on les nourrissoit dans des cages séparées : ils ont tous deux les jambes couvertes de plumes jusqu'à la naissance des doigts ; et les plumes de leurs cuisses sont si longues et si louiîues, qu'on croiroit , en voyant ces oiseaux d'un peu loin, ([u'ils sont posés sur quel([ue PI, 110 l L¥. QrKA^L AIGLE _:2.I-'AIGI,E COMMUIM LE GRAND AiGLE. 85 plus petit, et ne pèse guère que douze livres. Tous deux ont le bec très fort, et assez semblable à de la corne bleuâtre, et les ongles noirs et pointus, dont le plus grand, qui est celui de derrière, a quelquefois jusqu'à cinq pouces de longueur : les yeux sont grands, mais paroissent enfoncés dans une cavité profonde, que la partie supérieure de l'orbite couvre comme un toit avancé ; l'iris de l'œil est d'un beau jaune clair, et brille d'un feu très vif; l'humeur vitrée est de cou- leur de topaze; le cristallin, qui est sec et solide, a le brillant et l'éclat du diamant : l'œsophage se dilate en une large poche, qui peut contenir une pinte de liqueur : l'estomac, qui est au dessous, n'est pas, à beaucoup près , aussi grand que cette première poche ; mais il est à peu près également souple et membra- neux. Cet oiseau est gras, surtout en hiver; sa graisse est blanche; et sa chair, quoique dure et fibreuse, ne sent pas le sauvage comme celle des autres oiseaux de proie. On trouve cette espèce en Grèce; en France, dans les montagnes du Bugey ; en Allemagne , dans les mon- tagnes de Silésie, dans les forêts de Dantzick; dans les monts Carpatiens, dans les Pyrénées, et dans les montagnes d'Irlande. On le trouve aussi dans l'Asie mineure et en Perse; car les anciens Perses avoient, avant les Romains, pris l'aigle pour leur enseigne de guerre : et c'étoit ce grand aigle , cet aigle doré [aquila fiilva), qui étoit dédié à Jupiter. On voit aussi, par le témoignage des voyageurs, qu'on le trouve en Arabie, en Mauritanie, et dans plusieurs autres provinces de petite éminence. Oiicroiroit qu'ils sont de passage en Bugey, c;ir on ne lies y voit guère qu'au printemps et en automne. BUFFON. XIX. " S6 OISEAUX DE PROIE. J'Afrique et de l'Asie jusqu'en ïartarie , mais point en Sibérie ni dans le reste du nord de l'Asie. 11 en est à peu près de même en Europe; car cette espèce , qui est partout assez rare , l'est moins dans nos contrées méridionales que dans les provinces tempérées, et on ne la trouve plus dans celles de notre nord au delà du ôS*" degré de latitude : aussi ne l'a-t-on pas retrouvée dans l'Amérique septentrionale , quoique l'on y trouve l'aigle commun. Le grand aigle paroît donc être de- meuré dans les pays tempérés et chauds de l'ancien continent, comme tous les autres animaux auxquels le grand froid est contraire , et qui , par cette raison, n'ont pu passer dans le nouveau. L'aigle a plusieurs convenances physiques et mo- rales avec le lion : la force, et par conséquent l'em- pire sur les autres oiseaux, comme le lion sur les qua- drupèdes : la magnanimité ; ils dédaignent également les petits animaux et méprisent leurs insultes ; ce n'est qu'après avoir été long-temps provoqué par les cris importuns de la corneille ou de la pie , que l'aigle se détermine à les punir de mort; d'ailleurs il ne veut d'autre bien que celui qu'il conquiert, d'autre proie que celle qu'il prend lui-même ; la tempérance : il ne mange presque jamais son gibier en entier, et il laisse, comme le lion, les débris et les restes aux autres ani- maux. Quelque affamé qu'il soit, il ne se jette jamais sur les cadavres. Il est encore solitaire comme le lion, habitant d'un désert dont il défend l'entrée et l'usage de la chasse à tous les autres oiseaux; car il est peut- être plus rare de voir deux paires d'aigles dans la même portion de montagne, que deux familles de lions dans la même partie de forêt : ils se tiennent LE GRAND AIGLE. 07 assez lorn les uns des autres pour que l'espace qu'ils se sont départis leur fournisse une ample subsistance; ils ne comptent la valeur et 1 étendue de leur royaume que par le produit de la chasse. L'aigle a de plus les yeux étincelants, et à peu près de la même couleur que ceux du lion , les ongles de la même forme , l'ha- leine tout aussi forte j le cri également effrayant^. Nés tous deux pour le combat et la proie , ils sont égale- ment ennemis de toute société , également féroces , également fiers et difficiles à réduire ; on ne peut les apprivoiser qu'en les prenant tout petits. Ce n'est qu'a- vec beaucoup de patience et d'art qu'on peut dresser à la chasse un jeune aigle de cette espèce ; il devient même dangereux pour son maître, dès qu'il a pris de la force et de l'âge. Nous voyons, par le témoignage des auteurs, qu'anciennement On s'en servoit en Orient pour la chasse du vol; mais aujourd'hui on l'a banni de nos fauconneries : il est trop lourd pour pou- voir , sans grande fatigue , le porter sur le poing ; ja- mais assez privé, assez doux, assez sûr, pour ne pas faire craindre ses caprices ou ses moments de colère à son maître. Il a le bec et les ongles crochus et formi- dables ; sa figure répond à son naturel. Indépendam- ment de ses armes, il a le corps robuste et compacte , les jambes et les ailes très fortes, les os fermes, la chair dure , les plumes rudes ^, l'attitude fière et droite , 1 . Nous avons comparé l'aigle au lioa , et le vautour au tigre ; or Ton sait que le lion a la tête et le cou couverts d'une belle crinière, et que le tigre les a , pour ainsi dire , nus en comparaison du lion : il en est de même du vautour-, il a la tête et le cou dénués de plumes, tan- dis que l'aigle les a bien garnis et couverts de plumes. 2. On prétend que les plumes de l'aigle sont si rudes , que , quand 88 OISEAUX DE PROIE. les mouvements brusques, et le vol très rapide. C'est de tous les oiseaux celui qui s'élève le plus haut; et c'est par cette raison que les anciens ont appelé l'aigle, Voiseau céleste ^ et qu'ils le regardoient dans les augu- res comme le messager de Jupiter. Il voit par excel- lence ; mais il n'a que peu d'odorat en comparaison du vautour : il ne chasse donc qu'à vue ; et lorsqu'il a saisi sa proie, il rabat son vol comme pour en éprouver le poids, et la pose à terre avant de l'emporter. Quoiqu'il ait l'aile très forte , comme il a peu de souplesse dans les jambes, il a quelque peine à s'élever de terre , sur- tout lorsqu'il est chargé : il emporte aisément les oies , les grues; il enlève aussi les lièvres, et même les pe- tits agneaux, les chevreaux : et lorsqu'il attaque les faons et les veaux, c'est pour se rassasier, sur le lieu, de leur sang et de leiu- chair, et en emporter ensuite les lambeaux dans son aire^ c'est ainsi qu'on appelle son nid, qui est en effet tout plat, et non pas creux comme celui de la plupart des autres oiseaux : il le place ordinairement entre deux rochers, dans un lieu sec et inaccessible. On assure que le même nid sert à l'aigle pendant toute sa vie : c'est réellement un ou- vrage assez considérable pour n'être fait qu'une fois , et assez solide pour durer long-temps. Il est construit à peu près comme im plancher, avec de petites per- ches ou bâtons de cinq ou six pieds de longueur, ap- puyés par les deux bouts, et traversés par des branches souples, recouvertes de plusieurs lits de Jonc et de bruyère. Ce plancher ou ce nid est large de plusieurs pieds, et assez ferme non seulement pour soutenir on les mêle avec des plumes d'autres oiseaux, elles les usent par le frottement. LE GRAND AIGLE. 89 l'aigle , sa femelle , et ses petits , mais pour supporter encore le poids d une grande quantité de vivres. Il n'est point couvert parle haut , et n est abrité que par l'avan- cement des parties supérieures du rocher. La femelle dépose ses œufs dans le milieu de cette aire; elle n'en pond que deux ou trois, qu'elle couve, dit-on, pen- dajit trente jours : mais dans ces œufs il s'en trouve souvent d'inféconds , et il est rare de trouver trois ai- glons dans un nid ^ ; ordinairement il n'y en a qu'un ou deux. On prétend même que , dès qu'ils devien- nent un peu grands, la mère tue le plus foible ou le plus vorace de ses petits. La disette seule peut pro- duire ce sentiment dénaturé : les père et mère, n'ayant pas assez pour eux-mêmes, cherchent à réduire leur famille ; et dès que les petits commencent à être assez forts pour voler et se pourvoir d'eux-mêmes, ils les chassent au loin, sans leur permettre de jamais re- venir. Les aiglons n'ont pas les couleurs du plumage aussi fortes que quand ils sont adultes : ils sont d'abord blancs, ensuite d'un jaune pâle, et deviennent enfin d'un fauve assez vif. La vieillesse , ainsi que les trop j . Un ami m'a assuré avoir Irouvc en Auvergne un nid d'aigle , sus- pendu entre deux rocliers , où il y avoit trois aiglons déjà forts. {Ornit/i. de Salerne, p. 4-) — Nota. M. Salerne ne rapporte ce fait que pour appuyer l'opinion qu'il a adoptée de M. Linnaeus, que cet aigle produit quatre œufs; mais je ne trouve pas que M, Linnaeus ait affirmé ce fait particulièrement, et ce n'est qu'en général qu'il a dit que les oiseaux de proie produisoient environ quatre œufs : Accipitres, nidus in altis, ova civciiev quatuor, [hmn., Syst. nat., édit. X, tome 1, page 81. ) Il est donc très probable que cet aigle d'Auvergne, qui avoit produit trois aiglons, n'étoit pas de l'espèce du grand aigle, mais de celle du petit aigle ou du balbuzard , dont la ponte est en effet de trois ou quatre œufs. 90 OISEAUX DE PROIE. grandes diètes, les maladies, et la trop longue capti- vité, les font blanchir. On assure qu'ils vivent plus d'un siècle, et l'on prétend que c'est moins encore de vieillesse qu'ils meurent, que de l'impossibilité de prendre de la nourriture, leur bec se recourbant si fort avec l'âge, qu'il leur devient inutile. Cependant on a vu sur des aigles gardés dans les ménageries qu'ils aiguisent leur bec, et que l'accroissement n'en étoit pas sensible pendant plusieurs années. On a aussi ob- servé qu'on pouvoit les nourrir avec toutes sortes de chair, même avec celle des autres aigles, et que, faute de chair, ils mangent très bien du pain, des serpents, des lézards, etc. Lorsqu'ils ne sont point apprivoisés, ils mordent cruellement les chats, les chiens, les hommes qui veulent les approcher. Ils jet- tent de temps en temps un cri aigu , sonore , perçant, et lamentable, et d'un son soutenu. L'aigle boit très rarement, et peut-être point du tout, lorsqu'il est en liberté, parce que le sang de ses victimes suffit à sa soif. Ses excréments sont toujours mous, et plus hu- mides que ceux des autres oiseaux, même de ceux qui boivent fréquemment. C'est à cette grande espèce qu'on doit rapporter un passage de Léon l'Africain, et tous les autres té- moignages des voyageurs en Afrique et en Asie , qui s'accordent à dire que cet oiseau enlève non seule- ment les agneaux, les chevreaux, les jeunes gazelles, mais qu'il attaque aussi, lorsqu'il est dressé, les re- nards et les loups ^. 1. « L'empereur (duThibet) a plusieurs aigles privées, qui sont si âpres et ardentes, qu'elles arrêtent et prennent les lièvres, chevreuils , daims, et renards ; même il y en a d'aucunes de si grande hardiesse et AIGLE COMMUr^. 9.Ï L'AIGLE COMMUN'. Falco fulvus, L. L'espèce de Taigle commun est moins pure, et la race en paroît moins noble que celle du grand aigle : elle est composée de deux variétés, l'aigle brun et l'aigle noir. Aristote ne les a pas distinguées nommé- ment, et il paroît les avoir réunies sous le nom de mé- lainaetoSj, aigle noir ou noirâtre; et il a eu raison de séparer cette espèce de la précédente, parce qu'elle en diffère : i" par la grandeur, l'aigle commun, noir ou brun, étant toujours plus petit que le grand aigle ; 2" par les couleurs, qui sont constantes dans le grand aigle, et varient, comme l'on voit, dans l'aigle com- mun; 5" par la voix, le grand aigle poussant fréquem- ment un cri lamentable, au lieu que l'aigle commun, noir ou brun, ne crie que rarement; 4** enfin parles habitudes naturelles : l'aigle commun nourrit tous ses petits dans son nid, les élève et les conduit ensuite dans leur jeunesse , au lieu que le grand aigle les chasse hors du nid, et les abandonne à eux-mêmes dès qu'ils sont en état de voler. 11 me paroît qu'il est aisé de prouver que l'aigle brun Ic'iuérilé , qu'elles osent bien assaillir et se mer irapétucuseinenl sur le ioup , auquel elles l'ont tant de vexation et de molcstalion , (juil peut tire pris plus facilement. >^{Marc Pau/.,liv. ii, page 65. ) 1. En espagnoK atjiiila cunocida ; vn allemand, adter, arn . (iaT;.cn '••nglois , eagtc. ga OISEAUX de proie. et l'aigle noir, que je réunis tous deux sous une même espèce , ne forment pas en effet deux espèces difte- rentes : il suffit pour cela de les comparer ensemble, même par les caractères donnés par nos nomencla- teurs dans la vue de les séparer. Ils sont tous deux à peu près de la même grandeur; ils sont de la même couleur brune , seulement plus ou moins foncée : tous deux ont peu de roux sur les parties supérieures de la tête ou du cou , et du blanc à l'origine des grandes plumes; les jambes et les pieds également couverts et garnis; tous deux ont l'iris des yeux de couleur de noisette; la peau qui couvre la base du bec, d'un jaune vif; le bec couleur de corne bleuâtre; les doigts jaunes et les ongles noirs : en sorte qu'il n'y a de di- versité que dans les teintes et dans la distribution de la couleur des plumes; ce qui ne suffit pas, à beau- coup près, pour constituer deux espèces diverses, surtout lorsque le nombre des ressemblances excède aussi évidemment celui des différences. C'est donc sans aucun scrupule que j'ai réduit ces deux espèces à une seule, que j'ai appelé V aigle commun ^ parce qu'en effet c'est de tous les aigles le moins rare. Aris- tote, comme je viens de le dire, a fait la même ré- duction sans l'indiquer : mais il me paroît que son traducteur, Théodore Gaza, l'avoit senti; car il n'a pas traduit le mot mélainaetos aetos par aciidla nignij, mais par aqidla ?iigrîcanSj pulla fulvia^ ce qui com- prend les deux variétés de cette espèce, qui toutes deux sont noirâtres, mais dont l'une est mêlée de plus de jaune que l'autre. Aristote^ dont j'admire souvent l'exactitude, donne les noms et les siu'iioms des cho- ses qu'il indique. Le surnom de cette espèce d'oiseau Paxicpel , 5CQlp . l.LIL PETIT ALQ-L.Y-. — l.lM ^YCrUARGTm l'aigle commun. 93 est lagôphbnoSj, Yalgle aux lièvres : et en efiet, quoi- que les autres aigles prennent aussi des lièvres, ce- lui-ci en prend plus qu'aucun autre; c'est sa chasse habituelle, et la proie qu'il recherche de préférence.- Les Latins, avant Pline, ont appelé cet aigle valeria^ quasi valens viribus^ à cause de sa force, qui paroît être plus grande que celle des autres aigles relative- ment à leur grandeur. L'espèce de l'aigle commun est plus nombreuse et plus répandue que celle du grand aigle : celui-ci n^ se trouve que dans les pays chauds et tempérés de l'ancien continent ; l'aigle commun , au contraire , préfère les pays froids, et se trouve également dans les deux continents. On le voit en France, en Savoie, en Suisse, en Allemagne, en Pologne, et en Ecosse; on le retrouve en Amérique, à la baie de Hudson. LE PETIT AIGLE\ Falco nœvius et Falco maculatus. Gmel. La troisième espèce est l'aigle tacheté, que j'ap- pelle petit aigle j et dont Aristote donne une notion exacte, en disant que c'est un oiseau plaintif, dont le plumage est tacheté, et qui est plus petit et moins fort que les autres aigles : et en effet, il n'a pas deux pieds et demi de longueur de corps, depuis le bout (hi bec jusqu'à l'extrémité des pieds; et ses ailes sont 1. En latin, aquUa nœvia; en allemand, stcin adlcr, gause aar; cix auglois , rougkfooted cagle. 94 OISEAUX DE PROIE. encore plus courtes à proportion, car elles n'oul ««uère que quatre pieds d'envergure. On l'a appelé aqidla planga^ aquila clangaj, aigle plaintif, aigle criard; et ces noms ont été bien appliqués, car il pousse con- tinuellement des plaintes ou des cris lamentables. On l'a surnommé anataria^ parce qu'il attaque les ca- nards de préférence ; et rnorp/ina_, parce que son plu- mage , qui est d'un brun obscur, est marqueté sur les jambes et sous les ailes de plusieurs taches blan- ""ches, et qu'il a aussi sur la gorge une grande zone blanchâtre. C'est de tous les aigles celui qui s'appri- voise le plus aisément; il est plus foible, moins fier, et moins courageux que les autres : c'est celui que les Arabes ont appelé ziniiechj pour le distinguer du grand aigle, qu'ils appellent zumacli. La grue est sa plus forte proie; car il ne prend ordinairement que des canards, et d'autres moindres oiseaux, et des rats. L'espèce , quoique peu nombreuse en chaque lieu, est répandue partout, tant en Europe^ qu'en Asie^, en Afrique, où on la trouve jusqu'au cap de Bonne-Espérance^ dans ce continent : mais il ne pa- roît pas qu'elle soit en Amérique; car, après avoir comparé les indications des voyageurs, j'ai présumé que l'oiseau qu'ils appellent V aigle de l'Orénoque^ qui a quelque rapport avec celui-ci par la variété de son plumage, est néanmoins un oiseau d'espèce diffé- 1. On trouve ce petit aigle aux environs de Dantzick : on le trouve aussi, quoique rarement, dans les montagnes de Siiésie. (Voyez Scliwenckfeld , page 220. ) 2. On le trouve en Grèce, puisque Aristote en fait mention; en Perse , comme ou le voit par le témoignage de Chardin ; et en xlrabie, où il porte le nom de zimicch ou ai^^lc foible. 5. On le trouve au cap de Bonne-Espérance: car il me paroit que LE PETIT AIGLE. C^J rente. Si ce petit aigle, qui est beaucoup plus do- cile, plus aisé à apprivoiser que les deux autres, et qui est aussi moins lourd sur le poing et moins dangereux pour son maître , se fût trouvé également courageux, on n'auroit pas manqué de s'en servir pour la chasse : mais il est aussi lâche que plaintif et criard ; un épervier bien dressé suiTit pour le vaincre et l'abattre^. D'ailleurs, on voit par les témoignages de nos auteurs de fauconnerie, qu'on n'a jamais dressé, du moins en France , que les deux premières espèces d'aigles, savoir le grand aigle ou aigle fauve, et Taigle brun ou noirâtre, qui est l'aigle commun. Pour les instruire, il faut les prendre jeunes, car un aigle adulte est non seulement indocile, mais indomptable. Il faut les nourrir avec la chair du gibier qu'on veut leur faire chasser. Leur éducation exige des soins en- core plus assidus que celle des autres oiseaux de fau- connerie. Nous donnerons le précis de cet art à l'ar- ticle du faucon. Je rapporterai seulement ici quelques particularités que l'on a observées sur les aigles, tant dans leur état de liberté que dans celui de capti- vité. c'est le même aigle que Kolbc appelle aigle canardière, qui se jette priuGÏpalement sur les canards. ( Kolbe, paitie m , page iSg. ) 1. C'est à cette espèce d'aigle lâche qu'il faut rapporter le passage suivant. « Il y a aussi des aigles dans les montagnes voisines de Tauris » ( en Perse) ; j'en ai vu vendre un cinq sous par des paysans. Les gens » de qualité volent cet oiseau avec l'épervier : ce vol est tout-à-fait quel- » que chose de curieux et de fort admirable; la façon dont l'épervier » abat l'aigle c'est qu'il vole au dessus fort haut, fond sur lui avec beau- » coup de vitesse, lui enfonce les serres dans les flancs, et de ses ailes » lui bat la tète en volant toujours. Il arrive pomtant quelquefois que » l'aigle et l'épervier tombent tous deux ensemble. » ( Voyage de Char- din, Londres, iGSO. pages 292 et 390. ; Ç)6 04SEALX DE PROIE. La femelle , qui , dans l'aigle , comme dans toutes les autres espèces d'oiseaux de proie, est plus grande que le mfde, et semble aussi, dans l'état de liberté, plus hardie, plus courageuse, et plus fine, ne paroît pas conserver ces dernières qualités dans l'état de captivité. On préfère d'élever des mâles pour la chasse, et l'on remarque qu'au printemps, lorsque commence la saison des amours, ils cherchent à s'enfuir pour trouver une femelle, en sorte que, si l'on veut les exercer à la chasse dans cette saison , on risque de les perdre, à moins qu'on ne prenne la précaution d'éteindre leurs désirs en les purgeant assez violem- ment. On a aussi observé que quand l'aigle, en par- tant du poing, vole contre terre et s'élève ensuite en ligne droite, c'est signe qu'il médite sa fuite; il faut alors le rappeler promptement en lui jetant son past ; mais s'il vole en tournoyant au dessus de son maître sans se trop éloigner, c'est signe d'attachement et qu'il ne fuira point. On a encore remarqué que l'ai- gle dressé à la chasse se jette souvent sur les autours et autres moindres oiseaux de proie : ce qui ne lui arrive point lorsqu'il ne suit que son instinct ; car alors il ne les attaque pas comme proie, mais seule- ment pour leur en disputer ou enlever une autre. Dans l'état de nature, l'aigle ne chasse seul que dans le temps où la femelle^ ne peut quitter ses œufs ou ses petits. Comme c'est la saison où le gibier com- mence à devenir abondant par le retour des oiseaux, il pourvoit aisément à sa subsistance et à celle de sa femelle : mais, dans tous les autres temps de l'année, le mfde et la femelle paroissent s'entendre pour la chasse; on les voit presque toujours ensemble, ou dii LE PETIT AIGLE. 9-;; moins à peu de distance l'un de l'autre. Les habitants des montagnes, qui sont à portée de les observer, prétendent que l'un des deux bat les buissons, tandis que l'autre se tient sur quelque arbre ou sur quelque rocher pour saisir le gibier au passage. Ils s'élèvent souvent à une hauteur si grande, qu'on les perd de vue; et, malgré ce grand éloignement, leur voix se fait encore entendre très distinctement, et leur cri ressemble alors à l'aboiement d'un petit chien. Mal- gré sa grande voracité, l'aigle peut se passer long- temps de nourriture, surtout dans l'état de captivité, lorscpi'il ne fait point d'exercice. J'ai été informé par un homme digne de foi qu'un de ces oiseaux de l'es- pèce commune , pris dans un piège à renard , avoit passé cinq semaines entières sans aucun aliment, et n'avoit paru affoibli que dans les huit derniers jours, au bout desquels on le tua, pour ne pas le laisser languir plus long-temps. Quoique les aigles en général aiment les lieux dé- serts et les montagnes, il est rare d'en trouver dans celles des presqu'îles étroites, ni dans les îles qui ne sont pas d'une grande étendue; ils habitent la terre- ferme dans les deux continents, parce qu'ordinairement les îles sont moins peuplées d'animaux. Les anciens avoient remarqué qu'on n'avoit jamais vu d'aigles dans l'île de Rhodes; ils regardèrent comme un prodige que, dans le temps où l'empereur Tibère se trouva dans cette île, un aigle vint se poser sur le toit de la maison où il étoit logé. Les aigles ne font en effet que passer dans les îles sans s'y habituer, sans y faire leur ponte ; et lorsque les voyageurs ont parlé d'aigles dont on trouve les nids sur le bord des eaux et dans g8 OISEAUX DE PROIE. les îles, ce ne sont pas les aigles dont nous venons de parler, mais les balbuzards et les orfraies, qu'on ap- pelle communément aigles de merj qui sont des oi- seaux d'un naturel différent, et qui vivent plutôt de poisson que de gibier. C'est ici le lieu de rapporter les observations ana- lomiques que l'on a faites sur les parties intérieures des aigles, et je ne peux les puiser dans une meilleure source que dans les Mémoires de MM* de r Académie des Sciences j qui ont disséqué deux aigles, l'un mâle, et l'autre femelle, de l'espèce commune. Après avoir remarqué que les yeux étoient fort enfoncés, qu'ils avoient une couleur Isabelle avec l'éclat d'une topaze, que la cornée s'élevoit avec une grande convexité , que la conjonctive étoit d'un rouge fort vif, les pau- pières très grandes, chacune étant capable de couvrir l'œil entier, ils ont observé sur les parties intérieures que la langue étoit cartilagineuse par le bout, et char- nue par le milieu; que le larynx étoit carré, et non pas en pointe, comme il l'est à la plupart des oiseaux qui ont le bec droit; que l'œsophage, qui étoit fort large, s'élargissoit encore davantage au dessous poiu- former le ventricule ou estomac ; que cet estomac n'étoit point un gésier dur, qu'il étoit souple et mem- braneux comme l'œsophage, et qu'il étoit seulement plus épais par le fond; que ces deux cavités, tant du bas de l'œsophage que du ventricule, étoient fort amples et proportionnées à la voracité de l'animal ; que les intestins étoient petits comme dans les au- tres animaux qui se nourrissent de chair; qu'il n'y avoît point de cœcum dans le mâle, mais que la fe- melle en avoit fleux assez amples et de plus de deux LE PETIT AIGLE. Ç^C) pouces de longueur; que le foie étoit grand et d'un rouge fort vif, ayant le lobe gauche plus grand que le droit; que la vésicule du fiel étoit grande, et de la grosseur d'une grosse châtaigne ou marron ; que les reins étoient petits à proportion et en comparaison de ceux des autres oiseaux ; que les testicules du mâle n'étoient que de la grosseur d'un pois , et de couleur de chair tirant sur le jaune, et que l'ovaire et le conduit de l'ovaire dans la femelle étoient comme dans les autres oiseaux. LE PYCtARGUE\ Falco ossifragus. L. L'espèce du pygargue me paroît être composée de trois variétés; savoir : le grand pygarguej, le petit py- gargue, et le pygargue à tête blanche. Les deux pre- miers ne diffèrent guère que par la grandeur, et le dernier ne diffère presque en rien du premier, la grandeur étant la même, et n'y ayant d'autre diffé- rence qu'un peu plus de blanc sur la tête et le cou. Aristote ne fait mention que de l'espèce, et ne dit rien des variétés; ce n'est même que du grand py- gargue qu'il a entendu parler, puisqu'il lui donne pour surnom le mot hi?înularia^ qui indique que cet oiseau fait sa proie des faons [liinnulos) , c'est-à-dire des jeu- nes cerfs, des daims, et chevreuils; attribut qui ne 1 . En latiu, aquiia albiciUa, hinnidario. 100 OISEAUX DE PROIE. peut convenir au petit pygargiie, trop foible pour at- taquer d'aussi grands animaux. Les différences entre les pygargues et les aigles sont, 1** la nudité des jambes; les aigles les ont cou- vertes jusqu'au talon, les pygargues les ont nues dans toute la partie inférieure ; a"* la couleur du bec ; les aigles l'ont d'un noir bleuâtre , et les pygargues l'ont jaune ou blanc ; 5" la blancheur de la queue, qui a fait donner aux pygargues le nom d'aigles à queue b/aiichej, parce qu'ils ont en effet la queue blanche en dessus et en dessous dans toute son étendue. Ils dif- fèrent encore des aigles par quelques habitudes natu- relles; ils n'habitent pas les déserts ni les hautes mon- tagnes : les pygargues se tiennent plutôt à portée des plaines et des bois qui ne sont pas éloignés des lieux habités. 11 paroît que le pygargue , comme l'aigle commun, affecte les climats froids de préférence : on le trouve dans toutes les provinces du nord de l'Eu- rope ^. Le grand pygargue est à peu près de la même grosseur et de la même force, si même il n'est pas plus fort que l'aigle commun : il est au moins plus carnassier, plus féroce, et moins attaché à ses petits, car il ne les nourrit pas long-temps ; il les chasse même du nid avant qu'ils soient en état de se pourvoir ; et l'on prétend que, sans le secours de l'orfraie, qui les prend alors sous sa protection , la plupart périroient. 11 produit ordinairement deux ou trois petits, et fait son nid sur de gros arbres. On trouve la description d'un de ces nids dansWilhighby, et dans plusieurs au- 1. M. Lirinaeas dit que cet oiseau se trouve tlaus toutes les forêts de la Suède qu'il est de la grandeur d'une oie, et que la femelle est plus blanchâtre que le mâle. LE PYGARGUE. lOI très auteurs qui Tont traduit ou copié : c'est une aire ou un plancher tout plat, comme celui du grand aigle , qui n'est abrité dans le dessus que par le feuillage des arbres, et qui est composé de petites perches et de branches qui soutiennent plusieurs lits alternatifs de bruyère et d'autres herbes. Ce sentiment contre na- ture qui porte ces oiseaux à chasser leurs petits avant qu'ils puissent se procurer aisément leur subsistance , et qui est commun à l'espèce du pygargue, et à celle du grand aigle et du petit aigle tacheté, indique que ces trois espèces sont plus voraces et plus paresseuses à la chasse que celle de l'aigle commun, qui soigne et nourrit largement ses petits, les conduit ensuite, les instniit à chasser, et ne les oblige à s'éloigner que quand ils sont assez forts pour se passer de tout secours. D'ail- leurs, le naturel des petits tient de celui de leurs pa- rents : les aiglons de l'espèce commune sont doux et assez tranquilles , au lieu que ceux du grand aigle et du pygargue , dès qu'ils sont un peu grands, ne cessent de se battre et de se disputer la nourriture et la place dans le nid, en sorte que souvent le père et la mère en tuent quelqu'un pour terminer le débat. On peut encore ajouter que, comme le grand aigle et le pygargue ne chassent ordinairement que de gros animaux, ils se i^ssasient souvent sur le lieu, sans pouvoir les em- porter; que par conséquent les proies qu'ils enlèvent sont moins fréquentes, et que, ne gardant point de chair corrompue dans leurs nids, ils sont souvent au dépourvu; au lieu que l'aigle commun, qui tous les jours prend des lièvres et des oiseaux, fournit plus ai- sément et plus abondamment la subsistance nécessaire à ses petits. On a aussi remarqué, surtout dans l'es- BL'FFO>. SIX. 102 OISEAUX DE PROIE. pèce des pygargues qui fréquentent de près les lieux habités, qu'ils ne chassent que pendant quelques heures dans le milieu du jour, et qu'ils reposent le matin, le soir, et la nuit; au lieu que l'aigle commun [aqu'ila valerla) est en effet plus valeureux, plus dili- gent, et plus infatigable. LE BALBUZARD*. Falco haliœtus. L. Le balbuzard est l'oiseau que nos nomenclateurs appellent algie de merj, et que nous appelons en Bour- gogne craupêcherot j, mot qui signifie corbeau pêcheur, Crau ou craw est le cri du corbeau : c'est aussi son nom dans quelques langues, et particulièrement en anglois ; et ce mot est resté en Bourgogne parmi les paysans, comme quantité d'autres termes anglois que j'ai remarqués dans leur patois, qui ne peuvent venir que du séjour des Anglois dans cette province sous les règnes de Charles Y, Charles VI, etc. Gesner, qui, le premier , a dit que cet oiseau étoit appelé crospes- clierot par les Bourguignons , a mal écrit ce nom , faute d'entendre le jargon de Bourgogne : le vrai mot est craUjf et non pas cros ; et la prononciation n'est .ni cros ni crau^ mais craw ^ ou simplement crâ avec un a fort ouvert. A tout considérer , on doit dire que cet oiseau n'est 1. En latin, aquila marina; en italien, anguista piombina; en alle- mand , fisch-adler on fisch-ahr; eu anglois, balbuzard. PauQ-uet , scôlp . 1 .LE BALBTJZAEŒ) _ a L'OKFRME— 3 .LE JïlAN-LE-BLAlNrC LE BALBUZARD. 1 o5 pas un aigle , quoiqu'il ressemble plus aux aigles qu'aux autres oiseaux de proie. D'abord il est bien plus petit ^ ; il n'a ni le port, ni la figure , ni le vol de l'aigle : ses habitudes naturelles sont aussi très dilTérentes, ainsi que ses appétits , ne vivant guère que de poisson qu'il prend dans l'eau, même à quelques pieds de profon- deur ; et ce qui prouve que le poisson est en effet sa nourriture la plus ordinaire c'est que sa chair en a une très forte odeur. J'ai vu quelquefois cet oiseau de- meurer plus d'une heure perche sur un arbre à portée d'un étang, jusqu'à ce qu'il aperçût un gros poisson sur lequel il pût fondre, et l'emporter ensuite dans ses serres. II a les jambes nues, et ordinairement de couleur bleuâtre : cependant il y en a quelques uns qui ont les jambes et les pieds jaunâtres ; les ongles noirs, très grands, et très aigus ; les pieds et les doigts si roides, qu'on ne peut les fléchir; le ventre tout blanc, la queue large, et la tête grosse et épaisse. Il diffère donc des aigles en ce qu'il a les pieds et le bas des jambes de derrière dégarnis de plumes, et que l'ongle de derrière est le plus court, tandis que dans 1. Il y a une différence plus grande encore que dans les aigles entre la femelle et le mâle balbuzard : celui que IM. Brisson a décrit, et qui sans doute éloit mâle, n'avoit qu'un pied sept pouces de longueur jusqu'aux ongles, et cinq pieds trois pouces de vol; et un autre, qne l'on m'a apporté, n'avoit qu'un pied neuf pouces delongueurde corps, et cinq pieds sept pouces de -vol : au lieu que la femelle décrite par MM. de l'Académie des Sciences, sous le nom àlialicetus, à l'article de Vaigle, que nous avons cité, avoit deux pieds neuf pouces de lon- gueur de corps, y compris la queue; ce qui fait au moins deux pieds de longueur pour le corps seul, et sept pieds et demi de vol. Cette différence est si grande, qu'on pourrait douter que cet oiseau, décrit par MM. de l'Académie, fût le balbuzard ou craupécherot , si l'on n'en étoit assuré par les autres indications. lo4 OISEAUX DE PROIE. les aigles cet ongle de derrière est le plus long de tous, ïl difl'ère encore en ce qu'il a le bec plus noir que les aigles, et que les pieds, les doigts, et la peau qui re- . couvre la base du bec , sont ordinairement bleus ; au lieu que dans les aigles toutes ces parties sont jaunes. Au reste, il n'a pas de demi- membranes entre les doigts du pied gauche comme le dit M. Linnaeus ; car les doigts des deux pieds sont également séparés et dénués de membranes. C'est une erreur populaire , que cet oiseau nage avec un pied, tandis qu'il prend le poisson avec l'autre ; et c'est cette erreur populaire qui a produit la méprise de M. Linna?us. Auparavant, M. Klein a dit la même chose de l'orfraie, ou grand aigle de mer; et il s'est également trompé , car ni l'un ni l'autre de ces oiseaux n'a de membranes entre au- cun doigt du pied gauche. La source commune de ces erreurs est dans Albert-le-Grand , qui a écrit que cet oiseau avoit l'un des pieds pareil à celui d'un épervier, et l'autre semblable à celui d'une oie ; ce qui est non seulement faux, mais absurde et contre toute analo- gie : en sorte qu'on ne peut qu'être étonné de voir que Gesner, Aldrovande, Klein, et Linnaeus, au lieu de s'élever contre cette fausseté, l'aient accréditée; et qu'Aldovrande nous dise froidement que cela n'est pas contre toute vraisemblance, puisque je sais, ajoute- t,-il très positivement, qu'il y a des poules d'eau moi- tié palmipèdes et moitié fissipèdes ; ce qui est encore un autre fait tout aussi faux que le premier. Au reste, je ne suis pas surpris qu'Aristote ait ap- ])elé cette oiseau lialiœtosj aigle de mer ; mais je suis encore étonné que tous les naturalistes anciens et mo- dernes aient copié cette dénomination sans scrupule. LE BALBLZAUD. 1 o5 et j'ose dire sans réflexion, car Vhaliœtus ou balbuzard ne fréquente pas de préférence les côtes de la mer ; on le trouve plus souvent dans les terres méditerra- nées voisines des rivières, des étangs, et des autres eaux douces ; il est peut-être plus commun en Bour- gogne , qui est au centre de la France , que sur aucune de nos côtes maritimes. Comme la Grèce est un pays où il n'y a pas beaucoup d'eaux douces, et que les terres en sont traversées et environnées par la mer à d'assez petites distances, Aristote a observé, dans son pays, que ces oiseaux pêcheurs cherchoient leur proie sur les rivages de la mer, et par cette raison il les a nom- més aigles de mer ; mais s'il eût habité le milieu de la France ou de l'Allemagne , la Suisse et les autres pays éloignés de la mer, où ils sont très communs, il les eût plutôt appelés aigles des eaux douces. Je fais cette remarque, afin de faire sentir que j'ai eu d'autant plus de raison de ne pas adopter cette dénomination aigle de 7ner„ et d'y substituer le nom spécifique balbuzard ^ qui empêchera qu'on ne le confonde avec les aigles^. Aristote assure que cet oiseau a la vue très perçante : il force, dit-il, ses petits à regarder le soleil , et il tue ceux dont les yeux ne peuvent en supporter l'éclat. Ce fait, que je n'ai pu vérifier, me paroît difficile à croire , quoiqu'il ait été rapporté ou plutôt répété par plusieurs autres auteurs, et qu'on l'ait même géné- ralisé en l'attribuant à tous les aigles, qui contrai- 1. M. Saleriie a fait une méprise en disant que l'oiseau appelé en Bourgogne aHiupéckerot est l'ossifrague , ou le grand aigle de mer ; c'est au contraire celui qu'il appelle le faucon de marais qui est le craupêche- rot. (Voyez Y Ornithologie de M. Salerne , in-4°. Paris, 17G7, pag. 6 et 7, cl corrigez cette erreur. ) 106 OISEAUX DE PKOIE. gnent , dit-on, Jeurs petits à regarder fixement le so- leil. Cette observation me paroît bien difficile à faire ; et d'ailleurs il me semble qu'Aristote, sur le témoi- gnage duquel seul le fait est fondé, n'étoit pas trop bien informé au sujet des petits de cet oiseau : il dit qu'il n'en élève que deux, et qu'il tue celui qui ne peut regarder le soleil. Or nous sommes assurés qu'il pond souvent quatre œufs, et rarement moins de trois ; que de plus il élève tous ses petits. Au lieu d'habiter les rochers escarpés et les hautes montagnes, comme les aigles, il se tient plus volontiers dans les terres basses et marécageuses, à portée des étangs et des lacs poissonneux; et il me paroît encore que c'est à Vor- fraie ou ossifrague^ et non pas au balbuzard ou lialiœ- ias_, qu'il faut attribuer ce que dit Aristote de sa chasse aux oiseaux de mer : car le balbuzard pêche bien plus qu'il ne chasse, et je n'ai pas ouï dire qu'il s'éloignât du rivage à la poursuite des mouettes ou des autres oiseaux de mer ; il paroît au contraire qu'il ne vit que de poisson. Ceux qui ont ouvert le corps de cet oiseau n'ont trouvé que du poisson dans son estomac ; et sa chair, qui , comme je l'ai dit, a une très forte odeur de poisson , est un indice certain qu'il en fait au moins sa nourriture habituelle : il est ordinairement très gras, et il peut , comme les aigles, se passer d'ali- ments pendant plusieurs jours sans en être incom- modé ni paroître afToibli. H est aussi moins fier et moins féroce que l'aigle et le pygargue; et l'on pré- tend qu'on peut aisément le dresser pour la pêche , comme l'on dresse les autres oiseaux pour la chasse. Après avoir comparé les témoignages des auteurs, il m'a paru que l'espèce du balbuzard est l'une des plu? LE BALBLZAKD. 1 07 nombreuses des grands oiseaux de proie , et qu'elle est répandue assez généralement en Europe, du nord au midi, depuis la Suède jusqu'en Grèce , et que même on la retrouve dans des pays plus chauds, comme en Egypte et jusqu'en Nigritie. J'ai dit, dans une des notes de cet article, que MM. de l'Académie des Sciences avoient décrit un balbuzard ou liallœtus femelle , et qu'ils lui avoient trouvé deux pieds neuf pouces depuis l'extrémité du bec jusqu'à celle de la queue , et sept pieds et demi de vol ou d'envergure, tandis que les autres natura- listes ne donnent au balbuzard que deux pieds de lon- gueur de corps jusqu'au bout de la queue, et cinq pieds et demi de vol. Cette grande différence pour- roit faire croire que ce n'est pas le balbuzard, mais un oiseau plus grand, que MM. de l'Académie ont dé- crit : néanmoins, après avoir comparé leur description avec la nôtre, on ne peut guère en douter; car, de tous les oiseaux de ce genre , le balbuzard est le seul qui puisse être mis avec les aigles, le seul qui ait le bas des jambes et les pieds bleus , le bec tout noir, les jambes longues, et les pieds petits à proportion du corps. Je pense donc, avec MM. de l'Académie, que leur oiseau est le vrai liallœtus d'Aristote , c'est-à-dire notre balbuzard, et que c'étoit une des plus grandes femelles de cette espèce qu'ils ont décrite et dissé- quée. Les parties intérieures du balbuzard diffèrent peu de celles des aigles. MM. de l'Académie n'ont remar- qué de différences considérables que dans le foie, qui est bien plus petit dans le balbuzard ; dans les deux cœcum de la femelle, qui sont aussi moins grands; 108 OISEAUX DE PROIE. dans la position de la rate, qui est immédiatement adhérente au côté droit de lestomac dans l'aigle , au lieu que dans le balbuzard elle étoit située sous le lobe droit du foie ; dans la grandeur des reins, le bal- buzard les ayant à peu près comme les autres oiseaux, qui les ont ordinairement fort grands à proportion des autres animaux, et l'aigle les ayant au contraire plus petits. L'ORFRAIE*. L'orfraie [ossifraga) a été appelée par nos nomen- clateurs le grand aigle de mer. Elle est en effet à peu près aussi grande que le grand aigle ; il paroît même qu'elle a le corps plus long à proportion , mais elle a les ailes plus courtes : car l'orfraie a jusqu'à trois pieds et demi de longueur depuis le bout du bec à l'extré- mité des ongles, et en même temps elle n'a guère que sept pieds de vol ou d'envergure ; tandis que le grand aigle , qui n'a communément que trois pieds deux ou trois pouces de longueur de corps, a huit et jusqu'à neuf pieds de vol. Cet oiseau est d'abord très remar- quable par sa grandeur, et il est reconnoissable, i^par la couleur et la figure de ses ongles , qui sont d'un noir brillant, et forment un demi-cercle entier; 2° par les 1. En lalin, ossifraga; en italien , aqu'dastro anguista barbata; en allemand, grosser liasen a/ir; en anglois , osprey. Les anciens lui ont donné le nom d'ossifrague, parce qu'ils avoient remarqué que cet oi- seau cassoit avec son bec les os des animaux dont il fait sa proie. LORFRAI£. 109 jambes , qui sont nues à la partie inférieure , et dont Ja peau est couverte de petites écailles d'un jaune vif; 5° par une barbe de plumes qui pend sous le menton , ce qui lui a fait donner le nom d'aigle barbu. L'orfraie se tient volontiers près des bords de la mer, et assez souvent dans le milieu des terres à portée des lacs , des étangs, et des rivières poissonneuses : elle n'enlève que le plus gros poisson, mais cela n'empêche pas qu'elle ne prenne aussi du gibier ; et, comme elle est très grande et très forte , elle ravit et emporte aisément les oies et les lièvres, et même les agneaux et les che- vreaux. Aristote assure que non seulement l'orfraie femelle soigne ses petits avec la plus grande affection, mais que même elle en prend pour les petits aiglons qui ont été chassés par leurs père et mère , et qu'elle les nourrit comme s'ils lui appartenoient. Je ne trouve pas que ce fait, qui est assez singulier, et qui a été ré- pété par tous les naturalistes, ait été vérifié par aucun ; et ce qui m'en feroit douter, c'est que cet oiseau ne pond que deux œufs, et n'élève ordinairement qu'un petit, et que par conséquent on doit présumer qu'il se trouveroit très embarrassé s'il avoit à soigner et nourrir une nombreuse famille. Cependant il n'y a guère de faits dans VHls^tolre des Animaux d'Aristote qui ne soient vrais, ou du moins qui n'aient un fonde- ment de vérité : j'en ai vérifié moi-même plusieurs qui me paroissoient aussi suspects que celui-ci ; et c'est ce qui me porte à recommander à ceux qui se trouveront à portée d'observer cet oiseau de tâcher de s'assurer du vrai ou du faux de ce fait. La preuve, sans aller chercher plus loin, qu'Aristote voyoit bien et disoit vrai presque en tout, c'est un autre fait. 1 10 OISEAUX DE TROIE. qui d'abord paroît encore plus extraordinaire, et qui demandoit également à être constaté. L'orfraie , dit-il , a la vue foible , les yeux lésés et obscurcis par une es- pèce de nuage : en conséquence, il paroît que c'est la principale raison qui a déterminé Aristote à séparer l'orfraie des aigles, et à la mettre avec la chouette et les autres oiseaux qui ne voient pas pendant le jour. A juger de ce fait par les résultats , on le croiroit non seulement suspect, mais faux: car tous ceux qui ont observé les allures de l'orfraie ont bien remarqué qu'elle voyoit assez pendant la nuit pour prendre du gibier, et môme du poisson ; mais ils ne se sont pas aperçus qu'elle eût la vue foible, ni qu'elle vît mal pendant le jour : au contraire , elle vise d'assez loin le poisson sur lequel elle veut fondre ; elle poursuit vive- ment les oiseaux dont elle veut faire sa proie ; et quoi- qu'elle vole moins vite que les aigles, c'est plutôt parce qu'elle a les ailes plus courtes que les yeux plus foibles. Cependant le respect qu'on doit à l'autorité du grand philosophe que je viens de citer a engagé le célèbre Aldrovande à examiner scrupuleusement les yeux de l'orfraie ; et il a reconnu que l'ouverture de la pupille, qui d'ordinaire n'est recouverte que par la cornée, l'étoit encore dans cet oiseau par une mem- brane extrêmement mince, et qui forme en effet l'ap- parence d'une petite taie sur le miheu de l'ouverture de la pupille : il a de plus observé que l'inconvénient de cette conformation paroît être compensé par la transparence parfaite de la partie circulaire qui envi- ronne la pupille, laquelle partie dans les autres oi- seaux est opaque et de couleur obscure. Ainsi l'ob- servation d'Aristote est bonne , en ce qu'il a très bien l'orfraie. 1 1 1 remarqué que l'orfraie avoit les yeux couverts d'un petit nuage ; mais il ne s'ensuit pas nécessairement qu'elle voie beaucoup moins que les autres, puisque la lumière peut passer aisément et abondamment par le petit cercle, parfaitement transparent, qui envi- ronne la piqDille. Il doit seulement résulter de cette conformation que cet oiseau porte sur le milieu de tous les objets qu'il regarde une tache ou un petit nuage obscur, et qu'il voit mieux de côté que de face : cependant, comme je viens de le dire, on ne s'aper- çoit pas par le résultat de ses actions qu'il voie plus mal que les autres oiseaux. Il est vrai qu'il ne s'élève pas à beaucoup près à la hauteur de l'aigle, qu'il n'a pas non plus le vol aussi rapide, qu'il ne vise ni ne poursuit sa proie d'aussi loin : ainsi il est probable qu'il n'a pas la vue aussi nette ni aussi perçante que les aigles ; mais il est sûr en même temps qu'il ne l'a pas , comme les chouettes, offusquée pendant le jour, puisqu'il cher- che et ravit sa proie aussi bien le jour que la nuit^, et principalement le matin et le soir. D'ailleurs, en com- parant cette conformation de l'œil de l'orfraie avec celle des yeux de la chouette ou des autres oiseaux de nuit, on verra qu'elle n'est pas la même, et que les résultats doivent en être différents. Ces oiseaux ne voient mal ou point du tout pendant le jour que parce que leurs yeux sont trop sensibles, et qu'il ne leur faut qu'une très petite quantité de lumière pour bien 1. J'ai élé informé, par des témoins oculaires, que l'orfraie prend du poisson pendant la nuit, et qu'alors on entend de fort loin le bruit qu'elle fait en s'abaissant sur les eaux. M. Salerne dit aussi que, quand l'orfraie s'abat sur un étang pour saisir sa proie, elle fait un bruit qui paroît terrible, surtout la nuit. {Ornithologie, page 6. ) 1 l'2 GISEALX DE PROIE. voir ; leur pupille est parfaitement ouverte, et n'a pas )a membrane ou petite taie qui se trouve dans l'œil de l'orfraie. La pupille, dans tous les oiseaux de nuit, dans les chats et quelques autres quadrupèdes qui voient dans l'obscurité, est ronde et d'un grand dia- mètre, lorsqu'elle ne reçoit l'impression que d'une lumière foible, comme celle du crépuscule ; elle de- vient au contraire perpendiculairement longue dans les chats, et reste ronde en se rétrécissant concentri- quement dans les oiseaux de nuit, dès que l'œil est frappé d'une forte lumière* Cette contraction prouve évidemment que ces animaux ne voient mal que parce qu'ils voient trop bien, puisqu'il ne leur faut qu'une très petite quantité de lumière ; au lieu que les autres ont besoin de tout l'éclat du jour, et voient d'autant mieux qu'il y a plus de lumière : à plus forte raison l'orfraie, avec sa taie sur la pupille, auroit besoin de plus de lumière qu'aucun autre, s'il n'y avoit pas de compensation à ce défaut» Mais ce qui excuse entière- ment Aristote d'avoir placé cet oiseau avec les oiseaux de nuit, c'est qu'en effet il pèche et chasse la nuit comme le Jour : il voit plus mal que l'aigle à la grande lumière , il voit peut-être aussi plus mal que la chouette dans l'obscurité; mais il tire plus de parti, plus de produit que l'un ou l'autre, de cette conformation singulière de ses yeux, qui n'appartient qu'à lui, et qui est aussi différente de celle des yeux des oiseaux de nuit que des oiseaux de jour. Autant j'ai trouvé de vérité dans la plupart des faits rapportés par Aristote dans son Histoire des Animaux j autant il m'a paru d'erreurs de fait dans son traité De mirabilibus; souvent môme on y trouve énoncés L ORFRAIE. IIJ des faits absolument contraires à ceux qu'il rapporte dans ses autres ouvrages : en sorte que je suis porté h croire que ce traité De mlrablUbus n est point de ce philosophe, et qu'on ne le lui auroit pas attribué si l'on se fût donné la peine d'en comparer les opinions et surtout les faits, avec ceux de son Histoire des Animaux. Pline , dont le fond de l'ouvrage sur l'his- toire naturelle est en entier tiré d'Aristote, n'a donné tant de faits équivoques ou faux que parce qu'il les a indifféremment puisés dans les différents traités at- tribués à Aristote, et qu'il a réuni les opinions des auteurs subséquents, la plupart fondées sur des pré- jugés popidaires. Nous pouvons en donner un exem- ple sans sortir du sujet que nous traitons. L'on voit qu 'Aristote désigne et spécifie parfaitement l'espèce de Vlialiœtiis ou balbuzard dans son Histoire des Ani- mauXj puisqu'il en fait la cinquième espèce de ses ai- gles, à laquelle il donne des caractères très distinc- tifs : et l'on trouve en même temps dans le traité De mirabilibus que V/ialiœtus n'est d'aucune espèce , ou plutôt ne fait pas une espèce ; et Pline , amplifiant cette opinion, dit non seulement que les balbuzards [haliœti) n'ont point d'espèce, et qu'ils proviennent des mélanges des aigles de différentes espèces, mais encore que ce qui naît des balbuzards ne sont point de petits balbuzards, mais des orfraies, desquelles or- fraies naissent j dit-il, de petits vautours^ lesquels _, ajoute-t-il encore, produisent de grands vautours qui nont plus la faculté d'engendrer. Que de faits in- croyables sont compris dans ce passage ! que de choses absurdes et contre toute analogie! car en éloiidant, autant qu'il est permis ou possible, les Il4 OISEAUX DE PROIE. limites des variations de la nature, et en donnant à ce passage l'explication la moins défavorable, sup- posons pour un instant que les balbuzards ne soient en effet que des métis provenant de l'union de deux différentes espèces d'aigles; ils seront féconds comme le sont les métis de quelques autres oiseaux, et pro- duiront entre eux des seconds métis, qui pourront remonter à l'espèce de l'orfraie si le premier mélange a été de l'orfraie avec un autre aigle. Jusque là , les lois de la nature ne se trouvent pas entièrement violées : mais dire ensuite que de ces balbuzards devenus orfraies il provient de petits vautours qui en produisent de grands, lesquels ne peuvent plus rien produire, c'est ajouter trois faits absolument incroyables à deux qui sont déjà difficiles à croire , et, quoiqu'il y ait dans Pline bien des choses écrites légèrement, je ne puis me persuader qu'il soit l'auteur de ces trois assertions , et j'aime mieux croire que la fui de ce passage a été entièrement altérée. Quoi qu'il en soit, il est très certain que les orfraies n'ont jamais pro- duit de petits vautours, ni ces petits vautours bâtards d'autres grands vautours mulets qui ne produisent plus rien. Chaque espèce, chaque race de vautours engendre son semblable : il en est de même de cha- que espèce d'aigle, et encore de même du balbuzard et de l'orfraie; et les espèces intermédiaires, qui peuvent avoir été produites par le mélange des aigles entre eux, ont formé des races constantes qui se sou- tiennent et se perpétuent comme les autres par la génération. Nous sommes particulièrement assurés que le mâle balbuzard produit avec sa femelle des petits semblables à lui, et que si les balbuzards pro- L OFRAIE. 1 l5 duisent des orfraies, ce ne peut être par eux-mêmes, mais par leur mélange avec l'orfraie : il en seroit de l'union du balbuzard mâle avec l'orfraie femelle comme de celle du bouc avec la brebis ; il en résulte un agneau , parce que la brebis domine dans la génération ; et il résulteroit de l'autre mélange une orfraie, parce qu'en général ce sont les femelles qui dominent, et que, d'ordinaire, les métis ou mulets féconds remontent à l'espèce de la mère, et que même les vrais mulets, c'est-à-dire les métis inféconds , représentent plus l'es- pèce de la femelle que celle du mâle. Ce qui rend croyable cette possibilité du mélange et du produit du balbuzard et de l'orfraie, c'est la conformité des appétits, du naturel, et même de la figure de ces oi- seaux; car, quoiqu'ils diffèrent beaucoup par la gran- deur, l'orfraie étant de près d'une moitié plus grosse que le balbuzard , ils se ressemblent assez par les proportions, ayant tous deux les ailes et les jambes courtes en comparaison de la longueur du corps, le bas des jambes et les pieds dénués de plumes : tous deux ont le vol moins élevé, moins rapide que les aigles; tous deux pèchent beaucoup plus qu'ils ne chassent, et ne se tiennent que dans les lieux voi- sins des étangs et des eaux abondantes en poissons; tous deux sont assez communs en France et dans les autres pays tempérés; mais, à la vérité, l'orfraie, comme plus grande, ne pond que deux œufs, et le balbuzard en produit quatre; celui-ci a la peau qui recouvre la base du bec, et les pieds, ordinairement bleus, au lieu que, dans l'orfraie, cette peau de la base du bec, et les écailles du bas des jambes et des pieds sont ordinairement d'un jaune vif et foncé. Il 1 \6 OISEAUX DE PROIE. y a aussi quelque diversité dans la distribution des couleurs sur le plumage : mais toutes ces petites dif- férences n empêchent pas que ces oiseaux ne soient d'espèces assez voisines pour pouvoir se mêler; et des raisons d'analogie me persuadent que le mélange est fécond, et que le balbuzard mâle produit, avec l'or- fraie femelle, des orfraies; mais que la femelle bal- buzard, avec l'orfraie mâle, produit des balbuzards, et que ces bâtards, soit orfraies, soit balbuzards, te- nant presque tout de la nature de leurs mères, ne conservent que quelques caractères de celle de leurs pères, par lesquels caractères ils diffèrent des or- fraies ou balbuzards légitimes. Par exemple, on trouve quelquefois des balbuzards à pieds jaunes, et des orfraies à pieds bleus, quoique communément le balbuzard les ait bleus, et l'orfraie les ait jaunes; cette variation de couleur peut provenir du mélange de ces deux espèces. De même on trouve des bal- buzards, tels que celui qu'ont décrit MM. de l'Aca- démie, qui sont beaucoup plus grands et plus gros que les autres; et en môme temps on voit des or- fraies beaucoup moins grandes que les autres, et dont la petitesse ne peut être attribuée ni au sexe ni à l'âge, et ne peut dès lors provenir que du mé- lange d'une plus petite espèce, c'est-à-dire du bal- buzard avec l'orfraie. Comme cet oiseau est des plus grands, que par cette raison il produit peu, qu'il ne pond que deux œufs une fois par an, et que souvent il n'élève qu'un petit, l'espèce n'en est nombreuse nulle part; mais elle est assez répandue ; on la trouve presque partout en Europe , et il paroît même qu'elle est commune l'okfraie. lin aux deux continents, et que ces oiseaux fréquentent les lacs de TAmérique septentrionale^. LE JEAN-LE-BLANC. Falco GalUcus. L. J'ai eu cet oiseau vivant, et je l'ai fait nourrir pen- dant quelque temps. Il avoit été pris jeune au mois d'août 1768, et il paroissoit, au mois de janvier 1769, avoir acquis toutes ses dimensions : sa longueur, de- puis le bout du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, étoit de deux pieds, et, jusqu'au bout des ongles, d'un pied huit pouces; le bec, depuis le crochet jus- ([u'au coin de l'ouverture, avoit dix-sept lignes de longueur; la queue étoit longue de dix pouces : il avoit cinq pieds un pouce de vol ou d'envergure ; ses ailes, lorsqu'elles étoient pliées, s'étendoient un peu au delà de l'extrémité de la queue. La tête , le dessus du cou, le dos, et le croupion, étoient d'un 1. 11 me pîiroît que c'est à l'orfraie qu'il faut rapporter le passage suivant. « Il y a encore quantité d'aigles qu'ils appellent en leur langue » sondarjua; elles font ordinairement leurs nids sur le bord des eaux » ou de quelque autre précipice, tout au dessus des plus hauts arbres » ou rochers, de sorte qu'elles sont fort difficiles à avoir : nous en dé- » nichâmes néanmoins plusieurs )îids ; mais nous n'y trouvâmes pas » plus d'un ou deux aiglons. J'en pensois nourrir quelques unslors- » que nous étions sur le chemin des Ilurons à Québec : mais tant » pour être trop lourds à porter, que pour ne pouvoir fournir au/io«s- » S071 qu'il leur falloit, n'ayant autre chose à leur donner, nous en fîmes a-chaudière ; et nous les trouvâmes fort bons, car ils étoient encore y jeunes et tendres. » ( Voyage au pays des Ilurons, par Sagar Théothi!, page 297. ) j;i;rro:x= xix. S Il8 OISEAUX DE PROIE. brun cendré. Toutes les plumes qui recouvrent ces parties étoient néanmoins blanches à leur origine, mais brunes dans lout le reste de leur étendue ; en sorte que le brun recouvroit le blanc, de manière qu'on ne l'apercevoit qu'en relevant les plumes. La gorge, la poitrine, le ventre et les côtés étoient blancs, variés de taches longues, et de couleur d'un brun roux : il y avoit des bandes transversales plus brunes sur la queue. La membrane qui couvre la base du bec est d'un bleu sale : c'est là que sont pla- cées les narines. L'iris des yeux est d'un beau jaune citron, ou de couleur de topaze d'orient. Les pieds étoient couleur de chair livide, et terne dans sa jeu- nesse, et sont devenus jaunes, ainsi que la membrane du bec, en avançant en âge. L'intervalle entre les écailles qui recouvrent la peau des jambes paroissoit rougeâtre; en sorte que l'apparence du tout, vu de loin, sembloit être jaune, même dans le premier âge. Cet oiseau pesoit trois livres sept onces après avoir mangé, et trois livres quatre onces lorsqu'il étoit à jeun. Le Jean-le-blanc s'éloigne encore plus des aigles que tous les précédents, et il n'a de rapport au pygar- gue que par ses jambes dénuées de plumes, et par la blancheur de celles du croupion et de la queue; mais il a le corps tout autrement proportionné, et beau- coup plus gros relativement à la grandeur que ne l'est celui de l'aigle ou du pygargue : il n'a, comme je l'ai dit, que deux pieds de longueur, depuis le bout du bec jusqu'à l'extrémité des pieds, et cinq pieds d'en- vergure, mais avec un diamètre de corps presque aussi grand que celui de Taigle commun, qui a plus LE JEAN-LE-IÎLANC. 1 1 C) de deux pieds et demi de longueur, et plus de sept pieds de vol. Par ces proportions, le Jean-îe-blanc se rapproche du balbuzard, qui a les ailes courtes à proportion du corps; mais il n'a pas, comme celui-ci, les pieds bleus : il a aussi les jambes bien plus me- nues, et plus longues à proportion qu'aucun des ai- gles. Ainsi, quoiqu'il paroisse tenir quelque chose des aigles, du pygargue , et du balbuzard, il n'est pas moins d'une espèce particulière, et très différente des uns et des autres. Il tient aussi de la buse par la dis- position des couleurs du plumage, et par un carac- tère qui m'a souvent frappé; c'est que dans de cer- taines attitudes, et surtout vu de face, il ressembloit à l'aigle , et que, vu de côté et dans d'autres attitudes, il ressembloit à la buse. Cette même remarque a été faite par mon dessinateur et par quelques autres per- sonnes, et il est singulier que cette ambiguïté de fi- gure réponde à l'ambiguité de son naturel, qui tient en effet de celui de l'aigle et de celui de la buse; en sorte qu'on doit à certains égards regarder le Jean-le- blanc comme formant la nuance intermédiaire entre ces deux genres d'oiseaux. Il m'a paru que cet oiseau voyoit très clair pendant le jour, et ne craignoit pas la plus forte lumière : car il tournoit volontiers les yeux du côté du plus grand jour, et même vis-à-vis le soleil. Il couroit assez vite lorsqu'on l'effrayoit, et s'aidoit de ses ailes en cou- rant. Quand on le gardoit dans la chambre, il cher- choit à s'approcher du feu; mais cependant le froid ne lui étoit pas absolument contraire, parce qu'on l'a fait coucher pendant plusieurs nuits à l'air, dans un temps de gelée, sans qu'il en ait paru incommodé. On 19A) OISEAUX DE PROIE. le nourrissoit avec de la viande crue et saignante; mais en le faisant jeûner il mangeoit aussi de la viande cuite : il déchiroit avec son bec la chair qu'on lui prt'sentoit, et il en avaloit d'assez gros morceaux. Il ne buvoit jamais quand on étoit auprès de lui, ni même tant qu'il apercevoit quelqu'un : mais en se mettant dans un lieu couvert, on l'a vu boire, et prendre pour cela plus de précaution qu'un acte aussi simple ne paroît en exiger. On laissoit à sa portée un vase rempli d'eau : il commençoit par regarder de tous côtés fixement et long-temps, comme pour s'as- surer s'il étoit seul; ensuite il s'approcboit du vase, et regardoit encore autour de lui; enfin, après bien des hésitations, il plongeoit son bec jusqu'aux yeux, et à plusieurs reprises, dans l'eau. Il y a apparence que les autres oiseaux de proie se cachent de même pour boire. Cela vient vraisemblablement de ce que ces oiseaux ne peuvent prendre de liquide qu'en en- fonçant leur tête jusqu'au delà de l'ouverture du bec, et jusqu'aux yeux; ce qu'ils ne font jamais tant qu'ils ont quelque raison de crainte. Cependant le Jean-le- blanc ne montroit de défiance que sur cela seul ; car, pour tout le reste, il paroissoit indiiférent, et même assez stupide. Il n'étoit point méchant, et se laissoit toucher sans s'irriter; il avoit même une petite ex- pression de contentement Co Coj lorsqu'on lui donnoit à manger : mais il n'a pas paru s'attacher à personne de préférence. Il devient gras en automne, et prend en tout temps plus de chair et d'embonpoint que la plupart des autres oiseaux de proie ^. 1. Voici la noie que nfa donnée sur cet oiseau riiouime que J'ai chargé clii soin de mes volières : « Ayant présenté au Jeau-lc-blanc LE JEA.N-LE-BLANC. 112 1 11 est très commun en France , et , comme îe dit Belon, il n'y a guère de villageois qui ne le connois- sent et ne le redoutent pour leurs poules. Ce sont eux qui lui ont donne le nom de Jean-le-btanCj parce qu'il est en effet remarquable par la blancheur du ventre, du dessous des ailes, du croupion, et de la queue. Il est cependant vrai qu'il n'y a que le mTile qui porte évidemment ces caractères; car la femelle est presque toute grise, et n'a que du blanc sale sur M difféicnts aliments, comme cla pain , du fromage, de? raisins, de la » pomme , elc.... il n'a voulu manger d'aucun, quoiqu'il jeûnât depuis » vingt-quatre heures : j'ai continué à le faire jeûner trois jours de » plus, et au bout de ce temps il a également refusé ces aliments, en » sorte qu'on peut assurer qu'il ne mange rien de tout cela , quelque >» faim qu'il ressente. Je lui ai aussi présenté des vers, qu'il a constam- » ment refusés; car lui en ayant mis un dans le bec il l'a rejeté, quoi- » qu'il Teût déjà avalé presque à moitié. Il se jetoit avec avidité sur » les mulots et les souris que je lui donnois; il les avaloit sans leur » donner un seul coup de bec. Je me suis aperçu que lorsqu'il en avoit » avalé deux ou trois, ou seulement une grosse, il paroissoit avoir » un air plus inquiet, comme s'il eût resseuli quelque douleur ; il avoit » alors la tète moins libre et plus enfoncée qu'à l'ordinaire. Il resloit » cinq ou six minutes dans cet état , sans s'occuper d'autre cbose ; car « il ne regardoit pas de tous côtés , comme il fait ordinairement ; et » je crois même qu'on auroit pu lapprochcr sans qu'il se fût retourné , » tant il étoit sérieusement occupé delà digestion des souris qu'il ve- » noil d'avaler. Je lui ai présenté des grenouilles et des petits poissons ; » il a toujours refusé les [)oissons et mangé les grenouilles par demi- » douzaine , et quelquefois davantage : mais il ne les avale pas tout » entières comme les souris; il les saisit d'abord avec ses ongles, et » les dépèce avant de les manger. Je l'ai fait jeûner pendaiit trois » jours, eu ne lui donnant que du poisson cru ; il l'a toujours refusé. » J'ai observé qu'il rendoit les peaux des souris en petites pelotes , » longues d'environ un pouce, et, en les faisant trcnq^er dans l'eau » chaude , j'ai reconnu qu'il \\y avoit que le poil et la peau de la sou- » ris, sans aucun os, et j'ai trouvé dans quelques unes de ces pelotes » des grains de fer fondu , et quelques aulîTS parcelles do charbon. » 122 OISEALX DE PROIE. les piiimes du croupion : elle est, comme dans les au- tres oiseaux de proie, plus grande, plus grosse, et plus pesante que le mâle. Elle fait son nid presque à terre, dans les terrains couverts de bruyère, de fou- gère, de genêts et de jonc, quelquefois aussi sur des sapins et sur d'autres arbres élevés. Elle pond ordi- nairement trois œufs, qui sont d'un gris tirant sur l'ardoise. Le mâle pourvoit abondamment à sa subsis- tance pendant tout le temps de l'incubation, et môme pendant le temps qu'elle soigne et élève ses petits. Il fréquente de près les lieux habités, et surtout les hameaux et les fermes : il saisit et enlève les poules, les jeunes dindons, les canards privés, et, lorsque la volaille lui mancpe, il prend des lapereaux, des per- drix, des cailles, et d'autres moindres oiseaux : il ne dédaigne pas même les mulots et les lézards. Comme ces oiseaux, et surtout la femelle, ont les ailes cour- tes et le corps gros, leur vol est pesant, et ils ne s'é- lèvent jamais à une grande hauteur; on les voit tou- jours voler bas, et saisir leur proie plutôt à terre que dans l'air. Leur cri est une espèce de sifflement aigu qu'ils ne font entendre que rarement; ils ne chassent guère que le matin et le soir „ et ils se reposent dans ie milieu du jour. On pourroit croire qu'il y a variété dans cette es- pèce ; car Belon donne la description d'un second oi- seau, «qui est, dit-il, encore une autre espèce d'oiseau )) saint-martin, semblablcment nommé blanclie queiiCy » de même espèce que le susdit Jean-le-blanc, et qui » ressemble au milan royal de si près, qu'on n'y fe- » roit aucune diiTérence, si ce n'étoit qu'il est plus )) petit , et pkîs blanc dessous le ventre , ayant les plu- LE JEAN-LE-BLANC. I ^T) » mes qal loiiclieiit le croupion et la queue , tant des- » sus que dessous, de couleur blanche. » Ces ressem- blances, auxquelles on doit en ajouter encore une plus essentielle, qui est d'avoir les jambes longues, indiquent seulement que cette espèce est voisine de celle du Jean-le-blanc : mais, comme elle en diffère considérablement par la grandeur et par d'autres ca- ractères, on ne peut pas tlire que ce soit une variété du Jean-le-blanc ; et nous avons reconnu que c'est le môme oiseau c[ue les nomenclateurs ont appelé le Ul- uler cendré y duquel nous ferons mention dans la suite sous le nom d'oiseau salnt-martin j, parce qu'il ne res- semble en rien au lanier. Au reste , le Jean-le-blanc , qui est très commun eu France, est néanmoins assez rare partout ailleurs, puisque aucun des naturalistes d'Italie , d'Angleterre , d'Allemagne , et du Nord, n'en a fait mention que d'a- près Belon ; et c'est par cette raison que j'ai cru devoir m 'étendre sur les faits particuliers de l'histoire de cet oiseau. Je dois aussi observer que M. Salerne a fait une forte méprise, en disant que cet oiseau étoit le même que le ringtail ou cjueiie blanche des Anglois, dont ils appellent le mâle lienliarroiv ou henharrlerj, c'est-à-dire ravisseur de poules. C'est ce caractère de la queue blanche , et cette habitude naturelle de prendre les poules, communs au ringtail et au Jean-le-blanc, qui ont trompé M. Salerne, et lui ont fait croire que c'étoit le même oiseau ; mais il auroit du comparer les descriptions des auteurs précédents, et il auroil aisément reconnu que ce sont des oiseaux d'espèces différentes. D'autres naturalistes ont pris l'oiseau ap- pelé par M. Edwards hluc-liawk, épervier ou fciucon 1!24 OISEAUX DE PROIE. bleu, pour Je henliarrier^ ou déchireur de poules, quoique ce soient encore des oiseaux d'espèces diffé- rentes. Nous allons tacher tl'éclaircir ce point , qui est un des plus obscurs de l'histoire naturelle des oiseaux de proie. On sait qu'on peut les diviser en deux ordres, dont le premier n'est composé que des oiseaux guerriers, nobles, et courageux, et tels que les aigles, les fau- cons, gerfauts, autours, laniers, éperviers, etc. ; et le second contient les oiseaux lâches , ignobles , et gour- mands, tels que les vautours, les milans, les buses, etc. Entre ces deux ordres si différents par le naturel et les mœurs, il se trouve, comme partout ailleurs, quel- ques nuances intermédiaires, quelques espèces qui tiennent aux deux ordres ensemble, et qui partici- pent au naturel des oiseaux nobles et des oiseaux ignobles. Ces espèces intermédiaires sont : i** celle du Jean-le-blanc , dont nous venons de donner l'histoire, et qui , comme nous l'avons dit , tient de l'aigle et de la buse; 2"* celle de l'oiseau saint-martin , que MM. Bris- son et Frisch ont appelé le lanier cendré ^ et que M. Edwards a nommé faucon bieUj mais qui tient plus du Jean-le-blanc et de la buse que du faucon et du la- nier; 5° celle de la soubuse , dont les Anglois n'ont pas bien connu l'espèce , ayant pris un autre oiseau pour le mâle de la soubuse, dont ils ont appelé la fe- melle rlngtail (queue annelée de blanc), et le pré- tendu mâle lienharrler ( déchireur de poules ) : ce sont les mêmes oiseaux que M. Erisson a nommés faucons à collier ; mais ils tiennent plus de la buse que du faucon ou de l'aigle. Ces trois espèces, et surtout la ilernière, ont donc été on méconnues, ou confondues, ou très LE JEAN-LE-BLANC. 12.) mal nommées; car le Jean-le-blanc ne doit point en- trer dans la liste des aigles. L'oiseau saint-martin n'est ni faucon, comme le dit M. Edwards, ni un lanier, comme le disent MM. Frisch et Brisson, puisqu'il est d'un naturel différent et de mœurs opposées. Il en est de même de la soubuse, qui n'est ni un aigle ni un faucon, puisque ses habitudes sont toutes différentes de celles des oiseaux de ces deux genres : on le recon- noîtra clairement par les faits énoncés dans les articles où il sera question de ces deux oiseaux. Mais il me paroît qu'on doit joindre à l'espèce du Jean-le-blanc, qui nous est bien connue, un oiseau que nous ne connoissons que par des indications d'Aldro- vande, sous le nom de lanlar'ias j, et de Schwenckfeld, sous celui de mllviis albus. Cet oiseau, que M. Brissoo a aussi appelé lanier ^ me paroît encore plus éloigné du vrai lanier que l'oiseau saint-martin. Aldrovande dé- crit deux de ces oiseaux , dont l'un est bien plus grand , et a deux pieds depuis le bout du bec jusqu'à celui de la queue : c'est la même grandeur que celle du Jean-le-blanc ; et si l'on compare la description d'Al- drovande avec celle que nous avons donnée du Jean- le-blanc, je suis persuadé qu'on y trouvera assez de caractères pour présumer que ce Uiniarius d'Aldro- vande pourroit bien être le Jean-le-blanc, d'autant que cet auteur, dont l'ornithologie est bonne et très complète, surtout pour les oiseaux de nos climats, ne paroit pas avoir connu le Jean-le-blanc par lui-même , puisqu'il n'a fait que l'indiquer d'après Belon, duquel il a emprunté jusqu'à la figure de cet oiseau. l'jb OISEAUX DE pr.oiE. OISEAUX ÉTRANGERS QUI ONT RAPPORT AUX AIGLES ET BALBUZARDS. L'oiseau des grandes Lides, dont M. Brisson a donné une description exacte, sous le nom d'aigle de Pondi- cliéry. Nous observerons seulement que, par sa seule petitesse , on auroit dû l'exclui-e du nombre des aigles, puisqu'il est de moitié moins grand que le plus petit des aigles. Il ressemble au balbuzard par la peau nue qui couvre la base du bec, qui est d'une couleur bleuâ- tre : mais il n'a pas, comme lui, les pieds bleus; il les a jaunes comme le pygargue. Son bec cendré à son origine, et d'un jaune pâle à son bout, semble parti- ciper, pour les couleurs du bec, des aigles et des py- gargues; et ces différences indiquent assez que cet oiseau est d'une espèce particulière. C'est vraisembla- blement l'oiseau de proie le plus remarquable de cette contrée des Indes, puisque les Malabares en ont fait une idole et lui rendent un culte; mais c'est plutôt par la beauté de son plumage que par sa grandeur ou sa force qu'il a mérité cet honneur : on peut dire en effet que c'est l'un des plus beaux oiseaux du genre des oiseaux de proie. L L'RUTAURANA. iJi' II. L'oiseau de l'Ainérique méridionale, que Marc- crave a décrit sous le nom uriUaurana ( ouroutaran) que lui donnent les Indiens du Brésil, et que Fer- nandès a indiqué par le nom ysquaiitliU^ qu'il porte au Mexique : c'est celui que nos voyageurs françois ont appelé aigle d'Orénoqae. Les Anglois ont adopté cette dénomination, et l'appellent Orenoko-eaglc. Il est un peu plus petit que l'aigle commun, et approche de l'aigle tacheté , ou petit aigle , par la variété de son plumage; mais il a pour caractères propres et spécifi- ques les extrémités des ailes et de la queue bordées d'un jaune blanchâtre; deux plumes noires, longues de plus de deux pouces, et deux autres plumes plus petites, toutes quatre placées sur le sommet de la tête, et qu'il peut baisser ou relever à sa volonté ; les jambes couvertes jusqu'aux pieds de plumes blanches et noi- res, posées comme des écailles; l'iris de l'œil d'un jaune vif; la peau qui couvre la base du bec, et les pieds, jaunes comme les aigles; mais le bec plus noir elles ongles moins noirs. Ces diflerences sont suffisan- tes pour séparer cet oiseau des aigles, et de tous les autres dont nous avons fait mention dans les articles précédents; mais il me paroît qu'on doit rapporter à cette espèce l'oiseau que Garcilasso appelle aigle du Pérou ^ qu'il dit être plus petit que les aigles d'Es- pagne. Il en est de même de l'oiseau des côtes occidentales de l'Afrique, dont M. Edwards nous a donné une très bonne figure enluminée, avec une excellente descrip- 1:28 OISEALX DE PROIE. tion, sons le Qom (ïeagle-croivncd [aigle huppé), qui me paroît être de la même espèce , ou d'une espèce très voisine de celui-ci. Je crois devoir rapporter en entier la description de M. Edwards, pour mettre le lecteur à portée d'en juger ^. 1 . Cet oiseau , dit M. Edwards , est d'environ un tiers plus petit que les plus grands aigles qui se voient en Europe, et il paroît fort et hardi comme les autres aigles. Le bec, avec la peau qui couvre le haut du bec , et où les ouvertures des narines sont placées , est dun brun obs- cur ; les coins de l'ouverture du bec sont fendus assez avant jusque sous les yeux, et sont jaunâtres ; l'iris des yeux est d'une couleur d'o- range rougeàtre; le devant de la tête , le tour des yeux, et la gorge , sont couverts de plumes blanches , parsemées de petites taches noires ; le derrière du cou et de la tête, le dos, et les ailes, sont d'un brun foncé, tirant sur le noir r mais les bords extérieurs des plumes sont d'un brun clair. Les pennes * sont plus foncées que les autres plumes des ailes; les côtés des ailes vers le haut, et les extrémités de quel- ques unes des couvertures des ailes sont blancs; la queue est d'un gris foncé , croisée de barres noires, et le dessous en paroît être d'un gris de cendre obscur et léger ; la poitrine est d'un brun rougeàtre , avec de grandes taches noires transversales sur les côtés ; le ventre est blanc, aussi bien que le dessous de la queue, qui est marquetée de taches noires; les cuisses et les jambes, jusqu'aux ongles, sont couvertes de plumes blanches , joliment marquetées de lâches rondes et noires ; les ongles sont noirs et très foits , les doigts sont couverts d'écaillés d'un jaune vif. Il élève ses plumes du dessus de la tête en forme de crête ou de huppe , d'où il tire son nom. J'ai dessiné cet oiseau vivant à Londres, en 1762 : son maître m'assura qu'il veaoit des côtes d'Afrique ; et je le crois d'autant plus volontiers , que j'en ai vu deux autres de celte même espèce exactement chez une autre personne, et qui venoitdela côle de Guinée. Barbot a indiqué cet oiseau sous le nom d'aigle couronné, dans sa Description, de la Guinée : il en donne une mauvaise figure , dans la- quelle cependant on reconnoît les plumes relevées sur sa tête d'une manière très peu différente de celle dont elles sont représentées dans ma ligure. (Edwards , Glanurcs , parlie I , pages 5i et 02 , planche en- luminée 2 9 4- ) * Pennes est ini tenue de finiconiieiic , poui' f xprimer les i;i';tn.les plumes des allfs des uisCiUix lie ]>ifjie. L URL TA LR AN A. 1 SQ La distance entre l'Afrique et le Brésil, qui nest guère que de quatre cents lieues, n'est pas assez grande pour que des oiseaux de haut vol ne puissent la parcourir; et dès lors il est très possible que celui- ci se trouve également aux côtes du Brésil et sur les côtes occidentales de l'Afrique ; et il suffit de compa- rer les caractères qui leur sont particuliers, et par lesquels ils se ressemblent, pour être persuadé qu'ils sont de la même espèce ; car tous deux ont des plumes en forme d'aigrette qu'ils redressent à volonté; tous deux sont à peu près de la même grandeur : ils ont aussi tous deux le plumage varié, et marqueté dans les mêmes endroits; l'iris des yeux d'un orangé vif, le bec noirâtre; les jambes, jusqu'aux pieds, également couvertes de plumes , marquetées de noir et de blanc ; les doigts jaunes et les ongles bruns ou noirs : et il n'y a de différence que dans la distribution et dans les teintes des couleurs du plumage; ce qui ne peut être mis en comparaison avec toutes les ressemblances que nous venons d'indiquer. Ainsi je crois être bien fondé à regarder cet oiseau des côtes d'Afrique comme étant de la même espèce que celui du Brésil; en sorte que l'aigle huppé du Brésil, l'aigle d'Orénoque, l'aigle du Pérou, et l'aigle huppé de Guinée, ne sont qu'une seule et même espèce d'oiseau, qui approche plus de notre aigle tacheté ou petit aigle d'Europe, que de tout autre. III. L'oiseau du Brésil , indiqué par ^iarcgrave sous le nom uriibitingaj, cjui, vraisemblablement, est d'une espèce différente du précédent, puis([u'iî porte un 100 OISEAUX DE PROIE. autre nom Jans le môme pays : et en effet , il en dif- fère, 1*" par la grandeur, étant de moitié plus petit; s** par la couleur; celui-ci est d'un brun noirâtre, au lieu que l'autre est d'un beau gris; 5° parce qu'il n'a point de plumes droites sur la tète ; 4" parce qu'il a le bas des jambes et des pieds nus comme le pygargue; au lieu que le précédent a, comme l'aigle, les jambes couvertes jusqu'au talon. IV. L'oiseau que nous avons cru devoir appeler le petit aigle d' Amérique j, qui n'a été indiqué par aucun natu- raliste , et qui se trouve à Cayenne et dans les autres parties de l'Amérique méridionale. Il n'a guère que seize à dix-huit pouces de longueur; et il est remar- quable, même au premier coup d'œil, par une large plaque d'un rouge pourpré qu'il a sous la gorge et sous le cou. On pourroit croire, à cause de sa petitesse, qu'il seroit du genre des éperviers ou des faucons; mais la forme de son bec, qui est droit à son inser- tion, et qui ne prentl de la courbure, comme celui des aigles, qu'à quelque distance de son origine, nous a déterminés à le rapporter plutôt aux aigles qu'aux éperviers. Nous n'en donnerons pas une plus ample description, parce que la planche enluminée repré- sente assez ses autres caractères. V. L'oiseau des Antilles, appelé le pêclieur par le P. du Tertre, et qui est très vraisemblablement îe même LE PECHEUR. l5l que celui qui nous est indiqué par Catesby sous le nom de fisk'ing liawk, épervier-pêclieur de la Caro- line. Il est, dit-il, de la grosseur d'un vautour, avec le corps plus allongé : ses ailes, lorsqu'elles sont pliées, s'étendent un peu au delà de l'extrémité de la queue; il a plus de cinq pieds de vol ou d'enver- gure. Il a l'iris des yeux jaune, la peau qui couvre la base du bec bleue, le bec noir, les pieds d'un bleu pille, et les ongles noirs, et presque tous aussi longs les uns que les autres : tout le dessus du corps, des ailes, et de la queue, est d'un brun foncé ; tout le dessous du corps, des ailes, et de la queue est blanc; les plumes des jambes sont blanches, courtes, et ap- pliquées de très près sur la peau. « Le pécheur, dit le P. du Tertre, est tout semblaljle au maris fenl^ hormis qu'il a les plumes du ventre blanches, et celles du dessus de la tète noires; ses griffes sont un peu plus petites. Ce pécheur est un vrai voleur de mer, qui n'en veut non plus aux animaux de la terre qu'aux oiseaux de l'air, mais seulement aux poissons, qu'il épie de dessus une branche ou une pointe de roc ; et, les voyant à fleur d'eau, il fond promptement dessus, les enlevant avec ses griffes, et les va manger sur un rocher. Quoiqu'il ne fasse pas la guerre aux oiseaux, ils ne laissent pas de le poursuivre et de s'at- trouper, et de le béqueter jusqu'à ce qu'il change de quartier. Les enfants des sauvages les élèvent étant petits, et s'en servent à la peclie par plaisir seulement; car ils ne rapportent jamais leur pèche. » Cette indi- cation du P. du Tertre n'est ni assez précise, ni assez détaillée, pour cju'on puisse être assuré que l'oiseau dont il parle est le même que celiii de Catesby, et }.)2 OISEAUX DE PROIE. nous ne le disons que comme une présomption. Mais ce qu'il y a ici de bien plus certain, c'est que ce même oiseau d'Amérique, donné par Catesby, ressemble si fort à notre balbuzard d'Europe, qu'on pourroit croire avec fondement que c'est absolument le même, ou du moins une simple variété dans l'espèce du balbu- zard ; il est de la même grosseur, de la même forme, à très peu près de la même couleur, et il a comme lui l'habitude de pêcher et de se nourrir de poisson. Tous ces caractères se réunissent pour n'en faire qu'une seule et même espèce avec celle du balbuzard. VI. L'oiseau des îles Antilles, appelé par nos voyageurs mansfenl^ et qu'ils ont regardé comme une espèce de petit aigle [nisiis), «Le mansfeni, dit le P. du Tertre, est un puissant oiseau de proie, qui, en sa forme et en son plumage, a tant de ressemblance avec l'aigle, que la seule petitesse peut l'en distinguer, car il n'est guère plus gros qu'un faucon; mais il a les griffes deux fois plus grandes et plus fortes. Quoiqu'il soit si bien armé, il ne s'attaque jamais qu'aux oiseaux qui n'ont point de défense, comme aux grives, al- louettes de mer, et tout au plus aux ramiers et tour- terelles : il vit aussi de serpents et de petits lézards. Il se perche ordinairement sur les arbres les plus éle- vés : ses plumes sont si fortes et si serrées, que, si en le tirant on ne le prend à rebours, le plomb n'a point de prise pour pénétrer. La chair en est un peu plus noire, mais elle ne îaisse pas d'être excellente^.» 1 . Ilisiûire des AnttUes, lomc II , page 252. LES VAUTOLUS. 1 35 LES VAUTOURS. L'on a donné aux aigles le premier rang parmi les oiseaux de proie, non parce qu'ils sont plus forts et plus grands que les vautours, mais parce qu'ils sont plus généreux, c'est-à-dire moins bassement cruels; leurs mœurs sont plus fières , leurs démarches plus hardies, leur courage plus noble, ayant au moins au- tant de goût pour la guerre que d'appétit pour la proie : les vautours, au contraire, n'ont que l'instinct de la basse gourmandise et de la voracité ; ils ne com- battent guère les vivants que quand ils ne peuvent s'assouvir sur les morts. L'aigle attaque ses ennemis ou ses victimes corps à corps; seul il les poursuit, les combat, les saisit : les vautours, au contraire, pour peu qu'ils prévoient de résistance , se réunissent en troupes comme de lâches assassins, et sont plutôt des voleurs que des guerriers, des oiseaux de carnage que des oiseaux de proie; car, dans ce genre, il n'y a qu'eux qui se mettent en nombre, et plusieurs contre un ; il n'y a qu'eux qui s'acharnent sur les cadavres, au point de les déchiqueter jusqu'aux os : la corrup- tion, l'infection les attire, au lieu de les repousser. Les éperviers, les faucons, et jusqu'aux plus petits oi- seaux , montrent plus de courage; car ils chassent seuls, et presque tous dédaignent la chair morte, et refusent celle qui est corrompue. Dans les oiseaux comparés aux quadrupèdes, le vautour semble réunir EUFFON. XIX. 9 l5zf OISEAUX DE PROIE. la force et la cruauté du tigre avec la lâcheté et la gourmandise du chacal , qui se met également en troupes pour dévorer les charognes et déterrer les ca- davres; tandis que l'aigle a, comme nous l'avons dit, le courage, la noblesse, la magnanimité, et la muni- ficence du lion. On doit donc d'abord distinguer les vautours des aigles par cette différence de naturel , et on les re- connoîtra à la simple inspection , en ce qu'ils ont les veux à fleur de tête, au lieu que les aigles les ont enfoncés dans l'orbite ; la tête nue, le cou aussi pres- que nu, couvert d'un simple duvet, ou mal garni de quelques crins épars, tandis que l'aigle a toutes ces parties bien couvertes de plumes ; à la forme des on- gles, ceux des aigles étant presque demi-circulaires, parce qu'ils se tiennent rarement à terre, et ceux des vautours étant plus courts et moins courbés; à l'es- pèce de duvet fin qui tapisse l'intérieur de leurs ai- les, et qui ne se trouve pas dans les autres oiseaux de proie ; à la partie du dessous de la gorge, qui est plutôt garnie de poils que de plumes; à leur attitude plus penchée que celle de l'aigle, qui se tient fière- ment droit et presque perpendiculairement sur ses pieds ; au lieu que le vautour, dont la situation est à demi horizontale, semble marquer la bassesse de son caractère par la position inclinée de son corps. On re- connoîtra même les vautours de loin, en ce qu'ils sont presque les seuls oiseaux de proie qui volent en nombre, c'est-à-dire plus de deux ensemble, et aussi parce qu'ils ont le vol pesant, et qu'ils ont môme beaucoup de peine à s'élever de terre, étant obligés de s'essayer et de s'efforcer à trois ou quatre LES VAUTOURS. iTjJ reprises avant de pouvoir prendre leur plein essor ^. Nous avons composé Je genre des aigles de trois espèces, savoir, le grand aigle, l'aigle moyen ou com- mun , et le petit aigle ; nous y avons ajouté les oiseaux qui en approchent le plus, tels que le pygargue, le balbuzard, lorfraie, le Jean-le-blanc , et les six oi- seaux étrangers qui y ont rapport, savoir, i° le bel oi- seau de Malabar; 2" l'oiseau du Brésil , de l'Orénoque, du Pérou, et de Guinée, appelé par les Indiens du Brésil uriitaurana ; S** l'oiseau appelé dans ce môme pays, urubitinga ; 4" celui que nous avons appelé le petit aigle de l'Amérique; 5** l'oiseau pécheur des An- tilles; 6" le mansfeni, qui paroît être une espèce de petit aigle : ce qui fait en tout treize espèces, dont l'une, que nous avons appelée petit aigle de l'Amé- rique^ n'a été indiquée par aucun naturaliste. JXous allons faire de même l'énumération et la réduction des espèces de vautours, et nous parlerons d'abord d'un oiseau qui a été mis au nombre des aigles par 1. M. Roy, et M. Salerne, qui n'a fait presque partout que le copier mot pour mot, donnent eacore pour différence ciiractérislique enire les vautours et les aigles la l'orme du bec , qui ne se recourbe pas ini- médiatemenl à sa naissance , et se maintient droit jusqu'à deux pouces de distance de son origine. Mais je dois observer que ce caractère n'est pas bien indiqué : car le bec des aigles ne se recourbe pas non plus dès sa naissance , il se maintient d'abord droit ; et la seule dilTé- reuce est que , dans le vautour , cette partie droite du bec est plus longue que dans l'aigle. D'autres naturalistes donnent aussi comme différence caractéristique la proéminence du jabot, plus grand dans les vautours que dans les aigles; mais ce caractère est équivoque, et n'appartient pas à toutes les espèces de vautours. Le griffon , qui est l'une des principales, bien loin d'avoir le jabot proéminent , l'a si ren- tré en dedans, qu'il y a au dessous de son con , et à la place du jabot, un creux assez grand pour y meUre le poing. l56 OISEAUX DE PROIE. Aristote, et après lui par la plupart des auteurs, quoi- que ce soit réellement un vautour et non pas un aigle. LE PERCNOPTERE. Vultur fulvus. Gmel. J'ai adopte^ ce nom, tiré du grec, pour distinguer cet oiseau de tous les autres. Ce n'est point du tout un aigle, et ce n'est certainement qu'un vautour; ou, si l'on veut suivre le sentiment des anciens, il fera le dernier degré des nuances entre ces deux genres d'oi- seaux, tenant d'infiniment plus près aux vautours qu'aux aigles. Aristote, qui l'a placé parmi les aigles, avoue lui-même qu'il est plutôt du genre des vau- tours, ayant, dit-il, tous les vices de l'aigle, sans avoir aucune de ses bonnes qualités, se laissant chas- ser et battre par les corbeaux, étant paresseux à la chasse, pesant au vol, toujours criant, lamentant, toujours affamé, et cherchant les cadavres. Il a aussi les ailes plus courtes et la queue plus longue que les aigles, la tête d'un bleu clair, le cou blanc et nu, c'est-à-dire couvert, comme la tête, d'un shnple du- vet blanc, avec un collier de petites plumes blanches et roides au dessous du cou en forme de fraise ; l'iris des yeux est d'un jaune rougeâtre; le bec, et la peau nue qui en recouvre la base, sont noirs; l'extrémité crochue du bec est blanchâtre ; le bas des jambes et les pieds sont nus, et de couleur plombée ; les ongles sont noirs, moins longs, et moins courbés que ceux Pl.xiB Tome : ;t,scnlp . 1 . LE PEEIC:N0P TERE _ 1 -LE GRIFFOII LE PERCNOPTÈRE. 1 37 des aigles. Il est, de plus, fort remarquable par une tache brune, en forme de cœur, qu'il porte sur la poitrine, au-dessous de sa fraise, et cette tache brune paroît entourée ou plutôt lisérée d'une ligne étroite et blanche. En général , cet oiseau est d'une vilaine figure et mal proportionnée; il est même dégoûtant par l'écoulement continuel d'une humeur qui sort de ses narines, et de deux autres trous qui se trou- vent dans son bec, par lesquels s'écoule la salive. Il a le jabot proéminent, et lorsqu'il est à terre, il tient toujours les ailes étendues ^. Enfin il ne ressemble à l'aigle que par la grandeur; car il surpasse l'aigle com- mun, et il approche du grand aigle pour la grosseur du corps : mais il n'a pas la môme étendue de vol. L'espèce du percnoptère paroît être plus rare que celles des autres vautours; on la trouve néanmoins dans les Pyrénées, dans les Alpes et dans les monta- gnes de la Grèce, mais toujours en assez petit nombre. LE GRIFFON. Vultur barbatus, Gmel. C'est le nom que MM. de l'Académie des Sciences ont donné à cet oiseau pour le distinguer des autres vautours. D'autres naturalistes rorit appelé le vautour 1. Celle hubilude de tenir les ailes étendues appartient non seule- ment à cette espèce , mais encore à la plupart des vautours et à quel- ({ucs oiseaux de proie. l58 OISEAUX DE PROIE. rouge j le vautour j aime j, le vautour fauve; et comme aucune de ces dénominations n'est univoque ni exacte, nous avons préféré le nom simple de griffon. Cet oi- seau est encore plus grand que le percnoptère; il a huit pieds de vol ou d'envergure, le corps plus gros et plus long que le grand aigle , surtout en y com- prenant les Jambes, qu'il a longues de plus d'un pied^ et le cou, qui a sept pouces'de longueur. Il a, comme le percnoptère, au bas du cou, un collier de plumes blanches; sa tète est couverte de pareilles plumes, qui font une petite aigrette par derrière, au bas de laquelle on voit à découvert les trous des oreilles : le cou est presque entièrement dénué de plumes. Il a les yeux à fleur de tête, avec de grandes paupières, toutes deux également mobiles et garnies de cils, et l'iris d'un bel orangé; le bec long et crochu, noirâtre à son extrémité, ainsi qu'à son origine, et bleuâtre dans son milieu. Il est encore remarquable par son jabot rentré, c'est-à-dire par un grand creux qui est au haut de l'estomac, et dont toute la cavité est gar- nie de poils qui tendent de la circonférence au cen- tre ; ce creux est la place du jabot, qui n'est ni proé- minent ni pendant comme celui du percnoptère. La peau du corps, qui paroît à nu sur le cou et autour des yeux, des oreilles, etc., est d'un gris brun et bleuâ- tre ; les plus grandes plumes de l'aile ont jusqu'à deux pieds de longueur, et le tuyau plus d'un pouce de circonférence; les ongles sont noirâtres, mais moins grands et moins courbés que ceux des aigles. Je crois, comme l'ont dit MM. de l'Académie tles Sciences, que le griffon est en effet le grand vautour d'Aristote : mais comme ils ne donnent aucune raison LE GRIFFON. 109 de ieiir opinion à cet égard, et que d'abord il pa- roîtroit qu'Aristote ne faisant que deux espèces ou plutôt deux genres de vautours, le petit, plus blan- châtre que le grand, qui varie pour la forme; il pa- roîtroit, dis-je, que ce genre du vautour est composé de plus d'une espi'ce, que l'on peut également y rap- porter : car il n'y a que le percnoptère dont il ait in- diqué l'espèce en particulier ; et comme il ne décrit aucun des autres grands vautours, on pourroit dou- ter avec raison que le griffon fût le même que son grand vautour. Le vautour commun , qui est tout aussi grand et peut-être moins rare que le griffon, pourroit être également pris pour ce grand vautour; en sorte qu'on doit penser que MM. de l'Académie des Scien- ces ont eu tort d'affu-mer comme certaine une chose aussi équivoque et aussi douteuse, sans avoir même indiqué la raison ou le fondement de leur assertion , qui ne peut se trouver vraie que par hasard, et ne peut être prouvée que par des réflexions et des com- paraisons qu'ils n'avoient pas faites. J'ai taché d'y suppléer, et voici les raisons qui m'ont déterminé à croire que notre griffon est en effet le grand vautour des anciens. Il me paroît que l'espèce du griffon est composée de deux variétés : la première, qui a été appelée vau- tour fauve j et la seconde, vautour doré^ par les natu- ralistes. Les différences entre ces deux oiseaux, dont le premier est le griffon, ne sont pas assez grandes pour en faire ,deux espèces distinctes et séparées : car tous deux sont de la même grandeur, et en gé- néral à peu près de la même couleur; tous deux ont la queue courte relativement aux ailes, qui sont très l40 OISEAUX DE PIIOIE. longues ^; et, par ce caractère qui leur est commun, ils diffèrent des autres vautours. Ces ressemblances ont môme frappe d'autres naturalistes avant moi, au point qu'ils ont appelé le vautour fauve, congener du vautour doré : je suis même très porté à croire que l'oiseau incliqué par Belon sous le nom de vautour noir est encore de la même espèce que le griffon et le vautour doré; car ce vautour noir est de la même grandeur, et a le dos et les ailes de la même couleur que le vautour doré. Or, en réunissant en une seule espèce ces trois variétés, le griffon sera le moins rare des grands vautours, et celui par conséquent qu'A- ristote aura principalement indiqué ; et ce qui rend cette présomption encore plus vraisemblable c'est que, selon Belon, ce grand vautour noir se trouve fréquemment en Egypte, en Arabie, et dans les îles de l'Archipel, et que dès lors il doit être assez com- mun en Grèce. Quoi qu'il en soit , il me semble qu'on peut réduire les grands vautours qui se trouvent en Europe à quatre espèces, savoir, le percnoptère, le griffon, le vautour proprement dit, dont nous parle- rons dans l'article suivant, et le vautour huppé, qui diffèrent assez les uns des autres pour faire des espèces distinctes et séparées. MM. de l'Académie des Sciences, qui ont disséqué deux griffons femelles, ont très bien observé que le bec est plus long à proportion qu'aux aigles, et moins 1. M. lîrisson donne à sou vautour doré une queue de deux pieds trois pouces do longueur, et trois pieds à la plus grande plume de l'aile; ce qui me feroit douter que ce soit le même oiseau que le vau- tour doré des autres auteurs , qui a la queue courte en comparaison dos ailes. LE GRIFFON. l/jl recourbé; qu'il n'est noir qu'au commencement et à la pointe, le milieu étant d'un gris bleuâtre; que la mandibule supérieure du bec a en dedans comme une rainure de cbaque ^'côté ; que ces rainures re- tiennent les bords tranchants de la mandibule infé- rieure lorsque le bec est fermé ; que , vers le haut du bec, il y a une petite éminence ronde, aux côtés de laquelle sont deux petits trous par où les canaux sa- livaires se déchargent ; que, dans la base du bec, sont les trous des narines, longs de six lignes, sur deux de large, en allant de haut en bas, ce qui donne une grande amplitude aux parties extérieures de l'organe de l'odorat dans cet oiseau; que la langue est dure et cartilagineuse, faisant par le bout comme un demi- canal, et ses deux côtés étant relevés en haut; ces côtés ayant un rebord encore plus dur que le reste de la langue, qui fait comme une scie composée de poin- tes tournées vers le gosier; que l'œsophage se dilate vers le bas, et forme une grosse bosse qui prend un peu au dessous du rétrécissement de l'œsophage; que cette bosse n'est différente du jabot des poules qu'en ce qu'elle est parsemée d'une grande quantité de vaisseaux fort visibles, à cause que la membrane de cette poche est fort blanche et fort transparente^; que le gésier n'est ni aussi dur ni aussi épais qu'il l'est dans les gallinacés, et que sa partie charnue n'est pas 1. 11 paroîtroit, par ce que disent ici iMM. de l'Académie, que le griffon a le jabot proéminent au dehors : cependant je me suis assuré par mes yeux du contraire; il n'y a qu'un grand creux à la place du jabot , à l'extérieur t mais cela n'empêche pas qu'à l'intérieur il n'y ait une bosse, et un grand élargissement dans cette partie de l'œsophage qui soulève la peau du creux, et le remplit lorsque l'animal est bien repu. 1^2 OISEAUX DE PROIE. rouge comme aux gésiers des autres oiseaux, mais blanche comme sont les autres ventricules ; que les intestins et le cœcwn sont petits comme dans les au- tres oiseaux de proie ; qu'enfin l'ovaire est à l'ordi- naire, et Voviductus un peu anfractueux comme celui des poules, et qu'il ne forme pas un conduit droit et égal, ainsi qu'il l'est dans plusieurs autres oiseaux. Si nous comparons ces observations sur les parties intérieures des vautours avec celles que les mômes anatomistes de l'Académie ont faites sur les aides, nous remarquerons aisément que quoique les vau- tours se nourrissent de chair comme les aigles, ils n'ont pas néanmoins la môme conformation dans les parties qui servent à la digestion, et qu'ils sont à cet égard beaucoup plus près des poules et des autres oi- seaux qui se nourrissent de grain , puisqu'ils ont un jabot et un estomac qu'on peut regarder comme un demi-gésier par son épaisseur à la partie du fond ; en sorte que les vautours paroissent être conformés non seulement pour être carnivores, mais granivores et même omnivores. LE VAUTOUR ou GRAND VAUTOURS Le vautour simplement dit, ou le grand vautour, est l'oiseau que Belon a improprement appelé le grand 1. En lalm, vidliir ; en espagnol, buyetre; en italien, avoltorio ; en allemand, gyr, ou geir, ou geiev: en anglois, gcir ou vulture. 5 Pecacjuel^, sctûd 1 . liE VAmi OUR- A AIGKSTTES .. 9. .1 31 ^ZAIJTOIIR EKIIIT . LE VAUTOUR OU GRAND VAUTOUR. 1 43 vautour cendré j, et que la plupart des naturalistes après lui ont aussi nommé vautour cendré j, quoiqu'il soit beaucoup plus noir que cendré. Il est plus gros et plus grand que l'aigle commun , mais un peu moindre que le griflbn , duquel il n'est pas difficile de le dis- tinguer, 1** par le cou, qu'il a couvert d'un duvet beaucoup plus long et plus fourni, et qui est de la même couleur que celle des plumes du dos ; 2° par une espèce de cravate blanche qui part des deux cô- tés de la tète, s'étend en deux branches jusqu'au bas du cou, et borde de chaque côté un assez large espace d'une couleur noire, et au dessous duquel il se trouve un collier étroit et blanc; 5° par les pieds, qui sont, dans le vautour, couverts de plumes brunes, tandis que, dans le griffon , les pieds sont Jaunâtres ou blan- châtres ; et enfin par les doigts, qui soct jaunes, tan- dis que ceux du griffon sont bruns ou cendrés. LE VAUTOUR A AIGRETTES. Vultur crlstatus. Gmel. Ce vautour, qui est moins grand que les trois pre- miers, l'est cependant encore assez pour être mis au nombre des grands vautours. Nous ne pouvons en rien dire de mieux que ce qu'en a dit Gesner, qui, de tous les naturalistes, est le seul qui ait vu plusieurs de ces oiseaux. Le vautour, dit-il , que les Allemands appellent liascn geler [vautour des lièvres) a le bec noir et crochu par le bout, de vilains yeux, le corps grand l44 OISEAUX DE PROIE. et fort, les ailes larges, la queue longue et droite, le plumage d'un roux noirâtre, les pieds jaunes. Lors- qu'il est en repos, à terre ou perché, il redresse les plumes de la tête, qui lui font alors comme deux cor- nes, que l'on n'aperçoit plus quand il vole. 11 a près de six pieds de vol ou d'envergure ; il marche bien, et fait des pas de quinze pouces d'étendue. Il poursuit les oiseaux de toute espèce, et il en fait sa proie; il chasse aussi les lièvres, les lapins, les jeunes renards, et les petits faons, et n'épargue pas môme le poisson : il est d'une telle férocité qu'on ne peut l'apprivoiser; non seulement il poursuit sa proie au vol en s'élan- çant du sommet d'un arbre ou de quelque rocher élevé, mais encore à la course. Il vole avec grand bruit; il niche dans les forêts épaisses et désertes, sur les ar- bres les plus élevés. 11 mange la chair, les entrailles des animaux vivants, et même les cadavres : quoique très vorace, il peut supporter l'abstinence pendant quatorze jours. On prit deux de ces oiseaux en Al- sace au mois de janvier i5i5, et, l'année suivante, on en trouva d'autres dans un nid qui étoit construit sur un gros chêne très élevé, à quelque distance de la ville de Miesen. Tous les grands vautours, c'est-à-dire le percnop- tère, le griffon, le vautour proprement dit, et le vau- tour à aigrettes, ne produisent qu'en petit nombre, et une seule fois l'année. Aristote dit qu'ordinairement ils ne pondent qu'un œuf ou deux. Ils font leurs nids dans des lieux si hauts et d'un accès si difficile, qu'il est très rare d'en trouver; ce n'est que dans les mon- tagnes élevées et désertes que l'on doit les chercher. Les vautours habitent ces lieux de préférence peu- LE VAUTOUR A AIGRETTES. l/jS dant toute la belle saison; et ce n'est que quand les neiges et les glaces commencent à couvrir ces sommets de montagnes qu'on les voit descendre dans les plai- nes, et voyager en hiver du côté des pays chauds ; car il paroît que les vautours craignent plus le froid que la plupart des aigles. Ils sont moins communs dans le JNord; il sembleroit même qu'il n'y en ait point du tout en Suède, ni dans les pays au delà, puisque M. Linnaeus , dans l'énumération qu'il fait de tous les oiseaux de Suède , ne fait aucune mention des vau- tours. Cependant nous parlerons, dans l'article sui- vant, d'un vautour qu'on nous a envoyé de Norwège ; mais cela n'empêche pas qu'ils ne soient plus nom- breux dans les climats chauds, en Egypte, en Arabie, dans les îles de l'Archipel, et dans plusieurs autres provinces de l'Afrique et de l'Asie : on y fait même grand usage de la peau des vautours; le cuir en est presque aussi épais que celui d'un chevreau; il est re- couvert d'un duvet très fin , très serré, et très chaud, et l'on en fait d'excellentes fourrures. Au reste , il me paroît que le vautour noir que Belon dit être commun en Egypte, est de la même espèce que le vautour proprement dit, qu'il appelle vautour cendré j, et qu'on ne doit pas les séparer, comme l'ont fait quelques naturalistes, puisque Belon lui-même, qui est le seul qui les ait indiqués, ne les sépare pas, et parle des cendrés et des noirs comme faisant tous deux l'espèce du grand vautour, ou vautour propre- ment dit ; en sorte qu'il est probable qu'il en existe en effet de noirs, et d'autres qui sont cendrés, mais que nous n'avons pas vus. Il en est du vautour noir comme de l'aigle noir, qui tous deux sont de l'espèce com- \\6 OISEAUX DE PROIE. mune du vautour ou de l'aigle. Aristote a eu raison de dire que le genre du grand vautour étoit multi- forme , puisque ce genre est en efTet composé de trois espèces, du griffon, du grand vautour, et du vautour à aigrettes, sans y comprendre le percnoptère, qu'A- ristote avoit cru devoir séparer des vautours , et asso- cier aux aigles. Il n'en est pas de même du petit vau- tour dont nous allons parler, et qui ne me paroît faire qu'une seule espèce en Europe : ainsi ce philosophe a eu encore raison de dire que le genre du grand vau- tour étoit plus multiforme , c'est-à-dire contenoit plus d'espèces que celui du petit vautour. e««««eo©«>8«««*«-8 LE PETIT VAU TOURS Il nous reste maintenant à parler des petits vau- tours , qui me paroissent différer des grands que nous venons d'indiquer sous les noms de peraioptèrej grif- fon j, grand V autour j et vautour à aigrettes j, non seu- lement par la grandeur, mais encore par d'autres caractères particuliers. Aristote , comme je l'ai dit , n'en a fait qu'une espèce, et nos nomenclateurs en comptent trois, savoir, le vautour brun, le vautour d'Egypte, et le vautour à tête blanche. Ce dernier, qui est un des plus petits, et dont nous donnons ici la représentation , paroît être en effet d'une espèce diffé- rente des deux premiers; car il en diffère en ce qu'il a le bas des jambes et les pieds nus, tandis que les 1. Cet oiseau est nommé, au bas de la planche, vautour de Nor- wcge , parce qu'il nous a été envoyé de IXoiwège. LE PETIT VAL TOUR. K^j; deux autres les ont couverts de plumes. (]e vautour à tele blanche est vraisemblablement le petit vautour blanc des anciens, qui se trouve communément en Arabie, en Egypte, en Grèce, en Allemagne, et jus- qu'en Norwège, d'où il nous a été envoyé. On peut remarquer qu'il a la tête et le dessous du cou dégar- nis de plumes, et d'une couleur rougeâtre , et qu'il est blanc presque en entier, à l'exception des grandes plumes des ailes, qui sont noires. Ces caractères sont plus que suffisants pour le faire reconnoître. Des autres espèces de petits vautours indiqués par M. Brisson sous les noms de vautour brun et de vautour d' Egypte j, il me paroît qu'il faut en retrancher ou plu- tôt séparer le second, c'est-à-dire le vautour d'Egypte, qui, par la description que Belon seul en a donnée, n'est point un vautour, mais un oiseau d'un autre genre, et auquel il a cru devoir donner le nom de sacre égyptien. Il ne nous reste donc plus que le vau- tour brun, au sujet duquel je remarquerai seulement que je ne vois pas les raisons qui ont déterminé M. Brisson à rapporter cet oiseau à Vaquila licteropode de Gesner. Il me paroît, au contraire, qu'au lieu de faire de cet aigle liétéropode un vautour, on devroit le supprimer de la liste des oiseaux; car son existence n'est nullement prouvée : aucun des naturalistes ne l'a vu. Gesner, qui seul en a parlé, et que tous les autres n'ont fait que copier, n'en avoit eu qu'un dessin, qu'il a fait graver, et dont il a rapporté la figure au genre des aigles, et non pas à celui des vautours; et la dé- nomination à! aigle hétéropode qu'il lui donne est prise du dessin, dans lequel l'une des jambes de cet oiseau étoit bleue, et l'autre d'un brun blanchâtre ; et il avoue l48 OISEAUX Dli PROIE. qu'il n'a pu rien apprendre de certain sur cette espèce, et qu'il n'en parle et ne lui donne ce nom d'aigle heté- ropode qu'en supposant la vérité de ce même dessin. Or un oiseau dessiné par un homme inconnu, nommé d'après un dessin incorrect, et que la seule différence de la couleur des deux jambes doit faire regarder comme infidèle ; un oiseau qui n'a jamais été "vu d'au- cun de ceux qui en ont voulu parler, est-il un vautour ou un aigle? est-il même un oiseau réellement exis- tant? Il me paroît donc que c'est très gratuitement que l'on a voulu y rapporter le vautour brun. Au reste, l'oiseau qui existe réellement, et qui ne doit point être rapporté à l'aigle liétéropode, qui n'existe pas , est représenté dans les planches enlumi- nées, n° 4^ 7 ^ ; et comme il nous a été envoyé d'Afrique aussi bien que de l'île de Malte , nous le renvoyons à l'article suivant , où nous traiterons des oiseaux étran- gers qui ont rapport aux vautours. OISEAUX ETRANGERS QUI ONT RAPPORT AUX VAUTOURS. L'oiseau envoyé d'Afrique et de l'île de Malte, sous le nom de vautour brun^ dont nous avons parlé dans 1. On a conservé dans le texte de cette édition les n°* des planches LE VAUTOUR BRUN. 1 49 l'article précédent, qui est une espèce ou une variété particulière dans le genre des vautours, et qui, ne se trouvant point en Europe, doit être regardée comme appartenant au climat de l'Afrique, et surtout aux ierres voisines de la mer Méditerranée. II. LE SACRE D'EGYPTE. Achbobba. S. L'oiseau appelé par Belon le satre d'Egypte^, et que le docteur Shaw indique sous le nom achbobba. Cet oiseau se voit par troupes dans les terres stériles et sa- blonneuses qui avoisinent les pyramides d'Egypte : il se tient presque toujours à terre , et se repaît, comme les vautours, de toute viande et de chair corrompue. « Il est , dit Belon , oiseau sordide et non gentil ; et qui- conque feindra voir un oiseau ayant la corpulence d'un milan , le bec entre le corbeau et l'oiseau de proie, crochu par le fin bout, et les jambes et pieds, et marcher comme le corbeau, aura l'idée de cet oi- seau, qui est fréquent en Egypte, mais rare ailleurs, quoiqu'il y en ait quelques uns en Syrie, et que j'en aie, ajoute-t-il, vu quelques uns dans la Caramanie. » Au reste, cet oiseau varie pour les couleurs; c'est, à ce que croit Belon, ïhierax ou accipiter Mgyptius d'Hérodote, qui, comme l'ibis, étoit en vénération enluminées cités par Tauteur, et qui ont rapport à des dessins qui existent à la bibliothèque du Jardin du Uoi. JîlFFO?«. XIX. lO l5o OISEAUX DE PROIE. chez les anciens Egyptiens , parce que tous deux tuent et mangent les serpents et autres bêtes immondes qui infectent l'Egypte ^. « Auprès du Caire, dit le docteur Shaw, nous rencontrâmes plusieurs troupes d'acli- hobbas, qui, comme nos corbeaux, vivent de cha- rogne C'est peut-être l'épervier d'Egypte, dont Strabon dit que , contre le naturel de ces sortes d'oi- seaux, il n'est pas fort sauvage ; car l'achbobba est un oiseau qui ne fait point de mal, et que les Mahomé- tans regardent comme sacré : c'est pourquoi le bâcha donne tous les jours deux bœufs pour les nourrir; ce qui paroît être un reste de l'ancienne superstition tles Égyptiens. » C'est ce même oiseau dont parle Paul Lucas. « On rencontre encore en Egypte, dit-il, de ces éperviers à qui l'on rendoit, ainsi qu'à l'ibis, un autre culte religieux; c'est un oiseau de proie, de la grosseur d'un corbeau . dont la tête ressemble à celle d'un vautour, et les plumes à celles d'un faucon. Les prêtres de ce pays représentoient de grands mystères sous le symbole de cet oiseau; ils le faisoient graver sur leurs obélisques et sur les murailles de leurs tem- ples pour représenter le soleil ; la vivacité de ses yeux, qu'il tourne incessamment vers cet astre, la rapidité de son vol , sa longue vie, tout leur parut propre à marquer la nature du soleil , etc. » Au reste , cet oi- 1. Beloii, Histoire naturelle des Oiseaux, pages iio et iii , avec ligures, dans laquelle on peut remarquer que le bec ressemble plus à celui clun aigle ou d'un épervier qu'à celui d'un vautour : mais on doit présuQier que cette partie est mal représentée dans la figure , puis- que l'auteur dit dans sa description que le bec est entre celui du corbeau et celui d'un oiseau de proie, et crochu par l'extrémité; ce qui exprime assez bien la forme du bec d'un vautour. Oïne 19 . Pan.guet, scalp. 1 .LEHOIDES ^ZMJTOim.S—^ !£ COïïDOR. LE SACUE d'ÉGYPTE. i5i seau, qui, couîme l'on voit, n'est pas assez décrit, pourroit bien être le même que le gallinache ou mar- rliand ^ dont nous ferons mention, art. IV. III. LE ROI DES VAUTOURS. Vidtur Papa. L. L'oiseau de l'Amérique méridionale, que les Eu- ropéens qui habitent les colonies ont appelé roi des vautourSj et qui est en effet le plus bel oiseau de ce genre. C'est d'après celui qui est au Cabinet du Roi que M. Brisson en a donné une bonne et ample descrip- tion. M. Edwards, qui a vu plusieurs de ces oiseaux à Londres, l'a aussi très bien décrit et dessiné. Nous réunirons ici les remarques de ces deux auteurs, et de ceux qui les ont précédés, avec celles que nous avons faites nous-mêmes sur la forme et la nature de cet oi- seau. C'est certainement un vautour; car il a la tête et le cou dénués de plumes, ce qui est le caractère le plus distinctif de ce genre : mais il n'est pas des plus grands, n'ayant que deux pieds deux ou trois pouces de longueur de corps, depuis le bout du bec jusqu'à celui des pieds ou de la queue ; n'étant pas plus gros qu'un dindon femelle ; et n'ayant pas les ailes à pro- portion si grandes que les autres vautours, quoiqu'elles s'étendent, lorsqu'elles sont pliées, jusqu'à l'extrémité de la queue , qui n'a pas huit pouces de longueur. Le bec, qui est assez fort et épais, est d'abord droit et direct, et ne devient crochu qu'au bout; dans (jue!-- ques uns il est entièrement rouge, et dans d'autres 102 OISEAUX DE PROIE. il ne l'est qu'à son extrémité, et noir dans son milieu : la base du bec est environnée et couverte d'une peau de couleur orangée, large , et s'éJevant de chaque côté jusqu'au haut de la tête ; et c'est dans cette peau que sont placées les narines, de forme oblongue, et entre lesquelles cette peau s'élève comme une crête dente- lée et mobile, et qui tombe indifféremment d'un coté ou de l'autre, selon le mouvement de tête que fait l'oiseau. Les yeux sont entourés d'une peau rouge écarlate , et l'iris a la couleur et l'éclat des perles. La tête et le cou sont dénués de pluuies, et couverts d'une peau de couleur de chair sur le haut de la tête, et d'un rouge plus vif sur le derrière et plus terne sur le devant. Au dessous du derrière de la tête s'élève une petite touffe de duvet noir, de laquelle sort et s'étend de chaque côté sous la gorge une peau ridée, de couleur brunâtre, mêlée de bleu et de rouge dans sa partie postérieure; cette peau est rayée de petites lignes de duvet noir. Les joues ou côtés de la tête sont couvertes d'un duvet noir; et entre le bec et les yeux, derrière les coins du bec, il y a de chaque côté une tache d'un pourpre brun. A la partie supérieure du haut du cou, il y a de chaque côté une petite ligne longitudinale de duvet noir, et l'espace contenu entre ces deux lignes est d'un jaune terne; les côtés du haut du cou sont d'une couleur rouge, qui se change, en descendant par nuances, en jaune ; au dessous de la partie nue du cou est une espèce de collier ou de fraise, formée par des plumes douces assez longues et d'un cendré foncé ; ce collier, qui entoure le cou entier et descend sur la poitrine, est assez ample pour que l'oiseau puisse, en se resserrant, y cacher son cou et partie de sa tête, L£ ROI DES VAUTOURS. l55 comme dans un capuchon , et c'est ce qui a fait donner à cet oiseau le nom de moine par quelques naturalistes. Les plumes de la poitrine , du ventre , des cuisses , des jambes, et celles du dessous de la queue, sont blan- ches, et teintes d'un peu d'aurore; celles du croupion et du dessus de la queue varient, étant noires dans quelques individus, et blanches dans d'autres : les au- tres plumes de la queue sont toujours noires, aussi bien que les grandes plumes des ailes, lesquelles sont ordinairement bordées de gris. La couleur des pieds et des ongles n'est pas la même dans tous ces oiseaux : les uns ont les pieds d'un blanc sale ou jaunâtre , et les ongles noirâtres; d'autres ontlespieds et les ongles rougeâtres; les ongles sont forts, courts et peu cro- chus. Cet oiseau est de l'Amérique méridionale, et non pas des Indes orientales, comme quelques auteurs l'ont écrit ^ : celui que nous avons au Cabinet du Roi a été envoyé de Cayenne. JNavarette, en parlant de cet oiseau, dit : « J'ai vu à Acapulco le roi des zopllotes ou » vautours; c'est un des plus beaux oiseaux qu'on puisse » voir, etc. » Le sieur Perry, qui fait à Londres com- merce d'animaux étrani2;ers, a assuré à M. Edwards que cet oiseau vient uniquement de l'Amérique. Her- nandès, dans ^on Histoire de la Nouvelle-Espagne ^ le décrit de manière à ne pouvoir s'y méprendre ; Fer- nandès, Nieremberg, et de Laët, c[ui tous ont copié 1. Albin dit que celui qu'il a dessiné êloit venu des Indes orientnlcs par un vaisseau liollandois appelé le PaUampank , partie m, page 9. , n° 4- M. Edwards dit aussi que les geus qui montroient ces oiseaux à la foire de Londres assuroient qu'ils venoient des Indes orientales ; mais que néanmoins il croit qu'ils sont de l'Amérique. ] 54 OISEAUX DE PilOIi:. la description de Hernandès, s'accordent à dire qne cet oisean est coranuin dans les terres du Mexique et de la Nouvelle-Espagne : et comme, dans le dépouil- lement que j'ai fait des ouvrages des voyageurs, je n'ai pas trouvé la plus légère indication de cet oiseau dans ceux de l'Afrique et de l'Asie , Je pense qu'on peut assurer qu'il est propre et particulier aux terres mé- ridionales du nouveau continent, et qu'il ne se trouve pas dans l'ancien. On pourroit m'objecter que, puis- que l'ouroutaran ou aigle du Brésil se trouve, de mon aveu, également en Afrique et en Amérique, je ne dois pas assurer que le roi des vautours ne s'y trouve pas aussi. La distance entre les deux continents est égale pour ces deux oiseaux; mais probablement la puissance du vol est inégale ^, et les aigles en général volent beaucoup mieux que les vautours. Quoi qu'il en soit , il paroît que celui-ci est confiné dans les terres où il est né , et qui s'étendent du Brésil à la Nouvelle- Espagne : car on ne le trouve plus dans les pays moins chauds; il craint le froid. Ainsi, ne pouvant traverser la mer au vol entre le Brésil et la Guinée, et ne pou- vant passer par les terres du nord, cette espèce est demeurée en propre au Nouveau-Monde, et doit être ajoutée à la liste de celles qui n'appartiennent point à l'ancien continent. Au reste, ce bel oiseau n'est ni propre, ni noble, 1. îleniandès dit néanmoins que cet oiseau s'élève fort haut, en tenant les ailes très étendues , et que son vol est si ferme , qu'il résiste aux plus grands vents. On pourroit croire que JNieremberg l'a appelé regina aurarum , parce qu'il surmonte la force du vent par celle de son vol : mais ce nom aura n'est pas dérivé du iatin; il vient par contrac- tion d'ouroua, qui est le nom indien d'un autre vautour doni nou& parierons dans Varticle suivant. LE ROI DES VAUTOURS. l55 ni généreux; il n'attaque que les animaux les plus foi- bles, et ne se nourrit que de rats, de lézards, de ser- pents, et même des excréments des animaux et des hommes : aussi a-t-il une très mauvaise odeur, et les sauvages mêmes ne peuvent manger de sa chair. IV. L'URUBU. Vultur Aura. L. L'oiseau appelé oiiroua ou aura par les Indiens de (Mayenne , urubu ( ouroubou ) par ceux du Brésil , zopi- loti par ceux du Mexique , et auquel nos François de Saint-Domingue et nos voyageurs ont donné le sur- nom de marchand. C'est encore une espèce qu'on doit rapporter au genre des vautours, parce qu'il est du même naturel, et qu'il a comme eux le bec crochu, et la tête et le cou dénués de plumes, quoique, par d'autres caractères , il ressemble au dindon ; ce qui lui a fait donner par les Espagnols et les Portugais le nom de gaUlnaça ou gallinaço. Il n'est guère que de la grandeur d'une oie sauvage ; il paroît avoir la tête pe- tite , parce qu'elle n'est couverte , ainsi que le cou , que de la peau nue, et semée seulement de quelques poils noirs assez rares : cette peau est raboteuse, et variée de bleu, de blanc, et de rougeâtre. Les ailes, lorsqu'elles sont pliées , s'étendent au delà de queue, qui cependant est elle-même assez longue. Le bec est d'un blanc jaunâtre, et n'est crochu qu'à l'extrémité ; la peau nue qui en recouvre la base s'étend presque au milieu du bec, et elle est d'un jaune rougeâtre. l56 OISEALX DE PROIE. L'iris de l'œil est orangé, et les paupières sont blan- ches ; les plumes de tout le corps sont brunes ou noi- râtres, avec un reflet de couleur changeante, de vert et de pourpre obscurs; les pieds sont d'une couleur livide, et les ongles sont noirs. Cet oiseau a les narines encore plus longues à proportion que les autres vau- tours^; il est aussi plus lâche , plus sale, et plus vorace cpi'aucun d'eux, se nourrissant plutôt de chair morte et de vidanges que de chair vivante : il a néanmoins le vol élevé et assez rapide pour poursuivre une proie y s'il en avoit le courage; mah il n'attaque guère que les cadavres ; et s'il chasse quelquefois c'est en se réu- nissant en grandes troupes pour tomber en grand nombre sur quelque animal endormi ou blessé. Le marclia7id est le même oiseau que celui qu^a décrit Kolbe , sous le nom à' aigle du Cap. II se trouve donc également dans le continent de l'Afrique et dans celui de l'Amérique méridionale, et, comme on ne le voit pas fréquenter les terres du nord, il paroît qu'il a traversé la mer entre le Brésil et la Guinée. Hans Sloane, qui a vu et observé plusieurs de ces oiseaux en Amérique, dit qu'ils volent comme les milans, qu'ils sont toujours maigres. Il est donc très possible qu'étant aussi légers de vol et de corps, ils aient fran- chi l'intervalle de mer qui sépare les deux continents. Hernandès dit qu'ils ne se nourrissent que de cadavres 1 . J'ai cru devoir donner une courte description de cet oiseau, parce que j'ai trouvé que celles des autres auteurs ne s accordent pas parfai- tement avec ce que j'ai vu ; cependant , comme il n'y a que de légères différences , il est à présumer que ce sont des variétés individuelles =, et par conséquent leurs descriptions peuvent être aussi bonnes que la mienne. l'urubu. i57 d'animaux, et même d'excréments humains; qu'ils se rassemblent sur de grands arbres, d'où ils descen- dent en troupes pour dévorer les charognes. Il ajoute que leur chair a une mauvaise odeur, plus forte que celle de la chair du corbeau. JNieremberg dit aussi qu'ils volent très haut et en grandes troupes ; qu'ils passent la nuit sur des arbres ou des rochers très élevés, d'où ils partent le matin pour venir autour des lieux habi- tés ; qu'ils ont la vue très perçante, et qu'ils voient de haut et de très loin les animaux morts qui peuvent leur servir de pâture; qu'ils sont très silencieux, ne criant ni ne chantant jamais , et qu'on ne les entend que par un murmure peu fréquent; qu'ils sont très communs dans les terres de l'Amérique méridionale , et que leurs petits sont blancs dans le premier âge, et deviennent ensuite bruns ou noirâtres en grandis- sant. Marcgrave, dans la description qu'il donne de cet oiseau, dit qu'il a les pieds blanchâtres, les yeux beaux, et, pour ainsi dire, couleur de rubis, la langue en gouttière et en scie sur les côtés. Ximenès assure que ces oiseaux ne volent jamais qu'en grandes trou- pes, et toujours très haut; qu'ils tombent tous en- semble sur la même proie , qu'ils dévorent jusqu'aux os, et sans aucun débat entre eux, et qu'ils se rem- plissent au point de ne pouvoir reprendre leur vol. Ce sont ces mêmes oiseaux dont Acosta fait mention sous le nom de poullazes j « qui sont, dit-il, d'une admira- ble légèreté , ont la vue très perçante, et qui sont fort propres pour nettoyer les cités, d'autant qu'ils n'y laissent aucunes charognes ni choses mortes. Ils pas- sent la nuit sur les arbres ou sur les rochers, et au matin viennent aux cités, se mettent sur les sommets I 58 OISEAUX DE PROIE. des plus hauts édifices, d'où ils épient et attendent leur prise. Leurs petits ont le plumage blanc , qui change ensuite en noir avec l'âge. » « Je crois , dit Des- marchais, que ces oiseaux , appelés gaUinaclies par les Portugais, et maixkands par les François de Saint-Do- mingue , sont une espèce de coqs-d'Inde ^, qui, au lieu de vivre de grains, de fruits, et d'herbes comme les autres , se sont accoutumés à être nourris de corps morts et de charognes. Ils suivent les chasseurs , sur- tout ceux qui ne vont à la chasse que pour la peau des bêtes : ces gens abandonnent les chairs, qui pourriroient sur les lieux et infecteroient l'air sans le secours de ces oiseaux , qui ne voient pas plutôt un corps écorché , qu'ils s'appellent les uns les autres, et fondent dessus comme des vautours, et en moins de rien en dévorent la chair, laissent les os aussi nets que s'ils avoient été raclés avec un couteau. Les Espa- gnols des grandes îles et de la terre-ferme, aussi bien que les Portugais, habitants des lieux où l'on fait des cuirs, ont un soin tout particulier de ces oiseaux, à cause du service qu'ils leur rendent en dévorant les corps morts, et empêchant qu'ils ne corrompent l'air : ils condamnent à une amende les chasseurs qui tom- bent dans cette méprise. Cette protection a extrême- ment multiplié cette vilaine espèce de coqs-d'Inde; on en trouve en bien des endroits de la Guiane, aussi bien que du Brésil , de la Nouvelle-Espagne , et des grandes îles. Ils ont une odeur de charogne que rien 1. Quoique cet oiseau ressemble au coq-d'Inde par la tête, le cou, et la grandeur du corps, il n'est pas de ce genre, mais de celui du Taulour, dont il a non seulement le naturel elles mœurs, mais encore je bec crochu et les serres. L URUBU. 109 ne peut ôter : on a beau leur arracher le croupion dès qu'on les a tués , leur ôter les entrailles ; tous ces soins sont inutiles : leur chair, dure, coriace, lilasseuse , a contracté une mauvaise odeur insupportable. » « Ces oiseaux, dit Rolbe, se nourrissent d'animaux morts; j'ai moi-même vu plusieurs fois des squelettes de vaches, de bœufs, et d'animaux sauvages qu'ils avoient dévorés. J'appelle ces restes des squelettes ; et ce n'est pas sans fondement, puisque ces oiseaux séparent avec tant d'art les chairs d'avec les os et la peau , que ce qui reste est un squelette parfait, cou- vert encore de la peau , sans qu'il y ait rien de dérangé : on ne sauroit même s'apercevoir que ce cadavre est vide que lorsqu'on en est tout près. Pour cela, voici comme i!s s'y prennent. D'abord ils font une ouver- ture au ventre de l'animal, d'où ils arrachent les en- trailles , qu'ils mangent ; et, entrant dans le vide qu'ils viennent de faire , ils séparent les chairs. Les Hoilan- dois du Cap appellent ces aigles , stront vogeis ou Uront-jagerSj, c'est-à-dire, oiseaux de fiente j, ou qui vont à la chasse de la fiente. Il arrive souvent qu'un bœuf qu'on laisse retourner seul à son étable , après l'avoir ôté de la charrue, se couche sur le chemin pour se reposer : si ces aigles l'aperçoivent, elles tom- bent immanquablement sur lui et le dévorent. Lors- qu'elles veulent attaquer une vache ou un bœuf, elles se rassemblent et viennent fondre dessus au nombre de cent , et quelquefois même davantage. Elles ont l'œil si excellent , qu'elles découvrent leur proie à une extrême hauteur, et dans le temps qu'elles-mêmes échappent à la vue la plus perçante; et aussitôt qu'elles voient le moment favorable, elles tombent perpendi- l6o OISEAUX DE PROIE. culairement sur l'animal qu'elles guettent. Ces aigles sont un peu plus grosses que les oies sauvages : leurs plumes sont en partie noires, et en partie d'un î2,ris clair; mais la partie noire est plus grande : elles ont le bec gros, crochu , et fort pointu : leurs serres sont grosses et aiguës. » « Cet oiseau, dit Catesby, pèse quatre livres et de- mie : il a la tête et une partie du cou rouge, chauve, et charnu comme celui d'un dindon, clairement se- més de poils noirs, le bec de deux pouces et demi de long, moitié couvert de chair, et dont le bout, (jui est blanc , est crochu comme celui d'un faucon : mais il n'a point de crochets aux côtés de la mandibule su- périeure. Les narines sont très grandes et très ouver- tes, placées en avant à une distance extraordinaire des yeux. Les plumes de tout le corps ont un mélange de pourpre foncé et de vert. Ses jambes sont courtes et de couleur de chair, ses doigts longs comme ceux des coqs domestiques; et ses ongles, qui sont noirs, ne sont pas si crochus que ceux des faucons. Ils se nour- rissent de charognes , et volent sans cesse pour tâcher d'en découvrir: ils se tiennent long-temps sur l'aile, et montent et descendent d'un vol aisé, sans qu'on puisse s'apeicevoir du mouvement de leurs ailes. Lhie charogne attire un grand nombre de ces oiseaux, et il y a du plaisir à être présent aux disputes qu'ils ont entre eux en mangeant^. Un aigle préside souvent au festin , et les fait tenir à l'écart pendant qu'il se repaît. Ces oiseaux ont un odorat merveilleux; il n'y a pas 1. Ce fait est contraire à ce que disent JVieremberg , Marcgrave , et Desmarchais , du silence et de la concorde de ces oiseaux ea man- l'urubu. 161 plutôt une charogne, qu'on les voit venir de toutes parts en tournant toujours , et descendant peu à peu , jusqu'à ce qu'ils tombent sur leur proie. On croit gé- néralement qu'ils ne mangent rien qui ait vie ; mais je sais qu'il y en a qui ont tué des agneaux, et que les serpents sont leur nourriture ordinaire. La coutume de ces oiseaux est de se jucher plusieurs ensemble sur de vieux pins et des cyprès, où ils restent le matin pendant plusieurs heures, les ailes déployées^. Ils ne craignent guère le danger, et se laissent approcher de près, surtout lorsqu'ils mangent. » INous avons cru devoir rapporter au long tout ce que l'on sait d'historique au sujet de cet oiseau, parce que c'est souvent des pays étrangers, et surtout des déserts, qu'il faut tirer les mœurs de la nature. ÎNos animaux, et môme nos oiseaux, continuellement fu- gitifs devant nous, n'ont pu conserver leurs véritables habitudes naturelles ; et c'est dans celles de ce vautour des déserts de l'Amérique que nous devons voir ce que seroient celles de nos vautours s'ils n'étoient pas sans cesse inquiétés dans nos contrées, trop habitées pour les laisser se rassembler, se multiplier, et se nourrir en si grand nombre : ce sont leurs mœurs pri- mitives; partout ils sontvoraces, lâches, dégoûtants, odieux, et, comme des loups, aussi nuisibles pendant leur vie qu'inutiles après leur mort. i. Par cette habitude des ailes déployées , il paroît encore que ces oiseaux sont du genre des\autours, qui tous tiennent leurs ailes éten- dues lorsqu'ils sont posés. l6:i OISEAIX DE PROIK. V. LE CONDOR. Vidiur Gryphus. L. Si la faculté de voler est un attribut essentiel à l'oi- seau , le condor doit être regardé comme le plus grand de tous. L'autruche, le casoar, le dronte, dont les ailes et les plumes ne sont pas conformées pour le vol , et qui par cette raison, ne peuvent quitter la terre , ne doivent pas lui être comparés; ce sont, pour ainsi dire, des oiseaux imparfaits, des animaux terrestres, bipèdes, qui font une nuance mitoyenne entre les oi- seaux et les quadrupèdes dans un sens , tandis que les roussettes, les rougettes, et les chauve-souris, font une semblable nuance , mais en sens contraire , entre les quadrupèdes et les oiseaux. Le condor possède même à un plus haut degré que l'aigle toutes les qua- lités, toutes les puissances que la nature a départies aux espèces les plus parfaites de cette classe d'êtres : il a jusqu'à dix-huit pieds de vol ou d'envergure, le corps, le bec, et les serres, à proportion aussi grandes et aussi fortes , le courage égal à la force , etc. Nous no pouvons mieux faire, pour donner une idée juste de la forme et des proportions de son corps , que de rap- porter ce qu'en dit le P. Feuillée, le seul de tous les naturalistes et voyageurs qui en ait donné une des- cription détaillée. «Le condor est un oiseau de proie de la vallée d'Ylo au Pérou... J'en découvris un qui étoit perché sur un grand rocher ; je l'approchai à portée de fusil, et le tirai; mais, comme mon fusil LE CONDOR. l65 n'étoit chargé que de gros plomb, le coup ne put en- tièrement percer la plume de son parement. Je m'a- perçus cependant à son vol qu'il étoit blessé; car, s'étant levé fort lourdement, il eut assez de peine à arriver sur un autre grand rocher, à cinq cents pas de là, sur le bord de la mer: c'est pourquoi je char- geai de nouveau mon fusil d'une balle , et perçai l'oi- seau au dessous de la gorge. Je m'en vis pour lors le maître, et courus pour l'enlever. Cependant il dis- putait encore avec la mort; et, s'étant mis sur son dos, il se défendoit contre moi avec ses serres tout ouvertes, en sorte que je ne savois de quel côté le saisir : je crois même que, s'il n'eut pas été blessé à mort , j'aurois eu beaucoup de peine à en venir à bout. Enfin je le traînai du haut du rocher en bas, et, avec le secours d'un matelot , je le portai dans ma tente pour le dessiner, et mettre le dessin en cou- leur. » Les ailes du condor , que je mesurai fort exacte- ment , avoient d'une extrémité à l'autre , onze pieds quatre pouces ; et les grandes plumes , qui étoient d'un beau noir luisant, avoient deux pieds deux pou- ces de longueur. La grosseur de son bec étoit propor- tionnée à celle de son corps ; la longueur du bec étoit de trois pouces et sept lignes ; sa partie supérieure étoit pointue, crochue , et blanche à son extrémité , et tout le reste étoit noir. Un petit duvet court, de couleur minime, couvroit toute la tête de cet oiseau : ses yeux étoient noirs et entourés d'un cercle brun et rouge; tout son parement, et le dessous du ventre jusqu'à l'extrémité de la queue, étoient d'un brun clair: son manteau, de la même couleur, éloit un l64 OISEAUX DE PROIE. peu plus obscur. Les cuisses étoient couvertes jus- qu'au genou de plumes brunes, ainsi que celles du parement; le fémur avoit dix pouces et une ligne de longueur, et le tibia cinq pouces et deux lignes. Le pied étoit composé de trois serres antérieures et d'une postérieure : celle-ci avoit un pouce et demi de lon- gueur, et une seule articulation ; cette serre étoit ter- minée par un ongle noir et long de neuf lignes : la serre antérieure du milieu du pied , ou la grande serre, avoit cinq pouces huit lignes et trois articulations, et l'ongle qui la terminoit avoit un pouce neuf lignes, et étoit noir comme sont les autres : la serre inté- rieure avoit trois pouces deux lignes et deux articu- lations, et étoit terminée par un ongle de la môme grandeur que celui de la grande serre ; la serre exté- rieure avoit trois pouces et quatre articulations , et l'ongle étoit d'un pouce. Le tibia étoit couvert de pe- tites écailles noires ; les serres étoient de môme, mais les écailles en étoient plus grandes. » Ces animaux gîtent ordinairement sur les monta- gnes, où ils trouvent de quoi se nourrir; ils ne descen- dent sur le rivage que dans la saison des pluies : sensi- bles au froid, ils y viennent chercher la chaleur. Au reste, quoique ces montagnes soient situées sous la zone torride, le froid ne laisse pas de s'y faire sentir ; elles sont presque toute l'année couvertes de neige, mais beaucoup plus en hiver, où nous étions entrés depuis le 2 1 de ce mois. « Le peu de nourriture que ces animaux trouvent sur le bord de la mer, excepté lorsque quelques tem- pêtes y jettent quelques gros poissons, les oblige à n'y pas faire de longs séjours : ils y viennent ordinairement LE CONDOR. l65 le soir, y passent toute la nuit 5 et s'en retournent le matin. » Frézier, dans son Voyage de la mer du Sudj parle cie cet oiseau dans les termes suivants : « Nous tuâmes un jour un oiseau de proie , appelé condor^ qui avoit neuf pieds de vol , et une crête brune qui n'est point déchiquetée comme celle du coq : il a le devant du gosîfer rouge, sans plumes, comme le coq-d'Inde; il est ordinairement gros, et fort à pouvoir emporter un agneau. Garcilasso dit qu'il s'en est trouvé au Pérou qui avoient seize pieds d'envergure. » En effet, il paroît que ces deux condors indiqués par Feuillée et par Frézier étoient des plus petits et des plus jeunes de l'espèce ; car tous les autres voya- geurs leur donnent plus de grandeur. Le P. d'Abbé- ville et de Laët assurent que îe condor est deux fois plus grand que l'aigle, et qu'il est d'une telle force, qu'il ravit et dévore une brebis entière, qu'il n'épar- gne pas même les cerfs, et qu'il renverse aisément un homme. Il s'en est vu , disent Acosta et Garcilasso , qui , ayant les ailes étendues, avoient quinze et même seize pieds d'un bout de l'aile à l'autre. Ils ont le bec si fort , qu'ils percent la peau d'une vache ; et deux de ces oiseaux en peuvent tuer et manger une, et môme ils ne s'abstiennent pas des hommes. Heureuse- ment il y en a peu : car, s'ils étoient en grande quan- tité, ils détruiroient tout le bétail. Desmarchais dit que ces oiseaux ont plus de dix-huit pieds de vol ou d'envergure, qu'ils ont les serres grosses, fortes, et crochues, et que les Indiens de l'Amérique assurent qu'ils empoignent et emportent une biche ou une jeune vache comme ils feroient un lapin ; qu'ils sont J2UFF0N, XIX. . i i. \66 OISEAUX DE PROIE. de la grosseur d'un mouton ; que leur chair est co- riace et sent !a charogne; qu'ils ont la vue perçante, le regard assuré, et même cruel ; qu'ils ne fréquentent guère les forets^ qu'il leur faut trop d'espace pour re- muer leurs grandes ailes ; mais qu'on les trouve sur les bords de la mer et des rivières, dans les savanes ou prairies naturelles^. M. Ray, et presque tous les naturalistes après lui , ont pensé que le condor étoit du genre des vautours , à cause de sa tête et de son cou dénués de plumes. Cependant on pourroit en douter encore , parce qu'il paroît que son naturel tient plus de celui des aigles. Il est, disent les voyageurs, courageux et très fier; il at- taque seul un homme, et tue aisément un enfant de dix à douze ans; il arrête un troupeau de moutons, et choisit à son aise celui qu'il veut enlever ; il emporte les chevreuils, tue les biches et les vaches , et prend aussi de gros poissons. Il vit donc, comme les aigles, du produit de sa chasse ; il se nourrit de proies vivan- tes , et non pas de cadavres : toutes ces habitudes sont plus de l'aigle que du vautour. Quoi cju'il en soit, il me paroît que cet oiseau, qui est encore peu connu, parce qu'il est rare partout, n'est cependant pas con- iiné aux seules terres méridionales de l'Amérique : je suis persuadé qu'il se trouve également en Afrique , en Asie, et peut-être même en Europe. Garcilasso a eu raison de dire que le condor du Pérou et du Chili est le même oiseau que le rnc/i ou i^oc des Orientaux , si fameux dans les contes arabes, et dont Marc Paul a parlé; et il a eu encore raison de citer Marc Paul avec les contes arabes, parce qu'il va dans sa relation i . Voya»&«'»j#e<^'e>««^G<€^««'»s««)«> LE MILAN, Falco Mi [vus. L. ET LES BUSES. Les milans et les buses , oiseaux ignobles, immon- des, et lâches, doivent suivre les vautours, auxquels ils ressemblent parle naturel et les mœurs. Ceux-ci, maigre leur peu de générosité, tiennent, par leur grandeur et leur force, l'un des premiers rangs parmi les oiseaux : les milans et les buses, qui n'ont pas ce même avantage, et qui leur sont inférieurs en gran- deur, y suppléent et les surpassent par le nombre. Partout ils sont beaucoup plus communs, plus incom- modes que les vautours; ils fréquentent plus souvent et de plus près les lieux habités. Ils font leur nid dans des endroits plus accessibles ; ils restent rarement dans les déserts ; ils préfèrent les plaines et les colli- nes fertiles aux montagnes stériles. Comme toute proie leur est bonne, que toute nourriture leur convient, et que plus la terre produit de végétaux , plus elle est en même temps peuplée d'insectes, de reptiles, d'oiseaux, et de petits animaux, ils établissent ordinairement leur domicile au pied des montagnes, dans les terres les plus vivantes, les plus abondantes en gibier, en vo- laille, en poisson. Sans être courageux, ils ne sont pas timides ; ils ont une sorte de stupidité féroce qui îeia* donne l'air de l'audace tranquille, et semble leur ôter P1.B.6 Patq-aet <^Tiet,sculp 1 . 1 KlvîlLAlNr _Q. .I.A BUSE _3.LA BONnKEE LE MILAN ET LES BUSES. 1^1 la connoissance du danger. On les approche , on les tue bien plus aisément que les aigles ou les vautours. Détenus en captivité, ils sont encore moins suscepti- bles d'éducation : de tout temps on les a proscrits, rayés de la liste des oiseaux nobles, et rejetés de l'é- cole de la fauconnerie ; de tout temps on a comparé l'homme grossièrement impudent au milan, et la fejume tristement bete à la buse. Quoique ces oiseaux se ressemblent par le naturel , par la grandeur du corps, par la forme du bec, et par plusieurs autres attributs, le milan est néanmoins aisé à distinguer non seulement des buses, mais de tous les autres oiseaux de proie, par un seul caractère facile à saisir : il a la queue fourchue ; les plumes du milieu étant beaucoup plus courtes que les autres, laissent paroîlre un. intervalle qui s'aperçoit de loin, et lui a fait improprement donner le surnom d'aigle à queue fourchue, il a aussi les ailes proportionnellement plus longues que les buses , et le vol bien plus aisé : aussi passe-t-il sa vie dans l'air. 11 ne se repose presque ja- mais , et parcourt chaque jour des espaces immenses ; et ce grand mouvement n'est point un exercice de chasse ni de poursuite de proie, ni même de décou- verte , car il ne chasse pas : mais il semble que le vol soit son état naturel , sa situation favorite. L'on ne peut s'empêcher d'admirer la manière dont il l'exécute : ses ailes, longues et étroites, paroissent immobiles; c'est la queue qui semble diriger toutes ses évolutions, et elle agit sans cesse : il s'élève sans effort, il s'abaisse comme s'il glissoit sur un plan incliné ; il semble plutôt nager que voler ; il précipite sa course, il la ralentit, s'arrête , et reste comme suspendu, ou fixé à la même 172 OISEAUX DE PKOIE. place pendant des heures entières, sans qu'on puisse s'apercevoir d'aucun mouvement dans ses ailes. Il n'y a dans notre climat qu'une seule espèce de milan, que nos François ont appelé milan royal^^ parce qu'il servoit aux plaisirs des princes, qui lui fai- soient donner la chasse et livrer combat par le faucon ou l'épervier. On voit en effet avec plaisir cet oiseau lâche , quoique doué de toutes les facultés qui de- vroientlui donner du courage, ne manquant ni d'armes, ni de force, ni de légèreté, refuser de combattre, et fuir devant l'épervier, beaucoup plus petit que lui, toujours en tournoyant, et s'élevant comme pour se cacher dans les nues, jusqu'à ce que celui-ci l'atteigne, le rabatte à coups d'ailes, de serres, et de bec, et le ramène à terre , moins blessé que battu, et plus vaincu par la peur que par la force de son ennemi. Le milan, dont le corps entier ne pèse guère que deux livres et demie, qui n'a que seize ou dix-sept pouces de longueur, depuis le bout du bec jusqu'à l'extrémité des pieds^ a néanmoins près de cinq pieds de vol ou d'envergure. La peau nue qui couvre la base du bec est jaune, aussi bien que l'iris des yeux et les pieds : le bec est de couleur de corne, et noirâtre vers le bout, et les ongles sont noirs. Sa vue est aussi per- çante que son vol est rapide : il se tient souvent à une si grande hauteur qu'il échappe à nos yeux; et c'est de là qu'il vise et découvre sa proie ou sa pâture , et se laisse tomber sur tout ce qu'il peut dévorer ou en- lever sans résistance. Il n'attaque que les plus petits 1. En lalin, m'dviis ; en italien, mllvio, nibblo, poyana; en espa- gnol, vi'dano ; en allemand, iveihc ou weilier ; en anglois , làtc ou LE MILAN ET LES BUSES. I 7 J animaux et les oiseaux les plus foibles; c'est surtout aux jeunes poussins qu'il en veut : mais la seule colère de la mère-poule suffit pour le repousser et l'éloigner. «Les milans sont des animaux tout-à-fait lâches, m'é- crit un de mes amis : je les ai vus poursuivre à deux un oiseau de proie, pour lui dérober celle qu'il tenoit^ plutôt que de fondre sur lui ; et encore ne purent-ils y réussir. Les corbeaux les insultent et les chassent. Ils sont aussi voraces , aussi gourmands que lâches : je les ai vus prendre à la superficie de l'eau de petits poissons morts et à demi corrompus; j'en ai vu em- porter une longue couleuvre dans leurs serres, d'autres se poser sur des cadavres de chevaux et de bœufs ; j'en ai vu fondre sur des tripailles que des femmes la- voient le long d'un petit ruisseau, et les enlever pres- que à côté d'elles. Je m'avisai une fois de présenter à un jeune milan que des enfants nourrissoient dans la maison que j'habitois, un assez gros pigeonneau; il l'avala tout entier avec les plumes.» Cette espèce de milan est commune en France, sur- tout dans les provinces de Franche-Comté, du Dau- phiné, du Bugey, de l'Auvergne , et dans toutes les antres qui sont voisines des montagnes. Ce ne sont pas des oiseaux de passage ; car ils font leur nid dans le pays, et l'établissent dans des creux de rochers. Les auteurs delà Zoologie britannique disent de même qu'ils nichent en Angleterre, et qu'ils y restent pen- dant toute l'année. La femelle pond deux ou trois œufs , qui , comme ceux de tous les oiseaux carnas- siers, sont plus ronds que les œufs de poule; ceux du milan sont blanchâtres, avec des taches d'un jaune sale. QiK Iqucs auteurs ont dit au'il faisoit son nid ) 74 OISEAUX DE TROIE. dans les forêts, sur de vieux chênes ou de vieux sa- pins. Sans nier absolument le fait, nous pouvons as- surer que c'est dans des trous de rochers qu'on les trouve communément. L'espèce paroît être répandue dans tout l'ancien continent, depuis la Suède jusqu'au Sénégal ^ : mais je ne sais si elle se trouve aussi dans le nouveau , car les relations d'Amérique n'en font aucune mention ; il y a seulement un oiseau qu'on dit être naturel au Pérou, et qu'on ne voit dans la Caroline qu'en été, qui ressemble au milan à quelques égards, et qui a comme lui la queue fourchue. M. Catesby en a donné la description et la figure , sous le nom d'cpervier à cfueue ci' liirondeUe^ et M. Brisson l'a appelé milan de la Caroline. Je serois assez porté à croire que c'est une espèce voisine de celle de notre milan , et qui la rem- place dans le nouveau continent. !^Iais il y a une autre espèce encore plus voisine, et 1. Il paroit que le milan royal se trouve dans le Nord, puisque M. Liniiaeus Ta compris dans sa liste des oiseaux de Suède , sous la dé- uorainalion de falco cerà flavà, caudà forci patd, corpore fevrugineo , capite aibidiore (Faun. Suec. n° 69 ); et l'on voit aussi par les témoi- gnages des voyageurs qu'il se Irouvc dans les provinces les plus chaudes de l'Afrique. « On rencontre encore ici (en Guinée), dit Bosman , une » esjîèce d'oiseau de proie ; ce sont, les milans : ils enlèvent, outre les » poulets dont ils tirent leur nom, tout ce qu'ils peuvent découvrir et » attraper, soit viande, soit poisson ; et cela avec tant de hardiesse, » qu'ils arrachent aux femmes nègres les poissons qu'elles portent » vendre au marché, ou qu'elles crient dans les rues. » {Voyage de Guinée , page 278. ) « Prè&du désert , au long du Sénégal , dit un autre » vojageur, on trouve un oiseau de proie de l'espèce du milan, au- » quel les François ont donné le nom d'écoujffe Toute nourriture » convient à sa faim dévorante ; il n'est point épouvanté des armes à » feu ; la chair cuite ou crue le tente si vivement , quil enlève aux ma- » Itlots leurs morceaux dans le temps qu'ils les portent à leur bouche. » LE MILAN ET LES BUSES, 1^5 qui se trouve dans nos climats comme oiseau de pas- sage , que l'on a appelée le milan Jioir. Aristote dis- tingue cet oiseau du précédent, qu'il appelle simple- ment milan, et il donne à celui-ci l'épitliète de milan ctolicn ^j, parce que probablement il étoit de son temps plus commun en Étolie qu'ailleurs. Belon fait aussi mention de ces deux milans; mais il se trompe lors- qu'il dit que le premier, qui est le milan royal, est plus noir que le second, qu'il appelle néanmoins ??2i- la?i noir ; ce n'est peut-être qu'une faute d'impression; car il est certain que le milan royal est moins noir que l'autre. Au reste, aucun des naturalistes anciens et modernes n'a fait mention de la différence la plus apparente entre ces deux oiseaux, et qui consiste en ce que le milan royal a la queue fourchue, et que le miian noir l'a égale ou presque égale dans toute sa largeur : ce qui néanmoins n'empêche pas que ces deux oiseaux ne soient d'espèce très voisine, puisqu'il l'exception de cette forme de la queue ils se ressem- blent par tous les autres caractères ; car le milan noir, quoiqu'un peu plus petit et plus noir que le milan royal , a néanmoins les couleurs du plumage distri- buées de même, les ailes proportionnellement aussi étroites et aussi longues, le bec de la même forme,, les plumes aussi étroites et aussi allongées, et les ha- bitudes naturelles entièrement conformes à celles du milan royal. AIdrovande dit que les Hoîlandois appellent ce mi- lan kukcndiif; que, quoiqu'il soit plus petit que le milan royal, il est néanmoins plus fort et plus agile. Schwenckfeld assure au contraire qu'il est plus foible i. Arist.. îîist. an'im., iib. VI, cap. vi. 176 OISEAUX DE PROIE. et encore plus lâche, et qu'il ne chasse que les mu- lots, les sauterelles, et les petits oiseaux qui sortent de leurs nids. Il ajoute que l'espèce en est très com- mune en Allemagne. Cela peut être; mais nous som- mes certains qu'en France et en Angleterre elle est beaucoup plus rare que celle du milan royal : celui- ci est un oiseau du pays, et qui y demeure toute l'an- née; l'autre, au contraire, est un oiseau de passage, qui quitte notre climat en automne pour se rendre dans des pays plus chauds : Belon a été témoin ocu- laire de leur passage d'Europe en Egypte. Ils s'attrou- pent et passent en files nombreuses sur le Pont-Euxin en automne, et repassent dans le même ordre au commencement d'avril : ils restent pendant tout l'hi- ver en Egypte, et sont si familiers, qu'ils viennent dans les villes, et se tiennent sur les fenêtres des mai- sons. Ils ont la vue et le vol si si\rs, qu'ils saisissent en l'air les morceaux de viande qu'on leur jette. LA BUSE\ Falco Buteo. L. La buse est un oiseau assez commun, assez connu, pour n'avoir pas besoin d'une ample description. Elle n'a guère que quatre pieds et demi de vol, sur vingt ou vingt-un pouces de longueur de corps ; sa qu?ue n'a que huit pouces; et ses ailes, lorsqu'elles sont pliées, 1. Eli latin, hateo; en italien , buzza, hucciario ; en allemand , hus:- heit , buzaut bim, husliard ; en angioîs, hutzard , common-bu:za>\l. LA BUSE. l'J'J sY'tendent un peu au delà de son extrémité. L'iris de SCS yeux est d'un jaune pâle et presque blanchâtre ; les pieds sont jaunes, aussi bien que la membrane qui couvre la base du bec, et les ongles sont noirs. Cet oiseau demeure pendant toute l'année dans nos forets. Il paroît assez stupide, soit dans l'état de do- mesticité, soit dans celui de liberté. Il est assez sé- dentaire, et même paresseux : il reste souvent plu- sieurs heures de suite perché sur le même arbre. Son nid est construit avec de petites branches, et garni en dedans de laine ou d'autres petits matériaux légers et mollets. La buse pond deux ou trois œufs, qui sont blanchâtres, tachetés de jaune; elle élève et soigne ses petits plus long-temps que les autres oiseaux de proie, qui, presque tous, les chassent du nid avant qu'ils soient en état de se pourvoir aisément; M. Ray assure même que le mâle de la buse nourrit et soigne ses petits lorsqu'on a tué la mère. Cet oiseau de rapine ne saisit pas sa proie au vol; il reste sur un arbre, un buisson, ou une motte de terre, et de là il se jette sur tout le petit gibier qui passe à sa portée : il prend les levreaux et les jeunes lapins, aussi bien que les perdrix et les cailles ; il dé- vaste les nids de la plupart des oiseaux : il se nourrit aussi de grenouilles, de lézards, de serpents, de sau- terelles, etc., lorsque le gibier lui manque. Cette espèce est sujette à varier, au point que, si l'on compare cinq ou six buses ensemble, on en trouve à peine deux bien semblables : il y en a de presque entièrement blanches, d'autres qui n'ont que la tête blanche, d'autres enfin qui sont mélangées différem- ment les unes des autres, de brun et de blanc. Ces ^7^ OISEAUX DE PROIE. différences dépendent principalement de lage et du sexe ; car on les trouve toutes dans notre climat. LA BONDRÉE. Falco ap'ivorus. L. CoM3iE la bondrée diffère peu de la buse, elle n'en a été distinguée que par ceux qui les ont soi- gneusement comparées. Elles ont, à la vérité, beau- coup plus de caractères communs que de caractères différents; mais ces différences extérieures, jointes à celles de quelques habitudes naturelles, suffisent pour constituer deux espèces, qui , quoique voisines, sont néanmoins distinctes et séparées. La bondrée est aussi grosse que la buse, et pèse environ deux livres; elle a vingt-deux pouces de longueur, depuis le bout du bec jusqu'à celui de la queue, et dix-huit pouces jus- qu'à celui des pieds : ses ailes, lorsqu'elles sont pliées, s'étendent au delà des trois quarts de la queue : elle a quatre pieds deux pouces de vol ou d'envergure. Son bec est un peu plus long que celui de la buse : la peau nue qui en couvre la base est jaune ^, épaisse, et inégale : les narines sont lonsfues et courbées : lors- qu'elle ouvre le bec, elle montre une bouche très 1. Quelques iialuralisles ont dit que cette peau de la base du bec éioit noire ; mais on peut présumer que celte différence vient de l'âge , puisque cette peau qui couvre la base du bec est blanche dans ic pre- mier âge de ces oiseaux : elle peut passer par le jaune , et devenir enfin brune et noirâtre. LA BONDREE. 1 ;;9 large et de couleur jaune : l'iris des yeux est d'un ])eau jaune ; les jambes et les pieds sont de la même couleur, et les ongles, qui ne sont pas fort crochus, sont forts et noirâtres : le sommet de la tête paroît large et aplati ; il est d'un gris cendré. On trouve une ample description de cet oiseau dans l'ouvrage de M. Brisson et dans celui d'Albin. Ce dernier auteur, après avoir décrit les parties extérieures de la bondrée, dit qu'elle a les boyaux plus courts que la buse; et il ajoute qu'on a trouvé dans l'estomac d'une bondrée plusieurs chenilles vertes, comme aussi plusieurs che- nilles communes et autres insectes. Ces oiseaux, ainsi que les buses, composent leur nid avec des bûchettes, et le tapissent de laine à l'in- térieur, sur laquelle ils déposent leurs œufs, qui sont d'une couleur cendrée, et marquetés de petites ta- ches brunes. Quelquefois ils occupent des nids étran- gers ; on en a trouvé dans un vieux nid de milan. Ils nourrissent leurs petits de chrysalides, et particuliè- rement de celles des guêpes : on a trouvé des tètes et des morceaux de guêpes dans un nid où il y avoit deux petites bondrées. Elles sont, dans ce premier âge, couvertes d'un duvet blanc, tacheté de noir; elles ont alors les pieds d'un jaune pâle, et la peau qui est sur la base du bec, blanche. On a aussi trouvé dans l'estomac de ces oiseaux, qui est fort large, des gre- nouilles et des lézards entiers. La femelle est, dans cette espèce, comme dans toutes celles des grands oiseaux de proie , plus grosse que le mâle ; et tous deux piètent et courent, sans s'aider de leurs ailes, aussi vite que nos coqs de basse-cour. Quoique Selon dise qu'il n'y a petit berger dans la l80 OISEALX DE PROIE. Limagne d'Auvergne qui ne sache connoître la bon- drée, et la prendre par engin avec des grenouilles, quelquefois aussi aux gluaux, et souvent au lacet, il est cependant très vrai qu'elle est aujourd'hui beau- coup plus rare en France que la buse commune. Dans plus de vingt buses qu'on m'a apportées en dif- férents temps en Bourgogne, il ne s'est pas trouvé une seule bondrée; et je ne sais de quelle province est venue celle que nous avons au Cabinet du R.oi. M. Salerne dit que , dans le pays d'Orléans , c'est la buse ordinaire qu'on appelle bondrée; mais cela n'em- pêche pas que ce ne soient deux oiseaux différents. La bondrée se tient ordinairement sur les arbres en plaine, pour épier sa proie. Elle prend les mulots, les grenouilles, les lézards, les chenilles, et les autres insectes. Elle ne vole guère que d'arbre en arbre et de buisson en buisson, toujours bas et sans s'élever comme le milan, auquel du reste elle ressemble assez par le naturel, mais dont on pourra toujours la dis- tinguer de loin et de près, tant par son vol que par sa queue, qui n'est pas fourchue comme celle du milan. On tend des pièges à la bondrée, parce qu'en hiver elle est très grasse, et assez bonne à manger. L'OISEAU SAINT-MARTIN. F a ko cyaiieus. Gsiel. Les naturalistes modernes ont donné à cet oiseau le nom de faucon lanier ou lanier cendre; mais il nous Pin' ToineT9 Paaquet.sculp. l.L' OISEAX^ S" ATA-RTTAT 2. LA SOUBUSE _3,LE BUSARD , l'oiseau saint- MARTIN. l8l paroît être non seulement d'une espèce , mais d'un genre différent de ceux du faucon et du lanier. Il est un peu plus gros qu'une corneille ordinaire, et il a proportionnellement le corps plus mince et plus dé- gagé; il a les jambes longues et menues, en quoi il diffère des faucons, qui les ont robustes et courtes, et encore du lanier, que Belon dit être plus court empiété qu'aucun faucon; mais par ce caractère des longues jambes, il ressemble au Jean-le-blanc ^ et à la soubuse. Il n'a donc d'autre rapport au lanier que l'habitude de déchirer avec le bec tous les petits ani- maux qu'il saisit, et qu'il n'avale pas entiers, comme le font les autres gros oiseaux de proie. Il faut, dit M. Edwards, le ranger dans la classe des faucons à longues ailes : ce seroit, à mon avis, plutôt avec les buses qu'avec les faucons que cet oiseau devroit être rangé ; ou plutôt il faut lui laisser sa place auprès de k soubuse, à laquelle il ressemble par un grand nombre de caractères , et par les habitudes natu- relles. Au reste, cet oiseau se trouve assez communément en France, aussi bien qu'en Allemagne et en Angle- terre. Celui de notre planche enluminée a été tué en Bourgogne. M. Frisch a donné deux planches de ce même oiseau, n*"' 79 et 80, qui ne diffèrent pas assez l'une de l'autre pour qu'on doive les regarder avec lui comme étant d'espèce différente; car les variétés qu'il remarque entre ces deux oiseaux sont trop lé- gères pour ne les pas attribuer au sexe ou à l'âge. 1. Bclou n'hésite pas à dire qu'il est de la même espèce quele Jean- le-blanc , et en même temps il conT.ient qu'il approche beaucoup du milan. TsirroN. XIX. 12 îf>2 OISE Al) X DE ÎMIOIE. M. Edwards, qui a aussi donné la figure de cet oi- seau , dit que celui de sa planche enluminée a été tué près de Londres; et il ajoute que, quand il l'aperçut, il voltigeoit autour du pied de quelques vieux arbres, dont il paroissoit quelc[uefois frapper le tronc avec le bec et les serres, en continuant cependant à voltiger, c^ dont on ne put découvrir la raison qu'après l'avoir tué et ouvert, car on lui trouva dans l'estomac une vingtaine de petits lézards, déchirés ou coupés en deux ou trois morceaux. En comparant cet oiseau avec ce que dit Eelon de son second oiseau saint-martin, on ne pourra douter que ce ne soit le même ; et, indépendamment des rap- ports de grandeur, de figure, et de couleur, ces ha- bitudes naturelles de voler bas, et de chercher avec avidité et constance les petits reptiles, appartiennent moins aux faucons et aux autres oiseaux nobles qu'à la buse, à la harpaye , et aux autres oiseaux de ce genre, dont les mœurs sont plus ignobles, et appro- chent de celles des milans. Cet oiseau, bien décrit et très bien représenté par M. Edwards (/?/. 2 2 5), n'est pas, comme le disent les auteurs de la Zoologie bri- tannique ^ le lienliarrierj, dont ils ont donné la figure : ce sont des oiseaux différents, dont le premier, que nous appelons, d'après Belon, Voiseau saint-martin :, a, comme je l'ai dit, été indiqué par MM. Frisch et Brisson , sous le nom de faucon lanier et lanier cendré. Le second de ces oiseaux, qui est le subbuteo de Ges- ner, et que nous appelons soubuse, a été nommé aigle à queue blanche par Albin, et faucon à collier par M. Brisson. Au reste, les fauconniers nomment cel oiseau saint-martin la harpaye épervier, Harpaye es^. L OISEAU SAINT-MAIITJN. 1 85 parmi eux un nom générique qu'ils donnent non seu- lement à loiseau saint-martin, mais encore à la sou- buse et au busard roux ou rousseau, dont nous par- lerons dans la suite. («ig-s .-;*G*ô.^i8a5*tt§we8»*8J£.e«*'i*sc8;i*&»***«-è LA SOUBUSE'. Falco Pygargus. L. La soubuse ressemble à l'oiseau saint-martin par le naturel et les mœurs : tous deux volent bas pour saisir des mulots et des reptiles; tous deux entrent dans les basses-cours, fréquentent les colombiers pour prendre les jeunes pigeons, les poulets; tous deux sonl oiseaux ignobles, qui n'attaquent que les foibles, et dès lors on ne doit les appeler ni faucons ni la- niers, comme l'ont fait nos nomenclateurs. Je vou- drois donc retrancber de la liste des faucons ce fau- con à collier, et ne lui laisser que le nom de soubuse^ comme au lanier cendré, celui d'oiseau salnt-martln. Le mâle, dans la soubuse, est, comme dans les au- tres oiseaux de proie, considérablement plus petit que la femelle ; mais l'on peut remarquer, en les com- parant, qu'il n'a pas comme elle de collier, c'est-à- dire de petites plumes hérissées autour du cou. Cette différence, qui paroîtroit être un caractère spécifique, nous portoit à croire que l'oiseau représenté n° 4^^^ n'étoit pas le mâle de la soubuse femelle représentée 1. Les Anglois appellent le mâle henliarrow ou henharrier ; c'est-à- cljre déckireur de poules. l84 OISEAUX DE PROIE. 11° 44^^ 5 mais de très habiles fauconniers nous ont assuré la chose comme certaine ; et , en y regardant de près, nous avons en effet trouve les mêmes pro- portions entre la queue et les ailes, la même distri- bution dans les couleurs, la même forme de cou , de tête, et de bec, etc., en sorte que nous n'avons pu résister à leur avis. Ce qui sur cela nous rencloit plus difficiles c'est que presque tous les naturalistes ont donné à la soubuse un mâle tout différent, et qui est celui que nous avons appelé oiseau salnt-martln; et ce n'est qu'après mille et mille comparaisons que nous avons cru pouvoir nous déterminer avec fonde- ment contre leur autorité. Nous observerons que la soubuse se trouve en France, aussi bien qu'en An- gleterre ; qu'elle a les jambes longues et menues comme l'oiseau saint -martin; qu'elle pond trois ou quatre œufs rougeâtres dans des nids qu'elle construit sur des buissons épais; qu'enfin ces deux oiseaux, avec celui dont nous parlerons dans l'article suivant sous le nom de luayaye^ semblent former un petit genre à part, plus voisin de celui des milans et des buses €[ue de celui des faucons. LA HARPAYE. Falco ru fa S. L. Harpaye est un ancien nom générique que l'on donnoit aux oiseaux du genre des busards, ou bu- sards de marais, et à quelques autres espèces voisines. LA IIARPAYE. 1 85 telles que la soubuse et loiseau saint-inartin , qu'on appeloit harpaye épervier ; nous avons rendu ce nom spécifique , en l'appliquant à l'espèce dont il est ici question, à laquelle les fauconniers d'aujourd'hui don- nent le nom de liarpaye-rousseau : nos nomencîateurs l'ont nommé busard rouXj et M. Frisch l'a appelé im- proprement vautour lanier moyeii^ comme il a de même, et tout aussi improprement appelé le busard de marais, grand vautour lanier; nous avons préféré le nom simple de harpaye^ parce qu'il est certain que cet oiseau n'est ni un vautour, ni un busard. Il a les mêmes habitudes naturelles que les deux oiseaux dont nous avons parlé dans les deux articles précédents : il prend le poisson comme le Jean-le-blanc, et le tire vivant hors de l'eau; il paroît, dit M. Frisch, avoir la vue plus perçante que tous les autres oiseaux de ra- pine, ayant les sourcils plus avancés sur les yeux. Il se trouve en France comme en Allemagne, et fré- quente de préférence les lieux bas et les bords des fleuves et des étangs ; et comme, pour le reste de ses habitudes naturelles, il ressemble aux précédents, nous n'entrerons pas à son sujet dans un plus grand détail. LE BUSARD'. Falco œruginosus, L. On appelle communément cet oiseau le busard de marais; mais, comme il n'existe réellement dans no- tre climat que cette seule espèce de busard , nous lui 1. En latin , circus. — -Le fau-pcrc!ri( ux. l86 OISEAUX DE PROIE. avons conservé ce nom simple : on l'appeloit autre- fois fau-perdrieuXj et quelques fauconniers le nom- ment aussi liarpaye à tête blanche. Cet oiseau est plus vorace et moins paresseux que la buse, et c'est peut- être par cette seule raison qu'il paroît moins stupide et plus méchant : il fait une cruelle guerre aux lapins, et il est aussi avide de poisson que de gibier. Au lieu d'habiter, comme la buse, les forêts en montagne, il ne se tient que dans les buissons, les haies, les joncs, et à portée des étangs, des marais, et des rivières poissonneuses ; il niche dans les terres basses , et fait son nid à peu de hauteur de terre, dans des buis- sons, ou même sur des mottes couvertes d'herbes épaisses : il pond trois œufs, quelquefois quatre ; et quoiqu'il paroisse produire en plus grand nombre que la buse, qu'il soit, comme elle, oiseau sédentaire et naturel en France , et qu'il y demeure toute l'année . il est néanmoins bienplus rare ou plus difficile àtrouver. On ne confondra pas le busard avec le milan noir, quoiqu'il lui ressemble à plusieurs égards, parce que le busard a, comme la buse, la bondrée, etc le cou gros et court, au lieu que les milans l'ont beau- coup plus long; et on distingue aisément le busard de la buse, i° par les lieux qu'il habite; 2" parle vol qu'il a plus rapide et plus ferme; 5** parce qu'il ne se perche pas sur de grands arbres , et que communé- ment il se tient à terre ou dans les buissons; 4° oî^ le reconnoît à la longueur de ses jambes, qui, comme celles de l'oiseau saint-martin et de la soubuse, sont à proportion plus hautes et plus menues que celles des autres oiseaux de rapine. Le busard chasse de préférence les poules d'eau, LE r. us\i\D. iso- les plongeons, les canards, et les antres oiseaux d'eau ; il prend les poissons vivants et les enlève dans ses serres : au défaut de gibier ou de poisson, il se nour- rit de reptiles, de crapauds, de grenouilles, et d'in- sectes aquatiques. Quoiqu'il soit plus petit que la buse, il lui faut une plus ample pâture; et c'est vrai- semblablement parce qu'il est plus vif, et qu'il se donne plus de mouvement, qu'il a plus d'appétit; il est aussi bien plus vaillant. Belon assure en avoir vu qu'on avoit élevés à chasser et prendre des lapins, des perdrix, et des cailles. Il vole plus pesamment que le milan ; et lorsqu'on veut le faire chasser par des faucons, il ne s'élève pas comme celui-ci, mais fuit horizontalement. Un seul faucon ne suffit pas pour le prendre, il sauroit s'en débarrasser et même l'abat- tre; il descend au duc comme le milan, mais il se défend mieux, et il a plus de force et de courage; en sorte qu'au lieu d'un seul faucon, il en faut lâ- cher deux ou trois pour en venir à bout. Les hobe- reaux et les crécerelles le redoutent, évitent sa ren- contre, et même fuient lorsqu'il les approche. >.8i»*<»6»>S>o*a««*« 8;g>»o *» *. OISEAUX ETRANGERS QUI ONT RAPPORT AU MILAN, AUX BUSES ET SOUBUSES. L'oiseau appelé par Catesby ïepervier à queue d' hi- rondelle^ et par M. Brisson, le milan de la Caroline. l88 OISEAUX DE PROIE. [Falco furcatm. L. ). « Cet oiseau, dit Catesby, pèse quatorze onces : il a le bec noir et crochu ; mais il n'a point de crochets aux côtés de la mandibule supé- rieure, comme les autres éperviers. Il a les yeux fort grands et noirs, et l'iris rouge; la tête, le cou, la poi- trine, et le ventre sont blancs; le haut de l'aile et le dos, tl'un pourpre foncé, mais plus brunâtre vers le bas, avec une teinture de vert. Les ailes sont longues à proportion du corps, et ont quatre pieds lorsqu'elles sont déployées : la queue est d'un pourpre foncé, mêlé de vert, et très fourchue, la plus longue plnme des côtés ayant huit pouces de long de plus que la plus courte du milieu : ces oiseaux volent long-temps, comme les hirondelles, et prennent en volant les es- carbots, les mouches et autres insectes, sur les arbres et sur les buissons. On dit qu'ils font leur proie de lézards et de serpents; ce qui fait que quelques uns les ont appelés éperviers à serpents. Je crois, ajoute M. Catesby, que ce sont des oiseaux de passage (en Caroline ) , n'en ayant jamais vu aucun pendant l'hi- ver. » Nous remarquerons, au sujet de ce que dit ici cet auteur, que l'oiseau dont il est question n'est point un épervier, n'en ayant ni la forme ni les mœurs; il approche beaucoup plus, par les deux caractères, de l'espèce du milan ; et si l'on ne veut pas le regarder comme une variété de l'espèce du milan d'Europe, on peut au moins assurer que c'est le genre dont il approche le plus, et que son espèce est infiniment plus voisine de celle du milan que de celle de l'é- pervier. LE CARACARA. 1 89 II. L'oiseau appelé caracara [falco braslllensis. L. ) par les Indiens du Brésil, et dont Marcgrave a donné la figure et une assez courte indication, puisqu'il se contente de dire que le caracara du Brésil, nommé gavion par les Portugais, est une espèce d'épervier ou de petit aigle [nisus) de la grandeur d'un mi- lan; qu'il a la queue longue de neuf pouces, les ai- les de quatorze, qui ne s'étendent pas, lorsqu'elles sont pliées, jusqu'à l'extrémité de la queue; le plu- mage roux et taché de points blancs et jaunes; la queue variée de blanc et de brun; la tête comme celle d'un épervier; le bec noir, crochu et médio- crement grand; les pieds jaunes; les serres sembla- bles à celles des éperviers, avec des ongles semi- lunaires, longs, noirs, et très aigus, et les yeux d'un beau jaune. Il ajoute que cet oiseau est le grand enneini des poules, et qu'il varie dans son espèce, en ayant vu d'autres dont la poitrine et le ventre étoient blancs. III. L'oiseau des terres de la baie de Hudson , auquel M. Edwards a donné le nom de buse cendrée [falco cinereus. Gmel. ), et qu'il décrit à peu près dans les termes suivants. Cet oiseau est de la grandeur d'un coq ou d'une poule de moyenne grosseur : il res- semble par la figure, et en partie par les couleurs, à la buse commune. Le bec et la peau qui en cou- 190 OISEAUX DE PROIE. Vie la base sont d'une coulenr plombée bleuâtre; la iète et la partie supérieure du cou sont couvertes de plumes blanches, tachetées de brun foncé dans leur iiiilieu : la poitrine est blanche comme la tête, mais marquée de taches brunes plus grandes : le ventre et les côtés sont couverts de plumes brunes, mar- quetées de taches blanches, rondes ou ovales; les jambes sont couvertes de plumes douces et blan- ehes, irrégulièrement tachées de brun; les couver- tures du dessous de la queue sont rayées transver- salement de blanc et de noir : toutes les parties supérieures du cou, du dos, des ailes, et de la queue, sont couvertes de plumes d'un brun cendré, plus foncé dans leur milieu, et plus clair sur les bords; les couvertures du dessous des ailes sont d'un brun sombre avec des taches blanches, les plumes de la queue sont croisées par dessus de lignes étroites et de couleur obscure, et par dessous croisées de li- gnes blanches; les jambes et les pietls sont d'une couleur cendrée bleuâtre; les ongles sont noirs, et les jambes sont couvertes, jusqu'à la moitié de leur longueur, de plumes d'une couleur obscure. Cet oi- seau, ajoute M. Edwards, qui se trouve dans les ter- res de la baie de Hudson , fait principalement sa proie des gelinottes blanches. Après avoir comparé cet oi- seau, décrit par ^î. Edwards, avec les buses, sou- buses, harpayes et busards, il nous a paru différer de tous par la forme de son corps et par ses jambes courtes; il a le port de l'aigle, et les jambes courtes comme le faucon , et bleues comme le lanier : il sem- ble donc qu'il vaudroit mieux le rapporter au genre du faucon ou à celui du lanier, ([u'au genre de la 3:nie 15 Paaaaer.scuip . 1 . L' EPET07IER _ 2 . L' AUTOUR— 3 . LE GERFAUT LA BUSE CENDREE. I9I buse. Mais comme M. Edwards est un des hommes du monde qui connoît le mieux les oiseaux, et qu'il a rapporté celui-ci aux buses, nous avons cru devoir ne pas tenir à notre opinion et suivre la sienne : c'est par cette raison que nous plaçons ici cet oiseau à la suite des buses. L'EPERVIER\ Falco Nisus. L. Quoique les nomenclateurs aient compté plusieurs espèces d'éperviers, nous croyons qu'on doit les ré- duire à une seule. M. Brisson fait mention de quatre espèces ou variétés; savoir, l'épervier commun, l'é- pervier tacheté, le petit épervier, et l'épervier des alouettes : mais nous avons reconnu que cet épervier des alouettes n'est que la crécerelle femelle ; nous avons trouvé de même que le petit épervier n'est que le tiercelet ou mâle de l'épervier commun; en sorte qu'il ne reste plus que l'épervier tacheté, qui n'est qu'une variété accidentelle de l'espèce commune de l'épervier. M. Klein est le premier qui ait indiqué cette variété : il dit que cet oiseau lui fut envoyé du pays de Marienbourg. Il faut donc réduire à l'espèce commune le petit épervier, aussi bien que l'épervier 1 Eu latin, accipiter fringiitarius, quod fringillas et minores aves ra- diât; en italien , sparvlero; en allemand, sperber ou speriven; en auglois, sparhnwk ou sparrow-hawk ; en France on appelle le mâle émonchet ou mouchet. igii OISEAUX DE PROIE. tacheté ^ et séparer de cette espèce l'épervier des alouettes, qui n'est que la femelle de la crécerelle. On observera que letiercelet-sors d'épervier diffère du tieroelet-hagard, en ce que le sors a la poitrine et le ventre beaucoup plus blancs, et avec beaucoup moins de mélange de roux que le tiercelet-hagard, qui a ces parties presque entièrement rousses et tra- versées de bandes brunes; au lieu que l'autre n'a sur la poitrine que des taches ou des bandes beaucoup) plus irrégulières. Le tiercelet d'épervier s'appelle mo^/- cliet par les fauconniers; il est d'autant plus brun sur le dos, qu'il est plus âgé; et les bandes transversales de la poitrine ne sont bien régulières que quand il a passé sa première ou sa seconde mue. Il en est de même de la femelle, qui n'a de bandes régulières que lorsqu'elle a passé sa seconde mue; et pour donner une idée plus détaillée de ces différences et de ces changements dans la distribution des couleurs, nous remarquerons que sur le tiercelet-sors ces taches de la poitrine et du ventre sont presque toutes séparées les unes des autres, et qu'elles présentent plutôt la figure d'un cœur ou d'un triangle émoussé , qu'une suite continue et uniforme de couleur brune , telle qu'on la voit dans les bandes transversales de la poi- trine et du ventre du tiercelet-hagard d'épervier, c'est- à-dire du tiercelet qui a subi ses deux premières mues. Les mêmes changements arrivent dans la fe- melle : ces bandes transversales brunes, telles qu'on les voit représentées dans la planche, ne sont, dans la première année, que des taches séparées, et l'on verra dans l'article de Vautour que ce changement est encore plus considérable que dans l'épervier. Hien l'épervier. 190 ne prouve uiieux combien sont fautives les indications que nos nomenclateurs ont voulu tirer de la distri- bution des couleurs , que de voir le môme oiseau porter, la première année, des taches ou des bandes longitudinales brunes, descendant du haut en bas, et présenter, au contraire, dans la seconde année, des bandes transversales de la même couleur : ce changement , quoique très singulier, est plus sensible dans l'autour et dans les éperviers ; mais il se trouve aussi plus ou moins dans plusieurs autres espèces d'oiseaux : de sorte que toutes les méthodes fondées sur renonciation des différences de couleur et de la distribution des taches se trouvent ici entièrement démenties. L'épervier reste toute l'année dans notre pays. L'espèce en est assez nombreuse ; on m'en a apporté plusieurs dans la plus mauvaise saison de l'hiver, qu'on avoit tués dans les bois : ils sont alors très maigres, et ne pèsent que six onces. Le volume de leur corps est à peu près le même que celui du corps d'une pie. La femelle est beaucoup plus grosse que le mâle ; elle fait son nid sur les arbres les plus élevés des fo- rêts : elle pond ordinairement quatre ou cinq œufs, qui sont tachés d'un jaune rougeâtre vers leurs bouts. Au reste, l'épervier, tant mâle que femelle, est assez docile; on l'apprivoise aisément, et l'on peut le dres- ser pour la chasse des perdreaux et des cailles : il prend aussi des pigeons séparés de leur compagnie, et fait une prodigieuse destruction des pinsons et des autres petits oiseaux qui se mettent en troupes pen- dant l'hiver. Il faut que l'espèce de l'épervier soit en- core plus nombreuse qu'elle ne le paroît; car, indé- 194 OISEAUX DE PROIE. pendatument de ceux qui restent toute l'année dans notre climat, il paroît que, dans certaines saisons, il en passe en grande quantité dans d'autres pays, et qu'en général l'espèce se trouve répandue dans l'an- cien continent, depuis la Suède jusqu'au cap de Bonne- Espérance. L'AUTOUR*. Falco palumbarius. L. L'autour est un bel oiseau, beaucoup plus grand que l'éperiier, auquel il ressemble néanmoins par les habitudes naturelles et par un caractère qui leur est commun , et cjui , dans les oiseaux de proie , n'ap- partient qu'à eux et aux pies-grièches : c'est d'avoir les ailes courtes : en sorte que, quand elles sont pliées, elles ne s'étendent pas, à beaucoup près, à l'extrémité de la queue. Il ressemble encore à l'éper- vier, parce qu'il a comme lui la première plume de l'aile courte, arrondie par son extrémité, et que la quatrième plume de l'aile est la plus longue de toutes. Les fauconniers distinguent les oiseaux de chasse en deux classes; savoir, ceux de la fauconnerie propre- ment dite, et ceux qu'ils appellent de l' autourseric ; et, dans cette seconde classe, ils comprennent non seulement l'autour, mais encore l'épervier, les har- payes, les buses, etc. i. En laliu moderne, astur; en italien, astorc; en allemand, ha- hich, grosser-habich; en anglois, stashaivk, ou goss-hawl< , on egret. t/aitoir. 195 L'autour, avant sa première mue, c'est-à-dire pen- 0O OISEAUX DE pr.oiE. lie blanche ou blanchâtre : mais du reste il ressemble assez à l'épervier d'Europe pour qu'on puisse le regar- der comme étant tl'une espèce voisine, et qui peut- être ne doit son origine qu'à l'influence du climat. II. L'oiseau qui nous a été envoyé de Cayenne, sans nom, et auquel nous avons cru devoir donner celui de petit autour de Cayenne ( Falco Cayennensis. Gmel. ) , parce qu'il a été jugé du genre de l'autour par de très habiles fauconniers. J'avoue qu'il nous a paru avoir plus de rapport avec le lanier, tel qu'il a été dé- crit par Belon, qu'avec l'autour; car il a les jambes fort courtes et de couleur bleue, ce qui fait deux ca- ractères du lanier; mais peut-être n'est-il réellement ni lanier ni autour. Il arrive tous les jours qu'en vou- lant rapporter des oiseaux ou des animaux étrangers aux espèces de notre climat, on leur donne des noms qui ne leur conviennent pas; et il est très possible que cet oiseau de Cayenne soit d'une espèce particu- lière et différente de celle de l'autour et du lanier. III. L'oiseau de la Carohne, donné par Catesby sous le nom d'èpervier des pigeons ( Falco columbarius. Gmel. ) , qui aie corps plus mince que l'épervier ordinaire, l'iris des yeux jaune , ainsi que la peau qui couvre la base du bec, les pieds de la même couleur, le bec blanchâtre à son origine, et noir vers son crochet; le dessus de la tête, du cou, du dos, du croupion, des LÉPERVIER DES PIGEONS. SOI ailes, et de la queue, couvert de plumes blanches, mêlées de quelques plumes brunes ; les jambes cou- vertes de longues plumes blanches, mêlées d'une lé- gère teinte rouge, et variées de taches longitudinales brunes les plumes de la queue brunes comme celles des ailes, mais rayées de quatre bandes transversales blanches. ï©8«>&»s«<&&s«*9>»«'e**>»*»e**w»*8'« > ->8'*«'i LE GERFAUT\ Faico candie ans. Gmel. Le gerfaut, tant par sa ligure que par le naturel, doit être regardé comme le premier de tous les oiseaux de la fauconnerie ; car il les surpasse de beaucoup en grandeur : il est au moins de la taille de l'autour; mais il en diftère par des caractères généraux et constants qui distinguent tous les oiseaux propres à être élevés pour la fauconnerie , de ceux auxquels on ne peut pas donner lamême éducation. Ces oiseaux de chasse noble sont les gerfauts, les faucons, les sacres, les laniers, les hobereaux, les émérillons, et les crécerelles : ils ont tous les ailes presque aussi longues que la queue ; la pre- mière plume de l'aile, appelée le cerceau ^ presque aussi longue que celle qui la suit; le bout de cette 1. En italien, zerifalco , ou glrifalco, ou gerifalco; en allemand glcrfalck, ou girfaick, ou miitclfaick; en anglois, gyrfalcun , ou ger- faicon. Les Anglois appellent le mâle jcrkln. Ce mol gerfaut, ou gyr- falco, signifie fauconvautuur, gyr ou gvcr gignifianJ vautour en al!c- maud. '202 OISEAUX DE PROIE. plume en penne , ou en forme de tranchant ou de lame de couteau , sur une longueur d'environ un pouce à son extrémité ; au lieu que dans les autours , les éper- viers , les milans, et les buses, qui ne sont pas oiseaux aussi nobles , ni propres aux mêmes exercices , la queue est plus longue que les ailes, et cette première plume de l'aile est beaucoup plus courte et arrondie par son extrémité ; et ils diffèrent encore en ce que la qua- trième plume de l'aile est, dans ces derniers oiseaux, la plus longue, au lieu, que c'est la seconde dans les premiers. On peut ajouter que le gerfaut diffère spé- cifiquement de l'autour par le bec et les pieds, qu'il a bleuâtres, et par son plumage, qui est brun sur tou- tes les parties supérieures du corps, blanc taché de brun sur toutes les parties inférieures, avec la queue grise, traversée de lignes brunes. Cet oiseau se trouve assez communément en Islande, et il paroît qu'il y a variété dans l'espèce ; car il nous a été envoyé de Norwège un gerfaut qui se trouve également dans les pays les plus septentrionaux , qui diffère un peu de l'autre par les nuances et par la distribution des cou- leurs , et qui est plus estimé des fauconniers que celui d'Islande, parce qu'ils lui trouvent plus de courage, plus d'activité, et plus de docilité; et, indépendam- ment de cette première variété , qui paroît variété de l'espèce , il y en a une seconde qu'on pourroit attribuer au climat, si tous n'étoient pas également des pays froids. Cette seconde variété est le gerfaut blanc , qui diffère beaucoup des deux premiers, et nous présu- mons que dans ceux de Norwège, aussi bien que dans ceux d'Islande , il s'en trouve de blancs ; en sorte qu'il est probable que c'est une seconde variété commune LE GERFAUT. !2 0O aux doux premières, et qu'il existe en effet dans l'es- pèce du gerfaut trois races constantes et distinctes, dont la première est le gerfaut d'Islande , la seconde le gerfaut de Norwège, et la troisième le gerfaut blanc : car d'habiles fauconniers nous ont assuré que ces der- niers étoient blancs dès la première année , et conser- voient leur blancheur dans les années suivantes ;> en sorte qu'on ne peut attribuer cette couleur à la vieil- lesse de l'animal ou au climat plus froid, les bruns se trouvant également dans le même climat. Ces oiseaux sont naturels aux pays froids du nord de l'Europe et de l'Asie; ils habitent en Russie, en Norwège, en Islande, en Tartarie, et ne se trouvent point dans les climats chauds, ni même dans nos pays tempérés. C'est , après l'aigle , le plus puissant , le plus vif , le plus courageux de tous les oiseaux de proie ; ce sont aussi les plus chers et les plus estimés de tous ceux de la fauconnerie. On les transporte d'Islande en Pvussic , en France , en Italie , et jusqu'en Perse et en Turquie ; et il ne paroît pas que la chaleur plus grande de ces climats leur ôte rien de leur force et de leur vivacité. Ils attaquent les plus grands oiseaux, et font aisément leur proie de la cigogne , du héron , et de la grue ; ils tuent les lièvres en se laissant tomber à plomb dessus. La femelle est, comme dans les autres oiseaux de proie, beaucoup plus grande et plus forte que le maie : on appelle celui-ci tiercelet de gerfaut j, qui ne sert dans la fauconnerie que pour voler le milan, le héron, et les corneilles. 20^ OISKAL'X DE PROIE. LE LANIER\ Cet oiseau, qu'Aldrovande appelle laniarlus Gallo- runij, et que Belon dit être naturel en France , et plus employé par les fauconniers qu'aucun autre, est de- venu si rare , que nous n'avons pu nous le procurer ; il n'est dans aucun de nos cabinets, ni dans les suites d'oiseaux coloriés par MM, Edwards , Frisch et les au- teur de la Zoologie britannique : Belon lui-même , qui en fait une description assez détaillée , n'en donne pas la figure; il en est de même de Gesner, d'Aldrovande, et des autres naturalistes anodernes. MM. Brisson et Salerne avouent ne l'avoir jamais vu : la seule repré- sentation qu'on en ait est dans Albin, dont on sait que les planches sont très mal coloriées. Il paroît donc que le lanier, qui est aujourd'hui si rare en France , l'a également et toujours été en Allemagne, en Angle- terre , en Suisse , en Italie , puisqu'aucun des auteurs de ces différents pays n'en a parlé que d'après Belon. Cependant il se trouve en Suède , puisque M. Linnaeus le met dans la liste des oiseaux de ce pays; mais il n'en donne qu'une légère description et point du tout l'histoire. Ne le connoissant donc que par les indica- tions de Belon, nous ne pouvons rien faire de plus que de les rapporter ici par extrait. «Le lanier ou fau- con-lanier, dit-il, fait ordinairement son aire, en France, sur les plus hauts arbres des forêts, ou dans 1. En italien , laniero;cii allemand, swimere ou schmeymer; en an- glois et eu françois, on appelle le mâle lanerct. LE LANIEU. 200 les rochers les plus élevés. Comme il est d'un naturel plus doux et de mœurs plus faciles que les faucons ordinaires, on s'en sert communément à tous propos. Il est de plus petite corpulence que le faucon-gentil , et de plus beau plumage que le sacre , surtout après la mue ; il est aussi plus court empiété que nul des au- tres faucons. Les fauconniers choisissent le lanier ayant grosse tête , les pieds bleus et orés. Le lanier vole tant pour rivière que pour les champs ; il supporte mieux la nourriture de grosses viandes qu'aucun autre faucon. On le reconnoît sans pouvoir s y méprendre ; car il a le bec et les pieds bleus , les plumes de devant mêlées de noir sur le blanc, avec des taches droites le long des plumes, et non traversées comme au faucon Quand il étend ses ailes, et qu'on les regarde par dessous , les taches paroissent différentes de celles des autres oiseaux de proie ; car elles sont semées et ron- des comme petits deniers. Son cou est court et assez gros , aussi bien que son bec. On appelle la femelle lanier ; elle est plus grosse que le mâle , qu'on nomme laneret : tous deux sont assez semblables par les cou- leurs du plumage. Il n'est aucun oiseau de proie qui tienne plus constamment sa perche, et il reste au pays pendant toute l'année. On l'instruit aisément à voler et prendre la grue. La saison où il chasse le mieux est après la mue , tlepuis la mi-Juillet jusqu'à la fin d'octobre ; mais en hiver il n'est pas bon à l'exer- cice de la chasse. « '206 OISEAUX DE TROIE. LE SACRE \ Falco sacer, Gmel. Je crois devoir séparer cet oiseau de la liste des faucons, et le mettre à la suite du lanier, quoique quelques uns de nos nomenclateurs ne regardent le sacre que comme une variété de l'espèce du faucon , parce qu'en le considérant comme variété , elle appar- tiendroit bien plutôt à l'espèce du lanier qu'à celle du faucon. En effet, le sacre a, comme le lanier, le bec et les pieds bleus , tandis que les faucons ont les pieds jaunes. Ce caractère, qui paroît spécifique, pourroit même faire croire que le sacre ne seroit réellement qu'une variété du lanier; mais il en diffère beaucoup par les couleurs, et constamment par la grandeur. Il paroît que ce sont deux espèces distinctes et voisines, qu'on ne doit pas mêler avec celles des faucons. Ce qu'il y a de singulier ici , c'est que Belon est encore le seul qui nous ait donné des indications de cet oi- seau ; sans lui les naturalistes ne connoîtroient que peu ou point du tout le sacre et le lanier. Tous deux sont devenus également rares ; et c'est ce qui doit faire présumer encore qu'ils ont les mêmes habitudes natu- relles , et que par conséquent ils sont d'espèces très voisines. Mais Belon les ayant décrits comme les ayant vus tous deux, et les donnant comme des oiseaux 1. En latin moclcine , falco-sacer; en italien, sacro; en allemantl, sacker; en anglois , sacre. LE 8ACRE. 207 réellement différents lun de l'autre , il est juste de s'en rapporter à lui , et de citer ce qu'il dit du sacre, comme nous avons cité ce qu'il dit du lanier. « Le sacre est de plus laid pennage que nul des oiseaux de fauconnerie; car il est de couleur comme entre roux et enfumé, semblable à un milan : il est court em- piété, ayant les jambes et les doigts bleus, ressem- blant en ce quelque chose au lanier. Il seroit quasi pareil au faucon en grandeur, n'étoit qu'il est com- passé plus rond. Il est oiseau de moult hardi courage , comparé en force au faucon-pélerin : aussi est oiseau de passage; et est rare de trouver homme qui se puisse vanter d'avoir oncq' veu l'endroit où il fait ses petits. Il y a quelques fauconniers qui sont d'opinion qu'il vient de Tartarie et Russie, et de devers la mer Majeure, et que, faisant son chemin pour aller vivre certaine partie de l'an vers la partie du midi, est pris au passage par les fauconniers qui les aguettent en di- verses îles de la mer Egée , Rhodes, Chypre , etc. Et combien qu'on fasse de hauts vols avec le sacre pour le milan, toutes fois on le peut aussi dresser, pour le gibier et pour la campagne, à prendre les oies sau- vages, ostardes, olives, faisans, perdrix, lièvres, et à toute autre manière de gibier Le sacret est le mâle, et le sacre la femelle, entre lesquels il n'y a d'autre différence, sinon du grand au petit. » En comparant cette description du sacre avec celle que le même auteur adonnée du lanier, on se persua- dera aisément, 1° que ces deux oiseaux sont plus voi- sins l'un de l'autre que d'aucune autre espèce ; 2" que tous deux sont oiseaux passagers ; quoique Belon dise que le lanier étoit, de son temps , naturel en France, 208 OISEAUX DE PROIE. il est presque sûr qu'on ne l'y trouve plus aujour- d'hui ; 5** que ces deux oiseaux paroissent différer es- sentiellement des faucons, en ce qu'ils ont le corps plus arrondi, les jambes plus courtes, le bec et les pieds bleus ; et c'est à cause de toutes ces différences que nous avons cru devoir les en séparer. Il y a plusieurs années que nous avons fait dessiner à la Ménagerie du Roi un oiseau de proie qu'on nous dit être le sacre j^ mais la description qui en fut faite alors ayant été égarée , nous n'en pouvons rien dire de plus. io»a>eo»0'8»»«'8-» LE FAUCON*. Falco communls. Gmel. Lorsqu'on jette les yeux sur les listes de nos nomen- clateurs d'histoire naturelle^, on seroit porté à croire 1. En laliii motleiiie , falco; en îlalien, falcone ; en espagnol, lial- con; en allemand , falck ; en auglois , falcon. 2. M. Brisson compte douze Tariétés dans cette première espèce; savoir, le faucon-sors, le faucon-hagard ou bossu, le faucon à tête blanche, le faucon blanc, le faucon noir, le faucon tacheté, le faucon brun , le faucon rouge, le faucon rouge des Indes, le faucon d'Italie , le faucon d'Islande, et le sacre; et en même temps il compte treize autres espèces ou variétés de faucons, différentes de la première; savoir, le faucon- gentil , le faucon-pélerin , dont le faucon de Barba- rie et le faucon de Tartarie sont des variétés, le faucon à collier, le faucon de roche ou rochier, le faucon de montagne ou montagner, dont le faucon de montagne cendre est une variété, le faucon de la baie de Iludson , le faucon étoile, le faucon huppé des Indes, le faucon des Antilles, et le faucon-pêcheur de la Caroline. M. Linnacus Pl.no. Tome lo. EauQue t , scubp . 1 . LE FAUC OIT 2 . LE" S ACRF, _ 3 . LE TA2^ AS LE FAUCON. 209 qu'il y a dans lespèce du faucon autant de variétés que dans celle du pigeon , de la poule, ou des autres oiseaux domestiques ; cependant rien n'est moins vrai : l'homme n'a point influé sur la nature de ces animaux; quelque utiles aux plaisirs, quelque agréables qu'ils soient pour le faste des princes chasseurs, jamais on n'a pu en élever, en multiplier l'espèce. On dompte, à la vérité , le naturel féroce de ces oiseaux par la force de l'art et des privations ; on leur fait acheter leur vie par des mouvements qu'on leur commande ; chaque morceau de leur subsistance ne leur est ac- cordé que pour un service rendu ; on les attache, on les garrotte, on les affuble, on les prive même de la lu- mière et de toute nourriture, pour les rendre plus dé- pendants, plus dociles, et ajouter à leur vivacité na- turelle l'impétuosité du besoin : mais ils servent par nécessité, par habitude, et sans attachement; ils de- meurent captifs, sans devenir domestiques : l'individu seul est esclave , l'espèce est toujours libre , toujours également éloignée de l'empire de l'homme; ce n'est même qu'avec des peines inûnies qu'on en fait quel- ques uns prisonniers, et rien n'est plus difficile que d'étudier leurs mœurs dans l'état de nature. Comme ils habitent les rochers les plus escarpés des plus hau- tes montagnes, qu'ils s'approchent très rarement de terre, qu'ils volent d'une hauteur et d'une rapidité comprend, sons Tindication génériquo de faucon, vingt-six espèces dif- férentes ; mais il est vrai qu'il confond sous ce même nom, comme il fait en tout , les espèces éloignées , aussi bien que les espèces voisines : car on trouve dans cette liste de faucons, les aigles, les pygargues, les orfraies , les crécerelles , les buses , etc. Au moins la liste de M. Brisson, quoique d'un tiers trop nombreuse, est faite avec plus de circonspection et de discernement. 2 10 OISEAUX DE PROIE. sans égale, on ne peut avoir que peu de faits sur leurs habitudes naturelles : on a seulement remarqué qu'ils choisissent toujours pour élever leurs petits les rochers exposés au midi ; qu'ils se placent dans les trous et les anfractures les plus inaccessibles; qu'ils font ordinai- rement quatre œufs dans les derniers mois de l'hiver; qu'ils ne couvent pas long-temps, car les petits sont adultes vers le i5 de mai; qu'ils changent de couleur suivant le sexe , l'âge , et la mue ; que les femelles sont considérablement plus grosses que les mâles ; que tous deux jettent des cris perçants, désagréables, et pres- que continuels , dans le temps qu'ils chassent leurs petits pour les dépayser; ce qui se fait, comme chez les aigles, par la dure nécessité qui rompt les liens des familles et de toute société, dés qu'il n'y a pas assez pour partager, ou qu'il y a impossibilité de trouver assez de vivres pour subsister ensemble dans les mêmes terres. Le faucon est peut-être l'oiseau dont le courage est le plus franc , le plus grand, relativement à ses forces; il fond sans détour et perpendiculairement sur sa proie, au lieu que l'autour et la plupart des autres arrivent de côté : aussi prend-on l'autour avec des fi- lets, dans lesquels le faucon ne s'empêtre jamais; il tombe à plomb sur l'oiseau victime, exposé au milieu de l'enceinte des filets , le tue , le mange sur le lieu s'il est gros, ou l'emporte s'il n'est pas trop lourd, en se relevant à plomb. S'il y a quelque faisanderie dans son voisinage , il choisit cette proie de préférence : on le voit tout à coup fondre sur un troupeau de faisans, comme s'il tomboit des nues, parce qu'il arrive de si haut, et en si peu de temps, que son apparition est LE FAUCON. 2 1 1 toujours imprévue et souvent inopinée. On le voit fré- quemment attaquer le milan, soit pour exercer son couraj^e, soit pour lui enlever une proie : mais il lui fait plutôt la honte que la guerre ; il le traite comme un lâche , le chasse, le frappe avec dédain, et ne le met point à mort, parce que le milan se défend mal, et que probablement sa chair répugne au faucon en- core plus que sa lâcheté ne lui déplaît. Les gens qui habitent dans le voisinage de nos gran- des montagnes, en Dauphiné , Bugey, Auvergne, et au pied des Alpes , peuvent s'assurer de tous ces faits *. On a envoyé de Genève à la Fauconnerie du Roi de jeunes faucons pris dans les montagnes voisines au mois d'avril , et qui paroissent avoir acquis toutes les dimensions de leur taille et toutes leurs forces avant le mois de juin. Lorsqu'ils sont jeunes, on les appelle faucons-sors ^ comme l'on dit liarengs-sors ^ parce qu'ils sont alors plus" bruns que dans les années sui- vantes, n°470; et l'on appelle les vieux faucons, lia- gardSj qui ont beaucoup plus de blanc que les jeu- nes^, n° 4^ 1. Le faucon qui est représenté dans notre planche nous paroît être de la seconde année , ayant encore un assez grand nombre de taches brunes sur la poitrine et sur le ventre ; car à la troisième année ces tachent diminuent, et la quantité du blanc sur le plu- mage augmente, comme on le peut voir dans le faucon représenté n° /^^o , où l'on a gravé par erreur le nom 1. Ils m'ont été rendus par des témoins oculaires, et particulière- ment par M. Hébert, que j'ai déjà cité plus d'une fois, et qui a chassé pendant cinq ans dans les montagnes du Bugey. 2. Puisque le faucon sors et le faucon-hagard ou bossu ne sont que le même faucon, jeune et vieux , on ne doit pas en faire des variétés dans l'espèce. 212 OISEAUX DE PROIE. de lanierj, au lieu de tiercelet de faucon de la troisième année. Comme ces oiseaux cherchent partout les rochers les plus hauts, et que la plupart des îles ne sont que des groupes et des pointes de montagnes, il y en a beaucoup à Rhodes, en Chypre, à Malte, et dans les autres îles de la Méditerranée , aussi bien qu'aux Or- cades et en Islande ; mais on peut croire que, suivant les différents climats, ils paroissent subir des variétés différenles, dont il est nécessaire que nous fassions quelque mention. Le faucon , qui est naturel en France , est gros comme une poule : il a dix-huit pouces de longueur depuis le bout du bec jusqu'à celui de la queue, et au- tant Jusqu'à celui des pieds : la queue a un peu plus de cinq pouces de longueur, et il a près de trois pieds et demi de vol ou d'envergure ; ses ailes, lorsqu'elles sont pliées, s'étendent presque jusqu'au bout de la queue. Je ne dirai rien des couleurs, parce qu'elles changent aux différentes mues, à mesure que l'oiseau avance en âge , et que d'ailleurs elles sont fidèlement représentées par les planches enluminées que nous venons de citer ci-dessus. J'observerai seulement que la couleur la plus ordinaire des pieds du faucon est verdâtre , et que , quand il s'en trouve qui ont les pieds et la membrane du bec jaunes , les fauconniers les ap- pellent faucons bec jaune j, et les regardent comme les plus laids et les moins nobles de tous les faucons; en sorte qu'ils les rejettent de l'école de la fauconnerie. J'observerai encore qu'ils se servent du tiercelet de faucon, c'est-à-dire du maie , lequel est d'un tiers plus petit que la femelle, pour voler les perdrix, pies, geais. LE FAUCON. 2\7> merles, et autres oiseaux de cette espèce; au lieu qu'on emploie la femelle au vol du lièvre, du milan, de la ij;rue, et des autres grands oiseaux. Il paroît que cette espèce de faucon, qui est assez commune en France, se trouve aussi en Allemagne. M. Frisch^ a donné la figure coloriée d'un faucon-sors à pied et à membrane du bec jaunes, sous le nom de entenstosser ou scliw art z-br aune liablgt^ et il s'est trompé en lui donnant le nom d'autour brun; car il diffère de l'autour par la grandeur et par le naturel. Il paroît qu'on trouve aussi en Allemagne, et quel- quefois en France, une espèce différente de celle-ci, qui est le faucon pattu à tête blancbe, que M. Frisch appelle mal à propos vautour. « Ce vautour à pieds ve- lus ou à culotte de plume est, dit-il, de tous les oi- seaux de proie diurnes à bec crochu , le seul qui ait des plumes jusqu'à la partie inférieure des pieds , aux- quels elles s'appliquent exactement. L'aigle des ro- chers a aussi des plumes semblables, mais qui ne vont que jusqu'à la moitié des pieds : les oiseaux de proie nocturnes, comme les chouettes, en ont jusqu'aux ongles ; mais ces plumes sont une espèce de duvet. Ce vautour poursuit toute sorte de proie , et on ne le trouve jamais auprès des cadavres. » C'est parce que ce n'est pas un vautour, mais un faucon, qu'il ne se nourrit pas de cadavres ; et ce faucon a paru à quel- 1. Voici ce que M. Frisch dit de cet oiseau, qu'il appelle ï'ennemi des canards, ou Vautour d'un brun noir : « U a été pourvu par ia nature » de longues ailes et de plumes serrées les unes sur les autres C'est » des oiseaux de proie l'un des plus vigoureux; il poursuit de préfé- » renée les canards, les poules d'eau , et autres oiseaux d'eau. » {Plan- che i.xxiv. ) laFFOIS. XIX. i4 2l4 OISEAUX DE PROIE. f[iies uns de nos naturalistes assez semblable à notre faucon de France, pour n'en faire qu'une variété : s'il ne différoit en effet de notre faucon que par la blan- cheur de la tête , tout le reste est assez semblable pour qu'on ne dût le considérer que comme variété ; mais le caractère des pieds couverts de plumes jus- qu'aux ongles, me paroît être spi^cifique, ou tout au moins l'indice d'une variété constante, et qui fait race à part dans l'espèce du faucon. Une seconde variété est le faucon blanc, qui se trouve en Russie , et peut-être dans les autres pays du Nord; il y en a de tout-à-fait blancs et sans taches , à l'exception de l'extrémité des grandes plumes des ailes , qui sont noirâtres : il y en a d'autres de cette espèce, qui sont aussi tout blancs, à l'exception de quelques taches brunes sur le elos et sur les ailes, et de quelques raies brunes sur la queue. Comme ce fau- con blanc est de la même grandeur que notre faucon, et qu'il n'en diffère que par la blancheur, qui est la couleur que les oiseaux, comme les autres animaux, prennent assez généralement clans les pays du Nord, on peut présumer avec fondement que ce n'est qu'une variété de l'espèce commune, produite par l'influence du climat; cependant il paroît qu'en Islande il y a aussi des faucons de la même couleur que les nôtres, mais qui sont un peu plus gros, et qui ont les ailes et la queue plus longues ; comme ils ressemblent pres- que en tout à notre faucon, et qu'ils n'en diffèrent que par ces légers caractères, on ne doit pas les sé- parer de l'espèce commune. 11 en est de même de ce- lui qu'on appelle faucon- gentil j, que presque tous les naturalistes ont donné comme différent du faucon LE FAUCOX. 2l5 commun, tandis que c'est le même, et que le nom de gentil ne leur est applique que lorsqu'ils sont bien élevés, bien faits , et d'une jolie figure : aussi nos an- ciens auteurs de fauconnerie ne comptoient que deux espèces principales de faucon, le faucon-gentil, ou faucon de notre pays, et le faucon-pélerin ou étran- ger, et regardoient tous les autres comme de simples variétés de l'une ou de l'autre de ces deux espèces. Il arrive en effet quelques faucons des pays étrangers , qui ne font que se montrer sans s'arrêter, et qu'on prend au passage : il en vient surtout du côté du Midi , que l'on prend à Malte, et qui sont beaucoup plus noirs que nos faucons d'Europe : on en a pris même quelquefois de cette espèce en France ; et celui dont nous donnons la figure enluminée, n°4(^9, a été pris en Brie. C'est par cette raison que nous avons cru pou- voir l'appeler faucon passager. Il paroît que ce faucon noir passe en Allemagne comme en France ; car c'est le môme que M. Frisch a donné sous le nom de f'alco fuscus^ faucon brun [pL lxxxiii), et qu'il voyage beaucoup plus loin ; car c'est encore le même faucon que M. Edwards a décrit et représenté sous le nom de faucon noir de la baie de Hudson^ et qui en effet lui avoit été envoyé de ce climat. J'observerai à ce sujet que le faucon passager ou pèlerin décrit par M. Bris- son n'est point du tout un faucon étranger ni passager, et que c'est absolument le même que notre faucon- liagard, n° 4^ i ; en sorte que l'espèce du faucon com- mun ou passager ne nous est connue jusqu'à présent que par le faucon d'Islande, qui n'est qu'une variété de l'espèce commune, et parle faucon noird'x\frique, qui en diffère assez, surtout par la couleur, pour pou^ ^l6 OISEAUX DE PROIE. voir être regardé comme formant une espèce diffé- rente. On pourroit peut-être rapporter à cette espèce le faucon tunisien ou punicien dont parle Belon , et qu'il dit « être un peu plus petit que le faucon-pélerin, qui a la tête plus grosse et ronde , et qui ressemble par la grandeur et le plumage au lanier; » peut-être aussi le faucon de Tartarie , qui au contraire est un peu plus grand que le faucon-pélerin , et que Belon dit en différer encore, en ce que le dessus de ses ailes est roux, et que ses doigts sont plus allongés. En rassemblant et resserrant les différents objets que nous venons de présenter en détail , il paroît , 1° qu'il n*y a en France qu'une seule espèce de faucon, bien connue pour y faire son aire dans nos provinces montagneuses ; que cette espèce même se trouve en Suisse , en Allemagne , en Pologne , et jusqu'en Islande vers le Nord, en Italie , en Espagne, et dans les îles de la Méditerranée, et peut-être jusqu en Egypte vers le Midi; i"" que le faucon blanc n'est, dans cette même espèce, qu'une variété produite par l'influence du cli- mat du Nord ; 5" que le faucon-gentil n'est pas une espèce différente de notre faucon commun ^; que le 1- Jean tle Franchières , qui est l'uu des plus anciens et peut-être le meilleur de nos auteurs sur la fauconnerie, ne compte que sept es- pèces d'oiseaux auxquels il donne le nom de faucon; savoir, le faucon- genlil , le faucon-pélerin , le faucon tartaret , le gerfaut , le sacre , le lanier, et le faucon tunisien ou punicien : en retranchant de cette liste le gerfaut, le sacre, et le lanier, qui ne sont pas proprement des faucons, il ne reste que le faucon-gentil et le faucon-pélerin, dont le tartaret et le tunisien sont deux variétés. Cet auteur ne connoissoit donc qu'une seule espèce de faucon uaturolle en France , qu'il indique .sous le nom de faucon-gentil; et cela prouve encore ce que j'ai avancé , LE FAUCON. 217 faucon-pélerin ou passager est d'une espèce difl'érente, qu'on doit regarder comme étrangère, et qui peut- être renferme quelques variétés, telles que le faucon de Barbarie, le faucon tunisien, etc.. Il n'y a donc, cruoi qu'en disent les nomenclateurs , que deux es- pèces réelles de faucons en Europe , dont la première est naturelle à notre climat, et se multiplie chez nous, et l'autre qui ne fait qu'y passer, et qu'on doit regar- der comme étrangère. En rappelant donc à l'examen la liste la plus nombreuse de nos nomenclateurs au sujet des faucons, et suivant article par article celle de M. Brisson, nous trouverons, 1° que le faucon-sors n'est que le jeune de l'espèce commune; 2" que le faucon-iiagard n'en est que le vieux ; 5"* que le faucon à tête blanche et à pieds pattus est une variété ou race constante dans cette même espèce ; 4*" sous le nom de faucon blanc ^ M. Brisson indique deux difterentes es- pèces d'oiseaux, et peut-être trois; car le premier et le troisième pourroient être, absolument parlant ,^ des faucons qui auroient subi la variété commune aux oiseaux du Nord, qui est le blanc; mais pour le second , dont M. Brisson ne paroît parler que d'après M. Frisch, dont il cite la planche ixxx, ce n'est cer- tainement pas un faucon, mais un oiseau de rapine commun en France , auquel on donne le nom de liar- payc ; 5° que le faucon noir est le véritable faucon- pélerin ou passager , qu'on doit regarder comme étranger; G'' que le faucon tacheté n'est que le jeune de ce même faucon étranger; 7** que le faucon brun est moins un faucon qu'un busard; M. Frisch est le (jne le faucon-genlil et le faucon ooininuii no sont tous deux qu uuti seule et même espèce. :^l8 OISEALX DE niOlE. seul qui en ait donné la représentation, et cet auteur dit que cet oiseau attrape quelquefois en volant les pigeons sauvages, que son vol est très haut, et qu'on le tire rarement, mais que néanmoins il guette les oiseaux aquatiques sur les étangs et dans les autres lieux marécageux; ces indices réunis nous portent à croire que ce faucon brun de M. Brisson n'est vrai- semblablement qu'une variété dans l'espèce des bu- sards, quoiqu'il n'ait pas la queue aussi longue que les autres busards ; 8° que le faucon rouge n'est qu'une variété dans notre espèce commune du faucon , que Belon dit, avec quelques anciens fauconniers, se trouver dans les lieux marécageux, qu'il fréquente de préférence ; 9" que le faucon rouge des Indes est un oiseau étranger dont nous parlerons dans la suite ; 10° que le faucon d'Italie, dont M. Brisson ne parle que d'après Jonston, peut encore être, sans scrupule, regardé comme une variété de l'espèce commune de notre faucon des Alpes; 1 1** que le faucon d'Islande est, comme nous l'avons dit, une autre variété de l'espèce commune, dont il ne diffère que par un peu plus de grandeur; 1 2^" que le sacre n'est point, comme le dit M. Brisson, une variété du faucon, mais une espèce différente qu'il faut considérer à part; 10° que le faucon-gentil n'est point une espèce différente de celle de notre faucon commun , et que ce n'est que le faucon-sors de cette espèce commune que M. Bris- son a décrit sous le nom de faucon-gentil ^ mais dans un temps de mue, différent de celui qu'il a décrit sous le simple nom de faucon; i4° que le faucon ap- pelé pèlerin par M. Brisson n'est que notre même faucon commun, devenu par l'âge faucon-hagard, LE FALCO.N. 2\g n° l\^2\, et que par conséquent ce n'est qu'une variété de l'âge, et non pas une diversité d'espèce; i5° que le faucon de Barbarie n'est qu'une variété dans l'es- pèce du faucon étranger, que nous avons nommé faucon passager^ n° 4^9 ; iG" qu'il en est de même du faucon de Tartarie; 17° que le faucon à collier n'est point un faucon , mais un oiseau de tout autre genre , auquel nous avons donné le nom de soubase; 18" que le faucon de roche n'est point encore un faucon, puis- qu'il approche beaucoup plus du hobereau et de la cré- cerelle , et que par conséquent c'est un oiseau qu'il faut considérer à part; ig^'que le faucon de montagne n'est qu'une variété du rocliier; 20'' que le faucon de montagne cendré n'est qu'une variété de l'espèce commune du faucon; 21° que le faucon de la baie de Hudson est un oiseau étranger, d'une espèce dif- férente de celle d'Europe, et dont nous parlerons dans l'article suivant; 22° que le faucon l'toilé est un oiseau d'un autre genre que le faucon; 20" que le faucon huppé des Indes, le faucon des Antilles, le faucon pécheur des Antilles, et le faucon pêcheur de la Caroline, sont encore des oiseaux étrangers dont il sera fait mention dans la suite. On peut voir, par cette longue énumération , qu'en séparant même les oiseaux étrangers et qui ne sont pas précisément des faucons, et en ôtant encore le faucon pattu, qui n'est peut-être qu'une variété ou une espèce très voisine de celle du faucon commun, il y en a dix-neuf que nous réduisons à quatre espèces; savoir, le faucon commun, le faucon passager, le sacre, et le busard, dont il n'y en a plus que deux qui soient eii elTet àe^ faucons. 220 OISEAUX DB PROIE. Après cette réduction faite de tous les prétendus faucons aux deux espèces du faucon commun ou gentil, et du faucon passager ou pèlerin, voici les différences que nos anciens fauconniers trouvoient dans leur na- ture et mettoient dans leur éducation. Le faucon-gen- til mue dès le mois de mars, et même plus tôt : le faucon-pèlerin ne mue qu'au mois d'août; il est plus plein sur les épaules, et il a les yeux plus grands, plus enfoncés, le bec plus gros, les pieds plus longs et mieux fendus que le faucon-gentil. Ceux qu'on prend au nid s'appellent faucons niais; lorsqu'ils sont pris trop jeunes, ils sont souvent criards et difficiles à éle- ver; il ne faut donc pas les dénicher avant qu'ils soient un peu grands ; ou , si l'on est obligé de les ôter de leur nid, il ne faut point les manier, mais les mettre dans un nid le plus semblable au leur qu'on pourra, et les nourrir de chairs d'ours, qui est une viande assez com- mune dans les montagnes où Ton prend ces oiseaux, et, au défaut de cette nourriture, on leur donnera de la chair de poulet : si l'on ne prend pas ces précau- tions, les ailes ne leur croissent pas, et leurs jambes se cassent ou se déboîtent aisément. Les faucons-sors, qui sont les jeunes, et qui ont été pris en septembre , octobre, et novembre, sont les meilleurs et les plus aisés à élever : ceux qui ont été pris plus taid, en hi- ver ou au printemps suivant, et qui par conséquent ont neuf ou dix mois d'âge , sont déjà trop accoutu- més à leur liberté pour subir aisément la servitude et demeurer en captivité sans regret , et l'on n'est jamais sûr de leur obéissance et de leur fidélité dans le ser- vice ; ils trompent souvent leur maître, et quittent lorsqu'il s'y attend le moins. On prend tous les ans les LE FAUCON. 22 1 faiicons-pélerins au mois de septembre, à leur passage dans les îles , ou sur les falaises de la mer. Ils sont , de leur naturel, prorapts, propres à tout faire, do- ciles, et fort aisés à instruire : on peut les faire voler pendant tout le mois de mai et celui de juin, parce qu'ils sont tardifs à muer; mais aussi, dès que la mue commence, ils se dépouillent en peu de temps. Les lieux où l'on prend le plus de faucons-pèlerins sont non seulement les côtes de Barbarie, mais toutes les îles de la Méditerranée, et particulièreuient celle de Candie, d'où nous venoient autrefois les meilleurs faucons. Comme les arts n'appartiennent point à l'histoire naturelle , nous n'entrerons point ici dans les détails de l'art de la fauconnerie ; on les trouvera dans VEncyclo- pédie. « Un bon faucon , dit M. Le Roy, auteur de l'ar- ticle Fauconnerie j doit avoir la tête ronde , le bec court et gros, le cou fort long, la poitrine nerveuse, les malîutes larges, les cuisses longues, les jambes courtes, la main large, les doigts déliés, alongés, et nerveux aux articles, les ongles fermes et recourbés, les ailes longues; les signes de force et de courage sont les mêmes pour le gerfaut et pour le tiercelet, qui est le mâle dans toutes les espèces d'oiseaux de proie, et qu'on appelle ainsi, parce qu'il est d'un tiers plus petit que la femelle : une marque de bonté moins équivoque dans un oiseau, est de chevaucher contre le vent, c'est-à-dire de se roidir contre, et se tenir ferme sur le poing lorsqu'on l'y expose. Le pen- nage d'un faucon doit être brun et tout d'une pièce, c'est-à-dire d'une même couleur : la bonne couleur des mains est de vert-d'eau ; ceux dont les mains et 2^2 OISEALX DE ru OIE. le bec sont jaunes, ceux dont le plumage est semé de taches, sont moins estimés que les autres. On fait cas des faucons noirs ; mais, quel que soit leur plumage, ce sont toujours les plus forts en courage qui sont les meilleurs.... H y a des faucons lâches et paresseux : il y en a d'autres si fiers, qu'ils s'irritent contre tous les moyens de les apprivoiser : il faut abandonner les uns et les autres, etc. » M. Forget, capitaine du vol à Yersailles, a bien voulu me communiquer la note suivante. « Il n'y a, dit-il, de tlifférence essentielle entre les faucons de différents pays que par la grosseur. Ceux qui viennent du INord sont ordinairement plus grands que ceux des montagnes des Alpes et des Pyrénées ; ceux-ci se prennent, mais dans leur nid : les autres se prennent au passage, dans tous les pays; ils passent en octobre et en novembre, et repassent en février et mars L'âge des faucons se désigne très distinc- tement la seconde année, c'est-à-dire à la première mue; mais dans la suite les connoissances deviennent bien plus difficiles. Indépendamment des changements de couleur, on peut les distinguer jusqu'à la troisième mue , c'est-à-dire par la couleur des pieds et celle de la membrane du bec. » LE FAUCON NOIU. 22J OISEAUX ÉTRANGERS QUI ONT RAPPORT AU GERFAUT ET AUX FAUCONS. Le faucon d'Islande , que nous avons dit être une variété dans l'espèce de notre faucon commun, et qui n'en diffère en effet qu'en ce qu'il est un peu plus grand et plus fort. IL Le faucon noir, n° 4^9' ^^i ^^ prend au passage à Malte, en France, en Allemagne, dont nous avons parlé, et que l\lM. Friscb et Edwards ont indiqué et décrit, qui nous paroît être d'une espèce étrangère et différente de celle de notre faucon commun. J'obser- verai que la description qu'en donne M. Edwards est exacte, mais que M. Frisch n'est pas fondé à pronon- cer que ce faucon doit être sans doute le plus fort des oiseaux de proie de sa grandeur, parce que, près de l'extrémité du bec supérieur, il y a une espèce de dent triangulaire ou de pointe tranchante, et que les jam- bes sont garnies de plus grands doigts et ongles qu'aux autres faucons : car, en comparant les doigts et les 22/^ OISEAUX DE PROIE. ongles de ce faucon noir, que nous avons en nature, avec ceux de notre faucon, nous n'avons pas trouvé qu'il y eût de différence ni pour la grandeur, ni pour la force de ces parties; et en comparant de même le bec de ce faucon noir avec le bec de nos faucons, nous avons trouvé que dans la plupart de ceux-ci il y avoit une pareille dent triangulaire vers l'extrémité de la mandibule supérieure ; en sorte qu'il ne diffère point à ces deux égards du faucon commun, comme M. Frisch semble l'insinuer. Au reste, le faucon tacheté dont M. Edwards donne la description et la figure, et qu'il dit êt]-e du même climat que le faucon noir, c'est-à- dire des terres de la baie de Hudson , ne nous paroît être en effet que le faucon-sors ou jeune de cette même espèce, et par conséquent ce n'est qu'une va- riété produite dans les couleurs par la différence de l'âge, et non pas une variété réelle ou variété de race dans cette espèce. On nous a assuré que la plupart de ces faucons noirs arrivent du côté du Midi : cepen- dant nous en avons vu un qui avoit été pris sur les côtes de l'Amérique septentrionale, près du banc de Terre-rVeuve ; et, comme M. Edwards dit qu'il se trouve aussi dans les terres voisines de la baie de Hudson, on peut croire que l'espèce est fort répan- due, et qu'elle fréquente également les climats chauds, tempérés, ou froids. Nous observerons que cet oiseau , que nous avons eu en nature , avoit les pieds d'un bleu bien décidé , et que ceux que l'on trouve représentés dans les plan- ches enluminées de MM. Edwards et Frisch avoient les pieds jaunes; cependant il n'est pas douteux que ce ne soient les mêmes oiseaux : nous avons déjà reconnu^ LE FAUCON NOIR. 2'2^ en examinant les balbuzards, qu'il y en avoit à pieds bleus , et d'autres à pieds jaunes ; ce caractère est donc beaucoup moins fixe qu'on ne l'imaginoit. Il en est de la couleur des pieds à peu près comme de celle du plumage ; elle varie souvent avec l'âge, ou par d'autres circonstances. III. L'oiseau qu'on peut appeler le faucon rouge des Indes orientales y très bien décrit par Aldrovande, et à peu près dans les termes suivants. La femelle, qui est d'un tiers plus grosse que le mCde, a le dessus de la tête large et presque plat; la couleur de la tête, du cou, de tout le dos , et du dessus des ailes , est d'un cendré tirant sur le brun ; le bec est très gros quoique le cro- chet en soit assez petit ; la base du bec est jaune , et le reste, jusqu'au crochet, est de couleur cendrée; la pupille des yeux est très noire, l'iris brun; la poi- trine entière, la partie supérieure du dessous des ailes, le ventre, le croupion, et les cuisses sont d'un orangé presque rouge ; il y a cependant au dessus de la poitrine, sous le menton, une tache longue de couleur cendrée, et quelques petites taches de cette même couleur sur la poitrine ; la queue est rayée de bandes en demi -cercle, alternativement brunes et cendrées ; les jambes et les pieds sont jaunes , et les ongles noirs. Dans le mâle, toutes les parties rouges sont plus rouges, et toutes les parties cendrées sont plus brunes; le bec est plus bleu, et les pieds sont plus jaunes. Ces faucons , ajoute Aldrovande, avoient été envoyés des Lades orientales au grand-duc Ferdi- 226 OISEAUX DE PROIE. nand, qui les fit dessiner vivants. Nous devons ob- server ici que Tardif, Albert, et Crescent, ont parlé du faucon rouge comme d'une espèce ou d'une va- riété qu'on connoissoit en Europe, et qui se trouve dans les pays de plaines et de marécages; mais ce faucon rouge n'est pas assez bien décrit pour qu'on puisse dire si c'est le même que le faucon rouge des Indes, qui pourroit bien voyager et venir en Europe comme le faucon passager. IV. L'oiseau indiqué par Willughby sous la dénomina- tion de falco indiens cirratus^ qui est plus gros que le faucon, et presque égal à l'autour, qui a sur la tête une huppe dont l'extrémité se divise en deux parties qui pendent sur le cou. Cet oiseau est noir sur toutes les parties supérieures de la tête et du corps; mais sur la poitrine et le ventre, son plumage est traversé de lignes noires et blanches alternativement : les plumes de la queue sont aussi rayées de lignes alternativement noires et cendrées; les pieds sont couverts de plumes jusqu'à l'origine des doigts; l'iris des yeux, la peau qui couvre la base du bec, et les pieds, sont jaunes; le bec est d'un bleu noirâtre, et les ongles sont d'un beau noir. Au reste, il paroît, par le témoignage des voya- geurs, que le genre des faucons est l'un des plus uni- versellement répandus. Nous avons dit qu'on en trouve partout en Europe, du nord au midi; qu'on en prend en cjuantité dans les îles de la Méditerranée , qu'ils sont communs sur la cote de Barbarie. M. Shaw, dont LE FALCO IM3ICUS CIRRATUS. 227 j'ai trouvé les relations presque toujours fidèles, dit qu'au royaume de Tunis il y a des faucons et des éper- viers en assez grande abondance , et que la chasse à l'oiseau est un des plus grands plaisirs des Arabes et des gens un peu au dessus du commun. On les trouve encore plus fréquemnient au Mogol ^ et en Perse, où l'on prétend que l'art de la fauconnerie est plus cul- tivé que partout ailleurs ; on en trouve jusqu'au Ja- pon, où Kaempfer dit qu'on les tient plutôt par faste que pour l'utilité de la chasse; et ces faucons du Ja- pon viennent des parties septentrionales de cette île. Rolbe fait aussi mention des faucons du cap de Bonne- Espérance , et Bosman de ceux de Guinée; en sorte qu'il n'y a, pour ainsi dire, aucune terre, aucun cli- mat dans l'ancien continent, où l'on ne trouve l'espèce du faucon ; et comme ces oiseaux supportent très bien le froid, et qu'ils volent facilement et très rapide- ment, on ne doit pas être surpris de les retrouver dans le nouveau continent ; il y en a dans le Groen- land, dans les parties montagneuses de l'Amérique septentrionale et méridionale, et jusque dans les îles de la mer du Sud. V. LE TA NAS. Falco piscator. Latiiam. L'oiseau appelé tanas par les nègres du Sénégal, et qui nous a été donné par M. Adanson sous le nom 1. Ou se sert du faucon au Mogol pour la chasse du daim et des gazelles. 2tiS OISEAUX DK PROIE. de faucon-pêcheur_, n" 47^- I^ ressemble presque en tout à notre faucon par les couleurs du plumage : il est néanmoins un peu plus petit, et il a sur la tête de longues plumes éminentes qui se rabattent en ar- rière, et qui forment une espèce de huppe, par la- quelle on pourra toujours distinguer cet oiseau des autres du même genre : il a aussi le bec jaune, moins courbé et plus gros que le faucon. Il en diffère en- core en ce que les deux mandibules ont des dente- lures très sensibles; et son naturel est aussi différent, car il pêche plutôt qu'il ne chasse. Je crois que c'est à cette espèce qu'on doit rapporter l'oiseau duquel Dampier fait mention sous ce môme nom de faucon- pêclieur. «11 ressemble, dit-il, à nos plus petits faucons pour la couleur et la figure; il a le bec et les ergots faits tout de même ; il se perche sur les troncs des ar- bres et sur les branches sèches qui donnent sur l'eau dans les criques, les rivières, ou au bord de la mer; et dès que ces oiseaux voient quelques petits poissons auprès d'eux, ils volent à fleur d'eau, les enfilent avec leurs griffes, et s'élèvent aussitôt en l'air, sans toucher l'eau de leurs ailes. » Il ajoute « qu'ils n'avalent pas le poisson tout entier, comme font les autres oiseaux qui en vivent, mais qu'ils le déchirent avec leur bec, et le mangent par morceaux. » Eauqaet scuJi 1 -LF, H0BEIIEAU_2.IJE CRECERELLE __ .3,L'ElvrEKniOïr LE HOBEREAU. 239 LE HOBEREAU^ Falco Subbuteo. L. Le hobereau 2 est bien plus petit que le faucon , et en diffère aussi par les habitudes naturelles. Le faucon est plus fier, plus vif, et plus courageux; il attaque des oiseaux beaucoup plus gros que lui. Le hobereau est plus lâche de son naturel ; car, à moins qu'il ne soit dressé , il ne prend que les alouettes et les cailles ; mais il sait compenser ce défaut de courage et d'ar- deur par son industrie. Dès qu'il aperçoit un chasseur et son chien, il les suit d'assez près, ou plane au dessus de leurs tètes, et tâche de saisir les petits oi- seaux qui s'élèvent devant eux : si le chien fait lever une alouette, une caille, et que le chasseur la man- que , il ne la manque pas. Il a l'air de ne pas craindre le bruit, et de ne pas connoître l'effet des armes à feu; car il s'approche de très près du chasseur, qui le tue souvent lorsqu'il ravit sa proie. Il fréquente les plaines voisines des bois, et surtout celles où les alouettes abondent ; il en détruit un très grand nombre, et elles connoissent si bien ce mortel ennemi , qu'elles ne l'a- perçoivent jamais sans le plus grand effroi, et qu'elles se précipitent du haut des airs, pour se cacher sous l'herbe ou dans les buissons : c'est la seule manière dont elle puisse échapper ; car, quoique l'alouette s'é- 1. En anglois, hobby ; en italien, baccUo. 2. Numéros 45 1 et 43'^. BUFFON. XJX. i5 200 OISEAUX DE m OIE. lève beaucoup, le hobereau vole encore plus haut qu'elle , et on peut le dresser au leurre comme le faucon et les autres oiseaux du plus haut vol. Il de- meure et niche dans les forêts, où il se perche sur les arbres les plus élevés. Dans quelques unes de nos provinces, on donne le nom de /lobereau^ aux petits seigneurs qui tyrannisent leurs paysans , et plus par- ticulièrement au gentilhomme à lièvre , qui va chasser chez ses voisins sans en être prié , et qui chasse moins pour son plaisir c[ue pour le profit. On peut observer que, dans cette espèce, le plu- mage de l'oiseau est plus noir dans la première année qu'il ne l'est dans les années suivantes. Il y a aussi dans notre climat une variété de cet oiseau, qui nous a parue assez singulièrepourmériter d'être représentée, n°43 1 : les différences consistent en ce que la gorge, le des- sous du cou , la poitrine, une partie du ventre, et les grandes plumes des ailes sont cendrés et sans taches ; tandis que, dans le hobereau commun, la gorge et le dessous du cou sont blancs , la poitrine et le dessus du ventre blancs aussi, avec des taches longitudinales brunes , et que les grandes plumes des ailes sont pres- que noirâtres. Il y a de même d'assez grandes diffé- rences dans les couleurs de la queue, qui, dans le hobereau commun, est blanchâtre par dessous, tra- versée de brun, et qui, dans l'autre, est absolument brune. Mais ces différences n'empêchent pas que ces deux oiseaux ne puissent être regardés comme de la 1. Ce nom de hobereau, appliqué aux gentilshommes de campagne , peut venir aussi de ce qu'autrefois tous ceux qui n'étoient point assez riches pour entretenir une fauconnerie se coutentoicnt d'élever des iiol)e)-caux pour ia cîias=e. LE HOBEREAU. 201 même espèce ; car Us ont la môme grandeur, le même port , et se trouvent de même en France ; et d'ailleurs, ils se ressemblent par un caractère spécifique très par- ticulier, c'est qu'ils ont tous deux le bas du ventre et les cuisses garnis de plumes d'un roux vif, et qui tran^ elle beaucoup sur les autres couleurs de cet oiseau. Il n'est pas même impossible que cette variété, dont toutes les différences se réduisent à des nuances de couleurs , ne provienne de l'âge ou des différents temps de la mue de cet oiseau ; et c'est encore une raison de plus pour ne les pas séparer de l'espèce commune. Au reste, le hol^ereau se porte sur le poing, tlécouvert et sans chaperon, comme l'émerillon, l'épervier, et l'autour; et l'on en faisoit autrefois un grand usage pour la chasse des perdrix et des cailles. LA CRÉCERELLES Falco tlnnunculus. L. La crécerelle ^ est l'oiseau de proie le plus commun dans la plupart de nos provinces de France, et surtout €n Bourgogne : il n'y a point d'ancien château ou de tour abandonnée qu'elle ne fréquente et qu'elle n'ha- 1. En laliii , tinnuncaliis; en italien, canlbello, t'ittincido, tintarello, garineiio; en espagnol, cernicaLo ou zernicallo ; en allemand, rocihel- iveili ou wannenwacker , qaod alas extendat ( ait Scliwenckfel ) ventilet- (jue instar ventilabri quod vannum nominant ; en anglois , kestrit ou kes- trei. Ou l'a aussi appelé en vieux françois , et encore aclueilement dans quelques provinces de France, cerccrelle , qitercerclle , éerecclle. aO'A OlSExiLX DE PROIE. . bite ; et c'est surtout le matin et le soir qu'on la voit voler autour de ces vieux bâtiments, et on l'entend en- core plus souvent qu'on ne la voit ; elle a un cri préci- pité, p/^ plï plï^ ou prï prt prï, qu'elle ne cesse de ré- péter en volant, et qui effraie tous les petits oiseaux, sur lesquels elle fond comme une flèche, et qu'elle saisit avec ses serres : si par hasard elle les manque du premier coup, elle les poursuit sans crainte du danger jusque dans les maisons; j'ai vu plus d'une fois mes gens prendre une crécerelle et le petit oiseau qu'elle poursuivoit, en fermant la fenêtre tl'une chambre ou la porte d'une galerie qui étoient éloignées de plus de cent toises des vieilles tours d'où elle étoit partie. Lors- qu'elle a saisi et emporté l'oiseau, elle le tue et le plume très proprement avant de le manger : elle ne prend pas tant de peine pour les souris et les mulots ; elle avale les plus petits tout entiers, et dépèce les au- tres. Toutes les parties molles du corps de la souris se digèrent dans l'estomac de cet oiseau : mais la peau se roule et forme une petite pelote, qu'il rend par le bec, et non par le bas; car ses excréments sont pres- que liquides et blanchâtres. En mettant ces pelottes qu'elle vomit dans l'eau chaude, pour les ramollir et les étendre, on retrouve la peau entière de la souris, •comme si on l'eût écorchée. Les ducs, les chouettes^ les buses, et peut-être beaucoup d'oiseaux de proie, rendent de pareilles pelotes, dans lesquelles, outre la peau loulée, il se trouve quelquefois des portions les plus dures des os : il en est de inèmc des oiseaux pé- cheurs ; les arêtes et les écailles des poissons se rou- lent dans leur estomac, et ils les rejettent par le bec. LA CRÉCERELLE. 237) La crécerelle est un assez bel oiseau; elle a l'œil vif et la vue très perçante, le vol aisé et soutenu; elle est diligente et courageuse ; elle approche, par le na- turel, des oiseaux nobles et généreux ; on peut meine la dresser, comme les émerilions, pour la fauconnerie. La femelle est plus grande que le mâle , et elle en dif- fère en ce qu'elle a la tête rousse, le dessus du dos, des ailes, et de la queue , rayé de bandes transversales brunes , et qu'en même temps toutes les plumes de la queue sont d'un brun roux plus ou moins foncé ; au lieu que, dans le mâle, la tête et la queue sont grises, et que les parties supérieures du dos et des ailes sont d'un roux vineux, semé de quelques petites taches noires. On peut voir les différences du mâle et de la femelle dans les planches enluminées que nous avons citées. Nous ne pouvons nous dispenser d'observer que quelques uns de nos nomenclateurs modernes ont appelé épervier des alouettes la crécerelle femelle, et qu'ils en ont fait une espèce particulière et différente de celle de la crécerelle. Quoique cet oiseau fréquente habituellement les vieux bâtiments, il y niche plus rarement que dans les bois, et lorsqu'il ne dépose pas ses œufs dans des trous de murailles ou d'arbres creux, il fait une es- pèce de nid très négligé , composé de bûchettes et de racines, et assez semblable à celui des geais, sur les arbres les plus élevés des forêts : quelquefois il oc- cupe aussi les nids que les corneilles ont abandon- nés. Il pond plus souvent cinq œufs que quatre, et quelquefois six, et même sept, dont les deux bouts sont teints d'une couleur rougeâtre ou jaunâtre, 254 OISEAUX DE niOIE. assez semblable à celle de son plumage. Ses petits , dans le premier âge, ne sont couverts que d'un du- vet blanc ; d'abord, il les nourrit avec des insectes, et ensuite il leur apporte des mulots en quantité, qu'il aperçoit sur terre du plus haut des airs, où il tourne lentement, et demeure souvent stationnaire pour épier son gibier, sur lequel il fond en un instant : il enlève quelquefois une perdrix rouge beaucoup plus pesante que lui ; souvent aussi il prend des pigeons qui s'écartent de leur compagnie : mais sa proie la plus or- dinaire, après les mulots et les reptiles, sont les moi- neaux , les pinsons, et les autres petits oiseaux. Comme il produit en plus grand nombre que la plupart des au- tres oiseaux de proie, l'espèce est plus nombreuse et plus répandue; on la trouve dans toute l'Europe, de- puis la Suède Jusqu'en Italie , et en Espagne ; on la re- trouve même dans les pays tempérés de l'Amérique septentrionale. Plusieurs de ces oiseaux restent pen- dant toute l'année dans nos provinces de France : ce- pendant j'ai remarqué qu'il y en avoit beaucoup moins en hiver qu'en été ; ce qui me fait croire que plu- sieurs quittent le pays, pour aller passer ailleurs la mauvaise saison. J'ai fait élever plusieurs de ces oiseaux dans de gran- des volières; ils sont, comme Je l'ai dit, d'un très beau blanc pendant le premier mois de leur vie, après quoi les plumes du dos deviennent roussâtres et bru- nes en peu de jours. Ils sont robustes et aisés à nour- rir ; ils mangent la viande crue qu'on leur présente à quinze jours ou trois semaines d'âge : ils connoissent bientôt la personne qui les soigne , et s'apprivoisent assez pour ne jamais l'offenser. Ils font entendre leur LA CRÉCERELLE. 255 voix de très bonne heure; et, quoique enfermés, ils répètent le même cri qu'ils font en liberté : j'en ai vu s'échapper et revenir d'eux mêmes à la volière , après un jour ou deux d'absence et peut-être d'abstinence forcée. Je ne connois point de variétés dans cette espèce , que quelques individus qui ont la tête et les deux plumes du milieu de la queue grises, tels qu'ils nous sont représentés par M. Frisch [pL lxxxv); mais M. Salerne fait mention d'une crécerelle jaune qui se trouve en Sologne, et dont les œufs sont de celte même couleur jaune. « Cette crécerelle , dit-il , est rare, et quelquefois elle se bat généreusement contre le Jean-le-blanc, qui, quoique le plus fort, est souvent obligé de lui céder. On les a vus, ajoute-t-il, s'accro- cher ensemble en l'air, et tomber de la sorte parterre, comme une motte ou une pierre.» Ce fait me paroît bien suspect, car l'oiseau Jean-le-blanc est non seu- lement très supérieur à la crécerelle par la force , mais il a le vol et toutes les allures si diflerentes, qu'ils ne doivent guère se rencontrer. LE ROGHIER. Falco Utlwfalco. L. L'oiseau qu'on a nommé faucon de roche ou rochler^ n° 447? ïi'^st pas si gros que la crécerelle , et me paroît fort semblable à l'émerillon , dont on se sert dans la fauconnerie. 11 fait, disent les auteurs, sa retraite et 256 OISEx^UX DE PROI£. son nid dans les rochers. M. Frisch est Je seul avant nous qui ait donné une bonne indication de cet oi- seau , et l'on peut comparer dans son ouvrage la figure du rochier (/7/. lxxxvii) avec la nôtre, et aussi avec les crécerelles mâle et femelle, qui toutes trois sont assez bien rendiies : leurs rapports de ressemblance et de différence sont encore mieux exprimés dans nos planches enluminées. En considérant attentivement la forme et les caractères de cet oiseau, et en les comparant avec la forme et les caractères de l'espèce d'émerillon, dont on se sert dans la fauconnerie, n° 4^^? nous sommes très portés à croire que le ro- chier et cet émerillon sont de la même espèce, ou du moins d'une espèce encore plus voisine l'une de l'autre que de celle de la crécerelle. On verra élans l'article suivant qu'il y a deux espèces d'émerillons, dont la pre- mière approche beaucoup de celle du rochier, et la se- conde de celle de la crécerelle. Comme tous ces oiseaux sont à peu près de la même taille, du même naturel , et qu'ils varient autant et plus par le sexe et par l'âge que par la différence des espèces, il est très difficile de les bien reconnoître ; et ce n'est qu'à force de compa- raisons faites d'après nature que nous sommes parve- nus à les distinguer les uns des autres. LE31ERILLON. 2J- > »Sig0.»O»»3»>$»»»»0»0»»»« ^>oe^9i^ L'EMERILLON'- Falco œsalon. L. L'oiseau ^ dont il est Ici question n'est point l'éme- rillon des naturalistes, mais l'émerillon des faucon- niers , qui n'a été indiqué ni bien décrit par aucun de nos nomenclateurs : cependant c'est le véritable énie- rillon dont on se sert tous les jours dans la fauconne- rie , et que l'on dresse au vol pour la chasse. Cet oi- seau est, à l'exception des pies-grièches, le plus petit de tous les oiseaux de proie, n'étant que de la grandeur d'une grosse grive : néanmoins on doit le regarder comme un oiseau noble , et qui tient de plus près qu'un autre à l'espèce du faucon; il en a le plu- mage ^, la forme, et l'attitude ; il a le même naturel , la même docilité, et tout autant d'ardeur et de cou- rage. On peut en faire un bon oiseau de chasse pour les alouettes, les cailles, et même les perdrix, qu'il prend et transporte , quoique beaucoup plus pesantes que lui ; souvent il les tue d'un seul coup, en les frap- pant de l'estomac sur la tête ou sur le cou. Cette petite espèce, si voisine d'ailleurs de celle du faucon parle courage et le naturel, ressemble néan- 1. En latin , œsalon; en italien, smerto ou smerigUo; en allemand, myrte ou snryrlin. 2. Numéro 468. 5. Il ressemble en efïet , par les nuances et la distribution dos cou- leurs , au fauconsors. 2j8 oiseaux de proie. moins plus au hobereau par la figure, et encore pius au rochier : on le distinguera cependant du hobe- reau , en ce qu'il a les ailes beaucoup plus courtes, et qu'elles ne s'étendent pas, à beaucoup près, jusqu'à l'extrémité de la queue, au lieu que celles du hobe- reau s'étendent un peu au delà de cette extrémité : mais, comme nous l'avons déjà fait sentir dans l'arti- cle précédent , ses ressemblances avec le rochier sont si grandes, tant pour la grosseur et la longueur du corps, la forme du bec, des pieds, et des serres, les couleurs du plumage, la distribution des taches, etc qu'on seroit très bien fondé à regarder le rochier comme une variété de l'émerillon, ou du moins comme une espèce si voisine , qu'on doit suspendre son juge- ment sur la diversité de ces deux espèces. Au reste , l'émerillon s'éloigne de l'espèce du faucon et de celle de tous les autres oiseaux de proie, par un attribut qui le rapproche de la classe commune des autres oi- seaux ; c'est que le mâle et la femelle sont dans l'éme- rillon de la même grandeur, au lieu que, dans tous les autres oiseaux de proie, le mâle est bien plus petit que la femelle. Cette singularité ne tient donc point à leur manière de vivre, ni à rien de tout ce qui distingue les oiseaux de proie des autres oiseaux; elle sembleroit d'abord appartenir à la grandeur, parce que dans les pies-grièches, qui sont encore plus petites que les émerillons , le mâle et la femelle sont aussi de la même grosseur ; tandis que dans les aigles , les vautours , les gerfauts, les autours, les faucons, et les éperviers , le mâle est d'un tiers ou d'un quart plus petit que la fe- melle. Après avoir réfléchi sur cette singularité, et reconnu qu'elle ne pouvoit pas dépendre des causes LEMERÎLLOX. '2MJ générales , j'ai recherché s'il n'y en avoit pas de parti- culières auxquelles on pût attribuer cet effet ; et j'ai trouvé, en comparant les passages de ceux qui ont disséqué des oiseaux de proie, qu'il y a dans la plu- part des femelles un double cœcum assez gros et assez étendu , tandis que dans les mâles il n'y a qu'un cœcwiij, et quelquefois point du tout : cette différence de la conformation intérieure, qui se trouve toujours en plus dans les femelles que dans les maies, peut être la vraie cause physique de leur excès en grandeur. Je laisse aux gens qui s'occupent d'anatomie à vérifier plus exactement ce fait, qui seul m'a paru propre à rendre raison de la supériorité de grandeur de la fe- melle sur le mâle, dans presque toutes les espèces des grands oiseaux de proie. L'émerillon vole bas, quoique très vite et très légè- rement; il fréquente les bois et les buissons pour y saisir les petits oiseaux, et chasse seul sans être ac- compagné de sa femelle : elle niche dans les forêts en montagnes, et produit cinq ou six petits. Mais, indépendamment de cet émerillon dont nous venons de donner l'histoire et la représentation, il existe une autre espèce d'émerilion mieux connue des naturalistes, dont M. Frisch a donné la figure (/?/. Lxxxix), et qui a été décrite d'après nature par M. Brisson. Cet émerillon diffère en effet, par un assez grand nombre de caractères, de l'émerillon des fau- conniers; il paroît même approcher beaucoup plus ele l'espèce de la crécerelle, du moins autant qu'il nous est permis d'en juger par la représentation, n'ayant pu nous le procurer en nature : mais ce qui semble ap- puyer notre conjecture, c'est que les oiseaux d'Améri- 2^0 OISEAUX DE TROIE. que qui nous ont ctc envoyés sous les noms d'é mer il loîi- deCaycnnCj, n'*444? ^^ émerillon de Saint-Domingue ,, n° 4^5, ne nous paroissent être que des variétés d'une seule espèce ; et peut-être l'un de ces oiseaux n'est-il que le mâle ou la femelle de l'autre : mais tous deux ressemblent si fort à l'émerillon donné par M. Friscli, qu'on doit les regarder comme étant d'espèces très, voisines; et cet émerillon d'Europe, aussi bien que^ ces émerillons d'Amérique dont les espèces sont si; voisines, paroîtront à tous ceux qui les considéreront attentivement beaucoup plus près de la crécerelle que de l'émerillon des fauconniers. Il se peut donc que cette espèce ait passé d'un continent à l'autre ; et en effet, M. Linnaîus fait mention des crécerelles en Suède , et ne dit pas que les émerillons s'y trouvent. Ceci semble confirmer encore notre opinion, que ce prétendu émerillon des naturalistes n'est qu'une va- riété, ou tout au plus une espèce très voisine de celle de la crécerelle : on pourroit même lui donner un nom particulier, si on vouloit la distinguer, soit de l'émeril- lon des fauconniers, soit de la crécerelle, et ce nom seroit celui qu'on lui donne dans les îles Antilles. « L'é- merillon, dit le P. Du Tertre, que nos habitants appel- lent gry grjj à cause qu'en volant il jette un cri qu'ils, expriment par ces syllabes gry gry^ est un autre petit oiseau de proie qui n'est guère plus gros qu'une grive ; il a toutes les plumes de dessus le dos et les ailes rous- ses , tachées de noir, et le dessous du ventre blanc , moucheté d'hermine; il est armé de bec et de griffes à proportion de sa grandeur : il ne fait la chasse qu'aux petits lézards et aux sauterelles, et quelquefois aux petits poulets, quand ils sont nouvellement éclos. Je l'ÉMElllLLON. 2,4 1 leur en ait fait lâcher plusieurs fois, ajoute-t-il; la poule se défend contre lui et lui donne la chasse. Les habitants en mangent ; mais il n'est pas bien gras.» La ressemblance du cri de cet émerillon du P. Du Tertre ^ avec le cri de notre crécerelle est encore un autre indice du voisinage de ces espèces ; et il me pa- roît qu'on peut conclure assez positivement que tous ces oiseaux donnés par les naturalistes sous les noms à' émerillon cl' Europe j, émerillon de la Caroline ou de Cayenne_, et émerillon de Saint-Domingue ou des An- tilles j, ne font qu'une variété dans l'espèce de la créce- relle, à laquelle on pourroit donner le nom de gry gry, pour la distinguer de la crécerelle commune. LES PIES-GRIÈCHES'. Ces oiseaux, quoique petits, quoique délicats de corps et de membres, doivent néanmoins, par leur cou- rage, par leur large bec, fort et crochu, et parleur appé- tit pour la chair, être mis au rang des oiseaux de proie, même des plus fiers et des plus sanguinaires. On est toujours étonné de voir l'intrépidité avec laquelle une petite pie-grièclie combat contre les pies, les corneil- les, les crécerelles, tous oiseaux beaucoup plus grands et plus forts qu'elle ; non seulement elle combat pour se défendre, mais souvent elle attaque, et toujours avec avantage, surtout lorsque le couple se réunit pour 1. Le cri de la crécerelle est pvi, pri; ce qui approche beaucoup de gry, gry, qui est le nom quou donne, aux Anlilles, à cet oiseau, à cause de son cri. 2[\2 OISEAUX DE PROIE. éloigner de leurs petits les oiseaux de rapine. Elles n'attendent pas qu'ils approchent; il suffit qu'ils pas- sent à leur portée, pour qu'elles aillent au devant : elles les attaquent à grands cris, leur font des blessures cruelles, et les chassent avec tant de fureur, qu'ils fuient souvent sans oser revenir; et, dans ce combat inégal contre d'aussi grands ennemis, il est rare de les voir succomber sous la force , ou se laisser emporter ; il arrive seulement qu'elles tombent quelquefois avec l'oiseau contre lequel elles se sont accrochées avec tant d'acharnement, que le combat ne finit que par la chute et la mort de tous deux : aussi les oiseaux de proie les plus braves les respectent; les milans, les buses, les corbeaux, paroissent les craindre et les fuir plutôt que les chercher. Rien dans la nature ne peint mieux la puissance et les droits du courage, que de voir ce petit oiseau, qui n'est guère plus gros qu'une alouette, voler de pair avec les éperviers, les faucons, et tous les autres tyrans de l'air, sans les redouter, et chasser dans leur domaine sans craindre d'en être puni; car, quoique les pies-grièches se nourrissent communément d'insectes, elles aiment la chair de pré- férence : elles poursuivent au vol tous les petits oiseaux ; on en a vu prendre des perdreaux et de jeunes levrauts ; les grives , les merles , et les autres oiseaux pris au lacet ou au piège, deviennent leur proie la plus ordinaire; elles les saisissent avec les ongles, leur crèvent la tête avec le bec, leur serrent et déchiquètent le cou; et, après les avoir étranglés ou tués, elles les plument pour les manger, les dépecer à leur aise, et en emporter dans leur nid les débris en lambeaux. Le genre de ces oiseaux est composé d'un assez Pl- To xueag. 3..I,APrE - GRIILCEIL GKLSE ._ 2 , L/i^PIE - GRIECHZ ROITS SE_ 5. L'ECORCHEUR LES PIES-CxRlÈCÎIES. 2/|3 grand nombre d espèces: mais nous pouvons réduire à trois principales celles de notre climat : la première est celle de la pie-grièche grise, la seconde celle de la pie-grièche rousse, et la troisième celle de la pie-griè- che appelée vulgairement l' é cor c heur. Chacune de ces trois espèces mérite une description particulière, et contient quelques variétés que nous allons indiquer. >»a.»oat»»@««« LA PIE-GRIECHE GRISE'. Lanius excubltor. L. Cette pie-grièche ^ est très commune dans nos pro- vinces tle France, et paroît être naturelle à notre cli- mat; car elle y passe l'hiver et ne le quitte en aucun temps : elle habite les bois et les montagnes en été , et vient dans les plaines et près des habitations en hiver; elle fait son nid sur les arbres les plus élevés des bois ou des terres en montagnes. Ce nid est com- posé au dehors de mousse blanche entrelacée d'her- bes longues, et au dedans il est bien doublé et ta- pissé de laine; ordinairement il est appuyé sur une branche à double et triple fourche. La femelle, qui ne diffère pas du mâle par la grosseur, mais seule- ment par la teinte des couleurs plus claires que celles du mâle, pond ordinaireaient cinq ou six, et quel- quefois sept, ou môme huit œufs gros comme ceux d'une grive ; elle nourrit ses petits de chenilles et 1. Ea laljn , /r»u»s; en ilallcii , gazza spcrviera , faiconcUo, crcsto , caslrica, vcvlo, sttvgazzina, rn^razzoia. — 2. K" 44-'>' f244 OISEAUX DE TROIE. d'autres insectes dans les premiers jours, et bientôt elle leur fait manger de petits morceaux de viande que leur père leur apporte avec un soin et une di- ligence admirables. Bien différente des autres oiseaux de proie, qui chassent leurs petits avant qu'ils soient en état de se pourvoir d'eux-mêmes, la pie-grièche garde et soigne les siens tout le temps du premier âge ; et quand ils sont adultes, elle les soigne encore; la famille ne se sépare pas; on les voit voler ensemble pendant l'automne entier, et encore en hiver, sans qu'ils se réunissent en grandes troupes. Chaque fa- mille fait une petite bande à part, ordinairement composée du père, de la mère, et de cinq ou six pe- tits, qui tous prennent un intérêt commun à ce qui leur arrive, vivent en paix et chassent de concert, Jus- qu'à ce que le sentiment ou le besoin d'amour, plus fort que tout autre sentiment, détruise les liens de cet attachement, et enlève les enfants à leurs parents: la famille ne se sépare que pour en former de nouvelles. Il est aisé de reconnoître les pies-grièches de loin, non seulement à cause tle cette petite troupe qu'elles forment après le temps des nichées, mais encore à leur vol, qui n'est ni direct ni oblique à la même hau- teur, et qui se fait toujours du bas en haut et de haut en bas alternativement et précipitamment; on peut aussi les reconnoître, sans les voir, à leur cri aigu troidj troid., qu'on entend de fort loin, et qu'elles ne cessent de répéter lorsqu'elles sont perchées au som- met des arbres. Il y a, dans cette première espèce, variété pour la grandeur, et variété pour la couleur. Nous avons au Cabinet une pie-grièche qui nous a été envoyée d'Ita- LA riE-GRIÈCHE GRISE. ^/jS lii^, et qui ne diffère de la pie-grièche commune que par une teinte de roux sur la poitrine et le ventre, n'' 52 , fig. 1 : on en trouve d'absolument blanches dans les Alpes; et ces pies-grièches blanches, aussi bien que celles qui ont une teinte de roux sur le ventre, sont de la même grandeur que la pie-grièche grise , qui n'est elle-même pas plus grosse que le mauvisj, au- trement la grive mauviette^ : mais il s'en trouve d'au- tres en Allemagne et en Suisse , qui sont un peu plus grandes, et dont quelques naturalistes ont voulu faire une espèce particulière, quoiqu'il n'y ait aucune au- tre différence entre ces oiseaux que celle d'un peu plus de grandeur; ce qui pourroit bien provenir de la nourriture, c'est-à-dire de l'abondance ou de la di- sette des pays qu'ils habitent : ainsi la pie-grièche grise varie, même dans nos climats d'Europe, par la grandeur et par les couleurs. On ne doit donc pas être surpris si elle varie encore davantage dans les climats plus éloignés, tels que ceux de l'Amérique, de l'Afri- que , et des Indes. La pie-grièche grise de la Louisiane , n^/j.;^? fig- 2? ^st le même oiseau que la pie-grièche grise d'Europe , de laquelle elle paroît différer aussi peu que la pie-grièche d'Italie; on n'y remarqueroit même aucune différence bien sensible, si elle n'étoit pas un peu plus petite et un peu plus foncée de couleur sur les parties supérieures du corps. 1 . Elle diffère de la première en ce qu'elle est plus grande et plus grosse , et en ce qu'elle a les plumes scapulaires et les petites couver- tures du dessus des ailes d'une couleur roussâtre ; mais , comme elle ressemble par tout le reste à la pie-grièche commune , ces différences, qui peut-être ne sont pas générales ui bien constantes, ne nous pa- roissent pas suffisantes pour établir une espèce distincte et séparée de la première. DlTFO^. XI\. iG til\6 OISEAUX DE PROIE. La pie-grièche du cap de Bonne-Espérance, n'' 477? fig. i; la pie-grièche grise du Sénégal, n** 297, fig. 1 , et la pie-grièche bleue de Madagascar, n" 298, fig. 1 , sont encore trois variétés très voisines l'une de l'autre, et appartiennent également à l'espèce com- mune de la pie-grièche grise d'Europe ; celle du Cap ne diffère de celle d'Europe qu'en ce qu'elle a toutes les parties supérieures du corps d'un brun noirâtre ; celle du Sénégal les a d'un brun plus clair, et celle de Madagascar a ces mêmes parties d'un beau bleu : mais ces différences dans la couleur du plumage , tout le reste étant égal et semblable d'ailleurs, ne suffisent pas, à beaucoup près, pour en faire des espèces dis- tinctes et séparées de la pie-grièche commune. Nous donnerons plusieurs exemples de changements de couleur tout aussi grands dans d'autres oiseaux, môme dans notre climat ; à plus forte raison ces changements doivent-ils arriver dans des climats différents et aussi éloignés les uns des autres. L'influence de la tempé- rature se marque par des rapports que des gens atten- tifs ne doivent pas laisser échapper : par exemple , nous trouvons ici que la pie-grièche étrangère qui res- semble le plus à notre pie-grièche d'Italie est celle de la Louisiane; or la température de ces deux climats n'est pas fort inégale, et nous trouvons, au contraire, que celle du Cap, du Sénégal, et de Madagascar, res- semble moins, parce que ces climats sont en effet d'une température très différente de celle d'Italie. Il en est de môme du climat de Cayenne, où la pie- grièche prend un plumage varié de longues taches brunes, n"" 297; mais comme elle est de la môm<^ grandeur que notre pie-grièche grise, et qu'elle lui LA PIE-GRIÈCHE GRISE. 247 ressemble à tous autres égards, nous avons cru pouvoir la rapporter avec fondement à cette espèce commune. »Q'&«»ao.S<>8 <>&<»ao^o»&»0»a>&»&»S«»»C'8'»80»s^i<'8< LA PIE-GRIECHE ROUSSE. Laiiiiis riifus. Gmel. Cette pie-grièche rousse ^ est un peu plus petite que la grise , et très aisée à reconnoître par le roux qu'elle a sur la tête, qui est quelquefois rouge, et ordinai- rement d'un roux vif; on peut aussi remarquer qu'elle a les yeux d'un gris blanchâtre ou jaunâtre, au lieu que la pie-grièche grise les a bruns; elle a aussi le bec et les jambes plus noirs. Le naturel de cette pie-griè- che rousse est à très peu près le même que celui de la pie-grièche grise : toutes deux sont aussi hardies, aussi méchantes l'une que l'autre ; mais ce qui prouve que ce sont néanmoins deux espèces différentes, c'est que la première reste au pays toute l'année, au lieu que celle-ci le quitte en automne , et ne revient qu'au printemps : la famille , qui ne se sépare pas à la sortie du nid , et qui demeure toujours rassemblée, part vers le commencement de septembre, sans se réunir avec d'autres familles, et sans faire de longs vols; ces oi- seaux ne vont que d'arbre en arbre, et ne volent pas de suite , même dans le temps de leur départ : ils res- tent pendant l'été dans nos campagnes, et font leur nid sur quelque arbre toutfa ; au lieu que Ja pie-griè- che grise habite les bois dans cette môme saison , et î. ]N° 9, fig. 2, le mâle, et n" 3i, fig. 1, la femelle. •2^\S OISEAUX DE PROIE. ne vient guère dans nos plaines que quand la pie-griè- clie rousse est partie. On prétend aussi que de toutes les pies-grièches, celle-ci est la meilleure, ou , si l'on veut, la seule qui soit bonne à manger. Le mfde et la femelle sont à très peu près de la même grosseur; mais ils diffèrent par les couleurs as- sez pour paroître des oiseaux de différente espèce : nous renvoyons sur cela aux planches enluminées que nous venons de citer, et qu'il suffira de comparer pour le reconnoître; nous observerons seulement, au sujet de cette espèce et de la suivante, appelée l'ccorclieurj, ([ue ces oiseaux font leur nid avec beaucoup d'art et de propreté, à peu près avec les mêmes matériaux qu'emploie la pie-grièche grise ; la mousse et la laine y sont si bien entrelacées avec les petites racines sou- ples , les herbes fines et longues, les branches plian- tes des petits arbustes, que cet ouvrage paroît avoir été tissu. Ils produisent ordinairement cinq ou six œufs , et quelquefois davantage; et ces œufs, dont le fond est de couleur blanchâtre , sont en tout ou en partie tachés de brun ou de fauve. 5*«*e.|w<8«<8«««*«*o*o*»«*S««^*»««*«-8'eê-o*c>©oa)o«.9*&««*«<8jQ8«-e-s 'H OISEAUX ETRANGERS QUI ONT RAPPORT A LA PIE-GRIÈGIIE GRISE ET A L ÉGORGHEUR I. LE FINGAH. Lanius cœrulescens. h. L'oiseau des Lides orientales, appelé au Bengale fiugalij, dont M. Edwards a donné la description sous le nom de pie-grihclie des Indes à queue fourcliue, qui est certainement une espèce différente de toutes les autres pies-grièches. Yoici la traduction de ce que dit M. Edwards à ce sujet : «La forme du bec , les mous- taclies ou poils qui en surmontent la base, la force des jambes, m'ont déterminé à donner à cet oiseau le nom de pie-grihclie ^ quoique sa queue soit faite tout autrement que celle des pies-grièches dont les ])lumes du milieu sont les plus longues ; au lieu que tlans celle- 2b2 OISEAUX DE PROIE. ci elles sont beaucoup plus courtes que les plumes extérieures ; en sorte que la queue paroît fourchue , c'est-à-dire vide au milieu vers son extrémité. Il a le bec épais et fort, voûté en arc , à peu près comme ce- lui de Fépervier, plus long à proportion de sa grosseur, et moins crochu, avec des narines assez grandes; la base de la mandibule supérieure est environnée de poils roides — La tête entière, le cou, le dos, et les couvertures des ailes, sont d'un noir brillant, avec un reflet de bleu, de pourpre, et de vert, et qui se décide ou varie suivant l'incidence de la lumière.... La poitrine est d'une couleur cendrée, sombre, et noirâtre : tout le ventre, les jambes, et les couver- tures du dessous de la queue sont blanches; les jam- bes, les pieds, et les ongles sont d'un brun noirâtre. Je doutois, ajoute M. Edwards, si je devois ranger cet oiseau avec les pies-grièches ou avec les pies; car il me paroissoit également voisin de chacun de ces deux genres , et je pense que tous deux pourroient n'en faire qu'un, les pies convenant, en beaucoup de choses, avec les pies-grièches. Quoique personne en Angleterre ne l'ait remarqué , il paroît qu'en France on y a fait attention, et qu'on a observé cette con- formité de la nature dans ces deux oiseaux, puis- qu'on les a tous deux appelés pies. » IL LE ROUGE-QUEUE. Lanius Emeria. Latii. L'oiseau des Indes orientales indiqué et décrit par Albin sous le nom de rouge-queuc de Bengale. 11 est LE ROLMrE-QUEUE. 2'JJ de la même grandeur que la pie-grièche grise d'Eu- rope : le bec est d'un cendré brun ; l'iris des yeux est blanchâtre , le dessus et le derrière de la tête noirs : il y a au dessous des yeux une tache d'un rouge vif terminée de blanc , et sur le cou quatre taches noires en portion de cercles ; le dessus du cou , le dos, le croupion , les couvertures du dessus de la queue , celles du dessous des ailes, et les plumes scapulaires sont bruns; la gorge, le dessous du cou, la poitrine , le haut du ventre, les côtés, et les jambes sont blan- ches ; le bas du ventre et les couvertures du dessous de la €|ueue sont rouges ; la queue est d'un brun clair; les pieds et les ongles sont noirs. III. LE LANGRAIEN ET LE TCHA-CHERT. Lanius leucorynclios. Latii. et Lanius virulis. L. Les oiseaux envoyés de Manille et de Madagascar , le premier sous le nom de langraierij n^g, fig. i , et le second sous celui de tclia-ckert ^ n'' 02, fig. 2, que l'on a rapportés peut-être mal à propos au genre des pies-grièches, parce qu'ils en difl'èrent par un carac- tère essentiel, ayant les ailes, lorsqu'elles sont pliées, aussi longues que la queue ; tandis que toutes les autres pies-grièches, ainsi que les oiseaux étran- gers que nous y rapporterons, ont les ailes beaucoup plus courtes à proportion, ce qui pourroit faire croire que ce sont des oiseaux d'un autre genre : néanmoins, comme celui de Madagascar approche assez de l'espèce de notre pie-grièche grise , à cette diflérence près de 20L[ OISEAUX DE PROIE. la longueur des ailes, on pourroit le regarder comme fiiisant la nuance entre notre pie-grièche et cet oiseau de Manille , auquel il ressemble encore plus qu'à notre pie-grièche ; et comme nous ne connoissons aucun genre d'oiseaux auquel on puisse rapporter directe- ment cet oiseau de Manille, nous avons suivi le sen- timent des autres naturalistes, en lui donnant le nom de pie-grièche,, aussi bien qu'à celui de Madagascar : mais nous avons cru devoir ici marquer nos doutes sur la justesse de cette dénomination. IV. LES BÉCARDES. Lamas cyaneus, Gmel. Les oiseaux envoyés de Cayenne, le premier, n" 5o4? sous le nom de pie-grièche grise _, et le second sous ce- lui de pie-grièche tachetée^ qui sont d'une espèce diffé- rente de nos pies-grièches d'Europe , et que nous avons cru devoir appeler bccardeSjf à cause de la grosseur et de la longueur de leur bec , qu'ils ont aussi de couleur rouge. Ces bécardes diffèrent encore de nos pies-griè- ches, en ce qu'elles ont la tête toute noire, et l'habi- tude du corps plus épaisse et plus longue : mais d'ail- leurs elles leur ressemblent plus qu'à tout autre oiseau. Au reste, l'une nous paroît être le mâle, et l'autre la femelle de la même espèce, sur laquelle nous obser- verons qu'il se trouve encore d'autres espèces sembla- bles par la grosseur du bec , dans ce même climat de Cayenne, et dans d'autres climats très éloignés, comme on va le voir dans les articles suivants. LA BECARDE A VENTRE JAUNE. '2,yj V. LA BÉCARDE A VENTRE JAUNE. Lanius suifuratus. Gmel. L'oiseau envoyé de Cayenne sous le nom de pie- gr ih c lie jaune j qui , par son long bec, nous paroît être d'une espèce assez voisine de la précédente , et que , par cette raison , nous avons appelé la bécarde à ventre jaune j, n** 296; car elle ne dilFère guère que par les couleurs : les planches enluminées suffiront pour les faire reconnoître et distinguer aisément l'une de l'autre. VI. LE VANGA, ou BÉCARDE A YENTRE BLANC. Lanius curvirostris. Gmel. L'oiseau envoyé de Madagascar par M. Poivre , sous le nom de rangaj, n° 228, et qui, quoique différent, par l'espèce, de nos pies-grièches et de nos écor- cheurs, peut-être même étant d'un autre genre, a néanmoins plus de rapport avec ces oiseaux qu'avec aucun autre : c'est pour cette raison que nous l'avons nommé , sur les planches enluminées , pie-grlhclie ou ecorclieur de Madagascar. ^L^is on pourroit, à plus juste titre , le rapporter au genre des bécardes dont nous venons de parler, et l'appeler bécarde à ventre blanc. 256 OISEAUX DE PROIE. VIT. LE SCHET-BÉ. Lanlus rufus. Latii. L'oiseau envoyé de Madagascar par M. Poivre , sous le nom de sc/iet-bé j, n*" 298, fig. 2, et dont l'espèce nous paroît si voisine de la précédente qu'on pour- roit les regarder toutes deux comme n'en faisant qu'une , si le climat de Cayenne n'étoit pas aussi éloi- gné qu'il est de celui de Madagascar. INous avons ap- pelé cet oiseau ple-grlèclie rousse de Madagascar^ par la môme raison que nous avons appelé le précédent pie-grièche jaune de Cayenne ; et il faut avouer que cette pie-grièclie rousse de Madagascar approche un peu plus que celle de Cayenne, de nos pies-grièches d'Europe, parce qu'elle a le bec plus court, et par conséquent différent de celui de nos pies-grièches d'Europe : au reste , ces deux espèces étrangères sont pkis voisines l'une de l'autre que de nos pies-grièches d'Europe. VIJI. LE ÏCHA-CHERT-BÉ. Lcuùiis leucocephalus. Lath. L'oiseau envoyé de Madagascar par M. Poivre, sous le nom de tclia-chert-bé , et que nous avons nommé, au bas de nos planches enluminées, grande pie-grièche verddtrCjf u" 074 , et qui ne nous paroit être qu'une LE TCHA-CHERT-BÉ. '2ô'J espèce très voisine, ou même une variété d'âge ou de sexe dans j'espèce précédente, dont elle ne diflfère guère que parce qu elle a le bec un peu plus court et moins crochu, et les couleurs un peu différemment distribué. Au reste , ces cinq oiseaux étrangers et à gros bec , savoir, la pie-grièche grise, et la pie-grièche jaune de Cayenne, la pie-griècbe rousse, l'écorcheur, et la pie-griècbe verdatre de Madagascar, pourroient bien faire un petit genre à part, auquel nous avons donné le nom de bécardeSj à cause de la graneleur et de la grosseur de leur bec , parce que , dans le réel , tous ces oiseaux diffèrent assez des pies-grièches pour devoir en être séparés. IX. LE GONOLEK. Lnnius barbarus. Gmel. L'oiseau qui nous a été envoyé du Sénégal par ^1. Adanson, sous le nom de pie-grièche rouge du Sé- né gai ^ et que les nègres, dit-il, appellent gonolek^ n" 56, c'est-à-dire mangeur d'insectes. C'est un oi- seau remarquable par les couleurs vives dont il est peint; il est à peu près de la môme grandeur que la pie-griècbe d'Europe , et n'en diffère, pour ainsi dire, que par les couleurs, qui néanmoins suivent dans leur distribution à peu près le même ordre que sur la pie-griècbe grise d'Europe : mais, comme les cou- leurs en elles-mêmes sont très différentes, nous avons cru devoir regarder cet oiseau comme étant d'une espèce difféi^ente. '2ô3 OISEAUX DE PROIE. X, LE CALI-CALIG et LE BRUIA. Lanius Madagascariensis. Latu. L'oiseau envoyé de Madagascar par M. Poivre, tant le mâle que la femelle, le premier sous le nom de ca/i-calic, et le second sous celui de l)rida_, n" 229, fig. 1 , le mâle, et fig. 2, la femelle, cpie l'on peut rapporter au genre de notre écorcheur d'Europe, à cause de sa petitesse, mais qui du reste en diffère as- sez pour être regardé comme un oiseau d'espèce dif- férente. XI. PIE-GRIÈGHE HUPPÉE. Lanius Canadensis. Latu. L'oiseau envoyé du Canada, sous le nom de ple- grièclic huppée^, n** 4;^? ^'g- ^? ^^ ^P" porte en effet, sur le sommet de la tête , une huppe molle et de plumes longuettes qui retombent en arrière; mais qui du reste est une vraie pie-grièche, et assez sem- blable à notre pie-grièche rousse par la disposition des couleurs, pour qu'on puisse la regarder comme une espèce voisine qui n'en diffère guère que par les caractères de cette huppe, et du bec, qui est un peu phis gros \\\VV\WV\'VVVV\\V>W\V\VV\\VV'\\A/\VWV\W»VVVWWVWVV\WVVWVWVV\VV\\ WvVXVVwVV «.\ WVVX'O OISEAUX DE PROIE NOCTURNES. Les yeux de ces oiseaux sont d'une sensibilité si grande, qu'ils paroissent être éblouis par la clarté du jour, et entièrement ofi'usqués par les rayons du so- leil; il leur faut une lumière plus douce, telle que celle de l'aurore naissante ou du crépuscule tombant: c'est alors qu'ils sortent de leurs retraites pour chas- ser, ou plutôt pour chercher leur proie, et ils font cette quête avec grand avantage ; car ils trouvent dans ce temps les autres oiseaux et les petits animaux endormis, ou prêts à l'être. Les nuits où la lune brille sont pour eux les beaux jours, les jours de plaisir, les jours d'abondance , pendant lesquels ils chassent plusieurs heures de suite , et se pourvoient d'amples provisions : les nuits où la lune fait défaut sont beau- coup moins heureuses; ils n'ont guère qu'une heure le soir et une heure le matin pour chercher leur sub- sistance ; car il ne faut pas croire que la vue de ces oiseaux, qui s'exerce si parfaitement à une foible lu- mière, puisse se passer de toute lumière, et qu'elle perce en effet dans l'obscurité la plus profonde; dès que la nuit est bien close, ils cessent de voir et ne diflèrent pas à cet égard des autres animaux tels que les lièvres, les loups, les cerfs, qui sortent le soir 2(30 SUR LES OISEAUX des bois pour repaître ou chasser pendant la nuit : seulement ces animaux voient encore mieux le jour que la nuit; au lieu que la vue des oiseaux nocturnes est si fort offusquée pendant le jour, qu'ils sont obli- gés de se tenir dans le même lieu sans bouger, et que, quand on les force à en sortir, ils ne peuvent faire que de très petites courses, des vols courts et lents, de peur de se heurter : les autres oiseaux, qui s'aper- çoivent de leur crainte ou de la gêne de leur situa- tion, viennent à l'envi les insulter; les mésanges, les pinsons, les rouges-gorges, les merles, les geais, les grives, etc., arrivent à la file : l'oiseau de nuit, perché sur une branche, immobile, étonné, entend leurs mouvements, leurs cris qui redoublent sans cesse, parce qu'il n'y répond que par des gestes bas , en tournaat sa tête, ses yeux, et son corps, d'un air ri- dicule ; il se laisse même assaillir et frapper sans se défendre; les plus petits, les plus foihles de ses enne- mis sont les plus ardents à le tourmenter, les plus opi- niâtres à le huer. C'est sur cette espèce de jeu de mo- querie ou d'antipathie naturelle qu'est fondé le petit art de la pipée ; il suffit de placer un oiseau nocturne, ou même d'en contrefaire la voix, pour faire arriver les oiseaux à l'endroit où l'on a tendu les gluaux ^; il faut s'y prendre une heure avant la fin du jour pour que cette chasse soit heureuse; car, si l'on attend plus tard, ces mêmes petits oiseaux, qui viennent 1. Cette espèce de cliassc étoit connue des anciens , car Arislole l'indique clairement dans les termes suivants : Die cœterœ nvicidœ om- nes nuctuam circitmvoiant, cjiwd rniravi vocatar, advotantcsfj ue percutiunt . Ouapropter eà constitatd avicularum gênera et varia multa capiuiit. (Hist. anim., tib. IX, cap. i.) DE PROIE NOCTURNES. '261 pendant le jour provoquer l'oiseau de nuit avec au- tant d'audace que d'opiniâtreté, le fuient et le redou- tent dès que l'obscurité lui permet de se mettre en mouvement et de déployer ses facultés. Tout cela doit néanmoins s'entendre avec certaines restrictions qu'il est bon d'indiquer, i" Toutes les es- pèces de hiboux et de chouettes ne sont pas égale- ment offusquées par la lumière du jour : le grand duc voit assez clair pour voler et fuir à d'assez grandes distances en plein jour; la chevêche, ou la plus pe- tite espèce de chouette, chasse, poursuit, et prend des petits oiseaux long- temps avant le coucher et après le lever du soleil. Les voyageurs nous assurent que le grand duc ou hibou de l'Amérique septentrio- nale prend les gelinottes blanches en plein jour, et même lorsque la neige en augmente encore la lu- mière. Beîon dit très bien dans son vieux langage, que quiconque prendra garde à la vue de ces oiseaux _, ne la trouvera pas si imbécllle qu'on la crie. 2** Il paroît que le hibou commun ou moyen duc voit plus mal que le scops ou petit duc, et que c'est de tous les hi- boux celui qui est le plus offusqué par la lumière du jour, comme le sont aussi le chat-huant, l'effraie, et la hulotte; car on voit les oiseaux s'attrouper égale- ment pour les insulter à la pipée. Mais, avant de don- ner les faits qui ont rapport à chaque espèce en par- ticulier, il faut en présenter les distinctions générales. On peut diviser en deux genres principaux les oi- seaux de proie nocturnes, le genre du hibou et celui de la chouette, qui contiennent chacun plusieurs es- pèces différentes : le caractère distinctif de ces deux genres c'est que tous les hiboux ont deux aigrettes IJllPî'0>'. XIX. 26'2 SUR LES OISEAT X Je plumes en forme d'oreilles, droite de chaque côté de la tète ^, tandis que les chouettes ont la tête ar- rondie, sans aiojrettes, et sans aucune plume proémi- nente. Nous réduirons à trois les espèces contenues dans le genre du hibou; ces trois espèces sont, i'* le duc ou grand duc, 2*" le hibou ou moyen duc, 5° le scops ou petit duc : mais nous ne pouvons réduire à moins de cinq les espèces du genre de la chouette ; et ces espèces sont, i° la hulotte ou huette, 2° le chat- huant, 5" l'effraie ou fresaie, 4** la chouette ou grande chevêche, 5** la chevêche ou petite chouette. Ces huit espèces se trouvent toutes en Europe et même en France : quelques unes ont des variétés qui paroissent dépendre de la différence des climats; d'autres ont des représentants dans le nouveau continent : la plu- part des hiboux et des chouettes de l'Amérique ne diffèrent pas assez de celles de l'Europe pour qu'on ne puisse leur supposer une même origine. Aristote fait mention de douze espèces d'oiseaux qui voient dans l'obscurité et volent pendant la nuit; et comme dans ces douze espèces il comprend l'or- fraie et le tette-chèvre ou crapaud volant, sous les noms de pliinis et d'cvgotilas^ et trois autres sous les noms de caprlceps^ de chalcis^ et de cliaradrloSj, qui sont du nombre des oiseaux pêcheurs et habitants des marais ou des rives des eaux et des torrents, il paroît qu'il a réduit à sept espèces tous les hiboux et toutes les chouettes qui étoient connues en Grèce de son temps. Le hibou ou moyen duc, qu'il appelle otos^ ottiSj précède et conduit , dit-il, les cailles, lors- 1. Ces oiseaux peuvent remuer et faire baisser ou élever ces aigret- tes à volonté. DE TROIE NOCTURNES. 267) qu elles partent pour changer de climat ; et c'est par cette raison qu'on appelle cet oiseau dux ou duc. L'é- tymologie me paroît sûre; mais le fait est plus qu'in- certain. Il est vrai que les cailles, qui, lorsqu'elles partent en automne, sont surchargées de graisse, ne volent guère que la nuit, et qu'elles se reposent pen- dant le jour à l'omhre pour éviter la chaleur, et que par conséquent on a pu s'apercevoir que le hibou ac- compagnoit ou précédoit quelquefois ces troupes de cailles : mais il ne paroît par aucune observation, par aucun témoignage bien constaté, que le hibou soit, comme la caille, un oiseau de passage; le seul fait que j'aie trouvé dans les voyageurs qui aille à l'appui de cette opinion, est dans la préface de Y Histoire natu- relle de la Caroline parCatesby. Il dit qu'à vingt-six de- grés de latitude nord, à peu près entre les deux con- tinents d'Afrique et d'Amérique, c'est-à-dire à six cents lieues environ de l'un et de l'autre, il vit, en al- lant à la Caroline, un hibou au dessus du vaisseau où il étoit : ce qui le surprit d'autant plus que ces oiseaux, ayant les ailes courtes, ne peuvent voler fort loin, et sont aisément lassés par les enfants; ce qui arrive tout au plus à la troisième volée. Il ajoute que ce hibou disparut après avoir fait des tentatives pour se reposer sur le vaisseau. On peut dire, en faveur du fait, que tous les hi- boux et toutes les chouettes n'ont pas les ailes cour- tes, puisque, dans la plupart de ces oiseaux, elles s'é- tendent au delà de l'extrémité de la queue, et qu'il n'y a que le grand duc et le scops^ ou petit duc, dont les ailes, lorsqu'elles sont pliées, n'arrivent pas jus- qu'au bout de la queue. D'ailleurs on voit, ou plutôt 9.64 ^^I*^ ^-^'^ OISEAUX OU entend, tous ces oiseaux faire d'assez longs vols en criant : dès lors il semble que la puissance de voler au loin pendant la nuit leur appartient aussi bien qu'aux autres, mais que, n'ayant pas d'aussi bons yeux et ne voyant pas de loin , ils ne peuvent se former un tableau d'une grande étendue de pays, et que c'est par cette raison qu'ils n'ont pas , comme la plupart des autres oiseaux, l'instinct des migrations, qui suppose ce tableau, pour se déterminer à faire de grands voya- ges. Quoi qu'il en soit, il paroi t qu'en général nos hi- boux et nos chouettes sont assez sédentaires : on m'en a apporté de presque toutes les espèces, non seule- ment en été, au printemps, en automne, mais même dans les temps les plus rigoureux de l'hiver : il n'y a que le scopSj, ou petit duc, qui ne se trouve pas dans cette saison; et j'ai été en effet informé que cette pe- tite espèce de hibou part en automne et arrive au printemps. Ainsi ce seroit plutôt au petit duc qu'au moyen duc qu'on pourroit attribuer la fonction de conduire les cailles; mais, encore une fois, ce fait n'est pas prouvé : et de même je ne sais pas sur quoi peut être fondé un autre fait avancé par Aristote, qui dit que le chat-huant [glaux^ noctiia^ selon son inter- prète Gaza ^ ) se cache pendant quelques jours de suite ; car on m'en a apporté dans la plus mauvaise sai- son de l'année, qu'on avoit pris dans les bois : et si l'on prétendoit que le mot glaiix, noctua^ indique ici Teffraie , le fait seroit encore moins vrai ; car, à l'ex- ception des soirées très sombres et pluvieuses, on l'en- tend tous les jours de l'année souffler et crier à l'heure du crépuscule. K Hist. anim., lib. VIII , cap. 16. DE PII OIE NOCTURNES. 26 J Les douze oiseaux de nuit indiqués par Aristote, sont : 1 byasj, 2 otoSj 5 scops^ 4 plmis^ 5 œgotilas^ 6 eleoSj, 7 nycticorax ^ 8 œgolloSj, 9 glaiix^ 10 cltara- dr'ios j, 11 c kakis y 12 ccgoceplialos^ traduits en latin par Théodore Gaza : 1 Buboj 2 otuSj, 5 asiOj, 4 ossifraga_f 5 caprimulgus^ 6 cUiicOj, 7 cicwiiaj clciima^, ulula j, 8 ulula ^ 9 noctua., 10 cliaradrlusy 11 clialclSj 12 capriccps. J'ai cru devoir interpréter en françois les neuf pre- miers comme il suit : 1 Le duc ou grand duCj, 2 le hibou ou moyen duc „ 5 le petit ^/f/tj 4 ^'orfraiCj, 5 le tette-clièvre ou crapaud volant^ 6 Veffraie ou fresaie_, 7 la hulotte^ 8 la chouette ou grande chevêchcj, 9 le chat-huant. Tous les naturalistes et les littérateurs conviendront aisément avec moi, 1° que le />jy/5 des Grecs, ^r//'^^ des Latins, est notre duc ou grand duc; 2** que Votos des Grecs, o?/:/s des Latins, est notre hibou ou moyen duc ; S"* que le scops des Grecs, asio des Latins, est notre petit duc ; l^" que le phinis des Grecs, ossifraga des Latins, est notre orfraie ou grand aigle de mer; 5** que Vœgotilas des Grecs, caprimulgus des Latins, est notre tette-chèvre ou crapaud volant ; 6" que Veleos des Grecs, aluco des Latins, est notre eflraie ou fre- saie : mais ils me demanderont en môme temps par quelle raison je prétends que le glaux est notre chat- huant, le nycticorax notre hulotte, et VœgoUos notre chouette ou grande chevêche; tandis que tous les in- terprètes et tous les naturalistes qui m'ont précédé ont attribué le nom œgolios à la hulotte, et qu'ils sont forcés d'avouer qu'ils ne savent à quel oiseau rappor- ter celui de nycticorax j, non plus que ceux du clwra- 266 SUn LES OISEAUX drioSj, du chaicisj et du capriceps^ et qu'on ignore ab- solument quels peuvent être les oiseaux désignés par ces noms ; et enfin ils me reprocheront que c'est mal à propos que je transporte aujourd'hui le nom de glaux au chat-huant, tandis qu'il appartient de tous temps, c'est-à-dire du consentement de tous ceux qui m'ont précédé, à la chouette ou grande chevêche, et même à la petite chouette ou chevêche proprement dite, comme à la grande. levais leurexposer les raisons qui m'ont déterminé, et je les crois assez fondées pour les satisfaire, et pour éclaircir l'obscurité qui résulte de leurs doutes et de leurs fausses interprétations. De tous les oiseaux de nuit dont nous avons fait Ténumération, le chat-huant est le seul qui ait les yeux bleuâtres, et la hulotte la seule qui les ait noirâtres ; tous les autres ont l'iris des yeux d'un jaune couleur d'or, ou du moins couleur de safran. Or les Grecs, dont j'ai souvent admiré la justesse de discernement et la précision des idées par les noms qu'ils ont imposés aux objets de la nature, et qui sont toujours relatifs à leurs caractères dis- tinctifs et frappants, n'auroient eu aucune raison de donner le nom de glaux [glaucus)^ vert de mer ou bleuâtre , à ceux de ces oiseaux qui n'ont rien de bleuâtre, et dont les yeux sont noirs, ou orangés, ou jaunes; et ils auront avec fondement imposé ce nom à l'espèce de ces oiseaux qui , parmi toutes les autres, est la seule en effet qui ait les yeux de cette couleur bleuâtre. De même ils n'auront pas appelé nyct'icorax^ c'est-à-dire corbeau de nuit, des oiseaux qui, ayant les yeux jaunes ou bleus, et le plumage blanc ou gris, n'ont aucun rapport au corbeau, et ils auront donné. Di*: PKOIE NOCTLRNES. 267 avec juste raison, ce nom à la hulotte, qui est la seule tle tous les oiseaux nocturnes qui ait les yeux noirs et le plumage aussi presque noir, et qui de plus ap- proche du corbeau plus qu'aucun autre par sa grosseur. 11 y a encore une raison de convenance qui ajoute à la vraisemblance de mon interprétation ; c'est que le iiycticorax chez les Grecs, et même chez les Hé- breux, étoit un oiseau commun et connu, puisqu'ils en empruntoient des comparaisons [siciit nyctlcorax in domlclUo ) : il ne faut pas s'imaginer, comme le croient la plupart de ces littérateurs, que ce fût un oiseau si solitaire et si rare, qu'on ne puisse aujour- d'hui en retrouver l'espèce. La hulotte est partout assez commune ; c'est de toutes les chouettes la plus grosse, la plus noire, et la plus semblable au corbeau: toutes les autres espèces en sont absolument diffé- rentes. Je crois donc que cette observation, tirée de la chose môme, doit avoir plus de poids que l'autorité de ces commentateurs, qui ne connoissent pas assez la nature pour en bien interpréter l'histoire. Or, le glaux étant le chat-huant, ou, si l'on veut, la chouette aux yeux bleuâtres, et le nycticorax étant la hulotte ou chouette aux yeux noirs, Vœgolios ne peut être autre que la chouette aux yeux jaunes : ceci mérite encore quelque discussion. Théodore Gaza traduit le mot nyctlcorax j, d'abord par clcuma^ ensuite par ulula ^ et enfin par cicunia. Cette dernière interprétation n'est vraisemblable- ment qu'une faute des copistes, qui de clcuma ont fait cicunia : car Festus, avant Gaza, avoit également traduit nycticorax par cicuma^ et Isidore par cecuma^ et quelques autres par cccua; c'est même à ces noms ^6S SUR LES OÏSEALX qu'on pourroil rapporter l'étymologie des mots zueta en italien, chouette en françois. Si Gaza eût fait atten- tion aux caractères du nycticorax ^ il s'en seroit tenu à sa seconde interprétation ulala_, et il n'eût pas fait double emploi de ce terme; car il eût alors traduit œgollos par cicuma. Il me paroît donc, par cet examen comparé de ces différents objets et par ces raisons critiques, que le glaux est le cliat-huant, le iiycti- corax la hulotte, et Vœgolios la chouette ou grande chevêche. I! reste le charadrios ^ le cludcis ^ et le capriceps. Gaza ne leur donne point de noms latins particuliers, et se contente de copier le mot grec , et de les indi- quer par charadrluSy clialcis^ et capriceps. Comme ces oiseaux sont d'un genre différent de ceux dont nous traitons, et que tous trois paroissent être des oiseaux de marais et habitent le bord des eaux, nous n'en ferons pas ici plus ample mention; nous nous réser- vons d'en parler lorsqu'il sera question des oiseaux pêcheurs, parmi lesquels il y a, comme dans les oi- seaux de proie , des espèces qui ne voient pas bien pendant le jour, et qui ne pèchent que dans le temps où les hiboux et les chouettes chassent, c'est-à-dire lorsque la lumière du jour ne les offusque plus. En nous renfermant donc dans le sujet que nous trai- tons, et ne considérant à présent que les oiseaux du genre des hiboux et des chouettes, je crois avoir donné la juste interprétation des mots grecs qui les désignent tous; il n'y a que la seule chevêche ou pe- tite chouette dont je ne trouve pas le nom dans cette langue. Aristote n'en fait aucune mention nulie part, et il y a grande apparence qu'il n'a pas distingué cette DE PIIOIJ:; NOCTURNES. ^269 petite espèce de chouette de celle du scopSj, ou petit duc, parce qu'elles se ressemblent en eflet par la grandeur, la forme, la couleur des yeux, et qu'elles ne diffèrent essentiellement que par la petite plume proéminente que le scops porte de chaque côté de la tète , et dont la chevêche ou petite chouette est dé- nuée : mais toutes ces différences particulières seront exposées plus au long dans les articles suivants. Adrovande remarque avec raison que la plupart des erreurs en histoire naturelle sont venues de la confusion des noms, et que, dans celle des oiseaux nocturnes, on trouve l'obscurité et les ténèbres de la nuit. Je crois que ce que nous venons de dire pourra les dissiper en grande partie. Nous ajouterons, pour achever d'éclaircir cette matière, quelques au- tres remarques : le nom alcj eule en allemand, oivl^ lioulet en anglois, liuette^ hulotte en françois, vient du latin ulula; et celui-ci vient du cri de ces oiseaux nocturnes de la grande espèce. Il est très vraisem- blable, comme le dit M. Frisch, qu'on n'a d'abord nommé ainsi que les grandes espèces de chouettes ; mais que les petites leur ressemblant par la forme et par le naturel, on leur a donné le môme nom , qui dès lors est devenu un nom général et commun à tous ces oiseaux : de là la confusion à laquelle on n'a qu'imparfaitement remédié, en ajoutant à ce nom gé- néral une épithète prise du lieu de leur demeure ou de leur forme particuHère, ou de leurs différents cris; par exemple, stein-cule en allemand, chouette des rochers, qui est notre chouette ou grande chevêche ; hirc/i-eule en allemand, cimrcli-oivl en anglois, chouette des églises ou des clochers en françois, qui est notre 270 SUR LES OISEAUX effraie, qu'on a aussi appelée scldeyer-eule, chouette voilée; perl-eide^ chouette perlée ou marcjuée de pe- tites taches rondes; orli-eale en allemand, Iwrn-owl en anglois, chouette ou hibou à oreilles en françois, qui est notre hibou ou moyen duc; knapp-cule ^ chouette qui fait avec son bec le bruit que l'on lait en cassant une noisette, ce qui néanmoins ne peut désigner aucune espèce particulière, puisque toutes les grosses espèces de hiboux et de chouettes font ce même bruit avec leur bec. Le nom bubOj que les La- tins ont donné à la plus grande espèce de hibou, c'est- à-dire au grand duc , vient du rapport de son cri avec le mugissement du bœuf; et les Allemands ont dési- gné le nom de l'animal par le cri même, ulm [ouliou] pulm [pouliou]. Les trois espèces de hiboux et les cinq espèces de chouettes que nous venons d'indiquer par des déno- minations précises et par des caractères aussi précis, composent le genre entier des oiseaux de proie noc- turnes ; ils diffèrent des oiseaux de proie diurnes : i** Par le sens de la vue, qui est excellent dans ceux- ci, et qui paroît fort obtus dans ceux-là, parce qu'il est trop sensible et trop affecté de l'éclat de la lu- mière : on voit leur pupille, qui est très large, se ré- trécir au grand jour d'une manière différente de celle des chats. La pupille des oiseaux de nuit reste toujours ronde et en se rétrécissant concentriquement , au lieu que celle des chats devient perpendiculairement étroite et longue. 2° Par le sens de l'ouïe : il paroît que ces oiseaux de proie nocturnes ont ce sens supé- rieur à tous les autres oiseaux, et peut-être même à tous les animaux; car ils ont, toute proportion gar- DE PROIE NOCTURNES. 2'J l liée, les conques des oreilles bien plus grandes qu'au- cun des animaux; il y a aussi plus d'appareil el de mouvement dans cet organe , qu'ils sont maîtres de fermer et d'ouvrir à volonté, ce qui n'est donné à au- cun animal. 5° Par le bec, dont la base n'est pas, comme dans les oiseaux de proie diurnes, couvertes d'une peau lisse et nue, mais au contraire garnie de plumes tournées en devant; et de plus, ils ont le bec court et mobile dans ses deux parties, comme le bec des perroquets; et c'est par la facilité de ces deux mouvements qu'ils font si souvent craquer leur bec, et qu'ils peuvent aussi l'ouvrir assez pour prendre de très gros morceaux, que leur gosier, aussi ample, aussi large que l'ouverture de leur bec, leur permet d'avaler tout entiers. 4** Par les serres, dont ils ont un doigt antérieur de mobile, et qu'ils peuvent à volonté retourner en arrière ; ce qui leur donne plus de fer- meté et de facilité qu'aux autres pour se tenir per- cbés sur un seul pied. 5" Par leur vol, qui se fait en culbutant lorsqu'ils sortent de leur trou, et toujours de travers et sans aucun bruit, comme si le vent les emportoit. Ce sont là les différences générales entre ces oiseaux de proie nocturnes et les oiseaux de proie diurnes, qui, comme l'on voit, n'ont, pour ainsi dire, rien de semblable que leurs armes, rien de commun que leur appétit pour la chair et leur goût pour la ra- pine. '2^2 OISEAUX DE TROIE. 5-ê'«<*«sâ-S«-o«i*S<*8j&8>g.8««,s.3^,8;«^i LE DUC ou GRAND DUC. Strix Bubo. L. Les poètes ont dédié l'aigle à Jupiter, et le duc ^ à Junon : c'est en effet l'aigle de la nuit, et le roi de cette tribu d'oiseaux qui craignent la lumière du jour et ne volent que quand elle s'éteint. Le duc paroît être, au premier coup d'œil, aussi gros, aussi fort que l'aigle commun; cependant il est réellement plus pe- tit, et les proportions de son corps sont toutes diffé- rentes : il a les jambes, le corps, et la queue plus courtes que l'aigle, la tête beaucoup plus grande, les ailes bien moins longues, l'étendue du vol ou l'enver- gure n'étant que d'environ cinq pieds. On distingue aisément le duc à sa grosse figure, à son énorme tête, aux larges et profondes cavernes de ses oreilles, aux deux aigrettes qui surmontent sa tête, et qui sont éle- vées de plus de deux pouces et demi ; à son bec court, noir, et crochu; à ses grands yeux fixes et transpa- rents; à ses larges prunelles noires et environnées d'un cercle de couleur orangée ; à sa face entourée de poil, ou plutôt de petites plumes blanches et décom- 1. En latin, bubo; en italien, duco , dugo; en espagnol, ba/io; en allemand, uhu, liuliu, schuffut, bliu, beighu , liuliuy , kub , hiio, pack; en anglois, great horn-owl^ eagle-oivl. On l'appelle aussi en françois , gy^and hibou cornu; en quelques endroits de l'Italie, barbagianni; en quelques endroits de la France, barbaian. 2. Numéros /<55 et 585. Pl.liS TOTTI-Ç Paaquet scuia . l.LE GFLAJ\Ï)DUC_2.LE>HIB0C:__3.I.E SCOPS . LE DUC OU GRAND DUC. 2-^3 posées, qui aboutissent à une circonférence d'autres petites plumes frisées; à ses ongles noirs, très forts, et très crochus; à son cou très court; à son plumage (l'un roux brun taclié de noir et de jaune sur le dos, et de jaune sur le ventre, marqué de taches noires et traversé de quelques bandes brunes, mêlées assez confusément; à ses pieds couverts d'un duvet épais et de plumes roussatres jusqu'aux ongles^; enfin à son cri effrayant ^ ImllioUy koulioUj, boulioti^ pouliou„ qu'il fait retentir dans le silence de la nuit, lorsque tous les autres animaux se taisent; et c'est alors qu'il les éveille, les inquiète, les poursuit, et les enlève, ou les met à mort pour les dépecer et les emporter dans les cavernes qui lui servent de retraite : aussi n'habite-t-il que les rochers ou les vieilles tours abandonnées et situées au dessus des montagnes. Il descend rarement dans les plaines, et ne se perche pas volontiers sur les arbres, mais sur les églises écartées et sur les vieux châteaux. Sa chasse la plus ordinaire sont les jeunes 1. La femelle ne difTère du mâle qu'en ce que les plumes sur le corps, les ailes, et la queue, sont d'une couleur pins sombre. 2. Voici ce que rapporte M. Frisch au sujet des différents cris du puhti. scitii/fut ou grand duc, qu'il a long-temps gardé vivant. « Lors- » qu'il avoit faim, dit cet auteur, il formoit un son assez semblable » à celui qui exprime so!i nom (en aWcm^nd puhu) pouhou. horsqnil •) entcndoit tousser ou cracher un vieillard, il commençoit très haut et » très fort, à peu près du ton d'un paysan ivre qui éclate en riant, et » il faisoit durer son cri oiiliou ou pou/ioii autant qu'il pouvoit être de » temps sans reprendre haleine. Il m'a paru, ajoute ^I. Frisch, que » cela arrivoit lorsqu'il étoit en amour, et qu'il prenoit ce bruit qu'un » homme fait en toussant pour le cri de sa femelle : mais , quand il « crie par angoisse ou de peur, c'est un cri très désagréable , très fort, » et cependant assez semblable à celui des oiseaux de proie diurnes. » (Traduit de l'allemand de Frisch , article du hiibo ou grand duc. ) î^74 OISEAUX DE PROIE. lièvres, les iapins, les taupes, les mulots, les souris, qu'il avale tout entières, et dont il digère la substance charnue, vomit le poil ^, les os, et la peau , en pelotes arrondies ; il mange aussi les chauve-souris , les ser- pents, les lézards, les crapauds, les grenouilles, et en nourrit ses petits : il chasse alors avec tant d'activité, que son nid regorge de provisions; il en rassemble plus qu'aucun autre oiseau de proie. On garde ces oiseaux dans les ménageries à cause de leur figure singulière : l'espèce n'en est pas aussi nombreuse en France que celle des autres hiboux, et il n'est pas sûr qu'ils restent au pays toute l'année ; ils y nichent cependant quelquefois sur des arbres creux, et plus souvent dans des cavernes de rochers, ou dans des trous de hautes et vieilles murailles : leur nid a près de trois pieds de diamètre, et est composé de petites branches de bois sec entrelacées de racines souples, et garnies de feuilles en dedans. On ne trouve 1. « J'ai eu deux fois , dit M. Friscli , des grands ducs vivants , et je » les ai conservés long-temps. Je les nourrissois de chair et de foie de » bœuf, dont ils avaloient souvent de fort gros morceaux. Lorsqu'on » jetoit des souris à cet oiseau, il leur brisoit les côtes et les autres os » avec son bec ; puis il les avaloit Tune après l'autre , quelquefois jus- B qu'à cinq de suite : au bout de quelques heures , les poils , les os se » rassembloient, se pelotonnoient dans son estomac par petites mas- » ses, après quoi il les ramenoit en haut et les rejetoit par le bec. Au » défaut d'autre pâture, il mangeoit toute sorte de poissons de rivière, « petits ot moyens; et, après avoir de même brisé et pelotonné les » arêtes dans son estomac . il les ramenoit le long de son cou et les » rejetoit par le bec. Il ne vouloit point du tout boire ; ce que j'ai » observé de quelques oiseaux de proie diurnes. » A la vérité , ces oi- seaux peuvent se passer de boire; mais cependant, quand ils sont à portée, ils boivent eu se cachant. Vojez sur cela l'article du Jean-le- blanc. LE DUC OT GRAND DUC. 2'^\1 souvent qu'un œuf ou deux dans ce nid, et rarement trois : la couleur de ces œufs tire un peu sur celle du plumage de l'oiseau; leur grosseur excède celle des œufs de poule. Les petits sont très voraces, et les pères et mères très habiles à la chasse, qu'ils font dans le silence et avec beaucoup plus de légèreté que leur grosse corpulence ne paroît le permettre; sou- vent ils se battent avec les buses, et sont ordinaire- ment les plus forts et les maîtres de la proie qu'ils leur enlèvent. ÎIs supportent plus aisément la lumière du jour c[ue les autres oiseaux de nuit; car ils sortent de meilleure heure le soir, et rentrent plus tard le matin. On voit quelquefois le duc assailli par des troupes de corneilles, qui le suivent au vol et l'envi- ronnent par milliers; il soutient leur choc, pousse des cris plus forts c|u'elles, et finit par les disperser, et souvent par en prendre quelqu'une lorsque la lumière du jour baisse. Quoiqu'ils aient les ailes plus courtes que la plupart des oiseaux de haut vol , ils ne laissent pas de s'élever assez haut, surtout à l'heure du cré- puscule ; mais ordinairement ils ne volent que bas et à de petites distances dans les autres heures du jour. On se sert du duc dans la fauconnerie pour attirer le milan : on attache au duc une c]ueue de renard, pour rendre sa figure encore plus extraordinaire; il vole à fleur de terre , et se pose dans la campagne, sans se percher sur aucun arbre; le milan, qui l'aperçoit de loin, arrive et s'approche du duc, non pas pour le combattre ou l'attaquer, mais comme pour l'admirer, et il se tient auprès de lui assez long-temps pour se laisser tirer par le chasseur, ou prendre par des oi- seaux de proie qu'on lâche à sa poursuite. La plupart ri-jG OISEAUX DE PROIE. des faisandiers tiennent aussi tlans leur faisanderie un duc qu'ils mettent toujours en cage sur des juchoirs, dans un lieu découvert, afin que les corbeaux et les corneilles s'assemblent autour de lui , et qu'on puisse tirer et tuer un plus grand nombre de ces oiseaux criards qui inquiètent beaucoup les jeunes faisans; et, pour ne pas effrayer les faisans, on tire les cor- neilles avec une sarbacane. On a observé, à l'égard des parties intérieures de cet oiseau, qu'il a la langue courte et assez large, l'es- tomac très ample, l'œil enfermé dans une tunique cartilagineuse en forme de capsule; et le cerveau re- couvert d'une simple tunique plus épaisse que celle des oiseaux, qui, comme les autres animaux quadru- pèdes, ont deux membranes qui recouvrent la cer- velle. Il paroît qu'il y a dans cette espèce une première variété qui semble en renfermer une seconde; toutes deux se trouvent en Italie, et ont été indiquées par Aldrovande : on peut appeler l'un le duc aux ailes noircsj et le second le duc aux pieds nus. Le premier ne diffère en effet du grand duc commun que parles couleurs, qu'il a plus brunes ou plus noires sur les ailes, le dos, et la queue; et le second, qui ressemble en entier à celui-ci par ses couleurs plus noires, n'en diffère que par la nudité tles jambes et des pieds, qui sont très peu fournis de plumes : ils ont aussi tous deux les jambes plus menues et moins fortes que le duc commun. Indépendamment de ces deux variétés qui se trou- vent dans nos climats, il y en a d'autres dans des cli- mats plus éloignés. Le duc blanc de Laponie, mar- LE DUC OU GRAND DUC. 277 que de taches noires, qu'indique Linnaeus, ne paroît être qu'une variété produite par le froid du nord. On sait que la plupart des animaux quadrupèdes sont naturellement blancs, ou le deviennent dans les pays très froids : il eu est de même d'un grand nombre d'oiseaux; celui-ci, qu'on trouve dans les montagnes de Laponie, est blanc, taché de noir, et ne diffère que par cette couleur du grand duc commun : ainsi on peut le rapporter à cette espèce comme simple va- riété. Comme cet oiseau craint peu le chaud et ne craint pas le froid, on le trouve également dans les deux continents, au nord et au midi; et non seulement on y trouve l'espèce même, mais encore les variétés de l'espèce. Le jacurutu du Brésil, décrit par Marcgrave, est absolument le même oiseau que notre grand duc commun. Celui qui nous a été apporté tles terres Ma- gellaniques, n*" 585, ne diffère pas assez du grand duc d'Europe pour en faire une espèce séparée. Celui qui est indiqué par l'auteur du Voyage à la baie de Hiid- so?ij, sous le nom de hibou couronné^ et par M. Ed- wards, sous le nom de duc de Virginie^ sont des va- riétés qui se trouvent en Amérique les mêmes qu'en Europe; car la différence la plus remarquable qu'il y ait entre le duc commun et le duc de la baie de Hudson et de Virginie c'est que les aigrettes partent du bec, au lieu de partir des oreilles. Or on peut voir de même, dans les figures des trois duc données par AIdrovande, qu'il n'y a que le premier, c'est-à-dire le duc commun, dont les aigrettes partent des oreilles, et que dans les autres, qui néanmoins sont des varié- tés qui se trouvent en Italie, les plumes des aigrettes CUFFOA'. XIX. 18 '2'jS OISEAUX DE PROIE. ne partent pas des oreilles, mais de la base du bec, comme dans le duc de Virginie, décrit par M. Ed- wards. Il me paroît donc que M. Klein a prononcé trop légèrement, lorsqu'il a dit que ce grand duc de Virginie étoit d'une espèce toute différente de l'espèce d'Europe, parce que les aigrettes partent du bec, au lieu que celles de notre duc partent des oreilles : s'il eût comparé les figures d'Aldrovande et celles de M. Edwards, il eût reconnu que cette même diffé- rence, qui ne fait qu'une variété, se trouve en Italie comme en Virginie, et qu'en général les aigrettes dans ces oiseaux ne partent pas précisément du bord des oreilles, mais plutôt du dessus des yeux et des parties supérieures à la base du bec. (=o»ei»t«8^»8'8*'e»>s^>a<>e<»8<»a4<>»cis^'g^«s^c«i»»8^>»9»»8e^ LE HIBOU ou MOYEN DUG\ Strix Otus. L. Le bibou^, oturj, ou moyen duc, a, comme le grand duc, les oreilles fort ouvertes, et surmontées d'une aigrette composée de six plumes tournées en avant ^ : mais ces aigrettes sont plus courtes que celles du grand 1. En latin, a$lo ou otus; en italien, gufo , barba gianni ; en espa- gnol, mocliuelo; en allemand, orh-eule ou raatz-eule , ohrreult, kautz- lein ; en anglois , horn-oivl. 9. Numéros 99 et /jyS. 5. Aldrovande dit avoir observé que chaque plume auriculaire qui compose l'aigrette peut se mouvoir séparément, et que la peau qui recouvre la cavité des orrilles naît de la partie intérieure la plus voisine do rcnil. T.i: llIBOU ou MOYEN DUC. 2'JÇ) duc, et n'ont guère plus d'un pouce de longueur : elles paroissentproportionnéesàsa taille, caril nepèse qu'en- viron dix onces, et n'est pas plus gros qu'une corneille : il forme donc une espèce évidemment différente de celle du grand duc, qui est gros comme une oie, et de celle du scops ou petit duc, qui n'est pas plus grand qu'un merle, et qui n'a au dessus des oreilles que des aigrettes très courtes. Je fais cette remarque, parce qu'il y a des naturalistes qui n'ont regardé le moyen et le petit duc que comme de simples variétés d'une seule et même espèce. Le moyen duc a environ un pied de longueur de corps, depuis le bout du bec jus- qu'aux ongles, trois pieds de vol ou d'envergure, et cinq ou six pouces de longueur de queue : il a le des- sus de la tête, du cou, du dos, et des ailes, rayé de gris, de roux et de brun; la poitrine et le ventre sont roux, avec des bandes brunes, irrégulières et étroites; le bec est court et noirâtre; les yeux sont d'un beau jaune ; les pieds sont couverts de plumes rousses jus- qu'à l'origine des ongles, qui sont assez grands et d'un brun noirâtre : on peut observer de plus qu'il a la langue cliarnue et un peu fourchue, les ongles très aigus et très tranchants , le doigt extérieur mobile et pouvant se tourner en arrière, l'estomac assez ample, la vésicule thi fiel très grande, les boyaux longs d'en- viron vingt pouces, les deux cœcum de deux pouces et demi de profondeur, et plus gros à proportion que dans les autres oiseaux de proie. L'espèce en est coin- mune et beaucoup plus nombreuse dans nos climats ^ 1. Il est plus commun en France et en Italie qu'en Angleterre. On ie trouve très fréquemment en Bourgogne , en Champagne , en So- logne , et clans les montagnes de FAuvergue, 2^0 OISEAUX DE PROIE. que celle du grand duc, qu'on n'y rencontre que ra- rement en hiver; au lieu que le moyen duc y reste toute l'année, et se trouve même plus aisément en hiver qu'en été : il hahite ordinairement dans les an- ciens bâtiments ruinés, dans les cavernes des rochers, dans le creux des vieux arbres, dans les forets en montagne , et ne descend guère dans les plaines. Lorsque d'autres oiseaux l'attaquent, il se sert très bien et des griffes et du bec ; il se retourne aussi sur le dos pour se défendre , quand il est assailli par un ennemi trop fort. Il paroît que cet oiseau, qui est commun dans nos provinces d'Europe, se trouve aussi en Asie; car Be- lon dit en avoir rencontré un dans les plaines de Ci- licie. Il y a dans cette espèce plusieurs variétés, dont la première se trouve en Italie , et a été indiquée par Aldrovande. Ce hibou d'Italie est plus gros que le hibou commun, et en diffère aussi par les couleurs : voyez et comparez les descriptions qu'il a faites de l'un et de l'autre. Ces oiseaux se donnent rarement la peine de faire un nid, ou se l'épargnent en entier; car tous les œufs et les petits qu'on m'a apportés ont toujours été trou- vés dans des nids étrangers, souvent dans des nids de pies, qui, comme l'on sait, abandonnent chaque an- née leur nid pour en faire un nouveau; quelquefois dans des nids de buses; mais jamais on n'a pu me trouver un nid construit par un hibou. Ils pondent ordinairement quatre ou cinq œufs; et leurs petits, qui sont blancs en naissant, prennent des couleurs au bout de quinze jours. LE HIBOU OU MOYEN DUC. 2S1 Comme ce hibou n'est pas fort sensible au froid, qu'il passe l'hiver dans notre pays, et qu'on le trouve en Suède comme en France, il a pu passer d'un con- tinent à l'autre. II paroît qu'on le retrouve en Canada et dans plusieurs autres endroits de l'Amérique sep- tentrionale^; il se pourroit même que le hibou de la Caroline, décrit par Catesby, et celui de l'Amérique méridionale, indiqué par le P. Feuillée^, ne fussent que des variétés de notre hibou , produites par la différence des climats, d'autant qu'ils sont à très peu près de la môme grandeur, et qu'ils ne diffèrent que par les nuances et la distribution des couleurs. On se sert du hibou et du chat-huant pour attirer les oiseaux à la pipée; et l'on a remarqué que les 2;ros oiseaux viennent plus volontiers à la voix du hibou , qui est une espèce de cri plaintif ou de gémissement grave et allongé, cowl^ cloud^ qu'il ne cesse de répéter pendant la nuit, et que les petits oiseaux viennent en plus grand nombre à celle du chat-huant, qui est une voix haute , une espèce d'appel , ho/io^ ho/io. Tous deux font pendant le jour des gestes ridicules et bouf- fons en présence des hommes et des autres oiseaux. Aristote n'attribue cette espèce de talent ou de pro- 1. Histoire de la Nouvetle-France, par Charlevoix, tome ÏII , p. 5fi. 2. Bubo ocro-cinereus , pectore macaloso. ( Feuillée , Observations physiques, p. 59, avec une figure.) Il paroît qu'on peut rapporter à ce hibou de l'Amérique méridionale , indiqué par le P. Feuillée , ce- lui dont Fernandès fait mention sous le nom de tecololt, qui se trouve au Mexique et à la Nouvelle-Espagne : mais ceci n'est qu'une vraisem- blance fondée sur les rapports de grandeur et de climat; car Fer- nandès n'a donné non seulement aucune figure des oiseaux dont il parle , mais même aucune description assez détaillée pour qu'on puisse le reconnoîlre. 2S'2 OISEAUX DE l'ROIE. priété qu'au hibou ou moyen duc, otus ; Pline la donne au scops, et appelle ces gestes bizarres motus satyricos ; mais ce scops de Pline est le même oiseau que Yotus dMristote ; car les Latins confondoient sous le même nom scops, Yotos et le scops des Grecs, le moyen duc et le petit duc, qu'ils réunissoient sous une seule espèce et sous le même nom , en se conten- tant d'avertir qu'il existoit néanmoins de grancls scops et de petits. C'est en effet au hibou, otuSj, ou moyen duc, qu'il faut principalement appliquer ce que disent les an- ciens de ces gestes bouffons et mouvements satiri- ques ; et comme de très habiles physiciens natura- listes ont prétendu que ce n'étoit point au hibou, mais à un autre oiseau d'un genre tout différent , qu'on appelle la demoiselle de Numldlej qu'il faut rapporter ces passages des anciens, nous ne pouvons nous dis- penser de discuter ici cette question , et de relever cette erreur. Ce sont MM, les anatomistes de l'Académie des Sciences qui, dans la description qu'ils nous ont don- née de la demoiselle de Numidie, ont voulu établir cette opinion , et s'exprimer dans les termes suivants : «L'oiseau, disent-ils, que nous décrivons, est appelé demoiselle de Numidie_, parce qu'il vient de cette pro- vince d'Afrique, et qu'il a certaines façons par les- quelles on a trouvé qu'il sembloit imiter les gestes d'une femme qui affecte de la grâce dans son port et dans son marcher, qui semble tenir souvent quelque chose de la danse. Il y a plus de deux mille ans que les naturalistes qui ont parlé de cet oiseau l'ont dé- signé par cette particularité do l'imitation des gestes LE HIBOU ou MOYEN DUC. 2S3 el des contenances de la femme. Aristote lui a donné le nom de bateleur ^ de danseur et de bouffon^ contre- faisant ce qu'il voit faire... Il y a apparence que cet oi- seau danseur et bouffon étoit rare parmi les anciens, parce c[ue Pline croit cju'il est fabuleux: en mettant cet animal, qu'il appelle satirique^ au rang des péga- ses, des griffons, et des sirènes, il est encore croyable qu'il a été jusqu'à présent inconnu aux modernes, puisqu'ils n'en ont point parlé comme l'ayant vu, mais seulement comme ayant lu dans les écrits des anciens la description d'un oiseau appelé scops et otus par les Grecs, et aslo par les Latins, à qui ils avoient dorme le nom de danseur^ de bateleur^, et de corné-- dieu; de sorte qu'il s'agit de voir si notre demoiselle de Numidie peut passer pour le scops et pour Votus des anciens. La description qu'ils nous ont laissée de Votus ou scops consiste en trois particularités remar- quables... la première est d'imiter les gestes... la se- conde est d'avoir des éminences de plumes aux deux côtés de la tète, en forme d'oreilles... et la troisième est la couleur du plumage, qu'Alexandre Myndien, dans Athénée, dit être de couleur de plomb : or la demoiselle de INumidie a ces trois attributs, et Aris- tote semble avoir voulu exprimer leur manière de danser, qui est de sauter l'une devant l'autre, lors- qu'il dit qu'on les prend quand elles dansent l'une contre l'autre. Belon croit néanmoins que Votus d'A- ristote est le hibou , par la seule raison que cet oi- seau, à ce qu'il dit, fait beaucoup de mines avec la tête. La plupart des interprètes d' Aristote, qui sont aussi de notre opinion, se fondent sur le nom à'otus^ qui signifie ayant des oreilles : mais ces espèces d'o- ^84 OISEAUX DE PROIE. reilles, dans ces oiseaux^ ne sont pas tout-à-fait par- ticulières au hibou; et Aristote fait assez voir que ïotus n'est pas le hibou, quand il dit que Votas res- semble au hibou, et il y a apparence que cette res- semblance ne consiste que dans ces oreilles. Toutes les demoiselles de Numidie que nous avons disséquées avoient aux côtés des oreilles ces plumes qui ont donné le nom à Yotus des anciens Leur plumage étoit d'un gris cendré, tel qu'il est décrit par Alexan- dre Myndien dans Votas. » Comparons maintenant ce qu 'Aristote dit de Votas-, avec ce qu'en disent ici MM. de l'Académie : Otus noctaœ similis estj, pinnalis clrciter aares eininentibas prœditaSj undè nomen aecepitj, qaasi aaritam dicas ; nonnalli eam alalam appellantj alii asionem. BLatero hic estj, et hallucinator^, et planipcs ; saltantcs enim imi- tatar, Capitar intentas in altero aacape^ altero cir- cameante ut noctaa. L'otaSj, c'est-à-dire le hibou ou moyen duc, est semblable au noctaa j, c'est-à-dire au chat-huant. Ils sont en efl'et semblables, soit par la grandeur, soit par le plumage, soit par toutes les ha- bitudes naturelles; tous deux ils sont oiseaux de nuit, tous deux du même genre et d'une espèce très voi- sine ; au lieu que la demoiselle de Numidie est six fois plus grosse et plus grande, d'une forme toute diffé- rente et d'un genre très éloigné, et qu'elle n'est point du nombre des oiseaux de nuit. Uottis ne dif- fère, pour ainsi dire, du noctaa que par les aigrettes de plumes qu'il porte sur la tète auprès des oreilles; et c'est pour distinguer l'un de l'autre qu'Aristote dit: Pinnalis circitcr aares eininentibas prœditas^ undè no- men accepitj, quasi aaritam dicas. Ce sont de petites LE HIBOU OL' 310 Y EN DUC :285 plumes, plnnulcVj, qui s'élèvent droites et en aigrettes auprès des oreilles, circ'iter aures eminentlbuSj, et non pas de longues plumes qui se rabattent et qui pen- dent de chaque côté de la tête, comme dans la de- moiselle de Numidie. Ce n'est donc pas de cet oiseau, qui n'a point d'aigrettes de plumes relevées et en forme d'oreilles, qu'a été tiré le nom de otuSj quasi aurltus : c'est, au contraire, du hibou, qu'on pourroit appeler noctiia aiirltay que vient évidemment ce nom ; et ce qui achève de le démontrer c'est ce qui suit immédiatement dans Aristote : NonnuUl eum [otmn) ulalam appellant^ aU'i aslonem. C'est donc un oiseau du genre des hiboux et des chouettes, puisque quel- ques uns lui donnoient ces noms : ce n'est donc point la demoiselle de Numidie, aussi différente de tous ces oiseaux qu'un dindon peut l'être d'un épervier. Rien , à mon avis, n'est donc plus mal fondé que tous ces prétendus rapports que l'on a voulu établir entre Votas des anciens et l'oiseau appelé demoiselle de Nu- midie_, et l'on voit bien que tout cela ne porte que sur les gestes et les mouvements ridicules que se donne la demoiselle de Numidie. Elle a en effet ces gestes bien supérieurement au hibou : mais cela n'empêche pas que celui-ci, aussi bien que la plupart des oiseaux de nuit, ne soit blatcro^ bavard ou criard^; hallucina- tovj se contrefaisant; planipeSj bouffon. Ce n'est en- core qu'au hibou qu'on peut attribuer de se laisser 1. M. Frisch, en parlant de ce hibou , dit que son cri est très fré- quent et fort, et qu'il ressemble aux huées des enfants, lorsqu'ils pour- suivent quelqu'un dont ils se moquent; que cependant ce cri est com- mun à plusieurs espèces de chouettes. ( Voyez Frisch , à l'article des Oiseaux nocturnes. ) 286 OISEAUX DE PKOIE. prendre aussi aisément que les autres chouelles , comme le dit Aristote, etc. Je poiirrois m'étendre encore plus sur cette critique, en exposant et compa- rant ce que dit Pline à ce sujet; mais en voilà plus qu'il n'en faut pour mettre la chose hors de doute, et pour assurer que Votos des Grecs n'a jamais pu dé- signer la demoiselle de INumidie, et ne peut s'appli- quer qu'à l'oiseau de nuit auquel nous donnons le nom de hibou ou moyen duc : j'observerai seulement que tous ces mouvements bouffons ou satlriqucSj, at- tribués au hibou par les anciens, appartiennent aussi à presque tous les oiseaux de nuit ^, et que, dans le fait, ils se réduisent à une contenance étonnée, à de fréquents tournements de cou, à des mouvements de tête en haut, en bas, et de tous côtés, à des craque- ments de bec, à des trépidations de jambes, et des mouvemeuts de pieds dont ils portent un doigt tantôt en arrière et tantôt en avant, et qu'on peut aisément remarquer tout cela en gardant quelques uns de ces oiseaux en captivité : mais j'observerai encore qu'il faut les prendre très jeunes lorsqu'on veut les nour- rir; les autres refusent toute la nourriture qu'on leur présente dès qu'ils sont enfermés. 1. Tous los hiboux peuvent tourner leur tête comme l'oiseau appelé torcol. Si quelque chose d'extraordinaire arrive, ils ouvrent de grands yeux, dressent leurs plumes, et paroissent une l'ois plus gros : ils étendent aussi les ailes, se baissent ou s'accroupissent; mais ils se re- lèvent promptement, comme étonnés : ils font craquer deux ou trois lois leur bec. ( Voyez Fi'isch , à l'article des Oiseaux nocturnes. ) LE SCOPS Oi; PETIT DUC. 287 LE SCOPS ou PETIT DUG\ iS?r«^ Scops. G3IEL. Voici la troisième et dernière espèce du genre des hiboux, c'est-à-dire des oiseaux de nuit qui portent des plumes élevées au dessus de la tête; et elle est aisée à distinguer des deux autres, d'abord par la pe- titesse même du corps de l'oiseau , qui n'est pas plus gros qu'un merle, et ensuite parle raccourcissement trèsmarc|ué de ces aigrettes qui surmontent les oreil- les, lescjuelles, dans cette espèce, ne s'élèvent pas d'un demi-pouce, et ne sont composées cjue d'une seule petite plume. Ces deux caractères suffisent pour distinguer le petit duc, n° 1^36, du moyen et du grand duc, et on le reconnoîtra encore aisément à la tète, qui est proportionnellement plus petite par rapport au corps cjue celle des deux autres, et encore à son plumage plus élégamment bigarré et plus distincte- ment tacheté que celui des autres : car tout son corps est très joliment varié de gris, de roux, de brun, et de noir; et ses jambes sont couvertes, juscju'à l'ori- gine des ongles, de plumes d'un gris roussâtre, mêlé de taches brunes. 11 diffère aussi des deux autres par le naturel ; car il se réunit en troupe en automne et au printemps, pour passer dans d'autres climats; il n'en reste que très peu, ou point du tout, en hiver dans 1. Eu laliii, asio; en italien , zivetta ou zuetta, alocliavcLlo , chivino; en allemand , stock-eule ; en anglois, Utile horn-owl. 2^S OISEAUX DE PROIE. nos provinces, et on les voit partir après les hiron- delles, et arriver à peu près en même temps. Quoi- qu'ils habitent de préférence les terrains élevés, ils se rassemblent volontiers dans ceux où les mulots se sont le phis mutipliés, et y font un grand bien par la destruction de ces animaux, qui se multiplient tou- jours trop, et qui, dans de certaines années, pullu- lent à un tel point, qu'ils dévorent toutes les graines et toutes les racines des plantes les plus nécessaires à la nourriture et à l'usage de l'homme. On a souvent vu, dans les temps de cette espèce de fléau , les petits ducs arriver en troupe, et faire si bonne guerre aux mulots, qii'enj'peu de jours ils en purgent la terre. Les hiboux ou moyens ducs se réunissent aussi quel- quefois en troupe de plus de cent ; nous en avons été informés deux fois par des témoins oculaires : mais ces assemblées sont rares, au lieu que celles des scops ou petits ducs se font tous les ans. D'ailleurs c'est pour voyager qu'ils semblent se rassembler, et il n'en reste point au pays ; au lieu qu'on y trouve des hiboux ou moyens ducs en tout temps : il est môme à pré- sumer que les petits ducs font des^ voyages de long cours, et qu'ils passent d'un continent à l'autre. L'oi- seau de la Nouvelle-Espagne indiqué par Nieremberg, sous le nom de talckicuatlij, est ou de la même espèce, ou d'une espèce très voisine de celle du scops ou pe- tit duc. Au reste, quoiqu'il voyage par troupes nom- breuses, il est assez rare partout, et difficile à pren- dre; on n'a jamais pu m'en procurer ni les œufs ni les petits, et on a même de la peine à l'indiquer aux chasseurs, qui le confondent toujours avec la chevê- che, parce que ces deux oiseaux sont à peu près de LE SCOPS OU PETIT DUC. 289 la même grosseur, et que les petites plumes emi- nentes qui distinguent le petit duc sont très courtes, et trop peu apparentes pour faire un caractère qu'on puisse reconnoître de loin. Au reste , la couleur de ces oiseaux varie beaucoup, suivant l'âge et le climat, et peut-être le sexe : ils sont tous gris dans le premier âge ; il y en a de plus bruns les uns que les autres quand ils sont adultes. La couleur des yeux paroît suivre celle du plumage: les gris n'ont les yeux que d'un jaune très pâle , les autres les ont plus jaunes ou d'une couleur de noi- sette plus brune : mais ces légères différences ne suf- fisent pas pour en faire des espèces distinctes et sé- parées. LA HULOTTE\ Strix Aluco. L. La hulotte ^ qu'on peut appeler aussi la cfiouette noirej, et que les Grecs appeloient nycticorax j, ou le corbeau de niiitj est la plus grantle de toutes les chouettes; elle a près de quinze pouces de longueur, depiu's le bout du bec jusqu'à l'extrémité des ongles : elle a la tête très grosse, bien arrondie, et sans ai- grettes; la face enfoncée et comme encavée dans sa plume; les yeux aussi enfoncés et environnés de plu- 1. Eu latin, idida , et aussi eu italien, selon Gesuer, alocho , et quelquefois lucluiro; en alleniand, huhu; en anglois, ItowLet. 2. Numéro t\\\. SgO OISIwVTX DE PROIE, mes grisâtres et décomposées; l'iris des yeux noirâtre, ou plutôt d'un brun foncé, ou couleur de noisette obscur; le bec d'un blanc jaunâtre ou verdâtre ; le dessus du corps couleur de gris de fer foncé , marqué de taches noires et de taches blanchâtres; le dessous du corps blanc, croisé de bandes noires transversales et longitudinales; la queue d'un peu plus de six pou- ces, les ailes s'étendant un peu au delà de son extré- mité ; l'étendue du vol de trois pieds; les jambes cou- vertes, jusqu'à l'origine des doigts, de plumes blan- ches tachetées de points noirs ^. Ces caractères sont plus que suffisants pour faire distinguer la hulotte de toutes les autres chouettes; elle vole légèrement et sans faire de bruit avec ses ailes, et toujours de côté, comme toutes les autres chouettes : c'est son cri 2, lioii ou ou ou ou ou ou,, qui ressemble assez au hurle- ment du loup, qui lui a fait donner par les Latins le nom A'ulula ^ qui vient à\Uulare j, heurler ou crier comme le loup; et c'est par cette même analogie que les Allemands l'appellent Im kuj, ou plutôt liou liou^. 1. On peut encore ajouter à r -s caractères un signe distinclif, c'est que la plume la plus extérieure tie l'aile est plus cowrte de deux ou trois pouces que la seconde, qui est elle-même plus courte d'un pouce que la troisième , et que les plus longues de toutes sont la quatrième et la cinquième; au lieu que, dans l'effraie, la seconde et la troisième sont les plus longues, et l'exlérieur n'est plus courte que d'un demi- pouce. 2. Salerne, Ornithologie, page 53. 5. C'est d'après Gcsner que je dis que les Allemands appellent celle cliouelte hu lia; cependant c'est le grand duc auquel appartient ce nom : il dit aussi qu'ils l'appellent ul et euL M. Friscli ne lui donne que le nom générique eidc , et dit que les autres surnoms qu'on lui donne en allemand sont sans fondement, comme celui de Iniapp-eulc , par exemple, qui exprime le craquement que cet oiseau lait avec son LA HULOTTE. 2g\ La hulotte se tient pendant l'été dans les bois, ton- jours dans des arbres creux; quelquefois elle s'ap- proche en hiver de nos habitations. Elle chasse et prend les petits oiseaux, et plus encore les mulots et les campagnols; elle les avale tout entiers, et en rend aussi par le bec les peaux roulées en pelotons. Lorsque la chasse de la campagne ne lui produit rien, elle vient dans les granges pour y chercher des souris et des rats : elle retourne au l)ois de grand matin, à l'heure de la rentrée des lièvres, et elle se fourre dans les taillis les plus épais, ou sur les arbres les plus feuilles, et y passe tout le jour sans changer de lieu : dans la mauvaise saison, elle demeure dans des arbres creux pendant le jour, et n'en sort que la nuit. Ces habi- tudes lui sont communes avec le hibou ou moyen duc, aussi bien que celle de pondre leurs œufs dans des nids étrangers, surtout dans ceux des buses, des crécerelles, des corneilles, et des pies : elle fait ordi- nairement quatre œufs d'un gris sale, de forme ar- rondie, et à peu près aussi gros que ceux d'une petite poule. bec . mais que toutes les espèces de chouettes font également ; et nacht-eul, qui signiGe chouette de nuit, puisque toutes les chouettes sont éffalcment des oiseaux de nuit. 2g'2 OISEAUX DE TROIE, BS>o8«>So®«*»«««a*t«â>8««'S<8^fc&G«««»>S««^>S<>8«'3«*&a«J*«««)W«^ LE GHAT-HUANT\ Strix Stridula. L. Aphès la hulotte, qui est la plus grande de toutes les chouettes, qui a les yeux noirâtres, se trouvent le chat-huant^ qui les a bleuâtres, et l'effraie qui les a jaunes : tous deux sont à peu près de la même gran- deur; ils ont environ douze à quinze pouces de Ioq- gueur, depuis le bout du bec jusqu'à l'extrémité des pieds : ainsi ils n'ont guère que deux pouces de moins que la hulotte ; mais ils paroissent sensiblement moins gros à proportion. On reconnoîtra le chat-huant d'a- bord à ses yeux bleuâtres, et ensuite à la beauté et à la variété distincte de son plumage^, et enfin à son cri liolio^ liolio_, ko ko ko ko j, par lequel il semble huer, hôler, ou appeler à haute voix. Gesiier, Aldrovande, et plusieurs autres naturalistes après eux, ont employé le mot strix pour désigner cette espèce; mais je crois qu'ils se sont trompés, et que c'est à l'effraie qu'il faut le rapporter : strlx^ pris dans cette acception, c'est-à-dire comme nom d'un 1. En latin , noctua; en Catalogne, cabcca ; en allemand, mllclisan- ger, kinder, melcher, stockeute ; eu anglois , common brown owl , ou leech-owl. — 2. Numéro 4'^7- 3. Voyez-en la description très détaillée et très exacte dans \Orni- iliologie de M. Brisson , tome I , pages 5oo et suiv. : il suffit de dire ici que les couleurs du chat-huant sont bien plus claires que celles de la hulotte. Le mâle chat-huant est, à la vérité, plus brun que la lemelle ; mais il n'a que très peu de noir en comparaison de la hu- lotte , qui , de toutes les chouettes , est la plus grande et la plus brune. PI l'.O Tomeic l.LE CHAT-HUAÎTT — 2 .L'EFFEAIE _ 3XA CHOUETTE LE CHAT-HUANT. 2QÔ oiseau de nuit, est un mot plutôt latin que grec; Ovide nous en donne l'étymologie, et indique assez clairement quel est l'oiseau nocturne auquel il appar- tient par le passage suivant : Strigum Grande caput , stantes oculi , rostra apta rapinae ; Gaiiities pennis, unguibiis hamus inest. Est illis strigibus nomeii ; sed nominis hujus Causa , quôd horrendâ stridere nocte soient. La tête grosse, les yeux fixes, le bec propre à la ra- pine, les ongles en hameçon, sont des caractères com- muns à tous ces oiseaux : mais la blancheur du plu- mage, caiiitles pen7iisj appartient plus à l'efFraie qu'à aucun autre; et ce qui détermine sur cela mon senti- ment, c'est que le mot stridor^ qui signifie en latin un craquement, un grincement, un bruit désagréable- ment entrecoupé et semblable à celui d'une scie, est précisément le cri gre^ grei de l'effraie ; au lieu que le cri du chat-huant est plutôt une voix haute, un hôle- ment, qu'un grincement. On ne trouve guère les chats-huants ailleurs que dans les bois : en Bourgogne, ils sont bien plus com- muns que les hulottes; ils se tiennent dans des arbres creux, et l'on m'en a apporté quelques uns dans le temps le plus rigoureux de l'hiver; ce qui me fait pré- sumer qu'ils restent toujours dans le pays, et qu'ils ne s'approchent que rarement de nos habitations. M. Frisch donne le chat-huant comme une variété de l'espèce de la hulotte, et prend encore pour une se- conde variété de cette même espèce le mâle du chat- huant : sa planche cotée xciv est la hulotte ; la plan- che xcv, la femelle du chat-huant; et la planche xcvi, BUFFO>'. SIX. 19 i>94 OISEAUX DE TROIE. le chat-huant mâle. Ainsi, au lieu de trois variétés qu'il indique, ce sont deux espèces différentes; ou si l'on vouloit que le chat-huant ne fût qu'une variété de l'espèce de la hulotte , il faudroit pouvoir nier les différences constantes, et les caractères qui les dis- tinguent l'un de l'autre, et qui me paroissent assez sensibles et assez multipliés pour constituer deux es- pèces distinctes et séparées. Comme le chat-huant se trouve en Suède et dans les autres terres du Nord, il a pu passer d'un conti- nent à l'autre : aussi le retrouve-t-on en Amérique jusque dans les pays chauds. Il y a, au cabinet de M. Mauduyt, un chat-huant qui lui a été envoyé de Saint-Domingue, qui ne nous paroît être qu'une va- riété de l'espèce d'Europe , dont il ne diffère que par l'uniformité des couleurs sur la poitrine et sur le ven- tre, qui sont rousses et presque sans taches, et en- core par les couleurs plus foncées des parties supé- rieures du corps. L'EFFRAIE ou LA FRESAIE\ St7'ix flaînmea. Gmel. L'effraie ^, qu'on appelle communément la chouette des clocherSj, effraie en effet par ses soufïlements, c/Wj 1. En lalin , aluco ; en allemand et en flamand, kirch-eule, ce qui signifie chouette des églises ; scfiLeyer-cide , chouette voilée , parce qu'elle semble avoir la tête encapuchonnée; perl-eide , parce que son plumage est parsemé de (aches rondes comme des perles, ou des gouttes de liqueur ; en anglois , whit-owl, choucHe blanche. 2. Numéros 474 et 44". l'effraie ou fresaie. 295 chelj c/ieu, c/ilouj ses cris acres et lugubres grelj, gre^ crei^ et sa voix entrecoupée qu'elle fait souvent re- tentir dans le silence de la nuit. Elle est , pour ainsi dire, domestique, et habite au milieu des villes les mieux peuplées : les tours, les clochers, les toits des églises et des autres bâtiments élevés, lui servent de retraite pendant le jour, et elle en sort à l'heure du crépuscule. Sonsoufïlement, qu'elle réitère sans cesse, ressemble à celui d'un homme qui dort la bouche ouverte; elle pousse aussi, en volant et en se repo- sant, différents sons aigres, tous si désagréables, que cela, joint à l'idée du voisinage des cimetières et des églises, et encore à l'obscurité de la nuit , inspire de l'horreur et de la crainte aux enfants, aux femmes, et même aux hommes soumis aux mêmes préjugés et qui croient aux revenants, aux sorciers, aux augures : ils regardent l'effraie comme l'oiseau funèbre, comme le messager de la mort ; ils croient que quand il se fixe sur une maison , et qu'il y fait retentir une voix dif- férente de ses cris ordinaires, c'est pour appeler quel- qu'un au cimetière. On la distingue aisément des autres chouettes par la beauté de son plumage : elle est à peu près de la même grandeur que le chat-huant, plus petite que la hulotte , et plus grande que la chouette proprement dite, dont nous parlerons dans l'article suivant; elle a un pied ou treize pouces de longueur depuis le bout du bec jusqu'à l'extrémité de la queue, qui n'a que cinq pouces de longueur. Elle a le dessus du corps jaune, onde de gris et de brun, et taché de points blancs; le dessous du corps blanc, marqué de points noirs; les yeux environnés très régulièrement d'un 2Ç)6 OISEAUX DE PROIE. cercle de plumes blanches et si fines, qu'on les pren- droit pour des poils; l'iris d'un beau jaune; le bec blanc, excepté le bout tlu crochet, qui est brun; les pieds couverts de duvet blanc , les doigts blancs et les ongles noirâtres. Il y en a d'autres qui, quoique de la même espèce, paroissent au premier coup d'oeil être assez difï'érentes; elles sont d'un beau jaune sur la poi- trine et sur le ventre, marquées de même de points noirs : d'autres sont parfaitement blanches sur ces mêmes parties, sans là plus petite tache noire ; d'au- tres enfin sont parfaitement jaunes et sans aucune ta- che, n°442- J'ai eu plusieurs de ces chouettes vivantes : il est fort aisé de les prendre , en opposant un petit filet , une trouble à poisson, aux trous qu'elles occupent dans les vieux bâtiments. Elles vivent dix ou douze jours dans les volières où elles sont renfermées; mais elles refusent toute nourriture et meurent d'inanition au bout de ce temps : le jour, elles se tiennent, sans bouger, au bas de la volière ; le soir, elles montent au sommet des juchoirs, où elles font eatendre leur souf- flement c/ie_, c/iel^ par lequel elles semblent appeler les autres. J'ai vu plusieurs fois, en effet, d'autres ef- fraies arriver au soufflement de l'effraie prisonnière, se poser au dessus de la volière, y faire le même souf- flement, et s'y laisser prendre au filet. Je n'ai jamais entendu leur cri acre [strldor) creij grei^ dans les vo- lières ; elles ne poussent ce cri qu'en volant et lors- qu'elles sont en pleine liberté. La femelle est un peu plus grosse que le mâle, et a les couleurs plus claires et plus distinctes; c'est de tous les oiseaux nocturnes celui dont le plumage est le plus agréablement varié. L EFFRAIE OU FRliSAIE. ^i)" L espèce de l'effraie est nombreuse, et partout très commune en Europe : comme on la voit en Suède aussi bien qu'en France, elle a pu passer d'un conti- nent à l'autre ; aussi la trouve-t-on en Améiique , de- puis les terres du Nord jusqu'à celles du Midi. Marc- grave l'a vue et reconnue au Brésil, où les naturels du pays l'appellent tuidara. L'effraie ne va pas, comme la hulotte et le chat- huant, pondre dans des nids étrangers : elle dépose ses œufs à cru dans des trous de murailles, ou sur des solives sous les toits, et aussi dans des creux d'arbres ; elle n'y met ni herbes, ni racines, ni feuilles, pour les recevoir. Elle pond de très bonne heure au prin- temps, c'est-à-dire dès la fin de mars ou le commen- cement d'avril; elle fait ordinairement cinq œufs, et quelquefois six et même sept, d'une forme allongée et de couleur blanchâtre. Elles nourrit ses petits d'in- sectes et de morceaux de chair de souris : ils sont tout blancs dans le premier âge, et ne sont pas mauvais à manger au bout de trois semaines; car ils sont gras et bien nourris. Les pères et mères purgent les églises de souris; ils boivent aussi assez souvent ou plutôt mangent l'huile des lampes, surtout si elle vient à se figer; ils avalent les souris et les mulots, les petits oiseaux tout entiers, et en rendent par le bec les os, les plumes, et les peaux roulées; leurs excréments sont blancs et liquides comme ceux de tous les autres oiseaux de proie. Dans la belle saison, la plupart de ces oiseaux vont le soir dans les bois voisins; mais ils reviennent tous les matins à leur retraite ordinaire , où ils dorment et ronflent jusqu'aux heures du soir; et, quand la nuit arrive, ils se laissent tomber de leur 298 OISEAUX DE PROIE. trou, et volent en culbutant prescpie jusqu'à terre. Lorsque le froid est rigoureux, on les trouve quel- quefois cinq ou six dans le même trou, ou cachées dans les fourrages; elles y cherchent l'abri, Tair tem- péré, et la nourriture : les souris sont en effet alors en pkis grand nombre dans les granges que dans tout autre temps. En automne, elles vont souvent visiter pendant la nuit les Jieux où l'on a tendu des rcjetoires^ et des lacets pour prendre des bécasses et des grives : elles tuent les bécasses qu'elles trouvent suspendues, et les mangent sur le lieu; mais elles emportent quel- quefois les grives et les autres petits oiseaux qui sont pris aux lacets : elles les avalent souvent entiers et avec la plume ; mais elles déplument ordinairement, avant de les manger, ceux qui sont un peu plus gros. Ces dernières habitudes aussi bien que celle de voler de travers, c'est-à-dire comme si le vent les emportoit, et sans faire aucun bruit des ailes, sont communes à l'effraie, au chat-huant, à la hulotte , et à la chouette proprement dite, dont nous allons parler. M«^«o*tiS«w^4 LA CHOUETTE' ou LA GRANDE CHEVÊCHE. Strix Ulula. L. Cette espèce, qui est la chouette proprement dite, 1. liejetoire, baguette de bois vert courbée, au bout de laquelle on attache un lacet , et qui , par son ressort , en serre le nœud cou- lant, et enlève l'oiseau. 2. Eu latin , cicuma; en allemand, stein-kuiz ou steineule ; en an- LA CHOUETTE OU GRANDE CIIEVÈCIiE. 299 <ît qu on peut appeler ta chouette des rochers ou la grande chevêche _, n** /p8, est assez commune ; mais elle n'approche pas aussi souvent de nos habitations que l'effraie; elle se tient plus volontiers dans les car- rières, dans les rochers, dans les bâtiments ruinés et éloignés des lieux habités : il semble qu'elle préfère les pays de montagnes, et qu'elle cherche les préci- pices escarpés et les endroits solitaires ; cependant on ne la trouve pas dans les bois, et elle ne se loge pas dans les arbres creux. On la distinguera aisément de la hulotte et du chat-huant par la couleur des yeux, qui sont d'un très beau jaune , au lieu que ceux de Ja hulotte sont d'un brun presque noir, et ceux du chat-huant d'une couleur bleuâtre ; on la distinguera plus difficilement de l'effraie, parce que toutes deux ont l'iris des yeux jaune, environné de même d'un grand cercle de petites plumes blanches; que toutes deux ont du jaune sous le ventre , et qu'elles sont à peu près de la même grandeur : mais la chouette des rochers est, en général, plus brune, marquée de taches plus grandes et longues comme de petites flam- mes; au lieu que les taches de l'effraie, lorsqu'elle en a, ne sont, pour ainsi dire, que des points ou des gouttes; et c'est par cette raison qu'on a appelé l'el- fraie noctua gattataj et la chouette des rochers dont il est ici question , noctua flammeata. Elle a aussi les pieds bien plus garnis de plumes, et le bec tout brun, tandis que celui de l'effraie est blanchâtre, et n'a de brun qu'à son extrémité. Au reste, la femelle, dans cette espèce, a les couleurs plus claires et les taches glois , grcni broxvn oivt. — ISociua qiiam saxatilem Ilelvetii cognomi- nant. ÔQO OISEAUX DE IMIOIE. plus petites que le mâle, comme nous l'avons aussi remarqué sur la femelle du chat-huant. Belon dit que cette espèce s'appelle la grande che- vêche. Ce nom n'est pas impropre; car cet oiseau res- semble assez, par son plumage et par ses pieds bien garnis de duvet, à la petite chevêche, que nous ap- pelons simplement chevêche : il paroît être aussi du même naturel, ne se tenant tous deux que dans les rochers, les carrières, et très peu dans les bois. Ces deux espèces ont aussi un nom particulier, kautz ou kautz-lem en allemand, qui répond au nom particu- lier chevêche en françois. M. Salerne dit que la chouette du pays d'Orléans est certainement la grande che- vêche de Belon ; qu'en Sologne on l'appelle chevêche^ et plus communément chavoche on caboche ; que les laboureurs font grand cas de cet oiseau, en ce qu'il détruit quantité de mulots; que dans le mois d'avril on l'entend crier jour et nuit goiitj, mais d'un ton assez doux, et que, quand il doit pleuvoir, elle change de cri, et semble dire goyon; qu'elle ne fait point de nid, ne pond que trois œufs tout blancs, parfaitement ronds, et gros comme ceux d'un pigeon ramier. Il dit aussi qu'elle loge dans des arbres creux, et qu'Olina se trompe lourdement quand il avance qu'elle couve les deux derniers mois de l'hiver : cependant ce der- nier fait n'est pas éloigné du vrai; non seulement cette chouette, mais même toutes les autres pondent au commencement de mars, et couvent par consé- quent dans ce même temps : et à l'égard de la de- meure habituelle de la chouette ou grande chevêche dont il est ici question , nous avons observé qu'elle ne la prend pas dans des arbres creux, comme l'as- LA CHOUETTE OU GRANDE CHEVÊCHE. 00 1 sure M. Salerne, mais dans des trous de rochers et dans les carrières, habitude qui lui est commune avec la petite chevêche dont nous allons parler dans l'ar- ticle suivant. Elle est aussi considérablement plus pe- tite que la hulotte, et même plus petite que le chat- huant, n'ayant guère que onze pouces de longueur depuis le bout du bec jusqu'aux ongles. Il paroît que cette grande chevêche, qui est assez commune en Europe, surtout dans les pays de mon- tagnes, se retrouve en Amérique dans celles du Chili, et que l'espèce indiquée par le P. Feuillée, sous le nom de chevêche-lapin,, et à laquelle il a donné ce sur- nom de lapiiij parce qu'il l'a trouvée dans un trou fait dans la terre ; que cette espèce, dis-je, n'est qu'une variété de notre grande chevêche ou chouette des rochers d'Europe; car elle est de la même grandeur, et n'en diffère que par la distribution des couleurs; ce qui n'est pas suffisant pour en faire une espèce distincte et séparée. Si cet oiseau creusoit lui-même son trou (le P. Feuillée paroît le croire) ce seroit une raison pour le juger d'une autre espèce que notre che- vêche^, et même que toutes nos autres chouettes : mais il ne s'ensuit pas, de ce qu'il a trouvé cet oiseau 1. 1° Le P.DuTcrtre, en parlant à(\ l'oiseau nocturne appelé diable dans nos îles de rAmériquc, dit qu'il est gros comme un canard; qu'il a la vue affreuse, le plumage mêlé de blanc et de noir; qu'il re- paire sur les plus hautes montagnes; qu'il se territ comme le lapin dans les trous qu'il fait dans la terre, où il pond ses œufs, les y couve et élève ses petits qu il ne descend jamais de la montagne que de nuit, et qu'en volant il fait un cri fort lugubre et effroyable. {Histoire des Antilles, tome II, Jîage 267. ) 9° Cet oiseau est certainement le même que celui du P. Feuillée , et quelques uns des habitants de nos îles se trouveront peut-être à portée de vérifier s'il creuse en effet un terrier 002 OISEALX DE PllOIE. au fond d un terrier , que ce soit l'oiseau qui l'ail creusé; et ce qu'on en peut seulement induire, c'est qu'il est du même naturel que nos chevêches d'Eu- rope, qui préfèrent constamment les trous, soit dans les pierres, soit dans les terres, à ceux qu'elles pour- roient trouver dans les arbres creux. ««*«<&««& »«o<©o«ei*e« ecnnis. Virgile. 7)24 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. teur et la conformation de ses ailes; et elle est con- damnée à en parcourir laborieusement la surface, comme les quadrupèdes, sans pouvoir jamais s'éle- ver dans l'air. Aussi a-t-elle, soit au dedans, soit au dehors, beaucoup de traits de ressemblance avec ces animaux : comme eux, elle a, sur la plus grande partie du corps, du poil plutôt que des plumes; sa tête et ses flancs n'ont môme que peu ou point de poil , non plus que ses cuisses , qui sont très grosses, très musculeuses, et où réside sa principale force; ses grands pieds nerveux et charnus, qui n'ont que deux doigts, ont beaucoup de rapport avec les pieds du chameau, qui, lui-même, est un animal singulier entre les quadrupèdes par la forme de ses pieds ; ses ailes , armées de deux piquants semblables à ceux du porc-épic, sont moins des ailes que des espèces de bras, qui lui ont été donnés pour se défendre; l'orifice des oreilles est à découvert , et seulement garni de poil dans la partie intérieure où est le canal auditif; sa paupière supérieure est mobile comme dans presque tous les quadrupèdes, et bordée de longs cils comme dans l'homme et l'éléphant; la forme total de ses yeux a plus de rapport avec les yeux humains qu'avec ceux des oiseaux, et ils sont disposés de manière qu'ils peuvent voir tous deux à la fois le même objet; enfin les espaces calleux et dénués de plumes et de poils, qu'elle a, comme le chameau, au bas du sternum et à l'endroit des os pubis, en déposant de sa grande pesanteur , la mettent de niveau avec les bêtes de somme les plus terrestres, les plus lourdes par elles- mêmes, et qu'on a coutume de surcharger des plus rudes fardeaux. Thévenot étoit si frappé de la res- LAUTRLCHi:. 35>5 semblance de rautruclie avec le chameau-droma- daire^, qu'il a cru lui avoir vu une bosse sur le dos; mais, quoiqu'elle ait le dos arqué, on n'y trouve rien de pareil à cette éminence charnue des chameaux et des dromadaires. Si de l'examen de la forme extérieure nous passons à celui de la conformation interne, nous trouverons à l'autruche de nouvelles dissemblances avec les oiseaux, et de nouveaux rapports avec les quadrupèdes. Une tête fort petite, aplatie, et composée d'os très tendres et très foibles, mais fortifiée à son sommet par une plaque de corne, est soutenue dans une si- tuation horizontale sur une colonne osseuse d'environ trois pieds de haut , et composée de dix-sept vertè- bres : la situation ordinaire du corps est aussi parallèle à l'horizon ; le dos a deux pieds de long et sept vertè- bres, auxquelles s'articulent sept paires de côtes, dont deux de fausses et cinq de vraies : ces dernières sont doubles à leur origine , puis se réunissent en une seule branche. La clavicule est formée d'une troisième paire de fausses côtes ; les cinq véritables vont s'atta- cher par des appendices cartilagineuses au sternum _, qui ne descend pas jusqu'au bas du ventre , comme dans la plupart des oiseaux : il est aussi beaucoup moins saillant au dehors ; sa forme a du rapport avec celle d'un bouclier, et il a phis de largeur que dans 1. Il faut que les rapports de ressemblance qu'a l'autruclie avec le chameau soient en effet bieu frappanis , puisque les Grecs modernes , les Turcs, les Persans, l'ont nommée, chacun dans leur langue, oi- seau-chameau : son ancien nom grec , etrout/ios, est la racine de tous les noms, sans exception, quelle a dans les différentes langues de l'Eu- rope. LUFFON. xi\. 21 520 OISEAUX QLI NE PEUVEx\T VOLEK. rhouime même. De l'os sacrum naît une espèce de queue composée de sept vertèbres semblables aux sept vertèbres humaines : le fémur a un pied de long; le tibia et le tarse, un pied et demi chacun; et cha- que doigt est composé de trois phalanges comme dans l'homme, et contre se qui ce voit ordinairement dans les doigts des oiseaux, lesquels ont très rarement un nombre égal de phalanges. Si nous pénétrons plus à l'intérieur, et que nous observions les organes de la digestion, nous verrons d'abord un bec assez médiocre^, capable d'une très grande ouverture, une langue fort courte et sans aucun vestige de papilles; plus loin s'ouvre un ample pharynx proportionné à l'ouverture du bec, et qui peut admettre un corps de la grosseur du poing : l'œsophage est aussi très large et très fort, et aboutit au premier ventricule, qui fait ici trois fonctions; celle de jabot, parce qu'il est le premier; celle de ventricule , parce qu'il est en partie musculeux , et eu partie muni de fibres muscvdeuses, longitudinales, et circulaires; enfin celle du bulbe glanduleux qui se trouve ordinairement dans la partie inférieure de l'œ- sophage la plus voisine du gésier, puisqu'il est en effet garni d'un grand nombre de glandes; et ces glandes sont conglomérées, et non conglobées comme dans la plupart des oiseaux. Ce premier ventricule est si- tué plus bas que le second, en sorte que l'entrée de 1. M. Brissou dit que le bec est ungiiiculé ; Vallisnieri , que la pointe en est obtuse et sans crochet. La langue n'est point non plus d'une forme ni d'une grandeur constante dans tous les individus. Voyez Animaux de Perrault , partie II, page 126 ; et Vallisnieri, ubi supra. L ALTKUCiilE. r>2'^ y celui-ci, que l'on nomme comuiunénient l' orifice sn- pcrieurj est réellement l'orifice inférieur par sa situa- tion. Ce second ventricule n'est souvent distingué du premier que par un léger étranglement , et quelque- fois il est séparé lui-même en deux cavités distinctes par un étranglement semblable , mais qui ne paroît point au dehors; il est parsemé de glandes et revêtu intérieurement d'une tunique villeuse , presque sem- blable à la flanelle , sans beaucoup d'adhérence , et criblée d'une infmité de petits trous répondant aux orifices des glandes : il n'est pas aussi fort que le sont communément les gésiers des oiseaux ; mais il est fortifié par dehors de muscles très puissants, dont quelques uns sont épais de trois pouces : sa forme extérieure approche beaucoup de celle du ventricule de l'homme. M. Du Verney a prétendu que le canal hépatique se terminoit dans ce second ventricule , comme cela a lieu dans la tanche et plusieurs autres poissons, et même quelquefois dans l'homme , selon l'observation de Galien ; mais Ramby et Yallisnieri assurent avoir vu constamment dans plusieurs autruches l'insertion de ce canal dans le duodénum^ deux pouces, un pouce, quelquefois même un demi-pouce seulement au dessous du pylore ; et Vallisnieri indique ce qui auroit pu occasioner cette méprise, si c'en est une, en ajoutant plus bas qu'il avoitvu dans deux autruches une veine allant du second ventricule au foie , la- quelle veine il prit d'abord pour un rameau du canal hépatique, mais qu'il reconnut ensuite dans les deux sujets pour un vaisseau sanguin, portant du sang au foie et non de la bile au ventricule. 5^8 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. Le pylore est plus ou moins large dans différents sujets, ordinairement teint en jaune, et imbibé d'un suc amer, ainsi que le fond du second ventricule; ce qui est facile à comprendre , vu l'insertion du canal hépatique tout au commencement du duodénum ^ et sa direction de bas en haut. Le pylore dégorge dans le duodénum ^ qui est le plus étroit €les intestins, et où s'insèrent encore les denx canaux pancréatiques, un pied et quelquefois deux et trois pieds au dessous de l'insertion de l'hépatique, au lieu qu'ils s'insèrent ordinairement dans les oiseaux tout près du cholédoque. \ue duodénum esi sans valvules, ainsi que \e jéjunum; l'iléon en a quelques unes aux approches de sa jonc- tion avec le colon : ces trois intestins grêles font à peu près la moitié de la longueur de tout le tube intestinal ; et cette longueur est fort sujette avarier, même dans des sujets d'égale grandeur, étant de soixante pieds dans les uns, et de vingt-neuf dans les autres. Les deux cœcum naissent ou du commencement du colon, selon les anatomistes de l'Académie, ou de la fin de l'iléon, selon le docteur Ramby; chaque cœcum forme une espèce de cône creux, long de deux ou trois pieds, large d'un pouce à sa base, garni à l'intérieur d'une valvule en forme de lame spirale, faisant envi- ron vingt tours de la base au sommet, comme dans le lièvre, le lapin, et dans le renard marin, la raie, la torpille, l'anguille de mer, etc. Le colon a aussi ses valvules en feuillet : mais au lieu de tourner en spirale comme dans le cœcum j, la lame ou feuillet de chaque valvule forme un crois- sant qui occupe un peu plus (\\\g la demi-ci rconfé- LALTrvLCUE. ^'JCy^ rence du colon , eu sorte que les extrémités des croissants opposés empiètent un peu les unes sur les autres , et se croisent de toute la quantité dont elles surpassent le demi-cercle; structure qui se re- trouve dans le colon du singe et dans le jéjunum de l'homme, et qui se marque au dehors de l'intestin ])ar des cannelures transversales, parallèles, espacées d'un demi-pouce, et répondant aux feuillets inté- rieurs : mais ce qu'il y a de remarquable , c'est que ces feuillets ne se trouvent pas dans toute la longueur du colon , ou plutôt c'est que l'autruche a deux colons bien distincts; l'un plus large et garni de ces feuillets intérieurs en forme de croissants, sur une longueur d'environ huit pieds; l'autre plus étroit et plus long, qui n'a ni feuillets ni valvules, et s'étend jusqu'au rectum : c'est dans ce second colon que les excré- ments commencent à se figurer, selon Yallisnieri. Le rectum est fort large, long d'environ un pied, et muni à son extrémité de fibres charnues : il s'ouvre dans une grande poche ou vessie composée des mêmes membranes que les intestins , mais plus épaisses , et dans laquelle on a trouvé quelquefois jusqu'à huit onces d'urine ^; car les uretères s'y rendent aussi par une insertion très oblique, telle qu'elle a lieu dans la vessie des animaux terrestres ; et non seulement ils y charient l'urine, mais encore une certaine pâte 1. L'uiine d'autruche enlève les taches d'encre, selon Ilermolaus. Ce fait peut n'être point vrai : mais Gesner a eu tort de le nier, sur h» fondement unique qu'aucun oiseau n*avoitd"urine; car tous les oiseaux ont des reins , des uretères , et par conséquent de l'urine , et ils ne diiïè- rent des quadrupèdes, sur ce point, qu'en ce que chez eux le rectum, s'ouvre dans la vessie. 5J0 OiSKAlJX QUI NE PEUVENT VOLEîl. blanche qui accompagne ies excréments de tous les oiseaux. Cette première poche, à qui il ne manque qu'un col pour être une véritable vessie, communique, par un orifice muni d'une espèce de sphincter, à une se- conde et dernière poche plus petite, qui sert de pas- sage à l'urine et aux excréments solides, et qui est presque remplie par une sorte de noyau cartilagineux, adhérent par sa base à la jonction des os pubis, et re- fendu par le milieu à la manière des abricots. Les excréments solides ressemblent beaucoup à ceux des brebis ou des chèvres; ils sont divisés en petites masses, dont le volume n'a aucun rapport avec la capacité des intestins où ils se sont formés : dans les intestins grêles, ils se présentent sous la forme d'une bouillie, tantôt verte, et tantôt noire, selon la quantité des aliments, qui prennent de la consistance en approchant des gros intestins , mais qui ne se figu- rent, comme je l'ai déjà dit, que dans le second colon. On trouve quelquefois aux environs de l'anus de petits sacs à peu près pareils à ceux que les lions et les tigres ont au même endroit. Le mésentère est transparent dans toute son éten- due , et large d'un pied en certains endroits. Vallisnieri prétend y avoir vu des vestiges non obscurs de vais- seaux lymphatiques ; Ramby dit aussi que les vaisseaux du mésentère sont fort apparents, et il ajoute que les glandes en sont à peine visibles: mais il faut avouer qu'elles ont été absolument invisibles, pour la plupart des autres observateurs. Le foie est divisé en deux grands lobes, comme dans l'homme ; mais il est situé plus au milieu de la L A U T R L C II E, 55 j région des hypocondres, et n'a point de vésicule du fiel : la rate est contiguë au premier estomac, et pèse au moins deux onces. Les reins sont fort grands, rarement découpés en plusieurs lobes, comme dans les oiseaux, mais le plus souvent en forme de guitare, avec un bassin assez ample. Les uretères ne sont point non plus, comme dans la plupart des autres oiseaux, couchés sur les reins, mais renfermés dans leur substance. L epiploon est très petit, et ne recouvre qu'en par- tie le ventricule ; mais à la place de l'épiploon on trouve quelquefois sur les intestins et sur tout le ventre une couche de graisse ou de suif, renfermée entre les apo- névroses des muscles du bas-ventre , épaisse depuis deux doigts jusqu'à six pouces ; et c'est de cette graisse mêlée avec le sang que se forme la mantèque^ comme nous le verrons plus bas : cette graisse étoit fort esti- mée et fort chère chez les Romains, qui, selon le té- moignage de Pline, la croyoient plus efficace que celle de l'oie contre les douleurs du rhumatisme, les tumeurs froides, la paralysie ; et encore aujourd'hui les Arabes l'emploient aux mêmes usages. Vallisnieri est peut-être le seul qui , ayant apparemment disséqué des autru- ches fort maigres, doute de l'existence de cette graisse, d'autant plus qu'en Italie la maigreur de l'autruche a passé en proverbe , magro corne uno striizzo. Il ajoute que les deux qu'il a observées paroissoient, étant dis- séquées, des squelettes décharnés; ce qui doit être vrai de toutes les autruches qui n'ont point de graisse , ou même à qui on l'a enlevée , attendu qu'elles n'ont point de chair sur la poitrine ni sur le ventre, les mus- Zo2 OISEAUX QUI IN E PEUVENT VOLER. des du bas-ventre ne commençant à devenir charnue que sur les flancs. Si des organes de la digestion je p^sse à ceux de la génération, je trouve de nouveaux rapporls avec l'or- ganisation des quadrupèdes : le plus grand nombre des oiseaux n'a point de verge apparente ; l'autruche en a une assez considérable, composée de deux ligaments blancs, solides et nerveux, ayant quatre ligues de dia- mètre, revêtus d'une membrane épaisse, et qui ne s'unissent qu'à deux doigts près de l'extrémité. Dans quelques sujets, on a aperçu de plus tlans cette partie une substance rouge, spongieuse, garnie d'une mul- titude de vaisseaux; en un mot, fort approchant des corps caverneux qu'on observe dans la verge des ani- maux terrestres : le tout est renfermé dans une mem- brane commune, de même substance que les hga- ments, quoique cependant moins épaisse et moins dure. Cette verge n'a ni gland, ni prépuce, ni même de cavité qui pût donner issue à la matière séminale, selon MM. les anatomistes de l'Académie ; mais G. War- ren prétend avoir disséqué une autruche dont la verge, longue de cinq pouces et demi, étoit creusée loagitu- dinalement , dans sa ^^artie supérieure , d'une espèce de sillon ou gouttière , qui lui parut être le conduit de la semence. Soit que cette gouttière fût formée par la jonction des deux ligaments; soit que G. Warren se soit mépris en prenant pour la verge ce noyau cartila- gineux de la seconde poche du rectum j, qui est en effet fendu, comme je l'ai remarqué plus haut ; soit que la structure et la forme de cette partie soit sujette à va- rier en différents sujets, il paroît que cette verge est adhérente par sa base à ce noyau cartilagineux, d'où,, L AUTRUCHE. 7)7)7) se repliant en dessous, elle passe par la pelile poche , et sort par son orifice externe , qui est l'anus, et qui y étant bordé d'un repli membraneux , forme à cette partie un faux prépuce, que le docteur Browne a pris sans doute pour un prépuce véritable , car il est le seul qui en donne un à l'autruche. 11 y a quatre muscles qui appartiennent à l'anus et à la verge ; et de là résulte entre ces parties une corres- pondance de mouvement, en vertu de laquelle, lors- que l'animal fiente, la verge sort de plusieurs pouces^. Les testicules sont de différentes grosseurs en diffé- rents sujets, et varient à cet égard dans la proportion de 4s à 1 , sans cloute selon l'âge, la saison, le genre de maladie qui a précédé la mort, etc. Ils varient aussi pour la configuration extérieure, mais la structure in- terne est toujours la même : leur place est sur les reins , un peu plus à gauche qu'à droite ; G. Warren croit avoir aperçu des vésicules séminales. Les femelles ont aussi des testicules ; car je pense qu'on doit nommer ainsi ces corps glanduleux, de quatre lignes de diamètre sur dix-huit de longueur, que l'on trouve dans les femelles au dessus de l'ovaire, adhérents à l'aorte et à la veine-cave , et qu'on ne peut avoir pris pour des glandes surrénales que par la pré- vention résultante de quelque système adopté précé- demment. Les canepetières femelles ont aussi des tes- ticules-semblables à ceux des mâles; et il y a lieu de croire que les outardes femelles en ont pareillement, et que si MM. les anatomistes de l'Académie, dans leurs nombreuses dissections, ont cru n'avoir jamais 1. Warren a appris ce fait de ceux qui éloient chargés du soiu de plusieurs autruches en Angleterre. 354 OISEAUX QUi Nlî PELVENT VOLER. rencontré que des mâles, c'est qu'ils ne vouloienl point reconnoître comme femelle un animal à qui ils voyoient des testicules. Or tout le monde sait que l'ou- tarde est, parmi les oiseaux d'Europe, celui qui a le plus de rapports avec l'autruche, et que la canepe- tière n'est qu'une petite outarde ; en sorte que tout ce que j'ai dit dans le traité de la génération sur les testicules des femelles des quadrupèdes s'applique ici de soi-même à toute cette classe d'oiseaux, et trou- vera peut-être dans la suite des applications encore plus étendues. Au dessous de ces deux corps glanduleux est placé l'ovaire, adhérent aussi aux gros vaisseaux sanguins; on le trouve ordinairement garni d'œufs de diflérentes grosseurs, renfermés dans leur calice comme un petit gland Test dans le sien , et attachés à l'ovaire par leurs péticules : M. Perrault en a vu qui étoient gros comme des pois, d'autres comme des noix, un seul comme les deux poings. Cet ovaire est unique , comme dans presque tous les oiseaux; et c'est, pour le dire en passant, un préjugé de plus contre l'idée de ceux qui veulent que les deux corps glanduleux qui se trouvent dans toutes les fe- melles des quadrupèdes représentent cet ovaire, qui est une partie simple ^, au lieu d'avouer qu'ils repré- 1 . Le bécharu est le seul oiseau dans lequel MM. les anatomistes de rAcadémie aient cru trouver deux ovaires; mais ces prétendus ovaires étoient, selon eux, deux corps glanduleux d'une substance dure et solide , dont l'un ( c'eet le gauche ) se divisoit en plusieurs grains de grosseurs inégales. Mais, sans m'arrêter à la difi'érente slruclure de ces deux corps, et en tirer des conséquences contre l'idenfité de leurs fonctions, je remarquerai seulement que c'est une observation imique et dont on ne doit rien conclure jusqu'à ce qu'elle ait été confirmée. P ailleurs j'aperçois dans cette observation môme une tendance à LAUTIILCIIE. 555 sentent en effet les testicules, qui sont au nombre des parties doubles dans les mâles des oiseaux comme dans les quadrupèdes. L'entonnoir de Vovidiictus s'ouvre au dessous de l'o- vaire , et jette à droite et à planche deux appendices membraneuses, en forme d'ailerons, lesquelles ont du rapport à celles qui se trouvent à l'extrémité de la trompe dans les animaux terrestres. Les œufs qui se détachent de l'ovaire sont reçus dans cet entonnoir, et conduits le long de Voviductm dans la dernière poche intestinale , où ce canal débouche par un orifice de quatre lignes de diamètre , mais qui paroît capable d'une dilatation proportionnée au volume des œufs, étant plissé ou ridé dans toute sa circonférence ; l'in- térieur de Voviductus étoit aussi ridé, ou plutôt feuil- leté, comme le troisième et le quatrième ventricule des ruminants. Enfin la seconde et dernière poche intestinale dont je viens de parler a aussi dans la femelle son noyau cartilagineux, comme dans le mâle ; et ce noyau, c[ui sort quelquefois de plus d'un demi-pouce hors de l'a- nus, a une petite appendice de la longueur de trois li- gnes, mince et recourbée, que MM. les anatomistes de l'Académie regardent comme un clitoris, avec d'autant plus de fondement, que les deux mêmes muscles qui s'insèrent à la base de la verge dans les mâles s'insèrent à la base de cette appendice dans les femelles. Je ne m'arrêterai point à décrire en détail les organes de la respiration, vu qu'ils ressemblent presque entiè- rement à ce qu'on voit dans tous les oiseaux, étant l'unité, puisque Voviductus, qui esl ccriaiuement une dépendance l'ovaire . éloit uni(jue. 356 OISEALX Qll NE FELVENT VOLE?,. composés de deux poumons de substance spongieuse, et de dix cellules à air, cinq de chaque côté, dont la quatrième est plus petite ici, comme dans tous les autres oiseaux pesants : ces cellules reçoivent l'air des poumons, avec lesquels elles ont des communications fort sensibles ; mais il faut qu'elles en aient aussi de moins apparentes avec d'autres parties, puisque Val- lisnieri, en soufflant dans la trachée-artère, a vu un gonflement le long des cuisses et sous les ailes; ce qui suppose une conformation semblable à celle du péli- can, dans lequel M. Mery a aperçu, sous l'aisselle et entre la cuisse et le ventre, des poches membraneuses qui se remplissoient d'air au temps de l'expiration, et lorsqu'on souffloit avec force dans la trachée-artère, et qui en fournissoient apparemment au tissu cellu- laire. Le docteur Browne dit positivement que l'autruche n'a point d'épiglotte : M. Perrault le suppose, puis- qu'il attribue à un certain muscle la fonction de fer- mer la glotte en rappiochant les cartilages du larynx. G. Warren prétend avoir vu une épiglotte dans le su- jet qu'il a disséqué; et Vallisnieri concilie toutes ces contrariétés, en disant qu'en effet il n'y a pas préci- sément une épiglotte, mais que la partie postérieure de la langue en tient lieu, en s'appliquant sur la glotte dans la déglutition. Il y a aussi diversité d'avis sur le nombre et la forme des anneaux cartilagineux du larynx : Vallisnieri n'en compte que deux cent dix-huit, et soutient avec M.Perrault qu'ils sont tous entiers. Warren en a trouvé deux cent vingt-six entiers, sans compter les premiers qui ne le sont point, non plus que ceux qui sont im- LAlTULCilE. J.)-- médiatement au dessous de la bifurcation de la tra- chée. Tout cela peut être vraie , attendu les grandes variétés auxquelles est sujette la structure des parties internes ; mais tout cela prouve en même temps com- bien il est téméraire de vouloir décrire une espèce en- tière d'après un petit nombre d'individus, et combien il est dangereux par cette méthode de prendre ou de donner des variétés individuelles pour des caractères constants. M. Perrault a observé que chacune des deux branches de la trachée-artère se divise , en entrant dans le poumon , en plusieurs rameaux membraneux, comme dans l'éléphant. Le cerveau, avec le cervelet, forme une masse tl'en- viron deux pouces et demi de long sur vingt lignes de large. Yallisnieri assure que celui qu'il a examiné ne pesoit qu'une once; ce qui ne feroit pas la douze- -centième partie du poids de l'animal : il ajoute que la structure en étoit semblable à celle du cerveau des oiseaux, et telle précisément qu'elle est décrite par Willis. Je remarquerai néanmoins avec MM. les anato- mistes de l'Académie que les dix paires de nerfs pren- nent leur origine et sortent hors du crâne de la même manière que dans les animaux terrestres ; que la partie corticale et la partie moelleuse du cervelet sont dispo- sées comme dans ces mêmes animaux ; qu'on y trouve quelquefois les deux apophyses vermiformes qui se voient dans l'homme, et un ventricule, de la forme d'une plume à écrire , comme tlans la plupart des qua- drupèdes. Je ne dirai qu'un mot sur les organes de la circu- lation : c'est que le cœur est presque rond, au lieu que les oiseaux l'ont ordinairement plus allongé. 538 OISEAUX QUI NE TEL' VENT VOLE 11. A 1 égard des sens externes, j'ai déjà parlé de la langue, de l'oreille, et de la forme extérieure de l'œil; j'ajouterai seulement ici que sa structure interne est celle qu'on observe ordinairement dans les oiseaux. M. Ramby prétend que le globe tiré de son orbite prend de lui-même une forme presque triangulaire ; il a aussi trouvé l'humeur aqueuse en plus grande quan- tité, et l'humeur vitrée en moindre quantité qu'à l'or- dinaire. Les narines sont dans le bec supérieur, non loin de sa base; il s'élève du milieu de chacune des deux ouvertures une protubérance cartilagineuse revêtue d'une membrane très fine, et ces ouvertures commu- niquent avec le palais par deux conduits qui y abou- tissent dans une fente assez considérable. On se troni- peroit si l'on vouloit conclure de la structure un peu compliquée de cet organe, que l'autruche excelle par le sens de l'odorat : les faits les mieux constatés nous apprendront bientôt tout le contraire ; et il paroît en général que les sensations principales et dominantes de cet animal sont celles de la vue et du sixième sens. Cet exposé succinct de l'organisation intérieure de l'autruche est plus que suffisant pour confirmer l'idée que j'ai donnée d'abord de cet animal singulier, qui doit être regardé comme un être de nature équivoque , et faisant la nuance entre le quadrupède et l'oiseau : sa place , dans une méthode où l'on se proposeroit de représenter le vrai système de la nature, ne seroit ni dans la classe des oiseaux, ni dans celle des quadru- pèdes, mais sur le passage de l'une à l'autre. En effet, quel autre rang assigner à un animal dont le corps , mi-partie d'oiseau et de quadrupède, est porté sur des LALTULCHK. 55c> pieds de quadrupède, et surmonté par une tête d'oi- seau, dont le mâle à une verge et la femelle un clito- ris comme les quadrupèdes, et qui néanmoins est ovipare, qui a un gésier comme les oiseaux, et en même temps plusieurs estomacs et des intestins qui , par leur capacité et leur structure , répondent en par- tie à ceux des ruminants, en partie à ceux d'autres quadrupèdes? Dans l'ordre de la fécondité , l'autruche semble en- core appartenir de plus près à la classe des quadrupè- des qu'à celle des oiseaux; car elle est très féconde et produit beaucoup. Aristote dit qu'après l'autruche , l'oiseau qu'il nomme atricaplUa est celui qui pond le plus; et il ajoute que cet oiseau atricaplUa pond vingt œufs et davantage ; d'où il suivroit que l'autruche en pond au moins vingt-cinq : d'ailleurs , selon les histo- riens modernes et les voyageurs les plus instruits, elle fait plusieurs couvées de douze ou quinze œufs cha- cune. Or, si on la rapportoit à la classe des oiseaux, elle seroit la plus grande, et par conséquent devroit produire le moins, suivant l'ordre que suit constam- ment la nature dans la multiplication des animaux, dont elle paroît avoir fixé la proportion en raison in- verse de la grandeur des individus; au lieu qu'étant rapportée à la classe des animaux terrestres , elle se trouve très petite relativement aux plus grands, et plus petite que ceux de grandeur médiocre , tels que le cochon, et sa grande fécondité rentre dans l'ordre naturel et général, Oppient, qui croyoit mal à propos que les cha- meaux de la Bactriane s'accouploient à rebours et en se tournant le derrière, a cru, par une seconde erreur. ô}]0 OISEALX QUI ^'E PEUVENT VOLE?,. qu'un oiseau-chameau (car c'est le nom qu'on donnoil dès lors à l'autruche) ne pourroit manquer de s'accou- pler de la même façon, et il l'a avancé comme un fait certain : mais cela n'est pas plus vrai de l'oiseau- cbameau que du chameau lui-même, comme je l'ai dit ailleurs ; et quoique , selon toute apparence , peu d'observateurs aient été témoins de cet accouplement, et qu'aucun n'en ait rendu compte , on est en droit de supposer qu'il se fait à la manière accoutumée , jus- qu'à ce qu'il y ait preuve du contraire. Les autruches passent pour être fort lascives et s'ac- coupler souvent ; et, si l'on se rappelle ce que j'ai dit ci-dessus des dimensions de la verge du maie , on con- cevra que ces accouplements ne se passent point en simples compressions, comme dans presque tous les oiseaux, mais qu'il y a une intromission réelle des parties sexuelles du maie dans celles de la femelle, ïhévenot est le seul qui dise qu'elles s'assortissent par paires, et que chaque mâle n'a qu'une femelle, contre l'usage des oiseaux pesants. Le temps de la ponte dépend du climat qu'elles ha- bitent, et c'est toujours aux environs du solstice d'été ; c'est-à-dire au commencement de juillet, dans l'Afri- que septentrionale, et sur la fin de décembre, dans l'Afrique méridionale. La température du climat influe aussi beaucoup sur leur manière de couver : dans la zone torride, elles se contentent de déposer leurs œufs sur un amas de sable qu'elles ont formé grossièrement avec leurs pieds, et où la seule chaleur du soleil les fait éclore ; à peine les couvent-elles pendant la nuit; et cela même n'est pas toujours nécessaire, puisqu'on en a vu éclore (jui n'avoient point été couvés par la L AUTRUCHE. 54 1 mère, ni même exposés aux rayons du soleil^. Mais, quoique les autruches ne couvent point ou que très peu leurs œufs, il s'en faut beaucoup qu'elles les aban- donnent; au contraire, elles veillent assidûment à leur conservation et ne les perdent guère de vue ; c'est de là qu'on a pris occasion de dire qu'elles les con- voient des yeux, à la lettre : et Diodore rapporte une façon de prendre ces animaux, fondée sur leur grand attachement pour leur couvée ; c'est de planter en terre , aux environs du nid et à une juste hauteur, des pieux armés de pointes bien acérées, dans lesquelles la mère s'enferre d'elle-même lorsqu'elle revient avec empressement se poser sur ses œufs. Quoique le climat de la France soit beaucoup moins chaud que celui de la Barbarie , on a vu des autruches pondre à la ménagerie de Versailles : mais MM. de l'Académie ont tenté inutilement de faire éclore ces œufs par une incubation artificielle, soit en employant le chaleur du soleil , ou celle d'un feu gradué et mé- nagé avec art ; ils n'ont jamais pu parvenir à découvrir dans les uns ni dans les autres aucune orcjanisation commencée, ni même aucune disposition apparente à la génération d'un nouvel être : le jaune et le blanc de celui qui avoit été exposé au feu s'étoient un peu épaissis ; celui qui avoit été mis au soleil avoit con- tracté une très mauvaise odeur ; et aucun ne présentoit la moindre apparence d'un fœtus ébauché, en sorte que cette incubation philosophique n'eut aucun suc- cès. M. de Réaumur n'existoit pas encore. 1 . Januequia étant au Sénégal mit clans sa cassette deux œufs d'au- liuclie bien enveloppés d'étoupes ; quelque temps après il trouva (juo lun de ces œufs étoit près d'éciorc, BUFFOX. XIX. 22 7)^\'2 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. Ces œufs sont très durs, très pesants et très gros; mais on se les représente quelquefois encore plus gros qu'ils ne sont en effet, en prenant des œufs de croco- dile pour des œufs d'autruche : on a dit qu'ils ètoient comme la tête d'un enfant, qu'ils pouvoient contenir jusqu'à une pinte de liqueur, qu'ils pesoient quinze livres, et qu'une autruche en pondoit cinquante dans une année ; Élien a dit jusqu'à quatre-vingts : mais la plupart de ces faits me paroissent évidemment exagé- rés, car, 1° comment se peut-il faire qu'un œuf dont la coque ne pèse pas plus d'une livre , et qui contient au plus une pinte de liqueur, soit du poids total de quinze livres? 11 faudroit pour cela que le blanc et le jaune de cet œuf fut sept fois plus dense que l'eau , trois fois plus que le marbre , et à peu près autant que ré tain , ce qui est dur à supposer. 2" En admettant avec Willughby que l'autruche pond dans une année cinquante œufs, pesant quinze livres chacun, il s'ensuivroit que le poids total de la ponte seroit de sept cent cinquante livres, ce qui est beau- coup pour un animal qui n'en pèse que quatre-vingts. 11 me paroît donc qu'il y a une réduction considé- rable à faire , tant sur le poids des œufs que sur leur nombre ; et il est fâcheux qu'on n'ait pas de mémoi- res assez surs pour déterminer avec justesse la quan- tité de cette réduction : on pourroit, en attendant, fixer le nombre des œufs, d'après Aristote, à vingt-cinq ou trente, et d'après les modernes qui ont parlé le plus sagement, à trente-six. En admettant deux ou trois couvées, et douze œufs par chaque couvée, on pourroit encore déterminer le poids de chaque œuf à trois ou quatre livres, en passant une livre plus ou L AUTRUCHE. o/fO moins pour la coque, et deux ou trois livres pour la pinte de blanc et de jaune qu'elle contient; mais il v a bien loin de cette fixation conjecturale à une observa- lion précise. Beaucoup de gens écrivent ; mais il en est •peu qui mesurent, qui pèsent, qui comparent: de quinze ou seize autruches dont on a fait la dissection en différents pays, il n'y en a qu'une seule qui ait été pesée, et c'est celle dont nous devons la description à Vallisnieri. On ne sait pas mieux le temps qui est né- cessaire pour l'incubation des œufs: tout ce qu'on sait, ou plutôt tout ce qu'on assure, c'est qu'aussitôt que les jeunes autruches sont écloses , elle sont en état de marcher, et même de courir et de chercher leur nour- riture ; en sorte que dans la zone torride, où elles trou- vent le degré de chaleur qui leur convient, et la nour- riture qui leur est propre, elles sont émancipées en naissant, et sont abandonnées de leur mère, dont les soins leur sont inutiles : mais dans les pays moins chauds, par exemple, au cap tle Bonne-Espérance, la mère veille à ses petits tant que ses secours leur sont nécessaires, et partout les soins sont proportionnés aux besoins. Les jeunes autruches sont d'un gris cendré la pre- mière année, et ont des plumes partout; mais ce sont de fausses plumes qui tombent bientôt d elles-mêmes, pour ne plus revenir sur les parties qui doivent être nues, comme la tête , le haut du cou , les cuisses , les flancs, et le dessous des ailes. Elles sont remplacées sur le reste du corps par des plumes alternativement blanches et noires, et quelquefois grises par le mé- lange de ces deux couleurs fondues ensemble : les plus courtes sont sur la partie inférieure du cou , la seule 544 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. qui en soit revêtue; elles deviennent plus longues sur le ventre et sur le dos ; les plus longues de toutes sonl à l'extrémité de la queue et des ailes, et ce sont les plus recherchées. M. Klein dit, d'après Alhert, que les plumes du dos sont très noires dans les mâles, et brunes dans les femelles. Cependant MM. de l'Acadé- mie , qui ont disséqué huit autruches , dont cinq mâles et trois femelles, ont trouvé le plumage à peu près semblable dans les unes et les autres; mais on n'en a jamais vu qui eussent des plumes rouges, vertes, bleues, et jaunes, comme Cardan semble l'avoir cru, par une méprise bien déplacée , dans un ouvrage sur la subtilité, Redi a reconnu, par de nombreuses observations, que presque tous les oiseaux étoient sujets à avoir de la vermine dans leurs plumes, et même de plusieurs espèces; et que la plupart avoient leurs insectes par- ticuliers, qui ne se rencontroient point ailleurs : mais il n'en a jamais trouvé en aucune saison dans les au- truches, quoiqu'il ait fait ses observations sur douze de ces animaux, dont quelques uns étoient récem- ment arrivés de Barbarie. D'un autre côté, Vallisnieri, qui en a disséqué deux, n'a trouvé dans leur intérieur ni lombrics, ni vers, ni insectes quelconques : il semble qu'aucun de ces ani- maux n'ait d'appétit pour la chair de l'autruche , qu'ils l'évitent même et la craignent, et que cette chair ait quelque qualité contraire à leur multiplication, à moins qu'on ne veuille attribuer cet efl'et, du moins pour l'intérieur, à la force de l'estomac et de tous les or- ganes digestifs; car l'autruche a une grande réputation à cet égard : il y a bien des gens encore qui croient L AUTRUCHE. 5/; .5 qu'elle digère le fer, cooime la volaille commune di- gère les grains d'orge ; quelques auteurs ont même avanrcè qu'elle digéroit le fer rouge : mais on me dis- pensera sans doute de réfuter sérieusement cette der- nière assertion ; ce sera bien assez de déterminer, d'après les faits, dans quel sens on peut dire que l'au- truche digère le fer à froid. Il est certain que ces animaux vivent principale- ment de matières végétales ; qu'ils ont le gésier muni de muscles très forts , comme tous les granivores ^ , et qu'ils avalent fort souvent du fer^, du cuivre, des pierres, du verre , du bois, et tout ce qui se présente : je ne nierois pas même qu'ils n'avalassent quelque- fois du fer rouge, pourvu que ce fût en petite quan- tité, et je ne pense pas avec cela que ce fut impuné- ment. Il paroît qu'ils avalent tout ce qu'ils trouvent, jusqu'à ce que leurs grands estomacs soient entière- ment pleins, et que le besoin de les lester par un volume suffisant de matière est l'une des principales causes de leur voracité. Dans les sujets disséqués par VVarem et par Ramby, les ventricules étoient telle- ment remplis et distendus, que la première idée qui \int à ces deux anatomistes, fut de douter que ces 1. Quoique l'autruche soit omnivore dans le fait, il semble néan- moins qu'on doit la ranger parmi les granivores, puisque, dans ses déserts, elle vit de dattes et autres fruits ou matières végétales, et que dans les ménageries on la nourrit de ces mêmes matières. D'ailleurs Slrahon nous dit, liv. VI, que, lorsque les chasseurs veulent Talii- rer dans le piège qu'ils lui ont préparé, ils lui présentent du grain pour appât. 2. Je dis fort souvent; car Albert assure très positivement qu'il n'a jamais pu faire avaler du fer à plusieurs autruches , quoiqu'elles dévo- rassent avidement des os fort durs et même des pierres. 7)f\6 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. animaux eussent jamais pu digérer une telle surcharge de nourriture. Ramby ajoute que les matières con- tenues dans ces ventricules paroissoient n'avoir subi qu'une légère altération. Vallisnieri trouva aussi le premier ventricule entièrement plein d'herbes, de fruits, de légumes, de noix, de cordes, de pierres, de verre, de cuivre jaune et rouge, de fer, d'étain, de plomb, et de bois; il y en avoit entre autres un mor- ceau, et c'étoitle dernier avalé, puisqu'il étoit tout au dessus, lequel ne pesoit pas loin d'une livre. MM. de l'Académie assurent que les ventricules des huit au- truches qu'ils ont observées, se sont toujours trouvés remplis de foin, d'herbes, d'orge, de fèves, d'os, de monnoies, de cuivre, et de cailloux, dont quelques uns avoient la grosseur d'un œuf. L'autruche entasse donc les matières dans ses estomacs à raison de leur capacité, et par la nécessité de les remplir; et, comme elle digère avec facilité et promptitude , il est aisé de comprendre pourquoi elle est insatiable. Mais, quelque insatiable qu'elle soit, on me de- mandera toujours, non pas pourquoi elle consomme tant de nourriture, mais pourquoi elle avale des ma- tières qui ne peuvent point la nourrir, et qui peu- vent même hû faire beaucoup de mal : je répondrai que c'est parce qu'elle est privée du sens du goût ; et cela est d'autant plus vraisemblable, que sa langue étant bien examinée par d'habiles anatomistes, leur a paru dépourvue de toutes ces papilles sensibles et nerveuses dans lesquelles on croit, avec assez de fon- dement, que réside la sensation du goût: je croirois même qu'elle auroit le sens de l'odorat fort obtus ; car ce sens est celui qui sert le plus aux animaux L AUTRUCHE. "- ^ pour le discernement de leur nourriture ; el l'autruche a si peu de ce discernement, qu'elle avale non seule- ment le fer, les cailloux, le verre, mais même le cuivre, qui a une si mauvaise odeur, et que Vallis- nieri en a vu une qui étoit morte pour avoir dévoré une grande quantité de chaux vive. Les gallinacés et autres granivores, qui n'ont pas les organes du goût tort sensibles, avalent bien de petites pierres qu'ils prennent apparemment pour de petites graines, lors- qu'elles sont mêlées ensemble ; mais si on leur pré- sente pour toute nourriture un nombre connu de ces petites pierres, ils mourront de faim sans en avaler une seule ; à plus forte raison ne toucheroient-ils point à la chaux vive : et l'on peut conclure de là , ce me semble , que l'autruche est un des oiseaux dont les sens du goût, de l'odorat, et même celui du toucher dans les parties internes de la bouche, sont les plus émoussés et les plus obtus; en quoi il faut convenir qu'elle s'éloigne beaucoup de la nature des quadru- pèdes. Mais enfin que deviennent les substances dures, réfractaires , et nuisibles, que l'autruche avale sans choix, et dans la seule intention de se remplir? que deviennent surtout le cuivre, le verre, le fer? Sur cela les avis sont partagés, et chacun cite des faits à l'appui de son opinion. M. Perrault , ayant trouvé soixante-dix doubles dans l'estomac d'un de ces ani- maux, remarqua qu'ils étoient la plupart usés et con- sumés presque aux trois quarts : mais il jugea que c'étoit plutôt par leur frottement mutuel et celui des cailloux, que par l'action d'aucun acide, vu que quel- ques uns de ces doubles qui étoient bossus, se trou- 548 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. vèrent fort usés du côté convexe, qui étoit aussi le plus exposé aux frotteuients, et nullement endom- 3uagés du côté concave ; d'où il conclut que , dans les oiseaux, la dissolution de la nourriture ne se fait pas seulement par des esprits subtils et pénétrants, mais encore par l'action organique du ventricule qui comprime et bat incessamment les aliments avec les corps durs que ces mêmes animaux ont l'instinct d'a- valer; et, comme toutes les matières contenues dans cet estomac étoient teintes en vert, il conclut encore que la dissolution du cuivre s'y étoit faite, non par un dissolvant particulier, ni par voie de digestion, mais de la même manière qu'elle se feroit si l'on broyoit ce métal avec des herbes, ou avec quelque liqueur acide ou salée. Il ajoute que le cuivre, bien loin de se tourner en nourriture dans l'estomac de l'autruche, y agissoit au contraire comme poison, et que toutes celles qui en avaloient beaucoup mouroient bientôt après. Vallisnieri pense , an contraire, que l'autruche di- gère ou dissout les corps durs, principalement par Faction du dissolvant de l'estomac, sans exclure celle des chocs et frottements qui peuvent aider à cette action principale. Voici ses preuves. i" Les morceaux de bois, de fer, ou de verre, qui ont séjourné quelque temps dans les ventricules de l'autruche, ne sont point lisses et luisants comme ils devroient l'être, s'ils eussent été usés par le frot- tement, mais ils sont raboteux, sillonnés, criblés comme ils doivent l'être , en supposant qu'ils aient été rongés par un dissolvant actif. 2° Ce dissolvant réduit les corps les plus durs, de LAUTRLCIIE. O^C; môme que les herbes , les grains, et les os, en mo!é- cules impalpables qu'on peut apercevoir au micros- cope, et même à l'œil nu. 5" Il a trouvé dans un estomac d'autruche un clou implanté dans l'une de ses parois, et qui traversoit cet estomac, de façon que les parois opposées ne pouvoient s'approcher, ni par conséquent compri- mer les matières contenues, autant qu'elles le font d'ordinaire : cependant les aliments étoient aussi bien dissous dans ce ventricule que dans un autre qui n'é- toit traversé d'aucun clou ; ce qui prouve au moins que la digestion ne se fait pas dans l'autruche unique- ment par trituration. 4° Il a vu un dé à coudre, de cuivre, trouvé dans l'estomac d'un chapon, lequel n'étoit rongé que dans le seul endroit par où il touchoit au gésier, et qui, par conséquent, étoit le moins exposé aux chocs des autres corps durs; preuve que la dissolution des mé- taux, dans l'estomac des chapons, se fait plutôt par l'action d'un dissolvant, quel qu'il soit, que parcelle des chocs et des frottements, et cette conséquence s'étend naturellement aux autruches. 5° Il a vu une pièce de monnoie rongée si pro- fondément, que son poids étoit réduit à trois grains. 6° Les glandes du premier estomac donnent, étant pressées, une liqueur visqueuse, jaunâtre, insipide, et qui néanmoins imprime très promptement sur le fer une tache obscure. 7" Enfui l'activité de ces sucs, la force des muscles du gésier, et la couleur noire qui teint les excréments des autruches qui ont avalé du fer, comme elle teint ceux des personnes qui font usage des martiaux et Ô'DO OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. Jes digèrent bien, venant à l'appui des faits précédents, autorisent Yallisnieri à conjecturer, non pas tout-à-fait, que les autruches digèrent le fer et s'en nourrissent, comme divers insectes ou reptiles se nourrissent de terre et de pierres; mais que les pierres, les métaux, et surtout le fer, dissous par le suc des glandes, servent à tempérer, comme absorbants, les ferments trop actifs de l'estomac; qu'ils peuvent se mêler à la nourriture, comme éléments utiles, l'assaisonner, augmenter la force des solides, et d'autant plus que le fer entre, comme on sait, dans la composition des êtres vivants, et que , lorsqu'il est suffisamment atténué par des acides convenables, il se volatilise, et acquiert une tendance à végéter, pour ainsi dire, et à prendre des formes analogues à celle des plantes, comme on le voit dans l'arbre de mars^; et c'est en effet le seul sens raisonnable dans lequel on puisse dire que l'au- truche digère le fer ; et quand elle auroit l'estomac assez fort pour le digérer véritablement, ce n'est que par une erreur bien ridicule qu'on auroit pu attribuer à ce gésier, comme on a fait, la qualité d'un remède et la vertu d'aider la digestion, puisqu'on ne peut nier qu'il ne soit par lui-même un morceau tout-à-fait in- digeste : mais telle est la nature de l'esprit humain ; lorsqu'il est une fois frappé de quelque objet rare et singulier, il se plaît à le rendre plus singulier encore. 1. Mémoires de C Académie des Sciences , années 1706, 170G et sui- vantes. Valljsnieri, tomel, page 242; et il confirme encore son sen- timent par les observations de Santorini sur des pièces de monnoie et des clous trouvés dans l'estomac tl'une autruche qu'il avoit disséquée à Venise , et par les expériences de l'Académie del Cimcnto sur la diges- tion des oiseaux. L AUTRUCHE. .151 en lui attribuant des propriétés chimériques et son- vent absurdes : c'est ainsi qu'on a prétendu que les pierres les plus transparentes qu'on trouve dans les ventricules de l'autruche avoient aussi la vertu, étant portées au con, de faire faire de bonnes digestions; que la tunique inférieure de son gésier avoit celle de ranimer un tempérament affoibli et d'inspirer de l'a- mour; son foie, celle de guérir le mal caduc; son sang, celle de rétablir la vue; la coque de ses œufs réduite en poudre , celle de soulager les douleurs de la goutte et de la gravelle, etc. Vallisnieri a eu occasion de constater par ses expériences, la fausseté de la plupart de ces prétendues vertus; et ses expé- riences sont d'autant plus décisives, qu'il les a faites sur les personnes les plus crédules et les plus prévenues. L'autruche est un oiseau propre et particulier à l'A- frique, aux îles voisines de ce continent, et à la par- tie de l'Asie qui confine à l'Afrique. Ces régions, qui sont le pays natal du chameau, du rhinocéros, de l'é- léphant, et de plusieurs autres grands animaux, dé- voient être aussi la patrie de l'autruche, qui est l'élé- phant des oiseaux. Elles sont très fréquentes dans les montagnes situées au sud-ouest d'Alexandrie, suivant le docteur Pococke. Un missionnaire dit qu'on en trouve à Goa, mais beaucoup moins qu'en Arabie. Philostrate prétend même qu'Apollonius en trouva jusqu'au delà du Gange : mais c'étoit sans doute dans un temps où ce pays étoit moins peuplé qu'aujour- d'hui. Les voyageurs modernes n'en ont point aperçu dans ce même pays, sinon celles qu'on y avoit menées d'ailleurs^, et tous conviennent qu'elles ne s'écartent 1 . On ou nourrit clans les ménageries du roi de Perse , selon Thévc- OÔ'2 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLEK. guère au delà du 55""'' degré de latitude, de part et d'autre de la ligne; et comuie l'autruche ne vole point, elle est dans le cas de tous les quadrupèdes des par- ties méridionales de l'ancien continent, c'est-à-dire qu'elle n'a pu passer dans le nouveau : aussi n'en a-t-on point trouvé en Amérique, quoiqu'on ait donné son nom au touyou , qui lui ressemble en effet, en ce qu'il ne vole point, et par quelques autres rapports, mais qui est d'une espèce diff'érente, comme nous le verrons bientôt dans son histoire. Par la même raison, on ne l'a jamais rencontrée en Europe , où elle auroit cependant pu trouver un climat propre à sa nature dans la Morée et au midi de l'Espagne et de l'Italie; mais, pour se rendre dans ces contrées, il eût fallu ou franchir les mers qui l'en séparoient, ce qui lui étoit imposssible, ou faire le tour de ces mers, et remon- ter Jusqu'au 5o'"^ degré de latitude pour revenir par le Nord en traversant des régions très peuplées; nou- vel obstacle doublement insurmontable à la migration d'un animal qui ne se plaît que dans les pays chauds et les déserts. Les autruches habitent en effet, par pré- férence, les lieux les plus solitaires et les plus arides, où il ne pleut presque jamais ^ ; et cela confirBie uol ^ loiiie II, page -200) ; ce qui suppose qu'elles ne sont pas com- munes clans ce pays. Sur la route d'Ispahan à Scliirais, on amena dans le caravanserai quatre autruches, ditOeuielli Carreri, t. II , p. 258. 1 . Tous les voyageurs et les naturalistes sont d'accord sur ce point ; (>. VVarren esl le seul qui ait fait un oiseau aquatique de l'autruche, Taninial le plus anli-aquatique qu'il y ait : il couvient bien qu'elle ne sait point nager; mais elle a les jambes hautes et le cou long, ce qui lui donne le moyen de marcher dans l'eau et d'y saisir sa proie. D'ail- leurs on a remarqué que sa tête avoit fjuelque ressemblance avec celle de j'oie : en i'aut-il davantage pour prouver (jue l'aulruchc esl un oi- L AUTRUCHE. 557) ce que disent les Arabes, qu'elles ne boivent point. Elles se réunissent' dans ces déserts en troupes nom- breuses, qui, de loin, ressemblent à des escadrons de cavalerie, et ont jeté l'alarme dans plus d'une caravane. Leur vie doit être un peu dure dans ces solitudes vastes et stériles; mais elles y trouvent la liberté et l'amour : et quel désert, à ce prix, ne seroit pas un lieu de délices! C'est pour jouir, au sein de la nature , de ces biens inestimables, qu'elles fuient l'honmie : mais l'homme , qui sait le profit qu'il en peut tirer , les va chercher dans leurs retraites les plus sauvages ; il se nourrit de leurs œufs, de leur sang, de leur graisse, de leur chair; il se pare de leurs plumes; il conserve peut-être l'espérance de les subjuguer tout-à-fait, et de les mettre au nombre de ses esclaves. L'autruche promet trop d'avantages à l'homme pour qu'elle puisse être en sûreté dans ses déserts. Des peuples entiers ont mérité le nom de strutlw- phageSj par l'usage où ils étoient de manger de l'au- truche; et ces peuples étoient voisins des éléphanto- phages , qui ne faisoient pas meilleure chère. Apicius prescrit, et avec grande raison, une sauce un peu vive pour cette viande; ce qui prouve au moins qu'elle étoit en usage chez les Romains : mais nous en avons d'autres preuves. L'empereur Héliogabale fit un jour servir la cervelle de six cents autruches dans un seul seau de rivière? Voyez Transact. philos., n° 5g4. Un autre ayant oui dire qu'on voyoit en Abyssinie des auUuchcs de la grosseur d'un âne , et ayant appris d'ailleurs qu'elles avoient le cou et les pieds d'un qua- drupède, en a conclu et écrit qu'elles avoient le cou et les pieds d'un âne (Suidas). Il n'y a guère de sujet d'iiîstoire naturelle f(ui ait fait dire autant d'absurdités que l'aiitrurhe. 7)iS/^ OISKADX OUI NE PEUVENT VOLER. repas. Cet empereur avoit, comme on sait, la fan- taisie de ne manger, chaque joui^, que d'une seule viande, comme faisans, cochons, poulets; et l'autru- che étoit du nombre, mais apprêtée sans doute à hi manière d'Apicius. Encore aujourd'hui les habitants de la Libye, de la INumidie, etc., en nourrissent de privées, dont ils mangent la chair et vendent les plu- mes; cependant les chiens ni les chats ne voukirent pas même sentir la chair d'une autruche que Yallis- nieri avoit disséquée, quoique cette chair fût encore fraîche et vermeille. A la vérité, l'autruche étoit d'une très grande maigreur: de plus, elle pouvoitèlre vieille; et Léon l'Africain, qui en avoit goûté sur les lieux, nous apprend qu'on ne mangeoit guère que les jeunes, et même après les avoir engraissées : le rabin David Kimbi ajoute qu'on préféroit les femelles, et peut- être en eût-on fait un mets passable en les soumettant à la castration. Cadamosto et quelques autres voyageurs disent avoir goûté des œufs d'autruche, et ne les avoir point trou- vés mauvais : de Brue et Le Maire assurent que , dans un seul de ces œufs, il y a de quoi nourrir huit hom- mes; d'autres, qu'il pèse autant que trente œufs de poule : mais il y a bien loin de là à quinze livres. On fait avec la coque de ces œufs des espèces de coupes, qui durcissent avec le temps, et ressemblent en quelque sorte à de l'ivoire. Lorsque les Arabes ont tué une autruche, ils lui ouvrent la gorge, font une ligature au dessous du trou ; et, la prenant ensuite à trois ou quatre , ils la re- muent et la ressassent comme on ressasseroit une ou- tre pour la rincer; après quoi, la ligature étant dé- L AUTRUCHE. jji) faite, il sort parle trou fait à la gorge une quantité con- sidérable de mantèque en consistance d'huile figée; on en tire quelquefois jusqu'à vingt livres d'une seule autruche. Cette mantèque n'est autre chose que le sang de l'animal mêlé, non avec sa chair, comme on l'a dit, puisqu'on ne lui en trouvoit point sur le ventre et sur la poitrine , où en effet il n'y en a jamais, mais avec cette graisse qui, dans les autruches grasses, forme, comme nous avons dit, une couche épaisse de plusieurs pouces sur les intestins. Les habitants du pays prétendent que la mantèque est un très bon manger , mais qu'elle donne le cours de ventre. Les Ethiopiens écorchcnt les autruches, et ven- dent leurs peaux aux marchands d'Alexandrie : le cuir en est très épais^, et les Arabes s'en faisoient, autre- fois des espèces de soubrevestes , qui leur lenoient lieu de cuirasse et de bouclier. Belon a vu une grande quantité de ces peaux toutes emplumées dans les bou- tiques d'Alexandrie ; les longues plumes blanches de la queue et des ailes ont été recherchées dans tous les temps : les anciens les employoient comme orne- ment et comme distinction militaire , et elles avoient succédé aux plumages de cygne ; car les oiseaux ont toujours été en possession de fournir aux peuples po- licés , comme aux peuples sauvages , une partie de leur parure. Aldrovande nous apprend qu'on voit en- core à Rome deux statues anciennes, l'une de Minerve et l'autre de Pyrrhus , dont le casque est orné de plu- mes d'autruche. C'est apparemment de ces mêmes 1. Scliwenckfeld prétend que ce cuir épais est fait pour garantir l'autruche contre la rigueur du froid ; il n'a pas pris garde qu'elle n'ha- bitoit que les pays chauds. 556 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. plumes qa'ctoit composé le panache des soldats ro- mains, dont parle Polybe , et qui consistoit en trois plumes noires ou rouges d'environ une coudée de haut; c'est précisément la longueur des grandes plu- mes d'autruche. En Turquie aujourd'hui, un janis- saire qui s'est signalé par quelques faits d'armes a le droit d'en décorer son turban; et la sultane, dans le sérail, projetant de plus douces victoires, les admet dans sa parure avec complaisance. Au royaume de Congo, on mêle ces plumes avec celles du paon pour en faire des enseignes de guerre, et les dames d'An- gleterre et d'Italie s'en font des espèces d'éventails. On sait assez quelle prodigieuse consommation il s'en fait en Europe pour les chapeaux, les casques, les habillements de théâtre , les ameublements, les dais, les cérémonies funèbres , et même pour la parure des femmes; et il faut avouer qu'elles font un bon effet, soit par leurs couleurs naturelles ou artificielles, soit par leur mouvement doux et ondoyant : mais il est bon de savoir que les plumes dont on fait le plus de cas sont celles qui s'arrachent à l'animal vivant, et on les reconnoît en ce que leur tuyau étant pressé dans les doigts donne un suc sanguinolent : celles au con- traire qui ont été arrachées après la mort sont sèches, légères , et fort sujettes aux vers. Les autruches, quoique habitantes du désert, ne sont pas aussi sauvages qu'on l'imagineroit : tous les voyageurs s'accordent à dire qu'elles s'apprivoisent fa- cilement, surtout lorsqu'elles sont jeunes. Les habi- tants de Dara, ceux de Libye, etc., en nourrissent des troupeaux, dont ils tirent sans doute ces phunes de première qualité qui ne se prennent que sur les au- LALTUUCIIE. 55- I ruches vivantes, elles s'apprivoisent même sans qn'oa y mette de soin, et par la seule habitude de voir des Iiommes , et d'en recevoir la nourriture et de bons traitements. Brue en ayant acheté deux à Serinpate sur la côte d'Afrique , les trouva tout apprivoisées lors- ([u'il arriva au fort Saint-Louis. On fait plus que de les apprivoiser; on en a dompté quelques unes, au point de les monter comme on monte un cheval : et ce n'est pas une invention mo- derne; car le tyran Firmius, qui régnoit en Egypte sur la fin du troisème siècle, se faisoit porter , dit-on, par de grandes autruches. Moore , Anglois, dit avoir vu à Joar , en Afrique , un homme voyageant sur Il ne autruche. Yallisnieri parle d'un jeune homme qui s'étoit fait voir à Venise monté sur une autruche, et lui faisant faire des espèces de voltes devant le menu peuple. Enfin M. Adanson a vu au comptoir de Podor deux autruches encore jeunes, dont la plus forte couroit plus vite que le meilleur coureur anglois, quoiqu'elle eût deux nègres sur son dos. Tout cela prouve que ces animaux, sans être absolument fa- rouches, sont néanmoins d'une nature rétive, et que , si on peut les apprivoiser jusqu'à se laisser me- ner en troupeaux, revenir au bercail , et même à souf- frir qu'on les monte, il est difficile, et peut-être im- possible , de les réduire à obéir à la main du cavalier, à sentir ses demandes, comprendre ses volontés, et s'y soumettre. TSous voyons , par la relation même de M, Adanson, que l'autruche de Podor ne s'éloigna pas beaucoup, mais qu'elle fit plusieurs fois le tour de la bourgade, et qu'on ne put l'arrêter qu'en lui bar- rant le passage. Docile à un certain point par stupi- BUFFO\. XIX. 23 j58 oisealx oui ne peuvent voler. dîlé , elle paroît intraitable par son naturel ; et il faut bien que eela soit, puisque l'Arabe, qui a dompté le cheval et subjugué le cbameau, n'a pu encore maî- triser entièrement l'autruche : cependant jusque là on ne pourra tirer parti de sa vitesse et de sa force; car la force d'un domestique indocile se tourne pres- (pîe toujours contre son maître. Au reste , quoique les autruches courent plus vite que le cheval , c'est cependant avec le cheval qu'on les court et qu'on les prend ; mais on voit bien qu'il y faut un peu d'industrie : celle des Arabes consiste à les suivre à vue , sans les trop presser, et surtout à les inquiéter assez pour les empêcher de prendre de la nourriture, mais point assez pour les déter- miner à s'échapper par une fuite prompte; cela est d'autant plus facile qu'elles ne vont guère sur une ligne droite, et qu'elles décrivent presque toujours dans leur course un cercle plus ou moins étendu. Les Arabes peuvent donc diriger leur marche sur un cercle concentrique, intérieur, par conséquent plus étroit, et les suivre toujours à une juste distance, en faisant beaucoup moins de chemin qu'elles. Lorsqu'ils les ont ainsi fatiguées et affamées pendant un ou deux jours, ils prennent leur moment, fondent sur elles au grand galop, en les menant contre le vent autant qu'il est possible, et les tuent à coups de bâton , pour que leur sang ne gâte point le beau blanc de leurs plumes. On dit que, lorsqu'elles se sentent forcées et hors d'état d'échapper aux chasseurs, elles cachent leur tète et croient qu'on ne les voit plus : mais il pourroit se faire que l'absurdité de cette intention retombât sur ceux qui ont voulu s'en rendre les inter- LALTIILCIÏE. 55c) prêtes, et qu'elles n'eussent d'autre but, en cachant leur tète, que de mettre du moins en sûreté la partie qui est en même temps la plus importante et la plus foibl e. Les struthophages avoient une autre façon de prendre ces animaux : ils se couvroient d'une peau d'autruche; passant leur bras dans le cou, ils lui faisoient faire ions les mouvements que fait ordinai- rement l'autruche elle-même ; et, parce moyen, ils pouvoient aisément les approcher et les surprendre. C'est ainsi que les sauvages d'Amérique se déguisent en chevreuils pour prendre les chevreuils. On s'est encore servi de chiens et de filets pour cette chasse , mais il paroît qu'on la fait plus commu- nément à cheval; et cela seul suffit pour expliquer l'antipathie qu'on a cru remarquer entre le chevalet l'autruche. Lorsque celle-ci court, elle déploie ses ailes et les grandes plumes de sa queue : non pas qu'elle en tire aucun secours pour aller plus vite, comme je l'ai déjà dit ; mais par un efïet très ordinaire de la corres- pondance des muscles, et de la manière qu'un homme qui court agite ses bras, ou qu'un éléphant qui revient sur le chasseur dresse et déploie ses grandes oreilles. La preuve sans réplique que ce n'est point pour ac- célérer son mouvement que l'autruche relève ainsi ses ailes c'est qu'elle les relève lors même qu'elle va contre le vent, quoique, dans ce cas, elles ne puis- sent être qu'un obstacle. La vitesse d'un animal n'est que l'eiTet de sa force employée contre sa pesanteur; et, comme l'autruche est en même temps très pesante et très vite à la course, il s'ensuit qu'elle doit avoir 560 OISEAUX QLI ^'E PEUVENT VOLER. beaucoup de force : cependant, malgré sa force, elle conserve les mœurs des granivores ; elle n'attaque point les animaux plus foibles ; rarement même se met-elle en défense contre ceux qui l'attaquent; bor- dée surtout le corps d'un cuir épais et dur, pourvue d'un large sternum qui lui tient lieu de cuirasse, munie d'une seconde cuirasse d'insensibilité , elle s'aperçoit à peine des petites atteintes du dehors, et elle sait se soustraire aux grands dangers par la rapi- dité de sa fuite : si quelquefois elle se défend, c'est vivec le bec , avec les piquants de ces ailes, et sur- tout avec les pieds. Thévenot en a vu une qui , d'un coup de pied , renversa un chien. Eelon dit dans son vieux langage qu'elle pourroit ainsi ruer par terre un homme qui fuiroit devant elle : mais qu'elle jette, en fuyant, des pierres à ceux qui la poursuivent; j'en doute beaucoup, et d'autant plus, que la vitesse de sa course en avant seroit autant de retranché sur celle des pierres qu'elle lanceroit en arrière , et que ces deux vitesses opposées étant à peu près égales, puisqu'elles ont toutes deux pour principe le mou- vement des pieds, elles se détruiroient nécessaire- ment. D'ailleurs ce fait avancé par Pline, et répété par beaucoup d'autres, ne me paroît point avoir été con- firmé par aucun moderne digne de foi, et l'on sait que Pline avoit beaucoup plus de génie que de critique. Léon l'Africain a dit que l'autruche étoit privée du sens de l'ouïe; cependant nous avons vu plus haut qu'elle paroissoit avoir tous les organes d'où dépen- dent les sensations de ce genre ; l'ouverture des oreilles est même fort grande , et n'est point ombragée par les plumes : ainsi il est probable , ou qu'elle n'est L AUTRUCHE. 5() 1 sourde qu'en certaines circonstances comme le letras, c'est-à-dire dans la saison de l'amour, ou qu'on a impute quelquefois à surdité ce qui n'étoit que l'eflct de la stupidité. C'est aussi dans la même saison , selon toute ap- parence , qu'elle fait entendre sa voix ; elle la fait ra- rement entendre, car très peu de personnes en ont parlé. Les écrivains sacrés comparent son cri à un gémissement, et on prétend même cjue son nom hébreu, jacnali^ est formé d'ianahj qui signifie hurler. Le docteur Browne dit que ce cri ressemble à la voix d'un enfant enroué, et qu'il est plus triste encore : comment donc avec cela ne paroîtroit-il pas lugubre et même terrible, selon l'expression de M. Sandys, à des voyageurs qui ne s'enfoncent qu'avec inquiétude dans l'immensité de ces déserts, et pour qui tout être animé, sans en excepter l'homme, est un objet à craindre et une rencontre dangereuse? LE TOUVOU. Stratlilo liliea. L. L'autruche de l'Amérique méridionale, appelée aussi autruclic d'Occident^ autruclie de Magellan et de la Gidane^ n'est point une autruche : je crois que Le Maire est le premier voyageur qui, trompé par quelques traits de ressemblance avec l'autruche d'A- frique, lui ait appliqué ce nom. Klein, qui a bien vu que l'espèce étoit diflerente, s'est contenté de l'ap- 362 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. peler autruche bâtarde. M. Barrère la nomme tantôt wvï. héron, tantôt une grue ferrlvorCj tantôt un cmeii à long cou; d'autres ont cru beaucoup mieux faire en lui appliquant , d'après des rapports, à la vérité mieux saisis, cette dénomination composée, casoar gris à bec d' autruche, Moehring et M. Brisson lui donnent le nom latin de rhea, auquel le dernier ajoute le nom américain de touyou, formé de celui de touyouyou qu'il porte communément dans la Guiane ; d'autres sauvages lui ont donné d'autres noms, yardu ^yandUj, anduj et nanduguacu ^ au Brésil ; sallianj dans l'île de Maragnan ; surij, au Chili, etc. Voilà bien des noms pour un oiseau si nouvellement connu : pour moi, j'adopterai volontiers celui de touyou que lui adonné, ou plutôt que lui a conservé M. Brisson , et je pré- férerai, sans hésiter, ce nom barbare, qui vraisembla- blement a quelque rapport h la voix ou au cri de l'oiseau; je le préférerai, dis-je, aux dénominations scientifiques, qui trop souvent ne sont propres qu'à donner de fausses idées, et aux noms nouveaux qui n'indiquent aucun caractère, aucun attribut essentiel à l'être auquel on les applique. M. Brisson paroi t croire qu'Aldrovande a voulu dé- signer le touyou sous le nom d'avis eme; et il est très vrai qu'au tome Ilï de Y Ornithologie de ce dernier, page 541 ? il se trouve une planche qui représente le touyou et le casoar, d'après les deux planches de Nieremberg, page 218, et qu'au dessus de la planche d'Aldrovande est écrit en gros caractères, avis eme, de même que la figure du touyou, dans INieremberg, porte en tête le nom d'cmeu. Mais il est visible que ces deux titres ont été ajoutés par les graveurs ou les ini- LE TOUYOU. ~)(y7} primeurs, peu instruits de l'intention des auteurs : car Aldrovande ne dit pas un mot du touyou; Nieremberg n'en parle que sous le nom à'yardoa, de suri, et d'autruche d' Occident ^ et tous deux, dans leur des- cription, appliquent les noms d'cjnc et d'émeu au seul casoar de Java; en sorte que, pour prévenir la con- fusion des noms, Verne d'Aldrovande et ïemeu de INieremberg ne doivent plus désormais reparoître dans la liste des dénominations du touyou. Marcgrave dit que les Portugais l'appellent ema dans leur langue; mais les Portugais, qui avoient beaucoup de relations dans les Indes orientales, connoissoient l'émeu de Java, et ils ont donné son nom au touyou d'Amérique, qui lui ressembloit plus qu'à aucun autre oiseau, de même que nous avons donné le nom d'autruche à ce même touyou; et il doit demeurer pour constant que le nom d'émeu est propre au casoar des Indes orien- tales, et ne convient ni au touyou ni à aucun autre oiseau d'Amérique. En détaillant les différents noms du touyou, j'ai indiqué en partie les différentes contrées où il se trouve ; c'est un oiseau propre à l'Amérique méri- dionale, mais qui n'est pas également répandu dans toutes les provinces de ce continent. Marcgrave nous apprend qu'il est rare d'en voir aux environs de Fer- nambouc ; il ne l'est pas moins au Pérou et le long des côtes les plus fréquentées : mais il est plus com- mun dans la Guiane, dans les capitaineries de Séré- gippe et de Rio-Grande, dans les provinces intérieures du Brésil, au Chili, dans les vastes forêts qui sont au nord de l'embouchure de la Plata , dans les savanes immenses qui s'étendent au sud de cette rivière, et 364 OISE AL' X QUI NE PEUVENT VOLER. dans toute la terre Magellanîque, jusqu'au port Désiré, et même jusqu'à la côte qui borde le détroit de Ma- gellan. Autrefois il y avoitdes cantons dans le Paraguai qui en étoient remplis , surtout les campagnes arro- sées par rUraguai ; mais , à mesure qLie les hommes s'y sont multipliés, ils en ont tué un grand nombre , et le reste s'est éloigné. Le capitaine Wood assure 'n qu'ils abondent sur la côte septentrion? L. a!( du détroit de Magellan, on n'en voit point du toul; sur la côte méridionale : et, quoique Coréal dise qu'il en a aperçu dans les îles de la mer du Sud, ce détroit paroît être la borne du climat qui convient au touyou, comme le cap de Eonne-Espérance est- la borne du climat qui convient aux autruches ; et ces îles de la mer du Sud , où Coréal dit avoir vu des touyous, seront apparemment quelques unes de celles qui avoisinent les côtes orientales de l'Amérique au delà du détroit. Il paroît de plus que le touyou, qui se plaît, comme l'autruche, sous la zone torride, s'ha- bitue plus facilement à des pays moins chauds, puis- que la pointe de l'Amérique méridionale, qui est ter- minée parle détroit de Magellan, s'approche bien plus du pôle que le cap de Bonne-Espérance ou qu'aucun autre climat habité volontairement par les autruches : mais comme, selon toutes les relations, le touyou n'a pas plus que l'autruche la puissance de voler, qu'il est, comme elle, im oiseau tout-à-fait terrestre, et que l'A- mérique méridionale est séparée de l'ancien continent par des mers immenses, il s'ensuit qu'on ne doit pas plus trouver de touyous dans ce continent qu'on ne trouve d'autruches en Amérique, et cela est en effet conforme au témoignage de tous les voyageurs. LE ÏOUÏOC. vlG.") Le toiiyoïi, sans être toiit-à-fiiit aussi gros que l'au- Iruche, est le plus gros du Nouveau-Monde : les vieux ont jusqu a six pieds de haut; et Wafer, qui a mesuré la cuisse d'un des plus grands, l'a trouvée presque égale à celle d'un homme. Il a le long cou, la petite tête, et le bec aplati de l'autruche ^; mais, pour tout le reste, il a plus de rapport avec le casoar : je trouve même dans Y Histoire du Brésil par M. l'abbé Prévost, mais point ailleurs, l'hidication d'une espèce de corne que cet oiseau a sur le bec, et qui , si elle existoit en effet, seroit un trait de ressemblance de plus avec le casoar. Son corps est de forme ovorde, et paroît presque entièrement rond, lorsqu'il est revêtu de toutes ses plumes; ses ailes sont très courtes et inutiles pour le vol , quoiqu'on pi'élende qu'elles ne soientpas inutiles pour la course : il a sur le clos et aux environs du croupion de longues plumes qui lui tombent en ar- rière et recouvrent l'anus; il n'a point d'autre queue : tout ce plumage est gris sur le dos et blanc sur le ventre. C'est un oiseau très haut monté, ayant trois doigts à chaque pied , et tous trois en avant ; car on ne doit pas regarder comme un doigt ce tubercule calleux et arrondi qu'il a en arrière, et sur lequel le pied se repose comme sur une espèce de talon : on attribue à cette conformation la difficulté qu'il a de se tenir sur un terrain glissant, et d'y marcher sans tomber; en 1. Ou voit daas la figure de Nieremberg , page 2 iS, une espèce de calotte sur le sommet de la tête, qui a du rapport à la plaque dure et calleuse que l'autruche a au même endroit, selon le docteur Browne (vo) . riiisloire de lautruclie); mais il u'esl question de cetle calotte \\\ dans la dcscripliou de INieremberg . ui dans aucune aulrc. 566 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. récompense , il court très légèrement en pleine cam- pagne, élevant tantôt une aile , tantôtune autre, mais avec des intentions qui ne sont point encore bien éclaircies. Marcgrave prétend que c'est afin de s'en servir comme d'une voile pour prendre le vent; Nie- remberg, que c'est pour rendre le vent contraire aux chiens qui le poursuivent ; Pison et Klein , pour chan- ger souvent la direction de sa course, afin d'éviter par ses zigzags les flèches des sauvages; d'autres enfin, qu'il cherche à s'excitei à courir plus vite, en se pi- quant lui-même avec une espèce d'aiguihon dont ses ailes sont armées. Mais, quoi qu'il en soit des inten- tions des touyous, il est certain qu'ils courent avec une très grande vitesse , et qu'il est difficile à aucun chien de chasse de pouvoir les atteindre : on en cite un qui, se voyant coupé, s'élança avec une telle rapi- dité qu'il en imposa aux chiens , et s'échappa vers les montagnes. Dans l'impossibihté de les forcer, les sau- vages sont réduits à user d'adresse et à leur tendre des pièges pour les prendre. Marcgrave dit qu'ils vivent de chair et de fruits; mais , si on les eût mieux observés, on eût reconnu sans doute pour laquelle de ces deux sortes de nourriture ils ont un appétit de préférence. Au défaut des faits, on peut conjecturer que ces oiseaux ayant le même instinct que celui des autruches et des frugivores, qui est d'avaler des pierres, du fer, et autres corps durs, ils sont aussi frugivores, et que, s'ils mangent quelquefois de la chair, c'est, ou parce qu'ils sont pressés par la faim, ou qu'ayant les sens du goût et de l'odorat obtus comme l'autruche, ils avalent indistinctement tout ce qui se présente. LE TOUYOr. 7)6 J Nieremberg conte des choses fort étranges an sujefc de leur propagation : selon lui, c'est le maie qui se charge de couver les œufs; pour cela, il fait en sorte de rassembler vingt ou trente femelles, afin qu'elles pondent dans un même nid ; dès qu'elles ont pondu , il les chasse à grands coups de bec, et vient se poser sur leurs œufs, avec la singulière précaution d'en laisser deux à l'écart qu'il ne couve point ; lorsque les autres commencent à éclore, ces deux là se trouvent gâtés, et le mâle prévoyant ne manquent pas d'en casser un, qui attire une multitude de mouches, de scarabées et d'autres insectes dont les petits se nour- risent : lorsque le premier est consommé , le cou- veur entame le second et s'en sert au même usage. Il est certain que tout cela a pu arriver naturellement ; il a pu se faire que des œufs inféconds se soient cas- sés par accident, qu'ils aient attiré des insectes, les- quels aient servi de pâture aux jeunes touyous : il n'y a que l'intention du père qui soit suspecte ici; car ce sont toujours ces intentions qu'on prête assez légè- rement aux betes, qui font le roman de l'histoire na- turelle. A l'égard de ce mâle qui se charge, dit-on, de couver à l'exclusion des femelles , je serois fort porté à douter du fait, et comme peu avéré, et comme contraire à l'ordre de la nature. Mais ce n'est pas assez d'indiquer une erreur; il faut , autant qu'on peut, en découvrir les causes, qui remontent quelquefois jus- qu'à la vérité : je croirois donc volontiers que celle- ci est fondée sur ce qu'on aura trouvé à quelques couveuses des testicules, et peut-être une apparence de verge comme on en voit à l'autruche femelle, et 368 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. qu'on se sera cru en droit d'en conclure que c'étoit autant de mâles. Wafer dit avoir aperçu dans une terre déserte , au nord de la Plata, vers le S/i.""" degré de latitude méri- dionale , une quantité d'œufs de touyou dans le sable, où, selon lui, ces oiseaux les laissent couver. Si ce fait est vrai , les détails que donne Nieremberg sur l'incubation de ces mômes œufs ne peuvent l'être que dans un climat moins chaud et plus voisin du pôle. En effet, les Hollandois trouvèrent aux environs du port Désiré, qui est au 47'"'' degré de latitude, un touyou qui couvoit, et qu'ils firent envoler ; ils comp- tèrent dix-neuf œufs dans le nid. C'est ainsi que les autruches ne couvent point ou presque point leurs œufs sous la zone torride, et qu'elles les couvent au cap de Bonne-Espérance, où la chaleur du climat ne seroit pas suffisante pour les faire éclore. Lorsque les jeunes touyous viennent de naître, ils sont familiers et suivent la première personne qu'ils rencontrent; mais en vieillissant ils acquièrent de l'ex- périence et deviennent sauvages. 11 paroît qu'en géné- ral leur chair est un assez bon manger, non cependanl celle des vieux, qui est dure et de mauvais goût. On pourroit perfectionner cette viande en élevant des troupeaux de jeunes touyous, ce qui seroit facile, vu les grandes dispositions qu'ils ont à s'apprivoiser, les engraissant et employant tous les moyens qui nous ont réussi à l'égard des dindons, qui viennent éga- lement des climats chauds et tempérés du continent de l'Amérique. Leurs plumes ne sont pas, à beaucoup près, aussi belles que celles de l'autruche : Coréal dit même Pl,:ia5. Tome : PaaQTLet, scatp. 1.1.E CAS0AR_2.L' OUTARDE . LE TOUYOL. 069 cju'eiles ne peuvent servir à rien. Il seroit à désirer qu'au lieu de nous parler de leur peu de valeur, les voyageurs nous eussent donné une idée Juste de leur structure : on a trop écrit de l'autruche, et pas assez du touyou. Pour faire l'histoire de la première, la pkis grande difficulté a été de rassembler tous les faits, de comparer tous les exposés, de discuter toutes les opinions, de saisir la vérité égarée dans le labyrinthe des avis divers, ou noyée dans l'abondance des pa- roles : mais, pour parler du touyou, nous avons été souvent obligés de deviner ce qui est, d'après ce qui doit être ; de commenter un mot échappé par hasard , d'interpréter jusqu'au silence; au défaut du vrai, de nous contenter du vraisemblable ; en un mot, de nous résoudre à douter de la plus grande partie des faits principaux, et à ignorer presque tout le reste, jusqu'à ce que les observations futures nous mettent en état de remplir les lacunes que, faute de mémoires suffi- sants, nous laissons aujourd'hui dans son histoire. LE CASOAir. Strutlilo Casuarlnm. L. Les Hollandoissont les premiers qui ont fait voir cet oiseau à l'Europe; ils le rapportèrent de l'île de Java en 1 597, à leur retour du premier voyage qu'ils avoient fait aux Indes orientales : les habitants du pays l'ap- pellent cmc^ dont nous avons fait cmeu. Ceux qui l'ont 1. En Europe, cosoar ou cosoivar. OyO OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. apporté lui ont donné le nom de cassoware^ que nous prononçons casoarj et que j'ai adopté, parce qu'il n a jamais été appliqué à aucun autre oiseau ; au lieu que celui à'émeu a été appliqué , quoique mal à propos, au touyou, comme nous l'avons vu ci-dessus dans l'histoire de cet oiseau. Le casoar, sans être aussi grand ni même aussi gros que l'autruclie, paroîtplus massif aux yeux, parce que avec un corps d'un volume presque égal, il a le cou et les pieds moins long et beaucoup plus gros à propor- tion , et la partie du corps plus renflée , ce qui lui donne un air plus lourd. Celui qui a été décrit par MM. de l'Académie des Sciences avoit cinq pieds et demi, du bout du bec au bout des ongles : celui que Clusiusa observé étoit d'un quart plus petit. Houtman lui donne une grosseur double de celle du cygne , et d'autres Hollandois celle d'un mouton. Cette variété de mesures, loin de nuire à la vérité, est au contraire la seule chose qui paisse nous donner une connolssance approchée de la vé- ritable grandeur du casoar; car la taille d'un seul in- dividu n'est point la grandeur de Fespéce , et l'on ne peut se former une idée juste de celle-ci qu'en la considérant comme une quantité variable entre cer- taines limites : d'où il suit qu'un naturaliste, qui auroit comparé avec une bonne critique toutes les dimensions et les descriptions des observateurs , auroit des notions plus exactes et plus sûres de l'espèce que chacun de ces observateurs qui n'auroit connu que l'individu qu'il auroit mesuré et décrit. Le trait le plus remarquable dans la figure du ca- soar est cette espèce de casque conique, noir par LE CASOAR. 0^1 devant, jaune dans tout le reste, qui s'élève sur le front, depuis la base du bec jusqu'au milieu du som- met de la tête, et quelquefois au delà : ce casque est formé par le renflement des os du crâne en cet en- droit, et il est recouvert d'une enveloppe dure, com- posée de plusieurs couches concentriques, et analogues à la substance de la corne de bœuf; sa forme totale est à peu près celle d'un cône tronqué, qui a trois pouces de haut, un pouce de diamètre à sa base , et trois lignes à son sommet. Clusius pensoit que ce casque tomboit tous les ans avec les plumes lorsque l'oiseau étoit en mue : mais MM. de l'Académie des Sciences ont remarqué , avec raison, que c'étoit tout au plus l'enveloppe extérieure qui pouvoit tomber ainsi, et non le noyau intérieur, qui, comme nous l'avons €lit , fait partie des os du crâne; et même ils ajoutent qu'on ne s'est point aperçu de la chute de cette enveloppe à la ménagerie de Versailles , pendant les quatre années que le casoar qu'ils décrivoient y avoit passées : néanmoins il peut se faire qu'elle tombe en effet, mais en détail, et par une espèce d'exfoîia- tion successive, conmie le bec de plusieurs oiseaux, et que cette particularité ait échappé aux gardes de la ménagerie. L'iris de l'œil est d'un jaune de topaze, et la cor- née singulièrement petite, relativement au globe de l'œil ; ce qui donne à l'animal un regard également farouche et extraordinaire; la paupière inférieure est la plus grande, et celle du dessus est garnie, dans sa partie moyenne, d'un rang de petits poils noirs, le- quel s'arrondit au dessus de l'œil en manière de sour- cil, et forme au casoar une sorte de physionomie que v>72 OISEAUX OUI XE PEUVENT VOLET.. la grande ouverture du bec achève de rendre mena- çante; les orifices extérieurs des narines sont fort près de la pointe du bec supérieur. Dans le bec, il faut distinguer la charpente du té- gument qui la recouvre : cette charpente consiste en trois pièces très solides, deux desquelles forment le pourtour, et la troisième l'arête supérieure, qui est beaucoup plus relevée que dans l'autruche : toutes les trois sont recouvertes par une membrane qui rem- plit les entre-deux. Les mandibules supérieure et inférieure du bec ont leurs bords un peu échancrés vers le bout, et parois- sent avoir chacune trois pointes. La tête et le haut du cou n'ont que quelques petites plumes, ou plutôt quelques poils noirs et clair semés, en sorte que dans ces endroits la peau paroît à dé- couvert : elle est de diflerente couleur, bleue sur les côtés, d'un violet ardoisé sous la gorge, rouge par derrière en plusieurs places, mais principalement vers le milieu: et ces places rouges sont un peu plus re- levées que le reste, par des espèces de rides ou de hachures obliques dont le cou est sillonné : mais il faut avouer qu'il y a variété dans la disposition de ces couleurs. Les trous des oreilles étoient fort grands dans le casoar décrit par MM. de l'Académie, fort petits dans celui décrit par Clusius, mais découverts cLans tous deux, et environnés, comme les paupières, de petits poils noirs. Vers le milieu de la partie antérieure du cou, à l'endroit où commencent les grandes phuiies, naissent deux barbillons rouges et biens, arrondis par le ])out, LE CASOAR. 575 que Bontius met dans la ligure iuimëdialeinent au dessus du bec , comme dans les poules. Frisch en a représenté quatre, deux plus longs sur les côtés du cou, et deux en devant, plus petits et plus courts; le casque paroît aussi plus large dans sa figure , et approche de la forme d'un turban. 11 v a au Cabinet du Ptoi une tête qui paroit être celle d'an casoar, et qui porte un tubercule diiférent du tubercule du ca- soar ordinaire : c'est au temps et à l'observation à nous apprendre si ces variétés et celles que nous remarque- rons dans la suite sont constantes ou non ; si quel- ques unes ne viendroient pas du peu d'exactitude des dessinateurs, ou si elles ne tiendroient pas à la diffé- rence du sexe ou à quelque autre circonstance. Frisch prétend avoir reconnu dans deux casoars empaillés des variétés qui distinguoient le mâle de la femelle; mais ii ne dit pas quelles sont ces différences. Le casoar a les ailes encore plus petites que l'au- truche, et tout aussi inutiles pour le vol; elles sont ar- mées de piquants, et même en plus grand nombre que celles de l'autruche. Clausius en a trouvé quatre à chaque aile, i\IM. de l'Académie cinq; et on en compte sept bien distinctes dans la figure de Frisch, planche io5. Ce sont comme des tuyaux de plumes, qui paroissent rouges à leur extrémité , et sont creux dans toute leur longueur; ils contiennent dans leur cavité une espèce de moelle semblable à celle des plumes naissantes des autres oiseaux : celui du milieu a prés d'un pied de longueur, et environ trois lignes de diamètre; c'est le plus long de tous : les latéraux vont en décroissant de part et d'autre, comme les doigts de la main, et à peu près dans le même ordre. ru rroN. \î\. 074 OISEAUX QUI IVE PEUVENT VOLEîl. Swaminerdam s'en servoit en guise de chalumeau pour souffler des parties très délicates, comme les trachées des insectes, etc. On a dit que ces ailes avoient été données au casoar pour l'aider à aller plus vite ; d'au- tres, qu'il pouvoit s'en servir pour frapper, comme avec des houssines : mais personne ne dit avoir vu quel usage il en fait réellement. Le casoar a encore cela de commun avec l'autruche, qu'il n'a qu'une seule espèce de plumes sur tout le corps, aux ailes, autour du croupion , etc. ; mais la plupart de ces plumes sont doubles, chaque tuyau donnant ordinai- rement naissance à deux tiges plus ou moins longues et souvent inégales entre elles : elles ne sont pas d'une structure uniforme dans toute leur longueur; les tiges sont plates, noires, et luisantes, divisées par nœuds en dessous, et chaque nœud produit une barbe ou un filet, avec cette différence que, depuis la racine au milieu de la tige, ces fdets sont plus courts, plus sou- ples, plus branclîus, et, pour ainsi dire, duvetés et d'une couleur de gris tanné, au lieu que, depuis le milieu de la même tige à son extrémité, ils sont plus longs, plus durs et de couleur noire; et comme ces derniers recouvrent les autres et sont les seuls qui paroissent, le casoar, vu de quelque distance, semble être un animal velu, et du même poil que l'ours ou le sanglier. Les plumes les plus courtes sont au cou , les plus longues autour du croupion , et les moyennes dans l'espace intermédiaire : celles du croupion ont jusqu'à quatorze pouces, et retombent sur la partie postérieure du corps; elles tiennent lieu de la queue, qui manquent absolument. Il y a, comme à l'autruche, un espace calleux et LE CASOAR. 3-1,) î\u sur io stcrtaim^ à l'endroit où porte le poids du corps lorsque l'oiseau est couché, et cette partie est plus saillante et plus relevée dans le casoar que dans l'autruche. Les cuisses et les jambes sont revêtues de plumes presque jusqu'auprès du genou; et ces plumes tiroient au gris de cendre dans le sujet observé par Clusius : les pieds, qui sont très gros et très nerveux, ont trois doigts, et non pas quatre, comme le dit Bontius, tous trois dirigés en avant. Les Hollandois racontent que le casoar se sert de ses pieds pour sa défense , ruant et frappant par derrière comme un cheval, se- lon les uns, et, selon les autres, s'élançant en avant contre celui qui l'attaque, et le renversant avec les pieds, dont il lui frappe rudement la poitrine. Clu- sius, qui en a vu un vivant dans les jardins du comte de Solms à La Haye, dit qu'il ne se sert point de son bec pour se défendre, mais qu'il se porte obliquement sur son adversaire et qu'il le frappe en ruant : il ajoute que le môme comte de Solms hii montra un arbre gros comme la cuisse, que cet oiseau avoit fort mal- traité, et entièrement écorché avec ses pieds et ses ongles. Il est vrai qu'on n'a pas remarqué à la ména- gerie de Versailles que les casoars qu'on y a gardés fussent si méchants et si forts; mais peut-être étoient- ils plus apprivoisés que celui de Clusius : d'ailleurs ils vivoient dans l'abondance et dans une plus étroite captivité ; toutes circonstances qui adoucissent à la longue les mœurs des animaux qui ne sont pas abso- lument féroces, énervent leur courage, abâtardissent leur naturel, et les reudent méconnoissables au travers des habitudes nouvellement acquises. 7)'^6 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLElt. Les oniiles du casoar sont très durs, noirs au dehors et blancs en dedans. Linnaeus dit qu'il frappe avec l'ongle du milieu, qui est le plus grand; cependant les descriptions et les ligures de MM. de l'Académie et de M. Brisson représentent l'ongle du doigt inté- rieur comme le plus grand, et il l'est en effet. Son allure est bizarre; il semble qu'il rue du der- rière , faisant en même temps un demi-saut en avant : mais, malgré la mauvaise grâce de sa démarche, on prétend qu'il court plus vite que le meilleur coureur. ' La vitesse est tellement l'attribut des oiseaux, que les plus pesants de cette famille sont encore plus légers à la course que les plus légers d'entre les animaux terrestres. Le casoar a la langue dentelée sur les bords, et si courte, qu'on a dit de lui, comme du coq de bruyère, qu il n'en avoit point : celle qu'a observée M. Perrault avoit seulement un pouce de long et huit lignes de large. Il avale tout ce qu'on lui jette, c'est-à-dire tout corps dont le volume est proportionné à l'ouverture de son bec. Frisch ne voit avec raison dans cette ha- bitude qu'un trait de conformité avec les gallinacés, qui avalent leurs aliments tout entiers, et sans les briser dans leur bec : mais les Hollandois, qui parois- sent avoir voulu rendre plus intéressante l'histoire de cet oiseau, déjà si singulier, en y ajoutant du mer- veilleux, n'ont pas manqué de dire, comme on l'a dit de l'autruche, qu'il avaloit non seulement les pierres, le fer, les glaçons, etc., mais encore des charbons ardents, et sans même en paroitre incommodé. On dit aussi qu'il rend très promptement ce qu'il a pris, et (pielquefois des pommes de la grosseur du LE CASOAR. 5'--' y / poin^, aussi entières qu'il les avoit avalées : et en ef- fet, le tube intestinal est si court, que les aliments doivent passer très vite ; et ceux qui , par leur dureté, sont capables de quelque résistance, doivent éprou- ver peu d'altération dans un si petit trajet, surtout lorsque les fonctions de l'estomac sont dérangées par quelque maladie. On a assuré à Clusius que, dans ce cas, il rendoit quelquefois les œufs de poule, dont il étoit fort friand, tels qu'il les avoit pris, c'est-à-dire bien entiers avec la coque, et que, les avalant une seconde fois, il les digéroit bien. Le fond de la nour- riture de ce même casoar, qui étoit celui du comte de Solms, c'étoit du pain blanc coupé par gros mor- ceaux, ce qui prouve qu'il est frugivore; ou plutôt il est omnivore, puisqu'il dévore en effet tout ce qu'on lui présente, et que s'il a le jabot et le double esto- mac des animaux qui vivent de matières végétales, il a les courts intestins des animaux carnassiers. Le tube intestinal de celui qui a été disséqué par MM. de l'A- cadémie avoit quatre pieds huit pouces de long et deux pouces de diamètre dans toute son étendue; le cœciim étoit double et n'avoit pas plus d'une ligne de diamètre sur trois, quatre, et cinq pouces de lon- gueur : à ce compte, le casoar a les intestins treize fois plus courts que l'autruche, ou du moins de celles qui les ont le plus longs; et, par cette raison, il doit être encore plus vorace, et avoir plus de disposition à manger de la chair : c'est ce dont on pourra s'as- surer, lorsqu'au lieu de se contenter d'examiner des cadavres, les observateurs s'attacheront à étudier la nature vivante. Le casoar a une vésicule du fiel, et son canal, qui 578 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. se croise avec le canal hépatique , va s'insérer plus haut que celui-ci dans le duodonun^, et le pancréa- tique s'insère encore au dessus du cystique; confor- mation absolument différente de ce qu'on voit dans l'autruche. Celle des parties de la génération du mâle s'en éloigne beaucoup moins : la verge a sa racine dans la partie supérieure du rectum; sa forme est celle d'une pyramide triangulaire , large de deux pouces à sa base et de deux hgnes à son sommet ; elle est com- posée de deux ligaments cartilagineux très solides,' fortement attachés l'un à l'autre en dessus, mais sé- parés en dessous, et laissant entre eux un demi-ca- nal qui est revêtu de la peau : les vaisseaux déférents et les uretères n'ont aucune communication apparente avec le canal de la verge; en sorte que cette partie, qui paroît avoir quatre fonctions principales dans les animaux quadrupèdes, la première de servir de con- duit à l'urine, la seconde de porter la liqueur sémi- nale du mfde dans la matrice de la femelle, la troi- sième de contribuer par sa sensibiHté à l'émission de cette liqueur, la quatrième d'exciter la femelle, par son action, à répandre la sienne, semble être réduite, dans le casoar et l'autruche, aux deux dernières fonc- tions, qui sont de produire dans les réservoirs de la liqueur séminale du mâle et de la femelle les mou- vements de correspondance nécessaires pour l'émis- sion de cette liqueur. On a rapporté à Clusius que, l'animal étant vivant, on avoit vu quelquefois sa verge sortir par l'anus : nou- veau trait de ressemblance avec l'autruche. Les œufs de la femelle sont d'un gris de cendre ti- rant au verdâtre, moins gros et phis allongés que ceux LE CASOAR. OJC) de l'autruche, et semés d'une multitude de petits tu- bercules d'un vert foncé ; la coque n'en est pas fort épaisse, selon Clusius, qui en a vu plusieurs; le plus grand de tous ceux qu'il a observés avoit quinze pou- ces de tour d'un sens, et un peu plus de douze de l'autre. Le casoar a les poumons et les dix cellules à air comme les autres oiseaux, et particulièrement comme les oiseaux pesants, cette bourse ou membrane noire propre aux yeux des oiseaux, et cette paupière in- terne qui, comme on sait, est retenue dans le grand angle de l'œil des oiseaux par deux muscles ordinai- res, et qui est ramenée par instants sur la cornée par l'action d'une espèce de poulie jnusculaire, qui mérite toute la curiosité des anatomistes. Le midi de la partie orientale de l'Asie paroît être le vrai climat du casoar; son domaine commence, pour ainsi dire, où finit celui de l'autruche, qui n'a jamais beaucoup dépassé le Gange, comme nous l'a- vons vu dans son histoire, au lieu que celui-ci se trouve dans les îles Moluques, dans celles de ïkinda, de Java, de Sumatra , et dans les parties correspondantes du continent. Mais il s'en faut bien que cette espèce soit aussi multipliée dans son district que l'autruche l'est dans le sien , puisque nous voyons un roi de Joardam, dans l'île de Java, faire présent d'un casoar à Scellin- ger, capitaine de vaisseau hollandois, comme d'un oi- seau rare : la raison en est, ce me semble, que les Indes orientales sont beaucoup plus peuplées que l'A- frique; et l'on sait qu'à mesure que l'homme se mul- tiplie dans une contrée, il détruit ou fait fuir devant lui les animaux sauvages, qui vont toujours cherchant 580 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. des asiles plus paisibles, des terres moins habitées ou occupées par des peuples moins policés, et par con- séquent moins destructeurs. Il est remarquable que le casoar, l'autruche, et le touyou, les trois plus gros oiseaux que l'on connoisse, sont tous trois attachés au climat de la zone torride, qu'ils semblent s'être partagée entre eux, et où ils se maintiennent chacun dans leur terrain, sans se iiiêler ni se surmarcher; tous trois véritablement ter- restres, incapables de voler, mais courant d'une très grande vitesse ; tous trois avalent à peu près tout ce qu'on leur jette , grains, herbes, chairs, os, pierres, cailloux, fer, glaçons, etc.; tous trois ont le cou plus ou moins long, les pieds hauts et très forts, moins de doigts que la plupart des oiseaux, et l'autruche en- core moins que les deux autres; tous trois n'ont de plumes que d'une seule sorte, différentes des plumes des autres oiseaux, et différentes dans chacune de ces trois espèces; tous trois n'en ont point du tout sur la tête et sur le haut du cou , manquent de queue proprement dite, et n'ont que des ailes imparfaites, garnies de quelques tuyaux sans aucune barbe, comme nous avons remarqué que les quadrupèdes des pays chauds avoient moins de poil que ceux des régions du JNord; tous trois, en un mot, paroissent être la production naturelle et propre de la zone torride : mais, malgré tant de rapports, ces trois espèces sont différenciées par des caractères trop frappants pour qu'on puisse les confonehe. L'autruche se distingue du casoar et du touyou par sa grandeur, par ses pieds de chameau et par la nature de ses plumes; elle dif- fère du casoar en particulier par la nudité de ses cuis^ LE CASOAR. 7)Sl ses et de ses flancs; par la longueur et la capacité de ses intestins, et parce qu'elle n'a point de vésicule du fiel; et le casoar diffère du touyou et de l'autruche par ses cuisses couvertes de plumes, presque jusqu'au tarse, par les barbillons rouges qui lui tombent sur le cou, et par le casque qu'il a sur la tête. Mais j'aperçois encore dans ce dernier caractère distinctif une analogie avec les deux autres espèces : car ce casque n'est autre chose , comme on sait, qu'un renflement des os du crâne, lequel est recouvert d'une enveloppe de corne; et nous avons vu dans l'histoire de l'autruche et du touyou que la partie supérieure du crâne de ces deux animaux étoit pareillement mu- nie d'une plaque dure et calleuse. 39-o^>o-i'»»«^'»^»^'0'9«i«e«4^^i LE DRONTE. D'idus incpius. L. On regarde communément la légèreté comme un attribut propre aux oiseaux : mais, si l'on vouloit en faire le caractère essentiel de cette classe , le dronte n'auroit aucun titre pour y être admis; car, loin d'an- noncer la légèreté par ses proportions ou par ses mou- vements, il paroît fait exprès pour nous donner l'idée du plus lourd des êtres organisés. Représentez-vous un corps massif et presque cubique, à peine soutenu sur deux piliers très gros et très courts, surmonté d'une tête si extraordinaire, qu'on la prendroit pour la fan- taisie d'un peintre de grotesques; cette tête, portée 58.'^ OISEALX QUI NE PEUVENT VOLEll. sur un cou renforcé et goitreux, consiste presque tout entière dans un bec énorme , où sont deux gros yeux noirs entourés d'un cercle blanc, et dont l'ouverture des mandibules se prolonge bien au delà des yeux, et prescpe jusqu'aux oreilles; ces deux mandibules, concaves dans le milieu de leur longueur, renflées par les deux bouts, et recourbées ùla pointe en sens con- traire, ressemblent à deux cuillers pointues, qui s'ap- pliquent l'une à l'autre la convexité en dehors : de tout cela il résulte une physionomie stupide etvorace, et qui, pour comble de difformité, est accompagnée d'un bord de plumes, lequel, suivant le contour de la base du bec, s'avance en pointe sur le front, puis s'arrondit autour de la face en manière de capuchon, d'où lui est venu le nom de cygne encapuchonné (Cyc- nus cucullatus). La grosseur qui, dans les animaux, suppose la force, ne produit ici que la pesanteur. L'autruche, le touyou, le casoar, ne sont pas plus en état de voler que le dronte; mais du moins ils sont très vites à la course, au lieu que le dronte paroît accablé de son propre poids, et avoir à peine la force de se traîner: c'est dans les oiseaux ce que le paresseux est dans les qua- drupèdes ; on diroit qu'il est composé d'une matière brute , inactive , où les molécules vivantes ont été trop épargnées. Il a des ailes , mais ces ailes sont trop cour- tes et trop foibles pour l'élever dans les airs; il a une queue, mais cette queue est disproportionnée et hors de sa place : on le prendroit pour une tortue qui se seroit affublée de la dépouille d'un oiseau; et la na- ture , en lui accordant ces ornements inutiles, sem- ble avoir voulu ajouter l'embaiTas à !n pesanteur, la LE DU ON TE. 585 gaucherie des mouvements à l'inertie de la masse , et rendre sa lourde épaisseur encore plus choquante , en faisant souvenir qu'il est un oiseau. Les premiers Hollandois qui le virent dans l'île Maurice, aujourd'hui l'Ile-de-France^, l'appelèrent ivalgli-vogelj oiseau de dégoût, autant à cause de sa hgure rebutante que du mauvais goût de sa chair : cet oiseau bizarre est très gros, et n'est surpassé à cet égard que par les trois précédents; car il surpasse le cygne et le dindon. M. Brisson donne pour un de ses caractères d'avoir la partie inférieure des Jambes dénuée de plumes; cependant la planche ccxciv d'Edwards le représente avec des plumes non seulement jusqu'au bas de la jambe, mais encore jusqu'au dessous de son articu- lation avec le tarse. Le bec supérieur est noirâtre dans toute son étendue, excepté sur la courbure de son crochet, où il y a une tache rouge; les ouvertures des narines sont à peu près , dans sa partie moyenne , tout proche de deux replis transversaux qui s'élèvent en cet endroit sur sa surface. Les plumes du dronte sont, en général, fort dou- ces; le gris est leur couleur dominante, mais plus foncé sur toute la partie supérieure et au bas des jam- bes, et plus clair sur l'estomac, le ventre et tout le dessous du corps; il y a du jaune et du blanc dans les plumes des ailes et dans celles de la queue , qui pa- roissent frisées et sont en fort petit nombre. Clusius n'en compte que quatre ou cinq. 1 . Les Portugais avoient auparavant nommé cette ile , illha do Cime, c'est-à-dire ile aux Cygnes, apparemment parce qu'ils y avoient aperçu des drontes qu'ils prirent j)our des cygnes. 584 OTSEAU\ OUI NE PEUVKxXT VOLEP,. Les pieds et les doigts sont jaunes, et les ongles noirs : chaque pied a quatre doigts, dont trois dirigés en avant, et le quatrième en arrière; c'est celui-ci qui a l'ongle le plus long. Quelques uns ont prétendu que le dronte avoit or- dinairement dans l'estomac une pierre aussi grosse que le poing, et à laquelle on n'a pas manqué d'attri- buer la même origine et les mêmes vertus qu'aux be- zoards; mais Clusius, qui a vu deux de ces pierres de forme et de grandeur différentes, pense que l'oiseau les avoit avalées comme font les granivores, et qu'elles ne s'étoient point formées dans son estomac. Le dronte paroît propre et particulier aux îles de France et de Bourbon, et probablement aux terres de ce continent qui en sont les moins éloignées; mais je ne sache pas qu'aucun voyageur ait dit l'avoir vu ail- leurs que dans ces deux îles. Quelques Hollandois l'ont nommé dodarsc ou do- daers ; les Portu2;ais et les An2;lois dodo : dronte est son nom original; je veux dire celui sous lequel il est connu dans le lieu de son origine; et c'est par cette raison que j'ai cru devoir le lui conserver, et parce que ordinairement les noms imposés par les peuples simples ont rapport aux propriétés de la chose nom- mée. On lui a encore appliqué les dénominations de cy- gne à capuclionj, d'autruche encapuclionncCj de coq étran- ger ^ de walgli-voget; et M. Moehring, qui n'a trouvé aucun de ces noms à son goût, a imaginé celui de ru- pliuSj, que M. Brisson a adopté pour son nom latin, comme s'il y avoit quelque avantage à donner au même animal un nom différent dans chaque langue, et comme si l'effet de cette multitude de synonvmes LE DÎIOM'E. 587) li'ëtoit pas d embarrasser la science et de jeter de la confusion dans les choses. Ne multiplions pas les êtres, disoient autrefois les philosophes; mais aujourd'hui on doit dire et répéter sans cesse aux naturalistes : INe multipliez pas les noms sans nécessité. LE SOLITAIRE ET L'OISEAU DE NAZARE. Didtis solltarius et Didiis Nazareiis. L. Le solitaire, dont parlent Léguât et Carré, et l'oi- seau de Nazareth, dont parie Fr. Gauche, paroissent avoir beaucoup de rapports avec le dronte : mais ils en diftèrent aussi en plusieurs points, el j'ai cru devoir rapporter ce qu'en discutées voyageurs, parce que, si ces trois noms ne désignent qu'une seule et unique espèce, les relations diverses ne pourront qu'en com- pléter l'histoire; et si au contraire ils désignent trois espèces différentes, ce que j'ai à dire pourra être re- gardé comme un commencement d'histoire de cha- cune, ou du moins comme une notice des nouvelles espèces à examiner, de même que l'on voit dans les cartes géographiques une indication de terres incon- nues : dans tous les cas , ce sera un avis aux natura- listes qui se trouveront à portée d'observer ces oi- seaux de plus près, de les comparer, s'il est possible, et de nous en donner une connoissance plus distincte et plus précise. Les seules questions que l'on a faites 7)S6 OISEAUX OUI iNE PEUVENT VOLE P.. sur des choses ignorées ont valu souvent plus d'une découverte. Le solitaire de l'île Rodrigue est un très gros oi- seau , puisqu'il y a des mâles qui pèsent jusqu'à qua- rante-cinq livres : le plumage de ceux-ci est ordinai- rement mêlé de gris et de brun ; mais, dans les femel- les, c'est tantôt le brun et tantôt le jaune blond qui domine. Carré dit que le plumage de ces oiseaux est d'une couleur changeante, tirant sur le jaune, ce qui convient à celui de la femelle, et il ajoute qu'il lui a paru d'une beauté admirable. Les femelles ont au dessus du bec comme un ban- deau de veuve; leurs plumes se renflent tles deux cô- tés de la poitrine en deux touffes blanches, qui re- présentent imparfaitement le sein d'une femme ; les plumes des cuisses s'arrondissent par le bout en forme de coquilles, ce qui fait un fort bon effet; et, comme si ces femelles sentoient leurs avantages, elles ont grand soin d'arranger leur plumage, de le polir avec le bec, et de l'ajuster presque continuellement, en sorte qu'une plume ne passe pas l'autre. Elles ont, selon Léguât, l'air noble et gracieux tout ensemble; et ce voyageur assure que souvent leur bonne mine leur a sauvé la vie. Si cela est ainsi , et que le solitaire et le dronte soient de la même espèce, il faut admet- tre une très grande différence entre le mâle et la fe- melle quant à la bonne mine. Cet oiseau a quelque rapport avec le dindon ; il en auroit les pieds et le bec, si ses pieds n'étoient pas plus élevés et son bec plus crochu : il a aussi le cou plus long proportionnellement, l'œil noir et vif, la lête sans crête ni huppe, et presque point de queue; LE SOLITAÎIIE ET L OISE Al DE NAZAT. E. 7)^'j son derrière, qui est arrondi à peu près comme la croupe d'un ciieval, est revêtu de ces plumes qu'on appelle couvertures. Le solitaire ne peut se servir de ses ailes pour vo- ler ; mais elles ne lui sont pas inutiles à d'autres égards ; l'os de l'aileron se renfle à son extrémité en une espèce de bouton spliérique qui se cache dans les plumes et lui sert à deux usages; premièrement pour se défendre, comme il fait aussi avec le bec ; en second lieu, pour faire une espèce de battement ou de moulinet, en pirouettant vingt ou trente fois du même côté dans l'espace de quatre à cinq minutes : c'est ainsi , dit-on, que le mâle rappelle sa compagne avec un bruit qui a du rapport à celui d'une créce- relle, et s'entend de deux cents pas. On voit rarement ces oiseaux en troupes , quoique l'espèce soit assez nombreuse ; quelques uns disent même qu'on n'en voit guère deux ensemble. Ils cherchent les lieux écartés pour faire leur ponte : ils construisent leur nid de feuilles de palmier amon- celées à la hauteur d'un pied et demi ; la femelle pond dans ce nid un œuf beaucoup plus gros qu'un œuf d'oie, et le mâle partage avec elle la fonction de couver. Pendant tout le temps de l'incubation , et même celui de l'éducation, ils ne souffrent aucun oiseau de leur espèce à plus de deux cents pas à la ronde : et l'on prétend avoir remarqué que c'est le mâle qui chasse les mâles, et la femelle qui chasse les femelles; remarque difficile à faire sur un oiseau qui passe sa vie dans les lieux les plus sauvages et les plus écartés. L'œuf, car il paroît que ces oiseaux n'en pondent qu'un , ou plutôt n'en couvent qu'un à la fois; l'otHif, T)66 U.SEAIX QUI NE PEUVENT VOUER. dis-je , ne vient à éclore qu'au bout de sept semai- nes^, et le petit n'est en état de pourvoir à ses besoins que plusieurs mois après : pendant tout ce temps, le père et la mère en ont soin; et cette seule circon- stance doit lui procurer un instinct plus perfectionné que celui de l'autruche , laquelle peut en naissant subsister par elle-même, et qui, n'ayant jamais besoin du secours de ses père et mère, vit i'^rolée, sans aucune habitude intime avec eux, et se prive ainsi des avan- tages de leur société, qui, comme je l'ai dit ailleurs, est la première éducation des animaux et celle qui dé- veloppe le plus leurs qualités naturelles : aussi l'autru- che passe-t-elie pour le plus stupide des oiseaux. Lorsque l'éducation du jeune solitaire est unie, le père et la mère demeurent toujours unis et iidèles l'un à l'autre, quoiqu'ils aillent quelquefois se mêler parmi d'autres oiseaux de leur espèce : les soins qu'ils ont donnés en commun au fruit de leur union semblent en avoir resserré les liens; et, lorque la saison les y invite, ils recommencent une nouvelle ponte. On assure qu'à tout âge on leur trouve une pierre dans le gésier, comme au dronte : cette pierre est grosse comme un œuf de j>oule, plate d'un côté, con- vexe de l'autre, et un peu raboteuse et assez dure pour servir de pierre à aiguiser : on ajoute que cette pierre est toujours seule dans leur estomac, et qu'elle est trop grosse pour pouvoir passer par le canal inter- médiaire qui fait la seule communication du jabot au gésier; d'où l'on voudroit conclure que cette pierre 1. Arislote fixe au trcnlième jour le tenue de rincubalioii pour les plus gros oiseaux, tels que i'aigie, Toutartle, l'oie; il est vrai qu'il ue cite pojul l'autruche en col oudroiL LE SOLITAIRE ET LOISEAU DE NAZARE. v^Sg se forme naturellement, et à la manière des bëzoards, dans le gésier du solitaire : mais pour moi j'en con- clus seulement que cet oiseau est granivore ; qu'il avale des pierres et des cailloux comme tous les oiseaux de cette classe, notamment comme l'autruche, le touyou, le casoar, et le dronte, et que le canal de communi cation du jabot au gésier est susceptible d'une dilata- tion plus grande que ne l'a cru Léguât. Le seul nom de solitaire indique un naturel sauvage : et comment ne le seroit-il pas? comment un oiseau qui compose lui seul toute la couvée, et qui par con- séquent passe les premiers temps de sa vie sans aucune société avec d'autres oiseauxde son âge, et n'ayant qu'un commerce de nécessité avec ses père et mère , sau- vages eux-mêmes, ne seroit-il pas maintenu par l'exem- ple et par l'habitude? On sait combien les habitudes premières ont d'influence sur les premières inclina- tions qui forment le naturel; et il est à présumer que toute espèce où la femelle ne couvera qu'un œuf à la fois sera sauvage comme notre solitaire : cependant il paroît encore plus timide que sauvage, car il se laisse approcher, et s'approche même assez familiè- rement, surtout lorsqu'on ne court pas après lui, et qu'il n'a pas encore beaucoup d'expérience ; mais il est impossible de l'apprivoiser. On l'attrape difficile- ment dans les bois, où il peut échapper aux chasseurs par la ruse et par son adresse à se cacher; mais, comme il ne court pas fort vite , on le prend aisément dans les plaines et dans les lieux ouverts. Quand on l'a ar- rêté, il ne jette aucun cri, mais il laisse tomber des larmes , et refuse opiniâtrement toute nourriture. M. Caron, directeur de la compagnie des Indes à BLFFOX. XIV. 25 590 OISEAUX QUI i\E PEUVENT VOLER. Madagascar, en ayant fait embarquer deux venant de l'île de Bourbon pour les envoyer au roi, ils mou- rurent dans le vaisseau, sans avoir voulu boire ni manger. Le temps de leur donner la chasse est depuis le mois de mars au mois de septembre, qui est l'hiver des contrées qu'ils habitent, et qui est aussi le temps où ils sont le plus gras : la chair des jeunes surtout est d'un goût excellent. Telle est l'idée que Léguât nous donne du solitaire : il en parle non seulement comme témoin oculaire, mais comme un observateur qui s'étoit attaché parti- culièrement et long-temps à étudier les mœurs et les habitudes de cet oiseau ; et en effet sa relation, quoi- que gâtée en quelques endroits par des idées fabu- leuses ^, contient néanmoins plus de détails histori- ques sur le solitaire que je n'en trouve dans une foule d'écrits sur des oiseaux plus généralement etplus an- ciennement connus. On parle de l'autruche depuis trente siècles, et l'on ignore aujourd'hui combien elle pond d'œufs et combien elle est de temps à les couver. L'oiseau de Nazareth, appelé sans doute ainsi par corruption, pour avoir été trouvé dans l'île de Nazare, a été observé par Fr. Gauche dans l'île Maurice, au- jourd'hui l'île Françoise ; c'est un très gros oiseau et plus gros qu'un cygne : au lieu de plumes, il a tout le corps couvert d'un duvet noir; et cependant il n'est pas absolument sans plumes, car il en a de noires aux 1. Par exemple , au sujet du premier accouplement des jeunes soli- taires , où son imagination prévenue lui a fait voir les formalités d'une espèce de mariage , au sujet de la pierre de l'estomac , etc. LE SOLITAIRE ET L OISEAU DE NAZARE. 091 ailes et de frisées sur le croupion, qui lui tiennent lieu de queue : il a le bec gros, recourbé un peu par dessous; les jambes (c'est-à-dire les pieds) hautes et couvertes d'écaillés, trois doigts à chaque pied, le cri de l'oison, et sa chair est médiocrement bonne. La femelle ne pond qu'un œuf, et cet œuf est blanc et gros comme un pain d'un sou : on trouve ordinai- rement à côté une pierre blanche , de la grosseur d'un œuf de poule ; et peut-être cette pierre fait-elle ici le même effet que ces œufs de craie blanche que les fermières ont coutume de mettre dans le nid où elles veulent faire pondre leurs poules : celle de Na- zare pond à terre dans les forêts sur de petits tas d'herbes et de feuilles qu'elle a formés ; si on tue le petit, on trouve une pierre grise dans son gésier. La figure de cet oiseau, est-il dit dans une note, se trouve dans le Journal de la seconde navigation des Hollan- dois aux Indes orientales; et ils l'appellent oiseau de nausée : ces dernières paroles semblent décider la question de l'identité de l'espèce entre le dronte et l'oiseau de jXazare, et la prouveroient en effet, si leurs descriptions ne présentoient des différences essen- tielles, notamment dans le nombre des doigts; mais, sans entrer dans cette discussion particulière, et sans prétendre résoudre un problème où il n'y a pas en- core assez de données, je me contenterai d'indi- quer ici les rapports et les différences qui résultent de la comparaison des trois descriptions. Je vois d'abord, en comparant ces trois oiseaux à la fois, qu'ils appartiennent au même climat et pres- que aux mêmes contrées : car le dronte habite l'île de Bourbon et l'île Françoise , à laquelle il semble avoir J92 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. donné son nom à' île aux Cygnes^ comme je l'ai remar- qué plus haut. Le solitaire habitoit l'île Ptodrigiie dans le temps qu'elle étoit entièrement déserte, et on l'a vu dans l'île de Bourbon ; l'oiseau de Nazare se trouve dans l'île de Nazare, d'où il a tiré son nom, et dans l'île Françoise^: or ces quatre îles sont voisines les unes des autres ; et il est à remarquer qu'aucun de ces oiseaux n'a été aperçu dans le continent. Ils se ressemblent aussi tous trois plus ou moins par la grosseur, par l'impuissance de voler, par la forme des ailes, de la queue, et du corps entier ; et on leur a trouvé à tous une ou plusieurs pierres dans le gésier, ce qui les suppose tous trois granivores ; outre cela , ils ont tous trois une allure fort lente ; car, quoique Léguât ne dise rien de celle du solitaire, on peut ju- ger, par la figure qu'il donne de la femelle 2, que c'est un oiseau très pesant. Comparant ensuite ces mêmes oiseaux pris deux à deux, je vois que le plumage du dronte se rapproche de celui du solitaire pour la couleur, et de celui de l'oiseau de Nazare pour la qualité de la plume qui n'est que du duvet, et que ces deux derniers oiseaux con- viennent encore en ce qu'ils ne pondent et ne cou- vent qu'un œuf. Je vois de plus qu'on a appliqué au dronte et à l'oi- seau de Nazare le même nom d'oiseau de dégoût. Voilà les rapports, et voici les différences : Le solitaire a les plumes de la cuisse arrondies par le bout en coquilles ; ce qui suppose de véritables plu- mes, comme en ont ordinairement les oiseaux, et 1. Voyez ci-dessus l'histoire de ces oiseaux. 2. Voyage de Léguât, toine I. LE SOLITAIRE ET L OISEAU DE NAZARE. 0^3 non du duvet, comme en ont le dronte et l'oiseau de Nazare. La femelle du solitaire a deux touffes de plumes blanches sur la poitrine : on ne dit rien de pareil de la lemelle des deux autres. Le dronte a les plumes qui bordent la base du bec disposées en manière de capuchon; et cette disposi- tion est si frappante, qu'on en a fait le trait caracté- ristique de sa dénomination [Cycnus cucuUatus) : de phîs, il a les yeux dans le bec, ce qui n'est pas moins frappant; et l'on peut croire que Léguât n'a rien vu de pareil dans le solitaire, puisqu'il se contente de dire de cet oiseau qu'il avoit tant observé, que sa tête étoit sans crête et sans huppe; et Gauche ne dit rien du tout de celle de l'oiseau de Nazare. Les deux derniers sont haut montés, au heu que le dronte a les pietls très gros et très courts. Celui-ci , et le solitaire, qu'on dit avoir à peu près les pieds du dindon, ont quatre doigts, et l'oiseau de Nazare n'en a que trois, selon le témoignage de Cauche. Le solitaire a un battement d'ailes très remarqua- ble, et qui n'a point été remarqué dans les deux autres. Enfin il paroît que la chair des solitaires, et surtout des jeunes, est excellente; que celle de l'oiseau de Nazare est médiocre, et celle du dronte mauvaise. Si cette comparaison, qui a été faite avec la plus grande exactitude, ne nous met pas en état de pren- dre un parti sur la question proposée, c'est parce que les observations ne sont ni assez multipliées ni assez sûres. Il seroit donc à désirer que les voyageurs, et 594 OISEAUX QUI NE PEUVENT VOLER. surtout les naturalistes, qui se trouveront à portée, examinassent ces trois oiseaux, et qu'ils en fissent une description exacte, qui porteroit principalement, Sur la forme de la tête et du bec ; Sur la qualité des plumes ; Sur la forme et les dimensions des pieds; Sur le nombre des doigts; Sur les diflé renées qui se trouvent entre le mâle et la femelle, Entre les poussins et les adultes; Sur leur façon de marcher et de courir; En ajoutant, autant qu'il seroit possible, ce que l'on sait dans le pays sur leur génération, c'est-à-dire sur leur manière de se rappeler, de s'accoupler, de faire leur nid, et de couver; Sur le nombre, la forme, la couleur, le poids, et le volume de leurs œufs ; Sur le temps de l'incubation; Sur leur manière d'élever leurs petits; Sur la façon dont ils .se nourrissent eux-mêmes; Enfin sur la forme et les dimensions de leur esto- mac, de leurs intestins, et de leurs parties sexuelles. LOLTAllDE. JCJ.) L'OUTARDE'. Otis tarda, L. La première chose que l'on doit se proposer lors- qu'on entreprend d'écJaircir l'histoire d'un animal c'est de faire une critique sévère de sa nomenclature, de démêler exactement les différents noms qui lui ont été donnés dans toutes les lani^ues et dans tous les temps, de distinguer, autant qu'il est possible , les espèces différentes auxquelles les mêmes noms ont été appliqués; c'est le seul moyen de tirer parti des connoissances des anciens, et de les lier utilement aux découvertes des modernes, et par conséquent le seul moyen de faire de véritables progrès en histoire naturelle. En effet, comment, je ne dis pas un seul homme, mais une génération entière , mais plusieurs générations de suite, pourroient-elles faire complè- tement l'histoire d'un seul animal.^ Presque tous les animaux craignent l'homme et le fuient ; le caractère de supériorité que la main du Très-Haut a gravé sur son front leur inspire plus de frayeur que de respect ; ils ne soutiennent point ses regards; ils se défient de ses embûches; ils redoutent ses armes; ceux mêmes qui pourroient se défendre par la force, ou résister par leur masse, se retirent dans des déserts que nous ne daignons pas leur disputer, ou se retranchent dans 1. Eu latin, avis tarda ; en italien, starda; eu allemand, trappa ; en anglois . hustard. 7)gQ l'outarde. des forêts impénétrables : les petits , sûrs de nous échapper par leur petitesse , et rendus plus hardis par leur foiblesse même, vivent chez nous malgré nous, se nourrissent à nos dépens , quelquefois même de notre propre substance , sans nous être mieux connus ; et parmi le grand nombre de classes intermédiaires, renfermées entre ces deux classes extrêmes , les uns se creusent des retraites souterraines, les autres s'en- foncent dans la profondeur des eaux, d'autres se per- dent dans le vague des airs , et tous disparoissent devant le tyran de la nature. Comment donc pour- rions-nous , dans un court espace de temps, voir tous les animaux dans toutes les situations où il faut ie!i avoir vus pour connoître à fond leur naturel, leurs mœurs, leur instinct, en un mot, les principaux faits de leur histoire? On a beau rassembler à grands frais des suites nombreuses de ces animaux, conserver avec soin leur dépouille extérieure, y joindre leurs sque- lettes artistement montés , donner à chaque individu son attitude propre et son air naturel : tout cela ne représente que la nature morte , inanimée , superfi- cielle ; et si quelque souverain avoit conçu l'idée vrai- ment grande de concourir à l'avancement de cette belle partie de la science, en formant de vastes mé- nageries, et réunissant sous les yeux des observateurs un grand nombre d'espèces vivantes, on y prendroit encore des idées imparfaites de la nature : la plupart des animaux, intimidés par la présence de l'homme, importunés par ses observations, tourmentés d'ailleurs par l'inquiétude inséparable de la captivité, ne mon- treroient que des mœurs altérées, contraintes, et peu dignes des regards d'un philosophe, pour qui la na- L OUTARDE. ^97 ture libre, indépendante, et, si l'on veut, sauvage, est la seule belle nature. Il faut donc, pour connoître les animaux avec quel- que exactitude, les observer dans l'état sauvage, les suivre jusque dans les retraites qu'ils se sont choisies eux-mêmes, jusque dans ces antres profonds et sur ces rochers escarpés où ils vivent en pleine liberté : il faut même, en les étudiant, faire en sorte de n'en être point aperçu; car ici l'œil de l'observateur, s'il n'est en quelque façon invisible, agit sur le sujet ob- servé, et l'altère réellement : mais comme il est fort peu d'animaux, surtout parmi ceux qui sont ailés, qu'il soit facile d'étudier ainsi, et que les occasions de les voir agir d'après leur naturel véritable, et mon- trer leurs mœurs franches et pures de toute con- trainte, ne se présentent que de loin en loin, il s'en- suit qu'il faut des siècles et beaucoup de hasards heu- reux pour amasser tous les faits nécessaires , une grande attention pour rapporter chaque observation à son véritable objet, et conséquemment pour éviter la confusion des noms, qui de toute nécessité entraî- neroit celle des choses; sans ces précautions, l'igno- rance la plus absolue seroit préférable à une prétendue science , qui ne seroit au fond qu'un tissu d'incer- titudes et d'erreurs. L'outarde nous en offre un exem- ple frappant. Les Grecs lui avoient donné le nom à'otis; Aristote en parle en trois endroits sous ce nom , et tout ce qu'il en dit convient exactement à notre ou- tarde : mais les Latins, trompés apparemment par la ressemblance des mots, l'ont confondue avec Votus^ qui est un oiseau de nuit. Pline ayant dit, avec raison, que l'oiseau appelé otis^^v les Grecs se nommoit avis 598 l'outarde. tarda en Espagne , ce qui convient à l'outarde , ajoute que la chair en est mauvaise , ce qui convient à Votas ^ selon Aristote et la vérité , mais nullement à l'outarde; et cette méprise est d'autant plus facile à supposer, que Pline , dans le chapitre suivant , confond évidem- ment Votis avec Votas , c'est-à-dire l'outarde avec le hibou. Alexandre Myndien , dans Athénée , tombe aussi dans la môme erreur , en attribuant à Votas ou à VotiSj, qu'il prend pour un seul et même oiseau, d'avoir les pieds de lièvre , c'est-à-dire velus , ce qui est vrai de YotuSj hibou qui, comme la plupart des oiseaux de nuit, a les jambes et les pieds velus, ou plutôt cou- verts jusque sur les ongles de plumes effilées , et non de VotiSj, qui est notre outarde, et qui a non seule- ment le pied, mais encore la partie inférieure de la jambe immédiatement au dessus du tarse, sans plumes. Sigismond Galenius ayant trouvé dans Hésychius le nom de raplios^ dont l'application n'étoit point déter- minée, l'appropria de son bon plaisir à l'outarde; et depuis, MM. Moehring et Brisson l'ont appliqué au dro^te5 sans rendre compte des raisons qui les y ont engagés. Les Juifs modernes ont détourné arbitrairement l'ancienne acception du mot hébreu anapluiy qui si- gnifioit une espèce de milan , et par lequel ils dési- gnent aujourd'hui l'outarde. M. Brisson, après avoir donné le mot otls comme le nom grec de l'outarde, selon Belon, donne ensuite le mot ot'ida pour son nom grec, selon Aldrovande, ne prenant pas garde que otlda et l'accusatif de otiSj, et par conséquent un seul et même nom; c'est comme LOLTARDE. JQQ s'il eût dit que les uns l'appellent tarda^ et les autres tardam. Schwencfeld prétend que le tetrix dont parle Aris- tote, et qui étoit Vourax des Athéniens, est aussi notre outarde; cependant le peu que dit Aristote du tetrix ne convient point à l'outarde : le tetrix niche parmi les plantes basses, et l'outarde paraii les blés, les or- ges, etc., que probablement Aristote n'a point voulu désigner par l'expression générique de plantes basses. En second lieu, voici comment s'explique ce grand philosophe : « Les oiseaux qui volent peu, comme les perdrix et les cailles, ne font point de nids, mais pondent à terre sur de petits tas de feuilles qu'elles ont amoncelées; l'alouette et le tetrix font aussi de même. » Pour peu qu'on fasse d'attention à ce pas- sage, on voit qu'il est d'abord question des oiseaux pesants et qui volent peu ; qu'Aristote parle ensuite de l'alouette et du tetrix^ qui nichent à terre comme ces oiseaux qui volent peu, quoique apparemment ils soient moins pesants, puisque l'alouette est du nom- bre, et que si Aristote eût voulu parler de notre ou- tarde sous le nom de tetrix., il l'eût rangée sans doute, comme oiseau pesant, avec les perdrix et les cailles et non avec les alouettes, qui, par leurvol élevé, ont mérité, selon Schwencfeld lui-même, le nom de cè- lipètes. Longoîius et Gesner pensent l'un et l'autre que le tetrax diipoete ISemesianus n'est autre chose que l'ou- tarde , et il faut avouer qu'il en a à peu près la gros- seur et le plumage. ^lais ces rapports ne sont pas suf- fisants pour emporter l'identité de l'espèce, et d'autant moins sulïisants, qu'en comparant ce que dit Neme- jOO L OUTARDE. sianus de son tetrax avec ce que nous savons de notre outarde, j'y trouve deux différences marquées : la pre- mière c'est que le /ffr^^ paroît familier par stupidité, et qu'il va se précipiter dans les pièges qu'il a vu qu'on dressoit contre lui; au lieu que l'outarde ne soutient pas l'aspect de l'homme, et qu'elle s'enfuit fort vite, du plus loin qu'elle l'aperçoit : en second lieu, le te- trax faisoit son nid au pied du mont Apennin; au lieu qu'AIdrovande, qui étoit Italien, nous assure positi- vement qu'on ne voit d'outardes en Italie que celles qui y ont été apportées par quelque coup de vent. Il est vrai que Willughby soupçonne qu'elles ne sont point rares dans ces contrées, et cela, sur ce qu'en passant par Modène, il en vit une au marché : mais il me semble que cette outarde unique, aperçue au marché d'une ville comme Modène , s'accorde encore mieux avec le dire d'Aldrovande qu'avec la conjecture de Willughby. M. Perrault impute à Aristote d'avoir avancé que Yotis^ en Scythie, ne couve point ses œufs comme les autres oiseaux, mais qu'elle les enveloppe dans une peau de lièvre ou de renard, et les cache au pied d'un arbre , au haut duquel elle se perche : cependant Aristote n'attribue rien de tout cela à l'outarde , mais à un certain oiseau de Scythie, probablement un oi- seau de proie, puisqu'il savoit écorcher les lièvres et les renards, et qui seulement étoit de la grosseur d'une outarde , ainsi que Pline et Gaza le traduisent; d'ail- leurs, pour peu qu'Aristote connût l'outarde, il ne pouvoit ignorer qu'elle ne se perche point. Le nom composé de trapp-gansZj que les Alle- mands ont appliqué à cet oiseau, a donné lieu èi d'au- l'outarde. /jO! très erreurs; trappoi s'i^niùe marclier, et l'usage a at- taché à ses dérivés une idée accessoire de lenteur, de même qu'au gradatlm des Latins et à Yandante des Italiens; et en cela le mot trapp peut très bien être appliqué à l'outarde, qui, lorsqu'elle n'est point pour- suivie , marche lentement et pesamment : il lui con- viendroit encore , quand cette idée accessoire de len- teur n'y seroit point attachée, parce qu'en caractérisant un oiseau par l'habitude de marcher c'est dire assez qu'il vole peu. A l'égard du mot gansZj, il est susceptible d'équi- voque : ici il doit peut-être s'écrire comme je l'ai écrit avec un z fmal; et de cette manière il signifie beaucoup^ et annonce un superlatif; au lieu que lorsqu'on l'écrit par un *• [ga?is), il signifie ime oie. Quelques auteurs l'ayant pris dans ce dernier sens , l'ont traduit en latin par anser trappas; et cette erreur de nom influant sur la chose, on n'a pas manqué de dire que l'outarde étoit un oiseau aquatique, qui se pîaisoit dans les ma- récages; et Aldrovande lui-même qui avoit été averti de cette équivoque de noms par un médecin hollan- dois , et qui penchoit à prendre le mot gansz dans le même sens que moi , fait cependant dire à Belon, en le traduisant en latin , que l'outarde aime les maré- cages, quoique Belon dise précisément le contraire; et cette erreur en produisant une autre, on a donné le nom iVoutarde à un oiseau véritablement aquatique, aune espèce d'oie noire et blanche que l'on trouve en Canada et dans plusieurs endroits de l'Amérique sep- tentrionale. C'est sans doute par une suite de cette méprise qu'on envoya d'Ecosse à Gesnerla figure d'un oiseau palmipède, sous le nom de gustarde^ qui est le L\oii l'outarde. nom que l'on donne dans ce pays à l'outarde véritable, et que Gesner fait dériver de tarde ^ lent, tardif, et de guss et goose^ qui, en hollandois, et en anglois , signifient une oie. Voilà donc l'outarde , qui est un oiseau tout-à-fait terrestre, travestie en un oiseau aqua- tique, avec lequel elle n'a cependant rien de commun; eticette bizarre métamorphose a été produite évidem- ment par une équivoque de mots. Ceux qui ont voulu justifier ou excuser le nom à'anser trappas ou trapp- ganSj ont été réduits à dire, les uns que les outardes voloient par troupes comme les oies, les autres qu'elles étoient de la même grosseur; comme si la grosseur, ou l'habitude de voler par troupes pouvoient seules caractériser une espèce : à ce compte, les vautours et les coqs de bruyère pourroicnt être rangés avec l'oie. Mais c'est trop insister sur une absurdité : je me hâte de terminer cette liste d'erreurs et cette critique peut-être un peu longue, mais que j'ai crue nécessaire. Belon a prétendu que le tetrao aller de Pline étoit l'outarde, mais c'est sans fondement, puisque Pline parle au même endroit de Vavis tarda. Il est vrai que Belon, défendant son erreur par une autre, avance que Vavis tarda des Espagnols et Votis des Grecs dé- signent le duc : mais il faudroit prouver auparavant, i" que l'outarde se tient sur les hautes montagnes, comme Pline l'assure du tetrao aller [glgnunt eos Al- pes), ce qui est contraire à ce qui a été dit de cet oiseau par tous les naturalistes, excepté jM. Barrère^; i. M. Barrère reconnoît deux outardes d'Europe , mais il est le seul qui les donne pour des oiseaux des Pyrénées; et l'on sait que cet au- teur, né eu Roussillon , rapporloit aux montagnes des Pyrénées tous les animaux des provinces adjacentes. l'outarde. ^jO.l a'* que le duc, et noa l'outarde, a été en eflet connu en Espagne sous le nom d'avis tarda^ et en Grèce sous celui à'otis; assertion insoutenable, et combat- tue par le témoignage de presque tous les écrivains. Ce qui peut avoir trompé Belon, c'est que Pline donne son second tetrao comme l'un des plus gros oiseaux après l'autruche; ce qui, suivant Belon, ne peut con- venir qu'à l'outarde : mais nous verrons dans la suite que le grand tétras ou coq de bruyère surpasse quel- quefois l'outarde en grosseur; et si Pline ajoute que la chair de cet avis tarda est un mauvais mans^er, ce qui convient beaucoup mieux à Votas j, hibou ou moyen duc, qu'à VotiSj, outarde, Belon auroitpu soupçonner que ce naturaliste confond ici Votis avec VotuSj, comme je l'ai remarqué plus haut, et qu'il attribue aune seule espèce les propriétés de deux espèces très différentes, désignées dans ses recueils par des noms presque sem- blables; mais il n'auroit pas dû conclure que Vavis tarda est en effet un duc. Le môme Belon penchoit à croire que son œdicne- mus étoit un ostardeau : et en effet cet oiseau n'a que trois doigts, et tous antérieurs comme l'outarde; mais il a le bec très différent, le tarse plus gros, le cou plus court, et il paroît avoir plus de rapport avec le pluvier qu'avec l'outarde : c'est ce que nous examine- rons de plus près dans la suite. Enfin il faut être averti que quelques auteurs, trom- pés apparemment par la ressemblance des mots, ont confondu le nom de starda^, qui, en italien, signifie une outarde, avec le nom de starna^c{\\\, dans la même langue, signifie perdr ix. Il résulte de toutes ces discussions que Votis des 4o4 l'outarde. Grecs, et non VotuSjf est notre outarde, n° ^45 ; que le nom de raphos lui a été appliqué au hasard, comme il l'a été ensuite au dronte ; que celui d'anapha que lui donnent les Juifs modernes appartenoit autrefois au milan; que c'est Vavis tarda de Pline ou plutôt des Espagnols au temps de Pline, ainsi appelée à cause de sa lenteur, et non, comme le veut INiphus, parce qu'elle n'auroit été connue à Rome que fort tard; qu'elle n'est ni le tetrlx d'Aristote , ni le tetrax du poëte Nemesianus, ni cet oiseau de Scythie dont parle Aristot€ dans son Histoire des Animaux^ ni le tetrao alter de Pline , ni un oiseau aquatique ; et enfin que c'est la starda^ et non la starna des Italiens. Pour sentir combien cette discussion préliminaire étoit importante, il ne faut que se présenter la bizarre et ridicule idée que se feroit de l'outarde un commen- çant qui auroit recueilli, sans choix et avec une con- fiance aveugle , tout ce qui a été attribué par les au- teurs à cet oiseau, ou plutôt aux différents noms par lesquels il l'auroit trouvé désigné dans leurs ouvrages : il seroit obligé d'en faire à la fois un oiseau de jour et de nuit, un oiseau de montagne et de vallée, un oi- seau d'Europe et d'Amérique, un oiseau aquatique et terrestre, un oiseau granivore et carnassier, un oiseau très gros et très petit; en un mot, un monstre, et même un monstre impossible : ou, s'il vouloit opter entre ces attributs contradictoires, ce ne pourroit être qu'en rectifiant la nomenclature, comme nous avons fait, par la comparaison de ce que l'on sait de cet oi- seau, avec ce qu'ont dit les naturalistes qui nous ont précédés. Mais c'est assez nous arrêter sur le nom, il est temps l'outarde. 4o5 de nous occuper de la chose. Gesner s'est félicité d'a- voir fait le premier la remarque que l'outarde pouvoit se rapporter au genre des gallinacés, et il est vrai qu'elle en a le bec et la pesanteur; mais elle en diffère par sa grosseur, par ses pieds à trois doigts, par la forme de la queue , par la nudité du bas de la jambe, par la grande ouverture des oreilles, par les barbes de plumes qui lui tombent sous le menton, au lieu de ces membranes charnues qu'ont les gallinacés, sans parler des différences intérieures. Aldrovande n'est pas plus heureux dans ses conjec- tures, lorsqu'il prend pour une outarde cet aigle fru- givore dont parle Elien^, à cause de sa grandeur, comme si le seul attribut de la grandeur suffisoit pour faire naître l'idée d'un aigle : il me paroît bien vrai- semblable qu'Élien vouloit parler du grand vautour, qui est un oiseau de proie comme l'aigle , et même plus puissant que l'aigle commun, et qui devient fru- givore dans les cas de nécessité. J'ai ouvert un de ces oiseaux, qui avoit été démonté par un coup de fusil, et qui avoit passé plusieurs jours dans des champs se- més de blé : je ne lui trouvai dans les intestins qu'une bouillie verte, qui étoit évidemment de l'herbe à demi digérée. On retrouveroit bien plutôt les caractères de l'ou- tarde dans le tetrax d'Athénée, plus grand que les plus gros coqs (et l'on sait qu'il y en a de très gros en Asie), n'ayant que trois doigts aux pieds, des barbes qui lui i. De nat. animal. , lib. IX, cap. lo. Cet aigle, selon Élien, s'ap- peloit aigle de Jupiter, et étoit encore plus frugivore que l'outarde , qui mange des vers de terre ; au lieu que l'aigle dont il s"agit ne mange aucun animal. ULl'FON. XIS. 26 /}o6 l'outarde. tombent tie chaque côté du bec , le plumage émaiiié, !a voix grave, et dont la chair a le goût de celle de Faiitriiche, avec qui l'outarde a tant d'autres rapports : mais ce tetrax ne peut être l'outarde, puisque c'est un oiseau dont, selon Athénée, il n'est fait aucune mention dans les livres d'Aristote ; au lieu que ce phi- losophe parle de l'outarde en plusieurs endroits. On pourroit encore soupçonner avec M. Perrault que ces perdrix des Indes dont parle Strabon, qui ne sont pas moins grosses que des oies, sont des espèces d'outardes. Le mâle diffère de la femelle par les cou- leurs du plumage qu'il a autrement distribuées et plus vives; par ces barbes de plumes qui lui tombent des deux côtés sur le cou, dont il est surprenant que M. Per- rault n'ait point parlé, et dont mal à propos Albin a orné la figure de la femelle ; par sa grosseur presque double de cette femelle, ce qui est une des plus gran- des disproportions qui aient été observées en aucune autre espèce, de la taille de la femelle à celle du maie. Belon et quelques autres qui ne connoissent ni le casoar, ni le toujou, ni le dronte, ni peut-être le grif- fon ou grand vautour, regardoient l'outarde comme un oiseau de la seconde grandeur, et le plus gros après l'autruche : cepentlant le pélican, qui ne leur étoit ]);is inconnu, est beaucoup plus grand, selon M. PerrauJ! ; mais il peut se faire que Eelon ait vu une grosse outardr et un petit pélican, et, dans ce cas, tout son tort sera, comme celui de bien d'autres, d'avoir assuré de l'es- pèce ce qui n'étoit vrai que de l'individu. M. Edwards reproche àWillughby de s'être trompé grossièrement, et d'avoir induit en erreur Albin, qui l'a copié, en disant i[VA^ l'outarde avoit soixante pou- l'oI TARDE. /j07 ces anglois de longueur, du bout du bec au bout de la queue. En effet, celles que j ai mesurées n'avoient guère plus de trois pieds, ainsi que celle de M. Bris- son; et la plus grande qui ait été mesurée par M. Ed- wards avoit trois pieds et demi dans ce sens, et trois pieds neuf pouces et demi du bout du bec au bout des ongles. Les auteurs de la Zoologie britannique la fixent à prés de quatre pieds anglois ; ce qui revient à un peu moins de trois pieds neuf pouces de France. L'étendue du vol varie de plus de moitié en différents sujets; elle a été trouvée de sept pieds quatre pouces par ]\L Edwards, de neuf pieds par les auteurs de la Zoologie britannique y et de quatre pieds de France par M. Perrault, qui assure n'avoir jamais observé que des maies, toujours plus gros que les femelles. Le poids de cet oiseau varie aussi considérablement: les uns l'ont trouvé de dix livres, et d'autres de vingt- sept et même de trente. Mais, outre ces variétés dans le poids et la grandeur, on en a aussi remarqué dans les proportions ; tous les individus de cette espèce ne paroissent pas avoir été formés sur le même modèle. M. Perrault en a observé dont le cou étoit plus long, et d'autres dont le cou étoit plus court, proportion- nellement aux jambes; d'autres dont le bec étoit plus pointu , et d'autres dont les oreilles étoient recouver- tes par des plumes plus longues : tous avoient le cou et les jambes beaucoup plus longs que ceux que Ges- ner et Aldrovande ont examinés. Dans les sujets dé- crits par M. Edwards, il y avoit de chaque côté du cou deux places nues, de couleur violette, et qui parois- soient garnies de plumes lorsque le cou étoit fort étendu; ce <{ni n'a point été indiqué parles autres .^jo8 l'outarde. observations. Enfin M. Klein a remarqué que les ou- tardes de Pologne ne ressembloient pas exactement à celles de France et d'Angleterre ; et en effet on trouve, en comparant les descriptions, quelques différences de couleurs dans le plumage, le bec, etc. En général, l'outarde se distingue de l'autrucb.e, du touyou, du casoar, et du dronte, par ses ailes, qui, quoique peu proportionnées au poids de son corps, peuvent cependant l'élever et la soutenir quelque tenqDS en l'air, au lieu que celles des quatre autres oiseaux que j'ai nommés sont absolument inutiles pour le vol ; elle se distingue de presque tous les au- tres par sa grosseur, ses pieds à trois doigts isolés et sans membranes, son bec de dindon, son duvet cou- leur de rose, et la nudité du bas de la jambe; non point par cliacun de ces caractères, mais par la réu-- iiion de tous. L'aile est composée de vingt -six pennes, seloi^ M. Brisson, et de trente-deux ou trente-trois, suivant M. Edwards, qui peut-être compte celles de l'aile bâ- tarde. La seule cbose que j'aie à faire remarquer dans ces pennes, et dont on ne peut guère prendre une idée en regardant la ligure , c'est qu'aux troisième , quatrième, cinquième, et sixième plumes de cliaque aile, les barbes extérieures deviennent tout à couj) plus courtes, et ces pennés conséquemment plus étroi- tes à l'endroit où elles sortent de dessous leurs cou- vertures. Les pennes de la queue sont au nombre de vingt, et les deux du milieu sont différentes de toutes les autres. M. Perrault impute à Belon comme une erreur d'à- L OUTARDE. 4 09 voir dit que le dessus des ailes de l'outarde étoit blanc, contre ce qua\ oient observé MM. de l'Académie, et contre ce qui se voit dans les oiseaux qui ont com- munément plus de blanc sous le ventre et dans toute la partie inférieure du corps, et plus de brun et d'au- tres couleurs sur le dos et les ailes : mais il me sem- ble que sur cela Belon peut être aisément justifié : car il a dit exactement, comme MM. de l'Académie, que l'outarde étoit blanche par dessous le ventre et des- sous les ailes : et lorsqu'il a avancé que le dessus des ailes étoit blanc, il a sans doute entendu parler des pennes de l'aile qui approchent du corps, et qui se trouvent en effet au dessus de l'aile, celle-ci étant supposée pliée et l'oiseau debout : or, dans ce sens, ce qu'il a dit se trouve vrai et conforme à la descrip- tion de M. Edwards, où la vingt-sixième penne de l'aile et suivantes, jusqu'à la trentième, sont parfaitement blanches. M. Perrault a fait une observation plus juste : c'est que quelques plumes de l'outarde ont du duvet, non seulement à leur base, mais encore à leur extrémité ; en sorte que la partie moyenne de la plume, qui est composée de barbes fermes et accrochées les unes aux autres, se trouve entre deux parties où il n'y a que du duvet : mais ce qui est très remarquable c'est que le duvet de la base de toutes les plumes, à l'exception des pennes du bout de l'aile, est d'un rouge vif, ap- prochant de la couleur de rose; ce qui est un carac- tère commun à la grande et à la petite outarde : le bout du tuyau est aussi de la même couleur. Le pied, ou plutôt le tarse, et la partie inférieure de la jambe qui s'articule avec le tarse, sont revêtus 4 10 l'ol TARDE. d'écaillés très petites : celles des doigts sont en tables longues et étroites ; elles sont toutes de couleur grise, et recouvertes d une petite peau cpi s'enlève comme la dépouille d un serpent. Les ongles sont courts et convexes par dessous comme par dessus, ainsi que ceux de l'aigle que Be- lon appelle liaUœtos; en sorte qu'en les coupant per- pendiculairement à leur axe , la coupe en seroit à peu près circulaire. M. Salerne s'est trompé en imprimant que l'ou- tarde avoit au contraire les ondes caves en dessous. Sous les pieds, on voit en arrière un tubercule cal- leux qui tient lieu de talon. La poitrine est grosse et ronde. La grandeur de l'ouverture de l'oreille est apparemment sujette à va- rier, car Belon a trouvé cette ouverture plus grande dans l'outarde que dans aucun autre oiseau terrestre; et MM. de l'Académie n'y ont rien vu d'extraordi- naire. Ces ouvertures sont cachées sous les plumes : on aperçoit dans leur intérieur deux conduits, dont l'un se dirige au bec et l'autre au cerveau. Dans le palais et la partie inférieure du bec, il y a, sous la membrane qui revêt ces parties, plusieurs corps glanduleux qui s'ouvrent dans la cavité du bec par plusieurs tuyaux fort visibles. La langue est charnue en dehors; elle a au dedans un noyau cartilagineux, qui s'attache à l'os hyoïde, comme dans la plupart des oiseaux; ses côtés sont hérissés de pointes d'une substance moyenne entre la membrane et le cartilage : cette langue est dure et pointue par le bout; mais elle n'est pas fourchue, comme l'a dit M. Linnaeus, trompé sans doute par une L OLTAnDE. 4 I 1 faute de ponctuation qui se trouve dans Aldrovande, et qui a été copiée par quelques autres^. Sous la langue se présente l'orifice d'une espèce de poche tenant environ sept pintes angloises, et que le docteur Douglas, qui l'a découverte le premier, re- garde comme un réservoir que l'outarde remplit d'eau pour s'en servir au besoin, lorsqu'elle se trouve au milieu des plaines vastes et arides où elle se tient par préférence : ce singulier réservoir est propre au mCde, et je soupçonne qu'il a donné lieu à une méprise d'A- ristote. Ce grand naturaliste avance que l'œsophage de l'outarde est large dans toute sa longueur; cepen- dant les modernes, et notamment MM. de l'Acadé- mie, ont observé qu'il s'élargissoit seulement en ap- prochant du gésier. Ces deux assertions, qui paroissenl contradictoires, peuvent néanmoins se concilier, en supjjosant qu'Aristote, ou les observateurs chargés de recueillir les faits dont il composoit son Histoire des Animaux, ont pris pour l'œsophage cette poche ou réservoir, qui est en effet fort ample et fort large dans toute son étendue. Le véritable œsophage, à l'endroit où il s'épaissit, est garni de glandes régulièrement arrangées : le gé- sier, qui vient ensuite (car il n'y a point de jabot), est long d'environ quatre pouces, large de trois; il a la dureté de celui des poules communes; et cette du- reté ne vient point, comme dans les poules, de l'é- 1. Lingua serraia, atrinquè acuta; au lieu de Lingua serrata uirin- què, acuta. Cette phrase n'est qu'une traduction de celle-ci de Belon , sa langue est dentelée de chaque côté, pointue et dure par le bout; d'où Ton voit que \ atrinquè doit se rapj)orter à serrata, et non au mot ncula. I^l^ l'oL TARDE. paisseur de la partie charnue, qui est fort mince ici , mais de la membrane interne, laquelle est très dure, très épaisse et de plus godronnèe, plissée et replissèe en différents sens; ce qui grossit beaucoup le volume du gésier. Cette membrane interne paroît n'être point con- tinue, mais seulement contigue et jointe bout à bout à la membrane interne de l'œsophage ; d'ailleurs celle- ci est blanche, au lieu que celle du gésier est d'un jaune doré. La longueur des intestins est d'environ quatre pieds, non compris les cœcwn : la tunique interne de Y iléon est plissée selon sa longueur, et elle a quelques rides transversales à son extrémité. Les deux cœcum sortent de l'intestin à environ sept pouces de l'anus, se dirigeant d'arrière en avant. Sui- vant Gesner, ils sont inégaux selon toutes leurs di- mensions, et c'est le plus étroit qui est le plus long dans la raison de cinq à six. M. Perrault dit seulement que le droit, qui a un pied plus ou moins, est ordi- nairement un peu plus long que le gauche. A un pouce à peu près de l'anus, l'intestin se ré- trécit, puis, se dilatant, forme une poche capable de contenir un œuf, etdans laquelle s'insèrent les uretères et le canal déférent : cette poche intestinale , appelée bourse de Fabrice^ a aussi son cœcum long de deux pouces, large de trois hgnes; et le trou qui commu- nique de l'un à l'autre est surmonté d'un repli de la membrane interne, lequel peut servir de valvule. Il résulte de ces observations que l'outarde, bien loin d'avoir plusieurs estomacs et de longs intestins, comme les ruminants, a au contraire le tube intesti- L OUTARDE. :j 1 .) nal fort court et d'ime petite capacité, et qu'il n'a qu'un seul ventricule ; en sorte que l'opinion de ceux qui prétendent que cet oiseau rumine seroit réfutée par cela seul : mais il ne faut pas non plus se persua- der avec Albert que l'outarde soit carnassière, qu'elle se nourrisse de cadavres, que même elle fasse la guerre au petit gibier, et qu'elle ne mange de l'herbe et du grain que dans le cas de grande disette ; il faut en- core moins conclure de ces suppositions qu'elle a le bec et les ongles croclms; toutes erreurs accumulées par xilbert d'après un passage d'Aristote mal entendu^, admises par Gesner avec quelques modifications, niais rejetées par tous les autres naturalistes. L'outarde est un oiseau granivore ; elle vit d'herbes, de grains, et de toutes sortes de semences; de feuilles de choux, de dent-de-lion, de navets, de myosotis ou oreille-de-souris, de vesce, d'ache, de daucuSj, et même de foin , et de ces gros vers de terre que, pen- dant l'été, on voit fourmiller sur les dunes tous les matins avant le lever du soleil : dans le fort de l'hiver et par les temps de neige, elle mange l'écorce des ar- bres; en tout temps elle avale de petites pierres, même des pièces de métal, comme l'autruche, et quelque- fois en plus grande quantité. ]\IM. de l'Académie ayant ouvert le ventricule de l'une des six outardes qu'ils avoient observées, le trouvèrent rempli en partie de pierres, dont quelques unes étoient de la grosseur 1. Aldrovaude prétend que l'idée de faire de l'outarde un oiseau de proie a pu venir à Albert de ce passage d'Aristote, Avis scjtlilca quœdam que j'ai discuté plus haut. Voyez Aldrovaude, Ornitlwio- gie, tome II , page 90. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce n'est pas daprès l'inspeclion de l'animal qu' Albert s'est fermé colle idée. 4i4 l'outakde. d'une noix, et en partie de doubles, au nombre de (juatre-vingt-dix, tous usés et polis dans les endroits exposés au frottement, mais sans aucune apparence d'érosion. Willughby a trouvé dans l'estomac de ces oiseaux, au temps de la moisson , trois ou quatre grains d'orge, avec une grande quantité de graine de ciguë; ce qui indique un appétit de préférence pour cette graine, et par conséquent le meilleur appât pour l'attirer dans les pièges. Le foie est très 'grand; la vésicule du fiel, le pan- créas, le nombre des canaux pancréatiques, leur in- sertion , ainsi que celle des conduits bépatiques et cystiques, sont sujets à quelques variations dans les différents sujets. Les testicules ont la forme d'une petite amande blancbe, d'une substance assez ferme; le canal défé- rent va s'insérer à la partie inférieure de la poche du rectimij, comme je l'ai dit plus haut, et l'on trouve au bord supérieur de l'anus une petite appendice qui tient lieu de verge. M. Perrault ajoute à ces observations anatomiques la remarque suivante : c'est qu'entre tant de sujets qu'avoient disséqués MM. de l'Académie, il ne s'étoit pas rencontré une seule femelle. Mais nous avons dit, à l'article de l'autruche, ce que nous pensions de cette remarque. Dans la saison des amours, le mâle va piaffant au- tour de la femelle, et fait une espèce de roue avec sa (|ueue. Les œufs ne sont que de la grosseur de ceux d'une oie; ils sont d'un ])run olivâtre pâle, marqués de pc- L ou TA 11 DE. Ilf) tites taches pins foncées, en quoi leur couleur a une analogie évidente avec celle du plumage. Cet oiseau ne construit point de nid, mais il creuse seulement un trou en terre, et y dépose ses deux œufs, qu'il couve pendant trente Jours comme font tous les gros oiseaux, selon Aristote. Lorsque cette mère in- quiète se défie des chasseurs, eL qu'elle craint qu'on n'en veuille à ses œufs, elles les prend sous ses ailes (on ne dit pas comment) et les transporte en lieu sûr. Elle s'établit ordinairement dans les blés qui approchent de la maturité, pour y faire sa ponte, suivant en cela l'instinct commun à tous les animaux, de mettre leurs petits à portée de trouver en naissant une nourriture convenable. M. Klein prétend qu'elle préfère les avoi- nes comme plus basses; en sorte qu'étant posée sur ses œufs, sa tête domine sur la campagne, et qu'elle puisse avoir l'œil sur ce qui se passe autour d'elle : mais ce fait, avancé par M. Klein, ne s'accorde ni avec le sentiment général des naturalistes, ni avec le naturel de l'outarde, qui, sauvage et défiante comme elle l'est, doit chercher sa sûreté plutôt en se cachant dans les grands blés qu'en se tenant à portée de voir les chasseurs de loin, au risque d'en être elle-même aperçue. Elle quitte quelquefois ses œufs pour aller chercher sa nourriture ; mais si, pendant ces courtes absences, quelqu'un les touche ou les frappe seulement de son haleine, on prétend qu'elle s'en aperçoit à son re- tour, et qu'elle les abandonne. L'outarde, quoique fort grosse, est un animal très craintif, et qui paroît n'avoir ni le sentiment de sa propre force ^ ni l'instinct de l'employer. Elles s'as- 4i6 l'oltarde. semblent quelquefois par troupes de cinquante on soixante, et ne sont pas plus rassurées par leur nom- bre que par leur force et leur grandeur; la moindre apparence de danger, ou plutôt la moindre nouveauté les effraie, et elles ne pourvoient guère à leur conser- vation que par la fuite. Elles craignent surtout les chiens ; et cela doit être , puisqu'on se sert commu- nément des chiens pour leur donner la chasse : mais elles doivent craindre aussi le renard, la fouine, et tout autre animal, si petit qu'il soit, qui sera assez hardi pour les attaquer; à plus forte raison les animaux féroces, et même les oiseaux de proie, contre lesquels elles oseroient bien moins se défendre : leur pusilla- nimité est telle, que, pour peu qu'on les blesse, elles meurent plutôt de la peur que de leurs blessures. ^I. Klein prétend néanmoins qu'elles se mettent quel- quefois en colère, et qu'alors on voit s'enfler une peau lâche qu'elles ont sous le cou. Si l'on en croit les an- ciens, l'outarde n'a pas moins d'amilié pour le cheval qu'elle a d'antipathie pour le chien; dès qu'elle aper- çoit celui-là, elle, qui craint tout, vole à sa rencontre, et se met j^resque sous ses pieds. En supposant bien constatée cette singulière sympathie entre des ani- maux si différents, on pourroit, ce me semble, en rendre raison en disant que l'outarde trouve dans la fiente du cheval des grains qui ne sont qu'à demi di- gérés, et qui lui sont une ressource dans la disette. Lorsqu'elle est chassée, elle court fort vite en bat- tant des ailes, et va quelquefois plusieurs milles de suite et sans s'arrêter; mais comme elle ne prend son vol que difficilement et lorsqu'elle est aidée, ou, si l'on veut, portée par un vent favorable, et que d'ailleurs LOUTARDR. /j 1 7 rllc ne se perche ni ne peut se percher sur les arbres, soit à cause de sa pesanteur, soit faute de doigt pos- tf'rieur dont elle puisse saisir la branche et s'y soute- nir, on peut croire, sur le témoignage des anciens et (les modernes, que les lévriers et les chiens courants !a peuvent forcer. On la chasse aussi avec l'oiseau de proie, ou enfin on lui tend des filets, et on l'attire où l'on veut en faisant paroître un cheval à propos, ou seulement en s'aflublant de la peau d'un de ces ani- maux. Il n'est point de piège , si grossier qu'il soit , qui ne doive réussir, s'il est vrai, comme le dit Elien, que, dans le royame de Pont, les renards viennent à bout de les attirer à eux en se couchant contre terre, et relevant leur queue, à laquelle ils donnent, autant qu'ils peuvent, l'apparence et les mouvements du cou d'un oiseau; les outardes, qui prennent, dit-on, cet objet pour un oiseau de leur espèce , s'approchent sans défiance et deviennent la proie de l'animal rusé : mais cela suppose bien de la subtilité dans le renard, bien de la stupidité dans l'outarde, et peut-être encore plus de crédulité dans l'écrivain. J'ai dit que ces oiseaux alloient quelqufois par trou- pes de cinquante ou soixante : cela arrive surtout en automne dans les plaines de la Grande-Bretagne; ils se répandent alors dans les terres semées de turnepSj, et y font de très grands dégâts. En France, on les voit passer régulièrement au printemps et en automne, mais par plus petites troupes, et elles ne se posent guère que sur les lieux les plus élevés. On a observé leur passage en Bourgogne, en Champagne, et en Lor- raine. L'outarde se trouve dans la Libye, aux environs /jlO L OUTARDE. d'Alexandrie, selon Plutarque^; dans la Syrie; dans la Grèce ; en Espagne; en France , dans les plaines du Poitou et de la Champagne pouilleuse ; dans les con- trées couvertes de l'est et du sud de la Grande-Bre- tagne, depuis la province de Dorset jusqu'à celle de Mercie et de laLothianeen Ecosse; dans les Pays-Bas; en Allemagne^; en Ukraine et en Pologne, où, selon llzaczynski, elle passe quelquefois l'hiver au milieu des neiges. Les auteurs de la Zoologie britannique as- surent que ces oiseaux ne s'éloignent guère du pays qui les a vus naître, et que leurs plus grandes excur- sions ne vont pas au delà de vingt à trente milles : mais Aldrovande prétend que sur la fui de l'automne ils arrivent par trorq^e en Hollande, et se tiennent par préférence dans les campagnes éloignées des villes et des lieux habités. M. Linnaeus dit qu'ils passent en Hollande et en Angleterre. Aristote parle aussi de leur migration; mais c'est un point qui demande à être éclairci par des observations plus exactes. Aldrovande reproche à Gesner d'être tombé dans quelque contradiction à cet égard, sur ce qu'il dit que l'outarde s'en va avec les cailles, ayant dit plus haut qu'elle ne quittoit point la Suisse , où elle est rare , et qu'on y en prenoit quelquefois l'hiver : mais cela peut se concilier, ce me semble, en admettant la miîiration des outardes, et la resserrant dans des li- mites, comme les auteurs de la Zoologie britannique; 1. Si toutefois on n'a pas confondu Vous avec Votas, comme on l'a fait si souvent. 2. Friscli l'appelle la plus grosse de toutes les poules sauvages na- turelles à l'Allemagne : cela ne prouve pas que l'outarde soit une poule , mais bien qu'elle se trouve eu Allemagne. L OUTARDE. 4 M) (Failleiirs celles qui se trouvent en Suisse sont des ou- Sardes égarées, dépaysées, en petit nombre, et dont les mœurs ne peuvent représenter celles de l'espèce. Ne pourroit-on pas dire aussi que l'on n'a point de preuves que celles qu'on prend quelquefois à Zurich pendant l'hiver, soient les mêmes qui y ont passé l'été précédent? Ce qui paroît de plus certain c'est que l'outarde ne se trouve que rarement dans les contrées monta- gneuses ou bien peuplées, comme la Suisse, le Tyrol, l'Italie, plusieurs provinces d'Espagne, de France, d'Angleterre, et d'Allemagne, et que, lorsqu'elle s'y rencontre, c'est presque toujours en hiver ^ : mais quoiqu'elle puisse subsister dans les pays froids , et qu'elle soit, selon quelques auteurs, un oiseau de passage, il ne paroît pas néanmoins qu'elle ait jamais passé en Amérique par le Nord; car, bien que les re- lations des voyageurs soient remplies d'outardes trou- vées dans ce nouveau continent, il est aisé de recon- noître que ces prétendues outardes sont des oiseaux aquatiques, comme je l'ai déjà remarqué plus haut, et absolument différents de la véritable outarde dont il est ici question. M. Barrère parle bien d'une outarde cendrée d'Amérique dans son Essai d'ornltliologie (page 35), qu'il dit avoir observée. Mais, i° il ne paroît pas l'avoir vue en Amérique, puisqu'il n'en fait aucune mention dans sa France cqainoxiale. 2" Il est le seul avec M. Klein, qui parle d'une outarde amé- ricaine : or celle de M. Klein, qui est le macucagiia de 1. Je me souviens d'en avoir vu deux, à deux différentes fois, dans une parlie de la Bourgogne fertile en bié . el cependant montagneuse ; mais c'a toujours été en liivcr et par un tL-mps de neige, Il '20 L OUTARDE. Marcgravc, n'a point les caractères propres à ce genre, puisqu'elle a quatre doigts à chaque pied, et le bas de la jambe garni de plumes jusqu'à son articulation avec le tarse ; qu'elle est sans queue , et qu'elle n'a guère d'autre rapport avec l'outarde que d'être un oi- seau pesant qui ne se perche ni ne vole presque point. A l'égard de M. Barrère, son autorité n'est jDas d'un assez grand poids en histoire naturelle pour que son témoignage doive prévaloir contre celui de tous les autres. o° Enfin son outarde cendrée d'Amérique a bien l'air d'être la femelle de l'outarde d'Afrique, la- quelle est en effet toute couleur de cendre, selon M. Linnaeus. On me demandera peut-être pourquoi un oiseau qui, quoique pesant, a cependant des ailes, et qui s'en sert quelquefois, n'est point passé en Amérique par le Nord, comme ont fait plusieurs quadrupèdes : je répondrai que l'outarde n'y est point passée, parce que, quoiqu'elle vole en effet, ce n'est guère que lorsqu'elle est poursuivie ; parce qu'elle ne vole jamais bien loin, et que d'ailleurs elle évite surtout les eaux, selon la remarque de Belon , d'où il suit qu'elle n'a pas dû se hasarder à franchir de grandes étendues de mer : je dis de grandes étendues, car, quoique celles qui sé- parent les deux continents du côté du Nord soient bien moindres que celles qui les séparent entre les tropi- ques, elles sont néanmoins considérables, par rapport à l'espace que l'outarde peut parcourir d'un seul vol. On peut donc regarder l'outarde comme un oiseau propre et naturel à l'ancien continent, et qui dans ce continent ne paroît point attaché à un climat parti- culier, puisqu'il peut vivre en Libye, sur les côtes de l'outarde. /pi ia mer Baltique, et dans tous les pays intermédiaires. C'est un très bon gibier : la chair des jeunes, un peu gardée , est surtout excellente ; et si quelques écri- vains ont dit le contraire, c'est pour avoir confondu Yotls avec Votiis^ comme je l'ai remarqué plus haut. Je ne sais pourquoi Hippocrate l'interdisoit aux per- sonnes qui tomboient du mal caduc. Pline reconnoît dans la graisse d'outarde la vertu de soulager les maux de mamelles qui surviennent aux nouvelles accou- chées. On se sert des pennes de cet oiseau, comme on fait de celles d'oie et de cygne, pour écrire; et les pêcheurs les recherchent pour les attacher à leurs hameçons, parce qu'ils croient que les petites taches noires dont elles sont émaillées paroissent autant de petites mouches aux^ poissons , qu'elles attirent par cette fausse apparence. LA PETITE OUTARDE, VULGAIREMENT LA C ANEPETIÈRE^. Otis Tetrax. L. Cet oiseau ne diffère de l'outarde, que parce qu'il est beaucoup plus petit, et par quelques variétés dans ï . En italien , fasanella. « Quant à l'étymologie (dit M. Salerne, Histoire naturelle des Oi- » seauxt page i55), on le nomme (cet oiseau) canepetiére ou canepé- trace; i° parce qu'il ressemble en quelque chose à un canard sauvage, « et qu'il \ole comme îui ; 2° parce qu'il se plait parmi les pierres. 11 y BUFFO.N. XIX. 27 ^|^!^! LA PETITE OUTARDE. le plumage. 11 a aussi cela de commua avec i'outaixle, qu'on lui a donné le nom de cane et de canard^, quoi- qu'il n'ait pas plus d'affinité qu'elle avec les oiseaux aquatiques, et qu'on ne le voie jamais autour des eaux. Belon prétend cpion 3'a ainsi yfimmé parce qu'il se tapit contre terre comme font les canes dans l'eau ; et M. Salerne, jDarce qu'il ressemble en quelque chose à un canard sauvage, et qu'il vole comme lui; mais l'incertitude et le peu d'accord de ces conjectures étymologiques font voir qu'un rapport aussi vague, et surtout un rapport unique, n'est point une raison suffisante pour appliquer à un oiseau le nom d'un au- tre oiseau; car si nn lecteur qui trouve ce nom ne saisit point le rapport qu'on a voulu indiquer, il pren- dra nécessairement une fausse idée : or il y a beau- coup à parier que ce rapport étant unique, ne sera saisi que très rarement. La dénomination de petite outarde j, n"* 25, le maie, et n** 10 , la femelle que j'ai préférée, n'est point su- jette à cet inconvénient; car l'oiseau dont il s'agit ayant tous les principaux caractères de l'outarde, à » en a qui pensent que ce nom lui \ieut de ce qu'il pélrit son aire ou » son repaire; d'autres disent que c'est parce quil pète : mais je pré- » fère la première étymologie , d'autant plus que les Orléanois appel- » lent le petit moineau de muraille, dit fru/act, un pétrac ou pétrai. » Celte étymologie de canepeticrc, parce que cet oiseau pète , dit-on , ne paroît uniquement fondée que sur l'analogie du mot; car aucun naturaliste n'a rien dit de pareil dans l'histoire de cet oiseau ; notam- ment Belon qui a copié presque tous les autres. D'ailleurs je remarque que le proyer, dont le môaie M. Salerne parle aux pages 291 et 292, est appelé péteux, quoiqu'il ne soit point dit dans son histoire qu" il pète , mais bien qu'il se plaît dans les prés , les saiîi foins et les luzernes. Or la canepelière est aussi appelée anas pra- tcnsis. LA. l'ETlTK OL TARDE. /j^5 rexceptioîi de la grandeur, le nom composé de petite outarde lui convient dans presque toute la plénitude de sa signification, et ne peut guère produire d'er- reurs. Belon a soupçonné que cet oiseau éloit le tetrax d'Athénée, se fondant sur un passage de cet auteur où il le compare pour la grandeur au spermologuSj que Eelon prend pour un freux, espèce de grosse cor- neille : mais Aldrovande assure au contraire que le spermologus est une espèce de moineau, et que par conséquent le tetrax^ auquel Athénée le compare pour la grandeur, ne sauroit être la petite outarde; aussi 'uillughby prétend-il que cet oiseau n'a point été nommé par les anciens. Le même Aldrovande nous dit que les pécheurs de llome ont donné , sans qu'on sache pourquoi , le nom de Stella à un oiseau qu'il avoit pris d'abord pour la petite outarde, mais qu'ensuite il a jugé différent en y regardant de plus près. Cependant, malgré un aveu aussi formel, llay, et d'après lui M. Salerne , disent que la canepetière et le Stella avis d'Aldrovande pa- roissent être de la même espèce : et M. Brisson place sans difficulté le Stella d'Aldrovande parmi les syno- ?iyraes de la petite outarde; il semble même imputer à Gharleton et à A\illughby d'avoir pensé de même, quoique ces deux auteurs aient été fort attentifs à ne point confondre ces deux sortes d'oiseaux, que , selon Toute apparence, ils n'avoient point vus^. i. Gliarlclon en fait deux espèces dilTéreutes, dont Tune , qui est Ja Jieuviènjc de ses phytivores , est la canepclièie , et l'autre, qui est Ja djsièmc espèce du même genre, est Yavis stelta : sur celle-ci il renvoie à Jonslon. et il ne parle de l'autre que d'après lielon. A l'égard de I^'JLI LA PETITE OUTARDE. D'un autre côté, M. Barrère, brouillant la petite ou- tarde avec le râle , lui a imposé le nom à'ortlgomctra mellna, et lui donne un quatrième doigt à chaque pied; tant il est vrai que la multiplicité des méthodes ne fait que donner lieu à de nouvelles erreurs , sans rien ajouter aux connoissances réelles. Cet oiseau est une véritable outarde, comme j'ai dit, mais construite sur une plus petite échelle; d'où M. Rlein a pris occasion de V appeler outarde naine ^, Sa longueur, prise du bout du bec au bout des ongles, est de dix-huit pouces, c'est-à-dire plus d'une fois moindre que la même dimension prise dans la grande outarde : cette seule mesure donne toutes les autres; et il n'en faut pas couclure , avec M. B.ay, que la petite outarde soit à la grande comme un est à deux, mais comme un est à huit, puisque les volumes des corps semblables sont entre eux comme les cubes de celles de leurs dimensions simples qui se correspondent. Sa grosseur est à peu près celle d'un faisan : elle a, comme la grande outarde, trois doigts seulement à chaque pied, le bas de la jambe sans plumes, le bec des gallinacés, et un duvet couleur de rose sous tou- tes les plumes du corps; mais elle a deux pennes de moins à la queue, une penne de plus à chaque aile, dont les dernières pennes vont, l'aile étant pliée, Willugliby , il ne donne nulle part le nom de Stella a la canepetière (voyez son Ornithologie, page 129) ; ni le nom de canepetière à Vavis Stella (voyez la ligure qui est au bas de la planche xxxii , et qui paroît copiée daprès celle de Vavis sieila d'Aldrovande ; voyez aussi la table , au mot Stella. ) 1. Tarda nana, an otis uii videtur, seu tarda arjuatica {Ordo avium, page 18, n° 11.) Voilà encore la petite outarde transformée expressé- ment en oiseau aqnalique. LA l'ETITE OUTARDE. 4^5 presque aussi loin que les premières, pur lesquelles on entend les plus éloignt^es du corps. Outre cela le maie n'a point ces barbes de plumes qu'a le mâle de la grande espèce ; et M. Klein ajoute que son plumage est moins beau que celui de la femelle, contre ce qui se voit le plus souvent dans les oiseaux. Mais, à ces différences près, qui .«^nt assez légères, on retrouve dans la petite espèce tous les attributs extérieurs de la grande, et même presque toutes les qualités inté- rieures, le môme naturel, les mêmes mœurs, les mêmes habitudes ; il semble que la petite soit écloso d'un œuf de la grande , dont le germe auroit eu une moindre force de développement. Le mâle se distingue de la femelle par un double collier blanc , et par quelques autres variétés dans les couleurs ; mais celles de la partie supérieure du corps sont presque les mêmes dans les deux sexes, et sont beaucoup moins sujettes à varier dans les différents indivitlus, ainsi que Belon l'avoit remarqué. Selon M. Salerne, ces oiseaux ont un cri particulier d'amour, qui commence au mois de mai : ce cri est brout ou proiit; ils le répètent surtout la nuit, et on l'entend de fort loin : alors les mâles se battent entre eux avec acharnement, et tâchent de se rendre maîtres chacun d'un certain district; un seul suffit à plusieurs^ femelles, et la place du rendez-vous d'amour est bat- tue comme l'aire d'une grange. La femelle pond, au mois de juin, trois, quatre, et jusqu'à cinq œufs fort beaux, d'un vert luisant : lorsque ses petits sont éclos, elle les mène comme la poule mène les siens. Ils ne commencent à voler que vers le milieu du mois d'août; et quand ils entendeni; 4 20 LA PETITE OUTAfiOE. du bruit, ils se tapissent contre terre , et se iaisseroient plutôt écraser que de remuer de la place^. On prend les mâles au piège en les attirant avec une femelle empaillée, dont on imite le cri; on les chasse aussi avec roiseau de proie : mais en général ces oi- seaux sont fort difficiles à approcher, étant toujours aux aguets sur quelque hauteur dans les avoines, mais jamais, dit-on, dans les seigles et les blés. Lorsque, sur la fin de la belle saison , ils se disposent à quitter le pays pour passer dans un autre, on les voit se ras- sembler par troupes ; et pour lors il n'y a plus de dif- férence entre les jeunes et les vieux. Ils se nourrissent, suivant Beîon, comme ceux de la grande espèce, c'est-à-dire d'herbes et de graines, et, outre cela, de fourmis, de scarabées, et de pe- tites mouches : mais, selon M. Salerne, les insectes sont leur nourriture principale ; seulement ils man- gent quelquefois, au printemps, les feuilles les plus tendres du laiteron. La petite outarde est moins répandue que la grande, etparoît confinée dans une zone beaucoup plus étroite. M. Linnaeus dit qu'elle se trouve en Europe, et particu- lièrement en France : cela est un peu vague ; car iî y a des pays très considérables en Europe et môme de grandes provinces en France où elle est inconnue. 1. M. Salerne n'indique point les sources où il a puisé tous ces faits; ils ressemblent beaucoup à ce qu'on dit du coq de bruyère , qui s'ap- pelle tetrix (voyez Hist. nat. des Oiseaux^ P^g^ i56) ; et comme on a donné ie nom de tefrax à la petite outarde , on pourroit craindre qu'il n'y eût ici quelque méprise fondée sur une équivoque de nom , d'au- tant plus que AI. Salerne est le seul naturaliste qui entre dans d'aussi grands détails sur la génération de la petite outarde, sans citer ses ga- rants. LA l>ETiTE OUTAUDE. /j^^ On peut Illettré les climats de la Suèfle et de la Po- logne au nombre de ceux où elle ne se plait point : car M. Linnœus lui-même n'en fait aucune mention dans sa Fawia Succica^ ni le P. Rzaczynski dans son Histoire naturelle de Pologne; et M, Klein n'en a vu qu'une seule à Dantzick, laquelle vcnoit de la ména- gerie du margrave de Bareitb. Il faut qu'elle ne soit pas non plus bien commune en Allemagne, puisque Friscb, qui s'attache à décrire et représenter les oiseaux de cette région , et qui parle assez au long de la grande outarde, ne dit pas un mot de celle-ci, et que Scbwenckfeld ne la nomme seu- lement pas. Gesner se contente de donner son nom dans la liste des oiseaux qu'il n'avoit jamais vus; et il est bien prouvé qu'en efl'et il n'avoit jamais vu celui-ci , puisqu'il lui suppose des pieds velus comme à Vattagas; ce qui donne lieu de croire qu'il est au moins fort rare en Suisse. Les auteurs de la Zoologie britanniqaej, qui se sont voués à ne décrire aucun animal qui ne fut breton ou d'origine bretonne, auroient cru manquer à leur vœu s'ils eussent décrit une petite outarde qui avoit été ce- pendant tuée dans la province de Cornouailles, mais qu'ils ont regardée comme un oiseau égaré, et tout-à- fait étranger à la Grande-Bretagne : elle l'est en effet à un tel point, qu'un individu de cette espèce ayant été présenté à la société royale, aucun des membres qui étoient présents ce jour là ne le reconnut, et qu'on fut obligé de députer à M. Edwards pour savoir ce que c'étoit. D'un autre côté, Eelon nous assure que. de son 4^8 LA PETITE OUTARDE. temps, les ambassadeurs de Venise, de Ferrare, et du pape, à qui il en montra une, ne la reconnurent pas mieux , ni personne de leur suite , et que quel- ques uns la prirent pour une faisane : d'où il conclut avec raison qu'elle doit être fort rare en Italie; et cela est vraisemblable, quoique M. Ray, passant par Modène, en ait vu une au marché. Voilà donc la Po- logne, la Suède, la Grande-Bretagae, l'Allemagne, la Suisse, et l'Italie , à excepter du nombre des pays de l'Europe où se trouve la petite outarde; et ce qui pour- roit faire croire que ces exceptions sont encore très limitées, et que la France est le seul climat propre, le seul pays naturel de cet oiseau, c'est que les na- turalistes françois sont ceux qui paroissent le connoître mieux, et presque les seuls qui en parlent d'après leurs propres observations, et que tous les autres, excepté M. Klein , qui n'en avoit vu qu'un , n'en par- lent que d'après Belon, Mais il ne faut pas même croire que la petite ou- tarde soit également commune dans tous les cantons de la France ; je connois de très grandes provinces, de ce royaume où elle ne se voit point. M. Salerne dit qu'on la trouve assez communément dans la Beauce (où cependant elle n'est que passa- gère ) , qu'on la voit arriver vers le milieu d'avril, et s'en aller aux approches de l'hiver : il ajoute qu'elle se plaît dans les terres maigres et pierreuses; raison pourquoi on l'appelle canepétracej, et ses petits pétra- ceaux. On la voit aussi dans le Berri, où elle est con- nue sous le nom de canepétrotte. Enfin, elle doit être commune dans le Maine et la Normandie, puisque Belon , jugeant de toutes les autres provinces do LA l'ETlTE OL TARDE. ^'AC) France par celle-ci qu'il connoissoit mieux, avance qu'tV n'y a paysan dans ce royaume qui ne la sache nom- mer. La petite outarde est naturellement rusée et soup- çonneuse, au point que cela a passé en proverbe, et que Ton dit des personnes qui montrent ce caractère , qu'Us font de la canepetlère. Lorsque ces oiseaux soupçonnent quelque danger , ils partent et font un vol de deux ou trois cents pas très roide et fort près de terre : puis, lorsqu'ils sont posés, ils courent si vite, qu'à peine un homme les pourroit atteindre. La chair de la petite outarde est noire et d'un goût exquis : M. Klein nous assure que les œufs de la fe- melle qu'il a eue étoient très bons à manger, et il ajoute que la chair de cette femelle étoit meilleure que celle de la femelle du petit coq de bruyère ; ce dont il pouvoit juger par comparaison. Quant à l'organisation intérieure , elle est à peu près la même, suivant Belon, que dans le commun des granivores. jv)U LE LOIIOXG. OISEAUX ÉTRANGERS QUI ONT RAPPORT AUX OUTARDES. ï. LE LOIIONG, ou L'OUTARDE HUPPÉE D'ARABIE Otis Arabs. L. L'oiseau que les Arabes appellent loliong^ et que M. Edwards a dessiné et décrit le premier, est à peu près de la grosseur de notre grande outarde ; il a , comme elle, trois doigts à chaque pied, dirigés de même, seulement un peu plus courts, les pieds, le bec, et le cou plus longs, et paroît en général mo- delé sur des proportions plus légères. Le plumage de la partie supérieure du corps est plus brun, et semblable à celui de la bécasse, c'est-à- dire fauve , rayé de brun foncé , avec des taches blan- ches en forme de croissant sur les ailes, le dessous du corps est blanc, ainsi que le contour de la partie supérieure de l'aile; le sommet de la tête, la gorge, et le devant du cou, ont des raies transversales d'un brun obscur sur un fond cendré ; le bas de la jambe , le bec, et les pieds sont d'un brun clair et jaunâtre, la queue est tombante comme celle de la perdrix, et LE LOHOiVC. j.ii traversce par une bande noire : les grandes pennes de l'aile et la huppe sont de cette môme couleur. Cette huppe est un trait fort remarquable dans l'outarde d'Arabie, elle est pointue, dirigée en ar- rière, et fort inclinée à l'horizon ; de sa base, elle jette en avant deux hgnes noires, dont l'une, plus longue, passe sur l'œil et lui forme une espèce de sourcil; l'autre, beaucoup plus courte, se dirige comme pour embrasser l'œil par dessous, mais n'ar- rive point jusqu'à l'œil, lequel est noir et placé au milieu d'un espace blanc. En regardant cette huppe de profd et d'un peu loin, on croiroit voir des oreilles un peu couchées et qui se portent en arrière; et, comme l'outarde d'A- rabie a été sans doute plus connue des Grecs que la nôtre, il est vraisemblable qu'ils l'ont nommée otu à cause de ces espèces d'oreilles, de même qu'ils ont nommé le duc otus ou otos à cause de deux aigrettes semblables qui le distinguent des chouettes. Un individu de cette espèce, qui venoit de Moka dans l'Arabie heureuse , a vécu plusieurs années à Londres dans les volières de M. Hans Sloane ; et M. Edwards, qui nous en a donné la figure coloriée , ne nous a conservé aucun détail sur ses mœurs , ses habitudes, ni même sur sa façon de se nourrir^; mais du moins il n'auroit pas dû la confondre avec les galli- nacés, dont elle diffère par des traits si frappants „ ainsi que je l'ai fait voir à l'article de l'outarde. 1. Les Arabes lui donnent le nom de loliong, selon M. Edwards; nom qui ne se trouve point dans le texte anglois relatif à la plan- che XII , mais dans la traduction françoise, laquelle est avouée de l'au- teur. /j,)^ L OUTARDE D AFRIQUE. IL L'OUTARDE D'AFRIQUE. Otis Afra, L. C'est celle dont M. Linnaeus fait sa quatrième es- pèce : elle diffère de l'outarde d'Arabie par les cou- leurs du plumage ; le noir y domine , mais le dos est cendre et les oreilles blanches. Le mâle a le bec et les pieds jaunes , le sommet de la tète cendre, et le bord extérieur des ailes blanc; mais la femelle est partout de couleur cendrée , à l'ex- ception du ventre et des cuisses, qui sont noirs comme dans l'outarde des Indes. Cet oiseau se trouve en Ethiopie, selon M. Lin- naeus; et il y a grande apparence que celui dont le voyageur Le Maire parle sous le nom d'autruche vo- lante du Sénégal n'est pas un oiseau différent : car, quoique ce voyageur en dise peu de chose, ce peu s'accorde en partie et ne disconvient en rien avec la description ci-dessous; selon lui, le plumage est gris et noir, sa chair délicieuse, et sa grosseur à peu près de celle du cygne. Mais cette conjecture tire une nou- velle force du témoignage de M. Adanson : cet habile naturaliste ayant tué au Sénégal , et par conséquent examiné de près, une de ces autruches volantes, nous assure qu'elle ressemble à bien des égards à notre ou- tarde d'Europe, mais qu'elle en diffère par la couleur du plumage, qui est généralement d'un gris cendré, par son cou, qui est beaucoup plus long, et par une espèce de huppe qu'elle a derrière la tête. l'outarde d'afrique. l]7)3 Cette huppe est sans doute ce que M. Linnœus ap- pelle les oreilles^ et cette couleur gris cendré est pré- cisément celle de la femelle ; et comme ce sont là les principaux traits par lesquels l'outarde d'Afrique de J\I. Linnaens et l'autruche volante du Sénégal diffèrent de notre outarde d'Europe, on peut en induire, ce me semble, que ces deux oiseaux se ressemblent beau- coup : et par la même raison on peut encore étendre à tous deux ce qui a été observé sur chacun en par- ticulier; par exemple, qu'ils ont à peu près la gros- seur de notre outarde et le cou plus long. Cette lon- gueur du cou dont parle M. Adanson est un trait de ressemblance avec l'outarde d'Arabie, qui habite à peu près le même climat; et l'on ne peut tirer aucuue conséquence contraire du silence de M. Linnaeus, puisqu'il n'indique pas une seule dimension de son outarde d'Afrique. A l'égard de la grosseur. Le Maire fait celle de l'autruche volante égale à celle du cygne, et M. Adanson à celle de l'outarde d'Europe, puisque ayant dit qu'elle lui ressembloit à bien des égards, et ayant indiqué les principales différences, il n'en éta- blit aucune à cet égard; et comme d'ailleurs l'Ethio- pie ou l'Abyssinie, qui est le pays de l'outarde d'Afri- que, et le Sénégal , qui est celui de l'autruche volante, quoique fort éloignés en longitude, sont néanmoins du même climat, je vois beaucoup de probabilité à dire que ces deux oiseaux appartiennent à une seule et même espèce. /jj/j LE ClUnGE. III. LE CHURGE, ou L'OUTARDE MOYENNE DES INDES. Otis Bengaiensis. L. Cette outarde est non seulement plus petite que celle d'Europe, d'Afrique, et d'Arabie; mais elle est (nicore plus menue à proportion , et plus haut mon- lée qu'aucune autre outarde : elle a vingt pouces de liant depuis le plan de position jusqu'au sommet de la tête, son cou paroît plus court, relativement à la longueur de ses pieds : du reste elle a tous les carac- tères de l'outarde; trois doigts seulement à cliaque pied, et ces doigts isolés; le bas de la jambe sans plumes; le bec un peu courbé, mais plus allongé; et je ne vois point par quelles raison M. Erisson l'a ren- voyée au genre des pluviers. Le caractère distinctif par lequel les pluviers dif- fèrent lies outardes consiste, selon lui, dans la forme du bec, que celles-ci ont en cône courbé, et ceux- là droit et renflé par le bout. Or l'outarde des îndes dont il s'agit ici a le bec plutôt courbé que droit, et ne l'a point renflé par le bout comme les pluviers; du moins c'est ainsi que l'a représenté M. Edwards dans une ligure que M. Brisson avoue comme exacte : je puis même ajouter qu'elle a le bec plus courbé et moins renflé par le bout que l'outarde d'Arabie de j\L Edwards, dont la Bgure a paru aussi très exacte à M. Brisson, et qu'il a rangée sans diUlculté parmi ]e< outardes. LE CHURGE. j^,') D'ailleurs il ne faut que jeter les yeux sur la fioLire fie l'outarde des Indes, et la comparer avec celle des pluviers, pour reconnoître qu'elle en diffère beau- coup par le port total et par les proportions, ayant le cou plus long, les ailes plus courtes, et la forme du corps plus développée : ajoutez à cela qu'elle est quatre fois plus grosse que le plus gros pluvier, lequel n'a que seize pouces de long, du bout du bec au bout des ongles, au lieu qu'elle en a vingt-six i. Le noir, le fauve, le blanc, et le gris, sont les prin- cipales couleurs du plumage, comme dans l'outarde d'Europe : mais elles sont distribuées différemment; le noir sur le sommet de la tête, le cou, les cuisses, et tout le dessous du corps; le fauve plus clair sur les côtés de la tète et autour des yeux, plus brun et mêlé avec du noir sur le dos, le queue, la partie des ailes la plus proche du dos, et au haut de la poitrine, où il forme comuîe une large ceinture sur un fond noir; le blanc sur les couvertures des ailes les plus éloignées du dos ; le blanc mêlé de noir sur leur partie moyenne; le gris plus foncé sur les paupières, l'extrémité des plus longues pennes de l'aile^, de quelques unes des moyennes, et des plus courtes, et sur quelques unes de leurs couvertures; enfin le gris plus clair et presque blanchâtre sur le bec et les pieds. Cet oiseau est originaire de Bengale, où on l'ap- pelle churgCj et où il a été dessiné d'après nature; il i . Cela ne conlredit pas ce que j'ai dit ci-dessus , qu'elle avoit vingt pouces de haut depuis le plan de position jusqu'au sommet de ia tête, parce qu'en mesurant ainsi la hauteur, on ne tient compte ni de la longueur du bec , ni de celle des doigts. '2. Comme à quelques outardes d'Europe, /j36 LE cnuRGt:. est à remarquer que le climat de Bengale est à peu près le même que celui d'Arabie, d'Abyssinie, et du Sénégal, où se trouvent les deux outardes précéden- tes : on peut appeler celle-ci outarde moyenne^ parce qu'elle tient le milieu pour la grosseur entre les gran- des et les petites espèces. IV. LE HOUBARA, ou PETITE OUTARDE HUPPÉE D'AFRIQUE. Otis Houbara. Gmel. Nous avons vu que, parmi les grandes outardes, il y en avoit de huppées, et d'autres qui ne l'étoient point, et nous allons retrouver la même diflérence entre les petites outardes; car la nôtre n'a point de huppe, ni même de ces barbes de plumes qu'on voit à la grande outarde d'Europe, tandis que celles-ci ont non seulement des huppes, mais encore des fraises; et il est à remarquer que c'est en Afrique que se trou- vent toutes les huppées, soit de la grande, soit de la petite espèce. Celle que les Barbaresques appellent houbaara est en effet huppée et fraisée. M. Shaw, qui en donne la figure, dit positivement qu'elle a la forme et le plu- mage de l'outarde, mais qu'elle est beaucoup plus petite, n'ayant guère que la grosseur tl'un chapon; et, par cette raison seule, ce voyageur, d'ailleurs ha- bile, mais qui sans doute ne connoissoit pas notre petite outarde de France, blâme Goîius d'avoir tra- duit le mot Iwiibaary par outarde. LE H OU BAR A. jj- Elle vit, comme Ja nôtre, de substances végétales et d'insectes, et elle se tient le plus communément sur les confins du désert. Quoique M. Shaw ne lui donne point de huppe dans sa description , il lui en donne une dans la figure qui y est relative, et cette huppe paroît renversée en arrrière et comme tombante; sa fraise est formée par de longues plumes qui naissent du cou , et qui se re- lèvent un peu et se renflent, comme il arrive à notre coq domestique lorsqu'il est en colère. C'est, dit M. Shaw, une chose curieuse de voir, quand elle se sent menacée par un oiseau de proie, de voir, dis-je, par combien d'allées et de venues, de tours et de détours, de marches et contre-marches, en un mot par combien de ruses et de souplesses elle cherche à échapper à son ennemi. Ce savant voyageur ajoute qu'on regarde comme un excellent remède contre le mal des yeux, et que par cette raison l'on paie quelquefois très cher, son fiel et une certaine matière qui se trouve dans son estomac. V. LE RHAAD, ALTRE PETITE OUTAUDE HUPPÉE D'AFRIQLE. Le rhaad est distingué de notre petite outarde de France par sa huppe, et du houbaara d'Afrique en ce qu'il n'a pas comme lui le cou orné d'une fraise ; du reste, il est de la même grosseur que celui-ci : il a la tête noire, la huppe d'un bleu foncé; le dessus du BLFFOA. XIX. 28 458 LE RHAAD. corps et des ailes, jaune, tacheté de brun; la queue d'une couleur plus claire, rayée transversalement de noir; le ventre blanc, et le bec fort, ainsi que les jambes. Le petit rhaad ne diffère du grand que par sa pe- titesse (n'étant pas plus gros qu'un poulet ordinaire), par quelques variétés dans le plumage, et parce qu'il est sans huppe ; mais avec tout cela il seroit possible qu'il fût de la même espèce que le grand, et qu'il n'en différât que par le sexe. Je fonde cette conjecture, i** sur ce qu'habitant le même climat, il n*a point d'au- tre nom; s'^sur ce que dans presque toutes les espèces d'oiseaux, excepté les carnassiers, le mâle paroît avoir une plus grande puissance de développement, qui se marque au dehors par la hauteur de la taille , par la force des muscles , par l'excès de certaines parties , telles que les membranes charnues, les éperons, etc., par les huppes , les aigrettes , et les fraises , qui sont , pour ainsi dire, une surabondance d'organisation, et même par la vivacité des couleurs du plumage. Quoi qu'il en soit, on a donné au grand et au petit rhaad le nom de saf-sof. Rhaad signifie le tonnerre en langage africain, et exprime le bruit que font tous ces oiseaux en s'élevant de terre ; et saf-saf^ celui qu'ils font avec leurs ailes lorsqu'ils sont en plein vol. FIN DU DIX-NEUVIEME VOLUME. TABLE DES ANIMAUX DÉCRITS DANS LE DIX-NEUVIÈME VOLUME. OISEAUX. Plan de l'ouvrage sur les oiseaux Page 7 Discours sur la nature des oiseaux 24 Les oiseaux de proie 71 Les Aigles 80 Le grand Aigle 84 L'iVigle commun 91 Le petit Aigle 90 Le Pjgargue 99 Le Balbuzard 102 L'Orfraie 108 Le Jean-le-blaiic 117 Oiseaux étrangers qui ont rapport aux Aigles et Balbuzards. 126 L'Aigle de Pondichéry ibid. L'Aigle de l'Orénoque 127 L'Urubilinga 129 Le petit Aigle d'Amérique i3o Le Pêcheur ibid. Le Mansfeni iSa Les Vautours ^^^^ Le Percnoptère i^^ Le Griffon 1Û7 Le Vautour ou grand Vautour i42 44o TAELE. Le Vautour à aigrettes Page i45 Le petit Vautour i/jG Oiseaux lÎTRAivGEES qui ont rapport aux Vautours i48 Le Vautour brun ibicîo Le Sacre d'Egypte i49 Le Roi des Vautours i5i L'Urubu i55 Le Condor 162 Le Milan et les Buses 170 La Buse 176 La Bondréc 178 L'Oiseau Saint-^larlin 180 La Soubuse i85 I^a Ilarpaje 184 liC Busard i85 Oiseaux étuaingeiis qui ont rapport au Milan , aux Buses et Soubuscs 187 Le Milan de la Caroline ibid. Le Caracara 189 La Bus<> cendrée ibid. L'Épcrvier 191 L'Autour 194 Oiseaux ltiiangers qui ont rapport à l'Épervicr et à l'Autour. 1 99 L'Épervier à gros bec de Cajenne ibid. Le petit Autour de Cayenne 200 L'Épervier des pigeons ibid. Le Gerfaut 201 Le Lanier 204 Le Sacre 206 Le Faucon 208 Oiseaux étrangers qui ont rapport au Gerfaut et aux Faucons 220 JjC i'auoon d'Islande . ibid. TABLE. • 44^ Le Faucon noir Page 225 Le Faucon rouge des Indes orientales 225 Le Falco indicus cirratus 226 LeTanas 227 Le Hobereau 229 La Crécerelle 23i Le Rochicr 255 L'Émérillon 207 Les Pies-Grièches. • 241 La Pie-Grièche grise 2/|5 La Pie-Grièche rousse 247 L'Écorcheur 248 Oiseaux étrangers qui ont rapport à la Pie-Grièche grise et à l'Écorcheur 25 1 Le Fingah ibid. Le Rouge-Queue 202 Le Langraien et Tcha-Cliert 255 Les Bécarde? 2 54 La Bécarde à ventre jaune 255 La Venga ou Bécarde à ventre blanc ibid. Le Schet-Bé 256 Le Tcha-Ghert-Bé ibid. Le Gonoleck 257 Le Cali-Calic et le Bruia 258 La Pie-Grièche huppée ibid. Les oiseaux de proie aocturives 259 Le grand Duc 272 Le IJibou ou moyen Duc , 278 Le Scops ou petit Duc 287 La liulotle 289 Le Chat-Huant 292 L'EflViiie ou la Fresaic 294 La Chouette 298 La petite Chouette 5o2 Oiseaux ktra^geus qui ont rapport aux Hiboux et aux Chouettes ôoH 44^ TABLE. Le Gabure Page 5o6 Le Gaparacoch 3o8 Le Harfang 3 1 o Le Chat-Huant de Gayenne 5i5 Le Chouette ou grande Ghevôche du Canada 3i4 La grande Chevêche de Saint-Domingue ibid. Oiseaux QUI NE PEUVEîVT VOLER 3i6 L'Autruche 319 Le Touyou 36 1 Le Casoar 069 LeDronte 38 1 Le Solitaire et l'Oiseau de Nazare 385 L'Outarde 396 La petite Outarde, vulgairement la Ganepetière 421 Oiseaux étrangëiis qui ont rapport aux Outardes 4^0 Le Lohong, ou l'Outarde huppée d'Arabie ibid. L'Outarde d'Afrique 45a Le Ghurge , ou l'Outarde moyenne des Indes 4^4 Le IJoubara, ou petite Outarde huppée d'Afrique. . . . 4^6 Le Rhaad , autre petite Outarde huppée d'Afrique. . . 4^7 FIN DE LA TABLE. ^%v^ ^^ ^*i^ lAml/^iAïA^i^ ^J^A ÎK3K