w ^ ^^ .J V// C%x □ UJ a b-* a a jr cr Ln ru ^^ I ^ ^ ^ OEUVRES C. O M V 1, K T r. s DE BUFFON. TOME XX. OISEAUX. 11. i»Anj*. — iMPiiis)tJiJE vAv. jiotssAr.i) , 1.1:1; DE FI nsTiMBinu; . a"* s OEUVRES COMPLETES DE BUFFON AUGMENTEES PAR M. F. GUVIER, MEMBRE DE l'iNSTITUT, { Académie des Sciincps) DE DEUX VOLUMES OFFnANT LA DESCRIPTION DES MAMMIFÈRES ET DES OISEAUX LES PLUS REMARQUABLES DÉCOUVERTS JUSQU'a CE JOUR, niilN BEAU PORTRAIT DE BUFFON, ET DE 2G0 GRAVURES KN TAILLE -DOUCE, EXÉCUTÉES POUR CETTE ÉUITOIN PAR LES MEILLEURS ARTISTES. A PARIS, CHEZ F. D. PILLOT, EDITEUR RUE DE sei?\e-saiat-gi:rmain, a" 49 ; SALMON, LIBRAIRE. RUE CHRISTINE, N" 5, PRES CELLE DAUPillNE. i85o. ^% 32. OISEAUX. IL CL'FIM)?.'. XX. raiiQxi.e!:,scuip . liE COQ_^.LEDINDOIT_?I_ \\\V\'\W\\\'V\\\'VAV\V\\\V.\\\\\*\V\\'VV\»iVV>\\<-\\\V\X\V\\\V\\VV\A\V\'\\'V\VVV\\\V\\\V\>\V\\\V LE COO P/iasinnus Galhis. L, t^ET oiseau, n° i, quoique domestique, quoique ie plus comaïun de tous , n'est peut-être pas encore as- sez connu : excepté le petit nombre de personnes qui font une étude particulière des productions de la na- ture, il en est peu qui n'aient quelque chose à ap- prendre sur les détails de sa forme extérieure, sur la structure de ses parties internes, sur ses habitudes naturelles ou acquises, sur les différences qu'entraî- nent celles du sexe, du climat, des aliments; enfin sur les variétés des races diverses qui se sont séparées plus tôt ou plus tard de la souche primitive. Mais si le coq est trop peu connu de la plupart des hommes, il n'est pas moins embarrassant pour un naturaliste à méthode, qui ne croit connoître un ob- jet que lorsqu'il a cru lui trouver une piace dans ses classes et dans ses genres : car, si, prenant les carac- tères généraux de ses divisions méthodiques dans le nombre des doigts, il le met au rang des oiseaux qui en ont quatre , que fera-t-il de la poule à cinq doigts, qui est certainement une poule, et même fort an- cienne, puisqu'elle remonte jusqu'au temps de Coiu- melle, qui en parle comme d'une race de distinction? 1. En latin, gallus; en espagnol et en ihilien, gntlo; en savoyarti, coq, gan, geau ; en allemand, lian: en ;nigloîs, cock: en vieuv iran- 8 LE COQ. que s'il fait du coq une classe à part, caractérisée par la forme singulière de sa queue , où placera-t-il le coq sans croupion, et par conséquent sans queue, et qui n'en est pas moins un coq? que s'il admet pour caractère de cette espèce d'avoir les jambes garnies de plumes jusqu'au talon, ne sera-t-il pas embarrassé du coq pattu qui a des plumes jusqu'à l'origine des doigts, et du coq du Japon, qui en a jusqu'aux ongles? enfin s'il veut ranger les gallinacés à la classe des gra- nivores, et que, dans le nombre et la structure de leurs estomacs et de leurs intestins, il croie voir clai- rement qu'ils sont en effet destinés à se nourrir de graines et d'autres matières végétales , comment s'ex- pliquera-t-il à lui-même cet appétit de préférence qu'il montre constamment pour les vers de terre, et même pour toute viande hachée, cuite ou crue, à moins qu'il ne se persuade que la nature ayant fait lapoule granivore par ses longs intestins et son dou- ble estomac, l'a faite aussi vermivore, et même Car- nivore par son bec un tant soit peu crochu? ou plutôt ne conviendra-t-il pas, s'il est de bonne foi, que les conjectures que l'on se permet ainsi sur les intentions de la nature, et les efforts que l'on tente pour renfer- mer l'inépuisable variété de ses ouvrages dans les li- mites étroites d'une méthode particulière, ne parois- sent être faits que pour donner essor aux idées vagues et aux petites spéculations d'un esprit qui ne peut en concevoir de grandes, et qui s'éloigne d'autant plus de la vraie marche de la nature et de la connoissance réelle de ses productions? Ainsi, sans prétendre assu- jettir la nombreuse famille des oiseaux à une méthode rigoureuse , ni la renfermer tout entière dans cette es- LE COQ. g pèce de filet scienlifique, dont, malgré toutes nos pré- cautions, il s'en échapperoit toujours quelques uns, nous nous contenterons de rapprocher ceux qui nous paroîtront avoir plus de rapport entre eux, et nous tâcherons de les faire connoître par les traits les plus caractérisés de leur conformation intérieure, et sur- tout par les principaux faits de leur histoire. Le coq est un oiseau pesant, dont la démarche est grave et lente, et qui, ayant les ailes fort courtes, ne vole que rarement, et quelquefois avec des cris qui expriment l'efTort. Il chante indifTéremment la nuit et le jour, mais non pas régulièrement à certaines heu- res : et sont chant est fort différent de celui de sa femelle, quoiqu'il y ait aussi quelques femelles qui ont le même cri du coq, c'est-à-dire qui font le même effort du gosier avec un moindre effet; car leur voix n'est pas si forte, et ce cri n'est pas si bien articulé. Il gratte la terre pour chercher sa nourriture; il avale autant de petits cailloux que de grains, et n'en digère que mieux : il boit en prenant de l'eau dans son bec et levant la tête à chaque fois pour l'avaler. 11 dort le plus souvent un pied en l'air ^, et en cachant sa tête sous Taile du même côté. Son corps, dans sa situation naturelle, se soutient à peu près parallèle au plan de position, le bec de môme; le cou s'élève verticale- ment : le front est orné d'une crête rouge et charnue, et le dessous du bec d'une double membrane de même couleur et de même nature; ce n'est cependant ni de X. Par une suite de cette attitude Labitueile, la cuisse qui [)oite oi- dîuairemeut le corps est la plus charnue, et nos gourmands savent bien la distinguer de l'autre dans les chapons et les poulardes. lO LE (:0(^>. la chair ni des membranes, mais une substance par- ticulière et qui ne ressemble à aucune autre. Dans les deux sexes , les narines sont placées de part et d'autre du bec supérieur , et les oreilles de chaque côté de la tête, avec une peau blanche au dessous de chaque oreille; les pieds ont ordinairement quatre doigts, quelquefois cinq, mais toujours trois en avant et le reste en arrière. Les plumes sortent deux à deux de chaque tuyau; caractère assez singulier, qui n'a été saisi que par très peu de naturalistes. La queue est à peu près droite, et néanmoins capable de s'in- cliner du côté du cou et du côté opposé ; cette queue, dans les races des gallinacés qui en ont une, est com- posée de quatorze grandes plumes, qui se partagent en deux plans égaux, inclinés l'un à l'autre , et qui se rencontrent par leur bord supérieur sous un angle plus ou moins aigu : mais ce qui distingue le mâle c'est que les deux plumes du milieu de la queue sont beaucoup plus longues que les autres, et se recour- bent en arc; que les plumes du cou et du croupion sont longues et étroites , et que leurs pieds sont armés d'éperons. Il est vrai qu'il se trouve aussi des poules qui ont des éperons; mais cela est rare, et les poules ainsi éperonnées ont beaucoup d'autres rapports avec le mâle; leur crête se relève, ainsi que leur queue; elles imitent le chant du coq, et cherchent à l'imiter en choses plus essentielles : mais on auroit tort de les regarder pour cela comme hermaphrodites, puisque étant incapables des véritables fonctions du mâle, et n'ayant que du dégoût pour celles qui leur convien-' droient mieux , ce sont, à vrai dire, des individus vi- LE COQ. 1 1 ciés, indécis, privés de l'usage du sexe, et même des attributs essentiels de l'espèce, puisqu'ils ne peuvent en perpétuer aucune. Un bon coq est celui qui a du feu dans les yeux, de la fierté dans la démarche, de la liberté dans ses mou- vements, et toutes les proportions qui annoncent la force. Un coq ainsi fait n'imprimeroit pas la terreur à lui lion, comme on l'a dit et écrit tant de fois ; mais il inspirera de l'amour à un grand nombre de poules. Si on veut le ménager, on ne lui en laissera que douze ou quinze. Colurnelle vouloit qu'on ne lui en donnât pas plus de cinq; mais quand il en auroit cinquante chaque jour, on prétend qu'il ne manqueroit à au- cune. A la vérité , personne ne peut assurer que toutes ses approches soient réelles, efficaces, et capables de féconder les œufs de sa femelle. Ses désirs ne sont pas moins impétueux que ses besoins paroissent être fréquents. Le matin, lorsqu'on lui ouvre la porte du poulailler où il a été renfermé pendant la nuit, le premier usage qu'il fait de sa liberté est de se joindre à ses poules : il semble que chez lui le besoin de man- ger ne soit que le second; et lorsqu'il a été privé des poules pendant du temps, il s'adresse à la première femelle qui se présente , fiit-elle d'une espèce fort éloi- gnée, et même il s'en fait une du premier mâle qu'il trouve en son chemin. Le premier fait est cité par Aristote, et le second est attesté par l'observation de M. Edwards *, et par une loi dont parle Plutarque, laquelle condamnoit au feu tout coq convaincu de cel excès de nature. 1. Ayant renfermé trois ou quatre jeunes coqs dans un lieu où ils ne pouvoieut avoir de communication avec aucune poule, bientôt \2 LE COQ. Les poules doivent être assorties au coq, si Fofi veut une race pure; mais si l'on cherche à varier et même à perfectionner l'espèce, il faut croiser les races. Cette observation n'avoit point échappé aux anciens : Columelle dit positivement que les meilleurs poulets sont ceux qui proviennent du mélange d'un coq de race étrangère avec les poules communes; et nous voyons dans Athénée que l'on avoit encore enchéri sur cette idée, en donnant un coq-faisan aux poules ordinaires ^. Dans tous les cas, on doit choisir celles qui ont l'œil éveillé, la crête flottante et rouge, et qui n'ont point d'éperons : les proportions de leur corps sont en général plus légères que celles du mâle ; cepen- dant elles ont les plumes plus larges et les jambes plus basses. Les bonnes fermières donnent la préfé- rence aux poules noires, comme étant plus fécondes que les blanches, et pouvant échapper plus facilement à la vue perçante de l'oiseau de proie qui plane sur les basses-cours. Le coq a beaucoup de soin et même d'inquiétude et de souci pour ses poules : il ne les perd guère de vue; il les conduit, les défend, les menace, va cher- cher celles qui s'écartent, les ramène, et ne se livre au plaisir de manger que lorsqu'il les voit toutes man- ils déposèrent leur animosité précédente ; et au lieu de se battre , cha- cun lâchoit de cocher son camarade , quoiqu'aucun ne parût bien aise d être coché. Voyez préface des Glanures , tome II. 1. Longolius indique la façon de fahe réussir cette union du coq- faisan avec les poules communes ( Gesuer, De avibus, page 44^ ) ; et l'on m'a assuré que ces poules se mêlent aussi avec le coq-pintade, lorsqu'on les a élevés de jeunesse ensemble , mais que les mulets qui proviennent de ce mélange sont peu féconds. LE COQ. r^ ger autour de lui. A juger par les différentes inflexions de sa voix et par les différentes expressions de sa mine, on ne peut guère douter qu'il ne leur parle différents langages. Quand il les perd , il donne des signes de re- grets. Quoique aussi jaloux qu'amoureux, il n'en mal- traite aucune ; sa jalousie ne l'irrite que contre ses con- currents : s'il se présente un autre coq, sans lui donner le temps de rien entreprendre, il accourt l'œil en feu, les plumes hérissées , se jette sur son rival, et lui li- vre un combat opiniâtre, jusqu'à ce que l'un ou l'au- tre succombe, ou que le nouveau venu lui cède le champ de bataille. Le désir de jouir, toujours trop violent, le porte non seulement à écarter tout rival, mais même tout obstacle innocent : il bat et tue quel- quefois les poussins, pour jouir plus à son aise de la mère. Mais ce seul désir est-il la cause de sa fureur jalouse? Au milieu d'un sérail nombreux, et avec tou- tes les ressources qu'il sait se faire, comment pour- roit-il craindre le besoin ou la disette? Quelque vé- hémeats que soient ses appétits , il semble craindre encore plus le partage qu'il ne désire la jouissance; et comme il peut beaucoup, sa jalousie est au moins plus excusable et mieux sentie que celle des autres sultans : d'ailleurs il a comme eux une poule favorite qu'il cherche de préférence, et à laquelle il revient presque aussi souvent qu'il va vers les autres. Et ce qui paroît prouver que sa jalousie ne laisse pas d'être une passion réfléchie, quoiqu'elle ne porte pas contre l'objet de ses amours, c'est que plusieurs coqs dans une basse-cour ne cessent de se battre, au lieu qu'ils ne battent jamais les chapons, à moins que ceux- ci ne prennent l'habitude de suivre quelque poule* l4 LE COQ. Les hoiuines, qui tirent parti de tout pour leur amusement, ont bien su mettre en œuvre cette anti- pathie invincible que la nature a établie entre un coq et un coq; ils ont cultivé cette haine innée avec tant d'art, que les combats de deux oiseaux de basse-cour sont devenus des spectacles dignes d'intéresser la curiosité des peuples, même des peuples polis, et en même temps des moyens de développer ou entrete- nir dans les âmes cette précieuse férocité, qui est, dit-on, le germe de l'héroïsme. On a vu, on voit en- core tous les jours, dans plus d'une contrée, des hommes de tous états accourir en foule à ces grotes- ques tournois, se diviser en deux partis, chacun de ces partis s'échauffer pour son combattant, joindre la fureur des gageures les plus outrées à l'intérêt d'un si beau spectacle, et le dernier coup de bec de l'oi- seau vainqueur renverser la fortune de plusieurs fa- milles. C'étoit autrefois la folie des Rhodiens, des ïangriens, de ceux de Pergame; c'est aujourd'hui celle des Chinois, des habitants des Philippines, de Java, de l'isthme de l'Amérique, et de quelques au- tres nations des deux continents. Au reste, les coqs ne sont pas les seuls oiseaux dont on ait ainsi abusé : les Athéniens, qui avoient un jour dans l'année '^ consacré à ces combats de coqs, employoient aussi les cailles au même usage, et les 1. Thémistocle allant combaltre les Perses, et voyant que ses sol- tlats montroient peu d'ardeur, leur fit remarquer l'acharuement avec lequel des coqs se baUoient : « Voyez, leur dit-il, le courage indomp- i> table de ces animaux; cependant ils n'ont d'autre motif que le désir » de vaincre : et vous, qui combattez pour vos foyers, pour les lom- » beaux, de vos pères, \K>u.r la liborlc > Ce peu de mots ranima le courage de raniiée, et Thémislocle remporta la victoire : ce fut eu LE COQ. l5 Chinois élèvent encore aujourd'hui pour le combat certains petits oiseaux ressemblants à des cailles ou à des linottes; et partout la manière dont ces oiseaux se battent est différente, selon les diverses écoles où ils ont été formés, et selon la diversité des armes of- fensives ou défensives dont on les affuble : mais ce qu'il y a de remarquable c'est que les coqs de Rhodes, qui étoientpliis grands, plus forts que les autres, et beaucoup plus ardents au combat, l'étoient au con- traire beaucoup moins pour leurs femelles; il ne leur faiîoit que trois poules au lieu de quinze ou vingt, soit que leur feu se fût éteint dans la solitude forcée où ils avoient coutume de vivre , soit que leur colère, trop souvent excitée, eût étouffé en eux des passions plus douces, et qui cependant étoient, dans l'origine, le principe de leur courage et la source de leurs dis- positions guerrières. Les mâles de cette race étoient donc moins mâles que les autres , et les femelles , qui souvent ne sont que ce qu'on les fait, étoient moins fécondes et plus paresseuses, soit à couver leurs œufs, soit à mener leurs poussins : tant l'art avoit bien réussi à dépraver la nature ! tant l'exercice des talents de la guerre est opposé à ceux de la propagation! Les poules n'ont pas besoin du coq pour produire des œufs; il en naît sans cesse de la grappe commune de l'ovaire , lesquels, indépendamment de toute com- munication avec le mâle, peuvent y grossir, et, en grossissant, acquièrent leur maturité, se détachent de leur calice et de leur pédicule, parcourent Vovl- uiérnoire de cet événement que les Athéniens instituèrent une espèce de l'ête qui se célébioit par des combats de coqs. ï6 LE GOQ. ductus dans tonte sa longueur, chemin faisant s'assr- milent , par une force qui leur est propre , la lymphe dont la cavité de cet oviductus est remplie, en com- posent leur blanc, leurs membranes, leurs coquilles, et ne restent dans ce viscère que jusqu'à ce que ses fibres élastiques et sensibles étant gênées, irritées par la présence de ces corps devenus désormais des corps étrangers, entrent en contraction, et les poussent au dehors, le gros bout le premier, selon Aristote. Ces œufs sont tout ce que peut faire la nature pro- lifique de la femelle seule et abandonnée à elle-même : elle produit bien un corps organisé capable dune sorte de vie, mais non un animal vivant semblable à sa mère, et capable lui-même de produhe d'autres ani- maux semblables à lui; il faut pour cela le coucou: s du coq et le mélange intime des liqueurs séminales des deux sexes : mais, lorsqu'une fois ce mélange a eu lieu , les efl'ets en sont durables. Harvey a observé que l'œuf d'une poule séparée du coq depuis viqgt jours n'étoit pas moins fécond que ceux qu'elle avoit pondus peu après l'accouplement; mais l'embryon qu'il contenoit n'étoit pas plus avancé pour cela, et il ne falloit pas le tenir sous la poule moins de temps qu'aucun autre pour le faire éclore : preuve certaine que la chaleur seule ne suffit pas pour opérer ou avancer le développement du poulet, mais qu'il faut encore que l'œuf soit formé, ou bien qu'il se trouve en lieu où il puisse transpirer, pour que l'embryon qu'il renferme soit susceptible d'incubation ; autre- ment tous les œufs qui resteroient dans Y oviductus vingt-un jours après avoir été fécondés ne manque-^ LE COQ. ÏJ Yoicnt pas d'y éclore, puisqu'ils auroient le temps et la chaleur nécessaires pour cela, et les poules seroient tantôt ovipares et tantôt vivipares^. Le poids moyen d'un œuf de poule ordinaire est d'environ une once six gros. Si on ouvre un de ces œufs avec précaution, on trouvera d'abord sous la coque une membrane commune qui en tapisse toute la cavité ; ensuite le blanc externe, qui a la forme de cette cavité; puis le blanc interne, qui est plus ar- rondi que le précédent; et enfin au centre de ce blanc le jaune, qui est spliérique : ces différentes parties sont contenues chacune dans sa membrane propre ; et toutes ces membranes sont attachées ensemble à l'endroit de sesc/ialasœ ou cordons, qui forment comme les deux pôles du jaune. La petite vésicule lenticu- laire, appelée cicatricule^ se trouve à peu près sur son équateur, et fixée solidement à sa surface 2. A l'égard de sa forme extérieure , elle est trop con- nue pour qu'il soit besoin de la décrire ; mais elle est u Je ne vois que le docteur Miclici Ljzeruts qui ait parlé d'une poule vivipare; mais les exemples en seroient plus fréquents, s'il ne falloit que de la chaleur à un œuf fécondé pour éclore. 2. Bellini , trompé par ses expériences, ou plutôt par les consé- quences qu'il en avoit tirées, croyoit, et avoit fait croire à beaucoup de monde, que, dans les œufs frais durcis à l'eau bouillante, la cica- tricule qulttoit la surface du jaune pour se retirer au centre : mais que dans les œufs couvés, durcis de même, la cicatricule restoit constam- ment attachée à la surface. Les savants de Turin, en répétant et va- riant les mêmes expériences, se sont assurés que, dans tous les œufs couvés ou non couvés, la cicatiicule restoit toujours adhérente à la» surface du jaune durci, et que le corps blanc que Bellini avoit vu au centre, et qu'il avoit pris pour la cieatricule, n'éloit lien moins que cela, et ne paroissoil en elïct au centre du jaune que lorsqu'il n'éloit ni Irop ni trop peu cuit. î8 * LE COQ. assez souvent altérée par des accîdeiits dont il est fa- cile , ce me semble , de rendre raison , d'après l'histoire de l'œuf même et de sa formation. Il n'est pas rare de trouver deux jaunes dans une seule coque; cela arrive lorsque deux œufs également mûrs se détachent en môme temps de l'ovaire, par- courent ensemble ïoviductus^ et, formant leur blanc sans se séparer, se trouvent réunissons la même en- veloppe. Si, par quelque accident facile à supposer, un œuf détaché depuis quelque temps de l'ovaire, se trouve arrêté dans son accroissement, et qu'étant formé au- tant qu'il peut l'être, il se rencontre dans la sphère d'activité d'un autre œuf qui aura toute sa force, celui- ci l'entraînera avec lui, et ce sera un œuf dans un œuf. On comprendra de même comment on y trouve quelquefois une épingle ou tout autre corps étranger qui aura pu pénétrer jusque dans Voviductus. II y a des poules qui donnent des œufs hardés ou sans coque, soit parle défaut de la matière propre dont se forme la coque , soit parce qu'ils sont chassés de l'r;- riWMC/ws avant leur entière maturité : aussi n'en voit-on jamais éclore de poulet; et cela arrive, dit-on, aux poules qui sont trop grasses. Des causes directement contraires produisent les œufs à coque trop épaisse , et même des œufs à double coque : on en a vu qui avoient conservé le pédicule par lequel ils étoient al- tachés à l'ovaire; d'autres qui étoient contournés en manière de croissant; d'autres qui avoient la forme d'une poire ; d'autres enfin qui porloient sur leur co- quille l'empreinte d'un soleil, d'une comète, d'une éclipse , ou de tel autre objet dont on avoit l'imagina- lE caQ. 19 lion frappée; on en a même vu quelques uns de lu- mineux. Ce qu'il y avoit de réel dans ces premiers phénomènes, c'est-à-dire les altérations de la forme de l'œuf, ou les empreintes à sa surface, ne doit s'at- tribuer qu'aux difïerentes compressions qu'il avoit éprouvées dans le temps que sa coque étoit encore assez souple pour céder à l'effort, et néanmoins assez ferme pour en conserver l'impression. Il ne seroit pas tout-à-fait si facile de rendre raison des œufs lumi- neux. Un docteur allemand en a observé de tels , qui étoient actuellement sous une poule blanche, fécon- dée, ajoute-t-il, par un coq très ardent : on ne peut honnêtement nier la possibilité du fait; mais, comme il est unique, il est prudent de répéter l'observation avant de l'expliquer. A l'égard de ces prétendus œufs de coq qui sont sans jaune, et contiennent, à ce que croit le peuple, un serpent, ce n'est autre chose, dans la vérité, que le premier produit d'une poule trop jeune , ou le der- nier effort d'une poule épuisée par sa fécondité même; ou enfin ce ne sont que des œufs imparfaits dont le jaune aura été crevé dans Voviductus de la poule, soit par quelque accident, soit par un vice de conforma- tion, mais qui auront toujours conservé leurs cordons ou chalasœ^ que les amis du merveilleux n'auront pas manqué de prendre pour un serpent ; c'est ce que M. de La Peyronie a mis hors de doute par la dis- section d'une poule qui pondoit de ces œufs : mais ni M. de La Peyronie, ni Thomas Bartholin, qui ont disséqué de prétendus coqs ovipares, ne leur ont trouvé d'œufs ni d'ovaires, ni aucune partie équi- valente. SO LE COQ. Les poules pondent indifféremment pendant toute l'année, excepté pendant la mue, qui dure ordinai- rement six semaines ou deux mois sur la fin de l'au- tomne et au commencement de l'hiver : cette mue n'est autre chose que la chute des vieilles plumes, qui se détachent comme les vieilles feuilles des arbres et comme les vieux bois des cerfs, étant poussées par les nouvelles; les coqs y sont sujets comme les poules. Mais ce qu'il y a de remarquable c'est que les nou- velles plumes prennent quelquefois une couleur dif- férente de celle des anciennes. Un de nos observateurs a fait cette remarque sur une poule et sur un coq, et tout le monde la peut faire sur plusieurs autres espèces d'oiseaux, et particulièrement sur les bengalis, dont le plumage varie presque à chaque mue; et en géné- ral presque tous les oiseaux ont leurs premières plu- mes, en naissant, d'une couleur différente de celle dont elles doivent revenir dans la suite. La fécondité ordinaire des poules consiste à pon- dre presque tous les jours. On dit qu'il y en a en Sa- mogitie, àMalaca, et ailleurs, qui pondent deux fois par jour. Aristote parle de certaines poules d'Iliyrie qui pondoient jusqu'à trois fois; et il y a apparence que ce sont les mêmes que ces petites poules adriènes ou adriatiques dont il parle dans un autre endroit, et qui étoient renommées pour leur fécondité : quel- ques uns ajoutent qu'il y a telle manière de nourrir les pouies communes, qui leur donne cette fécon- dité extraordinaire ; la chaleur y contribue beaucoup. On peut faire pondre les poules en hiver, en les tenant dans une écurie où il y a toujours du fumier chaud sur lequel elles puissent séjourner. LE COQ. 2 1 Dès qu'un œuf est pondu , il commence à transpi- rer, et perd chaque jour quelques grains de son poids par l'évaporation des parties les plus volatiles de ses sucs : à mesure que cette évaporation se fait, ou bien il s'épaissit, se durcit, et se dessèche, ou bien il con- tracte un mauvais goût, et il se gâte enfin totalement, au point qu'il devient incapable de rien produire. L'art de lui conserver long-temps toutes ses qualités se réduit à mettre obstacle à cette transpiration^ par une couche de matière grasse quelconque, dont on enduit exactement sa coque peu de moments après qu'il a été pondu : avec cette seule précaution on gardera pendant plusieurs mois et même pendant des années des œufs bons à manger, susceptibles d'incu- bation , et qui auront, en un mot , toutes les proprié- tés des œufs frais. Les habitants du Tonquin les con- servent dans une espèce de pâte faite avec de la cendre tamisée et de la saumure; d'autres Lidiens dans l'huile. Le vernis peut aussi servir à conserver les œufs que l'on veut manger; mais la graisse n'est pas moins bonne pour cet usage, et vaut mieux pour con- server les œufs que l'on veut faire couver, parce qu'elle s'enlève plus facilement que le vernis, et qu'il faut nettoyer de tout enduit les œufs dont on veut que 1. Le Journal économique du mois de mars 1755 fait meution de trois œufs , bons à manger, trouvés eu Italie dans l'épaisseur d'un mur construit il y avoit trois cents ans : ce fait est d'autant plus difr ficile à croire, qu'un enduit de mortier ne seroit pas suffisant pour conserver un œuf, et que les murs les plus épais étant sujels à l'évapo^ ration dans tous les points de leur épaisseur, puisque les mortiers de l'intérieur se sèchent à la longue, ils ne peuvent empêcher la trans- piration des œufs cachés dans leur épaisseur, ni par conséquent les r-,o,nscrver. UUFFOA'. XX. 2 22 LE COQ. Hncubation réussisse ; car tout ce qui nuit à la transpi- ration nuit aussi au succès de l'incubation. J'ai dit que le concours du coq étoit nécessaire pour la fécondation des œufs, et c'est un fait acquis par une longue et constante expérience ; mais les dé- tails de cet acte si essentiel dans l'histoire des ani- maux sont trop peu connus. On sait, à la vérité, que la verge du mâle est double, et n'est autre chose que les deux mamelons par lesquels se terminent les vais- seaux spermatiques à l'endroit de leur insertion dans le cloaque : on sait que la vulve de la femelle est pla- cée au dessus de l'anus, et non au dessous, comme dans lès quadrupèdes : on sait que le coq s'approche de la poule par une espèce de pas oblique, accéléré, baissant les ailes, comme un coq d'Inde qui fait la roue, étalant même sa queue à demi, et accompa- gnant son action d'un certain murmure expressif, d'un mouvement de trépidation , et de tous les signes du désir pressant : on sait qu'il s'élance sur la poule , qui le reçoit en pliant les jambes, se mettant ventre à terre, et écartant les deux plans de longues plumes dont sa queue est composée : on sait que le mâle sai- sit avec son bec la crête ou les plumes du sommet de la tête de la femelle, soit par manière de caresse, soit pour garder l'équilibre ; qu'il ramène la partie postérieure de son corps où est sa double verge, et l'applique vivement sur la partie postérieure du corps de la poule où est l'orifice correspondant; que cet accouplement dure d'autant moins qu'il est plus sou- vent répété, et que le coq semble s'applaudir après par un battement d'ailes et par une espèce de chant de joie ou de victoire : on sait que le coq a des testieu- LE COQ. 23 ies ; que sa liqueur séminale réside , comme celle des quadrupèdes , dans des vaisseaux spennatiques : on sait, par mes observations, que celle de la poule ré- side dans la cicatricule de chaque œuf, comme celle des femelles quadrupèdes dans le corps glanduleux des testicules : mais on ignore si la double verge du coq, ou seulement l'une des deux, pénètre dans l'orifice de la femelle , et même s'il y a intromission réelle , ou une compression forte, ou un sioiple contact; on ne sait pas encore quelle doit être précisément la condition d'un œuf pour qu'il puisse être fécondé, ni jusqu'à quelle distance l'action du mâle peut s'é- tendre : en un mot, malgré le nombre infini d'expé- riences et d'observations que Ton a faites sur ce su- jet , on ignore encore quelques unes des principales circonstances de la fécondation. Son premier effet connu est la dilatation de la cica- tricule et la formation du poulet dans sa cavité : car c'est la cicatricule qui contient le véritable germe, et elle se trouve dans les œufs fécondés ou non, môme dans ces prétendus œufs de coq^ dont j'ai parlé plus haut; mais elle est plus petite dans les œufs inféconds. Malpighi , l'ayant examinée dans des œufs féconds nouvellement pondus et avant qu'ils eussent été cou- 1. M. de La Peyronie a observé dans un de ces œufs une tache ronde, jaune, d'une ligne de diamètre, sans épaisseur, située sur la membrane qu'on trouve sous la coque : on peut croire que cette tache, qui devroit être blanche, n'étoit jaune ici que parce que le jaune de l'œuf s'étoit épanché de toutes parts, comme on l'a reconnu par la dissection de la poule-, et si elle étoil située sur la membrane qu'on trouve sous la coque, c'est qu'après l'épanchement du jaune la membrane qui contenoit ce jaune étoit restée a des narines sont dans le bec supérieur, et ceux des oreilles sont en arrière des yeux, fort couverts et comme ombragés par une multitude de petites plumes décomposées qui ont différentes directions. On comprend bien que le meilleur mâle sera celui qui aura plus de force, plus de vivacité, plus d'éner- gie dans toute son action : on pourra lui donner cinq ou six poules d'Inde. S'il y a plusieurs mâles, ils se battront, mais non pas avec l'acharnement des coqs ordinaires : ceux-ci ayant plus d'ardeur pour leurs fe- melles, sont aussi plus animés contre leurs rivaux ; et la guerre qu'ils se font entre eux est ordinairement un combat à outrance : on en a vu même attaquer des coqs d'Inde deux fois plus gros qu'eux, et les mettre à mort. Les sujets de guerre ne manquent pas entre les coqs des deux espèces, si, comme le dit Sperling, le coq d'Inde, privé de ses femelles, s'a- dresse aux poules ordinaires, et que ces poules d'Inde , dans l'absence de leur mâle , s'offrent au coq ordinaire , et le sollicitent assez vivement. La guerre que les coqs d'Inde se font entre eux est beaucoup moins violente : le vaincu ne cède pas tou- jours le champ de bataille; quelquefois même il est préféré par les femelles. On a remarqué qu'un din- don blanc ayant été battu par un dindon noir, pres- B13FF0N. XX. 5 ^O LE DINDON. que tous les dindonneaux de la couvée furent blancs. L'accouplement des dindons se fait à peu près de la même manière que celui des coqs, mais il dure plus long-temps; et c'est peut-être par cette raison qu'il faut moins de femelles au mâle, et qu'il s'use beaucoup plus vite. J'ai dit plus haut, sur la foi de Sperling, qu'il se mêloit quelquefois avec les poules ordinaires; le même auteur prétend que, quand il est privé de ses femelles, il s'accouple aussi non seu- lement avec la femelle du paon (ce qui peut être), mais encore avec les canes (ce qui me paroît moins vraisemblable). La poule d'Inde n'est pas aussi féconde que la poule ordinaire ; il faut lui donner de temps en temps du chènevis, de l'avoine, du sarrasin, pour l'exciter à pondre ; et avec cela , elle ne fait guère qu'une seule ponte par àri , d'environ quinze œufs; lorsqu'elle en fait deux, ce qui est très rare, elle commence la pre- mière sur la fin de l'hiver, et la seconde dans le mois d'août : ces œufs sont blancs avec quelques petites taches d'un jaune rougeâtre; et du reste, ils sont organisés à peu près comme ceux de 1.^ poule ordi- naire. La poule d'Inde couve aussi les œufs de toutes sortes d'oiseaux : on juge qu'elle demande à couver, lorsque, après avoir fait sa ponte, elle reste dans le nid. Pour que ce nid lui plaise , il faut qu'il soit en lieu sec, à une bonne exposition, selon la saison, et point trop en vue; car son instinct la porte ordinai- rement à se cacher avec grand soin lorsqu'elle couve. Ce sont les poules de l'année précédente qui d'or- dinaire sont les meilleures couveuses; elles se dévouent à cette occupation avec tant d'ardeur et d'assiduité ^ LE DINDON. 71 qu'elles mourroieat d'inanition sur leurs œufs, si l'on n'avoit le soin de les lever une fois tous les jours pour leur donner à boire et à manger. Cette passion de couver est si forte et si durable, qu'elles font quel-^ quefois deux couvées de suite et sans aucune inter- ruption; mais, dans ce cas, il faut les soutenir par une meilleure nourriture. Le mâle a un instinct bien contraire : car, s'il aperçoit sa femelle couvant, il casse ses œufs, qu'il voit apparemment comme un obstacle à ses plaisirs; et c'est peut-être la raison pourquoi la femelle se cache alors avec tant de soin. Le temps venu où ces œufs doivent éclore, les din- donneaux percent avec leur bec la coquille de l'œuf qui les renferme : mais cette coquille est quelquefois si dure , ou les dindonneaux si foibles, qu'ils périroient si on ne les aidoit à la briser; ce que néanmoins il ne faut faire qu'avec beaucoup de circonspection, et en suivant, autant qu'il est possible, les procédés de la nature. Ils périroient encore bientôt, pour peu que^ dans ces commencements, on les maniât avec ru^ desse, qu'on leur laissât endurer la faim, ou qu'on les exposât aux intempéries de l'air : le froid, la pluie^ et même la rosée, les morfond; le grand soleil les tue presque subitement; quelquefois même ils sont écrasés sous les pieds de leur mère. Voilà bien des dangers pour un animal si délicat; et c'est pour cette raison , et à cause de la moindre fécondité des poules d'Inde en Europe, que cette espèce est beaucoup moins nombreuse que celle des poules ordinaires. Dans les premiers temps, il faut tenir les jeunes dindons dans un lieu chaud et sec , où l'on aura étendu une litière de fumier long bien battue; et ^'2 LE DINDON. lorsque dans la suite on voudra les faire sortir en plein air, ce ne sera que par degré et en choisissant les plus beaux jours. L'instinct des jeunes dindonneaux est d'aimer mieux prendre leur nourriture dans la main que de toute autre manière : on juge qu'ils ont besoin d'en prendre lorsqu'on les entend piauler j, et cela leur arrive fréquemment; il faut leur donner à manger quatre ou cinq fois par jour. Leur premier aliment sera du vin et de l'eau qu'on leur soufflera dans le bec ; on y mêlera ensuite un peu de mie de pain : vers le quatrième jour, on leur donnera les œufs gâtés de la couvée, cuits et hachés d'abord avec de la mie de pain , et ensuite avec des orties; ces œufs gâtés, soit de dindes, soit de poules, seront pour eux une nour- riture très salutaire : au bout de dix à douze jours on supprime les œufs, et on môle les orties hachées avec du millet, ou avec la farine de turquis, d'orge, de froment, ou de blé sarrasin, ou bien, pour épargner le grain, sans faire tort aux dindonneaux, avec le lait caillé, la bardanne, un peu de camomille puante, de graine d'ortie et du son : dans la suite on pourra se contenter de leur donner toutes sorles de fruits pourris, coupés par morceaux, et surtout des fruits de ronces ou de mûriers blancs, etc.; lorsqu'on leur verra un air languissant, on leur mettra le bec dans du vin pour leur en faire boire un peu, et on leur fera avaler aussi un grain de poivre : quelquefois ils pa- roissent engourdis et sans mouvement, lorsqu'ils ont été surpris par une pluie froide ; et ils mourroient certainement, si on n'avoit le soin de les envelopper ^de linges chauds, et de leur souffler à plusieurs re- LE DINDON. ^5* prises un air chaud par le bec. Il ne faut pas manquer de les visiter de temps en temps, et de leur percer les petites vessies qui leur viennent sous la langue et autour du croupion, et de leur donner de l'eau de rouille; on conseille même de leur laver la tête avec cette eau , pour prévenir certaines maladies auxquelles ils sont sujets^ : mais, dans ce cas, il faut donc les es- suyer et les sécher bien exactement , car on sait com- bien toute humidité est contraire aux dindons du- premier âge. La mère les mène avec la même sollicitude que la poule mène ses poussins; elle les réchauffe sous ses ailes avec la même affection, elle les défend avec le même courage. 11 semble que sa tendresse pour ses petits rende sa vue plus perçante; elle découvre loi- seau de proie d'une distance prodigieuse, et lorsqu'il est encore invisible à tous les autres yeux : dès qu'elle l'a aperçu , elle jette un cri d'effroi qui répand la consternation dans toute la couvée; chaque dindon- neau se réfugie dans les buissons ou se tapit dans l'herbe, et la mère les y retient en répétant le même cri d'effroi autant de temps que l'ennemi est à portée : mais le voit-elle prendre son vol d'un autre côté, elle les en avertit aussitôt par un autre cri bien diffé- rent du premier, et qui est pour tous le signal de sortir du lieu où ils se sont cachés, et de se rassem- bler autour d'elle. Lorsque les jeunes dindons viennent d'éclore, ils ont la tête garnie d'une espèce de duvet, et n'ont encore ni chair glanduleuse ni barbillons; ce n'est L. La figère et les ourles , selon la Maison rustique. ^4 LE DINDON. qu'à six semaines ou deux mois que ces parties se dé- veloppent, et, comme on le dit vulgairement, que Jes dindons commencent à pousser le rouge. Le temps de ce développement est un temps critique pour eux, comme celui de la dentition pour les enfants; et c'est alors surtout qu'il faut mêler du vin à leur nourriture pour les fortifier : quelque temps avant de pousser le rouge , ils commencent déjà à se percher. Il est rare que l'on soumette les dindonneaux à la castration comme les poulets ; ils engraissent fort bien sans cela, et leur chair n'en est pas moins bonne; nouvelle preuve qu'ils sont d'un tempérament moins chaud que les coqs ordinaires. Lorsqu'ils sont devenus forts, ils quittent leur mère, ou plutôt ils en sont abandonnés, parce qu'elle cher- che à faire une seconde ponte et une seconde couvée. Plus les dindonneaux étoient foibles et délicats dans le premier âge, plus ils deviennent, avec le temps, robustes et capables de soutenir les injures du temps : ils aiment à se percher en plein air, et passent ainsi les nuits les plus froides de l'hiver, tantôt se soute- nant sur un seul pied , et retirant l'autre dans les plu- mes de leur ventre comme pour le réchauffer; tantôt, au contraire, s'accroupissant sur leur bâton, et s'y tenant en équilibre, ils se mettent la tête sous l'aile pour dormir? et, pendant leur sommeil, ils ont le mouvement de la respiration sensible et très marqué. La meilleure façon de conduire les dindons deve- nus forts c'est de les mener paître parmi la campagne, dans les lieux où abondent les orties et autres plantes de leur goût, dans les vergers lorsque les fruits com- mencent à tomber, etc. ; mais il faut éviter soigneuse-? LE DINDON. 75 liient les pâturages où croissent les plantes qui leur sont contraires, telles que la grande digitale à fleurs rouges : cette plante est un véritable poison pour les dindons ; ceux qui en ont mangé éprouvent une sorte d'ivresse, des vertiges, des convulsions :et, lorsque la dose a été un peu forte, ils finissent par mourir é tiques. On ne peut donc apporter trop de soin à dé- truire cette plante nuisible dans les lieux où l'on élève des dindons. On doit aussi avoir attention , surtout dans les com- mencements, de ne les faire sortir le matin qu'après que le soleil a commence à sécher la rosée, de les faire rentrer avant la chute du serein , et de les mettre à l'abri pendant la plus grande chaleur des jours d'été. Tous les soirs, lorsqu'ils reviennent, on leur donne de la pâtée, du grain, ou quelque autre nourriture, excepté seulement au temps des moissons, où ils trou- vent sufFisamment à manger par la campagne. Comme ils sont fort craintifs, ils se laissent aisément conduire; il ne faut que l'ombre d'une baguette pour en mener des troupeaux considérables, et souvent ils prendront la fuite devant un animal beaucoup plus petit et plus foible qu'eux : cependant il est des occasions où ils montrent du courage, surtout lorsqu'il s'agit de se défendre contre les fouines et autres ennemis de la volaille; on en a vu même quelquefois entourer en troupe un lièvre au gîte et chercher à le tuer à coups de bec. Ils ont différents tons, différentes inflexions de voix, selon l'âge, le sexe, et suivant les passions qu'ils veulent exprimer; leur démarche est lente et leur vol pesant : ils boivent, mangent, avalent de petits cail- ^6 LE DINDON. loiix, et digèrent à peu près comme les coqs; et^ comme eux, ils ont un double estomac, c'est-à-dire un jabot et un gésier : mais, comme ils sont plus gros, les muscles de leur gésier ont aussi plus de force. La longueur du tube intestinal est à peu près qua- druple de la longueur de l'animal, prise depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrémité du croupion. Ils ont deux cœcum^, dirigés l'un et l'autre d'arrière en avant, et qui, pris ensemble , font plus du quart de tout le conduit intestinal : ils prennent naissance as- sez près de l'extrémité de ce conduit; et les excré- ments contenus dans leur cavité ne diffèrent guère de ceux que renferme la cavité du colon et du rectum : ces excréments ne séjournent point dans le cloaque commun comme l'urine et ce sédiment blanc qui se trouve plus ou moins abondamment partout où passe l'urine , et ils ont assez de consistance pour se mouler en sortant par l'anus. Les parties de la génération se présentent dans les dindons à peu près comme dans les autres gallinacés : mais, à l'égard de l'usage qu'ils en font, ils paroissent avoir beaucoup moins de puissance réelle, les mâles étantmoins ardents pourleurs femelles, moins prompts dans l'acte de la fécondation, et leurs approches étant beaucoup plus rares; et d'autre côté les femelles pon- dent plus tard et bien plus rarement, du moins dans nos climats. Comme les yeux des oiseaux sont, dans quelques parties, organisés difléremment de ceux de l'homme et des animaux quadrupèdes, je crois devoir indi- quer ici ces principales différences. Outre les deux paupières supérieure et inférieure, les dindons, ainsi LE DINDON. 77 que la plupart des autres oiseaux , en ont encore une troisième, nommée paupière interne, membrana nie- titans^ qui se retire et se plisse en forme de crois- sant dans le grand coin de l'œil , et dont les cillements fréquents et rapides s'exécutent par une mécanique musculaire curieuse : la paupière supérieure est pres- que entièrement immobile; mais l'inférieure est ca- pable de fermer l'œil en s'élevant vers la supérieure , ce qui n'arrive guère que lorsque l'animal dort ou lorsqu'il ne vit plus : ces deux paupières ont chacune un point lacrymal, et n'ont pas de rebords cartilagi- neux; la cornée transparente est environnée d'un cer- cle osseux composé de quinze pièces plus ou moins,, posées l'une sur l'autre en recouvrement, comme les tuiles ou les ardoises d'un couvert; le cristallin est plus dur que celui de l'homme, mais moins dur que celui des quadrupèdes et des poissons, et sa plus grande courbure est en arrière : enfin il sort du nerf optique, entre la rétine et la choroïde, une mem- brane noire de figure rhomboïde et composée de fi- bres parallèles, laquelle traverse l'humeur vitrée, et va s'attacher quelquefois immédiatement par son an- gle antérieur, quelquefois par un filet qui part de cet angle, à la capsule du cristallin. C'est à cette membrane subtile et transparente que MM. les anatomistes de l'Académie des Sciences ont donné le nom de bourse ^ quoiqu'elle n'en ait guère la figure dans le dindon, non plus que dans la poule, l'oie, le canard, le pi- geon, etc. Son usage est, selon M. Petit, d'absorber les rayons de lumière qui partent des objets qui sont à côté de la tête et qui entrent directement dans les yeux : mais, quoi qu'il en soit de cette idée, il est 78 LE DINDON. certain que l'organe de la vue est plus composé dans Jes oiseaux que dans les quadrupèdes ; et comme nous avons prouvé ailleurs que Jes oiseaux l'emportoient par ce sens sur les autres animaux, et que nous avons même eu occasion de remarquer plus haut combien la poule d'Inde avoit la vue perçante , on ne peut guère se refuser à cette conjecture si naturelle, que la su- périorité de l'organe de la vue dans les oiseaux est due à la différence de la structure de leurs yeux et à l'ar- tifice particulier de leur organisation; conjecture très vraisemblable, mais de laquelle néanmoins la valeur précise ne pourra être déterminée que par l'étude ap- profondie de l'anatomie comparée et de la mécanique animale. Si l'on compare les témoignages des voyageurs, on ne peut s'empêcher de reconnoître que les dindons sont originaires d'Amérique et des îles adjacentes, et qu'avant la découverte de ce nouveau continent ils n'existoient point dans l'ancien. Le P. Du Tertre remarque qu'ils sont dans les An- tilles comme dans leur pays naturel, et que, pourvu qu'on en ait un peu de soin , ils couvent trois à quatre fois l'année : or c'est une règle générale pour tous les animaux, qu'ils multiplient plus dans le climat qui leur est propre que partout ailleurs; ils y deviennent aussi plus grands et plus forts, et c'est précisément ce que l'on observe dans les dindons d'Amérique. On en trouve une multitude prodigieuse chez les Illinois, disent les missionnaires jésuites ; ils y vont par trou- pes de cent, quelquefois même de deux cents; ils sont beaucoup plus gros que ceux que l'on voit en France, et pèsent jusqu'à trente-six livres ; Josselin dit jusqu'à LE DINDON. 79 soixante livres. Ils ne se trouvent pas en moindre quantité dans le Canada ( où, selon le P. Thëodat, rëcoîlet, les sauvages les appeloient ondettoutaques), dans le Mexique, dans la Nouvelle-Angleterre, dans cette vaste contrée qu'arrose le Mississipi, et chez les Brasiliens, où ils sont connus sous le nom de arl- gnanoussou. Le docteur Hans Sloane en a vu à la Ja- maïque. Il est à remarquer que dans presque tous ces pays les dindons sont dans l'état de sauvages, et qu'ils y fourmillent partout, à quelque distance néanmoins des habitations, comme s'ils ne cédoient le terrain que pied à pied aux colons européens. Mais si la plupart des voyageurs et témoins oculaires s'accordent à regarder cet oiseau comme naturel, ap- partenant en propre au continent de l'Amérique , sur- tout de l'Amérique septentrionale, ils ne s'accordent pas moins à déposer qu'il ne s'en trouve point ou que très peu dans toute l'Asie. Gemelli Carreri nous apprend que non seulement il n'y en a point aux Philippines, mais que ceux mêmes que les Espagnols y avoient apportés de la JNouvelle- Espagne n'avoient pu y prospérer. Le P. Du Halde assure qu'on ne trouve à la Chine que ceux qui y ont été transportés d'ailleurs : il est vrai que, dans le même endroit, ce jésuite suppose qu'ils sont fort communs dans les Indes orientales; mais il paroît que ce n'est en effet qu'une supposition fondée sur des ouï-dire , au lieu qu'il étoit témoin ocu- laire de ce qu'il dit de la Chine. Le P. De Bourzes, autre jésuite, raconte qu'il n'y en a point dans le royaume de Maduré , situé en la presqu'île en deçà du Gange; d'où il conclut, avec 8c> LE DINDON. raison, que ce sont apparemment les Indes occiden- tales qui ont donné leur nom à cet oiseau. Dampier n'en a point vu non plus à Mindanao. Chardin et Tavernier, qui ont parcouru l'Asie, disent positivement qu'il n'y a point de dindons dans tout ce vaste pays : selon le dernier de ces voyageurs, ce sont les Arméniens qui les ont portés en Perse, où ils ont mal réussi ; comme ce sont les Hollandois qui les ont portés à Batavia, où ils ont beaucoup mieux» prospéré. Enfin Bosman et quelques autres voyageurs nous disent que si l'on voit des dindons au pays de Congo, à la Côte-d'Or , au Sénégal , et autres lieux de l'Afri- que , ce n'est que dans les comptoirs et chez les étran- gers, les naturels du pays en faisant peu d'usage. Selon les mêmes voyageurs, il est visible que ces dindons sont provenus de ceux que les Portugais et autres Européens avoient apportés dans les commencements avec la volaille ordinaire. Je ne dissimulerai pas que Aldrovande, Gesner, Belon , et Ray, ont prétendu que les dindons étoient originaires d'Afrique ou des Indes orientales; et quoi- que leur sentiment soit peu suivi aujourd'hui, je crois devoir à de si grands noms de ne point le rejeter sans quelque discussion. Aldrovande a voulu prouver fort au long que les dindons étoient les véritables méléas^rides des anciens, autrement les poules d'Afrique ou de Numidie, dont le plumage est couvert de taches rondes en forme de gouttes [gallinœ Ninnidlcœ guttatœ) ; mais il est évi- dent, et tout le monde convient aujourd'hui que ces poules africaines ne sont autre chose que nos pintades, LE DINDON. 8l 7f£'<9««««i ■»<»»»»8.8'a»»»a'8<-8q>e'»»»»ae««<8 c LE TETRAS, ou LE GRAND COQ DE BRUYÈRE2. Tetrao Urogallus. L. Si Ton ne jugeoit des choses que par les noms, on pourroit prendre cet oiseau^ ou pour un coq sauvage, ou pour un faisan; car on lui donne en plusieurs pays, et surtout en Italie, le nom de coq sauvage ( gallo alpestre^, selvatico) , tandis qu'en d'autres 1. La fable dit que les sœurs de Méléagre, désespérées de la mort de leur frère, furent changées eu ces oiseaux qui portent encore leurs larmes semées sur leur plumage. 2. Kn lalin , tetr ao {magnns ) ; en latin moderne , urogallus; en ita- lien, gailo cedrone; en allemand, or-han, auer-han; en anglois, nwiin- iain-cock; dans quelques provinces de France, coq de Limoges, coq de bois y faisan bruyant. La planche de Frisch est bien coloriée, et celles d'Albin le sont fort mal. 3. N"' 73 et 74. 4. Albin décrit le mâle et la femelle sous le nom de coq et de poule noire des montagnes de Moscovie; plusieurs auteurs l'appellent gallus sylvestris. no LE TETU AS. pays on lui donne celui de faisan bruyant et de faisan sauvage ; cependant il diffère du faisan par sa queue , qui est une fois plus courte à proportion et d'une tout autre forme , par le nombre des grandes plumes qui la composent , par l'étendue de son vol relative- ment à ses autres dimensions, par ses pieds pattus et dénués d'éperons, etc. D'ailleurs, quoique ces deux espèces d'oiseau se plaisent également dans les bois, on ne les rencontre presque jamais dans les mêmes lieux, parce que le faisan, qui craint le froid, se tient dans les bois en plaine, au lieu que le coq de bruyère cberche le froid et habite les bois qui cou- ronnent le sommet des montagnes, d'où lui sont ve- nus les noms de coq ^e montagnes et de coq de bois. Ceux qui, à l'exemple de Gesner et de quelques autres, voudroient le regarder comme un coq sau- vage , pourroient , à la vérité, se fonder sur quelques analogies ; car il y a en effet plusieurs traits de ressem- blance avec le coq ordinaire , soit dans la forme totale du corps, soit dans la configuration particulière du bec , soit par cette peau rouge plus ou moins saillante dont les yeux sont surmontés, soit par la singularité de ses plumes, qui sont presque toutes doubles, et sortent deux à deux de chaque tuyau, ce qui, suivant Belon, est propre au coq de nos basses-cours. Enfin ces oiseaux ont aussi des habitudes communes : dans les deux espèces, il faut plusieurs femelles au mâle : les femelles ne font point de nid; elles couvent leurs œufs avec beaucoup d'assiduité , et montrent une grande affection pour leurs petits quand ils sont éclos. Mais si l'on fait attention que le coq de bruyère n'a point de membranes sous le bec, et point d'éperons LE TETRAS. 1 l 1 aux pieds; que ses pieds sont couverts de pkmies, et ses doigts bordés d une espèce de dentelure ; qu'il a dans la queue deux pennes de plus que le coq; que cette queue ne se divise point en deux plans comme celle du coq, mais qu'il la relève en éventail comme le dindon, que la grandeur totale de cet oiseau est quadruple de celle des coqs ordi- naires; qu'il se plaît dans les pays froids, tandis que les coqs prospèrent beaucoup mieux dans les pays tempérés; qu'il n'y a point d'exemple avéré du mé- lange de ces deux espèces; que leurs œufs ne sont pas de la même couleur; enfin, si l'on se souvient des preuves par lesquelles je crois avoir établi que l'es- pèce du coq est originaire des contrées tempérées de l'Asie, oiî les voyageurs n'ont presque jamais vu de coqs de bruyère, on ne pourra guèrese persuader que ceux-ci soient de la soucbe de ceux-là, et l'on revien- dra bientôt d'une erreur occasionée , comme tant d'autres, par une fausse dénomination. Pour moi , afin d'éviter toute équivoque , je don- nerai , dans cet article , au coq de bruyère , le nom de tétras^ formé de celui de tetrao _, qui me paroît être son plus ancien nom latin, et qu'il conserve encore aujourd'hui dans la Sclavonie, où il s'appelle tetrez. On pourroit aussi lui donner celui de cedron ^ tiré de cedronej, nom sons lequel il est connu en plusieurs contrées d'Italie. Les Grisons rappellent,s/(9/2:<';j du mot allemand s?^/^:^ qui signifie quelque chose de superbe ou d'imposant, et qui estapplicable au coq de bruyère, à cause de sa grandeur et de sa beauté : par la même raison, les habitants des Pyrénées lui donnent le nom de pao?i sauvage. Celui d'uroga/lus ^ sous lequel Îl2 LE ÏDTllAS. il est souvent désigné parles modernes qui ont écrit en latin, vient de ur^ our^ urus^ qui veut dire sam- vage^ et dont s'est formé en allemand le mot auer- halin ou ourh-hahrij lequel , selon Frisch , désigne un oiseau qui se tient dans les lieux peu fréquentés et de difficile accès : il signifie aussi un oiseau de marais^, et c'est de là que lui est venu le nom riet-lialin _, coq de marais, qu'on lui donne dans la Souabe, et même en Ecosse. Aristote ne dit que deux mots d un oiseau qu'il ap- pelle tetrixj et que les Athéniens appeloient ourax : cet oiseau , dit-il , ne niche point sur les arbres ni sur la terre, mais parmi les plantes basses et rampantes. Tetrixj quam Athenienses vocant ouraga^ nec arbori nec terrœ nidmn suum committitj, sed fruticl. Sur quoi il est à propos de remarquer que l'expression grecque n'a pas été fidèlement rendue en latin par Gaza : car, i" Aristote ne parle point ici d'arbrisseau [frutici), maissenlementdeplantes basses; ce qui ressembleplus au gramen et à la mousse qu'à des arbrisseaux; 2" Aris- tote ne dit point que le tetrlx fasse de nid sur ces plantes basses, il dit seulement qu'il y niche; ce qui peut paroître la même chose à un liltérateur, mais non à un naturaliste . vu qu'un oiseau peut nicher, c'est-à-dire pondre et converses œufs sans faire de nid; «et c'est précisément le cas du tetrix _, selon Aristote lui-même, qui dit, quelques lignes plus haut, que l'alouette et le tetrix ne déposent point leurs œufs dans des nids , mais qu'ils pondent sur la terre, ainsi que tous les oiseaux pesants, et qu'ils cachent leurs œufs dans l'herbe drue. i. yia« désigne , selon Frisch, une grande place humide cl basse. LE TETRAS. 1 \J Or ce qu'a dit Aristote du tetrix dans ces deux pas- sages, ainsi rectifiés l'un par l'autre, présente plu- sieurs indications qui conviennent à notre tétras ^ dont la femelle ne fait point de nid, mais dépose ses œufs sur la mousse , et les couvre de feuilles avec grand soin lorsqu'elle est obligée de les quitter. D'ailleurs le nom latin de tetraOj, par lequel Pline désigne le coq de bruyère, a un rapport évident avec le nom grec tetrix j sans compter l'analogie qui se trouve entre le nom athénien ourax et le nom composé ourli-lialniy que les Allemands appliquent au même oiseau, ana- logie qui probablement n'est qu'un effet du hasard. Mais ce qui pourroit jeter quelques doutes sur l'i- dentité du tetrix d'Aristote avec le tetrao de Pline , c'est que ce dernier, parlant de son tetrao divec quel- que détail, ne cite point ce qu'âristote avoit dit du tetrix; ce que vraisemblablement il n'eût pas man- qué de faire, selon sa coutume, s'il eût regardé son tetrao comme étant le même oiseau que le tetrix d'A- ristote ; à moins qu'on ne veuille dire qu'Aristote ayant parlé fort superficiellement du tetrix j, Pline n'a pas dû faire grande attention au peu qu'il en avoit dit. A l'égard du grand tetrax dont parle Athénée (li- vre IX) , ce n'est certainement pas notre tétras, puis- qu'il a des espèces de barbillons charnus et semblables à ceux du coq , lesquels prennent naissance auprès des oreilles et descendent au dessous du bec ; ca- ractère absolument étranger au tétras, et qui désigne bien plutôt la méléagride ou poule de Numidie , qui est notre pintade. Le petit tetrax j, dont parle le même auteur, n'est,, selon lui , qu'un très petit oiseau , et . par sa petitesse 1 l4 LE TETRAS. même, exclu de toute comparaison avec notre tétras^ qui est un oiseau de la première grandeur. A l'égard du tetrax du poëte Nemesianus, qui in- siste sur sa stupidité , Gesner le regarde comme une espèce d'outarde : mais je lui trouve encore un trait caractérisé de ressemblance avec la méléagride ; ce sont les couleurs de son plumage, dont le fond est gris cendré, semé de taches en forme de gouttes : c'est bien là le plumage de la pintade, appelée par quel- ques uns gallina guttata. Mais, quoi qu'il en soit de toutes ces conjectures, il est hors de doute que les deux espèces de tetrao de Pline sont de vrais tétras ou coqs de bruyère^. Le beau noir lustré de leur plumage, leurs sourcils cou- leur de feu qui représentent des espèces de flaiumes dont leurs yeux sont surmontés, leur séjour dans les pays froids et sur les hautes montagnes , la délicatesse de leur chair, sont autant de propriétés qui se ren- contrent dans le grand et le petit tétras, et qui ne se trouvent réunies dans aucun autre oiseau : nous aper- cevons même , dans la description de Pline , les tra- ces d'une singularité qui n'a été connue que par très peu de modernes : Moriuntur contumacia ^ dit cet au- teur, spiritu revocato; ce qui se rapporte à une observa- tion remarquable que Frisch a insérée dans l'histoire de cet oiseau. Ce naturaliste n'ayant point trouvé de langue dans le bec d'un coq de bruyère mort, et lui ayant ouvert le gosier, y retrouva la langue , qui s'y étoit retirée avec toutes ses dépendances ; et il faut que cela arrive le plus ordinairement, puisque c'est 1. Le tetrao des hautes montagnes de Crète, vu par Beloa , ressciu- ble fort à celui de Pline. LE TETRAS. 1 l5 une opinion commune parmi les chasseurs, que les coqs de bruyère n'ont point de langue : peut-être en est-il de même de cet aigle noir dont Pline fait mention , et de cet oiseau du Brésil dont parle Sca- liger, lequel passoit aussi pour n'avoir point de lan- gue, sans doute sur le rapport de quelques voyageurs crédules, ou de chasseurs peu attentifs, qui ne voient presque jamais les animaux que morts ou mourants, et surtout parce que aucun observateur ne leur avoife rejifardé dans le gosier. L'autre espèce de tetrao dont Pline parle au même endroit est beaucoup plus grande, puisqu'elle sur- passe l'outarde, et même le vautour, dont elle a le plumage, et qu'elle ne le cède qu'à l'autruche; du reste, c'est un oiseau si pesant, qu'il se laisse quel- quefois prendre à la main^. Belon prétend que cette espèce de tetrao n'est point connue des modernes , qui, selon lui, n'ont jamais vu de tétras ou coqs de bruyère plus grands ni même aussi grands que l'ou- tarde. D'ailleurs, on pourroit douter que l'oiseau dé- signé dans ce passage de Pline par les noms à'otis et à'avis tarda j,{ùt notre outarde , dont la chair est d'un fort bon goût, au lieu que Y avis tarda de Pline étoit un mauvais manger [damnatas incibis) : maison ne doit pas conclure pour cela avec Belon que le grand tétras n'est autre chose que Vavis tarda j, puisque Pline , dans ce même passage, nomme le tétras et Va- vis tarda:, et qu'il les compare comme des oiseaux d'espèces différentes. Pour moi, après avoir tout bien pesé, j'aimerois 1. Gela est vrai à la leltre du pelit lolras , comme on le verra clans l'article suivant. 1 l6 LE TETRAS. mieux dire , i** que le premier tetrao dont parle Pline est le tétras de la petite espèce, à qui tout ce qu'il dit en cet endroit est encore plus applicable qu'au grand. 2° Que son grand tetrao est notre grand tétras, et qu'il n'en exagère pas la grosseur en disant qu'il sur- passe l'outarde : car j'ai pesé moi-même une grande outarde qui avoit trois pieds trois pouces de l'extré- mité du bec à celle des ongles, six pieds et demi de vol , et qui s'est trouvée du poids de douze livres; or Ton sait et l'on verra bientôt que , parmi les tétras de la grande espèce, il y en a qui pèsent davantage. Le tétras ou grand coq de bruyère a près de quatre pieds de vol; son poids est communément de douze à quinze livres : Aldrovande dit qu'il en avoit vu un qui pesoit vingt-trois livres, mais ce sont des livres de Bologne, qui sont seulement de dix onces, en sorte que les vingt-trois ne font pas quinze livres de seize onces. Le coq noir des montagnes de Moscovie, dé- crit par Albin , et qui n'est autre chose qu'un tétras de la grande espèce, pesoit dix livres sans plumes et tout vidé ; et le même auteur dit que les Heures de Norwége, qui sont de vrais tétras, sont de la gran- deur d'une outarde. Cet oiseau gratte la terre comme tous les frugivo- res; il a le bec fort et tranchant^, la langue pointue, 1. Je ne sais ce que veut dire Longolius, en avançant que cet oi- seau a des vestiges de barbillons. Voyez Gesner, page 487. Y auroit-il, parmi les grands tétras, une race ou une espèce qui auroit des barbil- lons , comme cela a lieu à l'égard des petits tétras? ou bien Longolius ne vciit-il parler que d'une certaine disposition de plumes représentant imparfaitement des barbillons, comme il a fait à l'article de la geli- notte? Voyez Gesner, De avibus, page 229. LE TETRAS. î \'J et dans le palais un enfoncement proportionné au vo- lume de la langue ; les pieds sont aussi très forts et garnis de plumes par devant; !e jabot est excessive- ment grand, mais du reste fait, ainsi que le gésier, à peu près comme dans le coq domestique. La peau du gésier est veloutée à l'endroit de l'adliérence des muscles. Le tétras vit de feuilles ou de sommités de sapin, de genévrier, de cèdre, de saule, de bouleau, de peu- plier blanc, de coudrier, de myrtille, de ronces, de chardons, de pommes de pin, des feuilles et des fleurs du blé sarrasin, de la gesse, de mille-feuille , du pissenlit, du trèfle, de la vesce, et de l'orobe , principalement lorsque ces plantes sont encore ten- dres; car, lorsque les graines commencent à se for- mer, il ne touche plus aux fleurs, et il se contente des feuilles : il mange aussi, surtout la première an- née, des mûres sauvages, de la faîne, des œufs de fourmis, etc. On a remarqué , au contraire, que plu- sieurs autres plantes ne convenoient point à cet oi- seau, entre autres la livêche, l'éclairé, Thièble, la stramoine , le muguet, le froment, l'ortie, etc. On a observé, dans le gésier des tétras que l'on a ouverts, de petits cailloux semblables à ceux que l'on voit dans le gésier de la volaille ordinaire; preuve certaine qu'ils ne se contentent point des feuilles et des fleurs qu'ils prennent sur les arbres, mais qu'ils vivent encore des grains qu'ils trouvent en grattant la terre. Lorsqu'ils mangent trop de baies de geniè- vre , leur chair , qui est excellente , contracte un mauvais goût; et, suivant la remarque de Pline, elle îHî conserve pas long-temps sa bonne qualité dans les BUFFOX. XX. '^ 1 l8 LE TETRAS. cages et les volières où l'on veut quelquefois les nour- rir par curiosité. La femelle ne diffère du mâle que par la taille et parle plumage, étant plus petite et moins noire ; au teste , elle l'emporte sur le mile par l'agréable variété des couleurs, ce qui n'est point l'ordinaire dans les oiseaux, ni même dans les autres animaux, comme nous l'avons remarqué en faisant l'histoire des qua- drupèdes ; et selon Wiilugbby, c'est faute d'avoir connu cette exception, que Gesner a fait de la fe- melle une autre espèce de tétras sous le nom de gry- galbis major ^, formé de VdiWemdinà grugeilialn ; de même qu'il a fait aussi une espèce de la femelle du petit tétras, à laquelle il a donné le nom de grygaUus mlnor ^ : cependant Gesner prétend n'avoir établi ses espèces qu'après avoir observé avec grand soin tous les individus, excepté le grygallm minor , et s'être assuré qu'ils avoient des différences bien caractérisées. D'un autre côté, Schv^renckfeld, qui étoit à portée des montagnes , et qui avoit examiné souvent et avec beaucoup d'attention le grygallus^ assure que c'est la femelle du tétras. Mais il faut avouer que dans i. Gesner trouve que le nom Je grand francoiin des Alpes couvien- droit assez au giygcdius major, vu qu'il ne diffère du francolin que par sa taille , étant trois fois plus gros. 2. En effet, Gesner dit positivement que, parmi tous les animaux, il n'est pas une seule espèce où les mâles ne l'emportent sur la femelle par la beauté des couleurs; à quoi Aldrovaude oppose, avec beaucoup déraison, l'exemple des oiseaux de proie, et surtout des éperviers et des faucons, parmi lesquels les femelles non seulement ont le plu- mage plus beau que les mâles , mais encore surpassent ceux ci en force ri en grosseur, comme il a été remarqué ci-dessus dans l'histoire de ces oiseaux. LE TETRAS. 1 1^ cette espèce, et peut-être dans beaucoup d'autres, les couleurs du plumage sont sujettes à de grandes variétés, selon le sexe, l'âge, le climat, et les diverses autres circonstances. Celui que nous avons fait dessi- ner est un peu huppé. M. Brisson ne parle point de huppe dans sa description ; et des deux figures don- nées par Aldrovande, l'une est huppée, et l'autre ne l'est point. Quelques uns prétendent que le tétras, lorsqu'il est jeune, a beaucoup de blanc dans son plumage, et que ce blanc se perd à mesure qu'il vieillit, au point que c'est un moyen de connoître l'âge de l'oiseau; il semble môme que le nombre des pennes de la queue ne soit pas toujours égal , car Linnaeus le fixe à dix-huit dans sa Fauna Sueclca^ et M. Brisson à seize dans son Ornithologie; et ce qu'il y a de plus singulier, Schwerlckfeld, qui avoit vu et examiné beaucoup de ces oiseaux, prétend que, soit dans la grande, soit dans la petite espèce, les fe- melles ont dix-huit pennes à la queue, et les mâles douze seulement : d'où il suit que toute méthode qui prendra pour caractères spécifiques des différences aussi variables que le sont les couleurs des plumes et même leur nombre, sera sujette au grand inconvé- nient de multiplier les espèces, je veux dire les espè- ces nominales, ou plutôt les nouvelles phrases; de surcharger la mémoire des commençants, de leur donner de fausses idées des choses, et par conséquent de rendre l'étude de la nature plus difficile. Il n'est pas vrai , comme l'a dit Encelius, que le té- tras mâle étant perché sur un arbre jette sa semence par le bec ; que ses femelles , qu'il appelle à grands cris, viennent la recueillir, l'avaler, la rejeter en- \20 LE TETRAS. suite, et que leurs œufs soient ainsi fécondés : il n'est pas plus vrai que, de la partie de cette semence qui n'est point recueillie par les poules, il se forme des serpents, des pierres précieuses, des espèces de perles : il est humiliant pour Tesprit humain qu'il se présente de pareilles erreurs à réfuter. Le tétras s'ac- couple comme les autres oiseaux; et ce qu'il y a de plus singulier c'est qu'Encelius lui-même, qui ra- conte cette étrange fécondation parle bec, n'ignoroit pas que le coq couvroit ensuite ses poules, et que cel- les qu'il n'avoit point couvertes pondoient des œufs inféconds : il savoit cela, et n'en persista pas moins dans son opinion ; il disoit, pour la défendre, que cet accouplement n'étoit qu'un jeu, un badinage, qui mettoit bien le sceau à la fécondation, mais qui ne l'opéroit point, vu qu'elle étoit l'effet immédiat de la déglutition de la semence... En vérité, c'est s'arrêter trop long-temps sur de telles absurdités. Les tétras mâles commencent à entrer en chaleur dans les premiers jours de février; cette chaleur est dans toute sa force vers les derniers jours de mars, et continue jusqu'à la pousse des feuilles. Chaque coq, pendant sa chaleur, se tient dans un certain canton d'où il ne s'éloigne pas ; on le voit alors soir et matin se promenant sur le tronc d'un gros pin ou d'un autre arbre, ayant la queue étalée en rond, les ailes traî- nantes, le cou porté en avant, la tête enflée, sans doute par le redressement de ses plumes, et prenant toutes sortes de postures extraordinaires, tant il est tourmenté par le besoin de répandre ses molécules organiques superflues. Il a un cri particulier pour appeler ses femelles, qui lui répondent et accourent LE TETRAS. 121 SOUS l'arbre où il se tient, et d'où il descend bientôt pour les cocher et les féconder; c'est probablement à cause de ce cri singulier, qui est très fort et se fait entendre de loin , qu'on lui a donné le nom de faisan bruyant. Ce cri commence par une espèce d'explo- sion suivie d'une voix aigre et perçante, semblable au bruit d'une faux qu'on aiguise : cette voix cesse et recommence alternativement; et, après avoir con- tinué à plusieurs reprises pendant une heure envi- ron , elle finit par une explosion semblable à la pre- mière. Le tétras, qui, dans tout autre temps, est fort difficile à approcher, se laisse surprendre très aisé- ment lorsqu'il est en amour, et surtout tandis qu'il fait entendre son cri de rappel ; il est alors si étourdi du bruit qu'il fait lui-même, ou, si l'on veut, telle- ment enivré; que ni la vue d'un homme, ni même les coups de fusil , ne le déterminent à prendre sa volée; il semble qu'il ne voie ni n'entende, et qu'il soit dans une espèce d'extase^; c'est pour cela que l'on dit communément et que l'on a même écrit que le tétras est alors sourd et aveugle : cependant il ne l'est guère que comme le sont en pareille circonstance prcs([ue tous les animaux, sans en excepter l'homme; tous éprouvent plus ou moins cette extase d'amour, mais apparemment qu'elle est plus marquée dans le tétras; car en Allemagne on donne le nom d'auer-ha/m aux amoureux qui paroissent avoir oublié tout autre 1. Jn tantum aucta , ut in terra quoque imvwbilis prehendaiur. Ce que Pline atlribue ici à la grosseur du tétras n'est peut-être qu'un effet de sa chaleur et de l'espèce d'ivresse qui l'accompagne. î.2,'i LE TETRAS. soin pour s'occuper uniquement de l'obj-al de leur passion , et même à toute personne qui montre une insensibilité stupide pour ses plus grands intérêts. On juge bien que c'est cette saison où les tétras sont en amour, que Ton choisit pour leur donner la chasse ou pour leur tendre des pièges. Je donnerai , en parlant de la petite espèce à queue fourchue, quel- ques détails sur cette chasse, surtout ceux qui sont les plus propres à faire connoître les mœurs et le na- turel de ces oiseaux : je me bornerai à dire ici que l'on fait très bien , même pour favoriser la multipli- cation de l'espèce, de détruire les vieux coqs, parce qu'ils ne souffrent point d'autres coqs sur leurs plaisirs, et cela dans une étendue de terrain assez considérable; en sorte que ne pouvant suffire à toutes les poules de leur district, plusieurs d'entre elles sont privées de mâles et ne produisent que des œufs inféconds. Quelques oiseleurs prétendent qu'avant de s'accou- pler ces animaux se préparent une place bien nette et bien unie, et je ne doute pas qu'en effet on n'ait vu de ces places; mais je doute fort que les tétras aient eu la prévoyance de les préparer : il est bien plus sim- ple de penser que ces places sont les endroits du rendez-vous habituel du coq avec ses poules, lesquels endroits doivent être, au bout d'un mois ou deux de fréquentation journalière, certainement plus battus que le reste du terrain. La femelle du tétras pond ordinairement cinq ou six œufs au moins, et huit ou neuf au plus : Schwenckfeld prétend que la première ponte est de huit , et les suivantes de douze , quatorze . et jusqu'à LE TETRAS. 125 seize*. Ces œufs sont blancs, marquetés de jaune, et , selon le même Schwenckfeld , plus gros que ceux des poules ordinaires : elle les dépose sur la mousse en un lieu sec, où elle les couve seule et sans être aidée par le mâle 2; lorsqu'elle est obligée de les quitter pour aller chercber sa nourriture, elle les ca- che sous les feuilles avec grand soin; et quoiqu'elle soit d'un naturel très sauvage, si on l'approche tandis qu'elle est sur ses œufs, elle reste et ne les aban- donne que très difficilement, l'amour de la couvée l'emportant en cette occasion sur la crainte du danger. Dès que les petits sont éclos, ils se mettent à courir avec beaucoup de légèreté ; ils courent même avant qu'ils soient tout-à-fait éclos, puisqu'on en voit qui vont et viennent ayant encore une partie de leur co- quille adhérente à leur corps : la mère les conduit avec beaucoup de sollicitude et d'aflection ; elle les promène dans les bois, où ils se nourrissent d'œufs de fourmis, de mûres sauvages, etc. La famille demeure unie tout le reste de l'année et jusqu'à ce que la sai- son de l'amour, leur donnant de nouveaux besoins et de nouveaux intérêts, les disperse, et surtout les mâles, qui aiment à vivre séparément; car, comme nous l'avons vu , ils ne se souffrent pas les uns les au- tres, et ils ne vivent guère avec leurs femelles que lorsque le besoin les leur rend nécessaires. Les tétras, comme je l'ai dit, se plaisent sur les 1 , Cette gradation est conforme à robservatlou d'Aristolc : Exprima coita aves ova edunt pauciora. ( Hist. anim. Ub. V, cap. 1 4- ) H me paroît seulement que le nombre des œuls est trop grand. 2. Je crois avoir lu quelque part qu'elle couvôit pendant environ vingl-huil jours; ce qui esl assez probable, vu la grosseur de l'oiseau. 1^4 LE TETRAS. hautes montagnes : mais cela n'est vrai que pour les climats tempérés; car dans les pays très froids, comme à la baie de Hudson, ils préfèrent la plaine et les lieux bas, où ils trouvent apparemment la même tempéra- ture que sur nos plus hautes montagnes. Il y en a dans les Alpes, dans les Pyrénées, sur les montagnes d'Auvergne, de Savoie, de Suisse, de Westphalie, de Souabe , de Moscovie, d'Ecosse, sur celles de Grèce et d'Italie, en Norwége, et même au nord de l'Amérique ; on croit que la race s'en est perdue en Irlande , où elle existoit autrefois. On dit que les oiseaux de proie en détruisent beau- coup, soit qu'ils choisissent pour les attaquer le temps où l'ivresse de l'amour les rend si faciles à surprendre, soit que, trouvant leur chair de meilleur goût, ils leur donnent la chasse de préférence. ^9^^ie««>»S'e>SK:iS«^ LE PETIT TETRAS, ou COQ DE BRUYÈRE A QUEUE FOURCHUE. Tetrao Tetrix. L. Voici encore un coq et un faisan qui n'est ni coq ni faisan ; on Ta appelé petit coq sauvage ^ coq de bruyère j, coq de bouleau ^ etc., faisan noir^ faisan de monta- gne; on lui a même donné le nom de perdrix j de ge- linotte : mais, dans le vrai , c'est le petit tétras ^, c'est 1. ]\° 172, le mâle, et n" 170, la femelle, LE PETIT TETRAS. 1^5 le premier tetrao de Pline, c'est le tetrao ou ïurogal- lus mlnor de la plupart des modernes. Quelques natu- ralistes , tels que Rzaczynski , l'ont pris pour le tetrax du poëte Nemesianus : mais c'est sans doute faute d'avoir remarqué que la grosseur de ce tetrax est , selon Nemesiamus même, égale à celle de l'oie et de la grue; au lieu que, selon Gesner, Schwenckfeld , AIdrovande , et quelques autres observateurs qui ont vu par eux-mêmes, le petit tétras n'est guère plus gros qu'un coq ordinaire, mais seulement d'une forme un peu plus allongée, et que sa femelle, selon M. Ray, n'est pas tout-à-fait aussi grosse que notre poule com- mune. Turner, en parlant de sa poule moresque, ainsi appelée, dit-il, non pas à cause de son plumage, qui ressemble à celui de la perdrix, mais à cause de la couleur du mâle qui est noir, lui donne une crête rouge et cbarnue , et deux espèces de barbillons de môme substance et de même couleur; en quoi Wil- lughby prétend qu'il se trompe : mais cela est d'au- tant plus difficile à croire, que Turner parle d'un oiseau de son pays [apud nos est) et qu'il s'agit d'un caractère trop frappant pour que l'on puisse s'y mé- prendre. Or, en supposant que ïurner ne s'est point trompé en effet sur cette crête et sur ces barbillons, et, d'autre part, considérant. qu'il ne dit point que sa poule moresque ait la queue fourchue , je serois porté à la regarder comme une autre espèce, ou, si l'on veut, comme une autre race de petit tétras, sem- blable à la première par la grosseur, par le différent plumage du mâle et de la femelle, par les mœurs, le 126 LE PETIT TETRAS. naturel 5 le goût des mêmes nourritures, etc., mais qui s'en distingue par ses barbillons charnus et par sa queue non fourchue : et ce qui me confirme dans cette idée c'est que je trouve dans Gesner un oiseau sous le nom de gallus sylvestriSj, lequel a aussi des barbillons et la queue non fourchue, du reste fort ressemblant au petit tétras; en sorte qu'on peut et qu'on doit, ce me semble, le regarder comme un individu de la même espèce que la poule moresque de Turner, d'autant plus que, dans cette espèce, le mâle porte en Ecosse (d'où l'on a voit envoyé à Gesner la figure de l'oiseau) le nom de coq nolrj, et la femelle celui de poule grise; ce qui indique précisément la différence du plumage qui, dans les espèces de tétras, se trouve entre les deux sexes. Le petit tétras dont il s'agit ici n'est petit que parce qu'on le compare avec le grand tétras : il pèse trois à quatre livres, et il est encore, après celui-là, le plus grand de tous les oiseaux qu'on appelle coqs de bols. Il a beaucoup de choses communes avec le grand tétras, sourcils rouges, pieds pattus et sans éperons, doigts dentelés, tache blanche à l'aile, etc. : mais il en diffère par deux caractères très apparents; il est beaucoup moins gros, et il a la queue fourchue, non seulement parce que les pennes ou grandes plumes du milieu sont plus courtes que les extérieures, mais encore parce que celles-ci se recourbent en dehors; de plus, le mâle de cette petite espèce a plus de noir, et un noir plus décidé que le mâle de la grande es- pèce , et il a de plus grands sourcils : j'appelle ainsi cette peau rouge et glanduleuse qu'il a au dessus des LE PETIT TETRAS. I27 yeux ; mais la grandeur de ces sourcils est sujette à quelques variations dans les mêmes individus en dif- férents temps , comme nous le verrons plus bas. La femelle est une fois plus petite que le mâle; elle a la queue moins fourchue; et les couleurs de son pluma:;e sont si diûereiites, que Gesner s'est cru en droit d'en former une espèce séparée, qu'il a dési- gnée par le nom de grygatlus minor^ comme je l'ai remarqué ci -dessus dans l'histoire du grand tétras. Au reste, cette différence de plumage entre les deux sexes ne se décide qu'au bout d'un certain temps : les jeunes mâles sont d'abord de la couleur de leur mère, et conservent cette couleur jusqu'à la première au- tomne; sur la fin de cette saison et pendant l'hiver, ils prennent des nuances de plus en plus foncées, jus- qu'à ce qu'ils soient d'un noir bleuâtre , et ils retien- nent cette dernière couleur toute leur vie, sans autre changement que ceux que je vais indiquer : 1° ils prennent plus de bleu à mesure qu'ils avancent en âge; 2"* à trois ans, et non plus tôt, ils prennent une tache blanche sous le bec ; 5° lorsqu'ils sont très vieux , il paroît une autre tache d'un noir varié sous la queue, où auparavant les plumes étoient toutes blanches. Charleton et quelques autres ajoutent qu'il y a d'au- tant moins de taches blanches à la queue que l'oiseau est plus vieux; en sorte que le nombre plus ou moins grand de ces taches est un indice pour reconnoître son âge. Les naturalistes qui ont compté assez unanimement vingt-six pennes dans l'aile du petit tétras, ne s'accor- dent point entre eux sur le nombre des pennes de la queue, et l'on retrouve ici à peu près les mêmes Î28 LE PETIT TETRvVS. variations dont j'ai parle au sujet du grand tétras. Schwenckfeld , qui donne dix-huit pennes à la femelle, n'en accorde que douze au Tnâle ; Willughby, Albin , M. Brisson , en assignent seize aux mâles comme aux femelles. Les deux mâles que nous conservons an Ca- binet du Pioi en ont tous deux dix-hnit; savoir, sept grandes de chaque côté, et quatre dans te milieu, beaucoup plus courtes. Ces différences viendroient- elles de ce que le nombre de ces grandes plumes est sujet à varier réellement, ou de ce que ceux qui les ont comptées ont négligé de s'assurer auparavant s'il n'en manquoit aucune dans les sujets soumis à leurs observations.»^ Au reste, le tétras a les ailes courtes, et par conséquent le vol pesant , et on ne le voit ja- mais s'élever bien haut, ni aller bien loin. Les mâles et les femelles ont l'ouverture des oreilles fort grande, les doigts unis par une membrane jusqu'à la première articulation et bordés de dentelures^, la chair blanche et de facile digestion ; la langue molle, un peu hérissée de petites pointes, et non divisée; sous la langue une substance glanduleuse; dans le palais une cavité qui répond exactement aux dimen- sions de la langue, le jabot très grand, le tube intes- tinal long de cinquante-un pouces, et les appendices du cœcum de vingt-quatre. Ces appendices sont sil- lonnées de six stries ou cannelures. La différence qui se trouve entre les femelles et les 1 , Unguis meclii digiii ex parte in teriore m aciem ienualus : expression un peu louche de Willughby; car si cela signifie que l'ongle du doigt du milieu est tranchant du côté intérieur, nous avons vérifié, sur l'oi- seau même, que le côté extérieur et le côté intérieur de cet ongle sont «'"gaiement tranchants, et déplus cet ongle ne diffère que très peu cfe LE PETIT TETRAS. 1 29 mâles ne se borne pas à la superficie ; elle pénètre jusqu'à l'organisation intérieure. Le docteur Waygand a observé que l'os du sternum dans les mâles, étant regardé à la lumière, paroissoit semé d'un nombre prodigieux de petites ramifications de couleur rouge, lesquelles se croisant et se recroisant en miile ma- nières et dans toutes sortes de directions, formoient un réseau très curieux et très singulier ; au lieu que, dans les femelles, le même os n'a que peu ou point de ces ramillcations : il est aussi plus petit et d'une couleur blanchâtre. Cet oiseau vole le plus souvent en troupe , et se perche sur les arbres à peu près comme le faisan. Il mue en été , et il se cache alors dans des lieux fourrés ou dans des endroits marécageux. Il se nourrit prin- cipalement de feuilles et de boutons de bouleau, et de baies de bruyère, d'où lui est venu son nom fran- çais coq de briiyèrey et son nom allemand ùlrke- haUj, qui signifie coq de bouleau. Il vit aussi de cha- tons de coudrier, de blé, et d'autres graines; l'automne il se rabat sur les glands, les mûres de ronces, les boutons d'aune, les pommes de pin, les baies de myrtille {vitls Idœa), de fusain ou bonnet de prêtre : enfin l'hiver il se réfugie dans les grands bois, où il est réduit aux baies de genièvre, ou à chercher sous !a neige celle de ïoxycoccos ou cannebergej, appelé \uV^d\YQm.itni coussinet de marais; quelquefois même il ne mange rien du tout pendant les deux ou trois mois du plus grand hiver; car on prétend qu'en Nor- wége il passe cette saison rigoureuse sous la neige , même point du tout des autres par ce caractère tranchant; ainsi celte observation de Willnghhy nous paroît mal fondée. K)0 LE PETIT TETRAS. engourdi , sans mouvement , et sans prendre aucune nourriture^, comme font, dans nos pays plus tem- pérés, les chauve -souris, les loirs, les lérots, les muscardins, les hérissons, et les marmottes, et (si le fait est vrai) sans doute à peu près pour les mêmes causes ^. On trouve de ces oiseaux au nord de l'Angleterre et de l'Ecosse, dans les parties montueuses; en Nor- wége et dans les provinces septentrionales de la Suède; aux environs de Cologne; dans les Alpes suisses; dans le Bugey, où ils s'appellent grianots ^ selon M. Hé- bert ; en Podolie, en Lithuanie, en Samogitie, et surtout en Volhynie et dans l'Ukraine, qui comprend les palatinats de Kiovie et de Braslaw, où un noble Polonois en prit un jour cent trente paires d'un seul coup de filet, dit Rzaczynski , près du village de Kus- mince. Nous verrons plus bas la manière dont la chasse 1. Les auteurs delà Zoologie britannique avoient remarqué que les perdrix lîlanches qui passent l'hiver dans la neige avoient les pieds mieux garnis de plumes que les deux espèces de tétras qui savent se mettre à l'abri dans les forêts épaisses : mais , si les tétras passent l'hi- ver sous la neige, (jue devient cette belle cause finale, ou plutôt que deviennent tous les raisonnements de ce genre lorsqu'on les examine avec les yeux de la philosophie? 2. Voyez les volumes des Quadrupèdes, à chacun des articles cités, où j'indique la vraie cause de l'engourdissement de ces animaux. Ce- lui du tétras pendant l'hiver me rappelle ce que l'on trouve dans le h\re De mirabilibus, attribué à Aristote , au sujet de certains oiseaux du royaume de Pont, qui étoient en hiver dans un tel état de tor- peur, qu'on pouvoit les plumer, les dresser, et même les mettre à la broche sans qu'ils le sentissent, et qu'on ne pouvoit les réveiller qu'en les faisant rôtir; en retranchant de ce fait, ce qu'il y a de ridicule pour le rendre meiveilleux, il se réduit à un engourdissement semblable à celui des tétras et des marmottes, qui suspend toutes les fonctions des sens externes , et ne cesse que par l'action de la chaleur. LE PETIT TETRAS. l3l du tétras se lait eu Courlande. Ces oiseaux ne s'accou- tument pas facilement à un autre climat, ni à l'état de domesticité; presque tous ceux que M. le maré- chal de Saxe avoit fait venir de Suède dans sa ména- gerie de Ghambord y sont morts de langueur et sans se perpétuer. Le tétras entre en amour dans le temps où les saules commencent à pousser, c'est-à-dire sur la fin de l'hi- ver, ce que les chasseurs savent bien reconnoître à la liquidité de ses excréments : c'est alors qu'on voit chaque jour les mâles se rassembler dès le matin , au nombre de cent ou plus, dans quelque lieu élevé, tran- quille, environné de marais, couvert de bruyère, etc., qu'ils ont choisi pour le lieu de leur rendez-vous ha« bituel. Là ils s'attaquent, ils s'entre-battent avec fu- reur, jusqu'à ce que les plus foibles aient été mis en fuite; après quoi les vainqueurs se promènent sur un tronc d'arbre, ou sur l'endroit le plus élevé du ter- rain , l'oeil en feu, les sourcils gonflés, les plumes hérissées, la queue étalée en éventail, faisant la roue, battant des ailes, bondissant assez fréquemment, et rappelant les femelles par un cri qui s'entend d'un demi-mille. Son cri naturel , par lequel il semble ar- ticuler le mot allemand frau^ monte de tierce dans cette circonstance, et il y joint un autre cri particu- lier, une espèce de roulement de gosier très éclatant. Les femelles qui sont à portée répondent à la voix des mâles par un cri qui leur est propre : elles se ras- semblent autour d'eux, et reviennent très exactement les jours suivants au même rendez-vous. Selon le doc- teur Waygand, chaque coq a deux ou trois poules auxquelles il est plus spécialement affectionné. l32 LE PETIT TETRAS. Lorsque les femelles sont fécondées, elles vont chacune de leur côté faire leur ponte dans des taillis épais et un peu élevés. Elles pondent par terre, et sans se donner beaucoup de peine pour la construc- tion d'un nid, comme font tous les oiseaux pesants. Elles pondent six ou sept œufs, selon les uns; de douze à seize, selon les autres; et douze à vingt, selon quelques autres : les œufs sont moins gros que ceux des poules domestiques, et un peu plus lon- guets. M. Linnaeus assure que ces poules de bruyère perdent leur fumet dans le temps de l'incubation. Schwenckfeld semble insinuer que le temps de leur ponte est dérangé depuis que ces oiseaux ont été tour- mentés par les chasseurs et effrayés par les coups de fusil ; et il attribue aux mêmes causes la perte qu'a faite l'Allemagne de plusieurs autres belles espèces d'oiseaux. Dès que les petits ont douze ou quinze jours, ils commencent déjà à battre des ailes et à s'essayer à voltiger; mais ce n'est qu'au bout de cinq ou six se- maines qu'ils sont en état de prendre leur essor et d'aller se percher sur les arbres avec leurs mères : c'est alors qu'on les attire avec un appeau^, soit pour les prendre au filet, soit pour les tuer à coups de fusil; la mère, prenant le son contrefait de cet ap- peau pour le piaulement de quelqu'un de ses petits qui s'est égaré , accourt et le rappelle par un cri par- ticulier qu'elle répète souvent , comme font en pareil cas nos poules domestiques, et elle amène à sa suite 1 . Cet appeau se fait avec un des os de l'aile de l'autour, qu'on rem- plit en partie de cire, en ménageant des ouvertures propres à rendre Je son demandé. LE PETIT TETRAS, 1 55 le reste de la couvée, qu'elle livre ainsi à la merci des chasseurs. Quand les jeunes tétras sont un peu plus grands, et qu'ils commencent à prendre du noir dans leur plumage, ils ne se laissent pas amorcer si aisément de cette manière : mais alors, jusqu'à ce qu'ils aient pris la moitié de leur accroissement, on les chasse avec l'oiseau de proie. Le vrai temps de 'cette chasse est l'arrière-saison, lorsque les arbres ont quitté leurs feuilles; dans ce temps, les vieux mâles choisissent un certain endroit où ils se rendent tous les matins, au lever du soleil, en rappelant par un certain cri (surtout quand il doit geler ou faire beau temps) tous les autres oiseaux de leur espèce, jeunes et vieux, mâles et femelles. Lorsqu'ils sont rassemblés, ils vo- lent en troupes sur les bouleaux, ou bien, s'il n'y a point de neige sur la terre , ils se répandent dans les champs qui ont porté l'été précédent du seigle, de l'avoine , ou d'autres grains de ce genre ; et c'est alors que les oiseaux de proie dressés pour cela ont beau jeu. On a en Courîande, en Livonie , et en Lithuanie, une autre manière de faire cette chasse : on se sert d'un tétras empaillé, ou bien on fait un tétras artifi- ciel avec de l'étoffe de couleur convenable , bourrée de foin ou d'étoupe , ce qui s'appelle dans le pays une balvane; on attache cette balvane au bout d'un bâ- ton, et l'on fixe ce bâton sur un bouleau, à portée du lieu que ces oiseaux ont choisi pour leur rendez- vous d'amour; car c'est le mois d'avril, c'est-à-dire le temps où ils sont en amour, que l'on prend pour faire cette chasse. Dès qu'ils aperçoivent la balvane, BurroN. XX. y l34 LE PETIT TETRAS. ils se rassemblent autour d'elle, s'attaquent et se dé- . fendent d'abord comme par jeu ; mais bientôt ils s'a- niment et s entre-battent réellement, et avec tant de fureur, qu'ils ne voient ni n'entendent plus rien, et que le chasseur, qui est caché près de là dans sa hutte, peut aisément les prendre, même sans coup férir. Ceux qu'il a pris ainsi , il les apprivoise dans l'espace de cinq ou six jours, au point de venir manger dans la main^. L'année suivante, au printemps, on se sert de ces animaux apprivoisés, au lieu de balvanes, pour attirer les tétras sauvages qui viennent les attaquer, et se battent avec eux avec tant d'acharnement, qu'ils ne s'éloignent point pour un coup de fusil. Ils revien- nent tous les jours de très grand matin au lieu du rendez-vous; ils y restent jusqu'au lever du soleil, après quoi ils s'envolent et se dispersent dans les bois et les bruyères pour chercher leur nourriture. Sur lel trois heures après midi, ils reviennent au même lieu , et y restent jusqu'au soir assez tard. Ils se ras- semblent ainsi tous les jours, surtout lorsqu'il fait beau, tant que dure la saison de l'amour, c'est-à-dire environ trois ou quatre semaines ; mais lorsqu'il fait mauvais temps, ils sont un peu plus retirés. Les jeunes tétras ont aussi leur assemblée particu- lière et leur rendez-vous séparé, où ils se rassemblent par troupes de quarante ou cinquante, et où ils s'exercent à peu près comme les vieux ; seulement ils ont la voix plus grêle , plus enrouée , et le son en est 1. Le naturel des pelils tétras diffère beaucoup en ce point de celui des grands tétras, qui , loin de s'apprivoiser lorscju'ils sont pris, refu- sent même de prendre de la nourriture, et setouffeut quelquefois eu avalant leur langue, comme on l'a vu dans leur histoire. LE PETIT TETRAS. 1 35 plus coupé : ils paroissent aussi sauter avec moins de liberté. Le temps de leur assemblée ne dure guère que huit Jours, après quoi ils vont rejoindre les vieux. Lorsque la saison de l'amour est passée, comme ils s'assemblent moins régulièrement, il faut une nou- velle industrie pour les diriger du côté de la hutte du tireur de ces balvanes. Plusieurs chasseurs ache- vai forment une enceinte plus ou moins étendue , dont celte hutte est le centre ; et en se rapprochant insensiblement, et faisant claquer leur fouet à pro- pos, ils font lever les tétras, et les poussent d'arbre en arbre du côté du tireur , qu'ils avertissent par des coups de voix s'ils sont loin , ou par un coup de sifflet s'ils sont plus près : mais on conçoit bien que cette chasse ne peut réussir qu'autant que le tireur a dis- posé toutes choses, d'après la connoissance des mœurs et des habitudes de ces oiseaux. Les tétras, en volant d'un arbre sur un autre , choisissent d'un coup d'oeil prompt et sûr, les branches assez fortes pour les por- ter, sans même en excepter les branches verticales, qu'ils font plier par le poids de leur corps, et ramè- nent en se posant dessus à une situation à peu près horizontale, en sorte qu'ils peuvent très bien s'y sou- tenir, quelque mobiles qu'elles soient : lorsqu'ils sont posés, leur sûreté est leur premier soin ; ils regardent de tous côtés, prêtant l'oreille, allongeant le cou pour reconnoître s'il n'y a point d'ennemis; et lors- qu'ils se croient bien à l'abri des oiseaux de proie et des chasseurs, ils se mettent à manger les boutons des arbres : d'après cela, un tireur intelligent a soin de placer ses balvanes sur des rameaux flexibles, aux^ quels il attache un cordon qu'il t're de temps en \ô6 LE PETIT TETRAS. temps, pour faire imiter aux balvanes les mouvements et les osciilalions du tétras sur sa branche. De plus, il a appris par l'expérience que , lorsqu'il fait un vent violent, on peut diriger la tôle de ces balvanes contre le vent, mais que, par un temps calme, on doit les mettre les unes vis-à-vis des autres. Lorsque les tétras, poussés par les chasseurs de la manière que j'ai dit, viennent droit à la hutte du ti- reur, celui-ci peut juger, par une observation facile, s'ils s'y poseront ou non à portée de lui : si leur vol est inégal, s'ils s'approchent et s'éloignent alternati- vement en battant des ailes, il peut compter que, sinon toute la troupe, au moins quelques uns, s'a- battront près de lui. Si, au contraire, en prenant leur essor non loin de sa hutte, ils partent d'un vol rapide et soutenu, il peut conclure qu'ils iront en avant sans s'arrêter. Lorsque les tétras se sont posés à portée du tireur, il en est averti par leurs cris réitérés jusqu'à trois fois ou même davantage : alors on se gardera bien de les tirer trop brusquement; au contraire, il se tiendra immobile et sans faire le moindre bruit dans sa hutte, pour leur donner le temps de faire toutes leurs obser- vations et la reconnoissance du terrain; après quoi, lorsqu'ils se seront établis sur leurs branches et qu'ils commenceront à manger, il les tirera et les choisira à son aise. Mais, quelque nombreuse que soit la troupe, fût-elle de cinquante, et même de cent, on ne peut guère espérer d'en tuer plus d'un ou deux d'un seul coup; car ces oiseaux se séparent en se perchant, et chacun choisit ordinairement son arbre pour se poser. Les arbres isolés sont plus avantageux qu'une forêt LE PETIT TETRAS. \7>J pleine ; et celte chasse est beaucoup plus facile lors- qu'ils se perchent que lorsqu'ils se tiennent à terre : cependant, quand il n'y a point de neige, on établit quelquefois les balvanes et la hutte dans les champs qui ont porté, la même année, de l'avoine, du seigle, du blé sarrasin, ou on couvre la hutte de paille, et on fait d'assez bonnes chasses, pourvu toutefois que le temps soit au beau ; car le mauvais temps disperse ces oiseaux , les oblige à se cacher, et en rend la chasse impossible : mais le premier beau jour qui succède la rend d'autant plus facile, et un tireur bien posté les rassemble aisément avec les seuls appeaux, et sans qu'il soit besoin de chasseurs pour les pousser tlu côté de la hutte. On prétend que lorsque ces oiseaux volent en trou- pes, ils ont à leur tête un vieux coq qui les mène en chef expérimenté, et qui leur fait éviter tous les piè- ges des chasseurs; en sorte qu'il est fort difficile , dans ce cas, de les pousser vers la balvane, et que l'on n'a d'autres ressources que de détourner quelques traî- neurs. L'heure de cette chasse est, chaque jour, depuis le soleil levant jusqu'à dix heures; et l'après-midi, depuis une heure jusqu'à quatre : mais en automne, lorsque le temps est calme et couvert, la chasse dure toute la journée sans interruption, parce que, dans ce cas, les tétras ne changent guère de lieu. On peut les chasser de cette manière , c'est-à-dire en les pous- sant d'arbre en arbre, jusqu'aux environs du solstice d'hiver : mais, après ce temps, ils tleviennent plus sauvages, plus défiants, et plus rusés; ils changent même leur demeure accoutumée, à moins qu'ils n'y l38 LE PETIT TETRAS. soient retenus par la rigueur du froid ou par l'abon-^ dance des neiges. On prétend avoir remarqué que lorsque les tétras se posent sur la cime des arbres et sur leurs nouvelles pousses, c'est signe de beau temps; mais que lors- qu'on les voit se rabattre sur les branches inférieures et s'y tapir, c'est un signe de mauvais temps : je ne fe- rois pas mention de ces remarques des chasseurs, si elles ne s'accordoient avec le naturel de ces oiseaux, qui, selon ce que nous avons vu ci-dessus, paroissent fort susceptibles des influences du beau et du mau- vais temps, et dont la grande sensibilité à cet égard pourroitêtre supposée, sans blesser la vraisemblance, au degré nécessaire pour leur faire pressentir la tem- pérature du lendemain. Dans les temps de grande pluie, ils se retirent dans les forêts les plus touffues pour y chercher un abri; et comme ils sont alors fort pesants et qu'ils volent diG&cilement, on peut les chasser avec des chiens cou- rants, qui les forcent souvent et les prennent même à la course^. Dans d'autres pays on prend les tétras au lacet, selon Alchovande ; on les prend aussi au filet, comme nous l'avons vu ci-dessus : mais il seroit curieux de savoir quelles étoient la forme , 1 étendue, et la dis- position de ce filet , sous lequel le noble Polonois dont parle Rzaczynski en prit un jour deux cent soixante à la fois. 1. Cette pesanteur des tétras a été remarquée par Pline; il est vrai qu'il paroîl l'attribuer à la grande espèce, et je ne doute pas qu'elle ne lui convienne aussi bien qu'à la petite ïte<9i«««*<»»e LE PETIT TETRAS A QUEUE PLEINE. l ÔQ LE PETIT TETRAS A QUEUE PLEINE. Teîrao intermcdius. Langsdorff. J'ai exposé, à l'article précédent, les raisons que j'avois de faire de ce petit tétras une espèce , ou plutôt une race séparée. Gesner en parle sous le nom de coq de bols {gallus sylvestrls), comme d'un oiseau qui a des barbillons rouges, et une queue pleine et non fourchue; il ajoute que le mâle s'appelle coq noir en Ecosse, et la femelle poule grise { grey lien). Il est vrai qu^ cet auteur, prévenu de l'idée que le mâle et la femelle ne doivent pas différer , à un certain point, par la couleur des plumes, traduit ici le grey lien par gaUina fusca^ poule rembrunie, afin de rapprocher de son mieux la couleur des plumages; et qu'ensuite il se prévaut de sa version infidèle pour établir que cette espèce est toute autre que celle de la poule mo- resque de Turner, par la raison que le plumage de cette poule moresque diffère tellement de celui du mâle, qu'une personne peu au fait pourroit s'y mé- prendre , et regarder ce mâle et celte femelle comme appartenant à deux espèces différentes. En effet , le mâle est presque tout noir, et la femelle de la même couleur à peu près que la perdrix grise : mais au fond l4o LE PETIT TETRAS A QLELE PLEINE. c'est un nouveau trait de conformité qui rend plus complète la ressemblance de celte espèce avec celle du coq noir d'Ecosse ; car Gesner prétend en effet que ces deuxespèces se ressemblent dans tout le reste. Pour moi, la seule différence que j'y trouve c'est que le coq noir d'Ecosse a de petites taches rouges sur la poitrine, les ailes, et les cuisses : mais nous avons vu, dans l'histoire du petit tétras à queue fourchue, que dans les six premiers mois les jeunes mâles, qui doi- vent devenir tout noirs dans la suite , ont le plumage de leur mère , c'est-à-dire de la femelle ; et il pourroit se faire que les petites taches rouges dont parle Gesner ne fussent qu'un reste de cette première livrée, avant qu'elle se fût changée entièrement en un noir pur et sans mélange. Je ne sais pourquoi M. Brisson confond cette race ou variété, comme il l'appelle, avec le tetrao pointillé de blanc de M. Linnaeus, puisqu'un des caractères de ce tetrao y nommé en suédois rackleliane^ est d*avoir la queue fourchue, et que d'ailleurs M. Linnoeus ne lui attribue point de barbillons, tandis que le tétras dont il s'agit ici a la queue pleine, selon la figure don- née par Gesner, et que , selon sa description, il a des barbillons rouges à côté du bec. Je ne vois pas non plus pourquoi M. Brisson, con- fondant ces deux races en une seule , n'en fait qu'une variété du petit tétras à queue fourchue, puisque indépendamment des deux différences que je viens d'indiquer, M. Linnaeus dit positivement que son tétras pointillé de blanc est plus rare et plus sauvage, et qu'il a un cri tout autre; ce qui suppose, ce me LE PETIT TETRAS A QUEUE PLEINE. l4l semble, des différences plus caractérisées, plus pro- fondes, que celles qui d'ordinaire constituent une simple variété. 11 me par oîtroit plus raisonnable de séparer ces deux races ou espèces de petits tétras, dont l'une, carac- térisée par la queue pleine et les barbillons rouges, comprend le coq noir d'Ecosse et la poule moresque de Turner ; et l'autre , ayant pour attributs ses petites taches blanches sur la poitrine, et son cri différent, seroit formée du racklekane des Suédois. Ainsi l'on doit compter, ce me semble, quatre es- pèces différentes dans le genre des tétras ou coqs de bruyère : i° le grand tétras, ou grand coq de bruyère; 2" le petit tétras, ou coq de bruyère à queue fourchue; 5° le racklan ou rackieliane de Suède, indiqué par M. Linnaeus; 4° 1^ poule moresque de Turner, ou coq noir d'Ecosse, avec des barbillons charnus des deux côtés du bec et la queue pleine. Et ces quatre espèces sont toutes originaires et na- turelles au climat du Nord , et habitent également dans les forêts de pins et de bouleaux ; il n'y a que la troisième, c'est-à-dire le racklan àe Suède, qu'on pourroit regarder comme une variété du petit tétras, si M. Linnaeus n'assuroit pas qu'il jette un cri tout dif- férent. L\2 LE PETIT TETRAS A PLUMAGE VARIABLE. LE PETIT TETRAS A PLUMAGE VARIABLE. Les grands tétras sont communs enLaponie, sur- tout lorsque la disette des fruits dont ils se nourris- sent, ou bien l'excessive multiplication de l'espèce, les oblige de quitter les forêts de la Suède et de la Scandinavie , pour se réfugier vers le Nord. Cependant on n'a jamais dit qu'on eût vu dans ces climats glacés de grands tétras blancs : les couleurs de leur plumage sont, par leur fixité et leur consistance, à l'épreuve de la rigueur du froid. 11 en est de même des petits tétras noirs, qui sont aussi communs en Courlande et dans le nord de la Pologne que les grands le sont en Laponie ; mais le docteur Waygand, le jésuite Rzac- zynski , et M. Klein, assurent qu'il y a en Courlande une autre espèce de petit tétras, qu'ils appellent ïe^ras blanc y quoiqu'il ne soit blanc qu'en hiver, et dont le plumage devient tous les ans en été d'un brun rou- geâtre , selon le docteur Waygand, et d'un gris bleuâ- tre, selon Pizaczynski. Ces variations ont lieu pour les mâles comme pour les femelles; en sorte que, dans tous les temps, les individus des deux sexes ont exac- temeiit les mêmes couleurs. Ils ne se perchent point sur les arbres comme les autres tétras , et ils se plai- sent surtout dans les taillis épais et les bruyères, où ils on! coutume de choisir chaque année un certain LE PETIT TETRAS A PLLxMAGE VARIABLE, l/jj espace de terrain , où ils s'assemblent ordinairement, s'ils ont été dispersés par les chasseurs, ou par l'oi- seau de proie, ou par un orage ; c'est là qu'ils se réu- nissent bientôt après, en se rappelant les uns les autres. Si on leur donne la chasse, il faut, la première fois qu'on les fait partir, remarquer soigneusement la remise : car ce sera à coup siàr le lieu de leur rendez- vous de l'année; et ils ne partiront pas si facilement une seconde fois, surtout s'ils aperçoivent les chas- seurs ; au contraire , ils se tapiront contre terre , et se cacheront de leur mieux : mais c'est alors qu'il est fa- cile de le s tirer. On voit qu'ils diffèrent des tétras noirs non seule- ment par la couleur et par l'uniformité du plumage du mâle et de la femelle , mais encore par leurs habitudes, puisqu'ils ne se perchent point; ils diffèrent aussi des lagopèdes, vulgairement perdrix blanches, en ce qu'ils se tiennent non sur les hautes montagnes, mais dans les bois et les bruyères : d'ailleurs on ne dit point qu'ils aient les pieds velus jusque sous les doigts, comme les lagopèdes; et j'avoue que je les aurois rangés plus volontiers parmi les francolinsou outtagas que parmi les tétras, si je n'avois cru devoir soumet- tre mes conjectures à l'autorité de trois écrivains in- struits, et parlant d'un oiseau de leur pays. l44 I-A GELINOTTE. e4e««!8^9<8««'3-8 e LA GELINOTTE*. Tetrao Bonasia, L. Nous avons vu ci-dessus que, dans toutes les espè~ ces de tétras, la femelle difîeroit du mâle par les cou- leurs du plumage, au point que plusieurs naturalistes n'ont pu croire qu'ils fussent oiseaux de même espèce. Schwenckfeld, et d'après lui Rzaczynski, est tombé dans un défaut tout opposé, en confondant dans une seule et môme espèce la gelinotte ou poule des cou- driers, et le francolîn; ce qu'il n'a pu faire que par une inductioi> forcée et mal entendue, vu les nom- breuses différences qui se trouvent entre ces deux espèces. Frisch est tombé dans une méprise de même genre, en ne faisant qu'un seul oiseau de Xattagen et de Vliasel-lmbij qui est la poule des coudriers ou ge- linotte, et en ne donnant, sous cette double dénomi- nation, que l'histoire de la gelinotte, tirée presque mot à mot de Gesner; erreur dont il auroit dû, ce me semble, être préservé par une autre qui lui avoit fait confondre, d'après Gharleton , le petit tétras avec la gelinotte, laquelle n'est autre que cette même poule des coudriers. A l'égard du francolin, nous verrons à 1. En lalin, galUna corylorum, gaUlna sylvatica; et do même en vieux françois, gelinotte des bois; eu ailemancl, hasel-liuhn, liasel- henne; en apgiois , hazet-han LA GELINOTTE. 1 45 son article à quelle autre espèce il pourroit se rap- porter beaucoup plus naturellement. Tout ce que dit Varron de la poule rustique ou sauvage convient très bien à la gelinotte ; et Belon ne doute pas que ce ne soit la même espèce. C'étoit, selon Varron, un oiseau d'une très grande rareté à Home, qu'on ne pouvoit élever que dans des cages, tant il étoil difficile à apprivoiser, et qui ne pondoit presque Jamais dans l'état de captivité ; et c'est ce que Belon et Scliwenckfeld disent de la gelinotte : le pre- mier donne en deux mots une idée fort juste de cet oiseau, et plus complète qu'on ne pourroit faire par la description la plus détaillée. « Qui se feindra, dit-il, )) voir quelque espèce de perdrix métive entre la » rouge et la grise, et tenir je ne sais quoi des plu- » mes du faisan, aura la perspective de la gelinotte de » bois. » Le mâle, n" 474? se distingue de la femelle, n°475, par une tache noire très marquée qu'il a sous la gorge, et par ses flammes ou sourcils, qui sont d'un rouge beaucoup plus vif. La grosseur de ces oiseaux est celle d'une bartavelle : ils ont environ vingt-un pouces d'envergure, les ailes courtes, et par conséquent le vol pesant, et ce n'est qu'avec beaucoup d'effort et de bruit qu'ils prennent leur volée ; en récompense ils courent très vite. Il y a dans chaque aile vingt-quatre pennes presque toutes égales, et seize à la queue. Scliwenckfeld dit quinze; mais c'est une erreur d'au- tant plus grossière, qu'il n'est peut-être pas un seul oiseau qui ait le nombre des pennes de la queue im- pair. Celle de la gelinotte est traversée vers son ex- \l[6 LA GELINOTTE. tremité par une large bande noirâtre, interrompue seulement par les deux pennes du milieu. Je n'insiste sur cette circonstance que parce que, selon la remar- que de Willughby, dans la plupart des oiseaux, ces deux mêmes pennes du milieu n'observent point i'é- loignement des pennes latérales, et sortent un peu plus haut ou un peu plus bas ; en sorte qu'ici la diffé- rente couleur de ces pennes sembleroit dépendre de la différence de leur position. Les gelinottes ont, comme les tétras, les sourcils rouges, les doigts bor- dés de petites dentelures, mais plus courtes; l'ongle du doigt du milieu, tranchant, elles pieds garnis de plumes par devant, mais seulement jusqu'au milieu du tarse; le ventricule ou gésier musculeux; le tube intestinal long de trente et quelques pouces; les ap-^ pendices ou cœcwns de treize à quatorze, et sillonnés par des cannelures. Leur chair est blanche lorsqu'elle est cuite, mais cependant plus au dedans qu'au de^ hors; et ceux qui l'ont examinée de plus près pré- tendent y avoir reconnu quatre couleurs différentes, comme on a trouvé trois goûts différents dans celle des outardes et des tétras. Quoi qu'il en soit, celle des gelinottes est exquise ; et c'est de là que lui vient, dit-on, son nom latin bonasa^ et son nom hongrois tscliasarmadar y qui veut dire oiseau de César ; comme si un bon morceau devoit être réservé exclusivement pour l'empereur. C'est en effet un morceau fort es^ timé; et Gesner remarque que c'est le seul qu'on se permettoitde faire reparoître deux fois sur la table des princes. Dans le royaume de Bohême, on en mange beau^ LA GELINOTTE. l47 coup au teuips de Pâques, comme on mange de l'a- gneau en France, et l'on s'en envoie en présent les uns aux autres. Leur nourriture, soit en été, soit en hiver, est à peu près la même que celle des tétras. On trouve en été dans leur ventricule des baies de sorbier, de myr- tille et de bruyère, des mûres de ronces, des graines de sureau des Alpes, des siliques de saltareUa^ des chatons de bouleau et de coudrier, etc. ; et en hiver des baies de genièvre , des boutons de bouleau , des sommités de bruyère, de sapin, de genévrier, et de quelques autres plantes toujours vertes. On nourrit aussi les gelinottes qu'on tient captives dans les vo- lières, avec du blé, de l'orge, d'autres grains. Mais elles ont encore cela de commun avec le tétras, qu'elles ne survivent pas long-temps à la perte de leur liberté, soit qu'on les renferme dans des prisons trop étroites et peu convenables, soit que leur naturel sauvage , ou plutôt généreux, ne puisse s'accoutumer à aucune sorte de prison. La chasse s'en fait en deux temps de l'année, aii printemps et en automne; mais elle réussit surtout dans cette dernière saison. Les oiseleurs, et môme les chas- seurs, les attirent avec des appeaux qui imitent leur cri, et ils ne manquent pas d'amener des chevaux avec eux, parce que c'est une opinion commune que les gelinottes aiment beaucoup ces sortes d'animaux. Au- tre remarque de chasseurs : si l'on prend d'abord un mâle, la femelle qui le cherche constamment, revient plusieurs fois, amenant d'autres mâles à sa suite; au lieu que si c'est la femelle qui est prise la première , Je mâle s'attache tout de suite à une autre femelle et ne l48 LA GELINOTTE. ' reparoît plus. Ce qu'il y a de plus certain, c'est que si on surprend un de ces oiseaux mâle ou femelle, et qu'on le fasse lever, c'est toujours avec grand bruit qu'il part ; et son instinct le porte à se jeter dans un sapin touffu, où il reste immobile, avec une patience sin- gulière, pendant tout le temps que le chasseur le guette. Ordinairement ces oiseaux ne se posent qu'au centre de l'arbre , c'est-à-dire dans l'endroit où les branches sortent du tronc. Comme on a beaucoup parlé de la gelinotte, on a aussi débité beaucoup de fables à son sujet; et les plus ab- surdes sont celles qui ont rapport à la façon dont elle se perpétue. Encelius et quelques autres ont avancé que ces oiseaux s'accouploient par le bec; que les coqs eux-mêmes pondoient, lorsqu'ils étoient vieux, des œufs qui, étant couvés par des crapauds, produisoient des basilics sauvages; de même que les œufs de nos coqs de basse-cour, couvés aussi par des crapauds, produisent, selon les mêmes auteurs , des basilics do- mestiques : et de peur qu'on ne doutât de ces basilics , Encelius en décrit un qu'il avoit vu ; mais heureuse- ment il ne dit pas qu'il l'eût vu sortir d'un œuf de ge- linotte, ni qu'il eût vu un mâle de cette espèce pondre cet œuf; et l'on sait à quoi s'en tenir sur ces prétendus œufs de coq. Mais, comme les contes les plus ridicu- les sont souvent fondés sur une vérité mal vue ou niai rendue, il pourroit se faire que des ignorants, tou- jours amis du merveilleux , ayant vu les gelinottes en amour faire de leur bec le même usage qu'en font d'autres oiseaux en pareil cas, et préluder au vérita- ble accouplement par des baisers de tourterelles, aient cru de bonne foi les avoir vues s'accoupler par le bec. LA GELINOTTE. l/|g Il y a, dans l'histoire naturelle, beaucoup de faits de ce genre qui paroissent ridiculement absurdes, et qui cependant renferment une vérité cachée : il ne faut, pour la dégager, que savoir distinguer ce que l'homme a vu de ce qu'il a cru. Selon l'opinion des chasseurs, les gelinottes entrent en amour et s'accouplent dès les mois d'octobre et de novembre ; et il est vrai que dans ce temps l'on ne tue que des mfdes qu'on appelle avec une espèce de sifflet qui imite le cri très aigu de la femelle : les mâles arrivent à l'appeau en agitant les ailes d'une façon fort bruyante, et on les tire dès qu'ils se sont posés. Les gelinottes femelles, en leur qualité d'oiseaux pesants, font leur nid à terre, et le cachent d'ordi- naire sous des coudriers ou sous la grande fougère de montagne : elles pondent ordinairement douze ou quinze œufs, et même jusqu'à vingt, un peu plus gros que des œufs de pigeon; elles les couvent pen- dant trois semaines, et n'amènent guère à bien que sept ou huit petits, qui courent dès qu'ils sont éclos, comme font la plupart des oiseaux brac/iyptères ou à ai /es courtes ^. Dès que ces petits sont élevés, et qu'ils se trouvent en état de voler, les père et mère les éloignent du 1. M. de Boniare, qui d'ailleurs extrait et copie si fidèlement, dit que les gelinottes ne font que deux petits, l'un mâle et l'autre femelle. Voyez le Dictionnaire d'histoire naturelle, à l'article Gelinotte. Rien n'est moins vrai , ni même moins vraisemblable : cette erreur ne peut venir que de celle des nomenclatears peu instruits, qui ont confondu la g«';linotte avec l'oiseau œnas d'Aristoto ( vinago de Gaza ) , quoique ce soient des espèces 1res éloignées , Vœnas étant du genre des pigeons , et ne pondant en effet que deux œufs. m FI■()^. XX. lo 1.^0 LA GELINOTTE. canton qu'ils se sont approprié; et ces petits, s'assôr- tissant par paires, vont chercher chacun de leur côté un asile où ils puissent former leur établissement, pondre , couver, et élever aussi des petits , qu'ils trai- teront ensuite de la même manière. Les gelinottes se plaisent dans les forêts, où elles trouvent une nourriture convenable et leur sûreté contre les oiseaux de proie , qu'elles redoutent extrê- mement, et dont elles se garantissent en se perchant sur les basses branches. Quelques uns ont dit qu'elles préféroient les forêts en montagnes; mais elles habi- tent aussi les forêts en plaines, puisqu'on en voit beau- coup aux environs de Nuremberg : elles abondent aussi dans les bois qui sont au pied des Alpes, de l'Apennin, et de la montagne des Géants en Siiésie, en Pologne, etc. Autrefois elles étoient en si grande quantité, selon Yarron , dans une petite île de la mer Ligustique, aujourd'hui le golfe de Gênes, qu'on l'ap- peloit, pour cette raison, Vile aux Gelinottes. LA GELINOTTE D'ECOSSE. Si cet oiseau est le même que le gallus palustris de Gesner, comme le croit M. Brisson , on peut assu- rer que la figure qu'en donne Gesner n'est rien moins qu'exacte, puisqu'on n'y voit point de plumes sur les pieds, et qu'on y voit au contraire des barbillons rou- ges sous le bec : mais aussi ne seroit-il pas plus natu- rel de soupçonner que cette figure est celle d'un au- LA GELINOTTE D ECOSSE. l5i Ire oiseau? Quoi qu'il en soit, ce galliis palnstris ou coq de marais est un excellent manger; et tout ce qu'on sait de son histoire , c'est qu'il se plaît dans les lieux niarëcageux, comme son nom de coq de marais le fait assez entendre. Les auteurs de la Zoologie bri- tannique prétendent que la gelinotte d'Ecosse de M. Brisson n'est autre que le ptarmlgan dans son habit d'été , et que son plumage devient presque tout blanc en hiver : mais il faut donc qu'il perde aussi en été les plumes qui lui couvrent les doigts; car M. Brisson dit positivement qu'elle n'a de plumes que jusqu'à i'ori'iine des doigts, et le ptarmlgan de la Zoologie britannique en a jusqu'aux ongles : d'ailleurs ces deux animaux, tels qu'ils sont représentés dans la Zoologie et dans M. Brisson, ne se ressemblent ni par le port, ni par la physionomie, ni par la conformation totale. Quoi qu'il en soit, la gelinotte d'Ecosse de M. Bris- son est un peu plus grosse que la nôtre , et a la queue plus courte : elle tient de la gelinotte des Pyrénées par la longueur de ses ailes, par ses pieds garnis an- térieurement de plumes jusqu'à l'origine des doigts, par la longueur du doigt du milieu, relativement aux deux latéraux , et par la brièveté du doigt de derrière ; elle en diffère en ce que ses doigls sont sans dente- lures, et sa queue sans ces deux plumes longues et étroites qui sont le caractère le phis frappant de la gelinotte des Pyrénées. Je ne dis rien des couleurs du plumage; les figures les représenteront plus exacte- ment aux yeux que ma description ne pourroit les peindre à l'esprit : d'ailleurs rien de plus incertain ici pour caractériser les espèces que les couleurs du plu- iS'J LA GÉLliNOTTE D ECOSSE. mage, puisque ces couleurs varient coasidérablement d'une saison à l'autre dans le même individu. LE GANGA, VULGAIREMENT LA GELINOTTE DES PYRÉNÉES^. Tetrao j4 le hâta. L. Quoique les noms ne soient pas les choses, cepen- dant il arrive si souvent, et surtout en histoire natu- relle, qu'une erreur nominale entraîne une erreur réelle, qu'on ne peut, ce me semble, apporter trop d'exactitude à appliquer toujours à chaque objet les noms qui lui ont été imposés; et c'est par cette raison que nous nous sommes fait une loi de rectifier, au- tant qu'il seroit en nous, la discordance ou le mau- vais emploi des noms. M. Brisson, qui regarde la perdrix de Damas ou de Syrie de Belon comme étant de la même espèce que sa gelinotte des Pyrénées, range parmi les noms donnés en diflerentes langues à cette espèce, le nom grec suropediXj, et cite Belon , en quoi il se trompe doublement : car, i° Belon nous apprend lui-même que l'oiseau qu'il a nommé perdrix de Damas est une espèce différente de celle que les auteurs ont appelée 1. Eu Espagne, ganga; en Turquie , cata. LE GANG A I bO syroperdiXj, laquelle a le plumage noir et le bec rouge ; 2" en écrivant ce nom , syroperdiXj en caractères grecs, M. Brisson paroît vouloir lui donner une origine grec- que , et cependant Belon dit expressément que c'est un nom latin : enfin il est difficile de comprendre les raisons qui ont porté M. Brisson à regarder Vœnas d'A- ristote comme étant de la même espèce que la geli- notte des Pyrénées ; car Aristote met son œnas^ qui est le vinago de Gaza, au nombre des pigeons, des tourterelles, des ramiers (en quoi il a été suivi par tous les Arabes) ; et il assure positivement qu'elle ne pond, comme ces oiseaux, que deux œufs à la fois. Or nous avons vu ci-dessus que les gelinottes pon- doient un beaucoup plus grand nombre d'œufs : par conséquent, Vœnas d'Aristote ne peut être regardé comme une gelinotte des Pyrénées, ou, si l'on veut absolument qu'il en soit une, il faudra convenir que la gelinotte des Pyrénées n'est point une gelinotte. Rondelet avoit prétendu qu'il y avoit erreur dans le mot grec inos ^ et qu'il falloit lire tJias _, dont la ra- cine signifie fibre,, filet , et cela parce que cet oiseau a, dit-il, la chair, ou plutôt la peau si fibreuse et si dure, que, pour la pouvoir manger, il faut l'écor- cher. Mais s'il étoit véritablement de la même espèce que la gélinott%des Pyrénées, en adoptant la correc- tion de Rondelet, on pourroit donner au mot inas une explication plus heureuse et plus analogue au génie de la langue grecque, qui peint tout ce qu'elle exprime, en lui faisant désigner les deux filets ou plumes étroit^ que les gelinottes des Pyrénées ont à la queue, et qui font son attribut caractéristique; mais malheureusement Aristote ne dit pas un mot l54 LE GAIVGA. de ces filets, qui ne lui auroient pas échappé, et Belon n'en parle pas non plus dans la description qu'il fait de sa perdrix de Damas : d'ailleurs le nom à'oinas ou vinago convient d'autant mieux à cet oi- seau, que, selon la remarque d'Aristote, il arrivoit tous les ans en Grèce au commencement de l'automne, qui est le temps «<»o«c*«»«« 9*s* &e> L'ATTAGAS BLANC. Cet oiseau se trouve sur les montagnes de Suisse et sur celles qui sont autour de Vicence ; je n'ai rien à ajoutera ce que j'en ai dit dans l'histoire de l'atta- gas ordinaire , sinon que l'oiseau dont Gesner a fait la seconde espèce de lagopus me sem.ble être un de ces attagas blancs, quoique dans son plumage le blanc ne soit pur que sur le ventre et sur les ailes, et qu'il soit mêlé plus ou moins de brun et de noir sur le reste du corps : mais nous avons vu ci-dessus que, parmi les attagas, les mâles avoient moins de blanc que les femelles; de plus, on sait que la cou- leur des jeunes oiseaux, surtout des oiseaux de ce genre, ne prend guère sa consistance qu'après la pre- mière année : et comme d'ailleurs tout le reste de la description de Gesner semble fait pour caractériser un attagas; sourcils rouges, nus, arrondis, et saillants; pieds velus jusqu'aux ongles, mais non par dessous; l'attagas blakc. 167 bec court et noir; queue courte aussi; habitation sur ]es montagnes de Suisse, etc. , je pense, que l'oiseau décrit par Gesner étoit un attagas blanc, et que c'é- toit un mâle encore jeune qui n'avoit pas pris tout son accroissement, d'autant qu'il ne pesoît que quatorze onces au lien de dix-neuf, qui est le poids des attagas ordinaires. J'en dis autant, et pour les mêmes raisons, de la troisième espèce de lagopiis de Gesner, quf paroît être le même oiseau que celui dont le jésuite Rzac- zj^nski parie sous le nom polonois de parowa. Ils ont tous deux une partie des ailes et le venti'e blancs, le dos et le reste du corps de couleur variée; tous deux ont les pieds velus , îe vol pesant, la chair excellente , et sont de la grosseur d'une jeune poule. Rzaczynski en reconnoît deux espèces : l'une- plus petite, que j'ai ici en vue; l'autre plus grosse, et qui pourroit bien être une espèce de gelinotte. Cet auteur ajoute qu'on trouve de ces oiseaux parfaitement blancs dans le pa- latinat de Novogorod. Je ne range pas ces oiseaux parmi les lagopèdes, comme a fait M. Brisson de la seconde et de la troisième espèce de lagopus de Ges- ner, parce qu'ils ne sont pas en effet lagopèdes, c'est- à-dire qu'ils n'ont point les pieds velus par dessous, et que ce caractère est d'autant plus décisif qu'il est plus anciennement reconnu, et que par conséquent il pa- roît avoir plus de consistance. 6S LE LAGOPÈDE. LE LAGOPÈDE. Tetrao Lagopus. L. Cet ©iseau^ est celui auquel on a donné le nom de perdrix blanche j, mais très improprement, puisque ce n'est point une perdrix, et qu'il n'est blanc que pen- dant l'hiver, et à cause du grand froid auquel il est exposé pendant cette saison sur les hautes montagnes des pays du Nord , où il se tient ordinairement. Aris- tote, qui ne connoissoit point le lagopède , savoit que les perdrix, les cailles, les hirondelles, les moineaux, les corbeaux, et même les lièvres, les cerfs, et les ours, éprouvent, dans les mêmes circonstances, le même changement de couleur. Scaliger y ajoute les aigles, les vautours , les éperviers, les milans, les tourterelles, les renards; et il seroit facile d'allonger cette liste des noms de plusieurs oiseaux et quadru- pèdes sur lesquels le froid produit ou pourroit pro- duire de semblables effets : d'où il suit que la couleur blanche est ici un attribut variable , et qui ne doit pas être employé comme un caractère distinctif de l'espèce dont il s'agit; d'autant moins que plusieurs espèces du même genre, telles que celles du petit tétras blanc , selon le docteur Waygand et Rzaczynski , et de l'attagas blanc, selon Belon, sont sujettes aux 1. ]\° 129 avec son plumage d'hiver, et n° 494 ^^'^^' son plumage d'été. LE L/VGOVEDE. 1 5g mêmes variations dans la couleur de leur plumage : il est étonnant que Frisch ait ignoré que son franco- îin blanc de montagne, qui est notre lagopède , y fût aussi sujet, ou que, l'ayant su, il n'en ait point parlé; il dit seulement qu'on lui avoit rapporté qu'on ne voyoit point en été de francolins blancs, et plus bas, il ajoute qu'on en avoit tiré (sans doute en été) qui avoient les ailes et le dos bruns, mais qu'il n'en avoit jamais vu : c'étoit bien le lieu de dire que ces oiseaux n'étoient blancs que l'hiver, etc. J'ai dit qu'Aristote ne connoissoit pas notre lago- pède; et quoique ce soit un fait négatif, j'en ai la preuve positive dans ce passage de son Histoire des Animaux ^ où il assure qne le lièvre est le seul animal qui ait du poil sous les pieds. Certainement, s'il eût connu un oiseau qui eût eu aussi du poil sous les pieds, il n'auroitpas manqué d'en faire mention dans cet endroit , où il s'occupoit en général , selon sa ma- nière, de la comparaison des parties correspondantes dans les animaux, et par conséquent des plumes des oiseaux , ainsi que des poils des quadrupèdes. Le nom de lagopède ^ que je donne à cet oiseau, n'est rien moins qu'un nouveau nom; c'est, au con- traire, celui que Pline et les anciens lui ont donné, qu'on a mal à propos appliqué à quelques oiseaux de nuit, lesquels ont le dessus, et non le dessous des pieds, garnis de plumes^, mais qui doit être con- servé exclusivement à l'espèce dont il s'agit ici , avec 1. Si mus aurita gaiidet lagopode Flaccus. Mautial, lib. VI, epigr. 86. Il est visible que le poëte entend parler du duc dans ce passage ; mais le duc n'a pas le pied velu par dessous. 170 LJL LAGOPEDE. d'autant plus de raison , qu'il exprime un attribut unique parmi les oiseaux, qui est d'avoir, comme le lièvre , le dessous des pieds velus. Pline ajoute à ce caractère distinctif du lagopus ou lagopède j^ sa grosseur, qui est celle d'un pigeon ; sa couleur, qui est blanche; la qualité de sa chair, qui est excellente; son séjour de préférence, qui est le sommet des Alpes; enfin sa nature, qui est d'être très sauvage , et peu susceptible d'être apprivoisé : il finit par dire que sa chair se corrompt fort promp- tement. L'exactitude laborieuse des modernes a complété cette description à l'antique, qui ne présente que les masses principales : le preuiier trait qu'ils ont ajouté au tableau, et qui n'eût point échappé à Pline, s'il eût vu l'oiseau par lui-môme, c'est cette peau glan- duleuse qui lui forme au dessus des yeux des espèces de sourcils rouges, mais d'un rouge plus vif dans le mâle que dans la femelle; celle-ci est aussi plus pe- tite, et n'a point sur la tête les deux traits noirs qui, dans le mâle, vont de la base du bec aux yeux, et même au delà des yeux, en se dirigeant vers les oreilles : à cela près, le mâle et la femelle se ressem- blent dans tout le reste, quant à la forme extérieure ; et tout ce que j'en dirai dans la suite sera commun à l'un et à l'autre. La blancheur des lagopèdes n'est pas universelle, et sans aucun mélange, dans le temps même où ils sont le plus blancs, c'est-à-dire au milieu de l'hiver : la principale exception est dans les pennes de la queue, dont la plupart sont noires avec un peu de blanc à la points ; mais i! paroît , par les descriptions. LE LAGOPÈDE. 1^1 que ce ne sont pas constamment les mêmes pennes qui sont de cette couleur. Linn?eus, dans sa Fauna Sneclcaj dit que ce sont les pennes du milieu qui sont noires; et dans son Systema naturœj il dit, avec MM. Brisson etWiltughby, que ces mêmes pennes sont blanches, et les latérales noires : tous ces natu- ralistes n'y ont pas regardé d'assez près. Dans le sujet que nous avons fait dessiner, et dans d'autres que nous avons examinés, nous avons trouvé la queue composée de deux rangs de plumes l'un sur l'autre; celui de dessus blanc en entier, et celui de dessous noir, ayant chacun quatorze plumes^. Klein parle d'un oiseau de cette espèce qu'il avoit reçu de Prusse le 20 janvier 1747? et qui étoit entièrement blanc, excepté le bec , la partie inférieure de la queue, et la tige de six pennes de l'aile. Le pasteur lapon Samuel Rheen , qu'il cite, assure que sa poule de neige , qui est notre lagopède, n'avoit pas une seule plume noire, excepté la femelle, qui en avoit une de cette couleur à chaque aile; et h perdrix blanche dont parle Ges- ner étoit en eft'et toute blanche, excepté autour des oreilles, où elle avoit quelques marques noires: les couvertures de la queue, qui sont blanches et s'éten- dent par toute sa longueur, et recouvrent les plumes noires, ont donné lieu à la plupart de ces méprises. M. Brisson compte dix-lsuit pennes dans la queue, tandis que Willughby et la plupart des autres orni- thologistes n'en comptent que seize, et qu'il n'y en 1. Oii ne peut compter exactement le nombre de ces plumes, qu'en déplurnaul, comme nous l'avons fait, le dessus et le dessous du crou- pion de ces oiseaux; et c'est ainsi que nous nous sommes assurés qu'il y en a quatorze blanches en 8'e^o^â>e*«S«*9*a4«.8'0>8j«*«L« LE LAGOPEDE DE LA BAIE D'HUDSO^;. Tetrao albm. GxAiel. Les auteurs de la Zoologie Britàniiique font à M. Bris- son un juste reproche de ce qu'il joint dans une même liste le.ptarmigan avec la perdrix blanche de M. Ed- wards, planche lxxii , comme ne faisant qu'un seul et même oiseau, tandis que ce sont en effet deux espèces différentes ; car la perdrix blanche de M. Edwards est plus de deux fois plus grosse que le ptarmigan , et les couleurs de leur plumage d'été sont aussi fort diffé- rentes, celle-là ayant de larges taches de blanc et d'orangé foncé; et le ptarmigan ayant des mouche- tures d'un brun obscur sur un brun clair. Du reste , ces mêmes auteurs avouent que la livrée d'hiver de ces oiseaux est la mêjne, c'est-à-dire presque entiè- rement blanche. M. Edwards dit que les pennes laté- rales de la queue sont noires, même en hiver, avec du blanc au bout ; et cependant il ajoute plus bas qu'un de ces oiseaux qui avoit été tué en hiver, et 1^8 LE LAGOPÈDE DE LA BAIE d'hUDSON, apporté de la baie d'Hiidson par M. Light, ctoit par- faitement blanc; ce qui prouve de plus en plus com- * bien, dans cette espèce, les couleurs du plumage sont variables. La perdrix blanclie dont il s'agit ici est de grosseur moyenne entre la perdrix et le faisan , et ei!e auroit assez la forme de la perdrix si elle n'avoit pas la queue im pen plus longue. Le sujet représenté dans la plan- che Lxxii d'Edwards est un coq, tel qu'il est au prin- temps lorsqu'il commence à prendre sa livrée d'été, et lorsque éprouvant les influences de celte saison d'amour, il k fees sourcils membraneux plus rouges et plus saillants, plus élevés, îels en un mot que ceux de l'attagas; il a en outre de petites plumes blanches autour des yeux, et d'autres à la base du bec, les- quelles recouvrent les orifices des narines : les deux pennes du milieu sont variées comme celles du cou; les deux suivantes sont blanches, et toutes les autres noirâtres, avec du blanc à la pointe, en été comme en hiver. La livrée d'été ne s'étend que sur la partie supé- rieure du corps, le ventre reste toujours blanc : les pieds et les doigts sont entièrement couverts de plu- mes, ou plutôt de poils blancs; les ongles sont moins courbés qu'ils ne le sont ordinairement dans les oi- seaux ^. Cette perdrix blanche se tient toute Tannée, à la baie d'Hudson : elle y passe les nuits dans des trous qu'elle sait se creuser sous la neige , dont la 1. JNous avons vu deux oiseaux envoyés de Sibérie, sous le nom de lagopèdes, qui sont vraisemblablement, de la même espèce que le lago- pède de la baie d'Hudson , et qui ont en effet les ongles si plats , qu'ils ressembloient plutôt à des ongles de singe qu'à des griffes d'oiseau x. P?L.13.8 . Pau-Q-aet^scnlp . 1.LA-GELTNTOTTEI3T7 CAJSrADA_2.U: Q-.AM&A. 3. LE LAGOPEDE LE LAGOPÈDE DE LA ÎÎAIE DlfLDSOx\. 1^9 cousistaQce en ces contrées est comme ceile d'un sa- ble très fin. Le matin, elie prend son essor, et s'élève droit en haut en secouant la neige de dessus ses ailes. Elle mange le matin et le soir, et ne paroît pas crain- dre le soleil comme notre lagopède des Alpes, puis- qu'elle se tient tous les jours exposée à l'action de ses rayons, dans le temps de la journée où ils ont le plus de force. M. Edwards a reçu ce môme oiseau de INor- wége, qui me paroît faire la nuance entre le lago- pède, dont il a les pieds, et l'attagas, dont il a les grands sourcils rouges. OISEAUX ÉTRANGERS QUI ONT RAPPORT AUX COQS DE BRUYÈRE, AUX GELINOTTES, AUX ATTAGAS, etc. LA GÉLIÏNOTÏE DU CANADA. Tetrao Canadensis. L. Il me paroît que M. Brisson a fait un double em- ploi , en donnant la gelinotte du Canada qu'il a vue pour une espèce diftérente de la gelinotte de la baie d'Hudson , qu'à la vérité il n'avoit pas vue : mais il l80 LA GELINOTTE DU CANADA. suiïlsoit de comparer la gelinotte du Canada, en na- ture, avec les planches enluminées d'Edwards de la gelinotte de la baie d'Hudson , pour reconnoître que c'étoit !e même oiseau; et nos lecteurs le verront aisé- ment en comparant les planches enluminées, n°* i3i et 1 52 , avec celles de M. Edwards, n°' 1 1 8 et 7 1 . Voilà donc une espèce nominale de moins, et l'on doit attri- buer à la gelinotte du Canada tout ce que MM. EUis et Edwards disent de la gelinotte de la baie d'Hudson. Elle abonde toute l'année dans les terres voisines de la baie d'Hudson : elle y habite par préférence les plaines et les lieux bas; au lieu que, sous un autre ciel, la même espèce, dit M. Ellis, ne se trouve que dans des terres fort élevées, et même au sommet des montagnes. En Canada, elle porte le nom de perdrix. Le mâle est plus petit que la gelinotte ordinaire; il a les sourcils rouges, les narines couvertes de pe- tites plumes noires, les ailes courtes, les pieds velus jusqu'au bas du tarse, les doigts et les ongles gris, le bec noir. En général , il est d'une couleur fort rem- brunie, et qui n'est égayée que par quelques taches blanches autour des yeux, sur les flancs, et en quel- ques autres endroits. La femelle est plus petite que le mâle, et elle a les couleurs de son plumage moins sombres et plus va- riées; elle lui ressemble dans tout le reste. L'un et l'autre uiangent des pignons de pin , des baies de genévrier, etc. On les trouve dans le nord de l'Amérique en très grande quantité, et on en fait des provisions aux approches de l'hiver : la ^^Qléa les saisit et les conserve; et, à mesure qu'on en veut man- ger, on les fait dégeler dans l'eau froide. LE COQ DE BllL'YKRE A FRAISE. lôj II. LE COQ DE BRUYÈRE A FRAISE, ou L^ GROSSE GELINOTTE DU CANADA. Tetrao Cupido. Gmel. Je soupçonne encore ici un double emploi , et je suis bien tenté de croire que cette grosse gelinotte du Canada, n" io4, que M. Brisson donne comme une espèce nouvelle et différente de sa gelinotte hup- pée de Pensylvanie , est néanmoins la même , c'est- à-dire la môme aussi que celle du coq de bruyère à fraise de M. Edwards. Il est vrai qu'en comparant cet oiseau en nature ou même notre planche enluminée, n° io4, avec celle de M. Edwards, n" 248, il paroîtra au premier coup d'œil des différences très considéra- blés entre ces deux oiseaux : mais si l'on fait attentiou aux ressemblances, et en même temps aux différentes vues des dessinateurs, dont l'un , M. Edwards, a voulu représenter les plumes au dessus des ailes et de la tête, relevées comme si l'oiseau étoit non seulement vivant, mais en action d'amour, et dont l'autre, M. Martinet, n'a dessiné cet oiseau que mort et sans plumes érigées ou redressées, la disconvenance des dessins se réduira à peu de chose, ou plutôt s'éva- nouira tout-à-fait par une présomption bien fondée, c'est que notre oiseau est la femelle de celui d'Ed- wards : d'ailleurs cet habile naturaliste dit positive- ment qu'il ne fait que supposer la huppe à son oiseau. i82 LE COQ DE bhuyère a fraise. parce qu'ayant les plumes du sommet de la tête plus longues que les autres, il présume qu'il peut les re- dresser à sa volonté, comme celles qui sont au dessus de ses ailes; et du reste, la grandeur, la figure, les mœurs, et le climat étant ici les mêmes, je pense être fondé à présumer que la grosse gelinotte du Canada, la gelinotte huppée de Pensylvanie de M. Brisson, et le coq de bruyère à fraise de M. Edwards, ne font qu'une seule et même espèce, à laquelle on doit en- core rapporter le coq de bois d'Amérique, décrit et représenté par Catesby. Elle est un peu plus grosse que la gelinotte ordi- naire, et lui ressembl-e par ses ailes courtes, et en ce que les plumes qui couvrent ses pieds ne descendent pas jusqu'aux doigts : mais elle n'a ni sourcils rouges, ni cercles de cette couleur autour des yeux. Ce qui la caractérise ce sont deux touffes de plumes plus longues que les autres et recourbées en bas, qu'elle a au haut de la poitrine, une de chaque côté : les plumes de ces touffes sont d'un beau noir, ayant sur leurs bords des reflets brillants qui jouent entre la couleur d'or et le vert; l'oiseau peut relever quand il veut ces espèces de fausses ailes, qui , lorsqu'elles sont pliées, tombent de part et d'autre sur la partie supé- rieure des ailes véritaliles. Le bec, les doigts, les on- gles, sont d'un brun rougeâtre. Cet oiseau, selon M. Edwards , est fort commun dans le Maryland et la Pensylvanie, où on lui donne le nom de faisan : cependant il a, par son naturel et ses habitudes, beaucoup plus d'affinité avec le tétras ou coq de bruyère; il tient le milieu, pour la gros- seur, entre le faisan et la perdrix. Ses pieds sont garnis LE COQ DE BRUYÈRE A FRAISE. 1 8o de plumes, et ses doigts dentelés sur les bords comme ceux des tétras; son bec est semblable à celui du coq ordinaire; lonverture des narines est recouverte par de petites plumes qui naissent de la base du bec , et se dirigent en avant; tout le dessus du corps, compris la tête, la queue, et les ailes, est émaillë de diffé- rentes couleurs brunes, plus ou moins claires, d'o^ rangé, et de noir; la gorge est d'un orangé brillant, quoiqu'un peu foncé; l'estomac, le ventre, et les cuisses ont des taches noires en forme de croissant^ distribuées avec régularité sur un fond blanc : il a sur la tête et autour du cou de longues plumes dont il peut, en les redressant à son gré, se former une huppe et une sorte de fraise; ce qu'il fait principale^ ment lorsqu'il est en amour : il relève en même temps les plumes de sa queue en faisant la roue, gonflant son jabot, traînant les ailes, et accompagnant son action d'un bruit sourd et d'un bourdonnement sem- blable à celui du coq d'Inde; et il a de plus, pour rappeler ses femelles, un battement d'ailes très sin- gulier, et assez fort pour se faire entendre à un demi- mille de distance par un temps calme. Il se plaît ii cet exercice au printemps et en automne, qui sont le temps de sa chaleur, et il le répète tous les jours à des heures réglées; savoir, à neuf heures du matin et sur les quatre heures du soir, mais toujours étant posé sur un tronc sec. Lorsqu'il commence, il met d'abord un intervalle d'environ deux secondes entre chaque battement; puis, accélérant la vitesse par degrés, les coups se succèdent à la fin avec tant de rapidité, qu'ils ne font plus qu'un petit bruit continu, semblable à celui d'un tambour, d'autres disent d'un tonnerre l84 LE COQ DE BllLYÈRE A FRAISE. éloigné. Ce bruit dure environ une minute, et recom- menée par les mêmes gradations après sept ou huit minutes de repos : tout ce bruit n'est qu'une invita- tion d'amour que le mâle adresse à ses femelles, que celles-ci entendent de loin, et qui devient l'annonce d'une génération nouvelle, mais qui ne devient aussi que trop souvent un signal de destruction ; car les chasseurs, avertis par ce bruit, qui n'est point pour eux 5 s'approchent de l'oiseau sans en être aperçus, et saisissent le moment de cette espèce de convulsion pour le tirer à coup sûr : je dis sans en être aperçus, car, dès que cet oiseau voit un homme, il s'arrête aussitôt , fût-il dans la plus grande violence de son mouvement, et il s'envole à trois ou quatre cents pas : ce sont bien là les habitudes de nos tétras d'Eu- rope et leurs mœurs, quoiqu'un peu outrées. La nourriture ordinaire de ceux de Pensylvanie sont les grains, les fruits, les raisins, et surtout les baies de lierre; ce qui est remarquable, parce que ces baies sont un poison pour plusieurs animaux. Ils ne couvent que deux fois l'année, apparemment au printemps et en automne, qui sont les deux sai- sons où le ]nàle bat des ailes : ils font leurs nids à terre avec des feuilles, ou à côté d'un tronc sec couché par terre, ou au pied d'un arbre debout, ce qui dénote un oiseau pesant : ils pondent de douze à seize œufs, et les couvent environ trois semaines. La mère a fort à cœur la conservation de ses petits; elle s'expose à tout pour les défendre, et cherche à attirer sur elle- même les dangers qui les menacent; ses petits, de leur côté, savent se cacher très finement dans les feuilles : mais tout cela n'empêche pas que les oiseaux LE COQ DE BllUYÈRE A FRAISE. l85 de proie n'en détruisent beaucoup. La couvée forme une compagnie qui ne se divise qu'au printemps de i'année suivante. Ces oiseaux sont fort sauvages, et rien ne peut les apprivoiser : si on en fait couver par des poules ordi- naires, ils s'échapperont et s'enfuiront dans les bois presque aussitôt qu'ils seront éclos. Leur chair est blanche et très bonne à manger : se- roit-ce par celte raison que les oiseaux de proie leur donnent la chasse avec tant d'acharnement? Nous avons eu déjà ce soupçon à l'occasion des tétras d'Eu- rope : s'il étoit confirmé par un nombre suffisant d'ob- servations, il s'ensuivroit non seulement que la vora- cité n'exclut pas toujours un appétit de préférence, mais que l'oiseau de proie est à peu près de même goût que l'homme, et ce seroit une analogie de plus entre les deux espèces. III. L'oiseau d'Amérique qu'on peut appeler gelinotte à longue queue ^ dessiné et décrit par M. Edwards sous le nom de heatli cock ou grous^ coq de bruyère de la baie d'Hudson, et qui me paroît être plus voisin des gelinottes que des coqs de bruyère, ou des fai- sans dont on lui a aussi donné le nom : cette gelinotte à longue queue, représentée dans la planche cxvii de M. Edwards, est une femelle; elle a la grosseur, la couleur, et la longue queue du faisan : le plumage du mâle est plus rembruni , plus lustré , et il a des re- flets à l'endroit du cou ; ce mâle se tient aussi très droit, et il a la démarche fière, différence qui se l86 LE COQ DE BRUYÈRE A FRAISE. trouve constamment entre le mâle et la femelle dans toutes les espèces qui appartiennent à ce genre d'oi- seaux. M. Edwards n'a pas osé donner des sourcils rouges à cette femelle, parce qu'il n'a vu que l'oiseau empaillé, sur lequel ce caractère netoit point assez apparent; les pieds étoient pattus, les doigts dentelés sur les bords, le doigt postérieur fort court. A la baie d'Hudson , on donne à ces gelinottes le nom de faisan. En effet, ils font, par leur longue queue, la nuance entre les gelinottes et les faisans; les deux pennes de cette queue excèdent d'environ deux pouces les deux suivantes de part et d'autre, et ainsi de suite. Ces oiseaux se trouvent aussi en Virgi- nie, dans les bois et les lieux inhabités. »»t »c.fto««r»ar9ia»e^ao 8 LE PAON'. Pavo cristatus. L. Si l'empire appartenoit à la beauté et non à la force, le paon ^ seroit, sans contredit, le roi des oiseaux; il n'en est point sur qui la nature ait versé ses trésors avec plus de profusion : la taille grande, le port im- posant, la démarche Gère, la figure noble, les pro- portions du corps élégantes et sveltes , tout ce qui annonce un être de distinction lui a été donné. Une 1. En latin, pavo; en espagnol, pavon; en italien , pavone; en aUe- mand , pfau: en anglois, peacok. 2. N" 4^3, le uiâle ; n" 434> la femelle. ÏÏii îaaquei-.iiTilp 1 . JJK -pXO-^ 2. TE F^JS^Aj^^ o LE FAISAN D OSE LE PAON. 187 , aigrette mobile et légère, peinte des plus riches cou- leurs, orne sa tête et l'élève sans la charger : son in- comparable plumage semble réunir tout ce qui flatte nos yeux dans le coloris tendre et frais des plus belles fleurs, tout ce qui les éblouit dans les reflets pétillants des pierreries, tout ce qui les étonne dans l'éclat ma- jestueux de l'arc-en-ciel ; non seulement la nature a réuni sur le plumage du paon toutes les couleurs du ciel et de la terre pour en faire le chef-d'œuvre de sa magnificence, elle les a encore mêlées, assorties, nuancées, fondues de son inimitable pinceau, et en a fait un tableau unique, où elles tirent de leur mé- lange avec des nuances plus sombres, et de leurs op- positions entre elles, un nouveau lustre et des efî*ets de lumière si sublimes, que notre art ne peut ni les imiter ni les décrire. Tel paroît à nos yeux le plumage du paon, lorsqu'il . se promène paisible et seul dans un beau jour de prin- temps : mais si sa femelle vient tout à coup à paroître, si les feux de l'amour, se joignant aux secrètes in- fluences de la saison, le tirent de son repos, lui in- spirent une nouvelle ardeur et de nouveaux désirs, alors toutes ses beautés se muftiplient; ses yeux s'a- niment et prennent de l'expression; son aigrette s'agite sur sa tête et annonce l'émotion intérieure; les lon- gues plumes de sa queue déploient, en se relevant, leurs richesses éblouissantes; sa tête et son cou, se renversant noblement en arrière, se dessinent avec grâce sur ce fond radieux, où la lumière du soleil se joue en mille manières, se perd et se reproduit sans cesse, et semble prendre un nouvel éclat plus doux et plus moelleux , de nouvelles couleurs plus variées l88 LE PAON. et plus harmonieuses : chaque mouvement de Foiseau produit des milHers de nuances nouvelles, des gerbes de reflets ondoyants et fugitifs, sans cesse remplacés par d'autres reflets et d'autres nuances toujours di- verses et toujours admirables. Le paon ne semble alors connoître ses avantages que pour en faire hommage à sa compagne , qui en est privée sans en être moins chérie; et la vivacité que l'ardeur de l'amour mêle à son action ne fait qu'ajou- ter de nouvelles grâces à ses mouvements, qui sont naturellement nobles, fiers, et majestueux, et qui, dans ces moments, sont accompagnés d'un murmure énergique et sourd qui exprime le désir. Mais ces plumes brillantes , qui surpassent en éclat les plus belles fleurs, se flétrissent aussi comme elles, et tombent chaque année. Le paon , comme s'il sen- toit la honte de sa perte , craint de se faire voir dans cet état humiliant, et cherche les retraites les plus «ombres pour s'y cacher à tous les yeux, jusqu'à ce qu'un nouveau printemps, lui rendant sa parure ac- coutumée , le ramène sur la scène pour y jouir des hommages dus à sa beauté : car on prétend qu'il en jouit en eflét ; qu'il est sensible à l'admiration ; que le vrai moyen de l'engager à étaler ses belles plumes c'est de lui donner des regards d'attention et des louanges; et qu'au contraire, lorsqu'on paroîl le re- garder froidement et sans beaucoup d'intérêt, il re- plie tous ses trésors et les cache à qui ne sait point les admirer. Quoique le paon soit depuis long-temps comîue na- turalisé en Europe , cependant il n'en est pas plus ori- ginaire : ce sont les Indes orientales, c'est le climat LE PAON. 189 qui produit le saphir, le rubis, la topaze, qui doit être regardé comme son pays natal; c'est de là qu'il a passé dans la partie occidentale de l'Asie, ou, selon le témoignage positif de ïhéophraste cité par Pline, il avoit été apporté d'ailleurs; au lieu qu'il ne paroît pas avoir passé de la partie la plus orientale de l'Asie, qui est la Chine , dans les Indes : car les voyageurs s'ac- cordent à dire que, quoique les paons soient fort communs aux Indes orientales , on ne voit à la Chine que ceux qu'on y transporte des autres pays; ce qui prouve au moins qu'ils sont très rares à îa Chine. Elien assure que ce sont les barbares qui ont fait présent à la Grèce de ce bel oiseau; et ces barbares ne peuvent guère être que les Indiens, puisque c'est aux Indes qu'Alexandre, qui avoit parcouru l'Asie, et qui connoissoit bien la Grèce , en a vu pour la première fois : d'ailleurs il n'est point de pays où ils soient plus généralement répandus et en aussi grande abondance que dans les Indes. Mandeslo et Thévenot en ont trouvé un grand nombre dans la province de Guzarate; Tavernier, dans toutes les Indes, mais par- ticulièrement dans les territoires de Baroche, de Cam- baya, et de Broudra; François Pyrad, aux environs de Calicut ; les Hollandois, sur toute la côte de Ma- labar; Lintscot, dans l'île de Ceylan ; l'auteur du second Voyage de S'iam^ dans les forêts sur les fron- tières de ce royaume , du côté de Camboge et aux en- virons de la rivière de Meinam ; Le Gentil , à Java ; Gemelli Carreri , dans les îles Calamianes, situées entre les Philippines et Boi'uéo. Si on ajoute à cela que dans presque toutes ces contrées les paons vivent dans l'état de saijvages, qu'ils ne sont nulle part ni si igo LE PAON. grands ni si féconds, on ne pourra s'empêcher de regarder les Indes comme leur climat naturel ; et en effet, un si bel oiseau ne pouvoit guère manquer d'appartenir à un pays si riche, si abondant en cho- ses précieuses, où se trouvent la beauté, la richesse en tout genre, l'or, les perles, les pierreries, et qui doit être regardé comme le climat du luxe de la na- ture. Cette opinion est confirmée en quelque sorte par le texte sacré; car nous voyons que les paons sont comptés parmi les choses précieuses que la flotte de Salomon rapportoit tous les trois ans. Il est clair que c'est ou des Indes, ou de la côte d'Afrique la plus voisine des Indes, que cette flotte, formée et équipée sur la mer Rouge, et qui ne pouvoit s'éloigner des côtes, tiroit ses richesses : or il y a de fortes raisons de croire que ce n'étoit point des côtes d'Afrique ; car jamais voyageur n'a dit avoir aperçu dans toute l'A- frique, ni môme dans les îles adjacentes, des paons sauvages qui pussent être regardés comme propres et naturels à ces pays; si ce n'est dans l'île de Sainte- Hélène, où l'amiral Yerhowen trouva des paons qu'on ne pouvoit prendre qu'en les tuant à coups de fusil : mais on ne se persuadera pas apparemment que la flotte de Salomon, qui n'avoit point de boussole, se rendît tous les trois ans à l'île de Sainte-Hélène , où d'ailleurs elle n'auroit trouvé ni or, ni argent, ni ivoire, ni presque rien de tout ce qu'elle cherchoit. De plus, il me paroît vraisemblable que cette île, éloignée de plus de trois cents lieues du continent, n'avoit pas même de paons du temps de Salomon; mais que ceux qu'y trouvèrent lesHoUandoisy avoient été lâchés par les Portugais , à qui elle avoit appar- LE PAON. 191 tenu, ou par d'autres, et qu'ils s'y étoient multipliés d'autant plus facilement que l'île de Sainte-Hélène n'a, dit-on, ni bete venimeuse, ni animal vorace. On ne peut guère douter que les paons que Kolbe a vus au cap de Bonne-Espérance, et qu'il dit être parfaitement semblables à ceux d'Europe, quoique la figure qu'il en donne s'en éloigne beaucoup, n'eus- sent la même origine que ceux de Sainte-Hélène, et qu'ils n'y eussent été apportés par quelques uns des vaisseaux européens qui arrivent en foule sur cette côte. On peut dire la môme chose de ceux que les voya- geurs ont aperçus au royaume de Congo, avec des dindons, qui certainement n'étoient point des oiseaux d'Afrique , et encore de ceux que l'on trouve sur les confins d'Angola, dans un bois environné de murs, où on les entretient pour le roi du pays. Cette con- jecture est fortifiée par le témoignage de Bosman, qui dit en termes formels qu'il n'y a point de paons sur la côte d'Or, et que l'oiseau pris par M. de Fo- quembrog et par d'autres pour un paon est un oiseau tout différent, appelé kroonvogei De plus, la dénomination de paon d' Afrique ^ don- née par la plupart des voyageurs aux demoiselles de INumidie, est encore une preuve directe que l'Afrique ne produit point de paons; et si l'on en a vu ancien- nement en Libye, comme le rapporte Eustathe, c'en étoit sans doute qui avoient passé ou qu'on avoit por- tés dans cette contrée de l'Afrique, l'une des plus voi- sines de la Judée, où Salomon en avoit mis long- temps auparavant : mais il ne paroît pas qu'ils l'eussent adoptée pour leur patrie, et qu'ils s'y fussent beau- 192 LE PAON. coup miilliplics, puisqu'il y avoit des lois très sévères contre ceux qui en avoient tuè ou seulement blessé quelques uns. Il est donc à présumer que ce n'étoit point des cô- tes d'Afrique que la flotte de Salomon rapportoit les paons, des côtes d'Afrique, dis-je , où ils sont fort rares, et où l'on n'en trouve point dans l'état de sau- vages; mais bien des côtes d'Asie, où ils abondent, où ils vivent presque partout en liberté , où ils sub- sistent et se multiplient sans le secours de l'homme, où ils ont plus de grosseur, plus de fécondité que partout ailleurs, où ils sont, en un mot , comme sont tous les animaux dans leur climat naturel. Des Indes ils auront facilement passé dans la partie occidentale de l'Asie; aussi voyons-nous dans Dio- dore de Sicile qu'il y en avoit beaucoup dans la Ba- bylonie : la Médie en nourrissoit aussi de très beaux et en si grande quantité , que cet oiseau en a eu le sur- nom d'avis med'ica. Philostrate parle de ceux du Phase, qui avoient une huppe bleue, et les voyageurs en ont vu en Perse. De l'Asie ils ont passé dans la Grèce, où ils furent d'abord si rares, qu'à Athènes on les montra pendant trente ans à chaque néoménie comme un objet de curiosité , et qu'on accouroit en foule ^es villes voisi- nes pour les voir. On ne trouve pas l'époque certaine de celte migra- tion du paon de l'Asie dans la Grèce; mais il y a preuve qu'il n'a commencé à paroître dans ce der- nier pays que depuis le temps d'Alexandre, et que sa première station au sortir de l'Asie a été l'île de Samos. Les paons n'ont donc paru dans la Grèce qu'^ de- LE PAON. 1()3 puis Alexandre ; car ce conquérant n'en vit pour la première fois que dans les Indes, comme je l'ai déjà remarqué, et il fut tellement frappé de leur beauté, qu'il défendit de les tuer sous des peines très sévè- res : mais il y a toute apparence que peu de temps après Alexandre, et môme avant la Gn de son règne, ils devinrent fort communs; car nous voyons dans le poëte Antiphanes, contemporain de ce prince, et qui lui a survécu , qu'une seule paire de paons apportée en Grèce s'y étoit multipliée à un tel point , qu'il y en avoit autant que de cailles; et d'ailleurs Aristote, qui ne survécut que deux ans à son élève, j^arle en plusieurs endroits des paons comme d'oiseaux fort connus. En second lieu, que l'île de Samos ait été leur pre- mière station à leur passage d'Asie en Europe, c'est ce qui est probable par la position même de cette île , qui est très voisine du continent de l'Asie ; et de plus cela est prouvé par un passage formel de Menodotus; quelques uns même, forçant le sens de ce passage, et se prévalant de certaines médaiiles samiennes fort antiques, où étoit représentée Junon avec un paon à ses pieds, ont prétendu que Samos étoit la patrie première du paon , le vrai lieu de son origine , d'où il s'étoit répandu dans l'Orient comme dans l'Occident : mais il est aisé de voir, en pesant les paroles de Me- nodotus, qu'il n'a voulu dire autre chose, sinon qu'on avoit vu des paons à Samos, avant d'en avoir vu dans aucune autre contrée située hors du continent de l'A- sie, de même qu'on avoit vu dans l'Éolie (ou l'Étolie) des méléagrides, qui sont bien connues pour être des oiseaux d'Afrique, avant d'en voir en aucun au- 194 ^^ PAON. tre lieu de la Grèce [velutL... quas mcleagridas vacant ex jEtolia), D'ailleurs l'île de Saraos offroit aux paons un climat qui leur convenoit , puisqu'ils y subsistoient dans l'état de sauvages, et qu'Aulu-Gelle regarde ceux de cette île comme les plus beaux de tous. Ces raisons étoient plus que suûlsantes pour servir de fondement à la dénomination d'oiseau de Samos , que quelques auteurs ont donnée au paon : mais on ne pourroit pas la lui appliquer aujourd'hui , puisque M. de Tournefort ne fait aucune mention du paon dans la description de cette île , qu'il dit être pleine de perdrix, de bécasses, de bécassines, de grives, de pigeons sauvages, de tourterelles, de bec-figues, et d'une vollaille excellente ; et il n'y a pas d'apparence que M. de Tournefort ait voulu comprendre sous la dénomination générique de volaille un oiseau aussi considérable et aussi distingué. Les paons , ayant passé de l'Asie dans la Grèce, se sont ensuite avancés dans les parties méridionales de l'Europe, et, de proche en proche, en France, en Allemagne, en Suisse, et jusque dans la Suède ^, où, à la vérité, ils ne subsistent qu'en petit nombre, à force de soins, et non sans une altération considé- rable de leur plumage, comme nous le verrons dans la suite. Enfin les Européens, qui, par l'étendue de leur commerce et de leur navigation, embrassent le globe 1. Les Suisses sont la seule nation qui se soit appliquée à détruire, dans leur pays, cette belle espèce d'oiseaux , avec autant de soin que toutes les autres en ont mis à la multiplier, et cela en haine des ducs d'Aulriclie, contre lesquels ils s'étoicnt révoltés, et dont l'écu avoit une queue de paon pom- cimier. LE PAON. 19;") entier, les ont répandus d'abord sur les côtes d'Afri- que et dans quelques îles adjacentes , ensuite dans le Mexique, et de là dans le Pérou et dans quelques unes des Antilles, comme Saint-Domingue et la Ja- maïque, où l'on en voit beaucoup aujourd'hui, et où , avant cela , il n'y en avoit pas un seul , par une suite de la loi générale du climat, qui exclut du Nou- veau-Monde tout animal terrestre attaché par sa na- ture aux pays chauds de l'ancien continent; loi à la- quelle les oiseaux pesants ne sont pas moins assujettis que les quadrupèdes : or l'on ne peut nier que les paons ne soient des oiseaux pesants; et les anciens i'avoient fort bien remarqué ; il ne faut que jeter un coup d'oeil sur leur conformation extérieure, pour juger qu'ils ne peuvent pas voler bien haut ni bien long-temps ; la grosseur du corps, la brièveté des ai- les, et la longueur embarrassante de la queue, sont autant d'obstacles qui les empêchent de fendre l'air avec légèreté : d'ailleurs les climats septentrionaux ne conviennent point à leur nature, et ils n'y restent jamais de leur plein gré. Le coq-paon n'a guère moins d'ardeur pour ses femelles, ni guère moins d'acharnement à se battre avec les autres mâles, que le coq ordinaire ; il en au- roit même davantage, s'il étoit vrai ce qu'on en dit^ que , lorsqu'il n'a qu'une ou deux poules, il les tour- mente, les fatigue , les rend stériles à force de les fé- conder, et trouble l'œuvre de la génération à force d'en répéter les actes : dans ce cas les œufs sortent de Vovidactus avant qu'ils aient eu le temps d'acquérir leur maturité. Pour mettre à profit cette violence de tempérameiit, il faut donner au mâle cinq ou six fe- igG LE PAON. nielles^; au lieu que le coq ordinaire, qui peut suf- fire à quinze ou vingt poules, s'il est réduit à une seule, la féconde encore utilement, et la rend mère d'une multitude de petits poussins. Les paonnes ont aussi le tempérament fort lascif; et, lorsqu'elles sont privées de mâles, elles s'excitent entre elles, et en se frottant dans la poussière (car ce sont des oiseaux pulvérateurs) , et se procurant une fécondité imparfaite, elles pondent des œufs clairs et sans germe, dont il ne résulte rien de vivant ; mais cela n'arrive guère qu'au printemps, lorsque le retour d'une chaleur douce et vivifiante réveille la nature, et ajoute un nouvel aiguillon au penchant qu'ont tous les êtres animés à se reproduire ; et c'est peut-être par cette raison qu'on a donné à ces œufs le nom de zépkyriens [ova zep/iyria) ; non qu'on se soit persuadé qu'un doux zéphyr suffise pour imprégner les paon- nes et tous les oiseaux femelles qui pondent sans la coopération du mâle, mais parce qu'elles ne pondent guère de ces œufs que dans la nouvelle saison, an- noncée ordinairement et même désignée par les zé- phyrs. Je croirois aussi fort volontiers que la vue de leur mâle piaffant autour d'elles, étalant sa belle queue, faisant la roue , et leur montrant toute l'expression du désir, peut les animer encore davantage et leur faire 1. Je donne ici l'opinion des anciens; cardes personuCft iiilelJi- gcntes que j'ai consultées, et qui ont élevé des paons en Bourgogne , m'ont assuré, d'après leur expérience, que les nudes ne se battoient jamais , el qu'il ne falloit à chacun qu'une ou deux femelles au plus; et peut-être cela n'arrive-lil qu'à cause de la moindre chaleur du climat. LE PAON. IC)J produire un plus grand nombre de ces œufs stériles : mais ce que je ne croirai jamais, c'est que ce manège agréable, ces caresses superficielles, et , si j'ose ainsi parier, toutes ces courbettes de petit-maître, puissent opérer une fécondation véritable , tant qu'il ne s'y joindra pas une union plus intime et des approches plus efficaces; et si quelques personnes ont cru que des paonnes avoient été fécondées ainsi par les yeux, c'est qu'apparemment ces paonnes avoient été cou- vertes réellement sans qu'on s'en fut aperçu. L'âge de la pleine fécondité pour ces oiseaux esta trois ans, selon Aristote et Columelle, et même selon Pline, qui, eu répétant ce qu'a dit Aristote, y fait quelques changements. Varron fixe cet âge à deux ans; et des personnes qui ont observé ces oiseaux m'assurent que les femelles commencent déjà à pon- dre dans notre climat à un an, sans doute des œufs stériles : mais presque tous s'accordent à dire que l'âge de trois ans est celui où les mâles ont pris leur entier accroissement, où ils sont en état de cocher leur poule , et où la puissance d'engendrer s'annonce en eux par une production nouvelle très considéra- ble , celle des longues et belles plumes de leur queue , et par l'habitude qu'ils prennent aussitôt de les dé- ployer en se pavanant et faisant la roue; le superflr. de la nourriture, n'ayant plus rien àproduire dans l'in- dividu , va s'employer désormais à la reproduction de l'espèce. C'est au printemps que ces ciseaux se recherchent et se joignent : si on veut les avancer, on leur donnera le matin à jeun, tous les cinq jours, des fèves légè- rement grillées, selon le précepte de Columelle. C5" îUFroiv. XX. lf)8 LE PAON. La femeile pond ses œufs peu de temps après qu'elle a été fécondée ; eile ne pond pas tous les jours , mais seulement de trois ou quatre jours l'un. Elle ne fait qu'une ponte par an, selon Aristote . et cette ponte est de huit œufs la première année, et de douze les années suivantes : mais cela doit s'entendre des paon- nes à qui on laisse le soin de couver elles-mêmes leurs œufs et de mener leurs petits; au lieu que si on leur enlève leurs œufs à mesure qu'elles pondent, pour les faire couver par des poules vulgaires^, elles feront trois pontes, selon Golumelle, la première de cinq œufs , la seconde de quatre , et la troisième de deux ou trois. 11 paroît qu'elles sont moins fécondes dans ce pays-ci, où elles ne pondent guère que quatre ou cinq œufs par an; et qu'au contraire elles sont beaucoup plus fécondes aux Indes, où, selon Pierre Martyr, elles en pondent de vingt à trente , comme je l'ai remarqué plus haut : c'est qu'en général la tem- pérature du climat a beaucoup d'influence sur tout ce qui a rapport à la génération, et c'est la clef de plu- sieurs contradictions apparentes qui se trouvent entre ce que disent les anciens et ce qui se passe sous nos 1. Aristote dit qu'une poule ordinaire ne peut guère faire éclore que deux œufs de paon; mais Golumelle lui en donnoit jusqu'?» cinq, et outre cela quatre œufs de poule ordinaire, plus ou moins cepen- dant, selon que la couveuse étoit plus ou moins grande : il recom- mandoit de retirer ces œufs de poule le dixième jour, et d'en substi- tuer un p;ireil nombre de même espèce, récemment pondus, afin qu'ils vinssent à éclore en aiême temps que l^s œufs de paon , qui ont besoin de dix jours d'incubation de plus : enfin il prescrivoit de re- tourner ceux-ci tous les jours , si la couveuse n'avoit pu le faire à cause de leur grosseur; ce qu'il est aisé de reconuoUre, si l'on a eu la pré- caution de marquer ces œufs d'un côté. LE PAON. ig() yeux. Dans un pays plus chaud, les mâles seront plus ardents, ils se battront entre eux, il leur faudra un plus grand nombre de femelles, et celles-ci pondront un plus grand nombre d'œufs; au lieu que dans un pays plus froid elles seront moins fécondes, et les mâles moins chauds et plus paisibles. Si on laisse à la paonne la liberté d'agir selon son instinct, elle déposera ses œufs dans un lieu secret et retiré. Ses œufs sont blancs et tachetés comme ceux du dinde, et à peu près de la même grosseur. Lorsque sa ponte est finie, elle se met à couver. On prétend qu'elle est sujette à pondre pendant la nuit, ou plutôt à laisser échapper ses œufs de dessus le juchoir où elle est perchée ; c'est pourquoi on re- commande d'étendre de la paille au dessous pour em- pêcher qu'ils ne se brisent. Pendant tout le temps de l'incubation, la paonne évite soiofueusement le ,mâle , et tâche surtout de lui dérober sa marche lorsqu'elle retourne à ses œufs : car, dans cette espèce, comme dans celle du coq et de bien d'autres, le mâle, plus ardent et moins fidèle au vœu de la nature, est plus occupé de son plaisir particulier que de la multiplication de son espèce; et s'il peut surprendre la couveuse sur ses œufs il les casse en s'approchant d'elle , et peut-être y met-il de l'intention, et cherche-t-ii à se délivrer d'un obstacle (jui l'empêche de jouir : quelques uns ont cru qu'il ne les cassoit que par son empressement à les couver lui-même ; ce seroit un motif bien différent. L'histoire naturelle aura toujours beaucoup d'incertitudes ; il faudroit, pour les lui oter, observer tout par soi- même : mais qui peut tout observer ? '200 LE PAON. La paonne couve de vingt-sept à trente jours, plus ou moins , selon la température du climat et de la saison : pendant ce temps on a soin de lui mettre à portée une quantité suffisante de nourriture , de peur qu'étant obligée d'aller se repaître au loin elle ne quittât ses œufs trop long-temps, et ne les laissât re- froidir. Il faut aussi prendre garde de la troubler dans son nid, et de lui donner de l'ombrage; car, par une suite de son naturel inquiet et défiant, si elle se voit découverte , elle abandonnera ses œufs et recom- mencera une nouvelle ponte, qui ne vaudra pas la première , à cause de là proximité de l'hiver. On prétend que la paonne ne fait jamais éclore tous ses œufs à la fois, mais que, dès qu'elle voit quelques poussins éclos, elle quitte tout pour les con- duire : dans ce cas, il faudra prendre les œufs qui ne seront pas encore ouverts, et les mettre éclore sous une autre couveuse , ou dans un four d'incubation. Élien nous dit que la paonne ne reste pas constam- ment sur ses œufs, et qu'elle passe quelquefois deux jours sans y revenir : ce qui nuit à la réussite de la couvée. Mais je soupçonne quelque méprise dans ce passage d'Elien, qui aura appliqué à l'incubation ce qu'Aristote et Pline ont dit de la ponte , laquelle en effetest interrompue par deux ou trois jours de repos; au lieu ([ue de pareilles interruptions dans l'action de couver paroissent contraires à l'oj'dre de la nature, et à ce qui s'observe dans toutes les espèces connues des oiseaux , si ce n'est dans les pays où la chaleur de l'air et du sol approche du degré nécessaire pour l'incubation. Quand les petits sont éclos, il faut les laisser sous LE PAON. ^01 la mère pendant vingt-quatre heures, après quoi on pourra les transporter sous une mue. Frisch veut qu'on ne les rende à la mère que quelques jours après. Leur première nourriture sera la farine d'orge dé- trempée dans du vin, du froment ramolli dans l'eau, ou même de la bouillie cuite et refroidie : dans la suite on pourra leur donner du fromage blanc bien pressé et sans aucun petit-lait, mêlé avec des poireaux hachés, et même des sauterelles, dont on dit qu'ils sont très friands : mais il faut auparavant ôter les pieds à ces insectes. Quand ils auront six mois , ils mangeront du froment, de l'orge , da marc de cidre et de poiré, et même ils pinceront l'herbe tendre , mais cette nourriture seule ne sufîiroit point, quoique Athénée les appelle gramlnivores. On a observé que les premiers jours la mère ne revenoit jamais coucher avec sa couvée dans le nid or- dinaire , ni même deux fois dans le même endroit; et comme cette couvée si tendre, et qui ne peut en- core monter sur les arbres, est exposée à beaucoup de risques , on doit y veiller de près pendant ces pre- miers jours , épier l'endroit que la mère aura choisi pour son gîte, et mettre ses petits en sûreté sous une mue, ou dans une enceinte formée en plein champ avec des claies préparées, etc. Les paonneaux, jusqu'à ce qu'ils soient un peu forts, portent mal leurs ailes, les ont traînantes, et ne savent pas encore s'en servir : dans ces commence- ments, la mère les prend tous les soirs sur son dos, et les porte l'un après l'autre sur la branche où ils doivent passer la nuit ; le lendemain matin , elle saute devant eux du haut de l'arbre en bas , et les accou- '202 LE PAO^. tume à en faire autant pour la suivre , et à faire usage de leurs ailes. Une mère paonne, et même une poule ordinaire, peut mener jusqu'à vingt-cinq petits paonneaux , se- lon Columelle; mais seulement quinze, selon Palla- d'ius : ce dernier nombre est plus que suffisant dans les pays froids , où les petits ont besoin de se réchauf- fer de temps en temps, et de se luettre à l'abri sous les ailes de la mère , qui ne pourroit en garantir vingt- cinq à la fois. On dit que si une poule ordinaire, qui mène ses poussins, voit une couvée de petits paonneaux, elle est tellement frappée de leur beauté, qu'elle se dé- goûte de ses petits, et les abandonne pour s'attacher à ces étrangers ; ce que je rapporte ici non comme un fait vrai, mais comme un fait à vérifier, d'autant plus qu'il me paroît s'écarter du cours ordinaire de la na- ture , et que, dans les premiers temps, les petits paonneaux ne sont pas beaucoup plus beaux que les poussins. A mesure que les jeunes paonneaux se fortifient, ils commencent à se battre (surtout dans les pays chauds) ; et c'est pour cela que les anciens, qui pa- roissent s'être beaucoup plus occupés que nous de l'éducation de ces oiseaux, les tenoient dans de peti- tes cases séparées : mais les meilleurs endroits pour les élever, c'étoit, selon eux, ces petites îles qui se trouvent en quantité sur les côtes d'Italie, telles, par exemple, que celle de Planasie, appartenant aux Pi- sans : ce sont, en efl'et, les seuls endroits où l'on puisse les laisser en liberté, et presque dans l'état de sauvages, sans craindre qu'ils s'échappent, attendu LE FAON. 2o5 qu'ils volent peu et ne nagent point du tout, et sans craindre qu'ils deviennent la proie de leurs ennemis, dont la petite île doit être purgée; ils peuvent y vivre selon leur naturel et leurs appétits, sans con- trainte, sans inquiétude; ils y prospéroient mieux, et, ce qui n'étoit pas négligé par les Romains, leur chair étoit d'un meilleur goût; seulement, pour avoir l'œil dessus, et reconnoître si leur nombre augmen- toit, on les accoutumoit à se rendre tous les jours, à une heure marquée et à un certain signal, autour de la maison, où on leur jetoit quelques poignées de grain pour les attirer. Lorsque les petits ont un mois d'âge ou un peu plus, l'aigrette commence à leur pousser, et alors ils sont malades comme les dindonneaux lorsqu'ils poussent le rouge : ce n'est que de ce moment que le coq-paon les reconnoît pour les siens, car, tant qu'ils n'ont pas d'aigrette, il les poursuit comme étrangers : on ne doit néanmoins les mettre avec les grands que lors- qu'ils ont sept mois; et s'ils ne se perchoient pas d'eux-mêmes sur le juchoir, il faut les y accoutumer, et ne point souffrir qu'ils dorment à terre, à cause du froid et de l'humidité. L'aigrette est composée de petites plumes, dont la tige est garnie, depuis la base jusqu'auprès du som- met, non de barbes, mais de petits filets rares et dé- tachés; le sommet est formé de barbes ordinaires, unies ensemble , et peintes des plus belles couleurs. Le nombre de ces petites plumes est variable; j'en ai compté vingt-cinq dans un mâle, et trente dans une iemelle : mais je n'ai pas observé un assez grand nom- 204 l'E PAON. bre d'individus pour assurer qu'il ne puisse pas y en avoir plus ou moins. L'aigrette n'est pas un cône renversé, comme on le pourroit croire ; sa base , qui est en haut , forme une ellipse fort allongée, dont le grand axe est posé selon la longueur de la tête : toutes les plumes qui la com- posent ont un mouvement particulier assez sensible , par lequel elles s'approchent ou s'écartent les unes des autres, au gré de l'oiseau, et un mouvement gé- néral , par lequel l'aigrette entière, tantôt se renverse en arrière et tantôt se relève sur la tête. Les sommets de cette aigrette ont, ainsi que tout le reste du plumage, des couleurs bien plus éclatan- tes dans le mâle que dans la femelle : outre cela, le coq-paon se distingue de sa poule, dès l'âge de trois mois, par un peu de jaune qui paroît au bout de l'aile; dans la suite, il s'en distingue par la grosseur, par un éperon à chaque pied, par la longueur de sa queue, et par la faculté de la relever et d'en étaler les belles plumes, ce qui s'appelle faire la roue. Wil- lughby croit que le paon ne partage qu'avec le dindon cette faculté remarquable : cependant on verra dans le cours de cette histoire qu'elle leur est commune avec quelques tétras ou coqs de bruyère, quelques pigeons, etc. Les plumes de la queue, ou plutôt ces longues cou- vertures qui naissent de dessus le dos auprès du crou- pion, sont en grand ce que ceux de l'aigTCtte sont en petit; leur tige est pareillement garnie, depuis sa base jusque près de l'extrémité, de fdets détachés de couleur changeante, et elle se termine par une p!a^ LE PAON. 12o5 que de barbes réunies, ornées de ce qu'on appelle Vœil ou le miroir : c'est une tache brillante, émaillée des plus belles couleurs , jaune doré de plusieurs nuances, vert changeant en bleu et en violet écla- tant, selon les différents aspects, et tout cela emprun- tant encore un nouveau lustre de la couleur du cen- tre, qui est un beau noir velouté. Les deux plumes du milieu ont environ quatre pieds et demi, et sont les plus longues de toutes, les laté- rales allant toujours en diminuant de longueur jusqu'à la plus extérieure. L'aigrette ne tombe point ; mais la queue tombe chaque année, en tout ou en partie, vers la fin de juillet, et repousse au printemps ; et pendant cet intervalle l'oiseau est triste et se cache. La couleur la plus permanente de la tête, de la gorge, du cou , et de la poitrine, c'est le bleu avec différents reflets de violet , d'or et de vert éclatant : tous ces re- flets, qui renaissent et se multiplient sans cesse sur son plumage , sont une ressource que la nature sem- ble s'être ménagée pour y faire paroître successive- ment et sans confusion un nombre de couleurs beau- coup plus grand que son étendue ne sembloit le comporter; ce n'est qu'à la faveur de cette heureuse industrie que le paon pouvoit suffn-e à recevoir tous les dons qu'elle lui destinoit. De chaque côté de la tête on voit un renflement formé par les petites plumes qui recouvrent le trou de l'oreille. Les paons paroissent se caresser réciproquement avec le bec : mais, en y regardant de plus près, j'ai reconnu qu'ils se grattoient les uns les autres autour 2o6 LE PAON. de la tète , où ils ont des poux très vifs et très agiles ; on les voit courir sur la peau blanche qui entoure leurs yeux, et cela ne peut manquer de leur causer une sensation incommode : aussi se prètent-ils avec beaucoup de complaisance lorsqu'un autre les gratte. Ces oiseaux se rendent les maîtres dans la basse- cour, et se font respecter de l'autre volaille, qui n'ose prendre sa pâture qu'après qu'ils ont fini leur repas. Leur façon de maui^er est à peu près celle des gallina- cés ; ils saisissent le grain de la pointe du bec, et l'a- valent sans le broyer. Pour boire ils plongent le bec dans l'eau, où ils font cinq ou six mouvements asse^ prompts de la mâ- choire inférieure; puis, en se relevant et tenant leur tête dans une situation horizontale, ils avalent l'eau dont leur bouche s'étoit remplie, sans faire aucun mouvement du bec. . Les aliments sont reçus dans l'œsophage , où l'on a observé, un peu au dessus de l'orifice antérieur de l'estomac, un bulbe glanduleux, rempli de petits tuyaux qui donnent en abondance une liqueur liuî- pide. L'estomac est revêtu à l'extérieur d'un grand nom- bre de fibres motrices. Dans un de ces oiseaux qui a été disséqué par Gas- pard Bartholin , il y avoitbien deux conduits biliaires; mais il ne se trouva qu'un seul canal pancréatique, quoique d'ordinaire il y en ait deux dans les oist^aux. Le cœcum étoit double, et dirigé d'arrière en avant; . il égaloit en longueur tous les autres intestins ensem- ble, et les surpassoit en capacité. LE PAON. 207 Le croupion est très gros, parce qu'il est charu;é de muscles qui servent à redresser la queue et à i'é- panoiiir. Les excréments sont ordinairement moulés et char- gés d'uQ peu de cette matière blanche qui se trouve sur les excréments de tous les gallinacés et de beau- coup d'autres oiseaux. On m'assure qu'ils dorment, tantôt en cachant la tête sous l'aile, tantôt en faisant rentrer leur cou en eux-mêmes et ayant le bec au vent. Les paons aiment la propreté , et c'est par cette rai- son qu'ils lâchent de recouvrir et d'enfouir leurs or- dures, et non parce qu'ils envient à l'homme les avan- tages qu'il pourroit retirer de leurs excréments, qu'on dit être bons pour le mal des yeux, pour amé- liorer la terre, etc., mais dont apparemment ils ne connoissent pas toutes les propriétés. Quoiqu'ils ne puissent pas voler beaucoup, ils ai- ment à grimper; ils passent ordinairement la nuit sur les combles des maisons, où ils causent beaucoup de dommage, et sur les arbres les plus élevés : c'est de là qu'ils font souvent entendre leur voix, qu'on s'ac- corde à trouver désagréable , peut-être parce qu'elle trouble le sommeil, et d'après laquelle on prétend que s'est formé leur nom dans presque toutes les lan- gues. On prétendque la femelle n'a qu'un seul cri, qu'elle ne fait guère entendre qu'au printemps; mais que le mâle en a trois : pour moi, j'ai reconnu qu'il avoit deux tons; l'un plus grave, qui tient plus du haut- bois; l'autre plus aigu , précisément à l'octave du pre- mier, et qui tient plus des sons perçants de la trom^ :208 , LE PAON. pette; et j'avoue qu'à mon oreille ces tons n'ont rien de choquant , de même que je n'ai rien pu voir de dif- forme dans ses pieds; et ce n'est qu'en prêtant aux paons nos mauvais raisonnements et même nos vices, qu'on a pu supposer que leur cri n'étoit autre chose qu'un gémissement arraché à leur vanité, toutes les fois qu'ils aperçoivent la laideur de leurs pieds. Théophraste avance que leurs cris souvent répétés sont un présage de pluie; d'autres, qu'ils l'annoncent aussi lorsqu'ils grimpent plus haut que de coutume ; d'autres, que ces mêmes cris pronostiquoientla mort à quelque voisin ; d'autres enfin , que ces oiseaux por- toient toujours sous l'aile un morceau de racine de lin comme un amulette naturel , pour se préserver des fascinations — ; tant il est vrai que toute chose dont on a beaucoup parlé a fait dire beaucoup d'i- nepties. Outre les différents cris dont j'ai fait mention, le mâle et la femelle produisent encore un certain bruit sourd, un craquement étouffé, une voix intérieure et renfermée, qu'ils répètent souvent et quand ils sont inquiets, et qu'ilsparoissent tranquilles ou même contents. Pline dit qu'on a remarqué de la sympathie entre les pigeons et les paons; et Cléarque parle d'un de ces derniers qui avoit pris un tel attachement pour une jeune personne, que, l'ayant vue mourir, il ne put lui survivre. Mais une sympathie plus naturelle et mieux fondée c'est celle qui a été observée enire les paons et les dindons : ces deux oiseaux sont du petit nombre des oiseaux qui redressent leur queue et font la roue; ce qui suppose bien des qualités communes : LE PAON. 209 aussi s'accordent-ils mieux ensemble qu'avec tout le reste Je la volaille; et Ton prétend même qu'on a vu un coq-paon couvrir une poule d'Inde; ce qui indi- queroitune grande analogie entre les deux espèces. La durée de la vie du paon est de vingt-cinq ans , selon les anciens; et cette détermination me paroît bien fondée , puisqu'on sait que le paon est entière- ment formé avant trois ans, et que les oiseaux en gé- néral vivent plus long-temps que les quadrupèdes, parce que leurs os sont plus ductiles : mais je suis surpris que M. WiHuhby ait cru, sur l'autorité d'E- lien , que cet oiseau vivoit jusqu'à cent ans, d'autant plus que le récit d'Elien est mêlé de plusieurs cir- constances visiblement fabuleuses. J'ai dit que le paon se nourrissoit de toutes sortes de grains, comme les gallinacés : les anciens lui don- noient ordinairement par mois un boisseau de fro- ment, pesant environ vingt livres. 11 est bon de savoir que la fleur de sureau leur est contraire, et que la feuille d'ortie est mortelle aux jeunes paonneaux, selon Franzius. Comme les paons vivent aux Indes dans l'état de sauvages, c'est aussi dans ce pays qu'on a inventé l'art de leur donner la chasse : on ne peut guère les ap- procher de joui-, quoiqu'ils se répandent dans les champs par troupes assez nombreuses, parce que , dès qu'ils découvrent le chasseur, ils fuient devant lui plus vite que la perdrix, et s'enfoncent dans des brous- sailles, où il n'est guère possible de les suivre; ce n'est donc que la nuit qu'on parvient à les prendre, et voici de quelle manière se fait cette chasse aux environs de Cambaie. oiO LE PAON. On approche €Îe i'arbre sur lequel ils sont perchés; on leur présente une espèce de bannière qui porte deux chandelles allumées, et où l'on a peint des paons au naturel : le paon , ébloui par cette lumière, ou bien occupé à considérer les paons en peinture qui sont sur la bannière, avance le cou, le retire, l'al- longe encore, et, lorsqu'il se trouve dans un nœud coulant qui y a été placé exprès, on tire la corde et on se rend maître de l'oiseau. Nous avons vu que les Grecs faisoient grand cas du paon, mais ce n'étoit que pour rassasier leurs yeux de la beauté de son plumage; au lieu que les Romains, qui ont poussé plus loin tous les excès du luxe , parce qu'ils étoient plus puissants , se sont ras- sasiés réellement de sa chair : ce fut l'orateur Hor- tensius qui imagina le premier d'en faire servir sur sa table, et son exemple ayant étésuivi, cet oiseau devint très cher à Rome ; et les enipereurs renchérissant sur le luxe des particuliers, on vit unVitellius, un Héliogabale, mettre leur gloire à remplir des plats immenses ^ de têtes ou de cervelles de paons, de lan- gues de phénicoptères, de foies de scares, et à en composer des mets insipides, qui n'avoient d'autre mérite que de supposer une dépense prodigieuse, et un luxe excessivement destructeur. Dans ces temps là un troupeau de cent de ces oi- seaux pouvoit rendre soixante mille sesterces, en n'exigeant de celui à qui on en confioit le soin que trois paons par couvée ; ces soixante mille sesterces reviennent, selon l'évaluation de Gassendi, à dix 1 . Entre autres clans celui que Vilellius se plaisoit à noiunier ïégide (le Patios. LE PAOïX 12 1 1 OU douze mille trancs : chez les Grecs ie maie el la fe- melle se vendoient mille drachmes; ce qui revient à huit cent qiiatre-vingt-sejDt livres dix sous, selon la plus forte évaluation, et à vingt-quatre livres, selon la plus foible : mais il me paroît que cette dernière est beaucoup trop foible, sans quoi le passage suivant d'Athénée ne signitieroit rien : « IN'y a-t-il pas de !a fu- reur à nourrir des paons dont le prix n'est pas moindre que celui des statues?» Geprixétoitbien tombeau com- mencement du seizième siècle, puisque dans la nou- velle coutume du Bourbonnois, qui est de 1621 , un paon n'étoit estimé que deux sous six deniers de ce temps là, que M. Dupré de Saint-Maur évalue à trois livres quinze sous d'aujourd'hui : mais il paroît que peu après cette époque le prix de ces oiseaux se re- leva ; car Eruyer nous apprend qu'aux environs de Lisieux , où l'on avoit la facilité de les nourrir avec du marc de cidre, on en élevoit des troupeaux dont on tiroit beaucoup de profit, parce que, comme ils étoient fort rares dans le reste du royaume, on en envoyoit de là dans toutes les grandes villes pour les repas d'apparat. Au reste , il n'y a guère que !es jeunes que Ton puisse manger; les vieux sont trop durs, et d'autant plus durs que leur chair est naturellement fort sèche; et c'est sans doute à cette qualité qu'elle doit la propriété singulière, et qui paroît assez avérée, de se conserver sans corruption pendant plusieurs années. On en sert cependant quelquefois de vieux; mais c'est plus pour l'apparat que pour l'usage . car on les sert revêtus de leurs belles plumes; et c'est une re- cherche de luxe assez bien entendue , que l'élégance 2 1 LJ LE PAON. industrieuse des modernes a ajoutée à ia magnificence efiVériée des anciens : c etoit sur un paon ainsi pré- paré que nos anciens chevaliers faisoient dans les grandes occasions leur vœu appelé le vœu du paon. On eraployoit autrefois les plumes de paon à faire des espèces d'éventails; on en formoit des couronnes en guise de laurier, pour les poètes appelés trouba- dours. Gesner a vu une étoffe dont la chaîne étoit de soie et de fil d'or, et la trame de ces mêmes plu- mes : tel étoit sans doute le manteau tissu de plumes de paon qu'envoya le pape Paul III au roi Pépin. Selon Aldrovande , les œufs de paon sont regardés par tous les modernes comme une mauvaise nourri- ture , tandis que les anciens les mettoient au premier rang , et avant ceux d'oie et de poule commune : il explique cette contradiction en disant qu'ils sont bons au goût et mauvais à la santé; reste à examiner si la température du climat n'auroit pas encore ici quel- que influence. LE PAON BLAiNC. Le climat n'influe pas moins sur le plumage des oi- seaux que sur le pelage des quadrupèdes : nous avons vu dans les volumes précédents que le lièvre, l'her- mine, et la plupart des autres animaux , étoient sujets à devenir blancs dans les pays froids, surtout pendant l'hiver; et voici une espèce de paons, ou , si l'on veut, LE PAON BLANC. 2 U) Une variété , (jui paroît avoir éprouvé les mêmes effets par la même cause, et plus grands encore, puis- qu'elle a produit une race constante dans cette es- pèce, et qu'elle semble avoir agi plus fortement sur les plumes de cet oiseau : car la blancheur des lièvres et des hermines n'est que passagère et n'a lieu que pendant l'hiver , ainsi que celle de la gelinotte blan- che ou du lagopède, au lieu que le paon blanc est toujours blanc, et dans tons les pays, l'été comme l'hiver, à Rome comme à Tornéo; et cette couleur nouvelle est même si fixe , que des œufs de cet oiseau pondus et éclos en Itahe donnent encore des paons blancs. Celui qu'Aldrovande a fait dessiner étoit né à Bologne , d'où il avoit pris occasion de douter que cette variété fût propre aux pays froids : cependant la plupart des naturalistes s'accordent à regarder la j\orwége et les autres contrées du Nord comme son pays natal ; et il paroît qu'il y vit dans l'état de sau- vage, car il se répand pendant l'hiver dans l'Allema- gne, où on en prend assez communément dans cette saison ; on en trouve même dans des contrées beau- coup plus méridionales, telles que la France et l'I- talie , mais dans l'état de domesticité seulement. M. Linnaeus assure en général, comme je l'ai dit plus haut, que les paons ne restent pas même en Suède de leur plein gré, et il n'en excepte point les paons blancs. Ce n'est pas sans un laps de temps considérable et sans des circonstances singulières, qu'un oiseau né dans les climats si doux de l'Inde et de l'Asie a pu s'accoutumer à l'âpreté des pays septentrionaux : BUFFON. XX. l4 i:>Il\ le PAOA blanc, s'il n'y a pas été transporté par les hommes, il a pu y passer soit par le nord de l'Asie , soit par le nord de l'Europe. Quoiqu'on ne sache pas précisément l'é- poque de cette migration , je soupçonne qu'elle n'est pas fort ancienne ; car je vois d'un côté dans Aldro- vande , LongoUus, Scaliger, et Schwenckfeld , que les paons blancs n'ont cessé d'être rares que depuis fort peu de temps ; et , d'un autre côté, je suis fondé à croire que les Grecs ne les ont point connus, puis- qu'Aristote ayant parlé dans son Traité de la généra- tion des animaux j des couleurs variés du paon, et ensuite des perdrix blanches, des corbeaux blancs, des moineaux blancs, ne dit pas un mot des paons blancs. Les modernes ne disent rien non plus de l'histoire de ces oiseaux, si ce n'est que leurs petits sont fort délicats à élever : cependant il est plus vraisembla- ble que l'influence du climat ne s'est point bornée à leur plumage, et qu'elle se sera étendue plus ou moins jusque sur leur tempérament, leurs habitudes, leurs mœurs ; et je m'étonne qu'aucun naturaliste ne se soit encore avisé d'observer les progrès ou du moins le résultat de ces observations plus intérieures et plus profondes : il me semble qu'une seule observation de ce genre seroit plus intéressante, feroit plus pour l'histoire naturelle, que d'aller compter scrupuleuse- ment toutes les plumes des oiseaux, et décrire labo- rieusement toutes h's teintes et demi-teintes de cha- cune de leurs barbes dans les quatre parties du monde. Au reste, quoique leur plumage soit entièrement blanc, et particulièrement les longues plumes de leur LE PAO M BLANC. 2)^ queue, cependant on y distingue encore à l'extrémité des vestiges marqués de ces miroirs qui en faisoient le plus bel ornement, tant l'empreinte des couleurs primitives étoit profonde. 11 seroit curieux de cher- cher à ressusciter ces couleurs, et de déterminer par l'expérience combien de temps et quel nombre de générations il faudroit dans un climat convenable, tel que les Indes, pour leur rendre leur premier éclat. LE PAON PANACHE. Frisch croit que le paon panaché n'est autre chose que le produit du mélange des deux précédents, je veux dire, du paon ordinaire et du paon blanc; et il porte en effet sur son plumage l'empreinte de cette double origine , car il a du blanc sur le ventre, sur les ailes, et sur les joues; et dans tout le reste, il est coDune le paon ordinaire, si ce n'est que les miroirs de la queue ne sont ni si larges, ni si ronds , ni si bien terminés. Tout ce que je trouve dans les auteurs sur l'histoire particulière de cet oiseau, se réduit à ceci, que leurs petits ne sont pas aussi délicats à élever que ceux du paon blanc. 2l6 LE FAFSAN. LE FAISAN*. Phasianus Colchicus. L. Il suffit de nommer cet oiseau pour se rappeler le lieu de son origine : le faisan^, c'est-à-dire l'oiseau du Phase, étoit, dit-on, confiné dans la Colchide avant l'expédition des Argonautes ; ce sont ces Grecs qui , en remontant le Phase pour arriver à Colchos, virent ces beaux oiseaux répandus sur les bords du fleuve , et qui, en les rapportant dans leur patrie, lui firent un présent plus riche que celui de la toison d'or. Encore aujourd'hui les faisans de la Colchide ou Mingrélie, et de quelques autres contrées voisines ^ sont les plus beaux et les plus gros que l'on con- noisse^ : c'est de là qu'ils se sont répandus d'un côté par la Grèce à l'Occident, depuis la mer Baltique jus- qu'au cap de Bonne-Espérance et à Madagascar; et de l'autre par la Médi« dans l'Orient jusqu'à l'extré- mité de la Chine et au Japon , et même dans la Tarta- rie. Je dis par la Médie ; car il paroît que cette con- trée, si favorable aux oiseaux, et où l'on trouve les plus beaux paons, les pins belles poules, etc. , a été 1. En latin , phasianus; en italien , fasano; en allemand , fasan ; en anglois , pheasnnt. •2. ]\° 121, le mâle; et n" 122, la Cemelle. 5. Marco Paolo assure que e'esl rîans les pays soumis aux Tarlares qu'on Irouve les plus gros faisans, el eouxqui oui 1.» plus longue queue. LE lÀlSAlV. 21^ aussi une nouvelle patrie pour les faisans , qui s'y sont multipliés au point que ce pays seul en a fourni à beaucoup d'autres pays. Ils sont en fort grande abon- dance en Afrique, surtout sur la côte des Esclaves, la côte d'Or, la côte d'Ivoire, au pays d'Issini, et dans les royaumes de Congo et d'Angola, où les JNègres les appellent galli^noles. On en trouve assez communé- ment dans les différentes parties de l'Europe, en Es- pagne, en Italie, surtout dans la Campagne de Rome, le Milanois, et quelques îles du golfe de Naples; en Allemagne , en France , en Angleterre : dans ces der- nières contrées ils ne sont pas généralement répan- dus. Les auteurs de la Zoologie britannique assurent positivement que dans toute la Grande-Bretagne on ne trouve aucun faisan dans l'état de sauvage. Sibbald s'accorde avec les zoologistes, en disant qu'en Ecosse quelques gentilshommes élèvent de ces oiseaux dans leurs maisons. Boter dit encore plus formellement que l'Irlande n'a point de faisans. M. Linnieus n'en a fait aucune mention dans le dénombrement des oi- seaux de Suède. Ils étoient encore très rares en Silé- sie du temps de Schwenckfeld : on ne faisoit que commencer à en avoir en Prusse il y a vingt ans, quoi- que la Bohême en ait une très grande quanlité : et s'ils se sont multipliés en Saxe, ce n'a été que par les soins du duc Frédéric, qui en lâcha deux cents dans le pays, avec défense de les prendre ou de les tuer. Gesner, qui avoit parcouru les montagnes de Suisse, assure n'y en avoir jamais vu. Il est vrai que Stump- sius assure au contraire qu'on en trouve dans ces mê- mes montagnes : mais cela peut se concilier; car il est fort possible qu'il s'en trouve en effel dans un 2l8 LI-: FAISAN. cerlaiii caiiloa que Gesner n*auroit point parcouru, tel, par exemple, que la partie qui confine au Mila- nois, où Olina dit qu'ils sont fort communs. 11 s'en faut bien qu'ils soient généralement répandus en France; on n'en voit que très rarement dans nos pro- vinces septentrionales, et probablement on n'y en verroit point du tout, si un oiseau de cette distinction ne devoit être le principal ornement des plaisirs de nos rois : mais ce n'est que par des soins continuels, dirigés avec la plus grande intelligence, qu'on peut les y fixer, en leur faisant, pour ainsi dire, un climat artificiel convenable à leur nature; et cela est si vrai, qu'on ne voit pas qu'ils se soient multipliés dans la Brie, où il s'en échappe toujours quelques uns dés capitaineries voisines , et où même ils s'apparient quelquefois, parce qu'il est arrivé à M. Leroy, lieu- tenant des chasses de Versailles*, d'en trouver le nid et les œufs dans les grands bois de cette province : cependant ils y vivent dans l'état de liberté, état si fa- vorable à la multiplication des animaux, et néan- moins insuffisant pour ceux mêmes qui, comme les faisans, paroissent en mieux sentir le prix lorsque le climat est contraire : nous avons vu en Bourgoirne un homme riche faire tous ses efforts et ne rien épar- gtjer pour en peupler sa terre, située dans l'Auxois, sans en pouvoir venir à bout. Tout cela me donne des doutes sur les deux faisans que Regnard prétend avoir tués en Bothnie, ainsi que sur ceux qu'Olaiis Magnus dit se trouver dans la Scandinavie , et y pas- i. c'est à lui que je flois l;t plupart de ces faits ; il est peu d'hommes cjiii aieut si bieu observé les animaux qui sont à leur disposition , et qui aient conununiqué leurs observations avec plus de zèle. LE FAI SAN. 2 19 ser Thiver sous la neige sans prendre de nourriture : celte façon de passer l'hiver sous la neige a plus de rapport avec les habitudes des coqs de bruyère et des gelinottes qu'avec celles des faisans, de même que le nom de gallœ sUvestres^ qu'Olaiis donne à ces prétendus faisans, convient beaucoup mieux aux té- tras ou coqs de bruyère; et ma conjecture a d'autant plus de force, que ni M. Linnaeus, ni aucun bon ob- servateur, n'a dit avoir vu de véritables faisans dans les pays septentrionaux, en sorte qu'on peut croire que ce nom de faisan aura été d'abord appliqué par les habitants de ces pays à des tétras ou des gelinot- tes, qui sont en eflet très répandus dans le Nord, et qu'ensuite ce nom aura été adopté , sans beaucoup d'examen, par les voyageurs, et même par les com- pilateurs, tous gens peu attentifs à distinguer les es- pèces. Cela supposé , il suffit de remarquer que le faisan a l'aile courte, et conséquemment le vol pesant et peu élevé, pour conclure qu'il n'aura pu franchir de lui-même les mers interposées entre les pays chauds ou même tempérés de l'ancien continent, et l'Amé- rique : et cette conclusion est confirmée par l'expé- rience ; car dans tout le INouveau-Monde il ne s'est point trouvé de vrais faisans, mais seulement des oi- seaux qui peuvent , à toute force , être regardés comme leurs représentants : car je ne parle point de ces fai- sans véritables qui abondent aujourd'hui dans les ha- bitations de Saint-Domingue, et qui y ont été trans- portés par les Européens, ainsi que les paons et les pintades. ;:20 Lli FAISAIÎ*. Le faisan e.'il de la grosseur du coq ordinaire^, et peut, en quelque sorte, le disputer au paon pour la beauté; il a le port aussi noble, la démarche aussi fière , et le plumage presque aussi distingué : celui de la Chine a même les couleurs plus éclatantes; mais il n'a pas, comme le paon, la faculté d'étaler son beau plumage, ni de relever les longues plumes de sa queue ; faculté qui suppose un appareil particulier de muscles moteurs dont le pao'u est pourvu, qui man- quent au faisan, et qui établissent une différence as- sez considérable entre les deux espèces : d'ailleurs ce dernier n'a ni l'aigrette du paon , ni sa double queue , dont l'une, plus courte, est composée des véritables pennes directrices, et l'autre, plus longue, n'est for- mée que des couvertures de celles-là : en général , le faisan paroît modelé sur des proportions moins légè- res et moins élégantes, ayant le corps plus ramassé, le cou plus raccourci, la tête plus grosse, etc. Ce qu'il y a de plus remarquable dans S3 physio- nomie ce sont deux pièces de couleur écarlate, au milieu desquelles sont placés les yeux, et deux bou- quets de plumes d'un vert doré, qui, dans le temps des amours, s'élèvent de chaque côté au dessus des oreilles; car dans les animaux il y a presque toujours, ainsi que je l'ai remarqué, une production nouvelle, plus ou moins sensible, qui est comnie le signol d'une nouvelle génération : ces bouquets de plumes sont i. Alclrovaiide, qui a observé et décrit cet oiseau avec soin, dit qu'il en a examiné un qui pesoit trois livres de douze onces ( t'ibras très daodec-ni iinciaram) ; ce que quelques uns ont rendu par trois Livres douze onces : c'est une dillérence de vingt-quatre onces sur trente-sis. LE FAISAN. 22 1 apparemment ce que Pline appeloit, tantôt des oreil- les, tantôt de petites cornes; on sent à leur base une élévation formée parleur muscle releveur. Le laisan a outre cela à chaque oreille des plumes dont il se sert pour en fermer à son gré l'ouverture, qui est fort grande. Les plumes du cou et du croupion ont le bout échancré en cœur, comme certaines plumes de la queue du paon. Je n'entrerai pas ici dans le détail des couleurs du plumage : je dirai seulement qu'elles ont beaucoup moins d'éclat dans la femelle que dans le mâle, et que dans celui-ci même les reflets en sont encore plus fugitifs que dans le paon, et qu'ils dépendent non seulement de l'incidence de la lumière, mais encore de la réunion et de la position respective de ses plu- mes ; car si on en prend une seule à part, les reflets verts s'évanouissent, et l'on ne voit à leur place que du brun ou du noir. Les tiges des plumes du cou et du dos sont d'un beau jaune doré, et font l'effet d'au- tant de lames d'or. Les couvertures du dessus de la queue vont en diminuant, et finissent en espèces de filets : la queue est composée de dix-buit pennes, quoique Schwenckfeld n'en compte que seize ; les deux du milieu sont les plus longues de toutes, et ensuite les plus voisines de celles-là. Chaque pied est muni d'un éperon court et pointu, qui a échappé à quelques descripteurs, et même au dessinateur de nos planches enluminées, n'' 1 2 i ; les doigts sont joints par une membrane plus large qu'elle n'est ordinaire- ment dans les oiseaux pulvérateurs; cette membrane interdigitale, plus grande, semble être une première '222 LE Fx\ISAi\. nuance par laquelle les oiseaux de ce genre se rap- prochent des oiseaux de rivière : et en effet, Aldro- vande remarque que le faisan se plaît dans les lieux marécageux; et il ajoute qu'on en prend quelquefois dans les marais qui sont aux environs de Bologne. Olina, autre Italien, et M. Leroy, lieutenant des chasses de Versailles, ont fait la même observation : ce dernier assure que c'est toujours dans les lieux les plus humides et le long des mares qui se trouvent dans les grands bois de la Brie , que se tiennent les faisans échappés des capitaineries voisines; quoique accoutumés à la société de l'homme , quoique com- blés de ses bienfaits, ces faisans s'éloignent le plus qu'il est possible de toute habitation humaine; car ce sont des oiseaux très sauvages, et qu'il est extrême- ment difficile d'apprivoiser. On prétend néanmoins qu'on les accoutume à revenir au coup de sifflet^, c'est-à-dire qu'ils s'accoutument à venir prendre la nourriture que ce coup de sifflet leur annonce tou- jours : mais, dès que leur besoin est satisfait, ils re- viennent à leur naturel, et ne connoissent plus la main qui les a nourris; ce sont des esclaves indompta- bles qui ne peuvent se plier à la servitude, qui ne connoissent aucun bien qui puisse entrer en compa- raison avec la liberlé, qui cherchent continuellement à la recouvrer, et qui n'en manquent jamais l'occasion : les sauvages qui viennent de la perdre sont furieux; ils fondent à grands coups de bec sur les compagnons de leur captivité , et n'épargnent pas même le paon. 1. 11 y a grande apparence que c'étoit là tout le savoir-faire de ces faisans apprivoisés qu'on nourrissoit, selon ÉUen , dans la ménagerie du roi des Indes. LE lAiSAN. '22 J Ces oiseaux se plaisent dans les bois en plaine, dif- férant en cela des tétras on coqs de bruyère, qui se plaisent dans les bois en montagne; pendant la nuit ils se perchent au haut des arbres, ils y dorment la tête sous l'aile : leur cri, c'est-à-dire le cri du maie, car la femelle n'en a presque point, est entre celui du paon et celui de la pintade , mais plus près de celui- ci, et par conséquent très peu agréable. Leur naturel est si farouche, que non seulement ils évitent l'homme, mais qu'ils s'évitent les uns les autres, si ce n'est au mois de mars ou d'avril, qui est le temps où le mâle recherche sa femelle , et il est facile alors de les trouver dans les bois, parce qu'ils se trahissent eux-mêmes par un battement d'ailes qui se fait entendre de fort loin. Les coqs-faisans sont moins ardents que les coqs ordinaires : Frisch prétend que dans l'état de sauvages ils n'ont chacun qu'une seule femelle; mais l'homme, qui fait gloire de soumettre l'ordre de la nature à son intérêt ou à ses fantaisies, a changé, pour ainsi dire, le naturel de cet oiseau, en accoutumant chaque coq à avoir jusqu'à sept pou- les, et ces sept poules à se contenter d'un seul maie pour elles toutes; car on a eu la patience de faire toutes les observations nécessaires pour déterminer cette combinaison, comme la plus avantageuse pour tirer parti de la fécondité de cet oiseau : cependant quelques économistes ne donnent que deux femelles à chaque mâle, et j'avoue que c'est la méthode qui a le mieux réussi dans la conduite d'une petite faisan- derie que j'ai eue quelque temps sous les yeux. Mais ces différentes combinaisons peuvent être toutes bon- Î2 2,| LE FAISAN. lies selon les circonstances, la température du climat, la nature du sol, la qualité et la quantité de la nour- riture, rétendue et l'exposition de la faisanderie, les soins du faisandier; comme seroit celui de retirer chaque poule aussitôt après qu'elle est fécondée par le coq; de ne les lui présenter qu'une à une, en obser- vant les intervalles convenables; de lui donner pen- dant ce temps du blé sarrasin et autres nourritures écbauflantes, couime on lui en donne sur la fui de l'hiver, lorsqu'on veut avancer la saison de l'amour. La faisane fait son nid à elle seule; elle choisit pour cela le recoin le plus obscur de son habitation; elle Y emploie la paille, les feuilles, et autres clioses sem- blables; et quoiqu'elle le fasse fort grossièrement en apparence, elle le préfère, ainsi fait, à tout autre mieux construit, mais qui ne le seroit point par elle- même : cela est au point que si on lui en prépare un toisl fait et bien fait, elle commence par le détruire et en éparpiller les matériaux, qu'elle arrange ensuite à sa manière. Elle ne fait qu'une ponte chaque année, du moins dans nos climats : cette ponte est de vingt œufs selon les uns, et de quarante à cinquante selon les autres, surtout quand on exempte la faisane du soin de couver; mais eelles que j'ai eu occasion de voir n'ont jamais pondu plus de douze œufs, et quel- quefois moins, quoiqu'on eût l'attention de faire cou- ver leurs œufs par des poules communes. Elle pond ordinairement de deux ou trois jours l'un ; ses œufs sont beaucoup moins gros que ceux de poule, et la coquille en est plus mince que ceux mêmes des pi- geons; leur couleur est un gris verdâtre , marqueté de LE FAISAN. 2 23 petites taches brunes, comme le dit très bien Aris- tote^, arrangées en zones circulaires autour de l'œuf; chaque faisane en peut couver jusqu'à dix-huit. Si l'on veut entreprendre en grand une éducation de faisans, il faut y destiner un parc d'une étendue proportionnée, qui soit en partie gazonné et en par- tie semé de buissons, où ces oiseaux puissent trouver un abri contre la pluie et la trop grande chaleur, et même contre l'oiseau de proie ; une partie de ce parc sera divisée en plusieurs petits parquets de cinq ou six toises en carré, faits pour recevoir chacun un coq avec ses femelles; on les retient dans ces parquets, soit en les éjointant, c'est-à-dire en leur coupant le fouet de Taile à l'endroit de la jointure, ou bien en couvrant les parquets avec un filet. On se gardera bien de renfermer plusieurs mâles dans la môme en- ceinte ; car ils se battroient certainement, et fmi- roient peut-être par se tuer : il faut même faire en sorte qu'ils ne puissent ni se voir ni s'entendre ; au- trement les mouvements d'inquiétude ou de jalousie que s'inspire roient les uns aux autres ces mâles si peu ardents pour leurs femelles et cependant si oîu- brageux pour leurs rivaux, ne manqueroient pas d'é- touffer ou d'affoiblir des mouvements plus doux , et sans lesquels il n'est point de génération. Ainsi, dans quelques animaux, comme dans l'homme, le degré de la jalousie n'est pas toujours proportionné au be- soin de jouir. i . Punctis distincia sunt ova meleagridum et phasiannrum. Rubvum tinnunculi est modo minii. Pline, allèrant apparemment ce passage, a dit : AUa punctis dislincta ut meleagridl; aiia ruhri coloris ut plinsia- nis, cencliridi. 5 25 LE FAISAN. Palladius veut que les coqs soient de l'année précé- dente; et tous les naturalistes s'accordent à dire qu'il ne faut pas que les poules aient plus de trois ans. Quelquefois, dans les endroits qui sont bien peuplés de faisans, on ne met que des femelles dans chaque parquet, et on laisse aux coqs sauvages le soin de les féconder. Ces oiseaux vivent de toutes sortes de grains et d'herbages, et l'on conseille même de mettre une par- tie du parc en jardin potager , et de cultiver dans ce jardin des fèves, des carottes, des pommes de terre, des ognons, des laitues, et des panais, surtout des deux dernières , dont ils sont très friands ; on dit qu'ils aiment aussi beaucoup le gland, les baies d'aubépine, et la graine d'absinthe : mais le froment est la meil- leure nourriture qu'on puisse leur donner, en y joi- gnant les œufs de fourmis. Quelques uns recomman- dent de bien prendre garde qu'il n'y ait des fourmis mêlées, de peur que les faisans ne se dégoûtent des œufs; mais Edmond King veut qu'on leur donne des fourmis mômes, et prétend que c'est pour eux une nourriture très salutaire, et seule capable de les ré- tablir lorsqu'ils sont foibles et abattus : dans la disette, on y substitue avec succès des sauterelles, des perce- oreilles, des mille-pieds. L'auteur anglois que je viens de citer assure qu'il avoit perdu beaucoup de faisans avant qu'il connût la propriété de ces insectes , et que depuis qu'il avoit appris à en faire usage, il ne lui en étoit pas mort un seul de ceux qu'il avoit élevés. Mais, quelque nourriture qu'on leur donne, il faut la leur mesurer avec prudence, et ne point trop les engrais- ser; caries coqs trop gras sont moins chauds, et les IJÎ FAISAN. 5iT] poules trop grasses sont moins fécondes, et pondent des œufs à coquille molle et facile à écraser. La durée de l'incubation est de vingt à vingt-cinq jours , suivant la plupart des auteurs et ma propre ob- servation. Palladius la fixe à trente : mais c'est une erreur qui n'auroit pas dû reparoître dans la Maison rustique; car le pays où Palladius écrivoit étoit plus chaud que le nôtre; les œufs de faisans n'y dévoient pas être plus de temps à éclore que dans le nôtre, où ils éclosent au bout d'environ trois semaines; d'où il suit que le mot trigesimus a été substitué par les co- pistes au mot vigesimus. Il faut tenir la couveuse dans un endroit éloigné du o bruit et un peu enterié , afin qu'elle y soit plus à l'abri des inégalités de la température et des impressions du tonnerre. Dès que les petits faisans sont éclos, ils commen- cent à courir comme font tous les gallinacés : on les laisse ordinairement vingt-quatre heures sans leur rien, donner; au bout de ce temps, on met la mère et les petits dans une boîte que l'on porte tous les jours aux champs, dans un lieu semé de blé, d'orge, de gazon, et surtout abondant en œufs de fourmis : cette boîle doit avoir pour couvercle une espèce de petit toit formé de planches légères, qu'on puisse ôter et re- mettre à volonté, selon les circonstances; elle doit aussi avoir à l'une de ses extrémités un retranchement où l'on tient la mère renfermée par des cloisons à claire-voie, qui donnent passage aux faisandeaux ; du reste, on leur laisse toute la liberté de sortir de la boîte et d'y rentrer cà leur gré; les gloussements de- 228 LE FAISAN. la mère prisonnière et le besoin de se réchauffer de temps en temps sons ses ailes Jes rappelleront sans cesse , et les empêcheront de s'écarter beaucoup : on a coutume de réunir trois ou quatre couvées à peu près diî même âge. pour n'en former qu'une seule bande capable d'occuper la mère, à laquelle elle puisse sufhre. On les nourrit d'abord comme on nourrit tous les jeunes poussins, avec un mélange d'œufs durs, de mie de pain , et de feuilles de laitue, hachés ensem- ble, avec des œufs do fourmis de prés. Mais il y a deux attentions essentielles dans ces premiers temps : la première est de ne point les laisser boire du tout, et de ne les lâcher chaque jour que lorsque la rosée est évaporée, vu qu'à cet âge toute humidité leur est contraire; et c'est, pour le dire en passant, une des raisons pourquoi les couvées de faisans sauvages ne réussissent guère dans notre pays; car ces faisans, comme je l'ai remarqué plus haut, se tenant par pré- férence dans les lieux les plus frais et les plus humi- des , il est difficile que les jeunes faisandeaux n'y pé- rissent : la seconde attention qu'il faut avoir, c'est de leur donner peu et souvent, et dès le matin, en en- tremêlant toujours les œufs de fourmis avec les autres aliments. Le second mois on peut déjà leur donner une nour- riture plus substantielle; des œufs de fourmis de bois , du turquis, du blé, de l'orge, du millet, des fèves moulues, en augmentant insensiblement la distance des repas. Ce temps est celui où ils commencent à être sujets à la vermine : la plupart des modernes recomman- Li: FAISAN. 29A} dent, pour les en délivrer, de nettoyer la boîte, et niên>e de la supprimer entièrement, à l'exception de son petit toit, que l'on conserve pour leur servir d'a- bri; mais Olina donne un conseil qui avoit été indi- qué par Aristote, et qui me paroît mieux réfléchi et plus conforme à la nature de ces oiseaux. Ils sont du nombre despulvérateurs, et ils périssent lorsqu'ils ne se poudrent point : Olina veut donc qu'on mette à ]eiw portée de petits tas de terre sèche ou de sablon très fin, daus lesquels ils puissent se vautrer, et se délivrer ainsi des piqûres incommodes des insectes* Il faut être aussi très exact à leur donner de l'eau nette et à la leur renouveler souvent; autrement ils courroient risque de la pépie, à laquelle il y auroit peu de remèdes, suivant les modernes, quoique Pal- ladius ordonne tout uniment de la leur ôter comme on l'ôte aux poulets ^ et de leur frotter le bec avec de l'ail broyé dans de la poix liquide. Le troisième mois amène de nouveaux dangers : les plumes de leur queue tombent alors, et il leur en pousse de nouvelles; c'est une espèce de crise pour eux comme pour les paons : mais les œufs de fourmis sont encore ici une ressource; car ils hâtent le mo- ment critique et en diminuent le danger, pourvu qu'on ne leur en donne pas trop, car l'excès en seroit pernicieux. A mesure que les jeunes faisandeaux deviennent grands, leur régime approche davantage de celui des vieux, et dès la tin du troisième mois on peut les lâ- cher dans l'endroit qu'on veut peupler : mais tel est l'eûfetde la domesticité sur les animaux qui y ont vécu quelque temps, que ceux mômes qui , comme les t'ai- llUKf-OIV. XX. SJO LE FAISAN. sans, ont le penchant le plus invincible pour la li- berté, ne peuvent y être rendu tout d'un coup et sans observer des gradations; de même qu'un bon es- tomac affoibli par des aliments trop légers, ne peut s'accoutumer que peu à peu à une nourriture plus forte. 11 faut d'abord transporter la boîte qui contient la couvée dans l'endroit où l'on veut les lâcher; on aura soin de leur donner la nourriture qu'ils aiment le mieux, mais jamais dans le même endroit, et en diminuant la quantité chaque jour, afin de les obli- ger à chercher eux-mêmes ce qui leur convient, et à laire connoissance avec la campagne : lorsqu'ils seront en état de trouver leur subsistance, ce sera le mo- ment de leur donner la liberté et de les rendre à la nature; ils deviennent bientôt aussi sauvages que ceux qui sont nés dans les bois, à cela près qu'ils conserve- ront une sorte d'affection pour les lieux où ils auront été bien traités dans leur premier âge. L'homme ayant réussi à forcer le naturel du faisan en l'accoutumant à se joindre à plusieurs femelles, a tenté de lui faire encore une nouvelle violence en l'obligeant de se mêler avec une espèce étrangère, et ses tentatives ont eu quelques succès; mais ce n'a pas été sans beaucoup de soins et de précautions ^ : on a pris un jeune coq-faisan qui ne s'étoit encore 1 . Jamais les faisans libres ne cochent les poules qu'ils rencontrent : ce n'est pas que le coq ne fasse quelcjuefois des avances , niais la poule ne les souffre point. C'est à M. Leroy, lieutenant des chasses de Versailles, que je dois celte observation, et beaucoup d'autres que j'ai insérées dans cet ar- ticle. 11 seroit à souhaiter que sur l'histoire de chaque oiseau on eût à consulter quelqu'un qui eût autant de connoissances, de lumières, et d'empressement à les pommuniquer. LE FAI S A X. t2j{ accouplé avec aucune faisane, on l'a renfermé dans un lieu étroit et foiblement éclairé par en-haut; on lui a choisi de jeunes poules dont le plumage appro- choit de celui de la faisane; on a mis ces jeunes pou- les dans une case attenant à celle du coq-faisan, et qui n'en étoit séparée que par une grille, dont les mailles étoient assez grandes pour laisser passer la tête et le cou, mais non le corps de ces oiseaux; on a ainsi accoutumé le coq-faisan à voir ces poules, et même à vivre avec elles, parce qu'on ne lui a donné de nourriture que dans leur case, joignant la grille de séparation; lorsque la connoissance a été faite, et qu'on a vu la saison de l'amour approcher, on a nourri ce jeune coq et ces poules de la manière la plus pro- pre à les échauffer et à leur faire éprouver le besoin de se joindre ; et quand ce besoin a été bien marqué on a ouvert la communication : il est arrivé quelque- fois que le faisan, fidèle à la nature, comme indigné de la mésalliance à laquelle on vouloitle contraindre, a maltraité et même mis à mort les premières poules qu'on lui avoit données; s'il ne s'adoucissoit point, on le domptoit en lui touchant le bec avec un fer rouge d'une part, et de l'autre en excitant son tem- pérament par des fomentations appropriées : enfin le besoin de s'unir augmentant tous les joints, et la na- ture travaillant sans cesse contre elle-même, le faisan s'est accouplé avec les poules ordinaires, et il en a résulté des œufs pointillés de noir comme ceux de la faisane, mais beaucoup plus gros, lesquels ont pro- duit des bâtards qui participoient des deux espèces, et qui étoient même, selon quelques uns, plus déli- cats et meilleurs au goût que les légitimes, mais in- 2:>2 LE FAÎSxlX. capables, à ce qu'on dit, de perpétuer leur race, quoique , selon Longoliiis , les femelles de ces mulets , jointes avec leur père , donnent de véritables faisans. On a encore observé de ne donner au coq-faisan que des poules qui n'avoient jamais été cochées, et même de les renouveler à chaque couvée, soit pour exciter davantage le faisan (car l'homme juge toujours des autres êtres par lui-7î>Pmie) , soit parce qu'on a pré- tendu remarquer que, lorsque les mêmes poules étoient fécondées une seconde fois par le même fai- san , il en résultoit une race dégénérée. On dit que le faisan est un oiseau stupide, qui se croit bien en sûreté lorsque sa tête est cachée, comme on l'a dit de tant d'autres, et qui se laisse prendre à tous les pièges. Lorsqu'on le chasse au chien cou- rant, et qu'il a été rencontré, il regarde fixement le chien tant qu'il est en arrêt, et donne tout le temps au chasseur de le tirer à son aise. Il suffit de lui pré- senter sa propre image, ou seulement un morceau d'étoffe rouge sur une toile blanche, pour l'attirer dans le piège ; on le prend encore en tendant des la- cets ou des filets sur les chemins où il passe le soir et le matin pour aller boire ; enfin on le chasse à l'oiseau de proie, et l'on prétend que cewx qui sont pris de cette manière sont plus tendres et de meilleur goût. L'automne est le temps de l'année où ils sont le plus gras : on peut engraisser les jeunes clans l'é- pinette ou avec la pompe, comme toute autre volaille; mais il faut bien prendre garde, en leur introduisant la petite boulette dans le gosier, de ne leur pas ren- verser la langue , car ils mourroient sur-le-champ. Un faisandeau bien gras est un morceau exquis , et LE FAISAN. 2,)v) en même temps une nourri lure 1res saine : aussi ce mets a-t-il été de tout temps réservé pour la table des riches ; et l'on a regardé comme une prodigalité insensée la fantaisie qu'eut Héliogabale d'en nourrir les lions de sa ménagerie. Suivant Olina et M. Leroy , cet oiseau vit comme les poules communes, environ six à sept ans, et c'est sans aucun fondement qu'on a prétendu connoître son âge par le nombre des bandes transversales de sa queue. - ê 6«ie*9<8«ft<»ft«»»»9-&ai»»g»»aa» LE COQUARD, ou LE FAISAN BATARD. Le nom de faisan-liuneru. que Frisch donne à celte variété du faisan, indique qu'il le regarde comme le produit du mélange du faisan avec la poule ordinaire: et en effet, le faisan bâtard représente l'espèce du fai- LE COQUAIID. 255 San par son cercle rouge autour des yeux et par sa longue queue; et il se rapproche du coq ordinaire par les couleurs communes et obscures de son plu- mage , qui a beaucoup de gris plus ou moins foncé. Le faisan bâtard est aussi plus petit que le faisan or- dinaire , et il ne vaut rien pour perpétuer l'espèce ; ce qui convient assez à un métis , ou , si l'on veut , à un mulet. Frisch nous apprend qu'on en élève beaucoup en Allemagne , à cause.du profit qu'on en retire, et c'est en effet un très bon manger '*^. OISEAUX ÉTRANGERS QUI ONT RAPPORT AU FAISAN. Je ne placerai point sous ce titre plusieurs oiseaux auxquels la plupart des voyageurs et des naturalistes ont donné le nom de faisans j, et qui se trouvent môme sous ce nom dans nos planches enluminées, mais que nous avons reconnus , après un plus mûr examen , pour des oiseaux d'espèces fort différentes. De ce nombre sont, i" le faisan des Antilles de 1. Ce scroit ici Ip lieu de parler du faisan-dindon qui a été vu en Angleterre, et dont M. Edwards a donné la description ella figure, planche cccxxxvii ; mais j'en ai dit mon avis ci-dessus h l'article du Dindon. «56 OISEADX ÉTRAi\(iEHS. M. Brisson , cjui est le faisan de l'île Kayriouacoii du P. Du Tertre, lequel a les jambes plus longues et la queue plus courte que le faisan ; p.° Le faisan couronné des Indes de M. Brisson , qui est représenté sous le même nom , n° 118, et qui diftere du faisan par sa conformation totale, par la forme particulière du bec, par ses mœurs, par ses habitudes, par ses ailes qui sont plus longues, par sa queue plus courte, et qui , à sa grosseur près , paroît avoir beaucoup plus de rapport avec le genre du pigeon; 5" L'oiseau d'Amérique , n*' ùô^ , que nous avons fait représenter sous le nom défaisait huppé de Cayenne^ parce qu'il nous avoit été envoyé sous ce nom , mais qui nous paroît différer du faisan par sa grosseur , par le port de son corps , par son cou long et menu , sa tête petite, ses longues ailes, etc. ; 4° Le hocco-faisan de la Guiane , n*' ^Q^ qui n'est rien moins qu'un faisan, comme il est aisé de s'en convaincre par la comparaison des figures ; 5" Tous les autres hoccos de l'Amérique que MM. Brisson etBarrère, et plusieurs autres, entraî- nés par leur méthode , ont rapportés au genre du fai- san , quoiqu'ils en diffèrent par un grand nombre d'attributs, et par quelques uns même de ceux qui avoient été choisis pour en faire les caractères de ce genre. LE FAISAN DOUE. 2J7 LE FAISAN DORÉ, ou LE TRICOLOR HUPPÉ DE LA CHINE. Phasianus pictus. L. Quelques auteurs ont donné à cet oiseau le nom de faisan rouge ; on eût été presque aussi bien fondé à lui donner celui de faisan bleu_, et ces deux déno- minations auroient été aussi imparfaites que celle de faisan doré ^ puisque toutes les trois, n'indiquant que l'une des trois couleurs éclatantes qui brillent sur son plumage, semblent exclure les deux autres; c'est ce qui m'a donné l'idée de lui imposer un nouveau nom, et j'ai cru que celui de tricolor huppé de la Chine le caractériseroit mieux, puisqu'il présente à l'esprit ses attributs les plus apparents. On peut regarder ce faisan comme une variété du faisan ordinaire, qui s'est embelli sous un ciel plus beau ; ce sont deux branches d'une même famille qui se sont séparées depuis long-temps, qui même ont formé deux races distinctes, et qui cependant se re- connoissent encore, car elles s'allient, se mêlent, et produisent ensemble : mais il faut avouer que leur produit tient un peu de la stérilité des mulets, comme nous le verrons plus bas; ce qui prouve de plus en plus l'ancienneté de la séparation des deux races. Le tricolor huppé de la Chine est plus petit que notre faisai^ ; et je dois avertir à cette occasion que ^58 LE FAISAN DORÉ. dans notre planche enluminée n° 2 1 7 on a omis le module, qui doit être de deux pouces neuf lignes. La beauté frappante de cet oiseau lui a valu d'être cultivé et multiplié dans nos faisanderies, où il est assez commun aujourd'hui. Son nom de tricobr huppé indique le rouge , le jaune doré , et le bleu , qui do- minent dans son plumage, et les longues et belles plumes qu'il a sur la tête, et qu'il relève quand il veut en manière de huppe : il a l'iris, ie bec, les pieds, et les ongles jaunes; la queue plus longue à propor- tion que notre faisan, plus émaillée , et en général le plumage plus brillant : au dessus des pluuies de la queue sortent d'autres plumes longues et étroites, de couleur écarlate, dont la tige est jaune; il n'a pointles yeux entourés d'une peau rouge, corame le faisan d'Europe ; en un mot , il paroît avoir subi fortement l'influence du climat. La femelle du faisan doré est un peu plus petite que le mâle; elle a la queue moins longue : les cou- leurs de son plumage sont fort ordinaires, et encore moins agréables que celle de notre faisane ; mais quel- quefois elle devient avec le temps aussi belle que le mâle : on en a vu en Angleterre, chez miladyEssex, qui, dans l'espace de six ans, avoit graduellement changé sa couleur ignoble de bécasse en la belle cou- leur du mâle, duquel elle ne se distinguoit plus que par les yeux et parla longueur de la queue. Des per- sonnes intelligentes, qui ont été à portée d'observer ces oiseaux, m'ont aussi assuré que ce changement de couleur avoit lieu dans la plupart des femelles; qu'il commençoit lorsqu'elles avoient quatre ans, temps où le mâle commençoit aussi à prendre du dégoût LE FAISAN DOUE. Î^JQ pour elles et à les maltraiter; qu'il leur venoit alors de ces plumes longues et étroites qui dans le mâle accompagnent les plumes de la queue; en un mot, que plus elles avançoientenâge, plus elles devenoient semblables au mâle , comme cela a lieu , plus ou moins, dans presque tous les animaux. M. Edwards assure qu'on a vu pareillement chez le duc de Leedsune faisane commune dont le plumage étoit devenu semblable à celui du faisan mâle; et il ajoute que de tels changements de couleur n'ont guère lieu que parmi les oiseaux qui vivent dans la domesticité. Les œufs de la faisane dorée ressemblent beaucoup à ceux de la pintade, et sont plus petits à proportion que ceux de la poule domestique, et plus rougeâtres que ceux de nos faisans. Le docteur Hans Sloane a conservé un mâle envi- ron quinze ans : il paroit que c'est un oiseau robuste, puisqu'il vit si long-temps hors de son pays; il s'ac- coutume fort bien au nôtre , et y multiplie assez faci- lement; il multipHe même avec notre faisane d'Eu- rope. M. Leroy, lieutenant des chasses de Versailles, ayant mis une de ces faisanes de la Chine avec un coq- faisan de ce pays-ci, il en a résulté deux faisans mâles fort ressemblants aux nôtres, cependant avec le plu- mage mal teint, et n'ayant que quelques plumes jau- nes sur la tête, comme le faisan de la Chine. Ces deux jeunes mâles métis ayant été mis avec des fai- sanes d'Europe, l'un d'eux féconda la sienne la se- conde année , et il en a résulté une poule faisane qui n'a jamais pu devenir féconde ; et les deux coqs métis n'ont rien produit de plusjusqu'à la quatrième année. 240 LE FAISAN DOIiK. temps où ils trouvèrent Je moyen de s'échapper à travers leurs filets. Il y a grande apparence que le tricolor huppé dont il s'agit dans cet article est ce beau faisan dont on dit que les plumes se vendent à la Chine plus cher que l'oiseau même , et que c'est aussi celui que Marco- Paolo admira dans un de ses voyages de la Chine , et dont la queue avoit deux ou trois pieds de long. H. LE FAISAN INOIR ET BLAINC DE LA CHINE. P/iasianus nyciemerus. L. La figure de nos planches enluminées^ n'a été des- sinée que d'après l'oiseau empaillé, et je ne doute pas que celle de M. Edwards, qui a été faite et retou- chée à loisir d'après le vivant, et qui a été recherchée pour les plus petits détails d'après l'oiseau mort , ne représente plus exactement ce faisan , et ne donne une idée plus juste de son port, de son air, etc. Il est aisé de juger, par la seule inspection de la figure , que c'est une variété du faisan , modelé , pour la forme totale, sur les proportions du tricolor huppé de la Chine, mais beaucoup plus gro^, puisqu'il sur- passe môme le faisan d'Europe : il a avec ce dernier un trait de ressemblance bien remarquable, c'est la bordure rouge des yeux , qu'il a même plus large et plus étendue ; car elle lui tombe de chaque côté 1. K" 125, le mâle; e! n" i2J\, la femelle. LE FAISAN NOIR ET BLANC DE LA CHINE. 2\l au dessous du bec inférieur, en forme de barbillons, et d'autre part elle s élève coinme une double crête au dessus du bec supérieur. La femelle est un peu plus petite que le mâle, dont elle diffère beaucoup parla couleur; elle n'a ni le dessus du corps blanc comme lui, ni le dessous d'un beau noir, avec des reflets de pourpre : on n'aperçoit dans tout son plu- mage qu'une échappée de blanc au dessous des yeux; le reste est d'un rouge brun plus ou moins foncé, ex- cepté sous le ventre et dans les plumes latérales de la queue, où l'on voit des bandes noires transversales sur un fond gris. A tous autres égards, la femelle dif- fère moins du mâle dans cette race que dans toutes les autres races de faisan ; elle a comme lui une huppe sur la tête, les yeux entourés d'une bordure rouge , et les pieds de même couleur. Comme aucun naturaliste , ni même aucun voya- geur, ne nous a donné le plus léger indice sur l'ori- gine du faisan noir et blanc, nous sommes réduits sur cela aux seules conjectures : la mienne seroit que de même que le faisan de Géorgie s'étant avancé vers l'Orient, et ayant fixé son séjour dans les provinces méridionales ou tempérées de la Chine, est devenu le tricolor huppé ; ainsi le faisan blanc de nos pays froids ou de la Tartarie, ayant passé dans les provinces septentrionales de la Chine, est devenu le faisan noir et blauc de cet article , lequel aura pris plus de gros- seur que le faisan primitif ou de Géorgie, parce qu'il aura trouvé dans ces provinces une nourriture plus abondante ou plus analogue à son tempérament , mais qui porte l'empreinte du nouveau climat dans son port, son air, sa forme extérieure, semblable ^4^ LE FAISAN NOIR ET BLANC DE LA CHINE. au port, à l'air, à la forme extérieure du tricolor huppé de la Chine, et qui a conservé du faisan pri- mitif la bordure rouge des yeux, laquelle même a pris en lui plus d'étendue et de volume, sans doute par les mêmes causes qui l'ont rendu lui-même plus gros et plus grand que le faisan ordinaire. m: L'ARGUS ou LE LUEN. Phasianus Argus. L. On trouve au nord de la Chine une espèce de fai- san dont les ailes et la queue sont semées d'un très grand nombre de taches rondes, semblables à des yeux, d'où on lui a donné le nom d'argus : les deux plumes du miheu de la queue sont très longues , et excèdent de beaucoup toutes les autres. Cet oiseau est de la grosseur du dindon ; il a sur la tête une dou- ble huppe qui se couche en arrière. IV. LE NAPAUL ou FAISAN CORNU. Phasianus Saiyra. Vieillot, M. Edwards , à qui nous devons la connoissance de cet oiseau rare , le range parmi les dindons, comme ayant autour de la tête des excroissances charnues , et cependant il lui donne le nom de faisan cormi. Je crois en effet qu'il approche plus du faisan que du LE N A PAUL OU FAISAN CORNU. 2t\'5 dindon; car les excroissances charnues ne sont rien moins que propres à ce dernier : le coq , la pintade , l'oiseau royal, le casoar, et bien d'autres oiseaux des deux continents, en ont aussi; elles ne sont pas même étrangères au faisan , puisqu'on peut regarder ce large cercle de peau rouge dont ses yeux sont entou- rés comme étant à peu près de même nature, et que dans le faisan noir et blanc de la Chine cette peau forme réellement une double crête sur le bec et des barbillons au dessous. Ajoutez à cela que le napaul est du climat des faisans, puisqu'il a été envoyé de Bengale à M. Mead; qu'il a le bec, les pieds, les éperons, les ailes, et la forme totale du faisan; et l'on conviendra qu'il est plus naturel de le rapporter au faisan qu'à un oiseau d'Amérique , tel que le dindon. Le napaul ou faisan cornu est ainsi appelé , parce qu'il a en effet deux cornes sur la tête; ces cornes sont de couleur bleue , de forme cylindrique, obtuses à leur extrémité , couchées en arrière, et d'une sub- stance analogue à de la chair calleuse. 11 n'a point au- tour des yeux ce cercle de peau rouge, quelquefois pointillée de noir, qu'ont les faisans; mais il a tout cet espace garni de poils noirs en guise de plumes. Au dessous de cet espace et de la base du bec inférieur, prend naissance une sorte de gorgerette formée d'une peau lâche, laquelle tombe et flotte librement sur la gorge et la partie supérieure du cou ; cette gorgerette est noire dans son milieu, semée de quelques poils de même couleur, et sillonnée par des rides plus ou moins profondes, en sorte qu'elle paroît capable d'ex- tension dans l'oiseau vivant, et l'on peut croire qu'il 2l\l\ le NAPAllL OU FAISAN CORNU. sait la gonfler ou la resserrer à sa volonté : les parties latérales en sont bleues , avec quelques taches oran- gées, et sans aucun poil en dehors; mais la face inté- rieure qui s'applique sur le cou est garnie de petites plumes noires , ainsi que la partie du cou qu'elle re- couvre. Le sommet de la tête est rouge, la partie an- térieure du corps rougeâtre, la partie postérieure plus rembrunie : sur le tout, y compris la queue et les ailes , on voit des taches blanches entourées de noir, semées près à près assez régulièrement : ces taches sont rondes sur l'avant, oblongues ou en forme de larmes sur l'arrière, et celles-ci tournées de manière que la pointe regarde la tête. Les ailes ne passent guère l'origine de la queue, d'où l'on peut conclure que c'est un oiseau pesant. La longueur de la queue n'a pu être déterminée par M. Edwards, vu qu'elle y est représentée dans le dessin original , comme ayant été usée par quelque frottement. LE KATRACA. Phasianus Paniqua. Latji. Quoiqueà vrai dire il ne se soit point trouvé de vé- ritables faisans dans l'Amérique, comme nous l'avons établi ci-dessus , néanmoins , parmi la multitude d'oi- seaux diflerents qui peuplent ces vastes contrées, on en voit qui ont plus ou moins de rapports avec le fai- san ; et celui dont il s'agit dans cet article en appro- che plus qu'aucun autre, et doit être regardé comme son représentant dans la Nouveau-Monde. Il le repré- Pac(^uec,sctilp- i.i,ekat;piàga — 2.l EPEP.a:- \ai':R_ s.lehocco . LE K ATRAC A. ii^S sente en effet par sa forme totale , par son bec un peu crochu, par ses yeux bordés de rouge, et par sa longue queue; néanmoins, comme il appartient à un climat et même à un monde différent, et qu'il est incertain s'il se mêle avec nos faisans d'Europe, je le place ici après ceux de la Chine, qui s'accouplent certainement et produisent avec les nôtres. L'histoire du katraca est totalement inconnue ; tout ce que je puis dire d'après l'inspection de sa forme extérieure, c'est que le sujet représenté , n° 146, nous paroît être le mâle, à cause de sa longue queue, et de la forme' de son corps moins arrondie qu'allongée. Nous lui conserverons le nom de katraca qu'il porte au Mexique, suivant le P. Feuillée. OISEAUX ETRANGERS QUI PAROISSENT AVOIR RAPPORT AVEC LE PAON ET AVEC LE FAISAN. Je range sous ce titre indécis quelques oiseaux étrangers, trop peu connus pour qu'on puisse leur assigner une place plus fixe. I. LE CHINQUIS. Pavo Thibetanus. L. Dans l'incertitude où je suis si cet oiseau est un vé* ritable paon ou non, je lui donne ou plutôt je lui BUFl'ON. XX. 16 2!\6 LE CHINQL'IS. conserve le nom de cliinquis^ forme de son nom chi- nois cliln-tclilen-klii : c'est la dixième espèce du genre des faisans de M. Brisson; il se trouve au Thibet, d'où cet auteur a pris occasion de le nommer paon du Thi- bet. Sa grosseur est celle de la pintade ; il a l'iris des yeux jaune, le bec cendré, les pieds gris, le fond du plumage cendré, varié de lignes noires et de points blancs; mais ce qui en fait l'ornement principal et dislinctif ce sont de belles et grandes taches rondes d'un bleu éclatant, changeant en violet et en or, ré- pandues une à une sur les plumes du dos et les cou- vertures des ailes, deux à deux sur les pennes des ailes, et quatre à quatre sur les longues couvertures de la queue, dont les deux du milieu sont les plus longues de toutes, les latérales allant toujours en se raccourcissant de chaque côté. On ne sait ou plutôt on ne dit rien de son histoire, pas même s'il fait la roue en relevant en éventail ses belles plumes chargées de miroirs. Il ne faut pas confondre le chinquis avec le kinki , ou poule dorée de la Chine , dont il est parlé dans les relations de Navarette , Trigault, Du Halde, et qui , autant qu'on peut en juger par des descrip- tions imparfaites, n'est autre chose que notre tricolor huppé. II. LE SPICÏFÈRE. Pavo muticus. L. J'appelle ainsi le huitième faisan de M. Brisson, qu'Aldrovande a nommé paoji du Japon ^ tout en LE SPICIFÈIIE. 1^47 avouant qu'il ne ressenibloit à notre paon que par les pieds et la queue. Je lui ai donné le nom de spiclfèreji à cause de l'ai- grette en forme d'épi qui s'élève sur sa tête : cette aigrette est haute de quatre pouces, et paroît émaillée de vert et de bleu; le bec est de couleur cendrée, plus long et plus iuenu que celui du paon; l'iris est jaune et le tour des yeux rouge, comme dans le faisan; les plumes de la queue sont en plus petit nombre, le fond en est plus rembruni et les miroirs plus grands, mais brillant des mêmes couleurs que dans notre paon d'Europe : la distribution des couleurs forme, sur la poitrine, le dos, et la partie des ailes la plus proche du dos, des espèces d'écaillés qui ont différents reflets en différents endroits, bleus sur la partie des ailes la plus proche du dos, bleus et verts sur le dos, bleus, verts, et dorés sur la poitrine; les autres pennes de l'aile sont vertes dans le milieu de leur longueur, ensuite jaunâtres, et finissent par être noires à leur extrémité : le sommet de la tête et le haut du cou ont des taches bleues mêlées de blanc sur un fond verdâtre. Telle est à peu près la description qu'Aldrovande a faite du mâle, d'après une figure peinte que l'empe- reur du Japon avoit envoyée au pape : il ne dit point s'il étale sa queue comme notre paon ; ce qu'il y a de certain c'est qu'il ne l'étalé point dans la figure d'Al- drovande, et qu'il y est même représenté sans épe- rons aux pieds, quoique Aldrovande n'ait pas oublié d'en ïiùvQ paroître dans la figure du paon ordinaire qu'il a placée vis-à-vis pour servir d'objet de compa- raison. ^48 LE SPICIFÈRE. Selon cet auteur, la femelle est plus petite que îe mâle : el!e a les mêmes couleurs que lui sur la tète y le cou, la poitrine, le dos, et les ailes; mais elle en diffère en ce qu'elle a le dessous du corps noir, et en ce que les couvertures du croupion, qui sont beau- coup plus courtes que les pennes de la queue, sont ornées de quatre ou cinq miroirs assez larges, relati- vement à la grandeur des plumes; le vert est la cou- leur dominante de la queue, les pennes en sont bor- dées de bleu, et les tiges de ces pennes sont blanches. Cet oiseau paroît avoir beaucoup de rapport avec celui dont parle Kaempfer dans son Histoire du Japon ^ sous le nom de faisan; ce que j'en ai dit suffit pour faire voir qu'il a plusieurs traits de conformité et plu- sieurs traits de dissemblance, soit avec le paon, soit avec le faisan, et que par conséquent il ne devoit point avoir d'autre place que celle que je lui donne ici» III. L'EPERONNIER. Pavo bicalcaraius. Gmel. Cet oiseau^ n'est guère connu que par la figure et la description que M. Edwards a publiées du mâle et de la femelle, et qu'il avoit faites sur le vivant. Au premier coup d'œil le mâle paroît avoir quel- que rapport avec le faisan et le paon; comme eux il a la queue longue, il l'a semée de miroirs comme le 1. N"' l\ç)'>. et 4o^ l' É P E ïl O N N I L II. 249 paon; et quelques naturalistes, s'en tenant à ce pre- mier coup (l'œil, l'ont admis dans le genre du fai- san : mais quoique, d'après ces rapports superficiels, M. Edwards ait cru pouvoir lui donner ou lui conser- ver le nom de faisan-paon, néanmoins, en y regardant de plus près, il a bien jugé qu'il ne pouvoit apparte- nir au genre du faisan, r parce que les longues plu- mes de sa queue sont arrondies et non pointues par le bout; 2° parce qu'elles sont droites dans toute leur longueur, et non recourbées en en-bas ; 5° parce qu'elles ne font pas la gouttière renversée par le ren- versement de leurs barbes, comme dans le faisan ; 4" enfin, parce qu'en marchant il ne recourbe point sa queue en en-haut. Mais il appartient encore bien moins à l'espèce du paon, dont il diffère non seulement par le port de la queue , par la configuration et le nombre des pennes dont elle est composée, mais encore par les propor- tions de sa forme extérieure, par la grosseur de la tête et du cou, et en ce qu'il ne redresse et n'épa- nouit point sa queue comme le paon^, qu'il n'a au lieu d'aigrette qu'une espèce de huppe plate , formée par les plumes du sommet de la lete qui se relèvent, et dont la pointe revient un peu en avant : enfin le mâle diffère du coq- paon et du coq-faisan par un double éperon qu'il a à chaque pied; caractère pres- que unique, d'après lequel je lui ai donné le nom à'éperonnier, 1. M. Edwards »e dit point que cet oiseau fasse la roue ; et d'2 cela seul je me crois en droit de conclure qu'il ne la fait point : un fait aussi considérable n'anroit pu échapper à M. Edvvards; et, s'il l'eût observé, il ne Fauroit point omis. ^5o LÉPEUONNIER. Ces différences extérieures, qui certainement en supposent beaucoup d'autres plus cachées, paroîtront assez considérables à tout homme de sens et qui ne sera préoccupé d'aucune méthode, pour exclure 1 epe- ronnier du nombre des paons et des faisans, encore qu'il ait comme eux les doigts séparés, les pieds nus, les jambes revêtues de plumes jusqu'au talon, le bec en cône courbé, la queue longue, et la tête sans crête ni membrane. A la vérité, je sais tel méthodiste qui ne pourroit sans inconséquence ne pas le reconnoître pour un paon ou pour un faisan, puisqu'il a tous les attributs par lesquels ce genre est caractérisé dans sa méthode; mais aussi un naturaliste sans méthode et sans préjugé ne pourra le reconnoître pour le paon de la nature : et que s'ensuivra-t-il de là, sinon que Tordre de la nature est bien loin de la méthode du naturaliste? En vain me dira-t-on que, puisque l'oiseau dont il s'agit ici a les principaux caractères du genre du fai- san , les petites variétés par lesquelles il en diffère ne doivent point empêcher qu'on ne le rapporte à ce genre; car je demanderai toujours : Qui donc ose se croire en droit de déterminer ces caractères princi- paux; de décider, par exemple, que l'attribut négatif de n'avoir ni crête ni membrane soit plus essentiel que celui d'avoir la tête de telle ou telle forme, de telle ou telle grosseur, et de prononcer que tous les oiseaux qui se ressemblent par des caractères choisis arbitrairement doivent aussi se ressembler dans leurs véritables propriétés? Au reste, en refusant à l'éperonnier le nom de paon de la Chine j, je ne fais que me conformer aux témoi- l'éperon NIE 11. 2DÏ gnages des voyageurs , qui assurent que dans ce vaste pays on ne voit de paons que ceux qu'on y apporte des autres contrées. L'éperonnier a l'iris des yeux jaune, ainsi que l'es- pace enlre la base du bec, l'œil et le bec supérieur rouge, l'inférieur brun foncé et les pieds d'un brun sale : son plumage est d'une beauté admirable. La queue est, comme je l'ai dit, semée de miroirs ou de taches brillantes , de forme ovale , et d'une belle couleur de pourpre avec des reflets bleus, verts, et or; ces miroirs font d'autant plus d'effet qu'ils sont terminés et détachés du fond par un double cercle , l'un noir et l'autre orangé obscur : chaque penne de la queue a deux de ces miroirs accolés l'un à l'autre ,^ la tige entre deux; et malgré cela , comme cette queue a infiniment moins de plumes que celle du paon, elle est beaucoup moins chargée de miroirs; mais en ré- compense l'éperonnier en a une très grande quantité sur le dos et sur les ailes, où le paon n'en a point du tout : ces miroirs des ailes sont ronds; et, comme le fond du plumage est brun, on croiroit voir une belle peau de martre zibeline enrichie de saphirs, d'opales, d'émeraudes et de topazes. Les plus grandes pennes de l'aile n ont point de miroirs, toutes les autres en ont chacune un; et, quel qu'en soit l'éclat, leurs couleurs, soit dans les ailes, soit dans la queue, ne pénètrent point jusqu'à l'autre surface de la penne, dont le dessous est d'un sombre uniforme. Le mâle surpasse en grosseur le faisan ordinaire : la femelle est d'un tiers plus petite que le mâle, et 252 l'ÉPERONNIER. paroît plus leste et plus éveillée; elle a comme lui l'iris jaune, mais point de rouge dans le bec, et la queue beaucoup plus petite. Quoique ses couleurs approchent plus de celles du mâle que dans l'espèce des paons et des faisans, cependant elles sont plus mattes, plus éteintes, et n'ont point ce lustre, ce jeu, ces ondulations de lumiefre, qui font un si bel effet dans les miroirs du mâle. Cet oiseau étoit vivant à Londres l'année dernière, d'où M. le chevalier Codrington en a envoyé des des- sins coloriés à M. Daubenton le jeune, d'après les- quels nous avons fait graver et enluminer les planches n'' 492 et 49'5j dont la première représente le mâle, et la seconde la femelle de cet oiseau. i»a»ft«<»^»»»»e».d»o»t^»d«»»aot8«»o««.»o-8<>»8»o»«ts> LES HOCCOS. Tous les oiseaux que l'on désigne ordinairement sous cette dénomination prise dans cette acception générique sont étrangers à l'Europe, et appartiennent aux pays chauds de l'Amérique : les divers noms que les différentes tribus de sauvages leur ont donnés, chacune en son jargon , n'ont pas moins contribué à enfler la liste que les phrases multipliées de nos no- menclateurs; et je vais tâcher, autant que la disette d'observations me le permettra, de réduire ces es-^ pèces nominales aux espèces réelles. LES HOCCOS. 25v> I. LE HOGCO PROPREMENT DIT. Crax Aiector. L. Je comprends sous cette espèce non seulement le mitou et le niitou-poranga de Marcgrave , que cet au- teur regarde en effet comme étant de la même espèce; le coq indien de MM. de l'Académie et de plusieurs autres, le mutou ou moytou de Laët et de Lery, le temocholli des Mexicains et leur tepetototl ou oiseau de montagne , le quirizao ou curasso de la Jamaïque , le pocs de Frisch, le hocco de Cayenne de M. Bar- rère, le hocco de la Guiane ou onzième faisan de M. Brisson : mais j'y rapporte encore comme variétés le hocco du Brésil , ou douzième faisan de M. Brisson; son hocco de Curaçao, qui est son treizième faisan; le hocco du Pérou, et même la poule rouge du Pé- rou d'Albin; le coxolisli de Fernandès, et le seizième faisan de M. Brisson. Je me fonde sur ce que cette multitude de noms désigne des oiseaux qui ont beau- coup de qualités communes, et qui ne diffèrent entre eux que par la distribution des couleurs , par quel- que diversité dans la forme et les accessoires du bec, et par d'autres accidents qui peuvent varier dans la même espèce à raison de l'âge, du sexe, du climat, et surtout dans une espèce aussi facile à apprivoiser que celle-ci, qui même l'a été en plusieurs cantons, et qui par conséquent doit participer aux variétés aux- quelles les oiseaux domestiques sont si sujets. ^54 LES ITOCCOS. MM. de l'Académie avoient ouï dire que leur co(f indien avoit été apporté d'Afrique, où il s'appeloifc ano : mais, comme Marcgrave et plusieurs autres ob- servateurs nous apprennent que c'est un oiseau du Brésil, et que d'ailleurs on voit clairement, en com- parant les descriptions et les figures les plus exactes , qu'il a les ailes courtes et le vol pesant, il est difficile de se persuader qu'il ait pu traverser d'un seul vol la vaste étendue des mers qui séparent les côtes d'Afri- que de celles du Brésil , et il paroît beaucoup plus naturel de supposer que les sujets observés par MM. de l'Académie, s'ils étoient réellement venus d'Afrique, y avoient été portés précédemment du Brésil ou de quelque autre contrée du Nouveau-Monde. On peut juger, d'après les mêmes raisons, si la dénomination de coq de P erse ^ employée par Johnston, est applica- ble à l'oiseau dont il s'asjit. Le hocco n"' ^Q et 125 approche de la grosseur du dindon. L'un de ses plus remarquables attributs c'est une huppe noire, et quelquefois noire et blanche, haute de deux à trois pouces, qui s'étend depuis l'o- rigine du bec jusque derrière la tête, et que l'oiseau peut coucher en arrière et relever à son gré, selon qu'il est affecté difleremment ; cette huppe est com- posée de plumes étroites et comme étagées, un peu inclinées en arrière, mais dont la pointe revient et se courbe en avant. Parmi ces plumes, MM. de l'Aca- démie en ont remarqué plusieurs dont les barbes étoient renfermées, jusqu'à la moitié de la longueur de la côte, dans une espèce d'étui membraneux. La couleur dominante du plumage est le noir, qui le plus souvent est pur et comme velouté sur la tête LES H OC COS. 25^ et sur le cou , et quelquefois semé de mouchetures blanches; sur le reste du corps il a des reflets verdâ- très, et dans quelques sujets il se change en marron foncé, comme celui de la planche enluminée n** i 25. L'oiseau représenté dans celle planche n a point du tout de blanc sous le ventre ni dans la queue, au lieu que celui de la planche n" S6 en a sous le ventre et au bout de la queue; enfin d'autres en ont sous le ventre et point à la queue, et d'autres en ont à la queue et point sous le ventre; et il faut se souvenir que ces couleurs sont sujettes à varier, soit dans leurs teintes, soit dans leur distribution , selon la différence du sexe. Le bec a la forme de celui des gallinacés, mais il est un peu plus fort : dans les uns, il est de couleur de chair et blanchâtre vers la pointe, comme dans le hocco du Brésil de M. Brisson : dans les autres, le bout du bec supérieur est échancré des deux côtés; ce qui le fait paroîlre comme armé de trois pointes, la prin- cipale au milieu , et les deux latérales formées par les deux échancrures un peu reculées en arrière, comme dans l'un des coqs indiens de MM. de l'Académie : dans d'autres, il est recouvert à sa base d'une peau jaune, où sont placées les ouvertures des narines, comme dans le hocco de la Guiane de M. Brisson; dans d'autres, cette peau jaune se prolongeant des deux côtés de la tête va former autour des yeux un cercle de môme couleur, comme dans le mitou-po- ranga de Marcgrave; dans d'autres, cette peau se ren-. fie, sur la base du bec supérieur, en une espèce de tubercule ou de bouton arrondi assez dur, et gros comme une petite noix. On croit communément que 256 LES HOCCOS. les femelles n'ont point ce bouton, et M. Edwards^ ajoute qu'il ne vient au mâle qu'après la première année; ce qui me paroît d'autant plus vraisemblable, que Fernandès a observé dans son tepetototl une es- pèce de tumeur sur le bec, laquelle n'étoit sans doute autre chose que ce même tubercule qui commençoit à se former. Quelques individus, comme le mitou de Marcgrave, ont une peau blanche derrière l'oreille comme les poules communes; les pieds ressemble- roient, pour la forme, à ceux des gallinacés, s'ils avoient l'éperon , et s'ils n'étoient pas un peu plus gros à proportion ; du reste , ils varient pour la couleur depuis le brun noirâtre jusqu'au couleur de chair. Quelques naturalistes ont voulu rapporter le hocco au genre du dindon ; mais il est facile, d'après la des- cription ci-dessus et d'après nos planches enluminées, de recueillir les différences nombreuses et tranchées qui séparent ces deux espèces : le dindon a la tête pe- tite et sans plumes, ainsi que le haut du cou, le bec surmonté d'une caroncule conique et musculeuse, capable d'extension et de contraction, les pieds armés d'éperons, et il relève les plumes de sa queue en fai- sant la roue, etc. ; au lieu que le hocco a la tête grosse, le cou renfoncé, l'un et l'autre garnis de plumes, sur le bec un tubercule rond, dur, et presque osseux, et sur le sommet de la tête une huppe mobile, qui pa- roît propre à cet oiseau, qu'il baisse et redresse à son gré; mais personne n'a jamais dit qu'il relevât les pen- nes de la queue en faisant la roue. Ajoutez à ces différences, qui sont toutes extérieu- res, les différences plus profondes et aussi nombreuses que nous découvre la dissection. LES HOCCOS. 25"] Le canal intestinal du hocco est beaucoup plus long, et les deux cœcwn beaucoup plus courts que dans le dindon : son jabot est aussi beaucoup moins ample, n'ayant que quatre pouces de tour; au lieu que j'ai vu tirer du jabot d'un dindon, qui ne parois- soit avoir rk^n de singulier dans sa conformation, ce qu'il falloit d'avoine pour remplir une demi-pinte de Paris. Outre cela, dans le hocco la substance charnue du gésier est le plus souvent fort mince, et sa mem- brane interne au contraire fort épaisse, et dure au point d'être cassante; enfin la trachée-artère se dilate et se replie sur elle-même , plus ou moins vers le mi- lieu de la fourchette, comme dans quelques oiseaux aquatiques, toutes choses fort différentes de ce qui se voit dans le dindon. Mais si le hocco n'est point un dindon, les nomen- clateurs modernes étoient encore moins fondés à en faire un faisan ; car, outre les différences qu'il est fa- cile de remarquer, tant au dehors qu'au dedans, d'a- près ce qwe je viens de dire , j'en vois une décisive dans le naturel de ces animaux : le faisan est toujours sauvage, et, quoique élevé de jeunesse, quoique tou- jours bien traité , bien nourri , il ne peut jamais se faire à la domesticité ; ce n'est point un domestique, c'est un prisonnier toujours inquiet , toujours cher- chant les moyens d'échapper, et qui maltraite môme ses compagnons d'esclavage, sans jamais faire aucune société avec eux. Que s'il recouvre sa liberté, et qu'il soit rendu à l'état de sauvage, pour lequel il semble être fait, rien n'est encore plus défiant et plus ombra- geux; tout objet nouveau lui est suspect : le moindre bruit l'effraie; le moindre mouvement l'inquiète; 1^58 LES HOCCOS. l'ombre d une branche agitée suffit pour lui faire pren- dre sa volée, tant il est attentif à sa conservation. Au contraire, le hocco est un oiseau paisible, sans dé- fiance, et même stupide, qui ne voit point le danger, ou du moins qui ne fait rien pour l'éviter; il semble s'oublier lui-même, et s'intéresser à peine à sa pro- pre existence. M. Aublet en a tué jusqu'à neuf de la même bande avec le môme fusil qu'il rechargea autant de fois qu'il fut nécessaire; ils eurent cette patience. On conçoit bien qu'un pareil oiseau est sociable, qu'il s'accommode sans peine avec les autres oiseaux do- mestiques, et qu'il s'apprivoise aisément. Quoique apprivoisé, il s'écarte pendant le jour, et va même fort loin : mais il revient toujours pour coucher, à ce que m'assure le même M. Aublet; il devient même fami- lier au point de heurter à la porte avec son bec pour se faire ouvrir, de tirer les domestiques par l'habit lorsqu'ils l'oublient, de suivre son maître partout, et, s'il en est empêché, de l'attendre avec inquiétude, et de lui donner à son retour des marques de la joie la plus vive. Il est difficile d'imaginer des mœurs plus opposées; et je doute qu'aucun naturaliste, et même qu'aucun nomenclateur, s'il les eût connus, eiît entrepris de ranger ces deux oiseaux sous un même gerre. Le hocco se tient volontiers sur les montagnes, si l'on s'en rapporte à la signification de son nom mexi- cain tepetototlj qui veut dire oiseau de montagne. On le nourrit, dans la volière, de pain, de pâtée, et au- tres choses semblables; dans l'état de sauvage, les fruits sont le fond de sa subsistance. Il aime à se per- cher sur les arbres, surtout pour y passer la nuit. Il LES HOCGOS. ^59 vole pesamment, comme je l'ai reaiarqué plus haut; mais il a la démarche fière. Sa chair est blanche, un peu scche ; cependant lorsqu'elle est gardée suffisam- ment, c'est un fort bon manger. Le chevalier Hans Sloane dit , en parlant de cet oiseau, que sa queue n'a que deux pouces de long; sur quoi M. Edwards le relève, et prétend qu'en di- sant dix pouces au lieu de deux, M. Hans Sloane au- roit plus approché du vrai. Mais Je croîs cette censure trop générale et trop absolue; car je vois Aldrovande qui, d'après le portrait d'un oiseau de cette espèce, assure qu'il n'a point de queue; et de l'autre, M. Bar- rère qui rapporte, d'après ses propres observations faites sur les lieux, que la femelle de son hocco des Amazones, qui est le hocco de Curaçao de M. Brisson, a la queue très peu longue : d'où il s'en suivroit que ce que le chevalier Hans Sloane dit trop générale- ment du hocco doit être restreint à la seule femelle, du moins dans certaines races. II. LE PAUXI ou LE PIERRE. Crax PanxL L. Nous avons fait représenter cet oiseau sous le nom de pierre de Cayenne^ n** 78; et c'est en effet le nom qu'il porboit à la ménagerie du roi, où nous l'avons fait dessiner d'après le vivant : mais, comme il porte dans son pays, qui est le Mexique , le nom de pauzij selon Fernandès, nous avons cru devoir l'indiquer û6o LES H OC COS. SOUS ces deux noms. C'est le quatorzième faisan de M. Brisson, qu'il appelle hocco du Mexique. Cet oiseau ressemble, à plusieurs égards, au hocco précédent; mais il en diffère aussi en plusieurs points : il n'a point, comme lui, la tête surmontée d'une liuppe; le tubercule qu'il a sur le bec est plus gros, fait en forme de poire, et de couleur bleue. Fernandès dit que ce tubercule a la dureté de la pierre, et je soupçonne que c'est de là qu'est venu au pauxi le nom d'oiseau à pierre ^ ensuite celui de pierre; comme il a pris le nom de cusco ou de cusliew bird , et celui de poule numidlque ,, de ce même tubercule à qui les uns ont trouvé de la ressemblance avec la noix d'A- mérique appelée cusco ou cushew^ et d'autres avec le casque de la pintade. Quoi qu'il en soit, ce ne sont pas là les seules diffé- rences qui distinguent le pauxi des hoccos précédents : il est plus petit de taille, son bec est plus fort, plus courbé, et presque autant que celui d'un perroquet; d'ailleurs il nous est beaucoup plus rarement apporté que le hocco. M. Edwards, qui a vu ce dernier dans presque toutes les ménageries, n'a jamais rencontré qu'un seul cusco ou pauxi dans le cours de ses re- cherches. Le beau noir de son plumage a des reflets bleus et couleur de pourpre , qui ne paroissent ni ne pour- roient guère paroître dans la figure. Cet oiseau se perche sur les arbres ; mais il pond à terre comme les faisans, mène ses petits, et les rap- pelle de même : les petits vivent d'abord d'insectes, et ensuite, quand ils sont grands, de fruits, de grains, et de tout ce qui convient à la volaille. LES HOCCOS. 261 Le pauxi est aussi doux, et , si l'on veut, aussi slu- pide que les autres hoccos ; car il se laissera tirer jusqu'à six coups de fusil sans se sauver : avec cela il ne se laisse ni prendre ni toucher, selon Fernandès; et M. Aublet m'assure qu'il ne se trouve que dans les lieux inhabités : c'est probablement l'une des causes de sa rareté en Europe. M. Brisson dit que la femelle ne diffère du mâle que par les couleurs, ayant du brun partout où ce- lui-ci a du noir, et qu'elle lui est semblable dans tout le reste : mais Aldrovande , en reconnoissant que le fond de son plumage est brun, remarque qu'elle a du cendré aux ailes et au cou , le bec moins crochu, et point de queue; ce qui seroit un trait de confor- mité avec le hocco des Amazones de Barrère, dont la femelle , comme nous l'avons vu , a la queue beau- coup moins longue que le mâle : et ce ne sont pas les seuls oiseaux d'Amérique qui n'aient point de queue; il y a même tel canton de ce continent où les poules transportées d'Europe ne peuvent vivre long-temps sans perdre leur queue et même leur croupion, comme nous l'avons vu dans l'histoire du coq. Ilï. L'HOAZirs. P/iasianus cristatus. h. Cet oiseau est représenté, dans nos planches enlu- minées, n" 557, sous le nom de faisan huppé de Cayenne; BUFFO;\. XX. 17 202 LES HOCCOS. du moins il n'en diffère que très peu, comme on peut en juger en comparant notre planche ùô'j à la description de Hernandès. Selon cet auteur, l'hoazia n'est pas tout-à-fait aussi gros qu'une poule-d'Inde : il a le bec courbé , la poitrine d'un blanc jaunâtre, les ailes et la queue mar- quées de taches ou raies blanches à un pouce de dis- tance les unes des autres; le dos , le dessus du cou , les côtés de la tête, d'un fauve brun; les pieds de (couleur obscure. Il porte une huppe composée de plumes blanchâtres d'un côté et noires de l'autre ; cette huppe est plus haute et d'une autre forme que celle des hoccos , et il ne paroît pas qu'il puisse la baisser et la relever à son gré : il a aussi la tète plus petite et le cou plus grêle- Sa voix est très forte , et c'est moins un cri qu'un hurlement. On dit qu'il prononce son nom, apparem- ment d'un ton lugubre et effrayant : il n'en falloit pas davantage pour le faire passer, chez les peuples gros- siers, pour un oiseau de mauvais augure ; et comme partout on suppose beaucoup de puissance à ce que l'on craint, ces mêmes peuples ont cru trouver en lui des remèdes aux maladies les plus graves : mais on ne dit pas qu'ils s'en nourrissent ; ils s'en abstiennent en effet, peut-être par une suite de cette même crainte, ou par une répugnance fondée sur ce qu'il fait sa pâture ordinaire de serpents : il se tient com- munément dans les grandes forêts, perché sur des ar- bres le long des eaux, pour guetter et surprendre ces reptiles. Il se trouve dans les contrées les plus chaudes du Mexique : Hernandès ajoute qu'il paroît LES HOtlCOS. 265 en aulomne , ce qui feroit soupçonner que c'est un oiseau de passage^. M. Aublet m'assure que cet oiseau, qu'il a reconnu facilement sur not»^e planche enluminée, n" 337, s'ap- privoise ; qu'on en voit parfois de domestiques chez les Indiens, et que les François les appellent des paons. Us nourrissent leurs petits de fourmis, de vers, et d'autres insectes, ÎV. L'YACOU. Pénélope Cumanensis, Gmel, Cet oiseau s'est nommé lui-même ; car son ori , se- lon Marcgrave , est yacoUj, d'où lui est venu le nom à'iacuperna : pour moi j'ai préféré celui dyacou,, comme plus propre à le faire reconnoître tontes les fois qu*on pourra le voir et l'entendre. Marcgrave est le premier qui ait parlé de cet oi- seau. Quelques naturalistes, d'après lui, l'ont mis au 1. Feraandès parle d'un autre ciseau auquel il donne le nom iVhoa- zin , quoique , par sou récit même , il soit très différent de celui dont nous venons de parler : car, outre qu'il est plus petit, son ciumt est fort agréable , et ressemble quelquefois à l'éclat de rire d'un liomme, et même à un rire rao([ueur; et l'on mange sa chair, quoiqu'elle no soit ni tendre ni de bon goût. Au reste, c'est un oiseau qui ne s'ap- privoise point. Je retrouverois bien plutôt l'hoazin dans un autre oiseau dont parle le même auleur, au cliapitre ccxxiii , page 67, à la suite du pauxi. Voici ses termes : Alla avis pauxi annectenda... ciconiœ, magnitudine, colore cinereo , crisia octo uncias longe, et rnul'îis aggerata pluniis... in amplitudinem orbictdorum prœcipae circa mmmmn dilataiis. Voilà bien l.i kuppe de riioa/in cf sa lAiWa. 204 LES HOCCOS. nombre des faisans ; et d'autres, tels que MM. Brissorî et Edwards, l'ont rangé parmi les dindons : mais il n'est ni l'un ni l'autre. Il n'est point un dindon , quoi- qu'il ait une peau rouge sous le cou ; car il en diffère à beaucoup d'autres égards, et par sa taille, qui est à peine égale à celle d'une poule ordinaire , et par sa tête, qui est en partie revêtue de plumes, et par sa huppe, qui approche beaucoup plus de celle des hoc- cos que de celle du dindon huppé , et par ses pieds, qui n'ont point d'éperons; d'ailleurs on ne lui voit pas au bas du cou ce bouquet de crins durs, ni sur le bec cette caroncule musculeuse qu'a le coq-d'Inde, et il ne fait point la roue en relevant les plumes de sa queue. D'autre part, il n'est point un faisan; car il a le bec grêle et allongé, la huppe des hoccos , le cou menu, une membrane charnue sous la gorge ^ les pennes de la queue toutes égales, et le naturel doux et tranquille, tous attributs par lesquels il dif- fère des faisans ; et il diffère par son cri du faisan et du dindon. Mais que sera-t-il donc.^ il sera un yacou , qui aura quelques rapports avec le dindon (la mem- brane charnue sous la gorge, et la queue composée de pennes toutes égales), avec les faisans (l'œil en- touré d'une peau noire, les ailes courtes et la queue longue), avec les hoccos (cette longue queue, la huppe, et le naturel doux) ; mais qui s'éloignera de tous par des différences assez caractérisées et en assez grand nombre pour constituer une espèce à part, et empêcher qu'on ne puisse le confondre avec aucun autre oiseau. On ne peut douter que le guan ou le quan de M. Edwards (planche xiii), ainsi appelé, selon lui. LliS HOCCOS. 265 dans les Indes occidentales, apparemment par quel- que autre tribu de sauvages, ne soit au moins une variété dans l'espèce de notre yacou, dont il ne dif- fère que parce qu'il est moins haut monté ^ et que ses yeux sont d'une autre couleur; mais on sait que ces petites différences peuvent avoir lieu dans la même espèce, et surtout parmi les races diverses d'une es- pèce apprivoisée. Le noir mêlé de brun est la couleur principale du plumage, avec différents reflets et quelques mouche- tures blanches sur le cou , la poitrine, le ventre, etc.; les pieds sont d'un rouge assez vif. La chair de l'yacou est bonne à manger; tout ce que l'on sait de ses autres propriétés se trouve indi- qué dans l'exposé que j'ai fait , au commencement de cet article, des différences qui le distinguent des oiseaux auxquels on a voulu le comparer. M. Ray le regarde comme étant de la même espèce que le coxolitH de Fernandès ; cependant celui-ci est beaucoup plus gros, et n'a point sous la gorge cette membrane charnue qui caractérise l'yacou : c'est pour- quoi je l'ai laissé avec les hoccos proprement dits. LE MARAIL. Pénélope Marail. Gmel. Les auteurs ne nous disent rien de la femelle de l'vacou , excepté M. Edwards, qui conjecture qu'elle n'a point de huppe. D'après cette indication unique, et d'après la comparaison des figures les plus exactes, 1 Maicgiave dit posilivcnieut crura longa. 266 LES liOCGOS. et des oiseaux eux-mêmes conservés, je soupçonne que celui que nous avons fait représenter n° 358, sous le nom de faisan verdâtre de Cayenne^ et qu'on appelle communément marail dans cette île, pourroit être la femelle , ou du moins une variété de l'es- pèce de l'yacou : car j'y trouve plusieurs rapports mar- qués avec le guan de M. Edwards (planche xiii), dans la grosseur, la couleur du plumage, la forme totale , à la huppe près , que la femelle ne doit point avoir ; dans le port du corps, la longueur de la queue, le cercle de peau rousse autour des yeux^, l'espace rouge et nu sous la gorge, la conformation des pieds et du bec , etc. J'avoue que j'y ai aussi aperçu quel- ques différences ; les pennes de la queue sont en tuyaux d'orgue, comme dans le faisan , et non point toutes égales , comme dans le guan d'Edwards , et les ouvertures des narines ne sont pas aussi près de l'origine du bec. Mais on ne seroit pas embarrassé de citer nombre d'espèce où la femelle diffère encore plus du mâle, et où il y a des variétés encore plus éloi- gnées les unes des autres. M. Aublet, qui a vu cet oiseau dans son pays na- tal, m'assure qu'il s'apprivoise très aisément, et que sa chair est délicate et meilleure que celle du faisan, en ce qu'elle est plus succulente. Il ajoute que c'est un véritable dindon, mais seulement plus petit que celui qui s'est naturalisé en Europe ; et c'est un trait de conformité de plus qu'il a avec l'yacou d'avoir été pris pour un dindon. 1. Cette peau uue est bleue dans 1 jacou et rouge clans le maiaii r, mais nous avons déjà observé la même vaiialiou de couleur d'un se.vr à l'autre dans les membranes charnues de la pintade. LES HOCCOS. ai^'j Cet oiseau se trouve non seulement à Gayenne, mais encore dans le pays qu'arrose la rivière des Amazones, du moins à en juger par l'identité du nom ; car M. Bar- rère parle d'un marail des Amazones comme d'un oi- seau dont le plumage est noir, le bec vert, et qui n'a point de queue ^. Nous avons déjà vu dans l'histoire du hocco proprement dit, et du pierre de Cayenne, qu'il y avoit dans ces espèces des individus sans queue, qu'on avoit pris pour des femelles : cela seroit-il vrai aussi des marails? Sur la plupart de ces oiseaux étran- gers et si peu connus, on ne peut, si l'on est de bonne foi, parler qu'en hésitant et par conjecture. TV. LE CARAGARA2. Psophia crepitans. L. J'appelle ainsi, d'après son propre cri, ce bel oi^ seau des Antilles , dont le P. Du Tertre a donné la description. Si tous les oiseaux d'Amérique qui ont été pris pour des faisans doivent se rapporter aux hoccos, le caracara doit avoir place parmi ces derniers, car les François des Antilles , et d'après eux le P. Du Tertre , lui ont donné le nom de faisan. « Ce faisan, dit-il , est un fort bel oiseau, gros comme un chapon , plus haut monté, sur des pieds de paon ; il a le cou beaucoup 1. Phasianus niger, aburas , viridi rostro. Je crois qoe cet autour a en Ici) du par le mot latin barbare aburus , sans queue; ou qu'il aura écrit a6u;as au lieu dea6rafas, qui, comme erutus , pourroit signiûer. arraché, tronqué. 2. Cet oiseau est le même que l'agami. 26S LES II OC COS. plus long que celui d'un coq, et le bec et la tête ap- prochant de ceux du corbeau ; il a toutes les plumes du cou et du poitrail d'un beau bleu luisant, et aussi agréable que les plumes des paons ; tout le dos est d'un gris brun; et les ailes et la queue, qu'il a assez courtes , sont noires. « Quand cet oiseau est apprivoisé , il fait le maître dans la maison , et en chasse à coups de bec les pou- les-d'Inde et les poules communes, et les tue quel- quefois ; il en veut même aux chiens, qu'il becque en traître. J'en ai vu un qui étoit ennemi mortel des nègres, et n'en pouvoit souffrir un seul dans la case qu'il ne becquât par les jambes ou par les pieds jus- qu'à en faire sortir le sang. » Ceux qui en ont mangé m'ont assuré que sa chair est aussi bonne que celle des faisans de France. Comment M. Ray a-t-il pu soupçonner qu'un tel oiseau fût l'oiseau de proie dont parle Marcgrave sous le même nom de caracara? Il est vrai qu'il fait la guerre aux poules, mais c'est seulement lorsqu'il est apprivoisé , et pour les chasser, en un mot , comme il fait aux chiens et aux nègres : on reconnoît plutôt à cela le naturel jaloux d'un animal domestique qui ne souffre point ceux qui peuvent partager avec lui la faveur du maître , que les mœurs féroces d'un oi- seau de proie qui se jette sur les autres oiseaux pour les déchirer et s'en nourrir; d'ailleurs il n'est point ordinaire que la chair d'un oiseau de proie soit bonne à manger, comme l'est celle de notre caracara. Enfin il paroît que le caracara de Marcgrave a la queue et les ailes beaucoup ulus longues à proportion que ce- lui du P. Du Tertre. LES UOCCOS. 26i) VIL LE CHACAMEL. Pénélope vociferans. Gmel. Fernandès parle d uq oiseau qui est du même pays, et à peu près de Ja même grosseur que les précé- dents , et qui se nomme , en langue mexicaine , cha- clialacamelt ^ d'où j'ai formé le nom de cliacamelj, afin que du moins on puisse le prononcer. Sa principale propriété est d'avoir le cri comme la poule ordinaire, ou plutôt comme plusieurs poules : car il est, dit-on , si fort et si continuel , qu'un seul de ces oiseaux fait autant de bruit qu'une basse-cour entière ; et c'est de là que lui vient son nom mexicain, oiseaucrlard. II est brun sur le dos, blanc tirant au brun sous le ventre, et le bec et les pieds sont bleuâtres. Le chacamel se fient ordinairement sur les monta- gnes, comme la plupart des hoccos, et y élève ses petits. VIII. LE PARRAKA ET L'HOl ÏLALLOTL^. Autant qu'on peut en juger par les indications in- complètes de Fernandès et de Barrère , on peut , ce me semble, rapporter ici, iMe parraka du dernier, qu'il appelle faisait:, et dont il dit que les plumes de *. fiCt oisrau a été rapporté à l'yacou. 2'JO LES HOCGOS. la tête sont de couleur fauve , et lui forment une es- pèce de huppe ; 2" l'hoitlaJlotl ou oiseau long du pre- mier, lequel habite les plus chaudes contrées du Mexi- que. Cet oiseau a la queue longue , les ailes courtes, et le vol pesant, comme la plupart des précédents; mais il devance à la course les chevaux les pkis vîtes. Il est moins grand que les hoccos, n'ayant que dix- huit pouces de longueur, du bout du bec au bout de la queue : sa couleur générale est le blanc tirant au fauve; les environs de la queue ont du noir mêlé de quelques taches blanches; mais la queue elle-même estdun vert changeant, et qui a des reflets à peu prés comme les plumes du paon. Au fond, ces oiseaux sont trop peu connus pour qu'on puisse les rapporter sijrement à leur véritable espèce : je ne les place ici que parce que le peu que l'on sait de leurs qualités les rapproche plus des oi- seaux dont nous venons de parler que de tous autres ; c'est à l'observation à fixer leur véritable place : en at- tendant , je croirai avoir assez fait , si ce que j'en dis ici peut inspirer aux personnes qui se trouvent à portée l'envie de les connoître mieux, et d'en donner une histoire plus complète. LES PERDRIX. Les espèces les plus généralement connues sont souvent celles dont l'histoire est le plus difficile à dé- brouiller, parce que ce sont celles auxquelles chacun LES PERDRIX. 2'J l rapporte naturellement les espèces inconnues qui se présentent la première fois, pour peu qu'on y aper- çoive quelques traits de conformité, et sans faire beau- coup d'attention aux traits de dissemblance souvent plus nombreux; en sorte que de ce bizarre assemblage d'êtres qui se rapprocbent par quelques rapports su- perficiels, mais qui se repoussent par des différences plus considérables , il m^ peut résulter qu'un chaos de contradictions d'autant plus révoltantes , que l'on ci- tera plus de faits particuliers de l'histoire de chacun ; la plupart de ces faits étant contraires entre eux , et d'une absurde compatibilité lorsqu'on veut les appli- quer à une seule espèce , ou même à un seul genre. Nous avons vu plus d'un exemple de cet inconvénient dans les articles que nous avons traités ci-dessus, et il y a grande apparence que celui que va nous fournir l'article de la perdrix ne sera pas le dernier. Je prends bour base de ce que j'ai à dire des per- drix , et pour première espèce de ce genre , celle de notre perdrix grise, comme étant la plus connue, et par conséquent la plus propre à servir d'objet de com- paraison pour bien juger de tous les autres oiseaux dont on a voulu faire des perdrix; j'y reconnois une variété et trois races constantes. Je ren;arde comme races constantes, i" la perdrix grise ordinaire , n° 27, et comme variété de cette race celle que M. Brisson appelle perdrix grise-b tanche ; 2" la perdrix de Damas; non celle de Belon, qui est une gelinotte, mais celle d'Aldrovande , qui est plus petite que notre perdrix grise, et qui me paroît être la même que la petite perdrix de passage, qui est bien connue de nos chasseurs; 5** la perdrix de tnontagne , 272 lES PERDRIX. que nous avons fait représenter n*' 109, et qui semble faire la nuance entre les perdrix grises et les rouges. J'admets pour seconde espèce celle de la perdrix rouge, dans laquelle je reconnois deux races con- stantes répandues en France, une variété et deux ra- ces étrangères. Les deux races constantes de perdrix rouges du pays sont : i** celle de la plai\che enluminée n° 1 5o ; 2° La bartavelle de la planche enluminée n" 23 1. Et les deux races ou espèces étrangères sont : 1° la perdrix rouge de Babarie d'Edwards, planche lxx ; 2" La perdrix de roche, qu'on trouve sur les bords de la Gamba. Et comme le plumage de la perdrix rouge est su- jet à prendre du blanc, de même que celui de la per- drix grise , il en résulte dans cette espèce une variété parfaitement analogue à celle que j'ai reconnue dans l'espèce ordinaire. J'exclus de ce genre plusieurs espèces qui y ont été rapportées mal à propos : 1° Le francoîin, que nous avons fait représenter n° 147 ^t 148, et que nous avons cru devoir séparer de la perdrix, parce qu'il en diffère non seulement parla forme, mais encore par quelques caractères particuliers, tels que les éperons, etc. 2** L'oiseau appelé par M. Brisson perdrix du séné- gai^ et dont il a fait sa huitième perdrix. Cet oiseau , qui est représenté sous le même nom de perdrix du Sénégal^ nous paroît avoir plus de rapport avec les francolîns qu'avec les perdrix; et, comme c'est une espèce particulière qui a deux ergots à chaque jambe, nous lui donnerons le nom de bis-ergot; LES PERDRIX. 2^0 5" La perdrix rouge d'Afrique, ii" 180; 4° La troisième espèce étrangère donnée par M. Bris- son sous le nom de grosse perdrix du Brésil ^ qu'il croit être le înaciicagua de Marcgrave , puisqu'il en copie la description, et qu'il confond mal à propos avec l'agami de Cayenne, n° 169, lequel est un oiseau tout différent et du macucagua et de la perdrix; 5" L'yambou de Marcgrave , qui est la perdrix du Brésil de M. Brisson, et qui n'a ni la forme, ni les hahitudes, ni les propriétés des perdrix, puisque, selon M. Brisson lui-même, il a le bec allongé, qu'il se perche sur les arbres, et que ses œufs sont bleus; 6° La perdrix d'Amérique de Gatesby et de M. Bris- son, laquelle se perche aussi et fréquente les bois plus que les pays découverts, ce qui ne convient guère aux perdrix que nous connoissons; 7*' Une multitude d'oiseaux d'Amérique que le peu- ple ou les voyageurs ont jugé à propos d'appeler per- drix y d'après des ressemblances très légères, et en- core plus légèrement observées : tels sont les oiseaux qu'on appelle à la Guadeloupe perdrix rousses^ perdrix noires j, et perdrix grises ,> quoique, selon le témoi- gnage des personnes les plus instruites, ce soient des pigeons ou des tourterelles, puisqu'ils n'ont ni le bec ni la chair des perdrix, qu'ils se perchent sur les ar- bres , qu'ils y font leur nid, qu'ils ne pondent que deux œufs, que leurs petits ne courent point dès qu'ils sont éclos, mais que les père et mère les nour- rissent dans le nid, comme font les tourterelles : telles sont encore, selon toute apparence, ces perdrix à tête bleue que Carreri a vues dans les montagnes de la Havane; telles sont les mambouris^ \es pégassotis j, les 2'^i\ LES l'ElVnUIX. pégacans de L<'ry, et peut-être quelques unes des per- drix d'Amérique que j'ai rapportées au genre des perdrix sur la foi des auteurs, lorsque leur témoi- ngage n'étoit point contredit par les faits, quoiqu'il le soit, à mon avis, par la loi du climat, à laquelle un oiseau aussi pesant que la per.lrix ne peut guère man- quer d'être assujetti. LA PERDRIX GRISE^ Tetrao Perdix, Gmkl. Quoique Aldrovande , jugeant des autres pays par eelui qu'il habitoit, dise que les perdrix grises sont communes partout, il est certain néanmoins qu'il n'y en a point dans l'île de Crète ; et il est probable qu'il n'y en a jamais eu dans la Grèce, puisque Athénée marque de la surprise de ce que toutes les perdrix d'Italie n'avoient pas le bec rouge , comme elles l'a- voient en Grèce ; elles ne sont pas même également communes dans toutes les parties de l'Europe ; et il paroît, en général, qu'elles fuient la grande chaleur comme le grand froid, car on n'en voit point en Afrique ni en Laponie^; et les provinces les plus tempérées de la France et de l'Allemagne sont celles 1. En latin , perdix; en espagnol » perdiz ; en italien , perdice; on al- lemand, voild-hun on feld-hun; en anglois, partridge. 2. La Barbinaisle Gentil nous apprend qu'on a tenté inutilement de peupler l'île de Bourbon de perdrix. ToTce 20. Paîiaaet,scu]p , 1 1 A pï'JŒ)Rix:GÏ11SE_Q, ! .A Pi;TI\rEPERI)MXGK[SE_3.1AÏEKDKIiLI)EMCNTAGl\T. LA PERDRIX CrRISE. 273 OÙ elles abondent le plus. Il est vrai que Boterius a dit qu'il n'y avoit point de perdrix en Irlande; mais cela doit s'entendre des perdrix rouges, qui ne se trouvent pas même en Angleterre (selon les meil- leurs auteurs de cette nation) , et qui ne se sont pas encore avancées de ce côte là au delà des îles de Jer- sey et de Guernesey. La perdrix grise est assez ré- pandue en Suède, où M. Linnieus dit qu'elle passe l'hiver sous la neige dans des espèces de clapiers qui ont deux ouvertures. Cette manière d'hiverner sous la neige ressemble fort à la perdrix blanche dont nous avons donné l'histoire sous le nom de lagopède; et si ce fait n'éloit point attesté par un homme de la ré- putation de M. Linnaeus , j'y soupçonneroîs quelque méprise , d'autant plus qu'en France \es longs hivers, et surtout ceux où il tombe beaucoup de neige, dé- truisent une grande quantité de perdrix. Enfin, comme c'est un oiseau fort pesant, je doute qu'il ait passé en Amérique; et je soupçonne que les oiseaux du Nouveau -Monde qu'on a voulu rapporter au genre des perdrix, en seront séparés dès qu'ils seront mieux connus. La perdrix grise, n** 27, diffère à bien des égards de la rouge ; mais ce qui m'autorise principalement à en faire deux espèces distinctes, c'est que, selon la re- marque du petit nombre des chasseurs qui savent observer, quoiqu'elles se tiennent quelquefois dans les mêmes endroits, elles ne se mêlent point l'une avec l'autre, et que si l'on a vu quelquefois un mâle vacant de l'une des deux espèces s'attacher à une paire de l'autre espèce , la suivre > et donner des mar- ques d'empressement et même de jalousie , jamais on 2-6 LA PERDRIX GRTSE. Tie Ta Vil s'accoupler avec la femelle, quoiqu'il éprou- vât tout ce qu'une privation forcée et le spectacle per- pétuel d'un couple heureux pouvoient ajouter au penchant de la nature et aux influences du printemps. La perdrix grise est aussi d'un naturel plus doux que la rouge ^, et n'est point difficile à apprivoiser; lorsqu'elle n'est point tourmentée, elle se familiarise aisément avec l'homme : cependant on n'en a jamais formé de troupeaux qui sussent se laisser conduire comme font les perdrix rouges; car Olina nous avertit que c'est de cette dernière espèce qu'on doit enten- dre ce que les voyageurs nous disent en général de ces nombreux troupeaux de perdrix qu'on élève dans quelques îles de la Méditerranée. Les perdrix grises ont aussi l'instinct plus social entre elles ; car chaque famille vit toujours réunie en une seule bande, qu'on appelle volée ou compagnie ^ jusqu'au temps où l'a- mour qui l'avoit formée la divise pour en unir les membres plus étroitement deux à deux; celles mêmes dont, par quelque accident, les pontes n'ont point réussi, se rejoignant ensemble et aux débris des com- pagnies qui ont le plus souiTert, forment, sur la fin de 1 été , de nouvelles compagnies souvent plus nom- breuses que les premières , et qui subsistent jusqu'à la pariade de l'année suivante. Ces oiseaux se plaisent dans les pays à blé, et sur- tout dans ceux où les terres sont bien cultivées et marnées, sans doute parce qu'ils y trouvent une 1. M. Ray dit le contraire, page 67 de son Synopsis; mais comme il avoue qu'il n'y a point de perdrix rouges en Angleterre, il n'a pas élé à portée de faire la comparaison par lui-même, comme l'ont fait les observateurs d'après qui je parle. LA PERDRIX GRISE. 2^7 nourriture plus abondante, soit en grains, soit en insectes, ou peut-être aussi parce que les sels de la marne, qui contribuent si fort à la fécondité du sol, sont analogues à leur tempérament ou à leur goût. Les perdrix grises aiment la pleine campagne, et ne se réfugient dans les taillis et les vignes que lors- qu'elles sont poursuivies par le chasseur ou par l'oi- seau de proie ; mais jamais elles ne s'enfoncent dans les forêts, et l'on dit même assez communément qu'elles ne passent jamais la nuit dans les buissons ni dans les vignes : cependant on a trouvé un nid de perdrix dans un buisson au pied d'une vigne. Elles commencent à s'apparier dès la fin de l'hiver après l,es grandes gelées , c'est-à-dire que chaque mâle cherche alors à s'assortir avec une femelle : mais ce nouvel ar- rangement ne se fait pas sans qu'il y ait entre les mâ- les , et quelquefois entre les femelles, des combats fort vifs. Faire la guerre et l'amour ne sont presque qu'une même chose pour la plupart des animaux, et surtout pour ceux en qui l'amour est un besoin aussi pressant qu'il l'est pour la perdrix : aussi les femelles de cette espèce pondent-elles sans avoir eu de com- merce avec le mâle , comme les poules ordinaires. Lorsque les perdrix sont une fois appariées, elles ne se quittent plus, et vivent dans une union et une fidé- lité à toute épreuve. Quelquefois, lorsqu 'après la pa- riade il survient des froids un peu vifs, toutes ces paires se réunissent et se reforment en compagnie. Les perdrix grises ne s'accouplent guère, du moins en France, que sur la fin de mars, plus d'un mois après qu'elles ont commencé de s'apparier , et elles ne se mettent à pondre que dans le mois de mai et BUFFON. XX. ly 2'jS iA PERDRIX GRISE. même de juin, lorsque l'hiver a été long. En général^ elles font leurs nids sans beaucoup de soins et d'ap- prêts ; un peu d'herbe et de paille grossièrement ar- rangées dans le pas d'un bœuf ou d'un cheval, quel- quefois même celle qui s'y trouve naturellement, il ne leur en faut pas davantage : cependant on a remar- qué que les femelles un peu âgées et déjà instruites par l'expérience des pontes précédentes apportoient plus de précaution que les toutes jeunes, soit pour garantir le nid des eaux qui pourroient le submerger, soit pour le mettre en sûreté contre leurs ennemis, en choisissant un endroit un peu élevé et défendu naturellement par des broussailles. Elles pondent ordinairement de quinze à vingt œufs , et quelquefois jusqu'à vingt-cinq; mais les couvées des toutes jeunes et celles des vieilles sont beaucoup moins nombreu- ses, ainsi que les secondes couvées que des perdrix de bon âge recommencent lorsque la première n'a pas réussi, et qu'on appelle en certains pays des re- coquées. Ces œufs sont à peu près de la couleur de ceux de pigeoji : Pline dit qu'ils sont blancs. La du- rée de l'incubation est d'environ trois semaines, un peu plus, un peu moins, suivant \es degrés de cha- leur. La femelle se charge seule de couver, et pendant ce temps elle éprouve une mue considérable, car presque toutes les plumes du ventre lui tombent : elle couve avec beaucoup d'assiduité , et on prétend qu'elle ne quitte jamais ses œufs sans les couvrir de feuilles. Le mâle se tient ordinairement à portée du nid, attentif à sa femelle, et toujours prêt à l'accom- pagner lorsqu'elle se lève pour aller chercher la nour- LA PERDRIX GRISE. 2J^ ritnre ; et son attachement est si fidèle et si pur, qu'il préfère ces devoirs pénibles à des plaisirs faciles que lui annoncent les cris répétés des autres perdrix, aux- quels il répond quelquefois, mais qui ne lui font ja- mais abandonner sa femelle pour suivre l'étrangère. Au bout du temps marqué, lorsque la saison est fa- vorable et que la couvée va bien, les petits percent leur coque assez facilement , courent au moment même qu'ils éclosent , et souvent emportent avec eux une partie de leur coquille ; mais il arrive aussi quel- quefois qu'ils ne peuvent forcer leur prison, et qu'ils meurent à la peine : dans ce cas , on trouve les plumes du jeune oiseau collées contre les parois intérieures de l'œuf; et cela doit arriver nécessairement toutes les fois que l'œuf a éprouvé une chaleur trop forte. Pour remédier à cet inconvénient, on met les œufs dans l'eau pendant cinq ou six minutes ; l'œuf pompe à travers sa coquille les parties les plus ténues de l'eau; et l'effet de cette humidité est de disposer les plumes qui sont collées à la coquille à s'en détacher plus facilement : peut-être aussi que cette espèce de bain rafraîchit le jeune oiseau , et hii donne assez de force pour briser sa coquille avec le bec. Il en est de même des pigeons , et probablement de plusieurs oiseaux utiles dont on pourra sauver un grand nom- bre par le procédé que je viens d'indiquer, ou par quelque autre procédé analogue. Le mâle, qui n'a point pris de part au soin de cou- ver les œufs, partage avec la mère celui d'élever les petits; ils les mènent en commun, les appellent sans cesse , leur montrent la nourriture qui leur convient, et leur apprennent à se la procurer en grattant la 2So LA PERDRIX GRISE. terre avec leurs ongles. Il n'est pas rare de les trouver accroupis l'un auprès de l'autre , et couvrant de leurs ailes leurs poussins, dont les têtes sortent de tous cô- tés avec des yeux fort vifs; dans ce cas, le père et la mère se déterminent difficilement à partir, et un chasseur qui aime la conservation du gibier se déter- mine encore plus difficilement à les troubler dans une fonction si intéressante : mais enfin si un chien s'em- porte , et qu'il les approche de trop près , c'est tou- jours le mâle qui part le premier, en poussant des cris particuliers , réservés pour cette seule circon- stance , il ne manque guère de se poser à trente ou quarante pas; et on en a vu plusieurs fois revenir sur le chien en battant des ailes : tant l'amour paternel inspire de courage aux animaux les plus timides! Mais quelquefois il inspire encore à ceux-ci une sorte de prudence et des moyens combinés pour sauver leur couvée : on a vu le mâle, après s'être présenté, pren- dre la fuite j mais fuir pesamment et en traînant l'aile, comme pour attirer l'ennemi par l'espérance d'une proie facile, et fuyant toujours assez pour n'être point pris, mais assez pour décourager le chasseur; il l'écarté de plus en plus de la couvée : d'autre côté , la femelle, qui part un instant après le mâle, s'éloi- gne beaucoup plus et toujours dans une autre direc- tion; à peine s'est-elle abattue , qu'elle revient sur-le- champ en courant le long des sillons, et s'approche de ses petits, qui sont blottis, chacun de son côté, dans les herbes et dans les feuilles; elle les rassem- ble promptement; et, avant que le chien qui s'est emporté après le mâle ait eu le temps de revenir, elle les a déjà enrimenés fort loin, sans que le chasseur ail LA PERDRIX GRISE. 28î «îiteiidu le moindre bruit. C'est une remarque assez gé- néralement vraie parmi les animaux, que l'ardeur qu'ils éprouvent pour l'acte de la génération est la mesure des soins qu'ils prennent pour le produit de cet acte ; tout est conséquent dans la nature, et la perdrix en est un exemple; car il y a peu d'oiseaux aussi lascifs, comme il en est peu qui soignent leurs petits avec une vigilance plus assidue et plus courageuse. Cet amour de la couvée dégénère quelquefois en fureur contre les couvées étrangères, que la mère poursuit souvent et maltraite à grands coups de bec. Les perdreaux ont les pieds jaunes en naissant ; cette couleur s'éclaircit ensuite et devient bjancliâtre, puis elle brunit, et enfin devient tout-à-fait noire dans les perdrix de trois ou quatre ans. C'est un moyen de connoître toujours leur âge; on le connoît encore à la forme de la dernière plume de l'aile , laquelle est pointue après la première mue, et qui, l'année sui- vante, est entièrement arrondie. La première nourriture des perdreaux ce sont les œufs de fourmis, les petits insectes qu'ils trouvent sur la terre, et les herbes; ceux qu'on nourrit dans les maisons refusent la graine assez long-temps, et il y a apparence que c'est leur dernière nourriture : à tout âge ils préfèrent la laitue, la chicorée, le mouron, le laiteron , le séneçon, et même la pointe des blés verts; dès le mois de novembre on leur en trouve le jabot rempli, et pendant l'hiver ils savent bien l'aller chercher sous la neige; lorsqu'elle est endurcie par la gelée . ils sont réduits à aller auprès des fon- taines chaudes qui ne sont point glacées, et à vivre des herbes qui croissent sur leurs bords, et qui leur 2^2 LA PERDRIX GRISE. ' sont très contraires : en été , on ne les voit pas boire. Ce n'est qu'après trois ixiois passés que ies jeunes perdreaux poussent le rouge ; car les perdrix grises ont aussi du rouge à côté des tempes entre l'œil et l'oreille, et le moment où ce rouge commence à paroître est un temps de crise pour ces oiseaux, comme pour tous les autres qui sont dans le même cas : cette crise an- nonce l'âge adulte. Avant ce temps , ils sont délicats, ont peu d'ailes, et craignent beaucoup l'humidité: mais, après qu'il est passé, ils deviennent robustes, commencent à avoir de l'aile , à partir tous ensemble , à ne se plus quitter; et si on est parvenu à disperser la compagnie , ils savent se réunir malgré toutes les précautions du chasseur. C'est en se rappelant qu'ils se réunissent. Tout le monde connoît le chant des perdrix, qui est fort peu agréable : c'est moins un chant ou un ramage qu'un cri aigre imitant assez bien le bruit d'une scie, et ce n'est pas sans intention que les mythologistes ont métamorphosé en perdrix l'inventeur de cet instru- ment. Le chant du mâle ne diffère de celui de la fe- melle qu'en ce qu'il est plus fort et plus traînant; le mâle se distingue encore de la femelle par un éperon obtus qu'il a à chaque pied, et par une marque noire, en forme de fer à cheval , qu'il a sous le ventre, et que la femelle n'a pas. Dans cette espèce comme dans beaucoup d'autres, il naît plus de mâles que de femelles^ , et il importe pour la réussite des couvées de détruire les mâles surnuméraires , qui ne font que troubler les paires 1. Cela Ta à environ un tiers de plus, seion M. Leroy LA PERDRIX GRISE. sST) ?issorties et nuire à la propagation. La manière la plus usitée de les prendre c'est de les faire rappe- ler au temps de la pariade par une femelle à qui, dans cette circonstance, on donne le nom de chante- relle : la meilleure pour cet usage est celle qui a été prise vieille ; les mâles accourent à sa voix et se li- vrent aux chasseurs, en donnant dans les pièges qu'on leur a tendus; cet appeau naturel les attire si puissam- ment, qu'on en a vu venir sur le toit des maisons, et jusque sur l'épaule de l'oiseleur. Parmi les pièges qu'on peut leur tendre pour s'en rendre maître, le plus sûr et le moins sujet à inconvénients, c'est la tonnelle , espèce de grande nasse où sont poussées les perdrix par un homme déguisé à peu près en va- che, et, pour que l'illosionsoit plus complète, tenant en sa main une de ces petites clochettes qu'on met au coup du bétail; lorsqu'elles sont engagées dans les filets, ont choisit à la main les mâles superflus, quelquefois même tous les mâles, et on donne la li- berté aux femelles. Les perdrix grises sont des oiseaux sédentaires, qui non seulement restent dans le même pays, mais qui s'écartent le moins qu'ils peuvent du canton où ils ont passé leur jeunesse, et qui y reviennent toujours. Eilescraîgnent beaucoup l'oiseau deproie; lorsqu'elles l'ont aperçu, elles se mettent en tas les unes contre les autres et tiennent ferme , quoique l'oiseau , qui les voit aussi fort bien , les approche de très près en rasant la terre , pour tâcher d'en faire partir quel- qu'une et de la prendre au vol. Au milieu de tant d'ennemis et de dangers, on sent bien qu'il en est peu qui vivent âge de perdrix. Quelques uns fixent la 264 ^^ PERDRIX GRISE. durée de leur vie à sept années, et prétendent cpe la force de l'âge et le temps de la pleine ponte est de deux à trois ans , et qu'à six elles ne pondent plus. Olina dit qu'elles vivent douze ou quinze ans. On a tenté avec succès de les multiplier dans les parcs, pour en peupler ensuite les terres qui en étoient dénuées, et l'on a reconnu qu'on pouvoit les élever , à très peu près , comme nous avons dit qu'on élevoit les faisans ; seulement il ne faut pas compter sur les œufs des perdrix domestiques. Il est rare qu'elles pondent dans cet état, encore plus rare qu'elles s'ap- parient et s'accouplent; mais on ne les a jamais vues couver en prison , je veux dire renfermées dans ces parquets où les faisans multiplient si aisément. On est donc réduit à faire chercher par la campagne des œufs de perdrix sauvages, et à les faire couver par des poules ordinaires. Chaque poule peut en faire éclore environ deux douzaines, et mener pareil nomhre de petits après qu'ils sont éclos : ils suivront cette étran- gère comme ils auroient suivi leur propre mère , mais ils ne reconnoissent pas si bien sa voix ; ils la recon- noissent cependant juscju'à un certain point, et une perdrix ainsi élevée en conserve toute sa vie l'iiabi- tude de chanter aussitôt qu'elle entend des poules. Les perdreaux gris sont beaucoup moins délicats à élever que les rouges, moins sujets aux maladies, au moins dans notre pays; ce qui feroit croire que c'est leur climat naturel. Il n'est pas même nécessaire de leur donner des œufs de fourmis, et l'on peut les nourrir, comme les poulets ordinaires, avec la mie de pain, les œufs durs, etc. Lorscju'ils sont assez forts et qu'ils commencent à trouver par eux-mêmes leur LA PERDRIX GRISE. 285 subsistance, on les lâche dans l'endroit même où on les a élevés, et dont, comme je l'ai dit, ils ne s'éloi- e:nent jamais beaucoup. La chair de la perdrix p;rise est connue depuis très long-temps pour être une nourriture exquise et sa- lutaire ; elle a deux bonnes qualités qui sont rarement réunies, c^est d'être succulente sans être grasse. Ces oiseaux ont vingt-deux pennes à chaque aile , et dix- huit à la queue, dont' les quatre du milieu sont de la couleur du dos. Les ouvertures des narines, qui se trouvent à la base du bec , sont plus qu'à demi recouvertes par un opercule de même couleur que le bec, mais d'une substance plus molle, comme dans les poules. L'es- pace sans plumes qui est entre l'œil et l'oreille est d'un rouge plus vif dans le mâle que dans la femelle. Le tube intestinal a environ deux pieds et demi de long, les deux cœcum cinq à six pouces chacun. Le jabot est fort petit^, et le gésier se trouve plein de graviers mêlés avec la nourriture, comme c'est l'ordi- naire dans les granivores. LA PERDRIX GRISE -BLANCHE. Cette perdrix a été connue d'Aristote , et observée par Scaliger, puisque tous deux parlent de perdrix blanche, et on ne peut point soupçonner que ni l'un ni l'autre ait voulu parler du lagopède, appelé mal à 1. lîigluvies ampla, dit Willugliby ; mais les perdrix que j'ai fait ouvrir l'avoient fort petit. 286 LA PERDRIX GRISE-BLANCHE. propos perdrix blanche par quelques uns : car, pour ce qui regarde Aristote, il ne pouvoit avoir en vue le lagopède, qui est étranger à la Grèce, à l'Asie, et à tous les pays où il avoit des correspondances; et ce qui le prouve c'est qu'il n'a jamais parlé de la propriété caractéristique de cet oiseau , qui est d'avoir les pieds velus Jusque sous les doigts ; et , à l'égard de Scaliger , il n'a pu confondre ces deux espèces , puisque , dans le même chapitre où il parle de la perdrix blanche qu'il a mangée, il parle un peu plus bas et fort au long du /agopusde Pline, quia les pieds couverts de plumes, et qui est notre vrai lagopède. Au reste, il s en faut bien que la perdrix grise- blanche soit aussi blanche que le lagopède ; il n'y a que le fond de son plumage qui soit de cette couleur; et l'on voit sur ce fond blanc les mêmes mouchetures que dans la perdrix grise , et distribuées dans le même ordre : mais ce qui achève de démontrer que cette différence dans la couleur du plumage n'est qu'une altération accidentelle, un effet particulier, en un mot, une variété proprement dite, et qui n'em- pêche point qu'on ne doive regarder la perdrix blan- che comme appartenant à l'espèce de la perdrix grise., c'est que, selon les naturalistes, et même selon les chas- seurs, elle se mêle et va de compagnie avec elle. Un demesamis^enavu une compagnie de dixou douze qui étoient toutes blanches, et les a aussi vuesse mêler avec les grises au temps de la pariade. Ces perdrix blanches avoient les yeux ou plutôt les prunelles rouges, comme les ont les lapins blancs, les souris blanches, etc.; le bec et les pieds étoient de couleur de plomb. 1. M. Leroy, lieutenant dos chassos de Versailles. lA PETITE PEUDUIX GllîSE. 287 > î-S^^S**©** «*««»« 8«^ LA PETITE PERDRIX GRISE. Tetrao Damascenus. Gmel. J'appelle ainsi la perdrix de Damas d'Aldrovande, qui est probablement la môme que la petite perdrix de passage qui se montre de temps en temps en dif- férentes provinces de France. Elle ne diffère pas seulement de la perdrix grise par sa taille, qui est constamment plus petite, mais en- core par son bec, qui est plus allongé, par la couleur jaune de ses pieds, et surtout par l'habitude qu'elle a de changer de lieu et de voyager. On en voit quel- quefois dans la Brie et ailleurs passer par bandes très nombreuses, et poursuivre leur chemin sans s'arrêter. Un chasseur des environs de Montbard, qui chassoit à la chanterelle au mois de mars dernier (1770), en vit une volée de cent cinquante ou deux cents, qui parut se détourner, attirée par le cri de la chanterelle, mais qui, dès le lendemain, avoit entièrement dis- paru. Ce seul fait, qui est très certain, annonce et les rapports et les différences qu'il y a entre ces deux perdrix : les rapports, puisque ces perdrix étrangè- res furent attirées par le ciiant d'une perdrix grise; les différences, puisque ces étrangères traversèrent si rapidement un pays qui convient aux perdrix grises et même aux rouges, les unes et les autres y de- meurant toute l'année; et ces différences supposent 288 LA PKTITE PERDRIX GRISE. un autre instinct , et par conséquent une autre orga- nisation, et au moins une autre race. Il ne faut pas confondre cette perdrix de Damas ou de Syrie avec la syroperdix d'ÉVien , que l'on trouvoit aux environs d'Antioche, qui avoit le plumage noir, le bec de couleur fauve , la chair plus compacte et de meilleur goût, et le naturel plus sauvage que les au- tres perdrix : car !es couleurs , comme l'on voit, ne se rapportent point; et Élien ne dit pas que sa syroper- dix soit un oiseau de passage : il ajoute comme une singularité, qu'elle mangeoit des pierres; ce qui ce- pendant est assez ordinaire dans les granivores. Sca- îiger rapporte, comme témoin oculaire, un fait beaucoup plus singulier, qui a rapport à celui-ci; c'est que dans un canton de la Gascogne où le terrain est fort sablonneux , la chair des perdrix étoit remplie d'une quantité de petits grains de sables fort incom- modes. Me« Épc*9^«*»8«*«^)^»««>8««-w>**&s*»*o*«*8*o*«*o*e««*9««*»»»&«*«a LA PERDIUX DE MONTAGNE. Tetrao montanus. GxMEL. Je fais une race distincte de cette perdrix , n° 1 36, parce qu'elle ne ressemble ni à l'espèce grise ni à la rouge : mais il seroit difficile d'assigner celle de ces deux espèces à laquelle elle doit se rapporter; car si, d'un côté , l'on assure qu'elle se mêle quelquefois avec les perdrix grises, d'un autre côté sa demeure ordinaire sur les montagnes, et la couleur du rouge H.i33. TaxiqTLet,sca]jp . 1,LA BARTiWELLE .„_ 2 .LA PEKDRIX ROUGïï^ - 3.1E _b^RA"NC01.ra LA PERDRIX DE MONTAGNE. 289 de son bec et de ses pieds , la rapprochent aussi beau- coup des perdrix rouges, avec qui je soupçonne fort qu'elle se mêle comme avec les grises; et par ces raisons je suis porté à la regarder comme une race intermédiaire entre ces deux espèces principales. Elle est à peu près de la grosseur de la perdrix grise , et elle a vingt pennes à la queue. LES PERDRIX ROUGES. LA BARTAVELLE oi; PERDRIX GRECQUE. Perdix grœca. Buisson. C'est aux perdrix rouges, et principalement à la bartavelle, n° 201 , que doit se rapporter tout ce que les anciens ont dit de la perdrix. Aristotedevoit mieux connoître la perdrix grecque qu'aucune autre, et ne pouvoit guère connoître que des perdrix rouges , puisque ce sont les seules qui se trouvent dans la Grèce, dans les îles de la Méditerranée, et, selon toute apparence, dans la partie de l'Asie conquise par Alexandre, laquelle est à peu près située sous le même climat que la Grèce et la Méditerranée^, et 1. Il paroît quo la perdrix des pays habités ou connus par les Juifs (depuis l'Egypte jusqu'à Babylonc) étoit la perdrix rouge, ou du moins n'étoit pas la grise , puisqu'elle se teuoit sur les montagnes. {Sicut persequitur perdix inmontibus. Reg., lib. I, cap. 26). '2gO LES PERDRIX ROLGES. qui étoil probablement celle où Aristote avoit ses prin- cipales correspondances. Al égard des naturalistes qui sont venus depuis, tels que Pline, Athénée, etc. , on voit assez clairement que , quoiqu'ils connussent en Italie des perdrix autres que des rouges , ils se sont contentés de copier ce qu'Aristote avoit dit des perdrix rouges. Il est vrai que ce dernier reconnoît une différence dans le chant des perdrix; mais on ne peut en conclure légitimement une différence dans l'espèce: car la diversité du chant dépend souvent de celle de l'âge et du sexe ; elle a lieu quelquefois dans le même individu, et elie peut être l'effet de quelque cause particulière, et même de l'influence du climat, selon les anciens eux-mêmes, puisque Athénée prétend que les perdrix qui passoient de l'Attique dans la Béotie se reconnoissoient à ce qu'elles avoient changé de cri. D'ailleurs Théophraste, qui remarque aussi quelques variétés dans la voix des perdrix, relativement aux pays qu'elles habitent, suppose expressément que toutes ces perdrix ne sont point d'espèces différentes, puis- qu'il parle de leurs différentes voix dans son livre De varia voce avium ejusdem generls ^. En examinant ce que les anciens ont dit ou répété de cet oiseau , j'y ai trouvé un assez grand nombre de faits vrais et d'observations exactes, mêlés d'exa- gérations et de fables, dont quelques modernes se sont moqués, ce qui n'étoit pas difficile, mais dont je me propose ici de rechercher le fondement dans les mœurs et le naturel même de la perdrix. Aristote , après avoir dit que c'est un oiseau pul- 1. Il est aisé de voir que ces mot? . ejusdem gencris, signifient ici rf^ ia même espèce. LES PERDRIX ROUGES. 2Ç)l vérateur, qui a un jabot, un gésier, et de très petits cœcwn ; qui vit quinze ans et davantage; qui, de même que tous les autres oiseaux qui ont le vol pe- sant, ne construit point de nid, mais pond ses œufs à plate terre , sur un peu d'herbe ou de feuilles ar- rangées négligemment , et cependant en un lieu bien exposé et défendu contre les oiseaux de proie ; que dans cette espèce, qui est très lascive ; les mâles se battent entre eux avec acharnement dans la saison de l'amour, et ont alors les testicules très apparents, tandis qu'ils sont à peine visibles en hiver; que les femelles pondent des œufs sans avoir eu commerce avec le mâle; que le mâle et la femelle s'accouplent en ouvrant le bec et tirant la langue^; que leur ponte ordinaire est de douze ou quinze œufs; qu'elles sont quelquefois si pressées de pondre , que leurs œufs leur échappent partout où elles se trouvent : Aristote, dis-je , après avoir dit toutes ces choses , qui sont incontestables et confirmées par le témoignage de nos observateurs, ajoute plusieurs circonstances où le vrai paroît être mêlé avec le faux, et qu'il suffit d'analyser pour en tirer la vérité pure de tout mé-^ lange. Il dit donc, i** que les perdrix femelles déposent la plus grande partie de leurs œufs dans un lieu caché, pour les garantir de la pétulence du maie , qui cher- che à les détruire , comme faisant obstacle à ses plai- sirs ; ce qui a été traité de fable par Willughby, mais, à mon avis, un peu trop absolument, puisqu'en dis- 1. Avicenne a pris de là l'occasion de dire que les perdrix se prépa- roient par des baisers à des caresses plus intimes, comme les pigeons: mais c'est une erreur. 292 LES PERDRIX ROUGES. tinguant le physique du moral, et séparant le fait observé de l'intention supposée, ce que Aristote a dit se trouve vrai à la lettre, et se réduit à ceci, que la perdrix a , comme presque toutes les autres fe- melles parmi les oiseaux , l'instinct de cacher son nid, et que les mâles, surtout les surnuméraires, cher- chant à s'accoupler au temps de l'incubation, ont porté plus d'une fois un préjudice notable à la cou- vée , sans autre intention que celle de Jouir de la cou- veuse : c'est par cette raison que de tout temps on a recommandé la destruction de ces mâles surnumé- raires, comme un des moyens les plus efîicaces de favoriser la multiplication de l'espèce non seulement des perdrix , mais de plusieurs autres oiseaux sauvages. Aristote ajoute, en secontl lieu, que la perdrix fe- melle partage les œufs d'une seule ponte en deux cou- vées; qu'elle se charge de l'une et le mâle de l'autre, jusqu'à la fin de l'éducation des petits qui en pro- viennent; et cela contredit positiveuient l'instinct qu'il suppose au mâle , comme nous venons de le voir, de chercher à casser les œufs de sa femelle. Mais en conciliant Aristote avec lui-même et avec la vérité, on peut dire que, comme la perdrix femelle ne pond pas tous ses œufs dans le même endroit, puisqu'ils lui échappent souvent malgré elle partout où elle se trouve, et comme le mâle partage appa- remment dans cette espèce, ou du moins dans quel- ques races de cette espèce, ainsi que dans la grise, le soin de l'éducation des petits, on aura pu croire qu'il partageoit aussi ceux de l'incubation, et qu'il çouvoit à part tous les œufs qui n'étoient point sous la femelle. LEH PEllDRIX ROUGES. 2Ç}J Aristote dit, en troisième lieu, que les mâles se co- chent les ans les autres, et même qu'ils cochent leurs petits aussitôt qu'ils sont en état de marcher, et l'on a mis cette assertion au rang des absurdités : cepen- dant j'ai eu occasion de citer plus d'un exemple avéré de cet excès de nature , par lequel un mâle se sert d'un autre mâle, et môme de tout autre meuble^, comme d'une femelle ; et ce désordre doit avoir lieu (à pius forte raison) parmi des oiseaux aussi lascifs que les perdrix, dont les mâles, lorsqu'ils sont bien animés, ne peuvent entendre le cri de leurs femelles sans répandre leur liqueur séminale, et qui sont tel- lement transportés et comme enivrés dans cette sai- son d'amour, que, malgré leur naturel sauvage, ils viennent quelquefois se poser jusque sur l'oiseleur : et combien leur ardeur n'est-elle pas plus vive dans un climat aussi chaud que celui de la Grèce, et lors- qu'ils ont été privés long-temps de femelles, comme cela arrive au temps de l'incubation î Aristote dit, en quatrième lieu, que les perdrix fe- melles conçoivent et produisent des œufs lorsqu'elles se trouvent sous le vent de leurs mâles, ou lorsque ceux-ci passent au dessus d'elles en volant, et même lorsqu'elles entendent leur voix; et on a répandu du ridicule sur les paroles du philosophe grec, comme si elles eussent signifié qu'un courant d'air imprégné par les corpuscules fécondants du mâle, ou seule- ment mis en vibration par le son de sa voix, sufïisoit pour féconder réellement une femelle ; tandis qu'elles ne veulent dire autre chose , sinon que les perdrix 1. Voyez ci-desf us l'histoire du coq, celle du lapin , et les G/rt/«Mres d'Edwards, partie II, page 21. BUFFOiN. XX. .19 3^4 ^^"-^ PEKDRÎX ROUGES. femelles ayant le tempérament assez chaud pour pro- duire des œufs d'elles-mêmes et sans commerce avec le mâle, comme je l'ai remarqué ci-dessus, tout ce qui peut exciter leur tempérament doit augmenter encore en elles cette puissance; et l'on ne nieva point que ce qui leur annonce la présence du mâle ne puisse et ne doive avoir cet effet, lequel d'ailleurs peut être produit par un simple moyen mécanique qu'Aristote nous enseigne ^, ou par le seul frottement qu'elles éprouvent en se vautrant dans la poussière. D'après ces faits, il est aisé de concevoir que, quelque passioQ qu'ait la perdrix pour couver, elle en a quelquefois encore plus pour jouir, et que, dans certaines circonstances , elle préférera le plaisir de se joindre à son mâle, au devoir de faire éclore ses pe- tits; il peut même arriver qu'elle quitte la couvée par amour pour la couvée même ; ce sera lorsque, voyant son mâle attentif à la voix d'une autre perdrix qui le rappelle et prêt à l'aller trouver, elle vient s'offrir à ses désirs pour prévenir une inconstance qui seroit nuisible à la famille ; elle tâche de le rendre fidèle en le rendant heureux- Élien a dit encore que , lorsqu'on vouloit faire combattre les mâles avec plus d'ardeur, c'étoit tou- jours en présence de leurs femelles, parce qu'un mâle, ajoute-t-il , aimeroit mieux mourir que de montrer de la lâcheté en présence dé sa femelle , ou que de paroître devant elle après avoir été vaincu : mais c'est encore ici le cas de séparer le fait de l'intention. Il est certain que la présence de la femelle anime les i. Sed idem faciunl. {netnpe ova liypenemia seu zephyria pariant) si difrito génitale palpetur. ( Aristotc. Historia animaliani, lib. VI. cap. 1 1 .) LES PEUORIX l\C»UGES. 2()J mâles au combat, non pas eiA leur inspirant un cer- tain point d'honneur, mais parce qu'elle exalte en eux la jalousie, toujours proportionnée dans les animaux au besoin de jouir; et nous venons de voir combien ce besoin est pressant dans les perdrix. C'est ainsi qu'en distinguant le physique du moral , et les faits réels des suppositions précaires, on re- trouve la vérité, trop souvent défigurée dans l'histoire des animaux par les fictions de l'homme, et par la manie qu'il a de prêter à tous les autres êtres sa na- ture propre et sa manière de voir et de sentir. Gomme les bartavelles ont beaucoup de choses communes avec les perdrix grises, il suffira, pour achever leur histoire, d'ajouter ici les principales dif- férences par lesquelles elles se distinguent des der- nières. Belon, qui avoit voyagé dans leur pays natal , nous apprend qu'elles ont le double de grossem^ de nos perdrix; qu'elles sont fort communes, et plus communes qu'aucun autre oiseau, dans la Grèce, les îles Gyclades , et principalement sur les côtes de l'île de Grète (aujourd'hui Gandie); qu'elles chantent au temps de l'amour; qu'elles prononcent à peu près le mot chacabiSj, d'où les Latins ont fait sans doute le mot cacabare pour exprimer ce cri, et qui peut-être a eu quelque influence sur la formation des noms eu- bet/i, ciibata , cabeji^ etc., par lesquels on a désigné la perdrix rouge dans les Indes orientales. Belon nous apprend encore que les bartavelles se tiennent ordinairementparmi les rochers; mais qu'elles ont l'instinct de descendre dans la plaine pour y faire leur nid, afin que leurs petits trouvent en naissant une subsistance facile, qu'elles pondent de huit jus- 5>96 LES VEIIDIIIX IlOUGES. qu'à seize œufs de la grosseur d'un petit œuf de poule, blancs, marqués de petits points rougeâtres, et dont le jaune, qu'il appelle nioyeUj, ne se peut durcir. En- fin, ce qui persuade à un observateur que la perdrix de Grèce est d'autre espèce que notre perdrix rouge , c'est qu'il y a en Italie des lieux où elles sont connues l'une et l'autre, et ont chacune un nom différent; la perdrix de Grèce celui de cothurnOj et l'autre celui de pemice : comme si le peuple qui impose les noms, n'avoit pu se méprendre, ou même distinguer par deux dénominations différentes, deux races distinc- tes appartenant à une seule et même espèce ! Enfin il conjecture, et non sans fondement, que c'est cette grosse perdrix qui, suivant Aristote, s'est mêlée avec la poule ordinaire, et a produit avec elle des indivi- dus féconds ; ce qui n'arrive que rarement , selon le philosophe grec, et n'a lieu que dans les espèces les plus lascives, telles que celles du coq et de la per- drix*, ou de la bartavelle, qui est la perdrix d'Aris- tote : celle-ci a encore une nouvelle analogie avec la poule ordinaire, c'est de couver des œufs étrangers à défaut des siens. H y a long-temps que cette remar- que a été faite, puisqu'il en est question dans les li- vres sacrés. 1. Je rapporte en entier le passage d'Aristote, parce qu'il présente des vues très saines et très philosophiques. Et ideo quœ non unigena coeunt {(juodea faciunt , fiuortan temptis par, et uteri gestatio pvoxima, et corporis magnitudo non midto discrepans), liœc primas portas simi- Les sibl edunt , commiini generis utriusquc specie, q aides... [ex perdice et galiinaceo); sed temporc procédante divisi ex diversis provenienies , demiim forma feminœ mstitati évadant, qaomodo semina peregr^na ad posiremnm pro terrœ natura reddu7itur : liœc enim maieriam corpusque seminibus prœstat. LES PEnDïlIX ROUGES. 297 Àrislole a remarqué que les perdrix mâles chan- toient ou crioient principalement dans la saison de l'amour, lorsqu'ils se battent entre eux, et même avant de se battre : l'ardeur qu'ils ont pour leur fe- melle se tourne alors en raure contre leurs rivaux; et de là tous ces cris, ces combats, cette espèce d'i- vresse, cet oubli d'eux-mêmes, cet abandon de leur propre conservation qui les a précipités plus d'une fois, je ne dis pas dans les pièges, mais jusque dans les mains de l'oiseleur. On a profité de la connoissance de leur naturel pour les attirer dans le piège, soit en leur présen- tant une femelle vers laquelle ils accourent pour en jouir, soit en leur présentant un mâle sur lequel ils fondent pour le combattre ; et l'on a encore tiré parti de cette haine violente des mâles contre les mâles pour en faire une sorte de spectacle, où ces animaux, ordinairement si timides et si pacifiques, se battent entre eux avec acharnement; et on n'a pas manqué de les exciter, comme je l'ai dit, par la présence de leurs femelles. Cet usa^e est encore très commun au- jourd'hui dans l'île de Chypre; et nous voyons dans Lampridius que l'empereur Alexandre Sévère s'amu- soit beaucoup de ce genre de combat. agS LA PEKDRIX KOUGE D EU 11 OPE/ LA PERDRIX ROUGE D'EUROPE. Tetrao ru fus. L. Crtte perdrix, ri*' i,5o, tient le milieu pour la gros- seur entre la I)artavelle et !a perdrix grise : elle n'est pas aussi répandue que cette dernière , et tout climat ne lui est pas bon. On la trouve dans la plupart des pays montagneux et tempérés de l'Europe, de l'Asie, et de l'Afrique; mais elle est rare dans les Pays-Bas; dans plusieurs parties de l'Allemagne et de la Bo- hême, où l'on a tenté inutilement de la multiplier, quoique les faisa.is y eussent bien réussi. On n'en voit point du tout en Angleterre ni dans certaines îles des environs de Lemnos; tandis qu'une seule paire portée dans la petite île à'Ànaplie (aujourd'hui Nanfio) y pullula tellement, que les habitants furent sur le point de leur céder la place. Ce séjour leur est si fa- vorable , qu'encore aujourd'hui l'on est obligé d'y dé- truire leurs œufs par milliers vers les fêtes de Pâques, de peur que les perdrix qui en viendroient ne dé- truisissent entièrement le!^ moissons; et ces œufs, ac- commodés à toutes sauces, nourrissent les insulaires pendant plusieurs jours. Les perdrix rouges se tiennent sur les montagnes qui produisent beaucoup de bruyères et de brous- sailles, et quelquefois sur les mêmes montagnes où se trouvent certaines gelinottes, mal à propos appe- L A. V E U D R I X 11 O U G E f) EUR OPE. 1> Q () lées perdrix blanches, mais dans des parties moins élevées, et par conséquent moins froides et moins sanvages. Pendant l'hiver, elles se récèlent sous des abris de rocbers bien exposés , et se répandent pen : le reste de Tannée, elles se tiennent dans les brous- sailles, s'y font chercher long-temps par les chasseurs, et partent difficilement. On m'assure qu'elles résis- tent souvent mieux que les grises aux rigueurs de l'hiver, et que , bien qu'elles soient plus aisées à pren- dre dans les différents pièges que les giises, il s'en trouve toujours à peu près le même nombre au prin- tenq)S dans les endroits qui leur conviennent. Elles vivent de grains, d'herbes, de limaces, de chenilles, d'œufs de fourmis, et d'autres insectes; mais leur chair se sent quelquefois des aliments dont elles vi- vent. Elien rapporte que les perdrix de Cyrrha, ville maritime de la Phocide, sur le golfe de Corinlhe, sont de mauvais goût, parce ([u'elles se nourrissent d'ail. Elles volent pesamment et avec effort, comme font les grises; et on peut les reconnoître de mên]e sans les voir, au seul bruit qu'elles font avec leurs ai- les en prenant leur volée. Leur instinct est de plon- ger dans les précipices lorsqu'on les surprend sur les montagnes, et de regagner le sommet lorsqu'on va à la remise. Dans les plaines, elles filent droit et avec roideur : lorsqu'elles sont suivies de près et poussées vivement, elles se réfugient dans les bois, se per- chent même sur les arbres, et se terrent quelque- fois; ce que ne font point les perdrix grises. Les perdrix rouges diÛerent encore des grises par le naturel et les mœurs, elles sont moins sociables : à la OOO LA PEr.DKIX KOUGE DEUIIOPE. vérité, elles vont par compagnies; mais il ne règne pas dans ces compagnies une union aussi parfaite. Quoique nées, quoique élevées ensemble, les per- di ix rouges se tiennent plus éloignées les unes des au- tres; elles ne partent point ensemble, ne vont pas toutes du même côté, et ne se rappellent pas ensuite avec le même empressement, si ce n'est au temps de l'amour; et alors même chaque paire se réunit sépa- rément. Enfin , lorsque cette saison est passée et que la femelle est occupée à couver, le maie la quitte, et la laisse seule chargée du soin de la famille; en quoi nos perdrix rouges paroissent aussi différer des per- drix rouges de l'Egypte, puisque les prêtres égyp- tiens avoient choisi pour l'emblème d'un bon ménage deux perdrix, l'une mâle et Tautre femelle, couvant chacune de son côté. Par une suite de leur naturel sauvage, les perdrix rouges que l'on tâche de multiplier dans les parcs , et que l'on élève à peu près comme les faisans, sont encore plus difficiles à élever, exigent plus de soins et de précautions pour les accoutumer à la captivité, ou, pour mieux dire, elles ne s'y accoutument ja- mais, puisque les petits perdreaux rouges qui sont éclos dans ia faisanderi? , et qui n'ont jamais connu la liberté, languissent dans celte prison, qu'on cherche à leur rendre agréable de toutes manières, et meu- rent bientôt d'ennui ou d'une maladie qui en est la suite, si on ne les lâche dans le temps où ils com- mencent à avoir la tête garnie de plumes. Ces faits, qui m'ont été fournis par M. Lerov, oa- roîssent contredire ce qu'on rapporte des perdrix d'Asie et de quelques îles de l'Archipel, et même de LA PERDRIX ROUGE D EUROPE. OOI Provence , où on en a vu des troupes nombreuses qui obéissoient à la voix de leur conducteur avec une docilité singulière. Porphyre parle d'une perdrix pri- vée venant de Gartbagc, qui accouroit à la voix de son maître, le caressoit, et exprimoit son attache- ment par des inflexions de voix que le sentiment sembloit prodjiire, et qui étoient toutes différentes de son cri ordinaire. Mundella et Gesner en ont élevé eux-mêmes qui étoient devenues très familières : ilpa- roît même , par plusieurs passages des anciens, qu'on en étoit venu jusqu'à leur apprendre à chanter ou à perfectionner leur chant naturel , qui, du moins dans dans certaines races, passoit pour un ramage agréable. Mais tout cela peut se concilier en disant que cet oiseau est moins ennemi de l'homme que de l'escla- vage ; qu'il est des moyens d'apprivoiser et de sub- juguer l'animal le plus sauvage, c'est-à-dire le plus amoureux de sa liberté , et que ce moyen est de le traiter selon sa nature en lui laissant autant de liberté qu'il est possible. Sous ce point de vue, la société de la perdrix apprivoisée avec l'homme qui sait s'en faire obéir est du genre le plus intéressant et le plus noble: elle n'est fondée ni sur le besoin, ni sur l'intérêt, ni sur une douceur stupide , mais sur la synipathie, le goût réciproque, le choix volontaire; il faut même, pour bien réussir, qu'elle soit absolument volontaire et libre. La perdrix ne s'attache à l'homme, ne se soumet à ses volontés, qu'autant que l'homme lui laisse perpétuellement le pouvoir de le quitter; et lorsqu'on veut lui imposer une loi trop dure, une contrainte au delà de ce qu'exige toute société, en un mot, lorsqu'on veut la réduire à l'esclavage dômes- v)02 LA PEilOiUX ilOlGE DELHOPE. tique, son naturel si doux se révolte, et le regret profond de sa liberté perdue étoufl'e en elle les plus forts penchants de la nature; celui de se conserver, on l'a vue souvent se tourmenter dans sa prison jusqu'à se Casser la tête et mourir; celui de se reproduire, elle y montre une répugnance invincible ; et si quel- quefois on la vit, cédant à l'ardeur du tempérament et à l'influence de la saison , s'accoupler et pondre en cage, jamais on ne l'a vue s'occuper efficacement, dans la volière la plus commode et la plus spacieuse , à perpétuer une race esclave. LA PERDRIX ROUGE-BLANCHE. Dans la race de la perdrix rouge, la blancheur du plumage est, comme dans la race de la perdrix grise, un effet accidentel de quelque cause particulière, et qui prouve l'analogie des_deux races. Cette blancheur n'est cependant point universelle, car la tête conserve ordinairement sa couleur, le bec et les pieds restent rouges; et comme d'ailleurs on la trouve ordinaire- ment avec les perdrix rouges, on est fondé à la re- garder comme une variété individuelle de cette race de perdrix. LE F a AA COLIN. 00 v> LE FRANCOLIN. Tetrao FrcmcoUnus. L. Ce nom de francoUn est encore un de ceux qui ont été appliqués à des oiseaux fort différents : nous avons déjà vu ci-dessus qu'il avoit été donné à l'attagas; et il paroi t, par un passage de Gesner, que l'oiseau connu à Venise sous le nom de francoUn est une espèce de gelinotte ( hazel-hu/in). Le francolin de Naples est plus gros qu'une poule ordinaire; et, à vrai dire, la longueur de ses pieds, de son bec, et de son cou , ne permet point d'en faire une ofélinotte ni un francolin. Tout ce qu'on dit du francolin de Ferrare c'est qu'il a les pieds rouges et vit de poissons. L'oiseau du Spitz- berg, auquel on a donné le nom de francolin ^ s'ap- pelle aussi coureur de rivage^ parce qu'il ne s'éloigne jamais beaucoup de la côte, où il trouve ia nourri- ture qui lui convient, savoir, des vers gris et des che- vrettes : mais il n'est pas plus gros qu'une alouette. Le francolin dont Olina donne la description et la figure est celui dont il s'agit ici : celui de M. Edwards en diffère en quelques points, et paroît être exactement le même oiseau que le francolin de M. de Tourne- fort, qui se rapproche aussi de celui de Ferrare, en ce qu'il se plaît sur les côtes de la mer et dans les lieux marécageux. 3o4 LE FRANCO LIN. Enfin le nôtre, n"^ 147 et 148, paroît différer de ces trois derniers, et même de celui de M. Brisson , soit par la couleur du plumage et même du bec, soit par les dimensions et le port de la queue, qui est plus longue dans la figure de M. Brisson , plus épanouie dans la nôtre, et tombante dans celle de M. Edwards €t d'Olina; mais, malgré cela, je crois que le franco- lin d'Olina, celui de M. de Tournefort, celui d'Ed- wards, celui de M. Brisson, et le mien sont tous de la même espèce, attendu qu'ils ont beaucoup de cho- ses communes, et que les petites différences qu'on a observées entre eux ne sont pas assez caractérisées pour constituer des espèces diverses, et peuvent d'ail- leurs être relatives à l'âge, au sexe, au climat, ou à d'autres causes particulières. Il est certain que le francolin a beaucoup de rap- ports avec la perdrix; et c'est ce qui a porté Olina , Linnaeus, et Brisson à le ranger parmi les perdrix. Pour moi , après avoir examiné de près et comparé ces deux sortes d'oiseaux, j'ai cru avoir observé entre eux assez de différences pour les séparer. En effet, le francolin diffère des perdrix non seulement par les couleurs du plumage, par la forme totale, par le port de la queue, et par son cri, mais encore parce qu'il a un éperon à chaque jambe ^, tandis que la perdrix mâle n'a qu'un tubercule calleux au lieu d'é- peron. Le francolin est aussi beaucoup moins répandu que la perdrix. Il paroît qu'il ne peut guère subsister que dans les pays chauds : l'Espagne , l'Italie, et la Sicile, 1. Celui d'Olina n'eu a point ; mais il y a apparence qu'il a l'ait des- siner la femelle. LE FRANCO LIN. 5o5 sont presque les seuls pays de l'Europe où il se trouve; on en voit aussi à Rhodes, dans l'île de Chypre , à Sa- mos, dans la Barbarie, et surtout aux environs de Tunis, en Egypte, sur les côtes d'Asie, et au Ben- gale. Dans tous ces pays, on trouve des francolins et des perdrix qui ont chacun leurs noms distincts et Jeur espèce séparée. La rareté de ces oiseaux en Europe , jointe au bon goût de leur chair, a donné lieu aux défenses rigou- reuses qui ont été faites en plusieurs pays de les tuer; et de là on prétend qu'ils ont eu le nom de francolins comme jouissant d'une sorte de franchise sous la sau- vegarde de ces défenses. On sait peu de chose de cet oiseau au delà de ce que montre la figure. Son plumage est fort beau; il a un collier très remarquable de couleur orangée : sa grosseur surpasse un peu celle de la perdrix grise. La femelle est un peu plus petite que le mâle, et les couleurs de son plumage sont plus foibles et moins variées. Ces oiseaux vivent de grains : on peut les élever dans des volières ; mais il faut avoir l'attention de leur donner à chacun une petite loge où ils puissent se tapir et se cacher, et de répandre dans la volière du sable et quelques pierres de tuf. Leur cri est moins un chant qu'un sifflement très fort, qui se fait entendre de fort loin. Les francolins vivent à peu près autant que les per- drix : leur chair est exquise; elle est quelquefois préférée à celle des perdrix et des faisans. M. Linnaeus prend la perdrix de Damas de Wil- lugliby pour le francolin : sur quoi il y a deux remar- 5ô6 LE Fil AN COLIN. ques à faire; la m^emière, que cette perdrix de Damas est plutôt celle TTe Belon, qui en a parlé le premier, que celle de Willughby, qui n'en a parlé que d'après Belon; la seconde, que cette perdrix de Damas diffère du francolin et par sa petitesse , puisqu'elle est moins grosse que la perdrix grise, selon Belon, et par son plumage, comme on peut le voir en comparant les figures de nos planches enluminées, et par ses pieds velus, qui ont empêché Belon de la ranger parmi les râles de genêt ou les pluviers. M. Linnaeus auroit dû reconnoître le francolin de Tournefort dans celui d'Olina, dont Willughby fait mention; enfin le naturaliste suédois se trompe en- core en fixant exclusivement l'Orient pour le climat du francolin, puisque cet oiseau se trouve, comme je l'ai déjà remarqué, en Sicile, en Italie, en Espa- gne, en Barbarie, et dans quelques autres contrées qui n'appartiennent point à l'Orient. Aristote met l'attagen, que Belon regarde comme le francolin, au rang des oiseaux pulvérateurs et fru- givores : Belon lui fait dire de plus que cet oiseau pond un grand nombre d'œufs, quoique cela ne se trouve point à l'endroit cité; mais c'est une consé- quence que l'on peut tirer, dans les principes d'Aris- tote, de ce que cet oiseau est frugivore etpulvérateur. Belon dit encore, d'après les anciens, que le francolin est fréquent dans la campagne de Maralhon , parce qu'il se plaît dans les lieux marécageux; et cela s'ac- corde très bien avec ce que M. de Tournefort rapporte des francolins de Samos. * LE BlS-EPxGOT. OO7 LE BIS-ERGOT. Tetrao blcalcaratus. Gmel. La première espèce qui nous paroît voisine du fran- colin c'est l'oiseau qui nous a été donné sous le nom de perdrix du Sénégal j, n* iSy. Cet oiseau a à chaque pied deux ergots, ou plutôt deux tubercules de chair dure et calleuse; et, comme c'est une espèce ou race particulière, nous lui avons donné le nom de bis- ergot j, à cause de ce caractère de deux ergots qu'ii a à chaque pied. Je le place à la suite des francolins , parce qu'il me paroît avoir plus de rapports avec eux qu'avec les perdrix, soit par sa grosseur, soit par la longueur du bec et des ailes, soit par ses éperons. LE GORGE-NUE, ET LA PERDRIX ROUGE D'EGYPTE. Tetrao nudicoUis. Gmel. Cet oiseau, que nous avons vu vivant à Paris cliez feu M. le marquis de Montmiraii, a le dessous du cou et de la gorge dénué de plumes , et simplement cou- vert d'une peau rouge : le reste du plumage est beau- couq moins varié et moins agréable que celui du fran- 5o8 LV. CÎORGE-NLE. colin. Le gorge-nue se rapproche de cette espèce par . ses pieds rouges et sa queue épanouie, et de l'espèce précédente, qui est celle du bis-ergot, parledouhle éperon qu'il a pareillement à chaque pied. Le défaut d'observations nous met hors d'état de juger à laquelle de ces deux espèces il ressemble le plus par ses mœurs ou par ses habitudes. M. Aublet m'assure que c'est un oiseau qui se perche. La perdrix rouge d'Afrique, n" 180, est plus rouge que nos perdrix rouges, à cause d'une large tache de cette couleur qu'elle a sous la gorge; mais le reste de son plumage est beaucoup moins agréable. Elle diffère des trois espèces précédentes par deux carac- tères fort apparents : ses éperons plus longs et plus pointus, et sa queue plus épanouie que ne l'ont or- dinairement les perdrix. Le défaut d'observations nous met hors d'état de juger si elle en diffère aussi par ses mœurs ou par ses habitudes. OISEAUX ÉTRANGERS QUI ONT RAPPORT AUX PERDRIX. I. LA PERDRIX ROUGE DE BARBARIE. Tetrao rubricoUis. Gmel. La perdrix rouge de Barbarie, donnée par M. Ed- wards, planche lxx, nous paroît être une espèce dif- LA PERDRIX ROUGE DE BARBARIE. 309 férente de notre perdrix rouge d'Europe ; elle est plus petite que notre perdrix grise. Elle a le bec, le tour des yeux, et les pieds rouges, comme la bartavelle : mais elle a sur le haut des ailes des plumes d'un beau bleu borde de rouge brun , et autour du cou une espèce de collier formé par des taches blanches, ré- pandues sur un fond brna; ce qui, joint à sa peti- tesse, distingue cette espèce des deux races de per- drix rouges qui sont connues en Europe. il. LA PERDRIX DE ROCHE, ou DE LA G AMBRA. Tetrao petrosus. Gmel. Cette perdrix prend son nom des lieux où elle a coutume de se tenir par préférence; elle se plaît, comme les perdrix rouges, parmi les rochers et les précipices : sa couleur générale est un brun obscur, et elle a sur la poitrine une tache couleur de tabac d'Espagne. Au reste , ces perdrix se rapprochent en- core de la perdrix rouge par la couleur des pieds, du bec, et du tour des yeux. Elles sont moins grosses que les nôtres, et retroussent la queue en courant; mais, comme elles, elles courent très vite, et ont en gros la même forme. Leur chair est excellente. Bl FFOiV. XX. C>10 LA PERDRIX PERLEE DE LA CHINE. ÎII. LA PERDRIX PERLÉE DE LA CHINE. Tetrao perlatus. Gmel. Cette perdrix, qui n'est connue que par la descrip- tion de M. Brisson, paroît propre à i extrémité orien- tale de l'ancien continent. Elle est un peu plus grosse que notre perdrix rouge; elle a la forme, le port de la queue, la brièveté des ailes, et toute la tournure de la perdrix : elle a de notre rouge ordinaire (n° i5o) la gorge blanche; et de celle d'Afrique (n° 180) les épe- rons plus longs et plus pointus, mais elle n'a pas, comme elle, le bec et les pieds rouges; ceux-ci sont roux, et le bec est noirâtre, ainsi que les ongles : le fond de son plumage est de couleur obscure, égayée sur la poitrine et les côtés par une quantité de petites taches rondes de couleur plus claire; d'où j'ai pris occasion de la nommer perdrix perlée. Elle a outre cela quatre bandes remarquables, qui partent de la base du bec et se prolongent sur les côtés de la tête : ces bandes sont alternativement de couleur claire et rembrunie. IV. LA PERDRIX DE LA NOUVELLE-ANGLETERRE. Tetrao Marilmidus. Gmel. Je mets cet oiseau d'Amérique et les suivants à la suite des perdrix, non que je les regarde comme de Pl.aS^^ Torae PaxLQiiet,scxilp * l.I.A CAILLE— 2 liEPI&E0NBISET_3 LE PIGE OJST GROSSE GORGE LA PERDRIX DE LA NOUVELLE-ANGLETERRE. 5ll véritables perdrix, mais tout au plus comme leurs re- présentants, parce que ce sont ceux des oiseaux du Nouveau-Monde qui ont le plus de rapport avec les perdrix, lesquelles certainement n'ont pas l'aile assez forte ni le vol assez élevé pour avoir pu traverser les mers qui séparent le vieux continent du nouveau. L'oiseau dont il s'agit ici est plus petit que la per^ drix grise ; il a l'iris jaune , le bec noir, la gorge blan- che, et deux bandes de la même couleur, qui vont de la base du bec jusque derrière la tête en passant sur les yeux : il a aussi quelques taches blanches au haut du cou. Le dessous du corps est jaunâtre rayé de noir, et le dessus d'un brun tirant au roux, à peu près comme dans la perdrix rouge , mais bigarré de noir. Cet oiseau a la queue courte comme toutes les perdrix. Il se trouve non seulement dans la Nouvelle- Angleterre, mais encore à la Jamaïque, quoique ces deux climats soient différents. M. Albin en a nourri assez long-temps avec du blé et du chènevis. LA CAILLEE TetraoCoturnix. L. Théophraste trouvoit une si grande ressemblance entre les perdrix et les cailles, qu'il donnoit à ces der- 1. En latin, coturnix; en espagnol, cuaclcrvl: en italien, guagUa; en allemand , wachtel ; en anglois , quail. Fïhclx prétend, planche cxvii, que du temps de Charlemagnc on 3l2 LA CAILLE. niores le nom de perdrix naines; et c'est sans doute par une suite de cette méprise , ou par une erreur semblable, que les Portugais ont appelé la perdrix codornixj, et que les Italiens ont appliqué le nom de coturnice à la bartavelle ou perdrix grecque. Il est vrai que les perdrix et les cailles ont beaucoup de rapport entre elles : les unes et les autres sont des oiseaux pulvérateurs, à ailes et à queue courtes, et courant fort vite , à bec de gallinacés, à plumage gris moucheté de brun et quelquefois tout blanc; du reste, se nourrissant, s'accouplant, construisant leur nid, couvant leurs œufs, menant leurs petits, à peu près de la même manière, et toutes deux ayant le tempérament fort lascif, et les mâles une grande dis- position à se battre : mais, quelque nombreux que soient ces rapports, ils se trouvent balancés par un nombre presque égal de dissemblances , qui font de l'espèce des cailles une espèce tout-à-fait séparée de celle des perdrix. En efiet, i** les cailles sont con- stamment plus petites que les perdrix, en comparant les plus grandes races des unes aux plus grandes ra- ces des autres, et les plus petites aux plus petites. 2" Elles n'ont point derrière les yeux cet espace nu et sans plumes qu'ont les perdrix, ni ce fer à cheval que les mâles de celles-ci ont sur la poitrine, et ja- mais on n'a vu de véritables cailles à bec et pieds rouges. 3° Leurs œufs sont plus petits et d'une tout au- tre couleur. 4° Leur voix est aussi différente; et, quoi- que les unes et les autres fassent entendre leur cri d'a- lui donnoit le nom de quacara : quelques uns lai ont aussi donné celui de currelius, cl j'en dirai plus bas la raison : quoi qu'il en soil, ces deux noms ont été omis par M. Brisson. LA CAILLE. 5l5 mour à peu près dans le môme temps , il n'en est pas de même du cri de colère, car la perdrix le fait enten- dre avant de se battre , et la caille en se battant. 5" La chair de celle-ci est d'une saveur et d'une texture toute différente , et elle est beaucoup plus chargée de graisse. 6° Sa vie est plus courte. 7" Elle est moins ru- sée que la perdrix, et plus facile à attirer dans le piège, surtout lorsqu'elle est encore jeune et sans expérience. Elle a les mœurs moins douces et le na- turel plus rétif; car il est extrêmement rare d'en voir de privées : à peine peut-on les accoutumer à venir à la voix, étant renfermées de jeunesse dans une cage. Elle a les inclinations moins sociales ; car elle ne se réunit guère par compagnies, si ce n'est lorsque la couvée, encore jeune, demeure attachée à la mère, dont les secours lui sont nécessaires, ou lorsqu'une même cause agissant sur toute l'espèce à la fois et dans le même temps, on en voit des troupes nom- breuses traverser les mers et aborder dans !e même pays : mais cette association forcée ne dure qu'au- tant que la cause qui l'a produite ; car, dès que les cailles sont arrivées dans le pays qui leur convient, et qu'elles peuvent vivre à leur gré, elles vivent soli- tairement. Le besoin de l'amour est le seul lien qui les réunit : encore ces sortes d'unions sont-elles sans consistance pendant leur courte durée; car les mâles, qui recherchent les femelles avec tant d'ardeur, n'ont d'attachement de préférence pour aucune en parti- ciilier. Dans cette espèce, les accouplements sont fré- quents, mais l'on ne voit pas un seul couple : lorsque le désir de jouir a cessé, toute société est rompue entre les deux sexes; le mfde alors non seulement 3l4 LA CAILLE. quitte et semble fuir ses femelles, mais il les repousse à coups de bec , et ne s'occupe en aucune façon du soin de la famille. De leur côté, les petits sont à peine adultes qu'ils se séparent; et, si on les réunit par force dans un lieu fermé, ils se battent à outrance les uns contre les autres , sans distinction de sexe , et ils finissent par se détruire *. L'inclination de voyager et de changer de climat dans certaines saisons de l'année est , comme je l'ai dit ailleurs, l'une désaffections les plus fortes de l'ins- tinct des cailles. La cause de ce désir ne peut être qu'une cause très générale, puisqu'elle agit non seulement sur toute l'espèce, mais sur les individus même séparés, pour ainsi dire, de leur espèce, et à qui une étroite cap- tivité ne laisse aucune communication avec leurs sem- blables. On a vu de jeunes cailles élevées dans des cages presque depuis leur naissance, et qui ne pou- voient ni connoître ni regretter la liberté , éprouver régulièrement deux fois par an, pendant quatre an- nées , une inquiétude et des agitations singulières dans les temps ordinaires de la passe, savoir, au mois d'a- vril et au mois de septembre : cette inquiétude duroit environ trente jours à chaque fois, et recommençoit tous les jours une heure avant le coucher du soleil; on voyoit alors ces cailles prisonnières aller et venir d'un bout de la cage à l'autre , puis s'élancer contre le filet qui lui servoit de couvercle, et souvent avec une telle violence , qu'elles retomboient tout étourdies ; la 1. Les anciens savoient bien cela, puisqu'ils disoieut des enfants querelleurs et mutins , qu'ils étoieut querelleurs comme des cailles te^ nues en cage. ( Aristophane, ) LA CAILLE. 3l5 nuit se passoit presque entièrement dans ces agitations, et le jour suivant elles paroissoient tristes, abattues, fatiguées, et endormies. On a remarqué que les cailles qui vivent dans l'état de liberté dorment aussi une grande partie de la journée; et si l'on ajoute à tous ces faits, qu'il est très rare de les voir arriver de jour, on sera, ce me semble, fondé à conclure que c'est pendant la nuit qu'elles voyagent, et que ce désir de voyager est inné chez elles, soit qu'elles craignent les températures excessives, puisqu'elles se rapprochent constamment des contrées septentrionales pendant l'été, et des méridionales pendant l'hiver; ou, ce qui semble plus vraisemblable, qu'elles n'abandon- nent successivement les différents pays que pour passer de ceux où les récoltes sont déjà faites, dans ceux où elles sont encore à faire, et qu'elles ne chan- gent ainsi de demeure que pour trouver toujours une nourriture convenable pour elles et pour leur couvée. Je dis que cette dernière cause est la plus vraisem- blable; car, d'un côté, il est acquis par l'observation que les cailles peuvent très bien résister au froid, puisqu'il s'en trouve en Islande, selon M. Horrebow, et qu'on en a conservé plusieurs années de suite dans une chambre sans feu, et qui même étoit tourné au nord , sans que les hivers les plus rigoureux aient paru les incommoder ni même apporter le moindre chan- îjement à leur manière de vivre. D'un autre côté, il semble qu'une des choses qui les fixent dans un pays c'est l'abondance de l'herbe, puisque, selon la re- marque des chasseurs, lorsque le printemps est sec, et que par conséquent l'herbe est moins abondante, il y a aussi beaucoup moins de cailles le reste de l'an- 5l6 LA CAILLE. née : d'ailleurs le besoin actuel de nourriture est une cause plus déterminante , plus analogue à l'instinct borné de ces petits animaux, et suppose en eux moins de cette prévoyance que les philosophes accordent trop libéralement aux bêtes. Lorsqu'ils ne trouvent point de nourriture dans un pays , il est tout simple qu'ils en aillent chercher dans un autre : ce besoin essentiel les avertit, les presse, met en action toutes leurs facultés; ils quittent une terre qui ne produit plus rien pour eux : ils s'élèvent en l'air, vont à la découverte d'une contrée moins dénuée, s'arrêtent où ils trouvent à vivre; et, l'habitude se joignant à l'instinct qu'ont tous les animaux, et surtout les ani- maux ailés, d'éventer de loin leur nourriture, il n'est pas surprenant qu'il en résulte une affection , pour ainsi dire, innée, et que les mêmes cailles reviennent tous les ans dans les mêmes endroits; au lieu qu'il seroit dur de supposer , avec Aristote , que c'est d'après une connoissance réfléchie des saisons qu'elles chan- gent deux fois par an de climat, pour trouver toujours la température qui leur convient, comme faisoient autrefois les rois de Perse; encore plus dur de sup- poser, avecCatesby, Belori, et quelques autres, que, lorsqu'elles changent de climat, elles passent sans s'arrêter dans les lieux qui pourroient leur convenir en-deçà de la ligne, pour aller chercher aux antipo- des précisément le même degré de latitude auquel elles étoient accoutuaiées de l'autre côté de l'équa- teur; ce qui supposeroit des connoissances, ou plu- tôt des erreurs scientifiques auxquelles l'instinct brut est beaucoup moins sujet que la raison cultivée. Quoi qu'il en soit, lorsque les cailles sont libres, elles LA CAILLE. 3l7 ont un temps pour arriver et un temps pour repartir : elles quittoient la Grèce, suivant Aristote, au mois boe- dromioriy lequel comprenoit la fin d'août et le commen- cement de septembre ; en Silésie , elles arrivent au mois de mai, et s'en vont sur la fin d'aoïàt; nos chasseurs di- sent qu'elles arrivent dans notre pays vers le i o ou le 1 2 de mai ; Aloysius Mundella dit qu'on les voit paroîtie dans les environs de Venise vers le milieu d'avril; Olina fixe leur arrivée dans la Campagne de Rome aux premiers jours d'avril : mais presque tous con- viennent qu'elles s'en vont à la première gelée d'au- tomne , dont l'effet est d'altérer la qualité des herbes et de faire disparoître les insectes; et si les gelées du mois de mai ne les déterminent point à retourner vers le sud, c'est une nouvelle preuve que ce n'est point le froid qu'elles évitent, mais qu'elles cherchent de la nourriture dont elles ne sont point privées par les gelées du mois de mai. Au reste , il ne faut pas re- garder ces temps marqués par les observateurs comme des époques fixes auxquelles la nature daigne s'assu- jettir; ce sont au contraire des termes i#obiles qui varient entre certaines limites d'un pays à l'autre, sui- vant la température du climat, et même d'une année à l'autre dans le même pays, suivant que le chaud et le froid commencent plus tôt ou plus tard, et que par conséquent la maturité des récoltes et la génération des insectes qui servent de nourriture aux cailles sont plus ou moins avancées. Les anciens et les modernes se sont beaucoup oc- cupés de ce passage des cailles et des autres oiseaux voyageurs : les uns l'ont chargé de circonstances plus ou moins merveilleuses; les autres, considérant com- 5l8 LA CAILLE. bien ce petit oiseau vole difficilement et pesamment^ l'ont révoqué en doute, et ont eu recours, pour ex- pliquera disparition régulière des cailles en certaines saisons de l'année, à des suppositions beaucoup plus révoltantes. Mais il faut avouer qu'aucun des anciens n'avoit élevé ce doute : cependant ils savoient bien que les cailles sont des oiseaux lourds , qui volent très> peu et presque malgré eux; que, quoique très ardents pour leurs femelles, les mâles ne se servent pas tou- jours de leurs ailes pour accourir à leur voix, mais qu'ils font souvent plus d'un quart de lieue à travers l'herbe la plus serrée pour les venir trouver; enfin qu'ils ne prennent l'essor que lorsqu'ils sont tout-à- fait pressés par les chiens ou par les chasseurs. Les anciens savoient tout cela , et néanmoins il ne leur est pas venu dans l'esprit que les cailles se retirassent aux approches des froids dans des trous pour y pas- ser l'hiver, dans un état de torpeur et d'engourdisse- ment, comme font les loirs, les hérissons, les mar- mottes, les chauve-souris , etc. C'étoit une absurdité réservée Pquelques modernes, qui ignoroient sans doute que la chaleur intérieure des animaux sujets à l'engourdissement étant beaucoup moindre qu'elle ne l'est communément dans les autres quadrupèdes, et à plus forte raison dans les oiseaux, elle avoit be- soin d'être aidée par la chaleur extérieure de l'air, comme je l'ai dit ailleurs; et que lorsque ce secours vient à leur manquer, ils tombent dans l'engourdis- sement, et meurent même bientôt, s'ils sont exposés à un froid trop rigoureux. Or certainement cela n'est point applicable aux cailles, en qui l'on a même re- connu généralement plus de chaleur que dans les au- LA CAILLE. 319 très oiseaux, au point qu'en France elle a passe en proverbe *, et qu'à la Chine on se sert de ces oiseaux pour se tenir chaud en les portant tout vivants dans les mains. D'ailleurs on s'est assuré, par observation continuée plusieurs années, qu'elles ne s'engourdis- sent point, quoique tenues pendant tout l'hiver dans une chambre exposée au nord et sans feu , ainsi que je l'ai dit ci-dessus d'après plusieurs témoins oculaires et très dignes de foi qui me l'ont assuré. Or si les cailles ne se cachent ni ne s'engourdissent pendant l'hiver, comme il est sûr qu'elles disparoissent dans cette saison , on ne peut douter qu'elles ne passent d'un pays dans un autre ; et c'est ce qui est prouvé par un grand nombre d'autres observations. Belon, se trouvant en automne sur un navire qui passoit de Rhodes à Alexandrie, vit des cailles qui al- loient du septentrion au midi ; et plusieurs de ces cailles ayant été prises par les gens de l'équipage, on trouva dans leur jabot des grains de froment bien entiers. Le printemps précédent, le même observateur, passant de l'île de Zante dans la Morée, en avoit vu un grand nombre qui alloient du midi au septentrion ; et il dit qu'en Europe, comme en Asie, les cailles sont géné- ralement oiseaux de passage. M. le commandeur Godeheu les a vues constam- ment passer à Malte au mois de mai, par certains vents, et repasser au mois de septembre. Plusieurs chasseurs m'ont assuré que, pendant les belles nuits du printemps, on les entend arriver, et que l'on dis- tingue très bien leur cri, quoiqu'elles soient à une i> Ou dit vulgairement , cJiaad comme une caille. 020 LA CAILLE. très grande haïUeur : ajoutez à cela qu'on ne fait nulle part une chasse aussi abondante de ce gibier que sur celles de nos côtes qui sont opposées à celles d'Afrique ou d'Asie, et dans les îles qui se trouvent entre deux, puisque toutes celles de l'Archipel, et jusqu'aux écueils, en sont couverts , selon M. de Tour- nefort, dans certaines saisons de l'année; et plus d'une de ces îles en a pris le nom à'Ortygia ^. Dès le siècle de Varron, l'on avoit remarqué qu'au temps de l'arrivée et du départ des cailles on en voyoit une multitude prodigieuse dcins les îles de Pontia, Pan- dataria, et autres qui avoisinent la partie méridio- nale de l'Italie, et où elles faisoient apparemment une station pour se reposer. Vers le commencement de l'automne, on en prend une si grande quantité dans l'île de Caprée, à l'entrée du golfe de NapleS; que le produit de cette chasse fait le principal revenu de l'évêque de l'île, appelé par cette raison l'évêque des cailles; on en prend aussi beaucoup dans les en- virons de Pesaro, sur le golfe Adriatique, vers la fin du printemps, qui est la saison de leur arrivée ; entin il en tombe une quantité si prodigieuse sur les côtes occidentales du royaume de Naples, aux environs de Nettuno,que, sur une étendue de côtes de quatre ou cinq milles, on en prend quelquefois jusqu'à cent milliers dans un jour, et qu'on les dorine pour quinze jules les cent ( un peu moins de huit livres de notre monnoie) à des espèces de courtiers qui les 1. Ce nom à'Oriygla, formé du mot grec ortux qui signifie caille, a été donné aux deux Délos, selon Phanodémus dans Athénée : on l'a encore appliqué à une autre petite île \is-à-\'is Syracuse , et mênie à la ville d'Éphèse, selon Etienne de Byzauce et Euslathe. LA CAILLE. 02 1 font passer à RoQie , où elles sont beaucoup moins communes^. Il en arrive aussi des nuées au printemps sur les côtes de Provence, particulièrement dans les terres de M. l'évêque de Fréjus, qui avoisinent la mer; elles sont si faliguées, dit-on, de la traversée, que les premiers jours on les prend à la main. Mais, dira-l-on toujours, comment un oiseau si pe- tit, si foible, qui a le vol si pesant et si bas, peut-il, quoique pressé par la faim , traverser de grandes éten- dues de mer? J'avoue que, quoique ces grandes éten- dues de mer soient interrompues de distance en distance par plusieurs îles où les cailles peuvent se reposer, telles que Minorque , la Corse, la Sardaigne, la Sicile , les îles de Malte , de Rhodes , toutes les îles de l'Archipel; j'avoue, dis-je, que, malgré cela, il leur faut encore du secours : et Aristote l'avoit fort bien senti; il savoit même quel étoit celui dont elles usoient le plus communément; mais il s'étoit trompé, ce me semble , sur la manière dont elles s'en aidoient : «Lorsque le vent du nord souffle, dit-il, les cailles voyagent heureusement; mais si c'est le vent du midi, comme son effet est d'appesantir et d'humecter, elles volent alors plus difficilement, et elles expriment la peine et l'effort par les cris qu'elles font entendre en volant. » Je crois, en effet, que c'est le vent qui aide les cailles à faire leur voyage , non pas le vent du nord, mais le vent favorable ; de même que ce n'est point le vent du sud qui retarde leur course, mais le vent contraire ; et cela est vrai dans tous les pays où ces 1. Celte chasse est si lucrative, que le terrain où elle se fait par les habitants de Netluno est d'une cherté exorbitante. J22 LA CAILLE. oiseaux ont un trajet considérable à faire par dessus les mers. M. le commandeur Godeheu a très bien remarqué qu'au printemps les cailles n'abordent à Malte qu'a- vec le nord-ouest, qui leur est contraire pour gagner la Provence, et qu'à leur retour c'est le sud-est qui les amène dans cette île, parce qu'avec ce vent elles ne peuvent aborder en Barbarie. Nous voyons même que l'auteur de la nature s'est servi de ce moyen, comme le plus conforme aux lois générales qu'il avoit établies, pour envoyer de nombreuses volées de cailles aux Israélites dans le désert; et ce vent, qui étoit le sud-ouest, passoit en efTet en Egypte, en Ethiopie, et sur les côtes de la mer R.ouge, et, en un mot, dans les pays où les cailles sont en abondance. Des marins que j'ai eu occasion de consulter m'ont assuré que, quand les cailles étoient surprises dans leur passage par le vent contraire, elles s'abattoient sur les vaisseaux qui se trouvoient à leur portée, comme Pline l'a remarqué , et tomboient souvent dans la mer, et qu'alors on les voyoit flotter et se débattre sur les vagues, une aile en l'air, comme pour prendre lèvent; d'où quelques naturalistes ont pris occasion de dire qu'en partant elles se munissoient d'un petit morceau de bois qui put leur servir d'une espèce de point d'appui ou de radeau , sur lequel elles se délas- soient de temps en temps, en voguant sur les flots, de la fatigue de voguer dans l'air : on leur a fait aussi porter à chacune trois petites pierres dans le bec , selon Pline, pour se soutenir contre le vent, et, selon Oppien , pour reconnoîlre , en les laissant tomber une LA CAILLE. 523 à une, si elles avolent dépassé la mer; et tout cela se réduit à quelques petites pierres que les cailles avalent avec leur nourriture , comme tous les granivores. En général, on leur a prêté des vues, une sagacité, un discernement, qui feroient presque douter que ceux qui leur ont fait honneur de ces qualités en aient fait beaucoup d'usage eux-mêmes. On a observé que d'au- tres oiseaux voyageurs, tels que le râle terrestre, ac- compagnoient les cailles, et que l'oiseau de proie ne manquoit pas d'en attraper quelqu'une à leur arri- vée : de là on a prétendu qu'elles avoient de bonnes raisons pour se choisir un guide ou chef d'une autre espèce , que l'on a appelé roi des cailles ( ortygometra) ; et cela, parce que la première arrivante devant être la proie de l'oiseau carnassier, elles tâchoient de dé- tourner ce malheur sur une tête étrangère. Au reste, quoiqu'il soit vrai en général que les cailles changent de climat, il en reste toujours quel- ques unes qui n'ont pas la force de suivre les autres, soit qu'elles aient été blessées à l'aile, soit qu'elles soient surchargées de graisse, soit que, provenant d'une seconde ponte, elles soient trop jeunes et trop foibles au temps du départ; et ces cailles traîneuses tâchent de s'établir dans les meilleures expositions du pays où elles sont contraintes de rester. Le nombre en est fort petit dans nos provinces; mais les auteurs de la Zoologie britannique assurent qu'une partie seu- lement de celles qu'on voit en Angleterrre, quitte en- tièrement l'île , et que l'autre partie se contente de changer de quartier , passant, vers le mois d'octobre, de l'intérieur des terres dans les provinces maritimes, et principalement dans celles d'Essex, où elles restent 3i^4 LA CAILLE. touf l'hiver; lorsque la gelée on la neige les oblige de quitter les jachères et les terrres cultivées, elles gagnent les côtes de ia mer , où elles se tiennent parmi les plantes maritimes, cherchant les meilleurs abris, et vivant de ce qu elles peuvent attraper sur les algues, entre les limites de la haute et basse mer. Ces mêmes auteurs ajoutent que leur première apparition dans le comté d'Essex se rencontre exactement chaque an- née avec leur disparition du milieu des terres. On dit aussi qu'il en reste un assez bon nombre en Es- pagne et dans le sud de l'Italie, où l'hiver n'est pres- que jamais assez rude pour faire périr ou disparoître entièrement les insectes ou les graines qui leur servent de nourriture. A l'égard de celles qui passent les mers , il n'y a que celles qui sont secondées par un vent favorable qui arrivent heureusement; et si ce vent favorable souffle rarement au temps de la passe , il en arrive beaucoup moins dans les contrées où elles vont passer l'été : dans tous les cas, on peut juger assez sûrement du lieu d'où elles viennent par la direction du vent qui les apporte. Aussitôt que les cailles sont arrivées dans nos con- trées, elles se mettent à pondre : elles ne s'apparient point, comme je l'ai déjà remarqué ; et cela seroit dif- ficile , si le nombre des mâles est , comme on l'assure , beaucoup plus grand que celui des femelles : la fidélité, la confiance, l'attachement personnel, qui seroient des qualités estimables dans les individus, seroient nuisibles à l'espèce; la foule des mâles célibataires troubleroit tous les mariages, et finiroit par les ren- dre stériles; au lieu que n'y ayant point de mariage. LA CAILLE. 5^5 OU plutôt n'y en ayant qu'un seul de tous les mâles avec toutes les femelles, il y a moins de jalousie, moins de rivalité, et, si l'on veut, moins de moral dans leurs amours : mais aussi il y a beaucoup de phy- sique; on a vu un mâle réitérer dans un jour jusqu'à douze fois ses approches avec plusieurs femelles in- distinctement. Ce n'est que dans ce sens qu'on a pu dire que chaque mâle suffisoit à plusieurs femelles ; et la nature, qui leur inspire cette espèce de liber- tinage, en tire parti pour la multiplication de l'es- pèce : chaque femelle dépose de quinze à vingt œufs dans un nid qu'elle sait creuser dans la terre avec ses ongles , qu'elle garnit d'herbes et de feuilles , et qu'elle dérobe autant qu'elle peut à l'œil perçant de l'oiseau de proie; ces œufs sont mouchetés de brun sur un fond grisâtre : elle les couve pendant environ trois semaines; l'ardeur des mâles est un bon garant qu'ils sont tous fécondés , et il est rare qu'il s'en trouve de stériles. Les auteurs de la Zoologie britannique disent que les cailles en Angleterre pondent rarement plus de six ou sept œufs. Si ce fait est général et constant , il faut en conclure qu'elles y sont moins fécondes qu'en France , en Italie , etc. ; reste à observer si cette moin- dre fécondité tient à la température plus froide, ou à quelque autre qualité du climat. Les cailleteaux sont en état de courir presque en sortant de la coque, ainsi que les perdreaux; mais ils sont plus robustes à quelques égards, puisque, dans l'état de liberté, ils quittent la mère beaucoup plus tôt, et que même dès le huitième jour on peut en- treprendre de les élever sans son secours. Cela a LIIFFON. XX. 3^6 LA CAILLE. donné lieu h quelques personnes de croire que les cailles faisoient deux couvées par été : mais j'en doute fort, si ce n'est peut-être celles qui ont été troublées et dérangées dans leur première ponte ; il n'est pas même avéré qu'elles en recommencent une autre lors- qu'elles sont arrivées en Afrique au mois de septem- bre, quoique cela soit beaucoup plus vraisemblable, pnisqu'au moyen de leurs migrations régulières elles ignorent l'automne et l'hiver, et que l'année n'est composée pour elles que de deux printemps et de deux étés, comme si elles ne changeoient de climat que pour se trouver perpétuellement dans la saison S'ê^S>93*'S«««! lî LE RÉVEIL-MATIN, ou LA CAILLE DE JAVA. Tetrao suscltator, Gmel. Cet oiseau , qui n'est pas beaucoup plus gros que notre caille, lui ressemble parfaitement par les cou- leurs du plumage, et chante aussi par intervalles: mais il s'en distingue par des différences nombreuses et considérables; r par le son de sa voix, qui est très grave , très fort , et assez semblable à cette es- pèce de mugissement que poussent les butors en en- fonçant leur bec dans la vase des marais^. 2** Par la douceur de son naturel , qui la rend sus- ceptible d'être apprivoisée au même degré que nos poules domestiques. 5° Par les impressions singulières que le froid fait sur son tempérament : elle ne chante, elle ne vit que lorsqu'elle voit le soleil ; dès qu'il est couché elle se retire à l'écart dans quelque trou , où elle s'enve- loppe, pour ainsi dire, de ses ailes pour y passer la nuit; et, dès qu'il se lève, elle sort de sa léthargie pour célébrer son retour par des cris d'allégresse qui réveillent toute la maison 2. Enfin , lorsqu'on la tient 1. Les Hollaadois appellent ce mugissement pittoor, selon Bonlius. 2. Bontius dit qu'il tenoit de ces oiseaux en cage exprès pour servir de réveil-matin; et en effet leurs premiers cris annoncent toujours le lever du soleil. LE RÉVEIL-MATIN. 3^7 en cage, si elle n'a pas continuellement le soleil, et qu'on n'ait pas l'attention de couvrir sa cage avec une couche de sable sur du linge , pour conserver la cha- leur, elle languit, dépérit, et meurt bientôt. 4" Par son instinct; car il paroît par la relation de Bontius qu'elle l'a fort social, et qu'elle va par com- pagnie. Bontius ajoute qu'elle se trouve dans les fo- rêts de l'île de Java : or nos cailles vivent isolées , et ne se trouvent jamais dans les bois. 5° Enfin , par la forme de son bec, qui est un peu plus allongé. Au reste, cette espèce a néanmoins un trait de conformité avec notre caille et avec beaucoup d'au- tres espèces ; c'est que les mâles se battent entre eux avec acharnement, et jusqu'à ce que mort s'ensuive : mais on ne peut pas douter qu'elle ne soit très diffé- rente de l'espèce commune, et c'est par cette raison que je lui ai donné un nom particulier. OISEAUX ETRANGERS QUI FARCISSENT AVOIR RAPPORT AVEC LES PERDRIX ET AVEC LES CAILLES, LES COLINS. Les colins sont des oiseaux du Mexique , qui ont été indiqués plutôt que décrits par Fernandès, et au 558 LES COLINS. sujet desquels il a échapp/i à ceux qui ont copie cet écrivain plus d'une méprise qu'il esta propos de rec- tifier avant tout. Premièrement, Nieremberg, qui fait profession de ne parler que d'après les autres, et qui ne parle ici des colins que d'après Fernandès, ne fait aucune men- tion du cacacolin du chapitre cxxxiv , quoique ce soit un oiseau de même espèce que les colins. En second lieu , Fernandès parle de deux acolins ou caille d'eau , aux chapitres x et cxxxi. Nieremberg fait mention du premier, et fort mal à propos, à la suite des colins, puisque c'est un oiseau aquatique, ainsi que celui du chapitre cxxxi, dont il ne dit rien. Troisièmement, il ne parle point de l'ococolin du chapitre lxxxv de Fernandès, lequel est une perdrix du Mexique, et par conséquent fort approchant des colins, qui sont aussi des perdrix, suivant Fernandès, comme nous Talions voir. En quatrième lieu, M. Ray copiant Nieremberg, copiste de Fernandès, au sujet du coyolcozquej change son expression, et altère, à mon avis, le sens de la phrase : car Mieremberg dit que ce coyolcozque est semblables aux cailles ainsi appelées par nos Espagnols (lesquelles sont certainement les colins), et finit par dire qu'il est. une espèce de perdrix d'Espagne; et M. Ray lui fait dire qu'il est semblable aux cailles d'Europe, et supprime ces mots, est enim species per- dicis Hispanicœ : cependant ces derniers mots sont essentiels, et renferment la véritable opinion de Fer- nandès sur l'espèce à laquelle ces oiseaux doivent se rapporter, puisqu'au chapitre xxxix, qui roule tout entier sur les colins, il dit que les Espagnols les ap- LES COLINS. o3g pellent des cailles^ parce qu'ils oat de la ressemblance avec les cailles d'Europe, quoique cependant ils ap- partiennent très certainement au genre des perdrix. 11 est vrai qu'il répète encore dans ce même chapitre que tous les colins sont rapportés aux cailles; mais il est aisé de voir, au milieu do toutes ces incertitudes, que lorsque cet auteur donne aux colins le nom de cailleSj, c'est d'après le vulgaire^, qui, dans l'imposi- tion des noms, se détermine souvent par des rapports superficiels, et que son opinion réfléchie est que ce sont des espèces de perdrix. J'aurois donc pu, m'en rapportant à Fernandès, le seul observateur qui ait vu ces oiseaux, placer les colins à la suite des per- drix; mais j'ai mieux aimé me prêter, autant qu'il étoit possible, à l'opinion vulgaire, qui n'est pas dé- nuée de tout fondement, et mettre ces oiseaux à la suite des cailles, comme ayant rapport aux cailles et aux perdrix. Suivant Fernandès, les colins sont fort communs dans la Nouvelle-Espagne; leur chant, plus ou moins agréable, approche beaucoup de celui de nos cailles; leur chair est un manger très bon et très sain, même pour les malades, lorsqu'elle est gardée quelques jours : ils se nourrissent de grains, et on les tient communément en cage; ce qui me feroit croire qu'ils sont d'un naturel dififérent de nos cailles et même de 1. Il dit toujours, en parlant de cette espèce, coturnicis Mexicanœ (cap. xxiv), coturnicis vocatœ (cap. xxxiv) quam vocant cotumicem (cap. XXXIX ) ; et, quand il dit coturnicis nostrœ (cap. xxv) , il est évi- dent qu'il veut parler de ce même oiseau appelé caille au Mexique, puisque, ayant parlé dans le cliapitre précédent de cette caille mexi- caine, il dit ici ( cap. xxv), coturnicis npstrœ quoque est species. 34o • LES COLINS. nos perdrix. Nous allons donner les indications parti- culières de ces oiseaux dans les articles suivants. I. LE ZONÉCOLIN. Tetrao cristaius. Gmel. Ce nom, abrégé du nom mexicain quanhezonecoUrij désigne un oiseau de grandeur médiocre, et dont le plumage est de couleur obscure; mais ce qui le dis- tingue c'est son cri, qui est assez flatteur, quoiqu'un peu plaintif, et la huppe dont sa tête est ornée. Fernandès reconnoît dans le même chapitre un autre colin de même plumage , mais moins gros et sans huppe. Ce pourroit bien être la femelle du pré- cédent, dont il ne se distingue que par des carac- tères accidentels, qui sont sujets à varier d'un sexe à l'autre. IL LE GRAND COLIN. Tetrao Novœ-Hispaniœ. Gmel. C'est ici la plus grande espèce de tous ces colins. Fernandès ne nous apprend point son nom : il dit seulement que le fauve est sa couleur dominante, que la tête est variée de blanc et de noir, et qu'il y a aussi du blanc sur le dos et au bout des ailes; ce qui doit contraster agréablement avec la couleur noire des pieds et du bec. LE C A COLIN. 541 m. LE GACOLIN. Cet oiseau, appelé cacacoUn par Fernandès, est, selon lui, uoe espèce de caille, c'est-à-dire de colin, de môme grandeur, de même forme , ayant le même chant, se nourrissant de même, et ayant le plumage peint presque des mêmes couleurs que ces cailles mexicaines. Nieremberg, Ray, ni M. Brisson , n'eu parient point. IV. LE COYOLGOS. Tetrao Coyolcos. Gmel. C'est ainsi que j'adoucis le nom mexicain coyolcoz- que. Cet oiseau ressemble, par son chant, sa grosseur, ses mœurs, sa manière de vivre et de voler, aux au- tres colins; mais il en diffère par son plumage : le fauve Luêlé de blanc est la couleur dominante du dessus du corps, et le fauve seul celle du dessous et des pieds; le sommet de la tête est noir et blanc, et deux bandes de la même couleur descendent des yeux sur le cou : il se tient dans les terres cultivées. Voilà ce que dit Fernandès; et c'est faute de l'avoir lu avec assez d'at- tention, ou plutôt c'est pour avoir suivi M. Ray, que M. Brisson dit que le coyolcos ressemble à notre caille par son chant, son vol, etc.; tandis que Fernandès assure positivement qu'il ressemble aux cailles ainsi appelées par le vulgaire, c'est-à-dire aux colins, et que c'est en effet une espèce de perdrix. JL\'2 LE CO LE NI Cil. V. LE COLEINICUI. Tetrao Mexicanus. Gmel. Frisch donne (planche cxni) la figure d'un oiseau qu'il appelle petite poule de bois d'Amérique^ et qui ressemble , selon lui , aux gelinottes par le bec et les pieds, et par sa forme totale, quoique cependant elle n'ait ni les pieds garnis de plumes, ni les doigts bordés de dentelures, ni les yeux ornés de sourcils rouges, ainsi qu'il paroît par sa figure. M. Brisson, qui regarde cet oiseau comme le même que le coleni- cuiltic de Fernandès, l'a rangé parmi les cailles, sous le nom de caille de la Louisiane, et en a donné la fi- gure : mais, en comparant les figures ou les descrip- tions de M. Brisson, de Frisch, et de Fernandès, j'y trouve de trop grandes différences pour convenir qu'elles puissent se rapporter toutes au môme oiseau ; car, sans m'arreter aux couleurs du plumage, si dif-^ ficiles à bien peindre dans une description , et encore moins à l'attitude, qui n'est que trop arbitraire, je remarque que le bec et les pieds sont gros et jau- nâtres selon M. Frisch, rouges et de médiocre gros- seur selon M. Brisson, et que les pieds sont bleus selon Fernandès. Que si je m'arrête à l'idée que l'aspect de cet oiseau a fait naître chez ces trois naturalistes, l'embarras ne fait qu'augmenter ; car Frisch n'y a vu qu'une seule poule de bois, M. Brisson qu'une caille, et Fernan- dès qu'une perdrix : car, quoique celui-ci dise, au LE COLEMCLI. 545 commencement du chapitre xxv, que c'est une espèce de caille, il est visible c[u'il se conforme en cet en- droit au langage vulgaire ; car il finit ce même chapi- tre en assurant que le colenicuiltic ressemble , par sa grosseur, son chant, ses mœurs, et par tout le reste ( cœteris cwictis ) , à l'oiseau du chapitre xxiv : or cet oiseau du chapitre xxiv est le coyolcozque , espèce de colin; et Fernandès, comme nous l'avons vu, met les colins au nombre des perdrix. Je n'insiste sur tout ceci que pour faire sentir et évi- ter, s'il étoit possible, un grand inconvénient de no- menclature. Un méthodiste ne veut pas qu'une seule espèce, quelque anomale qu'elle soit, échappe à sa méthode; il lui assigne donc parmi ses classes et ses genres la place qu'il croit lui convenir le mieux : un autre qui a imaginé un autre système en fait autant avec le môme droit; et, pour peu que l'on connoisse le procédé des méthodes et la marche de la nature, on comprendra facilement qu'un même oiseau pourra très bien être placé par trois méthodistes dans trois classes différentes, et n'être nulle part à sa place. Lorsque nous aurons vu l'oiseau ouïes oiseaux dont il s'agit ici, et surtout lorsque nous aurons l'occasion de les voir vivants , nous les rapprocherons des espèces avec lesquelles ils nous paroitront avoir le plus de rapport, soit par la forme extérieure, soit par les mœurs et les habitudes naturelles. Au reste, le colenicui est de la grosseur de notre caille, selon M. Brisson; mais il paroît avoir les ailes un peu plus longues. Il est brun sur le corps, gris-sale et noir par dessous; il a la gorge blanche et des es- pèces de sourcils blancs. 544 i/o coco LIN. VI. L'OCOCOLIN, ou PERDRIX DE MONTAGNE DU MEXIQUE. Teirao nœvius. Gmel. Celte espèce , que M. Seba a prise pour le rollier huppé du Mexique^, s'éloigne encore plus de la caille, et même de la perdrix, que le précédent : elle est beaucoup plus grosse, et sa chair n'est pas moins bonne que celle de la caille , quoique fort au dessous de celle de la perdrix. L'ococolin se rapproche un peu de la perdrix rouge par la couleur de son plumage, de son bec, et de ses pieds : celle du corps est un mélange de brun, de gris-clair, et de fauve; celle de la partie inférieure des ailes est cendrée; leur par- tie supérieure est semée de taches obscures, blanches, et fauves, de même que la tête et le cou. Il se plaît dans les climats tempérés et même un peu froids, et ne sauroit vivre ni se perpétuer dans les climats brû- lants. Fernandès parle encore d'un autre ococolin, mais q ' est un oiseau tout différent. 1. Eti général, les rolliers ont le bec plus droit et la queue plus longue que les perdrix. LE PIGEON. 345 LE PIGEON. Columba domestica. L. Il étoit aisé de rendre domestiques des oiseaux pe- sants, tels que les coqs, les dindons, et les paons; mais ceux qui sont légers et dont le vol est rapide de- mandoient plus d'art pour être subjugués. Une chau- mière basse dans un terrain clos suffit pour contenir, élever, et faire multiplier nos volailles : il faut des tours, des bâtiments élevés, faits exprès, bien enduits en dehors, et garnis en dedans de nombreuses cellu- les, pour attirer, retenir, et loger les pigeons. Ils ne sont réellement ni domestiques comme les chiens et les chevaux, ni prisonniers comme les poules; ce sont plutôt des captifs volontaires, des hôtes fugitifs, qui ne se tiennent dans le logement qu'on leur offre qu'autant qu'ils s'y plaisent, autant qu'ils y trouvent la nourriture abondante, le gîte agréable, et toutes les commodités , toutes les aisances nécessaires à la vie. Pour peu que quelque chose leur manque ou leur déplaise, ils quittent et se dispersentpourallerailleurs : il y en a même qui préfèrent constamment les trous poudreux des vieilles murailles aux boulins lesplus pro- pres de nos colombiers; d'autres qui se gîtent dans des fentes et des creux d'arbre ; d'autres qui semblent fuir nos habitations , et que rien ne peut y attirer, tandis qu'on en voit au contraire qui n'osent les quitter, et qu'il .V|6 LE PIGEON. faut nourrir autour de leur volière, qu'ils n'abandon- nent jamais. Ces habitudes opposées, ces différences de mœurs, sembleroient indiquer qu'on comprend sous le nom de pigeons un grand nombre d'espèces diverses, dont chacune auroit son naturel propre et différent de celui des autres, et ce qui sembleroit confirmer cette idée, c'est l'opinion de nos nomen- clateurs modernes qui comptent, indépendaaiment d'un grand nombre de variétés, cinq espèces de pi- geons, sans y comprendre ni les ramiers ni les tourte- relles. Nous séparerons d'abord ces deux dernières espèces de celle des pigeons; et comme ce sont, en effet, des oiseaux qui diffèrent spécifiquement les uns des autres, nous traiterons de chacun dans un article séparé. Les cinq espèces de pigeons indiquées par nos no- menclateurs sont, i" le pigeon domestique; 2° le pi- geon romain, sous l'espèce duquel ils comprennent seize variétés; 3" le pigeon biset; 4° le pigeon de roche avec une variété; 5° le pigeon sauvage. Or, ces cinq espèces, à mon avis, n'en font qu'une, et voici la preuve : le pigeon domestique et le pigeon romain avec toutes ses variétés, quoique différents par la grandeur et par les couleurs, sont certainement de la même espèce, puisqu'ils produisent ensemble des individus féconds et qui se reproduisent. On ne doit donc pas regarderies pigeons de volière et les pigeons de colombier, c'est-à-dire les grands et les petits pi- geons domestiques, comme deux espèces différentes; et il faut se borner à dire que ce sont deux races dans une seule espèce, dont l'une est plus domestique et plus perfectionnée que l'autre : de même, le pigeon LE PIGEON. 547 biset, le pigeon de roche , et le pigeon sauvage, sont trois espèces nominales qu'on doit réduire à une seule, qui est celle du biset, dans laquelle le pigeon de roche et le pigeon sauvage ne font que des varié- tés très légères , puisque, de l'aveu même de nos no- menclateurs, ces trois oiseaux sont à peu près de la même grandeur, que tous trois sont de passage, se perchent, ont en tout les mêmes habitudes natu- relles, et ne diffèrent entre eux que par quelques teintes de couleur. Voilà donc nos cinq espèces nominales déjà réduites à deux, savoir le biset et le pigeon, entre lesquelles deux il n'y a de différence réelle , sinon que le pre- mier est sauvage et le second est domestique. Je re- garde le biset comme la souche première de laquelle tous les autres pigeons tirent leur origine, et duquel ils diffèrent plus ou moins, selon qu'ils ont été plus ou moins maniés parles hommes : quoique je n'aie pas été à portée d'en faire l'épreuve, je suis persuadé que le bi- set et le pigeon de nos colombiers produiroient en- semble s'ils étoient unis; car il y a moins loin de noire petit pigeon domestique au biset qu'aux gros pigeons pattus ou romains, avec lesquels néanmoins il s'unit et produit. D'ailleurs , nous voyons dans cette espèce toutes les nuances du sauvage au domestique se pré- senter successivement et comme par ordre de généa- logie, ou plutôt de dégénération. Le biset nous est représenté, d'une manière à ne pouvoir s'y mépren- dre , par ceux de nos pigeons fuyards qui désertent nos colombiers et prennent l'habitude de se percher sur les arbres : c'est la première et la plus forte nuance de leur retour à l'état de nature. Ces pigeons ,^ 548 LE PIGEON. quoique élevés dans J'état de domesticité, quoiqu'eo apparence accoutumés comme les autres à un domi- cile fixe, à des habitudes communes, quittent ce do- micile, rompent toute société, et vont s'établir dans les bois; ils retournent donc à leur état de nature poussés par leur seul instinct. D'autres , apparem- ment moins courageux, moins hardis, quoique éga- lement amoureux de leur liberté, fuient de nos co- lombiers pour aller habiter solitairement quelques trous de muraille, ou bien en petit nombre se réfu- gient dans une tour peu fréquentée; et malgré les dangers, la disette, et la solitude de ces lieux, où ils manquent de tout, où ils sont exposés à la belette, aux rats, à la fouine, à la chouette, et où ils sont for- cés de subvenir en tout temps à leurs besoins par leur seule industrie, ils restent néanmoins constam- ment dans ces habitations incouimodes, et les pré- fèrent pour toujours à leur premier domicile , où cependant ils sont nés, où ils ont été élevés, où tous les exemples de la société auroient dû les retenir : voilà la seconde nuance. Ces pigeons de muraille ne retournent pas en entier à l'état de nature; ils ne se perchent pas comme les premiers, et sont néanmoins beaucoup plus près de l'état libre que de la condition domestique. La troisième nuance est celle de nos pi- geons de colombier, dont tout le monde connoît les mœurs, et qui, lorsque leur demeure convient, ne l'abandonnent pas , ou ne la quittent que pour en prendre une qui convient encore mieux, et ils n'en sortent que pour aller s'égayer ou se pourvoir dans les champs voisins. Or, comme c'est parmi ces pi- geons mêmes que se trouvent les fuyards et les déser- LE PIGEON. ^49 leurs dont nous venons de parler, cela prouve que tous n'ont pas encore perdu leur instinct d'origine, et que l'habitude de la libre domesticité dans laquelle ils vivent n'a pas entièrement effacé les traits de leur première nature , à laquelle ils pourroient encore re- monter. Mais il n'en est pas de même de la quatrième et dernière nuance dans l'ordre de dégénération : ce sont les gros et petits pigeons de volière, dont les races, les variétés, les mélanges, sont presque innu- mérables, parce que, depuis un temps immémorial, ils sont absolument domestiques; et l'homme, en perfectionnant les formes extérieures, a en même temps altéré leurs qualités intérieures, et détruit jus- qu'au germe du sentiment de la liberté. Ces oiseaux, la plupart plus grands, plus beaux que les pigeons communs, ont encore l'avantage pour nous d'être plus féconds, plus gras, de meilleur goût, et c'est par toutes ces raisons qu'on les a soignés de plus près, et qu'on a cherché à les multiplier, malgré toutes les peines qu'il faut se donner pour leur éducation et pour le succès de leur nombreux produit et de leur pleine fécondité : dans ceux-ci aucun ne remonte à l'état de nature, aucun môme ne s'élève à celui de liberté ; ils ne quittent jamais les alentours de leur volière, il faut les y nourrir en tout temps : la faim la plus pressante ne les détermine pas à aller chercher ailleurs ; ils se laissent mouiir d'inanition plutôt que de quêter leur subsistance ; accoutumés à la recevoir de la main de l'homme , ou à la trouver toute prépa- rée, toujours dans le même lieu, ils ne savent vivre que pour manger, et n'ont aucune des ressources , aucun des petits talents que le besoin inspire à tous 350 - > LE PIGEON. les animaux. On peut donc regarder cette dernière classe , dans l'ordre des pigeons, comme absolument domestique, captive sans retour, entièrement dépen- dante de l'homme; et comme il a créé tout ce qui dépend de lui , on ne peut douter qu'il ne soit l'au- teur de toutes ces races esclaves , d'autant plus per- fectionnées pour nous, qu'elles sont plus dégénérées, plus viciées pour la nature. Supposant une fois nos colombiers établis et peu- plés, ce qui étoit le premier point et le plus difficile à remplir pour obtenir quelque empire sur une espèce aussi fugitive, aussi volage, on se sera bientôt aperçu que dans le grand nombre de jeunes pigeons que ces établissements nous produisent à chaque saison , il s'en trouve quelques uns qui varient pour la gran- deur, la forme, et les couleurs. On aura donc choisi les plus gros, les plus singuliers, les plus beaux; on les aura séparés de la troupe commune pour les éle- ver à part avec des soins plus assidus et dans une cap- tivité plus étroite : les descendants de ces esclaves choisis auront encore présenté de nouvelles variétés , qu'on aura distinguées, séparées des autres, unissant constamment et mettant ensemble ceux qui ont paru les plus beaux ou les plus utiles. Le produit en grand nombre est la première source des variétés dans les espèces : mais le maintien de ces variétés, et môme leur multiplication, dépend de la main de l'homme; il faut recueillir de celle de la nature les individus qui se ressemblent le plus, les séparer des autres, les unir ensemble , prendre les mêmes soins pour les variétés qui se trouvent dans les nombreux produits de leurs descendants; et, par ces attentions suivies, on peut. LE PIGEON. 55l avec le temps, créer à nos yeux, c'est-à-dire amener à la lumière une infinité d'êtres nouveaux, que la nature seule n'^auroit jamais produits. Les semences de toute matière vivante !ui appartiennent; elle en compose tous les germes des êtres organisés : mais la combinaison , la succession, l'assortiment, la réunion ou la séparation de chacun de ces êtres, dépendent souvent de la volonté de l'homme : dès lors il est le maître de forcer la nature par ses combinaisons, et de la fixer par son industrie ; de deux individus singu- liers qu'elle aura produits comme par hasard, il en fera une race constante et perpétuelle , et de laquelle il tirera plusieurs autres races qui, sans ses soins, n'auroient jamais vu le jour. Si quelqu'un vouloit donc faire l'histoire complète et la description détaillée des pigeons de volière, ce seroit moins l'histoire de la nature que celle de l'art de l'homme; et c'est par cette raison que nous croyons devoir nous borner ici à une simple énumération, qui contiendra l'exposition des principales variétés de cette espèce , dont le type est moins fixe et la forme plus variable que dans aucun autre animal. Le biset, n" 5io, ou pigeon sauvage^, est la tige primitive de tous les autres pigeons : communément il est de la même grandeur et de la même forme , mais cPime couleur plus bise que le pigeon domesti- que ; et c'est de cette couleur que lui vient son nom : cependant il varie quelquefois pour les couleurs et la grosseur; car le pigeon dont Frisch a donné la figure sous le nom de columba agrestiSj, n'est qu'un biset 1. Biset , croiseau. Le nom croiseau vient peut-être île croisé , les ailes et la {[iieue du l-iset étanl émisées cie bniu'.es noires ou hriuK'S. 552 LE PIGEON. blanc à tête et queue rousses; et celui que le même auteur a donné sous la dénomination de vinago_, sive colwnba montanUj, n'est encore qu'un biset noir bleu : c'est le même qu'Albin a décrit sous le nom de pigeon ramier^ qui ne lui convient pas; et le même encore dont Belon parle sous le nom de pigeon fuyard j, qui lui convient mieux; car on peut présumer que i'ori- î^ine de cette variété dans les bisets vient de ces pi- geons dont j'ai parié, qui fuient et désertent nos co- lombiers pour se rendre sauvages , d'autant que ces bisets noir-bleu nichent non seulement dans les arbres creux, mais aussi dans les trous des bâtiments ruinés et les rochers qui sont dans les forêts, ce qui leur a fait donner, par quelques naturalistes, le nom de pi- geons de roche ou roclieraies; et comme ils aiment aussi les terres élevées et les montagnes, d'autres les ont appelés pigeons de montagne. jNous remarquerons même que les anciens ne connoissoient que cette es- pèce de pigeon sauvage qu'ils appeloierit oïnas ou vi- nagOj et qu'ils ne font nulle mention de notre biset, qui néanmoins est le seul pigeon vraiment sauvage, et qui n'a pas passé par l'état de domesticité. Un fait qui vient à l'appui de mon opinion sur ce point c'est que dans tous les pays où il y a des pigeons domesti- ques, on trouve aussi des œnaSj depuis la Suède jus- que dans les pays chauds, au lieu que les bisets ne se trouvent pas dans les pays froids, et ne restent que pendant l'été dans nos pays tempérés : ils arrivent par troupes en Bourgogne, en Champagne, et dans les autres provinces septentrionales de la France, vers la hn de février et au commencement de mars; il s'éta- blissent dans les bois , v nichent dans des creux d'ar- lE PIGEON. ô'Sù Lre, pondent deux ou trois œufs au printemps, et vraisemblablement font une seconde ponte en été ; à chaque ponte ils n'élèvent que deux petits, et s'en retournent clans le mois de novembre ; ils prennent leur route du côté du Midi, et se rendent probable- ment en Afrique par l'Espagne pour y passer l'hiver. Le biset ou pigeon sauvage, et Vœnas ou le pigeon déserteur, qui retourne à l'état de sauvage, se per- chent, et par cette habitude se distinguent du pigeon de muraille, qui déserte aussi nos colombiers, mais qui semble craindre de retourner dans les bois, et ne se perche jamais sur les arbres. Après ces trois pi- geons, dont les deux derniers sont plus ou moins près de l'état de nature, vient le pigeon^ de nos colom- biers, n° /^66, qui, comme nous l'avons dit, n'est qu'à demi domestique, et retient encore de son pre- mier instinct l'habitude de voler en troupe : s'il a perdu le courage intérieur d'où dépend le sentiment de l'indépendance, il a acquis d'autres qualités qui, quoique moins nobles, paroissent plus agréables par leurs effets. Ils produisent souvent trois fois l'année, et les pigeons de volière produisent jusqu'à dix et douze fois, au lieu que le biset ne prodoit qu'une ou deux fois tout au plus : combien de plaisirs de plus suppose cette différence, surtout dans une espèce qui semble les goûter dans toutes leurs nuances, et en jouir plus pleinement qu'aucune autre ! Ils pondent, à deux jours de distance, presque toujours deux œufs, rarement trois, et n'élèvent presque jamais que deux T. Em lallii . coluniha; en espagnol, paloma ; en italien, colombo, Co- lomba; en allemand , taube on taiiben; en anglois, dove , common dove ^ kouse-plgzvn. v'554 I-E PIGEON. petits, dont ordinairement l'un se trouve mâle et l'autre femelle : il y en a même plusieurs, et ce sont les plus jeunes, qui ne pondent qu'une fois; car le produit du printemps est toujours plus nombreux , c'est-à-dire la quantité de pigeonneaux dans le même colombier plus abondante qu'en automne , du moins dans ces climats. Les meilleurs colombiers où les pi- geons se plaisent et multiplient ie plus ne sont pas ceux qui sont trop voisins de nos habitations : placez- les à quatre ou cinq cents pas de distance de la ferme, sur la partie la plus élevée de votre terrain , et ne craignez pas que cet éloignement nuise à leur multi- plication; ils aiment les lieux paisibles, la belle vue, l'exposition au levant , la situation élevée où ils puis- sent jouir ci es premiers rayons du soleil. J'ai souvent vu les pigeons de plusieurs colombiers situés dans le bas d'un vallon , en sortir avant le lever du soleil pour gagner un colombier situé au dessus de la colline, et s'y rendre en si grand nombre, que le toit étoit abso- lument couvert de ces pigeons étrangers, auxquels les domiciliés étoient obligés de faire place, et quel- quefois même forcés de la céder. C'est surtout au printemps et en automne qu'ils semblent rechercher les premières influences du soleil, la pureté de l'air, et les lieux élevés. Je puis ajouter à cette remarque une autre observation , c'est que le peuplement de ces colombiers isolés, élevés, et situés haut, est plus facile, et le produit bien plus nombreux que dans les autres colombiers. J'ai vu tirer quatre cents paires de pigeonneaux d'un de mes colombiers qui, par sa si- tuation et la hauteur de sa bâlisse, éloit élevé d'envi- ron deux cents pieds au dessus des autres colombiers, LE PIGEON. 355 tandis que ceux-ci ne produisent que le quart ou le tiers tout au plus, c'est-à-dire cent ou cent trente paires : il faut seulement avoir soin de veiller à Toi- seau de proie, qui fréquente de préférence ces co- lombiers élevés et isolés, et qui ne laisse pas d'inquié- ter les pigeons, sans néanmoins en détruire beaucoup, car il ne peut saisir que ceux qui se séparent de la troupe. Après le pigeon de nos colombiers, qui n'est qu'à demi domestique, se présentent les pigeons de vo- lière , qui le sont entièrement, et dont nous avons si fort favorisé la propagation des variétés, les mélanges, et la multiplication des races, qu'elles demanderoient un volume d'écriture et un autre de planches, si nous voulions les décrire et les représenter toutes; mais, comme je l'ai déjà fait sentir, ceci est plutôt un objet de curiosité et d'art qu'un sujet d'histoire naturelle, et nous nous bornerons à indiquer les principales branches de cette famille immense, auxquelles on pourra rapporter les rameaux et les rejetons des va- riétés secondaires. Les curieux en ce genre donnent le nom de bisets à tous les pigeons qui vont prendre leur vie à la cam- pagne, et qu'on met dans de grands colombiers : ceux qu'ils appellent pigeons domestiques ne se tiennent que dans de petits colombiers ou volières, et ne se répandent pas à la campagne. Il y en a de plus grands et de plus petits : par exemple, les pigeons culbutants et les pigeons tournants, qui sont les plus petits de tous les pigeons de volière, le sont plus que le pigeon de colombier; ils sont aussi plus légers de vol et plus dégagés de corps; et quand ils se mêlent avec les 556 LE PIGEON. pigeons de colombier, ils perdent l'habitude de tour- ner et de culbuter. 11 semble que ce soit l'état de captivité forcée qui leur fait tourner la tête, et qu elle reprend son assiette dès qu'ils recouvrent leur li- berté. Les races pures, c'est-à-dire les variétés principales de pigeons domestiques, avec lesquelles on peut faire les variétés secondaires de chacune de ces races, sont, 1 ° les pigeons appelés grosses-gorges ^, parce qu'ils ont la faculté d'enfler prodigieusement leur jabot en as- pirant et retenant l'air; 2" les pigeons mondains, qui sont les plus recommandables par leur fécondité, ainsi que les pigeons romains, les pigeons pattus et les non- nains; 5° les pigeons-paons, qui élèvent et étalent leur large queue comme le dindon ou le paon; 4° ^g pi- geon-cravate ou à gorge frisée; 5° le pigeon -coquille hollandois; 6° le pigeon -hirondelle; 7° le pigeon- carme; S** le pigeoQ heurté; 9° les pigeons suisses; 10" le pigeon culbutant; 1 1° le pigeon tournant. La race du pigeon grosse-gorge est composée des variétés suivantes : i** Le pigeon grosse-gorge soupe-en-vin, dont les mâles sont très beaux, parce qu'ils sont panachés, et dont les femelles ne panachent point. 2° Le pigeon grosse-gorge chamois panaché : la fe- melle ne panache point. C'est à cette variété qu'on doit rapporter le pigeon de la planche cxlvi de Frisch , que les Allemands appellent kropf-taube ou kroïiperj, et que cet auteur a indiqué sous la dénomination de colainba strwnosaj, seu cobimba œsophago inflato. 5" Le pigeon grosse-gorge, blanc comme un cygne. ^. Voyez pi. 27, fig. 2. LE PIGEON. 357 4" Le pigeon grosse-gorge blanc, pattu , et à lon- gues ailes qui se croisent sur la cfuene, dans lequel la boule de la gorge paroît fort détachée. 5° Le pigeon grosse-gorge gris panaché, et le gris doux , dont la couleur est douce et uniforme par tout le corps. 6" Le pigeon grosse-gorge gris de fer, gris barré et à rubans. 7° Le pigeon grosse-gorge gris piqué , comme ar- genté. 8° Le pigeon grosse-gorge jacinthe, d'une couleur bleue ouvragée en blanc. 9" Le pigeon grosse-gorge couleur de feu : il y a sur toutes ses plumes une barre bleue et une barre rouge, et la plume est terminée par une barre noire. 10" Le pigeon grosse -gorge couleur de bois de noyer. 11*" Le pigeon grosse-gorge couleur de marron, avec les pennes de l'aile toutes blanches. 12" Le pigeon grosse-gorge maurin, d'un beau noir velouté, avec les dix plumes de l'aile blanches comme dans la grosse-gorge marron : ils ont tous deux la ba- vette ou le mouchoir blanc sous le cou ; et dans ces dernières races à vol blanc et à grosse gorge la femelle est semblable au mâle. Au reste, dans toutes les races de grosses-gorges d'origine pure, c'est-à-dire de cou- leur uniforme, les dix pennes sont toutes blanches jusqu'à la moitié de l'aile, et on peut regarder ce ca- ractère comme général. 15° Le pigeon grosse -gorge ardoisé, avec le vol blanc et la cravate blanche : la femelle est semblable au mâle. lîUFIOIV. XX. '25 r)bS LE PICtOX. Voilà les races principales des pigeons à grosse «orge; mais il y en a encore plusieurs autres moins belles, comme les rouges, les olive, les couleur de nuit, etc. Tous les pigeons en général ont plus ou moins la faculté d'enfler leur jabot en aspirant Fair; on peut de même le faire enfler en soufflant de l'air dans leur gosier : mais cette race de pigeons grosse-gorge ont cette même faculté d enfler leur jabot si supérieure- ment, qu elle doit dépendre d'une conformation par- ticulière dans les organes; ce jabot, presque aussi gros que tout le reste de leur corps, et qu'ils tiennent con- tinuellement enflé, les oblige à retirer leur tête, et les empêche de voir devant eux : aussi, pendant qu'ils se rengorgent, l'oiseau de proie les saisit sans qu'ils raperçoivent. On les élève donc plutôt par curiosité que pour l'utilité. Une autre race est celle des pigeons mondains; c'est la plus commune , et en mêore temps la plus estimée, à cause de sa grande fécondité. Le mondain est à peu près d'une moitié plus fort que le biset; la femelle ressemble assez au mâle : ils produisent presque tous les mois de l'année, pourvu qu'ils soient en petit nombre dans la même volière; et il leur faut au moins à chacun trois ou quatre paniers, ou plutôt des trous un peu profonds, formés comme des cases, avec des planches, afin qu'ils ne se voient pas lorsqu'ils couvent; car chacun de ces pigeons dé- fend non seulement son panier, et se bat contre les autres qui veulent en approcher, mais même il se bat aussi pour tous les paniers qui sont de son côté. Par exemple, il ne faut que huit paires de ces pi- LE riGEON. 359 geons mondains dans un espace carré de huit pieds de côté; et les personnes qui en ont élevé assurent qu'avec six paires on pourroit avoir tout autant de produit : plus on augmente leur nombre dans un es- pace donné, plus il y a de combats, de tapage, et d'œufs cassés. Il y a dans cette race assez souvent des mâles stériles, et aussi des femelles infécondes et qui ne pondent pas. Us sont en état de produire à huit ou neuf mois dage; mais ils ne sont en pleine ponte qu'à la troi- sième année : cette pleine ponte dure jusqu'à six ou sept ans, après quoi le nombre des pontes diminue, quoiqu'il y en ait qui pondent encore à l'âge de douze ans. La ponte des deux œufs se fait quelquefois en vingt-quatre heures, et dans l'hiver en deux jours; en sorte qu'il y a un intervalle de temps dilférent. suivant la saison, entre la ponte de chaque œuf. La femelle tient chaud son premier œuf , sans néanmoins le couver assiduement ; elle ne commence à couver constamment qu'après la ponte du second œuf; l'in- cubation dure ordinairement dix-huit jours, quel- quefois dix-sept, surtout en été, et jusqu'à dix-neuf ou vingt jours en hiver. L'attachement de la femelle à ses œufs est si grand, si constant, qu'on en a vu souffrir les incommodités les plus grandes et les dou- leurs les plus cruelles, plutôt que de les quitter : une femelle entre autres, dont les pattes gelèrent et tom- bèrent . et qui, malgré cette souffrance et cette perte de membres , continua sa couvée jusqu'à ce que ses petits fussent éclos ; ses pattes avoient gelé parce que son panier étoit tout près de la fenêtre de sa vo- lière. 56ô LE PIGEON. Le Tïiâle, pendant que sa femelle couveuse tient sur le panier le plus voisin; et au moment que, pressée par le besoin de manger, elle quitte ses œufs pour aller à la trémie , le mâle, qu'elle a appelé au- paravant par un petit roucoulement, prend sa place,, couve ses œufs ; et cette incubation du mâle dure deux ou trois heures chaque fois, et se renouvelle ordinairement deux fois en vingt-quatre heures. On peut réduire les variétés de îa race des pigeons mondains à trois pour la grandeur, qui toutes ont pour caractère commun un filet rouge autour des yeux. 1° Les premiers mondains sont des oiseaux lourds, et à peu près gros comme de petites poules : ou ne les recherche qu'à cause de leur grandeur, car ils ne sont pas bons pour la multiplication. s** Les bagadais sont de gros mondains avec un tu- bercule au dessus du bec en forme d'une petite mo- rille, et un ruban rouge beaucoup plus large autour des yeux, c'est-à-dire une seconde paupière charnue rougeâtre , qui leur tombe même sur les yeux lors- qu'ils sont vieux , et les empêche alors de voir. Ces pigeons ne produisent que difficilement et en petit nombre. Les bagadais ont le bec courbé et crochu, et ils présentent plusieurs variétés : il y en a de blancs , de noirs, de rouges, de minimes, etc. 3° Le pigeon espagnol, qui est encore un pigeon mondain, aussi gros qu'une poule, et qui est très beau ; il diffère du bagadais en ce qu'il n'a point de morille au dessus du bec, que la seconde paupière charnue est moins saillante , et que le bec est droit LE PIGEON. 56 l 3U lieu d'être courbé : on le mêle avec le bagadais, et le produit est un très gros et très grand pigeon. 4° Le pigeon turc , qui a , comme !e bagadais , une grosse excroissance au dessus du bec , avec un ruban rouge qui s'étend depuis le bec autour des yeux. Ce pigeon turc est très gros, huppé, bas de cuisses, large de corps et de vol : il y en a de minimes ou bruns presque noirs, tels que celui qui est représenté dans la planche cxlix de Frisch ; d'autres dont la cou- leur est gris de fer, gris de lin , chamois, et soupe- en-vin. Ces pigeons sont très lourds et ne s'écartent pas de leur volière. 5** Les pigeons romains , qui ne sont pas tout-à-fait aussi grands que les turcs, mais qui ont le vol aussi étendu , n'ont point de huppe : il y en a de noirs, de minimes, et de tachetés. Ce sont là les plus gros pigeons domestiques; il y en a d'autres de moyenne grandeur, et d'autres plus petits. Dans les pigeons pattus , qui ont les pieds cou- verts de plumes jusque sur les ongles, on distingue le pattu sans huppe, dont Frisch a donné la figure, planche cxlv ; sous la dénomination de trummeltaube en allemand, et de coLumba tympanlsans en latin, pigeon- tambour en françois; et le pattu huppé , dont le même auteur a donné la figure planche cxliv, sous le nom de montaubc en allemand, et sous la dénomi- nation latine cokimba menstraa ^ seu crlstata pedibus plumosis. Ce pigeon pattu, que l'on appelle pigeon- tambour ^ se nomme aussi pigeon-glouglou j, parce qu'il répète souvent ce son, et que sa voix imite le bruit du tambour entendu de loin. Le pigeon pattu huppé esl aussi appelé pigeon de mois ^ parce qu'il produit 7>6'2 LE PIGliON. tous ies mois, et qu'il n'attend pas que ses petits soient en état de manger seuls pour couver de nou- veau. C'est une race recomniandable par son utilité, c'est-à-dire par sa grande fécondité , qui cependant ne doit pas se compter de douze fois par an, mais communément de huit et neuf pontes ; ce qui est en- core d'un très grand produit. Dans les races moyennes et petites de pigeons do- mestiques, on distingue le pigeon-nonnain , dont il y a plusieurs variétés; savoir, le soupe-en-vin, le rouge panaché, le chamoispanaché, mais dont les fe- melles de tous trois ne sont jamais panachées. Il y a aussi dansla race des nonnains une variété qu'on appelle pigeon-maurinj qui est tout noir, avec la tête blanche et le bout des ailes aussi blanc; et c'est à cette va- riété qu'on doit rapporter le pigeon de la planche cl de Frisch , auquel il donne en allemand le nom de sc/ileyer ou piirruquentaubej, et en latin , columba ga- ieritaj, et qu'il traduit en francois i^diV pigeon coiffé : mais en général tous les nonnains, soit maurins ou autres, sont coiffés, ou plutôt ils ont comme un demi- capuchon sur la tête, qui descend le long du cou, et s'étend sur la poitrine en forme de cravate com- posée de plumes redressées. Cette variété est voisine de la race du pigeon grosse-gorge ; car ce pigeon coiffé est de la même grandeur, et sait aussi enfler un peu son jabot. Il ne produit pas autant que les autres nonnains, dont les plus parfaits sont tout blancs, et sont ceux qu'on regarde comme les meil- leurs de la race : tous ont !e bec très court; ceux-ci produisent beaucoup , mais les pigeonneaux sont très petits. PI i35 Tome 2.0 Paxianeb, scrnlp . 1 1.E PI&E 017 KONAEST- 2 LE PIG-E 01^ CRA\7AT TE __ 3 LE PIGEOIST POL OITAIS LE PIGEON. 7)67) Le pigeon-paon est un peu plus gros que le pigeon- nonnain : on l'appelle pigeon-paon _, parce qu'il peut redresser sa queue et l'étaler comme le paon. Les plus beaux de cette race ont jusqu'à trente-deux plumes à la queue, tandis que les pigeons d'autres races n'en ont que douze : lorsqu'ils redressent leur queue, ils la poussent en avant; et comme ils reti- rent en même temps la tête en arrrière elle touche à la queue. Ils tremblent aussi pendant tout le temps de cette opération, soit par la forte contraction des muscles, soit par quelque autre cause; car il y a plus d'une race de pigeons trembleurs^. C'est ordinaire- ment quand ils sont en amour qu'ils étalent ainsi leur queue ; mais ils le font aussi dans d'autres temps. La femelle relève et étale sa queue comme le mâle , et l'a tout aussi belle. Il y en a de tout blancs, d'autres blancs avec la tête et (§ queue noires : et c'est à cette seconde variété qu'il faut rapporter le pigeon de la planche CLi de Frisch, qu'il appelle en aUeiirand pfau- taube ou humresckwantz ^ et en latin columba caudata. Cet auteur remarque que , dans le même temps que le pigeon-paon étale sa queue , il agite Fièrement et constamment sa tête et son cou , à peu près comme l'oiseau appelé torcol. Ces pigeons ne volent pas aussi bien que les autres ; leur large queue est cause qu'ils sont souvent emportés par le vent, et qu'ils tombent 1 . On coiinoît, en effet, un pigeon tremblour, différent du pigeon- paon, en ce qu'il n'a pas la queue si large à beaucoup près. Le pigeon- paon a été indiqué par Willughby et Uay, sous la dénomination de columba tremuia laùcauda; et le pigeon treuibleur, sous celle de co- lumba tremula angusticauda seu acuticauda : celui-ci, sans relcveà" ou étaler sa queue, tremble, dit-on, presque continuellement. 364 ^E PIGEON. à terre : ainsi on les élève plutôt par curiosité que pour l'utilité. Au reste , ces pigeons-, qui par etix- mêmes ne peuvent faire de longs voyages, ont été transportés fort loin par les hommes. Il y a aux Phi- lippines, dit Gemelîi Garreri, des pigeons qui relè- vent et étalent leur queue comme le paon. Les pigeons polonois'^ sont plus gros que les pi- geons-paons; ils ont pour caractère d'avoir le bec très gros et très court , les yeux bordés d'un large cercle rouge, les jambes très basses : il y en a de différentes couleurs, beaucoup de noirs, des roux, des chamois, des gris piqués , et de tout blancs. Le pigeo-n-cravate est l'un des plus petits pigeons; il n'est guère plus gros qu'une tourterelle ; et en les appariant ensemble ils produisent des mulets ou métis. On distingue le pigeon-cravate du pigeon-nqn- nain , en ce que le pigeon-croate n'a point de demi- capuchon sur la tête et sur le cou, qu'il n'a pré- cisément qu'un bouquet des pl,ui|ies qui semblent se rebrousser sur la poitrine et sous la gorge. Ce sont de très jolis pigeons, bien faits, qui ont l'air très propre , et dont il y en a de soupe-en-vin, de chamois, de pa- nachés, de roux, et de gris, de tout blancs et de tout noirs, et d'autres blancs avec des maateaux noirs : c'est à cette dernière variété qu'on peut rapporter le pigeon représenté planche cxlvii de Frisch, sous le nom alleniand mowchen^ et la dénomination latine columba colio kirsuto. Ce pigeon ne s'apparie pas vo- lontiers avec les autres pigeons , et n'est pas d'un grand produit : d'ailleurs il est petit, et se laisse aisé- 1, Voyez pi. a6, fig. 5. LE PIGEON. 565 ïîient prendre par Toiseaii de proie; c'est par toutes ces raisons qu'on n'en élève guère. Les pigeons qu'on appelle coquille hollandois^ parce qu'ils ont derrière la tête des plumes à rebours qui forment comme une espèce de coquille, sont aussi de petite taille. Ils ont la tète noire, le bout de la queue et le bout des ailes aussi noirs, tout le reste du corps blanc. 11 y en aussi à tète rouge , à tête bleue, et à tète et queue jaunes; et ordinairement la queue est de la môme couleur que la tète, mais, le vol est toujours tout blanc. La première variété, qui a la tète noire, ressemble si fort à l'hirondelle de mer, que quelques uns lui ont donné ce nom , avec d'autant plus d'analogie , que ce pigeon n'a pas le corps rond comme la plupart des autres, mais allongé et fort dégagé. Il y a, indépendamment des tête et queue bleues qui ont la coquille, dont nous venons de parler, d'au- tres pigeons qui ont simplement le nom de tête et queue bleues _, d'autres de tête et queue noires ^ d'autres de tête et queue rouges ^ et d'autres encore , tête et queue jaunes^ et qui tous quatre ont l'extrémité des ailes de la même couleur que la tête; ils sont à peu près gros comme les pigeons-paons : leur plumage est très pro- pre et bien arrangé. Il y en a qu'on appelle aussi p igeons-hir onde lies j, qui ne sont pas plus gros que des tourterelles, ayant le corps allongé de môme, et le vol très léger : tout le dessous de leur corps est blanc, et ils ont toutes les parties supérieures du corps, ainsi que le cou, la tête, et la queue, noires, ou rouges, ou bleues , ou jaunes, avec un petit casque de ces mêmes couleurs ^66 LE PIGEON. sur la tête; mais le dessous de la tète est toujours blanc comme le dessous du cou. C'est à cette variété qu'il faut rapporter le pigeon cuirassé de Jonston et de Willugliby , qui a pour caractère particulier d'avoir les plumes de la tête, celles de la queue, et les pen- nes des ailes, toujours de la même couleur, et le corps d'une couleur différente; par exemple, le corps blanc, et la tête, la queue, et les ail^s noires, ou de quel- que autre couleur que ce soit. Le pigeon-carme, qui fait une autre race, est peut- être le plus bas et le plus petit de tous nos pigeons; il paroît accroupi comme l'oiseau que l'on appelle te crapaud volant; il est aussi très pattu , ayant les pieds fort courts et les plumes des jambes très longues. Les femelles et les mâles se ressemblent, ainsi que dans la plupart des autres races : on y compte aussi quatre variétés, qui sont les mêmes que dans les races pré- cédentes, savoir, les gris de fer, les chamois, les soupe- en-vin, et les gris-doux; mais ils ont tout le dessous dû corps et des ailes blanc, tout le dessus de leur corps étant des couleurs que nous venons d'indiquer. Ils sont encore remarquables par leur bec, qui est plus petit que celui d'une tourterelle; et ils ont aussi une petite aigrette derrière la tête, qui pousse en pointe comme celle de l'alouette huppée. Le pigeon-tambour ou glouglou^, dont nous avons parlé, que l'on appelle ainsi parce qu'il forme ce son glouglou^ qu'il répète fort souvent lorsqu'il est auprès de sa femelle, est aussi un pigeon fort bas et fort pattu; mais il est plus gros que le pigeon-carme, et à peu près de la taille du pigeon polonois. Le pigeon heurté, c'est-.Vdire masqué comme d'un LE PIGEON. 56- coop de pinceau noir, bleu , jaune, ou rouge, au des- sus du bec seulement et jusqu'au milieu de la tête, avec la queue de la même couleur, et tout le reste du corps blanc , est un pigeon fort recherche des cu- rieux; il n'est point pattu, et est de la grosseur des pigeons mondains ordinaires. Les pigeons suisses sont plus petits que les pigeons ordinaires, et pas plus gros que les pigeons bisets; ils sont de même tout aussi légers de vol. Il y en a de plusieurs sortes; savoir, des panachés de rouge, de bleu, de jaune, sur un fond blanc satiné, avec un collier qui vient former un plastron sur la poitrine, et qui est d'un rouge rembruni. Ils ont souvent deux rubans sur les ailes, de la même couleur que celle du plastron. Il y a d'autres pigeons suisses qui ne sont point pa- nachés, et qui sont ardoisés de couleur uniforme sur tout le corps, sans collier ni plastron; d'autres qu'on appelle colliers jaunes jaspés j, colliers jaunes maillés; d'autres colliers jaunes fort maillés ^ etc. , parce qu'ils portent des colliers de cette couleur. Il y a encore dans cette race de pigeons suisses une autre variété qu'on appelle pigeon azuré ^ parce qu'il est d'une couleur plus bleue que les ardoises. J^e pigeon culbutant est encore un des plus petits pigeons. Celui que M. Frisch a fait représenter, planche cxLviii, sous le nom detumîneltaubcj tumler^ columba gestuosa seu gesticularia^ est d'un roux brun; mais il y en a de gris et de variés de roux et de gris. Il tourne sur lui-même en volant, comme un corps qu'on jet- teroiten l'air, et c'est par cette raison qu'on l'a nommé pigeon culbutant. Il semble que tous ses mouvements 7)6S LE PIGEON. supposent des vertiges qui, comme je l'ai dit, peuvent être attribués à la captivité. Il vole très vite, s'élève le plus haut de tous, et ses 3nouvements sont très pré- cipités et fort irréguliers. Frisch dit que, comme par ses mouvements il imite en quelque façon les gestes et les sauts des danseurs de corde et des voltigeurs, on lui a donné le nom de pigeon pantomime , columba gcstuosa. Au reste , sa forme est assez semblable à celle du biset, et l'on s'en sert ordinairement pour attirer les pigeons des autres colombiers, parce qu'il vole plus haut, plus loin, et plus long-temps que les au- tres, et qu'il échappe plus aisément à l'oiseau de proie. Il en est de môme du pigeon tournant , que M. Bris- son, d'après Willughby, a appelé le pigeon batteur. Il tourne en rond lorsqu'il vole, et bat si fortement des ailes, qu'il fait autant de bruit qu'une claquette , et souvent il se rompt quelques plumes de l'aile parla violence de ce mouvement, qui semble tenir de la convulsion. Ces pigeons tournants ou batteurs sont communément gris, avec des taches noires sur les ailes. Je ne dirai qu'un mot de quelques autres variétés équivoques ou secondaires dont les nomenclateurs ont fait mention, et qui ressortissent sans doute aux races que nous venons d'indiquer, mais qu'on auroit quelque peine à y rapporter directement et sûre- ment, d'après les descriptions de ces auteurs. Tels sont, par exemple, i** le pigeon de JNorwége, indiqué par Schwenckfeld, qui est blanc comme neige , et qui pourroit bien être un pigeon pattu huppé plus gros que les autres, :2° Le pigeon de Crète , suivant Aldrovande, ou de LE PIGEON. 569 Barbarie , selon WiUnghby, qui a le bec très court et ies yeux entourés d'une large bande de peau nue, le plumage bleuâtre et marqué de deux taches noirâtres sur chaque aile. 5° Le pigeon frisé de Schwenckfeld et d'Aldrovande, qui est tout blanc et frisé sur tout le corps. 4" Le pigeon-messager de Willughby, qui ressemble beaucoup au pigeon turc, tant par son plumage brun que par ses yeux entourés d'une peau nue, et ses na- rines couvertes d'une membrane épaisse; on s'est, dit- on, servi de ces pigeons pour porter promptement des lettres au loin, ce qui leur a fait donner le nom de messagers. 5* Le pigeon-cavalier de Willughby et d'Albin , qui provient, dit-on, du pigeon grosse-gorge et du pigeon- messager , participant de l'un et de l'autre ; car il a la faculté d'enfler beaucoup son jabot comme le pigeon grosse-gorge, et il porte sur ses narines des mem- branes épaisses , comme le pigeon-messager : mais il y a apparence qu'on pourroit également se servir de tout autre pigeon pour porter de petites choses, ou plutôt les rapporter de loin; il suffit pour cela de les séparer de leur femelle, et de les transporter dans le lieu d'où roi\ veut recevoir des nouvelles; ils ne man- queront pas de revenir auprès de leur femelle dès qu'ils seront mis en liberté. On voit que ces cinq races de pigeons ne sont que des variétés secondaires des premières que nous avons indiquées d'après les observations de quelques curieux qui ont passé leur vie à élever des pigeons, et parti- culièrement du sieur Fournier, qui en fait commerce, et qui a été chargé, pendant quelques années, du .>^0 LE PKiEON. soin des volières et des basses-cours de S. A. S. mon- seigneur le comte de Cleruiont. Ce princie, qui de très bonne heure s'est déclaré le protecteur des arts, toujours animé du goût des belles connoissances , a voulu savoir jusqu'où s'étendoient en ce genre les forces de la nature : on a rassemblé, par ses ordres, toutes les espèces, toutes les races connues des oi- seaux domestiques; on les a multipliées et variées à l'infini; l'intelligence, les soins, et la culture ont ici, comme en tout, perfectionné ce qui étoit connu, et développé ce qui ne l'étoit pas; on a fait éclore jus- qu'aux arrière-germes de la nature; on a tiré de son sein toutes les productions ultérieures qu'elle seule et sans aide n'auroit pu amener à la lumière : en cher- chant à épuiser les trésors de sa fécondité, on a re- connu qu'ils éloient inépuisables, et qu'avec un seul de ses modèles, c'est-à-dire avec une seule espèce, telle que celle du pigeon ou de la poule, on pouvoit faire un peuple composé de mille familles différentes, toutes reconnoissables, toutes nouvelles, toutes plus belles que l'espèce dont elles tirent leur première origine. Dès le temps des Grecs on connoissoit les pigeons de volière, puisque Aristote dit qu'ils produisent dix et onze fois l'année, et que ceux d'Egypte produisent jusqu'à douze fois. L'on pourroit croire néanmoins que les grands colombiers où les pigeons ne produi- sent que deux ou trois fois par an n*étoient pas fort en usage du temps de ce philosophe : il compose le genre coiumbacé de quatre espèces, savoir, le ramier {pa- lumbes), la tourterelle [turtur) , le biset [vinago), et le pigeon [colmnbus) ; et c'est ce dernier dont u LE PIGE 0 A. vJ- I dit que le produit est de dix pontes par an : or ce produit si fréquent ne se trouve que dans quelques races de nos pigeons de volière. Aristote n'en distin- gue pas les différences , et ne fait aucune mention des variétés de ces pigeons domestiques : peut-être ces variétés n'existoient qu'en petit nombre ; mais il paroît qu'elles s'éloient bien m^ultipliées du temps de Pline^, qui parle des grands pigeons de Campanie et des curieux en ce genre, qui achetoient à un prix excessif une paire de beaux pigeons, dont ils racon- toient l'origine et la noblesse , et qu'ils élevoient dans des tours placées au dessus du toit de leurs maisons. Tout ce que nous ont dit les anciens au sujet des mœurs et des habitudes des pigeons doit donc se rapporter aux pigeons de volière plutôt qu'à ceux de nos colom- biers; qu'on doit regarder comme une espèce moyenne entre les pigeons domestiques et les pigeons sauvages, et qui participent en effet des mœurs des uns et des autres. Tous ont de certaines qualités qui leur sont com- munes : l'amour de la société, l'attachement à leurs semblables, la douceur des mœurs; la chasteté, c'esi- à-dire la fidélité réciproque, et l'amour sans partage 1. Cotumbaritm amore Insanlunt midli; super tecta exœdificant tunes lis, nohditatemcjue sin^ularmn et origines narrant veieres. Jam exem- plo L. Axius eques romanus , anie hélium civile Pompeianum, denariis quadringeniis singula paria venditavit, ut M. Varro tradit; quin et pa- triam nobilitavêre , Campania grandissimœ provenire existimatœ. ( Plin. , Hist. nat., lib. X, cap. ôj.) Les quatre cents deniers romains font soixante-dix livras de notre monnoie. La manie pour les beaux pigeons est donc encore plus grande aujourd'hui que du temps de Pline, car nos curieux les paient beaucoup plus cher. Ô-J^ LE PIGEON. du mâle et de la femelle; la proj3reté, le soin de soi- même, qui suppose l'envie de plaire ; l'art de se don- ner des grâces, qui le suppose encore plus , les caresses tendres, les mouvements doux, les baisers timides, qui ne deviennent intimes et pressants qu'au moment de jouir; ce moment même ramené quelques instants après par de nouveaux désirs, de nouvelles approches également nuancées, également senties; un feu tou- jours durable, un goût toujours constant, et, pour plus grand bien encore, la puissance d'y satisfaire sans cesse ; nulle humeur, nul dégoût, nulle querelle; tout le temps de la vie employé au service de l'amour et au soin de ses fruits; toutes les fonctions pénibles également réparties ; le mâle aimant assez pour les partager et même se charger des soins maternels , cou- vant régulièrement à son tour et les œufs et les petits, pour en épargner la peine à sa compagne, pour mettre entre elle et lui cette égalité dont dépend le bonheur de toute union durable : quels modèles pour l'homme, s'il pouvoit ou savoit les inuter ! OISEAUX ÉTRANGERS OUI OINT RAPPORT AU PIGEON. Il y a peu d'espèces qui soient aussi généralement répandues que celle du pigeon; comme il a l'aile très forte et le vol soutenu, il peut faire aisément de longs LE riGEON BRUN DK LA xNOUVELLE-ESPAGNE. 'b'jZ voyages : aussi la plupart des races sauvages ou do- mestiques se trouvent dans tous les cliniats. De l'E- gypte jusqu'en Norwége, on élève des pigeons de vo- lière; et, quoiqu'ils prospèrent mieux dans les climats chauds, ils ne laissent pas de réussir dans les pays froids, tout dépendant des soins qu'on leur donne; et ce qui prouve que l'espèce en général ne craint ni le chaud ni le froid, c'est que le pigeon sauvage ou biset se trouve également dans presque toutes les contrées des deux continents. Le pigeon brun de la Nouvelle-Espagne, indiqué parFernandès sous le nom mexicain celioUotly qui est i)run partout, excepté la poitrine et les extrémités des ailes, qui sont blanches, ne nous paroît être qu'une variété du biset. Cet oiseau du Mexique a le tour des yeux d'un rouge vif, l'iris noir, et les pieds rouges. Celui que le même auteur indique sous le nom de hoilotlj, qui est brun, marqué de taches noi- res, n'est vraisemblablement qu'une variété d'âge ou de sexe du précédent; et un autre du même pays, appelé kacahoUotlj, qui est bleu sur toutes les parties supérieures , et rouge sur la poitrine et le ventre , n'est peut-être encore qu'une variété de notre pigeon sauvage, et tous trois me paroissent appartenir à l'es- pèce de notre pigeon d'Europe. Le pigeon indiqué par M. Brisson , sous le nom de pigeon violet de la Martinique^ et qui est représenté n" 1 62. sous ce même nom de pigeon de la Martinique^, ne nous paroît être qu'une très légère variété de notre pigeon commun ; celui que ce m ('me auteur appelle simplement pigeon de la Martinique^ et qui est re- présenté n" i4i> sous la dénominalion de pigeon roux «iiiro^. XX. ^4 r- r )y4 I.E Pir.EON BlUN DES iADES OrUENTxMES. de Cayeane^ ne forment ni l'un ni l'aiUre des espèces différentes de celle de notre pigeon ; il y a même toute apparence que le dernier n'est que la femelle du premier, et qu'ils tirent leur origine de nos pigeons fuyards. On les appelle improprement perdrix à la Martinique, où il a y a point de vraies perdrix : mais ce sont des pigeons qui ne ressemblent à la perdrix que par la couleur du plumage, et qui ne diffèrent pas assez de nos pigeons pour qu'on doive leur don- ner un autre nom; et coniîne l'un nous est venu de Cayenne et l'autre de la Martinique, on peut en in- férer que l'espèce est répandue dans tous les climats chauds du nouveau continent. Le pigeon décrit et dessiné par M. Edwards, plan- che CLxxvi , sous la dénomination de pigeon des In- des orientales^ est de la même grosseur que notre pigeon biset; et, comme il n'en diffère que par les couleurs, on peut le regarder comme une variété pro- duite par l'influence du climat. 11 est remarquable, en ce que ses yeux sont entourés d'une peau d'un beau bleu, dénuée de plumes, et qu'il relève souvent et subitement sa queue, sans cependant l'étaler comme le pigeon-paon. Il en est de même du pigeon d'Amérique, donné par Catesby sous le nom àe pigeon de passage^ et par Frisch sous celui de colwnba (miericana ^ qui ne dif- fère de nos pigeons fuyards et devenus sauvages que par les couleurs et par les plumes de la queue, qu'il a plus longues; ce qui semble le rapprocher de la tourterelle : mais ces différences ne nous paroissent pas suffisantes pour en faire une espèce distincte et séparée de celle de nos pigeons. \ L i' p 1 ('. E o ^ p E il 11 o <,) i; E T. 7yi 5 Il eïi e.sl encore de même du pigeon indiqué par llay, appelé par les Arigiois pigeon-perroquet^ décrit ensuite par M. Brisson , et que nous avons fait repré- senter n° i58, sous îa dénomination de pigeon vert des Philippines, Gomme il est de la même grandeur que notre pigeon sauvage ou fuyard, et qu'il n'en diffère que par la force des couleurs, ce qu'on peut attribuer au climat chaud, nous ne le regarderons que comme une variété dans l'espèce de notre pigeon. Il s'est trouvé, dans le Cabinet du Roi , un oiseau, sous le nom de pigeon vert d' Amboiney qui n'est pas celui que M. Brisson adonné sous ce nom, et que nous avons fait représenter n** i63. Cet oiseau est d'une race très voisine de la précédente , et pourroit bien même n'en être qu'une variété de sexe ou d'âge. Le pigeon vert d'Amboine , décrit par M. Brisson, est de la grosseur d'une tourterelle ; et, quoique dif- férent par la distribution des couleurs de celui au- quel nous avons donné le même nom, il ne peut cependant être regardé que comme une autre variété de l'espèce de notre pigeon d'Europe, et il y a toute apparence que le pigeon vert de l'île Saint-Thomas, indiqué par Marcgrave, qui est de la même grandeur et figure que notre pigeon d'Europe, mais qui en dif- fère, ainsi que de tous les autres pigeons, par ses pieds couleur de safran, est cependant encore une variété du pigeon sauvage. En général , les pigeons ont tous les pieds rouges; il n'y a de différence que dans l'in- tensité ou la vivacité de cette couleur, et c'est peut- être par maladie , ou par quelque autre cause acci- dentelle, que ce pigeon de Marcgrave les avoit jaunes ; du reste, il ressemble beaucoup aux pigeons verts des 7)j6 LE PIGEON DE LA JAMAÏQUE. Philippines et d'Amboine de nos planches enluoii- nées. Thevenot fait mention de ces pigeons verts dans les ternies suivants : « 11 se trouve aux Indes, à Agra , des pigeons tout verts, et qui ne diffèrent des nôtres que par cette couleur. Les chasseurs les prennent aisément avec de la glu. » Le pigeon de la Jamaïque, indiqué par Hans Sloane, qui est d'un brun pourpré sur le corps, et blanc sous le ventre , et dont la grandeur est à peu près la même que celle de notre pigeon sauvage, doit être regardé €omme une simple variété de cette espèce, d'autant plus qu'on ne le retrouve pas à la Jamaïque en tou- tes saisons, et qu'il n'y est que comme oiseau de passage. Un autre qui se trouve dans le même pays de la Jamaïque, et qui n'est encore qu'une variété de noire pigeon sauvage, c'est celui qui a été indiqué par Hans Sloane, et ensuite par Catesby, sous la dénomination de pigeon à la couronne blanche. Comme il est de la même grosseur que notre pigeon sauvage, et qu'il niche et multiplie de même dans les trous des ro- chers, on ne peut guère douter qu'il ne soit de la même espèce. On voit par cette énuraération que notre pigeon sauvage d'Europe se trouve au Mexicpie, à la Nouvelle- Espagne, à la Martinique , à Gayenne, à la Caroline , à la Jamaïque, c'est-à-dire dans toutes les contrées chaudes et tempérées des Indes occidentales ; et qu'on le retrouve aux Indes orientales, à Amboine, et jus- qu'aux Philippines. Pl.lDi Tome ao P axiOTLe t, sc-oLp 1 . LE PIGE OI»*D*e**8>»*5»<9.8<1 LE RAMIERS Çolumba Palmnbus. Comme cet oiseau^ est beaucoup plus gros que le biset, et que tous deux tiennent de très près au pi- geon domestique, on pourroit croire que les petites races de nos pigeons de volière sont issues des bisets, et que les plus grandes viennent des ramiers, d'autant plus que les anciens étoient dans l'usage d'élever des ramiers , de les engraisser, et de les faire multiplier : il se peut donc que nos grands pigeons de volière, et particulièrement les gros pattus,viennentoriginaire- ment des ramiers ; la seule chose qui paroîtroit s'oppo- ser à cette idée, c'est que nos petits pigeons domesti- ques produisent avec les grands, au lieu qu'il ne pa- roît pas que le ramier produise avec le biset, puisque tous deux fréquentent les mêmes lieux sans se mêler ensemble : la tourterelle, qui s'apprivoise encore plus aisément que le ramier, et que l'on peut facilement élever et nourrir dans les maisons, pourroit, à égal titre, être regardée comme la tige de quelques unes de nos races de pigeons domestiques, si elle n'étoit 1. En latin, paiumbes; en italien, coLombo iorqualo; en espagnol, palotna torcatz; en allemand, ringeltaube; en anglois, ru)gdove;eidaai le nord de l'Angleterre , cusliat. u. W" 5i6. 5']S LE KAMÎEr.. pas, ainsi que le ramier, d'une espèce particulière et qui ne se mêle pas avec les pigeons sauvages ; mais on peut concevoir que des animaux qui ne se mêlent pas dans l'état de nature, parce que chaque mâle trouve une femelle de son espèce , doivent se mêler dans l'état de captivité s'ils sont privés de leur fe- melle propre et quand on ne leur offre qu'une femelle étrangère. Le biset, le ramier, et la tourterelle ne se mêlent pas dans les bois, parce que chacun y trouve la femelle qui lui convient le mieux , c'est-à-dire celle de son espèce propre : mais il est possible qu'étant privés de leur liberté et de leur femelle , ils s'unissent avec celle qu'on leur présente; et comme ces trois espèces sont fort voisines , les individus qui résultent de leur mélange doivent se trouver féconds, et pro- duire par conséque-nt des races ou variétés constan- tes : ce ne seront pas des mulets stériles, comme ceux qui proviennent de l'ânesse et du cheval, mais des métis féconds , comme ceux que produit le bouc avec la brebis. A juger du genre columbacé par toutes les analogies, il paroît que dans l'état de nature il y a , comme nous l'avons dit, trois espèces principales, et deux autres qu'on peut regarder comme intermé- diaires. Les Grecs avoient donné à chacune de ces cinq espèces des noms différents; ce qu'ils ne fai- soient jamais que dans l'idée qu'il y avoit en effet di- versité d'espèces : la première et la plus grande est le p/mssaj, ou phatta^ qui est notre ramier ; la seconde est le peleiaSj qui est notre biset; la troisième, le trtigoiiy ou la tourterelle; la quatrième, qui fait la première des intermédiaires, est VœnaSj qui, étant LE R A MIE II. .)79 un peu plus grand que le biset , doit être regardé comme une variété dont l'origine peut se rapporter aux pigeons fuyards ou déserteurs de nos colombiers; enfin la cinquième est le p/iaps^ qui est un ramier pkis petit que le phassa^, et qu'on a par cette raison appelé palumbus minora mais qui ne nous paroît faire qu'une variété dans l'espèce du ramier; car on a observé que, suivant les climats, les ramiers sont plus ou moins grands. Ainsi toutes les espèces nominales , ancien- nes et modernes, se réduisent toujours à trois, c'est- à-dire à celles du biset, du ramier, et de la tourte- relle, qui peut-être ont contribué toutes trois à la variété presque infinie qui se trouve dans nos pigeons domestiques. Les ramiers arrivent dans nos provinces au prin- temps, un peu plus tôt que les bisets, et partent en automne un peu plus tard. C'est au mois d'août qu'on trouve en France les ramereaux en plus grande quan- tité; et il paroît qu'ils viennent d'une seconde ponte, qui se fait sur la fin de l'été; car la première ponte, qui se fait de très bonne heure au printemps, est souvent détruile, parce que le nid, n'étant pas en- core couvert par les feuilles, est trop exposé. Il reste des ramiers pendant l'hiver dans la plupart de nos provinces. Ils perchent comme les bisets : mais ils n'établissent pas, comme eux, leurs nids dans des trous d'arbres; ils les placent à leur sommet, et les construisent assez légèrement avec des bûchettes : ce nid est plat, et assez large pour recevoir le mâle et la femelle. Je suis assuré qu'elle pond de très bonne heure au printemps deux et souvent trois œufs; car on m'a apporté plusieurs nids où il y avoit deux et 58o Ll' KAMIER. quelquefois trois ramereaux^ déjà forts au commen- cement d'avril. Quelques gens ont prétendu que, dans notre climat, ils ne produisent qu'une fois l'an- née, à moins qu'on ne prenne leurs petits ou leurs œufs; ce qui, comme l'on sait, force tous les oiseaux à une seconde ponte. Cependant Frisch assure qu'ils couvent deux fois par an; ce qui nous paroît très vrai. Gomme il v a constance et fidélité dans l'union du mâle et de la femelle, cela suppose que le senti- ment d'amour et le soin des petits durent toute l'an- née. Or, la femelle pond quatorze Jours après les ap- proches du mâle ; elle ne couve que pendant quatorze autres jours, et il ne faut qu'autant de temps pour que les petits puissent voler et se pourvoir d'eux- mêmes. Ainsi il y a toute apparence qu'ils produisent plutôt deux fois qu'une par an : la première, comme 1. M. Salcrne dit que « les poulaillers d'Oi'léans achètent, enBerri a et en Sologne, dans la saison des nids, une quantité considérable de » tourtereaux, qu'ils soufflent eux-mêmes avec la bouche, les engrais- « sent de n)illel en moins de quinze jours, pour les porter ensuite à a Paris: qu'ils engrai-ssent de même les ramereaux; qu'ils y portent » aussi des pigeons bisets, et d'autres pigeons qu'ils appellent des postes; » que ces derniers sont, selon eux, des pigeons de colombier devenus » fuyards ou vagabonds, qui nichent tantôt dans un endroit, tantôt « dans un autre, dans les églises, dans les murailles de vieux châ-i » teaux ou dans des rochers». {Ornithologie , page 162. ) Ce fait prouve que les ramieis, ainsi que tous les pigeons et tour- terelles, peuvent être élevés comme les autres oiseaux domestiques, et que par conséquent ils peuvent avoir donné naissance aux plus belles variétés et aux plus grandes races de nos pigeons de volière. M. Leroy, lieutenant des chasses et inspecteur du parc de Versailles, m'a aussi assuré que les ramereaux pris au nid s'apprivoisent et s'engraissent très bien, et que même de vieux ramiers pris au filet s'accoutument aisément à vivre dans des volières, où l'on peut, en les soufflant, leur faire prendre graisse en fort peu de temps. LE PxAMIEP.. 38 I je Tai dit , au commencement du printemps; et la se- conde au solstice de l'été , comme l'ont remarqué les- anciens. Il est très certain que cela est ainsi dans tous les climats chauds et tempérés, et très probable qu'il en est à peu près de même dans les pays froids. Ils ont un roucoulement plus fort que celui des pigeons , mais qui ne se fait entendre que dans la saison des amours et dans les jours sereins; cardes qu'il pleut, ces oiseaux se taisent, et on ne les entend que très rarement en hiver. Ils se nourrissent de fruits sauva- ges, de glands, de faînes, de fraises dont ils sont très avides, et aussi de fèves et de grains de toute es- pèce : ils font un grand dégât dans les blés lorsqu'ils sont versés; et quand ces aliments leur manquent, ils mangent de l'herbe. Ils boivent à la manière des pigeons, c'est-à-dire de suite et sans relever la tête qu'après avoir avalé toute l'eau dont ils ont besoin. Comme leur chair, et surtout celle des jeunes, est excellente à manger, on recherche soigneusement leurs nids, et on en détruit ainsi une grande quan- tité : cette dévastation, jointe au petit produit, qui n'est que de deux ou trois œufs à chaque ponte, fait que l'espèce n'est nombreuse nulle part. On en prend, à la vérité, beaucoup avec des fdets dans les lieux de leur passage, surtout dans nos provinces voisines des Pyrénées; mais ce n'est que dans une saison et pen- dant peu de jours. Il paroît que, quoique le ramier préfère les climats chauds et tempérés, i! habite quelquefois dans les pays septentrionaux, puisque M. Linnaeus le met dans la liste des oiseaux qui se trouvent en Suède ; et il paroît aussi qu'ils ont passé cVun conlinent à l'au- 382 LE RAMIER. tre, car il nous est arrivé des provinces méridionales de l'Amérique, ainsi que des contrées les plus chau- des de notre continent, plusieurs oiseaux qu'on doit regarder comme des variétés ou des espèces très voi- sines de celle du ramier, et dont nous allons faire mention dans l'article suivant. (8>e*o«!«*c«>«i< OISEAUX ETRANGERS OUI ONT RAPPORT AU RAMIER. Le pigeon ramier des Moluques [Co/umùa œnea. Gmel), indiqué sous ce nom par M. Brisson, et que nous avons fait représenter, n° 164, avec une noix muscade dans le bec, parce qu'il se nourrit de ce fruit. Quelque éloigné que soit le climat des Moluques de celui de l'Europe, cet oiseau ressemÎDle si fort à notre ramier par la grandeur et la figure, que nous ne pou- vons le regarder que comme une variété produite par l'influence du climat. Il en est de même de l'oiseau indiqué ef décrit par M. Edwards, qu'il dit se trouver, dans les provinces méridionales de la Guinée. Comme il est à demi pattu et à peu près de la grandeur du ramier d'Europe , nous le rapporterons à cette espèce comme simple variété, quoiqu'il en diffère par les couleurs, élant marqué de LE RAMIER DES MOLLQLES. 585 taches triangulaires sur les ailes, et qu'il ait tout le dessous du corps gris , les yeux entourés d'une peau rouge et nue , l'iris d'un beau jaune , le bec noirâtre : mais toutes ces difFérences de couleur d.ins le plu- mage, le bec, et les yeux, peuvent être regardées comme des variétés produites par le climat. Une troisième variété de ramier, qui se trouve dans l'autre continent, c'est le pigeoD à queue annelée de *]a Jamaïque, indiqué par HansSloane etBrowne, qui. étant de la grandeur à peu près du ramier d'Europe, peut y être rapporté plutôt qu'à aucune autre espèce : il est remarquable par la bande noire qui traverse sa queue bleue, par l'iris des yeux, qui est d'un rouge plus vif que celui de l'œil du ramier, et par deux tu- bercules qu'il a près de la base du bec. IT. LE FOUNirsGO. Cc^Mmba Madagascariensîs. L'oiseau appelé à Madagascar founingomena-rabou j, et auquel nous conserverons partie de ce nom , parce qu'il nous paroît être d'une espèce particulière, et qui. quoique voisine de celle du ramier, en diflère trop par la grandeur pour qu'on puisse le regarder comme une simple variété ^. M. Brisson a indiqué le premier cet oiseau, et nous l'avons fait représenter sous la dénomination de pigeon-ramier blende Mada- 1. Ce qui nous lait présumei' que le founingo est d'une autre espèce que celle de notre ramier, c'est que ce dernier $c trouve dans ce même climaL 584 LE FOUNINGO. gascar^ ii* i i i . Il est beaucoup plus petit que notre ramier d'Europe , et de la même grandeur à peu près qu'un autre pigeon du même climat, qui paroît avoir été indiqué par Bontius, et qui a été ensuite décrit par M. Brisson sur un individu venant de Madagascar, où il s'appelle founingo maïtsoii; ce qui paroît prou- ver que, malgré la différence de la couleur du vert au bleu, ces deux oiseaux sont de la même espèce, et qu'il n'y a peut-être entre eux d'autre différence' que celle du sexe ou de l'âge. On trouvera cet oiseau vert représenté sous la dénomination de pigeon-ramier vert de Madagascar , n° 1 1 1, dans nos planches en- luminées. III. LE RAMIRET. Columba speclosa. Gmel. L'oiseau représenté n° 2i3, sous la dénomination de pigeon-ramier de Cayenne^ dont l'espèce est nou- velle, et n'a été indiquée par aucun des naturalistes qui nous ont précédés. Comme elle nous a paru dif- férente de celle du ramier d'Europe et de celle du founingo d'Afrique, nous avons cru devoir lui donner un nom propre , et nous l'avons appelé ramiret _, parce qu'il est plus petit que notre ramier. C'est un des plus jolis oiseaux de ce genre, et qui tient un peu à celui de la tou'Herelle par la forme de son cou et l'or- donnance des couleurs, mais qui en diffère par la grandeur et par plusieurs caractères qui le rappro- chent plus des ramiers que d'aucune autre espèce d'oiseau. LE PIGEOiN DES ÎLES NICOBAR. 385 IV. Le pigeon des îles Nincombar ou plutôt Nicobar {Colnmha Nicobarlca. Gmel. ), décrit et dessiné par Albin, qui, selon lui, est de la grandeur de notre ramier d'Europe , dont la tête et la gorge sont d'un noir bleuâtre, le ventre d'un brun noirâtre, et les parties supérieures du corps et des ailes, variées de bleu, de rouge, de pourpre, de jaune, et de vert. Selon M. Edwards, qui a donné, depuis Albin, une très bonne description et une excellente figure de c^t oiseau , il ne paroissoit que de la grosseur d'un pigeon ordinaire Les plumes sur le cou sont longues et pointues comme celles d'un coq de basse-cour; elles ont de très beaux reflets de couleurs variées de bleu , de rouge, d'or, et de couleur de cuivre; le dos et le dessus des ailes sont verts avec des reflets d'or et cui- vre... J'ai, ajoute M. Edwards, trouvé dans Albin des figures qu'il appelle le coq et la poule de cette espèce; je les ai examinées ensuite chez le chevalier Sloane , et je n'ai pu y trouver aucune différence de laquelle on pourroit conclure que ces oiseaux étoient le mâle et la femelle... Albin Vdi^j^eWe pigeon ninkcombnr : le vrai nom de l'île d'où cet oiseau a été apporté est JNi- cobar... Il y a plusieurs petites îles qui portent ce nom, et qui sont situées au nord de Sumatra. L'oiseau nommé par les Hollandois crown vogelj, donné par M. Edwards, planche cccxxxviir, sous le nom de gros pigeon cotn^onné des Indes ^ et par M. Bris- 586 LE c;rus riGEOiX couronné des indes. son, sous celui de faisan couronné des Indes ^ n° 1 18. ( Columba coronata. Gmel. ) Quoique cet oiseau soit aussi gros qu'un dindon, il paroît certain qu'il appartient au genre du pigeon ; il en a le bec, la tête , le cou , toute la form-e du corps , les jambes, les pieds, les ongles , la voix, le roucou- lement, les mœurs, etc. C'est parce qu'on a été trompé par sa grosseur qu'on n'a pas songé à le comparer au pigeon, et que M. Brisson et ensuite notre dessina- teur l'ont appelé faisan. Le dernier volume des Oi- seaux de M. Edwards n'avoit pas encore paru; mais voici ce qu'en dit cet habile ornithologiste : « 11 est de la t'aniille des pigeons, quoique aussi gros qu'un din- don de médiocre grandeur... M. Loten a rapporté des Indes plusieurs de ces oiseaux vivants... 11 est natif de l'île de Banda M. Loten m'a assuré que c'est proprement un pigeon, et qu'il en a tous les gestes et tous les tons ou roucoulements en caressant sa fe- melle. J'avoue que je n'auro'is jamais songé à trouver un pigeon dans un oiseau de cette grosseur, sans une telle information. » Il est arrivé à Paris tout nouvellement , à M. le prince de Soubise, cinq de ces oiseaux vivants; ils sont tous cinq si ressemblants les uns aux autres par la grosseur et la couleur, qu'on ne peut distinguer les mâles et les femelles : d'ailleurs ils ne pondent pas; et M. Mau- duit, très habile naturaliste , nous a assuré en avoir vu plusieurs en Hollande, où ils ne pondent pas plus qu'en France. Je me souviens d'avoir lu dans quel- ques voyages qu'aux grandes Indes on élève et nour- rit ces oiseaux dans des basses-cours, à peu près comme les poules. Tlx57 Touae ao • PaxLQn.e t, scnlp . 1 LA TOURTERELLE _ :2 LA TOURTERELLE BLANCHE_3.LA TOURTETET ,T K A COLLIER LA TOURTERELLE. oS'] LA TOURTERELLE\ Columba Turtur. L. La tourterelle aime peut-être plus qu'aucun autre oiseau la fraîcheur en été et la chaleur en hiver : elle arrive dans noire climat fort tard au printemps, et le quitte dès la fin du mois d'août; au lieu que les bisets et les ramiers arrivent un mois plus tôt, et ne partent qu'un mois plus tard; plusieurs même restent pendant l'hiver. Toutes les tourterelles, sans en excepter une, se réunissent en troupes, arrivent, partent , et voya- gent ensemble; elles ne séjournent ici que quatre ou cinq mois : pendant ce court espace de temps, elles s'apparient, nichent, pondent, et élèvent leurs petits au point de pouvoir les emmener avec elles. Ce sont les bois lès plus sombres et les plus frais qu'elles pré- fèrent pour s'y établir; elles placent leur nid, qui est presque tout plat, sur les plus hauts arbres , dans les lieux les plus éloignés de nos habitations. En Suède, en Allemagne, en France, en Italie, en Grèce, et peut-être encore dans des pays plus froids et plus chauds, elles ne séjournent que pendant l'été et quit- tent également avant l'automne : seulement Aristote 1. Du lalin, turtur ; en espagnol , tortotaoïi tortora; en italien, tor- tora ou tortorella ; en allemand , turiel, turteltaube; en anglois, turtlc, turtledove. 588 LA TOURTERELLE. nous apprend qu'il en resle quelques unes en Grèce, dans les endroits les plus abrités; cela semble prou- ver qu'elles cherchent les climats très chauds pour v passer l'hiver. On les trouve presque partout dans l'ancien continent;, on les retrouve dans le nouveau, et jusque dans les îles de la mer du Sud. Elles sont, comme les pigeons, sujettes à varier ; et quoique na- turellement plus sauvages, on peut néanmoins les éle- ver de même, et les faire multiplier dans des volières. On unit aisément ensemble les différentes variétés; on peut même les unir au pigeon, et leur faire pro- duire des métis ou des mulets, et former ainsi de nou- velles races ou de nouvelles variétés individuelles. « J'ai vu, m'écrit un témoin dignede foi'^, dans le Bu- gey, chez un chartreux, un oiseau né du mélange d'un pigeon avec une tourterelle : il étoit de la cou- leur d'une tourterelle de France ; il tenoit plus de la tourterelle que du |>igeon : il étoit inquiet, et trou- bloit la paix dans la volière. Le pigeon-père étoit d'une très petite espèce, d'un blanc parfait, avec les ailes noires. « Cette observation, qui n'a pas été suivie jus- qu'au point de savoir si le métis provenant du pigeon et de la tourterelle étoit fécond, ou si ce n'étoit qu'un mulet stérile; cette observation, dis-je, prouve au moins la très grande proximité de ces deux espèces. 11 est donc fort possible, comme nous l'avons déjà insinué, que les bisets, les ramiers, et les tourte- relles dont les espèces paroissent se soutenir séparé- ment et sans mélange dans l'état de nature, se soient î, M. liébeii . (jue \\à déjà cité plus d'une fois. LA TOURTERELLE. 089 néanmoins souvent unis dans celui de domesticité, et que de leur mélange soient issues la plupart des races de nos pigeons domestiques, dont quelques uns sont de la grandeur du ramier, et d'autres ressem- blent à la tourterelle par la petitesse, par la figure, etc. , et dont plusieurs enfin tiennent du biset ou partici- pent de tous trois. Et ce qui semble confirmer la vérité de notre opi- nion sur ces unions qu'on peut regarder comme illé- gitimes, puisqu'elles ne sont pas dans le cours ordi- naire de la nature, c'est l'ardeur excessive que ces oiseaux ressentent dans la saison de l'amour. La tour- terelle est encore plus tendre, disons plus lascive, que le pigeon, et met aussi dans ses amours des pré- ludes plus singuliers. Le pigeon mâle se contente de tourner en rond, en piaffant et se donnant des grâces autour de sa femelle. Le mâle tourterelle, soit dans les bois, soit dans une volière, commence par saluer la sienne, en se prosternant devant elle dix-huit ou vingt fois de suite; il s'incline avec vivacité et si bas, que son bec touche à chaque fois la terre ou la bran- che sur laquelle il est posé; il se relève de même; les gémissements les plus tendres accompagnent ces salutations : d'abord la femelle y paroît insensible; mais bientôt l'émotion intérieure se déclare par quel- ques sons doux, quelques accents plaintifs qu'elle laisse échapper; et lorsqu'une fois e!le a senti le feu des premières approches, elle ne cesse de brûler, elle ne quitte plus son mâle , elle lui multiplie les baisers , les caresses, l'excite à la jouissance, et l'entraîne aux plaisirs jusqu'au temps de la ponte, où elle se trouve forcée de partager son temps et de donner des soins BUFFOA\ XX. 390 LA TOURTEnii LLÏÏ. à sa famille. Je ne citerai qu'un fait qui prouve assez combien ces oiseaux sont ardents^ : c'est qu'en met- tant ensemble dans une cage des tourterelles mâles, et dans une autre des tourterelles femelles, on les verra se joindre et s'accoupler comme s'ils étoient de sexe différent ; seulement cet excès arrive plus promp- tement et plus souvent aux mâles qu'aux femelles. La contrainte et la privation ne servent, donc souvent qu'à mettre la nature en désordre, et non pas à l'é- teindre ! Nous connoissons , dans l'espèce de la tourterelle, deux races ou varjétés constantes : la première est la tourterelle commune , n" 094 ; la seconde s'appelle la tourterelle à collier j, n" ^44? parce qu'elle porte sur le cou une sorte de collier noir : toutes deux se trouvent dans notre climat; et lorsqu'on les unit ensemble, elles produisent un métis. Celui que Schwenkfeld décrit, et qu'il appelle turtur mixtus ^ provenoit d'un mâle de tourterelle commune et d'une femelle de tourterelle à collier, et tenoit plus de la mère que du père : je ne doute pas que ces métis ne soient fé- conds, et qu'ils ne remontent à la race de la mère dans la suite des générations. Au reste, la tourterelle à collier est un peu plus grosse que la tourterelle commune, et ne diffère en rien pour le naturel et les mœurs : on peut même dire qu'en général les pigeons. 1 . « La tourterelle , m'écrit M. Leroy , diffère du ramier et du pi- » geon par son libertinage et son inconstance, malgré sa réputation, » Ce ne sont pas seulement les femelles enfermées dans les volières qui » s'abandonnent indifféremment à tous les mâles; j'en ai vu de sau- » vages, qui n'étoient ni contraintes ni corrompues par la domesticité , » faire deux heureux de suite sans sortir de la même branche. » LA. TOURTEllELLE. 09 1 les ramiers, et les tourterelles, se ressemblent encore plus par l'instinct et les habitudes naturelles que par la figure ; ils mangent et boivent de même sans relever la tête qu'après avoir avalé toute l'eau qui* leur est nécessaire ; ils volent de même en troupes : dans tous, la voix est plutôt un gros murmure, ou un gémisse- ment plaintif, qu'un chant articulé; tous ne produi- sent que deux œufs, quelquefois trois, et tous peu- vent produire plusieurs fois l'année dans les pays chauds ou dans des volières. OISEAUX ÉTRANGERS QUI ONT RAPPORT A LA TOURTERELLE. La tourterelle, comme le pigeon et le ramier, a subi des variétés dans les différents climats, et se trouve dans les deux continents. Celle qui a été indiquée par M. Brisson sous le nom de tourterelle du Canada (Co- lumba Canadensls. Gmel.), et que nous avons fait re- présenter n° 1^5, est un peu plus grande, et a la queue plus longue que notre tourterelle d'Europe; mais ces différences ne sont pas assez considérables pour qu'on en doive faire une espèce distincte et sé- parée. Il me paroît qu'on peut y rapporter l'oiseau donné par M. Edwards sous le nom de pigeon à longue 392 LA TOURTEKELLE DU CANADA. queue (planche xv), et que M. Brisson a appelé tour-^ terelle d' Amérique. Ces oiseaux se ressemblent beau- coup; et comme ils ne diffèrent de notre tourterelle que par leur longue queue, nous ne les regardons que comme des variétés produites par l'influence du climat. IL La tourterelle du Sénégal [Columba Afra. Gmel.) et la tourterelle à collier du Sénégal (Columba vina- cea. Gmel.), toutes deux indiquées par M. Brisson, et dont la seconde n'est qu'une variété de la première , comme la tourterelle à collier d'Europe n'est qu'une variété de l'espèce commune , ne nous paroissent pas être d'une espèce réellement différente de celle de nos tourterelles, étant à peu près de la même gran- deur, et n'en différant guère que par les couleurs ; ce qui doit être attribué à l'influence du climat. Nous présumons même que la tourterelle à gorge tachetée du Sénégal, étant de la même grandeur et du même climat que les précédentes, n'en est encore qu'une variété. III. LE TOUROCCO. Columba macroura. Gmel. Mais il y a dans cette même contrée du Sénégal un oiseau qui n'a été indiqué par aucun des naturalistes qui nous ont précédés, que nous avons fait représen- ter n"* 329, sous la dénomination de tourterelle à large queue du Sénégal^ nous ayant été donné sous ce nom LE TOLROCCO. 09^ par M. Adanson. Néanmoins, comme cette espèce nouvelle nous paroît réellement différente de celle de la tourterelle d'Europe, nous avons cru devoir lui donner le nom propre de touroccOy parce que cet oi- seau ayant le bec et plusieurs autres caractères de la tourterelle, porte sa queue comme le liocco. IV. LA TOURTELETTE. Colamba Capensis. Gmel. Un autre oiseau qui a rapport à la tourterelle est celui qui a été indiqué par M. Brisson , et que nous avons fait représenter n"* i4o, sous la dénomination de tourterelle à cravate noire du cap de Bonne-Espérance. Nous croyons devoir lui donner un nom propre, parce qu'il nous paroît être d'une espèce particulière et dif- férente de celle de la tourterelle; nous l'appelons donc tourtelettej parce qu'il est beaucoup plus petit que notre tourterelle : il en diffère aussi en ce qu'il a la queue bien plus longue, quoique moins large, que celle du tourocco; il n'y a que les deux plumes du milieu de la queue qui soient très longues. C'est le mâle de cette espèce qui est représenté dans nos plan- ches enluminées; il diffère de la femelle en ce qu'il porte une espèce de cravate d'un noir brillant sous le cou et sur la gorge, au lieu que la femelle n'a que du gris mêlé de brun sur ces mêmes parties. Cet oi- seau se trouve au Sénégal comme au cap de Bonne- Espérance, et probablement dans toutes les contrées méridionales de l'Afrique. 394 ^^ TURVERT. V. LE TURVERT. Columba Javanica. Gmel. JNous donnons le nom de turvert à un oiseau vert qui a du rapport avec la tourterelle, mais qui nous paroît être d'une espèce distincte et séparée de toutes les autres. Nous comprenons sous cette espèce de tur- vert les trois oiseaux représentés n°' 1 4^ , 2 1 4 ? et 1 1 7 : le premier de ces oiseaux a été indiqué par M. Bris- son sous la dénomination de tourterelle verte d' Am- borne j, et dans nos planches enluminées sous celle de tourterelle à gorge pourprée d' Amboine j, parce que cette couleur de la gorge est le caractère le plus frap- pant de cet oiseau : le second, sous le nom de tourte- relle de Batavia, n'a été indiqué par aucun naturaliste; nous ne le regardons pas comme formant une espèce différente du turvert; on peut présumer qu'étant du même climat, et peu différent par la grandeur, la forme, et les couleurs, ce n'est qu'une variété peut- être de sexe ou d'âge : le troisième, sous la dénomi- nation de tourterelle de Java, parce qu'on nous a dit qu'il venoit de cette île, ainsi que le précédent, ne nous paroît encore être qu'une simple variété du tur- vert , mais plus caractérisée que la première par la différence de la couleur sous les parties inférieures du corps. LA TOURTER45LL1: DE POllTUGAL. jgS Vf. Ce ne sont pas là les seules espèces ou variétés du genre des tourterelles : car, sans sortir de l'ancien continent, on trouve la tourterelle de Portugal^ qui est brune avec des taches noires et blanches de chaque côté et vers le milieu du cou ; la tourterelle rayée de la Chiîïe^ qui est un bel oiseau dont la tête et le cou sont rayés de jaune, de rouge, et de blanc; la tourterelle rayée des Indes^ qui n'est pas rayée longitudinalement sur le cou comme la précédente, mais transversale- ment sur le corps et les ailes; la tourterelle d' Amboine^ aussi rayée transversalement de lignes noires sur le cou et la poitrine, avec la queue très longue : mais comme nous n'avons vu aucun de ces quatre oiseaux en nature, et que les auteurs qui les ont décrits les nomment colombes ou pigeons ^ nous ne devons pas décider si tous appartiennent plus à la tourterelle qu'au pigeon. VII. LA TOURTE. Cotumba Carolinensis. Gmel. Dans le nouveau continent, on trouve d'abord la tourterelle de Canada, qui, comme je l'ai dit, est de la môme espèce que notre tourterelle d'Europe. Un autre oiseau qu'avec les voyageurs nous appel- lerons tourte est celui qui a été donné par Catesby sous le nom de tourterelle de la Caroline. 11 nous paroît 596 LA TOURTE. être le même, n° 1 76; la seule différence qu'il y ait entre ces deux oiseaux est une tache couleur d'or, mêlée de vert et de cramoisi , qui , dans l'oiseau de Catesby, se trouve au dessous des yeux , sur les côtés du cou , et qui ne se voit pas dans le nôtre; ce qui nous fait croire que le premier est le mâle, et le second la fe- melle. On peut avec quelque fondement rapporter à cette espèce le picacuroba du Brésil , indiqué par Marcgrave. Je présume aussi que la tourterelle de la Jauiaïque, indiquée par Albin, et ensuite par M. Brisson , étant du même climat que la précédente, n*" 174^ ^t n'en différant pas assez pour faire une espèce à part, doit être regardée comme une variété dans l'espèce de la tourte; et c'est par cette raison que nous ne lui avons pas donné de nom propre et particulier. Au reste, nous observerons que cet oiseau a beau- coup de rapport avec celui donné par M. Edwards, et que le sien pourroit bien être la femelle du nôtre. La seule chose qui s'oppose à cette présomption fondée sur les ressemblances, c'est la différence des climats. On a dit à M. Edwards que son oiseau venoit des Indes orientales, et le nôtre se trouve en Amérique : ne se pourroit~il pas qu'il y eût erreur sur le climat dans M. -Edwards.^ Ces oiseaux se ressemblent trop entre eux, et ne sont pas assez différents de la tourte, pour qu'on puisse se persuader qu'ils sont de cHmats éloignés, car nous sommes assurés que celui dont nous donnons la représentation a été envoyé de la Ja- maïque au Cabinet du Roi. LE COGOTZIN. 097 VIII. LE COCOTZIIN. Columba passerina. Gbiel. L'oiseau d'Amérique indiqué par Fernandès sous le nom de cocotzin, que nous lui conserverons, parce qu'il est d'une espèce différente de tous les autres; et comme il est aussi plus petit qu'aucune des tour- terelles, plusieurs naturalistes l'ont désigné par ce ca- ractère , en l'appelant petite tourterelle; d'autres l'ont appelé ortolan j, parce que n'étant guère plus gros que cet oiseau, il est de même très bon à manger. On l'a représenté, n** 243, sous les dénominations de petite tourterelle de Saint-Domingue j. fig. 1, et petite tourte- relle de la Martinique j fig. 2. Mais, après les avoir examinés et comparés en nature, nous présumons que tous deux ne font que la même espèce d'oiseau, doQt celui représenté fig. 2 est le mâle, et celui fig, 1 , la femelle. Il paroît aussi qu'on doit y rapporter le pi- cuipinima de Pison et de Marcgrave , et la petite tour- terelle d'Acapulco, dont parle Gemelli Garreri. Ainsi cet oiseau se trouve dans toutes les parties méridio- nales du nouveau continent. FIN DU VINGTIEME VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTEKir* DANS LE VINGTIEME VOLUME. SUITE DES OISEAUX. Le Coq. . . , Page 7 Le Dindon 64 La Pintade 90 Le Tétras , ou grand Coq de.bruyère 109 Le petit Tétras, ou Coq de bruyère à queue fourchue. . . 124 Le petit Tétras à queue pleine 159 Le petit Tétras à plumage variable 142 La Gelinotte i44 La Gelinotte d'Ecosse i5o Le Ganga, vulgairement la Gelinotte des Pyrénées i52 L'Attagas i58 L'Attagas blanc 166 Le Lagopède 168 Le Lagopède de la baie d'Hudson 177 Oiseaux étrangers qui ont rapport aux Coqs de bruyère, aux Gelinottes, aux Attagas, etc 179 La Gelinotte du Canada ibid. Le Coq de bruyère à fraise, ou la grosse Gelinotte du Canada 181 Le Paon 186 Le Paon blanc 212 /|00 TABLE. Le Paou panaché , Page 2i5 Le Faisan 216 Le Faisan blanc 233 Le Faisan varié 234 Le Coquard. ou le Faisan bâtard ibid. Oiseaux ÉTRAivGERS qui ont rapport au Faisan.. 2o5 Le Faisan doré, ou le Tricolor huppé de la Chine. . . . 237 Le Faisan noir et blanc de la Chine 240 L'Argus ou le Luen ' 242 Le Napaul ou Faisan cornu ibid. LeKatraca 244 Oiseaux étrangers qui paroissent avoir rapport avec le Paon et avec le Faisan 245 Le Chinquis. ibid. Le Spicifère 246 L'Éperonnier , 247 Les Hoccos 262 Le Hocco proprement dit. . 253 Le Pauxi ou le Pierre 254 L'Hoazin 261 L'Yacou 263 Le Marail 265 Le Caracara 267 Le Chacamel 269 Le Paraka et l'Hoillallotl ibid. Les Perdrix 270 La Perdrix grise , 274 Xia Perdrix grise-blanche 280 La petite Perdrix grise 287 La Perdrix de montagne 288 Les Perdrix rouges 289 La Bartavelle ou Perdrix grecque ibid. La Perdrix rouge d'Europe 298 La Perdrix rouge-blanche 002 Le FiancoHn 3o3 TABLE. 4<^* Le Bis-Ergot Page 607 Le Gorge-Nue et la Perdrix rouge d'Afrique ibid. Oiseaux étrangers qui ont rapport aux Perdrix 3o8 La Perdrix rouge de Barbarie ibid. La Perdrix de roche ou de la G ambra 609 La Perdrix perlée de la Ghiue . 3io La Perdrix de la Nouvelle-Angleterre ibid. La Caille 3ii Le Ghrokiel, ou la grande Caille de Pologne 332 La Caille blanche 335 La Caille des îles Malouines ibid. La Fraise, ou la Caille de la Chine 334 Le Turnix, ou Caille de Madagascar 335 Le Réveil-Matin, ou Caille de Java 336 Oiseaux étrangers qui paroissent avoir rapport avec les Per- drix et les Cailles oSy Les Colins ibid. Le Zonécolin 34o Le grand Colin ibid. Le Cacolin 34 1 Le Coyolcos ibid. Le Colenicui , 342 ■ L'Ococolin , ou Perdrix de montagne du Mexique. . . . 344 Le Pigeon. 34^ Oiseaux étrangers qui ont rapport au Pigeon 872 Le Ramier. . 377 Oiseaux étrangers qui ont rapport au Ramier ; . , 382 Le Ramier des Moluques ibid. Le Founingo 383 Le Ramiret 384 Le Pigeon des îles Nicobar 385 Le Pigeon couronné des Indes ibid. 402 TABLE. La Tourterelle , . . . . Page 087 Oiseaux ÉTRANGERS qui ont rapport à la Tourterelle 691 La Tourterelle du Canada ibid. La Tourterelle du Sénégal 692 Le Touroceo ibid. La Tourlelette SgS Le Turvert 394 Autres Tourterelles 095 La Tourte ibid. Le Gocotzin ^ 597 tlN DÉ LA TABLÉ, y^^