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OEUVRES

DF

DESCARTES

MEDITATIONS

ET

PRINCIPES

TRADUCTION FRANC Arse

IX

M. Darboux, de l'Académie des Sciences, doyen honoraire de la Faculté des Sciences de l'Université de Paris, et M. Boutroux, de l'Académie des Sciences- Morales et Politiques, professeur d'histoire de la philosophie moderne à la Sorbonne, directeur de l'Institut Thiersy ont suivi l'impression de cette publication en qgalité de commissaires responsables.

OEUVRES

DE

DESCARTES

PUBLIÉES

PAS

Charles ADAM & Paul TANNERY

sous LES AUSPICES

DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

MEDITATIONS

ET

PRINCIPES

TRADUCTION FRANÇAISE

IX

OCVBAOB PUBLIÉ ATBC LE CONCOURS DO CXNTRS NATIONAL DB LA BECBBRCBE SCIENTIFIQUE

PARIS

LIEfRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN b, Place de la Soruo^ne,

AVERTISSEMENT

La traduction française des Méditations eut, au xvii' siècle, trois éditions, aux dates de 1647, 1661 et 1673. Laquelle des trois devons -nous suivre dans cette édition nouvelle des Œuvres de Descartes, et pour quelles raisons ?

La troisième semble tout d'abord se recommander particu- lièrement. Dans la Vie de Monsieur Des-Cartes, publiée par Adrien Baillet en 1 691, on lit au tome II, 1. vu, c. i3, p. 324 : « Nous n'en avons pas de plus parfaite ^ de plus utile que la » troiliéme, qui parut en la même forme que les précédentes » à Paris l'an 1673. Les Méditations y lont dinfées par articles, » avec des fofumaires fort exacts à côté, outre des renvois fort » commodes des articles aux objedions, & des objections aux » réponfes, pour donner aux Lecteurs la facilité de les conférer » ^ de mieux comprendre les unes ^^ les autres. Il n efl pas )> Julie que le Public i^^nore à qui li efl redevable de cette » troifiémc édition. C'eft à M. Fédc \^en marée '■ René Fédé » natif de Château-Dun), Docleur en Médecine de la Faculté )> d'Angers, dont le mérite ne peut être inconnu qu'à ceux qui » n'ont pas ouy parler de Ion zèle pour la Philofophie Carté- » fienne. » Les termes soulignés sont ceux du titre même, que Baillet ne fait que reproduire ; il donne en même temps le nom désigné seulement par les initiales R. F. Mais ce qui fait la nouveauté et aussi l'utilité de cette troisième édition, à savoir ia division en articles, les sommaires et les renvois, est préci- sément pour nous une raison de ne pas la suivre. Ce sont là, en elTet, des additions, dune autre main que celle de l>escartes

VI Avertissement.

ou même de Clerselier, son traducteur ; et comme elles sont de 1673, elles n'ont pas pu être connues du philosophe, mort en i65o. Répondent -elles exactement à sa pensée, et les aurait-il admises sans difficulté ? Nul ne le sait, et il est fort possible que, soit pour le fond, soit pour la forme, il y eût trouvé beaucoup à redire. Elles n'ont donc aucun titre à prendre place dans une édition tout doit être de Descartes lui-même, ou du moins avoir été approuvé par lui.

La troisième édition écartée, faudra-t-il s'en tenir à la seconde, celle de i66î ? A part la division en articles, et les sommaires et renvois, qui n'apparaissent qu'en 1673, ce sont les mêmes textes, mis dans le même ordre ; la pagination est aussi la même. Mais le titre annonce une particularité impor- tante : « Seconde édition », dit-il, « augmentée de la verlion » d'vne Lettre de M*^ Des-Cartes au R. P. Dinet, 8: de celle » des reptielnies Objections 8: de leurs Refponfes. » En efTct, ces deux pièces manquent l'une et l'autre dans la première traduction de 1647 comme dans la première édition latine, Paris, 1641. Ce n'est que pius tard, en vue de la seconde édition française de i66i, que Clerselier les traduisit, pour compléter la première *. Mais Descartes, qui était mort depuis dix ans, ne put avoir connaissance de ces deux pièces nou- velles en français. Il ne vit et ne corrigea que la première traduction, qui s'en tenait aux Objections et Réponses pu- bliées en 1641. Seules celles-ci peuvent donc paraître dans une édition de ses œuvres, et on ne saurait admettre, sous son autorité et sa garantie, les [deux additions de l'édition française de 1661.

La première traduction elle-même, celle de 1647, peut-elle être reproduite intégralement? Il ne le semble pas. Sans doute Descartes eut communication des pièces déjà traduites, lors de

a. Kn i6^S, lorsqu'il se dcciclû à laisser imprimer une traduciion de ses Méditations, Dc^eartcs, réconcilie avec le P. Bourdin, ne pouvait désirer ce complément. Au reste, à ce moment, comme on va le voir, Clerselier était loin d'avoir terminé sa version du texte de la première édition latine.

Avertissement. vu

son voyage en France de 1644; mais le traducteur, Clerselier^ n'en était qu'aux quatrièmes Objections, et Descartes le pria expressément d'omettre les cinquièmes, celles de Gassend, ainsi que ses propres réponses, et de ne pas prendre la peine de les traduire. C'est lui-même qui le déclare, dans un « Aver- tissement de l'auteur », imprimé page 340 de la première édi- tion ; et Glerselier confirme cette déclaration dans un « Aver- tissement du traducteur », imprimé page 393. De fait, dans cette première édition, on trouve, après les Réponses aux qua- trièmes Objections, et à la place des cinquièmes qui devraient venir ensuite, l'Avertissement de Descartes, puis tout aussitôt les sixièmes Objections avec leurs Réponses. Le volume aurait finir là. Mais Glerselier eut un scrupule : pourquoi priver le lecteur de la traduction des Objections de Gassend et des Réponses de Descartes à ces Objections? Il traduisit donc les unes et les autres quand même, et obtint de Descartes qu'elles figureraient dans l'édition, non plus à leur place, entre les quatrièmes et les sixièmes, mais après les sixièmes et comme dernière partie du volume. C'est ce que lui-même explique dans son « Avertissement du traducteur ». Mais Descartes, qui n'avait pas vu cette traduction avec les autres en 1644, par la raison qu'elle n'était point faite encore, et qu'il ne voulait pas qu'on la fît, n'en prit point davantage connaissance en 1645- 1646. Elle ne saurait donc figurer dans une édition de ses Œuvres, parmi des pièces revues- et corrigées par lui, et qui ont obtenu son approbation. Pourtant Gassend ayant voulu répliquer aux Réponses de Descartes à ses Objections, et ayant publié celles-ci avec de nombreuses « Instances », sous le titre de Disquîsitio metaphysica. Descartes parcourut ce volume, qu'il trouva trop gros ; on lui en fit un court extrait, auquel il répondit par une lettre en français à Glerselier, du 12 janvier 1646. Celui-ci ne manqua point de la joindre à sa traduction des cinquièmes Objections et Réponses, tout à la fin de l'édition de 1647. Nous donnerons donc, dans le présent volume, à la place de la traduction des cinquièmes Objections et Réponses,

VIII Avertissement.

dont Descartes ne voulait point, les trois pièces suivantes : Avertissement de Descartes, Avertissement de C 1er seller, et Lettre de Descaries à Clerselier, au sujet de ces Objections et des Instances qui y furent faites. Viendront ensuite les sixièmes Objections avec les Réponses, que le philospphe n'avait aucun motif d'évincer, et dont il dut même voir aussi la traduction, puisqu'il les laissa imprimer après les quatrièmes Objections dans l'édition de 1647; celle-ci aurait de la sorte formé un volume (sans les cinquièmes) tel qu'il l'eût désiré d'un bout à l'autre, et entièrement approuvé de sa main. Ainsi les mêmes raisons qui nous ont fait écarter la troisième édi- tion, puis la seconde, nous font écarter encore une notable partie de la première; et c'est toujours par le même souci de ne donner comme traduction, soit latine soit française, des ouvrages de Descartes, que ce qui a été revu et corrigé par lui.

La première édition des Méditations en français, dans la partie que nous en retenons, c'est-à-dire environ les deux tiers du volume, nous servira également de guide pour le texte. Ce n'est pas qu'il n'y ait, cependant, de notables dififérences, au point de vue du texte, entre cette première édition et la seconde, ou la troisième. Le* titre même de la secondé en avertit d'ailleurs : « reueuc 8: corrigée par le traducteur ». C'est Clerselier qui s'exprime ainsi, au singulier, comme s'il était désormais seul traducteur, tandis que la première édition en désigne deux par leurs initiales, un pour les Méditations, « M' le D. D. L. N. S. » (Monsieur le Duc De LuyNeS), un autre pour les Objections et Réponses, « M' G. L. R. » (Mon- sieur ClerseLieH). Clerselier n'était point satisfait sans doute de son premier travail, pour les Objections et Réponses ; il voulut donc le revoir, avant de le publier une seconde fois en 1,661. Mais il était encore moins satisfait, ce semble, du travail de M. le duc de Luynes pour leà Méditations; il faut dire que Uii-méme les avait aussi traduites, de son côté, en même temps que les Objections et Réponses, comme il le déclare

Avertissement. ix

dans son « Avertissement » *, et que, comparant sa propre traduction avec celle du jeune duc, il préférait naturellement la sienne. De de nombreuses variantes, de la première di- tion à la seconde, plus nombreuses, et cela se comprend, pour les Méditations que pour les Objections et Réponses : dans le premier cas, Clerselier corrigeait le duc de Luynes; dans le second, il se corrigeait lui-même. Mais, et c'est l'essentiel pour la présente édition, Descartes n'eut pas à se prononcer sur ces corrections de Clerselier : elles sont, en effet, posté- rieures à la traduction publiée en 1647, la seule dont le phi- losophe ait eu au préalable entre les mains une copie manus- crite. C'est donc bien celle-ci seulement qui doit faire autorité. Peu importe que Clerselier Tait jugée ensuite imparfaite, et l'ait remaniée ! Peu importe que nous-mêmes aujourd'hui nous y relevions bien des négligences ou des erreurs ! Elle garde sur les éditions suivantes, de 1661 et de 1673, l'avantage d'avoir été vue par Descartes, et acceptée et agréée par lui. D'ailleurs n'est- il pas intéressant de voir quelle est la tra- duction dont s'est contenté le philosophe, et qui lui a paru suffisante ? Les remaniements de Clerselier peuvent avoir leur intérêt, mais, par exemple, dans une étude sur Cler- selier lui-même, considéré comme traducteur de Des- cartes, ou bien encore pour l'histoire du cartésianisme après Descartes; ils ne nous intéressent en rien, pour l'établisse- ment du texte tel que le philosophe l'a jugé bon, ce qui est la seule chose que nous devons avoir ici en vue. Conclusion : nous donnerons, dans le présent volume, pour toutes les pièces dont nous retenons la traduction, le texte de la pre-

a. Voir ci-après, p. 200, 1. 5. C'est sans doute ce ^lui a fait dire à René Fédé, dans la Préface de la troisième édition, en 1673 : « La Tra-* )' dudion ell la mefme qui a paru iufques-icy ; elle a efté fort approuuée, » & il feroit malailé d'en donner vne meilleure & vnc plus tidelle. Il fuffit » d'aduertir, pour en faire porter vn iugement auaniageux, qu'elle a eflé » veut' par Monlicur Des-Canos, & quV//^ e/? prej'que toute de Monfieur )' Clerfelier. >■ En fait, l'édition de 1673 n'apporte que de très légers changements au texte de la seconde.

X Avertissement.

mière édition (1647}, sans nous mettre en peine des variantes que peuvent offrir les deux suivantes, celles de 1601 et de 4673.

Ce n'est pas ici le lieu de faire l'historique de la traduction du duc de Luynes et de Clerselier ; on le trouvera tout au long, comme un chapitre à part, dans la Vie de Descartes. D'ailleurs les éléments en sont épars dans la Correspondance : lettres à Picot, II sept. 1644 et 9 févr. 1645; à Clerselier, 10 avril et 20 déc. 1645, 12 janv., 23 févr. et 9 nov. 1646 ; à Picot encore, 8 juin 1647 (voir tome IV de la présente édition, pages i38-i39, 176, 192-195» 338-339, 357-358, 362, 563-564, et tome V, page 64).

Nous ajouterons, comme appendice à cet Avertissement, le fac-similé de chacun des titres de la première, de la seconde et de la troisième édition de la traduction française des Médi- tations.

C. A.

Nancy, 3i décembre 1903.

MEDITATIONS

METAPHYSIQVES

DE RENE' DES CARTES

TOVCHANT LA PREMIERE PHILOSOPHIE, dans lefqucllcs Tcxiftcncc de Dicu,&: la diftindion réelle eiuic ramc&ic corps de l'homme, font dcmonftrccs.

Traduites du Latin de l'Jutcur par M' le TD. D.L./V,S,

Et icsObjcûions faites contre ces Méditations par diucrfcs pcrfonncstrcs-do<Sles,aucc les rcponfcsdc 1 Auteur.

Traduites par M' C.L.R,

A PARIS, Chez la Vcuue I E A N C A M V S A T,

ET

PIERRE LE PETIT, Imprimeur ordinaire duRoy.

rue S.IacqueSjà la Toyfon d'Or.

^1 DC. XÎ. V~I î. ^ jiFEC PKI^II^EGE DF ROT.

MEDITATIONS

MET A PH Y SÏQVES DE RENF DES-CARTES

TOVCHANT LA PREMIERE PHILQÇOPHIE.

SECONDE ET) ITION.

Reueuë & corrigée par le Tradu<flcur;

ET AVGMENTE'E DE LA VERSION DVNE

Lettre de M' Dcs-Cartes au R. P. Dincti &dc celle

des fepticfmes Objeûions, &dc leurs Rciponfcs.

A PARIS,

Clicz HENRY LE GRAS:, au rroifîcme Pillicr de la Grand Salle du Palais , à L. couronnée.

Û. DCTTXL

MEDITATIONS

METAPHYSIQVES

DE RENE' DES-CARTES

TOVCHANT LA PÎI.EMIERE PHILOSOPHIE,

DÉDIÉES A MESSIEVRS DE SOR. BONE-

NOVVELLEMENT DIVISE'ES PAR ARTICLES aucc des Sommaires à cofté, & auccdcs Rcnuois des Ar- ciclcs aux Objcâions, & des Objections aux Refponfes. Pour en faciliter la lcâurc& l'intelligence. ParR. F.

TROISIEME EDITION.

Revcuë & corrigée,

A PARIS,

Chez KîîCHEL BOBIN & NICOLAS LE GRAS, aa

uoificme Pilier de la Grand' Salle do Palais, à rEfperancc

& à L, couronnée.

M. DC LXXIIL ^rEC PRIVILEGE DV' ROY,

MEDITATIONS

OBJECTIONS & REPONSES

LE LIBRAIRE AV LECTEVR^

« La fatisfaélion que ie puis promettre à toutes les peribnnes » d'efprit dans la lediire de ce Liurc, pour ce qui regarde TAuceur » & les Tradudeurs, m'oblige à prendre garde plus loigneufement » à contenter aufli le Ledeur de ma part, de peur que toute fa » dirgrace ne tombe fur moy feul. le tafche donc à le fatisfaire, & » par mon foin dans toute cette imprellion, & par ce petit éclair- » cilfement, dans lequel ie le dois icy auertir de trois chofes, qui » font de ma connoiirancç particulière, & qui feruiront à la leur. » La première eft, quel a eilé le dell'ein de l'Auteur, lors qu'il a » publié cet ouurage en Latin. La féconde, comment & pourquoy » il paroirt aujourd'liuy traduit en François. ïlt la troifiefme, quelle » eft la qualité de cette verfion. »

« L Lorsque l'Auteur, apjés auoir conceu ces Méditations dans » fon efprit, refolut d'en faire part au public, ce fut autant parla crainte d'étouffer la voix de la vérité, qu'à delfein de la fou- » mettre à l'épreuuc de tous les dodes. A cet effet il leur voulut » parler en leur langue, ik. à leur mode, & renferma toutes fes » penfécs dans le Latin & les termes de l'Efcole. Son intention n'a » point cfté frulhéc, & fon Liure a elle mis à la quellion dans tous » ll's Tribunau.x de la Philofophie. Les Objections iointes à ces » Méditations le témoignent allez, & montrent bien que les fça- » uans du fiecle le | font donné la peine d'examiner fes propofitions » aucc rigueur. Ce n'ell pas à moy de iuger auec quel fuccez, » puifque c'ell moy qui les prefente aux autres pour les en faire » iuges. 11 me fuftit de croire pour moy, & d'alfurcr les autres, que » tant de grands hommes n'ont peu fc choquer fans produire beaucoup de lumière. »

a. Avis imprime, sans paginaiion, dans la première édition (1647) '^^ dans la seconde {1661), 11 est remplacé dans la troisième (167H) par une noie « Au Lecteur » du nouvel éditeur, Kené Fédé. Dans la première édi- tion, cet Avis se trouve aussitôt après VEpistre aux a Doyen et Docteurs » de la Fuculté de Théologie de Paris. Dans la seconde, il ne vient qu'au troisième rang, aprè i la même Epistrc et la Préface de l'Autlieur au Lecteur. La première édition ayant été publiée «A Paris, chez la Venue » Iran Camlsat, et PiERuii Lv Picxrr, Imprimeur ordinaire du Roy », le « Libraire » qui s'adresse ici * au Lecteur » est sans doute Pierre Le Petit.

(lÙjVRfS. 1\'. I

2 Œuvres de Descartes.

« II. Cependant ce Liure paffe des Vniuerfitez dans les PaWs » des Grands, & tombe entre les mains d'vne perfonne d'vne M condition tres-eminente". Apres en auoir leu les Méditations, & » les auoir iugées dignes de fa mémoire, il prit la peine de les » traduire en François : foit que par ce moyen il fe voulut rendre )) plus propres & plus familières ces notions aflez nouuelles, foit qu'il n'euft autre deffein que d*honorer l'Auteur par vne fi bonne » marque de fon eftime. Depuis vne autre perfonne aufll de mérite'' " n'a pas voulu laiffer imparfait cet ouurage fi parfait, & marchant » fur les traces de ce Seigneur, a mis en noftre langue les Objec* » tions qui fuiuent les Méditations, auec les Réponfes qui les » accompagnent ; iugeant bien que, pour plufieurs perfonnes, le )' François ne rendroit pas ces, Méditations plus intelligibles que le M Latin, fi elles n'eftoient accompagnées des Objeélions & de » leur(s) Réponfes, qui en font comme les Commentaires. L'Auteur » ayant eflé auerty de la bonne fortune des vnes & des autres, a » non feulement confenty, mais aufii defiré, & prié ces Melfieurs » de trouuer bon que leurs verfions fuiTent imprimées ; parce qu'il » auoit remarqué que fes Méditations auoient efté accueillies & (3) » rcceuës auec quelque fatisjfadion par vn plus grand nombre de » ceux qui ne s'appliquent point à la Philofophie de l'Efcole, que » de ceux qui s'y apliquent. Ainfi, comme il auoit donné fa pre- » miere imprefiion Latine au defir de trouuer des contredifans, il a creu deuoir cette féconde Françoife au fauorable accueil de tant » de perfonnes qui, goullant défia fes nouuelles penfées, fembloient >' dei'rer qu'on leur ofia la langue & le goufi de l'Efcole, pour les » accommoder au leur. »

«< III. On trouucra partout cette verfion alfez iufie, & fi reli- » gieufç, que iamais elle ne s'cfi elcartée du fens de l'Auteur. le le » pourrois alfurer fur la feule connoillance que i'ay de la lumière » de l'efprit des tradudeurs, qui facilement n'auront pas pris le change. Mais l'en ay encore vne autre certitude plus authentique, » qui eft qu'ils ont (comme il efioit iufte) referué à l'Auteur le » droit de rcueue & de corredion. Il en a vfé, mais polir fe » corriger plutofl qu'eux, & pour éclaircir feulement fes propres penfées. le veux dire que, trouuant quelques endroits il luy a » femblé qu'il ne les auoit pas renduiis alfez claires dans le Latin " pour toutes faunes de perfonnes, il les a voulu icy éclaircir par

a. Louis Charles d'Albert Duc de Luynes.

b. Cloude Clersclicr.

Méditations. j

» quelque petit changement, que l'on reconnoiftra bien toft en » conférant le François auec le Latin. Ce qui a donné le plus de » peine aux Traducteurs dans tout cet ouurage, a elté la rencontre » de quantité de mots de l'Art, qui, eftant rudes & barbares dans » le Latin mefme, le font beaucoup plus dans le François, qui eft » rnoins libre, moihs hardy, & moins accourtumé à ces termes » de I l'Efcole. Ils n'ont ofé pourtant les obmettre, parce qu'il (4} » eut fallu changer le fens, ce que leur defendoit la qualité d'In- » terpretes qu'ils auoient prilc. D'autre part, lors que cette verfion » a pafle fous les yeux de l'Auteur, il l'a trouuée fi bonne, qu'il » n'en a iamais voulu changer le Ityle, & s'en eft toufiours défendu » par fa modeftie, & l'eftime qu'il fait de fes Traducteurs ; de » forte que, par vne déférence réciproque, perfonne ne les ayant » oftez, ils font demeurez dans cet ouurage. »

« l'adjoufterois maintenant, s'il m'eftoit permis, que ce Liure » contenant des Méditations fort libres, & qui pcuuent mefme » fembler extrauagantes à ceux qui ne font pas accouftumez aux » Spéculations de la Meiaphyfique, il ne fera ny vtile, ny agréable » aux Lecteurs qui ne pourront apliquer leur efprit auec beaucoup » d'attention à ce qu'ils lifent, ny s'abltenir d'en iuger auant que » de l'auoir affez examiné. Mais i'ay peur qu'on ne me reproche » que ie palïe les bornes de mon meftier, ou plutoft que ie ne le » fçay guère, de mettre vn fi grand obftade au débit de mon Liure, » par cette large exception de tant de perfonnes à qui ie ne l'eitime » pas propre. le me tais donc, & n'eflarouche plus le monde. Mais » auparauant, ie me fens encore obligé d'aucrtir 'les Lecteurs » d'aporter beaucoup d'équité & de docilité à la ledure de ce » Liure ; car s'ils y viennent auec cette mauuaife humeur & cet M efprit contrariant de quantité de perfonnes qui ne lifent que pour » difputer, & qui, faifans profeïTion de chercher la vérité, femblent » auoir peur de la trouuer, puifqu'au mefme | moment qu'il leur (5) » en paroit quelque ombre, ils tafchent de la combattre & de la » détruire, ils n'en feront iamais ny profit, ny iugement raifon- » nable. Il le faut lire fans préuention, fans précipitation, &'à » deflcin de s'inftruire; donnant d'abord à fon Auteur l'efprit » d'Efcolier, pour prendre par après celuy de Cenfeur. Cette me- » thode elt fi nccelfairc pour cette ledurc, que ie la puis nommer » la clef du Liure, fans laquelle perfonne ne le fçauroit bien en- » tendre. »

A MESSIEURS LES DOYEN & DOCTEURS

DE LA SACRÉE FACULTÉ DE THEOLOGIE DE PARIS».

Messieurs,

La railon qui me porte à vous prefenter cet ouurage eft û iufte, &, quand vous en connoiftrez le deffein, ie m'afleure que vous en aurez aufli vne fi iuile de le prendre en voftre protection, que ie penfe ne pouuoir mieux faire, pour vous le rendre en quelque forte recommandable, qu'en vous difant en peu de mots ce que ie m'y fuis propofé. l'ay toujours eflimé que ces deux queftions, de Dieu" (2) &. de l'ame, eftoient les principales de | celles qui doiuent pluftoft ertrc demonrtrées par les raifons de la Philofophie que de la Théo- logie : car bien qu'il nous fuffife, à nous autres qui fommes fidèles, |de croire par la Foy qu'il y a vn Dieu, & que l'ame humaine ne meurt point auec le corps, certainement il ne femble pas poflible de pouuoir iamais perfuadcr aux Infidèles aucune Religion, ny quafi mcfme aucune vertu Morale, fi premièrement on ne leur prouue ces deux chofcs par raifon naturelle. Et d'autant qu'on propofe fouucnt en cette vie de plus grandes recompenfes pour les vices que pour les vertus, peu de perfonnes prefcreroient le iufic à l'vtile, fi elles n'cfioient retenues, ny par la crainte de Dieu, ny par l'attente d'vnc autre vie. Et quoy qu'il foit abfolument vray, qu'il faut croire qu'il y a vn Dieu, parce qu'il eft ainfi cnfeigné dans les Saintes Efcritures, & d'autre part qu'il faut croire les Saintes Efcritures, parce qu'elles viennent de Dieu ; & cela pource que, la Foy cftant vn don de Dieu, celuy-la mefme qui donne la grâce pour fc\ire croire les autres chofcs, la peut aufli donner pour nous faire croire qu'il

a. Celte Fpistre, placcc en icic du volume dans les ui>is premières «éditions, n'est point paf*inée. Les numéros en marije, entre parenthèses, indiquent les pa^es de la première édition.* Les numéros en haut des pages renvoient h celles du texte latin (t. VII de cette édition); les lignes verii- cilen, dun trait plus lort. correspondent à ces dernières.

a-3; TJ/VEDITATIOTVS. EPISTRE. 3-

exifte : on ne fçauroit neantmoins propofer cela aux Infidelles, qui pourroient s'imaginer que l'on commettroit en cccy la faute que les Logiciens nomment vn Cercle".

Et de vra)', j'ay pris garde que | vous autres, Meffieurs,auec tous (3 les Théologiens, n'alTeuriez pas feulement que l'exillénce de Dieu fe peut prouuer par raifon naturelle, mais aufli que l'on infère de la Sainte Efcriture, que la connoiflance eft beaucoup plus claire que celle que l'on a de plufieurs chofes créées, & qu'en effet elle eft fi facile, que ceux qui ne l'ont point font coupables. Comme il paroift par ces paroles de la Sagefle, chapitre i3, il eft dit que leur ignorance n'ejl point pardonnable ; carfi leur efprit a pénétré Ji auant dans la connoijfance des chofes du monde, comment ejl-il pojjible qu'ils^n'en ayent point trouué plus facilement le fouuerain Seigneur? Et aux Romains, chapitre premier, il eft dit qu'ils font inexcufables. Et encore, au mefme endroit, par ces paroles : Ce qui eji connu de Dieu, efl manifejîe dans eux, il femble que nous foyons aduertis,que tout ce qui fe peut fçauoir de Dieu peut eftre monftré par des raifons qu'il n'eft pas bcfoin de chercher ailleurs que dans nous- mefmes, & que noftre efprit feul eft capable de nous fournir. C'eft pourquoy i'ay penfé qu'il ne feroit point hors de propos, que ie fiffe voir icy par quels moyens cela fe peut faire, & quelle voye il faut tenir, pour arriuer à la connoiffance de Dieu auec plus de facilité & de certitude que nous ne connoiflons les | chofes de ce monde ^ (4)

Et pour ce qui regarde l'Ame, quoy que plufieurs ayent creu qu'il n'eft pas ayfé d'en connoiftre la nature, |& que quelques-vns ayent mefme ofé dire que les raifons humaines nous perfuadoient qu'elle mouroit auec le corps, & qu'il n'y auoit que la feule Foy qui nous enfeignaft le contraire, neantmoins, d'autant que le Concile de Latran, tenu fous Léon X, en la Sefllon 8, les condamne, & qu'il ordonne expreffément aux. Philofophes Chreftiens de refpondre à leurs argumens, & d'employer toutes les forces de leur efprit pour faire connoiftre la vérité, i'ay bien ofé l'entreprendre dans cet eîcrit. Dauantage, fçachant que la principale raifon, qui fait que plufieurs impies ne veulent point croire qu'il y a vn Dieu, & que l'ame hu- maine eft diftinde du corps, eft qu'ils difent que perfonne jufques icy n'a peu demonftrer ces deux chofes ; quoy que ie ne fois point de leur opinion, mais qu'au contraire ie tienne que prefquc toutes les raifons qui ont efté aportées par tant de grands perfonnages,

a. Non à la ligne.

b. Idem,

OEuvRES DE Descartes.

3-4.

touchant ces deux queftions, font autant de demonftrations, quand elles font bien entendues, & qu'il foit prefque impoiTiblè d'en in- uenter de nouuelles : fi eft-ce que ie croy qu'on ne fçauroit rien faire de plus vtile en la Philofophie, que d'en rechercher vne fois curieu-

(5) fement & auec foin î les meilleures & plus folides, & les difpofer en vn ordre fi clair & fi exad, qu'il foit confiant déformais à tout le monde, que ce font de véritables demonflrations. Et enfin, d'autant que plufieurs perfonnes ont defiré cela de moy, qui ont connoifTance que i'ay cultiué vne certaine méthode pour refoudre toutes fortes de difficultez dans les fciences; méthode qui de vray n'ell pas nou- uelle, n'y ayant rien de plus ancien que la vérité, mais de laquelle ils fçauent que ie me fuis feruy affez heureufement en d'autres ren-

.. contres ; i'ay penfé qu'il eftoit de mon deuoir de tenter quelque chofe fur ce fujct".

|0r i'ay trauaillé de tout mon poffible pour comprendre dans ce Traité tout ce qui s'en peut dire. Ce n'^(ï pas que i'aye îcy ramaffé toutes les diuerfes raifons qu'on pourroit alléguer pour feruir de preuue à noflre fujet : car ie n'ay iamais creu que cela fufl ne- cefTaire, finon lors qu'il n'y en a aucune qui foit certaine; mais feulement i'ay traité les premières & principales d'vne telle m.a- niere, que i'ofe bien les propofer pour de tres-euidentes & très-cer- taines demonftrations. Et ie diray de plus qu'elles font telles, que ie ne perife pas qu'il y ait aucune voye par l'efprit humain en puiffe iamais découurir de meilleures; car l'importance de l'affaire,

(6) & la gloire de Dieu à laquelle tout cecy fe | raporte, me contraignent de parler icy vn peu plus librement de moy que ie n'ay de couflume. Neantnijoins, quelque certitude & euidence que ie trouue en mes raifons, ie ne puis pas me perfuader que tout le monde foit capable de les entendre. Mais, tout ainfi que dans la Géométrie il y en a plufieurs qui nous ont eflé laiffées par Archimede, par Apollonius, par Pappus, & par plufieurs autres, qui font receufs de tout le monde pour très-certaines & tres-euidentes, parce qu'elles ne con- tiennent rien qui, confideré feparément, ne foit très-facile à con- noiflrc, & qu'il n'y a point d'endroit les confequences ne qua- drcnt & ne conuicnncnt fort bien auec les antecedans ; neantmoins, parce qu'elles font vn peu longues, & qu'elles demandent vn efprit tout entier, elles ne font comprifes & cntcnduc's que de fort peu de perfonnes : de mcfme, encore que i'eftime que celles dont ie me fers icy, égalent, voire mefme furpaflcnt en certitude & euidence les

a. Non à la ligne.

4-5. Méditations. Epistre. 7

demonftrations de Géométrie, i'aprehende neantmoins qu'elles ne puifTent pas eftre aflez fuffifammcnt entendues de plufieurs, tant parce qu'elles font aufli vn peu longues, & dépendantes les vnes des autres, que principalement parce qu'elles demandent vn efprit en- tièrement libre de tous préjugez & qui le puiffe a3'fément | détacher (7) du commerce des fcns. Et en vérité, il ne s'en trouue pas tant dans le monde qui foient propres pour les Spéculations Metaphyllques, que pour celles de Géométrie. Et | de plus il y a encore cette diffé- rence que, dans la Géométrie chacun eflant preuenu de l'opinion, qu'il ne s'y auance rien qui n'ait vne demonftration certaine, ceux qui n'y font pas entièrement verfez, pèchent bien plus fouuent en approuuant de fauffes demonftrations, pour faire croire qu'ils les entendent, qu'en réfutant les véritables. Il n'en eft pas de mefme dans la Philofophie, où, chacun croyant que toutes fes propofiiions font problématiques, peu de perfonnes s'addonnent à la recherche de la vérité; &. mefme beaucoup, fc voulant acquérir la réputation de forts efprits, ne s'étudient à autre chofe qu'à combattre arro- gamment les veritez les plus apparentes*.

C'eft pourquoy, Messieurs, quelque force que puilTent auoir mes raifons, parce qu'elles apartiennent à la Philofophie, ie n'efpere pas qu'elles falfent vn grand effort " fur les efprits, fi vous ne les prenez en voftre prote(^tion. Mais l'elhme que tout le monde fait de voftre Compagnie eftant fi grande, & le nom de Sorbonne d'vne telle authorité, que non feulement en ce qui regarde la Foy, après les facrez Conciles, on n'a iamais tant dé|feré au iugement d'aucune (S) autre Compagnie, mais auffi en ce qui regarde l'humaine Philo- fophie, chacun croyant qu'il n'eft pas pofTible de trouuer ailleurs plus de folidité & de connoilTance, ny plus de prudence & d'inté- grité pour donner fon iugement: ie ne doute point, fi vous daignez prendre tant de foin de cet efcrit, que de vouloir premièrement le corriger : car ayant connoiffance non feulement de mon infirmité, mais aufTi de mon ignorance, ie n'oferois pas affurer qu'il n'y ait aucunes erreurs ; puis après y adjoûtér les chofes qui y manquent, acheucr celles qui ne font pas parfaites, & prendre vous-mefmes la peine de donner vne explication plus ample à celles qui en ont befoin, ou du moins de m'en auertir afin que i'y trauaille, & enfin, îiprés que les raifons par lefquelles ie prouue qu'il y a vn Dieu, & que l'ame humaine diffère d'auec le corps, auront efté portées

a. Non à la ligne.

b. Effort, sic [i", 2* et 3* édit.). Lire : effea?

8 CEl'vres de Descartes.

5-6.

iniques au point de clarté & d'cuidence, ie m'alTure qu'on les peut conduire, {qu'elles deuront élire tenues pour de tres-exacles denionllraiions, vouloir déclarer cela mefme, & le témoigner pu- bliquement : ic ne doute point, dis-ie, que^ fi cela ie fait, toutes les erreurs & fauifes opinions qui ont iamais efté touchant ces deux (9) quellions, ne foient bien-toit effacées de l'elprit des hommes. Car | la vérité fera que tous les doctes 6k. gens d'efprit foufcriront à voftre iugement; & voflre autorité, que les Athées, qui font pour l'or- dinaire plus arrogans que doctes & iudicieux, fe dépouilleront de leur efprit de contradiction, ou que peut-eltre ils foûtiendront eux- mefmes les raifons qu'ils verront élire receuës par toutes les per- fonnes d'efprit pour des demonftrations, de peur qu'ils ne pa- xoilfent n'en auoir pas rintelligence ; &. enfin tous les autres fe rendront ayfément à tant de témoignages, & il n'y aura plus per- fonne qui ofe douter de l'exiftence de Dieu, & de la diftindion réelle & véritable de l'ame humaine d'auec le corps".

C'efl à vous maintenant à iuger du fruit qui reuiendroit de cette créance, fi elle eiloit vne fois bien eltablie, qui voyez les defordres que fon doute produit; mais ie n'aurois pas icy bonne grâce de recommander dauantage la caufe de Dieu & de la Religion, à ceux qui en ont toufiours elle les plus fermes Colonnes ^

a. Non à la ligne.

b. La traduciion française de la Prœfatiô de Descartes (t. VII, p. 7-1 1) manque dans la première édition; nous ne la publions donc pas, pour les raisons données dans notre Introduction. Cette traduction ne se trouve que dans la seconde édition, sous ce titre : Préface de V Autheur au Lecteur, cmvcV Epistrc ii\A Sorbonne (ci-avant, p. 4-8J et l'Avis intitulé : Le Libraire au Lecteur (p. i-3). Dans la troisième édition, elle vient également après VEpistre ci avant le nouvel avis Au Lecteur (voir p. i, note).

ABRÉGÉ DES SIX MEDITATIONS SVI VANTES

Dans la première^ ie mets en anant les raijons pour le/quelles nous pouuons douter g-iveralement de toutes chof es, & particulièrement des chofes matérielles, au moins tant que nous n'aurons point d'autres fondetnens dans les fciences, que ceux que nous auons eu fu/qu'à pre- fent. Or, bien que l'ptilité d'vn doute fi ffeneral ne paroijfe pas d'abord, elle cjl toutesfois en cela très-grande, qu'il nous déliure de toutes fortes de préjuge^, & nous prépare vn chemin très-facile pour accoutumer nojlre efprit à Je détacher des fens, & enfin, en ce qu'il fait qu'il n'eft pas pojftble que nous puijffions plus auoir aucun doute, de ce que nous dêcouurirons après ejlre véritable.

Dans la féconde, l'ejprit, qui, vfant de fa propre liberté, fuppofe que toutes les chofes ne font point, de l'exijlence defquelles il a le moindre doute, reconnoijî qu'il efi abfolumeni | iînpojjible que cepen- dant il n'exifie pas luj'-mefme. Ce qui ejt aufji d'vne très-grande vti- lité, d'autant que par ce moyen il fait aifement dijîinâion des chofes qui luy appartiennent^ c'efi à dire à la nature intelleâuelle, & de celles qui appartiennent au corps. Mais parce qu'ail peut arriuer que quel- ques-vns attendent de mq/ en ce lieu-là des raifons pour prouuer l'im- mortalité de l'ame, \fejlime les deuoir maintenant auertir, qu'ayant tafché de ne riejt efcrire dans ce traitté, dont ie neuJJ'e des demon- flrations tres-exaâes, ie me fuis veu obligé de fuiure vn ordre fem- blable à celuy dont fe feruent les Géomètres, fçauoir efi, d'auancer toutes les chofes defquelles dépend la propofition que Von cherche, auant que d'en rien conclure.

Or la première & principale chofe qui efi requife, auant que de coH' noifire l'immortalité de l'amer efi d'en former vue conception claire

a. La pagination ne commence, dans la première édition, qu'avec cet Abrégé, qui est la traduction française de la Synopsis (t. VII, p. 12-16). Il figure à la fois dans la première édition et dans la seconde, mais dis- parait de la troisième, il est remplacé par une Table des Articles des Méditations Metaphisiques, œuvre du nouvel éditeur R. F. (René Fédé),

lo OEuvRES DE Descartes. ■■J-m-

& netley & entièrement dijîinâe de toutes les conceptions que l'on peut auoir du corps : ce qui a ejîé fait en ce lieu-là. Il eji requis, outre cela, de fçauoir que toutes les chofes que nous conceuons clairement & dijlinâlement font vray es, félon que nous les conceuons : ce qui n'a pu eflre prouiié auant la quatrième Méditation. De plus, il faut auoir vue conception dijîinâe de la nature corporelle, laquelle fe forme, partie dans cette féconde , & partie dans la cinquième &fixiéme Médi- tation. Et enfin, l'on doit conclure de tout cela que les chofes que l'on conçoit clairement & dijlindement efre des fubjlances différentes^ comme l'on conçoit l'Efprit & le Corps, font en effet des fubjlances diuerfes, & réellement di/linâes les vnes d'auec les autres : & c'cjî ce que l'on conclut dans lajîxieme Méditation. Et en la \ mefme aufft cela fe confrme, de ce que nous 7te conceuons aucun corps que comme ditii- Jible, au lieu que l'efprit, ou l'ame de l'homme, ne fe peut conceuoir que comme indiuifible : car, en effet, nous ne pouuons conceuoir la moitié d'aucune ame, comme nous pouuons faire du plus petit de tous les corps; en forte que leurs natures ne font pas feulement reconnues diuerfes, mais mefme en quelque façon contraires. Or il faut qu'ils fçachent que ie ne me fuis pas engagé d'en rien dire dauantage en ce traitté-cf, tant parce que cela fuffit pour monjlrer affe^ clairement que de la corruption du corps la mort de l'ame ne s'enfuit pas, & ainji pour donner aux hommes l'efperance d'vne féconde vie après la mort ; comme aujjî parce que les premiffes defquelles on peut conclure l'ini' mortalité de l'ame, dépendent de l'explication de toute la Phjjique : Premièrement ,\affn de fçauoir que généralement toutes lesfuhjiances, c'ejl à dire toutes les chofes qui ne peuuent exijîer fans ejlre créées de Dieu, font de leur nature incorruptibles, & ne peuuent iamais ceffer d'ejïre,ji elles ne font réduites au îieant par ce mefme Dieu qui leur veuille dénier fon concours ordinaire. Et enfuite, afin que l'on re- marque que le corps, pris en gênerai, ejï vne fubflancc, c'ejl pourquof aufft il ne périt point ; mais que le corps humain, en tant qu'il diffère des autres corps, n'ejî formé & compofé que d'vne certaine configura- tion de membres, & d' autres femblables accidens; & l'ame humaine, au contraire, n'ejl point ainft compofée d'aucuns accidens, mais efl vne pure fubjîance. Car encore que tous fes accidens fe changent, par exemple, qu'elle conçoiue de certaines chofes, qu'elle en veuille d'autres, qu'elle enfen'e d'autres, &c., c'ejl pourtant toufours la | mefme ame ; au lieu que le corps huhtain n'ejl plus le mefme, de cela feul que la figure de quelques'Vnes de fes parties fe trouue changée. D'où il s'enfuit que le corps humain peut facilement périr, mais que l'efprit, ou l'ame de l'homme [ce que ie ne dijïingue point), ejl immortelle de fa nature.

i4-i5. Méditations. Abrégé. ii

Datis la iroijîéîne Méditation, il me Jemble que i'ay expliqué ajfe^ au long le principal argument dont ie me fers pour prouuer l'exi- Jlence de Dieu. Toutes/ois, afin que l'ejprit du Leâeur Je pût plus aifement abjlraire des fens, ie n'aj- point voulu meferuir en ce lien-là d'aucunes comparai/ans tirées des chofes corporelles, bien que peut- ejlre il y ejî demeuré beaucoup d'ob/'curite^, le/quelles, comme i'ef- pere, feront entièrement éclaircies dans les répon/cs que i'ay faites aux objeâions qui m'ont depuis eflé propofées. Comme, par exemple, il ejt aj[e\ difficile d'entendre comment l'idée d'vn cjlre fouueraine- ment parfait, laquelle fe trouue en nous, contient tant de realité ob^ Jeâiue, c'efl à dire participe par reprefentaiion à tant de degre\ d'efire & de perfeâion^ qu'elle doiue neceffairement venir d'vne caufe fouue- rainement parfaite. Mais ie l'ay éclair cf dans ces réponfcSyparla com- paraifon d'vne machine fort artificielle, dont l'idée fe rencontre dans l'efprit de quelque ouurier ; car, comme l'artifice objectif de cette idée doit auoir quelque caufe^ à fçauoir la 'fcience de l'ouurier, ou de quelque autre duquel il l'ait aprife, de mefme | il ejl impoffible que l'idée de Dieu, qui eft en nous, n'ait pas Dieu mefme pour fa caufe.

Dans la quatrième, il efï prouué que les chofes que nous conceuons fort clairement & fort diflinclement font toutes vraj-es; & enfemble eft expliqué en quoy confifie la rai \fon de l'erreur oufaujj'eté : ce qui doit necejfairement efirefceu, tant pour confirmer les vérité^ précédentes, que pour mieux entendre celles qui fuiuent. Mais cependant il eft à remarquer, que ie ne iraitte nullement en ce lieu-là du péché, c'efl à dire de l'erreur qui fe commet dans la pourfuite du bien & du mal, mais feulement de celle qui arriue dans le iugement & le difcernement du vray & du faux ; £■ que ie n'entens point y parler des chofes qui appartiennent à lafoy^ ou à la conduite de la pie, mais feulement de celles qui regardent les verite-^fpeculatiues & connues par l'aydc de la feule lumière naturelle.

Dans la cinquième, outre que la nature corporelle prife en gênerai y efl expliquée, l'exiflence de Dieu y efi encore demonflrée par de nou' uelles raifons, dans lefquelles toutesfois ilfe peut rencontrer quelques difficultez, mais qui feront refoluè's dans hs réponfes aux objections qui m'ont eflé faites ; & auffi on y découure de quelle forte il efi veri^ table, que la certitude mefme des demonfiralions Géométriques dépend de la connoijfance d'vn Dieu.

Enfin, dans lafixiéme, ie difiingue l'acîion de l'entendement d'attec celle de l'imagination; les marques de cette diflinâionyfont décrites, l'y montre que l'ame de l'homme efi réellement diflinâe du corps^ & toutesfois qu'elle luy efi fi efîroitement conjointe & vnie, qu'elle ne

12 OEUVRES DE Descartes. is-iô.

compofe que comme vue mefme chofe auecque îuy. Toutes les erreurs qui procèdent des feus y font cxpofées, auec les moyens de les euiler. Et enfin, i'y apporte toutes les raifons defquelles on peut conclure l'exijlence des chofes matérielles : non que te les iuge fort vtiles pour prouuér ce qu'\elles prouuent, à fca\uoir, qu'il y a vn Mojfde^que les hommes ont des corps, £■ autres chofes femblables, qui n'ont iamais e/té mifes en doute par aucun homme de bon feus ; mais parce qu'en les confderant de prés, l'on vient à connoiflre qu'elles ne font pas fi fermes nyfi euidentes, que celles qui nous conduifent à la connoijfance de Dieu & de noflre ame; en forte que celles-cy font les plus certaines & les plus euidentes qui puijjent tomber en la connoijfance de l'efprit humain. Et c'efi tout ce que i'ay eu dejfein de prouuer dans ces fix M ditalions ; ce qui fait que i'obmets icy beaucoup d'autres quejiioîis, dont i'ay aufji parlé par occafion dans ce Iraitté. \

MEDITATIONS

TOUCHANT

LA PREMIERE PHILOSOPHIE

DANS LESQUELLES

L'EXISTENCE DE DIEU ET DISTINCTION RÉELLE ENTRE L'AME ET LE CORPS DE L'HOMME SONT DEMONSTRÉES

Première Mtoitation. Des cho/es que l'on peut reitoquev en doute.

Il y a défia quelque temps que ie me fuis apperceu que, dés mes premières années, i'auois icceu quantité de faulfes opinions pour véritables, & que ce que i'ay depuis fondé fur des principes li mal allurcz, ne pouuoit cltre que fort douteux & incertain ; de façon I qu'il me falloit entreprendre ferieufement vne fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que i'auois receucs iufques alors en ma créance, & commencer tout de nouueau des les fondemens, fi ie voulois ellablir quelque chofc de ferme i^ de conllant dans les fciences. Mais cette entrcprifc me femblant elhe fort grande, i'ay attendu que i'eulVe atteint vn âge qui fuit li meur, que ie n'en peulfe efperer d'autre après luy, auquel ie fulfe plus propre à l'exé- cuter; ce qui m'a fait dilVerer li long-temps, que déformais ie croi- rois commettre vne faute, li i'cmployois encore à délibérer le temps qui me relie pour agir.

Maintenant donc que mon efprit elt libre de tous foins, | iS: que ic me fuis procure vn lepos allure dans vne paillble foliiude, ie m'apliqueray ferieufement ^ auec liberté à deltruire généralement toutes mes anciennes opinions. Or il ne fera pas necclfaire, pour arriuer ii ce delfein, de prouucr qu'elles font toutes faulfes, de quoy

14 QE.uvREs DE Descartes. is-ig.

peut-eftre ie ne viendrois iamais à bout ; mais, d'autant que la raifon me perfuade def-ja que ie ne dois pas moins foigneulement m'empefcher de donner créance aux choies qui ne font pas entiè- rement certaines & indubitables, qu'à celles qui nous paroiflent manifeftement eftre faulles, le moindre fujet de douter que l'y trouueray, fuffira pour me les faire toutes rejetter. Et pour cela il n'eft pas befoin que ie les examine chacune en particulier, ce qui feroit d'vn trauail infiny ; mais, piirce | que la ruine des fondemens entraine neceffa ire ment auec foy tout le refle de l'édifice, ie m'at- taqueray d'abord aux principes, fur lefquels toutes mes anciennes opinions eftoient appuyées.

Tout ce que i'ay receu iufqu'à prefent pour le plus vray & alTuré, ie I'ay appris c^es fens, ou par les fens : or i'ay quelquefois éprouué que ces fens eftoient trompeurs, & il eft de la prudence de ne fe fier iamais entièrement à ceux qui nous ont vne fois trompez. Mais, encore que les fens nous trompent quelquefois, touchant les chofes peu fenfibles & fort éloignées, il s'en rencontre peut-eftre beaucoup d'autres, defquelles on ne peut pas raifonnablement douter, quoy que nous les connoifïions par leur moyen : par exemple, que ie fois icy, affis auprès du feu, veftu d'vne robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, & autres chofes de cette nature'. Et comment eft- ce que ie pourrois nier que ces mains & ce corps-cy foient à moy? fi ce n'eft peut-eftre que ie me com- pare à ces infenfez, | de qui le cerueau eft tellement troublé & offufqué par les noires vapeurs de la bile, qu'ils affurent conftam- mcnt qu'ils font des roys, lorfqu'ils font tres-pauures ; qu'ils font vcftus d'or & de pourpre, lorfqu'ils font tout nuds ; ou s'imaginent élire des cruches, ou auoir vn corps de verre. Mais quoy? ce font des fous, & ie ne ferois pas moins extrauagant, Ci ie me reglois fur leurs exemples. 10 I Toutesfois i'ay icy à confiderer que ie fuis homme, & par confe- quent que i'ay coutume de dormir & de me reprefenter en mes fonges les mefmes chofes, ou quelquefois de moins vray-fem- blablcs, que ces infenfez, lors qu'ils veillent. Combien de .fois m*cft-il arriuc de fongcr, la nuit, que i'cftois en ce lieu, que i'eftois habillé, que i'cftois auprès du feu, quoy que ie fulfe tout nud de- dans mon licl? Il me fcmble bien ù prefent que ce n'eft point aucc des yeux endormis que ie regarde ce papier; que cette telle que ie remue n'eft point all'oupic; que c'eft auec dclfein & de propos délibéré que i'cftens cette main, & que ie la fens : ce qui arriue dans le fommeil ne fcmble point fi clair ny fi diftind que tout cccy.

19-20. Méditations. -^ Première. i 5

Mais, en y penfant foigneufemcnt; ie me reffouiiiens d'auoir efté fouuent trompé, lors que ie dormois, par de femblables illufions. Et m'arreftant fur cette penfée, ie voy fi manifeftement qu'il n'y a point d'indices concluans, ny de marques olTez certaines par l'on puiffe diftinguer nettement la veille d'auec le fommeil, que i'en fuis tout eftonné ; & mon eftonnement eft tel, qu'il eft prefque capable de me perfuader que ie dors.

Suppofons donc maintenant que nous fommes endormis, & que toutes ces particularitei-cy, à fçauoir, que nous ouurons les yeux, que nous remuons la tefte, que nous eftendons les mains, & chofes femblables, ne font que de fauffes illufions ; & penfons que peut- eftre nos mains, ny tout noftrc corps, ne | font pas tels que nous 11 les voyons. Toutesfois il faut au moins auoUer que les chofes qui nous font reprefentées dans le fommeil, font comme des tableaux & des peintures, qui ne peuuent eftre formées qu'à la reflemblance de quelque chofe de réel & de véritable; & qu'ainfi, pour le moins, ces chofes générales, à fçauoir, des yeux, vne tefte, des mains, & tout le refte du corps, ne font pas chofes imaginaires, mais vraycs & cxiftantes. Car de vray les peintres, lors mefme | qu'ils s'eftudient auec le plus d'artifice à reprcfenter des Syrcnes & des Satyres par des formes bijarres & extraordinaires, ne leur peuuent pas tou- tesfois attribuer des formes & des natures entièrement nouuelles, mais font feulement vn certain mélange & compofition des membres de diuers animaux; ou bien, fi peut-eftre leur imagination eft afl'ez extrauagante pour inuenter quelque chofe de fi nouueau, que iamais nous n'ayons rien veu de femblable, & qu'ainfi leur ou- urage nous reprefente vne chofe purement feinte & abfoluëment faulfe, certes à tout le moins les couleurs dont ils le compofent doiuent-elles eftre véritables.

Et par la mefme raifon, encore que ces chofes générales, à fça- uoir, des yeux, vne tefte, des mains, & autres femblables, peuffent eftre imaginaires, il faut toutesfois auoUer qu'il y a des chofes encore plus fimples & plus vniuerfelles, qui font vrayes & exi- ftantes ; du mélange defquelles, ne plus ne moins que de celuy de quelques véritables couleurs, toutes ces | images des chofes qui 12 refident en noftre penfée, foit vrayes & réelles, foit feintes & fan- taftiques, font formées. De ce genre de chofes eft la nature corpo- relle en gênerai, & fon eftenduë ; enfemble la figure des chofes eftenduës, leur quantité ou grandeur, & leur nombre ; comme aufti le lieu elles font, le temps qui mefure leur durée, & autres femblables

i6 OEuvRES DE Descartes. 20-2,

C'eft pourquoy pcut-eftrc que de nous ne conclurons pas mal, fi nous dilbns que la Phyrique, l'Artronomie, la Médecine, & toutes les autres fciences qui dépendent de la confidcration des choies compofées, font fort douteufes & incertaines ; mais que l'Arithmé- tique, la Géométrie, & les autres fciences de cette nature, qui ne traitteot que de chofes fort fimples & fort générales, fans fe mettre beaucoup en peine fi elles font dans la nature, ou fi elles n'y font pas, contiennent quelque chofe de certain & d'indubitable. Car, foit que ie veille ou que ie dorme, deux & trois ioints enfemble formeront toujours le nombre de cinq, & le quarré n'aura iamais plus de quatre codiez; & il ne femble pas poffible que des veritez fi aparentes puiflcnt eftre foupçonnées d'aucune fauffeté ou d'in- certitude.

|Touiesfois il y a long-temps que i'ay dans mon efprit vne cer- taine opinion, qu'il y a vn Dieu qui peut tout, & par qui i'ay efté crée & produit tel que ie fuis. Or qui me peut auoir aifuré que ce Dieu n'ait point fait qu'il n'y ait aucune terre, aucun Ciel, aucun i3 corps eitendu, aucune figure, aucune grandeur, | aucun lieu, & que neantmoins i'aye lesfentimens de toutes ces choies, & que tout cela ne me femble point exifter autrement que ie le voy? Et mefme, comme ie iuge quelquefois que les autres fc méprennent, mefme dans les chofes qu'ils penfent fçauoir aucc le plus de certi- tude, il fe peut faire qu'il ait voulu que ie me trompe toutes les fois que ie fais l'addition de deux & de trois, ou que ie nombre les coftcz d'vn quarré, ou que ie iuge de quelque chofe encore plus facile, fi l'on fe peut imaginer rien de plus facile que cela. Mais peut-ellre que Dieu n'a pas voulu que ie fulfe deceu de la forte, car il eft dit fouuerainemcnt bon. Toutesfois, li cela repu- gncroità fa bonté, de m'auoir fait tel que ie me trompaffc toufiours, cela fembleroit aufii luy tllre aucunement contraire, de permettre que ie me trompe quelquefois, & neantmoins ic ne puis douter qu'il ne le permette.

Il y aura peut-ertre icy de's perfonnes qui aymeront mieux nier rcxidcnce d'vn Dieu fi puilfant, que de croire que toutes les autres chofes font incertaines. Mais ne leur refilions pas pour le prefent, & fuppofons, en leur faueur, que tout ce qui ell dit icy d'vn Dieu foit vue fable, 'l'cjutesfuis, de quelque façon qu'ils fuppofent que ie fois parucnu à l'cfiat ^ à l'ellre que ie poffede, foit qu'ils l'at- tribuent à quelque dellin ou fatalité, foit qu'ils le réfèrent au huzard, foit qu'ils veuillent que ce foit par vne continuelle fuite & li liaifon des chofes, il cfl certain que, | puifque faillir ^ fe tromper

Méditations. - Première.

/

eft vne efpece d'imperfedion, d'autant moins puillant leia l'auteur qu'ils attribueront à mon origine, d'autant plus lera-t-il probable que ie fuis tellement imparfait que ie me trompe toujours. Aul- quelles raifons ie n'ay certes rien à répondre, mais ie fuis contraint d'auoiier que, de toutes les opinions que i'auois autrefois receucs en ma créance pour véritables, il nV en a pas vne de laquelle ie ne puiffe maintenant douter,, non par aucune inconfidcration ou légè- reté, mais pour des raifons tres-fortes ^ meu rement confiderées : de forte qu'il eft iieceffaire que i'arrefte & fufpende déformais mon iugement fur ces penfées, | & que ie ne leur donne pas plus de créance, que ie ferois à des choies qui me paroiilroient euidem- ment faufles, Ci ip defire trouuer quelque chofe de conftant & d'affeuré dans les fciences.

Mais il ne fuffit pas d'auoir fait ces remarques, il faut encore que ie prenne foin de m'en fouuenir; car ces anciennes ^ ordi- naires opinions me reuiennent encore Ibuuent en la penféc, le long & familier vfage qu'elles ont eu auec moy leur donnant droit d'ocupper mon efprit contre mon gré, &. de fe rendre prefque mai- ftrelfes de ma créance. Et ie ne me defaccoutumeray iamais d'y acquiefcer, & de prendre confiance en elles, tant que ie les confide- reray telles qu'elles font en effet, c'eii à fçauoir en quelque façon douteufes, comme ie viens de monftrer, & toutesfois fort probables, en forte que l'on a beaucoup | plus de raifon de les croire que de les nier. C'eft pourquoy ie penfe que l'en vferay plus prudemment, fi, prenant vn party contraire, i'employe tous mes foins à me tromper moy-mefme, feignant que toutes ces penfées font faulfes & imaginaires; iufques à ce qu'ayant tellement balancé mes pré- jugez, qu'ils ne puilfent faire pancher mon aduis plus d'vn coftc que d'vn autre, mon iugement ne foit plus déformais mailtrifé par de mauuais vfages & détourné du droit chemin qui le peut con- duire à la connoifTance de la vérité. Car ie fuis alfeuré que cepen- dant il ne peut y auoir de péril ny d'erreur en cette voye, & que ie ne fçaurois aujourd'huy trop accorder à ma défiance, puifqu'il n'eft pas maintenant queftion d'agir, mais feulement de méditer & de connoiftre.

le fuppoferay donc qu'il y a, non point vn vray Dieu, qui eft la fouueraine fource de vérité, mais vn certain mauuais génie, non moins rufé & trompeur que puifl'ant, qui a employé toute 'fon induftrie à me tromper. le penferay que le Ciel, l'air, la terre, les couleurs, les figures, les fons & toutes les choies extérieures que nous voyons, ne font que des illufions & tromperies, dont il fe Œuvres. IV 2

i8 Œuvres de Descartes. 22-24.

fert pour furprendre ma crédulité. le me confidererayjmoy-mefme comme n'ayant point de mains, point d'yeux, point de chair, point de fang, comme n'ayant aucuns fens, mais croyant fauffe- ment auoir toutes ces chofes. le demeureray obftinément attaché à cette penfée ; & fi, ,.ar ce moyen, il n'eft pas en mon pouuoir de 16 paruenir | à la connoilîance d'aucune vérité, à tout le moins il eft en ma puiffance de fufpendre mon iugement. C'eft pourquoy ie prendray garde foigneufement de ne point receuoir en ma croyance aucune fauffeté, & prepareray fi bien mon efprit à toutes les rufes de ce grand trompeur, que, pour puiffant & rufé qu'il foit, il ne me pourra iamais rien impofer.

Mais "ce delfein eft pénible & laborieux, & vne certaine parelTe m'entraine infenfiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de mefme qu'vn efclaue qui Jouiflbit dans le fommeil d'vne liberté imaginaire, lorfqu'il commence à foupçonner que fa liberté n'eft qu'vn fonge, craint d'eftre réueillé, & confpire auec ces illu- fions agréables pour en eftre plus longuement abufé, ainfi ie re- tombe infenfiblement de moy-mefme dans mes anciennes opinions, & i'apprehcnde de me réueiller de cet aflbupifîement, de peur que les veilles laborieufes qui fuccederoient à la tranquillité de ce repos, au lieu de m'apporter quelque iour & quelque lumière dans la connoilfance de la vérité, ne fuffent pas fuffifantes pour éclaircir les ténèbres des difficultez qui viennent d'eftre agitées.

il I Méditation seconde.

De la nature de V Efprit humain ; & qu'il ejï plus ayfé à connoijire

que le Corps.

La Méditation que ie fis hier m'a remply l'efprit de tant de cloutes, qu'il n'eft plus déformais en ma puiffance de les oublier. Et cependant ie ne voy pas de quelle façon ie les pouray'refoudre ; & comme fi | tout à coup i'eftois tombé dans vne eau très-profonde, ie fuis tellement furpris, que ie ne puis ny affeurer mes pieds dans le fond, ny nager pour me foutenir au deffus. le m'cfiforceray neant- moins, & fuiuray derechef la mefme voye i'eftois entré hier, en m'éloignant de tout ce en quoy ie pouray imaginer le moindre doute, tout de mefme que fi ie connoiflbis que cela fuft abfolument

84-35. Méditations. —^ Seconde. 19

faux ; & ie continuëray toufiours dans ce chemin, | iufqu'à ce que 18 i'aye rencontré quelque chofe de certain, ou du moins, û ie ne puis autre chofe, iufqu'à ce que i'aye apris certainement, qu'il n'y a rien au monde de certain,

Archimedes, pour tirer le Globe terreftre de fa place & le tranf- portcr en vn autre lieu, ne demandoit rien qu'vn point qui fuft fixe & affuré. Ainfy i'auray droit de conceuoir de hautes efpe- rances, fi ie fuis affez heureux pour trouuer feulement vne chofe qui foit certaine & indubitable.

le fuppofe donc que toutes les chofes que ie voy font fauffes ; ie me perfuade que rien n'a iamais efté de tout ce que ma mémoire remplie de menfonges me reprefente; ie penfe n'auoir aucun fens; ie croy que le corps, la figure, l'étendufc", le moùuement & le lieu ne font que des fictions de mon efprit. Qu'eftce donc qui poura eftre eftimé véritable ? Peut-eftre rien autre chofe, finon qu'il n'y a rien avi monde de certain.

Mais que fçay-ie s'il n'y a point quelque autre chofe différente de celles que ie viens de iuger incertaines, de laquelle on ne puifle auoir le moindre doute ? N'y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puiffance, qui me met en l'efprit ces penfées? Cela n'eft pas ne- celiaire ; car peut-ellre que ie fuis capable de les produire de moy- mefme. Moy donc atout le moins ne fuis-ie pas quelque chofe? Mais i'ay def-ja nié que i'eulle aucun fens ny aucun corps. le hefite neant- moins, car que s'enfuit-il | de là? Suis-ie tellement dépendant du corps & des fens, que ie ne puilfe eftre | fans eux? Mais ie me fuis 19 perfuade qu'il n'y auoit rien du tout dans le monde, qu'il n'y auoit aucun ciel, aucune terre, aucuns efprits, ny aucuns corps; ne me fuis-ie donc pas aufli perfuade que ie n'eftois point? Non certes; i'eftois fans doute, fi ie me fuis perfuade, ou feulement fi i'ay penfé quelque chofe. Mais il y a vn ie ne fçay quel trompeur tres-puif- . fant & ties-rufé, qui employé toute fon induftrié à me tromper touf- iours. Il n'y a donc point de doute que ie fuis, s'il me trompe; & qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne fçauroit iamais faire que ie ne fois rien, tant que ie penferay eftre quelque chofe. De forte qu'après y auoir bien penfé, & auoir foigneufement examiné toutes chofes, enfin il faut conclure, & tenir pour confiant que cette propo- fition : le fuis, i'exijle, eft necefl"airement vraye, toutes les fois que ie la prononce, ou que ie la conçoy en mon efprit.

Mais ie ne connois pas encore affez clairement ce que ie fuis, moy qui fuis certain que ie fuis; de forte que déformais il faut que ie prenne foigneufement garde de ne prendre pas imprudemment

20 Œuvres de Descartes. 25-26.

quelque autre chofe pour moy, & ainfi de ne me point méprendre dans cette connoilTance, que ie foutienç eftre plus certaine & plus euidente que toutes celles que i'ay eues auparauant.

C'eft pouçquoy ie confidereray derechef ce que ie croyois eftre auant que i'entrafl'e dans ces dernières penfées; & de mes anciennes opinions ie retrancheray tout ce qui peut eftre combatu par les rai- fons que i'ay ] tantoft alléguées, en forte qu'il ne demeure preci- fement rien que ce qui eft entièrement indubitable. Qu'eft-ce donc que i'ay creu eftre cy-deuant ? Sans difficulté, i'ay penfé que i'eftois ▼n homme. Mais qu'eft-ce qu'vn homme? Diray-ie que c'eft vn animal raifonnable? Non certes : car il faudroit par après re- chercher ce que c'eft qu'animal, & ce que c'eft que raifonnable, & ainfi d'vne feule queftion nous tomberions infenfiblement en vne infinité d'autres plus difficiles & embarafl'ées, & ie ne voudrois pas abufer du ^eu de temps & de loifir qui me refte, en l'em-:. ployant à démefler de femblables fubtilitez. Mais ie m'arrefte- ray pluftoft à confiderer icy les penfées qui naiffoient cy-deuant d'elles-mefmes en mon cfprit, | & qui ne m'eftoient infpirées que de ma feule nature, lorfque ie m'apliquois à la confideration de mon eftre. le me confiderois, premièrement, comme ayant vn vifage, des mains, des bras, & toute cette machine compofée d'os & de chair, telle qu'elle paroift en vn cadavre, laquelle ic defignois par le nom de corps. le confiderois, outre cela, que ie me nouriftbis, que ie marchois, que ie fentois & que ie penfois, & raportois toutes ces actions à l'ame ; mais ie ne m'arreftois point à penfer ce que c'eftoit que cette ame, ou bien, ie m'y arreftois, i'imaginois qu'elle eftoit quelque chofe extrêmement rare & fubtilc, comme vn vent, vne flame ou vn air tres-delié, qui eftoit infinué & répandu dans mes plus groffieres parties. Pour ce qui eftoit du corps, ie ne doutois nullement de fa nature ; car | ie penfois la connoiftre fort diftinde- ment, &, fi ie l'euffc voulu expliquer fuiuant les notions que l'en auois, ie l'eufl'e décrite en cette forte : Par le corps, i'entens tout ce qui peut eftre terminé par quelque figure ; qui peut eftre compris en quelque lieu, & remplir vn efpace en telle forte que tout autre corps en foit exclus; qui peut eftre fenty, ou par l'attouchement, ou par la veuii, ou par l'ouye, ou par le gouft, ou par l'odorat; qui peut eftre meu en pluficurs façons, non par luy-mcfme, mais par quelque chofe d'étranger duquel il foit touché & dont il reçoiue rimprcflion. Car d'auoiren foy la puidancc de fe mouuoir, de fcntir ^i de pcnfcr, ic ne croyois aucunement que l'on dcuft attribuer ces auantages à la nature corporelle ; au contraire, ie m'ellonnois plu-

26.37. Méditations. Seconde. 21

tort de voir que 4e femblables facultez fe rencontroient en certain» corps.

Mais moy, qui fuis-ie, maintenant que ie fupofe qu'il y a quel- qu'vn qui eft extrêmement puiffant &, fi ie l'ofe dire,maljcieux & rufé, qui employé toutes fes forces & toute fon induftrie à me tromper? Puis-ie m'affurer d'auoir la moindre de toutes les chofes que i'ay attribué cy-deffus à la nature corporelle ? | le m'arefte à y penfer auec attention, ie paffe & repafTe toutes ces chofes en mon efprit, & ie n'en rencontre aucune que ie puiffe dire eftre en moy. Il n'eft pas befoin que ie m'arrefte à les dénombrer. Partons donc aux attributs de l'Ame, & voyons s'il y en a quelques-vns qui foient en moy. Les premiers font de me nourir & de marcher; mais s'il eft vray que ie n'ay point de | corps, il eft vray aufli que ie ne puis SS marcher ny me nourir. Vn autre eft de fentir ; mais on ne peut aufli fentir fans le corps : outre que i'ay penfé fentir autrefois plufieurs chofes pendant le fommeil, que i'ay reconnu à mon reueil n'auoir point en effet fenties. Vn autre eft de penfer; & ie trouue icy que la penfée eft vn attribut qui m'appartient : elle feule ne peut eftre détachée de moy. le fuis, i'exijîe : cela eft certain ; mais combien de temps? A fçauoir, autant de temps que ie penfe; car peut-eftre fe pouroit-il faire, fi ie ceflbis de penfer, que ie cefferois en mefme temps d'eftre ou d'exifter. le n'admets maintenant rien qui ne foit necelTairement vray : ie ne fuis donc, precifement parlant, qu'vne chofe qui penfe, c'eft à dire vn efprit, vn entendement ou vne raifon, qui font des termes dont la fignification m'eftoit au- parauant inconnue. Or ie fuis vne chofe vraye, & vrayment exi- ftante ; mais quelle chofe? le I'ay dit : vne chofe qui penfe. Et quoy dauantage? l'exciteray encore mon imagination, pour chercher fi ie ne fuis point quelque chofe de plus. le ne fuis point cet alfem- blage de membres, que l'on appelle le corps humain; ie ne fuis point vn air délié & pénétrant, répandu dans tous ces membres; ie ne fuis point vn vent, vn fouffle, vne vapeur, ny rien de tout ce que ie puis feindre & imaginer, puifque i'ay fupofé que tout cela n'elloit rien, & que, fans changer cette fupofition, ie trouue que ic ne lailfe pas d'eftre certain que ie fuis quelque chofe.

Mais aufti peut-il arriuer que ces mefmes chofes, | que ie fuppofe 83 n'eftre point, parce qu'elles me font inconnuiis, ne font point en effect différentes de moy, que ie connois? le n'en fçay rien; ie ne difpute pas maintenant de cela, ie ne puis donner mon iugement que des chofes qui me font connues : i'ay reconnu que i'eftois, & ie cherche quel ie fuis, moy que i'ay reconnu eftre. Or il eft très

22 Œuvres de Descartes. 37-29.

certain que cette notion & connoilTance de mpy-mefme, ainfi preci- fement prife, ne dépend point des chofes dont | l'exiftence ne m'eft pas encore connue ; ny par confequent, & à plus forte raifon, d'au- cunes de celles qui font feintes & inuentées par l'imagination. Et mefme ces termes de feindre & d'imaginer m'auertiflent de mon erreur; car ie feindrois en effet, fi i'imaginois eftre quelque chofe, puifque imaginer n'eft autre chofe que contempler la figure ou l'image d'vne chofe corporeller Or ie fçay des-ja certainement que ie fuis, & que tout enfemble il fe peut faire que toutes ces images- là, & généralement toutes les chofes que l'on rapporte à la nature du corps, ne foient que des fonges ou des chimères. En fuitte de quoy ie voy clairement que i'aurois aufli peu de raifon en difant : i'exciteray mon imagination pour connoiftre plus diftindement qui ie fuis, que fi ie difois : ie fuis maintenant éueillé, & i'aperçoy quelque chofe de réel & de véritable ; niais, parce que ie ne I'aper- çoy pas encore alfez nettement, ie m'endormiray tout exprés, afin que mes fonges me reprefenient cela mefme auec plus de vérité & d'euidence. Et ainfi, ie reconnois certainement que rien de tout ce 24 que ie puis com [prendre par le moyen de l'imagination, n'apartient à cette connoiffance que i'ay de moy-mefme, & qu'il eft befoin de rapeller & détourner fon efprit de cette façon de conceuoir, afin qu'il puiffe luy-mefme reconnoillre bien diftinâiement fa nature.

Mais qu'eft-ce donc que ie fuis? Vne chofe qui penfe. Qu'eft-ce qu'vne chofe qui penfe ? C'eft à dire vne chofe qui doute, qui con- çoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine au(ri,& qui fent. Certes ce n'ell pas peu fi toutes ces chofes apartien- nent à ma nature. Mais pourquoy n'y apartiendroient-elles pas ? Ne fuis-ie pas encore ce mefme qui doute prefque de tout, qui neant- moins entens & conçoy certaines chofes, qui affure & affirme celles-là feules eftre véritables, qui nie toutes les autres, qui veux & defire d'en connoiftre dauantage, qui ne veux pas eftre trompé, qui imagine beaucoup de chofes, mefme quelquefois en dépit que i'en aye, & qui en fens aufli beaucoup, comme par l'entremife des or- ganes du corps? Ya-t-il rien de tout cela qui ne foit aulîl véritable qu'il eft certain que ie fuis, & que i'exifte, quand mefme | ie dormi- rois toujours, ^Lqucccluy qui m'a donné l'eftrc fe feruiroitde toutes fes forces pour ni'abufer? Y a-t-il aufli aucun de ces attributs qui puille eftre diftinguc de ma penfce, ou qu'on puifle dire eftre fcparé de nioy-mefmc? Car il eft de Iby fi euidcnt que c'cft moy qui doute, qui entens, ^ qui délire, qu'il n'eft pas icy befoin de rien adjoulicr pour l'expliquer. Et i'ay aufli certainement la puillance d'imatîiner ;

ag-âfî. Méditations. Seconde. 2J

car I encore qu'il puilTe arriuer (comme i'ay fupofé auparauant) que 25 les chofes que l'imagine ne foient pas vrayes, neantmoins cette puiffance d'imaginer ne laiffe pas d'eftre réellement en mby, & fait partie de ma penfée. Enfin ie fuis le mefme qui fens, c'eft à dire qui reçoy & connois les chofes comme par les organes des fens, puif- qu'en effet ie voy la lumière, i'oy le bruit, ie reifens la chaleur. Mais l'on me dira que ces apparences font fauffes & que ie dors. Qu'il foit ainfi; toutesfois, à tout le moins, il eft très-certain qu*il me femble que ie voy, que i'oy, & que ie m'échauffe; & c'eft propre- ment ce qui en moy s'apelle fentir, & cela, pris ainfi precifement, n'eft rien autre chofe que penfer. D'où ie commence à connoiftre quel ie fuis, auec vn peu plus de lumière & de diftindion que cy- deuant.

Mais ie ne me puis empefcher de croire que les chofes corporelles, dont les images fe forment par ma penfée, & qui tombent fous les fens, ne foient plus diftinctement connues que cette ie ne fçay quelle partie de moy-mefme qui ne tombe point fous l'imagination : quoy qu'en effet ce foit vne chofe bien étrange, que des chofes que ie trouue douteufes & éloignées, foient plus clairement & plus facile- irlent connues de moy, que celles qui font véritables & certaines, & qui appartiennent à ma propre nature. Mais ie voy bien ce que c'eft: mon efprit fe plaift de s'égarer, & ne fe peut encore contenir dans les iuftes bornes de la vérité. Relachons-luy donc encore vne fois la I bride, I afin que, venant cy-apres à la retirer doucement & à pro- 26 pos, nous le puiflions plus facilement régler & conduire.

Commençons parlaconfideration des chofes les plus communes, &que nous croyons comprendre le plus diftinftement, à fçauoir les corps que nous touchons & que nous voyons. le n'entens pas parler des corps en gênerai, car ces notions générales font d'ordinaire plus confufes, mais de quelqu'vn en particulier. Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'eftre tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenoit, il retient encore quelque chofe de l'odeur des fleurs dont il a efté recueilly; fa cou- leur, fa figure, fa grandeur, font apparentes ; il eft dur, il eft froid, on le touche, & fi vous le frappez, il rendra quelque fon. Enfin toutes les chofes qui peuuent diftindement faire connoiftre vn corps, fe rencontrent en celuy-cy.

Mais voicy que, cependant que ie parle, on l'aproche du feu : ce qui y reftoit de faueur s'exale, l'odeur s'éuanoiiit, fa couleur fe change, fa figure fe perd, fa grandeur augmente, il deuient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, & quoy qu'on le frappe, il

24. Œuvres de Descartes. 3o-3i,

ne rendra plus aucun fon. La mefme cire demeure-t-elle après ce changement? Il faut auoûer qu'elle demeure ; & perfonne ne le peut nier. Qu'eft-ce donc que l'on connoiffoit en ce morceau de cire auec tant de diftindion ? Certes ce ne peut eftre rien de tout ce que l'y

27 ay remarqué par l'entremife des fens, puifque | toutes les chofes qui tomboient fous le gouft, ou l'odorat, ou la veuë, ou l'attouche- ment, ou l'ouye, trouuent changées, & cependant la mefme cire demeure. Peut-eftre eftoit-ce ce que ie penfe maintenant, à fçauoir que la cire n'eftoit pas ny cette douceur du miel, ny cette agréable odeur des fleurs, ny cette blancheur, ny cette figure, ny ce fon, mais feulement vn corps qui vn peu auparauant me parailToit fous ces formes, & qui maintenant fe fait remarquer fous d'autres. Mais qu'ell-ce. preciiement parlant, que i'imagine, lorfque ie la conçoy en cette forte? Confiderons-le | attentiuement, & éloignant toutes les chofes qui n'appartiennent point à la cire, voyons ce qui refte. Certes il ne demeure rien que ouelque chofe d'eflendu. de flexible & de muable. Or qu'efl-ce que cela : flexible & muable? N'eft-ce pas que i'imagine que cette cire eftant ronde efl: capable de deue- nirquarrée, & de paffer du quarré en vne figure triangulaire ? Non certes, ce n'ell: pas cela, puifque ie la conçoy capable de receuoir vne infinité de femblables changemens, & ie ne fçaurois neantmoins parcourir cette infinité par mon imagination, & par confequent cette conception que i'ay de la cire ne s'accomplit pas par la faculté d'imaginer.

Qu'eft-ce maintenant que cette extenfion ? N'eft-elle pas auiïi inconnucf, puifque dans la cire qui fe fond elle augmente, & fe trouue encore plus grande quand elle eft entièrement fondue, & beaucoup plus encore quand la chaleur augmente dauantage? Et ie

ÎS ne con|ceurois pas clairement & félon la vérité ce que c'eft que la cire, Ci ie ne penfois qu'elle eft capable de receuoir plus de varietez félon l'exteniion, que ie n'en ay iamais imaginé. Il faut donc que ie tombe d'accord, que ie ne fçaurois pas mefme conceuoir par l'imagi- nation ce que c'eft que cette cire, & qu'il n'y a que mon entende- ment feul qui le conçoiue; ie dis ce morceau de cire en particulier, car pour la cire en gênerai, il eft encore plus cuident. Or quelle eft cette cire, qui ne peut eftre conceue que par l'entendement ou l'ef- prit? Certes c'eft la mefme que ie voy, que ie touche, que i'ima- gine, & la mefme que ie connoilfois dés le commencement. Mais ce qui éft à remarquer, fa perception, ou bien l'aftion par laquelle on l'aperçoit, n'cft point vne vifion, ny vn attouchement, ny vne imagi- nation, & ne l'a iamais cfté, quoy qu'il le femblaft ainfi auparauant,

3i-33. Méditations. Seconde. 25

mais feulement vne infpeclion de l'efprit, laquelle peut eftre impar- faite & confufe, comme elle eftoit auparauant, ou bien claire & diflincte, comme elle eft à prefent, félon que mon attention fe porte plus ou moins aux chofes qui font en elle, & dont elle eft compofée.

Cependant ie ne me fçaurois trop étonner, quand ie confidere combien mon efprit a de foibleffe, & de pente qui le porte infenfi- blemènt dans l'erreur. Car encore que fans parler |ie confidere tout cela en moy-mefme, les paroles loutesfois m'arreftent, & ie fuis prefque trompé par les termes du langage ordinaire; car nous di- fons que nous voyons la mefme cire, fi on \ nous la prefente, & non 29 pas que nous iugeons que c'eft la mefme, de ce qu'elle a mefme cou- leur & melme figure : d'où ie voudrois prefque conclure, que l'on connoift la cire par la vifion des yeux, & non par la feule infpedion de l'efprit, fi par hazard ie ne regardois d'vne feneftre des hommes qui pallent dans la rue, à la veu(i defquels ie ne manque pas de dire que ie voy des hommes, tout de mefme que ie dis que ie voy de la cire ; Et cependant que voy-je de cette feneftre, fmon des chapeaux & des manteaux, qui peuuent couurir des fpectres ou des honimes feints qui ne fe remuent que par reflbrs? Mais ie iuge que ce font de vrais hommes, & ainfi ie comprens, par la feule puifl'ance de iuger qui refide en mon efprit, ce que ie croyois voir de mes yeux.

Vn homme qui tafche d'éleuer fa connoiffance au delà du com- mun, doit auoir honte de tirer des occafions de douter des formes & des termes de parler du vulgaire ; i'ayme mieux paffer outre, & confiderer fi ie conceuois auec plus d'euidence & de perfe6tion ce qu'eftoit la cire, lorfque ie l'ay d'abord apperceuë, & que i'ay creu la connoiftre par le moyen des lens extérieurs, ou à tout le moins du fens commun, ainfi qu'ils appellent, c'eft à dire de la puiffance imaginatiue, que ie ne la conçoy à prefent, après auoir plus exacte- ment examiné ce qu'elle eft, & de quelle façon elle peut eftre con- nue. Certes il feroit ridicule de mettre cela en doute. Car, qu'y auoit-il dans cette première perception qui fuftdiftincl & éuideni,& I qui ne pourcit pas tomber en mefme forte dans le fens du moindre 30 des animaux? Mais quand ie diftingue la cire d'auec fes formes exté- rieures, & que, tout de mefme que fi ie luy auois ofté fes vefte- mens, ie la confidere toute nuè", certes, quoy qu'il fc puille encore rencontrer quelque erreur dans mon iugement, ie ne la puis con- ceuoir de cette forte lans vn efprit humain.

I Mais enfin que diray-ie de cet efprit, c'eft à dire de moy-mefme? Car iufques icy ie n'admets eft moy autre chofe qu'vn efprit. Que prononceray-je, dis-je, de moy qui femble conceuoir auec tant de

20 Œuvres de Descartes. 33-34-

netteté & de diftindion ce morceau de cire? Ne me connois-Je pas moy-mefme, non feulement auec bien plus de vérité & de certitude, mais encore auec beaucoup plus de diftinclion & de netteté ? Car fi ie iuge que la cire eft, ou exifte, de ce que ie la voy, certes il fuit bien plus euidemment que ie fuis, ou que i'exifte moy-mefme, de ce que ie la voy. Car il fe peut faire que ce que ie voy ne foit pas en effet de la cire ; il peut aufli arriuer que ie n'aye pas mefme des yeux pour voir aucune chofe; mais il ne fe peut pas faire que, lorfque ie voy, ou (ce que ie ne diftingue plus) lorfque ie penfe voir, que moy qui penfe ne fois quelque chofe. De mefme, fi ie iuge que la cire exifte, de ce que ie la touche, il s'enfuiura encore la mefme chofe, à fçauoir que ie fuis ; & fi ie le iuge de ce que mon imagination me le perfuade, ou de quelque autre caufe que ce foit,

31 ie concluray toufiours la mefme chofe. Et ce que i'ay rejmarqué icy de la cire, fe peut apliquer à toutes les autres chofes qui me font extérieures, & qui fe rencontrent hors de moy.

Or fi la notion & la connoiffance de la cire femble eftre plus nette & plus diftinde, après qu'elle a efté découuerte non feulement par la veuë ou par l'attouchement, mais encore par beaucoup d'autres caufes, auec combien plus d'euidence, de diftinclion & de netteté, me dois-je connoiftre moy-mefme, puifque toutes les raifons qui feruentà connoiftre & conceuoir la nature de la cire, ou de quelque autre corps, prouuent beaucoup plus facilement & plus euidem- ment la nature de mon efprit ? Et il fe rencontre encore tant d'autres chofes en l'efprit mefme, qui peuuent contribuer à l'éclair- ciffement de fa nature, que celles qui dépendent du corps, comme celles-cy, ne méritent quafi pas d'eftre nombrées.

Mais enfin me voicy infenfiblement reuenu | ie voulois ; car, puifque c'eft vne chofe qui m'eft à prefent connue, qu'à proprement parler nous ne conceuons les corps que par la faculté d'entendre qui eft en nous, & non point par l'imagination ny par les fens, & que nous ne les connoiflbns pas de ce que nous les voyons, ou que nous les touchons, mais feulement de ce que nous les conceuons par la penfée, ie connois euidemment qu'il n'y a rien qui me foit plus facile à connoiftre que mon efprit. Mais, parce qu'il eft prefque impoftible de fe deffaire fi promptement d'vne ancienne opinion, il

32 fera bon I que ie m'arrefte vn peu en cet endroit, afin que, par la longueur de ma méditation, i'imprime plus profondement en ma mémoire cette nouuelle connoiffance.

34-35. Méditations. Troisième. 27

|Meditation troisième. 83

De Dieu; qu'il exijîe.

le fermeray maintenant les yeux, ie boucheray mes oreilles, ie détourneray tous mes fens, i'effaceray mefme de ma penfée toutes les images des chofes corporelles, ou du moins, parce qu'à peine cela fe peut-il faire, ie les reputeray comme vaines & comme fauffes; & ainfi m'entretenant feulement moy-mefme, & confiderant mon intérieur, ie tafcheray de me rendre peu à peu plus connu & plus familier à moy-mefme. le fuis vne chofe qui penfe, c'eft à dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connoift peu de chofes, qui en ignore beaucoup, qui ayme, qui haït, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine auffi, & qui fent. Car, ainfi que i'ay remarqué cy-deuant, quoy que les chofes que ie fens & que i'imagine ne foient peut-eftre rien du | tout hors de moy & en elles-mefmes, ie fuis neantmoins 34 alTuré que ces façons de penfer, que i'appelle fentimens & imagi- nations,! en tant feulement qu'elles font des façons de penfer, re- fident & fe rencontrent certainement en moy. Et dans ce peu que ie viens de dire, ie croy auoir rapporté tout ce que ie fçay véritable- ment, ou du moins tout ce que iufques icy i'ay remarqué que ie fçauois.

Maintenant ie confidereray plus exadement fi peut-ertre il ne fe retrouue point en moy d'autres connoiffances que ie n'aye pas encore apperceuës. le fuis certain que ie fuis vne chofe qui penfe ; mais ne fçay-je donc pas aufli ce qui eft requis pour me rendre cer- tain de quelque chofe? Dans cette première connoiflance, il ne fe rencontre rien qu'vne claire & diftinde perception de ce que ie con- nois; laquelle de vray ne feroit pas fuffifante pour m'affurer qu'elle eft vraye, s'il pouuoit iamais arriuer qu'vne chofe que ie conceurois ainfi clairement & diftindement fe trouuaft faufle. Et partant il me femble que des-ja ie puis eftablir pour règle générale, que toutes les chofes que nous conceuons fort clairement & fort diftinctement,font toutes vrayes.

Toutesfois i'ay receu & admis cy-deuant plufieurs chofes comme très-certaines & tres-manifeftes , lefquclles neantmoins i'ay re- connu par après eftre douteufes & incertaines. Quelles eftoient donc ces chofes-là? C'eftoit la Terre, le Ciel, les Aftres, & toutes les autres chofes que i'apperceuois par l'entremife de mes | fens. Or 36

28 OEuvRES DE Descartes. 35-36.

qu'eft-ce que ie conceuois clairement & diflinclement en elles? Certes rien autre chofe finon que les idées ou les peafées de ces choies le prefenioient à mon efprit. Et encore à prefent ie ne nie pas que ces idées ne fe rencontrent en moy. Mais il y auoit encore vne autre chofe que i'affurois, & qu'à caufe de l'habitude que i'auois à la croire, ie penfois apperceuoir tres-clairement, quoy que véritable- ment ie ne rapperceuffe point, à Içauoir qu'il y auoit des choies hors de moy, d'où procedoient ces idées, & aulquelles elles elloient tout à fait femblables. Et c'eftoit en cela que ie me trompois; ou, fi peut-ellre ie iugeois félon la vérité, ce n'eitoit aucune connoilfance que i'eufle, qui fuft caufe de la vérité de mon iugement.

Mais lorfque ie confiderois quelque chofe de fort fimple & de fort facile touchant l'Arithmétique & la Géométrie, | par exemple que deux & trois ioints enfemble produifent le nombre de cinq, & autres chofes femblables, ne les conceuois-je pas au moins allez clairement pour aiïurer qu'elles eftoient vrayes? Certes fi i'a}^ iugé depuis qu'on pouuoit douter de ces chofes, ce n'a point efté pour autre raifon, que parce qu'il me venoit en l'efprit, que peut- eltre quelque Dieu auoit pu me donner vne telle nature, que ie me trompafl'e mefme touchant les chofes qui me femblcnt les plus manifeftes. Mais toutes les fois que cette opinion cy-devant conccuc de la fouueraine puifl'ance d'vn Dieu fe prefente à ma penfée, ie fuis 36 contraint d'auouer | qu'il luy eft facile, s'il le veut, de faire en forte que ie m'abufe, mefme dans les chofes que ie croy connoiftre auec vne euidence très-grande. Et au contraire toutes les fois que ie me tourne vers les chofes que ie penfe conceuoir fort clairement, ie fuis tellement perfuadé par elles, que de mo3'-mefme ie me lailïe em- porter à ces paroles : Me trompe qui poura, û eft-ce qu'il ne fçau- roit iamais faire que ie ne fois rien, tandis que ie penferay eftre quelque chofe; ou que quelque iour il foit vray que ie n'aye iamais efté, eftant vray maintenant que ie fuis; ou bien que deux & trois ioints enfemble falfent plus ny moins que cinq, ou chofes fem- blables, que ie voy clairement ne pouuoir eftre d'autre façon que ie les conçoy.

Et certes, puifque ie n'ay aucune raifon de croire qu'il y ait quelque Dieu qui foit trompeur, & mefme que ie n'ay pas encore confidcré celles qui prouuent qu'il y a vn Dieu, la raifon de douter qui dépend feulement de cette opinion, eft bien légère, & pour ainfi dire .Vïetaphyliquc. Mais afin de la pouuoir tout à fait ofter, ie dois examiner s'il }• a vn Dieu, fi-toft que l'occafion s'en prefentera; & Il ic trouuc qu'il y en ait vn, ie dois aufli examine* s'il peut eftre

?6-?8. Méditations. Troisième. 29

trompeur: car fans la connoiflance de ces deux veritez, ie ne voy pas que ie puilfe iamais eflre certain d'aucune chofe. Et afin que ie puilïe auoir occafion d'examiner cela fans interrompre l'ordre de méditer que ie me fuis propofé, qui eft de paffer par degrez des no- tions que ie trouueray les premières en mon efpyt à celles que i'y pouray | trouuer par après, | il faut icy que ie diuife toutes mes pen- 37 fées en certains genres, & que ie confidere dans lefquels de ces genres il y a proprement de la vérité ou de l'erreur.

Entre mes penfées, quelques-vnes font comme les images des chofes, & c'eft à celles-là feules que conuient proprement le nom d'idée : comme lorfque ie me reprefente vn homme, ou vne Chi- mère, ou le Ciel, ou vn Ange, ou Dieu mefme. D'autres, outre cela, ont quelques autres formes : comme, lorfque ie veux, que ie crains, que i'afîirme ou que ie nie, ie conçoy bien alors quelque chofe comme le fujet de l'adion de mon efprit, mais i'adjoulle aulfi quelque autre chofe par cette action à l'idée que i'ay de cette chofe- là; & de ce genre de penfées, les vnes font appellées volontez ou affedions, & les autres iugemens.

Maintenant, pour ce qui concerne les idées, fi on les confidere feulement en elles-mefmes, & qu'on ne les rapporte point h quelque autre chofe, elles ne peuuent, à proprement parler, eftre fauifes; car foit que i'imagine vne Chèvre ou vne Chimère, il n'ert pas moins vray que i'imagine l'vne que l'autre.

Il ne faut pas craindre aufii qu'il fe puiffe rencontrer de la faufleté dans les affedions ou volontez ; car encore que ie puiffe defirer des chofes mauuaifes, ou mefme qui ne furent iamais, touiesfois il n'eft pas pour cela moins vray que ie les defire.

Ainfi il ne refte plus que les fèuls iugemens, dans lefquels ie dois prendre garde foigneufement de ne me | point tromper. Or la prin- 38 cipale erreur & la plus ordinaire qui s'y puiffe rencontrer, confifle en ce que ie iuge que les idées qui font en moy ; font femblables, ou conformes à des chofes qui font hors de moy ; car certainement, fi ie confiderois feulement les idées comme de certains modes ou fa- çons de ma penfée, fans les vouloir rapporter à quelque autre chofe d'extérieur, à peine me pouroient-ielles donner occafion de faillir.

Or de ces idées les vnes me femblent eftre nées auec moy, les autres eftre étrangères & venir de dehors, | & les autres eftre faites & inuentées par moy-mefme. Car, que i'aye la faculté de conceuoir ce que c'eft qu'on nomme en gênerai vne chofe, ou vne vérité, ou vne penfée, il me femble que ie ne tiens point cela d'ailleurs que de ma nature propre; mais fi i'oy maintenant quelque bruit, fi ie

jo OEuvREs DE Descartes. 38-39.

voy le Soleil, û ie fens de la chaleur, iufqu'à cette heure i'ay iugé que ces fentimens procedoient de quelques chofes qui exiftent hors de moy; & enfin il me lemble qUe les Syrenes, les Hypogrifes & toutes les autres femblables Chimères font des fidions & inuentions de mon efprit. Mais aufli peut-eftre me puis-je perfuader que toutes ces idées font du genre de celles que i'apelle étrangères, & qui viennent de dehors, ou bien qu'elles font toutes nées auec moy, ou bien qu'elles ont toutes efté faites par moy ; car ie n'ay point encore clairement découuert leur véritable origine. Et ce que i'ay princi- palement à faire en cet endroit, ert de confiderer, touchant celles qui S9 me femblent venir de quelques objets qui font hors de j moy, quelles font les raifons qui m'obligent à les croire femblables à ces objets.

La première de ces raifons eft qu'il me femble que cela m'eft en- feigné par la nature ; & la féconde, que i'experimente en moy-mefme que ces idées ne dépendent point de ma volonté; car fouuent elles fe prefentent à moy malgré moy, comme maintenant, foit que ie le veuille, foit que ie ne le veuille pas, ie fens de la chaleur, & pour cette caufe ie me perfuade que ce fentiment ou bien cette idée de la chaleur eft produite en moy par vne chofe différente de moy, à fçauoir par la chaleur du feu auprès duquel ie me rencontre. Et ie ne voy rien qui me femble plus raifonnable, que de iuger que cette chofe étrangère enuoye & imprime en moy fa reffemblance pluftoft qu'aucune autre chofe.

Maintenant il faut que ie voye fi ces raifons font affez fortes & conuaincaiites. Quand ie dis qu'il me femble que cela m'eft en- feigné par la nature, i'entens feulement par ce mot de nature vne certaine inclination qui me porte à croire cette chofe, & non pas vne lumière naturelle qui me face connoiftre qu'elle eft vraye. Or ces deux chofes différent beaucoup entr'elles; car ie ne içaurois rien reuoquer en doute de ce que la lumière naturelle me fait voir eftrc vray, ainfi qu'elle m'a tantoft fait voir que, de ce que ie dou- tois, ie pouuois conclure que i'eftois. Et ie n'ay en moy aucune autre faculté, ou puiffance, pour diftinguer le vray du faux, qui me puKfe cnfeigner que ce que cette lumière me monftre comme vray 40 ne l'eft pas, & à qui ie me | puiffe tant fier qu'à elle. | Mais, pour ce qui eft des inclinations qui me femblent aulFi m'eftre naturelles, i'ay fouuent remarqué, lorfqu'il a efté queftion de faire choix entre les venus & les vices, qu'elles ne m'ont pas moins porté au mal qu'au bien; c'cft pourquoy ie n'ay pas fujet de les fuiure non plus en ce qui regarde le vray & le faux.

39-40. Méditations. Troisième. j i

Et pour l'autre raifon, qui ell que ces idées doiuent venir d'ail- leurs, puifqu'elles ne dépendent pas de ma volonté, ie ne la trouue non plus conuaincante. Car tout de mefme que ces inclinations, dont ie parlois tout maintenant, fe trouuent en moy, nonobltant qu'elles ne s'accordent pas toullours auec ma volonté, ainli peut- ellre qu'il y a en moy quelque faculté ou puilfance propre à pro- duire ces idées fans l'ayde d'aucunes chofes extérieures, bien qu'elle ne me foit pas encore connue; comme en effet il m'a touliours femblé iufques icy que, lorfque ie dors, elles fe forment ainfi en moy fans l'ayde des objets qu'elles reprefentent. Et enfin, encore que ie demeuralfe d'accord qu'elles font caufées par ces objets, ce n'eft pas vne confequence necelfaire qu'elles doiuent leur élire femblables. Au contraire, i'ay fouuent remarqué, en beaucoup d'exemples, qu'il y auoit vne grande différence entre l'objet & fon idée. Comme, par exemple, ie trouue dans mon efprit deux idées du Soleil toutes diuerfes : l'vne tire fon origine des fens, & doit eftre placée dans le genre de celles que i'ay dit cy-deffus venir de dehors, par laquelle il me paroift extrêmement petit; l'autre ert 1 prife des raifons de l'AÛronomie, c'eft à dire de certaines notions ki nées auec moy, ou enfin eft formée par moy-mefme de quelque forte que ce puiffe eftre, par laquelle il me paroilt plufieurs fois plus grand que toute la terre. Certes, ces deux idées que ie conçoy du Soleil, ne peuuent pas élire toutes deux femblables au mefme Soleil; & la raifon me fait croire que celle qui vient immédiatement de fon apparence, eft celle qui luy eft le plus difiemblable.

Tout cela me fait alfez connoiftre que iufques à cette heure ce n'a point efté | par vn iugement certain & prémédité, mais feulement par vne aueugle & téméraire impulfion, que i'ay creu qu'il y auoit des chofes hors de moy, & difi'erentes de mon eftre, qui, par les organes de mes fens, ou par quelque autre moyen que ce puiffe eftre, enuoyoient en moy leurs idées ou images, & y imprimoient leurs relfemblances.

Mais il fe prefente encore vne autre voye pour rechercher fi, entre les chofes dont i'ay en moy les idées, il y en a quelques-vnes - qui exiftent hors de moy. A fçauoir, fi ces idées font prifes en tant feulement que ce font de certaines façons de penfer, ie ne recon- nois entr'elles aucune différence ou inégalité, & toutes femblent procéder de moy d'vne mefme forte; mais, les confiderant comme des images, dont les vnes reprefentent vne chofe & les autres vne autre, il eft euident qu'elles font fort ^différentes les vnes des autres. Car, en effet, celles qui me reprefentent des . fubftancesj

J2 OEuvRES DE Descartes. 4o--ti.

42 font fans doute quelque chofe de plus, & contiennent | en foy (pour ainfi parler) plus de realité objecliue, c'ell à dire participent par reprefentation à plus de degrez d'eftre ou de perfedion; que celles qui me reprefentent feulement des modes ou accidens. De plus, celle par laquelle ie conçoy vn Dieu fouuerain, éternel, infini, immuable, tout connoKfant, tout puiflant, & Créateur vniuerfel de toutes les chofes qui font hors de luy ; celle-là, dis-je, a certai- nement en foy plus de realité objediue, que celles par qui les fubftances finies me font reprefentées.

Maintenant c'ell vne chofe maniferte par la lumière naturelle, qu'il doit y auoir pour le moins autant de realité dans la caufe efficiente & totale que dans fon effect : car d'où ell-ce que l'efFeâ: peut tirer fa realité, fmoh de fa caufe ? & comment cette caufe la luy pouroit-elle communiquer, fi elle ne l'auoit en elle-mefme?

Et de il fuit, non feulement que le néant ne fçauroit produire aucune chofe, mais auffi que ce qui efl plus parfait, c'ell à dire qui contient en foy plus de realité, | ne peut eftre vne fuite & vne dé- pendance du moins parfait. Et cette vérité n'eft pas feulement claire & euidente dans les effets qui ont cette realité que les Philo- fophes appellent aduelle ou formelle, mais aulTi dans les idées l'on confidere feulement la realité qu'ils nomment objediue : par exemple, la pierre qui n'a point encore elle, non feulement ne peut pas maintenant commencer d'eflre, fi elle n'eft produitte par vne chofe qui poffede en foy formellement, ou emi|nemment, tout ce qui entre en la compofition de la pierre, c'eft à dire qui contienne en foy les mefmes chofes ou d'autres plus excellentes que celles qui font dans la pierre; & la chaleur ne peut eftre produite dans vn fujet qui en eftoit auparauant priué, fi ce n'eft par vne chofe qui foit d'vn ordre, d'vn degré ou d'vn genre au moins aufli parfait que la chaleur, & ainfi des autres. Mais encore, outre cela, l'idée de la chaleur, ou de la pierre, ne peut pas eftre en moy, fi elle n'y a elle mife par quelque caufe, qui contienne en foy pour le moins autant de realité, que i'en conçoy dans la chaleur ou dans la pierre. Car encore que cette caufe-là ne tranfmetie en mon idée aucune chofe de fa realité aduelle ou formelle, on ne doit pas pour cela s'ima- giner que cette caufe doiue eftre moins réelle; mais on doit fçauoir que toute idée eftant vn ouurage de l'efprit, fa nature eft telle qu'elle ne demande de foy aucune autre realité formelle, que celle qu'elle reçoit & emprunte de la pcnfée ou de l'efprit, dont elle cft feulement vn mode, c'eft à dire vne manière ou façon de penfer. Or, î»fin qu'vnc idée contienne vne telle realité objediue plutoft

41-42- Méditations. Troisième. 3 3

qu'vne autre, elle doit fans doute auoir cela de quelque caufe, dans laquelle il le rencontre pour le moins autant de realité formelle que cette idée contient de realité objec^iue. Car fi nous fupofons qu'il fe trouue quelque chofe dans l'idée, qui ne fe rencontre pas dans fa caufe, il faut donc qu'elle tienne cela du néant; mais, pour impar- faite que foit cette façon d'eftre, par laquelle vne chofe eft objedi- uement | ou par reprefentation dans l'entendement par fon idée, ** certes on ne peut pas neantmoins dire que cette façon & maniere- ne foit rien, ny par confequent que cette idée tire fon ori- gine du néant. le ne dois pas aufTi douter qu'il ne foit necelVaire |que la realité foit formellement dans les caufes de mes idées, quoy que la realité que ie confidere dans ces idées foit feulement objediue, ny penfer qu'il fuffit que cette realité fe rencontre obiedi- uement dans leur (s) caufes; car, tout ainfi que cette manière d'eftre obiediuement appartient aux idées, de leur propre nature, de mefme aulli la manière ou la façon d'eftre formellement appartient aux caufes de ces idées tout le moins aux premières & princi- pales) de leur propre nature. Et encore qu'il puilfe arriuer qu'vne idée donne la nailfance à vne autre idée, cela ne peut pas toutes- fois eftre à l'infiny, mais il faut à la fin paruenir à vne première idée, dont la caufe foit comme vn patron ou vn original, dans lequel toute la realité ou perfeclion foit contenue formellement & en effet, qui fe rencontre feulement obiediuement ou par repre- fentation dans ces idées. En forte que la lumière naturelle me fait connoiftre euidemment, que les idées font en moy comme des tableaux, ou des images, qui peuuent à la vérité facilement déchoir de la perfedion des chofes dont elles ont efté tirées, mais qui ne peuuent iamais rien contenir de plus grand ou de plus parfait.

Et d'autant plus longuement & foigneufement l'examine toutes ces chofes, d'autant plus clairement & di|ftindement ie connois 45 qu'elles font vrayes. Mais enfin que concluray-je de tout cela? C'eft à fçauoir que, fi la realité obiediue de quelqu'vne de mes idées eft telle, que ie connoilfe clairement qu'elle n'eft point en moy, ny formellement, ny éminemment, & que par confequent ie ne puis pas moy-mefme en eftre la caufe, il fuit de neceffairement que ie ne fuis pas feul dans le monde, mais qu'il y a encore quelque autre chofe qui exifte, & qui eft la caufe de cette idée; au lieu que, s'il ne fe rencontre point en moy de telle idée, ie n'auray aucun argu- ment qui me puiffe conuaincre & rendre certain de l'exiftence d'aucune autre chofe que de 1 oy-mvfme; car ie les ay tous foi-

ŒUVRES. IV. ^

34 Œuvres de Descartes. 42-44.

gneufement recherchez, & ie n'en ay peu trouuer aucun autre iufqu'à prefent.

Or entre ces idées, outre celle qui me reprefente à moy-mefme, de laquelle il ne peut y auoir icy aucune difficulté, | il y en a vne autre qui me reprefente vn Dieu, d'autres des chofes corporelles & inanimées, d'autres des anges, d'autres des animaux, & d'autres enfin qui me reprefentent des hommes femblables à moy. Mais pour ce qui regarde les idées qui me reprefentent d'autres hommes, ou des animaux, ou des anges, ie conçoy facilement qu'elles peuuent eftre formées par le mélange & la compofition des autres idées que i'ay des chofes corporelles & de Dieu, encores que hors de moy il n'y euft point d'autres hommes dans le monde, ny aucuns animaux, ny aucuns anges. Et pour ce qui regarde les idées des chofes corporelles, ie n'y reconnois rien de Ci grand ny de û. excel-

46 lent, qui ne me femjble pouuoir venir de moy-mefme ; car, fi ie les confidere de plus prés, & û ie les examine de la mefme façon que i'examinay hier l'idée de la cire, ie trouue qu'il ne s'y rencontre que fort peu de chofes que ie conçoiue clairement & diftinélement: à fçauoir, la grandeur ou bien l'extenfion en longueur, largeur & profondeur; la figure qui eft formée par les termes & les bornes de cette extenfion;la fituation que les corps diuerfement figurez gardent entr'eux-, & le mouuement ou le changement de cette fituation; aufquelles on peut adjouter la fubllance, la durée, & le nombre. Quant aux autres chofes, comme la lumière, les couleurs, les fons, les odeurs, les faueurs, la chaleur, le froid, & les autres qualitez qui tombent fous l'attouchement, elles fe rencontrent dans ma penfée auec tant d'obfcurité & de confufion, que i'ignore mefme fi elles font véritables, ou fauffes & feulement apparentes, c'eft: à dire fi les idées que ie conçoy de ces qualitez, font en effet les idées de quelques chofes réelles, ou bien fi elles ne me reprefentent que des eftres chymeriques, qui ne peuuent exifter. Car, encore que i'aye remarqué cy-deuant, qu'il n'y a que dans les iugemens que fe puilfe rencontrer la vraye & formelle fauffeté, il fe peut neantmoins trouuer dans les idées vne certaine fauiVeté matérielle, à fçauoir, lorfqu'elles reprefentent ce qui n'eft rien comme fi c'efi;oit quelque chofc. Par exemple, les idées que i'ay du froid & de la chaleur font fi peu claires & fi peu diftinétes, | que par leur moyen ie ne puis pas

h*l difcerner fi le froid eft feulement vne priuation de la | chaleur, ou la chaleur vne priuation du froid, ou bien fi l'vne & l'autre font des qualitez réelles, ou fi elles ne le font pas ; & d'autant que, les idées cftant comme des images, il n'y en peut uuoir aucune qui ne

44-45. Méditations. Troisième. 35

nous femble reprefenter quelque chofe, s'il eft vray de dire que le froid ne foit autre chofe qu'vne priuation de la chaleur, l'idée qui me le reprefente comme quelque chofe de réel & de pofitif, ne fera pas mal à propos appellée faufle, ^ ainfi des autres femblables idées; aufquelles certes il n'eft pas ne^ceffaire que i'attribuë d'autre au- theur que moy-mefme. Car, fi elles font fauffes, c'eft à dire fi elles reprefentent des chofes qui ne font point, la lumière naturelle me fait connoiftre qu'elles procèdent du néant, c'eft à dire qu'elles ne font en moy, que parce qu'il manque quelque chofe à ma nature, & qu'elle n'eft pas toute parfaite. Et fi ces idées font vrayes, neant- moins, parce qu'elles me font paroiftre fi peu de realité, que mefme ie ne puis pas nettement difcerner la chofe reprefentée d'auec le non eftrej ie ne voy point de raifon pourquoy elles ne puilfent eftre produites par moy-mefme, •& que ie n'en puiffe eftre l'auteur.

Quant aux idées claires & diftindes que i'ay des chofes corpo- relles, il y en a quelques-vnes qu'il femble que i'aye pu tirer de l'idée que i'ay de moy-mefme, comme celle que i'ay de la fub- ftance, de la durée, du nombre, & d'autres chofes femblables. Car, lorfque ie penfe que la pierre eft vne fubftance, ou bien vne chofe qui de foy eft capable d'exifter, puis que ie fuis | vne fubftance, 48 quoy que ie conçoiue bien que ie fuis vne chofe qui penfe & non étendue, & que la pierre au contraire eft vne chofe étendue & qui ne penfe point, & qu'ainfi entre ces deux conceptions il fe ren- contre vne notable différence, toutesfois elles femblent conuenir en ce qu'elles reprefentent des fubftances. De mefme, quand ie penfe que ie fuis maintenant, & que ie me relfouuiens outre cela d'auoir elle autrcsfois, & que ie conçoy plufieurs diuerfes penfées dont ie connois le nombre, alors i'acquiers en moy | les idées de la durée & du nombre, lefquelleç, par après, ie puis transférer à toutes les autres chofes que ie voudray.

Pour ce qui eft des autres qualitez dont les idées des chofes corporelles font compofées, à fçauoir l'étendue', la figure, la fitua- tion, & le mouuement de lieu, il eft vray qu'elles ne font point formellement en moy, puifque ie ne fuis qu'vne chofe qui penfe ; mais parce que ce font feulement de certains modes de la fub-' ftance, & comme les veftemens fous lefquels la fubftance corporelle nous paroift, & que ie fuis aufli moy-mefme vne fubftance, il femble qu'elles puift'ent eftre contenues en moy éminemment.

Partant il ne refte que la feule idée de Dieu, dans laquelle il faut confiderer s'il y a quelque chofe qui n'ait pu venir de moy-mefme. Par le nom de Dieu i'entens vne fubftance infinie, éternelle, im-

î6

Œuvres de Desgartes. 45-46.

muable, indépendante, toute connoiffante, toute puiffante, & par laquelle moy-mefme, & toutes les autres chofes qui font (s'il eft 49 vray qu'il y en ait qui exiftent) ont efté créées | & produites. Or ces auantages font fi grands & û eminens, que plus attentiuement ie les confidere, & moins ie me perfuade que l'idée que i'en ay puiffe tirer fon origine de moy feul. Et par confequent il faut neceffai- rement conclure de tout ce que i'ay dit auparauant, que Dieu exifte ; car, encore que l'idée de la fubftance foit en moy, de cela mefme que ie fuis vne fubftance, ie n'aurois pas neantmoins l'idée d'vne fubftance infinie, moy qui fuis vn eftre finy, fi elle n'auoit efté mife en moy par quelque fubftance qui fuft véritablement infinie.

Et ie ne me dois pas imaginer que ie ne conçoy pas l'ihfiny par vne véritable idée, mais feulement par la négation de ce qui eft finy, de mefme que ie comprens le repos & les ténèbres par la négation du mouuement & de la lumière : puifqu'au contraire ie voy mani- feftement qu'il fe rencontre plus de realité dans la fubftance infinie, que dans la fubftance finie, & partant que i'ay en quelque façon premièrement en moy la notion de l'infiny, que du finy, c'eft à dire de Dieu, que de moy-mefme. Car comment feroit-il poflible que ie peuffe connoiftre que ie doute & que| ie defire, c'eft à dire qu'il me manque quelque chofe & que ie ne fuis pas tout parfait, fi ie n'auois en moy aucune idée d'vn eftre plus parfait que le mien, par la com- paraifon duquel ie connoiftrois les défauts de ma nature?

Et l'on ne peut pas dire que peut-eftre cette idée de Dieu eft ma- 60 teriellement faufl"e, & que par conjfequent ie la puis tenir du néant, c'eft à dire qu'elle peut eftre en moy pource que i'ay du défaut, comme i'ay dit cy-deuant des idées de la chaleur & du froid, & d'autres chofes femblables : car, au contraire, cette idée eftant fort claire & fort diftinde, & contenant en foy plus de realité obie^ue qu'aucune autre, il n'y en a point qui foit de foy plus vraye, ny qui puifle eftre moins foupçonnée d'erreur & de fauffeté.

L'idée, dis-je, de cet eftre fouuerainement parfait & infiny eft entièrement vraye ; car, encore que peut-eftre l'on puifle feindre qu'vn tel eftre n'exifte point, on ne peut pas feindre neantmoins que fon idée ne me reprefente rien de réel, comme i'ay tantoft dit de l'idée du froid.

Cette mefme idée eft aufli fort claire & fort diftinde, puifque tout ce que mon cfprii conçoit clairement & diftindcment de réel & de vray, & qui contient en foy quelque perfedion, eft contenu & renfermé tout entier dans cette idée.

46-47. Méditations. Troisième. jj

Et cecy ne laifle pas d'eftre vray, encore que ie ne comprenne pas l'infiny, ou mefme qu'il fe rencontre en Dieu vne infinité de chofes que ie ne puis comprendre, ny peut-eftre aufli atteindre aucune- ment par la penfée ;^car il èft de la nature de l'infiny, que ma nature, qui eft finie & bornée, ne le puiffe comprendre; & il fuffit que ie conçoiue bien cela, & q.ue ie iuge que toutes les chofes que je conçoy clairement, & dans lefquelles ie fçay qu'il y a quel|que 51 perfection, & peut-eftre aufli vne infinité d'autres que i'ignore, font en Dieu formellement ou éminemment, afin que l'idée que l'en ay foit la plus vraye, la plus claire & la plus diftinde de toutes celles qui font en mon efprit.

Mais peut-eftre aufti que ie fuis quelque chofe de plus que ie ne m'imagine, & que toutes les perfections que i'attribuë à la nature d'vn Dieu, font en quelque façon en moy en puiffance, quoy qu'elles ne fe produifent pas encore, | & ne fe facent point paroiftre par leurs actions. En effet l'expérimente défia que ma connoiflance s'aug- mente &.fe perfedionne peu à peu, & ie ne voy rien qui la puiffe empefcher de s'augmenter de plus en plus iufques à l'infiny; puis, eftant ainfi accreuë & perfectionnée, ie ne voy rien qui empefche que ie ne puilfe m'acquerir parfon moyen toutes les autres per- fections de la nature Diuine ; & enfin il femble que la puiffance que i'ay pour l'acquifition de ces perfections, fi elle eft en moy, peut eftre capable d'y imprimer & d'y introduire leurs idées. Toutesfois, en y regardant vn peu de prez, ie reconnois que cela ne peut eftre; car, premièrement, encore qu'il fuft vray que ma connbifl'ance ac- quift tous les iours de nouueaux degrez de perfeCtion, & qu'il y euft en ma nature beaucoup de chofes en puiffance, qui n'y font pas encore actuellement, toutesfois tous ces aûantages n'appartiennent & n'approchent en aucune forte de l'idée que i'ay de la Diuinité, 'a dans laquelle rien ne | fe rencontre feulement en. puiffance, mais tout y eft actuellement & en effeCt. Et mefme n'eft-ce pas vn argu- ment infaillible & très-certain d'imperfeCtion en ma connoiffance, de ce qu'elle s'accroift peu à peu, & qu'elle s'augmente par degrez ? Dauantage, encore que ma connoiffance s'augmentaft de plus en plus, neantmoins ie ne laiffe pas de conceuoir qu'elle ne fçauroit eftre actuellement infinie, puifqu'elle n'arriuera iamais à vn fi haut point de perfeCtion, qu'elle ne foit encore capable d'acquérir quelque plus grand accroiffement. Mais ie conçoy Dieu actuelle- ment infiny en vn fi haut degré, qu'il ne fe peut rien adioufter à la fouueraine perfeCtion qu'il poffede. Et enfin ie comprens fort bien que l'eftre objeCtif d'vne idée ne peut eftre produit par vn eftre qui

J

j8 Œ.uvRES DE Descartes. 47-48.

exifte feulement en puiffance, lequel à proprement parler n'eft rien, mais feulement par vn eftre formel ou aéluel.

Et certes ie ne voy rien en tout ce que ie viens de dire, qui ne foit tres-aifé à connoiftre par la lumière naturelle à tous ceux qui voudront y penfer foigneufement ; mais lorfque ie relâche quelque chofe de mon attention, mon efprit fe trouuant obfcurcy & comme aueuglé'par les images des chofes fenfibles, ne fe reifouui^nt pas facilement de la raifon pourquoy l'idée que i'ay d'vn eftre plus par- fait que le mien, doit neceffai rement auoir efté mife en moy par vn eftre qui foit en effet plus parfait.

53 I C'eft pourquoy ie veux icy pafl'er outre, & confiderer | fi moy- mefme, qui ay cette idée de Dieu, ie pourrois eftre, en cas qu'il n'y euft point de Dieu. Et ie demande, de qui aurois-je mon exiftence? Peut-eftre de moy-mefme, ou de mes parens, ou bien de quelques autres caufes moins parfaites que Dieu ; car on ne fe peut rien ima- giner de plus parfait, ni mefme d'égal à luy.

Or, fi i'eftois indépendant de tout autre, & que ie fuffe pioy- mefme l'auteur de mon eftre, certes ie ne douterojs d'aucune chofe, ie ne conceurois plus de defirs, & enfin il ne me manqùeroit au- cune perfection ; car ie me ferois donné moy-mefme toutes celles dont i'ay en moy quelque idée, & ainfi ie ferois Dieu.

Et ie ne me dois point imaginer que les chofes qui me manquent font peut-eftre plus difficiles à acquérir, que celles dont ie fuis défia en poffeflion ; car au contraire il eft très-certain, qu'il a eftè beau- coup plus difficile, que moy, c'eft à dire vne chofe ou vne fubftance qui penfe, fois forty du néant, qu'il ne me feroit d'acquérir les lumières & les connoifTances de plufieurs chofes que i'ignore, & qui ne font que des accidens de cette fubftance. Et ainfi fans diffi- culté, fi ie m'eftois moy-mefme donné ce plus que ie viens de dire, c'eft à dire fi i'eftois l'auteur de ma naifîance & de mon exiftence, ie ne me ferois pas priué au moins des chofes qui font de plus facile acquifition, à fçauoir, de beaucoup de connoifl'ances dont ma nature

54 eft dénuée ; ie ne me ferois pas | priué non plus d'aucune des chofes qui font contenues dans l'idée que ie conçoy de Dieu, parce qu'il n*y en a aucune qui me femble de plus difficile acquifiiion; & s'il y en auoit quelqu'vne, certes elle me paroiftroit telle (fuppofé que i'eulfe de moy toutes les autres chofes que ie pofl"ede), puifque i'expcrimenterois que ma puiffance s'y termineroit, & ne feroit pas capable d'y arriucr.

Et encore que ie puilîc fuppofor que peut-eftre i'ay toufiours efté comme ie fuis maintenant, ie ne fçaurois pas pour cela euiter la force

48-50. Méditations. Troisième.

de ce raifonnement, & ne laiffe pas de connoiftre qu'il eft necef- faire que Dieu foit l'auteur de mon exiftence. Car tout le temps de ma vie | peut élire diuile en vne infinité de parties, chacune def- quelles ne dépend en aucune façon des autres; & ainfi, de ce qu'vn peu auparauant i'ay efté, il ne s'enfuit pas que ie doiue maintenant eftre, û ce n'eft qu'en ce moment quelque caufe me produife & me crée, pour ainfi dire, derechef, c'eft à dire me conferue.

En effet c'eft vne chofe bien claire & bien euiderite tous ceux qui confidereront auec attention la nature du temps), qu'vne fub- ftance, pour eftre conferuée dans tous les momens qu'elle dure, a befoin du mefme pouuoir & de la mefme adion, qui feroit neceffaire pour la produire & la créer tout de nouueau, fi elle n'eftoit point encore. En forte que la lumière naturelle nous fait voir clairement, que la conieruation & la création ne différent qu'au regard \ de 55 noftre façon de penfer, & non point en effet. Il faut donc feulement icy que ie m'interroge moy-mefme, pour fçauoir fi ie polTede quelque pouuoir & quelque vertu, qui foit capable de faire en forte que moy, qui fuis maintenant, fois encor à l'auenir : car, puifque ie ne fuis rien qu'vne choie qui penfc (ou du moins puifqu'il ne s'agit encor iufques icy precifement que de cette partie-là de moy-mefme), fi vne telle puillance refidoit en moy, certes ie deurois à tout le moins le penfer, & en auoir connoifiance ; mais ie n'en reffens aucune dans moy, & par ie connois euidemment que ie dépens de quelque eftre différent de moy.

Peut-eftre aufti que cet eftre-là, duquel ie dépens, n'eft pas ce que i'appelle Dieu, & que ie fuis produit, ou par mes parens, ou par quelques autres caufes moins parfaites que luy? Tant s'en faut, cela ne peut eftre ainfi. Car, comme i'ay défia dit auparauant, c'eft vne chofe tres-euidente qu'il doit y auoir au moins autant de realité dans la caufe que dans l'on effet. Et partant, puifque ie fuis vne chofe qui penfe, & qui ay en moy quelque idée de Dieu, quelle que foit enfin la caufe que l'on attribldë à ma nature, il faut neceffaire- ment auoiier qu'elle doit pareillement eftre vne choie qui penfe, & polfeder en foy l'idée de toutes les perfedions que i'attribuë à la nature Diuine. Puis l'on peut 'derechef rechercher fi cette caufe tient Ion origine & fon exiftence Vie iby-mefme, ou de quelque autre chofe. Car fi elle la tient de | iby-mefme» il s'enfuit, par les raiibns 56 que i'ay cy-deuant alléguées, qu'elle-mefme doit eftre Dieu; puii- qu'jayant la vertu d'eftre & d'exifter par foy, elle doit aufli auoir fans doute la puiflance de polfeder actuellement toutes les perfetflions dont elle conçoit les idées, c'eft à dire toutes celles que ie conçoy

40 Œuvres de Descartes. so-si.

eftre en Dieu. Que fi elle tient fon exiftence de quelque autre caufe que de foy, on demandera derechef, par la mefme raifon, de cette féconde caufe, fi elle eft par foy, ou par autruy, iufques à ce que de degrez en degrez on paruienne enfin à vne dernière caufe qui fe trouuera eftre Dieu. Et il eft tres-manifefte qu'en cela il ne peut y auoir de progrez à l'infiny, veu qu'il ne s'agit pas tant icy de la caufe qui m'a produit autresfois, comme de celle qui me çonferue pfefentement*.

On ne peut pas feindre aufli que peut-eftre plufieurs caufes ont enfemble concouru en partie à ma produdion, & que de l'vne i'ay receu l'idée d'vne des perfedions que i'attribuë à Dieu, & d'vne autre l'idée de quelque autre, en forte que toutes ces perfeétions fe trouuent bien à la vérité quelque part dans l'Vniuers, mais ne fe rencontrent pas toutes iointes & affemblées dans vne feule qui foit "Dieu. Car, au contraire, l'vnité, la fimplicité, ou l'inleparabilité de toutes les chofes qui font en Dieu, eft vne des principales per- fedions que ie conçoy eftre en luy; & certes l'idée de cette vnité & alfemblage de toutes les perfedions de Dieu, n'a peu eftre mife 67 en moy par aucune caufe, de qui ie n'aye point auffi receu | les idées de toutes les autres perfections. Car elle ne peut pas me les auoir fait comprendre enfemblement iointes & infeparables, fans auoir fait en forte en mefme temps que ie fceuff^e ce qu'elles eftoient, & que ie les connuffe toutes en quelque façon.

Pour ce qui regarde mes parens, defquels il femble que ie tire ma nailfance, encore que tout ce que l'en ay iamais peu croire foit véritable, cela ne fait pas toutesfois que ce foit eux qui me con- feruent, ny qui m'ayent fait & produit en tant que ie fuis vne chofe qui penfe, puifqu'ils ont feulement mis quelques difpofttions dans cette matière, en laquelle ie iuge que moy, c'eft à dire mon efprit, lequel feul ie prens maintenant pour moy- mefme, | fe trouue ren- fermé; & partant il ne peut y auoir icy à leur égard aucune diffi- culté, mais il faut neceliairement conclure que, de cela feul que i'exifte, & que l'idée d'vn eftre Ibuuerainement parfait (c'eft à dire de Dieu) eft en moy, l'exiftence de Dieu eft tres-euidemment de- monftrée.

Il me refte feulement à examiner de quelle façon i'ay acquis cette idée. Car ie ne I'ay pas receu(i par les fens, & iamais elle ne s'eft offerte à moy contre mon attente, ainfi que font les idées des chofes fenfibles, lorfque ces choies fe prefentcnt ou femblent fc prefenter

a. Nc^n à la ligne.

.s..v« Méditations. Troisième. 41

«tix organes extérieurs de mes fens. Elle n'eft pas aufli vne pure produdion ou fiction de mon efprit ; car il n'eft pas en mon pou- uoir d'y diminuer ny d'y adioufter aucune chofe. Et par conlequent il ne refte plus autre chofe à dire, finon que, comme l'idée de moy- |mefme, elle eft née & produite auec moy dés lors que i'ay efté créé. 5{

Et certes on ne doit pas trouuer eftrange que Dieu, en me créant, ait mis en moy cette idée pour eftre comme la marque de l'ouurier emprainte fur fon ouurage ; & il n'eft pas aufli neceffaire que cette marque foit quelque chofe de différent de ce mefme ouurage. Mais de cela feul que Dieu m'a créé, il eft fort croyable qu'il m'a en quelque façon produit à fon image & femblance, & que ie conçoy cette relfemblance (dans laquelle l'idée de Dieu fe trouue contenue) par la mefme faculté par laquelle ie me conçoy moy-mefme; c'eft à dire que, lorfque ie fais reflexion fur moy, non feulement ie co'nnois que ie fuis vne chofe imparfaite, incomplète, & dépendante d'autruy, qui tend & qui afpire fans ceffe à quelque chofe de meilleur & de plus grand que ie ne fuis, mais ie connois aufli, en mefme temps, que celuy duquel ie dépens, poffede en foy toutes ces grandes chofes aufquelles i'afpire, & dont ie trouue en moy les idées, non pas indéfiniment & feulement en puiffance, mais qu'il en iotiit en effed, actuellement & infiniment, & ainfi qu'il eft Dieu. Et toute la force de l'argument dont i'ay icy vfé pour prouuer l'exiftcnce de Dieu, confifte en ce que ie reconnois qu'il ne feroit pas poflible | que ma nature fuft telle qu'elle eft, c'eft à dire que i'eufl'e en moy l'idée d'vn Dieu, fi Dieu n'exiftoit veriia- blement; ce mefme Dieu, dif-je, duquel l'idée eft en moy, c'eft à dire qui poffede toutes ces | hautes perfections, dont noftre efprit 5 peut bien auoir quelque idée fans pourtant les comprendre toutes, qui n'eft fujet à aucuns defl'auts, & qui n'a rien de toutes les chofes qui marquent quelque imperfection.

D'où il eft afl'ez euident qu'il ne peut eftre trompeur, puifque la lumière naturelle nous enfeigne que la tromperie dépend neceffai- rement de quelque deÉfaut.

Mais, auparauant que l'examine cela plus foigneufement, & que ie pafle à la confideration des autres veritez que l'on en peut re- cueillir, il me femble très à propos de m'arrefter quelque temps à la contemplation de ce Dieu tout parfait, de pefer tout à loifir fes merueilleux attributs, de confiderer, d'admirer & d'adorer l'incom- parable beauté de cette immenfe lumière, au moins autant que la force de mon efprit, qui en demeure en quelque forte éblouy, me le poura permettre.

4Z Œuvres de Descartes. 52-53.

Car, comme la foy nous apprend que la fouueralne félicité de l'autre vie ne confifte que dans cette contemplation de la Majefté diuine, ainfi experimentons-nous dés maintenant, qu'vne femblable méditation, quoy qu'incomparablement moins parfaite, nous fait ioUir du plus grand contentement que nous foyons capables de reflentir en cette vie.

•0 I Méditation quatrième.

Du vray & du faux.

le me fuis tellement accouftumé ces iours paffez à détacher mon efprit des fens, & i'ay fi exadement remarqué qu'il y a fort -peu chofes I que l'on connoiffe auec certitude touchant les chofes corpo- relles, qu'il y en a beaucoup plus qui nous font connues touchant l'efprit humain, & beaucoup plus encore de Dieu mefme,que main- tenant ie deftourneray fans aucune difficulté ma penfée de la confi- derâtion des chofes fenfibles ou imaginables, pour la porter à celles qui, eftant dégagées de toute matière, font purement intelligibles.

Et certes l'idée que i'ay de l'efprit humain, en tant qu'il eft vne chofe qui penfe, & non eftenduë en longueur, largeur, & profon- 61 deur, & qui ne participe à | rien de ce qui appartient au coi'ps, eft incomparablement plus diftinéle que l'idée d'aucune chofe cor- porelle. Et lorfque ie confidere que ie doute, c'eft à dire que ie fuis vne chofe incomplète & dépendante, l'idée d'vn eftre complet & indépendant, c'eft à dire de Dieu, fe prefente à mon efprit auec tant de diftindion & de clarté ; & de cela feul que cette idée fe retrouue en moy, ou bien que ie fuis ou exifte, moy qui poffede cette idée, ie conclus fi.euidemment l'exiftence de Dieu, "& que la mienne dé- pend entièrement de luy en tous les momens de ma vie, que ie ne penfe pas que l'efprit humain puiffe rien connoiftre auec plus d'eui- dence & de certitude. Et defia il me femble que ie découure vn chemin qui nous conduira de cette contemplation du vray Dieu (dans lequel* tous les trefors de la fcience & de la fageffe font ren- fermez) à la connoilfance des autres chofes de l'Vniuers.

Car, premièrement, ie reconnois qu'il eft impoffible que iamais il

t. « Laquelle » (i" édii.). « Lequel » (î« édit. et suiv.).

53-55. Méditations. Quatrième. 41

me trompe, puifqu'en toute fraude & tromperie il fe rencontre quelque forte d'imperfe(5tion . Et quoy qu'il femble que pouuoir tromper foit vne marque de fubtilité, ou de puiffance, toutesfois vouloir tromper témoigne fans doute de la foiblelîe ou de la ma- lice. Et, partant, cela ne peut fe rencontrer en Dieu.

En après l'expérimente en moy-mefme vne certaine puiffance de iuger, laquelle fans doute i'ay receuë de Dieu, de mefme que tout le refte des chofes que ie | pofTede; | & comme il ne voudroit pas 62 m'abufer, il eft certain qu'il ne me l'a pas donnée telle que ie puiffe iamais faillir, lorfque l'en vferay comme il faut. Et il ne refteroit aucun doute de cette vérité, fi l'on n'en pouuoit, ce fembie, tirer cette confequence, qu'ainfi donc ie ne me puis iamais trom- per; car, fi ie tiens de Dieu tout ce que ie poffede, & s'il ne m'a point donné de puiffance pour faillir, il femble que ie ne me doiue iamais abufer. Et de vray, lors que ie ne penfe qu'à Dieu, ie ne découure en moy aucune caufe d'erreur ou de fauffeté ; mais puis après, reuenant à moy, l'expérience me fait connoiftre que ie fuis neantmoins fujet à vne infinité d'erreurs, defquelles recherchant la caufe de plus prés, ie remarque qu'il ne fe prefente pas feulement à ma penfée vne réelle & pofitiue idée de Dieu," ou bien d'vn eftre fouuerainement parfait, mais aufli, pour ainfi parler, vne certaine idée negatiue du néant, c'eft à dire de ce qui eft infiniment éloigné de toute forte de perfection; & que ie fuis comme vn milieu entre Dieu 8t le néant, c'eft à dire placé de telle forte entre fouuerain eftre & le non eftre, qu'il ne fe rencontre, de vray, rien en moy qui me puiffe conduire dans l'erreur, en tant qu'vn fouuerain eftre m'a produit; mais que, fi ie me confidere comme participant en quelque façon du néant ou du non eftre, c'eft à dire en tant que ie fieYuis pas moy-mefme le fouuerain eftre, ie me trouue expofé à vne in- finité de manquemens, de façon que ie ne nie dois pas eftonner fi ie me trompe.

j Ainfi ie connois que l'erreur, en tant que telle, n'eft pas quelque 63 chofe de réel qui dépende de Dieu, mais que c'eft feulement vn défaut ; & pariant, que ie n'ay pas befoin pour faillir de quelque puiffance qui m'ait efté donnée de Dieu particulièrement (jour cet effed, mais qu'il arriue que ie me trompe, de ce que la puiffance que Dieu m'a donnée pour difcemer le vray d'auec le faux, n'eft pas en moy infinie.

Toutesfois cela ne me fatisfait pas encore tout à fait; | car l'er- reur n'eft pas vne pure négation, c'eft à dire, n'eft pas le fimple défaut ou manquement de quelque perfedion qui ne m'eft point

44 Œuvres de Descartes. 5506.

deuë, mais plutoft eft vne priuation de quelque connoiffance qu'il femble que ie deurois polfeder. Et confiderant la nature de Dieu, il ne me femble pas poiïible qu'il m'ait donné quelque faculté qui foit imparfaite en fon genre, c'eft à dire, qui manque de quelque perfedion qui luy foit deuë ; car s'il eft yray que plus l'artilan eft expert, plus les ouurages qui fortent de fes mains font parfaits & accomplis, quel eftre nous imaginerons-nous auoir efté produit par ce Ibuuerain Créateur de toutes chofes, qui ne foit parfait & en- tièrement acheué en toutes fes parties? Et certes il n'}' a point de doute que Dieu n'ait peu me créer tel que ie ne me peuiîe iamais tromper; il eft certain aufti qu'il veut toufiours ce qui eft le meil- leur: m'eft-il donc plus auantageux de faillir, que de ne point faillir? Confiderant cela auec plus d'attention, il me vient d'abord en la

64 penfée que ie ne me dois point eftonjner, û mon intelligence n'eft pas capable de comprendre pourquoy Dieu fait ce qu'il fait, & qu'ainfi ie n'ay aucune raifon de douter de fon exiftence, de ce que peut-eftre ie voy par expérience beaucoup d'autres chofes, fans pouuoir comprendre pour quelle raifon ny comment Dieu les a produites. Car, fçachant defia que ma nature eft extrêmement foible & limitée, & au contraire que celle de Dieu eft immenfe, incom- prehenfible, & infinie, ie n'ay plus de peine à reconnoiftre qu'il y a vne infinité de chofes en fa puiffance, defquelles les caufes fur- paffent la portée de mon efprit. Et cette feule raifon eft fuffifante pour me perfuader que tout ce genre de caufes, qu'on a couftume de tirer de la fin, n'eft d'aucun vfage dans les chofes Phyfiques, ou naturelles ; car il ne me femble pas que ie puiff"e fans témérité rechercher & entreprendre de découurir les fins impénétrables de Dieu.

De plus il me tombe encore en l'efprit, qu'on ne doit pas confi- derer vne feule créature feparement, lorfqu'on recherche fi les ouurages de Dieu font parfaits, mais généralement toutes les créa- tures enfemble. Car la mefme chofe qui pourroit peut-eftre auec quelque forte de raifon fembler fort ) imparfaite, û elle eftoit toute feule, fe rencontre tres-parfaite en fa nature, fi elle eft regardée comme partie de tout cet Vniuers. Et quoy que, depuis que i'ay fait deffein de douter de toutes chofes, ie n'ay connu certainement

W que mon exiftence & celle de Dieu, | toutesfois aufti, depuis que i'ay reconnu l'infinie puiffance de Dieu, ie ne fçaurois nier qu'il n'ait produit beaucoup d'autres chofes, ou du moins qu'il n'en puid'e produire, en forte que i'exifte & fois placé dans le monde, comme faifant partie de rvniuerf(al)ité de tou§ les eftres.

56-57. Méditations. Quatrième. 45^

En fuite de quoy, me regardant de plus prés, & confiderant quelles font mes erreurs (lefquelles feules témoignent qu'il y a en moy de l'imperfeélion), ie trouue qu'elles dépendent du concours de deux caufes, à fçauoir, de la puifl'ance de connoiltre qui elt en moy, & de la puifl'ance d'élire, ou bien de mon libre arbitre : c'eft à dire, de mon entendement, & enfemble de ma volonté. Car par l'entendement feul ie n'aifeure ny ne nie aucune chofe, mais ie conçoy feulement les idées des choies, que ie puis affeurer ou nier. Or, en le confiderant ainli precifément, on peut dire qu'il ne fe trouue iamais en luy aucune erreur, pourueu qu'on prenne le mot d'erreur en fa propre fignificatiqn. Et encore qu'il y ait peut-eftre vne infinité de chofes dans le monde, dont ie n'ay aucune idée en mon entendement, on ne peut pas dire pour cela qu'il foit priué de ces idées, comme de quelque chofe qui foit deuë à fa nature, mais feulement qu'il ne les a pas ; parce qu'en effet il n'y a aucune raifon qui puilfe prouuer que Dieu ait deu me donner vne plus grande & plus ample faculté de connoillre, que celle qu'il m'a donnée; &, quelque adroit & fçauant ouurier que ie me le repre- fente, ie ne dois | pas pour cela penfer qu'il ayt deu mettre dans chacun de fes ouurages toutes les perfedions qu'il peut mettre dans quelques-vns. le ne puis pas aulli me plaindre que Dieu ne m'a pas donné vn libre arbitre, ou vne volonté allez ample & par- faite, puifqu'en effet ie l'expérimente fi vague & fi étendue, qu'elle n'eft renfermée dans aucunes bornes. Et ce qui me fcmble bien remarquable en cet endroit, efi que, j de toutes les autres chofes qui font en moy, il n'y en a aucune fi parfaite & fi eflenduë, que ie ne reconnoifl'e bien qu'elle pouroit eftre encore plus grande & plus parfaite. Car, par exemple, fi ie confidere la faculté de conceuoir" qui eft en moy, ie trouue qu'elle efl d'vne fort petite étendue, & grandement limitée, & tout enfemble ie me reprefente l'idée d'vne autre faculté beaucoup plus ample, & mefme infinie; & de cela feul que ie puis me reprefcnter fon idée, ie connois fans diffi- culté qu'elle appartient à la nature de Dieu. En mefme façon, fi l'examine la mémoire, ou l'imagination, ou quelqu'autre puiffance, ie n'en trouue aucune qui ne foit en moy très-petite & bornée, & qui en Dieu ne foit immenfe & infinie. Il n'y a que la feule volonté, que l'expérimente en moy eftre fi grande, que ie ne conçoy point l'idée d'aucune autre plus ample & plus étendue : en forte que c'eft elle principalement qui me fait connoiftre que ie porte l'image & la reffemblance de Dieu. Car, encore qu'elle foit incomparable- ment plus grande dans Dieu, que dans moy, foit à raifon la

. 4-^ OEuvRES DE Descartes. 57-58.

67 con|noiflance & de la puiffance, qui s'y trouuànt iointes la rendent plus ferme & plus efficace, foit à raifon de l'objet, d'autant qu'elle fe porte & s'eftend infiniment à plus de chofes; elle ne me femble pas toutesfois plus grande, û ie la confider«î formel,lemeTit & pre- cifement en elle-mefme. Car elle confifte feulement en ce que nous pouuons faire vne chofe, ou ne la faire pas (c'eft à dire affirmer ou nier, pourfuiure ou fuir), ou pluftofl. feulement en ce que, pour affirmer ou nier, pourfuiure ou fuir les chofes que l'entendement nous propofe, nous agiffons en telle forte que nous ne fentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne. Car, afin que ie fois libre, il n'eft pas neceffaire que ie fois indiffèrent à choifir l'vn ou l'autre des deux contraires; mais plutoft, d'autant plus que ie panche vers l'vn, foit que ie connoiffe euidemment que | le bien & le vray s'y rencontrent, foit que Dieu difpofe ainfi l'intérieur de ma penfée, d'autant plus librement l'en fais choix & ie l'embraffe. Et certes la grâce diuine & la connoiffance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l'augmentent pluftoft, & la fortifient. De façon que cette indifférence que ie fens, lorfque ie ne fuis point emporté vers vn cofté pluftoft que vers vn autre par le poids d'aucune raifon, eft le plus bas degré de la liberté, & fait plutoft paroiftre vn défaut dans la connoiffance, qu'vne perfection dans la volonté; car fi ie connoiffois toufiours clairement ce qui eft vray & ce qui eft bon, ie

98 ne ferois iamais en peine | de délibérer quel iugement & quel choix ie deurqis faire ; & ainfi ie ferois entièrement libre, fans iamais eftre indiffèrent.

De tout cecy ie reconnois que, ny la puiffance de vouloir, la- quelle i'ay receuë de Dieu, n'eft point d'elle-mefme la caufe de mes erreurs, car elle eft tres-ample & tres-parfaite en fon efpece ; ny aulTi la puifl"ance d'entendre ou de conceuoir : car ne conceuant rien que par le moyen de cette puiffance que Dieu m'a donnée pour conceuoir, fans doute que tout ce que ie conçoy, ie le conçoîy' comme il faut, & il n'eft pas poffîble qu'en cela ie me trompe. D'<»ù eft-ce donc que naiffent mes erreurs? C'eft à fçauoir, de cela fcul que, la volonté eftant beaucoup plus ample & plus étendue que l'entendement, ie ne la contiens pas dans les mefmes limitée,^ mais que ie l'eftens auffi aux chofes que ie n'entens pas; aufquelles eftant de foy indifférente, elle s'égare fort aifement, & choifit le mal pour le bien, ou le faux pour le vray. Ce qui fait que ie me trompe & que ie pechc.

Par exemple, examinant ces iours paffcz fi quelque chofe exiftoit dans le monde, & connoiffant que, de cela feul que i'examinois.

58-60. Méditations. Quatrième. 47

cette quèftion, il fuiuoit tres-euidemment que i'exiftois moy-mefme, ie ne pouuois pas m'empefcher de iuger qu'Vne chofe que ie conce- uois fi clairement eftoit vraye, non que | ie m'y trouuaffe forcé par aucune cauXe extérieure, mais feulement, parce que d'vne grande clarté qui eftoit en mon entendement, a fuiuy vne grande inclina- |tion en ma volonté ; & ie me fuis porté à croire auec d'autant plus 69 de liberté, que ie me fuis trouué auec moins d'indifférence. Au contraire, à prefent ie ne connois pas feulement que i'exifte, en tant que ie fuis quelque chofe qui penfe, mais il fe prefente auffi à mon efprit vne certaine idée de la nature corporelle : ce qui fait que ie doute fi cette nature qui penfe, qui efi: en moy, ou plutoft par la- quelle ie fuis ce que ie fuis, eft différente de cette nature corporelle, ou bien fi toutes deux ne font qu'vne mefme chofe. Et ie fuppofe icy que ie ne connois encore aucune raifon, qui me perfuade pluftoft l'vn que l'autre : d'où il fuit que ie fuis entièrement indiffèrent à le nier, ou à l'affurer, ou bien mefme à m'abftenir d'en donner aucun iugement.

Et 'Cette indifférence ne s'étend pas feulement aux chofes dont l'entendement n'a aucune connoiffance, mais généralement auffi à toutes celles qu'il ne découure pas auec vne parfaite clarté, au moment que la volonté en délibère ; car, pour probables que foyent les conieélures qui me rendent enclin à iuger quelque chofe, la feule connoiffance que i'ay que ce ne font que des conieétures, & non des Taifons certaines & indubitables, fuffit pour me donner occafion de iuger le contraire. Ce que i'ay fuffifamment expérimenté ces iours paffez, lorfque i'ay pofé pour faux tout ce que i'auois tenu aupa- rauant pour tres-veritable, pour cela feul que i'ay remarqué que l'on en pouuoit douter en quelque forte.

|Or fi ie m'abftiens de donner mon iugement fur vne chofe, W lorfque ie ne la conçoy pas auec affez de clarté & de diflindion, il efl euident que i*en vfe fort bien, & que ie ne fuis point trompé ; mais fi ie me détermine à la nier, ou affeurer, alors ie ne nie fers plus comme ie dois de mon libre arbitre ; & I fi i'affure ce qui n'efl pas vray, il eft euident que ie me trompe, mefme auffi, encore que ie iuge félon la vérité, cela n'arriue que par hazard, & ie ne laiffe pas de faillir, & d'vfer mal de mon litjre arbitre'; car la lumière na- turelle nous enfeigne que la connoiffance de l'entendement doit toufiours précéder la détermination de la volonté. Et c'efl dans ce mauuais vfage du libre arbitre, que fe rencontre la priuation qui

4^ Œuvres de Descartes. 60-61.

conftituë la forme de l'erreur. La priuation, dif-je, fe rencontre dans l'opération, en tant qu'elle procède de moy ; mais elle ne fe trouue pas dans la puiffance que i'ay receuë de Dieu, ny mefme dans l'opération, en tant qu'elle dépend de luy. Car ie n'ay certes aucun fujet de me plaindre, de ce que Dieu ne m'a pas donné vne intelligence plus capable, ou vne lumière naturelle plus grande que celle que ie tiens de luy, puifqu'en effet il eft du propre de l'entendement finy, de ne pas comprendre vne infinité de chofes, & du propre d'vn entendemant créé d'eftre finy : mais i'ay tout fujet de luy rendre grâces, de ce que, ne m'ayant iamais rien deu, il m'a neantmoins donné tout le peu de perfections qui eft en moy ; bien loin de conceuoir des fentiments fi iniuftes, que de m'imaginer

71 qu'il I m'ait ofté ou retenu iniuftement les autres perfedions qu'il ne m'a point données. le n'ay pas aufli fujet de me plaindre, de ce qu'il m'a donné vne volonté plus étendue que l'entendement, puifque, la volonté ne confiftant qu'en vne feule chofe, & fon fujet eftant comme indiuifible, il femble que fa nature eft telle qu'on ne luy fçauroit rien ofter fans la deftruire; & certes plus elle fe trouue eftre grande, & plus i'ay à remercier la bonté de celuy qui me l'a donnée. Et enfin ie ne dois pas aufli me plaindre, de ce que -Dieu concourt auec moy pour former les ades de cette volonté, c'eft à dire les iugemens. dans lefquels ie me trompe, parce que ces ades- font entièrement vrays, & abfolument bons, en tant qu'ils dé- pendent de Dieu ; & il y a en quelque forte plus de perfection en ma nature, de ce que ie les puis former, que fi ie ne le pouuois pas. Pour la priuation, dans laquelle feule | confifte la raifon formelle de l'erreur & du péché, elle n'a befoin d'aucun concours de Dieu, puifque ce n'eft pas vne chofe ou vn eftre, & que, fi on la rapporte à Dieu comme à fa caufe, elle ne doit pas eftre nommée priuation, mais feulement négation, félon la fignification qu'on donne à ces mots dans l'Efchole.

Car en effcd ce n'eft point vne imperfection en Dieu, de ce qu'il m'a donné la liberté de donner mon iugement, ou de ne le pas donner, fur certaines chofes dont il h'a pas mis vne claire & diftinCte

72 connoiffance en mon entendement; mais fans doute | c'eft en moy vne imperfection, de ce que ie n'en vfe pas bien, & que ie donne témérairement mon iugement, fur des chofes que ie ne conçoy qu'auec obfcurité ^t confufion.

le voy neantmoins qu'il eftoit aifé à Dieu de faire en forte que le ne me trompalfe iamais, quoy que ie demeuraffe libre, & d'vne connoiifance bornée, à fçauoir, <"n donnant à mon entendement

6 '-62. Méditations. Quatrième. 49

vne claire & diftinde intelligence de toutes les chofes dont ic dcuois iamais délibérer, ou bien feulement s'il euft fi profondément graiic dans ma mémoire la refolution de ne iuger iamais d'aucune chofe fans la conceuoir clairement & diftinôtement, que ie ne la peullc iamais oublier. Et ie remarque bien qu'en tant que ie me confi- dere tout feul, comme s'il n'y auoit que moy au monde, i'aurois efté beaucoup plus parfait que ie ne fuis, fi Dieu m'auoit créé tel que ie ne faillifle iamais. Mais ie ne puis pas pour cela nier, que ce ne foit en quelque façon vne plus grande perfection dans tout rVniuers, de ce que quelques vnes de fes parties ne font pas exemptes de deffaut, que fi elles elloient toutes femblables. Et ie n'ay aucun droit de me plaindre, fi Dieu, m'ayant mis au monde, n'a pas voulu me mettre au rang des chofes les plus nobles & les plus parfaites; mefme i'ay fujet de me contenter de ce que, s'il ne m'a pas donné la vertu de ne point faillir, par le premier moyen que i'ay cy-deffus déclaré, qui dépend d'vne claire & éuidente con- noiffance de toutes les chofes dont ie puis délibérer, | il a au moins 73 laiffé en ma puiffance l'autre moyen, qui ell | de retenir fermement la refolution de ne iamais donner mon iugement fur les chofes dont la vérité ne m'eft pas clairement connut'. Car quoy que ie remarque cette foiblelfe en ma nature, que ie ne puis attacher continuellement mon efprit à vne mefme penfée, ie puis toutesfois, par une médita- tion attentiue & fouuent réitérée, me l'imprimer li fortement en la mémoire, que ie ne manque iamais de m'en relfouuenir, toutes les fois que l'en auray befoin, & acquérir de cette façon l'habitude de ne point faillir. Et, d'autant que c'eil en cela que conlifie la pius grande & principale perfection de l'homme, i'elHme n'auoir pas peu gagné par cette' Méditation, que d'auoir" découu'jit la caufe des fauffeiez & des erreurs.

Et certes il n'y en peut auoir d'autre que celle que i'ay expliquée ; car toutes les fois que ie retiens tellement ma volonté dans les bornes de ma connoiffance, qu'elle ne fait aucun iugement que des chofes qui luy font clairement & diltindement reprefentées par l'entendement, il ne fe peut faire que ie me trompe; parce que toute conception claire & diltinde eft fans doute quelque chofe de réel et de pofitif, & partant ne peut tirer fon origine du néant, mais doit necelfairement auoir Dieu pour fon auteur. Dieu, dif-je, qui,

a. i'* édit. : en cette. Mais aux «.fautes à corriger : lise\ par cette ».

b. /•'' édit. : d'auoir. <t Fautes à corriger : lise^ que d'auoir ». 2^ et '^* éJit. : d'auoir.

ŒuvRSs. IV. 4

50 OEUVRES DE Descartes. 6a-63

eftant Ibuuerainemdiit parfait, ne peut eftre caufe d'aucune erreur ; 74 & par confe|quent il faut conclure qu'vne telle conception ou vn tel iugement eft véritable.

Au refte ie n'ay pas feulement apris auiourd'huy ce que ie dois éuiter pour ne plus faillir, mais aufli ce que ie dois faire pour par- uenir à la connoiffance de la vérité. Car certainement i'y par- uiendray, fi i'arrefte fuffifamment mon attention fur toutes les chofes que ie conceuray parfaitement, & û ie les fepare des autres que ie ne comprens qu'auec confufion & obfcurité. A quoy dorefnauant ie prendray foigneufement garde.

% Il Méditation cinquième.

De l'ejfence des çhofes matérielles ; &, derechef de Dieu, qu'il exijle.

Il me refte beaucoup d'autres chofes à examiner, touchant les Atributs de Dieu, & touchant ma propre nature, c'eft à dire celle de mon efprit : mais l'en reprendray peut-eftre vne autre fois la recherche. Maintenant (après auoir remarqué ce qu'il faut faire ou éuiter pour paruenir à la connoiffance de la vérité), ce que i'ay prin- cipalement à faire, eft d'effayer de fortir & me débaraffer de tous les doutes ie fuis tombé ces iours paffez, & voir fi l'on ne peut rien connoiftre de certain touchant les chofes matérielles.

Mais auant que l'examine s'il y a de telles chofes qui exiftent 76 hors de moy, ie dois confiderer leurs idées, | en tant qu'elles font en ma penfée, & voir quelles font celles qui font diftindes, & quelles font celles qui font confufes.

En premier lieu, i'imagine diftindement cette quantité que les Philofophes appellent vulgairement la quantité continua, ou bien l'cxtenfion en longueur, largeur & profondeur, qui eft en cette quantité, ou plutoft en la chofc à qui on l'attribue. De plus, ie puis nombrcr en elle plufieurs diuerfes parties, & attribuer à chacune de ces parties toutes fortes de grandeurs, de figures, de fituations, & de mouuemens ; & enfin, ie puis afligner à chacun de ces mou- uemcns toute» fortes de durées.

El ic ne connois pas feulement ces chofes auec diftindion, lorfque ie les confidere en gênerai ; mais aufll, pour peu que i'y applique mon attention, ie conçoy vne infmité de particularitcz touchant les

63-65. Méditations. Cinqltkme. > r

nombres, les figures, les mounemens, & autres choies femblables, dont la vérité fe fait paroiltre auec tant d'euidcnce|& s'accorde fi bien auec ma nature, que lorfque ie commence à les découurir, il ne me femble pas que i'apprenne rien de nouueau, mais plutoll que ie me reflbuuiens de ce que ie fçauois défia auparauant, c'eft à dire que i'aperçoy des chofes qui eftoient défia dans mon efprit, quoy que ie n'eufle pas encore tourné ma penfée vers elles.

Et ce que ie trouue icy de plus confiderable, ert que ie trouue en moy vne infinité d'idées de certaines chofes, qui ne peuuent pas eftre eftiiniées vn pur | néant, quoy que peut-eftre elles n'ayent au- 77 cune exiflance hors de ma penfée, & qui ne font pas feintes par moy, bien qu'il foit en ma liberté de les penfer ou ne les penfer pas; mais elles ont leurs natures vrayes & immuables. Comme, par exemple, lorfque i'imagine vn triangle, encore qu'il n'y ait peut- eftre en aucun lieu du monde hors de ma penfée vne telle figure, & qu'il n'y en ait iamais eu, il ne laiffe pas neantmoins d'y auoir vne certaine nature, ou forme, ou effence déterminée de cette figure, laquelle eft immuable & éternelle, que ie n'ay point in- uentée, & qui ne dépend en aucune façon de mon efprit; comme il paroift de ce que Von peut démontrer diuerfes proprietez de ce triangle, à fçauoir, que fes trois angles font égaux ù deux droits, que le plus grand angle éfl foufi:enu" par le plus grand cofté, & autres femblables, lefquelles maintenant, foit que ie le veuille ou non, ie reconnois tres-clairement & tres-euidemment eftre en luy, encore que ie n'y aye penfé auparauant en aucune façon, lorfque ie me fuis imaginé la première fois vn triangle; & partant on ne peut pas dire que ie les aye feintes &; inuentées.

Et ie n'ay que faire icy de m'obiecler, que peut-eftre cette idée du triangle eft venue en mon efprit par l'entremife de mes fens, parce que i'ay veu quelquefois des corps de figure triangulaire; car ie puis former en mon efprit vne infinité d'autres figures, dont on ne peut auoir le moindre foupçon que iamais elles me foient tombées fous les fens, & ie ne laiffe | pas toutesfois| de pouuoir de- 78 monftrer diuerfes proprietez touchant leur nature, auiTi bien que touchant celle du triangle : lefquelles certes doiuent eftre toutes vrayes, puifque ie les conçoy clairement. Et partant elles font quelque chofe, & non pas vn pur néant; car il eft tres-euident que tout ce qui eft vray eft quelque chofe, & i'ay défia amplement de- monftré cy-delfus que toutes les chofes que ie connois clairement &

a. Lire fouftendu ?

s^

CEl VRES DE DeSCARIKS. 63-66.

diftindement font vrayes. Etquoyque ic uc l'cufrc pas demonftré, toutefois la nature de mon efprit eA telle, que ic ne me Içaurois empefcher de les eftimer vra}es, pendant que ie les conçoy claire- ment & dillin<5lement. Et ie me rcffouuiens que, lors mefme que i'eftois encore fortement attaché aux ohjects des fens, i'auois tenu au nombre des plus conftantcs veritez celles que ic conceuois clai- rement & diftinclement touchant les ligures, les nombres, & les autres choies qui appartiennent à l'Arithmétique i^ à hi Géométrie. Or maintenant, fi de cela feul que ie puis tirer de ma penfée l'idée de quelque chofe, il s'enfuit que tout ce que ic reconnois claire- ment & dirtinclement appartenir à cette chofc, luy appartient en effecl, ne puis-je pas tirer de cecy vn argument cS: vne preuue de- monftratiue de l'exiftence de Dieu ? Il eil certain que ie ne trouue pas moins en moy fon idée, c'eft à dire l'idée d'vn eftre fouueraine- ment parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre

M que ce foit. Et ie ne connois pas moins clairement & | dillindement qu'vne aduelle & éternelle exiftence appartient à fa nature, que ie connois que tout ce que ie puis demonftrer de quelque figure ou de quelque nombre, appartient véritablement à la nature de cette figure ou de ce nombre. Et partant, encore que tout ce que i'ay conclu dans les Méditations précédentes, ne fe trouuaft point véri- table, l'exillence de Dieu doit paffer en mon efprit au moins pour aufli certaine, que i'ay elUmé iufques icy toutes les veritez des Ma- thématiques, qui ne regardent que les nombres & les figures : |bien qu'à la vérité cela ne paroifle pas d'abord entièrement manifefte, mais femble auoir quelque apparence de fophifme. Car ayant ac- coullumé dans toutes les autres chofes de faire diflindion entre l'exiftence & l'elTence, ie me perfuade ayfement que l'exiftence peut cllrc fcparée de l'elfence de Dieu, i^ qu'ainfi on peut conceuoir Dieu comme n'ellant pas aduellenient. Mais neantmoins, lorfque i'y pcnfe auec plus d'attention, ie tnuiuc manifeftement que l'exi- ftence ne peut non plus cllrc fcparée de l'elfence de Dieu, que de l'cH'cnce d'vn triangle rectilignc la grandeur de fes trois angles égaux à deux droits, ou bien de l'idée d'vnc montagne l'idée d'vne valéc ; en forte qu'il n'y a pas moins de répugnance de conceuoir vn Dieu (c'ell à dire vn eftre fouuerainenient parfait) auquel manque l'exiftence (c'eft à dire auquel manque quelque perfection), que de conceuoir vne montagne qui n'ait point de valée.

80 Mais encore qu'en elfecl ic ne puilfe pas conce|uoir vn Dieu fans c\iftcnce, non plus qu'vne montagne fans valée, toutesfois, comme de cela feul que ie conçoy vne montagne auec vne valée, il ne "'fflh

66-67. Méditations. Cinquième. ^ j

fuit pas qu'il y ait aucune montagne dans le monde, de mefme auffi, quoy que ie conçoiue Dieu auec i'exillence, il femble qu'il ne s'enfuit pas pour cela qu'il y en ait aucun qui exifte : car ma penfée n'impofe aucune neceiîité aux chofes ; &. comme il ne tient qu'à moy d'imaginer vn cheual aiflé, encore qu'il n'y en ait aucun qui ait des aifles, ainfi ie pourois peut-eftre attribuer l'exiltence à Dieu, encore qu'il n'y eult aucun Dieu qui exiltalt. Tant s'en faut, c'eft icy qu'il y a vn fophifme caché fous l'apparence de cette ob- jedion : car de ce que ie ne puis conceuoir vne montagne fans valée, il ne s'enfuit pas qu'il y ait au monde aucune montagne, ny aucune valée, mais feulement que la montagne & la valée, foit qu'il y en ait, foit qu'il n'y en ait point, ne fe peuuent en aucune façon feparer l'vne d'auec l'autre ; au lieu que, de cela feul que ie ne puis | conceuoir Dieu fans exillence, il s'enfuit que l'exiftence eft infeparable de luy, & partant qu'il exille véritablement : non pas que ma penfée puiffe faire que cela foit de la forte, & qu'elle impofe aux chofes aucune necelTitc ; mais, au contraire, parce que la neceifité de la chofe mefme, à fçauoir de l'exiltence de Dieu, dé- termine ma penfée à le conceuoir de cette façon. Car il n'ell pas en ma liberté de conceuoir vn Dieu fans exillence (c'ell à dire vn élire fouuerainement parfait fans j vne fouueraine perfection), comme il M m'eft libre d'imaginer vn cheual fans ailles ou auec des aifles.

Et on ne doit pas dire icy qu'il eft à la vérité nccellaire que i'auoue que Dieu exille, après que i'ay fuppofé qu'il polfede toutes fortes de perfections, puifque l'exillence en eft vne, mais qu'en effect ma première fuppofition n'eftoit pas neceffaire ; de mefme qu'il n'eft point necelfaire de pcnfer que toutes les figures de quatre coftez fe peuuent infcrire dans le cercle, mais que, fuppofant que i'aye cette penfée, ie fuis contraint d'auoQer que le rhombe fe peut infcrire dans le cercle, puifque c'eft vne figure de quatre coftez; & ainfi ie feray contraint d'auoiier vne chofe faufl'e. On ne doit point, dif-je, alléguer cela : car encore qu'il ne foit pas neceffaire que ie tombe iamais dans aucune penfée de Dieu, neantmoins, toutes les fois qu'il m'arriue de penfer à vn eftre premier & fouuerain, & de tirer, pour ainfi dire, fon idée du trefor de mon efprit, il eft neceftaire que ie luy attribue toutes fortes de perfeclions», quoy que ie ne vienne pas à les nombrer toutes, & à appliquer mon attention fur chacune d'elles en particulier. Et cette neceffité eft fuffifante pour me faire conclure (après que i'ay reconnu que l'exiftence eft vne perfection), que cet eftre premier & fouuerain exifte véritablement : de mefme qu'il n'eft pas neceffaire que i'imagine iamais aucun triangle ; mais

54. Œuvres de Descartes. 67-6,9

toutes les fois que ie veux confiderer vne figure rediligne com- 88 pofce feulement de trois angles, il eft abfolum>ent necef[laire que ie iuy attribue toutes les chofes qui feruent à conclure que fes trois angles ne font pas plus grands que deux droids, encore que peut- eftre ie ne confidere pas alors cela en particulier.] Mais quand i'exa- mine quelles figures font capables d'eftre infcrites dans le cercle, il n'eft en aucune façon necèffaire que ie penfe que toutes les figures de quatre codez font de ce nombre; au contraire, ie ne puis pas mefme feindre que cela foit, tant que ie^ne voudray rien receuoir en ma penfée, que ce que ie pouray conceuoir clairement & diftin- dement. Et par confequent il y a vne grande différence entre les faufles fupofitions, comme eft celle-cy, & les véritables idées qui font nées auec moy, dont la première & principale eft celle de Dieu. Car en effed ie reconnois en plufieurs façons que cette idée n'eft point quelque chofe de feint ou d'inuenté, dépendant feulement de ma penfée, mais que c'eft l'image d'vne vraye & immuable nature. Premièrement, à caufe que ie ne fçaurois conceuoir autre chofe que Dieu feul, à l'effence de laquelle l'exiftence appartienne auec necef- fité. Puis auffi, pource qu'il ne m'eft pas poflible de conceuoir deux ou plufieurs Dieux de mefme façon. Et, pofé qu'il y en ait vn main- tenant qui exifte, ie voy clairement qu'il eft necèffaire qu'il ait efté auparauant de toute éternité, & qu'il foit éternellement à l'auenir. Et enfin, parce que ie connois vne infinité d'autres chofes en Dieu, defquelles ie ne puis rien diminuer ny changer. 83 I Au refte, de quelque preuue & argument que ie me férue, il en faut touiours reuenir là, qu'il n'y a que les chofes que ie conçoy clairement & diftinClement, qui ayent la force de me perfuader en- tièrement. Et quoy qu'entre les chofes que ie conçoy de cette forte, il y en ait à la vérité quelques vues manifeftement connues d'vn chacun, & qu'il y en ait d'autres auffi qui ne fe découurent qu'à ceux qui les confiderênt de plus prés & qui les examinent plus exactement; toutesfois, après qu'elles font vne fois découuertes, elles ne font pas eftimées moins certaines les vues que les autres. Comme, par exemple, en tout triangle re<^angle, encore qu'il ne paroiffc pas d'abord fi facilement que le quarré de la bafe eft égal aux quarrés des deux autres coftez, | comme il eft éuident que cette bafe eft oppoféc au plus grand angle, neantmoins, depuis que cela a efté vne fois reconnu, on eft autant perfuadé de la vérité de Fvn que de l'autre. Et pource qui eft de Dieu, certes, fi mon efprit n'eftoit prcucnu d'aucuns preiugez, & que ma penfée ne fe trouvaft point diucrtie par la prefence continue'le des images des chofes fenfibles,

«9-70. Méditations. Cinquième. 55

tl n'y auroit aucune cHofé que ie connulTe pluftoft ny plus facile- ment que luy.*Cary a-t-il rien de foy plus clair & plus manifefte, que de penfer qu'il y a vn Dieu, c'eft à dire vn eftre fouuerain & parfait, en l'idée duquel leul l'exiftence necelTaire ou éternelle eft comprife, & par confequent qui exifte ?

Et quoy que, pour bien conceuoii' cette vérité, | i'aye eu befoin 84 dVne grande application d'efprit, toutesfois à prefent ie ne m'en tiens pas feulement auffi alTeuré que de tout ce qui me femble le plus cer- tain : mais, outre cela, ie remarque que la certitude de toutes les autres chofes en dépend fi abfolument, que fans cette connoiffance il eft impoflible de pouuoir iamais rien fçauoir parfaitement.

Car encore que ie fois d'vne telle nature, que, dés aufli-toft que ic comprens quelque chofe fort clairement & fort diftindement, ie fuis naturellement porté à la croire vraye; neantmoins, parce que ie fuis auflî d'vne telle nature, que ie ne puis pas auoir l'efprit touf- iours attaché à vne mefme chofe, & que fouuent ie me reffouuiens d'auoir iugé vne chofe eftre vraye; lorfque ie cefte de confiderer les raifons qui m'ont obligé à la iuger telle, il peut arriuer pendant ce temps-là que d'autres raifons fe prefentent à moy, lefquelles me feroient aifement changer cf'opinion, fi i'ignorois qu'il y euft vn Dieu. Et ainfi ie n'aurois iamais vne vraye & certaine fcience d'au- cune chofe que ce foit, mais feulement de vagues & inconftantes opinions.

Comme, par exemple, lorfque ie confidere la nature du triangle, ie connois euidemment, moy qui fuis vn peu verfé dans la Géomé- trie, que fes trois angles font égaux à deux droits, & il ne m'eft pas poflible de ne le point croire, pendant que l'applique ma penfée à fa demonftration; mais aufli toft que | ie l'en détourne, encore que ie me reffouuienne | de l'auoir clairement comprife, toutesfois il fe 85 peut faire aifement que ie doute de fa vérité, fi i'ignore qu'il y ait vn Dieu. Car ie puis me perfuader d'auoir efté fait tel par la Nature, que ie me puiffe aifement tromper, mefme dans les chofes que ie croy comprendre auec le plus d'éuidence.& de certitude; veu prin- cipalement que ie me reffouuiens d'auoir fouuent eftimé beaucoup de chofes pour vrayes & certaines, lefquelles par après d'autres raifons m'ont porté à iuger abfolument fauffes.

Mais après que i'ay reconnu qu'il y a vn Dieu, pource qu'en mefme temps i'ay reconnu aufli que toutes chofes dépendent de luy, & qu'il n'eft point trompeur, & qu'en fuite de cela i'ay iugé que tout ce que ie conçoy clairement & diftindement ne peut mffnquer d'eftre vray : encore que ie ne penfe plus aux raifons pour lefquelles

56

Œuvres de Descaries.

70-71.

i'ay iugé cela eftre véritable, pourueu que ie me reflouuicnne de rauoir clairement & diftinctement compris, on ne me peut appor- ter aucune raifon contraire, qui me le face iamais reuoquer en doute; & ainfi l'en ay vne vra3^e & certaine fcience. Et cette mefme fcience s'ellend aufli à toutes les autres chofes que ie me reffouuièns l'auoir autrefois demonftrées, comme aux veritez de la Géométrie, & autres femblables : car qu'eft-ce que l'on me peut ooieder, pour m'obliger à les reuoquer en doute? Aie dira-t-on que ma nature eft telle que ie fuis fort fujet à me méprendre? Mais ie fçay defia que ie ne puis me tromper dans Ijss iugemens dont ie | connois clairement les raifons. Me dira-t-on que i'ay tenu autrefois beaucoup de chofes pour vrayes & certaines, lefquelles i'ay reconnu par après eftre faulfes? Mais ie n'auois connu clairement ny diftinctement aucunes de ces chofes-là, &, ne fçachant point encore cette règle par laquelle ie m'affeure de la vérité, i'auois efté porté à les croire par des raifons que i'ay reconnu depuis eftre moins fortes que ie ne me les eftois pour lors imaginées. Que me pourra-t-on doncques obieder dauan- tage? Que peui-eftre ie dors (comme ie me l'eftois moy-mefme ob- jecté cy-deuant}, ou bien que toutes les penlees que i'ay maintenant ne font pas plus vrayes que les réueries que nous imaginons eftans endormis? Mais| quand bien mefme ie dormirois, tout ce qui fe pre- fente à mon efprit auec éuidence, eft abfolument véritable. Et ainfi ic reconnois tres-clairement que la certitude & la vérité de toute fcience deperiJ de la feule connoifl'ance du vray Dieu : en forte qu'auant que ie le connufl'e", ie ne pouuois fçauoir parfaitement au- cune autre chofe. Et à prefent que ie le connois, i'ay le moyen d'ac- quérir vne fcience parfaite touchant vne infinité de chofes, non feulement de celles qui font en luy, mais aufli de celles qui appar- tiennent à la nature corporelle, en tant qu'elle peut feruir d'objet aux demonftrations des Géomètres, lefquels n'ont point d'égard à fon exiftence.

a. o Fautes h corriger : p, 86, connoilfe, lis. connufte. » i^/'"' édit.)

71-72. Méditations. Sixième. 57

I Méditation sixième.

De l'exijlence des chofes matérielles, & de la réelle dijtinâion entre l'ame & le corps de l'homme.

Il ne me refte plus maintenant qu'à examiner s'il y a des chofes matérielles : & certes au moins fçay-Je defia qu'il y en peut auoir, en tant qu'on les confidere comme l'objet des demonftrations de Géométrie, veu que de cette façon ie les conçoy fort clairement & fort diftinélement. Car il n'y a point de doute que Dieu n'ait la puif- fance de produire toutes les chofes que ie fuis capable de conceuoir auec diftindion; & ie n'ay iamais iugé qu'il luy fuft impoflible de faire quelque chofe, qu'alors que ie trouuois de la contradiélion à la ^•nuuoir bien conceuoir. De plus, la faculté d'imaginer qui eft en moy, & de laquelle ie voy par ) expérience que ie me fers lorfque ie m'applique à la confideration des choies matérielles, eft capable de me perfuader leur exiftence : car quand ie confidere attentiuement ce que c'eft que l'imagination, | ie trouue qu'elle n'eft autre chofe qu'vne certaine application de la faculté qui connoift, au corps qui luy eft intimement prefent, &. partant qui exifte.

Et pour rendre cela tres-manifefte, ie remarque premièrement la différence qui ell entre l'imagination & la pure intelledion ou con- ception. Par exemple, lorfque i'imagine vn triangle, ie ne le conçoy pas feulement comme vne figure compofée & comprife de trois lignes, mais outre cela ie confidere ces trois lignes comme prefentes par la force & l'application intérieure de mon efprit; & c'eft propre- ment ce que i'appelle imaginer. Que fi ie veux penfer à vn Chilio- gone,ie conçoy bien à la vérité que c'eft vne figure compofée de mille coftez, aufli facilement que ie conçoy qu'vn triangle eft vne figure compofée de trois coftez feulement; mais ie ne puis pas imaginer les mille coftez d'vn Chiliogone, comme ie fais les trois d'vn triangle, ny, pour ainfi dire, les regarder comme prefens auec les yeux de mon efprit. Et quoy que, fuiuant la couftume que i'ay de me feruir toufiours de mon imagination, lorfque ie penfe aux chofes corpo- relles, il arriue qu'en conceuant vn Chiliogone ie me reprefente confufement quelque figure, toutesfois il eft tres-euident que cette figure n'eft point vn Chiliogone, Ipuifqu'elle ne diffère nullement de celle que ie me reprefenterois, fi ie penfois à vn Myriogone, ou à quelque autre figure de beaucoup de coftez ; & qu'elle ne fert en

88

58 OEUVRES DE Descartes. t^-ia.

aucune façon à découurir les proprietez qui font la différence du Chiliogone d'auec les autres Polygones.

Que s'il ell queftion de confidcrer vn Pentagone, il eft bien vray que iepuis conceuoir fa figure, aulfi bien que celle d'vn Chiliogone, fans le fecours de l'imagination; mais ie la puis auffi imaginer en appliquant l'attention- de mon efprit à chacun de les cinq cortez, & tout enfemble à Vaire, ou à l'efpace qu'ils renferment. Ainfi ie connois clairement | que i'ay befoin d'vne particulière contention d'efprit pour imaginer, de laquelle ie ne me fers point pour conce- uoir ; & cette particulière contention d'efprit montre éuidemment la différence qui ell entre l'imagination & l'intelleclion ou concep- tion pure.

le remarque outre cela que cette vertu d'imaginer qui eft en moy, en tant qu'elle diffère de la puiffance de conceuoir, n'elt en aucune forte neceffaire à ma nature ou à mon effence, d^^ à dire à l'effence de mon efprit; car, encore que ie ne l'euffe point, il efl fans doute que ie demeurerois toufiours le mefme que ie fuis maintenant : d'où il femble que l'on puiife conclure qu'elle dépend de quelque chofe qui diffère de mon efprit. Et ie conçoy facilement que, fi quelque corps exille, auquel mon efprit foit conjoint & vny de telle forte, 90 qu'il fe puiffe appliquer | à le confiderer quand il luy plaift, il le peut faire que par ce moyen il imagine les chofes corporelles : en forte que cette façon de penfer diffère feulement de la pure intel- leclion, en ce que Tefprit en conceuant fe tourne en quelque façon vers foy-mefme, & confidere quelqu'vne des idées qu'il a en foy ; mais en imaginant il fe tourne vers le corps, &y confidere quelque chofe de conforme à l'idée qu'il a formée de foy-mefme ou qu'il a receuif par les fens. le conçoy, dif-je, aifement que l'imagination fe peut faire de cette forte, s'il eft vray qu'il y ait des corps ; & parce que ie ne puis rencontrer aucune autre voye pour expliquer com- ment elle fe fait, ie conieclure de probablement qu'il y en a : mais ce n'eft que probablement, & quoy que l'examine foigneufement toutes chofes, ie ne trouuc pas neantmoins que de cette idée diftinde de la nature corporelle, que i'ay en mon imagination, ie puiffe tirer aucun argument qui conclue; auec necellité l'exiftence de quelque corps.

|0r i'ay accouftumé d'imaginer beaucoup d'autres chofes, outre cette nature corporelle qui eft l'objet de la Géométrie, à fçauoir les couleurs, les fons, les faueurs, la douleur, & autres chofes fem- blable», quoy que moins diftindement. Et d'autant que i'apperçoy beaucoup mieux ces chofesrlù par les fens, par l'entrcmife dcfquels, & de la mémoire, elles fcmblcnt cllrc parucnuës iufqu'à mon ima-

91

74-75. Méditations. Sixième. 59

gination, ie croy que, pour les examiner plus commodément, il elt à I propos que l'examine en mefme temps ce que c'eft que fentir, (S: que ie voye fi des idées que ie reçoy en mçn efprit par cette façon de penfer, que l'appelle fentir, ie puis tirer quelque preuue certaine de 1 exiftence des chofes corporelles.

Et premièrement ie rappelleray dans ma mémoire quelles font les chofes que i'ay cy-deuant tenues pour vrayes, comme les ayant re- ceuës par les fens, & fur quels fondemens ma créance efloit appuyée. En après, i'examineray les raifons qui m'ont obligé depuis à les reuoquer en doute. Et enfin ie confidereray ce que l'en dois main- tenant croire.

Premièrement doncques i'ay fenty que i'auois vne tefte, des mains, des pieds, & tous les autres membres dont eft compofé ce corps que ie confiderois comme vne partie de moy-mefme, ou peut-eflre auiïi comme le tout. De plus i'ay fenty que ce corps eftoit placé entre beaucoup d'autres, defquels il eftoit capable de receuoir diuerfes commoditez & incommoditez, & ie remarquois ces commoditez par vn certain fentiment de plaifir ou < de > ' volupté, & les " incommo- ditez par vn fentiment de douleur. Et outre ce plaifir & cette douleur, ie reffentois auiïi en moy la faim, la foif, & d'autres femblables appé- tits, comme auiïl de certaines inclinations corporelles vers la ioye, la trifteffe, la colère, & autres femblables paflions. Et au-dehors, outre l'extenfion, les f^jres, | les mouuemens des corps, ie remar- quois en eux de la dureté, de la chaleur, & toutes les autres qua- litez qui tomjbent fous l'attouchement. De plus i'y remarquois de 92 la lumière, des couleurs, des odeurs, des faueurs & des fons, dont la variété me donnoit moyen de diftinguer le Ciel, la Terre, la Mer, & généralement tous les autres corps les vns d'auec les autres.

Et certes, confiderant les idées de toutes ces qualitez qui fe pre- fentoient à ma penfée, & lefquelles feules ie fentois proprement & immédiatement, ce n'eftoit pas fans raifon que ie croyois fentir des chofes entièrement différentes de ma penfée, à fçauoir des corps d'où procedoient ces idées. Car i'experimentois qu'elles fe prefen- toient à elle, fans que mon confentement y fuft requis, en forte que ie ne pouuois fentir aucun objet, quelque volonté que l'en eufle, s'il ne fe trouuoit prefent à l'organe d'vn de mes fens ; & il n'eftoit nullement en mon pouuoir de ne le pas fentir, lorfqu'il s'y trouuoit prefent.

a. Ce de, omis dans la i"' édit., a été rétabli dès la seconde.

b. Sic les (/'■' édit.). Lire ces ? (2' et 3' édit.).

6o Œuvres de Descartes. 75-76.

Et parce que les idées que ie receuois par les fens eftoient beau- coup plus viues, plus expreiTes, & mefme à leur façon plus diftindes, qu'aucunes de celles que ie pouuois feindre de moy-mefme en mé- ditant, ou bien que ie trouuois imprimées en ma mémoire, il fem- bloit qu'elles ne pouuoient procéder de mon efprit; de façon qu'il cftoit necelfaire qu'elles fuilent caufées en moy par quelques autres chofes. Delquelles chofes n'ayant aucune connoilfance, finon celle que me donnoient ces mermes idées, il ne me pouuoit venir autre 93 chofe î^n l'efprit, fmon que ces chcifes-là eiloient fcmblables aux idées qu'elles caufoient.

Et pource que ie me reflbuuenois auffi que ie m'eilois plullolt feruy des fens que de la raifon, & que ie reconnoiiïois que les idées que ie formols de moy-mefme n'eftoient pas 11 exprefl'es, que celles que ie receuois par les lens, & mefme qu'elles eitoient le plus fou- uent compofées des parties de celles-cy, ie me perfuadois aifement que ie n'auois aucune idée dans mon elprit, qui n'cuft paffé aupa- rauant par mes fens.

Ce n'eltoit pas.aufli fans quelque raifon que ie croyois que ce corps : lequel par vn certain droit particulier i'appellois mien) |m'ap- partenoit plus proprement & plus ctroirtement que pas vn autre. Car en effect ie n'en pouuois iamais eiVre feparé comme des autres corps; ie relfentois en luy & pour luy tous mes appétits & toutes mes affedions; & enfin i'eftois touché des fentimens de plaifir & de douleur en fes parties, & non pas en celles des autres corps qui en font feparez.

Mais quand i'examinois pourquoy de ce ie ne fçayquel fentiment de douleur fuit latriftelfe en l'efprit, & du fentiment de plaifir naift la ioye, ou bien pourquoy cette ie ne fçay quelle émotion de l'erto- mac, que l'appelle faim, nous fait auoir enuie de manger, & la feche- reffe du gofier nous fait auoir enuie de boire, & ainfi du refte, ie n'en pouuois rendre aucune raifon, fmon que la nature me l'enfei- gnoit de la forte; car il n'y a certes aucune affinité ny aucun rap- •4 Iport (au moins que ie puifle comprendre) entre cette émotion de l'éftomac & le defirde manger, non plus qu'entre le fentiment de la chofe qui caufe de la douleur, & la penféc de trifteffe que fait nailtre ce fentiment. Et en mefme façon il me fembloit que i'auois appris de ta nature toutes les autres chofes que ie iugcois touchant les objets de mes fens; pource que ie remarquois que les iugemens que i'auois coultume de faire de ces objets, fe formoient en moy auani que i'cuffe le loilir de pefcr & confiderer aucunes raifons qui me pculfent obliger à les faire.

76.78. Méditations. Sixième. 61

Mais par après plufieurs expériences ont peu à peu ruiné toute la créance que i'auois adiouftée aux fens. Car i'ay obferué plufieurs fois que des tours, qui de loin m'auoient femblé rondes, me paroif- foient de prés eftre quarrées, & que des coloffes, éleuez fur les plus hauts fommets de ces tours, me paroilToient de petites rtaïuës à les regarder d'embas ; & ainfi, dans vne infinité d'autres rencontres, i'ay trouué de l'erreur dans les iugemens fondez fur les fens exté- rieurs. Et non pas feulement fur les fens extérieurs, mais mefme fur les intérieurs : |car y a-t-il chofe plus intime ou plus intérieure que la douleur? & cependant i'ay autresfois appris de quelques perfonnes qui auoient les bras & les iambes coupées, qu'il leur fembloit encore quelquefois fentir de la douleur dans la partie qui leur auoit efté coupée; ce qui me donnoit fujet de penfer, que ie ne pouuois auffi eftre affeuré d'auoir mal à quelqu'vn de mes membres, j quoy que 95 ie fentilfe en luy de la douleur.

Et à ces raifons de douter i'en ay encore adioullé depuis peu deux autres fort générales. La première eft que ie n'ay iamais rien creu fentir eftant éueillé, que ie ne puilfe aulli quelquefois croire fentir quand ie dors; & comme ie ne croy pas que les chofes qu'il me femble que ie fens en dormant, procèdent de quelques objets hors de moy, ie ne voyois pas pourquoy ie deuois plultofl auoir cette créance, touchant celles qu'il me femble que ie fens eilant éueillé. Et la féconde, que, ne connoilfant pas encore, ou pluftoll feignant de ne pas connoiftrc l'authcur de mon élire, ie ne voyois rien qui peurt empefcher que ie n'euffe efté fait tel par ia nature, que ie me trom- palfe mefme dans les chofes qui me paroifl'oient les plus véritables.

Et pour les raifons qui m'auoyent cy-dcuant perfuadé la vérité des chofes fenfibles, ie n'auois pas beaucoup de peine à y refpondre. Car ia nature femblant me porter à beaucoup de choies dont la raifon me détournoit, ie ne croyois pas me deuoir confier beaucoup aux enfeignemens de cette nature. Et quoy que les idées que ie reçoy par les fens ne dépendent pas de ma volonté, ie ne penfois pas que l'on deuft pour cela conclure qu'elles procedoient de chofes diffé- rentes de moy, puifque peut-eilre il fe peut rencontrer en moy quelque faculté (bien qu'elle m'ait elle iufques icy inconnue), qui en foit la caufe, & qui les produife.

i Mais maintenant que ie commence à me mieux connoiftre moy- 96 mefme & à découurir plus clairement l'autheur de mon origine, ie ne penfe pas à la vérité que ie doiue témérairement admettre toutes les chofes que les fens femblent nous enfeigner, | mais ie ne penfe pas aufFi que ie les doiue toutes généralement reuoquer en doute.

62 OEuvRES DE Descartes. 78-79-

Et premièrement, pource que ie fçay que toutes les chofes que it conçoy clairement & diftinclement, peuuent eftre produites par Dieu telles que ie les conçoy, il fuffit que ie puilTe conceuoir claire- ment & diftinclement vne chofe fans vne autre, pour eftre < crtain que l'vne eft diftincte ou différente de l'autre, parce qu'elles peuuent eftre pofées feparement, au moins par la toute puiflance de Dieu; & il n'importe pas par quelle puiflance cette feparation fe face, pour m'obliger à les iuger différentes. Et partant, de cela mefme que ie connois auec certitude que i'exifte, & que cependant ie ne remarque point qu'il appartienne necefl'airement aucune autre chofe à ma na- ture ou à mon effence, fmon que ie fuis vne chofe qui penfe, ie con- clus fort bien que mon eflence confifte en cela feul, que ie fuis vne chofe qui penfe, ou vne fubftance dont toute l'efl'ence ou la nature n'eft que de penfer. Et quoy que peut-eftre (ou plutoft certainement, comme ie le diray tantoft) i'aye vn corps auquel ie fuis tres-étroitte- ment conioinj; neantmoins, pource que d'vn cofté i'ay vne claire 97 & diftinde idée de moy-mefme, en tant que ie fuis feu|lement vne chofe qui penfe & non étendue, & que d'vn autre i'ay vne idée diftincte du corps, en tant qu'il eft feulement vne chofe étendue & qui ne penfe point, il eft certain que ce moy, c'eft à dire mon ame, par laquelle ie fuis ce que ie fuis, eft entièrement & véritablement diftinéle de mon corps, & qu'elle peut eftre ou exifter fans luy.

Dauantage, ie trouue en moy des facultez de penfer toutes parti- culières, & diftinéles de moy, à fçauoir les facultez- d'imaginer & de fentir, fans lefquelles ie puis bien me conceuoir clairement & diftindemcnt tout entier, mais non pas elles fans moy, c'eft à dire fans vne fubftance intelligente à qui elles foient attachées. Cardans la notion que nous auons de ces facultez, bu (pour me feruir des termes de l'école) dans leur concept formel, elles enferment quelque forte d'intelledion : d'où ie conçoy qu'elles font diftindes de moy, comme les figures, les mouuemens, & les autres modes ou acci- dens des corps, le font des corps mefmes qui les fouftiennent.

le reconnois auftl en moy quelques autres facultez, copme celles de changer de lieu, de fe mettre en plufieurs pofturcs, & autres fem- blabjes, qui ne peuuent eftre conceuiis, non plus que les précédentes, fans I quelque fubftance à qui elles foient attachées, ny par confe- quent exiller fans elle; mais il eft tres-éuident que ces facultez, s'il eft vray qu'elles exiftent, doiuent eftre attachées à quelque fubftance corporelle ou étendue, & non pas à vne fubftance intelligente, M puifquc, dans | leur concept clair & diftind, il y a bien quelque forj^e d'extcnfion qui fe trouue contenue, mais point du tout d'intcilr»

79-8o.

Méditations. Sixième. 6}

gence. De plus, il fe rencontre en moy vne certaine faculté pafliue de fentir, c'eftà dire de receuoir & de connoiftre les idées des criofes fenfibles; mais elle me feroit inutile, & ie ne m'en pourois aucune- ment leruir, s'il n'y auoit en moy, ou en autruy, vne autre faculté aéliue, capable de former & produire ces idées. Or cette faculté adiue ne peut eftre en moy en tant que ie ne fuis qu'vne chofe qui penfe, veu qu'elle ne prefupofe point ma penfée, & auiïi que ces idées-là mft font fouuent reprefentées fans que i'y contribué' en au- cune forte, & mefme fouuent contre mon gré; il faut donc neceffai- rement qu'elle foit en quelque fubllance différente de moy, dans laquelle toute la realité, qui eil obiediuement dans les idées qui en font produites, foit contenue formellement ou éminemment (comme ie l'ay remarqué cy-deuant). Et cette fubftance eft ou vn corps, c'eft à dire vne nature corporelle, dans laquelle eft contenu formel- lement & en efifed tout ce qui eft objedivement & par reprefenta- tion dans les idées; ou bien c'eft Dieu mefme, ou quelqu'autre créature plus noble que le corps, dans laquelle cela mefme eft con- tenu éminemment.

Or, Dieu n'eftani point trompeur, il eft tres-manifefte qu'il ne m'enuoye point ces idées immédiatement par luy-mefme, ny aufli par l'entremife de quelque créature, dans laquelle leur realité ne foit I pas contenue formellement, mais feulement éminemment. Car ne m'ayant donné aucune faculté pour connoiftre que cela foit, mais au conti;aire vne très-grande | inclination à croire qu'elles me font enuoyées ou qu'elles partent des chofes corporelles, ie ne voy pas comment on pouroit l'excufer de tromperie, û en effed ces idées partoient ou eftoient produites par d'autres caufes que par des chofes corporelles. Et partant il faut confefl'er qu'il y a des chofes corporelles qui exiftent.

Toutesfois elles ne font peut-eftre pas entièrement telles que nous les apperceuons par les fens, car cette perception des fens eft fort obfcure & confufe en plufieurs chofes; mais au moins faut-il auouer que toutes les chofes que i'y conçoy clairement & diftindement, c'eft à dire toutes les chofes, généralement parlant, qui font com- prifes dans l'objet de la Géométrie fpeculatiue, s'y retrouuent véri- tablement. Mais pour ce qui eft des autres chofes, lefquelles ou font feulement particulières, par exemple, que le Soleil foit de telle gran- deur ^ de telle figure, &c., ou bien font conceuës moins clairemem ^ moins diftindement, comme la lumière, le fon, la douleur, & autres femblables, il eft certain qu'encore qu'elles foient fort dou- teufes &. incertaines, toutesfois de cela feul que Dieu n'eft point

64 Œuvres de Descartes.

80-81.

iOO

trompeur, & que par confequent il n'a point permis qu'i^ peuft y auoir aucune faulTeté dans mes opinions, qu'il ne m'ait auffi donné quelque faculté capable de la cor{riger, ie croy pouuoir conclure alfurement que i'ay en moy les moyens de les connoiftre auec cer- titude.

Et premièrement il n'y a point de doute que tout ce que la nature m'enfeigne contient quelque vérité. Car par la nature, confiderée en gênerai, ie n'entens maintenant autre chofe que Dieu mefme, ou bien l'ordre & la difpolîtion que Dieu a établie dans les chofes créées. Et par ma nature en particulier, ie n'entens autre chofe que la complexion ou l'alfemblage de toutes les chofes que Dieu m'a données.

Or il n'y a rien que cette nature m'enfeigne plus expreffement, ny plus fenfiblement, fmon que i'ay vn corps^quieft mal difpofé quand ie fens de la douleur, qui a befoin de manger ou de boire, quand i'ay les fcntimens de la faim ou de la foif, &c. Et partant ie ne dois aucunement douter qu'il n'y ait en cela quelque vérité.

I La nature m'enfeigne aufli par ces fentimens de douleur, de faim, de foif, &c., que ie ne fuis pas feulement logé dans mon corps, ainfi qu'vn pilote en fon nauire, mais, outre cela, qiie ie luy fuis conioint tres-éiroittement &. tellement confondu & méfié, que Je compofe comme vn feul tout auec luy. Car, fi cela n'elloit, lorfque mon corps eft blelfé, ie ne fentirois pas pour cela de la douleur, moy qui ne fuis qu'vne chofe qui penfe, mais i'aperceurois cette blelfure par le feul entendement, comme vn pilote appcrçoit par la veuë fi 101 quelque chofe fe rompt dans fon vaiffeau; j & lorfque mon corps a befoin de boire ou de manger, ie connoiftrois fimplement cela mefme, fans en eilre auerty par des fentimens confus de faim & de foif. Car en effed tous ces fentimens de faim, de foif, de douleur, &c., ne font autre chofe que de certaines façons confufes de penfer, qui prouiennent &. dépendent de l'vnion & comme du mélange de l'efprii auec le corps.

Outre cela, la nature m'enfeigne que plulieurs autres corps exifient autour du mien, entre lefquels ie dois pourfuiure les vns & fuir les autres. Et certes, de ce que ie fens dift'erentes fortes de couleurs, d'odeurs, de faueurs, de fons, de chaleur, de dureté, &c., ie conclus fort bien qu'il y a dans les corps, d'où procèdent toutes ces diuerfes perceptions des fens, quelques varietcz qui leur répondent, quoy que peut-ellre ces varieiez ne leur foicnt point en effed fcmblables. Et aufii, de ce qu'entre ces diuerfes perceptions des fens, les vnes me font agréables, ^ les autres dclagrcablcs, ie

81-82. Méditations. Sixième. ôjj

puis tirer vne confequence tout à fait certaine, que mon corps (ou plutoft moy-mefme tout entier, en tant que ie fuis compofé du corps & de l'ame) peut receuoir diuerfes commoditez ou incommoditez des autres corps qui l'enyironnent.

I Mais il y a plufieurs autres chofes qu'il femble que la nature m'ait enfeignées, lefquelles toutesfois ie n'ay pas véritablement re- ceuès d'elle, mais qui fe font introduites en mon efprit par vne cer- taine coutume que i'ay de iuger inconfiderement des chofes; &- ainfi il | peut ayfément arriuer qu'elles contiennent quelque fauf- 102 fêté. Comme, par exemple, l'opinion que i'ay que tout efpace dans lequel il n'y a rien qui meuue, & face impreflion fur mes fens, foit vuide; que dans vn corps qui eft chaud, il y ait quelque chofe de femblable à l'idée de la chaleur qui eft en moy; que dans vn corps blanc ou noir, il y ait la mefme blancheur ou noirceur que ie fens; que dans vn corps amer ou doux, il y ait le mefme gouft ou la mefme faueur, & ainfi des autres; que les aftres, les tours & tous les autres corps efloignez foient de la mefme figure & grandeur qu'ils paroiffent de loin à nos yeux, &c.

Mais afin qu'il n'y ait rien en cecy que ie ne conçoiue diftin6le- ment, ie dois precifement définir ce que i'entens proprement lorfque ie dis que la nature m'enfeigne quelque chofe. Car ie prens icy la nature en vne fignification plus refferrée, que lorfque ie l'appelle vn aflemblage ou vne complexion de toutes les chofes que Dieu m'a données; veu que cet affemblage ou complexion comprend beaucoup de chofes qui n'appartiennent qu'à l'efprit feul, defquelles ie n'en- tens point icy parler, en parlant de la nature : comme, par exemple, la notion que i'ay de cette vérité, que ce qui a vne fois efté fait ne peut plus n'auoir point efté fait, & vne infinité d'autres femblables, que ie connois par la lumière naturelle fans l'ayde du corps, & qu'il en comprend aulfi plufieurs autres qui n'appartiennent qu'au corps feul, & ne font point icy non plus contenues fous le nom de nature : comme la qua|lité qu'il a d'eftre pefant, & plufieurs autres 108 femblables, defquelles ie ne parle pas auffi, mais feulement des chofes que Dieu m'a données, comme eftant compofé de l'efprit & du corps. Or cette nature m'apprend bien à fuir les chofes qui caufent en moy le fentiment de la douleur, & à me porter vers celles qui me communiquent quelque fentiment de plaifir; mais ie ne voy point qu'outre cela elle m'apprenne que de ces diuerfes perceptions des fens nous deuions iamais rien conclure touchant les chofes qui font hors de nous, fans que l'efprit les ait foigneufement & meure- ne.n* examinées. Car c'eft, ce* me femble, à l'efprit feul, & non Œuvres. IV. 5

66 Œuvres de Descartes. 82-84-

point au compofé de refprit & du corps, qu'il appartient de con- noiftre la vérité de ces chofes-là.

|Ainfi, quoy qu'vne eftoille ne face pas plus d'impreflîon en mon œil que le feu d'vn petit flambeau, il n'y a toutesfois en moy au- cune faculté réelle ou naturelle, qui me porte à croire qu'elle n'eft pas plus grande que ce feu, mais ie l'ay iugé ainfi dés mes pre- mières années fans aucun raifonnable fondement. Et quoy qu'en aprocharit du feu ie fente de la chaleur, & mefme que m'en ap- prochant vn peu trop prés ie relTente de la douleur, il n'y a toutesfois aucune raifon qui mepuiffe perfuader qu'il y a dans le feu quelque chofe de femblable à cette chaleur, non plus qu'à cette douleur; mais feulement i'ay raifon de croire qu'il y a quelque chofe en luy, quelle qu'elle puiffë eflre, qui excite en moy ces fentimens de chaleur ou de douleur.

104 . jDe mefme aufli, quoy qu'il y ait des efpaces dans lefquels ie ne trouue rien qui excite & meuue mes fens, ie ne dois pas conclure pour cela que ces efpaces ne contiennent en eUx aucun corps ; mais ie voy que, tant en cecy qu'en plufieurs autres chofes femblables, i'ay accouftumé de peruertir & confondre l'ordre de la nature, parce que ces fentimens ou perceptions des fens n'ayant efté mifes en moy que pour fignifier à mon efprit quelles chofes font conue- nables ou nuifibles au compofé dont il eft partie, & iufques eftant alfez claires & affez diflindes, ie m'en fers neantmoins comme fi elles eftoiemdes règles très-certaines, par lefquelles ie peulfe con- noiftre immédiatement l'effence & la nature des corps qui font hors de moy, de laquelle toutesfois elles ne me peuuent rien enfeigner que de fort obfcur & confus.

Mais i'ay defia cy-deuant affez examiné comment, nonobftant la fouueraine bonté de Dieu, il arriue qu'il y ait de la fauffeté dans les iugemens que ie fais en cette forte. Il fe prefénte feulement encore icy vne difficulté touchant les chofes que la nature m'enfeigne de- uoir eftre fuiuies ou euitées, & aufli touchant les fentimens inté- rieurs qu'elle a mis en moy; car il me femble y auoir quelquefois remarqué de l'erreur, & ainfi que ie fuis direiflement trompé par ma nature. Comme, par exemple, le gouft agréable de quelque viande, en laquelle on aura meflé du poifon, peut m'inuiter à prendre ce poifon, & ainfi me tromper. (Il efl: vray toutesfois qu'en cecy la na-

ÎJ6 ture I peut cftre cxcufée, car elle me porte feulement à defirer la viande dani laquelle ie* rencontre vne faueur agréable, & non point

a. Lirg fe ccntimt dans la 2* et la Jf édition ?

84-85. Méditations. Sixième. 6']

à defirer le poifon, lequel luy eft inconnu ; de façon que ie ne puis conclure de cecy autre chofe, finon que ma nature ne connoift pas entièrement & vniuerfellement toutes chofes : de quoy certes il n'y a pas lieu de s'eftonner, puifque l'homme, eftant d'vne nature finie, ne peut auiïi auoir qu'vne connoiffance d'vne perfedion limitée.

Mais nous nous trompons aulfi aflez fouuent, mefme dans les chofes aufquelles nous fommes diredement portez par la nature, comme il arriue aux malades, lorfqu'ils défirent de boire ou de manger des chofes qui leur peuuent nuire. On dira peut-eftre icy que ce qui eft caufe qu'ils fe trompent, eft que leur nature eft cor- rompue; mais cela n'ofte pas la difficulté, parce qu'vn homme malade n'eft pas moins véritablement la créature de Dieu, qu'vn homme qui eft en pleine fanté ; & partant il répugne autant à la bonté de Dieu, qu'il ait vne nature trompeufe & fauiiue, que l'autre. Et comme vne horloge, compofée de roiies & de contrepoids, n'ob- ferue pas moins exadement toutes les loix de la nature, lorfqu'elle eft mal faite, & qu'elle ne montre pas bien les heures, que lorf- qu'elle fatisfait entièrement au defir de l'ouurier ; de mefme auffi, fi ie confidere le corps de l'homme comme eftant vne machine telle- ment baftie & compofée d'os, de nerfs, de mufcles, | de veines, de io6 fang & de peau, qu'encore bien qu'il n'y euft en luy aucun efprit, il ne lairroit pas de fe mouuoir en toutes les mefmes façons qu'il fait à prefent, lorfqu'il ne fe meut point par la direftion de fa vo- lonté, ny par confequent par l'aide de l'efprit, mais feulement par la difpofition de fes organes, ie reconnois facilement qu'il feroit aufli naturel à ce corps, eftant, par exemple, hydropique, de fouffrir la fechereffe du gozier, qui a couftume de fignifier à l'efprit le fenti- ment de la foif, & d'eftre difpofé par cette fecherefle à mouuoir fes nerfs & fes autres parties, en la façon qui eft requife pour boire, & ainfi d'augmenter fon mal & fe nuire à foy-mefme, qu'il luy eft na- turel, lorfqu'il n'a aucune indifpofition, | d'eftre porté à boire pour fon vtilité par vne femblable fecherefle de gozier. Et quoy que, re- gardant à l'vfage auquel l'horloge a efté deftinée par fon ouurier, ie puiffe dire qu'elle fe détourne de fa nature, lorfqu'elle ne marque pas bien les heures ; & qu'en mefme façon, confiderant la machine du corps humain comme ayant efté formée de Dieu pour auoir en foy tous les mouuemens qui ont couftume d'y eftre, i'aye fujet de penfer qu'elle ne fuit pas l'ordre de fa nature, quand fon gozier eft fec, & que le )oire nuit à fa conferuation ; ie reconnois toutesfois que cette dernière façon d'expliquer la nature eft beaucoup diffé- rente de l'autre. Car celle-cy n'eft autre chofe qu'vne fimple deno-

68 Œuvres de Descartes. ss-sô.

mination, laquelle dépend entièrement de ma penfée, qui compare

107 vn homme malade & | vne horloge mal faite, auec l'idée que i'ay d'vn homme fain & d'vne horloge bien faite, & laquelle ne fignifie rien qui Te retrouue* en la chofe dont elle fe dit ; au lieu que, par l'autre façon d'expliquer la nature, i'entens quelque chofe qui fe rencontre véritablement dans les chofes, & partant qui n'cft point fans quelque vérité.

Mais certes, quoy qu'au regard du corps hydropique, ce ne foit qu'vne dénomination extérieure, lors qu'on dit que fa nature eft cor- rompue, en ce que, fans auoir befoin de boire, il ne laiffe pas d'auoir le gozier (ec & aride ; toutesfois, au regard de tout le compozé, c'eit à dire de l'efprit ou de i'ame vnie à ce corps, ce n'eft pas vne pure dénomination, mais bien vne véritable erreur de nature, en ce qu'il a foif, lorfqu'il luy eft tres-nuifible de boire ; & partant, il refte encore à examiner comment la bonté de Dieu ri*empefche pas que la nature de l'homme, prife de cette forte, foit fautiue & trompeufe.

Pour commencer donc cet examen, ie remarque icy, première- ment, qu'il y a vne grande différence entre l'efprit & le corps, en ce que le corps, de fa nature, eft toufiours diuifible, & que l'efprit eft entièrement | indiuifible. Car en effed, lors que ie confidere mon efprit, c'eft à dire moy-mefme en tant que ie fuis feulement vne chofe qui penfe, ie n'y puis diftinguer aucunes parties, mais ie me conçoy comme vne chofe feule & entière. Et quoy que tout l'efprit femble eftre vny à tout le corps, toutesfois vn pied, ou vn bras,

108 ou quelqu'autre partie | eft^nt féparce de mon corps^ il eft certain que pour cela il n'y aura rien de retranché de mon efprit. Et les facultez de vouloir, de fentir, de conceuoir &c., ne peuuent pas proprement eftre dites fes parties : car le mefme efprit s'emploie tout entier à vouloir, & aufTi tout entier à fentir, à conceuoir &c. Mais c'eft tout le contraire dans les chofes ' corporelles ou eftenduës : car il n'y en a pas vne que ie ne mette aifement en pièces par ma penfée, que" mon efprit nediuife fort facilement en plufieurs parties, & par confequent que ie ne connoiffc eftre diuifible. Ce qui fuffiroit pour m'enfeigner que l'efprit ou l'âme de l'homme eft entièrement différente du corps, fi ie ne l'auois défia d'ailleurs aflez appris.

a. « des choses •(/''' édit.). Errata : « dans les choses ».

b. Que] ou que {3* édit.). Mais celte incise « que. . . parties » semble être une retouche (faite par Descartes?) de celle qui précède « (juc... pensée •, et qui aurait/dû £tre supprimée.

86.87. Méditations. Sixième. 69

le remarque auffî que refprit ne reçoit pas immédiatement l'im- preifion de toutes les parties du corps, mais feulement du cerueau, ou peut-eftre mefme d'.vne de fes plus petites partres, à fçauoir de celle s'exerce cette faculté qu'ils appellent le fens commun, la- quelle, toutes les fois qu'elle eftdifpofée de mefme façon, fait fentir la mefme chofe à l'efprit, quoy que cependant les autres parties du corps puiffent eftre diuerfement difpofées, comme le témoignent vne infinité d'expériences, lefquelles il n'eft pas icy befoin de rap- porter.

le remarque, outre cela, que la nature du corps eft telle, qu'au- cune de fes parties ne peut eftre meuC par vne autre partie vn peu efloignée, qu'elle ne le puiffe eftre aufli de la mefme forte par cha- cune des parties qui font entre deux, quoy que cette partie | plus i09 efloignée n'agiffe point. Comme, par exemple, dans la corde ABCD qui eft toute tendue, fi | l'on vient à tirer & remuer la dernière partie D, la première A ne fera pas remuée d'vne autre façon, qu'on la pouroit auffi faire mouuoir, fi on tiroit vne des parties moyennes, B ou C, & que la dernière D demeuraft cependant immobile. Et en mefme façon, quand ie reffens de la douleur au pied, la Phy- fique m'apprend que ce fentiment fc communique par le moyen des nerfs difperfez dans le pied, qui fe trouuant étendus comme des cordes depuis iufqu'au cerueau, lorfqu'ils font tirez dan&le pied, tirent aufli en mefme temps l'endroit du cerueau d'où ils viennent & auquel ils aboutifl"ent, & y excitent vn certain mouue- ment, que la nature a inftitué pour faire fentir de la douleur à l'ef- prit, comme fi cette douleur eftoit dans le pied. Mais parce que ces nerfs doiuent pafl"er par la iambe, par la cuifl'e, par les reins, par le dos & par le col, pour s'eftendre depuis le pied iufqu'au cerueau, il peut arriuer qu'encore bien que leurs extremitez qui font dans le pied ne foient point remuées, mais feulement quelques vnes de leurs parties qui paflent par les reins ou par le col, cela neantmoins excite les mefmes mouuemens dans le cerueau, qui pôuroient y eftre excitez par vne bleffure receuë dans le pied, en fuitte de quoy il fera neceflaire que l'efprit relTente dans le pied la mefme douleur que s'il y auoit receu vne blefl'ure. Et il faut iuger le femblable de toutes les autres perceptions de nos fens.

I Enfin ie remarque que, puifque de tous les mouuemens qui fe UO font dans la partie du cerueau dont l'efprit reçoit immédiatement l'impreflion, chacun ne caufe qu'vn certain fentiment, on ne peut rien en cela fouhaitter ny imaginer de mieux, finon que ce mouue- ment face reflentir à l'efprit, entre tous les fentimens qu'il eft

JO OEuVRES DE DeSCARTES. 87.88.

capable de caufer, celuy qui eft le plus propre & le plus ordinaire- ment vtile à la conferuation du corps humain, lorfqu'il efl en pleine fanté. Or l'expérience nous fait connoiftre, que tous les feniimens que la nature nous a donnés font tels que ie viens de '^ dire; & partant, il ne fe trouue rien en eux, qui ne face paroiftre la puif« fance & la bonté du Dieu qui les a produits.

Ainfi, par exemple, | lorfque les nerfs qui font dans le pied font remuez fortement, & plus qu'à l'ordinaire, leur mouuement, paf- fant par la moiieilc "de l'efpine du dos iufqu'au cerueau, fait vne impreffion à l'efprit qui luy fait fentir quelque chofe, à fçauoir de la douleur, comme eftant dans le pied, par laquelle l'efprit eft auerty & excité à faire fon pof^vble pour en chaffer la caufe, comme tres-dangereufe & nuifible au pîed.

Il eft vray que Dieu pouuoit eftablir la nature de l'homme de telle forte, que ce mefme mouuement dans le cerueau fift fentir toute autre chofe à l'efprit : par exemple, qu'il fe fift fentir foy- mefme, ou en tant qu'il eft dans le cerueau, ou en tant qu'il eft 111 dans le pied, ou bien en tant qu'il eft en quelqu'autre enjdroit entre le pied & le cerueau, ou enfin quelque autre chofe telle qu'elle peuft eftre ; mais rien de tout cela n'euft fi bien contribué à la conferuation du corps, que ce qu'il luy fait fentir.

De mefme, lorfque nous auons befoin de boire, il naift de vne certaine fechereffc dans le gozier, qui remue fes nerfs, & par leur moyen les parties intérieures du cerueau ; & ce mouuement fait reffentir à l'efprit le fentiment de la foif, parce qu'en cette occafion- il n'y a rien qui nous foit plus vtile que de fçauoir que nous auons befoin de boire, pour la conferuation de noftre fanté; & ainfi des autres.

D'où il eft ei. icrement manifefte que, nonobftant la fouueraine bonté de Dieu, la nature de l'homme, en tant qu'il eft compofé de l'efprit & du corps, ne peut qu'elle ne foit quelquefois fautiue & trompeufe.

Car s'il y a quelque caufe qui excite, non dans le pied, mais en quelqu'vne des parties du nerf qui eft tendu depuis le pied iuf- qu'au cerueau, ou mefme dans le cerueau, le mefme mouuement qui fe fait ordinairement quand le pied eft mal difpofé, on fentira de la douleur comme fi elle cftoii diins le pied, & le fens fera natu- rellement trompé ; parce qu'vn mefme mouuement dans le cer- ueau ne poui nt caufer en l'efprit qu'vn mcfmc fentiment, & ce

A de omisli" édit.).

88-90. Méditations. Sixième. 71

fentiment eftant beaucoup plus fouuent excité par vne caufe qui bleffe le pied, que par vne autre qui foit ailleurs, il eft bien plus raifonnable | qu'il porte à l'efpnt la douleur | du pied que celle iU d'aucune autre partie. Et quoy que la fechereffe du gozier ne vienne pas toufiours, comme à l'ordinaire, de ce que le boire eft neceffaire pour la fanté du corps, mais quelquefois d'vne caufe toute contraire, comme expérimentent les hydropiques, toutesfois il eft beaucoup mieux qu'elle trompe en ce rencontre-là, que fi, au contraire, elle trompoit toufiours lorfque le corps eft bien difpofé; & ainfi des autres.

Et certes cette confideration me fert beaucoup, non feulement pour reconnoiftre toutes les erreurs aufquellcs ma nature eft fujette, mais aufti pour les euiter, ou pour les corriger plus facilement : car fçachant que tous mes fens me fignifient plus ordinairement le vray que le faux, touchant les chofes qui regardent les commoditez ou incommoditez du corps, & pouuant prefque toufiours me feruir de plufieurs d'entre eux pour examiner vne mefme chofe, & outre cela, pouuant vfer de ma mémoire pour lier & ioindre les connoif- fances prefentes aux palfées, & de mon entendement qui a défia découuert toutes les caufes de mes erreurs, ie ne dois plus craindre déformais qu'il fe rencontre de la fauffeté dans les chofes qui me font le plus ordinairement reprefentées par mes fens. Et ie dois rejetter tous les doutes de ces iours paflez, comme hyperboliques & ridicules, particulièrement cette incertitude fi générale touchant . le fommeil, que ie ne pouuois diftinguer de la veille : car à prefent l'y rencontre vne tres-notable différence, en ce que no|ftre mémoire iil ne peut iamais lier & ioindre nos fonges les vns aux autres & auec toute la fuitte de noftre vie, ainfi qu'elle a de couftume de ioindre les chofes qui nous arriuent eftant éueillés. Et, en effeél, fi quel- qu'vn, lorfque ie veille, m'apparoiffoit tout foudain & difparoiffoit de mefme, comme font les images que ie voy en dorm'ant, en forte que ie ne puffe remarquer ny d*où il viendroit, ny il iroit, ce ne feroit pas fans raifon | que ie l'eftimerois vn fpedre ou vh phan- tofme formé dans mon cerueau,& femblable à ceux qui s'y forment quand ie dors, pluftoft qu'vn vray homme. Mais lorfque i'aperçoy des chofes dont ie connois diftinélement & le lieu d'où elles viennent, & celuy elles font, & le temps auquel elles m'apa* roifl'ent, & que, fans aucune interruption, ie puis lier le fentiment que i'en ay, auec la fuitte du refte de ma vie, ie fuis entièrement afl'eurç que ie les apperçoy en veillant, & non point dans le fommeil. Et ie ne dois en aucune façon douter de la vérité de ces chofes-là,

72 Œuvres de Descartes. 90-

fi, après auoir appelé tous mes fens, ma mémoire & mon entende- ment pour les examiner, il ne m'eft rien rapporté par aucun d'eux, qui ait de la répugnance auec ce qui m'eft raporté par les autres. Car de ce que Dieu n'eft point trompeur, il fuit neceffairement que ie ne fuis point en cela trompé.

Mais parce que la neceflité des affaires nous oblige fouuent à

nous déterminer, auant que nous ayons eu le loifir de les examiner

114 fi foigneufement, il faut | auotler que la vie de l'homme eft fujette

à faillir fort fouuent dans les chofes particulières ; & enfin il faut

reconnoiftre Tinfirmité & la foiblefle de noftre nature.

FIN.

lOBIECTIONS m

FAITES PAR DES PERSONNES TRES-DOCTES

CONTRE LES PRECEDENTES MEDITATIONS

AVEC LES RÉPONCES DE l'auteur

PREMIERES OBIECTIONS D'vn" fçauant Théologien du Pays-bas.

MeffieurSf

Auffî-to/l que i'ay reconnu le dejîr que vous auie^ que i'examinajfe foigneujement les écrits de Monjieur des-Cartes, i'ay penfé qu'il ejloit de mon deuoir de fatisfaire en cette occajion à des pcrfonnes qui me font Ji chères, tant pour j'ous témoi\gner par l'ejlime que ii6 te fais de voftre amitié, que pour pous faire connoiflre ce qui manque à ma fuffifance & à la perfeâion de mon efprit; afin que dorefna- uant vous aye\ vn peu plus de charité pour mof,fii'en ay befoin, & que vous m'épargnie^ ime autre fois, f. ie ne puis porter la charge que jfous m'aue^ impofée.

On peut dire auec vérité, félon que i'en puis iuger, que Monjieur des-Cartes efï vn homme d'vn tres-gi-and efprit & d'vne très-pro- fonde modeflie, & fur lequel ie ne penfe pas que Momus, le plus mé- difant de fon Jiecle, peujî trouuer à reprendre. le penfe, dit-il, donc iefuis; voire mefme ie fuis la penfée mefme, ou V efprit. Cela efl vray. Or efl-il qu'en penfant i'ay en moy les idées des chofes,\& première- ment celle d'vn eflre tres-parfait & infîny. le l'accorde. Mais ie n'en fuis pas la caufe, moy qui n'égale pas la realité objeéîiue d'vne telle idée; doncques quelque chofe de plus parfait que moy en efl caufe; & partant il y a vn efire différent de moy qui exije, & qui a plus de

a. D'vn] Faites par Monfieur Caterus {2' et 3* édit.).

74 Œuvres de Descartes. q'-q'.

perfecîions que ie n'a/ pas. Ou, comme dit Saint Denis, au Chapitre cinquiefme des Noms divins : il y a quelque nature qui ne poflede pûs i'eftre à la façon des autres chofes, mais qui embrafîe & contient en foy tres-fimplement, & fans aucune circonfcription, tout ce qu!il y a d'effence dans I'eftre, & en qui toutes chofes font renfermées comme dans vne caufe première & vniuerfelle*.

117 Mais te fuis icy contraint de m'arrejler vn peu, de peur de \ me fatiguer trop ; car i'ay défia V efprit auffi agité que leflotant Euripe, l'accorde, ie nie, i'approuue, ie réfute, ie ne veux pas m'efioigner de l'opinion de ce grand homme, & toutesfois ie n'y puis confentir. Car, ie vous prie, quelle caufe requiert vne idée? Ou dites-moy ce que c'efl qu'idée ? C'eft donc la chofe penfée, en tant qu'elle eft objeéliue- ment dans l'entendement. Mais qu'ejl-ce qu'eftre objeâiuement dans l'entendement? Si ie l'ay bien appris, c'efl terminer à la façon d'vn objet l'aâe de l'entendement, ce qui en effed. n'efl qu'vne dénomina- tion extérieure, & qui n'adjouflerien de réel à la chofe. Car, tout ainfi qu'efire veu n'efl en moy autre chofe finon que l'aâe que la vifion tend vers moy, de mefme eflre penfé, ou efire objeâiuement dans l'entendement, c'eft terminer & arrefter en foy la penfée de V efprit; ce qui fe peut faire fans aucun mouuement & changement en la chofe, voire mefme fans que la chofe foit. Pourquoy donc recher- chay-je la caufe d'vne chofe, qui aâuellement n'eft point, qui n'eft qu'vne fimple dénomination & vn pur néant?

Et neantmoins, dit ce grand efprit, afin qu'vne idée contienne vne realité obje<5liue, pluftoft qu'vne autre, elle doit fans doute auoir cela de quelque caufe. Au contraire, d'aucune; car la realité objeâiue eft vne pure dénomination; aâuellement elle n'eft point. \ Or l'inftuence que donne vne caufe eft réelle & aâuelle; ce qui aâuelle- ment n'eft point, fie la peut pas receuoir, & partant ne peut pas

118 dépendre ny procéder \ d'aucune véritable caufe, tant s'en faut qu'il en requière. Doncques i'ay des idées, mais il n'y a point de caufes de ces idées; tant s'en faut qu'il y en ait vne plus grande que moy & infinie''.

Mais quelquvn me dira peut-eftre : fi vous ne donne^point la caufe des idées, donne\ au moins la raifon pourquoy cette idée contient plutofi cette realité objeâiue que celle-là. C'eft très-bien dit; car ie n'ay pas couftume d'eftre referué auec mes amis, mais ie traitte auec eux libéralement. le dis vniuerfellement de toutes les idées ce que

a. Non à la ligne (z'* édit.).

b. Idem.

93-94- Premières Objections. 75

Monfieur des-Cartes a dit autrefois dît triangle : Encore que peut- eftre, dit-il, il n'y ait en aucun lieu du monde hors de ma penfée vne telle figure, & qu'il n'y en ait iamais eu, il ne lallFe pas neant- moins d'y auoir vne certaine nature, ou forme, ou effence déter- minée de cette figure, laquelle eft immuable & éternelle. Ainji cette vérité ejî éternelle, & elle ne requiert point de caufe. Vn bateau ejl vu bateau, & rien autre cho/e; Dauus ejl Dauus, & non Œdipus. Si neantmoins vous me prej[e\ de vous diî'e vne rai/on, ie vous diray que c'e/l l'imperfeâion de nojtre efprit, qui n'cji jpas infiny ; car, ne pouuant par vne feule apprehenfon embrajfer l'vniuerfel, qui ejl tout enfemble & tout à la fois, il le diuife & le partage; & ainf ce qu'il ne fçauroit enfanter ou produire tout entier, il le conçoit petit à petit, ou bien, comme on dit en l'efcole (inadt^quate) imparfaitement & par partie.

Mais ce grand homme pourfuit : Or, pour imparfai|te que foit 119 cette façon d'eftre, par laquelle vne chofe eft obiediuement dans l'entendement par fon idée, certes on ne peut pas neantmoins dire que cette façon & maniere-là ne foit rien, ny par confequent que cette idée vienne du néant.

Il f a icf de l'equiuoque; car, fi ce mot Rien eft la mefme chofe qne n'eflre pas aâuellement, en effeà ce n'ejî rien, parce qu'elle n'efl pas aâuellement, & ainfi elle vient du néant, c'efi à dire quelle n'a point de caufe. \ Mais fi ce mot Rien dit quelque chofe de feint par l' efprit, qu'ils appellent vulgairement Eftre de raifon, ce n'eji pas vn Rien, mais quelque chofe de réel, qui eft conceuè' difiinâement. Et neantmoins, parce qu'elle ejl feulement conceuë, & qu'aéluellement elle n'eft pas, elle peut à la vérité efire conceuH, mais elle ne peut aucunement ejire caufée, ou mife hors de l'entendement.

Mais ie veux, dit-il, outre cela examiner, fi moy, qui ay cette idée de Dieu, ie pourrois eftre, en cas qu'il n'y euft point de Dieu, ou comme il dit immédiatement auparauant, en cas qu'il n'y euft point d'eftre plus parfait que le mien, & qui ait mis en moy fon idée. Car, dit-il, de qui aurois-ie mon exiftence? Peut-eftre de moy-mefme, ou de mes parens, ou de quelques autres, &c. Or eft-il que, fi ie l'auois de moy-mefme, ie ne douterois point, ny ne defirerois point, & il ne me manqueroit aucune chofe; car ie me ferois donné toutes les perfedions dont i'ay en jnoy quelque idée, & ainfi moy-mefme ie ferois Dieu. Que fi i'ay mon exiftence d'au- trùy, ie viendray enfin à ce qui l'a de | foy ; & ainfi le mefme 12» raifonnement que ie viens de faire pour moy eft pour luy, & prouue qu'il eft Dieu. Voila certes, à mon auis, la mejme vofe que

76

Œuvres de Descartes. 94-95

fuit Saint Thomas, qu'il appelle la voye de la cauf alité de la caufe efficiente, laquelle il a tirée du Philofophe; hormis que Saint Thomas ny Arijlote ne fe font pas foucie^ des caiifes des idées. Et peut-ejire n*en eji oit-il pas befoin; car pourquoy ne fuiuray-ie pas vo/e la plus droite & la moins écartée? le penfe, donc ie fuis, voire mefme iefuis l'ejprit mefme & la penfée ; or, cette penfée & cet efprit, ou il eft par fof -mefme, ou par autruy; fi par autruf, celuy-là enfin par qui eft-il ? s'il eft. par foy, donc il efi Dieu; car ce qui eft par foy fe Jera aifétnent donné toutes chofes.

I le prie icy ce grand perfonnage, & le coniure de ne fe point cacher à vn Lecteur qui efi dejireux d'apprendre, & qui peut-eftre n'efi pas beaucoup intelligent. Car ce mot Par foy eft pris en deux façons. En la première, il efi pris poftiuement, à fçauoir par foy-mefme comme par vne caufe; & ainji ce qui feroit par foy & fe donneroit l'efire à foy-mefme, fi, par vn choix preueu & prémédité il fe donnoit ce qu'il voudrait, fans doute qu'il fe donneroit toutes chofes, & partant il feroit Dieu. En la féconde, ce mot Par foy efi pris negatiuement, & efi la mefme chofe que de foy-mefme ou non par autruy ; <? de cette façon, fi ie m'en fouuiens, il efi pris de tout le monde. 121 I Or maintenant, fi quelque chofe efi par foy, c'efi à dire non par autruy, comment prouuere\-vous pour cela qu'elle comprend tout, & qu'elle efi infinie? Car, à prefent, ie ne vous écoute point, fi vous dites : puifqu'elle eft par foy, elle fe fera ayfément donné toutes chofes ; d'autant qu'elle n'efi pas par foy comme par vne caufe, & qu'il ne luy a pas efié pojjible, auant quelle fufi, de preuoir ce quelle pouroit efire, pour choifir ce qu'elle feroit après. Il me fouuieitt d'auoir autrefois entendu Suare^ raifonner de la forte : Toute limi- tation vient d'vne caufe ; car vne chofe eft finie & limitée, ou parce que la caufe ne luy a peu donner rien de plus grand ny de plus parfait, ou parce qu'elle ne Ta pas voulu; fi donc quelque chofe eft par foy & non par vne caufe, il eft vray de dire qu'elle eft infinie & non limitée.

Pour moy, ie n'acquiefce pas tout à fait à ce raifonnement. Car^ qu'vne chofe foit par foy tant qu'il vous plaira, c'efi à dire qu'elle ne /oit point par autruy, que pourre\-vous dire fi cette limitation vient de fes principes internes & confiituans, c'efi à dire de fa forrra mefme & de fon ejfence, laquelle neantmoins vous n^aue^ pas encore prouué efire infinie? Certainement, fi vous fupofe\ que le chaud eft chaud, il fera chaud par fes principes internes & confiituans, & non pas froid, encore que vous imaginiez qu'il ne foit pas par autruy ce qu'il efi. le ne doute point que Monfieur des Cartes ne manque pas de

95-97.. Premières Objections. 77

raifons pour fubjiituer à ce que les autres n'ont peut-ejîre \ pas ajje:{ fuffifamment expliqué, nj déduit ajfei clairement.

Enfin ie conuiens auec ce grand homme, en ce qu'il établit pour règle générale, que les chofes que nous conceuons fort clairement & fort diftindement font toutes vrayes. Me/me ie crof que tout ce que ie penfe ejl vray, \ & il y a défia long-temps que i'ay renoncé à toutes les chymeres & à tous les efires de raifon, car aucune puijfance ne fe peut defiourner de fou propre objeâ :fi la volonté fe meut, elle tend au bien ; les fens me/mes ne Je trompent point, car la veuë void ce qu'elle void, l'oreille entend ce qu'elle entend, & fi on void de l'oripeau, on void bien ; mais on fe trompe lor/qu*on détermine par fon iugement, que ce que l'on void efi de l'or. De forte que Monfieur Des-Cartes attribue- auec beaucoup de raifon toutes les erreurs au iugement & àla volonté.

Mais maintenant voyons fi ce qu'il veut inférer de cette règle efi véritable. le connois, dit-il, clairement & diftindement l'Elire in- finy; donc c'eft vn eftre vray & qui cft quelque chofe. Quelqu'vn luy demandera : Connoijfei-vous clairement & difiinâement l'Efire infiny? Que veut donc dire cette commune fentence, laquelle efi connue d'vn chacun : L'infiny, en tant qu'infiny, eft inconnu? Car fi, lorfque ie penfe à vn Chyliagone, me reprefentant confufément quelque figure, ie n'imagine ou ne connois pas diftinâement le Chyliagone, parte que ie ne me reprefente pas difiinâement fes mille cofie-{, comment efi'Ce I que ie conceuray difiinâement, & non pas confufément, l'Efire 123 infiny, en tant qu infiny ^^ veu que ie ne puis pas voir clairement, & comme au doigt & à l'œil, les infinies perfeâions dont il efi compofe ?

Et c'efi peut-efire ce qu'a voulu dire Saint Thomas ; car, ayant nié que cette propofition. Dieu eft, fufi claire & connue fans prenne, il fe fait àfoy-mefme cette objeâion des paroles de Saint Damafcene: La connoiffance que Dieu eft, eft naturellement emprainte en l'ef- prit de tous les hommes ; donc c'eft vne chofc claire, & qui n'a point befoin de preuue pour eftre connue. A quoy il refpond : Con- noiftre que Dieu eft, en gênerai, &, comme il dit, fous quelque confufion, à fçauoir en tant qu'il eft la béatitude de l'homme, cela eft naturellement imprimé en nous; mais ce n'eft pas, dit-il, \con- noiftre fimplement que Dieu eft; tout ainfi que connoiftre que quelqu'vn vient, ce n'eft pas conno-itiv-* Pierre, encore que ce foit Pierre qui vienne, &c. Comme s'it Voutoit dire que Dieu efi connu fous vne raifon commune, ou de fin dernière, ou mefme de premier efire, & tres-parfait, ou enfin fous la raifon d'vn efire qui comprend & embraffe confufément & en gênerai toutes chofes, mais non pas fous

yS Œuvres DE Descartes. .97-98.

la rai/on precife de fon ejîre, car ainfi il ejî injînf & nous ejl in- connu, lejçay que Monjieur Des-Cartes refpondr a facilement à celuy qui l'interrogera de la forte; ie crof neantmoins que les chofes que i'allegue icy, feulement par forme d'entretien & d'exercice, feront

124 qu'il fe rejfouuiendra de \ ce que dit Boëcc, qu'il y a certaines no- tions communes, qui ne peuuent eftre connues fans preuue que par les fçauans ; de forte qu'il ne fe faut pas fort ejîonjier, fi ceux-là interrogent beaucoup, qui dejirent fçauoir plus que les autres, & s'ils s'arrejîent long-temps à conjîderer ce qu'ils fçavent auoir ejié dit & auancé, comme le premier & principal fondement de toute l'affaire, & que neantmoins ils ne peuuent entendre fans vne longue recherche & vne très-grande attention d'efprit.

Mais demeurons d'accord de ce principe, & fupofons que quel- qu'un ait l'idée claire & diftinâe d'vn eJîre fouuerain & fouuerai- jiement parfait : que pretende^-vous inférer de ? C'ejl à fçauoir, que cet eftre infiny exijïe, & cela ft certainement, que ie dois eftre au moins aufli affuré de l'cxiftence de Dieu, que ie l'ay efté iufques icy de la vérité des demonftrations Mathématiques; en forte qu'il n'y a pas ntoins de répugnance de conceuoir vn Dieu (c'eft à dire vn eftre fouuerainement parfait) auquel manque l'exiftence (c'eft à dire auquel manque quelque perfection), que de conceuoir vne montagne qui n'ait point de valée. C'eft icy le nœud de toute la quejîion : qui cède à prefent, il faut qu'il fe confejfe vaincu; pour ^moy, qui ay à faire auec vn pitijfant aduerfaire, il faut que i'ef- quiue vn peu, afin qu'ayant à eflrc vaincu, | ie difere, au moins pour quelque temps, ce que ie ne puis euiter.

Et premièrement encore que nous n'agiffions pas icy par auto-

125 rite, mais feulement par raifon, neant\moins, de peur qu'il ne femble que ie me veuille oppofer fans fujet à ce grand efprit, écoute^ pluftojï Saint Thomas, qui fe fait à foy-mefme cette objeâion : Auffi-toft qu'on a compris & entendu ce que fignifie ce nom Dieu on fçait que Dieu eft; car, parce nom, on entend vne chofe telle, que rien de plus grand ne peut eftre conceu. Or ce qui eft dans l'entendement &en effet, eft plus grand que ce qui eft feulement

, dans l'entendement. C'eft pourquoy, puifque, ce nom Dieu eftant entendu, Dieu eft dans l'entendement, il s'enfuit aufli qu'il eft en effet. Lequel argument ie reus ainfi en Jornie : Dieu <.;/? ce qui e/l tel que rien de plus grand ne peut c/lre conceu ; mais ce qui c/i tel que rien de plus grand ne peut e/lre conceu enfermi' l'exi/lence ; doncqucs Dieu, par fon nom ou par fon concept, enferme l'exijtence; 6'- partant il ne peut e/lre, ni eflrc conceu fans exiffencc. Mainlenanl, diles-moy,

98-99- Premières Objections. 79

ie vous prie, n'ejl-ce pas le me/me argument de Monjteur Des- Cartes ? Saint Thomas définit Dieu ainfi : ce qui eft tel que rien de plus grand ne peut eftre conceu. Monfieur Des-Cartes Vapelle vn eftre fouuerainement parfait; certes ?~ien de plus grand que luy ne peut ejlrc conceu. Saint Thomns^ pourfuit : ce qui eft tel que rien de plus grand ne peut eftre conceu, enferme l'exiftence ; autrement quelque chofe de plus grand que luy pouroit eftre conceu, à fçauoir ce qui eft conceu enfermer aufli l'exiftence. Mais Monfieur Des- Cartes ne fembie-t-il pas Je Jeruir de la mejme mineure dans \ fon 126 argument? Dieu efi vn efire fouuerainement parfait; or efi-il que l'efire fouuerainement parfait enferme l'exifience, autrement il ne feroit pas fouuerainement parfait. Saint Thomas infère ; doncques, puifque, ce nom Dieu eftant compris & entendu, il eft dans l'enten- dement, il s'enfuit aufti qu'il eft en effet; c'eft à dire, de ce que, dans le concept ou la notion elfentielle d'vn eftre tel que rien de plus grand ne peut eftre conceu, l'exiftence eft comprife & en- fermée, il s'enfuit que cet eftre exifte. Monfieur Des-Cartes infère la mefme chofe. Mais, dit-il, de cela feul | que ie ne puis conceuoir Dieu fans exiftence, il s'enfuit que l'exiftence elt infeparable de luy, & partant qu'il exifte véritablement. Qiie maintenant Saint Thomas réponde à foy -mefme & à Monfieur Des-Cartes. Pofé, dit-il,^ que chacun entende que par ce nom Dieu il eft fignihé ce qui a efté dit, à fçauoir ce qui eft tel que rien de plus grand ne peut eftre conceu, il ne s'enfuit pas pour cela qu'on entende que la chofe qui eft lignifiée par ce nom foit dans la nature, mais feulement dans l'ap- prehenfion de l'entendement. Et on ne peut pas dire qu'elle foit en effet, û on ne demeure d'accord qu'il y a en effet quelque chofe telle que rien de plus grand ne peut eftre conceu; ce que ceux-là nient ouuertement, qui difent qu'il n'y a point de Dieu. D'oii ie répons aujfi en peu de paroles : encore que l'on demeure d'accord que l'efire fouuerainement parfait par fon propre nom emporte l'exifience, neantmoins il ne s'enfuit pas que cette mefme exifiencefoit dans la nature aduellement quelque chofe, mais feulement | qu'auec 127 le concept, ou la notion de l'efire fouuerainement parfait, celuy de l'exifience efi infeparablement conioint. D'oîi vous ne pouue:{ pas i?iferer que l'exifience de Dieu foit aâuellement quelque chofe, fi vous ne fupofei que cet efire fouuerainement parfait exifie aâuellement; tar pour lors il contiendra aâuellement toutes les perfeâ ions, & celle auffi d'ime exifience réelle.

Trouuei bon maintenant, Meffieurs, qu'après tant de fatigues ie delajjè vn peu mon efprit. Ce compofé, lion exiftant, enferme e[fen-

8o Œuvres de Descartes.

99-101.

tiellement ces deux parties, àfçauoir, lion & l'exijlence ; car Ji vous ojïei l'vne ou l'autre, ce ne fera plus le me/me compofé. Maintenant Dieu n'a-t-il pas de toute éternité connu clairement & dijîinâement ce compofé? Et Vidée de ce compofé, en tant que tel, n'enferme-t-elle pas effentiellement l'vne & l'autre de ces parties? c'efï à dire l'exi- flencen'efl' elle pas de l'ejfence de ce [compofé Won exiftant? Et néant- moins la difîinâe connoij/ance que Dieu a eue de toute éternité, ne fait pas necejfairement que l'vne ou l'autre partie de ce compofé fait, fi on ne fupofe que tout ce compofé efl aâuellement; car alors il enfermera & contiendra en foy toutes fes perfeâions ejfentielles, & partant auffi l'exifîence aduelle. De mefme, encore que ie connoiffe clairement & diflinâement l'efire fouuerain, & encore que l'efire fouuerainement parfait dansfon concept effentiel enferme l'exifîence^ neantmoins il ne s'enfuit pas que cette exifience foit aâuellement quelque chofe, fi vous ne fupofe\ que cet eflre fouuerain exifie ; car' 128 alors, auec toutes fes autres perfeâions, | il enfermera auffi aâuel- lement celle de Vexifience ; & ainfi il faut prouuer d'ailleurs que cet efire fouuerainement parfait exifie.

l'en diray peu touchant Vexifience de Vame & fa difiinâion réelle d'auec le corps; car ie confeffe que ce grand efprit m'a défia telle- ment fatigué, qu'au delà ie ne puis quafi plus rien. S'il y a vne difiinâion entre Vame & le corps, il femble la prouuer de ce que ces deux chofes peuuent efire conceuës difiinâement & feparément l'vne de Vautre. Et fur cela ie mets ce fcauant homme aux prifes auec Scot, qui dit qtVafin qii'vne chofe foit conceuë difiinâement & f^p<^- rément d'vne autre, il fuffit qu'il y ait entre elles vne difiinâion, qu'il appelle formelle & obiediue, laquelle il met entre la diftinélion réelle & celle de raifon ; & c'efi ainfi qu'il difiingue la iufiice de Dieu d'auec fa mifericorde; car elles ont, dit-il, auant aucune opération de l'entendement, des raifons formelles différentes, en forte que l'vne n'eft pas l'autre ; & neantmoins ce feroit vne mauuaife confe- quence de dire : la iurtice peut élire conceuë feparément d'auec la mifericorde, donc elle peut aufli exifter feparément. Mais ie ne voy pas que i'ay défia pajjé les bornes d'vne lettre.

Voilà, MeJJîeurs, les chofes que Vauois à dire touchant ce que vous m'auei propofé; c'efi à vous maintenant d'en efire les luges. Si vous prononcei en ma faueur, \ il ne fera pas mal-aifé d'obliger Af^ Des- Cartes à ne me vouloir point de mal, fi ie luy ay vn peu contredit ; que fi vous efies pour luy, ie donne dés à prefent les mains, £• me confeffe vaincu, à- ce d'autant plus volontiers que ie craindrais de Vefire encore vne autrefois. Adieu.

IO1-I02..4, Premières Réponses. 8i

[REPONSES DE L'AVTEVR i?j bis'

AUX PREMIERES OBJECTIONS,

faites par vn*' fçauant Théologien du Pais-bas.

Meflieurs, .

le vous confeffe que vous auez fufcité contre moy vn puiffant ad- uerfaire, duquel l'efprit & la dodrine eufTent peu me donner beau- coup de peine, fi cet officieux & deuot Théologien n'euft mieux aimé fauorifer la caufe de Dieu & celle de fon foible defenfeur, que de la combatre à force ouuerte. Mais quoy qu'il lui ait efté tres- honnelle d'en vfer de la forte, ie ne pourois pas m'exempter de blâme, fi ie tàchois de m'en preualoir; c'eft pourquoy mon delTein ell plutoft de découurir icy l'artifice dont il s'eft feruy pour m'afilfter, que de luy répondre comme à vn aduerfaire.

Il a commencé par vne briêue dedudion de la | principale raifon i?8 bis dont ie me fers pour prouuer l'exiftence de Dieu, afin que les Ledeurs s'en relfouuinflent d'autant mieux. Puis, ayant fuccinte- ment accordé les chofes qu'il a iugé eftre fuffifamment démontrées, &. ainfi les ayant apuyées de fon autorité, il eft venu au nœud de la difficulté, qui eft de fçauoir | ce qu'il faut icy entendre par le nom d'idéCf ik quelle caufe cette idée requiert ^

Or i'ay écrit en quelque part, que l'idée eji la chofe me/me conceuë, ou penfée, en tant qu'elle eJi objeâiuement dans V entendement, lef- quelles paroles il feint d'entendre tout autrement que ie ne les ay dites, afin de me donner occafion de les expliquer plus clairement. EJlrej dit-il, objeâiuement dans l'entendement, c'eji terminer à la façon d'pn objet l'acte de l'entendement, ce qui n'eft qu'vne dénomina- tion extérieure, & qui n'adjoûte rien de réel à la chofe, &c. il faut remarquer qu'il a égard à la chofe mefme, comme eftant hors de

a. Par une erreur de pagination, dans la i^^ édition, les numéros 127 et 128 (deux dernières pages de la feuille Q) se trouvent répétés aux deux premières de la feuille R. Par contre les numéros i35 et i36 man- quent. Nous avons indique en marge par 727 bis et 128 bis les numéros répétés.

b.' Vnj Monfieur Caterus (2' et 3* édit,).

c. Non à la ligne [i" édit.).

Œuvres. IV.

82 Œuvres de Descartes. 103-103.

l'entendement, au refpecl de laquelle c'eft de vray vne dénomina- tion extérieure, qu'elle foit objediuement dans l'entendement; mais que ie parle de l'idée, qui n'eft îamais hors de l'entendement, & au refpeâ: de laquelle ejlre objeâiiiement ne fignifie autre chofe, qu'eftre dans l'entendement en la manière que les objets ont coutume d'y eftre. Ainfi, par exemple, fi quelqu'vn demande, qu'eft-ce qu'il arriue au Soleil de ce qu'il eft objediuement dans mon entendement, on répond fort bien qu'il ne luy arriue rien qu'vne dénomination exté- rieure, à fçauoir qu'il termine à la façon d'un objet l'opération de

129 mon entendement ; mais fi on | demande de l'idée du Soleil ce que c'cft, & qu'on réponde que c'eil la chofe penfée, en tant qu'elle eft objecTiuement dans l'entendement, perfonne n'entendra que c'eft le Soleil mefme, en tant que cette extérieure dénomination eft en luy. Et ejire objeâiiiement dans l entendement ne fignifiera pas ter- miner fon opération à la façon d'vn objet, mais bien eftre dans l'en- tendement en la manière que fes objets ont coutume d'y eftre ; en telle forte que l'idée du Soleil eft le Soleil mefme exirtant dans l'en- tendement, non pas à la vérité formellement, comme il eft au Ciel, mais objediuement, c'eft à dire en la manière | que les objets ont coutume d'exifter dans l'entendement : laquelle façon d'eftre eft de vray bien plus imparfaite que celle par laquelle les chofes exiftent hors de l'entendement ; mais pourtant ce n'eft pas vn pur rien, comme i'ay défia dit cy-deuant\

Ct lorfque ce fçauant Théologien dit qu'il y a de l'equiuoque en ces paroles, vn pur rien, il l'emble auoir voulu m'auertir de celle que ie viens tout maintenant de remarquer, de peur que ie n'y prifl'e pas garde. Car il dit, premièrement, qu'vne chofe ainfi exi- ftante dans l'entendement par fon idée, n'eft pas vn eftre réel ou aduel, c'eft à dire, que ce n'eft pas quelque chofe qui foit hors de l'entendement; ce qui eft vray. En après il dit aufti que ce n'eft pas quelque chofe de feint par l'efprit, ou vn eftre de raifon, mais quelque chofe de réel, qui eft conceu diftindement; par lefquelles paroles il admet entièrement tout ce que i'ay auancé. Mais neant-

130 moins | il ad joute, parce que cette chofe ejî feulement conceuë, S qu'aâueliement elle n'eft pas (c'eft à dire, parce qu'elle eft feulement vne idée, & non pas quelque chofe hors de l'entendement), elle peut à la vérité eftre conceuè', mais elle ne peut aucunement eftre caufe'e, c'eft à dire, qu'elle n'a pas befoin de caufe pour exifter hors de l'en- tendement; ce que ie confefle, mais certes elle a befoin de caufe

a. Non à la ligne (r*et 2* édit

IO3-I04. Premières Réponses. 8j

pour eftre conceuë, & de celle-là feule il eft icy queftion. Ainfi, û quelqu'vn a dans l'elprit l'idée de quelque machine fort artificielle, on peut auec raifon demander quelle eft la caufe de cette idée ; & celuy-là ne fatisferoit pas, qui diroit que cette idée hors de l'enten- dement n'eft rien, & partant qu'elle ne peut eftre caufée, mais feu- lement conceuë; car on ne demande icy rien autre chofe, finon quelle eft la caufe pourquoy elle eft conceuë. Ce!uy-là ne fatisfera pas aufli, qui dira que l'entendement mefme en eft la caufe, en tant que c'eft vne de fes opérations ; car on ne doute point de cela, mais feulement on demande quelle eft la caufe de l'artifice objeétif qui eft en elle. Car que cette idée (contienne vn tel artifice objedif plutoft qu'vn autre, elle doit fans doute auoir cela de quelque caufe, & l'artifice objedif eft la mefme chofe au refped; de cette idée, qu'au refpeft de l'idée de Dieu la realité objediue. Et de vray on peut afligner diuerfes caufes de cet artifice ; car ou c'eft vne réelle & femblable machine qu'on aura veuë. auparauant, à la relfemblance de laquelle cette idée a efté formée, ou vne grande connoiffance de la mejchanique qui eft dans l'entendement, ou peut-eftre vne grande 181 fubtilité d'efprit, par le moyen de laquelle il a peu l'inuenter fans aucune autre connoiflance précédente. Et il faut remarquer que tout l'artifice, qui n'eft qu'objediuement dans cette idée, doit eftre formellement ou éminemment dans fa caufe, quelle que cette caufe puifle eftre. Le mefme auïïi faut-il penfer de la realité objeéliue qui eft dans l'idée de Dieu. Mais en qui eft-ce que toute cette realité, ou perfedion,fe pourra rencontrer telle, finon en Dieu réellement exif- tant ? Et cet efprit excellent a fort bien veu toutes ces chofes; c'eft pourquoy il confelfe qu'on peut demander pourquoy cette idée con- tient cette realité objediue plutoft qu'vne autre : à laquelle demande il a répondu, premièrement, que de toutes les idées, il en ejl de mefme que de ce que i'ay efcrit de l'idée du triangle, fçauoir eji que, bien que peut-ejire il n'y ait point de triangle en aucun lieu du monde, il ne laijjé pas d'y auoir vne certaine nature, ou forme, ou effence deter^ minée du triangle, laquelle ejl immuable & éternelle, & laquelle il dit n* auoir pas befoin de caufe. Ce que neantmcins il a bien iugé ne pouuoir pas fatisfaire ; car, encore que la nature du triangle foit immuable & éternelle, il n'eft pas pour cela moins permis de de- mander pourquoy fon idée eft en nous. C'eft pourquoy il a adjoûté : Si neantmoins vous me prejfe^ de vous dire vne raifon, ie vous diray que c'ejl l'imperfeâion de noflre efprit, &c. Par laquelle réponse il femble n'auoir voulu fignifier autre chofe, finon que ceux qui le voudront icy | éloigner de mon fentiment, ne pourront rien 132

84 Œuvres de Descartes. 104-106.

répondre de vray-femblable. | Car, en effet, il n'eft pas plus probable de dire que la cauTe pourquoy l'idée de Dieu eft en nous, foit l'im- perfedion de noftre efprit, que fi on difoit que l'ignorance des mechaniques fuft la caufe pourquoy nous imaginons plutoft vne machine fort pleine d'artifice qu'vne autre moins parfaite. Car, tout.au contraire, fi quelqu'vn a l'idée d'vne machine, dans laquelle foit contenu tout l'aftifice que l'on fçauroit imaginer, l'on infère fort bien de là, que cette idée procède d'vne caufe dans laquelle il y auoit réellement & en effet tout l'artifice imaginable, encore qu'il ne foit qu'objediuement & non point en effet dans cette idée. Et par la mefme raifon, puifque nous auons en nous l'idée de Dieu, dans la- quelle toute la perfection ei\ contenue que l'on puiffe iamais conce- uoir, on peut de conclure tres-euidemment, que cette idée dépend & procède de quelque caufe, qui contient en foy véritablement toute cette perfection, à fçauoir, de Dieu réellement exiltant. Et certes la difficulté ne paroiftroit pas plus grande en l'vn qu'en l'autre, fi, comme tous les hommes ne font pas fçauans en la mechanique, & pour cela ne peuuent pas auoir dés idées de machines fort artifi- cielles, ainfi tous n'auoient pas la mefme faculté de conceuoir l'idée de Dieu. Mais, parce qu'elle eft emprainte d'vne mefme façon dans l'efprit de tout le monde, & que nous ne voyons pas qu'elle nous 433 vienne iamais d'ailleurs que de nous-mefmes, nous fupofons | qu'elle apartient à la nature de noftre efprit. Et certes non mal à propos; mais nous oublions vne autre chofe que l'on doit principalement confiderer, & d'où dépend toute la force, & toute la lumière, ou l'intelligence de cet argument, qui eft qi4e cette faculté d'auoiv en Joy Vidée de Dieu ne pourrait pas ejlre en nous, Jt nojîre efprit ejîoit feulement vne chofe finie y \ comme il eji en effet, & qu'il n'eu/t points pour caufe de fou eJlre, vne caufe quifujl Dieu. C'eft pourquoy, outre cela, i'ay demandé, fçauoir fi ie pourrois eftre, en cas que Dieu ne fuft point, non tant pour aporter vne raifon différente de la précé- dente, que pour expliquer la mefme plus exactement.

Mais icy la courtoifie de cet aduerfaire me iette dans vn paflage alfez difficile, & capable d'attirer fur moy l'enuie & la ialoufie de plufieurs ; car il compare mon argument auec vn autre tiré de Saint Thomas & d'Ariftote, comme s'il vouloit par ce moyen m'obligera dire la raifon pourquoy, eftant entré auec eux dans vn mefme che- min, ie ne I'ay pas neantmoins fuiuy en toutes choies; mais ic le prie de me permettre de ne point parler des autres, & de rendre feulement raifon des chofcs que i'ay écrites. Premièrement donc, ie n'ay point tiré mon argument de ce que ie voyois, que dans les

, 06-107. Premières Réponses. 85

chofes fenfibles il y auoit vn ordre ouvne certaine fucceflion de caufes efficientes, partie à caufe que i'ay penfé que l'exiftence de Dieu eftoit beaucoup plus éuidente que celle d'aucune choie len- fibie, & partie auffi pour ce | que ie ne voyois pas que cette lue- 134 ceffion de caufes me peuft conduire ailleurs qu'à me faire connoirtre rimperfedion de mon efprit, en ce que ie ne puis comprendre com- ment vne infinité de telles caufes ont tellement fuccedé les vnes aux autres de toute éternité, qu'il n'y en ait point eu de première. Car certainement, de ce que ie ne puis comprendre cela, il ne s'enfuit pas qu'il y en doiue auoir vne première : comme auffî, de ce que ie ne puis comprendre vne infinité dc'diuifions en vne quantité finie, il ne s'enfuit pas'que l'on puilfe venir à vne dernière, après laquelle cette quantité ne puifTe plus eftre diuifée ; mais bien il fuit feule- ment I que mon entendement, qui e(l finy, ne peut comprendre l'in- finy. C'eft pourquoy i'ay mieux aymé apuier mon raifonnement fur l'exiftence de moy-mefme, laquelle ne dépend d'aucune fuite de caufes, & qui m'eft fi connue que rien ne le peut ellrc dauantagc; &, m'interrogeant fur cela moy-mefme, ie n'ay pas tant cherché par quelle caufe i'ay autrefois elle produit, que i'ay cherché quelle elt la caufe qui à prefent me conferue, afin de me deliurer par ce mo\en de toute fuite & fucceflion de caufes. Outre cela, ie n'ay pas cher- ché quelle eft la caufe de mon eflre, en tant que ie fuis compofé de corps & d'ame, mais feulement & precifément en tant que ie fuis vne chofe qui penfe. Ce que ie croy ne feruir pas peu à ce fujct, car ainfi i'ay pu beaucoup mieux me deliurer des preiugcz, conliderer ce que dicte la lumière naturelle, m'interroger | moy-mefme, ^i 437 tenir pour certain que rien ne peut eftre en moy, dont ie n'ayc quelque connoi fiance. Ce qui en eflcci eil autre chofe que fi, de ce que ie voy que ie fuis de mon père, ie confiderois que mon perc vient aufli de mon ayeul; & fi, parce qu'en cherchant ainfi les pères de mes pères ie ne pourois pas continuer ce progrez à l'infiny, poui mettre fin à cette recherche, ie concluois qu'il y a vne première caufe. De plus, ie n'ay pas feulement cherché quelle efl la caufe de mon eftre, en tant que ie fuis vne chofe qui penfe, mais principale- ment en tant qu'entre plufieurs autres penfées, ie rcconnois que i'ay en moy l'idée d'vn eftre fouverainement parfait; car de cela feul dépend toute la force de ma demonftration. Premièrement, parce que cette idée me fait connoiftre ce que c'eft que Dieu, au moins autant que ie fuis capable de le connoiftre; &, félon les ioix de la

a. Voir ci-avant, p. 8i, note a.

86 Œuvres de Descartes. 107-109.

vraye Logique, on ne doit iamais demander d'aucune chofe, fi elle ejiy qu'on ne | fçache premièrement ce quelle eji. En fécond lieu, parce que c'eft celte mefme idée qui me donne occafion d'examiner fi ie fuis parmoy ou par autruy, & de reconnoiftre mes défauts. Et en dernier lieu, c'eft elle qui m'aprend que non feulement il y a vne came de mon eftre, mais de plus auiïi, que cette caufe contient toutes fortes de perfections, & partant qu'elle eft Dieu. Enfin, ie n'ay point dit qu'il ell: impofliblc qu'vne chofe foit la caufe efficiente de foy-mefme; car, encore que cela foit manifeftement véritable, lorf-

i38 qu'on reftraint la fignification d'effi|cient à ces caufes qui font diffé- rentes de leurs effets, ou qui les précèdent en temps, il femble toutesfois que dans cette queftion elle ne doit pas eftre ainfi ref- trainte, tant parce que ce feroit vne queftion friuole: car qui ne fçait qu'vne mefme chofe ne peut pas eftre différente de foy-mefme ny fe précéder en temps? comme aufli parce que la lumière naturelle ne nous dide point, que ce foit le propre de la caufe efficiente de pré- céder en temps fon effet : car au contraire, à proprement parler, elle n'a point le nom ny la nature de caufe efficiente, finon lorf- qu'elle produit fon effet, & partant elle n'eft point dèuant luy. Mais certes la lumière naturelle nous dide qu'il n'y a aucune chofe de In- quelle il ne foit loifible de demander pourquoy elle exifte, ou dont on ne puiffe rechercher la caufe efficiente, ou bien, fi elle n'en a point, demander pourquoy elle n'en a pas befoin; de forte que, fi ie penfois qu'aucune chofe ne peuften quelque fiiçon eftre, à l'efgard de foy-mefme, ce que la caufe efficiente eft à l'efgard de fon effecl, tant s'en faut que de ie voulufle conclure qu'il y a vne première caufe, qu'au contraire de celle-là | mefme qu'on appelleroit première, ie rechercherois derechef la caufe, & ainfi ie ne viendrois iamais à vne première. Mais certes i'auouë franchement qu'il peut y auoir quelque chofe dans laquelle il y ait vne puilfance û grande & ^\ incpuifable, qu'elle n'ait iamais eu befoin d'aucun fecours pour exifter, & qui n'en ait pas encore befoin maintenant pour eftre con-

139 feruée, & ainfi qui foit en queljque façon la caufe de foy-mefme; & ie conçoy que Dieu eft tel Car, tout de mefme que, bien que i'euft'e efté de toute éternité, & que par confequent il n'y euft rien eu auant moy, neantmoins, parce que ie voy que les parties du temps peuucnt eftre feparces les vnes d'auec les autres, & qu'ainfi, de ce qne ie fuis maintenant, il ne s'enfuit pas que ie doiue eftre encore après, fi, pour ainfi parler, ie ne fuis créé de nouucau à chaque moment pur quelque caufe, ie ne ferois point difficulté d'apeller efficiente la, caufe qui me crée continuellement en cette façon, c'eft à dire qui me con-

I09-II0. Premières Réponses. 87

fcrue. Ainfi, encore que Dieu ait toufiours efté, neantmoins, parce que c'efl luy-mefme qui en effeft le conferue, il femble qu'affez pro- prement, il peut eftre dit & apelé la caufe de fof -me/me. (Toutesfois il faut remarquer que ie n'entens pas icy parler d'vne conferuation qui fe faffe par aucune influence réelle & pdfitiue de la caufe effi- ciente mais que i'entens feulement que l'efTence de Dieu efl telle, qu'il eft impoflible qu'il ne foit ou n'exift^ pas toufiours.)

Celaeftant pofé, il me fera facile de répondre à la diftindion du mol par foy , (\UQ ce tres-do6le Théologien m'auertit deuoir eftre ex- pliqué. Car, encore bien que ceux qui, ne s'attachant qu'à la propre & étroite fignification d'efficient, penfent qu'il eft impoffible qu'vne chofe foit la caufe efficiente de foy-mefme, & ne remarquent icy au- cun autre genre de caufe, qui ait raport & analogie auec la caufe efficiente, encore, dif-je, que ceux-là n'ayent pas de couftume | d'en- 140 tendre autre chofe, | lorfqu'ils difent que quelque chofe eft parfqy, finon qu'elle n'a point de caufe, fi toutesfois ils veulent pluftoft s'ar- refter à la chofe qu'aux paroles, ils reconnoiftront facilement que la fignification negatiue du mot parfoy ne procède que de la feule imperfedion de l'efprit humain, & qu'elle n'a aucun fondement dans les chofes ; mais qu'il y en a vne autre pofitiue, tirée de la vé- rité des chofes, & fur laquelle feule mon argument eft appuyé. Car fi, par exemple, quelqu'vn penfe qu'vn corps foit par foy, il peut n'entendre par autre chofe, finon que ce corps n'a point decau^e; & ainfi il n'alîure point ce qu'il penfe par aucune raifon pofitiue, mais feulement d'vne façon negatiue, parce qu'il ne connoift aucune caufe de ce corps. Mais cela témoigne quelque imperfedion en fon iugement, comme il reconnoiftra facilement après, s'il confidere que les parties du temps ne dépendent point les vnes des autres, & que partant, de ce qu'il a fupofé que ce corps iufqu'à cette heure a efté par foy, c'eft à dire fans caufe, il ne s'enfuit pas pour cela qu'il doiUe eftre encore à l'auenir, fi ce n'eft qu'il y ait en luy quelque puifTance réelle & pofitiue, laquelle, pour ainfi dire, le reproduifc continuel- lement. Car alors, voyant que dans l'idée du corps il ne fe rencontre aucune puiffance de cette forte, il luy fera ayfé d'inférer de que ce corps n'eft pas par foy, & ainfi il prendra ce mot par foy pofitiue- ment. De mefme, lorfque nous difons que Dieu eft par foy, nous Ipouuons aufli à la vérité entendre cela negatiuement, & n'auoir 141 point d'autre penfée, finon qu'il n'y a aucune caufe de fon exiftence ; mais fi nous auons auparauant recherché la caufe pourquoy il eft, ou pourquoy il ne ceffe point d'eftre, &^que, con- fiderans l'immenfe & incomprehenfible puifl"ance qui eft contenue

88 OEuvRES DE Descartes. no-m.

dans fon idée, nous l'ayons reconnue fi pleine & fi abondante, qu'en effeâ; elle foit la caufe pourquoy il eft & ne ceffe point d'eftre, & qu'il n'y en puiffe auoir d'autre que celle-là, nous difons ■que Dieu ^iiparfo}', non plus negatiuement, mais au contraire tres- pofitiuement. Car, encore qu'il ne foit pas belbin de dire J qu'il ell la caufe efficiente de foy-mefme, de peur que peut-ellre on n'entre en difpute du mot, neantmoins, parce que nous voyons que ce qui fait qu'il eft par foy, ou qu'il n'a point de caufe différente de foy-mefme, ne procède pas du néant, mais de la réelle & véritable immenfité de fa puiffance, il nous eft tout à fait loifible de penfer qu'il fait en quelque façon la mefme chofe à l'efgard de foy-mefme, que la caufe efficiente à l'efgard de fon effed, & partant, qu'il eft par foy pofitiue- ment. Il eft aufli loifible à vn chacun de s'interroger foy-mefme, fçauoir li en ce mefme fens il eft par foy, & lorfqu'il ne trouue en foy aucune puifl'ance capable de le conferuer feulement vn moment, il conclut auec raifon qu'il eft par vn autre, & mefme par vn autre qui eft par foy, pource qu'eftant icy queftion du temps prefent, & Itt non point du parte ou du futur, le progrez ne | peut pas eftre conti- nué à l'infiny. Voire mefme i'adjoufteray icy de plus (ce que neant- moins ie n'ay point écrit ailleurs), qu'on ne peut pas feulement aller iufqu'à vne féconde caufe, pource que celle qui a tant de puiifance que de conferuer vne chofe qui eft hors de foy, fe conferue à plus forte raifon foy-mefme par fa propre puiifance, & ainfi elle eft par foy \

Maintenant, lorfqu'on dit que toute limitation eft par vne caufe, ie penfe, à la vérité, qu'on entend vne chofe vraye, mais qu'on ne

a. Le paragraphe ajouté, dont il est question au tome VI, p. m, noiC h, ne se trouve point dans la traduction de 1647 (/''< édit.), mais seulement dans celle de 1661 (2* édit.) et les suivantes. 11 n'a donc pas été vu par Des- cartes, et serait tout entier de Clerselier. Nous le donnons cependant ici, à titre de document : « Et, pour preuenir icy vne obie^lion que l'on pou- » roit faire, à fçauoir que peut-eftre celuy qui s'interroge ainfi foy-mefme » a la puiifance de fe conferuer fans qu'il s'en apperçoiue, ie dis que cela » ne peut eftre, & que i\ cette puiifance eftoit en luy, il en auroit necelfai- » rement connoilfance ; car, comme il ne fe confidere en ce moment que » comme vne chofe qui penfe, rien ne peut eftre en luy dont il n'ait ou » ne puilfe auoir connoilfance, à caufe que toutes les adions d'vn cfprit » (comme feroit celle de fe conferuer foy-mefme, Il elle procedoit de luy) » cftani des penfces, & partant cllant prefentes & connues à l'efprit, celle-- » là, comme les autres, luy feroit aufti prefente & connue, & par elle il » viendroit neceflairemeni à connoiftre la faculté qui la produiroit, toute » adion nous menant necelfaircmcnt à laconnoilVancc de la faculté qui la » produit, o

I1I-1I3. Premières Réponses. 89

l'exprime pas en termes affez propres, & qu'on n'ofte pas la diffi- culté ; car, à proprement parler, la limitation ell feulement vne né- gation d'vne plus grande perfection, laquelle négation n'ert point par vne caufe, mais bien la chofe limitée. Et encore qu'il foit vray que toute chofe eft limitée par vne caufe, cela neantmoins n'eft pas de foy manifefte, mais il le faut prouuer d'ailleurs. Car, comme ré- pond fort bien ce fubtil Théologien, vne chofe peut eilre| limitée en deux façons, ou parce que ccluy qui l'a produite ne luy a pas donné plus de perfections, ou parce que fa nature ert telle qu'elle n'en peut receuoir qu'vn certain nombre, comme il elt de la nature du triangle de n'auoir pas plus de trois collez. Mais il me femble que c'elt vne chofe de foy euidente & qui n'a pas befoin de preuue, que tout ce qui exilte, elt ou par vne caufe, ou par foy comme par vne caufe; car puifque nous conceuons ^.i. entendons fort bien, non feulement l'cxillence, mais aulTi | la négation de l'exiltence, il n'y a 143 rien que nous puiflions feindre eitre tellement par foy, qu'il ne faille donner aucune raifon pourquoy plutoû" il exitle, qu'il n'exilte point; & ainfi nous deuons touliours interpréter ce mot ejlre par foy pofi- tiuement, & comme fi c'eltoii cltre par vne caufe, à fçauoir par vne furabondance de fa propre puilfance, laquelle ne peut élire qu'en Dieu feul, ainfi qu'on peut ayfément démontrer.

Ce qui m'ett enfuite accordé par ce fçauant Docteur, bien qu'en effed il ne reçoiue aucun doute, elt neantmoins ordinairement fi peu confideré, & ell d'vne telle importance pour tirer toute la Philofo- phie hors des ténèbres elle femble eltre enfeuclie, que lorfqu'il le confirme par fon authorité, il m'ayde beaucoup en mon deifein.

Et il demande icy, auec beaucoup de raifon, fi ie connois claire- ment & diltinélement l'infiny ; car bien que i'a3'e taché de preuenir cette objedion, neantmoins elle fe prefente fi facilement à vn cha- cun, qu'il ell necelfaire que i'y réponde vn peu amplement. C'eft pourquoy ie diray icy premièrement que l'infiny, en tant qu'infiny, n'ell point à la vérité compris, mais que neantmoins il eft entendu; car, entendre clairement & diilinctement qu'vne chofe foit telle qu'on ne puilfe y rencontrer de limites, c'eft clairement entendre qu'elle eft infinie. |Et ie mets icy de la diftinclion entre Vindefnr & Vitijïuy. Et il n'y a rien que ie nomme proprement infiny, finon ce en I quoy de toutes parts ie ne rencontre point de limites, auquel 144 fens Dieu feul eft infiny. Mais les choies efquclles fous quelque con- fideration feulement ie ne voy point de fin, comme l'étenduif 'des efpaces imaginaires, la multitude des nombres, la diuifibilité des parties de la quantité t^c autres chofes femblables, ie les appelle

90 OEuvRES DE Descartes. 113.114.

indéfinies, & non pas injînies, parce que de toutes parts elles ne font pas fans fin ny fans limites. Dauantage, ie mets diitinétion entre la raifon formelle de l'infiny, ou l'infinité, & la chofe qui cil infinie. Car, quant à l'infinité, encore que nous la conceuions eftre très po- fitiue, nous ne l'entendons neantmoins que d'vne façon negatiue, fçauoir eft, de ce que nous ne remarquons en la chofe aucune limi- ' tation. Et quant à la chofe qui eft infinie, nous la conceuons à la vérité pofitiuement, mais non pas félon toute fon étendue', c'eit à dire que nous ne comprenons pas tout ce qui elt intelligible en elle. Mais tout ainfi que, lorfque nous lettons les yeux fur la mer, on ne laifl'e pas de dire que nous la voyons, quoy que notre veuë n'en atteigne pas toutes les parties & n'en mefure pas la vafte étendue: & de vray, lorfque nous ne la regardons que de loin, comme fi nous la voulions embraffer toute auec les yeux, nous ne la voyons que confufément, comme aufli n'imaginons-nous que confufément vn Chiliogone, lorfque nous tâchons d'imaginer tous les coftez en- femble ; mais, lorfque noftre veuë s'arreite fur vne partie de la mer feulement, cette vifion alors peut eftre fort claire & fort diftincle,

A45 comme aufli l'imagination | d'vn Chiliogone, lorfqu'elle s'étend feu- lement fur vn ou deux de fes coftez. De mefme i'auouë auec tous les Théologiens, que Dieu ne peut eftre compris par Tefprit humain, |& mefme qu'il ne peut eftre diftih(5lement connu par ceux qui tâchent de l'embrafter tout entier & tout' à la fois par la penfée, & qui le regardent comme de loin: auquel fcns Saint Thomas a dit, au lieu cy-deuant cité, que la connoiffance de Dieu eft en nous fous vne efpece de confufion feulement, & comme fous vne image obfcure ; mais ceux qui confiderent attentiuement chacune de fes perfections, & qui appliquent toutes les forces de leur efprit à les contempler, non point â deflein de les comprendre, mais pluftoftde les admirer, & reconnoiftre combien elles font au delà de toute comprehenlion, ceux-là, dif-je,trouuent enluy incomparablement plus de chofesqui peuuent eftre clairement & diftindement connues, & auec plus de facilité, qu'il ne s'en trouue en aucune des choies créées. Ce que Saint Thomas a fort bien reconnu luy-mefme en ce lieu-là, comme il eft aifé de voir de ce qu'en l'article fuiuant il alfure que l'exiftence de Dieu peut eftre demonftrée. Pour moy, toutes les fois que i'ay dit que Dieu pouuoit eftre (;onnu clairement & diftindement, ie n'ay iamais entendu parler que de cette connoillance finie, & accom- modée à la petite capacité de nos efprits. Aufli n*a-t-il pas cité né- ccftaire de l'entendre autrement pour la vérité des choies que i'ay

146 autncécs, comme \ on verra facilement, li on prend garde que ie nay

!i4-«i6. Premières Réponses. 91

dit cela qu'en deux endroits. En l'vn defquels il eitoit queftion de fçauoirli quelque chofe de réel eftoit contenu dans l'idée que nous formons de Dieu, ou bien s'il n'y auoit qu'vne négation de chofe (ainfi qu'on peut douter fi, dans l'idée du froid, il n'3' a rien qu'vne négation de chaleur), ce qui peut aiiement eilre connu, encore qu'on ne comprenne pas l'infiny. Et en l'autre, i'ay maintenu que l'exi- ftence n'apartenoit pas moin§ à la-rfature de l'eftre fouuerainement parfait, que trois coflez J apartiennent à la nature du triangle : ce qui fe peut aufll affez entendre, fans qu'on ait vne connoilfance de Dieu fi étendue, qu'elle comprenne tout ce qui eft en luy.

Il compare icy derechef vn de mes argumens auec vn autre de Saint Thomas, afin de m'obliger en quelque façon de monftrer le- quel des deux a le plus de force. Et il me femble que ie le puis faire fans beaucoup d'enuie, parce que Saint Thomas ne s'eft pas feruy de cet argument comme fien, & il ne conclut pas la mefme chofe que celuy dont ie me fers; & enfin, ie ne m'éloigne icy en aucune façon de l'opinion de cet Angélique Dodeur. Car on luy demande, fçauoir, fi la connoiffance de l'exiftence de Dieu eft fi natu- relle à l'efprit humain qu'il ne foit point befoin de la prouuer, c'eft à dire fi elle eft claire & manifefte à vn chacun ; ce qu'il nie, & moy auec luy. Or l'argument qu'il s'objede à foy-mefme, fe peut ainfi propofer. Lorfqu'on comprend | & entend ce que fignifie ce nom 147 DieUf on entend vne chofe telle que rien de plus grand ne peut eftre conceu ; mais c'eft vne chofe plus grande d'eftre en efl'ecl & dans l'entendement, que d'eftre feulement dans l'entendement; doncques, lorfqu'on comprend & entend ce que fignifie ce nom Dieu, on en- tend que Dieu eft en effect & dans l'entendement : il y a vne faute manifefte en la forme, car on deuroit feulement conclure : doncques, lorfqu'on comprend & entend ce que fignifie ce nom Dieu, on entend qu'il fignifie vne chofe qui eft en effed & dans l'en- tendement; or ce qui eft fignifie par vn mot, ne paroift pas pour cela eftre vray. Mais mon argument a efté tel : ce que nous conceuons clairement &. diftinctement apartenir à la nature, ou à l'eflence, ou à la forme immuable & vraye de quelque chofe, cela peut eftre dit ou affirmé auec vérité de cette choie ;| mais après que nous auons affez foigneufement recherché ce que c'eft que Dieu, nous conceuons clairement & diftinctement qu'il apariient à fa vraye & immuable nature qu'il exifte; doncques alors nous pouuons affirmer auec vé- rité qu'il exifte. du moins la conclufion eft légitime. Mais la maieure ne fe peut auffi nier, parce qu'on eft défia tombé d'accord cy-deuant, que tout ce que nous entendons ou conceuons claire-

92 Œuvres de Descartes. ne-ny.

ment & dillinclement ell vray. Il ne refte plus que la mineure, ie confeffe que la difficulté n'elt pas petite. Premièrement, parce 148 que nous Ibmmes tellement ac|coullumez dans toutes les autres choies de diitinguer l'exiltence de l'effence, que nous ne prenons pas allez garde comment elle apartient à relTence de Dieu, plurtoit qu'à celle des autres choies ; & aufli poUrce que, ne diftinguant pas les choies qui appartiennent à la vraye & immuable elfence de quelque chofe, de celles qui ne luy Ibnt attribuées (jue par la fiction de nollre entendement, encore que nous aperceuions aifez claire- ment que l'exiftence apartient à l'elTence de Dieu, nous ne con- cluons pas toutesfois de que Dieu exifte, pource que nous ne fçauons pas fi fon efîence eil immuable & vraye, ou fi elle a feule- ment efté inuentée. Mais, pour ofter la première partie de cette difficulté, il faut faire diftindion entre l'exiftence poffible & la ne- ceffaire ; & remarquer que l'exiftence poffible cïl contenue dans le concept ou l'idée de toutes les chofes que nous conceuons clairement & diftinctement, mais que l'exiftence neceflaire n'eft contenue que dans la feule idée de Dieu. Car ie ne doute point que ceux qui confidereront auec attention cette différence qui eft entre l'idée de Dieu & toutes les autres idées, n'aperçoiuent fort bien, I qu'encore que nous ne conceuions iamais les autres chofes, finon comme exiftantes, il ne s'enfuit pas neantmoins de qu'elles exi- ftent, mais feulement qu'elles peuuent cxifter ; parce que nous ne conceuons pas qu'il foit necelfaire que l'exiftence actuelle foit con- 119 iointe auec leurs autres proprietez; mais que, de ce que nous | con- ceuons clairement que l'exiftence aduelle eft neceffiiirement & touf- iours conjointe auec les autres attributs de Dieu, il fuit de que Dieu necelîairement exifte. Puis, pour ofter l'autre partie de la diffi- culté, il faut prendre garde que les idées qui ne contiennent pas de vrayes & immuables natures, mais feulement de feintes & com- pofées par l'entendement, peuuenf eftre diuifées par le mefme en- tendement, non feulement par vne abftraction ou reftriction de fa pcnfée, mais par vne claire & diftinclc opération; en forte que les chofes que l'entendement ne peut pas ainfi diuifer, n'ont point fans doute efté faites ou compofces par luy. Par exemple, lorfque ie me rcprefente vn cheual aifté, ou vn lion actuellement exiftant, ou vn triangle infcrit dans vn quarré, ie conçoy facilement ».]^uc ie puis auffi tout au contraire me reprefenter vn cheual qui n'ait point d'aiflc*., vn lion qui ne foit point exiftant, vn triangle fans quarré, & partant, que ces chofes n'ont point de vrayes & immuables na- ture.H. Mais fi ic me rcprefente vn triangle, ou vn quarré (ie ne parle

117-119. Premières Réponses. 95

point icy du lion ni du cheual, pource que leurs natures ne nous ibnt pas encore entièrement connues), alors certes toutes les choies que ie reconnoiltray eltres contenues dans l'idée du triangle, comme que fes trois angles font égaux à deux droits, Sic, ie l'alfeureray auec vérité d'vn triangle ; &. d'vn quarré, tout ce que ie trouueray eltre contenu dans l'idée du quarré ; car encore que ie puilTc conce- |uoir vn triangle, en rellraignant tellement ma peniee, que ie ne 150 conçoiue en aucune façon que les trois angles font égaux à^deux droits, ie ne puis pas neantmoins nier cela de luy par| vne claire ^ didindle opération, c'ell à dire entendant nettement ce que ie dis. De plus, fi ie conlidere vn triangle infcrit dans vn quarré, non afin d'attribuer au quarré ce qui apartient feulement au triangle, ou d'attribuer au triangle ce qui apartient au quarré, mais pour exa- miner feulement les chofes qui nailfent de la conjonction de l'vn is: de l'autre, la nature de cette figure compofée du triangle iS: du quarré ne fera pas moins vraye & immuable, que celle du feul quarré ou du feul triangle. De façon que ie pouray alfurer auec vé- rité que le quarré n'elt pas moindre que le double du triangle qui luy eil infcrit, & autres chofes femblables qui appartiennent à la nature de cette figure compofée. Mais fi ie confidere que, dans l'idée d'vn corps tres-parfait, l'exillence efi contenue, & cela pource que c'eft vnc plus grande perfedion d'eilre en effecl & dans l'entende- ment que d'eftre feulement, dans l'entendement, ie ne puis pas de conclure que ce corps tres-parfait exifte, mais feulement qu'il peut exifter. Car ie reconnois alfez que cette idée a elle faite par mon en- tendement, leqjiel a ioint enfemble toutes les perfections corpo- relies; & aufli que l'exiftence ne refulte point des autres perfedions qui font comprifes en la nature du corps, pource que l'on peut éga- lement affirmer] ou nier qu'elles exiltent. Et de plus, à caufe qu'en 151 examinant l'idée du corps, ie ne voy en luy aucune force par la- quelle il fe produife ou le conferue luy-mefme, ie conclus fort bien que l'exiftence necelfaire, de laquelle feule il eft icy queftion, c6n- uient aufli peu à la nature du corps, tant parfait qu'il puiffe eftre, qu'il apartient à la nature d'vne montagne de n'auoir point de valée, ou à la nature du triangle d'auoir fes trois angles plus grands que deux droits. Mais maintenant, fi nous demandons, non d'vn corps, mais d'vne chofe, telle qu'elle puifl'c eftre, qui ait toutes les | per- fedions qui peuuent eftre enfemble, fçauoir fi l'exiftence doit eftre comtée parmy elles; il eft vray que d'abord nous en pourons douter, parce que noftre efprit, qui eft finy, n'ayant pas couftume de les confiderer que feparées, n'aperceura peut-eftre pas du premier coup,

94 OEuvREs DE Descartes. iig.120.

combien neceflairement elles font iointes entr'elles. Mais fi nous examinons Ibigneufement, fçauoir, fi l'exillence conuient à l'ellre Ibuuerainement puifl'ant, & ijuelle forte d'exiilence, nous pourrons clairement & dillindement connoiftre, premièrement, qu'au moins Texiftence poffible luy conuient, comme à toutes les autres chofes dont nous auons en nous quelque idée diftinde, mefme à celles qui font compofées par les fi«5tions de nollre efprit. En après, parce que nous ne pouuons penfer que fon exiitence ell poflible, qu'en mefme temps, prenans garde à fa puilfance infinie, nous ne connoiffions

152 qu'il peut exiller | par fa propre force, nous conclurons de que réellement il exille, & qu'il a elté de toute éternité. Car il efi tres- manifefte, par la lumière naturelle, que ce qui peut exifter par fa propre force, exifie toufiours; & ainfi nous connoillrons que l'exi- ftence necefl'aire eft contenue dans l'idée d'vn eltre fouuerainement puiffant, non par aucune fiction de l'entendement, mais pource qu'il apartient à la vraye & immuable nature d'vn tel élire, d'exi- tter; & nous connoillrons aufli facilement qu'il ell impoflible que cet élire fouuerainement puiffant n'ait point en luy toutes les autres perfections qui font contenues dans l'idée de Dieu, en forte que, de leur propre nature, & fans aucune fiction de l'entendement, elles foycnt toutes iointes enfemble, & exiilent dans Dieu. Toutes lef- quelles chofes font manifelles à celuy qui y penfe ferieufement, |& ^e différent point de celles que i'auois défia cy-deuant écrites, Ci ce n'eit feulement en la façon dont elles font icy expliquées, laquelle i'ay exprelfément changée pour m'accommoder à la diuerfité des efprits. Et ie confeffcray icy librement que cet argument eit tel, que ceux qui ne le relfouuiendront pas de toutes les chofes qui feruent à fa demonllration, le prendront aifement pour vn Sophifme; iït que cela m'a fait douter au commencement (i ie m'en dcuois feruir, de peur de donner occalion à ceux qui ne le comprendront pas, de ie deffier aufii des autres. Mais pource qu'il n'y a que deux voyes

153 par lefquelles on puilfe prouuer qu'il y a vn Dieu, fçauoir : | l'vne par fcs elfecls, & l'autre par fon elTence, ou fa nature mefme ; & que i'ay expliqué, autant qu'il m'a elle pofiiblc, la première dans la troifiefme Méditation, i*ay creu qu'après cela ie ne deuois pas ob- metire l'autre.

Pour ce qui regarde la dillinction formelle que ce tres-dode Théologien dit auoir pril'e de Scot, ie répons brièuement qu'elle ne diffère point de la modale, & qu'elle ne s'étend que fur les ellres incomplets, lefquels i'ay foigneufement dillingucz de ceux qui font complets; ^t qu'à la vérité elle fullii pour faire qu'vne choie l'oit

iao-i2i. Premières Réponses. 95

conceuë feparement & diftindement d'vne autre, par vne abftradion de l'efprit qui conçoiue la chofe imparfaitement, mais non pas pour faire que deux chofes foienî conceuës tellement diftindes & feparées l'vne de l'autre, que nous entendions que chacune ell vn eftre complet & différent de touj autre; car pour cela il eft befoin d'vne diftindion réelle. Ainfi, par exemple, entre le mouuement & la figure d'vn mefme corps, il y a vne diftinélion formelle, & ie puis fort bien conceuoir le mouuement fans la figure, & la figure fans le mouuement, &rvn & l'autre fans penfer particulièrement au corps qui fe meut ou qui eft figuré; mais ie ne puis pas neantmoins conceuoir pleinement & parfaitement le mouuement fans quelque corps auquel ce mouuement foit attaché, ny la figure) fans quelque corps relide cette figure; ny enfin ie ne puis pas feindre que le mouuement foit en vne cho|fe dans laquelle la figure ne puiffe pas i64 eftre, ou la figure en vnechofe incapable du mouuement. De mefme ie ne puis pas conceuoir la iuftice fans vn iurte, ou la mifericorde fans vn mifericordieux ; & on ne peut pas feindre que celuy-là mefme qui eft iufte, ne puiffe pas eftre mifericordieux. Mais ie conçoy pleinement ce que c'eft que le corps (c'eft à dire ie conçoy le corps comme vne chofe complète), en penfant feulement que c'eft vne chofe étendue, figurée, mobile &c., encore que < ie > nie de luy toutes les chofes qui appartfennent à la nature de l'efprit ; & ie conÇoy aufli que l'efprit eft vne chofe complète, qui doute, qui en- tend, qui veut &c., encore que ie n'accorde point qu'il y ait en luy aucune des chofes qui font contenues en l'idée du corps; ce qui ne fe pouroit aucunement faire, s'il n'y auoit vne diftindibn réelle entre le corps & l'efprit.

Voila, MeflTieurs, ce que i'ay eu à répondre aux objedions fub- tiles & officieufes de voftre amy commun. Mais fi ie n'ay pas efté afl'ez heureux d'y fatisfaire entièrement, ie vous prie que ie puilfe eftre auerty des lieux qui méritent vne plus ample explication, ou peut-eftre mefme fa ccnfure. Que fi ie puis obtenir cela de luy par voftre moyen, ie me tiendray à tous infiniment voftre obligé.

96

Œuvres de Descartes.

155 I SECONDES OBIECTIONS

Recueillies par le R. P. Merfenne de la bouche de diuers Théologiens & Philofophes.

Mon/leur, Puifque, pour confondre les nouueaux Geans du Jtecle, qui ofent attaquer l'Auteur de toutes chofes, vous aue-{ entrepris d'en affermir le trône en demonjlrant fon exijîence,\& que j'ojlre dejfein femble fi bien conduit, que les f^ens de bien peuuent efperer qu'il ne Je troiiuera defot^mais perfonne qui, après auoir leu attentiuement vos Méditations, ne confejfe qu'il y a me diuinité éternelle de qui toutes chofes dépen- dent, nous auons iugê à propos de vous auertir & vous prier tout en- femble, de répandre encore fur de certains lieux, que nous vous mar- querons cj'-apres, vue telle lumière, qu'il ne rejîe rien dans tout voftre

AW ouurage, qui ne \ foit, s'il ejl pojjible, ires-clairement & tres-manife- ^ftement démonjlré. Car, d'autant que depuis plujieurs années vous auCy, par de continuelles méditations, tellement exercé voftre efprit, que les chofes qui femblent aux autres obfcures & incertaines, vous peuuent paroi ftre plus claires, 6'- que j'ous les conceuei peut-eftre par vue ftmple infpeâion de l' efprit, fans vous aperceuoir de l'obfcurité que les autres y trouuent, il fera bon que vous foye\ auerty de celles qui ont befoin d'ejîre plus clairement <S'- plus amplement expliquées & demonjfrées. & lorfque vous nous ,aure\ Jatisfait en cecj', nous ne iu fréons pas qu'il y ait ^'•^//c'^t'^• pcrfoniic qui puijje nier que les raifons, dont vous aue; commencé la deduclion pour la gloire de Dieu 6'- l'vti- lité du public, < ne'> doiuent ejlre prifes pour des demonjt rations. Premièrement, 7'ows vous reJJouuiendrCy que ce n'eft pas aâuelle- ment & en vérité, mais feulement par vue fui ion de l'efprit, que vous aue\ rejette, autant qu'il vous a ejié pofl'ibU', les idées de tous les corps, comme des chofes feintes ou des fan tof mes trompeurs, pour conclure que vous eftie-; feulement vue chofe qui penfc : de peur qu'après cela vous ne croyiCy' peut-eftre que l'on puiJJ'e conclure qu'en ejfecl & fans ficlion vous n'ejles rien autre chofe qu'vn efyril, ou vue chofe qui penfe; ce que nous auons feulemcul trouué digue d'nbferuation lon-

^57 chant vos deux premières Méditations, dans Icfquclles | vous faites

a. « ne » {»nn> (/" édit.). rciaUli {:''' édit. et \niv.\

b. croyez » {i" et J' edii. .

ia2-i23. Secondes Objections. 97

voir clairement qu'au moins il ejl certain que vous qui penfe^ ejles quelque chofe. Mais arrejion^-nous vn peu icy. lufques-là vous con- noiJfe\ que vous ejies vne chofe qui penfe, mais vous nefçaue^^pas en- core ce que c'eji que cette chofe qui penfe. Et que fçaue^-vous fi, ce n'efi point vn corps, qui, parfes diuers mouuemens & rencontres y fait cette aâion que nous apellons du nom de penfée ? Car, encores que vous croyie:{ auoir rejette toutes fortes de corps, vous vous efies peu tromper en cela, que vous ,ne vous efies pas rejette vous-mefme, qui efies vn corps. Car comment prouue^-vous qu'vn corps ne peut penfer? \ ou que des mouuemens corporels ne font point la penfée mèfme ? Et pourquoy tout lefifteme de vofire corps, que vous crofe\ auoir rejette, ou quelques parties d'iceluy, par exemple celles du ^cerueau, ne peu- uent-elles pas concourir à former ces mouuemens que nous apellons des penfées ? le fuis, dites-vous, vne chofe qui penfe; mais quefçaue^- vousfi vous nèfles point aufjî vn mouuement corporel, ou vn corps remué?

Secondement, de l'idée d'vn eflre fouuerain, laquelle vous fouflene^ ne pouuoir efire produite par vous, vous ofe\ conclure l'exifience d'vn fouuerain efire, duquel feul peut procéder l'idée qui efi en vofire efprit. Mais nous trouuons en nous-mefmes vn fondement fuffifant, fur lequel efiant feulement apuj^e:{ nous pouuons former cette idée, quoj^ qu'il n'y euft point de Jouuerain efire, ou que nous ne \ fceuffions io8 pas s'il y en a vn, & que fon exifience ne nous vinfi pas m.efme en la penfée; car ne uoy-je pas qu'ayant la faculté de penfer, i'ay en moy quelque degré de perfeâion ? Et ne voy-je pas aufji que d'autres que moy ont vn femblable degré? Ce qui me fert de fondement' pour penfer à quelque nombre que ce f oit, & aujfi pour adjoufler vh degré de perfedion fur V autre iufqu'à l'infiny ; tout de mefme que, quand il n'y auroit au monde qu'vn degré de chaleur ou de lumière, ie . pourois neantmoins en adjoufier & en feindre touftours de nou- iieaux iufques à l'infiny. Powquoy pareillement ne pouray-je pas adioufier à quelque degré d'efire que i'aperçoy efire en moy, tel autre degré que ce foit, &, de tous les degre^ capables d'efire adioufie!{, former l'idée d'vn efire parfait? Mais, dites-vous, l'effed ne peut auoir aucun degré de perfeâion, ou de realité, qui n'ait efi é aupara- vant dans fa caufe. Mais {outre que iious voyons tous les iours que les mouches, & plufieurs autres animaux, comme aujji les plantes, font produites par le Soleil, la pluye & la terre, dans lefquels il n'y a point de vie comme en ces animaux, laquelle vie efi plus noble qu'aucun autre degré purement corporel, d'oii il arriue que l'effed tire quelque realité de fa caufe, qui neanlmoins n'efioit pas dans fa Œuvres, IV. 7

98 OEuvRES DE Descartes. 123-125.

caufé); mais, dif-je, celte \ idée n'ejî rien autre chofe ^u'vn ejlre de rai/on, qui n'eji pas plus noble que vq/îre efvrit qui conçoit. De plus, quefçaue\ <-vous > * fi cette idéejefujï iamais ojf^rte à vojïre

159 I efprit, fi vous euj/iei pajfé toute vojire vie dans vn defert, & non point en la compagnie de perfonnes fçauantes? Et ne peut-on pas dire que vous l'aue\ puijée des penfées que vous aue:^ eues auparauant, des enfeignemens des Hures, des difcours & entretiens de vos amis, &c., & non pas de vofire efprit feul, ou d'vn fouuerain efire exifiant ? Et partant il faut prouuer plus clairement que cette idée ne pou- roit efire en vous, s'il n'y auoit point de fouuerain efire; & alors nous ferons les p?x*miers à nous rendre à vofire raifonnement, & nous

y donnerons tous les mains. Or, que cette idée procède de ces notions anticipées, cela paroifi, ce femble, ajfe:^ clairement, de ce que les Canadiens, les Murons & les autres hommes Saunages n'ont point en eux vne telle idée, laquelle vous pouue^ mefme former de la connoif- fance que vous aue^ des chofes corporelles ; en forte que vofire idée ne reprefente rien que ce monde corporel, qui embraffe toutes les per- fedions que vous fçaurie'{ imaginer; de forte que vous ne pouue^ con- clure autre chpfe, finon qu'il y a vn efire corporel treS"parfait;fi ce n'efi que vous adjoufiie^ quelque chofe de plus, qui éleue vofire efprit iufqu'à la connoijjance des chofes fpirituelles ou incorporelles. Nous pouuons icy encore dire, que l'idée d'vn Ange peut efire en vous, aujffi bien que celle d'vn efire tres-parfait, fans qu'il foit befoin pour cela qu elle foit formée en vous par vn Ange réellement exifiant, bien

160 que l'Ange foit plus \ parfait que vous. Mais vous n'aue^ pas l'idée de Dieu, non plus que celle d'vn nombre ou d'vue ligne infinie ; la- quelle quand vous pourie^ auoir, ce nombre neantmoins efi entière- ment impojfible. Adjoufie^ à cela que l'idée de l'vnilé & fimplicité d'vne feule perfeâiou qui embraffe é' contienne toutes les autres, fe fait feulement par l'opération de l'entendement qui raifonne, tout aiufi que fe font les mités vniuerfelles, qui ne font point dans les chofes, mais feulement dans ienlendemcut, comme on peut voir par l'vnité générique, tranfcendanlale, i'-c.

En troificrmc lieu, puifque vous n'efies pas encore affeuré de l'exi- fience de Dieu, «S- que ivus dites neantmoins que j'Ous n<^ fçaurie:{ efire affeuré d'aucune chofe, ou que \ vous ne pouue-^ rien çonnoifire clai- rement C- difiinclemenl,fi premièrement vous ne connoif[c\ certaine- ment à' clairement que Dieu e.>(ifie, il s' enfuit que vous ne fçaue^ pas

a .. Que l<auex (\... » [i" édit.). « Uue fçauez-vou? ii... « {.>* ùdit. et suiv.).

Ï25-I26. Secondes Objections. 99

encore que roua e/îes vue chofe qui peufe, puifque, félon vous, celle connoijfance dépend de la connoiffancc claire d'vn Dieu exijlanl, la- quelle vo^ts n'aue'{ pas encore demonjlrée, aux lieux vous con- cluei que vous connoijfe:^ clairemenl ce que vous ejîes. AdjouJîc-{ à cela qu'vn Athée connoift clairemenl & d[ftinclemenl que les Irois angles d'vn trianifle font égaux à deux droits, quoy que neanlmoins il/oit fort efloigné de croire l'exijience de Dieu, puifqu'il la nie tout à fait : parce, dit-il, que Ji Dieu exijloit, ily\ aurait vn fouucrain ejîre 161 £■ vn fouuerain bien, ceft à dire vn injînj^ ; or ce qui eji infiny en tout genre de perfeâion exclut toute autre chofe que ce fait, fion feu- lement toute forte d'efîre & de bieny mais aujji toute forte de non efïre S" de mal; & neanlmoins il y a plufeurs efires & plufieurs biens, comme auffi plufieurs non efires & plufieurs maux ; à laquelle objedion nous iugeons qu'il efî à propos que vous répondie\, afin qu'il ne refle plus rien aux impies à objeâer, & qui puiffe fer uir de prétexte à leur impieté.

En quatrième lieu, vous nie^ que Dieu puifj'e mentir ou deceuoir ; quof que neanlmoins il fe trouue des Scolaftiques qui tiennent le con- traire, comme Gabriel, Ariminenfis, & quelques autres, qui penfent que Dieu ment, abfolument parlant, c'efi à dire qu'il fîptifîe quelque chofe aux hommes contre fnn intention, & contre ce qu'il a décrété & refolu, comme lorfque, fans adioufler de condition, il dit aux Nini- uites par fon Prophète : Encore quarante iours, & Niniue fera fub- uertie, & lorfqu'il a dit plufieurs autres chofes qui ne font point arriuées, parce qu'il n'a pas voulu que telles paroles répoudijfent a fon intention ou à fon décret. Que s'il a endurcy & aueuglé Pharaon, & s'il a mis dans les Prophètes | ;•» efprit de menfonge, comment pouue'{ < vous > dire que nous ne pouuons efire trompe^ par luy? Dieu ne peut-il pas fe comporter enuers les hommes, comme vn mé- decin enuersfes malades, & vn père entiers fes ejifans, lefquels l'vn & l'autre trompent ft foiiuenl, \ mais toufiours auec prudence 6'- vtUité? 162 Car fi Dieu nous monflroit la vérité toute nue, quel <eil ou pluflqfi quel efprit aurait aJfe-{ de force pour la fupporier ?

Combien qu'à vray dire il ne fait pas neceffliire de feindre vn Dieu trompeur, afin que vous foye-{ deceu dans les chofes que vous penf"^ connoiflre clairemenl u' diJtinclemeuL veu que la caitfe de celle décep- tion peut eftre en vous, quoy que vous n'y fongie\ feulemenl pas. Car que fçaue\'Vous fi vq/lre nature n'e/l point telle qu'elle fe trompe touf- jours, ou du moins fort fouuent? F.l d'où aue\-vous apris que, lou- chant les chofes que vous p€nfe\ connoiflre clairemenl & difUncle- metit, il eft certain que vous n'ejles iamais trompé. €• que vous ne le

loo OEuvRES DE Descartes. 126-127

pouuei eftre ? Car combien de fois auoiis nous peu que des perjonnes Je font trompées en dçs chofes qu'elles penfoienl voir plus clairement que le Soleil? Et partant, ce principe d'vne claire & dijtinde connoif- fance doit ejlre expliqué Ji clairement &fi dijlinclement, que perfonne déformais, qui ait l'efprit raifonnable, ne puijfe ç/lre deceu dans les chofes qu'il croira fçauôir clairement & dijlinâemènt; autrement nous ne voyons point encor que nous puijjions répondre auec certitude de la vérité d'aucune chofe.

En cinquième lieu,^ la volonté ne peut iamais faillir, ou ne pèche point, lorfqu elle fuit & Je laijfe conduire par les lumières claires^' 163 dijîinâes de l'efprit qui lagouuerne, & Jî, au contraire, die Je \ met en danger, lorsqu'elle pourjuit & embrajje les connoijffances objcures & confujes de l'entendement, prene-^ garde que de il Jemble que l'on puijfe inférer que les Turcs «S"- les autres infidèles non Jeulemenl ne pèchent point lorjquils n'embrajfent pas la Religion Chrejlienne & Catholique, mais mejme qu'ils pèchent lorjquils l'embra/fent, puij- qu'ils n'en connoijfent point la vérité n/ clairement nj" dijlinâemènt. Bien plus, Jt cette règle que vous établijfe^ ejl vraye, il ne fera permis à la volonté d'embraffer que fort peu de chofes, veu que nous ne con- naijfons quaji rien auec cette clarté & difinâion que vous requere^, pour Jormer vne certitude qui ne puijfe ejtre Jujette à aucun doute. Prene^ donc garde, s'il vousplaiji, que, \ voulant affermir le parly de la vérité, vous ne prouuiei plus qu'il ne faut, & qu'au lieu de l'apuyer vous ne la renuerfe^.

En fixiéme lieu, dans vos réponjes aux précédentes objeâions, il Jemble que vous aye:{ manqué de bien tirer la conclujion, dont voicy l'argument : Ce que clairement & di(lin6tement nous entendons apartenir à la nature, ou à l'eircnce, ou à la forme immuable & vraye de quelque chofe, cela peut efirc dit ou affirmé auec vérité de cette chofe; mais (après que nous auons < affez > foigneufement obferué ce que c'cll que Dieu) nous entendons clairement & diltindenient qu'il aparticnt à fa vraye & immuable nature, qu'il exille. // fau- 16i droit conclure : Donc\ques {après que nous auons ajfe\ Joigneujemenl objerué ce que c'ejl que Dieu), nouspouuuns dire ou aj/irmer auec vérité, qu'il apar lient à la nature de Dieu qu'il exijîe. D'oii il ne Juit pas que Dieu ex [fie en ejfecl, mais Jeulemenl qu'il doit exijler, f fa nature e/f poffîble, ou ne répugne point; c'eji à dire que la nature ou iejfeuce de Dieu ne peut e/lre conceué Jans exijlence, en telle forte que, fi celle ejfence e/l, il exi/le réellemenl. Ce qui Je raporle à cet argument que d'autres prnpofent de la forte : s'il n'implique point que Dieu Joit, il efl certain qu'il exifle; or il n'implique point qu'il exi/te; doucques.

127-128. Secondes Objections. ioi

&c. Maison ejl en que/lion de la mineure, à fçauoir, qu'il n'implique point qu'il exifte, la vérité de laquelle quelques vns de nos aduerfairei reuoquenl en doute, & d'autres la nient. Dauantage, celte claufe de vojlrc raifonnemetit (après que nous auons affez clairement reconnu ou obferué ce que c'elt que Dieu) ejl fupofée comme vraye, dont tout le monde ne tombe pas encore d'accord, veu que vous auo'ùe-{ vous- mefme que vous ne compi-ene^ Vinjînj' qu'imparfaitement; le me/me faut-il dire de tous fes autres attributs : caVy tout ce qui eft en Dieu ejlant entièrement infnf, quel ejî l'efprit qui puijfe comprendre Id moindre chofe qui foi t en Dieu, que tres-imparfaitement? Comment donc ponue^-vous auoir ajje:{, clairement & di/îinclement obferué ce que c'ejî que Dieu?

En feptiéme lieu, nous ne Irouuons pas vn feul \ mot dans vos 165 Méditations touchant | l'immortalité de lame de l'homme, laquelle neantmoins vous deuie-{ principalement pi'ouuer, & en faire vne ,tres' exaâe démon^ration pour confondre ces perfonnes indignes de l'im- mortalité, puifqu'ils la nient, & que peut-ejlre ils la detejient. Mais, outre cela, nous craignons que vous n'aye^ pas encore affe^prouué la diflinâion qui ejl entre l'ame & le corps de l'homme, comme nous auons dejia remarqué en la première de nos obferuations, à laquelle nous adjouftons qu'il ne femble pas que, de cette dijiinciion de l'ame d'auec le corps, il s'enfuiue qu elle f oit incorruptible ou immortelle; car qui fçaitf fa nature n'efi point limitée félon la durée de la vie corporelle, & fi Dieu n'a point tellement mefuré fes forces & fon exi- fience, qu'elle fnijfe auec le corps?

Voila, Monfeur, les chofes aufquelles nous defrons que vous apor- tie:{ vne plus grande lumière, afin que la leâure de vos tres-fubtiles^ &f comme nous efimons, tres-veritables Méditations fait prof table à tout le monde. C'ejt pourquoy ce feroit vne chofe fort vtile,f, à lafn de vos folutions, après auoir premièrement auancé quelques défini- tions, demandes & axiomes, vous conclu/e\ le tout félon la méthode des Géomètres, en laquelle vous efes Ji bien verfé, afin que tout d'vn coup, & comme d'vne feule œillade, vos Lecteurs y puijfent voir de quoj' fe fatisfaire, & que vous remplijjie\ leur efprit de la connoif- fance de la diuinité.

102 Œuvres de Descartes. 128-129.

I REPONSES DE L'AVTEVR

AVX SECONDES OBJECTIONS

recueillies de plujieurs Théologiens & Philofophes par le R. P.- Merjenne.

Meffieurs, C'eft auec beaucoup de fatisfadion que i'ay leu les obferuations que vous auez faites fur mon petit traité de la première Philofo- phie; car elles m'ont fait connoiftre la bien-veillance que vous auez pour moy, voftre | pieté enuers Dieu, &le foin que vous prenez pour, l'auancement de fa gloire; & ie ne puis que ie ne me rejouiffe, non feulement de ce que vous auez iugé mes raifons dignes de voftre cenfure, mais auflT de ce que vous n'auancez rien contre elles, à quoy il ne me femble que ie pouray répondre affez commodément. En premier lieu, vous m'auertiffez de me reffouuenir : Que ce 167 . neji'pas aduellement & en vérité, mais \ feulement par vne fiBion de l'efprit, que l'a/ rejette les idées ou les fantômes des corps, pour conclure que ie fuis vne chofe qui penfe, de peur que peut-e/tre ie n'eflime qu'il fuit de que ie ne fuis qu'vne chofe qui penfe. Mais i'ay defia fait voir, dans ma féconde Méditation, que ie m'en eftois affez fouuenu, veu que i'y ay mis ces paroles : Mais auffi peut-il arriuer que ces mefmes chofes que ie fupofe n'efîre point, parce qu'elles me font inconnues, ne font point en effed différentes de moy que ie connais : ie n'en fçaj rien, ie ne difpute pas maintenant de cela, &c., par lefquelles i'ay voulu expreffement aduertir le Lefteur, que ie ne'cherchois pas encore en ce lieu-là fi l'efprit eftoit différent du corps, mais que i'examinois feulement celles de fes proprietez, dont ie puis auoir vne claire & affeurée connoiffance. Et, d'autant que i'en ay remarqué plufieurs, ie ne puis admettre fans diftinc- tion ce que vous adioutez enfuite : Que ie ne fçay pas neantmoins ce que c'efi qu*vne chofe qui penfe. Car, bien que i'auoûe que ie ne fçauois pas encore fi cette chofe qui penfe n'eftoit point différente du corps, ou fi elle l'eftoit, ie n'auoiie pas pour cela que ie ne la connoiffois point; car qui a iamais tellement connu aucune chofe, qu'il fceuft n'y auoir rien en elle que cela mcfme qu'il connoiffoit? Mais nous penfons d'autant mieux connoiftre vne chofe, qu'il y a plus de particularitez en elle que nous connoiffons; ainfi nous auons plus

iJ9-i3i.. Secondes Réponses. loj

de connoiflance de ceux auec qui nous conuerfons tous les iours, que de ceux dont nous ne connoiffons que Ie|(nom ou le vifage ; 168 & toutesfois nous ne iugeons pas que ceux-cy nous foyent tout à fait inconnus ; auquel fens le penfe auoir alfez demonftré que l'cf- prit, confideré fans les chofes que l'on a de couftume d'attribuer au corps, eft plus connu que le corps confideré fans l'efprit. Et c'eft tout ce que i'auois deffein de prouuer en celte féconde Méditation.

Mais ie voy bien ce que vous voulez dire, c'eft à fçauoir que, n'ayant efcrit que fix Méditations touchant la première Philofophie, les Ledeurs s'eftonneront que, dans les deux premières, ie ne con- clue rien autre chofe que ce que ie viens de dire tout maintenant, & que pour cela ils les trouueront trop fteriles, & indignes d'auoir efté mifes en lumière. A quoy ie répons feulement que ie ne crains pas que ceux qui auront leu auec iugement le refte de ce que i'ay efcrit, ayent occafion de foupçonner que la matière m'ait manqué; mais qu'il m'a femblé tres-raifonnable que les chofes qui de- mandent vne particulière attention, & qui doiuent eitre confiderées feparément d'auec les autres, fuffent mifes dans des Méditations feparées.

C'eft pourquoy, ne fçachant rien de plus vtile pour paruenir à vne ferme & affeurée connoiffance des chofes, que fi, auparauant qufe de rien établir, on s'acouftume à douter de tout & principale- ment des chofes corporelles, encore que i'eulfe veu il y a long-temps plufieurs Hures efcrits par les Sceptiques & Académiciens touchant cette matière, & que ce ne | fuft pas fans quelque dégouft que ie 169 remâchois vne viande fi commune, ie n'ay peu toutesfois me dif- penfer de luy donner vne Méditation tout entière ; es: ie voudrois que les Ledeurs n'employaffent pas feulement le peu de temps qu'il faut pour la lire, mais quelques mois, ou du moins quelques femaines, à confiderer les chofes dont elle traitte, auparauant que de palTer outre ; car ainli ie ne doute point qu'ils ne filfent bien mieux leur profit de la lefture du relie.

De plus, à caule que nous n'auons eu iufques icy aucunes idées des chofes qui apartiennent à Tefprit, qui n'ayent elle tres-confufcs & I mêlées auec les idées des chofes fenfibles, & que c'a efté la pre- mière & principale raifon, pourquoy on n'a peu entendre allez clairement aucunes des chofes qui fe difoient de Dieu 6l de l'ame, i'ay penle que ie ne ferois pas peu, fi ie monftrois comment il faut diftinguer les proprietcz ou qualitez de l'efprit, des proprietez ou qualiicz du corps, & comment il les faut rcconnoillre ; car, encore qu'il ait délia efté dit par plulicurs que, pour bien entendre les

I04 Œuvres de Descartes. isi-isa.

chofes immatérielles ou metaphyfiques, il faut éloigner fon efprit des fens, neantmoins perfonne, que ie fçache, n'auoit encore monftré par quel moyen cela fe peut faire. Or le vray &, à mon iugement, l'vnique moyen pour cela eft contenu dans ma féconde Méditation; mais il eft tel que ce n'eft pas affez de l'auoir enuifagé

i70 vne fois, il le faut examiner fouuent, & le confidejrer long-temps, afin que l'habitude, de confondre les chofes intelleduelles auec les corporelles, qui s'eft enracinée en nous pendant tout le cours de nollre vie, puiffe ettre effacée par vne habitude contraire de les diftinguer, acquife par l'exercice de quelques iournées. Ce qui m'a femblé vne caufe affez iufte pour ne point tràitter d'autre matière en la féconde Méditation.

Vous demandez icy comment ie démonftre que le corps ne peut penfer; mais pardonnez-moy fi ie répons que ie n'ay pas encore donné lieu à cette queftion, n'ayant commencé d'en tràitter que dans la fixiéme Méditation, par ces paroles : C'eji affe^ que ie puijfe clairement & dijtinéîement conceuoir vne ckofe fans vne autre, pour ejlre certain que l'vne ejt dijiinâe ou différente de l'autre, &c. Et vn peu après : Encore que i'aye vn corps qui me foitfort ejlroi- iement conjoint, neantmoins, parce que, d'vn coftê, i'ay vne claire & dijiinâe idée de moy-mefme, en tant que iefuis feulement vne chofe qui penfe, ô noti étendue, & que, d'vn autre, i'ay une claire & dijiinâe idée 1 du corps, en tant qu'il ejl feulemeîtt vne chofe étendue, & qui ne penfe point, il eji certain que moy, c'eJi à dire mon efprit, ou mon ame, par laquelle iefuis ce que ie fuis, eJi entièrement & véritable- ment dijiinâe de mon corps, & qu'elle peut ejire ou exijier fans luy. A quoy il eft aifé d'adjoufter : Tout ce qui peut penfer eJi efprit, ou s'apelle efprit. Mais puifque le corps & l'efprit font réellement diflinâs, nul corps n'eji efprit. Doncques nul corps ne peut penfer.

171 Et certes ( ie ne voy rien en cela que vous puiffiez nier ; car nierez vous qu'il fuffit que nous conceuions clairement vne chofp fans vne autre, pour fçauoir qu'elles font réellement diftindes ? Donnez- nous donc quelque figne plus certain de la diftinélion réelle, fi toutesfois on en peut donner aucun. Car que direz- vous? Sera-ce que ces chofes font réellement diftindes, chacune defquelles peut exifter fans l'autre? Mais de rechef ie vous demanderay, d'où vous connoiffez qu'vne chofe peut exifter fans vne autre. Car, afin que ce foii vn figne de diftinction, il eft neceffaire qu'il foit connu.

Peul-eftre direz-vous que les fens vous le font connoiftre, parce que vous voyez vne chofe en l'abfence de l'autre, ou que vous la touchez, &.C. Mais la foy des fens eft plus incertaine que celle de

1 32-1 34. Secondes Réponses. 105

l'entendement ; & il fe peut faire en plufieurs façons qu'vne feule & mefme chofe paroiffe à nos fens fous diuerfes formes, ou en plufieurs lieux ou manières, & qu'ainfi elle foit prife pour deux. Et enfin, fi vous vous reflbuuenez de ce qui a efté dit de la cire à la fin de la féconde Méditation, vous fçaurez que les corps mefmes ne font pas proprement connus par les fens, mais par le feul entende- ment ; en telle forte que fentir vne chofe fans vne autre, n'eft rien finon auoir l'idée d'vne chofe, & entendre que cette idée n'ell pas la mefme que l'idée d'vne autre : or cela ne peut eftre connu d'ailleurs, I que de ce qu'vne chofe eft conceuë fans l'autre ; & cela ne peut eftre I certainement connu, fi l'on n'a l'idée claire & diftinde de ces deux 172 chofes : & ainfi ce figne de réelle diftindion doit eftre réduit au mien pour eftre certain.

Que s'il y en a qui nient qu'ils ayent des idées diftinftes de l'ef- prit & du corps, ie ne puis autre chofe que les prier de confiderer affez attentiuement les chofes qui font contenues dans cette féconde Méditation, & de remarquer que l'opinion qu'ils ont que les parties du cerueau concourent auec l'efprit pour former nos penfées, n'eft point fondée fur aucune raifon pofitiue, mais feulement fur ce qu'ils n'ont iamais expérimenté d'auoir efté fans corps, & qu'alfez fou- uent ils ont efté empefchez par luy dans leurs opérations; & c'eft le mefme que fi quelqu'vn, de ce que dés fon enfance il auroit eu des fers aux pieds, eftimoit que ces fers fiflent vne partie de fon corps, & qu'ils luy fulfent necefiaires pour marcher.

En fécond Heu, lorfque vous dites : Que nous auons en nous- mefmes vn fondement fuffifant pour former l'idée de Dieu, vous ne dites rien de contraire à mon opinion. Car i'ay dit moy-mefme en termes exprés, à la fin de la troifiéme Méditation : Que cette idée efl née auec moy, £• qu'elle ne me vient point d'ailleurs que de mof -mefme. rauoiie aufli que nous la pour ions former , encore que nous He fceuf' fions pas qu'il y a vn fouuerain efire, mais non pas fi en cffed il n'y en auoit point; car, au contraire, i'ay aduerty gwe toute la force de mon argument confifte en ce qu'il ne fe pouroit faire que la facul\té 173 déformer cette idéefufi en moy^fi ie n'auois efté créé de Dieu.

Eh ce que vous dites des mouches, des plantes, &c., | ne prouue en aucune façon que quelque degré de perfection peut eftre dans vn efl'ecl, qui n'ait point efté auparauant dans fa caufe. Car, ou il eft certain qu'il n'y a point de perfedion dans les animaux qut n'ont point de raifon, qui ne fe rencontre aufli dans les corps inanimez, ou s'il y en a quelqu'vne, qu'elle leur vient d'ailleurs, & que le Soleil, la pluye & la terre ne font point les caufes totales de ces animaux.

io6 Œuvres de Descartes. 134-135.

Et ce feroit vne chofe fort efloignée de la raifon, fi quelqu'vn, de cela feul qu'il ne connoift point de caufe qui concoure à la généra- tion d'vne mouche & qui ait aiitant de degrez de perfedion qu'en a vne mouche, n'eftant pas cependant affuré qu'il n'y en ait point d'autres que celles qu'il connoift, prenoit de occafion de douter d'vne chofe, laquelle,. comme ie diray tantoft plus au long, eft mani- fefte par la lumière naturelle.

A quoy i'adjoufte que ce que vous objectez icy des mouches, eftant tiré de la confideration des chofes matérielles, ne peut venir en l'ef- prit de ceux qui, fuiuans l'ordre de mes Méditations, détourneront leurs penfées des chofes fenfibles, pour commencer à philofopher.

Il ne me femble pas aufli que vous prouuiez rien contre moy, en difant. Que l'idée de Dieu qui eji en nous nejt qu'un ejire de rai/on. 1*^^ Car cela n'eft pas | vray, û par vn eJlre de raifon l'on entend vne chofe qui n'eft point, mais feulement fi toutes les opérations de l'en- tendement font prifes pour des ejîres de raifon, c'eft à dire pour des eftres qui partent de la raifon; auquel fens tout ce monde peut auffi eftre apelé vn cftre de raifon diuine, c'eft à dire vn eftre créé par vn fimple ade de l'entendement diuin. Et i'ay defia fuffifamment auerty en plufieurs lieu.x, que ie parlois feulement de la perfedion ou rea- lité objecliue de cette idée de Dieu, laquell.e ne requiert pas moins vne caufe, |en qui foit contenu en effed tout ce qui n'eft contenu en elle qu'objectiuemcnt ou par reprefentation , que fait l'artifice objectif ou reprefenté, qui eft en l'idée que quelque artifan a d'vne machine fort artificielle.

Et certes ie ne voy pas que l'on puilfe rien adjouter pour faire connoiftre plus clairement que cette idée ne peut eftre en nous, fi vii fouuerain eftre n'exifte, fi ce n'eft que le Lecteur, prenant garde de plus prés aux chofes que i'ay defia efcrites, le deliure luy-mcfme des prtiugcz qui offufquent peut-eftre fa lumière naturelle, &. qu'il s'a- coullume à donner créance aux premières notions, dont les connoif- fanccs font li vrayes & fi éuidentes, que rien ne le peut eftre dauan- tage, plultoft qu'à des opinions obfcures & faulfes, mais qu'vn long vfagc a profondement grauécs en nos efprits. Clar, qu'il n'y ait rien dans vn effed, qui n'ait efté d'vne femblable ns ou plus excellente façon dans fa cau|fe, c'eft vne première notion, «Si i\ euidcntc quil n'y en a point de plus claire; & cette autre com- mune notion, que de rien rien ne fe fuit, la comprend en foy, parce que, n on accorde qu'il y ail quelque chofe dans l'effecl, qui n'ait point eflc dans fa caufe, il faut aufti demeurer d'accord que cela pro- cède du ncunt ; & s'il cU éuidcnt que le rien ne peut eilre la catifc

»35-i36. Secondes Réponses. 107

de quelque chofe, c'efl feulement parce que, dans cette caufe, il n'y auroit pas la mcfme chofe que dans l'eifed.

C'eft aufÏ! vnc première notion, que toute la realité, ou toute la pcrfei5lion, qui n'ell qu'objeftiuement dans les idées, doit eftre for- mellement ou éminemment dans leurs caufes ; & toute l'opinion que nous auons iamais eue de l'exillence des chofes qui font hors de noltre efprit, n'eft apuyée que fur elle feule. Car d'où nous a peu venir le foupçon qu'elles exiitoient, fmon de cela feul que leurs idées 'venoient par les fens fraper noflre efprit?

Or, qu'il y ait en nous quelque idée d'vn eftre fouuerainèment puifTant & parfait, & auffî que la realité objediua de cette idée ne fe trouue point en nous, ny formellement, ny éminemment, cela de- uiendra manifelte à ceux qui y penferoht ferieufement, & qui vou- dront auec moy prendre la peine d'y méditer; maisie ne le | fçaurois pas mettre par force en l'efprit de ceux qui ne liront mes Médita- tions que comme vn Roman, pour fe defennuyer, & fans y auoir grande attention. Or, de tout cela, on | conclud très manifcltement 176 que Dieu exifte. Et toutesfois, en faueur de ceux dont la lumière naturelle eft fi foible, qu'ils ne voyent pas que c'eft vne première notion, que toute la perfecîion qui e/f objecîiuement dans vne idée, doit eftre réellement dans quelqu'rne de fes caufes, ie Tay encore dé- montré d'vne façon plus ayfée à conceuoir, en monftrant que l'efprit qui a cette idée ne peut pas exifter par foy-mefme; & partant ie ne voy pas ce que vous pouuez defirer de plus pour donner les mains, ainfi que vous l'auez promis.

le ne voy pas auflTi qUe vous prouuiez rien contre moy, en difant que i'ay peut-ellre receu l'idée qui me reprefente Dieu, des penfées que i'ay eues auparauaut, des enfeignemens des Hures, des di/cours & entretiens de mes amis, &c., & non pas de mon efprit feul. Car mon argument aura toufiours la mefme force, fi, m'adrcllant à ceux de qui l'on dit que ie I'ay receuif, ie leur demande s'ils l'ont par eux- mefmes, ou bien par autruy, au lieu de le demander de moy-mefme; & ie concluray toufiours que celuy-là ell Dieu, de qui elle cil pre- mièrement deriuée.

Quant à ce que vous adjouftez en ce lieu -là, qu'elle peut cfîre formée.de la conjideration des chofes corporelles, cela ne me fcmbie pas plus vrayfemblable, que fi vous difiez que nous n'auons aucune faculté pour ôuyr, mais que, par la feule veuc des couleurs, nous paruenons à la connoiflance des fons. Car on peut dire qu'il y a plus d'analogie ou de rajport entre les couleurs ^' les fons, qu'entre les 177 chofes corporelles & Dieu. Et lorfque vous demandez que i'ad/ou/le

io8 Œuvres de Descartes. i36-i38.

quelque chofe qui nous éleue iufquà la connoiffance de l'eftre imma- tériel ou fpirituel, \ ie ne puis mieux faire que de vous renuoyer à ma féconde Méditation, afin qu'au moins vous connoifliez qu'elle n'eft pas tout à fait inutile ; car que pourois-je faire icy par vne ou deux périodes, fi ie n'ay pu rien auancer par vn long difcours pré- paré feulement pour ce fujet, & auquel il me femble n'auoir pas moins apporté d'induftrie qu'en aucun autre efcrit que i'aye publié?

Et encore qu'en cette Méditation i'aye feulement traité de l'efprit humain, elle n'eft pas pour cela moins vtile à faire connoiftre la différence qui eft entre la nature diuine & celle des chofes maté- rielles. Car ie veux bien icy auoiier franchement que l'idée que nous auons, par exemple, de l'entendement diuin, ne me femble point diferer de celle que nous auons àç. noftre propre entendement, finon feulement comme l'idée d'vn nombre infiny diffère de l'idée du nombre binaire ou du ternaire ; & il en eft de mefme de tous les attributs de Dieu, dont nous reconnoiffons en nous quelque veftige.

Mais, outre cela, nous conceuons en Dieu vne immenfité, fimpli- cité, ou vnité abfoluë, qui embraffe & contient tous fes autres attri- buts, & de laquelle nous ne trouuons ny en nous, ny ailleurs, aucun 178 exemple ; mais elle eft (ainfi que i'ay dit auparauant) |comm(? la marque de Vouurier imprimée fur fort ouurage. Et, par fon moyen, nous connoiffons qu'aucune des chofes que nous conceuons eftre en Dieu & en nous, & que nous confiderons en luy par parties & comme (i elles eftoient diftindes, à caufe de la foibleffe de noftre entendement & que nous les expérimentons telles en nous, ne conuiennent point à Dieu & à nous en la façon qu'on nomme vniuoque dans les efcoles. Comme aufti nous connoiffons que, de plufieurs chofes particulières qui n'ont point de fin, dont nous auons les idées, comme d'vne con- noiffance fans fin, d'vnepuiffance, d'vn nombre, d'vne longueur, &c., qui font auffi fans fin, il y en a quelques-vnes qui font contenues formellement dans l'idée que nous auons de Dieu, comme la con- noili'ance & la puiffance, & d'autres qui n'y font qu'éminemment, comme le nombre & la longueur; ce qui certes ne (eroit pas ainfi, | fi cette idée n'eftoit rien autre chofe en nous qu'vnc fiction.

Et elle ne fcroit pas auffi conceuL' fi exa<flcment de la mefme façon de tout le monde ; car c'eft vne chofe tres-remarquable, que tous les Mctaphyficiens s'accordent vnanimement dans la description qu'ils font des attributs de Dieu (au moins de. ceux qui peuuent élire con- nus par la feule raifon humaine), en telle forte qu'il n'y a aucune chofe phyfique ny fcnfible, aucune chofe dont nous ayons vne idée (i cxprcffe ^: fi palpable, touchant la nature de laquelle il ne fe rcn-

i38-i39. Secondes Réponses. 109

contre chez les Philofophes vne plus grande diuerfité | d'opinions, 179 qu'il ne s'en rencontre touchant celle de Dieu.

Et certes iamais les hommes ne pouroient s'éloigner de la vraye connoifl'ance de cette nature diuine, s'ils vouloient feulement porter leur attention fur l'idée qu'ils ont de l'eftre fouuerainement parfait. Mais ceux qui méfient quelques autres idées auec ^elle-là, compofent par ce moyen vn Dieu chimérique, en la nature duquel il y a des chofes qui fe contrarient; &, après l'auoir ainfi compofé, ce n'eft pas merueille s'ils nient qu'vn tel Dieu, qui leur eft reprefenté par vne faufle idée, exifte. Ainfi, lorfque vous parlez icy d'vn ejlre corporel tres-parfait, fi vous prenez le nom de tres-parfait abfolument, en forte que 'vous entendiez que le corps ell vn élire dans lequel fe rencontrent toutes les perfeftions, vous dites des chofes qui fe con- trarient : d'autant que la nature du corps enferme plufieurs imper- fections, par exemple, que le corps foit diuifible en parties, que chacune de fes parties ne foit pas l'autre, & autres femblables ; car c'eft vne chofe de foy manifefte, que c'eft vne plus grande perfection de ne pouuoir eftre diuifé, que de le pouuoir eftre, &c.' Que fi vous entendez feulement ce qui eft tres-parfait dans le genre de corps, cela n'eft point le vray Dieu.

Ce que vous adjouftez de l'idée d'vn Ange, laquelle ejt plus par- faite que nous, \ à fçauoir, qu'il n'eji pas befoin qu'elle ait ejlé mife en nous par vn Ange, l'en demeure aifément d'accord ; car i'ay défia dit moy-|mefme, dans la.troifiéme Méditation, qu'elle peut eftre corn- 180 pojée des idées que nous auons de Dieu & de l'homme. Et cela ne m'eft en aucune façon contraire.

Quant à ceux qui nient d'auoir en eux l'idée de Dieu, & qui au lieu d'elle forgent quelque Idole, &c., ceux-là, dis-je, nient le nom, & accordent la chofe. Car certainement ie ne penfe pas que cette idée foit de mefme nature que les images des chofes matérielles dépeintes en la fantaifie ; mais, au contraire, ie croy qu'elle ne -peut eftre conceuë que par le feul entendement, & qu'en effet elle n'eft rien autre chofe que ce qu'il nous en fait connoiftre, foit par la première, foit par la féconde, foit par la troifiéme de fes opérations. Et ie pretens maintenir que, de cela feul que quelque perfedion, qui eft au-defl"us de moy, deuient l'objet de mon entendement, en quelque façon que ce foit qu'elle fe prefente à luy : par exemple, de cela feul que i'aperçoy que ie ne puis iamais, en nombrant, arriuer au plus grand de tous les nombres, & que de ie connois qu'il y a quelque

a. « &c » omis {i""' édit.).

no Œuvres de Descartes. 139-14»

chofe, en matière de nombrer, qui furpafle mes forces, ie puis con- clure neceffairement* nbn pas à la vérité qu'vn nombre infiny exUle, ny auflTi que fon e^ciftence implique contradiction, comme vous dites, mais que cette puiiTance que i'ay de comprendre qu'il y à loufiours quelque chofe de plus à conceuoir, dans le plus grand des nombres, que ie ne puis iamais conceuoir, ne me vient pas de moy-mefme, & que ie I'ay receuë de quelque autre eftre qui eft plus parfait que ie ne fuis.

181 I Et il importe fort peu qu'on donne le nom d'idée à ce concept d'vn nombre indefiny,vOU qu'on ne luy donne pas. Mais, pour entendre quel eft cet eftre plus parfait que ie ne fuis, & fi ce n'eft point ce mefme nombre, dont ie ne puis trouuer la fin, qui eft réel- lement exiftant & infiny, ou bien fi c'eft quelqu'autre chofe, il faut confiderer toutes les autres perfeélions, lefquelles, outre la puiffancc de me donner cette idée, peuuent eftre en la mefme chofe en qui eft cette puiffance ; | & ainfi on trouuera que cette chofe eft Dieu.

Enfin, lors que Dieu eft dit eftre inconceuable, cela s'entend d'vnc pleine & entière conception, qui comprenne & embraffe parfaite- ment tout ce qui eft en luy, & non pa^ de cette médiocre & impar- faite qui eft en nous, laquelle neantmoins fufit pour connoiftre qu'il exifte. Et vous ne prouuez rien contre moy, en difant qite l'idée de l'vnité de toutes les perfeâ ions qui fout en Dieu, foit formée de la^ mefme façon que l'imité générique '<& ceUe des autres vniuerfaux. Mais neantmoins elle en eft fort différente; car elle dénote vne par- ticulière & pofitiue perfedion en Dieu, au lieu que l'vnité générique n'adjoufte ^'ien de réel à la nature de chaque indiuidu.

En troifiéme lieu, i'ay dit que nous ne pouuons rien'fçauoir certainement, nous ne connoiffons premièrement que Dieu exi/îe, i'ay dit, en termes exprez, que ie ne parlois que de la fcience de ces conclufions-, dont la mémoire nous peut reuenir en l'efprit^ lorfque

182 \nous ne penfons plus aux raifons d'où nous les auons tirées. Car la connoiffance des premiers principes ou axiomes n'a pas accouftumé d'eftre apelléc fcience par les Dialediciens. Mais quand nous aper- ceuons que nous fommes des chofes qui penfent, c'eft vne première notion qui n'eft tirée d'aucun fyllogifme ; & lorfque quelqu'vn dit : le penfe, donc iefuis, ou i'exifle, il ne conclut pas fon exiftence de fa penfée comme par la force de quelque fyllogifme, mais comme^vne chofe connul' de foy ; il la void par vne fimple infpedion de l'efprit. Comme il paroift de ce que, s'il la deduifoit par le fyllogifme, il auroit deu auparauant connoiftre cette maieure : Tout ce qui penfe, efl ou exifle. Mais, au contraire, elle lui eft enfeignée de ce qu'il Cei>t

HO-I42- Secondes Réponses. m

en luy-mefme qu'il ne fe peut pas faire qu'il penfe, s'il n'exille. Car c'€ft le prppj:£ de noftre efprit, j de former les propofitions générales de la connoiffance des particulières.

Or, qu'pn Athée puijfe connoijlre clairement que les trois angles d'vn triangle font égaux à deux droits, ie ne le nie pas ; mais ie maintiens feulement qu'il ne le connoift pas par vne vraye & cer- taine fcience, parce que toute connoifl'ance qui peut eftre rendue douteufe ne doit pas eftre apellée fcience ; & puifqu'on fupofe que celuy-là eft vn Athée, il ne peut pas eftre certain de n'eftre point deceu dans les chofes qui luy femblent eftre tres-euidentes, comme il a défia efté montré cy-deuant ; & encore que peut eftre ce doute ne luy vienne point en la penfée, il luy peut neanimoins | venir, s'il 183 l'examine, ou s'il luy eft propofé par vn autre ; & iamais il ne fera hors du danger de l'auoir, fi premièrement il ne reconnoift vn Dieu.

Et il n'importe pas que peut-eftre il eftime qu'il a des demonftra- tions pour/prouuer qu'il n'y a point de Dieu; car, ces demonftra- tions prétendues eftant fauffes, on luy en peut toufiours faire con- noiftre la fauffeté, & alors on le fera changer d'opinion. Ce qui à la vérité ne fera pas difficile, fi pour toutes raifons il aporte feulement ce que vous adjouftez icy, c'eft à fçauoir, que Vinjîny en-iout genre de perfeâion exclut tout autre forte d'ejtre, &c.

Car, premièrement, fi on luy demande d'où il a apris que cette, exclufion de tous les autres eftres apartient à la nature de l'infiny, il n'aura rien qu'il puifl"e répondre pertinemment, d'autant que, par le nom d'injinj-, on n'a pas coutume d'entendre ce qui exclut l'exi- ftence des chofes finies, & qu'il ne peut rien fçauoii: de la nature d'vnechofe qu'il penfe n'eftre rien du tout, & par confequent n'auorr point de nature, finon ce qui | eft contenu dans la feule & ordinaire fignificaîion du nom de cette chofe.

De plus, à quoy feruiroit l'infinie puiffance de cet infiny imagi- naire, s'il ne pouuoit iamais rien créer? Et enfin, de ce que nous expérimentons auoir en nous-mefmes quelque puiffance de penfer, nous conceuons facilement qu'vne telle puiffance peut eftre en quelque autre, & mefme plus grande qu'en nous; mais encore que nous penfions que celle-là s'augmente à | l'infiny, nous ne crain- 184 drons pas pour cela que la noftre deuienne moindre. Il en eft de mefme de tous les autres attributs de Dieu, mefme de la puiffance de produire quelques effets hors de foy, pourueu que nous fupo- fions qu'il n'y en a point en nous, qui ne Ibit foumife à la volonté de Dieu; &. partant il peut eftre entendu tout à fait infiny fans aucune exclufion des chofes créées.

1 1 2 OEuvRES DE Descartes. 143-143.

En quatrième lieu, lorfque te dis que Dieu ne peut mentir , ny ejire trompeur, ie penfe conuenir auec tous les Théologiens qui ont iamais efté & qui feront à l'auenir. Et tout ce que vous alléguez au contraire n'a pas plus de force, que fi, ayant nié que Dieu fe mift en colère, ou qu'il fuft fujet aux autres paiïions de l'ame, vous m'ob- jediez les lieux de l'Ecriture il femble que quelques paflions humaines luy font attribuées.

Car tout le monde connoift alTez la diftindion qui eft entre ces façons de parler de Dieu, dont l'Ecriture fe fert ordinairement, qui font accommodées à la capacité du vulgaire & qui contiennent bien quelque vérité, mais feulement en tant qu'elle eft raportée aux hommes, & celles qui expriment vne vérité plus fimple & plus pure & qui ne change point de nature, encore qu'elle ne leur foit point raportée ; defquelles chacun doit vfer en philofophant, & dont i'ay deu principalement me feruir dans mes Méditations, veu qu'en ce lieu-là mefme ie ne fupofois pas encore qu'aucun homme me fuft connu, & que | ie ne me confiderois pas non plus en tant que

185 compofé de corps & | d'efprit, mais comme vn efprit feulement.

D'où il eft euident que ie n'ay point parlé en ce lieu-là du men- fonge qui s'exprime par des paroles, mais feulement de la malice interne & formelle qui eft contenue dans la tromperie : quoy que neantmoins ces paroles que vous aportez du Prophète : Encore quarante iours, & Niniue fera fubuertie, ne foient pas mefme vn menfonge verbal, mais vne fimple menace, dont l'euenement dépen- doit d'vne condition; & lorfqu'il eft dit que Dieu a endure/ le cœur de Pharaon^ ou quelque chofe de femblable, il ne faut pas penfer qu'il ait fait cela pofitiuement, mais feulement negatiuement, à fçauoir, ne donnant pas à Pharaon vne grâce efficace pour fe conucrtir.

le ne voudrois pas neantmoins condamner ceux qui difent que Dieu peut proférer par fes Prophètes quelque menfonge verbal, tels que font ceux dont fe feruent les Mcdecips quand ils deçoiucnt leurs malades pour les guerrir, c'éft à dire qui fuft exempt de toute la malice qui fe rencontre ordinairement dans la tromperie. Mais, bien dauantage, nous voyons quelquesfois que nous fommes réel- lement trompez par cet inftind naturel qui nous a efté donné de Dieu, comme lorfqu'vn hydropique a foif ; car alors il eft réelle- ment poufté à boire par la nature qui luy a efté donnée de Dieu pour la conferuation de fon corps, quoy que neantmoins cette na- ture le trompe, puifque le boire luy doit élire nuiftblc ; mais i'ay

186 expliqué, dans la fixiéme Méditation, comment cela peut | com- patir aucc la bonté ^ la vérité de Dieu.

143-145. Secondes Réponses. i i }

Mais dans les chofes qui ne peuuent pas eltre ainfi expliquées, à fçauoir, dans nos iugemens tres-clairs & tres-exads, lefquels, s'ils (eftoient faux, ne pouroient eftre corrigez par d'autres plus clairs, ny par l'ayde d'aucune autre faculté naturelle, ie fouftiens hardi- ment que nous ne pouuons eftre trompez. Car Dieu eftant le fouuc- rain eftre, il f^ut ncceflairement qu'il foit aufti le fouuerain bien & la fouueraine vérité, & partant il répugne que quelque chofe vienne de luy, qui tende pofitiuement à la fauffeté. Mais puifqu'il ne peut y auoir rien en nous de réel, qui ne nous ait efté donné par luy (comme il a efté démontré en prouuant fon exiftence), & puifquc nous auons en nous vne faculté réelle pour connoiftre le vray & le diftinguer d'auec le faux (comme on peut prouuer de cela feul que nous aùons en nous les idées du vray & du faux), fi cette faculté ne tendoit au vray, au. moins lorfque nous nous en feruons comme il faut (c'eft à dire lorfque nous ne donnons noftre confentement qu'aux chofes que nous conceu.ons clairement & dîftindement, car on ne peut pas feindre vn autre bon vfage de cette faculté), ce ne feroit pas fans raifon que Dieu, qui nous l'a donnée, feroit tenu pour vn trompeur.

Et ainfi vous voyez qu'après auoir connu que Dieu exifte, il eft neceflaire de feindre qu'il foit trompeur, fi nous voulons réuoquer en doute les chofes que nous conceuons clairement & diftinde- ^ ment; & | parce que cela ne fe peut pas mefme feindre, il faut i87 neceffairement admettre ces chofes comme tres-vrayes & tres- aflurées.

Mais d'autant que ie remarque icy que vous vous arreftez encore aux doutes que i'ay propofez dans ma première Méditation, & que ie penlbis auoir leuez alfez exadement dans les fuiuantes, i'expli- queray icy derechef le fondement fur lequel il me femble que toute la certitude humaine peut eftre apuyée.

Premièrement, auflitoft que nous penfons conceuoir .clairement, quelque vérité, nous fommes naturellement portez à la croire. El li cette croyance eft fi forte que nous ne pui (lions iamais auoir aucune raifon de douter de ce que nous croyons de la forte, il n'y a rien à rechercher dauantage : nous auons touchant cela toute la certitude qui fe peut raifonnablement I fouhaîter.

Car que" nous importe, Ci peut-eftre quelqu'vn feint que cela mefme, de la vérité duquel nous fommes li fortement perfuadez, paroill faux aux yeux de Dieu ou des Anges, & que partant, abfo- lument parlant, il ell faux ? Qu'auons nous à faire de nous mettre en peine de cette fauileté abfoluë, puifque nous ne la croyons point Œuvres. IV. 8

^

114 Œuvres de Desgartes. 145-146.

du tout, & que nous n'en auons pas mefme le moindre* loupçon ? Car nous fupoibns vne croyance ou vne perluafion fi ferme, qu'elle ne puiffe eftre oftée; laquelle par confequenf eft en tout la mefme chofe qu'vne tres-parfaite certitude. Mais on peut bien douter Ci

188 l'on a quelque certitude de cette nature, | ou quelque perfuafion ferme & immuable.

Et certes, il eft manifefte qu'on n'en peut pas auoir des chofes obfcures & confufes, pour peu d'obfcurité ou confufion que nous y remarquions ; car cette obfcurité, quelle qu'elle foit> eft vne caufe aflez fuffiiante pour nous faire douter de ces chofes. On n'en peut pas auffi auoir des chofes qui ne font aperceuës que par les fens, quelque clarté qu'il y ait en leur perception, parce que nous auons fouuent remarqué que dans le fens il peut y auoiV de l'erreur, coHime lorfq.uVn hydropique a foif, ou que la neige paroift jaune à celuy qui a la jauniffe; car celuy-ià ne la void pas moins clairement & diftinclement de la forte, que nous à qui elle paroift blanche. Il refte donc que, fi on en peut auoir, ce foit feulement des chofes que l'efprit conçoit clairement & diftinétement.

Or, entre ces chofes, il y en a de û claires & tout enfemble de û fimples, qu'il nous eft impoffible de penfer à elles, que nous ne les croyons eftre vrayes : par exemple, que i'exifte lorfque ie penfe, que les chofes qui ont vne fois efté faites ne peuuent pas n'auoir point efté faites, & autres chofes femblables, dont il eft manifcile que l'on a vne parfaite certitude.

Car nous ne pouuons pas douter de ces chofes-là | fans penfer à

elles; mais nous n'y pouuons iamais penfer, fans croire qu'elles

font vrayes, comme ie viens de dire ; doncques, nous n'en pouuons

. douter, que nous ne les croyons eftre vrayes, c'eft à dire que nous

n'en pouuons iamais douter.

189 I Et il ne fert de ri«n de dire que nous auons fouuent expérimenté que des perfonnes fe font trompées en des chofes qu'elles penf oient voir plus clairement que le Soleil. Car nous'n'auons iamais véu, ny nous ny perfonne, que cela foit arriué à ceux qui ont tiré toute la clarté de leur perception de l'entendement feul, mais bien à ceux qui l'ont prife des fens ou de quelque faux préjugé. Il ne fert de rien aufli que quelqu'vn feigne que ces chofes femblent faulfes à Dieu ou aux Anges, parce que l'euidence de noftre perception ne permettra pas que nous écoutions celuy qui l'aura feint & nous le voudra perfuadcr.

Il y a d'autres chofes que noftre entendement conçoit aufli fort clairement, lorfque nous prenons garde de prés aux raifons d'où

T46-I47- Secondes Réponses. 115

dépend leur connoiffance ; & pour ce, nous ne pouuons pas alors eu douter. Mais, parce nous pouuons oublier les raifons, & cependant nous refl'ouuenir des conclufions qui en ont efté tirées, on demande fi on peut auoir vne ferme & immuable perfuafion de ces conclu- fions, tandis que nous nous reffouuenons qu'elles ont efté déduites de principes tres-euidens ; car ce fouuenir doit eftre fupofé pour pouuoir eftre apellées conclufions. Et ie répons que ceux-là en peuuent auoir, qui connoilîent tellement Dieu, qu'ils fçauent qu'il ne fe peut pas faire que la faculté d'entendre, qui leur a efté don- née par luy, ait autre chofe que la vérité pour objet ; mais que les autres n'en ont point. Et cela a efté fi clairement expliqué à la fin de la cinquième Méditation, que | ie ne penfe pas y deuoir icy rien 190 adjoutter.

I En cinquième lieu, ie m'étonne que vous niïez que la volonté Je met en danger de faillir, lorfqu'elle pourfuit & embrajfe les connoif- fances ob/cuî^es & conjufes de l'entendement . Car qu'eft-ce qui la peut rendre certaine, fi ce qu'elle fuit n'eft pas clairement conneu ? Et quel a iamais efté le Philofophe ou le Théologien, ou bien feu- lement l'homme vfant de raifon, qui n'ait confefle que le danger de faillir nous nous expofons, eft d'autant moindre, que plus claire eft la chofe que nous conceuons auparauant que d'y donner noftre confentement ? & que ceux-là pèchent, qui, fans connoiffance de caiife, portent quelque iugement? Or nulle conception n'eft dite obicureou confufe, finon parce qu'il y a en elle quelque chofe de 'contenu, qui n'eft pas connue.

Et partant, ce que vous objedez touchant la foy qu'on doit em- brajfef , n'a pas plus de force contre moy, que contre tous ceux qui ont iamais cultiué la raifon humaine; &, à vray dire, elle n'en a aucune contre pas vn. Car, encore qu'on die que la foy a pour objet des chofes obfcures, neantmoins ce pour quoy nous les croyons n'eft pas obfcur; mais il eft plus clair qu'aucune lumière natu- relle. D'autant qu'il faut diftinguer entre la matière, ou la chofe à laquelle nous donnons noftre créance, & la raifon formelle qui meut noftre volonté à la donner. Car c'eft dans cette feule raifon formelle que nous voulons qu'il y ait de la clarté & de l'euidence.

I Et quant à la matière, perfonne n'a iamais nié qu'elle peut eftre 191 obfcure, voire l'obfcurité mefme ; car, quand ie iuge que l'obfcu- rlté doit eftre oftée de nos penfées pour leur pouuoir donner noftre confentement fans aucun danger de faillir, c'eft Tobfju- rité mefme qui me fert de matière pour former vn iugement clair & diftind.

ii6 Œuvres de Descartes.

147-149.

Outre cela, il faut remarquer que la clarté ou l'euidencc, (par laquelle noflre volonté peut eftre excitée à croire, efï de deux Ibnes : l'vne qui part de la lumière naturelle, & l'autre qui vient de la grâce diuine.

Or, quoy qu'on die ordinairement que la foy cfl des chofcs obfcures, toutesfois cela s'entend feulement de fa matière, & non point de la raifon formelle pour laquelle nous croyons ; car, au contraire, cette raifon formelle confille en vne certaine lumière intérieure, de laquelle Dieu nous ayant furnaturellement éclairez, nous auons vne confiance certaine que les chofes qui nous font propofées à croire, ont efté reuelées par luy, & qu'il ell entièrement impoflible qu'il foit menteur & qu'il nous trompe : ce qui cil plus affuré que toute autre lumière naturelle, & fouuent mefme plus euident, à caufe de la lumière de la grâce.

Et certes les Turcs & les autres infidelles, lorfqu'ils n'embraffent point la religion Chreftienne, ne pèchent pas pour ne vouloir point adjoufter foy aux chofes obfcures, comme eftant obfcures ; mais ils pèchent, ou de ce qu'ils refiftent à la, grâce diuine qui les auertit 192 intérieurement, ou que, pechans en d'au|tres chofes, ils fe rendent indignes tie cette grâce. Et ie diray hardiment qu'vn infidèle qui, dertitué de toute grâce furnaturelle, & ignorant tout à faif que les chofes que nous autres Chreftiens croyons, ont efté reuelées de Dieu, neantmoins, attiré par quelques faux raifon nements, fe por- teroit à croire ces mefmes chofes qui luy feroient obfcures, ne feroit pas pour cela fidèle, mais plutoft qu'il pecheroit en ce qu'il ne fe feruiroit pas comme il faut de fa raifon.

Et ie ne penfe pas que iamais aucun Théologien ortodoxe ait eu d'autres fentimens touchant cela; & ceux aufli qui liront mes M'»- ditations n'auront pas fujet de croire que ie n'ayc point connu cette lumière furnaturelle, puifque, dans la quatrième, i'ay foigneu- fcment recherché la caufe de l'erreur ou faufleté, i'ay dit, en paroles cxpreffes, | qu'elle difpofe l'iulerieuf de nojlre penfée à vouloir^ à'- que neantmoins elle ne diminue poinl la liberté.

Au relie, ie vous prie icy de vous fouuenir que, touchant les chofes que la volonté peut embralfer, i'ay toufiours mis vne tres- grandc diftin6lion entre l'vfage de la vie & la contemplation de la vérité. Car, pour ce qui regarde Tvlage de la vie, tant s'en faut que ie penfe qu'il ne faille fuiure que les chofes que nous connoillbns trcs-ciairemcnt, qu'au contraire ie tiens qu'il ne faut pas meline toujours attendre les plus vray-femblablgs, mais qu'il faut quelques- fois, entre pluficurs chofes tout à fait inconnu(is & incertaines, en

i49-i3o. Secondes Réponses. 117

193

Ichoifir vne & s'y déterminer, & après cela ne la pas croire moins fermement, tant que nous ne voyons point de railbns au contraire, que fi nous l'auions choifie pour des raifons certaines & tres-eui- dentes, ainfi que i'ay defia expliqué dans le Difcours de la Me- tliode, p. 2(). Mais il ne s'agit que de la contemplation de la vérité, qui a iamais nié qu'il faille fufpendre fon iugemcnt à l'égard des chofes obfcurcs, & qui ne font pas affez dillinétement connues? Or, que cette feule contemplation de la vérité ait lieu dans mes Méditations, outre que cela fe reconnoift alfez clairement par ellcs- mcfmes, ie I'ay de plus déclaré en paroles exprelTes fur la fin de la première, en difant que ie ne pouuois trop douler uy vfer de trop de défiance en ce lien-là^ d'aulanl que ie ne m'appliquais pas alors aux chofes qui regardent l'rj'aî^e de la vie, mais feulement à la recherche de la vérité.

En Jixiême lieu y vous reprenez la conclufion d'vn fyllogifme que i'auois mis en forme, il fcmble que vous péchiez vous-mefmes en la forme ; car, pour conclure ce que vous voulez, la majeure deuoit ertre telle : Ce que clairement & difiinâement nous conceuons apar tenir à lot^nature de quelque chofe, cela peut ejlre dit ou affirmé auec vérité appartenir à la nature de celle chofe. Et ainfi elle ne con- tiendroit rien qu'vnc inutile ^ fuperlluc répétition. Mais la maieure de mon argument a efté | telle" : Ce que clairement & difiinâement nous conceuons aparlenir à la nature de quelque chofe, cela peut efire du ou af\ firme auec vérité de cette chofe. C'ell à dire, fi élire animal 194 apartient à l'elfence ou à la nature de l'homme, on peut alfurer que l'homme ell animal; fi auoir les trois angles égaux à deux droits apartient à la nature ^^i triangle rediligne, on peut affurer que le triangle rediligne a fes irois angles égaux à deux droits ; fi cxifler apartient à la nature de Dieu, on peut affurer que Dieu exifte, &c. Et la mineure a elle telle : Or efi-il qu'il apartient à la nature de Dieu d'exifier. D'où il eft euident qu'il faut conclure comme i'ay fait, c'ell à fçavoir : Doncques on peut auec vérité affurer de Dieu qu'il exijîe; & non pas comme vous voulez : Doncques nous pou- uons affurer auec vérité qu'il apartient à la nature de Dieu d'exifier.

Et partant, pour vfer de l'exception que vous aportez enfuite, il vous euft falu nier la majeure, & dire que ce que nous conceuons clairement & diilinctement apartenir à la nature de quelque choie, ne peut pas pour cela eftre dit ou affirmé de cette chofe, (i ce n'cil que fa nature foit poffîble, ou ne répugne point. Mais voyez, ie vous

a. A la ligne {i''^ édit.).

Iî8 Œuvres de Desgartes. iso-isi.

prie, la fûibleiTe de cette exception. Car, ou bien par ce mot de pojpble vous entendez, comme l'on fait, d'ordinaire, tout ce qui ne répugne p(5int ii la penféc humaine, auquel fens il efl manifefte que la nature de Dieu, de la façon que ie l'ay décrite, ell polTible, parce que ie n'ay rien lUpofc en elle, finon ce que nolis conceuons claire- ment & diftinclcment luy deuoir apartcnir, & ainfi ie n'ay rien lupofé 195 qui répugne à la penfée ou au concept | humain ; ou bien vous fei- gnez quelque autte poflîbilité, de la part de l'objet mefme, laquelle, fi elle ne conuient auec la précédente, ne peut iamais eftre connue par l'entendement hunicftn ; & partant elle n'a pas plus de force | pour nous obliger à nier la nature de Dieu ou fon exillence, que pour renuerfer toutes les autres chofes qui tombent Tous la connoiffance des hommes. Car, parla mefme raifon que l'on nie que la nature de Dieu eft poffible, encore qu'il ne fe rencontre aucune impoffibilité de la part du concept ou de la penfée, mais qu'au contraire toutes les chofes qui font contenues dans ce concept de la na'ture diuine, foient tellement connexes entr'elles, qu'il nous femble y auoir de la contradi(5lion à dire qu'il y en ait quelqu'vne qui n'apartienne pas à la nature de Dieu, on poura auffi nier qu'il foit poffible que les trois angles d'vn triangle foient égaux à deux droits, ou que celuy qui penfe actuellement exifte; & à bien plus forte raifon l'on poura nier qu'il y ait rien de vray de toutes les chofes que nous aperceuons par les fens ; & ainfi toute la connoiffance humaine fera renuerfée, mais ce ne fera pas auec aucune raifon ou fondement.

Et pour ce qui eft de cet argument que vous comparez avec le mien, à fçauoir : S'il n'implique point que Dieu exijie, il ejl certain qu'il exiJle; mais il n'implique point; doncques, &c., matériellement parlant il eft vray, mais formellement c'eft vn fophifme. Car, dans 196 la majeure, ce mot /'/ implique regarde le concept de la caufe | par laquelle Dieu peut eftre, &, dans la mineure, il regarde le feul con- cept de l'exiftence & de la nature de Dieu, comme il paroi II de ce que, fi on nie la majeure, il la faudra ainfi prouuer :

Si Dieu n'exifte point encore, il implique qu'il exifte, parce qu'on ne fçauroit afligner de caufe fuffifante pour le produire; mais il n'im- plique point qu'il exifte, comme il a efté accordé dans la mineure; doncques, &c.

Et fi on nie la mineure, il la faudra prouuer ainfi" : Cette chofe n'implique point, dans le concept formel de laquelle il n'y a rien qui enferme contradidion; mais dans le concept formel

a. .Non à la ligne (/"^rfi"/.).

i5i-i5.3. Secondes Réponses. 119

de l'exiftence ou de la nature diuine, il n'y a rien qui enferme contradidion ; doncques, &c. Et ainfi ce mot il implique ell pris | en deux diuers fens.

Car il fe peut faire qu'on ne conceura rien dans la chofe mefmç qui empefche qu'elle ne puiffe exilter, & que cependant on con- ceura quelque chofe de la part de fa caufe, qui empefche qu'elle ne foit produite.

Or, encore que nous ne conceuions Dieu que très imparfaitement, cela n'empefche pas qu'il ne foit certain que fa nature eft poflible, ou qu'elle n'implique point'; ny aufli que nous ne puiffions alfurer auec vérité que nous l'auons affez foigneufement examinée, & affez clairement connue fçauoir autant qu'il fuffit pour connoiftre qu'elle efl poflible, & aufli que | l'exiftence neceifaire luy aparticnt). 197 Car toute impoffibilité, ou, s'il m'eft permis de me feruir icy du mot de l'école, toute implicance confifte feulement en noilre concept ou penfée, qui ne peut conjoindre les idées qui fe contrarient les vnes les autres; & elle ne peut confiller en aucune chofe qui foit hors de l'entendement, parce que, de cela mefme qu'vne chofe eft hors de l'entendement, il eil manifefîc qu'elle n'implique point, mais qu'elle eft poflible.

Or rimpoflibilité que nous trouuons en nos penfées, ne vient que de ce qu'elles font obfcures & confufes, & il n'y en peut auoir aucune dans celles qui font claires & dirtincies; & partant, afin que nous puiflions afl"urer que nous connoiflbns afl"ez la nature de Dieu pour fçauoir qu'il n'y a point de répugnance qu'elle exirte, il fuffit que nous entendions clairement & diftindement toutes les chofes oue nous aperceuons eftre en elle, quoy que ces chofes ne foicnt qu'en petit nombre, au regard de celles que nous n'aperceuons pas, bien qu'elles foient aufli en elle; & qu'auec cela nous remarquions que l'exiftence necefl'aire eft l'vne des chofes que nous aperceuons ainfi eftre en Dieu.

\E?i feptiéme lieu, i'ay defia donné la raifon, dans l'abrégé de mes Méditations, pourquoy ie n'ay rien dit icy touchant l'immor- talité de l'ame; i'ay aufli fait voir cy-deuan: comme quoy i'ay fuf- fifamment prouué la diftinétion qui eft entre l'efprit & toute forte de corps.

1 Quant à ce que vous adjouftez, qUe de la dijiinâion de l'ame 198 d'auec le corps il ne s'enfuit pas quelle foit immortelle, parce que nonobftant cela on peut dire que Dieu l'a faite d'ime telle nature,

4^ A la ligne (i""» édit.).

I20 Œuvres de Descartes. 153-154.

que fa durée finit auec celle de la vie du corps y ie confeffe que ie n'ay rien à y répondre ; car ie n'ay pas tant de prefomption que d'entre- prendre de déterminer, par la force du raifonnement humain, vne chofe qui ne dépend que de la pure volonté de Dieu.

La connoiflance naturelle nous aprend que l'efprit eft différent du corps, & qu'il eft vne fubftance ; & aufli que le corps humain, en tant qu'il diffère des autres corps, eft feulement compofé d'vne cer- taine configuration de membres, & autres femblables accideris; & enfin que la mort du corps dépend feulement de quelque diuifion ou changement de figure. Or nous n-'auons aucun argument ny aucun exemple, qui nous perfuade que la mort, ou l'aneantilfement d'vne fubftance telle qu'eft l'efprit, doiue fuiure d'vne caufe fi légère comme eft vn changement de figure, qui n'eft autre chofe qu'vn mode, & encore vn mode, non de l'efprit, mais du corps, qui eft réellement diftind de l'efprit. Et mefme nous n'auons aucun argu- ment ny exemple, qui nous puifle perfuader qu'il y a des fubftances qui font fujettes à eftre anéanties. Ce qui fuftit pour conclure que l'efprit, ou l'ame de l'homme, | autant que cela peut eftre connu par la Philofophie naturelle, eft immortelle.

Mais fi on demande fi Dieu, par fon abfoluë puiffance, n'a point 199 pcut-eftre déterminé que les âmes | humaines ceïfent d'eftre, au mefme temps que les corps aufquels elles font vnies font deftruits, c'eft à Dieu feul d'en répondre. Et puifqu'il nous a maintenant reuelé que cela n'arriuera point, il ne tious doit plus refter touchant cela aucun doute.

Au refte, i'ay beaucoup à vous remercier de ce que vous auez daigné fi officieufement, & auec tant de franchife, m'auertir non feu- lement des chofes qui vous ont femblé dignes d'explication, mais auffi des difficultez qui pouuoient m'eftre faites par les Athées, ou par quelques enuieux & médifans.

Car encore que ie ne voye rien, entre les chofes que vous m'auez propofécs, que ic n'euffe auparauant rejette ou expliqué dans mes Méditations (comme, par exemple, ce que vous auez allégué des mouches qui font produites par le Soleil, des Canadiens, des Nini- uites, des Turcs, & autres chofes femblables, ne peut venir en l'efprit ù ceux qui, fuiuans l'ordre de ces Méditations, mettront à part pour quelque temps toutes les chofes qu'ils ont aprifes des fens, pour prendre garde à ce que dide la plus pure ^ plus faine raifon, c'eft pourquoy ie penfois auoir des-ja rejette toutes ces chofes), encore, di:-jc, que cela foit, ie iuge ncantmoins que ces objcclions feront fort vtilcs à mon dcft'cin, d'autant que ic ne me promets pas d'auoir

i54-r56. Secondes Réponses. : 121

beaucoup de ledeurs qui veuillent aporter tant d'attention aux chofes que i'ay efcriies, qu'eftant paruenus à la fin, ils fe reffouuien- nent de tout ce qu'ils auront leu auparauant; & ceux qui ne le {feront pas, tomberont aifément en des difficultez, aufquelles ils 200 verront, puis aprez, | que i'auray fatisfait par cette réponfe, ou du moins ils prendront de occafion d'examiner plus foigneufement la vérité.

Pour ce qui regarde le confeil que vous me donnez, de difpofer mes raifons félon la méthode des Géomètres, afin que tout d'vn coup les ledeurs les puiffent comprendre, ie vous diray icy en quelle façon i'ay des-ja taché cy-deuant de la fuiure, & comment l'y taf- cheray encore cy-aprés ".

Dans la façon d'écrire des Géomètres, ie diftingue deux chofes, à fçauoir l'ordre, & la manière de démontrer.

L'ordre confifte en cela feulement, que les chofes qui font pro- pofces les premières doiuent eftre connues fans l'aide des fuiuantes, & que les fuiuantes doiuent après eftre difpofées de telle façon, qu'elles foient démontrées par les feules chofes qui les précèdent. Et certainement i'ay taché, autant que i'ay pu, de fuiure cet ordre en mes Méditations. Et c'eft ce qui a fait que ie îi'ay pas traité, dans la féconde, de la diftinclion de l'efprit d'auec le corps, mais feulement dans la fixiéme, & que i'ay obmis de parler de beaucoup de chofes dans tout ce traité, parce qu'elles prefupofoient l'explication de plufieurs autres.

La manière de démontrer eft double : l'vne fe fait par l'analyf*". ou refolution, & l'autre par la fynthefe ou compofition.

L'analyfe montre la vraye voye par laquelle vne chofe a efté métho- diquement inuentée, & fait voir | comment les effets dépendent des 201 caufes; en forte que, fi le ledeur la veut fuiure, & jetter les yeux foigneufement fur tout ce qu'elle contient, il n'entendra pas moins parfaitement la chofé ainfi démontrée, & ne la rendra pas moins fienne, que fi luy-mefme l'auoit inuentée.

Mais cette forte de demonftration n'eft pas propre à conuaincre les Icdeurs opiniallres ou peu attentifs : | car fi on laille échaper, fans y prendre garde, la moindre des chofes qu'elle propofe, la necefiitéde fcs conclufions ne paroiftra point ; &. on n'a pas coutume d'y ex- primer fort amplement les chofes qui font alfcz claires de roy-mefmc, bien que ce foit ordinairement celles aufquelles il faut le plus prendre garde.

0. Nun à la ligne (^" Ct/;/.).

122 OEuVRES DE DeSCARTES. i56-i57.

La fynthele, au contraire, par vne voye toute autre, & comme en v examinant les caufes par leurs effets (bien que la preuue qu'elle contient foit fouuent auflî des effets par les caufes), démontre à la vérité clairement ce qui eft contenu en fes concluions, & fe fert d'vne longue fuite de définitions, de demandes, d'axiomes, de théorèmes ^ de problèmes, afin que, û on luy nie quelques confequences, elle face voir comment elles font contenues dans les antecedens, & qu'elle arrache ,1e confentement du leéleur, tant obftiné & opi- niaftre qu'il puiffe eftre; mais elle ne donne pas, comme l'autre, vne entière fatisfadion aux efprits de ceux qui défirent d'aprendre, parce qu'elle n'enfeigne pas la méthode par laquelle la chofe a efté inuentée. 202 1 Les anciens Géomètres auoient coutume de fe feruir feulement de cette fynthefe dans leurs écrits, non qu'ils ignoraffent entière- ment Tanalyfe, mais, à mon auis, parce qu'ils en faifoient tant d'état, qu'ils la referuoient pour eux feuls, comme vn fecret d'im- portance.

Pour moy, i'ay fuiuy feulement la voye analytique dans mes Mé- ditations, pource qu'elle me femble eftre la plus vraye, & la plus propre pour enfeigner ; mais, quant à la fynthefe, laquelle lans doute eft celle que vous defirez icy de moy, encore que, touchant les chofes qui fe traitent en la Géométrie, elle puiffe vtilement eftre mife après l'analyfe, elle ne conuient pas toutesfois fi bien aux ma- tières qui apartiennent à la Metaphyfique. Car il y a cette diffé- rence, que les premières notions qui font fupofées pour démontrer les propofitions Géométriques, ayant de la conuenance auec les fcns, font receuës facilement d'vn chacun; c'eft pourquoy il n'y a point de difficulté, finon à | bien tirer les confequences, ce qui fe peut faire par toutes fortes de perfonnes, mefme par les moins attcntiues, pourueu feulement qu'elles fe rcffouuiennent des chofes précédentes ; & on les oblige aifément à s'en fouuenir, en diftin- guant autant de diuerfes propofitions qu'il y a de chofes à remarquer dans la difficulté propofée, afin qu'elles s'arreftent feparement fur chacune, & qu'on les leur puiffe citer par après, pour les auertir de celles aufquelles elles doiuent penfer. Mais au contraire, touchant 203 les que|ftions qui apartiennent à la Metaphyfique, la principale dif- ficulté eft de conccuoir clairement & diftindement les premières notions. Car, encore que de leur nature elles ne foient pas moins claires, & mefme que fouuent elles foient plus claires que celles qui font confiderées par les Géomètres, neantmoins, d'autant qu'elle» femblent ne s'accorder pas auec pluficurs préjugez que nous

i57. Secondes Réponses. 12 j

auons receus par les fens, & aufquels nous fommes acoutumez dés noltre enfance, elles ne font parfaitement comprifes que par ceux qui font fort attentifs & qui s'étudient à détacher, autant qu'ils peuuent, leur efprit du commerce des fens; c'eft pourquoy, û on les propofoit toutes feules, elles feroiént aifement niées par ceux qui ont l'efprit porté à la contradidion.

Ce qui a efté la caufe pourquoy i'ay plutofl écrit des Méditations que des difputcs ou des queftions, comme font les Philofophes, ou bien des théorèmes ou des problèmes, comme les Géomètres, afin de témoigner par que ie n'ay écrit que pour ceux qui fe voudront donner la peine de méditer auec moy ferieufement & confidcrer les choies aucc attention. Car, de cela mefme que quelqu'vn fe prépare pour impugncr la vérité, il fe rend moins propre à la comprendre, d'autant qu'il détourne l'on efprit de la confideration des raifons qui la perfuadent, pour l'apliquer à la recherche de celles qui la détruifent".

Mais neantmoins, pour témoigner combien ie défère à vortre confeil, ie tachcray icy d'Imiter la fyn|thefe des Géomètres, & y 204 feray vn abrégé des principales raifons dont i'ay vfé pour démontrer l'exiftence de Dieu, & la dilHnclion qui efl entre l'efprit & le corps humain : ce qui ne feruira pcut-eflre pas peu pour foulager l'atten- tion des Ledcurs.

a. La fin des Réponses aux 2" Oojections en latin, p. 157, 1. 27, à p. i Sg, 1. 22, de cette édition ne figure pas dans la traduction française. Elle est' remplacée par le court alinéa, que nous donnons ici pour terminer.

805 IIRAISONS

QVI PROVVENT

L'EXISTENCE DE DIEV

& LA DISTINCTION QVI EST ENTRE L'ESPRIT

& LE CORPS HVMAIN,

DISPOSÉES d'vNE façon GEOMETRIQUE

Définitions.

I. Par le nom de penfée, ie comprens tout ce qui eft tellement en nous, que nous en fommes immédiatement connoiflans. Ainfi toutes les opérations de la volonté, de l'entendement, de l'imagination & des fens, font des penfées. Mais i'ay adjoufté immedialemeut, pour exclure les chofes qui fuiuent & dépendent de nos penfées : par exemple, le mouuement volontaire a bien, à la vérité, la volonté pour fon principe, mais luy-mefme neantraoins n'eft pas vne peniee.

II. Par le nom d'idée, i'entens cette forme de chacune de nos penfées, par la perception immédiate de laquelle nous auons con- noilfance de ces mefmes penfées. Kn telle forte que ie ne puis rien

206 exprimer par | des paroles, lorfque i'entens ce que ie dis, que de cela mefme il ne foit certain que i'ay en moy l'idée de la chofe qui e(t fignifiée par mes paroles. Et ainfi ie n'apelle pas du nom d'idée les feules images qui font dépeintes en la fantaifie; au contraire, ie ne les appelle point icy de ce nom, en tant qu'elles font en la fan- taifie I corporelle, c'eft à dire en tant qu'elles font dépeintes en quelques parties du cerueau, mais feulement en tant qu'elles in- forment l'efprit mefme, qui s'apliquc à cette partie du cerueau.

III. Par la réalité objeâiue d'vne idée, i'entens l'entité ou relire de la chofe reprefentée par l'idée, en tant que cette entité cil dans l'idée; & de la mefme façon, on peut dire vne perfection objcctiuc, ou vn artifice objectif, ^c. Car tout ce que nous conceuons comme cdani dans les objets des idées, tout cela cil objediuement, ou par tcprcfentation, dans les idées mefmes.

i6^*i63. Secondes Réponses. 125

IV. Les frvefmes chofes font dites eftre formellement dans les objets 4 ulées, quand elles font en eux telles que nous les conce- uons ; & ellçs font dites y eftre ètriinemment, quand elles n'y font D3S à la vérité telles, mais qu'elles font fi grandes, qu'elles peuuent mpléer à ce défaut par leur excellence.

V. Toute chofe dans laquelle refide immédiatement comme dans fon fujet, ou par laquelle exifte quelque chofe que nous conceuons, c'eft à dire quelque propriété, qualité, ou attribut, dont nous aupns

en nous vne réelle idée, s'appelle Subjîance. Car nous | n'auons point îffi d'autre idée de la fubftance precifément prife, finon qu'elle eft vne chofe dans laquelle exifte formellement, ou éminemment, ce que nous conceuons, ou ce qui eft objediuement dans quelqu'vne de nos idées, d'autant que la lumière naturelle nous enfeigne que le néant ne peut auoir aucun attribut réel.

VI. La fubftance, dans laquelle refide immédiatement la penfée, eft icy apellée Efprit, Et toutesfois ce nom eft équiuoque, en ce qu'on Tattribuë aufli quelquesfpis au vent & aux liqueurs fort fub^ tiles; mais ie n'en fçache point de plus propre.

VIL La fubftance, qui eft le fujet immédiat de l'extenfion & des accidens qui prefupofent l'extenfion, comme de la figure, de la fitua- tion, du mouuement local, &c., | s'apelle Corps. Mais de fçauoir fi la fubftance qui eft apellée Efprit eft la mefme que celle que nous ape- lons Corps, ou bien fi elles font deux fubftances diuerfes & fepa- rées, c'eft ce qui fera examiné cy-aprés.

VIII. La fubftance que nous entendons eftre fouuerainement par- faite, & dans laquelle nous ne conceuons rien qui enferme quelque défaut, ou limitation de perfection, s'apelle Dieu.

IX. Quand nous difons que quelque attribut eft contenu dans la nature ou dans le concept d'vne chofe, c'eft de mefme que fi nous difions que cet attribut eft vray de cette chofe, & qu'on peut alfurer qu'il eft en elle.

X. Deux fubftances font dites eftre diftinguées réellement, quand chacune d'elles peut exifter fans l'autre.

j Demandes. 208

le âiQmdinAQ y premièrement, que les Lecteurs confiderent combien foibles font les raifons qui leur ont fait iufques icy adjoufter foy à leurs fens, & combien font incertains tous les iugemens qu'ils ont depuis apuyez fur eux; & qu'ils repalfent fi long temps & fi fouuent cette confidcration en leur efprit, qu'enfin ils acquièrent l'habitude

126 Œuvres de Desgartes. i62-!63.

de ne le plus confier fi fort en leurs fens ; car i'eftime que cela eft necelTaire pour fe rendre capable de connoiftre la vérité des chofes Metaphyfiques, lelquelles ne dépendent point des fens.

En fécond lieu, ie demande qu'ils confiderent leur propre efprit, & tous ceux de fes attributs dont ils reconnoillront ne pouuoir en aucune façon douter, encore mefme qu'ils fupofaffent que tout ce qu'ils ont iamais receu par les fens fufl: entièrement faux ; & qu'ils ne ceffent point de le confiderer, que premièrement ils n'ayent ac- quis l'vfage de le conceuoir diftinctement, & de croire qu'il eft plus aifé à connoiftre que toutes les chofes corporelles.

En troijîéme lieu, qu'ils examinent diligemment les propofitions qui n'ont pas befoin de preuue pour eftre connues, & dont chacun trouue les notions en foy-mefme, comme font celles-cy : qu'vne mefme chofe ne peut pas ejire\& nejîre point tout enfemble ; que le

209 rien ne peut pas efïre la caufe efficiente d'aucune chofe, & | autres femblables ;.& qu'ainfi ils exercent cette clairté de l'entendement qui leur a efté donnée par la nature, mais que les perceptions des fens ont accoutumé de troubler & d'obfcurcir, qu'ils l'exercent, dis-je, toute pure & deliurée de leurs préjugez ; car par ce moyen la vérité des axiomes fuiuans leur fera fort euidentc.

En quatrième lieu, qu'ils examinent les idées de ces natures, qui contiennent en elles vn afl'emblage de plufieurs attributs enfemble, comme eft la nature du triangle, celle du quarré ou de quelque autre figure; comme aufll la nature de l'efprit, la nature du corps, &, par dcft'us toutes, la nature de Dieu ou d'vn eftie fouuerainement parfait. Et qu'ils prennent garde qu'on peut ad'urer auec vérité, que toutes ces chofes-là font en elles, que nous conccuons clairement y eftre contenutfs. Par exemple, parce que, dans la nature du triangle reclilignc, il eft contenu que fes trois angles font égaux à deux droits, & que dans la nature du corps ou d'vne chofe étendue la diuifibilité y eft comprife (car nous ne conceuons point de chofe étendue fi petite, que nous ne la puiftîons diuifcr, au moins par la pcnfée), il eft vray de dire que les trois angles de tout triangle recli- lignc font égaux à deux droits, c^ que tout corps eft diuifible.

En cinquicme lieu, ic demande qu'ils s'arrellent long-temps à con- templer la nature de l'etlrc fouuerainement parfait; t^, entr'autres chofes, qu'ils confiderent que, dans les idées de toutes les autres

210 natures, | l'exiftence poftible fe trouuc bien contcnuii, mais que, dans l'idccdc Dieu, non feulement l'exiftence poftible \ eft contenue, mais de plus la nccedairc. Car, de cela feul, ly fans aucun raifonncment, ils connoidroni que Dieu cxifte ; 6: il ne leur fera pas moins clair &

a î65. Secondes Réponses. 127

euident, fans autre preuue, qu'il leur eft manifelle | que deux eft vn nombre pair, & que trois eft vn nombre impair, & choies fem- blables. Car il y a des choies qui l'ont ainfi connues fans preuues par quelques-vns, que d'autres n'entendent que par vn long dif- cours & raifonnemcnt.

Eîi Jîxiéme lieu, que, confiderant auec foin tous les exemples d'vne claire & dilHncle perception, i!st tous ceux dont la perception eft obfcure & confufe, defquels i'ay parlé dans mes Méditations, ils s'accoutument à diftinguer les chofes qui font clairement connues, de celles qui font obfcures ; car cela, s'aprend mieux par des exemples que par des règles, & ie penfe qu'on n'en peut donner aucun exemple, dont ie n'aye touché quelque chofe.

En feptiéme lieu, ie demande que les lecteurs, prenans garde qu'ils n'ont iamais reconnu aucune faufl'eté dans les chofes qu'ils ont clairement conceuës, & qu'au contraire ils n'ont iamais ren- contré, fmon par hazard, aucune vérité dans les chofes qu'ils n'ont conceuës qu'auec obfcurité, ils confiderent que ce feroit vne chofe entièrement déraifonnable, fi, pour quelques préjugez des fens, ou pour quelques fupofitions faites à plaifir, & fondées fur quelque cho|fe d'obfcur & d'inconnu, ils reuoquoient en doute les chofes 211 que l'entendement conçoit clairement & diftindement. Au mioyen de quoy ils admettront facilement les Axiomes fuiuans pour vrays & indubitables, bien que j'auouë que plufieurs d'entr'eux eulTent pu eftre mieux expliquez, ^ euffent deu cftre plutoft propofez comme des théorèmes que comme des axiomes, fi i'eulfc voulu eftre plus exacl.

Axiomes ou iVotious communes. '

I. Il n'y a aucune chofe exiftante de laquelle on ne puifl'c deman- der quelle eft la caufe pourquoy elle exifte. Car cela mefme fe peut demander de Dieu ;| non qu'il ait befoin d'aucune caufe pour exif- ter, mais parce que l'immcnfitc mefme de fa nature eft la caufe ou la raifon pour laquelle il n'a befoin d'aucune caufe pour exifter.

II. Le temps prefent ne dépend point de celuy qui l'a immé- diatement précédé ; c'ell pourquoy il n'eft pas befoin d'vne moindre caufe pour conferuer vne chofe, que pour la produire la première fois.

III. Aucune chofe, ny aucune perfection de cette chofe acluelle- mcnt exiftante, ne peut auoir le Néant, ou vne chofe non exiftante, pour la caufe de fon exiftence.

128 Œuvres de Descartes. iôs-iôô.

212 |IV. Toute la realité ou perfeâiion qui eft dans vue chofe fe ren- contre ïormellement, ou éminemment, dans fa caufe première & totale.

V. D'où il fuit aufli que la realité objediue de nos idées re- quiert vne caufe, dans laquelle cette mefme realité foit contenue, non feulement objediuement, mais mefme formellement, ou émi- nemment. Et il faut remarquer, que cet Axiome doit fi neceflaire- ment eftre admis, que de luy feul dépend la connoiffance de toutes les chofes, tant fenfibles qu'infenfible^s. Car d'où fçauons-nous, par exemple, que le Ciel exifte ? Eft-ce parce que nous le voyons ? Mais cette vifion ne touche point Tefprit, fmon en tant qu'elle eft vue idée : vne idée, dis-je, inhérente en l'efprit mefme, & non pas vne image dépeinte en la fantaifie ; &, à l'occafion cette idée, nous ne pouuons pas iuger que le ciel exifte, fi ce n'eft que nous fupofions que toute idée doit auoir vne caufe de fa realité objediue, qui. foit réellement exiftente ; laquelle caufe nous iugeons que c'eft le ciel mefme, & ainfi des autres.

VI. Il y a diuers degrez de realité ou d'entité : car la fubftance a plus de realité que l'accident ou le mode, & la fubftance infinie que la fioie. C'eft pourquoy aufli il y a plus de realité objediue dans l'idée de la fubftance | que dans celle de l'accident, & dans l'idée de la fubftance infinie que dans l'idée de la fubftance finie.

213 VII. La volonté fe porte volontairement, & libréjment (car cela eft de fon effence), mais neantmoins infailliblement, au bien qui luy eft clairement connu. C*eft pourquoy, fi elle vient à connoiftre quelques perfections qu'elle n'ait pas, elle fe les donnera auflitoft, fi elles font en fa puifl"ance ; car elle connoiftra que ce luy eft vn plus grand bien de les auoir, que de ne les auoir pas.

VIII. Ce qui peut faire le plus, ou le plus difficile, peut aufli faire le moins, ou le plus aifé.

IX. C'eft vne chofe plus grande & plus difficile de créer ou conferuer vne fubftance, que de créer ou conferuer fes attributs ou proprictez; mais ce n'clt pas vn.; chofe plus grande, ou plus difficile, de créer vne chofe que de la conferuer, ainfi qu'il a des-ja efté dit.

X. Dans l'idée ou le concept de chaque chofe, l'exiftence y eft contenue, parce que nous ne pouuons rien conceuoir que fous la forme d'vne chofe qui exifte; mais auec cette différence que, dans le concept d'vne chofe limitée, l'exiftence poffible ou contingente eft feulement contenuif, & dans le concept d'vn cftrc fouuerainc- ment parfait, la parfaite & necelfaire y eft comprife.

i66-!67. Secondes Réponses, 129

[Proposition première. W*

L'exiftence de Dieu fe connoift de la feule confideration de fa nature.

Démonjtration.

Dire que quelque attribut e(l contenu dans la nature ou dans le concept d'vnc chofe, c'eft le mefme que de dire que cet attribut eft vray de cette chofe, & qu'on peut alfurer qu'il eft en elle (par la définition neufiéme).

Or eft-il que l'exiftence neceftaire | eft contenue* dans la nature ou dans le concept de Dieu (par l'axiome dixième).

Doncques il eft vray de dire que l'exiftence necelfaire eft en Dieu, ou bien que Dieu exiftc.

Et ce fyllogifme eft le mefme dont ie me fuis feruy en ma réponfe au fixiéme article de ces objections; & fa conclufion peut eftre con- nue fans preuue par ceux qui font libres de tous préjugez, comme il a efté dit en la cinquième demande. Mais parce qu'il n'eft pas aifé de paruenir à vne fi grande clairté d'efprit, nous tafcherons de prouuer la mefme chofe par d'autres voyes.

I Proposition seconde. 215

L'exiftence de Dieu eft démontrée par fes effets, de cela feul que fon idée eft en nous.

Démon ftration.

La realité objecliue de chacune de nos idées requiert vnc caufe dans laquelle cette mefme realité foit contenue, non pas objecliue- ment, mais formellement ou éminemment (par l'axiome cinquième).

Ov eft-il que nous auons en nous l'idée de Dieu \parja définition deuxième & huitième), & que la réalité objccliue de cette idée n'eft point contenue en nous, ny formellement, ny éminemment (par l'axiome fixiéme), & qu'elle ne peut eftre contenue dans aucun autre que dans Dieu mefme (par la définition huitième.

Doncques cette idée de Dieu, qui eft en nous, demande Dieu pour fa caufe : & par confequent Dieu exifte ipar l'axiome iroifiéme . Œuvres. 1\'.

ijo Œuvres de Descartes. 168-169.

216 II Proposition troisième.

L'exiftence de Dieu ell encore démontrée de ce que nous-mefmes, qui auons en nous fon idée, nous exiftons.

Démonjîration .

Si i'auois la puilfance de me confcruer moy-mefme, i'aurois aufli, à plus forte raifon, le pouuoir de me donner toutes les per- fections qui me manquent (par l'axiome 8 & 9); car ces perfections ^e font que des attributs de la fubftance, & moy ie fuis vne fub- ftance.

Mai§ ie n'ay pas la puili'ance )le me donner toutes ces perfections ; car autrement ie les poflederois des-ja (par l'axiome 7).

poncques ie n'ay pas la puilfance de me conferuer moy-mefme.

En après, ie ne puis exilter fans eltre conferué tant que i'exilte, foit par moy-mefme, fupofé que l'en aye le pouuoir, foit- par vn autre qui ait cette puilfance (par l'axiome i & 2).

Or eft-il que i'exifte, &. toutesfois ie n'ay pas la puiffaïîce de me conferuer moy-mefme, comme ie viens de prouuepr

Doncques ie fuis conferué par vn autre.

De plus, celuy par qui ie fuis conferué a en foy formellement, ou éminemment, tout ce qui eft en moy (par l'axiome 4).

217 jOr eit-il que i'ay en moy l'idée ou la notion de plufieurs per- fections qui me manquent, & enfemble l'idée d'vn Dieu- (par la detî- nition 2 & 8).

Doncques la notion de ces mefmes perfections ell aulH en celuy par qui ie fuis conferué.

Enfin, celuy-là mefme par qui ie fuis conferué ne peut auoir la notion d'aucunes perfections qui luy manquent, c'clt-à-dire qu'il n'ait point en foy formellement, ou éminemment (par l'axiome 7); car, ayant la puilfance de me conferuer, comme il a elle dit main- tenant, il auroit à plus forte raifon le pouuoir Je fe les donner luy- mcfmc, s'il ne les auoit pas | (par l'axiome 8 ^: r, ,

Or elMI qu'il a la notion de toutes les perfections que ic reconnois me manquer, & que ie conçoy ne pouuoir eltrc qu'en Dieu feul, comme ie viens de prouuer.

Doncques il les a des-ja toutes en foy formellemeni, ou eminen-' ment ; ^ ainii il ell Dieu.

lég-iyo. Secondes Réponses. l j i

Corollaire.

Dieu a créé le Ciel & la Terre, & tout ce qui y eft contenu, & outre cela, il peut faire toutes les choies que nous conceuons clairement, en la manière que nous les conceuons.

DémonJÎ ration.

Toutes ces chofes fuiuent clairement de la propofiiion précé- dente. Car nous y auons prouué l'exiilence de Dieu, parce qu'il eft neceflaire qu'il | y ait vn eftre qui exifte, dans lequel toutes les per- 218 fedions, dont il y a en nous quelque idée, foieni contenues formel- lement, ou éminemment.

Or eft-il que nous auons en nous l'idée d'vne puilfance fi grande, que, par celuy-là feul en qui elle le retrouue, non feulement le Ciel & la Terre, &c., doiuent auoir efté créez, mais aulTi toutes les autres chofes que nous connoilTons comme polfibles.

Doncques, en prouuant l'exiftence de Dieu, nous auons auffi prouué de luy toutes ces chofes.

Proposition quatrième. L'Efprit & le Corps font réellement diftincts.

Démonjîration.

Tout ce que nous conceuons clairement peut eftre fait par Dieu en la manière que nous le conceuons (par le corollaire pré- cèdent).

Mais I nous conceuons clairement l'efprit, c'eft à dire vne fub- ftance qui penfe, fans le corps, c'eft à dire fans vne fubftance étendue (par la demande 2) ; & d'autre part nous conceuons aufll clairement le corps fans l'efprit (ainfi que chacun accorde facile- ment).

Doncques, au moins par la toute-puilfance de Dieu, l'efprit peut eftre fans le corps, & le corps fans l'efprit.

Maintenant les fubftances qui peuuent eftre l'vne | fans l'autre font 219 réellement diftinctes (par la définition 10).

IJ2 Œuvres de Descartes.

170.

Or eft-il que l'efprit èk. le corps Ibnt des lubftanccs (par les défi- nitions 5, 6 & 7), qui peuuent eftrc l'vne fans l'autre (comme ie le viens de prouuer).

Doncqucs l'efprit & le corps ibnt réellement diftinds.

Et il faut remarquer que ie me fuis icy feruy de la toute-puilîance de Dieu pour en tirer ma preuue ; non qu'il foit befoin de quelque puilfance extraordinaire pour feparer l'efprit d'auec le corps, mais pource que, n'ayant traité que de Dieu feul dans les propofitions précédentes, ie ne la pouuois tirer d'ailleurs que de luy. Et il n'im- porte aucunement par quelle puiffance deux chofes foient feparées, pour que nous connoiflions qu'elles font réellement diftindes.

Il TROISIÈMES OBIECTIONS faites par vn célèbre Philofophe Anglois,

AVEC LES RÉPONSES DE l'aUTEUR.

tio

OBJECTION PREMIERE.

Il paroijl ciffei, par les cho/es qui ont cjié dites dans cette yfedi- tatiou, qu'il n'y a point de marque certaine & euidente, par laquelle nous puijjions reconnoijire & d{/iinguer nos fondes de la veille & d' me vraj-e perception des fens; 6 partant, que les images des cho/es que nous /entons e/îant éueille\, ne /ont point des accidens altache\ à des objets extérieurs, £■ qu'elles ne /ont point des prennes /uj/i/an tes pour mon/lrer que ces objets extérieurs exi/îent en effecl. C'eji pour- qitoy I /î, /ans nous aider d'aucun autre raifonnemcnt, nous /niuons feulement nos fens, nous auons iufte fujet de douter /i quelque cliofe exi/ie ou non. Nous reconnoi/fons donc la vérité de cette Méditation. Mais d'autant que Platon a parlé de celte incertitude des cho/es /en- /ibles, & plu/ieurs autres anciens Philo/ophes auant & après lur, tS' qu'il e/ï ai/é de remarquer la di/ficulté qu'il y a de di/cerner la veille du/ommeil, i'eujfe voulu que cet excellent auteur de nouuelles /pecu- lations/e /u/î abftenu de publier des chojes/i vieilles.

Sur la Première Mkditation.

Des cho/es

qui peuucnl e/lre

reu> {uécs en doute.

221

Képonse.

Les raifons de douter qui font icy receuës pour vrayes par ce Philofophe, n'ont efté propofées par moy que comme vray-fem- blables; & ie m'en fuis feruy, non pour les débiter comme nou- uelles, mais en partie pour préparer les efprits des Lecleurs|à confi- derer les choies intelleduelles, & les diftinguer des corporelles, à quoy elles m'ont toufiours femblé tres-neceflaires; en partie pour y répondre dans les Méditations fuiuantes; & en partie aulTi pour faire voir combien les veritez que ie propofe enfuite font fermes & alfurées, puifqu'elles ne peuuent eftre ébranlées par des doutes généraux & fi extraordinaires. Et ce n'a point efté pour acquérir de

H

Œuvres de Descartes.

172-173.

la gloire que ie les ay raportées, mais ie penle n'auoir pas efté moins obligé de les expliquer, qu'vn Médecin de décrire la maladie dont il a entrepris d'enfeigner la cure.

222

OBJECTION SECONDE.

Sur la Seconde Méditation.

De la nature de l'efprit humain.

22)

le fuis vne chofe qui penfe. C'ejî fort bien dit ; caj\ de ce que ie penfe, ou de ce que i'aj vne idée, foit en veillant, foit en dormant, l'on infère que ie fuis penfant : car ces deux chofes, le penfe & ie fuis ipeniant, Jigii if ent la mefme chofe. De ce que ie fuis penfant, il s'enfuit que ie iu'is, paixe que ce qui penfe n'ejt pas vn rien. Mais oii tiojlre auteur adjoujie : c'eft à dire- vn efprit, vne ame, vn entendement, vne raifon, de naijt vn doute. Car ce raifonnement ne me femble pas bien déduit, de dire : ie fuis penfant, donc ie fuis vne penfée ; ou bien ie fuis intelligent, donc ie fuis vn entendement. Carde la mefme façon ie pourois dire : ie fuis promenant, donc ie fuis vne prome- nade. Monfieur des Cartes donc prend la chofe intelligente & l'intel- leâion, qui en ejl l'ade, pour vne mefme chofe ; ou du moins il dit que c'ejl le mefme que la chofe qui entend & l'entendement, qui ejî vne puijfance ou faculté d'vné chofe intelligente. Neantmoins tous les Phi- lofophes dijlinguent le fujet de fes faculté^ €• defes aâes, c'ejï à dire de fes propriété^ & de fes\eJJ'ences ; car c'ejt autre chofe que la chofe mefme qui eft, & autre chofe qiie fon effence. Il fe peut donc faire quvne chofe qui penfe \ foit le fujet de l'efprit, de la raifon, ou de l'entendement, & partant, que ce foit quelque chofe de corporel, dont le contraire ejt pris, ou auancé, & n'ejl pas proUué. Et neant^noins c'efl en cela que confjle le fondement de la conclufion qu'il femblé que Monfeur Des-Carles j'eiiille ejlablir.

Au mefme endroit il dit : l'ay reconnu que i'exiite, ie cherche maintenant qui ie fuis, moy qu.e i'ay -reconnu eike. Or il cil très- certain que cette notion & connoiffance de moy-mefme, ainfi preci- fément prife, ne dépend point des chofes dont l'exiftence ne m'eft pas encore connuii.

Il ejl très-certain que la connoiffance de cette propofttion : i'exille, dépend de celle-cy : ie penfe, comme il nous a fort bien enfeigné. Mais d'oii nous vient la connoiffance de celle-cj : ie penfe ? Certes, ce n'ejl point d'autre chofe, que de ce que nous ne pouuons conceuoir aucun aâe fans fon fujet, comme la penfée fans vne chofe qui penfe, la fcience fans vne chofe quifçache, <S* la promenade fans vne chofe qui fe promené.

173-174- Troisièmes Objections. 13^

Fa de il fembU'Jiiiurc, qii'vue dwfc qui pcnj'c c/( quelque eli<ij[ de corporel; car les fujets de tous les acles fembleul ejlrc feulement en- tendus fous me raifoti corporelle, ou fous rue rciifou de matière, comme il a luj'-mefme monlrè m peu après pur l'exemple de la cire, laquelle, quoj' que fa couleur, fa diiiele, fa Ji/^iire, é'- tous fes au 1res aâesfoienl_ change^, ejt toujiours conceuë eflre la mefme clwfe, c'e/l à dire la mefme matière fuj cl le à tous ces clian\i,'-emens. Or ce n'ejt pas 224 par me autre peu fée qu'on infère que ie penfe; car, encore que quelqu'm puifj'e penfer qu'il a penfé (laquelle penfée n'efl rien autre chofe qu'rn fouuenir), neantmoins il efi tout à fait impofjible de penfer qu'on penfe, nj' de fçauoir qu'on fcait ; car ce feroit me interrogation qui ne fini- rait iamais : d'oii fçaue\-vous que vous fçaue\ que l'ous fçaue\ que vous f^aue-^, &c. ?

Et partant, puifque la connoijfance de cette propojition : l'exilte, dépend de la connoijfance de celle-cy : le penfe; tS- /c7 connoijj'ance de celle-cj-, de ce que nous ne pouuons feparer la penfée d'me matière qui penfe ;\ il femble qu'on doit plu tqft inférer qu'vne chofe qui penfe efî matérielle, qu'immatérielle.

Réponse.

i'ay dit : c'eft à dire vn efpril, vne amc, vu entendement, me raifon, &c., ie n'ay point entendu par ces noms les feules facultcz, mais les chofes douces de la faculté de penfer, comme par les deux premiers on a coutume d'entendre, & alfcz fouuent aufll par les deux derniers : ce que i'ay li fouuent explique, &^en termes fi exprés, que ie ne voy pas qu'il y ait eu lieu d'en douter.

Et il n'y a p'oint icy de raport ou de conuenance entre la prome- nade & la penfée, parce que la promenade n'elt iamais prifc autre- ment que pour l'a^lion mefme ; mais la penfée fe prend quelquesfois pour I l'aclion, quelquesfois pour la faculté, ^ quelquesfois pour la 225 chofe en laquelle refide cette faculté.

Et ie ne dis pas que l'intelledion èk, la chofe qui entend foient vne mefme chofe, non pas mefme la chofe qui entend ^ l'entendement, li l'entendement ell pris pour vne faculté, mais feulement lorfqu'il ell pris, pour la chofe mefme qui entend. Or i'auouë franchement que, pour lignifier vne chofe ou vne fubilance, laquelle ie voulois dépouiller de toutes les chofes qui ne luy apartiennent point, ie me luis feruy de termes autant (iniples & abltraits que i'ay pu, comme au contraire ce Philofophe, pour lignifier la mefme fubilance, en

ij6

Œuvres de Descartes. 174-17».

employé d'autres fort concrets & compofez, à fçauoir ceux de fujet, de matière & de corps, afin d'empefcher, autant qu'il peut, qu'on ne puiffe feparer la penfée d'auec le corps. Et ie ne crains pas que la façon dont il fe feft; qui eft de joindre ainfi plufieurs chofes en- femble, foit trouuée plus propre pour paruenir à la connoiffance de la vérité, qu'eft la mienne, par laquelle ie diftingue, autant que puis, chaque chofe. Mais ne nous arreftons pas dauantage aux pa- roles, venons à la chofe dont il ell queftion. , ^

\ Il fe peut faire, dit-il, quvne chofe qui penfe foit quelque chofe de corporel, dont le contraire eft pris & n'efl pas prouué. Tant s'en faut. le n'ay point auancé le contraire, & ne m'en fuis en façon quelconque ferui pour fondement, mais ie l'ay laiffé entièrement indéterminé iufqu'à la fixiéme Méditation, dans laquelle il eft prouué.

226 I En après, il dit fort bien que nous ne pouuons conceuoir aucun aâe fans f on fujet, comme la penfée fans une chofe qui penfe, parce que la chofe qui penfe n'efl pas vn rien; mais c'eft fans aucune raifon, & contre toute bonne Logique, & mefme contre la façon ordinaire de parler, qu'il adioute que de il femble future quvne chofe qui penfe, eft quelque chofe de corporel; car les fuiets de tous les ad.es font bien à la vérité entendus comme eftans des fubftances (ou, fi vous voulez, comme des matières, à fçauoir des matières metaphy- fiques), mais non pas pour cela comme des corps.

Au contraire, tous les Logiciens, & prefque tout le monde auec eux, ont coutume de dire qu'entre les fubftances les vnes font fpiri- tuelles, & les autres corporelles. Et ie n'ay prouué autre chofe par l'exemple de la cire, finon que la couleur, la dureté, la figure, &c., n'appartiennent point à la raifon formelle de la cire; c'eft à dire qu'on peut conceuoir tout ce qui fe trouue neceffairement dans la cire, fans auoir befoin pour cela de penfer à elles. le n'ay point aufli parle en ce lieu-là de la raifon formelle de l'efprit, ny mefmc de celle du corps.

Et il ne fert de rien de dire, comme fait icy ce philofophe, qu'vne penfée ne peut pas eftre le fujet d'vne autre penfée. Car qui a iamais feint cela que luy ? Mais ie tachcray icy d'expliquer toute la chofe dont il cil queftion en peu de paroles.

227 II eft certain que la penfée ne peut pas ellrc fans | vne chofe qui penfe, & en général aucun accident ou aucun ade ne peut eftre fans vue fubftance I de laquelle il foit l'ade. Mais, d'autiint que nous ne connoill'onr. pas la fubftance immédiatement par cUc-mcfme, mais feulement parce qu'elle cil le fuict de quelques acles, il eft fort con-

176-177. Troisièmes Objections. 157

uenable à la raifon, & l'vfage mefme le requiert, que nous apelions de diuers noms ces fubftances que nous connoiffons eftre les fuiets de plufieurs ades ou accidens entièrement differens, & qu'après cela nous examinions fi ces diuers noms fignifient des chofes diffé- rentes, ou vne feule & mefme chofe.

Or il )' a certains aéles que noijs apelons corporels, comme la grandeur, la figure, le mouuement, & toutes les autres chofes qui ne peuuent eftre conceuës fans vne extenfion locale, & nous apelons du nom de corps la fubftance en laquelle ils refident ; & on ne peut pas feindre que ce foit vne autre fubftance qui foit le fujet de la figure, vne autre qui foit le fujet du mouuement local, &c., parce que tous ces aéles conuiennent entr'eux, en ce qu'ils préfupofent l'eftenduë. En aprez, il y a d'autres ades que nous apelons inteîleâuels, comme entendre, vouloir, imaginer, fentir, &c., tous lefquels conuiennent entr'eux en ce qu'ils ne peuuent eftre fans penfée, ou perception, ou confcience & connoilfance ; & la fubftance en laquelle ils re- fident, nous difons que c'eft pne chofe qui penfe, ou pu e/prit, ou de quelque autre nom que nous veuillions l'apeller, pourueu que nous 228 ne la confondions point auec la fubftance corporelle, d'autant que les aétes intellectuels n'ont aucune affinité auec les aéles corporels, & que la penfée, qui eft la raifon commune en laquelle ils con- uiennent, diffère totalement de'l'extenfion, qui eft la raifon com- mune des autres.

Mais, après que nous auons formé deux concepts clairs & diftinds de ces deux fubftances, il eft ayfé de connoiftre, par ce qui a efté dit en la fixiéme Méditation, fi elles ne font qu'vne mefme chofe, ou fi elles en font deux différentes.

\ OBJECTION TROISIÈME.

Qui a-t'il^donc qui foit diftingué de ma penfée? Qui a-t'il* que l'on puiffe dire eftre feparé de moy-mefme ?

Quelqu'vn répondra peut-^ftre à cette quejiion : le fuis diftingué de ma penfée, moj'-mefme qui penfe ; & quof qu'elle ne foit pas à la vérité feparée de moy-mefme, elle eft neantmoins différente de moy : de la mefme façon que la promenade {comme il a efté dit cy-dejfùs) eft di- flinguée de celuy qui fe promené. Que fi Monfeur Des Cartes monfire que celuy qui entend & l'entendement font me mefme chofe, nous tom-

.a. Sicpcur Qu'y 8i-V\\{i", 2' et 3' édit.). De même p. i38,1.8etii.

1^8 Œuvres de Descartes. »77-'78.

229 berons dans celte façon de parler fcholajtiquc : ren\lendement entend, la l'eiie roîd, la volonté 7'eut ; & par vnc ju/îe analogie, la promenade, ou du moins la faculté de fe promener, fe pj^omener a : toutes le/quelles chofes font obfcuî^es, impropres, ^ tres-indignes de la, netteté ordi- naire de Monfeur Des Cartes.

Réponse.

le ne nie pas que moy, qui penfe, fois diftingué de ma penfée, comme vne choie l'eft de fon mode ; mais ie demande : qui a- t-ildonc qui foit dijîingué de ma penfée? i'entens cela des diuerfes façons de penfer, qui font énoncées, & non pas de ma fubftance ; & i'adioute : qui a-t-il que l'on puiJJ'e dire ejire feparé de moy- mefme? ie veux dire feulement que toutes ces manières de penfer, qui font en moy, ne peuuent auoir aucune exiftence hors de moy : & ie ne voy pas qu'il y ait en cela aucun. lieu de doute, ny pour- quoy l'on me blâme icy d'obfcurité.

OBJECTION QVATRIÉME.

Il faut donc que ie demeure d'accord que ie ne fçaurois pas mefme conceuoir par l'imagination ce que c'eft que cette cire, & qu'il n'y^ a que mon entendement feul qui le conçoiue.

\Ilj' a grande différence entre imaginer, c'efi à dire auoir quelque 230 idée, & conceuoir, de l'entende\ment, c'ejl à dire conclure, en j^aifon- nant, que quelque chofe ejî ou exifle; mais Monfeur Des Cartes ne nous a pas expliqué en quoj- ils différent. Les anciens Peripateticiens ont auffi ejifeigné aJ[e-{ clairement que la fubjîance ne s' aperçoit point par lesfens, mais qu'elle fe collige par la raifon.

Que dirons-nous maintenant, f peut-ejtre le raifonnement n'ejï ?^ien autre chofe qu'vn affemblage & enchaifnement de noms par ce mot eft? D'oii il s'enfuiuroit que, par la raifon, nous ne concluons rien du tout touchant la nature des chofes, mais feulement touchant leurs apella- tions, c'eft à dire que, par elle, nous voyons Jimplementjî nous ajfem- blons bien ou mal les noms des chofes, félon les conuentions que nous auons faiter à nofîrefantaifie louchant leurs fgnijications. Si cela ejt ainji, comme il peut ejî-e, le raifonnement dépendra des noms, les noms de l'imagination, & l'imagination peut-efire {& cecy félon mon fenti- ment) du mouuement des organes corporels; & ainfi l'efprit ne fera rien autre chofe qu'vn mouuement en certaines parties du corps organique.

,7«-,7ç,. Troisièmes Objections. I59

Réponse.

l'ay expliqué, dans la leconde Méditation, la différence qui eft entre l'imagination i^ le pur concept de l'entendement ou de l'ef- prit, loriqu'en l'exemple de la cire i'ay fait voir quelles font les chofes que nous imaginons en elle, & quelles font cel|les que nous 231 conccuons par le feul entendement ; mais i'ay encore expliqué ail- leurs comment nous entendons autrement vne chofe que nous ne l'imaginons, en ce que, pour imaginer, par exemple, vn pentagone, il eft befoin d >ne particulière contention d'efprit qui nous rende cette figure (c'elt à dire les cinq coflez & l'efpace qu'ils renferment) Comme prefente, de laquelle nous ne nous i'eruons point pour con- ceuoir. Or l'affcmblage qui fe fait dans le raifonnement n'efl pas ccluy des noms, mais bien celuy des choies fignifiées par les noms ; & ie m'étonne que le contraire puille venir en l'efprit de perfonne.

Car qui doute qu'vn François | & qu'vn Alleman ne puiffent auolr les mefmes penlées ou railbnnemens touchant les mefmes chofes, quoy que ncantmoins ils conçoiuent des mots entièrement differens? El ce philolophc ne fecondamne-t-il pas luy-mefme, lorfqu'il parle des conueniions que nous auons faites à nolire fantaifie touchant la lignification des mots? Car s'il admet que quelque chofe ell figni- fiée par les paroles, pourquoy ne veut-il pas que nos difcours & raifonnemens foyent plultofl de la chofe qui ell fignifiée, que des paroles feules ? Et certes, de la mefme façon & aucc vne aufîi iufte raii'on qu'il conclut que l'efprit efl vn mouuement, il pouroit aufîi conclure que la terre eft le ciel, ou telle autre chofe qu'il luy plaira ; pource qu'il n'y a point d'autres chofes au | monde, entre lefquelles 232 il n^y ait autant de conuenance qu'il y en a entre le mouuement & l'efprit, qui font de deux genres entièrement differens.

OBIECTION CINQVIÈMË.

Xjuelques vnes d'entre elles fçaiioir d'entre les pétijees des Sur i.a TuoisiéMs hommes) font comme les images des chofes, aufquelles feules con- M -ditation.

uient proprement le nom d'idée, comme lorfquc ie penfe à vn ^<? -D»*"'

homme, à vn(e) chytnere, au ciel, à vn Ange, ou à Dieu.

Lorfque ie penfe à vn homme, ie me i^cpvefente vne idée ou vne image compofée de couleur & de jifçure, de laquelle ie puis douter

140 OEUVRES, DE Descartes. 179-180.

elie a la rejjemb lance d'vn homme, ou Ji elle ne l'a pas. Il en ejt de me/me, lorfque ie penfe au ciel. Lovfq'ue ie penfe à vue chymere, te me reprefente vne idée, ou vue image, de laquelle ie puis douter Ji elle ejl le pourtrait de quelque animal qui n'exijîe point, mais qui puijje ejtre, ou qui ait ejlé autrefois, ou bien qui n'ait iamais ejlé.

Et lorfque quelqu'un penfe à vu Ange, quelquesfois l'image d'vne jjjg flamme fe pref ente à fon efprit, & quelquesfois celle d'vn jeune, en^ fant qui a des aijles, de laquelle ie penfe pouuoir dire auec j certi- tude qu'elle n'a point la rejjemblance d'vn Ange, & partant, qu'elle n'e^' point l'idée d'vn Ange; mais, croyant qu'il y a des créatures inuifibles & immatérielles, qui fonty les minières de Dieu, nous don* nous à vne choje que nous croyons oufupofons, le nom d'Ange, quoy que neantmoins l'idée fou\ laquelle i' imagine vn A nge foit compofée des idées des chofes vif blés.

Il en ef de mefme du nom j'enerable de Dieu, de qui nous n'auons aucune image ou idée ; c'ejî pourquoy on nous défend de l'adorer fou^ vne image, de peur qu'il ne nous femble que nous conceuions celuy qui eji inconceuable.

Nous n'auons donc point en nous, ce femble, aucune idée de Dieu; mais tout ainfi qu'vn aueugle-né, qui s'ef plufeurs fois aproché du feu & qui en afenti la chaleur, reconnoijl qu'il y a quelque chofe par quoy il a ejlé échaufé, &, entendant dire que cela s'appelle du feu, conclut qu'il y a du feu, &.neantmoins n'en connoijt pas la fgure ny la couleur, & n'a, à vi-ay dire, aucune idée, ou image du feu, qui fe prefente à fon efprit*; de mefme l'homme, voyant qu'il doit y auoir quelque caufe defes images ou defes idées, <S'- de cette caufe vne autre première, & ainf dejuite, eJt enjin conduit à vnefn, ou à vne Juppo^ Jition de quelque caufe éternelle, qui, pource qu'elle n'a iamais com- 234 mancé d'ejlre; ne peut auoir de caufe qui la précède, ce qui fait qu'il conclut ne\cejj ai renient qu'il y a vn ejtre éternel qui cxijle ; ô- néant- moins il n'a point d'idée qu'il puijfe dire ejlre celle de cet ejire éternel, mais il nomme ou appelle du nom de Dieu celle choj'e que laj'oy ou fa raifon luy perfuade.

Maintenant, d'autant que de celte fuppojition, à Jçauoir que nous auons en nous l'idée de Dieu, Monfienr Des-Cartes vient à la prenne de ce théorème : que Dieu {c'ejt à dire vn eJtre tout puijfant, tres-fage, Créateur de rVniuers, dV.) exiilc, // a deu mieux expliquer celte idée de Dieu, & de en conclure non J'eulement fon exijlence, mais aujjt la création du monde.

a. A la ligne (r*, 2' et 3* édit.).

i8i-i8a. Troisièmes Objections. 141

I Réponse.

Par le nom d'idée, il veut feulement qu'on entende icy les images des chofes matérielles dépeintes en la fantaifie corporelle ; & cela eftant fupofé, il luy èft aifé de monftrer qu'on ne peut auoir aucune propre & véritable idée de Dieu ny d'vn Ange ; mais i'ay Ibuuent auerti, & principalement en ce lieu-là mefme, que ie prens le nom d'idée pour tout ce qui eft conceu immédiatement par l'efprLt : en forte que, lorfque ie veux & que ie crains, parce que ie conçoy en mefme temps que ie veux & que ie crains, ce vouloir & cette crainte font mis, par moy au nombre des idées; & ie me fuis ferui de ce nom, parce qu'il eftoit défia communément receu par les philo- fophes, pour | fignifier les formes des conceptions de l'entende- 235 ment diuin, encore que nous ne reconnoiiïions en Dieu aucune fan- taifie ou imagination corporelle; & ie n'en fçauois point de plus propre. Et ie penfe auoir alfez expliqué l'idée de Dieu, pour ceux qui. veulent conceuoir le fens que ie donne à- mes paroles; mais pour ceux qui s'attachent à les entendre autrement que ie ne fais, ie ne le pourois iamais affez. Enfin, ce qu'il adioute icy de la créa- tion du monde, eft tout afFait hors de propos ; car i'ay prouué que Dieu exifte, auant que d'examiner s'il y auoit vn monde créé par fuy, & de cela feul que Dieu, c'eft à dire vn eftre fouuerainement puilTant, exifte, il fuit que, s'il y a vn monde, il doit auoir efté créé par luy.

OBIECTION SIXIÈME.

Mais il y en a d'autres {àfçauoir d'autres penfées) qui contiennent de plus d'autres formes : par exemple, lorfque ie veux, que ie crains, que i'aflirmc, que ie nie, ie conçoy bien, à la vérité, toufiours quelque chofe comme le fujet de l'adion de mon efprit, mais i'ad- ioute aulfi quelque autre chofe par cette adion à l'idée que i'ay de cette chofe-là; & de ce genre de penfées, les vnes font apelées volontez ou affedions, & les autres iugcmens.

\Lorfque quelqu'vn veut ou craint, il a bieu, à la veritê„ l'image de la chofe qu'il craint & de l'aâion \ qu'il reul; maisqu'ejt-ce que celuy 236 qui veut ou qui craint, embrajfe de plus par fa penfée, cela n'eft pas icy expliqué. Et quof qu'à le bien prendre la crainte foit vue penfée, ie ne voy pas comment elle peut efïre autre que la penfée ou l'idée de

t42 Œuvres de Descartes. < 182-183.

la choj'e que l'on craint. Car qu'ejf-ce autre chofe que la crainte d'vn lion qui s'auance vej's nous, finon Vidée de ce lion, & Veffed .{qu'pnè telle idée engendre dans le cœur) par lequel celuy qui craint eji porté à ce mouuement ani?nal que nous apelons fuite ? Maintenant ce mou- uement de-fuite n'ejl pas vue penfée'; & partant, il 7-eJîe que, da^is la crainte, il n'jr a point d'autre penfée^ que celle qui confjie en la rejfem- b lance de la chofe que l'oit craint. Le mefme fe peut dire aujfi de la volonté.

Dauantage, l affirmation & la négation ne fe font point fans pa^ rôle & fans noms ; d'oii vient que les bejles ne peuuent ?^ien affirmer Hf nier, non pas mefme par la penfée, & partant, ne peuuent auffi. faire aucun iugement. Et neantmoins la penfée peut eflre femblable dans vn homme & dans vne bejle; car, quand nous affirmons qu'vn homme court, nous n'auons point d' autre penfée que celle qu'a vn chien qui voit courir fon maijire, & partant, l'affirmation & la négation n'adioutént rien aux fmples penfées, fi ce nejt peut-ejlre la penfée que les noms, dont l'affirmation ejl compofée, font les noms de la chofe mefme qui ejt en l'efprit de celuj" qui affirme; & cela n'ejl rien 237 autre chofe \ que comprendre par la penfée la reffemblance de la chofe, mais cette reffemblance deux fois.

Réponse.

Il eft de foy tres-euident, que c'eft autre chofe de voir vn lion, & enfemble de le craindre, que de le voir feulement; & tout de merme, que c'cll autre chofe de voir vn homme qui court, que d'af- furerl qu'on le void. Et ie ne remarque rien icy qui ait befoin de réponfe ou d'explication.

OBlECriON SEPTIÈME.

Il me refte feijlement à examiner de quelle façon i'ay acquis-cette idée; car ie ne I'ay point receuii par les fens, & iamais elle ne s'eft offerte à moy contre mon attente, comme font les idées des chofes fenfibles, lorfque ces chofes fe prefentent au.\ organes extérieurs de mes fens, ou qu'elles femblent s'y prefenter. Elle n'ell pas aufli vne pure production ou fidion de mon efprit, car il n'ell pas en mon pouuoir d'y diminuer, ny d'y adiouter aucune chofe ; & partant, il ne relie plus autre chofe à dire, finon que, comme l'idée de moy- mefme, elle crt née & produite auec moy, dez lors que i'ay efté cre<i.

i83-i84. Troisièmes Objections. 14}

S'il n'y a point d'idée de Dieu [or on ne prouue point qu'il j en ait), comme il femble quil nj' en a point, toute cette recherche eji inutile. Da\ùantage Vidée de mof -me/me me vient [fi on regarde le 238 corps) principalement de la veïie; {fi Vame) nous nen auons aucune idée; mais la raifon nous fait conclure quilf a quelque chofe de ren- fermé dans le corps humain, qui luj^donne le mouuement animal par lequel il Jent & fe meut; & cela, quoy que ce f oit, fans aucune idée, nous l'apelons ame.

Réponse.

S'il y a vne idée de Dieu (comme il eft manifefte qu'il y en a vne), toute cette obiedion ell renuerlée; & lorfqu'on adioute que nous n'auons point d'idée de l'ame, mais qu'elle le collige par la raifon, c'ell de mefme que fi on difoit qu'on n'en a point d'image dépeinte en la fantaifie, mais qu'on en a neantmoins cette notion que iufques icy i'ay apelé du nom d'idée.

I OBIEC TION H VI TJEME.

Mais l'autre idée du Soleil ell prife des raifons de l'Altronomie, c'eil à dire de certaines notions qui l'ont naturellement en moy.

Il femble qu'il ne puiffey auoiren mefme temps qu'une idée du Soleil, foit qu'il foit veiï par les feux, fait qu'il foit conceu par le raifonne- ment e/lre plu \fteurs fois plus grand qu'il ne paroifi à la veuë; car 239 cette dernière n'ejl pa» l'idée du Soleil, mais me confequence de nojire raifonnemeut, qui nous aprend que l'idée du Soleil feroit plufieurs fois plus grande, s'il ejloil regardé de beaucoup plus pre^. Il ejl vray qu'en diuers temps il peut y auoir diuerfes idées dr Soleil, comme ft en vn temps il ejl regardé feulement auec les yeux, €■ en l'n autre auec me lunette d'aproche ; mais les raifons de l'Ajlronomie ne rendent point l'idée du Soleil plus grande ou plus petite, feulement elles nous en- feignent que l'idée fenjtb le du Soleil ^ trompeufe.

Réponse.

Derechef, ce qui eit dit icy n'eltre point l'idée du Soleil, & neant- moins ell décrit, c'eft cela mefme que i'appelle idée. Et pendant que cephilofophe ne veut pas conuenir auec moy de la fignification des Tiots, il ne me peut rien obiecter qui ne foit friuole.

144 OEyvRES pe Descartes. 184.185.

OBJECTION NEVFIÉME.

Car il èft certain que les idées qui me reprefentent des fubftances

. font quelque choie de plus, &, pour ainfi dire, ont plus de realité

obiediue, que celles qui me Teprefentent feulement des modes oii

240 accidens ; & derejchef celle par laquelle ie conçoy vn Dieu fou- uerain, éternel, | infiny, tout connoiffant, tout puiflant, & créateur vniuerfel de toutes les choies qui font hors de luy, a fans doute en foy plus de realité obiediue que celles par qui les fubftances finies me font reprefentces.

l'ay défia plufieurs fois remarqué cy-deuant que nous nauons au- cime idée de Dieii ny del'ame; i'adioute maintenant: nyde lajubjiance; car i'auouë bien que la fub/lance, en tant quelle cjt vue matière ca^- pable de receuoir diuers accidens, & qui ejl fujette à leurs change- meus, eJl aperceuë & prouuée par le raifonnement ; mais neantmoins elle n'eji point conceuë, ou nous n'en auons aucune idée. Si cela ejl vray, comment peul-on dire que les idées qui nous reprefentent des' fubjlances, font quelque chofe de plus & ont plus de realité obieâiue, que celles qui nous reprefentent des accidens ? Dauantage, que Mon- fieur Des-Carles confidere derechef ce qu'il veut dire par ces mots, ont plus de realité. La réalité reçoit-elle le plus (S* le moins? Ou, s'il penfe qu'vne chofe foit plus chofe qu'vne autre, i)u'il confidere comment il ejl pojjtble que cela puijfe ejire expliqué auec toute la clarté & l'eui- dence qui ejl requije en vue démonjîration, & auec laquelle il a plu- fieurs fois traitté d'autres matières.

241 I Réponse.

l'ay plufieurs fois dit que i'apelois du nom d'idée cela mefme que la raifon nous fait connoiOre, comme auffi toutes les autres chofes que nous conceuons, de quelque façon que nous les conce- uions. Et i'ay fufifamment expliqué comment la realité reçoit le plus &lemoins,cndifantque la fubftanceellquelque chofe ue plus que le mode, ^c que, s'il y a des qualités réelles ou des fubftances incom- plètes, elles font aulTi quelque chofe de plus que les modes, mais quelque chofe de moins que les fubftances complètes ; & enfin que, s'il y a vnc fubilance infinie & indépendante, cette fubftancc eft plus chofe, ou a plus de réalité, c'ell à dire participe plus de l'eftre ou de la chofe, que la fubftancc finie & dépendante. Ce qui eft de foy fi ma- niTeftc, qu'il n'cll pas bcfoin d'y aporter vnc plus ample explication.

i86.i87. Troisièmes Objections. 14^

[OBJECTION DIXIÈME.

Et partant, il ne refte que la feule idée de Dieu, dans laquelle il faut confiderer s'il y a quelque chofe qui n'ait peu venir de moy- mefme. Par le nom de Dieu, i'entens vne fubftance infinie, indé- pendante, fouuerainement intelligente, fouuerainefnerit puiffante, & par laquelle tant | moy que tout ce qui eft au monde, s'il y a 242 quelque monde, a efté créé. Toutes lefquelles chofes font telles que, plus i'y penfe, & moins me femblent-elles pouuoir venir de moy feul. Et par confequent il faut conclur* neceffairement de tout ce qui a efté dit cy-deuant, que Dieu exifte.

Conjiderant les attributs de Dieu, afin que de nous en ayons l'idée, & que nous voyions s'il y a quelque chofe en elle qui n'ait peu venir de nous-mefmes, ie trouue, fi ie ne me trompe, que ny les chofes que nous :onceuons par le nom de Dieu ne viennent point de nous, ny qu'il n'efi pas .neceffaire qu'elles viennent d'ailleurs que des obiets extérieurs. Car, par le nom de Dieu, i'entens vne fubftance, c'efi à dire i'entens que Dieu exifie {non point par aucune idée, mais par le difcours) ; infinie {c'efi à dire que ie ne puis conceuoir ny imaginer fes termes ou de parties fi éloignées, que ie n'en puiffe encore imaginer de plus reculées) : d'oii il fuit que le nom ff 'infini ne nous fournit pas l'idée de l'infinité diuine, mais bien celle de mes propres termes & limites ; indépendante, c'efi à dire ie ne conçoy point de caufe de laquelle Dieu puiffe venir : d'oii ilparoifi que ie n'ay point d'autre idée qui réponde à ce nom ^'indépendant,^;/©// la mémoire de mes propres idées, qui ont toutes leur commencement en diuer$ temps, & qui par confequent font dépendantes.

C'efi pour quoy, dire que Dieu efi indépendant, ce n'efi rien\dire autre chofe, finon que Dieu efi du j nombre des chofes dont ie ne puis 243 imaginer l'origine; tout ainfi que, dire que Dieu efi infini, c'efi de mefme que fi nous difions qu'il efi du nombre des chofes dont nous ne conceuons point les limites. Et ainfi toute l'idée de Dieu efi réfutée; car quelle efi cette idée qui efi fans fin 6" fans origine?

Souuerainement intelligente. le demande icy par quelle idée Mon* fieur Des-Cartes conçoit l'intelleâion de Dieu.

Souuerainement puilïante. le demande auffi par quelle idéefapuif- fance, qui regarde les chofes futures, c'efi à dire non exifiantes, efi entendue'.

Certes, pour moy, i'entens la puijfancc par l'image ou la mémoire Œuvres. IV. lo

14^ Œuvres de Descartes. 187-1 sa.

des chofes pajjees, en t^aifonnant de cette forte : Il a fait ainfi ; donc il a peu faire ainfi ; donc, tant qu'il fera ^ il pour a encore faire ainjt, c'efl à dire il en a la puiffance. Or toutes ces chofes font des idées qui . peuuent venir des obiets extérieurs.

Créateur de toutes les chofes qui font au monde. le puis former quelque image de la création par le moyen des chofes que i^ay veuës, par exemple, de ce que i'ay veu vn homme naijfant, & qui eft paruenu, d'vne petitejfe prejque inconceuable, à la forme & grandeur qu'il a maintenant; & perfonne, à mon auis, n* a d'autre idée à ce nom de Créateur ; mais il ne fuffit pas, pour prouuer la création, que nous puiffions imaginer le monde créé. ,

244 I C'efl pourquof, encore qu'on eufi démontré qu'jm eflre infini, indé- pendant, tout-puiffant, &c., exifle, il ne s'enfuit pas neantmoins qu'vn créateur exifle, fi ce n'efl que quelqu'un penfe qu'on infère fort bien, de ce que quelque chofe exifle, laquelle nous crofojis auoir créé toutes les autres chofes, que pour cela le monde a autrefois cfîé créé par elle.

Dauantage, oii il dit que l'idée de Dieu & de fioflre ame \ efl née & refidente en nous, ie voudrois bien fçauoir fi les âmes de ceux-là penfent, qui dorment profondement &fans aucune réuerie. Si elles ne penfent point, elles n'ont alors aucunes idées; & partant, il n'y a point d'idée qui [oit née & refîdante en nous, car ce qui efl & rejidant en nous, efl toufiours prefent à nofire penfée.

Réponse.

Aucune chofe, de celles que nous attribuons à Dieu, ne peut venir des obiets extérieurs comme d'vne caufe exemplaire : car il n'y a rien en Dieu de femblabie aux chofes extérieures, c'eft à dire aux chofes corporelles. Or il èft manifefte que tout ce que nous conce- uons eftre en Dieu de diffemblable aux chofes extérieures, ne peut venir en noftre penfée par l'entremife de ces mefmes chofes, mais feulement par celle de la caufe de cette diuerfité, c'eft à dire de Dieu.

Et ic demande icy de quelle façon ce philofophe tire l'intelledion

245 de Dieu des chofes extérieures ; | car, pour moy, l'explique aifement quelle eft l'idée que i'en ay, en difant que, par le mot d'idée, i'entens tout ce qui eft la forme de quelque perception; car qui eft celuy qui conçoit quelque chofe, qui ne s'en aperçoiue, & partant, qui n'ait cette forme ou idée de l'intelledion, laquelle étendant à l'infini, il forme l'idée de l'intelledion diuine ? Et ainfi des autres attributs de Dieu.

188-190. Troisièmes Objections. 147

î^ais, d'autant que ie me fuis ferui de l'idée de Dieu qui eft en nous pour démontrer fon exiftence, & que dans cette idée vne puif- lance fi immenfe eft contenue, que nous conceuons qu'il répugne (s'il eft vray que Dieu exifte), que quelque autre chofe que luy exifte, fi elle n'a efté créée par luy, il fuit clairement de ce que fon exiftence a efté démontrée, qu'il a efté auffi démontré que tout ce monde, c'eft à dire toutes les autres chofes différentes de Dieu qui exiftent, ont efté créées par luy.

I Enfin, lorfque ie dis que quelque idée eft née auec nous, ou qu'elle eft naturellement emprainte en nos âmes, ie n'entens pas qu'elle le prefente toujours à noftre penfée, car ainfi il n'y en auroit aucune ; mais feulement, que nous auons en nous-mefmes la faculté de la produire.

OBJECTION ONZIÈME.

Et toute la force de l'argument dont i'ay vfé pour prouuer l'exi- ftence de Dieu, confifte en ce que ie voy qu'il ne feroit | pas pof- 246 fible que ma nature fuft telle qu'elle eft, c'eft à dire que i'euffe en moy l'idée d'vn Dieu, fi Dieu n'exiftoit véritablement, à fçauoir ce mefme Dieu dont i'ay en moy l'idée.

Doiicques, put/que ce n'eji pas vne chofe démo7itrée que nous ayons en nous l'idée de Dieu, & que la Religion Chrejtienm nous oblige de croire que Dieu ejï inconceuable, c'ejl à dire, félon mon opinion, qu'on n'en peut auoir d'idée, il s'enfuit que V exiftence de Dieu n'a point efté démontrée, & beaucoup moins la cr-eation.

Réponse.

Lorfque Dieu eft dit inconceuable, cela s'entend d'vne conception qui le comprenne totalement & parfaitement. Au refte, i'ay défia tant de fois expliqué comment nous auons en nous l'idée de Dieu, que ie ne le puis encore icy repeter fans ennuyer les ledeurs.

lOBIECTION DOVZIÉME.

Et ainfi ie connois que l'erreur, en tant que telle, n'eft pas Sur la Quatriémk quelque chofe de réel qui dépende de Dieu, mais que c'eft feule- Méditation.

ment vn défaut; & partant, que ie n'ay pas befoin, pour eri-*r, d.e Du vray S^u faux. quelque puiltance qui m'ait efté donnée de Dieu particulièrement pour cet effed.

148 OEuvRES DE Descartes. 190-191.

247 I II ejt certain que l'ignorance eji feulement tn défaut, & qu'il n'efl pas befoin d'aucune faculté pofitiue pour ignorer ; mais, quant à l'er- reur, la chofe n'efl pas fi manifefîe : car il femble que,Ji les piérides & les autres chofes inanimées ne peuuent errer, c'eff feulement parce qu'elles n'ont pas la faculté de raifonner ny d'imaginer ; à'' partant, il faut conclure que, pour eri'er, il efî befoin d'vn entendement, ou du moins d'vne imagination, qui font des facuUei toutes deux pofitiues, accordéeis) à tous ceux qui errent, mais aujjï à euxfeuls.

Dauantage, Monfieur Des Cartes adioute : l'aperçoy que mes erreurs dépendent du concours de deux caufes, à fçauoir, de la faculté de connoiftre qui eft en moy, &; de la faculté d'élire ou du libre arbitre, ce qui femble aiioir de la .contradiâion auec les chofes qui ont eflé dites auparauant. Oit il faut auffi remarquer que la liberté du franc-arbitre efi fupofée fans eflre prouuée, quof que cette fupo^ filion foit contraire à l'opinion des Caluini/les.

Réponse.

Encore que, pour errer, il foit befoin de la faculté de raifonner (ou plutoll de iuger, ou bien d'affirmer ou de nier), d'autant que c'en ert le défaut, il ne s'enfuit pas pour cela que ce | défaut foit réel, non plus que l'aueuglement neit pas apelé réel, quoy que les Î48 pierres ne foyent pas | dites aueuglcs pource feulement qu'elles ne font pas capables de voir. Et ie fuis étonné de n'auoir encore peu rencontrer dans toutes ces obiections aucune confequence, qui me femblall eftre bien déduite de fes principes.

le n'ay rien fupofé ou auancé, touchant la liberté, que ce que nous rcflentons tous les iours en nous-mcfmcs, & qui eft, tres- connu par la lumière naturelle ; & ie ne puis comprendre pourquoy il elt dit icy que cela répugne, ou a de la coniradidion, auec ce qui a clic dit auparauant.

Mais encore que peut-eilre il y en ait plulieurs qui. lorfqu'ils confidcrent la préordination de Dieu, ne peuuent pas comprendre comment noilre liberté peut fubfifter ^ s'accorder auec elle, il n'v a ncantmoins perfonne qui, fe regardant feulement foy-mefmc, ne rcifenie N: n'expérimente que In volonté ^ la liberté ne font qu'vne mefme chofe, ou plutolt qu'il n'y a point de dilVercnce entre ce qui fil volontaire ^: ce qui cil libre. Et ce n'cll pas ic\- le lieu d'exa- miner quelle cil en cela l'opinion des CaUiinillcs.

191-192. Troisièmes Objections. 149

OBJECTION TREIZIÈME.

Par exemple, examinant ces iours palTez fi quelque chofe exiftoit dans le monde, & prenant garde que, de cela feul que i'examinois cette queilion, il fuiuoit très | euidemment que i'exiftois moy- 849 mefme, ie ne pouuois pas m'empefcher de iuger qu'vne chofe que ie conceuois fi clairement eftoit vraye ; non que ie m'y trouuaffe forcé par aucune caufe extérieure, mais feulement parce que, d'vne grande clarté qui eftoit en mon entendement, a fuiui vne grande inclination en ma volonté, & ainfi ie me fuis porté à croire auec d'autant plus de liberté, que ie me fuis trouué auec moins d'indifférence.

Cette façon de parler, vne grande clarté dans l'entendement, eji métaphorique, & partant, n'ejl pas propre à entrer dans vn argument : or celuf qui \ n'a aucun doute, prétend auoir vne femblable clarté, & fa volonté n'a pas vne moindre. inclination pour affirmer ce dont il n'a aucun doute, que celui qui a vne parfaite fcience. Cette clarté peut donc bien ejlre la caufe pourquoy quelqu'vn aura & deffendra auec opiniâtreté quelque opinion, mais elle ne luy peut pas faire connoifire auec certitude quelle efl vraye.

Déplus, non feulement fçauoir qu'vne chofe efl vraye, mais aufji la croire, ou luy donner fon adueu & confentement, ce font chofes qui ne dépendent point de la volonté; car les chofes qui nous font prouuées par de bons argumens, ou racontées comme croyables, foit que nous le veuillions ou non, nous fommes contraints de les croire. Il efi bien vray qu'affirmer ou nier, foutenir ou réfuter des proportions, ce font des ades de la volonté; mais il ne s'enfuit .pas que le con\fentement 250 â" l'adueu intérieur dépende de la volonté.

Et partant, la conclufon qui fuit n' efi pas fuffamment démontrée : Et c'eft dans ce mauuais vfage de noftre liberté, que confifte cette priuation qui conftituë la forme de l'errevjr.

Réponse.

Il importe peu que cette façon de parler, vne grande clarté, foit propre, ou non, à entrer dans vn argument, pourueu qu'elle foit propre pour expliquer nettement noftre penfée, comme elle eft en effeft. Car il n'y a perfonne qui ne fçache que par ce mot, tnie clarté dans l'entendement, on entend vne clarté ou perfpicuité de cônnoiffance, que tous ceux-là n'ont peut-eftre pas, qui penfent l'auoir ; mais cela n'empefche pas qu'elle ne diffère beaucoup d'vne

251

MO

Œuvres de Descartes.

193-194.

opinion obllinée, qui a çfté conceuë fans vne euidente perception. Or, quand il eft dit icy que, foit que nous voulions, ou que nous ne voulions pas, nous donnons noftre créance aux chofes que nous conceuons clairement, c'eft de mefme que fi on difoit que, foit que nous voulions, ou que nous ne voulions pas, nous vouions & defi- rons les chofes bonnes, quand elles nous font clairement connues; car cette façon de parler, /o/7 que nous ne voulions pas ^ n'a point de lieu en telles occafions, parce qu'il j y a de la contradidion à vou- loir & ne vouloir pas vne mefme chofe.

\ OBJECTION QVATÔRZIÉME.

ScR LA Cinquième Méditation.

De l'ejfence

des

chofes corporelles.

252

Comme, par exemple, lorfque i'imagine vn triangle, encore qu'il n'y ait peut-eftre en aucun lieu du monde hors de ma penfée vne telle figure, & qu'il n'y en ait iamais eu, il ne laiffe pas neantmoins d'y auoir vne certaine nature, ou forme, ou effence déterminée de cette figure, laquelle eft immuable & éternelle, que ie n'ay point inuentée, & qui ne dépend en aucune façon de mon efprit, comme il paroift de ce que l'on peut démontrer diuerfes proprietez de ce triangle.

S'il n'y a point de triangle en aucun lieu du monde, ie ne puis com- prendre comment il a vne nature; car ce qui n'eji nulle part, n'eji point du tout, & n'a donc point aujfi d'ejire ou de nature. L'idée que nojlre efprit conçoit du triangle, vient d'vn autre triangle que nous auons veu, ou inuenté/ur les chofes que nous auons veuës ; mais depuis qu'vnefois nous auons apelé du nom de triangle la chofe d'où nous penfons que l'idée du triangle tirefon origine, encore \ que cette chofe periffe, le nom demeure touftours. De mefme, Ji nous auons vne fois conceu par la penfée que tous les angles d'vn triangle pris enfemble font égaux à deux droits, & que nous ayons donné cet autre nom au triangle : qu'il eft vne chofe qui a trois angles égaux à dfeux droits, quand il n'y auroit au monde aucun triangle, le nom neantmoins ne laifferoit pas de demeurer. Et ainfi la vérité de 'cette propofition fera éternelle, que le triangle eft vne chofe qui a trois angles égaux à deux droits; mais la nature du triangle ne Jer a pas pour cela éternelle, car s'il arriuoit par ha:{ard que tout triangle généralement perifl, elle ceffcroil d'eflre.

De mefme cette propofition, l'homme eft vn an'\mai\,fera vraye éter- nellement, à caufe des noms éternels; mais, fupofé que le genre humain fut ancant/, il n'f auroit plus de nature humaine,

\D^oii il efl euident que V effence, en tant quelle eft diflinguée de l'exi-

194-195-

Troisièmes Objections.

M

Jience, n'ejl rien autre chofe qu'vn ajfemblage de noms par le verbe ell ; & partant j V ejfence fans l'exijience ejl vne Jîâion de nojîre efprit. Et il femble que, comme l'image de l'homme qui ejî dans l'efprit ejî à l'homme, ainjt l'effence ejî à Vexiftence; ou bien, comme cette propo- Jition, Socrate eft homme, ejl à celle-cy, Socrate eft ou exifte, ainfi V ejfence de Socrate ejî à l'exijience du mejme Socrate. Or cecjr, Socrate eft homme, quand Socrate n'exijîe point, ne Jîgnijîe autre choje qu'vn ajfemblage de noms, & ce mot eft ou eftre a \ Jou\ Joy l'image de l'vnité d'vne chofe, qui ejî defignée par deux noms.

253

Réponse.

La diftinélion qui eft entre l'efl'ence & Texiftence eft connu(f de tout le monde; & ce qui eft dit icy des noms éternels, au lieu des con- cepts ou des idées d'vne éternelle vérité, a défia efté cy-deuant aftez refuté & reietté.

OBJECTION QVINZIÉME.

Car Dieu ne m'ayant donné aucune faculté pour connoiftre que cela foit Jçauoir que Dieu, par luy-mefme ou par l'entremij'e de quelque créature plus noble que le corps, m'enuoye les idées du corps), mais, au contraire, m'ayant donné vne grande inclination. à croire qu'elles me font enuoyéesou qu'elles partent des chofes corporelles, ie ne voy pas comment on pouroit l'excuier de tromperie, fi en effect ces idées partoient* ou eftoient produites par d'autres caufes que par des chofes corporelles ; & partant, il faut auouër qu'il y ^ des chofes corporelles qui exiftent.

Il C'ejî la commune opinion que les Médecins ne pèchent point, qui deçoiuent les malades pour leur propre Janté, ny les pères qui trompent leurs enfans pour leur propre bien, & que le mal de la tromperie ne confiJiep>as dans lafauffeté des paroles, mais dans la malice de celuy qui trompe. Que MonJieur Des-Cartes prenne donc garde Ji cette pro- pojition : Dieu ne nous peut iamais tromper, prije Tniuerfellemenl, ejî fraye; car Ji elle n' ejî pas vraye, àinji vniuerfellemcnt priJe, cette conclujîon n'ejî pas bonne : donc il y a des chofes corporelles qui exiftent.

Sur la Sixième Méditation.

De l'exijience

des

chofes matérielles.

254

a. La 2* et la 3* édit. ajoutent ici d'ailleurs. Mais, dans la i"^», le tra- ducteur, Clerselier, reliait sans doute partaient avec d'autres caufes, les mots intermédiaires ou ejioient produites par étant comme une incise explicative.

152 Œuvres de Descartes. 195-196.

Réponse.

Pour la vérité de cette conclufion, il n'eft pas neceffaire que nous ne puiffions iamais eftre trompez (car, au contraire, i'ay auoiié franchement que nous le fommes fouuent); mais feulement, que nous ne le foyons point, quand noftre erreur feroit paroiftre en Dieu vne volonté de deceuoir, laquelle ne peut eftre en luy ; & il y a encore icy vne confequence qui ne me femble pas eftre bien déduite de fes principes.

OBJECTION DERNIÈRE.

Car ie reconnois maintenant qu'il y a entre l'vn & l'autre (/ça-

|S5 uoir ejt entre la veille & lefommeil) | vne très-grande différence, en

ce que noftre mémoire ne peut iamais lier & ioindre nos fonges les

vns aux autres & auec toute la fuite de noftre vie, ainfi qu'elle a de

coutume de ioindre les chofes qui nous arriuent eftant eueillez.

le demande :fçauoirJt c'ejl vne choje certaine, qu'vne perfo7tne,fon- geant qu'elle doute ellejonge ou non, ne puijfe fonger que Jon fange ejl ioint & lié auec les idées d'vne longue fuite de chofrs pajjees . Si elle le peut, les chofas qui famblent à vne perfanne qui dortejlre les aâions de fa vie paffée, peuuent eftre tenues pour vrayés, tout ainjt que fi elle eftoit éueillée. Dauantage, d'autant, comme il dit luf'mefme,\ que toute la certitude de lafcience & toute fa vérité dépend de la feule connoif- fance du vray Dieu, ou bien vn Athée ne peut pas reconnoiftre qu'il veille par la mémoire de fa vie pajfée, ou bien vne perfanne peut fça- uoir qu'elle veille fans la connoiffance du vray Dieu.

Réponse.

Celuy qui dort & fonge, ne peut pas ioindre & affembler parfai-

tement & auec vérité fes refueries auec les idées des chofes palfées,

encore qu'il puiffe fonger qu'il les aflemble. Car qui eft-ce qui nie

tt6 que celuy qui dort fe | puiffe tromper ? Mais après, eftant éueillé, il

connoiftra facilement fon erreur.

vn Athée peut reconnoiftre qu'il veille parla mémoire de fa vie paffée ; mais il ne peut pas fçauoir que ce figne eft fuffifant pour le rendre certain qu'il ne fe trompe point, s'il ne fçait qu'il a efté créé de Dieu, & que Dieu ne peut eftre trompeur.

196-197. Quatrièmes Objections. i 5 }

IQVATRIÉMES OBIECTIONS 857

FAITES PAR MONSIEUR ARNAULD DOCTEUR EN THEOLOGIE.

Lettre dudit S. au R. P. Merfenne.

Mou Reuerend Père,

le meti au rang des Jignale\ bienfaits la communication qui m'a ejlé faite par vojlre moyen des Méditations de Monjieur Des-Cartes; mais, comme vous enfçauie\ le prix, aujji me l'auei-rous vendue fort chèrement, puifque vous n'aue^ point voulu me faire participant de cet excellent ouurage, que ie ne me fois premièrement obligé de vous en dire mon fentiment. C'ejl vne condition à laquelle ie ne me ferois point engagé, Ji le defr de connoijtre les belles chofes n'ejîoit en moyfort violent, \ & contre laquelle ie reclamerois volontiers, Ji ie penfois pou- uoir obtenir de vous aujft facilement vne exception \ pour m'ejîre laijfé 258 emporter par la volupté, comme autre-fois le Prêteur en accordoit à ceux de qui la crainte ou la violence auoit arraché le confentement.

Car que voulez vous de moy? Mon iugement touchant l'auteur? Nullement; il y a long temps que vous fçaue^ en quel ejlime i'ay fa perfonne, & le cas que ie fais de fon efprit & de fa doârine. Vous nignore'{ pas auJJi les fâcheufes affaires qui me tiennent à prefent occupé, & fi vous aués meilleure opinion de moy que ie ne mérite, il ne s'enfuit pas que ie n'aye point connoijfance de mon peu de capacité. Cependant, ce que vous voule^foumetre à mon examen, demande vne très-haute fufifance, auec beaucoup de tranquillité & de loijtr, afin que l'efprit, ejîant dégagé de l'embaras des affaires du monde, ne penfe qu'à foy-mefme ; ce que vous j'uge^ bien ne fe pouuoir faire fans vne méditation très - prof onde & vne tres-gratide reciflleâion d' efprit. l'obeiray neantmoins, puifque vous le voule:{, mais à condition que vousferei mon garend, & que vous répondre^ toutes mes fautes. Or quoy que la philofophie fe puiffe vanter d'auoir feule enfanté cet ouurage, neantmoins, parce que nojlre auteur, en cela tres-modefie,fe vient luy-mefme prefenter au tribunal de la Théologie, ie iouëray icy deux perfonnages : dans le premier, paroiffant en philofophe, ie repre- fenteray les principales diffculte^ que ie iugeray pou\uoir ejlre pro- 869 pofées par ceux de cette prof effton, touchant les deux queflions de la nature de l'efprit humain & de l'exijîence de Dieu; & après cela, pre-

154 Œuvres de Descartes. i97-'98-

nant l'habit d'vn Théologien, ie mettra/ en auant les fcrupules quvn homme de cette robe pouroit rencontrer en tout cet oiiurage.

De la nature de l'esprit humain.

La première chofe que ie trouiie icy digne de remarque, eji de voir que Monfieur Des-Cartes ejiablijfe pour fondement & premier principe de toute Ja philofophiè ce qu auant lu/ Saint Augujiin, homme de très- grand e/prit & d'vne Jinguliere doctrine, non feulement en matière de Théologie, mais aujji en ce qui concerne l'humaine philofophiè, auoit pris pour la ba\e & lefoutien de lafienne. Car, dans le Hure fécond du libre arbitre, chap. S, Alipius difputant auec Euodiiis, | <S'- roulant prouuer qu'il y a vn Dieu : Premièrement, dit-il, ie vous demande, afin que nous commencions par les chofes les plus manifeltes, l'ça- uoir : fi vous elles, ou (i p'eut-eftre vous ne craignez point de vous méprendre en répondant à ma demande, combien qu'à vray dire i\ vous n'eftiez point, vous ne pouriez iamais eitre trompé. Aufquelles paroles reuiennent celles-cy de no/Ire auteur : Mais il y a vn ie ne fçay quel trompeur tres-puiffant & tres-ruzé, qui met toute l'on in- duftrie à me tromper toufiours. Il eft donc fans doute que ie fuis, 260 s'il I me trompe. Mais pourfuiuons, & afin de ne nous point éloigner de nofire fujet, voyons comment de ce principe on peut conclure que noflre efprit eft difîinâ &feparé du corps.

le puis douter fi i'ay vn corps, voire mefme ie puis doute/ s'il y a aucun corps au monde, & neanimoins ie ne puis pas douter que ie ne fois, ou que ie n'exifle, tandis que ie doute, ou que ie penfe.

Doncques, moy qui doute & qui penfe, ie ne fuis point vn corps : autrement, en doutant du corps, ie douterois de moy-mefme.

Voire mefme, encore que ie foutienne opinia/iremeni quil n'y a aucun corps au monde, cette j>erité neantmoins fubjifîe toufiours, ie fuis quelque chofe, & partant, ie ne fuis point vn corps'.

Certes cela efl fubtil ; mais quelqu'vn poura dire [ce que mefme noflre auteur s'obieâe) : de ce que ie doute, ou mefme de ce que ie nie qu'il y ait aucuii corps, il ne s'enfuit pas pour cela quil n'y en ait point.

Mais aulTi peut-il arrluer que ces chofes mefmes que ic fupofc n'ellrc point, parce qu'elles me font inconnues, ne font point en effed différentes de moy, que ie connois. le n'en fçay rien, dit-il, ie ne difpute pas maintenant de cela. le ne puis donner mon iugcmcnt

a. Non à la ligne (z**, 2* et 3* édit.).

26i

,9i,-»uo QjATRiKMES Objections. '15^

que des choTes qui me Tont connues; i'ay reconnu que i'ertois, & ie cherche quel ic fuis, moy que i'ay reconnu eftre. Or il eft très- certain que cette notion & connoilfance de moy-mefme, ainfi pre- cifcmcntlprife, ne dépend point des chofes dont l'exiftence ne m'eft pas encore connue.

I Mais, piti [qu'il confejfe liii-mefmc que, par V argument qu'il a pro- pofi' dans fou trailté de la Méthode, p. 84, la chofe en eji venue feule-, ment à ce point, d'exclure tout ce qui ejl corporel de la nature de fou efprit, non pas eu égard à la vérité de la choie, mais feulement fui- uant l'ordre de fa penfée & de fon raifbnnement (en telle forte que fon fens eftoit, qu'il ne connoilfoit rien qu'il fceuil appartenir à fon eflence, finon qu'il eitoit vne chofe qui penfe), il eJl euident, par cette répoufe, que la difpute en ejî encore aux me/nies termes, & partant, que la '-quejlion, dont il nous promet la Jblution, demeure encore en fon entier : àfçauoir, comment, de ce qu'il ne connoift rien autre chofe qui appartienne à fon effence (finon qu'il eft vne cljofe qui penfe)y il s'enfuit qu'il n'y a auffi rien autre chofe qui en effect luy appartienne. Ce que toutes-fois ie n*av peu découurir dans toute retendue de la féconde Méditation, tant i'ay l'efprit pefant & groffier. Mais, autant que ie le puis conieclurer, il en vient à la prenne dans la fixiéme, pource qu'il a creu qu'elle dépendoit de la connoijfance claire & difUnâe de Dieu, qu'il ne s'eftoit pas encore acquife dans la féconde Méditation. Voicy donc comment il prouue & décide cette difficulté.

Pource, dit-il, que ie fçay que toutes les chofes que ie conçoy clairement & dirtintilement peuuent eftre produites par Dieu telles que ie les conçoy, il fuffit que ie puilfe coniceuoir clairement & 262 dillindement vne chofe fans vne autre, pour ertre certain que l'vne eil diltincte ou différente de l'autre, parce qu'elles peuuent élire pofées feparement, au moins par la toute puiffance de Dieu; & il n'importe pas par quelle puilfance cette feparation fe faffe pour m'o- bliger à les iuger différentes. Doncques, pource que, d'vn cofté, i'ay vive claire & dilUnde idée de moy-mefme, en tant que ie fuis feule- ment vne chofe qui penfe & non étendue; & que, d'vn autre, i'ay vne idée dillinde du corps, en tant qu'il feulement vne chofe étendu(f & qui ne penfe point, il ell certain que ce moy, c'eft à dire mon ame, par laquelle ie fuis ce que ie fuis, ell entièrement & véri- tablement diltin6te de mon corps, | & qu'elle peut eftre ou exifter fans luy, en forte qu'encore qu'il ne fuit point, elle ne lairroit pas d'eftre tout ce qu'elle ell.

// faut icjr s'aréter vn peu, car il me femble que dans ce peu de paroles confifle tout le nœud de la difficulté.

156

Œuvres de Descartes. 200-201.

Et premièrement, afin que la majeure de cet argument foit vraye, cela ne fe doit pas entendre de toute forte de connoijfance, ny me/me de toute celle qui ejl claire & dijlinâle, mais feulement de celle qui efl pleine & entière [c'efl à dire qui comprend tout ce qui peut efîre connu delà chofe). Car Monfîeur Des-Cartes confeffe luf-mefme, dansfesRê- ponfes aux premières Obieâions, qu'il n'ejt pas befoin d'vne diflinâion réelle, mais que la îoTmtW^fuffit, afin qu'vne chofe foit conceuè' diftiu' 263 âement & feparement d'vne autre, par ime abyiraâion de l'ef prit qui ne conçoit la chofe qu'imparfaitement & en partie; d'oii vient qu'au mefme lieu il adioute :

Mais ie conçoy pleinement ce que c'eft que le corps (c'e/? à dire ie conçoy le corps comme vne chofe complète)^ en penfant feulement que c'eft vne chofe étendue, figurée, mobile, &c., encore que ie nie de luy toutes les chofes qui appartiennent à la nature de l'efprit. Et d'autrepart ie conçoy que l'efprit eft vne chofe complète, qui doute, qui entend, qui veut, &c., encore que ie n'accorde point qu'il y ait en luy aucune des chofes qui font contenues en l'idée du corps. Doncques il y a vne diftinftion réelle entre le corps & Pefprit.

Mais fi quelquvn vient àreuoquer en doute cette mineure, & qu'il foutienne que l'idée que vous aue^ de vous-mefme n'eft pas entière, mais feulement 'imparfaite, lorjque vous vous conceuè^ [c'efi à dire vofire efprit) comme vne chofe qui penfe & qui n'efï point étendue, & pareillement, lorfque vous vous conceue^ {c'eft à dire vofire corps) comme vne chofe étendue' & qui ne penfe point, il faut voir comment cela a eflé prouué dans ce que vous aue^ dit auparàuant ; car ie ne penfe pas que ce foit vne chofe fi claire, qu'on la doiue prendre pour vn principe indémonfirable, & qui n'ait pas béfoin de preuue*.

Et quant à fa pffmiere partie, àfçauoir que vous conceuez pleine- ment ce que c'eft que corps, en penfant | feulement que c'eft vne chofe étendue, figurée, mobile, &c., encore que vous nyiez de luy 254 toutes les chofes qui | apartiennent à la nature de l'efprit, elle eft de peu d'importance ; car celuy qui maintiendroit que noftre efprit efl corporel, n' eft i mer oit pas pour cela que tout corps fu^ efprit, & ainf le corps feroit à l'efprit comme le genre efl à l'efpece. Mais le genre peut eflre entendu fans l'efpece, encore que l'on nie de luy tout ce qui efl propre & particulier à l'efpece : d'oii vient cet axiome de Logique, que, l'efpece eftant niée, le genre n'eft pas nié, ou bien, eft le genre, il n'eft pas neccffairc que l'efpece foit ; ainfi ie puis conceuoir ta figure fans: conceuoir aucune des propriété^ qui font particulières

a. Non à la ligne (/'*e/ 2* édit.).

3oi-3oa. Quatrièmes Objections. 157

au cercle, llrejîedonc encore à prouver que Vefprit peut ejlre pleine- ment & entièrement entendu fans le corps.

Or, pour prouuer cette propojition, ienay point, cemefemble, trouué de plus propre argument dans tout cet ouurage que celuy que i'ay alegué au commencement : à/çauoir, ie puis nier qu'il y ait aucun corps au pionde, aucune chofe étendue, & neantmoins ie fuis affuré que.ie fuis, tandis que ie ie nie ou que ie penfe; ie fuis donc vne chofe qui penfe, & non point vn corps, & le corps n'apartient point à la connoiffance que i'ay de moy-mefme.

Mais ie voy que de il refulte feulement que ie puis acquérir quel- que connoijfance de moy-mefme fans la connoiffance du corps ; mais, que cette connoiffance foit complette & entière, en telle forte que ie fois ajfuré que ie ne me trompe point, lorfque i'exclus le corps | de 865 mon ejfence, cela ne m'efl pas encore entièrement manif^e. Par exemple :

Pofons que quelqu'un fçache que l'angle au demy-cercle efï droit, & partant, que le triangle fait de cet angle & du diamètre du cercle efï reâangle ; mais qu'il doute & ne fçache pas encor certainement, voire mefme qu'ayant efié deceu par quelque fophifme, il nie que le quarré de la ba\e d'vn triangle reâangle foit égal aux quare^ des cofîei, il femble que, par la mefme raifon que propofe Monfteur Des- Cartes, il doiuefe confirmer dans f on erreur & fauffe opinion. Car, dira-t-il, ie connois clairement & difiinâement que ce triangle efl reâangle; \ ie doute neatitmoins que le quaré de fa ba^e foit égal aux quarei des cofie^ ; donc il n'efl pas de l'effence de ce triangle que le quaré de fa ba\efoit égal aux quar-e^ des cqfte'^.

En après, encore que ie nie que le quaré de fa ba^e foit égal aux quare\ des cofte^, iefuis neantmoins affuré qu'il efl reâangle, & il me demeure en l'efprit vne claire & diflinâe connoiffance qu'vn des angles de ce triangle eft droit, ce qu'efiant, Dieu mefme ne fçaur oit faire qu'il ne foit pas reâangle.

Et partant, ce dont ie doute, & que ie puis mefme nier, la mefme idée me demeurant en l'efprit, n'apartient point à f on effence.

Dauantage, pource que ie fçay que toutes les chofes que ie conçoy clairement & diftindement, peuuent eftre produites par Dieu telles que ie les conçoy, c'eft affez que | ie puiffe conceuoir clairement & 266 diftindement vne chofe fans vne autre, pour eftre certain que l'vne eft différente de l'autre, parce que Dieu les peut feparer. Mais ie conçoy clcirement & difiinâement que ce triangle efi reâangle, fans que ie fçache que le quaré de fa ba^e foit égal aux quare:{ des co/ter; doncques, au moins par la toute puiffance de Dieu, il fe peut faire

158 Œuvres de Descartes. . 202-30?.

j'fi triangle reâangle dont le quarè de la ba^e ne fera pas égal aux quar-ei des cojle^.

le ne voy pas ce que l'on peut icy répondre, Ji ce n'eft que cet homme ne connoijl pas clairement & dijtindement la nature du triangle reâangle. Mais d'oii puis-ie fcauoir que ie comtois mieux la nature de mon efprit, qu'il ne co7inoijl celle de ce triangle ? Car il eji aujji ajfuré que le triangle au demy-cercle a vu angle droit, ce qui eJi la notion du triangle reâangle, que iefuis ajjuré que i'exijle, de ce que ie penje.

Tout ainji donc que celuy-làfe trompe, de ce qu'il penfe qu'il n'eji pas de l'ejfe7tce de'ce triangle [qu'il coîinoijl clairement & dijîinâement ejlre reâangle], que le quaré de fa ba^e \foit égal aux quare^ des cofie^, pourquof peut-eftre ne me trompay-ie pas auJJi, en ce que ie penfe que rien autre chofe n'appartient à ma nature [que ie fcay certainement & difiinâement efire vne chofe qui penfe), finon que ie fuis vne chofe qui penfe? veu que pêut-efîre il efï auffi de mon effence, que ie fois vne chofe étendue. 867 I Et certainement, dira quelqu'vn, ce n'efi pas merueille f, lorfque, de ce que ie penfe, ie viens à conclure que ie fuis, l'idée que dklà ie forme de moy-mefme, ne me reprefetite point autrement à mon efprit que comme vne chofe qui penfe, puifqu'elle a efté tirée de ma feule penfée. Et ainfi il ne femble pas que cette idée nous puiffe fournir aucun argument, pour prouuer que rien autre chofe n'apartient à mon effence, que ce qui efi contenu en elle.

On peut adiouter à cela que l'argument propofé femble prouuer trop, & nous porter dans cette opinion de quelques Platoniciens [laquelle neantmoins noflre auteur réfute), que rien de corporel n'apartient à nofîre effence, en forte que l'homme f oit feulement vu efprit, & que le corps nenfoit que le véhicule, d'oii vient qu'ils defnijfent l'homme vn efprit vfant ou fc feruant du corps.

Que Ji vous réponde^ que le corps n'ejî pas abfolument exclus de mon effence, mais feulement en tant que precifement ie fuis- vne chofe qui penfe, on pouroit craindre que quelqu'vn ne vinjl à foupçonner que peui-ejire la notion ou l'idée que i'ay de moy-mefme, en tant que ie fuis vne chofe qui penfe, nefoit pas l'idée ou la notion de quelque efire complet, lequel foit pleinement & parfaitement conceu, mais feu- lement imparfaitement & auec quelque forte d'abjiraâion d' efprit & reflriâion de la penfée. 268 I C'efl pourquoy, tout ainfi que les Géomètres conçoiuent la ligne comme vne longueur fans largeur, & lafuperjîcie comme vne longueur 6' largeur fans profondeur, quoy qu'il n'y ait point de longueur fans

2o3-2o5. Quatrièmes Objections. 159

largeur, ny de largeur fans profondeur ; peut-eflre aujji quelqu'un poura-t-il mettre en doute, fçauoirf \ tout ce qui penfe n'eft point aufji vne chofe étendue, mais qui, outre les propri€te:{ qui luy font com- munes auec les autres chofes étendues, comme d'ejire mobile, Jîgurable, &c., ait aîijfi cette particulière vertvL & faculté de penfer, ce qui fait que, par vne abjlraâion de Vefprit, elle peut eflre conceuë auec cette feule vertu comme vne cliofe qui penfe, quoy qu'en effed les propriété^ & qualité^ du corps conuiennent a toutes les chofes qui penfent ; tout ainfi que la quantité peut efire conceuë auec la longueur feule, quoy qu'en effeél il n'y ait point de quantité à laquelle, auec la longueur, la largeur & la profondeur ne conuiennent.

Ce qui augmente cette difficulté efi que cette vertu de penfer femble efire attachée aux organes corporels, puif que dans les enfans elleparoijl - ajfoupie, & dans les faux tout affait éteinte & perdue; ce que lesper- fonnes impies & meurtrières des âmes nous obieâent principalement.

Voflà ce que i'auois à dire touchant la dijlinâion réelle de l'efprit d' auec- le corps. Mais puif que Monjieur Des-Cartes a entrepris de démontrer l'immortalité de l'ame, on peut demander a\uec raifonf 269 ^elle réfulte euidemment de cette dijlinâion. Car, félon les principes de la philofophie ordinaire, cela ne s'enfuit point du tout; veu qu'ordi- nairement ils difent que les âmes des befies font difiinâes de leurs corps, & que neantmoins elles perijjent auec eux.

I'auois étendu iufques-icy cet efcrit, & mon deJTein efloiide montrer comment , félon les principes de nojîre auteur [lefquels ie penfois auoir recueillis de fa façon de philofopher), de la réelle diflinâion de l'efprit d'auec le corps, fon immortalité fe conclut facilement, lorfqu'on m'a mis entre les mains vn fommaire desfix Méditations fait par le mefme auteur, qui, outre la grande lumière qu'il apporte à tout fon ouurage, contenoit fur cefujet les mefmes raifons que i'auois méditées pour la folution de cette queflion.

Pour ce qui ejî des âmes des befîès, il a défia affe\fait connoiflre, | en d'autres lieux, que fon opinion efi qu'elles' n'en ont point, mais feule- ment vn corps figuré d'vne certaine façon, & compofé de plufieurs dif- ferens organes difpofe\ de telle forte, que toutes les opérations que nous voyons peuuent ejîre faites en liiy & par luy.

Mais il y a lieu de craindre que cette opinion ne puijfe pas trouuer créance dans les efprits des hommes, fi elle n'efi foutenuë & prouuée par de très fortes raifons. Car cela femble incroyable d'abord, qu'il fe puije faire, fans le minifiere d'aucune ame, \ que la lumière qui 270

a. (. qu'ils » (/''* édit.].

i6o Œuvres de Descartes. 205-206.

réfléchit du corps du loup dans les yeux de la brebis, remue les petits filets des nerfs optiques, & qu'en vertu de ce mouuement, qui va iuf- qu'au cerueau, les efpriis animaux fojent répandus dans les nerfs, en la manière qu'il efl riecejfaire pour faire que la brebis prenne la fuite.

l'adiouteray feulement icy que i'aprouue grandement ce que Mon- Jieur Des-Cartes dit touchant la difiinâtion qui eft entre l'imagination & la penfée ou l'intelligence ; & que ça toujiours efié mon opinion, que les chofes que nous conceuons par la\ raifon font beaucoup plus cer- taines que celles que les fens corporels nous font aperceuoir. Car ily a long temps que i'ay apris de Saint Augufiin, Chap. i5, De la quan- tité de l'ame, qu'il faut reietter lefentiment de ceux qui fe perfuadent que les chofes que nous voyons par l'efprit, font moins certaines que celles que nous voyons par les yeux du corps y qui font toufout^s trouble^ par la pituite. Ce qui fait dire au mefme Saint Augufiin, dans le Hure premier de fes Solil., Chapitre <^>% qu'il a expéri- menté plufieurs fois qu'en matière de Géométrie les fens font comme des vaijfeaux.

Car, dit-il, lorfque, pour l'eftabliflement & la preuue de. quelque propofition de Géométrie, ie me fuis lailfé conduire par mes fens iufqu'au lieu ie pretendois aller, ie ntf les ay pas plutoft quittez que, venant à repaffer par ma penfée toutes les chofes qu'ils fem- bloient m'àuoir aprifes, ie me fuis trouué l'efprit auflî inconftant que 271 font les | pas de ceux que l'on vient de mettre à terre après vne longue nauigation. C'eft pourquoy ie penfe qu'on pouroit plutoft trouuer l'art de nauiger fur la terre, que de pouuoir comprendre la Géométrie par la feule entremife des fens, quoy qu'il femble qu'ils n'aident pas peu ceux qui commencent à l'apprendre.

|De Dieu.

La première raifon que nofire auteur apporte pour démontrer l'exi^

fience de Dieu, laquelle il a entrepris de prouuer dans fa troifiéme

Méditation, contient deux parties : la première efi que Dieu exifie,

parce que fon idée efi en moy ; & la féconde , que moy, qui ay vne telle

idée, ie ne puis venir que de Dieu.

Touchant la première partie, il n'y a qu vne feule chofe que ie ne puis aprouuer, qui efi que, Monfieur Des-Cartes ayant fou tenu que la

a. Le chiffre manque dans la i*^ édition. Voir t. III, p. 359, 1- 2, il faut lire cap. 4" (et non 40).

ao6-ao7. QUATRIÈMES OBJECTIONS. lOI

faujfeté ne fe trouue proprement que dans les iugemenSy il dit néant- moins, vn peu apre^, <m'ily « des idées quipeuuent, non pas à la vérité formellement, mais matériellement, ejïre fanges : ce qui me femble auoir de la répugnance auec f es principes.

Mais, de peur qu'en vne matière Ji obfcure ie ne puijfe pas expliquer ma penfée aj[fe\ nettement, ie meferuiray d'vn exemple qui la rendra plus manifejle. Si, dit-il, le froid eft feulement vne priuation | de la 278 chaleur, l'idée qui me le reprefente comme vne chofe pofiiiue, fera matériellement fauffe.

Au contraire, fi le froid ejl feulement vne priuation, il ne pouray auoir aucune idée du froid, qui me le reprefente comme vne chofe pofi- tiue ; & icf nofire auteur confond le iugement auec l'idée.

Car qu'ejl-ce que l'idée du froid ? Cefi le froid mefme, en tant qu'il eft obieâiuement dans l'entendement ; mais fi le froid efi vne priuation, il nefçauroit efire obieâiuement dans l'entendement par vne idée de qui V efire obieâiffoit vn efire pofitiff doncques,fi le froid efi feulement vne priuation, iamais l'idée n'en poura efire pofitiue, & confequem- vicnt il n'y en poura auoir aucune qui foit matériellement faujfe.

Celafe confirme par le mefme argument que Monfieur Des-Cartes employé pour prouuer que l'idée d'vn efire infini efi necejfairement vraye. Car, bien que Von puijfe feindre \ qu'vn tel efire n'exifie point, on ne peut pas neantmoins feindre que fon idée ne me reprefente rien de réeU

La mefme chofe fe peut dire de toute idée pofitiue; car, encore que l'on puijfe feindre que le froid, que ie penfe efire reprefente par vne idée pofitiue, ne foit pas. vne chofe pofitiue, on ne peut pas neantmoins feindre qu'vne idée pofitiue ne me reprefente rien de réel & de pofitif veu que les idées ne font pas apelées pofiliues félon V efire \ qu'elles ont 273 eu qualité de modes ou de manières de penfer, car en ce fens elles feroyent toutes pofitiues ; mais elles font ainfi apelées de l'efire objeâif quelles contiennent & repr^fcntent à nofire efprit. Partant, cette idée peut bien n efire pas l'idée du froid, mais elle ne peut pas efire faujfe.

Mais, direi'vous, elle efi faujfe pour cela mefme qu'elle n'efi pas l'idée du froid. Au contraire, c'efi vofire iugement qui efi faux, fi vous la iugei efire l'idée du froid; mais, pour' elle, il efi certain qu'elle efi treS'Vraye ; tout ainfi que Vidée de Dieu ne doit pas matériellement mefme efire apelée faujfe, encore que quelqu'vn la puijfe transférer & raporter à vne chofe qui ne foit point Dieu, comme ont fait les idolâtres.

Enfin cette idée du froid, que vous dites efire matériellement faujfe, que reprefente-t-elle à voftre efprit ? Vne priuation ? Donc elle efi Œuvres. IV. n

102 Œuvres de DescarteS.

îoy-aog.

vraye. Vn ejîre pofitif? Donc elle nejî pas l'idée du froid. Et déplus, quelle ejl la caufe de cet eftre pofitif obieâifqui, félon vojlre opinion, fait que cette idée foit matériellement fauffe? C*ell, dites-vous, moy- mehne, en tant que ie participe du néant. Doncques l'ejtre obieâif pofitif de quelque idée peut venir du néant, ce qui neantmoins répugne tout a/fait à vos premiers fondemens. 274 Mais venons à la féconde partie de cette démonji ration, en laquelle on demande, fi moy, qui ay | l'idée d'vn eftre infini, ie puis eftre par vn autre que par vn eftre infini, & principalement | fi ie puis eftre par moy-mefme. Monfieur Des-Cartes foiitient que ie ne puis eftre par moy-mefme, d'autant que, ^\ ie me donnois l'eftre, ie me donnerois aufli toutes les perfedions dont. ie. trouue en moy quelque idée. Mais l'auteur des premières Obieâions réplique fort fubtilement : Eftre par Iby ne doit pas ejtre pris pofitiuement, mais negatiuement, e«/or/e que ce foit le mefme que n'eftre pas par autruy. Or, adioute-t-il, fi quelque chofe eft par iby, c'eft à dire non par autruy, comment prou- uerez-vous pour cela qu'elle comprend tout, & qu'elle eft infinie? Car à prelent ie ne vous écoute point, l\ vous dites : puifqu'elle eft par Iby, elle ie fera aii'ement donné toutes choies; d'autant qu'elle n'eft pas par Iby comme par vne caufe, & qu'il ne luy a pas efté pof- fible, auant qu'elle fuit, de preuoir ce qu'elle pouroil eftre, pour choifir ce qu'elle feroit après.

Pour foudre cet argument, Monjieur Des-Cartes î^épond que cette façon de parler, eftre par foy, ne doit pas eJîre prife negatiuement, mais pofitiuement, eu égard mefme à l'exijience de Dieu ; en telle forte que Dieu fait en quelque façon la mefme chofe à l'égard de foy- mefme, que la cauie efficiente à l'égard de fon etVed. Ce qui mefembte vnpeu hardf, & n'ejlre pas véritable.

C'eji pourquof ie conuiens en partie auec lity, & en partie ie n'y 27B conuiens pas. Car i'auouë bien que ie ne puis eJîre par mof -mefme que pofitiue\ment, mais ie nie que le me/me fe doiue dire de Dieu. Au con- traire, ie trouue vne manifejle contradidion que quelque chofe foit par foy pofitiuement & comme par tme caufe. C'ejl pourquoy ie conclus la mefme chofe que nq/lre auteur, mais par vne voye tout ajfait diffe- rente, en celte forte :

Pour eJlre par moy-mefme^ ie deurois eJîre par moy poiitiuement i:\comme par vne caufe; doncques il ejl impofjible que ie fois par moy- mefme. La maieure de cet argument e/t prouuée par ce qu'il dit luy- mefme, que les parties du temps pouuant eftre Icparées, ^ ne dépen- dant point les vncs des autres, il ne s'enluit pas, de ce que ie ibis, que ie doiue eftre encor à l'aucnir, fi ce n'eft qu'il y ait en moy

Z09-2IO. Quatrièmes Objections. iôj

quelque puiffance réelle & pofitiue, qui me crée quafi derechef en tous les momens.

Quant à la mineure, àfçauoir que ie ne puis eftre par moy pofiti- uement & comme par vne caufe, elle me femBle'Ji manifejîe par la lumière naturelle, que ce ferait en vain quon s'arrejleroit à la vouloir prouuer, puifque ceferoit perdre le temps àprouuer vne chofe connue par vne aiMre moins connue. Nojlre auteur me/me femble en auoir reconnu la vérité, lorfquil n'a pas ofé la nier ouuertement. Car, ie vous prie, examinons foigneufement ces paroles de fa Répohfe aux premières Obieâions :

le n'ay pas dit, dit-il, qu'il eft impoflible qu'vne chofe foit la caufe efficiente de foy-mefme ; car, encore que cela foit | manifellement 276 véritable, quand on reflraint la fighification d'efficient à ces fortes de caufes qui font différentes de leurs effects, ou qui les précèdent en temps, il ne femble pas neantmoins que, dans cette queftion, on la doiue ainfi reftraindre, parce que la lumière naturelle ne nous dide point que ce foit le propre de la caufe efficiente de précéder en temps ion effed.

Cela ejï fort bon pour ce qui regarde le premier* membre de cette dijlinâion ; mais pourquof a-t-il obmis le fécond, & que n'a-t-il adiouté que la mefme lumière naturelle ne nous diâle point que ce foit le propre de la caufe efficiente d'eflre différente defon effeâ, finon parce que la lumière naturelle ne luf permettait pas de le dire?

Et de vraj-, tout effeâ efîant dépejidant de fa caufe, & receuant d'elle fon eflre, n'efl-il pas tres-euident qu'vne mefme chofe \ ne peut pas dépendre ny receuoir l'eflre de foy-mefme ?

Dauantage, toute caufe eft la caufe d'un effeâ, & tout effeâ eft V effeâ d'vne caufe, & partant, il y a vn raport mutuel entre la caufe & l'effeâ : or il ne peut y auoir de raport mutuel qu'entre deux cliofes.

En après, on ne peut conceuoir, fans abfurdité, qu'vne chofe reçoiue l'eflre, & que neantmoins cette mefme chofe ait l'eflre auparauant que nous ayons conceu qu'elle l'ait receu. Or cela arriueroit,f nous attri- buyons les notions de caufe & d'effeâ à vne mefme chofe au regard de foy-mefme. Car \ quelle eft la notion d'vne caufe? Donner l'eflre. 277 Quelle ejî la notion d'vn effeâ ? Le receuoir. Or la notion de la caufe précède naturellement la notion de l'effeâ.

Maintenant, nous ne pouuons pas conceuoir vne chofe fous la notion de caufe, comme donnant l'eflre, fi nous ?ie conceuons qu'elle l'a; car

a. Il faudraftîire ici, fécond, et à la ligne suivante, premier, au lieu de fécond, les deux membres ayant été intervertis dans la traduction.

164 Œuvres de Descartes. aïo-an.

perfonne ne peut donner ce qu'il n*a pas. Doncques nous conceurions premièrement qu'vne chofe a l'ejlre, que nous ne conceurions qu'elle l'a receu; & neqntmoins, en celuy qui reçoit y receuoir précède l'auoir.

Cette rai/on peutejlre encore ainjt expliquée : perfonne ne donne ce qu'il n'a pas; doncques perfonne ne fe peut donner l'eflre, que celuy qui l'a défia ; or, s'il l'a défia, pourquoy fe le donneroit-il ?

Enfin, il dit qu'W eft manifefte, par la lumière naturelle, que la création n'eft diftinguée de la conferuation que par la raifon. Mais il eft auffi manifefte, par la mefme lumière naturelle^ que rien ne fe peut créer fof-mef me, ny par confequent aufji fe conferuer.

Que Ji de la thefe générale nous defcendons à l'hypothefe fpeciale de Dieu, la chofe fera encore, à mon àduis, plus manife^e, àfçauoir que Dieu ne peut eflre par fof pofitiuement, mais feulement negati- uement, cV/? à dire non par autruy. 178 \Et premièrement cela eft euident par la raifon \ que Monteur Des- Cartes aporte pour prouuer que, Ji le corps eft par foy, // doit eflre parfoy pofitiuement. Car, dit-il, les parties du temps ne dépendent point les vnes des autres ; & partant, de ce que l'on fupofe que ce corps iufqu'à cette heure a efté par foy, c'eft à dire fans caufe, il ne s'enfuit pas pour cela qu'il doiue eftre encore à l'auenir,. fi ce n'eft qu'il y ait en luy quelque puiffance réelle & pofitiue, qui, pour ainfi dire, le reproduife continuellement.

Mais tant s'en faut que cette raifon puijfe auoir lieu, lorfqu'il efl queflion d'vn eflre fouuerainemejit parfait & infini, qu'au contraire, pour des raisons tout affait oppofées, il faut conclure tout autrement. Car, dans l'idée d'vn eflre infini, l'infinité de fa durée y efi auffi con- tenue, c'efi à dire qu'elle n'efi point î-enfermée dans aucunes limites, £• partant, qu'elle efi indiuifible, permanente & juhfifiante toute à la fois, & dans laquelle on ne peut fans erreur & qu'improprement, à caufe de l'imperfeâion de nofire ejprit, conceuoir de paffé ny d'auenir.

D'oit il efi manifefie qu'on ne peut conceuoir qu'vn efire infini exifie, quand ce ne fer oit qu'vn moment, qu'on ne conçoiue en mefme temps qu'il a toufiours efié & qu'il fera éternellement [ce que nofire auteur mefme dit en quelque endroit), & partant, que c'efi vne chofe fuperfiuë de demander pourquoy il perfeuere dans l' efire. 279 Voire mefme, comme l'enfeigne Saint Augu/lin \ {lequel, après les

auteurs facre-^, a parlé de Dieu plus hautement & plus dignement qu'aucun autre], en Dieu il n'y a point de pajjé ny de futur, mais m continuel prefent; ce qui fait voir clairement qu'on ne peut fans abfurdité demander pourquoy Dieu perfeuere dans l'efire^ veu que

311.313. Quatrièmes Objections. 165

cette quejiion enueloppe manifejiement le deuant & l'aprés^ le pajfé & le futur y qui doiuent ejire bannis de l'idée d'vn ejïre infini.

Dauantage on ne peut pas conceuoir que Dijeu /oit par Jqy pofiti- uementfl comme s'il s'efioit luy-mejme premièrement produit j car il auroit ejté auparauant que d'efire; mais feulement {comme nofire auteur déclare enplufieurs lieux), parce qu'en effed, il fe conferue.

Mais la conferuation ne conuient pas mieux à l'efire infini que la première produâ ion. Car qu'efi-ce^ ie vous prie, que la conferuation, Jinon vne continuelle reproduâlion d'vne chofe? d'oii il arriue que toute conferuation fupofe vne première produâion. Et c'efi pour cela mefme que le nom de continuation, comme auj/i celuf de conferuation, efiant plutofi des ttoms de puijfance que d'aâe, emportent auec foy quelque capacité ou difpofition à receuoir; mais l'efire infini efi vn aâte tres-pur, incapable de telles difpofitions.

Concluons donc que nous ne pouuons conceuoir que Dieu foit par joy pofitiuemcnt, finon à caufe de l'imperfeâion de nofire efprit, qui conçoit I Dieu à la façon des chofes créées ; ce qui fera encore plus 880 euident par cette autre raifon :

On ne demande point la caufe efficietite d'vne chofe, finon à raifon defon exifience, & non à raifon de fon ejfence : par exemple, quand on demande la caufe efiiciente d'vn triangle, on demande qui a fait que ce triangle foit au monde; mais ce ne feroit pas fans abfurdité que ie demanderois la caufe efficiente pourquoy vn triangle afes trois angles égaux à deux droits; & à celuy qui feroit cette demande, on ne ré- pondrait pas bien par la caufe efficiente, mais on doit feulement ré- pondre, parce que telle efi la nature du triangle; d'oit vient que les Mathématiciens, qui nefe mettent pas beaucoup en peine de l'exifience de leur obiet, ne font aucune demonfiration par la caûfe efficiente & finale. Or il n'efi pas moins de l'effence d'vn efire infini d'exifier, voire mefme, fi vous voule\, de perfeuerer dans l'efire, qu'il efi de l'effence d'vn triangle d'auoir fes trois angles égaux à deux droits. Doncques, tout ainfi qu'à celur qui demanderoit pourquoy im triangle a fes trois angles égaux à deux drois, on ne doit pas répondre par la caufe efficiente, mais feulement : parce que telle efi la nature im- muable & éternelle du triangle; de mefme, fi quelquvn demande pourquoy Dieu efi, ou pourquoy il ne cejfe point d'efire, \ il ne faut point chercher en Dieu, ny hors de Dieu, de caufe efficiente, ou quafi efficiente [car ie ne difpute pas \ icy du nom, mais de la chofe), mais 181 ilfaut dire, pour toute raifon, parce que telle efi la nature de l'efire fouuerainement parfait.

C'efi pourquoy, à ce que dit Monfieùr Des-Cartes, que la lumière

i66 Œuvres de Descartes. 2.3-214.

naturelle nous dide qu'il n'y a aucune chofe de laquelle il ne foit permis de demander pourquoy elle exifte, ou dont on ne puiffe re- chercher la caufe efficiente, ou bien, fi elle n'en a point, demander pourquoy elle n'en a pas befoin, ie répons que, ft on demande poiirquoj' Dieu exifte^ il ne faut pas répondre par la caufe efficiente, mais feulement : parce qu'il eft Dieu, ceft à dire vn ejîre infni. Que fi on demande quelle efi fai:aufe efficiente, il faut répondre qu'il n'en a pas befoin; & enfii\,Ji on demande pour quof il n'en a pas befoin, il faut répondre : païxe qu'il éfl vn ejîre infini, duquel l'exijîence efi fon ejfence; car il n'y a que les chofes dans lef quelles il ejl permis de dijîinguer lexifience aâuelle de r ejfence, qui ayent befoin de caufe efficiente.

Et partant, ce qu'il adioute immédiatement après les paroles que ie viens de citer, fe détruit de foy-mefme, àfçauoir : Si ie penfois, dit-il, qu'aucune chofe ne peuft en quelque façon eftre à l'égard de foy- mefme ce que la caufe efficiente eit à l'égard de fon effed, tant s'en faut que de ie vouluffe conclure qu'il y a vne première caufe, qu'au contraire de celle-là mefme qu'on appelleroit preniiere, ie rc- chercherois derechef la caufe, & ainfi ie ne viendrois iamais à vne première. 282 ] Car, au contraire, Ji ie penfois que, de quelque chofe que ce fufï,

il faluji ixchercher la caufe efficiente, ou quafi efficiente, i'aurois dans l'efprit de chercher vne caufe différente de cette chofe; d'autant \qu'il efi manifefîe que rien ne peut en aucune façon eflre à l'égard de foy-mefme ce que la caufe efficiente eft à l'égard de fon effeâ.

Or il mefemble que nofire auteur doit ejîre auerti de conjtderer

diligemment & auec attention toutes ces chofes, parce que ie fuis

ajfuré qu'il y a peu de Théologiens qui ne s'offenfent de cette propo-

ftion, àfçauoir, que Dieu eft par foy pofitiuemcnt, & comme par

vne caufe.

// ne me refîe plus qu'vnfcrupule, (jui ejî de fçauoir comment il fe peut deffendre de ne pas commettre vn cercle, lorfqu'Sl dit que nous ne fommes affurez que les chofes que nous conceuons clairement & diftindement font vrayes, qu'à caufe que Dieu eft ou exifte.

Car nous ne pouuons ejîre ajfur-ei que Dieu eft, fnon parce que nous coucettons cela tres-clairement & tres-dijîinâement ; doncques, auparauant que d!ejlre affure^ de l'exifîence de Dieu, pous deuons ejîre ajfuré^ que toutes les chofes que nous conceuons clairement <? diftincîementfont toutes vrayes.

l'adiouteray vne chofe qui m' eft oit efchapée, c'eft à fçauoir, que cette proportion me femblé faujfe que Monfteur Des-Cartes dorme

2 14-2 1 5. Quatrièmes Objections. 167

jpowr vne perité \ ires-conjlante, a içauoir que rien ne peut cftre en Juy, en tant v, j'il ell vne chofe qui penfe, dont il n'ait connoilïance. Car par ce mot, en luy, en tant qu'il ell vne choie qui penfe, il n'entend autre chofe que fou efprit, en tant qu'il e/î dijîingué du corps. Mais qui ne poid qu'il peut j' auoir plujieurs chofes en Vefprit, dont r efprit mefme n'ait aucune connoijfance ? Par exemple, Vefprit d'pn enfant qui efi dans le pentre de fa mère, a bien la pertu ou la faculté de penfer, mais il n'en a pas connoiffance. le paffe fous flence pn grand nombre de femblables chofes.

Des choses qui peuuent arester les Théologiens.

Enfin, pour ^nir pn difcours qui n'efl défia que trop ennuyeux, te peux icy traitter les chofes le plus briéuement qu'il me fera pojjible, & à ce fujet mon deffein efî de marquer feulement les dijjiculte^, fans m'arefîer à pne difpute plus exacîe.

Premièrement, ie crains que quelques pus ne s'ofenfent de cette libre \ façon de philofopher, par laquelle toutes chofes font réuoquêes en doute. Et depray nq/tre auteur mefme confejfe, dans fa Méthode, que cette poj'e eft dangereufe pour les foibles efpris ; i'auoiie néant- 284 moins qu'il tempère pu \ peu le fujet de cette crainte dans l'abrégé de fa première Méditation.

Toutesfois ie ne fçay s'il ne feroit point à propos de la munir de quelque préface, dans laquelle le lecteur fufl auerti que ce n'efl pas ferieufement & tout de bon que l'on doute de ces chofes, mais afin qu'ayant pour quelque temps mis à part toutes celles qui peuuent donner le moindre doute, ou, comme parle noflre auteur en pn autre endroit, qui peuuent donner à noltre efprit vne occafion de douter la plus hj'perbolique, nous poyions fi, après cela, il n'y aura pas moyen de Irouuer quelque 7'erité qui fait fi ferme & fi ajfurée, que les plus opiniafires n'en puijfent aucunement douter. Et aujji, au lieu de ces paroles : ne connoilfant pas l'auteur de mon origine, ie penferois qu'il paudroit mieux mettre : feignant de ne pas connoiilre.

Dans la quatrième Méditation, qui traite du pray & du faux, ie poudrois, pour plitfieurs raifons qu'il feroit long de raporler icy, que Monfieur Des-Cartes, dans fon abrégé, ou dans le tijfu mefme de cette Méditation, auertifl le leâeur de deux chofes.

La première, que, lorfqu'il explique la caufe de l'erreur, il entend principalement parler de celle qui fe commet dans le difcernement d>

i68 Œuvres de Descartes. ais-aic.

yray & du faux , & non pas de celle qui arriue dans la pourfuite du bien & du mal. i85 Car, puifque cela fufit pour le dejfein & le but \ de nojlre auteur, & que les cho/es qu'il dit icy touchant la caufe de l'erreur foufri- royent de très-grandes obieâions, Ji on les étendait aujjî à ce qui re- garde la pourfuite du bien & du mal, il mefemble qu'il eft de la pru- dence, & que l'ordre mefme, dont noftre auteur paroijl fi ialoux, requiert que toutes les chofes qui ne feruent point au fuiet, & qui \peuuent donner lieu à plujieurs difputes, foyent retranchées, de peur que, tandis que le leâeur s'amufe inutilement à difputer des chofes qui fontfuperfluës, il ne foit diuerti de la connoijfance des necejfaires.

La féconde chofe dont ie voudrais que nojlre auteur dannajf quelque auertijjement, eft que, lorfqu'il dit que nous ne deuans donner nojlre créance qu'aux chofes que nous conceuons clairement & dijîinâemenl, cela s'entend feulement des chofes qui concernent les fciences, & qui tombent Jou\ nojlre intelligence, & non pas de celles qui regardent lafay & les aâians de nojlre vie ; ce qui a fait qu'il a toufours con- damné l'arrogance &prefomption de ceux qui opinent, c'ejl à dire de ceux qui penfentfçauoir ce qu'ils ne fçauentpas, mais qu'il n'a iamais blâmé la iujle perfuajion de ceux qui croyent auec prudence.

Car, comme remarque fort iudicieufement S. Augujlin au Cha- pitre i5 DB l'utilité de la^ croyance, il y a trois chofes en l'efprit de l'homme qui ont entr'elles vn très-grand rapoft, & feitiblent quafi tM n'cftre qu'vne mefme chofe, mais qu'il faut | neantmoins tres-foi- gneufement diftinguer, fçauoir eft : entendre, croire & opiner.

Celuy-la entend^ qui comprend quelque chofe par des raifons cer- taines. Celuy-la croit, lequel, emporté par le poids & le crédit de quelque graue et puiffante autorité, tient pour vray cela mefme qu'il ne comprend pas par des raifons certaines. Celuy-la opine, qui fe perfuade ou plutoft qui prefume de fçauoir ce qu'il ne fçait pas.

Or c'eft vne chofe honieufe & fort indigne d'vn homme que d'opiner, pour deux raifons : la première, pource que celuy-la n'eft plus en eftat d'aprendre, qui s'eft defia perfuade de fçauoir ce qu'il ignore ; & la féconde, pource que la prefomption eft de foy la marque d'un efprit mal fait & d'un homme de peu de fens.

Doncques ce que nous entendons, nous le deuons à la raifon ; ce que nous croyons, à l'autorité; ce que nous opinons, à l'erreur, le dis cela afin que nous fçachions qu'adioutant foy mefme aux chofes que nous ne comprenons pas encore, nous fomnies exemps de la prefomption de ceux qui opinent. Car ceux qui difent qu'il ne faut rien croire que ce que noua fça-

ai6-ai8. QUATRIÈMES OBJECTIONS. 169

uons, tafchent feulement de ne point tomber dans la faute de ceux qui opinent, laquelle | en effed eft de fôy honteufe & blafmable. Mais h quelqu'vn confidere auec foin la grande xlifFerence qu'il y a, entre celui qui prefume fçauoir ce qu'il ne fçait pas, & celuy qtii croit ce qu'il fçait bien qu'il n'entend pas, y eftant toutesfois porté par quelque puiffante autorité, il verra que celuy-cy eyite fagement le péril de Terreur, le blafme de peu de confiance | & d'humanité, 887 & le péché de fuperbe ".

Et pn peu après, Chap. 12, iladioute:

On peut aportcr plufieurs raifons qui feront voir qu'il ne reftç plus rien d*affuré parmy la focieté des hommes, fi nous fommes ' rcfolus de ne rien croire que ce que nous pourons connoiftre cef- tainement. lufques icy Saint Augujlm.

Monfieur Des-Cartes peut maintenant iuger combien il ej necef- J aire de dijlinguer ces chofes, de peur que plujieurs de ceux qui panchent auiourdhuy vers .V impieté y ne puijfent fe feruir de fes pa- roles pour combatre lafo/ & la vérité de nojire créance.

Mais ce dont iepreuoy que les Théologiens s*offenferont le plus, ejt que, félon fes principes, il ne fenible pas que les chofes que l'Eglife nous enfeigne touchant le facré myflere de V Euchariflie puijfent fub- jyier & demeurer en leur entier.

Car nous tenons pour article de fo^ que la fubftance du pain eftant oftée du pain Euchariftique, les feuls acçidens y demeurent. Or ces accidens font l'étettdué, la figure, la couleur, l'odeur, la faueur, & les autres qualite\fenjibles.

De qualité^ fenfbles noflre auteur n'en reconnoifl point, mais feu- lement certains d\fferens mouuemens des petits corps qui font autour de nous, par le moyen defquels nous fentons ces différentes impref- fions, lefquelles puis après nous apelons du nom de couleur, de fa- neur, d'odeur &c. \ Ainfi il refie feulement la figure, l'étendue & la 288 mobilité. Mais noflre auteur nie que ces faculté^ puijfent eftre enten- dues fans quelque fubftance en laquelle elles refident, \& partant auffif qu'elles puijfent exifler fans elle; ce que mefme il répète dans Jes Réponfes aux premières Obieâions.

Il ne reconnoiji point aujji entre ces modes ou affeâions de la fub- ftance, & la fubftance, de diftindion autre que la formelle, laquelle ne fuffit pas, ce femble, pour que les chofes qui font ainfi diftinguêes, puijfent jeftre féparées l*vne de l'autre, mefme par la toute puijfance de Dieu.

a. Non à la ligne.

lyo Œuvres de Descartes. 218-219.

le ne. douta-foini que MaTr/ieur Qes-Çartes, dont la pieté nous ejt très connue, n'examine & ne pefe diligemment ces chofes, & qu'il ne iuge bien qu'il luy faut foigneufement prendre garde, qu'en tachant dejoutenir la caufe de Dieu contre l'impiété des libertins, il ne femble pas leur auoir mis des armes en main, pour combatre vne foy que l'autorité du Dieu qu'il défend a fondée, & au moyen de laquelle il efpere paruenir à cette vie immortelle qu'il a entrepris de perfuader aux hommes.

289

. RÉPONSES DE L'AVTEVR

AUX QUATRIEMES OBJECTIONS

Faites par Monjieur Arnauld, Doâeur en Théologie.

LETTRE DE l' AUTEUR AU R. P. MERSENNE.

Mon R. Pere,

Il m'euft efté dificile de fouhaiter vn plus clairuoyant & plus offi- cieux examinateur de mes écris, que celuy dont vous m'auez enuoyé les remarques; car il me traite auec tant de douceur & de ciuilité, que ie voy bien que Ton deffein n'a pas efté de rien dire contre moy ny contre le fuiet que i'ay traitté; & neantmoins c'eft auec tant de foin qu'il a examiné ce qu'il a combatu, que i'ay raifon de croire 290 que rien ne luy a échapé. Et outre cela il infifte û viuement contre les 1 chofes qui n'ont peu obtenir de luy fon aprobation, que ie n'ay pas fujet de craindre qu'on | eftime que la complaifance luy ait rien fait diflimuler; c'eft pourquoy ie ne me mets pas tant en peine des obieclions qu'il m'a faites, que ie me réjouis de ce qu'il n'y a point plus de chofes en mon écrit aufquelles il contredife.

RÉPONSE A LA PREMIERE PARTIE. DE LA NATURE DE L'ESPRIT HUMAIN.

le ne m'arefteray point icy à le remercier du fccours qu'il m'a donne en me fortifiant de l'autorité de Saint Auguftin, & de ce qu'il a propofé mes raifons^dc telle forte, qu'il fcmbloit auoir peur que les autres ne les trouualfent pas affez fortes & conuàincantes.

Mais ie diray d'abord en quel lieu i'ay commencé de prouuer

2I9-220. Quatrièmes Réponses. 171

comment, de ce que ie ne connais rien autre cho/e qui appartienne à mon ejfence, c'elt à direàTeffence de mon efprit,^wo« que iefuis vne cho/e qui penfe, il s'enfuit qu'il n'y a aujfi rien autre cho/e qui en effect luy appartienne. C'eft au mefme lieu i'ay prouué que Dieu eft ou exifte, ce Dieu, dis-ie, | qui peut faire toutes les chofes que ie conçoy 291 clairement & diftinclement comme poffibles.

Car,quoy que peut-eftre il y ait en moy plufieurs choies que ie ne connois pas encore (comme en effect ie fupolbis en ce lieu-là que ie ne fçauois pas encore que l'efprit euft la force de mouuoir le corps, ou de luy eftre fubftantiellement vny), neantmoins, d'autant que ce que ie connois eftre en moy me fufit pour fubfifter auec cela feul, ie fuis allure que Dieu me pouuoit créer fans les autres chofes que ie ne connois pas encore, & partant, que ces autres chofes n'apartiennent point à Tefifence de mon efprit.

Car il me femble qu'aucune des chofes fans lefquelles vne autre peut eftre, n'eft comprife en fon effence ; & encore que l'efprit foit de l'eflence de l'homme, il n'eft pas neantmoins, à proprement parler, de l'effence de l'efprit, qu'il foit vny au corps humain.

|I1 faut aufli que l'explique icy quelle .eft ma penfée,lorfque ie dis qu^on ne peut pas inférer vne difiinâlion réelle entre deux chofes ^ de ce que Vvne eft conceuë fans Vautre par vne abfîraâtion de l'efprit qui con- çoit la chofe imparfaitement , mais feulement, de ce que chacune délies eft conceuë fans l'autre pleinement, ou comme vne chofe complète.

Car ie n'eftime pas qu'vne connoiffance entière & parfaite de la chofe foit icy requife, comme le prétend Monfieur Arnauld ; mais il y a en cela cetjte différence, qu'afin qu'vne connoiffance foit entière 292 & parfaite, elle doit contenir en foy toutes & chacunes les proprietez qui font dans la chofe connue. Et c'eft pour cela qu'il n'y a que Dieu feul qui fçache qu'il a les connoiffances entières & parfaites de toutes les chofes.

Mais,quoy qu'vn entendement créé ait peut-eftre en effeél les con- noiffances entières & parfaites de plufieurs chofes, neantmoins iamais il ne peut fçauoir qu'il les a, fi Dieu mefme ne luy reuele particu- lièrement. Car, pour faire qu'il ait vne connoiffance pleine & en- tière de quelque chofe, il eft feulement requis que la puiffance de connoiftre qui eft en luy égale cette chofe, ce qui le peut faire ayTement ; mais pour faire qu'il fçache qu'il a vne telle connoif- fance, ou bien que Dieu n'a rien mis de plus dans cette chofe que ce qu'il en connoiit, il faut que, par fa puiffance de connoiftre, il égale la puiffance infinie de Dieu^ ce qui eft entièrement impoffible.

Or, pour connoiftre la diftini^tion réelle qui eft entre deux chofes,

172 Œuvres de Descartes. aao-aaa.

il n'eft pas neceffaire que la connoifl'ance quç nous auons de ces chofes foit entière & parfaite, fi nous ne fçauons en mefme temps qu'elle eft telle; mais nous ne le pouuons iamais fçauoir, comme ie viens de prouuer; donc il n'eft pas neceflaire qu'elle foit entière & parfaite. W3 C'eft pourquoy, i'ay dit qu'il ne fuffit pas qu'une | chofe foit conceuë/ans vne autre \ -par vne abjlraâion de l'e/prit qui conçoit la chofe imparfaitement, ie n'ay pas penfé que de l'on peuft) inférer que, pour établir vne diftinélion réelle, il fuft befoin d'vne connoif- fance entière & parfaite, mais feulement d'vne qui fuft telle, que nous ne la rendiffions point imparfaite & defedueufe par l'abftra- àxon & reftridion de noftre efprit.

Car il y a bien de la différence entre auoir vne connoiffance en- tièrement parfaite, de laquelle perfonne ne peut iamais eftte affuré, û Dieu mefme ne luy reuele, & auoir vne connoifTance parfaite iufqu'à ce point que nous fçachions qu'elle n'eft point rendue im- parfaite par aucune abftraétion de noftre efprit.

Ainfi, quand i'ay dit qu'il faloit conctwo'w pleinement vne chofe, ce n'eftoit pas mon intention de dire que noftre conception deuoit eftre entière & parfaite, mais feulement, qu'elle deuoit eftre affez diftinfte, pour fçauoir que cette chofe eftoit complète.

Ce que ie penfois eftre manifefte, tant par les chofes que i'aùois di^ auparauant, que par celles qui fuiuent immédiatement aprez : car i'auois diftingué vn peu auparauant les eftres incomplets de ceux qui font complets, & i'auois dit qu'il eftoit neceffaire que cha* cune des chofes qui font diftinguées réellement, fuft conceuë comme vn eftre par foy & diftinét de tout autre. 194 |Et vn peu aprez, au mefme fens que i'ay dit que ic conceuois pleinement ce que c'eft que le corps, i'ay adiouté au mefme lieu que ie conceuois aufli que l'efprit eft vne chofe complète, prenant ces deux façons de parler, co«cewo/r pleinement, & conceuoir que c*eff vne chofe complète, en vne feule & mefme fignification.

Mais on peut icy demander auec raifon ce que i'entens par vne chofe complète, & comment ie prouue que, pour la dijlinéîion réelle, il fuffit que deux chofes foy ent conceuës l' vne fans l'autre comme deux chofes complètes.

I A la piemierc demande ie répons que, par vne chofe complète, ie n'entens autre chofe qu'vne fubftance reuétuC des formes, ou attri- buts, qui fuftîfcni pour me faire connoiftre qu'elle eft vne fubftance.

Car, comme i'ay dcfia remarqué ailleurs, nous ne connoiflbns point les fubftanccs immédiatement par elles-mefmes; mais, de ce

232-3a3. Quatrièmes Réponses. 17J

que nous aperceuons quelques formes, ou attribus, qui doiuent eftre attachez à quelque chofe pourexifter, nous apelons du nom de Subjlance cette chofe à laquelle ils font atéichez.

Que fi, après cela, nous voulions dépouiller cette mefme fubflance de tous ces attributs qui nous la font connoiflre, nous détruirions toute la connoiffance que nous en'auons, & ainfi nous pourions bien à la vérité dire quelque chofe de la fubftance, mais tout ce que nous en dirions ne confifteroit qu'en paroles, defquelles nous nie conce- urions pas | clairement & diflindement la fignifîcation. 295

le fçay bien qu'il y a des fubftances que l'on appelle vulgairement incomplètes; mais, fi, on les apelle ainfi parce que de foy elles ne peuuent pas fubfifter toutes feules & fans eftre foutenuës par d'autres chofes, ie confeffe qu'il me femble qu'en cela il y a de la contra- diction, qu'elles foyent des fubftances, c'eft à dire des chofes qui fub- fiftent par foy, & qu'elles foyent aufli incomplètes, c'eft à dire des chofes qui ne peuuent pas fubfifter par foy. II eft vray qu'en vn autre fens on les peut apeller incomplètes, non qu'elles ayent rien d'in- complet en tant qu'elles font des fubftances, mais feulement en tant qu'elles fe raportent à quelqu'autre fubftance auec laquelle elles compofent vn tout par foy & diftind de tout autre.

Ainfi la main eft vne fubftance incomplète, fi vous la raportez à tout le corps dont elle eft partie; mais fi vous la confiderez toute feule, elle eft vne fubftance complète. Et pareillement l'efprit & le corps font des fubftances incomplètes, lorfqu'ils font raportez à l'homme qu'ils compofent; mais eftant confiderez feparement, ils font des fubftances complètes.

I Car tout ainfi qu'eftre étendu, diuifible, figuré, &c., font des formes ou des attributs par le moyen defquels ie connois cette fub- ftance qu'on apelle corps; de mefme eftre intelligent, voulant, dou- tant, &c., font des formes par le moyen defquelles | ie connois cette 296 fubftance qu'on apelle e/prit ; & ie ne comprens pas moins que la fubftance qui penfe eft vne chofe complète, que ie comprens que la fubftance étendue en eft vne.

Et ce que Monfieur Arnauld a adiouté ne fe peut dire en façon quelconque, à fçauoir, que peuteftre le corps ej\ à l'efprit comme le genre ejl à l'efpece : car, encore que le genre puiffe eftre conceu fans cette particulière différence fpecifique, ou fans celle-là, l'efpece toutes- lois ne peut en aucune façon eftre conceuë fans le genre.

Ainfi, par exemple, nous conceuons aifément la figure fans penfer au cercle (quoy que cette conception ne foit pas diftinde, fi elle n'eft raponée à quelque figure particulière; ny d'rne chofe complète.

174 OEuvRES DE Descartes. 223-225.

li elle ne comprend la nature du corps); mais nous ne pouuons conceuoir aucune différence fpecifique du cercle, que nous ne pen- fions en mefme temps à la figure.

Au lieu que l'efprit peut eitre conceu diftinctement & pleinement, c'ell à dire autant qu'il faut pour eftre tenu pour vne chofe com- plète, fans aucune de ces formes, ou attributs, au moyen defquels nous reconnoilfons que le corps ell vne fubrtance, comme ie penfe auoir fufifamment demonftré dans la féconde Méditation ; & le corps elt aufli conceu diftinctement & comme vne chofe complète, fans aucune des chofes qui appartiennent à l'efprit. 297 îcy neantmoins Monfieur Arnauld pafte plus | auant, & dit : encore que ie puiffe acquérir quelque notion de moy-mefme fans la notion du corps, il ne réfulte pas neantmoins de là, que celle notion foit complète £' entière, en telle forte que ie fois ajfuré que ie ne me trompe points lorfque i'exclus le corps de mon ejfence.

|Ce qu'il explique par l'exemple du triangle infcrit audemy-cercle, que nous pouuons clairement & diftinctement conceuoir eftre re- dangle, encore que nous ignorions, ou mefme que nous nyions, que le quarré de fa baze foit égal aux quarez des coftez ; & neantmoins on ne peut pas de inférer qu'on puilfe faire vn triangle rectangle, duquel le quaré de la baze ne foit pas égal aux quarez des coftez.

Mais, pour ce qui eft de cet exemple, il diffère en plufieurs façons de la chofe propoféé. Car, premièrement, encore que peut-eftre par vn triangle on puifte entendre vne fubftance dont la figure eft trian- gulaire, certes la propriété d'auoir le quaré de la baze égal aux qua- rez des coftez, n'eft pas vne fubftance, & partant, chacune de ces deux chofes ne peut pas eftre entendue comme vne chofe complette, ainli que le font Vefpril & le corps. Et mefme cette propriété ne peut pas eftre apellée vne chofe, au mefme fens que i'ay dit que c'e/t ajfe\ que ie puijfe conceuoir me chofe (c'eft à fçauoir vne chofe complète) fans vne autre, &c., comme il eft ayfé de voir par ces paroles qui fuiueni: Dauantage ie troutie en moy des faculté^, é'c. Car ie n'ay M8 pas dit que ces fa|cultez fulfent des chofes, mais i'ay voulu exprelfe- ment faire diftinction entre les chofes, c'eft à dire entre les fubftances, ik les modes de ces chofes, c'eft à dire les facultcz de ces fubftances.

En fécond lieu, encore que nous puiflions clairement & diftinde- ment. conceuoir que le triangle au demy-cercle eft rectangle, fans aperccuoir que le quiiré de fa baze eft égal aux quarez des coftez, neantmoins nous ne pouuons pas conceuoir ainli clairement vn triangle duquel le quaré de la baze | foit égal aux quarez des coftez, fan» que nous apcrceuions en mefme temps qu'il eft redangle ; mais

290

225-226. Quatrièmes Réponses. 175

nous conceuons clairement & diftinclement l'elprii fans le corps, & réciproquement le corps fans l'efprit.

En troijiéme lieu, encore que le concept ou l'idée du triangle infcrit au demy-cercle puilfe eilre telle, qu'elle ne contienne point l'égalité qui eft entre le quaré de la baze & les quarez des collez, elle ne peut pas neantmoins eftre telle, que l'on conçoiue que nulle proportion qui puille élire entre le quaré de la baze ^ les quarez des collez n'apartient à ce triangle ; & partant, tandis que l'on ignore quelle ell cette proportion, on n'en peut nier aucune que celle qu'on con- noift clairement ne luy point appartenir, ce qui ne peut iamais eftre entendu de la proportion d'égalité qui eft entr'eux.

Mais il n*3^ a rien de contenu dans le concept du | corps de ce qui apartient à l'efprit, & réciproquement dans le concept de l'efprit rien n'ell compris de ce qui apartient au corps.

C'ert pourquoy, bien que i'aye dit que c'ejî aJJ'e\ que te puijje con- ceuoir clairement & dijlinâement me chofe fans vne autre, iS'C, on ne peut pas pour cela former celte mineure : Or ejl-il que ie conçoy clairement & dijiinâement que ce triangle eji recîangle, encore que ie doute ou que ie nie que le quaré de fa ba\e foit égal aux quare\ des cojleiy &c.

Premièrement, parce que la proportion qui eft entre le quàré de la baze à les quarez des collez n'ell pas vne chofe complète.

Secondement, parce que cette proportion d'égalité ne peut eilre clairement entendue que dans le triangle reclangle.

Et en troifiéme lieu, parce que nul triangle ne peut eftre dillincle- ment conceu, fi on nie la proportion qui eft entre les quarez de fes collez & de fa baze. ^

Mais maintenant il faut palfer à la féconde demande, & montrer comment il eft vray que, de cela Jeul que | ie conçq/ clairement «S'- dijlinâement vne fubjtance fans vne autre, ie fuis a£'uré qu'elles s'ex- cluent mutuellement l'vne l'autre : cq que ie montre en cette forte.

La notion de la fubjtance ell telle, qu'on la conçoit comme vne chofe qui peutexifter par foy-mefme, c'ell à dire fans le fecours d'au- cune autre I fubftance, & il n'y a iamais eu perfonne qui ait conceu deux fubftances par deux differens concepts, qui n'ait iugé qu'elles 300 elloyent réellement diilincles.

G'eft pourquoy, li ie n'culfe point cherché de certitude plus grande que la vulgaire, ie me fulfe contenté d'auoir montré, en la féconde Méditation, que Vefprit eft conceu comme vne chofe fubîiftante, quoy qu'on ne luy attribue rien de ce qui apartient au corps, & qu'en mefme façon le corps eft conceu comme vne chofe fubfiftante, quoy

176

Œuvres de Descartes. aîô-aî?.

qu'on ne kii attribue rieji de ce qui apartient à l'efprit. Et ie n'aurois rien adiouté dauantage pour prouuer que l'efprit eft réellement diftingué du corps, d'autant que vulgairement nous iugeons que toutes les chofes font en effed, & félon la vérité, telles qu'elles paroiffent à noftre penfée.

Mais, d'autant qu'entre ces doutes hyperboliques que i'ay pro- pofez dans ma première Méditation, cetuy-cy en eftoit vn,à fçauoir, que ie ne pouuois eftre affuré que les chofes fujfent en effeâ, & félon la vérité, telles que nous les conceuons, tandis que ie fupofois que ie ne connoiflbis pas l'auteur de mon origine, tout ce que i'ày dit de Dieu & de la vérité, dans la 3,4 & 5 Méditation, fert à cette conclu- fion de la réelle diftinftion de Vefprit d'auec corps, laquelle enfin i'ay acheuée dans la fixiéme.

\Ie conçof fort bien, dit Monfieur Arnauld, /a nature du triangle SOI infcrit dans le denty-cercle,fans que ie \ f cache que le quaré de fa ba\e efl égal aux quare^ des cofle\, A quoy ie répons que ce triangle peut véritablement eftre conceu, fans que l'on penfe à la proportion qui eft entre le quaré de fa baze & les quarez de fes coftez, mais qu'on ne peut pas conceuoir que cette proportion doiue eftre niée de ce triangle, c'eft à dire qu'elle n'apartienne point à la nature de ce triangle ; & qu'il n'en eft pas ainfi de l'efprit ; pource que non feu- lement nous conceuons qu'il eft fans le corps, mais aufli nous pou- uons nier qu'aucune des chofes qui apartiennent au corps, apar- tienne à l'efprit ; car c'eft le propre & la nature des fubftances de s'exclure mutuellement l'vne l'autre.

Et ce que Monfieur Arnauld a adiouté ne m'eft aucunement con- traire, à fçauoir que ce n'efl pas merueilleji, lorfque de ce que ie penfe ie viens à conclure que iefuis, l'idée que de ie forme de moy-mefnte, me reprefenie feulement comme vne chofe qui penfe. Car, de la mefme façon, lorfque i'examine la nature du corps,. ie netrouue rien en elle qui relfenie la penfée ; & on ne fçauroit auoir vn plus fort argument de la diftindion de deux chofes, que lorlque, venant à les confiderer toutcis deux féparement, nous ne trouuons aucune chofe dans l'vne v]ui ne foit entièrement différente de ce qui fc retrouue en l'autre.

le ne voy pas aulîi pourquoy cet argument femble prouuer trop ; car ie ne penfe pas que, pour montrer qu'vne chofe eft réellement 902 diftinde d vne autre, on | puiffe rien dire de moins, finon que par la louie-puilfance de Dieu elle en peut eftre feparée ; & il m'a femblé que i'auois pris garde affez foigneufement à ce que perfonne ne puft pour cela penfer que l'homme nefï rien qu'rn efprit vfant oufcferuant du corps.

aa7-"9. QUATRIÈMES REPONSES. I77

Car, dans (la mefme fixiéme Méditation, i'ay parlé de la diftin- étion de l'efprit d'auec le corps, i'ay aufli montré qu'il luy eft fubftan- tiellement vny ; pour preuue de quoy ie me fuis ferui de raifons qui font telles, que ie n'ay point fouuenance d'en auoir iamais leu ailleurs de plus fortes & conuaincantes.

Et comme celuy qui diroit que le bras d'vn homme eft vne fub- ftance réellement diftinde du refte de fon corps, ne nieroit pas pour cela qu'il eft de l'eflence de l'homme entier, & que celuy qui dit que ce mefme bras eft de l'effence de l'homme entier, ne donne pas pour cela occafion de croire qu'il ne peut pas fubfifter par foy ; ainfi ie ne penfe pas auoir trop prouué en montrant que l'efprit peut eftre fans le corps, ny auoir aulfi trop peu ditj en difant qu'il luy eft fubftan- tiellement vny; parce que cette vnion fubftaniielle n'empêche pas qu'on ne puifTe auoir vne claire & diftinde idée ou concept de l'ef- prit, comme d'vne chofe complète; c'eft pourquoy le concept de l'efprit diffère beaucoup de celuy de la fuperficie & de la ligne, qui ne peuuent pas eftre ainfi entendues comme des chofes complètes, jfi, outre la longueur & la largeur, ot\ ne leur attribue aufli la pro- 303 fondeur.

Et enfin, de ce que la faculté de p enfer eji ajfoupie dans les enfans, & que dans lesfoux elle eflj non pas à la vérité éteintCf mais troublée, il ne faut pas penfer qu'elle foit tellement attachée aux organes cor- porels, qu'elle ne puiffe eftre fans eux. Car, de ce que nous voyons îbuuent qu'elle eft empêchée par ces organes, il ne s'enfuit aucune- ment qu'elle foit produite par eux; & il n'eft pas poflible d'en donner aucune raifon, tant légère qu'elle puiffe eftre.

le ne nie pas neantmoins que cette étroite liaifon de l'efprit & du corps, que nous expérimentons tous les iours, | ne foit caufe que nous ne découurons pas ayfément, & fans vne profonde méditation, la diftindion réelle qu' eft entre l'vn & l'autre.

Mais, à mon iugeuient, ceux qui repafferont fouuent dans leur efprit les chofes que i'ay efcrites dans ma féconde Méditation, fe per- fuaderont ayfément que l'efprit n'eft pas diftingué du corps par vne feule fiélion ou abftradion de l'entendement, mais qu'il eft connu comme vne chofe diftinfte, parce qu'il eft tel en effed.

le ne répor s rien à ce que Monfieur Arnauld a icy adiouté tou- chant l'immortalité de l'ame, puifque cela ne m'eft point contraire ; mais, pour ce qui regarde les âmes des beftes, quoy que leur confi- Ideration ne foit pas de ce lieu, & que, fans l'explication de toute la 304 phyfique, ie n'en pulifc dire dauantage que ce que i'ay délia dit dans la 5 partie de mon traité de la Méthode, toutesfois ie diray encore Œuvres. IV. 12

1/8

Œuvres de Descartes. 239-330.

icy qu'il me femble que c'ell vne chofe fort remarquable, qu'aucun mouuementne fe peut faire, foit dans les corps des beftes, foit mefme dans les noftres, fi ces corps n'ont en eux tous les organes & inftru- mens, par le moyen defquels ces mefmes mouuemens pourro3'ent aufli ertre accomplis dans vne machine; en forte que, mefme dans nous, ce n'eft pas l'efprit (ou l'ame) qui meut immédiatement les membres extérieurs, mais feulement il peut déterminer le cours de celte liqueur fort fubtile, qu'on nomme les efprits animaux, laquelle, coulant continuellement du cœur par le cerueau dans les mufcles, eft caufe de tous les mouuemens de nos membres, & fouuent en peut caufer plufieurs difîerens, aufli facilement les vns que les autres. Et mefme il ne le détermine pas toufiours; car, entre les mouuemens qui fe font en nous, il y en a plufieurs qui ne dépendent point du tout de l'efprit, comme font le batement du cœur, la digeftion des viandes, la nutrition, la refpiration de ceux qui dorment, & mefme, en ceux qui font éueillez,le marcher, (chanter, & autres adions fem- blables, quand elles fefont fans que l'efprit y penfe. Et lorfque ceux qui tombent de haut, prefentent leurs mains les premières pour

305 fauuer leur J telle, ce n'eil point par le confeil de leur raifon qu'ils font cette aélion ; & elle ne dépend point de leur efprit, mais feule- ment de ce que leurs fens, eftans touchez par le danger prefent, caufent quelque changement en Jeur cerueau qui détermine les ef- pris animaux à pafTer de dans les nerfs, en la façon qui eft requife pour produire ce mouuement tout de mefme que dans vne machine, & fans que l'efprit le puiffe empêcher.

Or, puifque nous expérimentons cela en nous-mefmes, pourquoy nous étonnerons-nous tant, fi la lumière refléchie du corps du loup dans les yeux de la brebis a la mefme force pour exciter en elle le mouuement de la fuite ?

Après auoir remarqué cela, fi nous voulons vn peu raifonner pour connoiftre fi quelques mouuemens des beftes font femblables à ceux qui fe font en nous par le miniftere de l'efprit, ou bien à ceux qui dépendent feulement des efpris animaux & de la difpofition des or- ganes, il faut confiderei les différences qui font entre les vns & les autres, lefquellcs i'ay expliquées dans la cinquième partie du dif- cours de la Méthode, car ie ne penfe pas qu'on en puiffe trouuer d'autres; & alors on verra facilement que toutes les adions des beftes font feulement femblables à celles que nous faifons fans que noflre efprit y contribue.

)0Q A raifon de quoy nous ferons obligez de conclure, que nous ne ronnoilfons en effed en elles au |cun autre principe de mouuement

230-232. Quatrièmes Réponses. 179

que la feule difpofiiion des organes & la continuelle affluence des efpris animaux produis par la chaleur du cœur, qui atenuë & fubti- life le fang; & enfemble nous reconnoiftrons que rien ne nous a cy- deuant donné occafion de leur en attribuer vn autre, finon que, ne diftinguans pas ces deux principes du mouuement, & voyans que l'vn, qui dépend feulement des efpris animaux & des organes, eft dans I les belles aufli bien que dans nous, nous auons creu inconfide- rément que l'autre, qui dépend de l'efprit & de la penfée, eftoit aufli en elles.

Et certes, lorfque nous nous fommes perfuadez quelque chofe dez noftre ieuneffe, & que noftre opinion s'eft fortifiée par le temps, quelques raifons qu'on employé aprez cela pour nous en faire voir la fauffeté, ou plutoft quelque fauffeté que nous remarquions en elle, il eft neantmoins très difficile de l'ofter entièrement de noftre créance, fi nous ne les repaffons fouuent en noftre efprit, & ne nous acoutu- mons ainfi à déraciner peu à peu ce que l'habitude à croire, plutoft que la raifon, auoit profondement graué en noftre efprit.

[RÉPONSE A L'AUTRE PARTIE. 307

DE DIEU,

lufques icy i'ay tâché de refoudre les argumens qui m'ont efté propofez par Monfieur Arnauld, & me fuis mis en deuoir de fou- tenir tous fes efforts; mais déformais, imitant ceux qui ont à faire à vn trop fort aduerfaire, ie tacheray plutoft d'euiter les coups, que de m'oppofer diredement à leur violence.

Il traitte feulement de trois chofes dans cette partie, qui peuuent facilement eftre accordées félon qu'il les entend ; mais ie les prenois en vn autre fens, lorfque ie les ay écrites, lequel fens me femble aufli pouuoir eftre receu comme véritable.

La première eft que quelques idées font matériellement fauffest c'eft à dire, félon mon fens, qu'elles font telles qu'elles donnent au iugement matiera ou occafion d'erreur ; mais luy, confiderant les idées prifes formellement, foutient qu'il n'y a en elles aucune fauffeté.

La féconde, que Dieu eji par foy pofitiuement & comme par vne caufe, i'ay feulement voulu dire que la raifon pour laquelle Dieu n'a befoin d'aucune caufe efîiciente pour exifter, eft fondée en vne chofe pofitiue, à fçauoir, dans l'immenfité mefme | de Dieu, | qui eft 308 la chofe la plus pofitiue qui puifl'e eftre ; mais luy, prenant la chofe autrement, prouue que Dieu n'eft point produit par foy-mefme, &

i8o Œuvres de Descartes. a3a-a33

qu'il n'eft point conferué par vne adion pofitiue de la caufe cf&* ciente, de quoy le demeure aufli d'accord.

Enfin, la troifiéme eft, qu'iV ne peut y auoir rien dans nojire ejprit dont nous n'ayons connoijfance ; ce que i'ay entendu des opérations, & luy le nie des puiffances.

Mais ie tâcheray d'expliquer tout cecy plus au long. Et premiè- rement, où il dit que,/ le froid eft Jeùlement vne priuation, il ne peut y auoir d'idée qui me le reprefente comme vne chofe pofttiue, il eft manifefte qu'il parle de l'idée pn(Q formellement.

Car, puifque les idées mefmes ne font rien que des formes, & qu'elles ne font point compofées de ihatiere, toutes & quantes fois qu'elles font confiderées en tant qu'elles reprefentent quelque chofe, elles ne font pas prifes matériellement, mah formellement; que fi on les confideroit, non pas en tant qu'elles reprefentent vne chofe ou vne autre, mais feulement comme eftant des opérations de l'enten- dement, on pouroit bien à la vérité dire qu'elles feroient prifes matériellement, mais alors elles ne fe raporteroient point du tout à la vérité ny à la faufleté des objets.

C'eft pourquoy ie ne penfe pas qu'elles puiffent eftre dites maté- riellement fauffes, en vn autre fens que celuy que i'ay défia expliqué: c'eft à fçauoir, foit que le froid foit vne chofe pofitiue, foit qu'il foit 300 vne priuation, ie n'ay pas pour cela vne autre | idée de luy, mais elle demeure en moy la mefme que i'ay toufiours eue; laquelle ie dis me donner matière ou occafion d'erreur, s'il eft vray que le froid foit vne priuation, & qu'il n'ait pas autant de realité que la cha- leur, d'autant que, venant à confiderer l'vne & l'autre de ces idées, félon que ie les ay receuës des fens, ie ne puisf reconnoiftre qu'il y ait plus de realité qui me foit reprefentée par l'vne que par l'autre.

Et certes ie n'ay pas confondu le iugement auec l'idée; car i'ay dit qu'en celle-cy fe rencontroit vne faufleté matérielle, mais dans le iugement il ne peut y en auoir d'autre quWnG formelle. Et quand il dit que l'idée du froid eft le froid mefme en tant qu'il eft objeâi" uement dans V entendement, ie penfe qu'il faut vfer de diftinélion ; car il arriue fouuent dans les idées obfcures & confufes, entre lefquelles celles du froid & de la chaleur doiuent eftre mifcs, qu'elles fe raporient à d'autres chofes qu'à celles dont elles font véritablement les idées.

Ainfi, fi le froid eft feulement vne priuation, l'idée du froid n'cft pas le froid mefme en tant qu'il eft objediuement dans l'enten- dement, mais quelque autre chofe qui eft prife faufl'ement pour cette

233-334. Quatrièmes Réponses. i8i

priuation : fçauoir eft, vn certain fentiment qui n'a aucun eftre hors de Tentendement.

Il n'en eft pas de mefme de l'idée de Dieu, au moins de celle qui eft claire & diftinde, parce qu'on ne peut pas dire qu'elle fe ra- porte à quelque cho|fe à quoy elle ne foit pas conforme. 3^0

Quant aux idées confufes des Dieux qui font forgées par les Idolâtres, ie ne voy pas pourquoy elles ne pouroient point aufli eftre dites matériellement fauffes, en tant qu'elles feruent de ma- tière à leurs faux iugemens.

Combien qu'à dire vray, celles qui ne donnent, pour aînfi dire, au iugement aucune occafion d'erreur, ou qui Ja donnent fort légère, ne doiuent pas auec tant de raifon eftre dites matériellement fauffes, que celles qui la donnent fort grande ; or il eft aifé de faire voir, par plufieurs exemples, qu'il y en a qui donnent vne bien plus grande occafion d'erreur les vues que les autres.

Car elle n'eft pas | fi grande en ces idées confufes que noftre efprit inuente luy-mefme (telles que font celles des faux Dieux), qu'en celles qui nous font offertes confufément par les fens, comme font les idées du froid & de la chaleur, s'il eft vray, comme i'ay dit, qu'elles ne reprefentent rien de réel.

Mais la plus grande de toutes eft dans ces idées qui naiffent de l'appétit fenfitif. Par exemple, l'idée de la foif dans vn hydropique ne luy eft-elle pas en effet occafion d'erreur, lorfqu'elle luy donne fujet de croire que le boire luy fera profitable, qui toutesfois luy doit eftre nuifible ?

Mais Monfieur Arnauld demande ce que cette idée du froid me reprefente, laquelle i'ay dit eftre matériellement fauffe : car, dit-il, ^ elle reprefente vne \ priuation^ donc elle eft vraye; fi vn eftre po- 311 fiitf, donc elle n'eft point l'idée du froid. Ce que ie luy accorde; mais ie ne l'apelle fauffe, que parce qu'eftant obfcure & confufe, ne puis difcerner fi elle me reprefente quelque chofe qui, hors de mon fentiment, foit pofitiue ou non; c'eft pourquoy i'ay occafion de iuger que c'eft quelque chofe de pofitif, quoy que peut-eftre ce ne foit qu'vne fimple priuation.

Et partant, il ne faut pas demander quelle eft la cau/e de cet eftre pofitif objeâ if , qui, félon mon opinion f fait que cette idée eft maté- riellement fauffe ; d'autant que ie ne dis pas qu'elle foit faite maté- riellement fauffe par quelque eftre pofitif, mais par la feule obfcu- rité, laquelle neantmoins a pour fujet & fondement vn eftre pofitif, à fçauoir le fentiment mefme.

Et de vray, cet eftre pofitif eft en moy, en tant que ie fuis vne

i82 OEUVRES DE Descartes. 234-236.

chofe vraye.; mais robfcurité, laquelle feule me donne occafion de iuger que l'idée de ce fentiment | reprefente quelque objet hors de moy qu'on apelle froid, n'a point de caufe réelle, mais elle vient feulement de ce que ma nature n'eft pas entièrement parfaite.

Et cela ne renuerfe en façon quelconque mes fondemens. Mais ce que i'aurois le plus à craindre, feroit que, ne m'eftant iamais beau- coup arrefté à lire les liures des Philofophes, ie n'aurois peut-eftre pas fuiuy aflez exactement leur façon de parler, lorfque i'ay dit que ces idées, qui donnent au iugement matière ou occafion d'erreur, 312 eûohnt matériellement \faujfes, fi ie ne trouuois que ce mot mate- riêllement eft pris en la mefme fignification par le premier auteur qui m'eft tombé par hazard entre les mains pour m'en éclaircir : c'eft Suarez, en la Difpute 9, fedion 2, n. 4.

Mais paflbns aux chofes que _M. Arnauld defapproûue le plus,

& qui toutesfois me femblent mériter le moins fa cenfure : c'eft à

fçauoir,où i'ay dit qu*il nous ejîoit loijible de penfer que Dieu fait en

' quelque façon la mefme chofe à l'égard de foy -mefme, que la caufe

efficiente à V égard de f on effet.

Car, par cela mefme, i'ay nié ce qui luy femble vn peu hardy & n'eftre pas véritable, à fçauoir, que Dieu foit la caufe efficiente de foy-mefme, parce qu'en difant qu'il fait en quelque façon la mefme chofe, i'ay monftré que ie ne croyois pas que ce fuft entièrement la mefme ; & en mettant deuant ces paroles : // nous efl tout à fait loijible de penfer, i'ay donné à connoiftre que ie n'expliquois ainfi ces chofes, qu'à caufe de l'iniperfeélion de l'efprit humain.

Mais qui plus eft, dans tout le refte de mes écrits, i'ay toufiours fait la mefme diftinélion. Car dés le commencement, i'ay dit qu'il n'y a aucune chofe dont on ne puijfe rechercher la caufe efficiente, i'ay adiouté : ou, f\ elle n'en a point, demander potirquoy elle n'en a pas befoin; lefquelles paroles témoignent afl'ez que i'ay penfé que quelque chofe exiftoit, qui n'a pas befoin de caufe efficiente. di3 Or quelle chofe peut eftre telle, excepté Dieu ? | Et mefme vn peu après i'ay dit : qu'il y auoit en Dieu vneji grande &f inépuifable putf fancè, qu'il n'a iamais eu befoin d'aucun fecour s pour exijlér, & qu'il n'en a pas encore befoin pour ejire conferué, ç« telle forte qu'il efl en quelque façon la caufe de foy-mefme.

ces paroles, la caufe de foy-mefme, ne peuuent en façon quelconque eftre entendues de la caufe efficiente, mais feulement que la puilfance inépuifable de Dieu eft la caufe ou la raifon pour laquelle il n'a pas befoin de caufe.

Et d'autant que cette puilfance inépuifable, ou cette- immenfité

336-237. Quatrièmes Réponses. i8j

d'effence, ell tres-pojîtiue, pour cela i'ay dit que la raifon ou la caufe pour laquelle Dieu n'a pas befoin de caufe, eft pojtliue. Ce qui ne fe pouroit dire en mefme façon d'aucune chofe finie, encore qu'elle fuft tres-parfaite en fon genre.

Car ù on difoit qu'aucune* fuft par fqy, cela ne pouroit eftre entendu que d'vne façon negatiue, d'autant qu'il feroit impoflible d'aporter aucune raifon, qui fuft tirée de la nature pofitiue de cette chofe, pour laquelle nous deuflions conceuoir qu'elle n'auroit pas befoin de caufe efficiente.

Et ainfi, en tous les autres endroits, i'ay tellement comparé la caufe formelle, ou la raifon prife de l'effence de Dieu, pour laquelle il n*a pas befoin de caufe pour exifter ny pour eftre conferué, auec la caufe efficiente, fans laquelle les chofes finies ne peuuent exifter, que partout il eft aifé de connoiftre, de mes propres termes, qu'elle eft tout à fait différente de | la caufe efficiente. 314

Et il ne fe trouuera point d'endroit, i'aye dit que Dieu fe con- ferué par vne influence pofitiue, ainfi que les chofes créées font con- feruées par luy, jmais bien feulement ay-ie dit que l'immenfité de fa puiffance ou de fon effence, qui eft la caufe pourquoy il n'a pas befoin de conferuateur, eft vne chofe pofitiue.

Et partant, ie puis facilement admettre tout ce que M. Arnauld aporte pour prouuer que Dieu n'eft pas la caufe efficiente de foy- mefme, À: qu'il ne fe conferué pas par aucune influence politiuc, ou bien par vne continuelle reproduction de foy-mefme, qui eft tout ce que l'on peut inférer de fes raifons.

Mais il ne niera pas auffi, comme i'efpere, que cette immenfité de puiffance, qui fait que Dieu n'a pas befoin de caufe pour exifter, eft en luy vne chok pofitiue, & que dans toutes les autres chofes on ne peut rien conceuoir de femblablc, qui foit pojîtif, à raifon de quoy elles n'ayent pas befoin de caufe efficiente pour exifter; ce que i'ay feulement voulu fignifier, lorfque i'ay dit qu'aucune chofe ne pouuoit eftre conceuë exifter par Joy que negatiuement, hormis Dieu feul; & ie n'ay pas eu befoin de rien auancer dauantage, pour répondre à la difficulté qui m'eftoit propofée.

Mais d'autant que M. Arnauld m'auertit icy û ferieufement qu'il y aura peu de Théologiens qui ne s'offen \fent de cette proportion, à 315 fçauoir, que Dieu eji par Joy pofitiuement & comme par vne caufe^ ie diray icy la raifon pourquoy cette façon de parler eft, à moïi auis,

a. « aucune », sic à Verrata de la i"* édition. Celle-ci donnait « vne telle chofe » ; la et la 3«, « vne chofe finie ».

184 Œuvres de Descartes. a>r-*39.

non feulement tres-vtile en cette queftion, mais auffi neceffaire & telle qu'il n'y a perfonne qui puiffe auec raifon la trouuer mauuaife. le fçay que nos Théologiens, traittans des chofes diuines, ne fe feruent point du nom de caufe, lorfqu'il s'agit de la proceiOTion des perfonnes de la tres-fainte Trinité, & que les Grecs ont mis indifféremment atriov & «oy/iV, ils aiment mieux vfer du feul nom de principe, comme tres-general, de peur que de | ils ne donnent occaûon de iuger que le Fils eft moindre que le Père.

Mais il ne peut y auoir vne femblable occafion d'erreur, & lorfqu'il ne s'agit pas des perfonnes de la Trinité, mais feulement de l'vnique effence de Dieu, ie ne voy pas pourquoy il faille tant fuir le nom de cau/e, principalement lorfqu'on en eft venu à ce point, qu'il femble tres-vtile de s'en feruir, & en quelque façon neceffaire.

Or ce nom ne peut eftre plus vtilement employé que pour dé- montrer l'exiftence de Dieu ; & la neceflité de s'en feruir ne peut eftre plus grande que fi, fans en vfer, on ne la peut pas clairement démontrer.

Et ie penfe qu'il eft manifefte à tout le monde que la confideration de la caufe efficiente eft le premier & principal moyen, pour ne pas 316 dire le feul | & l'vnique, que nous ayons pour prouuer l'exiftence de Dieu.

Or nous ne pouuons nous en feruir, fi nous ne donnons licence à noftre efprit de rechercher les caufes efficientes de toutes les chofes qui font au monde, fans en excepter Dieu mefme; car pour quelle raifon l'excepterions-nous de cette recherche, auant qu'il ait èfté prouué qu'il exifte?

On peut donc demander de chaque chofe, fi elle eft jparybi' ou par autruf ; & certes par ce moyen on peut conclure l'exiftence de Dieu, quoy qu'on n'explique pas en termes formels & précis, comment on doit entendre ces paroles, ejlre par Joy.

Car tous ceux qui fuiuent feulement la conduite de la lumière naturelle, forment tout aufti-toft en eux dans ce rencontre vn certain concept qui participe de la caufe efficiente & de la formelle, & qui eft commun à l'vne & à l'autre : c'eft à fçauoir, que ce qui eft par autru/, eft par luy comme par vnc caufe efficiente ; & que ce qui eft par foy, eft comme par vne caufe formelle, c'eft à dire, parce qu'il a vnc telle nature qu'il n'a pas befoin de caufe efficiente. | C'eft pour- quoy ie n'ay pas expliqué cela dans mes Méditations, & ie l'ay obmis, comme eftant vne chofe de foy manifefte, & qui n'auoit pas befoin d'aucune explication;

339-240. Quatrièmes Réponses. 185

Mais lorfque ceux qu'vne longue acoutumance a confirmez dans cette opinion de iuger que rien ne peut eftre la caufe efficiente de foy-mefme, & | qui font foigneux de diftinguer cette caufe de la 817 formelle, voyent que l'on demande û quelque chofe eft parfoj', il arriue ayfement que, ne portans leur efprit qu'à la feule caufe effi- ciente proprement prife, ils ne penfent pas que ce mot par fqy doiue eftre entendu comme par pu e caufe, mais feulement negatiuement Sa comme fans caufe ; en forte qu'ils penfent qu'il y a quelque chofe qui exifte, de laquelle on ne doit point demander pourquoy elle exifte.

Laquelle interprétation du mot parfoy, fi elle eftoit receuë, nous ofteroit le moyen de pouuoir démontrer l'exiftence de Dieu par les effedts, comme il a efté bien prouué par l'auteur des premières Objections; c'eft pourquoy elle ne doit aucunement eftre admife.

Mais pour y répondre pertinemment, i'eftime qu'il eft neceffaire de montrer qu'entre la caufe efficiente proprement dite, & nulle caufe, il y a quelque chofe qui tient comme le milieu, à fçauoir l'ejjence pofitiue d'vne chofe, à laquelle l'idée ou le concept de la caufe effi- ciente fe peut étendre en la mefme façon que nous auons couftume d'étendre en Géométrie le concept d'vne ligne circulaire, la plus grande qu'on puiiïe imaginer, au concept d'vne ligne droite, ou le concept d'vn polygone rediligne, qui a vn nombre indefiny de coftez, au concept du cercle.

Et ie ne penfe pas que i'eulfe iamais pu mieux | expliquer -cela, 818 que lorfque i'ay dit que la fgnification de la caufe efficiente ne doit pas eftre refîrainte en cette quefïion à ces caufes qui font\differ entes de leurs effets, ou qui les précèdent en temps; tant parce que ceferoit vne chofe friitole & inutile, puifquil n'y a perfonne qui ne fçache qu*vne mefme chofe ne peut pas eftre différente de foy-mefme, ny fe pré- céder en temps, que parce que l'vne de ces deux conditions peut eftre oftée de fon concept, la notion de la caufe efficiente ne laijfant pas de demeurer toute entière.

Car, qu'il ne foit pas neceffaire qu'elle précède en temps fon effet, il eft euident, puifqu'elle n'a le nom & la nature de caufe efficiente que lorfqu'elle produit fon effet, comme il a des-ja efté dit.

Mais de ce que l'autre condition ne peut pas auffi eftre oftée, on doit feulement inférer que ce.n'eft pas vne caufe efficiente propre- ment dite, ce que i'auouë; mais non pas que ce n'eft point du tout vne caufe pofitiue, qui par analogie puiffe eftre raportée h la caufe efficiente, & cela eft feulement requis en la queftion propofée. Car par la mefme lumière naturelle, par laquelle ie conçoy que ie me

i86 OEuvRES DE Descartes. 24o-j4«-

ferois donné toutes les perfedions dont i'ay en moy quelque idée, fi ie m'eftois donné l'eftre, ie conçoy aufli que rien ne fe le peut donner en la manière qu'on a couftume de reflraindre la fignification de la caufe efficiente proprement dite, à fçauoir, en forte qu'vne mefme chofe, en tant qu'elle fe donne l'eftre, foit différente de foy-mefme en 519 tant qu'elle le reçoit; parce qu'il y a de la contradiction entre | ces deux chofes, eftre le mefme, & non le mefme, ou différent.

C'eft pourquoy, lorfque l'on demande fi quelque chofe fe peut donner l'eftre à foy-mefme, il ne faut pas entendre autre chofe que fi on demandoit, fçauoir, fi la nature ou l'effence de quelque chofe peut eftre telle qu'elle n'ait pas befoin de caufe efficiente pour eftre ou exifter.

Et lorsqu'on 3id']oute, Ji quelque chofe eft telle, elle Je donnera toutes les perféâions dont elle a les idées, s'il eft vray quelle ne les ait pas encore, cela veut dire qu'il eft impoffible | qu'elle n'ait pas aéluelle- ment toutes les perfedions dont elle a les idées; d'autant que la lumière naturelle nous fait connoiftre que la chofe dont l'eflence eft fi immenfe qu'elle n'a pas befoin de caufe efficiente pour eftre, n'en a pas auffi befoin pour auoir toutes les perfedions dont elle a les idées, & que fa propre eflence luy donne éminemment tout ce que nous pouuons imaginer pouuoir eltre donné à d'autres chofes par la caufe efficiente.

Et ces mots,^ elle ne les a pas encore, ellefe les donnera, feruent feulement d'explication; d'autant que par la mefme lumière natu- relle nous comprenons que cette chofe ne peut pas auoir, au moment que ie parle, la vertu & la volonté de fe donner quelque chofe de nouueau, mais que fon effence eft telle, qu'elle a eu de toute éternité tout ce que nous piuuons maintenant penfer qu'elle fe donneroit, fi elle ne l'auoit pas encore. 320 |Et neantmoins toutes ces manières de parler, qui ont raport & analogie auec la caufe efficiente, font tres-neceffaires pour conduire tellement la lumière naturelle, que nous conceuions clairement ces chofes ; tout ainfi qu'il y a plufieurs chofes qui ont efté démontrées par Archimede touchant la Sphère & les autres figures compofées de lignes courbes, par la comparaifon de ces mefmes figures auec celles compofées de lignes droites ; ce qu'il auroit eu peine à faire comprendre, s'il en euft vfé autrement.

Fa comme ces fortes de demonftrations ne font point defaprou- uées, bien que la Sphère y foit conlidcrée comme vne figure qui a plufieurs coftez, de mefme ie ne penfe pas pouuoir eftre icy repris de ce que ie me fuis fcruy de l'analogie de la caufe efficiente, pour

a4i-H3. Quatrièmes Réponses. 187

expliquer les chofes qui apartiejjnerit à la caufe formelle, c'eft à dire à l'effence mefme de Dieu.

Et il n'y a pas lieu de craindre en cecy aucune occafion d'erreur, d'autant que tout ce qui eft le propre de la caufe efficiente, | & qui ne peut eftre étendu à la caufe formelle, porte auec foy vne manifefte contradidion, & partant, ne pouroit iamais eftre crû de perfonne, à fçauoir, qu'vne chofe foit différente de foy-mefme, ou bien qu'elle foit enfemble la mefme chofe, & non la mefme.

Et il faut remarquer que i'ay tellement attribué à Dieu la dignité d'eftre la caufe, q\i'on ne peut pas de inférer que ie luy aye aufli attribué rimperfe|6lion d'eftre l'efifet : car, comme les Théologiens, 32i lorfqu'ils difent que le Père eft \e principe du Fils, n'auoûent pas pour cela que le Fils {o\i principié, ainfi, quby que i'aye ditque Dieu pouuoit en quelque façon eftre dit la caufe de foy-mefme, il ne fe trouuera pas neantmoins que ie I'aye nommé en aucun lieu l'effet de foy-mefme; & ce d'autant qu'on a de couftume de raporter prin- cipalement l'effet à la caufe efficiente, & de le iuger moins noble qu'elle, quoy que fouuent il foit plus noble que les autres caufes.

Mais, lorfque ie prens l'effence entière de la chofe pour la caufe formelle, ie ne fuis en cela que les veftiges d'Ariftote ; car, au liu. 2 de fes Analyt. pofter., chap. 16, ayant obmis la caufe matérielle, la première qu'il nomme eft celle qu il appelle atrtav tI h e.hoct, ou, comme l'ont tourné fes interprètes, la caufe formelle, laquelle il étend à toutes les effences de toutes les chofes, parce qu'il ne traitte pas en ce lieu-là des caufes du compofé phyfique (non plus que ie fais icy), mais généralement des caufes d'où l'on peut tirer quelque connoiffançe.

Or, pouf faire voir qu'il eftoit malaifé, dans la queftion propofée, de ne point attribuer à Dieu le nom de caufe, il n'en faut point de meilleure preuue que, de ce que Monfieur Arnauld ayant tâché de conclure par vne autre voye la mefme chofe que moy, il n'en eft pas neantmoins venu à bout, au moins à mon iugement.

Car, après auoir amplement montré que Dieu | n'ell pas la caufe 322 efficiente | de foy-mefme, parce qu'il eft de la nature de la caufe effi- ciente d'eftre différente de fon effed; ayant auffi fait voir qu'il n'eft pas par (oy pofitiuement, entendant par ce mot poftiuement vne in- fluence pofitiue de la caufe, & auffi cju'à vray dire il ne fe conferue pas foy-mefme, prenant le mot de conferualion pour vne continuelle reprodudion de la chofe (de toutes lefquelles chofes ie fuis d'acord auec luy), après tout cela il veut derechef prouuer que Dieu ne doit pas eftre dit la caufe efficiente de foy-mefme : parce que, dit-il, la

i88 Œuvres de Descartes. 343-344.

caufe efficiente d'ptie chofe n'eji demandée qu'à rai/on de/on exi/letice, & iamais à rai/on de /on ejfence : or eji-il qu'il n'ejl pas moins de Vejfence d'un ejire infini d'exifier, qu'il efi de Fejfence d'vn triangle d'auoir fes trois angles égaux à deux droits; doncques il nefàut^on plus répondre par la caufe efficiente, lor/qu'on demande pourquojr Dieu exifte, que lorfqu*on demande pourquoy les trois angles d'vn triangle font égaux à deux droits.

Lequel fyllogifme peut ayfément eflre renuoyé contre fon auteur, en cette manière : Quoy qu'on ne puifle pas demander la caufe effi- ciente à raifon de l'effence, on la peut neantmoins demander à raifon de l'exiftence ; mais en Dieu l'effence. n'eft point diftinguée de l'exi- ftence, doncques on peut demander la caufe efficiente de Dieu.

Mais, pour concilier enfemble ces deux chofes, on doit dire qu'à celuy qui demande pourquoy Dieu exifte, il ne faut pas à la vérité 313 répondre par la | caufe efficiente proprement dite, mais feulement par l'effence mefme de la chofe, ou bien par la caufe formelle, la- quelle, pour cela mefme qu'en Dieu l'exiftence n'eft point diftinguée de l'effence, a vn très-grand raport auec la caufe efficiente, & partant, peut eftre apelée quaft caufe efficiente.

Enfin il adioute, qu'à celuy qui demande la caufe efficiente de Dieu, il faut répondre qu'il n'en a pas befoin; & derechef, \ à celuy qui de- mande pourquoy il n'en a pas befoin, il faut répondre, parce qu'il eft vn ç/?re infini duquel l'exifience eft fon ejfence ; car il n'y a que les chofes dans lefquelles il eft permis de diftinguer l'exiftence aâuelle de l'effence, qui ayent bejoin de caufe efficiente.

D'où il infère que ce que i'auois dit auparauant eft entièrement renuerfé ; c'eft à fçauoir, / ie penfois qu'aucune chofe ne peuft en quelque façon eftre à l'égard de foy-mefme ce que la caufe efficiente eft à l'égard de fon èffeât, iamais en cherchant les çaufes des chofes ie ne viendrois à vnè première ; ce qui neantmoins ne me femble aucu- nement renuerfé, non pas mefme tant foit peu affoibly ou ébranlé; car il eft certain que la principale force non feulement de ma démon- ftration, mais auffi de toutes celles qu'on peut aporter pour prouuer l'exiftence de Dieu par les effets, en dépend entièrement. Or prefque tous les Théologiens foutiennent qu'on n'en peut aporter aucune, fi elle n'eft tirée des effets.

Et partant, tant s'en faut qu'il aporte quelque éclairciffement à la

It4 preuue & demonftration de rexiften|ce de Dieu, lorfqu'il ne permet

pas qu'on lui attribua à l'égard de foy-mefme l'analogie de la caufe

efficiente, qu'au contraire il l'obfcurcit & empefchc que les lecteurs.

ne la puiffent comprendre, particulièrement vers la fin, il conclut

a44-a46. QUATRIÈMES REPONSES. 189

que, s'il pèn/oit qu'il faluji rechercher la caufe efficiente , ou quafi effi- dente, de chaque chofe, il chercherait vne caufe différente de cette chofe.

Car comment eft-ce que ceux qui ne connoiffent pas encore Dieu, rechercheroient la caufe efficiente des autres chofes, pour arriuer par ce moyen à la connoiffance de Dieu, s'ils ne penfoient qu'on peut rechercher la caufe efficiente de chaque cliofe?

Et comment enfin s'arrefteroient-ils à Dieu comme à la caufe première, & mettroient-ils en luy la fin de leur recherche, s'ils penfoient que la caufe efficiente de chaque chofe deuft eflre cher- chée différente de cette chofe ?

Certes, il me femble que M. Arnauld a fait en cccy la mefme chofe que fi (après qu'Archimede, parlant des chofes | qu'il a demon- flrées de la Sphère par analogie aux figures redilignes infcrites dans la Sphère mefme, auroit dit : fi ie penfois que la Sphère ne peufl eflre prife pour vne figure re^iligne, ou quafi reéliligne, dont les coflez font infinis, ie n'attribuerois aucune force à cette demonftra- tion, parce qu'elle n'efl pas véritable, fi vous confiderez la Sphère comme vne figure curuiligne^ ainfi qu'elle efl en effet, mais bien fi vous la confiderez comme vne figure rediligne dont le nombre des coflez efl infiny).

|Si, dis-ie, M. Arnauld, ne trouuant pas bon qu*on apellafl ainfi 9S6 la Sphère, & neantmoins defirant retenir la demonflration d'Archi- mede, difoit : fi ie penfois que ce qui fe conclut icy, fe deufl en- tendre d'vne figure re^iligne dont les coflez font infinis, ie ne croi- rois point du tout cela de la Sphère, parce que i'ay vne connoiffance certaine que la Sphère n'efl point vne figure reftiligne.

Par lefquelles paroles il efl fans doute qu'il ne feroit pas la mefme chofe qu'Archimede,, mais qu*au contraire il fe feroit vn obflaclc à foy-mefme & empefcheroit les autres de bien comprendre fa dcmonflration.

Ce que i'ay déduit icy plus au long que la chofe ne fembloit peut- cflre le mériter, afin de monflrer que ie prens foigneufement garde à ne pas mettre la moindre chofe dans mes écrits, que les Théolo- giens puiffent cenfurer auec raifon.

Enfin i'ay défia fait voir affez clairement, dans les réponfes aux fécondes Objedions, nombre 3 & 4, que ie ne fuis point tombé dans la faute qu'on apelle cercle, lorfque i'ay dit que nous ne fommes afîurèz que les chofes que nous conceuons fort clairement & fort diflinftement font toutes vrayes, qu'à caufe que Dieu efl ou exifle ; & que nous ne fommes | afîurez que Dieu efl ou exifle, qu'à caufe que nous conceuons cela fort clairement & fort diflindement; en faifant

iço OEuvRES DE Descartes. 34^5*7.

diflindion des chofes que nous conceuons en effet fort clairement,

326 d'auec celles que | nous nous reffouuenons d'auoir autrefois fort clairement conceuës.

Car, premièrement, nous fommes aifurez que Dieu exifte, pource que nous preftons noftre attention aux raifons qui nous prouuent fon^exiftence ; mais après cela, il fuffit que nous nous reflbuuenions d'auoir conceu vne chofe clairement, pour eftre alTurez qu'elle eft vraye :ce qui ne fuffiroitpas, û nous ne fçauions que Dieu exifte & qu'il ne peut eftre trompeur.

Pour la queftion fçauoir s'il ne peut y auoir rien dans noftre efprit, en tant qu'il eft vne chofe qui penfe, dont luy-mefme n'ait vne aduelle connoifl'ance, il me femble qu'elle eft fort aifée à refoudre, parce que nous voyons fort bien qu'il n'y a rien en luy, lorfqu'on le confidere de la forte, qui ne foit vne penfée, ou qui ne dépende entièrement de la penfée : autrement cela n'apartiendroit pas à l'ef- prit, en tant qu'il eft vne chofe qui penfe ; & il ne peut y auoir en nous aucune penfée, de laquelle, dans le mefme moment qu'elle eft en nous, nous n'ayons vne actuelle connoifl"ance.

C'eft pourquoy ie ne doute point que l'efprit, auffi-toft qu'il eft infus dans le corps d'vn enfant, ne commence à penfer, & que deflors il ne fçache qu'il penfe, encore qu'il ne fe reffouuicnne pas après de ce qu'il a penfé, parce que les efpeces de fes penfées ne demeurent pas empraintes en fa mémoire.

Mais il faut remarquer que nous auons bien vne aduelle connoif-

327 fance des aéles ou des opérations | de noftre efprit, mais non pas toufiours de fes facultez, fi ce n'eft en puiffance ; en telle forte que, lorfque nous nous difpofons à nous feruir de quelque faculté, tout aufti-toft, fi cette faculté eft en noftre efprit, | nous en acquérons vne aduelle connoiftance ; c'eft pourquoy nous pouuons alors nier afl'u- rement qu'elle y foit, fi nous ne pouuons en acquérir cette connoif- fance aduelle.

RÉPONSE

AUX CHOSES QUI PEUUENT ARRESTER

LES THEOLOGIENS

le me fuis opofé aux premières raifons de Monfieur Arnauld, i'ay taché de parer aux fécondes, & ic donne entièrement les mains à celles qui fuiuent, excepté à la dernière, pour raifon de laquelle i'cfpcrc qu'il ne me fera pas difficile de faire en forte que luy-mefme l'accommode à mon aduis.

347-H8- Quatrièmes Réponses. 191

le confefTe donc ingenuëment auec luy que les chofes qui font contenues dans la première Méditation, & mefme dans les fuiuantes, ne font pas propres à toutes fortes d'efprits, & qu'elles ne s'ajuftent pas à la capacité de tout le monde; mais ce n'eit pas d'aujourd'huy que i'ay fait cette déclaration : ie l'ay des-ja faite, & la feray encore autant de fois que ] l'occafion s'en prefentera. 328

Aufli a-ce efté la feule raifon _qui m'a empefché de traiter de ces chofes dans le difcours de la Méthode, qui eftoit en langue vulgaire, & que i'ay referué de le faire dans ces Méditations, qui ne doiuent eftre leuës, comme i'en ay plufieurs fois auerty, que par les plus forts efprits.

Et on ne peut pas dire que i'euffe mieux fait, fi ie me fuffe abftenu d'écrire des chofes dont la leclure ne doit pas eftre propre ny vtile à tout le monde ; car ie les çroy fi necelfaires, que ie me perfuade que fans elles on ne peut iamais rien eftablir de ferme & d'affuré dans la Philofophie.

Et quoy que le fer & le feu fe manient iamais fans péril par des enfans ou par des imprudens, neantmoins, parce qu'ils font vtiles pour la vie, il n'y a perfonne qui iuge qu'il fe faille abftenir pour cela de leur vfage.

Or, que dans la quatrième Méditation ie n'aye parlé que de [l'er- reur ^w/'/e commet dans le difcernement du vray & du faux, & non pas de celle' qui arriue dans la pourfuite du bien & du mal ; & que i'aye toufiours excepté les chofes qui regardent la foy & les actions de noftre vie, lorfque i'ay dit que nous ne deuons donner créance qu'aux chofes que nous connoiffons euidemment, tout le contenu de mes Méditations en fait foy ; & outre cela ie l'ay expreffement dé- claré dans les réponfes aux fécondes Obiedions, nombre cinquième, com|me auHi dans l'abrégé de mes Méditations; ce que ie dis pour 3M faire voir combien ie défère au iugement de Monfieur Arnauld, & l'eftime que ie fais de fes confeils.

Il refte le façrement de l'Euchariftie, auec lequel Monfieur Ar- nauld iuge que mes opinions ne peuuent pas conuenir, parce que, dit-il, nous tenons pour article de foy que, la Jubjîance du pain ejlant ojlée du pain Euchar {/tique , les Jeuls accidens y demeurent. Or il penfe que ie n'admets point d'accidens réels, mais feulement des modes, qui ne peuuent pas eftre entend us /a«5 quelque fubjlance en laquelle ils refident, & partant, ils ne peuuent pas exijîer fans elle.

A laquelle obiedion ie pourois très facilement m'exempter de

a. « celuy » {i^* édit.).

192 Œuvres de Descartes. 348-350.

répondre, en difant que iufques icy ie n'ay iamais nié que les ac- cidens fuffent réels : car, encore que ie ne m'en fois point ferui dans la Dioptrique & dans les Météores, pour expliquer les chofes que ie traittois alors, i'ay dit neantmoins en termes exprez, dans les Météores page 164, que ie ne voulois pas nier qu'ils fuffent réels. Et dans ces Méditations i'ay de vray fupofé que | ie ne les con- noiffois pas bien encore, mais non pas. que pour cela il n*y en euft point : car la manière d'écrire analytique que i'y ay fuiuie permet de faire quelquefois des fupoiitions, lorfqu'on n'a pas encore affez foigneufement examiné les chofes, comme il a paru dans la première

330 Méditation, i'auois fupofé beaucoup de chofes que i'ay | depuis refutées dans les fuiuantes.

Et certes ce n*a point efté icy mon deffein de rien définir tou- chant la nature des accidens, mais i'ay feulement propofé ce qui m'a femblé d'eux de prim'abord; & enfin, de ce que i'ay dit que les modes ne peuuent pas eftre entendus fans quelque fubftance en laquelle ils refident, on ne doit pas inférer que i'aye nié que par la toute puiffance de Dieu ils en puiffent eftre feparez, parce que ie tiens pour très affeuré & croy fermement que Dieu peut faire vne infinité de chofes que nous ne fommes pas capables d'entendre.

Mais, pour procéder icy auec plus de franchife, ie ne diffimuleray point que ie me perfuade qu'il n'y a rien autre chofe par quoy nos fens foyent touchez, que cette feule fuperficie qui eft le terme des dimenfions du corps qui eft fenty ou aperceu par les fens. Car c'eft en la fuperficie feule que fe fait le contaft, lequel eft û neceflaire pour le feKtiment, que i'eftime que fans luy pas vn de nos fens ne pouroit eftre meu ; & ie ne fuis pas le feul de cette opinion : Ariftote mefme & quantité d'autres philofophes auant moy en ont efté. De forte que, par exemple, le pain & le vin ne font point aperceus par les fens, finon en tant que leur fuperficie eft touchée par l'organe du fens, ou* immédiatement, ou mediatement par le moyen de l'air ou des autres corps, comme ie I'eftime, ou bien,

331 comme difent | plufieurs philofophes , par le moyen des efpeces intentionelles.

Et il faut remarquer que ce n'eft pas la feule figure extérieure des corps qui eft fenfible aux doigts & à la main, qui doit eftre prife pour cette fuperficie, mais qu'il faut aufti confiderer tous ces (petits interuales qui font, par exemple, entre les petites parties de la farine dont le pain eft compofé, comme aufli entre les particules de

a. « ou » manque {tiédit.), ajouté [a' et 3' édit.).

?5o-a5i. Quatrièmes Réponses. 19 j

l'eau de vie, de l'eau douce, du vinaigre, de la lie ou du tartre, du mélange delquelles le vin eft compole, & ainfi entre les petites parties des autres corps, & penfer que toutes les petites fuperficies qui terminent ces interuales, font partie de la fuperficie de chaque corps.

Car certes, ces petites parties de tous les corps ayans diuerfes figures & groffeurs &differens mouuemens,iamais elles ne peuuent eftre fi bien arrangées ny fi iuftement jointes enfemble, qu'il ne refte plufieurs interualles autour d'elles, qui ne font pas neantmoins vuides, mais qui font remplis d'air ou de quelque autre matière, comme il s'en voit dans le pain, qui font affez larges & qui peuuent eftre remplis non feulement d'air, mais aufli d'eau, de vin, ou de quelque autre liqueur; & puifque le pain demeure toufiours le mefme, encore que l'air, ou telle autre matière qui eft contenue dans fes pores foit changée, il eft conftant que ces chofes n'apartiennent point à la fubftance du pain, & par|tant, que fa fuperficie n'eft pas 332 celle qui par vn petit circuit l'enuironne tout entier, mais celle qui touche immédiatement chacune de fes petites parties.

11 faut aufti remarquer que cette fuperficie n'eft pas feulem.ent remuée toute entière, lorfque toute la mafl'e du pain eft portée d'vn lieu en vn autre, mais qu'elle eft aufli remuée en partie, lorfque quelques vues de fes petites parties font agitées par l'air ou par les autres corps qui entrent dans fes pores ; tellement que, s'il y a des corps qui foyent d'vne telle nature que quelques vnes de leurs parties, ou toutes celles qui les compofent, fe remuent continuel- lement (ce que i'eftime eftre vray de plufieurs parties du pain & de toutes celles du vin), il faudra aufti conceuoir que leur fuperficie eft dans vn continuel mouuernent.

Enfin, il faut remarquer que, par lu fuperficie du pain ou du vin, ou de quelque autre corps que ce foit, on n'entend pas icy aucune partie de la fubftance, ny mefme de la quantité de ce mefme corps, ny aufti aucunes parties des autres corps qui l'cnuironnent, mais feulement | ce terme que l'on conçoit ejire moyen entre chacune des particules de ce corps & les corps qui les enuironnent, & qui n'a point d'autre entité que la modale.

Ainfi, puifque le contaft fe fait dans ce feul terme, & que rien n*eft fenty, fi ce n'eft par contad, c'eft vne chofe manifefte que, de cela feul que les | fubftances du pain & du vin font dites eftre tel- 333 lement changées en la fubftance de quelque autre chofe, que ceiffe nouuelle fubftance foit contenue precifement fous les mefmes termes fouz qui les autres elloyent contenu(^s, ou qu'elle exifte dans Œdvres. IV, 13

194 Œuvres de Descartes. 251-253.

le mcfme lieu le pain & le vin exiitoyent auparauant (ou plutoll, d'autant que leurs termes font continuellement agitez, dans lequel ils exifteroyent s'ils eftoyent prelens), il s'enfuit necelfairement que cette nouuelle fubftance doit mouuoir tous nos fens de la mefme façon que feroient le pain & le vin, û aucune tranfubflantiation n'auoit efté faite.

Orl'Eglife nous enfeigne, dans le Concile de Trente, fedion i3, can. 2 & 4, qu'il fe fait inie conuerfion de toute la fubjlance du pain en la fubjlance du Corps de nojlre Seigneur lefus-ChriJî, demeurant feulement l'efpece du pain. le ne voy pas ce que l'on peut en- tendre par l'efpece du pain ^ fi ce n'eft cette fuperficie qui efl: moyenne entre chacune de fes petites parties & les corps qui les enuironnent.

Car, comme il a defia efté dit, le contad fe fait en cette feule fuperficie; & Ariftote mefme -confeffe que, non feulement ce fens que par priuilege fpecial on nomme V attouchement, mais aufli tous les autres ne fentent que par le moyen de l'atouchement. C'eft dans le liure 3 de l'Ame, chap. 1 3, font ces mots : v.r/X zx àlly. yinBr.H^ix

334 I Or il n'y a perfonne qui penfe que par l'efpece | on entende autre chofe que ce qui ell precifement requis pour toucher les fens. Et il n'y a aufli perfonne qui croye la conuerfion du pain au Corps de Chrift, qui ne penfe que ce Corps de Chrift efl: precifement contenu

-fous la mefme fuperficie fous qui le pain feroit contenu s'il efloit prefent, quoy que neantmoins il ne foit pas comme proprement dans vn lieu, mais facramentellement, & de cette manière d'exifter, laquelle, quoy que nous ne puiflions qu'à peine exprimer par pa- roles, après neantmoins que noftre efprit efl éclairé des lumières de la foy, nous pouuons conceuoir comme poflible à vn Dieu, & la- quelle nous fommes obligez de croire très-fermement. Toutes lefquelles chofes me femblent cftre fi commodément expliquées par mes principes, que non feulement ie ne crains pas d'auoi.r rien dit icy qui puiffe offenfer nos Théologiens, qu'au contraire i'efpere qu'ils me fçauront gré de ce que les opinions que ie propofe dans la Phyfique font telles, qu'elles conuiennent beaucoup mieux auec la Théologie, que celles qu'on y propofe d'ordinaire. Car, de vray, l'Eglifc n'a iamais enfeigne (au moins que ie fçache) que les efpeces du pain & du vin, qui demeurent au Sacrement de l'Euchariftie, fuient des accidents réels qui fubfiftent miraculeufement tous feuls, après que la fubflance à laquelle ils efloient attachez a eflé oftée. Mais peut-eltrc à caufe que les premiers Théologiens qui ont

335 entrepris d'ajufler cette queflion auec | la Philofophie naturelle | fe

253-254. Quatrièmes Réponses. 195

perfuadoient fi fortement que ces accidens qui touchent nos fens eftoient quelque chofe de réel différent de la lubftance, qu'ils ne penfoient pas feulement que iamais on en peuft douter, ils ont fupofé, fans aucune iufte raifon & fans y auoir bien penfé, que les efpeces du pain eftoient des accidens réels de cette nature; puis enfuite ils ont mis toute leur eftude à expliquer comment ces accidens peuuent fubfifter fans fuiet. En quoy ils ont trouué tant de difficultez que cela feul leur deuoit faire iuger qu'ils s'eftoyént détournez du droit chemin, ainfi que fon» les voyageurs quand quelque fentier les a conduits à des lieux pleins d'épines & inac- ceflibles".

Car, premièrement, ils femblent le contredire (au moins ceux qui tiennent que les obieds ne meuuent nos fens que par le moyen du coniad), lorfqu'ils fupofent qu'il faut encore quelque autre chofe dans les obiets, pour mouuoir les fens, que leurs fuper- ticies diuerfement difpofécs ; d'autant que c'eft vne chofe qui de foy eft euidente, que la fuperficie feule futiit pour le contad; et s'il y en a qui ne veulent pas tomber d'acord que nous ne fentons rien fans le contact, ils ne peuuent rien dire, touchant la façon dont les fens font meus par leurs objecls, qui ait aucune aparence de vérité.

Outre cela, l'efprit humain ne peut pas conceuoir que les accidens du pain foyent réels, & que neantmoins ils exiftent fans fa fubftancc, qu'il ne les conçoiue en mefme façon qui fi c'el^toient des fubftanccs ; 336 c'eft pourquoy il femble qu'il y ait en cela de la contradiction, que toute la fubftance du pain ibit changée, ainfi que le croit l'Eglife, & que cependant il demeure quelque chofe de réel qui eftoit aupa- rauani dans le pain; parce qu'on ne peut pas conceuoir qu'il de- meure rien de réel, que ce qui fubfifte; & encore qu'on nomme cel^r vn accident, on le conçoit neantmoins comme vne fubftance. Et c'eft en effed la mefme chofe que fi on difoit qu'à la vérité toute la fubftance du pain eft changée, mais que neantmoins cette partie delà fubftance, qu'|on nomme accident réel, demeure: dans lefquelles paroles s'il n'y a point de contradidion, certainement dans le con- cept il en paroift beaucoup.

Et il femble que ce foit principalement pour ce fuiet que quel- ques-vns fe font éloignez en cecy de la créance de l'Eglife Romaine. Mais qui poura nier que, lorfqu'il eft permis, & que nulle raifon,

a. Les trois premières éditions de la traduction française (pas plu" d'ailleurs que l'original latin) ne mettent plus à la ligne jusqu'au dernier alinéa : C'eji pourquoy, s'il m'ejl icy permis. . . (p. 197 ci-après).

196

Œuvres î)E Descartes. 254-255.

ny theologique, ny mefme philofophique, ne nouis oblige à em- braffer vne opinion plutojl qu'vne autre, il ne faille principale- ment choifir celles qui ne peuuent donner occafion ny prétexte à perfonne de s'efloigner des veritez de la foy ? Or, que l'opinion qui admet des accidens réels ne s'accommode pas aux raiions de la Théologie, ie penfe que cela fe void icy affez clairement; & qu*clle foit tout à fait contraire à celles de la philofophie, i'efpere dans peu le démontrer euidemment, dans vn traitté des principes

337 que i'ay deffein de publier, & j d'y expliquer comment la couleur, la faueur, la pefanteur, & toutes les autres qualitez qui touchent nos fens, dépender^t feulement en cela de la fuperficie extérieure des corps.

Au refte, on ne peut pas fupofer que les accidens foyent réels, fans qu'au miracle de la tranfubftantiation, «lequel feul peut élire* inféré des paroles de la confecration, on n'en adioute fans necefr lité vn nouueau & incomprehenfible, par lequel ces accidens réels exiftent tellement fans la fubftance du pain, que cependant ils ne foyent pas eux mefmes faits des fubflances ; ce qui ne répugne pas feulement à la raifon huhnaine, mais mefme à l'axiome des Théologiens, (^jn'i difent que les paroles de la confecration n'o- pèrent rien que>ce qu'elles fignifient, & qui ne veulent pas attri- buer à mirccle les chofes qui peuuent eflre expliquées par raifon naturelle. Toutes lefquelles difficultez font entièrement leuées par l'explication que ie donne à ces chofes. Car tant s'en faut que, I félon l'explication que i'y donne, il foit befoin de quelque mi- racle pour conferuer les accidens après que la fubllance du pain efl.oftée, qu^au contraire, fans vn nouueau miracle fçauoir, par lequel les diménfions fulfent changées), ils ne peuuent pas dire oltez. Et les hiftoires nous aprennent que cela ell quelquefois arriué, lorfqu'au lieu de pain confacré il a paru de la chair ou vn petit enfant entre les mains du prellre; car iamais on n'a creu que

338 cela foit arriué par vne ceifation de miracle, mais on a | toufiours attribué cet efl'efl à vn miracle nouueau.

D'auanfage, il n'y a rien en cela d'incomprehenfible ou de dif- ficile, que Dieu, créateur de toutes chofes, puilfe changer vne fubltance,en vne autre, & que cette dernière fubllance . demeure precifement fouz la mefme fuperficie fous qui la première clloit contenue. On ne peut aulTi rien dire de plus «conforme à la raifon, ny qui foit plus tommunement receu par les philofophes, que non feulement tout fentiment, mais généralement toute ai^ipnd'vn corps fur vn autre, fe fait par le contai, & que ce contad peut eftre en

255-256. Quatrièmes Réponses. 197

la feule fuperficie: d'où il fuit euidemment que la mefme fuperficie doit toufiours de la mefme façon agir ou patir, quelque changement qui arriue en la fubftance qu'elle couure.

G'eft pourquoy, s'il m'eft icy permis de dire la vérité fans enuie, i'ofe efperer que le temps viendra, auquel cette opinion, qui admet les accidens réels, fera rejettée par les Théologiens comme peu feure en la foy, éloignée de la raifon, & du tout incomprehenfible, & que la mienne fera receuë en fa place comme certaine & indubitable. Ce que i'ay crû ne deuoir pas icy diflimuîer, pour preuenir, autant qu'il m'eft poffible, les calomnies de ceux qui, voulans paroirtrc plus fçauans que les autres, & ne pouuans foufrir qu'on propofe aucune opinion différente des leurs, | qui foit eftimée vraye & importante, ont couftume de dire qu'elle répugne aux verijtez de la foy, & 339 tachent d'abolir par autorité ce qu'ils ne peuuent réfuter par raifon *. Mais i'apelle de leur fentence à celle des bons & ortodoxes Théo- logiens, au iugement & à la cenfure defquels ie me foumettray toufiours tres-volontiers.

a. Cette phrase diffère sensiblement de l'original latin (voir p. 255, 1. 29, p. 256, 1. 6).

340 [AVERTISSEMENT

DE L'AVTEVR''

TOVCHANT LES ÇINQVIÉMES OBJECTIONS*'

Auant la première édition de ces Méditations "^^ ie defiray qu elles fuflent examinées, non feulement par 5 Mefîieurs les Dodeurs de Sorbone, mais aufli par tous les autres fçauans hommes qui en voudroient prendre la peine, afin que, faifant imprimer leurs objeftions & mes réponfes en fuite des Méditations, chacunes félon Tordre qu elles auroient efté faites, lo cela feruift à rendre la vérité plus euidente. Et encore que celles qui ne furent enuoyées les cinquièmes ne me femblaffent pas les plus importantes, & qu elles fuflent fort longues, ie ne laiflay pas de les faire im- primer en leur ordre '^j pour ne point defobliger leur i5 auteur, auquel on fit mefme voir, de ma part, les épreuues de rimpreffion, afin que rien n y fufl mis 341 comme fien qu'il n'approuuaft ; mais pource | qu'il a

a. C'est-à-dire Descartes lui-même.

b. Imprimé seulement dans la première édition (1647), aussitôt après les Réponfes aux quatrièmes Objeâions, et à la place des Cinquièmes Objeâions, lesquelles sont rejetées après les Sixièmes (p. 343-391) et forment la dernière partie du volume (p. 397-591).

c. L'édition latine de 1641, à Paris, chez Michel Soly,

d. Objeâiones quintœ Pétri Gajfendi Dinienfis Eccleftœ Prcepoftti & acutijfimi Philofophi, a pag. 355 ad 492. Refponftoncs, a pag. 493 ad 55 1 (i'« édit.).

Sur les Cinquièmes Objections. 19Q

fait depuis vn gros liuxe, qui contient ces mefmes objedions auec plufieurs nouuelîes inftances ou ré- pliques contre mes réponfes ^, & que la dedans il s'eft plaint de ce que ie les auois publiées, comme fi ie

5 l'auois fait contre fon gré, & qu'il ne me les euft en- uoyées que pour moninftruélion particulière, ieferay bien aife de m'accommoder dorénauant à fon defir, & que ce volume en foit defchargé. C'eft pourquoy, lors que i'ay fceu que Monfieur C. L. R.^' prenoit la

10 peine de traduire les autres objections, ie l'ay prié d'obmettre celles-cy. Et afin que le Lefteur n'ait point fujet de les regretter, i'ay à Tauertir en cet endroit que ie les ay releuës depuis peu, cl' que i'ay leu auffi toutes les nouuelîes inftances du gros liure qui

i5 les contient, auec intention d'en extraire tous les points que ie iugerois auoir befoin de réponfe, mais que ie n'en ay fceu remarquer aucun, auquel il ne me femble que ceux qui entendront vn peu le fens de mes Méditations pouront ayfement répondre fans

20 moy ; & pour ceux qui ne iugent des liures que par la grofleur du volume ou par le titre, mon am- bition n'eft pas de rechercher leur approbation.

a. Pétri Gassendi Difquifitio Metaphyfica,jeii Dubitationes et Injlan- tiœ, adverfus Renati Cartejii Metaphyficam et ReJ'ponJa ( Amlterodami, apud lohannem Blaev, CIDI3CXLIV; in-4, pp. 319, plus une réim- pression des Meditationes de Descartes, avec une pagination à part, pp. 48).

b. Abréviation de « Clerselier '>.

m lAVERTISSEMENT

DV TRADVCTEVR'

TOVCHANT LES CINQVIÉMES OBJECTIONS FAITES PAR MONSIEVR GASSENDY^

« N'ayant entrepris la tradudion des Méditations de Monfieur » Des-Cartes pour autre deffein que celuy de me fatisfaire moy- » mefme, & me rendre plus maiftre de la doâirine qu'elles con- » tiennent, le fruit que l'en <ay> tiré me donna enuie de pdur- » fuiure celle de tout le relie du Hure. Et fur le point que l'en » eftois aux quatrièmes Objeéiions, ayant coriimuniqué tout mon » trauail au R. P. Merfenne, ie fus eftonné que, luy l'ayant fait » voir à Monfieur Des-Cartes, lors d'vn petit tour qu'il vint faire 394 » en | France il y a quelque temps', ie receu de luy vn mot de » compliment", auec vne prière de vouloir continuer mon ouurage, » dans le deffein qu'il auoit de vouloir joindre ma verfion des ob- » jeélions & de leur réponl^ à la tradudion fidèle & excellente de » fes Méditations, dont vn Seigneur de très-grande confideration » luy auoit fait prefent. Et pour me donner plus de courage, en » m'épargnant la peine, il me pria d'obmettre les cinquièmes ob- » jedions, que des raifons particulières l'obligeoient lors de détacher » de l'édition nouuelle qu'il vouloit faire de fes Méditations en

a. Clersclier.

b. Imprimé seulement dans la première édition (1647), après les /?e/>o«/M aux fixiémes Objeâions, et avant les Cinquièmes Obieâions, dont Cler- selier publiait la traduction, ainsi que celle des Répon/es, de sa propre autorité, et contrairement à l'avis de Descartes, bien qu'avec la permission de celui-ci. Voir, dans notre Pré/ace, les raisons pour lesquelles nous ne croyons pas devoir reproduire ici cette traduction française des Cinquièmes Obieâions de Gassend ni des Réponfes de Descartes.

c. Le voyage de 1644 (Hn juin jusque vers la mi-novembre).

d. Ce « mot de compliment » n'a pas été conservé. Voir toutefois au I, IV de cette édition, p. 144.

I

Sur les Cinquièmes Objections. 201

" François, ainfi que l'auertiffement qu'il a fait mettre icy en leur » place " le peut témoigner. Mais depuis, ayant confideré que ces » objedions partoient de la plume d'vn homme qui eft en repu- » tation d'vn très-grand fçauoir, i'ay penle qu'il eftoit à propos » qu'elles fuffent veuës d'vn chacun, & ay trouué bon de les tra- » duire, de peur qu'on ne.penfaft que c'a efté faute d'y auoir pu » répondre que Monfieur Des-Cartes a voulu qu'on les ait obmiles ; )) outre que c'eull efté priuer le Lecteur de la plus grande partie du » liure, & ne luy prefenter qu'vne verfion imparfaite. l'auouë neant- » moins que c'eft celle qui m'a donné le plus de peine, parce que, » defirant adoucir beaucoup de chofes qui pouront fembler rudes » en noftre langue, que la libre façon de | parler des Philofophes 395 » admet fans fcrupule dans le Latin, ie me fuis au commencement » beaucoup trauaillé. Mais depuis, cette entreprifc m'ayant femblé » d'vne trop longue fuite, & ne voulant pas fi long-temps forcer mon » efprit, & d'ailleurs craignant de corrompre le fens de beaucoup » de lieux penfant en ofter la rudefle & les accommoder à la ciui- » lité Françoife, ie me fuis aftraint, autant que i'ây pu & que le » difcours me l'a pu permettre, à traduire Amplement les çhofes » comme elles font; me remettant à la docilité du Ledeur de iuger » benignement des chofes; eftant d'ailleurs affuré que ceux qui, » comme moy, ont cet aduantage de connoiftre ces Meffieurs, ne » pouront croire que des perfonnes fi bien inftruittes ayent efté ca- » pables d'aucune animofité : en tout cas, fi en cela il y a quelque » faute, c'eft à moy feul à qui elle doit eftre imputée,, ayant efté » auoQé de l'vn & de l'autre de reformer toutes chofes comme ie le » trouuerois à propos. Et pour payer le Leéteur de la peine qu'il » aura eue à lire vne fi mauuaife tradudion qu'eft la mienne, ie luy » feray part d'vne lettre '' que Monfieur Des-Cartes m'a faii l'hon- » neur de m'efcrire, fur le fujet d'vn petit recueil des principales » difficultez que quelques-vns de mes amis auoient foi|gneufement )) extraites du liure des Inftances de Monfieur Gaffendy ', dont la )) réponfe, à mon auis, mérite bien d'eftre veuë. »

a. La pièce précédente, p. 198.

b. Imprimée ci-après, p. 203.

c. Voir la note a, p. 199 ci-avant. Par malheur, ce « pctii recueil » n'a pas été retrouvé.

I LETTRE

DE MONSIEVR DES-CARTES

A MONSIEVR C. L. R. "^

Semant de réponfe à vn recueil des principales

injhnces faites par Monjieur GaJJendi s

contre les précédentes Réponfes^.

[12 janvier 1646'.] Monfieur,

le vous ay beaucoup d'obligation de ce que, voyant que i'ay négligé de répondre au gros Liure 10 d'inftances"^ que l'Auteur des cinquièmes Objedions a produit contre mes Réponfes, vous auez prié quelques-vns de vos amis de recueillir les plus fortes raifons de ce liure, & m'auez enuoyé l'extrait qu'ils en ont fait. Vous avez eu en cela plus de foin de 'S

a. C. L. R., c'est-à-dire Clerselier. Voir ci-avant, p. 201, les dernières lignes de l'avertissement qui précède.

b. C'est-à-dire les Réponfes aux cinquièmes Objeâions, dont la tra- duction précédait immédiatement cette lettre dans l'édition de 1647.

c. Voir, pour cette date, t. IV de la présente édition, lettre CDXX, p. 357-358.

d. Voir au t. VII de cette édition, à la suite du texte des Cinquièmes Objeâions et Réponfes, VJndex de ce livre, qui ne contient pas seulement les /nuances de Gassend, mais aussi sous le nom de Dubitationes les Objeâions de ce philosophe, avec les Réponfes de Descartes. Le titre du volume l'indique d'ailleurs : voir ci-avant, p. 199, note a. ~ A défaut du « recueil » auquel Descartes répond ici, et qui n'a pas été conservé, cet Index fournira d'utiles indications.

Sur les Cinquièmes Objections. 20 j

ma réputation que moy-mefme ; car ie vous allure qu'il m'efl indiffèrent d'eftre eftimé ou méprifé par ceux que de femblables raifons auroient pu per- fuader. Les meilleurs efprits de ma connoifjfance qui 594

5 ont leu fon Hure, m'ont témoigné qu'ils n y auoient trouué aucune chofe qui les areffaft ; c'eft à eux feuls que ie defire fatisfaire. le fçay que la plufpart des hommes remarque mieux les apparences que la vérité, & iuge plus fouuent mal que bien ; c'ell pourquoy ie

10 ne croy pas que leur approbation vaille la peine que ie faffe tout ce qui pouroit eftre vtile pour l'acquérir. Mais ie ne laiiïe pas d'eftre bien ayfe du recueil que vous m'auez enuoyé, &. ie me fens obligé d'y ré- pondre, plutoft pour reconnoilTance du trauail de vos

i5 amis que par la neceffité de ma defenfe; car ie croy que ceux qui ont pris la peine de le faire, doiuent maintenant iuger, comme moy, que toutes les ob- jedions que ce Hure contient ne font fondées que fur quelques mots mal entendus ou quelques fupofitions

20 qui font fauffes ; vu que toutes celles qu'ils ont remar- quées font de cette forte, & que neantmoins ils ont efté fi diligens, qu'ils en ont mefme adiouté quelques- vnes que ie ne me fouuiens point d'y auoir leuës. Ils en remarquent trois contre la première Medita-

25 tion, à fçauoir : i. Que ie demande vue chofe impof- fibUy en voulant qu'on quitte toute forte de préjuge:^. 2. Qu'en penfant les quiter on fc reuejl d'autres pré- juge:^ qui font plus préjudiciables. ). Et que la méthode de douter de tout, que i'ay propofée, ne peut feruir à

3o trouucr aucune vérité^.

a. Non à la ligne yi''-' édit.).

595

2 04 Œuvres de Descartes.

La première defquelles eil fondée fur ce que l'Au- teur de ce liure n a pas confideré que le mot de pré- jugé ne s'étend point à toutes les notions qui font en noftre | efprit, defquelles i'auouë qu'il eil impoffible de fe défaire, mais feulement à toutes les opinions 5 que les iugemens que nous auons faits auparauant ont laiiTées en noftre créance. Et pource que c'efl vne aftion de la volonté que de iuger ou ne pas iuger, ainfi que i'ay expliqué en fon lieu, il eft éuident qu'elle eft en noftre pouuoir : car enfin, pour fe défaire de lo toute forte de préjugez, il ne faut autre chofe que fe refoudre à ne rien affurer ou nier de tout ce qu'on auoit afluré ou nié auparauant, fmon après l'auoir derechef examiné, quoy qu'on ne laifte pas pour cela de retenir toutes les mefmes notions en i5 fa mémoire, fay dit neantmoins qu'il y auoit de la difficulté à chaffer ainfi hors de fa créance tout ce qu'on y auoit mis auparauant, partie à caufe qu'il eft befoin d'auoir quelque raifon de douter auant que de s'y déterminer : c'eft pourquoy i'ay propofé 20 les principales en ma première Méditation ; & partie auffi à caufe que, quelque refolution qu'on ait prife de ne rien nier ny afliirer, on s'en oublie aifement par après, fi on ne l'a fortement imprimée en fa mé- moire : c'eft pourquoy i'ay defiré qu'on y penfaft 25 auec foin ".

La 2. Objeftion n'eft qu'vne fuppofition manifefte- mcnt fauflc ; car, encore que i'aye dit qu'il faloit mefme s'cflbrcer de nier les chofes qu'on auoit trop afiurées auparauant, i'ay tres-expreflement limité 3o

u. Non à la ligne {i" édit.).

Sur les Cinquièmes Objections. 205

que cela ne fe deuoit faire que pendant le temps qu'on portoit fon attention à chercher quelque chofe de plus certain que tout ce qu'on pouroit ainfi | nier, pendant lequel il eft euident qu'on ne fçauroit fe 5 reueftir d'aucun préjugé qui foit préjudiciable*'.

La troifiéme aulîi ne contient qu'vne cauillation ; car, bien qu'il foit vray que le doute feul ne fuffit pas pour eftablir aucune vérité, il ne laifle pas d'eftre vtile à préparer Tefprit pour en eftablir par après, &

10 c'eft à cela feul que ie l'ay employé.

Contre la féconde Méditation vos amis remarquent fix chofes. La première eft qu'en difant : ie penfe, donc ie fuis, l'Auteur des Inftances veut que ie fuppofe cette maieurc : cc/z/y qui penfe, efi; &. ainfi que i'aye

«5 defia époufé vn préjugé. En quoy il abufe derechef du mot de préjugé : c'cir, bien qu'on en puift'e donner le nom à cette propofition, lorfqu'on la profère fans attention & qu'on croit feulemem qu'elle eft vraye à caufe qu'on fe fouuient de l'auoir ainfi iugé aupara-

20 uant, on ne peut pas dire toutesfois qu'elle foit vn préjugé, lorfqu'on l'examine, à caufe qu'elle paroift fi éuidente à l'entendement, qu'il ne fe fçauroit em- pefcher'de, la croire, encore que ce foit peut-eftre la première fois de fa vie qu'il y penfe, & que par confe-

25 quent il n'en ait aucun préjugé. Mais l'erreur qui eft icy la plus confiderable, eft que cet Auteur fuppofe que la connoiftance des proportions particulières doit toufiours eftre déduite des vniuerfelles,fuiuant l'ordre des fyllogifmes de la Dialeftique : en quoy il montre

^o fçauoir bien peu de quelle façon la vérité fe doit

a. Non à la ligne (/'"' édit.)*

b96

2o6 Œuvres de Descartes.

chercher; car il eft certain que, pour la trouuer, on 597 doit toujours commencer | par les notions particu- lières, pour venir après aux générales, bien qu'on puiffe auffi réciproquement, ayant trouué les géné- rales, en déduire d'autres particulières. Ainfi, quand 5 on enfeigne à vn enfant les elemens de la Géométrie, on ne lui fera point entendre en gênerai que, lorfque de deux quantité:^ égales on ojie des parties égales, les rejïes demeurent égaux, ou que le tout eji plus grand que f es parties, fi on ne luy en montre des exemples en lo des cas particuliers. Et c'eil faute d'auoir pris garde à cecy, que noftre Auteur s'ell trompé en tant de faux raifonnemens, dont il a groffi fon liure; car il n'a fait que compofer de fauffes maieures à fa fan- taifie, comme fi i'en auois déduit les veritez que i'ay «5 expliquées.

La féconde Objeftion que remarquent icy vos amis eft : Que, pour fçauoir qu'on penfe, il faut fçauoir ce que c'eft que penfée ; ce que ie ne fçais point, difent- ils, à cause que i'ay tout nié. Mais ie n'ay nié que 20 les préjugez, & non point les notions, comme celle- cyj qui fe connoifTent fans aucune affirmation ny négation.

La troifiéme eft : Que la penfée ne peut efirefans objet, par exemple fans le corps. il faut eu i ter l'équiuoque ?5 du mot de penfée, lequel on peut prendre pour la chofe qui penfe, & auffi pour l'aftion de cette chofe; or ie nie que la chofe qui penfe ait befoin d'autre objet que de foy-mefme pour exercer fon aftion, bien qu'elle puiftc auffi l'étendre aux chofes matérielles, 3o lorfqu'cllc les examine.

Sur les Cinquikmes Obipxtions. 20

La quatrième : Que, bien que i aye vue penfcc de nioy- \mefme, ie ne /çay pas celle pen/ée efl vne aelion corpo- 598 relie ou vu atome qui fe meut, pluto/I qu'vne Jubjlancc immatérielle . Fcquiiioquc du nom de pcnfée eft

5 répétée, & ie n'v vov rien de plus, finon vne quellion fans fondement, 0(: qui eft fcmblahle àcelle-ev. Vous iugez que vous eiles vn homme, à eaufe que vous aperceuez en. vous toutes les chofes à Toecafion defquelles vous nommez homn>es eeux en qui elles

10 fe trouuent; mais que f(^auez-vous fi vous n'eftes point vn éléphant plutoft qu'vn homme, pour quelques autres raifons que vous ne pouuez aperccuoir ? Car, après que la fubftance qui penfe a iugé qu'elle ell intellectuelle, à caufe qu'elle a remarqué en foy

i5 toutes les proprietez des fubftanccs intellectuelles, OC n'y en a pu remarquer aueune de eelles qui apar- tiennent au corps, on luy demande encore comment elle fçait fi elle n'ed point vn corps, plutoft qu'vne fubftance immatérielle.

20 La cinquième Objedion eft femblable : Que, bien que ie ne Irouue point d étendue en ma penfée, il ne s en- fuit pas quelle nejoit point étenduè\pource que me penfée nejl pas la règle de la venté des chofes. Et auiïi la fixiéme : Qiiil fe peut faire que la dijlinélion. que ie

2 5 Irouue par ma penfée entre la penfée & le co?'ps, foi!

fiuffe. Mais il faut particulièrement icy remarquer

Lequivoque qui eft en ces mots : ma penfée n'cjl pas

la règle de la vérité des chofes. Car, fi on n eut dire que

ma penfée ne doit pas eftre la règle des autres, pour

3o les obliger à croire vne chofe a caufe que ie la penfe vrave. i en fuis entièrement 1 d'accord ; mais cela ne bii^

2o8 Œuvres de Descartes.

vient point icy à propos : car ie n'ay iamais voulu obliger perfonne à fuiure mon autorité, au contraire i'ay auerty en diuers lieux qu'on ne fe deuoit laifTer perfuader que par la feule euidence des raifons. De plus, fi on prend indifféremment le mot de penfée 5 pour toute forte d'opération de Famé, il eft certain qu'on peut auoir plufieurs penfées, defquelles on ne doit rien inférer touchant la vérité des chofes qui font hors de nous ; mais cela ne vient point auffi à propos en cet endroit, ou .il n'eft queftion que des penfées lo qui font des perceptions claires & diflindes, & des iugemens que chacun doit faire à part foy enfuite de ces perceptions. C'eft pourquoy, au fens que ces mots doiuent icy eftre entendus, ie dis que la penfée d'vn chacun, c'eft à dire la perception ou connoiffance ï5 qu'il a d'vne chofe, doit eftre pour luy la règle de la vérité de cette chofe, c'eft à dire, que tous les iugemens qu'il en fait, doiuent eftre conformes à cette perception pour eftre bons. Mefme touchant les veritez de la foy, nous deuons aperceuoir quelque 20 raifon qui nous pcrfuade qu'elles ont efté reuelées de Dieu, auant que de nous déterminer à les croire; & encore que les ignorans faflent bien de fuiure le jugement des plus capables, touchunt les chofes dif- ficiles à connoiftre, il faut neantmoins que ce foit leur 25 perception qui leur enfeigne qu'ils font ignorans, & que ceux dont ils veulent fuiure les iugemens ne le 600 font peut-eftre pas tant, autrement ils feroient mal|de les fuiure, &. ils agiroient plutoft en automates, ou en beftcs, qu'en hommes. Ainfi c'eft l'erreur la plus ab- 3o furdc & la plus exorbitante qu'vn Philofophe puifl^e

SiR ij!:s Cinquièmes Objections. 209

admettre, que de vouloir faire des iugemens qui ne feraportent pas aux perceptions qu'il a des chofes ; & toutefois ie ne voy pas comment noflre Auteur fe pouroit excufer d'eftre tombé en cette faute, en la 5 plufpart de fes objedions : car il ne veut pas que chacun s'arefte à fa propre perception, mais il pré- tend qu'on doit plutôft croire des opinions ou fan- taifies qu'il luy plaift nous propofer, bien qu'on ne les aperçoiue aucunement.

10 Contre la troifiéme Méditation vos amis ont re- marqué : I. Que tout le monde n expérimente pas en foy Vidée de Dieu. 2 . Que, ji iauois cette idée, ie la compren- drois. j. Que plujieurs ont leu mes raifons, qui n'en font point perfuade^, 4. Et que, de ce que ie me connois im-

i5 parfait, il ne s'enfuit pas que Dieu foit. Mais, fi on prend le mot d'idée en la façon que i'ay dit tres-expreffement que ie le prenois, fans s'excufer par l'equiuoque de ceux qui le reitreignent aux images des chofes maté- rielles qui fe forment en l'imagination, on ne fçauroit

20 nier d'auoir quelque idée de Dieu, Il ce n'efl qu'on die qu'on n'entend pas ce que fignifient ces mots : la cliofe la plus parfaite que nous puijjions conceuoir ; car c'eft ce que tous les hommes apellent Dieu. Et c'efi: palTer à d'eflranges extremitez pour vouloir faire des

25 objedions, que d'en venir à dire qu'on n'entend pas ce que fignifient les mots qui font les plus ordinai|res en 601 la bouche des hommes. Outre que c'eft la confeffion la plus impie qu'on puiftb faire, que de dire de foy- mefme, au fens que i'ay pris le mot d'idée, qu'on n'en

îo a aucune de Dieu : car ce n'eft pas feulement dire qu'on ne le connoift point par raifon naturelle, mais

Œuvres. IV.

210 Œuvres de Desgartes.

auffi que, ny par la foy, ny par aucun autre moyen, on ne fçauroit rien fçauoir de luy, pource que, fi on n'a aucune idée, ceft à dire aucune perception qui réponde à la fignification de ce mot Dieu, on a beau dire qu'on croit que Dieu eil, ceft le mefme que li on 5 difoit qu on croit que rien eft, & ainfi on demeure dans Tabyfme de Timpieté & dans Fextremité de rignorance ^.

Ce qu'ils adjoutent : Que, i'auois celte idée, ie la comprendrais, eft dit fans fondement. Car, à caufe que lo le mot de comprendre fignifie quelque limitation, vn efprit fini ne fçauroit comprendre Dieu, qui eft infini ; mais cela n'empefche pas qu'il ne Taperçoiue, ainfi qu'on peut bien toucher vne montagne, encore qu'on ne la puifte embrafifer^. »5

Ce qu'ils difent aufli de mes raifons : Que plujîeurs les ont leués fans en ejlre per/uade^, peut aifement eftre réfuté, parce qu'il y en a quelques autres qui les ont comprifes & en ont efté fatisfaits. Car on doit plus croire à vn feul qui dit, fans intention de mentir, qu'il 2c a veu ou compris quelque chofe, qu'on ne doit faire à mille autres qui la nient, pour cela feul qu'ils ne l'ont pu voir ou comprendre : ainfi qu'en la découuerte des Antipodes on a plutoft creu au raport de quelques 602 matelots qui ont fait le tour de la terre, | qu'à des mi- aS liers de Philofophes qui n'ont pas creu qu'elle fuft ronde. Et pource qu'ils allèguent icy les Elemens d'Eu- clidc, comme s'ils eftoient faciles à tout <le> monde, ie les prie de confiderer qu'entre ceux qu'on eftimc

a. Non à la ligne (z'* éJit.).

b. Mémo remarque.

Sur les Cinquièmes Objections. 2 1 1

les plus Içauans en la Philofophie de rElcholej il n'y en a pas, de cent, vn qui les entende, & qu'il n'y en a pas vn, de dix mille, qui entende toutes les démon- ftrations d'Apollonius ou d'Archimede, bien qu'elles 5 foient aufli cuidentes & auffi certaines que celles d'Euclide*\

Eniin, quand ils difent que, de ce que te reconnois en moy quelque imper feclion, il ne s enfuit pas que Dieu /oit, ils ne prouuent rien ; car ie ne Tay pas immedia-

10 tement déduit de cela feul fans y adjouter quelque autre chofe, ik ils me font feulement fouuenir de runifice de cet Auteur, qui a couflume de tronquer mes raifons c^' n'en raportcr que quelques parties, pour les faire paroiftre imparfaites.

i5 le ne voy rien en tout ce qu'ils ont remarqué tou- chant les trois autres Méditations, à quoy ie n'aye amplement répondu ailleurs, comme à ce qu'ils ob- jedent : i . Que i'ay commis vn cercle, en prouuant l'exi- Jîence de Dieu par certaines notions qui font en nous, &

20 difani après qu'on ne peut ejlrc certain d'aucune chofe

fans fçauoir auparauant que Dieu efl. 2. Et que fa con-

noiffance ne fert de rien pour acquérir celle des veri-

tc"^ de Mathématique. ). El qu'il peut eflre trompeur.

Voyez fur cela ma réponfe aux fécondes objections,

25 nombre j l<: 4, A: la fin de la 2. partie des qua-. iriémes^\

Mais ils adjoutent à la lin vne penfée, que ie ne f(^ache point que , nolire Auteur ait écrite dans fon 603

a. Ni>n a la ligne (i'' cdit.].

h. Mcmc rcmar».|uc ( / ' ' et 2' cdit. . Vi)ir ci avani la uaduciion, p. 1 10, 1)2, cl '8t)-i9o. .

212 OEUVRES DE DeSCARTES.

liure d'Inftances, bien qu elle foit fort femblable aux Tiennes. Plufieurs excellens efprits, difent-ils, croyent voir clairement que retendue Mathématique, laquelle ie pofe pour le principe de ma Phyjiqiie, n'eji rien autre chofe que mapenfée, & quelle n'a, ny ne peut auoir, nulle 5 fubjijîence hors de mon efprit, nejlant quvne ahjiraélion que ie fais du corps Phyfique; & partant, que toute ma Phyjîque ne peut ejlre qu'imaginaire & feinte, comme font toutes les pures Mathématiques ; & que, dans la Phyfique réelle des chofes que Dieu a créées, il faut vne matière lo réelle, folide, & non imaginaire. Voilà Tobjeflion des objeélions, & Fabregé de toute la dodrine des excel- lens efprits qui font icy alléguez. Toutes les chofes que nous pouuons entendre & conceuoir, ne font, à leur conte, que des imaginations & des fiftions de i5 noflre efprit, qui ne peuuent auoir aucune fubfiftence : d'où il fuit qu'il n'y a rien que ce qu'on ne peut au- cunement entendre, ny concevoir, ou imaginer, qu'on doiue admettre pour vray, c'eft à dire qu'il faut en- tièrement fermer la porte à la raifon, & fe contenter 20 d'eflre Singe, ou Perroquet, & non plus Homme, pour mériter d'eftre mis au rang de ces excellens efprits. Car, fi les chofes qu'on peut conceuoir doiuent eftre eflimées faulTes pour cela feul qu'on les peut con- ceuoir, que refle-t-il, finon qu'on doit feulement re- 25 ceuoir pour vrayes celles qu'on ne conçoit pas, tS^^ en compofer fa dodrine, en imitant les autres fans fça- •04 uoir pourquoy on les imite, comme font les Sin|ges, & en ne proférant que des paroles dont on n'entend point le fens, comme font les Perroquets ? Mais i'ay 3o bien de quoy me confoler, pourca qu'on ioint icy ma

Sur les Cinquièmes Objections. 2 1 3

Phyûque auec les pures Mathématiques, aufquelles ie fouhaite furtout qu'elle reffemble.

Pour les deux queftions qu'ils adjoutent aufîi à la fin, à fçauoir : comment Vame meut le corps, Ji elle neji 5 point matérielle ? & comment elle peut receuoir les e/peces des objets corporels ? elles me donnent feulement icy occafion d'auertir que noftre Auteur n'a pas eu raifon, lorfque, fous prétexte de me faire des objeftions, il m'a propofé quantité de telles queftions, dont la fo-

10 lution n'eftoit pas neceffaire pour la preuue des chofes que i'ay écrites, & que les plus ignorans en peuuent plus faire, en vn quart d'heure, que tous les plus fçauans n'en fçauroient réfoudre en toute leur vie : ce qui eft caufe que ie ne me fuis pas mis en peine de

i5 répondre à aucunes. Et celles-cy, entr^ autres, préfup- pofent l'explication de l'vnion qui eft entre l'ame & le corps, de laquelle ie n'ay point encore traité. Mais ie vous diray, à vous, que toute la difficulté qu'elles contiennent ne procède que d'vne fuppofition qui eft

20 faufTe, & qui ne peut aucunement eftre prouuée, à fçauoir que, {i l'ame & le corps font deux fubftances de diuerfe nature, cela les empefche de pouuoir agir Vvne contre l'autre; car, au contraire, ceux qui ad- mettent des accidens réels, comme la chaleur, la pe-

25 fanteur, & femblables, ne doutent point que ces acci- dens ne puiflent agir | contre le corps, & toutefois il 605 y a plus de différence entre eux &. luy, c'eft à dire entre des accidens &. vne fubftance, qu'il n'y a entre deux fubftances.

3o Au refte, puifque i'ay la plume en main, ie remar- queray encore icy deux des équiuoques que i'ay trou-

2 14 OEUVRES DE Descartes.

uées dans ce Hure d'Inftances, pource que ce font celles qui me femblent pouuoir furprendre le plus aifement les Ledeurs moins attentifs, & ie defire par vous témoigner que, û ïy auois rencontré quelque autre chofe que ie creuffe mériter réponfe, ie ne Tau- rois pas négligé.

La première eft en la page 65 "", où, pource que i'ay

a. Difqui/tlio Metaphyfica, etc., p. 62-64, c'est-à-dire la 3* partie de VInJîahtia qui fait suite à la Dubitatio IV in Meditationem II et Rejpon- fio (voir, pour ces deux pièces, t. VII de la présente édition, p^. 263 à 265, etc.) :

« . . .& maxime cùm oftenfum fit te aut alTumplifle, aut nihil probalTe, » ubi ita concludiili : Stim igitur prœcijè tantiim res cogitans. Placet » potiùs ingenuam confcflionem admJttere, &, quod ad calcem Dubita- » tionis feci te iterùm heic admonere, ut illius memineris, videlicet, » poftquàm dixifti : Suni igitur prœcijè tantùm Res cogitans, dici a te » nefcire te, neque hoc loco diîpmare, an fis compages membrorum, quœ » corpus humamim appellatur, an tenuis aliquis aêr ijiis membris infufus, » an ignis, an vapor, an halilus, &c. Exinde nempe fequuntur duo. Vnum y> eft fore ut, fi, cùm ad illam tuam demonftrationem in Meditatione fextâ » pervenerimus, deprehendaris nufquam probaffe te non elle compagem » membrorum, aut tenuem aërem, vaporem, &c., non poftis illud tanquam f probatum aut concefTum alTumere. Alterum, te immeritô hifce verbis » jam conclufilfe : Sum igitltr prœcijè tantùm res cogitans. Quid fibi enim » vult illa vox tantùm? An-non reftridiva eft, ut fie loquar, ad folam rem » cogitantem, & exclufiva aliarum omnium, inter quas funt compages » membrorum. tenuis aër, ignis, vapor, halitus, & caetera corpora ? An, » cùm fis Res cogitans, nofti te praeterea harum nullam elïe ? Refpondes » perfpicuè te id ignorare. Nefcio, inquis, jam non dijputo. Cur igitur » dicis te ejfe tantiim rem cogitantem? An-non id dicis quod ignoras? » An-non infers id quod non probas ? An-non deftruis id quod ftruxifle te » arbitraris ? En nempe tuum ratiocinium :

» Quifcitfe effe rem cogitantem , & nefcit an fit prœtereà res alia, utpote » compages membrorum, tenuis aêt, Ce, ille ejï prœcijè tavtùm resCogi- » tans.

» Atqui ego Jcio me eJfe rem cogitantem, & ncjcio an pra jreà fnn res

* alia, utpote compages membrorum, tenuis aër. Ce. » Igitur Jum prœcijè tantùm res cogitans.

» Non rctcxo ; quia luHicii rem, utfe habet, propofuill'c. Adnoto folùm, » cùm propofitio vidcatur cfTe adco abfurda, non abs rc fupcriùs admo-

nuilfc me cavendum tibi non modo elfe ne quid imprudcntcr in locum

Sur les Cinciuiémes Objections. 21^.

dit, en vn lieu, que, pendant que Tame doute de lexiftence de toutes les chofes matérielles, elle ne fe connoift que précïfement , prcecifc tantùm, comme vne fubftance immatérielle; c^, fept ou huit lignes plus

5 bas, pour montrer que, par ces vcioxs prœcife tantùm, ie n'entens point vne entière exclufion ou négation, mais feulement vne abftraclion des chofes matérielles, i'ayditque, nonobftant cela, on n'eftoit pasalfuré qu'il n'y a rien en Tame qui foit corporel , bien qu'on n'y con-

10 noilTe rien : on me traite fi injuftement que de vouloir perfuaderau Ledeur, qu'en àii^nx prœcife tantùm, i'ay voulu exclure le corps, & ainfi que ie me fuis con- tredit par après, en difant que ie ne le voulois pas exclure. le ne répons rien à ce que ie fuis accufé

i5 enfuite d'auoir fuppofé quelque chofe, en la 6. Médi- tation, que ie n'auois pas prouué auparauant, & ainfi d'auoir fait vn paralogifme; car il efl: facile de recon- 6O6 noiftre la faufleté de cette accufation, qui n'eil que trop commune en tout ce liure, & qui me pouroit

20 faire foupçonner que fon Auteur n'auroit pas agi de

» tuî a(Tumeres, fed etiam ne non fatis alîumeres, & nofccns aliquid de te, » hoc elle luam totam naiuram putares. Vnde <S: jam dico te reclè raiioci- )) nanteni potuHîe duniaxat in hune moduni arguere :

» Qui fcitfe ejfe rem cogitantem, & nefcit anfitprœtereà res alia, utpote » compages membrorum, tennis aêr, &c., illefe novit prœcijè tantùm rem » cogitantem :

» Atqui egofcio me effe rem cogitantem, & nej'cio an prœterea fim res » alia, utpote compages membrorum, tennis aër, &c.

» Igitur ego novi me prœcifè tantiim rem cogitantem.

Hoc fane modo légitimé ac verè conciufiires, nemoque libi fuccen- » fuiiïet, fed aitendiUt't foiùm ad ea quae potuilfes deducere. Nunc autem, » cùm tantùm difcriminis lit inter hafce duas conclulîones : Sum prœcifè » tantùm res cogitans, & Novi me prœcifè tantùm rem cogitantem, quis, » te procedente ab eo quod nolti ad illud quod es, ferre paralogifmum » pollit ? »

2i6 Œuvres de Descartes.

bonne foy, û ie ne connoiflbis fon efprit, & ne croyois qu li a eflé le premier furpris par vne fi fauffe créance.

L'autre equiuoque eil en la page 84^, il veut que dijîinguere & ahjtrahere foient la mefme chofe, & tou- 5 tefois il y a grande différence : car, en diftinguaat vne fubflance de fes accidens*, on doit confiderer Fvn & l'autre, ce qui fert beaucoup à la connoiftre; au lieu que, fi on fepare feulement par abftradion cette fubflance de fes accidens, c'efl a dire, fi on la con- 10 fidere toute feule fans penfer à eux, cela empefche qu'on ne la puifTe fi bien connoiftre, à caufe que c'efl par les accidens que la nature de la fubflance efl manifeftée.

Voilà, Monfieur, tout ce que ie croy deuoir ré- i5 pondre au gros liure d'Inflances; car, bien que ie fatisferois peut-eflre dauantage aux amis de l'Auteur,

a. Difquifitio Metaphyfica, p. 84, c'est-à-dire l'^partie de VInJïantia, qui fait suite à la Dubitatio VII in Meditationem II et Refponfio (voir t. VII de la présente édition, p. 271 (n° 8,pro 7): « lam fi quisIe6\or fitfatis paticns » ut Dubitationem meam relegat, qusefo ut ferat llmul de illa deque Ref- » ponfione judicium. Dicis te non abjlraxijfe conceptum cerce ah acciden- » tium ejus conceptu. Cedo tuam fidem ! An-non hœc ipfa tua funt verba : » Ceram ab externis formis dtjlinguo, & tanquam vejiibus detraâis, midam » confidero? Et quid eft aliud. conceptum unius rei a conceptu aliarum » abftrahere, qilàm illam line iftis conliderare ? quàm illam nudam con- » fiderare, iftis detractis ceu veltibus? An alià ratione conceptu's naturx M humanx abftrahi cenfetur ab individuorum conceptibus, quàm illam ab » individuantibus, ut vocant, differentiis diftinguendo, & tanquam vefli- » bus dctraclis nudam conliderando ? Verùm inltare circa id pigeât, quod » Il nefcirct Dialedicus, vapularet in Scholis. Dicis te potins indicare vo- » liiijfe quo paâo cerœfubjîantia peraccidehtia manifejîetur. HUid voluiUi » indicare, & illud cnuncialti clarè. An-non l'utlugium Icpidum ? Et cùm » volucris indicare, quûnam ratione indicadi, aut manifeltam ceram fccifti, » nifi fpcclando primùm accidentia, ut vclteis, ac deinde illis dctra(ï\is » ceram nudam conliderando ?. . , »

Sur les Cinquièmes Objections. 217

fi ie réfutois toutes fes Inllances Tvne après Tautre, ie croy que ie ne fatisferois pas tant aux miens, lefquels auroient fujet de me reprendre d'auoir em- ployé du temps en vne chofe fi peu neceflaire, &. ainfi de rendre maiflres de mon loifir tous ceux qui voudroient perdre le leur à me propofer des queflions inutiles. Mais ie vous remercie de vos foins. Adieu.

348 [SIXIÈMES OBIECTIONS

faites par diuers Théologiens & Ptiilofophes.

Apres auoir leu auec attention vos Méditations, & les réponfes que vous auc; faites aux difficitlte-{ qui vous ont ejïé cy-deuant objedées, il nous rejîe encore en l'efprit quelques fcrupules, dont il ejl à propos que vous nous releuie'{.

I Le premier ert, qu'il ne femble pas que ce foit ini argument fort certain de no/Ire e/lre, de ce que nous penfons. Car, pour ejlre certain que vous penfe:{, vous deue^ auparauant fçauoir quelle ejî la nature de la penfée & de lexiflence; &, dans l'ignorance oit vous efles de ces deux chofes, comment pomie-^-vous fçauoir que vous penfe:{, ou que vous ejîes? Puis donc qu'en difant : ie penfe, vous ne fcaue^ pas ce que vous dites; 6'- qu'en adioujîant : donc ie fuis, vous ne vous en- tende\pas non plus; que mefme vous ne fçaue^ pas fi vous dites ou fi 343 vous penfe\ quel\que chofe^ ejîant pour cela necejfaire que vous con- noilJiei que vous fçaue-{ ce que vous dites, & derechef que vous fça- chiei que vous connoiffei que vous fçaue'{ ce que vous dites, & ainji iufques à l'injînf, il efl euident que vous ne pouue\ pas fçauoir fi vous eJles, ou mefme f vous penfe^.

Mais, pour venir au fécond fcrupule, lorfque vous dites : ie penfe, donc ie fuis, ne pouroit-on pas dire que vous vous trompe^, que vous ne penfez point, mais que vous e/ies feulement remué, 6'- que ce que vous attribue^ à la penfée nejl rien autre chofe qu'vn mouuenient corporel? perfonne n'ayant encore pu comprendre vojîre raifonne- ment, par lequel vous pretende\ auoir démontré qu'il n'y a point de mouuenient corporel qui puijfe légitimement eJlre upelé du nom de penfée. Car penfe\-vous auoir tellement coupé £• diuifé, par le moyen de voflre analyfe, tous les mouuemens de vo/lre matière fublile, que vous fo}'e\ ajfuré, & que vous nous puijjie'i perfuader, à nous qui fommes tres-altcnlifs & qui penfons e/lre a[]'e-{ clairuoyans, qu'il y a de la répugnance que nos penfées foient répandues dans ces monuC' mens corporels ?

Le troificme fcrupule n'ejl point dij/éreni du fécond; car, bien que quelques l\>res de l'F.glife ayent crû, auec tous les Platoniciens, que les Anges ejloienl corporels, d'oit vient que le Concile de I. a Iran a

4»3-4'5. Sixièmes Objections. 219

conclu qu'on les pouuoit peindre^ & qu'ils ayent eu la tue/me penfée de l'ame raifonnable, que \ quelques-vus d'enir'eux ont e/îimé venir 34^ de père àjîls, ils ont neantmoins dit que les Anges & que les âmes penfoient ; ce qui nous fait croire que leur opinion ejloit que la penfée Je pouuoit faire par des mouuemens corporels, ou que les Anges n'ejloient eux- me/mes que ^des mouuemens corporels, dont \ ils ne dijîinguoient point la penfée. Cela Je peut aujji confirmer par les penjées qu'ont les Jînges, les chiens & les autres animaux ; £- de vraf, les chiens abofent en dormant, comme s'ils pourjuiuoient des lièvres ou des voleurs; ils Jçauent aujji fort bien, en veillant, qu'ils courent, & en réuant, qu'ils aboyent, quoyque nous reconnoijjions auec vous qu'il n'y a rien en eux qui foi t dijlingué du corps. Que Ji vous dites que les chiens ne Jçauent pas qu'ils courent, ou qu'ils penjent, outre que vous le dites Jans le prouuer, peut-ejlre e/t-il vraf qu'ils Jont de nous vn pareil iugement, à Jçauqir, que nous ne Jçauons pas Ji nous courons, ou Ji nous penjons, lorjque nous Jai- Jons l'vne ou l'autre de ces aâions. Car enjin vous ne voye^ pas quelle e/l la Jaçon intérieure d'agir qu'ils ont en eux, non plus qu'ils ne vofent pas quelle ejl la vojlre ; & il sejl trouué autrefois de grands perjonnages, 6' s'en trouuent encore aujourd'huy, qui ne dénient pas la raijon aux bejîes. Et tant s'en faut que nous pui£ions nous per- Juader que toutes leurs opérations puijfent ejlre Jujîjamment eX' pliquées par le moj'en de la mechanique, fans leur attribuer nj'Jens, nf ame, ny vie, \ qu'au contraire nous Jommes prejls de Joujlenir, au 345 dédit de ce que l'on voudra, que c'efï vue chofe tout à fait impojjibh & mef me ridicule. Et enfin, s'il efl vray que les Juges, les chiens & les elephans agijfent de cette forte dans toutes leurs opérations, il s'en trouuera plufieurs qui diront que toutes les aâions de l'homme font aufji femblables à celles des machines, & qui ne voudront plus admettre en luj- de feus nf d'entendement ; veu que, fi lafoiblerai- fon des befîes diffère de celle de l'homme, ce nefl que par le plus & le moins, qui ne change point la nature des chofes.

Le quatrième fcrupule efl touchant la fcience d'vn Athée, laquelle il fou tient eflre très-certaine, & mefme, félon voflre règle, tres-euidente, lorfqu'il affure que, Jt de chojes égales on ojle chojes égales, les rejies feront égaux; ou bien que les trois angles d'vn triangle reâiligne Jont égaux à deux droits, & autres chojes Jemblables ; puijquil ne peut penjer à ces chojes Jans \ croire qu'elles Jont très-certaines. Ce qu'il maintient ejîre Jt véritable, qu'encore bien qu'il n'j' eujf point de Dieu, ou mejmè qu'il fuft impofjible qu'il y en euft, comme il s'ima- gine, il nefe tient pas moins aJJ'uré de ces verite:{, que fi en effeâ il y

2 20 OEUVRES DE DeSCARTES. 4«5-4'6.

en aiioit vil qui exijlaji. Et de f ait ^ il nie qu'on luy puijfe iamais rien obieâer qui lui cauje le moindie doute; car que hiy obieâerei-vous? que, s'il y a vn Dieu, il le peut deceuoir? mais il vous foutiendra

346 qu'il n'eji pas pojjible qu'il pu ijfe \ iamais ejïre en cela deceu, quand mefme Dieu y employei'oit toute fa puijfance.

De cefcrupule en naijî vn cinquième, qui prend fa, force de cette déception que vous i>oule\ dénier entièrement à Dieu. Car, fi plujieurs Théologiens font dans ce fentiment, que les damne-{, tant les anges que les hommes, font continuellement deceus par l'idée que Dieu leur a imprimée d'rn feu déuorant, en forte qu'ils croy eut fermement, & s'imaginent voir & rejfentir effeéiiuement, qu'ils font tourmente^ par m feu qui les confomme, quoy qu'en effed il n'y en ait point, Dieu ne peut-il pas nous deceuoir par defemblables efpeces, & nous impofer continuellement, imprimant fans ceffe dans nos âmes de ces faujfes & trompeufes idées? en forte que nous penjions voir ti^es-clairement, & toucher de chacun de nos feus, des chofes qui toutesfois ne font rien hors de nous, eflant véritable qu'il n'y a point de ciel, poitit d'afîres, point de terre, & que nous fi'auons point de bras, point de pieds, point d'yeux, &c. Et certes, quand il en vferoit ainft, il ne pouroit eflre blâmé d'iniuflice, & nous n'aurions aucun fuj et de nous plaindre de luy, puifqu'efîant le fouuerain Seigneur de toutes chofes, il peut difpofer de tout comme il luy plaifl ; veu principalement qu'il femble auoir droit de le faire, pour abaijfer l'arrogance des hommes, châtier leurs crimes, ou punir le péché de leur premier père, ou pour d'autres

347 raifons qui nous font inconnues. Et \ de vray, il femble que cela fe confirme par ces lieux de l'Efcriture, qui prouuent que l'homme ne peut rienfçauoir, comme il paroifi par ce texte de l'Apofîre à la pre- mière aux Corinth., chapitre S, verfet 2 : Quiconque eftime fçauoir quelque chofe, | ne connoift pas encore ce qu'il doit fçauoir ny com- ment il doit fçauoir; & par celuy de l'Eccleftafle, chapitre 8, verfet 77; l'ay reconnu que, de tous les ouurages de Dieu qui fe font fouz le Soleil, l'homme n'en peut rendre aucune raifon, & que, plus il ^'efforcera d'en trouuer, d'autant moins il en trouuera; mefmes s'il dit en fçauoir quelques- vncs, il ne les poura trouuer. Or, que le Sage ait dit cela pour des raifons meurement confîderées, & non point à la hâte & fans y auoir bien penfé, celafe void par le contenu de tout le Liure, & principalement oh il traitte la quefîion de l'ame, que vous foutene\ eflre immortelle. Car, au chap. 3, verfet iq, il dit : Que

Thommc & la iument paffent de mefme façon; (S'- afn que vous ne difîei pas que cela fe doit entendre feulement du corps, il adioute, vn peu après, que l'homme n'a rien de plus que la iument; S- venant à

4'6-4i7- Sixièmes Objections. 221

parler de l'efprit me/me de l'homme, il dit qu'il n'y a perfonne qui fçache s'il monte en haut, c'ejl à dire s'il ejl immortel, ou fi, auec cent des autres animaux, il defcend en bas, c'ejt à dire s'il fe cor- rompt. Et ne dites point qu'il parle en ce lieu-là en la perfonne des impies : autrement il auroit deu en auertir, & réfuter ce qu'il auoit auparauant alégué. Ne penfe\pas auffi vous excufer, en renuofant aux Theolo\g.iens d'interpréter l'Efcrilure ; car, eflant Chrefîien comme ^48 vous eftes, vous deue\ eflre prefi de répondre & de fatisfaire à tous ceux qui vous obieâent quelque chofe contre la foy, principalement quand ce qu'on vous obieâe choque les principes que vous voule\ établir.

Le fixiéme fcrupule vient de l'indiference du iugement, ou 'de la liberté, laquelle tant s'en faut que,feton vofire doârine, elle rende le franc arbitre plus noble & plus parfait, qu'au contraire c'efl dans l'indifférence que vous mette-^fon imperfecîion ; en forte que, toiit au- tant de fois que l'entendement connoifî clairement & diflinâement les chofes qu'il faut croire, qu'il faut faire, ou qu'il faut obmettre, la vo- lonté pour lors n'eft iamais indifférente. Car ne voje-{-ifous pas que par ces principes] vous délruifei entièrement la liberté de Dieu, de laquelle vous ofle\ l'indiference, lorfqu'il crée ce mondt'-cy plutofl qu'vn autre, ou lorfqu'il n'en crée aucun? eflant neanlmoins de la foy de croire que Dieu a eflé de toute éternité indifférent à créer vn monde ou plu- fteurs, ou mefme à n'en créer pas vn. Et qui peut douter que Dieu n*ait toufîours veu tres-clairement toutes les chofes qui efloyent à faire ou à laijfer? Si bien que l'on ne peut pas dire que la connoijjance tres- claire des chofes & leur diflinâe perception ojie l'indiference du libre arbitre, laquelle ne conuiendroit iamais auec la liberté de Dieu, fi, elle ne pouuoit conuenir auec la liber\lé humaine, eflant vray que les 349 ejfences des chofes, auffi bien que celles des nombres, font indiuifibles & immuables ; & partant, l'indifférence n'efl pas moins comprife dans la liberté du franc arbitre de Dieu, que dans la liberté du franc ar- bitre des hommes.

Le feptiéme fcrupule fej-a de la fuperficie, en laquelle ou par le moyen de laquelle vous dites que fe font tous les fentimens. Car nous ne voyons pas comment il fe peut faiî^e qu'elle nefoit point partie des corps qui font aperceus, ny de l'air, ou des j'apeurs, ny mefme l'ex- trémité d'aucune de ces chofes ; & nous n'entendons pas bien encore comment vous pouue^ dire qu'il n'y a point d'accidens réels, de quelque corps ou fubflance que ce f oit, qui puijfent par la toute pu iffance de Dieu eflre feparei de leur fujet, & exifler fans luy, & qui véritable- ment exiflent ainfi au Saint Sacrement de l'autel. Toutesfois nos Doâeurs n'ont pas occafton de s'émouuoir beaucoup, iufqu'à ce qu'ils

350

2 22 OEuVRES DE DeSCARTES. 417-418.

ayent veujt, dans cette Phyjique que vous nous promette^, vous aure^ fujîfamment démontré toutes ces chofes ; il ejî i^ray qu'ils ont de la peine à croire qu'elle nous les puijjé fi clairement propofer, que nous les dénions déformais embrajfer, au preiudice de ce que l'antiquité nous en a apris.

La^réponfe que vous aue\ faite aux cinquièmes ohieâions a donné lieu au huidiéme Icrupule. £"/ ^t' vray, comment fe peut-il faire que les perite^ \ Géométriques ou Metaphyjiques, telles que font celles dont vous aue-yfait mention en ce lieu-là, foj'cnt immuables 6'- éter- nelles, &que neantmoins elles dépendent de Dieu ? Car en quel \ genre, de caufe peuuent-elles dépendre de luy ? Et comment auroit-il peu faire que la nature du triangle ne fujl point ? ou qu'il n'eujl pas ejlé vray, de toute éternité, que deux fois quatre fuffent liuiâ ? ou qu'vn triangle n'eujl pas trois angles? Et partant, ou ces verile\ ne dépen- dent que du feul entendement, lorfqu'il penje, on elles dépendent de l'exijlence des chofes me/mes, ou bien elles font indépendantes : veu qu'il ne femble pas poffible que Dieu ait peu faire qu'aucune de ces ejjences ou veritei ne fuJl pas de toute éternité.

Enjîn le 9. fcrupule nous femble fort prejfant, lorfque vous dites qu'il faut fe défier des feus, & que la certitude de ï entendement efi beaucoup plus grande que la leur. Car comment cela pouroit-il eflre, fi l'entendement niefme na point d'autre certitude que celle qu'il em- prunte des feus bien difpofe\? Et de fait, ne voit-on pas quil ne peut corriger l'erreur d'aucun de nos feus, fi, premièrement, vu autre ne l'a tiré de l'err-cur oii il efioit luy-mefme? Par exemple, vn bqflon paroifi rompu dans l'eau à caufe de la refraâion : qui corrigera cet erreur? fera-ce l'entendement? point du tout, mais le fens du tou- cher. Il en efi de mefme de tous les autres. Et partant, fi vue fois vous 361 pouue\ auoir tous vos fens \ bien difpofei, & qui vous raportent touf- iours la mefme chofe, tene\ pour certain que vous acquerrez par leur moyen la plus grande certitude dont vn homme foit naturellement capable. Que fi vous vous fie^ par trop aux raifonnemens de vofire efprit, ajfurei-vous d'efire fouuent trompé; car il arriue a[fe\ ordi- nairement que nofire entendement nous trompe en des chofes qu'il auoit tenues pour indubitables.

Voilà en quoy confificnt nos principales difficulté^; à quoy vous adjoutercy aufji quelque règle certaine & des marques infaillibles, fuiuant lefquelles nous puifjions tonnoifire auec cet liludc, quand nous conceuons vue chofe fi parfaitement fans l'autre, qu'il foit vray que l'vnefoit tellement diJlinCle de l'autre, qu'au moins par la toute puif- fance de Dieu elles puijj'ent fubfifier feparemenl : c'efi à dire, en m

418-420. Sixièmes Objections. 225

mot, que vous nous enfei^niei comment nous pouuons clairement, di/litiâemenl \ & certainement connoijlre que cette dijîinâion, que nojîre entendement forme, ne prend point fou fondement dans nojîre efprit, mais dans les chofes mefmes. Car, lorfque nous contemplons l'immen- filé de Dieu, fans penfer à fa iujîice, ou que nous faifons rejlcxion fur fon exijîence, fans penfer au Fils ou au S. Efprit, ne conceuons- nous pas parfaitement celte exiJlence, ou Dieu mefne exijlant, fans ces deux autres perfonnes, qu'vn infidèle peut auec autant de raifon nier de la diuinité, que vous en aue\ de denier au \ corps l'efprit ou 352 la penfee? Tout ainfi donc que celuy-là concluroit mal, qui diroit que le Fils & que le S. Efprit font ejfejiliel tentent difîingue\ du Père, ou qu'ils peuuent e/lre fepare\ de luy : de mefme on ne vous concédera iamais que la peu fée, ou plutojl que l'efprit humain, foit réellement dijlingué du corps, quoy que î'ous conceuie\ clairement l'rn fans Vautre, & que vous puijjie^ nier l'vn de l'autre, & mefme que vous reconnoiJJie\ que cela ne fe fait point par aucune abfîraclion de vojlre efprit. Mais ceites, Ji vous fatisfailes pleinement à toutes ces dijfi- culte:{, vous deue\ ejtre affuré qu'il n'y aura plus rien qui puiffe faire ombrage à nos Théologiens.

Addition.

l'adiouteray \c\ ce que quelques autres m'ont propofé, afin de n'auoir pas befoin d'y repondre l'eparement ; car leur Tujet elt prefque lemblable.

Des perfonnes de tres-bon efprit, ^ de rare dodrine, m'ont fait les trois quellions fuiuantcs :

La première elt : comment nous pouuons e/lre afure^ que nous auons l'idée claire à'- diflinâe de noJlre ame.

La féconde : comment nous pouuons e/lre aJJ'ure^ que celle idée efl tout affait di/Jerente des autres chofes.

|La troifienie : comment nous pouuons ejlre aJJure-{ qu'elle n'a rien en foy de ce qui appartient au corps.

Ce qui fuit m'a auffi cité enuoyé auec ce titre :

[DES PHILOSOPHES & GEOMETRES 353

A MONSIEUR DESCARTES.

Monfeur, Quelque foin que nous prenions à examiner Jt l'idée que nous auons de nojire efprit, c'efl à dire, fi la, notion ou le concept de l'efprit-

224 OEuVRES DE DeSCARTES. 420-421.

humain he contient rien en Joy de corporel, nous n'ofons pas neant- moins ajfurer que la penfée ne puijfe en aucune façon conuenir au corps agité par defecrets mouuemens. Car, voyant qu'il y ^ certains corps qui ne penfent point, & d'autres qui penfent, comme ceux des hommes & peut-ejîre des bejies, ne paierions -nous pas auprès de vous pour des Jôphijîes, & ne nous accuferiei-vous pas de trop de témérité, Ji, nonobstant cela, nous voulions conclure qu'il n'y a aucun corps qui penfe? Nous auons mefme de la peine à ne pas ciboire que vous aurie\ eu rai/on devons moquer de nous, nous eujjions les pre- miers forgé cet argument qui parle des idées, & dont j^ous vousfer- uei pour la prenne d'vn Dieu & de la dijlinâion réelle de l'efprit d'auec le corps, & que vous l'eujfie^ enfui te fait pajjer par l'examen

354 \de voflre analyfe. Il ejl vray que vous paroijfei en ejire fi fort pre- uenu & préoccupé, qu'il femble que vous vous foye:{ vous-mefme mis vn voile deuant l'efprit, qui vous empefche de voir que toutes les opérations & proprietei de l'ame, que vous 7^emarque\ eflre en vous, dépendent purement des mouuemens du corps; ou bien défaites le nœud qui, félon voftre iugement, tient nos efprits enchaine\, & les empêche de s'éleuer au dejfus du corps.

\Le nœud que nous trouuons en cecy eji que nous comprenons fort bien que 2 & 3 ioins enfemble font le nombre de 5, €- que^Jî de chofes égales on ojie chofes égales, les rejîes feront égaux : nous sommes conuaincus par ces verite-{ & par mille autres, aujji bien que vous ; pourquoy donc ne fommes-nous pas pareillement conuaincus par le moyen de vos idées, ou mefme par les nojîres, que l'ame de l'homme efl réellement dijlinâe du corps, & que Dieu exijle? Vous diré^peut- eflre que vous ne pouue^ pas îtous mettre cette vérité dans l'efprit, fi nous ne méditons auec vous ; mais nous auons à vous répondre que nous auons leu plus de fept fois vos Méditations auec me attention d'efprit prefque femblable à celle des Anges, & que neautmoins nous ne fommcs pas encore perfuade\. Nous ne pouuons pas toutesfois nous perfuader que vous veuillie^ dire que, tous tant que nous fommes, nous auons l'efprit Jlupide & grojfier comme des be/les, & du tout

855 inhabile pour les chofes metapliyfiques, \ aufquelles il y a trente ans que nous nous exerçons, plulofl que de confejfer que les raifons que vous auCy tirées des idées de Dieu & de l'efprit^ ne font pas d'vn fi grand poids & d'vne telle autorité, que les hommes fçauans, qui tâchent, autant qu'ils peuuent, d'élcuer leur efprit au dej/'us de la matière, s'y puij/'ent & s'y doiuent entièrement foumeltre.

Au contraire, nous eftimons que vous confe[lere-{ le mefme auec nous, fi vous voule\ vous donner la peine de relire vos Méditations

421-422. Sixièmes Réponses. . 225

auec le me/me e/prii, c' les paJJ'cr par le uw/mc examen que rous ferie^ fi elles vous auofent ejlé pj-opofèes par vue perfoune ennemie. Eujin, puifque nous ne eonnoijjbns point iujqu'oii fe peut étendre la vertu des corps i'- de leurs mouuemens, veu que vous confe(J'e\ vous- me/me qu'il n'y a perfonne qui puijfe fçauolr tout ce que Dieu a mis ou peut mettre dans vn fujet, fans vue reuelat ion particulière de fa part, d'oii pouue\-vous auoir apris que Dieu n'ait point mis cette vertu ^ propriété dans quelques corps, que de peu fer, de douter, i^c? Ce font là, Monfieur, nos argumens, ou,Jî vous aymés mieux, nos préiuge"^, au/quels fi vous aporte\ le lemede neceJJ'aire, nous ne fçau- rions vous exprimer de combien de grâces )ious vous ferons rede- uables, ny quelle fera l'obligation que nous vous aurons, d'auoir telle- ment défriché no/Ire efprit, que de l' auoir rendu capable de\ receuoir auec I fruicî la femence de vojlre doctrine. Dieu veuille que vous en 356 puijjie\ venir heureufement à bout, 6- nous le prions qu'il luy plaife donner cette recompenfe à vo/lre pieté, qui ne vous permet pas de rien entreprendre, que vous ne facrifyie\ entièrement à fa gloire.

I REPONSES DE L'AVTEVR 357

AUX SIXIÈMES OBJECTIONS

faites par diuers Théologiens, Pliilofophes & Géomètres.

C'eft vne chofe tres-airurée que perfonne ne peut eilrc certain s'il penle h s'il exifte, fi, premièrement, il ne connoili la nature de la penlec & de l'exirtencc. Non que pour cela il foit befoin d'vne Icience réfléchie, oli acquile par vue dénionllration, ^ beaucoup moins de la fcience de cette icience, par laquelle il connoille qu'il Içait, & dere- chef qu'il fçait qu'il fçait, & ainfi iufqu'à l'infini, citant impofiible qu'on en puifi'e iamais auoir vne telle d'aucune chofe que ce foit; mais il fuflit qu'il fçachc cela par cette forte de connoilfance inte- . rieure qui précède toufiours l'acquife, & qui eft fi naturelle à tous, les hommes, en ce qui regarde la penfcc ^: rexillcnce.que, bien que peut-eltre ellant aueuglcz par | quelques préjugez, ^ plus attentifs 358 au fon des paroles qu'à leur véritable figiiification, nous puilVions feindre que nous ne l'auons point, il ell ncantmoins impolliblc qu'en effect nous ne l'aN'ons. Ainli donc, lorfque quelqu'vn aperçoit qu'il Œuvres. IV. 15

2 26 OEUVRES DE DeSCARTES. 422-4H

penfe & que de il fuit tres-euidcmment qu'il exifte, encore qu'il ne fe foit peut-eftre iamais auparauant mis en peine de fçauoir ce que c'eft que la penlee & que l'exillence, il ne le peut faire ncant- moins qu'il ne les connoiffe affez l'vne & l'autre pour cftre en cela pleinement fatisfait.

2. Il elt aufli du tout impoiïible, que celuy qui d'vn collé Içait qu'il penfe, & qui d'ailleurs connoift ce que c'eil que d'eltre agité par des mouuemens, puilTe iamais croire qu'il le trompe, & qu'en effet il ne penfe point, mais qu'il eil feulement remué. Car, ayant vne idée ou notion toute autre de la penfée | que du mouuement corporel, il faut de necefllté qu'il conçoiue l'vn comme différent de l'autre; quoy que, pour s'ellre trop accoutumé à attribuer à vn mefme fujet plu- fieurs proprietez diferentes, & qui n'ont entr'elles aucune affinité, il fe puifle faire qu'il reuoque en doute, ou mefme qu'il alfure, que c'ed en luy la mefme chofe de penfer & d'eflre meu. Or il faut re- marquer que les choies dont nous auons différentes idées, peuuent eitre prifes en deux façons pour vne feule & mefme chofe : c'eit à fçauoir, ou en vnité & identité de nature, ou feulement en vnité de

359 compofition. Ainfi, par exemple, il c\\ bien vray | que l'idée de la figure n'ell pas la mefme que celle du mouuement ; que l'aclion par laquelle i'entens, elt conceuë fous vne autre idée que celle par laquelle ie veux ; que la chair & les os ont des idées différentes ; & que l'idée de la penlee ell toute autre que celle de l'extenfion. Et neantmoins nous conceuons fort bien que la mefme fubllance à qui la figure conuient, ell aulli capable de mouuement, de forte qu'eltre figuré & élire mobile n'eft qu'vne mcùne chofe en vnité de nature ; comme au (Ti n'eR-ceqii'vne mefme chofe, en vnité de nature, qui veut &qui entend. Mais il n'en eft pas ainli de la fubllance que nous con- fiderons fous la forme d'vn os, & de celle que nous conliderons fous la forme de chair : ce qui fait que nous ne pouuons pas les prendre pour vne mefme chofe en vnité de nature, mais feulement en vnité de compofition, en tant que c'eft vn mefme animal qui a de la chair & des os. Maintenant la qucltion eft de fçauoir fi nous conceuons que la chofe qui penfe & celle qui ell étendue, ibicnt vne mefme chofe en vnité de nature, en forte que nous irouuions qu'entre la penfée & l'extenfion, il y ait vne pareille connexion ^ affinité que nous remarquons entre le mouuement ^ la figure, l'action de l'en- tendement ^: celle de la volonté; ou plutoft| ii elles ne font pas ape- Iccs vne en vnité de compoliiion, en tant qu'elles fe rencontrent toutes deux en vn mefme homme, comme des os ^c de la chair en

360 vn mefme ani|\ial.Kt pour moy,c'elt mon | fenlimeni;car la diltin-

4»+-423. Sixièmes Réponses. 227

clion ou diuerfité que ie remarque entre la nature d'vne choie éten- due & celle d'vne chofe qui penfe, ne me paroift pas moindre que celle qui eft entre des os & de la chair.

Mais, pource qu'en cet endroit on fe lert d'autoritez pour me combattre, ie me trouue obligé, pour empêcher qu'elles ne portent aucun préjudice à la vérité, de répondre à ce qu'on m'objecte {que perfonue n'a encore pu comprendre ma démonjî ration), qu'encore bien qu'il y en ait fort peu qui l'ayent foigneufement examinée, il s'en trouue neantmoins quelques-vns qui ie perfuadent de l'entendre, & qui s'en tiennent entièrement conuaincus. Et comme on doit adjouter plus de foy à vn feul témoin qui, après auoir voyagé en Amérique, nous dit qu'il a veu des Antipodes, qu'à mille autres qui ont nié cy-deuant qu'il y en euft, fans en auoir d'autre raifon, finon qu'ils ne le fçauoient pas : de mefme ceux qui pezent comme il faut la valeur des raifons, doiuent faire plus d'eftar de l'autorité d'vn feul homme, qui dit entendre fort bien vne démonftration, que de celle de mille autres qui difent, fans raifon, qu'elle n'a pu encore élire comprife de perfonne. Car, bien qu'ils ne l'entendent point, cela ne fait pas que d'autres ne la puiifent entendre; & pource qu'en inférant l'vn de l'autre, ils font voir qu'ils ne font pas alTez exads dans leurs raifonnemens, il femble que leur autorité ne doiue pas eftre beaucoup confiderée.

I Enfin, à la queftion qu'on me propofe en cet endroit, fçauoir : Jt 361 i'af tellement coupé & diuifé par le moyen de mon analffe tous les mouuemens de ma matière fubtile, que non feulement ie/ois ajfeuré, mais mefme que ie puijje faire connoifire à des perfonnes tres-atten^ tiues, & qui penfent eflre af[e\ clairuoyantes, qu'il y a de la répu- gnance que nos penfées foyent répandues dans des mouuemens cor- porelSfC'QÛ k dire, comme ie l'eftime, que nos penfées | foyent vne mefme chofe auec des mouuemens corporels, ie répons que, pour mon particulier, i'en fuis très-certain, mais que ie ne me promets pas pour cela de le pouuoir perfuader aux autres, quelque attention qu'ils y aportent & quelque capacité qu'ils penfent auoir, au moins tandis qu'ils n'apliqueront leur efprit qu'aux chofes qui font feule- ment imaginables, & non point à celles qui font purement intelli- gibles : comme il eft aifé de voir que ceux-là font, qui s'imaginent que toute la dirtindion & différence qui eft entre la penfée & le mouue- ment, fe doit entendre par la diflection de quelque matière fubtile» Car cela ne fe peut entendre, ftnon lorfqu'on confidere que les idées d'vne chofe qui penfe, & d'vne chofe étendue ou mobile, font entiè- rement diuerfes & indépendantes l'vne de l'autre, & qu'il répugne

2 28 OEuVRES DE DeSCARTES. 435-426.

que des chofes que nous conceuons clairemenî & diftini^lement eftre diuerfes & indépendantes, ne puiffent pas eftre feparées, au moins par la toute puiffahce de Dieu ; de forte que, tout autant de fois que

8C2 nous les | rencontrons enfemble dans vn mefme fuiet, comme la penfée & le mouuement corporel dans vn mefme homme, nous ne deuons pas pour cela eftimer qu'elles foyent vne mefme chofe en vnité de nature, mais feulement en vnité de compofition.

3. Ce qui eft icy raporté des Platoniciens & de leurs feftateurs, eft auiourd'huy tellement décrié par toute l'Eglife Catholique, & communément par tous l,es philofophes, qu'on ne doit plus s'y arefter. D'ailleurs il eft bien vray que le Concile 4e Latran a conclu qu'on pouuoit peindre les Anges, mais il n'a pas conclu pour cela qu'ils fuffent corporels Et quand en effed on les croiroit eftre tels, on n'auroit pas raifon pour cela de penfei que leurs efpris fuffent plus infeparables de leurs corps que ceux des hommes ; & quand on voudroit aufti feindre que l'ame humaine viendroit de père à fils, on ne pouroit pas pour cela conclure qu'elle fuft corporelle, mais feu- lement que, comme nos corps prennent leur naiffEince de ceux de nos parens, de mefme nos | âmes procederoient des leurs. Pour ce qui eft des cliiens & desfmges, quand ie leur attribuerois la penfée, il ne s'enfuiuroit pas de que l'ame humaine n'eft point diftinde du fcorps, mais plutoft que dans les autres animaux les efpris & les corps font aufti diftinguez : ce que les mefmes Platoniciens, dont on nous vantoit tout maintenant l'autorité, ont eftimé auec Pythagore,

163 comme leur Metempfycofe fait affez connoiftre. Mais pour | moy, ie n'ay pas feulement dit que dans les beftes il n'y auoit point de penfée, ainfi qu'on me veut faire acroire, mais outre cela ie l'ay prouué par des raifons qui font fi fortes, que iufques à prefent ie n'ay veu perfonne qui ayt rien oppofé de confiderable à l'encontre. Et ce font plutoft ceux qui affurent que les chiens fçauent en veillant qu'ils courent, & mefme en dormant qu'ils aboyent, & qui en parlent comme s'ils eftoyent d'intelligence auec eux, & qu'ils viftent tout ce qui fe pan"e dans leurs cœurs, lefquels ne prouuent rien de ce qu'ils difent. Car bien qu'ils adioutent '.qu'ils ne peuuent pas fe perfuader que les opérations des befles puiffent eflre fiifif animent expliquées par le moyen de la mechan:que,fans leur atribuer nyfens, ny ame, ny pie (c'eft à dire, félon que ie l'explique, fans la penfée; car ie ne leur ay iamais dcnié ce que vulgairement on apelle vie, ame corporelle, & fcns organique), qu'au contraire ils veulent fout enir, au dédit de ce que l'on voudra, que c'efl vne chofe tout affait impofjible €• mejme ridi- cule, cela neanimoins ne doit pas eftre pris pour vne preuuc : car il

4S6-427. Sixièmes Réponses. 229

n'y a point de propofition û véritable, dont on ne puiffe dire en merme façon qu'on nefe'lafçauroit perfuader; & mefme ce n'eft point la coutume d'en venir aux gajeures, que lorfque les preuues nous manquent ; &, puifqu'on a veu autres-fois de grans hommes qui fe font moquez, d'vne façon prefque pareille, de ceux qui foutenoyent 'qu'il y auoit des antipodes, i'eftime qu'il ne faut pas légèrement tenir pour faux | tout ce- qui femble ridicule'^à quelques autres. 364

Enfin, ce qu'on adioute enfuite : qu'il s'en troiiuera plujieurs qui diront que toutes les aâions de l'homme font femblables à celles des machines, \ & qui ne voudront plus admettre en luy defens ny d'enten- dement, s'il eft vray que lesjînges, les chiens & les elephans agijfent aujfi comme des machines en toutes leurs opérations, n'eft pas aufli vne raifon qui prouue rien, fi ce n'eft peut-eftre qu'il y a des hommes qui conçoiuent les chofes fi confufement, & qui s'atachent auec tant d'opiniâtreté aux premières opinions qu'ils ont vne fois conceuès, fans les auoir iamais bien examinées, que, plutoft que de s'en dé- partir, ils nieront qu'ils ayent en eux mefmes les chofes qu'ils expé- rimentent y eftre.Car,de vray, il ne fe peut pas faire que nous n'ex- périmentions tous les iours en nous mefmes que nous penfons; & partant, quoy qu'on nous fafîe voir qu'il n'y a point d'opérations dans les beftes qui ne fe puifl'ent faire fans la penfée, perfonne ne poura de raifonnablement inférer qu'il ne penfe donc point, fi ce n'eft celuy qui, ayant toufioursfupofé que les beftes pcnfent comme nous, & pour ce fuiet s'eftant perfuadé qu'il n'agit point autrement qu'elles, fe voudra tellement opiniaftrer à maintenir cette propofi- tion : l'homme & la bejle opèrent d'vne mefme façon, que, lorfqu'on viendra à luy montrer que les beftes ne penfent point, il aimera mieux fe dépouiller de fa propre penfée (laquelle il ne peut toutes- fois ne pas connoiftre en foy-| mefme par vne expérience continuelle 365 & infaillible) que de changer cette opinion, qu'il agit de mefme fa^on que les bcfîes. le ne puis pas neanimoins me perfuader qu'il y ait beaucoup de ces efpris; mais ie m'affeure qu'il s'en trouuera bien dàuantage qui, fi on leur accorde que la penfée n'efl point diflinguée du mouuement corporel, foutiendront (& certes auec plus de raifon) qu'elle fe rencontre dans les beftes aufti bien que dans les hommes, puifqu'ils verront en elles les mefmes mouuemens corporels que ' dans nous ; &, adioutant à cela que la différence, qui n'eft que félon le plus ou le moins, ne change point la nature des chofes, bien que peut-eftre ils ne faffent pas les beftes fi raifonnablcs que les hommes, ils auront neanimoins occafion de croire qu'il y a en elles des efpris de femblable efpece que les noftrès.

2^0 OEUVRES DE DeSCARTES. 428-429.

1 4. Pour ce qui regarde la fcience d'vn athée, il eft aifé de montrer qu'il ne peut rien fçauoir auec certitude & afl'urance; car, comme i'ay defia dit cy-deuant, d'autant moins puiffant fera celuy qu'il reconnoiftra pour l'auteur de fon eftre, d'autant plus aura t'il occa- fion de douter û fa nature n'eft point tellement imparfaite qu'il fe trompe, mefme dans les chofes qui luy f^mblent très euidentes ; & iamais il ne poura eftre deliuré de ce doute, fi, premièrement, il ne reconnoift qu'il a efté créé par vn vray Dieu, principe de toute vérité, & qui ne peut eftre trompeur.

366 I 5. Et on peut voir clairement qu'il eft impoftible que Dieu foit trompeur, pourueu qu'on veuille confiderer que la forme ou l'ef- fence de la tromperie eft vn non eftre, vers lequel iamais le fouue- rain eftre ne fe peut porter. Auiïi tous les Théologiens font-ils d'ac- cord de cette vérité, qu'on peut dire eftre la baze & le fondement de la religion Chreftienne, puifque toute la certitude de fa foy en dépend. Car comment pourions-nous adiouter foy aux chofes que Dieu nous a reuelées, fi nous penfions qu'il nous trompe quelque- fois? Et bien que la commune opinion des Théologiens foit que les damnez font tourmentez par le feu des enfers, neantmoins leur fen- timent n'eft pas pour cela, qu'ils font deceus par vite faujfe idée que Dieu leur a imprimée d'vn feu qui les confomme,'ma\s plutoft qu'ils font véritablement tourmentez par le feu ; parce que, comme l'efprit d'vn homme viuant, bien qu'il ne foit pas corporel, efl neantmoins naturellement détenu dans le corps, ainjî Dieu, par fa toute puijjance, peut aifement faire qu'il f ouf re les attaintes du feu corporel après fa mort, &c. Voyez le Maiftre des Sentences, Lib. 4, Dift. 44. Pour ce qui eft des lieux de l'Efcriture, ie ne iuge pas que ie fois obligé d'y répondre, fi ce n'eft qu'ils fembleni contraires à quelque opinion qui me foit particulière ; car lorfqu'ils ne s'ataquent pas à moy feul, mais qu'on les propofe contre les opinions qui font communément receuifs de tous les Chreftiens, comme font celles que l'on | impugne en ce

367 lieu-cy, par | exemple : que nous pouuons fçauoir quelque chofe, & que l'amc de l'homme n'eft pas femblable à celle des animaux; ie craindrois de paffer pour prefomptueux, fi ie n'aimois pas mieux me contenter des réponfes qui ont defia efté faites par d'autres, que d'en rechercher des nouuelles ; vcu que ie n'ay iamais fait profelfion de l'étude de la Théologie, & que ie ne m'y fuis apliqué qu'autant que i'ay crcu qu'elle eftoit neceffaire pour ma propre inftrudion, & enfin que ic ne fcns point en moy d'infpiration diuine,qui me fade iugcr capable de l'enfcigner. C'eft pourquoy ie fais icy ma déclaration, que déformais ie ne répondray plus à de pareilles obiedions.

429-430. Sixièmes Réponses. 231

Mais ie ne lairray pas d'y répondre encore pour cette fois, de peur que mon filence ne donnaft occafion à quelques vns de croire que m'en abftiens faute de pouuoir donner des explications allez com- modes aux lieux de l'Efcriture que vous propofez. le dis donc, pre- mièrement, que le palfage de Saint Paul de la première aux Corinth., Chap. 8, ver. 2, fe doit feulement entendre de la fcience qui n'eft pas iointe auec la charité, c'eft h dire de la fcience des Athées : parce que quiconque connoill Dieu comme i) faut, ne peut pas eftre fans amour pour luy, & n'auoir point de charité. Ce qui fe prouue, tant par ces paroles qui précèdent immédiatement : la fcience enfle, mai la charité edijie, que par celles qui fuiuent vn peu après : quejî quel- qu'vn aime Dieu, icelitf | fçauoir Dieu) ejî connu de hif. Cor ainfi 368 l'Aportre ne dit pas qu'on ne puilfe auohr aucune fcience, puifqu'il confelfe que ceux qui aiment Dieu le connoiffent, c'ert à dire qu'ils ont de luy quelque fcience ; mais il dit feulement que ceux qui n'ont point de charité, & qui par confequent n'ont pas vnc connoiifance de Dieu fuffifantè, encore que peut-ertre ils s'elliment fçauans en d'autres chofcs, ils ne connoiffent pas neantmoins encore ce qu'ils cioiuent fçauoir, nj' comment ils le doiuent fçauoir : d'autant qu'il faut commencer par la connoiifance de Dieu, & | après faire dépendre d'elle toute la connoiifance que nous pouuons auoir des autres chofes, ce que i'ay aufli expliqué dans mes Méditations. Et partant, ce mefme texte, qui eltoit allégué contre moy, confirme fi ouuertement mon opinion touchant cela, que ie ne penfe pas qu'il puiffe eftre bien expliqué par ceux qui font d'vn contraire aduis. Car, fi on vouloit prétendre que le fens que i'<iy donné à ces paroles : que fi quelqu'un aime Dieu, iceluf fçauoir Dieu) efî connu de luf, n'eil pas celuy . de l'Efcriture, & que ce pronom iceluy ne fe réfère pas à Dieu, mais à l'homme, qui ell connu & aprouué par luy, l'Aportre Saint lean, en fa première Epiftre, Chapitre 2, verf. 2, fauorife entièrement mon expliquation, par ces paroles : En cela nous fçauons que nous l'auons connu, fi nous obferuons fes commandemens ; & au Chap. 4, verf. 7 : Celuy qui aime, efi enfant de Dieu, & le connotfl.

Les lieux que vous alléguez de l'Ecclefiafte ne | font point aufll 369 contre moy : car il faut remarquer que Salômon, dans ce Hure, ne parle pas en la perfonne des impies, mais en la fienne propre, en ce qu'ayal.^ erté auparauant pécheur & ennemy de Dieu, il fe repent pour lors de fes fautes, & confelfe que, tant qu'il s'eftoit feulement voulu feruir pour la conduite de fes actions des lumières de la fagelfe humaine, fans la référer à Dieu ny la regarder comme vn bienfait de la main, iamais il n'auoit rien peu trouucr qui le fatisfift

2}2 Œuvres DE Desgartes. 430-431.

entièrement, ou qu'il ne vift remply de vanité. C'eft pourquoy, en diuers lieux; il exhorte & follicite les hommes de fe conuertir à Dieu & de faire {Pénitence. Et notamment au Chap. 1 1, verf. 9, par ces paroles : Et /cache, dit-il, que Dieu te fera rendre compte de toutes tes aâioiis; ce qu'il continue dans les autres fuiuans iufqu'à la fin du Hure. Et ces paroles du Chap. 8, verf. ij : Et i'ay reconnu que, de tous les ouurages de Dieu qui fe font fous le foleil, l'homme n'en peut rendre aucune raifon &c., ne doiuent pas eftre entendues de toutes fortes de perfonnes, mais feulement de celuy qu'il a décrit au verfet précèdent : Il y a tel homme qui paffe les iours <? les nuits fans dormir; | comme û le prophète vouloit en ce lieu-là nous auertir que le trop grand trauail, & la trop grande afTiduité à l'ellude des lettres, empefche qu'on ne paruienne à la connoiffance de la vérité : ce que ie ne croy pas que ceux qui me connoiffent particuliè- rement, iugent pouuoir eftre applique à moy. Mais furtout il faut

370 prenjdre garde à ces paroles : qui fe font fou^ le foleil, car elles font fouuent répétées dans tout ce Hure, & dénotent toufiours les chofes naturelles, à l'exclufion de la fubordination & dépendance qu'elles ont à Dieu, parce que, Dieu eftant éleué au delTus de toutes chofes, on ne peut pas dire qu'il foit contenu entre celles qui ne font que fouz le Soleil ; de forte que le vray fens de ce paffage eft que l'homme ne fçauroit auoir vne connoiffance parfaite des chofes na- turelles, tandis qu'il ne connoirtra point Dieu": en quoy ie conuiens auffi auec le prophète. Enfin, au Chapitre 3, verf. 19, il eft dit que l'homme & la jument paffent de mefme façon, & aujjî que l'homme n'a rien de plus que la jument, il eft manifefte que cela ne fe dit qu'à raifon du corps; car en cet endroit il n'eft fait mention que des chofes qui apartiennent au corps; & incontinent après il adioute, en parlant féparement de l'ame : Qui fçaitfi l'efprit des enfans d'Adam monte en haut, &fi l'efprit des animaux defcend en bas? c'eft à dire qui peut connoiftr£, par la force de la raifon humaine, & à moins que de fe tenir à ce que Dieu nous en a reuelé, fi les amcs des hommes ioiiiront de la béatitude éternelle? Certes i'ay bien taché de prouuer par raifon naturelle que l'ame de l'homme n'eft point corporelle ; mais de fçauoir fi elle montera en haut, c'eft à dire fi elle ioUira de la gloire de Dieu, i'auoiie qu'il n'y a que la feule foy qui nous le puiffe aprcndre.

o71 I (3. Quant à la liberté du franc-arbitre, il eft certain que celle qui fe retrouue en Dieu, ell bien dill'erente de celle qui eft en nous, d'au- tant qu'il répugne que la volonté de Dieu n'ait pas efté de toute éter- nité indifférente à | toutes les chofes qui ont efté faites ou qui fe

432-433. Sixièmes Réponses. ijj

feront jamais, n'y ayant aucune idée qui reprefente le bien ou le vray, ce qu'il faut croire, ce qu'il faut faire, ou ce qu'il faut ob- mettre, qu'on puifTe feindre auoir efté l'objet de l'entendement diuin, auant que fa nature ait efté conftituée telle par la détermina- tion de fa volonté. Et ie ne parle pas icy d'vne fimple priorité de temps, mais bien dauantage ie dis qu'il a efté impoflible qu'vne telle idée ait précédé la détermination de la volonté de Dieu par vne priorité d'ordre, ou de nature, ou de raifon raifonnée, ainfi qu'on la nomme dans l'Efcole, en forte que cette idée du bien ait porté Dieu à élire l'vn plutoft que l'autre. Par exemple, ce n'eft pas pour auoir veu qu'il eftoit meilleur que le monde fuft créé dans le temps que dés l'éternité, qu'il a voulu le créer dans le temps; & il n'a pas voulu que les trois angles d'vn triangle fuffent égaux à deux droits, parce qu'il a connu que cela ne fe pouuoit faire autrement, &c. Mais, au contraire, parce qu'il a voulu créer le monde dans le temps, pour cela il eft ainfi meilleur que s'il euft efté créé dés l'éternité; & d'autant qu'il a voulu que les trois angles d'vn triangle fuffent neceffairement égaux à deux droits, il eft maintenant vray que cela j eft ainfi, & il ne peut pas eftre autrement, & ainfi de S72 toutes les autres chofes. Et cela n'empefche pas qu'on ne puifle dire que les mérites des Saints font la caufe de leur béatitude éternelle ; car ils n'en font pas tellement la caufe qu'ils déterminent Dieu à ne rien vouloir, mais ils font feulement la caufe d'vn effet, dont Dieu a voulu de toute éternité qu'ils fuffent la caufe. Et ainfi vue entière indifférence en Dieu eft vne preuue très-grande de fa toute-puift'ance. Mais il n'en eft pas ainfi de l'homme, lequel trouuant des-ja la na- ture de la bonté & de la vérité eftablie & déterminée de Dieu, &fa volonté eftant telle qu'elle ne fe peut naturellement porter que vers ce qui eft bon, il eft manifefte qu'il embraffe d'autant plus volon- tiers, & jtar confequent d'autant plus librement, le bon & le vray, qu'il les connoift plus euidemment; & que ian;ais il n'eft indiffè- rent que lorfqu'il ignore ce qui eft de mieux oti | de plus véritable, ou du moins lorfque cela ne lui paroift pas fi clairement qu'il n'en puiffe aucunement douter. Et ainfi l'indifférence qui conuient à la liberté de l'homme, eft fort différente de celle qui conuient à la liberté de Dieu. Et il ne fert icy de rien d'alléguer que les effences des chofes font indiuifibles ; car, premièrement, il n'y en a point qui puiffe conuenir d'vne mefme façon à Dieu & à la créature; & enfin l'indifférence n'eft point de l'effence de la liberté humaine, veu que nous ne fommes pas feulement libres, quand l'ignorance du bien & du vray | nous rend indififerens, mais principalement aufti lorfque 373

2J4 Œuvres de Descartes. 433-4:^4.

la claire & diftincle connoifTance d'vne choie nous poufle & nous engage à la recherche.

7. le ne 'conçoy point la fuperficie par laquelle i'eftime que nos fens font touchez, autrement que les Mathématiciens ou Philo- fophes conçoiuent ordinairement, ou du moins doiuent conceuoir, celle qu'ils diftinguent du corps & qu'ils fuppofent n'auoir point de profondeur. Mais le nom de fuperficie fe prend en deux façons par les Mathématiciens : à fçauoir, ou pour le corps dont on ne confi- dere que la feule longueur & largeur, fans s'arrefter du tout à la profondeur, quoy qu'on ne nie pas qu'il en ait quelqu'vne; ou il eit pris feulement pour vn mode du corps, & pour lors toute profondeur lui eft déniée. C'eft pourquoy, pour euiter toute forte d'ambiguitc, i'ay dit que ie parlois de cette fuper- ficie, laquelle, eftant feulement vn mode, ne peut pas eftre partie du corps; car le corps eft vne fubftance dont le mode ne peut eftre partie. Mais ie n'ay iamais nié qu'elle fuft le terme du corps; au contraire, ie croy qu'elle peut fort proprement eftre apelée l'extré- mité, tant du corps contenu que de celuy qui contient, au fens que l'on dit que les corps contigus font ceux dont les extremitez | font enfemble. Car, de vray, quand deux corps fe touchent mutuelle- ment, ils n'ont enfemble qu'vne mefme extrémité, qui n'eft point partie de l'vn ny de l'autre, mais qui eft le mefme mode de tous les 374 deux, | & qui demeurera toufiours le mefme, quoy que ces deux corps foient oftez, pourueu feulement qu'on en fubftiiuë d'autres en leur place, qui foient precifement de la mefme grandeur &, •figure. Et mefme ce lieu, qui eft apellé par les Peripateticiens la fuperficie du corps qui enuironne, ne peut eftre conceu eftre vne autre fuper- ficie, que celle qri n'eft point vne fubftance, mais vn mode. Car on Tie dit point que le lieu d'vne tour Ibit changé, quoy que l'air qui l'enuironne le foit, ou qu'on fubftituë vn autre corps en la place de la tour; & partant la fuperficie, qui eft icy prife pour le lieu, n'eft point partie de la tour, ny de l'air qui l'enuironne. Mais, pour ré- futer entièrement l'opinion de ceux qui admettent des accidens réels, il me femble qu'il n'eft pas befoin que ie produife d'autres raifons que celles que i'ay des-ja auancées. Car, premièrement, puifque nul fentiment ne fe fait fans contad, rien ne peut eftre fenty . que la fuperficie des corps. Or, s'il y a des accidens réels, ils doiuent eftre quelque chofe de différent de celte fuperficie, qui n'eft autre chofe qu'vn mode. Doncqucs, s'il y en a, ils ne peuuent eftre fentis. Mais qui a iamais pcnfc qu'il y en euft, que parce qu'il a crû qu'ils eftoient fcniis? De plus, c'cft vne chofe enticrc:r.cnt impoflible &qui

4H-4^6. Sixièmes Réponses. zjj

ne fe peut conceuoir fans repugnancç & contradiction, qu'il y ait des accidens réels, pource que tout ce qui eft réel peut exifter iepa- rement de tout autre fujet : or ce qui peut ainfi exifter feparement, ell vne fubjftance, & non point vn accident. Et il ne fert de rien de 375 dire que les accidens réels ne peuuent pas naturellement eftre fe- parcz de leurs fujets, mais feulement par la toute-puiffance de Dieu ; (car eftre fait naturellement, n'eft rien autre chofe qu'eftre fait par la puiffance ordinaire de Dieu, laquelle ne diffère en rien de fa puif- fance extraordinaire, & laquelle, ne mettant rien de nouueau dans les chofes, n'en change point îiufli la nature; de forte que, fi tout ce qui peut eftre naturellement fans fujet, eft vne fubftance, tout ce qui peut aufti eftre fans fujet par la puiffance de Dieu, tant extraordi- naire qu'elle puiffe eftre, doit aufti eftre apelé du nom de fubftance. l'auouë bien, à la vérité, qu'vne fubftance peut eftre apliquée à vne autre fubftance; mais, quand cela arriue, ce n'eft pas la fubftance qui prend la forme d'vn accident, c'eft le feul mode ou la façon dont cela arriue : par exemple, quand vn habit eft apliqué fur vn homme, ce n'eft pas Thabit, mais ejivc habillé, qui eft vn accident. Et pource que la principale raifon qui a meu les Philofophes à établir des accidens réels, a efté qu'ils ont crû que fans eux on ne pouuoit pas expliquer comment fe font les perceptions de nos fens, i'ay promis d'expliquer par le menu, en écriuant de la Phyfique, la façon dont chacun de nos fens eft touché par fes objets; non que ie veuille qu'en cela, ny en aucune autre chofe, on s'en raporte à mes paroles, mais parce que i'ay crû que ce que i'auois expliqué de la veuë, dans ma Dioptrique, poujuoit feruir de preuue fuftifante de ce que ie puis 376 dans le refte.

8. Quand on confidere attentiuement l'immenfité de Dieu, on void manifeftement qu'il eft impoflible qu'il y ait rien qui ne dé- pende de luy, non feulement de tout ce qui fubftfte, mais encore qu'il n'y a ordre, ny loy, ny raifon de bonté & de. vérité qui n'en dépende; autrement (comme ie difois vn peu auparauant), il n'auroit pas efté tout aflait indiffèrent à créer les chofes qu'il a créées. Car fi quelque raifon ou aparence de bonté euft précédé fa preordination, elle l'euft fans doute déterminé à faire ce qui auroit efté de meilleur. Mais, tout au contraire, parce qu'il s'eft déterminé à faire les chofes | qui font au monde, pour cette raifon, comme il eft dit en la Genefe, elles font très-bonnes, c'eft à dire que la raifon de leur bonté depei d de ce qu'il les a ainfi voulu faire. Et il n'eft pas befoin de demander en quel genre de caufe cette bonté, ny toutes les autres veritez, tant Mathématiques que Metaphyfiques,

2}6 OEUVRES DE Descartes. 436-437.

dépendent de Dieu ; car, les genres des caul'es ayant elle eftablis par ceux qui peut-eftre ne penfoient point à cette railbn de caufalité, il n'y auroit pas lieu de s'étonner, quand ils ne luy auroient point donné de nom ; mais neantmoins ils luy en ont donné vn, car elle peut eltre apelée efficiente, de la mefme façon que la volonté du Roy peut eftre dite la caufe efficiente de la- loy, bien que la ioy

3'7'ï mefme ne foit pas vn eftre naturel, mais | feulement (comme ils difent en l'Efcole) vn eftre moral. Il eft auffi inutile de demander comment Dieu euft peu faire de toute éternité que deux fois 4 n'eufl'ent pas efté 8, &c., car i'auouë bien qjtie nous ne pouuons pas comprendre cela; mais, puifque d'vn autre cofté ie comprens fort bien que rien ne peut exifter, en quelque genre d'eftre que ce foit, qui ne dépende de Dieu, & qu'il luy a efté très-facile d'ordonner tellement certaines chofes qiie les hommes ne peuffent pas com- prendre qu'elles euffent peu eftre autrement qu'elles font, ce feroit vne chofe tout à fait contraire -à- la raifon, de douter des chofes que nous comprenons fort bien, à caufe de quelques autres que nous ne comprenons pas, & que nous ne voyons point que nous deuions comprendre. Ainfi donc il ne faut pas penfer que les veritei éter- nelles dépendent de l'entendement humain, ou de l'exîjlence des chofes, mais feulement de la volonté de Dieu, qui, comme vn fouuerain legiflateur, les a ordonnées & eftablies de toute éternité.

9. Pour bien comprendre quelle eft la certitude du fens, il faut diftinguer en luy trois fortes de degrez. Dans le premier, on ne doit confiderer autre chofe que ce que les obiets extérieurs caufent immédiatement dans l'organe corporel ; ce qui ne peut eftre autre chofe que le mouuement des patticules de cet | organe, & le chan- gement de figure & de fituation qui prouient de ce mouuement. Le '

378 fe|cond contient tout ce qui refulte immédiatement en l'efprit, de ce qu'il eft vny à l'organe corporel ainfi meu & difpofé par fes obiets; & tels font les fentimens de la douleur, du chatouillement, de la faim, de la foif, des couleurs, des fons, des faueurs, des odeurs,, du chaud, du froid, & autres femblables, que nous auons dit, dans la fixiéme Méditation, prouenir de l'vnion & pour ainfi dire du mélange de l'efprit auec le corps. Et enfin, le troifiéme comprend tous les iugemens que nous auons coutume de faire depuis* noftre icunelfe, touchant les chofes qui font autour de nous, à l'occafion des imprelTions, ou mouuemens, qui fe font dans les organes de nos fcns. Par exemple, lorfque ie voy vn bâton, W ne faut pas s'imaginer qu'il forte de luy de petites images voltigeantes par l'air, apelées vulgairement des efpeccs intentionelles^ qui palfent

437-438. Sixièmes Réponses. 257

iufques à mon œil, mais feulement que les rayons de la lumière réfléchis de ce bafton excitent quelques mouuemens dans le nerf optique, & par fon moyen dans le cerueau mefme, ainfi que i'ay amplement expliqué dans la Dioptrique. Et c'eft en ce mouue- ment du cerueau, qui nous eft commun auec les beftes, que confifte le premier degré du fentiment. De ce premier fuit le fécond, qui s'étend feulement à la perception de la couleur & de la lumière qui eft réfléchie de ce bâton, & qui provient de ce que l'efprit eft fi étroittement & li intimement conioint auec le cerueau, qu'il fe ref- Jfent mefme & eft comme touché par les rçiouuemens qui fe font en 379 iuy; & c'eft tout ce qu'il faudroit raporter au fens, fi nous vou- lions le diftinguer exadement de l'entendement. Car, que de ce fen- timent de la couleur, dont ie fens l'impreftion, ie vienne à iuger que ce bâton qui eft hors de moy eft coloré, & que de l'étendue de cette couleur, de fa terminaifon & de la relation de fa fituation auec les parties de mon cerueau, ie détermine quelque chofe touchant la grandeur, la figure & la diftance de ce mefme bâton, quoy qu'on ait accoutumé de l'atribuer au fens, & que pour ce fuiet ie l'aye raporté à vn troifiéme | degré de fentiment, c'eft neantmoins vne chofe manifefte que cela ne dépend que de l'entendement feul. Et mefme i'ay fait voir, dans la Dioptrique, que la grandeur, la diftance & la figure ne s'aperçoiuent que par le raifonnement, en les dédui- fant les vnes des autres. Mais il y a feulement en cela de la diffé- rence, que nous atribuons à l'entendement les iugemens nouueaux & non accoutumez que nous faifons touchant toutes les chofes qui fe prefentent, & que nous attribuons aux fens ceux que nous auons efté accouftumez de faire des noftre enfance touchant les chofes fen- fibles, à l'occafion des impreffions qu'elles font dans les organes de nos fens; dont la raifon eft que la couftume nous fait raifonner & iuger fi promptement de ces chofes- (ou plutoft nous fait relfouue- nir des iugemens que nous en auons faits autresfois), que | nous ne 300 diftinguons point cette façon de iuger d'auec la fimple apprehen- fion ou perception de nos fens. D'où il eft manifefte que, lorfque nous difons que la certitude de l'entendement eft plus grande que celle des fens, nos paroles ne fignifient autre chofe, finon que les iugemens que nous faifons dans vn âge plus auancé, à caufe dz quelques nouuelles obferuations, font plus certains que ceux que nous auons formez dés noftre enfance, fans y auoir fait de re- flexion; ce qui ne peut receuoir aucun doute, car il eft conftant qu'il ne s'agit point icy du premier ny du fécond degré du fenti- ment, d'autant qu'il ne peut y auoir en eux aucune faufl'eté. Quand

2^8

OEuvRES DE Descartes. 438-440.

donc on dit qu'pti bâton paroijî rompu dans l'eau, à caiife la rcfraâion, c'eft de mefme que fi l'on difoit qu'il nous paroiil d'vne telle façon qu'vn enfant iugeroit de qu'il efl rompu, & qui fait aufli que, félon les preiugez aufquels nous fommes accouftumez dés I noftre enfance, nous iugcons la mefme chofe. Mais ie. ne puis demeurer d'accord de ce que l'on adioufle enfuite, à fçauoir que cet erreur n'eji point corrigé par l'entendement, mais par le fens de V attouchement ; car bien que ce fens nous faffe iuger qu'vn bâton eft droit, & cela par cette façon de iuger à laquelle nous fommes accoutumez dés noftre enfance, & qui par confequent peut eftre apelée/e«//we«/, neantmoins cela ne fuffit pas pour corriger l'erreur de la veuë, mais outre cela il eft befoin que nous ayons quelque

381 raifon, qui nous enfeigne que | nous deuons en ce rencontre nous fierplutoft au iugement que nousfaifons en fuite de l'attouchement, qu'à celuy femble nous porter le fens de la veuë ; laquelle raifon n'ayant point efté en nous dés noftre enfance, ne peut eftre attri- buée au fens, mais au feul entendement ; & partant, dans cet exemple mefme, c'eft l'entendement feul qui corrige l'erreur du fens, & il eft impoftible d'en aporter iamais aucun, dans lequel l'erreur vienne pour s'eftre plus fié à l'opération de l'cTprit qu'à la perception des fens.

10. D'autant que les difficultez qui reftent à examiner, me font plutoft propofées comme des doutes que comme des objeclions, ie ne prefume pas tant de moy, que i'ofe me promettre d'expliquer afl'ez fuffifamment des chofes que ie voy eftre encore aujourd'huy le fujet des doutes de tant de fçauans hommes. Neantmoins, pour faire en cela tout ce que ie puis, & ne pas manquer à ma propre caufe, ie diray ingenuëment de quelle façon il eft arriué que ie me fois moy-mefme entièrement deliuré de ces doutes. Car, en ce fai- fant, fi par hazard il arriue que cela puilfe feruir à quelques-vns, i'auray fujet de m'en rejoUir, & s'il ne peut feruir à pcrfonne, au moins auray-je la fatisfaclion qu'on ne me poura pas acculer de prefomption ou de témérité. I Lorfque i'eu* la première fois conclu, en fuite des raifons qui

%%% font contenues dans mes Meditajtions, que l'efprit humain eft réelle- ment diftingué du corps, & qu'il eft mefme plus aile à connoiftre que luy, & plufieurs autres chofes dont il elt traitté, ie me fentois à la vérité obligé d'y acquiefccr, pource que ie ne remarquois rien en

a. Texte de la 1'" édit. : « i'eus ». Mais on trouve à V errata : « p. 38 1, I. î8, i'cus, lie. i'cu, & de nicfnic par tout ailleurs >■.

440-44'- Sixièmes Réponses. 259

elles qui ne fufl bien fuiuy, & qui ne fuft tiré de principes tres- euidens, fuiuant les règles de la Logique. Toutesfois ie confefle que ie ne fus pas pour cela pleinement perfuadé, & qu'il m'arriua prefque la mefme choie qu'aux Artronomes, qui, après auoir elle conuaincus par de puilTantes raifons que le Soleil eft plufieurs fois plus grand que toute la terre, ne fçauroient pourtant s'empefcher de iuger qu'il eft plus petit, lorsqu'ils iettent les yeux fur luy. Mais après que i'eu paffé plus auant, & qu'apuyé fur les mefmes prin- cipes, i'eu porté ma confideration fur les chofes Phyfiques ou naturelles, examinant premièrement les notions ou les idées que ie trouuois en moy de chaque chofe, puis les diftinguant foigneufe- ment les vnes des autres pour faire que mes iugemens eulfent vn entier raport auec elles, ie reconnus qu'il n'y auoit rien qui apar- tinft à la nature ou à l'elTence du corps, fmon qu'il eft vne fub- ftance étendue en longueur, largeur & profondeur, capable de plufieurs figures & de diuers mouuemens, & que fes figures & mouuemens n'eftoient autre chofe que des modes, qui ne peuuent jamais eftre Ains luy ; mais que les couleurs, les odeurs, les fa- ueurs, & autres chofes femblables, n'eftoient rien que des fenti- |mens qui n'ont aucune exiftence hors de ma penfée, & qui ne font 383 pas moins differens des corps que la douleur diffère de la figure ou du niouuement de la flèche qui la caufe; &*enfin, que la pefanteur, la dureté, la vertu d'échauffer, d'attirer, de purger, ik toutes les autres qualitez que nous remarquons dans les corps, confiftent feulement dans le mouuement ou dans fa priuation, & dans la configuration & arrangement des parties*.

Toutes lefquelles opinions eftant fort différentes de celles \ que i'auois eues auparauant touchant les mefmes chofes, ie commençay après cela à confiderer pourquoy i'en auois eu d'autres par cy- deuant, & ie trouuay que la principale raifon eftoit que, dez ma ieunelTe, i'auois fait plufieurs iugemens touchant les chofes natu- relles (comme celles qui deuoient beaucoup contribuer à la con- feruation de ma vie, en laquelle ie ne faifois que d'entrer), & qUe i'auois toufiours retenu depuis les mefmes opinions que i'auois autrefois formées de ces chofes -là. Et d'autant que mon efprit ne le feruoit pas bien en ce bas âge des organes du corps, & qu'y eftant trop attaché il ne penfoit rien fans eux, auflTi n'aperceuoit-il que confufément toutes chofes. Et bien qu'il euft connoiflance de fa propre nature, & qu'il n'euft pas moins en foy l'idée de

a. Non à la ligne [i'' et 2* édit.).

240 Œuvres de Descartes. 44«-44'j.

la penfée que celle de l'étendue, neantmoins, pource qu'il ne concèuoit rien de purement intellectuel, qu'il n'imaginait aufii

884 en mefme temps quelque chofe de corjporel, il prenoit l'vn & l'autre pour vne mefme chofe, & raportoit au corps toutes les notions qu'il auoit des chofes intelleduelles. Et d'autant que ie ne m'eltois iamais depuis déliuré de ces preiugez, il n'y auoit rien que ie connuffe* affez diftindement & que ie ne fupofalfe eltre corporel, quoy que neantmoins ie formaffe fouuent de telles idées de ces cho'fes mefmes que ie fupofois élire corporelles, &, que l'en euffe de telles notions, qu'elles reprefentoyent plutoll des efprits que des corps ^

Par exemple, lorfque ie conceuois la pefanteur corrime vne qualité réelle, inhérente & attachée aux corps martifs & grolTiers, encore que ie la nommalfe vne qualité, en tant que ie la raportois aux corps dans lefquels elle refidoit, neantmoins, parce que i'ad- ioutois ce mot de réelle, ie.penfois en effed que c'eftoit vne fub- ftance : de mefme qu'vn habit confideré en foy elt vne fubllance, quoy qu'eftant raporté à vn homme habillé, | il puifle élire dit vne qualité ; & ainfi, bien que l'efprit foit vne fubllance, il peut neant- moins eftre dit vne qualité, eu égard au corps auquel il ell vny. Et bien que ie conceuffe que la pefanteur efl répandue par tout le corps qui ell pefant, ie ne luy attribAiois pas neantmoins la mefme forte d'étendue qui conflitue la nature du corps, car cette étenduif ell telle qu'elle exclut toute penetrabilité de parties; & ie penfois qu'il y auoit autant de pefanteur dans vne mafle d'or ou de quelque

385 autre metail de la longueur | d'vn pied, qu'il y en auoit dans vne pièce de bois longue de dix piedz ; voire mefme i'eflimois que toute cette pefanteur pouuoit eftre contenue fous vn point Mathématique. Et mefme lorfque cette pefanteur elloit ainfi également étenduif par tout le corps, ie voyois qu'elle pouuoit exercer toute fa force en cha- cune de fes parties, parce que, de quelque façon que ce corps fuit fuf- pendu à vne corde, il la tiroit de toute fa pefanteur^ comme fi toute cette pefanteur euft efté renfermée dans la partie qui touchoit la corde. Et certes ie ne conçoy point encore aujourd'huy que l'efprit foit autrement étendu dans le corps, lorfque ie le conçoy eftre tout entier dans le tout, & tout entier dans chaque partie. Mais ce qui fait mieux paroiftre que cette idée de la pefanteur auoit efté tirée en partie de celle que i'auois de mon efprit, eft que ie penfois que la pefanteur portoit les corps vers le centre de la terre, comme ft elle

a. Texte : « ie neconnuffe », corrigé à Verrata : « ie connufle » (/" édit.). h. Non à la ligne (/" e/ 2' édtt.).

442-444- Sixièmes Réponses. 241

euft eu en Iby quelque connoiffance de ce centre : car certainement il n'ell pas poflible que cela fe faffe fans connoiffance, & partout il y a connoiffance, il faut qu'il y ait de l'efprit. Toutesfois i'atri- buois encore d'autres chofes à cette pefanteur, qui ne peuuent pas en mefme façon eftre entendues de l'efprit : par exemple, qu'elle eftoit diuifible, mefurable, &c\

Mais après que i'eu fufHfamment confideré toutes ces chofes, & que i'eu diftingué l'idée de l'efprit humain | des idées du corps & du mouuement corporel , & que ie me fus ( aperceu que 386 toutes les autres idées que i'auois eu auparauant, foit des qua- litez réelles, foit des formes fubftantielles, en auoyent efté com- pofées, ou formées par mon efprit, ie n'eu pas beaucoup de peine à me défaire de tous les doutes qui font icy propofez\ Car, premièrement, ie ne doutay plus que ie n'euffe vne claire idée de mon propre efprit, duquel ie ne pouuois pas nier que ie n'euffe connoiffance, puifqu'il m'eftoit fi prefent & fi conjoint. le ne mis plus auffi en doute que cette idée ne fuft entièrement différente de celles de toutes les autres chofes, & qu'elle n'euft rien en foy de ce qui apartient au corps : pource qu'ayant recherché tres-foigneu- fement les vrayes idées des autres chofes, & penfant mefme les connoiftre toutes en gênerai, ie ne trouuois rien en elles qui ne fuft en tout différent de l'idée de mon efprit. Et ie voyois qu'il y auoit vne bien plus grande différence entre ces chofes, qui, bien qu'elles fuffent tout à la fois en ma penfée, me paroiffoient neantmoins diftiné^es & différentes, comme font l'efprit & le corps, qu'entre celles dont nous pouuons à la vérité auoir des penfées feparées, nous arre- ftant à l'vne fans penfer à l'autre, mais qui ne font iamais enfemble en noftre efprit, que nous ne voyions bien qu'elles ne peuuent pas fubfifter feparement. Comme, par exemple, l'immenfité de Dieu peut bien eftre conceuë fans que nous penfions à fa iuftice, mais on ne peut pas. les auoir toutes deu^ I prefentesà fon efprit, & croire que Dieu 387 puiffe eftre immenfe fans eftie iufte. De mefme l'exiftence de Dieu peut eftre clairement connue, fans que l'on fçache rien des perfonnes de la tres-fainte Trinité, qu'aucun efprit ne fçauroit bien entendre, s'il n'eft éclairé des lumières de la foy; mais lorfqu'elles font vne fois bien entendues, ie nie qu'on puifl'e conceuoir entr'elles aucune dirtindion réelle | à raifon de l'effence diuine,.quoy que cela fe puiffe à raifon des relations'.

a. Non à la ligne {i^ et 2' édit.).

b. A la ligne [ibid.].

Œuvres. I\'.

242 OEuVRES DE DeSGARTES. 444-445.

Et enfin ie n'appréhende plus de m'eftre peut-eftre laiffé fur- prendre & preuenir par mon analyfe, "lorfque, voyant qu'il y a des corps qui ne penfent point, ou plutoft conceuant tres-clai- rement que certains corps peuuent eftre fans la penfée, i'ay mieux aimé dire que la penfée n'apartient point à la nature du corps, que de conclure qu'elle en eft vn mode, pource que l'en voyois d'autres fçauoir ceux des hommes) qui penfent ; car, à vray dire, ie n'ay iamais veu ny compris que les corps humains enflent des penfées, mais bien que ce font les mefmes hommes qui penfent & qui ont des corps. Et i'ay reconnu que cela fe fait par la compo- fition & l'aflemblage de la fubftance qui penfe auec la corporelle; pource que, confiderant feparement la nature de la fubftance qui penfe, ie n'ay rien remarqué en elle qui puft apartenir au corps, & 4ue ie n'ay rien trouué dans la nature du corps, confiderée toute feule, qui peuft apartenir à la penfée. Mais, au contraire, examinant

388 tous les modes, tant du corps | que de l'efprit, ie n'en ay remarqué pas vn, dont le concept ne dependift entièrement du concept mefme de la chofe dont il eft le mode. Auffi, de ce que nous voyons fou- uent deux chofes jointes enfemble, on ne peut pas pour cela inférer qu'elles ne font qu'vne mefme chofe; mais, de ce que nous voyons quelquefois l'vne de ces chofes fans l'autre, on peut fort bien con- clure qu'elles font diuerfes. Et il ne faut pas que la.puiffance de Dieu nous empefche de tirer cette' confequence ; car il n'y a pas moins de répugnance à penfer que des chofes que nous conceuons clairement & diftindement comme deux chofes diuerfes, foient faites! vne mefme chofe en effence & fans aucune compofition, que de penfer qu'on puiffe feparer ce qui n'eft aucunement diftind. Et partant, fi Dieu a donné à quelques corps la faculté de penfer (comme en effet il l'a donnée à ceux des hommes), il peut, quand il voudra, l'en feparer, & ainfi elle ne laifle pas d'eftre réellement diftinde de ce corps".

Et ie ne m'eftonne pas d'auoir autrefois fort bien compris, auant mefme que ie me fufl'e deliuré des preiugez de mes fens, que deux & trois ioints enfemble font le nombre de cinq, & que, lorfque de chofes égales on ofîe chofes égales^ les refies font égaux, & plu- fieurs chofes femblables, bien que ie ne fongeafle pas alors que l'ame de l'homme fuft diftinde de fon corps; car ie voy très-bien que ce qui a fait que ie n'ay point en mon enfance donné de

389 faux iugement touchant ces propofitions qui font refceufs gencra-

a. Non à la ligne {r* et 2* édit.).

443-446. Sixièmes Réponses. 245

lement de tout le monde, a efté parce qu'elles ne m'eftoient pas encore pour lors en vfage, & que les enfans n'aprennent point à affembler deux auec trois, qu'ils ne foient capables de iuger s'ils font le nombre de cinq, &c. Tout au contraire, dés ma plus tendre ieu- nefle, i'ay conceu l'efprit & le corps (dont ie voyois confufement que i'eftois compofé) comme vne feule & mefme chofe; & c'eft le vice prefque ordinaire de toutes les connoiffances imparfaites, d'affembler en vn plufieurs chofes, & les prendre toutes pour vne mefme; c'eft pourquoy il faut par après auoir la peine de les feparer, & par vn examen plus exact les dirtinguer le.s vues des autres •\

Mais ie m'eftonne grandement que des perfonnes tres-doétes & accoutumées depuis trente années aux fpeciilations Metaphfjîques, après auoir leu mes Méditations plus de feptfoiSy fe perfuadent que, fi ie les relifois auec le mefme efprit que ie les examinerais \fi elles m'auoient ejlé propofées par vne perfonne ennemie y ie ne ferais pas tant de cas & n'aurois pas vne opinion fi auantageufe des raifons qu'elles contiennent, que de croire que chacun fe deuroit rendre à la force & au poids de leurs vérité^ & liaifons, veu cependant qu'ils ne font voir eux-mefmes aucune faute dans tous mes raifonnemens. Et certes ils m'atribuent beaucoup plus qu'ils ne doiuent, & qu'on ne doit pas mefme penfer d'aucun homme, s'ils croyent que ie me férue d'vne telle analyfe que ie puiffe par fon moyen renuerfer les démonilrations véritables, ou donner vne telle couleur aux | faufles, 390 que perfonne n'en puilfe iamais découurir la fauUeté ; veu qu'au contraire ie profeffe hautement que ie n'en ay iamais recherché d'autre que celle au moyen de laquelle on peuft s'affurer de la cer- titude des raifons véritables, & découurir le vice des fauffes ^ cap- tieufes. C'elt pourquoy ie ne fuis pas tant étonné de voir des per- fonnes tres-dodes n'acquiefcer pas encore à mes conclufions, que ie fuis ioyeux de voir qu'après vne fi ferieufe & fréquente ledure de mes raifons, ils ne me blâment point d'auoir rien auancé mal à propos, ou d'auoir tiré quelque conclufion autrement que dans les formes. Car la difficulté qu'ils ont à receuoir mes conclufions, peut aifément eilre atribuée à la coutume inueterée qu'ils ont de iuger autrement de ce qu'elles contiennent, comme il a défia elté remarqué des Aftronomes, qui ne peuuent s'imaginer que le Soleil foit plus grand que la terre, bien qu'ils ayent des raifons très-certaines qui le démontrent. Mais ie ne voy pas qu'il puifley auoir d'autre raifon pourquoy ny ces Mefiieurs, ny perfonne que ie fçache, n'ont peu

a. Non à la ligne {i'' et 2' édit.).

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244 Œuvres de Descartes. 446-447-

iufques icy rien reprendre dans mes raifonnemens, finon parce qu'ils font entièrement vrais & indubitables; veu principalement que les principes fur quoy ils font appuyez, ne font point obfcurs, ny inconnus, ayant tous elté tirez des plus certaines & plus eui- dentes notions qui fe prefentent à vn efprit qu'vn doute gênerai de toutes choies a defia deliuré de toutes fortes de | preiugez ; car il fuit de neceflairement qu'il ne peut y auoir d'erreurs, que | tout homme d'efprit vn peu médiocre n'euft peu facilement remarquer. Et ainfi ie penfe que ie n'auray pas mauuaife raifon de conclure, que les chofes que i'ay écrites ne font pas tant affoiblies par l'auto- rité de ces fçauans hommes qui, après les auoir leiies attentiuement plufieurs fois, ne fe peuuent pas encore laiifer perfuader par elles, qu'elles font fortifiées par leur autorité mefme, de ce qu'après vn examen fi exad & des reueiies fi générales, ils n'ont pourtant remar- qué aucunes erreurs ou paralogifmes dans mes demonllrations'.

a. Viennent ensuite, dans rédiiion de 1647, ^^^ pièces suivantes : 1" Avertissement di Tradvcteur, touchant les cinquièmes Objeâ ions faites par Monfieur Gajfendy, p. 393-396 ; 2" Cinquièmes ORit.cTio^s, faites par Monfieur Gajfendy, p. 397-535 ; Réponses de l'Avteur aux cinquièmes Objeâions faites par Monfieur Gaffendi, p. 537-591 ; Lettre de Mon- sieur Dks-Cartes a Monsieur C. L. R., f entant de réponfe à vn recueil des principales injlances faites par Monfieur Gaffendi contre les précé- dentes Réponfes, p. 593-606. Nous avons réimprimé la première de ces quatre pièces, p. 200-201 ci-avant, ainsi que la quatrième, p. 202-217. Nous avons donné, dans la Préface, les raisons pour lesquelles nous n'avons pas cru devoir insérer dans ce volume les pièces deuxième et troisième.

EXTRAIT DV PRIVILEGE DV ROY

Par Grâce & Priuilege du Rqy,/tgné Ceberet, donné à Paris le 4. iour de May i(i3j, il ejl permis au fieur des Cartes d'imprimer ou faire im- primer, par qui bon lur femblera, toutes fes œuures feparément & con- iointement, & ce durant le temps & efpace de dix années confecutiues, défendant à tous Libraires & Imprimeurs, ou autres perfonnes, de quelque forte & condition qu'ils puiffent ejîre, de les imprimer ny faire imprimer fans le confentement dudit fieur, ou de ceux qui auront fon droit, à peine de mille Hures d'amande, comme il eji plus au long porté dans lefdites Lettres.

Et ledit Jieur Des-Cartes a cédé & tranfporté fon Priuilege à la Veuue lean Camufat & Pierre le Petit, pour le Liure intitulé: Méditations Metaphyliques de René Des-Cartes touchant la preniiere Philofophie, & pour en ioilir comme luy-mefme fuiuant l'accord fait entr'eux le 4. Juin 1646.

TABLE DES MATIERES

Avertissement I

Faux-titres des premières éditions vu

Le Libraire au Lecteur i

Epître à la Sorbonne ' 4

Abrégé des Méditations 9

Première Méditation i3

Méditation seconde i8

» troisième 27

» quatrième 42

» cinquième 5o

» sixième 57

Premières Objections 73

Réponses . . . . ^ 81

Secondes Objections 96

Réponses 102

» Exposé géométrique 124

Troisièmes Objections et Réponses i33

Quatrièmes Objections i53

41ÉP0NSES 170

Avertissement de l'auteur touchant les Cinquièmes Objections. 198

Avertissement du traducteur 200

LETTRE DE DESCARTES A CLERSELIER 202

Sixièmes Objections 218

Réponses 22 5

Privilège 245

PRINCIPES

DE LA

PHILOSOPHIE

Œuvres. IV.

AVERTISSEMENT

Les Principes de la Philosophie, | Efcrits en Latin \ Par René Descartes, | Et traduits en François par vn de/es Amis, furent publiés à Paris, chez Henri Le Gras, m.dc.xlvii, en un \(e>^-h

volume in-4, de 487 pages (plus 58 pages non numérotées pour la Dédicace, la Préface et la Table des matières, et à la fin du volume, vingt planches pour les figures). L'historique de cette traduction se trouve à sa place dans la Vie de Descartes, au premier volume de la présente édition. On ne donnera donc ici que les renseignements relatifs au texte même.

L'édition française de 1647, comparée à l'édition latine de 1644, offre d'abord une particularité importante. Entre VEpiJîre ou la Dédicace à la princesse Elisabeth, placée en tête dans l'une comme dans l'autre, et les Principes proprement dits, Descartes a inséré, dans la traduction, une Lettre de l'Autheur à celuy qui a traduit le Liure, laquelle, ajoute-t-il, peut icy Jeruir de Préface. Cette 'pièce étant de la main du philosophe, on l'imprimera avec les mêmes caractères que tous les textes originaux ; et elle figurera en tête, puisqu'elle constitue l'addi- tion principale à la traduction, et que nous n'avons plus les raisons protocolaires, qu'on pouvait avoir au xvii* siècle, d'im- primer d'abord, et avant tout, VEpiJîre à la Serenijftme Prin-- ceffe Eli:{abeth. Cette Epijlre viendra ensuite, en français, suivie aussitôt de la traduction des Principes.

Dans l'édition latine, chacune des quatre parties des Prin- cipes est divisée en articles numérotés, et chaque article est résumé dans une phrase qui en est comme le titre. L'édition

IV Avertissement.

latine donne ces petites phrases en marge, chacune en regard de l'article correspondant, et nous avons conservé la même disposition typographique dans notre volume des Priucipia Philosophiœ. Mais, dans la traduction française, la chose eût été impossible à cause des caractères employés. Ceux-ci étant plus petits, comme pour tous les textes qui ne sont pas de Descartes savoir du 9, au lieu du 14), il serait arrivé que, pour certains articles assez courts, le résumé en marge eût dépassé la dernière ligne et se fût trouvé finalement en regard de l'article suivant, refoulant par suite le résumé de celui-ci, lequel n'eût plus été exactement à sa place. Nous avons donc été forcés de mettre les résumés, non plus en marge, mais au milieu de chaque page, comme des titres, avec les articles au- dessous, tandis que l'édition française de 1647, imprimée en caractères assez forts, a pu laisser les sommaires en marge.

Une raison de même ordre a décidé la place nous met- trions les figures. Elles sont assez nombreuses dans l'édition . latine (90, chiffre exact) ; mais les mêmes se trouvent repro- duites plusieurs fois à des pages différentes : tout compte fait, 25 seulement ne servent qu'une seule fois, tandis que i3 servent deux fois, 3 servent trois fois, une sert quatre fois^ une autre cinq fois, une encore jusqu'à dix fois, et même une enfin onze fois, ce qui réduit les quatre-vingt-dix figures à quarante-cinq seulemeYit. Pour éviter de reproduire si souvent les mêmes dans le corps du volume, l'édition française de 1647 a réparti ces quarante-cinq figures en vingt planches, rejetées toutes ensemble à la fin. En marge de chaque article, aux en- droits nécessaires, une indication renvoie le lecteur à telle planche, telle figure, et les planches sont insérées de façon qu'on les consulte commodément. Les éditions suivantes n'ont d'ailleurs pas toutes adopté la même disposition : quelques-unes ont préféré mettre chaque figure à sa place, aussi souvent qu'il est besoin, au risque de reproduire plusieurs fois la même, comme faisait l'édition latine; et c'est ce qu'aurait fait aussi la première édition française, celle de 1647, sans certaines

Avertissement. v

raisons que l'éditeur exj3lique dans une petite note*. Néanmoins nous ne pouvions faire autrement que de reproduire les vingt planches à la fin du volume : nos caractères typographiques en sont toujours la cause. En effet, vu les dimensions réduites de ces caractères, une page de notre édition répond, peu s'en faut, à deux de l'édition de 1647 ; il aurait donc fallu, en certains cas, charger de plusieurs figures la même page, chose difficile, parfois même impossible, pour les plus grandes figures, à moins de les réduire ce qui eût été leur faire perdre leur net- teté et surtout leur aspect et leur style, si essentiel à conser- ver dans une édition comme celle-ci. D'ailleurs, nous nous sommes réservé, dans l'édition latine, les caractères ne nous imposaient plus la même gêne ni contrainte, de suivre fidèle- ment la disposition consacrée par l'édition princeps de 1644.

Dirons-nous aussi un mot de l'orthog^raphe ? L'édition de 1647 présente, à cet égard, une certaine uniformité, qu'il n'est pas sans intérêt de signaler.

a. Voici cette note, insérée dans Tédition de 1647, à la suite de la table des matières (laquelle est d'ailleurs placée en tète, entre la Préface et le texte des Principes).

« Table des Figures qui feruent à ce Liure.

« Si on auoit pu trouuer dans Paris quelque artifan qui cuft fccu grauer » en bois, l'Imprimeur auroit mis chaque figure en l'article elle doit » feruir, ce qui auroit cfté fans doute beaucoup mieux que de les mettre » toutes à la fin on a efté contraint de les placer; d'autant qu'vne mefme » figure feruant en plufieurs endroits, il auroit fallu l'imprimer plufieurs » fois, & le Liure auroit efté trop gros & tres-difficilc h relier. Je n'ay efté » aduerty de cet inconucnient que lors que l'Impreffion a efté prefque » acheuéc, car j'auois touf-jours fait eftat qu'on meitroit les figures entre » les pages du Liure en tous les endroits il en feroii befoin.C'eft pour- » quoy je vous aduertis que vous ne vous arrcfticz point aux renuoys qui » ont efté mis à la marge, & fi en lifani quelque article vous auez peine à » choifir la figure qui feri à l'expliquer, vous en ferez foulagez par cette » Table. »

Suit une longue liste des articles de la seconde, de la troisièmCy et de la quatrième partie, avec l'indication des planches et des figures, en regard de chacun.

VI Avertissement.

Règle générale, même caractère pour v et pour u, au com- mencement des mots, et c'est le v ; même caractère aussi pour ces deux lettres dans le corps des mots, et c'est toujours l'w.

Au commencement des mots , le j est distingué de Vi (exemple, /<2>^, je fuis, etc.), sauf pour les majuscules : Jupiter, Tay, le fuis, etc.

A la fin des mots, Vy est presque toujours mis pour 1'/.' celuy, cetiiy (rare), vray, etc. ; sauf cependant pour la conjonc-. tion ni, qu'on trouve assez souvent avec un i. Il va sans dire que la première personne des verbes se termine aussi par y : j'ay, je fçay, etc. et même quelquefois je dy.

Au pluriel, les noms en é, au lieu d'ajouter un s (es), s'écrivent toujours e{. Il n'y a point' d'exception.

Gomme formes vieillies, on trouve presque partout pource que, et non parce que. Les exceptions sont rares : on en ren- contre cependant quelques-unes, comme si la forme nouvelle parce que tendait à s'introduire timidement. Deux fois on lit hurter et hurlent (p. 96, 1. i, et p. 97, 1. 32), au lieu de heur' ter et heurtent, comme déjà, dans le Discours de la Méthode, le mot ou plutôt la prononciation, hureux, pour heureux, et aussi dans un autographe .de Descartes lui-même (t. I, p. 16, 1. 1 1). Le terme fonde est conservé également (p. 86, i3i, etc.), au lieu de fronde, et nous savons que c'est celui dont Des- cartes se servait [Correspondance, t. III, p. 76, 1. 9). De même rejallir, pour rejaillir, etc. Particularité intéressante, étude, ou plutôt cjîude, est parfois du masculin : céteflude, vn efîude ; de même, une fois, erreur (p. 77, 1. 5-6). Enfin les lettres doubles, sans être systématiquement simplifiées, le sont cependant d'or- dinaire : lunetes, eflincele, flame, preuienent, etc. , pour lunettes, étincelle, flamme, préviennent, etc. Somme toute, l'ortho- graphe de cette édition est assez homogène, et plus simple, en bien des cas, que celle des éditions suivantes, du xvii'' et même du xviii* siècle. Celles-ci ne sont guère en progrès que sur un point, le parce que substitué au pource que ; mais elles re- viennent en arrière sur bien d'autres : des lettres, par exemple,

Avertissement. vu

supprimées sans scrupule en 1647, ^"t été rétablies, Vs dans ejiendue, efgal, paroijl, etc., le c àdiXi^effed, fruid, etc.; l'édi- tion de 1647 do""e étendue, égal, paroit, effets fruit, etc. C'est elle, bien entendu, que nous suivrons scrupuleusement.

Si nous insistons quelque peu sur cette question de l'ortho- graphe, c'est qu'elle nous achemine à un gros problème qui se pose au sujet du texte même de la traduction française. De qui ce texte est-il exactement? De l'abbé Picot seul, qui est, comme on sait, « l'ami de Descartes », qui a traduit le livre des Prin- cipes ? Ou bien, en certains endroits, de Descartes lui-même, qui a revu la traduction? Ou même peut-être, car on serait tenté d'aller jusque-là, de Descartes seul, qui aurait alors récrit en français, pour une partie, sinon en entier, ses Principia Phiîosophiœ? Le problème ne se posait pas, au moins dans les mêmes termes, pour les deux éditions, française et latine, du Discours de la Méthode et Essais, ni même pour les deux éditions, latine et française, des Méditations. Pour le Discours, en effet, une note explicite de Descartes disait quel degré de confiance on pouvait accorder à la traduction latine, et de qui étaient les modifications et additions, somme toute, assez légères : à savoir, du philosophe lui-même *. Pour les Méditations, nous avons vu quelle était la part du duc de Luynes, celle de Clerselier, et comment l'un et l'autre ont rempli leur tâche ; et dans un Avertissement au Lecteur, le « libraire », parlant au nom de Descartes, déclare que, « lors que cette verjion a pajjé fous les yeux de l'Auteur, il l'a trou- uéeji bonne, qu'il n'en a iamais voulu changer le flyle, & s'en efî toufiours défendu par fa modefîie, & par l'eflime qu'il fait de fes Traducteurs ". » Pour la traduction des Principes, nous n'avons guère qu'une phrase, la première de la Lettre-préface à l'abbé Picot : « La verfion que vous aue{ pris la peine de faire de mes Principes efl fi nette & fi accomplie, qu'elle me

a. Voir, au volume Discours et Essais, p. SSq.

b. Voir, à la première partie du présent volume, p. 3, l. 11-44.

VIII Avertissement.

fait'efperer qu'ils feront leiis par plus de perfonnes en Fran- cois qu'eu Latin, & qu'ils feront mieux entendus. » (Ci-après, p. 1,1. 5-9.) Et c'est tout. Or il est clair que les motsy? nette etji accomplie se rapportent plutôt à la forme qu'au fond ; ce sont les qualités du style que loue le philosophe, lesquelles rendront plus aisée la lecture du livre, et non pas l'exactitude, la fidélité de la traduction, dont il ne dit mot. Non pas que Ton doive interpréter ce silence comme une réserve ou un blâme tacite ; mais enfin Descartes ne se porte pas non plus ici garant de la traduction française des Principes, comme il l'avait fait expressément, par exemple, pour la traduction latine du Discours et des Essais. Comparons donc Tun à l'autre, pour édifier notre jugement, l'original latin et la ver- sion française.

Cette comparaison, au moins pour les deux premières par- ties, plutôt métaphysiques, comme on sait, les deux autres étant plutôt scientifiques, suggère aussitôt de singulières ré- flexions. D'abord, en ce qui concerne la forme ou le style même, le latin de Descartes n'est pas seulement plus sobre, plus net, plus vigoureux, tandis que les expressions françaises sont souvent incertaines, plus ou moins approximatives, et molles et vagues ; mais, comme tours de phrases, l'auteur a parfois un style coupé, haché même, en propositions détachées les unes des autres, et d'une saisissante brièveté, tandis que le traducteur se plaît à réunir deux ou trois de ces propositions, et les relie et les enserre, à l'aide de conjonctions surajoutées, en des périodes plus ou moins longues, encombrées d'incises, et qui traînent et n'en finissent plus. Si bien que, chose remar- quable, le latin, ici singulièrement dégagé, de Descartes se rapproche plus du français moderne et paraît en avance, à cet égard, sur la traduction, tandis que le français de Picot retarde, sans conteste, et se rengage sous le joug du latinisme diffus en usage dans l'Ecole. Certes on ne sera pas tenié, après une double Icciurc comparative, d'attribuer à Descartes la version française des deux premières parties : elle doit être de Picot,

Avertissement. i.x

à n'en pas douter ; et même, si le philosophe a pris la peine de la reviser, on se prend à regretter qu'il ne se soit pas montré plus exigeant et plus sévère.

Parfois, en effet, la version est si négligée qu'elle en devient inexacte. Ainsi ce serait, semble-t-il, un parti pris du traduc- teur, d'éviter les mots techniques, comme positive, négative, objective, modiis, etc. Ou bien il les supprime (par exemple, pages 32 et 37 ci-après), ou bien il les rend par des expressions peut-être équivalentes.dans la langue commune, mais qui n'ont point le sens particulier et précis que leur donne en latin la terminologie philosophique ou, si l'on veut, scolastique. Modus, par exemple, est traduit négligemment par façon (p. 45, etc.). Pourtant Descartes ne s'interdisait pas l'emploi de ces termes, je ne dis pas seulement en latin, mais même en français, com>rc il le déclare expressément dans le Discours de la Méthode : * l'uferay, s'il vous plaijî, icy librement, dit-il, des mots de l'SJchole^. » Et les^ traducteurs des Aft/i/'/j/zo/w^ après avoir hésité un moment à s'en servir, les trouvant rudes & barbares dans le latin me/me & beaucoup plus dans le fran- çois, s'y sont résignés de bonne grâce, pour une raison qui est tout à leur honneur : Ils n'ont ofé les obmettre, parce quil eut fallu changer le fens, ce que leur defendoit la qualité d'Inter- prêtes quils auoient prife ". On eût été heureux de trouver les mêmes scrupules chez l'abbé Picot traducteur des Principes. Faute de cela, il oblige, surtout aujourd'hui, Ton a d'autres exigences qu'au xvii' siècle en matière de traduction, les lec- teurs des Principes à 1^^ lire la version française qu'avec une extrême défiance, en se reportant, pour chaque page, disons mieux, pour chaque ligne et pour chaque expression même, à l'original latin, crainte de se laisser induire parfois en de trom- peuses interprétations.

Mais la version offre encore d'autres particularités. D'abord maintes phrases se trouvent modifiées, en passant de latin en

a. Voir, au volume Di.^cours de la Méthode, etc., p. 34, 1, 26-27. b Première partie de ce volume, p. 3, 1. 4-5 et 1. 7-9.

Œuvres. IV. »

X Avertissement.

français, non seulement dans la forme, toujours plus verbeuse, mais souvent aussi pour le sens. Et Ton se demande si c'est bien Picot qui a pris sur lui d'introduire toutes ces modifica- tions, qui ne conservent le sens qu'en gros, avec des suppres- sions ou additions de détails, ou si elles ne seraient pas l'œuvre de Descartes lui-même. Au moins le doute ne semble pas per- mis, lorsqu'il s'agit, comme il arrive assez fréquemment, d'ad- ditions véritables, de phrases entières ajoutées à la traduction, et dont il n'y a point trace dans le latin : Descartes sans doute les a insérées après coup, et Picot n'aurait pas osé les inventer de toutes pièces. A moins que ce traducteur trop zélé n'ait cru de son devoir d'expliquer, à sa manière, les passages qu'il ne comprenait pas bien, et que Descartes, à la fois pour ne pas désobliger un ami et pour être mieux eniendUj comme il le dit, du commun des lecteurs, jugeant utiles et bonnes les explica- tions de Picot, ne les ait adoptées et finalement laissées comme siennes dans l'imprimé de 1647. Cependant les additions de- viennent plus nombreuses, plus longues aussi, et à tous égards plus importantes, à mesure qu'on avance dans la troisième et la quatrième partie, au point qu'on incline de plus en plus à penser qu'elles ne peuvent être que de l'auteur, reprenant la traduction de Picot, afin de compléter lui-même et de perfec- tionner dans le français sa rédaction latine de 1644.

Deux témoignages, l'un et l'autre du xvii' siècle, semblent d'abord trancher définitivement la question. Le premier se trouve dans un vieil exemplaire de la première édition des Principes en français, celle de 1647 : les marges des pages donnent un assez bon nombre de notes manuscrites, de trois ou quatre écritures différentes; l'une est certainement de l'abbé Legrand, qui prépara, nous l'avons vu, une édition nou- velle des Œuvres de Descartes, mais mourut en 1704, sans avoir eu le temps de rien publier. Plusieurs de ces notes (non pas celles de Legrand, il est vrai), remontent à l'année 1659; c'est la date donnée par l'une d'elles, que nous reproduisons à la page 119 ci-après. D'ailleurs l'exemplaire porte à la pre-

Avertissement. xi

mièrq page toute une série d'indications, la plupart datées, dont la plus ancienne est de i65i et les plus récentes de 1677; aucune de celles-ci non plus n'est de Legrand '. Mais on lit; à la page i52 du volume, en regard de l'article 41 de la 3* partie, la note suivante (p. 121, ci-après) : « La verfion eji depuis icy de ^/^ D. (de la même main que les indications de la première page ; la suite, au contraire, est de l'écriture de Legrand) : ce que nous jugeons ainfy a caufe de l'original que nous en auàns entre les mains écrit de la propre main de M^ Defc. (cçs trois derniers mots de M^ Defc. ont été barrés, et la lettre / de la corrigée en/ de façon à donner : de fa propre main; puis le même Legrand ajoute encore, mais d'une écriture un peu diffé- rente, comme si cette dernière partie de la note avait été écrite postérieurement) : Et il neft pas croyable que, Ji cette ver/ton netoit pas de luy, il fe fut donné la peine de la tranfcrire luy

a. Voici ces notes manuscrites :

« Fay preflé a M' de Braquen la Méthode de M' des Caries le q No* i65i.

« Fay prejîé VAriJîote à M"" Frifon.

« Fay prejié S^ Bernard à M^ Hinfelin. »

(Ces trois lignes barrées de traits transversaux). . .

« Tante magis aliquid ejî perfeâius, quanto magis fuœ psrfeâioni fu' biicitiir^ ftcut corpus animœ, aer luci [creatura creatori). Domine quia egoferuus tuusfum. »

Suit l'indication, d'ailleurs barrée, de divers articles des parties 3*, et a* des Principes.

Ensuite un titre d'ouvrage, et deux indications :

<T Concordia prœcipuorum myfteriorum fidei cum prœcipuis materiis philofophiœ. Authore Thoma Bonarte Angle. Coloniœ Agripp. »

« Philofophia Cartejtana non contradicit facrœ Scripturœ » (ligne barrée).

« M' le Prat. 5' à l'Impr. pour tirer j5o feuilles in-4'* du gros iiomain. »

« Duval excellent graueur en bois. Deuant la porte du Collège de Reims. »

Une adresse intéressante :

« Pour efcrire a M"" Pollot,fyut porter les lettres a M*" Sara\in Mede-

XII Avertissement. .

qui d'ailleurs et oit fi accablé d'affaires. » Legrand a, dit- il, l'original entre les mains; or il n'a pu le recevoir que de Cler- selier, dépositaire des papiers de Descartes, lequel mourut en 1684; cette note a donc été écrite entre 1684 et 170^.

Le second témoignage est de provenance analogue. Un vieil exemplaire, de la seconde édition des Principes cette fois, celle de 1659, a été signalé par M. Victor Egger dans un article de la Revue philosophique^^ septembre 1890. L'exemplaire porte même le nom de son ancien possesseur, Anne-Joseph de Beau- mont; mais les notes manuscrites, qu'il fournit également en grand nombre, seraient, M. Paul Tannery l'a reconnu par une comparaison d'écritures, d'un mathématicien du xvii' siècle,

cin demeurant rue dts Marest\ pre\ (ce dernier mot barré et remplacé par qui aboutit dans) la rue de Reims. »

« A Af' Atphon^e Poltot a Geneue. le luy ay ejcrit le i5 Juillet 1662. »

(Pollot était revenu, en effet, de Hollande à Genève vers lôSg, et y mourut le 8 octobre 1668.)

Ensuite un renseignement non moins intéressant :

« Le R. P. André Martin, prejîre de l'Oratoire, m'eji venu voir le 1 2 Juillet 1OG2. C'ejl luy qui auoit enfeigné philofophiam Augujlianam que i'auois notée, & qui l'auoit diâée à Angers, €• a Marfeille, G première- ment au Mans, oit l'on n' auoit pas d'abord voulu qu'elle fujl Joutenue. »

Puis deux adresses :

« Apud Dominum Louis {?).

JJabilat D' Burnet. Rue des Bouclieries. »

« M' de Majfy, gendre de Mad" Le Beau, pre\ S^-Geruais. »

Enfin des indications de prêts de livres :

1 Le 4 Décembre ïOyy, J'ay prejlé à M^ l'Abbé d'JJoJlel, qui ejludie au Collège du Pleffis en phyfique, vn Arijlote latin, vn Platon latin, la Metlwde d^ M' De/cartes, les Principes de Philofophie de M"" Dcfcartps, les Méditations Melaptiy/iques de A/' Def cartes, «S- la Phyfiqus <de^ M* Rohault couuerte de bajane verte, fur le carton de laquelle i'ay efcrit le mémoire des Hures que ie luy ay prejle\, & le iour 4 Décembre iG'/j, & luy ay offert mes autres Hures. »

a. Quinzième année, t. XXX, p. 3i5. Le passage cité se trouve p. 317- 3i8.

Avertissement. xiii

Ozanam. Or, juste au même endroit que dans l'exemplaire pré- cédent, c'est-à-dire en regard de l'article 41 de la 3' partie (page iSg de cette seconde édition), une de ces notes donne l'indication suivante : « La verjton eft demiis ici de M^ Defc. M' Clerjelier a le rejfe de ce livre en manufcrit de M^ De/cartes me/me. Il me la monjiré. » Clerselier étant mort le i3 avril 1684, c'est donc avant cette date que l'annotateur a vu, de ses propres yeux, che;5 le fidèle dépositaire des papiers de Des- cartes, le manuscrit original, qui est bien certainement le même que l'abbé Legrand aura plus tard entre les mains. Ce second témoignage confirme donc le premier, et tous deux concordent parfaitement.

D'autre part, nous avons l'inventaire des papiers de Des- cartes, dressé à Stockholm en Suède, le i3 février i65o, le surlendemain de sa mort. Et dans cet inventaire, sous la lettre X, on trouve la mention suivante : « Soixante & neuf feuillets dont la fuite efl interrompue en plujîeurs endroits, contenant la dodrine de fes Principes en françois & non en- tièrement conformes a l'imprimé latin. » Ce signalement ne répond-il pas fort bien aux indications de nos deux anciens exemplaires, bien qu'il soit moins explicite, remarquons-le, et ne dise pas expressément : la version est de M. Descartes? Mais c'est la même doctrine que celle des Principes, et elle est con- forme à l'imprime la, in, quoique non entièrement. D'où l'on peut conclure qu'il y a des modifications, et même des addi- tions, insérées dans un texte d'ailleurs semblable à cejui de 1644, c'est-à-dire (notons la chose, elle a son importance), divisé comme lui en articles, et présentant la même forme adaptée par avance à l'enseignement de l'école. Or ces modifi- cations et additions sont précisément les particularités que pré- sente aussi, comparé au latin, l'imprimé français de 1647, donné comme une version de l'original. Ce sont les annota- teurs de nos deux anciens exemplaires, qui, de leur propre autorité, et pour s'expliquer à eux-mêmes la présence d'un pareil manuscrit parmi les papiers du philosophe, ont imaginé

XIV Avertissement.

que la version était de lui, parce qu'elle était écrite de sa main, à partir de l'article 41 de la 3* partie. Encore l'abbé Legrand a-t-il été pris de scrupule, puisqu'il a ajouté après coup, et comme pour répondre à une objection, cette dernière partie de éa note : « Et il n'eji pas croyable que,fi cette verfion nétoit pas de luy, il Je fut donné la peine de la tranfcrire, luy qui d'ail- leurs étoitfi accablé d'affaires. » Un doute lui était donc venu à Tesprit, qu'il s'est ' efforcé de dissiper. Son affirmation en demeure affaiblie cependant : si vraisemblable qu'elle paraisse, ce n'est plus, comme celle de l'autre annotateur, qu'une hypo- thèse, une conjecture.

Nous n'avons point retrouvé, par malheur, les soixante et neuf feuillets (\WQ mentionne l'inventaire du i3 février i65o,et qui peut-être auraient fourni quelque indication décisive. Ils semblent irrémédiablement perdus. Du moins pK)uvons-nous être certains d'une chose : c'est que le texte qu'ils contenaient n'était point différent de celui qui a été imprimé dans les édi- fions successives à partir de 1647. Ni Legrand, en effet, ni Ozanam qui travaillaient sur des exemplaires de 1647 et de 1659, ne parlent d'aucune différence entre le texte imprimé qu'ils annotaient et la version de M^ Descartes, dont ils ont vu l'original manuscrit. Il y a plus : la quatrième édition desi^rm- c//7e,y,îachevée d'imprimer le 3i juillet 1681, porte, à la suite du titre, cette indication qui n'est point dans les précédentes : « Quatrième édition reveuë & corrigée fort exactement par Monjieur C L R, » Clerselier (qui est l'éditeur désigné par ces trois lettres) avait entre les mains le manuscrit original de Descartes; il n'aura pas manqué de s'en servir, en réimpri- mant les Principes, pour corriger et améliorer, s'il y avait lieu, les éditions précédentes. Or entre celles-ci et la sienne, de 1681, les différences sont insignifiantes : toutes portent uni- quement sur le style, pour le rajeunir par endroits ou le rendre plus correct, sans souci, à cet égard, du manuscrit original, dont le texte de 1647 se rapprochait sans doute davantage. Bien que Clerselier ne paraisse donc pas avoir eu un respect

Avertissement. xv

excessif pour la lettre même de son. manuscrit, on peut croire, en tout cas, que celui-ci ne différait point, sauf peut-être pour d'infimes détails, du texte imprimé que nous possédons.

Peut-on savoir maintenant qui est le véritable auteur de ce texte ? Là-dessus, en dépit des deux témoignages ci-dessus- rap- portés et réduits à leur juste valeur, nous avons, par contre, les déclarations formelles de Descartes lui-même. A vrai dire, bien que nous suivions, étape par étape, dans la correspon- dance de Descartes, le travail entrepris par l'abbé Picot (envoi de la partie, puis de la 2% puis de la 3' et enfin de la 4% les- quelles deux dernières ont donc bien été traduites aussi par lui), la plupart des lettres qui se rapportent à cette question ne nous sont point parvenues en entier : nous ne les connaissons que par des résumés, sans doute exacts et fidèles, qu'en a donnés Baillet dans sa Vie de M^ Descartes, et mieux vaudrait sans contredit avoir le texte même. Mais, en revanche, la Pré- face ajoutée par le philosophé à la traduction française des Principes est uéjà assez explicite : Lettre de l'Autheur à celuy qui a traduit le Liure. Il dit bien le Liure, et non pas seule- ment la première et la seconde parties du livre. De même le titre qu'il a laissé mettre, sinon fait mettre lui-même, en tête de l'ouvrage, ne fait aucune restriction ni réserve : Les Prin^ cipes de la Philofophie, efcrits en latin par René Defcartes, & traduits en français par vn de fes Amis. A Descartes l'ori- ginal latin; mais à son ami, la traduction française. Nous avons mieux encore : une lettre de Descartes à Picot lui-même, une lettre entière, cette fois, et non plus un résumé de lettre, du 17 février i645\ Descartes a reçu la traduction de la troi- sième partie, tout entière sans doute; car elle comprend iSy articles, et il répond à des difficultés proposées par son ami au sujet des articles 36, 74 et i55. Or, d'après nos annotateurs, Ozanam et Legrand, la traduction serait de Descartes lui- même, à partir de l'article 41 de cette troisième partie. Nous

a. Voir Correspondance de Descartes, t. IV de cette édition, p. 180- i83.

XVI Avertissement,

voyons que Picot l'avait certainement aussi traduite jusqu'à l'article i55 inclus, autant dire jusqu'à la fin. Mais peut-être Descartes a-t-il été peu satisfait de la traduction de l'abbé Picot, au point d'éprouver le besoin de la refaire presque entièrement lui-même? Point du tout; car il commence par déclarer, bien qu'il ne l'ait pas encore toute lue, que « ce qu'il en a veu, eft aujjy bien qu'il le fçauroit fouhaiter. Comme aufft, conti- nue-t-il, les difficulte:{ que pous me propofe{, moiijîrent que vous entendei parfaitement la matière; car elles n' aur oient pii tomber en l'efprit d'vne perfonne qui ne l'entendroit quefuperji- ciellement *. » Et il ajoute enfin, apr^ès une explication demandée

. par Picot au sujet de l'article i55 : « /e n'auois pas pris la peine de déduire cette particularité tout au long, à caufe que i'auois crû que perfonne n'y regarder oit de fi prés que vous aue\

fait^. p Ces textes sont décisifs, et ne nous laissent aucune raison de dénier à Picot, pour sa traduction française, la paternité que Descartes lui-même lui reconnaît en termes si élogieux.

Comment expliquer alors ce manuscrit de soixante-neuf feuillets, inventorié parmi les papiers de Descartes, et qui a donné lieu à la conjecture de Legrand, d'Ozanam, et peut-être de Clerselier lui-même? Le plus simplement du monde, ce

'semble. Le philosophe, tout en se déclarant satisfait de la tra- duction de Picot, a fort bien pu ne plus l'être, en 1645 et 1646, de sa propre rédaction imprimée en 1644; et afin de rendre sa pensée plus claire, il aurait apporté lui-même, en français, des modifications et des additions à son texte latin. Nous ne pou- vons savoir en quel état exactement était le manuscrit envoyé par Picot ; mais comme tous les manuscrits qui ont reçu des ratures, des corrections et des surcharges, il devait être peu lisible assurément, après avoir été revu et remanié par Des- cartes. U a eu donc besoin d'être recopié. Sans doute Des- cartes aurait pu se décharger de cette besogne sur un secré-

a. Correspondance, t. IV, p. 181, 1. a-7.

b. /*i</., p. i83, 1. 2-5.

; Avertissement/ xvh

taire; mais qui pouvait, mieux que lui, se retrouver dans ce grimoire que le manuscrit était sans doute devenu par son fait? Qui aurait su, mieux que lui, insérer, chacun à sa place, tous les changements qu'il avait introduits lui-même? Il aura donc recopié de sa main ce nouyeau texte, subsistait quand même la version de Picot, mais avec ses propres modifications et additions, intercalées chacune au bon endroit et ajustées toutes comme il convenait, si bien que le manuscrit transformé de la sorte pouvait passer, à première vue et avant une réflexion et une étude approfondies, pour une traduction nouvelle, refaite entièrement, ou, comme le disent nos annotateurs, pour la ver- sion de M^ Desc. Et elle est bien de lui, si l'on veut, en ce sens qu'il l'a avouée après y avoir mis beaucoup du sien; mais elle n'en reste pas moins de l'abbé Picot primitivement, et pour la plus grande part, puisque celui-ci a fourni le fond principal, auquel se sont ajoutés les remaniements de Descartes. Cette solution du problème ' explique tout : d'une part, les i>otes signalées dans les deux anciens exemplaires, et la mention faite à l'inventaire du i3 février i65o; de l'autre, les témoi- gnages du philosophe, soit en tête de l'édition de 1647, soit dans sa lettre à Picot du 17 février 1645. ^ Reconnaissons toutefois que certaines additions, au moins, soht authentiquement de Descartes, et cela parce que lui-même l'a déclaré. Dans une lettre à Clerselier", également du 17 fé- vrier 1645, il répond d'abord à des objections au sujet de ses règles du mouvement; puis il termine par cette phrase signifi- cative : « Il faut pourtant icy que te vous auoiie que ces règles ne font pas fans difficulté ; & te tafcherois.de les éclaire ir dauantage, Ji t'en efiois maintenant capable; mais pour ce que lay l'efpril occupé par d'autres penfées, i'atlendray, s'il vous

a. C'est aussi celle que suggérait déjà M. Victor Egger, dans Tarticie précédemment cité: « Peut-être Descartes avait-il recopié la traduction de Picot en la corrigeant à mesure. » [Revue philosophique y 1890, t. XXX, p. 3iS.)

b. Correspondance, t. IV de cette édition, p. i83.

XVIII Avertissement.

platft, à vne autre fois, à vous en mander plus au long mon opinion^. » Il a tenu parole, non pas, il est vrai, dans une autre lettre à Clerselier, mais en remaniant dans la traduction fran- çaise ce qu'il avait mis de ces règles dans le texte latin: nulle part, en effet, les modifications et additions ne sont aussi im- portantes qu'en cet endroit, articles 46 à 52 de la seconde partie (p. 89-93 ci-après). Et plus tard, le 16 avril 1648, des difficultés sur ces mêmes règles lui étant proposées par Burman, qui ne les connaissait que par l'édition latine de 1644, Descartes le renvoie aux explications données par lui dans l'édition française de 1647". Pour d'autres additions encore, bien qu'on n'a*t plus, comme pour celles-ci, les déclarations expresses du philosophe, on peut être convaincu qu'elles sont de lui seul, et non point de Picot, notamment dans la dernière partie, surtout à la fin.

La conséquence de ce qui précède eût été d'imprimer en caractères différents, afin de les rendre distincts au simple coup d'oeil, les passages qui, traduisant à peu près le latin, sont par conséquent de l'abbé Picot, et ceux qui, ajoutés ou même sim- plement modifiés, sont vraisemblablement de Descartes. Mais il aurait fallu pour cela employer jusqu'à trois sortes de carac- tères : d'abord des caractères romains (module 10) pour la tra- duction pure et simple, puis des caractères italiques (même module) pour les passages qui ne sont que modifiés, enfin les caractères mêmes du texte de Descartes (romains, module 14) pour les additions. Typographiquement, l'effet n'aurait pas été heureux; mais surtout le lecteur pouvait parla être induit en erreur : car enfin sommes-nous sûrs que toutes les additions sont de Descartes lui-même? Quelques-unes au moins ne peuvent- elles pas avoir été proposées par Picot ? Sans doute elles ont été acceptées ensuite et adoptées par le philosophe; mais enfin doivent-elles être signalées à l'attention au même titre que les

a. Correspondance, t. IV, p. 187, 1. 12-17,

b. Ibid., t. V, p. 168.

Avertissement. xix

autres, qui sont bien personnelles à celui-ci ? Il y aurait peut- être ainsi deux sortes d'additions, et il est bien difficile de dis- tinguer entre elles. Nous ne sommes pas sûrs davantage que toutes les modifications que Ton constate, en comparant nombre de phrases françaises aux phrases latines correspondantes^ ont été introduites par Descartes; pourquoi quelques-unes au moins ne seraient-elles pas le fait de Picot ? Et encore une fois com- ment distinguer les unes des autres ? Dans cette incertitude générale, nous avons pris le parti suivant : imprimer en ita- liques tout ce qui, pour une cause ou pour une autre, s'écarte du texte latin, soit pour le modifier, soit pour y ajouter (en outre, plusieurs points çà et indiquent, car il y en a aussi, les omissions et suppressions). Les caractères italiques serviront donc seulement à mettre en garde le lecteur, à l'avertir de faire attention : telle phrase, telle expression même parfois, n'est plus conforme au texte latin. Qu'est-ce donc ? Peut- être une simple modification, rien de plus; peut-être toute une addition. Au lecteur à vérifier la chose, et à se faire ensuite lui-même une opinion, sur la provenance comme sur l'importance du texte nouveau. Notre devoir d'éditeur ne pouvait aller au delà d'un simple avertissement à son adresse.

La conclusion qui s'impose, à la suite de toutes ces ré- flexions, est qu'on ne devra jamais lire les Principes en fran- çais, sans avoir en même temps l'original latin sous les yeux. On peut, à la rigueur, pour le Discours de la Méthode et les Essais, s'en tenir, indifféremment, soit à l'original français, soit à la traduction latine, bien qu'il soit toujours préférable de collationner les deux textes. On peut aussi, avec moins d'assu- rance cependant, pour les Méditations^ lire ou bien l'original latin ou bien la traduction française, quoiqu'ici le latin doive conserver, à tous égards, la priorité. Mais, pour les Principes de la Philosophie, on ne saurait se contenter du latin seul : il y manque trop de choses, qui ont été ajoutées ou modifiées dans la traduction; ni du français seulement : s'il est souvent supé-

XX Avertissement.

rieur au latin, à cause des modifications et additions qu'il fournit, encore faut-il connaître celles-ci d'abord, et de quelle nature elles sont; puis il est trop souvent inférieur aussi pour la netteté de la pensée et de l'expression, et ne présente que trop d'inexactitudes. Il est donc nécessaire de ne jamais sé- parer l'une de l'autre la lecture des Principes de la Philosophie et celle des Principia Philosophiœ.

C. A.

Nancy, io décembre 1904.

LES PRINCIPES

PHILOSOPHIE

DE RENE^ DESCARTES,

^ AT RIE ME EDITION.

Reveuë &: corrigée fort exadement par Monfieur CLR.

Avec des Figures dans le corps du Livre \

Et celles en taille- douce , de la première Edition ^ mijes à la fin du Livre*

A PARIS,

Chez Théodore Girard, dans la grand Salle

du Palais , du coftc de la Salle Dauphme , à l'Envie.

Mr~PC. LXXXI. ~

AVEC PRIVILEGE DV ROr.

LETTRE DE L'AVTHEVR

A CELVY QVI A TRADVIT LE LIVRE, laquelle peut icy feruir de Préface^'.

Monfieur,

La verfion que vous auez pris la peine de faire de mes Principes efl fi nette & fi accomplie, qu'elle me fait efperer qu'ils feront leus par plus de perfonnes en François qu'en Latin, & qu'ils feront mieux enten- dus, l'appréhende feulement que le titre n'en rebute plufieurs qui n'ont point efté nourris aux lettres, ou bien qui ont mauuaife opinion de la Philofophie, à caufe que celle qu'on leur a enfeignée ne les a pas con- tentez ; & cela me fait croire qu'il feroit bon d'y ajd- joufler vne Préface, qui leur declaraft quel efl le fujet du Liure, quel deffein j'ay eu en l'écriuant, & quelle vtilité on en peut ti^^r. Mais encore que ce feroit à moy de faire cette Préface, à caufe que je doy fçauoir ces chofes-là mieux qu'aucun autre, je ne puis rien obtenir de moy-mefme, finon que je mettray | ici en (lo,

a. L'Abbé Claude Picot, Prieur du Rouvre. Voir Correspondance, t. IV, p. '47, 175, 181, 222 ; t. V, p. 66. Cf. ibidem, t. V, p. 78-79.

b. Dans l'édition princeps de 1647, cette Lettre n'est imprimée qu'après VEpitre à la princesse Eli:{abeth, traduite du latin, et placée en tête. Ni VEpître ni la Lettre ne sont paginées. Voir aussi, pour cette Lettre,

. V, p. I I i-i 12.

Œuvres. IV. f7

2 Œuvres de Descartes.

abrégé les principaux points qui me fembient y de- uoir eftre traittez ; & je laiffe à voïlre difcretion d'en faire telle part au public que vous jugerez eftre à propos.

Taurois voulu premièrement y expliquer ce que 5 c'eft que la Philofophie, en commençant par les chofes les plus vulgaires, comme font : que ce mot Philofophie fignifie Feftude de la SagelTe, &. que par la Sageffe on n'entend pas feulement la prudence dans les affaires, mais vne parfaite connoiffance de «o toutes les chofes que l'homme peut fçauoir, tant pour la conduite de fa vie, que pour la conferuation de fa fanté & rinuention de tous les arts ; & qu'afin que cette connoiffance foit telle, il efl necelfaire qu'elle foit déduite des premières caufes, en forte que, pour i5 eftudier à l'acquérir, ce qui fe nomme proprement philofopher, il faut commencer par la recherche de ces premières caufes, c'ell: à dire des Principes; & que ces Principes doiuent auoir dewx conditions : Tvne, qu'ils foient fi clairs* & fi éuidens que l'efprit 20 humain ne puifTe douter de leur vérité, lorfqu'il s'ap- plique auec attention à les confiderer ; l'autre, que ce foit d'eux que dépende la connoiffance des autres chofes, en forte qu'ils puiffent eflre connus fans elles, mais non pas réciproquement elles fans eux; & qu'a- ^5 il. près cela il | faut tafcher de déduire tellement de ces principes la connoiffance des chofes qui en dé- pendent, qu'il n'y ait rien, en toute la fuite des dé- ductions qu'on en fait, qui ne foit tres-manifefle. Il n'y a véritablement que Dieu feul qui foit parfaite-. 3 ment Sage, c'cfl a dire qui ait l'enticrc connoiffance

Principes. Préface. }

de la vérité de toutes chofes ; mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de Sagefl'e, à raifon de ce qu'ils ont plus ou moins de connoiffance des veritez plus importantes. Et je croy qu il ny a rien 5 en cecy, dont tous les doftes ne demeurent d'accord, l'aurois en fuite fait confiderer l'vtilité de cette Phi- lofophie, & monftré que, puis qu'elle s'eflend à tout ce que l'efprit humain peut fçauoir, on doit croire que c'eft elle feule qui nous diflingue des plus fau-

10 uages & barbares, & que chaque nation eft d'autant plus ciuilifée & polie que les hommes y philofophent mieux; & ainfi que c'efl le plus grand bien qui puifle eftre en vn Eftat, que d'auoir de vrais Philofophes. Et outre cela, que, pour chaque homme en particu-

i5 lier, il n'eft pas feulement vtile de viure auec ceux qui s'appliquent à cet eftude, mais qu'il eft incom- parablement meilleur de s'y appliquer foy-mefme; comme fans doute il vaut beaucoup mieux fe feruir de fes propres yeux pour fe conduire, & jouir par

20 mefme moyen de ] la beauté des couleurs & de la (12) lumière, que non pas de les auoir fermez & fuiure la conduite d'vn autre ; mais ce dernier eft encore meil- leur, que de les tenir fermez & n'auoir que foy pour fe conduire. C'eft proprement auoir les yeux fermez,

2 5 fans tafcher jamais de les ouurir, que de viure fans philofopher; & le plaifir de voir toutes les chofes que noftre veuë découure n'eft point comparable à la fatisfaftion que donne la connoiflance de celles qu'on trouue par la Philofophie ; & enfin cet eftude

3o eft plus neceflaire pour régler nos mœurs, & nous conduire en cette vie, que n'eft l'vfage de nos veux

4 Œuvres de Descartes.

pour guider nos pas. Les beftes brutes, qui n'ont que leurs corps à conferuer, s'occupent continuel- lement à chercher de quoy le nourrir ; mais les hommes, dont la principale 'partie eft l'efprit, de- uroient employer leurs principaux foins à la re- 5 cherche de la Sageffe, qui en eft la vraye nourriture ; & je m'affure aufli qu'il y en a plufieurs qui n'y man- qu .roient pas, s'ils auoient efperance d'y reûffir, & qu ils fceuflent combien ils en font capables. Il n'y a point d'ame tant foit peu noble, qui demeure fi fort lo attachée aux objets des fens, qu'elle ne s'en détourne quelquefois pour fouhaiter quelque autre plus grand bien, nonobftant qu'elle ignore fouuent en quoy il (13) confifte. Ceux que la fortune | fauorife le plus, qui ont abondance de fanté, d'honneurs, de richeffes, ne i5 font pas plus exempts de ce defir que les autres ; au contraire, je me perfuade que ce font eux qui fou- pirent auec le plus d'ardeur après vn autre bien, plus fouuerain que tous ceux qu'ils pofTedent. Or ce fou- uerain bien, confideré par la raifon naturelle fans la 20 lumière de la foy, n'eft autre chofe que la connoif- fance de la vérité par fes premières caufes, c'eft à dire la Sageffe, dont la Philofophie eft l'eftude. Et, pource que toutes ces chofes font entièrement vrayes, elles ne feroient pas difficiles à perfuader, û elles eftoient 25 bien déduites.

Mais, pource qu'on eft empefché de les croire par l'expérience, qui monftre que ceux qui font profeffion d'eftre Philofophes, font fouuent moins fages & moins raifonnables que d'autres qui ne fe font jamais appli- 3o quez à cet eftude, j'aurois icy fommairement expliqué

Principes. Préface. 5

en quoy confifte toute la fcience qu on a maintenant, & quels font les degrez de Sageffe aufquels on eft paruenu. Le premier ne contient que des notions qui font fi claires d'elles mefmes qu'on les peut acquérir 5 fans méditation. Le fécond comprend tout ce que l'ex- périence des fens fait connoiflre. Le troifiéme,*ce que la conuerfation des autres hommes nous enfeigne. A I quoy on peut adjoufter, pour le quatrième, la le- (!♦) dure, non de tous les Liures, mais particulièrement

10 de ceux qui ont efté écrits par des perfonnes capables de nous donner de bonnes inftru6tions, car c'eft vne efpece de conuerfation que nous auons avec leurs autheurs. Et il me femble que toute la Sageffe qu'on a couftume d'auoir n eft acquife que par ces quatre

i5 moyens; car je ne mets point icy en rang la reuela- tion diuine, pource qu'elle ne nous conduit pas par degrez, mais nous éleue tout d'vn coup à vne créance infaillible. Or il y a eu de tout temps de grands hommes qui ont tafché de trouuer vn cinquième de-

20 gré pour paruenir à la Sageffe, incomparablement plus haut & plus affuré que les quatre autres : c'eft de chercher les premières caufes & les vrays Principes dont on puiffe déduire les raifons de tout ce qu'on eft capable de fçauoir; & ce font particulièrement

2 5 ceux qui ont trauaillé à cela qu'on a nommez Phi- lofophes. Toutefois je ne fçache point qu'il y en ait eu jufques à prefent à qui ce deffein ait reùffi. Les premiers & les principaux dont nous ayons les écrits font Platon & Ariftote, entre lefquels il n'y a eu autre

3o différence finon que le premier, fuiùant les traces de fon maiftre Socrate, a ingenuëment confeffé qu'il

6 Œuvres de Descartes.

n'auoit encore rien pu trouuer de certain, & s'eft (15 contenté | d'écrire les chofes qui luy ont femblé eftre vray-femblables, imaginant à cet effet quelques Prin- cipes par lefquels il tafchoit de rendre raifon des autres chofes ; au lieu qu' Ariftote a eu moins de fran- 5 chife, & bien qu'il eufl elle vingt ans fon difciple, & n euft point d'autres Principes que les fiens, il a en- tièrement changé la façon de les débiter, & les a pro- pofez comme vrays & affurez, quoy qu'il n'y ait au- cune apparence qu'il les ait jamais eilimé tels. Or lo ces deux hommes auoient beaucoup d'efprit, & beau- coup de la Sageffe qui s'acquiert par les quatre moyens precedens, ce qui leur donnoit beaucoup d'authorité, en forte que ceux qui vinrent après eux s'arrefterent plus à fuiure leurs opinions qu'à cher- i5 cher quelque chofe de meilleur. Et la principale dif- pute que leurs difciples eurent entre eux, fut pour fçauoir fi on deuoit mettre toutes chofes en doute, ou bien s'il y en auoit quelques vnes qui fuffent cer- taines. Ce qui les porta de part & d'autre à des er- 20 reurs extrauagantes : car quelques-vns de ceux qui eftoient pour le doute, l'eftendoient mefme jufques aux aftions de la vie, en forte qu'ils negligeoient d'vfer de prudence pour fe conduire; & ceux qui maintenoient la certitude, fuppofant qu'elle deuoit 25 dépendre des fens, fe fioient entièrement à eux, juf- (16; ques-là qu'on dit | qu'Epicure ofoit affurer, contre tous les raifonncmens des Aftronomes, que le Soleil n'eft pas plus grand qu'il paroift. C'eft un défaut qu'on peut remarquer en la plufpart des difputes, que, la 5o vérité cftant moyenne entre les deux opinions qu'on

Principes. Préface. 7

louftient, chacun s'en éloigne d'autant plus qu'il a plus d'affeâion à contredire. Mais Terreur de ceux qui penchoient trop du collé du doute ne fut pas long- temps fuiuie, & celle des autres a efté quelque peu

5 corrigée, en ce qu'on a reconnu que les fens nous trompent en beaucoup de chofes. Toutefois je ne fçache point qu'on l'ait entièrement oflée, en faifant voir que la certitude n'eft pas dans le fens, mais dans l'entendement feul, lors qu'il a des perceptions eui-

10 dentés; & que, pendant qu'on n'a que les connoif- fances qui s'acquerent par les quatre premiers degrez de Sagefle, on ne doit pas douter des chofes qui fem- blent vrayes, en ce qui regarde la conduite de la vie, mais qu'on ne doit pas auffi les ertimer fi certaines qu'on

i5 <ne> puifTe changer d'aduis, lorfqu'on y eft obligé par l'euidence de quelque raifon. Faute d'auoir connu cette vérité, ou bien, s'il y en a qui l'ont connue, faute de s'en eftre feruis, la plufpart de ceux de ces der- niers fiecles qui ont voulu eftre Philofophes, ont fuiuy

20 aveuglement Ariftote, en forte qu'ils ont fouuent | cor- (17) rompu le fens de fes écrits, en luy attribuant diuerfes opinions qu'il ne reconnoiftroit pas eftre fiennes, s'il reuenoit en ce monde ; & ceux qui ne l'ont pas fuiuy (du nombre defquels ont efté plufieurs des meilleurs

2 5 efprits) n'ont pas laiiTé d'auoir efté imbus de fes opi- nions en leur jeuneiî'e (pource que ce font les feules qu'on enfeigne dans les efcholes), ce qui les a telle- ment préoccupez, qu'ils n'ont pu paruenir à la con- noiiïance des vrays Principes. Et bien que je les eftime

3o tous, & que je ne vueille pas me rendre odieux en les reprenant, je puis donner vne preuue de mon dire

8 Œuvres de Descartes.

que je ne croy pas qu'aucun d'eux defaduouë, qui eft qu'ils ont tous fuppofé pour Principe quelque chofe qu'ils n'ont point parfaitement connue. Par exemple, je n'en fçache aucun qui n'ait fuppofé la pefanteur dans les corps terreflres ; mais encore que . 5 l'expérience nous monftre bien clairement que les corps qu'on nomme pefans defcendent vers le centre de la terre, nous ne connoiffons point pour cela quelle eft la nature ce qu'on nomme pefanteur, c'eft à dire de la caufe ou du Principe qui les fait lo ainfi defcendre, & nous le deuons apprendre d'ail- leurs. On peut dire le mefme.du vuide & des atomes, & du chaud & du froid, du fec, de l'humide, & du fel, (i&) du fouffre, du | mercure, & de toutes les chofes fem- blables que quelques-vns ont fuppofées pour leurs i5 Principes. Or toutes les conclufions qu'on déduit d'vn Principe qui n'eft pas éuident ne peuuent aufli eftre euidentes, encore qu'elles en feroient déduites euidemment : d'où il fuit que tous les raifonnemens qu'ils ont appuyez fur de tels Principes, n'ont pu leur 20 donner la connoiflance certaine d'aucune chofe, ny par confequent les faire auancer d'vn pas en la re- cherche de la SagefTe. Et s'ils ont trouué quelqye chofe de vray, ce n'a efté que par quelques-vns des quatre moyens ci-defTus déduits ^ Toutefois je ne veux 2 5 rien diminuer de l'honneur que chacun d'eux peut prétendre; je fuis feulement obligé de dire, pour la confolation de ceux qui n'ont point eftudié, que tout de mefme qu'en voyageant, pendant qu'on tourne le dos au lieu l'on veut aller, on s'en éloigne d'autknt 3o

a. Ci-avant, p. 5, 1. 3-i7, et p. 7, 1, 11.

Principes. Préface. 9

plus qu'on marche plus long-temps & plus ville, en forte que, bien qu'on foit mis par après dans le droit chemin, on ne peut pas arriuer fitoft que fi on n'auoit point marché auparauant; ainfi, lors qu'on a de mau- 5 uais Principes, d'autant qu'on les cultiue dauantage, & qu'on s'applique auec plus de foin à en tirer di- uerfes confequences, penfant que ce foit bien philo- fopher, d'au I tant s'éloigne-t'on dauantage de la con- (i9) noiffance de vérité & de la SageiTe. D'où il faut

10 conclure que ceux qui ont le moins apris de tout ce qui a eflé nommé jufques icy Philofophie, font les plus capables d'apprendre la vraye.

Apres auoir bien fait entendre ces chofes, j'aurois voulu mettre icy les raifons qui feruent à prouuer que

i5 les vrays Principes par lefquels on peut paruenir à ce plus haut degré de SagefTe, auquel confifte le fouue- rainbien de la vie humaine, font ceux que j'ay mis en ce Liure : & deux feules font fuffifantes à cela, dont la première efl qu'ils font tres-clairs, & la féconde,

20 qu'on en peut déduire toutes les autres chofes : car il n'y a que ces deux conditions qui foient requifes en eux. Or je prouue ayfement qu'ils font tres-clairs : premièrement, par la façon dont je les ay trouuez, à fçauoir en rejettant toutes les chofes aufquelles je

2 5 pouuois rencontrer la moindre occafion de douter; car il eft certain que celles qui n'ont pu en cette façon eftre rejettées, lorfqu'on s'efl appliqué à les confi- derer, font les plus euidentes & les plus claires que l'efprit humain puiffe connoiftre. Ainfi, en confiderant

3o que celuy qui veut douter de tout, ne peut toutefois douter qu'il ne foit, pendant | qu'il doute, & que ce ':20)

lo OEUVRES DE Descartes.

qui raifonne ainfi, en ne pouuant douter de foy-mefme & doutant neantmoins de tout le refte, n'eil pas ce que nous difons eftre noftre corps, mais ce que nous appelions noftre ame ou noftre penfée, j'ay pris Feftre ou Fexiftence de cette penfée pour le premier Prin- 5 cipe, duquel j'ai déduit tres-clairement les fuiuans: à fçauoir qu'il y a vn Dieu, qui eft autheur de tout ce qui eft au monde, & qui, eftant la fource de toute vé- rité, n'a point créé noftre entendement de telle nature qu'il fe puifTe tromper au jugement qu'il fait des chofes lo dont il a vne perception fort claire & fort diftinde. Ce font tous les Principes dont je me fers touchant les chofes immatérielles ou Metaphyfiques, defquels je déduits tres-clairement ceux des chofes corporelles ou Phyfiques, à fçauoir qu'il y a des corps eftendus i5 en longueur, largeur & profondeur, qui ont diuerfes figures & fe meuuent en diuerfes façons. Voyla, en fomme, tous les Principes dont je déduits la vérité des autres chofes. L'autre raifon qui prouue la clarté des^ Principes eft qu'ils ont efté connus de tout temps, 20 & mefme recens pour vrays & indubitables par tous les hommes, excepté feulement Fexiftence de Dieu, (2i) qui a efté mife en doute par quelques-vns, à | caufe qu'ils ont trop attribué aux perceptions des fens, & que Dieu ne peut eftre vu ny touché. Mais encore 25 que toutes les veritez que je mets entre mes Principes aycnt efté connues de tout temps de tout le monde, il n'y a toutefois eu perfonne jufqucs à prefent, que je fçache, qui les ait reconnues pour les Principes de la Philofophie, c'eft à dire pour telles qu'on en peut dé- 3o

a. Lire de cêt ?

Principes. Préface. i i

duire la connoiffance de toutes les autres chofes qui font au monde : c'eft pourquoy il me relie icy à prouuer qu'elles font telles; & il me femble ne le pou- uoir mieux qu'en le faifantvoir par expérience, c'eft 5 à dire en conuiant les Lefteurs à lire ce Liure, Car encore que je n'y aye pas traitté de toutes chofes, & que cela foit impoiTible, je penfe auoir tellement ex- pliqué toutes celles dont j'ay eu occafion de traitter, que ceux qui les liront auec attention auront fujèt

jo de fe perfuader qu'il n'eft point befoin de chercher d'autres Principes que ceux que j'ay donnez, pour paruenir à toutes les plus hautes connoiiTances dont l'efprit humain foit capable; principalement fi, après auoir leu mes écrits, ils prennent la peine de confi-

1 5 derer combien de diuerfes queftions y font expliquées, & que, parcourant auffi ceux des autres, ils voyent combien peu de raifons vray-fem!blables on a pu (22, donner, pour expliquer les mefmes queftions par des Principes differens des miens. Et, afin qu'ils entre-

20 prennent cela plus aifement, j'aurois pu leur dire que ceux qui font imbus de mes opinions ont beaucoup moins de peine à entendre les écrits des autres & à en connoiftre la jufte valeur, que ceux qui n'en font point imbus; tout au contraire de ce que j'ay tantoft

2 5 dit de ceux qui ont commencé par l'ancienne Philofo- phie, que d'autant qu'ils y ont plus eftudié, d'autant ils ont couftume d'eftre moins propres à bien ap- prendre la vraye.

l'aurois auffi adjoufté vn mot d'aduis touchant la

3o façon de lire ce Liure, qui eft que je voudrois qu'on le parcouruft d'abord tout entier ainfi qu'vn Roman, fans

12 Œuvres de Descartes.

forcer beaucoup fon attention, ny s'arrefter aux diffi- cultez qu'on y peut rencontrer, afin feulement de fça- uoir en gros quelles font les matières dont j'ay traitté; & qu'après cela, fi on trouue qu'elles méritent d'eftre examinées, & qu'on ait la curiofité d'en connoiftre les 5 caufes, on le peut lire vne féconde fois, pour remar- quer la fuitte de mes raifons ; mais qu'il ne fe faut pas derechef rebuter, H on ne la peut afifez connoiftre par- tout, ou qu'on ne les entende pas toutes; il faut feule- (23) ment marquer d'vn | trait de plume les lieux l'on lo trouuera de la difficulté, & continuer de lire fans in- terruption jufques à la fin; puis, fi on reprend le Liure pour la troifieme fois, j'ofe croire qu'on y trouuera la folution de la plufpart des difficultez qu'on aura marquées auparauant; & que, s'il en refte encore i5 quelques-vnes, on en trouuera enfin la folution en relifant.

l'ay pris garde , en examinant le naturel de plu- fieurs efprits, qu'il n'y en a prefque point de fi groffiers ny de H tardifs, qu'ils ne fuffent capables 20 d'entrer dans les bons fentimens & mefmes d'acquérir toutes les plus hautes fciences, s'ils eftoient conduits comme il faut. Et cela peut aufîi eftre prouué par rai- fon : car, puis que les Principes font clairs, & qu'on n'en doit rien déduire que par des raifonnemens très- 25 éuid^ens, on a touf-jours afifez d'efprit pour entendre les chofes qui en dépendent. Mais, outre l'empefche- ment des préjugez, dont aucun n'eft entièrement exempt, bien que ce font ceux qui ont le plus eftudié les mauuaifes fciences aufquels ils nuifent le plus, il 3o arriue prefque touf-jours que ceux qui ont l'efprit

Principes. Préface i|

modéré négligent d'eftudier, poiïrce qu'ils n'en penfent pas eftre capables, & que les autres qui font plus ardens fe hailent trop : d'où vient qu'ils |reçoiuent 12*) fouuent des Principes qui ne font pas éuidens, & qu'ils

5 en tirent des confequences incertaines. C'eft pour- quoy je voudrois affurer ceux qui fe défient trop de leurs forces, qu'il n'y a aucune chofe en mes écrits qu'ils ne puiffent entièrement entendre, s'ils prennent la peine de les examiner; & neantmoins auffi auertir

«o les autres, que mefmes les plus exceilens efprits au- ront befoin de beaucoup de temps & d'attention pour remarquer toutes les chofes que j'ay eu deflein d'y comprendre.

En fuitte de quoy, pour faire bien conceuoir quel

'5 but j'ay eu en les publiant, je voudrois icy expliquer l'ordre qu'il me femble qu'on doit tenir pour s'inf- truire. Premièrement, vn homme qui n'a encore que la connoifTance vulgaire & imparfaite qu'on peut ac- quérir par les quatre moyens cy-defTus expliquez^, doit

20 auant tout tafcher de fe former vne Morale qui puiffe fufiire pour régler les adions de fa vie, à caufe que cela ne fouffre point de delay, & que nous deuons fur tout tafcher de bien viure. Apres cela, il doit auffi eftudier la Logique : non pas celle de l'efchole, car

2 5 elle n'eft, à proprement parler, qu'vne Dialeélique qui enfeigne les moyens de faire entendre à autruy les chofes qu'on fçait, ou mefme auffi | de dire fans juge- (25) ment plufieurs paroles touchant celles qu'on ne fçait pas, & ainfi elle corrompt le bon fens pluftoft qu'elle

^o ne l'augmente ; mais celle qui apprend à bien conduire

a. Ci-avant, p. 5, l, 3-1 3.

14 Œuvres de Desgartes.

fa raifon pour découurir les veritez qu'on ignore; & pource quelle dépend beaucoup de IVfage, il eft bon qu'il s'exerce long tenips à en pratiquer les règles tou- chant des queftions faciles & fimples, comme font celles des Mathématiques. Puis, lors qu'il s'eft acquis 5 quelque habitude à trouuer la vérité en ces queftions, il doit commencer tout de bon à s'apj)liquer à la vraye Philofophie , dont la première partie eft la Metaphy- fique, qui contient les Principes de la connoiffance, entre lefquels eft l'explication des principaux attri- lo buts de Dieu, de l'immatérialité de nos âmes, & de toutes les notions claires & fimples qui font en nous. La féconde eft la Phyfique, en laquelle, après auoir trouué les vrays Principes des chofes matérielles, on examine en gênerai comment tout l'vniuers eft com- «5 pofé, puis en particulier quelle eft la nature de cette Terre & de tous les corps qui fe trouuent le plus com- munément autour d'elle, comme de l'air, de l'eau, du feu, de l'aymant & des autres minéraux. En fuitte de quoy il eft befoin auffi d'examiner en | particulier la 20 nature des plantes, celle des animaux, & fur tout celle de l'homme, afin qu'on foit capable par après de trouuer les autres fciences qui luy font vtiles. Ainfi toute la Philofophie eft comme vn arbre, dont les . racines font la Metaphyfique, le tronc eft la Phyfique, 25 & les branches qui fortent de ce tronc font toutes les autres fciences, qui fe reduifent à trois principales, à fçauoir la Médecine, la Mechanique & la Morale, j'entens la plus haute & la plus parfaite Morale, qui, prcfuppofant vne entière connoiffance des autres -So fciences, eft le dernier degré de la Sageffe.

Principes. Préface. 15

Or comme ce n'efl pas des racines, ny du tronc des arbres, qu'on cueille les fruids, mais feulement des extremitez de leurs branches, ain(i la principale vtilité de la Philofophje dépend de celles de fes parties qu'on 5 ne peut apprendre que les dernières. Mais, bien que je les ignore prefque toutes, le zèle que j'ay touf-jours eu pour tafcher de rendre feruice au public eft caufe que je fis imprimer, il y a dix ou douze ans, quelques effais des chofes qu'il me fembloit auoir apprifes. La

10 première partie de ces eflais fut vn Dif cours touchant la Méthode pour bien conduire fa rai/on & chercher la vérité dans les fciences, je mis fom|mairement les i27J principales règles de la Logique & d'vne Morale im- parfaite, qu'on peut fuiure par prouifion pendant

i5 qu'on n'en fçait point encore de meilleure. Les autres parties furent trois traitez : Tvn de la Dioptrique, l'autre des Météores j & le dernier de la Géométrie. Par la Dioptrique, jeu delTein de faire voir qu'on pouuoit aller affez auant en la Philofophie, pour arriuer par

20 fon moyen jufques à la connoiffance des arts qui font vtiles à la vie, à caufe que l'inuention des lunetes d'approche, que j'y expliquois, efl l'vne des plus diffi- ciles qui ayent jamais eflé cherchées. Par les Météores, ie defiray qu'on reconnufl la différence qui efl entre

2 5 la Philofophie que ie cultiue & celle qu'on enfeigne dans les efcholes l'on a couflume de traitter de la mefme matière. Enfin, par la Géométrie, je preten- dois demonflrer que j'auois trouué plufieurs chofes qui on^ eflé cy-deuant ignorées, & ainfi donner occa-

3o fion de croire qu'on en peut decouurir encore plu- fieurs autres, afin d'inciter par ce moyen tous les

i6 OEuvRES DE Descartes.

hommes a la recherche de la vérité. Depuis ce temps là, preuoyant la difficulté que plufieurs auroient à conceuoir les fondemens de la Metaphyfique, j'ay tafché d'en expliquer les principaux points dans vn

(28) liure de Méditations qui n ell j pas bien grand, mais 5 dont le volume a eflé groffi, & la matière beaucoup éclaircie, par les objedions que plulieurs perfonnes tres-doâes m'ont envoyées à leur lujet, & par les ref- ponfes que je leur ay faites. Puis, enfin, lors qu'il m'a femblé que ces traittez precedens auoient allez pre- lo paré l'efprit des Lecteurs à receuoir les Principes de la Philofophic, je les ay auffi publiez & j'en ay diuifé le Liure en quatre parties, dont la première contient les Principes de la connoilTance, qui eft ce qu'on peut ^ nommer la première Philofophie ou bien la Metaphy- i5 (ique : c'eil pourquoy, afin de la bien entendre, il eft à propos de lire auparauant les Méditations que j'ay écrites fur le mefme fujet. Les trois autres parties contiennent tout ce qu'il y a de plus gênerai en la Phyfique, à fçauoir l'explication des premières loix ou 20 des Principes de la Nature, \ la fac^'on dont les Cieux, les Efloiles fixes, les Planeies, les Comètes, & géné- ralement tout l'vniuers eft compofé ; puis, en particu- lier, la nature de cette terre, A- de l'air, de l'eau, du leu, de l'aymanl, qui font les corps qu'on peut trouuer 2 5 le plus communément partout autour d'elle,^ Sl de toutes les qualitez qu'on remarque en ces corps, comme font la lumière, la chaleur, la pefanteur, l^'

(29 femblablcs : au moyen | de quoy je penfe auoir com- mencé à expliquer toute la Philofophie par ordre, 3o fans auoir omis aucune des chofes qui doiuent pre-

Principes. Préface. 17

céder les dernières dont j'ay écrit. Mais, afin de con- duire ce deffein jufques à fa fin, je deurois cy-apres expliquer en mefme façon la nature de chacun des autres corps plus particuliers qui font fur la terre, 5 à fçauoir des minéraux, des plantes, des animaux, & principalement de Thomme ; puis, enfin, traitter exadement de la Médecine, de la Morale, & des Mechaniques. C'eft ce qu'il faudroit que je fifle pour donner aux hommes vn corps de Philofophie tout

•o entier; & je ne me fens point encore fi vieil, je ne me défie point tant de mes forces, je ne me trouue pas fi éloigné de la connoiflance de ce qui refte, que je n'o- falTe entreprendre d'acheuer ce deffein, fi j'auois la commodité de faire toutes les expériences dont j'au-

i5 rois befoin pour appuyer & juftifier mes raifonne- mens. Mais voyant qu'il faudroit pour cela de grandes defpenfes, aufquelles vn particulier comme moy ne fçauroit fufl[ire, s'il n'eftoit aydé par le public, & ne voyant pas que je doiue attendre cet ayde, je croy

20 deuoir d'orefnauant me contenter d'eftudie/ pour mon inftruftion particulière, & que la poflerité m'excufera fi je manque à trauailler déformais pour elle.

I Cependant, afin qu'on puifiTe voir en quoy je penfe (30) luy auoir def-ja feruy ^ je diray icy quels font les fruids

a5 que je me perfuade qu'on peut tirer de mes Principes. Le premier eft la fatisfadion qu'on aura d'y trouuer plufieurs veritez qui ont eflé cy-deuant ignorées ; car bien que fouuent la vérité ne touche pas tant noftre imagination que font les faufletez & les feintes, à

3o caufe qu'elle paroift moins admirable & plus fimple, toutefois le contentement qu'elle donne efl: touf-jours

ŒvvRps. IV. 18

i8 Œuvres de Descartes.

plus durable & plus folide. Le fécond fruiâ: eft qu en eftudiant ces iPrincipes on s'accouftumera peu à peu à mieux juger de toutes les chofes qui fe rencontrent, & ainfi à eftre plus Sage : en quoy ils auront vn effeft contraire à celuy de la Philofophie commune; car 5 on peut aifement remarquer en ceux qu'on appelle Pedans, quelle les rend moins capables de raifon qu'ils ne feroient s'ils ne Fauoient jamais apprife. Le troifiéme eft que les veritez qu'ils contiennent, eftant tres-claires &. très-certaines, ofteront tous fujets de lo difpute, & ainli difpoferont les efprits à la douceur & à la concorde : tout au contraire des controuerfes de l'efchole, qui, rendant infenfiblement ceux qui les apprennent plus pointilleux & plus opiniaftres, font peut eftre la première caufe des herefies & des diffen- 1 5 (31) tions qui trajuaillent maintenant le monde. Le dernier & le principal fruid de ces Principes eft qu'on pourra, en les cultiuant, decouurir plufieurs veritez que je nay point expliquées ; & âinfi, paflant peu à peu des vnes aux autres, acquérir auec le temps vne parfaite 20 connoiflance de toute la Philofophie & monter au plus haut degré de la Sagefle. Car, comme on voit en tous les arts que, bien qu'ils foient au commencement rudes & imparfaits, toutefois, à caufe qu'ils con- tiennent quelque chofe de vray & dont l'expérience 23 monftre l'efled, ils fe perfedionnent peu à peu par l'vfage : ainfi, lors qu'on a de vrais Principes en Phi- lofophie, on ne peut manquer en les fuiuant de ren- contrer parfois d'autres veritez ; & on ne fçauroit mieux prouuer la fauffeté de ceux d'Ariftote, qu'en 3o difant qu on n'a fceu faire aucun progrez par leur

Principes. -—Préface. 19

moyen depuis plulieurs liecles qu'on les a fuiuis.

le fçay bien qu'il y a des efprits qui fe haftent tant,

& vfent de fi peu de circonfpedion en ce qu'ils font,

que, mefme ayant des fondemens bien folides, ils

5 ne fçauroient rien baflir d'affuré ; & pource que ce font d'ordinaire ceux-là qui font les plus prompts à faire des Liures, ils pourroient en peu de temps gafter tout ce que j'ay fait, & introduire | l'incertitude (32) & le doute en ma façon de philofopher, d'où j'ay foi-

10 gneufement tafché de les bannir, fi on receuoit leurs écrits comme miens, ou comme remplis de mes opi- nions, l'en ay veu depuis peu l'expérience en l'vn de ceux qu'on a le plus creu me vouloir fuiure, & mefme duquel j'auois écrit, en quelque endroit, « que je m'af-

«5 » furois tant fur fon efprit, que je ne croyois pas qu'il » euft aucune opinion que je ne voulufle bien auoûer » pour mienne ' » : car il publia l'an paffé vn Liure, inti- tulé Fundamenta Phyficœ^\ où, encore qu'il femble n'a- uoir rien mis, touchant la Phyfique & la Médecine, qu'il *

20 n'ait tiré de mes écrits, tant de ceux que j'ay publiez que d'vn autre encore imparfait touchant la nature des animaux, qui luy eft tombé entre les mains, tou- tefois, à caufe qu'il a mal tranfcrit, & changé l'ordre, & nié quelques veritez de Metaphyfique, fur qui toute

25 la Phyfique doit eflre appuyée, je fuis obligé de le defaduoùer entièrement '^, & de prier icy les Ledeurs

a. Epistola Renati Des-Cartes ad celeberrimum Virum D. Gisbertum VoETHM, i64J> : « . . .acutissimo et perspicacissimo ingenio Regii tantum H tribuo, ut vix quicquam ab illo scriptum putem quod pro meo non ,> libenter agnoscam ". (Page 232, édit. j?r/«t-ej7^.)

b. Henri Regii Ultrajectini, Fundamenta Physices. (Amstelodami, apud Ludovicum El\evirinm. 1646, in-8.)

c. Voir Correspondance, t. IV, p. 248, 256, 497, 5 10. 517, 566, 590, r^g. 625 et 63o : t. V, p. 7g, 112, 170 ^- ^'^^

20 Œuvres de Descartes.

qu'ils ne m'attribuent jamais aucune opinion, s'ils ne la trouuent expreffement en mes écrits, & qu'ils n'en reçoiuent aucune pour vraye, ny dans mes écrits ny ailleurs, s'ils ne la voyent tres-clairement eftre dé- duite des vrais Principes. 5

(33) I le fçay bien auffi qu'il pourra le pafler plufieurs fiecles auant qu'on ait ainfi déduit de ces Principes toutes les veritez qu'on en peut déduire, pourceque la plufpart de celles qui relient à trouuer, dépendent de quelques expériences particulières, qui ne fe rencon- lo treront jamais par hazard, mais doiuent eftre cherchées auec foin & depenfe par des hommes fort intelligens ;

& pource qu'il arriuera difficilement que les mefmes qui auront l'adreiTe de s'en bien feruir ayent le pou- uoir de les faire; & aufli pource que la plufpart des i5 meilleurs efprits ont conceu vne fi mauuaife opinion de toute la Philofophie, à caufe des defaux qu'ils ont remarquez en celle qui a efté jufques à prefent en vfage, qu'ils ne pourront pas s'appliquer à en chercher vne meilleure. Mais fi enfin la différence qu'ils verront 20 entre ces Principes & tous ceux des autres, & la grande fuite de veritez qu'on en peut déduire, leur fait connoiftre combien il eft important de continuer en la recherche de ces veritez, & jufques à quel degré de Sagelfe, à quelle perfeftion de vie, à quelle félicité elles 25 peuuent conduire, j'ofe croire qu'il n'y en aura aucun qui ne tafche de s'employer à vn eftude d profitable,

(34) ou du moins qui ne fauorife & vueille aydcr | de tout fon pouuoir ceux qui s'y employeront auec fruid.

le fouhaitc que nos ncueux en voient le fuccez, &c. 3o

A LA SERENISSIME

PRINCESSE

ELIZABETH,

PREMIERE FILLE

De Frédéric, Roy de Bohemk, Comte Palatin, ET Prince Electeur de l'Empire.

Madame,

Le principal fruit que j'aye receu des écrits que j'ay cy-deuant publiez a efté qu'à leur | occafion j'ay eu l'honneur d'eftre connu de Vostre Altesse, (2) & de luy pouuoir quelquefois parler : ce qui m'a donné moyen de remar- quer en elle des qualitez fi eftimables & ù rares, que je croy que c'ed rendre feruice au public de les propofer à la pofterité pou^r exemple. l'au- rois mauuaife grâce à flater, ou bien à écrire des chofes dont je n'aurois point de ronnoilTance certaine, principalement aux premières pages de ce liure, dans lequt; je tafcheray de mettre les principes toutes les veritez que l'efprit humain peut fçauoir. Et la généreuse modeftie qui reluit en toutes les allions de voftre Altefle m'affure que les difcours fimples & francs d'vn homme qui n'écrit que ce qu'il croit, vous feront plus agréables, que ne feroient des louanges ornées de termes pompeux & recherchez par ceux qui ont eftudié l'art des complimens. C'eft pourquoy je ne mettray rien en cette lettre dont l'expérience &■ la raifon ne m'ait rendu certain ; & j'y écriray en Philofophe, ainfi que dans le refte du liure. Il y a beaucoup de différence entre les | vrayes vertus & celles qui ne font (3) qu'apparentes; & il y en a auffi beaucoup entre les vrayes qui procèdent d'vne exacte connoiffance de la vérité, & celles qui font accompagnées d'ignorance ou d'erreur. Les vertus que je nomme apparentes ne font, à proprement parler, que des vices, qui, n'eftant pas fi frequens que d'autres vices qui leur font contraires, ont couftume d'eftre plus eftimez que les vertus qui confiftent en la médiocrité dont ces vices oppofez font les excez. Ainfi, à caufe qu'il y a bien plus de perfonnes qui craignent trop les dangers qu'il n'y en a qui les craignent trop peu, on prend fouuent la témérité pour vne vertu, &elle éclate bien plus aux occalions que ne fait le vray courage; ainfi les prodigues ont couftume d'eftre plus lotiez que

a. Lire « ou », au lieu de « et » ? Voir le texte latin.

22 Œuvres de Descartes.

les libéraux; & ceux qui font véritablement gens de bien n'acquerent point tant la réputation d'eftre deuots, que font les fuperftitieux & les hypocrites. Pour ce qui eft des vrayes vertus, elles ne viennent pas toutes d'vne vraye connoiflance, mais il y en a qui naiffent aufli quelquefois du

(4) défaut ou de l'erreur : ainfi fouuent la fim Iplicité eft caufe de la bonté, la peur donne de la deuotion, & le defefpoir du courage. Or les vertus qui ibnt ainfi accompagnées de quelque imperfe£lion,font différentes entr'elles, & on leur a auflî donné diuers noms. Mais celles qui font fi pures & fi par- faites qu'elles ne viennent que de la feule connoiflance du bien, font toutes de mefme nature, & peuuent eftre comprifes fous le feul nom de la Sagefle. Car quiconque a vne volonté ferme & confiante d'vfer touf-jours de la" raifon le mieux qu'il eft en fon pouuoir, & de faire en toutes fes avions ce qu'il juge eftre le meilleur, eft véritablement fage, autant que fa nature permet qu'il le foit; & par cela feul il eft jufte, courageux, modéré, & a toutes les autres vertus, mais tellement jointes entre elles qu'il n'y en a aucune qui paroifle plus que les autres; c'eft pQurquoy, encore qu'elles foient beaucoup plus parfaites que celles que le meflange de quelque défaut fait éclater, toutefois, à caufe que le commun des hommes les rem.arque moins, on n'a pas couftume^de leur donner tant de louanges.

(5) Outre cela, de deux chofes qui font requifes à la | Sagefle ainfi décrite, à fçauoir que l'entendement connoifle tout ce qui eft bien, & que la volonté foit touf-jours difpofée à le fuîure, il n'y a que celle qui confifte en la vo- lonté que tous les hommes peuuent également auoir, d'autant que l'enten- dement de quelques-vns n'eft pas fi bon que celuy des autres. Mais, encore que ceux qui n'ont pas le plus d'efprit puiflent eftre aufli parfaitement fages que leur nature le permet, & fe rendre tres-agreables à Dieu par leur vertu, fi feulement ils ont touf-jours vne ferme refolution de faire tout le bien qu'ils fçauront, & de n'ometre rien pour apprendre celuy qu'ils ignorent; toutefois ceux qui, auéc vne conftante volonté de bien faire & vn foin tres-particulier de s'inftruire, ont aufli vn très-excellent efprit, arriuent fans doute à vn plus haut degré de Sagefle que les autres. Et je voy que ces trois chofes fe trouuent tres-parfaitement en Vostre Altesse. Car pour le foin qu'elle a eu de s'inftruire, il paroift aflez de ce que ny les diuer- tiflemens de la Cour, ny la façon dont les Princefles ont couftume d'eftre

(6) I nourries, qui les deftournent entièrement de la connoifl^ance des lettres, n'ont peu empefcher que vous n'ayez tres-diligemment eftudié tout ce qu'il y a de meilleur dans les fciences. Et on connoift l'excellence de voftre efprit en ce que vous les auez parfaitement aprifes en fort peu de temps. Mais j'en ay encore vne autre preuue qui m'eft particulière, en ce que je n'ay jamais rencontré perfonne qui ait fi généralement & fi bien entendu tout ce qui eft contenu dans mes écrits : car il y en a plufieurs qui les trouuent tres-obfcurs, mefme entre les meilleurs efprits & les plus d0(5tes; & je re- marque prefque en tous, que ceux qui conçoiuent ayfement les chofes qui

t. Lire « fa » ? Voir le texte latin.

Principes. Epistre. 2)

appartiennent aux Mathématiques ne font nullement propres à entendre celles qui fe rapportent à la Metaphyfique, & au contraire, que ceux à qui celles-cy font aifées ne peuuent comprendre les autres : en forte que je puis dire auec vérité que je n'ay jamais rencontré que le feul efprit de VosTRE Altesse auquel l'vn & l'autre fuft également facile, & que par con- fequent j'ay | jufte i'aifon de l'eftimer incomparable. Mais ce qui augmente (7) le plus mon admiration, c'eft qu'vne fi parfaite Si fi diuerfe connoiffance de toutes les fciences n'eft point en quelque vieux dodeur qui ait employé beaucoup d'années à s'inftruire, mais en vne Princefle encore jeune, & dont le vifage reprefente mieux celuy que les Poètes attribuent aux Grâces, que celuy qu'ils attribuent aux Mufes ou à la fçauante Minerue. Enfin je ne remarque pas feulement en Vostre Altesse tout ce qui eft requis de la part de Tefprit à la plus haute & plus excellente Sagefie, mais auifi tout ce qui peut eftre requis de la part de la volonté ou des mœurs, dans lefquelles on voit la magnanimité & la douceur jointes enfemMe auec vn tel tempé- rament que, quoy que la fortune, en vous attaquant par de continuelles injures, femble auoir fait tous fes efforts pour vous faire changer d'hu- meur, elle n'a jamais pu, tant foit peu, ny vous irriter, ny vous abaifler. Et cette fi parfaite Sageffe m'oblige à tant de vénération, que non feuie- ment.je penfe luy | deuoir» ce Liure, puis qu'il traitte de la Philofophie (8) qui en eft l'eftude, mais auffi je n'ay pas plus de zèle à philofopher, c'eft à dire à tafchtr d'acquérir de la Sageffe, que j'en ay à eftre,

Madame,

de Voftre " Alteffe

Le tres-humble, tres-obeiffant & tres-deuot feruiteur,

Oescartes.

a. Suppléer : « dédier et consacrer » ?

b. « De voftre Voftre » (/" édit.).

LES PRINCIPES

DE

LA PHILOSOPHIE

- PREMIERE PARTIE.

Des Principes de la connoijfance humaine.

I. Que pour examiner la vérité il efi hejoin^ vne fois en fa vie y de mettre toutes chofes en doute, autant qu'il fe peut.

Comme nous auons efté enfans auant que d'eftre hommes, & que nous auons jugé tantoft bien & tantoll mal des chofes qui fe font prefentées à nos fens,Iors que nous n'auions pas encore l'vfage entier de noftre raifon, plufieurs jugemens ainfi précipitez nous empefchent de paruenir à la connoiffance de la vérité, & nous preuienent de telle forte, qu'il n'y a point d'apparence que nous puiflions nous en deliurer, fi nous n'entreprenons de douter, vne fois en noilre vie, de toutes les chofes nous trouuerons le moindre fojjpçon d'in- certitude.

2. Qu'il ejl vtile aufji de confiderer comme fauffes toutes les chofes dont on peut douter.

Il fera mefme fort vtile que nous rejettions comme faulfes toutes celles nous pourrons imaginer le moindre doute, afin que, | fi nous en découurons quelques-vnes qui, nonobftant cette précaution, nous femblent manifeflement vrayes,nous facions eftat qu'elles font auffi très-certaines, & les plus aifées qu'il eft poflîble de connoiftre.

20 Œuvres de Descartes.

3. Que nous ne deuons point vfer de ce doute pour la conduite de nos aC '?,

Cependant il ejt à remarquer que je n'entends point que nous nous feruions d'vne façon de douter fi générale, finon lors que nous commençons à nous appliquer à la contemplation de la vérité. Car /'/ ejl certain qu'en ce qui regarde la conduite de nollre vie, nous fommes obligez de fuiure bien Ibuuent des opinions qui ne font que vray-femblables," à caufe que les occafions d'agir en nos affaires fe pafferoient prefque touf-jours, auant que nous puffions nous deli- urer de tous nos doutes. Et lors qu'il s'en rencontre plufieurs de telles fur vn mefme fujet, encore que nous n'apperceuions peut- ertre pas dauantage de vray-femblance aux vnes qu'aux autres, Ji l'aâion ne fouffre aucun delaf,\di raifon veut que nous en choifif- fions vne, & qu'après l'auoir choijte, nous la fuiuions conjîamment, de me/me que fi nous l'auions jugée très-certaine.

4. Pourquoy on peut douter de la vérité des chofesfenfibles.

Mais, pource que nous n'auons point d'autre deffcin maintenant que de vaquer à la recherche de la vérité, nous douterons, en pre- mier lieu, fi de toutes les chofes qui font tomjbées fous nos fens, ou que nous auons Jamais imaginées, il y en a quelques-vnes qui foient véritablement dans le monde : tant à caufe que nous fçauons par expérience que nos fens nous ont trompez en plulieurs ren- contres, & qu'il y auroit de l'imprudence de nous trop fier à ceux qui nous ont trompez, quand mefme ce n'auroit elle qu'vne fois ; comm'aulTi à caufe que nous fongeons prefque touf-jours en dor- mant, & que pour lors il nous femble que nous fcntons viuement & que nous imaginons clairement vne infinité de chofes qui ne font point ailleurs, &. que, lors qu'on eil ainfi refolu à douter de tout, il ne refte plus de marque par on puiffe fçauoir^? les penfées qui vienent en fonge font pluto/l fauffes que les autres.

S. Pourquoy on peut aufji douter des démon flrations de Mathématique.

Nous douterons aufli de toutes les autres chofes qui nous ont femblé autrefois trcs-certaines, mefme des demonftrations de Ma- thématique &de fes principes, encore que d'eux-mefmes... ils foient atfcz manifcftcs ; pource qu'il y a des hommes qui fe font mépris

Principes. Première Partie. 27

en raifonnant fur de telles matières... ; mais principalement, pource que nous auons ouy dire que Dieu, qui nous a créez, peut faire tout ce qu'il luy plaift, & que nous ne fçauons pas encore s'il a voulu nous faire tels que nous foyons touf-jours trompez, mefmes aux chofes que nous | penfons mieux connoiftre. Car, puifqu'il a bien permis que nous nous foyons trompez quelquesfois, ainfi qu'il a elle def-ja remarqué*, pourquoy ne pourroit-il pas permettre que nous nous trompions touf-jours? Et fi nous voulons feindre qu'vn Dieu tout-puiffant n'eft point autheur de nortre eftre, & que nous fub- firtons par nous mefmes, ou par quelque autre moyen ; de ce que nous fuppoferons cet autheur moins puiffant, nous aurons touf- jours d'autant plus de fujet de croire que nous ne fommes pas fi parfaits, que nous ne puiflions eftre continuellement abufez.

6. Que nous auons vn libre arbitre qui fait que nous pouuons nous abjienir de croire les chofes douteufes, & ainji nous empefcher d'ejire trompe^.

Mais quand celuy qui nous a créez feroit tout-puiffant, & quand mefmes il prendroit plaifir à nous tromper, nous ne lailïons pas d'efprouuer en nous vne liberté qui eft telle que, toutes les fois qu'il nous plaill, nous pouuons nous abftenir de receuoir en noftre croyance les chofes que nous ne connoiffons pas bien, & ainfi nous empefcher d'ertre jamais trompez.

7. Que nous ne Jqaurions douter fans ejire^ & que cela ejï la première connoiffance certaine qu'on peut acquérir.

Pendant que nous rejettons en cette forte tout' ce dont nous pouuons douter, & que nous feignons mefmes qu'il ert faux, nous fuppofons facilement qu'il n'y a point de Dieu, ny de ciel, ny de terre..., ^ que nous n'auons point de corps; mais nous ne fçau- rions fuppofer de mefme, que nous ne fommes point, pendant que nous doujtons de la vérité de toutes ces chofes : car nous auons tant de répugnance à conceuoir que ce qui penfe n'elt pas véritablement au mefme temps qu'il penfe, que, nonobjtant toutes les plus extra- uagantes fuppojtlions, nous ne fçaurions nous empefcher de ci'oire que cette conclufion : Ie pense, donc ie suis, ne foit vraye, & par confequent la première & la plus certaine, qui fe prefente à celuy qui conduit fes penfées par ordre.

a. Article précédent.

c

28 OEuVRES DE D ESC ARTES.

8. Qu'on connoiji aiijfi en fuite la dijiinâion qui eji entre Vame & le corps.

Il me femble aufli qtie ce biais cil tout le meilleur que nous puif- fions choijir pour connoiitre b nature de l'anie, «Se qu'elle elt vue fuhffance entièrement dillincte du corps : car, examinant ce que nous Ibmmes, nous qui penfons maintenant qu'il n'y a rien hors de nq/lre pen/ée qui foi l veritablemcnl ou qui exi/lc, nous connoilfons manifeftement que, pour ejtre, nous n'auons pas belbin d'extenlion, de ligure, d'eftre en aucun lieu, ny d'aucune autre telle choie qu'on peut attribuer au corps, & que nous fommes par cela feul que nous penfons ; & par confequent, que la notion que nous auons de nollre ame ou de noftre penfée précède celle que nous auons du corps, & qu'elle eft plus certaine, vcu que nous doutons encore qu'il j' ait au monde aucun corps, & que nous Içauons certainement que nous penlbns.

<?. Ce que c'ejl que penfer.

I Par le mot de penfer, j'entends tout ce qui le fait en nous de telle forte que nous l'apperceuons immédiatement par nous-mefmes... ; c'eft pourquoy non feulement entendre, vouloir, imaginer, mais aufli fentir, ell la mefme chofe icy que penfer. Car i\ je dy que je voyou que je marche, & que j'infère de que je fuis ; fi j'en- tends parler de ra«:\ion qui fe fait auec mes yeux ou auec mes jambes, cette conclulion n'ell pas tellement infaillible que ie n'aye quelque fujet d'en douter, à ccufe qu'il fe peut faire que je penfe voir ou marcher, encore que je n'ouure point les yeux & que je ne bouge de ma place; car cela m'arriue quelquefois en dormant, & le mefme pourroit peut-ellre arriuer fi je n'auois point de corps : au lieu que, fi j'entepds parler feulement de l'aéîion de ma penfée, ou du fentiment, c'efi à dire de la connoilfance qui eft en moy, qui fait qu'il me femble que je voy ou que je marche, cette mefme conclu- fion eft/ abfolument vraye que je n'en peux douter, à caufe qu'elle fe rapporte à l'ame, qui feule a la faculté de fentir, ou bien de penfer en qiielqu autre façon que cefoit.

10. Qu'il y a des notions d'elles-mefmes ft claires qu'on les obfcurcit en les voulant définir à lafaqon de l'efcôle, S' qu'elles ne s'aquierent point par efiude, mais naiffent auec nous.

le n'explique pas icy plufieurs autres termes dont je me fuis def-ja fcruy, & dont je fais cllat de me feruir cy-apres ; car je ne pcnfe

Principes. Première Partie. 29

pas que, | parmy ceux qui liront mes efcrits, il s'en rencontre de li ftupides qu'ils ne puiffent entendre d'eux-mefmes ce que ces termes fignifient. Outre que i'ay remarqué que les Philofophes..., en tafchant d'expliqper, par les règles de leur Logique, des chofes qui font... manifeftes d'elles-mefmes, n'ont rien fait que les obfcurcir; & lors j'ay dit que cette propofition : Je pense, donc je sois, eft la première & la plus certaine qui fe prefente à celuy qui conduit fes penfées par ordre, je n'ay pas pour cela nié qu'il ne fallut fçauoir auparauant ce que c'eit que penfée, certitude, éxiltence, & que pour penfer il faut ertre, & autres chofes femblables ; mais, à caufe que ce font des notions fi fimples que d'elles-mefmes elles ne nous font auoir la connoilfance d'aucune choie qui exiite, je n'ay pas jugé qu'elles deuflcnt eltre mifes icy en compte.

//. Comment nous pouuons plus clairement connoijlre nojlre ame que nojlre corps.

Or, afin de fçauoir comment la connoiiiance que nous auons de noftre per'ee, précède celle que nous auons du corps..., & qu'elle eft incomparablement plus éuidente, & telle, qu'encore qu'il ne fujl point, nous aurions rai/on de conclura qu'elle ne laijferoit pas d'ejîre tout ce qu'eir ejl, nous remarquerons qu'il eft manifefte, par vne lumière qui eft naturellement en nos âmes, que le néant n'a au- cunes qualitezl ny proprietez qui lui /oient affeâées, & qu'où nous en apperceuons quelques-vnes, il fe doit trouuer neceft'airement vne chofe ou fubftance dont elles dépendent. Cette mel'me lumière nous montre aulfi que nous connoilVons d'autant mieux vne chofe ou fubftance, que nous remarquons en elle dauantage de proprietez. Or il eft certain que nous en remarquons beaucoup plus en noftre penfée qu'en aucune autre chofe, d'autant qu'il n'y a rien qui nous excite à connoiftre quoy que ce foit, qui ne nous porte encore plus certainement à connoiftre noftre penfée. Par exemple, fi je me per- fuade qu'il y a vne terre à caufe que je la touche ou que je la voy, de cela mefme, par vne railbn encore plus forte, je dois eftre per- fuadé que ma penfée ejl ou exifte, à caufe qu'il fe peut faire que je penfe toucher la terre, encore qu'il n'y ait peut-eftre aucune terre au monde, & qu'il n'eft pas polîible que moy, c'eft à dire mon ame, ne foit rien pendant qu'ell'a cette penfée. Nous pouuons conclurrc le mefme de toutes les autres choies qui nous vienent en la penfée, à fçauoir que nous, qui les peufons, exijlons, encore quelles foient peut-ejire fauffes ou qu'elles n'ayent aucune exijfencc.

JO

Œuvres de Descartes.

12. D'où vient que tout le monde ne la connoijl pas en cette faqon.

Ceux qui n'ont pas philolbphé par ordre ont eu d'autres opinions 9 fur ce fujet, pource | qu'ils n'ont jamais diftingué affez foigneufe- ment leurame, ou ce qui penfe, d'auec le corps, ou ce qui eji ejlendu en longueur, largeur & profondeur. Car encore qu'ils ne fillent point difficulté de croire qu'ils elloient dans le monde, & qu'ils en euffent vne alfurance plus grande que d'aucune autre chofe, neantmoins, comme ils n'ont pas pris garde que, par ^ eux, lors qu'il ejîoit quejlion d'vne certitude Metaphijîque , ils deuoient entendre feulement leur penfée, & qu'au contraire ils ont mieux aymé croire que c'eftoit leur corps, qu'ils voyoient de leurs yeux, qu'ils touchoient de leurs mains, & auquel ils attribuoient mal à propos la faculté de fentir, ils n'ont pas connu diftindement la nature de leur ame.

i3. En quelfens on peut dire que, fi on ignore Dieu, on ne peut auoir de connoijfance certaine d'aucune autre chofe.

Mais, lors que la penfée, qui fe connoift foy-mefme en cette façon, Honobjîant qu'elle perfijle encore à douter des autres chofes, vfe de circonfpeclion pour tafcher d'ellendre fa connoilTance plus auant, elle trouue en foy, premièrement, les idées de plufieurs chofes ; & pendant qu'elle les contemple iimplement, & qu'elle n'alfeure pas qu'il y ait rien hors de foy qui foit femblable à ces idées, & qu'aulîi elle ne le nie pas, elle ell hors de danger de fe méprendre. Elle ren- contre aulTi quelques notions communes, dont elle compofe des de- 10 monrtrations..., [qui la perfuadent fi abfolument, qu'elle ne fçauroit douter de leur vérité pendant qu'elle s'y applique. Par exemple, elle a en foy les idées des nonlbres & des figures; elle a aufli, entre les communes notions, u que, fi on adjoulle des quantitez égales à d'autres quantité/ égales, les tous feront égaux » & beaucoup d'autres aufli éuidentcs que ccSle-cy, par lefquelles il eft aifé de démontrer que les trois angles d'vn triangle sont égaux à deux droits, &c. Tant qu'elle apperçoita'5 notions 6- l'ordre^' dont elle a déduit cette conclufion ou d'autres femblables, elle efl: tres-a(lurée de leur vérité ; mais, comme elle ne fçauroit y penfer touf-jours auec tant d'attention, lors qu'il arriue qu'elle fe fouuient de quelque

a. « Par eux », traduction exacte du latin per se ipsos. Les éditions sui- vantes donnent, à tort, « pour eux ».

b. « Prxmissas ex quibus. <■

Principes. Première Partie. j i

conclitjion faits prendre garde à l'ordre dont elle peut ejire démontrée, <S^ que cependant elle penfe que l'Autlieur de Jon eJire aurait peu la créer de telle nature qu'elle fe méprilt... en tout ce qui luy femble tres-éuident, elle voit bien qu'elle a vn julle fujet de fe défier de la vérité de tout ce qu'elle n'apperçoit pas dijlinâement, & qu'elle ne fçauroit auoir aucune fcience certaine, julques à ce qu'elle ait connu celuy qui l'a créée.

14. Qu'on peut démontrer qu'il y a vn Dieu, de cela feul que la necejfité d'ejîre ou d'exijler ejl comprije en la notion que nous auons de luy.

Lors que, par après, elle /ti// vne reueuë fur les diuerfes idées ou notions qui font en foy, & qu'elle y trouue celle d'vn eftre tout con- noifjfant, tout-puiffant & extrêmement parfait..., elle juge facilement, 11 par ce qu'elle apperçoit en cette idée, que Dieu, qui efl cet Eftre tout parfait, efl ou exifle : car, encore qu'elle ait des idées difîincles de plufiews autres chofes, elle n'y remarque rien qui l'ajfure de l'exi- Jlence de leur objet; au lieu qu'oui apperçoit en celle-cy, non pas feulement, comme dans les autres, vne exiftence po(fibIe...,mais vne abfolument necelfaire & éternelle. Et comme, de ce qu'elle voit qu'il elt neceffairement compris dans l'idée qu'elle a du triangle, que fes trois angles foient égaux à deux droits, elle fe perfuade abfo- lument que le triangle a trois angles égaux à deux droits: de mefme, de cela feul qu'elle apperçoit que l'exillence neceffaire & étemelle eft comprife dans l'idée qu'elle a d'vn Elire tout parfait, elle doit conclure que cet Elire tout parfait efl ou exille.

i5. Que la necejjité d'ejîre n' efl pas ainji comprife en la notion que nous auons des autres chofes, mais feulement le pouuoir d'être.

Elle pourra s'alfurer encore mieux de la vérité de cette concluftofi, il elle prend garde qu'elle n'a point en foy l'idée ou la notion d'au- cune autre chofe elle puiffe reconnoiftre vne exiftence qui foit ainfi abfolument necelfaire. Car de cela feul elle fçaura que l'idée d'vn Eftre tout parfait n'eft point en elle par vne fixion, comme celle qui reprefente vne chimère, mais qu'au contj^aire, elle y efl empreinte par vne na|ture immuable & vraye, & qui doit necef- 12 fairement exifter, pource qu'elle ne peut eftre conceuë qu'auec vne exiftence ntceflaire.

}2 Œuvres de Descartes.

i6. Que les préjuge:^ empefchent que pîufteurs ne connoiffent clairement cette neceJjUté d'eftre qui eji en Dieu.

Nq/lre ame ou notre penfée n'auroit pas de peine à fe perfuader cette vérité, fi elle eltoit libre... de fes préjugez ; mais, d'autant que nous Ibmmes accouftumez à diftinguer en toutes les autres chofes l'effence de l'exiftence, & que nous pouuons feindre à plaifir plu- fieurs idées de chofes qui... peut-ejlre n'ont jamais tûé&qui ne feront peut-ejire jamais, lors que nous n'éleuons pas comme il faut nojlre efprit à la contemplation de cet Eftre tout parfait, il fe peut faire que nous doutions fi l'idée que nous auons de luy n'eft pas Tvne de celles que nous feignons quand bon nous femble, ou qui font pojjibles, encore que l'exiftence ne foit pas necejfairement comprife en leur nature*.

ij. Que, d'autant que nous conceuons plus de perfeâion en vne chofes d'autant deuons-nous croire que fa caufe doit aufji ejlre plus parfaite.

De plus, lors que nous faifons reflexion fur les diuerfes idées qui font en nous, il eft aifé d'apperceuoir qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre elles, en tant que nous les co7ifiderons fîmplement comme les dépendances '' de noflre ame ou de noftre penfée, mais qu'il y en a beaucoup, en tant que l'vne reprefente vne chofe, & l'autre vne autre; & mefme, que leur caufe doit èftre d'autant plus parfaite, que ce qu'elles reprefentent de leur objet a" plus de 18 perfedion. Car, tout | ainfi que, lors qu'on nous dit que quelqu'vn a l'idée d'vne machine il y a beaucoup d'artifice, nous auons raifon de nous enquérir comment il a peu auoir cette idée : à fçauoir, s'il a veu quelque part vne telle machine faite par vn autre, ou s'il a fi bien apris la fcience des mechaniques, ou s'il eft auantaffé (ï\nQ telle viuacité d'efprit, que de luy-mefme il ait peu l'inuenter fans auoir rien veu de femblable ailleurs; à caufe que tout l'artifice qui eft reprefente dans l'idée qu'a cet homme... ainfi que dans vn tableau, doit eftre... en fa première & principale caufe, non pas feulement par imitation^, mais en effet... de la mefme forte, ou dVne façon encore plus éminente* qu'il n'eft reprefente :

a. Laiin : ad quarum csscntiam. »

b. « Les dépendances ». Latin : « modi ».

c. « Plus perfedionis objectivae in se continent. »

d. « Objective sivc repraesentative. »

c. « Reipsâ tormaliter aut eminenter. »

Principes. Première Partie. j }

i8. Qu'on peut derechef démontrer par cela qu'il j" a vn Dieu.

De mefme, pource que nous trouuons ea nous l'idée d'vn Dieu ou d'vn Elire tout parfait, nous pouuons rechercher la caufe qui fait que cette idée eft en nous; mais, après auoir confideré auec attention combien font immenfes les perfections quelle nous reprefente, nous fommes contraints d'aduoiier que nous ne fçaurions la tenir que d'vn Eftre tres-parfait, c'eft à dire d'vn Dieu qui ell véritablement ou qui exifte, pource qu'il eft non feulement manifefte par lumière naturelle que le néant ne peut eftre autheur de quoy que ce foit, & que le plus parfait ne fçauroit eftre vue fuite & vne de\pendance* du 14 moins parfait, mais aufli pource que nous poj'ons, par le moyen de cette mefme lumière, qu'il ^eft impoffible que nous ayons l'idée ou l'image de quoy que ce foit, s'il n'y a..., en nous ou ailleurs, vn ori- ginal qui comprenne en effet toutes les perfections qui nous font ainfi reprefentées. Mais comme nous fçauons que nous fommes fujets à beaucoup de deffauts, & que nous ne poifedons pas ces extrêmes perfections dont nous auons l'idée, nous deuons conclure qu'elles font en quelque nature qui eft différente de la noftre & en effet IreS' . parfaite, c'eft à dire qui eft Dieu; ou du moins qu'elles ont efté autrefois en cette chofe ; & il fuit..., de ce qu'elles efi oient infinicSt qu'elles y font encore.

ig. Qu'encore que nous ne comprenions pas tout ce qui ejl en Dieu, il n'y a rien toutefois que nous ne connoifjions Ji clairement comme fes perfeâions,

le ne voy point en cela de difficulté, pour ceux qui ont accouftumc leur efprit à la contemplation de la Diuinité, & qui ont pris garde à fes perfedions infinies. Ccr, encore que nous ne les comprenions pas, pource que la nature uc iMnfiny eft telle que des pcnfées finies ne le fçauroient comprendre, nous les conceuons heantmoins plus clairement & plus diftindement que les chofes matérielles, à caufe qu'eftant plus fimples & n'eftant point limitées, ce que nous en con- ceuons eft beaucoup moins confus". Aufft il n'y a point defpeculation qui I puiffe plus ayder à perfeâionner noflre entendement & qui foit 15 plus importante que celle-cy, d'autant que la confderation d'vn objet qui n'a point de bornes en fes perfeâions nous comble de fatisffiâion & d'ajfeurance.

a. « Ut a causa efficiente et totali produci.

b. ■•<. Quia cogitationem nostram magis implant. ><

Œuvres. IV. 19

34 Œuvres de Descartes.

•2 0. Que nous ne fommes pas la caufe de nous me/mes, mats que c'eji Dieu, & que par cànfequent il y a vn Dieu.

Mais tout le monde n'y prend pas garde comme il faut ; & pource que nous fçauons affez, lors que nous auons vne idée de quelque machine il y a beaucoup d'artifice, la façon dont nous l'auons eue, & que nous ne fçaurions nous fouuenir de mefme quand l'idée que nous auons d'vn Dieu nous a efté communiquée de Dieu, à caufe qu'elle a touf-jours efté en nous, il faut que nous facions encore cette reueuë, (^ que nous recherchions quel eft donc l'autheur de nojire ame ou de nojtre penfée, qui a en foy l'idée des perfedions infinies qui font en Dieu : pource qu'/7 ejl éuident que ce qui con- noit quelque chofe de plus parfait que foy, ne s'eft point donné l'eftre, à caufe que par mefme moyen il fe feroit donné toutes les perfections dont il auroit eu connoiflance; & par confequent qu'il ne fçauroit fubfifter par aucun autre que par celuy qui poffede en effed toutes ces perfedions, c'eft à dire qui eft Dieu.

21. Que la feule durée de nojire vie fuffit pour démontrer que Dieu eJL

le ne croy pas qu'on doute de la vérité de cette demonftration,

pourueu qu'on prenne garde à la nature du temps ou de la durée

16 de I noflre vie. Car, eftant telle que fes parties ne dépendent point

les vnes des autres & n'exiftent jamais enfemble, de ce que nous

fommes maintenant, il ne s'enfuit pas neccjfairement que nous

foyons vn moment après, fi quelque caufe, à fçauoir la mefme qui

nous a produit, ne continue à nous produire, c'ell à dire ne nous

conferue. Et nous connoilTons aifement qu'il n'y a point de force

en nous par laquelle nous puiflions fubjifler ou nous conferuer vn

feul moment & que celuy qui a tarit de puifTance qu'il nous fait

fubjijîer hors de luy & qui nous conferue, doit.,, fe conferuer foy-

mefme, ou pluftoft n'a beibin d'eftre conferue par qui que ce (bit,

& enfin qu'il eft Dieu.

2 2. Qu'en connoijfant qu'il y a vn Dieu, en la faqon icy expliquée, on connoit aujfi tous fes attributs, autant qu'ils peuuent ejlre connus par la feule lumière naturelle.

Nous rcceuons encore cet auantage, en prouuant de cette forte l'exiftencc de Dieu...*, que nous connoilfons par mefme moyen ce

a. « Per ejus scilicet ideam. »

Principes. Première Partie. 35

qtril eft, autant que le permet la foibleffe de noftre nature. Car, faifant reflexion fur l'idée que nous auons naturellement^ de luy, nous voyons qu'il eft éternel, tout connoiffant, tout puiffant, fource de toute bonté & vérité, créateur de toutes chofes, & qu'enfin il a en foy tout ce en quoy nous pouuons reconnoiftre... quelque per- fedion infinie, ou bien qui n'eft bornée d'aucune imperfedion.

23. Que Dieu n'eft point corporel, & ne connoit point par Vayde des fens

comme nous, & n'eft point Autheur du péché.

Car il y a des chofes dans le monde qui font | limitées & en 17 quelque façon imparfaites, encore que nous remarquions en elles quelques perfections ; mais nous conceuons aifemenl qu'W n'eft pas poffible qu'aucunes de celles-là foient en Dieu. Ainfi, pource que l'extenfion conftituë la nature du corps, & que ce qui eft eftendu peut eftrc diuifé en plufieurs parties, & que cela marque du deffaut, nous concluons que Dieu n'eft point vn corps. Et bien que ce foit vn aduantage aux hommes d'auoir des fens, neantmoins, à caufe que les fentimcns fe font en nous par des impreflions qui viennent d'ailleurs, & que cela témoigne de la dépendance, nous concluons aufti que Dieu n'en a point; mais qu'il entend & veut, non pas encore comme nous par des opérations aucunement différentes, mais que touf-jours, par vne mefme & tres-fimple adion, il entend, veut & fait tout, c'eft à dire toutes les chofes qui font en effet ; car il ne veut point la malice du péché, pource qu'elle n'eft rien.

24. Qu'après avoir connu que Dieu eft pour pajfer à la connoiffance des créatures, il fe faut fouuenir que noftre entendement eft finy, & la puiffance de Dieu infinie.

Apres auoir ainfi connu que Dieu exifte & qu'il eft l'autheur de tout ce qui eft ou qui peut eftre, nous fuiurons fans doute la meil- leure méthode dont on fe puiffe feruir pour decouurir la vérité, fi, de la connoiffance que nous auons de fa nature, nous paffons à l'explication des chofes qu'il a créées, & fi nous | effayons de la 18 déduire en telle forte des notions qui font naturellement en nos âmes, que nous ayons vne fcience parfaite, c'eft à dire que nous connoif- fions les effets par leurs caufes. Mais, afin que nous puifïïons l'en- treprendre auec plus de fureté..., nous nous fouuiendrons, toutes

a. «< Nobis ingenitam. »

j6 Œuvres de Descartes.

les fois que nous voudrons examiner la nature de quelque chofe^ que Dieu, qui en eft l'Autheur, eft infiny, & que nous fommes entière- ment finis.

25. Et qu'il faut croire tout ce que Dieu a reuelé, encore qu'il foi t au deffus de la portée de nojire efprit.

Tellement que, s'il nous fait la grâce de nous reueler..., ou bien à quelques autres, des chofes qui lurpâflent la portée ordinaire de noitre efprit, telles que font les myfteres de Tlncarnatioii & de la Trinité, nous ne ferons point difficulté de les croire, encore que nous ne les entendions peut-ejlre pas bien clairement. Car nous ne deuons point trouuer ellrange qu'il y ait en fa nature, qui eft immenfe, & en ce qu'il a fait, beaucoup de chofes qui furpaffent la capacité de noftre efprit.

26. Qu'il ne faut point tafcher de comprendre l'infny, mais feulement penfer que tout ce en quoi nous ne trouuons aucunes bornes efl indejiny.

Ainfy nous ne nous embaraflerons jamais dans les difputes de l'infiny; d'autant qu'il feroit ridicule que nous, qui fommes finis, entrepriflions d'en déterminer quelque chofe, & par ce moyen le fuppofer finy en tafchant de le comprendre. C'eft pourquoy nous ne nous foucierons pas de répondre à ceux qui demandent | li la moi- tié d'vne ligne infinie eft infinie, & fi le nombre infiny eft pair ou non pair, & autres chofes femblables, à caufe qu'il n'y a que ceux qui s'imaginent que leur efprit eft infiny, qui femblent deuoir exa- miner telles difficultés. Et pour nous, en voyant des chofes dans lefquelles, félon certain fens, nous ne remarquons point de limites, nous n'affurerons pas pour cela qu'elles foient infinies, mais nous les eftimerons feulement indéfinies'. Ainfi, pource que nous ne fçaurions imaginer vne eftendutf fi grande, que nous ne conceuions en mefme temps qu'il y en peut auoir vne plus grande, nous dirons que l'eftenduë des chofes poflibles eft indéfinie. Et pource qu'on ne fçauroit diuifer vn corps en des parties fi petites, que chacune de ces parties ne puiffe eftrc diuifée en d'autres plus petites, nous pen- ferons que la quantité peut cftre diuifée en des parties dont le nombre eft indefiny. Et pource que nous ne fçaurions imaginer tant d'eftoiles, que Dieu n'en puifte créer dauantage, nous fuppoferons que leur nombre eft indefiny & ainfi du rcftc.

a. Voir Correspondance, t. V, p. 167.

Principes. Première Partie. 57

27. Quelle différence il y a entre indefiny & inHny.

Et nous appellerons ces chofcs indéfinies plullolt qu'infinies, afin de referuer à Dieu feul le nom d'infiny ; tant à caufe que nous ne remarquons point de bornes en fes perfcâiotis, comme aufli à caufe que nous fommes tres-affulrés qu'il n'y en peut auoir. Pour ce qui 20 e(t des autres chofes, nous /cations qu'elles ne font pas ainjt abfolu- ment parfaites, pource que, encore que nous y remarquions quel- quefois des propriétés qui nous femblent n'auoir point de limites, nous ne laiffons pas de connoijîre que cela procède du deffaut de nojîre entendementy & non point de leur nature '\

28. Qu'il ne faut point examiner pour quelle fin Dieu a fait chaque chofe, mais feulement par quel moyen il a voulu qu'elle fujl produite.

Nous ne nous arreflerons pas aufTi à examiner les fins que Dieu... s'elt propofé en créant le monde, <S' nous rejeterons entièrement de noflre Philofophie la recherche des caufe s finales : car nous ne deuons pas tant prefumer de nous-mefmes, que de croire que Dieu nous ait voulu faire part de fes confeils; mais, le confiderant comme l'Autheur de toutes chofes,. nous tafcherons feulement de trouuer, par la faculté de raifonner qu'il a mife en nous, comment celles que nous apperceuons par i'eniremife de nos fens ont pu eftre pro- duites; & nous ferons affurez, par ceux de fes attributs dont il a voulu que nous ayons quelque connoiffance, que ce que nous aurons î>ne fois apperceu clairement & diftinâement apartenir à la nature de ces chofes y a la perfeâion d'être vraj'. . .

2 g. Que Dieu n*ejl point la caufe de nos erreurs.

Et le premier de fes attributs qui femble deuoir eftre icy confi- deré, confifte en ce qu'il eft tres-veritable & la fource de toute lu- mière, de forte | qu'il n'eft pas poflible qu'il nous' trompe, c'eft à 21 dire qu'il foit diredement" la caufe des erreurs aufquelles nous fommes fujets & que nous expérimentons en nous-mefmes. Car, encore que l'adrelfe à pouuoir tromper femble eftre vne marque de fubiilité d'efprit entre les hommes, neantmoins jamais la volonté

a. La traduction évite ici les termes techniques />oj/7/W et négative.

b. Latin : proprie ac positive.

?8

Œuvres de Descartes.

de tromper ne procède que de malice, ou de crainte & de foiblefl'e, & par coni"equent ne peut eftre attribuée à Dieu.

3o. Et que par confequent tout cela eft vray que nous connojffons claire- ment eftre vray, ce qui nous deliure des doutes cy-dejfus propoJe\.

D'où il fuit que la faculté de connoiftre qu'il nous a donnée, que nous appelions lumière naturelle, n'apperçoit jamais aucun objet qui ne foit vray en ce qu'elle l'apperçoit, c'eft à dire en ce qu'elle con- noit clairefnent & diftindement; pource que nous aurions lujet de croire que Dieu feroit trompeur, s'il nous l'auoit donnée... telle que nous priflionsje faux pour le vray, lors que nous en vjons bien. Et cette confideration feule nous doit deliurer de ce doute hyperbo- lique' où nous auons efté, pendant que nous ne fçauions pas encore fi celuy qui nous a crée^ auoit pris plaiftr k nous faire tels, que nous fuflions trompez en toutes les chofes qui nous femblent tres-claires. Elle doit nous feruir auifi contre toutes les autres raifons que nous auions de douter, & que j'ay alléguées cy-deffus"; mefmes les vérités 12 de mathématique ne nous feront | plus fufpedes, à caufe qu'elles font tres-éuidentes ; & fi nous apperceuons quelque chofe par nos fens, foit en veillant, foit en dormanç, pourueu que nous feparions ce qu'il y aura de clair & diflinét, en la notion que nous aurons de cette chofe, de ce qui fera obfcur & confus, nous pourrons facilement nous affurer de ce qui fera vray. le ne m'eftends pas icy dauantage fur ce fujet, pource que j'en ay amplement traité dans les Médita- tions de ma Metaphyfique% & ce qui fuiura tantoft feruira encore à l'expliquer mieux.

3i. Que nos erreurs, au regard de Dieu, ne font que des négations, mais, au regard de nous, font des priuations ou des défauts.

Mais pource qu'il arriue que nous nous méprenons fouuent, quoy que Dieu ne foit pas trompeur, fi nous defirons rechercher la caufe de nos erreurs & en découurir la fource, afin de les corriger, il faut que nous prenions garde qu'elles ne dépendent pas tant de noftre entendement comme de noftre volonté, & qu'elles ne font pas des chofes ou fubftances qui ayeni befoin du concours aéluel de Dieu pour eftre produites : en forte qu'elles ne font, à fon égard,

a. Latin : summa.

h. Art. 4 et 5, p. 26-27.

c. Voir surtout Méditation IV, p. 43 et suiv. de ce volume.

Principes. Première Partie.

que des négations, ceji à dire qu'il ne nous a pas donné tout ce qu'il pouuoit nous donner & que nous voyons par me/me moyen qu'il n'ejioit point tenu de nous donner; au lieu qu'à noftre égard elles font des deffauts & des imperfedions.

32. Qu'il n'y a en nous que deux fortes de penfée, âfqauoir la perception de l'entendement & l'aâion de la volonté.

Caf toutes les façons de penfer que nous rejmarquons en nous, 28 peuuent eftre rapportées à deux générales, dont l'vne confifte à apperceuoir par l'entendement, & l'autre à fe déterminer par la vo- lonté. Ainfi fentir, imaginer, & mel'mes conceuoir des chofes pure- ment intelligibles, ne font que des façons différentes d'apperceuoir; mais defirer, auoir de l'auerfion, alfurer, nier, douter, font des façons différentes de vouloir.

33, Que nous ne nous trompons que lors que nous jugeons de quelque cho/e qui ne nous e^ pas aj[fe\ connue.

Lors que nous apperceuons quelque chofe, nous ne fommes point en danger de nous méprendre, fi nous n'en jugeons en aucune façon ; & quand mefme nous en jugerions, pourueu que nous ne don- nions noftre confentement qu'à ce que nous connoiffons clairement & diftindement deuoir eftre compris en ce dont nous jugeons, nous ne fçaurions non plus faillir; mais ce qui fait que nous nous trompons ordmairement, eft que nous jugeons bien fouuent, encore que nous n'ayons pas vne connoilfance bien exade de ce dont nous jugeons.

34. Que la volonté, aujji bien que l'entendement, eji requife pour juger.

l'auoUe que nous ne fçaurions juger de rien, fi noftre entendement n'y interuient, pource qu'il n'y a pas d'apparence que noftre vo- lonté fe détermine fur ce que noftre entendement n'apperçoit en aucune façon; mais comme la volonté eft abfolument neceffaire, afin que nous donnions noftre confentement à ce que | nous auonsaucu- 24 nement apjierceu, & qu'il n'eft pas neceffaire, pour faire vn juge- ment tel quel, que nous ayons vne connoiffance entière & parfaite, de vient que bien fouuent nous donnons noftre coni'entement à des chofes dont nous n'auons jamais eu qu'vne connoiffance... fort confufe.

40 Œuvres de Descartes

35. Qu'elle a plus d'eftenduê que luy, & que de viennent nos erreurs.

De plus, l'entendement ne s'eftend qu*à ce peu d'objets qui fe prefentent à luy, & fa connoilfance ert toul-jours fort limitée : au lieu que la volonté en quelque fens peut fembler infinie, pource que nous n'apperceuons rien qui puiffe eftre l'objet de quelque autre volonté, mefmes de cette immenfe qui ell en Dieu, à quoy la nollre ne puill'e aulli s'eilendre : ce qui ell caufe que nous la por- tons ordinairement au delà de ce que nous connoilTons clairement & dijlinâement . Et lors que nous en abufons de la forte, ce n'eft pas merueille s'il nous arriue de nous méprendre.

36. Le/quelles ne peuuent ejire imputées à Dieu.

Or, quoy que Dieu ne nous ait pas donné vn entendement tout connoiffant, nouî» ne deuons pas croire pour cela qu'il foit l'Au- theur de nos erreurs, pource que tout entendement créé cil finy, <k qu'il ell de la nature de l'entendement finy de n'ellre pas tout connoilTant.

3j. Que la principale perfeâion de l'homme ejl d^auoir vn libre arbitre, €• que c'ejî ce qui le rend di^ne de louange ou de blafme.

Au contraire, la volonté eilant de fa nature tres-cllcnduë, ce nous î5 eft vn auaniage très-grand de | pouuoir agir par fon moyen, c'ell à dire librement; en forte que nous l'oyons tellement les maillres de nos adions, que nous fommes dignes de loUange lors que nous les conduifous bien. Car, tout ainii qu'on ne donne point aux machines qu'on voit fc mouuoir en plulieurs façons diiierfes, aulli jullcmcnt qu'on fçauroit délirer, des loUanges qui je rapporlcnt verilablcmeni à elles, pource que ces machines ne reprefcntcnt aucune aclion qu'elles ne doiuent faire par le moyen de leurs rej/'urts, ik qu'on en donne à l'ouurier qui les a faites, pource qu'il a eu le pouuoir <S^ la volonté de les compofer auec tant d'artifice : de melme, on doii nous attribuer quelque chofe de plus, de ce que nous choilid'ons ce qui ell vray, lors que nous le dillinguoiis d'aucc k- faux, i)ar vne détermination de nollre volonté, que (i nous y cHiun'î déterminez ^'' contraints par vn principe étranger.

Principes. Première Partie. 41

38. Que nos erreurs font des deffauts de nojlre faqon d'agir, mais non point de nojlre nature; & que les fautes des fujets peuuent fouuent ejlre - attribuées aux autres maijlres, mais non point à Dieu.

Il eft bien vray que, toutes les fois que nous faillons, il y a du deffaait en noftre façon d'agir ou en l'vfage de noftre liberté; mais il n'y a point pour cela de deffaut en noftre nature, à caufe qu'elle eft touf-jours.la mefme, quoy que nos jugemens foient vrays ou faux. Et quand Dieu auroit pu nous donner vne connoifTance fi grande que nous n'euflions jamais efté fujets à faillir, nous n'auons aucun droit pour cela de | nous plaindre de luy. Car, encore que, 26 parmy nous, celuy qui a pu empefcher vn mal & ne l'a pas empef- ché, en foit blafmé & jugé comme coupable..., il n'en eft pas de mefme à l'égard de Dieu : d'autant que le pouuoir que les hommes ont les vns fur les autres eft inftitué afin qu'ils empefchent de mal faire ceux qui leur font inferieurs,Si. que la toute-puilïance que Dieu a fur l'vniuers eft tres-abfoluë & très-libre. C'eft pourquoy nous deuons le remercier des biens qu'il nous a faits, & non point nous plaindre de ce qu'il ne nous a pas aduantagez de ceux que nous connoiflbns qui nous manquent, & qu'il auroit peut-ejlrc pu nous départir.

3g. Que la liberté de noflre volonté fe connoit fans prenne , ar la feule expérience que nous en auons.

Au refte, il eft fi euident que nous auons vne volonté libre, qui peut donner fon confentement ou ne le pas donner, quand bon luy femble, que cela peut eftre compté pour vne... de nos plus com- munes notions... Nous en auons eu cy-deuant' vne preuue bien claire ; car, au mefme temps que nous doutions de tout, & que nous fuppofions mefme que celuy qui nous a créez employoit fon pouuoir à nous tromper en toutes façons, nous apperceuions en hous vne liberté fi grande, que nous pouuions nous empefcher de croire ce que nous ne connoiftions pas encore parfaitement bien. Or ce que nous aperceuions diJlinSement, & dont nous ne pou|uions douter, 27 pendant vne fufpenjion fi générale, eft aufli certain qu'aucune autre chofe que nous puiftîons jamais connoiftre.

a. Art. 6, p. 27.

42 Œuvres de Descartes.

40. Que nousfqauons aujfi. très-certainement que Dieu a preordonné

toutes chofes.

Mais, à caufe que ce que nous auons depuis connu de Dieu, nous affure que fa puiffance eft fi grande, que nous ferions vn crime de penfer que nous euffions jamais efté capables de faire aucune chofe, qu'il ne l'euft auparauant ordonnée, nous pourrions ayfément nous embaraffer en des difficultez très-grandes, fi nous entreprenions d'aocorder la liberté de noftre volonté auec fes ordonnances, & fi nous tafchions de comprendre, c'eji à dire, d'embrajfer & comme limiter auec nojlre entendement toute l'ejîenduë de nojîre libre arbitre & l'ordre de la Prouidence étemelle.

41. Comment on peut accorder nojlre libre arbitre auec la preordination diuine.

Au lieu que nous n'aurons point du tout de peine à nous en deli- urer, fi nous remarquons que noftre penfée eft finie, & que la toute- puiffance de Dieu, par laquelle il a non feulement connu de toute éternité ce qui eft ou qui peut eftre, mais il l'a aufli voulu..., eft infinie. Ce qui fait que nous auons bien ajjei d'intelligence pour connoiftre clairement & diftindement que cette puiffance eft en Dieu, mais que nous n'en auons pas ajfei pour comprendre telle- ment ybw ejienduë que nous puiftions fçauoir comment elle laifle les 28 adions des hommes entièrement libres & indéterminées ; & que, d'autre cofté, nous fommes aufli tellement ajfure^ de la liberté & de l'indifférence qui eft en nous, qu'il n'y a rien que nous connoiffions plus clairement... : de façon que la toute-puijfance de Dieu ne nous doit' point empefcher de la croire. Car nous aurions tort de douter de ce que nous apperceuons intérieurement & que nous fçauons par expérience eftre en nous, pource que nous ne comprenons pas vne autre chofe que nous fçauons... eftre incomprehenfible de fa nature.

42. Comment, encore que nous ne vueillions jamais faillir, c'ejl neantmoins par nojîre volonté que nous f aillons.

Mais, pource que nous fçauons que Terreur dépend de noftre volonté, & que pcrfonne n'a la volonté de fe tromper, on s'efton- ncra peut-eftre qu'il y ait de l'erreur en nos jugemens. Mais il faut remarquer qu'il y a bien de la différence entre vouloir eftre trompé,

29

Principes. Première Partie. 4 j

& vouloir donner fon confentement à des opinions qui font càufe que nous nous trompons quelquefois. Car, encore qu'il n'y ait per- fonne qui vueille expreffement fe méprendre, il ne s'en trouue prefque pas vn qui ne vueille... donner fon confentement à des chofes qu'il ne connoijl pas dijiinâement. Et mefmes il arriue Ibuuent que c'eft le defir de connoiflre la vérité qui fait que ceux qui ne fçauent pas l'ordre qu'il faut tenir pour la rechercher, manquent 'de la trouuer & fe trompent, à caufe qu'il les incite à précipiter leurs \jugemens, & à prendre des chofes pour vrayes, defquelles 'Is n'ont pas affés de Connoiffance.

43. Que nous ne /^aurions faillir en ne jugeant que des chofes que nous apperceuons clairement & dijiinâement.

Mais il eft certain que nous ne prendrons jamais le faux pour le vray, tant que nous ne jugerons que de ce que nous apperceuons clairement & diftindement ; parce que, Dieu n'eftant point trom- peur, la faculté de connoiftre qu'il nous a donnée ne fçauroit faillir, ny mefmes la faculté de vouloir, lors que nous ne l'eltendons point au delà de ce que nous connoiffons. . . Et quand mefme cette vérité n'auroit pas efté demonftrée, nous fommes naturellement fi enclins à donner noftre confentement aux chofes que nous apperceuons manifeftement, que nous n'en fçaurions douter pendant que nous les apperceuons de la forte.

44. Que nous ne fçaurions que mal' juger de ce que nous n'aperceuons pas clairement, bien que nojîre jugement puiffe ejîre vray, & que c'eji fouuent noJlre mémoire qui nous trompe.

Il eft aufli très-certain que, toutes les fois que nous approuuons quelque raifon dont nous n'auons pas vne connoiffance bien exaéle, ou nous nous trompons, ou, fi nous trouuons la vérité, comme ce n'eft que par hazard, nous ne fçaurions eftre affure^ de l'auoir i-en- contrée, & ne fçaurions fçauoir certainement que nous ne nous trompons point, l'aduoiie qu'W arriue rarement que nous jugions d'vne chofe en mefme temps que nous remarquons que nous ne la connoifTons pas aflez diftindement ; à caufe que la raifon naturelle- ment nous dide que nous ne | deuons jamais juger de rien, que de 30 ce que nous connoiffons difîinêlement auparauant que de juger. Mais nous nous trompons fouuent, pource que nous prefumons . auoir autrefois connu plufieurs chofes, & que, tout aufli-toft qu'il

44 Œuvres de Descartes.

nous en fouuient, nous y donnons noftre confentement, de mefme que û nous les auions fuffifamment examinées, bien qu'en effet nous n'en ayons jamais eu vne connoiffance bien exade.

45. Ce que c'eft qu'vne perception claire & dijîinâe.

Il y a mefmes des perfonnes qui, en toute leur vie, n'apperçoiuent rien comme il faut pour en bien juger. Car la connoifl'ance fur laquelle on veut" eftablir vn jugement... indubitable, doit eftre non feulement claire, mais aufli diflinde. l'appelle claire celle qui eft prefente & manifefte à vn efprit attentif: de mefme que nous difons voir clairement les objets, lors qu'eftant prefents ils agiffent alTez fort..., & que nos yeux font difpofés à les regarder. Et diftinéle, celle qui. . . eft tellement precife &. différente de toutes les autres, qu'elle ne comprend en foy que ce qui paroit manifeflement à celuy qui la conjîdere comme il faut.

46. Qu'elle peut eftre claire fans eftre diftinâe, mais non au contraire.

Par exemple, lors que quelqu'vn fent vne douleur cuifante, la connoiffance qu'il a de cette douleur eft claire à fon égard, & n'eft 31 pas pour cela touf-jours diftinde, pource qu'il la | confond ordinai- rement auec \efaux jugement qu'il fait fur la nature de ce qu'il penfe eftre en la partie bleffée, qu'il croit eftre femblable à l'idée ou au fentiment de la douleur qui eft en fa penfée, encore qu'il n'ap- perçoiue rien clairement que le fentiment ou la penfée confufe qui ejl en luy. Ainfi la connoifl'ance peut eftre claire fans eftre diflinâe, & ne peut eftre dift'nfte qu'elle ne foit claire par mefme moyen.

4y. Que, pour ofter les préjuge^ de noftre enfance, il faut confiderer ce qu'il y a de clair en chacune de nos premières notions.

Or, pendant nos premières années, iwftre ame ou noftre penfée eftoit fi fort offufquce du corps, qu'elle ne connoilVoit rien diflinde- ment, bien qu'elle apperceuft plufteurs cliofes ajft"; clairement; & pource qu'elle ne laiffoit pas de faire cependant r/u* réflexion telle quelle fur les cliofes qui fe prefentoient, nous auons remply noftre mémoire de beaucoup de préjugez, dont nous n'entreprenons prefque jamais de nous deliurer, encore qu'il foit très-certain que nous ne

a. Lire : peut. Edit. lat. : possit.

32

Principes. Première Partie. 45

fçatirions autrement les bien examiner. Mais afin que nous le puif- fions maintenant fans beaucoup de peine, je feray icy vn dénom- brement de toutes les notions fimples qui compofent nos penfées, & fepareray ce qu'il y a de clair en chacune d'elles, & ce qu'il y a d'obfcur ou en quoy nous pouuons failjir.

4^. Que tout ce dont nous auons quelque notion ejl confideré comme vne chofe ou comme vne vérité : S- le dénombrement des chofes.

le dillingue tout ce qui tombe Tous noftre connoilVance en deux genres : le premier conltient toutes les choies... qui ont quelque exi/lence ; & l'autre, toutes les veritez... qui ne l'ont rien hors de noftre penfée. Touchant les chofes, nous auons premièrement cer- taines notions generalles qui l'e peuuent rapporter à toutes : à fça- uoir celles que nous auons de la l'ubftance, de la durée, de l'ordre & du nombre, & peut-eftre aufli quelques autres. Puis nous en auons aujji de plus particulières ^ qui feruent à les dijlinguer. Et la principale diftindion que je remarque entre toutes les chofes créées, ert que les vnes font intelleduelles, c'eft à dire/o«^ des J'ub/lances intelligentes, ou bien des propriété^ qui appartiennent à ces fub- ftances ; & les autres font corporelles, c'eft à dire font des corps on bien des propriété^ qui appartiennent... au corps. Ainfi l'entende- ment, la volonté, & toutes les façons' de connoitrc & de vouloir, appartiennent à la fubftance qui penfe ; la grandeur, ou l'eftenduë en longueur, largeur is: profondeur, la figure, le mouuement, la fituation des parties & la difpofition qu'elles ont à eftre diuifées, &: telles autres proprietez, fe rapportent au corps. Il y a encore, outre cela, certaines chofes que nous expérimentons en nous-mefmes, qui ne doiuent point eftre attribuées à Vanie feule, ny aulH au corps feul, mais à l'étroite... vnion qui eft entre eux, ainli que j'expli- jqueray cy-apres" : tels font les appétits de boire, de manger, & les 33 émotions ou les pallions de l'ame, qui ne dépendent pas de la penfée feule, comme l'émotion à la colère, à la joyc, à la triltelfe, à l'amour, &c.; tels font tous les fentimcns, comme... la lumière, les couleurs, les fons, les odeurs, le gouft, la chaleur, la dureté, & toutes les autres qualités qui ne tombent que fous le fens de l'attouchement.

a. « M ^di X.

b. Voir ci-après, partie IV, art. 189, 190 et 191,

46 OEuvREs DE Descartes.

4g. Que les verite\ ne peuuent ainfi ejtre dénombrées, & qu'il n'en ejl pas bejoin.

lufques \cy j'ay dénombrée tout ce que nous connoiffons comme des choies...; /*/ rejîe à parler de ce que nous connoijfons comme des verite\. Par exemple, lors que nous penfons qu'on ne fçauroit faire quelque chofe de rien, nous ne croyons point que cette propofition... foit vne chofe qui exifte ou la propriété de quelque chofe, mais nous la prenons pour vne certaine vérité éternelle qui a fon fiege en noftre penfée, & que Ton nommevne notion commune ou vne maxime. Tout de mefme, quand on dit qu'il ell impoifible qu'vne mefme chofe en mefme temps foit & ne foit pas, que ce qui a efté fait ne peut n'eftre pas fait, que celuy qui penfe ne peut manquer d'ejire ou d'exifler pendant qu'il penfe, & quantité d'autres fem- blables, ce font feulement des j^erite:{, £- non pas des chofes qui foient hors de nofîre penfée, & il y en a fi grand nombre de telles, qu'il 34 feroit | mal-aifé de les dénombrer. Mais aulTi nsfi-il pas necejfaire, pource que nous ne fçaurions manquer de les fçauoir, lors que l'occafion fe prefente de penfer à elles, & que nous n'auons point de préjugez qui nous aueuglent.

5o. Que toutes ces verite\ peuuent ejlre clairement aperceuês, mais non pas de tous, à caufe des préjuge^.

Pour ce qui eft des ve7'ite'{ qu'on nomme des notions communes, il ert certain qu'elles peuuent eftre connues de plufîeurs ^res-claire- ment & /re5-dillindement, car autrement elles ne meriteroient pas d'auoir ce nom ; mais il ert vray aufli qu'il y en a qui le méritent au regard de quelques perfonnes, qui ne le méritent point au regard des autres, à caufe qu'elles ne leur font pas alTez éuidcntes : non pas que je croye que la faculté de connoiftre qui ell en quelques hommes s'ellende plus loin que celle qui ell communément en tous ; mais c'eft pluftoft qu'il y en a lefquels ont imprimé de longue main des opi- nions en leur créance, qui, eftant contraires à quelques-vnes de ces veritez, empefchent qu'ils ne les puiffent apperceuoir, bien qu'elles foient fort manifeftes à ceux qui ne font point ainfi preocupez.

.W. Ce que c'e/l que la fubjlance, & que c'ejl vn nom qu'on ne peut attribuer à Dieu & aux créatures en mefme fens.

Pour ce qui cil des chofes que nous confiderons comme ayant

35

Principes. Première Partie. 47

quelque exiftence..., il eft befoin que nous les examinions icy l'vne après l'autre, afin de difiinguer ce qui eji obfcur d'auec ce qui eft éuident en notion que nous auons de \ chacune. Lors que nous con- ceuons la fubltance, nous conceuons feulement vne chofe qui exifte en telle façon, qu'elle n'a befoin que de foy-mefme pour exifter. En quoy il peut y auoir de' V obfcur ité touchant l'explication de ce mot : N'auoir befoin que de foy-mefme ; car, à proprement parler, il n'y a que Dieu qui foit tel, & il n'y a aucune chofe créée qui puifl'e exiiter vn feul moment fans ertre foullenuë & conferuée par fa puiflance. C'eft pourquoy on a raifon dans l'Efcole de dire que le nom de fubltance n'eft pas « vniuoque » au regard de Dieu & des créatures, c'eft à dire qu'il n'y a aucune fignification de ce mot que nous con- ceuions diftindement, laq^uelle conuienne à luy & à elles; mais pource qu'entre les chofes créées quelques-unes font de telle nature qu'elles ne peuuent exifter fans quelques autres , nous les diftinguons d'auec celles qui n'ont befoin que du concours ordinaire de Dieu, en nommant celles-cf des fubftances, & celles-là des qualité^ ou des at- tributs de ces fubftances.

52. Qu'il peut eflre attribué à lame & au corps en mefmefens, & comment on connoit lafubjlance.

Et la notion que nous auons ainli de la fubltance créée, fe raporte en mefme façon à toutes, c'eft à dire à celles qui font immatérielles comme à celles qui font matérielles ou corporelles ; car il faut feu- lement, pour entendre que ce fontties fubftances, que nous apper- ceuions | qu'elles peuuent exifter fans l'ayde d'aucune chofe créée. 36 Mais lors qu'il eft queftion defçauoir fi quelqu'une de ces fubftances exifte véritablement, c'eft à dire fi elle eft à prefent dans le monde, ce n'eft pas affez qu'elle exifte en cette façon pour faire que nous l'aperceuions ; car cela feul ne nous découure rien qui excite quelque connoiffance particulière en noftre penfée. Il faut, outre cela, qu'elle ait quelques attributs que nous puiflions remarquer; & il n'y en a aucun qui ne fuffife pour cet effet, à ijaufe que l'vne de nos notions communes eft que le néant ne peut auoir aucuns attributs, ny proprietez ou qualitez, : c'eft pourquoy, lors qu'on en rencontre quelqu'vn, on a raifon de conclure qu'il eft l'attribut de quelque fubftance, & que cette fubftance exifte.

48 OEuvRES DE Descartes.

53. Que chaque fubjiance a vn attribut principal, & que cehiy de l'ame eji la penfée, comme l'extenfion eji celuy du corps.

Mais, encore que chaque attribut foit fuflilant pour faire con- noillre la lubftance, il}' en a toutesfois vn... en chacune, qui confti- tuë la nature & fon eflence, & de qui tous les autres dépendent. A fçauoir l'eftenduë en longueur, largeur & profondeur, conftituë la nature de la fubftance corporelle ; & la penfée conftituë la nature de la fubftance qui penfe. Car tout ce que d'ailleurs on peut attribuer au corps, prefupofe de l'eftenduë, & n'eft quVwe dépendance de ce 37 qui,eft eftendu ;de mefme, toutes les prop7^ie\te'{ que nous trouuons en la chofe qui penfe, ne font que des façons différentes de penfer. Ainfi nous ne fçaurions conceuoir, par exemple, de figure, fi ce n'eft en vne chofe eftenduc, ny de mouuement, qu'en vn efpace qui eft eftendu; ainfi l'imagination, le fentiment & la volonté dépendent tellement d'vne chofe qui penfe, que nous ne les pouuons conce- uoir fans elle. Mais, au contraire, nous pouuons conceuoir l'eften- duë fans figure ou fans mouuement, & la chofe qui penfe fans ima- gination ou fans fentiment, & ainfi du refte. . .

5^. Comment nous pouuons auoir des pen/ées dijlinâes de la fubjiance qui penfe, de celle qui ejl corporelle, & de Dieu.

Nous pouuons donc auoir deux notions ou idées claires & di- ftinc^es, l'vne d'vne fubftance créée qui penfe. & l'autre d'vne fub- ftance eftenduë, pourueu que nous feparions foigneufement tous les attributs de la penfée d'auec les attributs de l'eftenduë. Nous pou- uons auoir aufti vne idée claire & diftinde d'vne fubftance increée qui penfe & qui eft indépendante, c'eft à dire d'vn Dieu, pourueu que nous ne penfions pas que cette idée nous rcprefente. .. tout ce qui eft en luy, & que nous n'y méfiions rien par vne fidion de noftre entendement; mais que nous prenions garde feulement à ce qui eft compris véritablement en la notion diftinéle que nous auons de luy & que nous fçauons appartenir à la nature d'vn Eftre M toui parfait. Car il n'y a perjfonne qui puifl'e nier qu'vne telle idée de Dieu foit en nous, s*il ne veut croire y<3«$ rai/on que l'en* tendement humain ne fçauroit auoir aucune connoifiance de la Diuinité.

Principes. Première Partie. 49

55. Comment nous en pouuons aujji auoir de la durée, de l'ordre

& du nombre.

Nous conceuons aufli tres-diftindement ce que c'eft que la durée, l'ordre & le nombre, fi, au lieu de méfier dans l'idée que nous en auons ce qui appartient proprement à l'idée de la fubftance, nous penfons feulement que la durée de chaque chofe eft vn mode ou une ^ço/i dont nous confiderons cette chofe en tant qu'elle continue d'eftre ; & que pareillement, l'ordre & le nombre ne différent pas en effet des chofes ordonnées & nombrées, mais qu'ils font feu- lement des façons fous lesquelles .nous confiderons diuerfement ces chofes.

56. Ce que c'eft que qualité, & attribut, & façon ou mode.

Lors que je dis icy façoît ow^mode, je n'entends rien que ce que je nomme ailleurs attribut ou qualité. Mais lors que je confidere que la fubftance en eft autrement difpofée ou diuerfifiée, je me fers par- ticulièrement du nom de mode ou façon; & lors que, de cette difpo- fition ou changement, elle peut eftre appellée telle, je nomme qua- litez les diuerf es façons qui font qu'elle eji ainfi nommée; enfin, lors que je penfe plus generallement que ces modes ou qualité^ font en la fubftance, fans les confiderer autrement que comme les dépen- dances de cette \fuhjlancey je les nomme attributs. Et pource que je 39 ne dois conceuoir en Dieu aucune variété ny changement, je ne dy pas qu'il y ait en luy des modes ou des qualitez, mais pluftoft des attributs; & mefine dans les chofes créées, ce qui fe trouue en elles touf-jours de mefme forte, comme l'exiftence & la durée en la chofe qui exifte & qui dure, ;** le nomme attribut, & non pas mode ou qualité.

B-j. Qu'il y a des attributs qui apdrtienent aux chofes au/quelles ils font attribue:^, & d'autres qui dépendent de noftre penfée>

De ces qualite;{ ou attributs, il y en a quelques-vns qui font dans les chofes mefmes, & d'autres qui ne font qu'en noftre penfée. Ainfi le temps, par exemple, que nous diftinguons de la durée prife en gênerai, & que nous difons eftre le nombre du mouuement, n'eft rien qu'vne certaine /aço« dont nous penfons a cette durée, pource que nous ne conceuons point que la durée des cho/es qui Œuvres. IV. 20

50 Œuvres de Desgartes.

font meucfs ibit autre que celle des choies qui ne le tbnt point : comme il cft éuident de ce que, fi deux corps font meus pendant vne heure, l'vn ville & l'autre lentement, nous ne comptons pas plus de temps en l'vn qu'en l'autre, encore que nous fuppofions plus de mouuement en l'vn de ces deux corps. Mais, afin de comprendre lu durée de toutes les chofes fous vne mefme mefure, nous nous fer- uons ordinairement de la durée de certains mouuemens réguliers

40 qui font les jours | &. les années, & la nommons temps, après l'auoir ainfi comparée; bien qu'en elfet ce que nous nommons ainfi ne foit rien, hors de la véritable durée des chofes, qu'pne façon le penfer.

icV. Que les norfibres & les vniuerjaux dépendent de nojlre penj'ce.

De mefme le nombre que nous confiderons. . . en gênerai, fans faire reflexion fur aucune choie créée, n'elt point, hors de nollre penfée, non plus que toutes ces autres idées générales, que dans l'efcole on comprend fous le nom d'vniuerfaux/

5 g. Quels font les vniuerjaux.

Qui le font de cela feul que nous nous feruons d'vne mefme idée pour penfer à plufieurs chofes particulières qui ont entr'elles vn certain raport. Et lors que nous comprenons fous vn mefme nom les chofes qui font reprefentées par cette idée, ce nom aufli eft vni- uerfel. Par exemple, quand nous voyons deux pierres, & que, fans penfer autrement à ce qui eft; de leur nature, nous remarquons feu- lement qu'il y en a deux, nous formons en nous l'idée d'vn certain nombre que nous nommons le nombre de deux. Si, voyant enfuite deux oyfeaux ou deux arbres, nous remarquons, fans penfer aufii à ce qui eft de leur nature, qu'il y en a deux, nous reprenons par ce moyen la mefme idée que nous auions auparauant formée, & la rendons vniuerfelle, & le nombre aufli que nous nofnmons d'vn

41 nom vniuerfel, le nombre de deux. De | mefme, lors que nous con- fiderons vne figure de trois coftcz, nous formons vne certaine idée, que nous nommons l'idée du triangle, i<i nous en feruons en fuite... à nous ïi^^ïcicïiXdV generalevient toutes les figures qui n'ont que trois collez. Mais quand nous remarquons plus particulièrement que, des figures de trois coftez, les vnes ont vn angle droit & que les autres n'en ont point, nous formons en nous vne idée vniuerfelle du triangle redangle, qui, eftant rapportée à la précédente qui cU générale & plus vniuerfelle, peut eJtrc nommée efpece; & Uanglc

Principes. , Première Partie. 5 1

droit, la différence vniuerfelle par les triangles redangles dif- férent de tous les autres. De plus, fi nous remarquons que le quarré du colté qui fouftend* l'angle droit elV égal aux quarrez des deux autres coftez, & que cette propriété conuient feulement à cette efpece de triangles, nous la pourrons nommer propriété vniuerfelle des triangles rectangles. Enfin fi nous fuppofons que, de ces triangles, les vns fe meuuent & que les autres ne fe meuuent point, nous prendrons cela pour vn accident vniuerfei en ces triangles. Et c'ert ainfi qu'on compte ordinairement cinq vniuerftmx, à fçauoir le genre, l'efpece, la différence, le propre, & l'accident.

60. Des diminuions, & premièrement de celle qui ejî réelle.

Pour ce qui eft du nombre que nous remarquons dans les chofes mefmes, il vient de | la diftin(5tion qui eft entr'elles : & il y a des 42 diftindions de trois fortes, à fçauoir, réelle, modale, & de raifon, ou bien qui fe fait de lapenfée. La réelle fe trouue proprement. . . entre deux ou plufieurs fubftances. Car nous pouuons conclure que deux fubftiances font réellement diftinéles l'vne de l'autre, de cela feul que nous en pouuons conceuoir vne clairement & diftinctement fans penfer à l'autre ; pource que, fuiuant ce que nous connoilfons de Dieu, nous fommes affeurez qu'il peut faire tout ce dont nous auons vne idée claire & diftinde. C'eft pourquoy, de ce que nous auons maintenant l'idée, par exemple, d'vne fubllance eftenduf ou corpo- relle, bien que nous ne fçachions pas encore certainement fi vne telle chofe eft à prefent dans le monde, neantmoins, pource que nous en auons l'idée, nous pouuons conclure qu'elle peut eftre ; & qu'en cas qu'elle exifte, quelque partie que nous puiflions déter- miner de la penfée, doit eftre diftinde réellement de fes autres par- ties. De mefme, pource qu'vn chacun de nous apperçoit en foy qu'il penfe, & qu'il peut en penfant exclure de foy ou de fon ame toute autre fubftance ou qui penfe ou qui eft eftenduè", nous pouuons conclure aufli qu'vn chacun de nous ainfi confideré eft réellement diftind de toute autre fubftance qui penfe, & | de toute fubftance corporelle. Et quand Dieu mefme joindroit fi eftroitement vn corps à vne ame, qu'il fuft impoftible de les vnir dauantage, & feroit vn compofé de ces deux fubftances ainfi vnies, nous conceuons aujji ^w'elles demeureroient toutes deux réellement diftindes, nonobftant cette vnion; pource que, quelque liaifon que Dieu ait mis entr'elles,

a. « Souftant » (/"erfiY.).

52 Œuvres de Descartes.

il n'a pu le deffaire de la puill'ance qu'il auoit de les leparer, ou bien de les conleruer l'vne fans l'autre, & que les chofes que Dieu peut feparer, ou conleruer leparement les vnes des autres, font réelle- ment diftincles.

6i . De la dijlinâion modale.

Il y a deux fortes de diftincTion modale, à fçauoir l'vne entre le mode que nous auons appelle façon, & la fubftance dont il dépend & qu'il dinerfifie, & l'autre entre deux dilTerentes/tiço;/5 d'vne mefme fubftance. La première eft remarquable en ce que nous pouuons apperceuoir clairement la fubftance fans la façon qui diflere d'elle en celte forte;. mais que, reciproquemt.it, nous ne pouuons auoir vne idée diftinde d'vne telle façon, fans penfer à vne telle fubftance. 11 y a, par exemple, vne diftindion modale entre la figure ou le mouuement, &. la fubftance corporelle dont ils dépendent tous deux; il y en a aufti entre affurer ou fe refouuenir, & la chofe qui penfe. 44 Pour I l'autre forte de diftinclion,<7Mz eji entre deux différentes façons d'vne mefme fubjiaiice, elle eft remarquable en ce que nous pou- uons connoiftre l'vne de ces façons fans l'autre, comme la figure

fans le mouuement, &Je mouuement fans la figure...) mais que nous ne pouuons penfer diftindement ni à l'vne ni à l'autre, que nous ne fçachions qu'elles dépendent toutes deux d'vne mefme fubftance. Par exemple, fi vne pierre eft meuë, & auec cela quarrée, nous pou- uons connoiftre fa figure quarrée fans fçauoir qu'elle foit meuë; & réciproquement, nous pouuons fçauoir qu'elle eft meuë, fans fçauoir fi elle eft quarrée ; mais nous ne pouuons auoir vne connoiflance diftinéle de ce mouuement & de cette figure, fi nous ne connoilTons qu'ils font tous deux en vne mefme chofe, à fçauoir en la fubftance de cette pierre. Pour ce qui eft de la diftindion dont la façon d'vne fubftance eft différente d'vne autre fubftance ou bien de la façon d'vne autre fubftance, comme le mouuement d'vn corps eft différent d'vn autre corps ou d'vne chofe qui penfe, ou bien comme le mou- uement eft différent du doute", il me femble qu'on la doit nommer réelle pluftoft que modale, à caafc que nous ne fçaurions connoiftre les modes fans les fubftanccs dont ils dépendent, 6- que les fubfiances

font réellement diftindcs les vnes des autres.

a, La traduction ne tient pas compte de l'crrata de rédition latine, dubitatio est corrigé en duratio.

Principes. Première Partie. jj

62. De la dijlinâion qui fe fait par la penfée.

{Enfin, la diftindion qui fe fait par la penfée, confifte en ce que 45 nous diftinguons quelquefois vne fubftance de quelqu'vn de fes attributs, fans lequel neantmoins il n'eft pas poffible que nous en ayons vne connoiflance diftinde ; ou bien en" ce que nous tafchons de feparer d'vne mefme fubftance deux tels attributs, en penfant à l'vn fans penfer à l'autre. Cette diftinftion eft remarquable en ce que nous ne fçaurions auoir vne idée claire & diftinéte d'vne telle fubftance, fi nous luy oftons vn tel attribut ; cfu bien en ce que nous ne fçaurions auoir vne idée claire & diftinde de l'vn de deux ou plufieurs tels attributs, fi nous le feparons des autres. Par exemple, à caufe qu'il n'y a point de fubftance qui ne ceffc d'exifter, lors qu'elle cefl'e de durer, la durée n'eft diftinde de la fubftance que par la penfée; & généralement tous les attributs qui font que nous auons des penfées diuerfes d'vne mefme chofe, tels que font, par exemple, l'efienduëdu corpsr & fa propriété d'efire diuifé' en plufeurs parties, ne diffèrent du corps qui nousfert d'objet, & réciproquement Vvn de l'aulre, qu'à caufe que nous penfons quelquefois confufement à l'vn fans penfer à l'autre. Il me fouuient d'auoir meflé la diftindion qui fe fait par la penfée auec la modale, fur la fin des réponfes que j'ay faites I aux premières objedions-qui m'ont efté cnuoyées fur les 46 Méditations de ma Metaphyfique"; mais cela ne répugne point à ce que fée ry en cet endroit, pource que, n'ayant pas deffein de traitter pour lors fort amplement de cette matière, il me fuffifoit de les diftinguer toutes deux de la réelle.

63. Comment on peut auoir des notions dijlinaes de l'extenjion & de la penfée, en tant que l'vne conjîitué la nature du corps, & l'autre celle de l'ame.

Nous pouuons aufti confiderer la penfée & l'/sftenduë comme les chofes principales qui conftituent la nature de la fubftance 'intelli- gente & corporelle; & alors nous ne deuons point les conceuoir autrement que comme la fubftance mefme qui penfe & qui eft eften- duë, c'eft à dire comme l'ame & le corp> : car nous les connoiflbns en cette forte tres-clairement&tres-diftin£lement. Il eft mefme plus ayfé de connoitre vne fubftance qui penfe ou vne fubftance eftendue,

a. Lire « divisible » ?

b. Voir la traduction française ci-avant, p. 94-95.

54 Œuvres de Desgartes.

que la fubftance toute feule, laiffant à part fi elle penie ou fi elle eil eftenduë; pource qu'il y a quelque difficulté à feparer la notion que nous auons de la fubftance de celles que nous auons de la penfée &de l'eftenduè' : car elles ne différent de lafubjlance quepar celafeul que nous coiifiderons quelquefois la penfée ou l'ejîenduù', fans faire réflexion fur la chofe mefme qui penfe ou qui efï ejfenduë. Et noftre conception n'eft pas plus diftinfte, pource qu'elle comprend peu de

47 chofes, | mais pource que nous difcernons foigneufement ce qu'elle comprend, & que nous prenons garde à ne le point confondre auec d'autres notions qui la rendroient plus obfcure.

64. Comment on peut aujfi les conceuoir dijlinâement, en les prenant pour des modes ou attributs de Ces fubjiances.

Nous pouuons confiderer aufli la penfée & Teftendul' comme les modes ou différentes façons qui fe trouucnt en la fubftance : c'eft à dire que, lors que nous confiderons qu'vne mefme ame peut auoir plufieurs penfées diuerfes, & qu'vn mefme corps auec fa mefme grandeur peut eftre eftendu en plufieurs façons, tantoft plus en lon- gueur & moins en largeur ou en profondeur, & quelquefois, au contraire, plus en largeur & moins en longueur; & que nous ne diftinguons, . . la penfée & l'eflendué, de ce qui penfe & de ce qui efï efendu, que comme les dépendances d'vne chofe, de la chofe mefme dont elles depetident ; nous les connoiflbns aufti clairement & auffî diftindement que leurs fubftances, pourueu que nous ne penfions point qu'elles fubfiftent d'elles-mefmes..., mais qu'elles font feule- ment les façons ou dépendances de quelques fubftances. Pource que, quand nous les confiderons comme les propriété^ des fubftances dont elles dépendent, nous les diftinguons aifement de ces fubftances, & les prenons pour telles qu'elles font véritablement : au lieu

48 que, fi nous voulions les confiderer fans fubftance, | cela pourroit eftre caufe que nous les prendrions pour des chofes qui fubfiftent d'elles-mefmes; en forte que nous confondrions l'idée que nous deuons auoir de la fubftance, auec celle que nous deuons auoir defes propriété^.

65. Comment on conçoit aujji leurs diuerfes propriété^ ou attributs.

Nous pouuons aufti conceuoir fort dillindement diuerfes /aço;i5 de pcnfcr, comme entendre, imaginer, fc fouuenir, vouloir &c.; & diuerfes/açw/s d'eftenduii,ou qui appartiennent à l'cftenduCS comme

Principes. Première Partie. 5 5

généralement toutes les figures, la fituation des parties & leurs mou- uemens, pourueu que nous les confiderions fimpiement comme les dépendances des fubftances elles-font; & quant à ce qui eit du mouuement, pourueu que nous penfions feulement à celuy qui le fait d'vn lieu en autre, fans rechercher la force qui le produit, laquelle toutefois j'efl'ayeray" de faire connoiilre,'lors qu'il en fera, temps.

66. Que nous auons aujfi des notions dijlinâes de nos Jentimens, de nos affeâions & de nos appétits, bien quefouuent nous nous trompions aux jugemens que nous enfaifons.

Il ne relie plus que les fentimens, les affections & les appétits, defquels nous pouuons auoir aufli vne connoiffance claire & dif- tinde, pouTutu que nous prenions garde... à ne comprendre dans les jugemens que nous en ferons, que ce que nous connoiltrons preci- fement par le moyen de noftre entendement, â dont nous ferons aJJ'ureiparîa rai/on. Mais il eit mal-aifé d'vfer continuellement d'vnc telle précaution, | au moins k l'égard de nos fens, à caufe que... nous 49 auons creu, dés le commencement de nortre vie, que toutes les chofes que nous fentions auoient vne exiftence hors de noftre pen- fée, & qu'elles elloient entièrement femblables aux fentimens ou aux idées que nous auions à leur occafion. Ainfi, lors que nous auons veu, par exemple, vne certaine couleur, nous auons creu voir vne chofe qui fubfiftoit hors de nous, & qui eitoit femblable à l'idée que nous auions. Or nous auons ain^ Jugé en tant de rencontres, & il nous a femblé voir cela fi clairement & fi diitindemeni, à caufe que nous eftions accouftumez à juger de la forte, qu'on ne doit pas trouuer ejlrange que quelques-vus demeurent enfuile tellement per- fuade'{ de ce faux préjugé, qu'ils ne puijfent pas mefme fe re foudre à en douter.

67. Quefouuent mefme nous nous trompons en jugeant que nous fcntons de la douleur en quelque partie de nojlre corps.

La mefme preuention a eu lieu en tous nos autres Itntimens, mefmes en ce qui eft du chatouillement & de la douleur. Car, encore que nous n'ayons pas creu qu'il y euft hors de nous dans les objets extérieurs des chofes qui fujjént J'emblables au chatouillement ou à la douleur qu'ils nous faifoient fentir, nous n'auons pourtant pas

a. Partie II, art. 24 à 54, et surtout art. 43 et 44.

56

OEuvRES DE Descartes.

confideré ces fentimens comme des idées qui ejloient feulement en noftre ame...; mais nous auons creu qu'ils eftoient dans nos mains,

50 dans nos pieds, & dans les aujtres parties de noftre corps : fans que toutefois il y ait aucune raifon qui nous oblige à croire -[ue la dou- leur que nous fentons, par exemple, au pied Ibit quelque chofe hors de noftre penfée qui foit dans noftre pied, ni que la lumière que nous penfons voir dans le Soleil foit dans le Soleil ainji qu'elle eji en nous. Et fi quelques vnsf^ laijfent encore perfuader à Pîie fi^auj/e opinion, ce n'efi qu'à caufe qu'ils font fi grand cas des jugemens qu'ils ont faits lors qu'ils efioient enfans, qu'ils ne fçauroient les oublier pour en faire d'autres plus folides, comme il paroiftra encore plus manifefteipent par ce qui fuit.

68, Comment on doit dijlinguer en telles chofes ce en quoy on peut Je tromper d'auec ce qu'on conçoit clairement .

Mais, afin que nous piiiflions diftinguer icy ce qu'il y a de clair en nos fentimens d'auec ce qui eft obfcur, nous remarquerons..., en premier lieu, que nous connoifl'ons clairement & diftindement la douleur, la couleur, & les autres fentimens, lors que nous les confi- derons fimplement comme. .. des penfées; mais que, quand nous voulons juger que la couleur, que la douleur, £-c., font des chofes qui fubfiftent hors de noftre penfée, nous ne conceuons en aucune façon quelle chofe c'eft que cette couleur, cette douleur, &c. Et il en eft de mefme, lors que quelqu'vn nous dit qu'il voit de la couleur dans

51 vn corps, ou qu'il fent de la douleur en queljqu'vn de fes membres, comme s'il nous difoit qu'il voit ou qu'il fent quelque chofe, mais qu'il ignore entièrement quelle eft la nature de cette chofe, ou bien qu'il n'a pas vne connoiffance difiinâe de ce qu'il voit & de ce qu'il fent. Car, encore que, lors qu'il n'examine pas fes penfées auec attention, il fe perfuade peut-eftre qu'il en a quelque connoiifance, à caufe qu'il fuppofe que la couleur i^w'/Vcro// voir dans l'objet..., a de la reffemblance auec le fentiment qu'il éprouue en foy, neantmoins, s'il fait refledion fur ce qui luy eft reprefenté par la couleur ou par la douleur, en tant qu'elles" exiftent dans vn corps coloré, ou bien dans vne partie bleffée, il trouuera fans doute qu'il n'en a pas de connoiifance.

a. Conirc-scns.

Principes. Première Partie. 57

fiq. Qu'on connoiji tout autrement les grandeurs, les figures, &c., que les couleurs, les douleurs, &c.'

Principalement s'il confidere qu'il connoift bien d'vne autre façon ce que c'eft que la grandeur dans le corps qu'il apperçoit, ou la figure, ou le mouuement, au moins celuy qui fe fait d'vn lieu en vn autre (car les Philofophes, en feignant d'autres mouuemens que celuy-cy, n'ont pas connu fi facilement fa vraye nature), ou la fitua- tion des parties, ou la durée, ou le nombre, & les autres propriete:{ que nous apperceuons clairement en tous les corps, comme il a efté def-ja remarqué", que non pas ce que c'eft que la couleur dans le mefme corps, ou la | douleur, l'odeur, le goitjî, la faueur, & tout ce 52 que j'ay dit^ deuoir eftre attribué au fens. Car, encore que, voyant vn corps, nous ne foyons pas moins affurez de fon exiftence, par la couleur que nous apperceuons à fon occafion, que par la figure qui le termine, toutefois il efi certain que nous connoiffons tout autre- ment en luy cette propriété qui ell caufe que nous difons qu'iPeft figuré, que celle qui fait qu'il nous femble coloré.

•jo. Que nous pouuons juger en deux façons des chofes fenfibles, par l'vne de/quelles nous tombons en erreur, & par l'autre nous l'éuitons.

Il eil donc éuident, lors que nous difons à quelqu'un que nous apperceuons des couleurs dans les objets, qu'il en ell de mefme que fi nous luy difions que nous apperceuons en ces objets je ne fçay quoy dont nous ignorons la nature, mais qui caufe pourtant en nous vn certain fentiment, fort clair & manifelle, qu'on nomme le fenti- ment des couleurs. Mais il y a bien de la différence en nos juge- mens; car, tant que nous nous contentons de croire qu'il y a je ne fçay quoy dans les objets (c'eft à dire dans les chofes telles qu'elles foientj qui caufe en nous ces penfées confufes' qu'on nomme fenti- 53 mens..., tant s'en faut que nous nous méprenions, qu'au contraire nous éuitons la furprife qui nous pourroit faire méprendre, à caufe que nous ne nous emportons pas fi toft à juger témérairement d'vne chofe que nous remarquons ne pas bien connoiftre. Mais, lors que nous croyons | apperceuoir vue certaine couleur dans vn objet, bien que nous n'ayons aucune connoiffance diffinâe de ce que nous

a. Art. 48, p. 43.

b. Ibidem.

c. Mot ajouté à l'errata de la première édition

58

Œuvres de Descartes.

appelions d'vn tel nom, & que uojîre rai/ou ne nou!> face aperceuoir aucune reiremblance entre la couleur que nous l'uppoions eftre en cet objet & celle qui e/f en noilre lens; ncantnioins, pource que nous ne prenons piis garde à cela ^ que nous remarquons en ces me fm es objets plufieurs proprietez, comme la grandeur, la figure, le nombre, &:c., qui exillent en eux... de meùne forte que nos fens ou plujlojl noilre entendement nous les fait appcrceuoir, nous nous \<x\{ïoT\s, perjuader aifément que ce qu'on nomme couleur dans vn objet eft quelque choie qui exijte eu cet objet, qui reliemblc entière- ment à la couleur qui eft en nojtre penfèe, & en fuite nous penfons apperceuoir clairement en cette ciwfe ce que nous n'apperceuons en aucune façon appartenir à fa nature.

7/. Que la première & principale caufe de nos erreurs font les prejuge\

de nojlre enfance.

C'eil ainfi que nous auons receu la plu/part de nos erreurs : à fcauoir, pendant les premières années de noilre vie, que noilre ame . efloit fi ellroiteinent liée au corps, qu'elle ne s'appliquoit à autre chofe qu'à ce qui caufoit en luy quelques impreflions, elle ne confi- deroit pas encore fi ces impreflions elloient caufécs par des chofes qui exiltalfent hors de foy, mais feulement elle fentoit de la douleur, 54 lors que | le corps en eltoit offenfé, ou du plailir, lors qu'il en rece- uoit de l'vtilitc, ou bien, fi elles ejîoientft légères que le corps n'en receufl point de commodité, ni aulîi d'incommodité qui fujl impor- tante à fa conferuation, elle auoit des fentimens tels que font ceux qu'on nomme goull, odeur, fon, chaleur, froid, lumière, couleur, ^ autres femblables, qui véritablement ne nous reprefentent rien qui cxille hors de noilre penfée, mais qui font diuers félon les diuerfitez qui Je rencontrent d.ins les mouuemens qui paffent de tous les en- droits de nq/lre corps jufques à l'endroit du cerueau auquel elle e/l e/troitement Jointe à- mie. Elle appcrceuoit aulIi de« grandeurs, des figures & des mouuemens..., qu'elle ne prenoit pas pour des fenti- mens, mais pour des chofes, ou des propriété:^ de certaines chofes, qui luy fembloient exiller, ou du moins pouuoir exiller hors de foy, bien qu'elle n'y remarquall pas encore cette différence. Mais, lors que nous auons eflé quelque pi'u plus aduaj!ce\ en às^e, & que nofire corps. ..,fe tournant fortuitement de part ^: d'autre par la difpofition de fes organes..., a rencontré des chofes vtiles ou en a éuité de nui- fiblcs, l'ame, qui luy clloit cllroiiement vnie, faifant réflexion fur les chofes qu'il rencontroii ou cuitoit, a remarque, premièrement,

Principes. Première Partie. ^9

qu'elles exiltoient au dehors, & ne leur a pas attribué j feulement 55 les grandeurs, les figures, les mouuemens, & les autres proprietCy qui appartiennent véritablement an corps, & qu'elle conceuoit fort bien ou comme des chofes ou comme les dépendances de quelques chofes, mais encore les couleurs, les odeurs, ^: toutes les autres idées de ce genre qu'elle apperceuoit aulîi à leur occafion. Et comme "elle elloit fi fort offufquéedu corps, qu'elle ne confideroit les autres chofes qu'autant qu'elles feruoient à fonvfage, elle jugeoit qu'il y auoit plus ou moins de realité en chaque objet, félon que les im- prefTions qu'il caufoit luy fembloient plus ou moins fortes. De vient qu'elle a creu qu'il y auoit beaucoup plus de fublhmce ou de corps dans les pierres & dans les métaux que dans l'air ou dans l'eau, parce qu'elle y fentoit plus de dureté ^ de pefanteur; & qu'elle, n'a confideré l'air non plus que rien, lorfqu'il n'ertoit agité d'aucun vent & qu'il ne luy fembloit ni chaud ni froid. Et pourcc que les elloiles ne luy faifoient gueres plus fentir de lumière que des chandelles allumées, elle n'imaginoit pas que chafque elloile fuft plus grande que la flamme qui paroifl au bout d'vne chandelle qui bruile. Et pource qu'elle ne confideroit pas encore li la terre peut tourner fur fon eflieu, & fi fa fuperficie eil courbée comme celle d'vne | boule, elle a jugé d'abord qu'elle eft immobile, ^ que 56 fa fuperficie elt plate. PJt nous auons elle par ce moyen fi fort préuenus de mille autres préjugez, que, lors me/me que nous e^/îions capables de bien vfer de nojîre rai fon, nous les auons receus en nojire créance; & au lieu de penfer que nous auions fait ces jugemens en vn temps que nous n'eftions pas capables de bien juger, & par confequent qu'ils pouuoient ejîre plujîojî faux que vrais, nous les auons receus pour aujp. certains que fi nous en auions eu vne Connoiffance dijîinde par l'entremife de nos fens, & n'en auons non plus douté que s'ils eulfent eilé des notions communes.

J2. Que la féconde ejl que nous ne pouuons oublier ces préjuge:^.

Enfin lors que nous auons atteint l'vfage entier de nojîre rai/on, ik que noftre ame, n'eftant plus fi fujette au corps, tafche à bien juger des chofes & à connoillre leur nature; bien que nous remarquions que les jugemens que nous auons faits lors que nous eftions enfans font pleins d'erreur, nous auons afl'ez de peine à nous en déliurer entièrement : & neantmoins il eji certain que, fi. nous manquons à

6o Œuvres de Descartes.

nous fouuenir qu'ils font douteux', nous fommes touf-jours en dan- ger de retomber en quelque fauffe preuention. Cela eft tellement vray, qu'à caufe que, dés noftre enfance, nous auons imaginé, par ^' exemple, les eftoiles fort petites, nous ne fçaurions nous | deffaire encore de cette imagination, bien que nous connoilTions par les raifons de l'Adronomie qu'elles font très-grandes, tant a de pou- uoir fur nous vne opinion def-ja receuë !

75. La troijîéme, que nojire efprit Je fatigue quand il fe rend attentif à toutes les chofes dont nous jugeons.

De plus, comme noftre ame ne fçauroit s'arrefler à confiderer long--temps vne mefme chofe auec attention fans fe peiner & mefmes fans fe fatiguer, & qu'elle ne s'applique à rien auec tant de peine qu'aux chofes purement intelligibles, qui ne font prefentes ni au fens ni à l'imagination, ibit que naturellement elle ait efté faite ainfi, à caufe qu'elle eft ynie au corps, ou que, pendant les pre- mières années de noftre vie, nous nous foyons fi fort accouftumez à fentir & imaginer, que nous ayons acquis vne facilité plus grande à penfer de cette forte, de vient que beaucoup de perfonnes ne fçauroient croire qu'il y ait de fubftance, fi elle n'eft imaginable & corporelle, & mefme fenfible. Car on ne prend pas garde ordinaire- ment qu'il n'y a que les chofes qui confiftent en eftenduë, en mou- uement & en figure, qui foient imaginables, & qu'il y en a quantité d'autres que celles-là, qui font intelligibles. De vient aufii que la plus part du monde fe perfuadc qu'il n'y a rien qui puilfe fubfifter fans corps, & mefmes qu'il n'y a point de corps qui ne foit fenfible. ^ Et d'autant que... ce ne font point nos fens. .. qui | nous font décou- urir la nature de quoy que ce foit, mais feulement noftre raifon lors qu'elle f interuient,... on ne doit pas trouuer eftrange que la plus part des hommes n'apperçoiuent les chofes que /br/ confufément, veu qu'il n'y en a que tres-peu qui s'ejludient à la bien conduire.

•j4> La quatriefme, que now: attachons nos penfées à des paroles qui ne les expriment pas exaâement.

Au refte, parce que nous attachons nos conceptions à certaines paroles, afin de les exprimer de bouche, & que nous nous fouue- nons pluftoft des paroles que des chofes, à peine fçaurions-nous

a. Texte de l'errata de la première édition. Elle donnait : fi nous n'en perdons le fouuenir^

Prin'cipes. Première Partie. 6i

conceuoir aucune chofe fi diftindement, que nous feparions entiè- rement ce que nous conceuons d'auec les paroles qui auoient efté choifies pour l'exprimer. Ainfi tous les hommes donnent leur at- tention aux paroles pluftoft qu'aux chofes ; ce qui eft caufe qu'ils donnent bien fouuent leur confentement à des termes qu'ils n'en- tendent point, & qu'ils ne fe foucient pas beaucoup d'entendre, ou pource qu'ils croyent les auoir entendus autrefois, ou pource qu'il leur a femblé que ceux qui les leur ont enfeignez en connoiflbient la fignification, & qu'ils Vont apprife par me/me moyen. Et bien que ce ne foit pas icy l'endroit je dois traitter de cette matière, à caufe que jen'ay pas enfeigné quelle eft la nature du corps humain, & que je n'ay pas mefmes encore prouué qu'il y ait au | monde 69 aucun corps, il me femble neantmoins que ce que j'en ay dit', nous pourra feruir à difcerner celles de nos conceptions qui font claires & diftindes, d'auec celles il y a de la confufion £- qui nous font inconnues.

y S. Abrégé de tout ce qu'on doit ob/eruer pour bien philofopher.

C'ett pourquoy, fi nous defirons vaquer ferieufement à l'eftude de la Philofophie & à la recherche de toutes les veritez que nous fommes capables de connoiftre, nous nous deliurerons, en premier lieu, de nos préjugez, & ferons eftat de rejetter toutes les opinions que nous auons autrefois receuës en noftre créance, jufques à ce que nous les ayons derechef examinées... Nous ferons enfuite vne reueuë fur les notions qui font en nous, & ne receurons pour vrayes que celles qui fe prefenteront clairement & diftindcment à noftre entendement. Par ce moyen nous connoiftrons, première- ment, que nous fommes, en tant que noftre nature eft de penfer; & qu'il y a vn Dieu duquel nous dépendons; après auoir confideré fes attributs, nous pourrons rechercher la vérité de toutes les autres chofes, pource qu'il en eft la caufe. Outre les notions que nous auons de Dieu & de noftre penfée, nous trouuerons aufti en nous la connoilfance de beaucoup de propofitions qui font perpé- tuellement vrayes, comme, par exemple, que le néant ne peut eftre l'autheur de quoy | que ce foit, &c. Nous y trouuerons l'idée d'vne 60 nature corporelle ou eftenduë, qui peut eftre mue, diuifée, &c., & des fentimens qui caufent en nous certaines difpofitions, comme la douleur, les couleurs..., &c...; Et comparant ce que nous venons

a. Art. 43 à 47 inclus, p. 43-45.

02 OEuVRES DE DeSGARTES.

d'apprendre en examinant ces chofes par ordre, auec ce que nous en penfions auant que de les auoir ainji examinées, nous nous accouftumerons à former des conceptions claires & dillinc^es fur tout ce que nous fommes capables de connoillre. G'ell en ce peu de préceptes que je penfe auoir compris tous les principes plus généraux & plus importansde la connoilîance humaine.

j6. Que nous deuons préférer l'authorité diuine à nos raifonnemens, & ne rien croire de ce qui n'ejl pas reuelé que nous ne le connoijfwns fort clairement.

Surtout, nous tiendrons pour règle infaillible, que ce que Dieu a reuelé efl incomparablement plus certain que le relie ; afin que, fi quelque eflincele de raifon fembloit nous fuggerer quelque chofe au contraire, nous foyons touf-jours prefts kfoiimettre noltre jugement à ce qui vient de fa part. Mais, pour ce qui elf des vérité^ dont la Théologie ne fe meile point, il n'y auroit pas d'apparence qu'vn homme qui veut e/lre Philofophe receull pour vray ce qu'il n'a point connu eftre tel, & qu'il aymalf mieux fe fier à fes fens, c'elt à dire aux jugcmens inconfiderez de fon enfance, qu'à fa raifon, lors qu'il efl en eflat de la bien conduire.

LES PRINCIPES

DE

LA PHILOSOPHIE

SECONDE PARTIE. Des Principes des chofes matérielles.

i . Quelles raifons nous font fcauoir certainement qu'il y a des corps.

Bien que nous ibyons fuffifamment perfuadez qu'il y a des corps qui font véritablement dans le monde, neantmoins, comme nous en auons douté cy-deuant% & que nous auons mis cela au nombre des Jug-emeus que nous auons faits des le commencement de noltre vie, il ert befoin que nous recherchions icy des raifons qui nous en facent auoir vne fcience certaine. Premièrement, nous expérimen- tons en nous me/mes que tout ce que nous fentons vient... de quelque autre chv e que de nollre penfée ; pource qu'il n'elt pas en noltre pouuoir de faire que nous ayons vn fentiment pluftoft qu'vn autre, & que cela dépend... de cette chofe, félon qu'elle touche nos fens. Il ell vray que nous pourrions nous enquérir fi Dieu, ou quelque autre que luy, ne feroit point cette chofe : mais, à caufe que nous | fen- tons, ou pluftort que nos fens nous excitent /ow«e;// à apperceuoir clairement & diftindement, vne matière eftenduë en longueur, lar- geur & profondeur, dont les parties... ont des figures & des mou- uemens diuers, d'où procèdent les fentimens que nous auons des couleurs, des odeurs, de la douleur, &c., li Dieu prefentoit à noftre

a. Partie I, art. 4, p. 26.

64 Œuvres de Descartes.

ame immédiatement par luy mefme l'idée de cette matière eften- duë, ou feulement s'il permettoit qu'elle fuft caufée en nous par quelque chofe qui n'eufl: point d'extenfion, de figure, ni de mouue- ment, nous ne pourrions trouuer aucune raifon qui nous empef- chatt de croire qu'il prend'' plaijtr à nous tromper; car nous con- ceuons... cette matière comme vne chofe... différente de Dieu &... de nollre penfée, & il nous femble... que l'idée que nous en auons' Je forme en nous à l'occajion des corps de dehors, aufquels elle ell entièrement femblable. Or, puifque Dieu ne nous trompe point, pource que cela répugne à fa nature, comme il a elle def-ja re- marque'', nous deuons conclure qu'il y a vne certaine ftibjtance ellenduë en longueur, largeur & profondeur, qui exiile à prefent dans le monde auec toutes les proprietez que nous connoiflbns mani- fellement luy appartenir. Et cette fubjlr.nce ellenduë ell ce qu'on nomme proprement le corps, ou la fubjîancc des chofes matérielles.

•3 I 2. Comment nousfqauons aujji que noftre ame eji jointe à vn corps.

Nous deuons conclure auffi qu'vn certain corps eft plus eftroite- ment vni à noftre ame que tous les autres qui font au monde, poufce que nous appercevons clairement que la douleur & plufieurs autres feniimens nous arriuent fans que nous les ayons préueus, & que noftre ame, par me connoijjance qui luy ejl naturelle, juge que ces fentimens ne procèdent point d'elle feule. . ., en tant qu'elle eft vne chofe qui penfe, mais en tant qu'elle eft vnie ù vne chofe eftenduë qui fe meut par la difpojition de fes organes, qu'on nomme pro- prement le corps d'vn homme. Mais ce n'eft pas icy l'endroit je prétends en traitter particulièrement'.

3. Que nosfens ne nous enfcignent pas la nature des chofes, mais feulement ce en quoy elles nous font vtiles ou nnifibles.

Il fuffîra que nous remarquions feulement que tout ce que nous apperceuons par l'entremifc de nos fens fe rapporte à l'eftroite vnion qu'a l'ame auec le corps, is: que nous connoiflbns ordinairement par leur moyen ce en quoy les corps de dehors nous peuuent pro-

a. \J éiWùon princeps donnait : « qu'il ne prend point », mais avec cette correction à Verrata : •• qu'il piL-nd ».

b. Voir les an. 29 et 3<i de la première partie, ci-avant, p. 37-38.

c. « Il eioit fur te point de trauaillcr a cette maticre quand la mort nous rauy. V. le I art. du traite de l'homme. »» {Noie MS. de Legrand.)

Principes. Seconde Partie. 65

fiter ou nuire, mais non pas quelle eji leur nature, fi ce n'eft peut- ellre rarement & par hazard. Car, après cette réflexion, nous quitte- rons fans peine tous les préjugez qui ne font fondez que fur nos fens, & ne nous feruirons que de nortrc entendement, pource que c'eft en \uyfeul que les premières notions ou idées, qui font comme les femences des vérité^ que nous fommes capa\bles de connoiflre, M fe trouuent naturellement.

4. Que ce n'ejl pas la pefanteur, ni la dureté, ni la couleur, &c., qui conjîituë la nature du corps, mais Vextenjion feule.

En ce faifant, nous fçaurons que la nature de la matière, ou du corps pris en gênerai, ne confifte .point en ce qu'il eft vnc chofe dure, ou pefante, ou colorée, ou qui touche nos fens de quelque autre façon, mais feulement en ce qu'il eft wnefubflance eftenduè" en lon- gueur, largeur & profondeur. Pour ce qui eft de la dureté, nous n'en connoiflbns autre chofe, par le moyen de l'attouchement, finon que les parties des corps durs refiftent an mouuement de nos mains lors qu'elles les rencontrent; mais fi, toutes les fois que nous por- tons nos mains vers quelque part, les corps qui font en cet endroit fe retiroient aufli vifte comme elles erf approchent, // efl certain que nous ne fentirions jamais de dureté; & neantmoins nous n'auons aucune raifon qui nous puifle faire croire que les corps qui fe retire- roient de cette forte perdiffent pour cela ce qui les fait corps. D'où il fuit que leur nature ne confifte pas en la dureté lue nous fentons quelquesfois à leur occafion, ni aufti en la pefan.cur, chaleur & autres qualitez de ce genre; car^ nous examinons quelque corps que ce foit, nous pouuons penfer qu'il n'a en foy aucune de ces qua- litez, & cependant nous connoiffons clairement & diflinâement qu'A a tout ce qui le I fait corps, pourueu qu'il ait de l'extenfion en Ion- 65 gueur, largeur & profond'-ur: d'où il fuit aufli que, jpowr eflre, il n'a befoin d'elles en aucune façon, d' que fa nature conflfle en cela feul qu'il eft vue fubflance qui a de l'extenfion.

5. Que cette vérité ejl obfcurcie par les opinions dont on efl préocupé touchant la rarefaâion & le vuide.

Pour 7'endre cette vérité entièrement éuidente, il ne refte icy que

deux difficultez à éclaircir. La première confifte en ce que qu.elques-

vns, voyant proche de nous des corps qui font quelquefois plus <S^

quelquefois moins raréfiez, ont imaginé qu'vn mefme corps a plus

Œuvres. IV. ^l

66 Œuvres de Descartes.

d'extenfion, lors qu'il eft raréfié, qu€ lors qu'il elt condenfé; il y en a mefme qui ont fubtilifc jufques à vouloir diitinguer ia fubilance d'vn corps d'auec fa propre grandeur, & la grandeur melme d'auec l'on cxtenfion. L'autre n'eft fondée que fur vne façon de penfer qui eft en vfage, à fçauoir qu'on n'entend pas qu'il y ait vn corps, on dit qu'il n'y a qu'vne ellenduë en longueur, largeur & profondeur, mais feulement vne efpace, & encore vne efpace vuide, qu'on fe perfuade aifément n'eftre rien.

6. Comment fe fait la rarefaâion.

Pour ce qui elt de la rarefadion cH: de la condenfation, quiconque voudra examiner les penfées, & ne rien admettre fur ce fujet que ce dont il aura vne idée claire & diftinâe, ne croira pas qu'elles fe facent autrement que par vn changement de figure qui arriuc au 66 corps, lequel eji varejîé ou condenfé : c'ell-à-dire | que toutes fois & quantes que nous voyons qu'vn corps eft raréfié, nous deuons penfer qii'û y a plufieurs interualles entre fes parties, Icfquels font remplis de quelque autre corps; & que, lors qu'il ert condenfé, fes mefmes parties font plus proches les vnes des autres qu'elles n'elloient, foit qu'on ait rendu les interualles qui eftoient entr'elles plus petits, ou qu'on lésait entièrement oltez, auquel cas on ne fçauroit conceuoir qu'vn corps puifl'e eftre dauantage condenfé. Et toutefois il ne lailfe pas d'auoir tout autant d'extenfion que lors que ces mefmes parties, ellant cfloignécs les vnes des autres & comme efparfes en plujieurs branches, cmbrallbient vn plus grand efpace*. Car nous ne deuons point luy attribuer l'eftenduii qui ell dans les pores ou interualles que fes parties n'occupent point lors qu'il ejî rarefê, mais aux autres icorps qui remplilfent ces interualles; tout de mefme que, voyant vne efpongc pleine d'eau ou de quelque autre liqueur, nous n'en- tendons point que chafque partie de cette efponge ait pour cela plus d'eftenduc, mais feulement qu'il y a des pores ou interualles entre /es parties, qui font plus grands..., que lors qu'elle elt feiche & plus ferrée.

7. Qu'elle ne peut ejlre intelligiblement expliquée qu'en la façon

icy propofée.

C7

le ne fçay pourquoy, lors qu'on a voulu expliquer comment vn corps eft raréfié, on a mieux | aymé dire que c'eftoit par l'augmen-

a. Correction de Verrata, Texte primitif : « en plus grande tlpacc >.

Princïpps. Seconde Partie. 67

tation de fa quantité, que de fe feruir de l'exemple de cette efponge. Car bien que nous ne voyons point, lors que l'air ou l'eau font ra- réfiez, les pores qui font entre les parties de ces corps, ni comment ils font deuenus plus grands, ni mefme le corps qui les remplit, il ell toutefois beaucoup moins raifonnable de feindre je ne fçay quoy qui n'elt pas intelligible, pour expliquer feulement en apparence, & par des termes qui n'ont aucun fcns; la façon dont vn corps ell raréfié, que de conclure, en confequence de ce qu'il eil: raréfié, qu'il y a des pores ou interualles entre fes parties qui font deuenus plus grands, & qui font pleins de quelque autre corps. Et nous ne deuons pas faire difficulté de croire que la rarefaâion ne fe face ainji que je dj-, bien que nous n'apperceuions par aucun de nos fens le corps qui les remplit, pource qu'il n'y a point de raifon qui nous oblige à croire que nous deuons apperceuoir de nos fens tous les corps qui font autour de nous, & que nous voyons qu'il ell tres-aile de l'ex- pliquer en cette forte, & qu'il eil impolîible de la conceuoir autre- ment. Car enfin il y auroit, ce me femble, vne contradiction manifefte qu'vne chofe fuit augmentée d'vne grandeui«.ou d'vne extenfion qu'elle n'auoit point, & qu'elle ne full pas ac|creuë par 68 mefme moyen d'vne nouuelle fubltance eltenduë ou bien d'vn nouueau corps, à caufe qu'il n'elt pas pofiible de conceuoir qu'on puiffe adjoufter de la grandeur ou de l'extenfion à vne chofe par aucun autre moyen qu'en y adjoultant vne chofe grande & eftenduë, comme il paroiltra encore plus clairement par ce qui fuit.

8. Que la grandeur ne diffère de ce qui ejl grand, ni le nombre des chef es nombrées, que par nojtre penfée.

Dont la raifon efl que la grandeur ne diffère de ^e qui e/l i^rand isL le nombre de ce qui elt nombre, que par noltre penfée : c'eit à dire qu'encore que nous puiflions penfer à ce qui ell de la nature d'vne chofe eftenduë qui ell comprife en vne efpace de dix pieds, fans prendre garde à cette mefure de dix pieds^ à caufe que cette chofe cft de melme nature en chacune de fes parties comme dans le tout; & que nous puilVions penfer à vn nombre de dix, ou bien à vne grandeur continue de dix pieds, fans penfer à vne telle chofe, à caufe que l'idée que nous auons du nombre de dix elt la mefme, foit que nous confiderions vn nombre de dix pieds ou quelqu'autre dizaine; &. que nous puilïions mefme conceuf>jr vne grandeur continue Je dix pieds fans faire refiexion fur telle ou telle chofe, bien que nous ne puillions la conceuoir lans quelque chofe d'eftcndu... : toutefois il

68 Œuvres de Desgartes.

69 eft éuident qu'on ne fçauroit ofter aucune partie | d'vne telle gran- deur, ou d'vne telle extenfion, qu'on ne retranche par mefme moyen tout autant de la chofe; & réciproquement, qu'on ne Tçauroit retran- cher de la chofe, qu'on n'ofte par melme moyen tout autant de la grandeur ou de l'extenfion.

g. Que lafubjlance corporelle ne peut ejlre clairement conceuê fans f on exteufion.

Si quelques vns s'expliquent autrement fur ce fujet, je 'ne penfe pourtant pas qu'ils conçoiuent autre chofe que ce que je viens de dire. Car lors qu'ils diftinguent la fubftance d'auec l'extenfion & la grandeur, ou ils n'entendent rien par le mot de fubftance, ou ils forment feulement en leur efprit vne idée confufe de la fubftance immatérielle, qu'ils attribuent fauflement à la fubftance matérielle, & laiffent à l'extenfion la véritable idée de cette fubftance maté- rielle, qu'ils nomment accident, fi improprement qu'il efl aifé de connoiflre quG leurs paroles n'ont point de rapport auec leurs penfées.

10. Ce que c'ejl que iefpace ou le lieu intérieur,

L'efpace, ou le lieu intérieur, & le corps qui eft compris en cet efpace, ne font differens auflî... que par noftre penfée. Car, en effet, la mefme eftcnduë en longueur,, largeur & profondeur, qui conftituë l'efpace, conftituë le corps ; & la différence qui eft entr'eux ne con- fifte qu'en ce que nous attribuons au corps vne eftenduë particu- lière, que nous conceuons changer de place auec luy toutes fois &

70 quantes qu'il eft \ Iranfporté, & que nous en attribuons à l'elpace vne fi générale & fi vague, qu'après auoir oflé d'vn certain efpace le corps qui l'occupoit, nous ne penfons pas auoir aufïi tranfporté l'eftenduc de cet efpace, à caufe qu'il nous femble que la mefme eftcnduë y demeure touf-jours, pendant qu'il eft de mefme grandeur, de mefme figure, & qu'il n'a point change de fituation au regard des corps de dehors par lefquels nous le déterminons.

1 1 . En quel f en s on peut dire qu*il n'ejl point différent du corps

qu'il contient.

Mais il fera aifé de connoiftre que la mefme eftenduë qui conftituë U nature du corps, conftituë aulTi la nature de l'efpace, en forte

Principes. Seconde Partie. 69

qu'ils ne diflercnt cntr'eux que comme la nature du genre ou de l'elpcce difl'ere de la nature de l'indiuidu, fi, pour mieux difçerner quelle elt la véritable idée que nous auons du corps, nous prenons pour exemple vne pierre & en oftons tout ce que nous fçaurons ne point appartenir à la nature du corps. Ortons en donc premièrement la dureté, poufce que, li on reduifoit cette pierre... en poudre, elle n'auroit plus de dureté, & ne laifl'eroit pas pour cela d'eftre vn corps; oitons en aufli la couleur, pource que nous auons pu voir quelque fois des pierres fi tranfparentes qu'elles n'auoient point de couleur: oilons en la pel'anteur, pource que nous voyons que le feu, quoy qu'il l'oit | tres-leger, ne lailVe pas d'eftre vn corps; oftons en ^i le froid, la chaleur, &^ toutes les autres qualitez de ce genre, pource que nous ne penfons point qu'elles foient dans la pierre, ou bien que cette pierre change de nature parce qu'elle nous femble tantojl chjiudc li- taulojt froide. Apres auoir ainfi examiné cette pierre, nous trouucrons que la véritable idée que nous en auons confiile en cela feul q^ue nous apperceuons dijiindement qu'elle ell vne Jubjiance ellcnduë en longueur, largeur es: profondeur : or cela melme eft compris en l'idée que nous auons de l'efpace, non feulement de celuy qui eU plein de corps, mais encore de celuy qu'on appelle vuide.

12. Ft en quel fens il ejî différent.

Il cil vray qu'il y a de la diflerence en noftre façon de penfer; car )\ on a ollé vne pierre de l'efpace ou du lieu elle eftoit, nous en- tendons qu'on en a ollé l'ellenduë de cette pierre, pource que nous les jugeons... infeparables l'vne de l'autre : & toutefois nous penfons que la mcfme eftenduë du lieu eftoit cette pierre eft demeurée, nonobllant que le lieu qu'elle occupoit auparauant ait efté rempli de bois, ou d'eau, ou d'air, ou de quelque autre corps, ou que mcfme il paroille vuide, pource que nous prenons l'eftenduë en général, & qu'il nous femble que la mefme peut eftre commune aux pierres, au bois, à l'eau, à l'air, 6; à tous les au|tres corps, et aulfi 72 au vuide, s'il y en a, pourueu qu'elle foit de mefme grandeur, de mefme figure qu'auparauani, ^: qu'elle conferue vne niefme fituation à l'égard des corps de dehors qui déterminent cet efpace.

i3. Ce que c'eji que le lieu extérieur,

bont la raifon cil que les mots de lieu ik d'efpace ne fignili'enl \-\<\\ qui diffère veritablemeni du corps que nous difons eftre en

7.0 OEuvRES DE Descartes.

quelque lieu, & nous marquent feulement ia grandeur, fa figure, & comment il ell litué entre les autres corps. Car il faut, pour déter- miner cette fituation, en remarquer quelques autres que nous con- fiderons comme immobiles; mais, félon que ceux que nous confi- derons ainii font diuers, nous pouuons dire qu'vne mefme chofc en mefme temps change de lieu & n'en change point. Par exemple, fi nous confiderons vn homme alfis à la pouppe d'vn vailleau que le vent emporte hors du port, & ne prenons garde qu'à ce vailleau, il nous femblera que cet homme ne change point de lieu, pourcc que nous voyons qu'il demeure touf-jours en vnc mefme fituation à l'égard des parties du vailleau fur lequel il efi ; ^ ii nous prenons garde aux terres voifines, il nous femblera aulfi que cet homme change incelfamment de lieu, pource qu'il s'éloigne de celles-cy, & qu'il approche de quelques autres ; fi, outre cela, nous fuppofons 73 I que la terre tourne fur fon eiïieu, & qu'elle fait precifement autant de chemin du couchant au leuant comme ce vailfeau en fait du leuant au couchant, il nous femblera derechef que celui qui ell alfis à la poupe ne change point de lieu, pource que nous déterminons ce lieu par quelques points immobiles que nous imaginerons eltrc au Ciel. Mais fi nous penfons qu'on ne fçauroit rencontrer en tout l'vniuers aucun point qui foit véritablement immobile (car on connoifira ' par ce qui fuit que cela peut efirc demon/îré), nous conclurons qu'il n'y a point de lieu d'aucune chofe au monde qui foit ferme & arvejié, finon en tant que nous l'arrejîons en nollrc penfée.

14. Quelle différence il y a entre le lieu €■ l'efpace.

Toutefois le lieu & l'efpace font differcns en leurs noms, pource que le lieu nous marque plus exprelfemcnt la fituation, que la gran- deur ou la figure; & qu'au contraire nous penfons plultofi à celles-cy, lors qu'on nous parle de l'efpace. Car nous difons qu'vne chofe cil entrée en la place d'vne autre, bien qu'elle n'en ait exactement ni la grandeur ni la figure, & n'entendons point quelle occupe pour cela le mefme efpace qu'occupoit celle autre chofe ; ^ lors que la fituation cil changée, nous difons que le lieu cil aulli changé, quoy qu'il

a. Note manuscrite de Legrand : - tant par ce que ie dois dire de la » nature du niuuuemeni dans cette 2. partie, que par le lylleme du monde que ie dois établir dans la 3. » Le « ic » qui se retrouve deux fois dans celle note, n'indique-t-il pas qu'elle serait de Descartes lui-même, et <\\xc Legrand n'aurait fait que la copier en marge de son exemplaire ':

Principes. Seconde Partie. 71

foit de mefme grandeur & de mefme figure qu'aupa|rauant. De 74 forte que, il nous difons qu'vne chofe eft en tel lieu, nous entendons feulement qu'elle cH fituée de telle façon à l'égard de quelques autres chofes ; mais fi nous adjoufions qu'elle occupée vn tel efpace ou vn tel lieu, nous entendons, outre cela, qu'elle eft de telle gran- deur & de telle figure qu'elle peut le remplir tout jujî émeut.

i5. Comment lafupcrficie qui enuironne vn corps peut ejîre prife pour fon lieu extérieur.

Ainfi nous ne diftinguons jamais l'efpace d'auec l'eftenduè' en lon- gueur, largeur & profondeur; mais nous confiderons quelquefois le lieu comme s'il eftoit en la chofe qui eft placée, & quelquefois aufli comme s'il en eftoit dehors. L'intérieur ne difl'ere en aucune façon de l'efpace; mais nous prenons quelquefois l'extérieur, ou pour la fuperficie qui enuironne immédiatement la chofe qui eft placée {& il eft à remarquer que, par la fuperficie, on ne doit entendre aucune partie du corps qui enuironne, mais feulement l'extrémité qui eft entre le corps qui enuironne & celuy qui eft enuironne, qui n'eft rien qu'vn mode ou vne façon) ^ ou bien pour la fuperficie en gênerai, qui n'eft point partie d'vn corps pluftoft que d'vn autre, & qui femble touf-jours la mefme, tant qu'elle eft de mefme grandeur & de mefme figure. Car, encore que nous voyons que le corps qui enuironne vn autre corps, pafl'e ailleurs auec fa fuperjficie, nous n'auons pas couftume de dire que celuy qui en 75 eftoit enuironne aye pour cela changé de place, lors qu'il demeure en la mefme fituation à l'égard des autres corps... que nous confi- derons comme immobiles. Ainfi nous difons qu'vn batteau qui eft emporté... par le cours d'vne riuiere, mais qui eft repouffé... par le vent d'vne force fi égale qu'il ne change point de fituation à l'égard des riuages, demeure en mefme lieu, bien que nous voyons que toute la fuperficie qui l'environne change inceffamment.

1 6. Qu'il ne peut y auoir aucun vuide aufens que les Philofophes prenent ce mot.

Pour ce qui eft du vuide, au fens que les Philofophes prennent ce mot, à fçauoir pour vn efpace il n'y a point de fubftance, il eft éuident qu'il n'y a point d'efpace en l'rniuers qui foit tel, pource que l'extenfion de l'efpace ou du lieu intérieur n'eft point différente de l'extenfion du corps. Et comme, de cela feul qu'vn corps eft

72 Œuvres de Descartes.

eftendu en longueur, largeur & profondeur, nous auons raifon de conclure qu'il eft vne fubftance, à caule que nous conceuons qu'il n'eft pas poflible que ce qui n'eft rien ait de l'extenfion, nous deuons conclure le mefme de l'efpace qu'on fuppofe vuide : à fçauoir que, puis qu'il y a en luy de l'extenfion, il y a necelTairement aulTi de la fubftance.

77. Que le mot de vuide pris félon l'vfage ordinaire n'exclud point toute forte de corps.

76 Mais lors que nous prenons ce mot félon | l'vfage ordinaire, & que nous difons qu'vn lieu eft vuide, il eft conftant que nous ne vou- lons pas dire qu'il n'y a rien du tout en ce lieu ou en cet cfpace, mais feulement qu'il n'y a rien de ce que nous prefumons y deuoir eftre. Ainfi, pource qu'vne cruche eft faite pour tenir de l'eau, nous difons qu'elle eft vuide lors qu'elle ne contient que de l'air; & s'il n'y a point de poiflbn dans vn viuier, nous difons qu'il n'y a rien dedans, quoy qu'il foit plein d'eau ; ainfi nous difons qu'vn vaifTeau eft vuide, lors qu'au lieu des marchandifes dont on le charge d'ordi- naire, on ne l'a chargé que de fable, afin qu'il puft refifter à l'impe- tuofité du vent : & c'eft en ce mefme fens que nous difons qu'vn efpace eft vuide, lors qu'il ne contient rien qui nous foit fenfible, encore qu'il contienne vne maiiere créée & vne fubftance eftenduë. .Car nous ne confiderons ordinairement les corps qui fout proches de nous, qu'en mm qu'ils caufent dans les organes de nos fens des impreflions;^ ybr/w, que nous pouuons les fentir. Et fi, au lieu de nous fouuenir de ce que nous deuons entendre par ces mots de vuide ou de rien, nous penfions par après qu'vn tel efpace..., nos fens ne nous font rien apperceuoir, ne contient aucune chofe créée, nous tomberions en vne erreur aufli grofiîcre que fi, à caufe qiy'on dit

77 ordinaire|ment qu'vne cruche eft vuide, dans laquelle il n'y a que de l'air, nous jugions que l'air qu'elle contient n'eft pas vne chofe ou vne fubftance.

/<¥, Comment on peut corriger la fauffe opinion dont on efl préoccupé

touchant le vuide.

Nous auons prefque tous cftc préoccupci de cette erreur des le commencement de noftrc vie, parce que, voyant qu'il n'y a point de liaifon neceffaire entre le vafe & le corps qu'il contient, il nous a femblé que Dieu pourroit ofter tout le corps qui eft contenu dans

Principes. Seconde Partie. 7)

vn vafe, & conferuer ce vafe en fort me/me ejlat, fans qu'il fufl befoin qu'aucun autre corps fuccedaft en la place de celuy qu'il aurait ojlé. Mais,. afin que nous puiffions maintenant corriger vne fi fauffe opinion, nous remarquerons qu'il n'y a point de liaifon neceffaire entre le vafe & vn tel corps... qui le remplit, mais qu'elle eft... fi abfolument neceffaire entre la figure concaue qu'a ce vafe & l'eften- duë... qui doit eftre comprife en ce|te concauité, qu'il n'y a pas plus de répugnance à conceuoir vne montagne fans vallée, qu'vne telle concauité fans l'extenfion qu'elle contient, & cette extenfion fans quelque cho/e d'eftendu, à caufe que le néant, comme il a efté def-ja remarqué plufieurs fois, ne peut auoir d'extenfion. C'eft pourquoy, fi on nous demande ce qui'arriueroit, en casque Dieu oftaft tout le corps qui eft dans vn vafe, fans qu'il permift qu'il en rentraft d'autre, nous répondrons | que les coftez de ce vafe/e troU' 78 ueroient fi proches qu'ils fe toucheroient immédiatement. Car il faut que deux corps s'entre-touchent, lors qu'il n'y a rien entr'eux deux, pource qu'il y auroit de la contradiction que ces deux corps fuffent éloignez, c'eft à dire qu'il y euft de la diftance de l'vn à l'autre, & que neantmoins cette diftance ne fuft rien : car la diftance eft \nQ propriété de l'eftenduè", qui ne fçauroit fubfifter fans quelque chofe d'eftendu.

ig. Que cela confirme ce qui a efté dit de la rarefaâion.

Apres qu'on a remarqué que la nature de la fubftance matérielle ou du corps ne confifte qu'en ce qu'il eft quelque chofe d'eftendu, & que fon extenfion ne diffère point de celle qu'on attribue à l'efpace vuide, il eft aifé de connoiftre qu'il n'eft pas poffible qu'ew quelque façon que ce/oit aucune de fes parties occupe plus d'efpace vne fois que l'autre, & puiffe eftre autrement raréfiée qu'en la façon qui a efté expofée cy-deffus*; ou bien qu'il y ait plus de matière ou de corps dans vn vafe, lors qu'il eft plein d'or, ou de ploq^b, ou de quelque autre corps pefant & dur, que lors qu'il ne contient que de l'air & qu'il paroift vuide : car la grandeur des parties dont vn corps cfi compofént dépend point de la pefanteur ou de la dureté que nous fentons à Jon occafion, comme il a efié aujjt remarqué^, mais feule- ment de reften|duë, qui eft touf-jours égale dans vn mefme vafe. 79

a. An. 6 de cette partie, ci-avant p. 66.

b. Art. 4 et ii, p. 65 et p. 68.

74 Œuvres de Descartes.

20. Qu'il ne peut y auoir aucuns atomes ou petits corps indiuifibles.

Il eft aulîl tres-aile de connoirtre qu'il ne peut y auoir des atofines, ou des parties de corps qui... foient indiuifibles, aiuji que quelques Philofophes ont imaginé. D'autant que, fi petites qu'on fuppofe ces parties, neantmoins, pource qu'il faut qu'elles foient eftenduës, nous conceuons qu'il n'y en a pas vne entr'elles qui ne puilTe eftre encore diuilee en deux ou plus grand nombre d'autres plus petites, d'où il fuit qu'elle eft diuifible. Car, de ce que nous connoilîons clai- rement & dijîinâement qu'vne chofe peut eftre diuifce, nous deuons Juger" qu'elle eft diuifible, pource que, fi nous en jugions autre- ment, le jugement que nous ferions de cette chofe feroit contraire à la connoilfance que nous en auons. Et quand mefme nous fuppo- ferions que Dieu euft réduit quelque partie de la matière à vne peti- telfe fi extrême, qu'elle ne puft eftre diuifée en d'autres plus petites, nous ne pourrions conclure pour cela qu'elle feroit indiuifible, pource que, quand Dieu auroit rendu cette partie fi petite qu'il ne feroit pas au pouuoir d'aucune créature de la diuifer, il n'a pu fe priuer fo3'-mefme du pouuoir qu'il auoit de la diuifer, à caufe qu'il 80 n'ert pas poflible qu'il diminue fa | toute-puiffance, comme il a efté def-ja remarqué \ C'eft pourquoy... nous dirons que la plus petite partie ejlenduë qui puijjfe ejire au monde, peut touf-jours eftre diui- fée, pource qu'elle eft telle de fa nature.

21. Que iejtenduë du monde ejl indéfinie.

Nous fçaurons nufii que ce monde, ou la matière eftenduë qui compote l'vniuers, n'a point de bornes', pource que, quelque part nous en vueillions feindre, nous pouuons encore imaginer au delà des efpaces indéfiniment eftendus, que nous- n'imaginons pas feulement, mais que nous conceuons eftre tels en effet que nous les imaginons; de forte qu'ils contiennent ;-;/ corps indéfiniment eUendu, car... l'idée de l'eftenduë que nous conceuons en quelque efpace que ce luit, eft la vrayc idée que nous deuons auoir du corps.

a. Texte primitif : " nous f»;auons >k \ Verrata : k nous deuons juger ».

b. Partie I, an. 6o. Ci-avant, p. 52. c Voir Correspondance, t. V, p. 6g.

Principes. Seconde Partie. 7^

-'2. Que la terre les deux ne font faits que ci'vne me/me matière, & qu'il ne peut y auoir plufieurs mondes.

Enfin il n'eft pas mal-aifé d'infercr de tout cecy, que la terre & les cieux font faits d'vne mefme matière; & que, quand mefme il y auroit vne infinité de mondes, ils ne feroient faits que de cette ma- tière; d'où il fuit qu'il ne peut y en auoir plufieurs", à caufe que nous conceuons manifeftement que la matière, dont la nature confille en cela feul qu'elle eft vne chofe eftendut, occupe maintenant tous les efpaces imaginables ces autres mondes pourroient eftre, & que nous ne fçaurions découurir en | nous l'idée d'aucune autre matière. 81

23. Que toutes les variété^ qui font en la matière... dépendent

du mouuement de fes parties.

II n'y a donc qu'vne mefme matière en tout l'vniuers, & nous la connoiflbns par cela feul qu'elle eft eftenduf; pource que toutes les proprietez que nous apperceuons diflinclement en elle, fe raportent à ce qu'elle peut eftre dij^ifée & meut félon fes parties, & qu'elle peut receuoir toutes les diuerles difpofitions que nous remarquons pouuoir arriuer par le mouuement de fes parties. Car, encore que nous puifllons feindre, de la penfée, des diuifions en cette matière, neantmoins il eft conftant que nofire penfée n'a pas le pouuoir d'y rien changer, & que. . . toute la diuerfité des formes qui s'y ren- contrent dépend du mouuement local. Ce que les Philofophes ont fans doute remarqué, d'autant qu'ils ont dit, en beaucoup d'endroits, que la nature eft le principe du mouuement & du repos, & qu'ils entendoient, par la nature, ce qui fait que les corps le difpofent ainfi que nous voyons par expérience.

24. Ce que c'ejî que le mouuement pris félon l'vfage commun.

Or le mouuement fçauoir celuy qui fe fait d'vn lieu en vn autre, car je ne conçoy que celuy-là, & ne penfe pas aufti qu'il en faille fuppofer d'autre en la nature), le mouuement donc, félon qu'on le prend d'ordinaire, n'eft autre chofe que I'action par laquelle vn CORPS PASSE d'vn LIEU EN VN AUTRE. Et tout aiufi que nous I auons 82 remarqué cy-deft'us", qu'vne mefme chofe en mefme temps change

a. Voir Correspondance, t. V, p. 69,

b. Partie II, art. i3. Ci-avant, p. 69-70.

76 OEUVRES DE Descartes.

de lieu & n'en change point, de mefme nous pouuons dire qu'en mefme temps elle fe meut & ne fe meut point. Car celuy, par exemple, qui eft aflis à la pouppe d'vn vaiffeau que le vent fait aller, croit fe mouuoir, quand il ne prend garde qu'au riuage duquel il eft party & le confidere comme immobile, & ne croit pas fe mouuoir, quand il ne prend garde qu'au vaiffeau fur lequel il eft, pource qu'il ne change point de fituation au regard de fes parties. Toutefois, à caufe que nous fommes accouftumez de penfer qu'il n'y a point de mouuement fans adion..., nous dirons que celuy qui eft ainfi affis, eft en repos, puis qu'il ne fent point d'adion en foy, <S^ que cela ejt en vfage'.

25. Ce que c'ejl que le mouuement proprement dit.

Mais fi, au lieu de nous arrefter à ce qui n'a point d'autre fonde- ment que l!vfage ordinaire, nous defirons fçauoir ce que c'eft que le mouuement félon la vérité, nous dirons, afin de luy attribuer vne nature qui foit déterminée, qu'il eft le transport d'vne partie de

LA MATIERE, OU d'vN CORPS, DtJ VOISINAGE DE CEUX QUI LE TOUCHENT IMMEDIATEMENT, ET QUE NOUS CONSIDERONS COMME EN REPOS, DANS LE VOISINAGE DE QUELQUES AUTRES. Par VN CORPS, OU bien par VNE PARTIE

DE LA MATIERE, j'entends tout ce qui eft tranfporté enfemble, quoy 83 qu'il foit | peut-eftre compofé de plufieurs parties qui employent cependant leur agitation à /a/re d'autres mouuemens. Et je dy qu'il eft le TRANSPORT & non pas la force ou l'adion qui tranfporté, afin de monftrer que le mouuement eft touf-jours dans le mobile'', & non pas en celuy qui meut ; car il me femble qu'on n'a pas couftume de diftinguer ces deux chofes affez foigneufement. De plus, j'entends qu'il eft vne propriété du mobile, & non. pas vne fubftance : de mefme que la figure eft vne propriété de la chofe qui eft figurée, & le repos, de la chofe qui eft en repos.

a. Cette traduction est ainsi modifiée par des notes manuscrites, en marge de notre édition annotée, presque toutes de la main de Legrand : « Et » me/mes, à caufe que nous fommes accoutumez de penfer que, dans tout » mouuement, il y a de l'aâion, & que, dans le repos, il n'y en a point, » mais qu'au contraire il y a vne cejjation d'aâion, il ejî mieux de dire » que celuy qui ejl ainfi ajfis, ejl en repos, que de dire qu'il fe meut, puis » qu'il etc. »

b. Voir Correspondance, t. V, p. 384. Voir aussi ibid., p. 38o, 1. a6, ci p. 403, 1. 25 et 26.

Principes. Seconde Partie. 'jj

26. Qu'il n'ejl pas requis plus d'aâion pour le mouuement que pour le repos.

Et d'autant. que nous nous trompons ordinairement, en ce que nous penfons qu'il faut plus d'adion pour le mouuement que pour le repos, nous remarquerons icy que nous fommes tombez en cet erreur dés le commencement de noftre vie, pource que nous re- muons ordinairement noftre corps félon noftre volonté, dont nous auons vue conuoijfauce intérieure; & qu'il eft en repos, de cela feul qu'il eft attaché à la terre par la pefanteur, dont nous ne fen- tons point la force. Et comme cette pefanteur, & plufieurs autres caufes que nous n'auons pas couftume d'apperceuoir, refiftent au mouuement de nos membres, & font que nous nous laffons, il nous a femblé qu'il falloit vne force | plus grande & plus d'adion pour 84 produire vn mouuement que pour l'arrefter, à caufe que nous auons pris l'adion pour l'effort qu'il faut que nous facions, afin de mou- uoir nos membres & les autres corps par leur entremife. Mais nous n'aurons point de peine à nous defliurer de et faux préjugé, û nous remarquons que nous ne faifons pas feulement quelque effort pour mouuoir les corps qui font proches de nous, mais que nous en fai- fons aufli pour arrefter leurs mouuemens, lors qu'ils ne font point amortis... par quelque autre caufe. De forte que nous n'employons pas plus d'aélion, pour faire aller, par exemple, vn batteau qui eft en repos dans vne eau calme & qui n'a point de cours, que pour l'arrefter tout à coup pendant qu'il fe meut *. . . Et fi l'expérience nous fait voir en ce cas qu'il en faut quelque peu moins pour l'arrefter que pour le faire aller, c'eft à caufe que la pefanteur de l'eau qu'il foûleue lors qu'il fe meut, & fa lenteur" [car je la fuppoje calme & comme dormante) diminuent peu à peu fon mouuement.

27. Que le mouuement & le repos ne font rien que deux diuerfes façons dans le corps ils Je trouuent.

Mais pource qu'il ne s'agit pas icy de l'adion qui eft en celuy qui meut ou qui arrefte le mouuement, & que nous confiderons prin-

a. Note en marge de notre exemplaire annoté : « add. ». Il n'y a pas seulement d'ailleurs « additions », mais aussi quelques omissions par rap- port au texte latin.

b. « Lentor », du texte latin, signifie viscosité. Voir aussi Correspon- dance, t. V, p. 168 et 384.

78

Œuvres de Descartes.

85

cipalement le tranfport, & la ceffation du tranfport, ou le repos, il ell éuident que ce tranfport | n'eil rien hors du corps qui efl meu ; mais que feulement vn corps elt autrement difpofé, lors qu'il eft tranfporté, que lors qu'il ne l'eft pas... ; de forte que le mouuement & le repos ne font en luy que deux diverfesyhço;i5.

28. Que le mouuement en fa propre fignification ne fe raporte qu'aux corps qui touchent celuy qu'on dit Je mouuoir.

J'ay aufli adjoufté que le transport du corps se fait du voisi- nage DE ceux qu'il touche*, DANS LE VOISINAGE DE QUELQUES AUTRES,

& non pas d'vn lieu en vn autre, pource que le lieu peut eftre pris en plufieurs façons, qui dépendent de nortre penfée, comme il a ei'lé remarqué cy-dellus'. Mais quand nous prenons le mouuement pour le tranfport d'vn corps qui quitte le voifinage de ceux qu'il touche', il eft certain que nous ne fçaurions attribuer à vn mefme mobile plus d'vn mouuement, à caufe qu'il n'y a qu'vne certaine quantité de corps qui le puiffent toucher en mefme temps.

2 g. Et mefme qu'il ne fe rapporte que à ceux de ces corps que nous confiderons comme en repos.

Enfin, j'ay dit que le tranfport ne fe fait pas du vo'ifmage de toutes fortes de corps, mais feulement de ceux que nous considé- rons COMME EN REPOS. Car il eft réciproque ; & nous ne fçaurions conceuoir que le corps AB foit tranfporté du voifinage du corps CD% que nous ne fçachions auiïi que le corps CD eft tranfporté du voifinage du corps AB, & qu'il faut tout autant... d'adion pour l'vn que pour l'autre''. Tellement que, fi nous voulons attribuer au 86 mouuement | vne nature qui puiffe eftre confiderée toute feule, & fans qu'il foit befoin de la' raporter à quelque autre chofe, lors que

a. Sic dans le texte imprimé, pour traduire contiguorum. Correction ms. : « qui le touchent », conforme à la détiniiion donnée à Tart. 25, p. 76.

b. En marge : « V. depuis l'art. 10 de cette partie iufqucs à Part. 16 de » cette même partie ». [Note de Legrand.) Ci-avant, p. 68-71.

c. Voir Correspondance, t. V, p. 3 12, 1. i5, et p. 345, 1. 22.

d. En marge de l'édition princeps : « Voyez en la planche qui fuit la

I. figure. )' Cette planche devait sans doute être insérée dans le texte. Mais elle a été rejetée à la tin, et la note corrigée ainsi à la main : « Voyez

* la 1. planche, i. figure. »

e. Texte imprimé : « le ».

Principes. Seconde Partie. 79

nous verrons que deux corps qui le touchent immédiatement feront tranfportez, i'vn d'vn cofté & l'autre d'vn autre, & feront récipro- quement feparez, nous ne ferons point difficulté de dire qu'il y a tout autant de mouuement en I'vn comme en l'autre. J'aduouë qu'en cela nous nous éloignerons beaucoup de la façon de parler qui eft en vfage : car, comme nous fommes fur.la terre, & que nous penfons qu'elle eft en repos, bien que nous voyons que quelques vnes de fes parties, qui touchent d'autres corps plus petits, font tranfportées du voifmage de ces corps, nous n'entendons pas pour cela qu'elle foit meut.

3o. D'où vient que le mouuement quifepare deux corps qui Je touchent^ eji plujîojî attribué à I'vn qu'à l'autre.

...Pource que nous penfons qu'vn corps ne fe meut point, s'il ne fe meut tout entier, & que nous ne fçaurions nous perfuader que la terre fe meuue tout entière, de cela feul que quelques vnes de fes parties font tranfportées du voifmage de quelques autres corps plus petits qui les touchent; dont la raifon eft que nous remarquons fouuent auprès de nous plufieurs tels tranfports qui font contraires les vns aux autres : car fi nous fuppofons, par exemple, que le corps EFGH foit la terre, & qu'en mefme temps | que... le corps AB eft 87 tranfporté de E vers F, le corps CD foit tranfporté de H vers G, bien que nous fçachions que les parties de la terre qui touchent le corps AB font tranfportées de B vers A, & que l'adion qui fert à ce tran'^ort n'eft point d'autre nature, ni moindre, dans les parties de la terre, que dans celles du corps AB, nous ne dirons ^as que la terre fe meuue de B vers A, ou bien de l'occident vers l'orient, à caufe que, celles de fes parties qui touchent le corps G D eftant tranf- portées en mefme forte de G vers D, il faudroit dire auiïï qu'elle fe meut vers le cofté oppofé, à fçauoir du leuant au couchant, & il y auroit en cela trop d'embarras. G'eft pourquoy... nous nous conten- terons de dire que les corps AB & GD, & autres femblables, fe meuuent, & non pas la terre. Mais cependant nous nous fouuien- drons que tout ce qu'il y a de réel... dans les corps qui fe meuuent, en vertu de quoy nous difons qu'ils fe meuuent, fe trouve pareille- ment en ceux qui les touchent, quoy que nous les confiderions comme en repos".

a. Voir Correspondance, t. V, p. 70, p. 385, et p. 408, I. 25.

8o Œuvres de Descartes.

3i. Comment il peut y auoir plufieurs diuers mouuemens en vn me/me corps.

Mais, encore que chaque corps en particulier n'ait qu'vn Jeul mouuement qui luy eft propre, à caufe qu'il n'y a qu'vne certaine quantité de corps... qui le touchent & qui foient en repos à fon égard, toutefois il peut participer à vne infinité d'autres mouuemens,

88 en tant qu'il | fait partie de quelques autres corps qui fe meuuent diuerfement. Par exemple, fi im marinier, le promenant dans fon vaifleau, porte fur foy vne montre, bien que les roues de fa montre n'ayent qu'vn mouuement vnique qui leur eft propre, il eft certain qu'elles participent aufti à celuy du marinier qui fe promeine, pource qu'elles compofent auec luy vn corps qui eji Iran/porté tout enfemble; il eft certain qu'elles participent aufti à celuy du vaiffeau..., & mefme à celuy de la mer, pource qu'elles fuiuent fon cours ; & à celuy de la terre, fi on fuppofe que la terre tourne fur fon effieu, pource qu'elles compofent vn corps auec elle. Et bien qu'il foit vray que tous ces mouuemens font dans les roues de cette montre, neant- moins, pource que nous n'en conceuons pas ordinairement vn fi grand nombre à la fois, & que mefmc il n'eft pas en noftre pouuoir de connoiftre tous ceux aufquels elles participent, il fuffira que nous confiderions en chaque corps celuy qui eft vniquè, & duquel nous pouvons auoir vne connoijfancc certaine.

32. Comment le mouuement vnique proprement dit, qui ejï vnique en chaque corps, peut auf[i ejlre pris pour plufieurs.

Nous pouuons mefmes confiderer ce mouuement vnique qui eft proprement attribué à chaque corps, comme s'il eftoit compofé de plufieurs autres mouuemens : tout ainfi que nous en diftinguons

89 deux dans les roues | d'vn carrofle, à fçauoir l'vn circulaire, qui fe fait autour de leur eflieu, & l'autre droit, qui laiJJ'e vne trace le long du chemin qu'elles parcourent. Toutefois il eft éuident que ces deux mouuemens ne différent pas, en effet, l'vn de l'autre, parce que chaque point de ces roues, & de tout autre corps qui fe meut, ne décrit jamais plus d'vne feule ligne. Et n'importe que cette ligne foit fouuent toriuii", en forte qu elle fcmble auoir efté produite par plufieurs mouuemens diuers : car on peut imaginer que quelque

a. ^o\t Corrtspondance, t. V, p. i68.

Principes. Seconde Partie. 8i

ligne que ce foit, mefme la droite, qui e(l la plus fimple de toutes, a efté décrite par vne infinité de tels mouuemens. Par exemple, fi, en mefme temps que la ligne AB* tombe fur CD, on fait auancer fon point A vers B, la ligne... AD, qui fera décrite par le point A, ne dépendra pas moins des deux mouuemens de A vers B & de AB fur CD, qui font droits, que la ligne courbe, qui eft décrite par chaque point de la roue, dépend du mouuement droit & du circu- laire. Et bien qu'il foit vtile de diftinguer quelquefois vn mouue- ment en plufieurs parties, afin d'en auoir vne connoilfance plus diftinde, neantmoins abfolument parlant, nous n'en deuons jamais compter plus d'vn en chaque corps.

33. Comment, en chaque mouuement, il doit y auoir vn cercle, ou anneau, de corps qui Je meuuent enfembte.

Apres ce qui a elle démontré cy-deffus ", à fçauoir que tous les lieux font pleins de corps, | & que chaque partie de la niatiere eft 90 lellement proportionnée à la grandeur du lieu qu'elle occupe, qu'il nejl pas pojjible qu'elle en remplijje vn plus grand, ni quelle Je re- ferre en vn moindre, ni qu'aucun autre corps y trouue place pendant qu'elle j' ejî, nous deuons conclure qu'il faut neceffairement qu'il y ait touf-jours/ow/vn cercle de matière ou anneau de corps qui Je meuuent enjemble en mejme temps; en forte que, quand vn corps quitte fa place à quelqu'autre qui le chalTe, il entre en celle d'vn autre, & cet autre en celle d'vn autre, & ainfi de fuitte jufques au dernier, qui occupe au mefme inftant le lieu delailfé par le premier. Nous con- ccuons cela fans peine en vn cercle parfait, à caufe que, fans recou- rir au vuide & à la raréfaction ou condenfation, nous voyons que la partie A' de ce cercle peut fe mouuoir vers B, pourueu que fa partie B fc meuue en mefme temps vers C, & C vers D, & D vers A. Mais on n'aura pas plus de peine à conceuoir cela mefme en vn cercle imparfait, & le plus irregulier qu'on fçauroit imaginer, fi on prend garde à la façon dont toutes les inégalitez des lieux pcuuent eftre compenfécs par d'autres inégalitez qui fe trouuent dans le mouuement des parties. En forte que toute la matière qui eft com- prife en Tefpace EFGH', peut fe mouuoir | circulairement, & fa 91

a. En marge : « Voyez la figure 4. (Edit. princeps.) Ajouté à la main : « p. 1 » (planche 1).

b. An. 18 Cl 19 de cette partie. Voir ci-avant, p. 72 et j3.

c. En marge : « Voyez la figure 3. » Planche I.

d. En marge : « Voyez la figure 3. » Ibidem.

Œuvres. IV. 22

82 Œuvres de Descartes.

partie qui eft vers E, paffer vers G, & celle qui eft vers G, paffer en mefme temps < vers > E, fans qu'il faille fuppofer de condenfation ou de vuide, pourueu que, comme on fuppofe l'efpace G quatre fois plus grand que l'efpace E, & deux fois plus grand que les efpaces F & H, on fuppofe aufli que fon mouuement eft quatre fois plus vite vers E que vers G% & deux fois plus que vers F ou vers H, & qu'en tous les endroits de ce cercle la viteffc du mouuement com- pcnfe la petitelle du lieu. Car il ell aifé de connoiftre en cette façon qu'en chaque efpacc de temps qu'on voudra déterminer, il palfera tout autant de matière dans ce cercle par vn endroit que par l'autre.

34. Qu'il fuit de que la matière fe diuife en des parties indéfinies

& innombrables ^

Toutefois il faut auoiier qu'il y a quelque chofe en ce mouue- ment que noftre ame conçoit eftre vray, mais que neantmoins elle ne fçauroit comprendre: à fçauoir vne diuifion de quelques parties de la matière jufques à l'infiiny, ou bien vne diuifion indéfinie", & qui fe fait en tant de parties, que nous n'en fçaurions déterminer de la penfée aucune fi petite, que nous ne conceuions qu'elle ell di- uifée en elfecl en d'autres plus petites. Car il n'eft pas pollible que la matière qui remplit maintenant l'efpace G^ remplilTc fucceiïiuement tous les efpaces qui font entre G & E, plus petits les vns que les 92 [autres par des degrez qui font innombrables, fi quclqu'vne de fes parties ne change' fa figure, & ne fe diuife ainfi qu'il faut pour emplir tout juftement les grandeurs de ces efpaces qui font diffé- rentes les unes des autres & innombrables. Mais, afin que cela foit, il faut que toutes les petites parcelles aufquelles on peut ima- giner qu'vne telle partie eft diuifée, lefquelles véritablement font innombrables, s'clloignent quelque peu les vnes des autres; car, fi petit que foit cet edoignemeni, il ne lailfe pas d'eftre vne vraye diuifion.

a. lS.à\\. princeps : ■' vers G que vers E ", lapsus non corrigé.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 242, 1. 21.

c. Ibid., X. V, p. 70, ei p. 274, l. 4.

d. Planche i, figure ?.

c. Texte imprime J'abord : « ne prcftc ». Corrigé à l'^/TiT/a.*» ne change)-. Latin : v accommudei ".

Principes. Seconde Partie. 85

S5. Que nous ne deuons point douter que cette diuifion ne Je face, encore que nous ne la puijffions comprendre '.

Il faut remarquer que je ne parle pas de toute la matière, mais feulement de quelqu'vne de fes parties. Car encore que nous fuppo- fions qu'il y a deux ou trois parties en l'efpace G, de la grandeur de l'efpace E, & qu'il y en a d'autres plus petites en plus grand nombre, qui demeurent indiuifes, nous conceuons neantmoins qu'elles peuuertt fe mouuoir toutes circulairement vers E, pourueu qu'il y en ait d'autres mellées parmy, qui... changent leurs figures en tajit de façons, qu'eftant jointes à celles qui ne peuuent changer les leurs fi facilement, mais qui vont plus ou moins vite a raifon du lieu qu'elles doiuent occuper, elles puiiïcnt emplir tous les angles ^ les petits recoins, ces autres pour ejîre trop grandes ne fçauroient en|trer. Et bien que nous n'entendions pas comment fe fait cette 9^ diuifion indéfinie, nous ne deuons point douter qu'elle ne fe face, pource que nous apperceuons qu'elle fuit necelfairement de la na- ture de la matière, dont nous auons def-ja vne connoilVance tres- diftincle, & que nous apperceuons auiïi que cette vérité eft du nombre de celles que nous ne fçaurions comprendre, à caufe que noftre penfée eft finie.

36. Que Dieu ejl la première caufe du mouuement, S.qu'il en conferue touf'jours vne égale quantité en l'vniuers.

Apres auoir examiné la nature du mouuement, il faut que nous en confiderions la caufe, ^ pource qu'elle peut eftre prife en deux façons, nous commencerons-par la première & plus vniuerrelle, qui produit généralement tous les mouuemens qui font au monde; nous confidererons par après l'autre..., qui fait que chaque partie de la matière en acquert, qu'elle n'auoit pas auparauant. Pource qui elt de la première, il me femble qu'il eft éuident qu'il n'y en a point d'autre que Dieu, qui de fa Toute-puiffance a créé la matière auec le mouuement ^ le repos, & qui conferue maintenant en l'vniuers, par fon concours ordinaire, autant de mouuement & de repos qu'il y en a mis en le créant. Car, bien que le mouuement ne foit qu'vne façon en la matière qui eft meuë, elle en a pourtant vne certaine quantité... qui n'aujgmente & ne diminue jamais..., encore qu'il y 94 en ait tantoft plus & tantoft moins en quelques vues de fes parties.

a. Voir Correspondance, t. V, p. 242, 1. 21.

84 Œuvres de Descartes.

C'ell pourquoy, lors qu'vne partie de la matière fe meut deux fois plus vite qu'vne autre, & que cette autre ell deux fois plus grande que la première, nous deuons penfer qu'il y a tout autant de mou- uemcnt ians la plus petite que dans la plus grande; & que toutesfois ^: quantes que le mouuemcnt d'vne partie diminue, celuy de quelque autre partie... augmente à proportion. Nous connoiflbns aulTi que c'ell vne perfection en Dieu, non feulement de ce qu'il ell im- muable en !a nature, mais encore de ce qu'il agit d'vne façon qu'il ne change jamais : tellement qu'outre les changemens que nous voyons. . . dans le monde, ik. ceux que nous croyons, parce que Dieu les a rcuelez,^ que nous rçauons...arriuer ou e/tre arriuci en Ij na- lurc, fans aucun changement de la part du Créateur, nous ne deuons point en fuppoler d'autres en fes ouurages, de peur de luy attribuer de rinconltancc. D'où il fuit que.., puis qu'il a meu en plusieurs façons dirtcrentes les parties de la matière, lors qu'il les créées, ^ qu'il les maintient toutes en la melmc façon ^ auec les tnd/mes loix qu'/7 leur it /iî/'/ ob/eruer en leur création, il conierue incellamment en cette maticre vne cpalc quantité de mouuemcnt ".

95 I li-..La première loy de la nature : Que chaque chofe demeure en iejiat qu'elle ejl, pendant que rien ne le change. . .

De cela aulli que Dieu n'ell point fujet à changer, d' qu'il agit louf-jours de me/me forte, nous pouuons paruenir à la connoilfance de certaines règles, que Je nomme les loix de la nature, & qui font L'; cr.ufes fécondes... des diuersmouuemens que nous remarquons en tous les corps; a* qui les rend icf fort confiderables. La première efl que chaque chofe en particulier... continue d'eftre en mefme ellat autant qu'il fe peut, & que jamais elle ne le change que par la ren- contre des autres. Ainfi nous roj'ons tous les Jours lors que quelque partie de cette matière ell quarrée,... qu'elle deiheurc touf-jours quarrce, s'il n'arriue rien d'ailleurs qui change fa figure; & que, fi clic cil en repos,... elle ne commence point à fe mouuoir defoy-mefme. Mais lors qu'elle a commence' pne fois de fe mouuoir, nous n'auons aulli aucune raiion de penfer qu'elle doiuc jamais céder de fe mou- uoir de mcfme force. ...pendant qu'elle ne rencontre rien qui retarde ou qui airelle Ion mouuemcnt. De façon que, fi vn corps a com- mencé vne fois de fe mouuoir, nous deuons conclure qu'il continua par aprcs de fc mouuoir, «S" que Jamais il ne s'arrefle de foy-mcfme.

a. Voir Correspondance y t. V. p. 385,

Principes. Seconde Partie. 8{

Mais, pource que nous habitons vne terre dont la conftiiution eft telle que tous les mouuemens qui fe font auprès de tious celîent en peu I de temps, ^ fouuent par des raifons qui font cachées à nos 96 fens, nous auons jugé, dés le commencement de noftre vie, que les mouuemens qui celfent ainfi par des raifons qui nous font incon- nues, s'arreftent d'eux-mefmes, & nous auons encore à prefent beau- coup d'inclination à croire le femblable de tous les autres qui font au monde, à fçauoir que naturellement ils cefTent d'eux-mefmes, & qu'ils tendent au repos, pource qu'il nous femblc que nous en auons fait l'expérience en plufieurs rencontres. Et toutefois ce n'eft qu'vn faux préjugé, qui répugne manifeftement aux loix de la nature; car le repos eft contraire au mouuement, & rien ne fe porte par l'iu/liuâ de fa nature à fon contraire, ou à la deftrudion de foy-mefme.

3S. Pourquqy les corps pouffe\ de la main continuent de fe mouuoir après qu'elle les a quitte^.

Nous voyons tous les jours la preuue de cette première règle dans les chofes qu'on a poulîées» au loin. Car il n'y a point d'autre raifon pourquoy elles continuent.. .de fe mouuoir, lors qu'elles font hors de la main de celuy qui les a poufTées, fmon c\ue, fuiuanl les loix de la nature, tous les corps qui fe meuuent continuent de fe mouuoir jufques à ce que leur mouuement foit arrejlé par quelques autres corps... Et il eft éuident que l'air & les autres corps liquides, entre lefquels nous voyons ces chofes fe mouuoir, diminuent peu à peu la viteffe de leur mouuejment...; car nous pouuons mefme fentir de 91 la maiti la refiftance de l'air..., fi nous fecoUons affcz viie vn Euentail qui foit ejlendu, & il n'y a point de corps fluide fur la terre, qui ne refirte, encore plus manifeftement que l'air, aux mouuemens des autres corps . . .

3g. La 2. loy de la nature : Que tout corps qui fe meut, tend à continuer fon mouuement en ligne droite.

La féconde loy que je remarque en la nature, eft que chaque partie de la matière, en fon particulier, ne tend jamais à continuer de t*e mouuoir fuiuant des lignes courbes, mais fuiuant des lignes droites, bien que plufieurs de ces parties foient fouuent contraintes de fe détourner, pource qu'elles en rencontrent d'autres en leur

a. Texte imprimé « pouffé ».

86 OEuvREs DE Descartes.

chemin, & que. . ., lors qu'vn corps Te meut, il fe fait touf-jours vn cercle ou anneau de toute la matière qui eit meuii enfemble. Cette règle, comme la précédente, dépend de ce que Dieu eft immuable, & qu'il conferue le mouuement en la matière par vne opération tres- fimple; car il ne le conferue pas comme il a pu élire quelque temps auparauant, mais comme il eft precifement au melme inftant qu'il le conferue. Et bien qu'il Ibit vray que le mouuement ne le fait pas en vn inftant, neantmoins il eft éuident que tout corps qui fe meut..., eft déterminé a fe mouuoir... fuiuant vne ligne droite, & non pas fuiuant vne circulaire... : car, lors que la pierre A tourne «8 dans la fonde | EA fuiuant le cercle ABF^en l'inftant qu'elle eft au point A, elle eft déterminée h fe mouuoir vers quelque cofté, à fça- uoir vers C, fuiuant la ligne droite A C, fi on fuppole que c'eft celle-là qui touche le cercle. Mais on ne fçauroit feindre qu'elle foit déterminée à fe mouuoir circulairement, pource qu'encore quelle foit venue d'L vers A fuiuant vne ligne courbe, nous ne conceuons point qu'il y ait aucune partie de cette courbure en cette pierre, lors qu'elle eft au point A; & nous en fommes afteurez par l'expé- rience, pource que cette pierre auance tout droit vers C, lors qu'elle fort de la fonde, & ne tend en aucune façon à fe mouuoir vers B. Ce qui nous fait voir manifejiement, que tout corps qui eft meu en rond, tend fanscefl'e à s'efloigner du cercle qu'il décrit. Et nous le pouuons mefme fentir de la main, pendant que nous faifons tourner cette pierre dans cette fonde; car elle tire & fait tendre la corde pour s'ejloigner direâement de nojire main. Cette confideration ejl de telle importance, & feruira en tant d'endroits cy-apres, que nous deuons la remarquer foigneufement icy; & je l'expliqueray encore plus au long, lors qu'il en fera temps".

40. La 3. que,fi vn corps qui fe meut en rencontre vn autre plus fort que Joy, il ne perd rien de fon mouuement, & s'il en rencontre vn plusfoible qu'il puijjfelmouuoir, il en perd autant qu'il luy en donne.

La troifiéme loy* que je remarque en la nature, eft que, fi vn corps èi qui fe meut & qui en | rencontre vn autre, a moins de force, pour

a. En marge : « Voyez la figure i. de la a. planche. »

b. Voir ci-après, partie III, art. by et 58.

c. Tandis que les deux lois précédentes sont aujourd'hui considérées comme des vérités scientifiquement acquises, la troisième a été ruinée, dès le xvii" siècle, par les travaux de Huygcns sur le choc des corps. C'est sur ce point que porte la principale erreur de la physique de Descartes, erreur qui entache surtout les règles données dans les articles 46 à Sa ci-après.

Principes. Seconde Partie. 87

continuer de fe mouuoir en ligne droite, que cet autre pour luy re- fiftefjil perd fa détermination... fans rien perdre de fon mouuement; & que, s'il a plus de force, il meut auec foy cet autre corps, & perd autant de fon mouuement qu'il luy en donne. Ainfi nous voyons qu'vn corps dur, que nous auons pouffé contre vn autvt plus g^^atid qui ejl dur & ferme, rejallit vers le cofté d'où il eft venu, & ne perd rien de fon mouuement; mais que, fi le corps qu'il rencontre eft mol, il s'arrefte incontinent, pource qu'il luy transfère... fon mou- uement. Les caufes particulières des changcmens qui arriuent aux corps, font toutes comprifes en cette... règle, au moins celles qui font corporelles", car je ne m'informe pas maintenant fi les Anges & les penfées des hommes ont la force de mouuoir les corps... : c'ell vne quertion que je referue au traitté que j'efpere faire de l'homme*.

41 . La preuue de la première partie de cette règle.

On connoiftra encore mieux la vérité de la première partie de cette règle, fi on prend garde à la différence qui eft entre le mouue- ment d'vne chofe...f&i fa détermination vers vn coûé plu/lojî que vers vn autre ; laquelle différence eft caufe que cette détermination peut eftre changée, fans qu'il y ait rien de changé au mouuement. Car, ...de ce que chaque chofe, telle I qu'eft le mouuement, continue touf- 100 jours d'eftre comme elle efl en foy fimplement, & non pas comme elle efl au regard des autres, jufques à ce qu'elle foit contrainte de changer par la rencontre de quelqu'autre ; il faut necejjairement qu'vn corps qui, en fe remuant, en rencontre vn autre eu fon chemin, f dur afferme qu'il ne fçauroit le pouffer en aucune façon, perde entièrement la détermination qu'il auoit à fe mouuoir vers ce cofté-là ; d'autant que la caufe qui < la > luy fait perdre eft manifefte, àfçauoirla reftjîance du corps qui l'empefche de pa [fer outre ; mais il ne faut point qu'il perde rien pour cela de fon mouuement, d'au- tant qu'il ne luy eft point ofté... par ce corps, ni par aucune autre caufe, & que le mouuement n'eft point contraire au mouuement.

42, La preuue de la féconde partie.

On connoiftra mieux auffi la vérité de l'autre partie de cette règle, fi on prend garde que Dieu ne change jamais fa façon d'agir,

a. En marge de l'exemplaire annoté : « Comme fon traité de l'homme » n'eft pas acheué, il n'a pas (eu occaûon barré) pu traiter cette queftion. » {Note ms. de Legrand.) Cf. ci-avant, p. 64, note c.

88 Œuvres de Descartes.

& qu'il conferuc le monde auec la mefme aclion qu'il l'a créé. Car, tout ertant plein de corps, & neantmoins chaque partie de la ma- tière tendant à Te mouuoir en ligne droite, il ell éuident que, dés le commencement que Dieu a créé la matière, non feulement il a meu diuerfement l'es parties, mais aulH qu'il les a faites de telle nature^ 101 que les vncs ont deflors commencé à pouffer les | autres, & à leur communiquer vne partie de leur mouuement. Et pource qu'il les maintient encore auec la mefme action & les mefmes loix qu';7 leur a fait obferuertn leur création, il faut qu'il conferue maintenant en elles toutes le mouuement qu'il j' a mis deflors auec la propriété quil ' a donné à ce mouuement, de ne demeurer pas touf-jours attaché aux mefmes parties de la matière, & de paffer des vnes aux autres, félon leurs diuerfes rencontres. En forte que ce continuel changement qui cil dans les créatures, ne répugne en aucune façon à l'immutabilité qui ell en Dieu, & femble mefme feruir d'argument pour la prouuer.

43. En quoy confifte la force de chaque corps pour agir ou pour refijler.

Outre cela il faut remarquer... que la force dont vn corps agit contre vn autre corps ou refifte à fon adion, confifte en cela feul, que chaque chofe perfide autant qu'elle peut à demeurer au mefme eftat elle fe trouue, conformément à la première loy qui a elle ex- pofée cy-deffus '. De façon qu'vn corps qui eft joint à vn autre corps, a quelque force pour empefcher qu'il n'en foit feparé ; & que, lors qu'il en eft feparé, il a quelque force pour empefcher qu'il ne luy foit joint; & aufti que, lors qu'il eft en repos, // a de la force pour de- meurer en ce repos &... pour refifter à tout ce qui pourroit le faire 102 changer. De mefme que, lors qu'il fe meut, | il a de la force pour continuer de fe mouuoir au'^c la mefme viteffe & vers le mefme cofté. Mais on doit juger de la quantité de cette force par la gran- deur du corps elle eft, &' de la fuperficie félon laquelle ce corps eft feparé d'vn autre, & auffi par la viteffe du mouuement..., & les façons contraires dont plufieurs diuers corps fe rencontrent.

44. Que le mouuement n'ejl pas contraire à vn autre mouuement, mais au repos; & la détermination d'vn mouuement vers vn cojlé, à Ja déter- mination vers vn autre.

De plus, il faut remarquer qu'vn mouuement n'eft pas con- traire à vn autre mouuement plus vite que foy, & qu'il p'y a... de

a. Art. 3; ci-avant, p. 84.

Principes. Seconde Partie. 89

la contrariété qu'en deux façons feulement. A fçauoir, entre le mouuement & le repos, ou bien entre la vitefl'e & la tardiueté du mouuement, en tant que cette tardiueté participe de la nature du repos ; & entre la détermination qu'a vn corps à fe mou- uoir vers quelque cofté, & la refiftance des autres corps qu'il ren- contre en fon chemin, foit que ces autres corps fe repofent, ou qu'ils fe meuuent autrement que luy, ou que celuy qui fe meut rencontre diuerfement leurs parties ; car, félon que ces corps fe trouuent difpofe\, cette contrariété eft plus ou moins grande.

45. Comment on peut déterminer combien les corps qui fe rencontrent^ changent les mouuemens les vns des autres, par les règles quifuiuent.

Or afin que nous puilTions déduire de ces principes, comment chaque corps en particulier augmente ou diminue* fes mouuemens, ou change leur détermination à caufe de la renjcontre des autres 103 corps, il faut feulement calculer combien il y a de force en cha- cun de ces corps, pour mouuoir ou pour refifter au mouuement, pource qu'il eft éuident que celuy qui en a le plus, doit touf-jours produire fon effet, & empefcher celuy de l'autre ; & ce calcul feroit aifé à faire en des corps parfaitement durs, s'il fe pouuoit faire qu'il n'y en euft point plus de deux qui fe rencontraffent, ni qui fe touchajfent l'vn l'autre à mefme temps, & qu'ils fulfent tellement feparez de tous les autres, tant durs que liquides, qu'il n'y en euft aucun... qui aydaft, ni qui empefchaft en aucune façon leurs mou- uemens : car alors ils obfcrueroient les règles suivantes '.

46. La première **.

La première eft que, fi ces deux corps, par exemple B & C, eftoient exadement égaux, & fe mouuoient d'égale vitelîe en ligne droite l'vn vers l'autre..., lors qu'ils viendroient à fe rencontrer, ils rejalliroient tous deux également, & retourneroient chacun vers le cofté d'où il feroit venu, fans perdre rien de leur viteffe. Car il n'y a point en cela de caufe qui < la > leur puiffe ofler, mais il y en a vne fort éuidentequi les doit contraindre de rejallir; & pource quelle feroit égale en l'vn &en l'autre, ils rejalliroient tous deux en mefme façon' .

a. Voir Correspondance de Descartes, t. IV, p. 187, 1. 12-17, ci p. 396, 1. 5-10 ; t. V, p. 168, et p. 405, 1. 6, Voir cgalemeni la Note I à la fin du présent volume.

b. En marge : >• Voyez la 2. figure de la planche 2. »

c. Voir Correspondance, t. V, p. 291, 1. 23 à 27.

90 OEuvRES DE Descartes.

4j. La féconde,

iO'i La féconde ell que, li B elloit tant Ibit peu | plus grand que C, (S- qu'ils fe rencontralfcnt auec me/me vitejfe, il n'y auroit que C qui rejallit vers le cojlé d'où il /croit venu^tk ils co.niinueroient par après leur mouuement tous deux enfemble vers ce nielnie coilé. Car B arant plus de force que C, il ne pourrait cjlre contraint par luy à rejallir.

48. La troifiéme.

La troifiéme que, fi ces deux corps eftoient de melme grandeur, mais que B euft tant Toit peu plus de vitelî'e que C, non feulement, après s'e/îre rencontre^, C feul rejalliroity & ils iroient tous deux enfemble, comme deuant, vers le corté d'où C feroit venu ; mais aufli il feroit neceffaire que B luy transférait la moitié de ce qu'il auroit de plus de viteffe, à eau fe que, l'ayant deuant Joj\ il ne pourroit aller plus vite que luy . De façon que, fi B auoit eu, par exemple, fix degrez de vitelfeawa;// leur rencontre, & que C en eull eu feule- ment quatre, ...// luf transférerait l'pn de /es deux degre^ qu'il auroit eu de plus, €• ain/i ils iroient par après chacun auec cinq degrez de viteffe ; car il lujy e/l bien plus aije de communiquer vu de /es degTe-{ de vite/fe à C, qu'il ne/ï à C, de changer le cours de tout le tnouuetnent qui e/t en B.

4(), La quatrième.

La quatrième que, fi le corps C eltoit tant Ibit peu plus grand que B, & qu'il fufi* entièrement en repos, c'ejl à dire que non 105 /eu\lement il n'eu/l point de mouuement apparent, mais aufji qu'il ne /u/t point enuironné d'air, ni d'aucuns autres corps liquides, le/quels,, comme Je dira/ cy-apres ', di/po/ent les corps durs qu'ils enuirovnent, àpouuoir e/lre meus fort ai/ement, de quelle viteffe que B puft venir vers luy, jamais il n'auroit la force de le mouuoir; mais il feroit contraint de rejallir vers le mcfme collé d'où il feroit venu'. Car d'autant que B ne /çauroit pouffer C, /ans le /aire aller au/Ji rite qu'il irait /oy-me/me par après, il ell certain que C doit d'autant

a. T€xte imprime : « qu'ils fulfent «. A Verrata : «« qu'il fuft ».

b. An. 59,

c. Voir Correspondance, 1. I\', p. iK3, In. et p. iSri, 1. i.

Principes. Seconde Partie. 91

plus refiller, que B vient plus vite vers luy; & que fa refiftence doit prcualoir à l'action de B, à caufe qu'il e/l plus g-rami que luy. A iuji, par exemple, fi C ejl double de B, & que B ait trois degre:{ de mouuement, il ne peut pouJJ'er C, qui ejl en repos, fi ce n'e/t qu'il hiy en transfère deux degre-{, à fçauoir pn pour chacune de fes moitié^, *L^ qu'il retienne feulement le troifiéme pour foy, à caufe qu'il n'efl pas plus grand que chacune des moitié-; de C, & qu'il ne peut aller par après plus vile qu'elles. Tout de mefme, fi B a trente degre^ de l'itejfe, il faudra qu'il en communique vingt à C; s'il en a trois cent, qu'il communique deux cent ; & ainfi touf-jours le double de ce qu'il retiendra pour foj-. Mais puis que C efl en repos, il refifte dix fois plus à la j réception de vingt degré-;, qu'à celle de deux, & cent fois 106 .plus à la réception de deux cent ; en forte que, d'autant que B a plus de viteJJ'e, d'autant il trouue en C plus de refiftence. Et pource que chacune des moitié:; de C a autant de force pour demeurer en fon repos, que B en a pour la pouffer, & quelles luy refijlent toutes deux en mefme temps, il efi éuident qu'elles doiuent preualoir à le contraindre de rejallir. De façon que, de quelle viteffe que B aille vers C, ainfi en repos & plus grand que luy. Jamais il ne peut auoir la force de le mouuoir.

Sa. La cinquième''.

La cinquième cU que, fi, au contraire, le corps C elloit tant f oit peu moindre que B, ceiuy-cy ne fçauroit aller fi lentement vers l'autre, lequel Je fuppofe encore parfaitement en repos, qu'il n'eurt la force de le pouller ^n: luy transférer la partie de fon mouuement qui feroit requife pour faire qu'ils allallent par après de mefme vitelle : à fçauoir, fi B elloit double de C, il ne luy transfereroit que le tiers de fon mouuement, à caufe que ce tiers feroit mouuoir C aulïi vite que les deux autres tiers feroient mouuoir B, puis qu'il cil fuppofé deux fois aulli grand ; & ainfi, après que B auroit ren- contré C, il iroit d'vn tiers plus lentement qu'auparauant, c'elt à dire qu'en autant de temps qu'il auroit pu parcourir aupara- uant I trois efpaces, il n'en pourroit plus parcourir que deux. 107 Tout de mefme, fi B efloit trois fois plus grand que C, il ne luv transfereroit que la quatrième partie de fon mouuement, & ainfi des autres; €■ B ne fçauroit auoir fi peu de force qu'elle ne luy fnf- fife touf-Jours pour mouuoir C; car il e/l certain que les plus

a. Voir Correspondance, t. IV, p. 186, 1. i,

92 Œuvres de Descartes.

faibles mouuemens doiucnt future les mefmes loix, & auoir à propor^ tion les mefmes effets que les plus forts, bien que fouuent ou peufe remarquer le contraire fur cette terre, à caufe de l'air 6'- des autres liqueurs qui euuirounent touf jours les corps durs quife meuuent, & qui peuuent beaucoup augmenter ou retarder leur pitejfe, ainjî qu'il paroijîra cf-apres\

5i. La fixiéme ".

La fixiéme, que (i le corps C edoit en repos, & parfaitement égal en grandeur au corps B, qui fe meut vers luy, il faudrait vecejjai- rement qu'W fuft en partie poulfé par B, & qu'^n partie il le fit rejallir ; en forte que, fi B eftoit venu vers C auec quatre degrez de vitefle, il faudrait qu'û luy en transferaft vn, & ^«'auec les trois autres il retournaft vers le cotlé d'où il feroit venu. Car ejiant uecejfaire, ou bien que B paujfe Cfans rejallir, & ainfi, qu'il luy irans- fere deux degre\ de fan mouuement ; ou bien qu'il rejallijfe fans le pouffer, & que par confequent il retienne ces deux degre^ de viteffe 108 auec les \ deux autres qui ne luy peuuent efîre afie^; au bien enfin qu'il rejallijfe en retenant vue partie de ces deux degre^ & qu'il le pouffe eu lu/ en transférant l'autre partie : il efi éuident que, puis qu'ils font égaux, & ainfi qu'il n'y a pas plus de raifon pourquoy il doiue rejallir que pouffer C, ces deux effets doiuent efire également partage^ : c'ejl à dire, que B doit transférer à C .'pn de ces deux degre\ de viteffe, & rejallir auec l'autre.

52. Lafeptiéme.

La feptiéme €• dernière règle ' efl que, fi B & C vont vers vn mcfmc colle, ^ que C précède, mais aille plus lentement que B, en forte qu'il foit enfin atteint par luy..., il peut arriuer que B transfé- rera vne partie de fa viteffe à C, pour le pouffer deuant foy ; & il peut arriuer aujji qu'il ne luy en transférera rien du tout, mais rejallira, auec tout fan mouuement, vers le cofiéd'oii il fera venu. A fçauoii*, non feulement lors que C efi plus petit que B, mais auffi lors qu'il eft plus grand, pourueu que ce en quoy la grandeur de C fur-

a Art. 56, 5;, 58 et 59.

b. Voir Correspondance, t. IV, p 186, 1. i.

c. Comparée au texte latin, la version franv'aisc offre ici non seulement, comme dans les articles prilccîdcnts, d'importantes additions, mais des transpositions et des explications intéressantes.

Principes. Seconde Partie. çj

pafle celle de B, foit moindre que ce en quoy la viteiVe de B furpalie celle de C, jamais B ne doit rejallir, mais pouffer C, en luy trans- férant vne partie de fa viteffe. Et au contraire, lors que ce en quoy la grandeur de C furpafle celle de B, eft plus grand que ce en quoy la viteffe de B furpaffe celle de C, il faut que B rejalliffe, fans rien | communiquer à G de fon mouuement; £■ enjin, lors que 109 l'exce-{ de grandeur qui eji en C, ejl parfaitement égal à l'exce^ de vitejfe qui eft en B, cetuy-cy doit transférer vne partie de fon mouue' ment à l'autre, & rejallir auec le refle. Ce qui peut eftre fupputé en cette façon : fi C clt juilement deux fois aufli grand que B, & que B ne fe meuue pas deux foisauffi vifte que C, mais qu'il en manque quelque cliofe, B doit rejallir fans augmenter le mouuement de C ; & fi B fe meut plus de deux fois aulli vite que C, /"/ ne doit point rejallir, mais transférer autant de fon mouuement à C, qu'il ejî re- quis pour faire qu'ils fe meuuent tous deux par après de mefme vitejfe. Par exemple, fi C n'a que deux degrez de viteffe, & que B en ait cinq, qui efl plus que le double, il luy en doit communiquer deux de fes cinq, lefquels deux effant en C, n'en feront qu'vn, à caufe que C eft deux fois auffi grand que B, & ainfi ils iront tous deux par après auec trois degrez de viteffe. Et les demonftrations de tout cecy font fi certaines, qu'encore que l'expérience nous fembleroit faire voir le contraire, nous ferions neantmoins oblige^ d'adjoujter plus de foy à nqftre raifon qu'à nosfens.

53. Que l'explication ' de ces règles est dijfficile, à caufe que chaque corps ejl touché par plujieurs autres en mefme temps.

Kn effet, il arriue fouuent que l'expérience peut fembler d'abord répugner aux règles que \ Je viens d'expliquer, mais la raifon en ejl 110 éuidente. Car elles prefuppofent que les deux corps B & G font par- faitement durs, & tellement feparez de tous les autres, qu'il n'y en a aucun autour d'eux qui puijje ayder ou empefcher leur mouue- ment: & nous n'en voyons point deielsence monde. C'eft pour- quoy, auant qu'on puiffe Juger fi elles s'y obferuent ou non, il ne fuffit pas de fçaiioir comment deux corps, tels que B é- C, peuuent as^ir Pj'u contre l'autre, lors qu'ils fe rencontrent : mais il faut, outre cola, confiderer comment tous les autres corps qui les enuironnent peuuent augmenter ou diminuer leur action. Et pource qu'il n'y a lien qui leur face auoir en cecy des effets differens, finon la diffc-

a , Lire applica tion ?

94 Œuvres de Descartes.

rencequi eil entr'eux, en ce que les vns font liquides ou mous, & les autres duis, il cft befoin que nous examinions, en cet endroit, en quoy confiiknt ces deux qualitez d'ellre dur & d'eftre liquide.

54. En quoy confijle la nature des corps durs & des liquides.

En quoy nous deuons, premièrement, receuoir le témoignage de nos fcns,jc>///5 que ces qualite'{ fe rapportent à eux ; & ils ne nous enl'eignent en cecy autre chofe, finon que les parties des corps liquides cèdent li aifement leur place, qu'elles ne font point de re(i- ilance à nos mains, lors qu'elles les rencontrent; & qu'au contraire, dil les parties des corps durs font tellement jointes | les vries aux autres, qu'elles ne peuuent eltre feparées fans vne force qui rompe celle liailbn qui elt entr'elles. En fuite de quoy, fi nous examinons quelle peut eftre la caufe pourquoy certains corps cèdent leur place fans faire de refiftance, & pourquoy les autres ne la cèdent pas de mefme : nous n'en trouuons point d'autre, finon que les corps qui font def-Ja en aclion pour fe mouuoir, n'empefchent point que les lieux qu'ils font difpofez à quitter d'eux mefmes, ne foieijt occu- pez par d'autres corps ; mais que ceux qui font en repos, ne peuuent eitre chafl'ez de leur place, fans -quelque force qui vienne d'ailleurs, afin de cjufer en eux ce changement. D'où il fuit qu'vn corps efi liquide, lors qu'il efi diuifé en plufieurs petites parties qui fe meuuent feparement les vnes des autres en plufieurs façons dif- férentes, & qu'il efi dur, lors que toutes les parties s'entre-touchent, fans eltre ^n adion pour s'éloigner l'vne de l'autre.

55. Qu'il n'y a rien qui joigne les parties des corps durs, /mon qu'elles font en repos au regard l'vne de l'autre.

Et je ne croy pas qu'on puiffe imaginer aucun ciment plus propre à joindre enfcmble les parties des corps durs, que leur propre repos. Car de quelle nature pourroit-il eilre ? Il ne fera pas vne chofe qui fubfifte de foy-mcfme : car toutes ces petites parties efiant des fubilanccs, pour quelle raifon fcroient -elles plulloit vnies par 112 d'autres fubltmces, que par elles-mefmes ? Il | ne fera pas aufii vne qualité différente du repos, pource qu'il n'y a aucune (/i/iî/z/J plus contraire au mouuement qui pourroit feparer ces parties, que le repos qui eft en elle?. Mais, outre les fubfiances ^ leurs <^//cï//7t'-, nous ne connoilfons point qu'il y ait d'autres genres de chofes\

a. Voir Correspondance ^^ t. V, p. 385,

Principes. SecoNDh: Partie. 9^

50. Que les parties des corps Jluides ont des mouuemens qui tendent éga- lement de tons cojle^j & que la moindre force fujffit pour mouuoir les corps durs qu'elles euuironnent.

Pour ce qui ell des corps lluides, bien que nous ne voyons point... que leurs parties le meuuent, d'autant qu'elles l'ont trop petites, nous pouuons neantmoins le connoilhe... par pluficurs effets; & principalement parce que l'air ^ l'eau corrompent plulieurs autres corps, & que /t'5 parties dont ces liqueurs font conipofées ne pour- roient produire vne action corporelle, telle qu'elt cette corruption, Il elles ne le remuoient actuellement. le montrera}' cy-apres ' quelles font les caufes qui font mouuoir ces parties. Mais la diftî- culté que nous deuons examiner icy, elt que les petites parties qui compofeni ces corps fluides, ne fçauroient fe mouuoir toutes en mefme temps de tous coltez, ik. que neantmoins cela femblc eltrc requis, afin qu'elles n'empefclient pas le mouuement des corps qui peuucnt v^nir vers elles de tous coltez, comme en effect nous voyons qu'elles ne l'empefclient point. Car 11 nous fuppofons, par exemple, que le corps dur B le meut vers C% | & que quelques 113 parties de la liqueur qui elt entre-deu\. . .' le meuuent... de G vers îi, tant s'en faut que celles-là facili-tcnt le mouuement de H, qu'au contraire elles l'empefchent beaucoup plus que li elles eltoieni tout à fait fans mouuement. Pour refoudre cette dilti- culté, nous nous fouuiendrons, en cet endroit, que le mouuement ell contraire au repos, ^: non pas au mouuement ; & que la déter- mination d'vn mouuement vers vn colté, elt contraire à la détermi- nation vers le colté oppofé, comme il a cité remarqué cydelfus' ; ^: aufli que tout ce qui fc meut tend touf-jours à continuer de fe mou- uoir en ligne droite'. En fuite de quoy il elt éuident... que, lors que le corps B... ell en repos, il elt plus oppofé par fon repos aux mouuemens des petites parties du corps liquide D, prifes toutes infemble, qu'il ne leur feroit oppofé par fon mouuement, s'il fe mouuoit. Et pour ce qui elt de leur détermination, il elt éuident aulli qu'il y en a tout autant qui fe meuuent de C vers B, comme il y en a qui fe meuuent au contraire ; d'autant que ce font les mefmes

a. Paiiic m, an. 49, 5o et 5i.

b. Va\ marge : •• Voyez en la planche qui luit la 3. ligure. •> Corrigé à Id main : en la planche 2. » Même remarque que ci-avant, p,78, «c.'t? d.

c. Art. 44, p. 88.

d. .\rt. 3g, p. 85.

96

Œuvres de Descartes.

qui, venant de C, hurtent" contre la fuperficie du corps' B, & re- tournent par après vers C. Et bien que quelques vnes de ces parties, prifes en particulier, pouffent B vers F, à mefure qu'elles

114 le rencontrent, & l'empefchent par ce moyen dauanta|ge de fe mouuoir vers C, que fi elles elloient fans mouuement : neantmoins pource qu'il y en a tout autant d'autres, qui tendant d'F vers B, le pouffent" versC, ...il n'eft pas plus pouffé par elles toutes d'vn codé que d'autre, & ne doit point le mouuoir, s'il ne luy arriue rien d'ailleurs...; pource que, quelque figure qu'on fuppofe en ce corps B, il y aura juftement autant de ces parties qui le poufferont vers vn cofté, comme il y en a d'autres qui le poufferont au contraire, pourueu que la liqueur qui l'enuironne n'ait point de cours /ew- blable à .celuy des riuieres, qui la face couler toute entière vers quelque part... Et je fuppofe que B eft enuironné de tous coftez par la liqueur FD, <& non pas jujiement au milieu d'elle. Car, encore qu'il y en ait plus entre B & C q\ienti'e B & F, elle n'a pas pour cela plus de force à le pouffer i>ers F que vers C, pource qu'elle n'agit pas toute entière contre luy, mais feulement par' celles de fes parties qui touchent fa fuperficie. Nous auons confideré jufques à cette heure le corps B comme eftant en repos; mais fi nous fuppofons maintenant qu'il foit pouffé vers C par quelque force qui luy vienne de dehors, fi petite qu'elle puiffe eftre, elle fuf- fira, non pas véritablement à le mouuoir toute feule, mais à fe

115 joindre auec les parties du corps liquide FD, en les determijnant à le pouffer auffi vers C, & à luy communiquer vne partie de leur mouuement^

5'j. La preuue de l'article précèdent*.

Afin de connoiftre recy plus diffindement, conjtderons... que, quand il n'y a point de corps dur... dans le corps fluide FD, fes petites parties aeioa font difpofées comme vn anneau, & qu'elles fe meuuentcirculairement fuiuant l'ordre des marques aei; & que les autres, marquées ouyao, fe mcuucnt aujji fuiuant Tordre des

a. Sic dans l'imprimé : « hurtent ».

b. Ainsi corrige à Verrata. Texie imprime : o qui tendent d'F vers B qui le pouffent ».

c. Texte imprimé : « & qu'il n'y a que ». A Verrata : « mais feulement par ».

d. Correspondance, t. V, p. 385. c. Planche II, figure h.

Principes. Seconde Partie. 97

marques ouj^. Car, afin qu'vn corps foit fluid*, les petites parties qui le compofent doiuent fe mouuoir en plufieurs façons diffé- rentes, comme il a efté def-ja remarqué*. Mais fuppofani que le corps dur B flotte dans le fluide F D entre fes parties a & 0, fans fc mouuoir, confiderons ce qui en auient. Premièrement, il empcfche que les petites parties aeio ne paffent d'o vers a, & n'acheuent le cercle de leur mouuement; il empefche aufli que. celles qui font marquées ouj-a ne palfeni d'à vers 0; de plus, celles qui viennent d'/ vers 0, pouffent B vers G, & celles qui viennent pareillement dy vers a, le pouflent vers F, d'vne force fi égale que, s'il n'arriue rien d'ailleurs, elles ne peuuent le faire mouuoir, mais les mes retournent d'o vers u, & les autres. d'à vers e ; & au lieu des deux circulations qu'elles faifoient auparauant, elles n'en font plus qu'vne, fuiuant l'orjdre des marques aeiouya. Il eft donc manifef\c ^^^ qu'elles ne perdent rien de leur mouuement par la rencontre du corps B, & qu'elles changent feulement leur détermination, & ne continuent plus de fe mouuoir fuiuant des lignes fi droites", ni fi approchantes de la droite, que fi elles ne le rencontroient point en leur chemin. Enfin, fi nous fuppofons que B foit poulfé par quelque force qui n'eftoit pas en luy auparauant, je dy que cette force, eftant jointe à celle dont les parties du corps fluide qui viennent d'/ vers o le pouffent vers G, ne fçauroit élire fi petite, qu'elle ne furmonte celle qui fait que les autres qui viennent dy vers a le repoulfent au contraire, & qu'elle fuftit pour changer leur détermi- nation, & faire qu'elles fe meuuent fuiuant l'ordre des marques a^wo, autant qu'il çft requis pour ne point empefcher le mouue- ment du corps B'; pource que, quand deux corps font déterminez à fe mouuoir vers deux endroits... dire(5lement oppofez l'vn à l'autre, & qu'ils fe rencontrent, celuy qui a plus de force doit changer la détermination de l'autre. Et ce que je viens de remarquer, touchant les petites parties aeiour, fe doit aufli entendre de toutes les autres parties du corps fluide F* D, qui hurtent** contre le corps B : à fçauoir que celles qui le pouflent vers G, font oppofées à vn nombre | égal d'autres qui le pouffent à l'oppofite, & que, pour li'ï peu de force qui* furuienne aux rues plus qu'aux autres, ce peu de force fuffit pour changer la détermination de celles qui en ont

a. Art. 54, p. 94 ci-avant.

b. Correspondance, t. V, p. 385.

c. Voir ci-après, art. 60, p. 99, note c.

d. Voir ci-avant, p. 96, note a.

e. « qui », corrigé à Verrata. Texte imprimé : « qu'il ».

ŒUVRKS. IV. _

c)8 OEuvKf:s de Diiscarfes.

motus. Et quand melmc elles ne décriroicnt pas des cercles tels que ceux qui font icy reprefentez "..., elles employent fans doute leur agitation à fe inouuoir circulairement, ou bien en quelques autres façons équiualentes.

58. Qu'vii corp.i ne doit pas ejire ejîimé entièrement fluide, au regard d'vn corps dur qu'il enuironne, quand quelques vues de/es parties Je meuuent moins vite que ne fait ce corps dur.

Or la détermination des petites^ parties du corps fluide qui em- pefchoient le corps B de fe mouuoir vers C, eftant ainfi changée, ce corps... commencera... de le mouuoir, & aura tout autant de vitelTe*", qu'en a la force qui doit eJlre adJou/îJe à celle des petites parties de cette liqueur, pour le déterminer à ce mouuement ; pour- ueu toutefois qu'il n'y en ail aucunes parmy elles, qui ne fe meuuent plus vite, ou du moins aufli vite, que cette force ; pource que, s'il y en a quelques-vnes qui fe meuuent plus lentement, on ne doit pas confiJerer ce corps ^omme liquide, en tant qu'il en ell compofé ; & en ce cas aufli la moindre petite force ne pourroit pas mouuoir le corps dur qui feroit dedans, d'autant qu'il faudroit qu'elle full i\ grande, qu'elle pufl furmontcr la rcfiflance de celles 118 qui ne fe remueroient pas aflez vite. Ainfi nous voyons que l'air, l'eau, & les autres corps fluides refiilent aflez fendlblenient aux corps qui fe meuuent parmy eux d'vne viteffe extraordinaire, & que ces mefmes liqueurs leur cèdent tres-aifement, lors qu'ils fc meuuent plus lentement.

5g. Qu'vn corps dur,ejlant pouffé par vn autre, ne reçoit pas de luy Jeul tout le mouuement qu'il àcquert, mais en emprunte aujffi vne partie du corps fluide qui V enuironne.

Toutefois nous deuons penfer que, lors que le corps B efl meu... par vne force extérieure, il ne reçoit pas fon mouuement de la feule force qui l'a poulfé, mais qu'il en reçoit aufli beaucoup des petites parties du corps fluide qui l'cnuironne ; & que celles qui com- pofent les cercles aeio &. ayuo perdent autant de leur mouuement, comme elles en communiquent aux parties du corps... B, qui font entre o &.a, pource qu'elles participent aux mouuemens circulaires aeioa & ayuca^ nonobflant qu'elles fe joignent fans cefle à

a. Planche II, figure 3.

b. Art. 6o ci-après.

Principes. Secondi-: Partie. 99

d'autres parties de cette liqueur, pendant qu'ailes nuancent... vers C ; ce qui ejl caitfe aujji qu'elles ne feçoiuent que fort peu de moiiuemeut de chacune.

Go. Qu'il ne peut toutefoi.s auoir plus de vitejfe que ce ' corps dur ne luv en donne ''.

Mais il faut que je rende raifon pourquoy je n'ay pas dit c\- defrus*" que la détermination des parties a/uo dcuoit cltre entière- ment changée, & que feulement elle deuoit l'ellre autant qu'il eftoit requis pour ne point empcfchcr le mouuement du corps B : à fçauoir, pource que ce corps B ne peut fe mouuoir plus vite qu'il n'ell pouffé par la force extérieure, encore que... les parties du corps fluide FD ayent fou|uent beaucoup plus d'agitation. P't c'ell ce 119 qu'on doit foigneufement obferuer en philofophant, que de n'attri- buer jamais à vne caule aucun efl'ct qui furpaiie fon pouuoir. Car, fi nous fuppofons que le corps... B, qui elloit enuironné de tous coftez d^ la liqueur F D fans fe mouuoir, elt maintenant poulie allez lentement par quelque force extérieure, à fçauoir par celle de ma main, nous ne deuons pas croire qu'il fe meuue auec plus de vitefl'e qu'il n'^n a receu de ma main, pource qu'il n'y a que la feule impulfion qu'il a receuë de ma main, qui foit caufe de ce qu'il fe meut. Et bien que... les parties du corps fluide fe meuuent />t'/// ejfre beaucoup plus vite, nous ne deuons pas croire qu'elles foient déterminées à des mouuemens circulaires, tels que aeioa & afitoîi, ou autres femblables, qui ayent plus de viiefle que la force qui poulie le corps B, mais feulement qu'elles emploient l'agitation qu'elles ont de relie, à le mouuoir en pluficurs autres façons'.

61. Qu'vn corps fluide qui Je meut tout entier vers quelque cojlé, emporte necejjairement auec fuj' tuus les corps durs qu'il contient ou enuironné.

Or il ell aifé de connoiftrc, parce qui vient d'cftre demonllré, qu'vn corps dur qui cil en repos entre les petites parties d'vn corps fluide qui l'cnuironnc de tous collez, elt également balancé : en forte que la moindre petite force le peut poullcr de coflé et d'autre, nonobflant qu'on le fuppofe fort grand; foit que cette forjce luv 120

a. Lisez le.

b. Planche II, tigure 3.

c. Art. 57, ci-avant p. 97, v. note c. <\, Voir Correspondance, t. V, p. 3S5,

loo CEuvREs DE Descartes.

vienne de quelque cauTe extérieure, ou qu'elle confiflc en ce que tout le corps fluide qui l'enuironne, prend Ion cours vers vn cer- tain cofté : de mefmeque les riuieres coulent vers la mer,^c... l'air vers le couchant, lors que les vents d'Orient Ibufflent : car en ce cas il faut que le corps dur qui eft enuironné de tous collez de cette liqueur, ibit emporté auec elle. Et la quatrième règle, fuiuant laquelle il a elle dit cy-delTus' qu'vn corps qui ell en repos ne peut élire meu par vn plus petit, bien que ce plus petit le meuue extrê- mement vite, ne répugne en aucune façon à cela.

62. Qu'on ne peut pas dire proprement qu'vn corps dur fe meut, lorfqu'il ejî ainfi emporté par vn corps fluide.

Et mefme 11 nous prenons garde à la vraye... nature du mouue- ment, qui n'ert proprement que le tranfport du corps qui fe meut du voifinage de quelques autres corps qui le touchent, & que ce tranfport eft réciproque dans les corps qui fe touchent l'vn l'autre : encore que nous n'ayons pas couftume de dire qu'ils fe meuuent tous deux , nous fçaurons neantmoins qu'il n'eft pas fi vray de dire qu'vn corps dur fe meut, lors qu'eftant enuironné de tous coftez d'vne liqueur, il obéît à fon cours, que s'il aiioit tant de force pour luf refijîer, quil pujî s'empefcher i/'ertre emporté par elle ; car il s'efloigne beaucoup moins des parties qui l'enui- 121 ronnent, lors qu'il fuit le cours de celte \ liqueur, que Ioî^s qu'il ne le fuit point.

63. D'où vient qu'il y a des corps fi durs, qu'ils ne peuuent ejlre diuife\ par nos mains, bien qu'ils foient plus petits qu'elles.

Apres auoir monfîré que la facilité que nous auons quelquefois à viouuoir de fort grands corps, lors qu'ils flottent ou font fufpendus en quelque liqueur, ne répugne point à la quatrième règle cj'- defj'us expliquée'', il faut aufli que je montre comment la difficulté que nous auons à en rompre d'autres qui font alfez petits..., fe peut accorder auec la cinquième'. Car, s'il eft vray que les parties des corps durs ne foient jointes enfcmble par aucun ciment, 6'- qu'il n'y ait rien du tout qui empefche leur feparalion, finon qu'elles font en

a. Art. 49, p. 90.

h. Ibidem.

c. .\rt. 5o, p. 91.

Principes. Seconde Partie. ioi

repos les vnes contre les autres, ainfi qu'il a ejîé tantoji dit\ & qu'il foit vray auffi qu'vn corps qui {Gmeui,quoy que Icntemail, a touf-jours allez de force pour en mouuoir vn autre plus petit qui eft en repos, aitijî qu'enfeigne cette cinquième règle : on peut deman- der pourquoy... nous ne pouuons, auec la feule force de nos mains, rompre vn clou ou vn autre morceau de fer qui eft plus petit qu'elles..., d'autant que chacune des moitiez de ce clou peut eftre prife pour vn corps qui ejl en repos contre fou autre moitié, Ik qui doit, ce femble, en pouuoir eftre feparé par la force de nos mains, puis qu'il n'eft pas fi grand qu'elles, & que la nature du mouuement conjijte en ce que le corps qu'on ditfe mouuoir, eji \ feparé des autres 122 corps qui le touchent. Mais il faut remarquer que nos mains font fort molles, c'eft à dire qu'elles participent dauantage de la nature des corps liquides que des corps durs, ce qui eft caufe que toutes les parties dont elles font compofées> n'agiffent pas enfemble contre le corps que nous voulons feparer, & qu'il n'y a que celles qui, en le touchant, s'appuyent conjointement fur luy. Car, comme la moitié d'vn clou peut eftre prife pour vn corps, à caufe qu'on la peut feparer de fon autre moitié : de mefme la partie de noftre main qui touche cette moitié de clou, & qui eft beaucoup plus petite que la main entière, peut eftre prife pour vn autre corps, à caufe qu'elle peut eftre feparée des autres parties qui compofent cette main ; & pource qu'elle peut eftre feparée plus aifement du refte de la main, qu'vne autre partie de clou du refte du clou,& que nous fentons de la douleur, lors qu'vne telle feparation arriuc aux parties de noftre corps, nous ne fçaurions rompre vn clou auec nos mains; mais, fi nous prenons vn marteau, ou vne lime, ou des cifeaux, ou quelque autre tel inllrument, & nous en feruons en telle forte que nous appliquions la force de noftre main contre la partie du corps que nous voulons diuifer, qui doit eftre plus peiiie qus la partie de l'inftrument que nous appliquons con|tr'clle, nous pourrons venir 123 à bout de la dureté de ce corps, bien qu'elle foit fort grande.

64. Que je ne reçois point de principes en Phjfique, qui ne foient aufji receus en Mathématique y afin de pouuoir prouuer par demoujhation tout ce que j'en deduiray; & que ces principes fujjfifent, d'autant que tous les Phainomenes de la nature peuuent eftre explique^ par leur moyen.

le n'adjoufte rien icy touchant les figures, ni comment de leurs diuerfitez infinies il arriue, dans les mouuemens, des diucrfiicz

a. Art. 55, p. 94.

102 OEuVRES DE DeSCARTES.

innombrables : d'autant que ces chofes pourront affez eftre enten- dues d'elles-mefmes, lors qu'il fera temps d'en parler, & que je fuppofe que ceux qui liront mes écrits, fçauent les élemens de la Géométrie, ou, pour le moins, qu'ils ont l'efprit propre à com- prendre les demonftrations de Mathématique. Car j'aduouë franche- ment icy que Je ne connoy. point d'autre matieredes chofes corpo- relles, que celle qui peut eftre diuifée, figurée & meuë en toutes fortes de façons, c'eft à dire celle, que les Géomètres nomment la quantité, & qu'ils prennent pour l'objet de leurs demonftrations; & que je ne conridere,en cette matière, que fcs diuifions,fes figures & -fes mouuemens ; & enfin que, touchant cela, je ne veux rien receuoir pour vray, fmon ce qui en fera déduit auec tant d'éuidehce, qu'il pourra tenir lieu d'vne demonftration Mathématique. Et pource qu'on peut rendre rai fon, en cette forte, de tous les Phaino- menes de la nature, comme on pourra juger par ce qui fuit, je ne penfe pas qu'on doiue receuoir d'autres principes en la Phyfique, 124 I ni mefme qu'on ait raifon d'en fouhaiter d'autres, ^we ceux qui font icy explique\.

LES PRINCIPES

DE

LA PHILOSOPHIE

TROISIESME PARTIE. Du monde vijible.

I. Qu'un nefçauroit pcnj'cr trop hautement des œuures Je Dieu.

Apres atioir rejette <:e que nous auions autrefois receu en noftre créance, auant que de l'auoir fujfifamment examine, puis que la raifon toute pure. . . nous a fourny affez de lumière pour nous l'aire décou- urir quelques principes des choies matérielles, & qu'elle nous les a prefentez auec tant d'éuidence que nous ne Içaurions plus douter de leur vérité, il faut maintenant effayer fi nous pourrons déduire de ces feuls principes l'explication de tous les Phainomenes, c'ejt à dire des ejfets qui font en la nature, & que nous apperceuons par l'entre- m if e de nos fens. Nous comlmencerons par ceux qui font les plus 125 généraux, & dont tous les autres dépendent : à fçauoir, par Vadmi- rabk ftrudurc de ce monde vifible. Mais, afin que nous puifTions nous garder de nous méprendre en les examinant, il me femble que nous deuons foigneufement obferuer deux chofes : la première efl que nous nous remettions toui-jours deuant les yeux, que la puif- fance & la bonté de Dieu font infinies, afin que cela nous face con- noiftre que nous ne deuons point craindre de faillir, en imaginant fes ouurages trop grands, trop beaux ou trop parfaits; mais que nous pouuons bien manquer, au contraire, fi nous fuppofonsen eux quelques bornes ou quelques limites, dont nous n'ayons aucune connoifl'ance certaine.

I04 Œuvres de Descartes.

2. Qu'on prefumeroit trop de foy-mefme,Ji on entreprenait de connoifire

la fin que Dieu s'efi propofé en créant le monde.

La féconde eft que nous nous remettions auffî touf-jours deuant les yeuxy que la capacité de nojtre efprit ejï fort médiocre, & que nous ne deuons pas trop prefumer de nous-mefmes, comme il femble que nous ferions, fi nous fuppofions que l'vniuers euft quelques limites, fans que cela nous fuft affuré par reuelation diuine, ou du moins par des raifons naturelles fort éuidentes ; pource que ce feroit vou- loir que noftre penfée puft imaginer quelque chpfe au delà de ce à quoy la puiffance de Dieu s'eft eftenduë en créant le monde; mais 1S6 auiïi I encore plus, fi nous nous perfuadions que ce n'eft que pour noftre vfage' que Dieu a créé toutes les chofes, ou bien feulement fi nous prétendions de pouuoir connoiftre par la force de noftre efprit quelles font les fins pour lefquelles il les a créées.

3. En quel fens on peut dire que Dieu a créé toutes chofes pour l'homme.

Car encore que ce foit vne penfée pieufe & bonne, en ce qui re- garde les mœurs, de croire que Dieu a fait toutes chofes pour nous, afin que cela nous excite d'autant plus à l'aymer & luy rendre grâces de tant de bien-faits; encore auflî qu'elle foit vraye en quelque fens, à caufe qu'il n'y a rien de créé dont nous ne puiiïions tirer quelque vfage, quand ce ne feroit que celuy d'exercer noftre efprit en le confiderant, & d'eftre incitez à loUer Dieu par fon moyen : il n'eft toutefois aucunement vray-femblable que toutes chofes ayent efté faites pour nous, en telle façon que Dieu n'ait eu aucune autre fin en les créant. Et ce feroit, ce me femble, eftre impertinent de fe vouloir feruir de cette opinion pour appuyer des raifonnemens de Phyfique; car nous ne fçaurions douter qu'il n'y ait vne infinité de chofes qui font maintenant dans le monde, ou bien qui y ont efté autrefois & ont def-ja entièrement cefl'é d'eftre, fans qu'aucun homme les ait jamais veu(fs ou'connu(fs, & fans qu'elles luy ayent jamais feruy à aucun vfage.

it7 1 4. Des Phainomenes ou expériences, & à quoy elles peuuent icy feruir.

Or les principes que j'ay cy-deffus expliquez, font fi amples, qu'on en peut déduire beaucoup plus de chofes que nous n'en

a. Voir Correspondance ^ t. V, p. 53, 1. 24, à p. 56, 1. 22, et ibid., p. 168.

Principes. Troisiesme Partie. 105

voyons dans le monde, & mefmes beaucoup plus que nous n'en fçau- rions parcourir de la penfée en tout < le > temps de nojlre vie. C'eft pourquoy je feray icy vne briéve defcription* des principaux Phai- nomenes, dont je pretens rechercher les caufes, non point, afin d'en tirer des raifons qui feruent à prouuer ce que j'ay à dire cy-apres : car j'ay deffein d'expliquer les effets par leurs caufes, & non les caufes par leurs effets ; mais afin que nous puiflions choifir, entre vne infinité d'effets qui peuuent élire déduits des mefmes caufes, ceux que nous deuons principalement tafcher d'en déduire.

5. Quelle proportion il y a entre le Soleil, la Terre & la Lune, à raifon de leurs dijlances & de leurs grandeurs.

Il nous femble d'abord, que la Terre eft beaucoup plus grande que tous les autres corps qui font au monde, & que la Lune & le Soleil font plus grands que les Eftoiles ; mais fi nous corrigeons le défaut de noftre veu(i par des raifonnemens qui font infaillibles, nous connoiftrons, premièrement, que. la Lune eft éloignée de nous d'en- uiron trente diamètres de la Terre, & le Soleil de fix ou fept cent ; & comparant enfuite ces diftances auec le diamètre apparent du Soleil & de la Lune, nous trouuerons que la Lune eft plus petite que la Terre, & que le Sojleil eft beaucoup plus grand. 128

6. Quelle dijiance il y a entre les autres Planètes & le Soleil.

Nous connoiftrons auffi, par l'entremife de nos yeux, lors qu'ils feront aydez de la raifon, que Mercure eft diftant du Soleil de plus de deux cent diamètres de la Terre ; Venus, de plus de quatre cent; Mars, de neuf cent ou mille ; lupiter, de trois mille & dauantage ; & Saturne, de cinq ou fix mille.

7. Qu'on peut fuppofer les Eftoiles fixes autant éloignées qu'on veut.

Pour ce qui eft des Eftoiles fixes, félon leurs apparences, nous ne deuons point croire qu'elles foient plus proches de la Terre, ou du Soleil, que Saturne; mais aufli nous n'y remarquons rien qui nous empefche de les pouuoir fuppofer plus éloignées jufques à vne diftance indéfinie. Et nous pourrons conclure, de ce que je diray

a. Texte latin t a brevem historiam ». Voir Correspondance , 1. 1, p. .251, 1. 17.

ip6 OEuvREs DE Descartes.

cy-apres% touchant les mouuemens des Gieux, qu'elles font fi éloi- gnées de la Terre, que Saturne, à comparaifon d'elles, en eft extrê- mement proche.

fÇ. Que la Terre, ejîant veuë du Ciel, ne paroitroit que comme vne Planète moindre que lupiter ou Saturne^

En fuitte de quoy il ert aifé de connoiftre que la Lune & la Terre paroiftroient beaucoup plus petites, à celuy qui les regarderoit de lupiter ou de Saturne^ que ne paroit lupiter ou Saturne au mefme fpeClateur qui les regarde de la Terre, & que, fi on regardoit le Soleil de delfus quelque Eftoile fixe, il ne paroiftroit peut elhe pas plus grand que les Eftoiles paroiflent à ceux qui les regardent du

129 lieu nous fommes : de forte que, | fi nous voulons comparer les parties du monde vifible ^es vnes aux autres, & juger de leurs gran- deurs fans preuention, nous ne deuons point croire que la Lune, ou la Terre, ou le Soleil, foient plus grands que les Eftoiles.

g. Que la lumière du Soleil & des Eftoiles fixes leur eft propre.

Mais, outre que les Eftoiles ne font pas égales en grandeur, on y remarque encore cette différence, que les xnes brillent de leur propre lumière, & que les autres reflechiifent feulement celle qu'elles ont receuë d'ailleurs. Premièrement, nous ne fçaurions douter que le Soleil n'ait en foy cette lumière qui nous éblouit, lors que nous le regardons trop Jixement ; car elle eft fi grande que toutes les H^ftoiles enfemble ne luy en pourroient pas tant commu- niquer, pource que celle qu'elles nous enuoyent eft incompara- blement plus foibie que la fienne, bien qu'elles ne foient pas tant éloignées de nous que de luy; & s'il y auoit dans le monde queiqu'autre corps plus brillant, duquel il empruntaft fa lumière, il faudroit que nous le vitHons. Mais fi nous confiderons aufti combien font vifs & cftincclans les rayons des Eftoiles fixes, nonobftant qu'elles foient extrêmement éloignées de nous & du Soleil, nous ne ferons pas de difficulté de croire qu'elles luy reffemblent : en forte que, fi nous eftions auOi proches de quelqu'vne d'elles, que nous

130 fommes de luy, | celle-là nous paroiftroit grande & lumineufe comme vn Soleil.

a. Art. 20 cl 41.

Principes. Troisiesme Partie. 107

10. Que celle de la Lune & des autres Planètes ejî empruntée du Soleil.

Au contraire, de ce que nous voyons que la Lune n'éclaire que du cofté qui eft oppofé au Soleil, nous deuons croire qu'elle n'a point de lumière qui luy foit propre, & qu'elle renuoye feulement vers nos yeux les rayons qu'elle a receus du Soleil. Cela a eflé obferué depuis peu fur Venus, auec des lunettes de longue-veu(f ; & nous pouuons juger le femblable de Mercure, Mars, lupiter & Saturne, pource que leur lumière nous paroit beaucoup plus foible & moins éclatante que celle des Eftoiles fixes, & que ces Planètes ne font pas fi éloignées du Soleil, qu'elles n'en puiflent eftre é<'ia»rées.

/y /. Qu'eu ce qui ejl de la lumière, la Terre ejl femblable aux Planètes.

Enfin, de ce que nous voyons que les corps dont la Terre eft compofée font opacques, & qu'ils renuoyent les rayons qu'ils re- çoiuent du Soleil, pour le moins aufii fort que la Lune : car les nuages qui l'enuironnent", bien qu'ils ne foient compofez que de "celles de fes parties qui font les moins opacques & les moins propres à réfléchir la lumière, nous paroifl'ent auiTi blancs que la Lune, lors qu'ils font éclairez du Soleil ; nous deuons conclure que la Terre, en ce qui elt de la lumière, n'eft point différente de la Lune, de Venus, de Mercure, & des autres Planètes.

\ 12. Que la Lune, lors qu'elle ejl nouuelle, eft illuminée par la Terre. 131

Nous en ferons encore plus affeurez, fi nous prenons garde à vne certaine lumière foible qui paroift fur la partie de la Lune qui n'ell point éclairée du Soleil, lors qu'elle efi nouuelle, qui fans doute luy ert enuoyée de la Terre par reflexion, pource qu'elle diminucf peu à peu, à mefure que la partie de la Terre qui eft éclairée du Soleil, fe deftourne de la Lune.

i3. Que le Soleil peut eftre mis au nombre des Eftoiles fixes, ' & la Terre au nombre des Planètes.

Tellement que, fi nous fuppofions que quelqu'vn de nous fuft deffus lupiter, & qu'il confideraft noftre Terre, il eft éuideni qu'elle

a. A savoir « la Terre ».

io8 Œuvres de Descartes.

luy paroiflroit plus petite, mais peut eftre aufli lumineufe que lupi- ter nous paroit ; & qu'elle paroiflroit plus grande au mefme fpeda- teur, s'il eftoit fur quelqu'autre Planète plus voifine ; mais qu'il ne la verroit point du tout, s'il eftoit fur quelqu'vne des Eftoiles fixes, à caufe de la trop grande diftance. Ainfi la Terre pourra eftre mife au nombre des Planètes, & le Sojeil au nombre des Eftoiles fixes,

t4. Que les Eftoiles fixes demeurent touf-jours en mefme fituation au regard Vvne de l'autre^ & qu'il n'en eft pas de mefme des Planètes.

Il y a encore vue autre différence entre les Eftoiles, qui confifte en ce que les vnes gardent vn mefme ordre entr'elles, & fe trouuent touf-jours également diftantes, ce qui eft caufe qu'on les nomme fixes; & que les autres changent continuellement de fituation, ce qui eft caufe qu'on les nomme Planètes ou Eftoiles errantes.

m \ i5. Qu'on peut vfer de diuerfes hjrpothef es pour expliquer

les Phainomenes des Planètes.

Et comme celuy qui, eftant en mer pendant vn temps calme, regarde quelques autres vaiffeaux affez éloignez qui luy femblent changer de fituation, ne fçauroit dire bien fouuent fi c'eft le vaif- feau fur lequel il eft, ou les autres, qui en fe remuant caufent vn tel changement; ainfi, lors que nous regardons, du lieu nous fommes, le cours des Planètes & leurs différentes fituations, après les auoir bien confiderées, nous n'en fçaurions tirer aucun éclair- ciffement qui foit tel que nous puiftions déterminer, par ce qui nous paroit, quel eft celuy de ces corps auquel nous deuons propre- ment attribuer la caufe de ces changemens ; & pourcc qu'ils font inégaux & fort embrouillez, il n'eft pas aifé de les démelîer, (i, de foutes les façons dont on les peut entendre, nous n'en choifilfons vne, fuiuant laquelle nous fuppofions qu'ils fe fafl'ent. A cette lin, les Aftronomes ont inuenté trois différentes hypothcfcs ou fuppo- fitions, qu'ils ont feulement tafché de rendre propres à expliquer tous les phainomenes, fans s'arrcltcr particulicrcnicnt à examiner fi elle» eftoicnt auec cela conformes à la vérité.

i6. Qu'on ne les peut expliquer tous par celle de Ptolemée.

Ptoicmée inuenta la première; mais, comme clic ell ordinaire- ment improuuée de tous les Philofophes, pource qu'elle ell con-

Principes. Troisiesme Partie. icq

traire à plufieurs obferuations qui ont e fié faites depuis \ peu ^, & 133 particulièrement aux changemens de lumière qu'on remarque fur Venus, femblables à ceux qui fe font fur la Lune, je n'en pàrleray pas icy dauantage^

ly. Que celles de Copernic & de Tycho ne différent point, Ji on ne les conjidere que comme liypothejes.

. La féconde ell de Copernic, & la troifiéme de Tycho Brahe : lefquelles deux, en tant qu'on les prend feulement pour des fuppo- fitions, expliquent également bien les phainomenes, & il n'y a pas beaucoup de différence entr'elles. Neantmoins c.elle de Copernic me femble quelque peu plus fimple & plus claire; de forte que Tycho n'a pas eu fujet de la changer, finon pource qu'il ell'ayoit d'expliquer comment la chofe ertoit en efl'et, & non pas feulement par hypoihcfe.

i8. Que par celle de Tycho on attribué en effet plus de mouucmcnt à la Terre que par celle de Copernic, bien qu'on ''luy en attribue moins- en paroles.

Car d'autant que Copernic n'auoit pas fait difficulté d'accorder que la Terre eftoit meuC, Tycho, à qui cette opinion fembloit abfurde ^ entièrement éloignée du fens commun, a tafchc de la corriger; mais, pource qu'il n'a pas affez conlidcré quelle cil la vraye nature du mouuement, bien qu'il ait dit que la Terre elloit immobile, il n'a pas lailfé de luy attribuer plus de mouuement que l'autre.

jg. Que je' nie le mouuement de la Terre auec plus de foin que Copernic, & plus de vérité que Tycho.

C'ell pourquoy, fans élire en rien différent de ces deux, excepté en cela feul, que j'auray plus de foin que Copernic de ne point

a. En marge de rcxcmplairc annoïc : - Comnu-, cnn autres. <jik Mars nous paroisi plus proche que le Soleil, ei que Venus et Mercure nous paroissent plus éloignez que le Soleil : ce qui ne seroii pdint, si Ihypo- these de Ptolcmée esioii vraye. De plus, les dirterenies ^ace^ [lis':i phases) qu'on a obseruées sur Venus comme sur la l.uue. qui nous paroist cornue, tantost en croissani, taniosi en Swn Jecours. r\ t|ui nous paroisi presque plaine quand le Soleil i<:i pduc elle ei nous, et par consev]uent plus éloignée de nous que le Soleil, font vtiir que I hypo- thèse de Ptolcmée n'est pas véritable, (Neif MS. D? Marie : siib Soie viso. Imprimé en Hollande. - (/./t'm.)\oir la Noie 11 « 1? fin tin volume

b. Voir Correspondance, \, V. p. 38t').

110 Œuvres de Descartes.

iJ4 attribuer de mouuement à la Terre, & que je talcheray | de faire que mes raifons, furcefujet, foient plus vrayes que celles de Tycho: je propoferay icy l'hypothefe qui me femble élire la plus fimple de toutes & la plus commode, tant pour connoillre les Phainomenes, que pour en rechercher les caufes naturelles. Et cependant j'aduer- tis que je ne pretens point qu'elle foit receuë comme entièrement conforme à la vérité, mais feulement comme vne hypothefe, oufup- pofitïon qui fL'itl ejlrcfaujje.

20. Qu'il faut Juppofer. les EJluiles fixes extrêmement éloignées

de Saturne.

Premièrement, à caufe que nous ne fçauons pas encore aflure- ment quelle dillance il y a entre la Terre i^ les Eftoiles fixes, & quç nous ne fçaurions les imaginer fi éloignées que cela répugne à l'expérience, ne nous contentons point de les mettre au defTus de Saturne, tous les Aftronomes auouent qu'elles font, mais prenons la liberté de les fuppofe'r autant éloignées au-dellus de luy, que cela pourra eûre vtile à noftre deffein. Car Ç\ nous voulions juger de leur hauteur par la comparaifon des diftances qui font entre les corps que nous voyons fur la Terre, celle qu'on leur attribue def-ja, feroit aufli peu croyable que la plus grande que nous fçaurions imaginer; au lieu que, fi nous confiderons la toute-puiffance de Dieu qui les a créées, la plus grande diftance que nous pouuons i35 conceuoir, n'eft pas moins croyable qu'v|ne plus petite. Et je feray voir cy-apres qu'on ne fçauroit bien expliquer ce qui nous paroit, tant des Planètes que des Comètes, fi on ne fuppofe vn très-grand efpace entre les Eftoiles fixes & la fphcre de Saturne.

21 . Que la matière du Soleil, aiufi que celle de lajlamme, ejl fort mobile ; mais qu'il nejl pas befoin pour cela qu'il pajfe tout entier d'vn lieu en vn autre.

En fécond lieu, puis que le Soleil a cela de conforme auec la flamme & auec les Elloiles fixes, qu'il fort de luy do la luniicre, laquelle il n'emprunte pain! d'ailleurs, imaginons qu'il cil fcmbiable aulfi à la flamme, en ce qui efl de fon mouuement, ^: aux Eltoiles fixes, en ce qui concerne fa fituation. Et comme nous ne voyons rien fur la Terre qui foit plus agité que la llamiue, en forte que, fi les

a. Art. 41.

Principes. Troisiesme Partie. i i i

corps qu'elle touche ne font grandement durs & folides, elle efbranle toutes leurs petites parties, & emporte auec foy celles qui ne liif font point trop de reftjîence : toutefois fon mouuement ne confifte qu'en ce que chacune de les parties fe meut feparcment, car toute la flamme ne pafle point pour cela d'vn lieu en vn autre, fi elle n'eil tranfportée par quelque corps auquel elle foit attachée. Ainfi nous pouuons croire que le Soleil elt compofé d'vne matière fort liquide, & dont les parties font fi extrêmement agitées, qu'elles emportent auec elles les parties du Ciel qui leur font voifines & qui Jes enuironnent ; mais qu'il a cela de commun auec les Eftoiles fixes, qu'il nejpaffe point pour cela d'vn endroit du Ciel en^vn autre. 136

22. Que le Soleil n'a pas befoin d'aliment comme lajlamme.

Et on n'a pas fujet de penfer que la comparaifon que je fais du Soleil auec la flamme ne foit pas bonne, à caufe que toute la flamme que nous voyons fur la Terre a befoin d'e/lre jointe à quelque autre corps qui luf férue de nourriture, & que nous ne remarquons point le mefme du Soleil. Car, fuiuant les loix de la nature, la flamme, ainfi que tous les autres corps, continueroit d'eftre, après qu'elle cft vne fois formée..., & n'auroit point befoin d'aucun aliment à cet effet, fi fes parties, qui font extrêmement fluides, & mobiles n'al- loient point continuellement fe méfier auec lair qui efi autour d'elle, & qui, leur ojlant leur agitation, fait qu'elles ceffent de la compofer. Et ainfi ce n'eft pas proprement pour efire conferuée, qu'elle a befoin de nourriture, mais afin qu'il renaiffe continuel- lement d'autre flamme qui luy fuccede, à mefure que l'air la dif- fipe. Or nous ne voyons pas que le Soleil foit ainfi diflipé par la matière du Ciel qui l'enuironne ; c'eft pourquoy nous n'auons pas fujet de juger qu'il ait befoin de nourriture comme la flamme, encore qu'il lu/ rejfemble en autre chofe. Et toutefois j'cfpere faire voir cy-apres % ^«7/ /f/>' e/l encore femblable en cela, qu'il entre en luy fans cefl'e quel|que matière, & qu'il en fort d'autre. 137

23. Que toutes les EJloiles ne font point en vne fuper/icie fpherique, & qu'elles font fort éloignées l'vne de l'autre..

Au rcfte, il fauticy rémarquer que, fi le Soleil & les Eftoiles fixes fe reffemblent en ce qui eft de leur fituation, nous ne deuons pas

^ Art. 69.

112 Œuvres de DesgaRi^s.

juger qu'elles foient toutes en la fuperficie d'vne mefme fphere, ainfi que plufieurs fuppofent qu'elles font, pource que le Soleil ne peut eftre auec .elles en la fuperficie de cette fphere ; mais que, tout ainfi qu'il eft enuironné d'vn vafte efpace, il n'y a point d'Eftoile fixe, de mefme que chaque Eftoile fixe eft fort éloignée de toutes les autres, & que quelques-vnes de ces Eftoiles font plus éloignées de nous & du Soleil que quelques autres. En forte que, fi S, par exemple, eft le Solefî, F f feront des Eftoiles fixes, & nous en pourrons con- ceuoir d'autres fans nombre, au deffus, au deffous, & par delà le plan de cette figure, efparfes par toutes les dimenfions de l'efpace '.

24. Que les deux font liquides.

En troifiéme lieu, penfons que la matière du Ciel eft liquide, auflî bien que celle qui compofe le Soleil & les Eftoiles fixes. C'eft vne opinion qui eft maintenant communément receud des Aftronomes, pource qu'ils voyent qu'il eft prefque impoflible fans cela de bien expliquer les phainomenes.

25. Qu'ils tranfportent auec eux tous les corps qu'ils contiennent.

Mais il me femble que plulieurs fe méprenent en ce que, vou- i58 lant attribuer au Ciel la pro|priété d'eftre Jiquide, ils l'imaginent comme vn efpace entièrement vuide, lequel non feulement ne rcfifte point au mouuemcnt des autres corps, mais aufll qui n'ait aucune force pour les mouuoir & les emporter auec foy ; car outre qu'il ne fçauroit y auoir de tel vuide en la nature, il y a cela de commun en toutes les liqueurs, que la raifon pourquoy elles ne rcfiftcnt point aux mouuemens des autres corps, //'eft pas qu'elles aj'cnt moins qu'eux de matière, mais qu'elles ont autant ou plus d'agi- tation, ^ que leurs petites parties peuucnt aifement eftre détermi- nées à fe mouuoir de tous coftez ; & lors qu'il arriuc qu'elles font déterminées à fe mouuoir toutes enfemble vers vn mefme cofté, cela fait qu'elles doiucnt nccelVa ire ment emporter auec elles tous les corps qu'elles cmbralfent & enuironncni de tous coftez, & qui ne font point empefchez de les fuiure par aucune caufc extérieure, quoy que ces corps fuient entièrement en repos, & durs & folides, ainfi qu'il fuit cuidcmmcnt de ce qui a cftc dit cy-dcMus' de la nature des corps liquides.

A. Planche III.

b. Partie II. art «>i p. 100

Principes. Troisiesme Partie. i i j

26. Que la Terre Je- repofe en/on Ciel, mais qu'elle ne laiffe pas d'ejlre tranfportée par luy.

En quatrième lieu, puis que nous voyons que la Terre n'ell point fouftenuë par des colomnes, ni fufpenduë en l'air par des cables, mais qu'elle eft enuironnée de tous codez d'vn Ciel très-liquide, penfons qu'elle eft en repos, & qu'elle | n'a point de propenfion au i39 mouuement, veu que nous n'en remarquons point en elle ; mais ne croyons pas aufli que cela puiffe empefcher qu'elle ne foit emportée par le cours du Ciel, & qu'elle ne fuiue Ion mouuement fans pour- tant fe mouuoir : de mefme qu'vn vaiffeau, qui n'eft point emporté par le vent, ni par des rames, & qui n'eft point aufli retenu par des ancres, demeure en repos au milieu de la mer, quoy que peut eftre \qJIux ou reflux àç. cette grande malle d'eau l'emporte infen- fiblement auec foy.

27. Qu'il en ejl de mefme de toutes les Planètes.

Et tout ainfi que les autres Planètes refl'emblent à la Terre, en ce qu'elles sont opacques & qu'elles renuoyent les rayons du Soleil, nous auons fujet de croire qu'elles luy relîemblent encore, en ce qu'elles demeurent comme elle en repos, en la partie du Ciel cha- cune fe trouue, & que tout le changement qu'on obferue en leur fituation, procède feulement de ce ».;u'clles obcïflent au mouuement de la matière du Ciel qui les contient.

28» Qu'on ne peut pas proprement dire que la Terre ou les Planètes fe meuuentf bien qu'elles f oient ainfi tranfportées.

Nous nous fouuiendror.s aulîi, en cet endroit, de ce qui a efté dit cy-delfus*, touchant la nature du mouuement, à fçauoir qu'à pro- prement parler, il n'eft que le tranfport d'vn corps, du voifinage de Ceux qui le touchent immédiatement & que nous confiderons comme en rejpos, dans le voifinage de quelques autres; mais que, félon 140 l'vfagc commun, on appelle fouucnt, du nom de mouuement, toute adion qui fait qu'vn corps palle d'vn lieu en vn autre; & qu'en ce fens on peut dire qu'vne mefme chofc en mefme temps eft mcuë & ne l'eft pas, félon qu'on détermine fon lieu diuerfement. Or on ne

a. Partie II, an. 25. 76

ŒVVRES. IV. 24

114 OEuvREs DE Descartes.

fçauroit trouuer dans la Terre, ni dans les autres Planètes, aucun mouuement, félon la propre fignilication de ce mot, pource qu'elles ne font point tranfportces du voifinagc des parties du Ciel qui les touchent, en tant que nous confidcrons ces parties comme en repos ; car pour eftre ainfi tranlportées, il faudroit qu'elles s'éloignalFcnt en mefme temps de toutes les parties de ce Ciel priies enfemble, ce qui n'arriue point. Mais la matière du i'Àel ellant liquide, <S' les parties qui la compofeut fort agitées, tantoll les vnes de ces parties s'éloignent de la Planète qu'elles touchent, & tantoit les autres, & ce, par vn mouuement qui leur elt propre, & qu'on leur doit attri- buer plurtoll qu'à la Planète qu'elles quittent : de mefme qu'on attri- bue les particuliers tranfports de Tair ou de l'eau qui fe. font fur la fuperficie de la Terre, à l'air ou à l'eau, «S: non pas à la Terre.

•2g. Que, mefme en parlant improprement & fuiuant l'vfage, on ne doit point attribuer de mouuement à la Terre, mais feulement aux autres Planètes.

Et fi on prend le mouuement fuiuant la façon vulgaire, on peut 141 bien dire que toutes les | autres Planètes fe meuuent, mefmes le Soleil & les Elloiles fixes; mais on ne fçauroit parler ainfi de la Terre, que fort improprement. Car le peuple détermine les lieux des Eftoiles, par certains endroits de la Terre qu'il confidere comme immobiles, & croit qu'elles fe meuuent, lors qu'elles s'éloignent des lieux qu'il a ainli déterminez : ce qui elt commode à l'vfage de la vie, & n'ell pas imaginé fans raifon, pour ce que, comme nous auons tous jugé dés nortre enfance que la Terre eiloit plate & non pas ronde, ^ que le bas & le iiaut, & les parties principales, à fçauoir le leuant, le couchant, le midy & le feptenirion, eltoient touf-joucs & par tout les mefmes; nous auons marqué par ces chofes,»//// ne font arrejlées qu'en no/tre penfée, les lieux des autres corps. Mais Ci vn Philofophe, qui fait profefjion de rec!u'rchi!r la rerilê, ayant pris garde que la Tene elt vn globe qui Hutte dans vn Ciel liquide, dont les parties font extrêmement agitées, ^: que les Elloiles fixes gardent cntr'clles louf-jours vue mefme fituation, fe vouloit feruir de ces Efloilcs ^L les confkierer comme llables, pour déterminer le lieu de la Terre. & en fuittc de cela vouloir conclure qu'elle fe meut, il fe inéprendroit, & lun difcours ne feroit appuyé d'aucune raifon. Car 14t fl on prend le lieu en fon vray fens, & comme tous | les Philofophes qui en connoilfeni la nature le doiuent prendre, il faut le déter- miner par les corps v|ui touchent immédiatement celuy qu'on dit

Principes. Troisiesme Partie. 115

eftre meii, & non par ceux qui font extrêmement éloignez, comme font les Eftoiles fixes au regard de la Terre; 6c fi on le prend félon l'vfage, on n'a point de raifon pour fe perfuader que les Eltoilcs foient fiables pluftolt que la Terre, Il ce n'ell peut eftre qu'on s'ima- gine qu'il n'y a point d'autres corps par delà les Eftoiles qu'elles puiflent quitter, & au regard defqucls on puifle dire qu'elles fe meu- uent, & que la Terre demeure en repos, au mefme fens qu'on pré- tend pouuoir dire que la Terre fe meut au regard des Eftoiles fixes. Mais cette imagination feroit fans fondement, pource que noftre penfée eftani de telle nature, qu'elle n'aperçoit point de limites qui bornent l'vniuers, quiconque prendra garde à la«grandeur de Dieu & à la foiblelTe de nos fens, jugera qu'il eft bien plus à propos de croire que peut eftre, au delà de toutes les Eftoiles que nous voyons, il y a d'autres corps au regard defquels il faudroit dire que la Terre eft en repos & que les Eftoiles fe meuuent, que de fuppofer (///c la puijfance du Créateur ejl fi peu parfaite^ qu'il n'y en fçauroit auoir de tels, aiufi que doitteut Juppofer ceux qui ajfurivt eu cette facou que la Terre Je \ meut. Que fi ueautmoins cy-apres, pour uous accom- 143 moder à l'r/age, uous fetublous attribuer quelque mouuement à la Terre, il faudra penfer que c'eft eu parlaut impropremeut, d- c7« mefme fens que l'on peut dire quelquefois de ceux qui dorment à- font couclie-{ dans vu raijjeau, qu'ils pajfent cependant de Calais à Douure, à caufe que le raijfeau les y porte.

3o. Que toutes les Planètes font emportées autour du Soleil par le Ciel qui les contient.

Apres auoir ofté par ces raifonnemens tous les fcrupules qu'on peut auoir touchant le mouuement de la Terre, penfons que la ma- tière du Ciel font les Planètes, tourne fans cefle en rond, ainfi qu'vn tourbillon qui auroit le Soleil à fon centre, &. que fes parties qui font proches du Soleil fe meuuent plus vite que celles qui en font éloignées j'ufque s à me certaine difiance, &. que toutes les Pla- nètes (au nombre defquelles nous mettrons déformais la Terre) demeurent touf-jours fufpenduifs entre lés mefmes parties de cette matière du Ciel. Car par cela feul, & fans y emplo}'er d'autres ma- chines, nous ferons aifement entendre toutes les chofes qu'on re- marque en elles. D'autant que, comme dans les deftours des riuieres l'eau fe replie en ellc-mefmc, iS: tournoyant ainfi fait des cercles. il quelques feftus, ou autres corps fort levers, floient parmy cette eau, on peut voir qu'elle les emporte & les fait mouuoir en | rond 144

ii6 Œuvres de Descartes.

auec foy; & mefme, parmy ces feftus, on peut remarquer qu'il y en a fouuent quelques-vns qui tournent aufli autour de leur propre centre; & que ceux qui font plus proches du centre du tourbillon qui les contient, acheuent leur tour pluftoft que ceux qui en font plus éloignez; & enfin que, bien que ces tourbillons d'eau affedent touf-jours de tourner en' rond, ils ne décriuent prefque jamais des cercles entièrement parfaits, & s'eftendent quelquefois plus en long, & quelquefois plus en large, de façon que toutes les parties de la chxonference qu'ils décriuent, ne font pas également difantes du centre. Ainfi on peUt aifement imaginer que toutes les mefmes chofes arriuent aux Planètes; & il ne faut que cela feu 1 pour expli- quer tous leurs phainomenes.

3i . Comment elles font ainji emportées.

Penfons donc que S* eft le Soleil, & que toute la matière du Ciel qui l'enuironne, tourne de mefme cofté que luy, à fçauoir du cou- chant par le midy vers l'orient, ou de A par B vers C, fuppofant que le Pôle Septentrional eft éleué au deffus du plan de cette figure. Penfons aufli que la matière qui eft autour de Saturne, employé N quafi trente années à luy faire parcourir tout le cercle marqué ^; & que celle qui enuironne lupitjer, le porte en douze ans, auec les autres 145 petites Planètes qui l'accompagnent, | par tout le cercle y; que Mars acheue par mefme moyen en deux ans, la Terre auec la Lune en vn an, Venus en huicl mois, Mercure en trois, leurs tours qui nous font reprefentez par les cercles marquez o' T 5 Ç .

32. Comment fe fout auffi les taches qui Je voyentfur lajuperficie

du Soleil.

Penfons aufli que ces corps opacques qu'on voit auec des lunettes de longue-veuif fur le Soleil, & qu'on nomme fes taches, fe meuuent fur fa fuperficic, & employent vingt-fix jours à y faire leur tour.

33. Que la Terre ejl aujji portée en rond autour defon centre, & la Lune autour de la Terre.

Penfons, outre cela, que dans ce grand tourbillon qui compofe vn Ciel duquel le Soleil ejl le centre, il y en a d'autres plus petits qu'on

a. Planche IV.

Principes. Troisiesme Partie. itj

peut comparer à ceux qu'on voit quelquefois dans le tournant des riuieres, ils fuiuent tous enfemble le cours du plus grand qui les contient, & fe meuuent du melme collé qu'il le meut; & que l'vn de ces tourbillons a lupiter en fon centre, & fait mouuoir auec luy les autres quatre Planètes qui font leur circuit autour de cet Aftre, d'vne viielfe tellement proportionnée, que la plus éloignée des quatre acheue le fien à peu près en feize jours, celle qui la fuit en fept, la troifiéme en quatre-vingt cinq heures, & la plus proche du centre en quarante-deux; ^ qu'elles tournent ainfi plufieurs fois autour de lu3\ pendant qu'il décrit vn grand cercle autour du Soleil : de I mefme que l'vn des tourbillons dont la Terre eil le centre, fait 1*6 mouuoir la Lune autour de la Terre en l'efpace d'vn mois, & la Terre mefme fur fon elTieu en l'efpace de vingt-quatre heures, & que, dans le temps que la Lune & la Terre parcourent ce grand cercle qui leur eft commun & qui fait l'année, la Terre tourne en- uiron 365 fois fur fon eflieu, & la Lune enuiron douze fois autour de la Terre.

34. Que les moiiuemens des deux ne font pas parfaitement circulaires.

Enfin nous deuons penfer que les centres des Planètes ne font point tous exadement en vn mefme plan, & que les cercles qu'elles décriuent ne font point parfaitement ronds, mais qu'il s'en faut touf- jours quelque peu que cela ne foit exad, & mefme que le temps y apporte fans cefle du changement, ainfi que nous voyons arriueren tous les autres effets de la nature.

35. Que toutes les Planètes ne font pas touf-jotirs en vn mefme plan.

De façon que, fi cette figure 'nous reprefente le plan dans lequel eft le cercle que le centre de la Terre décrit chaque année, lequel on nomme le plan de l'Ecliptique, on doit penfer que chacune des autres Planètes fait fon cours dans vn autre plan quelque peu incliné fur cetuy-cy, & qui le coupe par vne ligne qui ue paffe pas Juin du centre du Soleil, & que les diuerfes inclinations de ces plans font déterminées par le moyen des EJioiles fixes. Par exemjple, le 147 plan dans lequel eft maintenant la route de Saturne, coupe l'Eclip- tique vis à vis des Signes de l'Efcreuifle & du Capricorne, & eft in- cliné vers le Nord vis à vis de la Balance, & vers. le Zud vis à vis du

a. Planche IV.

ii8 OEuvRES DE Descartes.

Bélier: & l'angle qu'il fait auec le plan de l'EcIiptique, en s'incli- nant de la Ibrte, eil enuiron de deux degrez & deni}'. De mefme les autres Planètes font leur cours en 'des plans qui coupent celuy de l'EcIiptique en d'autres endroits; mais l'inclination elt moindre en ceux de lupiter & de Mars, qu'elle n'eft en celuy de Saturne; elle eft enuiron d'vn degré plus grande en celuy de Venus, & elle elt beau- coup plus grande en celuy de Mercure, elle eft prefque de fept degrez. De plus, les taches qui paroilfent fur la fuperficie du Soleil, y font aufli leur cours en des plans inclinés à celuy de l'EcIiptique, de fept degrez ou dauantage (au moins fl les obferuations du Père Scheiner" font vrayes, & il les a faites auec tant de foin, qu'il ne femble pas qu'on en doiue defirer d'autres que les Tiennes fur cette matiere)\'. . La Lune au(Ti fait fon cours autour de la Terre dans vn plan incliné de cinq degrez fur celuy de l'EcIiptique; &enfin laTerre mefme eft portée autour de fon centre fuiuant le plan de l'Equa- teur, lequel elle transfère partout auec foy, & il eft écarté de 23 de- 148 grez & demy de celuy de l'Eclilptique.Et on nomme la latitude des Planètes, la quantité des degrez qui fe comptent ainfi entre l'EcIi- ptique & les endroits de leurs plans elles fe trouuent'.

30. Et que chacune n'ejï pas touf-jours également éloignée d'vn mefme centre.

Mais le circuit qu'elles font autour du Soleil, fe nomme leuj^ lon- gitude : en laquelle il y a auffi de l'irrégularité, en ce que n'eftant pas touf-jours à mefme diftance du Soleil, elles ne femblent pas fe mouuoir touf-jours à fon égard de mefme riteffe. Car au liecle nous fommes, Saturne eft plus éloigné du Soleil enuiron de la vingtième partie de lu diftance qui eft entr'eux, lors qu'il eft au figne du Sagitaire, que lors qu'il elt au figne des lumeaux; & lors que lupiter eft en la Balance, il en eft plus éloigné que lors qu'il eft au Bélier; & ainft les autres Planètes se trouucnt en des lieux dif- fercns, & ne font pas vis à vis des mefmes fignes, lors qu'elles font aux .endroits elles s'approchent ou s'éloignent leplus du Soleil. Mais après quelques ficelés, toutes ces choies feront autrement dif- pofées qu'elles ne font à prefent, & ceux qui feront alors pourront remarquer que les Planètes, & la Terre aufti, couperont le plan

a. Voir Correspondance de Descartes, t. I, p. i r5 et p. 283. l> Dans l'cdition princeys, la parcnihcsc est fermée deux lignes plus h;uM, après vraj'cs. c. Voir C.nrrespond'^ncc. t. V, p. 38ô,

Principes. Troisiesme Partie. 119

eft mainienant rEcliptique, en des lieux differens de ceux elles le coupent à prefent, & qu'elles s'en écarteront vn peu plus ou moins, &. ne feront pas vis à vis des mehnes lignes elles | le trouuent main.tenant, lors qu'elles font plus ou moins éloignées du Soleil'.

3-j. Que tous les Phainomenes peuuent ejire expliquCy par l'hypotheje

icy propnfce.

En fuite de quoy il n'eft pas befoin que j'explique comme on peut entendre, par cette hypothefe, que fe font les jours & les nuits, les eltez ^Ics hyucrs, . . .le croillant &. le decours de la Lune, les ecly- pfes, les Hâtions & rétrogradations des Planètes, l'auancement des equinoxes", la variation qu'on remarque en l'obliquité de TEclip- tique% & choies femblables : car il n'y a rien en cela qui ne foit facile à ceux qui font vn peu verfez en ^Allronomie^

J<y. Qiie,fuiuant fhypothefe de Tycho, on doit dire que la Terre fe meut autour de fon centre.

Mais je diray encore ic}' en peu de mots, comment par l'hypo- thefe de Brahé, qui eft receuc communément par ceux qui rejettent

a. Voir Correspondance, t. V, p. 386.

b. En marge de l'exemplaire annote : « Car autrefois, du temps de Pto- » lemce, les equinoxes se fcsoicnt au premier point d'Aries et de Libra; » maintenant ils se font au 22 degré de Pisces et de Virgo qui sont 8 degrez » auparauant, auant [erreur pour d'autant) que c'est en ces points, et non » plus au premier d'Aries et de Libra, que l'Equateur et l'Eclyptique » s'entrecoupent.» (Note MS.) L'auteur de cette Note se met en contra- diction avec l'usage constant des astronomes depuis Hipparque. On sait, en etîet, que les longitudes se comptent toujours du frpint vernal, et sont, par suite, variables en raison de son déplacement.

c. Ibidem : « C'est a dire la variation qui arriue a la déclinaison de » l'Eclyptique au regard de l'Equateur, sur lequel elle est maintenant » inclinée de 2? d. et dcmy. Et du temps de Copernic, elle n'estoit incli- » née que de 23° 24'. Et du temps de Ptolemée, elle estoit inclinée de » 23"» 54'. Et c'est pour cela que les Astronomes auoient feint vn ciel crys- » tallin qui balançoit irrégulièrement et fort pca, du midy au septentrion » et du septentrion au midy, si bien qu'au temps ou nous sommes de 1659 » la déclinaison va augmentant peu a peu. » (Note MS.) Les chiffres indiqués dans cette Note sont entachés d'inexactitude; l'obliquité de l'écliptique a été évaluée par Ptolemée à 23"5r4o", par Copernic à 23*28' 34" fv'aleur trop faible), par Tycho à 23<'29' 3o". La détermination de 23«3o' et l'opinion (erronée) que désormais l'obliquité, après avoir diminué, aug- mente, paraissent empruntées à Wendelin.

d. Voir Correspondance, t. V, p. 386.

149

I20 Œuvres de Descartes.

celle de Copernic, on attribue plus de mouuement à la Terre que par l'autre. Premièrement, il faut, pendant que la Terre, félon l'opi- nion de Tycho, demeure immobile, que le Ciel auec les Eftoiles tourne autour d'elle chaque jour, ce qu'on ne fçauroit entendre fans conceuoir auffi que toutes les parties de la Terre font feparées de toutes les parties du Ciel qu'elles touchoient vn peu auparauant, & qu'elles viennent à en toucher d'autres; & pource que cette fepa- ration eft réciproque, ainfi qu'il a efté dit cy-deffus", & qu'il faut qu'il y ait autant de force ou d'adion en la Terre comme au Ciel, 150 je ne voy rien qui nous | oblige à croire que le Ciel foit pluftoft meu que la Terre ; au contraire, nous auons bien plus de raifon d'attri- buer ce mouuement à la Terre, pource que la feparation fe fait en toute fa fuperficie, & non pas de mefme en toute la fuperficie du Ciel, mais feulement en la concaue qui touche Terre, & qui eft extrêmement petite, à comparaifon de la connexe. Et n'importe qu'ils difent que, félon leur opinion, la fuperficie conuexe du Ciel eftoilé eft aufli bien feparée du Ciel qui l'enuironne, à fçauoir du criftalin ou de l'empirée, comme la fuperficie concaue du mefme Ciel l'eft de la Terre, & que, pour cela, ils attribuent le mouuement au Ciel pluftoft qu'à la Terre. Car ils n'ont aucune preuue qui face paroiftre cette feparation de toute la fuperficie conuexe du Ciel eftoilé d'auec l'autre Ciel qui l'enuironne ; mais ils la feignent à plaiûr. Et ainfi, par leur hypothefe, la raifon pour laquelle on doit attribuer le mouuement au Ciel & le repos à la Terre, eft imagi- naire & ne dépend que de leur fantaifie; au lieu que la raifon pour laquelle ils pourroient dire que la Terre fe meut, eft euidente & certaine.

3g. Et auffi, qu* elle Je meut autour du Soleil.

De plus, fuiuant l'hypothefe de Tycho, le Soleil faifant vn circuit tous les ans autour de la Terre, emporte auec foy non feulement 4^ Mercure & Venus, mais encore Mars, lupiter & Sajinme, qui font plus éloignez de luy que n'eft la Terre ; ce qu'on ne fçauroit en- tendre en vn Ciel liquide comme ils le fupofent, fi la matière du Ciel qui eft entre le Soleil & ces Aftres, n'eft emportée toute en- fcmble auec eux, & que cependant la Terre, par vne force particu- lière & différente de celle qui Iran/porte aiufi le Ciel, fe fepare des parties de cette matière qui la touchent immédiatement, & qu'elle

a. Partie II, art. 39, p. 78.

Principes. Troisiesme Partie. 121

dccriue vn cercle au milieu d'elles. Mais cette feparation qui fe fait ainfi de toute la Terre, deura eltrc nommée fon mouuement.

40. Encore que la Terre changé de Jituation au regard des autres Pla- nètes, cela n'ejîpasfenftble au regard des EJîoiles fixes, à caufe de leur extrême dijtance.

On peut icy propoler vne difficulté contre mon hypothefe, à fça- uoir que, puifque le Soleil retient touf-jours vne mefme fituation à l'égard des Elloiles fixes, il eft donc necefTaire que la Terre qui tourne autour de luy, approche de ces Eftoiles, & s'en éloigne auffi, de tout l'interualle qui ell compris en ce grand cercle qu'elle décrit en faifant fa route d'vne année, & neantmoins on n'en a rien fceu encore découurir par les obferuations qu'on a faites. Mais il eft aifé de répondre que la grande diftance qui eft entre la Terre & . les Eftoiles en eft caufe : car je la fuppofe fi immenfe, que tout le cercle que la Terre décrit autour du Soleil, à comparaifon d'elle, ne doit eftre comté que pour yn point. Ce qui femblera peut eftre incroyable à | ceux qui n'ont pas. accouftumé leur efprit à' con- 152 fiderer les merueilles de Dieu, & qui penfent que la Terre eft la partie principale de l'vniuers, pource qu'elle eft la demeure de l'homme, en faueur duquel ils fe perfuadeut faus raifon que toutes chofes ont cftc faites; mais je fuis alfeuré que les Aftronomes, qui fçauent def-ja que la Terre, comparée au Ciel, ne tient lieu que d'vn point, ne le trouueront pas fi eftrange.

41. Que cette difiance des Efioi les fixes eft neceffaire pour expliquer les mouuemens des Comètes*.

Et celte opinion de la dijlance des EJloiles fixes peut eftre con- firmée par les mouuemens des Comètes, lefquelles on fçait mainte- nant allez n'cftre point des Météores qui s'engendrent en l'air proche de nous, ainfi qu'on a vulgairement creu dans VE(co\e, auant que les

a. En regard de cet ariicle, on lit à la marge de Texemplaire annoté : •< La version est icy de M^ D. {Note MS. d'une première main, peut-être celle de Clerselier ? Ce qui suit est d'ifne autre main, sûrement celle de Le grand :) Ce que nous iugeons ainsy a cause de l'original que nous en » auons entre les mains écrit de sa propre main [primitivement de la » propre main de M"" Desc, ces derniers mots barrés). Et il n'est pas » croyable que si cette version n'etoit pas de luy, il se fut donné la peine » de la transcrire luy qui d'ailleurs etoit si accablé d'affaires. » Cette note si importante a été discutée dans notre Introduction.

122 OEuVRES DE DeSCARTES.

AJlronomes cujj'enl cxamiuc leurs paraLixcs ; car j'e/pere faire voir cj'-apres-' que ces Comètes l'ont des Atlrcs qui font de grandes excur- iions de tous collez dans les cieux, & l'\ diflerentes, tant de la Habi- lité des Elloilcs (ixGs, que du circuit régulier que font les Planètes autour du Soleil, qu'il leroit impollible de les expliquer conformé- ment aux loix de la nature, li on manquoit de fuppoler vn efpace extrêmement valle entre Soleil & les Eftoiles tixes, dans lequel ces excurfions le puillent faire. Et nous ne deuons point auoir d'égard à ce que Tycho & les autres Allronomes, qui ont recherché 153 foigneulement | leurs paralaxcs, ont dit qu'elles elloient feulement au delfus de la Lune, vers la fphere de Venus ou de Mercure : car ils eufient encore mieux pu déduire de leurs obferuations qu'elles elloient au delfus de Saturne ; mais pource qu'ils difputoient contre les anciens, qui ont compris les Comètes entre les météores qui Je formcnl dans l'air au delfous de la Lune, ils fe font contentez de monllrer qu'elles font dans le Ciel, & n'ont ofé leur attribuer toute la hauteur qu'ils découuroient par leur calcul, de peur de rendre leur propofition moins croyable.

4-2. Qu'on peut mettre au nombre des Phainomenes toutes les chofes qu'on voit fur la. terre, niais qu'il n'ejî pas icy befoin de les confiderer toutes.

Outre ces chofes plus générales, je pourrois comprendre encore icy, entre les Phainomenes, non feulement plulicurs autres chofes particulières touchant le Soleil, les Planètes, les Comètes & les Elloiles fixes, mais aufli toutes celles que nous voyons autour de la Terre, ou qui fe font fur fa fuperficie. D'autant que, pour con- noiflre la vraye nature di ce monde viAble, ce n'efl pas allez de trouuer quelques caufes par Icfquellcs on puiffe rendre raifon de ce qui paroid dans le Ciel bien loin de nous, & qu'il faut aulTi en pouuoir déduire ce que nous voyons tout auprès, & qui nous touche plus fenjiblement. Mais je croy qu'il n'elt ^as befoin pour cela que nous les confiderions toutes d'abord, ik. qu'il fera mieux que nous 164 tafchions de j trouuer les caufes de ces plus générales que j'ay icy propo/écs, afin de voir par après li des mefmes caufes nous pour- rons aufli déduire toutes les autres plus particulières, aufquelles nous n'aurons point pris garde en chercliant ces caufes. Car li nous trouuons que cela foit, ce fera vn très fort argument pour nous aifurer que nous femmes dans le vray chemin.

a. An. 1 19, iï6 ci uj.

Principes. Troisiesme Partie. i2J

43. Qu'il n'ejî pas vray-femblable que les caufes de/quelles on peut déduire tous les Phainomeues, /oient faujfes.

Et certes, (i les principes dont je me fers font tres-éuidens,ri les confequences que j'en tire font fondées fur l'cuidence des Mathé- matiques, & fi ce que j'en déduis de la forte s'accorde exadement auec toutes les expériences, il me femble que ce feroit faire injure à Dieu, de croire que les caufes des effets qui font en la nature, & que nous auons ainfi trouuées, font faufl'es : car ce feroit le vouloir rendre coupable de nous auoir créez fi imparfaits, que nous fulfions fujets à nous méprendre, lors mefme que nous vfons bien de la rai- fon qu'il nous a donnée.

44. Que je ne veus point toutefois affurer que celles que je propofe

font vrayes.

Mais pource que les chofes dont je traite icy, ne font pas de peu d'importance, & qu'on me croiroit peut eftre trop hardy, fi j'alfu- rois que j'ay trouué des reritei qui n'ont pas e/lé découuerlcs par d'antres, j'aime mieux n'en rien décider, & afin que chacun foit libre d'en penfer ce qu'il luj plaira, je defire que ce que | j'écriray foit 155 feulement pris pour vne hypothefe, laquelle eft peut eftre fort éloi- gnée de la vérité; mais encore que cela fuft, je crbiray auoir beau- coup fait, fi toutes les chofes qui en feront déduites, font entière- ment conformes aux expériences : car fi cela fe trouue, elle ne fera pas moins vtile à la vie que fi elle efioit vraye, pource qu'on s'en pourra feruir en viefme façon pour difpofer les caufes naturelles à produire les ejfels qu'on defirera.

45. Que mefme j' en fuppoferay icy quelques vnes que je croy faujfes.

Et tant s'en faut que je vueille qu'on croye toutes les chofes que J'écriray, que mefme Je pretens en propofer icy quelques vnes que Je croy abfolument eftre faujfes. Afçauoir, je ne doute point que le monde n'ait elle créé au commencement auec autant de perfedion qu'il en a ', en forte que le Soleil, la Terre, la Lune, les Eftoiles ont elle dellors, & que la terre n'a pas eu feulement en foy les femences des plantes, mais que les plantes mefmes en ont couuert vne partie; &

a. Voir Correspondance, t. V, p. 168-9.

124 OEuVRES DE Des'cARTES.

qu'Adam & Eue n'ont pas elle créez enfans, mais en aage d'hommes parfaits. La Religion Chreftienne veut que nous le croyons ainfi, & la raifon naturelle nous perfuade abfolument cette vérité, pource que, confiderant la toute-puiffance de Dieu, nous deuons juger que tout ce qu*il a fait, a eu dés le commencement toute la perfedion

156 qu'il de|uoit auoir; mais neantmoins, comme on connoiftroit beau- coup mieux quelle a efté la nature d'Adam & celle des arbres du Paradis, fi on auoh examiné comment les enfans fe foi^ment peu à peu au ventre des mères, & comment les plantes fortent de leurs femences, que fi on auoit feulement confideré quels ils ont efté quand Dieu- les a créez : tout de mefme, nous ferons mieux en- tendre quelle eft généralement la nature de toutes les chofes qui font au monde, fi nous pouuons imaginer quelques principes qui foient fort intelligibles & fort fimples, defquels nous facions voir clairement que les aftres & la terre, & enfin tout le monde vifible auroit pu eftre produit ainfi que de quelques femences, bien que nous fçachions qu'il n'a pas efté produit en cette façon ; que fi nous le décriuions feulement com.me il eft, ou bien comme nous croyons qu'il a ejîé créé. Et pource que je penfe auoir trouué des principes qui font tels, je tafcheray icy de les expliquer.

46. Quelles font ces .fuppojitions «.

Nous auons remarqué cy-deffus'', que tous les corps qui com- pofent l'vniuers, font faits d'vne mefme matière, qui eft diuifible en toutes fortes de parties, & def-ja diuifée en plufieurs qui font meuCs diuerfement, & dont les mouuemens font en quelque façon circu-

157 laires"; & qu'il y a touf-jours vne égale quantité de ces | mouuemens dans le monde : mais nous n'auons pu déterminer en mefme façon combien font grandes les parties aufquelles cette matière eft diuifée, ni quelle eft la vitelfe dont elles fe meuuent, ni quels cercles elles décriuent. Car ces chofes ayant pu eftre ordonnées de Dieu en vne infinité de diuerfes façons, c'eft par la feule expérience, & non par la

force du raifonnement, qu'on peut fçauoir laquelle de toutes ces façons il a choifie. C'eft pourquoy il nous eft maintenant libre de fuppofer celle que nous voudrons, pourueu que toutes les chofes qui en feront déduites s'accordent entièrement avec l'expérience.

a. L'importance de cet article 46 a été signalée par Descartes lui-môme ci^près, Partie IV, art. 206, fn.

b. Partie II, art. 4, 20, 22, 23, 33, 36 et 40, pp. 65, 74, 75, 8t, 83, 86.

c. Son Correspondance t t. V, p. 170.

Principes. Troisiesme Partie. 125

Suppofons donc, s'il vous plaift, que Dieu a diuifé au commence- ment toute la matière dont il a compofé ce monde vifible, en des . parties aufli égales entr'elles qu'elles ont pu cftre, & dont la gran- deur eltoit médiocre", c'ell à dire moyenne entre toutes les diuerfes grandeurs de celles qui compofent maintenant les Cicux & les AUres; & enfin, qu'il a fait qu'elles ont toutes commencé à fe mou- uoir d'égale force en deux diuerfes façons, à fçauoir chacune à part autour de fon propre centre, au moyen de quoy elles ont compofé vn corps liquide, tel que je juge eftre le Ciel; & auec cela, plufiéurs enfemble autour de quelques centres \.. difpofez en mefme façon dans l'vniuers, | que nous voyons que font à prefent les centres des 158 Eftoiles fixes, mais dont le nombre a efté plus grand, en forte qu'il a égalé le leur Joint à celuy des Planètes <? des Comètes ; & que la j'itejje dont il les a ainft meuës efloit médiocre, c'efî à dire, qu'il a mis en elles toutes autant de mouuement qu'il y en a encore à prefent dans le monde. Ainfi, par exemple, peut peiifer que Dieu a diuifé toute la matière qui eft dans l'efpace AP^I', en très-grand nombre de petites parties, qu'il a meucs, non feulement chacune autour de fon centre, mais aujji toutes enfemble autour du centre S; & tout de lefme, qu'il a meu toutes les parties de la matière qui eft en l'ef- pace AEV autour du centre F, & ainli des autres; en forte qu'elles ont compofé autant de differens tourbillons {je meferuiray d'orena- ^uant de ce mot pour fignifîer toute la matière qui tourne ainfi en rond autour de chacun de ces centres) qu'il y a maintenant d'Alhes dans le monde.

47. Que leur fauffeté n'empefche point que ce qui en fera déduit

ne fait vray.

Ce peu de fuppoftions mt femble fuffire pour m'en fcruir comme de caufes ou de principes, dont je déduiray tous les cU'ets qui pa- roilîent en la nature, par les feules loix cy-de(fus expliquées"'. Et je ne croy pas qu'on puilfe imaginer des principes plus fimplcs, ni plus intelligibles, ni aufli plus vrayfcmblables, que ceux | cy. Car 159 bien que ces loix de la nature foient telles, qu'encore mcfmc que nous fuppoferions le Chaos des Poètes, c'efî à dire me entière confufïon de toutes les parties de l'vniuers, on pourroit touf-jours

a. Voir Correspondance, t. V, p. 170.

b. Ibid.,, p. 1 70-171.

c. Planche III.

d. Partie II, art. 37, 39 et 40, p. 84, 85 et 86.

126 Œuvres de Desgartes.

demonftrer que, par leur moj'en, cette confufion doit peu à peu reue- nir à l'ordre qui eft à prefent dans le monde, & que j'aye autrefois entrepris d'expliquer comment cela auroit pu eftre* : toutefois, à caufe qu'il ne conuientpas fi bien à la fouueraine perfection qui eft en Dieu, de le faire autheur de la confufion que de l'ordre, & aufli que la notion que nous en auons eft moins diftinéle, j'ay creii deuoir icy préférer la proportion & l'ordre à la confufion du Chaos Et pource qu'il n'y a aucune proportion, ni aucun ordre, qui foit plus fimple & plus aile à comprendre que celuy qui confifte en vne parfaite égalité, j'ay fuppofé icy que toutes les parties de la matière ont au commen- cement efté égales entr'élles, tant en grandeur qu'en mouuement, & n'ay voulu conceuoir aucune autre inégalité en l'vniuers, que celle qui eft en la fituation des Eftoiles fixes, qui paroit fi clairement à ceux qui regardent le ciel pendant la nuit, qu'il n'eft pas poflible de la mettre en doute. Au refte, il importe fort peu de quelle façon je fuppofe icy que la matière ait efté difpofée au commencement, 160 puis que | fa difpofition doit par après eftre changée fuiuant les loix de la nature, & qu'à peine en fçauroit on imaginer aucune, de laquelle on ne puide prouuer que, par ces loix, elle doit continuel- Icment fe chans^er, jufqiies à ce qu'enfin elle compofe vn monde entièrement femblable à cetuy-cy (bien que peut-cftrc cela feroit plu* long à déduire d'vne fuppofition que d'vne autre) ; car ces loix eftant caufe que la matière doit prendre fuccefliuemcnt toutes les formes dont elle eft capable, fi on confidere par ordre toutes ces formes, on pourra enfin parueniràcelle qui fe trouue à prefent en ce monde. Ce que je mets icy expreffemcnt, afin qu'on remarque qu'encore que je parle de fuppofi lions, je n'en fais néant moins aucune dont la faujjele, quoy que connue, puifje donner occajion de douter de la vérité des conclu/ions qui en feront tirées.

4S. Comment toutes les parties du Ciel font deuenuâs rondes.

Or ces chofcs eftant ainfi pofées, afin que nous conimcncions à voir quel clfct en peut cftrc déduit par les loix de la nature, confide- rons que, touicla matière dont le monde eft compofé ayant efté au commencement diuifce en plufieurs parties égales, ces parties n'ont pu d'abord eftre toutes rondes, à caufe que plufieurs boules jointes enlemble ne compofeni pas vn corps entièrement jolide 6'- continu,

a. Voir Discours de la Méthode, cinquicmc partie, p. 41, 1. 21 01 suiv. de cette cdiiion. notamment p. 42, 1. 17-27.

Principes. Troisiesme Partie. 127

I tel qti'ejl cet vntuers, dans lequel fat démontré c/'dejfus* qu'il ne 161 peutyauoif'devuide. Mais quelque figure que ces parties ayent eu pour lors, elles ont deu par fucceiïion de temps deuenir rondes, d'autant qu'elles ont eu diuers mouuemens circulaires. Et pource que la force dont elles ont efté meuës au commencement, eftoit affez grande pour les feparer les vnes des autres, cette mefme force, continuant encore en' elles par après, a efté aufli fans doute alfez grande pour dmouffer tous leurs angles à mefure qu'elles fe rencon- troient, car il n'en falloit pas tant pour cet effet qu'il en auoit fallu pour l'autre ; & de cela leul que tous les angles d'vn corps font ainfi émoulTez, il eft aifé de conceuoir qu'il eit rond, à caufe que tout ce qui auance en ce corps au delà de fa figuré fpherique, ell icy compris fous le nom d'angle.

4(j. Qu'entre ces parties rondes il y en doit auoir d'autres plus petites pour remplir tout l'efpace elles font.

Mais d'autant qu'il ne fçauroii y auoir d'efpace vuide en aucun endroit de l'vniuers, & que les parties de la matière, eftans rondes, ne fçauroient fc joindre fi eftroitement enfemble, qu'elles ne laiffent plufieurs petits interualles ou recoins entr'elles : il faut que ces recoins foient remplis de quelques autres parties de cette matière, qui doiuent eftre extrêmement menues, ajin de changer de figure à tous momens, pour s'accommoder à celles des lieux | elles entrent. 162 C'eft pourquoy nous deuons penfer que ce qui fort des angles des parties de la matière, à mefure qu'elles s'arondillent en fe frottant les vnes contre les autres, elt fi menu & acquert une vitelfe fi grande, que l'impctuofité de fon r ouuement le peut diuifcr en des jt?ar//cs innombrables, qui, n'ayant aucune grojfeur ni figure déterminée, rempliilent aifement tous les petits angles ou recoins .par les autres parties de la matière ne peuuent paffer.

So. Que ces plus petites parties font aifées à di\iijer.

Car il faut remarquer que, d'autant que ce qui fort de la raclure des parties de la matière, à mefure qu'elles s'arondijfent, eft plus menu, il peut d'autant plus aifement eftre meu, & derechef amenuifc ou diuifé en des parties encore plus petites que celles qu'il a def-^'a,pourcQ que, plus vn corps efi petit", plus il a de fuper-

a. Partie II, art. 16, p. 71 ci-avant.

b. Correspondance de Descartes, t. V, p. 171.

128 OEuvRES DE Descartes.

ficie", à raifon de la quantité de fa matière, & que la grandeur de cette fuperficie fait qu'il rencontre d'autant plus de corps qui font effort pour le mouuoir ou diuifer, pendant que fon peu de matière fait qu'il peut d'autant moins rejijîer à leur force.

Si. Et qu'elles Je. meuuent très-vite.

Il faut aufTi remarquer que, bien que ce quifot^t ainji de la raclure des parties qui s'arondijfent n'ait aucun mouuement qui ne vienne d'elles, il doit toutefois fe mouuoir beaucoup plus vite, à caufe que, 4g3 pendant qu'elles vont par des | chemins droits & ouuerts, elles contraignent cette raclure ou pouffiere qui ejl parmy elles, à paffer par d'autres chemins plus eftroits & plus deftournez : de mefme qu'on voit, en fermant vn Ibufflet aflez lentement, qu'on en fait fortir l'air alfez vite, à caufe que le trou par cet air fort eft eftroit. Et j'ay def-ja prouué cy-delTus" qu'il doit y auoir neceffai rement quelque partie de la matière qui fe meuue extrêmement vite, & fe diuife en vne infinité de petites parties, afin que tous les mouue- mens circulaires & inégaux qui font dans le monde y puiffent élire fans aucune raréfaction ni aucun vuide ; mais je ne crois pas qu'on en puilfe imaginer aucune plus propre à cet effet, qu<: celle que je viens de décrire.

52. Qu'il y a trois principaux elemens du monde vifible.

Ainfi ncjs pouuons faire eftat d'auoir def-ja trouué deux diuerfes formes en la matière, qui peuuent élire prifes pour les /ormes des deux premiers elemens du monde vifible. La première ell celle de cette raclure qui a deu ejlre feparée des autres parties de la matière, lors qu'elles fe font arondies, 6' qui eji meuë auec tant de viteffe, que la feule force de fon agitation eft fuffifante pour faire que, rencon- trant d'autres corps, elle foit froijfée <S- diuifée par eux en vne infi- nité de petites parties, qui fe font de telles figures, qu'elles rem- 154 plilfcnt louf-jours cxacle|ment tous les recoins qu'elles trouuent autour de ces corps. L'autre cil celle de tout le refte de la matière, dont les parties font rondes & fort petites, à comparaifon des corps que nous voyons fur la terre; mais neantmoins elles ont quelque quantité déterminée, en forte qu'elles peuuent cllrc diuifces en

a. Correspondance de Descarlcs, t. V, p. 1/3.

b. Partie II, an. 33 et 34, p. 81 ci 82 ci-avant.

Principes. Troisiesme Partie. 129

d'autres beaucoup plus petites. Et nous trouuerons encore cy-apres vue troijtéme forme en quelques parties de la matière : à fçauoir en celles qui, à caufe de leur groffeur & de leurs figures, ne pourront pas eftre meuës fi aifement que les précédentes. Et je tafcheray de faire voir que tous les corps de ce monde vifible font compofez de ces trois formes qui fe trouuent en la matière, ainji que de trois diuers elemens : k fçauoir que le Soleil & les Eftoiles fixes 0;// la forme du premier rfe ces elemens ; les Cieux, celle du fécond; & la Terre auec les Planètes & les Comètes, celle du troifiéme. Car voyant que le Soleil & les Eftoiles fixes enuoyent vers nous de la lumière, que les Cieux luy donnent paifage, & que la Terre, les Planètes & les Comètes la rejettent & la font réfléchir, il me femble que j'ay quelque raifon de me feruir de ces trois différences, eftre lumineux, ejîre tranfparent, & efîre opacque ou obfcur, qui font les principales qu'on puijfe rapporter au fens de la veuë, pour diftin- Igucr les trois elemens de ce monde vifible. 165

53. Qu'on peut dijïinguer l'vniuers en trois diuers Cieux.

Ce ne fera peut-eftre pas aufli fans raifon que Je prendray d'ore- nauant toute la matière comprife en l'efpace AEI, qui compofe vn tourbillon autour du centre S', pour le premier Ciel, & toute celle qui compofe vn fort grand nombre d'autres tourbillons autour des centres F, f, & femblables, pour le fécond ; & enfin toute celle qui eft au delà de ces deux Cieux, pour le troifiéme^ Et je me perfuade que le troifiéme ell immenfe au regard du fécond, comme aufli le fécond eft extrêmement grand au regard du premier. Mais je n'auray point icy occafion de parler de ce troifiéme, pource que nous ne remarquons en luy aucune chofe qui puilfe eftre veuif par nous en cette vie, & que j'ay feulement entrepris de traiter du monde vifible. Comme aufli je ne prens ici^s les tourbillons qui font autour des centres F, f, que pour vn Ciel, à caufe qu'ils ne nous paroijfent point differens, & qu'ils doiuent eftre tous confiderez par nous d'vne mefme façon. Mais pour le tourbillon dont le centre eft marqué S, encore qu'il ne foit point reprefenté différent des autres en cette figure, je le prens neantmoins pour un Ciel à part, & mefme pour le premier ou principal, à caufe que c'eft en luy que nous trouuerons

a. En marge : « Voyez la figure qui fuit. » Ajouté à la main : p. 3 (planche III).

b. Correspondance de Descartes, t. V, p. 171.

Œuvres. IV. 25

1^0 Œuvres de Descartes.

166 cy-apresMa Terre qui eft noftre demeure, & ( que, pour ce fujet, nous aurons beaucoup plus de chofes à remarquer en luy feul que dans les deux autres. Car n'ayant befoin d'impofer les noms aux chofes... que pour expliquer les penfées que nous en auons, nous deuons ofdifiairement auoir plus d'égard à ce en quof elles nous touchent, qu'à ce qu'elles font en effet.

54. Comment le Soleil & les EJîoiles fixes ont pu fe former .

Or d'autant que les parties du fécond élément fe font frottées, dés le commencement, les vues contre les autres, la matière du premier, qui a deufe faire de la raclure de leurs angles, s'eft augmentée '' peu à peu, & lors qu'il s'en eft trouué en l'vniuers plus qu'il n'en falloir pour emplir les recoins que les prarties du fécond, eftant rondes, laiffent neceffairement entr'elles, le refte s'eftant écoulé vers les centres S, F, f, y a compole des corps trcs-fubtils & très-liquides, à fçauoir le Soleil dans le centre S, & les Eftoiles aux autres centres. Car après que tons les angles des parties qui compofent le fécond élément ont efté émoulfez, et qu'elles ont eflé arondies, elles ont occupé moins d'efpace qu'auparauant, & ne fe font plus eftenduës jufques aux centres; mais s'en éloignant également de tous coftez, elles y ont lailfé des efpaces ronds, lefquels ont efté incontinent remplis de la matière du premier qui y aftîuoit de tous les endroits d'alentour, pource'' que les loix de la nature'' font telles que tous

167 I les corps qui fe meuuent en rond, doiuent continuellement faire quelque effort pour s'éloigner des centres autour defquels ils fe meuuent.

55. Ce que c'efi que la lumière.

le tafcheray maintenant d'expliquer, le plus exadement que je •pourray, quel eft l'effort que font ^'infi, non feulement les petites boules qui compofent le fécond élément, mais aulB toute la matière du premier, pour s'éloigner des centres S. V, f & fcmblablcs, autour defquels elles tournent ; car je prétends faire voir cy-apres' que c'cft

Q. Art. 146. , ''

b. Correspondance de Descartes, t. IV, p. 454-455.

c. Toute cette fin : « pourcc... meuuent >• est, dans le texte latin, k première phrase de l'art. 35, rattachée ici à l'art, 34.

d. Partie II. art. 39. p. 85. c. Partie IV, art. 28.

Principes. Troisiesme Partie. iji

en cet effort feul que confifte la nature de la lumière, & la connoif- fance de cette vérité pourra feruir à nous faire entendre beaucoup d'autres chofes.

56. Comment on peut dire d'vne chofe inanimée, qu'elle tend à produire

quelque effort.

Quand je dy que ces petites boules font quelque effort, ou bien qu elles ont de l'inclination à s'éloigner des centres autour defquels elles tournent, je n'entends pas qu'on leur attribue aucune penfée d'où procède cette inclination, mais feulement qu'elles font tellement fituées & difpofées à fe mouuoir, qu'elles s'en éloigneroient en effet, fi elles n'efloient retenues par aucune autre caufe.

57. Comment vn corps peut tendre àfe mouuoir en plujieurs diuerfes façons en me/me temps.

Or, d'autant qu'il arriue fouuent que plufieurs diuerfes caufes, agiffant.enfemble contre vn mefme corps, empefchent l'effet l'vne de l'autre, on peut dire, félon diuerfes confiderations, que ce corps tend, ou fait effort pour aller | vers diuers collez en mefme temps. I68 Par exemple, la pierre A% qu'on fait tourner dans la fonde E A, tend véritablement d'A vers B, fi on confidere toutes les caufes qui concourent à déterminer fon mouuement, pource qu'elle fe meut vers là; mais on peut dire aufli que cette mefme pierre tend vers C, lors qu'elle efl au point A, fi on ne confidere que la force de fon mouuement toute feule £• fon agitation, ...fuppofant que AC eft vne ligne droite qui touche le cercle au point A". Car il efl certain que, fi cette pierre fortoit de la fonde, à l'inflant qu'elle arriue au point A, elle iroit d'A vers C, & non pas vers B; & bien que la fonde la retienne, elle n'emnefche point qu'elle ne face eflbrt joowr aller vers C. Enfin fi, au lieu de confiderer toute la force de fon agitation, nous prenons garde feulement à l'vne de fes parties, dont l'effet eft empefché parla fonde, & que nous la diftinguionsde l'autre partie, dont l'clYet n*eft point ainfi empefché, nous dirons que cette pierre, eftant au point A, tend feulement vers D, ou bien qu'elle fait feu- lement effort pour s'éloigner du centre E, fuiuant la ligne droite E A D.

a. En marge : « Voyez la figure i de la planche 5. »

b. Partie II, art. 39, p. 85.

I } 2 Œuvres de Descartes.

5tV. Comment il tend à s'éloigner du centre autour duquel il Je meut.

Alin de mieux entendre cecy, comparons le mouuemcnt dont cette pierre iroit vers Cli rien ne l'en cmperchoit,auec lemouuement

169 dont vnc fourmi qui feroit au mefme point A, | iroit vers C% fuppo- fant que KY full vnc règle fur laquelle cette fourmi marcheroit en ligne droite d'A vers Y, pendant qu'on feroit tourner cette règle autour du centre E, & que fon point marqué A dccriroit le cercle ARF, d'vn mouuement tellement proportionné à celuy de la fourmi, qu'elle le trouueroit à l'endroit marqué X, quand la règle feroit vers C, piiis à l'endroit marqué Y, quand la règle feroit vers G, &. ainfi de fuitte, en forte qu'elle feroit touf-jours en la ligne droite A C G. Comparons auffi la force dont la pierre qui tourne dans cette fonde, fuiuant le cercle A B F, fait efl'ort pour* s'éloigner du centre E fuiuant les lignes AD, BC, FG, auec l'effort que feroit la mefme fourmi, fi elle eflioit attachée... fur la règle EY, au point A, de telle façon qu'elle employaft toutes fes forces pour aller vers Y, & s'éloigner du centre E, fuivant les lignes droites EAY, EBY, & autres fcmblables, pendant que cette règle l'em- porteroit autour du centre E.

5(j. Combien cette tenjion a de force.

le ne doute point que le mouuement de cette fourmi ne doiue élire tres-lent au commencement, & que fon effort ne fçauroit fem- bler bien grand, fi on le rapporte feulement à cette première mo- tion ; mais aulfi on ne peut pas dire qu'il foit tout à fait nul, 6<:

170 d'autant qu'il augmente à inefure qu'il produit son effet, | la vitellc qu'il caufc dénient en peu de temps allez grande. Mais pour éuiter toute forle de dij/icultc, feruons nous encore d'vne autre compa- raifon. Que la petite boule A foit mife dans le tuyau E Y'', 6' voj'ons ce qui eiiarriuera. Au premier moment qu'on fera mouuoir ce tuyau autour du centre E, cette boule n'auanccra quç, lentement vers Y; mais elle auanccra vn peu plus vite au fécond, à caufe qu'outre qu'elle aura retenu la force qui luy auoit elle communiquée au pre- mier inllant. elle en acquerra encore vnc nouuclle, par le nouuel effort qu'elle fera pour s'éloigner du centre E, pource que cet effort

a. ¥m marge : •' Voyez la figure 2. » Ajoute ù la main : p. 5 (planche V).

b. Kn marge : « Voyez la figure .^. » Ajouté à la main : p. 5 (planchcV).

Principes. TROrsiESME Partie.

}}

continue; autant que dure le mouuement circulaire, & fe renouueilc prefque à tous momens... Car nous voyons que, lors qu'on fait tourner ce tU3au EY afTcz vite autour du centre E, la petite boule qui eft dedans, pafl'e fort promptement d'A vers Y; nous voyons audi que la pierre qui eft dans vne fonde, fait tendre la corde d'au- tant plus fort qu'on la fait tourner plus vite ; i^ pource que ce qui fait tendre cette corde, n'ell autre chofe que la force dont la pierre fait effort pour s'éloigner du centre autour duquel elle ert mcuc, nous pouuons connoillre par cette tenfion quelle elt la quantité de cet effort.

*

60. Que toute la matière des deux tend ainfi à s'éloigner de certains centres.

II eft aifé d'appliquer aux parties du fécond | élément ce que je 171 viens de dire de cette pierre qui tourne dans vne fonde autour du centre E, ou de la petite boule qui eft dans le tuyau E Y : à fçauoir, que chacune de ces parties employé vne force afl'ez confidcrable pour s'éloigner du centre du Ciel autour duquel elle tourne, mais qu'elle eft arreftée par les autres qui font arrengées au dedus d'elle, de mefme que cette pierre eft retenue par la fonde. De plus il eft à remarquer que la force de ces petites boules eft beaucoup aug- mentée de ce qu'elles font continuellement poulfées par celles de leurs femblables qui font entr'elles & l'ajire qui occupe le centre du tourbillon qu'elles compofent, & encore par la matière de cet ajlre. Mais afin de pouuoir expliquer cecy plus diftinclement, ) exami- neray feparément l'effet de ces petites boules, fans penler à celuy de la matière des ajtrti, non plus que fi tous les efpaces qu'elle occupe eftoient vuides, ou pleins d'vne matière qui ne contribuaft rien au mouuement des autres corps, & ne l'empefchaft point aufli; carfuiuant ce qui a efté dit cy-delfus", c'eft ainfi que nous deuons conceuoir le vuide.

6i. Que cela eji caufe que les corps du Soleil & des EJloiles fixes

font ronds.

Premièrement, Aq ce que toutes les petites boules qui tournent autour d'S dans le Ciel A El, font effort pour s'éloigner du centre S, comme il a efté def-ja remarqué% nous pouuons 1 conclure que celles 172

a. Partie II, an. 17, p. 72.

b. Art. 54, p. i3o.

134 OEuvREs DE Descartes.

qui font en la ligne droite SA*, fe pouflent les vnes les autres vers A, & que celles qui font en la ligne droite S E, le pouffent vers E, & ainfi des autres ; en forte que, s'il n'y en auoit pas alïez pour occuper tout l'efpace qui eft entre S & la circonférence A El, elles laideroient vers S tout ce qu'elles n'occuperoient point. Et d'autant que celles, par exemple, qui font en la ligne droite SE, s'appuyant feulement les vnes fur les autres, ne tournent pas conjointement comme vn bafton, mais font leur tour, les vnes pluftoft, & les autres plus tard, ainfi que je diray ci-apres", l'efpace qu'elles laiffent vers S doit eftre rond. Pource qu'encore que nous imaginerions que la ligne SE fuft plus longue, & Contint plus de petites boules que la ligne SA ou SI, en forte que celles qui feroient à l'extrémité de la ligne SE fuffent plus proches du centre S, que celles qui font à l'extrémité de la ligne SI : neantmoins ces plus proches auroient pluftoft; acheué leur tour que les autres plus éloignées du mefme centre ; & ainfi quelques-vnes d'entr'elles s'iroient joindre à l'extrémité de la ligne SI, afin de s'éloigner d'autant plus du centre S. C'eft pourquoy nous deuons conclure qu'elles font maintenant difpofées de telle forte, que toutes celles qui terminent ces lignes, fe trouuent également i73 diftanjtes du point S, & par confequent que l'efpace BCD, qu'elles laiffent autour de ce centre, eft rond.

62. Que la matière celejîe qui les enuironne, tend à s'éloigner de tous les points de leur Juperficie .

De plus il eft à remarquer que toutes les petites boules qui font en la ligne droite SE fe pouftent non feulement vers E, mais aufTi que chacune d'elles eft pouffée par toutes les autres qui font comprifes entre les lignes droites qui, eftant tirées de l'vne de ces petites boules à la circonférence BCD, loucheroient celte circonfé- rence'. Et que, par exemple, la petite boule F eft pouffée par toutes celles qui font comprifes entre les lignes BF c^ DF", ou bien dans le triangle BFD, & qu'elle n'eft pouftée par aucune de celles qui font hors de ce triangle ; en forte, que fi le lieu marqué F eftoit vuide,

a. En marge : « Voyez la figure i de la planche 6, en la page prcce- dcnio. » Ccuc planche, rcjetcc à la fin du volume, devait donc être priniiii- vcmcnt inscrcc entre les pages 170 et 171.

b. Art. 83 0184.

c. Fin marge : « Voyez la mcfmc figure en la page qui fuit. » Il s'agit de la figure I de la planche VI, qui devait donc primitivement Ctrc répcice entre les pages 174 et 175.

Principes. Troisiesme Partie. 155

toutes celles qui Ibnt en l'efpace BFD, s'auanceroient autant qu'il le pourroit afin de le remplir, & non point les autres. D'autant que, comme nous voyons que la pefanteur d'vnc pierre qui la conduit en ligne droite vers le centre de la terre, lors qu'elle ell en l'air, la fait rouler de trauers lors qu'elle tombe par le penchant d'vnc montai^j^ne : de mefme nous deuons penler que la force qui fait que les petites boules qui font en l'efpace BFD, tendent à s'éloigner du centre S fuiuant des lignes droites tirées de ce centre, peut faire aulli qu'elles s'éloi|gnent du mefme centre par des lignes qui s'en écartent 174 quelque peu.

63. Que les parties de cette matière ne s'empefchert point en cela

ivne l'autre.

Et cette comparaifon de la pefanteur fera connoiftre cecy fort clairement, fi on confidere des boules de plomb arrengées comme celles qui font reprefentées dans le vafe BFD*, qui s'appuyent de telle façon les vnes fur les autres, qu'ayant fait vne ouuerture au fond de ce vafe, la boule marquée i foit contrainte d'en fortir, tant par la force de fa pefanteur, que par celle des autres qui font au-dejjus d'elle. Car au mefme inftant que celle cy fortira, on pourra voir que les deux marquées 2, 2, & les trois autres marquées 3, 3o, 3, s'auanceront, & les autres en fuite. On pourra voir aujji qu'au mefme injîant que la plus baffe commencera dt fe mouuoir, celles qui lont comprifes dans le triangle BFD s'auanceront toutes, mais qu'il n'y en aura pas vne de celles qui font hors de ce triangle, qui fe difpofe à fe mouuoir vers là. Il ell bien vray qu'en cet exemple les deux boules 2, 2, s'entretouchent, après élire quelque peu defcenduiis, ce qui les empefche de defcendre plus bas ; mais il n'en el\ pas de mefme des petites boules qui compofent le fécond élément; car encore qu'il arriue quelquefois qu'elles fe trouuent difpofées en mefme forte que celles qui font reprefentées en cette figure, elles ne s'y arrellent neantmoins | que ce peu de temps qu'on 115 nomme vn inftant, pource qu'elles font fans celfe en action pour fe mouuoir, ce qui eft caufe qu'elles continuent leur mouuement fans interruption. De plus, il faut remarquer cfUe la force de la lumière, pouf l'explication de laquelle /écris tout Cecy, ne confifte point en la durée de quelque mouuement, mais feulement en ce que ces petites boules font preflees", & font effort pour le mouuoir vers

a. En marge : « Voyez les figures 2 et 3 de la planche 6. »

b. Correspondance de Descartes, t. V, p. 172.

,,6

OEuvREs DE Descartes.

quelque endroit, encore qu'elles ne s'}' meuuent peut-cftre pas actuellement.

64 . Que cela Juffit pour expliquer toutes les propriété^ de la lumière, & pour faire paroijîre les ajîres lumineux, fans qu'ils y contribuent aucune chofe.

Ainfi nous n'aurons pas de peine à connoiftre pourquoy cette action que je prends pour la lumière, s'eftend en rond de tous coftez autour du Soleil &. des Eftoiles fixes, & pourquoy elle pafTe en vn inftant à toute forte de diltance fuiuant des lignes qui ne viennent pas feulement du centre du corps lumineux, mais aufli de tous les points qui font en fa fuperficie : ce qui contient les principales proprietez de la lumière, en fuitte dcfquelles on peut connoiftre auffi les autres. Et on peut remarquer icy vne vérité qui femblera peut-eflre fort paradoxe à plufieurs, à fçauoir que ces mefmes proprietei ne laiiferoient pas de fe trouuer en la matière du Ciel, encore que le Soleil ou les autres Aftres autour defquels elle tourne, 176 n'y contribuaient en aucune façon; en forte que, fi le | corps du Soleil n'ertoit autre chofe qu'vn efpace vuide, nous ne lailferions pas de le voir auec la mefme lumière que nous penfons venir de luy vers nos yeux, excepté feulement qu'elle feroit moins forte. Toute- fois cecy ne doit eftre entendu que de la lumière qui s'eitend autour du Soleil, aufens que tourne la matière du Ciel dans lequel il eft, c'efl à dire, j'ers le cercle de l'Eclyptique : car je ne confidere pas encore icy l'autre dimenfion de la Sphère qui s'eflend vers les pales. Mais afin que je puiffe auffi expliquer ce que la matière du Soleil & des Ertoiles peut contribuer à la production de cette lumière, 6c comment elle s'eftend non feulement vers l'Eclyptique, mais auffi vers les pales & en toutes les dimenfions de la Sphère, il è^,l;)efQin que je die auparavant quelque chofe touchant le mouuement des Cieux.

65. Que les Cieux font diuife\ en plufieurs tourbillons, S- que les pales de quelques vns de ces tourbillons touchent les parties les plus éloignées des pôles des autres.

De quelque façon que la matière ait cité meutf au commencement, les tourbillons aufquels elle cit partagée, doiuent citrc maintenant tellement difpofcz cnir'cux, que chacun tourne du colle ou il ki\ oJl le plus aiféde continuer fon mouuement : car, félon les loix de ht.

Principes. Troisiesme Partie. 137

nature*, vn corps qui fe meut, fe détourne aifément par la rencontre d'vn autre corps. Ainfi fuppofant que le premier tourbillon *• qui a S pourfon centre, eft emporté d'A par E vers I, | l'autre qui luy eft l"?' voifin, & qui a F pour fon centre, tournera d'A par E vers V, fi ceux qui les enuironnent ne les empefchent point, pource que leurs moupemens s'accordent très-bien en cette façon. De mefme, le troifiéme, qu'il faut imaginer ^uoir fon centre hors du plan SAFE, & faire vn triangle auec les centres S & F, fe joignant aux deux tourbillons AEI & AEVen la ligne droite AE, tournera par en haut d'Avers E. Cela fuppofé, le quatrième tourbillon, dont le centre'eft f% ne tournera pas d'E vers I, à caufe que, fi fon mouuement s'accordoit auec celuy du premier, il feroit contraire à ceux du fécond & du troifiéme; ni aufii de mefme que le fécond, à fçauoir d'E vers V, à caufe que le premier & le troifiéme l'en empefche- roient; ni enfin d'E par en haut, comme le troifiéme, à caufe que le premier & le fécond luy leroient contraires; mais il tournera fur fon eflieu marqué EB, d'I vers V, & l'vn de fes pôles fera vers E, & l'autre à l'oppofite vers B.

66. Que les moiiuemens de ces tourbillons fe doiuent vn peu dejlourner pour n'ejîre pas contraires l'vn à l'autre.

De plus", il èll à remarquer qu'il y auroit encore quelque peu de contrariété en ces mouuemens, fi les Eclyptiques, c'eft à dire les cercles qui font les plus éloignez des pôles de ces trois premiers tourbillons, fe rencontroient diredement au point E, je mets le

a. Partie II, art. 40, p. 86.

b. Planche III.

c. IJ'éàxxion pr inceps porte F, faute d'impression.

d. Correspondance de Descartes, t. V, p. 172. En outre, notre exem- plaire annoté donne, à cet endroit, l'explication suivante : « La figure fait » voir icy, qu'il faut adioutcr quelque chofe a la disposition des trois pre-^ » micrs tourbillons, que M"^ Desc. n'a pas expliqué, mais qu'il s'est con- » tenté de représenter par les figures de cet article, c'est a sçauoir qu'il » faut disposer leurs Eclyptiques de telle façon qu'elles regardent chacune » le point E, et facent entr'elles des angles de 120 degrez, ainsy qu'il est » représenté par la fig. 4 : aprez quoy faisant tourner le 4* tourbillon sui- » uant Tordre des lettres I VX, pour emousser vn peu l'Eclyptique El, et » faciliter par ce moyen le m3uuem?nt du 4* tourbillon, elle se change en » 1 1, de la 5. figure, E V en 2 V, et EX en 3 X. Ce qui se justifie en arran- » géant trois boules, comme les trois premiers tourbillons, et faisant tour- » ner vne quattriesme boule dessus les trois autres ; car vous verrez que » leurs Eclyptiques se disposeront ainsy que le dit M"^ Desc. » (Note MS.)

ij8

OEuvRES DE Descartes.

i78 pôle du quatrième. Car 11, par exemple, IVX eft fa partie qui | ell vers le pôle E% qui tourne luiuant l'ordre des marques IVX, le premier tourbillon, le frottant contr'elle fuiuant la ligne droite El & les autres qui font parallèles à cette-cy, le fécond tourbillon, le frottant aufli contr'elle fuiuant la ligne droite EV, & le troifiémc fuiuant la ligne EX, empefcheroient Ion mouuement circulaire. Mais la nature accommode cela fort aifément par les loix du mouuement, en deftournant quelque peu les Eclyptiques de ces trois tourbillons vers l'endroit tourne le quatrième IVX: en forte que, ne fe frottant plus contre luy fuiuant les lignes droites El, EV, EX, mais fuiuant les lignes courbes il, 2 V, 3 X, ils s'accordent très-bien auec fon mouuement.

^7. Que deux tourbillons ne fe pcitucnt toucher par leurs pôles.

Je ne crois pas qu'on puillc rien inuenter de mieux pour ajuller les mouuemens de plufieurs tourbillons. Pource que, li on fuppofe qu'il y en ait deux qui fe touchent de leurs pôles, ou ils tourneront tous deux de mefme colté, & s'vnilfant enfemble n'en feront plus qu'vn, ou bien l'vn prendra fon cours d'vn collé, & l'autre d'vn autre, & par ce moyen ils s'cmpefcheront tous deux extrê- mement. C'eft pourquoy, bien que je n'entreprenne pas de déter- miner comment tous les tourbillons qui compofent le Ciel font lituez, ni comment ils fe mcuuent, je penfe ncantmoins que je peux 179 deter|miner, en gênerai, que chaque touibillon a les pôles plus éloignez des pôles de ceux qui font les plus proches de luy, que de leurs Eclyptiques ; ^ il me fcmblc que je l'ay fuliifamment démontré.

6'<S'. Qu'ils ne peuuent ejire tous de mefme grandeur.

Il me femble auflTi que celte variété incorhprchenfible qui paroijt en lafiiuation des Eftoiles fixes, montre aflez que les tourbillons qui tournent autour d'elles, ne font pas égaux en grandeur". Et je tiens qu'il elt manifelle, par la lumière qu'elles nous enuoyent, cjuc chaque Eftoile elV au centre d'vn tourbillon, & ne peut eltre ailleurs ; car (i on admet cette fuppofition, il ell aile de conï\<n\\mcommeiil leur lumière paruientjufques à uosyeu.x par des e/paces immcnfes, ainli

a. Kn marge ; Voyez les figures 4 et 5 de la planche 6. ••

b. Correspondance de Descartes, t. V, p. 172.

Principes. Troisiesme Partie. 139

qu'il paroiftra euidemment, partie de ce qui a def-ja efté dit*, & partie de ce qui fuit"; & il n'eft pas poflible, fans elle, d'en rendre raifon qui vaille. Mais d'autant que nous n'apcrceuons rien dans les Eftoiles fixes, par l'cntremife de nos fens, que leur lumière & la fituation nous les voyons, nous ne deuons fuppofer que ce qui eft abfolumcnt neceffaire pour rendre raifon de ces deux effets. Et pource qu'on ne fçauroitconnoiflre la nature de la lumière, fi on ne fuppofe que chaque tourbillon tourne autour d'vne Eftoile auec toute la matière qu'il contient, & qu'ori ne peut aufli rendre | raifon 480 de la fituation elles nous paroiffent, fi on ne fuppofe que ces tourbillons font differens en grandeur, ^e croj^ qu'il ejf également necejfaire que ces deux fuppojitiotts /oient admifes. Mais s'il efl vray qu'ils foient inégaux, il faudra que les parties éloignées des pôles ' des vns touchent les autres aux endroits qui font proches de leurs pôles, à caufe qu'il n*el\ pas pofTible que les parties femblables des corps qui font inégaux en grandeur, conuiennent entr'elles.

6(}. Que la matière du premier élément entre par les pôles de chaque tour- billon vers/on centre, &fort de par les endroits les plus éloigne^ des pôles.

On peut inférer de cecy que la matière du premier élément... fort fans ceife de chacun de ces tourbillons, par les endroits qui font les plus éloignez de leurs pôles, & qu'il y en entre aulTi d'autre fans ceffe par les endroits qui en font les plus proches. Car fi nous fuppo- fons, par exemple, que le premier Ciel AYBM', au centre duquel ert le Soleil, tourne fur fes pôles, dont l'vn marqué A efl l'Auftral, & B le Septentrional, & que les quatre tourbillons K, O, L, C, qui font autour de luy, tournent fur leurs efTieux TT, YY, ZZ, MM, & qu'il touche les deux marquez O & C vers leurs pôles, & les deux autres K & L vers les endroits qui en font fort éloignez : il eft euident, parce qui a def-Ja efté dit", que toute la matière dont il eft compbfé, faifant effort pour s'éloigner de l'efTieu AB, tend plus fort vers les endroits marquez Y & M, que vers ceux qui font | mar- 181 quez A & B; & pource qu'elle rencontre vers Y & M les pôles des tourbillons O & C, qui ont peu de force pour luy refifter, & qu'elle

a. Art. 57, 58 et suivants, pp. i3i, i32.

b. Art. i3o et i32.

". En marge : « Voyez en la pag. précédente la planche 7. » Cette planche se trouve à la fin du volume, d. Art. 54, 60 et 64, pp. i3o, i33, i36.

140. Œuvres de Descartes.

rencontre vers A & B les tourbillons K & L, aux endroits qui font "les plus éloignez de leurs pôles, & qui ont plus de force pour auancer de K & d'L vers S, que les parties qui font vers les pôles du Ciel S n'en ont pour auancer vers L & K, il efl éuident aufli que celle qui eft aux endroits K & L, doit s'auancer vers S, & celle qui eft à l'endroit S, vers O & C.

"jo. Qu'il n'en eji pas de me/me du fécond élément.

Cela fe deuroit entendre de la matière du fécond élément, aufli bien que de celle du premier, û quelques caufes partitulieres n'em- pefchoient fes petites parties de s'auancer jufques là. Mais pource que l'agitation du premier élément eft beaucoup plus grande que celle du fécond, & qu'il eft touf-jours tres-aifé à ce premier de paffer par les petits recoins que les parties du fécond, qui font rondes, laiffent neceffairement autour d'elles : quand mefme on fuppoferoit que toute la matière, tant du premier que du fécond élément, qui eft comprife dans le tourbillon L% commenceroit en mefme temps de fe mouuoir d'L vers S, il faudroit neantmoins que celle du premier paruint au centre S pluftoft que celle du fécond. Et cette matière du 188 premier, eftant ainfi paruenuë dans l'efpace S, pouffe d'vne | telle impetuofité les parties du fécond, non feulement vers l'Eclyptique eg ou M Y, mais aufli vers les pôles /t^ ou AB, comme j'expli- queray tout maintenant ^ qu'elle empefche que les petites boules qui viennent du tourbillon L, n'auancent vers S que jufques à vn certain efpace qui eft icy marqué par la lettre B. Le mefme fe doit entendre du tourbillon K, & de tous les autres.

7 / . Quelle eji la caufe de cette diuerfité.

De plus, il faut remarquer que les parties du fécond élément qui tournent autour du centre L, n'ont pas feulement la force de s'éloi- gner de ce centre, mais aufli celle de retenir la vitefle de leurmouue- ment, & que ces deux effets font en quelque façon contraires l'vn à l'autre : pource que, pendant qu'elles tournent dans le tourbillon L, l'efpace dans lequel elles peuuent s'eftendre eft limité, en quelques endroits de la circonférence qu'elles ddcriuent, par les autres tour- billons qu'il faut imaginer au dcffus & au dcffous du plan de cette

a. En marge : « Voyez la mefme Hgure de la page qui fuit. » Planche VII.

b. Art. 78.

Principes. Troisiesme Partie. 141

figure '. De façon qu'elles ne peuucnt s'éloigner dauantage de ce centre vers l'endroit B, 01/ leur cfpace n'ejl pas ainjî limité, fi ce n'eft que leur vitefl'e y foit d'autant plus diminuée qu'il y aura plus d'efpace entre L & B, qu'entre le mefme L & la fuperficie de ces autres tourbillons. ..Ainfi,quoy que la force qu'elles ont à s'éloigner du point L, foit caufe | qu'elles s'en éloignent vers B dauantage 183 que vers les autres collez, pource qu'elles y rencontrent les pôles du tourbillons, qui ne leur font pas beaucoup de refiftance : toutes- fois la force qu'elles ont de retenir leur vitefle, eft caufe qu'elles ne s'en éloignent pas fans fin, & qu'elles n'auancent pas Jufques à S. Il n'en eft pas de mefme de la matière du premier élément : car encore qu'elle s'accorde aucc les parties du fécond, en ce que, tournant comme elles dans les tourbillons qui la contiennent, elle tend à s'éloigner de leurs centres, il y a cette différence, qu'elle peut s'éloi- gner de ces centres fans rien perdre de fa vitefl'e, à caufe qu'elle trouue de tous coftez des paffages, entre les parties du fécond élément, qui font à peu près égaux les vns aux autres. Ce qui fait qu'elle coule fans cefle vers le centre S, par les endroits qui font proches des pôles A & B, non feulement des tourbillons marquez K & L, mais aufli de plufieurs autres qui n'ont pu eftre commodé- ment reprefentez en cette figure, pource qu'ils ne doiuent pas eftre tous imaginez en vn mefme plan, & que je ne peux déterminer leur fituation, ni leur grandeur, ni leur nombre; & qu'elle palfe du centre S vers les tourbillons O & C, & vers plr.fieurs autres fem- blables, dont je n'entreprends point de déterminer ni la fituation, I ni la grandeur, ni le nombre, ni fi cette mefme matière retourne 184 immédiatement d'O & C vers K & L, ou bien fi, auant que d'ache- uer le cercle de fon mouuement, elle pafl'e par beaucoup d'autres tourbillons plus éloignez d'S que ceux-cy.

js. Comment fe meut la matière qui compofe le corps du Soleil.

Mais je tafcheray d'expliquer la force dont elle eft meuë dans l'efpace defg. Celle qui eft venuif à.'K vers f, doit continuer fon mouuement en ligne droite jufques à d, pource qu'il n'y a rien entre-

a. En marge de rexeniplaire annoté : « Cecy est dans le latin : Car puis- qu'elles se meuuent circulairement, elles ne peuuent pas employer plus de tereips à passer entre L et la superficie de ces autres tourbillons qu'à passer entre le mesmc L et B, l'espace est plus grand et par conséquent la matière doit tourner moins viste. » (Note MS ) Le dernier membre de phrase n'est nullement dans le texte latin.

142 ÔEuvRES DE Descartes.

deux qui l'en empefche; mais vers d elle rencontre des parties du fécond élément, lefquelles elle pouffe vers B, & elle eft. auffi repouf- fée par elles & contrainte de retourner en dedans, du pôle d vers tous les coftez de l'Eclyptique e g: De mefme celle qui elt venue de B pers d, continue fon mouuement en ligne droite jufques à/, elle rencontre les parties du fécond élément qu'elle poulfe vers A, & elle eft repoulïée par elles du pôle/ vers la mefme Eclyptique e g; & payant ainfi des deux pôles d,f vers tom les cq/le^ de l'Eclyptique e gy elle pouffe également toutes les parties du fécond élément qu'elle rencontre en la fuperjîcie de la Sphère d efgy & s'écoule en fuitte vers M & Y, par les petits recoins qu'elle trouue entre les parties du fécond élément vers cette Eclyptique e g. De plus, pendant qu'elle 185 eft meuë en li|gne droite par fa propre agitation, depuis les pôles du Ciel A &i B Jufques aux pôles du corps du Soleil d 6'- f, elle eft aufli portée en rond autour de l'eflieu AB par le mouuement circu- laire de ce Ciel, au moyen de quoy chacune de fes parties décrit vne ligne fpirale ou tournée en limaçon, & ces fpirales s'auancent tout droit d' A jufques à d, & de B jufques à /, mais efîant paruenuës à d &if, elles fe replient de part & d'autre vers l'Eclyptique e g. Et", pource qu'il y a plus d'efpace dans la Sphère d efg, que la matière du premier élément qui paffe entre les parties du fécond n'en pour- roit occuper, fi elle ne faifoit qu'y entrer & foriir fuiuant ces fpi- rales, elle y doit fejourner vn peu dauantage, & y compofer vn corps très-liquide, qui tourne fans celfe autour de l'eilieu/^, à fçauoir le corps du Soleil.

•j3. Qu'il y a beaucoup d'inégalité:^ en ce qui regarde lafttuation du Soleil au milieu du tourbillon qui l'enuironne.

Et il faut icy remarquer que ce corps ne peut manquer d'eftre rond; car encore que l'inégalité des tourbillons qui enuironnent le Ciel A M B Y, foit caufe que nous ne deuons pas penfer que la ma- tière du premier élément vienne auffi abondamment vers le Soleil par l'vn des pôles de ce Ciel que par l'autre, ni que ces pôles ibient diredement oppofez, en forte que la ligne ASB foit exaclcfnent droite, ni qu'il y ait aucun cercle parfait qu'on puide prendre pour

a. En marge de l'exemplaire annoté : « Version de mot à mot du latin : Et pource que l'espace defg est plus grand que ne sont les conduits par la matière du premier clcîncnt y entre et en sort, de il arriuc qu'il y demeure tousiours quelque partie de sa matière qui y compose vn corps très liquide, lequel tourne sans cesse autour de Tessieu/^/. ^Xote MS.)

Principes. Troisksme Partie. 14J

fon Eclyptique, & auquel fe rapportent fi également | tous les tour- 186 billons qui l'enuironnent, que la matière du premier élément, qui vient du Soleil, puifle fortir de ce Ciel auec pareille facilité par tous les endroits de cete Eclyptique...; toutefois on ne peut inférer décela qu'il y ait aucune notable inégalité en la figure du Soleil, mais feu- lement qu'il y en a en fa fituation, en fon mouuement &en fa gran- deur, comparée à celle des autres ajîres. Car, par exemple, fi la matière du premier élément, qui vient du pôle A vers S, a plus de force que celle qui vient du pôle B, elle ira plus loin auant qu'elles fe puifient deftourner l'vne l'autre par leur mutuelle rencontre, ...& ainfi elles feront que le Soleil fera plus proche du^ pôle B que du pôle A. Mais les petites parties du fécond élément ne feront pas pouflées plus fort à l'endroit de la circonférence marqué i/ qu'en l'autre marqué/, qui luj' ejï direclemeiit oppofé, & celte circonfé- rence ne lailfera pas d'eftre ronde. Tout de mefme, fi la matière du premier élément palfe plus aifemcnt d'S vers O que vers C fça- uoir pource qu'elle y trouuera dauantage de place), cela fera caufe que le corps du Soleil s'approchera quelque peu plus (ÏO que de C, & qu'acourciffant par ce moyen l'efpace qui eft entre O & S, il s'ar- reftera à l'endroit la force de celle matière fera également balancée des deux coftez. Par ainfi, encojre que nous n'aurions égard qu'aux 187 quatre tourbillons L,C,K^O, pourueu que nous les fuppofions iné- gaux, cela fuffit pour nous obliger à conclure que le Soleil n'eft pas fitué juilement au milieu de la ligne O C, ni aulH au milieu de la ligne L K, & on peut jonceuoir beaucoup d'autres inégalitez en fa fituation, fi onconfidere qu'il y a encore plufieurs autres tourbillons qui l'enuironnent.

74. Qu'il j^ en a auji beaucoup en ce qui'regarde le mouuement de fa matière '.

De plus, fi la matière du premier élément qui vient des tourbil- lons K & L, n'eft pas.fi difpofée à fe mouuoir vers S... que vers quelques autres endroits proches de : par exemple, fi celle qui vient de K eft plus difpofée à fe mouuoir vers e, & celle qui vient d'L, vers^, cela fera caufe que les pôles/, d, autour defquels elle tourne lors qu'elle compofe le corps du Soleil, ne feront pas dans les lignes droites menées de K & d'L vers S, mais que le pôle auftral f s'auancera quelque peu plus vers e, & le feptentrional d vers g. Tout

a. Môme planche VII.

T44 OEuvRES DE Descartes.

de -mefme, fi la ligne droite S M, fuiuant laquelle je fuppofe que la matière du premier élément va plus facilement d'S vers G que fuiuant aucune autre, paffe par vn point de la circonference/e^, qui foit plus proche du point d que dikpoint/; & en mefme façon, que la ligjie S Y, fuiuant \2i(\\\t\\t je fuppofe que cette matière tend d'S

188 vers O, palîe par vn point de la circon|ferente fgd, qui foit plus proche du point/ que du point d : cela fera caufe que g" Se, qui reprefenté ici l'Eclyptique du Soleil % c'eft à dire le plan dans lequel fe meut la partie de fa matière qui décrit le plus grand cercle, aura fa partie S e plus penchée vers le pôle d que vers le pôle/, mais non pas toutefois du tout tant qu'eft la ligne droite SM; & que fon autre partie S^ fera plus penchée vers/ que vers d, mais non pas aufli du tout tant que la ligne droite S Y. D'où il fuit que l'elFieu, autour duquel toute la matière dont le corps du Soleil eft compofé fait fon tour, & qui eft terminé par les deux pôles /, d, n'eft pas exadement droit, mais quelque peu courbé des deux cofte^; & que cette matière tourne quelque peu plus vite entre e & rf ou entre /& ^, qu'entre e &/ on d h g; & que pcut-eftre aufli la- viteffe

dont elle tourne entre e ^d, n'eft pas entièrement égale à celle dont elle tourne entre/& g.

75. Que cela n'empefche pas que fa figure ne foit ronde.

Mais cela ne peut pourtant empefcher que le corps du Soleil ne foit affez exactement rond, pource que fa matière a cependant vn autre mouuement de fes pôles vers fon Eclyptique, lequel corrige ces inégaliiez. Et comme on voit qu'vne bouteille de verre fe fait ronde, par cela feul qu'en foutlant par vn tuyau de fer, on fait

189 entrer de l'air dans la matière dont on la \fait, à caufe que cet air n'a pas plus de force à pouffer la partie de cette matière qui eft diredement oppofée au bout du tuyau par il entre, qu'à pouffer celles qui font en tous les autres coftez vers lefquels il eft repouffé par la refiftance qu'elle luy fait : ainfi la matière du premier élé- ment qui entre dans le corps du Soleil par fes pôles, doit pouffer également de tous coftez les parties du fécond qui l'enuironnent, aufll bien celles contre qui elle eft repouffcc obliquement, que celles qu'elle rencontre de front.

a. Correspondance de Descartes, t. IV, p. 181, 1. 18.

Principes. Troisiesme Partie. 145

y 6. Comment fe meut la matière du premier élément qui ejî entre les parties du fécond dans le Ciel.

Il faut aufli remarquer, touchant cette matière du premier élément, que, pendant qu'elle eft entre les petites boules qui compofent le Ciel AMBY*y outre qu'elle a deux mouuemcns, l'vn en ligne droite qui la porte des pôles A & B vers le Soleil, puis du Soleil vers TEclyptique YM, & l'autre circulaire autour de ces pôles, qui luy elt commun auec tout le refte de ce Ciel, elle employé la plus grande part de fon agitation à fe mouuoir en toutes les autres façons qui font requifes pour changer continuellement les figures de fes petites parties, & ainfi remplir exadement tous les recoins qu'elle trouue autour des petites boules entre lefquelles elle palTe. Ce qui eft caufe que fa force eft plus foible, eftant ainfi diuifée, & que ce peu de ma- tière qui eft I en chacun des petits recoins par elle paffe, eft touf- 190 jours preft d'en fortir, & de céder au mouuement de ces boules, pour continuer le fien en ligne droite vers quelque cofté que ce foit; mais que ce qu'il y a de cette matière vers S, elle compofe le corps du Soleil, y a vne force qui eft tres-notable & très-grande, à caufe que toutes fes parties s'accordent enfemble à fe mouuoir en mefme fens, & qu'elle employé celte force à poulfer toutes les petites boules du fécond élément qui enuironnent le Soleil.

77. Que le Soleil n'enuoye pas feulement fa lumière vers l'Eclyptique, mais auj/i vers les pôles.

En fuitte de quoy il eft aifé de connoiftre combien la matière du premier élément contribue à l'adion que je croy deuoir eftre prife pour la lumière, & comment cette action s'eilend de tous coftez, aulfi bien vers les pôles que veis l'Eclyptique. Car, premièrement, fi nous fuppofons qu'il y ait en qi-.clque endroit du Ciel j'crs l'Eclj'ptique, par exemple en l'endroit marqué H, vn efpace allez grand pour con- tenir vne ou plufieurs des petites boules du fécond élément, dans lequel il n'y ait que de la matière du premier^ nous pourrons facile- ment remarquer que les petites boules qui font dans le cône d H/, lequel a pjur bafe Themifphere de/, fe doiuent auancer toutes en mefme temps vers cet efpace pour le remplir.

a. En marge : « Voyez la figure qui fuit. » Ajouté à la main : p. 7 (planche VIlj.

b. Voir art. 61 et G2, p. i33 et 134.

Œuvres. IV. ■»

146 OEuvRES DE Descartes.

~8. Comment il l'enuoye vers l'Eclyptique.

IW. Et j'ay def-ja prouué cecy ', touchant les pctiltes boules qui font comprires dans le triangle qui a pour fa bafc... l'Eclyptique du Soleil, bien que je ne confideraffe point encore que la matière du premier élément y contribue. Mais le mefme peut maintenant encore mieux eftre expliqué par fon moyen, non feulement touchant les petites boules qui font en ce triangle, mais aulTi touchant toutes les autres qui font dans le cône dWf: car en tant que cette matière compofe le corps du Soleil, elle poulfe aufli bien celles qui font dans le demy cercle def, & généralement toutes celles qui font dans le cône dWf, que celles qui font dans le demj' cercle qui coupe def à angles droits au point e, d'autant qu'elle ne fe meut pas auec plus de force vers l'Eclyptique e que vers les pôles d /, & vers toutes les autres parties de la fuperticie fpherique def g; & en tant que nous la fup- pofons remplir l'efpace H, elle ell difpofée à fortir du lieu elle eil, pour aller vers C, ^ de là, palfant par les tourbillons L & K (j- autres femblables, retourner vers S. C'ell pourquoy elle n'empefche en aucune façon que toutes les petites boules comprifes dans le conc d H /', ne s'auancent vers H ; i<c à mefme temps qu'elles s'auancent, il vient des tourbillons K & L, &. femblables, autant de matière du premier élément vers le Soleil, qu'il en entre de celle du fécond en l'efpace H.

IM \ 7V- Combien il ejî aifé quelquefois aux corps quife meuuent,

d'ejîendre extrêmement loin leur aâion.

Et tant s'en faut qu'elle les empefche de s'auancer ainfi pers H, que plullofl elle les y difpofe. Car puis que tout corps qui fe meut, tend à continuer fon mouuemenl en ligne droite, ainfi quefay prouué cf- dejfus*", cette matière du premier élément qui ell en l'efpace H,eftant extrêmement agitée, a bien plus de facilité à palfer en ligne droite vers C, qu'à tournoyer dans le lieu elle eft ; <S- n'y ayant point de vuide en la nature, il eji necefj'aire qu'ily ait touf jours tout vn cercle de matière qui fe menue enfemble en mefme temps, ainfi quefay aujji prouué cydejfus\ Mais d'autant que le cercle de la matière qui fe meut ainfi enl'emble, elt plus grand, d'autant le mouuemcnt de chacune

a. Art. 62, p. i?4.

b. Partie II, art. 3y, p. 83.

c. Ibid., art. 33. p. 81,

Principes. Troisiesme Partie. 147

de fcs parties eft plus libre, à caufe qu'W fe fait fuiuant vne ligne moins courbée, ou moins différente de la droite : ce qui peut feruir pour empefcher qu'on ne trouue eftrange, que fouuent le mouuement des plus petits corps eftende fon adtion jufques aux plus grandes diflances; & ainfi, que la lumière du Soleil & des Eftoiles les plus éloignées-paffe en vn moment jufques à la terre.

80. Comment le Soleil enuoyefa lumière vers les pôles.

Ayant ainji peu comment le Soleil agit vers l'Eclyptique, nous pouuons voir en me/me façon comment il agit vers les pôles, fi nous fuppofons qu'il s'y trouue quelque efpace, comme, | par exemple, au 191 point N, qui ne foii remply que du premier élément, bien qu'il f oit ajfe^ grand pour contenir quelques-vnes des parties du fécond. Car puis que la matière qui compofe le corps du Soleil, pouffe de tous cojtei auec grande force la fuperfîcie du Ciel qui l'enuironne, il eft éuident qu'elle doit faire auancer vers N toutes les parties du fécond élément qui font comprifes dans le cône eNg, & encore que peut- eftre ces parties n'ayent en elles mefmcs aucune difpofition à fe mouuoir vers là, elles n'en ont aufli aucune qui les face refifter à l'adion qui les y pouffe. La matière du premier élément, dont l'cf- pace N eft remply, ne les empefche point aufli d'y entrer, à caufe qu'elle eft entièrement difpofée à en fortir, & aller vers S remplir la place qu'elles lailfent derrière elles en la fuperficie du Soleil efg, à mefure qu'elles s'auancent vcrsN. Et il n'y a aucune difficulté, en ce qu'il eft befoin, pour cet effet, que, pendant que toute la matière du fécond élément qui efi dans le conc eNg, s'auance en ligne droite d'S vers N, celle du premier fe meuue tout au contraire d'N vers S : carcelle-cy palfant aifement par les petits interualles que les parties de l'autre lailfent autour d'elles, fon mouuement ne peut empefcher, ni eftre empefche par le leur. Ainfi qu'on voit en vn horloge de fable, que | l'air enferme' dans le vafe d'embas, n'eft point empefche 194 de monter en celuy d'enhaut, par les petits grains de fable qui en defcendent, bien que ce foit parmy eux qu'il doiue palfer.

<y/ . Qu'il n 'a peut ejire pas du tout tant de force vers les pôles que vers l'Eclyptique.

Mais on peut faire icy vne queftion, fçauoir fi les petites bouks du cône eNg font poulfées auec autant de force vers N, par la matière du Soleil toute feule, que celles du cône dWfXo. font vers

14S OEuvREs DE Descartes.

H par la mefme matière du Soleil, & aucc cela par leur propre mouuemenr, lequel fait qu'elles tendent à s'éloigner du centre S. Et il y a grande apparence que cette force n'eft pas égale, fi on fuppofe que H & N foient également éloignez du point S; mais, comme j'ay def-ja remarqué que la dillance qui ell entre le Soleil & la circonfé- rence du Ciel qui l'enuironne, ell moindre vers fes pôles que vers Ton Eclyptique, on doit, ce me femble, juger qu'afin qu'elles foient pouifées auiïi fort pers N que vers H, il faut que la ligne droite SH foit au moins aufii grande, au regard de la ligne SN, que SM au re- gard de SA ; & il n'y a qu'vn feul Phainomene en la nature qui nous puiffe faire fçauoir la vérité de cecy par expérience, à fçaUoir lors qu'il arriue quelquefois qu'vne Comète pafl'e par vne fi grande par- tie de noilre Ciel, qu'elle ell veuë premièrement vers l'Eclyptique, 195 puis vers l'vn des pôles, &. après dere|chef vers l'Eclyptique ; car alors on peut connoillre, ayant égard à la diuerfité de fa diftance, fi fa lumière (laquelle, ainfi que je diray C3'-apres", luy vient du Sokih ell plus forte à proportion vers l'Eclyptique que vers les pôles, ou bienfi elle ejl feulement égale.

S 2. Quelle diuerfité il y a en la grandeur & aux mouuemens des parties du fécond élément qui compofent les deux.

Il refte encore icy à remarquer que les parties du fécond élément qui font les plus proches du centre de chaque tourbillon, font plus petites, & fe meuuent plus vite que celles qui en font quelque peu plus éloignées, &. ce jufques à vn certain endroit, au delà duquel celles qui font plus hautes fe meuuent plus vite que celles qui font plus balles ; & pour ce qui eft de leur groffeur, elles font égales. Par exemple, on peut penfer que, dans le premier Ciel, les plus petites parties du fécond élément font celles qui touchent la fuperficie du Soleil, & que celles qui en font plus éloignées, font plus groffes, félon les diderens cfiagcs elles fe rencontrent, jufques à la fuper- ficie de la fphere irreguliere HNQR; mais que celles qui font au delà de cette fphere, font toutes également grofl"es ; & que celles qui fe meuuent le plus lentement de toutes, font en la fuperficie HNQR: en forte que les parties du fécond élément qui font vers HQ, employcnt peut-efire trente années, ou plus, à décrire vn cercle IM autour des pôles AB, | au lieu que celles qui font plus hautes vers M & V , & celles qui font plus balles vers e & g, fe meuuent fi vite, . qu'elles n'employent que peu de femaines à faire leur tour.

a. Art. i3o.

Principes. Troisiesme Partie. 149

83. Pottrquoy les plus éloignées du Soleil dans le premier Ciel, Je meuuent plus vite que celles qui en font vn peu plus ^ loin\

Et premièrement", il eft aifé de prouuer que celles qui font vers M & Y, fe doiuent mouuoir plus vite que celles qui font plus bas vers H & Q. Car de ce que j'ay fuppofé' qu'elles ont elté au commencement du monde toutes égales (ce que je penfe auoir eu raifon de fuppofer, pendant que je n'en auois point qui m'obligeaft de les eflimer inégales), & de ce que le Ciel qui les contient & qui les emporte auec foy circulairement, ainfi qu'vn tourbillon, n'eft pas exactement rond, à caufe que les autres tourbillons qui le tou- chent ne font pas égaux entr'eux, & aufli à caufe qu'il doit eftre plus ferré visa vis des centres ** de ces tourbillons, qu'aux autres endroits, il faut neceffairement que quelques vnes de fes parties fc meuuent quelquefois plus vite que les autres, à fçauoir lors qu'elles doiuent changer leur rang pour palfer d'vn chemin plus large en vn plus eftroit. Comme on peut voir icy* que les deux boules qui font entre les points A & B ne peuuent paffer entre les deux autres points C & D, que je fuppofe plus proches, s'il n'y en a vne qui s'auance deuant l'autre, & qui par confequent aille plus | vite. Or d'autant 197 que toutes les parties du fécond élément qui compofent le premier Ciel, tendent à s'éloigner du centre S', fi tort qu'il y en a quelqu'vne qui va plus vite que celles qui en font plus éloignées, cette viteffe luy donnant plus de force, fait qu'elle paffe au deffus d'elles; telle- ment que ce font touf-jours celles qui fe meuuent le plus vite, qui en doiuent eilre les plus éloignées. le ne détermine point la quantité de leur viteffe, pource que c'eft par la feule expérience que nous la pouuons apprendre; & cette expérience ne fe peut faire que par le moyen des Comètes, qui, comme je feray voir cy-apres% traucrfent d'vn Ciel en vn autre, &fuiuent à peu près le cours de celuy elles fe trouuent. le ne détermine point non plus combien eft lent le mouuement du cercle H Q ; car nous ne le connoiffons qu'autant que

a. Lire : « vn peu moins » {aliquanto minus).

b. Correspondance de Descartes, t. IV, p. 455-456.

c. Art, 47 et 48, pp. 125 et 126.

d. Correspondance de Descartes, t. V, p. 172.

e. En marge : « Voyez la figure i de la planche 8 en la page précédente. » Ces quatre derniers mots barres, la planche ayant été rejetée à la fin du livre.

f. Planche VII.

g. Art. 128.

1 50 OEuvREs DE Descartes.

nous l'apprend !e cours de Saturne, qui ne s'acheue qu'en trente ans*, & doit eftre compris dans ce cercle, comme il paroiftra de ce qui luit.

S4. Pourquoy aujji celles qui font les plus proches du Soleil fe meuuent- plus vite que celles qui en font vn peu plus loin.

Il eft aile aufli à prouuer qu'entre les parties du fécond clément qui font au dedans du cercle HQ, celles qui font les plus proches du centre S, doiuent faire leur tour en moins de temps que celles qui en font plus éloignées, à caufe que le mouuement qu'a le Soleil 198 autour du mefnie centre, doit augmenter leur viteffe. Car j d'autant qu'il fe meut plus vite qu'elles, & qu'il fort continuellement de luy quelques parties de fa matière qui coulent entre celles du fécond élément vers l'Eclyptique, pendant qu'il en reçoit d'autres vers les pôles, il eft éuident qu'il doit entraîner auec foy toute la matière du Ciel qui eft autour de luy, jufques à vne certaine diftance. Et les limites de cette diftance font icy*" reprefentez par l'elipfe HNQR pluftoft que par vn cercle; car encore que le Soleil foit rond, & qu'il ne poufl'e pas moins fort les parties du Ciel qui font vers les pôles, que celles qui font vers l'Eclyptique, par l'adion que j'ay dit' deuoir eftre prife pour fa lumière, il n'en eft pas neantmoins de mefme de cette autre adion, par laquelle il entraine auec foy celles qui font les plus proches de luy, pource qu'elle ne dépend que du mouuement circulaire qu'il fait autour de fon effieu, lequel fans doute a moins de force vers les pôles que vers l'Eclyptique. C'eft pourquoy H & Q doiuent eftre plus éloignez du centre S que N & R, & cecy feruira cy-apres" pour rendre raifon de ce que les queues des Comètes nous paroiffent quelquefois droites, & quel- quefois courbées.

S5. Pourquoy ces plus proches du Soleil font plus petites que celles qui en font plus éloignées.

Or, de ce que les parties du fécond élément qui font fort proches

du Soleil, fe meuuent plus vite que celles qui en font vn peu plus

IW éloignées, I jufques à l'endroit du ciel marqué HNQR, on peut

prouuer ^«'elles doiuent aufti eftre plus petites ; car fi elles eftoient

a. Ci-après, art. 148.

b. Planche VII.

c. Art. 63, p. i35.

d. Art. i38.

Principes. Troisiesme Partie. i 5 1

plus grofles ou égales, elles iroient au delfus des autres, à caufe que ce qu'elles ont de viteffe plus que ces autres, leur fcroit auoir plus de force. Mais lors qu'il arriue que quelqu'vne de ces parties deuient fi petite, à proportion de celles qui font au delTus d'elle, que la vitefTe dont elle les furpalfe, à caufe qu'elle ejt plus proche du Soleil, n'augmente pas fa force de tant, comme la grandeur dont ces autres la furpaffent aw^/7/ew/e la leur, \\ eft éuident qu'elle doit touf-jours demeurer au delibus d'elles vers le Soleil, encore qu'elle fe menue plus vite. Et bien que j'aye fuppoie''que toutes ces parties du fécond élément ont efté égales en* leur commencement, quelques vnes ont deu, par fucceffion de temps, deuenir plus petites que les autres, à caufe que les endroits par elles efioient contraintes de palier, n'eftant pas égaux, il a deu y auoir quelque inégalité en leur mouuement, ainfi que j'ay tantoft prouué^ & il a deu aulTi fuiure de quelque inégalité en leur grolfeur, pource que celles qui ont eu le plus de viteffe fe font heurtées l'vne l'autre auec plus de force, & ainfi ont perdu dauantage de leur matière. Et il ne peut y en auoir tuÇ\ ^zu, c^m par fucceflion de temps \ foicnt dcuenucs notablement 200 moindres que les autres, qu'il ne foit facile à croire qu'elles fuftîfent pour remplir l'efpace HNQR, pource qu'il ell extrêmement petit, à comparaifou de tout le Ciel AYBM, bien qu'à comparaifon du Soleil il foit ajfe\ grand ; mais la proportion qui efl entr'eux n'a pu eftre reprefentée en cette figure', à caufe qu'il l'eufi fallu faire trop grande. Il y a encore plufieurs autres inégalitez à remarquer, tou- chant le mouuement des parties du Ciel, principalement de celles qui font en l'efpace HNQR, mais elles pourront plus commodément cy-apres eftre expliquées.

^6. Que ces parties du fécond élément ont diuers mouuemens qui les rendent rondes en tous fens.

Au relie, il ne faut pas oublier icy à prendre garde que, bien que la matière du premier élément qui vient des tourbillons K, L & femblables, prenne principalement fon cours vers le Soleil, elle ne laille pas de couler aulfi de diuers coftez vers les autres endroits du Ciel AYBM, & de paffer de vers les autres tourbillons C'', O & femblables, /a;/s auoir eflé jufques au Soleil, & que, coulant ainfi de

a. Art. 48, p. 126.

b. Art. 83, p. 149.

c. Même planche VII.

d. K, par faute d'impression, dans rédition de 1647.

M2

OEUVRES DE Descartes.

diuers collez entre lès petites parties du fécond élément, elle fait que chacune d'elles fe meut, non feulement autour de fon centre, mais fouuent auiïi en plufieurs autres façons. En fuite de quoy... il eft

201 éuident que, quelques figures que ces parties du fécond \ élément avent eues au commencement, elles ont deu, par fuccellion de temps, deuenir rondes de tous cortez, comme des boules, & non point feulement comme des cylindres ou autres folides, qui ne font ronds que d'vn collé.

Sj. Qu'il y a diuers degre\ d'agitation dans les petites parties du premier élément.

Apres auoir acquis vne médiocre notion de la nature des deux pre- miers elemens, il faut que nous tafchions auiïî de connoiilre celle du troifiéme. Et à cet eft'et il ell befoin de confiderer que la matière du premier n'eft pas également agitée en toutes fes parties, & que fou- uent en vne fort petiie quantité de cette matière il y a tant de diuers degrez de vitelfe, qu'il feroit impoflible de les nombrer. Ge.qui peut facilement élire prouué, tant par la façon que j'ay fuppofé, cy-deffus% qu'elle a eflé produite, que par l'vfage auquel elle doit continuelle- ment feruir. Car j'ay fuppofé qu'elle a efté produite de ce que, lors que les parties du fécond élément n'eftoient pas encore rondes..., & qu'elles remplillbient entièrement l'efpace qui les contenoit, elle^ n'ont pu fe mouuoir fans rompre les petites pointes de leurs angles, & fans que ce qui s'ell feparé d'elles, à mefure qu'elles fe font aron- dies, ait changé diuerfement de figures, pour remplir exactement tous les petits recoins qu'elles ont laijfé autour d'elles, au moyen de

202 quoy il a pris la forme du premier ele|ment. Et je croy que mainte- nant encore fon vfagc efl de remplir ainfi tous les petits recoins qui fe trouuent entre tous les corps, quels qu'ils foient : d'où il eft éui- dent que chacune des parties dont ce premier élément efl compofé, n'a pu au commencement ertre plus grande que les petites pointes d'angles qui deuoient eflre ofîées de celles du fécond, afin qu'elles fe pujfent mouuoir, ou tout au plus que l'efpace qui s'eft trouué entre trois de ces parties du fécond élément joignantes l'vne l'autre, après qu'elles ont eflé arondies ; & que quelques vncs ont pu retenir par après la mefme groJJ'eur, mais qu'il a fallu que les autres fe foient froijfées & diuifées en vne infinité de plus petites parties, qui n'euf fent aucune grojfeur ni figure déterminée , afin qu'elles fe pujfent

a. Art. 49, p. lij.

Principes. Troisiesme Partie. 155

accommoder aux diuerfes grandeurs des petits efpaces quife trouuent entre les parties du fécond élément, pendant qu'elles fe meuuent. Par exemple, fi nous penfons que les petites boules A, B,C* font trois de ces parties du fécond élément, & que les deux premières A & B, qui fe touchent au point G, ne fe meuuent que chacune autour de fon propre centre, pendant que la troifiéme C, qui touche la première au point E, roule fur la fuperficie de cette première d'E vers I, jufques à ce que fon point D aille rencontrer le point F j de la fe- 203 conde : il eft éuident que la matière du premier element,qui eft dans l'efpace triangulaire FI G, y peut cependant demeurer fans auoir aucun mouuement, & ainfi n'eftre compofée que d'vne feule partie (bien qu'elle puifTe auffi eftre compofée de plufieurs), mais que celle qui remplit l'efpace F I E.D ne peut manquer de fe mouuoir, & mefme qu'on ne fçauroit déterminer aucune partie fi petite entre les points F & D, qu'elle ne foit plus grande que celle qui doit fortir à chaque moment hors de la ligne FD, à caufe que, pendant tous les momens de temps que la boule C approche de B, elle accourcit cette ligne F D, & luy fait auoir fuccefTiuement plus de différentes lon- gueurs qu'on n'en fçauroit exprimer par aucun nombre.

88. Que celles de ces parties qui ont le moins de vitejjfe, en perdent aifement vne partie, & s'attachent les vnes aux autres.

Ainfi on voit qu'il doit y auoir quelques jp^r/zw, en la matière du premier élément, qui foient moins petites & moins agitées que les autres; & pource que nous fuppofons qu'elles font faites de la ra- clure qui eft fortie d'autour de celles du fécond élément, pendant qu'elles fe font arondies..., leurs figures doiuent auoir eu" beaucoup d'angles, & eftre /or/ empefchantes ; ce qui eft caufe qu'elles s'at- tachent facilement les vnes aux autres, & transfèrent vne grande partie de leur agitation à celles qui font les plus petites & les plus agitées. Car, fuiuant | les loix de la nature', quand des corps de 204 diuerfes grandeurs font meflei ejifemble, le mouuement des vns efl fouuent communiqué aux autres; mais il y a bien plus de rencontres celuy des plus grands doit pafler dans les plus petits, qu'il n'y en a, au contraire, les plus petits puiffent donner le leur aux plus grands. De façon qu'on peut ajjurer que ces plus petits font ordinaire- ment les plus agite^.

a. En marge : « Voyez la figure 2 de la planche 8. »

b. Ce mot eu semble à supprimer.

c. Partie II, art. 40, p. 8B.

T 54 Œuvres de Desgartes.

Hf}. Que c'ejî principalement en la matière qui coule des pôles vers le centre de chaque tourbillon, quilje trouue de telles parties.

Et les parties qui s'attachent ainjt les vnes aux autres, & qui re- tiennent le moins d'agitation, fe trouuent principalement en la ma- tière du premier élément qui coule en ligne droite des pôles de chaque tourbillon vers fon centre. Car elles n'ont pas befoin d'eftre tant agitées pour ce feul mouuement droit, que pour les autres plus deftournez & diuers, qui fe font aux autres lieux : de façon que, lors qu'elles fe trouuent en ces autres lieux, elles ont couftume d'en eftre repouffées vers cetuy-là, dans lequel elles fe joignent plufieurs enfemble, & compofent certains petits corps dont je tafcheray d'ex- pliquer fort particulièrement la figure, à cauje quelle mérite d'ejire remarquée.

f)o. Quelle eji la figure de ces parties que nous nommerons canelées,

Premieremenf, ils doiuent auoir la figure d'vn triangle en leur largeur & profondeur, à caufe qu'ils paffent par ces petits efpaces 205 triangulaires qui fe trouuent au milieu de trois des j parties du fé- cond élément, quand elles fe touchent. Et pour ce qui eft de leur longueur, il n'eft pas aifé de la déterminer, d'autant qu'il ne femble pas qu'elle dépende d'aucune autre caufe que de l'abondance de la matière qui fe trouue aux endroits fe forment ces petits corps; mais il fuflit que nous les conceuions ainfi que des petites colomnes canelées, à trois rayes ou canaux, & tournées comme la coquille d'vn limaçon', tellement qu'elles peuuent paffer en tournoyant par les petits interualles qui ont la figure du triangle curuiligne F I G, & qui fe rencontrent infailliblement entre trois boules..., lors qu'elles s'cntre-touchent. Car, d'autant que ces parties canelées peuuent eftre beaucoup plus longues que larges, & qu'elles paffent fort prompte- ment entre les parties du fécond élément, pendant que celles-cy fuiucnt le cours du tourbillon qui les emporte autour de fon cjpcu, on

a. In modum cochlearum intortis, dit le texte latin. Cochlea^qui signifie coquille de limaçon », est aussi le mot technique pour désigner une vis, et c'est bien dans ce sens que Descartes a l'écrire, quand même il aurait accepté plus tard la traduction « coquille de limaçon ». Cette tra- duction ne doit, en tous cas, être prise que dans le sens nous disons vulgairement un escalier « en colimaçon », supposant un noyau cylin- drique et des spires de même dimension.

Principes. Troisiesme Partie. i 5 5

conçoit aifement que les tî^ois canaux qui fout en la Juperfcie de chacune, doiuent eftre tournez à vis^, ou comme vnc coquille ; & que ces trois canaux font plus ou moins tournez, à proportion de ce qu'elles paffent par des endroits qui font plus ou moins éloignez de cet effieu, à caufe que les parties du fécond élément tournent plus vite en ces endroits plus éloignez, qu'aux autres plus proches"...

\ gi . Qu'entre ces parties canelées, celles qui viennent d'vn pôle font 2C6 tout autrement tournées que celles qui viennent de l'autre.

Et pource qu'elles viennent vers le milieu du Ciel, de deux coftez qui font contraires l'vn à l'autre, à fçauoir les vnes du pôle auftral, & les autres du feptentrional, pendant que tout le Ciel tourne en mefme fens fur fon eflieu, il eft manifefte que celles qui viennent du pôle auftral, doiuent eftre tournées en coquille en autre fens que celles qui viennent du feptentrional. Et cette particularité me femble fort remarquable, à caufe que c'elt principalement d'elle que dé- pendent les forces de l'aimant, lefquelles j'expliqueray cy-apres',

g2. Qu'il n'y a que trois canaux en la fuperficie de chacune.

Mais afin qu'on ne croye pas que j'affure fans raifon que ces parties du premier élément n'ont que trois canaux en leur fuper- ficie, nonobftant que les parties du fécond ne fe touchent pas touf- jours de telle forte que les interualles qu'elles laiffent entr'elles ayent la figure d'vn triangle, on peut voir icy** que les autres figures... qu'ont les interualles qui fe trouuent entre ces parties du fécond elementy ont touf-jours leurs angles entièrement égaux à ceux du triangle FGI, & qu'au refte elles fe remuent inceffamment, ce qui fait que les parties canelées..., qui paffent par ces interualles, y doi- uent prendre la figure que j'ay décrite. Par exemple, les quatre boules A, B, C, H, qui fe touchent aux points K, L, G, E, laiffent au milieu d'elles vn efpacc qui | a quatre angles, chacun defquels 207 eft... égal à chaque angle du triangle FGI; & pource que ces... petites boules, en fe remuant, changent fans ceffe la figure de cet efpace, en forte que tantoft il eft quarré, tantoft plus long que large, & qu'il eft aufli quelquefois diuifé en deux autres efpaces qui ont

a. Voir la note de la page précédente.

b. Voir art. 83, p. 149.

c. Partie IV, art. i33, etc.

d. En marge : « Voyez la figure 3 de la planche 8. »

156 Œuvres de Descartes.

chacun la figure d'vn triangle, cela fait que la matière du premier élément la moins agitée qui fe trouue là, eft contrainte de fe retirer vers vn ou deux de ces angles, & de quitter ce qui refte de place à la matière la plus agitée, laquelle peut changer à tous momens de figure pour s'accommoder à tous les mouuemens de ces petites boules. Et fi par hazard il y a quelque partie de cette matière du pre- mier élément, ainfi retirée vers l'vn de ces angles, qui s'eftende vers l'endroit oppofé à cet angle au delà d'vn efpace égal au tiiangle F G I, elle fera heurtée &... diuifée par la rencontre de la troifiéme boule, lors qu'elle s'auancera pour toucher les deux autres qui fonf l'angle cette matière s'eft retirée. Par exemple, fi la matière qui n'eft pas la plus agitée, après s'eftre retirée en l'angle G, s'eftend vers D plus loin que la ligne F I, la boule G, en roulant vers B, la chaffera hors de cet angle, ou bien eii retranchera ce qui Tempefche de fermer le triangle F G I. Et pource que les parties du premier 208 ele|ment qui font les moins petites & les moins agitées, doiuent fort fouuent, pendant qu'elles paffent çà & dans les cieux, fe trouuer entre trois boules qui s'auancent ainfi pour s'entre-toucher, il ne femble pas qu'elles puiffent auoir aucune figure déterminée qui demeure en elles pendant quelque temps, excepté celle que je viens de décrire.

g3. Qu'entre les parties canelées & les plus petites du premier élément, il y en a d'vne infinité de diuerjes grandeurs.

Or, encore que ces parties... canelées foient fort différentes des plus petites parties du premier élément, je ne laiffe pas de les com- prendre toutes fous ce me/me nom de premier elemeîtt, pendant qu'elles font autour des parties du fécond, tant à caufe que je ne remarque point qu'elles y produifent aucuns effets differens, comme aufli à caufe que... je juge qu'entre ces parties canelées & les plus petites, il y en a de moyennes d'vne infinité de diuerfes grandeurs, ainfi qu'il eft aifé à prouuer par la diuerfité des lieux par elles paffent, & quelles remplirent.

g4. Comment elles produifent des taches fur le Soleil, ou fur les EJloiles.

Mais lors que la matière du premier élément com'pofe le corps du Soleil ou de quelque Eftoiie, tout ce qu'il y a en elle de plus fubtil, n'cftant point deftourné par la rencontre des parties du fécond élément, s'accorde à fe jnouuoir tout enfemble fort vite : ce

Principes. Troisiesme Partie. 157

qui fait que les parties canelées, & plufieurs autres vn peu moins grofles qui, à caufe de l'irrégularité de leurs figures..., ne | peuuent 209 receuoir vn mouuement û prompt, font rejettées par les plus fubtiles hors de l'ajlre quelles compofent, & s'attachant facilement les vnes aux autres..., elles nagevt fur fa fuperfîcie, oii, perdant la forme du premier élément y elles acquerent celle du troifiéme; & lors quelles y font en fort grande quantité, elles y empefchent l'adion de fa lumière, & ainfi compofent des taches femblables à celles qu'on a obferuées fur le Soleil. Ce qui fe fait en mefme façon & pour la mefme raifon..., qu'il fort ordinairement de l'écume hors des liqueurs qu'on fait bouillir fur le feu, lors qu'elles ne font pas pures, & quelles ont des parties qui, ne pouuant élire agitées par l'action du feu fi fort que les autres, s'en feparent, & s'attachant facilement enfemble, compofent cette écume...

gS. Quelle efl la caufe des principales propriété^ de ces taches.

En fuite de quoy il eft aifé d'entendre pourquoy ces taches ont couftume de paroirtre fur le Soleil vers fon Eclyptique, pluftolt que vers fes pôles: & pourquoy elles ont des figures fort irregu- lieres & changeantes : & enfin pourquoy elles fe meuuent en rond autour de luf, non pas peut-eftre ù vite que la matière qui le compofe, mais au moins auec celle du Ciel qui l'enuironne. Ainfi qu'on voit que l'écume qui nage fur quelque liqueur, fuit auffi fon cours, & reçoit cependant plufieurs diuerf es figures.

I g6. Comment elles font détruites, & comment il s'en produit de nouuelles. 210

Et comme il y a beaucoup de liqueurs qui, en continuant de bouillir, diffipent l'écume qu'elles ont auparauant produite : ainfi doit on penfer que les taches qui font fur la fuperficie du Soleil, s'y deftruifentl . . auec la mefme facilité qu'elles s'y engendrent. . . Car ce n'eft pas de toute la matière qui efl dans le Soleil, mais feulement de celle qui y ell nouuellement entrée, qu'elles fe com- pofent. Et pendant que les moins fubtiles parties de cette nouuelle matière s'en feparent, & s'attachant les vues aux autres, font conti" nuellement de nouuelles taches, ou augmentent celles qui font def-ja faites, l'autre matière qui a elle plus long-temps dans le Soleil, elle s'e t entièrement purifiée & fubtilifée, y tourne auec tant de

a. Voir Correspondance de Descartes, t. IV, p. 450-458.

ijS OEuvRES DE Desgartes.

violence, qu'elle emporte fans celTe auec foy quelque partie des taches qui' font en fa fuperficie, & ainft en défait ou dijfout à peu près autant qu'il s'en produit de nouuelles... Et l'expérience fait voir que toute la fuperficie du Soleil, excepté celle qui eil vers les pôles, eft ordinairement couuertë de la matière qui compofe ces taches, bien qu'on ne luy donne proprement le nom de taches, qu'aux endroits elle eft fi épaifle..., qu'elle obfcurcit notable- ment la lumière qui vient de luy vers nos yeux.

gj. D'où vient que leurs exiremite:{ paroij/ent quelquefois peintes des tnefmes couleurs que l'arc en ciel.

Or il peut aifement arriuer, lors que ces taches font affez épailfes 211 & ferrées, que la matiejre. . . du Soleil, qui les dilîbut peu à peu en coulant fous elles, les diminue dauantage en leur circonférence qu'au milieu, & que par ce moyen leurs extremitez dcuiennent tranfparentes & moins épaiffes vers la circonférence que vers le milieu, ce qui fait que la linnicre qui paJJ'c au trauers y fouffre refraclion; d'où il fuit que ces extremitez doiuent alors paroiftre peintes des couleurs de l'arc en ciel, pour les raifons que j'ay ex- pliquées au huidiéme Difcours des Météores*, en parlant d'vn prifme ou triangle de criltal, & on a fouuent obferué de telles cou- leurs en ces taches.

gS'.. Comment ces taches Je changent en fiâmes, ou au contraire les fiâmes en taches.

Il peut fouuent aufli arriuer que la matière du Soleil rend leurs extrémité^ fi minces en paffant fous elles, qu'elle peut enfin palTer aufli au dcflus, d'- les enfoncer fous foy, au moyen de quoy fe trou- uant engagée entr'elles & la fuperficie du Ciel qui eft tout proche, elle eft contrainte de fe mouuoir plus vite qu'à l'ordinaire : ainli que les riuicrcs font plus rapides aux endroits où, leur lit citant fort ellroit, il fe trouue encore des bajics de fable qui s'clcuenl prefque à Jleur d'eau, qu'en ceux il eft plus large is: plus profond. Et de ce quelle fe meut plus rite, il eft cuidcnt que la lumière y doit pa- ♦•ciftre plus viue qu'aux autres endroits de la fuperficie du Soleil. 212 Ce qui s*accorde auec l'experien'-e; car | on obferue fouuent des petites fiâmes qui fuccedcnt aux taches qu'on auoit auparauant

a. Voir t. VI, p. 329, de cette cdition.

Principes. Troisiesme Partie. 159

ob/eruees... Mais on obferue aufli quelquefois, au contraire, qu'il reuient des taches aux endroits ces petites fiâmes ont paru : ce qui arriue lors que, les autres taches qui aiioient précédé ces fiâmes n'eftant enfoncées que d'vn collé dans la matière... du Soleil, la nouuelle matière des taches, qu'il rejette continuellement hors defoj', s'arrertc &. s'accumule conir'ellcs de l'autre cofté.

gg. Quelles fout les parties en quoy elles Je diuifent.

Au refte, lors que ces taches fe défont, les parties en quoy elles fe diuifent ne font pas entièrement femblables à celles dont elles ont efté compofées : mais quelques-vnes font plus petites, & auec cela ^\\is majjiues ou folides, à caufe que leurs pointes fe font rom- pues ; & pour ce fujet.. . elles pailcnt facilement entre les parties du fécond élément pour aWqv vers les centres des tourbillons d'alen- tour. Quelques autres font encore plus petites, à fçauoir celles qui fe font des pointes rompues des précédentes, & celles-cy peuuent aufli palTer de tous cojlei vers le Ciel, ou bien ejlre repouffées vers le Soleil, & feruir à compofer fa plus pure fubrtance. Enfin, les autres demeurent plus grolfes, pource qu'elles font compofées de plufieurs parties canelées ou autres jointes enfemble ; & celles-|cy, ...ne pou- 213 uant pafl'er par les efpaces triangulaires qui fe trouuent autour des petites boules du fécond élément dans le Ciel, entrent dans les places de quelques vnes de ces boules ; mais pource qu'elles ont des figures fort irregulieres & embaraffantes, elles ne les peuuent pas imiter en la vitclfe de leur mouuement.

/ 00. Comment il fe forme vne efpece d'air autour des aflres *.

Et fe joignant les vnes aux autres /a;/5 aucunement fe preffer, elles compofent vn corps fort rare, femblable à l'air qui elt autour de la terre, au moins à celuy qui efi le plus pur au dejfus des nui^s. Et ce corps rare, que fappelleray Air d'or enauant, enuironne le Soleil de tous coftez, s'eltendant depuis fa fuperjicie jufques vers la fphere de Mercure, & peut-eftre mefme plus loin. Mais encore qu'il reçoiue fans celle de nouuelles parties de la matière des taches qui fe défont, il ne peut pas pour cela croillre à l'infini, pource que l'agi- tation, . . du fécond clément qui palfe tout autour & tout au trauers de fon corps, dilTipe autant de fes parties qu'il luf en vient de nou"

a. Voir Correspondance de Descartes, t. IV, p. 456.

i6o OEuvRES DE Descartes.

uelles, & les diuifant en plufieurs pièces, leur fait reprendre la forme du premier élément. Mais pendant qu'elles compofent cet air ou ces taches, foit autour du Soleil, foit autour des autres aftres, le/quels font en cecy tout femblables , elles ont la forme que /attribue

214 au troifiéme élément, à caufe' qu'elles | font plus gi'ojfes & moins propres à fe mouuoir que \ts parties de deux premiers,

loi. Que les caufes qui produifent ou dijjîpent ces taches font fort incertaines.

Il faut^ peu de chofe pour faire qu'il fe produife des taches fur vn aftre, ou pour l'empefcher, qu'on n'a pas fujet de trouuer eftrange fi quelquefois il n'en paroift aucune fur le Soleil, & fi quelquefois, au contraire, il y en a tant, que fa lumière en deuient notablement plus obfcure. Car il ne faut que deux ou trois des moins fubtiles parties du premier élément, qui s'attachent l'vne à l'autre, pour former le commencement d'vne tache, contre laquelle s'alfemblent. . . par âpres quantité d'autres parties, qui ne fe fuffent point ainfi alfemblées, fi elles ne l'auoient rencontrée, pource que cette rencontre diminue la force de leur agitation.

102. Comment quelquefois vne feule tache couure toute lafuperfcie

d'vn ajlre.

Et il faut remarquer que ces taches font fort molles & fort rares, lors qu'elles commencent à fe former, ce qui fait qu'elles peuuent diminuer l'agitation des parties du premier élément qu'elles ren- contrent, & les joindre à foy ; mais que la matière du Soleil qui coule fous elles âuec grande force, preffant leur luperftcie du colle qu'elle les touche, ne les rend pas feulement égales & polies de ce corté-là, mais aufli peu à peu plus ferrées & plus dures, bien qu'elles demeurent molles & rares de l'autre collé qui eft tourné

215 vers le Ciel ; & ainfi, qu'elles ne | peuuent pas ayfement eilrc dé- faites par la matière du Soleil qui coule fous elles, i\ ce n'eil qu'elle coule auflTi autour de leurs bords & les rende peu à peu ft minces qu'elle pu'iiïc palier par delfus. Car pendant que leurs bords font fi éleucz au delfus de la fuperficie du Soleil, qu'ils ne font aucune- ment prcdcz par fa matière, elles fc peuuent pluftoft accroidre que diminuer, pource qu'il s'attache touf-jours quelques nouuelles parties contre ces bords. C'cil pourquoy il fe peut faire qu'vnc feule tache deuienneft grande, qu'enfin elle s'ellende fur toute la fuperficie de

Principes. Troisiesme Partie. i6i

Tartre qui l'a' produite, & qu'elle s'y arrefte quelque temps auani que de pouuoir eftre diffipée.

io3. Pourquoy le Soleil a paru quelquefois plus obfcur que de coujlume ; & pourquoy les EJloiles ne paroijfent pas touf-jours de me/me gran- deur.

C'eft.ainfi que quelques hiftoriens" nous rapportent qu'autrefois le Soleil pendant plufieurs jours, voire mefme pendant toute vne année, a paru plus pâle qu'à l'ordinaire, & n'a fait voir qu'vne \umierc fort pâle 6l fans rayons, quaft comme celle de la Lune. Et l'on remarque qu'il y a des Eftoiles qui nous paroiflent plus petites, &. d'autres plus grandes, qu'elles n'ont paru autrefois aux Aftro- nomes qui en ont exprimé la grandeur en leurs écrits. De quoy je ne penfe pas qu'on puiffe rendre aucune autre raifon,fmon qu'ertant maintenant plus ou moins couuertes de taches, qu'elles n'ont efté \ autrefois, leur lumière nous doit paroifire plus fombrc ou plus viue. W6

104. Pourquoy il y en a qui difparoijfent ou qui paroijfent de nouueau.

Il fe peut faire aufli que les taches qui couurent quelque allre, foient deuvmiës par fuccejjîon de temps. . . fi épailfes, qu'elles nous

a. « Plutarque au 2 l., ch. 24, de ropinion des philosophes rapporte que le Soleil a été quelquefois éclipsé un mois durant.

» Et Pline, 1. 2, cHap. 3o, dit qu'il fut une année entière éclipsé, c'est à dire ayant une lumière fort pasle. Voicy ses paroles : Fiunt prodigiosi et longiores Solis defectus, qualis occiso dictatore Ccesare et Antoniano bello totius pêne anni pallore continua etc. Xiphilin en dit autant dans la uie d'Auguste.

» Ce que rapporte aussy Virgile dans ces vers :

Ille etiam extincto miseratus Ccesare Romam Cum caput obscura niiidum ferrugine tinxit. Impiaque ceternam timwrunt scecula noctem.

(Georg., !• 1., versu 466.)

» Voyez encore Georges Cedren qui, dans ses Annales de Constanti- nople, imprimées à Basle, dit ces paroles, p. 804, v. ôo : Toto eo anno sol lunœ instar sine radiis lucem tristem prcebuit, et ajoute, p. 38y : anno y" Constant., qui fuit Xti "jSO, Solcm per ly dies obscuratum fuisse radios- que nulios emittentem.

" V. encore Tertull. ad Scapulam, dont uoicy les termes : \'am et Sol ille in conucntu ]'ticcnsi, extincto penc luininc, adeo portcntum fuit, ut nor potuerit ex ordinario dcliquio hoc pati, < positus > in suo hypsomate et domicilio. Habetis astrologos. » (Note MS. en marge de l'exemplaiie annoté.)

Œuvres. IV. ^

102 OEUVRES DE Descartes.

en oftent entièrement la veuë. Et c'eft ainfi qu'on a comté autrefois fept Plejades, au lieu qu'on n'en voit maintenant que fix. Et il fe peut faire, au contraire, qu'vn aftre que nous n'auons point veu auparauant, paroiffe tout à coup, & nous furprenne par l'éclat de fa lumière : à fçauoir fi tout le corps de cet aftre ayant efté couuert jufques à prefent d'vne tache alfez épailfe pour nous en ojier entiè- rement la veuë, il arriue maintenant que la matière du premier élément, y affluant plus abondamment qu'à l'ordinaire, fe répande fur la fuperficie extérieure de cette tache ; car cela ejlaiit, elle la doit couurir toute en fort peu de temps, & faire que cet aftre nous paroille auec autant de lumière, que s'il n'eftoit enuelopé d'aucune tache. Et il peut continuer long-temps par après à paroiftre auec cette mefme lumière, ou bien auffi la perdre peu à peu. C'eft ainfi qu'il arriua, fur la fin de l'an 1572, qu'vne Eftoile, qu'on n'auoit point veuë auparauant, parut dans le figne de CaflTiopée, auec vne lumière fort éclatante & fort viue, laquelle s'obfcurcit par après 217 peu à peu, tant qu'elle difl parut entièrement vers le commence- ment de l'an 1574. Et nous en remarquons quelques autres dans le ciel, que les anciens n'ont point vcuilSy mais qui nedifparoijjentpasfi lojt. De toutes lefquelles chofes je talcheray icy de rendre raifon.

io5. Qu'il y a des pores dans les taches, par les parties canelées

ont libre pajfage.

Pofons, par exemple, que l'aftre I ' eft entièrement couuert de la tache defg, & confiderons que cette tache ne peut eftre fi épaifle, qu'il n'y ait en elle pluficurs pores ou petits trous par la matière du premier élément, & mefme fes parties canelées... peuuent palfer. Car ayant efté fort molle & fort rare en fon commencement, il y a eu en elle quaniitc de tels pores, & bien que fes parties fc foient par après plus ferrées, «S'- qu'elle fait deuenuif plus dure, toutefois les parties canelées &. autres du premier élément, paf- fant continuellement par dedans les pores, n'ont pas permis qu'ils fe foient fermez tout à fait, mais feulement qu'ils fe foieiit ellrecis en telle forte qu'il n'j- e/f rejlè qu'autant d'efpace qu'il en faut pour donner palfage à ces parties canelées qui font les plus grolfcs du premier clément,- & mefme qu'autant qu'il en faut pour leur donner pajfat^e du cojïé qu'elles ont coujlumc d'y entrer, en forte que les porcs par < font admifcs > <*cll(is qui font venues de l'vn des

a. Planche IX, Hgurc u

Principes. Troisiesme Partie. i6j

pôles vers I, neTeroient pas propres à les rece|uoir, fi elles retour- 218 noient d'I vers ce me/me pôle, ny à receuoir celles qui viennent de l'autre pôle, pource qu'elles font tournées en coquille d'autre façon.

106. Pourquoy elles ne peuuent retourner par les me/mes pores par elles entrent.

Ainfi il faut penfer que les parties canelées. . . qui coulent fans cejfc d'A vers /, c'efl à dire de toute la partie du Ciel qui ell autour du pôle A, ...vers la partie du Ciel HIQ, fe font formé certains pores dans la tache defg, fuiuant des lignes droites qui font parallèles à l'elTieu/if (ou peut-eftre qui font tant foit peu plus proches l'vnc de l'autre vers d que vers f à caufe que l'efpacé qui e/l vers X.d'oîi elles viennent, ejl plus ample que celuj' oit elles fe vont rendre, vers I), & que les entrées de ces pores font éparfes en toute la moitié de la fuperficie e/^, & les forties en l'autre moitié edg, de façon que les parties canelées qui viennent d'A, peuuent ayfement entrer par efg-, & foriir par. . . edg ; mais non point retourner par edg, ny fortir par efg. Dont la raifon ell que, cette tache n'ayant efté com- pofée que des parties du premier élément, qui ellant très-petites, €• ayant des figures fort irregulieres, fe font jointes les vnes aux autres, ainfi que pluiieurs petites branches d'arbres entajfées toutes enfemble, les parties canelées qui font venues d'/l par f vers d, ont deu plier 6'- faire pencher df vers d toutes les extremitez | de ces 219 petites branches qu'elles ont rencontrées en paffant par les pores qu'elles fe font fornie-{. De forte que, fi elles repalfoient de d vers y par ces mefmes pores, elles rencontreroient à contre fens les extre- mite\ de ces petites branches qu'elles ont ainfi pliées^ à- les redrcf- lant quelque peu, fe boucheroient le paflage. En mefme façon les parties canelées qui viennent du pôle B, fe font formé d'autres pores en cette tache defg, l'entrée defquels ell en la moitié de cette tache edg, ik la fortic en l'autre moitié efg.

loj. Pourquoy celles qui viennent d'vn pôle doiuent auoir d'autres pores que celles qui viennent de l'autre.

Et il faut remarquer que ces porcs font creufez en dedans, ainfi que l'écrouë d'vne vis, au fens qu'ils le doiuent efire pour donner libre paflage aux parties canelées qu'ils ont coufiume de receuoir : ce qui ert caufe que ceux par pafi'ent les parties canelées qui viennent d'vn pôle, ne fçauroient receuoir celles qui viennent de

164 Œuvres de Descartes.

l'autre po\e, pource que leurs rayes ou canaux font tournez en coquille d'vne façon toute contraire.

loS. Comment la matière du premier élément prend /on cours par ces pores.

Ainfi donc' la matière du premier élément, qui vient de part & d'autre des pôles, peut palTer par ces pores jufques à l'aftre I"; & pource que celles de fcs parties qui font canelées, font les plus groffes de toutes, & qu'elles ont par confequent le plus de force à conti-

220 nuer leur mouue|ment en ligne droite, elles n'ont pas couftume de s'y arreiler; mais celles qui entrent par/fortent. . . par d, par elles arriuent dans le Ciel, elles rencontrent \t?, parties du fécond élément, ou bien la matière du premier venant de B, qui, les empef- chant de palTer plus auant en ligne droite, fait qu'elles retournent de tous cortez, entre les par^ties de l'air marqué x x, vers efg, l'hemifphere de la tache par lequel elles font auparauant entrées en cet afire. Et toutes celles de ces parties canelées qui peuuent trou- uer place dans les pores de cette tache (ou de ces taches, car il y en peut auoir plufeurs l'vne fur l'autre, ainfi que Je feraj- voir cj' après'...), rentrent par eux en l'ajlre I ; puis, en refortant par rhemifphere edg, & de retournant par rair de tous coftez pe7'S ïhemifphere efg, elles compofent comme vn tourbillon autour de cet afire. Âlais celles qui ne peuuent trouuer place en ces pores, font brifées & diffipées par la rencontre des parties de cet air, ou bien font chaffées vers les parties du Ciel qui font proches de l'Eclyptique HQ** ou M Y. Car il faut icy remarquer que les parties canelées qui viennent d'A vers I, ne font point en fi grand nombre, qu'elles occupent continuellement tous les pores qui leur peuuent donner

221 palTagc au trauers de la tache efg, pource quelles n'occu|pent pas aulTi dans le Ciel tous les interualles qui font autour des petites boules du fécond élément, & qu'il doit y auoir parmy elles beaucoup d'autre matière plus fubtile, afin de remplir tous ces interualles, nonobflant les diuers mouuemens de ces boules; laquelle matière plus fubtile, venant d'A vers I auec les parties canelées, entreroit auec elles dans les porcs de la tache efg, fi les autres parties canelées,^/// font for lies de cette tache par fon hcmifphere edg, & reuenuës de

a. \o\t Correspondance de Descartes, t. IV, p, 458-460.

b. Planche IX, Hgurc i.

c. Art. 112 Cl ii3.

d. Voir Correspondance de Descartes, t. V, p. 387.

Principes. Troisiesme Partie. i6^

par' l'air xx vers f, n'auoient plus de force qu'elle pour les occuper. Au rcrte.ce que je viens de dire des parties canelées qui rienuoit iitt pôle A <S^ entrent par rhemifphere efg-, fe doit entendre en niefmc façon de celles qui viennent du pôle B & entrent par rhemil'plicre edg : à fçauoir qu'elles y ont creufé des paflages, tourne'; en coquille tout au rebours des autres, par lefquels elles coulent... à trauers l'aftre !.. . de d vers/, puis de là. . . retournent vers d par l'air xx, faifant ainji vne efpece de tourbillon autour de cet a/lre ; & que cependant Hy a touf-jours Siutant de ces parties canelées qui le défont, ou bien s'écoulent dans /e nW vers l'Eclyptique M Y, qu'il en. vient de nouuelles du pôle B.

log. Qu'il y a encore d'autres pores en ces taches qui croifent les precedens.

Pour le refte de la matière du premier élément qui compofc l'aftre I, tournant autour de l'efTieu \fd, il fait continuellement 822 effort pour s'en éloigner, & aller dans le ciel vers l'Eclj'ptique MY, C'ell pourquoy il s'eft formé dés le commencement d'autres pores, & les a conferuez depuis dans la tache de/g, lefquels croifent... les precedens ; & il y a touf-jours quelques parties de cette matière qui fortent par eux, à caufe qu'il en entre aulTi touf-jours quelques vnes par les autres pores auec les parties canelées. Car les parties de cette tache font tellement jointes l'vne à l'autre, que l'ajlre I qu'elles enuironnent ne peut deuenir plus grand ny plus petit qu'il e(î; c'cft pourquoy il doit touf-jours /o;7/V de luj- autant de matière qu'il j' en entre.

j 10. Que ces taches empefchent la lumière des aftres qu'elles couurent.

Et pour la mefme raifon, la force en quoy j'ay dit cy-deffus' que confiite la lumière des ajîres. doit eftre en cetuy-cy entièrement efteinte, ou du moins fort aflfoiblie. Car en tant que fa matière fe meut autour de Vt^xtu fd, toute la force dont elle tend à s'éloigner de cet eflieu, s'amortit contre la tache, &. n'agit point contre les par- ties du fécond élément qui font au delà. Et aufli la force dont les parties canelées, qui viennent d'vn pôle, tendent directement vers l'autre en fortant de cet ajîre. ne peut auoir en cecy aucun elTet : non feulement à caufe que ces parties canelées ne fe mcuuent pas du tout fi vite que le relie de la matière du premier clément, | C^ font 223

a. i\rt. 77 et 78, p. 145-146.

i66 OEuvPEs DE Descartes.

fort petites à comparaifon de celles du fécond, le/quelles il faudrait quelles pouj'ajj'ent pour exciter de la lumière; mais principalement à caufe que celles qui/or/t»;// de cet ajlre, ne peuuent auoir plus de force à poujjer la matière du ciel j'crs les pôles, que celles qui viennent des pôles à la ?'epouJJer en mefme temps vers cet aflre.

III. Comment il peut arriuer qu'vne nouuelle EJloile paroijfe tout à coup

dans le Ciel.

Mais cela n'empefclie pas que la matière du fécond élément qui eft autour de cet aftre, & compofe le tourbillon A YBM\ ne retienne la force dont elle pouffe de tous coJle-{ les autres tourbillons qui l'en- uironnent, & mefme encore que peut élire cette force foii trop petite pour faire fentir de la lumière à nos yeux, def quels je fuppofe que ce . tourbillon ejî fort éloigné, elle peut neantmoins élire allez grande pour preualoir à celle des autres tourbillons voifins de cetuy-cy, en forte qu'il les preffe plus fort qu'il n'eft prelTé par eux. En fuite de quoy il faudroit que l'aftre I devint plus grand qu'il n'eft, s'il n'eftoit point borné de tous collez par la tache def g. Car fi nous penfons que maintenant AYBM eft la circonférence du tourbillon I, nous deuons auffi penfer que la force dont les parties de fa matière qui font vers cette circonférence, tendent à pafler plus outre (S'- entrer Zlk en place des autres tourbil|lons voifins, n'eft ny plus ny moins grande, mais exadement égale à celle dont la matière de ces autres tourbillons tend à s'auancer vers I, pource qu'il n'y a aucune caufe, que la feule égalité de ces forces, qui face que cette circonférence foit elle eft, & non point plus proche ny plus éloignée du point I. Si après cela nous penfons que, par exemple, la force dont la matière du tourbillon O prefl'e celle du tourbillon I, 'diminue, fans qu'il y ait rien de changé en celle des autres (& ctcy peut arriuer pour plu- fieurs caufes, comme fi fa matière s'écoule en quelqu'vn des autres tourbillons qui le touchent, ou bien qu'il deuienne couuert de taches..., &c.), il faut, fuiuant les loix de la nature, que la cir- conférence du tourbillon I... s'auance d'Y vers P; en fuite de quoy... il faudroit auiTi que celle de l'aftre I devint plus grande qu'elle n'eft, fi elle n'eftoit point bornée par la tache def g, à caufe que toute la matière de ce tourbillon s'éloigne le plus qu'elle peut du centre I. Mais pource que la tache def g ne permet pas que la gran- deur de cet aflre fc change, // ne peut arriuer icf autre chofe, ftnon

«. Planche IX, figure i.

Principes. Troisiesme Partie. 167

que les petites parties du fécond élément, qui font autour de cette tache, s'écarteront les vnes des autres, ajîn d'occuper plus de place qu'auparauant. Et elles peuuent ainji pn peu s'écarter, Jans pour cela Je I feparer entièrement, ny cejfer d'ejlre jointes à cette tache : ce qui 225 n'f caufera aucun changement remarquable, à caufe que la matière du premier élément qui remplira tous les interualles qui feront autour d'elles, y fera tellement diuifée, qu'elle n'aura pas beaucoup de force; mais s'il arriue qu'elles s'écartent fi fort les vues des autres, que la matière du premier élément qui les poulfe en fortant de la tache, ou quelqu'autre caufe que ce foit, ait la force de faire que quelques vnes ceffent de toucher la fuperficie de cette tache, la matière du premier élément qui remplira incontinent tout l'efpaçe qui fera entre-deux, y aura auflî affez de force pour en feparer encore quelques autres; & pourceque fa force s'augmentera d'autant plus qu'elle en aura ainfi feparé dauantage de la fuperficie de cette tache, &que... fon adion ell extrêmement prompte, (tWt feparera prefque en vn inrtant toute la fuperficie de cette tache de celle du Ciel; Si prenant fon cours entre-deux, elle tournera en mefme façon quQ celle qui compofe l'affre I, prelfant par ce moyen de tous collez la matière du Ciel qui l'enuironne, auec autant de force que feroit <ct artre, s'il n'eftoit couuert d'aucune tache. . . ; & ainfi il paroiftra tout à coup auec vne lumière fort éclatante.

/ / 2 . Comment vne EJîoile peut difparoijîre peu à peu.

Or fi cette tache eft fi mince & fi rare, que la | matière du premier 226 élément, prenant ainfi fon cours fur fa fuperficie extérieure, la puilfe difl"oudre & difjiper, l'aftre I ne difparoiltra pas aifement derechef, pource qu'il faudroit à cet effet qu'il feformajl fur luf vne nouuelle tache ^w/ couurift... toute fa fuperficie. Mais fi elle eft fi épaiffe, que l'agitation de la matière du premier élément ne la difiipe point, elle la rendra, tout au contraire, plus dure & plus ferrée en fa fuper- ficie extérieure*... Et s'il arriue cependant que les caufes qui ont fait auparauant que la matière du tourbillon O s'ejl reculée d'Y vers P, foient changées, en forte que, tout au contraire, elle s'auance peu à peu de P vers Y, ce qu'il y a du premier élément entre la tache defg <& le Ciel, diminuifraj & fe couurira de plufieurs autres taches qui obfcurciront peu à peu fa lumière ; puis, fi cela continué", elles la pourront enfin efteindre tout à fait, & mefme

a. Voir art. 102, p. 1 60 ci-avatii.

i68 Œuvres de Descartes.

occuper entièrement l'efpace qu'a rempl/ le premier élément entre la tache defg & le Ciel xx. Car les parties du fécond élément qui com- pofent le tourbillon O, s'anançant de P vers Y, prelTeront toutes celles du tourbillon I, qui font en fa circonférence extérieure APBM, & en fuite aulTi toutes celles de fa circonférence intérieure xx, lefquelles eitant ainfi prefTées & engagées dans les pores de l'air, que

227 j'ay dit'/e trouuer autour | de chafque aftre, feront que les parties canclées &. autres des moins fubtiles du premier élément, qui fortent de l'aftre I, n'entreront pas fi li-brement que de coujltime dans le Ciel XX. G'eft pourquoy elles feront contraintes ^e/eyo/«^re les vnes aux autres, & compofcr des taches, lefquelles, occupant enfin tout l'efpace qui efloit entre defg & xx, y feront comme vne nouvelle écorce, au dejfus de la première qui couure l'afire I.

1 13. Que les parties canelées fe font plufieurs paffages en toutes les taches.

Et il peut, par fuccefjion de temps, fe former en mefme façon plu- fieurs autres telles écorces/i/r ce mefme afîre, touchant lefquelles on peut icy remarquer, par occafion, que les parties canelées fe font des partages par elles peuuenr/w/wre leur cours fans interruption, au trauers de toutes ces taches, ainfi qu'au trauers d'vne feule. Car à caufe qu'elles ne font compofées que de la matière du premier élément, elles font fort molles en leur commencement, & laiffent paffer aifement ces parties canelées, qui, continuant touf-jours par après le mefme cours, pendant que ces taches deuiennent plus dures] empefchent que les chemins qu'elles fe font faits ne fe bouchent. Mais il n'en eft pas de mefme de Vair qui enuironne les aftres : car bien qu'eftant compofé du débris de ces taches, les plus groffes de fes

228 parties retiennent encore | quelques-vnes des ouuertures que les par- ties canelées y ont faites, neantmoins, pource qu'elles obeïflent aux mouuemens de la matière du Ciel qui eft méfiée parmy elles, & ne font pas touf-jours en vne mefme fituation, les entrées & forties de ces ouuertures ne fe rapportent pas les mes aux autres, 6' ainjî les parties canelées qui tendent à fuiure leur cours en ligne droite, ne peuuent que fort rarement les rencontrer.

/ 14. Qu'vne mefme EJioile peut paroijlre & difparoijire plufieurs fois. Mais il peut aifement arriuer qu'vne mefme EUoile nous paroifle a. Art. 100, p. 159.

Principes. Troisiesme Partie. 169

& difparoiffe plufieurs fois en la façon qui a ejté icf expliquée, & qu'à chaque fois qu'elle difparoijîra. il fe forme vne nouuelle écorce de taches qui la couure. Car ces changements alternatifs qui arriuent aux corps qui fe meuuent, font fort ordinaires en la nature : en forte que, lors qu'vn corps eft pouffé vers vn lieu par quelque caufe, au lieu de s'arrefter en ce lieu-là lors qu'il j- ejl paruenu, il a coultume de pafler outre, jufques à ce qu'il foit repouffé vers le mefme lieu par vne autre caufe. Ainfi pendant qu'vn poids, attaché à vne corde, efl emporté de trauers par la force de fa pefanteur vers la ligne qui joint le centre de la terre auec le point duquel pend cette corde, il acquert vne autre force qui fait continuer fon mouuement au delà de cette ligne, vers le collé oppofé à celuy d'oii il a commencé à fe mou\uoir, jufques à ce que fa pefanteur, ayant fur- 229 monté cettQ autre force, le face retourner; & en retournant il acquert derechef vne autre force qui le fait pajfer au delà de cette mefme ligne. Ainfi, après qu'on a meu la liqueur qui efl en quelque vaif- feau, quoj" qu'on l'ait feulement poujfée vers vn cafté, elle va &reuient plufieurs fois vers les bords de ce vaijfeau, auant que de s'arrefler. Et ainfi, pource que tous les tourbillons qui compofent les cieux, font à peu près égaux en force & comme balancez entr'eux, fi la matière de quelques-vns fort de cet équ'iVibTt, comme je fuppofe que fait icy' celle des tourbillons O & I, elle peut auancer & reculer plu- fieurs fois, de P vers Y & d'Y vers P. auant que ce mouuement foit arreflé.

Il 5. Que quelquefois tout vn tourbillon peut ejlre dejïruit.

Il peut arriuer aufTi qu'vn tourbillon entier foit deftruit par les autres qui l'enuironnent, & que l'Efloile qui eftoit en fon centre, palfani en quelqu'vn de ces autres tourbillons, fe change en vne Comète ou en vne Planète. Car nous n'auons trouué cy-deffus" que deux caufes qui empefchent ces tourbillons de fe deflruire les vns les autres. Dont l'vne, qui confifle en ce que la matière d'vn tour- billon efl empefchée de s'auancer vers vn autre par ceux qui en font plus proches, ne peut auoir lieu en tous, pource que fi, par exemple', la matière du tourbillon | S ell tellement preflee de part & d'autre 230 par celle des tourbillons L & N, que cela l'empefche de s'auancer \QTs D plus qu'elle ne fait, elle ne peut eflre empefchée en mefme

a. Planche IX, figure i.

b. Voir surtout art. 69 à 71, p. 1 39 à 141.

c. Planche III.

lyo Œuvres de Descartes.

façon, de s'auancer vers L ou N par celle du tourbillon D, ny d'au- cuns autres, fi ce n'eft qu'ils foient plus proches de luy que ne font L & N...; Si ainfi que cette caufe n'a point de lieu en ceux qui font les plus proches. Pour l'autre, qui confifle en ce que la matière... de l'aftre qui eft au centre de chaque tourbillon, poulîe continuelle- ment celle de ce tourbillon vers les autres qui l'enuironnent, elle a véritablement lieu en tous les tourbillons. dont les aftres lie font ofTufquçz d'aucunes taches; mais il eft; certain qu'elle celte en ceux dont les ajlres font entièrement couuerts de ces taches, principale- ment lors qu'il y en a pluficurs couches qui font comme emtant d'écorces l'vne fur l'autre.

1 16. Comment cela peut arriuer auant que les taches qui couurent fon ajîre foient fort épaiffes.

Ainfi on peut voir que chaque tourbillon n'eft point en danger d'eftre deftruit..., pendant que l'aftre qu'il a en fon centre eft fans taches; mais que, lors qu'il en eft entièrement couuert, il n'y a que la façon dont ce tourbillon eft fitué entre les autres, qui face qu'il foit deftruit par eux pluftoft ou plus tard. A fçauoir, s'il eft telle- ment fiiué, qu'il face beaucoup d'empefchement au cours de la ma- Î31 tiere des autres toûrbil|lons, il pourra eftre deftruit par eux, auant que les taches qui couurent fon aftre ayent loifir de deuenir fort épaiffes; mais s'il ne les empefche pas tant, ils le feront diminuer peu à peu, en attirant vers eux quelques parties de fa matière, & cependant les taches qui couurent l'aftre qu'il a en fon centre, s'épaiftiront de plus en plus, & il s'accumulera continuellement de nouuellc matière, non feulement en dehors, en la façon cy-deffus expliquée*, mais aurti en dedans autour d'elles. Par exemple, en cette figure*', le tourbillon N eft tellement fitué, qu'il empefche manifefte- ment le cours du tourbillon S, dauantage que ne fait aucun des autres qui l'enuironnent; c'eft pourquoy il fera facilement emporté par luy, fi toft que l'aftre qu'il a en fon centre, eftant couuert de taches, n'aura plus de force pour luy refifier. Et alors la circonfé- rence du tourbillon S, qui eft maintenant referrée par la ligne courbe OPQ, s'cllcndra jufques à la ligne ORQ, pource qu'il em- portera aucc foy toute la matière qui eft contenue entre ces deux lignes OPQ, ORQ, & luy fera fuiure fon cours, pendant que le rcftc de lii matière qui compofoit le tourbillon N, à fçauoir celle qui

a. Art. 113, p. 167.

b. Planche HI.

Principes. Tboisiesmk Partie. 171

eft entre les lignes ORQ, OMQ, fera aufli emportée par les autres tourbillons voifins. Car rien ne Içauroit | conferuer le tourbillon N 232 en la fiiuation je le fuppofe à prefent, fmon la... force de l'a/îre qui efl en fon centre, ^ qui, pouffant de tous collez la matière du fécond élément qui l'e)iuiro)iiie, la contraint de fuiure fon cours pluftofl que ccluy des tourbillons d'alentour. Kt cette force s'alloi- blit, puis enfin fe perd tout à fait, à mefure que cet al\re fe couure de taches.

iij. Commentées taches petitient aujfi quelquefois deuenir fort épaijfes, auant que le tourbillon qui les contient foit dejîruit.

. Mais en cette autre figure \\q tourbillon C eil tellement fitué entre les quatre S, F, G, H & les deux autres M & N, lefquels on doit con- ceuoir au defl'us de ces quatre, que, bien qu'il s'amall'c quantité de taches fort épaifles autour de l*ïiftre ^«*/7 a eu fon centre, il ne pourra toutefois eftre entièrement deftruit, pendant que les forces de ces fix qui l'euuironnent feront égales. Car je fuppofe que les deux S, F, & le troifiéme M, qui elt au-deffus d'eux cnuiron le point D, fe meu- uent chacun autour de fon propre centre, de D vers C ; & que les trois autres G, H, & le fixiéme N qui fur eux, fe meuuent aufli chacun autour de fon centre, d'E vers C; & enfin, 'que le tourbillon C eft tellement enuironné de ces fix, qu'il n'en louche aucuns autres, & que fon centre eft également diftant de tous leurs centres, & que l'effieu autour duquel il fe meut, eft en la ligne E D: au moyen d? quoy les | mouuemens de ces fept tourbillons s'accordent fort bien, 233 & quelque quantité de taches qu'il puiffe y auoir autour de l'aftre... C, en forte qu'il ne luy refte que peu ou point de force pour faire tourner auec foy la matière du tourbillon qui l'enuironne, il n'y a aucune raifon pour laquelle les fix autres tourbillons puilfcnt chalfer cet aftre hors de fa place, pendant qu'ils font tous fix égaux en force.

1 18. En quelle façon elles font produites.

Mais afin de fçauoir en quelle façon il a pu s'amafler fort grande quantité de taches autour de luy, penfons que fon tourbillon a efté au commencement aufti grand que chacun des fix autres qui l'enui- ronnent..., & que cet aftre, eftant compofé de la matière du premier clément, qui venoit en luy des trois tourbillons S, F, M, par fon

a. En marge : « Voyez la figure 2 de la planche 9. »>

172 OEUVRES DE Descartes,

pôle D, & des trois autres G, H, N, par/o« autre pole% & n'en refor- toit par fou Ecljy tique qui ejloit vis à vis des points K & L, que pour rentrer en ces mefmes tourbillons, a auiïi efîé fort grand ; en forte qu'il auoit la force de faire tourner auec foy toute la matière du Ciel comprife en la circonférence 1234, & ainf d'en compofer fort tourbillon : mais que l'inégalité & incommenfurabilité des fig-ures& grandeurs... qu'ont les autres parties de l'vniuers, n'ayant pu per- mettre que les forces de cesfept tourbillons foient touf jours demeu-

234 rées éga\les comme nous fuppofons qu'elles ont efîé au commencement, lors qu'il eft arriué que le tourbillon G a eu tant foit peu moins de force que fes voifms, il y a eu quelque partie de fa matière qui a paffé en eux, & cela s'eft fait auec impetuofité, en forte qu'il en ell plus paffé que la différence qui efîoit entre fa force & la leur ne reque- roit : c'eit pourquoy il a deu repaffer en luy vn peu après quelque partie de la matière des autres, & ainfi par interualles en pajfer derechef de luy en eux, & d'eux en luy plufeurs fois . Et pource qu'à chaque fois qu'il efl ainfi forty de luy quelque matière, fon aftre s'eft deu couurir d'vne nouuelle écorce de taches en la façon cy-dejfus expliquée^, fes forces fe font diminuées de plus en plus ; ce qui a eilé caufe qu'il eft à chaque fois forty de luy vn peu plus de matière qu'il n'y en eft rentré, jufques à ce qu'enfin il eft deuenu fort petit, ou m'efme qu'il n'eft rien du tout refté de luy, excepté l'aftre qu'il auoit en fon centre, lequel aftre, eftant enuelopé de plufieurs taches, ne peut fe méfier auec la matière des autres tourbillons, ny eftre chaffé par eux hors de fa place, pendant que ces autres tourbillons font entr'eux à peu près d'égale force. Mais cependant les taches qui l'en- uclopcnt fe doiuent efpaiftir de plus en plus; & enfin, fi quelqu'vn

235 des tourbillons voifins deuient | notablement plus grand & plus fort que les autres, comme, par exemple, fi le tourbillon H s'augmente tant qu'i' eftende fa fuperficie jufques à la ligne 5G7, alors il em- portera facilement auec foy tout cet aftre G, lequel ne fera plus liquide &. lumineux, mais dur & obfcur ou opaque, ainfi qu'vne Gometc ou vne Planète.

I If). Comment vne EJîoile fxe peuLdeuenir Comète ou Planète '.

Maintenant il faut que nous confiderions de quelle façon fe doit mouuoir cet aftre..., lors qu'il commence à eftre ainfi emporté par

a. En marge : « Voyez la figure 2 de la planche 9. »

b. Art. lia, p. 167, ci-avant.

c. Voir Correspondance de Descartes, t. IV, p. 461-463.

Principes. Troisiesme Partie.

1)

le cours de quelqu'vn des tourbillons qui luy font voifins. Il ne doit pas feulement fe mouuoir en rond auec la matière de ce tour- billon, mais aufTi eftre pouffé par elle vers le centre de ce mouue- ment circulaire, pendant qu'il a en foy moins d'agitation que les parties de cette matière qui le touchent. Et pource que toutes les petites parties de la matière qui compofe vn tourbillon, ne font pas égales ny en agitation, ny en grandeur, & que leur mouuement eft plus lent, félon qu'elles font plus éloignées de la circonférence, juf- ques à vn certain endroit, au deffous duquel elles fe meuuent plus vite, & font plus petites, félon qu'elles font plus proches du centre, ainfi qu'il a efté dit cy-deffus* ; fi cet aftre eft fi folide que, deuant que d'eftre defcendu jufques à l'endroit font les parties du tourbillon qui fe meuuent le plus lente|ment de toutes, il ait acquis autant 236 d'agitation qu'en ont celles entre lefquelles il fe trouuera, il ne def- cendra point plus bas vers le centre de ce tourbillon, mais, au con- traire, il montera vers fa circonférence, puis palfera de en vn autre, & ainfi fera changé en vne Comète. Au lieu que, s'il n'eft pas affez folidejPOMr jct^wt'r/r tant d'agitation, & que pour ce fujet ildef- cende plus bas que l'endroit oii les parties du tourbillon fe meuuent le moins rite, il arriuera Jufques à quelque autre endroit entre cettuy- cy & le centre, eftant paruenu il ne fera plus que fuiure le cours de la matière qui tourne autour de ce centre, fans monter ujr def- cendre dauantage, & alors il fera changé en vne Planète.

120. Comment fe meut cette EJloile, lors qu'elle commence à n'ejlre plus fixe.

Penfons, par exemple, que la matière du tourbillon AEIO" commence maintenant à emporte» auec foy l'aftre N, & voyons vers elle doit le conduire. Puifque toute cette maf'ere fe meut au- tour du centre S, il eft certain qu'elle tend à s'en éloigner, fuiuant ce qui a efté dit cy-de(fus% & par confequent que celle qui eft à prefent vers O, en tournant par R vers Q, doit pouffer cet aftre en ligne droite d'N vers S, & par ce moyen le faire dcfcendrc vers là. Car en confiderant cy-apres" la nature de la pefanteur, on con- noiftra que, lors quVw corps... eft ainfi pouffé vers le centre du

a. Art. 83, 84 et 85, pp. 149 et i5o.

b. En marge : « Voyez la planche 3 en la page précédente. » Voir aussi Correspondance de Descartes, t. IV, p. 463-464.

c. Ci-avanr, art. 56 et suiv., p, i3i. etc.

d. Partie IV, art. 23, ci-après.

«

174 Œuvres de Descartes.

237 tourbillon dans j lequel il cft, on peut dire proprement qu'il -def- cend. Or celle maliere du Ciel qui ejl vers O doit ainfi faire defcendre cet aftre au commencement, lors que nous ne conceuons point qu'elle luy donne encore aucune autre agitation; mais pource que, l'enuironnant de toutes parts, elle l'emporte aufli circulairement auec foy d'N vers A, cela luy donne incontinent quelque force pour s'écarter du centre S, & ces deux forces ejîanl contraires, c'eft félon qu'il ell plus ou moins folide, que l'vne a plus d'effet que l'autre ; en forte que, s'il a fort peu de folidité, il doit defcendre fort bas vers S, & s'il en a beaucoup, il ne doit que fort peu defcendre au commencement, puis incontinent après remonter & s'éloigner du centre S.

121

Ce que j'entens par la folidité des corps, &par leur agitation.

l'entens icy par la folidité de cet altre la quantité de la matière du troiliéme élément, dont les taches & l'air qui l'enuironnent font compofez, en tant qu'elle ell comparée auec Vefîenduë de leur fuperficie, & la grandeur de l'efpace qu'occupe cet aftre. Car la force dont la maliere du tourbillon A E I O' l'emporte circulairement autour du centre S, doit eftre ellimée par la grandeur des fuper- ticies qu'elle rencontre en l'air ou aux taches de cet a/Ire, i\ caufe que, d'autant que ces fupertlcies font plus grandes, il y a d'autant 238 plus grande quantité de cette | matière qui agit contre luy. Mais la force dont cette mefme matière le fait defcendre vers S, doit élire mefuréc par la grandeur de l'efpace qu'il occupe, à caufe que, bien que toute la matière qui ell dans le tourbillon AEIO, face effort pour s'éloigner d'S, ce n'eft pas toutefois elle toute, mais feulement ce font celles de fes parties qui montent en la place de l'allre N, lors qu'il dcfccnd, ^: qui par confeqacnt font égales en grandeur à rcfpncc qu'il quitte, lefquelles agiffcnt contre luy. Enfin la force que cet allre acquert de ce qu'il ejî tranfportc circulairement autour du centre S pai- la maliere du Ciel qui le contient, la force, dis-Je, qu'il acquert pour continuer à ertre ainfi tranfporté, ou bien à fc mouuoir, qui elt ce que j'nppclle fon agitation, ne doit pas eftre mefuréc par la grandeur de fa luperficic, ny par la quantité de toute la matière dont il cil compofé, mais feulement par ce qu'il y a en luy, ou autour de luy, de la matière du troiliéme clément, dont les petite» parties fc foulliennent iS: demeurent jointes les vues aux

a. Kn marijc : Voyez la planche 3 en In page qui fuit. -<

Principes. Troisiesme Partie. 175

autres... Car pour la matière qui appartient au premier ou bien au fécond élément, d'autant qu'elle fort continuellement hors de cet aflre, & qu'il y en entre d'autre en fa place, cette dernière ne peut pas retenir la force de l'agitation qui a efté mife en celle à | qui 239 elle fuccede : outre qu'il n'a peut-ejtre efté mis aucune nouuclle agitation en celle-cy; mais le mouuement qu'elle auoit d'ailleurs, a erté feulement déterminé à le faire vers certain cofté pltijfq/î que vers d'autres ; & cette détermination peut cftre continuellement changée par diuerfes caufes.

/21'. Que la folidité d'vn corps ne dépend pas feulement de la matière dont il ejl çfimpofé,mais aujft de la quantité de cette matière & de fa figure.

Ainfi nous voyons fur cette terre, que des pièces d'or, de plomb, ou d'autre métal, conferuent bien plus leur agitation, èk. ont beau- coup plus de force à continuer leur mouuement, lors qu'elles font vne fois ébranlées, que n'ont des pièces de bois ou des pierres de mefme grandeur & de mefme figure, ce qui fait que nous jugeons qu'elles font plus folides : c'eft à dire, que ces métaux ont en eux plus de la matière du troifiéme élément, & moins de pores qui foient remplis de celle du premier ou du fécond. Mais vne boule pourroit eflre fi petite, qu'encore qu'elle fuit d'or, elle auroit moins de force à continuer fon mouuement qu'vne autre beaucoup plus grollc, qui ne feroit que de bois ou de pierre. Et on pourroit aufli donner telle figure à vn lingot d'or, qu'vne boule de bois plus petite que luy feroit capable d'vne plus grande agitation : à fçauoir fi on le tiroit en filets fort dcliei, ou ft on le battoit en fueilles fort minces, ou fi on le renjdoit plein de pores ou petits trous femblables 240 à ceux d'vne efponge, ou fi, en quelqu'autre façon que ce.foit, on luy failbit auoir plus de fuperricie, à raifon de la quantité de fa matière..., que n'en a cette boule de bois.

t 'j3. Comment les petites boules du fécond élément peuuent auoir plus de folidité que tout le corps d'vn aflre.

Et il peut arriuer, en mefme façon, que l'afire N ait moins de folidité ou moins de force pour continuer fon mouuement, que les petites boules du fécond élément qui l'enuironnent, nonobltant qu'il foit fort gros & couuert de plufieurs écorces de taches. Car ces petites boules font aufji folides qu'aucun corps de mefme grandeur

j6

Œuvres de Descartes.

fçauroit eflre, d'autant que nous tiQ fiippofons point qu'il y ait en elles aucuns pores qui doiuent ertre remplis de quelque autre ma- tière..., &.que leur figure eh fpherique, qui eft celle qui contient le plus de matière fous vne moindre fuperficie, ainfi que fçauent les Géomètres. Et de plus, encore qu'il y ait beaucoup d'inégalité entre leur petitefl'e & la grandeur d'vn aftre, cela eft recompenfé..., parce que ce n'eji pas vne feule de ces boules qui doit ejîre icy comparée auec cet ajire, mais vne quantité de telles boules qui puijfe occuper autant de place que luf. En forte que, pendant qu'elles tournent auec l'aftre N autour du centre S, & que ce mouuement circulaire leur donne, tant à elles qu'à cet aftre, quelque force

241 pour s'éloi|gner de ce centre, s'il arriue que cette force foit plus grande en cet aftre feul. qu'en toutes les petites boules jointes enfemble qui doiuent occuper fa place, en cas qu'il la quitte, il fe doit éloigner de ce centre...; mais fi, au contraire, il en a moins, // doit s'en approcher.

IZ4. Comment elles peuuent aujfi en auotr moins.

Et comme il fe peut faire qu'il en ait moins, il peut faire aujji qu'il en ait dauantage... nonobftant qu'il n'y ait peut-eftre pas tant en luy de la matière du troifiéme élément, en laquelle feule confifle cette force, qu'il y en a de celle du fécond, en autant de ces petites boules qu'il en faut pour occuper vne place égale à la fienne ; pource qu'eftant feparées les vues des autres, & ayans diuers mouucmens, quoy qu'elles confpirent toutes enfemble pour agir contre luy, elles ne fçauroicnt eftre fi bien d'accord, qu'il n'y ait touf-jours quelque partie de leur force qui efl diuertie, & demeure en cela inutile : mais, au contraire, toutes les parties de la matière du troifiéme élément, qui compofent l'air... & les taches... de cet aftre, ne font enfemble qu'vn feul corps, qui fe meut tout entier d'vn mefme branfle, & amfi employé toute fa force à continuer fon mouuement vers vn feul coftc. Et c'cft pour cette mefme raifon que les pièces de bois & les glaçons qui font emportez par le cours d'vne riuiere, ont

242 beaucoup plus de force | que fon eau à continuer leur mouuement en ligne droite, ce qui fait qu'ils choquent auec plus d'impetuofité les dellours de fon riuagc, d'- les autres obflaclcs qu'ils rencontrent ; nonobftant qu'il y ait moins en eux de la matière du troifiéme élé- ment, qu'il n'y en a en vne quantité d'eau qui leur eft égale en groilcur.

Principes. Troisiesme Partie. 177

125. Comment quelques vnes enpeuuent auoir plus, & quelques autres ' . - en auoir moins.

Enfin il fe peut faire qu'vn méfme aftre foit moins folide que quelques parties de la matière du ciel, & le foit plus que quelques autres qui feront vn peu plus petites, tant pour la raifon que je viens d'expliquer, à fçauoir que les forces de plujieurs petites boules ne font pas Ji vnies que celles d'vne plus grojfe qui leur ejl égale, comme auiTi àcaufe que, bien qu'il y ait juftemem autant de la matière du fécond élément en toutes les boules qui occupent vn efpace égal à celuy de cet ajire. lors qu'elles font fort petites, que lors qu'elles font plus grofles; toutefois les plus petites ont moins de force, à caufe ^2/ 'elles ont plus de fuperficie, à raifon de la quantité de leur ma' tiere, & pour ce fujet elles peuuent plus facilement eftre deftournées que les plus groffes, foit par la matière du premier élément qui eft dans les recoins qu'elles laiflent autour d'elles, foit par les autres corps quelles rencontrent.

126. Comment vne Comète peut commencer âfe mouuoir.

Si donc maintenant nous fuppofons que | l'aftre N' foit plus folide 243 que les parties du fécond élément alîez éloignées du centre S, & qui font égales entr'elles, il eft vray qu'il pourra d'abord eftre poulfé vers diuers coftez, & aller plus ou moins direâement vers S^ fuiuant la diuerfe difpofiiion des autres tourbillons, du voifinage defquels il s'éloignera; d'autant qu'ils peuuent le retenir ou le poufl'er en plufieurs façons; à quoy contribuera aufti fa folidité, pource que, d'autant qu'elle eft plus grande, d'autant peut elle plus refifter aux caufes qui le deftournent du premier chemin qu'il a pris. Mais neantmoins les tourbillons dont il eft voifin ne le peuuent pouffer au commencement auec beaucoup de force, veu que nous fup- pofons qu'il eft demeuré vn peu auparauant au milieu d'eux fans changer de place, ny par confequent ejlre pouffé par eux d'aucun cojié; d'çii il fuit qu'il ne peut commencer ù fe mouuoir contre le cours du tourbillon AEIOQ, c*e/i à dire, paJJ'cr du lieu oii il ejt vers les parties de ce tourbillon, qui font entre le coJié de fa circonférence 10 &. le centre S, mais feulement vers l'autre cofté, entre S *S' AQ; vers lequel cofté il doit enfin arriuer en quelque lieu la ligne, /o/7

a. Planche III,

Œuvres. IV. *"

178 Œuvres de Descartes.

droite, l'oit courbe, que décrit Ion mouuement, louchera Ivne des lignes circulaires que décriuent les parties du fécond élément en tour-

244 nant | autour du centre S; après élire paruenu, il continuera ion cours de telle forte qu'il s'éloignera touf-jours de plus en plus du point S, jufqucs à ce (\vC'\\ forte entièrement du tourbillon AE 10, & palTe dans les limites d'wn autre. Par exemple, s'il le mçut, au commencement, i'uiuant la ligne NC, lors qu'il fera paruenu au point C, cette ligne courbe NC touche le cercle que décriuent en ce lieu \es parties du fécond clément «//// tournent autour d'S, il commencera à s'éloigner de ce centre S, fuiuant la ligne courbe C 2, laquelle palfc entre ce cercle & la ligne droite qui le touche au point C. Car ayant elle conduit jufques à C par la matière du fécond clément, plus éloignée d'S que celle qui ell vers C, &. qui par confe- quent fe mouuoit plus vite, &. auec cela ellant plus folidc qu'elle, ainfi que nous fuppofons, il ne peut manquer d'auoir plus de force à continuer fon mouuement fuiuant la ligne droite qui touche ce cercle; mais pource que, \i toll qu'il ell au delà du point C, il ren- contre d'autre matière du fécond élément qui fe meut vn peu plus vite >jue celle qui efl vers C, & qui tourne en rond comme elle autour du centre 5, le mouuement circulaire de celte matière fait que cet atlre fe détourne quelque peu de la ligne droite qui touche k cercle au

245 p,)int C. & ce qu'elle a de vitefjfe plus que luy, eft caufe qu'il monte plus haut, & ainfi qu'il fuit la ligne courbe C 2, laquelle s'écarte d'autant moins de la ligne droite qui touche le cercle, que cet ailre cil plus iblide, & qu'il ell venu d'N vers C aucc plus de vitcllc.

127. Comment les Comètes continuent leur mouuement.

Pendant qu'il fuit ainfi fon cours vers la circonférence du tour- billon AEIO", il acquert alfez d'agitation pour auoir la force de paffer an delà, à'- entrer dans vn autre tourbillon, duquel il pafle par après en vn autre, d'- continue ainfi fon mouuement, touchant lequel il r a icy deux cliofes à remarquer. La première efi que, lors que cet a/lre.,, pajfc d'vn tourbillon dans vn autre ^ il pouffe touf-Jours deuant foy quelque peu de la matière de celuy d'oii il fort ^ & n'en peut ejlrc entièrement deuelopé, qu'il ne foi t entré affe^ auant dans les limites de l'autre... Par exemple, lors qu'il /or/ du tourbillon AEIO, d' qu'il cil vers -i, il fe irouuc encore enuironnc de la matière de ce tour-

a. En marge; « Voyez la rigurc qui fuit. Il s'agii loujours de U\ planche III, jusqu'h l'art. i33 inclus.

Principes. Troisiesme Partie. 179

billon qui tourne autour de luy, & n'en peut eflrc entièrement dégagé qu'il ne foit vers 3, dans le tourbillon AE V... L'autre chofe qu'il faut i^emarqucr ejl que le cours de cet aitre décrit vne ligne diuerfement courbée félon les diuers mouuemens des tourbillons par il paffe, comme on voit icy que la partie de cette ligne 234 eft courbée tout autrement que la précédente | NC 2, pourcc que 24iî kl matière du tourbillon AEV tourne d'A par E vers V, & celle du tourbillon AEIO, d'A par E vers I; & la partie de cette ligne 5678 eft prefque droite, pource que la matière du tourbillon elle eft, tourne fur l'eflieu XX. Au rcfte les aftres qui pallent ainil d'vn tourbillon dans vn autre, font ceux qu'on nomme des Comètes, defquelles je tal'chcray icy d'expliquer tous les phainomenes.

128. Quels font leurs principaux Phainomenes.

Les principales chofes qu'on obferue eti elles, font qu'elles pallent l'vne par vn endroit du Ciel, l'autre par vn autre, fans fuiurc en cela aucune règle qui nous foit connue; ^ que nous n'en voyons vne mefme que pendant peu de mois, ou quelquefois mefme peu de jours; & que pendant ce temps elles ne trauerfent jamais plus, ou guercs plus, mais fouuent beaucoup moins, que la moitié de nolhe Ciel. Et que, lors qu'elles commencent à poroiftre, elles femblent allez grolfes; en forte que leur groll'eur apparente n'aug- mente guère par après, finon lors qu'elles trauerfent vne fort grande partie du Ciel; mais que, lors qu'elles tendent à leur tin, on les voit diminuer peu à peu JuJ'ques à ce qu'elles cejfent de paroi/Ire. Et que leur mouuemcnt eft aulli en fa plus grande /bra» au commencement, ou peu après le commencement de leur apparition; mais qu'il s*a)Ientit par après peu à peu jufques à la tin. Et je ne me fouuiens 247 point d'auoir leu, que dvne feule, qu'elle ait ejié veuë trauerfer en- uiron la moitic de noftre Ciel, à fçauoir' dans le liure de Lotharius Sarlius ou bien Horatius (irallius, nommé Libra AJlronomica^, il en parle comme de deux Comètes; mais je juge que ce n'a efté qu'vnc mefme dont il a tiré l'hiftoire de deux autheurs, Regiomon- tanus c^ P(jntanus, qui l'ouï expliquée eu termes differens, ik. qu'on dit auoir paru en l'an 1475, entre les Elloiles de la Vierge, &auoir clli' ai- commencement... alfez petite 6c tardiue en fon mouuement,

a. .< A Ivauoi! . . . Ponianus. « Note marginale du texte latin, insticc ici dnii> la version fransaise. Voir Correspondance, t. IV. p. i5i, I. r4. e: p. GÔ5.

b. Voir Correspondance, i. IV, p. i5i, 1. 4.

i8o Œuvres de Descartes.

mais que peu après elle deuint d'vne merueilleufe grandeur, ôc acquit tant de vitelFe, qu'en palTant par le Septentrion elle y parcou* rut en vn jour trente ou quarante degrez de l'vn des grands cercles^ qu'on intagine en la fphere, & alla par après peu à peu difparoiftre proche des Ertoiles du Poiflbn Septentrional, ou bien vers le figne du Bélier.

12p. Quelles font les caufes de ces phainomenes .

Or les caufes de toutes ces obferuations fe peuuent icy' entendre fort aifement. Car nous voyons que la Comète que nous y auons décrite f y trauerfe le tourbillon F d'autre façon que le tourbillon Y, & qu'il n'y a aucun cofté dans le Ciel par lequel elle ne puiffe paffer

248 en cette forte; & il faut penfer qu'elle retient à peu près | la mefme viteffe, à fçauoir celle qu'elle acquert en paflant vers les extremitez de ces tourbillons, la matière du Ciel eil fi fort agitée qu'elle y fait fon tour en peu de mois, comme il a efté dit cy-deffus''; d'où il fuit que cette Comète, qui ne fait qu'enuiron la moitié d'vn tel tour dans le tourbillon Y, & en fait beaucoup moins dans le tourbillon F, & n'en peut jamais faire gueres plus en aucun, ne peut demeurer que peu de mois en vn mefme tourbillon. Et fi nous confiderons qu'elle ne fçauroit eftre veuë de nous que pendant qu'elle eft dans le premier Ciel, c'efî à dire dans le tourbillon vers le centre duquel nous habitons, & mefme que nous ne l'y pouuons apperceuoir que* lors qu'elle ceffe d'eftre enuironnée & fuiuie par la matière du tour- billon d'où elle vient, nous pourrons entendre pourquoy, lîonob- ftant qu'vne mefme Comète fe meuue touf-jours à peu près de mefme vitelle & demeure de mefme grandeur, il doit neantmoins fembler qu'elle eft plus grande & fe meut plus vite au commence- ment de fon apparition qu'à, la fin, & quelquefois auïTi qu'elle eft encore plus grande & fe meut plus vite entre ces deux temps qu'au commencement. Car H nous penfons que l'œil de celuy qui la regarde eft vers le centre du tourbillon F, elle lûy paroiftra plus

249 gran|dc & auec vn mouuement plus vite, eftant vers 3, il com- mencera de l'aperceuoir, que vers 4, elle cédera de luy paroiftre, pource que la ligne droite F 3 eft beaucoup plus courte que F4, & que l'angle F43 eft plus aigu que F 3 4. Mais fi le fpedateur eft vers Y, cette Comète luy paroiftra fans doute plus grande, & auec

a. Voir planche III.

b. Art. 82, p. 148.

c. Voir Correspondance, t. V, p. 387.

Principes. Troisiesme Partie. i8i

vn mouuement plus vite, quand elle fera vers 5, il commencera de la voir, que quand elle fera vers 8, il la perdra de veuë ; mais elle luy paroiftra encore beaucoup plus grande & auec plus de viteffe que vers 5, quanà elle paflera de 6 jufquesà 7, pource qu'elle fera fort proche de fes yeux. En forte que,/ twus prencms ce toin^billon Y pour le premier Ciel oii nous fommes, elle pourra paroiftre entre les Eftoiles de la Vierge eftant vers 5, & proche du pôle Boréal en paf- fant de 6 jufques à 7, & parcourir en vn jour trente ou quarante degrez de l'vn des grands cercles de la/phere, & enfin fe cacher vers 8, proche des Eftoiles du Poilïon Septentrional : en niefme façon que cette admirable Comète de l'an 1475, qu'on dit aiioir oi\é obferuée par Regiomontanus.

i3o. Comment la lumière des EJloiles fixes peut paruenir jufques à la Terre,

Il eft vray qu'on peut icy demander pourquoy nous celTons de voir les Comètes, fi toft qu'elles fortent de noftre ciel, & que nous ne laiffons pas de voir les Eftoiles fixes, encore | qu'elles foient fort 250 loin au delà. Mais il y a de la différence en ce que la lumière des Eftoiles, venant d'elles-mefmes, eft bien plus viue & plus forte que celle des Comètes, qui... eft empruntée du Soleil. Et fi on prend garde que a lurhiere de chaque Eftoile confifte en l'adion dont toute la matière du tourbillon dans lequel elle eft, fait effort pour s'éloi- gner d'elle fuiuant les lignes droites qu'on peut tirer de tous les points de fa fuperficie, & qu'elle preffe par ce moyen la matière de tous les autres tourbillons qui l'enuironnent, fuiuant les mefmes lignes droites... (ou fuiuant celles que les loix de la refradion leur font produire, quand elles paffent obliquement d'vn corps en vn autre, ainfi que j'ay expliqué en la Dioptrique), on n'aura pas de difficulté à croire que la lumière des Eftoiles, aon feulement de celles comme/, F, L, /)%qui font les plus proches de la terre, laquelle je fuppofe eftre vers S, mais auffi de celles qui en font beaucoup plus éloignées, comme Y & femblables. peut paruenir jufques à nos ■yeux. Car d'autant que les forces de toutes ces Eftoiles [au nombre def quelles je mets aujji le Soleil), jointes à celles des tourbillons qui les enuironnent, font touf-jours égales entr'elles : la force dont les rayons de lumière qui viennent d'F tendent vers S, eft véritable- ment diminuée" à mefure \ qu'ils entrent dans le tourbillon A E I O, 251

a. Voir planche III.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 388.

iHi OEuvREs DE Descartes.

par la refiftence qu'ils y trouuent; mais elle ne peut eftre entière- ment efteinteque lors qu'ils font paruenus jufques au centre S; c'eft pourquoy, lors qu'ils arriuent à la terre qui eft vn peu éloignée de ce centre, il leur en relie encore a(ÏQZ pour agir cojitre nos yeux. Et tout de mefme, les rayons qui viennent d'Y peuuent eftendre leur adion jufques à la terre; car l'interpoiition du tourbillon AEV ne diminuL' rien de leur force, finon en tant qu'elle les en rend plus éloi- gne'{, pource qu'e//e ne leur reftjie pas dauantage, en ce qu'elle fait effort pour aller d F vers Y, qu'elle leur ajde, en ce qu'elle fait aujji effort pour aller d* F vers S. Et le mefme fe doit entendre des autres Eftoiles.

i3i. Que les EJîoiles ne font peut-ejîre pas aux me/mes lieux elles paroîjjent. Et ce que c'eft que le Firmament.

On peut aufli remarquer en cet endroit, que les rayons qui viennent d'Y vers la terre*, tombent obliquement fur les lignes A E & VX, lefquels reprefentent les fuperficies qui feparent les tour- billons S, F, Y, les yns des autres, de façon qu'ils y doiuent fouffrir refradion, âfe courber. D'où il fuit qu'on ne voit point de la terre toutes les Eftoiles, comme eftant aux lieux elles font véritable- ment, mais qu'on les voit comme (i elles eftoient dans les lignes droites menées vers la terre, des endroits de la fuperficie de nofîre 252 C/VAAEIO, par lefquels | paffent ceux de leurs rayons qui viennent à nos yeux ; & peut-eltre aufTi qu'on voit vne mefme Eftoile, comme n elle eltoit en deux ou plufieurs lieux, <^ ainjî qu'on la comte pour plufieurs. Car, par exemple, les ra/ons de l'Efloile Y peuuent auffi bien aller vers S, en paffant obliquement par les fuperjicies du tour- billon f, qu'en paffant par celles de l'autre marqué F, au moj'en de quoj on doit voir cette Effoile en deux lieux, àfçauoir entre E & I €■ entre A & F, Mais, d'autant que les lieux oii fe voyent ainft les Efîoiles demeurent fermes, €• n'ont point paru fe changer depuis que les Aftronomes les ont remarquez, il me fcmblc que le firmament n'eft autre chofe que la fuperficie qui fcpare ces tourbillons les vus des autres, & qui ne peut ejlre changée, que les lieux apparens des Efîoiles ne changent auffi.

0. Voir planche III.

Principes. Troisiesmf. Partie. i8j

iJ-j. Pourquoi' nous ne voyons point les Comctcs quand elles font hors de no/tre Ciel.

Pour ce qui cil de la lumière des Comètes. Lrauiani qu'elle ell beaucoup plus foible que celle des EUoiles fixes, elle n'a point allez de force pour agir contre nos yeux, li nous ne les voyons fous vn angle alfez grand; de façon que leur dillance feule peut empcfcher que nous ne les appcrceuions, quand elles font fort éloignées de noilre Ciel ; car il ell conllant que nous voyons vn mefme corps fous vn angle d'autant plus petit qu'il ell plus éloigné de nous. Mais j lors qu'elles en font allez proches, il ell aile d'imaginer 253 diuerlcs caufes qui nous peuuent cmpefchcr de les voir auant qu'elles y foient tout à fait entrées, bien qu'il ne foit pas a\ fc de fçauoir laquelle c'cll de ces caufes qui véritablement nous en cni- pefchc. Par exemple ', li l'a-il du fpcclateur ell vers F. il ne comnicu' cera de voir la Comète ia' reprejeiilée, que lors qu'elle fera rers S, & ne la verra pas encore quand elle fera \ers i, pource qu'elle ne fera ,

pas tout à fait déuclupée de la matière du tourbillon d'où elle fort, fuiuaul ee qui a c/le dil ej'-de(}'us ; Si toutefois il la pourra voir lors qu'elle fera vers 4, bien qu'il y ait plus de dillance enlre F c- 4 qu'enlre F C- 2. Ce qui peut élire caufé par la façon dont les rayons de l'Elloile V, qui tendent vers 2, fouilreni réfraction en la fupcr- ficic conuexe de la matière du Ciel .\J.\ lO, qui fe trouue encore autour de la Comète. Car celte réfraction les dellournc de la per- pendiculaire, conformément à ce que j'ay demonllré en la Diop- trique'', à caufe que ces rayons palfcni beaucoup plus dillicilement par la matière du ciel A E I O. que par cel'c du tourbillon A E VX. Ce qui fait qu'il en arriue beaucoup moins jufques à la Comète, qu'il n'v en arriucroit fans cette refracticMi, t^ ainli que, receuant peu de rayons, ceu.x qu'elle renuoye vers l'ceil du fpeclateur ne font | pas 254 alfez forts pour rendre vijîble. Le me/me ej/eel peut anjji ejire caufé de ce que, comme c'ell touf-jours la mefme face de la Lune qui regarde la Terre, ainll chaque Comète a peut-cil re vn. collé qu'elle tourne touf-jours vers le centre du tourbillon dans lequel elle ell, ^ n'a que ce collé qui foit propre à retléchir les rayons qu'elle reçoit. De façon que la Comète qui cil vers 2. a encore celuy de l'es collez qui eil propre à réfléchir la lumière tourne vers S, & ainfi ne peut elhc veuc par ceux qui font vers F; mais eJîanlversJ, clic

a. Fn niart^o : ■< Voyez la ligurc qui fuit. )> Entendez la planche III.

b. Discours II, p. q'? et suiv. de couo Odifion.

184 OEuVRES DE DeSGARTES.

l'a tourné . . . vers F, & ainfi commence à pouuoir y eftre vebë. Car nous auons grande raifon de penfer, premièrement, que, pen- dant que la Comète a passé d'N par C vers 2, celuy de fes codez qui eftoit vis à vis de l'aftre S, a efté plus échauffé, ou agité en fes petites parties, & raréfié par la lumière de cet aftre, que n'eftoit pas fon autre cofté; & enfuitte,que les plus petites, ou pour ainfi parler, les plus molles parties du troifiéme élément qui eftoient fur ce cofté de la fuperficie de la Comète, en ont efté feparées par cette agitation ; ce qui Ta rendue plus propre à renuoyer les rayons de la lumière de ce cofté-là que de l'autre. Ainfi qu'on pourra connoiftre par ce que je diray cy-apres' de la nature du feu, que la raifon qui

1B5 fait que les corps brujle\, ejiant con\uertis en charbons, font tous noirs, <9 conuertis en cendres, font blancs, confifte en ce que l'aâion du feu, agitant toutes les plus petites & plus molles parties des corps qu'il brufle, fait que ces petites parties viennent premièrement cou- urir toutes les fuperficies, tant extérieures qu'intérieures, qui font dans les pores de ces corps, & que de par après elles s'enuolent, & ne iaiffent que les plus groffieres qui n'ont pu eftre ainfi agitées; d'où vient que, fi Je feu efl efieint pendant que ces petites parties couurent encore les fuperficies du corps bruflé, ce corps paroifl noir & efl conuerti en charbon ; mais s*il ne s'efieint que de foy-mefme, après auoir feparé de ce corps toutes les petites parties qu'il en peut fepa- rer, alors il n'y refle que les plus groffieres, qui font les cendres, & ces cendres font blanches, à caufe qu'ayant pu refifier à l'aâion du feu, elles refflent auffi à celle de la lumière, & la font refléchir. Car les corps blancs font les plus propres de tous à refléchir la lumière, & les noirs y font les moins propres. De plus, nous auons raifon de penfer que ce cofté de la Comète qui a efté le plus raréfié, eft moins propre à fe mouuoir que l'autre, à caufe qu'il efl le moins folide, & que par confequent, fuiuant les loix des Mechaniques, /'/ doit touf jours fe tourner vers les centrées des tourbillons dans lefquels

*^* I pajfe la Comète. Ainfi qu'on voit que les flèches fe tournent en l'air, & que c'eft touf-jours le plus léger de leurs coftez qui eft le plus bas pendant qu'elles montent, & le plus haut pendant qu'elles def- cendent. Dont la raifon efl, que par ce moyen la ligne que décrit le vlus rare coflé de la Comète & le plus léger de la flèche, efl vn peu plus courte que celle qui efl décrite par l'autre, comme icy la partie concaue du chemin de la Comète marqué NC2, qui eft tournée versS,*/? vn peu plus courte que la conuexe, & celle du chemin 284,

a. Partie IV, art. 80 et suivants.

Principes. Troisiesme Partie, 185

qui eft tournée vers F, eft la plus courte, & ainfi des autres. On pourroit encore imaginer d'autres raifons qui nous empefchent de ' voir les Comètes pendant qu'elles font hors de noftre Ciel, à caufe qu'il ne faut que fort peu de chofe pour faire que la fuperficie d'vn corps fqit propre à renuoyer les rayons de la lumière, ou nour l'em- pefcher. Et touchant tels effets particuliers, defquels nous n'auons pas afTez d'expériences pour déterminer quelles fout les vrayes caufes qui les produifent, nous deuons nous contenter d'en fçauoir quelques vues par le/quelles il fe peut faire qu'ils foient produits...

i33. De la queue des Comètes, & des diuerfes chofes qu'on y a obferuées.

Outre les proprietez des Comètes que je viens d'expliquer, il y en a encore vne autre bien remarquable, à fçauoir cette lumière fort feftenduë,en forme de queue ou de cheuelure, qui a coufîume de les 257 accompagner & dont elles ont pris leur nom. Touchant laquelle on obferue que c'eft touf-jours vers le cofté le plus éloigné du Soleil, qu'elle paroift. En forte que, fi la Terre fe rencontre juftement en ligne droite entre la Comète '& le Soleil, cette lumière fe répand également de tous coftez autour de la Comète ; & lors que la Terre fe trouue hors de cette ligne droite, c'efl du mcfme cofiéoii eft la Terre que paj^oifl cette lumière, laquelle on nomme la cheuelure de la Co- mète, lors qu'elle la précède au regard du mouuement qu'on ohferue en elle, & on la nomme fa queue', lors qu'elle la fuit. Comme on obferua en fa Comète de l'an 1475, qu'au commencement de fon apparition elle auoit vne cheuelure qui la precedoit, & à la fin yne queue qui la fuiuoit, à caufe qu'elle eftoit alors en la partie du Ciel oppofée à celle oit elle auoit eflé au commencement. On obferue auflTi que celte queue ou cheuelure eft plus grande ou plus petite, non feulement à raifon de la grandeur apparente des Comètes, en forte qu'on n'en voit aucune en celles qui font fort petites, & qu'on la voit diminuer en toutes les autres, à mejure qu'approchant de leur fin, elles paroiffent moins grandes, mais aufli à raifon du lieu elles font, en forte que, fuppofant le | refte égal, la cheuelure de la Comète 258 paroift d'autant plus longue, que la Terre eft plus éloignée du point de fa route qui eft en la ligne droite qu'on peut tirer de cette Co- mète vers le Soleil; & mefme que, lors qu'elle en efi fi éloignée que le corps de la Comète ne peut eftre veu, à caufe qu'il eft offufqué par les rayons du Soleil, l'extrémité de fa queue ou cheuelure ne lailfe pas quelquefois de paroiftre, <S' on la nomme alors rne barre ou

i86 Œuvres de Desgartes.

cheuron de feu, à caufe qu'elle en a la figure. Enfin, on obTcrue que cette queue ou eheueîtire des Comètes eil quelquefois vn peu plus large, quelquefois vn peu plus ellroite que de cou /t unie ; qu'elle ell quelquefois droite, & quelquefois vn peu courbée; €• qu'elle paroiji quelquefois exaâement dans le mejne cercle qu'on imagine paffer par les centres du Soleil 6'- de la Comcle, & que quelquefois elle femble s'en deftourner quelque peu. De toutes lefquelles chofesyc tafcherar icj- de rendre rai/on.

i34. En quoy confijîe la refraâion qui fait paroijîre la queue des Comètes.

Et à cet effet, il faut que j'explique vn nouueau genre de refra- dion, duquel je n'ay point pailé en la Dioptriquc, à caufe qu'on ne le remarque point dans les corps terreftres. Il confifte en ce que, les parties du fécond élément qui compofent le Ciel n'eilant pas toutes 259 égales, mais plus petites au dejfous de la fphere de \ Saturne qu'au deffus\ les rayons de lumière qui viennent des Comètes vers la Terre font tellement tranfmis des plus greffes de ces parties aux plus petites, qu'outre qu'ils fuiuent leur cours en lignes droites, ils s'écartent aufli quelque peu de part ^ d'autre jt>(ir le moyen de ces petites^ & ainfi fouffrent quelque refradion.

i35. Explication de cette refraâion.

Confiderons, par exemple, cette figure'', en laquelle des boules affez greffes font appuyées fur d'autres beaucoup plus petites, c^ penfons que ces boules font en continuel niouuement, ainli que les parties du fécond élément ont elté cy-de(l'us' reprefentées, en forte que, fi l'vne d'elles clt poulfée vers quelque collé, par exemple, fi la boule A ell poulfée vers B, elle poulie en mefiiie temps toutes les autres qui font vers ce mefme collé, à fçauoir toutes celles qui font en la ligne droite AH, & ainfi leur communique cette adion. Tou- chant laquelle adion il faut remarquer qu'elle paflc bien toute en- tière en ligne droite depuis A jufques à C, mais qu'il n'y en a qu'vne partie qui coniinul' ainfi en ligne droite de C jufques à 13, ^ que le relie /i? de/lourne, & fe répand tout à l'entour jufques vers D & vers E. Car la boule C peut poulfer vers H la petite boule

a. Voir ci-avant, art, 82, p. 148.

b. Voir planche X.

c. Art. 62, p. 134.

Principes. Troisiesme Partie. 187

marquée 2, qu'elle nepoufl'e les deux autres, i & 3*, vers D & vers E, j au moyen de qiiof elle poujfe aitjji toutes celles qui font dans le ggo triangle DCE. Et il n'en eft pas de mefme de la boule A, lors qu'elle poude les deux autres boules 4 & 5 vers C ; car encore que l'adion dont elle les pouffe Ibit tellement receuë par ces deux boules, qu'elle femble élire deftournée par elles vers D & vers E, elle ne lailfe pas de pafl'er toute entière vers C, tant à caufe que ces deux boules 4 & 3, eflant également fouftenuës des deux collez par celles qui les enuironnent, la transfèrent toute à la boule 6 ; comme aufli à caufe que leur continuel mouuement fait que cette adion ne peut jamais élire receuë conjointement par deux telles boules, pendant quelque efpace de temps, & que, fi elle ejl mainte- nant receuë par l'inic qui ejl difpojêe à la de/tourner vers vn cojlé, elle ejl incontinent après receuë par me autre qui ejl difpofée à la dejiouriier vers le cojlé contraire, au moyen de quoy elle fuit touf- jours la mefme ligne droite. Mais lors que la boule C poulfe les autres plus petites i, 2, 3, vers B, fon aclion ne peut pas ainfi eftre rcnuoyée toute entière par elles " vers ce cofté-là ; car encore qu'elles le meuuent, il y en a touf-jours pluficurs qui la reçoiuent oblique- ment, £• la dejlourncnt vers diuers coJle-{ en mefme temps. C'ell pour- quoy, encore que la principale force, ou le principal rayon | de cette 261 aclion, foit touf-jours celuy qui paffe en ligne droite de C vers B, elle fe diuifc en vnc infinité d'autres plus foibles, qui s'ellendent de part & d'autre vers D & vers E. Tout de mefme, fi la boule F cil poulfée vers G, fon aclion palfe en ligne droite d'F jufques à H, ejîant paruenuë, elle fe communique aux petites boules 7, 8, 9, qui la diuifent en plujieurs rayons, dont le principal va vers G, èk. les autres fe deftourncnt vers D... Mais il faut icy remarquer que, pource que Je J'uppofe que la ligne H C, fuiuant laquelle les plus grojfes de ces boules font arrengccs fur les plus petites, ejl m cercle, les rayons de l'action dont elles font poujjëes, fe doiuent dtjîourner diuerfement, à rai fon de leurs diuerfes incidences fui- ce cercle. En forte que l'aélion qui vient d'A vers C, enuoye fon principal rayon vers B, & dillribué les autres également vers les deux collez D & E, pource que la ligne AC rencontre ce cercle à angles droits. Et l'adion qui vient d'F vers H, enuoye bien aufji fon principal rayon vers H% mais fuppofant que la ligne F H rencontre le cercle le plus obliquement qu'il fe puijfe, les autres rayons ne fe dellournent que

v. I (S: 3 .., corrige à Terrata. Texte imprimé : « & 3 ».

b. Imprimé « elle », taute d'impression.

c. Lire « vers G ».

i88 OEuvRES DE Descartes.

vers vnfeul cojlé, à Jçaiioir vers D, ils Je répandent en tout l'e/pace qui ejl entre G & D, SLjont touf-Jours d'autant plus foibles, qu'ils fe 262 dejiournent dauantage de. la ligne H G. Enfin | fi la ligne F H ne rencontre pas fi obliquement le cercle, il y a quelques-vns de ces rayons qui fe deftournent aufli vers l'autre cofté; mais il j' en a d'autant moins, & ils font d'autant plus foibles, que l'incidence de cette ligne eft plus oblique.

i36. Explication des caufes qui font paroijire les queues des Comètes.

Apres auoir bien compris les raifons de tout cecy, il eft aifé de les approprier à la matière du Ciel, dont toutes les petites parties font rondes comme ces boules. Car encore qu'il n'y ait aucun lieu ces parties du Ciel foient fort notablement plus groffes que celles qui les fuiuent immédiatement, ainji que ces boules font icy * repref entées en la ligne CH, toutesfois à caufe qu'elles vont en diminuant peu à peu depuis la fphere de Saturne jufques au Soleil, ainfi qu'il a efté dit cy-dcffus", & que ces diminutions fe font fuiuant des cercles tels que celuf qui efi icy reprefenté par cette ligne CH, on peut aifement perfuader qu'il n'y a pas moins de différence entre celles qui font au-deffus. . . de Saturne, & celles qui font vers. . . la Terre, qu'il y a entre les plus groffes & les plus petites de ces boules; & que, par confequent, les rayons de la lumière n'y doiuent pas moins efire defïourne\, que ceux de faâion dont je viens de parler, fans qu'il y ait autre diuerfité, finon qu'au lieu que les rayons de cette aâion fe 863 deftournent beau\coup en vn endroit & point ailleurs, ceux de la lumière nefe defioument que peu à peu, à mefure que les parties du Ciel par oii ils pajfent, vont en diminuant. Par exemple, fi S' eft le Soleil, 2 3.4*5 le cercle que la Terre décrit chaque année, y prenant fon cours fuiuant l'ordre des chiffres 2, 3, 4, & DEFGH la fphere qui marque l'endroit les parties du Ciel cejfent d'eflre égales, S- vont en diminuant jufqués au Soleil (laquelle fphere j'ay dit cy- deffus" n'eftre pas entièrement régulière, mais... beaucoup plus plate vers les pôles que vers l'Eclyptique), & que C foit vne Co- mète fiiuée au-deffus de Saturne en noftre Ciel : il faut penfer que les rayons du Soleil qui vont vers cette Comète, font tellement ren- uoycz par elle y^rs\a fphere DEFGH, que la plufpart de ceux qui

a. Voir planche X.

b. Art. 82 et 85, p. 148 et i5o.

c. Planche XI.

d. Art. 81, p. 147.

Principes. Troisiesme Partie. 189

rencontrent cette fphere à angles droits au point F, paflknt outre en ligne droite vers 3, mais que les autres/e dejlournent qielque peu tout autour de la ligue F 3 comme vers 2 & vers 4; 6l que la plu/part de ceux qui la rencontrent obliquement au point G, palfent aufli en ligne droite vers 4, & que les autres fe deftournent, non pas éga- lement tout autour, mais beaucoup plus vers 3, c'ejl à dire vers le centre de la fphere, que vers l'autre cojté; & que la plu/part de ceux qui la rencontrent au point H^paJ/ant outre en ligne droite, ne par- uiennent | point jufques au cercle 2345^, mais que les autres qui Ml* fe defîournent vers le centre de la fphere, y paruiennent ; & enfin, que ceux qui rencontrent cette fphere en d'autres lieux, comme vers E ou vers D, pénètrent au dedans en mefme fa<^on, partie en lignes droites, & partie en fe détournant. En fuitte de quoy il eft éuident que, fi la Terre eft en l'endroit de fa route marqué 3, nous deuons voir cette Comète auec vne cheuelure également éparfe de tous coftez; car les plus forts ra3'ons qui viennent en ligne droite d'F vers 3, reprefentent/o« corps, & les autres plus foibles, qui eftant deftour- nez viennent aulli de G & d'E vers 3, font voir fa cheuelure. Et on a donné le nom de Rofe à cette efpece de Comète. Tout de mefme il eft éuident que, fi la Terre eft vers 4, nous deuons voir le corps de cette Comète par le moyen des rayons qui fuiuent la ligne droite CG4, ik fa cheuelure, ou, pour mieux dire, fa queue, eftenduë vers vn feul cofté, par le moyen des rayons courbez qui viennent d'H,& de tous les autres lieux qui font entre G & H, vers 4. Il eft éuident aufti que, fi la Terre eft vers 2, nous deuons voir la Comète par le moyen des rayons droits CE 2, & fa cheuelure par le moyen de tous les rayons courbe\ palfans entre les lignes CE2 & CD2, qui s'af- femblcnt vers 2. Sans qu'il y ait en cela autre | différence, finon que, 265 la Terre eftant vers 2, cette Comète paroiftra le matin auec fa che- uelure qui femblera la précéder, & la terre eftant vers 4, la Comète fe verra le foir auec vne queue qu'elle trainera après foy.

i3j. Explication de f apparition des cheurons de feu*.

Enfin, fi la Terre eft vers 3, il eft éuident que nous ne pourrons voir cette Comète, à caufe de l'interpofition du Soleil, mais feule- ment vne partie de fa queue ou cheuelure, qui femblera vn cheuron de feu, &^ paroiiha le foir ou le matin, félon que la Terre fera plus proche du point 4 ou du point 2 ; en forte que, fi elle eft jufte-

a. Voir planche XI.

IQO OEuVRES DE DeSCARTES.

ment au point 3, égalemeut dijîant de ces dc'ux autres, peiu-eltre que cette melme Comète nous fera voir deux cJieurous defeit^ Ivu au Toir & l'autre au matin, par le moyen des rarons courbe^ qui viennent d'H & de D yrs S. le dis peut-e/tre, à caufe que, ft elle n'ejl fort g7'ande,f es rayons ainji courbe\ ne feront pas a [fe\ forts pour ejîrc apperceus de nos yeux.

i3iS. Pourquoy la queue des Comètes n'ejl pas touf-jours exuâement droite, ny direâement nppofée au Soleil \

Au rerte, cette queue ou cheuelure des Comètes ne paroill pas touf- jours entièrement droite, mais quelquefois vn peu courbée; ny aulli touf-jours dans la mefme ligne droite, ou, ce qui f-euient à vu, dans le me/me cercle qui palIc par les centres du Soleil (Se de la Comcte, mais fouuent elle s'en écarte quelque peu ; & enfin elle ne paroiil pas i66 touf-jours également | large, mais quelquefois plus ellroite, ou aulli plus lumineufe, lors que les rayons qui viennent de Tes cortez s'af- femblent vers l'œil. Car toutes ces varietez doiuent fuiure de ce que ]& fphere DEFGH n'eft pas régulière; & pourcc que la figure ell plus plate vers les pôles qu'ailleurs*', les queues des Comètes y doiuent eflre plus droites & plus larges; mais quand elles s'cllcndent de trauers entre les pôles & l'Eclyptique, elles doiuent élire cour- bées & s'écarter vn peu de la ligne qui pajfe par les centres du Soleil & de la Comcte; enfin, lors qu'elles s'y eltendent en long, elles doiuent eflre plus lumineufes & plus eftroitcs qu'aux autres lieux. Et je ne penfe pas qu'on ait jamais fait aucune obferuaiion tou- chant les Comètes, laquelle ne doiue point eflre prife pour fable ny pour miracle, dont la raifon n'ait efté icy expliquée.

i3g. Pourquoy les EJloiles fixes & les Planètes ne paroiffent point auec de telles queues.

On peut feulement propofer encore vnc difficulté, fçauoir pour- quoy il ne paroifl point de cheuelure autour des Eiloiles fixes, & aufli autour des plus hautes Planètes, Saturne & lupiter, en mefme façon qu'autour des Comètes. Mais il ell aifé d'y répondre. Premiè- rement, à caufe que, mefme autour des Comètes, cette cheuelure n'a point coullume d'edrc veut', lors que leur diamètre apparent 267 n'eft point plus grand que ccluy des Eftoiles fixes; à caufe que | les

a. Voir planche XI. b Voir art. 8i, p. 148.

Principes. Troisiesnit: Partie. 191

ra3'ons... qui la forment n'ont point alors allez de force... Puis en particulier touchant les Elloi'.es fixes, il faut remarquer que, d'au- tant qu'elles ont leur lumière en elles mefmes, c^ ne l'empruntent point du Soleil, s'il paroiifoit quelque cheuelure autour d'elles, il faudroit qu'elle y furt également éparfe de tous collez, & par conle- quent aulïi fort courte, ciiufi qu'aux Comètes qu'on uommc Rofes; mais on voit véritablement vnc telle cheuelure autour d'elles, car leur figure n'cft point limitée par aucune ligne qui foit vniformc, & on les voit enuironnées de rayons... de tous coikz; & peut-ellre auOi que cela ell la caufe qui fait que leur lumière e(l fi eftincelante ou tremblante, bien qu'on et* puiffc encore donner d'autres railbns. Enfin, pour ce qui ell de lupiter & de Saturne, je ne doute point qu'ils ne paroilfent auffi quelquefois auec vne telle cheuelure..., aux païs l'air ell fort clair & fort pur; & je me fouuiens fort bien d'auoir leu quelque part, que cela a clic autrefois obfcrué, bien que je ne me fouuienne point du nom de l'autheur. Outre que ce que dit Ariftote, au premier des Météores, chap. ô, que les Egyptiens ont quelquefois apperceu de telles cheuelures autour des Eftoiles, doit, je croy, pluftolt eftre entendu de ces Planètes, que non pas des EJloiles Jixes; & pour ce qu'il dit,auoiri veu luy-mefme vne cheue- lure autour de l'vne des Elloiles qui font en la cuill'e du Chien, cela doit dire arriué par quelque refraclion extraordinaire qui le faifoit en l'air, ou plulloll par quelque indifpofition qui elloii en fes yeux : car il adjoullc que cette cheuelure paroijioit d'autant moins, qu'il la regardoit plus fixement...

140. Comment les Planètes ont pu commencer à Je mouuoir*.

Apres auoir ainfi examiné tout ce qui appartient aux Comètes, nous pouuons conftderer en me/me façon les Planètes, & luppofer que l'aitre N ell moins folide, ou bien a moins de force pour continuer l'on mouuement en ligne droite, que les parties du fécond clément qui font vers la circonférence de noftre Ciel, mais qu'il en a quelque peu plus que celles qui font proches du centre oii ejl le Soleil. D'où il fuit que, fi toll qu'il ell emporté par le cours de ce Ciel, il doit continuellement defcendre vers fon centre, jufques à ce qu'il foit paruenu au lieu font celles de fes parties, qui n'ont... ny plus ny moins de force que luy à pcrfeuercr en kur mouuement...; & que,

a. En marge : « Voyez la planche 3, en la pag. 265. >> Cf. p. 134 ci- .ivant, notes «etc. Planche III.

268

269

192 OEUVRES DE Descartes.

lors qu'il ell defcendu jufques là, il ne doit pas s'approcher ny fe reculer du Soleil, finon en tant qu'il eft pouffé quelque peu çà ou par d'autres caufes,' mais feulement tourner en rond autour de lu}' auec CQs parties du Ciel qui luy font égales en force; & ainfi, que cet ailre eft vne Planète. Car s*il | defcendoit plus bas vers le Soleil, il s'y trouueroit enuironné de parties du Ciel vn peu plus petites, & qui par confeqûent luy cederoient en force..., outre qu'eftant plus agi- tées, elles augtjienteroient auffi fon agitation & enfemble fa force, laquelle le feroit auffi toft remonter. Et au contraire, s'il alloit plus hautj il y rencontreroit des parties du Ciel vn peu moins agitées, au moyen de quoy elles diminueroient fon mouuement; & vn peu plus greffes*, au moyen de quoy elles auroient la force de le repouffer vers le Soleil.

14t. Quelles font les diuerfes caufes qui détournent le mouuement des Planètes. La première.

Les autres caufes qui peuuent quelque peu deftourner çà ou cette Planète... font : Premièrement, que l'efpace dans lequel elle tourne auec toute la matière du premier Ciel, n'eft pas exaftement rond. Car il eft neceffaire qu'aux lieux cet efpace eft plus ample, la matière du Ciel fe meuue plus lentement, & donne moyen à cette Planète de s'éloigner vn peu plus du Soleil, qu'aux lieux où- il eft plus eftroit.

142. La féconde.

Et en fécond lieu^ que la matière du premier élément, coulant fans ceffe de quelques-vns des tourbillons voifms vers le centre de celuf que nous nommons noftreCieI,& retournant de vers quelques autres, pouffe diucrfement... cette Planète, /e/o// les diuers endroits oit ellefe trouue.

143. La iroifiéme.

170 De plus, que les pores ou petits pajfages que \ les parties canelées de ce premier élément fe font faits dans cette Planète, ainfi qu'il a e/lé dit cf-def[us% peuuent eftre plus difpofcz à receuoir celles de ces

a. Latin : « paullô minores », faute dont la correction s'imposait.

b. Voir Correspondance , t. IV, p. 181, 1. 12-17. De môme pour les ar- ticles suivants, 143, 144 et 145. Voir aussi Ibid., t. V, p. 259, I. 7, etc.

c. Art. io5, p. 162.

Principes. Troisiesme Partie. 195

parties canelées... qui viennent de certains endroits du Ciel, qu'à receuoir celles qui viennent des autres; ce qui fait que... les pôles... de la Planète fe doiuent tourner vers ces endroits là...

144. La quatrième.

Puisaiiffî^quc quelque mouuement peut auoir elle imprimé aupsx» rauant en cette Planète, lequel elle conferue encore long temps après, nonobltani que les autres causes icy expliquées y répugnent. Car comme nous voyons qu'vne pirouette* acquert affcz de force, de cela feul qu'vn enfant la fait tourner entre fes doigts, pour continuer par après toute feule pendant quelques minutes, & faire peut-eftre en ce temps \h plus de deux ou trois mille tours fur fon centre, nonobftant qu'elle foii fort petite, & que tant l'air qui l'enuironne que la terre qui la fouftient, luy refiftent, £■ retardent fon mouue- ment de tout leur pouuoir : ainfi on peut aifement croire que, fi vne Planète auoit efté agitée en mefme façon dés le commencement qu'elle a efté créée, cela feul feroit fuffifpnt pour luy faire encore à prefent continuer le mefme mouuement fans aucune notable diminu- tion, pource que, d'autant qu'vn corps efl plus grand, d'autant il peut retenir plus long \ temps l'agitation qui luy a efié ainfi imprimée, 271 & que la durée de cinq ou fix mil ans qu'il y a que le monde eft, fi on la compare auec la grolTeur d'vne Planète, n'efï pas tant qu'vne minute comparée auec la petiteffe d'vne pirouette.

145. La cinquième.

Puis enfin, que la force de continuer ainfi à fe mouuoir eft plus durable & plus conftante dans les Planètes, que dans la matière du Ciel qui les enuironne; ^' mefme, qu'elle eft plus durable en vne grande Planète qu'en vne moins grande. Dont la raifon eft que les moindres corps, ayant plus de fuperfîcie, à raifon de la quantité de leur matière, que n'en ont ceux qui font plus grands, rencontrent plus de chofes en leur chemin qui empefchent ou defîournent leur mouue- ment, & qu'vne portion de la matière du Ciel, qui égale en grojjeur vne Planète, efl compofée de plujteurs petites parties qui fe doiuent toutes accorder à vn mefme mouuement pour égaler celuf de cette Planète, & qui, n'eftant point attachées les vnes aux autres, peuuent eflre

a. \o\r Correspondance, t. V, p. 173. Descartes avait plutôt voulu parler d'une toupie.

Œuvres. IV. 29

194 OEuvRES DE Descartes.

dejlournées de ce mouuement, chacune à part, par les moindres caufes. D'où" il fuit qu'aucune Planète ne fe meut fi vite que les petites parties de la matière du Ciel qui l'enuironnent, pource qu'elle peut feulement égaler celuy de leurs mouuemens, félon lequel elles

272 s'accordent à fuiure toutes vn mefme cours, & | que, d'autant qu'elles font diuifées, elles en ont touf-jours quelques autres qui leur font particuliers. Il fuit auffi de cela, que, lors qu'// j' a quelque caufe qui augmente ou retarde ou deftourne le mouuement de cette matière du Ciel, la mefme caufe ne peut pas fi promptemcnt ny fi fort augmenter ou retarder ou diminuer celuy de la Planète.

J4G. Comment toutes les Planètes peuuent auoir eflé formées.

Or fi on confidere 6ien toutes ces chofes, on en pourra tirer les raifons de tout ce qui a pu eftre obferué jufques icy touchant les Planètes, & voir qu'il n'y a rien en cela qui ne s'accorde parfaite- ment auec les loix de la nature cy-deiïus expliquées". Car rien n'em- pefche que nous ne penfions que ce grand cfpace... que nous nom- mons le premier Ciel, a autrefois efté diuifc en quatorze tourbillons, ou en dauantage, & que ces tourbillons ont elle tellement difpofez, que les aftrcs qu'ils auoient en leurs centres, fe font peu à peu cou- uerts de plufieurs taches, en fuitte de quoy les plus petits ont elle deiivuhs par les plus gi^ands tnlsL façon quia ei\ù décrite"... A fçauoir, on peut penfer que les deux tourbillons qui auoient les allres que nous nommons maintenant... lupiter & Saturne en leurs centres, eltoient les plus grands, & qu'il y en auoit quatre moindres autour

273 de celuy de lupiter, dont les aftres font | dcfcendus vers luy, &font les quatre petites Planètes que nous y voyons; puis, qu'il y en auoit aufii deux autres autour de celuy de Saturne, dont les allres font defcendus vers luy en mcfmc façon (au moins s'il cil vray que Saturne ait proche de foy deux autres moindres Planètes, ainft qu'il femble paroijfre); & que la Lune efl aujji defcenduë î>ers la Terre, lors que le tourbillon qui la contenoit a eflé deflruit; & enfin, que les^A: tourbillons qui auoient Mercure, Venus, la Terre..., Mars, lupiter & Saturne en leurs centres, e/lant de/truits par rn autre plus i>rand, au milieu duquel e/loit le Soleil, tous ces altres font dcfcendus vers luy, ^ s'y font difpofe\en lafaçonqu'ilsyparoijj'entà prefent; mais que, s'il y a eu encore quelques autres tourbillons... en l'clpuce qui

a. Partie II, art. 37, 3g et 40, p. 84, 85 et 86.

b. Art. 1 1 5, 1 16 cl 1 17, p. 1 69-1 71.

Principes. Troisiesme Partie. 195

comprend maintenant le premier Ciel, \ts aftres qu'ils auoienten leurs centres, ejiant deuenus plus folides que Saturne, fe font conueriisen Comètes.

i4j. Pourquoi toutes les Planètes ne font pas également dijîantes

du Soleil.

Ainfi, voyant maintenant que les principales Planètes, Mercure, Venus, la Terre, Mars, lupiler & Saturne, font leur cours à di- uerfcs dirtances du Soleil, nous deuons juger que cela vient de ce qu'elles ne font pas... également folides, & que ce font celles qui le font moins, qui s'en approchent dauantage. Et nous n'auons | pas 274 fujet de trouuer eftrange que Mars en foit plus éloigné que la Terre, nonobltant qu'il foit plus petit qu'elle, pource que ce n'elt pas la feule grandeur qui fait que les corps font folides*, & qu'il le peut eftre plus que la Terre, encore qu'il ne foit pas fi grand.

148. Pourquojr les plus proches du Soleil fe meuuent plus vite que les plus éloignées, & toutefois fes taches, qui en font fort proches, fe meuuent moins vite qu'aucune Planète.

Et voyant que les PlanQlcs qui font plits proches du Soleil fe meu- uent... plus vite que celles qui en font plus éloignées, nous penferons que cela arriue à caufe que la matière du premier élément qui com- pofe le Soleil, tournant extrêmement \' ne fur f on efjieu, augmente dauantage le mouuement des parties du Ciel qui font proches de luy, que de celles qui en font plus loin. Et cependant nous ne tro"- uerons point ellrange que les taches qui paroilfent fur fa fuperficie, fe meuuent plus lentement qu'aucune Planète, en forte qu'elles employent enuiron vingt-fix jours à faire leur tour, qui ell fort petit, au lieu que Mercure n'employé pas trois mois à faire le lien, qui ell plus de foixante fois plus grand, & que Saturne achcue le ficn en trente ans, ce qu'il ne deuroit pas faire en cent, s'il n'alloit point plus vite que ces taches, à caufe que le chemin qu'ii fait eft enuiron deux mille fois plus grand que le leur. Car on peut penfer que ce qui les retarde, eft qu'elles font jointes à l'air quefaj- dit cj-dejfus*' deuoir eflre \ autour du Soleil, pource que cet air s'eftend jufques 275 vers la fphere de Mercure, ou peut-eftre mefme plus loin, & que les parties dont il eil compofé, ayant des figures fort irreguiiere^...,

a. An. 121 et 122, p. 174 et 175.

b. Art. 100, p. 1 59

196

Œuvres de Descartes.

s'attachent les vnes aux autres, & ne fe peuuent mouuair que toutes enlemble, en forte que celles qui font fur la fuperficie du Soleil aucc fcs taches, ne peuuent faire gueres plus de tours autour de luy que celles qui font vers la fphere de Mercure, & par confequent doiuent aller beaucoup plus lentement. Ainji qu'on voit en rneronè', lors qu'elle tourne, que les parties proches de fon centre ront beau- coup moins rite que celles qui font en fa circonférence.

14g. Pourquoy la Lune tourne autour de la Terre*.

Puis, voyant que la Lune a fon cours, non feulement autour du Soleil, mais auffi autour de la Terre, nous jugerons que cela peut eftre arriué de ce qu'elle ejl defcenduù' dans le tourbillon qui auoit la Terre en fon centre, auparauant que la Tervc fut defcenduë vers le Soleil, ainfi que quatre autres Planètes /o;/^ defcenduè's vers lupiter; ou pluftoft, de ce que Ji'e/îant pas moins folide que la Terre, & toutes- fois eflant plus petite, fa foliditè ejt caufe qu'elle doit prendre fon cours à mefme diftance du Soleil, & fa peiiteffe, quV//e sy doit mou- uoir plus vite, ce quelle nepeut,finon en tournant auffi autour de la 276 Terre. Soit^ par exemple, S le SoJeil, & | NTZ le cercle fuiuant lequel la Terre & la Lune prennent leur cours autour de ht/, en quel endroit de ce cercle que la Lune ait efté au commencement, elle a deu venir bien tort vers A, proche de la Terre T, puifqu'elle alloit plus vite qu'elle; & trouuant au point A, que la Terre auec l'air d' la partie du Ciel qui l'enuironne, luy faifoit quelque refillance.. ., elle a deu fe dellourner vers B, je dis vers B pluftoft que vers D, pource qu'en cette façon le cours qu'elle a pris a efté moins éloigné de la ligne droite. Et pendant que la Lune eft ainfi allée d'A vers B, elle a difpofé la matière du Ciel contenue* dans le cercle ABCD... à tourner auec l'air & la Terre autour du centre T, & y faire comme vn petit tourbillon, qui a touf-jours depuis continué fon cours auec la Lune d- la Terre, fuiuant le cercle TZN autour du Soleil'.

i3o. Pourquoy la Terre tourne autour de fon centre.

Cela n'cft pas toutefois la feule caufe qui fait que la Terre tourne fur fon eftieu. Car puis que nous la conftderons comme fi elle auoit

a. Voir Correspondance, t. IV, p. 464-463.

b. Planche XII.

c. Voir Correspondance, t. V, p. 3i?, 1. 4, p. 346, 1. i3, ci p. 388.

Principes. Troisiesme Partie. 197

elle autrefois vne EJïoile fixe qui occupoit le centre d'vn tourbillon particulier dam le Ciel, nous deuons penfer qu'elle tournoit dés lors en cette forte, & que la matière du premier élément qui a touf- jours demeuré depuis en fon centre, continue de la mouuoir* en mefme façon.

I l5i. Pourquqy la Lune Je meut plus vite que la Terre. Î77

Et on n*a point fujet de trouuer eftrange que la Terre face prefque trente tours fur fon eflTieu, pendant que la Lune en fait feulement vn fuiuant le cercle ABCD', pource que la circonférence de ce cercle ellant enuiron foixante fois aufli grande que le circuit de la Terre, cela fait que le mouuement de la Lune elt encore deux fois aufl] vite que celuy de la Terre. Et pource que c'eft la matière du Ciel qui les emporte toutes deux, & qui vray-femblablement le meut aulfi vite contre la Terre que vers la Lune, je ne penfe pas qu'il y ait d'autre raifon pourquoy la Lune a plus de viielfe que la Terre, finon pource qu'elle ell plus petite.

j52. Pourquoy c'eft touf- jours vn mefme cofti de la Lune qui eft tourné vers la Terre.

On n'a pas fujet aufli de trouuer eflrange que ce foit toufjours à peu près le mefme cofté de la Lune qui cil tourné vers la Terre... Car on peut aifement fe perfuader que cela vient de ce que fon autre cofté ell quelque peu plus folide, & par confequent doit décrire le plus grand cercle..., fuiuant ce qui a cy-delfus' efté remarqué tou- chant les Comètes. Et certainement toutes ces inegalitez en forme de montagnes & de valées, que les lunetes d'approche font voir fur celuy de fes coftez qui eft tourné vers nous, monltrent qu'il n'eft pas il folide que peut e/lre/ou autre cofié. Et on peut attribuer la caufe de cette différence à l'aâion de la lumière, pource | que celuy des 278 coftez de la Lune qui nous regarde, ne reçoit pas feulement la lu- mière qui vient du Soleil, ainfi que l'autre, mais aufli celle qui luy eft enuoyée par la refle.xion de la Terre, au temps des nouuelles Lunes,

a. Voir Correspondance, t. V, p. 17?.

b. Planche XII. Voir Correspondance, t. V, p. 346, l. 24.

c. Art. 119, i32, p. 173 et i83.

198 Œuvres de Desgartes.

j53. Pourquoy la Lune va plus vite, & s écarte moins de fa route, ejlant pleine ou nouuelle, que pendant fon croiffant ou fon decours \

On ne fe doit pas non plus eflonner de ce que la Lune fe meut vn peu plus vite, & fe dellourne moins de fa route en tout fens, lors qu'elle eft pleine ou nouuelle, c'eil à dire lôrs qu'elle eft vers B ou vers D, que pendant fon croiffant ou fon decours, c'eil à dire pen- dant qu'elle eil vers A ou vers C. Car la matière au Ciel, qui ell contenue en l'efpace ABCD, elt compofée des parties du fécond t'/t'mt'/// femblables à celles qui font vers N & vers Z, £• par confe- quent vn peu plus grofj'es, à'- vn peu moins agitées que celles qui foiit plus bas que D vers K, mais, au contraire, plus petites & plus agitées que celles qui font plus haut que B vers L, ce qui fait qu'elles fe méfient plus aifement auec celles qui font vers N & vers Z, qu'aUec celles qui font pers K ou vers L, & ainfi que le cerclé ABCD n'eft pas exaclement rond, maisjL-'///5 long que large, en forme d'Ellipfe''; ^ que, la matière du Ciel qu'il contient a\\a.m plus lentement entre A & C qu'entre B & D% la Lune qu'elle emporte auec i'oyy doit auffi aller plus lentement, & y faire fes excurfions plus grandes '\ tant en 279 s'éloi|gnant qu'en s'approchant, de la Terre oî< de l'Eclfptique...

154. Pourquoy les Planètes qui font autour du Jupiter y tournent fort vite, & qu'il n'en efl pas de mefme de celles qu'on dit eflre autour de Saturne.

De plus, on n'admirera point que les deux Planètes qu'on dit eftre auprès de Saturne', ne fe meuuent que fort lentement, ou peut-eftre point du tout, autour de luy ; & au contraire, que les qtjatre qui font autour de lupiter, s'y meuuent fort vite, & mefme, que celles qui font plus proches de luy, fe meuuent plus vite que les autres. Car on peut penfer que cette diuerfité ell cauféc de ce que lupiter^ ainll que le Soleil ifc la Lune, tourne fur fon cflieu ; & que Saturne, qui efl la plus haute Planète, tient touf-jours vn mefme collé tourné vers le centre du tourbillon qui la contient, ainfi que la Lune & les Comètes.

a. IManchc XH.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 25y, 1. 26.

c. Ibid., i. IV, p. 464.

d. Voir art. 141, p. 192.

e. Les anses de l'anneau, qu'on prenait alors pour des satellites.

Principes. Troisiesme Partie. 199

i55. Pourquqy les pôles de l'Equateur font fort éloigne^ de ceux de l'Eclyptique.

On n'admirera point aufli que l'eflieu fur lequel la Terre fait fon tour en vn jour, ne foit pas parallèle à celuj- de l'Eclyptique fur lequel elle fait fon tour en vn an, &. que leur inclination... qui fait la différence de l'eflé & de l'hyuer, foit de plus de vingt-trois degrez. Car le mouuement annuel de la Terre en l'Eclyptique eft principalement déterminé par le cours de toute la matière celefte qui tourne autour du Soleil, comme il paroilt de ce que toutes les Planètes s'accordent en cela, qu'elles prennent leur cours à peu près fuiuant l'Ecljytique. Mais ce | font les endroits du firmament d'où 280 viennent les parties canclées du premier élément, qui font les plus propres à pajfer par les pores delà Terre, lefquellcs' déterminent la fituation de l'eflieu fur lequel elle fait fon tour chaque jour, ainfi que ces parties canelées caufent auffi la direcfion de l'aj'mant, comme il fera dit cj-'apres^. Et puifque nous coniiderons tout l'efpace dans lequel eft maintenant le premier Ciel, comme ayant autrefois con- tenu quatorze tourbillons, ou plus, aux centres dcfquels il y auoit des aftres qui font conuertis en Planètes, nous ne pouuons fuppofer que les eilieux fur lefquels femouuoient tous ces altres fuifent tour- nez vers vn mefme cofté, pource que cela ne s'accorderoit pas auec les loix de la nature, ainfi qu'il a ejlé monjlré cf-deffus\ Mais nous auans raifon de penfer que les pôles du tourbillon qui auoit la Terre en fon centre, regardoient prefque les mefmes endroits du firma- ment, vis à vis defquels font encore à prefent les pôles de la Terre fur lefquels elle fait fon tour chaque four ; 6'- que ce font les parties canelées qui viennent de ces endroits du firmament, lefquelles, efîant plus propices à entrer en fes pores que celles qui viennent des autres lieux, la retiemient en cette fituation"^.

i56. Pourquoy ils s'en approchent peu à peu.

Mais cependant, à caufe que le tour que la | Terre fait dans 281 l'Eclyptique pendant vne année, & celuy qu'elle fait chaque jour fur fon efjieu, fe feroient plus commodément, fi l'eflieu de la Terre

a. Lire lesquels (les endroits) ?

b. Partie IV, art. i5o.

c. Art. 65, p. i36.

d. Voir Correspondance, t. IV, p. 182, 1. 20.

20O Œuvres de Descartes.

&celuy de VEclyptique ertoient parallèles, les caufes qui eropefchent qu'ils ne le Ibient, fe changent par fucceflion de temps peu à peu ; ce qui fait que l'Equateur s'approche infenfiblement de l'Eclyptique.

jSj. La caufe générale de toutes les variété/^ qu'on remarque aux mouuemens des ajlres.

Enfin, toutes les diuerfes erreurs des Planètes, lefquelles s'écar- tent touf-jours plus ou moins, en tout/eus, du moiiuement circulaire auquel elles font principalement déterminées, ne donneront aucun fujet d'admiration, fi on confidere que tous les corps qui font au 'monde s'entre-touchent, yii/w qu'il puijfe / auoir rien de vuide, en forte que me/me les plus éloigne^ agiffent touf-jours quelque peu les vns contre les autres, par l'entremife de ceux qui font entre-deux, bien que leur effet foi t moins grand & moins fenfible,à raifon de ce qu'ils font plus éloigne\; & ainfi, que le mouuement particulier de chaque coT^s peut eflre continuellement dejlourné tant foit peu, en autant de diuerfes façons qu'il y a d'autres diuers corps qui fe meuuent en l'vniuers. le n'adjoufle rien icf dauantage, pource qu"\\ me femble y auoir rendu raifon de tout ce qu'on obferue dans les Cieux & que 282 nous ne pouuons voir que de loin ; mais je | tafcheray cy-apres d'ex- pliquer en mefme façon tout ce qui paroift fur la Terre, en laquelle il y a beaucoup plus de chofes à remarquer, pource que nous la voyons de plus près.

LES PRINCIPES

DE

LA PHILOSOPHIE

QUATRIESME PARTIE. De la Terre.

I /. Que, pour trouuer les vrayes cau/es de ce qui e^ fur la Terre, il faut 283 retenir Vhypothefe def-ja prife, nonobfîant qu'elle f oit fauffe.

Bien que je ne vueille point qu'on fe perfuade que les corps qui compofent ce monde vifible ayent jamais efté produits en la façon que j'ay décrite, ainfi que j'ay cy-deffus* affez auerti, je fuis neantmoins obligé de retenir encore icy la mefme hypothefe, pour expliquer ce qui eji fur la Terre, afin que, fi je monftre éuidemment, ainfi que j'efpere faire, qu'on peut, par ce moyen, donner des raifons tres-iutel- ligibles & certaines de toutes les chofes... qui s'y remarquent, & qu'on ne puiffe faire le femblable par aucune autre inuention, nous ayons fujet de conclure que, bien que le monde n'ait pas ejlé fait au commen- cement en cette façon y & qu'il ait efié immédiatement créé de Dieu, toutes les chofes qu'il \ contient ne laiffent pas d'eftre maintenant de 284 mefme nature, que fi elles auoient efté ainfi produites.

2. Quelle a efié la génération de la Terre, fuiuant cette hypothefe.

Feignons donc que cette Terre nous fommes a efté autrefois vn aflre compofé de la matière du premier élément toute pure,

a. Partie III, art. 45, p. i23.

202 Œuvres de Descartes.

laquelle occiipoit le centre d'vn de ces qiiator:{e tourbillons qui ejîoient contenus en l'efpace que nous nommons le premier Ciel^en forte qu'elle ne differoit en rien du Soleil, fincn qu'elle efloit. . . plus petite; mais que les moins fubtiles parties... de fa matière, s'attachant peu à peu les vnes aux auXTes,fe font ajjemblées furfafuperjïcie, & y ont com- pofé des nuages, ou autres corps plus efpais & obfciirs, femblables aux taches qu'on voit continuellement eftre produites, & peii après dillipées, fur la fuperlicie du Soleil; & que, ces corps obfcurs ellant aufli difllpez peu de temps après qu'ils auoient efté produits, les parties qui en reftoient, & qu\,ejlant plus g-rojfes que celles des deux premiers elemens, auoient la forme du troiliéme, fe font confufé- ment entalïces autour de cette Terre, & l'enuironnant de toutes parts, ont compofé... vn corps prefque femblahle à l'air... que nous ref- pirons. Puis enfin que, cet air eftant deuenu fort grand £- efpais, les 285 corps obfcurs qui continuoient à fe former fur la fulperfîcie de la Terre..., n'ont pu ji facilement qu'auparauant y ejtre deflruits, de façon qu'ils l'ont peu à peu toute couuerte & offufquée; & mefme que... peut-eftre plufieurs couches de tels corps s'y font entaffées î'vne fur l'autre, ce qui a tellement diminué la force du tourbillon qui la contenoit, qu'il a eflé entièrement deftruit, & que la Terre, auec l'air & les corps obfcurs qui l'enuironnoient, ell defcenduë vers... le SoWû jufques à l'endroit oii elle efl à prefent.

3. Sa diuifion en trois diuerfes régions, & la defcription de la première.

Et fi nous la confiderons en l'eflat qu'elle a deu eftre peu de temps auparauant qu'elle foit ainfi defcenduë vers le Soleil, nous y pourrons remarqi-er trois régions fort diuerfes. Dont la première & plus bajji% qui efl icy inarquée I\ femblc ne deuoir contenir que de la matière du premier élément, qui s'y meut en mefme façon que celle qui ell dans le Soleil, & qui n'eft point d'autre nature, fmon qu'elle n'eft peut-efîrc pas du tout ii fubtile, à caufe qu'elle ne fe peut purifier, ainfi que f<\it celle du Soleil, qui rejette continuelle- ment hors de foy la matière de fes taches. Et cette raifon me pourroit perfuader que l'efpace I n'eft maintenant prefque rempli que de la matière du troificme élément, que les moins fubtiles parties du premier ont compofèe, en s'attachant les vues aux autres, 586 finon qu'il me fcmble que, fi cela eftoit, la Terre feroit | li folide, qu'elle ne pourroit demeurer fi proche du Soleil qu'elle fait. Outre

a. En marge ; « Voyez la fin {sic!) qui fuit. » Planche XIII, figuf i.

Principes. Quatriesme Partie. 20 j

qu'on peut i?nagiuer diiierfes raifons qui empefdieut qu'il ne puiffe y auoir autre cliofe en Ve/pace I, que de la plus pure matière du premier élément; car peut-ejlre que les parties de cette matière qui font les plus difpofées à s'attacher les inies aux autres, font empef- chées d'f entrer par le corps de fa'' féconde région, & peut-eJlre aujji . que fon mouuement a tant de force, lors qu'elle efî enfermée en cet efpace, que non feulement il empefchc qu'aucunes de fes parties ne demeurent jointes^ mais qu'il en dejlache auJJi peu à peu quelques vues du corps qui Venuironne.

4. Defcription de la féconde.

Car \a féconde ou moyenne région, qui efi icy marquée M, eft remplie d'vn corps fort opaque ou obfcur, & fort folide ou ferré, en forte qu'il ne contient aucuns pores plus grands que ceux qui donnent paflage aux parties canelées... de la matière du premier élément, d'autant qu'il n'a efté compofé que des parties de cette matière, qui, eftant extrêmement petites, n'ont pu lailfer de plus grands inierualles parmy elles, lors qu'elles fe font jointes les vnes aux autres. Et on voit, par expérience, que les taches du* Soleil, qui font produites en mefme façon qu'a eJîécQ corps M, & ne font point d'autre nature que luy, excepté qu'elles font | beaucoup plus minces & moins ferrées, 287 émpefchent le paffage de la lumière; ce qui monftre qu'elles n'ont point de pores alfez grands pour receuoir \qs petites parties du fécond élément. Car s'il y auoit en elles de tels pores, ils y feroient fans doute alîez droits & vnis pour ne point interrompre la lumière, à caufe qu'ils fe feroient formez en vne matière qui a efté au com- mencement fort molle &fort fluide, £- n'a que des parties fort petites & fort faciles à plier.

5. Defcription de la troiftéme.

Or ces deux premières & plus bajj'es régions de la Terre nous im- portent fort peu, d'autant que jamais homme viuant n'eft defcendu jufques à elles. Mais nous aurons beaucoup plus de chofes à re- marquer en la troifiéme, à caufe que c'eft en elle que fe doiuent produire tous les corps que nous voyons autour de nous. Toutefois // n'y paroif encore icy autre chofe, fmon vn amas confus des petites parties du troifiéme élément, qui ne font point Ji efiroitement jointes,

a. Lire la ?

204 OEUVRES DE DeSCARTES.

qu'il n'y ait beaucoup de la matière du fécond parmy elles, & pource que nous pourrons connoiftre leur nature en confir'erantexa(5lement de quelle façon elles ont efté formées, nous pourrons aujfi venir à vne parfaite connoiffauce de tous les corps qui en doiuent eftre compofe\.

288 I Q, Que les parties du troijiéme élément, qui font en cette troiftéme région^

doiuent eflre affe\ grandes.

Et premièrement, puifque ces parties du troifiéme élément font venutfs du débris des nuages ou taches qui fe formoient autrefois fur la Terre, lors qu'elle efloit encore femblable au Soleil, chacune d'elles doit eftre compofée de plufieurs autres parties beaucoup plus petites, qui appartenoient au premier élément auant qu'elles fujfenl jointes enfemble, & doit aufli eftre ajfeifolide & affez grande, pour ne pouuoir eftre rompue par les petites boules de la matière du Ciel qui roulent continuellement autour d'elles. Car toutes celles qui ont pu eftre ainfi rompues, n'ont pas retenu la forme du troifiéme élément, mais ont repris celle du premier, ou bien ont acquis celle du fécond.

7. Qu'elles peuuent eflre changées par l'aâion des deux autres elemens.

Il eft vray que, bien que ces parties du troifiéme élément foient ^JI^l grandes & folides pour n'eftre pas entièrement diflîpées par la rencontre de celles du fécond, toutefois elles peuuent touf-jours quelque peu eftre changées par elles, & mefme par fucceffion de temps entièrement deflruites, à caufe que chacune eft compofée de plu- fieurs, qui ayant eu la forme du premier élément, doiuent efire fort petites & flexibles.

8. Qu'elles font plus grandes que celles du fécond y mais non pasft folideS

ny tant agitées.

Et pource que ces parties du premier élément qui compofent

289 celles du troifiéme, ont j plufieurs diuerfes figures, elles n'ont pu fc joindre fi juftcment l'vne à l'autre, qu'il ne foit demeuré entr'elles beaucoup d'interualles qui font fi eftroits, qu'ils ne peuuent eftre remplis que de la plus fluide & plus fubtile matière de ce premier clément, ce qui fait que les parties du troifiéme qui enfontcompofées, ne font pas fi majjiues ou folides, ny capables d'vne fi forte agitation que celle f-du fécond, bien qu'elles foient beaucoup plus groffes. loint que ces parties du fécond clément font rondes, ce qui les rend fort

Principes. Quatriesme Partie. 205

propres à fe mouuoir, au lieu que celles du troifiémc ne peuuent auoir que des figures fort irregulieres S- diuerfes, à cauje de la façon dont elles font produites...

g. Comment elles fe font au commencement affemblées.

Et il faut icy remarquer qu*auant que la Terre fuft defcenduC vers le Soleil, bien que ces parties du troifiéme élément, qui eftoient def-ja autour d'elle , fuffent entièrement feparées les vnes des autres, elles ne fe répandoient pas toutefois confufément dans tout le Ciel, mais demeuroient entalfées & appuyées l'vne fur l'autre... la façon qu'elles font icy reprefentées '. Dont la raifon eft, que les jpar- ties au kcond e\^ment^ qui compof oient im tourbillon autour de cette Terre, & qui efloient plus maffiues qu'elles, les pouffoient continuel- lement vers fon centre..., en faifant effort pour s'en éloigner.

\io. Qu'il ejt demeuré pîujieurs interualles autour déciles y 290

que les deux autres elemens ont remplis.

Il faut aufli remarquer qu'encore qu'elles fufl'ent ainfi appuyées l'vne fur l'autre, toutefois, à caufe de l'inégalité & irrégularité de leurs figures, & qu'elles s'eftoient entalfées fans ordre, à mefure qu'elles auoient eflé formées, elles ne pouuoient eftre fi prelTées ny fi juftement jointes, qu'il n'y eufl quantité d'interualles autour d'elles, qui eftoient alîez grands pour donner paffage non feule- ment à la matière du premier élément , mais aulTi à celle du fécond.

/ / . Que les parties du fécond élément eftoient alors plus petites, proche de la Terre, qu'vn peu plus haut.

De plus, il faut remarquer qu'entre \ts parties du fécond élément qui fe trouuoient en ces interualles, celles qui eftoient les plus baffes au regard de la Terre, eftoient quelque peu plus petites que celles qui eftoient plus hautes, pour la mefme raifon qu'il aeftétf;7cy- deffus\ que celles qui font autour du Soleil font par degrez plus petites, félon qu'elles font plus proches de fa fuperficie, & que toutes ces parties du fécond élément, qui efloient en la plus haute région de la Terre, n'eftoient point plus groffes que celles qui font

a. Planche XIII, figure i. Voir Correspondance, t. IV, p. 465.

b. Partie III, art. 85, p. i5o ci-avant.

2o6 Œuvres de Descartes.

maintenant autour du Soleil au delVous de la Iphere de Mercure, mais que peut-eftre elles elloient plus petites, à caufe que le Soleil eft plus grand que n'a jamais efté la Terre : d'où il luit qu'elles elloient aulli plus petites que celles qui font à prefent en cette inejme 291 région de la Terre^ pourcc que celles-|cy, eftant plus éloignées du Soleil que celles qui font au delïous de la fphere de Mercure, doiuent par confcquent cllre plus grolles.

12. Que les ejpaces par elles pajfoient entre les parties de la troiftéme région ejloient plus ejîroits.

Il faut encor icy remarquer, qu'à inejure que les parties ter- rejlres de cette plus haute région ont ejlé produites, elles fe font tel- lement cntajfées, que les interuaîles qui font demeurez parmy elles, ne fe font ajuilez qu'à la grandeur de ces plus petites parties du fécond élément : ce qui a fait que, lors que d'autres plus grolfes leur ontfuccedé, elles n'y ont pas trouué le palfage entièrement libre.

i3. Que les plus grojjes parties de cette troifiéme région n' ejloient pas touf-jours les plus baJJ'es.

Enfin, il faut remarquer qu'il ell fouuent arriué pour lors, que quelques-vnes des plus groffes & plus Iblides de ces parties du troi- fiéme élément, fe tenoient au delfus de quelques autres qui ertoient moindres..., pource que, n'ayant qu'vn mouuement vniforme autour de l'eflieu de la Terre, & s'arreltant facilement l'vne à l'autre, à caufe de l'irrégularité de leurs figures : encore que cha- cune full poulfée vers le centre de la Terre, par \qs parties du fécond élément, d'autant plus fort qu'elle eltoit plus grolfe ^ plus folide, elle ne pouuoit pas touf-jours fe dégager de celles qui l'elloicnt moins, afin de defcendre plus bas, & ainfi elles retenoient à peu près le mefme ordre félon lequel elles auoient efté formées ; en forte que 202 celles qui \ venoient des taches qui Je diflipoient les dernières, ejloient les plus bajfes .

14^ Qu'il s'ejl par après forme en elle diuers corps.

Or quand la Terre.... ainfi compofée de trois diuerfes régions, ell defcenduc vers le Soleil..., cela n'a pu cauiér grand changement aux dcu.x plus bajjes, mais û bien en la plus haute, laquelle adeu, pre- mièrement, fe partager en deux diuers corps, puis en trois, & après en quaire, ^c en fuitte en pluficurs autres.

293

Principes. Quatriesme Partie. 207

j5. Quelles font les principales aclions par le/quelles ces corps ont ejlé produits. Et l'explication de la première.

Et je tafcheray d'expliquer icy en quelle iort^* tous ces corps ont deu eltre produits ; mais il ell befoin que je die auparauant quelque cnofe de trois ou quatre des principales aclions qui ont contribué à cette production. La première coniille au mouuement des petites parlies de Li maliere du Ciel, conlideré en gênerai, La féconde, en ce qu'on nomme la pel'anteur. La troifiémc, en la lumière. Et la quatrième, en la chaleur. Par le mouuement des petites parlies de la maliere du (^iel en gênerai, j'entcnsleur agitation continuelle, qui cil i\ grande, que non Iculcmcnt elle killii à leur faire faire vn grand tour chaque année autour du Soleil, ^ vn autre chaque jour autour de la Terre, mais aufli à les mouuoir cependant en plufieurs autres façons. Et pource que, lors qu'elles ont pris leur cours vers quelque collé, elles le continuent touf-jours autant qu'il fc peut en ligne droite..., de | vient qu'cllant niellées parmy les parties du iroiliémc élément, qui compofent tous les corps de celte plus haule région de la Terre, elles produifent plulieurs diucrs clfcts, dont je remarqueray ic\' trois des principau.x.

II). Le premier effet de cette première acli<in, qui ejl de rendre les corps tranfparens.

Le premier ell qu'elle rend tranfparens tous les corps... liquides qui font compofez des parties du troilicme élément, qui font fi petites 6' en fuiltejî peu preffees, que celles du fécond peuuQui palfer de tous collez autour d'elles. Car, en pall'ant ainfi entre les parties de ces corps, & ayant la force de leur faire changer de lituation, elles ne manquent pas de s'y faire des pallages qui fuiuent en tous fens des lignes droites, ou du moins des lignes qui font aulli propres à tranfmettre l'aclion de la lumière que les droites, & ainjî de rendre ces corps Iranfparens. Aufll nous voyons, par expé- rience, qu'il n'y a aucune liqueur fur la Terre, qui foit pure è<. com- pofée de parties allez petites, laquelle ne foit tranfparente. Car pour ce qui ell de l'argent vif, les parties font li groifes que, Je pref- faut trop fort True l'autre, elles ne permettent pas à la matière du fécond clément de palier de tous collez autour d'elles, mais Jeule- menl à celle du premier. Et pour ce qui cil de l'ancre, du lait, du fang, 01. autres femblables liqueurs qui ne font pas pures & Jimples, il V a en elles | des parties /or/ irrojf'es, dont chacune compofe vn 29î

208 Œuvres de Descartes.

coîys à part y ainft que fait chaque grain de fable ou de poujjîcre, ce •qui les empejche d'ejire tranfparenlcs. Et on peut remarquer, tou- chant les corps durs, que tous ceux font tranfparens, qui ont efté faits de quelques liqueurs tranfparentes, dont les parties fe font arrêtées peu à peu l'jnie contre /'a«/re, fans qu^ilfe foit rien meflê parmy elles qui ait changé leur ordre...; mais, au contraire, que tous ceux-là font opaques ou obfcurs, dont les parties ont efté jointes... par quelque force eftrangere qui n'obeïffoit pas au mouue- ment de la matière du Ciel... Car encore qu'il ne laiffe pas d'y auoir aufli en ces corps plufieurs pores, par \ç.s parties du fécond élé- ment peuuent palfer. .., toutefois, à caufe que ces pores font bou- chez ou interrompus en plufieurs lieux, ils ne peuuent tranfmettre l'action de la lumière...

77. Comment les corps durs G- folides peuuent ejlre tranfparens.

Mais afin d'entendre comment il eft poflible qu'vn corps/or/ dur &Jolide, par exemple, du j'erre ou du crijial, ait en foy affez de pores pour donner palfage, ////«a;// des lignes droites, en tous fens,à la matière du Ciel, & ainfi auoir ce que j'ay dit eftre requis en vn corps pour le rendre tranfparent : on peut confiderer plufieurs pommes ou boules affez grolfes &• polies, qui foient enfermées dans 295 vn reth, & tellement | prelfées, ...qu'elles compofent toutes en- fcmblc vn corps dur. Car fur quelque cofté que ce corps puiffc eftre tourné, i\ on jette delfus des dragées de plomb, ou d'autres boules a(Je\ petites pour paJJ'er entre ces plus groJJ'es ainfi prejfées, on les verra couler tout droit en bas au trauers de ce corps, par la force de leur pcfanteur ; <il- mefme,fi on accumule tant de ces dragées fur^ce corps dur, que tous les pafl'agcs oii elles peuuent entrer en foient remplis, au me/me in/tant que les plus liaule^ preJJ'cront celles qui feront finis elles, cette action de leur pefanteur yalJ'era en ligne droite jufqufs aux plus bajfes, ik ainfi on aura l'image d'vn corps fort dur, fort folidc, ^: aucc cela/or/ tranfparent, à caufc qu'il n'cft pas befoin que \cs parties du fécond clément aycnt... des palfagcs plus droits..., pour transférer Vaclion de la lumière, que font ceux par def- ccndent ces dragées entre ces pommes.

/«y. le fécond effet de la première ad ion, qui e/l de purijier les liqueurs w' les Jiuifcr vn diuers corps.

\.r. fécond «rflct que produit l\i<:ilaliini de la matière fiiblile dans kf corps terrellrcs, principiilemeni dans ceux qui font liquides, ell

Principes. Quatriesme Partie. 209

que, lors'qu'il \' a de deux ou plufieurs fortes de parties en ces corps, confulement méfiées enfcmblc, ou bien elle les fepare & en fait deux ou plulieurs corps differens, ou bien elle les ajufte les vnes aux autres, & les diftribuë également en ions les endroits de ce corps, (S- ainfi le pu\rifie, & fait que chacune de fes gouttes deuient 298 entièrement fcmblable aux autres. Dont la raifon elt que, fe glilïant de tous collez entre ces parties terrertres qui fout inégales, elle poulie continuellement celles qui, à caufe de leur groffeur, ou de leur figure, ou de leur fituatiou, fe trouuent plus auaucées que les autres dans les chemins par elle pcijje, jufques à ce qu'elle ait tel- lement change leur lituation, qu'elles /'oient également répandues par tous les endroits de ce corps, ik li bien ajultées auec les autres, qu'elles n'empefchcni plus fes mouuemens ; ou bien, li elles ne peuuent élire ainli ajultées, elle les fepare entièrement de ces autres, 6- en fait vn corps différent du leur. Ainfi il y a plufieurs impuretez dans le vin nouueau, «7/// en fout feparées par cette action delà ma- tière fublile : car elles ne vont pas feulement au delfus ou au delfous du vin, ce qu'on pourroit attribuer à leur légèreté pefanteur ; mais il y en a aufii qui s'attachent aux collez du tonneau. Et bien que ce vin demeure encore compofé de plufieurs parties de diuerfes grojfeurs & figures, elles y font tellement agencées, après qu^il eft cUxrïfïé par V action de cette matière fubtile, que celuy qui efl au haut du tonneau, n'eft pas différent de celuy qui efl au milieu, ou vers le bas au dejfus de la lie. Et on voit | arriuer le femblable en quantité 297 d'autres liqueurs...

i(). Le troifiéme effet, qui ejî d'arondir tes gouttes de ces liqueurs.

Le troifiéme effet de cette matière celefle efl qu'elle fait dcuenir rondes les gouttes de toutes les liqueurs, lors qu'elles font entière- ment cnuironnées d'air ou dvne autre liqueur, dont la nature ell // différente de la leur, qu'elles nefe méfient point auec elle, ainfi que j'ay def-ja expliqué dans les Météores'. Car, d'autant que cette ma- tière fubtile trouue des porcs autrement difpofcz en vne goutte d'eau, par exemple, que dans l'air qui l'enuironne, tV qu'elle tend touf-jours à fe mouuoir fuiuant des lignes droites, ou le moins différentes de la droite qu'il ell pofiible. il dtl éuident que ta fuper- ficie de cette eau empefche moins, non feulement les parties de la matière fubtile qui eft en fes pores, mais aujjilc^ parties de celle qui

a. Discours V. p. 280 de cette cJiiion.

2IO OEuVRES DE DeSCARTES.

eft en l'air gui l'enuironue, de continuer ainli leur mouuement fui- uant des lignes les plus droites qu'elles peuuent eûre, faus pajjer d'vit corps en Vautre, lors que cette fiiperjîcic ell toute ronde, que Il elle auoit quelque autre figure; & que, lors qu'elle ne Ve/l pas, les mouuemens de la matière fiihlile, qui eft en l'air d'alentour, font plus deJîourne\ par les parties de fa fuperjîcie qui font les plus éloi- gnées du centre que par les autres, ce qui efi cau/e ^«'elle les pouffe 298 Idauantage vers ce centre; & au contraire, les mouuemens de celle qui eft dans la goutte d'eau, font plus de/tourne^ par les parties de fa fuperficie qui font les plus proches du centre, ce qui eft canfe qu'elle fait effort pour les en éloigner. Et ainfi la matière fubtile qui e^ft au dedans de cette goutte, aufji bien que celle qui eft au dehors, contri- bue à /t7/;v que toutes les parties de fa fuperficie foient également dijlantes de fon centre, c'eft à dire, à la rendre ronde ou fpherique. Pour mieux entendre cecy, on doit remarquer que l'angle que fait vne ligne droite auec vne ligne courbe qu'elle touche, eft plus petit qu*aucun angle qui puilfe eftre fait par deux lignes droites, & que de toutes les lignes courbes il n'y a que la circulaire, en toutes les paities de laquelle cet angle d'atioucnement foit égal ; d'où il fuit que les mouuemens qui font empefclie- d'e/lre droits par quelque caufe qui les deftourne également en toutes leurs parties, doiuenl eflre circulaires, lors qu'ils fe font en vne feule ligne, & fpheriques, lors qu'ils fe font vers tous les cofte\ de quelque fuperficie.

20. L'explication de la féconde aâion, en laquelle conftjîe la pef auteur.

La féconde ion dont fay entrepris icy de parler, eft celle qui rend les corps pcfans, laquelle vi. beaucoup de rapport auec celle qui fait que les gouttes d'eau deuicnnent rondes. Car c'eft la mefme «99 matiei-e fubtile, qu\, par cela \ feul qu'elle fe meut indifféremment de tous collez autour d'vne goutte d'eau, poulie également toutes les parties de fa fuperficie vers fon centre..., & qui, par cela feul qu'elle fe meut autour de la Terre..., pouifc aulli vers elle tous les corps qu'on nomme pel'ans, Icfquelsen font des parties...

•2 t. Que cliaque partie de la Terre, ejlant confiderée toute feule, ejl plujlojl légère que pefanie.

Mais afin d'entendre plus parfaitement eti quoy confijle la nature de cette pcfantcur. il faut remarquer que, li tout l'efpacc qui eft au- tour de la Terre, & n'ell point rcmply ptw aucune de fes par tics, e\\i)\\

Principes. Quatriesme Partie. 2 1 1

vuide, c'eft à dire s'il n'eltoit rempl}' que d'vn corps qui ne puft aider n}' empefcher les mouucmens des autres corps (car c'eft ce qu'on doit proprement entendre par le nom de vuide), & que cepen- dant elle ne laifl'aft pas de tourner... en vingt-quatre heures fur fon elTieu, ain/t qu'elle fait à prefent, toutes celles de fes parties qui ne feroient point fort eftroitement jointes à elle, s'en fepareroient & s'écarteroient de tous collez vers le ciel, en mcfme façon que la pouiïiere qu'on jette fur vne pirouette, pendant qu'elle tourne, n'y peut demeurer, mais elt rejettée par elle vers l'air de tous coftez. Et fi cela eftoit, /oM5 les corps terrejlres pourroient eiUi^ appeliez légers plufloft que pefans.

2 2 . En quoy confijîe la légèreté de la matière du Ciel.

Mais à caufe qu'il n'y a point de vuide aujtour de la Terre, &. 300 qu'elle n'a pas de foy mefme la force qui fait qu'elle tourne* en vingt- quatre heures fur foU ejjieu, mais qu'elle efl emportée par le cours de la matière du Ciel qui l'enuironne ^ qui pénètre par tout en fes pores, on la doit confidcrcr comme vn corps qui n'a aucun mouue- mentf & penfer aufll que la matière du Ciel ncferoit ny légère ny pelante à fon regard, fi elle n'auoit point d'autre agitation que celle qui la fait tourner en vingt-quatre heures auec la Terre; mais que, d'autant qu'elle en a beaucoup plus qu'il ne luy en faut pour cet effet, elle emploj'c ce qu'elle a déplus, tant à tourner plus vite que la Terre en mefme Jens, qu'à faire diuers autres mouuemens de tous cofie\, lefquels ne pouuant élire continuez en lignes^ droites qu'ils feroient, fi la Terre ne fe rencontroit point en leur chemin, non feulement ils fonteffort pour la rendre ronde ou fpherique, ainjî qu'il a efîé dit " des gouttes d'eau; mais aujji cette matière du Ciel a plus de force à s'é- loigner du centre, autour duquel elle tourne, que n'ont aucunes des parties de la Terre, ce qui fait qu'elle efl légère à leur égard.

23. Que c'ejî la légèreté de cette matière du Ciel, qui rend les corps

terreftres pefans.

Et il faut remarquer que la force dont la matière du Ciel tend à s'éloigner du centre de la Terre, ne peut auoir fon effet, fi ce n'efi que 1 celles de fes parties qui s'en éloignent montent en la place de 301 quelques parties terreftres qui defcendent au mefme temps en la leur.

a. Voir Correspondance, t. V, p. 388.

b. Art. 19, p. 209-210 ci-avani.

302

212 OEUVRES DE DeSCARTES.

Car, d'autant qu'il n'y a aucun efpace autour de la Terre qui ne foit remply de fa matière ou bien de celle du Ciel, & que toutes les parties du fécond élément qui compofent celle du Ciel ont pareille force..., elles ne fe chaffent point l'vne l'autre hors de leurs places; mais pource que la mefme force n'eft pas en la Terre*, lors qu'il fe trouue quelqu'ime de fcs parties plus éloignée de fou centre que ne font des parties du Ciel qui peuuent monter en fa place, il eff certain qu'elles-^' doiuent monter, & par confequent faire defcendre en la leur. Ainfi chacun des corps qu'on nomme peians, n'eft pas poujjé vers le centre de la Terre par toute la matière du Ciel qui l'enui- ronne, mais feulement par les parties de cette matière qui montent en fa place lors qu'il defcend, & qui par confequent font toutes en- femble juftement aufli groffes que luy. Par exemple, fi B" eft vn corps terreftre dont les parties... {o'xtnx. plus ferrées que celles de l'air qui l'enuironne, en forte que fes pores... contiennent moins de la ma- tière du Ciel que ceux de la portion de cet air qui doit monter en fa place en cas qu'il defcende^ il eft éuident que... ce qu'il y a de plus de la matière du | Ciel en cette portion d'air qu'en ce corps B, tendant à s'éloigner du centre de la Terre, a la force de faire qu'il s'en approche, & ainfi de luy donner la qualité qu'on nomme fa pefanteur.

24. De combien les corps font plus pef ans les vns que les autres.

Mais afin de pouuoir exactement calculer combien efl grande cette pefanteur, il faut confiderer qu'il y a quelque quantité de matière celefte dans les pores de ce corps B, laquelle, ayant autant de force qu'vne pareille quantité de celle qui eft dans les pores de la portion d'air qui doit monter en fa place, fait qu'il n'y a que le furplus qui doiue efire conté; & que tout de mefme il y a quelque quantité de la matière du troifiéme élément en cette portion d'air, laquelle doit eftre rabatuë auec vue égale quantité de celle qui compofe le corps B... Si bien que... toute la pefanteur de ce corps confifle en ce que le refte de la matievc fubtile, qui eft en cette portion d'air, a plus de force à s'éloigner du centre de la Terre, que le refte de la matière terreftre qui le compofe...

a. \oiT Correspondance, t. V, p. 173.

b. En marge : « Voyez la fin [sic !) qui suit. » Cf. p. 202, note a. II •'agit encore ici de la Planche XIII, figure i.

Principes. Quatriesme Partie. 2 1 ^

■j5. Que leur pefanteur n'a pns touf-jours me/me rapport auec leur matière.

El afin de ne rien oublier, il faut prendre garde que, par la ma- tière celeile ou Jublile, je n'entends pas feulement celle du fécond clément, mais auflî ce qu'il y a du premier meflé entre fes parties; & mefme, outre cela, qu'on y doit comprendre eu quelque façon les parties du troijîème qui font emportées par le | cours de cette ma- 303 tiere du Ciel plus vite que toute la malTe de la Terre; & toutes celles qui compofent l'air font de ce nombre. Il faut aufli prendre garde que ce qu'il y a du premier clément, en ce que je comprens fous le nom de matière fubtile..., a plus de force à s'éloigner du centre de la Terre, que pareille quantité du fécond, à caufe qu'elle le meut plus vite; &. pour mefme raifon, que le fécond élément a plus de force que pareille quantité des parties du troijiéme qui compofent l'air... Ce qui eft caufe que la pefanteur feule ne futfii pas pour faire con- noiftre combien il y a de matière terreitre en chaque corps. Et il fe peut faire que, bien que, par exemple, vne malTc d'or foit vingt fois plus pefante qu'vne quantité d'eau de mefme grolfeur, elle ne con- tienne pas neantmoins vingt fois plus de matière..., mais quatre ou cinq fois feulement, pource qu'il en faut autant fouilrairc de l'eau que de l'or, à caufe de l'air dans lequel on les pefe; puis aufli, pource que les parties terreftres de l'eau, & généralement de toutes les liqueurs, aijiji quil a ejïé dit de celles de l'air', ont quelque mou- uement qui, s* accordant auec ceux de la matière fubtile, empefchc qu'elles ne foient fi pefanies*" que celles des corps durs.

36. Pourquoy les corps pefans n'agijfent point, lors qu'ils ne font qu'entre leurs femb labiés.

Il faut aufli fe fouuenir que tous les mouuelmens font circulaires..., 304 au fens qui a efté cy-defTus expliqué'; d'.où il fuit qu'vn corps ne peut eftre porté en bas par la force de fa pefanteur, fi au mefme inftant vn autre corps, qm occupe autant d'efpace & foit toutefois moins pefant, ne monte en haut. Et cela eft caufe que les plus hautes parties de l'eau, ou d'vne autre liqueur, qui eft contenue en vn vafe, tant grand & tant profond qu'il puifl"e eftre, n'agiflent point

a. Dans le présent article.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 388.

c. Partie II, art. 33, p. 8i.

2 14 Œuvres de Descartes.

contre les plus balles, & mefme que chaque endroit du fonds de ce vafe n'ell prelfé que par autant de parties de cette liqueur, qu'il y en a qui font direcîemeul pofées fur luy. Par exemple', en la cuue ABC, la goutte d'eau marquée i n'cll point poulfée par les autres 2, 3, 4, qui font au delVus, pource que, fi cellcs-cy defcendoient, il ne pourroit y auoir que d'autres gouttes d'eau, telles que 5, 6, 7, qui montalTent en leur place ; & pource que celles-cy ne font pas moins pelantes, elles les retiennent en balance, au moyen de quoy elles les empefchent de Je poujfer l'vne l'autre. Et toutes les gouttes d'eau qui font en la ligne droite 12^4, preffent la partie du fonds de la cuue qui ejl marquée B, pource que, fi... B dcfcendoit, toutes ces gouttes pourroient aufTi defcendrc au mefme initant, & faire monter en leur place, par le dehors de la cuue, les parties d'air S, 9, ou/em- 305 blables, qui font plus légères. | Mais cette partie B n'elt prellcc que par le petit cylindre d'eau i 2 34..., dont elle ejl la bafe, pource qu'en cas qu'elle commence à defcendre, il ne peut y auoir que l'eau de ce cylindre i 2 3 4 {ou me autre pareille quantité) qui la fuiue au mefme inftant. Et la confideration de cecy peut feruir à rendre raifon de plujieurs particularitez qu'on remarque touchant les effets de la pefanteur..., & qui femblent fort admirables à ceux qui n'en fçauent pas les vrayes caufes.

2j. Pourquoy c'ejî vers le centre dz ta Terre qu'ils tendent.

Au refte, il faut remarquer qu'encore que les parties... du Ciel fe mcuuent en plufieurs diuerfes façons à mefme temps, elles s'ac- cordent neantmoins à fe balancer*" & s'oppofer l'vne à l'autre, en telle forte qu'elles eftendent également leur adion vers tous les coftez oii elles peuuent l'e/lendre; & ainfi que, de cela feul que la maffe de la Terre, par fa dureté, répugne à leurs mouuemens, elles tendent à s'éloigner également de tous collez de l'on voiftnage, fuiuant des lignes droites tirées de fon centre, fi ce n'ert qu'il y ait des caufes particulières'... qui mettent en cela quelque diuerfiié. Et je peu.v bien conccuoir deux ou ti'ois telles caufes ; mais je n'ay encore fceu faire aucune expérience qui m'alfure fi leurs effets font fenfibles ou non.

a. Planche XIII, figure 2.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 174.

c. Ibid., f>. 388.

Principes. Qjjatriesme Partie. 215

28. De la troijiéme aâion, qui eft la lumière : comment elle agite les parties de l'air.

Quant à la lumière, qui ejî la troijiéme aâion que nous auons icy à conjtderer..., je | penfe auoirdef-ja cy-deffus' affez expliqué fa na- 306 ture; il refte feulement à remarquer que..., bien que tous fes rayons viennent en mefme façon du Soleil, & ne facent autre chofe que preffer en ligne droite les corps qu'ils rencontrent, ils caufent neani- moins diuers mouuemens dans Jes parties du troifiéme élément, dont la plus haute région de la Terre eft compofée..., jt7o«rcv que ces parties, ejlant meuës aujji par d'autres caufes, ne fe prefentent pas touf-jours à eux de mefme forte. Par exemple, fi AB'' eft vne de ces parties du troifiéme élément..., appuyée fur vne autre marquée C, & qui en a plufieurs autres, comme D, E, F, au-dejfus d'elle, il ejl aifé à entendre que les rayons du Soleil qui viennent de (jG, peuuent main- tenant eftre moins empefchez, par l'interpofiiion de ces autres, de preffer celle de fes èxtremitez qui ejl marquée A, que de preffer celle qui eff marquée B, de façon qu'ils la doiuent faire bailler dauan- tage...;& qu'incontinent après, ces parties D,E, Echangeant de fitua- tion, à caufe qu'elles font meuës par la matière du Ciel qui coule autour d'elles, il arriuera qu'elles empefcheront moins les rayons du Soleil de preffer Bque A, ce qui doit donner à cette partie terrejlre A B m mouuement tout contraire au précèdent. Et il en eft de mefme de toutes les autres...; ce | qui fait qu'elles font continuellement 307 agitées çà & par la lumière du Soleil.

2g. Explication de la quatrième aâion, qui ejl la chaleur -, €• pourquoy elle demeure après la lumière qui l'a produite.

Or c'eft vne telle agitation des petites parties des corps terreftres, qu'on nomme en eux la chaleur (foit qu'elle ait efté excitée par la lumière du Soleil, foit par quelque autre caufe), principalement lors qu'elle eft plus grande que de couftume, & qu'elle peut mouuoir affez fort les nerfs de nos mains pour eftre fentie; car cette dénomi- nation de chaleur fe rapporte au fens de l'attouchement, El on peut icy remarquer la raifon pourquoy la chaleur, qui a efté produite par la lumière, demeure par après dans les corps terreflres, encore que cette lumière foit abfente, jufques à ce que quelque autre caufe l'en

a. Partie III, art. 55 et suiv., p. i3o.

b. Planche XIII, figure 3.

3f8

?.\6 GE\\uF.< \)F. DF.S(:\i< ii>.

o/U': c.'.r cllo ne conliile ^u'au momicment des petites parties Je Ces corps, ^ ce mouiiement citant vnc fois excité en elles, y doit demeurer, luiuant les luix de la nature*, /uf^ncs .i ce qu'il puilh' cfî}\- transfcrc à d'autres corps.

3o. Comment elle pénètre ciaiu les corps qui ne fout point tranfparens.

On doit aiilli remarquer que les parties lerrcltres qui font ainli agitées par L\ lumicre du Soleil, en agitent d'autres qui font/o//s elles .., »\ que cellcs-cy en agitent encore d'autres qui font plus bas, !k ainli de tuile; en forte que, bien que les rayons du Soleil ne paH'ent p«»int plus auant que )uù|ues à la première fuperficie i/t'^ corps lerre/lres qui fuiit opi\quQ^ ou obfcurs, toute|fois à caufc qu'il y a louf-iours toute vne moitié de la Terre qui q\\ échauffée par le Soleil en mefme temps..., fa chaleur paruient jufques aux plus hjlf'es parties du Iroifiême élément, qui compolent fa féconde ou movenne rei'if)n.

.)'/. l*ourquoy elle a coujlume de dilater les corps ou elle e/i, V- pourquoy elle en condenfe aujji quelques-vns .

Knnn on doit ren.arqucr que cette agitation des petites parties des corps terrcilres ell ordinciiremenl caufe qu'elles occupent plus d'efpace que lors qu'elles font en repos, ou bien qu'elles font moins agitées. Dont la raifon ell. qu'ayant des figures irregu- licrcs.... elles peuuent eltre mieux agencées l'vne contre l'autre, lors qu'elles retiennent touf-jours vnc mefme lituation, que lors que leur mouuement la fait changer. Kt de vient que la chaleur raretic prefque tous les corps terreflres, les vns toutefois plus que les autres, félon la diucrfité des ligures i^' des arrengemens de leurs partiels' , t. n forte qu'il r eu a iiulJi quelques-rus qu'elle coudenfe, pource que leurs parties s'arreugeut mieux, & s'approchent dauau- tage l'vne de l'autre, e/lant agitées, que ne rejîant pas,ainji qu'il a e/te dil.d.' la glace & de la neige, dans les Météores'.

a. l'ariic II. an, 37. p. «4.

b. .N'oie MS. cil marge : •< Addiiion ", cl dune autre main (celle de l.egrand) : - Cch paroles juscjucs a la fin de l'art, ne se trouuent point dans ' le lûiin. Cl ont ctc ajouicci par .M' Desc. luv même en rcuoyani son

ouurage. ainsy qu'il a fait en une inrinltc d'autres endroits, r

c. Discours \l p. 292 de celle édiiion.

Principes. Quatriesme Partie. 217

3-2. Comment la troifiéme région de la Terre a commence à Je diuifcr en deux diuers corps.

Apres auoir rem irquc les diuerlcs actions qui peuucni caujer quelques chan^retneus en l'ordre des petites p^irties de la Terre, û nous confidcrons derechef cette Terre, comme ellant tout nouuel- lement dcfcenduë vers le Soleil, & | ayant fa plus haute région 309 coinpofée de parties du troifiéme élément qui fout entajfées l'une fui l'autre, fans cltre fort cllroitement liées oz//o/;//t's enfemblc; en forte qu'il y a parmy elles beaucoup tVt' petits efpaces qui font rem^ plis de parties du fécond élément vn peu plus petites que celles qui compofent. non feulement les endroits du Ciel par elle paffe en defcend.inl, mais aufli celuy elle s'arrerte autour du Soleil : il nous fera nifé de iuger que ces petites parties du fécond élément doiuent quitter leurs places à ces plus groU'es..., & que celles-cy, entrant auec impetuofué en ces pL.ces, qui font vn peu trop eflroites pour les receuoir, poulfent les parties terre/Ires qu'elles rencontrent en leur chemin, les failant par ce moyen defcendre au-deffous des autres; & que ce font principalement les plus grolTes qu'elles font ainfi defcendre, pourcc que la pefanteur de ces plus grofTes leur ayde à cet effet, & que ce font celles qui empefchent le plus leurs momtemens; & d'autant que ces parties terreftres ainfi pouifées au-delîous des autres ont des figures fort irregulieres & diuerfes, elles fe preffent, s'accrochent, & fe joignent bien plus eftroitement que celles qui demeurent plus haut, ce qui ell caufe qu'elles interrompent aufli le cours de la matière dvi Ciel qui les poujj'e. Et ainfi la plus haute région | de la Terre ayant elle auparauant cotnmQ elle eft reprefentée 310 vers A ', elt par après diuifce en deux corps fort differens, tels que font B& C, dont le plus haut B ei\ rare, liquide & tranfparent, & l'autre, à fçauoir C, ell, à comparai/on de luj-, fort folide, dur & opaque.

33. Qu'il y a trois diuers genres de parties terreftres.

On pourra facilement aufli juger qu'il s'eit deu encore former vn troifiéme corps entre B & C.., pourvu qu'on conjidere que, bien que les parties du troifiéme élément qui compofent celte plus haute région de la Terre, ayent me infinité de figures fort irregulieres &

a. Planche XIV, partie de gauche.

2i8 Œuvres de Desgartes.

diuerfes, ainfi qu'il a efté dit cy-defl'us% elles fe reduifent toutefois à trois genres principaux^. Dont lejcre/«/e/' comprend toutes celles qui ont des figures fort empefchantes..., & dont les extremitez s'eftendent diuerfement çà & là", ainfi que des branches d'arbres ou chofes femblables; & ce font principalement les plus g-rojfes de celles qui appartiennent à ce genre, qui, ayant efté pouffées en bas par raclion de la matière du Ciel, fe font accrochées les vnes aux autres & ont compofé le corps C. Le fécond genre contient toutes celles qui ont quelque figure qui les rend plus înaffmes & folides que les précé- dentes ; & il n'eft point befoin pour cela qu'elles ibient parfaitement rondes ou quarrées, mais elles peuuent auoir toutes les diuerfes

311 filgures qu'ont des pierres qui n'ont jamais efté taillées. 'Et les plus grolfes de ce genre ont deu fe joindre au corps C, à caufe de leur pe- fanteur; mais les plus petites font demeurées vers B, entre^les inter- ualles de celles du premier genre. Le troifiéme eft de celles qui, eftant longues & menues ainfi que des joncs ou des baftons, ne font point embarajjdntes comme les premières, ny majjiues comme les fécondes ; & elles fe méfient, aw^ bien que ces fécondes, dans les corps B & C, mais pource ^«'elles ne s'y attachent point, elles en peuuenl aifé- ment efire tirées.

34. Commenta s' ejl formé vn troijiéme corps entre les deux prec<-^4ens ' .

En fuitte de quoy il eft raifonnable de croire que, lors que les par- ties du premier genre, dont le corps C eft compofé, ont commencé à fe joindre, plufieurs de celles du troifiéme ont efté méfiées parmy elles ; mais que, lors que Vaâion de la matière du Ciel les a par après dauantage prefl'ées, ces parties du troifiéme genre font for lies du corps C, & fe font alîemblées au defius vers D, elles ont com- pofé vn corps fort différent des deux precedens B & C. En mefme façon que, lors qu'on marche fur la terre d'vn mareft, /a feule force dont on la prejfe auec les pieds, fujfit pour faire qu'il forte de l'eau de fes pores, & que toutes les parties de cette eau s'afemblerj en vn corps qui couure fa fuperficie. Il efi auji fort raifonnable de

312 croire que, \ pendant que ces parties du troifiéme genre font montées de C vers D, il en eft defcendu d'autres de B, tant de ce mefme genre que du fécond, lefquelles ont augmenté ces deux corps... C & D.

a. Art. 8, p. 304.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 174.

c. Planche XIV, partie inféi'icurc à droite.

Principes. Quatriesme Partie. 219

35. Que ce corps ne s'eji compofé que d'vnfeul genre de parties '.

Or encore qu'il y ait eu au commencemen.t pîujteurs parties du fécond genre, aufîi bien que de celles du troijiéme. . . , méfiées auec celles du premier, qui compojoient le corps C, il eft toutefois à remarquer que ces parties du fécond genre n'ont pu fortir fi facilement de ce corps, lors qu'il a ejié dauantage preffé, que celles iw troijiéme ; ou bien, fi quelques vnes" en font /orties, qu'elles y font rentrées par après plus facilement : pource que celles du troijiéme genre..., ayant plus de fuperficie à raifon de la quantité de leur matière, ont efté plus aifément chaffées hors de ce corps C par la matière du Ciel qui coule en fes pores ; &... à caufe qu'elles font longues, elles fe font couchées de trauers fur fa fuperficie, après ejire /orties de /es pores ; de façon qu'elles n'ont pu y rentrer..., comme ont fait celles du/econd.

36. Que toutes les parties de ce genre fe font réduites à deux e/peces " .

Ainfi plufieurs parties... du troifiéme genre fe font affemblées vers D, & bien qu'elles n'ayent peut-eftre pas efté d'abord toutes égales, ny entièrement femblables, elles ont toutefois eu cela de commun, qu'elles n'ont pu s'attacher | les vnes aux autres, ny à 313 aucuns autres corps, & qu'elles ont fuiuy le cours de la matière du Ciel qui couloit autour d'elles; car c'eft cela qui a efté caufe qu'... elles fefont alfembléesvers D. Et pource que la matière du Ciel qui eft parmy elles, n'a ceffé de les agiter, & de faire qu'elle s'entre- fuiuent & fuccedent à la place l'vne de l'autre, elles ont deu, par fuccelTion de temps, deuenir fort vnies & gliflantes, & à peu près d'égale grofleur, afn de pouuoir remplir les mefmes places ; en forte qu'elles fe font toutes réduites à deux cfpeces. A fçauoir celles qui efioient au commencement les plus grojfes, font demeurées toutes droites (ans fe plier; & les autres, qui eftoient affez petites pour eftre pliées par l'agitation de la matière du Ciel, fe font entortillées autour de ces plus grofl'es, & fe font meuës conjointement auec elles. Or ces deux efpeces de parties, dont les vnes font pliantes & les autres ne le font pas, ont pu continuer plus aifément à fe mou- uoir, eftant ainfi rîièflées enfemble, qu'elles n'ayroient pu faire

a. Ce troisième corps répond à l'eau.

b. « Quelques vnes », corrigé à Terrata. Texte imprimé : a quelquVnes ».

c. A savoir les parues proprement aqueuses et les parties salines.

2 20 OEuVRES DE DeSCARTES.

cllant réparées ; ce qui eil caufe quelles ne Je fout poinl réduites à me feule e/pece. Et bien qu'au commencement il j' en ait eu de plus â de moins flexibles ou inflexibles par degre-{, loulesfois, pource que celles qui ont pu d'abord ertre pliées... /.••ar l'aclion de la manière du 3:A Ciel, ont touf-ljours continué par après à eftre pliées &. repliées en diuer/es façons par cette mefmeaclion, elles font toutes deuenuës fort flexibles, ainfi que des petites anguilles ou des bouts de cordes, qui font fi courts qu'ils ne fe noïtent point les J'ns aux autres. Et au contraire, celles qui n'ont point elle pliées d'abord, ne l'ont pu (!firc aujji par après ; ce qui les a fait deuenir toutes fort roides iS- injlexibles . . .

Sj. Comment le corps marqué C s'efi diuijé en plufieurs autres \

Et il faut icy remarquer que le corps D a commencé d'eltre feparé des deux B &. C, auant qu'ils fuH'cnt entièrement formez : c'efl à dire auant que C full deuenu fi dur que la matière du Ciel ne pult ferrer dauantage fes parties ny les faire dcJcenJre plus bas; & aufli auant que les parties du corps B fulfent toutes réduites à tel ordre que cette matière du Ciel puU librement... palier de tous collez parmy elles en lignes droites. De façon qu'il y a eu encore plulicurs des parties de ce corps B qu'elle a fait defcendre vers C, é- les vues de ces parties ont efié moins folides que celles qui compofent le corps D, les autres l'ont efté dauantage. Or, pour celles qui l'ont elle dauantage, elles ont facilement pal]'é au trauers de ce corps D, pource qu'il efï liquide, Ik defcendanî jufques à C, quelques- vnes iont entrées en fes pores; les autres, dont \ix grojfeur ou ligure ne l'a pas 315 permis, | font demeurées fur fa fuperficie ; Ck ainfi le corps C s'cll diuifé en plufieurs diuerfes régions, félon les diucrfes efpeccs de par- lies qui l'ont compofè & leurs diuers arrengcmens^ en forte qu'il y a mefme peut-eftre quelques-vnes de ces régions ilert entièrement lUiide, a caufe qu'il ne s'y cil allcmblé que des parties de telles figures qu'elles ne fc peuuenî attacher les vncs aux autres. Mais il cil impolîible d'expliquer tout.

as. Comment il s'cjt forme m quatrième y-<>-ys au deffus du troifième .

Quant aux parties t/// troifième elonenl ijui ont clic pouMcc> hois du corps M par l'aclion de la malicre du T'/V/, i\; .pu t'iloicu m(>ii),s

a. IManchc XIV. }>oriio infciitiii*. ui. .u.'jic.

b. Ibidem, panic supcriciirc de dtuitc.

Principes. Quatriesme Partie. 221

folides que celles du corps D, elles ont deu demeurer au deffus de fa fuperficie; & pource que plufieurs auoient des'figures trregulieres, ainfi que font celles des branches d'arbres ou femblables, elles fe font peu à peu entrelacées & attachées les vnes aux autres, en forte qu'elles ont compofé le corps E% qui eft dur & fort différent des deux liquides B & D, entre le/quels il ejl. Et bien que ce corps E n'ait eu au commencement que fort peu d'épaiffeur, & qu'il n'ait , efté que comme vne petite peau ou écorce qui couuroit la fuper- ficie du corps D, il a deu deuenir peu à peu plus efpais, à caufe qu'il y a eu beaucoup de parties qui fe font jointes à luy, tant de celles qui font defcenduè's du corps B, | que de celles qui font montées 316 de D..., en la façon que je dlray aux deux articles fuiuans. Et pource que les adions de la lumière & de la chaleur ont contribué à faire monter & de/cendre ces parties du troijiéme élément qui Je Jont jointes au corps E, celles qui s'y font jointes en chaque lieu, durant l'efté ou durant le jour, ont efté autrement difpofées que celles qui s'y font jointes l'hyuer ou la nuit; ce qui a mis quelque diftindion entre les parties de ce corps..., en forte qu'il eft mainte- nant compofé de plufieurs couches de matière..., qui fpnt comme autant de petites jtjeaw.v eftenduès l'vne fur l'autre.

3g. Comment ce quatrième corps s'ejl accreu, & le troijiéme s'ejl purijié.

Et il n'a pas efté befoin de beaucoup de temps pour diuifer la plus haute région de la Terre... en deux corps tels que B & C, ny pouc affembler vers D les parties du troijiéme, ny mefme pour com- mencer vers E la première couche du quatrième. Mais ce ne peut auoir efté qu'en plufieurs années, que toutes les parties du corps D fe font réduites aux deux efpeces tantoft décrites", & que toutes les couches du corps E fe font acheuées ; pource qu'au commencement il n'y a eu aucune raifon qui ait empefché que les parties du troi- jiéme élément, qui s'affembloient vers D, ne fuflent quelque peu plus longues ou plus groffes les vnes que les autres; & mefme elles ont pu avoir dtuerfes Jîgures en | leur longueur, & eftre plus groffes par 317 vn bout que par l'atitre, & enfin auoir des fuperficies qui n'eftoient pas tout à fait gliffantes & polies, mais quelque peu rudes & iné- gales, pourvu qu'elles ne l'ayent point tant efté que cela les ait em- pejché de fe feparer des corps C ou E, Mais pource qu'elles n'eftoient

a. La croûte terrestre dans un état primitif hypothétique.

b. Art. 36, p. 219.

318

2 22 OEUVRES DE DeSCARTES.

point jointes-l'vne à l'autre, -& que la matière du Ciel qui couloit autour d'elles ne ceflbit de les agiter, elles ont deu*, en s'entrefui- uant & paflant toutes par mefmes chemins, deuenir fort gliffantes & vnies... & fe réduire aux deux efpeces de figures que fay dé- crites... Ou bien celles qui -n'ont pu s'y réduire..., ont deu fortir de ce corps D, &7? elles ont efié plus folides que celles qui y demeuroient, elles font defcenduës vers C ; mais celles qui l'ont efié moins, font montées en haut, & la p\u^pan/e font aj-refiées entre B & D, elles ont feruy de matière pour augmenter le corps E.

40. Comment l'épaijfeur de ce troifiéme corps s'eji diminuée, en forte qu'il ejî demeuré de l'efpace entre luy & le quatrième corps, lequel efpace s'ejî remply de la matière du premier '.

Car, pendant le jour & l'efté, la lumière & la chaleur du Soleil, qui a^iffoient conjointement contre toute vne moitié du corps D, augmentoient tellement l* agitation des petites parties de cette moitié, qu'elles ne pouuoient eftre continués en fi peu d'efpace qu'aupara- uant; de façon que, fe trouuant enfermées entre les deux corps durs C & E, plufieurs eftoient contraintes de paffer par les pores de "ce dernier pour | monter vers B, lefquelles par après, pendant la nuit & encore plus pendant l'hyuer..., defcendoient derechef vers D, par le moyen de leur pefanteur, pource que leur agitation efioit moin- dre. Maïs plufieurs cau(es pouuoient les empefcher... de retourner jufques à ce corps D, & faire que la plufpart fc joigniffent au corps E : car la lumière & la chaleur, en les agitant lors qu elles efioient enfermées entre B & C, les incitoient bien plus à monter, que par après leur pefanteur ne les incitoit à defcendre. Et ainfi plufieurs fe faifoient des palfages au trauers... du corps E, lors qu'elles mon- toient, qui, n'y en rencontrant point en defcendant, s'arreftoient fur fa fuperfîcie, oii elles feruoient de matière pour l'augmenter. Et mefme quelques-vnes fe trouuoient tellement engagées en fes pores, que, ne pouuant monter plus auant, elles fermoient le chemin à celles qui defcendoient. Et enfin c'efioient prefques touf-jours les plus petites, & celles qui auoient des -figures plus différentes du commun des autres, qui, pouuant eflre chaflées du corps I) par la plus ordinuire aélion de la matière fubtile, fc prefentoient les pre- mières pour monter vers E & B, où, rencontrant des parties de ces corps E & B, elles s'atiaclioient aifémcnt à elles, ouyè diuifoient,

a. Planches XIV et XV, figure i (conimcnccment ci lin de la pcriode Jccrite).

Principes. Quatriesme Partie. 223

ou changeoient de figure, & ainfi celToient d'eftre projpres à corn- 319 pofer le corps D. Ce qui eft caule qu'après plufieurs jours & années il y a eu beaucoup moins de matière en ce corps D, qu'il n'y en auoit lors que le corps E a commencé à Je former, & qu'il n'eft demeuré en luy que celles de fes parties qui ont pu fe réduire aux deux efpeces que j'ay décrites', & aufli que le corps E a efté affez efpais & ferré, d'autant que la plufpart des parties qui font forties de D, fe font arreftées en fes pores, & ainfi l'ont rendu plus ferré, ou bien, changeant de figures... & fe joignant à quelques- vnes de celles du corps B, font retombées Çur fa fuperjicie, & ainfi l'ont rendu plus efpais. Et enfin cela eft caufe qu'il eft demeuré, entre D & E, vn efpace alTez grand, tel qu'eft F, qui n'a pu eftre remply que de la matière qui compofe le corps B, en laquelle il y a eu des parties fort déliées, qui ont pu aifément paflcr par les pores du corps E, pour entrer en la place de celles qui font forties du corps D.

41. Comment il s'ejî fait plujieurs fentes dans le quatrième corps ".

Ainfi, encore que le corps E fuft beaucoup plus maflif &'plus pefant que celuf qui ejîoit vers F, & mefme aufli peut-eftre que le corps D, il a deu toutefois, pendant quelque temps, fe fouftenir au defl"us... comme vne voûte, à caufe de fa dureté. Mais il eft à remar- quer que, lors qu'il a commencé à fe former, les parties du corps D, à la fuperficie duquel il eftoit joint, ont | deu fe referuer en luy plu- -320 fieurs pores par où. elles pulfent paffer, à caufe qu'il y en auoit con- tinuellement plulieurs que la chaleur faifoit monter vers B durant le jour, & que leur pefanleur faifoit redefcendre vers D durant la nuit, en forte qu'elles rempliflbient touf-jours ces pores du corps E, par kfquels elles pajfoient. Au lieu que, par après, commençant àj' auoir quelque efpace entre D & E, qui contenait le corps F, quelques- vnes des parties de ce corps F' font entrées en quelques-vus de ces pores du corps E ; mais, eftant plus petites que celles du corps D

a. Art. 36, p. 219.

b. Planche XV, figure i.

c. Tout ce passage a été remanié. Le seul changement important, par rapport au texte latin, est cependant la substitution du corps F au corps B, comme origine dt l'action qui produit les fentes du corps Y.. On peut douter que cette substitution ait été consciemment adoptée par Descartes, d'autant que, pour lui, ces deux corps, qui représentent notre air, ne dif- fèrent guère que de situation.

2 24 Œuvres de Descartes.

qui auoient couftume d*y eftre, elles ne les pouuoient entièrement remplir. Et pource qu'il n'y a aucun vuide en la nature, & que la matière des deux premiers elemens acheue toul-jours de remplir les efpaces que les parties du troifiéme laiffent autour d'elles, cette matière des deux premiers elemens, entrant auec impetuorité dans ces pores, auec les parties du corps F..., a fait tel effort pour en élargir quelques- vns, que les autres, qui leur eftoient voifms, en deue- noient plus eftroits.; & ainfi, qu'il s'eft fait plufieurs fentes dans le corps E\ lefqueiles font peu à peu deuenués fort grandes. En mefme façon & pour les mefmes raifons qu'il a couftume auffi de s'en faire dans la terre des lieux marefcageuXy lors que les chaleurs de l'efté la défeichent...

821 1 42. Comment ce quatrième corps s'eJl].rompu en plufieurs pièces.

Or y ayant ainfi plufieurs'fentes dans le corps E, lesquelles s'aug- mentoient de plus en plus, elles font enfin deuenuës fi grandes, qu'il n'a pu fe fouftenir plus long-temps par la liaifon de fes par- ties, & que la voûte qu'il compofoit fe creuant tout d'vn coup, fa pe- fanteur l'a fait tomber en grandes pièces fur. la fuperficie du corps C. Mais pource que cette fuperficie n'eftoit pas alfez large pour re- ceuoir toutes les pièces de ce corps... en la mefme fituation qu'elles auoient efté auparauant, il a fallu que quelques-vnes foient tombées de cofté, & fe foient appuyées les vnes contre les autres. En forte que, fi, par exemple, en la partie du corps E qui eft icy reprefentée", les principales fentes ont efté aux endroits marque^ 1,2, 3, 4, 5, 6, 7, & que les deux pièces 2 3, & 6 7, ayent commencé à tomber vn peu pluftoft que les autres, & aufti que les bouts des quatre autres, marque\2f 3, 5 & G, foient tombez pluftoft que leurs autres bouts murquCy 1, 4 & V; & enfin que 6, l'vn des bouts de la pièce 4 5, foit tombé vn peu pluftoft que V, l'vn des bouts de la pièce V 6, ces pièces doiuent fe trouuer, après leur cheute, difpofées fur la fuperficie du corps C, en la façon qu'elles paroifl'ent en cette figure, les pièces 2 3, & 6 y, font couchées tout plat fur cette fuperficie, 322 & les autres quatre font penchées fur leurs coftez, & fe foujftiennent les vnes les autres.

a. Nous avons corrigé E, au lieu de D, imprimé par une erreur évi- dente.

b. Planche XV, figure 2 (cf. fig. 1).

Principes. Quatriesme Partie. 22

43. Comment yne partie du troîfiéme ejl montée au deffus

du quatrième'.

De plus, à caufc que la matiei^e du corps D eft liquide & moins pcfante que les pièces du corps E, elle a deu non feulement occuper tous les recoins & tous... les palfages qu'elle a trouuez au delTous d'elles, mais aufTi, à caufe qu'elle n'y pouuoit élire toute contenue, elle a deu monter à mefme temps au-de(Tus des plus 'balfes, telles que font 2 3, & 6 7, 6"- par mcjme moyen Je former des pajfages pour entrer oufortir du dejfous des vues au deffus des autres,

44. Comment ont ejlé produites les montagnes, les plaines,

les mers, &c..

En fuite de quoy, fi nous penfoas que les corps R & F ne font autre chofe que de l'air, que D ell de l'eau, & C vne croulte de terre intérieure fort folide & fort pcfante, de laquelle viennent tous les métaux, & enfin que E efi vne autre croujîe de terre moins majjiue, qui eft compofée de pierres, d'argile, de fable & de limon : nous verrons clairement en quelle façon les mers fe font faites... au def- fus des pièces 2 3, 6 7, ^S' femblables, & que^ ce qu'il y a des autres pièces qui n'eft point couuert d'eau, nj beaucoup plus cleué que le rejie...,di fait des plaines; mais que ce qui a cité plus cleué &fort en pente, comme i 2, & 9 4 V, a fait des montagnes. Et enfin, conliderant que ces grandes pièces n'ont pu tomber en la façon qui a efié dite, fans que leurs cxtremitez... ayent elle brifées en beau|coup d'autres moindres pièces par la force de leur pefanteur 323 6- Vimpetuojîté de leur cheute, nous verrons pourquoy il y a des rochers en quelques endroits au bord de la mer, comme i 2, & mefme des elcueils au dedaris, comme 3 & 6; & enfin pourquoy il y a ordinairement plulieurs diuerfes pointes de montagnes en vne mefme contrée, dont les vnes font fort hautes, comme vers 4, les autres le font moins, comme vers 9 &. vers V,

45. Quelle eji la nature de l'air.

On peut aufli connoillre de cecy quelle eft la vraye nature de l'air, de l'eau, des minéraux & de tous les autres corps qui font fur la Terre,

a. Planche XV, figure 2. La lettre B manque dans les deux figures de cette planche, elle devrait marquer la couche la plus extérieure, ŒuvRi:s. IV. 31

220 Œuvres de Descartes.

ainjt que je taj cher ay maintenant d'expliquer. Premièrement, on en peut déduire que l'air n'eft autre chu c qu'vn amas des parties du troifiéme élément, qui font fi déliées & tellement deftachées les vues des autres, qu'elles obeïffent à tous les mouuemens de la matiej^e du C\q\ qui ejl parnif elles : ce qui eft caufe qu'il eft... rare, liquide & tranfparent, & que les petites parties dont il eft compofé, peuuent eftre de toutes fortes de figures. La raifon qui me fait dire que ces parties doiuent eftre entièrement détachées les vues des autres, eft que, fi elles Je pouuoient attacher, elles fe feroient jointes auec le corps E; mais pource qu'elles font ainfi déjointes, chacune fe meut 32t4 feparément de fes voifines, & rejtient tellement à foy tout le petit efpace fpherique, dont elle a befoin pourfe mouuoir... de touscoftez autour de fon centre, qu'elle en chafl'e toutes les autres, Ji tojt qu'elles fe prefentent pour y entrer, fans qu'il importe pour cet effet de quelles figures elles foient.

46. Pourquqy il peut ^Jire facilement dilaté & condenfé.

Et cela fait que l'air eft aifement condenfé par le froid & dilaté par la chaleur. Car fes* parties eftant prefque toutes fort molles & flexibles, ainfi que des petites plumes ou des bouts de cordes fort déliées, chacune fe doit d'autant pluseftendre qu'elle eft plus agitée, & parce moyen occuper vn efpace fpherique d'autant plus grand...; mais, fuiuant ce qui a efté dit" de la nature de la chaleur, elle doit augmenter leur agitation, & le froid la doit diminuer.

4-;. D'où vient qu'il a beaucoup de force à Je dilater, ejlant prejfe en certaines machines.

Enfin, lors que l'air eft renfermé en quelque vaiffeau dans lequel on en fait entrer beaucoup plus grande quantité qu'il n'a coujlume d'en contenir, céi air en fort par après auec autant de force qu'on en a employé à l'y Jaire entrer; dont la raifon eft que, lors que l'air eft ainfi preffé, chacune de fes parties n'a pas à foy feule tout l'efpace fpherique dont elle a befoin pourfe mouuoir, à caufe que les autres Jont contraintes de prendre vne partie du mefme efpace, & que, re- tenant cependant l'agitation qu'elles auoicnt, à caufe que la matière 816 JubtilCf qui continue | touf-jours de couler autour d'elles, leur fait rCjnir le mefme degré de chaleur, elles. .. fe frapent ou fe pouffent

Art. ag, p. aiS.

Principes. Quatriesme Partie. 22

/

les vnes les autres en fe remuant, & ainfi s'accordent toutes enfemble à faire effort pour occuper plus d'efpace qu'elles n'en ont. Ce qui a ferui de fondement à l'inuention de diuerfes machines, dont les vnes font des fontaines, l'air ainji renfermé fait fauter l'eau tout de mefme que h elle venoit d'vne fource fort éleiie'e : & les autres /ont des petits canons, qui, n'étant charge^ que d'air, pouffent des baies ou des flèches prefque aulfi fort... que s'ils efîoient charge\ di poudre.

4S, De la nature de l'eau, & pourquoy elle fe change aifement en air & en glace.

Pour ce qui eil de l'eau, j'ay def-ja monrtré * comment elle eft com- pofée de deux fortes de parties toutes longues & vnies, dont les vnes font molles & pliantes, & les autres font roides & inflexibles, en forte que, lors qu'elles font feparées, celles-cy compofeni le fel, & les premières compofent l'eau douce. Et pource que j'ay aflez curieuje- ment fait voir, dans les Météores ^ comment, toutes les proprietez qu'on peut remarquer dans le fel & dans Teau douce, fuiuent de cela feul qu'ils font compofe^ de telles parties, je n'ay pas befoin d'en dire autre chofe, fmon qu'on y peut remarquer la fuite & la liaifon des chofes que j'ay écrites; & comment, de ce que la Terre s'eft formée en la façon que je \ riens d'expliquer, on peut conclure qu'il 326 y a maintenant telle proportion entre la grolfeur des parties de l'eau & celle des parties de l'air, & aufli entre ces mefmes parties & la force dont elles font meuës par la matière du fécond élément, que, lors que cette force efl quelque peu moindre qu'à l'ordinaire, cela fuffit pour faire que les vapeurs qui fe trouuent en l'air, prennent la forme de l'eau, & que l'eau prenne celle de la glace; comme au contraire, lors qu'elle eft tant foit peu plus grande, elle éleue en vapeurs les plus... flexibles parties de l'eîiii, .& ainfi leur donne la forme de l'air.

4g. Du flux & reflus de la mer.

l'ay aufil expliqué, dans les Météores % les caufes des vents, par lefquels l'eau de la mer eft agitée en plufieurs façons irregulieres. Mais il y a encore en elle vn autre mouuement, qui fait qu'elle fe

a. Art. 36, p. 219.

b. Discours III et V, t. VI de cette édition, p. 249 et 279.

c. Discours IV, voir t. VI, p. 265.

228 OEuVRES DE DeSGARTES.

hauffe & fe baiffe règlement deux fois le jour en chaque lieu, & que cependant elle coule fans celTe du leuant vers le couchant, de quoy je tafcheray icy de dire la caufe^. Soit ABCD" la partie du premier Ciel quicompofe vn petit tourbillon autour de laTerreT,ûans lequel la Lune © eft comprife, & qui les fait mouuoir toutes deux autow^ de fou centre, pendant qu'elle les emporte aufli autour du Soleil. Et pofant, pour plus grande facilité, que la mer 1284 couure toute

327 la ''vperficie de la Terre EF|GH, comme elle eft aulïï couuerte de l'a^ 5678, confiderons que la Lune empefche que le point T, qui eft le centre de la Terre, ne foit juftement au mefme lieu que le point M, qui eft le centre de ce tourbillon; & qu'elle eft caufe que T eft vn peu plus éloigné que M du point B. Dont la raifon eft que la Lune & la Terre ne fe pouuant mouuoir fi vite que la matière.... de ce tourbillon par qui elles font emportées, le point T n'eftoit point vn peu plus éloigné de B que de D, la prefence de la Lune empefcheroit que cette matière ne coulaft fi librement entre B & T qu'entre T & D; & pource qu'il n'y a rien qui détermine le lieu de la Terre en ce tourbillon, finon l'égalité des forces dont elle eft preifée par luy de tous coftez, il eft éuident qu'elle doit vn peu s'a- procher vers D, quand la Lune ejl vers B, afin que la matière de ce tourbillon ne la prejje point plus vers F que vei^s H. Tout de mefme, lors que la Lune eft vers C..., la Terre fe doit vn peu retirer r^rs .4; & généralement, en quelque lieu que la Lune Je trouue, le centre de la Terre T doit touf-jours vn peu plus eftre éloigné d'elle que le centre du tourbillon M. Confiderons auffi que, lors que la Lune eft vers B, -^ elle fait que la matière du tourbillon ABCD a moins d'efpace pour couler non feulement entre B & T, mais aufti entre T & D, qu'elle

^28 n'auroit fi la Lune eftoit [ hors du diamettre B D, & que, par con- fequent, elle s'y doit mouuoir plus vite, & preffer dauantage les fuperficies de l'air & de l'eau, tant vers 6 & 2 que vers 8 & 4 ; & en fuite, que l'air & l'eau eftant des corps liquides, qui cèdent lors qu'ils font prellez & s'écoulent aifément ailleurs, ils doiuent auoir moins de hauteuroM/To/o/z^i?/^;' fur les endroits de laTerremarqueiF Si H, & par mefme moyen en auoir plus fur les endroits E & G, que fi la Lune edo'n ailleurs...

5o. Pourquoy l'eau de la mer employé dou\e heures & cnuiron vingt-quatre minutes, à monter & de/cendre en chaque marée.

Confiderons, outre cela, que, d'autant que la Terre/ait vn tour fur

a. Planche XVL Voir Correspondance, t. V, p. 260, 1. 7.

Principes. Quatriesme Partie. 229

Jon centre en 24 heures, fa partie marquée F% qui eft maintenant vis à vis de B, l'eau delà mer eft fort baffe, doit arriuercn fix heures... vis à vis de C, la mer eft fort haute... Et de plus, que la Lune, qui fait auffi vn tour en vn mois dans le tourbillon BCDA, s'auance quelque peu de B vers C, pendant les Jtx heures que l'endroit de la Terre marqué F employé à ejîre Iran/porté jufqites au lieu oti eji maintenant G, en forte q^ue ce point marqué F... ne doit pas feule- ment employer fix heures, mais auffi enuiron douze minutes de plus, pour paruenir jufquesaulieudela plus grande hauteur de la mer, qui fera pour lors vn peu au delà de G, à caufe de ce que la Lunt/e fera cependant auancêe...; & tout de mefme, | qu'en fix autres heures & 329 douze minutes, le point de la Terre marqué F fera vn peu au delà du lieu eft H, la mer fera pour lors la*plus baffe... Et ainfi on voit clairement que la mer doit employer enuiron douze heures & vingt-quatre minutes à monter & defcendre en chaque lieu.

5i . Pourquoy les marées font plus grandes, lors que la Lune ejî pleine ou nouuelle, qu'aux autres temps ".

De plus, il faut remarquer que ce tourbillon ABCD n'eft pas . exadement rond, & que celuy de fes diamètres dans lequel la Lune trouue, eftant pleine ou nouuelle, eft le plus petit de tous ; & celuy qui le coupe à angles droits eft le plus grand, ainfi qu'il a efté dit cy- deffus'. D'où il fuit que la prefence de la Lune prejfe dauantage les ^eaux de la mer, & les fait hauffer & baiffer dauantage, lors qu'elle eft pleine ou nouuelle, que lors qu'elle n'eft qu'à demy pleine.

52. Pourquoy elles font aufjî plus grandes aux Equinoxes qu'aux Solfîices.

Il faut auffi remarquer que la Lune eft touf-jours fort proche du plan de l'Eclyptique, au lieu que la Terre tourne fur fon centre fuiuant le plan de l'Equateur, ^w/ en eJi affe\ éloigné, & que ces deux plans s'entrecoupent aux lieux fe font les equinoxes, mais qu'ils font fort éloignez l'vn de l'autre en ceux des folftices. D'où il fuit que c'eft au commencement du printemps & de l'automne, c'ejï à dire au temps des equinoxes, que la Lune agit le plus dire\âement contre ^^^ la Terre, & ainjî rend les marées plus grandes.

a. Planche XVL Voir Correspondance, t. IV, p. 466 et 467-468.

b. Ibid,, t. IV, p. 467-468.

c. Partie III, art. i53, p. 198.

23X) Œuvres de Descartes.

-S^. Pourquoy l'eau & l'air coulent fans cejje des parties Orientales de la Terre vers les Occidentales ».

Il y a encore icy à remarquer que, pendant que la Terre tourne d'E par F vers G, c'eft à dire de l'Occident vers l'Orient, l'enflure de l'eau 4 i 2, & celle de l'air 8 5 6, que je fuppofe maintenant fur l'endroit de la Terre marqué E, pafTent peu à peu vers fes autres parties qui font plus à l'Occident : en forte que, dans fix heures <y douie minutes, elles feront fur l'endroit de la Terre marqué H, & dans douze heures & vingt-quatre minutes, fur celuy qui eft marqué G; & en mefme façon, que les enflures de ^l'eau & de l'air marquées 2 3 4, & 6 7 8, pajfent de G vers F : en forte que l'air & l'eau de la mer ont vn cours continu qui les porte des parties Orientales de, la Terre vers les Occidentales.

54, Pourquoy les pais qui ont la mer à l'Orient font ordinairement moins chaux que ceux qui l'ont au Couchant,

Il eft vray que ce cours n'eft pas fort rapide, mars il ne laifl'e pas d'eftre tel qu'on le peut aifément remarquer : premièrement, à caufe que dans les l'ongues nauigations il faut touf-jours employer plus de temps..., lors qu'on va vers l'Orient, que lors qu'on retourne vers l'Occident; puis aufli, à caufe qu'il y a des deftroits dans la mer, l'on voit que l'eau coule. fans ceffe vers le Couchant ; & enfin, à caufe que les terres qui ont la mer vers l'Orient, ont couftume d'eftre 331 I moins efchauffées par le Soleil, que celles qui/ow^ en mefme climat & ont... la mer vers l'Occident. Comme on voit, par exemple, qu'il fait moins chaut au Brefil qu'en la Guinée, dont on ne peut donner autre raifon, finon que le Brefil eft plus rafrefchy par l'air qui luy vient de la mer, que la Guinée par celuy qui luy vient des terres qu'elle a au Leuant.

55. Pourquoy il n'y a point de flux & reflux dans les lacs ; & pourquoy vers les bords de la mer il ne fe fait pas aux mefmes heures qu'au milieu.

Enfin, il faut remarquer que, bien que la Terre ne foit pas toute couuerte des eaux de la mer, ainfi qu'f//e ejl icy reprefentéc, toute-

a. Planche XVI. Voir Correspondance, t. IV, p. 468. ,

Principes. Quatriesme Partie. 2ji

fois, à caufe que celles de l'Occan l'enuironnent, elles doiuent eflre meuës/\7r la /.une en melme façon que li elles la couuroient entière- ment; mais que, pour ce qui e(l des lacs & des ellangs qui font du tout feparez de l'Occan, d'autant qu'ils ne couurent pas de fi grandes parties de la Terre, qu'vn coflé de leur ùiptrficie Ibit jam^ns beau- coup plus preU'c que l'autre... par la prcfencc de la Lune, leurs eaux ne peuTJcnt élire ainfi meuës par elle; i*<: que, bien que celles qui font au milieu de VOeean, s'y haujfenl *1' Ihùifent règlement en la façon que j'aj' décrile\ loule/'ois leur Hux ^; relîux vient différemment & il diuers tempes, aux diuers endroits de fes bords, à caufe qu'ils font fort irrcguliers, ^ beaucoup plus auancei^ en vn lieu qu'en l'autre...

I .S6. Comment t>n peut rendre t ai/on de toutes les différences particulières des /lux 6' reflux.

Et on peut, de ce qui a ilef-ja elle dit", déduire les caufes particu- lières de toutes les diiierlife/. du Hux ^: rellux, /.'«// /-r/î qu'on f cache que, lors que la Lune cU pleine ou nt^uuelk*, les eaux qui font au milieu de l'Océan aux lieux les plus éloigne/ de fes bords, vers l'E- q^uaieur iSc l'Kcl\ ptique, font le plus enllées aux endroits oit il eji fix heures du foii ou du matin, ce qui fait qu'elles ^'é'coulent de vers les bords; tS: qu'elles foiii au lueline temps le moins cntiécs aux lieux il elt .Midy ou Minuit, ce qui fait qu'elles y coulent des bords vtis le milieu : ik que, félon que ces bords font plus proclies ou plus éloigne/, «S: que ces taux pallcni par des clicmins plus qu moins ôrn'yXi ik larges ^S. profonds, elles y arriuent plulloll ou plus tard, ^ en plus ou moi.is grande quantité ; ^: aulli. que les diuers dcflouis de ces chemins, caufe- par l'inlerpo/iiiou des ifles, par les difervuies profondeurs de la mer, par la defccnte des riuieres H- par l'irrégularité des bords ou riuages, font louuent que les eaux qui vont vers vn bord, font rencontrées parcelles qui viennent d'vn autre, ce qui auance ou retarde leur cours en plufieurs diuerfes façons; iV enfin, qu'il peut aulli élire auancé ou retarde' par les vents, qiielques-vns defquels fouillent touf-jours règlement en certains lieux, à certains temps. Car je croy qu'il n'y a | rien de particulier à obferuer, touchant les llux ^ reflux de la mer, dont la caufe ne foit comprife en ce peu que je viens de dire.

a. An. Su, ?i Cl 52, p. 328-229.

b. Ibidem.

332

333

2 } 2 OEuVRES DE DeSGAPTES.

57. De la nature de la Terre intérieure, qui eji au deffous dés plus baffes eaux *,

Touchant la Terre intérieure marquée C, qui s' cjî formée au def- fous des eaux, on peut remarquer qu'elle ell compofée de parties de toutes fortes de figures, & qui font fi grolfes que la matia^e du fécond élément n'a pas Ja force, par fon mouuement ordinaire, de les emporter auec fo}', comme elle emporte celles de l'air & de Veau*'; mais qu'elle en a feulement affez pour les rendre pefantes, en les prelîant vers le centre de la Te?^re, & auiTi pour les esbranler quelque peu, en coulant par les interualles qui doiuent eftre parmy elles en " grand nombre, àcaufede V irrégularité de leurs figures ; & qu'elles font aufli esbranlées, tant par la matière du premier élément, qui remplit tous ceux de ces interualles qui font fi eftroits qu'aucun autre corps n'y peut entrer, que par les parties de l'eau, de l'air & de la Terre extérieure qui s'eft formée au delfus de l'eau, lefquelles defcendent fouuent dans les plus grands de ces interualles, &y agitent Ji fort quelques parties delà Terre intérieure qu'elles les dé' tachent des autres, & les font par après monter avec elles. Car il eft ayfé à juger que les plus hautQS parties de cette Terre intérieure C 334 I doiuent eftre véritablement fort entre-lacées & fermement jointes les vnes aux autres, pource que ce font elles qui ont efté les pre- mières à fouftenir l'effort & rompre le cours de la matière fubtile qui paffoit en lignes droites par les corps B & D, pendant que C fe for- moit; mais que neantmoins, efiant affe{ groffes & ayant des figures fort irregulieres, elles n'ont pu s'ajujlerjî bien l'vne à l'autre, qu'il ne foit demeuré parmy elles plufieurs efpaccs afl'ez grands pour donner paffage à quelques-vnes des ^ arties terrefres qui efloient au deffus, comme particulièrement à celles du fel & de l'eau douce*...; mais que les autres parties de ce corps C, qui eftoiént au-deffous de ces plus hautes, n'ont point efîé fi fermement jointes'^ ce qui efl caufe qu'elles ont pu eflre feparées par les parties du fel, ou autres fem- blables, qui venoient pers elles.

a. Planche XV, figure 2.

b. Art, 45 et 48, p. 225-226 et 227.

c. Exemplaire annoté, de deux mains différentes : « et mesme aussy a d'autres plus branchucs (au latin) ». Ces deux derniers mots barrés par la seconde main, qui récrit en tête : « Le latin ajoute. . . » et après : « . . .qui viennent du corps E ».

d. La traduction a transporté ici, en le paraphrasant, le début de l'article suivant, tel qu'il est dans le texte latin.

Principes. Quatriesme Partie. 2)3

58. De la nature de f argent vif.

Et mefme il y a eu peut-eftre quelque endroit, au dedans ou bien au dejfous de ce corps O , il s'eft afl'emblé plufieurs de ces parties, qui ont des figures fi vnies & fi gliflantes, qu'encore que leur pefanteur foit caufe qu'elles s'appuyent l'vne fur l'autre, en forte que îa matière du fécond élément ne coule pas librement de tous coftez autour d'elles, ainfi qu'elle fait autour de celles de l'eau: elles ne font toutesfois | aucunement attachées l'vne à l'autre, mais font conti- 335 nueilement meules, tant par la matière du premier élément, qui remplit tous les interualles qu'elles laiffent autour d'elles, que par les plus petites du fécond, qui peuuent aufTi pafler par quelques-vns c'e ces interualles; au moyen de quoy elles compofent vne liqueur qiu, ellant beaucoup plus pefante que l'eau & n'eftant aucunement uanfparentc comme elle, a la forme de l'argent vif.

5if. Des inégalité^ de la chaleur qui eji en cette Terre intérieure.

Outre cela, on doit remarquer que, comme nous voyons que les taches, qui s'engendrent journellement autour du Soleil, ont des figures fort irregulieres & diuerfes, ainfi la moyenne région de la Terre marquée M, qui cft compofée de me/me matière que ces taches, n'eft pas également folide par tout, mais qu'il j' a en elle quelques endroits f es parties font moins ferrées qu'aux autres : ce qui fait que la matière du premier élément, qui vient du centre de la Terre vers le co?'ps C, paffe par quelques endroits de cette moyenne région en plus grande quantité que par les autres, & ainfi... a plus de force pour agiter ou esbranler les parties de ce corps C, qui font au dejfiis de ces endroits là. On doit aulfi remarquer que la chaleur du Soleil, qui, comme il a efté dit cy-deffus", pénètre jufques aux plus intérieures parties de la Terre, | n'agit pas également contre 33g tous les endroits de ce corps C, pource qu'elle luy eft plus abon- damment communiquée par les parties de la Terre extérieure E, qui le touchent, que par les eaux D; & que... les coftez des montagnes qui font expolcz au Midy font beaucoup plus échauffez par le Soleil, que ceux qui reifardent les pôles; & enfin, que les Terres fituées vers l'Equateur font autrement échaulfécs que celles qui en font fort

a. Planche XV, figure 2.

b. An. 3<t, p '.'lô.

2J4 Œuvres de Descartes.

loin; & que la viciflitude, tant des jours & des nuits que... des eftez & des hyuers, caufe aufli en cela de la diuerfité.

60. Quel eji l'effet de cette chaleur •.

En fuitte de quoy il eft éuident que toutes les petites parties de ce corps C, ont touf-jours quelqueagitation, laquelle y eft inégale, félon les lieux & les temps. Et cecy ne doit pas feulement eftre entendu... des parties de l'argent vif, ou de celles du fel & de l'eau douce, & autres femblables, qui font defcenduës de la Terre extérieure E dans les plus grands pores de l'ijiferietire C, oîi elles ne font aucunement attachées, mais aufti de toutes celles de cette Terre intérieure, tant dures & fermement jointes les vnes aux autres qu'elles puiffent eftre. Non pas que ces parties ainfi jointes ayent couftume d'eftre entièrement feparées par l'aélion de la chaleur ; mais, comme nous voyons que le vent agite les branches des arbres, & fait qu'elles 337 ) s'approchent & fe reculent quelque peu les vnes des autres, /a«s pour cela ejire arrachées ny rompues : ainfi on doit penfer que la plufpart des parties du corps G ont diuerjes branches tellement entrellacées & liées enfemble, que la chaleur en les esbranlant ne les peut pas entièrement déjoindre, mais feulement faire que les interualles qui font parmy elles, deuiennent tantoft plus eftroits, & tantoft plus larges; & que, d'autant qu'elles font beaucoup plus dures que les parties des corps D & E, qui defcendent en ces inter- ualles quand ils s'élargijfent, elles les preffent lors qu'ils deuiennent plus ejiroits, & les frapant à diuerfes reprifes, elles les froiJJ'ent ou les plient en telle façon, qu'elles les réduifent à deux genres de figures, qui méritent d'eftre icy confiderez.

61. Comment s'engendrent les fucs aigres ou corrofifs, qui entrent en la compofition du vitriol, de l'alun, & autres tels minéraux.

Le premier genre vient des parties du fel, ou autres femblables aflcz dures & folides, qui eftant engagées dans les pores du corps C, y font teWement preffées & agitées, qu'au lieu qu'elles ont efté auparauant rondes & roides, ainft que des petits baflons, elles de- uiennent plates & pliantes : en mefme façon qu'vne verge de fer..., ou d'autre métal, fe change en vne lame..., à force d'eftre batuë ù coups de marteau. Et de plus, ces parties du corps D ou E..., en

.A'. Planche XV, figure 2.

Principes. Quatriesmé Partie. 255

fe glilTant çà & contre celles du corps C, qui les furpaffent-en (dureté, s'y aiguifent & poliflent en telle forte que, deuenant trau' 33» chantes & pointues..., elles prennent la forme de certains fucs... aigres & corrofifs, qui, montant par après vers le corps E, font les mines, y compofent du vitriol, de l'alun ou d'autres minéraux, félon qu'ils fe méfient, en fe congelant, auec des métaux ou des pierres ou d'autres matières.

62. Comment s'engendre la matière huyleufe qui entre en la compojition du foulfre, du bitume, &c.

^ L'autre genre vient des parties des corps D & E..., qui, eftant moins dures que les précédentes, font tellement froiffées dans les pores du corps C, par l'agitation defes parties, qu'elles fe diuifent en plufieurs branches fort déliées & flexibles, qui, eftant écartées les vnes des autres par... la matière du premier élément, & emportées vers le corps Ef s'attachent à quelques-vnes de fes parties..., & par ce moyen compofent le foulfre, le bitume, & généralement toutes les matières graffes ou huileufes qui font dans les mines.

63. Des principes de la Chymie, & de quelle fat^on les métaux viennent dans les mines.

Et j'ay icy expliqué* trois fortes de corps qui me femhlent auoir beaucoup de rapport auec ceux que les Chymiftes" ont couftume de prendre pour leurs trois principes, &' qu'ils nomment le fel, le foulfre & le mercure. Car on peut prendre ces fucs corro- fifs pour leur fel, ces petites branches qui compofent vne matière huileufe pour leur foulfre, & le vif argent pour leur mercure. Et mon opinion eft, que la vraye caufe qui | fait que les métaux 339 viennent dans les mines, eft que ces fucs corrofifs, coulant çà & dans les pores du corps C, font que quelques-vnes de fes parties fe détachent des autres, lefquelles par après, fe trouuant envelopé^s & Comme reueftuës des petites branches de la matière huileufe, font facilement pouilees de C vers E par les parties de l'argent vif, lors qu'il eft agité & raréfié par la chaleur. Et félon les diuerfes grandeurs & figures qu'ont ces parties du corps C, elles compofent

a. Art. 58, 61, 62, p. 233 et suiv.

b. Le ternaire des principes de l'ancienne chimie ne remonte pas au delà de Paracelse, qui ajouta le sel au soufre et au mercure des alchimistes*

2j6 Œuvres de Descartes.

diuerfes efpeces de métaux, lefquelles j'aurois peut eilre icy plus particulièrement expliquées, fi j'auois eu commodité de faire toutes les expériences qui font requifes pour verijîer les raifonnemens que faf faits fur ce fujet.

64. De la nature de la Terre extérieure & de l'origine des fontaines.

MaTs/ti/2S nous arrefier à cela daiiantage, commençons à exami- ner la Terre extérieure E, que nous auons defja dit'' ejîre diuifée en plujieurs pièces, dont les plus baJJ'es font couuertes de l'eau de la mer, les plus hautes. (ont les montagnes, & celles qui font entre-deux font les plaines; & voyons maintenant... quelles y font les fourccs des fontaines & des riuieres, & pourquoy elles ne s'épuifent jamais, bien que leurs eaux ne celfent de couler dans la mer : comme aufli pourquoy toutes ces eaux douces, qui vent dans la mer, ne la

340 rendent point plus' grande ny | moins falée. A cet effet il faut confi- derer qu'il y a de grandes concauitez pleines d'eau fous... les mon- tagnes, d'où la chaleur dleue continuellem.ent plufieurs vapeurs, lefquelles, n'eflant autre choie que des petites parties d'eau feparées l'vne de l'autre... & fort agitées, yi/ glifent en tous les pores de la Terre extérieure, & ainfi paruiennent jufques aux plus hautes fuperficies des plaines & des montagnes. Car puis que nous voyons quelques-vnes de ces vapeurs palier bien loin au c'elà dedans l'airy elles compofent les nues, nous ne pouuons douter qu'il n'y en ait beaucoup dauantage qui montent jufques aux fommets des mon- tagnes, à caufe qu'il leur eft plus aifé de s'éleuer en coulant entre les parties de la Terre qui aide à les fouftenir, qu'en patfant par l'air qui, eftant fluide..., ne les peut foufleniren mefme façon. Déplus, il faut confiderer que, lors que ces yapcurs font paruenuës j'crs le haut des montagnes, & qu'elles ne fe pcuuent éleuer dauantage, à caufe que leur agitation diminue, leurs petites parties fe joignent plufieurs enfcmble..., & que, reprenant par ce moyen la forme de l'eau, elles ne peuuent dcfcendrc par les pores par elles font montées..,, à caufe qu'ils font trop cllroits ; mais qu'elles rencontrent d'autres palfages vn peu plus larges entre les diuerfes croullcs écorces,

341 dont /tir I dit' qutf la Terre cMeiiturc cil compofce, p^ir hfjuels elles Je vont rendre dans les feules qucfay dil aujji'fe Irouucr en

a. Art. .<7. 4^ ti 4.} p i':>.

b. An. 38, p. a.io-22 I.

c. An. 41, p. ai!-* •:.• j

Principes. •^- Quatriesme Partie. 237

cette Terre extérieure, &, les remplijfant, elles font des fources qui demeurent cachées fous terre jufques à ce qu'elles rencontrent quelques ouuertures en fa fuperficie, &, fortant par ces ouuertures, elles compofent des fontaines, dont les eaux coulant par le penchant des valées..., s'alTemblent en riuieres & defcendent enfin Jufques à la mer.

65. Pourquoy l'eau de la mer^ne croiji point de ce que les rivières

y entrent \

Or encore qu'il forte ainfi continuellement beaucoup d'eau des concciuitei qui font fous les montagnes, d'oîi ejlant éleuée, elle coule par les riuieres jufques à la mer, toutefois ces concauitez. . . ne s'épuifent point, & la mer n'en deuient point plus grande. Dont la raifon eft que la Terre extérieure n'a pu eftre formée, en la façon que j'ay décrite ^ par le débris du corps E, dont les pièces font tombées inégalement fur la fuperficie du corps C, qu'il ne foit demeuré.. . plufieurs grands paflages au delfous de ces pièces, par il retourne autant des eaux de la mer vers le bas des montagnes, qu'il en fort par le haut qui va dans la mer. De façon que le cours de l'eau en cette Terre imite celuy du fang dans le corps des .animaux, il fiiit vn cercle en coulant /a«s cejfe fort promptement de leurs veines en leurs artères, & de leurs artères en leurs veines,

I 66. Pourquoy l'eau de la plus part des fontaines ejï douce, 342

& la mer demeure falée .

Et' bien que la mer foit falée, toutefois la plus part des fontaines ne le font point. Dont la raifon efl que les parties de l'eau de la mer qui font douces, eliant molles ^: pliantes, fc changent ayfémcnt en vapeurs, 6- pajfcnt par les chemins dêlourne\ qui font entre' les petits grains de fable & les autres telles parties de la Terre extérieure, au lieu que celles qui compofent le fcl, citant Jures ^ roidcs, font plus difiiciicment éleuées par la chaleur, & ne peuucnt palier par les pores de la Terre, // ce n'ejî qu'ils foient plus larges qu'ils nont couflume d'e/fre. Et les eaux de ces fontaines, en s'ccoulant dans la mer, ne la rendent point douce, à caufe que lefel qu'ellesy ont laiffé, en s'ékuant en vapeurs dans les montagnes, fc me/le derechef aucc elles.

a. Planche XV, figure 2.

b. Art. 42, p. 324.

2j8 OEuVRES DE DeSGARTES.

ôj. Pourquoy il y a aujji quelques fontaines dont l'eau ejlfalée.

Mais nous ne deuons pas pour cela trouuer eftrange qu'il fe ren- contre aufîi quelques fources d'eau falée en des lieux fort éloignez de la mer. Car la Terre s'eftant entreferiduë en plufieurs endroits, ainji qu'il a ejlé dit', il fe peut faire que l'eau de la mer vient jufques aux lieux oit font ces fources, fans paffei^ que par des con- duits qui font fi larges qu'elle amené facilement f on fel auecfoy : non feulement lors que ces conduits fe rencontrent en des puits fi pro- fonds, qu'elles ne font pas moins baffes que l'eau de la mer, auquel 343 cas elles participent ordinairement \ à fon flux & reflux; mais aufli lors qu'elles font beaucoup plus hautes , à caufe que les parties du fel, eftant fouftenuës par la pente de ces conduits, peuuent monter auec celles de l'eau douce. Comme on voit par expei'ience, en faifant chauffer de l'eau de mer dans vne cuue telle que ABC", qui efl plus large par le haut que par le bas, qu'il s'éleue du fel le long de fes bords, lequel s'y attache de tous coftez en forme de croufle, pendant que l'eau douce qui l'accompagnoit s'éuapore.

68. Pourquoy il y a des mines de fel en quelques montagnes.'

Et cet exemple fart aufTi à entendre comment il s'eft affemblé quantité de fel en certaines montagnes, dont on le tire en forme de pierres, jcowr s'enferuir ainfi que de celuy qui fe fait d'eau de mer. Car cela vient de ce que les parties de l'eau douce qui ont amené du fel de la mer jufques là, ont paffé outre... en s'éuaporant, & qu'il ne les apfifuiureplus loin.

6g. Pourquoy, outre le fel commun^ on en trouue aufjx de quelques autres efpeces.

Mais il arriue auffi quelquefois que le fel qui vient de la mer, paffe par des pores de la Terre fi eftroits, ou tellement difpof'i, qu'ils changent quelque chofe en la ligure... de fes parties, au moyen de quoy \\ perd la forme du fel commun, & prend celle du falpetre, du fel ammoniac, ou de quelque autre efpece de fel. Et outre cela, plufieurs des petites parties de la TcrvCffans efîre tiennes de la mer,

a. Art. 42, p. 224.

b. Planche XIII, figure 2.

Principes. Quatriesme Partie. 2^9

peuuent eftre de telles | figures, qu'elles entrent en la compofition de 344 ces fels; car rien n'e/l requis à cet effeâ, finon qu'elles foient affez longues & roides, fans élire diuifées en branches ; & félon les autres différences qu'elles on* ^ elles compofent des fels de diuerles efpeces.

jo. Quelle différence il y a icy entre les vapeurs, les efprits €■ les exhalaifons.

Outre les vapeurs qui s'éleuent des eaux, il fort aulli de la Terre intérieure grande quantité d'efprits penetrans <j- corrofifs, & plu- iieurs exhalaifons graffcs ou huileufes, & mefme de l'argent vif, lequel, montant en forme de vapeur, amené auec foy des parties des autres métaux...; i^ félon les diuerles façons que ces chofes fe meilcnt enfemble, elles compofent diuers minéraux. le prends icy pour les efprits..., tant les parties des fucs corrofifs que celles des fels volatiles, lors qu'cller. font feparées l'vne de l'autre, & tellement mcuës que la force de leur agitation furpalTe celle de leur pefan- teur. Et bien que le mot d'exhalaifons/o/7 gênerai, je ne le prends neantmoins maintenant que pour lignifier des parties de la matière du troifiénie élément, feparées & agitées comme celtes des vapeurs oif des efprits, mais qui font fort déliées & diuifées en plufieurs bran- ches/or/ jL?//a///c'5, en forte qu'elles peuuent feruir à compofer tous les corps gras (S- les huiles. Ainli, encore que les eaux, les fucs corro-. fifs & les huiles {foient des corps liquides, il y a neantmoins cette 345 différence que leurs parties ne font que ramper & gliffcr l'vne contre l'autre ; au lieu que ces mcfmes parties, lors qu'elles compofent des vapeurs, des efprits, ou des cxlialaifons, font tellement feparées (S- agitées qu'on peut dire proprement qu'cWcs volent.

7/. Comment leur mejlange ccmpofe diuerfes efpeces de pierres, dont quelques-vnes font tranfparentes , & les autres ne le font pas.

Et ce font les efprits qui doiuent élire meus le plus fort pour voler en cette façon ; ce font eux aufli qui pénètrent le plus aifément dans les petits pores des corps tcrrcllres, à caufe de la force dont ils font meus, & de la figure de leurs parties, en fuite de quoy ils s'y arreftent &. s'y attachent aufli le plus fort : c'cil pourquo} ils rendent ces corps plus durs que ne font les exhalaifons ny les vapeurs. Au rçfte, à caufe qu'il y a grande différence entre ces trois fortes de fumées que je nomme vapeurs, efprits 6'- exlhilaifins, félon que leurs

240 OEUVRES DE DeSCARTFS.

parties fe meflent & fe Joignent diuerfement, elles compolent toutes les diuerfes fortes de pierres & autres corps quife trouuentfous terre. Et quelqueS'V7îs de ces corps fout tranfpai-ens, les autres ne le font pas. Car lors que ces fumées ne font que s'arreller dans les pores de quelque partie de la Terre extérieure, /a;w changer leurjituation, il ejf êuident que les corps qu'elles compojent ne peuuent ejlre tranj-

346 parens, à cauje que cette Tertre ne j l'ejf pas. Mais lors qu'elles "î'af- femblent hors de ces pores en quelques fentes ou concauitez de la Terre, les corps qu'elles compofent fbnt liquides au commence- ment, & par mefme moyen tranfparens. Ce qu'ils retiennent encore par après, bien que, les plus fluides... de leurs parties s'éuaporant peu à peu, ils deuiennent durs. Et c'eft ainfi que les diamans, hs agates, le crijlal, & autres telles pierres fe produifent.

72. Comment les métaux viennent dans les mines, & comment s'y fait le vermeillon.

Ainfi les vapeurs de l'argent vif, qui montent par les petites fentes & les plus larges pores de la Terre, amènent aufli auec foy des par- ties d'or, d'argent, de plomb, ou de quelque autre métal, lefquelles y demeurent par après, bien que fouuent l'argent vif ne s'y arreile pas, à caufe qu'cftant fort fluide il pafle outre ou bien redefcend. Mais il arriue aufli quelquefois qu'il s'y arrefte, à fçauoir lors qu'il rencontre plufteurs exhalaifons dont le? parties fort déliées enue- lopent les fiennes..., & parce moyen le changent en vermeillon. Au refle, ce n'eft pas le feiil argent vif qui peut amener auec foy les métaux de la Terre intérieure en l'extérieure; les efprits & les exha- laifons font aufli le femblable au regard de quclques-vns, comme . du cuiure, du fer & de l'antimoine.

y3. Pourquojr les métaux nefe trouuent qu'en certains endroits

de la Terre.

Et il faut remarquer que ces métaux ne peuuent guere.s monter

347 que des endroits de la Ter|re intérieure, aufquels touchent les pièces de l'extérieure ^w/'/o;»/ tombées fur elle. Comme, par exemple, en cette figure*, ils montent de 5 vers V. Et ce qui empefche qu'ils ne montent auffi des autres lieux, efl qu'W y a de l'eau entredeux, au trauers de laquelle ils ne peuuent eflre élcuez; ce qui eft caufe qu'on ne irouuc pas des métaux en tous les endroits de la Terre.

a. Planche XV, figure 2.

Principes. Quatriesme Partie. 241

7^. Pourquoy c'ejl principalement au pied des montagnes, du cofté qui regarde le Midy ou l'Orient y qu'ils Je trouuent.

Il faut aufli remarquer, que c'eft ordinairement... par le pied des montagnes que montent ces métaux, comme icy de S vers V ; & que c'eft qu'ils s'arreftent le plus aifément, pour j' faire des mines d'or, d'argent, de cuiure ou femblables, à caufc qu'il s'y trouue quantité de petites fentes, ou de pores fort larges, que ces métaux peuuent remplir; & mefme, qu'ils ne s'affemblcnt ^^res en ces montagnes que vers les coftez qui font expofez au Midy ou à l'Orient, à caufe que ce font ceux que la 'chaleur du Soleil, qui ayde à tes faire monter, échauffe le plus. Ce qui s'accorde auec l'expérience, pource que ceux qui cherchent des mines, n'ont coufltime d'en trouuer qu'en ces coftez là.

•jS. Que toutes les mines font en la Terre extérieure, & qu'on nef^auroit creufer jufques à l'intérieure.

Mais il ne faut pas efperer qu'on puifTe jamais, à force de creufer, paruenir jufques à cette Terre intérieure que fay dit' eflre entière- ment métallique; car, outte que l'extérieure, qui eft au deffus, cft fi é^paiffe qu'à peine la force des hommes | pourroit fuffire pour Ma creufer au delà, on ne manqueroit pas d'y rencontrer diuerfes fources par lesquelles l'eau fortiroit auec d'autant plus d'impetucfité . qu'elles feroient ouu'ertes plus bas..., en forte que !c# mineur» he" pourroient éuiter d'eftrc nôyei.

y 6, Comment Je corHpo/ent lejoulfre, le bitume, l'hUîle minerai St. l*4r gîté.

Quant aux exhalaifons q^^ «'ay décrite^" & éitii:i>lenuent 4i la Terre intérieure, leurs parties font fi déliées, qu'elles ne peuuent compofcr, eftant feules, aucun autre corps q'ie de l'air. Mai» elles- .. le joignent aifémeht auec les plus fubtiles parties des cfprits, lef- quelles, celfant parce moyen d'eftre vnîes & gli(fantes« acquerent des petites branches qui' font qu'elles peuuent aujp s'attacher à d'autres corps. A fçauoir, elles s'attachent quelquefois îiuec des par- ties des fucs corrofifs, mcllces de quelques autres qui font métal*

a. Art. 44, p. 225.

b. Art. 70, p. -'^9.

Œuvres. IV. jA

242 OEUVRES DE DeSCARTES.

liques, & ainfi elles compofent du foulfre; quelquefois elles fe joignent auec des parties de la Terre extérieure, parmy lefquelles il y a quantité des mefmes lues, & ainfi compofent des terres qu'on peut brujler, comme du bitume, de la naphte, & femblables; quel- quefois aufli elles ne fe méfient qu'auec des parties de terre, & lors elles compofent de l'argile; enfin, quelquefois elles s'allemblent prefque toutes feules : à fçauoir, lors que leur agitation efl fi foible

349 que leur pefanteur eft fujjî faute pour fai\re qu'tWo.s fe preffent les vnes les autres, au moyen de quoy elles compofent les huiles qu'on trouue en quelques endroits dans les mines.

'j'] , Quelle efi la caufe des trtmblemens de Terre,

Mais lors que ces exhalaifons,yom/t'S aux plus fubtiles parties des efprits, font. trop agitées pour fe conuertir ainfi en huile, & qu'elles le rencontrent fous terre en des fentes ouconcauitez qui n'ont aupa- rauant contenu que de l'air, elles y compofent vne fumée gralfe & épailfe, qu'on peut comparer à celle qui fort d'vne chandelle, lors qu'elle vient d'eflre elleinte. Et comme celle-ci s'embrafe fort aifé- ment,Ji toft qu'on en approche la /lame d'vne autre chandelle: ainjilors que quelque ellincelle de feu ell excitée en ces concauitez, elle s'éprend incontinent en toute la fumée dont elles font pleines, £• par ce moyen la matière de celle fumée, fe changeant en flame, fe rarcfic tout à coup, & poulie auec grande violence tous les collez du lieu elle ell enfermée, principalement s'il y a en elle quantité d'cfprits ou de fels volatiles. Et c'eil ainfi que fe font les tremblemens de terre ; car lors que les concauile'^ quelle occupe font fort grandes, elle peut efbranler en vn moment tout le pais qui les couure ou les enuironne.

yS. D'ail vient qu'il y a des montagnes dont il fort quelquefois de grandes famés.

Il arriue auffi quelquefois que la flame qui caufe ces tremblemens entr'ouure la Terre vers le fommet de quelque montagne, & fort...

350 en | grande abondance par là. Car, les concauite'{ elle e/t ne fiant pas ajje\ grandes pour la contenir, elle fait effort de tous co/lei pour enfortir, & fe fait plus aifément vn palfage par le fommet d'vne montagne que par aucun autre lieu: premièrement, à caufe qu'il ne fe vtncoï\iït gueres de concauitez qui foient fort grandes & propres à reccuoir ces fumées, finon au dellous des plus hautes montagnes; puis aulli, à caufe qu'/7 n'efl pas befoin de tant de force pour entr'ouurir

Principes. Quatriesme Partie.- 24J

^feparer les exiremîle:{ de ces grandes pièces de la Terre extérieure, que j'ay dit'' ejlrc appuyées de collé l'vne contre l'autre aux lieux elles compofent les fommets des montagnes, que pour y faire vnenou- uelle ouuerture en quelque autre endroit. Et bien que la pefanieur de ces grandes pièces de terre ainfi entr'ouuertes/o;7 caufe qu'elles fe rejoignent fort promptement, lors que la flame eft fonie, toutefois, à caufe que cette llame, qui fort auec grande impetuofité. pouffe ordi- nairement deuant foy beaucoup de terre mejlée de foulfre ou de bitume, il fe peut faire que ces montagnes bruflent encore long temps après, jufques à ce que tout ce foulfre ou bitume foit confommé. Et lors que les mefmes concauitez fe rempliffent derechef de femblables fumées qui s'embrafent, la llame en ion plus aifément par l'endroit qui I adef-ja elle ouuert que par d'autres. Ce qui eft caufe qu'il y a 3B1 des montagnes plufieurs tels embrafemens ont ejté vcus, comme font Ethna en Sicile, le Vefuue près de Naples, Hecla en Iflande, &c.

yg. D'où vient que les tremblemens de Terre fe font fouuent à plufieurs fecoujfes.

Au refte, les tremblemens de Terre ne fînijjhit pas touf jours après la première fecouffe ; mais il s'en fait quelquefois /'//(/?t'//rs pen- dant quelques heures ou quelques jours de fuite. Dont la railbn eft que les fumées... qui s'enflament, ne font pas touf-jours en vne feule concauité, mais ordinairement en plufieurs, qui ne font feparées que d'pn peu de terre bitumineufe ou foulfrée, en forte que, lors que le feu s'éprend en l'vne de ces concauitez, & donne par ce moyen la première fecoufl'e à la Terre, il ne peut entrer pour cela dans les autres jufques à ce qu';7 ait confommé la matière qui eft entre-deux^ à quoy il a befoin de quelque temps.

80. Quelle eft la nature du feu.

Mais je n'ay point encore dit en quelle façon le feu le peut éprendre dans les concauitez de la Terre, à caufe qu'il faut fçauoir auparauant quelle eft la nature, laquelle je tafcheray maintenant d'expliqueri Toutes les petites parties des corps terreftres, de quelque grolïeur ou figure" qu'elles foient, prennent la forme du feu, lors qu'elles font feparées l'vne de l'autre, & tellement enuiron- uées de la matière du premier | élément, qu'elles doiuent fuiure Ion 352 cours. Comme aulfi elles prennent la forme de l'air, lors qu'elUs

a. Art. 4"2 et 44, p. 224 et 225.

244 Œuvres de Descartes.

l'ont enuironnées ae Li WlIIutc du fécond élément, de laquelle elles Titlucnt le cours. De façon que la première & la principale différence qui ell entre l'oir & le feu, confiUe en ce que les parties du feu fe meuucnt beaucoup plus vite que celles de l'air, d'autant que... l'agi- tation du premier élément ell incomparablement plus grande que celle du Tecond. Mais il }' a encore entr'eux vne autre différence fort remarquable, qui conlille en ce que ce font les plus groffes parties des corps lerrc/lres, qui font les plus propres à conferuer ^' nourrir le Jeu, au lieu que ce font les plus petites qui retiennent le mieux la forme de l'air...; car bien que les plus groffes, comme par exemple celles de l'argent vif, la puiffeni auffi receuoir, lors qu'elles font fort agitées par la chaleur, elles la perdent par après d'elles-mefmes, lors que, celte agitation diminuant^ leur pefanteur les fait defcendre...

81. Comment il peut cjlrc produit.

Or les parties du fécond élément occupent tous les interualles autour de la Terre à- dans /es pores, qui font affez grands pour les receuoir, ^: font tel tentent entaj/ees qu'elles s'entre-touchent & fe fou- liienneni l'-me l'autre, en forte qu'on n'en peut mouuoir aucune fans 'io'i îiiouuoir auffi fes voifines fi ce n'eff peut edre qu'on la | face tourner Kir l'on centre;. Ce qui eff caufe que, bien que la matière du premier clément acliciec de remplir tous les recoins ces parties du fécond ne ptrunftu eltrc, tS: qu'elle s'y mcuue extrêmement vite, toutefois, pendani qu'elle n'y occupe j'oint d'autres plus grands efpaccs..., elle ne peut auoir la force d'emp(»iler auec loy les parties des corps tcrr'^nrt"-, <L'- leur faire Juiure fon cours, ay par confequcnt de leur donner la lurme du feu, pource qu'elles fe fouUienneni toutes les vues les autres, t^ font loullenucs p,ir les parties du fécond élément qui fout autour d'elles. Mais afin qu'il commence ù y auoir du feu quelque part, il eff bcfoin que quelque autre force chaMe les pat lies du fécond élément de quelques vns des interualles qui font entre les parties des corps tcrrcllres, afin que, ce liant de le loullenir les vnes les autre*^, il y en ait quelqu'vne qui fe trouue enuironnéc tout autour de feule matière du premier élément; au moyen de quoy elle doit luiure fon cours...

cV:;. Comment il cjl confcruc.

Pui^. afin v|ue le feu ainfi produit ne foit pas incontinent effeint, il f n bffoin que ces parties tcrreffrcs foient allez groffes ^l folides,

Principes. Quatriesme Partie. 245

& aflez propres à fe mouuoir, pour auoir la force, en s'écartant de tous coftei auec rimpetuofité qui leur elt communiquée par le pre- mier élément, de repouffer les parties du fécond, qui le prelfentent 354 fans ceffe pour rentrer en la place du feu, d'où elles ont ejié chafféeSy & ainfi empefcher que, fe joignant derechef les vues aux autres..., elles ne l'efteignent.

83' Pourquoy il doit touf-jours auoir quelque corps d confumer, afin defe pouuoir entretenir.

Outre cela, ces parties terreftres, en repouffant celles du fécond élément, peuuent bien les empefcher de rentrer dans le lieu oit efl le feu, mais elles ne peuuent pas eftre empefchées par elles de paffer outre pers l'air, où... perdant peu à peu leur agitation, elles ceffcnt d'auoir la forme du feu, & prennent celle de la fumée. Ce qui eft caufe que le feu ne peut demeurer long-temps en vn mefme lieu, fi ce n'eft qu'il y ait quelque corps qu'il confume fuccejffiuement pour s'entretenir; & à cet effet, il eft befoin, premièrement, que les parties de ce corps foient tellement difpofées qu'elles en puiffent eftre fepa- rées l'vne après l'autre par l'a^lion du feu, duquel elles prennent la forme, à mcfure que celles qui l'ont fe changent enfumée; puis auJIi, qu'elles foient en affe\ grand nombre & ajfe\ groffes pour auoir la force de repouffer les parties du fécond élément, qui tendent àfuffo' quer ce feu: ce que ne pourroient faire celles de l'air feul, c'efi pour^ quoj' il nefuffit pas pour l'entretenir.

84. Comment on peut allumer du feu auec vnfu\tl.

Mais, afin que cecy puiffe eftre plus parfaitement entendu, j'expli- queray icy les diuers | moyens par lefquels le feu a couftume d'eftre 355 produit; puis auffi, toutes les chofes qui feruent; à le conferuer;& enfin, quels font les effets qui dépendent de fon adion. Le plus ordi- naire moyen qu'on employé jpowr auoir du feu, quand on en manquey eft d'en faire fortir d'vn caillou, en le frapant auec vn fuylou bien auec vn autre caillou. Et je croy que la caufe du feu, ainfi produit, confifte en ce que les cailloux font... durs & roides [c'efl à dire tels que, fi on plie tant foit peu quelques vues de leurs parties, elles tendent à fe remettre en leur première figure, tout de mefme qu'vn arc qui efi bandé), & qu'auec cela ils font... callans. Car, pource qu'ils font durs & roides, on fait, en les frapant..., que plufieurs de leurs petites parties s'approchent quelque peu les mes des autres fans fe

246 Œuvres de Descartes.

joindre entièrement pour cela, & que les interualles qui font autour d'elles deuiennent fi cllroits que les parties du fécond élément en fortent toutes, de façon qu'ils ne demeurent remplis que du pre- mier; puis derechef, pou rce qu'ils font roides,fi tojlque le coup a cejfé, leurs parties tendent à reprendre leur première figure; & pource qu'ils font caflans..., la force dont elles tendent ainfi à retourner en leurs places, fait que quelques-vnes fe feparent entièrement des 356 autres, au mo3'en de quoy, ne fe trouuant enuironnées que | de la matière du premier élément, elles fe conuertiffent en feu. Par exemple, on peut penfer que les petites boules qu'on voit entre les parties du caillou A% reprefentent le fécond élément qui eft en fes pores; & que, lors qu'il eft (vapéd'pn fu!{il, comme on voit vers B, toutes ces petites boules fortent de fes pores, lefquels deuiennent fi eftroits qu'ils ne contiennent que le premier élément; & enfin, qu'après le coup ces parties du caillou, eftant rompues, tombent en pirouettant, à caufe de la violente agitation du premier élément qui les enuironne, & ainfi compofent des eftincelles de feu.

85. Comment on en allume aujfi en frotant vn boisfec.

Si on frape du bois en mefme façon, tant fec qu'il puiffe eftre, on n'en fera point fortir du feu pour cela: car il s'en faut touf-jours beaucoup qu'il ne foit aufli dur qu'vn caillou; & les premières de fes parties qui font preffées par la violence du coup, fe replient fur celles qui les fuiuent, & fe joignent à elles auant que ces fécondes fe replient fur les troifiémes: ce qui fait que \fts parties du fécond élé- ment (qui deuroient fortir de plufieurs de leurs interualles en mefme temps, afin que le premier élément qui leur fuccede y pût agir auec quelque force) n'en fortent que fuccefÏÏuement, des premiers en pre- mier lieu, après des féconds, d- ainf de fuite. Mais, fi on frotte affez 367 fort ce mefme bois pendant | quelque temps, le branfle que cette agitation donne à fes parties..., peut fuffire pour chaffer le fécond élément d'autour d'elles, & faire que quelques-vnes fe dcftachent des autres : au moyen de quoy, nefe trouuant enuironnées que du premier élément, elles fe conuertiffent en feu.

86. Comment auec vn miroir creux ou i>n verre conuexè.

On peut aulTi allumer du feu par le moyen d'vn miroir concaue, ou d'vn verre conuexe, en faifant que plufieurs rayons du Soleil)

a. Planche XVII.

Principes. Quatriesme Partie. 247

tendant vers vn mefme po\ni,j' joignent leurs forces. Car, encore que ces rayons n'agiiïent que par l'entrcmife... du fécond clément, leur action ne lailfe pas d'ellre beaucoup plus prompte que celle qui luy eft ordinaire; & elle l'elt alfez pour exciter du feu, à caufe qu'elle vient... du premier élément, qui compofe le corps du Soleil; cite peut aulTi eftre affez forte, lors que pkifieurs rayons fe joignent enfemble, pour feparer des corps terrejlres quelques rues de leurs parties, & leur communiquer la vitelfe du premier élément, eu laquelle conjijîe la forme du feu.

8y. Comment la feule agitation d'vn corps le peut embrafer.

Car enfin, partout fe trouue vne telle vitelTe dans les parties des corps terrertres, il y a du feu, fans qu'il importe qu'elle * en foit la caufe. Et comme il ejl vray que ces parties terreftres ne peuuent eftre enuironnées de la feule matière du premier clément fans ac- quérir cette vitelTe, bien qu'elles n'en eulTent point du tout aupa- rauani : | en mefme façon qu'vn bateau ne' peut élire au milieu d'vn 358 torrent fans fuiure fon cours, lors qu'il n'y a point d'ancres ny de cordes qui le retiennent : // ejl vray auffi que, lors qu'elles acquerent cette pitejje\ bien qu'il y ait plufieurs parties du fécond élément qui les touchent, & qu'elles fe touchent aujfi les vues les autres, elles cfiajfent incontinent d'autour de foy tout ce qui peut empefcher leur agitation, en forte qu'il n'y demeure que le premier élément, lequel fertà l'entretenir. Ainfi tous les mouuemens violens fuffifent pour produire du feu. Et cela fait voir comment la foudre, les éclairs, & les tourbillons de vent/t? peuuent enfanter : pource que, fuiuant ce qui a efté dit dans les Météores', ils font caufe\ de ce que Tair qui eft enfermé entre deux nues en fort auec très-grande vitelfe, lors que la plus haute de ces nues tombe fur la plus baffe.

88. Comment le mejlange de deux corps peut aujji faire qu'ils s'embrafent.

Toutefois cette vitelfe n'eft peut eftre jamaià la feule caufe des feux qui s'allument dans les îiué's, pource qu'il y a ordinairement des exhalaifons dedans l'air ^«i leur feruent de matière, & qui font

a. Lire quelle ?

b. Note MS. (barrée) : « Vide latinum. » Autre main (de Legrand ?) : « Consultez le latin qui en cet endroit est fort expressif. »

c. Discours VII, p. 32 1 de cette édition, l. 3.

248 Œuvres de Descartes.

de telle nature qu'elles s'embrafent fort aifément, ou du moins elles compofent des corps qui jettent quelque lumière, encore qu'ils ne Je con/u ment pas. Et c'eft de ces exhalaifons que fe font les 359 feux fojets en la plus \ bajfe région de l'air, & les éclairs qu'on voit quelquefois fans qu'il tonne en la moyenne, & en la plus haute les lumières en forme rf'eftoiles, qui femblent tomber du ciel ou y courir d'vn lieu à l'autre. Car les exhalaifons, ainfi qu'il a efté dit% font composées de parties fort déliées & diuifées en plufieurs branches, qui fe font attachées à d'autres parties vn peu plus groffes, tirées des fels volatiles & des fucs aigres & corrojîfs. Et il eft à remar- quer que les interualles qui font entre ces branches fort déliées font fi petitSi.., qu'ils ne font ordinairement remplis que de la matière du premier élément : ce qui eft. caufe que, bien que les parties du fécond occupent tous les autres plus grands interualles qui font entre les parties des fels, ou fucs, reueftuës de ces branches, elles en peuuent facilement eflre chaffées, lors que, ces exhalaifons efiant prejfées de diuers cofie^, quelques-vnes des parties des fucs ou fels volatiles entrent en ces plus grands interualles des autres^. Car l'aâion du premier élément, qui efl entre les petites branches qui les enuironnent, leur ayde à les chaffer : & par ce moyen ces parties des exhalaifons fe changent en flame.

8g. Comment s'allume le feu de la foudre, des éclairs, & des Etoiles qui trauerfent.

Et la caufe qui preffe ainfi les ^yi\\di\d\{oTis poitr faire qu'elles s' en- flament, quand elles compofent la foudre ou les éclairs, eft éuidente, SM I pource qu'elles font enfermées entre deux nues, dont l'vne tombe fur l'autre. Mais celle qui leur fait compofer les lumières en forme d'Efloiles qu'on voit, en temps calme & ferain, courir çà & par le ciel, n'efi pas du tout fi manifejîe : neantmoins on peut penfer qu'elle confjîe en ce que, lors qu'vne exhalaifon eft defja aucunement condenfée & arreftée par le froid en quelque lieu de l'air, les parties d'vne autre, qui viennent d'vn lieu plus chaud & font par confe- quent plus agitées, ou feulement qui, à caufe de leurs figures, conti- nuent plus long temps à fe mouuoir, ou bien aufli qui font portées vers elle par vn peu de vent, s'infinucnt en les pores, & en chaU'ent le fécond clément : au moyen de quoy..., fi elles peuuent aufl]

a. Art. 76 et jy, p. 241 et 242.

b. Note M S. (barrée): «Vide latinum. » Autre note (de Legrand ?) : « Consultez le latin en cet endroit. »

Principes. Quatriesme Partie. 249

déjoindre fes parties, elles en compofent vne flame, qui, confumaitt promptemetit celte exhalai/ou, ne dure que fort peu de temps, & lemble vne Eftoile qui pade d'vn lieu en vn autre.

go. Comment s'allument les EJioiles qui tombent, & quelle ejl la cauje de tous les autres tels feux qui luifent & ne brujlent point.

Au lieu que, Ç\ les parties de l'exhalaifon font fi bien jointes qu'elles ne puilfent ainfi élire feparces par l'aâion des autres exha- laifons qui s'infinueut en fes pores, elle ne s'embrafe pas tout à fait, mais rend Teulement quelque lumière : ainfi que font aufli quel- quefois les bois pourris, les poiHbns falez, les gouttes de l'eau de mer, & quantité d'autres corps. Car il n'cft befoin d'autre chofe, pour produire de la lumie|re, finon que les parties du fécond ele- 361 ment foient poufiees par la matière du premier, ainfi qu'il a efté dit cy-delfus \ Kt lors que quelque corps terrcftre... a plufieurs pores qui font fi eltroits qu'ils ne peuuent donner paffage qu'à cette matière du premier élément, il peut arriuer que, bien qu'elle n'y ait pas affez de force pour détacher les parties de ce corps les vnes des autres, £-par ce vioj-en le brujler, elle en ait neantmoins affez" pour poulfer les parties du fécond élément, qui font en l'air rf'alentour, & ainli caufer quelque lumière. Or on peut penfer que les Eftoiles qui tombent ne font que des lumières de cette forte; car on trouue fouuent fur la terre, aux lieux elles font tombées, vne matière vifqueufe & gluante qui ne bru/le point. Toutefois on peut croire aufli que la lumière qui paroill en elles, ne vient pas proprement de cette matière vifqueufe, mais d'vnc autre plus fubtile qui l'enui- ronne, é'- qui ellant cnflaméc fe confume pour l'ordinaire auant qu'elle parvienne jufques à la terre.

/>/. Quelle ejl la lumière de l'eau de mer, des bois pourris, Se,

Mais pour ce qui efl de l'eau de mer, dont j*ay cy-deffus' expliqué la nature, il ell aifé à juger que la lumière qui paroi/i autour de fes gouttes, lors quelles font agitées par quelque tempelle... ", ne vient que de ce que cette agitation fait que, pendant que celles de leurs parties qui l'ont viol\les <L'- pliantes demeurent jointes cnfemble, les 362

a. Pariic III, art. 55 et suiv., p. i3o.

1\ Voir ci-aprcs, art. 103.

c. An. (J6, p. 23^.

li. Voir Mi'léiires, J)iscours III, p. 253 de ccitc cdiiion,!. 21.

250 Œuvres de Descartes.

pointes des autres, qui font roides <S' droites, s'auancent, ainfi que des petits dards, hors de leurs fuperficies, & pouflent auec impe- tuolité les parties du fécond élément qu'elles rencontrent. le croy aulli que les bois pourris, les pollfonsya/e^j, & autres tels corps, ne luifent point, que lors qu'il le fait en eux quelque altération qui reftrecit tellement pluiieurs de leurs pores, qu'ils ne peuuent con- tenir que de la matière du premier élément" : foit que cette altéra- tion vienne de ce que quelques-vnes de leurs parties s'approchent, lors que quelques autres s'éloignent, comme il Jemble arriuer aux bois pourris ; foit de ce que quelque autre corps fe mejle auec eux ", comme il arriue aux poijjons fale'{, qui ne luifent que pendant les jours que les parties du fel entrent dans leurs pores.

g2. Quelle ejt la caufe des feux qui brûlent ou efchaufent, & ne luifent point : comme lors que le foin s'échaufe defoy-mejme.

Et lors que les parties... d'vn corps... s'infmuent ainfi entre celles d'vn autre..., elles ne peuuent pas feulement le faire luire fayis l'échauffer, en la façon que je viens d'expliquer, mais fouuent aujji elles l' échauffent fans le faire luire, & enfin quelquefois elles l'em- brafent tout à fait. Comme il paroift au foin qu'on a renfermé auanti qu'il full {^c, & en la chaux riue fur laquelle on verfe de l'eau, & en toutes les fermentations... qu'on voit communément en la Chy- 363 mie... Car il | n'y a point d'autre raifon qui face que le foin... qu'on a renfermé auant qu'il fuft fec, s'échauffe peu à peu jufques à s'em- brafer, fmon que les lues ou efprits, qui ont couftume de monter de la racine des herbes... tout le long de leurs xxgts pour leur fer" iiir de nourriture, n'eftant pas encore tous fortis de ces herbes..., lors qu'on le renferme, continuent par après leur agitation, &, for- tant des vncs de ces herbes, entrent dans les autres, à caufe que, le foin ejiant renfermé, cesfucs ne fe peuuent éuaporer ; & pource que ces herbes commencent h fe feicher, ils y trouuent plufieurs pores vn peu plus eltroiis que de coujtume, qui, ne les pouuant plus rece- uoirauec... le fécond élément, les reçoiuent feulement enuironnez du premier, lequel, les agitant fort promptement, leur donne la

a. Note MS. (de Legrund ?) : « Le reste de cet art. n'est point dans le » latin, et a été ajouic par M"" Desc. en traduisant ses principes. »

b Idem: •• Ce <]u'il dii en un endroit auoir expérimente luy même. .< Voyia ses paroles : J)um in uceano germanico nauigarem &c. >> Et d'une autre niain : « i'oui le reste est tcrii dans l'autre liure. » (Sans doute le rr»ie de celle citation lafinc.^

Principes. Quatriesme Partie. 251

forme du feu. Penfons, par exemple, que l'efpace qui eft entre les corps B & C% reprefente vn des pores qui font dans les herbes encore vertes, & que les petits bouts de cordes i , 2, 3, auec les petites boules qui les enuironnent, reprefentent les parties des fucs ou efprits enuironnées... du fécond élément, ainli qu'elles ont couftume d'ertre lors qu'elles coulent le long de ces pores ; & de plus, que l'efpace qui eft entre les corps D & E, foit l'vn des pores d'vne autre herbe qui commence à le feicher, ce qui eft caufe qu'il eft fi eftroit que, I lors que les mefmes parties des fucs i, 2, 3, y viennent, elles 364 n'y peuuent eftre enuironnées du fécond élément, mais feulement de quelque peu du premier. Et nous verrons éuidemment que, pen- dant que les fucs ly 2, S, coulent par dedans l'herbe verte d'- humide BC, ils n'y fuiuent que le cours... du fécond élément; mais que, lors qu'ils paffent dans l'herbe feiche DE, ils y doiuent fuiure le cours du premier, lequel eft beaucoup plus rapide. Car, encore qu'il n'y ait que fort peu du premier élément autour des parties de ces" fucs, c'eft affez qu'il les enuironne en telle forte qu'elles ue foient . aucunement retenues par le fécond, ny par aucun autre corps qui les touche, pour faire qu'il ait la force de les emporter auec foy : ainfi qu'vn batteau peut eftre emporté par le cours d'vn ruifleau qui n'a juftement qu'autant de largeur qu'il en faut pour le contenir, auec quelque peu d'eau tout autour qui empefche qu'il ne touche à la terre, auiïi bien que par le cours d'vne riuiere également rapide & beau- coup plus large. Or, quand ces parties des fucs fuiuent ainjfi le cours du premier élément^ elles ont beaucoup plus de force à poufler les corps qu'elles rencontrent, que n'auroit pas ce premier élément, 5*// ejioitfeul : comme on voit aufli qu'vn bateau qui fuit le cours d'vne riuiere, en a beaucoup plus... que l'eau de cette | riuiere, qui toutefois ef feule la caufe de fon mouuement. C'eft pourquoy ces parties des fucs ainfi agitées, rencontrant les plus dures parties du foin, les pouffent auec tant d'impetuofité, qu'elles les feparent aifément de leurs voifines, principalement lors qu'il arriue que plufieurs en poulTent vne feule en mefme temps..,; & lors qu'elles en feparent ainfi alfez grand nombre qui, ejtant proches les vues des autres, fui- uent le cours du premier élément, le foin s'embraie tout à fait ; mais lors qu'elles 71'en meuuent que quelques vnes, qui n'ont pas afei d'ef- pace autour d'elles pour en aller choquer d'autres, elles font feule- ment que ce foin dénient chaut, & fe corrompt peu à peu fans s'em- brafer, en forte qu'alors il y a en liiy vîie efpece de feu qui eji fans lumière.

a. Planche XVII 1, figure i.

365

252 OEUVRES DE Descartes.

g3. PourgUoy, lors qu'on jette de l'eau fur de la chaux viue, & générale- ment, lors que deux corps de diuerj'e nature font mefle^ enfemble, cela excite en eux de la chaleur.

En mefme façon nous pouuons penler que, lors qu'on cuit de la chaux, l'adion du feu chaffe quelques-imes des parties du troijiéme élément, qui font dans les pierres dont elle fe fait : ce qui ejl catife que plufieurs des pores qui eitoient en ces pierres s'élargiflent jufques à telle mefure, qu'au lieu qu'ils ne pouuoient auparauant donner paf- fage qu'au fécond élément, ils peuuent par après, lors qu'elles font couuerties en chaux, le donner aux parties de l'eau, enuironnées de 366 quelque peu de la matière du premier | élément. En fuite de quoy il ejf éuidenl que, lors qu'on jette de l'eau fur cette chaux, les parties de cette eau, entrant en fes pores, en chajfent le fécond élément, & y demeurent feules auec le premier, lequel, augmentant leur agitation, échauffe la chaux. Et afin que j'acheue en peu de mots tout ce que i'ay à dire fur ce fujet, je croy généralement, de tous les corps... qui peuuent cftre échauÉTez par le feul meflange de quelque liqueur, que cela vient de ce que ces corps ont des pores de telle grandeur, que les parties de cette liqueur peuuent entrer dedans, en chaffer le fécond clément, & n'y demeurer enuirqnnées que du premier. le croy aulli que c'eil la mefme raifon qui fait échauffer diucrfes liqueurs, lors qu'on les melle l'vne auec l'autre : car touf-jours l'vne de ces liqueurs elt compofée de parties qui ont quelques petites branches, par le moyen defquelles fc joignant & s'accrochant quelque peu les vnes aux autres, elles font l'office d*vn corps dur. Et cecy peut mefme élire entendu des exhalaifons, fuiuant ce qui a tantoll cité dit \

1)4. Comment le feu peut ejire allumé dans les concauitex, de la Terre.

Au relie, le feu peut élire allumé en toutes les façons qui vien- nent d'ellrc expliquées, non feulement fur la fuperficic de la Terre, mais aulli dans les concauitez qui font au dejfous. Car il peut y auoir i^' des cfprits... qui, le glillant entre les | parties des exhalaifons..., les cnllament ; & il y a des pièces ** de rochers... dcmy-ronipucs, qui, filant minces peu à peu par le cours des eaux ou par d'autres cauics. peuuent tomber tout ù coup du haut de ces concauitez, &

il. An. K<j, p. 248.

b. Lire : pierres ? comme quuirc lignes après : d'autres pierres.

Principes. Ouatriesme Partie. 25 j

par ce moyen faire du feu : foit à caufe qu'en tombant elles frapent d'autres pierres, ainji qu'vn fu\il; foit aufli à caufe que, lors qu'eiies fout grandes, elles chalfent l'air qui eft fous elles auec fort grande violence, aiujt qu'efi chaffé celuy qui ejl entre deux nues, lors que l'vne tombe fur l'autre^...

g5. De lafat^on que brujle vn flambeau.

Or, après que le feu s'eft épris en quelque corps, il paffe facile- ment de dans les autres voifms, lors qu'ils font propres à le rece- uoir. Car les parties du premier corps qui efl enflamé, eftanl fort violemment agitées par le feu, rencontrent celles des autres qui font proches de luy, & leur communiquent leur agitation... Mais cecy n'appartient pas tant à la façon dont le feu eH produit, qu'à celle dont il e(l conferué, laquelle je doy maintenant expliquer. Confide- rons, par exemple % le flambeau À B, qui ell allumé, & penfons qu'il y a plufieurs petites parties de la cire ou autre matière grajje ou huileufe dont il ell compofé, comme aufli plufieurs... du fécond élément, qui fc meuuent fort vite en tout l'efpace CDE, elles compufent la flame, à caufe qu'elles y fuiuent le cours du premier clément..,, & que, | bien qu'elles fe rencontrent fouuent & s'entrc- pouH'cnt, elles ne fe touchent pas toutefois de tant de coiïez, qu'elles fe puijj'ent ar refier fpue Vautre, & s'empefcher d'eflre emportées par lu/.

g6, C0 que c'eft qui conferué fa flame.

Pènfons aujji que la matière du premier élément, qui efl en grande quantité auec les parties du fécond & auec celles de la cire en cette flame, tend touf-jours à en ioxùï, pource quelle ne peut continuer /on mouucment eu ligne droite, qu'en s'éloignant du lieu elle eft ; ^c qu'elle tend mcfme à en fortir en montant plus haut, & s'éloi- gnant du centre de la Terre, à caufe que, fuiuant ce qui a efté dit cy-dcll'us% clic cil légère, non feulement à compara if on... des parties de l'air d'alentour, mais auJJi à comparaifon de celles du fécond clc- nicnt qui font en fcs pores. C'ell pourquoy ces parties... de l'air c^c du fécond clément tendent aufli à dcfccndre en fa place, laquelle

a. Dans le texte latin, l'art. 94 continue et s'achève par les phrases sui- vantes, rattachées ici à l'art. 95 : Or après que. . . expliquer.

b. Planche XVIIl, figure 2.

c. Art. 33 et 35, p. 311 et 3i3.

2 54 OEuvRES DE Descartes.

elles occuperaient incontinent, & ainfi fuffoqueroicnt cette flainc, fi elle n'eftoit compofée que du premier; mais les parties... 4^e cire qui commencent à fuiure fon cours, dés lors qu'elles Ibrtent de la mèche FG...% vont rencontrer ces parties de l'air & du fécond élément, qui font difpofées à defcendre en la place de la flame, & les repouffent auec plus de force, que ce premier élément feul ne pour- 389 roit faire : au j moyen de quoy cette flame fe conferue.

gj. Pourquoy elle monte en pointe. Et d'où, vient la fumée.

Et pource que ces parties de la cire fuiuent le cours du premier élément, elles tendent principalement à monter en haut, ce qui eft caufe de la figure pointue de la flame. Mais pource qu'elles ont plus de force que les parties de l'air d'alentour..., tant à caufe qu'elles font plus g-roffes, qu'à caufe qu'elles fe meuucnt plus vite, bien qu'elles empefchent cet air de defcendre vers la flame, elles ne peuuent pas eftre empefchées par luy en niefme façon de monter plus haut vers H ^ où, perdant peu à peu leur agitation, elles fe changent en fumée.

g8. Comment fair & les autres corps nourriffent la flame.

Et cette fumée ne trouueroit aucune place fe mettre, hors de la flame, à caufe qu'il n'y a point de vuide, fi, à mefme temps qu'elle entre dans l'air, vne pareille quantité de cet air ne prenoit fon cours circulairement vers le lieu qu'elle quitte. C'eft pourquoy, lors qu'elle monte vers H, elle en chaffc de l'air qui defcend par I & K vers B, rafant le haut du flambeau B & le bas de la mèche F, il coule de dans la flame, & fert de matière pour l'entretenir. Toutefois, à caufe que ces parties font fort déliées, elles ne pourroient fuflire à cela toutes feules ; mais elles font aufli monter auec foy, par les pores de la mèche, des parcelles de cire, à qui la chaleur du feu a def-ja Î70 donné quelque agitation : ce qui fait que | la flame fe conferue en changeant continuellement de matière, & en ne demeurant jamais deux momcns de fuite la mefme, que comme fait vne riuiere en laquelle il afluë incclfamment de nouuelles eaux.

a. Planche XVIII, figure 2.

b. Ibidem,

Principes. Quatriesme Partie. 255

gg. Que l'air reuient circulairement vers le feu en la place de la fumée.

Et ce mouuement circulaire de l'air. . . vers la flame peut aifé- ment eftre connu par expérience : car, lors qu'il y a vn allez grand feu dans vne chambre, toutes les portes & fenejires font bien fer- mées, & où, excepté le tuyau de la cheminée par la fumée fort, il n'y a rien d'ouuert que quelque vitre cajfée, ou quelque autre trou alTez eftroit, on met la main auprès de ce trou, Ton fent manifefte- ment It vent que fait l'air en venant par vers le feu en la place de la fumée*. . .

100. Comment les liqueurs ejîeignent le feu, & d'où vient qu'il y a des corps qui brujlent dans l'eau.

Ainfi on peut voir qu'il y a touf-jours deux chofes requifes pour faire que le feu ne s'efteigne point. La première eil, qu'il y ait en luy des parcelles du troijiéme élément, qui, eftant meuës par le pre- mier, ayent affez de force pour repoufler le fécond élément auec l'air ou les autres liqueurs qui font au deffus de luy, & empefcher qu'elles ne le futfoquent. le ne parle icy que des liqueurs qui font au deffus, à caufe que, n'y ayant que leur pefanteur qui les face aller vers luy, celles qui font au deffous n'y vont jamais en cette façon pour l'eiteindre ; & ellesy vont feulement, lors qu'elles j' font attirées pour | le nourrir : comme on voit que la mefme liqueur qui 371 fert à entretenir la flame d'vn flambeau quaîid il e/t droit, le peut efteindre quand il efl renuerfé. Et au contraire, on peut faire des feux qui bruflenl fous Veau, à caufe qu'ils contiennent des parcelles du troifiéme élément, Ci fol ides, fi agitées, & en û grand nombre, qu'elles ont la" force de repouiTer l'eau de tous coftez, & ainfi l'em- pefcher d'efteindre le feu,

10 1. Quelles matières font propres à le nourrir.

L'autre chofe qui eft requife pour la durée du feu, eft qu'il y ait auprès de luy quelque corps, qui luy fournifle touf-jours de la matière pour fucceder à la fumée qui en fort. Et à cet effet, il faut que ce corps ait en foy plufieurs parties afl'ez déliées, à raifon du feu qu'il doit entretenir, & qui foient jointes entr'elles, ou à d'autres

a. Voir Correspondance, t. III, p. bSj.

2 {6 Œuvres de Descartes.

plus grofles, en telle forte que les parties qui font def-ja embrafées puiffent les feparer de ce corps, & auffi des parties du fécond élé- ment qui font proches d'elles, afin de leur donner par ce moyen la forme du feu.

102. Pourquqy laflame de l'eau de vie ne bru/le point vn linge moUiilé

de cette me/me eau.

le dis qu'il faut que ce corps ait en foy des parties affez déliées, à comparaifon du feu qu'elles doiuent entretenir, pource qu'elles pourvoient j^ feruir, Ji elles ejloient groffes quelles ne pûjfent ejlre meuës & feparées par les parties du troijtéme élément qui compo/ent

372 ce feu, & qui ont d'autant moins de force \ qu elles font plus déliées Comme on voit, ayant mis le feu en de l'eau de vie dont vn linge ell mouillé, que ce linge. . . n'en peut eftre bruflé, ny par confequent nourrir ce feu : dont la raifon eft que les parties de la flame qui vient de l'eau de pie, font trop déliées ^ trop faibles pour moui^.ojr celles du linge ainfi moUillé.

to3. D'où vient que l'eau de vie brujle facilement.

l'adjoujle quelles doiuent eflre jointes en telle forte, que le feu les puijje feparer les vues des autres, & aujft des parties du fécond ele- ment qui font proches d'elles. Et afin quelles puiffent ejïre feparées les vnes des autres, ou bien elles doiuent efire fi petites & fi peu jointes enfemble, qu'encore que lafiame ne touche que lafuperficie du corps qu'elles compofent, fon aâion fuffifc pour les tirer de cette fnperficie l'vne après l'autre : & c'efi ainfi que brufie l'eau de vie; mais le linge efi compofé de parties trop groffes & trop bien jointes pour efire feparées en mefme façon. Ou bien il doity auoir plufieurs pores en ce corps, qui foient affe^ grands pour receuoir les parties de la fiame, afin que les parties .de la fiame, coulant autour des fiennes, ayent plus de force à les feparer : & pource qu'il y a quantité de tels pores dans le linge, de vient qu'il peut aifement efire brufié, mefme par lafiame de l'eau de vie, lors qu'il n'efi point du tout mouillé; mais

373 lors qu'il efi moïiillé, en\core que ce ne foi t que d'eau de vie, les parties de cette eau qui ne Joui point enfiamées rempliffent f es pores, & ainfi empefchent celles de la Jlame, qui efi au deffus, d'y entrer. De plus, afin que les parties du corps, qui fert à entretenir le feu, puiffent efire feparées du fécond élément qui les enuironne, ou bien elles doiuent efire affe:{ fermement Jointes les vnes au.x autres, eu forte ^ue les par-

Principes. Oiatriesme Partie. i]~

lii's du JWoihi elemoit, rcfi/laiit moins iju'clles à la Jhwie, en /oient chqll'ees les premières, <L'- celle condition Je troune en hnts les corps durs qui peuuenl britjler ; ou bien, fi les p.irties du corps qui brufle font Ji petites à'- Ji peu jointes enfemble, qu'encore que la Jlame ne tiUiche que la J'uperficie de ce corps, elle ait la force de les feparer, il ell bclbin qu'elles ■.ycnt plulicurs petites Inanches li déliées & li proches les vnes des autres, qu'il n'y ait que le feul premier clément qui puille remplir les petits interualles qui l'ont autour d'elles. Kl pource que l'c.'.u de vie brulle fort airémcnt. il ell à croire que Tes parties ont de telles branches, mais qui l'ont fort courtes, à caufe que, y/ elles e/loienl ru peu longues, elles <''■ licroicnt les vnes aux autres, ^: ainfi compoferoient de l'huile...

104, D'où vient que l'eau commune ejleint le feu.

l/oau commune efl en cela fort différente de l'eau de vie ; car elle e/l plus propre à e/lein\dre le feu quà l'entretenir. Dont la raifon e/t 374 que les parties font alfez grollcs, & auec cela li glillantes, vnics ^: pliantes, que non feulement les parties du fécond clément, qui fe joignent à elles de tous colle/, n'y laijfent que fort peu de place pour le premier ; mais aulVi elles entrent facilement dans les pores des corps v|ui bruflent, ^s: en chaffiint les parties qui ont def-ja l'agitation du feu, cmpefcheni que les autres ne s'embraient.

/ 0 V D'oit vient qu'elle peut aujft quelquefois l'augmenter, & que tous les fels fnit le jemblable.

Toutefois cela dépend de la proportion qui efl entre la grojfeur de fes parties é'- A? violence du feu, ou la grandeur des pores du corps qui brufle. Car, comme il a def-Ja e/lé dit ' de la chaux viue, qu'elle s'cfchaujfr auec de l'eau froide, ai n/i il y a vue efpece de charbon qui en doit élire arrolé lors qu'il brujle,:\\\v\ que fa flamme*' en Ibit plus viur. Va luus les feux qui font fort ardcns.Ie deuiennent encore plus, lors qu'on jette dcifus quelque peu d'eau. Mais, fi on y jette du Ici, \K\\r ardeur fera cncr)re plus auj^iricntée que par l'eau douce: à caufe que les parties du fel, cllant longues iS: roides, ^: s'clançant de pointe, comme des tîeches, ont beaucoup de force, lors qu'elles Ibnt enflammées..., pour efbranlcr les parties... des corpsqu'elles ren-

Ci. A:t. o3. p. 2>2.

b Sic, cxccpu<Mincllcini.*m. mec Jeux m (t«tmnic aussi p. 2Sft «i ijg). QiuvifKs l\ . 33

2)8 OEuvREs DE Descartes.

contrent. Et c'eft pour cette raifon qu'on a couftume de mefler cer- ^75 tains fels parmy les j métaux, pour les fondre plus aifément.

loG. Quels corps font les plus propres d entretenir le feu.

Pour ce qui elt du bois & des autres corps durs dont on peut entretenir le feu, ils doiuent eflre compofez de diuerfes parties, quelques-vnes defquelles foient afîez petites, les autres vn peu plus groffes, & qu'il y en ait ainfi par dcgrez jufques à celles qui font les plus grojfes de toutes. Et il y en doit auoir dont les figures foient ajfe\ irregulieres, & comme diuifées en plufieurs branches, en forte qu'il y ait parmy elles d'aflez grands pores, afin que les parties du troijtéme élément qui font enflammées, entrant en ces pores, puifTent premièrement agiter... les plus petites, puis par leur moyen les médiocres, & par le moyen de celles-cy les plus groffes ; & en mefme tQmps chaiïtr le fecoïid élément, premièrement des plus petits pores, puis auffi de tous les autres, & enf\n emporter auec foy toutes le? parties de ce corps, excepté les plus groffes qui demeurent & compo- fent les cendres.

loy. Pourquoy il y a des corps qui s'enflament & d'autres que le feu confomme fans les enflamer.

Et lors que les parties qui fortent en vn mefme temps du corps qui brufle, font en alîez grand nombre pour auoir la force de chaffer les parties du fécond élément, qui font en quelque endroit de l'air proche de ce corps, elles rempliffent tout cet endroit de flame; mais 376 fi elles font en trop petit nombre, ce corps brufjle fans s'enflammer ; & s'il efl compofê de parties fi égales & tellement dijpofées, que les premières qui s'embrafent ayent la force d'embrafer leurs voifines en fe gliffant pàrmy elles, le feufe conferue en ce coîys jufques à ce qu'il l'ail confumé: comme on voit arriuer..". aux mèches dont fe feruent les Soldats pour leurs moufquets.

io8. Comment lefeufe conferue dans le charbon.

Mais fi les parties de ce corps ne font point ainfi difpofées, le feu ne s'y conferue qu'en tant que les plus fubtiles, qui font def-ja embrafécs, fe trouuant engagées entre plujieurs autres plus groffes, qui ne le font pas, ont bcfoin de quelque temps... pour s'en dégager. Ce qu'on expérimente aux charbons... qui, cilans couuerts de cendres, con-

Principes. Quatriesme Partie. 2^9

fcruent leur feu pendant quelques heures, par cela feul que ce feu confille en l'agitation de certaines parties du Iroificme dément afl'ez petites, qui ont plufieurs branches, & qui, fe trouuant engagées entre d'autres plus groffes, n'en peuuent fortir que l'vne après l'autre, nonobflant qu'elles foient fort agitées, &. qui peut eftre aufli ont befoin de quelque temps pour eûre diminuées ou diuifées peu à peu par la force de leur agitation, auant qu'elles puilfent fortir des lieux elles font.

log. De la poudre à canon, qui fe fait de foulfre, de falpettre & de charbon. Et premièrement du foulfre.

Mais il n'y a rien qui prenne fi toft feu, &. | qui le retienne moins 377 long temps, que fait la poudre à canon. De quoj' ou peut voir claire- ment la caufe, eu conjiderant la nature du foulfre, du falpetre & du charbon, qui font les feuls ingrediens dont on la compofe. Car, premièrement, le foulfre c-ft de foy melmc extrêmement prompt à s'enHammer, d'autant qu'il eft compofé des parcelles des fucs aigres ou corrofifs, enuironnées de la matière huileufe, qui fe trouuc auec eux dans les mincsy £"• qui efl diuifée en petites branches fi délices & fi proches les vnes des autres, qu'il n'y a que le premier élément qui puifl'e pafl'er parmy elles. Ce qui fait aulîi que, pour rvfagc' de la Médecine, on eftimc le foulfre fort chaud.

no. Du falpetre.

Puis, pour ce qui eft du falpetre, il eft compofé de parties qui font toutes longues & roidcs, ainfi que celles du fel commun, dont elles différent feulement en cela qu'vn de leurs bouts eft plus menu & plus pointu que l'autre, au lieu que les deux bouts des parties du fel commun font égaux entr'eux. Ce qu'on peut connoitlre par expé- rience, en faifant dilfoudre ces deux fels on de l'eau : car, à mefure que cette eau s'éuapore, les parties du fel con^inuin demeurent cou- chées fur fa luperticie, elles compofent des petits quarrez, ain/i que fay expliqué dans les Météores ' ; mais les parties du falpetre defcenjdent au fonds, ou s'attachent aux coftez du vuilfeau, & mon- rJ8 firent par que l'vn de leurs bouts ejl plus gros ou plus pefvit que l'autre.

a. Diseours III, p; 256 de cette édition, 1. 27.

lôo OEuvRES DE Descartes.

III. Du mejlange de ces deux enjemble.

Et... il faut remarquer qu'il y a telle proportion entre les parties du falpetre & celles du foulfre que, bien que celles-cy foient plus petites ou moins maffiucs que les autres, toutefois, ejîant enjlamées, elles ont la force de chalfer fort vite tout ce qu'il y a du fécond élément entr'elles d'- ces autres, & par me/me moyen, défaire que le premier élément les agite.

112. Quel eji le mouuement des parties du falpetre.

Il faut auflî remarquer que c'eft principalement le bout le plus pointu de chacune de ces parties du falpetre, qui le mtut pendant qu'elles font ainfi agitées, & qu'il décrit vri cercle en tournoyant; au lieu que fon autre bout, qui eft plus gros & plus pefant, fe tient en bas vers le centre de ce cercle: en forte que, par exemple", fi B eft vne parcelle du falpetre qui n'efi point encore agitée, C la reprefente lors qu'elle commence à s'agiter, & que le cercle qu'elle décrit n'eft pas encore fort grand; mais il s'augmente incontinent après... & dénient aujfi grand qu'il peut efire, comme on voit vers D. Et ce- pendant les parties du foulfre, ^M/;;t; lournoyent pas en mefme façon, palfent plus loin en ligne droite vers les autres parties du falpetre, 379 qu'elles enjlament en mefme façon, en chaj/ant le fécond \ élément d'autour délies.

Il 3. Pourquojr la famé de la poudre fe dilate beaucoup ; ô pourquojr fon aâion tend en haut.

Ce qui fait def-ja voir la caufe pourquoy la poudre à canon fe dilate beaucoup, lors qu'elle s'enflame..., & aufti pourquoy fon effort tend en haut...: en forte que, lors qu'elle eft... bien fine, on la peut faire brufter dans le creux de la main, fans en receuoir aucun mal. Car chacune des parties du falpetre chaffe toutes les autres du cercle qu'elle décrit, €■ elles s'entrechaffent ainfi auec gi-ande force, à caufe qu'elles font dures & roides ; mais, pource que ce ne font que leurs pointes qui dccriuent ces cercles, & qu'elles tendent touf- jours vers en haut, de vient que,f leur famé fe peut efîendre librement vers là, elle ne brufle aucunement ce qui efl fous elle.

a. Planche XVIII, tigurc 3.

Principes. Quatriesme Partie. 261

/ 14. Quelle eft la nature du charbon.

Au refte, on mefle du charbon auec le falpetre & le foulfre, & de ces trois chofes enfemble, humedées de quelque liqueur, afn qu'elles fe puijfent mieux joindre, on compole des petites boules ou petits grains, qui, eftant parfaitement feichez, en forte qu'il n'j rejîe rien de la liqueur, font la poudre. Et en confderant que le charbon efi ordinairement fait de bois, duquel on a efieint le feu auant qu'il fufî entièrement bruflé, on voit qu'il doit y auoir en luy plufieurs pores qui font fort grands : premièrement, à caufe qu'il y en a eu beau- coup I dans le bois ou autre matière dont il eft fait ; puis auflî, à 380 caufe qu'il eft forty beaucoup de parties terrefires, hors de ce bois pendant qu'/7 a bruflé, lefquel les fe font changées en fumée. On voit aufli qu'il n'eft compofé que de deux fortes de parties : dont les vnes font fi groffes, qu'elles ne fçauroient efîre conuerties enfumée par Vaâion du feu, mais feroient demeurées pour les cendres,^ le char- < bon auoit acheué de brufler ; & les autres font plus petites, àfçauoir celles qui en feroient for lies. Et celles-cy, ayant def-ja efté efbranlées par l'aftion du feu, font déliées, d- molles, & aifées à embrafer dere- chef; & auec cela elles ont des figures... affez embaraflantes, en forte qu'elles ne fe dégagent pas aifément des lieux elles font : comme il paroift de ce que, beaucoup d'autres en eftant def-ja forties & changées en fumée, elles y font demeurées les dernières.

Il 5. Pourquoy on graine la poudre; & en quoy principalement confie fa force .

Ainfi les parcelles du falpetre & du foulfre entrent aifément dans les pores du charbon, pource qu'ils font grands ; & elles y font enuelopées ik. liées enfemble parcelles de fes parties qui font mollea <S- embaraflantes : principalement, lors que le tout enfemble, après auoir efté humecté ^ formé en grains..., eft delleiché. Et la raifon pourquoy on graine la poudre, eft afin que les parties du falpetre ne s'embrafent pas feule|ment l'vne après l'autre, ce qui leur don- 381 neroit moins de force, mais qu'il y en ait plufieurs qui prennent feu toutes enfemble... Car chafquc grain de poudre ne s'allume pas... au mefme inftant qu'il cil touché de quelque ftame...; mais cette tlame doit, premièrement, paffer... de la fuperlîcie de ce grain jufques au dedans, & y embrafer les parties du foulfre, par l'entremife def- quelles celles du falpetre font agitées & décriuent, au commencement.

202 Œijvre;s de Descartes.

de fort petits cercles, puis, tendant à en décrire de plus grands, elles

font effort toutes enfemble pour rompre les parties du charbon qui

les retiennent, au moyen de quof tout le grain s'enfante. Et bien que

le temps qui eft requis pour toutes ces chofes foit extrêmement

court, fi on le compare auec des heures ou des journées, en forte qu'il

. ne nous ef pref que point fenfble, il ne laiiîe pas d'eftre affez long, lors

qu'on le compare auec l'extrême viteffe dont la flame qui fort ainfi

d'vn grain de poudre s'eftend de tous coftez en l'air qui l'enuironne.

Ce qui eft caufe que, par exemple, lors qu'vn canon eft chargé, la

famé de V amorce, ou des premiers grains de poudre qui prennent feu,

a loifir de s'eftendre en tout l'air qui eft autour des autres grains, &

de les toucher tous, auant qu'il y en ait aucun qui s'enfame; puis

382 incontinent après, bien que les plus pro\ches de la lumière foient les

premiers difpofei à s'enfamer, toutefois, a caufe qu'en fe dilatant ils

ébranlent les autres, & leur aydent à fe rompre, cela fait qu'ils s'en-

flament & fe dilatent tous en vn mefme inftant, au moyen de quoy

toutes leurs forces jointes enfemble chajfent la baie auec tres-gi^ande

vitejfe. A quoy la refiftancé que font les parties du charbon fert

beaucoup, à caufe qu'elle retarde, au commencement, la dilatation des

parties du falpelre, ce qui augmente, incontinent après, la viteffe dont

elles fe dilatent. Il fert auffi que la poudre foit compofée de grains,

& mefme que la grojfeur de ces grains & la quantité du charbon foit

proportionnée à la grandeur du canon, afin que les interualles que

ces grains laiffent entr'eux, foient affez larges pour donner paffage

à la flame de l'amotxe, & faire qu'elle ait loifir de s'eftendre par toute

la poudre, £■ de paruenir jufques aux grains plus éloigîîe!{, auant

quelle ait embrafé les plus proches,

1 16. Ce qu'on peut juger des lampes qu'on dit auoir conferué leur famé durant plufieursftecles.

Apres le feu de la poudre, qui eft l'vn de ceux qui durent le moins, confiderons fi, tout au contraire, il peut y auoir quelque feu qui dure fort long temps, fans auoir befoin de nouuelle matière pour s'entretenir : comme on raconte de certaines lampes qu'on a trouuées ardentes en des tombeaux..., lors qu'on les a ouuerts après 883 I qu'ils auoient cfé fermer plufieurs fiecles". le ne Peux point ejtre

a. Edition princeps : 3S5,'(&me d'impression.

b. Note MS. (de Legrand?) : « V. la lettre de M. le Roy a M. Desc» » dattce du 9 fcurier 1644, cy aprez dans les fragmens. » Voir Carres* pondanccy t. IV» p. 97»

Principes. Quatriesme Partie. 263

garent de la vérité de telles hijloires ; mais'iX me femble qu'en vn lieu fouterrain, qui efl; (i cxaclement clos de tous coftez, que l'air n'y eft jamais agite par aucun vent qui inenne du dedans ou du dehors de la terre, les parties de l'huile qui fe changent enfumée, & de fumée en fuye lors qu'^^Ues s'arreftent & s'attachent les vnes aux autres, fe peuuent arrefter tout autour de la flame d'vne lampe, & y compofer comme vne petite voûte, qui foit fuftifante pour empefcher que l'air d'alentour ne vienne... (uffoquer cette flame, & aufli pour la rendre fi foible & fi débile, qu'elle n'ait pas la force d'enflamer aucune des parties de l'huile ny de la mèche, fi tant eft qu'il en refte encore qui nayent point ejlé brujlées. Au moyen de quoy... le premier élément, demeurant feul en cette flame, à caufe que les parties de l'huile quelle contenoit s'attachent à la petite voûte de fuie qui l'enuiromie, & tournant en rond dedans en forme d'vne petite eftoile, a la force de repoufi"er de toutes parts le fécond élément, qui feul tend encore à venir l'ers la flame par les pores qu'il s'eft referué en cette voûte, & ainfi d'enuoyer de la lumière en l'air d'alentour, laquelle ne peut eftre que fort io\b\Q... pendant que le lieu demeure fermé ; 384 mais à l'inftant qu'il | eft ouuert, & que l'air qui vient de dehors diflipe \a petite voûte de fumée qui l'enuironnoit, elle peut reprendre fa vigueur, & faire paroiftre la lampe aflez ardente, bien que peut efre elle s'efeigne bientojl après, à caufe qu'il efl vraf-femblable que cette Jlame n'a pu ainfi fe conferuer fans aliment, qu'après auoir confumé toute fon huile.

j ly. Quels font les autres effets du feu.

Partons maintenant aux effets du feu, que l'explication des diuers moyens qui feruent à le produire ou conferuer, n'a pu encore faire entendre. Et pource que, de ce qui a def-ja efté dit*, on connoift aflez pourquoy'il luit, & échaufife, & difl"out en plufieurs petites par- ties tous les corps qui luy feruent de nourriture ; & aufli pourquoy ce font les plus petites & plus gliflantes parties de ces corps qu'il en chaffe les premières; & pourquoy elles font fuiuies par après de celles qui, bien qu'elles ne foient peut-eftre pas moins petites que les précédentes, fortent toutefois moins aifément, à caufe que leurs figures font embaralTantes & diuifces en plufieurs branches (d'où vient que, s'attachant aux tuyaux des cheminées, elles fe changent en fuie); puis enfin, pourquoy il ne lai Ife rien que les plus groffes

a. Articles précédents. ''''~

264 OEUVRES DE Descartes.

qui compofent les cendres : il refte feulement icy à expliquer com- ment vn mefme feu peut faire que certains corps, qui ne feruent

385 point à | l'entretenir, dcuiennent liquides, &: qu'ils bouillent; &que les autres, au contraire, le leichent &. fe durcillent; & enfin, que les vns fe changent en vapeurs, les autres en chaux, & les autres en verre.

it8. Quels font les corps qu'il fait fondre & bouillir.

Tous les corps durs, compofez de parties 7? égales oufemblables qu'elles peuuenl eflre toutes agitées & feparées aufli aifément l'vne que l'autre, deuiennent liquides, lors que leurs parties font ainfi agitées & feparées par l'adion du feu. Car vn corps ert liquide, par cela feul que les parties dont il eft compofé fe meuuent feparément les vnes des autres. Et lors que leur mouuement eft fi grand, que quelques-vnes, fe changeant en air ou en feu, requerent beaucoup plus d'efpace que de couftume pour le continuer..., elles font éleuer par bouillons la liqueur d'où elles fortent.

j ig. Quels font ceux qu'il rend fecs & durs.

Mais, au contraire, le feu feiche les corps qui font compofez de parties inégales, plufieurs defquelles font longues, pliantes, & glif- fantes..., de façon que, n'eftant aucunement attachées à ces corps, elles en fortent aifément, lors que la chaleur du feu les agite. Car quand on dit d'vn corps dur qu'il eft fec, cela ne fignifie autre chofe, finon qu'il ne contient en fes pores, ny fur fa fiiperjîcie, aucunes de ces panïes vnies & gliffaîites, qui, lors qu'elles font jointes enfemble,

386 [compofent de l'eau ou quelqu'autre liqueur. Et pource que ces parties glifjantes, eftant dans les pores des corps durs, les élar- giffent quelque peu & communiquent leur mouuement aux autres parties de ces corps, cela... diminue ordinairement leur dureté; mais, lors qu'elles font chaffées par l'aâion du feu hors de leurs pores, cela fait que leurs autres parties... ont couftume de fe joindre plus fort les vnes aux autres..., & ainfi que ces corps deuiennent plus durs.

120. Comment on tire diuerfes eaux par diflillation.

Et les parties qui pcuuent eftre chaffées hors des corps terre/Ires par l'aâion du feu, font de diuers genres, comme on expérimente

Principes. Quatriesme Partie. 265

fort clairement par la Chymie. Car, outre celles qui font Ti mobiles & fi petites qu'elles ne compofent, eftant feules, aucun autre corps que de l'air, il y en a d'autres, tant foit peu plus grojfes, qui fortent fort aifément hors de ces corps : à fçauoir celles qui, ertant ramaffées & jointes enfemble par le moyen d'vn alembic, compofent des eaux de vie..., telles qu'on a couilume de les tirer du vin, du bled, & de quantité d'autres matières. Puis il y en a d'autres, rn peu plus grojfes, dont fe compofent les eaux douces & infipidcs, qu'on tire aufll, par diftillation, hors des plantes ou des autres corps. Et il y en a encore d'autres, ;-;/ peu plus grojfes, qui compofent les eaux fortes. ., & fe tirent des fels auec grande violence de feu. '

\ 1 21 . Comment on tire aujji des Jublime^ 6' des huiles. 387

Derechef, il y en a qui font encore plus grolfes : à fçauoir, celles des fels, lors qu'elles demeurent entières, & celles de l'argent vif, qui, citant cleuées par l'action d'vn allez grand feu, ne demeurent pas liquides, mais, s'attachant au haut du vaiffeau qui les contient, y compofent des fublimez. Les dernières, ou celles qui fortent auec plus de difficulté des corps durs & fecs, font les huiles ; &, ce n'e(t pas tant par la violence du feu, que par vn peu d'induftrie, qu'elles 'en peuuent eftre tirées. Car, d'autant que leurs parties font fort déliées, & ont des figures fort embarajfanles, Tadion d'vn grand feu les feroit rompre, 6* changeroit entièrement leur nature, en les tirant auec J'orce d'entre les autres parties des corps elles font. Mais on a couftume de tremper ces corps en vne grande quantité d'eau commune, dont les parties, qui font vnies & gîilfantes, s'infi- ïwiQXiX fort aifément dans leurs pores, & en détachent peu à peu les parties des huiles... ; en Jorte que cette eau, nwnlant par après par l'alembic, les amené toutes entières auec foy.

122. Qu'en augmentant ou diminuant la force du feu, on chausse Jouuent fon effet.

Or, en toutes ces diftillations,le degré du feu fe doit obferuer; car, félon qu'on le fait plus ou moins ardent, les effets qu'il produit font diuers. Et il y a plufieurs corps qu'on p'^ut rendre fort fecs, & par après tirer d'eux diuerfes li\queurs par diftillation, lors qu'on les 388 expofe au commencement à vn feu lent, lequel on augmente après peu à peu, qui fcroient fondus d'abord, en forte qu'on ne pourroit tirer d'eux les mefmes liqueuî's, s'ils efloient expofez... à vn grand feu.

266 OEuvRES DE Descartes.

123. Comment on calcine plujieurs corps.

Et ce n'ejl pas feulement le degré du feu, mais aufli la façon de l'ap- pliquer, qui peut changer fes effets. Ainfi on voit plufieurs corps qui fe fondent, lors que toutes leurs parties font* échauffées égale- ment ; & qui fe calcinent ou conuertiffent en chaux, lors qu'vne fîame fort ardente agit feulement contre leur fuperfîcie, d'oufepa- rant quelques parties, elle fait que les autres demeurent en poudre. Car, félon la façon de parler des Chymifles, on dit qu'vn corps dur eft calciné, lors qu'il eft ainfi mis en poudre par l'adion du feu... ; en forte qu'il n'y a point d'autre différence entre les cendres & la chaux, fmon que les cendres font ce qui refle des corps entièrement bruflez, après que le feu en a feparé beaucoup de parties qui onS feruy à l'entretenir; & la chaux eft ce qui refte de ceux qu'il a put- uerifei, fans en pouuoir feparer que peu de parties, qui feruoient de liaifon aux autres.

124. Comment fe fait le verre.

Au refte, le dernier & Vvn des principaux effets du feu efl, qu'il peut conuertir toute forte de cendres & de chaux en verre. Car, les 389 cendres | & la chaux n'eflant autre chofe que ce qui refte des corps bruflez, après que le feu en a fait fortrr toutes les parties qui eftoient affez petites pour eflre chaffées ou rompues par luy, toutes leurs parties font fi folides & fi groffes, qu'elles ne fçauroient eflre éleuées comme les vapeurs par fon adion; & auec cela elles ont, pour la plufpart, des figures affez irregulieres & inégales : ce qui fait que, bien qu'elles foient appuyées l'vne fur l'autre 6- s'entre-foufliennetit, elles ne s'attachent point toutefois les vues aux autres, & mefme ne fe touchent pas immédiatement, fi ce n'efl peut-eftre en quelques points extrêmement petits. Mais lors qu'elles cuifent par après dans vn feu fort ardent..., c'eflàdire, lors que plufieurs parties du troi- fiéme élément moindres qu'elles, & plufieurs de celles du fécond qui eflant agitées par le premier compofent ce feu, paffent auec trcs-grande viteffe de touscoftezparmy elles, cela fait que les pointes de leurs angles s'émouffent peu à peu, & que leurs petites fuperficies s'aplaniffent, & peut-eflre aufTi que quelques vnes de ces parties fe plient, en forte qu'elles peuuent enfin couler de biais les vnes fur les autres, & ainfi fe toucher immédiatement, non pas feulement en des points, mais aufTi en quelques vnes de leurs fuperficies..., par lelqucllcs demeurant joinici elles compofent le verre.

Principes. Quatriesme Partie. 267

•| 125. Comment f es parties fe joignent enemble'. 390

Car il eft à remarquer que, lors que deux corps dont les fuper- ficies ont quelque eftenduë, fe rencontrent de front, ilsnefe peuuent approcher fi fort l'vn de l'autre, qu'il ne demeure quelque peu ^'efpace entre-deux, qui eft occupé par... le fécond élément; mais que, lors qu'ils coulent de biais l'vn fur l'autre, leurs fuperficies fe peuuent entièrement joindre. Par exemple, fi les corps B ScC s'approchent l'vn de l'autre fuiuant la ligne droite AD, les parties du fécond élément qui fe trouuent entre-deux n'en peuuent élire chaffées; c'efi pourquoy elles empefchent qu'ils ne fe touchent. Mais les corps G& H, qui viennent l'vn vers l'autre fuiuant la ligne......

E F , fe peuuent tellement joindre qu'il ne demeure rien entre-deux, au moins fi leurs fuperficies font toutes plates & polies; & fi elles ne le font pas, le mouuement dont [elles glijfent ainf l'vnefur l'autre, fait que peu à peu elles le deuiennent. Ainfi les corps B & C repre- fentent la façon dont les parties... des ctnàits font jointes enfemble, & G & H repréfentent celle dont fe joignent les parties du verre. Et de la feule différence qui efl entre ces deux façons de fe joindre, dont il eft éuident que la première efl dans les cendres, & que la féconde y doit eftre introduite par vne longue & viofente agitation du feu, on peut connoiftre parfaitement la na\ture du verre, & rendre raifon ^** de toutes fes proprietez.

126. Pourquoy il ejl liquide & gluant, lors qu'il efi embrajé.

La première de fes propriété^ efl, qu'\\ eft liquide, lors qu'il eft fort échauffé par le feu..., & peut aifément receuoir toutes fortes de figures, lefquelles il retient eftant refroidy ; & mefme, qu'il peut ejlre tiré en filets aujji delie^ que des cheueux. Il eft liquide, à caufe que l'adion du feu ayant def-ja eu la force de faire couler fes parties l'vne fur l'autre pour les polir & plier, & ainji les changer de cendres en verre, a infailliblement auffi la force de les mouuoir feparément l'vne de l'autre. Et tous les corps que le feu a rendus liquides ont cela de commun, qu'ils prennent aifément toutes les figures qu'on leur veut donner, à caufe que leurs petites parties, qui font alors en continuelle agitation, s'y accommodent; & en fe refroidiffant, ils

a. Voir Correspondance, t. V, p. 174.

b. Planche XVIII, figure 4.

208 Œuvres de Descartes.

retiennent la dernière qu'on leur a donnée, à caufe que le mouiie- ment de leurs parties ejl arrejïé par le froid. Mais, outre cela, le verre ejï comme gluant, en forte qu'û peut eftre tiré en filets. ../ans fe rompre, pendant qu'il eft encore chaut & qu'il commence à Je refroidir : dont la raiibn eft que, fcs parties eftant meuès en telle façon qu'elles gliffent continuellement les vnes fur les autres, il leur eft plus aifé de continuer ce mouuement & ainji de s'ejîendre en filets, que non pas de fe feparer.

5W 1^27. Pourquoy il èjijort dur ejîant froid.

Vue autre propriété du verre ejl, gw eftant froid il eft fort dur, & auec cela fort calfant; & mefme, qu'W eft d'autant plus caffant, qu'il eft plus promptement deuenu froid. La caufe de dureté eft que chacune de fes parties eft fi grofle & Ji dure & fi difficile à plier, que le feu n'a pas eu la force de les rowjpre, & qu'elles ne font pas jointes enfemble par l'entrelacement de leurs branches, mais par cela feul qu'elles fe touchent immédiatement les vnes les autres. Car il y a plufieurs corps qui font mous, à caufe que leurs parties font pliantes, ou du moins qu'elles ont quelques branches dont les extremitez font pliantes, & qu'elles ne font jointes les vnes aux autres que par l'entrelacement de ces branches ; mais jamais les parties d'vn corps ne peuuent eftre mieux jointes que lors qu'elles fe touchent immé- diatement..., & qu'elles ne font point en aélion pour fe mouuoir feparément l'vne de l'autre : ce qui arriue aux parties du verre, fi tbft qu'il eft retiré du feu ; d'autant qu'elles font fi grolfes, & telle- ment pofées les vnes fur les autres, & ont des figures fi irregulieres & inégales, que l'air n'a pas la force d'entretenir en elles l'agitation que le feu leur auoit donnée.

1 28. Pourquoy il ejl aujfi fort caffant.

39S La caufe qui rend le verre caffant eft que fes parties ne fe touchent immédiatement, qu'en des fuperficies qui font fort petites & en petit I nombre ; & on ne doit pas trouuer eflrange,que plufieurs corps beaucoup moins durs font plus difficiles à diuifer ; car cela vient de. ce que, leurs parties eftant engagées l'vne dans l'autre, ainji que les anneaux d'vne chaîne, on peut bien les plier de tous cofle\, mais non pas pour cela les dcjoindre fans les rompre..., G qu'il y a bien plus de petites parties à rompre dans ces corps, auant qu'ils foient entière- ment diuife\, qu'il n'y a de petites fuperficies à feparer dans le verre.

Principes. Quatriesme Partie. 269

i2(). Pourquqy il dénient moins cajfant, lors qu'on le laijfe refroidir lentement.

Mais la caufe qui le rend plus caffant, lors qu'on le tire tout à coup du fourneau, que lors qu'on le laifTe recuire & fe refroidir peu à peu, confifte en ce que fes pores font vn peu plus larges, lors qu'tV ejl liquide, que lors qu'il ejl froid..., Si que, s'il deuient froid trop promp- tcmem, fes parties n'ont pas loifir de s'agencer comme il faut pour les reflrecir tous autant Vvn que l'autre, de façon que le fécond élé- ment qui paffe par après dans ces pores fait effort pour les rendre égaux, au mo3'en de quoy le verre fe caffe ; car fes parties ne fe tenant que par des fuperficies fort petites, fi toll que deux de fes fuperficies fe feparcnt, toutes les autres, qui les fuiuent en mefme ligne, fe feparent aufli. C'eft pourquoy les Verriers ont couftume de recuire leurs verres, c'eft à dire de les remettre dans le feu après les auoir faits, 6 puis de les en retirer | par dcgrez, afin qu'ils ne dcuiennent 394 pas froids trop promptcmcnt. Et lors qu'vn verre froid elt cxpofé au feu, en forte qu'il s'ccliauire beaucoup plus d'vn coflc que d'autre, cela le fait rompre, à caufe que la chaleur dilate fes porcs, & que les vns ne peuuent élire notablement plus dilatez que les autres, fans que fes parties fe feparent. Mais fi on chauffe vn verre. . également de tous coftez, en telle forte qu'vn merme degré de chaleur paruienne en mefme temps à toutes fes parties, il ne caffera point, à caufe que tous fes pores s'élargiront également.

i3o. Pourquoy il ejl trauf parent.

De plus, le verre eft tranfparent, à caufe qu'ayant efté liquide lors qu'il a efté fait, la matière du feu qui couloit de tous coftez entre fes parties, y a laifte plufieurs pores par le fécond élément^, peut après tranfmettre en tous fens l'adion de la lumière, fuiuant des lignes droites. Et il n'elt pas befoin pour cela que ces porcs foient exactement droits; il fuftit qu'ils s'eut refuiuent fans eilre fer/ne^ nf interrompus en aucun lieu : en forte que, fi... vn corps tWoh compofé de parties exactement rondes qui s'entrelouchalfent, îk fulfent fi grolfcs que le fécond clément pull palier par les petits cipaccs triangulaires qui demeurent entre trois telles parties, lors qu'elles le touchent, ce corps feroit plus folide que n'ell aucun verre que nous ayons, i<: ne | laillcroii pas pour cela d'eftrc fort uanlpareni, aiuji 395 qu'il a dcf-ja eflé e.xpliqui'\

a. Art. 17, p. 208.

270 OEUVRES DE Descartes.

i3j. Comment on le teint de diuerfes couleurs

Mais lors qu'on mefle parmy le verre quelques métaux, ou autres matières, dont les parties refillent dauantage, & ne peuuent pas fi aifément eftre polies par l'adion du feu, que celles des cendres dont on le compofe, cela le rend moins tranfparent, & luy donne diuerfes couleurs; à caufe que ces parties des métaux, ejiant plus grojfes & autrement figurées que celles des cendres, auancent quelque peu au dedaîis de/es potées, au moyen de quoy elles en bouchent quelques vns, (S- font que les parties du fécond élément qui pajjent par les autres y roulent en diuerfes façons; &faj'prouué,dans lesMeteores*y que defl ce roulement qui caufe les couleurs.

i32. Ce que c'ejî qu'ejîre roide ou faire rejfort, & pourquoy cette qualité fe trouue aujfi dans le verre.

Au refte, le verre... peut eftre plié quelque peu... fans fe caffer, comme on voit clairement, lors qu'il eft tiré en filets fort déliez; car, quand il ejl ainfi plié, il fait reffort, comme vn arc, & /ez/ûf à repren- dre fa première figure. Et cette propriété de plier & faire reffôrt, qu'on peut appeller en vn mot ejîre l'oide, fe trouue généralement en tous les corps..., dont les parties font jointes par le parfait attou- chement de leurs petites fuperjicies, non par le feul entrelacement 396 de leurs branches. Dont la raifon contient trois points. \ Le premier efî, que ces corps ont tous plufieurs pores par il coule fans celle quelque matière... Le fécond, que la figure de ces pores eft difpo- fée à donner libre paffage à cette matière, d'autant que c'eft touf-jours par fon adion, ou par quelque autre femblable, qu'ils ont efté for- mez... : comme, par exemple, lors que le verre deuient dur,fes pores qui ont ejlé éla?'gis par l'aéîion du feu, pendant qu'il ejloit liquide j font rejlrecis par l'aâion du fécond élément qui les ajujîe à lagrojfcur de fes parties. Le troifiéme point ejî, que ces corps ne peuuent eftre pliez..., que la figure de leurs pores ne fe change quelque peu, en îbrie que la matière qui a couftume de les remplir, n'y pouuant plus couler fi facilement que de couftume, poufte les parties de ce corps qui l'en cmpcfchent,& ainfi fait effort pour les remettre en leur pre- mière figure. Par exemple, fi dans vn arc, qui n'eft point bandé, les pores qui donnent paffage au fécond élément font exaâement ronds,

t. Discours VIII, p. 33i de cette édition, 1. i5.

397

Principes. Quàtriesme Partie. 271

il eft éuident qu'après qu'il eft bandé..., ces mefmes pores doiuent eftre vn peu plus longs que larges, en forme d'ouales, & que les parties du fécond élément preffent les coflez de ces ouales..., afin de les faire derechef deuenir rondes *. Et bien que la force dont elles les prejfent, eftant confiderée en chacune de ces parties en particulier, ne foit I pas fort grande, toutefois, à caufe qu'il y en a touf-jours vn fort grand nombre... qui agiffent enfemble, ce n*eji pas merueille qu'elles facent que... l'arc le débande auec beaucoup de violence. Mais fi on tient vn arc long temps bandé, principalement vn arc de bois, ,ou d'autre matière qui ne foit pas des plus dures, la force dont il tend à fe débander diminue auec le temps : dont la raifon efl que les parties de la matière fublile qui preffent les coftez de fes pores, les élargijfent peu à peu à force de couler par dedans, & ainfi les accommodent à leur figure.

i33. Explication de la nature de l'aymant.

lufques icy j'ay tafché d'expliquer la nature & toutes les princi- pales propriete'{... de l'air, de l'eau, des terres, & du i^u, pource que ce font les corps quife trouuent le plus généralement partout en cette région /i/^/2/;/a/re que nous habitons, de laquelle on les nomme les quatre elemens ; mais il y a encore vn autre corps, à fçauoir l'ay- mant..., qu'on peut dire auoir plus d'ejîenduë qu'aucun de ces quatre, à caufe que mefme toute la majfe de la Terre ejl vn aymant, & que nous ne fçaurions aller en aucun lieu fa vertu ne fe remarque. C'eil pourquoy, ne defirant rien oublier de ce qu'il y a de plus gênerai en cette terre, il eft befoin maintenant que je l'explique. A cet effet remetons nous en la mémoire ce qui a efté dit cy-deffus en l'artijcle 87 de la troifiéme partie" & aux fuiuans, touchant les par- 398 ties canelées du premier élément de ce motide vijible; & appliquant icy à la Terre tout ce qui a efté dit en cet endroit là, depuis l'article io3 jufques à l'article 109', de l'aftre qui ejloit marqué I, penfons qu'il y a en fa moyenne région plufieurs pores ou petits conduits parallèles à fon effieu, par les parties canelées palî'ent librement d'vn pôle vers l'autre ; & que ces conduits font tellement creufez,& ajulte^c à la figure de ces parties canelées, que ceux qui reçoiuent les parties qui viennent du pôle Aullral, ne fçauroient receuoir celle qui viennent du pôle Boréal, & que, réciproquement, les conduits

a. Voir Correspondance, i. 1, p. ?4i, 1. i.\ et p. 58o-58i.

b. Page xbi ci-avuni.

c. Pui'e :f2 i£3.

272 OEUVRES DE Descartes.

qui reçoiuent les parties qui viennent du pôle Septentrional, ne font pas propres à receuoir celles qui viennent du pôle Auftml, ^ caufe qu'elles font tournées à vis tout au rebours les vnes des autres. Penfons aiijji que ces parties canelées peuuent bien entrer par vn codé dans les pores qui font propres à les receuoir, mais qu'elles ne peuuent pas retourner par l'autre cofté des me/mes pores, à caufe qu'il y a certains petits poils ou certaines branches tres-deliées, qui nuancent tellement dans les replis de ces conduits, qu'elles n'empef- chent aucunement le cours des parties canelées, quand elles y 'îyQ viennent par le cofté qu'elles ont cou|ftume d'y entrer, mais qui fc rebroulTent, & redreffent quelque peu leurs extî^emitei, lois que ces parties canelées fe pj^ef entent pour y entrer par l'autre cojié, & ainfi leur bouchent le pajfage, comme il a ejlé dit en l'article 106^. C'eft pourquoy, après qu'elles ont trauerfé toute la terre... d'vne moitié à l'autre, fuiuant des lignes... parallèles à fon effieu^^ il y en a pîu- fieurs qui retournent par l'air d'alentour vers la mefme moitié par elles eftoient entrées, & pafTant ainfi réciproquement de la terre en l'air, & de l'air en la terre, y compofent vne efpece de tourbillon, qui a ejîé expliqué en l'article 108'.

184. Qu'il n'y a point de pores dans l'air ni dans l'eau, qui /oient propres à receuoir les parties canelées.

De plus", il a été dit, en l'article 1 1 3 de la mefme troifiéme Partie % qu'il ne pouuoit y auoir de pores dans l'air qui enuironnoit l'ajtre marqué I, c'ejl à dire la Terre, fmon dans les plus grolfes parcelles de cet air, dans lefquelles il elloit demeuré des traces des conduits quiy auoient eJïéjormc\ auparauant. Et il a elle dit depuis, en cette dernière partie', que toute la malfe de cet air... s'ell diiliiiguée en quatre diuers corps, qui font l'air que nous refpirons, l'eau tant douce que falée, la terre /wr laquelle nous marchons, & vne autre terre intérieure d'où viennent les métaux, en laquelle toutes les plus grolfes parcelles, ^w; e/loient auparauant en l'air, le font alfemblces : 400 d'oit il fuit qu'il ne peut y auoir aucuns j conduits propres à receuoir

a. Page a38.

b. Voir Correspondance, t. V, p. 388-3S9.

c. Page 3S8 ci-avant.

d. Plusieurs iransposiiions importantes, dans la traduction de cet article, compare au texte latin.

e. Page 168.

. An. 32-45, p. 217-225.

Principes. Quatriesme Partie. 27 j

les parties canelées, ny dans l'eau, ny dans l'air qui ejl maintenant, tant à caufc que les parcelles qui les compofent font trop menues, comme auiïi à caufc qu'elles font toutes fans cejfe en aâion pour fc momioirfeparément les mes des autres, de façon que, quand mefmc il y auroit eu de tels conduits en quelques vnes, il y a def-ja long temps qu'ils auroient eflé gaftez par vn changement fi fréquent, à caufe qu'ils ont bcfoin d'vne fituation ferme & arreftée pour Je conferuer.

i35. Qu'il n'y en a point aujfi en aucun autre corps fur cette terre, excepté dans le fer.

Et pource qu'il a aufTi efté dit' que la... Terre intérieure, d'où vien- nent les métaux, eft compofée de deux fortes de parties, dont les vnes font diuifées en branches qui fe tiennent accrochées enfemble, & les autres fe meuuent incefl'ammentçà & dans les interualles qui font entre fes branches : nous deuons penfer qu'il n'y a point de tels conduits en ces dernières..., pour la raifon qui vient d'eAre dite, & qu'il n'y a que celles qui font diuifées en branches, qui en puiffent auoir. Nous deuons aufll penfer qu'il n'y en a eu aucuns, au com- mencement, en cette Terre extérieure 011 nous habitons, pource que, s'eftant formée entre l'eau & l'air, toutes les parcelles qui l'ont com- pofée efi oient fort petites. Mais, par fucceiïion de temps, elle a receu en foy plufieurs métaux, qui font venus de la j Terre intérieure; & 401 bien qu'il n'y ait point aulïi de tels conduits, en ceux de ces métaux qui font compofez de parties très {oWàQs^ fluides, il eft neantmoins fort croyable qu'il y en a en celuy ou ceux dont les parties font diuifées en branches, & ne font pas folides à proportion de ce qu'elles font groffes. Ce qui fe peut dire du fer ou de l'acier, & non point d'aucun autre métal.

i36. Pourquojr ily a de tels pores dans le fer.

Car nous n'en auons aucun qui obeïlfe plus mal-aiféincnt au marteau, fans l'aide du /t'?/, qu'on face fondre auec tant de peine..., ny qui fe puiffe rendre fi dur, fans le mcflange d'aucun autre corps : ce qui tefmoigne que les parcelles qui le compofent ont plus d'inéga- lite\ ou de branches..., par le nioyen defquelles elles fe peuuent joindre & lier enfemble, que n'ont les parcelles des autres métaux.

a. Art. 57, p. 232.

Œuvres. IV.

2/4 OEUVRES DE Descartes.

Il eft vray qu'on n'a pas tant de peine à le fondre la première fois, après qu'il eji tiré de la mine; mais cela vient de ce que i'cs parties, ellant alors tout à fait feparées les vnes des autres..., peuuent plus aifément eftre agitées par l'action <iu feu. Et bien que le fer foit plus dur & plus mal-aifé à fondre que les autres métaux, il ne laiffe pas d'ellre l'vn des moins pefans, & de ceux qui peuuent le plus aifé- ment eftre dijfous par les eaux fortes, & mefme la rouille/ew/e peut le corrompre : ce qui fert à prouuer que les parcelles dont il elt com- 402 pofé, 1 ne font pas plus folides que celles des autres métaux, à raifon de ce qu'elles font plus groffes, & que, par confequent, il y a en elles plufieurs pores.

i3y. Comment peuuent ejïre ces pores en chacune de Jes parties.

le ne veux pas toutefois alTurerque ces conduits tournez à vis, qui donnent padage aux parties canelées, foient tous entiers en chacune des parcelles du fer, comme aufli je n'ay aucune raifon pour le nier; mais il fuffira icy que nous penfions que les figures des moi- tiez de ces conduits font tellement formées fur les fuperficies de ces parcelles du fer, que, lors que deux de ces fuperficies font bien ajuftées l'vne à l'autre, ces conduits s'y trouuent entiers. Et pource que, lors qu'vn corps dur, dans lequel il j' a plufieurs trous ronds, ejl rompu, c'ejl ordinairement fuiuant des lignes qui pajfent jujle- ment par le milieu de ces trous qu'il fe diuife, les parties de la Terre intérieure..., dans lefquelles il y auoit de tels trous, eftant celles dont le fer eft compofé, il eft bien aifé à croire qu'elles n'ont pu eftre tant diuifées par la force des efprits ou fucs corrofifs qui les ont amenées dans les mines, qu'il n'y foit au moms. demeuré de telles moitiez de ces trous grauées fur leur fuperficie...

i38. Comment ils y font difpofe^ d receuoir les parties canelées des deux coJie\.

Et il eft à remarquer que, pendant que les parcelles du fer font ainfi montées dans les mines, elles n'ont pu retenir touf-jours vue 402 mefme fituation, pource qu'ayant des figures irregulieres, & | les che- mins par elles palfoient eftant inégaux, elles ont roullé en mon- tant, & fefont tournées tantofl fur vn coflé, tantoji fur m autre, îk que, lors que leur fituation a cfté telle, que les parties canelées (qui, fortant aucc grande viicllc de la Terre intérieure, cherchent en toute l'extérieure les palfages qui font les plus propres pour les receuoir)

Principes. Quatriesme Partie. 275

ont rencontré ceux qui eftoient en ces parcelles du fer... tourne^ à contre fens, foi t qu'ils fujfent entiers ou ;/o«, elles ont fait rebrouf- fer les pointes de ces petites branches, que j'ay dit- ejîre couchées dans leurs rtpViSyiS- ont fait peu àpeu qu elles fe font entièrement ren- uerjées : en forte qu'elles ont pu entrer par le cofté de ces pores par elles fortoient auparauant...; & que, lors que par après lafitua- tion de ces parcelles du fer a ejîé changée, l'action des parties cane- lées a fait derechef que les petites branches qui auancent dans leurs pores... fe font couchées de l'autre cofté... ; & enfin que, lors qu'il eft arriué que ces petites branches ont efté ainfi repliées plufieurs fois, maintenant fur vn confié & après fur le cojlé contraire, elles ont acquis vne grande facilité à pouuoir par après derechef eftre repliées d'vn cofté fur l'autre.

i3g. Quelle différence il y a entre l'aymant & le fer ^.

Or la différence qui efl entre l'aymant & le fer, confifie en ce que les parcelles dont le fer eft compofé, ont ainfi changé plufieurs fois de J fituation, depuis qu'elles font for lies de la Terre intérieure : ce qui ''•04 cfl caufe que les petites pointes qui auancent dans les replis de leurs pores, peuuent aifément efîre renuerfées de tous cofle^. Et au coU' traire, celles de l'aymant ont retenu touf-jours, ou du moins fort long- temps, vne mefme fituation : ce qui efl caufe que les pointes des branches qui font en leurs pores, ne peuuent que difficilement eflre renuerfées. Ainfi l'aymant & le fer participent beaucoup de la nature l'vn de l'autre ; & ce ne font que ces parcelles de la Terre intérieure, dans lefquelles il y a des pores propres à receuoir les parties canelées qui leur donnent leur forme, hion qu'ordinairement il y ait beaucoup d'autre matière méfiée auec elles, non feulement en la mine de fer, d'oit cette autre matière efl feparée par la fonte, mais encore plus en l*aymant : car fouuent la caufe qui a fait que f es parcelles ont plus long temps demeuré en vne mefme fituation que les parcelles qui compofent le fer, efl qu'elles font engagées entre les parties de quelque pierre fort dure ; & cela fait auffi quelquefois qu'il efl prefque im- poffible de les fondre pour en faire du fer, à caufe qu'elles font pluftoft calcinées d'- confumées par le feu, que dégagées des lieux elles font.

a. Partie III, art. io6, p. i63.

b. Le titre de cet article n'est pas le même que dans le texte latin, et le contenu aussi est tout changé.

2/6 CEUVRES DE DeSGARTES.

140. Comment on fait du fer ou de t acier, en fondant la mine.

405 Pour ce qui eft de la mine de fer, lors qu'on 1 la fait fondre, afin de la conuertir en fer ou en acier, il faut penfer que les parcelles du métal, eftant agitées par la chaleur, fe àégdigQiiX premièrement des autres matières auec qui elles font méfiées, & ne ceiTent après defe remuer feparement les vnes des autres, jufques à ce que celles de leurs fuperficies les moitiez des conduits cf-deffus décrits^ tonx. imprimées, foient tellement ajuflées les vnes aux autres..., que ces conduits s'y trouuent entiers. Mais lors que cela eft, les parties canelées, qui ne font pas en moins grand nombre dans le feu que dans tous les autres corps terrejîres, prenant... incontinent leur cours par dedans ces conduits, empefchcnt que les petites fuper- ficies, parla conjonction... defquelles ils font faits, ne changent fi aifément de fituation qu'elles failbient auparauant; outre que leur muti^q attouchement, & la force de la pefanteur qui preffe toutes les parties du métal l'vne contre l'autre, aide à les retenir ainfi jointes. Et pource que cependant ces parties du métal ne laiffent pas de continuer à eftre agitées par le feu, cela fait que plufieurs s'accordent enfemble à fuiure vn mefme mouuement, & ainfi, que toute la liqueur du métal fondu fe diuife en plulieurs petits tas ou petites gouttes, dont les fuperficies deuiennenl polies. Car toutes les

406 parcelles du métal qui font en quelque façon \ jointes enfemble, cômpofent vne de ces gouttes..., laquelle eftant preffée de tous coftez par les autres gouttes qui l'enuironnent, & qui fe meuuent en autre fens qu'elle, aucune des pointes ou branches de ces par- celles ne fçauroit auancer tant foit peu plus que les autres hoïsàc fa fuperficie, qu'elle ne foit incontinent repouftee vers fon centre par les autres gouttes, ce qui polit cette fuperficie; & cela fait aujji que les parcelles qui cômpofent chaque goutte, fc reHcrrcnt, & fe joignent d'autant mieux enfemble.

141 . Pourquoy l'acier ejl fort dur, & roidc, & caffant.

Lors que le métal eft ainfi fondu, & diuife en petites gouttes..., qui fe difont fans cejfe & fe refont pendant qu'il demeure liquide, fi on le fait prompicment refroidir, il dcuicnt de l'acier, qui eft fort dur & roide & caffant, à peu près comme le verre. Il eft dur, à

a. An, 137, p. 274.

Principes. Quatriesme Partie. 277

caufc que fes parties font fort eftroitement jointes. Il eft roide &faît rcjfort, à caufe que ce n'eft pas l'arrengement de fes parties y mais feulement la figure de fes pores qu'on peut changer en le pliant, ainfi qu'il a tantoll efté dit" du verre. Et il ell calfant, à caufe que les petites gouttes... dont il eft compofé, ne font jointes que par l'attouchement de leurs fuperficies,'lefquellcs ne fe touchent immé- diatement qu'en fort peu de petites parties.

142. Quelle différence il y a entre le fimple fer et l'acier.

Mais toutes les mines dont on tire du fer ne font pas propres à faire de bon acier, & la mine | dpnt on en peut faire de tres-bon... 407 ne' donne que de fimple fer, lors qu'on la fait fondre à vn feu qui n'eft pas tempéré comme il faut. Car, fi les parcelles de la mine font trop rudes & inégales, en forte qu'elles s'accrochent les vnes aux autres, auant qu'elles ayent eu le loifir d'ajufter leurs petites fuper- ficies & fe diftinguer en plufieurs petites gouttes, en la façon que fay expliquée*' ; ou bien, fi le feu-n'ellpas alfe? fort pour faire que la mine fondue fe difiingue ainfi en plufieurs gouttes, & que les parcelles de chacune de ces gouttas fe relferrent enfemble ; ou enfin, s'il eft fi violent qu'il trouble leur jufte fituation, elles ne compofent pas de l'acier, mais feulement du fer commun.

143. Quelle efi la raifon des diuerfes trempes qu'on donne à l'acier.

Et lors qu'on a de l'acier def-ja fait, fi on le remet dans le feu, il ne peut pas aifément eftre refondu, & rendu femblabie au fer commun, à caufe que les ^tùxts gouttes dont il a efté compofé, font trop grolTes & trop folides, pour eftre remuées toutes entières par l'adion du feu, & que les parcelles de chacune de ces gouttes font aufii trop bien jointes & trop ferrées, pour eftre tout à fait feparées par cette mefme action. Mais il peut eftre ramolly , à caufe que toutes fes parties font ébranlées par la chaleur. Et fi on le laiffe par après refroidir ajje^ lentement, il ne deuient point fi dur& roi|de & caffant, comme il a efté, mais demeure mol 408 & pliant comme du fer... Dont la raifon eft que, pendant qu'il fe refroidit..., les petites branches des parcelles qui compofent chacune de fes gouttes, & que j'ay dit 'eftre repouffées en dedans par

a. Art. i32, p. 270-271.

b. Art. 140, p. 276.

c. Ibidem.

278 OEUVRES DE Descartes.

l'adion des autres gouttes qui Venuironnent, ont loifir, à mefure que la force de cette adion diminue, de s'auancer quelque peu hors de fa fuperficie , fuiiiant en cela leur plus naturelle Jituation, & par ce moyen de s'accrocher & s'entrelacer auec celles qui s'auancent en me/me façon hors des fuperjîcies des autres gouttes. Ce qui fait que les parcelles de chaque goutte ne font plus li eftroitement jointes & refferrées enfemble, & aulTi que ces gouttes ne fe touchent plus imniediatement, mais font feulement liées par les petites pointes ou branches qui fortent de leurs Juperf des... ^ au moyen de quoy l'acier n'eft plus 7? dur, ny roidc, ny calVant, comme il a ejlé... Mais il demeure touf-jours cette différence entre luy & le fimple fer, qu'on luy peut rendre fa première dureté..., en le faifant rougir dans le feu & après refroidir tout t coup, au lieu que le fer commun ne peut eftre rendu fi dur en mefme façon. Dont la raifon eft que les parcelles de l'acier ne font point fi éloignées de la fituation en laquelle il faut qu'elles foient pour le rendre fort dur, qu'elles n'y 409 puifjfent eftre remifes par l'action du feu, & la retenir, lors que le froid fuccede fort'promptement à la chaleur : au lieu que les parties du fer, n'ayant jamais eu vne telle fituation, ne la peuuent ainfi acquérir. Or, afin de faire que le fer... ou l'acier fe refroidiife fort promptement, on a couftume de le tremper en de l'eau ou dans quelques autres liqueurs froides ; comme, au contraire, afin qu'il fe refroidiffe lentement & deuienne plus mol, on le trempe en de l'huile ou en quelqu'autre liqueur graffe. Et pource qu'à mefure qu'il fe rend plus dur..., il dénient aufli pluscalfant, les artifans qui en font des efpées, des fcies, des limes, & autres diuers indrumens, n'employent pas touf-jours les plus froides liqueurs à le tremper^ mais celles qui font tempérées & proportionnées à l'effet qu ilr- défirent. Ainfi la trempe des limes ou des burins efl différente de celle des fcies ou des efpées &c., félon que la dureté eft plus requifc aux vn« de ces inftrumens qu'aux autres, & qu'il eft plus ou moins à craindre qu'ils ne fe calfent. C'eft pourquoy on peut dire auec raifon qu'on tempère l'acier, lors qu'on le trempe bien à propos.

/ 44. Quelle différence il y a entre les pores de Vaymant, de l* acier & du fer.

Pour ce qui eft des petits conduits propres à rcceuoir les parties canelées, on connoift, de ce qui a eftc dit', qu'il y en doit auoir en

a. Art. 134-140, p. 272-376.

Principes. Quatriesme Partie. 279

trcs-grand nombre, tant dans l'acier que dans le (qt,& mef\me beau- 4i0 coup plus que dans Vaymaiit, dans lequel il j- a touf-fours plujieurs parties qui ne font point métalliques. On connoirt aulîi que ces con- duits doiuent eftre beaucoup plus entiers & plus parfaits dans l'acier que dans le fer, & que les petites pointes que fay dit' efîre couchées dans leurs replis ne s'y renuerfent pas fi ailément d'vn cofté fur l'autre, qu'ils font dans le fer : premièrement, à caufe que la mine dont on fait l'acier efi la plus pure, (? celle dont les parcelles ont jnoins changé depuis qu'elles font f orties de la Terre intérieure ; puis aujji, à caufe qu'elles j' font mieux agencées & plus ferrées que dans le fer. Enfin on cbnnoift que ces conduits ne font point tous tournez, ny dans l'acier uy dans le fer, ainfi qu'ils font dans l'ay- mant : à fçauoir, en forte que toutes les entrées des conduits, par les parties canelces qui viennent du pôle Auflral peuuent paffer, regardent vn mefme colté, & que toutes celles qui peuuent receuoir les parties canelées qui viennent du pôle Septentrional, regardent le cofié contraire; mais, que ces conduits y font tournez en di- uerfes façons & fans aucun .ordre certain, à caufe que l'adion du feu a diuerfement changé leur fituation. Il efi vray que, pendant le moment que cette action celfe, <S'- que le fer ou l'acier embrafé fe refroidit, les | parties canelées qui coulent touf-jours, par le dej/'us 411 de la Terre, d'vn de fcs pôles vers l'autre, peuuent difpofer quelques vns de leurs conduits... en la façon qu'ils doiuent eftre afin qu'elles y aycnt libre palfage ; à'- elles peuuent auJJi difpofer ainfi peu à peu quelques vns des pores de l'acier ou du fer qui n'eji point embrafé y lors qu'il demeure long-temps en me mefme fttuation. Mais pource qu'il y a beaucoup plus de tels conduits, dans le fer & l'acier, que les parties canelées qui paffent par l'air n'en peuuent remplir, elles n'en peuuent ainfi difpofer que fort peu : ce qui eft caufe qu"\\ n'y a aucun fer nv acier qui n'ait quelque chofe de la vertu de l'aymant..., bien qu'il n'f en ait pref que point qui en ait tant, qu'il n'en puiffe auoir encore dauantage.

145. Le dénombrement de toutes les propriété^ de l'aymant.

Et toutes ces chofes fuiuent fi clairement des principes... qui ont efté cy-deflus expofez'', que je ne lailferois pas de juger qu'elles font telles que je viens de dire, encore que je n'aurois aucun égard aux

a. Partie III, art. io6, p. i63.

b. Partie II, art. 37, Bq, 40, p. 84, 85 et 86.

28o OEuVRES DE DeSCARTES.

proprietez... qui en peiiuent ejîre déduites ; mais j'efpere maintenant faire voir que toutes celles de ces proprietez que les plus curieufes expériences des admirateurs de l'aymant ont pu découurir jujques à prefent, peuuent H facilement eftre expliquées par leur moyen, que cela feu! fuffiroit pour perfuader qu'elles font vrayes, encore qu'elles 412 n'auroient point | efté déduites des premiers principes de la nature. Et afin qu'on remarque mieux quelles font toutes ces proprietez..., je les réduiray icy à certains articles qui font :

1. Qu'il y a deux pôles en chaque aymant, l'vn defquels, en quelque lieu de la Terre que ce foit, tend touf-Jours à eftre tourné vers le Septentrion, & l'autre vers le Zud\ >

2. Que ces pôles de l'aymant tendent aujfi à fe pencher vers... la Terre ; & ce diuerfement, à raifon des diuers lieux il elt tranfporté''.

3. Que, lors que deux aymans de figure ronde (ont proches, cha- cun d'eux fe tourne &fe penche vers l'autre, en mefme façon qu'vn feul fe tourne & penche' vers la Terre".

4. Que, lors qu'ils font ainfi tournez l'vn vers l'autre, ils s'ap- prochent y«/^W(?s à ce qu'ils fe touchent'.

5. Que, s'ils font retenus /?ar contrainte en vne fituation contraire à celle-là, ils fe fuyent & fe reculent l'vn de l'autre'.

6. Que, fi vn aymant eft diuifé en deux pièces fuiuant... la ligne qui joint fes deux pôles, les parties de chacune de ces pièces tendent à s'éloigner de celles de l'auti'e pièce, dont elles eftoient les plus proches auant la diuifion'-'.

7. Que, s'il eft diuifé en vn autre fens, en forte que le plan de la 4<3 diuifion coupe à angles droits | la ligne qui joint fes pôles, les deux

points de cette ligne ainfi coupée, qui fe touchoient auparauant, & font l'vn en l'vne des pièces de l'aymant & l'autre en l'autre, y font deux pôles de vertu contraire, en forte que l'jni tend à fe tourner vers le Nord, & l'autre vers le Zud".

8. Que, bien qu'il n'y ait que deux pôles en chaque aymant, l'vn Boréal & l'autre Auftral, il ne laiftc pas d'y en auoir aulfi deux... en

a. Art. i5o ci-après.

b. An. i5i.

c. Lire : fe penche ?

d. Art. i52. c Art. i53.

f. Art. 154.

g. Art. i55. h. Art. i56.

Principes. Quatriesme Partie. 281

chacune de fes parties, lors qu'elle ejt feule; & ainfi, que la vertu de chaque partie... eft femblable à celle qui eft dans le tout*.

9. Que le fer peut leceuoir cette vertu de l'aymant, lors qu'il en eft touché ou feulement approché \

10. Que, félon le cofté qu'on le tourne en l'en approchant, il reçoit diuerfement cette vertu ^

11. Que, neantmoins, en quelque façon qu'on en approche vn morceau de' fer, qui eft beaucoup plus long que large, il la reçoit touf-jours fuiuant fa longueur''.

12. Que l'aymant ne perd rien de cette vertu, encore qu'il la communique au fer'.

i3. Qu'il la luy communique en fort peu de temps ; mais que, fi le fer demeure fort long-temps eu mefme fituation contre l'aj'maiitf elle s'y fortifie £■ sy affermit dauantage'.

14. Que le plus dur acier reçoit vne vertu plus | forte, & retient 414 celle qu'il a receuë beaucoup mieux que le fer commun*.

i5. Qu'il en reçoit dauantage d'vne bonne pierre que d'vne moindre\

16. Que toute la Terre eft vn aymant, & qu'elle communique auffi au fer quelque peu de fa vertu '.

17. Que, bien que la Terre foit grande, cette vertu ne paroift pas en elle fi forte qu'en la plufpart des pierres d'aymant, qui font incomparablement plus petites'.

18. Que les aiguilles touchées de l'aymant tournent leurs bouts, l'ptt vers le Nord, l'autre vers le Zud, ainfi que l'aymant tourne fes pôles ^

19. Mais que uj' les pôles de ces aiguilles, ny ceux des piérides d'aymant^ ne fe tournent pas fi juftement vers les pôles de la Terre, qu'ils ne s'en écartent fouuent quelque peu; & ce, plus ou moins, félon les diuers lieux elles font '.

a. Art. 157 ci-après.

b. Art*. i58.

c. Art. 159. d". Art. 160.

e. Art. 161.

f. Art. 162.

g. Art. i63. h. Art. 164. i. Art. i65. j. Art. 166. k. Art. 167. 1. Art. 168.

282 OEUVRES DE Descartes.

20. Et que cela peut aufll changer auec le temps % en forte qu'il Y a maintenant des lieux oîi cette déclinai/on de l'aymanl ejl moindre quelle n'a ejlé aujîeclepajj'é, & d'autres oii elle eji plus gi^ande^.

21. Que cette déclinaifon eft nulle, ainfi que quelques-vns difcnt, ou peut-eftre qu'elle n'ert pas la mefme ny fi grande, quand vn

415 aymant eil perpendiculairement cleué fur l'vn de fes pôles, | que lors que les deux pôles font également diftans de la Terre'.

22. Que l'aymant attire le fer".

23. Qu'eftant armé il en peut fouilenir vne plus grande quantité, que lors qu'il ne Tell point".

24. Que, bien que fes pôles foient de vertu contraire en autre chofe-, ils s'aydent neantmoins à fouftenir vn mefme morceau de fer'.

25. Que, pendant qu'vne piroiiete de fer tourne, foit à droit, foit à gauche, fi on la tient fufpendud à vn aymant, elle n'efi: point empefchée par luy de continuer à fe mouuoir''.

26. Que la vertu d'vn aymant eft quelquefois augmentée, & quel- quefois diminuée, par le voijinage d'vn morceau de fer, ou d'vn autre aymant, félon les diuers collez qu'ils font tournez vers luy''.

27. Qu'vn morceau de fer & vn aymant, tant foible qu'il foit, eftans joints enfemble, ne peuuent eftre feparez par vn autre aymant, bien que très-fort, pendant qu'il ne les touche point'.

28. Et qu'au contraire le feu* joint à vn aymant qui eft très-fort, en peut fouuent eftre ieparé par vn aymant plus foible..., lors qu'il le touche*.

29. Que le cojlé de l'aymant qui tend vers le Nord, peut fouftenir 416 plus de fer en ces régions | Septentrionales, que ne fait fon autre

cofté...".

30. Que la limure de fer s'arrenge en certain ordre autour des pierres d'aymant'.

a. Voir Correspondance, t. III, p. 46.

b. Art. 169 ci-après.

c. Art. 170.

d. Art. 171. c. An. 172.

f. Art. 173.

g. Art. 174. h. Art. 175. i. Art. 176. j. Art. 177. k. Art. 178. 1. Art. 179.

Principes. Quatriesme Partie. 28J

3i. Qu'appliquant vne lame de fer contre l'vn des pôles de l'ay- mant, on deftourne la vertu qu'il a pour attirer... d'autre fer vers ce mejme pôle *.

32. Et que cette vertu ne peut eftre dejloiirnçe iiy empefchée par aucun autre corps qui foît mis en la place de cette lame de fer ^

33. Que fi vn aymant demeure long-temps autrement tourné, au regard de la Terre.ou des autres aymans dont il eft proche, qu'il ne tend naturellement à fe tourner..., cela luy fait peu à peu perdre fa force".

34. Et enfin, que cette force luy peut eftre oftée par le feu, & diminuée par la rouille & par l'humidité..., mais non point par aucune autre choe qui nous foit connue ''.

146. Comment les parties canelées prennent leur cours au trauers & autour de la Terre.

Maintenant, pour entendre les railbns de ces proprietez de l'ay- mant, confiderons cette figure' en laquelle ABCD reprefente la Terre, dont A elt le pôle Auftral ou du Zud, & B eft le Boréal ou celuf du Nord, Et toutes ces petites viroles qu'on a peintes autour, neprejentent les parties canelées, touchant lefquclles il faut remar- quer que les vnes font tournées tout au rebours des autres..., ce qui eft caufe qu'elles ne | peuuent pafTer par les mefmes pores ; & que 417 toutes celles qui viennent de la partie du Ciel marquée E, qui eft le Zud,/o/// tournées en vn meftne fens, & ont en la moitié de la Terre CAD les entrées des pores, par oii elles paflent a?is cejfe en ligne droite jufques à la fuperficie de fon autre moitié CBD, puis de retournent circulairement de part & d'autre, par dedans l'air, l'eau & les autres corps de la Terre fupei^ieure, vei's CA D; & qu'en mefme façon toutes celles qui font tournées en Vautre fens, viennent du Nord F, & entrant par l'hemifphere CBD, prennent leur cours en lignes droites au dedans de la Terre jufques à l'autre hemifphere CAD, par efiant for lies elles retournent par l'air vers CBD. Car il a efié dit' que les pores par elles pafTent aw trauers de la Terre, font tels, qu'elles n'y peuuent entrer par le mefme cofté par elles peuuent fortir.

a. Art. 180 ci-après.

b. Art. 181.

c. Art. 182.

d. Art. i83.

c. Planche XIX, figure i. f . Art. i33, p. 271.

284 OEuvREs DE Descartes.

14-] . Qu'elles pajfent plus difficilement par l'air & par le rejîe de la Terre extérieure, que par l'intérieure.

Il faut aujji remarquer qu'ïX afflue touf-jour? cependant de nou- uelies parties canelées vers la Ter?^e, des endroits du Ciel qui font au Zud & au Nord, bien qu'elles n'a/ent pu commodément eflre icy repr ef entées ; mais qu'il y en a autant d'autres, qui retournent dans le Ciel vers G & H, ou bien qui... perdent leur figure en y allant. 418 II eft vray qu'elles ne la peuuent jamais perdre, pendant qu'el|les trauerfent le dedans de la Terre, à caule qu'elles y trouuent des conduits fi ajullez à leur mefure, qu'elles y pairent... fans aucun empefchement. Mais, pendant qu'elles retournent par l'air ou l'eau ou les autres corps de la Terre extérieure dans lefquels elles ne trouuent point de tels pores, elles y palfent auec beaucoup plus de difficulté ; & pource qu'elles y font continuellement heurtées par les parties du fécond & du troifiéme élément, /'/ efl aifé à croire que fouuent elles y changent défigure.

148. Qu'elles n'ont pas la me/me difficulté à paffier par l'aymant '.

Or, pendant que ces parties canelées ont ainji de la difficulté à couler par dedans la Terre extérieure, fi elles y rencontrent vne pierre d'aymant dans laquelle il y a des conduits ajuftez à leur me- fure, tout de mefme qu'en la Terre intérieure..., elles doiuent fans doute paifer plus aifément par dedans cette pierre, qu'elles ne font par l'air, ou par les autres corps... d'alentour : au moins, fi elle eft en telle fituation, que les entrées de fes pores foient tournées vers les coftez d'où viennent les parties canelées qu'ils peuuent aifément receuoir.

i4g. Quels font fes pôles.

Et comme le pôle Auftral de la Terre eft juftement au milieu de celle de fes moitié^ par entrent les parties canelées qui viennent du Ciel du cofté du Zud, ainfi je nomme le pôle Auftral de l'aymant ^9 ccluy de fes points qui eft au | milieu de celle de fes moitiez par entrent les mefmes parties, & je prens le point oppofc pour fon pôle Septentrional... : nonobftant que je i'çache bien que cela eft contre l'vfagc de plufieurs, qui, voyant que le pôle de l'aymant, que je

a. Planche XIX, hgurc 1.

Principes. Quatriesme Partie. 285

nomme Auftral,yê tourne naturellement vers le Septentrion, comme j'expliqueray tout maintenant*^ l'ont nommé fon pôle Septentrional, & pour me/me raifon, ont nommé l'autre fon pôle Aujiral. Car il me femble qu'il n'y a que le peuple, auquel on doiue laiffer le droit d'authorifer par vn long vfage les noms qu'il a mal impofez aux chofes ; & pource que le peuple n'a point couftume de parler de ctWQ-cy , mais feulement ceux qui philofophent, & défirent fçauoir la vérité, Je m'affure qu'ils ne trouueront pas mauuais que je préfère la raifon à l'if âge.

i5o. Pourquoy ils Je tournent vers les pôles de la Terre ".

Lors que les pôles de l'aymant ne font pas tournez vers les coder de la Terre d'où viennent les parties canelées qu'ils peuuent rece- uoir, elles fe prefentent de biais pour y entrer, & par la force qu'elles ont à continuer leur mouuement en lignes droites, elles pouffent celles de fes parties qu'elles rencontrent, jufques à ce qu'elles leur ayent donné la fituation qui leur efl la plus commode : au moyen de quoy, fi cet aymant n'eft point retenu par d'autres corps plus forts, elles le contraignent de fe mouuoir \ jujques à ce 420 que celuy de fes pôles que je nomme Auftral,foit entièrement tourné vers le Boréal de la Terre, & celuy que je nomme Boréal, vers l'Auftral. Dont la raifon efl que les parties canelées qui viennent du cofté du Nord vers l'aymant, font les mefmes qui font entrées dans la Terre intérieure par le cofté du Zud, & en font forties par le Nord; comme aufli celles qui viennent du Zud vers l'aymant, font les mefmes qui font entrées par le Nord en la Terre intérieure...

i5i . Pourquoi' ils fe penchent auffi diuerfement vers fon centre, à raifon des diuers lieux ils font ''.

La force qu'ont les parties canelées pour continuer leur mouuement en ligne droite, fait auffi que les pôles de l'aymantfe penchent l'vn plus que l'autre vers la Terre, & ce diuerfement, félon les diuers lieux il eft. Par exemple, en l'aymant L, qui efl icy direâement pofé fur l'Equateur de la Terre, les parties canelées font bien que fon

a. Article suivant, sur la fin.

b. Propriété i, p. 280 ci-avant.

c. Sic, par exception, au lieu de Pourquoy. Voir aussi ci-après, p. 292. artiUe i63 et p. 295, articles 167 et 168.

d. Propriété 2, p. 280.

286 Œuvres de Descartes.

pôle Au(lral a eft tourné vers B, le Boréal de la Terre, & fon autre pôle b... vers l'Auftral A..., pource que celles qui entrent par J on cojlé C a G, font aujjî entrées en la Terre par CAD, & /orties par CBD'; mais elles ne font point pencher l'vn de ces pôles plus que l'autre, à caufe que celles qui viennent du Nord n'ont pas plus de force à en faire baijfer pn, que celles qui viennent du Zud à faire baijfer l'autre. Et au contraire, en l'aymant ,N, qui efl fur le pôle 4*1 Boréal de la Terre, les parties canelées font que j fon pôle Auflral a s'abaiffe entièrement vers la Terre, & que l'autre b demeure éleué tout droit au deffus. Et en l'aymant M, qui eft entre l'Equateur & le Nord... y elles font pencher fon pôle Auflral plus ou moins bas, félon que le lieu eft cet aymant eft plus proche du Septentrion ou du Midy.Et en l'autre hemifphere, elles font pencher le pôle Boréal des aj'mans I & K, en mefme façon que l'Auftral des aymans N & M en cetuf-cf. Dont les raifons font éuidentes : car les parties cane- ^ lées... qui fortent... de la Terre par... B, & entrent en l'aymant N par a, y doiuent continuer leur cours en ligne droite, à caufe de la facilité du p a [f âge qu elles y trouuent, & que les autres pairies cane- lées, qui viennent d'A par H & G vers N, n'entrent pas en luy beau- coup plus difficilement pour cela par fon pôle b. Tout de mefme les parties canelées qui entrent par a, le coflé Auflral de /'aymant M, fortent de la fuperficie de la Terre intérieure qui eft entre B & M : c'cft pourquoy elles doiuent faire pencher fon pôle a, enuiron vers le milieu de cette fuperficie ; & cela ne peut eftre empefché par les autres parties canelées qui entrent par l'autre coflé de cet aymant, à caufe que, venant de l'autre hemifphere de la Terre, & ainfi deuant necejfairement faire tout vn dcmy tour pour y entrer, elles ne fe 42Î deftournent pas daluantage, en pajfant par cet aymant lors qu'il eft ainfi fitué, quefi elles ne pajfoient que par l'air.

i5a. Pourquoy deux pierres d'aymant fe tournent Vvne vers l'autre^ ainji que chacune Je tourne vers la Terre, laquelle ejl aufji vn aymant \

Ainfi on voit que les parties canelées prennent leur cours par les pores de chafque pierre d'aymant, en mefme façon que par ceux de la Terre : d'où il fuit que, lors que deux aymans de figure ronde /ow/ prochtfs, chacun d'eux fc doit tourner 6^ pencher vers l'autre, en mefme façon qu'il fe penclieroit vers la Terre, s'il efloit fcul. Car il

a. Kn marge : « Voyez la ligure precedcnie. » Planche XIX, tigurc i.

b. Propriété 3, p. a8o.

Principes. Quatriesme Partie. 287

faut remarquer qu'il y a touf-jours beaucoup plus de ces parties ca- nelées autour des pierres d'aymant, qu'il n'y en a aux autres endroits de l'air..., à caufe qu'ajpre? qu'elles font /orties par l'vn des coJîe\ de l'afmanty /a refiftence qu'elles trouuent en l'air qui les enuironne, fait que la plufpart retournent par cet air vers Vautre cojlc de cet aymant par lequel elles entrent derechef: & ainjî, plujîeurs demeu- rant autour de luy, elles f font une efpece de tourbillon, tout de me/me qu'il a ejlé dit qu'elles font autour de la Terre. De forte que toute cette Terre peut auiTi eftre prife pour vn aymant, lequel ne diffère point des autres, fmon en ce qu'il eft beaucoup plus grand..., & que fur fa fuperficie^ nous viuons, fa vertu ne paroijî pas ejîre bien forte.

i53. Pour^uoy deux aymans s'approchent l'vn de l'autre, & quelle ejî la Jphere de leur vertu*.

Outre que deux aymans qui font proches fe tournent jufques à ce que le pôle Auftral de l'vn | regarde le pôle Boréal de l'autre, ils 423 s'approchent en fe tournant ou bien après eftre ainfi tournez, juf- ques à ce qu'ils viennent à fe toucher, lors que rien n'empefche leur mouuement. Car il faut remarquer que les parties canelées paflent beaucoup plus vite par les conduits de l'aymant que par l'air, dans lequel leur cours efl arrefié par le fécond & troiftéme élément qu'elles rencontrent, au lieu qu'^n ces conduits elles ne fe méfient qu'auec la * plus fubtile matière du premier élément..., laquelle augmente leur vitejfe. C'e/l pourquoj- elles continuent quelque peu leur mouuement en lignes droites, après efire forlies de l'aymant, auant que la re- fflance de Vair les puijfe defîourner ; & ft, en l'efpace par elles pont ainJî en lignes droites, elles rencontrent les conduits d'vn autre aymant, qui foient dijpofei à les receuoir, elles entrent en cet autre aymant au lieu de fe deflounier, & chaffant Vair qui efî entre ces deux aymans, font qu'ils s'approchent l'vn de l'autre. Par exemple, les parties canelées qui coulent dans les conduits de l'aymant marqué 0^.., les vnes de B vers A, & les autres d'A vers B, ont la force de paffer outre en ligne droite des deux coftez jufqu'à R & S, auant que la refifîance de l'air les contraigne de prendre leur cours de part & d'autre vers V. Et note^ que tout l'efpace RVS, qui contient \ le tourbillon que font les parties canelées autour de cet 424 aymant O, fe nomme la fphere de fon adiuité ou de fa vertu ; & que

a. Propriété 4, p. 280.

b. Planche XIX, figure 2.

288 Œuvres de Desgartes.

cette fphere eft d'autant plus ample qu'il eft plus grand, ou du moins qu'il eft plus long..., pource que les parties canelées, y cou- lant par de plus longs conduits, ont loifir d'y acquérir la force de pajfer plus auant dans fair en ligne droite. Ce qui fait que la vertu des grands aymans s'ejîend touf-jours beaucoup plus loin que celle des petits, bien que d'ailleurs elle fait quelquefois plus foible : à fçauoir, lors qu'il n'jr a pas tant de conduits, propres à receuoir les parties canelées, dans vn grand aymant que dans vn moindre. Or fi la fphere de la vertu de i'aymant O eftoit entièrement feparée de celle de l'ajmant P, qui efl TXS, encore que les parties canelées qui fortent de cet aymant O poufferoient l'air qui eft vers R & vers S, comme elles font, elles ne le chalferoient point pour cela des lieux il eft, à caufe qu'il ji'auroit point d'autre lieu il puft aller, pour éuiter d'ejlre pouffé par elles, & rendre leur cours plus facile. Mais maintenant que les fpheres de ces deux aymans font tellement jointes en S, que le pôle Boréal de Vvn regarde le pôle Auftral dp l'autre, ilfe trouue vn lieu l'air qui eft vers 8 peutfe 425 r titrer, à fçauoir vers R & vers T, derrière ces deux aj'\mans, en faifant qu'ils s'approchent l'vn de l'autre; car il efl éuident que cela facilite le cours des parties canelées, aufquelles il ejl plus aifé de pajfer en ligne droite d'vn armant en l'autre, que défaire deux tour- billons fepare^ autour d'eux; & elles peuuent pajfer ainji en ligne droite de l'vn en l'autre, d'autant plus aifément qu'ils font plus pro- ches. C'ejl pourquof elles chaffent, vers R & vers T, l'air qui fe trouue entre-deux...; & cet air ainfi chaffé fait auancer les deux aymans d'R & T vers S...

i54. Pourquoy aujft quelquefois ils Je fuient*.

Mais cela n'arriue que lors que le pôle Aufîral de Vvn de ces aymans efl tourné vers le Boréal de l'autre ; car, au contraire, ils fe reculent & fe fuyent l'vn l'autre, lors que ceux de leurs pôles qui fe regardent, font de mefme vertu, & que leur Jîtuation ou quelque autre cauje les empcjche tellement de Je tourner, qu'elle ne les empefche pas pour cela de fe mouuoir en ligue droite. Dont la raifon eft que les parties canelées qui fortent de ces deux aymans, ne pouuaiit entrer de l'vn en l'autre, fe doiuent rcferuer entre-deux quelque efpace pour palfer en l'air d'alentour... Par exemple, fi I'aymant O" flotte fur l'eau dans vnc petite gondole, en laquelle il foit tellement planté fur

a. Proprictc 5, p. 2S0.

b. Planche XX, figure i.

Principes. Quatriesme Partie. 289

fon pôle Boréal B, qu'il nefepuijje mouuoir quauec elle, & que, tenant l'aymant P auec la main, en forte que fon pôle | Auftral a foit tour- 426 vers A, le pôle Auftral de l'autre, on rauance/>eM à peu de P vers Y, il doit faire que l'aymant O fe recule d'O vers Z, auant que de luy toucher, à caufe que... les parties canelées, qui fortent de l'en- droit de chacun de ces aymans qui ejl vis à vis de l'autre armant, doiuent auoir quelque efpace entre ces deux aymans, par elles puifTent pafl'er...

i55. Pourquoy, lors qu'vn aymant ejl diuifé, les parties qui ont ejlé

jointes Je fuyent *.

Des chofes qui ont def-ja efté dites, on voit clairement que, fi vn aymant cft diuifé en deux pièces, fuiuant... la ligne qui joint fes deux pôles, & qu'on tienne l'vne de ces pièces pendue... à vn filet au- deffus de l'autre, elle fc doit tourner de foy-mefme, & prendre vne fituation contraire à celle qu'elle a eue... Car, auant la diuifion, fes parties Auftrales eftoient jointes aux parties Auftrales de l'autre pièce, & les Boréales aux Boréales ; mais lors qu'elles font feparées, les parties canelées qui fortent du pôle Auftral de Tvne de ces pièces, prennent leur cours par dedans l'air vers le pôle Boréal de l'autre, au moyen de quoy elles font que a, le pôle Aujlral de celle qui ejl fufpeyiduë, Je tourne ve*'9 B, le pôle Boréal de l'autre, & b vers A,

i56. Comment il arriue que deux parties d'vn aymant qui fe touchent deuiennent deux pôles de vertu contraire, lors qu'on le diuifé ^

On voit aufli pourquoy, fi vn aymant eft diuifé en telle forte que le plan de la diuifion coupe à angles droits' la ligne AB, qui joint fes deux pôles, les deux points de cette lig^ie qui fc toujchoient auant 427 qu'elle fut diuifée, 6- qui font l'vn en l'vne de fes pièces & Vautre en l'autre, comme font icy ^ & a, y font deux pôles de veitu contraire, à caufe que les parties canelées qui peuuent fortir par l'vn, peuuent entrer par l'autre.

V Propriété 6, p. aSo, Voir Correspondance, t. IV, p. 469. Propriété 7, p. 280. . Planche XX, figure 3.

Œuvres. IV. «

290 Œuvres de Descartes.

jSj. Comment la vertu qui eji en chaque petite pièce d'vn aymant ejl femblable à celle qui efi dans le tout *.

De plus, on voit comment la vertu de tout vn aymant n'eft pas d'autre nature que celle de chacune de fes parties, encore qu'elle paroijfe tout autreîiient en fes pôles qu'ailleurs. Car elle n'y eft pas autre pour cela; mais elle y eft feulement plus grande, à caufe que la ligne qui les joint eft la plus longue, & qu'elle tient le milieu entre toutes les lignes, fuiuant lefquelles les parties canelées paffent au trauers de cet aymant : au moins en vn aymant fpherique, à l'exemple duquel on juge que les pôles des autres aymans font les points leur vertu paroift le plus. Et cette vertu n'eft pas auffi autre dans le pôle Auftral que dans le Boréal, fmon en tant que ce qui entre par l'vn, doit fortir par l'autre; mais il n'y a point de pièce d'aymant, tant petite qu'elle foit," en laquelle il j' ait quelque pore par paffent les parties canelées, qu'il n'y ait vn cofté par elles entrent, & vn autre par elles fortent, <? par con/equent qui n'ait fes deux pôles.

.i58. Comment cette vertu ejl communiquée au fer par f aymant^.

Et nous n'auons pas fujet de trouuer eftrange qu'vn morceau de 428 fer ou d'acier, eftant apjproché d'vne pierre d'aymant, en acquere incontinent la vertu. Car, fuiuant ce qui a efïé dit% il a def-ja des pores propres à receuoir les parties canelées, auffî bien que l'aymant, & mefme en plus grand nombre; c'eft pourquoy il ne luy manque rien pour auoir la mefme vertu, fmon que les petites pointes... qui auancent dans les replis de fes pores, y font tournées fans ordre, les vnes d'vne façon & les autres d'vne autre, au lieu que toutes celles des pores qui peuuent receuoir les parties canelées venues du Nord, deuroient eftre couchées fur vn mefme cofté, & toutes les autres fur le cofté contraire. Mais lors qu'vn aymant eft proche de luy, les parties canelées qui fortent de cet aymant, entrent en tel ordre ^ aucc tant d'impetuofité dans fes pores, qu'elles ont la force d'y difpoferces petites pointes en cette façon; & ainfi elles donnent au fer tout ce qui luy manquoit pour auoir la vertu de l'aymant.

a. Propriété 8, p. 280-281.

b. Propriété 9, p. 281.

c. Art. i35-i39, p 773-275.

Principes. Qjjatriesme Partie. 291

i5g. Comment elle ejl communiquée au fer diuer/ement, à rai/on des diuerfes façons que l'aymant ejl tourné vers luy ".

Nous ne deuons point admirer non plus, que le fer reçoiue diuer- fement cette vertu, à raifon des diuers coftez de l'aymant aufquels il eft appliqué. Car, par exemple^, fi R, l'vn des bouts du fer RST, eft mis contre 5, le pôle Boréal de l'aymant P, ce fer receura tellement la vertu de cet afmant, que R fera Ton pôle Auftral, & T, le Boréal, à caufe que les parties canelées,qui vien|nent du Zud dans la Terre *29 & en fortent par le Nord, entrent par R, & que celles qui viennent du Nord, après eftre forties de la Tertre par A & auoir fait le tour de part ou d'autre par l'air, entrent par T dans le fer. Si ce mefme fer eft couché fur l'Equateur de cet aymant [c'efi à dire, fur le cercle également diflant de fes pôles) & que fon point R foit tourné vers B,.., comme on le voit fur la partie de l'Equateur marquée C, il y receura fa vertu en mefme fens quauparauant, & R fera encor fon pôle Aullral, à caufe que les mefmes parties caneléesy entreront. Mais fi on tourne ce point R vers A.. ., comme on le voit fur l'endroit de l'Equateur niarqué D, il perdra la vertu du pôle Auftral, & deuiendra le pôle Septentrional de ce fer, à caufe que les parties ca- nelées qui entroient auparauant par R entreront par T, & celles qui entroient par T entreront par R. Enfin, fi S, le point du milieu de ce fer, touche le pôle Auftral de cet aymant..., les parties canelées qui viennent du Nord entreront dans le fer par S, & fortiront par fes extremitez R & T : au moyen de quoy il aura en fon milieu la vertu du pôle Boréal, & en fes deux bouts celle du pôle Auftral.

160. Pourquoy neantmoins vnfer qui ejl plus long que large ny efpais, la reçoit touf-jours fuiuant fa longueur '.

Et il n'y a point en tout cela de difficulté, fmon qu'on peut. . . demander pourquoy les parties canelées qui, fortant du pôle A de ^aymant^ en|trent par S, le milieu du fer, ne vont pas plus outre 430 en ligne droite vers E, au lieu de fe deftourner de part & d'autre vers R & vers T.... A quoy il eft aiCé de refpondre, que ces parties

a. Propriété lo, p. 281.

b. En marge: «Voyez en la planche qui précède la figure 4. » PI. XX,

fig-4-

c. Propriété 11, p. 281.

d. Planche XX, ligure 4-

292 OEuvRES DE Descartes.

canelées, trouuant des pores dans le fer, qui fout propres à les receuoir, & n'en trouuant point dedans l'air, font deftournées par la rejîjlance de cet air, & coulent le plus long-temps qu'elles peuuent par dedans le fer, lequel pour cette caufe reçoit touf-jours la vertu de l'aymant fuiuant fa longueur..., lors qu'il ejï notablement plus long que large ou efpais .

t6i. Pourquoy l'aymant ne perd rien de fa vertu, en la communiquant au fer '.

Il eft aifé aufli de refpondre à ceux qui demandent pourquoy l'ay- mant ne perd rien de fa force, encore qu'o«/ace^M'il la communique à vne fort grande quantité de fer. Car il n'arriue aucun changement en l'aymant, de ce que les parties canelées qui fortent de fes pores entrent dans le fer pluftot que dans quelqu'autre corps, fmon... en tant que, paffant plus facilement par le fer que par d'autres corps, cela fait ^2/ 'elles paflent aufli plus librement & en plus grande quan- tité/?ar l'aymant, lors qu'il a du fer autour de luy, que lors qu'il n'en a point. Ainfi, au lieu de diminuer fa vertu, il l'augmente en la communiquant au fer.

162. Pourquoy elle fe communique au fer fort promptement, S- comment elle y eJÏ affermie par le temps ^.

Et cette vertu eft acquife fort promptement par le fer, à caufc 431 qu'/7 nefautgueres de temps \ aux parties canelées qui vont très-vite pour paffcr de l'vn de fes bouts jufques à l'autre, & que, dés la pre- viicrefois qu'elles y pajfent, elles luy communiquent la vertu de l'ay- mant duquel elles viennent. Mais fi on retieyit long-temps vn mefme fer en mefme Jiluation contre vne pierre d'aymant, il y acquert vne vertu plus ferme, & qui ne peut pasfi aifément luy eftre oflée, à caufe que les petites branches qui auancent dans les replis de fes pores, demeurant fort long temps couchées fur vn mefme cofté, perdent peu à peu la facilité qu'elles ont eue k fe renuerfcr fur l'autre cofté.

t63. Pourquoi l'acier la reçoit mieux que le ftmple fer '.

Et l'acier reçoit mieux cette vertu que le fimple fer, pource que fes pores propres à receuoir les parties canelées font plus parfaits

a. Propriété 12, p. 281.

b. Propriété i3, ibidem.

c. Proprictc 14, ibid. —Voir Correspondance, t. IV, p. 470.

Principes. Qjjatriesme Partie. 295

& en plus grand nombre ; & après qu'il Va receiië, elle ne luy peut 11 toit eftre citée, à caufe que les petites branches qui auancent en les conduits... nefe peuuent pas ii ail'ément reuuerjer,

164. Pourquoy il la reçoit plus grande d'vnfurt bon aymant, que d'vn moindre '.

Et félon qu'vn aymant ell plus grand & plus parfait, il luy com- munique vne vertu plus forte, à caufe que les parties canelces, entrant auec plus d'impetuofité dans fes pores, renuerfait plus par- faitement toutes les,., petites branches qu'elles yencontrcitl en leurs replis; & aufli à caufe que, renaut qti plus grande quaniiic toutes enfemble, elles fe préparent plus grand nombre de | pores. Car il 432 cft à remarquer qu'il y a touf-jours beaucoup plus de tels pures dans le fer ou l'acier, duquel toutes les parties font métalliques, que dans l'aymant, ces parties métalliques font méfiées... auec celles d'vne pierre ; & ainfi que, ne pouuant fortir en mefme temps que peu de parties caneléesd'vn aymant foible, elles n'entrent pas en tous les pores de Vacier, mais feulement en ceux il y a moins de petites branches qui leur rejijtent, ou bien où... ces branches font plus faciles à plier; d'- que les autres parties canelées qui viennent après, ne pajfent que par ces me/mes pores oit elles trouuent le chemin def-ja ouuert,fi bien que les autres pores ne feruent de rien, finon lorsque ce fer ejt approché d'vn aymant plus parfait, qui, enuoyanl vers luy plus de parties canelées, luy donne tme vertu plus forte.

i65. Comment la Terre feule peut communiquer cette vertu au fer ''.

Et pource que les petites branches qui auancent dans les porcs du plus fimple fer, y peuuent fort aifémeni eitre pliées, de vient que la Terre mefme... luy peut en vn moment communiquer la vertu de l'aymant, encore qu'elle femble n'en auoir qu'vne fort foible. De quoy l'expérience ejlant ajfe\ belle, je mettray icy le moyen de la faire. On prend vn morceau de fimple fer, tel qu'il fuit, pourueu que fa figure foit longue, & qu'il n'ait point encore en foy aucune vertu I d'aymant qui foit notable ; on baille vn peu l'vn de fes boute 133 plus que l'autre vers la Terre ; puis, les tenant tous deux également dijlans de l'horifon, on approche vne boujfole de celuy qui a ejtc bai (Je

a. Propricu- i5, p, 281 .

b. Proprictc 16, ibidem.

294 OEuvRES DE Descartes.

le dentier, & l'aiguille de cette b.oujfole tourne vers luy le me/me cojlé qu^elle a coujlume de tourner vers le Zud; puis, haulfant quelque peu le mefme bout de ce fer, & le remetant incontinent parallèle à l'hoî^i- fon proche de lame/me boujfole, on voit que l'aiguille luf prcfente fon autre cojlé; & fi on le haujfe & baijfe ainft plufieurs fois, on trouue touf-jours, en ces régions Septentrionales, que le cojlé que l'aiguille a coujlume de tourner vers le Zud, Je tourne vers le bout du fer, qui a ejlé baijfé le dernier, & que cehiy qu'elle a coujlume de tourner vers le Nord, fe tourne contre le bout du fer qui a ejlé haujfé le dernier : ce qui monjîre que la feule fituation qu'on luy donne au regard de la Terre, luy communique la'vertu défaire ainji tourner cette aiguille; & on le peut haujfer & baijferfi adroitement, que ceux qui le voyent, ne pouuant remarquer la caufe qui luy change Ji Jubitement fa vertu, ont occafion de l'admirer.

i66. D'où vient que de fort petites pierres d'aymantparoijfentfouuent auoir plus de force que toute la Terre'.

Mais on peut icy demander pourquoy la Terre, qui ell vn fort grand aymant, a moins de vertu que n'en ont ordinairement les 434 pierres d'ay|mant, qui font incomparablement plus petites. A quoy je refpons que mon opinion eft, qu'... elle en a beaucoup dauantage en idi féconde région, en laquelle j'ay dit cy deffus" qu'il y a quantité de pores par les parties canelées prennent leur cours ; mais que la plufpart de ces parties canelées, après eilre forties par l'rn des coJte\ de ccne Jeconde région, retournent vers l'autre par la plus bafle partie de la troijiéme région, d'où viennent les metau'^, en laquelle il y a aufli beaucoup de tels pores... : ce qui ell caufe qu'elles ne viennent qu'en fort petit nombre jufques à cette Juperfcie de la Terre oii nous habiluns.Car je croy que les entrées €- [orties des pores par ail elles pajfent..., fjiit tournées, en cette troijiéme région de la Terre tout autrement qu'en la féconde ; en forte que les parties cane- lées, qui viennent du Zud vers le Nor.i par les pores de cette Jeconde région, retournent du Nord vers le Zud par la troijiéme, en paf- fant... prcfque toutes par fon plus bas ejlagc, 6'- auffi par les mines d'aymant & de fer, à caufe qu'elles y Irouuent des pores commodes : ce qui fait qu'il n'en relie que fort peu qui s'efforcent de pa lier par l'air & par les autres corps proches de nous, il n'y a point de

a. Propriéié 17, p. 281.

b. Art. i33 cl sulv., p. 271.

Principes. Quatriesme Partie. 295

tels pores. De quoy on peut examiner la vérité par l'expérience : car, fi ce que j'en écris cfl: vray, le mefme cofté de l'aymant qui regar- de I le Nord, pendant qu'il eft encore joint à la rnitie, fe doit louf- 435 jours tourner 4/e/oK mefme vers le Nord, après qu'il en eft feparé, & qu'on le laiffe librement floter... fur l'eau, fans qu'il foi t proche d'aucun autre armant que de la Terre. Et Gilbert, qui a découuert le premier que toute la Terre efl vn aymant, & qui en a très curieufe- ment examiné les vertus, affure qu'il a éprouué que cela eft. Il eft vray que quelques autres difent aufli qu'ils ont éprouué le contraire. Mais peut-eftre qu'ils fe font trompez, en faifant floter l'aymant dans le lieu mefme d'où ils l'auoient coupé, pour voir s'il changer oit de fituaiion; & que lors ve?'itablement il l'a changée, à caufe que le refte de la mine, dont on l'auoit feparé, eftoit aufll vn aymant, fuiuant ce qui a efté dit en l'article jSS*. Au lieu que, pour bien faire cette expérience, il faut, après auoir remarqué quels font les cofle\ de l'aymant qui regardent le Nord & le Zud, pendant qu'il efl Joint à la mine, le tirer tout à fait hors de là, & ne le tenir proche d'aucun autre aymant que de la Terre, pour voir vers fes mefmes cojle^fe tourneront.

lôy. Pourquoi les aiguilles aymantées ont touf-jours les pôles de leur vertu en leurs extrémité^ •*.

Or, d'autant que le fer ou l'acier qui eft de figure longue reçoit touf-jours la vertu de l'aymant fuiuant fa longueur, encore qu'il luy l'oit appliqué en autre fens, il eft certain que les aiguil|les aymantées 436 doiuent touf-jours auoir les pôles de leur vertu precifément en leur deux bouts, & les tourner vers les mefmes coftez... qu'vn aymant parfaitement fpherique tourneroit fes pôles, s'il efloit aux mefmes endroits de la Terre oit elles font.

j66\ Pourquoi les pôles de l'aymant ne fe tournent pas touf-jours exaâement vers les pales de la Terre".

Et pource qu'on peut beaucoup plus aifément ohÇeruer vers quel cofîé fe tourne la pointe d'vne aiguille, que vers lequel fe tourne le pôle d'vne pierre ronde, on a découuert, par le moyen de ces aiguilles, que l'aymant ne tourne pas touf-jours fes pôles exademciw

a. Page 289 cî-avant.

b. Propriété 18, p. 281.

c. Propriété 19, ibidem.

296.

OEuvRES DE Descartes.

vers les pôles de la Terre mais qu'il les en détourne ordinairement quelque peu, & quelquefois plus, quelquefois moins, félon les diuers pais Von le porte. De quoy la raifon doit eftre attribuée aux inégalitez qui font en la fuperficie de la Terre, ainfi que Gilbert a fort bien remarqué. Car il eft cuident qu'il y a des endroits, en cette terre..., il y a plus d'aymans ou de fer que dans le reite ; & que, par confequent, les parties canelées qui fortent de la Terre intérieure, vont en plus grande quantité vers ces endroits que vers les autres : ce qui fait qu'elles fe détournent fouuent du chemin qu'elles prendraient. Ji tous les endroits de la Terre ejîoient femblables. Et pource qu'il n'y a rien que ces parties canelées qui facent tourner

437 çà ou les pôles de | l'aymant..., ils doiuent fuiure toutes les varia- tions de leur cours. Ce qui peut eftre confirmé par l'expérience, fi on met vne fort petite aiguille Vf'ac/Vr fur vne <\{f<^x g^ojfe pierre d'aymant qui ne foit pas ronde; car on rerra que les bouts de cette aiguille ne fe tourneront pas touf-jours exactement vers les mefmes points de cette pierre, mais qu'ils s'en détourneront diuerfement fuiuant les inégalite\ de fa figure. Et bien que les inégalitez qui paroiffent en la fuperficie... de la Terre ne foient pas fort grandes, à raifon de toute la grofl'eur de fon corps..., elles ne laiffent pas de l'eftre alTez..., à raifon des diuers endroits de cette fuperficie, pour

y caufer la variation des pôles de l'aymant qu'on y obferue.

j6q. Comment cette variation peut changer auec le temps en vn mefme endroit de la Terre \

Il y en a qui difent que cette variation n'eft pas feulement diffé- rente aux différents endroits de la Terre, mais qu'elle peut auffi changer auec le temps en vn mefme lieu; en forte que celle qu'on obferue maintenant en certaines places, ne s'accorde pas auec celle qu'on y a obferuéeaufieclepafj'é. Ce qui ne me femble nullement eftrangc, en confiderant qu'elle ne dépend que de la quantité du fer & de l'ajmant quife trouue plus ou moins grande vers l'vn des cofie^ de ces lieux que vers l'autre, non feulement à caufe que les hommes tirent con- tinuellement du fer de certains endroits de^ la Terre, & le tranf-

438 Iportent en d'autres ; mais principalement aulFi, à caufe qu'//_r ^ eu autrefois des mines de fer en des lieux oii il n'y en a plus, pource qu'elles s'y font corrompuifs-auec le temps, & qu'il y en a mainte- nant en d'autres oit il n'y en auoil point auparauant, parce qu'elles y ont depuis peu efté produites...

a. Propriété 20, p. 289.

Principes. Qiiatriesme Partie. 29'

j 70. Comment elle peut aujfi cjire changée par la diuerfe fituation

de iaymant *.

Il y en a aufli qui difent que cette variation eft nulle en vn aymant de figure ronde planté... fur l'vn de fes pôles, à fçauoir fur fon pôle Auftral, lors qu'il eft en ces parties Septentrionales, & fur le Boréal, lors qu'il eft en l'autre hemifphere. En forte que cet aymant, ainfi planté dans vne petite gondole qiiijlollefur l'eau, tourne touf-jours vn mcfme cofté... vers la terre, fans s'en efcarleren aticune façon, lors qu'il eji Iran/porté en divers lieux... Mais, encore que je n'aye point fait d'expérience qui m'alTure que cela foit vray, Je juge neantmoins que la declinaifon d'vn aymant aijifi planté n'cll pas la mcfme, & peut-cftre aulTi qu'elle n'eft pas fi grande que lors que la ligne qui joint fes pôles ejt parallèle à l'horifon ; car, en tous les endroits de cette terre extérieure, excepté en l'Equateur & fur les pôles, il y a des parties canelées qui prennent leur cours en deux façons : à fçauoir, les vues le prennent fuiuant des WgnQ.^ parallèles à l'horifon, pource quelles viennent de \ plus loin & paffent outre; & les autres le 439 prennent de bas en haut, ou de haut en bas, pource qu'elles fortent de la terre intérieure, ou qu'elles y entrent en ces endroits là. Et ce font principalement ces dernières qui font tourner l'aymant planté fur fes pôles, au lieu que ce font les premières qui caufcnt la variation qu'ony obferue lors qu'il eji en l'autre fituation.

ly I . PQurquoy l'aymant attire le fer ^.

La propriété de l'aymant qui eji la plus commune, & qui a eflé remarquée la première, e/l qu'il attire le fer, ou pluiloil que le fer & l'aymant s'approchent naturellement l'vn de l'autre, lors qu'il ny a rien qui les retienne. Car, à proprement parler, il n'y a aucune attraction en cela ; mais, li toll que le fer eft dans la fphere de la vertu de l'aymant, cette vertu luy eft communiquée, & les parties canelées qui pajfent de cet aymant en ce fer, challént l'air qui eft entre deux, faifant par ce moyen qu'ils s'approchent, ainfi qu'/7 a e.lé dit de deux aymans en l'art. i53'. Et mefmc le fer a plus de facilité à fe mouuoir vers l'aymaut, que l'aymant à fe mouuoir vers k fer, à caufe que toute la inaii^rc du fer a des pores propres à

a. Propriéic 21, p. 282.

b. Proprictc 22, ibidem.

c. Page 287.

298 Œuvres de Descartes.

receuoir les parties canelées, au lieu que l'aymant eft apefanti pai la matière dejiituée de ces pores dont il a coujlume d'ejlre compojé.

ty2, Pourquoy il foujîient plus de fer lors qu'il ejl armé, que lors qu'il ne l'eji pas '.

Mais il y en a plufieurs qui admirent qu'vn aymant etlant armé, 1440 c'eft à dire, ayant quel|que morceau de fer attaché à l'vn de fes pôles, puiffe, par le moyen de ce fer, fouftenir beaucoup plus d'autre fer, qu'il ne feroit eftant dcfarmé. De quoy neantmoins on peut affe^ facilement découurir la caufe, en remarquant que, bien que fon armure luv ayde à fouftenir le fer qu'elle touche, elle ne luy ayde point en m ef me façon à faire approcher celuy dont elle eft tant foit peu feparée; ny mefme à le fouftenir, quand il y a quelque chofe entre luy & elle, encore que ce feroit qu'vne fueille de papier fort déliée. Car cela monftre que la force de l'armure ne confifte en autre chofe, finon en ce qu'elle touche le fer d'autre façon que ne peut faire l'aymant: à fçauoir, pource que cette armure eft de fer, tous fes pores fe rencontrent vis à vis du fer qu'elle fouftient, & les parties canelées qui paft'ent de l'vn en l'autre de ces fers... chaffent tout l'air qui eft entre-deux, faifant par ce moyen que leurs fuper- ficies fe touchent immédiatement, & c'eft en cette forte d'attouche- ment que... confifte la plus forte liaifon qui puijfe Joindre deux corps l'vn à l'autre, ainfi qu'il a efté prouué cy-delfus". Mais, à caufe de la matière non métallique qui a couflume d'eftre en l'aymant, fes pores ne peuuent ainfi fe rencontrer juftement vis à vis de ceux du fer; c'eft pourquoy les parties canelées qui fortent de l'vn 'ite 441 \ peuuent entrer en l'autre, qu'en coulant quelque peu de biais entre leurs fuperficies ; & ainfi ^ encore qu'elles les facent approcher l'vn de l'autre, elles empefchent neantmoins qu'ils ne fe touchent tout à fait, à caufe qu'elles retiennent entre-deux autant d'efpacc qu'il leur en ifaut pour couler ainfi de biais des pores de l'vn en ceux de l'autre.

173. Comment les deux pôles de l'aymant s'aident l'vn l'autre à foujîen ir le fer ' .

Il y en a aufli quelques-vns qui admirent que, bien que les deux pôles d'vn mefme aymant aycnt des vertus toutes contraires, en ce

a. Propriété 23, p. 282.

b. Partie II, art. 55, p. 94.

c. Propriété 24. P. 282.

Principes Quatriesme Partie. 299

qui eft. de.fe tourner vers le Zud & vers le Nord, ils s'accordent neant- moins & s'entr'aydent, en ce qui eft de fouftenir le fer; en forte qu'vn aymant, ai'mé en fes deux pôles, peut porter prefque déiix fois autant de fer, que lors qu'il n'eft armé qu'en l'vn de fes pôles. Par- exemple, fi AB eft vn aymant % aux deux pôles duquel font jointes les armures CD & EF, tellement auancées en dehors vers D & Ff que le fer G H qu'elles fouftiennent les puiffe toucher en des fuperficies affez larges, ce fer G H peut eftre prefque deux fois aujji pefant^ que s'il ne touchoit qu'à l'vne de ces deux armures. Mais la raifon en eft éuidente à ceux qui confiderent le mouuement des parties canelées qui a efté expliqué; car, bien qu'elles foient contraires les mies aux autres, en ce que ceTles qui /orient de l'ay- mant par l'vn de | fes pôles, n'y peuuent rentrer que par l'autre, . 442 cela n'empefche pas qu'elles ne joignent leurs forces enfemble pour attacher le fer à l'aymant, à caufe que celles qui fortent d'A, le pôle Auftral de cet aj'mant, eftant deftournées par l'armure CD vers b, elles font le pôle Boréal du fer G H, coulent de b vers a, le pôle Auftral du mefme fer, & d'à..., par l'armure FE, entrent dans B, le pôle Boréal de l'aymant; comme aufli, en mefme façon, celles qui fortent de B, retournent circulairement vers A par... EF,... HG &... DC. Et ainfi elles attachent le fer autant à l'vne de ces armures qu'à l'autre.

ij4. Pourquoy vnepiroUete de fer n'eji point empefchée de tourner par l'aymant auquel elle ejl fufpendue ''.

Mais ce mouuement des parties canelées... ne femble pas s'accor- der fi bien auec vne autre propriété de l'aymant, qui eft de pouuoir foujtenir en l'air vne petite piroUette de fer... pendant qu'elle tourne {foit qu'elle tourne à droit, foit à gauche), & de n'empefcher point qu'elle continue à fe mouuoir, eftant fufpendue à l'aymant, plus long-temps qu'elle ne feroit... eftant appuyée fur vne table. En effecl, fi les parties canelées n'auoient qu'vn mouuement droit, & que le fer & l'aymant fe pufl'ent tellement ajufter, que tous les pores de l'vn fe trouuaffent exadement vis à vis de ceux de l'autre, je croirois que ces parties canelées, en paflant de l'vn en l'autre, di- uroient ajujîer ainjî tous leurs pores, & par ce moyen j empefcher la 443 pirouette de tourner. Mais, pource qu'elles tournent elles-mefmes

a. Planche XX, figure 5.

b. Propriété 25, p. 282. Voir Correspondance, t. IV, p. 470.

joo Œuvres de Descartes.

fans celTe, les vnes à droit, les autres à gauche, & qu'elles re- Jeruent touf-jours quelque peu d'efpace entre les Jupcvjîcies de l'a/- mant & du fer, par elles coulent de biais des pores de l'vn en ceux de l'autre, à caufe qu'ils ne Je rapportent pas les vns aux autres, elles peuuent tout auflTi aifément paffer des pores de l'ay- mant en ceux d'vne pirouette, lors qu'elle tourne, foit à droit, foit à gauche, que fi elle eûoit arreftée ; c'eji pourquoj" elles ne l'arrejlent point. Et pource que, pendant qu'elle efl ainfi fufpenduë, ;"/_;' a touf-jours quelque peu d'efpace entre elle & l'aj'mant, fon attou- chement Varrejîe bien moins que ne fait celuy d'vne table quand elle efl appuyée defus, & qu'elle la preffe par fa pefanteur.

/ j5. Comment deux aymans doiuent eftre fxtue\ pour s'ayder ou s'empéfcher l'vn l'autre à foujlenir, du fer *.

Au rejîe, la force qu'a vne pierre d'aymant à foujlenir le fer, peut diuerfement eftre augmentée ou diminuée par vn autre aymant, ou par vn autre morceau de ïer, félon qu'il luy efl diuerfement appliqué. Mais il n'y a en cela qu'vne règle générale à remarquer, qui eft que toutefois & quan-tes qu'vn fer ou aymant eft tellement pofé au regard d'vn autre aymant, qu'il fait aller quelques parties canelées vers luy, il augmente fa force; & au contraire, s'il eft caufe qu'il y é44 en aille moins, il la diminue. Car, d'autant que les | parties canelées qui pafl'ent par vn aymant, font en plus grand nombre ou plus agitées, il a d'autant plus de force, & elles peuuent venir vers luy en plus grand nombre & plus agitées, d'vn morceau de fer ou d'vn autre aymant, que de l'air feul ou de quelque autre corps qu'on mette en leur place. Ainfi, non feulement lors que le pôle Auftral d'vn aymant eft Joint au pôle Septentrional d'vn autre, ils s'aydent mutuellement à fouftcnir le fer qui eft vers leurs autres pôles, mais ils s'aydent aufli, lors qu'ils font feparez, à fouftenir le fer qui eft entre-deux. Par exemple", l'aymant C eft aydé par l'aymant K à fouftenir contre foy le fer DE, qui luy eft joint; & réciproquement, l'aymant F eft aidé par l'aymant C, à fouftenir en l'air le bout de ce fer marqué E; car il peut eftre fi pefant, que cet aymant F... ne le foulliendroit pas ainfi en l'air, fi l'autre bout marqué D, au lieu d'cftre joint à l'aymant C, cftoit appuyé fur quelque autre corps qui le retiendroit en la place oii il efl, fans empefcher E de fe baijfer.

a. Proprictc 26, p. 282.

b. Planche XX, tiyiirc (•.

Principes. Quatriesme Partie. joi

/ j6. Pourquoi vn aymant bien fort ne peut attirer le fer qui pend à vn aymant plus foible *.

Mais, pendant que l'ay viant F ejl ainfi aidé par Vaymant C à foujfenir le fer DE, il empèfché par ce mefme aymant de faire approcher ce fer vers foy. Car il eft à remarquer que, pendant que ce fer touche... C, il ne peut eftre attiré par... F, lequel il ne touche point, nonobftant ( qu'on fuppofe ce dernier beaucoup plus puif- 445 fani que le premier. Dont la raifon eft que, les parties cianelées paffant au trauers de ces deux aymans.& de ce fer, ainfi que s'ils n'eftoient qu'vn feul aymant, en la façon def-ja expliquée", n'ont point notablement plus de force en l'vn des endroits qui eft entre C & F qu'en l'autre, & parconfequent ne peuuent faire que le fer DE quitte C pour aller vers F, d'autant qu'il n'eft pas retenu vers C par la feule force qu'a cet aymant pour l'attirer, mais principalement aufti parce qu'ils fe touchent, bien que ce ne fait pas en tant de par- ties que fi cet aymant efîoit armé.

i"]"]. Pourquoy quelquefois, au contraire, le plus foible aymant attire le fer d'vn autre plus fort '.

Et cecy fait entendre pourquoy vn aymant qui a peu de force, ou mefme vn fimple morceau de fer, peut fouuent deftacher vn autre fer d'vn aymant fort puilfant auquel il eft joint. Car il faut remarquer que cela n'arriue jamais, fi ce n'eft que le plus foible aymant touche aulTi le fer qu'il doit feparer de l'autre; & que, lors qu'vn fer de figure longue, comme DE, touche deux aymans//we:ç comme C & F, en forte qu'il touche de fes deux bouts deux de leurs pôles qui ayent diuerfe vertu, fi on retire ces deux aymans l'vn de l'autre, le fer qui les touchoit tous deux ne demeurera pas touf-jours Joint au plus fort, ny louf-jours aufli au plus foible, mais quelquejfois à 446 cetuy-cy, & quelquefois à cetuy-là. Ce qui monftre que la feule raifon qui fait qu'il en fuit l'vn pluftoft que l'autre, eft quUl /e rencontre qu'W touche en vne fuperficie tant fait peu plus grande, ou bien en plus de points, celuy auquel il demeure attaché.

a. Propriété 27, p. 282. Planche XX, figure 6.

b. Article i53, p. 287.

c. Propriété 28, p. 282. Planche XX, figure 6.

3 02 Œuvres de Descartes.

i~S. Pourquoi, en ces pats Septentrionaux, le pôle Aujîral de l'aymant peut tirer plus de fer que l'autre ".

On peut auffi entendre pourquo}»^ le pôle... Auftral de toutes les pierres d'aymant Jemble auoir plus de force & fouftient plus de fer en cet hemifphere Septentrional, que leur autre pôle, en confide- rant comment l^aymant C eft aidé par l'aymant F, à fouftenir le fer DE. Car, la TeVre eftant auiTi vn... aymant, elle augmente la force des autres aymaî^s, lors que leur pale Auflral eft tourné vers fon

pôle Boréal, en m^fme façon que l'aymant F augmente celle de l'ay- mant C; comme aUffi, au contraire, elle la diminue, lors que le pôle Septentrional de ces autres aymans eft tourné vers elle en cet hemi-

fphere SeptentrionaL

/ "jg. Comment s'arrengent les grains de la limure d'acier autour d'vn aymant \

. Et fi on s'arreftc à confiderer en quelle façon \a poudre ou limure de fer qu'on a jeltce autour d'vn aymant s'y arrengc, on y pourra remarquer beaucoup de chofes qui confirmeront la vérité de celles que je viens de dire. Car, en premier lieu, on y verra que les petits grains de cette poudre ne s'entafTent pas confulément, mais que, fe 447 joignant en long les vns j aux autres, ils compofent comme des filets qui font autant de petits tuyaux par paffent les parties canelées plus librement c^ue par l'air, & qui, pour ce fujet, peuuent feruir à faire connoiftre les chemins qu'elles tiennent après eflre forties de l'aymant. Mais, afin qu'on puifi'e voir à l'œil quelle efl l'in- flexion de ces chemins, il faut répandre cette limure fur vn plan bien vny, au milieu duquel foit enfoncé vn aymant fpherique, en telle forte que fes deux pôles le touchent, comme on a couftume d'enfoncer les globes... dans le cercle de l'horifon pour reprefenter la fphere droite ; car les petits grains de cette limure s'arengeront... fur ce plan fuiuant des lignes qui marqueront exaâement le chemin que j'ay dit cy-dcffus', que prennent les parties canelées autour de chaque aymant, & aufii autour de toute la Terre. Puis, fi on enfonce en mcfme façon deux aymans en ce plan, & que le pôle Boréal de

a. Propricic 29, p. 282. Planche XX, figure 6.

b. Propriété 3o, p. 282.

c. Art. 146, p. 283.

Principes. Quatriesme Partie. 503

l'vn foit tourné vers l'Aullral de l'autre, comme ils font en cette figure*, la limure mife autour fera voir que les parties canelées prennent leur cours autour de ces deux aymans en mefme façon que s'ils n'eftoient qu'vn ; car les lignes Juiuant le/quelles s'arrengeront fes petits grains, feront droites entre les deux polés qui fe regardent, comme font icy celles qu'on voit entre A & b ; ^ les autres... feront repliées des | deux coftez..., comme on voit celles que delignent les 448 lettres BRVXT a. On peut audi voir, en tenant m armant auec la main, l'vn des pôles duquel, par exemple l'Auftral, foit tourné vers la Terre, & qu'il y ait de la limure d'e fer pendue à ce pôle, que, s'il y a yn autre aymant au dedbus, dont le pôle de mefme vertu, à fçauoir l'Auftral, foit tourne vers cette limure, les petits filets qu'elle com- pofe, qui pendent tout droit de haut en bas, lors que ces deux aymans font éloigne'^ l'un de l'autre^ fe replient... de bas en haut lors qu'on les approche, à caufe que les parties canelées de l'aymant fuperieur, qui coulent le long de ces filets, font repoulTées vers en haut par leurs femblables qui fortent de l'aymant inférieur. Et mefme, fi cet aymant inférieur eft... plus fort que l'autre, il en deftachera cette limure & la fera tomber fur foy, lors quUls feront proches, à caufe que fes parties canelées... faifant eflbrt pour pafier par les pores de la limure, & ne pouuant y entrer que par les fuperficies de fes grains qui font jointes à l'autre aymant, elles les fepareront de luy. Mais fi, au contraire, on tourne le pôle Boréal de l'aymant inférieur vers l'Aiiftral du fuperieur auquel pend cette limure, elle allongera fes petits ^/e/5 en ligne droite..., à caufe que leurs pores feront dif- pofez à receuoir... toutes les parties canelées qui pafferont de l'vn \ de fes pôles à l'autre; mais la limure ne fe deftachera point pour 4A9 cela de l'aymant fuperieur, pendant qu'elle ne touchera point à l'autre, à caufe de la liaifon qu'elle acquert par l'attouchement, ainfi qu'il a tantoft efté dit\ Et à caufe de cette mefme liaifon, fi la limure qui pend à vn aymant fort puiifant, eft tcuchée par vn autre aymant beaucoup plus foible, ou feulement par quelque morceau de fer, il y aura touf-jours plufieurs de fes grains qui quitteront le plus fort aymant, & demeureront attachez au plus foible, ou bien au morceau de fer, lors qu'on les retirera d'auprès de luj-...; pource que, les petites fuperficies de cette limure eftant fort diuerfes & iné- gales, il fe rencontre touf-jours que plufieurs de ces grains touchent en plus de points, ou par vne plus grande fuperfi ci e, le plus foible aymant que le /7/w5yor/.

a. Planche XIX, figure 2.

b. Art. 176 et 177, p. 3oi.

J04 OEuvres.de Descartes.

[i8o. Comment vne lame de fer jointe à l'vn des pôles de l'aj mant empefche Ja vertu \

Vne lame de fer qui, ellant appliquée contre l'vn des pôles de l'aymant, luj'fert d'armure, & augmente de beaucoup la force qu'il a pour fouftenir d'autre fer..., empefche celle qu'a le mefme aymani pour attirer ou laire tourner vers foy les aiguilles qui font proches de ce pôle. Par exemple ^ la lame DCD empefche que l'aymant AB, au pôle duquel elle eft jointe, ne face tourner ou approcher de foy l'aiguille EF, ainfi qu'il ferait fi cette lame efloit ofîée. Dont la

450 raifon efl que \ les parties canelées, qui continucroient leur cours de B vers E F, s'il n'y auoit que de l'air entre-deux, entrant en cette lame par fon milieu C, font deftournées par elle vers les extremitez DD, d'oit elles retournent vers A..., & airifi à peine peut-il y en auoir aucune qui aille vers l'aiguille EF. En mefme façon qu'il a efté dit cy-deffus% qu'il en vient peu jufques à nous de celles qui paflent par \a féconde région de la Terre, à caufe qu'elles retournent prefque toutes d'vn pôle vers l'autre par la croufte intérieure de la troifiéme région nous fonimes, & que c'eft ce qui fait que la vertu de l'aymant nous paroift en elle fi foible.

i8i. Que cette mefme vertu ne peut ejlre empefchée par l'interpojition d'aucun autre corps^.

Mais, excepté le fer & l'aymant, nous n'auons aucun corps, en cette Terre extérieure, qui, eftant mis en la place eft cette lame CD, puifle empefcher que la vertu de l'aymant AB ne paffe jufquQS à l'aiguille EF. Car nous n'en auons aucun..., tant folide & tant dur qu'il puilTe eftre, dans lequel il n'y ait plufieurs pores, non pas véritablement qui foient ajuftez à la figure des parties canelées, comme font ceux du fer & de l'aymant, mais qui font beaucoup plus grands, en forte que... le fécond élément les occupe ; ce qui fait que les parties canelées palfent aufli aifément par dedans ces corps durs, que par l'air, par lequel elles ne peuuent paffer, non plus que par

451 I euXffinon en fe faifant faire place par les parties du fécond élément qu'elles rencontrent.

a. Propriété 3i, p. 28?.

b. Planche XX, figure 1.

c. An. 166, p. 294.

d. Propriété ,^2, p. 283.

PRINCIPEF. QUATRIISME PaRTIE. JOJ

1S2. Que la Jituation de l'aymant qui eft contraire à celle qu'il prend naturellement, quand rien ne Vempefche, luy ojle peu à peu fa vertu ».

le ne fçaf aujfi aucune chofe qui face perdre la vertu à l'aymant ou au fer, excepté lors qu'on le retient long-temps en vne fituation contraire à celle ^u'il prend naturellement, quand rien ne l'em- pefche de tourner les pôles vers ceux de la Terre, ou des autres aymans dont il eft proche ; 6- aujft, lors que l'humidité ou la roîiille le corrompt; & enjin, lors qu'il ejl mis dans le feu. Mais, sHl ejl retenu longtemps hors de fa Jituation naturelle, les parties canelées qui viennent de la Terre ou des autres aymans proches, font eJfort pour entrer... à contre fens dans fes pores, & par ce moyen, changeant peu à peu leurs figures, luy font perdre fa vertu.

i83. Que cette vertu peut axiffi luy ejîre oflée par le feu, & diminuée par la roUille ''.

...La rouille aufli, en fortant hors des parties métalliques de l'ay- mant, bouche les entrées de fes pores, en forte que les parties ca- nelées n'y font pas aifément receuès; & l'humidité... fait en quelque façon le femblable..., en tant qu'elle difpofe à la rouille; & enfin, le feu, eftant af]e\fort, trouble l'ordre des parties du fer ou de l'aymant, en les agitant, & mefme il peut eJîre violent, qu'il change aufft la figure de leurs pôles. Au refte, je ne croy pas qu'on ait encore jamais obferué aucune chofe touchant l'axinant, qui foit vraye, & en laquelle l'obferualeur ne fe \ foit point mépris, dont la raifon ne foit 4$2 comprife en ce que je viens d'expliquer, èk. n'en puiffe facilement eftre déduite.

1S4. Quelle eft l'attraâion de l'ambre, du jayet, de la cire, du verre, &c.

Mais, après auoir parlé de la vertu qu'a l'aymant pour attirer le fer, il fembic à propos que je die aufli quelque chofe de celle qu'ont l'ambre, le jayet, la cire, la refine, le verre, & plufieurs autres corps, pour attirer toutes fortes de petits/e/?MS. Car, encore que mon def- fein ne foit pas d'expliquer icy la nature d'aucun corps particulier, linon en tant qu'elle peut feruir à confirmer la vérité de ce que j'ay

a. Propriété 33, p. 283.

b. Propriété 34, ibid.

ŒUVKKS. IV, 36

3o6

OEuvREs DE Descartes.

écrit touchant ceux qui fe trouuentle plus vniuerfellement par tout, & peuuent eftre pris pour les elemens de ce monde vifible ; encore aufli que je ne puilîe fçauoir ajfurément pourquoy l'ambre ou le jayet a telle vertu, fi Je ne fais premièrement plufieurs expériences qui... me découurent intérieurement quelle eft leur nature : toutefois, à caufe que la mefme vertu eft dans le verre, duquel j'ay efté cy- deffus ' obligé de parler entre les effets du feu, fi je n'expliquois point en quelle forte cette vertu eji en luy, on auroit fujet de douter des autres chofes que j'en ay écrites. Veu principalement que ceux qui remarquent que prefque tous les autres corps eft cette vertu font... gras ou huileux, fe perfuaderoient peut-eftre qu'elle confifte en

453 ce que, lors qu'on frotte ces corps j (car il eft ordinairement befoin de les frotte.r afin qu'elle foit excitée), il y a quelques vnes des plus petites de leurs parties qui fe refpandent par l'air d'alentour, & qui, eftant compofées de plufieurs petites branches, demeurent tellement liées les vnes aux autres qu'elles retournent incontinent après vers le corps d'où elles font forties, & apportent vers luy les petits feflus aufquels elles fe font attachées. Ainfi qu'on voit quelquefois, en fecoûant vn peu le bout d'vne baguette auquel pend

, vne goutte de quelque liqueur /or/ ^/wa«/e, qu'vne partie de cette liqueur file en l'air & defcend jufques à certaine diftance, puis remonte \ncom\ntnl de foy -mefme vers le refte de la goutte qui eft demeuré joint à la baguette, & y apporte aufli des feftus..., fi elle en rencontre en fon chemin. Car on ne peut imaginer rien de fem- blable dans le verre, au moins fi nature eft telle que je l'ay décrite...; c'eft pourquoy il eft befoin que je cherche en luy vne autre caufe de cette attradion.

i85. Quelle ejl la caufe de cette attraâion dans le verre.

Or, en confiderant de quelle façon j'ay dit" qu'il fe fait, on peut connoiftre que les interualles qui font entre fes parties, doiuent eftre pour la plufpart de figure longue, & que c'eft feulement le milieu de ces interualles qui eft aft'ez large pour donner pafl'age aux 454 parties du fécond élément, lefquelles rendent le verre tranf\parent ; de forte qu'il demeure des deux coje^, en chacun de ces interualles, des petites fentes fi eftroites..., qu'il n'y a rien que le premier élément qui les puilfe occuper. En fuittcde quoy il faut remarquer, touchant

a. An. 124-133, p. 266*37 1./

b. Art. 12.5, p. 267.

Principes. Quatriesme Partie. J07

ce premier élément, dont la propriété eft de prendre touf-jours la figure des lieux il fe trouue, que, pendant qu'il coule par res petites fentes, les moins agitées de/es parties s'attachent les mes aux autres & compofent comme des bandelettes qui font /or/ minces, mais qui ont vu peu de largeur & beaucoup plus de longueur, & qui vont & viennent... en tournoyant de tous coftez entre les parties du verre..., fans jamais guère s'en éloigner, à caufe que les paffages qu'elles trouuent dans l'air ou les autres corps qui l'enuironnent, ne font pas fi ajujîe\ à leur mejure, ny fi propres à les receuoir. Car, encore que le premier élément foit très fluide, il a neantmoins en foy des parties qui font moins agitées que le refte de fa matière, ainfi qu'il a efté expliqué aux articles 87 & 88 de la troifiéme partie", & il eft raifonnable de croire que, pendant que ce qu'il y a de ^\\is fluide QTi fa matière paife continuellement de l'air dans le verre & du verre dans l'air, les moins fluides de fes parties qui le trouuent dans le verre... jj' demeurent dans les fentes aufquelles ne refpondent pas les pores de l'air, & que là, fe Joi|gnant les vnes aux 455 autres, elles compofent ces bandelettes, lefquelles acquerent par ce moyen, en peu de temps, des figures fi fermes, qu'elles ne peuuent pas aifément eftre changées. Ce qui eft caufe que, lors qu'on frotte le verre alfez fort, en forte qu'il s'échauffe quelque peu, ces bande- lettes qui font chafTées hors de fes pores par cette agitation, font contraintes d'aller vers l'air & les autres corps d'alentour, ne trouuant pas des pores fi propres à les receuoir, elles retournent auflitoft dans le verre, & y ameinent auec foy \çs feflus ou autres petits corps, dans les pores defquels elles fe trouuent engagées.

186., Que la me/me caufe femble aujji auoir lieu en toutes les autres

attraâions.

Et ce qui eft dit icy du verre, fe doit aufli entendre de tous, ou du moins de la plus part des autres corps en qui efl cette attraâion : à fçauoir, qu'il y a quelques interualles entre leurs parties, qui eftant trop eftroits pour le fécond élément, ne peuuent receuoir que le premier, & qui, eftant plus grands que ne font dans l'air ceux le feul premier clément peut palfer, retiennent en foy les parties de ce premier élément qui fojit les moins agitées, & qui, fe joignant les vnes aux autres, y compofent des bandelettes qui ont véritablement diucrfes figures, félon la diuerfité des pores par elles pafTent,

a. Pages i52 et i53.

joS

OEuvRES DE Descartes.

mais qui contiennent en cela, qu'elles font longues, plaites^ i56 pliantes, & qu'elles coulent çà & là... entre | les parties de ces corps. Car, d'autant que les interualles. .. ji7ar elles pajfent, font fi eftroits que... le fécond élément n'y peut entrer, ils ne pourroient eflre plus grands que font dans l'air ceux le mefme fécond élément n'entre point, s'ils ne s'eftendoient/?/«s qu'eux en longueur, ejîant ainfi que des petites fentes qui i^endent ces bandelettes larges & minces. Et ces interualles doiuent ejlre plus grands que ceux de l'air, afin que les parties les moins agitées du premier élément s'arrefient en eux, pendant qu'il fort continuellement autant du mefme premier élément par quelques autres pores de ces corps, qu'il y en vient des pores de 'l'air. C'eft pourquoy, encore que je ne nie pas que l'autre caufe d'attraétion que j'ay tantoft expliquée", ne puiffe auoir lieu en quelques corps, toutefois, pource qu'elle ne femble pas affez générale pour conuenir à tant de diuers corps comme cette dernière, & que ncantmoins il y en a fort*grand nombre en qui cette propriété de leuer des feftus fe remarque, je croy que nous deuons penfer qu'elle eft en eux, ou du moins en la plus-part, femblable à celle qui eft dans le verre.

18-]. Qu'à r exemple des chofes qui ont efié expliquées, on peut rendre raifon de tous les plus admirables effets qui font fur la terre.

Au refte, je defire icy qu'on prenne garde que ces bandelettes, ou autres petites parties longues & remuantes, qui fe forment ainû 457 de la matière du premier élément dans les interualles j des corps tcrreftres, y peuuent.eftre la caufe, non feulement des diuerfes attrapions telles que font 'celles de l'aymant & de l'ambre, mais auHi d'vne infinité d'autres effets tres-admirables. Car celles qui fe forment en chaque corps ont quelque ch6fe de particulier en leur figure, qui les rend différentes de toutes celles qui fe forment dans les autres corps. Et d'autant qu'elles fe meuuent fans ceffe fort vite, fuiuant la nature du premier élément duquel elles font des parties, il fe peut faire que des circonilances tres-peu remarquables les déterminent quelquefois à tournoyer çà & dans le corps elles font, fans s'en écarter; & quelquefois, au contraire, à palier en fort peu de temps jufques à des lieux fort éloignez, yà;/5 qu'aucun corps qu'elles rencontrent en leur chemin les puijfe arrefier ou dej' tourner, & que, rencontrant vnc matière difpofée à receuoir leur

a. A.rt. 184, fin, p. 3o6.

Principes. Quatriesme Partie. 309

adion, elles y produifent des effets eutieremeut rares 6' merueilleux : comme peuuent ejire de faire faigiier les playes du mort, lors que le meurtrier s'en approche; d'émouuoir l'imagination de ceux qui dorment, ou me/me aujjî de ceux qui font éueilki, & leur donner des penfées qui les auer'tijfent des chofes qui arriuent loin d'eux, en leur faifant rejfentir les grandes ajfliâions ou les grandes joyes d'vn in- time amy, les mauuais deffeins \ d'vn ajfajjin, & chofes femblables*. Et 458 enfin, quiconque voudra confiderer combien les proprieiez de Tay- mant & du feu font admirables, & 'différentes de toutes celles qu'on obferue communément dans les autres corps ; combien eft grande la flame que peut exciter en fort peu de temps vne feule eftincelle de feu, quand elle tombe en vne grande quantité de poudre, & combien elle peut auoir de force; jufques à quelle extrême diftance les efloiles fixes eftendent leur lumière... en vn infiant; & quels font tous les autres eflets, dont je croy auoir icy donné des raifons affez claires, fans les déduire d'aucuns autres principes que de ceux qui font généralement receus & connus de tout le monde, à fçauoir, de la grandeur, figure, fituation & mouuement des diuerfes parties de la matière : il me femble qu'il aura fujet de fe perfuader qu'on ne remarque aucunes qualité^... qui foient û ©cultes, ny aucuns effets de Simpatie ou Antipa.ie fi merueilleux ^-Jî efranges*", ny enfin aucune autre chofe^ rare en la nature (pourueu qu'elle ne pro- cède que des caufes purement matérielles & def^ituées de penfée... ou de libre arbitre), que la raifon n'en puiffe eflre donnée par le moyen de ces mefmes principes. Ce qui méfait icy conclure que tous les autres principes qui ont jamais efté adjouflez à ceux-cy, fans qu'on ait eu aucune autre \ raifon pour les adjoufler, fnon qu'on n'a 469 pas creu que, fans eux, quelques effets naturels puffent eJlre explique^, font entièrement fuperfius.

iSS. Quelles chofes doiuent encore eftre expliquées, afin que ce trait

fait complet.

le finirois icy cette quatrième partie des Principes de la Philofo- phic, fi je l'accompagnois de deux autres, l'vne touchant la nature... des animaux & des plantes, l'autre touchant celle de l'homme*, ainfi que je m'eftois propofé lors que j'ay commencé ce traitté. Mais, pource que je n'ay pas encore affez de connoiffance àtplufieurs chofes

a. Cf. Correspondance, t. V, lettre 582, p. 462-463.

b. Ibid., t. V, p. 389.

c. Ibid., X. V, p. 389.

3 10 OEuvRES DE Descartes.

que j'auois enuie de mettre aux deux dernières parties, & que, par faute d'expériences ou de loifir, Je n'auray peut eftre jamais le moyen de les acheuer; afin que celles-cy... ne laiffent pas d'ejlre complètes, & qu'il n'y manque rien de ce que j'aurois creu y deuoir mettre, fi je ne me fuffe point referué à l'expliquer dans les fuiuantes, j'adjou- fteray icy quelque chofe touchant les objets de nos fens. Car jufques icy j'ay décrit cette Terre, & généralement tout le monde vifible, comme fi c'eftoit feulement vne machine en laquelle il n'y euft rien du tout à confiderer que les figures & les mouuemens de f es parties ; & toutefois il ejl certain que nos fens nous y font paroiftre plujieurs autres chofes, à fçauoir des couleurs, des odeurs, des fons, & toutes les autres qualitez fenfibles, defquelles fi je ne parlois point, on 4^ pourroit penfer que J j'aurois obmis l'explication de la plufpart des chofes qui font en la nature".

i8g. Ce que c'ejl que le fens, & en quelle façon nous fentonsi

C'eft pourquoy il eft icy befoin que nous remarquions qu'encore que noftre ame/o/7 pnie à tout le corps, elle exerce neantmoins/w principales fondions dans le cerueau, & que c'eft non feulement qu'elle entend & qu'elle imagine, mais auflî qu'elle fent; & ce par l'entremife des nerfs, qui font eftendus, comme des filets tres-delie\, depuis le cerueau jufques à toutes les parties des autres membres, aufquelles ils font tellement attachez, qu'on n'en fçauroit prefque toucher aucune qu'on ne face mouuoir les extremitez de quelque nerf..., & que ce mouuement ne pafle, par le moyen de ce nerf y jufques au cerueau eft le fiege du fens commun^ ainfi que j'ay affez amplement expliqué au quatrième difcours de la Dioptrique"; & que les mouuemens qui palfent ainfi, par l'entremife des nerfs, jufques à l'endroit du cerueau auquel noftre ame... eft eftroitement iointe & vnie', luy font auoir diuerfes penfées, à raifon des diuerfitez qui font en eux; & enfin, que ce font ces diuerfes... penfées de noftre ame, qui viennent immédiatement des mouuemens qui font excite\ par l'entremife des nerfs dans le cerueau j que nous appelions jcrojprt'we;/^ nos fentimens, ou bien les perceptions de nos fens.

a. Correspondance, t. V, p. 291, 1. 27, à p. 292, 1. i3.

b. Voir t. VI de celte édition, p. 109.

c. Correspondance, t. V, p. 3i3, 1. i5, et p. 347, l. 7.

Principes. Quatriesme Partie. ji

I igo. Combien il y a de diuersfens, & quels font les intérieurs y 461

c'eji à dire les appétits naturels & les paJjHons.

Il ejl befoin aujfi de conjderer que toutes les varietez de ces fenti- mens dépendent, premièrement, de ce que nous auons plujieurs nerfs, puis auffi, de ce qu'il y a diucrs mouuemens en chaque nerf; mais quBf neantmoins, nous n'auons pas autant de fens differens... que nous auons de nerfs. Et je n'en diftingue principalement que fept..., deux defquels peuuent eftre nommez intérieurs, & les cinq autres extérieurs. Le premier fens que je nomme intérieur, com- prend la faim, lafoif, & tous les autres appétits naturels; & // cfi excité en l'amepar les mouuemens des nerfs de l'eftomac..., du gofier, & de toutes les autres parties qui feruent aux fondions naturelles, pour lefquelles on a de tels appétits. Le fécond comprend la joye, la triftefle, l'amour, la colère, & toutes les autres paflions; & il dépend principalement d'rn petit nerf... qui va vers le cœur..., puis aufTi de ceux du diaphragme & des autres parties intérieures. Car, par exemple, lors qu'il arriue que noftre fang t^ fort pur & bien tem- péré, en forte qu'il fe dilate dans le cœur plus ayfément & plus fort que de couftume, cela fait tendre les petits nerfs qui font aux entrées defes concauite\, & les meut d'vne certaine façon qui refpond jufques au cerueau & y excite noftre ame à fentir naturellement de la joye. Et toutefois & quantes que ces mefmes | nerfs font meus en la 462 mefme façon, bien que ce foit pour d'autres caufes, ils excitent en nojire ame ce mefme fentiment de joye. Ainfi, lors que nous penfons jouir de quelque bien, l'imagination de cette jouïffance ne contient pas en foy le fentiment de la joye, mais elle fait que les efprits ani- maux paffent du cerueau dans les mufcles aufquels ces nerfs font inferez; & faifant par ce moyen que les entrées du cœur fe dilatent, elle fait aulfi que ces nerfs fe meuuent en \di façon qui eft inftituée de la nature ^ouv àonntv le fentiment de la joye. Ainfi, lors qu'on nous dit quelque nouuelle, l'ame juge premièrement fi elle eft bonne ou mauuaife; & la trouuant bonne, elle s'en réjouît en elle' mefme, d'vne joye qui efl purement intellectuelle, & tellement in- dépendante des émotions du corps, que les Stoïques n'ont pu la dénier à leur Sage, bien qu'ils ayent voulu qu'il fuft. exempt de toute pajjion. Mais fi toft que cette joye fpirituelle vient de l'entendement en l'imagination, elle fait que les efprits coulent du cerueau vers les mufcles qui font autour du cœur, & excitent le mouuement des nerfs, par lequel eft excité vn autre mouuement dans le cerueau, qui

j 1 2 OEuvRES DE Descartes.

donne à l'ame le fentiment ou la paiïlon de la joye... Tout de mefme, lors que le fang eft fi groflier qu'il ne coule & ne fe dilate qu'à peine

463 dans... le cœur, il I excite dans les mefmes nerfs vn mouuemenî tout autre que le précèdent, & qui... eji injîituê de la nature pour donner à l'ame le fentiment de la trifteffe, bien que fouuent elle ne fçache pas elle-mefmece que c'eft qui fait qu'elle s'attrifte; <? toutes les autres caufes qui meiiueni ces nerfs en mefme façon, donnent auffi à l'ame le mefme fentiment. Mais les autres mouuemens des mefmes nerfs luy font fentir d'autres paffions, à fçauoir celles de l'amour, de la haine, de la crainte, de la colère &c., en tant que ce font des fentimèns ou partions de l'ame; c'efl à dire en tant que ce font des penfées confufes que l'am.e n'a pas de foy feule, mais de ce qu'eftant eftroitement vnie au corps, elle reçoit l'imprciTion des mouuemens qui Je font en luy : car il y a vne grande différence entre ces paffions & les connoiflances ou penfées diftindes que nous auons de ce qui doit eftre aymé, ou Aaï, ou craint &c., ^/e« que fouuent elles fe trouuent enfemble. Les appétits naturels, comme la faim, la foif, & tous les autres^ font aufli des fentimèns excitez en l'ame par le moyen des nerfs de l'eftomac, du gofier, & des autres parties, & font entière- ment differens de l'appétit ou de la volonté qu'on a de manger, de boire, & d'auoir tout ce que nous penjons ejtre propre à la conferua-

464 tion de nojîre corps; mais à caufe que cet appétit ou j volonté les accompagne prefque touf-jours, on les a nommez des appétits.

igi. Desfens extérieurs ; & en premier lieu, de V attouchement.

Pour ce qui eft des fens extérieurs, tout le monde a couftume d'en conter cinq, à caufe qu'il y a autant de diuers genres d'objets qui meuuent les nerfs..., & que les impreftions qui viennent de ces objets excitent en l'ame cinq diuers genres de penfées confufes. Le premier ejl l'attouchement, qui a pour objet tous les corps quipeuueni mouuoir quelque partie de la chair ou de la peau de nojîre corps, & pour organe tous les nerfs qui,fe trouuans en cette partie de noflre corps, participent à fon mouuement. Ainfi les diuers corps qui touchent noftre peau meuuent les nerfs qui fe termijient en elle, d'vnc façon par leur dureté, <d'vne autre par leur pefanteur>, d'vnc autre par leur chaleur, d'vne autre par leur humidité, &c.; & CCS nerfs excitent autant de diuers fentimèns en l'ame qu'il y a de diuerfes façons dont ils font meus, ou dont leur mouuemcnl ordinaire eft empefché : à raifon de quoy on a aufli attribué autant de diucrfeT qualitci ... ï ces corps; & on a donné à ces qualit€\ les

Principes. Quatriesme Partie. ] i j

noms de^dureté, pefanteuvy chaleur, humidité, & femblableSy qui ne Jignijîent rien autre chofe,fmou qu'il y a en ces corps ce qui ejl requis pour faire que nos nerfs excitent en nojîre aine les fentimens de la dureté, pe/anteur, chaleur, &c. Outre cela, lors ( que ces nerfs font 466 meus vn peu plus fort que de couftume, & toutefois en telle forte que noftre corps n'en eU aucunement endommagé, cela fait que Tame fent le chatouillement qui eji aujfi en elle me penfée confufe; & cette penfée lui eft naturellement agréable, d'autant qu'elle luy rend tefmoignage de la force du corps auec lequel elle eft jointe, en ce qu'il peut Joujjrir l'action qui cauje ce chatouillement Jans ejire offenfé. Mais, fi cette mefme adion a tant foit peu plus de force, en forte qu'elle offenfe noftre corps en quelque façon, cela donne à nofîre ame le feniiment de la douleur. Et ainfi on voit pourquoy la volupté du corps & la douleur font en l'ame des femimens entièrement contraires, nonobftant quQ/ouuent l'vn fuiue de l'autre, & ^Me leurs caufes foient prefque femblables.

ig2. Du gouft.

Le fens qui ejl le plus groffier, après l'attouchement, ejî le gouft, lequel a pour organe les nerfs de la langue & des autres parties qui luy font voifincs, £- pour objet les petites parties des corps lerreltres, lors qu'eftant feparées les vnes des autres, elles nagent dans la faliue qui humeâe le dedans de la bouche : car, félon qu'elles font différentes en figure, en groffeur, ou .en mouuement, elles agitent diuerfement les extremitez de ces nerfs, & par leur moyen font fentir à l'ame toutes fortes de goufts differens.

I ig3. De l'odorat. 466

Le troifiéme efi l'odorat, qui a pour organe deux nerfs, lefquels ne femblent eftre que des parties du cerueau qui s'auancent vers le ue:{, pource qu'ils ne forient point hors du crâne; & il a pour objet les petites parties des corps terreftres qui, eftant feparées les vnes des autres, voltigent par l'air, non pas toutes indifféremment, mais feulement celles qui font affcz fubtiles & pénétrantes pour entrer... par les pores de l'os qu'on nomme fpongieux, lors qu'elles font atti- rées auec l'air de la refpiration, & aller mouuoir les extremitez de ces nerfs : ce qu'elles font en autant de différentes façons que nous fentons He différentes odeurs.

\

)i4 OEuvREs DE Descartes.

ig4. De Vouye.

Le quatrième ejl Vouye, qui n'a pour objet que les diuers trem- blemens... de l'air; car il y a des nerfs... au-dedans... des oreilles, tellement attachez à... trois petits os qui fe Joujlienncnt l'un l'autre, & dont le premier ejl appuyé contre la petite peau qui couure la concauité qu'on nomme le tambour de l'oreille, que tous les diuers tremblemens que l'air de dehors communique à cette peau font rapportez à l'ame par ces nerfs, & luy font ouyr autant de diuers fons.

I g5. De la veué.

Enfin le plusfubtil de tous lesfens ejl celuy de la veuë; car les nerfs 467 optiques", qui en font les organes, ne font point meus par l'air, nyl par les autres corps terreftres, mais feulement par les parties du fécond clément, (\\i\, paj[ant par les pores de toutes les humeurs & peaux tranfparentes desyeux..., paruiennent jufques à ces nerfs. Si félon les diuerfes façons qu'elles fe meuiient, elles font fentir à l'ame toutes les diuerftei des couleurs & de la lumière, comme j'ay def-ja expliqué affez au long dans la Dioptrique' & dans les Météores ''.

ig6. Comment on prouue que l'ame nejent qu'en tant qu'elle ejl dans le cerueau.

Et on peut aifément prouuer... que l'ame ne fent pas en tant qu'elle eft en chaque membre du corps, mais feulement en tant qu'elle eft dans le cerueau, oîi les nerfs, par leurs mouuemens, luy rapportent les diuerfes actions des objets extérieurs qui touchent les parties du corps dans lefquelles ils font infère^. Car, premièrement, il y a plufieurs maladies qui, bien qu'elles n'oflenccntque le cerueau feul, ortent neantmoins Vvfage de tous les fens..., comme fait auftl le fommeil, ainfi que nous expérimentons tous les jours..., & toutefois il ne change rien que dans le cerueau. De plus, encore qu'il n'y ait rien de mal difpofé, ny dans le cerueau, ny dans les membres oiifont les organes des fens extérieurs; fi feulement le mouuement de l'vn des nerfs qui s'eftendent du cerueau jufques à ces membres eft

a. Discours VI, t. VI, p. i3o de cette édition. Voir aussi Correspon- dance, t. V, p. 390.

b. Discours VIII, p. 325, et Discours IX, p. 345.

Principes. Quatriesme Partie. 3 1 5

empefché en quelque endroit de l'efpace qui eft entre-deux, cela fuffit pour ofter | le fentiment à la partie du corps font les extremitez 4ô8 de ce nerf. F2t, outre cela, nous Tentons quelquefois de la douleur, comme fi elle eftoit en quelques vns de nos membres, dont la caufe n'eft pas en ces membres elle fe fent, mais en quelque Vieu plus proche du cerueau par paffent les nerfs qui en donnent à l'ame le fentiment. Ce que Je pourrois prouuer pa.T plujîenrs expériences; mais je me contenteray icy d'en mètre vnefort manifejie. On auoit couftume de bander les yeux à vne jeune fille, lors que le Chirur- gien la venoit penfer d'vn mal qu'elle auoit à la main, à caufe qu'elle n'en pouuoit fiipporter la veuè', & la gangrène s'eftant mife à fon mal, on fut contraint de luy couper jufques î| la moitié du bras, ce qu'on fit fans l'en aiicrtir, pource qu'on ne la voulait pas attrifîer; & on luy attacha plufieurs linges liez l'vn fur l'autre en la place de ce qu'on auoit coupé, en forte qu'elle demeura long-temps après fans le fçauoir. Et ce qui efi en cecy remarquable^ elle ne laiflbit pas cependant d'auoir diuerfes douleurs qu'elle penfoit eftre dans la main qu'elle n'auoit plus, & de fe plaindre de ce qu'elle fentoit tantoll en l'vn de fes doigts, & tantoft à l'autre. De quoy on ne fçauroit donner d'autre raiion, fmon que les nerfs... de fa main, qui finilfoient alors vers le .coude, y eftoient meus | en la mefme 469 façon qu'ils auroient deu eftre auparauant dans les extremitez de fes doigts pour faire auoir à l'ame dans le cerueau le fentiment de femblables douleurs. Et cela montre éuidemment que la douleur de la main n'efl pas fentie par l'ame en tant qu'elle efl dans la main, mais en tant qu'elle efl dans le cerueau*.

1 gy. Comment on proiiue qu'elle efl de telle nature que le feul mouuement de quelque corps fuffit pour luy donner toute forte de fentimens.

On peut aufTi prouuer fort ajfe'ment que noltre ame eft de telle nature que les feuls mouuemens qui fe font dans le corps font fuffi- fans pour luy faire auoir toutes fortes de pcnfées, fans qu'il foit befoin qu'il y ait en eux aucune chofe qui refj'emble à ce qu'ils luy font conceuoir; & particulièrement, qu'ils peuuent exciter en elle ces penfées confufes qui s'appellent des fentimens... Car, premièrement, nous voyons que les paroles, foit proférées de la voix, foit écrites fur du papier, luy font conceuoir toutes les chofes qu'elles fignifient,

a. Sic, à Verrata. Le texte imprimé d'abord : « ...par l'ame en tant qu'elle elt dans le cerueau ».

Jî6 OEuvRES DE Descartes.

& luy donnent en fuite diuerfespaflions. Sur vn mefme papier, auec la mefme plume, & la mefme ancre, en remuant tant foit peu le bout de la plume en certaine façon, vous tracez des lettres qui font ima- giner des combats, des tempefles, ou des furies, à ceux qui les lifent, & qui les rendent indignez ou triftes; au lieu que, fi vous remuez la plume d'vne autre façon prefque fembiable, la feule differevce qui 470 fera en ce peu de inouue\ment leur peut donner des penfées toutes contraires, de paix, de repos, de douceur, & exciter en eux des paflions d'amour & de joye. Quelqu'vn refpondra peut-eflre que l'efcriture & les paroles ne reprefentent imm.ediatement à l'ame que la figure des lettres & leurs fons, en fuite de quoy elle, qui entend fignifi cation de ces paroles, excite en foy-mefme les im.aginations &pafJ\ons qui s'y rapportent. Mais que dira-t'on du chatouillement & de la douleur ? Le feul mouuement dont vne efpée coupe quelque partie de noftre peau nous fait fentir de la douleur, /aw5 nous faire fçauoir pour cela quel efl le mouuement ou la figure de cette efpée. Et il efi certain que l'idée que nous auons de cette douleur n'efl pas moins différente du mouuement qui la caufe, ou de celuy de la partie de noftre corps que l'efpée coupe, que font les id'^es que nous auons des couleurs, des fons, des odeurs ou des goufts. C'eft pourquoy... on peut conclure que noftre' ame eft de telle nature que les feulsmou- uemens de quelques corps peùuent auflî bien exciter en elle tous ces diuers fentimens, que celuy-d'vne efpée y excite de la douleur.

igS. Qu'il rCy a rien dans les corps qui puiffe exciter en nous quelque fentiment, excepté le mouuement, la figure oufituation, & la grandeur de leurs parties.

Outre cela nous ne fçaurions remarquer aucune différence entre les nerfs, qui nous face juger que les vns puiflent apporter... au 471 cerueau quelque autre chofe que les autres, bien qu'ils \ caufent en l'ame d'autres fentimens, ny auffi qu'ils y apportent aucune chofe que les diuerfes façons dont ris font meus. Et l'expérience nous moniTt quelquefois tres-clairement que les feuls mouu^nens excitent en nous non feulement du chatouillement & de la douleur, mais auflî des fons & de la lumière. Car, fi nous receuons quelque coup en l'œil affez fort, en forte que le nerf optique en foit efbranlé,, cela nous fait voir mille eftincelles de. feu, qui ne font point tou- tefois hors de noftre oeil; & quand nous mettons le doigt vn peu auant en noftre oreille, nous oyons vn bourdonnement dont la caufe ne peut edrc attribuée qu'à l'agitation de l'air que] nous y

Principes. Quatriesme Partie. J17

tenons enfermé. Nous pouuons fouucnt aufli remarquer que la chaleur, la dureté, la pe/tinleur, & les autres qualitez fenfibles, en tant qu'elles font dans les corps que nous appelons chauds, durs, pefans, &ç., & mefme aulïï les formes de ces corps qui font pure- ment matérielles, comme... la forme du feu, & femblabUs, y font . produites par le mouuem.ent de quelques autres corps, & qu'elles produifent auiïi par après d'autres mouuemens en 4'autrcs corps. Et nous pouuons fort bien conceuoir comment le mouuement d'vn corps peut eftre caujé par celuj' d'vn autre, & diuerfifié paf la gran- deur, la figure, & la fituation de fes parjties, mais nous ne fçaurions 472 entendre en aucune façon comment ces mefmes choies, à fçauoir la grandeur, la figure & le mouuement, peuuent produire des na- tures entièrement différentes des leurs, telles que font celles des qualitez réelles & des formes fubftantielles, que la plus part des Pkilofophes ont fuppofées eftre dans les corps; ny auflfi comment ces formes ou qualitez, eftant dans vn corps, peuuent auoir la force d'en mouuoir d'autres. Or puis que... nous fçauons que noftre ame eft de telle nature que les diuers mouuemens de quelque corps fuf- fifent pour luy faire auoir tous les diuers fentimens qu'elle a, & que nous voyons bien par expérience que plufieurs de fes fentimens font véritablement caufez par de tels mouuemens, mais que nous n'apperceuons point qu'aucune autre chofe que ces mouuemens paffe jamais par les organes des fens... jufques au cerueau, nous auons fujet de conclure que nous n'apperceuons point auffi en au- cune façon que tout ce qui eft dans les objets..., que nous appelons leur lumière, leurs couleurs, leurs odeurs, leurs goufts, leurs fons, leur chaleur ou froideur, & Jeurs autres qualitez qui fe fentent par l'attouchement, & aufli ce que nous appelions leurs formes fubftan- tielles, foit en eux autre chofe que les diuerfes ^^z/res, fttuations, grandeurs \ & mouuemens de leurs parties, qui font tellement dif- 473 pofées qu'elles peuuent mouuoir nos nerfs en toutes les diuerfes façons qui font requifes pour exciter en nojlre ame tous les diuers fentimens qu'ils j' excitent.

i gg. Qu'il n'y a aucun phainomene en la nature qui ne foit compris en ce qui a ejîé expliqué en ce traitté.

Etainfije puis demonftrer, par vn dénombrement très-facile, qu'il n'y a aucun phainomene en la nature dont l'explication ait cfté obmife en ce traitté. Car il n'y a rien qu'on puiffe mettre au nombre de ces phainomcnes, finon ce que nous pouuons apperceuoir par

yiS Œuvres DE Descartes.

l'entremife des fens ; mais, excepté le mouuement, la grandeur, la figure ou Jituation. des parties de chaque corps, qui font des chofes que j'ay icy expliquées le plus exacîement qu'il m'a ejîé pojjible, nous n'apperceuons rien hors de nous, par le moyen de nos fens, que la lumière, les couleurs, les odeurs, les goufts, les fons, & les qualitez de l'attouchement. : de toutes lefquelles je viens de prouuer que nous n'apperceuons point aufli qu'elles foient rien hors de nojlre penjée, fmon les mouuemens, les grandeurs ou les Jigures de quelques corps. Si bien que j'ay prouué qu'il n'y a rien en tout ce monde rifible, en tant qu'il ejï feulement vifible ou fenfible, fition les chofes que fj' ay expliquées.

200: Que ce traitté ne contient aujji aucuns principes qui nayent ejlé receus de tout temps de tout le monde, en forte que cette philofophie n'efl pas nouuelle, mais la plus ancienne & la plus commune qui puijfe ejîre.

Mais je defire auffi qu'on remarque que, bien que j'aye icy tafché 474 de rendre raifon de... toutes ) les chofes matérielles, je ne m'y fuis neantmoins feruy d'aucun principe qui n'ait efté reçeu & approuué par Ariftote & par" tous les autres Philofophes qui ont jamais efté au monde ; en forte que cette Philofophie n'eft point nouuelle, mais la plus ancienne & la plus vulgaire qui puifTe élire. Car je u'ay rien du tout confideré que la figure, le mouuement & la grandeur de chaque corps, ny examiné aucune autre chofe que ce que les loix des mechaniques, dont la vérité peut eftre prouuée par vne infinité d'expériences..., enfeignent deuoir fuiure de ce que des corps qui ont diuerfes grandeurs, ou figures, ou mouuemens, fe ren- contrent enfemble. Mais perfonne n'a jamais douté qu'il n'y euft des corps dans le monde qui ont diuerfes grandeurs & figures, & fe meuuent diuerfement, félon les diuerfes façons qu'ils fe rencon- trent, & mefme qui quelquefois fe diuifent..., au moyen de quoy ils changent de figure & de grandeur. Nous expérimentons la vérité de cela tous les jours, non par le moyen d'vn feul fens, mais par le moyen de plufieurs, à fçauoir de l'attouchement, de la veuë & de l'ouye ; noftre imagination en reçoit des idées tî^es dillindes, & noftre entendement le conçoit /re5-clairement. Ce qui ne fe peut dire d'aucune des autres chofes qui tombent fous nos fens, comme 476 font les | couleurs, les odeurs, les fons & fcmblables : car chacune de ces chofes ne touche qu'vn feul de nos fens, & n'imprime en/ nollre imagination qu'vnc idée de foy qui eft fort confufe, & enfin^ ne fait point connoiftrc à noftre entendement ce qu'elle eft.

Principes. Quatriesme Partie. 519

201. Qu'il ejl certain que les corps Jenjibles font compofe\ de parties infcnjibles.

On dira peut-eftre que je confidere plufieurs parties «n chaque corps C[m font Ji petites qu'elles ne peuuent eftre fenties ; & je fçay bien que cela ne fera pas approuué par ceux qui prennent leurs fens pour la mefure des chofes qui fe peuuent connoiftre. Mais c'ejl, ce me femkle, faire grand tort au raifonnement humain, de ne vouloir pas qu'il aille plus loin que les yeux; & il n'y a perfonne qui puille douter qu'il n'y ait des corps qui font fi petits, qu'ils ne peuuent elhe apperceus par aucun de nos fens, pourueu feulement qu'il confi- dere quels font ies corps qui font adjoullez à chaqueyb/5 aux chofes qui s'augmentent continuellement peu à peu, & quels font ceux qui font ortez des chofes qui diminuent en me/me façon. On voit tous les jours croirtre les plantes, & il ell impoflible (*e conceuoir com- ment elles deuiennent plus grandes qu'elles n'ont elle, fi on ne conçoit que quelque corps efl adjoufté au leur : mais qui eft-ce qui a jamais pu remarquer, par l'entremife des fens, quels font les petits corps qui font adjoullez | en chaque moment a chaque partie ti'vne 4*76 plante qui croift? Pour le moins, entre les Philofophes, ceux qui auoUent que les parties de la quantité font diuifibles à l'intiny, doiuent auoQer qu'en fe diuifant elles peuuent deuenir fi petites qu'elles ne feront aucunement fenfibles. Et la raifon qui nous em- pefche de pouuoir fentir les corps qui font fort petits ejl éuidente : car elle confifte en ce que tous les objets que nous fentons doiuent mouuoir quelques-vnes des parties de nojlre corps qui feruent d'or- ganes aux fens, c'ejl à dire quelques petits Jilets de nos nerfs, & que, chacun de ces petits filets ayant quelque grolfeur..., les corps qui font beaucoup plus petits qu'eux n'ont point la force de les mou- uoir. k\n£\y ejlant ajfure^ que chacun des corps que nous fentons efl compofé de plufeurs autres corps fi petits que nous ne les fçaurions apperceuoir, il n'y a, ce me femble, perfonne, pourueu qu'il vueille vfer de raifon, qui ne doiue auoiier que c'efi beaucoup mieux philo- fopher, de juger de ce qui arriuc en ces petits corps, que leur feule petilefl'e nous empefche de pouuoir fentir, par l'exemple de ce que nous voyons arriuer en ceux... que nous fentons, 6'- de rendre raifon, par ce moyen, de tout ce qui ejl en la nature, ainfi que j\ir tafchè de faire en ce traitté, que, pour rendre raifon des mefmes | chofes, en 477 inuenter je ne fçay quelles autres qui n'ont aucun rapport auec celles que nous fentons, comme font la matière première, les ftrmes

J20 OEuVRES DE DeSCARTES.

fubJlantieUes, & tout ce grand alttrail de quaîitci que phifieurs ont coujlume de fuppofer, chacune de/quelles peut plus difficilement ejlre connue que toutes les chofes qu'on prétend expliquer par leur moyen.

202. Que ces principes ne s'accordent point mieux auec ceux de Demccrite qu'auec ceux d'AriJîote ou des antres.

Peut-ejîre aujfi que quelqu'vn dira, que Democrite a def-j? cy- deuant imaginé des petits corps qui auoient diuerfes figures, gran- deurs &mouuemen5, par le diuers mejlange dclquels tous les corps fenfibles eftoient compofez, & que neantmoins fa Philofophie ell communément rejettée. A quoy je répons qu'elle n'a jamais efté rejettée de perfonne, pource qu'il faifoit confiderer des corps plus petits que ceux qui font apperceus de nos fens, & qu'il leur attri- buoit diuerfes grandeurs, figures & mouuemens; pour ce qu'il n'y a perfonne qui puiffe douter qu'il n'y en ait véritablement de tels, ainfi qu'il a def-ja efté prouué. Mais elle a efté rejettée, pre- mièrement, à caufe qu'elle fuppofoit que ces petits corps eftoient indiuifibles : ce que je rejette auffi entièrement. Puis, à caufe qu'il imaginoit du vuide entre-deux, & je demonftre qu'il eft impolîible qu'il y en ait ; puis auffi, à caufe qu'il leur attribuoit de la pefanteur, 478 I & moy je nie qu'il y en ait en aucun corps, en tant qu'il eft confi- deré feul, pource que c'eft vne qualité qui dépend du mutuel rap- port que plufieurs corps ont les vns aux autres ; puis, enfin, on a eu fujet de la rejetter, à caufe qu'il n'expliquoit point en particulier comment toutes cliofcs auoient efté formées par le feul rencontre de ces petits corps, ou bien, s'il l'expliquoit de quelques vnes, les raifons qu'il en donnoit ne dependoient pas tellement les vnes des auircs que celait voir que toute la nature pouuoit e^flre expliquée en me/me façon (au moins on ne peut le coni.oiftre de ce qui nous a efté laifté par écrit de fes opinions). Mais je lailfe à juger aux ledeurs fi les raifons que j'ay mifes en ce traittc fe fuiuent aflez, &ji on en peut déduire ajfe\ de chofes. Et pource que la conjideration des figures, des grandeurs et des mouuemens a efté receu'è par Ariflote & parions les autres, aujft bien que par Dempcinte, & que je rejette tout ce que ce dernier a fuppofe outre cela, ainjî que je rejeté généralement tout ce qui a eflé fuppofé par les autres, il ejl éuident que cette façon de philofopher n'a pas plus d'affinité auec celle de Democrite qu'auec toutes les autres feâes particulières.

Principes. Quatriesme Partie. J2i

2o3. Comment on peut paruenir à la connorjfance desjigures, grandeurs & mouuemens des corps infcnfibles.

Quelqu'vn derechef pourra demander d'où j'ay appris quelles font les figures, grandeurs | & mouuemens des petites parties... 479 de chaque corps, plufieurs desquelles j'ay icy déterminées tout de mefme que fi je les auois veuès, bien qu'il /oit certain que je n'ay pu les aperccuoir par l'aj'de des fens, puis que j'aduouë qu'elles font infenfibles. A quoy je répons que j'ay, premièrement, confideré en gênerai toutes les notions claires S- dijlinâes qui peuuent eftre... en noftre entendement touchant les chofes matérielles, & que, n'en ayant point trouué d'autres ftnon celles que nous auons des figures, des grandeurs & des mouuemens, ^ des règles fuiuant le/quelles ces trois chofes peuuent efire diuerfifiées l'pne par l'autre, le/quelles règles font les principes de la Géométrie & des Mechaniques, fcif jugé qu*il faloit necejfairement que toute la connoiffance que les hommes peuuent auoir de la nature fufi tirée de cela feul ; pource que toutes les autres notions que nous auons des chofes fenfi blés, eflant confufes & ohfcures, ne peuuent feruir à nous donner la connoiffance d'aucune chofe hors de nous, mais plufiojl la peuuent empcfclier. En fuite de quoi, j'ay exa- miné toutes les principales différences qui fe peuuent trouuer entre les figures, grandeurs & mouuemens de diuers corps que leur feule peiitelfe rend infenfibles, & quels effets fenfibles peuuent élire pro- duits par les di\uerf es façons dont ils fc méfient enfemble. Et par 480 après, lors que j'ay rencontré de femblables effets dans les corps que nos fens aperçoiuent, j'ay penfé qu'ils auoient /?« efire ainfi pro- duits. Puis faf creu qu'ils l auoient infailliblement efie, lors qu'il m'a femblé eftre impoffiblede trouuer~e« toute l'efienduë de la nature aucune autre caufe capable de les produire. A quoy l'exemple de plufieurs corps, compofez par l'artirice des hommes, m'a beaucoup feruy : car je ne reconnois aucune différence entre les machines que font les arlifans & les diuers corps que la nalurejcule compoj'Cy finon que les effets des machines ne dépendent que de Vagencement de certains tuyaux, ou rejjorls, ou autres inllrumens, qui, datant auoir quelque proportion auec les mains de ceux qui les font, font touf- jours fi grands que leurs figures ^S* mouuemens fe peuuent voir, au lieu que les tuyaux ou refforls qui caufent les effets des corps naturels font ordinairement trop petits pour élire apperceus de nos fens. Et il eft certain que toutes les règles des Mechaniques appartiennent à la Phyfique..., en forte que toutes les chofes gui font Œuvres. IV. 3^

J22 OEUVRES DE DeSCARTES.

artificielles, font auec cela naturelles. Car, par exemple^ lors qu'vne ^ montre marque les heures par le moyen des roUes dont elle ell faite, \Si cela ne lui eft pas moins najturel qu'il ell à vn arbre... de produire fes fruits. C'eft pourquoy, en mefme façon quVw horologier...,en^ voyant vne montre qu'il n'a point faite, peut ordinairement juger, de quelques vnes de fes parties qu'il regarde, quelles" font toutes les autres qu'il ne voit pas : ainfi, en confiderant les effets & les parties fenfiblesdes corps naturels, j'ay tafchéde connoiftre quelles* doiuent eftre celles de leurs parties qui font infenfibles.

204. Que, touchant les chofes que nos fens n'aperqoiuent point, il fuffit d'expliquer comment elles peuuent ejlre; & que c'ejl tout ce qu'AriJiote a tafché de faire.

On répliquera encore à cecy que, bien que faj'e peut-eftre imaginé des caufes qui pourroient produire des effets femblables à ceux que lious voyons, nous ne deuons pas pour cela conclure que ceux que nous voyons font produits par elles. Pource que, comme vn horolo- gier induflrieux peut faire deux montres qui marquent les heures en mefme façon, & entre lefquelles il n'y ait aucune différence en ce qui paroift à l'extérieur, qui n'ayent toutefois... rien de femblable en la compofition de leurs roUes : ainfi il eft certain que Dieuavne infinité de diuers moyens, par chacun defquels il peut auoir fait que toutes les chofes de ce monde paroijfent telles que maintenant elles paroijffent, fans qu'il foit pofftble à l'efprit humain de connoiftre lequel de tous ces moyens il a voulu employer à les faire. Ce que je ne fais aucune 481 difficulté d'accorder. Et je croiray auoir affez | fait, fi les caufes que j'ay expliquées font telles que tous les effets qu'elles peuuent produire fe trouuent femblables à ceux que nous voyons dans le monde, fans m' enquérir fi c eft par elles ou par d autres qu'ils font produits. Mefme je croy qu'il eft auffi vtile pour la vie, de connoi^/lre des caufes ainfi imaginées^ que fi on auoit la connoiffance des vrayes : car la Médecine, les Mechaniques, & généralement tous les arts à quoy la connoiffance de la Phyfique peut feruir, n'ont pour fin que d'ap' pliquer tellement quelques corps fenfibles les vns aux autres, que, par la fuite des caufes naturelles, quelques effets fenfibles f oient produits ; ce que nous ferons tout aujji bien, en confiderant la fuite de quelques caufes ainfî imaginées, bien que fauffes, que fi elle efîoient les vrayes, puis que cette fuite eft fuppofée femblable, en ce qui regarde les effets

u. Tcxic imprime : « qu'elles ».

Principes. Quatriesme Partie. j2}

fenfibîes. Et afin qu'on ne penfe pas qu'Ariftote' ait jamais... pré- tendu de faire quelque chofe de plus que cela ^ il dit luy-mefme, au commencement du 7. chap. du premier iiure de fes Météores, que, « pour ce qui eft des chofes qui ne font pas manifeftes aux » fens, il penfe les demonrtrer fuffifamment, & autant qu'on peut M dejî?'er auec rai/on, s'il fait feulement voir qu'elles peuuent eftre » telles qu'il les explique ».

2o5. Que neantmoîns on a vne certitude morale,'que toutes les chofes de ce inonde font telles qu'il a ejlê icy demonjlré quelles peuuent ejlre.

Mais neantmoins, afin que je ne face point de | tort à la vérité, 483 en la fuppofant moins certaine qu'elle n'cjlf je dijîingiieraj' icy deux fortea de certitudes. La première eft apelée morale,'c'ert à dire fuffi- fante pour relier nos fnœurs, ou auffi grande que celle des chofes dont nous n'auons point coujlume de douter touchant la conduite de la vie, bien que nous /cachions qu'il fe peut faire, abfolument parlant, qu'elles foient faujfes. Ainfi ceux qui n'ont jamais efîé à Rome ne doutent point que ce ne foit vne ville en Italie, bien qu'il fe pourvoit faire que tous ceux defquels ils l'ont appîùs les afent trompe^. Et fi quelqu'vn..., pour deuiner vn chiffre écrit auec les letti^es ordi- naireSt s'auife de lire vn B partout il y aura vn A, &. de lire vn C partout il y aura vn B, & ainfi de fubftituer en la place de chaque lettre celle qui la fuit en l'ordre de l'alphabet, & que, le îifant en cette façon, il y trouue des paroles qui ayent du fens, il ne doutera point que ce ne foit le vray fens de ce chiffre qu'il aura ainfi irouué, bien qu'...il fe pourroit faire que celuy qui l'a écrit y en ait mis vn autre tout différent, en donnant vne autre fignification à chaque lettre : car cela peut fi difficilemen» arriuer, principalement lors que le chiffre contient beaucoup de mots, qu'il n'eft pas morak' ment croyable. Or, fi on confidere combien de diuerfes propriété^ de l'aymant, du feu, | & de toutes les autres chofes qui font au monde, 484 ont erté tres-euidemment déduites d'vn fort petit nombre de caufes que j'ay propofées au commencement de ce traitté, encore mefme qu'on s'imagineroit que je les ay fuppofées' par hazard, & fans que la raijon me les ait perfuadées, on ne laiffera pas d'auoir pour le moins autant de raifon de juger qu'elles font les vvayes caufes de tout ce que j'en ay déduit, qu'on en a de croire qu'on a irouué le

a. Cf. Correspondance de Descartes, t. V, p. 55o, 1. 4.

b. « De plus que cela », corrigé à Verrata. Texte imprimé : « de cela ».

c. « Suppofées », corrigé à ï errata. Texte imprimé : « fuppofez ».

J24 (SuvRES DE Descartes.

vraj'fensd'vn chiffre, lors qu'où le voit fui itre delà fignification qu'on a donnée par conjeâure à chaque lettre. Car le nombre des lettres de l'alphabet cjl beaucoup plus grand que celiiy des premières caufes que j'ayfuppofées, & on iiapas coujîume de mettre tant de mots, ny me/me tant de lettres, dans vu chiffre, que fay déduit de diuers effets de ces caufes \

206. Et me/me qu'on en a vue certitude plus que morale.

L'autre forte de certitude efî lors que nous penfons qu'il nefl au- cunement poffible que la chofe foit autre que nous la jugeons... Et elle eft fondée fur vn principe de Metaphyfique tres-ajfuré, qui ejï que, Dieu eflant fouuerainement bon & la fource de toute vérité, puifque cejî luy qui nous a crée\, il eft certain que la puiffance ou faculté qu'il nous a donnée pour diftinguer le vray d'auec le faux, ne. fe

485 trompe point, lors que nous en vfons bien & qu'elle nous | monftre euidemmcHt qu'wnt chofe eff fraye. Ainfi cette certitude s'eftend à tout ce qui eft demonftré dans la Mathématique; car nous voyons clairement qu'il efi impqffible que deux & trois joins enfemble facent plus ou moins-que cinq, ouqu'vn quarré n'ait que trois cofle^, & chofes femblables. Elle s'eftend aufl"i à la connoiflance que nous auons qu'il y a des corps dans le monde, pour les raijons cy-dejfus expliquées au commencement de la féconde partie. Puis en fuitte elle s'eftend à toutes les chofes qui peuuent eftre demonftrées, touchant ces corps, par les principes de la Mathématique ou par d'autres aujji éuidens & certains; au nombre defquelles il me femble que celles que j'ay écrites en ce traitté doiuent eftre receuës, au moins les principales & plus générales. Et j'efpere qu'elles le feront en effet par ceux qui les auront examinées en telle forte, qu'ils verront clairement toute la fuite des déductions que j'ay faites, &. combien font euidens tous les principes dcfquels je me fuis feruy; principalement s'ils com- prennent bien qu'il ne fe peut faire que nous fentions aucun objet, linon par le moyen de quelque mouuemént local que cet objet excite en nous, & que les cftoilcs fixes... ne peuuent exciter ainfi aucun mouuemcnt e/i nos yeux, fans... mouuoir aufli en quelque façon

486 toute I II matière" qui eft entre elles & nous, d'oii il fuit tres-éuidem- ment que les deux doiuent eflre Jluides, c'cfl à dire compofe\ de petites parties qui fe meuuent feparement les vues des autres, ou du moins

a. Voir Correspondance, t. V, p. 3o9, 1. 16.

b. Texte imprimé : « nature », corrigé h Verrata.

Principes. Quatriesme Partie. J2^

qu'il doit j' aiioir en eux de telles parties. Car tout ce qu'on peut dire quej'aj'fuppofé, & qui fe trouue en l'article 46 de la troijîéme partie*, peut ejîre r-eduit à cela feu l que les deux font Jluides. En forte que CQ feul point eftant reconnu pour fuffifam ment démontré par tous les effets de la lumière, & < par > la fuite de toutes les autres chofes que fay expliquées, je penfe qu'on doit aufli reconnoirtre quQ j'aj' prouué par demonfii-ation Mathématique toutes les chofes que j'ay écrites, au -moins les plus générales qui concernent la fabrique du ciel & de la terre, & en la façon que je les ay écrites : car fay eu foin de propofer comme douteufes toutes celles que J'a/ penfé l'eflre.

20 j. Mais que je foumets toutes mes opinions au jugement des plus fages & à l'authorité de l'Eglife.

Toutefois, à catife que je ne veux pas me fier trop à mov mefme, je n'affure icy aucune chofe, & je foufmets toutes mes opinions au jugement des plus fages & à l'authorité de l'Eglife... Mefme je prie les Lecteurs de n'adjoufter point du tout de foy à tout ce qu'ils trouueront icy écrit, mais feulement de l'examiner & n'en receuoir que ce que la force & l'euidence de la raifon les pourra contraindre de croire.

a. Page 124.

FIN.

NOTE I

SUR LES RÈGLES DU CHOC DES CORPS

D'APRÈS DESCARTES {Voir ci -avant, p. 8<i. noie a.»

Il m'a paru utile d'indiquer ici avec précision en quoi les sept règles cartésiennes, relatives au choc des corps, diftèrent des règles théoriques de la Mécanique applicables aux mêmes cas (corps parfaitement durs, isolés de tous autres, et n'ayant d'actions réciproques qu'au moment du choc, se mouvant enfin suivant la droite qui joint leurs centres de gravité, cette droite passant d'ailleurs par les points qui viennent en contact).

Ces règles théoriques sont comprises sous une formule unique qui se déduit du théorème de la conservation du mouvement du centre de gra- vité (ici supposé immobile), et de celui de la conservation des forces vives, démontrés en Mécanique rationnelle pour tout système isolé.

Si l'on désigne par B et C les masses des deux corps désignés sous les mêmes lettres par Descartes, si l'on appelle b et c leurs vitesses respectives avant le choc, ? et y leurs vitesses après le choc (vitesses comptées positi- vement dans le même sens), les théorèmes précités fournissent les rela- tions :

(i) Bfr-f Cc = BP + Cy, (2) B^' + Cc'=:Bp»-f- Cy*.

et l'on en déduit les formules générales :

^3) p^^-i^i^IZl), ,^c+^-^(^-^)

B-f C ' * ' B + C^

Mais d'autant que, dans ses six premières règles. Descartes suppose les corps animés de vitesses dirigées en sens contraires (ou l'une d'elles nulle), pour faciliter les rapprochements avec son texte, nous remplacerons, pour ces six règles, c par c, y par Yt et nous meiirons les formules sour la forme

. ^^ ^ ^-^ B-i-C ' ^-^ B + C *

i^ Règle ; II, 46 (p. 89). Hypothèses : b ~ C, b = c, Ona:p = t, y = *•

J28 Notes.

Les corps rejaillissent de part et d'autre, en conservant la même vitesse absolue. Descartes a admis la même règle.

2i»e Règle : n, 47 (p. 90). Hypothèses ; B > C, ^ = c.

B-?C. _ 3B-C.

'^~ B + C ' ^~ B-i-C

Le corps C rejaillit toujours avec une vitesse plus grande, en valeur absolue, que la vitesse antérieure ; le corps B peut, suivant les rapports des masses , suivre le corps C, mais avec une vitesse moindre ; ou bien s'arrêter, si B = 3 C ; ou enfin rejaillir lui-même.

Descartes admet que le corps C rejaillit toujours avec une vitesse égale,

en valeur absolue, à la vitesse antérieure, et que B le suit avec la même

vitesse, (p = f = b). La force vive du système resté la même ; le mou-

B -i- C vement du centre de gravité s'accélère dans le rapport -^ !— ^.

3»o Règle .♦ Il, 48 (p. 90). Hypothèses ; B = C, t > c. p = -c, Y=-^-

Les corps rejaillissent en échangeant leurs vitesses.

D'après Descartes, au contraire, C rejaillit seul, et les deux corps conti- nuent à se mouvoir en restant joints ensemble, avec une vitesse égale à la moyenne arithmétique des valeurs absolues des vitesses antérieures.

(P = Y = —^ La force vive du système diminuerait alors d'autant plus que b serait supérieur à c; le mouvement du centre de gravité s'accé- lérerait dans le rapport ,■ "^ ■■ . b c

4""' Règle : II, 49 (p. 90). Hypothèses : C> B, c = o.

o_ C-B. _ 2B_.

Après le choc, les deux corps se meuvent en sens contraire. D'après Descartes, C reste en repos, et B rejaillirait en conservant sa vitesse en valeur absolue (p = ^, c = o). La force vive resterait la même, le mou- vement du centre de gravité changerait de sens.

5m. Règle ; 11, 5 o (p. 91). Hypothèses ; C < B, c = 0.

k ^ - ^ h 2B .

^=bTX^' ^ = ""Birc^-

Apr-s le choc, les deux corps se meuvent dans le même sons, C prenant

une vitesse plus grande que B, Descartes admet, au contraire, que B et C

B prennent une vitesse commune ^ b ; cette fois, sa règle conserve le

^ Notes. J29

mouvement du centre de gravité, mais elle diminue la force vive dans le rapport gA^.

gme Règle : II, 5i (p. 92). Hypothèses : C = B, c = o.

P = o. y = l,.

Le coips B s'arrête, et le corps C prend sa vitesse. D'après Descartes, B rejaillirait en gardant les trois quarts de sa vitesse absolue, C se met- trait en mouvement avec un quart de cette même vitesse. Dans cette solu- tion, le mouvement du centre de gravite change de sens, et la force vive du système diminue de trois huitièmes.

7"" Règle : II, 52 (p. 92). Les Jeux corps se meuvent, avant le choc, dans le même sens.

Nous reprenons, pour cette septièniC règle, les formules générales (3), en supposant que c y ait une valeur positive. Comme, pour que la ren- contre ail lieu, il faut admettre que^>c, on voit qu'après le choc, la vitesse de C est augmentée, et la vitesse de B diminuée, assez en tous cas pour tomber au-dessous de celle que prend C. Cette diminution peut être

assez forte pour que B s'arrête (si - = g _, ce qui exige au moins

b 2C

B <3C. Il peut même rejaillir, si -< p— p;, B étant relativement

encore plus faible.

Descartes distingue deux cas :

10 B et C prennent, après le choc, une vitesse commune, si B > C ou

C b si, avec B < C, on a 5^<C-- I-a vitesse commune est, d'après l'exemple D c

qu'il donne, —5—7—7^. Le mouvement du centre de gravité est conservé; B -j- C'

il y a perte de force vive.

b C

Si, au contraire, - < , C continue son mouvement- avec sa vitesse

CD

antérieure, B rejaillit en conservant la sienne en valeur absolue (p = ^, Y = c). Alors la force vive reste la même; le mouvement du centre de gra- vite est, au contraire, diminué dans le rapport ~f -.

Ce 4- B^

On remarquera que, pour la limite qui sépare ces deux cas, à savoir si h C -= ô, il y a indécision, les règles de Descartes aboutissant à des rèsul-

tats contradictoires. Il n'a'iiidiqiié nulle patf comment il aurait pallié ce saltus natlirœ, et s'il aurait employé un compromis analogue à celui de la 6'"* Règl^, les circonstances étaient analogues.

J30 Notes.

On remarquera aussi que Descartes n'a pas épuisé toutes les combi- naisons qu'il devait envisager. Pour les vitesses dirigées en sens contraire avant le choc et inégales, il manque, en effet, deux règles correspondant aux hypothèses :

{3)a b>c B>C

(3)b *>c B < C.

Or, ni dans l'un ni dans l'autre de ces deux cas, on ne peut être assuré de retrouver les solutions que Descartes aurait données. . . {La note s' ar- rête ici dans les papiers de Paul Tannery. Elle est certainement ina- chevée, et a été interrompue par la mort.)

NOTE H

(Page 109, note a, fin.)

On n*a rien retrouvé, dans les papiers de Paul Tannery, qui se rappor-^ tât à la note annoncée ici. Contentons-nous de corriger au moins l'indi- cation erronée : De Marte sub Sole viso. Il faut lire sans doute De Mer- curio sub Sole viso, opuscule de Gassend, imprimé une première fois en i63i, une seconde en i632.

TABLE DES PRINCIPES

DE LA

PHILOSOPHIE

Avertissement * m

Frontispices xxi

Lettre de l'Autheur au Traducteur i

Dédicace à la Princesse Elisabeth ai

PREMIERE PARTIE Des Principes de la connoijfance humaine.

1. Que, pour examiner la vé-

rité, il eft befoin, vne fois en fa vie, de mettre toutes chofes en doute, autant qu'il fe peut 25

2. Qu'il eft vtile auffi de confi-

derer comme faulTes toutes les chofes dont on peut douter ". »

3. Que nous ne deuons point

vfer de ce doute pour la conduite de nos a<Sions.. 26

4. Pourquoy on peut douter

de la vérité dés chofes fen- fibles »

5. Pourquoy on peut auflî

douter des demonftrations de Mathématique »

6. Que nous auons vn libre

arbitre qui fait que nous pouuons nous abftenir de croire les chofes douteu- fes, & ainfi nous empef- cher d'eftre trompez 27

7. Que nous ne fçaurions dou-

ter fans eftre, & que cela . eft la première connoif- fance certaine qu'on peut acquérir »

8. Qu'on connoift auffi enfuite

la diftindion qui eft entre l'ame & le corps 28

9. Ce que c'eft que la penfée. » 10. Qu'il y a des notions d'el-

les-mefmes 11 claires qu'on les obfcurcit en les vou-

r-2 Table des

lant définir à la façon de l'Echoie; & qu'elles ne s'acquerent point par eftu- de , mais naifTent auec nous 28

1 1. Comment nous pouuons plus clairement connoi- ftre noftre ame que noftre corps 29

12. D'où vient que tout le monde ne la connoift pas

en cette façon 3o

i3. En quel fens on peut dire que, fi on ignore Dieu, on ne peut auoir de connoif- fancj certaine d'aucune

autre chofe »

14. Qu'on peut demonftrer qu'il y a vn Dieu de cela feul que la neceflité d'eflre ou d'exifter eft comprife en la notion que nous

auons de luy 3 1

i5. Que la neceflité d'eftren'eft pas comprife en la no- tion que nous auons des autres chofes, mais feule- ment le pouuoir d'eftre.. . »

16. Que les préjugez empef-

chent queplufieurs ne con- noiflent clairement cette neceflité d'eftre qui eft en Dieu 32

17. Que, d'autant que nous conccuons plus de perfe- ction en vnc chofe, d'au- tant dcuons-nous croire que fa caufc doit aufli eftre plus parfaite »

18. Qu'on peut derechef de-

monftrer par cela, qu'il y

a vn Dieu 33 .

19 Qu'cnct»re que nous ne comprenions pas tout ce qui eft en Dieu, il n'y a

Principes

rien toutefois que nous connoiflions li clairement comme fes perfeflioas 53

20. Que nous ne fommes pas

la caufe de nous mefmes, mais que c'eft Dieu, & que par confequent il y a vn Dieu 34

21. Que la feule durée de no- ftre vie fuffit pour demon- ftrer que Dieu eft »

22. Qu'en connoiflant qu'il y a vn Dieu, en la façon icy expliquée, on connoift auftTi tous fes attributs, au- tant qu'ils peuuent eftre connus par la feule lu- mière naturelle. , »

23. Que Dieu n'eft point cor-

porel, & ne connoift point par l'ayde des fens comme nous, & n'eft point au- thcur du péché 35

24. Qu'après auoir connu que Dieu eft, pour pafl'er à la connoifTance des créatu- res, il fe faut fouuenir que noftre entendement eft fi- ny, & la puiirance de Dieu infinie »

25. Et qu'il faut croire tout ce que Dieu a reuelé, encore qu'il foit au defl'us de la portée de noftre efprit 36

26. Qu'il ne faut point tafcher de comprendre linfiny, mais feulement penfcr que tout ce en quoy nous ne trouuons aucunes bornes

eft indefiny »

27. Quelle différence il y a en-

tre indejiny & injîny .... 37

28. Qu'il ne faut point exami-

ner pour quelle Hn Dieu a fait chaque chofe, mais

DE LA Philosophie. }J)

feulement par quel moyen aux autres ma'.ftres, mais

il a voulu qu'elle fuft pro- non point à Dieu 41

duite . .' 37 39. Que la liberté de noftre

29. Que Dieu n'eft point la volonté fe connoift fans caufe de nos erreurs » preuue, par la feule expe-

30. Et que par conlequent tout rience que nous en auons. » cela eft vray que nous con- 40. Que nous fçauons aulfi tres- noiflbns clairement eftre certainement que Dieu a vray, ce qui nous deliure préordonné',- teschofes. 42 des doutes cy-deffus pro- 41. Comment on peut accor- pofez 38 der noftre libre arbitre

3ï. Que nos erreurs, au rc- auec la préordination di-

gard de Dieu, ne font que uine »

des négations, mais au re- 42. Comment, encore que nous

gard de nous, font des pri- ne vueiilions jamais faillir,

uations ou des defaux » c'eft neantmoins par noftre

32. Qu'il n'y a en nous que volonté que nous faillons. » deux fortes de penfée, à 43. Que nous nefçaurionsfail- fçauoir, la perception de lir en ne jugeant que des l'entendement, & l'aclion chofes que nous aperce-

de la volonté 39 uons clairement & diftin-

33. Que nous ne nous irom- élément •. 43

pons que lors que nous 44. Que nous ne fçaurions que

jugeons de quelque chofe mal juger de ce que nous

qui ne nous eft pas afl"ez n'aperceuons pas claire-

connuë » ment, bien que noftre ju-

34. Que la volonté, a\îfli bien gement puiffe eftre vray, que l'entendement, eft re- & que c'eft fouuent noftre quife pour juger » mémoire qui nous trompe. »

35. Qu'elle a plus d'eftenduë 45. Ce que c'eft qu'vne percep-

que luy, & que de vien- tion claire & diftinile 44

nent nos erreurs 40 46. Qu'elle peut eftre claire

36. Lefquelles nepeuuenteftre fans eftre diftinfte,' mais imputées à Dieu » non au contraire »

37. Que la principale perfe- 47. Que, pour ofter les preju- £lion de l'homme eft d'à- gez de noftre enfance, il uoirvn libre arbitre, <& que faut confiderer ce qu'il y c'eft ce qui le rend digne a de clair en chacune de

de loUange ou de blafme. » nos premières notions.. . . »

38. Que nos erreurs font des 48. Que tout ce dont nous défaux de noftre façon d'à- auons quelque notion eft gir, mais non point de cpnfideré comme vne cho- noftre nature ; & que les fe ou comme vne vérité : fautes des fujets peuuent & le dénombrement des fouuent ^ eftre attribuées chofes 45

«

JJ4 Table des

49. Que les veritez ne peuuent ainfi eftre dénombrées, & qu'il n'en eft pas befoin . . 46

50. Que toutes ces veritez peu- uent eftre clairement ap- perceuës; mais non pas de tous, à caufe des préjugez. »

5i. Ce que c'eft que la fub- ftance; & que c'eft vn nom qu'on ne peut attribuer à Dieu & aux créatures en mefme fens »

5a. Qu'il peut eftre attribué à l'ame & au corps en mefme fens : & comment on con- noift la fubftance 47

53. Que chaque fubftance a vn

attribut principal ; & que celuy de l'ame eft la pen- fée, comme l'extenfion eft celuy du corps 48

54. Comment nous pouuons auoir despenféesdiftin6les de la fubftance qui penfe, de celle qui eft corporelle,

& de Dieu »

55. Comment nous en pouuons aufli auoir de la durée, de Tordre & du nombre 49

56. Ce que c'eft que qualité, & attribut, & façon ou mode »

57. Qu'il y a des attributs qui appartiennent aux chofes aufquelles ils font attri- buez, & d'autres qui dé- pendent de noftre penfée.. »

58. Que les nombres & les vni-

uerfaux dépendent de no- ftre penfée 5o

59. Quels font les vniuerfaux. »

60. Des diftindions, & premiè-

rement de celle qui eft réelle 5i

61. De la diftin^ion modale . . 52

Principes

62. De la diftinftion qui fe fait par la pervfée 53

63. Comment on peut auoir des notions diftinéles de l'extenfion & de la penfée, en tant que l'vne conftituë la nature du corps, & l'au- tre celle de l'ame »

64. Comment on peut auffi les conceuoir diftinélement en les prenant pour des mo- des ou attribus de ces fub- ftances 54

65. Comment on conçoit auflî. leurs diuerfes proprietez

ou attributs »

66. Que nous auons auflî des notions diftinfles de nos fentimens, & de nos affe- ftions, & de nos appétits, bien que fouuent nous nous trompions aux juge- mens que nous en faifons. 55

67. Que fo.uuent mefme nous nous trompons en jugeant que nous fentons de la douleur en quelque partie

de noftre corps »

68. Comment on doit diftin- guer en telles chofes ce en quoy on peut fe tromper d'auec ce qu'on conçoit clairement 56

69. Qu'on connoift tout autre- ment les grandeurs, les fi- gures, &c., que les cou- leurs, les douleurs, &c. . . 57

70. Que nous pouuons juger en deux façons des chofes fenfiblcs, par l'vne def- quelles nous tombons en erreur, & par l'autre nous l'éuitons >

71. Que la première «& princi- pale caufe de nos erreurs

DE LA Philosophie.

JM

font les préjugez de noftre enfance .....'. 58

72. Que la féconde eft que nous ne pouuons oublier

ces préjugez 59

73. La troiliéme, que noftre efprit fe fatigue quand il fe rend attentif à toutes les cholts dont nous jugeons. 60

74. La quatrième, que nous attachons nos penfées à

des paroles qui ne les ex- priment pas exaélement.. 60

75. Abrégé de tout ce qu'on doit obferuer pour bien phiiofopher 61

76. Que nous deuons préférer l'authorité diuine à nos raifonnemens, & ne rien croire de ce qui n'eft pas reuelé que nous ne le coh- noiffions fort clairement. [62

SECONDE PARTIE Des Principes des chofes matérielles.

1. Quelles raifons nous font

fçauoir certainement qu'il y a des corps 63

2. Comment nous fçauonsaufTi

que noftre ame eft jointe à vn corps 64

3. Que nos fens ne nous enfei-

gnent pas la nature des chofes, mais feulement ce en quoy elles nous font vtiles ou nuifibles »

4. Que ce n'eft pas la pefan-

teur, ni la dureté, ny la couleur, &c., qui conftituë "la nature du corps, mais Vextenfion feule 65

5. Que cette vérité eft obfcur-

cie par les opinions dont on eft préocupé touchant la rarefaflion & le vulde. . »

6. Comment fe fait la rarefa-

flion 66

7. Qu'elle ne peut eftre intelli-

giblement expliquée qu'en la façon icy propofée .... »

8. Que la grandeur ne difere

de ce qui eft grand, ny le nombre des chofes nom- brées, que par noftre pen- fée 67

9. Que la fubftance corporelle

ne peut eftre clairement conceuë fans fon exten- fion 68

10. Ce que c'eft que l'efpace

ou le lieu intérieur »

11. En quel fens on peut dire qu'il rj,'eft point différent

du corps qu'il contient... »

12. Et en quel fens il en eft différent 69

i3. Ceque c'eft que le lieu ex- térieur »

14. Quelle différence il y a entre le lieu & l'efpace. . . 70

i5. Comment la fuperfîcie qui enuironne vn corps peut eftre prife pour fon lieu extérieur 71

16. Qu'il ne peut y auoir aucun

j )6 Table des

vuide, au fens que les Phi- lofophes prennent ce mot. 71

17. Que le mot de vuide, pris félon Tvfage ordinaire , n'exclud point toute forte

de corps 72

18. Comment on peut corriger la fauffe opinion dont on eft préoc'jpé touchant le vuide »

19. Que cela confirme ce qui a efté dit de la raréfaction. . 73

20. Qu'il ne peut y auoir au- . cuns atomes, ou petits corps indiuifibles . , 74

21. Que l'eftenduë du monde

e(l indéfinie , »

22. Que la Terre & les Cieux ne font faits que d'vne mefme matière, & qu'il ne peut y auoir plufieurs mondes 75

33. Que toutes les varietez qui font en la matière dé- pendent du mouuementde fes parties »

24. Ce que c'eft que le mouue- ment pris félon Tvfage commun »

25. Ce que c'eft que le mouue- ment proprement dit 76

26. Qu'il n'eft pas requis plus d'aélion pour le mouue- ment que pour le repos. . . 77

27. Que le mouuement & le repos ne font rien que deux diuerfes façons dans le corps ils fe trouuent. . ■»

28. Que le mouuement en fa propre fignification ne fe rapporte qu'aux corps qui touchent celuy qu'on dit

fe mouuoir 78

29. Et mefme qu'il ne fe rap- porte qu'à ceux de cc>

Principes

corps que nous confide- rons comme en repos »

3o. D'où vient que le mouue- ment qui fepare deux corps qui fe touchent, eft pluftoft attribué à l'vn qu'à l'autre. 79

3i. Comment il peut y' auoir plufieurs diuers mouue- mens en vn mefme corps. 80

32. Comment le mouuement vnique proprement dit, qui eft vnique en chaque corps, peut aufli eftre pris pour plufieurs »

33.- Comment en chaque mou- uement il doit y auoir tout vn cercle ou anneau de corps qui fe mcuuent en- femble 8.1

34. Qu'il fuit de ;que la ma- tière fe diuife en des par- ties indéfinies & innom- brables 82

35. Que nous ne deuons point douter que cette diuiûon ne fe face, encore que nous

ne la puifïîons comprendre 83

36. Que Dieu eft la première caufe du mouuement, & qu'il en conferue îouf- jours vne '5gale quantité en l'vniuers »

37. La première loy de la na- ture : que chaque chofe demeure en l'eftat qu'elle eft, pendant que rien ne le change 84

38. Pourquoy les corps pouf- fez de la main continuent de fe mouuoir après qu'elle

les a quittez 85

39. La 2. loi de la nature : que tout corps qui fe meut tend " à continuer fon mouue- ment en ligne droite »

DE LA Philosophie.

})7

40. La 3. : que û vn corps qui le meut en rencontre vn autre plus fort que foy, il ne perd rien de l'on mou- uement; & s'il en ren- contre vn plus foible qu'il puiffe mouuoir, il en perd autant qu'il luy en donne. 86

41. La preuué de la première partie de cette règle 87

42. La preuue de la féconde partie »

43. En quoy confifte la force de chaque corps pour agir

ou pour rehller 88

44. Que le mouuement n'elt pas contraire à vn autre mouuement, mais au re- pos; & la détermination d'vn mouuement vers vn codé, à fa dcicrmination vers vn autre »

45. Comment on peut déter- miner combit-n les corps qui fe rencontrent chan- gent les mouuemens les vns des autres, par les rè- gles qui fuiuent 89

46. La première »

47. La féconde 90

48. La troifiéme »

49. La quatrième

50. La cinquième 91

5 1 . La fixiéme 93

52. La feptiéme >•

53. Que l'explication de ces règles ert difficile, à caufe que chaque corps cii tou- ché par plulieurs autres en mefme temps 93

54. En quoy conllfte la nature des corps durs & des li- quides 94

55. Qu'il n'y a rien qui joigne les parties des corps durs,

ŒCVRES. TV.

finon qu'elles font en repos au regard l'vne de l'autre. »

56. Que les parties des corps fluides ontdesmouuemens qui tendent également de tous coftez, & que la moindre force fuffit pour mouuoir les corps durs qu'elles enuironnent 95

57. La preuue de l'article pré- cèdent 96

58. Qu'vn corps ne doit pas eilre eltimé entièrement fluide au regard d'vn corps dur qu'il enuironne, quand quelques-vnes de fes par- tics fe meuuent moins vite que ne fait ce corps dur. , 98

59. Qu'vn corps dur eftant pouiïé par vn autre ne re- çoit pas de luy feul tout le mouuement qu'il acquert, mais en emprunte aurtl vne partie du corps fluide qui l'enuironne »

60. Qu'il ne peut toutefois auoir plus de vitelVe que ce corps dur ne luy en donne 99

61. Qu'vn corps fluide qui fe meut tout entier vers quelque coilé emporte ne- cert'ai rement aucc foy tous les corps durs qu'il con- tient ou enuironne »

62. Qu'on ne peut pas dire pro- prement qu'vn corps dur fe meut, lors qu'il efl ainli emporté par vn corps fluide 100

63. D'où vient qu'il y a des corps h durs qu'ils ne peuuent eflre diuii'és par nos mains , bien qu'ils foient plus petits qu'rUe^. »

5?8

Table des Principes

64. Que je ne reçois point de principes en Phylique qui ne loieni aufll receus en Mathématique, afin de pouuoir prouiier par de- monftration tout ce que

j'en déduiray, & que ces principes fuffifent, d'au- tant que tous les Phaino- menes de la nature peuuent eftre expliquez par leur moyen 101

TROISIESME PARTIE Du Monde vijîble.

1. Qu'on ne fçauroit penfer

trop hautement des œu- urcs de Dieu io3

2. Qu'on prefumeroit trop de

foy-mcfme, fi on entrepre- noit de connoiftre la fin que Dieu s'eft propofé en créant le monde 104

3. En quel fens on peut dire

que Dieu a créé toutes chofcs pour l'homme »

4. Des Phainomenes ou expé-

riences, & à quoy elles peuuent \cy feruir »

5. Quelle proportion il y a

entre le Soleil, la Terre & la Lune, à raifon de leurs diftances & de leurs gran- deurs io5

6. Quelle diftance il y a entre

les autres Planètes & le Soleil »

7. Qu'on peut fuppofcr les

£itoiles fixes autant éloi- gnées qu'on veut »

8. Que la Terre eftant veuc du

Ciel ne paroiftroit que comme vnc Planète moin- dre que lupiter ou Sa- turne 106

9. Que la lumière du Soleil &

des Eftoiles fixes leur cft propre »

10. Que celle de la Lune & des autres Planètes eft em- pruntée du Soleil., 107

11. Qu'en ce qui eft de la lu- mière la Terre eft fem- blable aux Planètes

12. Que la Lune, lors qu'elle eft nouuelle, eft illuminée par la Terre »

1 3. Que le Soleil peut eftre mis au nombre des eftoiles fixes, & la Terre au nombre des Planètes »

14. Que les Eftoiles fixes de- meurent touf- jours en mefme fituation au regard l'vne de l'autre, & qu'il n'en eft pas de mefme des Pla- nètes 108

1 5. Qu'on peut vfer de diuerfes hypothefes pour expliquer les Phainomenes des Pla- nètes »

16. Qu'on ne les peut expliquer touspar celle de Ptolemée. »

17. Que celles de Copernic & de Tycho ne différent point,

DE LA Philosophie.

J}9

û on ne les confidcre que comme hypothefes 109

18. Que par celle de Tycho on attribue en etîet plus de mouuement à la Terre que par celle de Copernic, bien qu'on luy en attribue moins

en paroles »

19. Que je nie le mouuement de

la Terre auec plus de foin que Copernic, & plus de vérité que Tycho »

20. Qu'il faut fuppofer les Eftoiles fixes extrêmement éloignées de Saturne 110

21. Que la matière du Soleil, ainli que celle de la flame, elt fort mobile, mais qu'il n'ell pas befoin pour cela qu'il palîe tout entier d'vn lieu en vn autre »

22. Que le Soleil n'a pas befoin d'aliment comme la flame. 1 1 1

23. Que toutes les elloiles ne font point en vne fuper- licie fpherique 6: qu'elles font fort éloignées l'vne de l'autre »

24. Que les Cieux font liquides. 113

25. Qu'ils tranfportcnt auec eux tous les corps qu'ils contiennent »

26. Que la Terre \c rcpofc en Ion Ciel, mais qu'elle ne laille pas d'eltre tranfpor-

tée par luy 1 13

27. Qu'il en ell de mcfme de toutes les Planètes »

28. Qu'on ne peut pas propre- ment dire que la Terre ou les Planètes fe meuuent, bien qu'elles foient ainli tranfporices »

29. Que mefme. en parlant im- propiement & fuiuant l'v-

fage, on ne doit point attri- buer de mouuement à la Terre, mais feulement aux autres Planètes 114

30. Que toutes les Planètes font emportées autour du Soleil par le Ciel qui les contient Ii5

3 1. Comment elles font ainfi emportées 116

32. Comment fe font aufll les taches qui fe voient far la fuperficie du Soleil »

33. Que la Terre elt aulTi por- tée en rond autour de fon centre, & la Lune autour

de la Terre »

34. Que les mouuemens des

Cieux ne font pas parfaite- ment circulaires 117

35. Que toutes les Planètes ne font pas touf-jours en vn mefme plan »

36. Et que chacune n'ell pas touf-jours également éloi- gnée d'vn mefme centre. .118

37. Que tous les Phainomenes peuuent eilreexpliquezpar l'hypothcfe icy propofée. . 119

38. Que, fuiuant l'hypothefe de Tycho, on doit dire que la Terre fe meut au- tour de fon centre »

39. Et aufTi qu'elle fe meut au- tour du Soleil 1 20

40. Encore que la Terre change de iîtuaiion au regard des autres Planètes, cela n'ell pas fenlible au regard des Elloiles fixes, à caufc de leur extrême diltance 121

41. Que cette diltance des Ef-

loiles fixes elt newclfaire pour expliquer les mouue- mens des Comètes

340 Table des Principes

42. Qu'on peut mettre au 5y. Comment vn corps peut nombre des Phainomenes tendre à fe mouuoir en toutes les chofes qu'on plufieurs diuerfes façons

voitfur la Terre, mais qu'il en mefme temps i3i

n'eft pas icy befoin de les 58. Comment il tend à s'éloi-

conliderer toutes 122 gner du centre autour du-

43. Qu'il n'eft pas vray-fem- quel il fe meut i32

blable que les caufes def- 5g. Combien cette tenlion a de

quelles on peut déduire force »

tous les Phainomenes 60. Que toute la matière des

foient fauffes 12? Cieux tend ainfi à s'éloi-

44. Que je neveux point tou- gner de certains centres.. i33 tefois affurer que celles 61, Que cela eft caufe que les que je propofe font vrayes. » corps du Soleil & des

45. Que mefme j'en fuppofe- Eftoiles fixes font ronds. . »

ray icy quelques vnes que 62. Que la matière celelte qui

je crois fauITes » les enuironne tend à s'éloi-

46. Quelles font ces fuppofi- gner de tous les points de tions 1 24 leur fuperficie 1 34

47. Que leur fauifeté n'em- 63. Que les parties de cette

pefche point que ce qui matière ne s'empefchent

en fera déduit ne foitvray. i25 point en cela Tvne l'autre. i35

48. Comment toutes les par- 64. Que cela fuffit pour expli- ties du Ciel font deuenuës quer toutes les proprietez rondes 126^ de la lumière, & pour faire

49. Qu'entre ces parties rondes paroiftre les aftres lumi- il y en doit auoir d'autres neux fans qu'ils y contri-

plus petites pour remplir buent aucune chofe i36

tout l'efpace elles font. 127 65. Que les Cieux font diuifez

50. Que ces plus petites font en plufieurs tourbillons, ^c aifées b diuifer » que les pôles de quelques

5 1 . Et qu'elles fe meuuent très- vns de ces tourbillons tou- vite 128 chent les parties les plus

52. Qu'il y a trois principaux éloignées des pôles des clemens du monde vifible. » autres »

53. Qu'on peut diftinguer l'v- 66. Que les mouueménsde ces niuers en trois diuers tourbillons fe doiuent vn Cieux 1 29 peu deftourncr pour n'eftre

54. Comment le Soleil & les pas contraires l'vn à l'au- Elloiles ont pu fe former . 1 3o tre 1 37

55. Ce que c'eft que la lumière. 67. Que deux tourbillons ne fe

56. Comment on peut dire peuuent toucher par leurs

d'vnc chofe inanimée pôles i38

qu'elle tend à produire 68. Qu'ils ne peuuent eftre

quelque ctfort i3i tous de mefme grandeur. »

DE LA Philosophie.

H

69. Que la matière du pre- mier élément entre par les pôles de chaque tourbillon vers fon centre, & fort de par les endroits les plus éloignez des pôles iSg

70. Qu'il n'en eft pas de mefme

du fécond élément 140

71. Quelle eft la caufe de cette diuerfité »

72. Comment fe meut la ma- tière qui compofe le corps

du Soleil 141

73. Qu'il y a beaucoup d'ine- galitez en ce qui regarde la fituation du Soleil au mi- lieu du tourbillon qui l'en- uironne 142

74. Qu'il y en a aulTi beaucoup en ce qui regarde le mou- uement de fa matière 143

75. Que cela n'empefche pas que fa Hgure ne foit ronde. 144

76. Comment fe meut la ma- tière du premier élément qui eR entre les parties du fécond dans le Ciel 145

77. Que le Soleil n'enuoye pas feulement fa lumière vers l'Eclyptique , mais aulTi vers les pôles »

78. Comment il l'enuoye vers

l'Eclyptique 146

79. Combien il eft aifé quelque- fois aux corps qui fe meu- uent d'eftendre extrême- ment loin leur a£\ion »

80. Comment le Soleil en- uoye fa lumière vers les pôles 147

81. Qu'il n'a peut-eftre pas du tout tant de force vers les pôles que vers l'Ecly- ptique »

82. Quelle diuerfité il y a en la

grandeur & aux mouue- mens des parties du fécond élément qui compofent les Cieux 148

83. Pourquoy les plus éloi- gnées du Soleil dans le pre- mier Ciel fe meuuent plus vite que celles qui en font vn peu plus [lire moins) loin 149

84. Pourquoy auftl celles qui font les plus proches du Soleil fe meuuent plus vite que celles qui en font

vn peu plus loin 1 5o

85. Pourquoy ces plus pro- ches du Soleil font plus petites que celles qui en font plus éloignées »

86. Que ces parties du fécond élément ont diuers mou- uemens qui les rendent rondes en tout fens 1 5 1

87. Qu'il y a diuers degrez d'a-

gitation dans les petites parties du premier élé- ment l52

88. Que celles de ces parties qui ont le moins de viteffe en perdent aifement vne partie, & s'attachent les vnes aux autres 1 53

89. Que c'eft principalement en la matière qui coule des pôles vers le centre de chaque tourbillon qu'il fe trouue de telles parties... 154

90. Quelle eft la figure de ces parties que nous nomme- rons canelées »

91. Qu'entre ces parties cane- lées celles qui viennent d'vn pôle font tout autre- ment tournées que celles qui viennent de l'autre ... 1 55

J42 . Table des

92. Qu'il n'y a que trois ca- naux en la fuperficie de chacune , i55

93. Qu'entre les parties cane- lées & les plus petites du premier élément il y en a d'vne infinité de diuerfes grandeurs 1 56

94. Comment elles produifent des taches fur le Soleil ou fur les Eftoiles »

95. Quelle eft la caufe des prin-

cipales proprietez de ces taches 157

96. Comment elles font deftrui-

tes, & comment il s'en pro- duit de nouuelles »

97. D'où vient que leurs extre-

mitez paroiflent quelque- fois peintes des mefmes couleurs que l'arc en ciel. i58

98. Comment ces taches fe changent en fiâmes, ou au contraire les fiâmes en taches »

99. Quelles font les parties en quoy elles fe diuifent iSq

100. Comment il fc forme vne cfpcce d'air autour des aftres »

ICI . Que Icscaufcs qui produi- fent ou diffipent ces taches font fort incertaines 160

102. Comment quclqucfoisvnc feule tache couurc toute la fuperficie d'vn artrc »

10?. Pourquoy le Soleil a paru quelquefois plus obicur que de coufiumc, cS: pour- quoy les Efloilcs ne pa- roilTeni pas touf-jours de mcfmc grandeur 161

104. Pourquoy il y en a qui difparoilfcnt ou qui pa- roiiïcnt de nouucau »

Principes

io5. Qu'il y a des pores dans les taches par les parties canelées ont libre paffage. 162

106. Pourquoy elles ne peu- uent retourner . par les mefmes pores par elles entrent i63

107. Pourquoy celles qui vien- nent d'vn pôle doiuent auoir d'autres pores que celles qui viennent de l'au- tre »

108. Comment la matière du premier élément prend fon cours par ces pores 164

109. Qu'il y a encore d'autres pores en ces taches qui croifent les precedens i65

MO. Que ces taches empef- chent la lumière des aftres qu'elles couurent »

111. Comment il peut arriuer qu'vne nouuelle Eftoile paroiffe tout à coup dan*"

le Ciel 166

112. Comment vne Eftoile peut difparoiftre peu à peu. ... 167

1 1 3 . Que les parties canelées fe font pluficurs palïages en toutes les taches 168

1 14. Qu'vne mefme Eftoile peut paroiftre & difparoiftre pluficurs fois »

11 5. Que quelquefois tout vn tourbillon peut eftre de- ftruit 169

116. Comment cela peut arri- uer auant que les taches qui couurent fon aftre foicnt foit cfpailfes 170

117. Comment ces taches peu- uent auffi quelquefois dc- ucnir fort cpailfcs auant que le tourbillon qui les contient foit dcftruit 171

DE LA Philosophie.

34)

1 18. En quelle façon elles font

produites

171

1 19. Comment vne Eftoile fixe peut deuenir Comète ou Planète 172

120. Comment fe meut cette Eftoile lors qu'elle com- mence à n'eftre plus fixe.. 173

121. Ce que j'entends par la folidité des corps & par leur agitation 1 74

122. Que la folidité d'vn corps ne dépend pas feulement de la matière dont il eft compofé, mais auffî de la quantité de cette matière

& de fa figure 175

r23. Comment les petites bou- les du fécond élément peu- uent auoir plus de folidité quetoutlecprpsd'vnaftre. » 124. Comment elles peuuent

aulTi en auoir moins 176

ia5. Comment quelques vnes en peuuent auoir plus, & quelques autres en auoir moins 1 77

126. Comment vne Comète peut commencer à fe mou- uoir »

127. Comment les Comètes continuent leur mouue- ment 178

128. Quels font leurs princi- paux Phainomenes 179

129. Quelles font les caufes de

ces Phainomenes 180

i3o. Comment la lumière des Eftoiles fixes peut parue- nir jufques à la Terre. . . . 181 i3i. Que les Eftoiles ne font peut-eftre pas aux mefmes lieux elles paroiflent; & ce que c'eft que le firma- ment 182

i32. Pourquoy nous ne voyons point les Comètes quand elles font hors de noftrc Ciel i83

i33. De la queue des Comètes & des diuerfeschofesqu on y a obferuées i85

134. En quoy confifte la re- fra£lion qui fait paroiftre la queue des Comètes. ... 186

i35. Explication de cette re- fra^iion »

1 36. Explication des caufes qui font paroiftre les queues des Comètes 188

137. Explication de l'appari- tion des cheurons de feu.. 189

i38. Pourquoy la queue des Comètes n'eft pas touf- jours exactement droite ny diredementoppofée au So- leil 190

139. Pourquoy les Eftoiles fixes & les Planètes ne pa- roiffent poiftt auec de telles queues »

140. Comment les Planètes ont pu commencer à fe mouuoir 191

141. Quelles font les diuerfes caufes qui deftournent le mouuement des Planètes.

La première 19a

142. La féconde »

143. La troifiéme »

144. La quatrième i^3

145. La cinquième »

146. Comment toutes les Pla- nètes peuuent auoir efté formées 194

147. Pourquoy toutes les Pla- nètes ne font pas égale- ment diftantes du Soleil, . ipS

148. Pourquoy les plus pro- ches du Soleil fe meuuent

J44 Table des

plus vite que les plus éloi- gnées, & toutefois fes ta- ches qui en font fort pro- ches fe meuuent moins vite qu'aucune Planète... 195

149. Pourquoy la Lune tourne autour de la Terre 196

1 50. Pourquoy la Terre tourne autour de fon centre »

i5i. Pourquoy la Lune fe meut plus vite que la Terre 197

i52. Pourquoy c'eft touf-jours vn mefme cofté de la Lune qui eft tourné vers laTerre. »

1 53. Pourquoy la Lune va plus vite & s'écarte moins de fa route, eftant pleine ou

Principes

nouuelle, que pendant fon croiflant ou fon dccours.. . 198

154. Pourquoy les Planetcsqui font autour de lupiier y tournent fort vite, & qu'il n'en ei\ pas de mefme de celles qu'on dit élire au- tour de Saturne »

i55. Pourquoy les pôles de l'Equateur font fort éloi- gnez de ceux de l'Eclyp- tique 199

i56. Pourquoy ils s'en appro- chent peu à peu »

iSj. La caufe générale de tou- tes les varietez qu'on re- marque aux mouuemens des artrcs 200

QUATRIESME PARTIE De la Terre.

I. Que pourtrouuer les vrayes caufes de ce qui eft fur la Terre il faut retenir l'hy- pothefe def-ja prife, nonob- ftant qu'elle foit fauffe 201

3. Quelle a ei^é la génération de la Terre fuiuant cette hypoihefe »

3. Sa diuifion en trois diuerfes

régions, & la defcription de la première 202

4. Defcription de la féconde . . 2o3

5. Defcription de la troifiéme. »

6. Que les parties du troifiéme

clément qui font en cette troifiéme région doiuent edre affcz grandes 204

7. Qu'elles pcuucnt .itrc chan-

gées par l'action des deux autres elemens 204

8. Qu'elles font plus grandes

que celles du fécond, mais non pas fi folides ny tant agitées »

9. Comment elles fe font au

commencement alîcm- blées 2o5

10. Qu'il cil demeuré plu- fieurs interualles autour d'elles, que les deux autres elemens ont remplis »

11. Que les parties du fécond

élément crtoient alors plus petites, proches de la Terre, qu'vnpeu'plushaut. » la. Que les cfpaces par elles

DE LA Philosophie.

H5

piilToient entre les parties de . la troifiéme région

ertoient plus ellroits 206

i3. Que Ipsplus grolTes parties (jlr cette troiliéme région n'eltoient pas touf-jours les plus bafTes »

14. Qu'il s'eit par après formé

en elle diuers corps. ..,, . »

1 5. Quelles font les principales

allions par lefquelles ces corps ont elle produits. Et l'explication de la pre- mière 207

16. Le premier effet de cette première a£lion, qui ei\ de rendre les corps tranl- parens »

17. Comment les corps durs & folides peuuent eltre tranf- parens 208

18. Le fécond effet de la pre- mière action, qui ell de purifier les liqueurs & les diuifer en diuers corps. . . »

19. Le troiliéme effet, qui eft d'arondir les gouttes de

ces liqueurs 209

20. L'explication de la féconde adion, en laquelle confifte

la pefanteur 210

21. Que chaque partie de la

Terre, eftant confiderée toute feule, eft pluftoft lé- gère que pefante »

22. En quoy confifte la légè- reté de la matière du Ciel. 2 1 1

a3: Que c'eft la légèreté de cette matière du Ciel qui rend les corps terreftres pefans »

24. De combien les corps font plus pefans les vns que leà autres 2r2

2 5. Que leur pefanteur n*a pas Œuvres. IV.

214

213

tauf-jours mefme rapport auec leur matière 21 3

26. Pourquoy les corps pefans n'agilTent point, lors qu'ils ne font qu'entre leurs fem- blables, »

27. Pourquoy c'eft vers le cen- tre de la Terre qu'ils ten- dent

28. De la troifiéme aflion, qui eft la lumière; comment elle agite les parties de l'air

29. Explication de la quatrième

aétion, qui eft la chaleur ; & pourquoy elle demeure après la lumière* qui l'a produite

30. Comment elle pénètre dans les corps qui ne font point tranfparens 216

3i. Pourquoy elle a couftume de dilater les corps elle eft, & pourquoy elle en condenfe auffi quelques- vns »

32. Comment la troifiéme ré- gion de la Terre a com- mencé à fe diuifer en deux diuers corps 217

33. Qu'il y a trois diuers gen- res de parties terreftres... »

34. Comment il s'eft formé vn troifiéme corps entre les deux precedens 218

35. Que ce corps ne s'eft com- pofé que d'vn feul genre

de parties 219

36. Que toutes les parties de ce genre fe font réduites à deux efpeces »

37. Comment le corps marqué C s'eft diuifé en plufieurs autres 220

38. Comment il s'eft formé vn

J4^ Table des

quatrième corps au deffus du troifiéme 220

39. Comment ce quatrième corps s'eft accreu,&le troi- fiéme s'eft purifié 221

40. Comment Tépailleur de ce troifiéme corps s'eft dimi- nuée, en forte qu'il eft de- meuré del'efpace entre luy & le quatrième corps, le- quel efpace s'eft remply

de la matière du premier. . 222

41. Comment il s'eft fait plu- fieurs fentes dans le qua- trième corps 223

42. Comment ce quatrième corps s'eft rompu en plu* fieurs pièces 224

43. Comment vne partie du troifiéme eft montée au delTus du quatrième. ..... 225

44. Comment ont efté produi- tes les montagnes, les plai- nes, les mers, &c »

45. Quelle eft la nature de l'air »

46. Pourquoy il peut eftre fa- cilementdilaté & condenfé 226

47. D'où vient qu'il a beau- coup de force à fe dilater., eftant preffé en certaines machines »

48. De la nature de l'eau, & pourquoy elle fe change aifement en air& en glace. 227

49. Du flux & refluxde la mer. »

50. Pourquoy l'eau de la mer employé douze heures & enuiron vingt-quairc mi- nutes à monter & defccn- dre en chaque marée 228

5i. Pourquoy les marées font plus grandes, lors que la I.unc cil pleine ou nou- uclle, qu'aux autres temps. 229

Principes

52. Pourquoy elles font auftî plus grandes aux equi- noxes qu'aux folftices..;. 229

53. Pourquoy l'eau & l'air cou- lent fans cefTe des parties Orientales de la Terre vers

les Occidentales 23o

54. Pourquoy les pais qui ont la mer à l'Orient font or- dinairement moins chaux que ceux qui l'ont au cou- chant »

55. Pourquoy il n'y a point de flux & reflux dans les lacs; & pourquoy vers les bords de la mer il ne fe fait pas aux mefmes heures qu'au milieu »

56. Comment on peut rendre raifon de toutes les diffé- rences particulières des flux & reflux 23 1

57. De la nature de la Terre

intérieure, qui eft au def- fous des plus baffes eaux. 2 32

58. De la nature de l'argent

vif 233

59. Des inegalitez de la cha- leur qui eft en cette Terre intérieure »

60. Quel eft l'effet de cette cha- leur 234

61. Comment s'engendrent les fucs aigres ou corrofifs qui entrent en la compofition du vitriol, de l'alun ik au- tres tels minéraux »

62. Comment s'engendre la ma-

tière huileufc qui entre en la compofition du foulfre, du bithume, &c.\ 235

63. Des principes de la Chy- mie, & de quelle façon les métaux viennent dans les mines »

DE LA Philosophie.

)47

64. De la nature de la Terre extérieure, & de l'origine des fontaines 2 36

65. Pourqdoy l'eau de la mer ne croift point de ce que

les riuieres y entrent 237

66. Paurquoy l'eau de la pluf- part des fontaines eft dou- ce, & la mer demeure falée »

67. Pourquoy il y a auflTi quel- ques fontaines dont l'eau

eft falée 338

68. Pourquoy il y a des mines de fel en quelques monta- gnes »

69. Pourquoy, outre le fel com- mun, on. en trouue auffi de quelques autres efpe- ces »

70. Quelle différence il y a icy entre les vapeurs, les ef- . prits & les exhalaifons. ... 239

71. Comment leur meflange compofe diuerfes efpeces de pierres, dont quelques- vnes font tranfparentes &

les autres ne le font pas. . »

72. Comment les métaux vien- nent dans les mines, & comment s'y fait le ver- meillon 240

73. Pourquoy les métaux ne fe trouuent qu'en certains en- droits de la Terre »

74. Pourquoy c'eft principale- ment au pied des monta- gnes, du cofté qui regarde le Midi ou l'Orient, qu'ils

fe trouuent 24 1

75. Que toutes les mines font en la Terre extérieure, & qu'on ne fçauroit creufer jufques à l'intérieure »

76. Comment fe compofent le

11- 78.

79-

80. 81.

82. 83.

84. 85. 86.

87,

88,

89,

90

9'

92

foulfre, le bitume, l'huile

minerai & l'argile 241

Quelle eft la caufe des

tremblemens de terre 242

D'où vient qu'il y a des montagnes dont il fort quelquefois de grandes

fiâmes »

D'où vient que les tremble- mens de terre fe font fou- uent à plulieurs fecouffes. 243 Quelle eft la nature du feu. » Comment il peuteftre pro- duit 244

Comment il eft conferué . . » Pourquoy il doit auôir quelque corps à confumer afin de fe pouuoir entrete- nir 245

Comment on peut allumer

du feu auec vn fufil

Comment on en allume aufTi en frotant vn bois fec, 246 Comment auec vn miroir creus, ou vn verre con- nexe »

Comment la feule agita- lion d'vn corps le peut

embrafer 247

Comment le meflange de deux corps peut auffi faire

qu'ils s'embrafent »

Comment s'allume le feu de la foudre, des efclairs & des Eftoiles qui trauerfent. 248 Comment s'allument les Eftoiles qui tombent, & quelle eft la caufe de tous les autres tels feux qui lui- fent & ne bruflent point. . 249 Quelle eft la lumière de l'aau de mer, des bois

pourris, &c »

Quelle eft la caufe des feux qui bruflent ou efchaufeni

H8

Table des Principes

& ne luifent point, comme 107

lors que le foin s'echaufe de foy-mefme 25o

93. Pourquoy lors qu'on jette

de l'eau fur de la chaux 108

viue, & généralement lors

que deux corps de diuerfe 109

nature font méfiez enfem-

ble, cela excite en eux de

la chaleur 252

94. Comment le feu ell allumé 110

dans les concauitez de la m

Terre »

95. Delà façon que brufle vn 112 flambeau 253

96. Ce que c'eft qui conferue ii3 la flame »

97. Pourquoy elle monte en pointe, & d'où vient la fu- mée 254 1 14

98. Comment l'air & les autres

corps nourriflent la flame. » 11 5,

99. Que l'air reuient circulai- rement vers le feu en la

place de la fumée 255 1 16

100. Comment les liqueurs efteignent le feu, & d'où vient qu'il y a des corps

qui bruflent dans l'eau. . . » 117,

ICI . Quelles matières font pro- pres à le nourrir » 118.

102. Pourquoy la flame de

l'eau de vie ne brufle point 119.

vn linge mouillé de cette

mefme eau 256 1 20.

io3. D'où vient que l'eau de

vie brufle facilement » 121,

104. D'où vient que l'eau com- mune cfleint le feu 257 122,

io5. D'où vient qu'elle peut aufli quelquefois l'aug- menter, ik que tous les fels font le femblable » i23,

106. Qjcts corps font les plus

propret à entretenir le feu. 258 124

Pourquoy il y a des corps qui s'enflament & d'au- tres que le feu confume

fans les enflamer 258

. Comment le feu fe con- ferue dans le charbon .... » , De la poudre à canon qui fe fait de foulfre, de falpe- flre &de charbon ; & pre- mièrement du foulfre 259

Du falpeftre »

Du meflange de ces deux enfemble 260

Quel eft le mouuement des parties du falpeftre. . . »

Pourquoy la flame de la poudre fe dilate beaucoup, & pourquoy fon adion tend en haut »

Quelle eft la nature du charbon 261

Pourquoy on grene la poudre, & en quoy princi- palement confifte fa force. »

Ce qu'on peut juger des lampes qu'on dit auoir conferue leur flame du- rant plufieurs fiecles 262

Quels font les autres effets

du feu 263

Quels font les corps qu'il fait fondre & bouillir .... 264 Quels font ceux qu'il rend

fecs & durs »

Comment on tire diuerfes eaux par diftilation »

Comment on tire auflTi desfublimez &. des huiles. 265

Qu'en augmentant ou di- minuant la force du feu on change fouuent fon ef- fca

Comment on calcine plu- fieurs corps 266

Comment fe fait le verre. »

DE LA Philosophie.

H9

12 5. Comment fes parues fe joignent enfemble 267

126. Pourquoy il eft liquide & gluant, lors qu'il ell em- brafé »

127. Pourquoy il eft fort dur eftant froid 268

128. Pourquoy il eft auftî fort caftant »

129. Pourquoy il deuientmoins caftant, lors qu'on laifte refroidir lentement ...!». 269

i3o. Pourquoy il eft tranfpà- rent »

i3i. Comment on le teint de diuerfes couleurs 270

i3a. Ce que c'eft qu'eftre roide ou faire reffort, & pour- quoy cette qualité fe trouue auftl dans le verre

i33. Explication de la nature de l'aymant 271

134. Qu'il n'y a point de pores dans l'air ny dans l'eau qui foient propres à rece- uoir les parties canelées. . 272

i35. Qu'il n'y en a point auftl en aucun autre corps fur cette terre, excepté dans le fer 273

i36. Pourquoy il y a de tels pores dans le fer »

137. Comment peuuent eftre ces pores en chacune de ces parties 274

i38. Comment ils y font dif- pofez à receuoir les parties canelées des deux coftez. . »

139. Quelle diff"erence il y a entre l'aymant & le fer. . . 275

140. Comment on fait du fer ou de l'acier en fondant la mine 276

141. Pourquoy l'acier eft fort dur, & roide & caftant »

142. Quelle dift"erence il y a entre le fimple fer & l'acier. 277

143. Quelle eft la raifon des di- uerfes trempes qu'on donne

à l'acier »

144. Quelle différence il y a enirc les pores de l'ay- mant, de l'acier & du fer. , 278

145. Le dénombrement de tou- tes les proprietez de l'ay- mant 279

146. Comment les parties ca- nelées prennent leur cours au trauers & autour de la Terre 283

147. Qu'elles paftent plus diffi- cilement par l'air & par le refte de la terre extérieure que par l'intérieure 284

148. Qu'elles n'ont pas la mefme difficulté à pafter par l'aymant »

149. Quels font fes pôles »

I 5o. Pourquoy ils fe tournent

vers les pôles de la Terre. 285 i5i. Pourquoy ils fe penchent auftl diuerfement vers fon centre, à raifon des diuers

lieux ils font »

i52. Pourquoy deux pierres d'aymant fe tournent l'vne vers l'autre, ainfi que cha- cune fe tourne vers la Terre, laquelle eft auffi vn

aymant 286

i53. Pourquoy deux aymans s'approchent l'vn de l'au- tre, & quelle eft la fphere de leur vertu 287

154. Pourquoy auftl quelque- fois ils fe fuycnt 288

1 55. Pourquoy, lors qu'vn ay- mant eft diuifé, les parties qui ont efté jointes fe fuyent 289

j ^Q Table: des Principes

1 56. Comment il arriùe que 167. Pourquoy les aiguilles ay- deu)< parties d'vn aymant mantées ont toul'-jours les qui fe touchent, deuien- pôles de leur vertu en leurs

nent deux pôles de venu extremitez.. 295

contraire, lors qu'on le 168. Pourquoy les pôles de

diuife...., .289 l'aymant ne fe tournent

1 57. Comment la vertu qui pas touf-jours exactement

eft en chaque petite pièce vers les pôles de la Terre. ».

d'vn aymant eft femblable 169. Comment cette variation

à .celle qui eft dans le peutchangerauec le temps

tout . / 290 en vn mefme endroi6l de la

1 58. Comment cette vertu eft Terre. 296

communiquée au fer par 170. Comment elle peut auffi

l'aymant » eftre changée par la di-

159. Comment elle eft commu- uerfe fituation de l'ay^

niquée au fer diuerfement, mant 297

à raifon des diuerfes fa- 171. Pourquoy l'aymant attire

çons que l'aymant eft tour- le-fer »

vers luy 291 172. Pourquoy il foufti.ent plus

160. Pourquoy neantmoins vn de fer, lors qu'il eft armé,

fer qui eft plus long que que lorsqu'il ne l'eft pas. . 298

large ny efpais la reçois 173. Comment les deux pôles

" toufiours fuiuant la Ion- de l'aymant s'aident l'vn

gueur » l'au^tre à fouftenir le fer. . . »

161. Pourquoy l'aymant ne 174. Pourquoy vne pirouette perd rien de fa vertu en la de fer n'eft point empef- communiquant au fer.... 292 chée de tourner par l'ay-

162. Pourquoy elle fe commu- mant auquel elle eft fuf-

nique au fer fort prompte- pendue 299

ment, & comment elle y 175. Comment deux aymans

eft affermie par le temps. . » doiuent eftre fituez pour

» 63. Pourquoy l'acier la re- s'aider ou s'empefcher l'vn

çoit mieux que le fimple l'autre à fouftenir du fer. . 3oo

fer » 176. Pourquoi vn aymant bien

164. Pourquoy il la reçoit plus fort ne peut attirer le fer

grande d'vn fort bon ay- qui pend à vn aymant

mant que d'vn moindre. . . 293 plus foible 3o i

i65. Comment la Terre feule 177. Pourquoi quelquefois au

peut communiquer cette contraire le plus foible

vertu au fer » aymant attire le fer d'vn

166. D'où vient que de fort autre plus fort »

petites pierres d'aymant 178. Pourquoi en ces païs

paroilfent fouuent auoir Septentrionnaux le pôle

plus de force que toute la Aultral de l'aymant peut

Terre 294 tirer plus de fer que l'autre 3o2

DE LA Philosophie.

}5i

179. Comment s'arrangent les grains de la limure d'acier autour d'vn aymant 3o2

180. Comment vne lame de fer jointe à l'vn des pôles de l'aymant empefche fa vertu 304

181. Que cette mefme vertu ne peut eftre erapefchée par l'interpofition d'aucun au- tre corps »

182. Que la fituation de l'ay- mant, qui e(l contraire à celle qu'il prend naturel- lement quand rien ne l'em- pefche, lui olle peu à peu

fa vertu 3o5

i83. Que cette vertu peut auffi

luy ertre oftée par le feu &

diminuée par la rouille.. . »

184. Quelle eft l'attradion de

l'ambre, du jayet, de la

cire, du verre, &c »

i85. Quelle e(t la caufe de cette attradion dans le verre . . . 3o6

186. Que la mefme caufe fem- ble auffi auoir lieu en tou- tes les autres attrapions . . 307

187. Qu'à l'exemple des chofes qui ont eûé expliquées on peut rendre raifon de tous les plus admirables effeds qui font fur la terre 3o8

188. Quelles chofes doiuent encore eftre expliquées, afin que ce traité foit com- plet 309

189. Ce que c'eft que le fens, & en quelle façon nous fen- tons 3io

190. Combien il y a de diuers fens, & quels font les inté- rieurs, c'eft à dire les ap- pétits naturels & les paf- lions 3 1 1

191. Des fens extérieurs; & en premier lieu, de l'attou' chement 3i3

192. Du gouft 3 1 3

193. De l'odorat »

194. De l'ouye 3i4

195. De la veuë »

196. Comment on prouue que l'ame ne fent qu'en tant qu'elle eft dans le cerueau. »

197. Comment on prouue qu'elle eft de telle nature que le feul mouuement de quelque corps fuffit pour luy donner toute forte de fentimens 3i5

198. Qu'il n'y a rien dans les corps qui puifTe exciter en nous quelque fentiment, excepté le mouuement, la figure ou fituation, & gran- deur de leurs parties 3 1 6

199. Qu'il n'y a aucun phai- nomene en la nature qui ne foit compris en ce qui a efté expliqué en ce Traitté 317

200. Que ce Traitté ne con- tient aufiTi aucuns Princi- pes qui n'ayent efté receus de tout temps de tout le monde ; en forte que cette Philofophie n'eft pas nou- uelle, mais la plus an- cienne & la plus commune qui puifle eftre 3 1 8

201. Qu'il eft certain que les corps fenfibles font com- pofez de parties infenfi- bles 319

202. Que ces Principes ne s'ac- cordent pas mieux auec ceux de Democrite qu'a- uec ceux d'Ariftote ou des autres 320

3^2 Table des Principes

203. Comment on peut parue- 2o5. Que neantmoins on a vne nir à la connoiffance des certitude morale que toutes figures, grandeurs & mou- les chofes de ce monde uemens des corps inlcn- font telles, qu'il a efté icy libles 32 1 demonrtré qu'elles peu-

204. Que, touchant les chofes uent eftre 333

que nos fens n'apperçoi- 206. Et mefme qu'on en a vne uent point, il fuffit d'ex- certitude plus que morale. 324 pliquer comme elles peu- 207. Mais que je foùmets tou- uent eltre : & que c'eft tout tes mes opinions au juge- ce qu'Ariftoie a lafché de ment des plus Sages & à faire 322 l'authoriié de l'Kglife 325

Note I , ; 327

Note II 33o

CORRECTIONS ET ADDITIONS

MÉDITATIONS

Page 10, ligne 26 :

toutes

d supprimer.

18, 1. 23 :

les ténèbres

lire :

toutes les ténèbres

29,1.31:

en moy ;

en moy,

34,1. 18:

chofes

chofe

65,1. 29 :

corps.

corps ;

49, 1. 22 :

une

vne

5o, 1. 12 :

&, derechef

& derechef

», 1. i5 :

efprit :

efprit ;

63,1. i5 :

objectivement

--

objediuement

68,1. II :

compozé

compofé

75,1. i3:

l'efcole

l'efcole,

», 1. 29 :

examiner, li

examiner li

78, 1. 9 :

fçavent

l^auciit

», 1. 10 :

auancé, comme

auancc comme

s I. 27 :

premièrement

premièrement,

»,1. 3i :

Dieu

Dieu,

«,1.39:

conceu

conceu.

80, 1. 26 :

entre elles

entr'elles

85,1.4:

pour ce

pourcj

», 1. 6 (remontant) : fouverainenicni

87, 1. 6 : efïiciente

88, note a : tome VI 90, 1. 3 (remontant) : iiccellairt 93, 1. I : ni

106, 1. i3 : difant,

136,1.4: ilfefert;

1 68, 1. 7 (remontant) : un . . . un Œuvres. IV.

louuerajnjmtni

erticicnie,

lOIU': VIT

ncceUairc

ny

difant

il ic icrt,

vn. . . vu

9

M4

Page 184, l. 6 :

ip/Viv

194, 1. 26 :

laquelle,

198,1. 12:

ne furent

2o3, 1. 3 :

auroient

206, 1. 19 :

fçais

207, 1. 5 :

répétée,

208, 1. 12 :

enfuite

» , 1. 24 :

jugement

214, note a,

.8 :

feci te

216, note a,

. 3 :

p. 27i.(n°.8,

224, 1. 22 :

sommes

23i, 1. 10 :

mai

247, 1. 2 :

I

» ,1.3:

VII

Corrections et Additions.

lire

laquelle

me furent

auront

fçay

répété,

en fuite

iugement

feci, te

p. 271,

fomriies

mais

V

XI

V

PRINCIPES

Page 6, ligne 29 : un

13, 1. I 3 : troifieme

3o, 1. 7 (remontant) : égaux »

lire

vn

troifieme égaux », font

», 1. 5 (id.) : sont

35, art. 24: avoir auoir

71,1.30: environne enuironne

74, art. 20 : ou petits corps indiuifibles. en italiques.

78, 1. 5 : ' diverfes lire : diuerfes

83, art. 35 : Voir planche I, ligure 3.

84, 1. 10 (remontant) : jours lors que lire : jours, lors que 86, I. 9 : a fo mouuoir à fe mouuoir 90, 1. 4 : rcjallit [sic) rejalliroii

y3, art. 53 : est eft .

y8, » 38-9 : Voir planche II, figure 3.

i3o, » 54-5 : 111.

i?7. note d : Les deux figures 4 et 5 de la planche VI ont éié

complétées, cônrormément à couc note, par l'uinotateur lui-mcmc, au moyen de lignes tracées à la plume, comme on le voit sur la planche. Nous avons laissé subsister la rcpro- duciion phoiu;.îraphiqiic d"nn. pluii'^f ms. qui explique ces lignes.

Corrections et Additions. 3 ^ 5

Page 140- 148, art. 71-82: Voir planche VII.

i5i, art. 86 :

Idem.

154, » 90 :

Planche VIII, figure 2.

i63, » 106-7

» IXt » I.

i65, » 109-110

: » IX, » I.

167-8,» I 12-3 :

» IX, » I.

175, » 123 :

III.

212, » 24:

» XIII, ligure 1.

219, » 35-6 :

XIV.

221, » 39 :

Idem.

225, note a :

Cette lettre B a été ajoutée à la plume par !anno-

tateur de notre vieil exemplaire. Planche XV.

figure 2.

226, art. 47 :

preffe lire : prelTé

229, » 5i :

Planche XVI.

235, » 62-3 :

» XV, figure 2.

241, 1. 9 :

que lire : que (ital.)

242, 1. 3 (remontant) :fe Te (romain)

244,1. 17:

font y font

246, 1. 20 :

du de

248,.!. 9 :

attachées atachées

25o, 1. 27 :

loi'S qu'on le renjerme (romain)

352, 1. 26 :

mefme /zre ; mt?/me (ital.)

» , note b :

pièces traduction (?) de fragmenta {lat.)

254, 1. 7 (remontant) : ces lire : l'es

257,1.5:

les feparer les en fcparcr

269, 1. II :

fes ces (?)

272, note a :

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TABLE DES NOMS PROPRES

MÉDITATIONS

Académiciens : 103-

Ecclésiaste : 220, 231.

Alipius : i54-

Ecritures (Saintes) : 4, 5, gg, 112

Apollonius : 6, 211.

120, 320-/, 2S1-2.

Archimèdk : 6, 19, 186, 189. 211.

EucLiDE : 210.

Ariminensis : gg.

Evodius : 154.

Aristote : 76, 84, 187, 192, 194.

Fkdé (René) : v, ix, xv, i, 9.

Arnauld: i53, 170, 171, 173. 174,

Gabriel : gg.

176, 177, 179, 181-3, 187, 189,

Gassend : VII, ii)tS-20i, 202, 244.

191.

Genèse 235.

Augustin (Saint) : iS^, 160, 164,

(HoBBEs) : j33.

168-g, 170.

Hurons : ^8.

B.MLLET (Adrien) : v.

jEA-ClSaini) : 231.

Blaev (Joh.) : 19Ç).

Le Gra<: : xiit.

BoÈCE : jS.

Léon X : 6.

BouRDiN (Le P.) : vi.

Le Pçtit : xi, l, 245.

Calvinistes : 148. 148.

Luynes (Duc de) : viii-xi, 2, 3, 200.

Camusat (Veuve) : xi, i, 245.

Maître des Sentences : 230.

Canadiens : g8, 120.

Mersenne : p6, 102, i53, 170,

Caterus : 73, 81.

Œdipus : 75.

Ceberet : 245.

Pappus : 6.

Clerselier : vi-xi, 2, lî-i, 199. 200,

Paul (Saint) 5. 220, 231.

202, 244.

Péripatéticiens : i38, 234.

■Concile de Latran ; 5, ai S, 228.

Pharaon ; gg, 112.

» Trente : 194.

Picot (Abbé) : x.

Damascène (Saint) : 77.

Platon : i33.

Davus : 75.

Platoniciens : i58, 218. 228.

Denis (Saint) : 74.

Prophètes : gg, 112.

DiNET (Le P.) : vi, xiii.

Pvthagore : 228.

a. Les chiffres grAS se rapportent au texte de Descartes, en italiques à celui des auteurs d'objections, et en arabe ordinaire aux notes et docu- ments du même genre. Les noms en italiques sont des noms de sectes ou de peuplades, ou de personnages des auteurs sacrés ou profanes, etc

358

Table des Noms propres.

Salotnon': 231-2. Sceptiques : 103. Scolastiques : gg. ScoT : 5o, 94. SOCRATE : i5i.

SoLY (Michel) : 198. Sorbonne : 1, 4, 7, 198. SuAREZ : j6, 182. Thomas (Saint) : 76-g, 84, 90-1. Turcs: 100, 116, 120.

PRINCIPES

Adam et Eve : 124.

Alchimistes : 235.

André Martin : xii.

Aristote : 5, 6, 7, 18, 191, 318.

320, 322, 323, 847. Baillet (Adrien) : xv. Beau-mont (Anne-Joseph de) : xii. Burman : XVIII. Ceoren : iGi. Clerselier : vu, xiii, xiv, xvi. xvii,

XVIII, 121. Copernic : 109, 119, 120, 334, 335. Démocrite : 320, 847. Egyptiens : 191. Elisabeth : m, i, 21, 327. Epicure : 6.

Frédéric (roi de Bohême) : 21. Gilbert : 295. Grâces : 23.

Grassius (Horatius) : 179. Hipparque : 119. HoYGENS : 86. Le Gras : m. Lbgrand : X, il, XII, xiii, xiv, xv, xvi,

64, 70, 76, 78,. 87, 121, 216, 247,

23o, 262. Luynbs (Duc de) : vu.

Minerve : 23.

Muses : 23.

Ozanam : xiii-xvi.

Paracelse : 235.

Picot : vn, viii, ix. x, xv, xvi. x.vii.

xviii, xx, i. Platon : 5. Pline : 161. Plutarque : 161. pollot : xi, xii. Pontanus :. 179. Ptolémée : 108, 109, 119, 334. Regiomontanus : 179, 181. Regius : 19, 262. Rohault : XII.

Sarsius (Lotharius) : voir Grac-.us. Scheiner : 118. Socrate : 5. Stoiques : 311. Tertullien : 161. Tycho-Brahé : 109, 110, 119, 120,

122, 334, 335. Virgile : i6i. VoET : 19. Wendelin : 119. XiPHiLiN : 161.

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