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ŒUVRES
D E
DENTS DIDEROT.
T O -M E V.
OPINIONS DES ANCIENS PHILOSOPHES.
TOME PREMIER,
ip§s^^
ŒUVRES
D E
DENIS DIDEROT,
publiées sur les nianuscrils de TAuleur , PAU JACQUES-ANDRÉ NAIGEON,
de l'Iastitut national des sciences , etc.
TOME CINQUIEME.
A PARIS,
Chez DETE Pi VILLE, Libraire, ru du Battoir , N.° 16.
AN y 1 1 I.
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OPINIONS
DES
ANCIENS PHILOSOPHES.
Plilios. aiic. et luoJ. ToilE î.
OPINIONS
DES '
ANCIENS PHILOSOPHES,
A C O U S M A T I Q U E s.
X OUR entendre ce que c'étoit que les i4cou<:ma- tiques, i\ faut savoir que les disciples de Pvthagore -étoient distribués en deux classes , séparées dans son école, par un voile. Ceux de la première classe, de la classe la plus avancée, qui aj^ant par devers eux cinq ans de silence passés sans avoir vu leur maître en chaire ( car il avoit. toujours été séparé d'eus pendant tout ce temps par un voile ) , étoient enfin admis dans l'espèce de sanctuaire , d'où il s'étoit seulement fait entendre, et le voyoient face à face; on les appeloit les ésotériques. Les autres, qui restoient derrière le voile, et qui ne s'étoient pas encore tus assez long-temps pour mériter d'ap- procher et de voir Pj-lhagoré , s'appeloient exoté^ riques et acousmatiques ou acoustiques. Voyez Pythagorisbie. INIais cette distinction n'étoitpas
4 OPINIONS
la seule qu'il j eut cnlre les ésotéi Ujucs et les exotér riqu^s. Jl paroit que Pjlhagorc disoit seulement les choses embléinaliqucincnl à ceux-ci j mais qu'il les révéloit aux autres telles qu'elles ctoicnt sans nuage, et qu'il leur en tlonnoit les laisons, Oq disoit pour tonte réponse aux objections Jes acous- tiques, ècvToç £Ç66, Pjthagorel'a dit: mais Pjiha- gore lui-même rcsolvoit les objections aux eso- tériçues.
ANTÉDILUVIENNE.
PH ILOSOPHIE,
Ou état de la Philosophie ayant le déhige.
Quelques-uns de ceus qui remontent a l'origine de la philosophie , ne s'arrêtent pas au premier homme , qui fut formé à l'image et resr seinblance de Dieu : mais , comme si la terre n'étoit pas un séjour digue de son origine , ils s'élancent dans les cieux, et la vont chercher jusques chez le? anges, où ils nous la montrent toute brillante de clarté. Cette opinion paroît fondée sur ce que nous dit l'écriture de la nature et delà sagesse des anges. Il est naturel de penser qu'étant, comme elle le sup^ pose, d'une nature bien supérieure à la nôU'e , ils ont eu , par conséquent , des connoissances plus par- faites des choses j et qu'ils sont de bien meilleurs philosophes , que nous autres hommes.
bES ANCÎE^'S PHILOSOPHES. 5
Quelcjuos savans ont poussé les choses plus loin; car , pour nous prouver que les anges exceîloient dans la phjsi<jue , ils ont dit que Dieu s'éloit servi de leur ministère pour créer ce njondo , el former les diiltrentes créatures qui le remplissent. Cette opinion , comme l'on voit , est une suite des idées qu'ils avoient puisées dans la doctrine de Pjthagore et de Platon. Ces deux philosophes , embarrassés de l'espace infini qui est entre Dieu et les hommes , jugèi ent à-propos de le remplir de génies et de dé- nions : mais , comme dit judicicusensent iM. de Fontenelle contre Platon, Hlst. des Oracles, de quoi remplira-t-on l'espace infini qui sera entre Dieu et ces génies , ou ces démons mêmes 7 car , de DJcu à quelque créature que ce soit , la distance est infinie.
Comme il faut que l'action de Dieu traverse , pour ainsi dire , ce vide infini poiu' aller jusqu'aux démons , elle pourra bien aller aussi juscju'aux hommes , puisqu'ils ne sont plus éloignés que de quelques dégrés qui n*ont nulle proportion avec ce premier éloignement. Lorsque Dieu traite avec les hommes , par le moven des anges , ce n'est pas à dire que les anges soient nécessaires pour cette communication , ainsi que Platon le prétendoiî. Dieu les y emploie par des raisons que la philo- sophie ne pénétrera jamais, et qui ne peuvent être parfaitement connues que de lui seul. Platon avoit imnj/iné les démons , pour former une échelle par*
6 OPINIONS
]af]uelle,de créature plus parfiâte en créature plus parfaite , on luonlàl enfin jusi^u'à Dieu^ de sorte aae Dieu n'auroil que (juelcjucs dégrés de perfec- tion par-dessus la première des créatures. Mais il est visible que , comme elles sont toutes infiniment imparfaites à son égard , parce qu'elles sont toutes infiniment éloignées de lui , les différences de per- fection qui sont entre elles disparoissent dès qu'on les compare avec Dieu : ce qui les élève les unes au-dessus des autres , ne les approche guère de Jui. Ainsi , à ne consulter que la raison humaine , on n'a besoin de démons, ni pour faire passer fac- tion de Dieu jus(|u'aux hommes, ni pour mettre entre Dieu et nous quelque chose qui approche de lui plus que nous ne pouvons eu approcher.
Mais, si les bons anges , qui sont les ministres des volontés de Dieu , et ses messagers auprès des hommes , sont ornés de plusieurs connoissances philosophiques j pourquoi refuscroit - on cette préjogative aux mauvais anges ? Leur réprobation n'a rien changé dans l'excellence de leur nature , ni dans la perfection de leurs connoissances 5 on en voit la preuve dans l'astrologie , les augures et les aruspiccs. Ce n'est qu'aux artifices d'une fine et d'une subtile dialectique, que le démon , qui tenta nos premiers parens , doit la victoire qu'il rem- porta sur eux. Il ny a pas , jusqu'à quelcpics pères de l'église, ([ui, imbus des rêveries platoniciennes, ont écrit que les esprits réprouvés ont enseigné aux
DES A In CIL KS PHILOSOPHES. Jr
honimes qu'ils avoiont su charmer , et avec lesquels ils avoienl eu coiunierce , plnsieurs secrels de la nature j comuie la ruétallurgie , la vertu des sim- ples , la puissance des euclianlemens , et l'art dé lire dans le ciel la destinée des hommes.
Je ne m'amuserai point à prouver ici coujbien sont pitoyables tous cesraisonnemens ,par lesquels on prétend démontrer que les anges et les diables sont des philosophes , et même de grands philo- sophes. Laissons cette philosophie des habitans du Ciel et du Ténarej elle est trop au-dessus de nous: parlons de celle qui convient proprement aux hom- mes, et qui est de noire ressort.
Adain , le premier de tous les hommes , a-t-il été philosophe ? c'est une chose dont bien des per- sonnes ne doutent nullement. En effet, nous dit Hornius , nous croyons qu'Adam ; avant sa chute » fut orné non-seulement de toutes les qualités et de toutes les conuoissances qui perfectionnent l'esprit ^ mais même qu'après sa chute il conserva quelques restes de ses prcnjièrcs cocnoissances. Le souvenir do ce qu'il avoil perdu , étant toujours présent à son esprit , alluma dans son cœur un désir violent de rétablir en lui les connoissances que le péché lui avoit enlevées, et de dissiper les ténèbres qui les lui voiioient. C'est pour y salisfairo, qu'il s'attacha toute sa vie à interroger la nature, et à s'élever aux roTinrissances les plus sublimes. Il y a njénie tout lieu de penser qu'il n"r,ura pas laiisé ignorer à ses
b 0 P I N 1 O N i
enfans la plupart ue ses découvertes , puîsqu'il a vécu si long- temps nvec eux.
Tels sont , à-pcu-près , les raisonnemens du docteur Hornius, auquel nous joindrions volontiers les docteurs juifs , ii leurs fables nicritoienl quelque attention de notre part.
Voici encore quelques raisonnemens bien di- gnes du docteur Hornius , pour prouver qu'Adam •a été philosophe , et même philosoplie du premier ordre.
S'il n'avoit été physicien , comment auroit-il pu imposer à tous les animaux , qui furent amenés de- vant lui , des noms qui paroissent à bien des per- sonnes exprimer leur nature? Eusèbe en a liié une preuve pour la logique d'Adam. Pour les malhé- inaliques , il n'est pas possible de douter qu'il ne les ait sues^ car autrement, comment auroit-il pu se faire des habits de peaux de bétes; se construire une maison j observer les mouvemens des astres) et régler l'année sur la course du soleil ? Enfin, ce qui met le comble à toutes ces preuves si décisives en faveur de la philosophie d'Adam , c'est qu'il a écrit des livresj et que ces livres contenoient loutcs les sublimes connoissances qu'un travail infatigable lui avoit acquises. Il est vrai cjuc les livres qu'on lui attribue sont apocryphes ou perdus j mais cela n'y fait rien : on ne les aura supposés à Adam, que parce que la tradition avoit conservé les titres des livres authentiques jdonlil éloille véritable auteur.
CES AISCÎtNS PHILOSOPHES. ^
Rien de plus aisé que de réfuter toutes ces rai- sons : i.° ce que l'on dit de la sagesse d'Adam avant sa chiite , n'a aucune analogie avec la philo- sophie dans le sens que nous la prenons ; car elle consisloit , cette sagesse , dans la connoissance de Dieu , de soi- inénie , et sur- tout dans la connois- sance-pralique de tout ce qui pouvoit le conduire à la félicité pour laquelle il étoit né.* Il est bien vrai qu'Adam a eu cette sorte de sagesse : mais qu'a-t- elle de commun avec cette philosophie que pro- duisent la curiosité et l'admiration , filles de l'igno-» ratjce , qui ne s'acquiert que par le pénible travail des réflexions , et qui ne se perfectionne que par le conflit des opinions ? La sagesse , avec laquelle Adam fut créé , est cette sagesse divine qui est le fruit de. la grâce , et que Dieu verse dans les amcs même les plus simples. Cette sagesse est sans-doute la véritable philosophie: mais elle est fort dillérente de celle que l'esprit enfante , et à raccrcisscment de laquelle tous les siècles ont concouru.
Si Adam , dans l'état d'innocence , n'a point eu de philosophie , que devient celle qu'on lui allribue après sa chute, et qui n'étoit qu'un foible écoule- ment delà première? Comment veut-on qu'Adam , que son péché suivoit par-tout , qui n'étoit occupé que du soin de fléchir son Dieu , et de repous- ser les misères qui l'environnoient , eut l'esprit assez tranquille , pour se livrer aux stériles spécu- lations d'une vaine philosophie ? 11 a donLÔ des
10 o p I IV I o ^ s
noms aux animaux j est-ce à dire pour cela qu'il en ait bien connu la nature et les propriétés ? 11 rai- sorinoil avec Eve notre grand'nière commune , et avec ses enfaus; en conclurez-vous pour cela qu'il sût la dialecti([ue ? avec ce beau raisonnement , on transfornieroit tous les honmies en dialecticiens.
11 s'est bàli une misérable cabane; il a gouverné prudemment sa famille j il l'a instruite de ses de- voirs j et lui a enseigné le culte de la religion : sont- ce donc là des raisons à appoiler, pour prouver qu'Adam a été architecte, politique, théologien?
Enfin comment peut-on soutenir qu'Adam a été l'inventeur des lettres , taudis que nous vo^'ons les hommes , long-temps même après le déluge , se seivir encore d'une écriture hiéroglyphique , la- quelle est de toutes les écritures la plus impar- faite , et le premier effort que les hommes ont fait pour se communiquer réciproquement leurs conceptions grossières.
On voit , par-là , combien est snjet à contradic- tion ce que dit le laborieux et savant auteur de riliUoire critique de la philosophie , touchant son ori^'ine et ses conmiencemenS : « Elle est née , si )) on l'en croit , avec le monde ; et contre l'ordi- » naire des productions humaines , son berceau » n'a rien qui la déparc ni qui l'avilisse. Au tra- )) vers des foiblesses et des bcgaiemens de l'enfan- n ce, on lui trouve des traits foris et hardis , une » sorte de perfection. En efltt , les hommes ont
DES A >^ C 1 E N S PHILOSOPHES. II
)) de tout temps pensé , réfléchi , médité : de tout » temps aussi ce spectacle pompeux et magnifi- )) <jue que présente l'univers , spectacle d'autant » plus intéressant, qu'il est étudié avec plus de )) soin , a frappé leur curiosité n.
Mais, répondra-t- on , si l'admiration est la mèic de la philosophie , conmie nous le dit cet auteur 3 elle n'est donc pas née avec le monde , puisqu'il a fallu que les hommes , avant que d'a- voir la philosophie , aient conmiencé par admirer. Or, pour cela, il f ail oit du temps j il falloit des expériences et des réflexions: d'ailleurs, s*imagine- t-on que les premiers hommes eussent assez de temps , pour exercer leur esprit sur des systèmes philosophiques , eux qui trouvoient à- peine les moyens de vivre un peu commodément ? On ne pense à satisfaire les besoins de l'espiit, qu'après qu'on a satisfait ceux du corps. Les piemiers honmies éloient donc bien éloignés de penser à la philosophie : « les miracles de la nature sont » exposés à nos jeux long-temps avant qu/e nous » ayons assez de raison pour en être éclairés. Si )) nous arrivions dans ce monde, avec cette raison » que nous portâmes dans la salle de l'opéra , la » première fois que nous y entrâuies , et si la )> toi'e se levoit brus({iiement 3 frappés de la gran- » dour, de la magnificence et du jeu des déco- )) râlions , nous n'aurions pas la force de nous » refuser à la connoissance des grandes vérités
\*X OPINIONS
» nui Y sont lices : mais qui s'avise de s'étonner' « de ce qu'il voit depuis cinquante ans ? Entre » les liommes, les uns , occupes de leurs besoins, )) n'ont guère eu le temps de se livrer à des spé- » cuiaiions métaphysiques j le lever de l'astre du » jour les appeloit au travail j la plus belle nuit , )) la nuit la plus touchante , étoit muette pour eux , )) ou ne leur diioit autre chose , si-non qu'il étoit » l'heure du repos : les autres , moins occupés , ou )) n'ont jamais eu occasion d'interroger la nature, » ou n'ont pas eu l'esprit d'entendre sa réponse. w Le génie philosophique , dont la sagacité se- » couantle joug de l'habitude , s'étonna le premier » des prodiges qui Tenvironnoient , descendit en « lui-même , se demanda et se rendit raison de )) tout ce qu'il voyoit , a dû se faire attendre long- )> temps , et a pu mourir sans avoir accrédité ses )) opinions ». ( Essai sur le niciite et la vcrtiit n page r5).
Si Adam n'a point eu la philosophie , il n'y a point d'inconvénient à la refuser à ses enfans Abel et Caïn : il n'y a que George Hornius qui puisse voir dans Caïn le fondateur d'une secte de phi- losophie.
Vous ne croiriez jamais que Caïn ait jeté les premières semences de l'épicuréisme , et qu'il ait été athée. La raison qu'Hornius en donne est tout-» à-fait singulière. Caïn étoit , selon lui , })hiloso-* phe , mais philosophe impie et athée , parce qu'il
DES A >• C T r N S PHILOSOPHES. 1 5
aimoit l'amusement et les plaisirs , et que ses en- fans n'avoient que trop bien suivi les leçons de volupté qu'il leur dounoit. Si Ton est philosophe épicurien , parce qu'on écoute la voix de ses plaw sirs, et qu'on cherche dans un athéisme pratique l'impunité de ses crimes , les jardins d'Epicure ne suffiroient pas à recevoir tant de philosophes volup- tueux.
Ce qu'il ajoute de la ville que bâlit Caïn , et des inslrumens qu'il mit en oeuvre pour labourer la terre , ne prouve nullement qu il fût philosophe j car ce que la nécessité et l'expérience , ces pre^ mières institutrices des hommes , leur font trou- ver , n'a pas besoin des préceptes de la ^philoso- phie. D'ailleurs on peut croire que Dieu apprit au premier homme le moyen de cultiver la terre, comme le premier homme en instruisit Iui-mén>e ses enfans.
Le jaloux Gain ayant porté des mains homicides sur son frère Abel , Dieu fit revivre Abel dans la personne de Seth. Ce fut donc dans cette famille, que se conserva le sacré dépôt des premières tra- ditions qui concernolent la religion.
Les partisans de la philosophie antédiluvienne ne regardent pas Selh seulement comme philoso- phe, mais ils veulent encore qu'il ait été grand astronome. Josephe, faisant l'éloge des connoissan- ces qu'avoient acquises les enlans de Selh avant le déluge , dit qu'ils élevèrent deux colonnes pou^-'
l4 O P I IS I O N s
y inscrire ces connoissances , et les transmettre à la postérité. L'une de ces colonr.es ctoit de hriniie, l'autre de pierre ; et l'on n'avoit rien épargné pour les bal ir solidement , afin ;[u*olles ]3usscnt résister aux inondations et aux incendies (jont l'univers étoit menacé. Josephe njoute rpie celle de bricjue Subsistoit encore de son temps.
Je ne sais si l'on doit taire beaucoup de fond sur un tel passage. Les exogératitVns el les hyperboles ne coulent guère à Josephe , quand il s'agit d'illus» trer sa nation. Cet historien se prooosoit sur-tout de montrer la supériorité des juiJs sur les gentils, en matière d'arts et de sciences : c'est là , proba- blement , ce cjui a donné lieu à la fiction des deux colonnes élevées par les enfiins de Selh. Quelle apparence (|u*un pareil monument ait pu subsister après les ravages que fit le déluge ? et puis on ne conçoit pas pourquoi INJoïse, qui a parlé des arts qui furent trouvés par les enfans de Caïn , comme la musique, la métallurgie , fart de travailler le fer et fairain , etc. , ne dit rien des grandes connois- sances que Seth avoit acquises dans rastronomiej de l'écriture , dont il passe pour être inventeur ; des noms qu'il donna aux astres ; du partage qu'il fit de l'année en mois et en semaines.
Il ne faut pas s'imaginer que Jubal et Tubalcain aient été de grands philosophes 5 fun pour avoir inventé la musique , et l'autre pour avoir eu le secret de travailler le fer et l'airain : peut-être
DES A N C : r N S PHILOSOPHES. 1 5
ces deux hommes ne firerit-i!s que perfectionner ce qu'on avoit trouvé avant eus. JNIais je veux qu'ils aient clé inventeurs de ces arts : qu'en peut- on conclure pour la philosophie ? iS'e sait-on pas que c'est au hasard , que nous devons la plupart des arts utiles à la société ? Ce que fait la philoso- phie , c'est de raisonner sur le génie qu'elle y re- lîjarque après qu'ils ont été découverts. Il est heu- reux pour nous , que le hasard ait prévenu nos besoins y et qu'il n'ait presque rien laissé à faire à la philosophie. On ne rencontre pas plus de phi- losophie dans la branche de Selh, que dans celle de Gain : on y voit des hommes , à-la- vérité , qui conservent la connoissance du vrai Dieu et le dépôt des traditions primitives ; qui s'occupent de choses sérieuses et solides , comme de l'agricul- ture et de la garde des troupeaux ; mais on n'y voit point de philosophes. C'est donc inutilement qu'on cherche l'origine et les commencemens de la philosophie dans les temps qui ont précédé le
déluge.
ARABES.
ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE CHEZLES ANCIENS ARABES.
A p R È S les Chaldéens , les Perses et les Indiens^ vient la nation des Arabes , que les anciens histo- riens nous représentent comme fort attachée à la
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iG OPINIONS
philosoplilc , eL comme s'ctant distinguée dans tous les temps par la subtilité de son esprit j mais tout ce qu'ils nous disent paroît fort incertain. Je jie nie pas cjue dcjouis l'islamisme , l'érudition et iVlude de la philosopliie n'aient été extrêmement en honneur chez ces peuples j mais cela n'a lieu et n'entre que dans l'histoire de la philosophie du jnoyen âge. Aussi nous proposons-nous d'en traiter au long quand nous y serons parvenus. Maintenant nous n'avons à parler que de la philosophie des anciens habitr.ns de l'Arabie heureuse. "
Il y a des savans, qui veulent que ces peuples se soient livrés aux spéculations philosophiques j et pour prouver leur opinion , ils imaginent des syslé- lues qu'ils leur attribuent , et font venir à leur secours la religion des Zabiens , qu'ils prétendent être le fruit de la philosophie.
Tout ce qu'ils disent n'a pour appui que des raisonnemens et des conjectures : mais que prou- ve-t-on par des raisonnemens et des conjectures , quand il faut des témoignages ?
Ceux qui sont dans cette persuasion que la phi- losoplne a été cultivée par les anciens Arabes , sont obl'gés de convenir eux-mêmes que les Grecs n'avoient aucune connoissance de ce fait. Que dis- je ? ils les regardoient comme des peuples bar- bares et ignorans, et qui n'avoient aucune teinture des lettres.
J^cs écrivains /arabes, si on en croit Abulfaragp,
t,ES a:>cî£-\s philosophes. ij ô'seni eux-mêmes qu'avant rislamisnje ils étolent pioni^'és dans la plus profonde ignorance, Mais ces r-aisons ne 5ont pas assez fortes , pour leur faire changer de senlinient sur celte -philosophie qu'ils allribuent aux anciens Arabes. Le mépris des Grecs pour cette nation , disent-ils , ne prouve que leur orgueil , et non la barl^arie des Arabes, JMais enfin , quels mémoires peuvent-ils nous pro- duire , et quels auteurs peuvent-ils nous cjter en faveur de rérudilion et de la philosophie des pre- miers ^r^^ei^ ? Ils conviennent, avec Abulfarage, qu'ils n'en ont point. C'est donc bien graluilenient qu'ils en font des gens de lettres et adonnés à la philosophie.
Celui qui s'est le plus signalé dans cette dispute , et qui a le plus à cœur la gloire des anciens ^ra- bes , c'est Joseph-Pierre Ludewig.
D'abord il conimence»par nous opposer Pjtha- gore , qui , au rapport de Porphyre , dans le voj-age littéraire qu'il avoit entrepris , lit l'honneur aux Arabes de passer chez eux , de s'y arrêter quel- que temps, et d'apprendre , de leurs philosophes, la divination parle vol et par le chant des oiseaux, espèce de divination où les Arabes excelloient. Moyse lui-même , cet homme instruit dans toute la sagesse des Egyptiens , quand il fut obligé de quitter ce royaume , ne choisit-il pas , pour le lieu de son exil , l'Arabie , préférablement aux autres pays ? Or , qui pourra s'imaginer que ce législateur,
A*
iS OPINIOIVS
des Hébreux se fut relire chez les Arabes, si ce peuple avoit été grossier, stupide, ignorant ? Leur origine , d'ailleurs , ne laisse aucun doute sur la cul- ture de leur esprit. Ils se glorifient de descendre d'Abraham , à qui l'on ne peut refuser la gloire d'avoir été un grand philosophe. Par quelle étrange fatalité auroient-ils laissé éteindre, dans la suite des temps, ces premières étincelles de l'esprit philoso- phique , qu'ils avoient hérité d'Abraham , leur père commun ?
Mais ce qui paroît plus fort que tout cela , c'est que les livres saints , pour relever la sagesse de Sa- lonion , mettent en opposition avec elle la sagesse des orientaux : or, ces oiientaux n'éloicnt autres que les Arabes. C'est de cette même Arabie, que la reine de Saba vint pour admirer la sagesse de ce philosophe couronné : c'est l'opinion constante de tous les savans.
On pourroit prouver aussi , par d'excellentes rai- sons , que les mages venus d'orient pour adorer le messie , étoient Arabes, Enfin , Abulfarage est obligé de convenir qu'avant l'islamisme même , à qui l'on doit dans ce pajs la renaissance i\es let- tres , ils entendoient parfaitement leur langue ', . qu'ils en connoissoient la valeur et toutes les pro- priétés ; qu'ils étoient bons poètes , excellens ora- teurs , habiles astronomes. N'en est-ce pas assez, pour mériter le nom de philosophes ? Non , vous dira quelqu'un. Il se peut que les Arabes aient poli
L) I-. ^ A >' C 1 E ?.' S PHILOSOPHES. I g
leur laDgiie j qu'iis aient été habiles à deviner et à interpréter les songes ; qu'ils aient réussi dans 'a composition et dans la solution des énigmes ; qu'ils aient même eu quelcjue connoissance du cours des astres , sans que , pour cela , on puisse les regarder comme des philosophes j car tous ces arts , si cependant ils en méritent le nom , teudcnt plus à nourrir et à fomenter la superstition , qu'à faire connoîtrc la vérité , et qu'à purger l'arne des pas-« slons qui sont ses tyrans.
Pour ce ({ui regarde Pylhagore , rien n'est moins certain que son voyage daiis l'crienl ; et quand même nous en conviendrions , qu'en résultcr-.it-il , si-non que cet imposteur apprit des Arabes toutes ces niaiseries, ouvrages de la superstition , et dont il étoit fort amoureux ? Il est inutile de citer ici INIoyse. Si cet homme passa dans l'Arabie , et s'il s'y établit en épousant une des filles de Jétro , ce n'étoit pas assurément dans le dessein de njéditer claez les Arabes, et de nourrir leur sotte curiosité de systèmes philosophiques. La providence n'avoit permis cette retraite de Moyse chez les Arabes , que pour y porter la connoissance du vrai Dieu et de sa religion.
La philosophie d'Abraham , dont ils se glorifient de descendre, ne prouve pas mieux qu'ils aient cultivé cette science. Abraham pourroit avoir été un grand philosophe et avoir été leur père , sans que cela tirdtà conséquence pour leur philosophie.
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nous en donne rhistorien sacr'é- Mais <j«el rapport cela a-t-ii avec la philosophie des Arabes? Nous accordons aussi volontiers que les mages venus d'orient étGienldçs^r/v^:'i; qu'ils avoirnl quelque connoissance du cours des asi res j nous ne refusons - poinl absolument celte science aux Arabes: nous voulons n)érije qu'ils aient assez bien pailé leur langue ; rjuils aient réussi dans les choses d'ima- gination , comme l'cloquep-ce et la poésie : mais on n'en conclura jamais qu'ils aient été pour cela des philosophes , et qu'ils aient fort cultivé celle partie de la littérature.
I^ seconde raison qu'on fait valoir en faveur de la philosophie des anciens -^ra^ej , c'est l'histoire du zabianiime , rjui passe pour avoir pris naissance chez eux, et qui suppose nécessairement des con- Doissances philosophiques. Mais, quand même tout ce que l'on en raconte seroit vrai , on n'en pourroit rien conclure pour la philosophie des Arab'S ; puisque le zabianisme , étant lui-même une idoiàli ie honteuse et une superstition ridicule , est plutôt l'extinction de toute raison qu'une vr:»ie philosophie.
D'ailleurs , il n'est pas bien décide dans quel temps cette secte a pris naissance ; car les hommes les plus habiles, qui ont travaillé pour éclaircir ce point d'histoire , comme Hotlinger , Pococke , Hjde , et sur- tout le docte Spencer , avouent quo ni les Grecs , ni les Latins ne font aucune mention de cette secte.
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S'ils ont laissé perdre le fil des véiités les plus précieuses , qu'ils avoicnt r,pprii;es d'Ahrahaui j si leur religion a dégénéré en une grossière idold- trie j pourquoi leurs connoissauces philosopliiquos; supposé qu'Abraham leur en eut conniiuniqué quelques-unes , ne se seroienl-elles pas aussi per- dues daui la suite" des lenips ? Au-^;esle, il n'est pas trop sûr que ces peuples descendent d'Abra- liaiii. C'est une histoire, qui paroîlavoi;" pris nais- sance avec le niahomélisnie.
Les Arabes , ainsi que les Mahoniétans , pour donner plus d'autorité à leurs erreurs , en font re- monter l'origine jusqu'au père des Crojans. Une chose encoie qui renverse la supposition de Lu- dewig , c'est que la philosophie d'Abraham n'est - qu'une pure imagination des Juifs, qui veulent à toute force trouver chez eux l'origine et les ccm- niencemcns des arls et des sciences.
Ce que l'on nous oppose de celte reine du Midi, qui vint trouver Salomon sur la grande réputation de sa sagesse j et des mages , qui partirent de rorient pour se rendre à Jérusalem , ne tiendra pas davantage. Nous voulons que cette reine soit née en Arabie : mais est - il bien décidé qu'elle fut de la secte des Zabiens ? On ne peut nier , sans-doute, qu'elle n'ait été , parmi les femmes d'orient , une des plus instruites , des plus ingénieuses j qu'elle n'ait souvent exercé l'esprit des rois de l'orient par les énigmes qu'elle leur enyojoit ; c'est là l'idée que
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nous en donne l'historien sacre. Mais (jael rapport cela a-t-il avec la philosophie des Arabes? iNous accordons aussi volontiers que les niâmes venus d orient étoientdes^r/i'Z'.j'^y qu'ils avoicnt quelque connoissance du cours des astres y nous ne refusons • point absolument cette science aux Arabes: nous voulons même qu'ils aient assez bien paiié leur langue ; qu'ils aient réussi dans les choses d'ima- gination , comme l'éloquence et la poésie : Jiiais on n'en conclura jamais qu'ils aient été pour cela des philosophes , et qu'ils aient fort cultivé cette partie de la littérature.
La seconde raison qu'on fait valoir en faveur de la philosophie des anciens Arabes , c'est l'histoire du zabianisme , qui passe pour avoir pris naissance chez eux, et qui suppose nécessairement des con- noissances philosophiques. INIais , quand même tout ce que l'on en raconte seroit vrai , on n'en pourroit rien conclure pour la philosophie des Arab'^s ; puisque le zabianisme , étant lui-même une idolàti ie honteuse et une superstition ridicule , est plutôt- l'estinction de toute raison qu'une vraie philosophie.
D'ailleurs , il n'est pas bien décidé dans quel temps cette secte a pris naissance ; car les hommes les plus habiles, qui ont travaillé pour éclaircir ce point d'histoire , comme Hotlinger , Pococke , Hyde , et sur-tout le docte Spencer , avouent que ni les Grecs , ni les Latins ae font aucune mention de cette secte.
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li ne faut pas confondre cette secte de zabiens Arables avec ces autres zabiens , dont il est parlé dans les annales de Tancicune église orientale , les- <jue!s éloienl moitié juifs et moitié chrétiens j qui se vanloient d'élre les disciples de Jcan-Baptisle ; et qui se trouvent encore aujourd'hui en grand nombre dans la ville de Bassarc , près des bords du Tigie , dans le voisinage de la mer de Perse.
Le lameus ÎNIojse IMaimonides a tiré des auteurs Arabes tout ce qu'il a dit de cette secle ; et c'est en examinant d'un œil curieux et attentif toutes ses cérémonies extravagantes et superstitieuses , qu'il justifie très -ingénieusenjent la plupart des loix de ÎNlojse , qui blesscroient au premier coup-d'œil notre délicatesse , si la sagesse de ces lois n'étoit marquée par leur opposition avec les loix des Za- Jjiens , pour lesquels Dieu vouloit inspirer aux Juifs imc grande aversion. On ne pouvoit mettre entre les Juifs et les Zabiens , qui étoient leurs voisins , une plus forte barrière. On peut lire sur cela l'ou- vrage de Spencer, sur l'économie mosaïque.
On n'est pas moins partagé sur le nom de cette secte que sur son âge. Pococke prétend que les Zabiens ont été ainsi nommés d'un mot hébreu , qui signifie \ts astres ou Vannée céleste , parce que la religion des Zabiens consistoit principalement dans l'adoration des astres. Mais Scaliger pense que c'est ordinairement le nom des Chaldéens, ainsi appelés , parce qu'ils étoient orientaux. Il a été
DES ÂIVC1E?^'S PHlLOSOrfÎLS. 23
Suivi en cela par plusieurs savans , el entre autres par Spencer. Celte signification du nom des Za- biens est d'autanl plus plausible , que les Zabicns rapportent leur origine aux Chaldccns , el qu'ils font auteur de leur secte Sabius , fils de Selh.
Pour nous , nous ne croyons pas devoir prendre parti sur une chose, quidéjà par eile-iLiêiiie est assez peuintéressanle. Si,pari;lesZabiens, oo entend tous ceux qui , parmi les peuples de l'orient , aduroicnlles astres , sentiment qui paroil être celui de quelques Arabes et de quelques auteurs chrétiens 5 ce nom ne seroil plus alors le nom d'une secte particulière , mais celui de l'idolâtrie universelle. iNlais il paroît qu'on a toujours regardé ce nom , comme étant propre à une secte particulière. iSous ne voyons pas qu'on le donnât à tous les peuples , qui à l'ado- ration des astres joignoient le culte du feu. Si pourtant , au milieu des ténèbres dont est enve- loppée toute l'histoire des Zabieiis,on peut, à force deconjectures, en tirer quelques rayons de lumière, il nous paroît probable que la secte des Zabiens n'est qu'un mélange du judaïsme el du paganisme^ qu'elle a été, chez les Arabes, une religion parti- culière et distinguée de toutes les autres ; que , pour s'élever au-dessus de toutes celles qui florissoient de son le>nps , elle avoil non-seulement aÛecté de se dire très-ancienne , mais même qu'elle rappor- toit son origine jusqu'à Sabius, fils de Sethj en quoi elle croyoit l'emporter pour l'antiquité sur
$4 OPINIONS
les Juifs mêmes qui ne peuvent remonter au-delà (l'Abraham. On ne se persuadera jamais ([ue le nom de Zabiens leur ait été donné , parce qu'ils tioient orientaux , pt)is([u'on n'a jamais -appelé de ce nom les Mages et les JMahométans , qui habitent les provinces de TAsie , situéesà l'orient.
Quoi qu'il en soit de l'origine des Zabiens, il est certain qu'elle n'est pas aussi ancienne que le pré- tendent les Arabes. Ils sont même sur cela partagés de sentimens; car si les uns veulent la faire remon- ter jusqu'à Sclh , d'autres se contentent de la fixef à Noé , et même à Abraham. Eutjchius , auteur Arabe , s'appuyant sur les traditions de son pajs, trouve l'auteur de cette secte dans Zoroastre, lequel ctoit né en Perse , si vous n'aimez mieux en Chal- dée. Cependant Euîvchius observe qu'il v en avoit quelques-uns de son temps qui en faisoient honneur à Juvan j il a voulu sans-doute dire Javau ; que les Grecs avoient embrassé avidement ce sentiment , parce qu'il flattoit leur orgueil , Javan ajant été ua de leurs rois; el que, pour donner cours à cette opinion , ils avoient composé plusieurs livres sur la science des astres et sur le mouvement des corps célestes. Il y en a même qui croient que celui qui fonda la secte des Zabiens étoit un de ceux qui tra- vaillèrent à la construction de la tour de Babel. Mais sur quoi tout cela est-il appuyé?
Si la secte des Zabiens étoit aussi ancienne qu'elle s'en vante , pourquoi les anciens auteurs
DES A >' C I E IS S PHILOSOPHES. a5
grecs iren or.l-ils point parle ? Pourquoi ne lisons- nous rien dans i Ecriture , qui nous fin donne la riioindre idée ?
Pour répondre à cette difficulté , Spencer croit qu'il suffit que le Ziibianisine, pris matériellement , c'est-à-dire, pour une religion dans laquelle on rend un culte au soleil et aux astres , ait tiré son origine des anciens Chaldeens et des Babyloniens; et qu'il ait précédé de plusieurs années le temps où a vécu Abraham. C'est ce qu'il prouve oar le témoignage des Arabes , qui s'accordent tous à dire que la religion des Zabiens est très-ancienne , et par la ressemblance de doctrine qui se trouve entre les Zabiens et les Chaidéens. Mais il n'est pas question de savoir si le culte des étoiles et des planètes esi très-ancien. C'est ce qu'on ne peut contester j et c'est ce que nous montrerons nous- i.némes , à l'article des Chaldéeivs. Toute la diffi^ culte consiste donc à savoir si les Zabiens ont tellement reçu ce culte des Chaidéens et des Babyloniens , qu'on puisse assurer à juste titre ,' <jue c'est chez ces peuples que le zabianisme a pris naissance.
Si l'on fait attention .que le zabianisme ne se bornoit pas seulement à adorer le soleil , les étoi- les et l.es planètes ) mais qu'il s'étoit fait à lui- même un plan de cérémonies qui luiétoient par- ticulières , et qui le distinguoient de toute autre forme de religion ) on m'avouera qu'un tel senti-.
Piiilos. asc. eL moi. ToilE I. B
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ment ne peut se soutenir. vSpencer lui-inénie , tout «ubtii qu'il e^t , a été forcé de convenir que le iabianisme , considéré formellement , c'est-à-dire, autant qu il fait une religion à part et distinguée par la forme de son culte , est beaucoup plus récent que les anciens Chaldéens et les anciens I5abjloniens. C'est pourtant cela même qu'il auroit dy prouver dans ses principes ; car si le zabianis- me , pris formellement , n'a pas cette grande anti- quité qui pourroit le faire remonter au-delà d'A- braham , comment prouvera-t-il que plusieurs lois de Moyse n'ont été divinement établies , que pour faire un contraste parfait avec les cérémonies superstitieuses du zabianisme ? Tout nous porte à croire que le zabianisme est assez récent ; qu'il n'est pas même antérieur au mahométisme. En effet , nous ne voyons dans aucun auteur , soit grec , soit latin , la moindre trace de cette secte j elle ne commence à lever la tête , que depuis U naissance du mahométisme , etc. Nous croj'onj cependant qu'elle est un peu plus ancienne , puis- que l'alcoraa parle des Zabiens, comme étant déjà connus sous ce nom.
Il n'y a point de secte sans livres j elle en a besoin, pour appuyer les dogmes qui lui sont parti- culiers. Aussi voyons -nous que les Zabiens en avoient , que quelques - uns attribuoient à Her- mès et à Aristote , et d'autres à Seth et à Abra- ham. Ces livres , au rapport de Maïmonides , con-
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tenoieut sur les anciens paliiarcbes , Adam 5eth, i\oé, Abraham, des histoires ridicules | et, pour toul dire, comparables aux fables de I alcoran. On j traitoit au long des démons , des idoles , des étoiles et des planètes, de la manière de cultiver la vigne, et d'ensemencer les chau.ps ; en un mot , on n'y omettoit rien de tout ce qui concernoit le culte qu'on rendoit au soleil , au feu aux eloiles et aux planètes. '
Si l'on est curieux d'apprendre foutes ces belles choses, on peut consulter Maïmonides. Ce seroit abuser de la patience du lecteur, que de lui pré- senter ici les fables dont fourmillent ces livres Je neveux que certe seule raison , pour les décrier comme des livres apocryphes et indignes de toute croj^ance. Je crois que ces livres ont été compo- «es vers la naissance de IMahomet , et encore par des auteurs qui n'étoient point guéris , ni de l'ido- latrie , m des foUes du platonisme moderne. Il nous suffira , pour faire connoître le ^énie des Zabiens , de rapporter ici quelques-uns^de leurs dogmes.
Ils croyoient que les étoiles étoient autant de dieux j et que le soleil tenoit parmi elles le premier rang. Ils les honoroient d'un double culte ; savoir d un culte qui étoi.t de tous les jours , et d'un autre qui ne se renouveloit que tous les mois.
Ils adoroient les démons sous la forme de boucs ; Ils se nourrissoient du sang des victimes (Qu'ils
aS OPINIONS
avoienl cepenJant en abomination ; ils croyoient
par-là s'unir plus intimement avec les démons.
Ils rendoient leuro honnnages au soleil levant ; et ils observoient scrupuleusement toutes les céré- monies , dont nous voyons le contraste frappant dans la plupart des lois de Moysc ; car Dieu , selon plusieurs savans , n'a affecté de donner aux Juifs des lois ({ui se trouvoient en opposition avec celles des Zabicns , que pour détourner les pre-» iniers de la superstition extravagante des autres.
Si nous lisons Pococke, Hyde , Prideaux et les auteurs .arabes , nous trouverons que tout leur système de religion se réduit à ces diitérens arti- cles que nous allons détailler.
Il y avoit deux sectes de Zabiens ; le fondement de la croyance de l'une et de l'autre étoit que les hommes ont besoin de médiateurs qui soient pla- cés entre eux et la divinité ) que ces médiateurs sont des substances pures , spirituelles et invisi- bles ; que ces substances , par cela même qu'elles ne peuvent être vues , ne peuvent se communi- quer aux hommes , si l'on ne suppose entre elles et les hommes d'autres médiateurs qui soient visi- bles j que ces médiateurs visibles éloient, pour les uns , des chapelles ; et pour les autres , des simu- lacres ; que les chapelles étoient pour ceux qui adoroient les sept planètes , lesquelles étoient ani- mées par autant d'intelligences qui gouvernoient tpus leurs inouvemens , à- peu-près comme potre
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 29
corps est animé par une ame qui en conduit et gouverne tous les rc-ssorls : que ces astres étoient des dieux , et qu'ils prcîidoient au destin des hommes j mais qu'ils étoient soumis eux-mêmes à l'Etre suprême ; qu'il ialloit observer le lever et le coucher des planètes ; leurs différentes conjonc- tions j ce qui fornioit autant de positions plus ou moins régulières j qu'il falloit assigner à ces planè- te^ leurs jours , leurs nuits , leurs heures , pour diviser le temps de leur révolution , leurs formes , leurs personnes et les régions où elles roulent 5 que moyennant toutes ces observations , on pou- voit faire des talisn)ans , des enchantemens , des évocations qui réussissoienl toujours: qu'à l'égard de ceux qui se portoient pour adorateurs des simu- lacres^ ces siîuulacres leur étoient nécessaires , d'autant plus qu'ils avoient besoin d'un médiateur toujours visible ; ce qu'ils ne pouvoient trouver dans les astres , dont le lever et le coucher qui se succèdent régulièrement, les dérobent auxregnrds des mortels j qu'il falloit donc leur substituer des siniulacres , moyennant lesquels ils pussent s'éle- ver jusqu'aux corps des planètes; des planètes, aux intelligences qui les animent ; et de ces intelligen- ces ,iusqn'cu Dieu suprême : que ces simulacres dévoient être faits du métal qui est consacré à chaque planète , et avoir chacun la figure de l'astre qu'ils représentent j mais qu'il falloit sur- tout observer avec attention les jours ; les heures ,
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les degrés , les minules et les autres circonstances propres à allirer de bénignes influences , et se servir des évocations , des cnchanteniens et des talismans qui étoient agréables à la planète ; que ces simulacres tcnoientia place de ces dieux céles- tes , et qu'ils étoient entre eux et nous autant de Jnédiateurs.
Leurs pratiques n'étoient pas moins ridicule» que leur croyance. Abulféda rapporte qu'ils avoient coutume de prier la face tournée vers le pôle arc- tique trois fois par jour, avant le lever du soleil , à midi et au soir j (juMs avoient trois jeunes , l'un de trente jours , l'autre de neuf, et l'autre desept^ qu'ils s'absteuoient de marger des fèves et de l'ai! j qu'ils faisoicnt brûler entièrement les victimes , et qu'ils ne s'en réservoient rien pour manger.
A^oilà tout ce que les Arabes nous ont appris du système de religion des Zabiens. Plusieurs traces de l'astrologie chaldaïque , telle que nous la don- nerons à l'article Chaldée>s , s'y laissent appor- cevoir. C'est elle , sans-doute, qui aura été la pre- mière pierre de l'édifice de religion que les Zabiens ont bâli. On y voit encore quelques autres traits de r ssemblance, comme cette anis du monde qui se distribue dans toutes les différentes parties , et qui anime les corps célestes, sur-lout les planètes, dont l'influence sur les choses d'ici bas est si mar- quée et siincontestable dans tous les vieux systèmes des rcli^^ions oricuLalcs.
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Mais ce qui y dcruine sur-tout , c'est la doctrine d'un médiateur , doclnne r[u'ils auront dérobée , soit aux juifs, soit aux chrétiens ; la doctrine des génies médiateurs , laquelle a eu un si grand cours dans tout l'oricut , d'où elle a passé chez les cah;i- lisles et les philosophes d'Alexandrie, pour revivre chez quelques chrétiens hérétiques , qui en prirent occasion d'imaginer divers ordres d'eons.
Il est aisé de voir par-là que le zabianisme n'est tju'un conjpôsé raoïislrueux et un mélange em- barrassant de tout ce que l'idolâtrie , la supersti- tion et 1 hérésie ont pu imaginer dans tous les temps de plus ridicule et de plus extravagant. Voilà pour- quoi, comme le remarque fort bien Spencer, il n'y a rien de suivi ni de lié dans les diirérentes par-* lies qui composent le zabianisme. On y retrouva quelque chose dé toutes les religions , malgré la diversité qui les sépare les unes des autres.
Celte seule remarque suffit, pour faire voir que le zabianisme n'est pas aussi ancien qu'on le croit ordinairement ; et combien s'abusent ceux qui en donnent le nom à cette idolâtrie universellement répandue des premiers siècles , laquelle adôroit le soleil et les astres. Le culte religieux, que les Za- biens rendoient aux astres , les jeta , par cet en- chaînement fatal que les erreurs ont entre elles , dans l'astrologie, science vaine et ridicule, mais qui flatte les deux passions favorites de l'honime; sa crcdulitL' j en lui promettant qu'il percera dan»
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l'avenir j et son or^^ueil , en lui insinuant que sa destinée est écrite dans le ciel. Ceux qui d'entre eux s'y soutle plus distingués, sont Thebet-Jbcn Kerra , Albategnius, etc.
ASCHARIOUNS, ou ASCHARIENS.
Disciples d'Ascbari , un des plus célèbres doc- teurs d'entre les musulmans. On lit dans J'Alco- jan : <( Dieu vous fera rendre compte de tout ce » que vous manifesterez en dehors , et de tout ce )) que vous retiendrez en vous-même j car Dieu ï) pardonne à qui il lui plaît ; et il châtie ceux qu'il )> lui plaît ^ car il est le Tout-puissant , et il dispose » de tout selon son plaisir ». A la publication de ce verset, les musulmans effrayés s'adressèrent à Aboubekre et Omar pour qu'ils en allassent de- mander l'e.^plication au saint prophète. (( Si Dieu J) nous demande coinpte des pensées mêmes dont î) nous ne sommes pas maîtres, lui dirent les dé- « pûtes, comment nous sauverons-nous » ? INlaho- mct esquiva la difficulté par une de ces réponses , dont tous les chefs de secte soni bien pourvus, qui n'éclairent point l'esprit , mais qui ferment ia bouche. Cependant , pour calmer les consciences , bientôt après il publia le verset suivant : « Dieu ne » charge l'homme que de ce qu'il peut, et ne lui « impute que ce qu'il mérite par obéissance ou par w rébellion ». Quelques musulmans prtteudirent
DES ANCIENS PHILOSOPHES. J'->
dans în suite que celte dernière sentence abrogeoit la première : les Aschariens , au contraire , se servirent de l'une et de l'autre, pour établir leur sjstènie sur la liberté et le mérite des œuvres ; sjstcme directement opposé à celui des Monta* za'ès.
Les ^^'c/2ûner25 regardent Dieu comme un agent universel , auteur et créateur de toutes les actions des hommes , libres toutefois d'élire celles qu'il leur plaît. Ainsi les hommes répondent à Dieu d'une chose qui ne dépend aucunement d'eux , quant à la producîion j mais qui en dépend entiè- rcm.ent, ([uant au choix. Il y a, dans ce svstéme, deus choses assez bien distinguées ; la voix de la cons- cience ou la voix de Dieu j la vois de la concupis- cence ou la voix du démon , ou de Di-^-u parlant sous un autre nom. Dieu nous appelle également par ces deux voix; et nous suivons celle qui nous plait.
Mais les Aschariens sont , je pense , fort em- barrassés, quand on leur fait voir que cette ac'ion , par 'aquelle nous suivons l'une ou l'autre voix ou plutôt cette détermination à l'une ou à l'autre voix, étant une action , c'est Dieu qui la produit , selon eux ) d'où il s'ensuit qu'il n'y a rien qui nous ap- partienne ni en bien ni en mal dans les actions. Au reste , j'observerai que le concours de Dieu , sa providence , sa prescience , la prédestinaîioa , la liberté , occasionnent des disputes et des hért-
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sies par-tout où il en est question } et c(ue les chrélicns fcroicnt bien , dit M. d'IIerbelot dans sa BibUolhèque orientale , dans ces questions diffi- ciles , de chercher paisib'cnient à s'instruire , s'il est possible , et de se supporter charitablement dans les occaMons où ils sont de sentimens dilfé- reos : en eact , que savons-nous là-dessus ? qiit6 consiliarlus ejusfuit ?
ASIATIQUES.
PHILOSOPHIE DES ASIATIQUES EN GÉNÉRAL.
Tous leshabitansde TAsie sont ou mahouiétans, ou païens , ou chrétiens. La secte de Mahomet est , sans contredit , la plus nombreuse : une partie des peuples qui composent celte partie du monde , a conservé le culte des idoles j et le peu de chrétiens qu'on y trouve sont schismatiques , et ne sont que le reste des anciennes sectes , et sur-tout de celle de Nestorius.
Ce qui paroîtra d'abord surprenant, c'est que ces drrjHcrs sont les p!us ignorans de tous les peu- ples de l'Asie , et pcut-eire les p'us dominés par la superstition. Pour les mahoniétans , on sait qu'ils sont partagés en deux sectes. La première est celle (ÏAL>oiibècre , et la seconde celle d'y///. Elles se haïssent mutuellement , quoique la différence qu'il y a entre elles consiste plutôt dans des cérémonies
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 03
et Jans des dogmes accessoires, que dans le fond de la docîrine. Panui les mabométans, on en trouve qui ont conservé quel(|ues dognies des anciennes sectes philosophiques , et sur-tout de l'ancienne philosophie orientale.
Le cclèbre Bernier , qui a vécu long -temps parmi ces peuples ,et quiétoit lui-même très-versé dans la philosophie , ne nous permet pas d'en douter. Il dit que les soufis persans , qu'il appelle c ah ails tes , u prétendent que Dieu , ou cet être » souverain, qu'ils appellent acliar , ùmnobile , )) iiinnuahle , a non-seulement produit ou tiré les )) âmes de sa propre substance, mais généralement 3) encore tout ce qu'il y a de matériel et de corporel )) dans l'univers j et que cette production ne s'est » pas faite simplement à la façon des causes efTi-a )) cientes j mais à la façon d'une araignée , qui pro- )) duil une toile qu'elle tire de son nombril , et )) qu'elle répand quand elle veut. La création n'est » donc autre chose , suivant ces docteurs , qu'une )) extraction et extension que Dieu fait de sa propre )) substance, de ces rets qu'il tire conmie de &e^ )^ entrailles , de même que la destruction n'est autre » chose qu'une simple reprise qu'il fait de celle )) divine substance , de ces divins rets dans lui- » même; en sorte que le dernier jour du monde , » qu'ils appellent maperlé ou praUa, dans le({ael » ils crojent que tout doit être détruit , ne sera » autre chose qu'une reprise générale de tons ces
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» rots , qae Dieu avoit ainsi tirés de lui-même. Il » n'y a donc rien , disent-ils , de réel et d'efteclif )) dans tout ce que nous croyons voir , entendre , » flairer, goûter et toucher: l'univers n'est qu'une » espèce de songe et une pure illusion , en tant que » toute cette niulliplicité et diversité de choses qui » nous fiappent, ne sont qu'une seule , unique et )) même chose , qui est Dieu même j comme tous )) les nombres divers que nous connoissons , vingt ^ 1) dix, cent, et ainsi des autres, ne sont enfio » qu'une même unité répétée plusieurs fois ».
INIais si vous leur demandez quelque raison de ce sentiment , ou qu'ils vous expliquent comment se fait cette sortie, et cette reprise de substance j cette extension, cette diversité apparente; ou com- ment il se peut faire que Dieu n'étant pas corporel j mais simple, comme ils l'avouent, et incorrup- tible ,il soit néanmoins divisé en tant de portions de corp^ et d'ames , ils ne vous payeront jamais que de belles comparaisons j que Dieu est coiniiie un océan immense, dans lequel se mouvroient plu- sieurs fioles pleines d'eau j que les fioles, quelque part (ju'elles pussent aller, se trouveroient toujours dans le même océan, dans la même eau j et que venant à se rompre , l'eau qu'elles contenoient , se trouvcroit en-meme-temps unie à son tout, à cet océan dont elles eloient des portions: ou bien ils vous diront qu'il en est de Dieu comnje de la lu- piièrc , qui est la même par tout l'univers , cl qui
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ne laisse pas de paroître de cent frçons différentes , selon la diversité des objets où elie tombe , ou seloa les diverses couleurs et figures des yen es par où elle passe. Ils ne vous paieront, dis-je , tpe de ces sortes de comparaisons qui n'ont aucun rapport avec Dieu , et qui ne sont bonnes que pour jeter de la poudre aux yeux d'un peuple ignorant j et il ne faut pas espérer qu'ils répliquent solidement , si on leur dit que ces fioles setrouveroient véritable- ment dans une eau semblable, mais non pas dans la même, et ainsi de tant d'autres objections qu'on leur fait. Ils reviennent toujours aux mêmes com- paraisons, aux belles paroles, ou, comme lessoufis, aux belles poésies de leur Goult-hen-raz.
Voilà la doctrine des Pendets , gentils des Indes ; et c'est cette doctrine qui fait encore à-présent la cabale des soufis et de la plupart des gens de lettres persans , et qui se trouve expliquée en vers per- siens ,si relevés et si emphatiques dans leur Gouct- lien- rai:, ou Parterre des mystères. C'éloit la doctrine de Fludd , que le célèbre Gassendi a si doctement réfutée : or, pour peu qu'on connoisse la doctrine deZoroastre et la philosophie orientale, on verra clairement qu'elles ont donné naissanco à celle dont nous venons de parler.
Après les Perses, viennent les Tar'ares, dont ^^mpire est le plus étendu dans rAs:"e^ car ils oc- cupent toute l'étendue du pays qui est entre le Mont- Caucase et la Chine.
53 OPINIONS
Les relations des vojaj^'curs sur ces peuples sont si inceiiaines , qu'il est exliènieineiiL diiïicilc de savoir s'ils ont jamais eu cjuclque teinture de plii- losophie. On sait aeuiemeut qu'ils croupissent dans la plus grossière superstition , et qu'ils sont ou nuihonieians ou idolâtres. INIais comme on trouve parmi eus de nombreuses communautés de pre-» 1res, qu'on ap^yehe Lamas ; on peut demander, avec raison , s'ils sont aussi ignorans dans les sciences ,que les peuples grossiers qu'ils sont char- gés d'instruire : on ne trouve pas de grands éclair- çissemens sur ce sujet, dans les auteurs qui en ont parlé. Le culte que ces lamas rendent aux idoles est jFondé sur ce qu'ils croient qu'elles sont les images des émanations divines , et que les aines qui sont aussi émai^ées de Dieu habitent dans elles.
Tous ces lamas ont au— dessus d'eux un grand-»- prêtre appelé le grand Lama , qui fait sa demeure ordinaire sur le sommet d'une montagne. On ne sauroit imaginer le profond respect que les Tar^ tares idolâtres ont pour lui ; ils le regardent comme innnortel; et les prêtres subalternes entretiennent celte erreur par leurs supercheries. Enfin tous Jes vojagcurs conviennent que les Tarlares sont , de tous les peuples de l'Asie, les plus grossiers, les plus ignorans , et les plus superstitieux. La loi naturelle j est presque éteinte; il ne faut donc pas s'étonner s'ils ont fait si peu de progrès danj la philosophie.
D F. s ANCIENS PHILOSOPHES. 69
Si de la Tartarie on passe dans les Indes , on ny trouvera guère moins d'ignorance et de supersti- tion j jusques-ià que queùjues auleurs or-t cru que les Indiens n avoient aucune connoissance de Dieu: ce senîiment ne nous parolt pas fondé. En eiiet^ Abraham Rogers raconte que les Bramines recon- noissent un seul et suprême Dieu , qu'ils nomment yistnou ; que la première et la plus ancienne pro- duction de ce Dieu , étoit une divinité inférieure, appelée Brama , qu'il forma d'une fleur qui flot- toit sur le grand abîme avant la création du monde; que la vertu , la fidélité et la reconnoissance de Brama avoient été si grandes , que Vistnou l'avoit doué du pouvoir de créer l'univers. {J^oyez Tart,
BfiAMI>ES).
Le détail de leur doctrine est rapporté par diffé- rens auteurs , avec une variété fort embarrassante pour ceux qui cherchent à démêler la vérité ; va- riété qui vient en partie de ce que les Bramines sont fort réservés avec les étrangers ; mais princi- palement de ce que les voj^ageurs sont peu verses dans la langue de ceux dont ils se niélenl de rap- porter les opinions. Mais du-mojns il est constant, par les relations de tous les modernes , que les Indiens reconnoissent une ou plusieurs divinités.
Nous ne devons pas oublier ici de parler de Budda ou Xékia , si célèbre parmi les Indiens , aux- quels il enseigna le culte qu'on doit lendre à la divinité, et que ces peuples regardent comme lî
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plus grand philosophe qui ail jamais exiblé : son histoire se trouve si remplie de fables et de contra- dictions , cpi'il seroit impossible de les concilier. Tout ce que Ton peut conclure de la diversité des sentiniens que les auteurs ont eu à ce sujet , c'est que Xékia parut dans la partie méridionale des Indes ; et qu'il se montra d'abord aux peuples qui habitoienl sur les rivages de l'océan j que de- là il envoja ses disciples dans toutes les Indes , où ils répandirent sa doctrine.
Les Indiens et les Chinois attestent unanime^ ment que cet imposteur avoit deux sortes de doc- trines 3 l'une, faite pour le peuple j l'autre, secrète, qu'il ne révéla qu'à quelques-uns de ses disciples. Le Comte , la Loubere , Bernier , et sur - tout Kempfer, nous ont suffisamment instruits de la première qu'on nomme exotérique. En voici les principaux dogmes:
i.° Il y a une différence réelle entre le bien et le mal.
2.° Les âmes des hommes et des animaux sont immortelles , et ne diffèrent entre elles qu'à raison des sujets où elles se trouvent.
5.° Les anies des hommes , séparées de leurs corps , reçoivent ou la récompense de leurs bonnes actions dans un séjour de délices , ou la punition de leurs crimes dans un séjour de dou^ leurs.
4.° Le séjour des bienheureux est un lieu où
DES A^•GIE^S PHILOSOPHES. /jl
ih goûteront un bonheur qui ne finira point ; ce lieu s'appelle gokurakf.
5.° Les dieux dilïèrent entre ux par leur na- ture; et les âmes des homme? ,par leurs mérites j par conséquent le déi^ré de bonheur dont elles jouiront dans les champs élj'stes , répondra au degré de leurs mérites : cependant la mesure du bonheur que chacune d'elles aura en paita;;e, sera si grande, qu'elles ne souhaiteront point d'en avoir une plus grande*
• 6.° Amida est le gouverneur de ces lieux heu- reux , et le prolecteur des âmes humaine?, sur- tout de celles qui sont destinées à jouir d'une vie éternellement heureuse j c'est le seul médiateur cjui puisse faire obtenir aux hommes la rémission de leurs péchés , et la vie éternelle, f Plusieurs Indiens et quelques Chinois rapportent cela à Xehia lui-même ),
7.** Aniida n'accordera ce bonheur qu'à ceus qui auront suivi la loi de Xékia , et qui auront mené une vie vertueuse.
8.* Or, la loi de Xékia renferm*» cinq pré- ceptes généraux , de la pratique desquels dépend le salut éternel. Le premier , qu'il ne faut rieu tuer de ce qui est animé j
a.° Qu'il ne faut rien voler j
5.° Qu'il faut éviter l'inceste j
4-° Qu'il faut s'abstenir du mensonge 5
5.° Et sur-tout des liqueurs tories.
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Ces cinq préceptes sont fort célcures dans toute l'Asie méridionale et orientale. Plusieurs lettrés les ont corRiiientés , et par conséquent obscurcis 3 car on les a divisés en dix conseils , pour pouvoir ac- quérir la perfection de la vertu 5 chaque conseil a été subdivisé en cinq go-^fiakkai , ou instructions particulières , qui ont rendu la doctrine de Xékia extrêmement subtile.
9.° Tous les honnnes , tant séculieis ([u'ecclé- siastiques , qui se seront rendus iudignesdu bonheur éternel , par l'iniquité de leur vie , seront envoyés après leur mort , dans un lieu horrible appelé dsigokf , où ils souffriront des tourmens qui ne seront point éternels , mais qui dureront un certain temps indéterminé ; ces tourmens repondront à la grandeur des crimes , et seront plus grands à-me- sure qu'on aura trouvé plus d'occasions de prati- quer la vertu , et qu'on les aura négligées.
10.° Jemma-o est le gouverneur et le juge de ces prisons affreuses ; il examinera toutes les ac- tiony des hommes , et les punira par des tourmens différens.
II." Les âmes des damnés peuvent recevoir quelque soulagement de la vertu de leurs parens et de leurs amis -, et il n'y a rien qui puisse leur être plus utile que les prières et les sacrifices pour les morts , faits par les prêtres , et adressés au grand père des miséricordes, Amida.
12.'' L'intercession d'Amida fait que l'inexorable
ÛtS ANCIENS PHILOSOPHES. 4^
juge des enfers tempère la rigueur de ses arrêts , et rend les supplices des damnés plus, suppor- tables , en sauvant pourtant sa justice , et qu'il les renvoie dans le monde le plus -tôt qu'il est possible.
i5.° Lorsque les âmes auront ainsi été puri- fiées , elles seront renvoyées dans le monde , pour animer encore des corps , non pas dos corps hu- mains ,ma!S les corps des animaux immondes, dont la nature répondra aux vices qui avoient in- fecté les damnés pendant leur vie.
i4-° Les âmes passeront successivement des corps vils dans des corps plus nobles , jusqu'à ce qu'elles méritent d'animer encore un corps hu- main, dans lequel elles puissent mériter le bonheur éternel, par une vie irréprochable. Si , au con- traire, elles commettent encore des crimes, elles subiront les mêmes peines , la même transmigra- tion qu'auparavant.
Voilà la doctrine que Xékia donna aux In^ens^ et qu'il écrivit de sa main sur des feuilles d'arbre. Mais sa doctrine ésotérique ou intérieure est bien différente. Les auteurs indiens assurent que Xékia, se voyant à son heure dernière, appela ses dis- ciples 5 et leur découvrit les dogmes qu'il avoit tenus secrets pendant sa vie. Les voici tels qu'on les a tirés des livres de ses successeurs.
i.° Le vide est le principe et h fin de toutes choses.
44 O P I N I O A- s
2." C'est (le-là que tous les hommes ont tiré
leur origine ; et c'est là qu'ils relourrieronl après leur mort.
5.° Tout ce qui existe vient de ce principe , et y retourne après la mort } c'est ce principe qui constitue notre ame et les élémens } par consé- quent toutes les choses qui vivent , pensent et sentent , quelque dilîtrentes qu'elles soient par l'usage ou par la figure , ne dillërent pas en elles- mêmes , et ne sont point distinguées de leur prin- cipe.
4.** Ce principe est universel , adnn'rable , pur, limpide , sublil, infini ; il ne peut , ni naître, ni mourir , ni être dissous.
5.° Ce principe n'a ni vertu , ni entendement , »i puissance, ni autre attiiliut semblable.
6.° Son essence est de ne rien faire , de ne rien penser , de ne rien délirer.
7.° Celui qui souhaite de mener une vie inno- cente et heureuse, doit faire tous ses eflorts pour ce rendre semblable à son principe ; c'est-à-dire qu'il doit dompter , ou plutôt éteindre toutes ses passions , afin qu'il ne soit troublé ou inquiété par aucune chose.
8.° Celui qui aura atteint ce point de perfection, sera absorbé dans des contemplations sublimes , sans aucun usage de son entendement j et il jouira ^e ce repos divin , qui fait le comble du bonheur.
Q.° Quand on est parvenu à la connoissance d©
t)ES ANCIENS PHILOSOPHES. 4-^
telle doctrine sublime , il faut laisser au peuple la doctrine exoterique , ou du-moins ne î> j- prêter qu'à l'extérieur.
Il est fort vraisemblable que ce système a donné naissance à une secte fameuse parmi les Japonois, laquelle enseigne qu'il ii'j a qu'un principe de toutes choses; que ce principe est clair, lumineux^ incapable d'augmentation et de diminution • sans figure j souverainement parfail , sage , mais desti- tué de raison ou d'intelligence ; ttant dans une parfaite inaction, et souverainement tranquille, conjrae un homme dont l'attention est fortement fixée sur une chose, sans pensera aucune autre: ils disent encore que ce principe est dans tous les êtres particuliers , et leur communique son es* senre en telle manièie quVlles sont la même chose avec lui , et qu'elles se résolvent en lui quand elles sont détruites.
Cette opinion est différente du .'pinosisme, en ce qu'elle suppose que le monde a é'é autrefois dans un état fort différent de celui où il est à-, présent*
Un sectateur de Confucius a réfuté les absurdi- tés de cette secte par la maxime ordinaire , que rien ne peut venir de rien ; en quoi il paroît avoir supposé qu ils enseignoient (tue rien est le pre- mier principe de toutes choses , et par conséquent que le monde a eu un conmiencement , sans ma- tière ûi cause efficiente : mais il est plus vraisera**
4^ OPINIONS
blaLle ({Lie par le mot de vide , ils enlendoient seiileniciit ce qui n'a pas les propriétés sensibles de la nialicre ) qu'ils prétendoient désigner par-là ce que les modernes expriment parle teime dW- pace , i\ai est un être très-distinct du corps, et dont l'étendue indivisible impalpable , pénétra- ble , immobile et infinie , est quelque chose de réel. Il est de la dernière évidence qu'un pareil être ne sauroit être le premier principe , s'il étoit incapable d'agir , comme le prétendoit Xtkia. Spinosa n'a pas porté l'absurdité si loin ; l'idée abstraite qu'il donne du premier principe n'est , à proprement parler , que l'idée de l'espace qu'il a revêtu de mouvement , afin d'j joindre ensuite les autres propriétés de la matière.
La doctrine de Xékia n'a pas été inconnue aux juifs modernes : leurs cabalistes expliquent l'ori- gine des choses, par des émanations d'une cause première , et par conséquent préexistante , quoi- que peut-être sous une autre forme. Ils parlent aussi du retour des choses dans le premier être , par leur restitution dans leur premier être , com- me s'ils croj oient que leur En-Soph, ou premier être infini, contenoit toutes choses jet qu'il y a toujours eu la même quantité d'êtres , soit dans "état incréé , soit dans celui de création. Quand l'être est dans son état incréé , Dieu est simple- ment toutes choses : mais quand l'être devient monde , il n'augmente pas pour cela en qualité ;
i)ES ANCIENS PHILOSOPHES. 4/'
mais Dieu se développe et se répand par des énianalions. C'est pour cela qu'ils parlent souvent de grands et de petits vaisseaux , comme destinés à recevoir ces émanations de rajons qui sortent de Dieu , et de canaux par lesquels ces ra^^ons sont transmis ; en un mot , quand Dieu retire ces rajr.ns , le monde extérieur péiit , et toutes choses redeviennent Dieu.
L'exposé que nous venons de donner de la doc- trine de Xékia pourra nous servir à découvrir sa véritable origine.
D'abord, il nous paroît très-probable que les Indes ne furent point sa patrie } ncn-sculement parce que sa doctrine parut nouvelle dans ce pajs- là , lorsqu'il l'j apporta j mais encore parce qu'il n'y a point de nation indienne qui se vante de lui avoir donné la naissance -, et il ne faut point nous opposer ici l'autorité de la Croze , qui assure que tous les Indiens s'accordent à dire que Xékia naquit d'un roi indien 5 car Kempfer a très* bien remarqué que tous les peuples situés à l'orient de l'Asie , donnent le nom d'Jndes à toutes les terres australes.
Ce concert unanime des Indiens ne prouve donc autre chose , si-non que Xékia tiroit son ori- gine de quelque terre méridionale. Kempfer con- jecture que ce chef de secte étoit africain ; qu'il avoit été élevé dans la philosophie et dans les mystères des Egyptiens ; que la guerre qui déso-
4^ 0 P I N I O ?I s
loit l'Egypte ravaut obligé d'en sortir , il se relira avec ses compagnons chez les Indiens j «ju'il se donna pour un autre Hennés, pour un nouveau K'gislateur j et qu'il enseigna à ces peuples, non-» seulement la doctrine hiérogljphifjne des Egyp- tiens , mais encore leur doctrine mystérieuse.
Voici les raisons sur lesquelles il appuyé son sentiment.
1." La religion que les Indiens reçurent de ce législateur a de trèb-grands rapports avec celle des Egyptiens; car tous ces peuples représen- loient leurs dieux sous des figures d'animaux et d'hommes monstrueux.
2.** Les deux principaux dogmes de la religion des Egyptiens étoient la transmigration des âmes et le culte de Sérapis , qu'ils représentoient sous la figure d'un bœuf ou d'une vache. Or , il est cer- tain que ces deux dogmes sont aussi le fondement de la religion des nations asiatiques. Personne n'ignore le respect aveugle, que ces peuples ont pour les aniniaux ,méme les plus nuisibles , dans la persuasion où ils sont que les âmes humaines sont logées dans leur corps. Tout le monde sait aussi qu'ils rendent aux vaches des honneurs su- perstitieux , et qu'ils en placent les figures dans leurs temples. Ce qu'il y a de remarquable , c'est que , plus les nat'o s barbares approchent de l'E- g^pte , plus on leur trouve d'attachement à ces deux dogmes.
A „ J.
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Piiilos. anc. et mocl. ToM« I,
SYSTÈME FIGURÉ DES CO N N O IS S A NCES HUMAINES.
ENTENDEMENT.
/sacrée.
M E M O I R E.
fEccLÉsiASTiQUï, proprement dite.
^^HlSTOIRE DES PROrHÉTIES.
i MÉMOIRES.
(Yhir.Civiiï -, proprement dite. )
} -^ '^ < ANTIQUITES.
' ( Histoire Littéraire.
HISTOIRE COMPLETE.
/ Unifor- mité
DE LA
Nature.
Écarts
DE LA
Nature.
KATU- / V RELLE. \
Usages
DE LA
/Histoire céleste.
/des météores. Ide la terre et /des minéraux.
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DES ÉLÉ
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PRODIGES CÉLESTES. ÉTÉORES PRODIGIEUX. JPRODIGES SUR LA TERRE ET LA MER,
MINÉRAUX MONSTRUEUX. IvÉGÉTAUX MONSTRUEUX. iUX MONSTRUEUX. PRODIGES DES ÉLÉMENS.
'■MONNOYEUR.
rEUR D'Or. un. d'Or.
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ÉTIERS
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T H É o L O G I 1
/ 1 HEOLOGIE^
i i RELIGION,
Inaturelle. r 1 r I F N r F iThéologi eT <>" . p'^ ' •'^ .
1 REVELEE \ SUPERSTITIONS. DE ^ ■ -^
DIEU. Jpj5 esprits/divination
f BIEN ET MAlTmAGIE NOIRE, \ FAISANS. J
Science ) raisonnable.
DE l'Am e3 SENSITIVE.
Pneumatologie., OU Science de l'Esprit. ou Metaphisique parti- culière.
Propositioss.
(_ deTer.reeVdem"r.'
./■ Tactique. JArt m iii-J Mortification , ou
\ taire (.}. -J TECTORE MIUTAI.E.
*■ ( Pyrotechnie MiMiAir
.P^HYSIQUE GENERALE, na Ontologie, ou Science de l'Etrf en général. De la Possibilité. De l'Existence. De l'Etendue. De l'Impénétrabilité. De la Durée, &e.
^ EUmbktairb. CtOMÉTRia. J
IMAGINATION.
AfusZQUE. PSINTVItE.
Sculpture,
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DE l'ÊtRF en général. De LA POSSIBILITE. 1)E \. bxiSTENCE.l
De l'Étendue. De l'Impénétrabilité. De la Dub.es, Sfe.
AniTHMiri- <2t.ï.
/ PURES.
r AUMERIt^UE. ■i ^ÉlÉMEUTAinE.
t-AtCÈSRE -? INFINIT*S1- J niFF^RENTIl
^ MALE. tlKTÉ.RAtE.
DlFFÉRENTItltï.
(EliMBNTAlRB. CtOJtiTRI'- ■<
f Statique , propremittt dîit^
'X HYDROSTATiaUE.
t.Aîrsciin>AN2 Statique.,
llLCAKlQVE.
Dynamique , proprement dite. I Baliistique.
{HYDRAUt.QUÎ. Navigatiom.
I Hydr
Mixtes.
!^îrRowoji//£\ „ .^Géographie.
Gi'OMiTRJ-'i ' ^Hydrocr-Aphie,
QHS. y Chronolocii.
\ OpTio.UE , proprement dite.
I Optique J Dioptrique. Ferspectivi.
(_Catoptrique.
I rNEl-M.niQUB.
.1 I Art db coNJicTOREB..
V PHYSICOMATHÉMATIQUES.
Analyse des hasards.
GENERALE.
AsTRONOjiftE Physique. Ast:
MÈTÈOHOLOCtE.
f AsTHOtoeiÊ JunciAU ^ AsiROtOGJS Phïsiciui
PARTICU- LIÈRE.
CUHANOLOGIÏ.
CHvdro.ocie,
RDINACE.
Anatomie J JiMPce.
tCoMPARé,,
/Hygième J Cosmétique. '(ORTHOpioii
1 i Athlétique. ( GymnasijQi
/ Pathologie. \ séméiotique.
I Thérapeu- f?'*";.
\ TIQUE. i k'".'^ . "..•
MlsiB.Al.OCt'E.
Physiologie.
\ Hygikhe , propremtnt dite.
astique.
Chimie..
(■chimie ,
JMÉTALLl
VÉTÉRINAI
f Manège. Chasse.
PÈCHE.
' METALLURGIE.
î ALCHIMIE Tîintum.
(_MAGLE NATURELLE.
(i). (i). On peut renvoyer , si l'on veut , cts parties à la branche des Mathém«tigues , qui traite de leurs principes. Voye^ Ik-dessus le Système raisonné.
PiiiLUcOFHJH.
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DES A ^' C I E N S PHILOSOPHES. /jQ
5.° On Icouve, ciiez tous les peuplcs.de TAsie jorieiiUile , la plupart dos divinités égyptiennes , quoi<|ue sous , d'autres n.ojusi.:,'. ; ,<■
4." Ce qui conHiMie sur-tout la conjecture de K'-rupter, c'est que, 556 ana avant Jtsui>-Clirist , Cambvse , roi des r'erses , fit une irruption dars l'Egypte ; tua Apis qui étoit le ])aUadiuui de ce royaume ; et cliassa tous les prêtres du pays. Or, SI on examine l'époque ecclésiastique à^is Siamois , qu'ils font commencer à la iiiort de Xékia , oa verra qu'elle tombe précisément au temps de l'expédition de Cambyse ; de-là il s'ensuit qu'il est tiès-piobablcque Xékia se retira chez les Indiens, auxquels il enseigna la doctrine de l'Egypte.
5.° Enfin , l'idole de Xekia est repréicntéc avec un visage éthiopien et les cheveux crépus : or ;, il fst certain qu'il n'y a que les Africains oui soient ainsi faits. Toutes ces raisons bien pesées semblent ne laisser aucun lieu de douter (jue Xékia ne fut africain , et qu'il n'ait enseigné aux Indiens le§. dogmes qu'il avo.it lui-même puisés en Egypte,
A Z A R É C A H.
Hérétiques musulmans , qui ne reconnoissoient aucune puissance, ni spiiituelle , ni tempoielle. Ils se joignirent à toutes les sectes opposées au musu'manisme. Ils fornlèienl bientôt des troupes nombreuses; livrèrent des batailles, et d'éfu eut Piiilûs. auc. et mocl. To:m l, C
50 O P I IV I O N s
souvent les années qu'on envoya contre eux. En^ remis niorlels des Oniniiades , ils leur donnèrent bien de la peine dans i'Ahovas et les Iraques babylonienne et persicnne. lezid et Abdulnielck, califes de cette maison , les resserrèrent enfin dans la province de Chorasan , où ils s'éteignirent peu-à-peu.
Les Azarécah tiroient leur origine de Nafében- Azrah. Cette secte éloit faite , pour causer de grands ravages en peu de temps: mais , n'ajant par ses constitutions inéme aucun chef qui la condui- sît , il étoit nécessaire qu'elle passât comme un torrent, qui pouvoit entraîner bien des couronnes et des sceptres dans sa chute. Il n'étoit pas permis à une multitude aussi effrénée de se reposer un moment sans se détruire d'elle-même; parce qu'un peuple , formé d'hommes indcpendans les uns des autres , et de toute loi , n'aura jamais une passion pour la liberté , assez violente et assez continue , pour qu'elle puisse seule le garantir des inconvé- i)iens d'une pareille société ; si toute-fois on peut donner le nom de société à un nombre d'hommes ramassés , à-la-vérité , dans le plus petit espaces possible , mais qui n'ont rien qui les lie entre eux. Cette assemblée ne compose non plus une socié- té , qu'une multitude infinie de cailloux mis à côté les uns des autres , et qui se toucheroient , pe formeroieiit un corps solide.
n r: s A N C l L N s PHILOSOPHES. 5 I
BELBUCII ET ZÉOMBUCH.
Divinités des Vandales. C'étoit leur bon et leur ruauvais génie. Belbuch étoit le dieu blanc , et Zéonibuch éloit le dieu noir. On leur rendoit à l'un et à l'autre les honneurs divins. Le mani- chéisme est un système , dont on trouve des traces dans les siècles les plus reculés , et chez les nations les plus sauvages (*). Il a la même origine que la métempsycose; les désordres réels ou apparens
(*) Si ce n'est pas le premier degré, par lequel les hommes se sont élevés à l'athéisme; c'est an-moins . un des pas les plus fermes et les plus directs qu'ils aient faits dans la route qui j conduit : car celui qui commence par établir pour premier article do sa philosophie, deux principes, l'un du bien, l'autra du mal ^ est bien près de les, rejeter tous deux. U ne faut, en effet , ni une grande pénétration^ ni un long enchaînement de laisonnemensj pourvoir que, si l'on suppose une fois deux dieux ou deux prin- cipes CD - éternels , et par conséquent indépendant l'un de l'autre , il n'y a point de raison pour s'ar*» rêter à ce nombre plutôt qu'à tout autre cent fois, mille fois, etc. , plus grand ; et pour ne pas attacher, par exemple , un dieu à chaque phénomène parti- culier , à chaque changement qui arrive dans le tout. Je m'exprime ainsi, parce que la distinction com- munémentreçued'un monde physique et d'un mond# moral, est chimérique et contraire à la saine philo-»
52 o r I N I o N s
qui régnent dans l'ordre moral et dans Tordre plij'si<]uc , que les uns ont fiHribué à un mauvais génie , et que ceux qui n'admeltoient qu'un seul génie, ont regardé comme'la preuve d'un élat à venir , où , selon eux , les choses morales seroient dans une position renversée de celles qu'elles ont. ^lais ces deux opinions ont leurs difficultés.
Admettre deux dieux , c'est proprement n'en admettre aucun. Yoyez IV1amchéis3ie. Duc que l'ordre des choses subsistant est mauvais en lui- même , c'est donner des soupçons sur l'ordre des
Sophie : il n'y a pas deux mondes ; il n'y en a (ju'un 5 et c'est le tout. ,
Cette seule objection contre le dogme des deux principes suffit , pour faire naître de uouveaiix doutes dans l'espiit du manichéen , cj[ui réfléchit et qui aime sincèrement la vérité. Alors , forcé d'abandonner le poste dans lequel il s'étoit d'abord retranché , il cherche une autre issue , et tâche d'arriver à un terme où toutes les difhc;:ltés sur l'origine du mal physique et du mal moral disparoissent et soient ré- duites à leur juste valeur , c'est-à- dire ,à rien ; et il tpouve bientôt cette formule générale , qui lui donne la solution coinplète du problème, on , comme parlent les géomètres, l'équation finale ; c'est que, dans uq 53'stême ,.un ordre de choses où tout est lié, tout est ■nécessaire; donc le toui n'est, ni bien ni mal; il est comme il doit être ; il n'y a personne h accuser, ni h glorifier ; et rien u craindre ni à espérer.
NOTE DE l'éditeur.
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 5^
choses à venir ; car celui qui a pa pérmeHre le désordre une fois , pourroit Lien le pernieltre deux (*).
B R A C H M A N E S.
GvMNOsopHiSTES OU pbilosoplies Indiens , dont il est souvent parlé dans les anciens. Us en racon- tent des choses fort extraordinaires , comme de vivre couchés sur la terre j de se tenir toujours sur un pied ; de regarder le soleil d'un œil ferme et immobile , depuis son lever jusqu'à son coucherj d'avoir les bras élevés toute leur vie ; de se regar- der sans cesse le bout du nez , et de se croire comblés de la faveur céleste la plus insigne , toutes les fois (pfiLs y appercevoient une petite flamme bleue. Voilà des extravagances tout-à-fait incroya- bles j et si ce fut ainsi que les Bracliinones obtin- rent le nom de sages , il n j avoit que les peuples, qui leur accordèrent ce titre , qui fussent plus fous qu'eus. On dit qu'ils vivoicnt dans les bois j et que les relâches d'entre eux , ceux qui ne visoient pas à la contemplation béatiiique de la flamme
(*) En efi'et , si Dieu a pu consentir un instant à élre injuste et cruel envers des innocens; quelle assu- rance ont-ils , et peuvent-ils avoir , qu'il ne les trai- tera pas encore de même dans l'avenir.
KOTE DE L'ÉDITEUR.
54 OPINIONS
bîeue , étudioicnt l'astronomie , l'histoire de la nature et la politique j et sorloieul quelquefois de leurs déserts , pour faire paît de leurs contempla- lions aux princes et aux sujets. Ils veilloient de si bonne heure à l'instruction de leurs disciples , qu'ils envojoient des directeurs à la nièi e , si-lot qu'ils apprenoient qu'elle avoit conçu ; et sa doci- lité pour leurs leçons éloit d'un favorable augure pour l'enfant. On demeuroit trente-sept an: à leur école, sans parler, tousser, ni cracher; au bout de ce temps , on avoit la Hberté de mettre une chemise, de manger des animaux , et d'épouser plusieurs fenmies , mais à condition qu'on ne leur révéleroit rien des préceptes sublimes de la gj'ni- nosophie. Les Brachnanes prétendoient que la vie est un état de conception j et la mort , le mo- ment de la naissance : que l'ame du philosophe détenue dans son corps , est dans Tétat d'une chrysalide ; et qu'elle se débarrasse, à l'instant du trépas , comme un papillon qui perce sa coque et prend son essor. Les événemens de la vie n'é- toient , selon eux , ni bons , ni mauvais , puisque ce qui déplaît à l'un plaît à l'autre , et qu'une même chose est agréable et désagréable à la même personne en dillerens temps. Yoilà l'abrégé de leur morale. Quant à leur physique , c'étoit un autre amas informe de préjugés : cependant ils donnoicnt au monde un commencement et une fin 3 admcllcient un Dieu crtiilcur, qui lo goavcr-
DES ANCIENS PHILOSOPHES. OJ
noit et le pénétroit ) croyoient l'univers formé d'éléniens dlllcrens ; regardoicnt les cieux comme le résultat d'une quintessence particulière ; soute- noient l'immortalité de l'anie 5 et supposoient des tribunaux aux enfers , etc. Clément d'Alexandrie en fait l'une des deux espèces de gynmosophistes. Voyez PfliLOSorHiE des Indiens et Gymnoso- PHiSTES. Quand ils étoieut las de vivre , ils se bru- loi en t ^ ils dressoient eux-mêmes leur bûcher, Tallumoient de leurs mains , et y entroient d'uu pas grave et majestueux.
Tels étoient ces sages , que les philosophes grecs allèrent consulter tant de fois : on prétend qn5 c'est d'eux que Pytbagore reçut le dogme de îa métempsycose. On lit dans Suidas , qu'ils furent appelés Brachmanes , du roi Brachnian leur fon- dateur. Celte secte subsiste encore dans l'orient, sous le nom de Bramènes ou Brainines^ Voyez
Br AMINES.
BRAMINES , ou BRAMÈNES , ou BRAMINS , ou BRAMENS.
HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE ANCIENI^B ET MODERNE.
Sectë de philosophes Indiens, appelés 2iXï^ ciennemeni Brachmanes, Voyez Brachmanes. Ce sont des prêtres, qui réyèrent principalement trois
5(5 OPINIONS
choses y le dieu Fo , la loi , et les livres qui contien-» ï\ent leurs conslilutions. lis assurent cpie le monde n'est qu'une illusion , un songe , un pieslige ; et , que les corps , pour exister vérilaWeiiient , doivent cesser d'être en eux-nicrnes, et se confondre avec lé néant ,qui, par sa simplicité , fail la perfection de tous les êtres. Ils font consister la sainteté à ne rien vouloir", à ne rien penser.; à ne rion sentÏF , et à :si bien éloigner de son esprit toute idée , même de vertu , que la parfaite quiétude de l'ame n'en soit pas altérée. C'est le profond assoupissement de l'esprit ,'le calme de toutes les puissances, la sus- pension absolue des sens , qui fait la perfection* Cet état ressem])lc si fort au sommeil , qu'il paroît que quelques grains d'opium sanctilieroient un Bramine , bien plus siirenient que tous ses efforts. Ce quiétisme a été attaqué dans les Indes , et dé- fendu avec chaleur. Du reste , ils méconnoissent leur première origine. Le roiBrachman n'est.point leur fondateur. Ils se prétendent issus de la tête du dieu Brama , dont le cerveau ne fut pas seul fé- cond y ses pieds , ses niain« , ses bras , son esto- mac , ses caisses , engendrèrent aussi , mais des êtres bipn moins nobles. que ks/^/'aWi^iejS.i ils on| des livres anciens qu'ils ^ppcjjejpt. 5<7cr^5. Ils con- servent la langue, dans lacjuellc ils ont été écrits. Ils, admettent la métempsycose ; ils prétendent que la chaîne des êtres est émanée du sein de Dieu , et y rcnionte continuellenient , conmie le fil sort, du
lîES A ^(CIEISS PHILOSOPHES. 5^
ventre de l'araignée et y rentre. Au reste , il paroît que cesvstcnic de religion varie avec les lieux. Sur la côte de Coroniaudel , Wistnou est le dieu des Bramines ; Brama n'est que le premier homnieé Bi ama reçut de Wistnou le pouvoir de créer. Il fit huit mondes comme le nôtre , dont il abandonna l'administration à huit lieutenans. Les mondes pé- rissent et renaissent ; notre^ terre a commencé par l'eau , et finira par le feu : il s'en reformera de ses cendres une autre , où il n'j aura ni nier, ni vicis-»- situde de saisons. Les Bramines font circuler les âmes dans diiiérens corps ; celle de l'homme doux passe dans le corps d'un pigeon j celle d'un tyran , dans le corps d'un vautour j et ainsi des autres : ils ont en copsé<|uence un extrême respect pour les animaux j ils leur ont élcbli des hôpitaux : la piété leur fait racheter les oiseaux que les Mahoniétans prennent. Ils sont fort respectés des Benjans ou Banians dans toutes les Indes; mais sur-tout de ceux de la côte de Malabar , qui poussent la véné- ration jusqu'à leur abandonner leurs épouses avant la consommation du mariage , afin que ces hom- mes divins en disposent selon leur sainte volonté , et que les nouveaux mariés soient heureux et bénis. Ils sont à la tête de la religion j ils en expliquent bis rêveries aux idiots, et dominent ainsi sur ces idiots; et par" contre-coup , sur le petit nombre de ceux qui ne ,1e; sont pas. Ils tiennent les pciiies écoles. L'ausléijté de .leur, vie, l'ostentalion de
5S OPINIONS
leurs jeûnes en imposent. Ils sont répandus dans toutes les Indes ; mais leur collège est proprement à Banassî. Nous pourrions pousser plus loin l'ex- position des extravagances de la philosophie et de la religion des Bramines : mais leur absurdité , leur nombre et leur durée ne doivent avoir rica d'étonnant ; un chrétien y voit l'clTet de la colère céleste. Tout se lient dans l'entendement humain ; l'obscurité d'une idée se répand sur celles qui l'en- vironnent j une erreur jette des ténèbres sur des vérités contiguës ; et s'il arrive qu'il j ait dans une société des gens intéressés à former , pour ainsi dire, des centres de ténèbres, bientôt le peupls se trouve plongé dans une nuit profonde. I\ous n'avons point ce malheur à craindre 5 Jamais les centres de ténèbres n'ont été plus rares et plus res» serrés qu'aujourd'hui : la philosophie s'avance à pas de géant j et la lumière l'accompagne et la suit. r^oyez dans la nouvelle édition de Voltaire, la lettre d'un Turc sur les Bramines.
CHALDÉENS.
PHILOSOPHIE DES CHALDÉENS.
liES Chaldëens sont les plus anciens peuples de l'orient , qui se soient appliques à la philosophie. Le titre de premiers philosophes leur a été con- testé par les Egj'ptiens. Celte nation , aussi jalouse
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 5g
de rhonneur des inventions y qu'entêtée de l'anli- (juite de son origine , se croyoit non-seulement la j)lus vieille de toutes les nations , ruais se regardoit encore comme le berceau où les arts elles sciences avoient pris naissance. Ainsi les Chaldéens n'é- toient , selon les Egyptiens, qu'une colonie venue d'Egjptej et c'est d'eux qu'ils avoient appris tout ce qu'ils savoient. Comme la vanité nationale est toujours un mauvais garant des faits , qui n'ont d'au* tre appui qu'elle , cette supériorité , que les Egyp- tiens s'arrogeoient en tout genre sur les autres nations, est encore aujourd'hui un problème parmi les savans.
Si les inondations du Nil , qui confondoient les bornes des champs , donnèrent aux Egyptiens les premières idées de la géométrie , par la nécessité où elles mcttoient chacun d'inventer des mesures exactes , pour rec^onnoître son champ d'avec celui de son voisin , on peut dire que le grand loisir dont jouissoient les anciens bergers de Chaldée , joint à l'air pur et serein qu'ils respiroient sous un ciel qui n'étoit jamais couvert de nuages , pro- duisit les premières observations , qui ont été le fondement de l'astronomie. D'ailleurs , comme la Chaldée a servi de séjour aux premiers hommes du monde nouveau, il est naturel de s'imaginer que l'empire de Babylone a précédé les commcn- cemens de la monarchie d'Egypte j et que , par conséquent, la Chaldce , qui étoit un certain can-
C)0 O P I N I O N i
ton compris dans cet empire , et (jui reçut son nom des ChaldéeJis , philosophes étrangers aux- quels elle fut accordée pour y fixer leur denieure , est le premier p^^s (|ui ait clé éclairé des lumières de la philosophie.
Iln'esl pas facile de donner une juste idée de la philosophie des Chaldécns. Les monumens qui "pourroient nous servir ici de mémoires pour cette histoire, ne remontent pas, à beaucoup près, •auési haut que celte sccle : encore ces mémoires nous viennent-ils des Grecs ; ce (jui suiïil pour Jeur faire perdre toute l'autorité qu'ils pourroient avoir. Car on sait que les Grecs avoient un tour d'esprit très-difïérent de celui des orientaux ; et qu'ils défiguroienl tout ce qu'ils touchoient et qui leur venoit des nations barbaries ; car c'est ainsi qu'ils appcloicnt ceux ^ui nVtoient pas nés Orers. Les dogmes des autres ^lalions , en pas- sant par leur invagination , y prcnoient une tein- ture de leur manière de penser , et n'enlroient ja- mais dans leurs écrits, sans avoir éprouvé une grande altération.
LIne autre raison , qui doit nous rendre soupçon- neux sur les véritables sentimens des Chaldcens , c'est que , selon l'usage reçu dans tout l'orient , ils ren- fcrmoîenl dans l'enceinte de leurs écoles , où même ils n'admettoient que des disciples privilégiés , les dogmes de leur secte , et qu'ils ne les produisoient ea public quesous le voile des symboles et des allégoi ics»
DES A T\ C I E N 8 PHILOSOPHES. G I
Ainsi , nous ne pouvons former que des conjec- lares sur ce que les Grecs et mènie les Arabes en ont fait parvenir jusqu'à nous. De-là aussi celte diversité d^opinions , qui parta^^ent les savans qui ont tenté de percer l'enveloppe de ces ténèbres mystérieuses. En prétendant les éclaircir , ils n'ont fait qu'épaissir davantage la nuit qui nous les cache : témoin cette secte de philosophes qui s'éleva en Asie , vers le temps où J. C. parut sur la terre.
Pour donner plus de poids aux rêveries qu'en-? fantoit leur imagination déréglée , ils s'avisèrent de les colorer d'un air de grande antiquité , et de les faire passer, sous le nom des Chaldéens et des Perses , pour les restes précieux de la doctrme de ces philosophes. Ils forgèrent en conséquence un grand ouvrage sous le nom du fameu»x Zoroastre , regardé alors dans l'Asie comme le chef et le maître de tous les mages de la Perse et de la Chaldée.
Plusieurs savans, tant anciens que modernes, se sont exercés à découvrir quel pouvoit être ce Zoroastre si vanté dans tout 1 Oricnl: mais après bien des veilles consumées dans ce travail ingrat ^ ils ont été forcés d'avouer rinutllité de leurs efibrts. J^oyez l'article de la philosophie de:> PtHShS.
D'autres philosophes , non moins ignorans dans ies mjs'icres sacrés de l'ancienne doctrine des Chal- déens, voulurent partager avec les premiers Ihon- neur de composer une secte à pari. Ils pri'-ent 4onc le parti d.e faire naître ^^oroas.re en Egjpte y
62 OPINIONS-
et ils ne furent pas njoins hardis à lui supposer Jcs ouvrages , donl ils se servirent pour les conibatlre plus coniniodénient. Coujine P^lhagore et Platon étoienl allés en Egypte, pour s'instruire dans les sciences,que cette nation avoitla réputation d'avoir extrêmement periectionnéeS; ils imaginèrent que les systèmes de ces deux philosophes grecs n'é- toient qu'un fidèle extrait de la doctrine de Zo- roastre. Cette hardiesse à supposer des livres, qui fait le caractère de ces deux sectes de philosophes, nous apprend jusqu'à quel point nous devons leur donner notre confiance.
Les Chaldéens étoient en grande considération parmi les Bahjlonicns. C'étoient les prêtres de la nation j ils y remplissoient les mêmes fonctions que les mages chez les Perses, en instruisant le peuple de tout ce qui avoit rapport aux choses de la reli- gion , comme les cérémonies et les sacrifices. Voilà pourquoi il est arrivé souvent aux historiens grecs de les confondre les uns avec les autres ] en quoi ils ont marqué leur peu d'exactitude , ne distinguant pas , comme ils le dévoient , l'état où se Irouvoit la philosophie chez les anciens Babyloniens , de celui où elle fut réduite , lorsque ces peuples pas- sèrent sous la domination des Perses.
On peut remarquer , en passant , que chez tous les anciens peuples, tels que les Assyriens , les Perses, les Egyptiens, les Ethiopiens , les Scythes, les Etruriens , ceux-là seuls étoient regardés comme
ÎD E Ç ANCIENS PHILOSOPHES. 65
les sages et les philosophes de la nalion , qui avoient usurpé la tjualité de prêtres et de ministres de I4 religion. C'étoient des hoiurnes souples et adroits , qui faisoient servir la religion aux vues intéressées et politiques de ceux qui gouvernoient. Voici quelle étoit la doctrine des Clialdcens sur la divinité.
Ils reconnoissoient un Dieu souverain , auteur de toutes choses , lequel avoit établi cette belle harmonie qui lie toutes les parties de l'univers, Quoiqu'ils crussent la matière éternelle et préexis- tante à l'opération de Dieu , ils ne s'imaginoiert pourtant pas que le jnonde fût éternel; car leur cos- mogonie nous représente notre terre , comme ajant été un chaos ténébreux , où tous les élémens étoieLt confondus péle-méle, avant qu'elle eût reçu cet ordre et cet arrangement qui la rendent un séjour habitable.
Ils supposoient que les animaus'monstrueux, et de diverses figures , avoient pris naissance dans le sein informe de ce chaos ) et qu'ils avoient été soumis à une femme nommée Omerca ,
Que le 'DiexiBelus avoit coupé cette femme ea deux parties , de Tune desquelles il avoit formé le ciel, et de l'autre la terre ) et que la mort de celte femme avoit causé celle de tous les animaux :
Que Beîus , après avoir formé le monde et pro- duit les animaux qui le remplissent , s'étoit fait couper la léte : .
C4 €>piTSioys
Que les hommes et les animaux ctoient sortis de la terre , que les autres dieux a voient détrempée dans le sang qui couloit de la blessure du dieu Be^ lus; et que c'étoit là la raison , pour laquelle les hommes étoienl doués d'intelligence, et asoient reçu une portion de la divinité.
Bérosé , qui rapporte ceci dans les fragmens que nous avons de lui , et qui nous ont été coiiservés par le Syncelle , observe que toute cette cosmo- gonie n'cijt qu'une allégorie mystérieuse , par la- quelle les Chaldétns expliquoientdequelleiuanière le dieu créateur avoit débrouihé le chaos , et intro- duit l'ordre parmi la confusion des élémensi, Du-^ moins , ce que Ton voit à travers les voiles de cette surprenante allégorie , est que Ihomme doit sa naissance à Dieu 5 et que le Dieu suiiréme s'étoit servi d'un autre Dieu, pour former ce monde. Cette doctrine n'étoit point particulière aux Chaîdeens, C'étoit même une opinion universellement reçue dans tout l'orient , qu'il y avoit des génies , des dieux suballcrnes et dépendans de l'Etre suprême, qui étoicnt distribués et répandus dans toutes les parties de ce vaste univers. On crojoit qu'il n'é- toit pas digne de la majesté du Dieu souverain de présider directement au sort des nations. Renfermé dans lui-même ,il ne lui convenoit pas de s'occuper des pensées et des actions des simples mortels: mais il en laissoit le soin à des divinités locales et tulci
DES ANCIENS PHILOSOPHES. G5
laires. Ce n'étoit aussi qu'en leur honneur que fu- nioit Tenccns dans les temples , el que couloit sur les autels le sang des victimes.
]\Iais , outre les bons génies qui s'appliquoient à faire du bien aux honmies , les Chaldéens admet- toient aussi des génies mal-faiiaiis. Ceux-là étoient formés d'une njatièrc plus grossière que les bons , avec lesquels ils étoîcnt perpétuellement en guerre. Les premiers étoient l'ouvrage du mauvais prin- cipe , comme les autres l'étoient du bon ^ car il paroît que la doctrine des deux principes avoit pris naissance en C h aidée , d'où elle a passé chez les Perses.
Cette croyance des mauvais démons , qui non- seulement avoit cours chez les Chaldecns , mais encore chez les Perses , les Egyptiens et les autres nations orientales , paroît avoir sa source dans la vieille tradition de la séduction du premier homme par un mauvais démon. Ils prenoient toutes sortes de formes , pour mieux tromper ceux qui a voient l'iinprudence de se confier à eux.
Tels étoient vraisemblableoienlles mystères, aux- quels les Chadéens avoientsoin de n'initier qu'un petit nombre d'adeptes qui dévoient leur succéder, pour en faire passer la tradition d'âge en âge , jusqu'à la postérité la plus reculée. Il n'étoit |.as permis aux disciples dépenser a^i-delà de ce que leurs maîtres leur avoient appris. Ils plioient, servi- lement £0us le joug , que leur inîposoil le respect
GÔ OPINIONS
aveugle qu'ils avoient pour eux. DioJore de Sicilf leur en fait un mérite , el les élève en cela beau- coup au-dessus des Grecs, qui, selon lui , deve- noient le jouet éternel de mille opinions diverses, entre lesquels floltoit leur esprit iudécis, parce que, clans leur manière de penser , ils ne vouloicnt élre maîtrisés que par leur génie. Mais il faut élre bien peu philosophe soi-même , pour ne pas sentir que le plus beau privilège de notre raison consiste à ne rien croire par l'impulsion d'un instinct aveugle et mécanique ; et que c'est déshonorer la raison , que delà mettre dans des entraves, ainsi que le faisoient les CJialdéens. L'homme est né pour pen- ser de lui-même. Dieu seul mérite le sacrifice de nos lumières j parce qu'il est le seul qui ne puisse pas nous tromper , soit qu'il parle par lui-même , soit qu'il le fasse par l'organe de ceux auxqueU il a confié le sacré dépôt de ses révélations.
La philosophie des Chaldéens n'étant autre chose qu'un amas de maximes et de dogmes qu'ils transmettoient par le canal de la tradition , ils ne méritent nullement le nom de philosophes. Ce titre, dans toute la rigueur du terme, ne convient qu'aux Grecs , et aux Romains qui les ont imités en marchant sur leurs traces. Car , pour les autres nations , on doit en porter le même jugement que des Chaldéens , puisque le même esprit de ser- vitude régnoit parmi elles j au-lieu que les Grecs et les Uomains osoient penser d'après eux-mêmes.
BES ANCIENS PHILOSOPHES. 6/
Ils ne crovoient que ce qu'ils vojoient , ou du- nioins (jue ce qu'ils s'inioginoient voir. Si l'esprit Systématique les a précipités dans un grand nom- bre d'erreurs , c'est parce qu'il ne nous est pas donné de découvrir subitement , et comme par une espèce d'instinct , la vérité. Nous ne pouvons y parvenir qu'eu passant par bien des impertinen- ces et des extravagances j c'est une loi à laquelle la nature nous a assujettis. INIais, en épuisant toutes les sottises qu'on peut dire sur chaque chose , les Grecs nous ont rendu un service important , parce qu'ils nous ont comme forcés de prendre , pres- que à l'entrée de notre carrière, le chemin de la vérité.
Pour revenir aux Chaldéens , voici la doctrine qu'ils enseignoient publiquement; savoir , que le soleil , la lune et les autres astres, et sur-tout les planètes , étoient des divinités qu'il falloit adorer. Hérodote et Diodore sont ici nos garans.
Les étoiles , qui formoient le zodiaque , étoient principalement en grande vénération parmi eux , sans préjudice du soleil et de la lune , qu'ils ont toujours regardés comme leurs premières divini- tés. Ils appeloient le soleil Belus , et donnoient à la lune le nom de Nebo ; quelquefois aussi ils i'appeloient IVergal.
Le peuple, qui est fait pour être la dupe de tous ceux qui ont assez d'esprit pour prendre sur lui de l'ascendant , crojoit bonnement que la diviiuté
6S o p I ^ I o N s
r<:siJoît dans les astres; cl ^ pm- çonsé<]iient , qu'ils éloicnt autant de dieux qui ii)cnloienl les homma- ges. Pour les sages et des philosophes du pays , ils se contenloient d'y placerdes esprits , ou des dieux du second ordre , qui en dirigeoient les divers niouveriiens.
Ce principe une fois établi, que les astres ctoient des divinités , il n'en fallut pas davantage aux Chaldéens, pour persuader au peuple qu'ils avoient une grande influence sur le bonheur ou le malheur des humains. De-là est née l'astrologie judiciaire , dans laquelle les Chaldéens avoient la réputation d'exceller si fort sur les autres nations , que tous ceux qui s y. distinguoient s'appeloient Chaldéens ^ quelle que ifût leur patrie. Ces charlatans s'étoient fait un art de prédire l'avenir par l'inspection du cours des astres , où ils feignoient de lire l'enchaî- nenient des destinées humaines. La crédulité des peuples faisoit toute leur science } car quelle liaison pouvoient-ils appercevoir entre les mouvemens réglés des astres et les événemens libres de la vo- lonté? L'avide curiosité des hommes, pour percer dans l'avenir , et pour ]>révoir ce qui doit leur arriver, est une maladie aussi ancienne que le monde même. Mais elle a exercé principalement son empire chez tous les peuples de l'orient , dont? on saitr <jue l'imagination s'allume aisément. On ne sauroit dire jusqu'à quel excè? elle y a é,té portée par les ruses et les a; lifices'des prêtres. 'L'astrolo-
DES ANCIEÎÏS PHILOSOPÎiES. %
gie judidiaîïre est le puissant frein, avec lequel on a de tout teiijps gouverné l'esprit des .oiienîaux» Sextus-Enipiricus déclame avec beaucoup de force et d'cioquence contre cet art frivole , si funeste au bonheur du genre humain , par les maux qu'il produit nécessairement. En effet , les Chaldccns ré'récissoient l'esprit des peuples, elles tenoient indignement courbés sous un joug de fer que leur imposoit leur superstition : il ne leur éloit pas permis de faire la moindre démarche , sans avoir auparavant consulté les augures et les aruspices. Çuelque crédules que fussent les peuples , iln'étoit pas possible que l'imposture de ces chariatans de Clialdee ne trahit et ne décelât très-souvent la vanité de l'astrologie judiciaire. Sous le consulat de M. Popilius et de Cneius-Calpurnius , il fut ordonné aux CliaJdcens , par un édit du préteur Corn. Hispollus , de sortir de Kome et de toute l'Italie dans l'espace de dix jours : et la raison qu'on en donnoit , c'est qu'ils abusoient de la prétendue connoiss^nce qu'ils se ,vantoient d'avoir du cours des astres , pour tromper des esprits foibles et cré- dules , en leur persuadant que tels et tels évéoe- niens de leur vie étoient écrits dans le ciel. Alexan- dre lui-même, qui d'abord avoit été prévenu d'une haute estime pour les Chaldéens , la leur vendit bien cher par le grand, mépris qu'il leur porta. , depuis que le philosophe Auaxarque lui
yO OPINIONS
eut fait connoître toute la vanité de rastrologle judiciaire.
Quoi(jue raslrononiie ait été fort en honneur cliez les Chaldeens , cl qu'ils l'aient cultivée avec beaucoup de soin, il ne paroît pas pourtant (ju'elle eut fait parmi eus des progrès considérables. Quels astronomes , que des gens qui crojoient que les éclipses de lune provenoient , de ce que cet aslre tournoit vers nous la partie de son disque qui étoit opaque ! car ils crojoient l'autre lunii- neuse par elle-même , indépendamment du soleil. Où avoient-ils appris que le globe terrestre seroit consumé par les flammes , lors de la conjonction des astres dans le signe de Técrevisse , et qu'il seroit inondé si cette conjonction arrivoit dans le signe du capricorne ? Cependant ces Chaldéens ont été estimés comme de grands astronomes; et il n'y a pas même long-temps qu'on est revenu de cette admiration prodigieuse qu'on avoit conçue pour leur grand savoir dans l'astronomie j admi- ration qui n'étoil fondée que sur ce qu'ils sont séparés de nous par une longue suite de siècles. Toutéloignement est en droit de nous en imposer.
L'envie de passer pour le plus ancien peuple du monde est une manie qui a été commune à tou-- tes les nations. On dirnit qu'elles s'imaginent valoir d'autant mien\ , qu'elles peuvent remonter plut haut dans l'antiquité. On ne sauroit croire conir
BES ANCIENS PHILOSOPHES. 7I
bien de rêveries et d'absurdités ont élé débitées à ce sujet. Les Chaldéens , par exemple , picten- doicnt qu'au temps où Alexandie, vainqueur de Darius, prit Babjlone, il s'éloit écoule (Quatre cent soixante et dis mille années, à compter de- puis le temps où l'aslronomie fieurissoit dans la Chaldée, Celte longue supputation d'annces n*a point sa preuve dans rhist(jire , mais seulement dans l'imagination échauiTée des Chaldéens. En efïetjCallislhene , à qui le précepteur d'Alexandre avoit ménagé une enirée à la cour de ce prince, et qui suivoit ce conquérant datis ses expéditions militaires , envoja à ce même Aiistote des obser- vations qu'il avoit trouvées à Bahjlone. Or , ces observations ne remontoient pas au-delà de mille neuf cent trois ans ; et ces mille neuf cents trois ans , si on les fait commencer à l'année y4^83 de la période Julienne, où Babvlone fut prise , iront, en rétrogradant , se terminer à l'année 2480 de la même période. Il s'en faut bien que le temps marqué par ces observations remonte jusqu'au déluge , si l'on s'atlache au systéuie chronologi- que de Moyse , tel qu'il se trouve dans la version des Septante. Si les Chaldéens avoient eu des observations plus anciennes , comment se peut- il faire que Ptolouiée , cet astronome si exact, n'en ait point tait mention; et que la première dont il parle tombe à la première année de Mer* clochai , roi de Babjlone , laquelle se trouve être.
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diiiîS lîi viogf-sepliciue année de Tèic de IVabo-*- îinssar ? il rcsulle de-là , que celle prétendue anli- (juité , que les Chaldctns donnoienl à leurs ob- servations , ne incriîe pns plus noire croyance que le témoignage de Porphyre qui lui sert de i'ondcinent. Il J a plus : Epigène ne craint point d'avancer que les observations ajtronoiniqucs, qui se trouvoient inscrites sur des briques cuites qu'on vojoit à Babylonc , ne remontoient pas au-delà de 720 ans j et comme si ce temps eût été encore trop long, Bérose et Critodème renferment tout ce temps dans l'espace de 480.
>\près cela , qui ne riroit de voir les Chaldéens nous représenter gravement leurs observations astro* lîomiqucs , et nous les apporter en preuve de leur grande antiquité , tandis que leurs propres auteurs leur donnent le démenti, en les renfermant dans un si court espace de temps ? Ils ont apparemment cru , suivant la remarque de Lnclance , qu'il leur étoit libre de mentir , en imaginant des observations de 470000 ans , parce qu'ils étoient bien sûrs qu'en s'eufonçanl si fort dans l'antiquité , il ne seroit pas possible de les atteindre. Mais ils n'ont pas fait attention que tous ces calculs n'opèrent dans les esprits une vrai persuasion , qu'autant qu'on y atta- che des faits , dont la réalité ne soit point suspecte.
Toute chronologie qui ne tient point à des faits n'est point historique, et par conséquentne prouve rien en faveur de l'anliquilé d'une nation, Quand
DES ANCIENS PHILOSOPHES. ^5
une fois le coms des aslrcs m'est connu, je puis prévoir , en conséquence de leur marche assu- jettie à des niouvenieus uniformes et réguliers , dans quel temps et de quelle manière ils figureront ensemble , soit dans leur opposition , soit dans leur conjonction. Je puis également me replier sur les temps passés , ou n)'avanccr sur ceux qui ne sont pas encore arrivés 5 et franchissant les bornes du temps où le Créateur a renfermé le monde , marquer , dans un temps imaginaire , des instans précis où tels et tels astres seroient éclipsés. Je puis , à l'aide d'un calcul quine s'épuisera jamais , tant que mon esprit voudra le continuer , faire lin système d'observations pour des temps qui n'ont jamais existé ou même qui n'existeront jamais. Mais de ce système d'observations , purement abs- trait ,il n'en résultera jamais que le monde ait tou- jours existé , ou qu'il doit toujours durer. Tel est le cas où se trouvent , par rapport à nous , les anciens Chaldéens , touchant ces observations qui ne coni- prenoient pas moins que 470000 ans. Si je voyois une suite de faits attachés à ces observations , et qu'ils remplissent tout ce long espace de temps , je ne pourrois m'empéoher de reconnoître uu monde réellement subsistant dans toute cette lon- gue durée de siècles j mais , parce que je n'y vois que des calculs qui ne traînent après eus aucune rôvoîution dans les choses humaines , je ne puis Piiiios. a:rc. -e' mod, To^S I. D
^4 OPINIONS
les regarder que coiiime des rêveries d'un calcu- lateur.
C H A V A R I G T E S.
HÉRÉTiQUiiS niahoniétans opposés aux Schistes, Ils nient riiifaillibilité de la prophétie de IXIahomet, soit en elle-même , soit relativement à eux , parce qu'ils ne savent , disent-ils , si cet homme éloit inspiré , ou s'il le contrefaisoit j que , quand ils seroienl mieux instruits, le don de prophétie n'ôtant point la liberté , leur prophète est resté maître, pen- dant l'inspiration , de l'altérer, et de substituer la voix du mensonge à celle de la vérité j qu'il y a des faits dans l'alcoran qu'il étoit possible de prévoir^ qu'il y en a d'autres que le tempsadùamenernéces- sairement j qu'ils ne peuvent démêler , dans un ou- vrage aussi mêlé de bonnes et de mauvaises choses , ce qui est de Mahomet et ce qui est de Dieu 5 et qu'il est absurde de supposer que tout appartienne à Dieu : ce que les Chavarigles n'ont point de peine à démontrer par une infinité de passages de l'alcoran , qui ne peuvent être que d'un fourbe et d'un ignorant. Ils ajoutent que la prophétie de Mahomet leur étoit superflue , parce que l'inspec- tion de l'univers leur annonçoit, mieux que tout son enthousiasme , l'existence et la toute- puissance de Dieu; que, quant à la 'oi établie avant lui, le don de prophétie n'ajant nulle liaison avec elle , elle n'a pis lui accorder le droit de lui en substituer une autre )
DES A N C I L > S P n I I> O 5 O p H E S. ^5
que ce que leur proplièle a ié\clé de l'avenir a pu êlre de Dieu ; mais que ce qu'il a dit contre la loi an- térieure àla sienne, étoit certainement de l'homme j et que les prophètes qui font précédé , l'ont décrié ^ comme il a décrié ceux qui viendroient après lui , comme ceux-ci décrieront ceux qui les suivront. Enfin ils pi étendent que , si la fonction de prophète devient un jour nécessaire , ce ne sera point le privilège de quelques-uns d'entr'eux } mais que tout honmie juste pourra être élevé à cette dignité. Voilà les contestations qui déchirent, et qui déchi- reront les hommes qui auront eu le malheur d'avoir un méchant pour législateur ^ que Dieu abandon- nera à leurs déréglemens ; qu'il n'éclairera point de la lumière de son saint évangile j et dunt la loi sera contenue dans un livre absurde , obscur et menteur,
CHINOIS.
PHILOSOPHIE DES G H I IS' CI S.
Ces peuples , qui sont , d'un consentement una- nime , supérieurs à toutes les nations de l'Asie , par leur ancienneté , leur esprit , leurs progrès dans les arts , leur politique , leur goût pour la phi- losophie , le disputenl même dans tous ces points , au jugement de quelques auteurs, aux contrées de l'Europe les plus éclairées.
^i l'on en croit ces auteurs , les Chinois ont eu
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des sages , dès les premiers âges du monde. Us avoient des cités érudiles; des philosophes leur avoient prescrit des plans suBlirnes de philosophie morale, dans un tenipsoùla terre n'étoit pas encore bien essuyée des eaux du déluge j témoins Isaac Vpssius, Spiz.elius, et cette multitude innombrable de missionnaires de la compagnie de Jésus , que le désir d'étendre les lumières de notre religion a fait passer dans ces grandes et riches contrées.
Il est vrai queBudée , Thomasius , Gundling , Heuman , et d'autres écrivains dont les lumières sont de quelque poids , ne nous peignent pas les Chinois en beau ; que les autres missionnaires ne 'sont pas d'accord sur la grande sagesse de ces peu- ples , avec les missionnaires de la compagnie de Jésus 'j et qu^ ces derniers ne les ont pas même regardés tous d'un œil également favorable.
Au milieu de tant de té/noignages opposés, il sembleroit que le seul moyen qu'on eut de décou- vrir la venté , ceseroit de juger du mérite des C/i/- 7ZO/5, par celui de leurs productions les plus vantées. Nous en avons plusieurs collections ; mais malheu- reusement on est peu d'accord sur l'aulhenticilé des livres qui composent ces collections. On dis- pute sur l'exactitude des traductions qu'on en a faites j et l'on ne rencontre que des ténèbres encore fort épaisses , du côté même d'où l'on étoit en droit d'attendre quelques traits de lumières. ^ La collection publiée à Paris eu 1687 par les
t)ES ANCIENS PHILOSOPHES. 77
pèresIntorcetta,Heuclrick,Rougenjont et Couplet, nous présente d'abord le Ta hio ou \diScientia ma" ^la, ouvrage de Confucius, publié par Ceinçu , ua de ses disciples. Le philosophe Chinois s ^' est pro- posé d'instruire les maîtres de la terre dans l'art de bien gouverner , qu il renferme dans celui de con- noitre et d'acquérir les qualités nécessaires à un souverain j de se commander à soi-même ;de savoir former son conseil et sa cour ; et d'élever sa famille. Le second ouvrage de la collection j intitulé : Chum-yum , ou de medio sempiterno , ou de me- diocritate in rébus omnibus tuendd , n'a rien de si fort sur cet objet, qu'on ne put aisémeut renfermer dans quelques maximes de Sénèque. . Le troisième est un recueil de dialogues et d'a- pophthegmes sur les vices , les vertus , hes devoirs et la bonne conduite ) il est intitulé : Lun-j-u, Oa trouvera à la fin de cet article, les plus frappans de ces apophlhcgmes , sur lesquels on pourra apprécier ce troisième ouvrage de Confucius. • Lessavans éditeurs avoient promis les écrits de IMencius , philosophe danois ^ et François Noèi , missionnaire. de la i:;ème compagnie , a satisfait eti 1711a cette promesse , en publiant six livres clas- siques chinois, entre lesquels on trouve quelques morceaux de iMencius.IVous n'entrerons point dans les différentes contestations, que cette collection et la précédente ont excitées entre les érudits. Si quelques faits hasardés par les éditeurs de ces col-
^S OPINIONS
Icctions , et démontres faux par de savans Euro* péens , tel , par exemple , que celui des tables as- tronomiques données pour authentiquement chi- noises et convaincues d'une correction faite sur celles de Ticho, sont capables de jeter des soup- çons dans les esprits sans partialité ; les moins impartiaux ne peuvent non plus se cacher que les adversaires de ces pénibles collections ont mis bien do rhumeuret delà passion dans leur critique.
La chronologie chinoise ne peut être incertaine, sans que la première origine de la philosophie chez les Chinois ne le soit aussi. Fo-hi est le fondateur de l'empire de la Chine , et passe pour son pre- mier philosophe. Il régna en l'an 2964 avant la naissance de Jésus-Christ. Le cjcle Chinois com- mence l'an 2647 avant la naissance de Jésus-Christ , Ja huitième année du règne de Hohangti. IIo- liangti eut pour prédécesseurs, Fo-hi et Xinung. Celui-ci régna 1 10; celui-là 140? mais, en suivant le système du P. Petau , la naissance de Jésus-Christ tombe Tan du monde 5889; et le déluge , l'an du monde i656j d'où il s'ensuit que Fo-hi a régné quelques siècles avant le déluge j et qu'il faut , ou abandonner la chronologie des livres sacrés , ou celle des Chinois. Je ne crois pas qu'il y ait à choisir , ni pour un chrétien , ni pour un Européen sensé , qui , liisùnt dans l'histoire de Fo-ln que sa mère en devint enceinte par l*arc-en-ciel , et une infinité de contes de cette force , ne peut guère
DES A N C 1 E ^ S PHILOSOPHES. 79
Yegarder son règne comme une épor|ue certaine , malgré le témoignage unanime d'une nation.
En ([uelque temps que Fo-hi ait régné , il paroît avoir fait dans la Chine , plutôt le rôle d'un Kermès ou d'un Orphée , que celui d'un grand philosophe ou d'un savant théologien. On raconte de lui qu'il inventa l'alphabet, et deux instrumensde musique, l'un à vingt- sept cordes , et l'autre à trente-six. On a prétendu que le livre Ye-Kîm, qu'on lui attribue, contenoit les secrets les plus profonds j et que les peuples qu'il avoit rassemblés et civilisés , avoient appris de lui qu'il existoit un Dieu , et la manière dont il vouloit être adoré.
Cet Ye-Kim est le troisième de VU-Kim ou du recueil des livres les plus anciens de la Cliine. C'est un composé de lignes entières et de lignes ponc*» tuées , dont la combinaison donne 64 figures diiTé- rentes. Les Chinois ont regardé ces figures comme une histoire emblémati'jue de la nature j à^s causes de SQS phénomènes 5 des secrets delà divination, et de je ne sais combien d'autres belles connois- sa?,ces, jusqu'à ce que Leibnitz ait déchiffré j'é- n'igme, et montré à toute cette Chine si pénétrante , fpje les deux lignes de Fo-hi n'étoient autre chose que les élémcns de l'arithmétique binaire. Il n'en faut pas pour cela mépriser davantage les Chinois ; une nation très-éclairée a pu, sans succès et sans déshonneur, chercher pendant des siècles entier* ce qu'il étoit réservé à Leibnitz de découvrir.
^o o p I rf I o !v s
L'empereur Fo-hi transmit à ses successeurs sa manière de philosopher. Ils s'attachèrent tous à perfectionner ce qu'il passe pour avoir commencé; ia science de civiliser les peuples , d'adoucir leurs mœurs , et de les accoutumer aux chaînes utiles de la société. Xin-num fit un pas de plus. On reçut de lui des préceptes d'agriculture j quelques con- Doissances des plantes j les premiers essais de la médecine. Il est très-incertain si les Chinois étaient alors idolâtres , athées ou déistes. Ceux qui pré- tendent démontrer qu'ils admettoient l'existence d'un dieu tel que nous l'adorons , par le sacrifice que fit Chin-Gtang dans un temps de famine , nj regardent pas d'assez près.
La philosophie des souverains de la Chine paro-ît avoir été long-temps toute politique et morale , à en juger par le recueil des plus belles maximes des rois Yao , Xum et Yu : ce recueil ei>t intitulé , U-Kim; il ne contient pas seulement ces maximes: elles ne forment que la matière du premier livre qui s'appelle Xu-Kim.
Le second livre , ou le Xi-Kim , est une collec- tion de poèmes et d'odes morales.
Le troisième est l'ouvrage linéaire de Fo-hi , dont nous avons parlé.
Le quatrième , ou le Chum-cieu , ou le prin- temps et l'autoiune , est un abrégé historique do. la vie de plusieurs princes , où leurs vices ne sont
Î)ES ANCIENS PHILOSOPHES, Si
Le cinquième , ou le Li-Ki , est une espèce de rituel , où Ton a joint à Tcxplication de ce qui doit être observé dans les cérémonies profanes et sa- crées , les devoirs des hommes en tout étal , au temps des trois familles impériales, Hia , Xani et Cheu.
Coiifucius se vantoit d'avoir puisé ce qu'il cort- noissoit de plus sage. , dans les écrits des anciens rois Yao et Xum.
L'U-Kini est, à la Chine, le monument littéraire le plus saint , le plus sacré, le plus authentique, le plus respecté. Cela ne l'a pas mis à l'abri des com- •rnenlaleui^; ces hommes, dans aucun temps ,chcz aucune nation , n'ont rien laissé d'intact. Le com- mentaire de rU-Kim a formé la collection , Su-xu. Le Su-xu est très- estimé des Chinois; il contient la scientia mogna , le mediwn scmpiternmn , les ratiocinanliuinsennones , et l'ouvrage deMencius de naturd , moribus , ritibiis et officiis.
On peut regarder la durée des règnes des rois philosophes , comme le premier âge de la philo- sophie chinoise. La durée du second âge où nous allons entrer , commence à Roosi ou Li-lao-Kium , et iinit ^ia mort de JMcncius. La Chine eut plusicTi; s philosophes particuliers long-temps avant Confu- cius. On fait sur- tout mention de Roosiou Li-lao- Rium , ce qui donne assez mauvaise opinion des autres. Pvoosi,ou Li-lao-Kium, ou Lao-lan, naquit 546 ans après Xckia , ou 5o4 avant J. C. , à Su-
82 OPINIONS
ko-ki , dans la province de Soo. Sa mère le porta 8 1 ans dans son sein; il passa pour avoir reçu l'ame de Sancti-Kasso , un des plus célèbres disciples de Xekia , et pour être profondément versé dans la connoissance des dieux » des esprits , de l'immor- talité des âmes, etc. Jusqu'alors; la philosophie avoit été morale. Voici maintenant de la métaphysique ; et à sa suite, des sectes , des haines et des troubles.
Confucius ne paroît pas avoir cultivé beaucoup cette espèce de philosophie ; il faisoit trop de cas de celle des premiers souverains de la Chine. Il naquit 4^1 ans avant J. C. , dans le village de Ceu-ye , au royaume de Xan-tung. «%Sa famille étoit illustre : sa naissance fut miraculeuse , com- me on pense bien. On entendit une musique cé- leste autour de son berceau. Les premiers servi- ces qu'on rend aux nouveaux nés , il les reçut de deux dragons. II avoit, à six ans , la hauteur d'un homme fait et la gravité d'un vieillard. 11 se livra à (juinze ans à l'élude de la littérature et de la pliiiosopliie. Il étoit njarié à vingt ans. Sa sagesse réleva aux premières dignités ; mais inutile , odieux peut-être , et déplacé dans une cour volup- tueuse et débauchée, il la quitta pour aller dans le royaume de Sum , instituer une école de phi- losopliie morale. Cette école fut nombreuse j il en sortit une foule d'hommes habiles et d honnê- tes citoyens.
Sa philosophie étoit plus en action qu'en dis-
DES AÏS Cl e:s S P II I L O £ 0 r H E s. 85 cours. Il fut chéri de ses disciples pendant sa vie} ils le pleurèrent long-lemps après sa mort. Sa luùnoire et ses écrits sont dans une grande véné- rnlion. Les honneurs , qu'on lui rend encore aujour- d'hui , ont excité entre nos nn'ssionnaires les con- testations les plus vives. Ils ont été regardés par les uns coîume une idolâtrie incompatible avec l'esprit du christianisme j d'autres n'en ont pas jugé si sévèrement. Ils convenoient assez , les uns et les autres , que, si le culte qu'on rend à Confu- cius éfoit religif^ux , ce culte ne yiouvoit être toléré par des chrétiens : mais les missionnaires de la compagnie de Jésus ont toujours prétendu qu'il n'etoit que civil.
Voici en ([uoi le culte consistoit. C'est la cou- tume des Chinois de sacrifier aux atnes de leurs parens morts : les philosophes rendent ce devoir particulièrement à Confucius. Il y a, proche de Pécole confucienne , un autel consacré à sa mé- moire j et sur cet autel , l'image du philosophe avec cette inscription : C'est ici le trône de l'arne de noire très - saint et très ~ excellent premier ir.aitre Confucius. Là s'assemblent les lettrés, tous les équinoxes, pour honorer, par une of- frande solemnelle , le philosophe de la nation. Le principal mandarin du lieu fait la fonction de pré- Ire j d'autres lui servent d'acolytes; on choisit le jour du sacrifice avec- des cérémonies particuliè- res 'j on se prépare à ce graad jour par des jeu-
84 O P I IS- I O K s
nés. Le jour venu , on examinis l'hostie ; on allume des cierges; on se met à genoux; on prie; on a deux coupes , l'une pleine de sang, l'autre de vin; on les répand sur l'image de Confucius ; oq bénit les assistans ; et chacun se relire.
Il est très-difficile de décider si Confucius a été le Socrale ou l'Anaxagore de la Chine : cette question lient à une connoissance profonde de la langue ; mais on doit s'appercevoir , par l'analyse que nous avons faite plus haut de quelques-uns de ses ouvrages , qu'il s'appliqua davantage à l'étude de riiomme et des mœurs , qu'à celle de la nature et de ses causes.
Mencius parut dans le siècle suivant. Nous pas- sons tout-de-suïle à ce philosophe , parce que le Ro-osi des Japonois est le mcaie que le Li'-lao* kium des Chinois _, dont nous avons parle pluj haut. Mencius a laréputalion de l'avoir emporté en subtilité et en éloquence sur Confucius : mais de lui avoir beaucoup cédé par l'innocence des mœurs , la droiture du cœur, et la modestie des discours.
Toute litlérataro et toute philosophie furent presque étouffées par Xi-hoamti qui régna trois siècles ou environ après celui de Confucius. Ce prince , jaloux de ses prédécesseurs , ennemi des savans , oppresseur de ses sujets , fit brûler tous les écrits qu'il put recueillir, à l'exception des livres d'agriculture , de médecine et de magie.
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 85
Quatre cent soi:sante savans qui s'étoient réfugiés dans des montagnes avec ce qu'ils avoient pu em-» porter de leurs bibliollièques, turent pris , et expi- rèrent au milieu des flammes. D'autres , à-peu- près en même nombre , qui craignirent le même sort , aimèrent mieux se précipiter dans les eaux du haut des rochers d'une île où ils s'étoient renfermés. L'étude des lettres fut proscrite sous . les peines les plus sévères } ce qui restoit des livres fut négligé ^ et lorsque les princes de la famille de Han s'occupèrent du renouvellensent de la littérature , à-pcine put- on recouvrer quelques ouvrages de Confucius et de Alencius. On tira des crevasses d'un mur , un exemplaire de Confucius , à demi -pourri; et c'est sur cet exemplaire dé- fectueux qu'il paroit qu'on a fait les copies qui l'ont multiplié.
Le renouvellement des lettres peut servir de date à la troisième période de l'ancienne philo- sophie chinoise.
La secte de Foè' se répandit alors dans la Chine^ et avec elle, l'idolâtrie, l'aiheisme, et toutes sortes de superstitions ; en sorte qu'il est incertain si Tignoracce , dans laquelle la barbarie de ?^i-hoamti avoit plongé ces peuples , n'étoit pas préférable aux fausses doctrines dont ils furent infectés. J^oyez à l'article de la Philosophie des Japo>ois , l'histoire de la philosophie de Xekia , de la secte de Ro-osi et de Tidolâtrie de Foè, Celte secte fu^
BÔ OPINIONS
suivie de celle des (|uictis£es ou Uu-guei kiao , ' mhil agentium.
Trois siècles après la naissance de J. C. , i'eiu- pire fut plein d'une espèce d'hommes qui s'imagi- nèrent être d'autant pus parfaits, c'est-à-dire, selon eux , plus voisins du principe acrieu , qu'ils ëtoient plus oisifs. Ils s'inlerdisoient , autant qu'il ctoit en eux , l'usage le plus naturel des sens. Ils se rendoient statues pour devenir air : cette disso- lution étoit le ternie de leur espérance , et la der-* nière récompense de leur inertie philosophique. Ces quiétisles furent négligés pour Ustan-kin; ces épicuriens parurent dans le cinquième siècle. Le vice , la vertu , la providence, l'inimortalité , etc. , étoientpour ceux-ci des noms vides de sens. Cette philosophie est malheureusement trop com- mode pour cesser promptement j il est d'autant plus dangereux que tout un peuple soit imbu de ses principes.
On fait commencer la philosophie chinoise du mojen âge aux dixième et onz'cmc siècles , sous les deux philosophes Chcu-cu et Clilm-ci, Ce furent deux polythéistes , selon les uns ; deux athées , selon les autres j deux déistes . selon quel- ques-uns , qui prétendent (juo ces auteurs, défigu- rés par les commentateurs , leur onl Tobligatioa entière de toutes les absurdités qui ont passé sous leurs noms.
La secte des lettrés est venue iuimédialeaien^
DES A K C I t > S PHILOSOPHES. 87
après celles de Chcii-cu et de Chiin-ci. Elle a divisé l'enipire sous le nom de Ju-kiao , avec les secles Foe-kiao et Lao-kiao , qui ne sont viai- seiiiblablenient que trois couibinaisons diiiérentes de superstition , d'idoldtrie et de polj'lheisijie , oq, d'athéisme. C'est ce dont on jugera plus sainemeat par l'exposition de leurs principes , que nous allons placer ici. Ces principes , selon les auteurs qui pnroissent les mieux instruits , ont été ceux des philosophes du moyen âge , et sont encore au- jourd'hui ceux des lettrés , avec quelques diffé- rences qu'y aura apparemment introduites le com- merce avec nos savans.
Principes des philosophes Chinois du mojen dgc^ et des lettrés de celui-ci.
I. Le devoir du philosophe est de chercher quel est le premier principe de l'univers ; com- ment les causes générales et particulières en 6ont émanées; quelles sont les actions de ces causes ; quels sont leurs eflets ; qu'est-ce que rhomme , relativement à son corps et à son ame j comniect il conçoit; comment il agit ; ce que c'est que le vice, ce que c'est que la veitu; en quoi Ihabi- tude en consiste ; quelle est la destinée de chaque homme ; quels sont les moyens de la connoître: et toute cette doctrine doit être exposée par sym- boles , énigmes , nombres , figures et hiéroglypheSj
88 o p I N I o ^ s
2. La science est ou antécédente , Sien fi'en^ hir y et s'occupe de TËtre et de la substance du premier principe ; du lieu , du mode , de Topéra- tion des causes premières considérées en puissance : ou elle est subséquente ; et elle traite de Tinfluence des principes immatériels dans les cas particuliers} de l'application des forces actives pour augmenter, diminuer , altérer ', des ouvrages , des choses de la vie civile , de l'administration de l'empire , des conjonctures convenables ou non ) des temps pro-? près ou non , etc.
• Science antécédente. ^
1. La puissance qui domine sur les causes géné- rales, s'appelle Ti-chu-chu-zai-kwin wnghuang: ces termes sont Ténuméralion de ses qualités.
2. Il ne se fait rien de rien. Il n'y a donc ni prin- cipe ni cause qui ait tiré tout du néant.
5. Tout n'étant pas de toute éternité , il y a donc eu de toute éternité un principe des choses , antérieur aux choses : Li est ce principe j Li est la raison première , et le fondement de la nature.
4. Cette cause est Téire iniini , incorruptible , sans commencement ni fin } sans quoi elle ne seroit pas cause première et dernière.
5. Cette grande cause universelle n'a ni vie , ni intelligence , ni volonté 5 elle est pure , tranquille , luLtile , 'transparente , sans ccrporéité , sans
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 8û
figure j ne s'atteint que par la pensée , comnjc les clioses spirituelles j et quoiqu'elle ne soit point spirituelle ^ elle n'a ni les qualités actives , ni les qualités passives des él«';n)ens. ,_i
6. Li , qu'on peut regarder comme la matière première , a produit l'air à cinq émanations ; et cet air est devenu, par cinq vicissitudes , sensible et palpable.
'j.Li , devenu par lui-même un globe infini , s'appelle Tai-bien , perfection souveraine.
8. L'air qu'il a produit à cinq émanations , et rendu palpable par cinq vicissitudes, est incorrup- tible comme lui; mais il est plus matériel et plus soumis à la condensation , au mouvement , au repos , à la cbaleur et au froid.
9. Li est la matière première; Tai-kie est la seconde.
10. Le froid elle chaud sont les causes de toute génération et de toute destruction. Le chaud naît du mouvenjent. Le froid naît du repos.
1 1 . L'air contenu dans la matière seconde ou le chaos a produit la chaleur , en s'agitant de lui- même. Une portion de cet air est restée en repos et froide. L'air est donc froid ou chaud. L'air, chaud est pur , clair , transparent et léger. L'air froid est inipur, obscur , épais et pesant.
12. ,11 y a donc quatre causes physiques; le mou- vement et le repos , la chaleur et le froid. On les, appelle Tiing-cing-in-iang,
go OPINIONS
i5. Le fioid et ie chaud sont étroitement unis; c'est la femelle etîe mâle. Ils ont engendré l'eau la première , et le feu après l'eau. L'eau appartient à Vin , le feu à VJang.
1 4. Telle est l'origine des cinq élémens qui cons- tituent Tal-kie , ou ifî-iang , ou l'air revêtu de «qualités.
i5. Ces élémens sont l'eau, élément septentrio- nal; le feu, élément austral; le bois, élénjent oriental j et la terre qui tient le milieu.
16. L'in-yangei les cinq élémens ont produit le ciel, la terre, le soleil , la lune et les planètes. L'air pur et léger, porté en-haut, a fait le ciel; l'air cpais et lourd , précipité en-bas , a fait I& terre.
l 'j. Le ciel et la terre , unissant leurs vertus , ont engendré mâle et femelle. Le ciel et la mer sont ù^Iang ; la terre et la femme sont (ÏJn, C'est pour- quoi l'empereur de la Chine est appelé roi du ciel ; et l'empire sacrifie au ciel et à laterre ses premiers parens.
18. Le ciel, la terre etl'honime sont une source féconde qui comprend tout.
ig. Et voici comment le monde fut fait. Sa ma- chine est composée de trois parties primitives , principes de toutes les autres.
20. Le ciel est la première ; elle comprend le soleil , la lune, les étoiles , les planètes , et la région de l'air , où sont épars les cinq élémens , dont les choses inférieures sont engendrées.
Des Ars'CÎEfiS PHILOSOPHES. «1
21. Celle région est divisée en hait kuas , ou portions , oùles clcniensse modifient diversement , et conspirent avec les causes universelles efiicientes.
2S>,. La terre est la seconde cause primitive ; elle comprend les montagnes y les fleuves , les lacs et les mers , qui ont aussi des causes universelles efficientes , qui ne sont pas sans énergie.
25. C'est aux parties de la terre qu'appartiennent le kan^ et \jen , le fort et le foible , le dur et le mou , l'âpre et le doux.
24' L'homme est la troisième cause primitive. Il a des actions et des générations qui lui sont propres,
25. Ce monde s'est fait par hazard , sans dessein , sans intelligence , sans prédestination , par une conspiration fortuite des premières causes efli- cientes.
i6. Le ciel est rond ; son mouvement est circu- laire j ses influences suivent la même direction.
27. La terre est quarrée ; c'est pourquoi elle tient le milieu , comme le point du repos. Les quatre autres élémens sont à ses côtés.
28. Outre le ciel , il J' a encore une matière pre- mière, infinie j elle s'appelle Li ; le Tai-ki- en est l'émanation : elle ne se meut point ; el'e esi trans- parente , subtile , sans action , sans connoissancej c'est une puissance pure.
29. L'air qui est entre le ciel et la ferre est divisé en huit cantons : quatre sont méridifjnaux , oùre^nejang ou la chaleur; quatre sont septea-.
Ç2 OPINIONS
(rioDaux , où dure Uin ou le froid. Chaque canton a son Kua ou sa portion d'air ^ c'est là le sujet de réûigniede Fo-liL Fo-hi a donné les premiers iinca- niens de l'histoire du monde. Confucius les a dé- veloppés dans le livre Lickicn.
Voilà le sjsténie des lettrés sur l'origine des choses. La métaphysique de la secte de Tao-" eu est la même. Selon celte secte , Tao ou chaos a produit i//i; c'est 7"<7/-A'ze ou la matière seconde; Z'^i-Ave a produit deux ^ In et léang; deux ont produit trois , Tien , 7j', Gin , San, Zay , la terre et l'homme ) trois ont produit tout ce qui existe.
Science suhsérjueîite.
Vuem-yuam , et Cheu-kung son fils , en ont été les inventeurs : elle s'occupe des influences cé- lestes sur les temps , les mois , les jours , les signes du zodiaque , et de la futurition des événemens , selon laquelle les actions de la vie doivent "être dirigées. Voici ses principes.
I. La chaleur est le principe de toute action et de toute conservation ; elle naît d'un mouvement produit par le soleil voisin , et par la lumière écla- tante : le froid est cause de tout repos et de toute destruction; c'est une suite de la grande distance du soleil , de l'éloignement de la lumière , et de 1^ présence des ténèbres.
DES A ?î C I E N S PHILOSOPHES. t)5
2. La chaleur règne sur le printemps et sur Vélù'j l'automne et l'hiver sont soumis au froid.
5. Le zodiaque est divisé en huit parties; quatre appartiennent à la chaleur , et quatre au Iroid.
4- L'influence des causes eiïicientes universelles se calcule en commençant au point cardinal ou Kua appelé Chm; il est oriental; c'est le premier jour du pjin temps , ou le 5 ou 6 de février.
5. Toutes choses ne sont qu'une seule et riieme substance.
6. Il y a deux matières principales ; le chaos infini , ou Ij'; l'air , ou tai-kié , émanalion première qui entre conséquenniient dans toutes ses pro- ductions.
y. Après la formation du ciel et de la terre , entre l'un et l'autre se trouva l'émanation première , ou l'air, matière la plus voisine de toutes les choses corruptibles.
8. Ainsi, tout est sorti d'une seule et même essence , substance , nature , par la condensation , principe des figures corporelles , par les modifi- cations variées selon les qualités du ciel , du soleil , de la lune , des étoiles, des planètes , des élémens, de la terre , de l'instant , du lieu , et par le concours de toutes ces qualités.
9. Ces qualités sont donc la forme et le principe des opérations intérieures et extérieures des corps composés»
C) • OPINIONS
10. La génération est un écoulement de l'aii* priiuilif ou du chaos modifié sous des ligures , et doué de qualités plus ou moins pures , qualités et figures combinées selon le cours du soleil el des autres causes universelles et parliculicies.
1 1. La corruption est la destruction de la figure extérieure , et la séparation des qualités , des hu- meurs el des esprits unis dans l'air. Les parties d'air désunies , les plus légères , les plus chaudes et les plus pures montent ; les plus pesantes , les plus fioides et les plus grossières descendent j les pre- mières s'appellent A7/Z et Ho'cn, esprits purs, âmes séparées ; les secondes s'appellent Kiwi , esprits impurs ou les cadavres.
12. Les choses diffèrent et par la forme exté- rieure , et par les qualités internes.
1 3. Il y a quatre qualités j le Ching , droit , pur et constant j le Pien , courbe , impur et variable j le Tiing, pénétrant el subtil j le Se ^ épais , obscur et impénétrable. Les deux premières sont bonnes, et admises dans l'homme 5 les deux autres sont mau- vaises , et reléguées dans la brute et les inanimés»
14. Des bonnes qualités naît la distinction du parfait et de l'imparfait , du pur et de l'impur dans les choses , celui qui a reçu le premier de ces mo- des , est un héros ou un lettre^ la raison le com- mande; il laisse loin de lui la multitude: celui qui a reçu les secondes qualités est obscur ou cruel ; sa
DES ANCIENS PHILOSOPHES. (.dl
vie est mauvaise : celui qui participe des unes et des autres lient le milieu ; c'est un bon homme sage et prudent; il est du nombre du Hien-Un.
i5. Tai-kie , ou la substance universelle, se divise en lieu et iw : uu est la substance figurée cor* porelle , matérielle , étendue , solide et résistante j iieu est la substance moins corporCile , mais sans figure déterminée, comme l'air ; on l'appelle p^u- kung-hicii , J^u~kung , néant , vide.
1 6. Le néant ou vide , ou la substance sans qualité €t sans accident , Tai^vu , Tai-kung est la plus pure , la plus subtile et la plus simple.
17. Cependant elle ne peut subsister par elle- même, mais seulement par l'air primitif; elle entre dans tout composé 5 elle est aérienne ; on l'appelle Ki ; il ne faut pas la confondre avec la nature im- matérielle et intellectuelle.
1 8. De Li pur , ou du chaos , ou séminaire uni- versel des choses , sortent cinq vertus ; la piété , la justice , la religion , la prudence et la fidélité avec tous ses attributs : de Li revêtu de qualités , et combiné avec l'air primitif, naissent cinq élémens physiques et moraux , dont la source est commune.
ig. Li est donc l'essence de tout; ou, selon l'expression de Confucias , la raison première ou la substance universelle.
20. Li produit tout par Ki, ou son air primitif ;. cet air est son instrument et son régulateur général, '■ ai . Après un certain nombre d'ans et de révolu-
C)' ) OPINIONS
lions , le monde finira j tout retournera à sa source preiliière , à son principe: il ne restcra^uc Zi et A7 ; et Li reproduira un nouveau monde \ et ainsi de suite à finlini.
22.. liy a des esprits ; c'est une vérité démontrée par l'ordre constant de la terre et des eaux , cl ia continuation refaite et non interrompue de leurs opéiations.
25. Les choses ont donc un auteur , un prin< ire invisible qui les conduit; c'est Chu , le maître j Xin-Kuei , l'esprit qui va et revient ^ Ti~ Kium , le prince ou le souverain.
24' Autre preuve des esprits ; ce sont les bien- faits répandus sur les hommes, amenés par celte voie au culte et aux sacrifices.
25. Nos pères ont oflert quatre sortes de sacri- fices 'j Lui , au ciel , et à Xan^h-ti, son esprit j [n , aux esprits des six causes universelles , dans les quatre temps de l'année , savoir ; le froid , le chaud , le soleil , ia lune, les étoiles , les pluies et la séche- resse ; l'^uan^ , aux esprits des montagnes et des fleuves; Pîen, aux esprits inférieurs , et 9ux hom- mes qui ont bien mérité de la république.
D'où il suit, i.° que les esprits des Chinois ne sont qu'une seule etnni^ne substance avec la chose à laquelle ils sont unis.
2.° Qu'ils n'ont tous qu'un principe, le chaos pri- mitif ; ce qu'il faut entendre du Tien-Chu, notre Dieu , et du Xangh-ti , le ciel ou l'esprit céleste,
DES A^'GIE.\S PHILOSOPHES. 97
.3.° Que les esprits finiront avec le monde , et retourneront a la source commune de toutes choses.
4.° Que, relativement à leur substance primitive, les esprits sont tous également parfaits , et qu'ils ne sont distingués que par les parties plus grandes où plus petites de leur résidence.
5.° Qu'ils sont tous sans vie , sans intelligence ," sans liberté.
6.° Qu'ils reçoivent des sacriiices , seulement selon la condition de leurs opérations et des lieux qu'ils habitent.
7.° Que ce sont des portions de la substance universelle , qui ne peuvent être séparées des êtres où on les suppose sans la destruction de ces êtres»
26. Il J^ a des esprits de génération et de cor- ruption , qu'on peut appeler esprits physiques, parce qu'ils sont causes des effets physiques j et il y a des esprits de sacrifices , qui sont ou bien ou mal- faisans à l'homme, et qu'on peut appeler ^o- litiques,
Q.'j. La vie de l'homme consiste dans l'union con* venable des parties de l'homme , qu'on peut appelet* l'entité du ciel et de la terre : l'entité du ciel est un air très-pur , très-léger, de nature ignée qui cons- titue VHoeii , l'ame ou l'esprit des animaux ) l'en- tité de la terre est un air épais , pesant, grossier , qui forme le corps et ses humeurs, et s'appelle Pe*, corps ou cadavre.
î?.B. La mort n'est autre chose que la séparalioii- ?iiilo3. anc. et mod. ToiitE I. E
^ri OPINION*
de IJoen et de Pc ; chacune de ces enlilés retourne à sa source j Hoen au ciel , Pc h \a terre.
29. 11 ne reste après la mort que l'entité du ciel «l l'entité de la terre j rhoiiiine n'a point d'autre ijumorlalité^il n'^- a proprement d'inimorlel <[u(tLi. On convienl assez de rexa:tiludc de celte cxpo- _sition j mais chacun y voit , ou l'athéisme , ou le déisme , ou le polilhéisme , ou l'idoliltiie , selon le sens qu'il attache aux mots. Ceux qui veulent que le Li des Chinois ne soit autre chose que noire Dieu , sont bien embarrassés quand on leur objecte que ce Li est rond: mais de quoi ne se lire-l-on pas avec des distinctions? Pour disculper les lettrés de la Chine du reproche d'athéisiue et d'idolâtrie , l'obscurité de la langue prêtoit assez, j il n'étoit pas nécessaire de perdre à cela loutrespritqueLéibnili y a mis.
Si ce sysîcme est aussi ancien qu'on le prétend, en ne peut être trop étonné de la multitude sur- prenante d'expressions abstraites et générales, dars lesquelles il est conçu. Il laul convenir que ces expressions , qui oui. rendu l'ouvrage de Spinosa si Ions-temps inintelligible parmi nous , nauroient guère anélé les Chinois \\ y a six ou sept cents ans. La langue philosophique de notre athce mo- derne est préciscmenL celle qu'ils parloient dans leurs écoles.
Yoilà les progrès qu'ils avoicnt faits dc^ns le monde intellectuel , lors<|ue nous leur portàtues
DBS A N C I T: ÎV 3 PHILOSOPHES. ^
nos connoissances. Cet événement est l'épocfiic de la plulosophie luodcrne des Chinois. L'esliiiie sin- gulière, dont ils honorèrent les premiers Européens qui débarquèrent dans leur contrée , ne nous donne pas une haute idée des connoissances qu'ils avoient en mécanique, en astronomie, et dans les autres par- lies des mathématiques. Ces Européens n'étoient même, dans leur corps, que des hommes ordi- naires : s'ils avoient quelques qualités qui les ren- dissent particulièrement recommandablcs , c'étoit ie zèle avec lequel ils couroient annoncer la vérité dans des régions inconnues, au hasard de les arroser de leur propre sang , comme cela est si souvent arrive depuis à leurs successeurs. Cependant ils furent accueillis : la superstition , si communément om- brageuse , s'assoupit devant eux; ils se firent écou- ter; ils ouvrirent des écoles; on y accourut; on admira leur savoir. L'empereur Chani-hy , sur la fm du dernier siècle, les admit à sa cour; s'instrui- sit de nos sciences : apprit d'eux notre philoso- phie ; étudia les mathématiques , l'astronomie , les mécaniques , etc. Son fils Yong-Tching ne lui res- iembla pas ; il relégua à Canton et à Macao les virtuoses européens , excepté ceux qui résidoient à Pékin , qui y restèrent. Kien-long , fils de Yong- Tching , fut un peu plus indulgent pour eux : il défendit cependant la religion chrétienne , et per- sécuta même ceux de ses soldats qui l'avoient eni—
lOO OPINIONS
brassce ; mais il souÛVit les jcsuiles , qui contU nuèrent d'ensei^nnr à Pékin.
Il nous reste maintenant à faire connoître la philosophie-pratique des Chinois. Pour cet cfTet , nous allons donner quelques-unes des sentences morales de ce Confucius, dont un homme, (|ui as- pire à la réputation de lettré et de philosophe , doit savoir au-moins quelques ouvrages par cœur.
1. L'éthique polilique a deux objets principaux ; la culture de la nature intelligente , l'institution du peuple.
2. L'un de ces objets demande que l'entender ment soit orné de la science des choses , afin (ju'il discerne le bien et le mal , le vrai et le faux j^ que les passions soient modérées -, que l'amour de la vérité et de la vertu se fortifie dans le cœur ; et que la conduite envers les autres soit décente et honnête.
5. L'autre objet est que le citoyen sache se con- duire lui-même , gouverner sa famille , remplir sa charge , commander une partie de la nation , pos- séder l'empire.
4. Le philosophe est celui qui a une connois- sance profonde des choses et des livres ) qui pèse tout; qui se soumet à la raison; et qui marche d'un pas assuré dans les voies de la vérité et de U justice.
5. Quand on jiujâ consommé la force intcHeÇ"?
DEi ANCtENir PHILOSOPHES, 10 1
tlielle à approfondir les choses , rintcnlion et la volonté sVpureront ; les mauvaises alTeclions s'é- loigneront de Viv.nc j le corps se conservera sain ; le dûiiicsLique sera bien ordonné ; la charge , bien remplie ; le gouvernement particulier , bien admi- nistré ; l'empire , bien régi 5 il jouira de la paix.
6. Qu'est-ce que rhomme lient du ciel? La nature intelligente : la conformité à cette nature constitue la règle ; l'allenlion à vérifier la règle et à s'j' assujettir est l'exercice du sage.
7. Il est une certaine raison ou droiture céleslt donnée à tous ; il y a un supplément humain à c« don , quand on l'a perdu. La raison céleste est du saii.t; le supplément est du Si^e.
8. Il n'y a qu'un principe de conduite j c'est de porter en tout de la sincérité ; et de se conformer de toute son erne et de toutes ses forces à la me- sure universelle : ne fais point à autrui ce que ta De veux pas qu'on te fasse.
9. On coi:ncit i'horr.nie, en f^s^aminant ses actions," leur fin , les passions dans lesqu-els il se coiupiaîi, les choses en quoi il se repose.
10. Il faut divulguer sur - le - champ les choses bonnes à tous ; s'en réserver l'usage exclusif, une application individuelle, c'est mépriser la vertu ) c'est la forcer à un divorce.
11. Que le disciple apprenne les raisons des choses ; qu'il les examine ; qu'il raisonne 5 qu'il médilej qu'il pèse) qu'il consulte le sage; qu'il
;ï02 0 P I IV I 0 w s
i'tclaîre; qu*il banissc la confusion de ses pensée3 et l'instabilité de sa conduite.
12. La vertu n'est pas seulement constante dans ks choses extérieures.
i5. Elle- n'a aucun besoin de ce dont elle ne pourroit faire part à toute la terre j et elle ne pense rien, ([u'clle ne puisse s'avouci' à elle-niénie k la face du ciel.
14. Il ne faut s'appli(]uer à la vcrti^,. c£^e pou? ëlre vertueux. :^ , *].'
i5. L'iiotnine parfait ne se perd jamais de; vue.
16. Il y a trois dégrés de sagesse j savoir, c^ f[ue c'est que la vertu, l'aiiner, la posséder,
17. La droiture du cœur est le fondement de la yeiln.
18. L'univers a cinq règles j il faut de la Jusïice.
entre le prince et le sujet; de la tendrei;se entre le
père et le iilsj de la fidélité entre la femme et le
mari; de la subordination entre les frères; de la
concorde enf»-'^ l-^- - ' "
.co anus. Il y a Trois verms rarm-
Tiaîes ; la prudence , qui discerné} l'amour univer- sel , qui embrasse ; le courage", qui soutient : la droiture de cœur les suppose.
ic). Les mouvemcns de Tanie sont igno>cs des autres : si tu es sage , veille donc à ce qu'il n'y ait que toi qui voies.
20. La vertu est entre les extrêmes; celui qui a passé le milieu r/a pas mieux fait que celui qui ne l'a pas aUcii:t. •
ntS A.NCIENS l'IIILOSOPCES. lOl;
21. Il n'y a (ju'nne chose prccieuscj c'est la vertu.
22. Une nalion peut plus par la vertu que par l'eau et le feu ) je n'ai jamais vu périr un aussi fort appui.
25. Il faut plus d'exemples au peuple que de préceptes j il ne se faut charger de lui transmettre que ce dont on sera rempli.
24. Le sage est son censeur le plus sévère ) il est son témoin , son accusateur et son juge.
23. C'est avoir atteint l'innocence et la per- fection , que de s'être surmonté , et que d'avoir recouvré cet ancien et primitif état de droiture céleste.
26. La paresse engourdie , l'ardeur inconsidérée , sont deux ohsiacles égaux au bien.
27. L'homme parfait ne prend point une voie détournée 5 il suit le chemin ordinaire , et s'y tient ferme.
28. L'honnête homme est un homme universel. 2q. La charité est celte affection constante et
ràisonnée qui nous immole au genre humain , comme s'il ne faisoit avec nous qu'un individu ; et qui nous associe à ses malheurs et à ses pros- -pérités.
5o. Il n'y a que l'honnête homme , qui ait le droit de haïr et d'aimer.
5 I . Compense l'injure par l'aversion , et le bien.* fait par la reconuoissancej car c'est la justice.
1D4 © P I N I O N s
52. Tomber et ne point se relever , voilà pro- prement ce que c'est que faillir.
55. C'est une espèce de trouble d'esprit, que de souhaiter aux autres , ou ce qui n'est pas en notre puissance , ou des choses contradictoires.
54. L'homme parfait agit selon son état , et ne vcr.t rien qui lai soit ttranger.
55. Celui qui étudie la sagesse a neuf qualités en vue j la perspicacité de l'œil ) la finesse de l'o- jeillc ) la sérénité du front ) la gravité du corps 5 la véracité du propos 5 l'exactitude, dans l'action ) le conseil y dans les cas douteux ) l'examen des suites, dans la vengeance et dans la colère.
La morale de Confucius est , comme l'on voit, Lien supérieure à sa métaphysique et à sa phy- sique. On peut consulter Bulfinger , sur les ma^ijiies «ju'il a laissées du gouvernement de la famille , des fonctions de la magistrature, et de fadjuinistration de l'empire.
Comme les mandarins et les lettres ne font pas ie gros de la nation, et que l'étude des lettres ne doit pas être une occupation bien conmiune , la difficulté en étant là beaucoup plus grande qu'ail- Jçurs , il semble qu'il lesteroit encore bien des choses importantes à dire sur les Chinois; et cela est vrai : mais nous ne nous sommes pas proposé <le faire l'abrégé de leur histoire , mais celui seu- lement de leur philosophie. Nous observerons ce- j)endant , i.° que , quoiqu'on ne puisse accorder
CES A^•CTE^'5 PHILOSOPHES. I05
aux Chinois toute rantiquilc dont ils se vantent , et tjui ne leur est guère disputée par leurs panégj- riiics , on ne peut nier, toute-fois , que la date de leur empire ne soit tiès-voi^ine du déluge.
2.° (^)ue plus ou leur accordera d'ancienneté, plus on aura de reproches à leur faire sur riniper- feclion de leur langue et de leur écriture : il est inconcevable que des peuples, à qui l'on donne tant d'esprit et de sagacité , aient multiplie à l'inlini les accens , au-iieu de niuitiplier les mots ] et niulli- plié à l'infini les caractères , au-lieu d'eu combiner un petit nombre.
3.** Que, l'éloquence et la poésie tenant de fort près à la perfection de la langue , ils ne sont , selon toute apparence, ni grands oraLeurs ; ni grands poêles.
4 ° Que leurs drames sont bien imparfaits, s'il est vrai qu'on y prenne im honmie au berceau , qu'on y représente la £uile de toute sa vie , et que l'action théâtrale dure plusieurs mois de suite.
5." Que, dans ces contrées , le peuple est très- enclin à l'idolâtrie ) et que son idolâtrie est fort grossière , si l'histoire suivante , qu'on lit dans le P. le Comte , est bien vraie.
Ce missionnaire de la Chine raconte que , les médecins avant abandonné la fille d'un Xankinoif , cet homme qui aimoit éperduement sou enfant , ne sachant plus à qui s'adresser, s'avisa de df- niander sa guérison à une de ses idoles. Il u'épar-
lûG 0 P I K 1 0 N 3
gita ni les sacrifices , ni les mets , ni les parfums , ni Targcnt, Il prodigua à l'idole tout ce qu'il crul lui être agréable j cependant sa fille mourut. Son zèle alors et sa piété dégénérèrent en fureur; il réso:ut de se venger d'une idole qui l'avoil abusé. 11 porta sa plainte devant le juge , et poursuivit celte affaire comme un procès en règle , qu'il ga- gna , malgré toute la sollicitation des bonzes , qui craignoient , avec juste raison , que !a punition d'une idole qui n'exauçoit pas , n'eut des suites fâcheuses pour les autres idoles et pour eux.
Ces idolâtres ne sont pas toujours aussi modérés lorsqu'ils sont mécontens de leurs idoles; ils les haranguent à-peu-près en ces termes : « Crois-tu » que nous ayons tort dans noire indignation? soij » juge entre nous et toi. Depuis long- temps nous )) te soignons; tu es logée dans un temple; lu es » adorée de la tête aux pieds ; nous l'avons tou- )) jours servi les choses les plus délicieuses ; si tu » n'en as pas mangé , c'est la faute. Tu ne saurois « dire que tu aies manqué d'encens ; nous avons )) tout fait de notre part , et lu n'as rien fait ds la îj tienne : plus nous le donnons, plus nous deve- » nons pauvres; conviens que si nous te devons, )) tu nous dois aussi. Or, dis-nous de quels biens » lu nous as comblés )) ? La fin de cette harangue est ordinairement d'abattre l'idole, et de la traîner dans les boues.
Les bonzes débauchés , bvpocrites et avares ,
DES A N C 1 E IV S P II I L O S 0 P 11 £ S. \0J
encouragent le plus (jails peavcnt à la supersti- tion. Ils en sont sur-tout pour les ptlerin;iges , et les feiJiines aussi , qui donnent beaucoup dans celte dévotion, qui n^cst pas fort du goût des maris , jaloux au point que nos missionnaires ont été obliges de bdtir, aux nouveaux coTwertis ^ des églises séparées pour les deux sexes. Yojez le P. le Comte.
6." Qu'il pai:oît que , parmi les religions étran- gères tolérées , la religion chrétienne tient le haut rang: c^ue les niahomélans n'y sont pas nombreux, quoiqu'ils y aient des mosquées superbes : que les jésuites ont beaucoup mieux réussi dans ce pays , que ccu-'i qui y ont esercc , en-méme- temps ou (^puis , les fonctions apostolic|ues : que les femmes cjiiiioi^/î^se.niblentfoltpiepses , s'il est vrai, comn e Iq dit le P. le Comte , qu elles voudi^oient se con- fçsser tous lesjours^, soit goût pour le sacrcmenf , soit tendresse de piété , soit quelqu^ autre raison
tfin leur est particulière: qu'à en juger par ^il objections de l'empereur aux pren-ders mission- naires , les Chinois ne l'ont pas embrassée en aveugles. Si la connoissance de J. C. est néces^ s lire au salut, disoit cet empereur aux mission- naires , et que d'ailleurs Dieu nous ait voulu sin^ cèrement sauver, comment nous a- 1- il laissés si Ion g- temps dans V erreur'? Il y « V^^^ ^^ ^^'-^ siècles que votre religion est établie dans le mon- de; et nous n'en avons rien su, La Chine es t-elh
loS OPINIONS
sî peu de chose qu^elle ne mérite pas qu'on pense à eU<f , tandis que tant de barbares sont éclaires ! C'est une diilicullc, qu'on propose tous les jours sur les bancs en Sorbonne. Les missionnaires , ajoute le P. le Comte, qui rappcric celte difficulté, y répondirent , et le prince fut content; ce ([ui devcit être. Des missionnaires seroient, ou bien ignorons, ou bien nial-adroils, s'ils s'einbarquoicnt paur la conversion d un peuple un peu policé, sans avoir préparé une satisfaisante réponse à celle ob- jeclion commune. T'^ojez dans la preinière édil. de TEnc^'c. les art. Foi , Grâce, Pri:oestiaation.
y.° Que les Chinois ont d'assez bonnes manu- factures en étoffes et en porcelaines ; mais que s'ils excellent par la matière, ils pèchent absolument par le goût et la forme ; qu'ils en seront >ncore long-temps aux magots } <]u'ils ont de belles cou- leurs et de mauvaises peintures; en un nrcrt, -qu'ils n'onî pas le génie d'invention et de découvertes qiii brille aujourd'hui dans TEurope : que s'ils avoieni eu des hommes supérieurs, leurs lumières aui oient forcé les obstacles , par la seule injpossi- bilile de rester captives; qu'en général , l'esprit d'orient est plus tranquille, plus paresseux, plus renieimé dans les besoins essentiels, plus borné à ce (|u'il trous e établi, moins avide de nouveau- tés que l'esprit d'occident. Ce qui doit rendre, par- ticulièrement à la Chine , les usages plus cons- tans , le gouvernement plus uniforme , les loix plus
1
B t s À >■ C î E >' 5 PHILOSOPHES. 10^
durables j mais que , les sciences et les arts dervian- dant une activité plus inquiète, une curiobilé qui ne se lasse point de chercher , une sorte de ca- pacité de se satisfaire , nous y sonimes plus pro- pres j et qu'il n'est pas étonnant que, quoicjue les Chinois soient les plus anciens, nous les oyons devancés de si loin. Vojez les Mémoires de C a- çadéuiie , année 1727. L'Histoire de la phi^ losophîe de Bruck. Butfmg. Léibnilz. Le P. le Comte. Les Mémoires des missionnaires étrart" gcrs. . . . etc. Et les Mémoires de Vacademie des inscriptions.
CYNIQUE.
SECTE DE PHILOSOPHES ÀZS'CIENS.
Le cvnisme sortit de l'école de Socrate : et I0 sloïcisme , de l'école d'Anlislhène. Ce dernier , dt-»- goûié des hypothèses sublimes , que Platon et les autres philosophes de la même secte se glorifioient d'avoir apprises de leur divin maître, se tourna tout -à -fait du colé de l'étude des mœurs et de :a pratique de la verlu } et il ne donna pas en cela une preuve médiocre de la bonté de son jugement. Il falloit plus de courage pour fouler aux pieds ce qu'il pouvoity avoir de fastueux et d'imposant dans les idées socratiques , que pour marcher sur I.3 pourpre du manteau de Platon. Anlislhène ; moins
IlO OPINIONS
connu que Diogène son disciple, avoil f.iil le pas dilVicile.
11 y avoit au midi d'Athènes , hors des murs de celte ville, non loiu du Ljcée, un lieu un peu plus élevé , datîs le voisinage d'un petit bois. Ce lieu s'appeloit Crnosarge. La superstition d'un citoven , alarmé de ce qu'un chien s'étoit emparé des viandes qu'il avoit oûerles à ses dieux domes- tiques , et les avoit portées dans cet endroit , y avoil élevé un temple à Hercule, à Tinstigalion d'un oracle qu'il avoit interrogé sur ce pix)dige. La superstition des anciens transfonnoit tout en prodiges ; et leurs oracles ordomioient toujours ou des autels , ou des sacrifices. On sacriiioit aussi , dans ce temple , à Hébé , à Alcmène cl à Jolas. Il y avoit , aux environs , un gjninaso parti- culier pour les étrangers et pour les enfans illégi- tiines. On donnoit ce nom , dans Athènes , à ceux qui étoient nés d'un père adiénien et d'une mère étrangère. C'étoil là, qu'on accordoit aux esclaves la liberté , el que des juges esaminoient et déci- doient les conlestalions occasionnées en're les ci- toyens , par des naissances suspectes ; et ce lut aussi dans ce lieu, qu'Anlisthène , fondateur de la secte cynique , s'établit et donna ses premières leçons. On prétend que ses disciples en furent ap- pelés cyniques , nom ({ui leur fut confirmé dans la s iite , par la singularité de leurs mœurs et de leurs s?nlimens , et par la hardiesse de leurs actions c(
DES ANCIENS PlIILOSOPnES. lit
de leurs uiscours. Quand on examine de près la bizarrerie des cynùjues , on trouve qu'elle consis-" toit principalement à transporter au milieu de la société les mœurs de l'état de nature. Ou ils ne s'apperçurent point , ou ils se soucièrent peu du ridicule qu'il j- avoit à affecter; parmi des hommes corrompus et délicats , la conduite et les discours de l'innocence des premiers temps , et la rusticité des siècles de l'animalité.
Les cjyuques ne demeurèrent pas long-temps renfermés dans le cjnosarge. Ils se répandirent dans toutes les provinces de la Grèce , bravant les préjugés , prêchant la vertu, et attaquant le vice sous quelque forme qu'il se présentât. Ils se montrèrent particulièrement dans les lieux sacrés et sur les places publiques. U n'y avoit en eiTet que la publicité qui pût pallier la licence appa- renle de leur philosophie. L'ombre la plus légère ,de secret , de honte et de ténèbres , leur auroit attiré , dès le commencement , des dénominations injurieuses et delà persécution. Le grand jour les eu garantit. Comment imaginer , en effet ,' que des hommes pensent qu'il y ait du mal à faire et à dire ce qu'ils font et disent sans aucun mystère? Antislhène apprit l*art oratoire de Gorgias le sophiste, qu'il abandonna pour s'attachera So- crate , entraînant avec lui une partie de ses con- disciples. Il sépara de la doctrine du philosophe ce qu'elle avoit de solide et Je substantiel , commp
JI2 OPI^'IO^{S
il avoil tlcnièlé des préceptes du rhéleur ce qu-ils avoieut de frappant et de vrai. C'est ainsi qu'il se prépara à la pratique ouverte de la vertu , et à la profession publique de la philosophie. On le vit alors se promenant dans les rues , l'épaule chargée d'une besace, le dos couvert d'un mau- vais manteau , le menton hérissé d'une longue barbe, et la main appuyée sur un bâton , mettant dans le mépris des choses extérieures un peu plus d'ostentation peut-être qu'elles n'en méritoient. C'est du-moins la conjecture qu'on peut tirer d'un mot de Socrate , qui , voyant son ancien disciple trop fier d'un mauvais habit, lui disait avec sa finesse ordinaire : Antisthène , je t^apper.çois à travers un trou de ta robe. Du-resle , il rejeta loin de lui toutes les commodités de la vie : il s'affranchit de la tyrannie du luxe et des richesses, et de la passion des fenmies , de la réputation et des dignités , en un mot , de tout ce qui subjugue et tourmente les hommes j et ce fut en s'immo- laut lui-même sans réserve , qu'il crut acquérir le droit de poursuivre les autres sans mcnagcment. Il commença par venger la mort de Socrate ; celle de Mélite et l'exil d'Anyte furent les suites de l'amertuiue de son ironie. La dureté de son carac- tère , la sévérité de ses mœurs , et les épreuves auxquelles il souiiicttoit ses disciples , n'empéchc- rent point qu'il n'en eut ; mais il étoitd'un com- merce trop difficile pour les conserver ; bientôt il
SES ANCIENS PHILOSOPHES. Il5
cJoigna les uns ; les autres se retirèrent j et Dio- gène fut presque le seul qui lui re^ta.
La secte cynique ne fut jamais si peu nombreuse et si respectable que sous Antisthène. 11 ne suffi- soit pas , pour être cynique , à<t porter une lan- terne à la main , de coucher dans les rues ou dans un tonneau , et d'accabler les passans de, vérités injurieuses, a Veux-tu que je sois ton niaî- » tre , et mériter le nom de mon disciple , disoit » Antisthène à celui qui se présentoit à la porte de » son école ? commence par ne te ressembler en » rien , et par ne plus rien faire de ce que tu )) faisoi§. JN'accuse de ce qui t'arrivera ni les » hommes , ni les dieux. Ne porte ton désir et ton ï) aversion que sur ce qu'il est en ta puissance » d'approcher ou d'éloigner de toi. Songe que la » colère , l'envie , l'indignation , la pitié, sont des « foiblesses indignes d'un philosophe. Si tu es te l j) que tu dois être , tu n'auras jamais lieu de » rougir. Tu laisseras donc la honte à cçlui qui, )) se reprochant quelque vice secret , n'ose se >) montrer à découvert. Sache que la volonté de «Jupiter sur le. cynique est qu'il annonce aux » hommes le bien et le mal sans flatterie; et » qu'il leur mette sans cesse sous les yeux les er- I) reurs dans lesquelles ils se précipitent ; et sur- >) tout ne crains point la mort , quand il s'agira de î) dire la vérité ».
Il faut couyenir que ces leçons ne pouvoient
Il4 OPINION^
guère germer que dans des âmes d'une trempe hien forte. Mais aussi les cyniques demandoienl peut-être trop aux hommes , dans la crainte de n'en pas obtenir assez. Peut-être seroit-il aussi ridicule d'attaquer leur philosophie par cet excès apparent de sévérité , que de Feur reprocher le motif vraiment sublime sur lecjuel ils en avoient embrassé la pratique. Les honmies marchent avec tant d'indolence dans le chemin de la' vertu, que l'aiguillon dont on les presse ne peut être trop vif -y et ce chemin est si laborieux à suivre , qu'il r\y a point d'ambition plus louable que celle qui soutient l'homme elle transporte à traversiez épines dont il est semé. En un mot , ces ancien» philosophes étoient outrés dans leurs préceptes , parce qu'ils savoient par expérience qu'on se relâ- che toujours assez dans la pratique j et ils prati-* quoient eux-mêmes la vertu , parce qu'ils la regar- doient comme la seule véritable grandeur de rhomme: et voilà ce qu'il a plu à leurs détrac- teurs d'appeler 2;<7«/Ve y reproche vide de sens, et imaginé par des hommes en qui la supersti- tion avoit corrompu Pidée naturelle et simple de la bonté morale.
Les cj'mqiies avoient pris en aversion la culture des beaux-arts. Ils comptoient tous les momens qu'on y emplojoît, comme un temps dérobé à lai pratique de la vertu et à l'étude de la morale. Ils' rejetoient, en conséquence des mêmes principes ,
h T. s ÀÎSCIE^'S PHILOSOPHES. llD
et la connoissance des mathématiques , et ccïie de la ph_)si((ue , el rhistoire de la nature^ ils aiiec- loient sur-touL un mépris souverain pour cette élégance particulière aux Athéniens , qui se faisoit remarquer et sentir dans leurs mœurs , leurs écrits, leurs discours, leurs ajustemens , la décora- tion de leurs maisons ^ en un mot , dans tout ce qui appartenoit à la vie civile. D'où Ton voit que s'il étoit très-difficile d'être aussi vertueux qu'un cynîcjue , rien n'élo't plus facile que d'être aussi ignorant et aussi grossier.
L'ignorance des beaux-arts et le mépris des décences furent l'oiigine du discrédit, où la secte tomba dans les siècles suivans. Tout ce qu'il y avoit, dans les villes de la'Grèce et de l'Italie , de bouffons , d'impudens , de meudians , de parasi- tes , de gloutons et de fainéans ( et il y avoit beaucoup de ces gens-là sous les empereurs ) , prit effrontément le non de cynique. Les magis- trats , les prêtres , les sophistes , les poètes , les orateurs; tous ceux qui avoient été auparavant les -victimes de cette espèce de philosophie , crurent qu'il étoit temps de prendre leur revanche ; tous sentirent le moment ) tous élevèrent leurs cris à— la-fois 'y on ne fit aucuue distinction dans les in- vectives ) et le nom de cynique fut uni verselle- ment abhorré. On va juger , par les principales iuaximes de la morale d'Antisthène , qui avoit «acoredansces derniers temps quelques véritables
Il6 0 P I X I O > 8
cksciples , si celle condamualion des cyniques fut aussi jusle qu'elle fui générale.
Anlislhèue disoit ; La verlu suffit pour le bon- heur j celui qui la possède n'a plus rien à désirer, que la persévérance et la fin de Socrate.
L'exercice a quelquefois élevé Thonime à la vertu la plus sublime. Elle peut donc élre d'ins- titution , et le fruit de la discipline. Celui qui pense autrement, ne connoît pas la force d'un pré- cepte , d'une idée.
C'est aux actions qu'on reconnoît l'homme ver- tueux, La vertu ornera son anie assez pour , qu'il puisse négliger la fausse parure de la science , des arts et de l'éloquence.
Celui qui sait être vertueux , n'a plus rienà ap- prendre j et toute la philosophie se résout dans la pratique de la verlu.
La perle de ce qu'on appelle gloire est un bon- heur ; ce sont de longs travaux abrégés.
Le sage doit être content d'un état qui lui donne la tranquille jouissance d'une infinité de choses, dont les autres n'ont qu'une contentieuse propnété. lies biens sont moins à ceux qui les possèdent, qu'à ceux qui savent s'en passer.
C'est moins selon les loix des hommes , que selon ks maximes de la vertu , que le sage doit vivre dans la république.
Si le sage se marie , il prendra une femme qui soit belle ^ afia de faire de beaux enfans à sa femme^;
CES A:yCIENS PHILOSOPHES. ÎT7
ïl n'y a , à proprement parler , rien d'étranger tîi d'impossible à l'honmie sage.
L'honnête homme est l'homme vraiment ai- mable.
Il n y a d'amitié réelle qu'entre ceux qui sont unis par la vertu.
La vertu solide est un bouclier qu'on ne peut ni enlever, ni rompre. C'est la vertu seule, qui répare la différence et l'inégalité des sexes.
La guerre fait p'us de malheureux qu'elle n'en emporte. Consulte l'oeil, de ton ennemi 3 car il appercevra le premier ton défaut.
Il n'y a de bien réel , que la vertu j de mal réel, que le vice.
Ce que le vulgaire appelle des hlcîis et des maux, sont toutes choses qui ne nous concernent en rien.
L^n des arts les plus importans et les plus diffi- ciles , c'est celui de désapprendre le inal.
On peut tout souhaiter au méchant , excepté U valeur.
La meilleure provision à porter dans un vais- seau qui doit périr , c'est celle qu'on sauve tou- jours avec soi du naufrage.
Ces maximes suffisent pour donner une idée de la sagesse d'Antisthènej ajoutons-y quelques-uni de ses discours , sur lesquels on puisse s'en former une de son caractère. Il disoit à celui qui lui dcniandoit par quel motif il avoit embrassé Ta
1 I s 0 f I A' T 0 ?,• 3
philosophie : c'est pour vivre bien avec moi ; à un prêlre qui J'inilioit aux mystères d'Orphée , et ([ui lui vantoit le bonheur de l'autTe vie :/?o//r- quoine nieurs-lu donc pas? aux Thébains éuôr- gaeillis de la victoire de Leuctres , qu'ils res^ern- bloienl à des écoliers tout fiers d'avoir battu leur maître ; d'un certain Isniénias dont on par- loit comme d'un boa Auteur : que pour cela même il ne valoit rien; car s il valoit quelque chose , il ne seroit pas si bon flàteur.
D'où l'on voit ([ue la vertu d'Antisthène étoil chagrine. Ce qui arrivera toujours, lorsqu'on s'opw niâtrera à se former un caractère artificiel et des mœurs factices. Je voudrois bien être Caton^ mais je crois qu'il m'en couteroit beaucoup , à moi et aux autres , avant que je le fusse devenu. Les fré- quens sacrifices , que je serois obligé de faire au personnage sublimeque j'aurois pris pour modèle , me rempliroient d'une bile acre et caustique qui s'épancheroiÉ à chaque instant au - dehors ; et c'est là peut-être la raison pour laquelle quelques sages et ceiîains dévots austères sont si sujets à la mauvaise humeur. Ils ressentent sans cesse la con- trainte d'un rôle qu'ils se sont imposé , et pour le- quel la nature ne les a point faits j et ils ^^vt prennent aux autres du tourment qu'ils se donnent à eux-mêmes. Cependant il n'appartient pas à tout le monde de se proposer Caton pour modèle.
Diogène , disciple d'Antisthène , naquit à Sî-
DES ArVCtENS PHILOSOPHES. I!g
nope , ville du Pont , la troisième année de la qua- tre-vingt-onzième olympiade. Sa jeunesse fut dissolue j il fut banni , pour avoir rogné les espèce?* Cette aventure fâcheuse le conduisit à Athènes , où il n'eut pas de peine a goûter un genre de philo- sophie qui lui promettoit de la célébrité , et qui ne lai prescrivoit d'abord que de renoncer à des ri- chesses qu'il n'avoit point. Antisthène , peu disposé à prendre un faux-nionnoyeur pour disciple , le rebuta; irrité de son attachement opiniâtre , il se porta même jusqu'à le menacer de son bâton. Frap- pe , lui dit Diogène , tu ne trouveras point de bâ- ton assez dur pour Tn'éloigner de toi, tant que tu parleras. Le banni de Sinope prit , en dépit d'An- listhène , le manteau , le bâton et la besace : c'étoit l'uniforme de la secte. Sa conversion se fit en un moment. En un moiiient , il conçut la haîne la plus ^ forte pour le vice , et il professa la frugalité la plus austère. ï\emar([uant un jour une souris qui ramas- soit les miettes ({ui se détachoient de son pain: et moi aussi, s'écria-t-il, Je peux me contenter de ce qui tombe de leurs tables.
Il n'eut pendant quelque temps aucune demeure fixe j il vécut , reposa , enseigna , conversa par- tout où le hasard le promena. Comme on difFéroit trop à lui bâtir une cellule qu'il avoit demandée, il se réfugia , dit-on , dans un tonneau, espèce de> maison à l'usage de gueux, long-temps avant que X)iogène les mît à la mode parmi ses disciples. Lft;
Î.20 OPINIONS
stivérité , avec laquelle les premiers cénobites se sont traités par esprit de mortification , n'a rien de plus extraordinaire que ce que Diogène et ses succes- seurs exécutèrent pour s'endurcir à la philosophie. Diogène se rouloit en été dans les sables brùlans j il einbrassoit en hiver des statues couvei tes de neiges ; il niarchoit les pieds nus sur la glace ; pour toute nourriture , il se conlentoil quelquefois de brouter la pointe des herbes. Qui osera s'offenser , après cela , de le voir dans les jeux isthmiques se couronner de sa propre main , et de l'entendre lui- même se proclamer vainqueur de Tennenii le plus redoutable de Thoinme , la volupté.
Son enjouement naturel résista presque à l'aus- térité de sa vie. 11 fut plaisant, vif, ingénieux, élo- quent. Personne n'a dit autant de bons mots. Il feisoit pleuvoir le sel et l'ironie sur les vicieux. Les cj'/uques n'ont point connu cette espèce d'abstrac- tion de la charité chrétienne , qui consiste à distin- guer le vice de la personne. Les dangers qu'il courut d€ la part de ses ennemis , et auxquels il ne paroit point qu'Antisthène , son maître, ait jamais été ex- , posé , prouvent bien que le ridicule est plus difficile à supporter que l'injure. Ici , on répondoit à ses plaisanteries avec des pierres^ là , on lui jetoit des os comme à un chien. Par-tout , on le trquvoit également insensible. Il fut pris dans le trajet d'A- thènes à Egine , conduit en Crète , et mis à l'encan avec d'autres esclaves. Le crieur public lui ayant
DrS A^CIEINS PHILOSOPHES. I2t
deiliandc ce qu'il savoit : Coiniunndcr aux hom- mes , lal rcpondil Diogène j et tu peux me vendre à celui quia besoin d'un maître. Un Corinthien, appelé Xéniade ^ homme de jugement sans-doute , l'accepta à ce titre, profita de ses leçons , et lui confia i'éducalion de ses enfans. Diogène en fit au-ant de petits cyniques , et en très-peu de temps ils apprirent de lui à pratiquer la vertu , à manger • des oignons , à marcher les pieds nus , à n'avoir besoin de rien , et à se moquer de tout. Les mœurs des Grecs étoient alors très- corrompues : libre de son métier de précepteur , il s'appliqua de toute sa force à réformer celles des Corinthiens. Use montra donc dans leurs assemblées publiques ; il j harangua avec sa franchise et sa vél^émence ordinaires ) et il réussit presque à en bannir les méchans , si-non à les corriger. Sa plaisanterie fut plus redoutée, que les loix. Personne n'ignore son entrelien avec Ale- xandre j mais ce qu'il importe d'observer, c'e: i • -a'ea traitant Alexandre avec la dernière hauteur, dans un temps où la Grèce entière se prosternoit à ses genoux , Diogène montra moins encore de mépris pour la grandeur prétendue de ce jeune ambitieux, que pour la lâcheté de ses compatriotes. PeYsonne n'eut plus de fierté dans l'ame , ni de courage dans l'esprit , que ce philosophe. Il s'éleva au-desius de tout événement j mit sous ses pieds toutes les ter~ reurs y et se joua indistinctement de toutes les folies. Philos, anc. e- mod.ToiiE L F
I03 OPI>!0?fS
A-peliie eut -on publié le dccrcL qui orJonnoit (l'aJorer Alexandre sous le nom de Bacdius de VInde ,(\\.\'\\ demanda, lui, à être adore sous le nom de Sérapls de Grèce.
Cependant ses ironies perpétuelles ne restèrent point sans quelque espèce de représailles. On le noircit de mile calomnies , ([u'on peut regarder comme la monnoie de ses mots. Il fut accuse de son temps , et traduit chez la postérité , comme coupable de l'obscénité la plus excessive. Son ton- neau ne se représente encore aujourd'hui à notre imagination prévenue , qu'avec un cortège d'images déshonnétes : on n*ose regarder au fond. INIais les bons esprits, qui s'occuperont moins à chercher dans rhistoire ce qu'elle dit que ce qui est la vérité , trouveront que les soupçons qu'on a ré- pandus sur ses mœurs n'ont eu d'autre fondement que la licence de ses principes. L'histoire scanda- leuse de Laïs est démentie par mille circonstances \ et Diogène mena une vie si frugale et si laborieuse, qu'il put aisément se passer de femmes , sans user d'aucune ressource honteuse.
Voilà ce que nous devons à la vérité et à la mémoire de cet indécent , mais très - vertueux philosophe. De petits esprits , animés d'une jalousie basse contre toute vertu qui n'est pas renfermée dans leur secte , ne s'acharneront que trop à dé- chirer les sages tic l'antiquité , sans ({ue nous les secondions. Faisons plutôt ce cjue Thonueur de 1^
DES A ^ C I L N 5 PHILOSOPHES. I p.5
philosophie , et même Je rhuinanité , doit attendre de nous : réclamons contre ces voix inibccillcs ; et tâchons de relever , s'il se peut , dans nos écrits , les nionumens quela reconnoissance et la vénéralion avoicntérigés aux philosophes anciens , que te temps a délruiis, et dont la superstition voudroil encoi'e abolir la mémoire.
Diogène mourut à l'âge de 90 ans. On le trouva sans vie , enveloppe dans son manteau. Le minis- tère public prit soin de sa sépulture. Il fut inhumé vers la porte de Corinthe , quiconduisoit à l'isthme. On plaça sur son tombeau une colonne de m.arbre deParos, avec le chien ^ symbole de la secte j et ses concitovens s'empressèrent à l'envi d'élerniser leurs regrets , et de s'honorer eux-mêmes en en- richissant ce monument d'un grand nombre de ii2;uresd'airain.Ce"sont ces fleures froides et'rauettesi qui déposent avec force contre les calonmiateurs de Diogène ; et c'est elles que j'en croirai , parce qu'elles sont sans passion.
Diôc'ène ne forma aucun svstéme de morale ;il
C tJ
suivit la méthode des philosophes deson temps. Elle consistoit à rappeler toute leur doctrine à un petit nombre de principes fondamentaux , qu'ils àvoient toujours présens à Tesorit , qui dictoient leurs réponses, et quidirigeoient leur conduite.Yoiciceux du philosophe Diogène.
Il y a un exercice de l'anie , et un exercice du coips. le premier est uae source féconde d'images
124 0 P I ?r I O N s
sublimes qui naissent dansTame , qui l'enflamment et qui l'élevent. Il ne faut pas négliger le second , parce que l'homme n'est pas en santé , si l'une des deux parties dont il est composé est malade.
Tout s'acquiert par l'exercice j il n'en faut pas même excepter la vertu. Mais les hommes ont tra- vaillé à se rendre malheureux , en se livrant à des exercices qui sont contraires à leur bonheur , parce qu'ils ne sont pas conformes à leur nature.
L'habitude répand de la douceur jusques dans le mépris de la volupté.
On doit plus à la nature qu'à la loi. Tout est commun entre le sage et ses amis. Il est au milieu d'eus , comme l'être bienfaisant et su» préme au milieu de ses créatures.
Il n'y a point de société sans loi. C'est par la loi , que le citoyen jouit de sa ville j et le républicain , de sa république. Mais si les lois sont mauvaises , l'homme est plus malheureux et plus méchant dans ïa société que dans la nature.
Ce qu'on appelle gloire, est Tappdt de la sottise ; et ce qu'on appelle noblesse, en est le masque.
Une république bien ordonnée seroit l'image de l'ancienne ville du monde.
Quel rapport essentiel y a-t-iî entre l'astra- noraie , la musique , la géométrie , et la connois- iance de son devoir et l'amour de la vertu?
Le triomphe de soi est la consommation de ^oute philosophie.
BES ANCIENS PHILOSOPHES. 125
La prérogative du philosophe y est de n'être iurpris par aucun événement.
Le comble de la Iblie , est d'enseigner la vertu , d'en faire féloge , et d'en négliger la pratique.
Il seroit à souhaiter que le mariage fût un vain nom , et qu'on mit en communies femmes et les enfans.
Pourquoi seroit-il permis de prendre dans la nature ce dont on a besoin , et non pas dans un temple ?
L'amour est l'occupation des désœuvrés.
L'homme , dans l'état d'imbécillité , ressemblé beaucoup à l'animal dans son étai naturel.
Le médisant est ia plus cruelle des bétes farou- ches ; et le flatteur, la plus dangereuse des bêles privées.
Il faut résister à la fortune , parle mépris ^ à la loi , par la nature j aux passions , par la raison.
Aie les bons pour amis , afin qu'ils t'encouragent à faire le bien j et les méchans pour ennemis y alia qu'ils t'empèchenl de faire le mal.
Tu denmndes aux dieux ce qui te semble bon ^ cl ils t'exauceroient peut-être , s'ils u'avoient piiié de ton imbécillité.
Traite les grands comme le feu j et n'en soi* jamais ni trop éloigné , ni trop près.
Quand je vois la philosophie et la médecine , riicuHiie me paroît le plus sage des animaux , disoit encore Diogèue ; quand je jette les jeus sur l'as-
iî6 OPINIONS
trologie et la divination , je n'en trouve point (le plus fou y et il nie semble , pouvoit-il ajouter , que la superstition et le despotisme en ont fait le plus misérable.
Les succès du voleur Harpalus ( c'étoit un des lie^tenans d'Alexandre ) m'inclineroient presque à croire , ou qu'il ny a point de dieux , ou qu'ils n« prennent aucun sourci de nos affaires.
Parcourons maintenant quelques - uns de ces bons mots. II écrivit à ses compatriotes ; ^ou$ VI avez banni de votre ville; et moi, je vous relègue dans vos maisons. T^ous restez à Sinope , et je m'en vais à Athènes. Je m'entretiendrai tous les jours avec les plus honnêtes gens, pendant que^ V ous serez dans la plus mauvaise compagnie. On lui disoit un jour, on se moque de toi , Diogène ; el ii répondit , et moi, je ne me sens point moqué. 11 dit k quelqu*un qui lui remonlroit dans une ma- ladie , qu'au-lieu de supporter la douleur , il feroit beaucoup mieux de s'en débarrasser en se donnant la mort, lui sur-tout qui paroissoit tant mépriser la vie ; Ceux qui savent ce qu'il faut fair-x^ et ce cu'il faut dire dans le monde , doivent y demeu- rer ; et c'est à toi d'en sortir , qui me parois ignorer l'un et Vautre. Il disoil de ceux qui l'avo' ent fait prisonnier : Les lions sont moins les esclaves de ceux qui les nourrissent , que ceux-ci ne sont les valets des lions. Coasulté sur ce qu'on feroit «le son corps après sa mort : J-^'ous le laisserez ,
DES AIVCIEKS PHILOSOPHES. 12^
<Jit-il , sur la terre. Et sur ce qu'on lui rcprtsenla cju'il denieureroit exposé aux betes féroces et aux oiseaux de proie : Non , repliqua-t-il , vous n'au- rez qu'à mettre auprès de moi mon bùion. J'omets SCS autres bons mots , qui son! assez connus.
Ceux-ci suffisent pour montrer que Diogèna avoitle caractère tourné à rerjcueincnt , et qu'il y avoit plus de tempérament encore que de philo- sophie dans cette insensibilité tranquille et gaie , qu'il a poussée aussi loin, qu'il est possible à la nature humaine de la pojter^ c'cloit ^ dit Mon- taigne dans son stjle énergique et original qui plaît aux personnes du meilleur goût , lors même qu'il paroitbas et trivial, une espèce de ladrerie spi' rituelle , qui a un air de santé que la philosophie ne jnéprise pas. Il rjoute dans un auli e endroit : Ce. cynique qui bagitenandoit à part-soi , et hochoiê du nez le grand Alexandre , nous estimant des mouches ou des vessies pleines de vent, était bien juge plus aigre et plus poignant que Timon, qui Jut surnommé le haïsseur des hommes ; car ce qu'on hait , on le prend ci cœur : celui-ci nous souhaitoît du mal ; étoit passionné du désir de notre ruine ; fuyoit notre conversation comme dangereuse : l'autre nous estimoitsipeu , que nous ne pouvions ni le troubler , ni l'altérer par notre contagion} s'il nous laissoit de compagnie, c'étoil pour le dédain de notre commerce , et non pourla
liS OPINIONS
crainte qu'il en avait ; il ne nous tejioit capa^ lies , ni de lui bien ni de lui mal faire.
Il y eut encore des cyniques de réputation après lamorldeDiogène.Onpeul compter de ce nombre:
Xéniade y dont il avoitété l'esclave. Celui-ci jeta les premiers fondemens du scepticisme , en soute- nant que tout ctoitfaux / que ce qui paroissoit de nouveau , naissait de n'en; et que ce quîdispa- roissoit, retoiirnoit à rien,
Onésicrite , homîue puissant et considéré d'A- lexandre. Diogcne Laèrce racoîite qu'Onésicrite ayant envoyé le plus jeune de ses fils à Athènes , où Diogène professoiL alors la philosophie , cet enfants eut à-peine entendu quelques-unes de ses leçons , qu'il devint son disciple ; que l'éloquence du phi- losophe produisit le me. ne CiTct sur son frère aîné ) et qu'Onésicrite ne put lui-même s'en défendre.
Ce Phocion , que Démosthène appeloit la coi- s^née de ses périodes ; qui fut surnommé X homme de hien^ que toutl'or de Philippe ne put corrompre j qui demandoit à son voisin , un jour qu'il avoit harangué avec les plus grands applaudissemcns du peuple , s'il n'avoit point dit de sottises.
Siilpon de IMegarc , et d'autres honmies d'état.
Monime de Syracuse , qui prétendoit que nous étions trompes sans cesse par des simulacres ; s^'stéme dont Malebranche n'est pas éloigné , et que Berkeley a suivi.
»ES ANCIENS PHILOSOPHES. 129
Cratcs de Thèbes j celui qui ne se vengea d'un sor.iilet qu'il avoit reçu d'un certain Nicodronius , qu'en faisant écrîrîi au bas de sa joue enflée du soufflet: C'est delà main de Nicodroine ^'^tK<h- i'poy.oç SToisi ; allusion plaisante à Tusoge des peintres. Graîès sacrifia les avantages de la nais- sance et de la fortune à la pratique de la philoso- phie cj'niqiie. Sa vertu lui mérita la plus haute considération dans Athènes. Il connut toute la force de cette espèce d'autorité publique ) et il en usa pour rendre ses conjpatriotes meilleurs. Quoiqu'il fut laid de visage et bossu , il inspira la passion la plus violente àHipparchia, sœur du philosophe îviétroc'e. Il faut avouer , à f honneur de Cratès , qu'il fit ju qu'à l'indécence inclusivement tout ce qu'il falloitpour détacher une feinnie d'un goût ua peu délicat j et à l'honneur d'Hipparchia , que la tentative du philosophe fut sans succès. 11 se présenta nud devant eile , et lui èi\ , en lui mon- trant sa figure contrefaite et ses vétciuens déchirés : Vcihi fépoiix que vous demandez , et voilà tout son bien. Hipparchia épousa son cynique bossu , prit la robe de philosophe , et devint aussi indécente que son mari , s'il est vrai que Cratès lui ait proposé de consommer le mariage sous le poniiiue , et qu'elle j- ait consenti. Mais ce fait , n'en déplaise à Sextus-Empiricus , à Apulée , à Tlitodoret , à Lactance , à S. Clément d'Alexandrie , et à Dio- gène Laérce , n'a pas l'ombre de la vraisemblance j
t DO OPINIONS
il ne s'accorde ni avec le caractère d'IIipparcliia , ni avec les principes de Craies; et ressemble tout- à-fait à ces mauvais contes dont la méchanceté se plaît à flétrir les grands noms-, et que la crédulité sotte adopte avec avidité et accrédite avec joie.
Métrocle , frère d'Hipparcliia et disciple de Cratès. On fait à celui-ci un mérite d'avoir, en mou- rant, condamné ses ouvrages au feu; mais si Ton juge de ses productions par la foiblesse de son esprit et la pusillanimité de son caractère, on ne les esti- mera pas dignes d'un meilleur sort.
Thcoinbrote et Cïéomcne, disciples de Métrocle. Dcmétrlus d'Alexandrie , disciple de Théombrote. Timarque de la même ville , et Ecliecle d'Ephèse , disciples de Cléomène. Ménédcme , disciplf d'Echecle. Le cynisme dégénéra dans celui-ci eu fré'.icsie ; il se dégaisoit en Tvsiphcne j prenoil une torche à la main , et couroit les rueS;, en criani tjue les dieux des enfers Vas'olent envoj'é sur la terre, pour discerner les bons des niéchans.
Ménédemele frénétique eut pour disciple Clésl^ àius , de Clialcis , homme diin caractère badin et d'un esprit gai , qui , plus philosophe peut-^'"Uie qu'aucun de ses prédécesseurs, sut plrdreau\ grands, sans se prostituer; et profiter de leur familiarité , pour leur faire entendre la vérité et goûter la vertu. Ménippe , le compatriote de Diogène. Ce fut un des derniers CTniijues de l'école ancienne ; il se rendit plus rcconmiandable par le genre d'écrire ,
ces ANCIENS philosophes; i5i auquel il a laissé son nom , que par ses mœurs et sa pbliosophie.il étoit naturel que Lucien , qui l'a- voil pris pour son modèle en littérature , en fît son héros en morale. INlénippe faisoit le commerce; composoit des satires } et prétoit sur gage.^Dévoré de la soif d'augmenter ses richesses , il conf a tout ce qu'il en avoit sniassé à des mar.chaods qui le volèrent. Diogène brisa sa tasse , lorsqu'il eut re- connu qu'on pouvoit boire dans le creux de sa main. Craies vendit son patrimoine , et en jeta l'argent dans la mer, en criant : Je suis libre, \ln des pre- miers disciples d'Antisthène auroîl plaisanté de la perte de sa fortune , et se seroit reposé sur cet ar- gent , qui faisoit commettre de si vilaines actions » du soin de le venger de la mauvaise foi de ses associés ; le cynique usurier en perdit la tête , et s« pendit.
Ain-i finit le cynisnie ancien. Celte philosophie reparut, qvielquesannéesavant la naissance de JésuS- Christ , mais dégradée. II manquoit aux cyniques de l'école moderne les âmes fortes , et les qualités singulières d'Antisthène, de Craies et de Dicgcne, Les maximes hardies , que ces philosophes avoient avancées , et qui avoient été pour eux la source de tant d'actions vertueuses , outrées , mal-enlendues par leurs derniers successeurs , les précipitèrent dans la débauche et le mépris. Les noms de Car^ néade , de Musonius , de Dénionax , de Dénié- trias et cTGEnoinaus ,de Crescence , de Péré^nn
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el deSalluste, sont toute-fois parvenus jusqu'à nousj mais ils n j sont pas- tous parvenus sans reproche et sans tache.
Nous ne savons rien de Carnéade le cynique. Nous ne savons que peu de chose de JNlusonius. Julien a loué la patience de ce dernier. Il fut Tami d'Apollonius de Thjane et de Déniélrius ) il osa affronter le monstre à Jigure d'homme et à tête couronnée j et lui reprocher ses crimes. Néron le fit jeler dans les fers et conduire aux travaux pu- blics de Tisthme , où il acheva sa vie à creuser la terre et à faire des ironies. La vie et les actions d« Déniétriusne nous sont guère mieux connues , que celles des deux philosophes précédens ; on voij seulement que le sort de Musonius ne rendit pas Dé* métrias plus réservé. Il vécut sous c[uatre empe- reurs, devant lesquels il conserva toute l'aigreur cjnirjue , et quM fit quelquefois pâlir sur le trône. Il a^siita aux derniers momens du vertueux Thraséa* Il mourut sur la paille , craint des médians , res- pecté des bons , et admiré de Sénèque. OEnoniaiii fut l'ennemi déclaré des prêtres et àes faux cyni- ques. Il se chargea de la fonction de dévoiler la fausseté des oracles , et de démas(juer i'hjpocrisie des prétendus philosophes de son temps, fonction dangereuse ; maib Déniétrius pensoit apparemment qu'il peut y avoir du mérite , mais qu'il n'y a au- cune générosité à faire le bien sans daoger. Démo- nax vécut sous Hadrien , et peut servir de modèle à
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tous les philosophes ; il pratiqua la vertu sans ostentation, et reprit le vice sans aigreur; il fut écouté, respecté et chéri pendant sa vie , et pré- conisé par Lucien même après sa mort. On peut regarder Crescence comme le contraste de Démo-» nax , et le pendant de Pérégrin. Je ne sais comment on a placé au rang des philosophes un homme souillé de crimes et couvert d'opprobres , rampant devant les grands , insolent avec ses égaux , crai- gnant la douleur jusqu'à la pusillanimité , courant après la richesse , et n'ayant du véritable cpiujue que le manteau qu'il déshonoroit. Tel fut Cres- cence. Pérégrin commença par être adultère , pé- déraste, parricide; et finit par devenir crnicjue j, chrétien, apostat et fou. La plus louable action de sa vie, c*est de s'être brûlé tout vif: qu'on juge par-là des autres. Sailuste , le dernier des cj^niques, étudia Téloquence dans Athènes , et professa la philosophie dans Alexandrie. Il s'occupa particu- lièrement à tourner le vice en ridicule , à décrier les faux cyniques , et à combattre les hypothèses de la philosophie platonicienne.
Concluons , de cet abrégé historique , qu'aucune secte de philosophie n'eut, il m'est permis de ra'expliquer ainsi , une physionomie plus décidée que le cj'tiisine. On se faisoit académicien , éclec- tique, cyrénaïque , pyrrhouien , sceptique j maii il falloit naître cynique. Les faux cyniques furent une populace de brigands travestis en philosophes }
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et les cyniques anciens , de très-honnéîes gens qui ne méritèrent qu'un reproche qu'on n'encourt pas cominuncnient , c'est d'avoir élé des enthousiastes de vertu. Mettez un bâton à la main de certains cénobites du AIont-Athos, qui ont déjà l'ignorance , l'indécence, la pauvreté, la barbe , 1 habit gros- sier, la besace et la sandale d'Antisthène; supposez- leur ensuite de l'élévation dans l'anie, une passion violente pour la vertu , et une haine vigoureuse pour le vicej et vous eu ferez une secte de cynùptes,
C Y R É N A ï Q U E.
SECTE,
On vit éclore , dans l'école socratique, de la diversité des matières dont Socrate entretenoit ses disciples , de sa manière presque sceptique de les traiter, et des diiTérens caractères de ses auditeurs, une multitude surprenante de systèmes opposés j une infinité de^S'Cctes contraires, qui en sortirent toutes formées , comme '^n lit dans le poète , que les héros grecs ctoient sortis tout aimes du cheval de Trove , ou plutôt comme la mythologie ra- conte que naquirent , des dents du serpent , des soldats qui se mirent en pièces sur le champ même qui les avoit produits. Arislippe fonda dans la Lybie , et répandit dans la Grèce et ailleurs, la secle criénaïque } Euclide ^ la mégariquc j|
Phédon , Ttliaque; Platon , racadcniiciiiej Antis- tliène , la cjnic^ue , etc.
La secte cjrénaïque , dont il s'ogil ici, prit son nom de Cjrène , ville d'Afrique , et la patrie d'Aristippe , fondateur de la secte. Ce philosophe ne fut ennemi, ni de la richesse , ni de la volupté, ni de la réput^ition , ai des fenmies , ni des hom-^ mes, ni des dignités. Il ne se piqua , ni de la pau- vreté d'Antisthène , ni de la frugalité de Socrate , ni de l'insensibilité de Diogène. Il invitoit ses élèves à jouir des agrémens de la vie j et lui- niéme ne s'y refusoit pas. La commodité de sa morale donna mauvaise opinion de ses mœurs ; et la considération qu'on eut dans le monde pour lui et pour ses sectateurs excita la jalousie des autres philosophes : tantœtie am'mis cœlestlbus , etc. On mésinterpréta la familiarité , dont il usait avec ses jeunes élèves ; et Ton répandit, sur sa conduite secrète , des soupçons qui seroient plus iérieux au- jourd'hui qu'ils ne l'étoient alors.
Celte espèce d'intolérance philosophique le Ht sortir d'Athènes ; il changea plusieurs fois de séjour ; mais il conserva par-lout les niémes prin- cipes. Il ne rougit point à Eginc de se montrer entre les adorateurs les plus assidus de Laïs j et il répondoit aux reproches qu'on lui en faisoit j, (^u^ il pouvait posséder Laïs sans cesser d'être philosophe , pourvu que Laïs ne le possédât pas j et comme en se proposoit de mortifier sci^
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amour-propre , en lui insinuant que la courtisanne se vendoit à lui , et se donnoit à Diogène , il disoil :ye V achète pour m'en servir , et non pour empêcher quhm autre ne s'en serve. Quoiqu'il en soiL de ces petites anecdotes , dont un homme sage sera toujours très-réservé , soit à nier, soit à garantir la vérité , je ne comprends guère par quel travers d'esprit on permettoit à Socrate le commerce d'Aspasie, et l'on reprochoit à Aris- tippe celui de Laïs. Ces foumes étoienl toutes deux fameuses par leur beauté , leur esprit , leurs lumières , et leur galanterie. Il est vrai que Sociale professoit une morale fort austère , et qu'Aris- tippe éloit un philosophe très-voluptueux ; mais il n'est pas moins constant que les philosophes n'avoient alors aucune répugnance à recevoir les courtisannes dans leurs écoles , et que le peuple ne leur en faisoit aucun crime.
Aristippe se montra de lui-même à la cour de Denis , oii il réussit beaucoup mieux f[ue Platon , que Dion jr- avoil appelé. Personne ne sut comme lui- se plier aux temps , aux lieux , et aux person- nes ) jamais déplacé, soit qu'il vécût avec éclat^ous la pourpre et dans la compagnie des rois , soit qu'il enseignât obscurément dans l'ombre et la poussière d'une école. Je n'ai garde de blâmer cette philosophie versatile j j'en trouve même la pratique, quand elle est acconipagnée de dignité , pleine de difficultés et furt au-dessus des taleus
bes anciens philosophes. 15/ d'un boninie ordinaire, 11 ine paroît seulement qu'Arislippe rnan'|aoit à Socrale , à Dio^ène et à Platon , et s'abaissoit à un rôle indigne de lui , en jelant du ridicule sur ces honinies respectables , devant des coui tisans oisits et corrompus, qui ressenloient une joie maligne à les voir dégrades , parce que cet avilissement apparent les consoloit un peu de leur petitesse réelle. iS'est-ce pas en effet une cbose bien humiliante à se représenter, qu'une espèce d'amphithéâtre élevé par le philo- sophe Aristippe , où il se met aux prises avec les autres philosophes de l'école de Socrate,les donne et se donne lui-même en spectacle à un tyran et à ses esclaves V
Il faut avouer cependant qu'on ne remarque pas, dans le reste de sa conduite , ce défaut de jugement , avec lequel il laissoit échapper si mal- à-propos le mépris bien ou mal fondé qu'il avoit pour les autres sectes. Sa philosophie prit autant de faces ditiérentes , que le caractère féroce de Denis ; il sut , selon les circonstances , ou le mépriser , ou le réprimer , ou le vaiucre, ou lui échapper , employant alternativement, ou la pru- dence , ou la fermeté , ou l'esprit , ou la liberté , et en imposant toujours au maître et à ses courti- sans. Il fit respecter la vertu, entendre la vérité, et rendre justice à l'innocence , sans abuser de sa considération , sans avilir son caractère , sans c-oniprometUe sa persoiuie. Quelque forme qu'il
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loS OPINIONS
prît , on lui remarqua toujours l'ongle du lion quî dislinguoit l'clève de Socrale.
Aristippe cultiva particulièrement la morale j cl il comparoit ceux qui s'arrétoient trop long-temps à l'étude des beaux-arts , aux amans de Pénélo- pe , qui négligeoient la maîtresse de la maison pour s'amubcr avec ses femmesi 11 entendoit les mathématiques , et il en faisoit cas. Ce fut lui, qui dit à ses compagnons de vojage , en appercevant quelques figures de géométrie sur un rivage in- connu où la tempête les avoit jetés : courage , vies amis , voici des pas d'hommes. Il estima sin- gulièrement la dialectique, sur-tout appliquée à la philosophie morale.
Il pensoil que nos sensations ne peuvent jatnais «^Ire fausses ; qu'il est possible d'errer sur la nature de leur cause , mais non sur leurs qualités et sus- leur existence.
Que ce que nous croyons appercevoir hors de nous, est peut-être quelque chose } mais que nous l'ignorons.
Çu'il faut, dans le raisonnement, rapporter tout à la sensation , et rien à l'objet , ou à ce que nous prenons pour tel.
Qu'il n'est pas démontré que nous éprouvions tous les mêmes sensations , quoique nous conve- irions tous dans les termes.
Que par conséquent, en dispute rigoureuse, il 4«i mal de conclure de soi à un autre , et du soi
DES AKCIEISS PHILOSOPHES. l5g
du moment présent au soi d'un moment à venir.
Qu'entre les sensations , il y en a d'agréables de fâcheuses , et d'intermédiaires.
Et que dans !e calcul du bonheur et du malheur , il faut tout rapportera la douleur et au plaisir, parce qu'il n'y a que cela de réel ^ et, sans avoir aucun égard à leurs causes morales, compter pour du mal , les fâcheuses; pour du bien, les agréables; et pour rien , les intermédiaires.
Ces principes servoient de base à sa philoso- phie. Et voici les inductions qu'il en tiroit , ren- dues à-peu-prcs dans la langue de nos géomètres modernes.
Tous les instans où nous ne sentons rien , sont zéro pour le bonheur et pour le malheur.
Nous n'avons de sensations à faire entrer en compte dans l'évaluation de notre bonheur et de cotre malheur , que le plaisir et la peine.
Une peine ne diffère d'une peine , et un plaisir ne diffère d'un plaisir , que par la durée et par le degré.
Le momentum de la douleur et de la peine , est le produit instantané ( fxovô'X^^ovov ) de la durée par le degré.
Ce sont les sommes des momentum de peine et de plaisir passés , qui donnent le rapport du mal- heur au bonheur de la vie.
Les cjrénai<jues prétendoient que le corps
I/JO OPINIONS
lournissoit plus que Tesprit dans la somme de» mouientum de plaisir.
Que l'insensé u'étoit pas toujours mécontent de son existence , ni le sage toujours content de la sienne.
Çue l'art du bonheur consistoit à évaluer ce qu'une peine qu'on accepte doit rendre de plaisir. Qu'il n'y avoit rien qui fut en soi peine ou plaisir.
Que la vertu n'étoit à souhaiter, qu'autant qu'elle ctoit ou un plaisir présent, ou une peine qui de- voit rapporter plus de plaisir.
Que le méchant étoit un mauvais négociant , qu'il étoit moins à propos de punir que d'ins- truire de ses intérêts.
Qu'il n'y avoit rien en soi de juste et d'injuste, d'honnête et de déshonnéte.
Que , de même que la sensation ne s'appeloît ■peine ou plaisir qu'autant qu'elle nous attachoil à l'existence ou nous en détaclioit , une action n'é- toit juste ou injuste, honnête ou déshonnéte, qu'autant qu'elle étoit permise ou défendue par la coutume ou par la loi.
Que le sage fait tout pour lui-même , parce qu'il est l'homme qu'il estime le plus j et que, quelque heureux qu'il soit, il ne peut se dissimuler qu'il mérite de l'être encore davantage.
Aristippe eut deux enfans ; uq fils indigue de
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îui , qu'il abandonna ; une fille qui fût célèbre par sa beauté , ses mœurs et ses connoissances. Elle s'appeloit Areté. Elle eut un fils nommé Aristippe, dont elle' fit elle-même l'éducation , et qu'elle rendit , par ses leçons , digne du nom qu'il por- toit.
Aristippe eut pour disciples Théodore , Synale, Antipaler , et sa fille Areté. Areté eut pour disci- ple son fils Aristippe. Antipater enseigna la doc- trine cjrénaïcjue àEpimide; Epimide,à Péribatef et Péribate, à Ilcgésias et à Annicéris , qui fondè- rent les sectes hégésiaque et annicérieune , dont nous allons parler.
Hégésias , surnommé le Pisithanate , éloit telle- ment convaincu que l'existence est un mal; préfé- roit si sincèrement la mort à la vie , et s'en espii- moit avec tant d'éloquence, que plusieurs de ses disciples se défirent au sortir de son école. Ses principes étoient les mêmes que ceux d'Aiistippe: ils instituoient l'un et l'autre un calcul moral ; mais ils arrivoient à des résultats difï'érens. Aris- tippe disoit qu'il étoit indifférent tîe vivre ou de mourir , parce qu'il étoit impossible de savoir si la sonmie des plaisirs seroit, à la fin de la vie , plus grande ou plus petite que la somme des peirs-es ; et Hégésias, qu'il falloit mourir, parce qu'encore qu'il ne pût être démontré que la somme des peines seroit à la fin de la vie plus grande que celle des plaisirs , il -^ avoit cent mille à parier
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contre un qu'il en aniveroit ainsi , et qu'il n'y avoil qu'un fou qui dut jouer ce jeu-là : cependant llcgésias le jouoit , dans le moment même qu'il parloit ainsi.
La doctrine d'Annicéris diffôroit peu de celle d'Epicure j ii avoit seulement quelques senlimens assez singuliers. Il pensoit , par exemple , qu'on ne doit lien à ses parens pour la vie qu'on en a reçue ; qu il est beau de commetUe un crime pour le salut de la palr.e ; et que de sbuhailer avec ardeur la prospéritéde son ami , c'est craindre secrètement pour soi les SLiiles de oon adversilc.
Théodore Tathce jeta, par son pjrrhonisme , le trouble et la division dans la secte cjrénaïrjue. Sc8 adversaires trouvèrent qu'il ctoit plus facile de l'éloigner , que de lui répondre j mais il s'agissoit de l'envoyer dans quelque endroit où il ne put nuire à personne. Après y avoir sérieusement réfléchi, iîsle reléguèrent, du fond delà Lj'bie^dans Athènes. Les juges de l'aréopage lui auroient bientôt fait préparer la ciguë , sans la protection de Démé- trius de Phalère. On ne sait si Théodore nia l'exis- tence de Dieu , ou s'il en combattit seulement les preuves j s'il n'admit seulement qu'un Dieu , ou s'il n'en admit point du tout : ce qu'il j a de certain , c'est que le magistrat et les prêtres n'entrèrent point dans ces distinctions subtiles ; que les magistrats seulement s'apperçurent qu'elles troubloient la iociété ; les prêtres , qu'elles renversoient leura
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Rulels : et qu'il en coula ia vie à Théodoie el à C{iicl'|uçs aulies.
Un a allribué à Théodore des sentinicns 1res» hardis , pour ne rien dire de plus. On lui fait sou- tenir que l'hcinme prudent ne doit point s'exposer pour !e salut de la patrie , parce qu'il n'est pas raisonnable que le sage périsse pour les fous j qu'il n'v a ri.^neu soi ni d'injuste ni de déshonnéle j que le sage sera , dans l'occasion , voleur, sacrilège , adultère j et qu'il ne rougira jamais de se servir d'une courtisanne en public. Mais le savant et le ju- dicieux Brucker traite toutes ces imputations de calonmieuses j et rien n'honore plus son cœur, que le respect qu'il porte à la mémoire des anciens ohi- losophes 'j et son esprit, que la manière dont il les défend. N'est-il pas en effet bien intéressant pour l'humanité et pour la philosophie, de persuader aux peuples que les meilleurs esprits qu'ait eus l'anti- quité , regardoient l'existence de Dieu comme un préjugé , et la vertu comme un vain nom !
Evhémerle c^renai'-ywefut encore un de ceux que les prêtres du paganisme accusèrent d'impiété , parce qu'il indiquoit sur la terre les endroits où l'on avoit inhumé leurs dieux.
Bion le boristhénite passa pour un homme d'un esprit excellent et d'une piété fort suspecte. Il fut cjnique sous Cratès ; il devint cjTè/iaïque sous Théodore j il se fit péripatéticien sous Théophraste; ^X finit par prendre de ces sectes ce qu'elles avoicû^
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de bon , et par n'élre d'aucune. On lui remarqua la fciiiielc d'Anlislhcne, la polilesse d'Arislip])e , et lu dialecticjue de Socrate. Il étoit né de parcns très- obscurs , et ne s'en cachoit pas. On l'accuse d'avoir traité de sottise fa continence de Socrate avec Al- cibiade j mais on n'a qu'à consulter l'auteur que nous avans dcjà cilc , pour connoître quel dc^^ré de foi ilfaut accorder à ces anecdotes scandaleu- ses (*) , et à quelques autres de la même nature. Les prèîres du paganisme ne pouvoient supporter qu'on accordât do la probité aux iuconvaincus de leur temps : ou ils leur reprochoient , coinme des crimes , les niéiiies fuiblesses qu'ils se pardon- noient ; ou ils en accusoient leur façon de pen cr , quoiqu'avcc des scnlimens plus orthodoxes ils ne fissent pas mieux qu'eux ; ou ils les calomnioicnt sans pudeur , lorsqu'ils en étoient réduits à cette ressource : c'est toujours inontrtr de la piété envers les dieux , disoient-iîs , que de dénigrer à tort et à travers ces hommes pervers.
(*) Consultez à ce sujet l'article AcADïMiciiKS ( philosophie des), Encycl. met. Phil. anc. et mod, tom. I , p. 29 et suiv. jusqu'à la page 40. J'ai fait voir, dans cet article , l'iûjustice des soupçons que la haine s'est plu dans tous les temps à jeter sur les moeurs d« la plupart des philosophes grecs j et j'ai tâché d'y ré- duire à leur juste valeur ces accusations calomnieuses, iottt Us oût été si souvent les victimes.
KOTE DE ^ÉDITEUR»
DES ANCIENS PHILOSOPHES. l /^S
Teii Furent les principaux pbliosophes cjrcnaï- çues. Celle secte uc dura pas long-temps. Et comment auroit-elle duré ? Elle n'avoit point d'école en Grèce ; elle étoit divisée en Lyhie j soupçonnée d'athéisme par les prêtres j accusée de corruption par les autres philosophes; el persé- cutée par les magistrats. Elle esigeoit un concours de qualités qui se rencontrent si rarement dans la même personne , qu'il uy a jamais eu que son fon- dateur qui les ait bien réunies ; et elle ne se soute- coit que par quelques transfuges des stoïciens, que la douleur désabusoit de l'apathie. J^ojez, Bruck^ Stanley , liîst. de laphU.
ECLECTISME.
L'éclectique est un philosophe , qui , foulant eux pieds le préjugé , la tradition , l'ancienneté , le consentement universel , l'autorité , en un mot tout ce qui subjugue lafoule des esprits , ose penser de lui-même , remonter aux principes généraux les plus clairs , les examiner , les discuter , n'ad— iTaetlre rien que sur le témoignage de son expé- rience et de sa raison; et, de toutes lesphilosophies qu'il a analysées sans égard et sans partialité , s'eu faire une particulière et domestique qui lui appar- tienne : je dis une philosophie particulière et do^ j7iestiijue , parce que l'ambition de l'éclectique est moins d'être le précepteur du genre humain, que Philos, anc. et mod.ToillI. G
j/fi o p r N I o .\ s
son disciple j de réformer les autres ; que de se reformer lui-même; d'enseigner la vérité , que delà connoître. Ce n'est poinl un homme qui plante ou qui sème j c'est un homme qui recueille et qui crible. Il jouiroil tranquillement de la récodte qu'il auroil faite, il vivroit heureux ,et niourroit ignoré , si l'enthousiasme , la vanité , ou peut-être un sen- timent plus noble ne le faisoit sortir de son ca- ractère.
Le sectaire est un homme qui a embrassé la doc- trine d'un philosophe ; l'éclectique , au contraire , est un homme qui ne reconnoîl point de maître : ainsi, quand on dit des éclectiques que ce fut une secte de philosophes , on assemble deux idées contradictoires , à-moins qu'on ne veuille entendre aussi, parle terme de ^^'C/e ^ la collection d'un cer- tain nombre d'hommes qui n'ont (ju'un seul principe commun , celui de ne soumettre leurs lumières à personne, de voir par leurs propres jeux, et de douter plutôt d'une chose vraie, que des'exposer, faute d'examen , à admettre une chose fausse.
Les éclectiques et les sceptiques ont eu cette conformité , qu'ils n'^toient d'accord avec per- sonne *, ceux-ci, parce fju'ils ne convenoicnt de rien ; les antres , parce ([u'ils ne convenoient que de (juelqucs points. Si les éclectiques trouvoicnt dans le scepticisme des vérités qu'il fiiHoit recon- ijtîtie , ce qui leur étoit contesté même par les sceptiques; d'un autre côté, les sceptiques n'étoient
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point divisés entre eux : au-lieu cju'iin cclcclique acloplnnl assez coinnuinéiiient d'un philosophe ce qu'un autre éclectique enrejetoil , il en éloit de la secte comme de ces sectes de religion , cù il n'v a pas deux individus qui aient rigoureusement la même façon de penser.
Les sceptiques et les éclectiques auroient pu prendre pour devise commune ; ISulIius addictus jurare m verba ma gis tri ; md\s les éclectiques , qui , n'étant pas si difficiles que les sceptiques , faisoient leur profit de beaucoup d'idées que ceux- ci dédaignoient , y auroient ajouté cet autre mot , par lequel ils auroient rendu justice à leurs adver- saires , sans sacriiier une liberté de penser dont ils étoient si jaloux ; Nullum philos ophum tàni fuisse inanem , yw/ non viderit ex vero aliquid. Si l'on réfléchit un peu sur ces deux espèces de philoso- phes , on verra combien il étoit naturel de les com- parer j on verra que le scepticisme étant la pierre <ie touche de V éclectisme , l'éclectique devroit tou- jours marcher à côté du sceptique ^ pour recueillir tout ce que son compagnon ne réduiroit point en une poussière inutile par la sévérité de ses essais,
I! s'ensuit de ce qui précède, que X éclectisme, prisa langueur, n'a point été une philosophie nou- velle, puisqu'il n'j- a point de chef de secte qui n'ait été plus ou moins éclectique; et conséquemmebt que les éclectiques sont parmi les philosophes ce que £oul les souverains sur la surface de la terre , le»
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seuls qui soient restes dans l'étal de nature où tout etoit à tous.
Pour former son système , Pvthagore mit à con»- tribution les théologiens del'Egvpte, les gjmnoso- phistes de l'Inde , les artistes de la Phénicie , et les philosophes de la Grèce. PJaton s'enrichit des dé-r pouilles de Socrate , d'Heraclite et d'Anaxagore j Zenon pilla le pjthagorisme , le platonisme, Thé-!- raclitisnie , le cynisme : tous entreprirent de longs voyages. Or , quel etoit le but de ces voyages , si-non d'interroger les ditiérens peuples j de ramasser les vérités éparses sur la surface de la terre j et de revenir dans sa patrie , remplis de la sagesse de toutes les nations? Mais, comme il est presque impossible à un homme qui , parcourant beaucoup de pays , e rencontré beaucoup de religions, de ne pas chan- celer dans la sienne } il est très -difficile à un homme de jugement, qui fréquente plusieurs écoles de philosophie, de s'attacher exclusivement à quelque |)arti , et de ne pas tomber ou dans V éclectisme , ou dans le scepticisme.
Il ne faut pas confondre V éclectisme avec le sin- crétisme. Le sincrétiste est un véritable sectaire ; il s'est enrôlé sous des étendards, dont il n'ose presque pas s'écarter. Il a un chef dont il porte le nom. Ce sera , si Ton veut , ou Platon , ou Arislcte , ou Desr cartes , ou Newton; il n'importe. La seule liberté» qu'il se soit réservée , c'est <je modifier les sentimens fi 2 son maître } de resserrer ou d'étendre les idées
DES ANCIETÎS PIIILOf. OPHES. l49
cju'il en a reçues ; d'en emprunter quelques autre« d'ailleurs ; et d'cla ver le sjstèine quand il menace ruine. Si vous imaginez, un pauvre insoient , qui , mécontent des haillons dont il est couvert, se jette sur les passans les mieux vêtus , arrache à l'un sa casaque^ à l'autre son manteau; et se fait de ces dépouilles un ajustement bizarre de toute couleur et de toute pièce, vous aurez un emblème assez exact du sincréliste. Luther , cet honmje que j'ap- peilerois volontiers, magnus aiiioritatis contemp- ior osorqiie , fut un vrai sincrétiste en matière de religion. Reste à savoir , non pour le philosophe, mais pour le chrétien , si le sincréîisme en ce genre est une action vertueuse ou un crime; et s'il est prudent d'abandonner indistinctement les objets da la raison et de la foi au jugement de tout esprit.
Le sincrétisjne est tout au plus un apprentissage de ï éclectisme. Cardan et Jordauus Brunus n'allè- rent pas plus loin : si l'un avoit été plus sensé, et l'autre plus hardi , ils auroient été les fondateurs de V éclecdsîne moderne. Le chancelier Bacon eut cet honneur, parce qu'il sentit , et qu'il osa se diro à lui - même que la nature ne lui avoit pas été plui ingrate qu'à Socrale , Epicure , Démocrite ; et qu'elle lui avoit aussi donné une tête. Rien n'est si commun que des sincrotistes; rien n'est si rare que des éclectiques. Celui qui reçoit le système d'uni autre éclectujue , peid aussi-tôt le titre à' éclecti- que» Il a paru de lemps-en-teraps quelques vrait
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éclectiques ; mais le nombre n'en a jamais été assez grand , pour lormer une seclej et je puis assurer que, dans la inultitudedes philosophes qui ont porté ce nom , à- peine en comptera- t-on cinq ou six qui l'aient mérité. J^oyez les art. Aristotklis.me , Platomsdie, EpicuRÉiSMii , Baconisme, etc.
L'écleclicjuc ne rassemble point au hasard des vérités j il ne, les laisse point isolées; il s'oplniâtre bien moins encore à les faire quadrer à quelque pîan déterminé : lorsqu'il a examiné et admis un principe ; la proposition , dont' il ^'occupe immé- diatement après , ou se lie évidemment avec ce principe , ou ne s'y lie point du tout , ou lui est opposée. Dans le premier cas, il la regarde comme vraie; dans le second, il suspend son juge- ment, jusjqu'à ce que des notions intermédiaires qui séparent la proposition qu'il examine du prin- cipe qu'il a admis, lui démontrent sa liaison ou soa opposition avec ce principe; dans le dernier cas , il la rejette comme fausse. Voiià la méthode de récleciique. C'est ainsi qu'il parvient h former ua tout solide , qui est proprement son ouvrage , d'un grand nombre de parties cju'il a rassemblées , et i\\\x ai»partiennent à d'autres ; d'où l'on voit que Descar- tiis, parmi les modernes, fut un grand éclectique.
V éclectisme, qui avoit été la philosophie des b;;ns esprits depuis la naissance du monde , ne ftu'ma ime secte , et n'eut un nom rpie vers la lin du se- ctond siècle et le commencement du Iroi^itMue. La
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seule raison qu'on en puisse apporter , c'est que juj(ia'alors les sectes s'étoient. , pour ainsi dire ^ succédées ou souiTorles j et que V éch'Ctisjuc ue pouv(jit guère sortir que de leur çonfiit : ce qui arriva , lorsque la religion chrétienne commença à les ailarnier toutes par la rapidité de ses progrès ; et à les révolter par une intolérance, qui n'avoit point encore d'exemple. Jusqu'alors on avoit été pjrrhonien , sceptique , cjnique , stoïcien , plato- nicien , épicurien , sans conséquence. Quelle sen- sation ne dut point produire , au milieu de ces tranquilles philosophes , une nouvelle école qui établissoit pour premier principe , que hors de son sein il n'y avoit ni probité dans ce monde , ni salut dans l'autre , parce que sa morale étoit la seule véritable morale , et que son Dieu étoit le seul vrai Dieu! Le soulèvement des prêtres , du peuple et ^ds philosophes , auroit été général , sans un petit nombre d'honmies froids , tels qu'il s'en trouve toujours dans les sociétés , qui demeurent long-temps spectateurs indifîerens , qui écoutent, qui pèsent, <[ain'apparticnnentà aucun parti, et qui finissent par se faire un s-jslcme conciliateur , au- quel ils se Hnttenl que le grand nombre reviendra. Telle fut à-pou-près l'origine de ['éclectisme, >r>lais par quel travers inconcevable arriva-t-il, qu'en partant d'un principe aussi sage que celui de rccueill'i de tous les philosophes , tros , riitu- îusvefuat, ce qu'on y trouveroit de plus conforme
152 OPINIONS
à la raison , on négligea tout ce qu'il falloil choisir 5 on clioisit tout ce qu'il falloit négliger jet l'on forma le système d'extravagances le plus monstrueux qu'on puisse imaginer 5 système , qui dura plus de ({uatre cents ans ; qui acheva d'inonder la surface de la terre de pratiques superstitieuses ; et dont il est resté des traces, qu'on remarquera peut-être éter- nellement dans les préjugés populaires de presque toutes les nations. C'est ce phénomène singulier que nous allons développer.
Tableau général de la philosophie éclectiqve»
La philosophie éclectique , qu'on appelle aussi le platonisme reformé et la philosophie alexaii" diine , prit naissance à Alexandrie en Egypte, c'est-à-dire au centre des superstitions. Ce ne fut d'abord qu'un sincrétisme de pratiques religieuses, adopté par les pi êtres de TEgypte, qui, n'étant pas moins crédules sous le règne de Tibère qu'au teinps d'Hérodote, parce que le caractère d'esprit (ju'on tient du climat change difficilement , avoient toujours Tambilion de posséder le système d'extia- vagance le plus complet qu'il y eut en ce genre. Ce sincrétisme passa de-là dans la morale , et dans les autres parties de la philosophie. Les philoso- phes , assez éclairés pour sentir le foible des diffé- rens systèmes anciens , mais trop timides pour les abandonner , s'occupèrcnl seulemetil à les ré-
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former sur les découvertes du jour , ou plutôt à les défigurer sur les préjugés courans : c'est ce qu'on appela platonlser , pythagoriser , etc.
Cependant le christianisme s'élendoit j les dieus du paganisme éloient décriés j la morale des phi- losophes devcnoit suspecte j le peuple se rendoit en foule dans les assemblées de la religion nou- velle ] les disciples même de Platon et d'Aristole s*jr laissoient quelquefois entraîner : les philoso- phes sincrétistes s'en scandalisèrent; leurs yeux se' tournèrent avec indignation et jalousie sur la cause d'une révolution qui rendoit leurs écoles moins fréquentées j un intérêt commun les réunit avec les prêtres du paganisme , dont les temples étoient de jour en jour plus déserts ; ils écrivirent d'abord coninela personne de Jésus-Christ , sa vie, ses mœurs , sa doctrine et ses miracles ; mais dans cette ligue générale, chacun se servit des princi- pes qui lui étoient propres ; l'un accordoit ce que l'autre nioil; et les chrétiens avoient beau jeu pour mettre les philosophes en contradiction les uns avec les autres, et les diviser ; ce qui ne man'fua pas d'arriver : les objets purement philosophiques furent alors entièrement abandonnés ] tous les es- prits se jetèrent du côté des matières théologi- ques ; une guerre intestine s'alluma dans le sein de la philo:;ophie ; le christianisme ne fut pas plus tranquille au-dedaus de lui-même j uue fureur d'ap-
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pU((uer les notions de la philosophîe à des dogmes mystérieux, c|ui n'en penneltoient point l'usage , fureur conçue dans les disputes des écoles , fit éclor e uiîc Foule d'hérésies qui déchirèrent l'église.
Cependant le sang des martyrs continuoit de finclirierjla religion chrétienne , de se répandre ni.iîgré les obstacles ) et la philosophie , de perdre sans cesse de son crédit. Quel parti prirent alor^ les philosophes ? Celui d'introduire le sincrétisnie dans la théologie pajenne , et de parodier une religion qu'ils ne pouvoient étouiTer. Les chrétiens ne reconnoissoient qu'un Dieu ) les sincrétistes , tjui s'appelèrent alors éclectiques, n'admirent qu'un principe. Le dieu des chrétiens étoit en trois per- sonnes : le Père , le Fils et le Saint-Esprit. Les éclectiques eurent aussi leur trir.ité ; le premier principe , l'entendement divin , et Tame du monde iiilelligible. Le monde étoit éternel , si l'on en crovoit Aristote; Platon ledisoit engendré ; Dieu l'avoit créé , selon les chréiiens. Les éclectiques en firent une émanation du premier principe, idée (|ui concilioit les trois systèmes , et qui ne les empéchoit pas de prétendre , conmic auparavant , que rien ne se fait de rien. Le christianime avoil des ange^ , des archanges , des dénions , des saints, des âmes , des corps , etc. Les éclecli({ues , d'é- manalions en émanations , tirèrent du preniier principe autant d'élrcs correspoadans à ceux-là :
DIS ANCIENS- S PHILOSOPHES. 1 55
des uieux , des dénions , des héros , des amcs et (les corps ; ce qu'ils renfermèrent dans ce vers admirable :
€v^sv ccS'm rpco<7KSt ■) srêcrK ^o?.v'pro)Kthii vhvf :
De-là s'élance une abondance infinie cfctres de toute esf?èce. Les chrétiens admetloient la dis- tinction du bien et du mal moral , rirnmoitalité de l'ame, un autre monde, des peines et des ré- compenses à venir. Les éclectiijues se conformè- r-ent h leur doctrine dans tous ces points. L'épi- curéisme fut proscrit d'un commun accord ; et les éclectiques conservèrent de Platon le monde intel- ligible , le monde sensible , et la grande révolu- tion des âmes à travers différens corps , selon le bon ou le mauvais usage qu'elles avuient fait de leurs facultés dans celui qu*eiles quittoieot. Le monde sensible n'étoit , selon eux , qu'une toile peinte qui nous séparoit du monde intelligible; à ia mort, la toile tomboit j l'ame faisoit un pas sur son orbe; et elle se trouvoit à un point plus voisin ou plus éloigné du premier principe , dans le sein duquel elle rentroit à la fin , lorsqu'elle s'en étoit rendue digne par les purifications théurgi- ques et rationnelles.
Il s'en faut bien que les idéalistes de nos jours aient poussé leur extravagance aussi loin que les cclecti([nes du troisième et du quatrième siècles : ceui-ci en éloient venus à admettre esactemeut
jjG orT:7To:vs
l'existence de tout ce qui n'est pas , et à nier l*eiislence de tout ce qui est. Qu'on en juge sur ces derniers mots de l'entretien d'Eusèbe avec Julien : cof rcLVTuéin TciivToùÇ "ovTci y ciiS'e riw cit'àyf' (fiv ctrTctlcc<ru,i ^Âciyyc/.viicLi \x,cà yonTevôva-eit 3 ^u,v- lÂcCoToioûv ipyci : // lir a de réel , que ce qui txisre par soi-mône fou les idées) ; tout ce qui frappe les sens nest que fausse apparence y et r œuvre du prestige , du miracle, et de l'im^ posture.
Les chrétiens avoient difTcrens cultes. Les éclec- tiques imaginèrent les deux théurgies j ils suppo- sèrent des miracles ; ils eurent des extases j ils conférèrent l'enthousiasme , comme les chrétiens conféroient le Saint-Esprit ; ils crurent aux visions, aux apparitions , aux exorcismcs , aux révélations , conmie les chréliensy croyoient j ils pratiquèrent de$ cérémonies extérieures , comme il y en avoit dans l'église ; ils allièrent la préirise avec la philosophie j ils adressèrent des prières aux dieux j ils les invo- quèrent j ils leur offrirent des sacrifices ', ils s'aban- donnèrent à toutes sortes de pratiques , qui nô furent d'abord que fantasques et extravagantes , mais qui ne tardèrent pas à devenir crinnnelles. Quand la superstition cherche les ténèbres , et se relire dans des lieux souterrains pour y verser le sang des animaux , elle n'est pas éloignée d'ca répandre de plus précieux j quand on a cru lire l'avenir dans les eulraillcs d'une brebis , on se pcr-
DES AlSGinNS PHILOSOPHES. l5r
Buade bientôt (ju'il est gravé eu caractères beau- ■ coup plus ..lairs dans le cœur d'un hoiuiiie. C'est ce qui arriva aux ihéurgistes-pratiquesj leur esprit s'égara , leur arne devint leroce , et leurs mains sanguinaires. Ces excès prociuisiientdeux eflets op- posés. (Quelques chrétiens , séu ; 'S par la resseni-p- blance qu'il y avoit entre leur re.jgion eL la philo-r Sophie modeine j trompés par ms mensonges que les éclectiques debitoient sur refikacité et les pro- diges de leurs rits , mais entraînés sur-touL à ce genre de superstition par un teiiipérument pusilla- nime , curieux, inquiet , arden», sanguin, triste et mélancolique , regardèrent les docteurs de J'église comme des ignorans en comparaison de ceux-ci, et se précipitèrent dans leurs écoles; quel- ques éclectiques , au contraire, moins fougueux, mais en effet aussi crédules , à qui toute la théur- eie-pralique ne parut qu'un mélange d'absurdité|^ et de crimes , qui ne virent rien dans la théurgie rationnelle qui ne fût prescrit d'une manière beau- coup plus-claire , plus raisonnable et plus précise , dans la morale chrétienne, et qui, venant à com- parer le rebte de Véclectîsjne spéculatif avec les dogmes de notre religion ; ne pensèrent pas plus favorablement des émanations que des théurgies , renoncèrent à cette philosophie , et se fiient bap- tiser j les uns se convertissent , les autres aposta- sient j et les assemblées des chrétiens et les. écoleç du paganisme se Templissent de transfuges , éga«^
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Icxiient cntlimisiaîjles el supeisUtieux. La philoso- phie des (Iclec'iiijues j" gagna moins, que la ihtoîogie des chiélienb n'y perdit : celle-ci , déjà si absurde, s'accrut encore d'idées sophistiques, que proscri- vit inutilement l'autorité, qui veille sans cesse dans l'église à ce que ce (Qu'elle appelle la doctrine or- thodoxe s'y conserve inaltérable.
Lorsque les empereurs eurent embrassé le chris- tianisme , et que la profession publique de la reli- gion payenne tut défendue , et les écoles de la phi- losophie éclectique fermées j la crainte de la persé- cution fut une raison de plus pour les philosophes de rapprocher encore davantage leur doctrine de celle des chrétiens ; ils n'épargnèrent rien , pour donner le change sur leurs sentimens , et aux pères de l'église , et aux maîtres de l'état. Ils insinuèrent d'abord que les apôtres avoienl altéré les principes lie leur chef; que , malgré cette altération , ils dif- féroient moins parles choses que par la manière de les énoncer: Chrlstumnescio qiiid aliiidscripsisse , nuàvi christiani docebant ^ nihilque srnsisse contra dcos suos j sedeos potiùs inagico liin colui.<se ; que J. G.étoit certainement un grand philosophe j et qu'il n'étoit pas impossible , qu'initié à tous les mystères de !a ihéurgie , il n'eût optré les prodiges qu'on en racontoil , puisf{ue ce don extraordi- naire n'avoit pf.s été refusé à la plupart des éclecti- ques du premier ordre.
Porjjliyre disoit : Siint spiritus terrent inlnimi ,
' pES A N C T TI N S P II I LO S 0 P n h S. Ï^(J
loco fjiiodinn iiialotinn danionuin subjecti poteS'- tali ; ab lus sapientts Hebrœorum , quorum unus eiiarn isteJcsusfuit, ftc. Ils altribuoienl < ot oiacleà Apollon ,mlerrogésLir J. C. : èv',nQÇr,]V koltu G-écf>Kc(, coc^oç TiTUfcôS'sG-iv efyciç : Mortalis erat, stcuii- clùin carnem pliUosophus illcniiraculosis operibus clarus.
Alexandre Sévère niettoit au nombre des per- sonnages les plus respectables par leur sainteté , inter an'mias sancliores , Abraham , Orphée , Apollonius, et J. C. D'autres ne cessoient de crier; Discipulos ejus de illo fuisse reverà ineniitos , dicendo illuin Demn, per quemfacta suntoinnia , cùin nihil aliud qucnn homo fucrit , quamvis cxceUentissùnœ sapientkv. Ils ajoutoient : Ipse Derb plus et m cœlum , sicut pli , concessit ^ ita hune quidtm non blaspheinabis ; misereberls avtein hoininuin deinenLlani. Porphjre se trompa: ce qui fait grande pitié à un philosophe, c'est un éc'eclique tel que Porphj re , qui en e^t réduit à ces estréinilés.
Cependant les éclccti(|ues réu5sirenl par ces voies obliques à en iiipos-^r aux chrétiens , et à obti'nir du gouvernenient uc peu plus de liberté ; i'égiise même ne balança pas à élever à la dignité de l'épiscopat Sjntsius , ({ui reconnoissoit ouver- tement la célèbre Hvpatia pour sa maîtresse en phi- losophie : en un mot , il v eut un temps où les éclec- tiques étoient presque parvenus à se faire passcj;"
iGo O P ! >• I O N s
pour chrétiens , et où les chrcliens n'étoient pas éloignés de s'avouer éclectiques. C'étoit alors que S. Augustin disoit des philosophes : Sî liane vitani ilU pliilosovhi riirsùs ogcre potuisscnt , videreTit preffCto cujus aiit07itotcfaciUus consu" leretur hoininlhiis , et paucis miitatis z'erbi's , Christîanificrent, sicutplencjue recendoî wii nos- tronnnijue tcifiporuin Platonîcl fecei ujd.
L'illusion dura d'autant plus long-leaips, que les éclectiques , pressés parles chrétiens , et s'euvelop- pantdans les distinctions d'une métaphysique très- subtile à laquelle ils étoient rompus, rien n'éloit plus difficile que de les faire entrer entièrement dans l'église, ou que de les en tenir évidemment sé- parés: ils avoienttellementquinlessencié la théologie païenne, que, prosternés aux pieds des idoles ,onne pouvoitles convaincre d'idolâtrie 3 iln'j avoit rien à quoi ils ne fissent face avec leurs émanations* Etoient-ils matérialistes? ne l'étoient-ils pas ? C'est ce qui n'est pas même aujourd'hui trop facile à ' décider. Y a-t-il quelque chose de plus voisin de la monade de Léibnitz , que les petites sphères inlcl- ligen'es, qu'ils appelloient j-zmir<°5: vodvfÂivetiivvy-
ySÇ TATpoTSV Voé^Ct KcÙ eCVleÙ , ft>VKcfAi kq>TiyKlQtS'l
Kiyo6^sva,i cûîs votisM : Jnteliectœjimges à pâtre , ititel/ifuntetipsœ , consiliis inefahilihus inotœ , ut i.if-cUigant. Voilà le sjmbole desélémens des é'res , selon les éclectiques ; voilà ce dont tout est com- j:)05é, et le monde intelligible , et le monde sensible ,
DES ANCIENS PHILOSOPHES. l6l
et les esprits crées, et les corps. La délinilion qu'ils donnent de la mort , a tant de liaison avec le sjs- t>!'nie de l'harmonie préétablie de Léibnilz, que M. Brucker n'a pu se dispenser d'en convenir. Flolin dit : L'homme meurt ^ ou Vame se sépare du corps , quand ilny aplus de force dans ïame qui V attache au corps } et cet instant arrive, perditd harmonid quam olim hahens ,habebat et anima. Et M. Brucker ajoute : En vero hannoniani prœstabUitam l'nter animain et corpus Jàm Plo" tino ex parte notamé
On sera d'auîant moins surpris de ces ressem- blances , qu'on connoîtra mieux la marche désor- donnée et les écarts du génie poétique , de l'en- thousiasme , de la métaphvsique et de l'esprit systé- matique. Qu'est-ce que le talent de la fiction dans un poète , si-non l'art de trouver des causes imagi- naires à des effets réels et donnés ? Quel est l'effet de l'enthousiasme dans Thomme qui en est trans- porté, si ce n'est de lui faire appercevoir, entre des êtres éloignés , des rapports que personne n'y a jamais vus ni opposés? Où ne peut point arriver un métaphysicien, qui, s'abandonnant entièrement à la méditation , s'occupe profondément de Dieu , de la nature , de l'espace et du temps ? A quel résul- tat ne sera point conduit un philosophe, qui pour- suit l'explication d'un phénomène de la nature, à travers un long enchaînement de conjectures ? c[ui est-ce qui connoit toute rimmensité du terrein que?
fi*
162 OPINIONS
ces diiTérens esprits ont battu , la multidide in- finie de suppositions singulières qu'ils ont fxiiles , la ibule d'idées qui se sont présentées à leur enten- dement , qu'ils ont comparées , et qu'ils se sont efforcés de lier ? J'ai entendu raconter plusieurs fois à un de nos premiers philosophes , que s'étant occupé pendant long-temps d'un phénomène de la nature , il avoit été conduit , par une très-longue Suile de conjectures , aune explication s^'stémati- que de ce phénomème si extravagante et si com- pliquée , qu'il étoit demeuré convaincu qu'aucune tête humaine n'avoit jamais rien imaginé de sem- blable. Il lui arriva cependant de retrouver dans Aristote , précisément le même résultat d'idées et de réflexions , le même système de déraison. Si ces rencontres des modernes avec les anciens , des poètes tant anciens que modernes avec les philoso* phes , et des poètes et des philosophes entre eux , sont déjà si fréquentes, combien les exemples n'en se- roient-.ils pas encore plus conmmns, si nous n'avions perdu aucune des productions de l'antiquité j ou s'il y avoit en quelqu'endroit du monde un livre magique qu'on put toujours consulter, et où toutes les pensées des hommes allassent se graver au mo- ment où elles existent dans l'entendement ?
La ressemblance des idées des éclectiques avec celles de Léibnitz n'est donc pas un phénomène cp'il faille admettre sans précaution , ni rejeter ams examen^ et la seule co^îséquencc équitable
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 1^5
qu'on en puisse tirer, dans la supposition que celte ressemblance soit réelle , c'est que les houMues d'un siècle ne différent guère des liomnies d'ua autre siècle; que les nièines circonstances aiiiè- liert presque nécessairement les mêmes décou- vertes j et que ceux qui nous ont précédés avoicut vu beaucoup plus de choses , que nous n'avons gé- néralement de disposition à le croire.
Après ce tableau général de l'éclectisme, nous allons donner un abrégé historique de la vie et des mœurs des principaux philosophes de cette secte ; d'où nous passerons à l'exposition des points fon- damentaux de leur système.
Histoire de /^éclectisme,
La philosophie éclectique fut sans chef et sans nom ( ctKS(pcLKGÇ Kcù ÀHviJLQÇ ) jusqu'à Potamon d'A- lexandrie. L'histoire de ce Potamon est fort brouil- lée : on est très-incertain sur le temps où il parut j on ne sait rien de sa vie j on sait très-peu de chose de sa philosophie. Trois auteurs en ont parlé , Dio- gène Laèrce , Suidas et Porphyre. Ce dernier dit , à i'occesi^n de Plotin : Sa maison ëtoit pleine de jeunes garçons et de jeunes filles, C étaient les e/z- f ans des citojens les plus considérés parleur nais-" sance et par leur fortune. Telle étoitla confiance quils avaient dans les lumières et la vertu de qe philosophe, qu ils croj'oiçnt tous n avoir rien de^
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mieux àfaireen mourant, que de lui recommander ce qu'ils laissaient au monde déplus cher; de te nombre était Potaman,quilse plaisait à entendre sur une pJiilosophie dont il je toit les fondemem , au sur une philosophie qui consiste à fondre plusieurs sjs ternes en un. ( S'ib koÙ éTSKÛpeûTo ccvtm îi omu. y *?reciS'a>v Keù Tctp^éyav èv Tisrotç kcÙ » o UGTa,[jLa>v s
'?rc{ivToç mpoûLC-ciTo }.
C'est un logojjrjphe , qae ce passage de Por- phjre: Gt'e ce nombre {év TtiTotf ) étoit Potamon. On ne sait si cela se rapporte aux pères ou aux cnfans. Si c'est des pères qu'il faut entendre cet endroit , Polamon étoit contemporain de Plolin. Si c'est des enfans , il étoit postérieur à ce philosophe. Le reste du passage ne prcs'^nte pas moins de difficul- tés : les uns lisent toKXclkiç iv Kcù , qîii ne présente presqu'aucun sens j d'autres, rroKkcLKt^iJLh ou •rroKKtC f/r iV , q:ie nous avons rendu par quil se plaisait à entendre sur une philosophie dont il jetait les fandemens, ou quiconsiste à fondre plusieurs s;)''s- témes en un. Suidas dit de son Potamon , qu'i'/ vécut avant et sous le règne d'Auguste {rtpo Kcù fJLSTk AvyaffTa]. En ce cas, ou cet auteur s'est trompé dans cette occasion, comme il lui est arrivé dans beaucoup d'autres , ou le Potamon dont il parle , n*est pas le fondateur de la secte éclectique; car Diogène Laerce dit de celui-ci , qu'il avait tiré ^e chaque philosophie ce qui lui convenoit; quif
Î3t5 A!^CÎIÊNS iJHTtÔSOPHES. l()5
en avoit formé sa philosophie , et que cet ddcc-* lisme eVoi> Aoî/« nomeau ( st/cTs -rpo oa/^« kcCi I» h€KTtKr)itf oitpscnç hffi\'xP\) v'Tto j?roTcLp.œvoç t» AAé*
^ctvS'péoÇ , SKhS^cip.évii rk Upéo'CCVTcC g| gxàfflf TCûlf
Voilà le passage auquel il faut s'en tenir ) il rem- porte, par la clarté , sur celui de Porphyre ) et peif Tautorilé, sur celui de Suidas. D'où il s'ensuit que Potanion naquit sous Alexandre Sévère ; et que sa philosophie se répandit sous la fin du second siècle, €t le commencement du troisième. En cfTet, si l'e- clectisjiie éioiX. antérieur à ces temps, conmient seroil-il arrivé à Galien , à Sextus Empiricus , à Plutarque sur-toat , qui a fait mention des sectes les plus obscures , de ne rien dire de celle -ci ?
Potamon pouvoit avoir autant de sens qu'il en falloit, pour jeter les premiers fondemens de l'ecZec- tisine ; mais il lui manquoit , et l'impartialité néces- saire pour faire un bon choix parmi les principfeS des autres philosophes , et des qualités personnel- les , telles que l'enthousiasme , l'éloquence , l'esprit , et même un extérieur intéressant , sans lesquelles on réussit difficilement à s'attacher un grand nombre d'auditeurs. Il avoit d'ailleurs pour le platonisme une prédilection incompatible avec son sjstémej il se renfermoit entièrement dans les matières pure- ment philosophiques ^ et , grâce aux querelles des chrétiens et des payens, qui éloient alors plus vio- jientes qu'elles ne l'ont jamais été ; les seules nia^
lG6 OPINIONS
ticres de religion él oient à la mode. Telles furent les causes principales de l'obscurité , dans laquelle la philosophie de Polauion tomba , el du peu de progrès fjLreCe fit.
Polanion soutenoit , en jnétaphj^sique , que nous avons , dans nos facultés intellectuelles , un mojca sûr de connoltre la vérité , et que l'évidence est le caractère dislinclif des choses vraies: en physique ^ qu'il y a deux principes de la production générale des élres ; l'un passif, ou la matière ^ l'autre actif, ou toute cause efficiente ([ui la combine. Il distin- guoit dans les corps naturels , le lieu et les qualités^ et il demandoit d'une substance , quelle qu'elle fut, quelle eu étoit !a cause , quels en étoient les élé- mens , quelle étoit sa constitution et sa forme , et en quel endroit elle avoit été produite. Il réduisoit toute la morale, à rendre la vie de l'homme la plus vertueuse ([u*il étoit possible j ce qui, selon lui ^ excluoit l'abus, mais non l'usage des~biens et deS' plaisirs.
Ammonius Saccas , disciple et successeur de^ Polamon , étoit d'Alexandrie. Il professa la philo- sophie éclectique sous le règne de l'empereur Com- mode. Son éducation fut chrétienne; mais un goût décidé pour la philosophie régnante ne tarda pas à rentraîner dans les écoles du paganisme. A-peine eut-il reçu les premières leçons d'éclectisme , qu'il sentit qu'une religion telle que la sienne étoit in— compaliblc avec ce système. Eu effet , le christia-
CES ANCIENS PHlLOSGPf/ES. xG'J
iiiamc ne souffre aucune exception. Rejeter un «Je ses dogmes, c'est n'en admettre aucun. Ainmonius aposl'asia , et revint à la religion aulorisée par les loix , ce qu'ils appeloient rhv Kccra vo^j.'iç toKitIiclv } c'est-à-dire , qu'à parler exactement , il n'en avoit point; car celui à qui l'on demande cjuelle est sa religion , et qui lépond , la religion du prince , se montre plus courtisan que religieux.
Ammonius l'éclectique n'écrivit point , ce qui le distingue de l'Ammonius d'Eusèbe. Il iniposa à ses disciples un profond silence sur la nature et l'objet de ses leçons. Il craignit |que les disputes , qui ne manqueroient pas de s'élever entre ses disciples et \ç:S autres philosophes , n'augmentassent le niépris de la philosophie et le scandale des petils esprits j ce qui est très-conforme à ce que nous lisons de lui dans Hiéroclès : Cuin hactenus magnœ inter platonicos et aristotelicos , cœterosque philoso^ phos extitissent contentiones , quorum insaiiia eà usquè erat provecta , ut scripta quoque prœcep— torum suorwn depravarent , quo magis viros hos inter se pugnantes sisterent , œstu quodam raptus od philosophiain Aîmnonius , ^irèeoS'iS'eCjCTcç re— jectis, quœ phihsophiœ contemtui erant et oppro" brio, opinionuni dissentionibus , perpurgatisque et resectiSj, quœ utrinque excreverant nugis , in prce- cipuis quibusque et maxime necessariis dogniati^ bus concordem esse Platonis et Aristotelis philo-- sophi'am démons iravit, sicque philos opltiaiii à
î 68 OPINIONS
conteutlonibus liheram suis dlscipulis tradldit, Amnionius dit donc à ses disciples : « Coiumen- )) cens par nous séparer de ces auditeurs oisifs ^ )) dont nous n'avons aucun secours à attendre dans » la recherche de la vérité j ils se sont amusés assca )> long-temps aux dépens d'Aristole et de Platon j » méditons dans le silence ces précepteurs du genre )) humain. Attachons-nous particulièrement à ce » qui peut étendre l'esprit , purifier l'ame , élever » l'homme au-dessus de sa condition , et Tappro- » cher des immortels. Que ces sources fécondes de i) doctrine ne nous fassent ni mépriser ni négliger » celles où nous espérions de puiser encore une » seule goutte d'nistruction solide. Tout ce que Vf les hommes ont produit de bon, nous appartient* )) Si la secte intolérante qui nous persécute au- î) jourd'hui , peut nous procurer quelques lumières » sur Dieu, sur l'origine du monde, surl'anje, » sur sa condition présente , sur son état à venir , » sur le bien , sur le mal moral ) profitons-en, Au^ » rions - nous la mauvaise honte de rejeter des » principes qui tendioientànous rendre meilleurs, » parce qu'ils seroient renfermés dans les livres de » nos ennemis? Mais avant tout , engageons-nous » à ne révéler notre philosophie à ces hommes que » le torrent de la superstition nouvelle entraîne, » que quand ils seront capables d'en profiler. Que r\ le serment en soit fait à la face du ciel »,
Cette philosophie conciliatrice, paisible et se-
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 169
cictc , <[iii s'iiirposoit un silence rigoureux , cl qui éloit toujours disposée à écouler et à s'instruire , plut beaucoup aux hommes sensés. Elle fut aus i favorisée par le gouvernement, qui ne demandoit pas mieux de voir les esprits se porter de ce côté : non qu'il se souciât beaucoup que telle secte préva- lût sur telle autre; mais il n'ignoroit pas que tous ceux qui entroient dans l'école d'Ammonius , étoieut perdus pour celle de Jésus -Christ.
Amnjonius eut un grand nombre de disciples. Ils gardèrent, du- moins pendant la vie de leur «maître , un silence si religieux sur sa doctrine , que nous n'en parlerions que par conjecture. Cepen- dant , Ammonius s'étant proposé de donner à l'éc/dc- tisme toute la faveur possible , il est certain qu'il eut de l'indulgence pour le goût dominant de son temps j et que ses leçons furent mêlées de théologie elde philosophie. Ce mélange monstrueux produisit dans la suite les plus mauvais effets. U éclectisme dégénéra , sous les successeurs d'Ammonius , ea une théurgie abominable. Ce ne fut plus qu'un rituel extravagant d'exorcismes , d'incantations , d'é- vocations et d'opérations nocturnes, superstitieuses, «outerraines et magiques j et ses disciples ressem- blèrent moins à des pliilosophes , qu'à des sorciejs.
Denis Longin , ce rhéteur célèbre , de qui nous avons un traité du sublime , fut un des philoso- phes de l'école d'Ammonius. Longin voyagea: lef voyages étoient beaucoup selon l'esprit de la secte Pliilos. anc. et mod. Toiïl I. H
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éclectique. Il conféra avec les orateurs , les pliiio- so[>hes , les granimairiens, el tous ceux qui , de son temps, avoient quehjae réputation dans les leltreSi II eût passe pour un grand philosophe, s'il n'eût pas été le pieiuicr philo'ogue du monde; mais il excella tel'euicnl dans les lettres , qu'on ne parla point de lui comme philosophe. Eunapius jious le donne encofe comme un homme profon- dément versé dans l'histoire. Il l'appelle iS/jSA/oÔaw/ï T/Ket s/^-vf-^X^^ -» bibliothèque vivante , éloge qu'on adonné depuis à tant d'autres. Il eut pour disciples Porphyre et ZénoLie , reine d'Orient. L'honneui* d'enseigner la philosophie et les lettres à une reine lui coûta la vie. Zénobie , seule maîtresse du trône des Palmiréniens , après le meurtre d'Odenathe son mari , envahit l'Egjpte et quelques provinces de l'empire. Aurélien marcha contre elle , la vainquit , et la fit prisonnière. Longin , soupçonné d'avoir mal conseillé Zénobie, fut condamné à mort par l'empe- reur. Il apprit l'ordre de son supplice avec fermeté j et il employa Tari dans lequel il excelloif , à relever le courage de ses complices , et à les détacher de la vie. Il avoit beaucoup écrit : les fragmens qui uous restent de son traité du sublime , suffisent pour nous montrer quelle étoit la trempe de son esprit.
Hérennius et Grigène sont les deux éclectiques de l'école d'A-nimonius , que l'histoire de la secte nous offre imniédiatenient après Longin. Nous ne savons d'Hérennius , qu'une chose j c'est qu'il viola
DES k y C \ E y S PHILOSOPHES. J'JÏ
le premier le secret qu'il avoit juré à Aiunionius ; el qu'il entraîna, par son csciuple, Origène el Plolia à divulguer la philosophie éclectique. Cet Origène ij'cst point celui des chrétiens. L'éclectique mourut âgé de soixante-dix anS; peu de temps avant la fia du règne des empereurs Gallus et Volusicn.
Voici un des plus célèbres défenseurs de l'école anmioniennej c'est Plotin : Porphyre, son condis- ciple et son ami , nous a laissé sa vie. Mais quel fond peut-ou faire sur le récit d'un homme , qui s'étoit proposé de mettre Plotin en parallèle av'3c Jésus- Chiist, et qui étoit assez peu philosophe pour s'imaginer qu'il les placeroit de niveau dans la mémoire des hommes , en attribuant des mira- cles à Plotin ? Si l'on rendoit justice à Porphyre sur celte misérable supercherie , loin d'ajouter foi aux miracles de Plotin , on regarderoit son historien , malgré toute la violence avec laquelle on sait qu'il s'est déchaîné contre la religion chrétienne, conmiG peu convaincu de la fausseté des miracles de Jésus- Christ.
Plotîn naquit dans l'une des deux Lycopolis d'E- 1 gypte , la treizième année du règne d'Alexandre Sévère , et se livra à l'étude de la philosophie à Tâgc de vingt-huit ans. Il suivit les maîtres les plus célèbres d'Alexandrie j mais i^ sortit chagrin de leurs écoles. C'étoit un homme mélancolique et superstitieux; et comme les philosophes, qu'il avoit écoutés , faisoienl assez peu de cas des mvslèresde
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son pays, il les regarda coMinie des gens qui pro- iiiettoient la sagesse', sans la posséder. Le dégoûl de leurs principes le conduisit dans l'école d'Ainmo- nius. A-peine eul-il entendu celui-ci disserter du grand principe et de ses émanations , qu'il s'écria: l'uilà ïhoTwne que je cherchois. 11 étudia sous Anunonius pendant onze ans. Il ne se détermina à quitter son école que pour parcourir l'Inde et la Perse, et s'instruire plus à fond des rêveries mys- tiques et des opérations théurgiques des mages et des gymnosophistes ) car il prenoit ces choses pour la seule véritable science. Une circonstance qu'il regarda comme favorable à son dessein , ce fut le départ de l'empereur Gordien pour son expédition contre les Partlies : mais Gordien fut tué dans la ^lésopotamie j et notre philosophe risqua plusieurs fois de perdre la vie , avant que d'avoir regagné Antioche.ll passa d'Antioche à Rome ; il avoit alors quarante ans ) il se trouvoit sur un grand théâtre y rien ne l'empèchoit de s y montrer , que le serment qu'il avoit fait à Anunonius : l'indiscrétion d'Hé-? rennius leva cet obstacle, Plotin se croyant dégagé de son serment par le parjure d'Hérennius, pro— ^ fessa publiquemept ï éclectisme pendant dix ans , mais seulement de vive voix , sans rien dicter. On l'inlerrogeoit , et jl répondoit. Celte manière de philosopher devenant de jour en jour plus bruyante, parles disputes qu'elle excitoit entre ses disciples, €t plus fatigante pour lui par la nécessité où il se
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troiivoit à chaque instant de repondre aux mêmes cjueslions , il pjit le parti d'écrire. Il commença, la première année de Galiien ; et la dixième, il avoic coniposé vingt et un ouvrages sur dilïérens sujets. On ne se les procuioit pas facilement : pour con- server encore quelques vestiges de la discipline philosophique d'Ammonius , on ne les communi- quoit qu'à des élèves bien éprouves, qu'aux éclec- tiques d'un jugement sain et d'un ^ge avancé. C'étoit , comme on le verra dans la suite, tout ce que la métaphvsique peut avoir de plus entortillé et de plus obscur ; la dialectique , de plus subtil et de plus ardu; un peu de morale, et beaucoup de fanatisme et de théuigie. Mais s'il j avoit peu de danger à lire Pîotin , il y en avoit beaucoup à l'en- tondre. La présence d'un auditoire nombreux élevoit son esprit ; sa bile s'enfiammoit; il vojoit en grand; on se îaissoit insensiblement entraîner et séduire par la foice des idées et des images qu'il déployoît en abondance 5 on partageoit sou enthousiasme: et comme l'on jugeoit de la vérité et delà beauté de ce qu'on venoit d'entendre par la violence de l'émo- tion qu'on en avoit éprouvée , on s'en retoarnoit convaincu que Plotin étoit le premier homme du monde; et en eflèt, c'étoit une tête de la trempe de celle de nos Cardan , de nos Kirkher , de nos Ma- Icbranche , de ces hommes moins utdes que rares : Quorum in^cniuimniro ardore injlœmnatuin , et jicscio cjud ambitione ductuin, sese judicii habc^
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nis coerceri œgrè fert et indignalur ; qui, objectch- rujn inagTiitudine capti et abrepti , sibi sœpe ipsi non su7it prœ sentes : exhorinn iiwnero, qui non cjuid dicant sentiantve perpendunt , s^d cogitatiO' nmn ijividissimariim feniUssnnarunujue Jiuctibus obvoluti . awplectuntur; (juidqw'd œstuanti ima" ginûtioni occiiirit altuni , singulare et ab allis dh'ersum,fimdanientofulciaturaîicjuo vel mdîo , diiinmodb mentibus aliorwn attonitis c-fferatur ah'(jiiid portentosmn et énorme.
Voilà ce que Plolin possédcit dans un degré sur- prenant ; sa figure , d'ailleurs , étoit imposante et noble. '^roLis les mouvemensdc son atue vcnoientse peindre sur son visngc ; et lorsqu'il parlait, il s'é- « hnppcit de son regard , de son geste , de sorr action et de toute sa personne, une persuasion dnnt il étoit difiicile de se défendre , sur-tout quand on apportpit de son côté quel<{ue disposition natu- relle à fenlliousiasme. C'est ce qui arriva à un cer- tain Rogatien ) les discours de Plotin lui échauf- fèrent tellement la tête , qu'il abandonna le soin de ses affaires , chassa ses domestiques, méprisa des dignités auxquelles il étoit désigné , et tomba dar.s une misère affreuse , mais au milieu de laquelle il eut le bonheur de conserver sa frénésie.
Avec des qualités telles que celles que l'histoire accorde à Plolin , on ne manque pas de disciples J aussi en eut - il beaucoup , parmi lescjuels on nomme quelques femmes. Ses vertus lai mé?ilèreat
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la considération des citoyens les plus distingués ; ils lui coofièrent en mourant la fortune et l'éducalioa de leurs enfans. Pendant les vingt-ï'ix ans qu il vécut à Rome , il i'ut l'arbitre d'un grand nombre de dill'érends , qu'il termina avec tant d'équité , que ccux-n:éuies qu'il avoit condamnés devinrent ses amis. Il fut honoré des grands. L'empereur Galliea et sa femme Salonine en firent un cas particulier. Il ne leur demanda jamais qu'une grâce , qu'il n'ob- tinl pas 'j c'éloit la souveraineté d'une petite ville delà Campanie , qui avoit été ruinée, el du petit territoire qui en dépendoit. La ville devoit s'appe- ler Pîatonoj?olis ou la ville de Platon, Piolin s'er ■*• gageoit à s'y renfermer avec ses amis , et à y réa- liser la rcpubiiiue dcce plnlosophe : mais il arriva alors ce qui arrivoroit encore aujourd'hui j los courtisans lournèreul ce projet eu ridicule , tra- duisirent Plotin comme une espèce de fou , eu dégoûtèrent l'empereur , et empêchèrent qu'une expérience très-inléressante ne fût tentée.
Ce philosophe vivoit durement , aii;si (|u'il cor.- vcnoit à un hT^nime qui rcgari^oit ce monde comme le lieu de son exil, el son corps conmie la prison de son ame j il professoit la philosophie sans relâche j il abusoit trop de sa santé pour se bien porter ; et il en faisoiLtrop peu de cas pour appeler le médecin quand il étoit indisposé: il fut attaqué d'une esqui- nancie , dont il mourut à l'âge de Œ ans , la sc- sonde année du règne de l'empereur Claude. Il
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disoit en mourant : equidein jàm enitor qiiod in nobis divinwn est ad divimanipsum, quod inget înuîiiverso , adjungert : (( je nreiïorce de rendre » à l'ame du monde , la particule divine que j'ea » tiens séparée )>. Il adniettoit la métempsycose comme une manière de se purifier j mais il mourut convaincu que son ame étoit devenue si pure par l'étude continuelle de la philosophie , qu'elle alloit rentrer dans le sein de Dieu , sans passer par au- cune épreuve nouvelle. Sa philosophie fut généra- lement adoptée ; et l'école d'Alexandrie le regarda comme son chef, quoiqu'il eût pour prédécesseurs Ammonius et Potamon.
Amélius , successeur de Plotin , avoit passé SGi premières années sons l'institution du stoïcien Li.si- iiiaque. Il s'attacha ensuite à Plotin. Il travailla pendant vingt- quatre ar.s à débrouiller le chaos des idées moitié philosophiques , moitié ihcurgi- ques de ce vertueux et singulier fanatique.il écri- vit beaucoup ; et quand ses ouvrages n'auroient servi qu'à réconcilier Porphj're avec ^éclectisme de Plotin , ils n'auroient pas été inutiles au pro- grès de la secte.
Porphyre , cet ennemi si fameux du nom chré- tien , naquit à Tyr la douzième année du règne d'Alexandre Sévère , 255- ans après la naissance de Jésns-Christ. Il apostasia pour quckjuos cdups de batouquedes chrétiens luidonncrcnt mai-à-pro- pos.II étudia à Athènes sous Loni^-iu , qui l'appela
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Poj'i'hrre ; Malchus , son nom de famille , parois- soit irop dur à l'oreille du ihéleur. Mulclms ou Porphyre r.voit alors dix-huit ans ; il éloit déjà Irès- versé dans la philosophie et dans les lettres. A Ta^e de vingl ans , il vint à Ronjc étudier la philosophie sous Plotin. Une extrême sobriété , de loiigiios veilles , des disputes continuelles lui brûlèrent le sang , et tournèrent son esprit à l'enthousiasme et à la mélancolie.
J'observerai, ici en passant, qu'il est impossible en poésie , en peinture , en éloquence , en musique , de rien produire de sublime sans enthousiasme. L'enthousiasme est un mouvement violent de l'ame , par lequel nous sommes transportés au mi- lieu des objets que nous avons à représenter; alors nous vovoMS une scène entière se passer dans notre imagination , comme si elle étoit hors de nous : elle y est en effet ; car tant que dure celte illusion , tous les êtres présens sont anéantis , et nos idées sont réalisées à leur place : ce ne sont que nos idées que nous appercevons ', cependant nos mains touchent des corps , nos yeux voient des êtres animés, nos oreilles entendent des voix. Si cet état n'est pas de la folie , il en est bien voisin. Voilà la raison pour la- quelle il faut un très-grand sens, pour balancer l'en- thousiasme. L'enthousiasme n'entraîne , que quand les esprits ont été préparés et souuns par la force de la raison ; c'est un principe que les poètes ne doivent jamais perdre de vue ilans leurs liclions , et
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cjue les hommes éloquens ont toujours observé dans leurs niouvemens oratoires. Si renthousiasme pré- domine dans un ouvrage , il répand dans toutes ses parties je ne sais fpjoi degiginlosque , d'incroyable et dY-norme. Si c'est la disposition habituelle de Taine , et la pente acquise ou naturelle du carac- tère , on lient des discours alternativement insensés et sublimes j on se porte à des actions d'un hé- roïsme bizare , qui marquent en-mcme-temps la grandeur , la force , et le désordre de l'amc. L'enthousiasme prend mille formes diverses : l'un voit les cieus ouverts sur sa tête ; l'autre , les enfers s'ouvrir sous ses pieds : celui-ci se croit au milieu des esprits célestes ; il entend leurs divins concerts j il en est transporté : celui-là s'adresse aux furies ; il voit leurs torches allumées ; il est frappé de leurs cris 'y elles le poursuivent ; il fuit ellrajé devant elles.
Porphyre n'étoit pas éloigné de cet état enchan- teur ou terrible, lorsque Plolin, qui le suivoit à la piste , rattcignit ; il éloit assis à la pointe du promontoire de Liljbée ; il versoit des larmes ; il tiroit de profonds soupirs de sa poitrinej il avoit 1rs yeux fixement attachés sur les eaux j il rcpoussoit les alimeus qu'on lui présentoit ; il craignoit l'ap- proche d'un homme j il vouloit mourir. Il étoit dans un accès d'enthousiasme , qui grossisoit à son ima- gination les nu'sères de la nature humaine, et c|iji lui représentoit la mort comme le plus grand
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boTilicur d'un être qui pense , qui sent, qui a le niaàieur de vivre. Voici un aulie enlhouîiasle j c'est F^lotiii qai , fortement frappé du péril où il appcrrcit s ^n disciple et son ami , éprouve sur-le- chamr) un autre accès d'ontbousiasnje , qui sauve Porphjie de la fureur tranquille et sourde dont il est posscdé. Ce qu'il y a de singulier, c'est que celui-ci se prend pour un homme sensé ; écoutez-le : sfii— dium nunc istud , ô Porphyri , tuinn , non sanœ mentis est , sed onimi atrdbilefurentis. Un Iroi- sicme , cjui eut été témoin , de sang-froid , de l'ac- tion outrée et du ton emphatique de Plotin , n'eu- roit-il pas été tenté de lui rendre à lui-même soo sposlroph? , et de lui dire , en imitant son action et son en\\)\\^se'. studiumnunc istud , ô Plotine , tituui , îwnesrœ revcrà mentis est , sed anîmi splendidd bile furentis 7 Au reste , si un accès d enthousiasme peut élre réprimé, c est par un autre accès d'enthousiasme. La véritable élc(]uence scroit , en pareil cas , Ibible , froide , et resleroit sans elfet: il faut un choc plus violent, et la se- cousse d'un instrument plus analogue.
Porphyre , fortement persuadé que le christia- nisme rend les hommes méchans et misérables ( iué- chans , disoil.-il , en multipliant le. devoirs a l'infini , et en pervertissant Tordre des devoirs jmisùabics , en remplissant les âmes de remords et de terreurs ) , écrivit quinze livres , pour les détromper. Je crains bien que Theodosc ne leur ail fait trop d'honneur
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par redit qui les supprima ; el j'oserois presqu'as* suror , sur les Tro^niens qui nous en restent dans les pères qui l'ont rcfuté , qu'il y avoit beaucoup plus d'éloquence et d'enthousiasme que de bon sens et de philosophie. Il m*a semblé que l'enthou- siasme étoit une maladie épidémique particulière à ces temps , qui n'avoit pas entièrenjent épargné les hommes ies plus respectables par leurs talens , leurs connoissances, leur état, et leurs mœurs. L'un croj'oit avoir répondu à Porphyre , lorsqu'il lui avoit ditqu'/7 étoit T ami intime du diable ; un autre prer.oit , sans s'en appercevoir, le ton de Porphyre , lorsqu'il l'appeloit impie, blasphémateur , fou , calomniateur , impudent , sycophante. La cause du christianisme étoit trop bonne ; et les pères avoienttrop de raisons , poura ccumulertant d'in- jures. Cet endroit ne sera pas le seul de cet article où nous aurons lieu de remarquer ,pour la conso- lation des âmes foibles et la nôtre , que dans les plus grands saints , l'homme perce toujours par quel- qu'endroit. Porphyre vécut plus long-temps qu'on lie pouvoit l'espérer d'un honmie de son caraclère.
II atteignit Tâge de soixante et douze ans \ el ne mourut que l'an 5o5 de Jésus-Christ.
Jamblique , disciple de Porphyre, fut une des lumières principales de l'école d'Alexandrie. Le paganisme menacoit ruine de toutes parts , lors- que ce philosophe théurgiste parut. 11 combattit pour ses dieux , et ne combattit pas sans succès.
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C'est une chose remaicjnuLle , que l'aversion < prosfjue gtncrale des philosophes tcleclifjues pour le <hrii,lianisnie , et leur attachcrneut opijiiùtre à l'idolâtrie. Pouvoit-il donc y avoir un svslénie plus ridicule, que celui de la mythologie? S'il etoit naturel que le sacrifice exigé dans la religion chré- tienr.e , de l'esprit de rhoinnie , par des in^yblèi es ; de son corps , par des jeûnes et des tnoriiiicaiicnsj de son cœur, par une abnégation entière de soi- mcnie , en éloignât des hommes charnels et des raisonneurs orgueilleux; rél('it-il qu'un Potamon, un Ammonius , un Longin , un Plotin , un Jam— blique , ou fermassent les ^eux sur les absurdités de l'histoire de Jupiter , ou iie les apperçussent point ?
Jamblique étoit de Chalcis , ville de Célésyrie j il descendoit de parens illustres : il eut pour insti- tuteur Anatolius , philosophe d'un mérite peu in- férieur à Porphyre. Il fut d'un caractère doux ; un peu renferuié ; ne s'ouvrant guère qu'à ses dis- ciples y moins élo(|Lient que Porphvre : et l'élo- quence ne devoit pas être complée ponr peu de chose dans des écoles , où Ton professoit particu- lièrement la théurgie; système auquel il étoit im- possible de donner quelques couleurs séduisantes , sans le secours du sublime et de l'enthousiasme : cependant il ne manqua pas d'auditeurs • mais il les dut moins à ses connoissances qu'à son aftabilité. Il
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avoil de la gajlé avec ses amis j cl il leur en inspi- roit: ceux qui avoient une fois goûté les cliarmes de sa société , ne pouvoient plus s'en détacher. L'histoire ne nous a rien raconté de nos mystiques, que nous ne trouvions dans Janiblique. Il avoit des extases } son corps s'élevoit dans les airs pendant ses entretiens avec les dieux j ses véieinens s'éclai- roient de lumière ; il prédisoit favenir ^ il coninian- doit aux démons } il évoquoit des génies du fond des eaux.
Jambiique écrivit beaucoup ; il laissa la vie de Pythagore ; une exposition de son svstéme théolo- gique ; des exhortations à l'étude de l'éclecti.sjne ; u\ trailé des sciences mathématiques 3 un com- mentaire sur les institutions arithméti(juos de Ni- comaquej une exposition des mystères égyptiens. Parmi ces ouvrages, il y en a plusieurs où l'on auroit peine à reconnoîlre un prétendu faiseur de miracles : mais qui reconnoîtroit JN'ewton dans un commentaire sur l'Apocalypse? et qui croiroit que cet homme , qui a assemblé tout Londres dans une éû^lise , pour être témoin des résurrections qu'il promet sérieusement d'opérer , est le géomètre Fatio ? Jambiique mourut l'an de J. C. 555 , sous le règne de Constantin. La conversion de ce prince à la religion chrétienne , fut un événement fatal pour la philosophie; les temples du paganisme furent renversés ; les portes des écoles ecleciirjues ,
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fermées j les phlK soijhes , tlispeiscs : il en coûta luénie la vie à c{uel4ueî)-uiis de ceux qui osèrent bjaver les conjoucluies.
Tel tut le sort de Sopalre , disciple de Jam»- bli<|uc : il éloit d'Apaniée , ville de vSjrie. Euiiape en parle comme d'un homme éloquent dans ses écrits et dans ses discours. Il ajoute que IVtenduc de ses connoissances lui avoit acquis , parmi les Grecs, la réputation du premier philosophe de son
temps ( TOV STK/niéLQTciTOV TOV Tê Tcip Sh/Jl^lV STTt
rrcctS'eva'st ysysyn^jt^u'ov ;.
Yoici le rau , tel (ju on le lit dans Eunape. Cons- tantinople ou Bjzance ( car c'est la même ville sous deux noms dilferens ) fournissoit ancienne- nien!. TAttique de vivres ; et il est- incrojable la quantité de grains que celte province de la Grèce en tiroit : mais il arriva, dans ces temps, que les vaisseaux qui venoient chargés d'Egvpte , et que toutes les provisions qu'on tiroit de la Syrie , de la Phénicie , de l'Asie entière, et d'une infinité d'autres contrées nourricières de l'empire , ne pu- rent suffire aux besoins de la muliitr.do innomJ brable de prisonniers que l'empereur avoit rassem- blés dans Bjzance j et cela , par la vanité puérile de recueillir au iheâire un plus grand nombre d'a- plaudibseuiens : et de quelle sorîe , encore ; et de quels gens? d'une populace pleine de vin j d'hom- mes à qui l'ivresse ne peimettoit ni de parler, ni de se tenir debout; de barbares et d'étrangers , qui
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Sivoienl à-peinc prononcer son nom. Mois telle étoit la silualion du port de Constanlinople , que , couvert par des montagnes , il uy avoit qu'un seul vent qui en favorisai l'entrée j et ce vent ajant cessé de souiïïer , et suspendu trop long - temps l'arrivée des vivres dans une conjoncture où la ville, qui regorgeoit d habitans, en avoit un besoin plus pressant , la famine se fit sentir. On se rendit à jeun au théâtre ; et comme il n'y avoit presque point de gens ivres , il y eut peu d'applaudisse- niens , au grand étonnement de l'empereur, qui n'avoit pas rassemblé tant de bouches pour qu'elles restassent muettes. Les ennemis de Sopatre et des philosophes , attentifs à saisir toutes les occasions de les desservir et de les perdre , crurent en avoir trouvé une trcs-favorable dans ce contre-temps: C'est ce Sopatre, dirent-ils au crédule empereur, cet lionnne que vous avez comblé de tant de bien- faits , et qui est parvenu ,j)ar sa politique j à s'as- seoir sur le trône à coté de vous ; c'est lui qui, par les secrets de sa philosophie malfaisante , tient les vents enchamés , et s'oppose à votre triomphe et à votre gloire, tandis qu'il vous séduit par les faux éloges qu'il iwus prodigue. L'empereur, irrité , ordonne la mort de Sopatre ; et le malheureux philosophe tombe sur-le-champ , frappé d'un coup de hache. Hélas ! il étoit arrivé à la cour , dans le dessein de défendre la cause des philosophes , et d'arrêter , s'il étoit possible , la
persécution qu'on exerçoit contre eus II avoil pré- sumé quelques succès de la force de son éloquence et de la droiture de ses intentions; et en ciTct il avoil réussi au-delà de ses espérances : lempe- reur l'avoiL admis au nombre de ses favoris; et les philosophes connuençoient à prendre crédit à la cour ; et les courtisans , à s'en allarmer ; e! les întolérans, à s'en plaindre. Ceux-ci s'étoieut appa- remment déjà rendus redoutables au piince mcine, qu'ils avoient enlrainé dans leurs sentimens , puis- qu'il pai^oit que Sopatre fut une victime qu'il leur immola malgré loi , afm de calmer les muniiures qui commençoient à s'élever, u Pour dissiper les )) soupçons qu'ion pourroit avoir que celui , qui )) avoit accueilli favorablement un hiérophante, un » théurgiste , ne fût un néophite équivoque , il se n déterpiina ( dit Suidas ) à faire mourir le phi- » losophe Sopatre )) , ut fidem faceret se non alnpliiis religioiii genti'li adchctinn esse. Ablabius, courtisan vil , sans naissance , sans ame , sans vertus ; un de ces hommes faits pour capter la faveur des grands par toutes sortes de voies , et pour les déshonorer ensuite par les mauvais con- seils qu'ils leur donnent en échange des bienfaits qu'ils en reçoivent , étoitdevenu jaloux de Sopatre; et ce fut cette jalousie, qui accéléra la perte du philosophe. Pourquoi faut-il que tant de rois com- mandent toujours , et ne lisent jamais !
Edésius étoit de Cappadoce j .sa famille étoit
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considérée j mais elle n'étoit pas opulente. 11 se livra à l'élude de la philosophie , dans Athènrs , où on l'avoit envoyé pour apprendre quelqu'art lu- cratif: c'eloit répondre aussi mal qu'il éloit pos- sible aux intentions de ses parens , qui auroient donné , pour une pièce d'or , tous les livres de la République de Platon. Cependant sa sagesse , sa modération , son respect , sa patience , ses dis- cours , parvinrent à réconcilier son père avec la philosophie : le bon-homme conçut enfin qu'une science , qui rendoit son fils heureux sans les ri- chesses , étoit préférable à des richesses qui n'a- voient jamais fait lé bonheur de personne sans cette science.
La réputation de Jamblique appela Edésius en Syrie; Jamblique le chérit, l'instruisit, et lui conféra le grand don , le don par excellence , le don d'en- thousiasme. Les ihéurgistes ne pouvoient donner de meilleures preuves du cas infini qu'ils faisoient de la religion chrétienne , que de s'attacher à le copier en tout. Les apôtres avoient conféré le Saint-Esprit, ou cette qualité divine , en vertu de laquelle on persuade fortement ce dont on est fortement persuadé : les éclectiques parodièrent fort heureusement ces effets avec leur enthou- siasme.
Cependant la persécution, que l'empereur exer- çoit contre les philosophes , augmentoit de jour en jour. Edésius , épouvanté , eut recours auxopérar
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tions de la ihéurgie, pour en être éclairci sur soa sort : les dieux lui promirent , ou la plus grande réputation , s'il denieuroit dans la société, ou une sagesse qui Péga'eroit aux dieux ,s'il se rcliroit; d'entre les honinics. Edésius se disposoit à pren- dre ce dernier parti , lorsque ses disciples s'assem- blent en tumulte , l'entourent , le prient , le conju- rent , le menacent et l'empêchent d'aller , par une crainte indigne d'un philosophe , se reléguer dans le fond d'une foret , et de priver les hommes des exemples de sa vertu et des préceptes de sa philosophie , dans un temps où la superstition , disoient-ils , s'avançoit à grands pas , et entraînoit la multitude dès esprits. Edésius établit son école à Pergame : Julien le consulta , l'honora de son estime ; elle combla de présens :1a promesse des dieux qu'il avoit consultés , s'accomplit; son nom se répandit dans la Grèce j on se rendit à Perga- me , de toutes les contrées voisines. Il avoit un talent particulier , pour humilier les esprits fiers et transcendans , et pour encourager les esprits foi- bles et timides. Les ateliers des artistes étoientles endroits qu'il fréquentoit le plus volontiers au sortir de son école ; ce qui prouve que l'enthou- siasme et la théurgie n'av oient point éteint en lui le goût des connoissances utiles. Il professa la philosophie jusques dans l'âge le plus avancé.
Eustathe , disciple de Jamblique et d'Edésius ,' fut un homme éloquent et doux , sur le compte
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duquel on a débité beaucoup de sottises. J'en dîs autant de Sosipalra. T)es vieillards la demandent à son père, et lui prouvent , par des miracles , qu'il ne peut, en conscience, la leur refuser: le père cède sa fille j les vieillards s'en emparent , l'initient tous les mystères de V éclectisme et de la ihéurgie lui confèrent le don d'enthousiasme , et disparois- sent , sans qu'on ait jamais su ce qu'ils étoient devenus. J'en dis autant d'Antonin , fils de Sosi- patra j je remarquerai seulement de celui-ci , qu'il ne fit point de miracles , parce que l'empe- reur n'aimoit pas que les phiiosophes en fissent.
Il y eut un moment, où la frayeur pensa faire ce qu'on devoit attendre du sens commun j ce fut de séparer la philosophie de la théurgie , et de ren- voyer celle-ci aux diseurs de bonne aventure , aux saltimbanques , aux fripons , et aux prestigiateurs. Eusèbe de Minde en Carie , qui parut alors sur la scène , distingua les deux espèces de purifications, que la philosophie éclectique recommandoit éga- lement : il appeh l'une , théurgicji/e; et l'autre, ra- tionnelle ; et s'occupa sérieusement à décrier la première: mais les esprits en étoient trop infec- tés : c'étoit une trop belle chose, que de commer- cer avec les dieux , que d'avoir les démons à son commandement , que de les appeler à soi par des incantations , ou de s'élever à eux par l'extase , pour qu'on pût détromper facilement les hommes d'une science , qui s'arrogeoit ces merveilleuses
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prérogatives. S'il y avoit un homme alors auprès duquel la philosophie d'Eusèbe devoit réussir , c'étoit l'empereur Julien. Cependant il n'en fut rien; Julien quitta ce philosophe sensé, pour se livrer aux deux plus violens théurgistes que Ja secte éclectique eût encore produits , Maxime d'E- phèse et Chrysanthius.
INIaxime d'Ephèse étoit né de parens nobles et riches ] il eut donc à fouler aux pieds les espéran- ces les plus flatteuses , pour se livrer à la phiioso^ phie : c'est un courage trop rare , pour ne pas lui en faire un mérite. Personne ne fut plus évidem- ment appelé à la théurgie et à Xéclectisnie , si l'on regarde l'éloquence conmie le caractère de la vocation. Maxime paroissoit toujours agité par la présence intérieure de quelque démon \ il mettoit tant de force dans ses pensées , tant d'énergie dans son expression , tant de noblesse et de grandeur dans ses images , je ne sais quoi de si frappant et de si sublime , même dans sa déraison , qu'il ôtoit à ses auditeurs la liberté de le contredire : c'étoit Apollon sur son trépied , qui maîtrisoit les âmes et commandoit aux esprits. Il étoit savant; des connoissances profondes et variées fournissoient un aliment inépuisable à son enthousiasme : il eut Edésius pour maître , et Julien pour disciple. Il accompagna Julien dans sou expédition de Perse : Julien périt ; et Maxime tomba dans un état dé- plorable ; mais sou anie se montra toujours supé-
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rieure à l'adversité. Valenlinien et Valens ,îrri(és par les chrcliens , le font charger de cbaaies, et jeter dans le fond d'un cachot : on ne l'en tire , que pour Texposer sur un thcâîre; il y paroît avec fermeté. On l'accuse^ il répond sans manquer à Tempereur , et sans se manquer à lui-même. Oà prétendoit le rendre responsable de tout ce qu'on reprenoit dans la conduite de Julien j il intéressa l'empereur même à rejeter cette accusarion: S'il est permis, disoit-il , d accuser un sujet de tout ce que son souverain peut avoir fait de mal , pourquoi ne le louera-t—on pas de tout ce quil aura fait de bien 7 On cherchoit à le perdre j chose surprenante î on n'en vint point à bout. Dans l'impossibilité de le convaincre, on lui ren- dit la liberté : mais comme on étoil persuadé qu'il s*étoit servi de son crédit auprès de Julien , pour amasser des trésors j on le condamna à une amende exorbitante , qu'on réduisit à très-peu de chose , ceux qu'on avoit charges d'en poursuivre le paie- ment n'ajant trouvé à noire philosophe que sa besace et son bâton. La présence d'un homme avec lequel on avoit de si grands torts , étoit trop importune, pour qu'on la souffrît : Maxime fut relégué dans le fond de l'Asie , où de plus grands malheurs l'attendoient. La haine implacable de ses ennemis l'y suivit j à-peine est-il arrivé au lieu de son exil , qu'il est saisi , emprisonné , et livré à l'inhumanité de ces hommes que la justice emploie
CES A?.CIE1VS PHILOSOPHES. IC)!
à tourmenter les coupables, et (\\n , corrompus par ses persécuteurs , inventèrent pour lui des supplices nouveaux : ils en firent alternativement l'objet de leur brutalité et de leur fureur. ^Maxime , lassé de vivre , demanda du poison à sa femme , qui ne balança pas à lui en apporter j mais , avant que de lui présenter, elle en prit la plus grande partie et tomba rnorle : Maxime lui survécut. On cherche , eu lisant l'histoire de ce philosophe , la cause de ses nouveaux malheurs 5 et Ton n'en trouve point d'autre , que d'avoir déplu aux défen- seurs de certaines opinions dominantes ', leçon terrible pour les philosophes , gens raisonneurs qui leur ont été et qui leur seront suspects dans tous les temps.
La providence , qui senjbloit avoir oublié Maxi- me depuis la mort de Julien , laissa tomber er.lia un regard de pitié sur ce malheureux. Cléarque , homme de bien , que par hasard \'aiens avoit nom- mé préfet en Asie , trouva, en arrivant dans sa pro- vince , le philosophe exposé sur un chevalet , et prêt à expirer dans les tourmens. Il vole à son secours 5 il le délivre 5 il lui procure tous les soins dont il étoit pressé dans le déplorable état où on l'avoit réduit : il l'accueille 5 il Tadmct à sa table ; il le réconcilie avec l'empereur j il fait subir à ses ennemis la peine du talion ; il le rétablit dans le peu de fortune qu'il devoit à la commisération de ses amis el de ses parensj il y ajoute des bien-
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faits , et le renvoie t»-ioiiiphaut à Constantinopîe , où la considération générale du peuple et des grands seiiibloit lui essurer du - moins quelque tranquillité pour les dernières années de sa vie j mais il n'en fut pas ainsi. Des iiiécontens formèrent une conspiration contre Yalens ; INIasime n'étoit point du nombre j mais il avoit eu malheureuse- ment d'anciennes liaisons avec la plupart d'entre eux. Ou le soupçonna d'avoir eu connoissance de leur dessein; ses ennemis insinuèrent à l'empereur, qu'il avoit été consulté, en qualité de théurgistej et le proconsul Feslus eut Tordre de l'arrêter, et de le faire mourir; ce qui fut exécuté.
- Telle fut la fin tragique d'un des plus habiles et des plus honnêtes honmies de son siècle , à qui Ton ne peut reprocher que son enthousiasme et sa théurgie. Fcstus ne lui survécut pas long-temps j sou esprit s'altéra ; il crut voir en songe INIaxinie qui le traînoit par les cheveux devant les juges des enfers : ce songe le suivoit par-tout; il en perdit tout-à-fait le jugement, et mourut fou. Le peuple, oubliant les disgrâces cruelles auxquelles les dieux avoient abandonné INIaxinie pendant sa vie , regarda la mort de Festus comme un exemple éclatant de leur justice, Festus étoit odieux; Maxime n'étoit plus; la vénération qu'on lui portoit en devint d'au- tant plus grande : le mojen que le peuple ne vît pas du surnaturel dans le songe du proconsul , et dans une mort qui le surpreud , sans aucune cause
DES ANCfEJVS PHILOSOPHES. I95
apparente , au milieu de ses prospérités ! On n'est pas communément assez instruit, pour savoir qu'un homme menacé de mort subite , sent de loin des moavemens avant-coureurs de cet événement : ce sont des atteintes sourdes , qu'il néglige , parce qu'il n'en prévoit ni n'en craint les suites j ce sont des frissons passagers , des inquiétudes vagues , de l'abattement , de l'agitation , des accès de pusillanimité. Qu'au milieu de ces approches se- crètes, un homme superstitieux et niéchant ait la conscience chargée de quelque crime atroce et récent , il en voit les objets j il en est obsédé ; il prend cette obsession pour la cause de son mal-aise^ et au-lieu d'appeler un médecin , il s'adresse aux dieux : cependant le germe de mort qu'il portoit ep lui-même se développe , et le tue; et le peuple iinbécille crie au prodige. C'est faire injure à l'Etre Suprême j c'est s'exposer même à douter de son e3;istence , que de chercher , dans les afflictions et les prospérités de ce monde , des marques de la justice ou de la bonté divine. Le méchant peut avoir tout, excepté cette paix de l'ame , ce doux repos d'uRC bonne conscience , et la sécurité qui en est l'efïet,
Prisque , ami et condisciple de Maxime , étoit de Thesprotie. Il avoit beaucoup étudié la philo- sophie des anciens ; il s'accordoit avec Eusèbe de Minde à regarder la théurgie comme la honte de Pliil os. anc. et mod. ïoiiE I, J
Tg\ OPINIONS
y éclectisme; mais né taciturne, renfermé, ennemi des disputes scholastiques , ajaot à-peu-près du vulgaire l'opinion qu'il en faut avoir , c'est-à-dire n'en faisant pas assez de cas pour lui dire la vérité j ce fut un homme peu propre à s'attacher des disci- ples , et à répandre ses opinions. Cette manière de philosopher , tranquille et retirée , jeta sur lui une obscurité salutaire ; les ennemis de la philosophie l'oublièrent. Les autres éclectiques en furent ré- duits ou à se donner la mort à eux-mêmes , ou à perdre la vie dans les tourmens ; Prisque , ignoré , acheva tranquillement la sienne dans les temples déserts du paganisme.
Chrysanthius , disciple d'Edésius , et instituteur de Julien , joignit l'étude de l'art oratoire à celle de la philosophie : C'est assez pour soi , d\soitA\ , de connoitre la vérité ; mais pour les autres , il faut encore savoir la dire et la faire aimer. Laphilan^ tropie est le caractère distinctif de t homme de bien ; Une doit pas se ôontenter d'être bon ; il doit travailler à rendre ses semblables meilleurs: la vertu ne le domine pas assez fortement, s'il peut la contenir au-^edans de lui-même. Lorsque la fertu est devenue la passion d'un h omme , elle rem- plit son ame d'un bonheur quilne saurait cacher, et que les méchans ne peuvent feindre. C'est à la vertu qu'il appartient de faire de véritables en- thousiastes / c'est elle seule qui connoit le prix des biens , des dignités et de la vie , puisqu'il nj a
DES ANCIENS PHILOSOPHES. JCJ^
quelî^ijui saclw quand il convient de les perdre ou de les conserver.
La théurgie , si fatale à Maxime , servit utile- ment Chrjsanthius : ce dernier s'en tint avec fer- meté à l'inspection des victimes, et aux jèglesde la divination , qui lui aunonçoient les plus grands malheurs s'il quittoit sa retraite ) ni les instances de Maxime , ni les invitations réitérées de l'empe- reur , ni des députations expresses , ni les prières d'une épouse qu'il aimoit tendrement , ni les hon-. neurs qu'on lui offroit , ni le bonheur qu'il pouvoit se promettre, ne purent l'emporter sur ses sinistres pressentimens , et l'attirer à la cour de JuHen. INIaxime partit , résolu , disoit-il, défaire violence à la nature et aux destins. Julien se vengea des refus de Chrjsanthius,en lui accordant le pontificat de Lydie , où il l'eshortoit à relever les autels des dieux , et à rappeler dans leurs temples les peuples, que le zèle de ses prédécesseurs en avoit éloignés.
Chrj'santhius , philosophe et ponlife , se con- duisit avec tant de discrétion dans sa fonction déli- cate , qu'il n'excita pas même le murmure des in- tolérans j aussi ne fut-il point enveloppé dans les troubles qui suivirent lamort de Julien. Il demeura désolé , mais tranquille au milieu des ruines de la secte éclectique et du paganisme j il fut même pro- tégé des empereurs chrétiens. Il se retira dans Athènes , où il montra qu'il éloit plus facile à un
ig6 o p r N I o >' s
liorniiie comme lui uc supporter i'ailversité , qu*à la plupart des autres hommes de bien user du bonheur. Il emplojoit ses journées à honorer les dieux , à lire les auteurs anciens , à inspirer le goût de la théurgie, de VécIectisJiie, et de l'enthou- siasme à un petit nombre de disciples "choisis , et à composer des ouvrages de philosophie. Les ten- dons de ses doigts s'étcient retirés à force d'écrire. La promenade étoit son unique délassement; il le prenoil dans les rues spacieuses , marchant len- tement , gravement , et s*entretenant avec ses amis., 11 évita le commerce des grands, non par mépris , mais par goût. Il mit dans son commerce avec les honunes tant de douceur et d'aménité, qu'on le soupçonna d'affecter un peu ces qualités. 11 parloit bien , on le louoitsur-lout de savoir prendre le ton des choses. S'il ouvroit la bouche , tout le monde restoit en silence. 11 étoit ferme dans ses sentimens: ceux qui ne le connoissoient pas assez, s'exposoieut facilement à le contredire : mais ils ne tardoient pas à sentir à quel homme ils avoient affaire. Nous serions étonnés qu'avec ces qualités de cœur et d'esprit , Chrjsanthius ait éié un des plus grands défenseurs du paganisme , si nous ne savions combien le nivstère de la croix est une otrange folie pour des honmiîs instruits , mais sur- tout pour des philosophes. 11 jouissoit , à fâge de quatre-vingts ans» d'une santé si vigoureuse, qu'il é!,Q!t obligé d'observer des saignées de précauliops^
DES ANCIENS PHILOSOPHES: iqf
Eiiriape é'.oit son méJécin : cependant une de ces saignées/aiteininrudemmentenrab^enccd'EuMape, lui coûta la vie: il tut saisi d'un froid et d'uneîangueur dans tous les membres , qu'Oribase dissipa pour le moment par des fomentations chaudes , mais qui ne tardèrent pas à revenir , et qui l'emportèrent.
Julien , le fléau du christianisme , l'honneur de Vécîectisnie , et un des hommes les plus extraordi- naires de son siècle, fut élevé par les soins de l'em- pereur Constance ; il apprit la grammaire , de Ni- codés ; et Tart oratoire, d'Eubole : ses premiers inaîlres ctoient tous chrétiens j et l'eunuque INIar- donius avoît l'inspection sur e-ix. Il ne s'agit ici ni du conq-iérant , ni du politique , mais du philo- sophe. Nous préviendrons seulement ceux qui vou- dront se former une idée juste de ses qualités , de ses défauts, de ses projets, de sa rupture avec Constance , de ses expéditions contre les Parthes , les Gaulois et les Germains, de son retour à la reli- gion de SCS aveux , do sa mort prématurée et des évcnemens desavis , de se méfier également et des éloges que la llalerie lui a prodigués dans l'his- toire profane , et des injures que le ressentiment a vciiiies contre lui dans l'histoire de l'église.
C'est ici qu'il importe sur-tout de suivre une règle de critique , qui , dans une infinité d'autres conjonctures, conduiroit à la vérité plus sûrement qu'aucun témoignage ; c'est de laisser à l'écart ce que les auteurs ont écrit d'après leurs passions et
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leurs préjugéS; et d'examiner, li'aprèsr.olre propre expérience , ce qui est vraiseiisblabJe. Pour joj^er, avec indulgence ouavec sévérité, du goût éfFrtné de Julien pour les cérémonies du paganisme ou de la théurgie , ce n'est point avec les jeux de notre siècle qu'il faut considérer ces objets ; mais il faut se transporter au temps de cet eiupereur , et au milieu d'une foule de grands hommes, tous entêtés de ces doctrines superstitieuses : se sonder soi- même , et voir , sans partialité , dans le fond de son cœur ,si l'on eut été plus sage que lui. On craignit de bonnj^ heure qu'il n'abandonnât la religion chré- tienne ; mais l'on étoit bien éloigné de prévoir que la médiocrité de ses maîtres occasionneroit infailli- blement son apostasie. En effet , lorsque l'exercice assidu de ses talens naturels l'eut mis au-dessus de ses instituteurs , la curiosité le porta dans les éco- les des philosophes. Ses hiaîtres , fatigués d'un disciple qui les embarrassoit , ne répondirent pas avec assez de scrupule à la confiance de Constance. Il fréquenta à Nicomédie ce Libanius , avec lequel l'empereur avoit si expressément défendu qu'il ne s'entretînt , et qui se plaignoit si amèrement d'une défense qui ne lui permettoit pas , disoit-il , de répandre un seul grain de bonne semence dans un terrain précieux, dont o?i abandonnait la culture à un misérable rhéteur , parce (juil avoit le talent si petit et si commun de médire des dieux.
Les disputes des callioliques entre eux et avec
DES ANCIENS PHILOSOPHES. I99
les ariens achevèrent d'éloufier dans son cœur le peu de christianisme, que les leçons de Libanius n'en avoient point arraché. 11 vit le philosophe IVIaxiine. On prétend que fempereur n'ignora pas ces démarches inconsidérées ; mais que les qualités supérieures de Julien commençant à l'in- quiéter , il imagina, par un pressentiment qui n'étoit que trop juste, que , pour la tranquillité de l'empire et pour la sienne propre , il valoit mieus que cet esprit ambitieux se tournât du côté des lettres et de la philosophie , que du côté du gou- vernement et des affaires publiques. Julien embrassa Véclectisjne. Comment se seroit-il garanti de l'en- Ihousiasme, avec un tempéramentbilieus et mé- lancolique, un caractère impétueux et bouillant , et l'imagiriation la plus prompte et la plus ardente ? Comment auroit-il senti toutes les puérilités de la théurgie et de la divination , tandis que les sacri- fices , les évocations, et tous les prestiges de ces espèces de doctrines , ne cessoient de lui promettre la souveraineté? il est bien difficile de rejetter en doute les principes d'un art qui nous appelle à l'empire j et c€us qui méditeront un peu profondé- ment sur le caractère de Julien , sur celui de ses ennemis, sur les conjonctures dans lesquelles il se trouvoit , sur les houmies qui l'environnoient, se- ront peut-être plus étonnés de sa tolérance que de sasupepàtition. Malgré la fureur du paganisme dont il étoit possédé , il ne répandit pas une goutte de
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san^ chrétien j et il seroit à couvert de lout repro*- cbe , si , pour uo prince qui commande à des hom- mes qui pensent autrement que lui en matière de religion , c'étoit assez que de n'en faire mourir aucun. Les chrétiens demandoient à Julien un entier exercice de leur religion j la liberté de leurs assenir blées et de leurs écoles j la participation à tous les honneurs de la société, dont ils étoient des mem- bres utiles et fidèles j et en cela ils avoient juste raison. Les chrétiens n'exigeoienl point de lui qu il contraignît par la force les pajens à renoncer aux faux dieux j ils n'avoient garde de lui en accorder le droit :ils lui reprochoient, au contraire , si-nou la violence , du-moins les voies indirectes et sour- des dont il se servoit pour déterminer les chrétiens à renoncer à J. C. Abandonnez à elle-même , lui disoient-ils , T œuvre de Dieu : les loix de notre église ne sont point les loix de Vempii^e ^ ni les loix de l'empire, les loix de notre église. Punissez- nous , s il nous arrive jamais d'enfreindre celles- là ^ mais 71 imposez à nos consciences aucun joug. Mettez-vous à la place d'un de vos sujets paj'ens , et supposez à votre place un prince. chrétien : que penseriez- vous de lui , sïl employoit toutes les ressources de la politique pour vous attirer dans nos temples? p^o us en faites trop , si l'équité ne vous autorise pas ; vous nen faites pas assez , si vous avez pour vous cette autorité.
Quoi qu'il en soit , si Julien eùl réfléchi sur ce
DES A^'G1E^!S PHILOSOPHES. 20l
qui lai étoit ani\é à lui-même , il eût été convain- cu qu'au-lieu d'interdire l'élude aux cbréliens , il n'avoit rien de mieux à faire que de leur ouvrir les écoles de V^clectisme ; ils y auroient été infailîi- blenjent attirés par l'extrême conformité des prin- cipes de cette secte avec les dogmes du christia- nisme : mais il ne lui fut pas donné de tendre uu piège si dangereux à la religion.
La providence ("^),, qui répandit cet esprit de ténèbres sur son ennemi , ne protégea pas le christianisme d'une manière moins frappante , lorsqu'elle lit sortir des entrailles de la terre ces tourbillons de flammes qui dévorèrent les juifs, qu'il emplojoità creuser lesfondemens de Jérusrs- lem , dont il se proposoit de relever le temple et les murs. Julien, trompé de rechef dans la ma'ico de ces projets , consomma la prophétie , qu'il se proposoit de rendre mensongère; et l'endurcisse- ment fut sa punition et celle de ses conjplicf!'^. Il persévéra dans son apostasie ; les juifs qu'il avoit rassemblés se dispersèrent comme auparavant ] Animien-iMarcellin , qui nous a transmis ce fait , n'abjura point le paganisme ) et Dieu voulut qu'un des miracles les plus grands et les plus certains qui se soient jamais faits, qui met en défaut la maU
(*) P'oyezsvix cette exprc-sjcp orthodoxe , si dis- conçenaiite aux principes philosophiques de Diderot, ravertisseaaent de l'éditeur^ tome I de ce recueil.
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heureusedialectique des philosophes de nos jours, ot qui remplit de trouble leurs anies incrédules , ne convertit (*) personne dans le temps où il fut opéré.
On raconte de cet empereur superstitieux , (|u\issistant un jour à une évocation de démons, il iut tellement etFrajé à leur apparition , qu'il fit le signe de la croi^ , et (ju'aussilôt les démons s'é- vanouirent. Je demanderois volontiers à un chré- tien s'il croit ce fait ou non ; s'il le nie , je lui demanderai encore si c'est ou parce qu'il ne croit point aux démons, ou parce qu'il ne croit point à l'efficacité du signe de la croix , ou parce qu'il ne croit point à l'efficacité des évocations j mais s'il croit aux démons , il ne peut être assez convaincu de l'efficacité du signe de la croix j et pourquoi doutcroit-il de l'efficacité des évocations , taudis que les livres saints lui en offrent plusieurs exem-^ pies ? Il ne peut donc se dispenser d'adjuettre lé fait de Julien ; et, conséquemment , la plupart des prodiges de îa théurgie : et quelle raison auroit-il de nier ces prodiges ? J'avoue , pour moi , que je n'accuserois point un bon dialecticien bien instruit des faits , de trop présumer de ses forces , s'il s'engageoit, avec le P.Balthus,dedémontrerà l'au-
(*) ridiculum acri
Fortiùs et meliùs magnas plerumqne secaf res. woTE DE l'Éditeur,
DES ANCîtNs PHILOSOPHES. ao5 tcur des oracles , et à tous teux <[m pensent com- me lui, qu'il faut ou donner dans un p^rrhonisnie général sur tous les fails surnaturels, ou convenir de la vérité de plusieurs opérations tbéurgiques.
Nous ne nous étendrons pas davantage sur l'histoire de Julien ', ce que nous pourrions ajouter d'intéressant, scroit hors de notre objet. Julien mourut à l'âge de trente-trois ans. Il faut se sou- venir, en lisant son histoire , qu'une grande qua- lité naturelle prend le nom d'un grand vice ou d'une grande vertu , selon \t bon ou mauvais usage qu'on en a fait ^ et qu'il n'appartient qu'aux hom- mes sans préjugés , sans intérêt et sans partia- lité , de prononcer sur ces objets importons.
Eunape fleurit au temps de Théodose } disciple de Maxime et de Chrvsanthius , voilà les maîtres sous lesquels il avoit étudié l'art oratoire et la phi- losophie alexandrine. Les empereurs exerçoieut alors la persécution la plus vive contre les phi- losophes.
Il se présenteroit ici un problème singulierà résoudre y c'est de savoir pourquoi la persécution a lait fleurir le christianisme , et éteint Véclectis-^ Dit'. Les philosophes théurgistes étoient des en- thousiastes : comment n'en a-t-on pas fait des martjrs ? les croyoit-on moins convaincus de la yérité de la théurgie, que les chrétiens, de la résur- rection ? Oui , sans-doute. D'ailleurs , quelle diflfé-
èp4 C P I K I O N s
rence d'une croyance pttblit|ue, à un système ce philosophie ; d'un temple, à une école -, d'un peu- ple ,à un pelil nombre d'hommes choisis j de l'œu- vre de Dieu, au:iprojels des hommes? La ihéurgie et ^éclectisme ont passé j la religion chrétienne dure et durera (îans tous les siècles. Si un système de couiioissances humaines est faux, il se rencontre tôt ou tard un fait , une observation qui le ren- verse. Il n'en est pas ainsi des notions , qui ne tiennent à rien de ce qui se passe sur la terpe j il ne se présente dans la nature aucun phénomène qui les contredise j elles s'établissent dans les esprits , presque sans aucun effort j et elles y durent par prescription. La seule révolution qu'el- les épiouvent , c'est de subir une infinité de mé- tamorphoses , entre lesquelles il n'y en a jamais qu'une qui puisse les exposer 3 c'est celle qui, leur faisant prendre une forme naturelle , les rappro- cheroit des limites de notre foible raison , et les soumettroit malheureusement à notre examen. Tout est perdu , et lorsque la théologie dégénère en philosophie , et lorsque la philosophie dégénère en théologie ; c'est un monstre ridicule , qu'un composé de l'une et de l'autre. Et telle fut la philosophie de ces temps ; système de puriiica- tious ihéurgiques et rationnelles , qu'Horace n'au- roit pas mieux représenté , quand il l'auroit eu en vue au commenceuient de son art poctique :
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 205
ti'élolt-ce pas en ciïet une lête dhonïine , un cou de cheval , des plumes de toute espèce, les mem- bres Je loutes sortes d'animaux ;
UncUque collalis membris , ut turpiter atrnm Desiuat in piscem mulier fonnosa siipernè !
Eunape séjourna à Athènes, voyagea en Egvptc, et se transporta par-tout où il crut appercevoir de la lumière j semblable à un homm.e égaré dans les ténèbres , qui dirige ses pas où des bruits loin- tains el quelques lueurs intermittentes lui annon- cent le séjour des hommes : il devint médecin , naturaliste , orateur , philosophe, et historien. Il nous reste de lui un commentaire sur les vies des sophistes , qu'il faut lire avec précaution.
Hiéroclès succéda à Eunape : il professa la philosophie alexandrine, dans Athènes, à-peu-près sous le règne de Théodose le jeune. Sa tête étoiL un chaos d'idées platoniciennes , aristotéliques et chrétiennes j et ses cahiers ne prouvoient claire- ment qu'une chose , c'est que le véritable éclec^ tlsme demandoit plus de jugement que beaucoup de gens n'en avoient. Ce fut sous Hiéroclès , que cette philosophie passa d'Alexandrie dans Athènes.
Plutarque, fils deNestorius , l'y professa publi- quement après lamort d'Hiéroclès. C'étoit toujours un mélange de dialectique , de morale , d'enthou- siasme , et de théurgie : Jiumanwn caput et ççryix ecjuina' Plutarque laissa sa chaire en nioii^
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rant , 1 Svrianus, ({ui eut pour successeur Hermès ou Herméas, bon horiinie , s*il en fut j c'est lui qui prouvoit un jour à un égyptien moribond, que l'ame étoit mortelle , par un argument assez sem- blable à celui d'un luthérien mal instruit , qui diroit à un catholique ou à un protestant , à qui il se proposeroit de faire croire l'impanation : Nous admettons tous les deux Texistence du diable ; eh bien ! mon cher ami , que le diable m emporte , si ce que je vous dis nest pas vrai. Herméas avoit un frère, quin'étoit pas si hon- nête homme que lui ; mais qui avoit plus d'esprit. Herméas enseigna Y éclectisme à Edésia sa fem- me j à l'arithméticien Domninus ^ et à Proclus, le plus fou de tous les éclectiques. Il s'étoit rempli la tête de gjmnosophisme, de notions hermétiques , homériques, orphéiques, pythagoriciennes, plato« niques , et aristotéliciennes ; il s'étoit appliqué aux mathématiques , à la grammaire , et à l'art ora- toire ; il joignoit à toutes ces connoissances ac- quises , une forte dose d'enthousiasme naturel. En conséquence , personne n'a jamais commercé plus assidueiuent avec les dieux ; n'a débité tant de merveilles et de sublime , et n'a fait plus de prodiges. Il n'^ avoit que l'enthousiasme, qui pût rapprocher des idées aussi disparates que celles qui remplissoient la tête de Proclus , et les rendre éloquentes sans le secours des liaisons. Lorsque le^ choses sont grandes , le défaut d'enchaînement
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achève de leur donner de l'élévalion. Il est incon- cevable combien le dessein de balancer les mira- cles du christianisme par d'autres miracles a fait débiter de rêveries , de mensonges et de puérili- lés , aux philosophes de ces temps. Un philoso- phe éclectique se regardoit comme un pontife universel, c'est-à-dire comme le plus grand menteur qu'il y eut au monde : Dicer^e pldloso- phum , dit le sophiste Marin us, non unius ciijus- dam civitatis , neque cœterannn tantinn gentiwn institutoî'uni ac rituwn curam a gère , sed esse in miiverswn totius inwidi sacroruni antistitem» Voilà le personnage, que Proclus pretendoit repré- senter : aussi il faisoit pleuvoir , quand il lui plai- soit 'y et cela par le moj^en d'un j'unge , ou petite sphère ronde ; il faisoit venir le diable j il faisoit en aller les maladies : que ne faisoit-il pas ? Quœ omnia einnhahuerunt finem, utpurgatusdefœ^ catusque , et nativitatis suœ victor , îpse adita sapientiœ féliciter penetraret : et contemplator factus beatorwn ac rêvera existentiuni specta-^ culorian , non ampliiis prolixis dissertationibus indigeret adcolligcndani sîbi earinn sapientiam ; sed simpliciintuitufrueiis , et mentis actu spectans exemplar mentis diviîiœ , assequerelur virtutem quani nemo prudentiam dixerit , sed sapien- tiœ a.
J'ai rapporté ce long passage , mot pour mot , où l'on retrouve les mêmes prétentions absurdes ,
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les mêmes extravagances , les mêmes visions , le même langage, que dans nos mjslicjues et nos quiétistes , afin de démonirer que rentendemcnt humain est un instrument plus simple qu'on ne l'imagine j et que la succession des temps ramèue sur la surface de la terre jusqu'aux mêmes folies et à leur idiome.
Proclus eut pour successeur son disciple Mari- nus , qui eut pour successeurs et pour disciples , Hcgias , Isidore etZénodote , qui eut pour disci- ple et pour successeur, Damascius , qui ferma la grande chaùie platonicienne. Nous ne savons rien d'important sur Marinus. La théurgie déplut à H«gias ; il la regardoit comme une pédanterie de sabbat. Zénodote prétendoit être éclectique, sans prendre la peine de lire : Toutes ces lectures , disoit-il , donnent beaucoup d'opinions , et pres- que point de connoissance. Quant à Damascius , voici le portrait que Photius nous en a laissé : fuisse Dainasciwn suniniè iinpiwn quoad reli— gionein j c'est-à-dire, qu'il eut le malheur de n'être pas chrétien ; et novis atcjue anilibus fa^ hulis scfiptionein suœn replevisse , c'est-à-dire , qu'il avoit rempli sa philosophie de révélations , d'extases , de guérisons de maladies , d'appari- tions , et autres sottises théurgiques : sanctainque fidem nostrani , quamvis timide tectèque ^ al-' latravisse.
jLes pajens injurioieiit les chrétiens ; les chré?
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tiens le leur rcndoient quelquefois. La cause des premiers éloit trop mauvaise j et les seconds étoient trop ulcérés des maux qu'on leur avoit faits , pour ([uils pussent, ni les uns , ni les autres, se contenir dans les bornes étroites de la modéra- lion. Si les ten\ples du paganisme étoient renver- sés , ses autels détruits , et ses dieux mis en pièces , la terre étoit encore trempée et fumante du sang chrétien : eis eliajn , cjuos ob emditionem sinn^ mis laudibus extulerat , riirsus detraxisse ; c'é- toit alors comme aujourd'hui. On ne disoit le bien <|ue pour faire croire le mal : sec/iie eoruin judicein constitueiido , nullwn nonperstiinxisse^ in slngulis quos laudarat aliquid desiderando , et qiios in cœlum evexerat , huml rw^siis alli- dendo. C'est ainsi qu'il en usoit avec ses bons amis. Je ne crois pas qu'il eut tant de modération avec les autres.
Les éclectiques comptèrent aussi des femmes parmi leurs disciples. IVous ne parlerons pas de toutes; mais nous mériterions les plus justes repro- ches de la partie de l'espèce humaine à laquelle nous craignons le plus de déplaire , si nous passions sous silence le nom de la célèbre et trop malheu- reuse H^patie. H^^patie naquit à Alexandrie, sons le règne de Théodose le jeune ; elle étoit fille de Théon , contemporain de Pappus son ami , et son émule en mathématiques. La nature n'avoit donné à personne; ni uneame plus élevée, ni un génie plus
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heureux , qu'à ia fille de Théon, L'étiucation en iit un prodige. Elle apprit de son père la géométrie et l'astronomie j elle puisa dans la conversation et dans les écoles des philosophes célèbres , qui fieurissoient alors dans Alexandrie , les principes fondamentaux des autres sciences.
De quoi ne vient-on point à bout , avec de la pénétration et de l'ardeur pour l'étude 1 Les con- jioissances prodigieuses, qu'exigeoit la profession ouverte de la philosophie éclectique, n'effrayèrent point Hypatie; elle se livra toute entière à l'étude d'Aristote et de Platon j et bientôt il n'y eut per- sonne dans Alexandrie , qui possédât comme elle ces deux philosophes. Elle n'eut pas plus-tôt ap- profondi leurs ouvrages , qu'elle entreprit Texa- juen des autres systèmes philosophiques j cepen- dant elle cultivoit les beaux-arts et l'art oratoire. Toutes les connoissarces qu'il étoit possible à l'es- prit humain d'acquérir, réunies dans cette femme à une éloquence enchanterresse , en firent un phé- nomène surprenant , je ne dis pas pour le peup!© qui admire tout , mais pour les philosophes même «uon étonne difficilement. On vit arriver dans Alexandrie une foule d'étrangers, qui s'y rendoient de toutes les contrées de la Grèce et de l'Asie, pour la voir et l'entendre. Peut-être n'eussions- iious point parlé de sa figure et de son extérieur , si nous n'avions eu à dire qu'elle joignoit la vertu ]a plus purç à la beauté la plus touchante. Quoi-
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qu'il ny eut dans la capitale aucune femme ouï l'égalât en beauté ; et que les philosophes et les mathématiciens de son temps lui fussent Irès-infé- rieiirs en mérite , c'étoit la modestie même. Elle jouissoit d'une considération si grande , et l'on avoit conçu une si haute opinion de sa vertu , que , <juoiqu'elle eut inspiré de grandes passions , et qu'elle rassemblât chez elle les hommes les plus distingués par les talens , l'opulence, et les digni- tés , dans une ville partagée en deux factions , ja- mais la calomnie n'osa soupçonner ses mœurs et attaquer sa réputation. Les chrétiens et les pajens^ qui nous ont transmis so'n histoire et ses malheurs, n'ont qu'une voix sur sa beauté, ses connoissances et sa verto j et il règne tant d'unanimité dans leurs éloges , malgré l'opposition de leurs croyances , qu'il seroit impossible de connoître , en comparant leurs récits , quelle étoit la religion d'Hjpatie , si nous ne savions pas d'ailleurs qu'elle étoit payenne. La providence avoit pris tant de soin à former cette femme , que nous l'accuserions peut- être de n'en avoir pas pris assez pour la conserver , si mille expériences ne nous apprenoient à respecter la profondeur de ses desseins. Cette considération tnéme dont elle jouissoit , à si juste titre , paniii ses concitoyens ,fut l'occasion de sa perte.
Celui qui occupoit alors le siège patriarchal d'A- lexandrie , étoit un homme impérieux et violent r cet homme, entraîné par un zèle niai entendu pou^
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sa religion, ou plutôt, jaloux d'augmenter son ai- t^îté dans Alexandrie , avoit médité d'en bacnir les juifs. Ln différend survenu entre eux et les chrétiens , à l'occasion des spectacles publics, lui parut une conjoncture propre à servir ses vues ambitieuses ^ il n'eut pas de peine à émouvoir un peuple naturellement porté à la révolte. Le préfet, chargé par état, de la ville , prit connoissance de celte affaire , et fit saisir et appliquer à la torture , un des partisans les plus séditieux du patriarche } - celui-ci , outré de l'injure qu'il crojoit faite à. son caractère et à sa dignité, et de l'espèce de pro- tection que le magistrat sembloit accorder aux juifs , envoie chercher les principaux de la syna- gogue , et leur enjoint de renoncer à leurs projets , sous peine d'encourir tout le poids de son indi- gnation. Les juifs , loin de redouter ses menaces , excitent de nouveaux tumultes , dans lequels il y "^ eut même quelques citoyens massacrés. Le pa- triarche , ne se contenarit plus , rassemble un grand nombre de chrétiens , marche droit aux fjnagogues, s'en empare , chasse les juifs d'une ville où ils ctoient établis depuis le règne d'Alexandre - le- Grand , et abandonne leurs maispns au pillage, .
On présumera sans peine que le préfet ne vit pas tranquillement un attentat commis évidern- nient sur ses fonctions , et la ville privée d'une multitude de riches habitans. Ce magistrat et le patriarche portèrent en-méme-temps ce|te affaire
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de\'ant rempereur; le patriarche , se plaignant 'les excès des juifs j et le prctct , des excès du pri~ tiiarche.
Dans ces entrefaites , cinq ceni s moines du mont de iSitrie , persuades qu'on en vouloil à la vie de leur chef, et qu'on méditoit la ruine de leur reli- gion , accourent furieux ; attaquent le préfet dans les rues ; et non contens de l'accebler d'injures , le blessent à la tête , d'un coup de pierre. Le peuple , indigné , se rassemble en tumulte; met les moines en fuite ; saisit celui qui avoit jeté la pierre , et le livre au préfet, qui le fait mourir à la question. Le patriarche enjève le cadavre j lui ordonne des funé- railles ; et ne rougit point de prononcer, en Thon- ceur d'un moine séditieux , un panégyrique , dans lequel il l'élève au rang des martyrs. Celle con- duite ne fut pas généralement approuvée j les plus sensés d'entre les chrétiens en sentirent et en bia- isèrent toute l'indiscrétion. Mais le patriarche s'é- toit trop avancé , pour en demeurer là. Il avoit fait quelques démarches pour se réconcilier avec le préfet y ces tentatives ne lui avoient pas réussi j et il portoit au-dedans de lui-même le ressentiment le plus vif contre ceux qu'il soupçonnoit de l'avoir traversé^ dans cette occasion. Hjpatie en devint l'objet particulier. Le patriarche ne put lui par- donner ses liaisons étroites avec le préfet , ni peut- être l'estime qu'en faisoient tous les honnêtes gens^ il irrita contre elle la populace. Un certain Pierre ,
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lecteur dans l'église d'Alexandrie , un de ces vils esclaves, sans -doute, tels que les hommes en place n'en ont njalheureusement que trop autour d'eux , qui attendent avec impatience et saisissent toujours avec joie l'occasion de commettre quelque grand forfait qui les rende agréables à leur supé- rieur j cet homme , donc , ameute une troupe de scélérats , et se met à leur télé j ils attendent Hy- patie à sa porte j fondent sur elle , comme elle se disposoit à rentrer; la saisissent; l'entraînent dans l'église appelée la Césarée ; la dépouillent ; l'é- gorgent ; coupent ses membres par morceaux , et les réduisent en cendres. Tel fut le sprt d'Hypatie , l'honneur de son sexe , et l'étonnemenl du nôtre.
L'empereur auroit fait rechercher et punir les auteurs de cet assassinat , si la faveur et l'intrigue ne s'en éloient point inélees ; l'historien Socrate et le sage M. Fleuri , qu'on en croira facilement , disent que cette action violente , indigne de gens qui portent le nom de chrétien et qui professent notre foi, couvrit de déshonneujç l'église d'Alexandrie et son patriarche. Je ne prononcerai point , ajoute M. Brucker dans son histoire Witique de la philo- sophie , s'il en faut rassembler hmte l'horreur sur cet homme ; je sais qu'il y a des historiens, qui ont mieux aimé la rejeter sur une populaqe effrénée: mais ceux qui connoîtront bien la hauteur de caractère de l'impétueux patriarche , croiront le traiter assez favorablement , en convenant qUe , s'il ne trempa
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point SCS njains dans le sang d'H^^patie, du- moins il n'ignora pas entièrement le dessein qu'on avoit de le répandre. M. Brucker oppose à l'innocence du patriarche, des présomptions assez foi tes j telles que le bruit public , le caractère impé- tueux de l'homme , le rôle turbulent qu'il a fait de son temps , la canonisation du moine de ISilrie , et l'impunité du lecteur Pierre. Ce fait e:>t du règne de Théodose le jeune, et de l'an 4^5 de Jésus- Christ.
La secte éclectique ancienne finit à la mort d'Hjpatie : c'est une époque bien triste. Cette phi- losophie s'étoit répandue successivement en S^rie, dans l'Egypte , et dans laGrèce. On poun oit encore mettre au nombre de ces platoniciens réformés , Macrobe , Chalcidius , Ammien Marcellin , Dexip- pe , Thémistius , Simplicius , Olimpiodore , et quelques autres; mais à considérer plus attent'- vement Olimpiodore , Simplicius , Thémistius , Dexippe , on voit qu'ils appartiennent à l'école péripatéticienne; Macrobe, au platonisme; et Chal« cidius, à la religion chrétienne.
U éclectisme , cette philosophie si raisonnable, qui avoit été pratiquée par les premiers génies , long-tenjps avaut que d'avoir un nom , demeura dans l'oubli jusqu'à la fin du seizième siècle. Alors la nature, qui étcit restée si long-temps engourdie et comme épuisée , fif un effort , produisit enfin quelques hommes jaloux de la prérogative la plus
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belle de l'humanité , la liberté de penser par soi-^ niêiiie : l'on vit renaître la philoso}3liie éclectique sous Jordanus Brunus de Noie , Jérôme Cardan , voyez r article Cardan j François Bacon de \'eri:- lani , 7)0yez V article Bacomsme j Thomas Canipa- nella , voyez T article Campa>èlIjA j René Descar- tes , voyez ï article Cartésianisbie (*); Thomas Hobbcs , iwrez ï article Hobbisme j Godefroi Guil- laume Léibnitz , iwyez V article Léïbnitziamsmk ^ Christian Thomasius , v oyez t article philosophie de Thoinasius , au mot Thomasius ) Nicolas- Jérôme Gundlinglus , François Buddée, André Ru- digerus , Jean -Jacques Sjrbius , Jean Leclerc , Malebranche , etc.
Nous ne finirions point , si nous entreprenions d'exposer ici les travaux de ces grands hommes ; de suivre Thistoire de leurs pensées , et de marquer ce qu'ils ont fait pour le progrès de la philosophie en général , et pour celui de la pliilosophie éclec- tique moderne en particulier. Nous aimons mieux renvoyer ce qui les concerne aux articles de leurs noms, nous bornant à ébaucher en peu de mots le tableau du renouvellement de la philosophie éclectique.
Le progrès des connoissances humaines est une
(*) Sur ces quatre premiers articles, voyez l'Ency- clop. méthod. , Dict. de la Thilos. anc/et mod. , tom. I etU.
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roule Iracce, d'où il est pres{[ue impossible à l'es-» pril humain de s'écarler. Chaque siècle a son genre et son espèce de grands hommes. INIalheur à ceux qui, destinés par leurs taiens naturels à s'illustrer dans ce genre , naissent dans le siècle suivant , et sont entraînés, parle torrent des études régnantes, a des occupations littéraires , pour lesquelles ils n'ont point reçu la même aptitude : ils auroient tra- vaillé avec succès et facilité j ils se seroient fait un nom y ils travaillent avec peine , avec peu de fruit , et sans gloire , et meurent obscurs. S'il arrive à la nature , qui les a mis au monde trop tard , de les ramener par hasard à ce genre épuisé , dans lequel il nj a plus de réputation à se faire, on voit, par les choses dont ils viennent à bout , qu'ils auroient égalé les premiers honmies dans ce genre, s'ils en ©voient été les contemporains. Nous n'avons aucun recueil d'académie, qui n'offre en cent endroiîs la preuve de ce que j'avance. Qu'arriva-t-il donc au renouvellement des lettres parmi nous ? On ne songea point à composer des ouvrages : cela n'étoit-. pas naturel , tandis qu'il y en avoit tant de conv posés , qu'on n'entendoit pas ; aussi les esprits se tournèrent - ils du côté de l'art grammatical , de l'érudition , de la critique , des antiquités , de la liltératnre. Lorsqu'on fut en étal d'enleiidre les au- teurs anciens , on se proposa de les imiter ; et l'on écrivit des discours oratoires et des vers de toute espèce. La lecture des philosophes produisit aussi Philos, ace. et mod. To^E I. K
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son grnre d'cnîulalion j on nrguinenta*, on balîtdes sysléincs , dont la dispute découvrit bienlôl le fort et le tbible : ce fut alors qu'on sentit l'impossibilité et d'en admettre et d'en rejeter aucun en entier. Les ciforts que Ton fit pour relever celui auquel on s'étoit attaché , en réparant ce que l'expérience journalière détruisoit, donnèrent naissance au sincré- tisme. La nécessité d'abandonner à la fin une place qui tomboiten ruine de tout côté j de se jeter dans une autre , qui ne tardoit pas à éprouver le même sort; et de passer ensuite de celle-ci dans une troi- sième , que le temps détruisoit encore , détermina enfm d'autres entrepreneurs , (pour ne point aban- donner ma comparaison) , à se transporter en rase campagne , enfin d'v construire , des matériaux d« tant de places ruinées, auxquels on reconnoîtroit quelque solidité, une cité durable, éternelle, et capable de résister aux efforts qui avoient détruit toutes les autres : ces nouveaux entrepreneurs s'ap- pelèrent éclectiques. Ils avoient à-peine jeté les premiers fondemens , qu'ils s'apperçurent qu'il leur manquoit une infinité de matériaux; qu'ils ctoient obli^^és de rebuter les plus belles pierres , faute de celles qui dévoient les lier dans l'ouvrage ; et ils se dirent entre eux : J^fa's ces utatériaux cfui nous manquent sont dnns la nature ; cherchons- J.'S donc. Ils se mirent à les chercher dans le vague des airs, dans les entrailles de la terre , au fond des eaux j et c'est ce qu'on appela cidiiverh phi'
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losoyhic cxpér'iincnlale. Mais , avant que d'abau-. donner le projet de Ldlir, et que de laisser les maté- riaux épai s sur la terre , comme autant de pierres d'attente , il fallut s'assurer ,par la combinaison , qu'il éloit absolument impossible d'en former un édifice solide et régulier , sur le modèle de l'univers qu'ils avoient devant les yeux : car ces hommes ne se proposent rien de moins , que de retrouver le porte-feuille du grand architecte , et les plans perdus de cet univers; mais le nombre de ces com- binaisons est infini. Ils en ont déjà essavé un grand nombre avec assez peu de succès ; cependant ils continuent toujours de combiner : on peut les ap- peler éclectiques systématiques.
Ceux qui , convaincus non-seulement qu'il nous manque des matériaux , mais qu'on ne fera jamais lien de bon de ceux que nous avons dans l'état où ils sont, s'occupent sans relâche à en rasseuibler de nouveaux: ceux qui pensent au contraire qu'on est en état de commencer quelque partie du grand cdiiice , ne se lassent point de les combiner; ils parviennent, à force de teuips et de travail, à soup- çonner les carrières d'où l'on peut tirer quclques- iînes des pierres dont ils ont besoin.
Voilà l'élat où les choses en sont en philosophie^ où elles denieurcront encore long- temps ; et où le cercle que nous avons tracé les ramèneroit néces- sairement , si, par un événement qu'on ne conçoit guère, la terre venoit à se couvrir de longues et
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épaisses ténèbres } et que les travaux gq tout genre fussent suspendus pendant quelques siècles.
D'où l'on voit qu'il y a deux sortes à'éclcctis^ me; l'un y expérimenta! y qui consiste à rassem- bler les vérités connues et les faits donnés , et à en augmenter le nombre par l'étude de la nature ; l'autre , systématique , qui s'occupe à comparer entre elles les vérités connues et à combiner les faits donnés, pour en tirer ou l'explication d'un phénomène , ou l'idée d'une expérience. L'ec/ec— tisme expérimental est le partage des homjues labo-? rieux j V éclectisme systématique est celui des hom- mes de génie : celui qui les réunira verra son nom placé entre les noms de Démocrite ; d'Aristote et de Bacon.
Deux causes ont retardé les progrès de cet écltc^ tisme; l'une , nécessaire , inévitable et fondée dan« la nature des choses ; et l'autre , accidentelle et con- séquente à des événemens que le temps pouvoit ou ne pas amener, ou du-raoins amener dans des circonstances moins défavorables. Je me conforme, dans celte distinction , àla manière comnîune d'en- visager les choses ; et je fais abstraction d'un sys^ têtne , qui n'cntraîneroit que trop facilement un homme, qui réfléchit avec profondeur et précision, à croire que tous les événemens dont je vais parler , 5ont également nécessaires.
La première des causes du - retardement de y éclectisme moderne , est la roule que suit fl^tu^
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rellement Tespilt humain dans ses progrès , cl qui roccLipc invinciblement pendant des siècles entiers à des connolijances qui ont été et qui seront dans lous les temps antérieures à l'élude de la philosophie. L'esprit humain a son enfance et sa virilité : plut au ciel qu'il n'eût pas aussi son dé- clin , sa vieillesse et sa caducité. L'érudition, la littérature , les langues , les antiquités , les beaux- arts , sont les occupations de ses premières années et de son adolescence j la philosophie ne peut être que l'occupation de sa virilité , et la consolalioii ou le chagrin de sa vieillesse : cela dépend d<i l'emploi du temps et du caractère j cr l'espècû humaine a le sien ; cl elle apperçoit très-bien , dans son histoire générale ^ les intervalles vides , et ceux qui sont remplis de transactions qui Tho- noient ou qui Ihumilicnt.
Quant aux causes du retardement de la philo- sophie éclectique , dont nous fornions une autre classe, il sufTit d'en laire l'énumération. Ce sont les disputes de religion, qui occupent tant de bons esprits^ l'intolérance de la superstition, qui en per- sécute et décourage tant d'autres y rindii,'cnce * qui jette un homnie de génie du côté opposé à celui où la nature l'appeloit ] les réconjpenses mal placées , qui l'indignent et lui font tomber la plume des mains ; l'indiiTérence du gouvernement, qui , dans son calcul politique , fait entrer, pour irificimcnt moins qu'il ne vaut , l'éclat que lanaliofi
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reçoit des lettres et des arts d'agrément ; et qui ; négligeant les progrès des arts utiles , ne sait pas sacrifier une somme aux tentatives d'un honmie de génie, qui meurt avec ses projets dans sa tête , sans qu'on puisse conjecturer si la nature réparera jamais cette perle : car dans toute la suite des individus de l'espèce humaine qui ont existé et qui «listeront , il est impossible quM y en ait deux qui se ressemblent parfaitement; d'où il s'ensuit, pour ceux qui savent raisonner , que toutes les Fois qu'une découverte utile , attachée à la différence fpécifique qui dislinguoit tel individu de tous les autres , et qui le constituoit tel , ou n'aura point été faite, ou D*aura point été publiée, elle ne se fera plus j c'est autant de perdu pour le progrès des sciences et des arts, et pour le bonheur et la gloire de l'espèce.
J'invite ceux qui seront tentés de regarder celte considération comme trop subtile , d'inter- roger là-dessus quelques-uns de nos illustres con- temporains j je m'en rapporte à leur jugement. Je les invite encore à jeter les jeux sur les pro» ductions originales , tant anciennes que modernes , en quelque genre que ce soit ; à méditer un mo- ment sur ce que c'est que l'originalité j et à me dire s*il y a deux originaux qui se ressemblent , je ne dis pas exactement , mais à de petites diffé- rences près. J'ajouterai enfin la protection mal placée , qui abandonne les hommes de la na.ion ,
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ceux c|ui la représentent avec dignité parmi les jialions subsistanlci j ceux à qui elle devra soa rang parmi les peuples à venir ^ ceux (ja'eli« rôvère dans son sein, et dont on s'entretient avec admjralion dans les contrées éloignées , à des mal- heureux condamnés au personnage qu'ils (ont , ou par la nature qui les a produits médiocres et mé- chans , ou par une dcpravaiion de caractère qu'ili doivent à des circonstances telles que la mauvaise éducation , la mauvaise compagnie , la débauche , l'esprit d'intérêt et la petitesse de certains hom- mes pusillanimes qui les redoutent , qui les fiaL- tent , qui \es irritent peut-être , qui roui;issent d'en être les protecteurs déclarés , mais que le public , à qui rien n'écliappe , finit par compter au nombre de leurs protégés. Il semble c[ue l'on se conduise dans la république Httéraire par la même p o]iti(|ue cruelle, qui régncit dans les démo- craties anciennes , où tout citoyen qui devenoit trop puissant éloit exterminé. Cette comparaisoa est d'autant plus juste, que , quand on eut sacrifié par l'ostracisme quelques honnêtes gens , celle loi commença à déshonorer ceux qu'elle épargnoit. J'écrivois ces réflexions , le 1 1 février 1755., au retour des funérailles d'un de nos plus grands hom- mes , désolé de la perte que la nation et les lettre» faisoient en sa personne , et profondément indigné des persécutions qu'il avoit essuyées. La vénéra- tion que je portois à sa mémoire ^ gravoit sur sca
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tombeau ces mots que j'avois destinés quelque temps auparavant à servir d'inscription à son grand ouvrage de l'Esprit des 'oix : Alto quœsivit cœlo hicem , in^emidtque repertd. Puissent-ils passer à la postérité , et lui apprendre qu'alarmé du murmure d'ennemis qu'il redoutoit , et sensi- ble à des injures périodiques , qu'il eût méprisées sans-doute , sans le sceau de l'autorité dont elles lui paroissoient revêtues ) la perte de la tranquillité , ce bien si précieux à tout homme , fut la triste récompense de l'honneur qu'il venoit de faire à la France , et du service important qu'il venoit de rendre à l'univers !
Jusqu*à- présent on n'a guère appliqué l'ec/c c- /z'^v/ze qu'à des matières de philosophie j mais il u est pas difficile de prévoir, à la fermentaiioa lies esprits , qu'il va devenir plus général. Je ne trois pas, peut-être même n'est-il pas à souhai- ter , que ses premiers effets soient rapides j parce que ceux qui sont versésdans la pratique desartS; ne sont pas assez raisonneurs ; et que ceux qui ont i habitude de raisonner , ne sont ni assez instruits, ni assez disposés à s'instruire de la partie méca- nique. Si l'on met de la précipitation dans la for- aie , il pourra facilement arriver qu'en voulant tout corriger on gâtera tout. Le prenner mouve- ment est de se porter aux extrêmes. J'invîle les philosophes à s'en méfier : s'ils sont prudcns , ils se résoudront à devenir disciples eu beaucoup de
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genres, avant c]ue de vouloir élre rnaîlies; ils hasarderont quelques coujcctures , avant ({ue de poser des principes. Qu'ils songent qu'ils ont aiïiiire à des espèces d'automates , auxquels il faut corjinmniqucr une iuipul&ion d'autant plus ména- gée , t[ue les plus eslimables d'entre eux sont les moins capables d'y résisîer. INe seroit-il pas rai- sonnable d'étudier d'abord les ressources de l'art, avant que de prétendre agrandir ou resserrer ses limites? c'est faute de celte initiation , qu'on ne sait ni admirer , ni reprendre. Les faux amateurs corrompent les artistes ; les dcmi-connoisseurs les découragent : je parle des arts libéraux. Mais tan- dis que la lumièie, qui fait effort en tout sers, pénétrera de toutes parts, et que l'esprit du siècle avancera la révolution qu'il a commencée , les arts mécaniques s'arrêteront où ils en sont , si le gou- vernement dédaigne de s'intéresser à leur progrès d'une manière plus utile. Ne seroit-il pas à sou- haiter qu'ils eussent leur académie ? Croit-on que les cinquante mille francs que le gouvernement empîoieroit par an à ia fonder et à la soutenir, fussent mal enjplojés ? Quanta moi , il m'est dé- montré qu'en vingt ans de temps il en sortiroit cin([uante volumes in—/^.^ où l'on trouveroit à- peine cinquante lignes inutiles j les inventions dont nous somnjes en possession , seperfectionne- roient ', la comniunication des lumières en feroit nécessaii emenl naître de nouvcilei , et recouvrer
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d'anciennes qui se sont perdues ; et l'état pré- senteroit à quarante malheureux citoyens qui se sont épuisés de travail, et à qui il reste à-peine du pain pour eux et pour leurs enfans , une res- source honorable et le nioj'en de continuer à la société des services plus grands peut-être encore que cejjx qu'ils lui ont rendus , en consignant dans des mémoires les observations précieuses qu'ils ont faites pendant un grand nombre d'années. D« quel avantage ne seroit-il pas pour ceux qui se destineroient à la même carrière , d'y entrer avec toute l'expérience de ceux qui n'en sortent qu'a- près y avoir blanchi ? Mais , faute de l'établisse- ment que je propose , toutes ces observations sont peiduesj toute cette expérience s'évanouit ; les siècles s'écoulent , le monde vieillit j et les arU mécaniques restent toujours enfans.
Après avoir donné un abrégé historique de la vie des principaux éclectiques , il nous reste à ex- poser les points fondamentaux de leur philosophie. C'est la tâche <£ue nous nous sonunes imposé» dans le reste de cet article. Malgré l'attention que nous avons eue d'en écarter tout ce qui nous a paru inuiteliigible( quoique peut-être il ne l'eût pas été pour d'autres ) , il s'en faut beaucoup que nous ayons réussi à répandre sur ce que nous avons con- servé une clarté que quelques lecteurs pourront désirer. Au reste , nous conseillons à ceux , à qui le jargon de la philosophie scholastique ne sera p?.s
nr. s A.NCTE!vs pniLOsoPHES. £27 familier , de s'en tenir à ce qui précède ; età ceux quiaurontles connoissancesnécessaires pourenten- dre ce qui suit , de ne pas s'en estimer davantage.
PHILOSOPHIE DES ÉCLECTîQUES.
Principes de la dialectique des éclectiques.
Cette partie de leur philosophie n'est pas sans obscurité^ ce sont des idées aristotéliques , si (|uin- lessentiées et si raffinées , que le bon sens s'en est évaporé , et qu'on se trouve à tout moment sur les confins du verbiage : au reste , on est presque sûr d'en venir là, toutes les fois qu'on ne mettra aucune sobriété dans Targumcntation , et qu'on la poussera jusqu'où elle peut aller. C'étolt une des ruses du scepticisme. Si vous suiviez le sceptique , il vous égareroil dans des ténèbres inextricables 5 si vous refusiez de le suivre, il tireroit de votre pusillani- mité des inductions assez vraisemblabl es , et contre votre thèse en particulier , et contre la philosophie dogmatique en général. Les éclectiques disoient :
1. On ne peut appeler véritablement être, que ce qui exclut absolument la qualité la plus con- traire à l'entité , la privation d'entité.
2. Il y a dans le premier être , des qualités qui ont pour principe l'unité; mais, l'unité ne se comp- tant point parmi les genres , elle n'empêche point l'être premier d'être prenner , quoiqu'on dise de lui qu'il est un.
22S OPINIONS
5. C'est par îa raison que tout ce qui est un , n'est ni même, nispinblable , que l'unité n'empêche pas l'être premier d'è Ire le premier genre , le genre suprême.
4. Ce qu'on apperçoit d'abord , c'est l'existence , i'acliou et l'état j ils sont un dans le sujet; en eux- mêmes , ils sont trois.
Yoilà les tondemens sur lesquels Plotin élève son sjstérae de dialectique. Il ajoute :
5. Le nombre , la quantité , la qualité ne sont pas des êtres premiers entre les êtres ; ils sont posté- rieurs à l'essence : car il faut conmiencer par être possible.
6. La séité ou le soi , la quiddité ou le ce , l'iden- tité , la diversité ou l'altérilé , ne sont pas , à pro- prement parler, les qualités de Têtlre; mais cesopt ses propriétés , des coucomitans nécessaires de TexisteDce actuelle.
7. La relation , le lieu , le temps , Tétat , l'habi- tude , l'action , ne sont point genres premiers ; ce sont des accideus qui mar([uent composition ou défaut.
8. Le retour de l'entendement sur son premier acte lui offre nombre , c'est-à-dire un et plusieurs; force , intensité , rémission , puissance , grandeur, infini, quantité, qualité, quiddilé , similitude, diffé- rence, diversité , etc. ; d'où découle uneinfinité d'au- tres notions. L'entendement se joue , en allant mêinc aux objets , en revenant des objets à lui-même.
DES A>-CIF, >rs PHILOSOPHES. 22^
^. L'cnterîdenienl occupé de ses id'-es , ou l'in- telligence est inhérente à je ne sais quoi de plus général qu'elle.
10. Apres TentendcTiient , Je descends à Tame qui est une en soi , et en chaque partie d'elle- même à l'inlini. L'intelligence est une de ses qua- lités 'y c'est l'acte pur d'elle une en soi , ou d'elle uneea chaque partie d'elle-niénie à l'infini.
11. Il y a cinq genres analogues les uns aux autres , tant d.ns le monde intelligible que dans le înonde corporel.
12.11 ne faut pas confondre l'essence avec la corporéité , ou matérialité j celle - ci renferme la notion de fiux , et on l'appelleroit plus exactement génération.
i5. Les cinq genres du monde corporel, qu'on pourroit réduire à trois , sont la substance , l'acci- dent , qui est dans la substance ) l'accident , dans lequel est la substance -, le mouvement et la rela- tion. Accident se prend évidemment ici pour mode j eV\' accident dans lequel est la substance , est , selon toute apparence , le lieu.
14. La substance est une espèce de base, de suppôt ', elle est par elle-même , et non par un autre j c'est ou un tout , ou une pariie : si c'est lîne partie , c'est là la partie d'un composé qu'elle peut compléter, et qu'elle complète, tant que le tout est tout.
iG.IIest essentiel à une substance qu'on nç
230 O P 1 N 1 O ?i $
puisse d'ue J'clle qu'elle est uu sujet. Sujcl se jjiend ici logi(jueinent,
1 6. On seroit conduit à la division des substances gcnérifjues en espèces , par la sensation , ou par la considération des qualités sinjples ou composées , par les formes , les figures et les lieux,
17. C'est le nombre et la grandeur qui consti- tuent la (juantilé ; c'est la relation qui constitue le temps et fespace. Il ne faut point compter ces élres parmi les quantités.
18. Il faut considérer la qualité en elle-même dans son mouvement et dans son sujet,
1^. Le mouvement sera ou ne sera pas un genre, selon la manière dont on l'envisagera j c'est une progression de l'être , la nature de l'être restant la même ou changeant.
20. L'idée de progression commune à tout mou- ve^Tient entraîne l'idée d'exercice d'une puissance OJ force.
21. Le mouvement dans les corps est une ten- dance d'un corps vers un autre , ([ui doit en être sollicité au mouvement. Il ne faut pas confondre cette tendance avec les corps mus.
22. Pour rencontrer la véritable distribution des inouvcmens , il vaut mieux s'attacher aux diffé- rences intérieures qu'aux différences extérieures } et distinguer les forces , en forces animées et forces inanimées j ou mieux encore , en forces animées par l'art ou par la sensation.
25. Le repos Cbl une juivalion, à-ujoius qu'il ne «oil élei nel.
24' Les qualités actives et passives ne sont que des manières dilTérentes de se mouvoir.
25. Quant à la relation, elle suppose pluralité d'êtres considérés par quelque qualité qui naisse essentiellement de la pluralité.
Voilà le système des genres ou des prédicaniens que la secte éclectique avoit adopté. On ne dis- conviendra pas , si l'on se donne la peine de le lire avec attention , qu'à travers bien des notions obs- cures et puériles , il xiy en ait quelques-unes de foj tes et de très-philosophiques.
Principes de la mélaphfsicjue des éclectiques*
Autre labyrinthe d'idées sophistiques , où Plotiu 8e perd lui-même , et où le lecteur nous pardon- nera bien d^ nous égarer quelquefois. Les éclec- tiques disoient ;
1. Ilj* a les choses et leur principe • le principe est au-dessus des choses j sans le principe, les choses ne seroicnt pas. Tout procède de l'être principe ; cependant , c'est sans mouvement, di- vision , ni mulliplication de lui-mênic. f^oilà la source des émanations éclecticjues.
2. Ce principe est fauteur de l'essence et de l'être j il est le premier; il est un j il est simple: cest la cause de l'existence intelligible. Tout
232 OPINIONS
éinnne de lui , cl le mouvement cl le repos; ce- pendant il n'a besoin ni de i'un ni de l'auiie. Le mouvement n'est point en lui j et il uy a rien en quoi il puisse se reposer.
3. Il est indéfinissable. On Pappelle infini, parce qu'il est un j parce que l'idée de limiie n'a rien d'a- nalogue avec lui ; et qu'il n'j a rien à quoi il abou- tisse : mais son infinitude n'a rien de commun avec celle de la malière.
4. Comme il uy a rien de meilleur que le prin- cipe de tout ce qui est , il s'ensuit que ce qu'il j a de meilleur, est.
5. Il est de la nature de l'escellent, de se suffire a soi-même. Qu'appellerons-nous donc excellent, si ce n'est ce qui éloit avant qu'il y eût rien , c'est- à-dire avant que le mal fût.
6. L'excellent est la source du beau j il en est rextrême j il doit en être la fin.
^, Ce qui n'a qu'une raison d'agir , n'en agît pas moins librement : car l'unité du motif n'olTre point l'idée de privation , quand celte nnité émane de la nature de l'être ; c'est un corrollaire de son excellence. Le premier principe est donc libre.
8. La liberté du premier principe n*a rien de sembia])le dans les êtres émanés de lui. Il en faut dire autant de ses autres attributs.
^. Si rien n'est au-dessus de ce qui étoit avant tout , il ne faut point remonter au-delà j il faut s'arrêter à ce premier principe j garder le silence ,
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 2:)D
sur ta nature ) et tourner toutes ses recherches sur ce qui en est émané.
10. Ce qui est iJenlique avec l'essence , prédo- mine , sans ôter la liberté ; l'acte est esseuliel , sans être contraint.
1 1. Lorsque cous disons du premier principe,' qu'il est juste , excellent, miséricordieux , etc. , cela signifie que sa nature est toujours une et la même.
12. Le premier principe posé , d'autres causes sont superflues; il faut descendre de ce principe, à l'eulendement , ou à ce qui conçoit j et de Ten- tendemcnt , à l'ame : c'est là l'ordre naturel des êtres. Le genre intelligible est borné à ces objets j il n'en renferme ni plus ni luoius. Il ny en a pas moins, parce qu'il y a diversité entre eus : il n'y ea a pas davantage, parce que la raison démontre que l'cnumération est complète. Le premier principe, tel que nous l'admettons, ne peut être simplifié j et l'entendement est , mais simplement , c'est-à-» dire sans qu'on puisse dire qu'il soit ou en repos ou en mouvement. De l'idée de l'entendement à l'idée déraison, et de celle-ci à l'idée d'ame , il y a procession ininterrompue ; on ne conçoit aucune nature moyenne entre l'ame et l'entendement." Plotin file ces notions avec une subtilité infinie ; et les dirige contre les gtiostiques , dont il bouleverse les Eons et toutes les familles divines. Mais ce n'é- toit là que la moitié de son but^ il en déduit ea*
aj.f OPINIONS
core une tiinilc hjpostali^uc , qu'il oppose à celle
des cliréliens.
i5. Il y a un centre commun enlro les altribuls <îivias : ces attributs sont autant de rayons qui en émanent ; ils forment une sphère , au - delà des limites de laquelle rien n'est lumineux : tout veut être éclairé.
14. Il "'y a que l'être simple , premier et immo- bile , qui puisse expliquer comment tout est émané de lui ; c'est à lui , qu'il faut s'adresser pour s'en instruire , non par une prière vocale , mais par des élans réitérés qui portent l'aine au-delà des espaces ténébreux qui la séparent du principe éternel dont elle est émanée. J'^oilà le fondement de Venlhou- siasme éclectique.
i5. Lorsqu'on applique le ierra&'^e génération à la production des principes divins , il en faut écarter l'idée du temps. II s'agit ici de transactions qui se sont passées dans l'éternité.
16. Ce qui émane du premier principe , s'en émane sans mouvement. S'il y avoit mouvement dans le premier principe , l'élre émané seroit le troisième être nm , et non pas le second. Cette émanation se fait, sans qu'il j ait dans le premier principe, ni répugnance ,ni consentement.
1 7. Le premier principe est au centre des êtres qui s'en émanent ; en repos , comme le soleil au •entre de la lumière et du monde.
DES A N C I E ?( S I' Il I L 0 S 0 P H E S. 255
i8. Ce qui est fécond et parfuit , engendre de toute étcniilé.
19. L'ordre de pcifeclion suit l'ordre d'éma- nation ; l'élrc de la première émanation est Tétre Iç plus parlait après le principe : cet être fut Ten- Icndemcnt , vovç.
20. Toute émanation tend à son principe ; c'est un centre , où il a été nécessaire qu'elle se reposât pendant toute la durée où il n'j avoit d'être qu'elle et son principe : alors ils étoient réunis , mais dis- tingués^ car Tun n'étoit pas l'autre.
21. L'émanation première est l'image la plus parfaite du premier principe ^ elle est de lui sans intermède.
22. C'est de cette émanation , la première , la plus pure , la plus digne du premier principe , qui n'a pu naître que de ce principe , qui en est la vive image , qui lui ressemble plus que la lumière au corps lunjineux,que sont émanés tous les êtres, toute la sublimité des idées , tous les dieux in- telligibles.
23. Le premier principe , d'où tout est émané,' réabsorbe tout j c'est en rappelant les émanations dans son sein, qu'il les empêche de dégénérer en matière.
24. L'entendement ou la première émanation ; ne peut être stérile , si elle est parfaite. Qu'a-t-elle donc engendré ? L'anie , seconde émanation , moins
2j6 O P I ^ 1 o .^- s
parfaite que la première , plus parfaite que toutes
les émanations qui l'ont suivie.
25. L'anie est une hj'postase du premier prin- cipe ; elle y est inhérente j elle en est éclairée ; elle Ja représente j elle est féconde à son tour : et laisse échapper d'elle des êtres à l'infirii.
26. Ce qui entend , est différent de ce qui est entendu puais de ce que l'un entend et l'autre est entendu , sans élre identiques ils sont co-existans ; et celui qui entend a en soi tout ce qu'il peut avoir de ressemblance et d'analogie avec ce qu'il entend: d'où il s'ensuit :
27. Qu'il y a je ne sais quoi de suprême , qui n'entend rienj une première émanation, qui en- tend ; une seconde , qui est entendue , et qui , con- séquemnient n'est pas sans ressemblance et sans affinité avec ce qui entend.
28. Où il y a intelligence , l\ y a multitude. L'intelligent ne peut être ce qu'il v a de premier, de simple et d'un.
29. L'intelligent s'applique à lui-même , et à sa nature j s'il rentre dans son sein , et qu'il y con- somme son action , il en découlera la notion de duilé , de pluralité , et celle de tous les nombres.
30. Les objets des sens sont quelque chose j ce sont les images d'êtres; l'entendement connoît et ce qui est en lui , et ce qui est hors de lui j et il sait que les choses Ciistent j sans quoiiln'y auroit poini d'images»
DES A K C 1 E IV S PHILOSOPHES. ?. ) 7
5i. Les intelligibles diffèient des sensibles , comme l'entendement diffère des sens.
02. L'entendement est en-méme-tcmps une in- finité de choses dont il est distingué.
55. Autant que le monde a de principes divers de fécondité , autant il a d'ames différentes , autant il y a d'idées dans l'entendement divin.
54' Ce que l'on entend devient intime; il s'ins- titue une espèce d'unité entre l'entendement et la chose entendue.
55. Les idées sont d'abord dans rentendement* l'entendement en acte ou l'intelligence , s'applique aux idées. La nature derenteudeuient et des idées est donc une : si nous les divisons , si nous en fai- sons des êtres essentiellement différens , c'est une suite de la marche de notre esprit , et de la manière dont noos acquérons nos connoissances. Voilà h principe fondamental de la doctrine des idées innées.
56. L'entendement divin agit sur la matière, paF ses idées , non d'une action extérieure et méca- nique , mais d'une action intérieure et générale , qui n'est toute-fois ni identique avec la matière , ni séparée d'elle.
57. Les idées des irrationnels sont dans l'enten-' dément divin j mais elles n'j sont pas sous une forme irrationnelle.
58. Il j a deux espèces de dieux dans le ciel incor- porel^ les uns, intelligibles ^ les autres, intelligens^
2j8 OPINIONS
ceux-ci sont des idées ; ceux-là sont des cnlende- niens béatifies par la contemplation des idées.
59. Le troisième principe émané du premier , est Tame du monde.
40. ïi j a deux Vénus j Tune , fille du ciel ; l'autre, fille de Jupller et de Dioné : ceile-ci préside aux amours des hommes j l'autre n'a point eu de mère : elle est née avant toute union corporelle , car il ne s'en fait point dans les cieux. Celte Vénus céleste est un esprit divin j c'est une anie aussi incorrup- tible que l'être dont elle est émanée: elle réside au- dessus de la sphère sensible ; elle dédaigne de la toucher du pieu : que dis-je , du pied , elle n'a point de corps j c'est un pur esprit j c'est une quintessence de ce qu'il y a de plussublil; infé- rieure , mais co-existante à son principe. Ce prin- cipe vivant la produisit: elle en fut un acte simple; il étoit avant elle ; il l'a aimée de toute éternité ; il s'y complaît j son bonheur est de la contempler.
41. De cette ame divine en sont émanées d'au- tres , quoiqu'elle soit une j les âmes qui en sont émanées, sont des parties d'elle-même qui pénè- trent tout.
42 . Elle serepose en elle-même; rien ne l'agile et oe U distrait : elle est toujours une , entière , et par-tout. 45. Il n'y a point eu de temps où l'ame manquât à cet univers : il ne pouvoit durer sans elle } il a toujours été ce qu'il est. L'existence d'une niassç informe ne se conçoit past
CES ANCIENS PHILOSOPHES. 0. jg
44- ^*^'il n'y avoit point de corps, il n'y aiiroit point d'arne. Un corps est le seul lieu où une aine puisse existerj elle n'a aucun riiouveinentprogressif sans lui; elle se meut, dégénère , et prend un corps en s'éloignaut de son principe , comme un fou allumé sur une haute montagne, dont Téclat va toujours en s'affoiblissant jusqu'où les ombres com- mencent.
45. l.e monde est un grand édifice co- existant avec l'arcliuecte: mais l'édifice et l'architecle ne sont pas un, quoiqu'il n'y ait pas une molécule de l'édifice où l'architecte ne soit présent. Il a fallu que ce monde fijt; il a fallu qu'il fût beau; il a fallu qu'il le fût autant qu'il étoit possible.
46. Le monde est animé ; mais il est plutôt en son ame, que son ame n'est en lui : elle le renferme; il lui est intime; il ny a pas un point où elle ne soit appliquée , et qu'elle n'informe.
47. Cette ame, si grande par sa nature, suit \e -monde par-tout; elle est par-tout où il est.
48. La perfection des êtres , auxquels l'ame du monde esl présente , est proportionnée à la dis- tance du premier principe.
49. La beauté des êtres esl en raison de l'énergie deTame en chaque point ; ils ne sont que ce qu'elle les fait.
50. L'ame est comme assoupie dans les êtres inanimés ; mais ce qui s*allie à un autre, tend à se
240 O P I N I O îf s
Tassiiiiiler; c'est ainsi qu'elle vivifie , autant qu'il es! en elle , ce qui de soi n'est point vivant.
5i. L'anie se laisse diriger sans effort: on la captive, en lui offrant ([uoi que ce soit qu'elle puisse supporter , et qui la contraigne à céder une portion' d'elle-même; elle n'est pas difficile sur tout ce qu'on lui expose ; un miroir n'admet pas plus indis- tinctement la représentation des objets.
La nature universelle contient en soi la raison d'une infinité de phénomènes j et elle les produit , quand on sait la provoquer.
Yoilà les principes d'où Plolin et les éclectiques déduisirent leur enthousiasme, leur trinité et leur théurgie spéculative et pratique; voilà le labyrinthe dans lequel ils s'égarèrent. Si l'on veut en suivre tous les détours , on conviendra qu'il leur en auroit coûté beaucoup moins d'etforls pour rencontrer la vérité.
Principes de la psychologie des éclectiques.
Ce que Ton enseignoit dans l'école alexandrine sur la nature de l'ame de l'homme , n'étoit ni moin.s obscur , ni plus solide que ce qu'on y débi- toit sur la nature du premier principe de l'enten- dement divin et de l'ame du monde.
I . Uame de l'homme et Vame du monde ont là niéme nature^ ce sont comme les deux sœurs»
4'
2. Cependant les anics des liornnies ne sont pas à Vaine du monde , ce que les parties sont au tout ; autrement l'ame du monde , divisée, ne seroit pas toute entière par-tout.
5. Il n'y a qu'une ame dans le monde \ mais chaque homme a la sienne. Ces âmes diffèrent , parce qu'elles n'ont pas été des ëcoulemens de l'ame universelle. Elles j reposoient seulement, en attendant des corps ) et les corps leur ont été départis dans le temps par l'ame universelle qui les domine toutes.
4. Les essences vraies ne résident que dans le monde intelligible ; c'est aussi le séjour des âmes j c'est de-là qu'elles passent dans notre Jiionde : ici , elles sont unies à des corps j là , elles en attendent, et n'en ont point encore.
5. L'entendement est la plus importante des es- sences vraies. Il n'est ni divisé, ni discret. Les âmes lui sont co-existantes dans le monde intelligible ; aucun intervalle ne les sépare , ni de lui , ni \qs unes des autres. Si les âmes éprouvent une sorte de division , ce n'est que dans ce monde , où leur union avec les corps les rend susceptibles de mou- vement. Elles sont présentes , absentes , éloignées,' étendues : l'espace qu'elles occupent a ses dimen- sions y on y distingue des parties ; mais elles sont indivisibles.
6. Les âmes ont d'autres différences , que celles qui résultent de la diversité des corps : elles ont
Philos, anc. et mod.Toaifil. L
l.,2 6 P I is- I 0 r< S
chacune une manière propre Je sertir , d'agir , de penser. Ce sont les vesliges des vies antérieures. Cela n*einpéche point qu'elles n'aient conservé des analogies, qui les portent les unes vers les autres. Ces analogies sont aussi dans les sensations , les actions, les passions , les pensées , les goûts, les désirs , etc.
y. L'ame n'est ni matérielle , ni composée ; autrement on ne pourroit lui attribuer ni la vie , ïxi l'intelligence.
8. Il y a des aines bonnes y il y en a de mauvai- ses. Elles forment une chaîne de différens ordres. il y a des âmes du premier, du second , du troi- sième ordre , etc.; cette inégalité est en partie ori- l^inelle , en partie accidentelle.
C). L'ame n'est point dans le corps, comme l'eau dans un vase. Le corps n'en est point le sujet ; ce n'est point non plus un tout, dont elle soit une par- tie j nous savons seulement qu'elle y est présente, puisqu'elle l'anime.
10. A parler exactement , l'ame est moins dans le corps , que le corps n'est dans l'ame. Entre les fonctions de Thomme , la faculté de sentir et de végéter est du corps ; celle d'appercevoir et de réfléchir est de l'ame.
i;. Les puissances de l'ame sont toutes sous chaque partie du corps j mais Teserciceen chaque point est analogue à la nature de Forgaue.
J3. L'ame séparée du corps ne reste point ici ,
DES A N C T E N S PHILOSOPHES. 2/j5
OÙ il n\ a point de lieu pour elle : elle reutrô dans le sein du principe d'où elle est émance^les places ny sont pas indifférentes 5 la raison et la justice les distribuent.
1 5. L'anje ne prend point les formes des corps ; elle ne souffre rien des objets. S'il se fait une ira- pression sur le coi'ps , elle s'en apperçoit 5 et apperxevoir , c'est agir.
14. L'anie est la raison dernière des choses du monde intelligible , et la première raison des choses de celui-ci. Alternativement citoyenne de l'un et de l'autre , elle ne fait que se ressouvenir de ce qui se passoit dans l'un , quand elle croit apprendre ce qui se passe dans l'autre.
i5. C'est l'ame qui constitue le corps. Le corps ne vit point; il se dissout. La vie et Findissolubiliti- ne sont que de l'ame.
16. Le commerce de l'ame avec le corps élève à l'existence de quelque être , qui n'est ni le corps, ni l'ame j qui réside en nous ; qui n'a point été crééj qui ne périt point j et par lequel tout per-. sévère et dure.
16. Cet être est le principe du mouvement ; c'est lui qui constitue la vie du corps , par une qualité qui lui est essentielle , qu'il tient de lui- même , et qu'il ne perd point. Les platoniciens, V appelaient civTOKti'ns'icc , autocjuinèsie,
18. Les âmes sont alliées par le même principç éternel et divin qui leur est commun.
244 e p I r^ I o is- s
19. Le vice et la j)ciae leur sont accidentels. Celui c|ui a Taiiie pure, ne doute point de son immortalité.
2©. Il règne entre les âmes la même harmonie que dans Firtiivers. Elles ont leurs révoluLions , comme ]es astres ont leur apogée et leur périgée. Elles descendent du monde intelligible , dans le monde matériel; et remontent du monde matériel, dans le monde intelligible : de-là vient qu'on lit au ciel leurs destinées.
21. Leur révolution périodique est un enchaî- nement de transformations, à travers lesquelles elles passent d'un mouvement tantôt accéléré , tantôt retardé. Elles descendent du sein du pre- mier principe, jusqu'à la matière brute j et rem en- tent de la matière brute, jusqu'au premier principe.
22. Dans le point de leur orbe le plus élevé, il leur reste de la tendance à descendre } dans le point le plus bas , il leur en reste à remonter. Dans le premier cas , c'est le caractère d'éma- nation qui ne peut jamais être détruit ; dans le second , c'est le caractère d'émanation divine, qui ne peut jamais être effacé.
25. L'aine , en qualité d'être créé , souffre et se détériore ; en qualité d'être éternel , elle reste la même , sans souffrir , s'améliorer , ni se dété- riorer. Elle est différente ou la même , selon qu'on )a considère dans un point distinct de sa révolu- tion périodique, ou relativement à son entière
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 245
rt'volution ; elle se détcriore , en descendant du premier principe vers le point le plus bas de son orbe j elle s'améliore , en remontant de ce point vers le premier principe.
24. Dans son périgée, elle est comme morte. Le corps qu'elle informe est une espèce de sépul- cre , où elle conserve à-peine la mémoire de son origine. Ses premiers regards vers le monde in- telligible, qu'elle a perdu de vue , et dont elle est séparée par des espaces immenses , annoncent que son état stationnaire va finir.
25. La liberté cesse , lorsque la violence de la sensation ou de la passion ôte tout usage de la raison; on la recouvre, à-mesure que la sensation ou la passion perd de sa force. On est parfaite- ment libre , lorsque la passion et la sensation gar- dent le silence, et que la raison parle seule; c'est l'état de contemplation : alors l'homme s'apper- çoit, se juge , s'accuse , s'absout , se réforme sur ce qu'il observe dans son entendement. Ainsi la vertu n'est autre chose qu'une obéissance habi- tiieile de la volonté à la lumière et aux conseils de l'entendement.
2(). Tout acte libre change l'état de l'ame , soit en bien , soit en mal , par l'sddilion d'un nouveau mode. Le nouveau mode ajouté la détériore tou- jours lorsqu'elle descend dans sa révolution , s'é- loignant du premier principe, s'attachant à ce qu'elle rencontre , en conservant en elle le simu-
2^6 OPINIONS
Jacre. Ainsi dans la contemplation qui raméliore et qui la ramène au premier principe, il faut qu'il y ait abstraction de corps et de tout ce qui y est analogue. C'est le contraire ,dans tout acte de la volonté qui altère la pureté originelle et première d© l'ame } elle fuit l'inleliigible j elle se livre au corporel ; elle se matérialise de plus en plus j elle s'enfonce dans ce tombeau j l'énergie de l'en- lendemcnt pur et de l'habitude contciuplative s'évanouit j l'ame se perd dans un enchaînement de métamorphoses , qui la défigurent de plus en plus , et d'où elle ne reviendroit jamais , si son essence n'étoit indestructible. Reste cette essence vivante, et avec elle une sorte de mémoire ou de conscience j ces germes de la contemplation eclosent dans le temps , et commencent à tirer l'aniederabîmede ténèbres où elle s'est précipitée, €t à l'élancer vers la source de son éuianation , ou vers Dieu.
27. Ce n'est ni par Pintelligence naturelle, ni par l'application, ni par aucune des manières dV^p- percevoir les choses de ce monde, (jue nous nous élevons à la connoissance et à la participation de Dieu 5 c'est par la présence intime de cet être à notre ame , lumière bien supéiieure à toute autre. Nous parlons de Dieu ; nous nous en entretenons ; nous en écrivons : ces exercices excitent l'ame , la dirigent, la préparent à sentir la présence de Dieu j mais c'est autre chose qui la lui communifjuc.
DES-ANCIENS PHILOSOPHES. 24?
28. Dieu est présent à tous, quoi(|iril paroisse absent de tous. Sa présence n'est sensible cju'aux anies(juiont établi entre elles et cet être excellent cjuelqu'analogie , quelque similitude; et qui , par des purifications réitérées , se sont restituées dans Félat de pureté originelle et première , qu'elles avoient au moment de l'émanation: alors elles voient Dieu autant qu'il est visible par sa nature.
29. Alors les voiles , qui les enveloppoient , sont déchirées ; les simulacres, qui les obsédoient et les éloignoient de la présence divine, se sont évanouis. Il ne leur reste aucune ombre, qui empêche la lu- mière éternelle de les éclairer et de les remplir.
5o. L'occupation la plus digne de l'homme , est donc de séparer son ame de toutes hs choses sen- sibles ;de la ramener profondément en elle-même • de l'isoler , et de la perdre dans la contemplation jusqu'à l'entier oubli d'elle-même et de tout ce qu'elle connoît. Le quiétisme est bien ancien, comme on voit.
5 1 .Cette profonde conteiiiphiîion r.'est pas no're élat. habituel ; mais c'est le seul où nous atteignions la fin de nos désirs , et ce repos délicieux où cessei.t toutes les dissonances qui nous environnent , et qui nous empêchent de goûter la divine harmonie des choses intelligibles. Nous sommes alors à la source de vie , à l'essence de l'entendement , à l'origine de l être, à la région des vérités, au centre de tout bien , à l'océan d'où les âmes s'élèvent sans
248 o p r ?j t o N s
cesse , sans que ces émanalions éternelles répui- sent ; car Dieu n'est point une niasse : c'est là que l'homme est véritablement heureux j c'est laque finissent ses^passions , son ignorance et ses inquié- tudes : c'est là qu'il vit, qu'il entend , qu'il est libre , et qu'il aime ) c*est là que nous devons haler notre retour , foulant aux pieds tous les obstacles qui nous retiennent , écartant tous ces fantômes trompeurs qui nous égarent et qui nous jouent , et bénissant le moment heureux qui nous rejoint à notre principe , et qui rend au tout éternel son éma- nation.
32. Mais il faut attendre ce momen!. Celui qui , portant sur son corps une main violente, l'accé- Jéreroit , auroit au-moins une passion j il emporte- roit encore avec lui quelque vain simulacre. Le philosophe ne chassera donc point son amc ) il attendra qu'elle sorte ; ce qui arrivera lorsque, son domicile dépérissant , Tharmonie constituée de toute éternité entre elle et lui cessera. On retrouve ici des vestiges du léibnitzianisme.
55. L'ame, séparée du corps, reste, dans ses révo- lutions à travers les cieux , ce qu'elle a le plus été pendant cette vie , ou rationnelle , ou sensitive , ou végétrle. La fonction, qui la dominoit dans le monde corporel , la domine encore dans le monde intelli- gible j elle tient ses autres puissances inertes , en- gourdies et captives. Le mauvais n*anéanlil pas le bon , mais ils co-eiistent subordunnûi».
DES ANCIE>'S PHILOSOPHES. 1/^g
54- Exerçons donc notre ame, dans ce monde , à s'élever aux choses intelligibles , si nous ne voulons pas qu'accompagnée dans l'autre de simulacres vicieux, elle ne soit précipitée de rechef du centre des émanations, condamnée à la vie sensible , ani- male ou végétale , et assujettie aux fonctions bru- tales d'engendrer et de croître.
55. Celui qui aura respecté en lui la dignité de l'espèce humaine , renaîtra homme j celui qui l'aura dégradée , renaîtra bètej celui qui l'aura abru- tie , renaîtra plante. Le vice dominant déterminera l'espèce. Le tyran planera dans les airs sous la forme de quelque oiseau de proie.
Principes de la cosmologie des écïecîiques.
Voici ce qu'on peut tirer de plus clair de notre très-inintelligible philosophe Plolin,
I. La matière est la base et le suppôt des modi- fications diverses. Celte notion a été jusqu'à-préscnt commune à tous les philosophes j d'où il s'ensuit qu'il j a de la matière dans le monde intelligible même j car il y a des idées qui sont modifiées j cr, tout mode suppose un sujet. D'ailleurs, le monde intelligible n'étant qu'une copie du monde sensible , la matière doit avoir sa représentation dans l'un , puisqu'elle a son existence dans l'autre j or, cette représentation suppose une toile matérielle à la- quelle elle soit allachce.
SïSo OPINIONS
2. Les corps ont,dans ce monde sensible, un sujet qui ne peut être corps j en effet , leurs transmu- tations ne supposent point diminution ; autrement les essences se réduiroieut à rien ; car il n'est pas plus difficile d'être réduit à rien qu'à moins; d'ail- leurs , ce qui renaît ne peut renaître de ce qui n'est plus.
5. La matière première n*a rien de commun avec lescojps; ni figure, ni qualité , ni grandeur, ni couleur j d'où il s'ensuit qu*on n'en peut donner qu'une définition négative.
4. La matière, en général, n'est point une quanti- té; les idées de grandeur, d'unité , de pluralité , ne lui sont point applicables, parce qu'elle est indéfi- nie ; elle n'est jamais en repos ; elle produit une infi- nité d'espèces diverses , par une fermentation intes- tine , qui dure toujours et qui n'est jamais stérile*
5. Le lieu est postérieur d'origine à la matière et au coips ; il ne lui est donc pas essentiel : lei formes ne sont donc pas des attributs nécessaires de la quantité corporelle.
6. Qu'on ne s'imagine pas, sur ces principes, que la matière est un vain nom; elle est nécessaire ; les corps en sont produits. Elle devient alors le sujet de la qualité et de la grandeur , sans perdre ses litres d'invisible et d'indéfinie.
7. C'est n'avoir ni sens, ni entendement, que de rapporter l'essence et la production de l'univers au hasard.
DES ANCIENS PHILOSOPHES. î>5l
8. Le monde a toujours été. L'idée , qui en ctoit le modèle, ne lui est antérieure que d'une priorité d'origine ei non de temps. Coninie il est très-par- fait , il est la démonstration la plus évidente de la nécessité et de l'existence d'un monde inlelligible^ et ce monde intelligible n'étant qu'une idée , il est éternel , inaltérabe , incorruptible , un.
9. Ce n'est point par induction , c'est par néces- sité que Tunivers existe. L'entendement agissoit sur la matière ,qui luiobéissoit sans eâort; et toutes choses naiisoient.
10. Il ny a nul effet contradictoire dans la géné- ration d'un être par le développement de son germe j il j a seulement une multitude de forces opposées les unes aux autres , qui réagissent et se balancent. Ainsi , dans l'univprs , une partie e&t Tanlagoniste d'une autre j celle-ci veut ; celle-là se refuse; elles disparoissent quelquefois les unes et les autres dans ce conflit , pour renaître , s'entre- choquer , et disparoître encore; et il se forme un enchaînement éternel de générations et de destruc- tions , qu'on ne peut reprochera la nature , parce que ce seroit une folie que d'attaquer un tout dans une de ses parties.
1 1 . L'univers est parfait ; il a tout ce qu'il peut avoir; il se suffit à lui-même; il est rempli de dieux, de démons , d'aines justes , d hommes que la vertu rend-lieurenx , d'aniniaux et de plantes. Les âmes juites, répaaJaes dans la vaste étendue des cieux,
a52 OPINIONS
donnent le mouvement et la vie aux corps cé- lestes.
12. L*ame universelle est inmiuable. L'état de tout ce qui est digne , après elle , de noire admi- ration et de nos hommages , est permsrfîent. Les âmes circulent dans les corps , jusqu'à ce que , exaltées et portées hors de l'état de génération, elles vivent avec famé universelle. Les corps chan- gent continuellement déformes , et sont alternati- vement , ou des animaux , ou les plantes qui lef nourrissent.
1 5. Il n y a point de mal absolu : l'homme injuste laisse à l'univers sa bonté ^ il ne l'ôte qu'à son ame , qu'il dégrade dans l'ordre des êtres. C'est la loi générale , à laquelle il est in^possible de se sous- traire.
14. Cessons donc do nous plaindre de cet uni- vers 5 tâchons d'être bons j plaignons les médians; et laissons à la raison universelle des choses le soin de les punir et de tirer avantage de leur malice.
i5. Les hommes ont les dieux au-dessus d'eux , et les animaux au-dessous ; et ils sont libres de s'é- lever à l'état des dieux , par la vertu; ou de s'abais- ser, par le vice, à la condition des animaux.
16. La raison universelle des choses a distribué à chacune toute la bonté qui lui convenoit. Si elle a placé des dieux au-dessus des démons ; des dé- liions, au-dessus des amcs; des amcS; au-dessus
DES ANCIENS PIÎTLOSOPHES. 2^5
des horiinies j des hommes , au-Jcssus des ani-* maux , ce n'est ni par chois ni par prédilection j la nalure de son ouvrage l'exigeoit ^ ainsi que l'enchaî- nement et la nécessite des transmutations le dé- montrent.
1 7. Le monde , renfermant tout ce qui est pos- sible, ne pouvant ni rien perdre ni rien acquérir, il durera éternellement tel qu'il est.
18. Le ciel et tout ce qu'il contient est éternel. Les astres brillent d'un feu inépuisable , uniforme et tranquille. Il n'y a dans la nalure aucun lien aussi fort que l'ame , qui lie toutes ces choses.
19. C'est l'ame des cieux qui peuple la terre d'animaux j elle imprime au limon une ombre de vie ; et le limon sent , respire et se meut.
20- Il n'y a dans les cieux que du feu j mais ce feu contient de l'eau , de la terre , de l'air; en un mot toutes les qualités des autres élémens.
21. Comme il est de la nature de la chaleur de s'élever , la source des feux célestes ne tarira ja- mais. Il ne s'en peut rien dissiper par effort ; et le mouvement circulaire y ramène tout ce qui s'en dissipe.
22. Les astres changent dans leurs aspects et dans leurs mouvemens; mais leur nalure ne change point.
25. C'est parce que les astres annoncent l'ave- nip, que leur marche est réglée, et qu'ils portent les empreintes des chosçs. L'univers est plein de
r.54 © p I N î o N s
signes j le sage les connoit, ei en lire tics induc- tions : c'esl une suite nécessaire de rhanuonie uni- verselle.
24. L'ame du monde est le principe des choses naturelles j et elle a parsemé l'étendue des cieux de corps lumineux qui l'embellissent et qui annoncent les destinées.
25. L'ame , qui s'éloigne du premier principe, est soumise à la loi des cieus dans ses dift'trens changemens de domicile : il n'en est pas ainsi de l'ame qui s'en approche ; elle fait elle-même sa destinée.
26. L'univers est un être vivant, qui a son corps et son ame; et Tame de l'univers, qui n'est attachée à aucun corps particulier , exerce une iniluence gé- nérale sur les âmes attachées à des corps.
27. L'influence céleste n'engendre point les choses 5 elle dispose seulement la matière aux phé- nomènes j et la raison universelle les fait éclore.
28. La raison universelle des êtres n'est point une intelligence j mais une force intestine et agita- trice , qui opère sans dessein ; et qui , exerçant son énergie de quelque point central , met tout en mouvement , conmie on voit des ondulations naître dans un fluide, les unes des autres , et s'étendre à l'infini.
29. Il faut distinguer dans le monde , les dieux , des démons. Les dieux sont sans passions j les dé- mons ont des passions : ils sont éternels comme ;
DES A -\ C I E ^' S P H I r, O J 0 P H E S. ^55
les dieux , mais infci ieurs d'un degré ; dans l'é- chelle universelle dos êtres , ils tiennent le milieu entre nous et les dieux.
5o. Il n j a point de démons dans le monde intelli^^ible i ce qu'on y appelle des démons sont des dieux.
3i. Ceux qui habitent la région du monde sen- sible, qui s'étend jusqu'à la lune, sont des dieux visibles , des dieux du second ordre : ils sont aux dieux intelligibles , ce que la splendeur est aux étoiles.
02. Ces démons sont des sympathies émanées de l'ame , qui fait le bien de l'univers ; elle les a engendrées, afin que chaque partie eût dans le tout la perfection et l'énergie qui lui conviennent.
55. Les démons ne sont point des êtres cor- porels , mais ils mettent en action l'air , le feu et les élémens ; s'ils éloient corporels, ce seroit des animaux sensibles.
^ 54. Il faut supposer une matière générale intelli- gible , qui soit un véhicule, un intermède entre la njatière sensible et les êtres auxquels elle est subordonnée.
55. Il n'y a point d'élémens , que la terre ne contienne. La génération des animaux et la végéta- tion des plantes démontrent que c'est un animal 2 et comme la portion d'esprit qu'elle renfenne est grande , on est bien fondé à la prendre pour une divinité; elle ne se meut point d'un nîoavement de
^56 OPINIONS
translation ; mais elle n'est pas incapable de se
mouvoir. Elle peut sentir, parce qu'elle a une aine,
comme les astres en ont uns , connue l'houime a la
sienne.
principes de la théologie éclectique , tels qu'ils sont répandus dans les ouvrages flJamblique , le théologien par excellence de la secte.
1 . 11 y a des dieux : nous piortous en nous-mêmes la démonstration de celte vérité. La connoissonce nous en est innée: elle existe dans notre entende-^ ment, antérieur à toute induction , à tout préjugé, à tout jugement. C'estune conscience siuiultanée de l'union nécessaire de notre nature avec sa cause génératrice \ c'est une conséquence immédiate de la co-cxistence de cette cause avec notre amour pour le bon , le vrai et le beau.
2. Cette espèce de contact intime de l'ame et de la divinité ne nous est pas subordonnée j notre volonté ne peut ni l'altérer , ni l'év;ter , ni le nier , pi le prouver. 11 est nécessairement en nous \ nous le sentons; et il nous convainc de l'existence des (dieux par ce que nous sommes , quelque chose que nous soyons.
5. IVIais l'idée des compagnons immortels des dieux ne nous est ni moins intime , ni moins innée , ni moins perceptible que celle des dieux. La con- noissance naturelle que nous avons de leur exis- tence est immuable , parce que leur essence ne fbange point. Ce n'est point non plus une vérité de
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 2^7
conscr|ucnce et d'induclion ^ c'est une notion sim- ple , pure et première , puisée de toute éternité dans le sein de la divinité ,à laquelle nous somuies restés unis dans le temps par ce lien indissoluble. 4. Ily a des dieux, des démons et des liéros ; et ces êtres célesles sont distribués en difTéien^tcs classes. Les ressemblances et les différences qui les distinguent , et qui les rapprochent, ne nous sont connues que par analogie. Il faut, par exemple , que la bonté leur soit une qualité commune , parce' qu'elle est essentielle à leur nature. Il en est autre- ment des âmes qui participent seulement à cet attribut par comrnunicaîion.
5. Les dieux et les âmes sont les deux extrêmes des choses célestes. Les héros constituent l'ordre intermédiaire. Ils sont supérieurs en excellence , en nature , en puissance , en vertu , en beauté, 'ea grandeur , et généralen,ent en toute bonne qua'lilé , aux âmes qu'ils touchent immédiatement, et avec' lesquelles ils ont de la ressenjblance el de la sym- pathie par la vie qui leur a été comnmne. Il faut encore admettre une sorte de génies subordonnés aux dieux, et ministres de leur bienfaisance, dont ils sont épris, et qu'ils aiment. Ils soat le milieu à travers lequel les êtres célestes prennent une forme qui nous les rend visibles ;levéiu'cule qui porte à nos oreilles les cho.cs ineffables , etk notre entende- ment Imcompréhensible ; la glace qui fait passer
L*
2i5S OPINIONS"
dans notre ame des images qui n'étoient point faites pour j pénétrer sans son secours.
6. Ce sont ces deux classes qui forment le lien et )c commerce des dieux et des âmes 5 qui rendent renchaînement des choses célestes indissoluble et continu; qui facilitent aux dieux le mojen de des- cendre jusqu'aux hommes 5 des hommes , jusqu'aux derniers êtres de la nature^ et à ces êtres , de re- monter jusqu'aux dieux.
^. L'unité , une existence plus parfaite que celle des êtres inférieurs, l'immutabilité, l'immobi- lité , la puissance de mouvoir sans perdre l'immo- Bilité , la providence , sont encore des qualités comujunes des dieux. On peut conjecliu-er , par la différences des extrênjes , quelle est celle des in- termédiaires. Les actions des dieux sont excellen- tes ; celles des âmes sont imparfaites. Les dieux peuvenl tout , également, en-même-temps , sans obstacle et sans délai. Il j a des choses qui sont impossibles aux âmes 5 il leur faut du temps pour toutes celles qu'elles peuvent j elles ne les exécutent que séparément et avec peine. La divinité produit sans effort , et gouverne : l'ame se tourmente pour engendrer , et sert. Tout est soumis aux dieux , jusqu'aux actions et à l'existence des âmes : ils voient les essences des choses et le terme des mou- vemens de lanature. Les amcs passent d'un effet à un autre, et s'élèvent par degré. La divinité est in-
DES A?<rCIE>S PriILOSOPHCS. 2^9
cotiiprchonsib'.c , inconmiensurable , illimitcc. Les aines éprouvent loulcs sortes de passions et de formes. L'intelligence qui préside à loiil, la raison universelle des êtres , est présente aux dieux sans nua^e cl sans réserve , sans raisonnement et sans induction , par un acte pur , simple et invariable. L'ciMie n'en est éclairée qu'imparfaitement et par intervalle. Les dieux ont donné les loix h l'univers : les âmes suivent les lois données parles dieux.
8. C'est la vie que l'anie a reçue dans le commen- cement , et le premier mouvement de sa volonté , qui ont déterminé l'espèce d'être organique qu'elle informeroit , et la tendance qu'elle auroit à se per- fectionner ou à se détériorer.
9. Les choses excellentes et universelles con« tiennent en elles la raison des choses moins bonnes et moins générales. Voilà le fondement des révolu- lions des êtres , de leurs émanations , de l'éternité de leur principe élémentaire, de leur rapport in- délébile avec les choses célestes , de leur dépra- vation , de leur perfectibilité , et de tous les phéno- mènes de la nature humaine.
10. Les dieux ne sont attachés à aucune partie de l'univers : ils sont présens même aux choses de ce monde: ils contiennent , et rien ne les contient: ils sont par-tout ; tout en est rempli. Si la divinité s'empare de quelque substance corporelle , du ciel , de la terre , d'une ville sacrée , d'un bois , d'une statue } son empire et sa présence s'en répandent
260 opirs'iONS
au-dehors , comme la lumière s'échappe en tout sens du soleil. La substance en est pénétrée. Elle agit au-dedans et à l'extérieur , de près el au loin , sans affoiblissement et sans interruption. Les dieux ont ici-bas difFérens domiciles, selon leurnature innée, terrestre , aérienne , aquatique. Ces distinc- tions , et celles des dons qu'on en doit attendre , sont les fondemens de latheurgieet des évocations.
1 1. L'ame est impassible j mais sa présence dans un corps rend passible l'être composé. Si cela est vrai de l'ame , à plus forte raison des héros , des dénions et des dieux.
12. Les démous et les dieux ne sont pas égale- ment affectés de toutes les parties d'un sacrifice } il y a le point important, la chose énergique et secrète : ils ne sont pas non plus également sensi- bles à toutes sortes de sacrifices. Il faut aux uns des symboles j aux autres, ou des victimes, ou des représentations, ou des hommages , ou de bonnes œuvres.
i5. Les prières sont superflues. La bienfaisance des dieux , qui connoît nos véritables besoins , est attentive à prévenir nos demandes. Les prières ne sont qu'un moyen de s'élever vers les dieux , et d'unir son esprit au leur. C'est ainsi cjue le prêtre se garantit des passions , conserve sa pureté , etc.
14. Si l'idée de la colère des dieux étoit mieux connue, on ne chercheroit point à l'appaiser par des sacrifices. La colère céleste n'est point un res-
Ces anciens philosophes. 2G1 sentiment Je la part des dieux , dont 1k créature ait a craindre quelque mauvais eifet j c'est une aversion de sa part pour leur bienfaisance. Les holocaustes ne sont utiles , que quand ils sont la marque de la résipiscence. C'est un pas que le cou- pable a fait vers les dieux dont il s'étoit éloigné : le méchant fuit les dieux , mais les dieux ne le pour- suivent point; c'eat lui seul qui se rend malheureux, et qui se perd par sa méchanceté.
i5. Il est pieu.T, d'attendre des dieux tout le bien qu'il leur est imposé de faire par la nécessité de leur nature. Il est impie, de croire qu'on leur fait vio- lence. Il ne faut donc s'adresser aux uieux, que pour se rendre meilleur soi-même. Si les lustrations ont écarté de dessus nos télés quelques calamités im- minentes , c'étoit afin que nos âmes n'en reçussent aucune tache.
16. Ce n'est point par des organes que les dieux nous entendent; c'est qu'ils ont en eux la raison et les efietsde toutes les prières des hommes pieux , et sur -tout de leurs ministres. Ils sont présens à ces hommes consacrés ', et nous parlons immédia- tement aux dieux par leur intermission.
17. Les astres , que nous appelons des dieux, sont des substances très-analogues à ces êtres im- matériels; mais c'est à ces êtres qu'il faut spéciale- ment s'adresser dans les astres qu'ils informent. Ils sont îous bienfaisans;ils'en écoule sur les corps des ûiâuences indélébiles. Il ny a pas un poiut de Tes-
202 O P I > 1 O N S
pace, où leurs vertus ne fassent sentir leur énergie; mais leur action sur les parties de l'univers est pro- portionnée à la nature de ces parties. Elle répand de la diversité , mais elle ne produit jamais aucun mal absolu.
18. Ce n'est pas que ce qui est excellent , relati- vement à l'harmonie universelle , ne puisse devenir nuisible à quelque partie en particulier.
19. Les dieux intelligibles qui président aus sphères célestes , sont des êtres originaires du moude intelligible j et c'est par l'attention qu'ils donnent à leurs propres idées , en se renfermant en eux-mêmes , qu'iis gouvernent les cieux.
20. Les dieux intelligibles ont été les paradigmes des dieux sensibles. Ces siuuilacres une foii engen- drés ont conservé , sans aucune altération , fein- preinte des élres divins dont ils étoient les images.
21. C'est cette ressemblance inaltérable , que nous devons regarder comme la base du commerce éternel qui règne entre les dieux de ce monde , et les dieux du monde supérieur. C'est par cette ana- logie indestructible , que tout ce ([ui en émane re- vient à l'être unique dont il est l'émanation, et en est réabsorbé. C'est l'identité , qui lie les dieux entre eux dans le monde intelligible , et dans le inonde sensible; c'est la similitude, qui établit le commerce des dieux d'un monde aux dieux de l'autre.
22. Les démons ne sont point perceptibles , soit
DES ANCIENS PHILOSOPHES. Q.Go
à la vue, soit nu loucher. Les dieux sont plus loris c{ue tout obstacle matériel. Les dieux gouverneul le ciel , Tunivers* , et toutes les puissances secrètes quij sont renfermées. Les démons n'ont radminis- tration que de quelques portions^ qui leur ont été abandonnées par les dieux. Les démons sont alliés cl presque inséparables des êtres qui leur ont été concédés. Les dieux dirigent les corps , sans leur <^tre présens. Les dieux comjiiandent. Les démons obéissent , mais librement.
25. La génération des démons est le dernier efTort de la puissance des dieux: les héros en sont émanés , comme une simple conséquence de leur existence vivante ; il en est de même des âmes. Les démons ont la faculté génératrice ; c'e.st à eux que le soin d'unir les âmes aux corps a été remisv Les héros vivifient , inspirent , dirigent y mais n'engendrent point.
24. Il a été donné aux âmes , par une grâce spéciale des dieux , de pouvoir s'élever jusqu'à la sphère des anges. Alors elles ont franchi les limi- tes qui leur étoient prescrites par leur r.alure. Elles la perdent , et prennent celle de la nouvelle famille dans laquelle elles ont passé.
23. Les apparitions des dieux sont analogues à leurs essences , puissances et opérations. Ils se montrent toujours tels qu'ils sont. Ils ont leurs signes propres , leurs caractères et leurs mouve- mens dislinclifs , leurs formes fantastiques parti-
2G4 OPINIONS
CLiIicres; et le fantôme d'un dieu n'est point celui d'un démon j ni le fanlôme d'un démon , celui d'un angej ni le fantôme d'un ange , celui d'un archange j et il y a des spectres d'ames de toutes sortes de caractères. L'aspect des dieux est conso- lant : celui des archanges , terrible ; celui des anges , moins sévère ; celui des héros , attrapant j celui des démons , épouvantable. Il y a dans ces apparitions encore une infinité d'autres variétés , relatives au rang de l'être , à son autorité , à son génie , à sa vitesse , à sa lenteur , à sa grandeur , à son cortège , à son influence. . . . Janihlique détaille toutes ces choses avec l'exactitude la plus minutieuse ; et îios naturalistes nont pas mieux vu les chenilles, les mouches , les puce- rons y que notre philosophe éclectique , les dieux , les anges, les archanges , les démons et les génies de toutes les espèces qui voltigent dans le monde intelligible et dans le monde sensible. Si l'on commet quelque faute dans l'é- vocation théurgique , alors on a un autre spectre que celui qu'on évoquoit. Vous comptiez sur un dieu , et c'est un démon qui vous vient. As-reste , ce n'est point la connoissance des choses saintes, qui sanctifie. Tout homme peut se sanctifier ; mais il n'est donné d'évoquer les dieux qu'aux théurgistes , aux hommes merveilleux , qui tien- nent dans leurs mains le secret des deux mondes." 26. La prescience nous vient d'en haut 3 ell«
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 2^5
n'a rien en soi ni d humain , ni de physique. Il n'en Cbl pas ainsi de la révélation. C'est une voix foibie qui se l'ait enlendie à nous sur le passage de la veille aa sommeil. Cela prouve que l'aiiie a deus viei» ; l'une, unie avec le corps j Taulie, it'pa- rée. D'ailleurs , ccjnnje sa fonction est de conicin- plcr,el qu'elle contient en elle la raison de tous les possibles, il n'est pas surpiex'anl que l'avonir lui soit connu. Elle voit les choses futures dans leurs raisons piéexisîantes. Si elle a jt;^u dys dieux une péntlration sublime , un press uliinenl ex- quis , une longue expérience , la facilité (i'oljser- yer , le discerneiuen» , le génie -, lieu àe ce qui a été , de ce qui est , et de ce qui i>ei a , nVchaopera k sa connotssanoe.
27. Voici les VI ais csraclères de f cutliousiasme divin. Celui qui ftprouve est privé de l'usage commun de ses sens j sa veille ne ressemble point à celle des autres houunes j son acticn e:t ex-^ traordinaire ) il ne se possède plus ^ il ne pense plus, et ne parle plus par lui - méme^ la vie qui l'environne est absente pour lui ; il ne sent point l'action du feu , ou il n't^n est point offensé ; il ne voit ni ne redoute la hache levée sur sa tête j il est transporté dans des lieux in.:ccessib!es j il marche à iravers la tlaamie j il se promère sur les eaux , etc. . . . Cet état est l'effet de la divinité , qui exerce tout son enjpire sur l'ame de Ven^ tbousiaste , par l'entremise des organes du cojps î Pkiios. anc. et mod. Toiï£ I, M
:i66 OPINIONS
il est alors le ministre d'un Dieu qui Tobsède , qui l'agile , qui le poursuit , fjui le tourmente , qui en arrache des voix , qui vit en lui , qui s'est emparé de ses mains , de ses jeux , de sa bouche , et qui le lient élevé au-dessus de la nature commune,
28. On a consacré la poésie et la musique aux dieux. En clfet ,il j a , dans les chants et dans la versification , toute la variété qu'il convient d'in-» troduire dans les hymnes qu'on destine à l'évoca-» lion des dieux. Chaque dieu a son caractère; cha- que évocation a sa forme et exige sa mélodie, L'ame avoit entendu l'harmonie des cieux , avant que d'être exilée dans un corps. Si quelques ac- cens analogues à ces accens divins , dont elle ne perd jamais entièrement la mémoire , viennent à la frapper, elle tressaillit ; elle s'y livre; elle en est transportée. Jambllque se précipite ici dans toutes les espèces de divinations , sottises ma"- gnifi(jfues à travers lesquelles nous n'avons pas le courage de le suivre. On peut voir dans cet auteur , ou dans l'histoire critique de la philosophie de M. Brucker , toutes les rêveries de Vëcb-ctisme ihéologique , sur la puissance des dieux , sur l'il- luminalion , sur les invocations , la magie , les prê- tres , et la nécessité de l'action de la fumée des victimes sur les dieux , etc.
29. La justice des dieux n'est point la justice des hommes. L'homme délinit la justice sur des rapports tirés de sa vie actuelle et de son état
DES A^•clE^s philosophes. 267 présent. Les dieux la dcfinisscnl rclalivenient à ses existences successives , et à ruoiversalitë de nos vies.
5(-). La plupart des honmies n'ont point de liber-" té ; et sont enchaînés par le destin , etc.
Principes de la théogonie éclectique,
I . Il est un Dieu de toute la nature ; le principe de toute géncialion; la cause des puissances tlé- mentaiîeb ', supérieur à tous !es dieux : en qui tout e.xii>te ; iininalciiel , incorpore' ; juaitre de la natu- re; subsistan'. de toute éternisé par lui-nicrne; premier , indivisible et indivise , tout par lui- inêiue , tout err lu'-inêtue; antéiieur à toutes cho- ses , luéuie aux piincijies universaux et aux causes généiales des êtres j imniobile ; retifernié dans la solitude de ^on unité : ta source des idées, des intel- ligibles , des possibilités; se suffisant ; père. des essences et de l'enliié ; anténêur aa principe in^ telligible. Son nom est Noetarque.
2. Emelh est après IS'oetarque ; c'est rinfcllf- gence divine , qui se connoît e!le-niéme , dV.ù toutes les intpllig*»nces sont émanées , qui les ianiè-« ne toutes dans son sein comme dans un abiuie. Les Egyptiens plaçoieni; Eicton avant E;jieth j c'étoit la première idée exemplaire; on adoroit Eicton par le silence.
5. Après ces dieux , viennent Ameïn , Ptha et Osiris , qui président à la génération des êtres
fiGB OPINIONS
apparens j dieux conservateurs Je la sagesse , el jes niiuislres dans les temps où elle engendroit les élres et produisoit la force secrelte des causes.
4. Il y a quatre puissances nuUes et quatre puis- jances feuielles au-dessus des élciiiens et de leurs vertus 5 elles résident dans le soleil. Celle qui dirige la nature dans ses fonctions génératrices a son domicile dans la lune.
5. Le ciel est divisé en deux , ou quatre, ou trente-six régions ; et ces régions , en plusieurs autres ; chacune a sa divinité : et toutes sont su- bordonnées à une divinité qui leur est supérieure, De ces principes il faut descendre à d'autres , jusqu'à ce que l'univers entier soit distribué à des puissances qui émanent les unes des autres , et toutes d'une première.
6. Cette première puissance tira la matière de l'essence , et l'abandonna à l'intelligence qui en fabritjua des sphères incorruptibles. Elle emploja ce (|u il y avoit de plus pur à cet ouvrage j elle lit du reste les choses corruptibles et l'universa- lité des corps.
7. L homme a deux aines j Tune , qu'il tient du premier intelligible j el l'autre , qu'il a reçue dans le monde sensible. Chacune a conservé des carac- tères dislinclifs de son origine. L'ame du monde intelligible retourne sans cesse à sa source j et les loix de la fatalité ne peuvent rien sur elle : l'autre «st asservie aux mouvemens des mondes,
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 26g
8. Chacun a son dciiion ; il préexisloil à l'u- nion de l'unie avec le corps. C'est lui , qui l'a unie à un corps. Il la conduit , il l'inspire. C'est tou- jours un bon génie. Les tiiauvais génies soal sans diitrict.
9. Ce démon n'est point une faculté de l'ame : c'est un être distingué d'elle et d'un ordre supé- rieur au sien , etc.
Principes de la philosophie morale des cclectirjues.
Voici ce qu'on en recueillera de plus généra- lement admis, en feu lletant les ouvrages de Porphjre et de Jambii(|ue.
1. Il ne se fait rien de rien. Ainsi l'ame est une émanation de quelque principe plus noble.
2. Les âmes existoient avant que d'être unies à des corps. Elles sont tombées j et l'exil a été leur châtiment. Elles ont depuis leur chute passé suc- cessivement en différens corps , où elles ont été retenues comme dans des prisons.
5. C'est par un enchaînement de crimes et ^'impiétés , qu'elles ont rendu leur esclavage plus long et plus dur. C'est à la philosophie à l'adoucir et à le faire cesser. Elle a deux moyens : la puri- fication rationnelle , et la purification théurgique , qui élèvent les âmes successivement à quatre différens dégrés de perfection , dont le dernier est la ihéopalie.
4. Chaque degré de perfection a ses vertus. Il y a quatre vertus cardinales, la prudence, la force, là tempérance et la justice j et chaque vertu a ses dégrés.
5. Les qualités physiques , qui ne sont que des avantages de conformation , et dont l'usage le plus noble seroit d'être employées connue des inslrumens pour s'élever aux autres qualités , sont au dernier rang.
6. Les qualiiés morales et politiques sont celles de rhonime sensé , qui , supérieur à ses passions , après avoir travai lé long-temps à se rendre heureux par la pratique de la vertu , s'oc- cupe à procurer le même bonheur à ses sembla- bles. Ces qualités sont pratiques.
7. Les qualités spéculatives sont celles , qui constituent proprement le philosophe^ il ne se contente pas de faire le bien ; il descend encore en lui-même j il s^y renferme et médite , afin de connoître la vérité des principes par lesquels il se conduit.
8. Les qualités espurgativesou sanctifiantes , ce Sont toutes celles ,qui élèvent l'homme au-dessus de sa condition , par la privation de tout ce q.ii est au-delà des besoinsd? la nature les plus étroits. Dans cet état , l'honune a sacrifié tout ce qui peut l'attacher à cette vie j son corps lui devient un fardeau onéreux ; il en souhaite la dissolu- tion; il est mort pliilosophiqacmenl. Or la nK>rt
Di:S ANCIENS PHILOSOPHES. 27I
philosophique parfaite esl le point de la perfec-^ lion humaine le plus voisin de la vie des dieux.
9. Les qualités spéculatives consistent dans la contemplation habituelle du premier principe , et dans rimilalion la plus approchée de ses vertus.
10. Les qualités théurgiques sont celles par lesquelles on est digne , dès ce monde , de com- mercer avec les dieux , les démons , les héros et les âmes libres.
I I. L'homme peut , avec le secours des seules forces qu'il a reçues de la nature , s'élever suc- cessivement de la dégrada ion la plus profonde , jusqu'au dernier degré de perfection ; car la loi de la nécessité n'a point d'empire invincible sur l'énergie du principe divin qu'il porte en lui-mê- me , et avec lequel il ny a point d'cbclaclc qu'ii ne paisse surmonter.
12. Si la séparation de l'ame et du corps s'est fiite avant que l'ame ne se soit relevée de son état d'avilissement , et qu'elle ait emporté avec cl!c des traces secrètes de dépravation ; elle éprou- ve le supphce des enfers , en rentrant dans uu nouveau corps qui devient pour elle une prison plus cruelle que le corps qu'elle a quitté , qui l'éloigné tlavanl3ge de son premier principe , et qui rend sa grande révolution plus longue et pliis difficile.
Yciià ce que nous avons trouvé de plus impor-
^ya e p 1 K I c N s
tant et de moins obscur dans la philosophie des éclectiques, anciens. Pour s'en instruire à f. nd , il faut aller puiser dans les sources , et feuilleter ce qui nous reate de Plotin , de Porphyre , de Julien , de Janibîit|ue , d'Amiuicn Marcellin , €tc sans oublier Ihistoire critique de la phi- losophie de M. Brucker, et la foule des auteurs tant anciens que modernes qui y sont cités.
ÉGYPTIENS.
(philosophie des)
L'HiSToiREde V Egypte est , en général , un chaos , où la cliroaologie , la religion et la philo- sophie sont particulièrement remplies d'obscurités et do confusion.
Les Egyptiens voulurent passer pour les peu- ples les plus anciens de la terre* et ils en impo- sèrent sur leur origine. Leurs prêtres furent ja- ioux de conserver la vénération qu'on avoit pour «ux : et ils ne transmirent à la connoissance des peuples que le vain et pompeux étalage de leur ■culte. La réputation de' leur sagesse prétendue devenoit d'autant plus grande , qu'ils en faisoient plus de mystère; et ils ne la conmuiniquèrent qu'à un petit nombre d'hommes choisis , dont ils s'assurèrent la discrétion par les épreuves les plus longues et les plus rigoureuses.
DKS ANCIENS PHILOSOPHES. 2^3
Les Egjytiens eurent des rois , un gouverne- ment , des lois , des sciences , des arts , long-temps avant que d'avoir aucune écriture j eu conséquence, des fables accumulées pendant une longue suite de siècles , corrompirent leurs traditions. Ce fut alors qu'ils recoururent à rhiérog'vphe j mais l'iu- teliigence n'en fut ni assez facile , ui assez géaéi aie, pour se conserver.
Les diflerentes contrées de X Egypte souffrirent de fréquentes inondations; ses anciens monumens furent renversés ; ses premiers habitans se disper- sèrent: un peuple éhanger s'établit dans ses pro- vinces désertes f des guerres , qui succédèrent g répandirent parmi les nouveaux Egyptiens des transfuges de toutes les nations circonvoisines. Les connoissances , les coutumes , les usages , les céré- monies, les idiomes , se mé'èrent et se confondirent. Le vrai sens de l'hiéroglyphe , confié aux seuls prêtres , s'évanouit ; on fit des efforts pour le re- trouver. Ces tentatives donnèrent naissance à une multitude incroyable d'opinions et de sectes. Les historiens écrivirent les choses comme elles étoient de leur temps ; mais la rapidité des événemens jeta dans leurs écrits une diversité nécessaire. On prit ces différences pour des contradictions j ou chercha à concilier sur une même date ce qu'il falloit rapporter à plusieurs époques. On étoit égaré dans un labyrinthe de difficultés réelles j on en com- pliqua les détours pour soi-même et pour la pos-
2^4 OPINIONS
Itrité , par les diiïicuUéa imaginaires qu'on se fît. UEgjfJte éloit <i«npn!ie u(ie énigme indéchif- frable pour {'Egyptien ii.cnio , voisin encore de la naissance du Dionde , scion uoUe clirMi»ol'>gie. Les pjramides porluient , au temps dlltrodote , des insciiplions dans une langue et des caractères in- connus f le luotif qu'on avoit eu d'élever ces masses énormes étoit ignoré. A-mesure (jue les temps s'éloignoient , les siècles se projeïoient les uns sur les autres j les événemens , les noms , les hommes, les époques , dont rien ne fixoit la distance , se rap- prochoient impercepliblemeut , et ne se dislin- guoient plus j toutes les transactions senibloient se précipiter pèle -mêle dans un abîme obscur , au fond duquel les hiéropliantOï) faisoient appercevoir à l'imagination des naturels , et à la curiosité de» étrangers , tout ce qu'il falloit qu'ils y vissent pour la gloire de la nation et pour leur intérêt.
Cette supercherie soutint leur ancienne réputa- tion. On vint de toutes les contrées du monde connu , chercher la sagesse en Egypte. Les prêtres égyptiens eurent pour disciples , Moyse , Orphée, Linus , Platon, Pythagore , Démocrite, Thaïes; en un mot , tous les philosophes de la Grèce. Ces philosophes, pour accréditer leurs systèmes , s'ap- puyèrent de l'autorité des hiérophantes. De leur côté , les hiérophantes profilèrent du témoignage même des philosophes , pour s'attribuer leurs dé- couvertes. Ce fut ainsi que les opinions, qui divisoicnt
DES ANCIENS PHILOSOPHES. iy5
les sec! es Je la Grèce, s'établirent successivement dans les gymnases de l'Egypte. Le platonisme et le pythagori^nie sur-tout y laissèrent des traces pro- fondes 5 ces doctrines portèrent des nuances plus ou moins fortes sur celles du pays. Les nuances, tju'elies affectèrent d'en prendre , achevèrent la confusion. Jupiter devint Osiris j on prit Typhon pour Plut on. On ne vit plus de dift'érence entre i'Adès et l'Amenthès. On fonda de part et d'autre l'id'^ntilé sur les analogies les plus légères. Les philosophes de la Grèce ne consultèrent là-dessus cjue leur sécurité et leurs succès; les prêtres de l'E- gypte , que leur intérêt et leur orgueil. La sagesse versatile de ceux-ci changea au degré des conjonc- tures. Maîtres des livres sacrés , seuls initiés à la connoissance des caractères dans lesquels ilsétoient écrits , séparés du reste des hommes, et renfermés d ms des séminaires dont la puissance des souverains faisoit à-peine entr'ouvrir les portes , rien ne les conipromettoit. Si l'autorité les contraignoit k ad- mettre à la participation de leurs mystères quelque esprit naturellement ennemi du mensonge et de la charlatanerie , ils le corrompoient et le déternii- noient à seconder leurs vues , ou ils le rebutoient par des devoirs pénibles et un genre de vie austère. Le néophite le plus zélé étoit forcé de se retirer j et la doctrine ésolérlque ne transpiroit jamais.
Tel étoit à-peu-près l'état des choses en Egypte , lorsque cette contrée fut inondée de Grecs et de
5^6 • OPINIONS
barbares qui y entrèr-^nt à la suite d'Alexandre J source nouvelle de révolu'ioos dans la théologie et la |ihi!osophie e^T/^//V-;i/i<^.La philosophie orientale pénétra dans les iancluaues d'iîgypte , quelques siècles avant la naissance de Jésus - Christ. Les notions judaïques et cabaliitiijuess'y introduisirent sous les Ploléruées. Au iniiieu de celle guerre in- testine et générale, que la naissance du christia- nisme suscita entre toutes les sectes des philoso- phes , l'ancienne doctrine égyptienne se défigura déplus en plus. Les hiérophantes, derenus sjncré- tiates ( 7.'07-e::C'" mot), chargèrent leur théologie d'idées philosophiques , à riinitalion des philoso- phes , qui rempli^soient leur pfiilosophie d'idcf th.ologif(ue. On néglig'^a les livres anciens. Oq écrivit le système nouveau en caractères sacrés ; et bi?i.tot ce système fiît le seul ,doat les hiérophantes conrervèrent qTîclqueconnoissance. Ce fut dans ces crrconstances que Sanchoniaton , Manéjthon , As- clépiade , Paléphate , Chérérnon , Hécatce , publiè- rent leurs ouvrages. Ces auteurs écrivoient d'une chose , que ni eux ni personne n'entendoient déjà plus. Qu'on juge par-là de la cerlitud^des conjec- tures de nos auteurs modernes , Kitcher , Marshaui et Witsius , qui n'ont travaillé que d'après des monumens mutilés , et que sur les fragmens très- suspects des disciples des derniers hiérophantes.
Theut , qu'on appelle aussi Thqyt ei Thoot , passe pour le premier fondateur de la sagesse é^yp"
DES ANCltrrS PHILOSOPHES. S^J^
tienne. On dit qu'il fut chef du conseil dOsiiisj que ce prince lui conitnuuiqua ^es vues j que Thoot iniagiua plusieurs ans utiles j qu'il donna des noms à la plupart des êtres de la nature ) qu'il apprit aux horiinies à conserver a mcnioire des faits , par la voie du symbole ; «ju'il publia des loix y qu'il institua les cérémonies relij^ieuses ) qu'il ob- serva le cours des astres; qu'il cultiva l'oiuierj qu'il inventa la Ij^re et Tart palestrique ; et qu'en reconnoissance de ses travaux , les peuples de TE- gj'ple le placèrent au ranj^ des dieux , et donnèl'ent 6on nom au premier mois de leur année.
Ce Theut fut un des Hermès de la Grèce ; et c'est , au sentiment de Cicéron , le cinquième ^Jer- cure des latins. Mais , à juger de l'antiquité de ce personnage par les découveites qu'on lui allriijue , îslarsham a raiaou de prétendre que Cicéron s'est trompé.
L'Hermès , fils d'Agathodémon et père de Tat , ou le secund Mercure , succède à Thoot dans les annales historiques ou fabuleuses de l'Egypte. Ct îui- ci perfectionna la théc^logie; découvrit les premiers principes de l'anthineiique et de la géométrie ^ sentit l'inconvénient des images s_ymboli(jues ; leur substitua l'hiéroglyphe , et éleva des coionjjes sur lesquelles il fit graver, dans les nouveaux caractères qu'il avoil inventés , les choses qu'il crut dignes de passer à la postérité; ce fut ainsi qu'il se proposa de iîxer l'inconstance de la tradition : les peuple^
jrS OPINIONS
lui dressèrerit desaulcls, et célébrèrent des fêles en son honneur.
L'Ej^jpte fut désolée par des guerres intestines et étrangères. Le IN il rompit ses digues , il se lit des ouvertures qui submergèrent une grande partie de la contrée, l-es colonnes d'Agalhodénjon furent renversées j les sciences et les arts se perdirent ; et l'E_,^ pie étoit presque retonrbée dans sa première barbarie , lorsqu'un homme de génie s'avisa de re- cueillir les débi-is de la sagesse ancienne ; de ras- sembler les monunijens dispersés; de rechercher la clef des hiéroglyphes; d'en augmenter le nombre, et d'en confier Tinlelligence et le dépôt à un collège de prélres. Cet homme fut le troisième fondateur de la sagesse des Eg^'ptiens. Les peuples le mirent aussi au nombre des dieux , et fadorèrcnt sous le nom à' Hennés Trismégistc,
Tel fut donc , selon toute apparence, l'enchaî- nement des chosi^s. Le tempi , qui ellace les défauts des g' ands hommes et qui relève leurs qualités , augmenta le respect que les Egyptiens poi toient à la mémoire de leurs fonUateuis j et ils en tirent des dieux. Le premier de ccî» dieux inventa les arts de nécei»sité. Le second fixa leo événemeus par des symboles. Le troisième substitua au symbole l'hié- roglyphe plus commode: et s'il m'etoit permis de pousser la conjecture plus loin , je ferois entrevoir le motif qui deleimina les Egyptiens à construire leurs pyramides ) et pour yenger ces peuples dcs|
DES AISCIEWS PHILOSOPHES. ST^
reproches qu'on leur a faits, je représenterois ces inasises tnormes, dont (>n a tant hlâiné la vanité , la pesanteur, les dépenses et rinutilité , comme les inonumens destinéb à la conservation des sciences, des arts et de toutes les connoissances utiles à la nation égyptienne.
En effet , lorsque les iiioTîumens du premier oa second Mercure eurent été détruits , de quel côté se durent porter les vues des honinios , pour se ga- rantir de la barbarie dont on les avoit retirés j conserver les luujièies qu'ils acquéroient de jour en jour; prévenir les suites des révolutions fréquentes, auxquelles ils éîoient exposés dans ces temps re-» cules, où tous les peuples senibloient se mouvoir sur la surface de la terre; et obvier aux événemens destructeurs , dont la nature de leur climat les nie- naçoit particulièrement ? Fut-ce de chercher un autre mojen , ou de perfectionner celui qu'ils possédoient? Fut-ce d'assurer de la durée à l'hiéro- glyphe , eu de passer de l'hierogljphe à l'écriture? IViais fintervalie <\z fhicro^ij phe à l'écriture est immense. La métaphysique qui rapprocheroit ces découvertes , et qui les enchaîneroit l'une à fautre, seroit mauvaise. La fi-ure sjnibolique est une^em- ture de la chose. Il j a le même rapport entre la chose et l'hiéro^dj-phe : mais l'écriture est une ex- pression des voix. Ici le rapport cha»)ge : ce n'est plus un art inventé qu'on perfectionne ; c'est un nouvel art qu'on invente , et un art qui a ce carac'?'
o8o O P I N I O N S
tère particulier , que l'invenlion en dut étretotalcet coniplèle. C'esl une observation de iVI. Duclos , de l'acadeuiie française , qui lue paroîl avoir jeté sur cette matière un coup-d'œii plus philosophique qu'aucun de ceux qui Tout précédé.
Le génie rare , capao!e de réduire à un nombre Lorné l'inhnie variclédes sons d'une langue, de leur donner des signes ,delixer pour lui-même la valeur de CCS signes , et d'en rendre aux auU^s rintelli-»- gence commune et fami icre, ne s'étant point ren- contré chez- les Egyptiens , dans la circonstance où il leur auroit été le plus utile j ces peuples , pressés entre l'inconvénieni et la nécessité d'attacher la mémoire des faits à des monumens , ne durent na- turellement penser qu'a en construire d'assez solides, pour résister tternellenientauxplus grandes révolutions.
Tout semble concourir à fortifier celte opinion j l'usage antérieur de conlier à ia pierre et au relief fhistoiredes connoissances et des tiansaclions j les figures symboliques qui subsistent encore au mi- lieu des plus anciennes ruines du monde ; celles de Persépolis , où elles représentent les principes du gouvernement eccléiiastique et civil ^ les colonnes sur lesquelles Theut grava les premiers caractères hiéroglyphiques ; la forme des nouvelles p^'rami- des sur lesquelles on se proposa', si ma conjecture est vraie , de fixer l'état des sciences et des arts dans l'Egj^ptc ) l.eurs angles propres à marquef
DES AlVCIEr>S PHILOSOPHES. 281
les points cardinaux du monde , et qu'on a em- ployés à cet usage ; la dureté de leurs matériaux qui n'ont pu se tailler au marteau , mais qu'il a fallu couper à la scie j la distance des carrières d'où ils ont' été tirés , aux lieux où ils ont été mis en œuvre j la prodigieuse solidité des édifices qu'on en a construits ; leur simplicité, dans laquelle on voit que la seule chose qu'on se soit proposée , c'est d'avoir beaucoup de solidité et de surface ; le choix de la figure pjram^-dale ou d'un corps qui a une base immense , et qui se termine en pointe j le rapport de la base à la hauteur ; les frais immenses de la construction 3 la multitude d'hommes et la durée de temps que ce travail a consommés 5 la similitude et le nombre de ces édifices j les machines dont ils supposent Tinvention ; un goût décidé pour les choses utiles , quisereconnoît à chaque pas qu'on fait en Egvpte j l'inutilité prétendue de toutes ces pjramydes comparées avec la haute sagesse des peuples. Tout bon espiit, (jui pèsera ces circons- tances , ne doutera pas un moment que ces monu- mens n'aient été cons'ruits pour être couver'- •.- jour de la science politique , civile et religieui»' .' . la contrée ; que cette ressource ne soit la >?i-' : . ait pu s'offrir à la pensée, cliez des pc: ■:,,.': . . n'avoient point encore d'écriture , et qni a- . vuleurs premiers édifices renversée j aui'. v.^ ■. regarder les pjraraides comme les bibîc-.' -J •
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gjpte , dont les leiiips et les révolutions avoient peut-élre détruit les caractères, plusieurs siècles avant l'invention de l'écriture ; que c'est la raison pour laquelle cet événement ne nous a point été transmis jen un mot , que ces masses, loin d'éter- niser l'orgueil ou la stupidité de ces peuples , sont des monumens de leur prudence et du pris inesti- mable qu'ils atlachoient à la conservation de leurs connoissances. Et la preuve qu'ils ne se sont point trompésdans leur raisonnement , c'est que leur ou- vrage a résisté pendant une suite innombrable de siècles à l'action destructive des élcmens qu'ils avoient prévus , et qu'il n'a été endommagé que par la barbarie des hommes , contre laquelle les sages Egyptiens , ou n'ont point pensé à prendre des précautions ,ou ont senti l'impossibilité d'en pren- dre de bonnes. Tel est notre sentiment sur la cons- truction des pyramides de l'Egjpte : il seroit bien étonnant que , dans le grand nonibje de ceux qui ont écrit de ces édifices, personne n'eût rencontré une conjecture qui se présente si naturellement.
Si l'on fait remonter l'institution des prêtres Egyptiens \iisciii 301 temps d'Hermès Trismégiste , il n'y eut dans l'étal aucun ordre de citoyens plus ancien que l'ordre ecclésiastique; et si l'on exami- noit avec attention quelques-unes des lois fonda- mentales de cette institution , on verra combien il éloilimpossible que Tordre des hiérophantes ne de-
DES A N C î E ^■ S PHILOSOPHES. 285
vînt pas nombreux, puissant, rcdoulab!e,et qu'il n'en- traînât pas tousles niaus dont rEgj-'pte fut désolée.
Il n'en étoitpas dans l'Egypte ainsi que dans les autres contrées du monde pajen , où un teiiipie n'avoit qu'un prêtre et qu'un Dieu. On adoroit dans un seul temple Egyptien un grand nombre de dieux. Il y avoit un prêtre au-moins pour chaque dieu , et un séminaire de prêtres pour chaque tem- ple. Combien n'étoit-il pas facile de prendre trop de goût pour un état où l'on vivoit aisément sans ricu faire 5 où , placé à côté de l'autel , on partageoit l'honmiage avec l'idole , et l'on vojoit les autres hommes prosternés à ses pieds ', où l'on en ini- posoit aux souverains même ) où l'on étoit re- garnie comme le ministre d'en-haut , et l'interprète de la volonté du ciel ; où le caractère sacré dont on étoit revêtu permettoit beaucoup d'injustices , et mettoit presque toujours à couvert du châtiment 5 où l'on avoit la confiance des peuples j où l'on do- niinoit surles familles dont on possédoit les secrets; en un mot, où l'on réunissoit en sa personne, la considération, l'autorité , l'opulence, la fainéantise et la sécurité. D'ailleurs , il étoit permis aux prêtres £'g;rjo//en5d'avoir des femmes; et il est d'expérience que les femmes des mifàstres sont très-fécondes.
Mais , pour que ihiérophaiitisine engloutît tous }«s autres états , et ruinât plus sûrement encore la nation , la ^vèins^E s: yp tienne fut une de ces pro- fessions , dans lesquelles les fils étoient obligea d«
284 OPINIONS
succéder à leurs pères. Le fils d'un prêtre étoît prêtre né 5 ce qui n'enjpéchoit point qu'on ne pût entrer dans l'ordre ecclésiastique , sans être de famille sacerdotale. Cet ordre enlevoit donc con- tinuellement des membres aux autres professions , et ne leur en restituoit jamais aucun.
Mais il en étoit des biens et des acquisitions, ainsi que des personnes. Ce qui avoit appartenu une fois aux prêtres ne pouvoitplus retourner aux laïcs. La richesse des prêtres alloit toujours en croissant comme leur nombre. D'ailleurs , la masse des superstitions lucratives d'une contréesuit la propor- tion des prêtres , de ses devins , de ses augures , <3e ses diseurs de bonne aventure, et de tous ceux on général qui tirent leur subsistance de leur com- merce avec le ciel.
Ajoutons à ces considérations qu'il n'y avoit peut-être sur la surface de la terre aucun sol plus favorable à la superstition , que l'Egypte. Sa fécon- dation étoit un prodige annuel. Les phénomènes qui accompagnoient naturellement l'arrivée des eaux, leur séjour et leur retraite , portoient les esprits à Tétonnement. L'émigration régulière des lieux bas vers les lieux hauts j l'oisiveté de cette demeure ; le temps qu'on y donnoit à l'étude de l'astronomie^ la vie sédentaire et renfermée qu'on y menoit ; les météores , les exhalaisons , les vapeurs sombres et mal-saines qui s'élevoient de la vase de toute une vaste contrée trempée d'eau et frappée d'un soleil
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ardent ; les monstres qu'on y voyoit éclore j une intinitë d'ëvtnemens produits dans le mouvement général de toute l'Egypte s'enfuyant à l'arrivée de son fleuve , et redescendant des montagnes à me- sure que les plaines se découvroicnt : tant de causes nepouvoient manquer de rendre celte na- tion superstitieuse ; caria superstition est par-tout une suite nécessaire des phénomèues surprenans dont les raisons sont ignorées.
Mais lorsque , dans une contrée, le rapport de ceu-î qui travaillent à ceux qui ne font rien , va toujours en diminuant , il faut , à>la-longue , que les bras qui s'occupent ne puissent plus suppléer à l'imagina- tion de ceux qui demeurent oisifs , et que la con- dition de la fainéantise y devienne onéreuse à elle- même. Ce fut aussi ce qui arriva en Egypte; mais le mal étoit alors trop grand pour y remédier. Il fallut abandonner les choses à leur torrent. Le gouver- nement en fut ébranlé. L'indigence et l'esprit d'in- térêt engendrèrent parmi les prêtres l'esprit d'in- tolérance. Les uns prétendirent qu'on adorât exclu- sivement les grues y d'autres voulurent qu'il n'y eut de vrai Dieu que le crocodile. Ceux-ci ne prêchè- rent que le culte des chats , et anathéraatisèrent le culte des oignons. Ceux-là condamnèrent les mangeurs de fèves à être brûlés comme des impies. Plus ces articles de croyance étoient ridicules , plus les prêtres y mirent de chaleur. Les séminaires se soulevèrent les uns contre les autres j les -peuples
2eo C P I > I O N s
crurent qu'il s\ngi>soit du renversement des autels et de la ruine de la religion , tandis qu'au fond il n'étoit question entre les prêtres que de s'attirer la confiance et les oflrandes des peuples. On prit les armes , on se battit ', et la terre tut arrosée de sang.
L'Egjpte fut superstitieuse dans tous les temps j parce ({ne rien ne nous garantit enlièreiiient de riuiluence du climat j et qu'il n'y a guère de notions antérieures dans notre esprit à celles qui nous viennent du spectacle journalier du sol que nous habitons. Mais le mal n'étoit pas aussi général sous les premiers dépositaires de la sagesse de Trismé- giste , qu'elle le devint sous les derniers hiéro- phantes.
Les anciens prêtres de l'Egypte prétendoient que leurs dieux étoient adorés même des barbares. En effet , le culte en éloit répandu dans la Chaldée , dans presque toutes les contrées de l'Asie; et l'on en retrouve aujourd'hui des traces très-distinctes parmi les cérémonies religieuses de l'Inde. Ils re- gardoienl Ooiris , Isis , Orus , Hermès , Anubis , comme des âmes célestes qui avoient généreuse- ment abandonné le séjom' de la félicité suprême , pris un corps humain ,^et accepté toute la misère de notre condition , pour converser avec nous , nous instruire de la nature du juste et de l'injuste, nous communiquer les sciences et les arts ; nous donner des lois , et nous rendre plus sages et raoins malheureux. Ils se disaient descendans de
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 2P7
ces étrcs immortels , et les héritiers d^ leur divia esprit : doclrine excellente à débiter aux peuples; aussi n'y avoit-il anciennement aucun culte su- perstitieux , dont les ministres n'eussent C|ueU|ue prétention de cette nature : ils réunirent quelque- fois la souveraineté avec le sacerdoce. Ils étoient distribués en différentes classes employées à diffé- rens exercices , et distinguées par des marques paiticulières. Ils avoient renoncé à toute occupa- tion manuelle et profane. Ils erroient sans cesse , entre les simulacres des dieux, la démarche com- posée , l'air austère , la contenance droite , et les mains renfermées sous leurs vélemens. Lue de leurs fonctions principales étoit d'e.\horter les peu- ples à garder un attachement inviolable pour les usages du pays ; et ils avoient un assez grand in- térêt à bien remplir ce devoir du sacerdoce. Ils observoient le ciel pendant la nuit ', il avoient des purifications pour le jour. Ils célcbroient un cflice quiconsistoit à chanter quelc[ues hymnes le matin, à midi , l'après-midi et le soir. Ils remplissoient les intervalles par l'étude de l'arithmétique , de la géométrie et de la physique expérimentale. Tsp) TW siJL'jetpieiv. Leur vêtement étoit propre et mo- deste f c'étoit une étoffe de lin. Leur chaussure «toit une nate de jonc. Ils pratiquoient sur eux îa circoncision. Ils se rasoient tout le corps. Ils s'abluoient d'eati froide trois fois par jour. Ils bu- voienl peu de via. Ils sHnterdisoient le pain dans
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les temps de purification , ou y inéloienl Je l'Iivs-" sope. L'huife et le poisson leur éloient abioluineiit défendus. Ils n'osoienl pas même semer des fèves. Voici l'ordre et la marche de leurs processions.
Les chantres étoient à la tête , ajant à la main quelques symboles de Kart musical. Les chantres étoient particulièrement verses dans les deux livres de Mercure , qui renfermoient les hymnes des .dieux et les maximes des rois.
lîs étoient suivis des tireurs d'horoscopes , por- tant la palme et le cadran solaire, les deux sym- boles de l'astrologie judiciaire. Ceux-ci étoient savans dans les quatre livres de INIercure sur les niouvcmens des astres , leur lumière , leur cou- cher, leur lever, les conjonctions, et les oppo- sitions de la lune et du soleil.
Après les tireurs d'horoscopes , marchoient les scribes des choses sacrées : une plume sur la tête, l'écriture , l'encrier et le jonc à la main. Ils avoient la connoissance de Fhiérog^phe , de la cosmologie, de la géographie , du cours du soleil, de !a lune et des autres planètes , de la topographie de l'Egjple et des lieux consacrés , des mesures et de quelques autres objets relatifs à la politique et à la religion.
Après les horoscopistes venoient ceux qu'on appeloit les Stolites , avec les symboles de la jus- tice et les coupes de libations. Ils n'ignoroient rien de ce qui concerne le choix des victimes , la dis- cipline des teniples , le culte divin , les cérémonies
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de la religio.n , les sacrifices , les prémices , les hymnes , les prières , les fêles , les pompes pu- bliques , et autres lualières qui composoient dix des livres de Mercure.
Les prophètes lermoient la procession. Ils avaient la poitrine nue j ils porloient dans leur sein découvert Vhjdn'a; ceux qui veilioient aux pains sacrés les accoinpagnoient. Les prophètes étoient initiés à tout ce qui a rapport à la nature des dieux et à l'esprit des lois ; i s préiiuoient a In répartition des iniputs j et les livres sacerdo- taux qui contenoient leur science étoient au nombre de dis.
Toute la sagesse é^^^'ylienne foriuoit quarante- deux volumes , dont les six derniers , à l'usage des pastophores , traitoient de l'anatomie , de la médecine , des maladies , des remèdes , des ins- trumens , des yeux et des femmes. Ces livres étoient gardés dans les temples. Les lieux où ils étoient déposés n'étoient accessibles qu'aux an- ciens d'entre les piètres. On n'inilioit que les na- turels du pajs , qu'on faisoit passer auparavant par de longues épreuves. Si la recommandation d'un souverain coniraignoit à admettre dans ua séminaire quelque personnage étranger , on n'é- pargnoit lien pour le rebuter. On enseignoit d'a- bord au néophite Tépiitolographie, ou la forme et la valeur des. caractères ordinaires. De-là , il pas- soit à la connoissance de l'écriture sainte ou de la
Piiilos.anc. et mod. ToiiE I, î^
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science du sacerdoce ; et son coins de théologie -fitiissoit par les traites de l'hiérogljphe , ou du style lapidaire , ([ui se divisoit en caractères par- ians , symboliques , iinitatits et allégoriques.
Leur philosophie morale se rapportoit principa- ment à la comiiiodiLé de la vie et à la science du gouvernement.
Si Ton considère qu'au sortir de leur éco^e , Thaïes sacrifia aux dieux , pour avoir trouvé le moyen de décrire le cercle et de mesurer le trian- gle ; et que Pythagore immola cent bœufs , pour avoir découvert la propriété du quarré de l'hy- potlîénuse j on n'aura pas une haute opinion de leur géométrie.
Leur astronomie se réduisoit à la connoissance <lu lever et du coucher des astres , des aspects des planètes , des solstices, des équinoxes , des parties du zodiaque; connoissance qu'ils appli- quoient à des calculs astrologiques, et génélhlia- ques. Eudoxe publia les premières idées systéma- tiques sur le mouvement des corps célestes ; Thaïes prédit la première éclipse : soit que le der- nier en eût inventé la méthode , soit qu'il l'eût apprise en Egypte , qu'étoit-ce que l'astronomie égyptienne 7 \\y a toute apparence que leurs ob- iservations ne doivent leur réputation qu'à Tinexac- titude de celles qu'on faisoit ailleurs.
lia gamme de leur musique avoit trois tous jet leur lyre , trois cordes. Il y avoit long-temps que
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DES A?(CIE>S PHILOSOPHES. SQt
Pj'tbagore avoit cessé d'être leur disciple , lorsqu'il s'occupoit encore à chercher les rapports des in- tervalles des sons.
Un long usage d'embaumer les corps auroit du perfectionner leur médecine ; cependant ce qu'on en peut dire de mieux , c'est qu'ils avoien't des médecins pour chaque partie du corps et pour chaque maladie. C'étoit, du-reste, un tissu de pra- tiques superstitieuses, très-conmiodes pour pallier i inetlicacue do» «.««^0,1^^^ et l'ignorance du méde- cin. Si le malade ne guérissoit pa^ , ^'^^^ q^'j^ avoit la conscience en mauvais état.
Tout ce que Borrichius a débité de leur chi- mie , n'est qu'un délire érudit : il est démontré que la question de la transmutation des métaux n'avoit point été agitée- avant le règne de Constan- tin. On ne peut nier qu'ils n'aient pratiqué de temps immémorial l'astrologie judiciaire j mais les en estimerons-nous beaucoup davantage ? Ils ont eu d'excellens magiciens, témoin leur que- relle avec INIoyse en présence de Pharaon , et la métamorphose de leurs verges en scrpens. Ce tour de sorcier est un des plus forts , dont il soit fait mention dans l'histoire.
Ils ont eu deux théologies , l'une ésotérique ^ et l'autre exotérique. ( Voyez cet article.) La première consistoit à n'admettre d'autre Dieu que Tunivers ; d'autres principes des êtres , que la matière et le mouvement. Osiris étoit le soleil j
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la lune étoil Isis* Ils uisoient qu'au coninience- jiient tout étoit conloudu : le ciel et la terre n'é- toient qu'un ; mais dans le temps , les éléiuens se séparèrent. L'air s'agita ; sa partie ignée , portée au centre, forma les autres et alluma le soleil. Son sédiment grossier ne resta pas sans mouvement. Il se roula sur lui-iiiérue j et la terre parut. Le soleil écliauffa cette mabse inerte ; les germes qu'elle contenoit fermentèrent j et la vie se mani- festa sous une infinité de rr.r.n.pc Ai^^.^^o. GUa- aue ^♦•"' ---'^"^ s'élança dans l'élément qui lui convenoit. Le monde , ajoutoienl-ils , a ses révo- lutions périodiques , à chacune desquelles il est consumé par le feu. Il renaît de sa cendre , pour subir le même sort à la fin d'une autre révolution. Ces révolutions n'ont point eu de conmience- nient et n'auront point dp fin. La terre est ua globe spbériquc. Les astres sont des amas de feu. L'influence de tous les corps célestes conspire à la production et à la diversité des corps terrestres. Dans les éclipses de lune , ce corps est plongé dans l'ombre de la terre. La lune est une espèce fie terre planétaire.
Les Egyptiens persistèrent dans le matérialis- me , jusqu'à ce qu'on leur en eût fait sentir l'ab- surdité. Alors ils reconnurent un principe intelli- gent , l'ame du monde , présent à tout , animant tout, et gouvernant tout selon des lois immuables, .Tçut ce qui étoit, en énjanoit j tout ce qui cessoiÇ
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(j'èlre , y retouînoit : cV'toit la source el l'abiine des existences. Ils furent successivement déistes, platOT^icicDS , ruanichtens, selon les conjonctures et les svstènx^s cloiuinans. Ils admirèrent Finmior- ta'ilé de Tanie. Ils prièrent pour les morts. Leur Anienlhès fut une espèce d'enfer ou d'oî^'sée. Ils fàisoicnt aux moribonds la recommandation de l'ams en ces termes : « Sol omnibus imperans , )) vos dii uni ver si qui vitam hominibus largimini , » me accipile : eldiis relernis conlubernalem futu- )) ru m reddile »*
Selon eux , \es âmes des justes rentroient dans le sein du grand principe , immédiatement après la séparation d'avec le corps. Celles des méchans se purifioient ou se dépravoient encore davantage en circulant dans le monde sous de nouvelles formes. La matière étoit éternelle ; elle n'avoit été ni émanée , ni produite , ni créée. Le monde avoit eu un commencement; mais la matière n*a- voit point commencé et ne pcuvoit finir. Elle ciis- toit par elle-même , ainsi que le principe imma- tériel. Le principe inmiatériel étoit l'être éternel
ui
qui infertile ; la maiière étoit l'être éternel q est informé. Le mariage d'Osiris et d'Isis étoit une al!égf rie de ce système. Osiris et Isis engendrèrent Crus , ou TLnivers , qu'ils regardoient comme TaLle du principe a:. lif appliqué au principe passif. La maxime fondamentale de lem tbéologie eso- tcnque , fut de ne rejeter aucune superstition
2^4 OPINIONS
étrani^ère j conséc|ueiiinicnt il ny eut point Je dieu persécuté sur la surface de la terre , qui ne trou- vât un asyle dans cjuelque temple égyplîen ; on lai en ouvroit les portes, pourvu qu'il se laissât habillera la manière du pajs. Le culte qu'ils ren- dirent aux bètes, et à d'autres êtres de la nature, lut une suite assez naturelle de riiiérogljphe : les figures hiéroglj^phiques représentées sur la pierre désignèrent , dans les commencemens , dilTérens phénomènes de la nature; mais elles devinrent, pour le peuple, des représentations de la divinité , lorsque Tintelligence en fut perdue , et qu'elles n'eurent plus de sens y de-là cette foule de dieux de toute espèce, dont TEgjpte étoit remplie; de-là ces contestations sanglantes qui s'élevèrent entre les prêtres , lorsque la partie laborieuse de la nation ne tut plus en état de fournir à ses propres besoins, et en - même - temps aux besoins de la portion oisive.
.,.,,..... summus u trinque Inde furùT rulgo, quod numina vicînornm Ôciît uterque locus, cum solos credat habendos " Esse deos , quos ipse colit.
JUVENAL, Satyr.XVj vers. J5, etseqq.
Ce soroit ici le lieu de parler des antiquités égyptiennes , et des auteurs qui ont écrit de la théologie et de la philosophie des Egyptiens: mais la plupart de ces auteurs ont disparu dans
r L s A :." c i !:■ tm s philosophes. 2g\) rinccndie de la bibliolliè4ue d'Alesandiie j ce qui nous en reste est apocryphe , si l'on en excepte^ quelques fragniens conservés en citations dans d'autres ouvrages, Sanchcniaton est sans autorité. Manélhon éloit de Diospolis ou de Sébcnnisiil vécut sous Plolénioe-Philadelpbe. Il écrivit beau- coup de rhistoire de la philosophie et de la théo- logie des Egyptiens. Yoici le jugement qu'Eusèbe a porté de ses ouvrages.
Ex cohnnnis , dit Eusèbe , in synadicâ. terrd posais , fjuibus sacrd dialccto sacrœ erant notes insculptœ à Tiioot , primo Mcrcuiio ; post di- luviuni vero ex sacrd Un^uâ in grœcmn notis ibidem sacris versœ fuermit } interqiie libres in addita œgjytia relata ah Agatho dœinone , al* tero Mercurio Pâtre Tat^ undè ipse ait libros scriptos ah avo I^lercurii Trismegisti. , . .
Quel fond pourrions - nous faire sur cette tra- duction de traduction de symboles en hiéroglyphes j dliiérogljphes , en caractères égyptiens sacrés j de caractères égyptiens sacrés , en lettres grec- ques sacrées ; de lettres grecques sacrées , en ca- ractère ordinaire, quand l'ouvrage de INIauéthoa seroit parvenu jus({u'a nous ?
La table Isiaque est une des antiquités égyp- tiennes les plus reniarquabies. Pierre Benibe la tira d'entre les n^ains d'un ouvrier , qui l'avoit jetée parmi d'autres mitrailles. Elle passa de-là dans le cabinet de ^'iiicent , duc de IMantoue. Les Im-
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périaux s'emparèrent de Aianloue en i65oj et la table Isiaque drsparut dans le sac de celle ville: un médecin du duc de Savove la recouvra long- temps après , et la renferma parmi les anti(juités de son souverain , où elle existe apparemment. Vorez-en la description au //20^ Isi aque. Que n'a-t-on point yudans cette labié ? C'est un nuage où les figures se sont nmltipliées , selon qu'on avoit plus d'imagination et de connoissances. Rudbeck y a trouvé l'alphabet des Lapons j Fabricius , les signes du Zodiaque » et les mois uc l'année j Her- Vvart Jes propriétés dcraimaut , et la polarité de l'aiguille aimantée; Kircher , Pignorius , Witsius, tout ce qu'ils ont voulu ', ce qui n'empêchera pas ceux qui viendront après eux , d j' voir encore tout ce qu'ils voudront : c'est un morceau admi- rable pour ne laisser aux modernes , de leurs dé- couvertes , que ce qu'on ne jugera pas digne d'élre attribué aux anciens ("**).
(*) Conférez ici ce c[ue nous avons dit du livre âe M. Dutens, sur Vorigine des décous^eries attri- huées aux modernes , dans le discours prélimiDaire qui sert d'introduction au Dictionn. de Pliilos. anc. et mod. de TEncyclop. méthod. Vvycz depuis la page j5 jusc£u'à la page 21.
NOTE DE l'Éditeur.
DES ANCIENS PHILOSOPHAS. 297
É L É A T I Q U E.
(secte),
La secte Eléatique fut ainsi appelée d'Ex'c, ville de la grande Grèce , où naquirent Parniénide , Zenon et Leucippe , trois célèbres défenseurs de la philosophie dont nous allons parler.
Xénophane de Coiophone passe pour le fonda- teur de Veléatisine. On dit qu'il succéda à Telange , fils de Pjthagore , qui enseignoit en Italie la doc- trine de son père. Ce qu'il j a de certain , c'est que les éléaticjiies furent quelquefois appelés pj'tha- goriciens.
Il se fit un grand schisme dans l'école eléatique, qui la divisa en deux sortes de philosophes qui con- servèrent le même nom , mais dont les principes furent aussi opposés qu'il étoit possible qu'ils le fussent. Les uns se perdant dans les abstractions , et élevant la certitude des connoissances métaphy- siques aux dépens de la science des faits, regardè- rent la physique expérimentale et l'étude de la nature comme l'occupation vaine et trompeuse d'un homme qui , portant la vérité en lui-Jiiéme, la cherchoit au-dehors , et devenoit , de propos délibéré , le jouet perpétuel de l'apparence et des fantômes ', de ce nombre furent Xénophane, Par- ménide , IMélisse et Zenon. Les autres , au con-
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tiaiic , peiSLiaJej qu'il ii'v a de vcrilc que dans les propositions fondées sar le témoignage de nos sens , et que la counoissan.ce des phénomènes de la nature est la seule philosophie , se livrèrent tout entiers à Fèlude de la phjsique j et Ton trouve à la tête de ceux-ci les uonis célèbre^ de Leucippe , de Dénio- crite , de Protagoras, de Diagoras et d'Anasarque. Ce schisme nous donne la division de l'histoire de la philosophie éléatique en histoire de Véléatismeniè- taphjsique, et en histoire deVélcatisme phj'sique.
Histoire des éléatiques métaphysiciens,
Xénophane vécut si long-temps , qu'on ne sait à quelle année rapporter sa naissance. La diiierence entre les historiens est de vingt oljmpiades ) mais il est difficile d'en trouver une autre que la cin- quanie-sisième , qui satisfasse à tous les faits don- nés. Xénophane, né dans la cinquante -sixième oljmpiade , put apprendre les élémens de la gram- maire , tandis qu'Anasimandre fieurissoilj entrer dans l'école pj liiagoricienne à l'âge de vingt-cinq ansj professer la philosophie jusqu'à l'âge de qua- tre-vingt-douze^ être témoin de la défaite dés Perses à Platée et à Marathon j voir le règne d'Hiéron j avoir Empédoclcpour disciple j atteindre le com- mencement delà quatre-vingt-unième olympiade , et snourir âgé de cent ans.
Xénophane n'eut point de maître. Persécuté
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dans sa pairie , il se relira à Zancle ou à Catane dans la Sicile. Il étoit poète et philosophe. Réduit à la dernière indigence , il alla demander du pain à riiéron. Demander du pain à un tjran ! ii valoit encore mieux chanter ses vers dans les rues; cela eût été plus honnéle et plus conforme aux n;ceurs du temps. Indigné des fables qu'Homère et Hésiode avoient débitées sur le compte des dieux, il écrivit contre ces deux poètes ; mais les vers d'Hésiode et d'Homère sont parvenus jusqu'à nous , et ceux de Xénophane sont tombés dans l'oubli. Il combattit les principes de Thaïes et de Pjthagore ; il harcela un peu le philosophe Epiménide j il écrivit l'his- toire de son pays ; il jeta les fondemens d'une nou- velle philosophie dans un ouvrage intitulé : de la nature. Ses disputes, avec les philosophes de son temps , servirent aussi d'aliment à la mauvaise humeur de Timon j je veux dire (jue le misanthrope s'en réjouissoit intérieurement , quoiqu'il en parût fâché à l'extérieur.
Nous n'avons point les ouvrages des élëati^ues ; et Ton accuse ceux d*entre les anciens qui ont fait niention de leurs principes, d'avoir mis peu d'exac- titude et de fidélité dans l'exposition qu'ils nous ea ont laissée. Il y a toute apparence que les éléati— ques avoient la double doctrine. Voici tout ce qu'on a pu recueillir de leur métaphysique et de leur physique.
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^létayhjs'ujue de Xtnophane,
Rien ne se fait ae rien. Ce qui est, a donc toujours élé ; mais ce qui est éiernel, est infini j ce ([ui est ittiîni, est un : car, où il y a ùissiuiililude, il j a plu- ralité. Ce qui est éternel , infini, un, par-tout le même , est ausii imnuiable et ijumoblle : car s'il pouvoit changer delieu, il ne ieroit pas infini; et s'il pouvoit devenir autre , il j auroit en lui des choses qui commenceroient , et des choses qui finiroient sans cause; il se feioit quelque chose de rien , et rien de quelque chose ; ce qui est absurde. Il n y a qu'un être qui soit éternel , infini, un, immuable , innnobile , tout; et cet être est Dieu. Dieu n'est point corps; cependant sa sub;>tance , s'étendant également eu tout sens, remplit un espace immense, sphéricpie. Il n'a rien de commun avec l homme. Dieu voit tout, entend tout, est présenta tout; il est en-méme-temps l'intelligence , la durée^ la nature; il n'a point noire forme; il n'a point nos passions ; ses sens ne sont point tels que les nôtres.
Ce système n'est point éloigné du spinosisme. Si Xéaophane semble reconnoître deux substances dont l'union intime constitue un tout qu'il appelle r univers; d'un autre côté, l'une de ces substances, est figurée , et ne peut , selon ce philosophe , se concevoir distinguée et séparée de l'autre que par abstraction. Leur nature n'est pas essentiellement
DES ANCIEISS PHILOSOPHES. 5oi
différente. D'ailleurs , celle aiiie de l'univers , que Xcnophane pareil avoir imaginée, et que lousies philosophes qui l'ont suivi ont admise , n'éloit riea de ce que nous entendons par un esprit,
Pliysicjiie de Xënophane,
Un j- a qu'un univers ) mais il y a une infinité de mondes.
Comme il n'y a point de mouvement vrai , il n'y a en effet ni génération, ni dépérissement , ni alté- ration. Il n'y a ni conjmencement , ni fin de rien , que des apparences. Les apparences sont les seules processions réelles de l'état de possibilité à l'état d'existence, et de l'état d'existence à celui d'an- nihilation.
Les sens ne peuvent nous élever à la connois- sance de la raison première de l'univers. Ils nous trompent nécessairement sur ses lois. Il ne nous vient de science solide que de la raison ; tout ce qui n'est fondé que sur le témoignage des sens, est opinion.
La métaphysique est la science des choses j la physifjue est l'étude des apparences.
Ce que nous appercevons en nous, est; ce que nous appercevons hors de nous , nous paroît. iMais la seule vraie philosophie est (\es choses qui sont, et non de celles qui paroissent.
Malgré ce mépris que les éldatùjues faisoient d^
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la science des faits et de la connoissancc de la na- ture , ils s'en occiipoient sérieusenient j ils en ju- geoient seulement moins favorablement que les |)liilosophes de leur temps. Ils aui oient été d'accord avec les pyrrhoniens , sur l'incertitude du rapport des sens j mais ils auroient défendu contre eux rinfaillibililé de la raison.
Il j a , disoient les éléatiques , quatre élément, ils se combinent, pour fornjer la terre» La terre est la matière de tous les êtres.
Les astres sont des nuages enflammés: ces gros charbons s'éteignent le jour , et s'allument la nuit. Le soleil est un amas de particules ignées , qui se détruit et se réforme en vingt-quatre heures j il se lève le matin comme un grand brasier allumé de vapeurs récentes j ces vapeurs se consument à-me- sure que son cours s'avance j le soir, il tombe épuisé sur la terre ; son mouvement se fait en ligne droite: c'est la distance qui donne à l'espace qu'il parcourt une courbure apparente. H y a plusieurs soleils j chaque climat, chaque zone a le sien.
La lune est un nuage condensé \ elle est habitée ; il y a des régions , des villes.
Les nuées ne sont que des exhalaisons que le soleil attire de la surface de la terre.
Est-ce l'affl-uence des mixtes qui se précipitent dans les mers qui les sale? Les mers ont couvert toute la terre \ ce phénomène est démontré par la présence des corps marins sur sa surface et dans
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SCS entrailles. Le genre humain finira , lorsque , la terre étant entraînée au fond des mers , cel amas d'eau se répandra également par-tout , détrempera le globe , et n'en formera qu'un bourbier j les siècles s'écouleront j Timniense bourbier se séchera , et les hommes renaîtront, Voilà la grande révolution de tous les cires.
Ne perdons point de vue , au milieu de ces puéri- lités, plusieurs idées qui ne sont point au-dessous de la philosophie de nos temps: la distinction des é^éniens , leur combinaison , d'où résulte la terre j la terre, principe général des corps j l'apparence circulaire , eli'et de la grande distance j la pluralité des mondes et des soleils ; la lune habitée j les nuages formés des exhalaisons terrestres ; le séjour de la mer sur tous les points delà surface de la terre. 11 étoit difacile qu'une science qui en étoil à son alphabet , rencontrât un plus grand nombre de vérités ou d'ic'ées heureuses.
Tel étoit l'état de la philosophie eZe^f/.y?/e, lors- que Parménide naquit. Il étoit d'Elée. Il eut Zenon pour disciple. Il s'entretint avec Socrate. Il écrivit sa philosophie en vers j il ne nous en reste que des lambeaux si décousus , qu'on n'en peut former aucun ensemble systématique. Il y a de l'apparence qu'il donna aussi la préférence à la raison sur les -sens ; qu'il regarda la physique comme la science des opinions ; et la métaphysique , comme la science des choses ; et qu'il laissa Véléatisme spéculatif où
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il en étoit ^ à-inoins «ju'on ne veuille s'en rapporter à Platou , et attribuer à Pariucnide tout ce que le platonisme a dcbité depuis sur les idées. Pan.nénide se fit un svslcnie de physiijue particulier. 11 regarda le froid et le chaud , ou la lerro et le ieu, comme les principes des êîrcs ; il découvrit cjue le soleil et la lune brilloient de la même lumière , mais (jue l'éclat de la lune étoit emprunté ; il plaça la terre au centre du uionde j il attribua son immobilité à sa distance égale e» tout sens «le chacun des autres points de l'univers. Pour eipiiquer la génération des substances qui nous environnent, il disoit : Le feu a été appliqué à la terre j le limon s'est échauffé j l'homme et tout ce qui a vie a été engendre ; le monde finira j la portion principale de l'ame hu- maine est placée dans son cœur.
ParméniJe naquit dans la soixante-neuvième olj njpiade. On ignore le temps de sa mort. Les Eléens l'appelèrent au gouxernement j mais des troubles populaires le dégoûtèrent bientôt des aliaires publiques j cl il se retira, pour se livrer tout entier à la philosophie.
IMélissedeSamos fleurit dans la quatre-vingt- quatrième olympiade. 11 fut homme d'état , avant que d'être philosophe. 11 eut peut-être été plus avantagcui pour les peuples , qu'il eût commencé par être philosophe avant que d'être homme d'état. Il écrivit dans sa retraite , de Vetre et de la na- ture. Il ne changea rien à la philosophie de sc$
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prédcceîiseurs j il crojoit seulement que, la nature des dieux étant incompréhensible , il falloit s'entaire } et que ce qui n*estpas, est impossible ; deux prin- cipes , dont le premier marque beaucoup de rete- nue ; et le second , beaucoup de hardiesse. On croit que ce fut notre philosophe quicommandoit les Sa- miens, lorsque leur flotte battit celie des Athéniens. Zenon V éléaticjue ï\il un beau garçon , que Par- ménidene reçut pas dans son école sans qu'on en. médît. 11 se mêla aussi des affaires publiques, avant que de s'appliquer à l'étude de la philosophie. On dit qu'il se trouva dans Agrigente , lorsque cette ville gémissoit sous la tyrannie de Phalaris ; qu'avant employé sans succès toutes les ressources de la philosophie pour adoucir cette béte féroce , il inspira à la jeunesse f honnête et dangereux des- sein de s'en délivrer ) que Phalaris , intruit de cette conspiration , lit saisir Zenon , et l'exposa aux plus cruels tourraens , dans l'espérance que la violence delà douleur lui arracheroit les noms de ses com- plices j que le philosophe ne nomma que le favori du tj'ran j qu'au milieu de ses supplices , son élo- quence réveilla les lâches Agrigentins ; qu'ils rou- girent de s'abandonner eux-mêmes , tandis qu'un étranger.expiroit à leursyeux pour avoir entrepris de les tirer de l'esclavage j qu'ils se soulevèrent biTisquement , et que le tj'ran fut assommé à coups de pierres. Les uns ajoutent qu'ayant invité Phalaris à-s'approcher sous prétexte de lui révéler,
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tout ce qu'il dcsiroit savoir , il le mordit par l'oreille , et ne Idclia prise qu'en mourant sous les coups que les bourieaux lui donnèrent. D'autres , que , pour ôter à Phalaris toute espérance de connoîlre le fond de la conjuration , il se coupa la langue avec les dents , et la cracha au visage du tjran. Mais,<|ueU que honneur que la philosophie puisse recueillir de ces faits , nous ne pouvons nous en dissimuler l'incertitude. Zenon ne vécut ni sous Phalaris , ni sous Denjs ; et l'on raconte les mêmes choses d'Anaxarque.
Zenon étoit grand dialecticien. Il avoit divisé sa lo- gi({ue en trois parties. Il traitoit , dans la première, de l'art de raisonner ; dans la seconde , .de l'art de dialoguer; et dans la troisième, de l'art de disputer. Il n'eut point d'autre métaph^si<|ue c}ue celle de Xénophane. Il combattit la réalité du mouvement. Tout le monde connoît son sophisme de la tortue et d'Achile : u il disoit : Si je soulfre sans indigna- )) tion l'injure du méchant , je serai insensible à la » louange deThonnéte homme ». Sa physique fut la même que celle de Parménide. 11 nia le vide. S'il ajouta au froid et au chaud , fhumide et le sec , ce ne fut pas proprement comme cjuatre diiîérens principes , mais comme quatre effets de deux causes , la terre et le feu.
Histoire des éléatiques physiciens, Leucippe d'Abdèr e , disciple de Mélisse et de
r)E5 IIVCIEMS PlilLOSOPHES. ZtOj
Zenon , el inaîiie de Dcnioci itc , s'apperçut bien- lôL c[ue la iiicHance ouireedu tcnioi^agc des sens détruisoit toute pliilosophie ; et qu'il valoil mieux rechercher en quelles circonslances ils nous troiu- poienl , que de se persuader à soi-iuêrjie et aux au- tres pardes subtilités de logique, qu'ils nous trom- pent toujours. Il se dégoûta de la métaplijsique de Xénophane , des idées de Platon , des nombres de Pylhagore , des sophismes de Zénou ; et s'aban- donna tout entier à l'étude de la nature , à la con- noissance de l'univers , el à la recherche des pror- priétes et des attributs des êtres. Le seul nioyen, dis'-»ii-il , de reconcilier les sens avec la raison , qui semblent s être brouillés depuis l'origine de la secte éléatûjue , c'est de recueillir des faits , el d'en faire la base de la spéculation. Sans les fails , toutes les idées systématiques ne portent sur rien ; ce sont des ombres inconstantes qui ne se resseuiblent qu'un instant.
On peut regarder Leucippe conmie le fondateur delà philosophie corpusculaire, ployez atomisme. Ce n'est pas (ju'avanl lui on n'eût considéré les corps conjme des amas de particules j mais il eat le premier qui ait fait , de la cojubinaison de ces par- ticules , la cause universelle de toules choses. Il avoit pris la métaphysique en une telle avrsion , que , pour ne rien laisser ,disoit-iI, d'arbitrairedans sa philosophie , il en avoit banni le nom de Dieu, Les philosophes , qui i'avoient précédé , voyoien^
00b OPINIONS
tout dans les idées j Leucippe ne voulut rien admet- tre , que ce qu'il observeroit dans les corps. Il fit tout émaner de Tatonie , de sa figure , et de son mouvement. Il imagina Fatomisme j DéiDOcrile perfectionna ce sjsléiiie; Epicure le porta jusqu'où il pouvoit s'élever. Voyez atomismf..
Leucippe el Démocrite avoient dit que les ato- mes diiléroient par le mouvement , la figure et la masse; et que c'étoit de leur coordination que nais- soient tous les êtres. Epicure ajouta qu'il j avoit des atomes d'une nature si hétérogène , qu'ils ne pou- Voient ni se rencontrer , ni s'unir. Leucippe et Dé- mocrite avoient prétendu (|ue toutes les molécules élémentaires avoient commencé par se mouvoir en ligne droit,e. Epicure remarqua que , si elles avoient commencé à se mouvoir toutes en ligne 'droite, elles n'auroient jamais changé de direction j ■ne se seroient point choquées , ne se seroient point combinées , el n'auroient produit aucune substance, d'où il conclut qu'elless'étoient mues dans des direc- tions un peu inclinées les unes aux autres , et conver- gentes vers quelque point conmmn , à-peu-près commeuousvojonsles gravestomber vers lecentre ^e la terre. Leucippe et Démocrite avoient animé leurs atomes d'une même force de gravitation y Epicure fit graviter les siens diversement : voilà les principales dilTérenccs de la philosophie de Leucippe et d'Epicure , qui nous soient connues.
Leucippe disoil encore : L'univers est infini j il
DES ArsCIENS PHILOSOPHES. 5«'J9
y a un vide absolu , et un plein absolu j ce sont les deux portions de l'espace en général. Les atonies se meuvent dans le vide. Tout naîl de leurs combi- naisons^ ils forment des mondes , qui se ré.-olvent en atonies. Entraînés autour d'un centre commun , ils se rencontrent , se choquent , se séparent , s'u- nissent; les plus légers sont jetés dans les espaces vides qui embrassent extérieurement le tourbillon général. Les autres tendent fortement vers le cen- tre ; ils s y baient , s'y pressent , s'y acrochent , et y forment une masse qui augmente sans cesse en densité. Cette masse attire à elle tout ce qui l'approche ; de-1^ naissent l'humide , le limoneux , le sec , le chaud , le brûlant , l'enfiammé , les eaux, la terre , les pierres , les hommes , le feu , la flamme, les astres.
Le soleil est environné d'une grande atmosphère, qui lui est extérieure.
C'est le mouvement, qui entretient sans cesse le feu des astres , en portant au lieu qu'ils occupent, des particules qui réparent les pertes qu'ils font.
La lune ne brille que d'une lumière empruntée du soleil. Le soleil et la lune souffrent des éclipses , parce que la terre penche vers le midi. Si les éclip- ses de lune sont plus fréquentes que celles de soleil, il en faut chercher la raison dans la diffjrence de leurs ombres.
Les générations, les dépérissemens , les altéra- tions j sont les suites d'une loi générale et né-
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cessaire , qui a^it dans toutes les molécules de la nialière.
(^uoif[ue nous ayons perdu les ouvrages de Leu- cippe, il nous est resté , coruine on voit, assez de connois^ance des principes de sa philosophie, pour jugei- du mérite de (juelques-uns de nos systéma- ti«.{ues modernes ; et nous pourrions demander aux cartésiens , s'il y a bien loin des idées de Leucippe à celles de Descartes? Voyez cartesiamsme.
Leucippe eut pour successeur Démocrite , un d^çs premiers génies de l'antifjuité. Démocrite na- quit à Abdère , où sa famille étoit riche et puis- sante. Il lleurissoit au commencement de la guerre du Péloponèse. Dans le dessein qu'il avoit formé de voyager, il laissa à ses frères les biens- fonds , et il prit en argent ce qui lui revenoil de la succession de son père. Il parcourut l'h^g^pte, où il apprit la géométrie dans les séminaires y la Chal- dée j l'Ethiopie , où il conversa avec Icsgjmnoso- phistes j la Perse, où il interrogea les mages ; les Indes , etc. Je nai rien épargné pour in instruire , disoit Démocrite j fai vu tousles hommes célèbres de mon temps ; fai parcouru toutes les contrées où j'ai espéré rencontrer la vérité: la distance des lieux ne nia point effra^yé ; fai observé les différences de plusieurs climats ; fai recueilli les phénomènes de fair , de la terre et des eaux y la fatigue des voyages ne in a point empêché de méditer ^ j* ai cultivé les mathématiques sur les
DES A ?» c I E ?.' S PHILOSOPHES. 5ri grandes rouies , comme dans le silence de mon cabinet; je ne crois pas que personne me surpasse aujourd'hui dans Tart de démontrer par les nom- bres et par les lignes ; je n'en excepte pas même les prêtres de t Egypte.
Déniocrite revint dans sa pairie , rempli de la sagesse de toutes les nations j mais il y fut réduit à la vie la plus étroite et la plus obscure 5 ses longs voyages avoient entièrenienl épuisé sa fortune j heureusement il trouva dans l'aniitié de Damasis, son frère , les secours dont il avoit besoin. Les lois du pays refusoienl la sépulture à celui qui avoit disiipé le bien de, ses pères. Démocrite ne crut pas devoir exposer sa mémoire à cette injure : il obtint de la république une somme considérable en argent, avec une sta'ue d'airain, sur la seule lecture d'un de ses ouvrages. Dans la suite / ajant conjecturé , par des observations niétéorologirpies , qu'il j au- roit une grande diseite d'huile y il acheta à bon niaiché toute celle qui étoit dans le conmierce , la revendit fort cher ', et prouva aux détracteurs de la philosophie que le philosophe savoit acquérir des richesses quand il le vonloit. Ses concitoj ens l'ap- pelèrent à radniinistration des affaires publiques : il se conduisit à la télé du gouverneujent , comme on l'attendoit d'un honmie de son caractère. Mais son goût dominant ne tarda pas à le rappeler à la conlemplation et à la philosophie. Il s'enfonça dans les lieux sauvages et solitaires j il erra parmi lei
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loinbcaux ; il se livra à l'élude de la morale , de la nature, de i'analoinie et des mathématiques j il consuma sa vie en expériences j il fit dissoudre des pierres; il exprima le suc des plantes j il disséqua lei animaux. Ses imbécilles concitoj^ens le prirent aUernalivemeut pour magicien et pour insensé. Son entrevue avec Hippocrale , qu'on avoil appelé pour let^uérir, est trop connue et trop incertaine , pour que j'en fasse mention. Ses travaux et son extrême sobriété n'abrégèrent point ses jours. Il vécut près d'un siècle. Voici les principes généraux de sa philosophie.
Logique de Démocrite,
Démocrile disoit : Il n'existe que les atomes et le vide ; il faut traiter le reste comme des simula- cres trompeurs.
L'homme est loin de la vérité. Chacun de nous a son opinion j aucun n'a la science.
Il j a deux philosophies ; l'une sensible , l'autre rationnelle j il faut s'en tenir à la première , tant qu'on voit , qu'on sent, qu'on entend , qu'on goûte et qu'on touche^ ilne faut poursuivre le phénomène à la pointe de l'esprit , que quand il échappe à la portée des sens. La voie expérimentale est longue , mais elle est sûre j la voie du raisonnement a le même défaut , et n'a pas la même certitude.
D'où l'on voit que Démocrile s'étoit un peu
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rapproché des idées de Xénophane en métaphy- siquej et <|u'il s'éloit livré sans réserve k la méthode de philosopher de L^ucippe en physique.
Physiologie de Dénwcrite,
Démocrite disoit :Rien ne se fait de rien ; le vide et les atonies sont les causes efficientes de tout.
La matière est un amas d'atomes , ou n'est qu'une vaine apparence. L'atome ne naît point du vide ; ni le vide , de l'atome ; les corps existent dans le vide. Ils ne difterent que par la combinaison de leurs élémens.
Il faut rapporter l'espace aux atomes et au vide. Tout ce qui est plein , est atome; tout ce qui n'est pas atome ; est vide. Le vide et les atomes sont deux infinis ; l'un en nombre , l'autre en étendue.
"Les atomes ont deux propriétés priniitives , la figure et la masse. La figure varie à l'infini ; la masse est la plus petite possible.
Tout ce que nous attribuons d'ailleurs aux ato- mes , comme des propriétés , est en nous. lis se meuvent dans le vide immense, où il n'y a ni haut, ni bas, ni commencement, ni milieu , ni fin j ce mouvement a toujours été , et ne cessera jamais. Il se fait selon une direction oblique , telle que celle des graves. Le choc et la cohésion sont les suites de celle cbiiquitc et de la diversité des figures.
La justice , le destin , la providence , sont des Philos, aac. e! mod.ToiIE I. O
5r4 «piNioiss
termes vides de sens. Les actions réciprocjucs dci atomes sont les seules raisons éternelles de tout. Le mouvement circulaire en est un effet immédiat, La matière est une: toutes les différences éma- nent de l'ordre , de la figure , et de la combinaison des atomes.
La génération n'est que la cohésion des atonies homogènes : raltéralion n'est qu'un accident de leur combinaison j la corruption n'est que leur «éparalion j l'augmentaticu , qu'une addition d'alo- mcs jla diminution, qu'une soustraction d'atomes. Ce qui s'apperç^oit par les sens , est toujours vrai j la doctrine des atomes rend raison de toute la di- versité de nos sensations.
Les mondes sont infinis en nombre : il j en a de parfaits, d'in*parfaits; de semblables , de différens. Les espaces qu'ils occupent , les limites qui le« circonscrivent , les intervalles qui les séparent , varient à l'infini. Les uns se forment j d'autres sont formés j d'autres se résolvent et se détruisent.
Le monde n'a point d'ame , ou l'ame du monde est le mouvement igné. Le feu est un amas d'a- tomes sphériques.
Il n'y a d'autres différences entre les atomes constitutifs de l'air , de l'eau et de la terre, que celle des masses.
Les astres sont des amas de corpuscules ignés çt légers , mus sur eux-mêmes.
La lune a ses montagnes , ses vallées et ses plaines.
DES ANCIEI^S PHILOSOPHES. 5l3
Le soleil est un globe immense de feu.
Les corps célestes sont emportés d'un mouve- ment général d'orient en occident. Plus leur orbe est voisin de la terre , plus il se meut lentement.
Les comètes sont des amas de planètes si voi- sines , qu'elles n'excitent rjue la sensation d'un tout.
Si l'on resserre dans un espace trop étroit une grande quantité d'atomes , il s'y formera un cou- rant ; si l'on disperse , au contraire , les atomes dans un vide trop grand pour leur quantité , ils de- meureront en repos.
Dans le commencement , la terre fut emportée, il travers l'immensité de l'espace, d'un mouvement irrégulier. Elle acquit, dans le temps, de la con- sistance et du poids; son ntouvement se ralentit peu-à-peu , puis il cessa. Elle doit son repos à son étendue et à sa gravité. C'est un vaste disque qui divise l'espace infini en deux hémisphères, l'un, supérieur , et l'autre, inférieur. Elle reste im- mobile par l'égalité de force de ces deux hémis- phères. Si l'on considère la section de l'espace uni- versel , relativement à deux points déterminés de cet espace, elle sera droite ou oblique j c'est ea ce sens que l'axe de la terre est incliné.
La terre est pleine d'eau : c'est la distribution inégale de ce fluide dans ses immenses et pro- fondes concavités , qui cause et entrelient ses mou» vcrnens.
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Les mers décroissent sans cesse , et tariront. Les lioinnies sont sortis du limon et de l'eau. L'anie humaine n'est que la chaleur des élcmens du corps 5 c'est par cette chaleur, que rhomine se meut et qu'il vit. L'ame est mortelle; elle se dissipe avec le corps. La partie qui réside dans le cœur , réflé- chit , pense et veut; celle qui est répandue uni- formément par-tout ailleurs , sent seulement.
Le mouvement, qui a engendré les êtres détruits, les reformera.
Les animaux , les hommes et les dieux , ont chacun leurs sens propres. Les nôtres sont de« miroirs qui reçoivent les images des choses.
Toute sensation n'est qu'un toucher.
La distinction du jour et de la nuit est une ex- pression naturelle du temps.
Théologie de Démocrite.
' Il y a des natures composées d'atomes très- fiublils , qui ne se montrent à nous que dans les ténèbres. Ce sont des simulacres gigantesques : la dissolution en est plus difficile et plus rare que des autres natures. Ces êtres ont des voix ; ils sont plus inslruits que nous. Il y a dans l'avenir des événemens qu'ils peuvent piévoir cl nous annon- cer : les uns sont bienfaisans ; les autres , mal- faisans. Ils habitent le vague des airs ', ils ont la figure humaine. Leur dimension peut s'étendre jusqu'à remplir des espace* imn;enses. D'où Toa
ÈES ANCIENS PHILOSOPHES. 0>J
voit ([lie Déniocrite avoit pris pour desV^res rctis les fantômes de son imagination , et qu'il avoit composé sa théologie de ses propres visions ; ce qui étoit arrivé de son temps à hoaucoup d'autres, qui ne s'en douloient pas.
Morale de Démocnie,
La santé du corps et le repos de i'ame sont îe souverain bien de Ihomme.
L'homme sage ne s'attache fortement à rien de ce qui peut lui être enlevé.
Il faut se consoler de ce qui est par la contem- plation du possible.
Le philosophe ne demandera rien , et iiiti i- tera tout ) ne s'étonnera guère , et se fera souvent admirer*
C'est la loi qui fait le l^ien et le mal^ le juste et l'injuste , le décent et le déshonnéte.
La connoissance du nécessaire est plus à désirer ,' que la jouissance du superflu. '
L'éducalion fait plus d'honneles gens , que -a nature.
Il ne faut courir après la fortune , que jusqu'au point marqué par les besoins de la nalure.
L'on s'épargnera bien des peines et des entre- prises , si l'on connoît ses forces , et si l'on ne se propose rien au-delà , ni dans son domestique , ni dans la société.
"Ô 8 O F 1 A 1 o ^ s
Celui qui s'est fait un caractère , sait Icul ce qui lui arrivera.
Les loix n'oient la liberté qu'à ceux qui en abu- seroient.
On n'est point sous le malheur , tant qu'on est loin de l'injustice.
Le méchant , qui ignore la dissolution finale , et qui a la conscience de sa méchanceté , vit en crainte, meurt en transe, et ne peut s'empêcher d'attendre d'une justice ultérieure qui n'est pas, ce qu'il a mérité de celle qui est , et à laquelle il n'i- gnore pas qu'il échappe en mourant.
La bonne santé est dans la main de l'homme. L'intempérance donne de courtes joies et de longs déplaisirs , etc.
Démocrile prit pour disciple Protagoras , un de ses concitoyens j il le tira de la condilion de porte- faix, pour l'élever à celle de philosophe. Démo- crile ajant considéré, avec des yeu'x mécaniciens, l'artifice singulier (jue Piolagoras avoit imaginé pour porter commodément un grand fardeau , l'in- terrogea , conçut sur ses réponses bonne opinion de son esprit , et se l'altacha, Protagoras professa l'éloquence et la philosophie. Il fit pajer chère- ment ses leçons : il écrivit un livre de la nature des dieux, qui lui mérita le nom ({'impie , et ([ui l'ex- posa à des persécutions. Son ouvrage commen- çoit par ces mots : u Je ne sais s'il y a des dieux ; )) la profondeur de celle recherche , jointe à la
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« brièveté de la vie , m'ont condamné à l'ignorer j) toujours ».
Prolagoras fut banni ; et ses livres , recherchés, brûlés et lus. Punltis ingcniis , gliscit auctoritas.
Ce qu'on nous a transmis de sa philosophie n'a rien de parliculier ] c'esl la métaphysique de Xé- nophane , et la physique de Démocrite.
U eléatique Diagoras , de l'île de Mélos, fut un autre impie; il naquit dans la trente - huitième olympiade. Les désordres , qu'il remarqua dans l'ordre physique et moral , le déterminèrent à nier l'existence des dieux ) il ne renferma point sa façon de penser , malgré les dangers auxquels il s'expo- soit en la laissant transpirer. Le gouvernement mit sa tête à prix. On éleva une colonne d'airain , par laquelle on promettoit un talent à celui qui le tueroit , et deux talens à celui qui le prendroit vif. Une de ses imprudences fut d'avoir pris, au défaut d'autre bois , une statue d'Hercule pour faire cuire des navets. Le vaisseau , qui le portoit loin de sa patrie, ayant élc accueilli par une violente tem- pête , les matelots ,' gens superstitieux dans le dan- ger , commencèrent à se reprocher de l'avoir pris sur leur bord ; mais ce philosophe leur montrant d'autres bâtimens qui ne couroient pas moins de danger que le leur, leur demanda, avec un grand sang froid , si chacun de ces vaisseaux portoit aussi un Diagoras. Il disoit, dans une autre conjoncture, à UQ Samothrace de ses amis , qui lui faisoit re-
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rn.ircjaer, dans un tcnjple de iNcptanc , un grand jaoïiibre à*ex voto olferts par *\ts vojageurs qu'il ayoit sauvés du naufrai^e , que les prêtres ne se- roicnt pas si fiers , si Ton avoit pu tenir registre des prières de tous les honnêtes gens que ÎNeptune •iwoit laissé périr. Notre athée donna de bonnes loix aux Manlinccns , et mourut tranquillement à Corinthe.
Anaxarque d'Abdère fut plus fameux par la li- cence de ses mœurs que par ses ouvrages. H jouit de toute la faveur d'Alexandre : il s'occupa à cor- roviipre ce jeune prince par la flatterie. Il parvint à le rendre inaccessible à la vérité. Il eut la bassesse de le consoler du meurtre de Ciitus. An ignoras , lui disoit-il ) jus elfas jovi ossidere y ut (juidquid Rex agaty idfasj'ustunu/ueputetur? Il avoit long- îeiups sollicité , auprès d'Alexandre la perle de Nicocréon , tyran de l'île de Chypre. Une tempête Je jeta entre les mains de ce dangereux enncnji : Alexandre n'étoit plus. Nicocréon fit piler Anaxar- que dans un mortier. Ce malheureux mourut avec une fermeté digne d'un plus honnête homme. Il s'écrioil sous les coups de pilon: Anaxarcln eu— leuin , non Anaxarchwn tundis. On dit aussi de lui qu'il se coupa la langue avec les dents, et qu'il la cracha au visage du tj-rau.
DES A ^ C I E N S PHILOSOPHES. 32 I
ÉPICURÉÏSME ou ÉPI CUBISME.
La secte éléatkjue donna naissance à/^ secte épi* ciirienne. Jamais philosophie ne fut moins entendue et plus ca'omniée ({ue celle à'Epicure. On^accusa ce philosophe d'athéisme , quoiqu'il admît l'exis- tence des dieux , qu'il fréquentât les temples , et qu'il n'eût aucune répugnance à se prosterner aux pieds des autels. Ou le regarda conmie l'apologiste de la débauche , lui dont la vie étoit une pratique de toutes les vertus , et sur-tout de la tempérance.. Le préjugé fut si général , qu'il faut avouer , à la honte des stoïciens , qui mirent tout en œuvre pour le répandre ,que les épicuriens ont été de trcs-hon- nétcs gens qui ont eu la plus mauvaise réputation. Mais afin qu'on puisse porter un jugement éclairé sur la doctrine à'Epicure , nous introduirons ce pliilosophe même entouré de ses disciples , et leur dictant ses leçons à l'ombre des arbres ({u'il avoit planlés. C'est donc lui qui va parler dans le reste de cet article ; et nous espérons de l'équité du lecteur , qu'il voudra bien s'en souvenir. La seule choie ([ue nous nous permettrons , c'est de jeter entre ses principes quelques-unes des conséquen- ces les plus inmiédiates qu'on en peut déduire.
De la philosophie en général.
L'homme est né pour penser et pour agir; et la
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philobopliie est (aile pour régler rentendemcnl et la volonté Je l'homme j tout ce qui s'écarle de ce but est frivole.
Le bonhem^ s'acquiert par l'exercice de la raison , la pratique de la vertu , et l'usage modéré des plaisirs j ce qui suppose la santé du corps et de l'ame.
Si la plus importante des connoissances est de ce qu'il faut éviter et faire , le jeune homme ne peut se livrer trop lot à l'élude de la philosophie ^ et le vieillard , y i énoncer trop lard.
Je distingue entre mes disciples trois sortes de
o
caractères: il y a des hommes tels que moi , qu'au- cun obstacle ne rebute, et qui s'avancent seuls et d'un mouvement qui leur est propre , vers la vé- rité , la vertu et la félicité ; des hommes tels que Métrodore, qui ont besoin é'un exemple qui les encourage j et d'autres , tels qu'Hermaque , à qui il faut fcjire une esj)èce de violence. Je les aime tous.- Oh ! mea amis , y a-t-il quelque chose de plus an- cien que la vérité ? La vérité n'étoil-elle pas avant tous les philosophes ? Le philosophe méprisera donc toute autorité , et marchera droit à la vérité, écar- tant tous les fantômes vains qui se présenteront sur sa route , et l'ironie de Socrate , et la volupté d'Epicure. Pourquoi le peuple resle-t-il plongé dans l'erreur? C'est qu'il prend des noms pour des preuves. Faites-vous des principes j (ju'ils soient en petit nombre , mais féconds eu conséquences :
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ne négligeons pas l'étude de la nature ; mais appli- quons - nous particulièrement à la science des mœurs. De quoi nousservircit Ja connoissance ap- profondie des êtres qui sont hors de nous , si nous pouvions, sans cette connoissance , dissiper la crainte , obvier à la douleur , et satisfaire à nos besoins ?
L'usage de la dialectique , poussé à l'excès , dé- génère dans l'art de semer d'épines toutes les sciences j je hais cet art. La véritable logique peut se réduire à peu de règles.
Il n'y a , dans la nature, que les choses et nos i.iées ; et conséquemment il n*y a que deux sortes de vérités, les unes d'existence, les autres d'induc- tion. Les vérités d'existence appartiennent aux sens ; celles d'induction , à la raison.
La précipitation est 7a source principale de nos erreurs. Je ue me lasserai donc point de vous dire: atténuez.
Sans l'usage convenable des sens , il n'j a point d'idées ou de prénotions ', et sans prénotions , il n'y a ni op'.nion ni doute. Loin de pouvoir travailler à la rechcrohe de la vérité , on n'est pas même en élat de se faire des signes. Multipliez donc les prénc- lions par un usage assidu de vos sens j étudiez la valeur précise des signes , que les autres ont insti- tués ; et déternjinez soigneusement la valeur de ceux que vous instituerez. Si vous vous résolvez à parler, préférez les expressions les plus simples et
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les plus communes ; ou craignez, de n'être point eniendus , et de perdre le temps à vous interpréter vous-mêmes. Quand vous écoulerez , applicjucz- vous à sentir toute la force des mots. C'est par un exercice habituel de ces principes , que vous par- viendrez à discerner sans effort le vrai , le faux , l'obscur , et l'ambigu. Mais ce n'est pas assez que vous sachiez mettre de la vérité dans vos raisonne- mens j il faut encore que vous sachiez mettre de la sagesse dans vos actions. En général , quand U volupté n'entraînera aucune peine à sa suite , ne balancez pas à l'embrasser j si la peine qu'elle en- traînera est moindre qu'elle , embrassez-la encore : embrassez même la peine dont vous vous promet- trez un grand plaisir. Vous ne calculerez mal , que quand vous vous abandonnerez à une volupté, qui vous causera une trop grAide peine , et qui voui privera d'un plus grand plaisir.
De la physiologie en général.
Quel but nous proposerons-nous dans l'étude de la physiologie , si ce n'est de connoître les causes gé- nérales des phénomènes, afin que, délivrés de toutes les vaines terreurs , nous nous abandonnions sans remords à nos appétits aaisonnables j et qu'après avoir joui de la vie , nous la quittions sans regret?
11 ne s'est rien fait de rien ) l'univers a toujours été , et sera toujours. Il n'existe que la matière et
DES A>'CIEPÎS PHILOSOPHES. 523
le vide j car on ne connoît aucun être mitoyen. Joignez à la notion du vide , riinpénétrabililé , la figure et la pesanteur j et vous aurez l'idée de la matière. Séparez de l'idée de matière les mêmes qualités j et vous aurez la notion du vide : la nature considérée, abstraction faite de la matière , donne le vide ; le vide , occupé , donne la notion du lieu j le lieu , traversé , donne l'idée de région : cju'eulen- drons-nous par l'espace , si-non le vide considéré comme étendu ? La nécessité du vide est dénjon- Irée par elle-même 5 car , sans vide, où les corps existeroient-ils ? Où se mouvroienl-ils ? Mais , qu'ebt-ce cjue le vide ? Est-ce mie qualité ? Est-ce une chose ? Ce n'est point une qualité. IMais si c'est une chose , c'est donc une chose corporelle ? Il n'en faut pas douter. Cette chose uniforme , ho- mogène , immense , éternelle , traverse tous le» corps sans les altérer j les détermine , marque leurs limites, et les y contient. L'univers estl'aggrégat de la matière et du vide. La matière est inliiùe; le viJe est infini ; car si le vide éloit infini, et la matière finie , nen ne letiendroit les corps et ne borneroit leurs écarts : les percussions et les répercussions cesseroient j et l'univers , loin de former un tout , ne seroitdans quslqu'instant de la durée qui suivra , qu'un amas de corps isolés , et perdus dans Tim- metisité de l'espace. Si , au contraire , la matière ctoit infinie , et le vide fini , il y auroit de? corps qui ne seroient pas dans l'espace; ce qui est absurde»
526 OPINIONS
NousnV.pplirjuçrons donc à l'univers aucune de ces expressions , par lesquelles nous distinguons des dimensions , et nous déterminons des points dans les corps finis. L'univers est immobile, parce qu'il n'y a point d'espace au-delà. Il est immuable, parce qu'il n'est susceptible , ni d'accroissement , ni de diuiinulion. Il est éternel ,puisfju'il n'a point cojuiiiencé et qu'il ne finira point. Cependant les êtres s'y meuvent, des lois s'y exécutent, des pliénoiuènes s'y succèdent. Entre ces phénomènes, les uns se produisent, d'autres durent , et d'autres passent j mais ces vicissiîudes^ sont relatives aux parties , et non au tout. La seule conséquence qu'on puisse tirer des générations et des destructions , c'est qu'il y adeséléraens dont les êtres sont engen- drés, et dans lesquels ils se résolvent. On ne con- . çoit ni formation , ni résolution , sans l'idée de composition jet l'on n'a point l'idée de composition , sans admettre des particules simples , primitives et constituantes. Ce sont ces particules que nous appellerons atomes.
L'atome ne peut ni se diviser , ni se simplifier , ni se résoudre ', il est essentiellement inaltérable et fini: d'où il s'ensuit que dans un composé fini , quel qu'il soit , il n'y a aucune sorte d'infini , ni en gran- deur , ni en étendue , ni en nombre.
Homogènes eu égard à leur solidité et à leur inaltérabilité , les atomes ont des qualités spécifi- ques ([ui les différencient. Ces qualités sont la
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grandeur, la figure , la pesanteur et toutes celles qui en émanent , tel que le poli et l'anguleux. Il ne faut pas mettre au nombre de ces dernières , le chaud , le froid , et d'autres semblables j ce seroit confondre des qualités immuables avec des effets momentanées.
Quoique nous assignions à l'atome toutes les dimensions du corps sensible , il est cependant plus petit qu'aucune portion de matière imagina- ble : il échappe à nos sens , dont la portée est la mesure de l'miaginable , soit en petitesse , soit eu grandeur. C'est par la différence des atomes , que s'expliqueront la plupart des phénomènes relatifs aus sensations et aux passions. La diversité de figure étant une suite nécessaire de la diversité de grandeur, il ne seroit pas impossible que, dans tout cet univers , il ny eût pas un composé parfaitement égal à un autre.
Quoiqu'il j ait des atomes , les uns anguleux, les autres crochus , leurs pointes ne s'émonssent point , leurs angles ne se brisent jamais. Je leur attribue la pesanteur comme une qualité essen- tielle j parce que , se mouvant actuellement, ou tendant à se mouvoir , ce ne peut être qu'en conséquence d'une force intrinsèque , qu'on ne peut ni concevoir , ni appeler autrement iiue pon- dération.
L'atome a deux mouvemens principaux ; un lîioavcment de chute ou de pondération qui l'etU'-
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porte, ou qui l'cniporteroit, sans le concours d'au- cune action ctrangcre ; et le choc ou le mouvement de réflexion , qu'il reçoit à la rencontre d'un aulre. Cette dernière espèce de mouvement est variée selon l'infinie diversité des masses etdes directions. La première étant une énergie intrinsèque de la nialière , c'est elle qu'il faut regarder comme la conservatrice du mouvement dans la nature, et la cause éternelle des compositions.
La direction générale des atomes , emportés par le mouvement général de pondération , n'est point parallèle } elle est un peu convergente : c'est h cette convergence qu'il faut rapporter les chocs , les cohérences , les compositions d'atomes , la for- mation des corps, l'ordre de l'univers avec tous ses phénomènes. Mais d'où naît cetle convergence ? De la diversité originelle des atomes , tant en masse , qu'en figure , et qu'en force pondérante. Telle est la vitesse d'un atome et la non-résistance du vide , que si l'atome n'étoit arrêté par aucun obstacle , il parcoun oit le plus grand espace intelli- gible dans le temps le plus petit. En effet , qu'est-ce (jui le retarderoit? qu'est-ce que le vidc; eu égard 8u mouvement ? Aussi-tol que les atomes combi- .iiés ont formé un composé ; ils ont dans ce com- posé, et le composé a dans l'espace différens inôii- vemens , différentes actions , tant intrinsèques qu'exirinsèqiies , tant au loin que dansle lieu.
Ce qu'on appelle comnianéaient des élcitiens j
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sont des composes d'atomes ; on peut regarder ces composés comme des principes , mais non pre- miers. L'atome est la cause première , par qui tout est , et la matière première dont tout est. Il est actif essentiellement et par lui-même. Cette acti- vité descend de l'atome à l'élément , de l'élément au composé , et varie selon toutes les compositions possibles. Mais toute aclivilé produit tout, ou le mouvement local , ou la tendance. Yoilà le prin- cipe universel des destructions et des régénérations. Les vicissitudes des composés ne sont que des modes du mouvement , et des suites de l'activité essentielle des atomes qui les constituent. Combien de fois n'a-t-on pas attribué à des causes imagi- naires les effets de cette activité qui peut, selon les occurrences , porter les portions d'un être à des distances immenses , ou se terminer à des ébranle- mens , à des translations imperceptibles ? C'est elle qui change le doux en acide , le mou en dur , etc. Et même , qu'est-ce que le desliu , si-non l'uni- versalité des causes ou des activités propres de l'atome , considéré , ou solidairement , ou en com- position avec d'autres atomes ? Les qualités essen- tielles connues des atomes ne sont pas en grand nombre ', elles suffisent cependant pour l'infinie variété des qualités des composés. De la séparation des atonies ,plus ou moins grande , naissent le den- se , le rare , l'opaque, le transparent : c'est de-là qu'il
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faut déduire encore la fluidité , la li(juiditc , la du- reté , la molesse , le volume , etc. D'où ferons-nous dépendre la figure, si-non des parties coinposanlesj elle poids , si-non de la force intrinsèque de pondé- ration ? Cependant , à parler avec exactitude , il n'y a rien qui soit absolument pesant ou léger. Il faut porter le même jugement du froid et du chaud .
jNIais , qu*est-cequele temps? c'est , dans la na- ture, une suite d'événemens ; et dans notre enlen- ment , une notion qui estla source de mille erreurs. Il faut porter le même Jugement de Pespace. Dans ^a nature , sans corps , point d'espace jsans événe- niens successifs , pointde temps. Le mouvement et Je repos sont des états, dont la notion estinséparable, en nous, de celle de l'espace et du temps.
Il n'y aura de production nouvelle dans la nature, qu'autant que la composition diverse des atomes enadmettia. L'atome incréé et inaltérable est le principe de toute génération et de toute corruption. Il suit , de son activité essentielle et intrinsèque , qu'il n'y a nul composé qui soit éternel : cependant il ne seroit pas absolument impossiblequ'après notre dissolution , il ne se fît une combinaison générale de toute la matière , qui restituai à l'univers le même aspect qu'il a , ou du - moins une combinaison partielle des élémens qui nous constituent, en con- séquence de laquelle nous ressusciterions; mais ce
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scroil sans luûinoire du passé. La mémoire s'éteint auiuoincnlde la destruclion.
Le monde n'est (ju'ane pelite portion de l'uni- vers , dont la foible^se de nos sens a fixé les liniiles ^ car Tiinivers est illimité. Considéré relativement à ses parties cl à leur ordj-c réciproque, le monde est un ; il n'a point d'ame : ce n'est donc point un dieu j sa formation n'exige aucune cause intelligente et su- prême. Pourquoi recourir à de pareilles causes dans la philosophie, lorsquetout a pu s'engendrer, et peut ^'expliquer par le mouvetuent , la matière et le vide ? Le inonde est rcifet du hasard , et non fexé- culion d'un dessein. Les atomes se sont mus de toute éternité. Considérés dans l'agitation générale d'où les êtres dévoient éclore dans le temps , c'est ce que nous avons nommé le chaos; considérés après que les natures furent écloses , et l'ordre in- troduit dans celte portion de l'espace , tel que nous Vy voyons , c'est ce que nous avons appelé le inondf: : cesevoil un préjugé, de concevoir autre- ment l'origine de la terre , de la mer et des cieus, La combinaison des atomes forma d'abord les se- mences générales ] ces semences se développèrent j €t tous les animaux , sans en excepter, riiomme , furent produits seuls , isolés. Quand les semences furent épuisées , la terre cessa d'en produire j et les espèces se perpétuèrent par diftérentes voies de génération.
Gardons-nous bien derapporter ànOv': -^ ^ivi..-
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saclions Je la nature j les choses yesonl faites, sans qu'il y eût d'autre cause que renchsîncment uni- versel des élres nialérieis cjui travaillât, soil à notre bonheur, soit à notre malheur. Laissons là aussi les génies et les dcnions; s'ils étoienl , beaucoup de choses , ou ne seroient pas , ou seroicnt autrement. Ceux cjui ont imagine ces natures , n'étoient point philosophes^et ceux qui les ont vues, n'étoient que des visionnaires. Mais si le monde a commencé , pourquoi ne preudroit-il pas une fin ? N'est-ce pas un tout composé ? n'est-ce pas un composé fini? l'atome n'a-t-ii pas conservé son activité dans ce grand composé, ainsi que dans sa portion la plus petite? Cette activité ny est-elle pas égale- ment un principe d'altération et de destruction ? Ce qui révolte notre imagication , ce sont les fausses mesures, que nous nous sonmies faites de l'étendue et du temps ; nous rapportons tout au point de l'es- pace que nous occupons , et au court instant de notre durée. Mais , pour juger de notre monde , il faut le comparer à l'immensité de l'univers et à ■î'élernité des temps: alors ce globe , eût-il mille fois plus d'étendue, rentrera dans la loi générale, et nous le verrons soumis à tous les accidens de la molécule. Il ny a d'immuable , d'inaltérable , d'é- ternel ; que l'atome : les mondes passeront^ l'atome restera tel qu'il est.
La pluralité des mondes n'a rien qui répugne. Il peut y avoir des mondes semblables au noire ; il
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peut j'^ en avoir de diiiérens. Il faul les con^idéicr comme de grands tourbillons appujés les uns con- tre les autres , qui en resserrent entre eux de plus petits , et qui remplissent ensemble le vide infini. Au milieu du mouvement général qui produisit le nôtre , cet amas d'atomes que nous appelons terre, occupa le centre j d'autres amas allèrent former le ciel et les astres qui l'éclairent.
rSe nous en laissons pas imposer sur la cbùte des graves ; les graves n'ont point de centre commun ; ils tombent parallèlement. Concluons-en l'absur- dilé des antipodes.
La terre n'est point un corps spbérique j c'est un grand disque , que l'atmospbère lient suspendu dans l'espace : la terre n'a point d'ame ; ce n'est donc point une divinité. C'est à des exbalaisons souterraines , à des chocs subtils , à la rencontre de certains élémens opposés à l'action du feu , qu'il faut attribuer ses tremblemens.
Si les fleuves n'augmentent point les mers , c'est que, relativement à ces volumes d'eau , à leurs ia:i- luenses réservoirs , et à la quantité de vapeurs que le soleil élève de leurs surfaces , les fleuves ne sont que de foibles écoulemens.Les eaux de la mer se répandent dans toute la masse terrestre , l'arrosent, se rencontrent , se rassemblent , et viennent se pré- cipiterde rechef dans les bassins , d'où elles s'étoient cxtravasées : c'est dans cette circulation qu'elles sont dépouillées de leur amertume.
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Les inondations du Nil scnl occasiounécs par des vciil3 ctcsiensfpi soulèvent la mer aux ernbouclm- rcs de ce fleuve, y accumulent des digues de sable, et le font refluer sur lai-niême.
Les montagnes sent aussi anciennes que la terre.
Les plantes ont de commun avec les animaux, qu'elles naissent, se nourrissent , s'accroissent, dt'péiissent et meurent: mais ce n'est point uueame qui les vivifie ; tout s'exécute dans ces êtres par le mouvement et Tinte: position. Dans les animaux, chaque organe élabore une portion de semence et la transmet à un réservoir commun : de-là celte analogie propre aux molécules séminales , qui les sépare , les distribue , les dispose , chacune à for- mer une partie semblable à celle qui l'a préparée , et toutes à engendrer un animal semblable. Au- cune intelligence ne préside à ce mécanisme. Tout s'exéculant comme si elle n'existoit point , pour- quoi donc en supposerions-nous l'actiou ?
Les jeux n*ont point été faits pour voir , ni les pieds pour marcher; mais l'animal a eu des pieds, et il a marché j des ^^eux , et il a vu.
L'ame humaine est corporelle ; ceux qui assu- rent le contraire ne s'entendent pas , et parlent sans avoir d'idées. Si elle étoit incorporelle , conmie ils le prétendent, elle ne pourroit ni agir , ni souf- frir } son hétérogénéité rendroit impossible son action sur le corps. Recourir à quelque principe immatériel , afin d'expliquer cette action , ce n'est
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pas résoudre la diiricullé , c'est seuleiuenl la trar.s- porler à un autre objet. S'il y avoit , dans la nature, quelque être qui put changer les natures , la vérilé ne seroit plus qu'un vain nom: or, pour qu'un être immatériel fût un instrument applicable à un corps , il faudroit changer la nature de l'un ou de l'autre. Gardons -nous cependant de confondre l'anie avec le reste de la substance animale. L'ame est un composé d'atomes si unis , si légers , si mobiles, qu'elle peut se séparer du corps, sans qu'il perde sensiblement de son poids. Ce réseau , mal- gré son extrême subtilité , a plusieurs qualités dis- tinctes; il est acricn , ignée, mobile et sensible. Piépandu dans tous le corps , il est la cause des passions , des actions, des mouvemens , des facul- tés ; des pensées , et de toutes les autres fonctions , soit spirituelles , soit animales; c'est lui qui sent j mnis il tient cette puissance du corps. Au moment où l'ame se sépare du corps,la sensibilité s'évanouit, parce que c'étoit le résultat de leur union.
Les sens ne sont qu'un toucher diversifié ; il s'é- coule sans cesse des corps mêmes , des simulacres qui leur sont sensibles , et qui viennent frapper nos sens. Les sens sont communs à l'homme et à tous les animaux. La raison peut s'exercer , même quand les sens se reposent. J'entends, ipâr V esprit , la por- tion de l'ame la plus délice.
L'esprit est diffus dans toute la substance de l'ame , coraïuefame est diffuse dans toute la subs-
Ojij opinions
tance du corps ; il lui est uni ; il ne forme qu'un être avec elle j il produit ses acles dans ses inslans presquindivisiblcs ; il a son siège dans le cœur : en eti'el , c'est de-là qu'cnianenl la joie , la tristesse , la force , la pusillanimité , etc.
L'aine pense , comme 1 œil voit y par des simu- lacres ou des idoles j elle est affectée de deux scntimens généraux, la peine et le plaisir. Troublez l'état naturel des parties du corps , et vous pro- duirez la douleur ; restituez les parties du corps dans leur état naturel, el vous ferez éclore le plaisir. Si ces parties , au-lieu d'osciller , pouvoient demeurer en repos; ou nous cesserions de sentir , ou, fixés dans un état de paix inaltérable, nous éprouverions peut-être la plus voluptueuse de toutes les situations.
De la peine et du plaisir , naissent le désir et l'aversion. L'ame, en général, s'épanouit et s'ouvre au plaisir) elle se flétrit et se resserre à la peine. Vivre, c'est éprouver ces mouvemens alternatifs.
Les passions varient , selon la combinaison des atomes, qui composent le tissu de l'ame.
Les idoles viennent frapper le sens } le sens éveille l'imagination 3 l'imagination excite l'ame j et l'ame fait mouvoir le corps. Si le corps tombe d'affoiblis- sement ou de fatigue , l'ame , accablée ou distraite, succombe au sommeil. L'état, où elle est obsédée de simulacres errans qui la tourmentent ou qui l'a- jnusenl involontairement , est ce que nous appelle-
DES a:xcie.ns philosophes. 55/ rons Tinsomnie ou le réve^ selon le degré de cons- cience qui lui reste de son état.
La mort n'est que la cessation de la sensibilité. Le corps dissous , l'anie est dissoute 5 ses facultés sont anéanties j elle ne pense plus j elle ne se res- souvient poiut;eile ne soufrre,ni n'agit. La dissolution n'est pas une annihilation j c'est seulement une sé- paration de paiiicules élémentaires. L'anie n'étoit paS; avant la tbrmaiion du corps; pourquoi seroit- elle , après sa destruction ? Comme il n'y a plus de sens après la mort , l'anie n'est capable ni de peine ni de plaisir. Loin de nous dcncla fable des enferi et de l'éljsée , et tous ces récits mensongers dont la superstition effraie les médians qu'elle ne trouve pas assez punis par leurs crimes mêmes , ou repaît les bons qui ne se trouvent pas assez récompensés par leur propre vertu. Concluons , nous , que l'é- lude de la nature n'est point ^superflue, puisfm'elle conduit l'homme il des connoissances qui assurent la paix dans son ame ; qui affianchissent son esprit de toutes vaines terreurs ; qui i'élèvent au niveau des dieux ; et qui le ramènent aux seuls vrais motifs qu'il ait de remplir ses devoirs.
Les astres sont des amas de feu. Je compare le soleil à un corps spongieux, dont les cavités im- menses sort pénélrées.d'une matière ignée, qui s'en élance en tout sens. Les corps célestes n'ont point d'aine ; ce ne sont donc point des dieux. Parmi ces corps, il j en a de fixes, et d'errans: on appelle ces Fliilos. anc. et mod. ToME I. P
5'S OPINIONS
derniers pîanèlcs. Quoiqu'ils nous semblent tous sphérifjues , ils peuvent être ou des cjlindrcs, ou des cônes , ou des disques , ou des portions queU conques de sphère j toutes ce3 figures et beaucoup d'autres ne répugnent point avec les phénomènes. Leurs mouvemens s'exécutent , ou en conséquence d'une révolution générale du ciel qui les emporte ^ ou d'une translation ([ui leur est propre , et dans laquelle ils traversent la vaste étendue des cieuy qui leur est perméable.
Le soleil se lève et se couche , en montant sur l'horizon et descendant au-dessous ; ou en s'allu- mant à l'orient et s'éteignantà l'occident , consumé et reproduit journellement. Cet astre est le fojer de notre monde : c'est de-là que toute la chaleur se répand ) il ne faut que quelques étincelles de ce feu pour embraser toute notre atmosphère.
La lune et les planètes peuvent briller , ou de leur lumière propre , ou d'une lumière empruntée du soleil 5 et les éclipses , avoir pour cause , ou l'ex- tinction momentanée du corps éclipsé , ou l'inter- position d'un corps qui l'éclipsé. S'il arrive à une planète de traverser des régions pleines de matières contraires au feu et à la lumière , ne s'éteindra- 1- elle pas ? ne sera-t-elle pas éclipsée?
Les nuées sont , ou des masses d'un air condensé par l'action des vents , ou des amas d'atomes qui 5e sont accumulés peu-à-peu, ou des vapeur? élevées de la terre et des mers.
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Les vents sont , ou des courans d'atomes dans l'alniosphère , ou peul-èlre des souffles impétueux qui s'échappent de la terre et des eaux , ou même une portion d'air mise en mouvement par l'action du soleil.
Si des molécules ignées se réunissent , forment une masse , et sont pressées dans une nuée , elles feront effort en tous sens pour s'en échapper^ et la nuée ne s'entr'ouvrira point sans éclair et sans tonnerre.
Quand les eaux suspendues dans l'atmosphère seront rares et éparses elles retomberont en pluie sur la terre , ou par leur propre poids , ou par l'agitation des vents. Le même phénomène aura lieu , quand elles formeront des masses épaisses , si la chaleur vient à les raréfier, ou les vents à les disperser. Elles se mettent en gouttes , en se ren- contrant dans leur chiite: ces gouttes glacées, ou par le froid , ou par le vent , forment de la grêle. Le même phénomène aura lieu ,si quelque chaleur subite vient à résoudre un nuage glacé.
Lorsque le soleil se trouve dans une opposition particulière avec un nuage qu'il frappe' de ses rajons , il forme l'arc-en-ciel. Les couleurs de l'arc-en-ciel sont un effet de cette opposition , et de l'air humide qui les produit toutes , ou qui n'en produit qu'une qui se diversifie selon la région qu'elle traverse , et la manière dont elle s'y meut. Lorsque la terre a été trempée de longues pluies
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et cchaufîéc par des chaleurs violcnlcs, ics vapeurs qui s'en élèvent infectent l'air, et répaudent la mort au loin.
De la tliéoîogic.
Apres avoir posé pour principe qu'il n'^ a dans Ja nature qpe de la mialière et du vide , que pense- rons-nous des dieux ? Abandonnerons-nous notre philospphip, pQur nous asservir à des opinions po- pulaires j ou dirons-nous que les dieux sont des êtres corporels ? Puisque ce sont des dieux , ils sont heureux j ils jouissent d'eux-mêmes en paix ; rien de ce qui se passe ici-bas ne les affecte et ne les trou- ble j et il est suffisamment démontré, parles phé- nomènes du monde physique et du monde moral , qu'ils n'ont eu aucune part à la production des é.trps , et qu'ils n'en prennent aucune à leur conser- vation. C'est la nature même, qui a mis la notion dç leur existence dans notre arae. Quel est le peuple si barbare, qui n'ait quelquenotionanlicipée des dieux? INous opposerons - nous au consentement général <ies hommes ? Eleverons-nous notre voix contre la yoix.de la nature ? La nature ne ment point ; l'exisr Jtence des dieux se prouveroit même par nos pré- jugés. Tant de phénomènes , qui ne leur ont été attribués que paf^e que la nature de ces êtres et la pause. des phénomènes éloient ignorées j tant d'au- tres erreursue soiil-clles pas autant de garans de U crpjaiace générale ? Si un homme a été frappé
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dans le soiuiiieil par quelque grand simulacre , et qu'il en ait conservé la mcnioire à sou réveil, ii a conclu que ceUe idole avoit nécessairement son mo- dèle errant dans la nature j les vois qu'il peut avoir entendues , ne lai ont pas permis de douter que ce modèle ne fût d'une nature intelligente; et la cons- tance de l'apparition en différens temps et sous une même forme, qu'il ne fût immortel: mais Tétre qui est immortel est inaltérable j et l'être qui est ir.altérable est parfaitement heureux , puis- qu'il n'agit sur rien, ni rien sur lui. L'existence des dieux a donc été , et sera donc à jamais une existence stérile , et par la même raison qu'elle ne peut être altérée j car il faut que le principe d'actiyité , qui est la source féconde de toute des- truction et de toute reproduction , soit anéanti dans ces êtres. iNousn'en avons donc rien à espérer ni à craindre. Qu'est-ce donc que la divination ? Qu'est-ce que les prodiges ? Qu'est-ce que les re- ligions ? S'il étoit du quelque culte aux dieux , ce seroit celui de l'admiration , qu'on ne peut ro-* fuser à tout ce «:uii nous offre l'image séduisante de la perfection et du bonheur. Nous sommes portéi à croire ]çs dieux de forme humaine ; c'est celle que toutes ies nations leur ont attribuée ; c'est la seule sous laquelle la raison soit exercée , et la vertu pratiquée. Si leur substance éloit incorporelle , ils n'auroient ni sens , ni perceptions , ni plaisir , ni peine. Leur corps , toule-fois , n'est pas tel que 1«
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nôtre ; c'est seiilciuent une combinaison sen\blable d'atomes plus subtils .-c'est la nièine organisation ; mais ce sont des organes infiniment plus parfaits: c'est une nature j^arliculière si dcliée , si tenue, qu'aucune cause ne peut ni l'altérer , ni s'y unir , ni Ja diviser , et qu'elle ne peut avoir aucune action. Nous ignorons les lieux que les dieux habitent ; ce inonde n'est pas digne d'eux , sans-doute j ils pour- rolenlbien s'ctre réfugiés dans les intervalles vides que laissent entre eux les mondes contigus.
De la morale,
l.e bonheur est la fin de la vie: c'est l'aveu se- cret du cœur humain j c'est le ternie évident des aclioviS même qui en éloignent. Celui qui se tue, rogarde la mort comme un bien. Il ne s'agit pas de réformer la nature , mais de diriger sa pente générale. Ce qui peut arriver de mal à J'homme , c'est de voir le bonheur où il n'est pasj ou de le voir où il est en effet, mais de se tromper sur les moyens de l'obtenir. Quel sera donc le premier pas de notre philosophie morale , si ce n'est de rechercher en quoi consiste le vrai bonheur? Que cette étude importante soit notre occupation actuelle. Puisque nous voulons être heureux dès ce moment , ne remettons pas à de- main à savoir ce que c'est que le bonheur. L'in- sensé se propose toujours de vivre; el il ne vil jamais.
DES AI^iCiENS THILOSOPIIES. 54^-
Il n'est donné qu'aux inmiortels d'être souve- rainement heureux. Lue folie dont nous avons d'abord à nous ^aranlir , c'est d'oublier que nous ne sommes ({uedes hommes. Puisque nous désespé- rons d'être jamais aussi parfaits que les dieux que nous nous sommes proposés pour modelés , résol- vons-nous à n'être point aussi heureux. Parce que mon œil ne perce pas l'immensité des espaces , dcdaignerai-je de l'ouvrir sur les objets qui m'en- vironnent ? Ces objets deviendront une source in- tarissable de volupté , si je sais en jouir ou les négli- ger. La peine est tonjours un mal j Ja volupté , tou- jours un bien j mais il n'est point de volupté pure. Les fleurs croissent à nos pieds ; et il faut au-moins se percher pour les cueillir. Cependant , ô vo- lupté ! c'est pour toi seule, que nous faisons tout ce que nous faisons : ce n'est jamais loi que nous évi- ^ tons , mais la peine qui ne t'accompagne que trop souvent, l^u échautTcs notre froide raison ; c'est de ton énergie que naissent la fermeté de l'ame et la force de la volonté } c'est toi qui nous meus , qui rious transportes , et lorsque nous ramassons des roses pour en former un lit à la jeune beauté qui r.ous a charmés , et lorsque , bravant la fureur des tvrans , nous entrons tête baissée et les yeux fer- més dans les taureaux ardens qu'elle a préparés. La volupté prend toutes sortes de formes. Il est donc important de bien connoître le prix des ob- jets sous lesquels elle peut se présenter à nous ,
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afin que nous ne soyons point incci lains , quand il nous convient (je l'accueillir ou de la repousser , de vivre ou de mourir.
Après lasanlé de Tame , il n'y a rien de plus pré- cieux que la santé du corps. Si la santé du corps se fait sentir particulicrcTuent en quelques membres , elle n'est pas générale. Si famé se porte avec c\cès à la pratique d'une vertu , elle n'est pas entière- ment vertueuse. Le musicien ne se contente pas de tejnpcrer quelques-unes des cordes de sa lyre : il seroit à souhaiter , pour le concert de la société, que nous l'imitassions , et que nous ne permissions pas , soit à nos vertus , soit à nos passions, d'être ou trop lâches , ou trop tendues , et de rendre un son ou trop sourd ou trop aij^u. Si nous faisons cruelque cas de nos semblables , nous trouverons du plaisir à remplir nos devoirs , parce que c'est un moyen sur d'en être considérés. Nous ne mépriserons pvoint les plaisirs des sens ; mais nous ne nous ferons point l'injure à nous-mêmes de comparer l'honiictc avec le sensuel. Comment celui qui se sera trompé dans le choix d'un état sera-t-il heureux ? Comment se choisir un état , sans seconnoître ? El comment se contenter dans son état , si l'on confond les besoins delà nature , les appétits de la passion , et les écarts de la fantaisie ? Il faut avoir un but pré- sent à l'esprit , si l'on ne veut pas agir à l'aventure. Il n'est pas toujours impossible de s'emparer de l'a- venir. Towitdoit tendre à la pratique de la vertu , à
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la conservation de la liberté et de la vie , et au mépris de la mort. Tant que nous soiumes , la mort n'est rien ; et ce n'e^t rien encore, quand nous ne sonmies plus. On ue redoute les dieux, que parce qu'on les fait semblables aux honunes. Qu'est-ce que Timpie , si-non celui qui adore les dieux du peuple ? Si la véritable piété consistoit à se prosterner devant îoule pierre taillée , il ny au- roit rien de plus commun j mais comme elle con- siste a juger sainement de la nature des dieux, c'est une vertu lare.
Ce qu'on appelle le droit naturel n'est que le svmbole d'une utilité générale. L'utilité générale el le consentement commua doivent être les deux grandes règles de nos actions. Il n'y a jamais d« certitude que le crime reste ignoré : celui q^ii le commet est donc un insensé , qui joue un jeu où il y a plus à perdi e qah gn.gner.
L'areitié est un des plus grands biens de la vie ; et la décence , une des plus grandes vertus de la société. Sovez décens , parce que vous n'êtes point des animaux , et que vous vivez dans les villes , et non dans le fond des forêts , etc.
Voilà les points fondamentaux de la doctrine à'Epicure , le seul d'entre tous les philosophes anciens , qui ait su concilier sa morale avec ce qu'il pouvoit prendre pour le vrai bonheur de l'homme, el ses préceptes avec les appétits et les besoins de la naturej aussi a-t-il eu et aura-t-ii dans tous les
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temps un gran<l nombre de disciples. On se fait
stoïcien j mais on naît épicurien.
Epicure étoil Athénien , du bourg deGargelte, et de ia (ribu d'Egée. Son pèi e sappcloil Néoclés , et sa mère Chercslraia ; leurs ancêtres ii'avoient point été sans distinction; mais l'indigence avoit avili leurs descendans. Néoclés n'ajaut pour tout bien qu'un petit champ , qui ne tburnissoit pas à sa subsistance, il se fit maître d'école \ la bonne vieillo Cherestrata , tenant ses fils par la main , alioit dans les maisons faire des lustrations, chasser les spectres , lever les incantations j c'étoit ir^/^/ciz/'e qui lui avoit enseigné les formules d'expiations , et toutes les sotliscs de cette espèce de supersîi'ion.
Epicure naquit la troisième année de la cent neuvième oljmpiade , le septième jour du mois de Gamélion; il eut trois frères , Néoclés , Chari- dènie et Aristobule. Piularque les cite comme des uiodèles de la tendresse fraternelle la plus rare. Epicure àeuiQmdi à Téos jusqu'à l'âge de dix-huit ans: il se rendit alors dans Athènes , avec la petite ])rovision de connoissanccs qu'il avoit faite dans l'école de son père ) mais son séjour n'y fut pas long. Alexandre meurt : Perdiccas désole l'Atti- que j et Epicure est contraint d'errer d'Athènes à Colophone , à Mylilène , et à Lanipsaque. Les troubles populaires interrompirent ses études, mais n'empêchèrent point ses progrès. Les hommes de génie , tels (.[u Epicure , perdent peu de temps ; et
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leur activité se jette surtout^ ils observent, et s'ins- truisent sans qu'ils s'en apperçoivent j et ces lu- mières, acquises presque sans efforts, sont d'au- tant plus estimables, qu'elles sont relativci, à des objets plus généraux. Tandis que le naturaliste a l'œil appliqué à Textrénuté de l'instrument qui lui grossit un objet particulier , il ne jouit pas du spec- tacle général de la nature qui l'environne. Il en est ainsi du philosophe j il ne rentre sur la scène du monde, qu'au sortir de son cabinet; et c'est là qu'il recueille ces germes de connoissances qui demeu- rent long-temps ignorés dans le fond de son ame , parce que ce n'est point à une méditation profonde et déterminée , mais à des coups-d'œil accidentels qu'il les doit : germes précieux , qui se déveioppenl tôt ou tard pour le bonheur du genre humain.
Epie Lire a voit trente-sept ans lorsqu'il reparut dans Athènes : il fut disciple du platonicien Paiii- pliile , dont il méprisa souverainement les visions. Il ne put souffrir les sophismes perpétuels de Pyrrhon j il sortit de l'école du pvlhngoricien >au- siphanes , mécontent des nombres et de la métemp- sycose. Il connoissoil trop bien la nature de rhomme et de sa force , pour s'acconmioder de la sévérité du stoïcisme. Il s'occupa à feuil'eter les ouvrages d'Anaxagore, d'Archélaùs , de Mélrodore , et de Démocrite ; il s'attacha particulièrement à la phi- losophie de ce dernier ^ et il en fit les foudemens de la sienne.
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Les platoniciens occupoicnt l'Académie; les pé- rîpaléticiens,lcLjcce j !escjnif[ues, le Cjnosarge; les stoïciens , le Portique; Epiciire établit son école dans un jardin délicieiis , dont il acheta le terrain , et qu'il fît planter pour cet usage. Ce fut lui qui apprit aux Athéniens à transporter dans l'enceinte de leur ville le spectacle de la campagne : il étoit âgé de quarante-quatre ans, lorsqa'Alhènes, as- siégée par Déniétrius , fut désolée par la famine. Epicure , résolu de vivre ou de mourir avec ses amis, leur distribuoit tous les jours des fèves, qu'il partageoitau compte avec eux. On se rendoit dans ses jardins , de toutes les contrées de la Grèce , de l'Egjpte et de l'Asie : on j étoit attiré par ses lu- mières et par ses vertus ; mais sur-tout par la conformité de ses principes avec les sentimens de la nature. Tous les philosophes de son temps sem- bloicnt avoir conspiré contre les plaisirs des sens et contre la volupté : Epicure en prit la défense ; et la jeunesse athénienne , trompée parle mot de iwlupté , accourut pour l'entendre. 1! ménagea la foiblesse de ses auditeurs ; il mil autant d'art à les retenir, qu'il en avoit employé à les attirer ; il ne leur développa ses principes que peu-à-peu. Les leçons se donnoient à table ou à la promenade j c'éîolt ou à l'ombre des bois, on sur la mollesse des lits , qu'il leur inspiroit l'enthousiasme de la vertu, la Jempérance , la frugalité, l'amour du bien public , la rermcté de l'ame , le goût raison-
DES A N C l E ?.■ S r ÎI 1 L 0 S 0 P II E S. 549
nable du plaisir, elle nicpris de la vie. Son école, .obscure dans les conmiencenicus , iiuit par êlre uue des plus éclatantes et des plus noiiibreuscs.
Epicure vécut dans le cclibat \ les inquiétudes cjui suivent le mariage lui parurent incompatibles avec l'esercice assidu de la philosophie : il vouloit d'ailleurs que la femme du philosophe fût sage , riche et belle. Il s'occupa à étudier, à écrire et à enseigner : il avoit composé plus de trois cents trai- tés dilTérens ; il ne nous eu reste aucun. Il ne faisoit pas assez de cas de celte élégance à lacjuelle les Athéniens étoient si sensibles ; il se conlentoit d'être vrai, clair et profond. Il fut chéri des grands, admiré de ses rivaux , et adoré de ses disciples ; il reçut dans ses jardins plusieurs feiimies célèbres j Léontium, maltresse de Mélrodore; Thémiste, femme de Léontius ', Philénide , une des plus hon- oéies femmes d'Athènes ; iSécidie, Erotie, Hédie, îvlarmarie, Bcdie , Phédrie , etc. Ses concitf^yens , les hommes du monde les plus enclins à la médi- sance , et à la superstition la plus ombrageuse , ne l'ont accusé ni de débauche , ni d'impiété.
Les stoïciens féroces l'accablèrent d'injures j il leur abandonna sa personne , défendit ses dogmes avec force , et s'occupa à démontrer la vanité de leur système. Il ruina sa santé à force de travailler : dans les derniers jours de sa vie , il ne pouvoit ni supporter un vêtement , ni descendre de son lit , iii souffrir la lumière, ni voir du feu. Il uriaoit I§
5 DO OPINIONS
sang ; sa vessie se fernioit peu-i-peu par les ac- croisscinens d'une pierre j cependant il écrivoit à un de ses amis f(ue le spcclacle de sa vie passée suspendoit ses douleurs.
Lorsqu'il sentit approcher sa fin, il fit appeler ses disciples -j il leur légua ses jardins j il assura fclatde plusieurs cnfans sans fortune, dont il s'étoit rendu le tuteur ; il affranchit ses esclaves j il ordonna ses tuncrailles , et mourut âgé de soixante-douze ans , la seconde année de la cent vingt-septième olj mpiade. Il fut universellement regretté ; la ré- publique lui ordonna un monument j et un certain Théotime , convaincu d'avoir composé , sous son nom , des lettres infâmes adressées à quelques-unes des femmes qui fréquentoient ses jardins , fut con- damné à perdre la vie.
La philosophie épiciirienrie fut professée sans interruption , depuis son institution jusqu'au temps d'Auguste j elle fît dans Rome les plus grands pro- grès. La secte y fut composée de la plupart des gens de lettres et des hommes d'état j Lucrèce chanta Vépiciiréismc ; Celse le professa sous Ha- drien ; Pline le naturaliste , sous Tibère : les noms de Lucien et de Diogène Laèrce sont encore cé- lèbres chez les épicuriens.
Vépicuréisine eut , à la décadence de l'empire romain , le sort de toutes les connoissances j il ne sortit d'un oubli de plus de mille ans , qu'au com- nieocement du dix-septième siècle : le discrédit
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 35ï
des formes plaslitjues remit les atomes en honneur, IMagnène , de Luxeu en Bourgogne , publia son Democritus reviviscens , ouvrage médiocre, où l'auteur prend à tout moment s^s rêveries pour les sentimens de Démocrite et d'Epiciire. A Magnène succéda Pierre Gassendi , un des hommes qui font le plus d'honneur à la philosophie et à la nation : il naquit dans le mois de janvier 1 692 à Chanlersier , petit village de Provence , à une lieue de Digne , où il fit ses humanités. Il avoit les mœurs douces , le jugement sain , et des connoissances profondes : il étoit versé dans l'astronomie , la philosophie an- cienne et moderne, la métaphysique , les langues , l'histoire , les auliquilés ; son érudition fut presque universelle. On a pu dire de lui que jamais philo- sophe n'avoit été meilleur humaniste^ ni huma- niste , si bon philosophe : ses écrits ne sont pas sans agrément j il est clair dans ses raisonnemens , et juste dans ses idées. Il fut parmi nous le restaura- teur de la philosophie d'Epicure : sa vie fut pleine de troubles J sans cesse il attaqua et fut altaqué : mais il ne fut pas moins attentif dans ses disputes , soit avec Fludd, soit avec mjlord Herbert, soit avec Descartes , à mettre rhonnételé que la raison de son côté.
Gassendi eut pour disciples ou pour sectateurs plusieurs hommes qui se sont immortalisés j Cha- pelle , Molière , Bernier , l'abbé de Chaulieu , M. le grand-prieur de Vendôme , le maréchal d^
552 OPINIONS
Câlinât , et plusieurs autres hommes extraordi- naires , c]ui , par un contraste de qualités agréa- bles et sublimes , réunissoient en eus rhcroisnic avec la molesse , le goût de la vertu avec celui du plaisir , les qualités politiques avec les talens littéraires; el qui ont formé parmi nous dilfcrenles écoles à'épicwéisine moral dont nous allons parler. La plus ancienne et la première de ces écoles, où l'on ait pratiqué et professé la morale à'Lpi^ cure y étoit rue des Tournel'es , dans la maison de ÎSinon fEnclos : c'est là que cette femme extraor- dinaire rassembloit tout ce que la cour et ia ville avoient d'hommes polis , éclairés et voluptueux ; on y vit madame Scarron . la comtesse de la Suze, célèbre par ses élégies ; la comtesse d'Olonue , si vantée par sa rare beauté et le nombre de ses amans j Saint Evremont , qui professa depuis l'e/^i- çurcisine à Londres , où il eut pour disciples le fanjeux comte de Grammont , le poète Waller , et madame de ^lazarin j la duchesse de Bouillon Mancini , qui fut depuis de l'école du Temple ; Dcsjvetaux , { voyez Arcadiêns ), M. de Gourviile , madame de la Fayette , M. le duc de la Rochefoucauld , et plusieurs autres qui avoient formé à l'hôtel de Rambouillet une école de pla-f lonisme , qu'ils abandonnèrent pour aller aug- menter la. société et écouter les leçons de Vcpi-
curie.' iiie,
!0.
i^près ces premiers épicuriens , Bernier , Cha-?
pelle cl Molière, disciples de Gassendi , tranile- rèreiit l'école à^Epicwe , de la rue des Touriiclles, à Auleuil : Batbaumort , le baron de Blol , dont les chansons sont si rares et si rcchcichées, et Desbarreaux , qui fui le niaitre de madame Des- houlières dans l'arl de la poésie el de la volupté, ont principalement illustré l'école d'Auteuil.
L'école de Neuilly succéda à celle d'Auteuil r elle fut tenue , pendant le peu de temps quMle dura, par Chapelle et MM. Sonnings j mais à- peine fut - elle instituée , qu'elle se fondit dans l'école d'Anet et du Temple,
Que de noms célèbres nous sont offerts dans cette dernière ! Chapelle et son disciple Chaulieu , M. de Vendôme , madame de Bouillon , le cheva- lier de Bouillon , le marquis de la Fare , Rousseau,' MM. Sonnings , l'abbé Courtin , Campistron , Pa- laprat , le baron de Breteuil , père de l'illustre mar- quise du Châtelet , le président de Mesmes , le président Ferrand, le marquis de Dangeau , le duc de Nevers, M. de Catinat , le comte de Fiesque , le duc de Foix ou de Piandau , M. de Périgny , Renier , convive aimable , qui chantoit et s'accom- pagnoit du luth j M. de Lasséré , le duc de la Feuillade , etc. Celte école est la même que celle de S. Maur ou de madame la Duchesse.
L'école de Seaux rassembla tout ce qui restoit de ces sectateurs du luxe , de l'élégance , de la po-, litesse , de la philosophie , des vertus , des lettres^
p.*
OJ/» O P I N I O A s
Cl de la volupté j et elle cul encore le cardinal de Polignac , fjui la frc(|uculoit plus par goût pour les disciples à'Eyicure , que pour la doctrine de leur maître ; Hanjilton , S. Aulaire , Tabbé Gcnct , ISIalézieux , la Motte , IM. de P'ontenelle , M. de Voltaire , plusieurs académiciens , et quelques femmes illustres par leur esprit ; d'où Ton voit qu'en quelque lieu et en quelque temps que ce soit , la secte épicurienne n'a jamais eu plus d'éclat qu'en France , et sur-tout pendant le siècle dernier. yojez Brucker , Gassendi , Lucrèce.
Nota bene. Il seroit à souhaiter que Diderot, joxir l'intérêt même de sa gloire, eût cité exacte- ment toutes les sources cù il a puisé son exposé de la philosophie cVEpicure. A l'aide de ces passages rejetés , ou seulement indiqués au bas des pages , on verroit d'un coup-d'œil ce qui appartient exclusi- rement à la doctrine de cet ancien philosophe , et les. résultats que Diderot a déduits de cette doctrine, et qu'il a intercalés parmi les principes mêmes qui en ont été l'objet. C'est particuliërementsur le précis qu'il a donné de la morale à'Epicure , qu'il auroit été nécessaire de rapporter les textes originaux , afia que chacun pût être juge dans une question qui a donné lieu à des opinions très-diverses , et que les préjugés religieux, quel qu'en soit Pobjet , n'ont pas peu contribué à obscurcir , comme ils embrouil- lent toutes celles dans lesquelles on n'eu fait pas une entière abstraction.
Pour réparer en quelque sorte cette omission de Didçrot, et mettre 50U5 les yeus du lecteur les pièces
nKS ANCIENS PHILOSOPHES. 555
instrucLlves d'un procès que les philosophes ont jngé il Y a IcDg-lemps , mais sur lequel les érudits , ea général (i) très-superstitieux , ne prononcent pas tous en faveur à'Epicure , nous avons joint, par forme de supplément, à l'article Epicuréi^me réimprirté dans l'encyclopédie méthodique (2) , ce que l'abbé Batteux a écrit sur la morale à'Epicure. Ce supplément néces- saire 5 peut-être même indispensable dans le diction- naire dont il fait aujourd'hui partie , seroit ici très- déplacé. C'est Uidero!;, sur-tout, qu'on veut lire, et non les recueils plus ou moins exacts de l'abbé lîatteux. Nous dirons seulement en général que cet éruiit, dont le style dur, sec et froid ne tempère jamais l'austérité des matières qu'il traite , promet dans son livre un examen impartial : mais à l'art perfide avec lequel il en venime la plupart des maximes d'Epicure j aux conséquences odieuses et fausses qu'il en tire ; au silence afiécté qu'il garde sur celles même qu'il auroit pu louer sans se commettre avec Id tourbe sacerdotale j aux vues étranges qu'il prête à ce philosophe ; à la manière ridicule dont il le fait raisonner dans certaines circonstances ; aux dififérens traits lancés contre la philosophie et les philosophes
(i) Ceci me fait sonvenir d'un mot très-fin de d'Alembert : « Je sais bien, diioit ce pliilosophe", pourquoi (oas les érodit» » sont di?rots, c'est que la bible est nm Tieux livre ».
Il semblf , en effet C et les ouvrages de l'abbé Batteux en offriioient plus d'un exemple ), que la derise commune de tous ces g«n3 hériisés de doctes fadaises ; soit , POINT D£ PHILO- SOPHIB , comme caJle de tous les tliéologiens est , ÏOIST DE KAISO' , ce qui exprime la même pensée en d'autres termes.
(a) Voyez le Dictionnaire de la Philoîopîiis ancienne et iuq-î ùerne; toais 11 , page 3Jû et sujv.
556 o p I N I o :^ s
Uiûiernes qu'il auroit besiiconp mieux fait d'étudier, il est facile de reconnoilre un juge prévenu , qui a déjà pris son parti sur le fond de la question , et dont l'esprit imprégné , pour ainsi dire , d'une forte dos© de superstition , corrompt les m(-illeures choses , comme la liqueur la plus pure s'aigrit dans un vase qui n'est pas net (i).
Au reste, il n'est pas inutile d'avertir, parce que personne , ce me semble , ne l'a remarqué, que l'ouvrage de l'abbé Batteux , contre la physique et la morale d'Epi'cure , n'est qu'une réfutation indirecte de l'exposé que Diderot a fait de l'une et de l'autre , et sur-tout de l'esprit dans lequel cet ex- cellent article est conçu et rédigé. L'abbé Batteux n'estimoit guère que les connoissances qu'il avoit acquises , et ne trouvoit même presque rien d'utile au-delà du terme où il s'étoit arrêté dans ses études. C'est , pour l'observer ici en passant , un travers fort commun , sur-tout parmi ces savans que Montesquieu tourne si finement en ridicule dans une de sef lettres (2) persannes. Il voyoit depuis long -temps le règne de l'érudition pencher vers son déclin , et celui de la philosophie expérimentale et rationelle s'avancer rapidement , et donner à tous les esprits une forte impulsion. Le succès brillant des articles ÉCLECTISME, ÉPICURÉISME , etc. ; l'impression vive et profonde qu'ils avoient faite sur les gens de lettres les plus instruits et du goût le plus délicat, c'est-
{i) Sincerum est nisi vas , qnodcumque infundis accessit.
HORAT, Epist. 1; lib. i. (2) Voyez la cent îaaraBte-denxième , de l'édition d'Ams-
terdam, 1760,
I3E3 ANCIENS F II I L 0 S O I' H E S. ^j^J
h*- dire, sur cette partie d'.i public dont îa critique ou l'éloge détermine et ectraine tôt ou tard l'opi- nian générale , sembleit décider la cjuestion en faveur des ouvrages pensés et écrits avec une certaine har- diesse L'abbé Batteux le sentit; et ce changement remarquable dans les idées lui parut même très- préjudiciable à la religion. Ce n'étoit pas, sans- doute, la chute de celte vieille idole, que les uns encensent par ignorance, les autres par habitude, qui le tonclaoit le plus j quoiqu'il affectât par-tout un saint zèle pour cette cause : mais il ne se dissi- muloit pas que ses concitoyens , une fois tournés vers les matières de raisonnement , les seules qui puissent conduire à de grands résultats ; occupés al- ternativement d'observations .d'expériences et de cal- culs , ne prendroient désormais qu'un foible intérêt aux recherches de pure érudition ; et que tout son savoir , apprécié dès-lors à sa juste valeur , pour- roit peut-être lui mériter un jour le titre d'écrivaia utile et laborieux , mais jamais celui d'homme célèbre. L'aversion secrète de l'abbé Batteux pour la phi- losophie et les philosophes modernes, avoit encore •une autre cause : son amour-propre avoit été griè- vement blessé du coup que la lettre sur les sourds (*) avoit porté à son traité des leaux-arts réduits à un même principe.Tous ceux qui savent jnger des choses, avoient observé l'intervalle immense que cette lettre
(*) Voyez ce qTje j'ai dit à ce sujet dan? les Mémoires histo- riques et philosopbiqaes sur la rie et les ouvrages de Diderot. Toyez aussi l'article de ce philosophe, tome IldaDictionnair» àe la Philosophie ancienne et moderne.
^58 OPINIONS
avûit laissé entre le philosophe et le littérateur : ce- lui-ci ne rigooroit pas • et sa haine en étoit irritée.
Urit enim fujgore suo, qui prcegravat artes Infrà se positas.
Tous ces motifs réunis déterminèrent notre pro- fesseur à se couvrir du manteau de la religion , et à décrier ce qu'il appeloit la nouçelle philosophie. Il n'osa cependant ni nommer, ni désigner un seul de ceux qui professoientcesnouvelles opinions: mais voulant, pour me servir de l'expression énergique et pittoresque de Montaigne, dontier h. Diderot une nazarde sur le yiez d'Epicure , il fit tous ses eftorts pour prouver que cette philosophie corpuscnlaire,que le savant encyclopédiste avoit présentée sous un as- pect très-imposant , n'étant au fond qu'un système complet d'athéisme, la morale, dont E pi c ure a.ro\t parlé d'ailleurs si dignement et donné de si belles leçons, ne pouvoit plus avoir de base dans ses prin- cipes , et n'étoit à - peu - près qu'ua mot vide de sens.
Il seroit facile de démontrer , si c'en étoit ici le lien , que cette conséquence absurde ne peut se dé- duire en bonne logique , ni de l'hypothëse à'Epicure , ni de celle de Spinosa. Un examen réfléchi de ces matières prouve , au contraire , que les loix , les bons exemples et les exhortations sont d'autant plus utiles qu'ils ont nécessairement leur effet. J*ai fait Voir ailleurs ( * ) que le système de la nécessité.
(*) Voyez dans le diclionnaire de la plîi'osophie ancienne et Biodcrae,rariiclc fAiALiSiiB et JATALiiidej siOicifiKS,
DES A IN- C I E IV S P II i L 0 S O P H II S. J C)
(l\n paroit si dangereux aux théologiens, er à ceux qui ne font pas un meilleur usage de leur raison , ne l'est point , et ne change rien au bon ordre de la société. Les choses qui corrompent les hommes seront tODJours à supprimer ; les choses qui les amé- liorent seront toujours à multiplier et à fortiaer, C"eit une dispute de gens oisifs, qui ne mérite pas la moindre animadversion de la part du législateur. Seulement noîre sysiême de la nécessité assure à toute cause bonne ou conforme à l'ordre établi , son bon efiet ; à toute cause mauvaise ou contraire à l'ordre établi , sou mauvais efiet ; et en nous prê- chant l'indulgence et la commisération pour ceux qui sont malheareusement nés, nous empêche d'être si vains de ne pas leur ressembler: c'est un bonheur qui n'a dépendu de nous en aucune façon.
Ceux qui aiment sincèrement la vérité, et qui la cherchent sans préjugés , sans passions , peuvent au- moins conclure de ce que nous venons de dire du livre de l'abbé Batteux, du motif qui le Iti a fait écrire , et du but qu'il s'y est proposé , qu'il faut le lire avec beaucoup de précaution. Comme ce n'é- toit ni un penseur profond , ni même un sophiste subtil , les pièges où il conduit le lecteur ne sont pas difficiles à voir; mais il est bon que ceux aux-i quels ses raisonnemens pourroient faire illusion , sachent , en général , qu'il n'en est presque aucun qu'on puisse admettre sens restriction , et qui ne soit par quelque côté , ou vague et insignifiant , ou faux , ou absurde.
Au reste , comme il faut être juste en tout , et que lien ne dispense de ce devoir , le premjer et le plus sacré dans l'ordre social ; nous diroûs ici qu'on peut
5(iO o p I ?«• I o IV s
applic^uer à ce livre de l'abbé Balleux , ce qu'un aucien poëte latin disoit du sien :
Suât bona , sunt qnîedam mediocria, siiDt mala plura,
11 y a quelques bonnes choses : il y en a de raé^ diocres, et beaucoup de mauraises : nous rangerons parmi les premières , plusieurs citations et quelques remarques qui peuvent servir de supplément et de preuves à certains paragraphes de l'article ÉPICU- BÉISME : c'est ce qui nous a déterminés à joindre dans l'encyclopédie le travail de l'abbé Batteux à celui de Diderot : ces deux analyses sont d'ailleurs entre elles comme leurs auteurs; ce qui suffit pour déterminer la mesure de l'espace qu'ils ont parcouru, et le terme où ils sont arrivés.
KOTE DE L'ïDITEUK.
ÉTHIOPIENS.
(philosophie des)
Les Éthiopiens ont été les voisins des Egyptiens ; et l'histoire de la philosophie des uns n'est pas moins incertaine que l'histoire delà philosophie des autres. Il ne nous est resté aucun monument digne de foi sur l'état des arts et des sciences dans ces contrées. Tout ce qu'on nous raconte de l'Ethiopie, paroît avoir été imaginé par ceux qui , jaloux de mettre Apollonius de Tyane en parallèle avec Jésus-Christ , ont écrit la vie du premier d'après cette vue.
- DES ANCIENS PHILOSOPHES. 56t
Si l'on compare les vies de la plupart des Itgisla-* leurs , on les trouvera calquées à-peu-près sur un même modèle ; et une règle de critique qui seroit assez sûre , ce seroit d'examiner scrupuleusement ce qu'elles auroient chacune de particulier, avant que de l'admettre comme vrai , et de rejeter comme faui tout ce qu'on y remarqueroit de commun. Il y a une forte présomption que ce qu'on attribue de merveilleux à tant de personnages difiércns n'est vrai d'aucun.
Les Ethiopiens seprétendoient plus anciens que les Egyptiens , parce que leur contrée avoit été plus fortement frappée des rajons du soleil , qui donne la vie à tous les êtres.
D'où l'on voit que ces peuples n'étoient pas éloi- gnés de regarderies animaux comme des dévclop- pemens de la terre mise en fermentation par la cha- leur du soleil j et de conjecturer , en conséquence , que les espèces avoient subi une infinité de trans- formations diverses , avant que de parvenir sous la forme où nous les vovons j que dans leur pre- mière origine, les animaux naquirent isolés ; qu'ils purent être ensuite maies et femelles tout-à-la-fois , comme on en voit encore quelques-uns ; et que la séparation des sexes n'est peut-être qu'un accident; et la nécessité de l'accouplement , qu'une voie de génération analogue à notre organisation actuelle.
Quelles qu'aient été les prétentions des Etliio^ piens sur leur origine, on ne peut les regarder que
Piiilos. anc. etmod. To3tiI. Q
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comme une colonie d'Egjpliens j ils ont eu ', coinine ceux-ci, l'usage de la circoncision et des enibaumeniens j les nicmes vêtenicns -, les mêmes coutumes civiles et religieuses j les mêmes dieux , Hnuimon , Pan , Hercule, Isis j les mêmes formes d'idoles , le même hiéroglyphe , les mêiues prin- cipes j la distinction du bien et du njal moral ; l'iumiortalilé de famé et les métempsycoses; le même clergé , le sceptre en forme de soc , etc. : en un mot , si les Ethiopiens n'ont pas reçu leur sa- gesse des Egyptiens , il faut qu'ils leur aient trans- mis la leur j ce qui est sans aucune vraiseuiblance : car la philosophie dès Egyptiens n'a point un air d'emprunt; elle tient à des circonstances inaltéra- ble^ ; c'est une production du sol. Elle est liée avec les phénomènes du climat , par une infinité de rap- ports. Ce seroit en Ethiopie, proies sine inatre creata : on en rencontre les causes en Egypte j et , si nous étions mieux instruits , nous verrions tou- jours que tout ce qui est, est comme il doit être; et qu il n'y a rien d'indépendant , ni dans les extra- vagances des honmies , ni dans leurs vertus.
Les Ethiopiens s'avouoient autant inférieurs aux Indiens, qu'ils se prétendoient supérieui-s aux Egyp- tiens ; ce qui me prouve, contre le sentiment de quelques auteurs , (ju'ils dévoient tout à ceux-ci , et rien aux autres. Leurs gymuosophistes,carils en ont eu , habitoient une petite colline voisine du iNil ; ;ls élûient habillés , dans toutes les saisons , à-peu-<
DES ANC1E^S PHILOSOPHES. 5GS
près comme les Al héniens au prinlems. Il javoit peu d'arbres dans leur contrée ; on y remarquoit seu- lement un petit bois où ils s'assembloient, pour dé- libérer sur le bonheur général de l'Ethiopie. Ils re- gardoieut le ISil comme le plus puissant des dieux ; c'étoit , selon eux , une divinité terre et eau. Ils n'avoienl point d'habitations ; ils vivoient sous le ciel : leur autorité étoit grande; c'éloit à eux (ju'on s'adressoît pour l'expiation des crimes. Ils traitoient les homicides avec la dernière sévérité. Ils avoient un ancien pour chef. Us se formoient des disci- ples, etc.
On attribue aux Etldopieiu l'invention de Tas- troiiomie et de l'astrologie; et il est certain que la sérénité continuelle de leur ciel , la tranquillité de leur vie , et la température toujours égale de leur climat , ont dû les porter naturelieiiient à ce genre d'étude.
Les phases différentes de la lune sont , à ce qu'on dit , les premiers phénomènes célestes dont ils furent frappés ; et , en effet , les inconstances de cet astre me semblent plus propres à incliner les hommes à la méditation , que le spectacle cons- tant du soleil , toujours le même , sous un ciel toujours serein. Quoique nous avons l'expérience journalière de la vicissitude des êtres qui nous envi- ronnent , il semble que nous nous attendions à les trouver constamment tels que nous les avons vus une première fois ; et quand le contraire est arri-
564 OPINIONS
yé , nous le remarquons avec un mouvement de surprise : or , l'observation et rétonnement sont les premiers pas de l'esprit vers la recherche des causes. Les Ethiopiens rencontrèrent celle des phases de la lune j ils assurèrent que cet astre ne brille que d'une lumière empruntée. Les révolutions «t même les irrégula! ilés des autres corps célestes pe leur échappèrent pas j ils formèrent des conjec- tures sur la nature de ces êtres; ils en firent des causes phjsiques générales. Ils leur attribuèrent (liiTéiens eflets; et ce fut ainsi que l'astrologie na-^ cjuit parmi eux de la connoissance astronomique.
Ceux qui ont écrit de l'Ethiopie prétendent ([ue ces lumières et ces préjugés passèrent de cette contrée dans l'Egj^pte j et qu'ils ne tardèrent pas à pénétrer dans la Ljbie : quoiqu'il en soit , le peuple, par qui les Ljbiens furent instruits, ne peut être que de l'ancienneté la plus reculée. Atlaj étoit de Ljbie. L'existence de cet astronome se perd dans la nuit des temps : les uns le font contem- porain de IVIoyse ; d'autres le confondent avec Enoch: si l'on suit un troisième sentiment, qui explique fort bien la fable du ciel porté sur les épaules d'Atlas , ce personnage n'en sera que plus yieux encore j car ces derniers en fout une montagne*
La philosophie morale des Egyptiens se rédui- soit à quelques points , qu'ils enveloppoient des yoiles de l'énigme et du symbole : « Il faut , di-- b soient-ils, adorer les dieux , ne faire de mal \
DES A > C ï E ^ S PHILOSOPHES. 565
u personne , s'exercer à la feriiielé , cl mépriser la i) mort : la vérité n*a rien de commun , ui avec la )) terreur des arts magiques , ni avec l'appareil )) imposant des miracles et du prodige : la tempé- )) rance est la base de la vertu : l'excès dépouille » l'homme de sa dignité : il n'j a que les biens » acquis avec peine , dont on jouisse avec plaisir î » le faste et l'orgueil sont des marques de peti- J) tesse : il n'y a que vanité dans les visions et dans » les songes , etc. ».
Nous ne pouvons dissimuler que le sophiste ,' qui fait honneur de cette doctrine aux Ethiopiens j ne paroisse s'être proposé secrètement de rabaisser un peu la vanité puérile de ses concitojens , qui renfermoient dans leur petite contrée toute la sa- gesse de l'uniyers.
Au-resle, en faisant des Ethiopiens Voh\ç,i d« ses éloges, il avcit îiès-bieu choisi. Dès le temps d'Homère , ces peuples éloient connus et respectés des Grecs pour l'innocence et la simplicité de leurs mœurs. Les dieux mêmes, selon leur poète , se plaisoient à demeurer au milieux d'eux, {ivç.,. .y.er^ tLp.v[/.cv(tÇ. . . . cf.i^iJ'TrîiciÇ. . . . Ktj. . . , èso) S' k^A TfecvTsç.... Jupiter s^en était allé, dit-il , cliez les peuples innocens de VEchiopie ; ei avec lui toué les dieux. Iliad.
GRECS.
(philosophie des)
Je tirerai la division de cet ailicle de trois épo- ques principales , sous lesquelles on peut considérer l'histoire des Grecs; et je rapporterai aux temps 3inc\ens^\eurphilosop/iiefabul€use; au temps de la législation , leur philosophie politique; et au tempe des écoles , leur philosophie sectaire.
De la philosophie fabuleuse des Grecs.
Les Hébreux connoissoient ce que les Chrétiens appellent le vrai Dieu ; comme s'il y en avoit de faux (*) I les Perses étoient instruits dans le grand art de former les rois et de gouverner les hommes ; les Chaldéens avoienl jeté les premiers fondernens de Taslronomie j les Pliéniciens enlenaoient la na-
(*) Cette seule ligne d'nn esprit juste, ferme et Iiarii , "sufïit pour faire connoilre avec certitude ce qr,e Diderot psnsoit du christianisme , et de tous les dogmes plus ou moins absurdes que ce monstrueux système a consacrés: elle ejxpllque les diiférens pas- sages, où ce philosophe semble sacriiier à l'erreur commune ; et elle en donne la vraie valeur.
KOTE DE l'éditeur.
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vig ition , et faisoient le coniiiicrce chez les nalions les plus éloignées j il y avoit long- temps que les Egyptiens étudioient la nature et cuUivoient les aris qui dépendoient de cette étude; tous les peu- ples voisins de la Grèce étoient versés dans la ibéo^ logie , la morale , la politique , la guerre , l'agri- culture , la métallurgie , et la plupart des arts niccaniques , que h besoin et l'industrie fbril naître parmi les hommes rassemblés dans les villes ot soumis à des lois : en un mot , ces contrées, que le ■Grc»c orgueilleux appela toujours du nom de bar^ inres, étoient policées, lorsque la sienne n'étoit habitée que par des sauvages dispersés dans les forets , fuyant la rencontre les uns des autres, pais'j"^ saniles fruits de la terre comme les animaux, re- tirés dans le creux des arbres , errant de lieux en lieux ,et n'ayant entre eus aucune espèce de socicî!-. Du-moins , c'est ainsi que les historiens même de la Grèce nous la jnontrent dans son origine.
Danaiis et Cécrops étoient Egyptiens; Cadmus , de Pliénicie ; Orphée , de Tlirace. Cécrops fonda la ville d'Athènes , el fit entendre aux Grecs, pour la première fois, le nom redoutable àe Jupiter; Caduîus éleva des autels dans l'hèbes ; et Orphée prescrivit dans toute la Grèce la manière dont les dieux vouloicnt être honores. Le joug de la su- perstition fut le premier qu'on imposa; on lit suc- céder à la terreur, des impressions séduisantes ; et le charme naissant des beaus - arts fui employé
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potir adoucir IcsiDœnrs, cl disposerinscnsiblcmcnl les esprits h la crainte des loix.
■Niais la superslilion n'entre point dans une con- trée, sans y introduire à sa suite un long cortège de connoissanccs , les unes utiles , les autres fu- nestes. Aussi-tôt qu'elle s'est montrée, les organes destinés à invoquer les dieux se dénouent ; la langue se perfectionne ; les premiers accens de la poésie €t de la musique font retentir les airs j on voit «orlir la sculpture du fond des carrières , et l'ar- chitecture d'entre les herbes j la conscience s'é- veille j et la morale naît. Au nom des dieux pro- noncé , l'univers prend une face nouvelle j l'air , la terre et les cicux se peuplent d'un nouvel ordre d'êtres j et le cœur de l'homme s'émeut d'un sen- timent nouveau.
Les premiers législateurs de la Grccc^e propo- sèrent pas à ces peuples des doctrines abstraites et sèches j des esprits hébétés ne s'en seroicnt point occupés : ils parlèrent aux sens et à l'ima- gination j ils amusèrent par des cérémonies vo- luptueuses et gaies : le spectacle des danses et des jeux avoit attiré des hommes féroces du haut de leurs montagnes , du fond de leurs antres; on les fixa dans la plaine, en les y entretenant de fables, de représentations et d'images. A-mesure que les phénomènes de la nature les plus frappans se suc- cédèrent , on V attacha l'existence des dieux j et SlraboD croit que celle méthode éloil la seule qui
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pût réussir. « Fieri non poîest , dit cet uuleur, ut )) niulieruni , et proniiscuè turbœ niullitudo philo- )) SQphica oratione ducatur , excilelurque ad reli- )) gionem , pieîalem et fideiii : sed supcri-litione ;) preeiereà ad hoc opus est, cjuœ incuti sine Tabu- » laruiii portentis riequit. Etenim fuUnen , fe^is, )) Iridens, faces , anguis, baslceque deoruniThjTsis » irifixce fabulœ sunt , atque tota tbeologia prisca. )> Hrec auieiii recepta fuerunt à civitatum autori- )) bus , quibus veluli larvis insipientium aninios » terrèrent )), Nous ajouterons que l'usage des peu- ples- policés , et voisins de la Grèce , étoit d'enve- lopper leurs connoissancessous le voile du symbole et de l'allégorie ; et qu'il éloit naturel aux premier» législateurs des Grecs, de communiquer leurs doc* Ijînes , ainsi qu'ils les avoient reçues.
INIais un- avantage particulier aux peuples de la Gicce , c'est que la supersliîion n'élouira point ea eux le scnlimcnt de la liberté; et qu'ils conser— vèrent , sens l'autorité des prêtres et des magis- trats, une façon de penser hardie , qui les caracté- risa dans tous les temps.
Une des premières conséquences de ce qui pré- cède , c'est que la mviliologie des Grecs est un chaos d'idées , et non pas un système ; une mar- i^uelerie d'une infinité de pièces de rapport qu'il est inipossiblc de séparer : et connnent y réus- siroit-on? Nous ne connoissons pas la vie, les niœurs , les idées ; les préjugés des premiers ha-
5-0 OPINIONS
bilans de la Gicce : nous aurions lù-Jessus toutes les lumières qui nous manquent , (ju'il nous reslc- roit à désirer une histoire exacte de la pliilosopbie dos peuples voisins ; el cette histoire nous auroit été transmise, que le triage des superstitions ^ec- çiics (ïâvec les superstitions barbares seroit peut- être encore au-dessus des forces de l'esprit hu- main.
Dans les temps anciens , les législateurs ctoient philosophes el poctcs ; la reconnoissance cl l*imbé- cilliié mettoient tour-à-lour les honmies au rang des dieux; et qu'on devine , après cela, ce que dé- viât la vérité déjà déguisée , lorqu'elle eut été aî»andonnée , pendant des siècles , à ceux dont le talent est de feindre, et dont le but est d'étonner î
Dans la suite , fallut-il encourager les peuples à quelque entreprise, les consoler d'un mauvais suc- cès , changer un usage , introduire une loi ? ou l'on s'autorisa de fables anciennes, en les défigurant^ ou Ton en imagina de nouvelles.
D'ailleurs , l'emblème et l'allégorie ont cela de commode , que la sagacité de l'esprit , ou le liber- tinage de l'imagination peut les appliquer à mille choses diverses : mais , à travers ces applications, que devient le sens véritable ? Il s'sllère de plus en plus ; bientôt une fable a une infinité de sens diflcrcns j et celui qui paroît à la fin le plus ingc- r.ieux est le seul qui reste.
11 ne faut donc pas espérer qu'un bon esprit
DES A ^ c I E N S F H I L 0 «; 0 r iî F S. 0 '^ î puisse se contenter de ce que nous avons à dire Je la philosophie fabuleuse des Grecs,
Le nom de Promélhée , fils de Japhct , est le prerwier qui s'offre dans cette histoire. Prométhée fépare de la luatière les eléniens , et en coniposc J'honmîe , en qui les forces , l'action et les nioeurs sent variées selon la combinaison diverse des éié- mens : mais Jupiter , que Prométhée avoit oublié dans ses sacrilices , le priva du feu qui devoit animer l'ouvrage. Prométhée , conduit par ]\Ii- nervc , monte au.-î cieux, accrcche le Ferula à une des roues du char du soleil, en reçoit le feu dans sa tige creuse, et le rapporte sur la terre. Pour pu- r)ir sa témérité , Jupiter forme la fenmie , connue dans la fable sous le nom de Pandore; lui donne nn vase qui renfernioit tous les maux qui pou- voicnl désoler la race des hommes ) et la dépêche à Pjomélhée. Prométhée renvoie Pandore et sa Loile fatale j et le dieu , trcnjpé dans son attente , ordonne à Mercure de se saisir de Prométhée, de le conduire sur le Caucase, et de l'enchaîner dans le fond d'une caverne, où un vautour afi'amé dé- chirera son foie toujours renaissant ; ce qui fut rxécuté. Hercule, dans la suite, délivra Prométhée. Combien celle fable n'a-t-cUe pas de variantes j et en combien de manières ne l'a-t-on pas expliquée?
Selon quelques-uns , il n'y eut jamais de Pronjé- thée. Ce personnage symbolique représente le gé- nie audacieux de la race humaine.
572 OPINIONS
D'autres ne diûconvienncnl pas qiril n'y ait eu un Promclhce y mais dans la fureur de rapporter toute la nîjthologie des payens aux traditions des Hébreux , il faut voir comme ils se tourmeirtent pour faire de Prométhéc , Adam , INIoyse ou Noé,
Il y en a qui prclendeuique ce Prométhce fut un roi des Scvtlios , que ses sujets jetèrent dans les fers, pour n'avoir point obvié aux inondations d'un fleuve qui dévastoit leurs campagnes. Ils ajoutent qu'Hercule déîourna le fieuvc dans la mer , et dc- livia Promélhée.
En voici qui interprètent cette fable bien autre- ment. L'Egjple , disent-ils , eut un roi fameux qu'elle mit au rang des dieux pour les grandes dé- couvertes d'un de ses sujets. G'étoit dans les temps de la fable , comme aux temps de l'histoire ; les jujets mériioient des, statues , et c'étoit au souve- rain qu'on les élevoit. Ce roi fut Osiris} et celui qui [it les découvertes fut Hermès. Oiiris eut deux minrslres , Mercure et Prométbée } il avoit confié à tous les deux les découvertes d Hermès. INIais Piométbée se sauva , et porta dans la Grère les secrets de l'état. Osiris en fut indigné; il chargea Mercure du soin de sa vengeance. Mercure tendit des embûches à Prométbée, le surpiit et le jeta dans le fond d'un cachot , d'où il ne sortit que par la faveur de quelque homme puissant.
Pour moi , je suis de l'avis de ceux qui ne voient ^ dans cet ancien législateur de la Grèce , qu'un
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bienfaiteui de ses babiians sauvages, qu'il tira de la barbarie dans laquelle V.s étcient plongés , et qui leur fit luire les premiers rajcns de la lumière des sciences et des arts j et ce vautour, qui le dévore sans relâche , n'est qu'un emblème de la méditation profonde et de la solitude. C'est ainsi qu'on a cher- ché à tirer la vérité des fables; mais la multitude des explications montre seulement combien elles sont incertaines. Il y a une broderie poétique tel- lement unie avec le fond , qu'il est impossible de l'en séparer sans déchirer l'étoiTe.
Cependant , en considérant attentivement tout ce système , on est convaincu qu'il sert en général d'enveloppe , tantôt à des faits historiques , tantôt à des découvertes scientifiques ; et que Cicéron avoit raison de dire que Prométhée ne seroit point attaché au Caucase , et que Céphée n'auroit point été transporté dans les cieus avec sa femme , son fils et son gendre , s'ils n'avoient mériié , par quel- ques actions éclatantes, que la fable s'emparât de leurs noms.
I.inus succéda à Prométhée; il fut théologien , philosophe , poè'te , nms'cien : il inventa l'art de liler les intestins des animaux ; et il en fit des cordes sonores, qu'il substitua sur la lyre au fil de lin dont elle étoit montée. On dit qu'Apollon , jaloux de cette découverte , le tua. Il passe pour l'inventeur dn vers lyrique; il chanta le cours de la lune et du soleil , la formation du monde , et Thistoire de.s
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dieux j il ccrivil des piailles et des aniniaux ^ il eut pour disciples Hercule , Thainiris el Orphée. Le premier fui un esprit lourd , qui n'ainioit pas le châlinient , et qui le niériloit souvent. Quelques auteurs accusent ce disciple brutal d'avoir tué son maître.
Orphée , disciple de Linus , fut aussi célèbre chez les Grecs , que ZorGaslre chez les Chaldécns et les Perses , Buddas chez les 'ladiens , el Thoot ou Hermès chez les Egyptiens j ce (jui n'a pas em- pêché Aristole et Gicéron de prétendre qu'il ny a jamais eu d'Orphée. Voici le passage d'Aristote; nous le rapportons pour sa singularité. Les épicu- riens prouvoieut Tesistence des dieux par les idées qu'ils s'en faisoient j et Aiistole leur répondoit: Eu je t ne Jais bien une idée ctÛrj^lice, personnage ijui n a jamais existe. IMais toute l'antiquité ré- clame contre Aristole et Gicéron.
Lafable lui donne Apollon pour père, etCalliope pour mère ; et l'histoire le tait contemporain de Josué ; il passe de la Tlirace , sa patrie , dans l'E- gj'pte, où il s'instruit de la philosophie, de la théo- logie , de l'astrcnoniie , de la médecine , de la nm- »ique , de la poésie. Il vient d'Fgvpte en Grèce , où il est honoré des peuples; et conmient ne l'auroit-il pas été; prêtre et médecin , c'est-à-dire, homme se donnant pour savoir écarter les maladies par rentremi^je des dieux , el y apporter rerucde ^uand on en est afïï
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Orphée eut le sort de tous les personnages cé- lèbres dans 'es teiDps où Ton n'éciivoit point l'his— loire. Les noms abandonnés à la tradition étoient bientôt oubliés ou confondus; et Ton attribuoit à un seul honiine tout ce qui s'étoit fait de nicniorable pendant un grand nombre de siècles. Les Chrétiens prétendent que les Hébreux sont le seul peuple chez qui la tradition se soit conservée pure et sans altération; mais ce privilège, qu'on attribue exclu- sivement à cette nation ignorante et féroce , n'est pas mieux prouvé que l'inspiration de ses pro- phètes et la divinité de sa religion.
La mythologie des Grecs n'étoit qu'un amas confus de superstitions isolées ; Orphée en forn)a un corps de doctrine; il institua la divination et les nijslères ; il en fit des cérémonies secrèles, inoyeu sûr pour donner un air de soleuinité à des puéj i- lités : telles furent les fêtes de Bacchus el d'Hécate, les E'eusinics , les Panathénées et les Thesmopho- ries. Il enjoignit le silence le plus rigoureux aux initiés j il donna des règles pour le choix des prosé- lytes: elles se réduisoient à u'admettre à la parti- cipation des mystères , que des âmes sensibles et des imaginations ardentes et fortes , capables de voir en grand , et d'allumer les esprits des aulres : il prescrivit des épreuves ; elles consistoient dans des puriticalions , la confession des fautes que Ton avoit commises , la mortification de la chau' , la continence , l'ubslinence , la retraite , et la plupart
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de nos austciitcs monastiques : cl pour achever de rendre le secret de ces assemblées iniponcUîJjle aux profanes , il distingua diiîérens dégrés d'inilia- tion j et les iniliés eurent un idiome particulier , et des caractères hiéroglvphi'jues.
Il riionta sa l^re de sept cordes : il inventa le vers hexamètre , et surpassa dans l'épopée tous ceux qui s'y lîtoient exercés avant lui. Cet hom.me extraordinaire eut un empire étonnant sur les esprits , du-moins à en juger par ce que l'hvper- bole des poètes nous en fait présumer. A sa voix les eaux cessoicnt de couler j la rapidité des fleuves étoit retardée ; les animaux , les arbres accouroient ; les flots de la mer étoient appaisés ; et la nature demeuroit suspendue dans l'admiration et le si- lence : effets merveilleux qu'Horace a p(?ints avec force , et Ovide avec une délicatesse mêlée de dignité.
Horace dit , Ode Xir , Liv. i : Au t in umbrosîs Heliconis oris , Aut super Pindo , gelidove in Hœmo, Unde rocalem temerë iusecutae
Orpbea sylr« , Arte moterna rapides morantem Fluminjra lapsus , celeresque veotos, BlanduDi et auriinsfidib .s canoris Ducere auercus.
Et Ovide , Mcthamorph. Liv. x ;
CoUis erat , collem^iie superplanissima campi Area , (j[naui viridem faciebant gramiuis herbc's ;
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DES ANCIENS PHILOSOPHES. 3*7
X'rabr-3 loco deerat : qnâ postquam parte resedit , Dis geaitus vates _, eliila sonaatia movit , Umbra loco reuit.
Ceux qui n'aiment pas les prodiges opposeront eux vers du poète Iji'ique un autre passage, où il s'explique en philosophe , et où il réduit la mer- veilleuse hibloije d'Orphée à des choses assez communes.
Silrestres bomines sacer interpresqne Deorum CaediLus et victu fœdo deterruit Orplieus , Dictus ob hoc leaire tigres , rabidosque le ones.
C'est-à-dire qu'Orphée fui un fourbe éloquent, qui fit parier les dieux pour maîtriser un troupeau tl'hommes farouches , et les empêcher des'enlr'é- gorger j et combien d'autres événemens se rédui- roicntà des phénomènes naturels , si l'on se per- mettoit d'écarter de la narration l'emphase avec laquelle ils nous ont été transmis ?
Après les précautions qu'Orphée avoit prises, pour dérober sa théologie à la connoissance des peuples , il est diflicile de compter sur l'exactitude de ce que les auteurs en ont recueilli. Si une dé- couverte est essentielle au bien de la société , c'est ctre mauvais citoyen que de l'en priver j si elle est de pure curiosité, elle ne val oit ni la peine d'être faite , ni celle d'être cachée : utile ou non , c'eat en- tendre mal rintérét de sa réputation que de la tenir secrète j ou elle se perd après la mort de l'inventeur qui s'est tu ) ou un autre j est conduit , et partage
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j'honneur de l'invention. {^0): Li-icMTzuMSMr. ) 11 faut avoir égard en tout au jugpincnl de la poslé- rilé , et rcconnoître qu'elle se plaindra de nôtre si- lence , comme nous nous plaignons delatacilurnilé €l des hicrogl_) phes des prélres cgjpliens , des non^bres de P^ thagore , et de la double doctrine de J'acadéiiiie.
A juger de celle d'Orpliée , d'après les fragtoiens qui iious en restent épars dans les auteurs, il pensoit que Dieu et le chaos co-esistoient de toute éternité; qu'ils étoient unis; et que Dieu renfer- me en lui -tout ce qai est , fut et sera; que la lune , le soleil, les étoiles , les dieui, , les déesses, et tous les êtres de la nature , étoient émanés de son .Scitijiqu'ils ont la même essence que lui ; qu'il est présent à cliacune de leurs parties -, qu'il est la force quiles-a>dévf!loppés et qui les gouverne ; que tout est de lui , el qu'il es! en tout ; qu'il y a au- tant de divinités subaUernes , que de masses dans l'univers ) qu'il faut les adorer; cjue le Dieu créa- teur , que le Dieu générateur , est incompréhen- sible; que , répandu dans la collection générale des êtres , il ny a qu'elle qui puisse en être une image; que tout étant de lui, tout y retournera ; que c'est en lui que les hommes pieux trouveront la récom- pense de leurs vertus : que l'ame est immortelle ; mais qu'il y a des lustrations , des cérémonies qui la purgent de ses fautes , et qui la restituent à son principe aussi sainte qu'elle en est émanée, clc.
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11 a<]incltoit des esprits , des clcnioiis et d'js îiéros. Il disoit : L'air fut le premier élrc^ cjui émana du sein de DTeu ; il se plaça entre le cliaos et la nuit. Il s'engendra de l'air et du cliaos un œuf, dont Orphée fait éclore une chaîne de puérilités peu dignes d'èlre rapportées.
On voit , eu général , qu'il reconnoissoit deux substances nécessaires , Dieu et le chaos ; Dieu , principe actif ; le chaos ou la matière informe, principe passif.
Il pensoit encore que le monde finiroit par le feu; et que , des cendres de l'univers embrasé, il ea renaitroit un autre.
Que l'opinion que les planètes , et la plupart des corps célestes sont habités comme notre terre , soit d'Orphée ou d'un autre, elle est bien ancienne. Je regarde ces lambeaux de philosophie , que le temps a laissé passer jusqu'à nous, comme ces planches que le veut pousse sur nos côtes après un naufrage , et qui nous permettent quelquefois de juger de la grandeur du bâtiment.
Je ne dis rien de sa descente aux enfers- 5 j'aban- donne cette fiction aux poètes. On peut croire de sa mort tout ce qu'on voudra : ou qu'après la perte d'Euridice il se mit à prêcher le célibat ; et ■que les femmes indignées le massacrèrent pen- dant la célébration des fêtes deBacchus : ou que ce dieu vindicatif qu'il avoit négligé dans ie.-.
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cbaiils , el Venus dont il avoil abjure le culte pour un autre qui lui déplaît , irrilcrent les bac- chantes qui le dcchirèrenl : ou qu'il fut foudroyé par Jupiter , comme la plupart des héros du temps fabuleux : ou que les Thraciennes se défirent d'un homme , qui enlraînoit à sa suite leur maris : ou qu'il fut la victime des peuples qui supportoient impatiemment le joug des lois qu'il leur avoit imposées. Toutes ces opinions ne sont guère plus certaines, que ce que le poète de la métamorphose a chanté de sa télé et de sa lyre.
Caput 3 Haebre , Lyraroque Hxcipis; et, mirum,meiio dùmlabîtur cmne, Flebile nescio qiiid c^ueritur lyra , flebile lingua Murmurât esanimis, respondent flebile ripae.
« Sa tête étoit portée sur les flots ; sa langue )) murmuroit je ne sais quoi de tendre et d'inarli- )) culé que répétoient les rivages plaintifs; et les » cordes de sa lyre frappées par lés ondes , ren- )) doient encore des sons harmonieux )). O douces illusions de la poésie I vous n^avez pas moins de charmes pour nîoi que la vérité. Puissiez- vous me loucher et me plaire jusques dans mes derniers inslans I
Les ouvrages qui nous restent sous le nom d'Or- phée , ceux qui parurent au commencement de l'ère chrétienne , au milieu de la dissenlion des
DES A ^ c I E ^ S p n 1 I. o s o F fi h s. 58 ï chrélienj , des juifs et des philosophes pajc-ns , sont tous supposés : ils ont été répandus, ou par des juifs, qui chcrchoientà se mettre en considé- ration parmi les gentils j ou par des chrétiens, qui ne dédaiguoient pas de recourir à,cette petite ruse , pour donner à leurs dognres absurde^ du poids aux veux des philosophes ; ou par des philosophes même, qui s'en scrvoient ,pourappujer leurs opi- nions de quelque grande autoiité. On faisoit un mauvais livre; on y inséroit ces dogmes qu'on vou-oit accréditer j et l'on écrivoit à la tète le nom d'un auteur célèbre : mais la contradiction de ces différons ouvrages rendoil la fourberie manifeste.
^hlsée fut disciple d'Orphéej i! eut les mêmes talens et la même philosophie \ et il obtint chez les Grecs les mêmes succès et les njènies honneurs. On lui attribue l'invention de la sphère j n;ais on la revendique en faveur d'Alias et d'Anaximandre. Le poème de Léandre et de Héro , et l'hjmne qui porte le nom de Musée , ne sont pas de lui ; tandis que des auteurs disent qu'il est mort à Phalère , d'autres assurent qu'il n'a jamais existé. La plupart de ces hommes anciens , qui faisoient un si grand secret de leurs connoissances , ont réussi jusqu'à rendre leur existence même douteuse.
Thamyris succède à Musée dans l'histoire fa- buleuse ; il remporte le prix aux jeux pythiens , défie les muses au combat du chant ; en est vain- cu , et puni par la perte de la vue et l'oubli de s>ei
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liiîcns. On a dit de Thanijris ce qu'Ovide a dit d'Oiplicc :
]ile etiam Tbracum populis fuit autor , amorem lii leueros transferre mares , citrac^ne juvenlain ^latiàbreve ver et priuios csrpere flores.
Voilà un vilain art bien contesté !
Ampliion , contemporain de Tharnjris , ajoute trois cordes à la ijre d'Orphée j il adoucit les mœurs des Tliébnins. Trois choses, dit Julien, le rendirent grand poète , l'étude de la philosophie , le génie et l'oisiveté.
Mélanipe , qui parut après Aniphion , fut théo- logien , philosophe , poète et médecin ; on lui éleva des temples après sa mort , pour avoir guéri les filles de Praetus de la fureur utérine. On dit que ce fut avec l'ellébore.
Hésiode, successeur de Mélampe , futcontem- porain et rival d'ifomère. Nous laisserons les par- ticularités de sa vie, qui sont assez incertaines; et nous donnerons l'analyse de sa théogonie.
Le chaos , dit Hésiode , étoit avant tout; la terre fut , après le chaos j et après la terre, le tartare , dans les entrailles de la terre : alors Tamour naquit, l'amour, le plus ancien et le plus beau des immor*- tels. Le chaos engendra l'érebe et la nuit; la nuit engendra fair et le jour; la terre engendra le ciel , la mer et les montagnes ; le ciel et la terre s'uni- rent, et ils engendrèrent l'océan, des fils^ des
n c s ANCIENS p H 1 1. o S o r n E S. 56 > iîile5 3 et après ces enfaos , Sa' urne, les Cyrlojje*, Bronle , Stcrope et Argé , fabricateurs de fou- dres j et après les Cvclopes , Collé , Briare et Gj^ès.
Des le commencement , les enfans de la terre el da ciel se brouillèrent avec le ciel , el se tinrent cachés dans les entrailles de la terre. La terre irrita ses enfans contre son époux^; et Saturne coupa les testicules au ciel. Le sang de la blessure tomba sur la terre , et produisit les géans , les njmphes et les furies. Des testicules jetés dans la mer, naquit une déesse autour de laquelle les amouis se ras- semblèrent : c'étoit Vénus. Le ciel prédit à ses enfans qu'il seroit vengé. La nuit engendra le des- tin, Némésis, les Hespérides, la fraude, la dispute, la liâiiîe , l'amitié , INIomus , le sommeil , la troupe légère des songes , la douleur , et la mort.
La dispute engendra les travaux, la mémoire , l'oubli, les guerres, le meurtre , le mensonge et le parjure. La mer engendra Nérée, le juste et vcridique Nérée j et après lui , des fils et des filles ^ui engendrèrent toutes les races divines.
L'Océan et Thétis eurent trois mille enfans. ï\héa fut la mère de la lune , de l'aurore et du soleil. Le Styx , iils de fOcéan , engendra Zélus , Nice , la force et la violence qui furent toujours assises à côté de Jupiter. Phébé et Gibus engendrèrent La-, tone, Astérie et Hécate, que Jupiter honora par- dessus toutes les immortelles. Fihéa eut de Saturne ,
0O'{ OPINIONS
Vesla , Cciès , Pluton , Neptune cl Jupiter, père dos ilicus cl des houinics. Saturne, ({ui savoil qu'un de ses enrai\s le dctroneroil un jour, les mange à mesure qu'ils naissent j I\hea , conseillée par la terre el parle ciel, cache Jupiter ,1e plus jeune, dans un antre de i île de Crète , etc.
Voilà ce qu'Hésiode nous a transmis en très*- beaux vers , le tout mêlé de plusieurs autres rêve- ries grecques. Voyc-z dans Brucker, tome premier, jiag. 4' 7 » 'c commentaire qu'on a fait sur ces rêveries. Si l'on s'en est servi, pour cacherquelques vérités , il faut avouer que l'en a bien réussi. Si Hésiode pouvoit revenir au monde , et qu'il enten* dît seulement ce que les chimistes voient dans la fable de Saturne , je crois qu'il seroit bien surpris. De temps immémorial , les plantes et les métaux ont été désignés par les mêmes noms. Entre les métaux , Salurne est le plomb. Saturne dévore presque tous ses cnfaus ; et pareillement le plomb attaque ia plupart des substances métalliques : pour le guérir de cette avidité cruelle , Rhéa lui fait avaler une pierre j et le plomb uni avec les pierres se vitrifie , et ne fait plus rien aux métaux qu*il al- taquoit , etc. Je trouve dans ces sortes d'explications beaucoup d'esprit et peu de vérité.
Une réflexion qui se présente à la lecture du poème d'Hésiode , quffe pour titre , des jours et des travaux } c'est que, dans ces teojps , la pauvreté éLoit un yice ) le pain ne mauquoit qu'aux pares-
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 5S5
seux -j €t cela dcvroil être ainsi daus loul ctal bien gouverné.
On cile encore parmi les théogonisLes et les fondaleurs de la philosophie fabuleuse des Grecs, Epiniénide de Crelc , el Homère.
Epiménide ne fut pas inutile à Soîon dans le choix des loi^ tju'il donna aux Athéniens. Tout le inonde conuoil le long sommeil d'Epiiiicnide j c'est, selon toute apparence , l'allégorie d'une longue retraite.
Homère , théologien, philosophe et poète , écri- vit environ 900 ans avant l'ère chrétienne. Il ima- gina la ceinture de Vénus j et il fut le père des grâces. Ses ouvrages,ont été bien attaqués et bien défendus. Il va deux mots de deux hommes célèbres, que je comparerois volontiers. L'un disoit qu'Ho- mère n'avoit pas vingt ans à être lu ; l'autre, que la religion n'avoit pas cent ans à durer. Il îue semble que le premier de ces mots marque un défaut de philosophie et de goût j et le second , un défaut de philosophie et de foi.
Voilà ce que nous avons pu rassembler de sup- portable sur la philosophie fabuleuse des Grecs» Passons à leur philosophie politique.
Philosophie politique des Grecs.
La religion , l'éloquence , la musique et la poésie avoient préparé les peuples de la Grèce à recevoir Philos, snc. et mod.TojiE I. R
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le joug de la législation ; mais ce joug ne leur étoil pas encore imposé. Ils avoient quille le fond des forêts ; ils étoient rassemblés j i!s avoient construit des habitations , et élevé des autels ; ils culti voient la terre , et sacrifioient aux dieux: du reste, sans conventions qui les liassent entre eux , sans chefs auxquels ils se fussent soumis d'un consentement unanime j quelques notions vagues du juste et de l'injuste étoient toute la règle de leur conduite : et s'ils étoient retenus , c'étoit moins par une autorité publique , que par la crainte du ressentiment particulier. Mais, qu'est-ce que cette crainte? Qu'est-ce même que celle des dieux ? Qu'est-ce que la voix de la conscience , sans l'autorité et la menace des loix? Les loixl les loix ! voilà la seule barrière qu'on puisse élever contre les passions des hommes 5 c'est la volonté générale qu'il faut op- poser aux volontés particulières : et sans un glaive qui se meuve également sur la surface d'un peuple , et qui tranche ou fasse baisser les létes audacieuses qui s'élèvent , le foible demeure exposé à l'injure du plus fort j le tumulte règne , et le crime avec le tumulte j et il vaudroit mieux , pour la sûreté des hommes , qu'ils fussent épars , que d'avoir les mains libres et d'être voisins. En elTet , que nous offre l'histoire des premiers temps policés de la Grèce? Des meurtres, des rapts, des adultères, des incestes , des parricides : voilà les maux aux- quels il falloit remédier , lorsque Zaleucus parut.
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 5S7
Personne n'y étoit plus propre par ses (alens , et moins par son caractère : c'étoit un homme dur j il avoit été pâtre et esclave ; et il crojoit qu'il falloit commander aux hommes comme à des bêtes , et mener un peuple comme un troupeau.
Si un européen avoit à donner des loix à nos sauvages du Canada , et qu'il eût élé témoin des excès auxquels ils se portent dans Tivresse, la pre- mière idée qui lui viendroit , ce seroit de leur interdire l'usage du vin. Ce fut aussi la première loi de Zaleucus : il condamna l'adultère à avoir les deux jeux crevés ; et son fils ayant été convaincu de ce crime , il lui fit arracher un œil , et se fit arra- cher l'autre. Il attacha tant d'importance à la légis- lation, qu'il ne permit à qui que ce fût d'en parler qu'en présence de mille citojens , et qu'avec la corde au cou. Ayant transgressé, dans un temps de guerre, la loi par lafjuelle il avoit décerné la peine de mort contre celui qui paroîtroit en armes dans les assemblées du peuple , il se punit lui-même en s'ôtant la vie. On attribue la plupart de ces faits , les uns à Charocdas , les autres à Diodes de Syracuse. Quoiqu'il en soit , ils n'en montrent pas moins combien en exigeoit de respect pour les loix , et quel danger on trou voit à en abandonner l'examea aux particuliers.
Charondas de Catane s'occupa de la politique ; et dictoit ses loit dans le temps que Zaleucus faisoit exécuter les siennes. Les fruits de sa sagesse ne
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deniCLircrcnl pas rctifernics cîiins sa paliioj plu-r sieurs contrées de l'ilalie et de la Sicile en pro-r fitèrcnt.
Ce fut alors, que 7'iip!olcnîc polira les villes d'Eleusinc; mais toutes ces institutions s'abolirent ^vcc le temps.
Dracon les recueillit , et y ajouta ce qui lui fut suggéré par son humeur féroce. On a dit de luî, que ce n'étoit point avec de l'encre , mais avec du sang , qu'il avoit écrit ses loix.
Soion mitigé? le sjstéme politique de Dracon j et l'ouvrage de Solon fut perfectionne dans la suite par Thésée, Clistène , Démétrius de Phalère , Hipparque , Pisistrate , Périclès , Sophocle , et d'autres génies du premier ordre.
Le célèbre Lycurgue parut dans le courant de la première olvmpiade. Il étoil réservé à celui- ci d'assujettir tout un peuple à une espèce de règle iDonastique. Il connoissoit les gouvernemens de l'Egypte. Il n'écrivit point ses loix. Les souverains en furent les dépositaires : et ils purent, selon les circonstances, les étendre, les restreindre ou les abroger sans inconvénient; cependant elles ctoient le sujet des chants de Tj iléc , de Tcrpaadre , et des aulrcs poêles du temps.
Rhadamante, celui qui mérita par son intégrité la fonction de juge aux enfers, fut un des législa- teurs de la Crète. Il rendit ses instructions respec- t^les , en les proposant au nom de Jupiter : il
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 5î:'g porta la crainte dos dibscnlions (jue le culte peut exciter , ou la véiTcration pour les dieux , jusqu'à défendre d'en prononcer le nom.
îVIinos fut le successeur de Pdiadaniante , l'éniulô de sa justice en Cièle , et son collègue aux cntersr. Il alloit consulter Jupiter dans les antres du nient Ida; et c'est de là qu'il rr.ppcrtoil aux peuples , noa ses ordonnances, mais les volontés des dieux.
Les sages de la Grèce succédèrent aux législa- teurs. La vie de ces hommes , si vantés pour leur amour de la vertu et de la vérité, n'est souvent qu'un tissu de mensonges et de puérilités, à com- mencer par rhistoriette de ce qui leur mérita 1« titre de sages.
De jeunes Ioniens renccnlrent des pécheurs dô Milel ; ils en achèl-enL un coup de fiîel ; et Toa trouve parmi les poisscns un trépied d'or. Les jeunes gens prétendent avoir tout acheté ) et les pécheurs , n'avoir vendu <|ue le poisson. Ou s'ea rapporte à l'oracle de Delphes , qui adjuge le tré- pied au plus £cge des Grecs. Les Milésiens l'ourenk à Thaïes; le sage Thaïes le transmet au sage Eias; le sage Bias , à Pitlacus; Piltacus, à un autre sage; et celui-ci, à Solon , qui restitua à Apollon le titrt de sage et le irépîed.
La Grèce eut sept sages. On entendoit alors , paf un sage , un homme capable d'en conduire d'autres. On est d'accord sur le nombre; niais on varie suf \eii personnages. Thaïes, Soloa, Chilon, Piltacus,
Dias , Clcobule cl Périandrc , sont le plus gcnérû- ItMuent reconnus. Les Grecs , enneiuis du despo- tisme et de la tyrannie , ont substitué à Périandre, les uns Pvlyson , les autres Anacliaisis. Nous allons eoiuniencer par Mjson.
INJjson naquit dans un bourg obscur. Il suivit le genre de vie de Timon et d'Apcniante , se garantit de la vanité ridicule des Grecs, encouragea ses concitoyens à la vertu , plus encore par son exem- ple c|ue par ses discours , et fut véritablement un sage.
Thaïes fut le fondateur de la secte ionique. Nous renvoyons l'abrégé de sa vie à l'article Ionienne ( PHILOSOPHIE ) , où nous ferons l'hiitoire de ses opinions.
Solon succéda à Thaïes. Malgré la pauvreté de 5a famille , il jouit de la plus grande considération. Il dcscendoit de Codrus. Exécestide, pour réparer ■une fc»rtune que sa prodigalité avoit épuisée , jeta Solon, son fils , dans le conmierce. La connoisiance des hommes et des loix fut la principale richesse, que le philosophe rapporta des voyages que le commerçant entreprit. Il eut pour la poésie un goût excessif , qu'on lui a reproché. Personne ne connut aussi bien l'esprit léger et les mœurs fri- voles de ses concitoyens , et n'en sut mieux profiter. Les Athéniens désespérant , après plusieurs tenta- tives inutiles , de recouvrer Salamine , décernèrent la peine de mort centre celui qui oseroit proposer
MES ANCIENS PHILOSOPHES. Sgî
de rechef cette expctlitlon. Solon trouva la loi hon- teuse et nuisible. H contrefit Tinsensé ^ et , le front ceint d'une couronne , il se présenta sur une place publique, et se mit à réciter des élégies qu'il avoit composées. Les Athéniens se rassemblent autour de lui j on écoute j on applaudit; il exhorte à re- prendre la guerre contre Salamine. Pisistrato l'ap- puie ; la loi est révoquée j on marche contre les habitaos de Mcgare ; ils sont défaits , et Salamine est recouvrée. 11 s'agissoit de prévenir l'ombrage que ce succès pouvoit donner aux. Lacédémoniens, et l'allarme (jue le reste de la Grèce en pouvoit prendre 5 Solon s'en chargea , et y réussit : mais ce qui mit le comb!e à sa gloire , ce fut la défaite des Cjrrhéens , contre lesquels il conduisit ses compatriotes, et qui furent sévèrement châtiés du mépris qu'ils avoient affecté pour la religion.
Ce fut alors que les Athéniens se divisèrent sur la forme du gouvernement ; les uns inclinoient pour la démocratie , d'autres pour l'oligarchie , ou quelque administration mixte. Les pauvres étoieni obérés au point que les riches , devenus maîtres da leurs biens et de leur liberté , l'étoicnl encore de leur^ enfans: ceux - ci ne pouvoient plus supportée leur misère ; ce trouble pouvoit avoir des suites fâcheuses ; il y eut des asseniblées. On s'a- dressa d'une voix générale à Solon ; et il fut chargé d'arrêter l'état sur le penchant de sa ruine* Ofl le créa archonte , la troisième année de la qua-
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raute-shiènie olympiade j il rétablit la police ci (a paix dans Athènes ; il soulagea les pauvres , sans tropniécontcntcr les riches; il divisa le peuple en tribus j il institua des chambres de judicature j il publia ses loix ; et eniploj-ant allernalivement la persuasion et la force , il vint à bout des obstacles qu'elles rencontrèrent. Le bruit de sa sagesse péné- tra jusqu'au fond de la Scjlhie , et attira dans Athènes Anacharsis et Toxaris , qui devinrent ses admirateurs ,ses disciples et ses amis.
Après avoir rendu à sa patrie ce dernier service , il s'en exila. Il crut que son absence étoit nécessaire, pour accoutumer ses concitoyens , qui le fati- guoientsans cesse de leurs doutes , à interpréter eux-mêmes ses loix. Il alla en Egypte , où il lit connoissariCe avec Psénophe j et dans la Crète , où il fut utile au souverain par ses conseils. 11 visita Thaïes ; il vit les aulres sages j il conféra avec Périandre ) et il mourut en Chypre , ligé de quatre- vingts ans. Le désir d'apprendre , qui l'avoil con- sumé pendant toute sa vie , ne s'éteignit qu'avec lui. Dans ces derniers moniens , il étcit encore en- vironne de quekjues amis , avec lesquels iU'entre- tenoitdes sciences qu'il avoit tant chéries.
Sa philosophie -prati([ue étoit simple; elle sr réduisoit à un petit nombre de maximes commu- nes , telles que celles-ci : ne s'écarter jamais de laf raison ; n'avoir aucun commerce avec le méchant j en tout , considérer la fin. C'est ce que nous disons
DES ANCIENS PUILOEOPIILS. 5^5
à nos enfansj mais touL ce qu'on peut faire dans l'agc mûr , c'est de pralif|aer les leçons qu'on a reçues dans l'enfance.
Chilon de Lacédémone fut élevé à l'épborat sous Etitjdème. Il n'y eut guère d'homme plus juste. Parvenu à une extrême vieillesse , la seule faule ([u'il se reprochoit , étoit une foibîesse d'a- îiiilié qui avoit soustrait un coupable à la sévérité des lois. Il étoit patient ; et il répondoit h son frère indigné de la préférence que le peuple lui avoit accordée pour la magistrature: Tunesaispas supporter une injure ^ et je le sais, moi. Ses mots sont laconiques. Connais-toi , rien de trop : laisse en repos les morts: ss. vie fut d'accord avec ses maximes. Il mourut de joie , en embrassant son fils qui sorloit vainqueur desjeus oKmpiqaes.
Piltacus naquit à Lesbos , dans la trente- deuxième olympiade. Encouragé par les frères du poète Alcée , et brûlant par lui-même du désir d'aiïVanchir sa patrie, il débuta par l'exécution de ce dessein périlleux. E.vi reconnoissance de ce sei- vice , ses concitoyens le nommèrent général dans la guerre contre les Athéniens. Pittacus proposa à Pliiinon ,qui commandoit l'ennemi , d'épargner'le de tant d'honcétes crens qui marchoient à leur
san^
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tête , et de finir la querelle des deux peuples par un combat singulier. Le défi fut accepté. Pittacus enveloppa Phiinon dans un filet de pécheur qu'il avoit placé sur son bouclier , et le tua.
Dans les répartitions des terres , on lui en ac-
^- ■ OPINIONS
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corda autant qu'il en voudroit ajouter à ses do- maines 'j il ne demanda cjue ce qu'il en pourroit renfermer sous le jet d'un dard, et n'en retint que la moitié. Il prescrivit de bonnes lois à ses conci- lojens. Après la paix , ils réclamèrent l'autorité qu'ils lui avoient confiée 5 et il la leur résigna. Il mourut âgé de soixante-dix ans , après avoir pas é les dix dernières années de sa vie dans la douce obscurité d'une vie privée. Il n'y a presqu'aucune vertu, dont il n'ait mérité d'être loué: il montra sur- tout l'élévation de son ame , dans le mépris des ri-» chesses de Crésus j sa fermeté , dans la manière dont il apprit la mort imprévue de son fils ; et sa patience , en supportant sans nuirmure les hau- teurs d'une fenmie impériouse.
Bias de Priene fut un homme rempli d'huma- nité j il racheta les captives Messéniennes , les dota , et les rendit à leurs parens. Tout le monde sait sa réponse à ceux qui lui reprochoient de sortir les mains vides de sa ville abandonnée au pillage (\es ennemis '.j'emporte tout ai^ec moi. Il fut ora- teur célèbre , et grand poète. li ne se chargea jamais d'une mauvaise cause j il se srroit cru déshonoré , s'il eut employé sa voix à la défense du crime et de l'injustice. Nos gens de palais n'ont pas cette déli- catesse. Il coinparoit les sophistes aux oiseaux de nuit, dont la lumière blesse les yeux : il expira à l'audience , entre les bras de ses parens , à la fia d'une cause qu'il venoit de gagner.
Cléobule de Linde , ville de l'île de Rhodes ,
DES ANCIENS PHlLOSOPJItS. O^J
avoil été remarqué par sa force et par sa beauté , avant que de l'être par sa sagesse. Il alla s'inslruire eu Egypte. L'Egjpte a été le séminaire de tous les grands hommes de la G:4èce. 11 eut unejfilleappelée Eurnélide ou CléobuUiie , qui fit honneur à son père. 11 mourut âgé de. soixante-dix ans, après avoir gouverné ses citoyens avec douceur.
Périandre , le dernier des sages, seroit bien in- digne de ce titre , s'il avoit mérité la plus petite partie des injures «juc les historiens lui ont dites : son grand crime , à ce qu'il paroît , fut d'avoir exercé la souveraineté absolue dans Corinthe. Telle étoit l'aversion des Grecs pour tout ce qui senloit le despotisme , qu'ils ne croyoient pas qu'un mo- narque pût avoir l'ombre de la vertu : cependant, à travers leurs invectives , on voit que Périandre se montra grand dans la guerre , et prudent dans la paix j et qu'il ne fut déplacé ni à la léte des affaires , ni à la léte des armées ; il mourut âgé de quatre- vingts ans , la quatrième année de la quarante- luiitiènie olympiade; nous renvoyons à riiistoiie de la Grèce pour le détail de sa vie.
Nous pourrions ajouter à ces honmies , Esope , Théognis , Phocylide , et presque tous les poêles draiiiatiques ; la fureur des Grecs pour les specta- cles doanoil à ces auteurs uneinfluence sur le gou- vernement , dont nous n'avons pas d'idée.
Nous terminerons cet abrégé de la philosophie politique des Grecs , par une question. Connnent
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est -il anivé à la plupart des sages de la Grèce dé laisser un si grand nom , après avoir fait de si petites choses? Il ne reste d'eux aucun ouvrage important ; et leur vie n'offre aucune action éclatante j on con- viendra que rimaiortali'ié ne s'accorde pas de uos jours à si bas prix. Seroit-ce que l'utilité générale , qui varie sans cesse , étant toute-fois la mesure constante de notre admiration , nos jugemens changent avec les circonstances ? Quefalloit-il aux Gif.cs à-peiae sortis de la barbarie ? des hommes d'un grand sens , fermes dans la pratique de la vertu, au-dessus delà séduction des richesses et des I erreurs de la r tort j et c'est ce que leurs sages ont été 3 mais auioi rd'hui c'est par d'autres qualités qu'on iaiss ra de la réputation après soi) c'est le génie, et non la vertu , qui fait nos grands honmics. La vertu obscure parmi nous , n'a qu'une sphère étroite et petite dans laquelle elle s'exerce j il uy a qu'un étic privilégié dont la vertu pourroit influer sur le bonheur général , c'est le souverain } le 1 este des honnêtes gens meurt, et l'on n'en parle plus ;la vertu eut le même sort chez les Gr^cs , dans les siècles suivans.
Z>'? la jJu'los opine sectaire des Grecs.
Combien ce peuple a changé î du plus stupide des peuples, il est devenu le plus délié; du plus féroce , le plus poU : ses premiers législateurs,
DES a^cie:;s philosophes. 397 ceux que la nalion a mis aunorubre de ses dieux, et dont les statues décorent ses places publiques cl sont révérées dans ses temples , auroiout bien de la peine à reconnoître les dcscendans de ces sau- vages hideux qu'ils arraclièrcnt, il uy a qu'un mo- ment, du tond des forêts et des anlrcs.
Voici le coup-d'œil , sous lequel i' faut maintenant considérer les Grecs , sur-tout dars Athènes.
Une partie , livrée à la superstition et au plaisir, s'échappe le matin d'entre les bras des plus belles courti^annes du monde , pour se répandre dans les écoles des philosophes et remplir les gymnases , les théâtres et les temples j c'est la jeunesse et le peuple : une autre , toute entière aux affaires de l'état , médite de grandes actions et de grands crimes ; ce sont les chefs de la république, qu'une populace inquiète immole successivement à sa ja- lousie : une iroupe ,moilié sérieuse etmoitié folâtre, passe son temps à composer des tragédies, des co- médies , des discours élocjuens, et des chansons imruorLelles 5 et ce ^ont les rhéteurs cl les poètes : cependant un petit nonibre dliommes tristes et querelleurs décrient les dieus , médisent des mœurs de la nation , relèvent les sottises des grands, et se déchirent entre eus j ce qu'ils appellent ainiei^ la vertu, et cherclier la vérité; ce sont hs philo- sophes , qui sont de temps-en-temps persécutés et mis en fuite par les prêtres et les magistrats. De quelque côté qu'on jette les yeui dans la
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Grèce , on y rencontre renipreinte du génie ; Te vice, à côléde la vertu j la sagesse , avec la folio j la niolesse, avec le courage j les arts , les travaux , la volupté , la guerre et les plaisirs : mais n'^ cherchez pas l'innocence j elle uy est pas.
Des barbares jetèrent dans la Grèce le premier germe de la philosophie ; ce germe ne pouvoit tom- ber dans un terrain plus fécond; bientôt il en sortit un arbre innnense , dont les rameaux , s'étendant d'âge en âge et de contrées eu contrées , couvri- rent successivement toute la surface de la terre : on peut regarder l'école ionienne et l'école de Samos comme les tiges principales de cet arbre.
De la secte ionique.
Thaïes en fut le chef. Il introduisit dans la phi- losophie la méthode scientifique , et mérita le pre- mier d'être appelé philosophe , à prendre ce mot dans l'acception qu'il a parmi nous : il eut un grand nombre de sectateurs ; il professa les mathéma- tiques , la méîapbvsique , la théologie, la morale, la physique et la cosmologie ; il regarda les phéno- mènes de la nature , les uns connue causes , les autres comme eûets ; et chercha à les enchaîner : Anaximandre lui succéda y Anaximène , à Anaxi- mandre : Anaxagoras , à celui-ci j Diogène Apol- loniate, à Anaxagoras j et Archélaiis , à Diogène,
( Voyez loMLMNE ( PHILOSOPHIE ) . )
" DES ANCIENS PHILOSOPHES. Sog
La secte ionique donna naissance an socralisnia et au péripatétisme.
Du socratisine.
Socrale , disciple d'Archélaùs , Socrate , qui fit descendre du ciel la philosophie, se renferma dans la métaphysique , la théologie , et la morale 3 il eut pour disciples Xénophon , Platon , Arisloxène , Démétrius de Phalère, Panetius, Callistène, Satjrus, Eschine , Criton, Cinion , Cebès, et Timon le Mi- santhrope. ( Kojez l'article Socratisme. )
La doctrine de Socrate donna naissance au cj- rênaïsnie , sous Aristippe j au niégarisme , sous Euclide ; à la secte élfaque , sous Phédon ; à la secte académique , sous Platon 5 et au cynisme , sous Antisthène.
Du cj'rénaïsme.
Aristipe enseigna la logique et la morale : il eut pour sectateurs Arété , Egésias , Annium, l'alhée Théodore , Evhemère, et Bion le Boris- thénite. ( Voyez l'a; ticle Cyré^taïsme. )
Du mégarisnic.
Euclide de Mégare , sans négliger les parties de la philosophie socratique , se livra particulièrement à Tétude des mathématiques : il eut pour succès-»
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seurs Eubulide , Alexine , Enphane , Apollf,nius, Oronus , Diodore et Sliîpon. ( ployez l'ailicle Mégarisme. )
De la secte éliaque et érétriaque,
La doctrine de Phédon fut la même que celle de son maître : il eut pour disciples Ménédème et Asckpiade. ( Voyez Éltaque, secte. )
Du platonisme,
Platon fonda la secte académique ; on j prof ssa presque toutes les sciences , les mathématiques , la géométrie , la dialectique , la métaphysique , la psjcologie , la morale , la politique , la théologie , et la physique.
Il y eut trois académies j racadémic première ou ancienne , sous Speiisippe , Xcnocrate , Polé- uion, Cratcs , Crantorj Pacadémie seconde ou niovcnne , sous Archésilas el Lacyde ; l'acadénne nouvelle ou troisième , quatrième et cinquième , sous Carnéade , Clitomaque , Philcn , Charniidas et Antiochus. ( Voyez les articles Pj atomsiml, et A G A D É M 1 c I E ^ s , ( philosophie des ) tom. i , pag-. 21 =119.)
Du cjnisme» Aiilii.lhène ne professa que la morale ; il eut
DES ANCIENS PHILOSOPHES. /^Oî
pour sectateurs Diogène, Onésicrite , Maxime, Craies , Hvpparchia , INiétrocle , Ménédèriie et INIcnippe. ( f^orez l'article Cymsme. )
Le cynisme donna naissance au stoïcisme; celle secte eut pour chef Zenon, disciple de Craies*
Bu stoïcisme,
Zenon professa la logique , la rnétaphvsique , la théologie et la morale : il eut pour sectateurs Persée , Ariston de Chio , Hérille , Sphère, Alhé- iiodore , Cîéanthe , Chrjsippe , Zenon de Tarse > Diogène le ï3abjlonien , Antipater de Tarse j Panétius , Possidonius et Jason. ( J^oyez l'article
SrOÏCISBIE. )
i)u pérlpatétisme,
Aristote en est le fondateur. ^Montaigne a dit de celui-ci , qu'il n'y a point de pierres qu'il n'ait re- muées. Aristote écrivit ^ur toutes sortes de sujets, et presque toujours en homme de génie j il professa la logique , la grammaire , la rhétorique , la poé- tique, la inétaphvsiqae , la théologie, la morale , la politique, l'histoire naturelle, la phjsiqu? , la cos- mologie : il eut pour sectateurs Thcophrcste , Siraton de Lampsaque , Ljcon , Aris^9n , Crito- laiis , Diodore , Dicéarquc , Eudèmc , Héraclide de Pont , Phanion , Démélrias de Phalère , et
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Hicroninius de Rhodes. ( Voyez les articles Aris-
TOTÉLISME et PtRlPATÉTISME. )
De la secte samienne,
Pj'tliagore en est le fondateur ; on y enseigna rarilhniéti(jue , ou plus généralement la science àts nombres ; la géométrie , la musique , l'astro- nonne , la théologie , la médecine et la morale : Pjthagore eut pour sectateurs Thélauge, son lils, Aristée , Mnésarque , Ecphante , Hypon , Em- pédocle , Epicharme ,Ocellus , Timéc , Architas de Tarente , Alcméon , Hyppase , Philolaiis , et Eudoxe. ( Voyez l'article PYTHAGORiswt. )
On rapporte à Técole de Samos , la secte éléa- lique , l'héraclilisme , l'épicuréisme , et le pjr- rhonisme ou scepticisme.
De la secte éléatique,
Xénophane en est le fondateur : il enseigna la logique , la métaphysique , et la physique : il eut pour disciples Parménide , Mélisse, Zenon d'Elée, Leucippe , qui changea toute la philosophie de la secte , négligeant la plupart des matières qu'on y agitoit , et se renfermant dans la physique : il eut pour sectateurs Démocrite, Protagoras et Ana- sarque. ( Voyez Eléatiql'e , secte. )
DES ANCIENS PHILOSOPHES. qOj
De lliéracîitisme.
Heraclite professa la logique , la métaphysique,' la ihéolo-ie et la morale j il eut pour disciple Hippocrale , qui , seul , en valoit un grand nombre d'autres, ( Foyez HéraclitisjIe. )
De Vépicurélsme.
Epicure enseigna la dialectique , la théologie^' la morale et la physique : il eut pour sectateurs Métrodore , Poljene , Herrnage , IVTus , Timocrate , Diogène de Tarse, Diogène de Séleucie, et Apol- lodore. ( T^oyez l'article Epicuréisme ).
Bu pyrrhonisine ou scepticisme,
Pvrrhon n'enseigna qu'à douter : il eut pour sectateurs Timon et Encsidème. ( Voyez les ar- ticles Pyrkhomsme et Sclpticisme, )
Voilà quelle fut la filiation des différentes sectes qui partagèrent la Grèce , les chefs qu'elles ont eus, les noms des principaux sectateurs, et les matières dont ils se sont occupés : on trouvera aux articles cités , l'exposition de leurs sentimens , et l'histoire abrégée de leurs vies.
Une observation qui se présente naturellement à l'aspect de ce tableau , c'est qu'après avoir beau-
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coup étudié, réfléchi , écilt , disputé , les philo- sophes de la Grèce fiiiisrcnt par se jeter dans le pyrrhonisnie. Quoi donc ! scroil-il vrai que rhoii*nie est ccadanmé à n'apprendre qu'une chose avec beaucoup de poinc ? c'est que son sort est de mou- rir, sarrs avoir rien su.
Consultez, sur les progrès de la philosophie des Grec5, hors de leurs contrées , les articles des didé- rentcs sectes, les articles de l'histoire delà philo- sophie en général , de la philosopiiie dos Pioniains sous la république et scus les empereurs , de la philosophie des Orientaux , dé la philosophie des Arabes, de la philosophie des chrétiens , de la phi- losophie des pères de l'église , de la philosophie des chrétiens dM)ccident, des scholastiqucs, de la phi- losophie ParméniJéenne , etc. ; vous verrez c^ue celte philosophie s'étendit également par les vic- toires et les défaites des Grecs.
Nous ne pouvons mieux terminer ce morceau que par un endroit de Plutarque, qui montre com- bien Alexandre étoit supérieur en politique à son précepteur; qui fait assez l'éloge de la safne philo- sophie , et qui peut servir de leçon aux rois.
« La police , ou forme de gouvernement d'état }) tant estimée , que Zenon , le fondateur et pre- )> raier auteur de la secte des philosophes stoïques, )) a imaginée , tend presque à ce seul point en )) somme , que nous , c'est-à-dire , les hommes ») en général ne viviL-ns point ui^ iscs par cilles >
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» peuples et nations , estant tous séparés parloix, » droits et coiistumes particulières; ains que nous » estimions tous hommes , nos bourgeois cl nos ci- )) tovens; et qu'il n'y ail qu'une sorte de vie , comme » il n'y a qu'un monde , ne plus ne moins que si )) ce fût un même troupeau paissant soubs mesme )) l)eiger eu pastis conr.uun. Zenon a écrit cela )) cojume un songe , ou une idée d'une police et de )) loix philosophiques qu'il avoil imaginées et for- )^ mées en son esprit : mais Alexandre a uns à réelle » exécution ce que l'autre àvoit figuré par écrit: )) car il ne fit pas comme Aristote , son précepteur , )) lui conseilioit , qu'il se portât envers les Grecs j) coiimie père , et envers les Barbares comme » seigneur j et qu'il eût soin des uns connue de ses » auiis et de ses parens , et se servit des autres » comme déplantes ou d'animaux j en quoi faisant , )) il eût rempli son empire de bannisseniens , qui )) sont toujours occultes semences de guerres , et )) factions et partialités fort dangereuses : ains esti- )) niant être envoyé du ciel comme un commun }) réformateur . çrouvèrneur et réconciliateur de l'a- » nivers , ceux qu'il ne put rassembler par remon- » trances de la raison il les contraignit par force d'ar- )) mes et assemblant le toat en un de tous côtés, en » les faisan tboire tous, par manière de dire , en une )) même coupe d'amitié , et mêlant ensemble les )) vies , les mœurs , les mariages et façons de vivre 5 i) il commanda à tous hoauncs yivans d'estmier Ta
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)) terre liabilable, être leur pays; et son camp, en )•> cire le clulleau et donjon j tous les gens de bien , )) parons les uns des autres j et les niéchans seuls, » c'irangcrs. Au demeurant , que le Grec et le » Barbare ne seraient point distingués par le man— » teau , ni à la façon de la targu« ou du cimeterre , » ou par le haut chapeau } ains remarqués et dis- » cernés, le Grec a la vertu , et le Barbare au vice , » en réputant tons les vertueux G/'ecs et tous les )) vicieux Barbares ; en estimant au demeurant lés » babillemens communs , les tables communes , les )) mariages , les façons de vivre , étant tous unis par )) iDclange de sang, et communion d'enfans ,etc. ». Telle fut la politique d'Alexandre, par laquelle il ne se montra pas moins grand homme d'état , qu'il ne s'étoit montré grand capitaine par ses concjuétes. Pour accréditer cette politique parmi les peuples , il appela à sa suite les philosophes les plus célèbres de la Grèce ) il les répandit chez les nations à-mesure qu'il les subjuguoit. Ceux-ci plièrent la religion des vainqueurs à celle des vain- cus ; et les diposèrent à recevoir leurs sentimens, en leur dévoilant ce qu'ils avoient de commun avec leurs propres opinions. Alexandre lui-mênie ne dédaigna pas de conférer avec les hommes qui avoient quelque réputation de sagesse chez les Barbares; et il rendit par ce moyen la marche de la philosophie presque aussi rapide que celle de ses armes.
DES ANCIENS P H l L 0 S 0 P H :. S. 407
HÉRACLITISME.
ou P H I L O s O P H I F. D ' H É R A C L 1 T E.
HERACLITE naquit à Ephèsej il connut le bonheur , puisqu'il aitna îa vie retirée. Dès son en- fance , il donna des marques d'une pénétration sin- gulière ; il sentit la nécessiîé de s'ctudier lui-même , de revenir sur les notions qu'on lui avoit inspirées , ou qu'il avoit fortuitement acquises j et il ne larda pas à s'en avouer la vanité.
Ce premier pas lui fut commun avec la plupart de ceux qui se sont distingués dans la recherche de la vérité 3 et il suppose plus de courage qu'on ne pense.
L'homme indolent , foible et distrait, aime mieuî demeurer tel que la nature , l'éducation et les cir- constances diverses l'ont fait , et flotter incertain pendant toute sa vie , que d'employer quelques instans à se familiariser avec des principes qui le fiseroient. Aussi le voit-on mécontent au milieu des avantages les plus précieux , parce qu'il a né- gligé d'apprendre l'art d'en jouir. Arrivé au^ mo- ment d'un repos qu'il a poursuivi avec l'opiniâtreté la plus continue et le travail le plus assidu , un germe de tourment, qu'il portoit en lui-même se- crètement , s'y développe peu-à-peu , et flétrit entre 665 inaias le bonheur.
4; 3 , o p I ^' I o N 3
Heraclite , convaincu de cette vérité , se rendit dans l'école de Xénophane , et suivit les leçons dIJippase , qui ensci^'uoit alors la philosophie de Pvuia^ore , dépouillée des voiles dont elle étoit enveloppée. (^f\y)ez Pythagoiucieismi ) philoso- pijie). )
Après avoir cccutc les homniesles plus célèbres de son temps , il s'éloigna de la société j et il alla dans la solitude s'approprier , par la niéditalion , les connoissanccs qu'il en avoit reçues.
De retour dans sa patrie , on lui conféra la pre- mière magistrature ; mais il se dégoûta bientôt d'une autorité qu'il excrçoit sans fruit. Un jour, il se relira aux environs du temple de Diane , et se mit à jouer aux osselets avec les enfans qui s'y rasseni- bloient. Quelques Ephésiens , l'ayant apperçu , trou- vèrent mauvais cpi'un personnage aussi grave s'occupât d'une manière si peu conforme à son ca- ractère , et le lui témoignèrent. O Ephésiens ! leirr dit-il , ne vaut-il pas mieux s'amaser avec ces innocens , que de gouverner des hommes corrom- pus ? Il étoit irrité contre ses compatriotes qui ve- noient d'exiler liermodore , homme sage et son ami; et il ne manquoit aucune occasion de leur reprocher cette injustice.
Né mélancolique ; porté à la retraite, ennenii du tumulte et des embarras , il revint des affaires pu- bliques à l'étude de la philosophie. Darius désira de l'avoir à sa cour ; mais l'amc élevée du philo-
DES AxXClENS PHILOSOIMÎES. 4^9
sopherejeLaavec dédain les promesses du monarque. Il aima mieux s'occuper de la vérité , jouir de lui- même , habiter le creux d'une roche , et vivre de légumes. Les Athéniens , auprès desquels il avoit la plus haute considération ,ne purent l'arracher à ce genre dévie -, dont l'austérité lui devint funeste. 11 lut attaqué d'hydropisie ; sa mauvaise santé le ramena dans Ephèse , où il travailla lui-même a sa guérison. Persuade qu'une transpiration violente dissiperoit le volume d'eau dont son corps éloJt dis- tendu , il se renferma dans une étable , où il se Ht rouvrir de fumier ; ce remède ne lui réussit pas ', il mourut , le second jour de cette espèce de bain , âgé de soixante ans. -
La méchanceté des hommes Tanligeoit , ma{s ne l'irritoitpas. Il voyoit combien le vice les ren-^ doit malheureux j et l'on a dit qu'il en versoit des larmes. Cette espèce de commisération est d'une ame indulgente et sensible. Et comment ne la seroit-cn pas, quand on sait combien l*usage de la liberté est aâoibli dans celui qu'une violente passion entraîne, ou qu'un grand intérêt sollicite ?
Il avoit écrit de la matière , de l'univers , de la république et de la théologie ; il ne nous a passé que quelques fragmens de ces diâérens traités. Il li'ambitionnoit pas les appîaudissemens du vulgaire ; et il crojoit avoir parle assez clairement , lors- qu'il s'étoit mis à la portée d'un petit nombre de lecteurs instruits et pénétrans. Les autres i'ap-
Philos. ?.nc. e^ mod. ToiiE I. S
4 10 o r 1 iN 1 o rv s
peloicnl h ténébreux , ckotsivoÇ) et il s'en sou-
cioit peu.
11 déposa ses ouvrages dans le temple de Diane. Comme ses opinions sur la nature des dieux n'é- toient pas conformes à celles du peuple , et qu'il craignoit la persécution des prêtres , il avoit eu , dirai-jc , la prudence ou la foiblesse de se couvrir d'un nuage d'expressions obscures et figurées. Il n'est pas étonnant qu'il ait été négligé des gram- mairiens , et oublié des philosophes même pendant un assez long intervalle de temps : ils ne l'cnten-^ doient pas. Ce fut unCratès qtii publia le premier, les ouvrages de notre philosophe.
Heraclite florissoit dans la soixante- neuvième oljrmpiade. Voici les principes fondamentaux de sa philosophie , autant qu'il nous est possible d'en juger, d'après ce que Sexlus-Enipjricus et d'au- tres auteurs nous en ont transmis.
V
Logique ^'Heraclite.
Les sens sont des juges trompeurs : ce n'est point à leur décision qu'il faut s'en rapporter , mais u celle de la raison.
Quand je parle de la raison , j'entends celte raison universelle , commune et divine , répandue dans tout ce qui nous environne ] elle est en nous ; ïious sommes en elle ; et nous la respirons.
C'est la respiration qui nous lie , pendant le som-
DES ANCIENS PHILOSOPHES. ^l l
raeil , avec la raison universelle , commune el di- vine , que nous recevons dans la veille , par l'en- tremise des sens qui lui sont ouverts comme autant de portes ou de canaux : elle suit ces portes ou canaux ; et nous en sommes pénétrés.
C'est par la cessation ou la continuité de cette influence, c^u Heraclite espliquoit la réminiscence et l'oubli.
Il disoit : Ce qui naît d'un homme seul n'obtient et ne mérite aucune crojance , puisqu'il ne peut être l'objet de la raison universelle , commune et divine , le seul criteriinn que nous avons de la vérité.
D'où l'on voit qu Heraclite admettoit l'ame du monde , mais sans y attacher Tidée de spiritualité.
Le mépris assez général qu'il (aisoitdes hommes prouve assez qu'il ne les croyoit pas également partagés du principe raisonnable , commun , uni- versel et divin.
Physique éf'Héraclite.
Le petit nombre d'axiomes, auxquels on peut la réduire , ne nous en donne pas une haute opinion. C'est un enchaînement de visions assez singulières.
Il ne se fait rien de rien , disoit-ii.
Le feu est le principe de tout: c'est ce qui se remarque d'abord dans les êtres.
L'ame est une particule ignée.
4l2 OPINIONS
Chaque particule ignée est simple , éternelle , inaltérable et indivisible.
Le mouvement est essentiel à la collection des êtres , mais non à chacune de ses parties : il j' en a d'oisives ou mortes.
Les choses éternelles se niettvent éternellement. Les choses passagères et périssables ne se meuvent cju'un temps.
On ne voit point , on ne louche point , on ne sent point les particules du feu ; elles nous échap- pent par la petitesse de leur masse et la rapidité de leur aclion 3 elles sont incorporelles.
Il est un feu artificiel , qu'il ne faut pas confondre avec le feu élémentaire.
Si tout émane du feu , tout se résout en feu. Il y a deux mondes ; l'un , éternel et incréé; un ^utre , qui a commencé et qui finira.
Le monde éternel et incréé fut le feu élémentaire qui est, a été , et sera toujours , niensura generalis accendens et exUnguens, la mesure générale de tous les états des corps , depuis le moment où ils s'allument jusqu'à celui où ils s'éteignent.
Le monde périssable et passager n'est qu'une combinaison momentanée du feu élémentaire.
Le feu éternel , élémentaire , créateur et toa-r jours vivant , c'est Dieu.
Le mouvement et faction lui sont essentiels 3 il ne se repose jamais.
Le mouvement essentiel , d'ox4 naît la nécfs-
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 4'^
site et renchaînement des événeiiiens , c'est la destin.
Cest une substance intelligente ) elle pénètre tous les êtres; eile est en cuxj ils sont en elle ; c'est i'arae du monde.
Cette avne est la cause génératrice des choses.
Les choses sont dans une vicissitude perpétuelle j elles sont nées de la contrariété des niouvemens; et c'est par cette contrariété qu'elles passent.
Un feu le plus subtil el le plus iiquesceut a fait l'air eu se condensant ; un air plus dense a produit l'eau ; une eau plus resserrée a formé de la terre j l'air est un feu éteint.
Le feu , l'air , l'eau et la terre , d'abord séparés , puis réunis et couibinés , ont engendré l'aspect universel des choses.
L'union et la séparation sont les deux voies de génération et de destruction.
Ce qui se résout , se résout en vapeurs.
Les unes sont légères et subtiles ', les autres, pesantes et grossières. Les premières ont prc- dxiit les corps lumineux; les secondes, les corps cpaqnes.
L'ame du nronde est une vapeur humide. L'ame de l'honime et des autres animaux est une portion de l'ame du nionde , qu'ils reçoivent , ou par l'ins- piration , ou par les sens.
Imaginez des vaisseaux concaves d'un côté , et convexes deraulre;forrae?.îa convexité de vapeurs
4 1 4 O P I .\ I 0 N 8
pesantes et grossières ; tapissez la concavité Je va- peurs légères ou subtiles , et vous aurez les astres , leurs faces obscures et lunjiaeuses , avec leurs éclipses.
Le soleil» la lune et les autres astres n'ont pas plus de grandeur que nous ne leur eu voyons.
Quelle difTérence de la logi(|ue et de la physique des anciens , et de leur morale I Us en ttoient à-peine à l'a b c de la nature , qu'ils avoient épuisé la con- noissauce de rhomme et de ses devoiis.
Morale ^/'Heraclite.
Lliomme veut élre heureux. Le plaisir est son but.
Ses actions sont bonnes , toutes les fois qu'en agissant il peut se considérer lui- même comme Tinstrument des dieux. . . . Quel principe!
11 importe peu à l'homm.e , pour être heureux, de savoir beaucoup.
Il en sait assez , s'il se connoît et s'il se possède.
Que lui fera-t-on , s'il méprise la mort et la vie ? Quelle différence si grande verra-t-il enire vivre et mourir, veiller et dormir, croîlre ou passer , s'il est convaincu que, sous quelque état qu'il existe , il suit la loi de la nature ?
S'il y a bien réfléchi , la vie ne lui paroîtra qu'un état de mort j et son corps, le sépulcre de £uu aine.
DES Ay Cl E > S riîtLOSOPIIES. 4^^
Il n'y a rien ni à craiacîre , ni à souhaiter au-delà du trépas.
Celui qui sentira avec quelle absolue nécessité la sauté succède à la njaladie ; la maladie , à Ir santéj le plaisir, à la peine ^ la peine, au plaisir; la satiété, au besoin ; le besoin , à la satiété ; le repos , à la fa- tigue; la fatigue, au repos; et ainsi de tous les états contraires, se consolera facilement du mal , et se réjouira avec modération dans le bien.
Il faut que le philosophe sache beaucoup. Il suffit à l'homme sage de savoir se commander.
Sur-tout, être vrai dans ses discours et dans ses actions.
Ce qu'on nomme le génie dans un homme, est un démon.
Nés avec du génie , ou nés sans génie , nous avons sous la main tout ce qu'il faut pour cire heureux.
Il est une loi universelle, commune et divisée, dont toutes les autres sont émanées.
Gouverner les hommes , comme les dieux gou- vernent ie mon Je , où tout est nécessaire et bien. -
Il faut avouer qu'il v a dans ces principes , je ne sr.is quoi de grand et de généra! , qui n'a pu sorlir que d'araes fb/tes et vigoureuses , et qui ne peut germer que dans des aines de la même trempe. On y propose par-tout à l'homme, les dieux, la nature et l'universalité de ses loix.
Heraclite eut quelques disciples. Plalon ,jeun*
/j ■ ^> s
aiurs , étudia la [:,uiijàujjliiij 6v>us Heraclite , ot retint ce qu'il eu avoil appris sur la ijalure de la niatière cl du mouvement. On dit qu'Hippocrate et Zenon élevèrent aussi leurs sjslêmes aux dépens du sien.
INIais, jusqu'où Hîppocrate s^est-il approprié les idées à' Heraclite ? c'^st ce qu'il sera diflicile de connoître , tant que les vrais ouvrages de ce père de la médecine demeureront confondus avec ceux qui lui sont faussement attribués.
Les traités où l'on voit Hippocrate abandonner l'expérience et l'observation pour se livrer à des hvpolhèses , sont suspects. Cet homme étonnant ne méprisoit pas la raison j mais il paroît avoir eu beaucoup plus de confiance dans le témoignage de ses sens , et la connoissance de la nature et de l'homme. Il permeltoit bien au médecin de se mêler de.philosophie ; mais il ne pouvoit souffrir que le philosophe se mêlât de médecine. Il n'avoit garde de décider de la vie de son semblable d'après une idée systématique. Hippocrate nefut , à proprement parler, d'aucune sectç. u Celui , dit-il, qui ose >) parler ou écrire de notre art , et qui prétend rap- » peler tous les cas à quelques qualités parliculiè- « res , telles que le sec et l'humide , le froid et le » chaud , nous resserre dans des bornes trop étroi- « tes : et ne cherchant dans Thomme qu'une ou » deux causes générales de la vie ou de la mort , )) il faut qu'il tombe dans un grand nombre d'er-
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 4 1 7
)■) reurs ». Cependant la phiiosophie rationnelle ne lui étoit pas étrangère j et si l'on consent à s'en rapporter au livre des principes et des chairs , il sera facile d'appercevoir l'analogie et la disparité de ses principes et des principes à' Heraclite,
Physique (THippocrate,
A quoi bon , dit Hippocrate j s'occuper des choses d'en-haut? On ne peut tirer , de leur in- fluence sur l'homoie et sur les animaux , qu'une raison bien générale et bien vague de la santé et d« la maladie , du bien et du mal , de la mort et de la vie.
Ce qui s'appelle le chaud , paroît immortel. II comprend, voit, entend, et sent tout ce qui est et sera.
Au moment où la séparation des choses confuses se fit , une partie du chaud s'éleva , occupa les ré- gions hautes , et servit d'enveloppe au tout. Une au- tre resta sédentaire, et forma la terre qui fut froide j sèche et variable. Une troisième sePrépandit dans l'espace intermédiaire , et constitua l'atmosphère : le reste lécha la surface de la terre , ou s'en élci^-na geuj et ce furent les eaux et leurs exhalaisons.
De-là , Hippocrate , ou celui qui a parlé en son nom , passe à la formation de l'homme et des ani- maux , et à la production des os , des chairs , des nerfs «t des autres organes du corps.
4i8 OPINIONS
Selon cet autour , la luiiiicre s'unil à tout, et domine.
Uien ne uail , cL rien ne périt. Tout change et s'altère.
Il ne s'engendre aucun nouvel animal , aucun être nouveau.
Ceux qui existent , s'accroissent, demeurent et passent.
Rien ne s'ajoute au tout; rien n*en est retranché. Chaque chose est coordonnée au tout j et le tout Test à chaque chose.
Il est une nécessité universelle , commune et divine , qui s'étend indistinctement à ce qui a volon- té , et à ce qui ne l'a pas.
Dans la vicissitude générale, chaque être siihit sa destinée j et la génération et la destruction sont un même fait, vu sous deux aspects différens.
Une chose s'accroît- elle , il faut qu'une autre diminue, ame ou corps.
Des parties d'un tout qui se résout , il y en a qui passent dans Thoiiime. Ce sont des amas ou de feu seul , ou d'eau seule , ou d'eau et de feu.
La chaleur a trois niouvemcns principaux j ou elle se retire du dehors au-dedans j ou elle se porte du dedans au-dehors y ou elle reste et circide avec les humeurs. De-là le sommeil ,1a veille ; l'accrois- sement, la diaiinulion j la santé , la maladie 5 la mort , la vie ; la foiie , la sagesse ; l'intelligence , la stupidité } l'action , le repos.
DES A ?s c : E 3 S r iJ 1 L O S o r H L S. /| f C)
Le chaud préside à tout; jamais il ne se repose.
L'ordre de la nature est des dieux. Ils font tout ; et tout ce qu ils font est nécessaire et bien.
On demande, d'après ces principes , s'il faut conjpter Hippocrale au nombre des seclaleuis de lalhéisnie ? ISous aimons mieux imiter la mode- ration de Mosheim ^ et laisser cette c|ueslion indé- cise , c^ue d'ajouter ce nom célèbre à tant d'autres.
H O B B I S .M E ,
ou PHILOSOPHIE DE HOBBES.
Nous diviserons cet article en deux parties : dans la première , nous donnerons un abrégé de la vie de Hobhes 'j dans la seconde , nous exposerons les principes fondamentaux de sa philosophie.
l'homas //aè^e^r naquit en Angleterre , à ÎNIal- jiiesbary , le 5 avril i588 ; son père étoit un ecclé- siastique obscur de ce lieu. La flotte, que Philippe H, roi d'Espagne , avoit envoyée contre les an- glois , et qui fut détruite par les vents , tenoit alors la nation dans une consternation générale. Les cou- ches de la mère de Hobbes en furent accélérées j et eiîe mit au monde cet enfant avant terme.
On l'appliqua de bonne heure à l'étude : malgré la foiblesse de sa santé , il surm.onta avec une facili- té surprenante , les difficultés des langues savantes j et il avoit traduit en vers latins la Médée d'Euri-
4?o OPINIONS
pide , dans un âge où les autres enfans connoîsseut
à-peinele nom de cet auteur.
On l'envo^^a , à quatorze ans , à Tuniversité d'Ox- ford , où iliit ce que nous appelons la philosophie; de-là il passa dans la maison de Guiliaunie Gaven- dish , baron de Haï dvyick , et peu de temps après comte de Dévonshire , qui lui confia l'éducation de son fils aîné.
La douceur de son caractère, et les progrès de son élève , le rendirent cher à toute la famille , qui le choisit pour acconiptrgner le jeunecomte dans ses vojages. Il parcourut la France et l'Italie, recher- chant le commerce des hommes célèbres , et étu- diant les loix, les usages, les coutumes, les mœurs, le génie , la constitution , les intérêts et le goùl de ces deux nations.
De retour en Angleterre, il se livra tout entier à la lecture des lettres , et aux méditations de la philosophie. Il avoit pris en aversion , elles choses qu'on eiiseignoit dans les écoles , et la manière de les enseigner. Il n'y voyoit aucune application à la conduite générale ou particulière des hommes. La logique et la métaphysique des péripaléticiens ne lui paroissoit qu'un tissu de niaiseries difficiles ; leur morale, qu'un sujet de disputes vides de sens j et leur physique , que des rêveries sur la nature et ses phénomènes.
Avide d'une pâture plus solide , il revint à la lecture des anciens ; il dévora leurs philosophes ,
ù h 6 A > C I E N 5 PHILOSOPHES. ^21
leurs poètes , leurs orateurs et leurs historiens j ce fut alors qu'on le présenta au chancelier Bacon , qui l'admit dans la société des grands hommes dont il étoit environné. Le gouvernement commençoit à pencher vers la démocratie; et notre philosophe, efi'rayé des maux qui accompagnent toujours les grandes révolutions , jeta les fondemens de son sys- jtéine politique ', il crojoit de bonne-foi que la vols d'un philosophe pouvoit se faire entendre au milieu des clameurs d'un peuple rebelle.
Il se repaissoit de cette idée aussi séduisante que vainejetil écrivoit, lorsqu'il perdit dans la personne de son élève , son protecteur et son ami : il avoit alors quarante ans , temps où Ton pense à l'avenir. Il étoit sans fortune; un moment avoit renversé toutes ses espérances. Gervaise Gliftoa le sollicitoit de suivre son fils dans ses vojages ; et il y consentit : il se chargea ensuite de l'éducation d'un fils delà comtesse de Dévonshire , avec lequel il revit encoae la France et l'Italie,
C'est au milieu de ces distractions , qu'il s'ins- truisit dans les niathéirjatiques , qu'il regardoit comme les seules sciences capables d'affermir le jugement ; ilpensoit déjà que tout s'exécute par des loix mécaniques ; et que c'étoit dans les propriétés seules delà matière et du mouvement, qu'il falloit chercher la raison des phénomènes des corps bru- tes et des êtres organisés.
Ai'étude des inalhématiques, i! fit succéder celle
i(?2 O P I N I O IN S
de l'histoire naturelle et de la physique expériiueM- talf?. Il ctoit alors à Paris , où il se lia avec Gas- sendi, qui Iravailloil à rappeicr de l'oubli la philo- sophie d'Epicure. Un système , où l'on explicjue tout par du mouvement et des atomes , ne pouvoit manquer de plaire à Hohhes ; il l'adopla , et en étendit l'application des phénomènes de la nature aux sensations et aux idées. Gassendi disoitde//oé- bes, qu'il ne connoissoit guère d'aine plus intrépide, d'esprit plus libre de préjugés , d'homme qui péné- trât plus profondément dans les choses : et l'histo- rien de Hobbes a dit du P. INîersenne , que son état de religieux ne l'avoit point empoché de chérir le philosophe de Malmesbury , ni do rendre justice aux mœurs et aux talens de cet homme, quelque ditiérence qu'il y eut entre leur communion et leurs principes.
Ce fut alors que Hobbes publia son livre du Citoyen^ l'accueil que cet ouvrage reçut du public, et les conseils de ses amis , l'attachèt^utà l'étude de riiomme et des mœurs.
Ce sujet intéressant l'occupoit , lorsqu'il partit pour l'Italie. Il fit connoissance à Pise avec le célè- bre Galilée. L'amitié fut étroite et prompte entre ces deux hommes. La persécution acheva de res- serrer dans la suite les liens qui les unissoient.
Les troubles , qui dévoient bientôt arroser de sang l'Angleterre , étoient sur-le-point d'éclater. Ce fut dans ces circonstances qu'il publia son
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 4^5
Leviathan : cet ouvrage fit grand bruit j c'est-à- dire , qu'il eut peu de lecteurs , quehjues défen- seurs , et beaucoup d'ennenn's. //oZ»^e5 y disoit : (( Point de sûreté , sans lapaix ; point de paix , sans » un pouvoir absolu; point de pouvoir absolu, sans » les armes j point d'armes , sans impôts ', et la » crainte des armes n'établira point la paix , si une » crainte plus terrible que celle de la mort excite » les esprits. Or , telle est la crainte de la damna- » tion éternelle. Un peuple sage conmiencera donc )) par convenir des choses nécessaires au salut ».
« Sine pace impossibilem esse incolumitalem : Y) sine imperio, pacem ; sine armis, imperium ; sine 5) opibus in unani manuui colîatis , nihil valent » arma; neque metu armorum quicquam ad pa- » cem proficere illos , quos ad pugnandum conci- )) tat malum morte mngis formidandum. Nempè » dùm consensum non sit de lis rébus quœ ad » felicitatem ccternam neccssariœ credantur , )) pacem inter cives esse non posse ».
Tandis que dos hommes de sang faisoient re- tentir les temples de la doctiiiie incurtrière des rois , distribuoient des poignards aux citoyens pour s'entr'égorger , et préchoient la rébellion et la rupture du pacte civil, un philosophe leur disoit: « Mes amis , mes concitoyens, écoutez-moi: ce » n'est point votre admiration ni vos éloges que je » cherche ) c'est de votre bien , c'est de vous- j) mêmes que je m'occupe. Je voudrois vous éclair
m
424 OPINIONS ^^
» ver sur des véritcs qui vous épargneroîent des j) crimes : je voudrois que vous conçussiez que tout )) a ses inconvéniens ; et que ceux de voire gou- » vernenient sont bien moindres que les maux que » vous vous préparez. Je soulfre avec impalience » que des hommes ambitieux vous abusent, et » cherchent à cimenter leur élévation de votre V» sang. Vous avez une ville et des loix ; est-ce » d'après les suggestions de quelques particuliers, » ou d'après votre bonheur commun , que vous » devez estimer la jusiice de vos démarches? Mes » amis , mes concilojens , arrêtez, considérez les )) choses ; et vous verrez que ceux qui prétendent I) se soustraire à l'autorité civilfe , écarter d'eux la » portion du fardeau public , et cependant jouir » de la ville, en être défendus , protégés, et vivre » tranquilles à Torabre de ses remparts ; ne sont )) point vos concitoyens , mais vos ennemis ; et » vous ne croirez point stupidement ce qu'ils ont » l'impudence et la témérité de vous annoncer » publiquement ou en secret , comme la volonté i) du ciel et la parole de Dieu ».
« Feci non eo concilio ut laudarer , sed vestri )i causa, qui cùm doctrinam quam aÛero , cogni- I) tam etperspectam haberetif, sperabam fore ut » aliqua incommoda in re familiari , quoniam res >) huihanœ sine incommodo esse non possunt , » œquo animo ferre , quam reipublicae stalum i) conturbare malletis. Ut juslitiaiu caruni reruni ,
DES ANCIEIS'3 THILOSOPHES. 4^^
îï quas facere cogilatis , non scrmone vel concilio » privaloruni , sed legibus civilatismelientes, non » aiiipliùs sanguine vestro ad suani potcnliani » ambitiosos hommes ^âbiili palerennni. Lt slatu « preescnti , licet non optimo , vos ipsos frui ,' >) quam bello excitato , vobis interfeclis , vel œtate » consuniptis, alios honiines alio sœciilo slatiim » habererefornialiorcm saliùs duceretis. Preeterea » qui magi&tratui civil.i subditos sese esse nolunt , )) onerumque publicorum inimunes esse volunt ^ » in civitate tamen esse , atque ab eâ protegi et vî » et injuriis postulant , ne illos cives , sed hostes » exploratoresque putaretis j neque omnia, quœ illi >) pro verbo Dei vobis vel palàm , vel secreto » proponunt, tciuerè reciperetis ».
Il ajoute les choses les plus fortes contre les parricides , qui ronipent le lien qui attache le peu- ple à son roi , et le roi à son peuple ^ et qui osent avancer qu'un sou veraiiv soumis aux loix comme un simple sujet , plus coupable encore par, leur, infraction , peut être juge et condamné.
Le Citoyen et le Leviathan tombèrent entre les mains de Descartes , qui y reconnut du premier coup-d'œil le zèle d'un citoyen fortement attaché à son roi et à sa patrie , et la haine de la sédition et des séditieux.
Quoi de plus naturel à l'homme de lettres, au philosophe , que les dispositions pacifiques ? Qui est celui d'entre nous , qui ignore que point de phi-
/\l6 OPINIONS
losophic , sans repos j point de repos , sans paix j point de paix, sans soumission aa-dedans, et sans crédit aa-deliors ?
Cependant le parlement ttoil divisé d'avec la cour; et le feu de la guerre civile s allumoit de toutes parts. Hobbes , défenseur de la majesté souveraine , encourut la haine des démocrates. Alors voyant les loix foulées aux pieds , le trône chancelant, les hommes entraînés , comme par un vertige général, aux actions les plus atroces , il pensa que la nature humaine étoit mauvaise: et de-là toute sa fable ou son histoire de l'état de nature. Les circonstances firent sa philosophie : il prit quelques accidens momentanés pour les règles invariables delà nature j et il devint l'agres- seur de rhumanité , et l'apologiste de la tyrannie.
Cependant , au mois de novembre 1611, il jr eut une assemblée générale de la nation ; on en es- péroit tout pour le roi: ou se trompa; les esprits s'aigrirent de plus en plus , et Hobbes ne se crut plus en sûreté.
Il se retire en France j il y retrouve ses amis -, il en est accueilli j il s'occupe de physi({ue -, de ma- thématiques, de philosophie , de beîles-leltres et de politique : le cardinal de Richelieu étoit à la tête du ministère , et sa grande ame échauffoit toutes les autres.
Mersenne , qui étoit comme un centre commun où aboutissoient tous les fils qui lioient les philo-
DES Â>CTE^S PHILOSOPHES. l^^^J
soplies entre eux , met le philosophe anglais en cor- respondance avec Descartes. Deux esprits aussi impérieux n'tloieul pas faits pour être long-temps d'accord. Descaries venoit de proposer ses lois du mouvement. //oZ;Z?<?5 les attacjua. Descaries avoit envoyé à IVIersenne ses méditalicus sur ^c^prit , la matière , Dieu , l'ame humaine, cl les autres points les plus iniportans de la métaphysique. On les couiiiRiniqua à Hobbes , qui éloit bien éloigné de convenir que la matière éloit incapable de penser. Descartes avoit dit : u Je pense , donc )) je suis ». Hobbes diioil : » Je pense , donc lama- » tière peut penser ». =^ Ex hoc primo axiomale » quod Cartcsius slatuminaverat , ego cogito , }) ergô suin , concludebat rem cogitanteni esse » corporeum quid )). Il objecloic encore à son ad- versaire , que , quelque fût le sujet de la pensée , il ne se présentoit jamais à l'entendement que sous une forme corporelle.
iSIalgré la hardiesse desaphilosophie , il vivoit à Paris , tranquille ; et lorsqu'il fut question de don- ner au prince de Galles un maître de mathémati- ques , ce lut lui qu'on choisit parmi un grand nombre d'autres qui envioient la même place.
Il eut une autre querelle philosophique avec Bramhall , évéque de Derry. Il s'étoienl entretenus ensemble chez i'évé que de Nevycastle , de !a liberté , de la nécessité , du destin et de son eftol ..ur Izs actions humaines. Bramhall enyoja à Hobb-^
/>.«b O P I N I O >• s
une JiiSQi'lalion manuscrite sur celte matière. JH okb es \ répondit : il avoit exigé que sa réponse ne fût point publiée , de peur que les esprits peu familiarisés avec ses principes n'en fussent cflarou- chés. Bramhall répliqua. Hohhes ne resta pas en reste avec son antagoniste. Cependant les pièces de cette dispute parurent , et produisirent l'effet que Hobbes en craignoit. On y lisoit que c'étoit au souverain à prescrire au peuple ce qu'il falloit croire de Dieu et des choses divines ; que Dieu ne de voit être appelé juste , qu'en ce qu'il n'y avoit aucun être plus puissant qui put lui commander , le contraindre et le punir de sa désobéissance j que son droit de régner , de punir , n'étoit fondé que sur i'irr^sistibilité de sa puissance ; qu'ôté cette con- dition , ensorte qu'un seul , ou tous réunis pussent ie contraindre , ce droit se réduisoit à rienj qu'il n'étpit pas plus la cause des bonnes actions que des mauvaises j mais que c'est par sa volonté seule qu'ellejs sont mauvaises ou bonnes j et qu'il peut rendre coupable celui qui ne l'est point , et punir et damner sans injustice celui niême qui n'a pas péché.
Toutes CCS idées sur la souveraineté et la justice de Dieu , sont les mêmes que celles qu'il établissoit t,\ir la souveraineté et la justice des rois. Il les avoit transportées du temporel au spirituel ) et les théo- logiens en concluoient que , selon lui , il n'y avoit ni justice , ni injustice absolue ; que les actions ne
DES ANCIENS P ri I L fr S 0 r H E S. 4^9
plaisent pas à Dieu , parce qu'elles sont bien j mais cruelles sont bien , parce qu'il lui plaît j et que la vertu , tant dans ce monde que dans l'autre , con- siste à faire la volonté du plus fort qui G£);i]mande , et à qui on ne peut s'opposer avec avantage.
En 1649, il fut attaqué d'une fièvre dangereuse. Le P. Mersenne , que l'amitié avoit attaché à côlé de son lit , crut devoir lui parler alors de l'é- glise catholique et de son autorité, u Mon Père, )) lui répondit Hobbes , je n'ai pas attendu ce » moment pour penser à cela ; et je ne suis guère )) en état d'en disputer ; vous avez des choses plus » agréables à me dire. Y a-t-il long-temps que » vous n'avez vu Gassendi » ? = IVli pater, heec » oniniajamdudùm niecum disputavij, eadeni dis- » putare nunc molcstura erit; habes quae dicas » amœniora ? Quaucjp vidisli Gassendum » ? Le bon religieux conçut que le philosophe éloit résolu de mourir dans la religion de son pajs , ne le pressa pas davantage ) et Hobbes fut administré selon le rile de l'église anglicane.
Il guérit de cette maladie ; et l'année suivante il publia ses traités de la nature humaine et du corps politique. Sethus Wardus , célèbre professeur en astronomie à Séviile , et dans la suite évéque de Salisbury , publia contre lui une espèce de satyre , où l'on ne voit qu'une chose^ c'est que cet homme , quelque habile qu'il fût d'ailleurs , réfutoit une phi- losophie qu'il n'entendoitpas, etcroyoit remplacer
de bonnes raisons par de mauvaises plaisanteries. Richard Stcele , qui se conuoissoit en ouvrages de liltcrature et de philosophie, regardoit ces der- niers comme les plus parfaits que noire philosophe eût composés.
Cependant, à-mesure qu'il acquéroit de la répu- tation ,il perdoit de son repos j les imputations se iimlîiplioieulde toutes parts ^ on l'accusa d'avoir passé du parti du roi dans celui de Tusuipateur. Cette calomnie prit faveur; il ne se crut pas en sûreté à Paris , où ses ennemis pouvoienl tout ; et il retourna en Angleterre , où il se lia avec deux hommes célèbres , Harvée et Selden. La famille de Dévonshire lui accorda une retraite; et ce fut loin du tumulte et des factions qu'il composa sa logique, sa physique, son Hvre des principes ou ëlémensdes corps ; sa géométrie ; et son traité de l'homme , de ses facultés , de leurs objets , de ses passions , de ses appétits , de l'imagination, de la mémoire, de la raison du juste, de l'injuste, de l'honnéle, du deshonnéte , etc.
En 1660, la tyrannie fut accablée, le repos rendu à l'Angleterre , Charles rappelé au trône , ia face des choses changée; et Hobbes aban- donna 6a campagne, et reparut.
Le monarque, à qui il avoil autrefois montré les mathématiques, le reconnut, l'accueillit, et passant un jour proche de la maison qu'il habitoit , le fit ap- peler , le caressa , et lui présenta samain à baiser.
ti E 5 Â IS" C I t ^' S PHILOSOPHES. 4* î
Il suspendit un moment ses éludes pbilosoplii- ques , pour s'instruire des loix de son pa\s;et il en a laissé un commentaire manuscrit qui est estimé.
Il crojoit la géométrie défigurée par des para- logismes : la plupart des problèmes , tels que la quadrature du cercle , la trisection de l'angle, la duplication du cube, n'étoient insolubles , selon lui , que parce que les notions (ju'on avoit du rap- port , de la quantité , du nombre , du point , de la ligne, de la surface, et du solide, n'étoient pas les vraies jet il s'occupa à perfectionner les matbématiques , dont il avoit commencé l'étude trop tard , et qu'il ne connoissoit pas assez pour en ^•tre un réformateur.
Il eut l'honneur d'être visité par Cosme de Mé- dicis , qui recueillit ses ouvrages , et les transporta avec son buste dans la célèbre bibliothèque de sa maison.
Hobbes étoit alors parvenu à la vieillesse la plus avancée; et tout sembloit lui promettre de la tranquillité dans ses derniers momens ; cepen- dant il n*en fut pas ainsi. La jeunesse , avide de sa doctrine, s'en repaissoit; elle étoit devenue l'en- tretien des gens du monde, et la dispute des éco- les. Un jeune bachelier, dans l'université de Cam- bridge , appelé Scargil , eut l'imprudence d'en insérer quelques propositions dans une thèse , et de soutenir que le droit du souverain n'étoit fondé
4'j2 OPINIONS
que sur la force j que la sanction des lois civiles lait toute la moralité des actions j que les livres saints n'ont force de loi dans l'état que par la vo- lonté du magistrat j et qu'il faut obéir à celte volon- té , que ses arrêts soient conformes ou non à ce qu'on regarde comme la loi divine.
Le scandale , que cette thèse excita , fut général j la puissance ecclésiastique appela à son secours rautorité séculière : on poursuivit le jeune bache- lier j on impliqua Hohbes dans cette affaire. Le philosophe eut beau réclamer , prétendre et dé- montrer que Scargil ne l'avoit point entendu ^ on ne l'écouta pas ; la thèse fut lacérée ) Scargil per- dit son grade ; et Hobbes resta chargé de tout l'odieux d'une aventure, dont on jugera mieux après l'exposition de ses principes.
Las du commerce des hommes , il retourna à îa campagne , qu'il eût bien fait de ne pas quitter ; et il s'amusa des mathématiques, de la poésie et de la physique. Il traduisit en vers les ouvrages d'Homère, à l'âge de quatre-vingt-dix ans j il écrivit contre l'évéque Laney , sur la liberté ou la néces- sité des actions humaines j il publia son décamé- ron physiologique ) et il acheva l'histoire de la guerre civile.
Le roi, à qui cet ouvrage avoit été présenté ma- nuscrit, le désapprouva j cependant il parut ^ et Hobbes craignit de cette indiscrétion quelques nouvelles persécutions, qu'il eût sans-^douto es-
DES A^CIE1^^S PHILOSOPHES. 4^5
suyées , si sa moi t ne les eut prévenues. Il fut attaqué, au mois d'octobre 1679 , d'une rétention d'urine, qui fut suivie d'une paralysie sur le côté droit , qui lui ôta la parole , et qui l'emporta peu de jours après. 11 mourut âgé de quatre-vingt-onze ans ; il ttoit né avec un tempérament foibie qu'il avoit fortifié par l'exercice et la sobriété ', il vécut dans le célibat, sans élre toule-fois ennemi du corn* îiierce des femmes.
Les hommes de génie ont communément , dans le cours de leurs études , une marche particulière qui les caractérise. Hobbes pul^lia d'abord son ouvrage du Ciloren : au-lieu de répondre aux" critiques qu'on en fit , il composa son traité de Fhojnine ; du traité de l'homme; il s'éleva à Tesa- nien de la nature animale; de-là il passa à l'étude de la physique ou des phénomènes de la nature , qui le conduisirent à la recherche des propriétés générales de la matière , et de renchaîneinent uni- ver:;el des causes et des effets. Il termina ces dif- férens traiiés par sa logique et ses livres de ma- tliématiques ; ces diiierentes productions ont été rangées dans un ordre renversé. Nous allons en eiposer les principes , avec la précaution de citer le teste par-tout où la superstition , l'ignorance et la calomnie , qui semblent s'être réunies pour atta- quer cet ouvrage , seroient tentées de nous attri- buer des sentimens dont nous ne sommes que les historiens.
Philos, anc. et mod. To?îî: î, T
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Principes élcnientaires et gcjiémux.
Les choses qui n'cxistenl point hors de nous , deviennent robict de ncti e raison ; ou , pour parler la langue de notre philosophe , sont intelligibles et comparables , par les noms que nous leur avons imposés. C'est ainsi (jue nous discourons des fan- tômes de notre imagiiiation , dans Tabscnce même des choses réelles , d'après lesquelles nous avons imaginé.
L'espace est un fantôme d'une chose existante , pîiantaSTtia rei exlstenlls , abstraction faite de toutes les propriétés de celte chose , à l'exception oe celle de paroître hors de celui qui imagine.
Le temps est un fantôme du mouvement , con- sidéré sous le point de vue qui nous j lait discerner priorité et postériorité , ou succession.
\}w espace est partie d'un espace j un temps est partie d'un temps , lorsque le premier est contenu dans le second, et qu'il v a plus dans celui-ci.
Diviser un espace ou un temps , c'est y discer- ner une partie , puis une autre , puis une troisième} et ainsi de suite.
\}x\. espace , un temps sont un , lorqu'on les distingue en d'autres temps et d'autres espaces.
Le ncn;bre est l'addition d'une unité à une unité , à une troisième ; et ainsi de suite.
Composer un espace ou un temps , c'est, après i^n espace ou un tenips, en considérer un second ,
CES AIVCIËXS PHILOSOPHES. 4'^
un troisième , un quatrième ; et regarder tous ces temps ou espaces coiimie un seul.
Le tout est ce qu'on a engendré par la coniposi- lion ) les parties , ce qu'on retrouve par la division.
Point de vrai tout , qui ne s'imagine comme composé des parties dans lesquelles il puisse se résoudre.
Deux espaces sont contigus , s'il n j a point (l'espace entre eux.
Dans un tout composé de trois parties , la partie moyenne est celle qui en a deux contiguè's ; et les deux extrêmes sont contiguës à la moyenne.
Un temps , un espace est fini en puissance , quand on peut assigner un nombre de temps ou d'espaces jfinis qui le nicsiR enl exactement ou avec excès.
Un espace, un temps est infini en puissance, quand en ne peut assigner un nombre d'espaces oui de temps finis qui le mesurent, et qa*il n'excède.
Tout ce qui se divise , se divise en parties divi- sibles ', et ces parties , en d'autres parties divisibles; donc il n'y a point de divisible, qui soit le plus petit divisible.
J'appelle corps , ce qui existe indépendamment de ma pensée , coétendu , ou coincidcat avec quel- que partie de l'espace.
L'accident est une propriété du corps , avec la- queiie on l'imagine , ou qui entre nécessairement dans le concejU qu'il nous imprime.
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LVlcnJue d'un corps , ou sa grandeur indépen- danle de notre pensée, c'est la niêrue cliose.
L'espace coïncident avec lagrandcur d\m corps, est le lieu du corps; le lieu forme toujours un solide; spn étendue difïerede l'étendue du corps; il est ter- miné par une surface coïncidente avec la surface du corps.
L'espace occupé par un corps est un espace plein ; celui qu'un corps n'occupe point est un espace vide.
Les corps entre lesquels il n'y a point d'espace , sont conligus; les corps contigusqui ont une partie cojumune, sont contigus; et il y a pluralité , s'il y a continuité entre des contigus quelconques.
Le mouvement est le passage continu d'un lieu dans un autre.
Se reposer , c'est rester un temps quelconque dans un même lieu ; s'être mu , c'est avoir été dans un autre lieu que celui qu'on occupe.
Deux corps sont égaux , s'ils peuvent remplir Uii même lieu.
L'étendue d'un corps un et le même , est une et la même.
Le mouvement de deux corps égaux est égal , lorsque la vitesse considérée dans toute l'élcnduo de l'un est égale à la vitesse considérée dans toute l'étendue de l'autre.
La quantité de mouvement considérée sous cet ;-.j!>cct, s'appelle aussi Jbrce*
DES A >• C 1 E N S PHILOSOPHES. 4*?
Ce c|ui est en repos est conçu devoir y rester toujours , sans la supposition d'un corps qui (rouble le repos.
Un corps ne peut s'engendrer , ni périr 5 il passe sous divers états successifs auxquels nous donnons dilîérens noms : ce sont les accidens du corps , qui cGiamencent et finissent; c'est improprement qu'on dit qu'ils se meuvent.
L'accident qui donne le nom à son sujet , est ce qu'on appelle V essence.
La matière première , ou le corps considéré en général , n'est qu'un mot.
Un corps agit sur un autre , lorsqu'il y produit ou détruit un accident.
L'accident , ou dans l'agent , ou dans le patient, sans lequel l'effet ne peut élre produit , causa sine (jud non, est nécessaire par hypothèse.
De l'aggrégat de tous les accidens, tant dans l'agent que dans le patient , on conclut la nécessité d'un effet ] et , réciproquement , on conclut du dé- faut d'un seul accident , soit dans l'agent, soit dans le pa lient , rimpossibiiité de l'effet.
L'aggrégat de tous les accidens nécessaires à 'a production de l'effet, s'appelle, dans l'agent, cause complète , causa sltnpliciter,
La cause simple ou complète s'appelle , après la production de l'effet , cause efficiente dans l'a- gent , cause matérielle dans le patient : où l'effet est nul , la cause est nulle.
La cause complète a toujours son effet j au nîo- Bieiitoù elle est entière, Tefïel est produit et est ' nécessaire.
La génération des effets est coritiuue. •
Si les agens et les paticns sont les )iiéines , et disposés de la luénie manière , les effets seront les mêmes en différens temps.
Le mouvement n'a de cause que dans le mouve- ment d'un corps contigu.
Tout changement est mouvement.
Les accidens, considérés relativement à d'autres qui les ont précédés , et sans aucune dépendance d'effet et de cause, s'appellent contingens, '
La cause est à l'elïet comme la puissance h l'acte , ou plutôt c'est la même chose.
Au moment où la puissance est entière et pleine, l'acte est produit.
La puissance active et la puissance passive ne sont que les parties de la puisscdice entière et pleine.
L'acte , à la production dufjiiel il n'y aura jamais de puissance pleine et entière , est im- possible.
L'acte qui n'est pas impossible , est nécessaire ; de ce qu'il est possible qu'il soit produit, il le sera 3 autrement il scroit impossible.
Ainsi , tout acte futur l'est nécessairement.
Ce qui arrive , arrive par des causes nécessaires f tt il n'y a d'effets con( ingens que relativement à
n L s A N C I K >• s PHILOSOPHES. 4^9
u'autres efl'cts avec les(|uels les prcnncrs n'ont ni liaison , ni dépendance.
La puissance aclive consiste dans le moiive— nienl,
La cauie formelle ou Tessence , la cause finale ou le tenr.e , dépendent des causes efficientes.
Connoîlre l'essence , c'est connoître la chose ^ l'un suit de l'autre.
Deux corps diffè/ent, si l'on peut dire de l'un quen^ue clîose qu'on ne puisse dite de l'autre au moment où on les compare,
Tous les corps diflcrent nan^ériqusment.
Le rapport d'un corps à un autre consiste dans leur égalité ou inégalité , similitude ou tlit- férence.
Le rapport n'est point un .nouvel accident ; niais une qualité de l'un et île !i'autre corps , ayant là ccmparaison qu'on en fait.
Les causes des accidens des deux ccrrélatifs , sont les causes de la corrélation.
L'idée de quantité naît de fidée de limites.
11 n'j' a grand et petit , que par comparaison.
Le rapport esl une évaluation de la quantité ppr comparaison; et !a comparaison est arithmétique ou géomélrique.
L'efiort, ou n-sus , est au mouvement par oft esp:ice et par un temps moindres qu'aucuns donnés.
Vitnpetiis, ou la quantité de l'effort, c'est la
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Yilesse m(î"inc consiJcrce au ijicnjcnt du trans- port.
La résistance est l'opposition de deux efforts ou nisus , au moment du contact.
La force est Vimpetus multiplié , ou par lui- même , ou par la grandeur du mobile.
La grandeur et la durée du tout nous sont ca- chées pour Jamais.
Il ny a point de vide absolu dans l'univers,
La chute des graves n'est point en eux la suite d'un appétit , mais l'effet d'une action de la terre sur eux.
La différence de la gravitation naît de la diffé- rence des actions ou efforts excités sur les parties élémentaires des graves.
Il y a deux manières de procéder en philoso- phie y ou l'on descend de la génération aux effets possibles ; ou l'on remonte des effets aux généra- lions possibles.
Après avoir établi ces principes communs à toutes les parties de l'univers , Hobbcs passe à la considération de la portion qui sent , ou l'animal; et de celle-ci , à celle qui réfléchit et pense , ou îl^omme.
De t animal,
La sensation dans celui qui sent , est le mouve- ment de quelques-unes de ses parties.
DES \ N C I E IV S P }I T L O S 0 P n f. S. 4 'î ^
La cause immédiale de ia sensalion est daos l'objet qui affecte Torgane.
La- définition générale de la sensation est donc l'application de l'organe à Tobjel extérieur • il y a entre l'un et l'autre une réaction , d'où naît l'eni- preinte ou le fantôme.
Le sujet de la sensation est l'être cpii sent j son objet, l'être qui se fait sentir j le fantôme ei>t l'etTet.
On n'éprouve point deux sensations à-la-fois.
L'imagination est une sensation languissante , qui s'afioiblit par l'éloignement de l'objet.
Le réveil des fantômes, dans l'être qui sent, cons- tate Tactivité de son ame; il est commun à l'homme et à la béte.
Le songe est un fantôme de celui qui dort.
La crainte , la conscience du crime , la nuit , les lieux sacrés , les contes qu'on a entendus, réveillent en nous des fanlôujes qu'on a nonmjés spectres ^ c'est en réalisant nos spectres hors de nous, par des noms vides de sens , que nous est venue l'idée d'in- corporéité. a Et metus , et scelus , et conscientia , )) etnox, et loca consecrata , adjuta apparitionum » historiis phanlasmata horribilia etiam vigilanti- » bus excitant, quce spectropum et substantiarum » incorporearum nomina pro veris rébus impo-" « nunt ».
Il y a des sensations d'un autre genre ; c'est le plaisir et la peine. Ils consistent dans le mouvcuient
Ji\2 OPINIONS
conlinu cjui se trausmcl de i'exli'éinitc d'un org.Hie vers le cœur.
Le désir et l'aversion sont les causes du premier cû'ort animal 5 les esprits se portent dans les nerfs ou s'en relirent j les muscles se gonflent ou se relâ- chent j les membres s'étendent ou se replient; et raniiiial se meut ou s'arrête.
6i le désir est suivi d'un enchaînement de fantô- mes , l'animal pense , délibère , veut.
Si la cause du désir est pleine et entière , l'ani- mal veut nécessairement : vouloir , ce n'est pai être libre , c'est tout au plus élre libre de faire cô que Ton veut, mais non de vouloir. « Causa appc- n tiliis esisîentc intégra, necessariù sequitur vo- » luntasj adeoque voluntati liberlas à necessitate » non coiivenil; concedi tamen polcst libertas fa-* » cicndi ea quûc volumus ».
De Ihoimne,
Le discours est un tissu artiriciel de vois insii- tuêcs par les honmies , pour se coniiDuniqucr la suite de leurs concepts.
Les signes, que la nécessité de la nature nous suggère ou nous arrache , ne formeront point uae langue.
La science el la dénionslralion naissent de la connoissance des causes.
La démonstration n'a lieu qu'aux occasions où les
T) C.S A ^ C l E N S P II 1 r, O S 0 P M F, S. 44^
causes soi;t eu noire pouvoir. Dans le reste, luut ce que nous déruontroas , c'est que la chose est possible.
Les causes du désir et de l'aversion, du plaisir et de la peine , sont les objets mêmes des sens. Donc s'il est libre d'agir, il ne l'est pas de haïr ou de désirer.
On a donné aux choses le nom de bonnes , lors- qu'on les désire j At inauv aises ,\oTii.\\x QXi les craint.
Le bien est apparent ou réel, La conservalion d'un être est pour lui un bien réel , h premier des biens ^ sa destruction un mal réel , le premier des maux.
Les affections ou troubles de l'anîe sont des niouvemcns alternalifs de désir et d'aversion, qui naissent Ats circonstances , et qui balottent notre atiie incerlame.
Le sang se porte avec vitesse aux oriiânes de l'aclion , en revient avec promptitude ^ l'animal ett prêta se mouvoir jTinslant suivant , il est retenu j el cependant il se réveille en lui une suite de fan- lômes alternativemenl effravanset terribles.
Il ne faut pas rechercher l'origine des passions ailleurs que dans l'organisation , le sang , les libres y les esprits , les humeurs , etc.
Le caractère naît du tempérament , de l'expé- rience , de l'habitude , de la prospérité , de l'adver- sité , des réflexions , des discours , de l'exemple , des circonstances. Changez, ces choses 3 el le ca- ractère changera»
^ j/| 0 P I N î 6 rï s
Les mœurs sont lonuées , lorsque l'habitude a passé dans le caractère , et que nous nous soumet- tons sans peine et sans effort aux actions qu'on exige de nous. Si les mœurs sont bonnes , on les appelle vertus ; vices , si elles sont mauvaises.
Mais tout n'est pas également bon ou mauvais pour tous. Les mœurs , qui sont vertueuses au juge- ment des uns, sont vicieuses au jugement des autres.
Les loix de la société sont donc la seule mesure commune du bien et du mal, des vices et del vertus. On n'est vraiment bon ou vraiment mé- chant, que dans sa ville, u Nisi in vità civili virlu- )) tum et viliorum communis mensnra non inve- )) nitur. Qune mensura ob eamcausam aliaesse non » potest prœter unius cujusque civitalis leges)>.
Le cul te extérieur qu'on rend sincèrement à Dieu, est ce que les honmics ont appelé j^eliglon,
La foi qui a pour objet les choses qui sont au- dessus de notre raison , n'est , sans un miracle , qu'une opinion fondée sur l'aulorilé de ceux qui nous parlent. En fait de religion , un homme ne peut, exiger de la croyance d'un autre , que d'après miracle. « Homini privaîo sine miraculo fides ha- )) beriin religionis actu non potest ».
Au défaut de miracles , il faut que la religion reste abandonnée aux jugemens des particuliers , ou qu'elle se soutienne par les loix civiles.
Ainsi la religion est une affaire de législation , et non de philosophie. C'est une convention publique
DES A>CIE>S philosophes/ 44^'
qu'il faut remplir , et oon disputer, u Qaod si reli- » gio ab hoininibus privalis non dependet , tune )) opoitet , cessanlibus miraculis , ut dependeat à » legibus. Pliilosophianon est,sedin onini civitato » lex non disputanda , scd iniplenda )).
Point de culte public, sans cérémonies j car, qu'eit-ce qa'un culte public , si-non une marque extérieure de la vénération que tous les citoyens portent au dieu de la patrie ; marque prescrite , selon les temps et les lieux , par celui qui gouverne? » Cultus pLiblicus signum honoris Deo exbibili , » idque locis et tempoiibus constitutis à civitate. )) iSon à natura operis tantùm , sed ab arbilrio » civitatis pendet ». -
C'est à celui qui gouverne , à décider de ce qui convient ou non' dans cette branche de l'adminis- tration , ainsi que dans toute autre. Les signes de la vénération des peuples en\'ers leur Dieu ne sont pas moins subordonnés à la volonté du maître qui commande , qu'à la nature delà chose.
Voila les propobilions sur lesquelles le philoso- phe deMa;me.;burj se proposoit d'élever le sj^tcme qu'il nous preiente dans l'ouvrage qu'il a intitulé le Lév'iatlian , et que nous allons analvser.
Du Lévicithan de Hobbes.
Point de notions dans l'ame , qui n'aient préexisté dans la sensation,
jLe sens est l'origine de tout. L'objet qui agit su;;
/f:\6 OPINIONS
le sens , raffecte et le presse, est la cause Je la sensation.
Lia réaction de l'ol)jet sur le sens , et du sens sur l'objet , est la cause des fanlûiiies.
Loin de nous ces simulacres imaginaires qui s'é- manent des objets, passent eir nous , et s'y fiïcnt.
Si un corps se meut , il continuera de se mou- voir éternellement , si un mouvement diiférent ou contraire ne s'_y oppose. Cette loi s'observe dans !a matière brute et dans rhomriie.
L imagination est une sensation qui s'appaise et «"évanouit par l'absence de son objet , et par la pré- sence d'un autre.
Imagination , mémoire , même qualité sous deux noms difféicns. Imagination , s'il reste dans l'être «entant, image ou fantôme ; mémoire , si , le fan-i tome s'évanouissant, il ne reste qu'un mot.
L'expérience est la mémoire de beaucoup de choses.
Il y a l'imagination simple et Timagination com- posée, qui diffèrent entre elles , coumie le mot et le discours , une figure et un tableau.
Lesfan'ôiiies les plus bizarres que l'imagination compose dans le sommeil , ont préexisté dans la sensation. Ce sont des niouvcniens confus et tu- multueux des parties intérieures du corps, qui , se succédant et se combinant d'une infinité de ma- nières diverses , engendrent la variété des songes.
Il est difficile de distinguer les fantômes du rêve ,
DES A^CIE^S PHILOSOPHES. 447"
des fantômes du sommeii ; et les uns et les auti es , de la présence de Tobjet , lorsqu'on passe du som- meil à la veille sans s'en apperçevoir , ou lors(juc dans la veiile l'a^n'laticn des pallies du corps est Irès-violcnte. Alors MarcusBiutus croira qu'il a vu le spectre terrible qu'il a rêvé.
Otez la crainte des spectres, et vous bannirez de la société la superstition , la fraude et la plupart de ces fourberies , dont on se sert pour leurrer les esprits des bommes dans les états mal gou-vernés.
Qu'est-ce que fentendement? La sorte d'ima- gination factice qui naît de l'institution des signes. Elle est commune à Ihomme et à la brute.
Le discours mental', ou l'activité de l'ame, ou son entretien avec eile-ménje , n'est qu'un enchaî- nement involontaire de concepts , ou de fantômes qui se succèdent.
L'esprit ne passe point d'un concept à un autre , d'un fantôme à un autre , que la même succession n'ait préexisté dans la nature ou dans la sensation.
il y- a deux sortes de discours mental ^ l'un , irré-: gulier , vague et incohérent; l'autre, régulier, contigu , et tendant à un but.
Ce dernier s'appelle rccherclie , investigation. C'est une espèce de quête, où l'esprit suit à la piste les traces d'une cause ou d'un effet présent ou passé. Je l'appelle réminiscence.
Le discours ou raisonnement sur un événement futur , forme la prévoyance.
4 ;v3 OPINIONS
Un évc'nement qui a suivi , en indique un qui a précédé , et dont il est le signe.
Il uy a rien dans l'homme qui lui soit inné , et dont il puisse user sans habitude. Llioinme naît , il a des sens. II acquicitle reste.
Tout ce que nous concevons , est fini. Le mot infini est donc vide d'idée. Si nous prononçons le nom de Dieu , nous ne le comprenons pas davan- tage. Aussi cela n'est-il pas ntices:>aire ; il suffit de le recon-noître et de l'adorer.
On ne conçoit que ce qui est dans le lieu , divi- fiibie et limité. On ne conçoit pas quane chose puisse être toute en un lieu, et toute en un autre, dans un même instant j et que deux ou plusieurs choses puissent être en - même - temps dans un même lieu.
Le discours oratoire est la traduction de la pensée. Il est composé de mots. Les mots sont propres ou communs.
La vérité ou la fausseté n'est point des choses , mais du discours. Où il n'^ a point de diicours , il •ny a ni vrai , ni faux , quoiqu'il puisse y avoir erreur.
La vérité consiste dans une juste application des mots. De-ià , nécessité de les définir.
Si une chose est désignée par un nom , elle est du nombre de celles qui peuvent entrer dans la pensée ou dans le raisonnerjient , ou former une f^uantilé , ou en être retranchée,
BËS ANCIENS PHILOSOPHES. 449
L'acte du raisonuement s'appelle sjilogisjiie ; et c'est l'e-tpression de la liaison d'un mot avec un autre.
Il y a des mots vides de sens , qui ne sont poinj- définis , qui ne peuvent l'être , et dont l'idée est et restera toujours vague, inconsistante et louche j par exemple , substance incorporelle. « Danlur )) noinina insignificantia , hujus generis est subs- )) tantia incorporea )).
L'intelligence propre à l'homme est un efifet du discours. La béte ne l'a point.
On ne conçoit point qu'une affirmation soit universelle et fausse.
Celui qui raisonne cherche ou un tout par l'ad- dition des parties , ou un reste par la soustraction. S'il se sert de mots , son raisonuement n'est que l'expression de la liaison du mot tout au mo\ partie ,' ou des mots tout et partie au mot reste. Ce que le géomètre exécute sur les nombres et les lignes, le logicien le fait sur les mots.
Nous raisonnons aussi juste qu'il est possible , si nous partons des mots généraux ou admis pour tels dans l'usage.
L'usage de la raison consiste dans l'investigation des liaisons éloignées des mots entre eux.
Si l'on raisonncsans se servir de mots , on sup- pose quelque phénomène qui a vraisemblable- ment précédé , ou qui doit vraisemblablement suivre. Si la supposition est fausse ; il y a erreur»
T *
i| jO o p I ^' I o ^ s
Si on se sert de termes univcrsaux , et qu'on ariive à une conclusion urjiverselle et fausse , il y avoit absurdité dans les teiincs. lis tloienl vides de sens.
Il n'en est pas de la raison , coaune du sens et de la ménîoire. Elle ne naît point avec nous. Elle s'ac([ulcrt par rinduslric , et se forme par Texercice et l'expérience. 11 faut savoir imposer des mots aux choses y passer des mots imposés à la proposition; de la proposition , au syUogisme; et parvenir à la connoissance du rapport des mois entre eux.
Beaucoup d'expérience est prudence ; beaucoup de science , sagesse.
Celui qui sait , est en état d'enseigner et de con- yaiucre.
Il j a dans l'animal deux sortes de mouvemens qui lui sont propres j l'un , vital j l'autre , animal : l'un , involontaire ; l'autre , volontaire.
La pente de l'ame vers la cause de son impetiis s'appelle (iésir y le mouvement contraire aversion, il y a un mouvement réel dans l'un et l'autre cas.
On aime ce qu'on désire; on hait ce qu'on fuit; on Jnéprise ce qu'on ne désire ni ne fuit.
Quelque soit le désir ou son objet , il est bon ; quelle que soit l'aversion ou son objet , on l'appelle mauvais.
Le bon , qui nous est annoncé par des signes ap- parens, s'appelle beau. Le mal, dont nous sommes jnenacés par des signes apparens , s'appelle Igid^
DES ANCIENS PHILOSOPHES. /|5 1
Les espèces de la bonté varient. La bonié , consi- dérée dans les signes qui la proviietlent^ est Z/e«?//e y dans la chose , elle garde le nom de bonté ; dans la fin, on la nomme plaisir ; et utilité, dans les moyens.
Tout objet produit dans Tame un mouvement qui porte TaniiTial ou à s'éloigner , ou à s'approcher.
La naissance de ce mouvcaient est celle du plaisir ou de la peine, lis commencent au même instant. T-'oul désir est accompagné de quelque plaisir: toute aversion entraîne avec elle quelque peine.
Toute volupté naît , ou de la sensation d'un objet présent, et elle est sensuelle j ou de l'attente d'une chose , de la prevovance des fins, de l'im- portance des s uites , et elle est intellectuelle , dou-« leur ou joie.
L'appélit , le désir , l'ajuour , l'aversion , la haine , la joie , la douleur , prennent différens noms, selon le degré , l'ordre , l'objet et d'autres circonstances.
Ce sont ces circonstances qui ont multiplié les mots à l'infini. La religion est la crainte des puis- sances invisibles. Ces puissances sont-elles avouées par la loi civile ?la crainte (ju'ou en a retient le nom de religion. Ne sont-elles pas avouées par la loi civile ? la crainte qu'on en a prend le nom de su^ perstilion. Si les puissances sont réelles, la religion est vraie. Si elles sont chiniéiiques, la religion est lausscj tt Hinc oriuulur pasjiouum ncmiiia ; yerbi
4j2 opinions
)) gralia, religio, inclus potentiaruni iiivisibiiium ,' » quœ si publiée accepta;, religio; secùs , su- i) pertilio ^ etc. ».
C'est de i'aggrégat de diverses passions élevées dans l'ame , et s'y succédant conlinuenient jusqu'à ce que l'effet soit produit , que naît la délibération.
Le dernier désir qui nous porte , ou la dernière aversion qui nous éloigne , s'appelle 7^0/0/ife. La béte délibère : elle veut donc.
Qu'est-ce que la félicité ? Un succès constant dans les choses qu'on désire.
La pensée qu'une chose est ou n'est pas , se fera ou ne se fera pas , et qui ne laisse après elle que la présomption , s'appelle opinion.
De même que , dans la délibération , le dernier désir est la volonté ; dans les questions du passe et de l'avenir, le dernier jugement est l'opinion.
La succession complète des opinions aîtemati- yes , diverses ou contraires , fait le doute.
La conscience est la connoissance intérieure et secrète d'une pensée ou d'une action.
Si le raisonnement est fondé sur le témoignage d'un homme, dont la lumière, et la véraciténe nous soient point suspectes, nous avons de la foi; nous crojons. La foi est relative à la personne; la croyan- ce , au fait.
La qualité en tout est quelque chose qui frappe par son degré ou par sa grandeur; mais toute grandeur est relative. La vertu même n'est que
DES A>-CîEr5S PHILOSOPHAS. 4-^^
par comparaison. Les vertus ou quaiilts iBicllec- tuelles sont des tacullés de l'anie qu'on loue dans les autres , et qu'on désire en soi. Il y en a de natu- relles , il y en a d'acquises.
La facilité de remarquer dans les choses des ressemblances et des dilterences qui échappent aux autres , s'appelle bon esprit; dan^ les pensées , bon juge filent.
Ce qu'on acquieitpar l'étude et par lamélhode, sans 1 ai t de la parole , se réduit à peu de chose.
La diversité des esprits naît de la diversité des passions j et la diversité des passions naît delà di- versité des tempéraïuens , des humeurs , des habi- tudes , des circonstances , des éducations.
La folie est l'estrème degré de la passion. Tels éloient les démoniaques de l'évangile, a Taies » fuerunt quos historia sacra vocavit judaïcostvlo » dœnioniacos ».
La puissance d'un homme est Taggrégat de tous les moyens d'arriver à une fin. Elle est ou naturelle , ou instrumentale.
De toutes les puissances humaines, la plusgrande est celle qui rassemble dans une seule personne , par le consentement , la puissance divisée d'un plus grand nombre d'autres , soit que cette per- sonne soit naturelle comme l'homme, ou artifi- cielle conmie le citoyen,
La dignité ou la valeur d'un homme , c'est la niêrae chose. Up hoiame vaut autant qu'un autre
4^4 o ? I ri I o iN s
Toudioit l'acheler suivant le beso"n f[u'il en a.
Marquer l'eslime ou le besoin , c'est honorer. On lîonorc par la louange, les signes, rr.milié, la lui , la confiance , le secours qu'on implore , lo conseil qu'on reclierche , la préséance qu'on cèle , le respect qu'on porte, l'imitalion (ju'on se propose , le culte qu'on paye , l'adoration qu'on rond.
Les mœurs relatives à l'espèce humaine consis- tent daos les qualités qui tendent à établir la pai::, €t à assurer la durée de l'état civil.
Le bonheur de la vie ne doit point être cherché dans la tranquillité ou le repos de l'ame , qui est impossible.
Le bonheur est !e passage perpétuel d'un désir satisfait à un autre désir satisfait. Les actions n'y conduisent pas toutes de la même manière. Il faut aux uns de la puissance , des honneurs , des riches- ses j aux autres, du loisir , des connoissances , des éloges, même après la mort. De-là, la diversité des mœurs.
Le désir de connoître les causes attache l'homme a l'étude des effets^ Il remonte d'un effet à une cau- se j de celle-ci, à une autre j etainsi-de suite, jusqu'à ce qu'il arrive à la pensée d'une cause éternell« qu'aucune autre n'a devancée.
Celui donc qui se sera occupé de la contem- plation des choses naturelles , en rapportera né- i;essairement une pente à reconnoître ua Dkvi^
DES A I^ C I E N S ? M î L 0 3 O 1^ îî h S. /p'y
quoique la nature divine lui rc^le obscure et in- connue.
L'anxiété naît de l'ignorance des causes ; de l'anxiélé, la crainte des puissances invisibles j et de la crainte de ces puissances , la religion.
Crainte des puissances invisibles , ignorance des causes secondes , penchant à honorer ce cju'ou redoute , événetnens fortuits pris pour pronostics , semonces de religion.
Deux sortes d'houimes ont profilé de ce pen- chant , et culiivé ces semences ^ hommes à imagi- nation ardente , des enus chefs de sectes ; honmies à révélation, à qui les puissances invisibles se sont manifestées. Religion-, partie de la politique des uns. Politique , partie de la religion des autres.
La nature a donné à tous les mêmes facultés d'esprit et de corps.
La nature a donné à tous le droit à tout, même avec oftense d'un autre ^ car on ne doit à personne autant qu'à soi.
Au milieu de tant d'intérêts divers, prévenir son concurrent , moyen le meilleur de se conserver.
De-là , le droit de commander , acquis à chacun par la nécessité de se conserver. * De-là , guerre de chacun contre chacun , tant qu'il n'y aura aucune puissance coaclive. De-là, une infinité de malheurs , au milieu desquels nulle sécurité que par une prééminence d'esprit et de jEorps 5 nul lieu à l'industrie; nulle récompense
4'j6 0 P I N I O ?s' s
attachée au travail j point d'agriculture ; point d'arts j point de société j mais crainte perpétuelle d'une mort violente.
De la guerre de chacun contre chacun , il s'en- suit encore que tout est abandonné à la fraude et à la force j qu'il n'j a rien de propre a personne j aucune possession réelle y nulle injustice.
Les passions, qui irxlinent l'homme à la paix , sont la crainte, sui-tout celle d'une mort violente) le désir des choses nécessaires à une vie tranquille et douce; et l'espoir de se les procurer par quelque iudustrie.
Le droit naturel n'est autre chose que la liberté à chacun d'user de son pouvoir de la manière qui lui paroîtra la plus convenable à sa propre con- servation,
La liberté est l'absence des obstacles extérieursa
La loi naturelle est une rè^le générale dictée par la raison , en conséquence de laquelle on a la liberté de faire ce qu'on reconnoît contraire à son propre intérêt.
Dans l*état de nature , tous ayant droit atout, sans en excepter la vie de son semblable , tant que les hommes conserveront ce droit , nulle sûreté , même pour le plus fort.
De-là , une première loi générale , dictée parla raison , de chercher la paix s'il y a quelque espoir de se la procurer ; ou , dansl'impossibiiitc d'avoir la pais , d'empruxiter des secours de toute part.
DIS A>C!E?.S PHILOSOPHES. 4^7
Une seconde ici de ia raison , c'est , aprùs avoir pourvu à sa défense et à sa conservation , de se départir de son droit à tout , et de ne retenir de sa liberté que Ja portion qu'on peut laisser aux autres, sans inconvénient pour soi.
Se départir de son droit à une chose , c'est re- nonce: à la liberté d'empêcher les autres d'user de leur droit sur cette chose.
On se départ d'un droit , ou par une renoncia- tion simple qui jette , pour ainsi dire , ce droit au milieu de tous , sans l'attribuer à personne , ou par une collation ; et , pour cet effet , il faut qu'il j ait des signes convenus.
On ne conçoit pas qu'un homme confère son droit à un autre , sans recevoir en échange quelque autre bien ou quelque autre droit.
La concession réciproque de droits est ce qu'on appelle un contrat.
Celui qui cède le droit à la chose, abandonne aussi l'usage de la chose , autant qu'il est eu lui de l'abandonner.
Dans l'état de nature, le pacte arracli^ par la crainte est valide.
Un premier pacte en rend un postérieur invalide. Deu5 motifs concourent à obliger à la prestation du pacte ; ]a bassesse qu'il v a à tromper , et la ci ainte des suites fâcheuses de l'infraction. Or , cette crainte est religieuse ou civile j des puissances in- visibles , ou des })uissances humaines. Si la crainte- Philos, anc. et mod, T02IEI. V
458 OPINIONS
civile esl nulle , la religieuse est la seule cjui donne de la force au pacte j de-là , le sonnent.
La justice'coniniulalive Cat celle des conlractans j la justice dislributive esl celle de l'arbitre entre ceux qui contractent.
Une troisiènieioi de la raison , c'est de garder le pacte. Voilà le fondement de la justice. La justice et la sainteté du pacte commencent , quand il y a société et force coactive.
Une qualriènie règle de la raison , c'est que celui qui reçoit un don gratuit, ne donne jamais lieu au bienlaiteur de se repcnlir du don qu'il a fait.
Une cinquième , de s'acconmioder aux autres , qui ont leur caractère , comme nous le nôtre.
Une sixième , les sûretés prises pour l'avenir , d'accorder le pardon des injures passées à ceux qui se repentent.
Une septième , de ne pas regarder, dans la ven- geance , à la grandeur du mal conmiis , mais à la grandeur du bien qui doit résulter du châtiment.
Une huitième , de ne marquer à un autre ni haine , ni mépris , soit d'action , soit de discours., du regard ou du geste.
Une neuvième, que les hommes soient traites tous comme égaux de nature.
Une dixième , que , dans le traité de paix géné- rale , aucun ne retiendra le droit qu'il ne veut pas Lisser aux autres,
DES A>'CItNS PHILOSOPHES. 4^9
Une-onzième, d'abandonner à l'usage commun ce qui ne souHiiia point de partage.
Une douzième ,que l'arbitre , choisi de part et d'autre , sera juste.
Une treizième , que , dans le cas où la chose ne peut se partager , on en tirera au sort le droit eulier , ou la première possession.
Une quatorzième , qu'il j a deux espèces de sort j celui du premier occupant ou du premier né , dont il ne faut admettre le droit qu'aux choses qui ne sont pas divisibles de leur nature.
L ne quinzième , qu'il faut , aus médiateurs de la pais géncrnle , la sûreté d'aller et venir.
Une seizième , d'aquiescer à la décision de l'ar- bitre.
Une dix-septième ^ que personne ne soit arbitre dans sa cause.
Une dix-huitième , de jnger d'après les témoins <]ans les questions de fait.
Une dix-neuvièîiie , qu'une cause sera propre à l'arbitre , toutes les fois qu'il aura quelque intérêt à prononcer pour une des parties de préférence à l'autre.
Une vingtième, que les loix de na'ure, qui obli- gent toujours au for intérieur , n'obligent pas tou- jours au for extérieur. C'est la diiférence du vice et du crime.
La morale est la science des loix naturelles; ou des choses qui sont bennes ou mauvaises dans la société des hommes.
4^0 OPINIONS
On appelle celui qui agit en son nom, ou au nom d'un autre , une personne ; et la personne est propre, si elle ogit en son nom; représentative, si c'est au nom d'un autre.
Il ne nous reste plus , après ce que nous venons d^ dire de la philosophie de Hobbes , qu'à en dé- duire les conséquences 5 et nous aurons uue ébau- che de sa politique.
C'est l'intérêt de leur conservation et les nvan- tagos.d'une vie plus douce, qui ont tiré le^ hommes de l'état de guerre de tous contre tous , pour les assembler en société.
Les lois elles pactes ne sufîisent pas, pour faire cesser l'état naturel de guerre j il faut une puissance coactive qui les soumette.
• L'association du petit nombre ne peut procurer la sécurité y\\ faut celle de la nîuUitude.
La diversité des jugemens et des volontés ne laisse ni paix ni sécurité à espérer, dans une société/ où la nmîlitude gouverne.
îl n'importe pas de gouverner et d'être gouverné pour un temps ) il le faut tant que le danger et la présence de rcnnemi durent.
Il n'y a qu'un moven de former une puissance commune, qui fasse la sécurité; c'est de résigner sa volonté à un seul , ou à un certain nombre.
Après celle résignation , la mulli'ude n'est plus qu'une personne au'on appelle la ville , la société pu la rcpuhlicjue.
DES A > C 1 E >• 5 r M I L 0 S O P IT E S. 4^ I
Lasociclé peut user de toute son aulciitê, pour contraindre les particuliers à vivre en paix entre eus , et à se réunir contre i'canenii commun.
La société est uae personne, dont le consente- ment et les pactes ont autorisé Taction , et dans la(}uelle s'est conservé le droit d'user de la puis- sance de tous , pour la conservation de la paix cl la détense commune.
La société se forme , ou par institution , ou par acquis'tion.
Par institution , lorsque d'un consentement una- nime , des hommes cèdent à un seul , ou à un cer- tain nombre d'entre eux , le droit de les gouverner , et vouent obéissance.
, On ne peut ôter l'autorité souveraiiie à celui qui la possède , même pour cause de mauvaise administration.
Quelque chose qtic fasse celui à qui Ton a con- fié l'autorité souveraine, il ne peut être suspect envers celui qui l'a conférée.
Puisqu'il ne peut être coupable , il ne peut être ni jugé , ni thâiié , ni puni.
C'est à l'autorité souveraine , k décider de tout ce qui concerne ia conservation de la paix et sa rupture , et à prescrire des règles d'après lesquelles chacun connoisse ce qui est sien , et ea jouisje tranquillement.
C'est à elle qu'appartient le droit de déclarer la
A^"^ O P I IX I O N 3
giierro , de faire la paix , de cliuisir des ministres , cL de créer des tilres honorifirjues.
La monarchie est préférable à la démocratie , à l'aristocralie , et à toute autre forme de gouver- nement mi.\te.
La société se forme par acquisition ou conquête, lorsqu'on obtient l'autorité souveraine sur ses sem- blables par la force j en sorte que la crainte de la iiiortou des liens ont soumis la multitude à l'obéis- sance d'an seul ou de plusieurs.
Que la société se soit formée par institution ou • par acquisition , les droits du souverain sont les iiiémes.
L'au'iorité s'acquiert encore par la voie de la génération ; telle est celle i\çs pères sur leurs enfans. Par les arr^ies , telle est celle des tjrans sur leurs esclaves.
L'autorité , conférée à un seul ou à plusieurs , est aussi grande qu'elle peut l'être, quelque incon- vénient qui puisse résulter d'une résignation com- plète ; car rien ici-bas n'est sans inconvénient.
La crainte , la liberté et la nécessité , qu'on appelle de nature et de causes , peuvent subsister ensemble. Celui-là est libre , qui peut tirer de sa force et de ses autres facultés tout l'avantage qu'il lui plaît.
Les loi^ de la société circonscrivent la liberté; mais elles n'otent point au souverain le droit de vie
DES A >• C ! E K S PHILOSOPHES. l^Cy^
et de mort. S'il fe-Nerce sur un innocent , il pèche envers les dieux ; il commet finiquité , mais non l'injustice : u L bi in innocent em exerceretur , agit )) quidem ini({uè , et in Deuni peccat impcrans 5 « non vero injuste agit )\
On conserve dans la société le droit à tout ce .qu'on ne peut résigner ni transférer, et à tout ce qui n'est point exprimé dans les loix sur la souve- ■raineté. Le silence des ioixest en faveur des sujets. ulNIanet lil^ertas circà res de quibus leges silent H pro sunimo potestatis iinperio ».
Les sujets ne sont obligés envers le souverain que tant qu'il lui reste le pouvoir de les protéger. )) Cbligaiio civiuni crgà enni qui sunmiam habet » polestatem tandem iioc diutiùspermanere intelli- « gi'nr , quàm manet potentia cives protegendi p,
Yoilà la maxime qui fit soupçonner Ucihhcl d'avoir abandonné le parti de son roi , qui en étoit réduit alors à de telles extrémités, que ses sujets n'en pouvoicnt plus espérer de'secours.
Qu'est-ce qu'une société ? Un aggrégat d'intc- lércts opposés I ub ^stemé où , par l'autorité con* ferée à un seul, ces intérêts êontraires sont tem- pérés. Le système est régulier , ou irrégulier, ou absolu , ou subordonné ,elc.
Ln ministre de l'autorité souveraine est celui qui agit dans les affaires publiques , au nom de la puis- sance qui gouverne et qui- la représente.
La loi civile est une règle qui définit le bien et le
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jiial j)ourIe cîLojen ; elle n'oblige point le souve- rain. « Hacimperans non tenctur )>.
Un long nsnge donne force de loi. Le silence da souverain marque que telle a été sa volonté.
Les loix civiles n'obligent qu'après la proniul- galion.
La raison instruit des loix naturelles. Les loii civiles ne soni connues cjue par la promulgation.
Il n'appartient ni aux docteurs , ni aux philoso- phes , d'interpréter les loix de la nature. C'est l'af- faire du souveiai«. Ce n'est pas la vérité , mais l'autorité qui fait la loi : « Non veritas , sed auc- )) loritas facit legeni »,
L'interprétation de la loi naturelle est un juge- ment du souverain , qui marque sa volonté sur ua ca$ particulier.
G*est, ou Tignorance ,ou l'erreur, ou la passion, qui cause la transgression de la loi , et le crime.
Lechâtimcnt est un mal infligé au transgresseitr publiijuement , afin que la crainte de son supplice contienne les autres dans l'obéissance.
Il faut regarder la loi publique conjnie la cons- )) cience du citoj^en: « Le:; publica civi pro cons- )) cientià subeuuda ».
Le but de l'autorité souveraine , ou le salut des peuples , est la mesure de l'étendue des devoirs du souverain : « Imperantis ofUcia dimetienda es fine , » qui estsalus populi ».
Tel est le svstéme politique de Hohlcs. \\^
DES A N C 1 F. -^ S P II I r. O S O P II L S. /fi^
divisé son ouvrage en deux parties. Dans Tune , il trriile de la société civile ; et i\y établit les principes que nous venons d'exposer. Dans l'aulre, il exa- mine la société clirétienne ; et il applique à la puis- sance éternelle les mêmes idées qu'il s'ttoit Ibr- mées de la puissance temporelle.
, Caractère de Hobbes.
Hohhes avoit reçu de la rinture cette hardiesse de penser , et ces dons avec lesquels on en iriipose aux autres hommes. Il eut un esprit juste et vaslc , pénétrant et profond. Ses sentimens lui soûl pro- pres; et sa philosopbie est peu commune. Quoi- qu'il eût beaucoup étudié , et qu'il sût , il ne fit pas assez de cas des connoissances ac({uises. Ce fut la suite de son penchant à la méditation. Elle le con- duisoit ordinairement à la découverte des grands ressorts, qui font mouvoir les hommes. Ses erreurs mêmes ont plus servi au progrès de l'esprit bu- main , qu'une foule d'ouvrages tissus de vérités conmiunes. H avoit le défaut des systématiques j c'est de généraliser les faits particu iers , et de les plier adroitement à ses hypothèses. La lecture de ses ouvrages demande un, honuiie mûr et circonspect : personne ne marche plus ferme- ment et n'est plus conséquent. Gardez-vous de lui passer ses premiers principes , si vous ne voulez pas le suivre pcr-lout où il lui plaira de vous
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conduire. La philosophie de M. Piousscau de Genève , est pi c.-:([uc 1 inverse do celle de JIobLes. L'un croit riioiiiriie de la naiure bon , et rautrclc croit Miéchant. 5eion le philosophe de Genève , l'état de nature est uu état de paix ; selon le philo- sophe de Mahiiesbury , c'est uu état de guerre. Ce sont les lois et la fonnaiion de la société qui ont rendu Thonime meilleur , si Ton en croit HoLbc<;; e\ qui l'ont dépravé , si l'on en croit M. Rousseau. L'un étoitné au milieu du tumulte et des factions j l'autre vivoit dans le monde , et parmi les savans* Autres temps , autres circonstances , autre philo- sophie. M. Piousseau est éloquent et pathétique ; Hobbes sec , austère et vigoureux. Celui-ci vojoit le trône ébvanié , les citoyens armés les uns co»ili e les autres , et sa patrie inondée de sang par les Fu- .reurs da fnnatisihe presbytérien j et il avoit pris ca aversion le Dieu , le ministre et les autels. Celui-là voyoit dej hommes versés dan^ toutes les connois- sances , se déchirer , se haïr , se livrer à leurs pas- sions 'y ambitionner la considérai ion , la richesse , les dignités ) et se conduire d'une manière peu con- forme aux lumière$ qu'ils avoient acquises : et il méprisa la science et les savans. ils furent obirés tous lesdeux. Entre le système de l'un el de l'autre , il y en a un qui peut-être est le vrai: c'est ({ue , qaoique l'éiat de l'espèce humaine soit dans une vicissitude perpétuelle , sa bonté cft sa méchan- ceté sont les mêmes j son bonheur et son nul-
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heur circonscris p^r îles liiuiles , eju'eilc ne peut franchir. Tous les avantages artificiels se com- pensent par des luaus: tous les maux naturels , par {[as hieus. H ohb'? s , plein de confiance dans sou jugement , phiioso])ha d'après lui-même.. Il fut; honnête homme , sujet attaché à son roi , citojeu zélé, homme simple , droit, ouvert et bienfaisant. îl eut des aujis et des ennemis. Il fut loué et blâmé sans mesure ) la plupart de ceux qui ne peuvent entendre son nom sans frémir, n'ont pas lu , et ne sont pas en état de lire une page de ses ouvrages. Quoiqu'il en .soit du bien ou du mal (ju'on on pense , il a laissé la face du monde telle qu'elle étoit. Il fit peu de cas de la philosophie espéri- ïiienlale: s'il faut donner le nom de philosophe à un faiseur d'expériences , disoit-il , le cuisinier , le parfumeur , le tlistilaleur sont donc des philoso- phes. Il méprisa Boyîe , et il en fut méprisé j il acheva de renverser l'idole de l'école que Bacon _avoit ébranlée. On lui reproche d'avoir introduit dans sa philosophie des termes nouveaux j mais ayant une façon particulière de considérer les cho- ses, il étoit impossiblequ'il s'en tint aux mots reçus. S'il ne fut pas athée , il faut avouer que son Dieu d.lïcre peu de celui de Spinosa. Sadéfinition du mé- chant Jiie paroît sublime. Le méchant de Hobbes est un enfant robuste : Malus est puer robustus. En effet, la méchanceté esld'autant plus grande , que la raison est foible , et que les passions sont
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forlcs. Supposez qu'an enfant eut , à six semaines^ l'imbeciîiité du jugement de son âge , et les pas- sions et la force d'un homiue de 40 ans , il est certain qu'il frappera son père , qu'il violera sa mère , qu'il élrarjij;let a sa nourrice , et qu'il n'y aura nulle sécurité pour tout ce qui l'approchera. Donc la définition do Hobbes est fausse , ou l'homme devient bon à-n^esure qu'il s'instruit. On a mis à la télé de sa vie , l'épigraphe suivante : elle est tirée d'Ange Poiitien.
Quinos damnant , Iristriones siint maximi ; Nr.m Ciirios sin^ulax^it, et bacchanaîia vivunt, HJsiint precipuë qnidam clamosi , levés, Cjîculîali , lignipedes , cincti funibus, Superciliosi , inciirvi cervicum peciis ; QvA , cfuod ab aliis iiaoltu et cultu dissentiunt , Tri.îtesqiie vulti; venJuot sanctimonias , Censur'im sibi >•• laidamettyrannidem occupant, Paviian;c^ue plèbe ai terriiaut minaciis. '
Outre les ouvrages philosophiques de Hobbes , il y en a d'autres dont il n'est pas de notre objet de parler.
ADDITION A l'article PRÉCÉDENT.
[ Lors(jr,e Diderot composa l'excellent article qu'on vient de lire , il ne counoissoit pas encore le traifé de hi nature humaine de Hohles y uu des plus bcau-x
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ouvrages qni soient sortis de tête d'homme , et peut- êrre le meilleur de ceux que ce philosoplie a publiés. Comme cet écrit est tr^s-impol•lant , et qu'il ren- ferme dans un petit nomBre de pages presque tous les principes de la pliilosophie de Hobles , nous allons en donner ici une analyse exacte : ce seia un bon sup])l:'ment à l'article Hobbisme.
Diderot ne pouvoît se consoler de n'avoirpas connu plns-tot ce traité sublime de Holles (*), dont la lectirre avoit fait s!ir lui jiie impression vive et pro- fonde, t; J'en suis .-«orti de ce traité de la nature hu- » rnaii:e , m'écriToit-il un jour : quel dommage qua »»]e traducteur n'ait pas réuni l'élégance et la clarté rt du style à l'évidence et k la force des idées ! Que j» Locke me paroit diffus et lâche ; la Eruy^re et la 7) RochcrfcLicauld , pauvres et petits , en comparaison n de ce Thortias Hobles ! c'est un livre à lire et à «commenter toute sa vie n. Cet éloge n'est point exagéré; c'est l'expression simple et vraie de la haute estime qu'il avoit conçue pourcetouvngede Holles^ où, en effet, dans la matière la plus épineuse, la plus difficile , la plus contestable , la plus abstraite , je ne crois pas qu'il y ait uu mol obscur , une idée équivoque. Quelle précision un auteiîr raettroit dans sa conversation et dans ses écrits , si l'énorme enchaî'^ nement par lequel ce philosophe déduit nos senti- meus , nc5 idées, nos préjugés, nos intérêts, nos passions , étoit bien présent à sa mémoire ! Mais lais- sons le lecteur apprécier lui-même le mérite des pensées que nous allons exposer.
Dans l'épitre dédicatoire au comte de ÎNewcastle,
(*} Il le lat pour la prem:ère fois «a 1773.
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Holbes remarque que les deux principales parties de la nature de l'homme, la raison el les passions , ont fait ccloredeux sortes de sciences, les mathémaiiques et les digma/icju^s. Dans les premières , il n'y a ni controverses ni disputes , parce qu'elles consistent imiquement dans la comparaison des figures et du mouvement, qui sont des choses où la rérité et Vin^ térèt des hommes ne se trouvent point en opposi- tion. Mais dans les autres, tout est sujet à disputes ; parce qu'elles s'occupent à comparer les hommes, et qu'elles examinent leurs droits et leurs avantages, objets sur lesquels , toutes les fois que la raison sera contraire à l'homme , l'homme sera eontraire à la raison; de-là vient que tous ceux qui ont écrit sur la justice et la politique se contredisent souvent eux- mêmes , et sont contredits par les autres. Le seul moyen de réduire cette doctrine aux règles in- faillibles de la raison, c'est de poser, pour fonde- ment, des principes dont les passions ne se défient point, et qu'elles ne cherchent point à écarter; d'établir ensuite , sur ces principes , tout ce qui a du rapport à la loi naturelle , qu'on a , jusquà-présent, h'àtie en l'air ; et d'avancer par dégrés , jusqu'à ce qu'on ait élevé un fort imprenable. *» Les principes >» propres h ce dessein , ajoute-t-il ^ sont, milord , «ceux dont je vous ai entretenu jusqu'à-présent en x particulier , et que j'ai arrangés ici méthodique- r> ment par votre ordre. Je laisse, k ceux qui en auront r> le loisir ou la volonté , le soin d'appliquer ces prin- rt cipes à la conduite des souverains avec des sou- « verains , ou des souverains avec des sujets. Quant «à moi, milord, je présente cet ouvrage à votre T, grandeur , comme contenant les véritables et uniques fjfoademecs de la science dont il s'agit. A l'égard
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» du Style , j'ai plus consulte la logicpie c£ue la rlié- j. torique : mais po\ir ce c£ui est de la doctrioe que T, j'y établis , elle est foi lemeut prouvée , et les con- »»séiuences qui en découlent sont telles que, faute n de les avoir cornues , le gouvernement et la tran- « quillité n'ont été jusqu'à- présent fondés f[i;e sur « des craintes mvUuelles : ef il sera inanin^.ent avan- « tageux à l'état , que tout le monde adopte , sur le H droit et la politique, les sentimens (\\\t je propose » ici , etc. n.
Hohbes^èï\u\\ ^ dans le premier cliapitre , la nature de l'homme , la somme de ses facultés naturelles, tcllesque la nutrition, le mouvement, la génération, la sensibilité , la raison , etc.
Il distingue dans l'homme deux espèces de facul- trs ; celles du corps, et celles de l'esprit : celles-ci sont de deux espèces, connoitre et imaginer , ou con- cevoir et se mouvoir. ** Pour comprendre, dit- il, » ce que j'entends par la faculté de connoitre , il r> faut se rappeler qu'il y a continuellement , dans n notre esprit, des images ou des concepts des choses r qui sont hors de nous ; en sorte que , si un homme « rivoit , et que tout le reste du monde fût anéanti, n il *ae laisseroil pas de conserver l'image des choses ?^ qu'il y auroit précédemment apperçues : en effet, r, chacun sait , par sa propre expérience , que l'ah- f, sence ou la desiruction des choses une fuis ima- n giiiées , ne produit point l'absence ou la.destructioa r^ de l'imagination elle-même. L'image ou représenla- rt lion des qualités des êtres qui sont hors de nous , est n ce qu'on nomme le concept y V imagination , Vidée , n la notion ^ \a connoissance de ces êtres : la faculté , 9t le pouvoir , par lequel nous sommes capables d'une «telle connoissance, est ce que j'appelle pouyoir
J!^-2 OPINIONS
9, cogrîflf oi\ ccrccptlf, ou pouvoir de connoitre ou n de concevo'r «.
Dans le chapitre second , Hclles combat Popi- nion que la couleur et la ligure sont les vraies qua- lités de l'objet ; et il prouve clairement que le sujef, auquel la couleur et Timage sont inhérentes, n'est point l'objet ou la chose vue ;
Qu'il n'y a réelleu^ent Lors de nous rien de ce que nous appelons image ou couleur j
Que cette i-naj^^e ou couleur n'est en nous qu'une apparence dumouvemeut, de l'agitation ou du chan- gement, que 1 objet produit sur le cerveau, sur les espiits , ou sur la substance renfermée dans la tête;
Que , comme dans la vision tout se passe dans celui qui voit, de même dans toutes les conceptions qi'i nous viennent des autres sens , le sujet de leur inhéience n'est point l'objet, mais l'être qui sent.
Apiès avoir démontré ces quatre propositions par des observations et des expériences ioconteslables ; Halles en tire encore ce résultat , que tous les ac- cidens ou toutes les qualités , que nos sens nous montrent comme existans dans le monde, n'y sont point réellement ; mais ne doivent être regardés que comme des apparences : « Il n'y a réellement dans » le monde , hors de nous , que les mouvemens pai: j» lesquels ces apparences sont produites. Voilà la n source des erreurs de nos sens, que ces mêmes sens n doivent corriger : car de même que mes sens me n disent qu'une couleur réside dans l'objet que je M vois diiectemeut , mes sens m'apprennent que cette r, couleur ue.st point dans l'objet , lorsque je le vois y. par réflexion n,
La précision et la clarté des déEnitions de Holhes ne sont pas moins remarquables, que l'ordre et l'en-^
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eliaîneinent de ses idées. Quoi de plus ingénieux et de plus exact tout ensemble , que la comparaison dont il se sert pour expliquer ce que c'est que Timagi- nation ! *« Comme une eau stagnante , dit-il , mise » en mouvement, par une pierre qu'on y aura jetée, M ou par un coup de vent , ne cesse pas de se mouvoir «aussi-tôt que la pierre est tombée au fond,oudbs >» que le vent cesse; de même l'effet, qu'un objet a n produit sur le cerveau, ne cesse pas aussi-tôt que » cet objet cesse d'agir sur les organes : c'est- à- dire »»que, quoique le sentiment ne subsiste plus, son A image on sa conception resîe j mais plus confuse Ti lorsqu'on est éveillé, parce qu'alors quelque objet M présent remue ou sollicite continuellement les » yeux ou les oreilles , et en tenant l'esprit dans un îi mouvement plus fort , l'empêche de s'appercevoir yt d'im mouvement pbjs foibJe. C'est cette concep- » tien obscure et confuse que nous nommons ^û/;— V taisie ou imagination. Ainsi l'on peut définir l'j- « magination , une perception qui reste et qui s'af- n foiblit peu-à-peu, après la sensation même dontell« n tire son origine n.
Le sommeil est la privation de l'acte de la sert- sation , quoique le pouvoir de se!-)tir reste toujours; et les rêves sont les imaginations de ce .x qui dorment.
Les causes dte% songes et des rêres , quand ils sont naturels , sont les actions ou les efforts des parties internes d'un homme sur son cerveau , efforts par lesquels les passages de la sensation, engourdis pat îe sommeil, sont restitués dans leur mouvement.
Un autre sipne qui prouve que les rêves sont pro- duits par l'aciion des parties intérieures, c'est le désordre ou la liaison accidentelle d'une conception ©u d'une image à une autre : car lorsque nous sommes
V*
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ëveill<?s , la conception ou ]a pensée anlécëdenfe amène la subséquente , ou en est la cause ; de mênae que , sur une table unie et sèche , Teau suit le doigt ; au-lien qpe , dans le rêve , il n'y a pour l'ordinairo aucune liaison ; et qnan 1 il j en a , ce n'est que par hasard; ce quidoif venir nécessaireuient de ce que, dans les rêves , le cerveau ne jouif };as de son mou- vement dans toutes ses parties également ; ce qui fait que nos pensé<Bs sont semblc^bles aux étoiles, lorsqu'elles se montrent au travers des nuages qui passent avec rapilité , uon dans l'ordre nécessaire pour être observées , mai^ suivant que le vol incer- tain des nuages le permet.
De même que l'eau , ou tout fluide agité en-même- temps par des forces diverses, prend un mouvement composé de toutes ces forces; ainsi le cerveau ou l'espritqu'il contient , ayant été remué par des objets divers, compose une imagination totale dont les con- ceptions diverses^ qi'e la sensation avoit fournies sé- parées, sont les élémens ; ainsi, par exemple, les sens nous ont montré dans un temps la figure d'une montagne, et dans un autre temps, la couleur de l'or; ensuite l'imagination les réunit à-la-fois , et en fait une montagne d'or. Voilà comment nous voyons des châteaux dans les airs , des chimëres , des monstres qui ne se trouvent point dans la nature , mais qui ont étéapperçus par lessens en différentes occa>ions ; c'est cette composition que l'on désigne communément sous le nom de^r//o/? de l'esprit.
Il y a une autre espace d'imagination qui , pour la clarté , le dispute avec la sensation aussi bien que les rêves ; c'est celle que nous avons , lorsque l'action du sens a été longue ou véhémente : le sens de la vue nous tu fournit des expérieûces plus fréquentes , que les
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ail très. Nous en avons des exemples dans l'image t[ui demeure dans l'œil après avoir regardé le soleil ; dans ces binettes, que nous appercevons dans l'obsci.rité , comme je crois que tout homme le sait par sa propre cxpérieuce , et sur-tout ceux qui sont craintifs et su— perstitieux. Ces sortes d'images , pour les disiinguer , peuvent être appelées Aesfontômes.
A l'égard de la mémoire, Holles observe que par le moyen des sens qu'on réduit à cinq , selon le ntm«* bre des organes , nous acquérons la connoissance des objets qui sont hors de nous; et cette connoissance est le concept ou l'idée que nous en avons: car , quand la conception de la même chose revient , nous noua appercevons qu'elle vient de nouveau; c'est-à-dire, que nous avons eu la même conception auparavant; ce qui est la même chcse que d'imaginer une chcso passée : ce qui est impossible à la sensation , qui ne peut avoir lieu , que quand \ts cho-es sont présentes. Ainsi cela peut être regardé comme un sixième sens , mais interne, et non extérieur comme les autres; c'est ce que l'on désigne communément sous le nom de ressouferir.
Le souvenir n'est que le défaut des parties que chaque homme s'attend à voir succéder, après avoir •eu la conception d'un tout. Voir un objet à un© grande di>rance de lieu , ou se rappeler un objet à une grande distance de temps, c'e<t avoir des coucepticns semblables de la chose : car il manqi;e , dans l'un et l'autre cas, la distinction des parties ; l'une de ces conceptions étant foibîe par la grande distance d'où la «.ensationse fait; l'autre, par le déchet qu'elle et Boufierf.
^o/'-tf'- conclut, de ce qui précède, qu'un h^mme ne peut jinaais savoir qu'il rêve ; il peut rêver qu'il doute
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s'il rêve on non ; la clarté de rinaagination lui repré" sentant la chose avec aiitciiit <le parties cjue le sens mc'uie , il ne peut l'appercevoir que comuie présente; tan iis c£i e de savoir qu'il rêve, ce seroit penser que ses conceptions (c'est-à-dire ses. rêves ) sont plus obs- cures qu'elles ne l'étoient par le sens : de sorte qu^il faudroit qu'il crût qu'elles sent tout-à-ld-fois aussi , claires, et utiu pas aussi claires que le sens; ce qui est impo-sible.
Le chapitre IV taite du discours , de la liaison des pensées , ie l'extravagc^ncé , de la sagacité , de la ré- miniscence , de l'expéiieuce , de l'attente , de la con- jecture , des signes , de la prudence , et enfin des pré- cautions à conclure d'après l'expérience.^ Vo y oas q^uelles sont , sur tous ces objets , les idées de HoLLes,
La succession des idées ou conceptions dansTesprit, leur suite ou leur liaison, peui être casuelle ou in- cohérente , comiue il arrive dan» les songes ; ou peut être ordonnée, comme lorsqu'une prenaière pensée amène la suivante; et alors cette suite ^ ou série de pensées , se nomme ai cours. Mais comme ce mot e^t pris commujiément pour une liaison ou une consé- quence dans les mots, afin d'éviter tout équivoque, il l'appelle raûonrtemev.t,
La caiise delà liaison, ou conséquence d'une con>- ception à une autre, est leur liaison ou conséquence dans le temps que ces conceptions ont été produites parle sens.
11 y a , dans les sensations, des liaisons d'idées que nous pouvons appeler extravagances ou écarts. Alors pous partons d'un point arbitraire.
Une autre sorte de raisonnement, c'est celui qui commence parle désirde recouvrer une chose perdue; #t qui^ du présent, remonte eo arrière^ c'est-à-dire.
DES AîVCIEIN'S PHILOSOPHES. 477 de la pensée du lieu où nous nous appercevons de la perte , à la pensée du lieu d'où mous sommes venns récommeul ; er de la pensée de ce dernier lieu , h celle du lieu où nous avous été auparavanl ; et ainsi de suite , jusqu'à ce (£ue nous nous rtmettions d'idée, dans l'endroit où nous avions encore la chose c[ui non» manque : voilà ce qr>e nors appelons réminiscence.
Le souveuir de la suc^es.^ion'"d'llne chose relative- ment h une autre, c'est-à-dire, de ce qni Va précédée , suivie et accompagnée , s'appelle expéricrre , soit cju'elle ait été faite volontairement, comme lors- qu'un humme expose quelque chose au feu , pour en conuoitre l'eflet résultant : soi- qu'elle se fasse in- déjDendamuient de nous , comme quand nous nous rappelons que l'on a du beau temps le marin, qui vient à la suite d'une soirée durant laquelle l'air étoit rouge.
Avoir fait un gran::! nombre d'ob*;ervafions , est ce que nous appelons avoir de l'expérience ; ce qui n'est que le souvenir d'eôets subséquens produits par dea causes antécédentes.
C'est de nos conceptions du passé, que nous formons lej^uiurj ou plutôt nous donnons au passé relative— meut le nom à\i futur. Ainsi les hommes appellent Jutur^ ce qui est conséquent à ce qui est présent, ^'oilà comme le souvenir devient ne p-évoyance des choses à venir , c'est-à-dire , nous donne l'attente ou la pré- somption de ce qui doif arriver.
Si \n\ homme voit actuellement ce qu'il a vu pré- cédemment , il pense que ce qui a précéHé ce qu'il a TU ai'paravant, a aussi précédé ce qu'il voit pré- sentement. Par exemple , celui qui a vu qu'il res- toit des cendres après le fpu , lorsqu'il revoit des cendres, eu conclut qu'il y a eu du feu. C'est l^
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ce qu'on nomme conjecture du passé , ou présomp/iori
d'un fait.
L'antécédent elle conséquent sont des j/^g'wei- l'un del'aiilie; c'est ainsi que les nuages sont des .<^?^/7CJ de la pluie q<ii doit venir , et que la pluie est un signe des nu.:ges passés.
Les Mgnes ne sont que des conjectures; leur cer- titude atigmente ou dimlnr.c , suivant qu'ils ontplus ou moins souvent manqué ; ils ne sont jamais pleine- ment évidens. Quoiqu'un lioiijme aif vu constamment jiîsqu'ici le jour et la nuit se succéder , cependant il n'est pas pour cela en droit de conclure qu'ils se suc- céderont toujours de même, ou qii'ils se sont ainsi succédés de toute éternité. L'expérience ne fournit aucune conclusion universelle. Si les sig,nes montrent juste vingt fois, contre une qu'ils manquent, nn homme pourra bien parit-r vingt contre un sur l'évé- nement ; mais il ne pourra pas conclure que cet évé- nement e%t certain. On voit par là , clairement , que ceux qui ont le pins d'expérience peuvent le mieux conjecturer, parce ({u'ils ont le plus grand nombre de signes propres à fonder leurs conjectures.
Les hommes d'une imagination prompte ont,touteï choses égdles, plus de prudence, que ceux dont l'ima* giuatiou est lente; parce qu'ils ob^eivent plus , ea moins de temps.
La prudence n'est que la conjecture d'après l'ex-. périence, on d'dpiès les signes donnés par l'expérience et consultés avec précaution : et de manière à se bien rappeler toutes les circonstances des expériences qui ont fourni ces signes, vu que les cas qui ont de la ressemblance , ne sont pas toujours les mêmes.
Nous ne pouvons pas conclure , d'après l'expérience j qu'une chose doit être appelée juste ou injuste , vrai»
DES ANtlENS PHILOSOPHES. /fT^ 011 fausse , ou généraliser aiicune proposition , a- moins ({lie ce ne soit d'après le souvenir de l'usage des noms que les hommes ont arbitrairement imposés. Par exemple , avoir vu rendre mille fois on même jugement dans un cas pareil , ne suffit pas pour en con- clure c[ii'i.n jugement est jus'e, c^uoiL[ue la plupart des hommes n'aient pas d'autre rëgle ; mais pour tirer une telle conclusion, il faut, à l'aide d'un grand nombre d'expériences , découvrir ce c[ue les hommes entendeui par juste et i/juste.
Une mari^ue est un objet sensible qu'un homme érige pour lui-même volontairement , afin de s'ea servir pour se rappeler un fait passé , lorsqiiC cet ob- jet se présentera de nouveau à ses sens.
Un nom ou une dénomination est un son de la vois de l'homme , employé arbitrairement con me nne marque destinée à rappeler à son esprit quelque con- ception relative à l'objet , auquel ce nom a été im- posé.
C'est par le secours des noms, que nous sommes capables de science , tandis que les bêtes , à leur dé- faut , n'en sont point susceptibles : l'homme lui- même , sans ce secours , ne peut devenir savant.
L'universalité d'un même nom donné à plusieurs choses , est cause que les hommes ont cru que ces choses étoient universelles elles-mêmes ; ils se sont trompés en prenant la dénomination générale ou uni- verselle , pour la chose qu'elle signifie. Il n'y a riea d'i niversel que les noms, qui, pour cette raison, sont appelés indéhuis , parce que nous ne les limitons point nous-mêmes ; et que nous laissons a celui qui nous entend, la liberté de les appliquer; au - lieu qu'un nom particulier est restreint à une seule chose parmi le grand nombre de celles qu'il signifie^ coiamç
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il arrive lorsque nous disons cet homme , en le mon- trant ou en le déiignaat sous le noiu qui lui est propre.
Toutes les métaphores sont équivoques par profes- sion ; et il se trouve à-peine un mot qui ne devienne équivoque par le tissu du disconrs, ou par l'inflexion de la voix , ou par le geste qui l'accompagne. Il fant donc qu'un homme soit très-habile , pour se tirer de l'eujbarras des mots , de la texture du discours et des autres circonstances ; pour s'expliquer sans équi- Toque, et découvrir le vrai .'ens de ce qui se dit ; et c'est cette habileté , que nous appelons intelligence.
A l'aide du petit mot e.^/, ou de quelque équivalent, de deux appellations , nous faisons une affirmation ou une négation , dont l'une ou l'autre, désignée dans les écoles sûiis le nom de proposition, est composée de deux appellations jointes ensemble par le mot est.
Former des syllogismes , est ce que nous nommons raisonnement.
Il est de la nature de presque tous les corps qui sont souvent mus de la même manière , d'acquérir de plus en plus de la facilité ou de l'aptitud au même mouvement ; parla, ce moïKvement leur devient si haiituel j que pour le leur faire prendre , il suffit de la plus légère impulsion. Comme les passions de l'homme sont les principes de ses mouvemens volon- taires , elles sont aussi les principes de ses discours, qui ne sont que des mouvemens de sa langue. Les hommes dé»irant de faire counoitre aux autres les connoissances , les opinions , les conceptions , les passions qui sont en eux-mêmes , et a^^ant dans cette vue inventé le langage, ilsont,par ce moyen, fait passer tout le discours de leur esprit, à l'aide da mouveuicût de la langue, dans le discours des mots.
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 48 1
et la raiioi. ( rc/io ) n'est plus qu'une oraison ( orario ) pour la plus grande partie , sur laquelle l'habitude a tant de poavroir , que l'esprit ne fait que suggérer le preruier mot ; le reste suit macliicalement, sans que l'esprit s'en mêle.
5i nous considérons le pouvoir des iiluçions des seus ; le peu de constance ou de fixité que l'on a mis dans les mots ; à quel point ils sont srijets à d^s équi- vo [ues ; combien ces mots sont diversifiés par 1er passions, qui font que l'on trouve à - peine deux hommes qui soient d'accord sur ce qui doit être appelé bien ou mal, libéral.té ou prodigalité, valeur ou témérité : enfin , si nous considérons combien les hommes sont sujets à faire des paralogi^mes ou de faux raisonnemens ; nous serons forcés de conclure qu'il est impossible d^ rectifier un si grand nombre d'erreurs, sans tout refondre, et sans reprendre }ei premiers fondemens des connoissances humaines et des sens. Au-lieu de lire d;;s livres, il faut lire ses ropres conceptions ; et c'est dans ce sens que j© rois que le mot fameux, cannois -toi toi-même , eut être digne de la réputation qu'il s'est acquise. ' Il y a deux sortes de sciences ou de connoissances, ijat l'une n'est que l'cfiet du sens, ou la science .riginelle et son souvenir 3 l'autre est appelée science •I connoissance de la vérité des propositions et de» ; >ms que Ion donne aux choses, et celle-ci vient de ''esprit. L'une et l'autre ne sont que l'expérience : la cemitre est l'expérience des effets produits sur nous ar des êtres extérieurs qui agissent sur nous ; et la
■ erniëre est l'expérience que les hommes ont sur
■ !iS3ge propre des noms dans le langage.
Toute expérience n'étant que souvenir , il en faut conclure qu.e toute science est souveair.
Philos. anc.inod.TciiE I. X
4^2 OPINIONS
L'on appelle histoire, la première science enregis-' trée dans les livres; on appelle les sciences les re- gistres de la dernière.
Le mot de science on de connoîssaDce renfnrrme nécessairement deiix choses j l'une est la vérité, et l'autre est l'évideace.
L'évidence est la concomitance de la conception d'un homme avec les mots qui signiiient celte con- ception dans l'acte du raisonnement.
L'évidence est pour la vérité, ce que la sève est pour l'arbre ; tant que cette sève s'élève clans le tronc et circule dans les branches , elle les tient en vie; mais ils meurent dès que cette sève les abandonne , attendu que l'évidence qui consiste à penser ce que nous disons , est la vie de la vérité. Ainsi , je déiinis la connoissance que nous nommons science, l'évi- dence de la vérité fondée sut quelque commencement ou principe du sens ; car la vérité d'une proposition n'est jamais évidente jusqu'à ce qi:e nous concevions le sens des mots ou termes qui la composent , lesquels sont toujours des conceptions de l'esprit ; et nous n« pouyons nous rappeler ces concepliup«^ , sans la chose gui les a produites sur nos sens.
Quand une opinion est admise par confiance en d'autres hommes , on dit que nous la crojo?7S , et son admission est appelée crojance ovjoi.
Le mot de conscience est employé par ceux qui ont une opinion , non-seulement de la vérité de la chose , jnais encore de la connoissance qu'ils en ont , opinion dont la vérité de la proposition est une conséquence. Cela posé , Nobles définit la conscience , l'opinioo de l'évidence.
•> ^près avoir ainsi exposé ses idées sur les sens , 1 i- jïia'laatiou , le discours; le rai«onnem«nt ; et \^
DES ANCIENS PHILOSOPHES. /j85
conuoissance OU science , qui sont des actes de notre faculté' cognitive ou conceptive , Hohles parle en général des a^'ections ou passions. 11 avoil dit que les conceptions et les apparitions ne sont réellement rien que du mcnvement excité dans une substance intérieure de la tête ; il ajoute ici que ce mouve-» meut ne s'arrétant point là , mais se communiquant au cœur , doit nécessairement aider ou arrêter le mouvement que Ton nomme vital. Lorsqu'il l'aide et le favorise , on l'appelle plaisir ^ contentement ^ lien-être , qui n'est rien de réel qu'un mouvement dans le cœur, de même que la conception n'est rien qu'un mouvement dans la tête.
Hobbes prouve ensuite que le plaidr, l'amour, l'appétit ou le désir, sont à^s mots divers dont on se sert pour désigner une même chose envisagée di« versement.
Que chaque homme appelle Ion ce qui est agréable pour lui-même, et appelle mal ce qui lui déplait. Ainsi chaque homme . diôc-rant d'un autre par son tempérament ou sa façon d'être , en diffère sur la distinction du bien et du mal ; et il n'existe point une bonfé absolue considérée sans relation ; car la bonté que nous attribuons à Dieu même, n'est que sa bonté relativement à nous.
Que toutes les idées que nous recevons immédia- tement par les sens, étant ou plaisir ou douleur, produisent ou le désir ou la crainte , et qu'il en est de même de toutes les imaginations qui viennent à la suite de l'action des sens ;
Que , l'appétit ou le désir étant le commencement d'uu mouvement animal qui nous porte vers quelque chose f^ui nous plaît, la cause ûnale de ce jaouyç-
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ment est d'en atteindre la fin , que nous iioramon» aussi le .lut ;
Que , lorsque nous atteignons relie fin, le plaisir qu'elle nous cause se nomiue jouissance ; ainsi le bien ( honum ) et la fiu {^iriis) sont la même chose envisagée diversement;
Que la félicité , par laquelle nous entendons le plai- sir continuel, ne consiste point à avoir réussi, mais à réussir ;
Qu'il y a peu d'objets dans ce monde qui ne soient mélangés de bien et de mal ; qu'ils sont si intimement et si nécessairement liés, que l'on ne peut cbfeuir l*un sans l'autre : c'est ainsi que le plaisir qui ré- sulte d'une faute est joint àj'amertume du senfi- ïnent ; c'est ainsi que l'honneur est joint commu- nément avec le travail et la peine. Lorsque , dans la somme totale de la cîiaine , le bien fait la plus grande partie, le tout est appelé Ion j mais quaud le mal iïjit pencher la balance, le tout est appelé mauçais.
Hohhes examine , dans le chapitre VIH , en quoi consistent les plaisirs des sens , et de quelle con- ception procède chacune des passions que nous re- marquons être les plus communes. 11 remarque k ce sujet que les couceplions sont de trois sortes ; les unes sont présentes, elles viennent du sens, ou sont la sensation actuelle ; les autres sont passées, et constituent la mémoire; los troisièmes ont pour objet l'avenir, et produisent l'attente. De chacune de ces conceptions nait ou un plaisir , ou une dou- leur présente. Il désigne toutes ces passions sous le Dcm de plaisirs iensuels ; et leurs contraires, sous celui de à.o\\\QXi.x% sensuelles. On peut-'V joindre, selon Jui , les plaisirs et les déplaisirs qui résultent des
DES ANCIENS V IM L 0 S 0 P îî E S. 485 odeurs , si quelqueà-nnes sont organiques , ce qu'elles ne sont point pour la plupart; et il le prouve par une observation trës-fiae et très-neuve , et dans la- quelle il y a autant cresprit.que de justesse. « ïa n effet , d:/-il , l'expérience ùe chaque homme dé- « montre que les mêmes odeurs, quand elles pa- #) rois.sent venir des autres nous ojlensent, quoi- j7 qu'elles émanent de nous; tandis qu'an contraira p-< quand uons cro3'ons qu'elles. «émanent de nous, elles rt ne nous déplaisent pas , lors même qu'elles émanent y, des autres. Le déplaisir, que nous éprouvons dans «ce cas. nait de la conceplion ou de l'idée que cej n odeurs peuvent nous nuire ou sont mal-saines ; et w par conséquent ce déplaisir est une conception d'un «mal a venir , et non d'un mal présent r>.
Halles passe, de-là , à des considérations sur lo plaisir que nous procure le sens de l'ouïe , plaisir dont l'organe n'est point affecté. Il fait voir que l'har- monie , ou l'assemblage de pliisieurs sons qui s'ac- cordent , nous plaît par la même rétison que l'unisson ou le son produit par des cordes égales et également tendues.
Que les sons, qui diflerentles uns des autres par leur degré du grave à l'aigu , nous plaisent par le« alternatives de leur égalité et de leur inégalité ; c'est- à-dire, que le son le plus aigu nous frappe deux fois , contre un coup de l'autre ; ou qu'ils nous frappent ensemble à chaque second temps, comme Galilée l'a très-Lien prouvé, u II y a encore, ajou.îa j» Holbes , uu autre plaisir et un autre déplaisir ré— n sullant des sous ; il naît de la succession de deux « sons diversifiés par le degré et la mesure. On ap- n } elle air une succession de son qui plait ; cepen— » dant j'avoue que j'ignore pour quelle raison une
iiSfî O P I iV I 0 N s
h succession de sons dirersiiiés par le àégré el îa n mesure produit ua air plus agrêt:i>le qu'un aulfej 7? je présume seulement que quelques airs imitent » ou font revivre en nous quelque passion cacliée , n tandis que d'autres ne produisent point cet effet m
Selon ce philosophe , le plaisir des yeux consiste dans «ne certaine égalité de couleurs ; car la lumiërej qui est la plus belle des couleurs, est produite par une opération égale de l'objet , tandis que 1q couleur^ en général, est une lumière inégale et troublée. Voilà pourquoi les couleurs sont d'autant plus écla- tantes, qu'elles ont plus d'égalité j et comme l'har- monie cause du plaisir à l'oreille par la diversité de ses sons , de même il est des mélanges et des «ombinaisoDS de couleurs qui conl plus harmonieuses à l'oeil que d'autres.
Hollcs termine ce chapitre par expliquer en peu de mots ce que c'est que l'honneur, l'honorable , \e mérite, \q?, marques d'honneur, le respect, etc. Quoique toutes ses remarques à cet égard soient très- judicieuses , nous ne nous y arrêterons pas ; mais Xï<i\:% rapporterons ce qu'il dit de l'imagination ou de la conception du pouvoir dans l'homme. Il établit donc que la conception de l'avenir n'en est qu'une ■supposition produite par la mémoire du passé: nous convenons qu'une chose serp par la suite , parce que nous savons qu'il existe quelque chose à - présent qui a le pouvoir de la produire ; or nous ne pouvons ccncevcir qu'une chose a le pouvoir d'en produire une autre par la suite , que par le souvenir qu'elle a produit la même chose ci-devant. Ainsi toute con- ception de l'avenir est la conception d'un pouvoir capable de produire quelque chose, u Cela posé, dit P Hàhlcs j quiconque attend un plaisir futur, doit
rj E s A N C I 1- >• s PHILOSOPHES. 487 M concevoir en lui-même nn pouvoir à l'aide di;- ?» quel ce plaisir peut être atteint ». Et comme les passions , dont il parle dans le chapi tre suivant , con- sistent dans la conceiition del'avtnir, c'est-k-dire, dans la conception d'un pouvoir passé et d'un acte futur; il déânit ici ce pouvoir par lequel il entend les facultés du corps nutritives , génératrices , mo- trices , ainsi que les facultés de Tesprit , la science; et de plus les pouvoirs acquis par leur moyen, tels que les richesses , le rang, l'autorité , l'amitié, la faveur ,1a bonne fortune , etc. Les contraires de ces facultés sont l'impuissance , les infirmités , les dé- fauts de ces .pouvoirs respectivement : comme le pouvoir d'un homme résiste et empêche les effeU du pouvoir d'un autre homme ; le pouvoir , pris sim- plement, n*est autre.chc.se que l'excès du pouvoi» de l'un sur le pouvoir d'un autre : car deux pou- voirs égaux et opposés se détruisent; et cette op- position qui se trouve entre eux , se nomme con* tention ou conflit.
Le chapitre IX est un des plus importaus de cet excellent ouvrage. Le plaisir ou le déplaisir , que causent aux hommes les signes d'honneur ou d» déshonneur qu'on leur donne , constitue la nature des passions dont Hohles parle dans ce chapitre, et qu'il définit avec son exactitude et sa précision or- dinaires. C'est là que le lecteur peut se faire des idées claires et distinctes de ce que c'est que la gloire , la fausse gloire , la vaine gloire ; l'humilité et l'abjection ; la honte , le courage ; la colère , la vengeance; le repentir, l'espérance, le désespoir; la déhance , la confiance ; la pitié et la dureté ; l'in- dignation, l'émulation et l'envie; le rire, les pleurs; la luxure, l'amour j la charité , l'admiratioa et 1»
i'iSS OPINIONS
curiosité; la grandeur d'haine et la piisiilaiiiiEité , «le. etc. Hohles en apprend plus sur tous ces objet! en vingt pages , que tous les livres des moralistes^ On ne lit point les écrits de ce philosophe pro- fond, sans y trouver par- tout la preuve de cett« «JjserTatioa d'Horace ;
Cui lecta pctenter erit res,
yec facundia deseret hanc, nec lacidus ordo. Ordinis ha?c ririus erit , et venus, aut ego fallor, Ut jam nunc dicat , jam nanc debentia dici Plseraqne différât, et praesens in tenipus oiuilfat.
S'agit-il d'expliquer ce que c'est que l'admiralion et la curiosité ? voyez combien la détiuition qu'il en donne est simple et juste. <* Comme l'expérience , » dii-il y est la base de toute connoissance ; de nou- T> velles expériences sont la source de nouvelles « sciences , et les expériences accumulées doivent »» contribuer à les augmenter. Cela posé , tout ce qui M arrive de neuf à un homme , lui donne lieu d'es- f> pérer qu'il saura quelque chose qu'il ignoroit au- « paravant. Cette espérance et cette attente d'une » connoissance future ,que nous pouvons acquérir par » tout ce qui nous arrive de nouveau et d'étrange, » est la passion que nous désignons sous le nom » à^ admiration. La. même passion , considérée comme» n un désir, est ce qu'on nomme curiosité , qui n'est n que le désir de savoir ou de connoitie.
rt Comme dans l'examen des facultés du jugement , >» l'homme rompt toute communauté avec les bètes> n par celle d'imposer des noms aux choses , il lel rt surpasse encore par la passion de la curiosité. Y.v^ «effet, quand une bêle apperçoit quelque chose dô ;ïiiouTeau et d'étiapge pour elle , elle ne la con-^
DES ANCIENS PHILOSOPHES. 489 « sidère uni4nement i[ne pour s'assurer si celte cho5e ♦» peut lui être utile ou lui nuire ; en conséquence r, elle s'en approche on la fuit : au-lieu que l'horDme «qui y clans la plupart des événemens , se rappelle n la manière dont ih ont été causés ou dont ils ont n pris naissance , cliercbe le commencement ou la M cati.^e de tout ce qui se présente de neuf k lui. >» Cette passion d'admiration et de curiosité a pro- » diiit non - seulement l'invention des 'mois, mais « encore l-i supposition des causes qui po .voient en- n gendrer toutes choses. Voilà la source de toute ji philosophie. L'astronomie est due à l'admiration « des corps célestes. La physique est due aux effets }■) étranges des élémens et des corps. Les hommes n acquièrent des connoissances à proportion de leur n cuiiosité , etc. n
Hohbes fait voir ensuite que , la curiosité étant un plaisir , la nouveauté doit en être un aussi j sur-tout quand cette nouveauté fait concevoir à l'homme une opinion vraie ou fausse d'améliorer son état, u Dans «ce cas, dit-il, un homme éprouve les mêmes es— « pérances, qu'ont tous les joueurs tandis qu'on bat rt les cartes n.
On trouve au commencement du second livre de Lucrèce (*), la solution d'un problême de mirale
(*) Snave , mari magno turbantibuî aecpiora veafis , È terra magunm alterius spectare laborem: f'oii quia yexari qnemquam est jucanda roluptas ; Sed 5 qnibus ipse malis careas , quia cernere suave est, Snave efiam belli certamina ruagna tueri Per campos instructa, luà sine parte pericli.
Lucre t* de rernai. îil.Xj vers i , etseq.
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qtiC Ilolles s'est proposé à-peii-prës dars les Tnénies termes : il exaiuiiie donc d'où peut veuir le plaisir ^ue les hommes trouvent à contempler , du rivage , le danger de ceux qui sont agités par une tempête , ou engagés dans un combat; ou à voir, d'un cha?eau bien fortiaé , deux armées qui se chargent dans la plaine ? L'explication qu'il donne de ce phénomène me paroit plus philosophique que celle du chantre d'Epicure ; elle prouve même que ^o3^ej avoit vu beaucoup plus loin dans cette matière. « On ne peut »» douter, dit-il , que ce spectacle ne leur cause de »» la joie, sans quoi ils n'y courroient pas avec em- n pressemenl. Cependant celte joie doit être mêlée » de chagrin ; car si , dans ce spectacle , il y a nou- >» veauté , idée de sécurité présente, et par consé- f» qnent plaisir, il y a aussi sentiment de pitié, qui »» est déplaisir: mais le sentiment du plaisir prédo- « mine tellement , que les hommes , pour l'ordinaire, «consentent, en pareil cas, à cire spectateurs du «-malheur de leurs amis ».
Eofin ce philosophe, un de ceux qui a le mieux connu l'art de généraliser sç^ idées , nous représente la vie humaine sous l'image d'une course : et quoique cette comparaison , d'ailleurs ingénieuse et tiès- philosûphique , ne soit pas juste h tons égards, comme il l'observe lui-même ; elle suffit pour nous remettre sous les yeux toutes les passions dont il a parlé dans ce chapitre. «< Mais nous devons supposer, j» dit-il y qiie d:;ns cette course on n'a d'autre but « et d'autre récompense que de devancer ses concnr- « rens. Faire des eflor's , c'est appéter ou désirer ; se >vrelàclier, c'est sensualité; regarder ceux qui sont r> en arrière , c'est gloire ; regarder ceux qui pri- >♦ cèdent , c'est humilité j perdre du terrain en re-
DES ANCÎFNS PTTILOSOPIIES. I^^A
r> garilant en arribre , c'est veine gîoire ; être rerenn , m c'est baice ; retourner sur ses pas , c'est repentir ; «se tenir en haleine, c'est espérance; être excédé, «c'est désespoir; tacher d'atteindre celni qui pré- r> cède, c'est émulation :1c supplanter ou le renverser, n c'est envie ; se résoudre à franchii- un obstacle n prévu , c'est courage ; franchir un obstacle soudain , « c'est colëre ; franchie arec aisance, c'est grandeur n d'ame ; perdre du terrain par d? petits obstacles, n c'est pusillanimité ; tomber sutiteraent , c'est dis-» »» position à pleurer; voir tomber un autre, c'est n disposition à rire; voir surpasser quelqu'un mal- rt gré nos vœux , c'est pitié ; voir gagner le devant r à celui qi:e nous n'aimons pas, c'est indignation; n suivre ou serrer de près quelqu'un, c'est amour; n faire avancer celui auquel on se tient ainsi attaché, n c'eU charité ; se blesser par trop de précipitation, «c-'er.t honte; être ccntinuelîement devancé, c'est « malheur ; surpasser continuellement celui qui pré- n céioit , c'est félicité; abaadonnner la course , c'est ft mourir r>.
Ay.r^s avoir montré dans les chapitres précédens que la sensation est due à l'action des objets exté- rieurs sur le cerveau ou sur une substance renfermée dans la tête , et que les passions viennent du chan- gement qui s'y fait , et qui est transmis jusqu'au cœur ; Hohbes recherche quelles peuvent être les causes q.;i produisent tant de variétés dans les capacités et les talensparlesjuels nousremarquons tousles jours qu'un homme en surpasse un a. tre. La diversité des dégrés de connolssance , ou de science qui se trouve dans les hommes, lui paroi t trop grande pour pou- voir être attribuée aux difiérentes constitutions de leurs cerveaux : il penie doue que la difi'érence des
J^c]i o p I ."V I 0 r; s
esprits lire son origine? de la diflérence des passîans et des fins difiéreiites auxquelles l'appétence ou le désir les conduit, u Si la différence dans les facultés j ;* dit-il f étoit due au tempérament naturel dû cer- «veau, je n- imagine point de raison pourquoi cette t^ différence ne se œanifesteroit pas d'abord, et de » la façon la plus marquée, dans tous les sens qui, w étant les mêmes dans les plus sages que dans les « moins sages, indiquent une même nature dans le n cerveau , qui est l'organe commun de tous les sens n. J'avoue i[\:e j'ai peine â reconnoitre dans ce pa- ragraphe l'écrivain judicieux et profond h qui nous devons l'excellent ouvrage que j'analyse ici. Com- ment un philosophe d'uu esprit aussi droit, aussi étendu, aussi pénétrant que HoHcs , n'a-t-il pas vu que les hommes diiiéroieut nécessairement entre eux par la constitution de leur cerveau autant que par les traits de leur visage ? L'homme de génie et l'homme ordinaire ont bien , à-la-vérité , les mêmes sens , parce que ce sont des instrumens communs h toute l'espèce humaine ; mais le degré de finesse , de mobilité , de sensibilité et de perfection de ces organes, varie absolument d'un individu à l'autre; par cela seul, qu'un de ces individus n'étant pas l'autre , il est mathématiquement impossible qre son organisation soit la u:éme ; et, par conséquent, que le résultat total ne soit pas différent, deux causes essentiellement diverses ne pouvant pas produire un eôVt identique. On peut dire , si l'on veut, que la différence des esprits tire son origine de la diffé- rence des passions ; mais il faut ajouter que cette différence des pa.s<.ious est elle-même le résultat nécessaire de la différente constitution du cerveau, du tempérameut , etc. Voilk les causes principales
DES A^CIE.-VS PHILOSOPHES. 49^ et originelles de toutes les variétés qu'on reinarque dans les actions liiimaiues , dans les talens , dans le» productions de l'esprit iiuaiain. C'est l'organisation particulière de la substaoce renfermée dans la tête, ^ui fait les hommes de génie et les imbécilles , les ;ages et les fous; qui dispose au bien ou an mal ; ^ui signe , pour ainsi dire , l'un pour la gloire et >ûur la vertu , l'autre pour le vice et pour l'infcimie, Uais poursuivons l'exposé des pri:;cipcsde Hobhes.
11 dit donc que la sensualité consiste dans les plai- ,irs des sens , qu'on n'éprouve que dans le moment ; tes plaisirs oient l'inclination d'observer les choses qui procurent de l'honneur, et par conséquent font que les hommes soi>t moins curieux ou moins am- bitieux ; ce qui les rend moins attentifs à la route qui conduit à la science , fruit de la curiosité , ou à tout autre pouvoir issu de l'ambition : car c'est dans ces deux choses que consiste l'excellence du pouvoir de connoatre ; et c'est le défaut absolu de ce pouvoir qui produit ce qn'on nomme stupidité ^ , 'est la suite de l'appéiit des plaisirs sensuels. ïlohles iroit que celte passion a sa source dans la grossièreté des esprits ;, et dans ia difficulté du mouvement du coeur.
La disposition contraire est ce mouvement rapiie de l'esprit qui est accompagné de la curiosité de com- parer , les uns avec les autres , les objets qui se pré- sentent à nous ; comparaison dans laquelle l'homme se plaît à découvrir, soit une ressemblance inatten* due entre des choses qui sembloient disparates, soit de la dissimiiitude entre des objets qui sembloient être les mêmes.
Ji'gcr^ n'est aulre chose que distinguer ou discerner»
49l OPINION»
I/imagînation et le jiigenient sont compris com- jnuuéraent sous le nom à\-.'prif.
Le défaut de l'esprit , qu'on nomme légèreté ^ dé- cèle une mobilité dans les esprits , mais portée à l'excès. Cette disposition est produite par une curio- sité , mais trop égale ou trop iodiftérenle ; puisque les objets faisant tous une impression égale, et plai- sant également , ils se présentent en foule pour être expriniés et sortir à-la-fois.
\i^indocililité , ou difficulté d'apprendre, paroil ve- nir delà fausse opinion où l'on est que l'on connoit déjà la vérité sur Fohjet dont il s'agit; car il est certain qu'il y a moins d'inégalité de capacité enire les hommes , que d'inégalité d'évidence entre ce qu'enseignent les mathématiciens , et ce qui se trouve dans les autres livres. Si donc les esprits des hommes étoient comme un papier blanc ou comme une table rase ; ils seroient également disposés à reconnoitre la vérité de tout ce qui leur seroit présenté selon une ttiéthode convenable , et par de bons raisoune- xnens : mais lorsqu'ils ont une lois aquie scé à des opi- Dions Fausses, et qu'ils les ont authentiquement en- registrées dans leur esprit , il est tout aussi impos- sible de leur parler intelligiblement , que d'écrire lisiblement sur un papier déjà barbouillé d*écriture. Aii^si la cause immédiate de Viudocihilité est le pré- jugé ; et la cause du préjugé est une opinion fausse de notre propre savoir.
Ce que l'on nomme extra çagance , Jolie , paroit ôtreuneimaginalion tellementprédominante, qu'elle devient la source de toutes les autres passions. Celte coucention n'est qu'un eflet de vaine gloire ou d'à- l3iili.eincnt.
DES ANCIENS PHILOSOPHES. ^9^ La malice est une nuance de la fureur, et l'af- fectation est un commencement de fréuésie.
La circonspection, avec la juelle /^o/'/^é;.f procède dans l'examen des nidtiëres qui font le sujet du cha- pitre XI , est très-remarquable. Ici ses pas ne sont ni aussi fermes, ni aussi assurés que dans les dis- pitres précédens. On sent à chaque ligne qu'il est gcué , contraint ; qu'il n'ose dire ce qu'il pense , ni raisonner conséqiiemment aux principes qui) a éta- blis. 11 s'enveloppe , il avance, il recule al'.ernali- vemcnt ; occultas ev.im prop/er me/um judœoruvi : et ce qu'il dit de vrai semble presque lui échapper , laat il craignoit d'irriter la haine du prêtre fana- tique, dont il voyoit la hache encore sanglante si!S- pejidue sur sa tête. Observons néanmoins que , quoi- que Hubùes environné dJennemis puissans sacrifie ici quelquefois à l'erreur commune , il est assez facile de pénétrer ses vrais sentimens, qu'il laisse toujours entrevoir par quelque proposition conforme aux prin- cipes de sa philosophie. Nous en verrons ici plus d'un exemple.
Comme nous donnons des noms non - seulement aux objets naturels, mais encore aux surnaturels ; et comme nous devons attacher une idée ou un sens h tous les noms; Ho- bes considère d'abord quelles sont les penséeset les imaginations que nous avons dans l'esprit, lorsqiie nous prononçons le nom àe Dieu, et le nom des vertus ou propri^^tés que nous lui attribuons : il exa- mine ensuite quelle est l'imcige qui se présente à notre esprit, quand nous entendons prononcer le mot ■tsprit ^ ou celui des avge:- bons ou mauvais.
i.° De ce que Dieu est incompréhensible , il s'en- suit que nous ne pouvons avoir de conception ou d'image dç la divicité j cooséquemment tous se«
fjyG OPINIONS
•^ttributs n'annoncent cjue Pinipo5slbilité de conce- voir quelque chose louchant sa nature , dont nous n'avons dautre conception, selon Holbes , si-non que Dieu existe.
2.° Le nom de Dieu renferme éternité , incompré- liensibilité, toute-puissance.
3.'' Lorsque nous disons de Dieu , qu'il voit , qu'il entend, qu'il parle, qu'il sait, qu'il aime, etc. , mots par lesquels nous comprenons quelque chose dans les hommes à qui nous les attribuons , nous ne coucerons plus rien, lorsque nous les attribuons l\ la nature di- vine, i^iosi les attributs que l'on donne à la divinité ne signifient que notre incapacité, etc.
4.^ Par le mot esprit nous entendons un corps na- turel , d'une telle subtilité, qu'il n'agit point sur les sens, mais qui remplit une place, comme pourroit la remplir l'image d'un corps visible. Ainsi le concept , l'idée que nous avons d'un esprit , est celle d'une fi- gure sans couleur : dans la figure , nous concevons di- mension; par conséquent, concevoir un esprit , c'est concevoir quelqve chose qui a des dimensions : mais qui dit un esprit surnaturel , dit une substance sans dimension , deux mots qui se contredisent. Ainsi ^uand nous attribuons le mot esprit à Dieu , cet at- tribut ou cette propriété, que nous lui donnons , n'est tas plus l'expression d'ime cho=e dont nous a\'ons cne iJée claire et distincte, que quand nous attri- buons à cet être le sentiment et l'intellect : c'est une inanlère de lui marquer notre respect, que cet eflort Lue nous faisons , pour faire abstraction en lui de toute lîbstance corporelle et grossière. ( « Voilà un de ces
paraE;ïaphes dont j'ai parlé ci-dessus, et où les vrais . sentimens_de Hobtcs sont exposés clairement, et
sans lai ser le aïoindic doute dans l'esprit n. )
DES ANCIENS PHILOSOPHES. /|97 5.^ Il n'est pas possible , par les seuls moyens na- turels, de connoilre même Pexislence des autres êtres, que les hommes appellent esprits incorporels. Nous qui sommes des chrétiens, nous admettons l'exis- tence des anges bons et mauvais , et des esprits ; nouj disons que l'ame humaine est un esprit , et que ceS esprits sont incorporels ; mais il est iaipossible de le savoir , c'est-à-dire , d'avoir une évidence natu-. relie de ces choses : car toute é/idence est concep- tion ; et toute conception est imagination , et vient des sens. Or , nous supposons que les esprits sont des substances qui n'agissent point sur les sens, d'où il suit qu'il est impossible de les concevoir.
6.^ C'est une contradiction palpable dans le discours naturel , que de dire , en parlant de l'ame humaine , qu'elle est toute dans le tout, et toute dans chaque partie du tout, tcfa in îoio , in qualibei parte corporisi^ proposition qui n'est fondée ni sur la raison , ni sur 1% révélation, mais qui vient de l'ignorance de ce que sont les choses que Pou nomme des spectres , ces images qui se montrent dans l'obscurité av.x cnfanS et à ceux qui sont peureux , et d'autres imaginations étranges que j'appelle àQ% Jantômes : car en les pre- nant pour des choses réelles placées hors de nouS comme les corps , et en les voyant paroitre et se dis- siper d'une façon si élrange et si peu semblable à la façon d'agir des corps , comment les désigner autre- ment :jue sous le nom de corps incorporels ? ce qui n'est pas un nom , mais une absurdité du langage.
Hobhes emploie le reste de ce chapitre à faire voit que l'opinion des payens , touchant les esprits, ne prouve point leur existence ; qu'elle n'est fondée que Mjr la foi que nous avons dans la révélation ; que la iiyinité des écritures n'e>t établie que sur la foi ; qa&
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4f)8 0 r I IV 1 0 A s
la foi n*est que la conaance en des homcces vraiment inspirés; que dans le doute on doitpréterer à sa propre opinion celle de l'église ^ etc. etc. elc. Tout ce qu'il dit sur ces diflérens points est plus ou moins conforme aux opinions des théologiens , et par conséqi ent n'oflfre rieu qui mérit-e l'attention des philosophes. Uobbes avoit la double doctrine , comme tous ceux qui vivent dans un gouvernement où il y a une su- perstition dominante, des loix qui la soi. tiennent et qui p' oscrivent l'usage de la raison. 11 ne faut que lire ce chapitre avec quelque attention , pour voir que JSohhès y choque le moins qu'il peut les préjugés re- çus , et qu'il les respecte même toutes les fois qu'il ne pourroit les fouler ouvertement aux pieds sans se commettre avec les prêtres, et par conséquent avec les magistrats, qui n'en sont que les bourreaux dans tous les pays où le christianisme est établi.
Apr^s avoir expliqué de quelle manière les objets extérieurs produisent des idées , et ces idées , le désir ou la crainte , qui sont les premiers mobiles cachés de nos actions , Hobhes examine ce que c'est que la </«?'//- léraiion : il nomme ainsi ces désirs et ces craintes qui se succèdent les uns aux autres aussi long-temps qu'il est en notre pouvoir de faire ou de ne pjs faire l'ac- tion sur laquelle nous délibérons, c'est-à-dire , que nous désirons et craignons alternativement ; car tant que nous avons la liberté de faire ou de ne pas faire, l'action demeure en notre pouvoir , et la délibération nous ôte celte liberté.
Ainsi la délibération demande deux conditions dans l'action sur laqvelle on délibère: l'une est que cette action soit future ; l'autre , qu'il y ait espérance de la faire , ou possibilité de ne la pas faire ; car le désir et la craiûte sont des attentes de l'aycDii j et il n'y 9
DKS ANCIENS PHILOSOPHES. 499
^,DÎnt (l'atfeufe d'un bien sans esppranco, ni d'alten!e, d*iin njal sans possibilité ; il n'y a donc point de déli- bération sur les choses nécessaires. Dans la délibéra- tion , le dernier désir, ainsi qr.e la dernière crainte, se nomme volomé. Le dernier désir veut faire ou veut ne pas faire. Ainsi la volonté ou la dernière yolouté «ont la même chose.
Les actions et les omissions volontaires sont celles qui tirent leur source de la volonté : toutes les autres sont involontaires ou mixtes, telles que celles que Pbomme produit par désir ou par crainte.
Les involontaires sout celles qu'il fait par nécessité de nature , comme quand il est poussé , qu'il tombe, et fait, par sa chute, du bien ou du mal à quel- qu'un.
Les mixtes sopt celles qui participent de l'une et de l'autre , comme quand un homme est conduit en prison ; il marche volontairement , mais il va dans la prison involonfairement. L'action de celui qui, pour sauver son vaisseau et sa vie , jette ses marchandises dans la mer, est volontaire ; car il n'y a dans cette action , d'involontaire , que la dureté du choix , qui n'est pas son action , mais l'action des vents : ce qu'il fait alors n'est pas plus contre sa volonté , que de fuit un danger n'est contre la volonté de celui qui ne voit pas d'aufre moyen de se conserver.
Le désir , la crainte , Tespérance , et les autres pas- sions ne sont points appelées volontaires ; car elles ne procèdent point de la volonté ; mais elles sont la vo- lonté même ; et la rolonté n'est point une action vo— Ion' aire , car un homme ne peut pas plus dire qu'il yeuf vouloir^ qu'il ne peut dire qu'il reu/ vouloir Vouloir, et répéter ainsi à l'infini le mot voidcir / ce qui seroit absurde et dépouryu de senu.
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Comme rouloir faire est désir , et vculcîr ne pas faire est crainte; la cause Ju Jcsir ou de la crainte est aussi la cause de notre volonté : mais l'action de pe er les avantages et les désavantages , c'est-à-dire , la ré- compense et le châtiment, est la cause de nos désira et de nos craintes, et par conséquent de nos volontés, autant que nous croyons cjue les récompenses ou les avantages que nous pesons nous arriveront; en con- séquence, nos volontés suivent nos opinions, de même que nos actions suivent nos volontés ; c'est dans ce sens que l*on a raison de dire que l'opinion gouverne le monde.
Dans les délibérations interrompues, comme elles peuvent, l'être par des distractions , des amusemens , par le sommeil , etc. , la dernière appétence ou désir de cette délibération partielle se nomme inteiuion ou dessein.
Holbes développe , dans le dernier chapitre de son ouvrage , les efl'els des mots et des discours , espèces de signes qui peuvent être dissimulés ou teints.
Le premier usage du langage est d'exprimer nos conceptions^ c'es'-à-dire, de produire dans un autre les mêmes conceptions qui sont au-dedans de nous- ïBêmes : c'est \h. ce qu'on nomme enseigner.
Si la conceptîonde celui qui enseigne, accompagne eontinuemeut ses paroles , en patlant d'une vérité fondée sur l'expérience ; alors elle produit la même évidence dans celui qui écoute et qui comprend ce qu'on lui dit, et lui fait connoitre quelque chose: c'est ce que l'on nomme apprendre. Mais s'il n'y a point une pareille évidence , cet enseignement se nomme persuasion ; elle ne produit dans celui qui écoute que ce qui Çit uniquement dans l'opinion df celui qui parlet
n î s A N C I E -N s P II l L 0 s O P II L s. iO L
Ilo/U'A fait ensuile uu bel éloge dei géomètres, et de la certitude de leur science ; il les regarde comme les auteurs de tous les avantages que nous avons sur les sauvages de l'Améric^ue. Il observe que , jusqu'à ce jour , on n'a point enlendu dire qu'il y ait aucune dispute sur les conséquences tirées desmatbématiqi^es, parce que les géomètres partent de principes trts- yimples, dont l'évidence est frappante pour les esprits les plus ordinaires, et s'avancent peu-à-peu , eu met- tant beaucoup de sévéïité dans leurs raisonnemens; de l'imposition des noms , ils concluent la vérité de leurs premières propositions; des deux premières pro- positions , ils en infèrent une troisième ; de ces trois , une quatrième , et suivent ainsi la route de la science pas à pas; au-lieu que ceux qui ont écrit sur les facul-» tés, les passions et les moeurs des hommes, c'est-à- dire , sur la philosophie" morale, la politique , le goiî- vernement et les loix , bien loin de diminuer les doutes et les disputes sur ]es questions qu'ils ont trai- tées , n'ont fait que les multiplier. Hollcs appelle dogmatiques les savans de cette seconde espèce , qui se fondent sur des maximes qu'ils ont adoptées dans leur éducation et d'après l'autorité des hommes ou de l'usage , et qui regardent le mouvement habituel de la langue comme du raisonnement.
11 définit le conseil , une délibération intérieure de l'esprit concernant ce que nous pouvons faire ou ne pas faire. Il fait même , à ce sujet , une remarque très- hne ; c'est que les conséquences de no.s actions sont nos conseillers par leur succession alternative dans l'esprit. Dans les conseils qu'un homme prend d'un autre , ses conseillers ne font que lui montrer alter- Dativement les conséquences d'une action : aucun 4'e«s ce délibère 3 ma^a tous ensemble fournlsseûî à
5o2 O P I N I 0 ?r 3
cf li:i qui les consulte , des objets sur lesquels il puias» délibérer avec lui-même.
Hi>bbes corsideie ensuite divers autres usages du langage , tels que rinlerrogation , la prière , la pro- messe , la menace , le commandement , la loi. 11 ob- serve que le langage sert encore à exciter ou appaiser, à échaufier ou éteindre les passions dans les autres ; ce qui est absolument la même chose que la persuasion'î car il n'y a point de difl'éreuce réelle entre inspirer del opinions, ou faire naître des passions : mais comme dans la persuasion nous nous proposons de faire naître l'opinion par l'entremise de la passion , dans le cas dont il s'agit, on se propose d'exciter la passion à l'aide de Topinion. Or comme , pour faire naître l'o- pinion de la passion , il est nécessaire de faire adopter une conclusion de tels principes qu'on veut ; de même en excitant la passion à l'aide de Topinion , il n'im- porte que l'opinion soit vraie ou fausse ; que le récit qu'on fait, soit historique ou fabuleux; car ce n'est pas la vérité , c'est l'image qui excite la passion : nno tragédie bien jouée affecte autant que la vue d'un as-* sassinat.
Hûhles a très-Lien ru que les mots sont souvent équivoques, selon la diversité de la texture du dis- cours, et celledeceux qui emploj'ent ces signes de no» idées et de nos opinions : et après avoir observé que , pour nous faire démêler le vrai sens de ces mots, il faut voir celui qui parle , être témoin de ses actions y et conjecturer ses intentions, il i n conclut judicieu- sement qu'il doit être extrêmement difficile de décou- Trir les opinions et le vrai sens de ceux qui ont vécu long-temps avant nous , et qui ne nous ont laissé que leurs ouvrages pour nous en instruire , vu que nous ne pcuTODS les entendre qu 'à l'aide de Tbisloir* , par
DC9 A >' C T E .N S P-H I L O S O P lî T. S. t)0'y
le raoycn de laqnelle nous suppléerons peul-êîrc au défdiii des circonstances passées, mais non sans beau- coup de sagacité.
On ne lit point le ^. IX du dernier chapitre de cf t ouvrage, sans être ten'é de croire que HobUs n'a pas voulu terminer son traité, sans indiquer lui-même le moyen de distinguer ses vrais sentimens de cei x que la crainte des prêtres et le pouvoir impérieux di s circonstances l'ont quelquefois obligé de soutenir. Voici ce paragraphe, qu'on peut regarder , ce me semble , comme le mot de l'énigme proposée dans les dernières pages du chapitre XI.
« Lorsqu'il arrive qu'un homme nous annonce deux 77 opinions contradictoires , dont l'une est exprimé* n clairement et directement , et dont l'autre ou a été n tirée de la première ,^ar induciion , ou lui a été as- n sociée. faute d'en avoir senti la contradiction: alors, « quand l'homme n'e<t pas présent pour s'expliquer n lui-même , nous devons prendre la première propo- n silion pour son opinion ; car c'est celle qu'il a ex- n primée clairement et directement, comme la sienne, w tandis que l'autre peut venir de quelque erreur dans n la déduction , ou de l'ignorance où il étoit de la con- f) traliction qu'elle renfermoit. Il faut en user de n même , et pour la même raison , lorsqu'un homme n exprime sou intention de deux manières, contradic- ft toires n.
Tel est l'exposé fidèle des principes , sur lesquels Hobbes a philosophé dans ce iraiié de la nature hu-m maine : j'ai en soin , autant qu'un simple extrait peut le permettre , de ne rien omettre d'absolument essen- tiel au développement de ses idées : mais on ne peut Sentir tout le mérite de cet ouvrage très-réfléchi et pensé par-tout avec autant de justesse que de profon*
5o4 o p I ^^ T 0 N s , etc.
deur , qu'en le lisant dans l'original, et en le courant tout d'un Jil , pour me servir de l'expression de Montaigne. Si l'analyse que j'en ai donnée peut exci- ter dans l'esprit de quelques lecteurs philosophes le désir de cultiver les idées fortes et hardies de Hohbes y et de s'élever k la hauteur et à la généralité de sts xi-, sultats , je croirai avoir contribué en cela aux progrè» de la raison : et c'est le but que je me suis proposé eu d'occupant de ce travail ].
Cette addition à Varticîe HoBBISME est de Véditeilr,
TABLE DU TOME V.
AcoiTgMATiQUES page 3
Aktiidiluvienne philosophie , ou état de la
philosophie avant le déluge ^
Ababes , ( état de la philosophie chez les anciens
Arabes) l5
ASCHARIOUNS , ou ASCHARIENS 3a
Asiatiques , ( philosophie des Asiatiques en
général} 2^
AZARECAH ^g
BeLBUCH et ZÉOMBUCH 5j
Brachmanes 50
Bramikes , ou Bramènes , on Bramtns , ou Bramens , ( histoire de la philosophie an- cienne et moderne ). 55
Chaldéens, ( philosophie des Chaldéens ). . 53
Chavarigtes -,
Chinois, ( philosophie des Chinois ). ... 75 Principes des philosophes Chinois du moyen
âge, et des lettrés de celui-ci 87
Science antécédente . 00
Science subséquente 02
Cykique, ( secte de philosophea anciens ). . 109
CtrénaÏque, ( secte ) j,,
ECLECTISilE I .5
, Tabkau général de la philosophie éclecticjue. i5z Histoire de PEclecti^me. ••....., i5q
. Philosophie des Eclectiijnes ; principes de la
dialectique des Eclectic^ues . ..... 227
Principes de la métaphysique des Eclectiques. 231;
rhjJo5. afic. et m^à, To4£ I. X ♦
5o6 T A B L f.
Principes de la psychologie des Eclectiques, p. 240 Principes de la cosmologie des Eclecliques. . 249 Piiucipes de la théogonie éclectiqr»e. . . . 267 Principes de la philosophie morale des Eclec- tiques 269
ÉGYPTIENS, ( philosophie des ) 27a
Éléatique, ( secte ) 297
Histoire des Éléatiques méraphysiciens. . . 24,8
Métaphysique Je Xénophane 300
Pliysiqt e de Xénophane 30I
Histoire des Eléatiques physiciens 306-
Logique de Démocrite 31a
Physiologie de Démocrite. ....... 313
Théologie de Démocrite 316
Morale de Démoc.rite 317
Épicuréisme, ou Épicurisme 321
De la philosophie en général ilid.
De la physiologie en général 324
De la théologie 340
De la morale 342
Éthiopiens , ( philosophie des ) 360
Grecs, ( philosophie des ) 366
De la philosophie fabuleuse des Grecs. . . ibid. Philosophie politique des Grecs. . . ', • <; . 385 De la philosophie sectaire des Grecs*' ''•".'^'^ii"'', 396
De la secte Ionique 398
Du Socratisme 399
Du Cyrénaïsme iHd.
Du Mégarisme ihid.
De la secte Eliaque et Erélriaque 4»o
Du Platonisme. . '^^'^•
Du Gynisiïie, . ihiJ,
Du Stoïcisme 4^1
Du Péripaiétisnae i^'^*
TABLE. 507
De la secte S.imienne page 402
De la secte Eléatii^ue ilid.
De i'Héraclitisme 403
De l'Epicuréisme Uid.
Du Pyrrhouisme ou Scepticisme ibid.
HÉRACLiTiSME, OU philosophie d'HéracUte. . 407
Logi((ue d'Heraclite 410
Physique d'Heraclite 4^-^
Morale d'Heraclite 414
Physique d'Hippocrate 417
HoBBiSME , OU philosophie de Hobbes. . . . 419 Principes élémentaires et généraux. . . . 434
De l'animal 44°
De l'homme 442^
Du Léviathan de Hobbes 446
Caractère de Hobbes. . . . • 465
Addition de l'éJiteur à l'article précédent. . 468
FIN DU TOME CINQUIEMI.
PQ Diderot, Denis
1979 Oeuvres
Al
1799
t. 5
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